Myriam BAUD
1
En souvenir de J. P. ASTOLFI, à l'origine de ce travail.
2
SOMMAIRE
3
INTRODUCTION
Les relations entre humour et apprentissage sont un objet d'intérêt récurrent chez les
pédagogues. On trouve ainsi déjà dans le Talmud le conseil suivant, prodigué aux
professeurs : « Au début de la leçon, commence par une blague ; après, va vers les choses plus
sérieuses »1. Cette approche, qui fait de l'humour un outil au service des apprentissages,
s'inscrit dans une tradition pédagogique remontant à l'Antiquité, où le plaisir et les facteurs
affectifs liés aux apprentissages sont reconnus et valorisés. Cependant, si certaines des
positions soutenues par les précurseurs d'alors sont aujourd'hui communément admises – à
l'exemple du rôle de la motivation, ou de l'intérêt du jeu en pédagogie, l'humour reste
finalement peu exploré dans le champ des sciences de l'éducation, notamment en ce qui
concerne ses applications concrètes au niveau pédagogique. Il demeure, qui plus est, marginal
dans les pratiques pédagogiques. Or, dans le même temps, on constate que l'humour se diffuse
dans le secteur de l'éducation non formelle, c'est-à-dire dans l'ensemble des activités ou
programmes organisés en dehors du système scolaire, mais qui sont dirigés vers des objectifs
précis d'éducation, comme en témoignent les professionnels. Ce décalage a donc été à la
source de notre intérêt pour la question de l'humour dans le cadre des apprentissages.
Dans cette optique, il nous a semblé intéressant de nous concentrer sur le champ du
documentaire jeunesse, du fait de la nature du projet éditorial inhérent à ce type d'ouvrages :
vulgariser la science c'est en effet nécessairement s'interroger sur la manière dont les
connaissances peuvent être transmises. Qui plus est, les documentaires semblent être
particulièrement enclins à recourir à l'humour, sous des formes diverses. Les professionnels de
l'édition s'accordent en effet pour le considérer comme une tendance de fond à l'heure
actuelle. Ils nous semblent par conséquent offrir un cadre privilégié pour observer de plus près
ce phénomène.
1 Talmud, Shabat, 30, 25 in Ziv, Le sens de l'humour, Paris, Dunod, 1987, p.75
4
sur la prise en considération des besoins de l'enfant et de ses spécificités en matière
d'apprentissage et d'éducation.
Nous chercherons dans un premier temps à recenser ces pratiques humoristiques, en nous
appuyant sur les sélections proposées par la Revue des Livres pour Enfants (RLE). Cette pré-
enquête, portant sur plus d'une quarantaine d'années, nous permettra d'estimer le
développement de l'humour dans le contexte documentaire.
Mais c'est ensuite à travers l'observation détaillée d'un corpus documentaire actuel (une
sélection de documentaires publiés en 2008, et présentés par la RLE comme humoristiques)
que nous pourrons véritablement décrire ce processus, en observant la place et les fonctions
qui sont alors assignées à l'humour par l'analyse des productions elles-mêmes. Cette analyse
sera basée sur une grille d'observation élaborée à partir d'un ensemble de travaux de recherche
portant sur l'humour. Elle sera complétée par l'observation des discours des éditeurs.
5
I- HUMOUR, ENFANCE ET APPRENTISSAGE
1- En guise de définition
a- De l'humeur à l'humour
Le terme français « humour » est la traduction du mot anglais humour, dérivé lui même du
français «humeur», dont il est au départ l'exact équivalent, c'est-à-dire un liquide sécrété par le
corps, qui influe sur le tempérament humain. C'est dans la pièce de Ben Jonson, Every Man
out of His Humour (1599), que ce terme est pour la première fois utilisé non plus dans ce sens
physique, mais au sens figuré : humour ne désigne plus seulement l'humeur médicale, mais,
par métaphorisation, tout caractère excessif. En effet, dans cette pièce, le public rit de
personnages monomaniaques dont l'humeur - le humour - est en perpétuel décalage avec les
situations de la vie. Si ce sens initial (avoir un humour, c'est-à-dire des bizarreries qui font
rire) n'est plus d'actualité aujourd'hui, le sens figuré va, lui, progressivement se répandre,
comme en atteste l'expression toujours en vigueur « avoir de l'humour ».
Cependant, le terme « humour » désigne des réalités parfois très diverses, qui vont du simple
procédé comique à une philosophie de vie. Gendrel et Moran dans leur article sur la question2
distinguent deux définitions essentielles de l'humour :
Le premier [usage], que nous nommons « forme de vie », en référence à Wittgenstein, tend à
présenter l'humour comme une position existentielle, une manière de vivre, aux limites parfois
de l'éthique et du religieux.
Le deuxième usage utilise le terme « humour » d'une manière plus linguistique que
philosophique. Cet usage met l'accent sur le fait que l'acte de production de l'humour est
conscient (c'est la position par exemple de Cazamian), mais il n'est ni seulement mécaniste
(étude des procédés) ni seulement affectiviste (étude des sentiments qui provoquent l'humour
et que provoque l'humour). Il est l'un et l'autre, tenant à la fois de la rhétorique et de la
pragmatique, et à ce titre le terme wittgensteinien de « jeu de langage » nous a paru le plus
opportun, puisqu'il évoque non seulement des combinaisons de mots (comme il y a des
combinaisons de coups aux échecs) mais aussi la présence indispensable d'un partenaire
(notons que « langage » a ici un sens large et fait référence à l'image et au son tout autant
qu'aux mots). S'il fallait choisir dans les termes dérivés d'« humour » le plus caractéristique de
cet usage, ce serait l'adjectif « humoristique », qui s'applique à une production consciente
reconnue comme telle par un tiers.
Ces deux tendances se retrouvent, nous le verrons, dans les discours associés à l'humour.
2 GENDREL B., MORAN A., Atelier de théorie littéraire : humour : panorama de la notion, site Fabula
(http://www.fabula.org/atelier.php?Humour%3A_panorama_de_la_notion)
6
b- Humour et comique
Par ailleurs, le terme d'humour a subi depuis son introduction en français un affaiblissement
de sens tendant à l'assimiler au concept plus général de « comique », si bien qu'on qualifie
souvent d'humoristique n'importe quelle chose qui fait rire. D. Grojnowski, dans l'article
« Humour » du Dictionnaire du littéraire, résume cette évolution : « L'humour est ainsi
devenu synonyme de comique, au sens commun du terme, révélant un état d'esprit, un « sens
(de l'humour) » qui existe en dehors de ses manifestations littéraires »3.
Pourtant, si l'humour relève du comique, il ne le constitue pas dans son intégralité.
Contrairement au comique, l'humour implique en effet la perception ou la production d'une
incongruité, c'est-à-dire « le non-respect des rapports habituels entre les choses (qu'il s'agisse
de mots, d'idées, de représentations, d'évènements) »4. Ce mécanisme, sur lequel nous
reviendrons plus en détail, provoque chez le récepteur un conflit de cognition, qui appelle en
réponse le rire ou le sourire. La présence d'un cadre ludique est cependant nécessaire pour que
l'incongruité puisse être identifiée comme humoristique, et se distinguer ainsi du comique
involontaire ou de la simple étrangeté. Ces indices de climat 5 permettent de distinguer
l'humour du comique involontaire, qui ne sera pas évoqué ici.
c- La question de l'intentionnalité
La notion d'intentionnalité nous apparaît essentielle pour définir l'humour 6. Celui-ci naît en
effet de l'échange entre deux individus, et du plaisir partagé qui en découle. « Le comique [à
l'exception du comique involontaire], l'humour, sont des phénomènes sociaux, des
phénomènes de communication », écrit Bariaud, « et l'on ne peut comprendre comment ils
s'édifient sans tenir compte de cette essence »7. Elle propose, partant de ce postulat, une
définition des phénomènes humoristiques que nous retiendrons pour la suite de notre
recherche :
Dès lors, on dira d'une création ou d'une réaction qu'elle est sous-tendue par le
sentiment de comique ou d'humour seulement s'il est clair qu'à la perception du
message incongru s'associe chez l'enfant la conscience de son objectif, de sa raison
d'être : provoquer le rire (op. cité, p.52).
Cette dimension nous sera utile pour définir, les éléments humoristiques qui serviront de base
à notre travail d'analyse.
3 ARON P., ST JACQUES D., VIALA A. dir, Dictionnaire du littéraire, article «Humour», (Paris, PUF, 2002).
4 BARIAUD F., La genèse de l'humour chez l'enfant (PUF, 1983), p. 24
5 Nous les détaillerons dans un paragraphe consacré au rôle du contexte, voir I-3-c
6 Il en va de même pour certaines formes du comique,
7 BARIAUD F., La genèse de l'humour chez l'enfant (PUF, 1983), p. 52.
7
d- Une approche psychologique de l'humour
Enfin, la multiplication des approches théoriques possibles sur l'humour – qu'elles soient
philosophiques, littéraires ou psychologiques - contribue elle-même à complexifier la notion,
au point qu'il semble y avoir presque « autant de sens du mot « humour » qu'il y a de
commentateurs », comme le soulignent Gendrel et Moran 8. André Breton cite d'ailleurs cette
remarque de Valéry, dans la préface de l'Anthologie de l'humour noir :
Le mot humour est intraduisible. S'il ne l'était pas, les Français ne l'emploieraient pas. Mais ils
l'emploient précisément à cause de l'indéterminé qu'ils y mettent, et qui en fait un mot très
convenable à la dispute des goûts et des couleurs. Chaque proposition qui le contient en
modifie le sens; tellement que ce sens lui-même n'est rigoureusement que l'ensemble
statistique de toutes les phrases qui le contiennent, et qui viendront à le contenir.9
L'objet général de ce travail – les relations entre humour et apprentissage-, nous a cependant
conduit à nous limiter à une perspective psychologique, en lien direct avec les théories du
développement de l'enfant, et dont les implications dans le domaine des apprentissages sont
importantes. A l'intérieur de ce cadre, nous nous intéresserons de préférence à deux approches
complémentaires : la théorie psychanalytique d'une part, et la perspective cognitiviste d'autre
part.
2- La perspective psychanalytique
a- La théorie freudienne
Freud10 envisage l'humour comme une tentative de réponse face à des situations difficiles. Il
s'intéresse essentiellement aux motivations de l'humoriste. Il considère en effet l'humour
comme un moyen d'expression des émotions, particulièrement dans le cas de sujets sexuels ou
agressifs, mais aussi de l'anxiété provoquée par ces pulsions ou par des angoisses
fondamentales (peur de l'abandon...).
Il distingue trois stades du développement de l'humour chez les individus : le jeu (2-3 ans),
puis la plaisanterie (4-6 ans), concomitant avec la découverte de l'absurde et du non-sens ;
enfin, à partir de 7 ans, le stade des blagues proprement dites, qui s'intensifie avec l'âge, et où
l'on trouve largement illustrée la fonction libératrice de l'humour. Ce dernier fonctionne alors
8 GENDREL B., MORAN A., Atelier de théorie littéraire : humour : panorama de la notion, site Fabula
(http://www.fabula.org/atelier.php?Humour%3A_panorama_de_la_notion)
9 Cité par André Breton, Anthologie de l'humour noir, Paris, Le Livre de Poche, 1966, p. 11.
10 FREUD S., Der Witz und seine Beziehung zum Unbewussten (Leipzig, Denticke, 1905), trad. française Le
mot d'esprit et ses rapports avec l'inconscient (Paris, Gallimard, 1930)
8
comme un habillage socialement acceptable, - Wolfenstein parle de « masque de l'humour »11-
à l'expression de sentiments habituellement inhibés :
Ce masque permet l'expression de significations chargées d'émotions normalement
réprimées, le rire qui s'ensuit libère des sentiments sexuels, hostiles, ou d'autres émotions
jugées inacceptables.12
Le goût du scatologique, qui se développe de manière intense chez l'enfant à partir de 3 ans, et
qui renvoie aux angoisses liées à l'acquisition du contrôle des fonctions corporelles, en est une
autre illustration.
L'énergie psychique utilisée jusqu'alors pour inhiber les pulsions sexuelles ou agressives, se
libère momentanément et s'extériorise par le rire. Cette forme d'humour, que Freud qualifie de
« tendancieuse », constitue selon lui l'essentiel du processus humoristique, d'autant plus que
« le plaisir procuré par l'esprit tendancieux permet de donner satisfaction à une tendance qui,
sans lui, demeurerait insatisfaite »14. Il reconnait cependant parallèlement l'existence de
formes d'esprit « non-tendancieuses », où le plaisir est lié à une dimension intellectuelle (jeux
de mots...).
Cette distinction entre humour tendancieux (qui associe au rire la notion de dégradation, de
rupture, et se traduit par la désacralisation de sujets difficiles ou graves) et humour neutre (qui
ne transgresse pas les tabous, et dont l'intention est « de divertir, de libérer des contraintes de
la pensée rationnelle » en offrant un plaisir intellectuel) a été largement reprise par la suite 15.
11 WOLFENSTEIN M, « Children's humor : A psychological analysis » (Glencoe, IL, Free Press, 1954), cité
par Bergen p. 22
12 BERGEN Doris, « Le développement de l'humour chez les enfants normaux et surdoués : synthèses des
connaissances actuelles » (Revue québecoise de psychologie, 2004, 21-41), p.22.
13 SPIEGELMAN Art, Breakdowns (Ed française Casterman, 2008)
14 FREUD, Le mot d'esprit et ses rapports avec l'inconscient (Paris, Gallimard, 1930), p. 177
15 Voir par exemple le chapitre 2 (« Humour et discours comique ») du livre de F. EVRARD, L'humour (Paris,
Hachette, 1996).
9
b- Wolfenstein : l'angoisse modérée, moteur de l'humour
Parmi les représentations intégrées par l'enfant, il en est qui sont donc fortement investies de
valeurs symboliques. Il en va par exemple ainsi de la construction de l'identité sexuelle : faire
de l'humour sur la question exige de l'enfant qu'il ait constitué un concept stable et solide de
sa propre identité sexuelle. Wolfenstein16 (1954) considère que l'angoisse constitue le coeur du
processus de création d'humour. Les thèmes des plaisanteries les plus appréciées des enfants
aux différents âges de leur développement, renvoient en effet en réalité à des sujets de
profonde inquiétude pour eux. Cependant, l'intensité de cette angoisse ne doit pas être trop
forte, la réaction d'humour étant impossible dans une situation trop fortement émotionnelle. Il
faut donc que « le degré d'implication de soi (en eux) se réduise dans une certaine mesure »17,
c'est-à-dire que ces thèmes puissent être considérés comme suffisamment « sûrs », pour
devenir objets de plaisanterie. L'angoisse est alors réduite, mais non pas éliminée totalement,
parce qu'elle est justement la source de l'humour, son « moteur » qui, comme l'écrit Bariaud,
« retourne en plaisant les sentiments pénibles »18. Les plaisanteries des enfants offrent donc le
reflet de leurs craintes et de leurs souffrances : angoisse de séparation, frustration... Cette
approche, déjà développée par Eastman19 (1936), nous semble complémentaire de la notion de
« maîtrise cognitive » sur laquelle insistent les cognitivistes, et que nous développerons par la
suite.
10
rire est né de la transformation soudaine d'une attente en rien du tout »21. Cette idée de
« l'attente frustrée » est justement au coeur de la théorie cognitiviste. Elle est illustrée
notamment par Koestler22, qui y voit le principe central de l'humour : le début d'une histoire
crée une tension dramatique, qui est désamorcée par une chute inattendue, quoique offrant une
certaine logique. C'est ce passage soudain d'un plan logique à un autre, mouvement que
Koestler appelle « bissociation », qui provoque le rire. Parce qu'il élabore volontairement de
nouvelles connections entre des éléments jusqu'alors indépendants, ce phénomène peut être
considéré comme une forme de créativité, en lien avec la pensée divergente. Koestler l'illustre
par une histoire, citée par Schopenhauer avant lui 23 :
Un détenu joue aux cartes avec ses geôliers. Lorsque ceux-ci découvrent qu'il a triché, ils le
jettent dehors.
Deux logiques sont ici à l'oeuvre : celle qui veut que les malfaiteurs soient emprisonnés, et
celle qui veut que les tricheurs soient exclus.
Par la suite, Suls (1972)24 a proposé un modèle psychologique en deux étapes : l'incongruité
est d'abord détectée (non-conformité de la chute au regard de ce qui est attendu), puis résolue
de manière quasi instantanée. Le rire découle là encore de la découverte d'un sens inattendu,
qui rétablit une certaine cohérence, une « rectification de processus cognitifs »25. Cependant,
si la difficulté doit être surmontable (c'est-à-dire que l'incongruité doit pouvoir être identifiée
et résolue), elle doit malgré tout offrir un degré suffisant pour être appréciée pleinement. Car
le plaisir qui découle de sa résolution est augmenté par la dimension de défi intellectuel
qu'elle représente. Mac Ghee évoque à ce propos la nécessité d'une « difficulté suffisante mais
pas excessive »26 … En somme, la résolution de l'incongruité ne doit être ni trop simple, ni
trop complexe.
Remarquons à ce propos que pour être identifiée en tant que telle - une violation des règles -,
une incongruité nécessite donc au préalable la connaissance des règles ou des schémas
attendus. Cela explique pourquoi l'analyse de l'humour chez les enfants doit nécessairement
prendre en compte le niveau de développement de leurs compétences cognitives et sociales.
21 Cité par N. et Z. ZIV dans Humour et créativité en éducation (Creaxion, Paris, 2002), p. 23
22 KOESTLER A., The act of creation (Hutchinson, Londres, 1964)
23 Cité par ZIV, p.24
24 SULS J.M., « A two-stage model for the appreciation of jokes and cartoons : an informating-processing
analysis », in GOLDSTEIN J. H., Mc GHEE P., The psychology of humor (New- York, Academic Press,
1972), p. 81-100
25 LEFORT B., « Dans une histoire drôle, où est le sujet ? », Semen 14, Textes, Discours, Sujet, 2002
26 MAC GHEE Paul, « Children's appreciation of humor : a test of the cognitive congruency principe » (Child
devlopment, 1976, 420-426)
11
b- Incongruités principales et secondaires
Les travaux de Schultz et Horibe (1974)27 ont d'ailleurs démontré que les jeunes enfants ont
tendance à apprécier l'incongruité pour elle-même. Dans une étude de 1992 28 concernant la
compréhension des blagues par les élèves entre le CP et le CM2, B. Lefort, en reprenant une
méthode inspirée par celle proposée par ces deux chercheurs, a montré combien la centration
sur l'incongruité principale et l'intérêt pour la chute, ne se réalisent que progressivement chez
les enfants. Au départ, ceux-ci accordent même une importance supérieure aux incongruités
secondaires, c'est-à-dire à des éléments qu'ils jugent incongrus, mais qui ne correspondent pas
au « coeur » de l'histoire drôle. Il s'agit en réalité de tout ce qui, au regard de leur construction
cognitive et affective, mais aussi de leur connaissance du monde, leur apparaît étonnant :
comportements non compréhensibles pour eux, incongruités renvoyant à des schémas qu'ils
ne maîtrisent pas, mais aussi expressions figurées qu'ils prennent au sens littéral (« être cloué
au lit »...). Ces résultats confirment les analyses de Bariaud (1983) concernant la perception
de dessins humoristiques, où des éléments annexes sont fréquemment évoqués par les enfants
pour expliquer le caractère comique selon eux de certaines images. La hiérarchisation entre
ces éléments secondaires et l'incongruité finale, à laquelle renvoie la chute, ne se réalise donc
que progressivement. Bariaud remarque d'ailleurs que l'adoption d'une forme d'humour
semblable à celle des adultes ne se généralise que vers la fin de l'école primaire.
c- Importance du contexte
Au-delà de sa dimension sociale, sur laquelle nous reviendrons, cet aspect renvoie à une
réalité cognitive précise : l'évaluation de la situation. Bariaud insiste sur l'importance de la
27 SCHULTZ T. R., HORIBE F., « Development of the appreciation of verbal jokes », in Developmental
Psychology, 10, 1, p.13-20
28 LEFORT Bernard, « Structure textuelle de l'histoire drôle et compréhension », cahiers du CRELEF n°33
(Université de Franche-Comté, 1992), p.98.
12
surprise générée par la détection d'une incongruité29. Celle-ci provoque un conflit de cognition
auquel le rire ou le sourire, comportements émotionnels, répondent dans certains cas... Mais
pas systématiquement, car si l'inattendu et l'absurde sont des dimensions constitutives de
l'humour que l'enfant apprécie, lorsqu'ils atteignent un niveau trop élevé, au lieu de provoquer
le rire, ils laissent alors place à de l'angoisse. Mac Ghee écrit à ce propos :
« L'enfant ne peut trouver drôle la violation de ses attentes que s'il a acquis une maîtrise
conceptuelle du monde réel suffisante pour lui permettre de les considérer comme relevant
seulement d'un jeu sur la réalité »30
Il en va d'ailleurs de même pour les adultes. Citons là encore Spiegelman dans son strip
« Cracking jokes, brève enquête sur les différentes variétés d'humour » :
Mais il vrai que la frontière est étroite entre la surprise et l'étrangeté, ce dont témoigne
d'ailleurs la polysémie du mot drôle, à l'intersection du champ sémantique du comique et de
l'étrangeté. Bariaud rappelle à ce propos la théorie d'Ambrose, qui considère le rire comme un
comportement d'ambivalence, entre le plaisir et la peur31. D'où l'importance des circonstances
de production de l'humour : il nécessite un climat de sécurité, et dans certains cas, la présence
de signaux indicateurs (sourire, marques linguistiques...). Bon nombre de psychologues, à la
suite des travaux de Berlyne (1960)32, ont donc considéré que le rire d'humour était une
29 Voir BARIAUD F., La genèse de l'humour chez l'enfant (PUF, 1983), p. 25.
30 « The child perceives expectancy violations as being funny only when he has acquired a stable enough
conceptual grasp of the real world that he can assimilate the disconfirmed expectancy as being only a play on
reality ».(traduction personnelle). MAC GHEE Paul, « Development of the humor response : a review of the
litterature » (Bull, 1971), p.333
31 BARIAUD F., La genèse de l'humour chez l'enfant (PUF, 1983), p. 29
32 BERLYNE D.E., Conflict, arousal and curiosity (McGraw-Hill, New York, 1960)
13
réaction à une incongruité produite dans des circonstances particulières. Dans son étude,
Bariaud signale que l'appréciation ou la production d'humour nécessité une double maîtrise, à
la fois cognitive (concept établi) et affective (trouble surmonté)33, lorsque le sujet abordé
renvoie à des thématiques tendancieuses au sens freudien.
Cette approche nous semble intéressante parce qu'elle permet d'envisager le -complexe-
phénomène humoristique de manière plurielle, ce dont Ziv 34 rappelle la nécessité :
Notre intention n'est pas de critiquer les théories existantes sur l'humour, mais d'admettre
qu'elles peuvent toutes apporter quelque chose qui pourrait contribuer à une meilleure
compréhension du phénomène humoristique. Nous pensons que l'humour est un phénomène
beaucoup trop complexe pour qu'on puisse englober toutes ses manifestations en une seule
théorie.
14
réels (du jus de pomme... de terre / de guitare / de souris...), et à modifier les caractéristiques
des objets, animaux ou personnes qu'il connaît. Ayant établi ses premières règles de
classifications opérantes (par exemple le concept de chien, avec ce qui lui est normalement
associé en termes de forme, couleur, attitude, régime...), il s'amuse à les violer volontairement
en dessinant des ailes au chien ou en lui ajoutant des pattes. Cela marque le début d'une forme
d'humour que l'ont pourrait qualifier d' « absurdité conceptuelle », et qui renvoie selon
Helmers (1965), à une volonté de « reconfirmer l'ordre inaliénable du monde ».
Entre 5 et 7 ans, s'opère une période de transition, que Mac Ghee qualifie de « stade des pré-
devinettes », où l'enfant commence à manifester son intérêt pour l'humour verbal proprement
dit. Il est alors capable de rire aux devinettes, parce qu'il considère alors comme drôle tout ce
qui est pour lui insensé, au sens propre, mais sans en comprendre dans un premier temps les
ressorts (il reste dans la pensée littérale et le sens premier). Ce n'est qu'autour de 7 ans, en lien
avec son développement cognitif, linguistique et émotionnel, qu'il découvre la dimension
sémantique de l'humour et qu'il en comprend les formes complexes basées sur les double-
sens, les jeux de mots...
Ainsi, le « drôle » chez le jeune enfant ne correspond pas nécessairement à ce qu'un adulte
entend par là, et n'obéit pas à la même hiérarchisation. Dans son travail sur l'humour enfantin,
Bariaud situe le moment de l'accession à un humour adulte (c'est-à-dire centré sur la détection
de l'incongruité principale) entre 7 et 9 ans 36.
15
B- Humour et apprentissage
38 WITTGENSTEIN L., Remarques mêlées, Paris, Flammarion, «GF», 2002, p. 150 [78].
39 ZIV A et N, Humour et créativité en éducation (Coll, « les clés de l'éducation », Créaxion, Paris, 2002)
16
2- Un outil de développement cognitif
40 Dans Le mot d'esprit et ses rapports avec l'inconscient (1905), Freud utilise le terme de verbluffen, c'est-à-
dire « frapper de sidération », mais avec l'idée d'une mystification.
41 BARIAUD F., La genèse de l'humour chez l'enfant (PUF, 1983), p. 44
42 CORTEN-GUALTIERI P. et HUYNEN A.-M. (1992). "Où le dessin se rit de la génétique", Humoresques,
tome 3 ("L'image humoristique"), Nice, Z'éditions et CORHUM, p. 89-96.
43 CORTEN-GUALTIERI P., HUYNEN AM. « Le dessin d'humour, catalyseur de la réactivation du réseau
conceptuel de l'apprenant ». Aster, 1995, n° 20. Représentations et obstacles en géologie. p. 165-191.
17
Cette intégration peut également se faire par le développement d'images mentales, c'est-à-dire
de représentations imagées des tropes du discours, a fortiori dans le cas de représentations
iconiques. Les images de ce type relèvent de ce que Jacobi définit comme les « procédures de
visualisation »44 dans la typologie des « grammaire d'images » qu'il propose, et sur lesquelles
nous reviendrons plus en détail.
A ce titre, l'humour peut donc être considéré comme un outil d'entraînement cognitif (Mac
Ghee, 2002).
Par ailleurs, Ziv (1979) a réalisé une expérience qui consistait à proposer à des lycéens un
stimulus humoristique avant de les soumettre à un test de créativité. Il a ainsi démontré que
l'humour pouvait fonctionner comme une « ouverture à la pensée divergente » permettant de
stimuler la créativité (Ziv, 1979, Powell et Anderson, 1985, Corten-Gualtieri et Huynen,
1995), même dans sa dimension verbale (Tessier, 1994). C'est en somme une fonction
libératrice, de désinhibition que peut jouer l'humour à ce niveau, dimension déjà mentionnée
par Koestler auparavant (1964).
44 Jacobi les définit ainsi les « ressources iconiques mobilisées par un vulgarisateur afin de rendre figurables des
notions ou des concepts par essence abstraits », qu'il relie à la notion de « traduction intersémiotique »
développée par Jackobson et reprise à sa suite par Tardy (1975).
18
développent des automatismes cognitifs qui permettent de soulager leur contrôle attentionnel,
et ce, au bénéfice des activités de supervision. Ces dernières peuvent être rétroactives,
permettant ainsi de rectifier les erreurs d'appréciation et de compréhension. B. Lefort insiste
sur l'importance de ces mécanismes dans le traitement de l'humour :
Cette caractéristique est particulièrement importante lorsqu’on s’intéresse à la
compréhension des histoires drôles. Bon nombre d’auteurs (linguistes ou psychologues)
ont, en effet, souligné, avec des termes parfois différents, que les histoires drôles
comportent souvent une incongruité, une ambiguïté ou une rupture sémantique qui oblige
l’auditeur ou le lecteur à revenir sur l’interprétation première du texte pour rectifier une
représentation trop vite élaborée45 .
En cela, l'humour peut donc être considéré comme favorisant le développement métacognitif
(Lefort, 2002).
45 LEFORT Bernard, « Dans une histoire drôle, où est le sujet ? », (Semen, 14, Textes, Dicours, Sujet, 2002 ) p.4
46 BARIAUD F., op cité, p.52
19
b- Une forme d'intelligence sociale
L'humour, qui relève donc de la communication, permet justement de développer les
compétences communicationnelles de chaque individu (Tessier, 1994), en y introduisant une
dimension réflexive de type métacognitif. L'humour, à l'oral comme à l'écrit, focalise en effet
l'attention du récepteur sur les éléments qui constituent le contexte du discours : cadre de
parole, forme du discours, mais aussi indices non-verbaux (gestes, intonations, typographie...).
Il est donc multiréférentiel. En cela, il attire l'attention sur la complexité du discours, composé
non seulement de ce qui est dit, mais également de la manière dont il est formulé et du cadre
dans lequel il se déroule, c'est-à-dire du paratexte (Jacobi, 1987).
En offrant cette mise en perspective du discours, il exerce de plus une fonction critique
d'élucidation des malentendus inhérents à toute situation de communication. Il constitue
donc, selon Guillot, « un instrument préventif de la paradoxalité, [qui] facilite la
communication en prévenant incompréhensions ou conflits » 47.
Parce qu'il attire le lecteur sur l'importance du contexte du discours, c'est-à-dire de la manière
d'énoncer un contenu, l'humour relève donc de la métacommunication. En apprenant à
décoder les indicateurs du mode humoristique (attitude de quelqu'un qui s'est comporté de
manière incongrue, indices graphiques dans le cas du dessin), l'enfant développe ce que
Wallon appelle une « intelligence sociale », ou intelligence des situations et des intentions.
47 ZIV A et N, Humour et créativité en éducation (Coll, « les clés de l'éducation », Créaxion, Paris, 2002), p.
208
48 BERGSON H., Le rire, essai sur la signification du comique (Alcan, Paris, 1924). Le texte a été
originalement publié en trois article dans la Revue de Paris, 1er février, 15 février et 1er mars 1900.
20
Il s'agit certes d'une vision mécaniste, qui néglige notamment les processus inconscients, mais
qui insiste cependant sur la dimension sociale de l'humour.
Il devient alors un mode de rapport au monde, une manière d'être, que Lethierry, dans un
chapitre intitulé « l'humour pour grandir », résume ainsi :
L'humour serait en fait plutôt de l'ordre de la manière que de la matière, « il n'est pas une
méthode mais une tournure, c'est pourquoi son exercice ne se limite pas à des motifs
ponctuels et malicieux ». Elever un enfant, c'est étymologiquement, le rendre « léger »,
c 'est à dire lui permettre de vaincre les pesanteurs de ses conditionnements, le mettre en
« posture d'humanité »51 . En ce sens, l'humour est une « école de légèreté »52 .
On retrouve ici un des enjeux évoqués précédemment, et que posait la définition même du
terme « humour » : à une conception qui le limitait à des manifestations « techniques » bien
définies, répondait une approche existentielle, où l'humour symbolisait une forme de rapport
au monde, dans la tradition de Wittgenstein. Dans cette perspective, bien plus qu'un outil, il
devient une position existentielle.
49 WINNICOTT D.W., Processus de maturation chez l'enfant. Développement affectif et environnement (Payot,
1970)
50 GUILLOT G., « L'école de l'humour » dans Savoir(s) en rire (T.1, Perspectives en Education, De Boeck
Université, Paris, 1997), p. 210
51 ZIV A et N, Humour et créativité en éducation (Coll, « les clés de l'éducation », Créaxion, Paris, 2002), p.
212.
52 LETHIERRY, H : « Savoir(s) en rire 1 : un gai savoir (vérité et sévérité) »,( Bruxelles : De Boeck Université,
1997), P. 34.
21
4- Les limites de l'humour en situation d'apprentissage
Malgré tout, le recours à l'humour dans un objectif pédagogique présente certaines limites
qu'il importe de signaler. Ainsi, il ne peut véritablement jouer une fonction dans la
compréhension et l'assimilation des concepts que s'il est directement lié aux concepts
enseignés (Ziv, 1988). Si ce n'est pas le cas, il risque en revanche d'entraver leur intégration en
détournant l'attention du lecteur (Unger, 1996) 53.
D'autre part, pour remplir les fonctions pédagogiques ou éducatives que nous avons détaillées
ci-dessus, l'humour nécessite d'avoir été identifié par le lecteur en tant que tel. Cette
reconnaissance du type de discours proposé est en effet nécessaire pour permettre la
hiérarchisation des différents discours au sein du documentaire. Car, si l'humour n'est pas
perçu en tant que tel, il risque d'entraver la compréhension générale de ce qui est présenté. Le
cas échéant l'humour court alors le risque de brouiller le discours, au détriment des
apprentissages.
On retrouve ici une réflexion proposée par F. Ballanger 54 à propos de l'humour dans les
documentaires sur la préhistoire : si elle reconnait l'intérêt des approches qui, notamment à
travers l'humour, rendent le savoir historique moins intimidant pour le lecteur, elle pointe
cependant un risque inhérent à cette position : celui de dérouter le lecteur et de brouiller le
discours. Elle prend à ce propos l'exemple de la préhistoire, « (qui) comporte en elle-même
tellement d'éléments étonnants (à commencer par le nombre de zéros qu'il faut ajouter pour
obtenir les datations les plus reculées) que n'importe quelle affabulation devient vite crédible
auprès d'un public ingénu et imaginatif ».
53 UNGER L. S., The potential for using humor in international advertising. Humor: International Journal
of Humor Research 9 (2), 1996, 143-68.
54 BALLANGER F., « Lecture et analyse du documentaire pour la jeunesse », Analyse du documentaire pour la
jeunesse : applications à la préhistoire (journée d'étude du PIP, 2002). [En ligne],
URL :http://paleolithique.free.fr/index.php3?page=weblio/doc_jeun_prehist.htm
55 Nous avons souligné précédemment l'importance du contexte dans la perception de l'humour (Bariaud, 1983).
22
C- Humour et éducation
Après avoir évoqué la tradition de l'apprentissage ludique dans laquelle s'inscrivent ces
pratiques humoristiques actuelles, nous verrons en quoi elles témoignent d'une conception de
l'apprentissage qui réserve une place centrale à l'enfant. Nous observerons enfin la place qui
leur est dévolue dans le contexte scolaire français, mais aussi dans l'ensemble des pratiques
d'éducation non formelles de manière plus générale.
23
Au début du seizième siècle, Erasme préconise aux précepteurs de « bailler à l’étude une
couleur et déguisement de jeu »57. Le jeu n’est selon lui pas tant un outil pédagogique qu’un
moyen de relâcher « l’ardeur des études, après que l’on est parvenu jusque là, que les enfants se
peuvent appeler à plus grandes choses lesquelles se puissent apprendre sans soin ni labeur.
Comme […] tourner le latin en grec ou le grec en latin […] ».
Le jeu et la manipulation ludique sont donc envisagés comme des remèdes à l'ennui, et des
aiguillons pour la curiosité de l'enfant.
Mais ils peuvent parfois même être considérés comme des stratégies pédagogiques à part
entière, s'inscrivant alors dans une approche de l'apprentissage qui valorise la notion de plaisir.
Ainsi, dans son Traité de l'éducation des filles (1687), Fénelon défend l'éducation « attrayante »
en rappelant l'importance de la dimension du plaisir lorsqu'il est question d'apprentissage.. Il
souligne également la nécessité d'entretenir la curiosité de l'élève. Selon lui, le jeu permet en
effet à la fois d’éviter la lassitude, c’est-à-dire de ne pas rebuter l’enfant en lui imposant un
rythme qui ne conviendrait pas à son âge, mais aussi de servir à l’étude elle-même :
Remarquez un grand défaut des éducations ordinaires : on met tout le plaisir d’un côté, et
tout l’ennui de l’autre ; tout l’ennui dans l’étude, tout le plaisir dans les divertissements :
que peut faire un enfant, sinon supporter impatiemment cette règle, et courir ardemment
après les jeux ? Tâchons donc de changer cet ordre, rendons l’étude agréable, cachons-la
sous l’apparence de la liberté et du plaisir ; souffrons que les enfants interrompent
quelquefois l’étude par de petites saillies de divertissements, ils ont besoin de ces
distractions pour délasser leur esprit.58
24
l'école comme lieu d'acquisition de connaissances). Citons Kant : « […] L’école est une culture
par contrainte. Il est extrêmement mauvais d’habituer l’enfant à tout regarder comme un jeu. Il
doit avoir du temps pour ses récréations, mais il doit aussi y avoir pour lui un temps où il
travaille. Et si l’enfant ne voit pas d’abord à quoi sert cette contrainte, il s’avisera plus tard de sa
grande utilité »60.
L'opposition demeure donc entre ludique et pédagogique, et l'on observe un rejet du ludique et
de l'expérimentation. Ce phénomène se retrouve dans la perception du jeu à cette époque, dont
Madame de Staël écrit par exemple qu'il « sert à mettre l'ennui dans le plaisir et la frivolité
dans l'étude »61. Dès lors, il n'est admis que s'il offre une dimension pédagogique : on
privilégie ainsi son utilisation pour le développement de la mémoire sous toutes ses formes.
60 KANT E., Réflexions sur l’éducation, trad. Alexis Philonenko, (Paris, Vrin, 2000), p.146.
61 Op. cité, p.15
62 Voir à ce propos H.I. MARROU - Histoire de l’éducation dans l’antiquité. (Ed. du seuil. Paris, 1948).
25
b- De l'importance d'être motivé
Au 16ème siècle déjà, Montaigne écrivait que « le jeu devrait être considéré comme l’activité
la plus sérieuse des enfants ». La psychologie moderne allait lui donner raison, en
reconnaissant à l’enfant son besoin d’expérimenter pour apprendre 63, de refaire pour son
propre compte toutes sortes de découvertes... Mais aussi parce qu'il est un facteur essentiel de
motivation. A l'heure actuelle, de nombreux travaux de recherche 64 sont en effet venus éclairer
la place spécifique et le rôle original du jeu dans le processus d'apprentissage, notamment en
jouant sur ce facteur. Sauvé (2007) considère qu'il constitue « un élément motivationnel des
plus intéressant, »65 qui contribue à maintenir l'intérêt chez les étudiants et augmente le plaisir
d'apprendre chez ceux-ci (Wlodkowski 1985, Hourst et Thiagi, 2001; Reuss et Garaulski,
2001). Il constitue en outre une forme d'apprentissage très efficace puisqu'il favorise une
implication émotionnelle positive. En effet, du fait de la nature même du jeu, l'apprenant
réagit non seulement de façon intellectuelle mais aussi émotionnelle.
26
désormais comme incontournable quand il est question de pédagogie. Les modes de
transmission des connaissances, mais aussi le rapport symbolique au savoir s'en trouvent par
conséquent profondément modifiés :
Bien entendu, la situation a beaucoup changé, notamment parce que
l'enseignement a laissé la place à l'apprentissage : depuis les années 1970 c'est
l'apprenant qui occupe le devant de la scène, les psychologues et les didacticiens
se concentrant sur ses besoins, ses motivations, attitudes et processus
d'apprentissage. En effet, l'ambiance dans la classe s'est détendue et les pratiques
se sont assouplies, ouvrant la voie à une pédagogie de découverte, à la
participation active de l'élève et, pourquoi pas vu le fait que l'apprentissage peut
maintenant rimer avec plaisir, à l'exploitation « moderne » de l'humour comme
véritable outil pédagogique67.
Par ailleurs, on constate dans le même temps que le recours à l'humour se développe de
manière remarquable dans les produits éducatifs et culturels à destination du jeune public
(littérature69, albums70, documentaires mais aussi émissions de télévision, CD-roms, presse...).
27
Il s'agit d'un phénomène massif, qui dépasse les frontières de genre ou d'âge, et qui caractérise
le champ de l'éducation informelle. Nous y reviendrons à travers l'exemple des
documentaires.
71 BALLANGER F., « Lecture et analyse du documentaire pour la jeunesse », Analyse du documentaire pour la
jeunesse : applications à la préhistoire (journée d'étude du PIP, 2002) . [En
ligne],URL :http://paleolithique.free.fr/index.php3?page=weblio/doc_jeun_prehist.htm
28
II- LE DOCUMENTAIRE, TERRAIN D'OBSERVATION PRIVILEGIE DES
PRATIQUES HUMORISTIQUES
72 Cette expression recouvre l'ensemble des activités ou programmes organisés en dehors du système scolaire,
mais dirigés vers des objectifs précis d'éducation.
73 JACOBI D. « Sémiotique du discours de vulgarisation scientifique », Semen, 02, De Saussure aux média,
1985, [En ligne], mis en ligne le 21 août 2007. URL : http://semen.revues.org/document4291.html.
29
les deux cas, l'influence de la dimension marchande, inhérente à la vulgarisation médiatique
n'est cependant pas à négliger. Il n'empêche que les procédés mis en oeuvre dans ces deux
formes de vulgarisation ne diffèrent pas fondamentalement, et que cette question, si elle ne
saurait être occultée, ne nous semble pas nécessiter pour le sujet qui nous occupe, une
distinction particulière.
30
Créateur. Pour cela, il proposait de nombreuses reproductions de gravures sur bois. De plus, le
texte s'articulait autour d'une trame narrative, composée à la manière d'une promenade dans la
Création, qui renvoyait aux illustrations représentant des animaux, numérotées et légendées.
L'Orbis constituait donc un outil pédagogique offrant une démarche culturelle qui nous est
encore familière.
75 JACOBI D. Textes et images de la vulgarisation scientifique, Berne, Éditions Peter Lang, 1987 (Coll.
"Exploration", Série "Recherches en sciences de l'éducation"), p.113.
31
a- Fonction d'information
Dans le documentaire, le dessin fournit une grande part de l'information, apportant tout un
ensemble de détails qui ne sont pas nécessairement en phase avec la chronologie de l'exposé.
Ainsi, certains éléments du dessin ne trouveront leur explication par le texte que plus tard
dans la lecture, voire même, resteront sans explication. L'image peut donc apporter un
complément d'information, ajoutant par l'illustration du texte, des informations nouvelles,
notamment d'ordre visuel. Ainsi, la représentation graphique réaliste, d'un animal par
exemple, sera généralement plus exhaustive que sa description par les mots.
b- Fonction de transposition
De nombreuses images de vulgarisation scientifique sont basées sur le mécanisme de la
transposition, et fonctionnent donc par analogie. Ce phénomène renvoie à une idée centrale de
la vulgarisation : pour faire se faire comprendre du plus grand nombre, le vulgarisateur doit
rechercher des références accessibles à tous, et se tourne donc vers le vécu sensible,
« l'expérience commune la mieux partagée, et donc la plus connue, c'est-à-dire la sienne
propre »77.
76 Illustration tirée du documentaire « Fermes et campagnes », p.134.
77 JACOBI D. Textes et images de la vulgarisation scientifique, Berne, Éditions Peter Lang, 1987 (Coll.
32
Annie Pissard dans un article de la RLE consacré à L'histoire d'une bouchée de pain, livre de
vulgarisation scientifique de Jean Macé de 1861, qui avait déjà recours à cette stratégie pour
faciliter la compréhension, résume ainsi la fonction de la métaphore :
Transmettre un savoir n'est pas une chose facile ! Il faut souvent s'appuyer sur le
déjà connu. Peut-on s'appuyer sur le déjà connu scientifique ? C'est parfait. Hélas, la
plupart du temps, il faut raccrocher le scientifique à la vie quotidienne : c'est le
travail de la métaphore.78
Elle pointe cependant les limites de cette démarche, qui risque de conduire à des
simplifications excessives, ou à propager des représentations erronées... Une préoccupation
que partageait Colline Poirée, éditrice jeunesse chez Hachette à la même époque. Dans un
autre article de la même revue, elle témoigne de son expérience : « rien n'est plus difficile
dans le domaine de la vulgarisation, écrit-elle, que de trouver la métaphore juste. Celle qui ne
va pas donner une idée fausse ou se retourner contre vous et votre pensée deux chapitres plus
loin »79.
Le recours à l'analogie avec l'expérience individuelle aboutit à la mise en scène d'une nature
« animée », qui se traduit par la réification des objets ou des choses, l'animisation des
animaux. L'anthropocentrisme et le finalisme y prennent une valeur explicative essentielle.
Giordan et Martinaud, dans leur ouvrage sur la vulgarisation scientifique, soulignent
l'omniprésence dans les documentaires jeunesses du recours à l'anthropomorphisme. Ils en
distinguent deux manifestations : la représentation des organismes vivants en fonction des
besoins de l'homme, et la représentation de leurs comportements de manière analogique aux
comportements humains80, comme dans l'exemple ci-dessous81.
33
Cet anthropomorphisme s'accompagne bien souvent d'une « gulliverisation » de l'univers
(Durand, 1976)82 : la vulgarisation à destination des enfants met en effet généralement en
scène un monde extraordinaire, du fait de l'animisation/ l'humanisation des éléments du réel
(microbes, animaux, végétaux...). Ceux-ci sont incarnés sous forme de petits personnages,
souvent informes, qui renvoient au folklore ou à l'imagerie populaire. Cette transformation
introduit du merveilleux, de la magie et de l'irrationnel dans le projet de vulgarisation
scientifique... au risque parfois de brouiller le message scientifique.
82 DURAND G., Les structures anthropologiques de l'imaginaire, (Paris, Bordas, 6ème édition, 1979).
83 GIORDAN A. et MARTINAUD JL., Signes et discours dans l'éducation et la vulgarisation scientifiques,
Paris, Giordan et Martinand (éditeurs), 1986, p.31.
34
recours fréquent au schéma narratif dans ces ouvrages.
c-Fonction de visualisation
Certaines images des ouvrages de vulgarisation scientifique relèvent d'un système de pensée
strictement visuel (et donc une communication non-verbale), et court-circuitent l'étape du
détour langagier. La traduction d'une notion ou d'un concept se fait alors par le truchement
d'une image, intuitive ou empruntée à une série, issue du potentiel d'images mentales. Ce type
d'images permet de figurabiliser un concept abstrait 84.
Afin d'analyser le travail du vulgarisateur à ce niveau, Jacobi s'appuie sur la théorie du rêve
proposée par Freud pour tenter de décrire la transformation d'une idée en images :
De la même façon que le rêveur qui travestit une pensée latente en image (pour
qu'elle franchisse la barrière de la censure), le vulgarisateur tente parfois de
transposer le concept en une image, en une pensée visuelle, en un signifié
figurabilisé.85
Par analogie avec le travail du rêve, il considère que la traduction de la pensée (abstraite) en
une image (visuelle) repose sur un triple mécanisme : la condensation, le déplacement et la
prise en compte de la figuration.
Jacobi souligne par ailleurs le rôle des images réalistes-grotesques86 dans ce cadre. Ces
84 « La prise en considération de la figurabilité » est d'ailleurs une expression employée par Freud pour décrire
le travail du rêve, et renvoie à la manière dont « une pensée qui existait sous la forme optative est remplacée
par une image actuelle » (Jacobi, op. cité, p. 138)
85 JACOBI D. Textes et images de la vulgarisation scientifique, Berne, Éditions Peter Lang, 1987 (Coll.
"Exploration", Série "Recherches en sciences de l'éducation"), p.138.
86 Il ici reprend une notion empruntée à Bakhine, à laquelle se réfèrent également Giordan et Martinand dans
Signes et discours dans l'éducation et la vulgarisation scientifique (p.24)
35
images, « à la fois réalistes et absurdes, surprenantes et grotesques, ressemblantes et
invraisemblables »87 jouent en effet rôle dans la figurabilisation des concepts : « l'image
réaliste-grotesque mime les notions abstraites. Elle les installe dans le plan du familier, du
quotidien connu »88. Elle est en outre spontanément déchiffrable, et agit sur l'affectivité... ».
Or, il existe un lien possible entre l'humour et les images réalistes grotesques. Le grotesque,
qui renvoie au comique de figures et de situation, est en effet propice à des représentations
humoristiques. Jacobi rappelle en outre que ces images ont souvent une dimension triviale très
affirmée89.
Dans une perspective de vulgarisation, cette fonction de l'image, que Tardy (1975) qualifiait
de « médiateur intersémiotique »90 est donc centrale. Elle est donc un procédé essentiel de la
vulgarisation, et interroge l'articulation texte-image au sein de ces documents.
Nous reprendrons ici la définition du genre documentaire telle que la propose N. Robine dans
son analyse des documentaires pour la jeunesse :
On pourrait définir les publications documentaires comme celles qui sont susceptibles de
fournir un apport informationnel, issu de la réalité et intégrable à des connaissances déjà
acquises, en vue soit de former avec elles un savoir culturel, soit de susciter ou d'assouvir
une curiosité de type scientifique.91
Elle souligne par ailleurs la double difficulté de classification que pose ce type d'ouvrages du
fait d'une part du « découpage de la réalité » qu'opèrent les ouvrages documentaires, qui ne
correspond pas toujours à des disciplines d'enseignement scolaire ou professionnel. Elle
invoque d'autre part la difficulté à démêler, dans certains cas, les fils du documentaire de ceux
de la fiction.
36
1- Explosion du genre documentaire dans les années 1980
a- Le développement de l'édition jeunesse
Le secteur du livre jeunesse a connu en France une progression remarquable au cours de ces
vingt dernières années, supérieure à la moyenne de l'activité éditoriale. Il représentait ainsi en
2007 11,3% du chiffre d'affaires global de l 'édition française92, se classant en cinquième
position des catégories éditoriales. Les ventes d'exemplaires, quant à elles, représentent pour
la même année 17,2% des ventes globales de l'édition française, « soit 80,8 millions
d'ouvrages sur les 496,7 millions produits » (Inhas et Defourny93 ).
Ce développement a favorisé l'émergence de nouveaux éditeurs (Etre, T. Magnier, Mouck...).
Cependant, une quinzaine d'entre eux (qui représentent neuf entités) assurent aujourd'hui à
eux seuls 72% des ventes94 (chiffres 2006), dont plus de la moitié est assurée par les quatre
premiers groupes : Hachette, Editis (Nathan, Pocket, Hemma), Bayard (Milan) et Gallimard.
On constate donc une concentration importante depuis une quinzaine d'année dans le secteur
du livre d'enfance et de jeunesse. Malgré cela, le paysage de l'édition jeunesse ne s'inscrit que
dans une situation « d'oligopole partielle », notamment du fait de l'importance symbolique (et
de la position novatrice) de petits éditeurs tels Etre, Rue du monde, l'Atelier du poisson
soluble95... »
b- Le secteur documentaire
Les années 1980 constituent un âge d'or pour le documentaire jeunesse. Elles voient en effet la
naissance de collections qui font encore souvent référence à l'heure actuelle. De nombreux
éditeurs jeunesse développent alors des collections de documentaires, dont certaines sont
innovantes de part leurs sujets ou leur format (Carnets de sagesse, chez Albin Michel ; Regard
d'aujourd'hui, chez Mango ; Oxygène et Hydrogène, chez De La Martinière jeunesse ;
J'accuse !, chez Syros ; les Essentiels junior ou les Goûters philo, chez Milan ; Castor doc,
chez Castor poche Flammarion …).
Citons à ce propos l'exemple du travail initié par Pierre Marchand au sein des éditions
92 Source Enquêtes statistiques de branche, menées annuellement par le SNE (syndicat national de l'Edition)
93 INHAS L., DEFOURNY M., Situation de l'édition francophone d'enfance et de jeunesse (L'Harmattan, Paris,
2008), p. 11.
94 Cf C. COMBET, « Salon de Montreuil : la jeunesse à l'heure 'internet », Livres Hebdo n° 711, 23 novembre
2007, pp. 70-82.
95 INHAS L., DEFOURNY M., Situation de l'édition francophone d'enfance et de jeunesse (L'Harmattan, Paris,
2008), p. 11.
37
Gallimard d'abord puis chez Hachette :
Lorsque Pierre Marchand crée en 1972 le secteur jeunesse de Gallimard, il lance aussitôt de
nombreux chantiers, tant dans le domaine de la fiction que celui du documentaire :
Découverte Cadet en 1983, Découverte Benjamin en 1984, et surtout la fameuse collection
encyclopédique de poche, destinée tout d'abord à la jeunesse : Découvertes, traduite en 19
langues et vendue à plus de 15 millions d'exemplaires, puis adoptée par les grands
adolescents et les adultes. Suivent d'autres collections « historiques », attrayantes et ludiques
grâce à une iconographie très soignée : Mes premières découvertes (1989) : les petits livres
carrés à spirale, dotés de feuillets transparents illustrés recto verso, puis Découverte junior, en
1990. En 1999, Pierre Marchand part chez Hachette où il continue de défendre le secteur
documentaire, avec notamment la collection Phare, très largement illustrée et accessible grâce
à son prix bas.96
Les facteurs qui expliquent cette explosion sont d'abord liés au développement de la co-
édition et de la traduction, qui réduit les frais de conception et limite les risques éditoriaux.
Soulignons à ce propos l'importance de l'ouverture aux auteurs japonais, qui, selon C.
Hervouët97, ont renouvelé l'approche du documentaire, notamment en biologie, en utilisant un
langage direct, et en s'intéressant à des aspects jusqu'ici négligés par les auteurs de
documentaires (la putréfaction, l'invisible ou le microscopique...). La collection « les yeux de
la découverte », emblématique de cette période, est ainsi le fruit de la collaboration de P.
Marchand et de l'éditeur anglais Dorling Kimberley.
Elle est par ailleurs liée aux évolutions techniques de l'édition, qui permettent d'éditer à des
coûts raisonnables des livres en couleur à la production soignée, et de multiplier les
possibilités ludiques de ces ouvrages : livres animés, livres à toucher ou livres boites à outils
(Découvertes Gallimard, Tes questions sur..., Bayard, collections RMN...). Comme le résume
Robine, « Les livres scolaires sont devenus jolis ; pour plaire, les documentaires doivent être
plus beaux encore »98. Leur qualité esthétique devient donc l'objet d'une attention particulière,
et l'on constate le développement d'un marketing de plus en plus élaboré.
Ce développement est enfin lié à l'émergence de nouveaux thèmes, en phase avec les modes
de vie (développement du voyage, accès privilégié à l'information, place de l'image) et les
questionnement sociétaux actuels : collections traitant de psychologie (Max et Lili, collection
PhiloZenfants chez Nathan,...), d'ethnologie et de cultures étrangères (Enfants du monde,
Mango), d'histoire des sciences (Mouck)...
38
c- Les caractéristiques du documentaire jeunesse
Les documentaires adoptent des formes nouvelles, plus attrayantes, qui sont proches de celles
des albums. C'est également à cette période que se développe de manière spectaculaire une
mise en page qui utilise systématiquement la double-page, procédé encore omniprésent
aujourd'hui. Au-delà d'une simple convenance de forme, c'est bien une modification
essentielle, liée à la structure de l'information, qui s'opère alors. La multiplication des entrées
et l'éclatement du discours (avec une hétérogénéité importante des éléments de texte)
nécessite en effet du lecteur un travail de hiérarchisation et de mise en lien des informations
proposées... et par là-même, une nouvelle manière d'appréhender le savoir. Ainsi, F. Ballanger,
insiste sur la nécessité d'une éducation à la lecture documentaire, qui incite les jeunes lecteurs
à apprendre à identifier les éléments répétitifs qui structurent ces doubles pages 99.
Cette mutation s'accompagne d'une évolution de la relation texte-image, cette dernière prenant
une importance croissante dans les documentaires, notamment avec l'introduction de photos et
d'images détourées. Ce développement de la dimension visuelle du documentaire modifie
également la manière dont les connaissances scientifiques sont présentées au lecteur.
2- Le déclin actuel
« En 2007 le secteur de la jeunesse a vu sa production augmenter de 10,4 % 100 : 7713
nouveautés et nouvelles éditions de titres anciens ont été publiées. Cependant, les disparités
sont grandes : la fiction représente 63,8 % du total des titres tandis que le documentaire et le
livre d'éveil occupent une place de plus en plus réduite. Ainsi, le nombre de nouveaux
documentaires publiés en jeunesse a baissé de 13 % entre janvier 2007 et janvier 2008 :
Depuis une dizaine d'années, la fiction est devenue le secteur phare
de l'édition jeunesse, avec 41 % du marché, alors que le secteur du
documentaire ne représente plus que 9 % des ouvrages édités. La
grande vague dynamique et novatrice des années 80 sur le
documentaire, initiée notamment par Gallimard et Pierre
Marchand, Nathan, Milan ou Casterman, est en nette régression
aujourd'hui. Le livre documentaire pose des problèmes très
particuliers de qualité de l'information, de coédition internationale,
de coût et il est aujourd'hui très fortement concurrencé par
l'Internet.»
(…) Très peu d'innovations voient le jour, de nombreuses
collections stagnent ou disparaissent. L'offre et la diversité se
raréfient, même si certains sujets de société émergent : l'écologie ;
la citoyenneté ; l'éducation à la sexualité et au vivre ensemble... 101
99 BALLANGER F., « Lecture et analyse du documentaire pour la jeunesse », Analyse du documentaire pour la
jeunesse : applications à la préhistoire (journée d'étude du PIP, 2002) . [En
ligne],URL :http://paleolithique.free.fr/index.php3?page=weblio/doc_jeun_prehist.htm
100 Sources : Livres Hebdo, le dossier Le marché du livre, 11/04/2008
101 GENTILE C., GODART P., « La disparition programmée du documentaire jeunesse, ou le triomphe de la
gratuité '' culturelle '' », 2008, Ricochet, [En ligne], mis en ligne le 05/11/08. URL :http://www.ricochet-
39
Parallèlement, on constate une concentration sensible : cinq maisons (Nathan, Fleurus,
Gallimard, Milan et Larousse) assurent à elles seules 65% de la production documentaire en
2006.
Quant à la question particulière de l'humour, si elle a été abondamment traitée dans certains
champs de la littérature jeunesse (Chenouf, 2008, Bariaud, 1995), elle reste peu développée en
ce qui concerne le documentaire. Les recherches l'abordent d'une manière générale, et
uniquement pour en faire le constat de ce qui apparaît aujourd'hui comme « tendance de
fond»104.
40
PROBLEMATIQUE
41
agissant à la fois sur les dimensions cognitives de l'apprentissage et sur ses
composantes affectives (H2-a). Nous supposons donc la présence d'éléments
humoristiques qui portent sur les connaissances elles-mêmes, et qui jouent un rôle
au niveau cognitif (fonctions d'apprentissage de l'humour), mais aussi de formes
qui remplissent indirectement cette fonction en agissant sur les facteurs affectifs
(fonctions climatiques de l'humour). Cela témoignerait de la prise en compte des
facteurs affectifs inhérents aux apprentissages.
– Cela suppose d'autre part que l'humour joue également un rôle éducatif, au-delà de
la simple transmission de connaissances. Nous faisons par conséquent l'hypothèse
que l'humour, parce qu'il est un outil de décentration et qu'il favorise le recul
critique, remplit des fonctions de type métacognitif (H2-b). Il deviendrait alors
un outil de construction identitaire.
42
III- LE DISPOSITIF DE RECHERCHE PROPOSE
Ces sélections ne retiennent cependant que les titres considérés comme les plus intéressants
ou les plus novateurs dans tous les domaines. La présentation de la sélection 1999 affiche
ainsi explicitement ses ambitions en la matière :
Il s'agit de proposer quelques repères au sein d'une production éditoriale caractérisée
par son importance quantitative mais aussi par sa diversité et sa qualité très inégale,
pour permettre d'offrir aux jeunes lecteurs les titres les mieux à même de leur faire
découvrir les multiples plaisirs de la lecture : nous nous sommes donc efforcés de
retenir les ouvrages où s'expriment au mieux la liberté et l'originalité des créateurs et
qui s'adressent avec justesse à la curiosité et à la sensibilité des enfants ou des
adolescents.106
… Car la RLE revendique la subjectivité de ses choix. Dans l'entretien qu'elles nous ont
accordé, C. Rosenbaum et C. Hervouët, responsables éditoriales à la RLE, ont largement
105 « Sélection annuelle » publiée dans la Revue des Livres pour Enfants (BNF, Paris) depuis 1976, et
auparavant dans le Bulletin d'analyses de livres pour enfants (sélections de 1965 à 1975).
106 « Sélection 1999, Présentation », RLE n° 190, p.3
43
insisté sur ce point : « ces sélections ne prétendent pas proposer un reflet exact de la
production éditoriale, [...] mais elles sont une occasion de présenter des ouvrages qui
correspondent aux valeurs qui sont attachées [à cette revue] ». Chaque sélection est donc le
fruit d'un engagement militant. Ce parti-pris est clairement affiché dans chacun des Éditos.
Celui de la sélection 2009 témoigne ainsi des mêmes ambitions que celles affichées vingt ans
plus tôt (p.2) :
Il s'agit ainsi de faire émerger les nouveautés les plus intéressantes, celles qui reflètent
la diversité et la richesse de la création et qui, loin d'être de simples produits de
consommation, savent éveiller la curiosité, l'esprit critique, susciter le rire ou l'émotion,
enrichir l'imaginaire...
Néanmoins, cet engagement constitue un atout pour notre travail puisque l'humour est
justement une dimension à laquelle les rédacteurs de la RLE sont sensibles : il fait en effet
l'objet d'une réflexion approfondie107 et constitue un de ses centres d'intérêt, comme en
témoignent les éditos.
Par conséquent, ces sélections nous semblent fournir un indicateur précieux pour repérer et
analyser les nouvelles tendances considérées comme intéressantes par les professionnels de
l'éducation. Elles forment donc un corpus particulièrement adapté aux objectifs de notre
recherche, tant en ce qui concerne l'enquête exploratoire, que pour les analyses quantitatives
et qualitatives.
107 la Joie par les Livres organise d'ailleurs une rencontre à l'automne 2010 sur la question
108 Voir le paragraphe sur le rôle de l'intentionnalité dans la définition de l'humour et du comique (p.3)
109 « (…) nous ne considérons pas que la qualité de drôlerie s'attache intrinsèquement aux incongruités, même si
44
par le fait qu'il ait été proposé dans le but de faire rire. Cette approche nous a poussé à
associer aux formes humoristiques proprement dites110, certaines manifestations du comique,
qui présentent ce caractère volontaire, et poursuivent donc le même objectif : comique de
figure, de situation, mise en scène du scatologique ou des pulsions agressives
(mésaventures...), qui constituent les formes essentielles de l'humour enfantin 111.
En amont du travail d'analyse proprement dit, cette enquête a donc pour premier objectif de
définir les critères de constitution du corpus de recherche en déterminant les occurrences
significatives (c'est-à-dire qui renvoient à des documentaires humoristiques) – en plus de
« humour » ou « humoristique » - dans les notices de la RLE, support de notre recherche.
Elle a également pour but de vérifier la pertinence de la méthode retenue pour repérer les
occurrences humoristiques.
Cette dernière renvoie à la définition élargie de l'humour que nous avons présentée ci-dessus,
et constitue une démarche valable pour l'ensemble de notre recherche.
Nous avons défini deux conditions nécessaires pour qu'une situation puisse être considérée
comme humoristique :
– à la fois la présence d'une incongruité (visuelle ou textuelle), qui provoque de la
surprise chez le lecteur, ou la mise en scène de thèmes du « comique enfantin » tel
que Bariaud les a définis, et que nous avons rappelés précédemment.
– et dans le même temps la présence d'indicateurs humoristiques dans le contexte
d'énonciation. Ces indices de l'humour témoignent d'une intention explicite de
faire rire ou sourire, et permettent d'exclure les cas où est mis en scène du bizarre,
de l'étrange, et non pas de l'humour. Ils peuvent être textuels (changement de
registre de langue, recours au mode exclamatif...) ou graphiques (dessins de type
bande dessinée et non plus naturalistes, phylactères qui témoignent d'une
animisation des animaux ou d'une réification des choses...). Ils s'accompagnent
souvent d'indicateurs extra-discursifs (police d'écriture différente, trame de
fond...).
celles-ci ont très précocement le pouvoir, en certaines conditions, de susciter le rire ou le sourire » (La genèse
de l'humour chez l'enfant, p. 52)
110 c'est-à-dire, comme nous l'avons évoqué précédemment, celles qui nécessitent la découverte d'un second-
sens sous-jacent, et la résolution de l'incongruité.
111 Voir à ce propos le paragraphe sur les thèmes de l'humour enfantin (I-A-4-b)
45
De la même manière, cette enquête exploratoire nous permettra d'expérimenter les outils qui
nous serviront pour la suite de notre travail, et notamment la grille des fonctions de l'humour
(correspondance entre les hypothèses liées à la revue de littérature et les pratiques réelles), et
de les adapter si besoin. Nous reviendrons sur cette dimension dans la partie consacrée à
l'élaboration des outils d'analyse de l'humour au sein des documentaires.
3- Dispositif retenu
Afin de répertorier les expressions des notices susceptibles de renvoyer à des pratiques
humoristiques, nous avons procédé à l'analyse de notices renvoyant à des ouvrages reconnus
comme humoristiques par des professionnels. Pour cela, nous avons demandé à deux
bibliothécaires spécialisées dans le livre de jeunesse de réaliser une sélection de
documentaires qu'elles considéraient comme « humoristiques » - dans le sens de cette
définition élargie - , parmi la liste complète, sans notices, des documentaires proposés par la
RLE depuis 10 ans... Ce qui correspond approximativement à l'âge des documentaires les plus
anciens de leur fond. Les documentaires qu'ils ont retenus – 25 au total- sont présentés dans
le document proposé en annexe 3.
Nous avons ensuite vérifié le contenu humoristique de ces documents en les soumettant à une
brève analyse (repérage des occurrences humoristiques graphiques ou textuelles en nombre
suffisant), qui s'est révélée concluante à chaque fois.
Le recoupement avec les notices RLE qui accompagnent ces documents nous a permis dans
un troisième temps de réaliser une liste de « mots-clefs » se référant à l'humour, et de
déterminer les champs lexicaux qui étaient associés à l'humour.
46
l'observation d'autres documents présentés en ces termes dans les notices a confirmé la
validité de ces entrées pour repérer les documentaires humoristiques 114.
Cela nous a amené d'une part à adopter une stratégie de recherche plus ouverte que le simple
repérage de mots-clefs préétablis, en élargissant les critères de sélection 115, et d'autre part à
nous intéresser, au-delà du strict champ lexical de l'humour, à celui du rire (« amusant »,
« loufoque »)... Car tous ces termes semblent en effet synonymes d'humour sous la plume des
rédacteurs.
Lors de notre entretien, C. Rosenbaum a détaillé le processus de rédaction des notices :
Les livres sont présentés de manière orale, lors d'échanges dans les comités de
lecture, puis les notices sont rédigées puis lues et re-relues. Même si ce n'est pas
formalisé, il y a toujours de fait une cooptation. Il existe une « culture maison »
qui amène à un consensus subjectif. Ce qu'on produit est forcément le reflet de
choix culturels, idéologiques. C'est le cas de tout travail critique.
... D'où, comme nous l'avions supposé, la possibilité d'un certain flou conceptuel dans les
définition de l'humour, puisque chaque rédacteur écrit librement, sans se référer à une grille
d'analyse (« les grilles ce n'est pas chez nous que vous les trouverez ») ou à un répertoire de
mots-clefs.
La question est plus complexe pour les mots relevant du champ lexical du plaisir. Les
bibliothécaires ont proposé deux documentaires116 qu'elles considéraient comme
humoristiques -ce qui a été validé par notre observation- mais dont les notices ne mentionnent
que le caractère agréable, et non pas humoristique. Cependant, l'analyse d'autres
documentaires présentés de la sorte117 dans les sélections RLE n'a pas véritablement validé
cette entrée. Les documents « agréables » ne se sont en effet révélés humoristiques, d'après
notre analyse, que dans quelques cas (6, sur un total de 34 documents).
C'est pourquoi nous ne les avons pas pris en compte pour notre recherche quantitative, au
risque de minorer en partie l'importance du phénomène humoristique. Malgré tout, pour la
composition du corpus 2009 et l'analyse qualitative, les documentaires qui relèveraient de ces
qualificatifs seront observés pour vérifier s'il convient ou non de les considérer comme non-
significatifs pour notre étude.
114 Une rapide analyse nous a permis de vérifier que toutes les notices mentionnant le rire jusque dans sa
dimension d'étrangeté amusante (« farfelu ») renvoyaient effectivement à des documentaires humoristiques.
Cela nous a également permis d'ajouter dans le même ordre d'idée les occurrences « fantaisiste » et
« saugrenu », renvoyant à deux documentaires humoristiques de 2004.
115 Nous avons opté pour la prise en compte de tous les mots relevant explicitement d'un champ lexical donné.
116 L'Art en Bazar (Milan jeunesse, 2004) et Pourquoi les taupes ne portent-elles pas de lunettes ?, (Le
Pommier, 2009).
117 Voir annexe 2.
47
Enfin, le champ lexical du jeu (« ludique », « interactif »)118 a été exclu de la recherche, les
documents (19 au total) auxquels faisaient référence ces mots-clefs ne se révélant pas
humoristiques d'après notre analyse. Ils ont donc été considérés comme non-significatifs.
Liste récapitulative des occurrences indicatrices de l'humour (en gris, les champs
lexicaux pris en compte seulement pour la recherche qualitative):
Champ lexical Occurrences rencontrées
Humour « humour »
« humoristique »
Rire « amusant »
« drôle »
« loufoque »
« farfelu »
« fantaisiste »
« saugrenu »
Plaisir « agréable »
« attrayant »
« plaisant »
« séduisant »
48
présentés comme tels dans leur notice (23 ouvrages). Or, les résultats de cette analyse ont
concordé avec cette appréciation dans tous les cas. Cela nous a donc permis de considérer que
cette méthode était opérante.
B- L'analyse quantitative
49
3- Résultats et analyse
L'analyse de ces sélections de la RLE à intervalles réguliers permet d'observer la
multiplication des mentions relatives à l'humour au sein des notices RLE accompagnant les
documentaires. On constate en effet la multiplication des occurrences liées au rire (terme sous
lequel nous regroupons les mentions de l'humour et du comique), comme l'indique le
graphique ci-dessous.
250 18%
16%
Pourcentage d'occurrences
Nombre de documentaires
200 14%
12%
150
10%
8%
100
6%
50 4%
2%
0 0%
1967 1974 1978 1984 1989 1994 1999 2004 2009
Année de sélection 1967 1974 1978 1984 1989 1994 1999 2004 2009
Nombre total de documentaires dans 140 119 47 115 108 210 122 226 154
la sélection
Occurrences liées au rire 2 3 1 4 4 10 11 21 25
Mention du rire (en pourcentage) 1,4 2,5 2,1 3,5 3,7 4,8 9 9,3 16,2
En dépit des variations annuelles, le nombre de notices comportant ces mots-clefs progresse
donc régulièrement, passant de moins de 2% en 1967 à plus de 16% en 2009 (voir tableau en
annexe 3).
Aux mots-clefs recensés lors de l'enquête exploratoire, nous avons ajouté certaines
expressions qui relèvent du champ de l'humour ou du comique, mais qui n'étaient pas
apparues lors de ce premier travail. Il s'agit des occurrences suivantes : « une comédie »,
« avec ironie » (qui sont des registres de l'humour), ainsi que « cocasse», « irrésistible119 », et
« rigolo » (qui sont des synonymes de comique).
119 Dans l'expression « des dessins irrésistibles », qui sous-entend une dimension comique
50
Détail des occurrences liées au rire dans les notices des sélections RLE
1967 1974 1978 1984 1989 1994 1999 2004 2009
Humoristique 0 1 0 2 2 5 6 10 18
/ humour
amusant 0 2 1 1 2 2 1 4 4
appren-
dre en
s'amu-
sant
drôle 1 0 0 1 0 1 1 0 2
Autres 1 0 0 0 0 1 ironie 1 2 farfelu 1 irrésis-
occurrences comédie 1 cocasse 1 tible
liées à saugrenu 1 pour loufoque
l'humour ou 1 rire 1 rigolo
au comique fantaisist
e
L'ambition de cette analyse reste modeste, puisqu'il s'agit d'un relevé portant sur une sélection
de documentaires et non sur l'ensemble de la production dans le domaine. Il ne s'agit donc pas
de tirer des conclusions sur l'ensemble de la production uniquement à partir de ces données.
Cependant, le constat de la mention de plus en plus fréquente de l'humour dans la présentation
des documentaires rejoint les analyses des acteurs de l'édition jeunesse qui font état de ce
phénomène... Citons ainsi Claudine Hervouët, de la Joie par les Livres qui lors d'une
intervention professionnelle120 au printemps 2009, soulignait cette tendance au recours à
l'humour dans l'offre éditoriale actuelle.
C- L'analyse qualitative
1- Objectif
Si l'analyse quantitative permet de dégager des tendances, elle ne rend cependant pas compte
des divers usages du phénomène qu'elle constate. C'est pourquoi suite à cette première
approche, nous avons procédé à une analyse qualitative de l'humour dans les documentaires
jeunesse.
Pour cela, nous nous sommes focalisés sur les documents présentés comme humoristiques ou
120 Journée professionnelle des professeurs-documentalistes (20 mai 2009), « Les documentaires pour la
jeunesse : un genre, une offre éditoriale » , en ligne. http://blog.crdp-versailles.fr/actudoc/index.php/
post/08/01/2010/Les-ouvrages-documentaires-pour-la-jeunesse-:-un-genre,-une-offre-éditoriale
51
comiques dans la dernière sélection proposée par la RLE (2009), et avons procédé à leur
analyse à l'aide de différents outils d'observation. Notre objectif était ici triple : il s'agissait
dans un premier temps d'observer les formes d'humour et de comique privilégiées (humour
graphique /textuel), puis de repérer leur place au sein du discours (intégration ou non au
discours principal). Pour cela, nous avons répertorié toutes les occurrences comiques et
humoristiques rencontrées au fil de la lecture de chaque documentaire grâce à la démarche
présentée précédemment (III-A-2), et validée par notre étude exploratoire. Enfin, l'analyse de
ces occurrences à l'aide d'une grille d'observation constituée pour l'occasion nous a permis de
dégager les fonctions assignées à l'humour dans les ouvrages du corpus.
Cet ensemble de données cherche ainsi à esquisser un état des lieux de ces pratiques, lui-
même mis en regard avec les discours de leurs éditeurs.
121 Voir GODARD PH, et GENTILE C., « La disparition programmée du documentaire jeunesse, ou le
triomphe de la gratuité culturelle », article paru sur le site Ricochet, 2008
52
documentaires, et sur une courte période, ne saurait prétendre à l'exhaustivité. Mais rappelons
que notre objectif est de proposer un instantané à un moment donné, en mettant cependant en
oeuvre des outils et des démarches qui puissent être généralisés à d'autres corpus par la suite.
Abordons maintenant la question des documentaires présentés dans leur notice à l'aide de
termes relevant du champ lexical du plaisir (documentaires indiqués en jaune dans le tableau
de synthèse). Nous avons vu dans l'enquête exploratoire que ce type de qualificatif pouvait
parfois renvoyer à des documents de type humoristique. Trois documentaires de la sélection
2009 mentionnaient le plaisir, mais après une observation à l'aide des outils présentés ci-
dessus, nous n'en avons retenu qu'un. Il s'agit de Pourquoi les taupes ne portent-elles pas de
lunettes ? (Les albums du Pommier, Le Pommier) qui relève incontestablement du genre
53
humoristique... comme le laisse supposer son titre. L'humour y apparaît en effet dès la page de
couverture, où l'on voit une taupe qui se cogne contre les lettres constituant le titre.
En revanche les deux livres de la collection La petite galerie... de Calder/ de la Joconde (La
petite Galerie, Palette) présentés comme « séduisants » n'ont pas été retenus, leur attrait
consistant dans leur dimension ludique (rabats, caches...), soulignée par ailleurs dans leurs
notices, plutôt que dans la présence de comique ou d'humour (une seule occurrence notée pour
La Joconde).
Enfin, suite à l'analyse des ouvrages de M. Sasek (Casterman, réédition de 1960), dont toute la
série (6 documentaires) était évoquée dans une notice générale, nous avons fait le choix de
n'en retenir qu'un seul (New York), qui nous est apparu significatif de la démarche de Sasek
dans les formes d'humour proposées
Remarquons enfin que cette enquête exploratoire a été l'occasion d'expérimenter les outils
d'analyse que nous avons utilisés par la suite. Elle nous a conduit d'une part à distinguer dans
les formes d'humour textuel que nous avons observé, l'humour relevant des textes de celui
présent spécifiquement dans les titres. Elle a d'autre part été l'occasion d'affiner la grille
54
d'analyse des fonctions. Celle-ci, qui a été réalisée à partir de l'ensemble des recherches
réalisées sur le rôle de l'humour dans les apprentissages 122, ne comportait en effet initialement
qu'une fonction métacognitive générale123. L'observation des documentaires réalisée lors de
cette enquête nous a amené à y distinguer les formes humoristiques qui relevaient de la
distanciation vis à vis des émotions et des sentiments, de celles qui renvoyaient à la réflexion
sur les savoirs présentés et sur la science en général.
Nous verrons par la suite comment ces outils ont été validés.
Il s'agit de définir les formes d'humour employées préférentiellement dans les ouvrages de
vulgarisation. Pour cela, nous avons observé les modalités d'expression de l'humour dans les
documentaires, afin de distinguer l'humour graphique (comique de figures, de situation...), de
l'humour textuel.
L'humour textuel englobe donc les titres humoristiques, ainsi que les éléments humoristiques
présents au sein du texte, qu'il s'agisse de formes présentes dans le discours principal, ou dans
des encadrés (exemples, cas particuliers).
Remarquons que, dans certains cas, l'humour, mis en scène dans un dessin, s'apparente à de
l'humour textuel parce que l'élément comique se situe uniquement dans ce qui est dit
(réflexion d'un personnage, dialogue...), comme dans l'exemple suivant, illustrant une double-
page sur le rôle des phéromones :
55
L'humour graphique correspond quant à lui aux éléments humoristiques constitués par les
illustrations proprement dites. Au sein de cette catégorie, nous avons distingué d'abord les
images simples, c'est-à-dire qui se limitent à des représentations humoristiques strictement
graphiques, et relèvent par conséquent de l'humour visuel. Celles-ci fonctionnent souvent sur
le comique de situation ou de figures, et la mise en scène du grotesque (avec souvent le
recours à l'animisation ou la réification), ou de la caricature.
Détail de la couverture de Des bêtes qui collent, qui piquent, qui crachent à la mer (Gulf Stream)
Nous avons distingué cet humour « graphique », d'un second type d'images, correspondant
aux exemples où l'humour est mixte, c'est-à-dire lorsqu'une illustration (souvent comique en
elle-même), prend une dimension réellement humoristique par sa mise en relation avec un
élément textuel (légende, phylactères...).
56
Ainsi dans l'exemple ci-dessus, extrait de Des petits mots qui font les grands (documentaire
sur le rôle des préfixes et suffixes en français), la légende « trimestre » éclaire la situation
représentée graphiquement ; cependant l'illustration proprement dite ajoute une dimension qui
constitue le ressort humoristique central.
Enfin, nous avons regroupé sous l'appellation d'humour « de l'entre deux » les formes qui
relèvent d'un genre particulier, ni totalement textuel, ni véritablement graphique, mais où
l'humour naît de la mise en parallèle (souvent contradictoire) des deux discours. Ces formes
d'humour apparaissent dans le cadre d'un « récit interactif » (Agosto, 1999)124, c'est-à-dire
lorsque le lecteur doit tenir compte des deux formes de discours (le linguistique et le visuel)
pour accéder au sens. L'image peut alors amplifier le texte, ou le contredire... offrant alors des
possibilités riches, notamment en ce qui concerne l 'humour. La bande dessinée, du fait de sa
double nature, à la fois graphique et textuelle, se prête particulièrement à ce genre de récit. Un
exemple classique d'humour de ce type, est le suivant :
Vignette extraite des cigares du Pharaon, (Hergé, 1934 NB, 1955 couleurs)
124 Ce modèle théorique est repris par F. Lesage dans La littérature pour la jeunesse, 1970-2000, collection
« Archives des lettres canadiennes » (Fides, Montréal, 2003), p.36
57
C. Rosenbaum et C. Hervouët ont d'ailleurs largement insisté sur la richesse de cette forme
d'humour lors de notre entretien : « l'humour passe fondamentalement par le rapport texte-
image […] On peut parler d'un ton particulier pour cet humour de l'entre-deux. [Ce ton] lie le
texte et l'image et enrichit la relation au réel ». Elles citent en exemple la collection Regards
d'aujourd'hui chez Mango, ou Le Journal de l'histoire chez Gallimard.
Nous nous sommes intéressés ici à la position occupée par les formes humoristiques, qu'elles
soient textuelles ou graphiques, dans l'architecture de chaque documentaire humoristique de la
sélection 2009 : relèvent-elles du discours principal, ou se retrouvent-elles dans les éléments
annexes (et notamment le paratexte), proposés en complément ou en illustration de celui-ci ?
Nous entendons par « discours principal », celui qui structure la lecture, qui en constitue le
fil conducteur, dans le cadre du documentaire entier (s'il est présenté sous forme de récit), de
celui du chapitre... voire de la double page seulement quand le documentaire est structuré de
la sorte. Ce discours est généralement textuel, et aisément identifiable visuellement (taille de
la typographie, fond de couleur...). Dans certains cas cependant, il peut être de nature
graphique, et passer par les images, exclusivement (imagier) ou en alternance avec le texte.
Les images de ce type seront donc considérées comme relevant du discours principal.
Tomber d'en haut, un documentaire sur la gravité (Ohé la science, Ricochet), présente une
alternance de ce type dans le discours principal, puisque le fil de lecture passe du texte à
l'illustration (phylactère). Ainsi page 4, peut-on lire :
Ce texte est accompagné des images suivantes, qui poursuivent le discours dans le cadre de
l'illustration, avant de retrouver sa forme strictement textuelle plus loin :
58
L'humour peut être présent dans le discours principal. Dans ce cas, les éléments humoristiques
y sont intégrés visuellement (pas de séparation dans la mise en page). Comme ils constituent
un élément nécessaire à sa compréhension, ils ne peuvent par conséquent être supprimés.
L'élément textuel ou l'image humoristique peut également se situer dans un élément annexe au
discours principal, relevant du paradiscours125, c'est-à-dire dans un titre, un encart (lexique,
anecdotes...) ou une illustration. Même si ces éléments renvoient généralement aux
informations proposées dans le discours principal, et s'articulent avec lui, ils ne constituent
pas la matière première du discours (généralement constituée par un texte) et ne lui sont pas
nécessaires. Dans ce cas, leur différence de nature avec le discours principal est soulignée par
des jeux de typographie et de mise en page.
Cette observation nous permettra d'identifier de quelle manière l'humour est intégré à la
démarche de vulgarisation.
Enfin, nous avons observé comment l'humour opère en tant qu'outil de vulgarisation, en
procédant à l'analyse des fonctions de chaque élément humoristique repéré dans ces
documentaires. Ces fonctions, définies à partir des recherches mentionnées dans la revue de
littérature, sont liées à la double nature du phénomène humoristique, à la fois affective et
cognitive (Bariaud, 1983). Nous rappellerons brièvement ces éléments issus de la revue de
125 Nous élargissons la notion de paratexte telle que l'a défini Jacobi pour la forme canonique du documentaire
(où le discours principal est textuel), aux éléments annexes de tout discours principal, qu'il passe par l'image
ou le texte.
59
littérature en introduction de chaque fonction.
Comme nous l'avons indiqué précédemment, l'enquête exploratoire nous a permis d'affiner les
items proposés, en distinguant deux fonctions de type métacognitif, en fonction du sujet sur
lequel elles portaient (réflexion sur soi à travers la mise en scène des sentiments, ou sur le
savoir présenté et la science en général).
Rappelons enfin que notre question n'est pas ici de savoir si les éléments humoristiques
rencontrés dans les documents ont été conçus en vue de remplir le rôle que nous leur
attribuons dans notre grille d'observation, une intentionnalité que nous nous garderons bien
d'attribuer à leurs auteurs, faute d'éléments disponibles sur le sujet. Il s'agit plutôt d'observer
comment ces propositions humoristiques contribuent, dans les faits, à enrichir et à agrémenter
le discours de vulgarisation. Ainsi, toute référence humoristique à la culture populaire
(slogans publicitaires, dictons, expressions familières...) contribue-t-elle, de manière
consciente ou non, à ancrer le propos qu'elle agrémente dans un univers familier (et comique)
pour le lecteur.
60
Exemple d'humour « d'apprentissage » : une scène qui fait référence aux
propriétés urticantes des oeufs de l'anémone, qui constituent pour eux une
protection contre les prédateurs éventuels (Des bêtes qui crachent, qui
collent, qui piquent, à la mer, p.43)
Cependant, l'enquête exploratoire nous a conduit à observer dans quelques cas, la présence
d'éléments humoristiques d'une nature particulière, qui ne répondent pas directement à des
objectifs d'apprentissage, mais dont la fonction essentielle n'est pas non plus l'instauration
d'un climat positif.
Il s'agit plutôt alors d'exemples où, par l'humour, le lecteur est invité à se questionner, que ce
soit sur lui même (soi en tant qu'individu ou en tant qu'apprenant), ou sur le savoir qui lui est
présenté d'une manière générale (notamment dans sa dimension symbolique). Dans ce cas,
l'humour fonctionne comme une invitation à la réflexion et à la prise de recul sur ce qui est
proposé au lecteur. Cette fonction de mise à distance et de réflexion critique dépasse donc le
simple objectif d'apprentissage, et relève du domaine de l'éducation.
Cela nous a conduit à établir une troisième catégorie, qui regroupe les fonctions
« éducatives » de l'humour, c'est-à-dire celles qui ne s'adressent non plus à l'enfant, ni à
l'apprenant, mais à l'individu en construction. Cette catégorie regroupe les éléments
humoristiques qui mettent en perspective le discours principal de vulgarisation scientifique, en
l'ouvrant à une dimension supplémentaire, qu'il s'agisse de l'image de soi, du rapport
symbolique au savoir et à la science, ou même dans certains cas, d'une ouverture sur
l'imaginaire et la poésie...
Bien entendu, les éléments humoristiques jouent parfois sur plusieurs tableaux. C'est
notamment le cas pour les formes d'humour d'apprentissage, qui remplissent souvent des
fonctions affectives parallèlement aux cognitives. Ainsi, le titre « Le prêtre Jean, réalité ou
intox ? » dans le documentaire Le Moyen Age (Milan, p.39) propose t-il à la fois une référence
humoristique aux journaux à sensation dont il parodie les formes langagières, tout en jouant
61
un rôle d'accroche qui vise à mettre en questionnement le lecteur, et le pousse à chercher une
explication à ce titre énigmatique dans sa lecture.
Nous avons par conséquent été particulièrement attentifs dans notre analyse aux
complémentarités entre les fonctions qui sont apparues au fil de notre observation.
62
Illustration extraite de Des bêtes qui collent, qui piquent, qui crachent à la mer (Gulf
Stream)
Dans le cas de l'humour textuel, on y incluera les jeux de mots, les onomatopées ou les
formules à l'effet comique (liées à l'emploi d'un vocabulaire scatologique notamment).
Cette fonction d'instauration d'un climat émotionnel favorable regroupe également les
éléments qui contribuent à désamorcer des situations potentiellement anxiogènes (du fait de
thématiques douloureuses : mort, injustice...). L'humour permet en effet d'aborder des thèmes
graves en les dédramatisant, car il favorise la prise de recul par rapport à ses émotions (Ziv,
2002).
63
Dans Chère Traudi (Les 400 Coups), un paragraphe consacré à la disparition
des Juifs et à leur inquiétant cimetière est illustré par cette image (p.12), où l'on
observe la petite Traudi en pleine action.
En ce qui concerne l'humour textuel, citons par exemple Des molécules plein l'assiette (Milan
Jeunesse), documentaire sur l'alimentation qui multiplie les titres humoristiques : « Va te faire
cuire un oeuf ! », « Le soufflé, c'est gonflé ! » (référence à la publicité « Vahiné, c'est
64
gonflé! »), «C'est moi qui l'ai fait! » (slogan de la marque « Marie »)...
Dans certains cas, le champ de référence convoqué par l'humour n'est pas directement
culturel, mais renvoie le lecteur à son expérience personnelle et à son vécu. L'humour met
alors en scène l'univers quotidien de l'enfant, en faisant appel à l'expérience commune, et
favorise ainsi son implication affective.
De cette manière, l'humour participe alors au sentiment qu'a le lecteur d'une plus grande
proximité avec son quotidien et ses préoccupations. L'humour textuel, quand il découle d'un
jeu sur les registres de langue (emploi de termes familiers...), en est une forme
particulièrement développée. Ainsi, la collection « Dame nature » (Gulf Stream) propose-t-
elle un documentaire intitulé Les plantes qui puent, qui pètent, qui piquent, dont l'un des
ressorts humoristiques principaux est constitué par l'emploi de mots issus du langage familier
dans les textes de présentation.
Fonctions de climat
Cli 1 Cli 2
Objectif Etablissement d'un contexte émotionnel Implication affective du lecteur
favorable
65
Forme Pas nécessairement d'inférences (ou internes à la Inférences extra-discursives qui renvoient à des
situation) références culturelles et des normes sociales
partagées, ou à l'expérience personnelle, au vécu,
du lecteur
Indices Mise en scène de situations humoristiques Références culturelles et sociales
(humour tendancieux ou neutre) dont la
fonction essentielle est de provoquer le rire Mise en scène du quotidien
66
compris. Il constitue une forme d'entraînement cognitif car pour comprendre la situation
humoristique proposée, le lecteur doit nécessairement réaliser des inférences et remobiliser
ainsi des connaissances présentées dans le discours. Cette forme d'humour fonctionne souvent
à travers des exemples qui constituent des variations comiques, voire absurdes autour du
discours principal.
67
Image tirée de Je ne peux pas le sentir (p.11) représentant les molécules qui jouent un
rôle dans l'odorat. Elles nécessitent d'être en nombre suffisant pour être perçues par les
hommes, ce que tente de représenter cette illustration.
Fonctions d'apprentissage
App 1 App 2
Objectif Accroche Entrainement cognitif et intégration des concepts
Fonction Mise en questionnement du lecteur, éveil de la Réinvestissement des connaissances dans un
curiosité sur une question particulière contexte nouveau
Position introductive
68
L'humour permet en effet de mettre à distance les émotions, et favorise ainsi le
développement affectif (Shade, 1996). Bien plus qu'un simple mécanisme de défense, il peut
donc être considéré comme un outil de construction identitaire (Lethierry, 1997). Il renvoie
donc à l'image et à la connaissance de soi. Cela passe par des représentations humoristiques
qui ont pour ressort des sentiments ou des émotions, et qui nécessitent donc que l'enfant
identifie ces facteurs affectifs... et réalise par là-même leur importance. On retrouve
également associées à cette fonction les exemples humoristiques qui mettent en scène des
peurs de l'enfance. Dans ce cas, à la différence des cas où l'humour joue un rôle de baisse des
tensions (fonction de climat positif CLI-1), son rôle n'est pas ici de détourner l'enfant de ses
craintes pour favoriser un contexte émotionnel propice aux apprentissages, mais au contraire
de lui permettre de s'y confronter dans un cadre sécurisant. Ainsi dans Combien y en a t-il ?
(Bayard Jeunesse), documentaire pour les 4-5 ans, une page invite l'enfant à jouer avec sa
peur des monstres qui sont représentés sur une double-page : « Bouh ! Quels horribles
monstres ! Peux-tu les cacher avec ta main ? » (p. 12).
Cette fonction est également illustrée par l'expression des erreurs et des hésitations du
discours de vulgarisation lui-même : « revenons à nos moutons, heu... à nos lions », peut on
69
par exemple lire dans une page qui leur est justement consacrée dans Pourquoi les taupes ne
portent-elles pas de lunettes ? (Le Pommier).
Fonctions d'éducation
Ed 1 Ed 2
Objectif Réflexion identitaire Développement de l'esprit critique
Fonction Réflexion sur soi et mise à distance des Réflexion sur les savoirs présentés et sur la position de la
émotions (Shade, 1996) science
L'ensemble de ces fonctions, ainsi que leurs indices de repérage sont synthétisés dans la grille
d'observation des fonctions de l'humour présentée en annexe 5.
70
de vulgarisation. Citons ici Jacobi127 :
« Pour s'intéresser au discours de vulgarisation, il me paraît
préférable de ne pas s'en tenir au produit fini (…). Le chercheur ne
peut que gagner à enrichir sa vision : un article imprimé résulte de
tout un processus souterrain, souvent long (plusieurs mois). Il a une
histoire. Il a été imaginé, écrit, rectifié, illustré... par des acteurs
qu'il est possible de rencontrer, d'interviewer.
Je crois que beaucoup de choses, qui ont été dites sur la
vulgarisation, portent la marque d'une ignorance complète de tout
ce qui se passe au pôle de la production ; les conditions et
contraintes de l'émission sont ignorées, et, en définitive,
l'observateur en vient, naïvement, à redécouvrir, par le fruit d'un
travail complexe, des choses élémentaires qu'une enquête directe,
« à la source », lui aurait apportées plus facilement. »
Nous avons donc collecté les éléments de présentation des ouvrages proposés par les éditeurs
(textes présentant les collections, catalogues, quatrièmes de couverture, mais aussi
interventions lors de colloques professionnels) qui étaient accessibles, un certains nombre
d'entre eux (chartes de collection notamment) constituant des documents internes aux maisons
d'éditions, qui ne souhaitaient généralement pas les communiquer. S'y ajoutent trois entretiens
avec des éditeurs128 réalisés pour l'occasion.
127 JACOBI D. Textes et images de la vulgarisation scientifique, Berne, Éditions Peter Lang, 1987 (Coll.
"Exploration", Série "Recherches en sciences de l'éducation"), p.41.
128 Paola Grieco (Gulf Stream), Gérard Pourret (Mouck), et Sandrine Mini (Syros)
71
IV- RESULTATS DE L'ANALYSE QUALITATIVE ET VALIDATION DES
HYPOTHESES DE RECHERCHE
L'analyse quantitative réalisée sur les sélections annuelles de la RLE depuis 40 ans témoigne
du développement du genre humoristique en son sein. Cette visibilité nouvelle nous semble
fournir un indice du développement général du recours à l'humour dans le cadre du
documentaire jeunesse. Cette hypothèse rejoint le sentiment partagé par les professionnels du
livre que nous avons interrogés, ainsi que les écrits professionnels que nous avons
consultés129.
Il nous apparaît dès lors d'autant plus nécessaire de chercher à cerner plus précisément ce qu'il
en est réellement de l'humour dans ces ouvrages. Cela fait donc l'objet de l'analyse qualitative
dont nous présentons ici les résultats. Ainsi, nous observerons d'abord la place et les formes
qu'il adopte, avant de revenir en détail sur les fonctions qui lui sont assignées en relation avec
le discours de vulgarisation.
Remarquons qu'il ne sera guère question ici de moyennes, une approche qui n'aurait guère de
sens dans notre démarche puisqu'il s'agit de proposer un panorama des pratiques
humoristiques existantes dans le documentaire. Nos outils d'observation sont donc conçus
dans le but de révéler des pratiques dans leur richesse et leur variété. D'où la mention, par
129 Voir à ce propos la remarque de C. Hervouët sur l'humour comme « tendance de fond » du documentaire
jeunesse (II-D)
72
exemple, des cas particuliers qui témoignent d'une originalité dans les utilisations possibles de
l'humour, et qui présentent donc un intérêt certain dans notre optique de recherche.
Remarquons par ailleurs que les images humoristiques sont généralement traitées dans le style
des bandes dessinées et des dessins de presse133 ou dans un style naïf. Ils se distinguent en cela
nettement des autres types d'images potentiellement présents dans les documentaires
(illustrations naturalistes, photographies, schémas...). Nous n'avons relevé dans l'ensemble du
corpus qu'un seul exemple d'humour photographique, dans Fermes et Campagnes (p.146), que
nous reproduisons ici à titre informatif, et néanmoins récréatif.
130 C'est-à-dire que cette forme d'humour concerne plus des deux tiers de celles proposées.
131 Il s'agit de Un tableau peut en cacher un autre, dont les seules illustrations sont des reproductions de
tableaux.
132 Soit 20 documentaires sur 21 observés
133 P. Grieco, responsable éditoriale de la collection « Dame nature » (Gulf Stream) explique par exemple que
« le traitement des illustrations humoristiques a été inspiré à la fois de la bande dessinée et de la presse » pour
Les bêtes...(entretien).
73
b- L'image humoristique se situe essentiellement dans le discours
périphérique
L'observation des positions occupées par l'humour indique que dans plus de la moitié des
documentaires étudiés134, il se cantonne au paradiscours, à côté, et parfois en regard du
discours principal. Or, cet humour périphérique est essentiellement transmis par les images,
voire même exclusivement dans le cas de Des animaux ? et de Fermes et campagnes.
On observe donc souvent une mise en page « parallèle », où le discours scientifique est
clairement séparé des éléments humoristiques... Ce qui n'empêche pas qu'il existe entre eux
des relations. Les illustrations humoristiques fonctionnent en effet souvent en lien avec le
discours principal, notamment en proposant une déclinaison absurde ou grotesque des
informations transmises dans le texte. Nous reviendrons plus loin sur ces liens, lorsque nous
aborderons les fonctions de l'humour.
74
alors une dimension supplémentaire apportée par l'image.
Cependant, les exemples d'intégration de ce type ne concernent généralement que quelques
images sur la totalité de celles proposées. Et au final, seuls 4 documentaires y ont recours de
manière significative137.
Ainsi, dans Rome (p.10-11), « Voici deux romains célèbres... » (César et Auguste), annonce
l'image présentée ci-dessous :
... et le discours se poursuit sur la page d'après, accompagné de cette seconde illustration :
Il en va de même dans De l'origine..., par exemple dans la manière dont sont présentées les
identités remarquables (p.4) :
75
2- L'humour textuel : un humour essentiellement périphérique
L'humour textuel est présent - même de manière limitée - dans 15 documentaires du corpus,
sous des formes variées. Les ouvrages où il se présente majoritairement sous cette forme sont
cependant beaucoup plus rares que ceux où il s'appuie de préférence sur l'image. Sur
l'ensemble de notre corpus, seuls 4 documentaires sont concernés 138, tous destinés aux lecteurs
les plus grands139.
138 Il s'agit de Prévert : Paris la Belle, Un tableau peut en cacher un autre, le Moyen-Age, et dans une moindre
mesure de Chère Traudi (voir annexe 6).
139 9 ans et plus
76
composition chimique des aliments), Pourquoi les taupes ne portent-elles pas de lunettes ?
(sur la vision des animaux)... Dans ces deux derniers cas, on retrouve à chaque fois plus d'une
quinzaine d'exemples de titres humoristiques (titres de chapitres ou de parties).
Mais l'exemple le plus flagrant de cette pratique est Le Moyen-Age, dont le projet éditorial (et
humoristique) repose sur la parodie. Ce documentaire présente en effet des évènements
essentiels de cette époque sous la forme de journaux à scandale. Il multiplie donc les
références parodiques, et ce notamment dans les titres volontairement accrocheurs de ses
articles : « Ma victoire à Tolbiac a tout changé ! » (p.7), « Trucs et astuces pour lutter contre la
peste » (p.53), « Paysans, pour produire plus, adoptez l'assolement triennal ! » (p.27)... mais
aussi de ses rubriques (« mode », « carnet rose », « publicité », « interview »...).
Nous reviendrons sur cette forme humoristique particulière lorsque nous observerons les
fonctions de l'humour, notamment celles d'accroche et d'éveil de la curiosité du lecteur ou à
travers la fonction d'appartenance.
77
documentaires, à des degrés divers cependant. On y retrouve les trois ouvrages du corpus qui
présentent une trame narrative (Chère Traudi, Rome, De l'origine...), mais également des
livres qui sont structurés thématiquement, et proposent une organisation centrée sur la double-
page. L'humour s'y limite alors généralement à une phrase conclusive ou une remarque à la fin
d'un exposé classique. Ainsi dans Pourquoi les taupes... (où ce procédé est récurrent), on peut
par exemple lire à la fin d'un paragraphe consacré aux rugissements des lions :
« Leur rugissement dure une quarantaine de secondes. Cela doit sembler assez
long quand on est juste à côté sous sa tente, dans la nuit noire (p.57) ».
Revenons enfin sur le cas de Des animaux ?, un documentaire réalisé à partir d'extraits du
texte de Pline, dont voici un extrait, à propos des singes :
Ils ont les tétins en la poitrine comme l'homme, et manient leurs bras et leurs
jambes en dedans et en dehors comme nous faisons ; et ont les doigts faits et
disposés comme l'homme, étant celui du milieu plus long que les autres
(p.16).
Nous avons cependant fait le choix de ne pas considérer ce documentaire comme relevant de
l'humour textuel dans notre synthèse.
3- L'humour de l'entre-deux
Lors de notre observation des formes d'humour présentes dans chaque documentaire, nous
avons observé quelques exemples de cet humour intégré d'un type particulier, que nous avons
qualifié d' « humour de l'entre-deux ». Il s'agit de situations où l'humour ne s'apparente ni à de
l'humour textuel, ni véritablement à de l'humour graphique, mais se situe dans la relation entre
78
ces deux supports142. Il découle alors du décalage entre les discours que chacun d 'eux
proposent. Trois documentaires du corpus proposent des exemples de cette forme d'humour. Il
s'agit de De l'origine...143, Le phasme, et dans une moindre mesure Les bêtes...144
Le phasme débute par exemple de la sorte :
Ayant lu la seconde phrase, le lecteur s'attend à découvrir un phasme sur la deuxième image,
mais la répétition à l'identique de l'image, vient bouleverser cette anticipation en créant un
effet comique.
142 Il n'empêche que ces documentaires proposent parallèlement des formes plus classiques d'humour intégré,
qu'il soit graphique ou textuel.
143 Ce documentaire constitue un cas particulier puisqu'il se présente intégralement sous la forme d'une bande
dessinée. Par conséquent les textes et les images y sont systématiquement combinées pour former le discours
de vulgarisation.
144 Il ne présente en effet qu'un seul exemple de ce type d'humour dans un chapitre consacré à l'homme sur
lequel nous reviendrons plus en détail par la suite.
145 Voir II-A-1-b.
146 Voir à ce propos son analyse de leur rôle dans la distinction d'une double textualité dans le documentaire
Apoustiak, le petit flocon de neige (Les sciences communiquées aux enfants, PUG, 2005, p.127)
79
mise en page et la mise en forme des contenus contribuent à souligner le contexte particulier
d'énonciation du discours. Ils fournissent alors toute une série d'indices de contexte
humoristique, qui permettent au lecteur d'identifier comme tel le discours qui les accompagne.
Ce phénomène est remarquable surtout dans le cas des ouvrages où l'humour est
essentiellement graphique et périphérique (11 documentaires), c'est-à-dire où une image
comique illustre le propos de vulgarisation. Dans plus de la moitié d'entre eux, 147 on remarque
en effet le recours à des techniques plastiques différentes entre les illustrations comiques
(souvent de type bande dessinée) et celles à caractère scientifique (photos ou dessins
naturalistes). Un aperçu sur une double page extraite de Au fil des araignées (p.7) en témoigne
par exemple :
Les images scientifiques se distinguent des illustrations humoristiques à la fois par les
techniques utilisées (photos et dessins naturalistes) et par le recours à encadrement (cercles
de couleur).
En revanche, lorsque l'humour est intégré au discours principal, il n'est que rarement souligné
explicitement. Dans le cas de l'humour textuel, le corpus ne propose que trois documents où
les saillies humoristiques sont identifiées visuellement, par le recours aux majuscules
d'imprimerie ou par l'emploi de points d'exclamation ou de suspension.
80
Ces pages extraites de Un tableau peut en cacher un autre (p.51) et de Prévert : Paris la
belle (p.10) soulignent l'humour du texte par le recours aux mêmes procédés
typographiques.
La mise en page et la typographie fonctionnent donc dans ces deux cas comme des indicateurs
de genre du discours.
Mais d'une manière générale, les parties humoristiques ne se distinguent pas du reste du
discours148. Quant aux illustrations humoristiques qui sont intégrées au discours principal 149,
même de façon ponctuelle, elles ne diffèrent en rien des autres images qui le composent. Dans
l'ensemble des documentaires où l'humour est intégré, il semble donc que les auteurs
considèrent que le lecteur sera capable d'évaluer par lui-même la nature du discours présenté,
et ainsi de repérer les formes humoristiques, sans l'aide d'indices formels... Au risque peut-être
parfois de le perdre.
On observe donc une opposition entre les documentaires où l'humour reste périphérique et
ceux où il est pleinement intégré. Les premiers prennent en effet soin de distinguer
visuellement ce qui relève de l'humour du reste du discours. Le contrat de lecture
(Maingueneau, 1990) est alors explicité par la mise en page. En revanche, lorsque l'humour
est présent dans le discours principal, ce marquage s'atténue, voire même disparaît, laissant au
lecteur le soin de remarquer lui-même ce qui relève de l'humour ou non.
148 A l'exception d'un emploi de la ponctuation plus expressif (multiplication des points d'exclamation et de
suspension).
149 Soit 10 documentaires
81
Conclusion
L'observation des documentaires de notre sélection nous amène donc à formuler
certaines remarques quant à la place et aux formes que l'humour y prend.
Il en ressort d'abord que l'image constitue le support privilégié de l'humour, même si le
recours à des titres humoristiques est relativement fréquent. De plus, l'humour y est
majoritairement périphérique, et son intégration au discours principal, quand elle a lieu, reste
généralement ponctuelle. Il apparaît donc bien plutôt comme un « plus » dans le projet
éditorial, que comme une composante structurelle fondamentale de celui-ci.
Cette analyse nous amène par ailleurs à revenir sur la notion de contrat de lecture. Rappelons
que ces documentaires sont généralement destinés à des enfants lecteurs, c'est-à-dire
autonomes dans leur découverte des ouvrages, l'adulte n'intervenant alors pas nécessairement
comme médiateur avec les savoirs présentés. De ce fait, c'est aux ouvrages eux-mêmes
d'assurer un accompagnement de l'enfant dans sa lecture. Comment dès lors s'assurer qu'il sera
en mesure de percevoir l'humour quand il apparaît, et éviter le risque de brouillage du
discours évoqué précédemment ? C'est justement la fonction du contrat de lecture que de
permettre cette identification.
Deux documentaires150 font explicitement mention de leur caractère humoristique en
quatrième de couverture. Cependant, dans la plupart des cas, si ce contrat reste implicite, la
dimension humoristique est soulignée dès la couverture par des titres, ou des illustrations
amusantes... Le ton est donc donné d'emblée, induisant ainsi chez le lecteur une attitude de
lecture particulière. Ce balisage de la lecture est également sensible dans le corps même des
ouvrages, à travers toute une série d'éléments qui ont pour fonction de souligner le passage au
registre humoristique, facilitant de ce fait la hiérarchisation des discours par le lecteur. Cela
passe par des mises en page répétitives, qui cantonnent l'humour à des espaces bien délimités,
généralement au sein du paradiscours, mais aussi par la récurrence des formes proposées,
ainsi que par le recours à des indices typographiques et de mise en page, qui soulignent la
distinction entre l'humour et le discours véritablement scientifique.
Cette observation nous a d'ailleurs permis de dégager une forme documentaire commune à un
certain nombre d'ouvrages de ce corpus 151. Elle regroupe les livres qui proposent un texte de
150 Il s'agit de Le phasme (présenté à travers un extrait de la notice critique... publiée par la RLE justement), et
de Rome
151 Il s'agit des 6 documentaires suivants : Le grand livre de la famille, Au fil des araignées, Les bêtes qui
crachent..., Je ne peux pas le sentir, Des molécules plein l'assiette, Pourquoi les taupes...
82
vulgarisation « sérieux », non narratif, et généralement très structuré (paragraphes, titres...),
auquel répondent une ou plusieurs illustrations humoristiques. Cette distinction est de plus
généralement soulignée par la mise en page.
Ces différentes observations nous amènent donc à valider notre première hypothèse de
travail sur le rôle du contrat de lecture au sein des documentaires humoristiques.
Malgré tout, les résultats de notre analyse nous amènent à nuancer cette conclusion. Cette
sélection réserve en effet une part remarquable – quoique minoritaire - à des documentaires
qui expérimentent des formes où l'humour est véritablement intégré au discours principal. Ces
quelques ouvrages proposent de plus souvent des formes qui renouvellent le genre
documentaire dans sa structure - BD (pour De l'origine...), récit152 (Chère Traudi, Rome)-, ou
dans sa relation à l'image (Comment c'était... qui met en scène un discours essentiellement
imagé, et pour les plus petits, Le phasme, ou encore Combien y en a-t-il ?). On y retrouve
d'ailleurs les deux ouvrages qui proposent de manière récurrente des formes d'humour de
« l'entre-deux ». Ces documentaires, en inscrivant l'humour dans leur projet de vulgarisation
constituent donc des exemples plus aboutis et plus originaux de son utilisation.
Les résultats de cette observation, qui ont servi de base à notre analyse, sont synthétisés dans
le tableau des « fonctions principales de l'humour » en annexe 7.
152 La dimension fictionnelle reste en effet marginale dans les documentaires, ce que regrette Jacobi. Pour lui,
en effet, il n’est pas incongru de favoriser le rapport entre la fiction et le documentaire de vulgarisation
scientifique « car lorsque ce rapport est clair, il permet aussi d’identifier clairement un auteur et de donner
une âme au propos ». (op. cité, p.33)
153 On peut citer à ce propos Les bêtes qui crachent..., Au fil des araignées, Pourquoi les taupes..., Des
molécules plein l'assiette, Je ne peux pas le sentir, ou encore Le grand livre de la famille.
83
Cependant, afin de rendre compte de la variété des pratiques humoristiques, nous avons
également porté une attention particulière aux emplois originaux ou novateurs de l'humour,
même s'ils apparaissaient plus rarement dans les ouvrages, et, de ce fait, ne constituent
généralement pas des formes représentatives. Ces identités remarquables de l'humour
permettront alors d'enrichir notre réflexion sur ses fonctions potentielles. Nous y reviendrons
également au fil de notre propos.
Illustration extraite d'une page du Grand Livre de la famille (p.14) consacrée aux
mariage. Même si le thème général est respecté, il est simplement ici l'occasion d'une
parenthèse humoristique.
154 Il s'agit des cas où l'humour ne porte pas sur des éléments du discours de vulgarisation, et ne remplit par
conséquent aucune fonction d'apprentissage direct.
155 Elle est en effet présente dans 18 ouvrages du corpus, et constitue même dans la moitié des cas une fonction
essentielle des formes humoristiques proposées.
84
a- Les thèmes liés à l 'humour de climat
Les éléments humoristiques qui renvoient à cette fonction 156 relèvent essentiellement de
l'humour tendancieux157, avec pour corollaire une dimension agressive. On y retrouve par
exemple la mise en scène de mésaventures158, ou du comique de situation (comportements
incongrus) ou de figures (bizarreries physiques)159.
On y retrouve également, quoique dans une moindre mesure160, des formes d'humour
transgressif ou scatologique. Dans l 'entretien qu'elle nous a accordé, Paola Grieco (Gulf
Stream) revient sur la dimension scatologique et transgressive présente dans le documentaire
Les bêtes qui crachent... :
le parti pris est surtout celui de l’humour, et le biais scatologique peut
permettre à un livre d’entrer dans les conversations d’une cour de récréation !
De plus, l’enfant doit sans doute être accroché par l’aspect « transgression »
qu’il doit confusément sentir dans ce type de titre. Ne lui répète-t-on pas à
longueur de journée qu’il doit bien se tenir, être poli, ne pas dire de gros mots ?
Et là, il découvre finalement que la « transgression » qu’est ce déplacement de
langage dans un ouvrage traitant à priori d’un thème scientifique et
sérieux lui permet d’apprendre des choses drôles et intéressantes.
Les formes d'humour neutres (absurde, jeux de mots, accumulation visuelle...) sont également
présentes, mais de manière beaucoup plus rare. En effet, si 6 documentaires en proposent des
occurrences, celles-ci restent en nombre très limité (une ou deux par documentaire), à
l'exception cependant de Des animaux ?, où les collages comportent de nombreux éléments
secondaires incongrus161 qui relèvent de cette forme d'humour. On trouve par exemple ce
156 Nous présentons une synthèse de ces éléments en annexe 7.
157 Voir la définition de cette forme d'humour en I-A-2-a
158 C'est le cas pour 11 documentaires
159 Pour 16 documentaires
160 8 documentaires sont concernés
161 24 occurrences comptabilisées.
85
détail (parmi d'autres) dans une page concernant l'autruche (p.28) :
Les mascottes162 y jouent un rôle particulier. Présentes dans trois documentaires 163, elles sont
en effet à chaque fois un support préférentiel pour ce type d'humour. Dans Pourquoi les
taupes... on peut par exemple observer sur une même page consacrée aux escargots (p. 85)
deux apparitions comiques de la mascotte du livre :
c- Les scènes
Dans certains documentaires, les images occupent une place spécifique, puisqu'elles jouent un
rôle dans la transmission du discours principal, comme nous l'avons vu. La représentation
162 Nous entendons par là des personnages récurrents qui accompagnent le lecteur au fil du livre (dont ils
commentent souvent le propos de manière humoristique), et qui composent un type particulier d'images,
distinct du reste des illustrations.
163 Au fil des araignées, Pourquoi les taupes... et Le grand livre de la famille
86
iconique des sujets complète alors leur évocation : une image peut apporter des informations
visuelles supplémentaires, par exemple sur des objets ou des animaux, non (ou partiellement)
décrits dans le texte. On retrouve ici la fonction informative de l'image que Jacobi (1987)
propose dans sa typologie des images de vulgarisation scientifique. Dans l'exemple présenté
ci-dessous (extrait d'une grand illustration mettant en scène l'équipage des frégates au 18ème
siècle), l'image donne ainsi des informations sur la vie à bord (p.38) :
Cela est d'autant plus vrai dans le cas des « scènes. » Nous entendons par là une catégorie
particulière d'images, généralement de très grande taille, qui propose la représentation d'un
sujet en situation, et avec de multiples détails 164. C'est par exemple dans ce même
documentaire (La vie à bord de la frégate Hermione, p.28) une scène de bataille navale, qui
complète un court texte sur le même sujet. Cette mise en scène visuelle du sujet constitue
même le principe central de l'un des documentaires du corpus, Comment c'était avant les
vacances, qui propose la représentation d'un même milieu (mer, montagne) à des époques
données.
Mais que vient faire l'humour là dedans ? Nous avons remarqué que les scènes présentées
fourmillent de détails comiques : représentation ou posture des personnages, mésaventures...
Or, une fois l'un de ces détails repérés, le réflexe naturel du lecteur est de rechercher d'autres
exemples du même type en explorant visuellement l'ensemble de la scène. L'humour joue
alors un rôle de focalisation, en attirant l'attention du lecteur sur l'image et en le poussant à
l'étudier plus précisément (Tessier, 1994).
d- Le rôle de l'humanisation
L'humanisation joue un rôle non négligeable dans les formes d'humour présentes dans le
164 4 documentaires sont concernés : Comment c'était..., La vie à bord de la frégate Hermione, Au coin du
fourneau et Combien y en a t-il ?
87
corpus. En établissant un parallèle entre les pratiques humaines et le monde animal, elle offre
la mise en scène de situations décalées, et par conséquent humoristiques. Elle constitue par
conséquent une forme de prédilection pour l'humour dans sa fonction de climat.
Le corpus propose ainsi cinq documentaires portant sur des sujets animaliers, qui ont recours
de manière systématique à ce procédé. L'image ci-dessous illustre une phrase expliquant que
le phasme « est très actif la nuit » (Le phasme, p.17), dont elle offre une interprétation aussi
fantaisiste qu'anthropocentrée...
L'humour participe donc à l'instauration d'un climat positif et motivant pour le lecteur. P.
Grieco souligne l'attention portée à cette dimension du livre documentaire :
Nous proposions déjà, avant cette série, une collection assez pointue sur la
biodiversité. Cette collection a contribué à bâtir l’image d’une maison sérieuse
publiant des documentaires de référence. Mais en terme de cible et de vente, le
« problème » venait justement de ce sérieux qui attirait essentiellement les
documentalistes et les bibliothécaires, plus que les enfants eux-mêmes. La
collection « Dame nature » a été conçue dans le but de toucher directement
notre cible, les enfants, autant que les prescripteurs, et le rôle de l'humour en
cela est essentiel.
88
des émotions viennent parasiter, voire empêcher, l'apprentissage. Les exemples de cette forme
particulière de fonction climatique de l'humour sont rares. Nous en avons observé trois
manifestations dans l'ensemble du corpus165.
On trouve ainsi dans Le grand livre de la famille (p.28) l'évocation de disputes entre les
parents, une situation douloureuse que vient adoucir la manière dont le sujet est abordé
puisque le lecteur est invité à fermer une porte (matérialisée par un rabat), qui permet de
mettre à distance de manière physique la scène : « allez, hop ! On ferme la porte ! »... et on le
fait réellement (rabat). On trouve également dans le même ouvrage un « jeu des 7 parents »
(p.23), où les faiblesses des parents sont mises en scène dans contexte humoristique et ludique
(jeu de cartes). L'exemple ci-dessous présente ainsi un parent distrait, un parent absent et un
parent sévère :
Dans Chère Traudi (qui évoque la situation des Juifs pendant la seconde guerre mondiale),
cette fonction de dédramatisation constitue même le rôle central de l'humour, puisque les
occurrences humoristiques166 permettent de soulager la tension née de cette évocation.
L'humour offre alors une respiration légère dans un contexte douloureux.
L'humour peut permettre de réduire la distance symbolique entre l'enfant et le savoir qui lui
165 Cela concerne les documentaires suivants : Le grand livre de la famille, Chère Traudi et Tomber d'en haut !
166 Qui mettent en scène notamment les bêtises de la petite fille
89
est présenté. Cela passe d'abord par l'établissement d'une complicité avec lui, à travers les
références culturelles partagées qui sont présentées dans les ouvrages. Mais l'humour permet
également, par la référence au quotidien, de relier le savoir présenté au vécu et à l'univers du
jeune lecteur. Il favorise en cela son implication affective et favorise son engagement dans les
apprentissages.
167 Elles concernent alors plus de la moitié des formes humoristiques recensées.
168 Si la référence n'est pas comprise, un énoncé de ce type peut malgré tout être perçu comme une incongruité
simple, drôle parce que bizarre, notamment chez les lecteurs les plus jeunes (Bariaud).
169 Voir son analyse sur le rire partagé (I-B-3-b)
90
… Des références qui ne parleront peut-être pas aux lecteurs de plus de 15 ans. En revanche,
certains exemples font appel à un bagage culturel qui n'est peut-être pas celui de la majorité
des enfants170.
Ces allusions culturelles se retrouvent essentiellement dans les titres 171. Dans ce cas, l'humour
repose généralement sur le détournement de la référence initiale. Quelques exemples
proposent cependant des formes humoristiques basées sur une citation directe. Ainsi peut-on
lire dans le documentaire Rome que « Rome n'a pas été bâtie en un jour, mais le Colisée fut
construit en huit ans », (p.20).
170 Les références de ce type posent la question du destinataire de l'humour. Il existe en effet une dérive,
soulignée par Ballanger : « certaines facéties semblent parfois tourner à la « private joke » en ne faisant rire
que les adultes initiés » (« Lecture et analyse du documentaire pour la jeunesse », Analyse du documentaire
pour la jeunesse : applications à la préhistoire (journée d'étude du PIP, 2002). Elle cite l'exemple du travail de
P.Picq. Cet auteur de la collection « Regards d'aujourd'hui » (Mango), après avoir rédigé trois premiers
ouvrages au ton très humoristique, est en effet revenu à une écriture plus classique, conscient qu'il était de ce
risque.
171 7 documentaires concernés. Voir le tableau de synthèse sur l''humour d'appartenance (annexe 9)
91
Les références culturelles sont également présentes dans les illustrations172. Citons à ce propos
le cas de Au coin du fourneau, un documentaire proposant des recettes à réaliser sous forme
imagé. Au-delà de cet objectif culinaire, ce livre propose à travers chaque recette, la référence
à un conte populaire, dont l'illustration fournit des indices. Nous laissons le soin au lecteur de
retrouver à quel conte l'illustration présentée ci-dessous (p.3) fait référence...
Attardons nous enfin sur le documentaire Le Moyen Age (journal de l'histoire), construit dans
son intégralité sur le principe de la parodie. Il se compose en effet d'une série de pages
reproduisant des fac-similés de journaux qui présentent les évènements essentiels de cette
période en reprenant la forme et le ton des journaux actuels, et notamment de la presse à
scandale. L'exemple ci-dessous (p.15) illustre bien cette dimension parodique, à la fois dans le
titre, le ton général du texte (phrases nominales, exclamations...) et dans l'illustration qui
recourt un procédé (avant/après) relevant de l'univers publicitaire :
172 Pour 7 documentaires, qu'il s'agisse des scènes principales, ou de détails humoristiques au second plan.
92
c- Un climat évocateur, qui renvoie à l'expérience personnelle du
lecteur et aux pratiques sociales de référence
L'humour peut également être une occasion d'inscrire les savoirs présentés dans l'univers
proche du lecteur, les rendant de ce fait plus accessibles. Dans les exemples que nous avons
observé, cela se traduit par la mise en scène du quotidien et de l'expérience commune,
essentiellement dans les illustrations proposées. On trouve par exemple dans Les bêtes... la
scène suivante (p.65) :
93
évoquées à l'occasion d'une transgression, qui ajoute alors une dimension comique au propos.
Elles se retrouvent par conséquent plutôt dans les documentaires à destination des plus grands
(9 ans et plus).
94
la lecture effective du texte qui les suit. Lorsque ces informations lui sont finalement données
(ou s'il les a déjà en sa possession), leur dimension humoristique prend tout son sens. En cela,
l'humour d'accroche fonctionne alors dans certains cas comme une intégration a posteriori178.
Néanmoins, ces formes humoristiques présentent dans tous les cas une dimension comique
intrinsèque du fait de leur caractère incongru. Cela nous renvoie ici au lien existant entre
l'humour et le bizarre ou l'étrange179.
Dans notre corpus, dix documentaires ont recours à cette fonction, et trois d'entre eux 180 le
font de manière récurrente.
Les titres humoristiques ne sont cependant pas la seule forme d'humour d'accroche. Nous en
avons en effet relevé deux autres, qui bien que beaucoup moins fréquentes 182, se doivent d'être
178 La différence avec la fonction d'intégration étant dans ces cas liée à sa position par rapport au discours
principal (avant lui), mais elle la rejoint alors quant à son ressort, puisqu'elle propose une déclinaison
humoristique des éléments du discours principal.
179 Voir la définition de l'humour (I-A-1)
180 Il s'agit de Un tableau peut en cacher un autre (qui propose un certain nombre de titres humoristiques) , Le
Moyen -Age (idem), et Ces petits mots qui font les grands (où une illustration humoristique introduit chaque
mot présenté).
181 Il se définit en effet comme la « désignation du sujet traité […] qui évoque plus ou moins clairement son
contenu » (Le Robert, 1993).
182 Cela concerne trois documentaires : Au fil des araignées, les bêtes..., et Ces petits mots qui font les grands.
95
signalées.
Il s'agit d'une part des textes d'introduction. Les documentaires Des bêtes... et Au fil des
araignées proposent à chaque début de partie un court texte introductif de nature
humoristique183 (accompagné ou non d'une image) introduisant à ce dont il va être question
dans les pages suivantes. On trouve par exemple dans l'introduction du chapitre de Les bêtes...
consacré aux bêtes qui mordent (p. 20) le texte suivant :
Qu'elles soient longues et fines comme des aiguilles ou tranchantes comme
des couteaux, les dents de la mer jouent parfaitement leur rôle : saisir et
découper des proies !
Le dernier type d'humour d'accroche ne se rencontre que dans le documentaire Ces petits mots
qui font les grands. Dans ce cas, ce sont alors des images humoristiques qui jouent ce rôle, et
donnent des indices pour permettre au lecteur d'échafauder des hypothèses sur le mot
présenté. Ce fonctionnement est d'ailleurs systématique pour l'ensemble des exemples
humoristiques présentés dans ce documentaire 184.
Illustration extraite de Ces petits mots qui font les grands (p. 125)
183 De manière systématique pour les Bêtes..., et dans 5 cas sur 12 pour Au fil des araignées.
184 Soit plus de 200 occurrences
96
Dans ce cas, l'humour, qu'il soit textuel ou graphique, s'appuie généralement sur le
détournement, qu'il s'agisse par exemple d'expressions usuelles, de références culturelles, ou
encore de slogans publicitaires... Il rejoint donc la fonction d'appartenance que nous avons
évoquée précédemment.
Illustration extraite de Ces petits mots qui font les grands (p. 47), qui fait
appel aux connaissances générales du lecteur (sur les makis) pour être
comprise. Cependant, même non résolue, cette image demeure
humoristique du fait de l'humanisation qu'elle met en scène (avec une
dimension chauvine affirmée).
De plus, cette fonction d'accroche est souvent renforcée par le recours à des éléments
intrinsèquement comiques, c'est-à-dire qui jouent parallèlement une fonction de « lubrifiant
didactique »185. Dans le cas de l'humour textuel, le plus fréquent, il peut s'agir par exemple de
jeux de mots, de double-sens (Je ne peux pas le sentir), de jeux de sons (assonances, rimes).
Ainsi pour sa seule double-page consacrée à la reproduction chez les araignées (p.8-9), Au fil
des araignées propose-t-il par exemple les titres suivants : « Pour un flirt avec toile » (titre
général de la page, à partir duquel le lecteur doit inférer le thème du chapitre), « Mini mari »
(sur la taille des mâles), « L'amour du risque » (sur les stratégies d'accouplement des mâles),
ou « les petites affaires du mâle » (sur la manière dont se déroule l'accouplement).
97
humoristiques de ce type nécessitent en effet pour être compris la réactivation par le lecteur de
son réseau conceptuel, puisqu'ils font référence à des connaissances qui sont nécessaires pour
comprendre l'humour mis en scène. Cette fonction de l'humour est centrale puisqu'elle est
présente, sous une forme ou sous une autre, dans 15 documentaires du corpus186, et constitue
d'ailleurs une fonction préférentielle pour 10 d'entre eux 187.
a- Formes principales
Lorsque l'humour revêt cette fonction, il se présente généralement sous la forme d'une
illustration humoristique située en regard du texte principal. Cette figure se retrouve de
manière récurrente dans les 6 documentaires du corpus qui présentent une structure très
proche188 : une double page concernant un aspect particulier du sujet évoqué propose alors un
texte de vulgarisation généralement sérieux accompagné d'une image humoristique qui lui fait
référence de manière explicite.
Les exemples d'humour textuel relevant de cette fonction d'intégration sont en revanche
beaucoup plus rares dans les documentaires du corpus, puisque seuls deux documentaires y
ont recours. L'humour est alors intégré au discours principal, à travers des phrases de
conclusion qui reprennent sous la forme humoristique certains éléments du texte précédent
dans le cas de Un tableau... ; il est en revanche présent tout au long du texte en ce qui
concerne De l'origine..., cas remarquable sur lequel nous reviendrons plus loin.
98
sur les éléments de ce type.
Ainsi dans cet exemple extrait de Le grand livre de la famille (p.26), les oreilles démesurées
offrent un exemple caricatural de la transmission de certaines caractéristiques génétiques chez
les membres d'une même famille. L'humour, basé ici sur l'exagération des caractéristiques
physiques, rend plus lisible le phénomène évoqué à travers ses manifestations visibles.
De même dans l'exemple ci-dessous, les odeurs sont symbolisées graphiquement, et
deviennent l'objet de l'humour :
99
Dans Des animaux ?, l'humour fonctionne d'ailleurs de manière systématique sur ce principe.
Par le biais de collages, les organes des animaux sont en effet représentés en lien avec leur
fonction, comme le montre l'exemple ci-dessous :
190 PRACONTAL M. de, L'émetteur en VS (étude du système science et vie), thèse de 3ème cycle, Paris 7,
1982
191 3 documents concernés (voir annexe 10 sur le détail de la fonction d'intégration).
100
Enfin, seul De l'origine... propose des exemples humoristiques où l'image joue pleinement son
rôle de figuration de l'abstrait192. Ce sont en effet les concepts mathématiques qui sont
matérialisés à travers les dessins humoristiques. Ainsi, dans l'exemple ci-dessous (p.12), le
signe « divisé » est représenté comme le résultat du partage d'un point :
Cette rareté des exemples de visualisation des concepts par l 'image s'explique peut-être par
les centres d'intérêt qui sont ceux des documentaires jeunesse. Les sujets traités sont en effet
généralement liés aux animaux193, ou à l'environnement proche du lecteur194, et donc aisément
192 Notons qu'il est le seul documentaire du corpus à proposer des exemple d'images « réalistes grotesques », au
sens strict (voir en II-B-2), du fait certainement de son sujet abstrait
193 6 documentaires au total
194 Les thèmes abordés sont en effet les suivants : histoire et géographie (Comment c'était..., Rome, Le Moyen-
101
figurables195. Dans le corpus observé, seuls Des petits mots... et De l'origine... portent sur des
sujets abstraits : certains mots dans le premier (réincarnation, handicap...), ou des concepts
mathématiques dans le second. Ils sont cependant destinés aux lecteurs les plus grands
(respectivement 10 et 13 ans).
La situation humoristique est alors l'occasion de réactiver des savoirs dans un contexte
ludique.
La complexité des inférences mises en jeu est cependant relativement variable, allant d'une
Age, Chère Traudi, La vie à bord...), ethnologie (Le grand livre de la famille), cuisine (Au coin du fourneau),
art et culture (Prévert..., Un tableau peut en cacher un autre), observation (Combien y en a t-il ?).
195 3 documentaires portent cependant sur des sujets difficilement figurables : la gravité dans Tomber d'en haut,
et les molécules dans Je ne peux pas le sentir et Des molécules plein l'assiette. L'humour met alors en scène
les conséquences observables de ces phénomènes.
102
simple mise en scène humoristique (comme dans l'exemple de la transmission génétique
évoqué ci-dessus), à des formes plus élaborées, nécessitant un traitement cognitif plus
complexe parce que l'implicite y est plus important. Il s'agit alors de documentaires à
destination des plus grands196. C'est le cas par exemple de la bande dessinée ci-dessous
(Pourquoi les taupes..., p.9), qui demande au lecteur un raisonnement en plusieurs étapes :
Dans certains cas enfin, l'humour intégratif renvoie à des éléments qui ne sont pas présentés
dans le discours197. Il nécessite donc, en plus des inférences intra-discursives, le recours à des
inférences extra-discursives. Il peut alors s'agir de références culturelles, ou plus fréquemment
de parallèles avec le fonctionnement humain, qui impliquent alors la prise en compte des
sentiments comme facteurs explicatifs de la situation humoristique 198. Ce type d'humour
intégratif est donc souvent lié aux fonctions d'appartenance et de réflexion métacognitive.
Au final, quelles que soient les procédures de visualisation mises en oeuvre, l'image
103
humoristique apparaît donc bien comme un outil essentiel dans le projet de vulgarisation des
documentaires étudiés, puisque dans les trois quart d'entre eux, elle revêt une fonction de
compréhension et d'intégration des connaissances. Ces résultats nous permettent de souligner
l'importance parmi les fonctions cognitives de l'humour de cette catégorie d'images
humoristiques, dont la fonction principale est d'aider à la compréhension et l'intégration du
discours scientifique.
Conclusion
Dans l'entretien qu'elle nous a accordé, P. Grieco justifie le recours à l'humour dans les
documentaires en tant qu'outil pédagogique : « Nous avons remarqué que la découverte et
l’ancrage des connaissances, chez l’enfant comme chez l’adulte, sont encore plus prégnants
lorsque l’humour entre en jeu ». Au vu de notre analyse, il semble bien que cette fonction
pédagogique de l'humour soit présente à l'esprit de la plupart des producteurs 199 de
documentaires. Elle se retrouve en effet dans une large mesure dans les exemples
humoristiques proposés dans les ouvrages de ce corpus.
Nous avons observé que cette fonction était essentiellement indirecte : en agissant sur les
facteurs affectifs liés aux apprentissages200, l'humour contribue en effet à établir un climat
sécurisant et motivant pour l'enfant. Mais dans plus de la moitié des documentaires, il agit
également de manière directe, en intervenant sur les savoirs eux-mêmes. Il propose alors au
lecteur des situations qui l'interpellent et l'invitent à mobiliser les savoirs qui lui ont été
présentés dans un contexte différent201... Une occasion de les intégrer, mais aussi dans certains
cas de les éclairer sous un angle nouveau 202. Les images humoristiques à fonction intégrative y
jouent alors, comme nous l'avons vu, un rôle central.
Ces résultats nous permettent donc de conclure que dans les documentaires que nous avons
observés, l'humour agit généralement sur un double plan, c'est-à-dire à la fois sur les
dimensions cognitives de l'apprentissage et sur ses composantes affectives. Notre hypothèse
sur la question (H2-a) s'en trouve ainsi validée. Cette conclusion ne peut cependant pas être
systématisée puisqu'une minorité de documentaires se limitent à un emploi affectif de
l'humour, ce dernier n'agissant alors qu'indirectement sur les apprentissages.
199 Nous entendons par là les auteurs, les illustrateurs et les éditeurs qui élaborent en amont le projet éditorial de
chaque ouvrage.
200 Il agit en effet sur la motivation (fonction de contexte émotionnel positif), le sentiment de proximité et
l'implication affective du lecteur (fonction d'appartenance).
201 Fonction d'accroche et d'intégration des dessins humoristiques
202 C'est le cas de toutes les formes humoristiques qui ont recours à des procédures de visualisation.
104
E- L'humour, une fonction éducative au sens large
Nous avons vu que l'objectif des documentaires ne se limite pas à la simple transmission de
savoirs, mais qu'ils jouent également un rôle au-delà des apprentissages disciplinaires, et ont
une dimension éducative. Les éditeurs que nous avons rencontrés s'accordent tous sur ce
point, Gérard Pourret, responsable des éditions Mouck (Des Animaux ?), défendant une
position plus radicale encore. Il revendique en effet cette dimension éducative, qui constitue
selon lui l'objectif premier des ouvrages documentaires qu'il édite. Selon lui, « La littérature
jeunesse doit être d’abord un espace de liberté, les connaissances viennent en leur temps et ne
relèvent pas de l’édition jeunesse mais du rôle des parents ou de l’école. »
Or, l'humour peut être un outil au service de ces objectifs éducatifs, parce qu'il favorise la
décentration et le recul critique. Citons ici encore P. Grieco :
En plus de la dimension didactique que nous lui attribuons dans notre réflexion
éditoriale, l’humour place dans une perspective décalée le sujet dont il est
question, il introduit une rupture dans la lecture ; dans un documentaire, ce
n’est pas ce à quoi l’on s’attendrait lorsque l’on vient de lire, par exemple, une
page très sérieuse sur les caractéristiques physiologiques d’un animal ou d’une
plante.
L'humour propose effectivement une rupture avec l 'attendu, et permet de prendre du recul sur
les sujets abordés. Il favorise de ce fait la réflexion de type métacognitif. Nous observerons
donc dans quelle mesure cette fonction de l'humour est sensible dans les documentaires que
nous avons observé. Pour cela, nous nous intéresserons d'abord aux éléments humoristiques
qui mettent en scène les sentiments et les émotions et favorisent la prise de recul sur soi
(fonction de réflexion identitaire, ED-1). Nous étudierons ensuite la prégnance de la fonction
critique de l'humour à travers les exemples humoristiques qui mettent en scène la science ou
qui interrogent le rapport au savoir (fonction de développement de l'esprit critique, ED-2).
1- Apprendre à se penser
L'humour peut favoriser la distanciation vis à vis des émotions (Shade, 1996). En cela, il joue
une fonction de « gestionnaire » (Aimard, 1988), c'est-à-dire qu'il permet de négocier des
situations difficiles en les abordant à travers un filtre d’humour.
Dans le cadre de notre analyse, nous avons donc associé à cette fonction les éléments
105
humoristiques qui mettent en scène les sentiments et les peurs -qu'il s'agisse de celles du
lecteur ou de celles des personnages représentés-, tout en les désamorçant du fait du contexte
d'énonciation particulier qu'elles offrent. Pour être compris, ces exemples nécessitent la prise
en compte de ressorts affectifs implicites (émotions, sentiments, peurs...). Ces situations
humoristiques, donc distanciées, sont alors des occasions pour le lecteur de prendre
conscience de l'importance des facteurs affectifs. Elles constituent ainsi une invitation à la
décentration, et contribuent par conséquent à une réflexion de type métacognitif.
Contrairement aux formes humoristiques qui relèvent de la fonction de climat de l'humour, le
but n'est pas dans ce cas d'impliquer le lecteur mais de le faire réfléchir sur lui.
Nous avons recensé des formes humoristiques qui relèvent de cette fonction dans huit
documents du corpus203. Dans la plupart de ces ouvrages, elle constitue cependant une identité
remarquable de l'humour. Seuls Le grand livre de la famille et dans une moindre mesure Les
bêtes... en proposent des exemples récurrents204.
106
porte sur des questions qui touchent de près les enfants (filiation, divorce...). Dans l'exemple
ci-dessous (p.33), l'identification aux personnages est d'autant plus forte, qu'il s'agit d'enfants,
et que le texte emploie un « on » généralisateur, auquel répond l'adresse directe de l'escargot
en médaillon :
Les émotions mises en scène à travers l'humour sont essentiellement le sentiment amoureux et
205 On retrouve le même procédé, quoique de manière moins systématique dans Pourquoi les taupes...
107
l'affection (17 occurrences), la colère (14 occurrences), et la peur (12 occurrences) 206.
Au total, c'est finalement plus de la moitié des documentaires observés qui proposent des
exemples humoristiques où les facteurs émotionnels entrent en jeu.
108
Remarquons ici que l'identification au personnage mis en scène est facilitée par le fait qu'il
s'agit d'un enfant, et que la situation proposée est évocatrice, puisqu'elle renvoie le jeune
lecteur à son quotidien.
Le second exemple que nous avons relevé est issu du chapitre « le monstre inconnu » dans
Les bêtes qui crachent... Celui-ci propose une réflexion sur l'anthropocentrisme, omniprésent
dans les documentaires jeunesse... y compris d'ailleurs dans celui-ci, puisqu'il propose de
nombreuses formes d'humour basées sur l'humanisation des animaux, comme nous l'avons vu
ci-dessus. Or, dans cette page (la dernière du documentaire), l'homme est décrit depuis le
point de vue de l'animal, ce qui révèle sa dimension nuisible. Il est en effet présenté comme
un monstre « à 5 bras très mobiles, situés à l'extrémité d'une énorme masse bizarre parfois
hérissée de crochets et de filets » (p.80), un texte angoissant qui s'accompagne de l'illustration
ci-dessous, qui désamorce le climat de peur (il ne s'agit que d'un enfant), mais invite à
s'interroger sur la condition humaine :
109
L'humour, qui fonctionne ici sur un effet de zoocentrisme, invite donc le lecteur à opérer une
décentration pour adopter le point de vue de l'animal chassé.
Cette fonction critique est présente dans un tiers des documentaires que nous avons observé 208.
Elle constitue à chaque fois une identité remarquable de l'humour, puisque elle ne se retrouve
généralement209 que dans un exemple humoristique ou deux sur l'ensemble d'un documentaire.
Bien qu'ils soient peu fréquents en nombre, ces exemples d'humour sont pourtant intéressants
à analyser, parce qu'ils constituent les seules formes de réflexion de ce type dans les ouvrages
de notre corpus210. Nous avons donc choisi de les observer plus en détail.
Nous avons distingué deux types d'exemples parmi ceux que nous avons relevé : ceux qui
207 Ils donnent en exemple les BT
208 Soit 7 au total
209 A l'exception du Phasme, où les occurrences de ce type sont plus nombreuses.
210 L'humour apparaît donc comme un support privilégié de réflexion métacognitive.
110
interrogent directement le savoir présenté, et ceux qui renvoient à la relation symbolique au
savoir et à la science.
111
d'une opération (ici en l'occurrence, la naissance d'un enfant !) est encadré. Or cette note
précise qu' « on encadre toujours les résultats, c'est comme ça » (De l'origine..., p.13). Cet
argument d'autorité, associé à l'incongruité de l'exemple choisi (un bébé considéré comme le
résultat d'une opération mathématique) invite donc le lecteur à relativiser ce qui lui est
présenté.
Outre l'exemple sur le « monstre marin » que nous avons déjà évoqué précédemment215, on en
trouve deux illustrations dans Le phasme. Une page de ce documentaire débute par exemple
ainsi : « Dans la nature, le phasme doit échapper aux oiseaux »
Cette information est aussitôt complétée par la phrase : « Dans la maison, le phasme ne craint
pas les oiseaux »... Or l'image qui accompagne cette remarque joue avec ce discours, qui omet
de fournir une information capitale, à savoir les autres dangers qui guettent alors le phasme :
On retrouve ici naturellement les exemples d'humour de l'entre-deux que nous avons évoqués
au début de notre analyse. L'humour apparaît donc bien comme un instrument de mise à
distance et de développement du regard critique.
214 Qui passe par le recours au ton descriptif
215 Voir le paragraphe consacré à l'anthropocentrisme dans la partie précédente
112
Qui parle ? La mise en scène du narrateur
L'humour joue également une fonction réflexive quand il interroge la position du locuteur. En
effet, si dans la plupart des documentaires de la sélection, le discours est présenté de manière
désincarnée, absolue, trois ouvrages mettent cependant en scène de manière directe ou
indirecte la figure du narrateur. Ainsi, Pourquoi les taupes... propose, dans un paragraphe du
texte consacré aux lions, une anecdote suivie par cette remarque : « Revenons à nos
moutons... Heu, à nos lions! ». Cette hésitation qui met soudain le narrateur en avant,
humanise donc le discours. Dans le second documentaire concerné (De l'origine...), ce sont les
questionnements et les motivations de la narratrice qui sont exposés dans un chapitre
introductif, qui la met en scène de manière humoristique :
Enfin, dans Le Phasme, cette humanisation est même systématisée puisque le narrateur est un
personnage à part entière du documentaire 216, mis en scène de manière récurrente au fil des
pages217. Qui plus est, il y apparaît totalement humain, et pas seulement comme un savant en
blouse blanche : il plaisante, s'interroge, et entretient même avec l'objet de son observation (le
phasme) une relation affective (puisqu'il le tutoie). Dans l'exemple ci-dessous, le lecteur est
même mis en position de supériorité face à lui, puisque, s'il observe attentivement, il est en
mesure de répondre à une interrogation du savant :
216 Il donne d'ailleurs son titre à toute la série de documentaires dont est issu Le Phasme : « Les sciences
naturelles de Tatsu Nagata ».
217 Il intervient à 4 reprises de manière directe dans ce documentaire.
113
La mise en scène humoristique du narrateur invite par conséquent le lecteur à réévaluer la
nature du discours scientifique en le faisant passer du statut de vérité absolue à celui de parole
incarnée.
Ainsi, à travers l'humour à thème scientifique, « (…) se disent sur la science des choses assez
profondes et parfois beaucoup plus pertinentes, plus aigües que beaucoup d'analyses
théoriques élaborées »218.
218 LEVY-LEBLOND J.M. (entretien avec) "Savoir... rire de/dans la science", propos recueillis par O.
Dargouge, La Recherche, n° 244, p.683.
114
des scientifiques, qui sont alors mis en scène de manière humoristique 219. F. Vanesse, dans un
article de 2005 sur le documentaire jeunesse, écrit à ce propos : « Quant à l'humour, qui
envahit certaines pages, il permet au jeune enfant de jouer avec ce savoir »220... Et qu'est ce
que jouer, sinon opérer une première distanciation des choses.
D'une manière générale, l'humour contribue donc à favoriser le développement d'un regard
critique et décomplexé sur le savoir et la science. On retrouve ici une réflexion proposée par
Ballanger221 à propos des documentaires sur la préhistoire :
Afin de casser cette image du scientifique à blouse blanche et au crâne dégarni, afin
aussi d'attirer le lecteur adolescent vers un terrain connu, une autre orientation assez
neuve consiste à « désacraliser » le discours scientifique, sur la forme comme sur le
fond. Pour partir à la conquête d'un public jeune, l'auteur va adopter son style, ses
manies, ses références.
Elle considère que cette approche peut – à certaines conditions- constituer un atout pour le
documentaire jeunesse, la science ayant « trop souvent pris les habits de la respectabilité
distante du haut de son érudition précieuse ou de son latinisme obscur pour bon nombre de
jeunes curieux »... Or, comme nous l'avons vu, l'humour est pour cela un instrument
privilégié. Citons là encore C. Rosenbaum de la RLE :
L'humour modifie la façon d'aborder le sujet. Il s'agit d'une mise à distance du
discours scientifique autant pour le public que pour les scientifiques eux-
même. On observe l'abandon de certitudes et d'un ton péremptoire, qui
révèlent peut-être une volonté de se démarquer des manuels scolaires.
Conclusion
Dans ces documentaires, l'humour joue donc un rôle direct dans la transmission des
connaissances, mais il s'inscrit également dans une perspective plus large, dont l'objectif est
de renforcer chez le lecteur des attitudes particulières (introspection, esprit critique...), et qui
relève du champ de l'éducation. Lorsqu'il poursuit ces différents objectifs, l'humour s'inscrit
donc dans une démarche de vulgarisation scientifique telle que la définit Jacobi, c'est à dire à
la fois la présentation d'un discours scientifique et une pratique d'éducation non formelle. Ces
219 3 documentaires en proposent des représentations humoristiques, dont le célèbre Tatsu Nagata
220 VANESSE F., « Mille et une raisons de revisiter le livre documentaire jeunesse », en ligne sur le site de la
FIBBC (association professionnelle des bibliothécaires et des bibliothèques, 2005). En ligne (voir
bibliographie)
221 BALLANGER F., « Lecture et analyse du documentaire pour la jeunesse », Analyse du documentaire pour
la jeunesse : applications à la préhistoire (journée d'étude du PIP, 2002) . [En
ligne],URL :http://paleolithique.free.fr/index.php3?page=weblio/doc_jeun_prehist.htm
115
résultats nous permettent donc de valider notre hypothèse selon laquelle dans ces
documentaires, l'humour participe au projet de vulgarisation, puisqu'il en partage les objectifs
(H2).
On retrouve en cela la volonté affichée par les sélections de la RLE, qui pose comme critères
essentiels dans le choix des documentaires qu'elle propose le fait qu'ils « éveillent la
curiosité », « suscitent le rire », et « développent l'imagination »222.
Par ailleurs, on constate à travers ces documentaires que l'humour, de part son importance
toutes formes confondues, tient une place non négligeable dans les discours de vulgarisation
proposés. Or, sa présence témoigne d'une attention particulière accordée aux facteurs affectifs
intervenant dans les apprentissages. Il renvoie donc de manière implicite à une conception de
l'apprentissage qui prend en compte cette dimension, et valorise le plaisir et la motivation. Ces
résultats permettent de considérer comme valide notre hypothèse sur la mise en oeuvre dans
ces documentaires d'un rapport nouveau, car de plus grande proximité, entre le jeune lecteur
et le savoir qui lui est présenté (H3). Le rapport symbolique au savoir en est par conséquent
également modifié.
Qui plus est, on observe dans plus de la moitié des ouvrages étudiés, la présence d'éléments
humoristiques qui comportent une dimension critique et réflexive, liée au fait que l'humour
introduit de la distance avec ce dont il traite. Il en découle que ce dernier est à considérer
comme un outil important de réflexion métacognitive au sein des documentaires. Or, dans la
mesure où cette réflexion porte sur les connaissances présentées, mais aussi sur l'image de la
science et des scientifiques, on peut considérer que l'humour favorise un rapport plus distancié
au savoir et à la science. Cette dimension est d'ailleurs sensible dans les discours éditoriaux
qui accompagnent les collections documentaires que nous avons observées. On trouve ainsi
dans le texte de présentation de la section documentaire de Gallimard Junior ces lignes 223 :
Les livres s’efforcent de rassembler la beauté, l’intelligence du propos, de
développer la sensibilité et la curiosité des lecteurs. A partir des connaissances
de base et du monde environnant, on suscite la réflexion, avec l’objectif de former
des citoyens libres et éclairés ; car la vulgarisation ne doit pas être seulement
techniciste ou ferment de vocation ; elle doit ouvrir aussi au débat citoyen qui
relève d’une éthique et engage l’avenir de la société.
116
CONCLUSION
Nous avons tenté, à travers cette étude, de réaliser un état des lieux de l'humour dans le
contexte pédagogique particulier que constituent les documentaires à destination de la
jeunesse. Le choix de situer cette analyse dans ce champ précis de l'édition jeunesse est lié à
la nature du projet éditorial de ce type d'ouvrages, qui associe l'humour à des objectifs
pédagogiques et éducatifs. Il répond également au désir de rendre compte de pratiques encore
trop peu explorées, quand bien même elles constituent à l'heure actuelle une tendance de fond
dans les pratiques documentaires, ce dont nous semble témoigner notre enquête quantitative
sur les sélections de la RLE.
Les résultats de cette observation nous renseignent par conséquent à la fois sur l'humour lui-
même, mais aussi à travers lui, sur les problématiques actuelles qui traversent le domaine des
documentaires, et sur la manière dont la vulgarisation scientifique pour la jeunesse est
envisagée.
Cette analyse nous a permis de souligner la dimension pédagogique qui est dévolue à
l'humour dans ces documentaires. Celui-ci joue en effet un rôle dans la transmission des
connaissances, de différentes manières. Il agit d'abord indirectement ; on y observe en effet un
emploi relativement classique de l'humour, qui contribue à établir un climat propice aux
apprentissages en influant sur les facteurs affectifs qui y sont associés : motivation,
implication de l'enfant...
117
De plus, nous avons pu observer que l'humour participe également du projet éducatif des
documentaires, en revêtant des fonctions de type métacognitif. L'existence de formes
d'humour de ce type, si elle demeure minoritaire, témoigne en effet de la prise en compte par
les producteurs de documentaires (éditeurs, auteurs et illustrateurs), de l'intérêt de celui-ci en
tant que posture de recul : moyen de mettre à distance les émotions et de se décentrer, il est
également une occasion de s'interroger sur le savoir présenté et d'adopter une posture critique
sur la science elle-même. Au-delà, parce qu'il constitue un type de discours particulier, qui
nécessite des compétences métacommunicationnelles, l'humour apparaît comme un moyen
privilégié d'entraîner le lecteur à analyser de manière critique les informations qui lui sont
proposées, en introduisant du second degré, de l'implicite... Il constitue donc en cela une
expérience métacognitive. Cette dimension de l'humour renvoie au rôle du contrat de lecture
dans les documentaires. On observe en effet d'une manière générale la volonté de rendre
lisibles les éléments humoristiques du discours au sein des ouvrages, à travers des indices
formels, afin de guider le lecteur, et de l'amener à une lecture plus critique.
De ce fait, l'humour s'inscrit véritablement dans le projet de vulgarisation des documentaires,
puisqu'il en partage les objectifs pédagogiques et éducatifs.
Cette étude nous a enfin permis d'aborder, à travers la question de l'humour, les
problématiques qui traversent le genre documentaire lui-même. Rappelons en effet que le
documentaire est une proposition faite par l'adulte à l'enfant. Il nous renseigne donc sur la
manière dont sont appréciés et estimés les besoins de ce dernier, mais aussi sur les
conceptions de l'apprentissage qui sous-tendent ces ouvrages. Dans cette optique, l'humour
apparaît comme une tentative de prendre en compte les besoins de l'enfant. En témoignent
l'importance accordée aux facteurs affectifs (fonctions de climat de l'humour) et le souci d'être
en adéquation avec l'univers du jeune lecteur (référence au quotidien, familiarité du
langage...). Ces différents éléments, associés à la dimension de recul critique que nous avons
évoquée précédemment, favorisent par conséquent l'instauration d'un rapport décomplexé au
savoir, où la dimension du plaisir est essentielle. En cela, le recours à l'humour est à mettre en
lien avec tous les éléments qui contribuent à rendre les documentaires jeunesse attrayants :
qualité de l'objet livre, soin apporté à la mise en page, recours parallèle à la manipulation à
travers les pop-ups... L'humour nous semble donc emblématique d'une conception de la
vulgarisation aujourd'hui largement répandue, même si elle demeure souvent peu théorisée par
les éditeurs, qui cherche à proposer un discours attrayant et d'autant plus efficace qu'il utilise
118
des outils adaptés à son lectorat, et qu'il prend en compte le potentiel pédagogique du plaisir.
L'objectif de cette recherche était de quantifier et d'éclairer un phénomène mal connu, bien
que constaté de manière unanime. Cette première analyse nous a cependant permis de
souligner le rôle intégratif de l'humour, ainsi que l'importance de sa portée métacognitive.
Elle nous a par ailleurs permis d'élaborer, à partir d'un ensemble de recherches sur la question
de l'humour, des outils d'analyse susceptibles d'êtres employées dans un cadre dépassant celui
des documentaires. Ces outils pourraient ainsi permettre de réaliser des observations du type
de celle réalisée pour la sélection 2009 de la RLE, sur d'autres types de documents à
dimension pédagogique, à l'exemple des manuels scolaires. Cela permettrait de mesurer la
porosité de ce pan de l'édition avec les ouvrages « extra-scolaires » du type documentaires.
Enfin, cette recherche qui s'est intéressée aux propositions humoristiques contenues dans les
ouvrages, se place du côté des producteurs d'humour. Elle conduit cependant naturellement à
se poser la question de la réception de ces éléments : comment ces formes d'humour sont
perçues par les lecteurs ? Quels sont leurs effets, et quelles peuvent être leurs limites,
notamment en ce qui concerne le risque de brouillage de discours que nous avons abordé ?
Une étude comparative, dépassant le spectre de cette recherche mais qui pourrait nous semble-
t-il lui apporter un complément fructueux, serait à mener pour vérifier l'impact sur les lecteurs
de cette stratégie de vulgarisation.
119
ANNEXES
120
ANNEXE 1:
Les documentaires humoristiques proposés par deux professionnels du livre de jeunesse,
à partir des sélections RLE présentées sans notices.
121
2006 Vous avez dit M. Brossy-Patin, La « Les illustrations apportent une
justice ? X. Lameyre, Documentation note d'humour bienvenue. »
Muzo française
Seuil Jeunesse
2006 Petites et grandes P. Piettre É. de Regard Junior « L’humour perce à travers les
inventions Lambilly, ill. L. Mango illustrations et les anecdotes
Audouin, P. Jeunesse historiques »
Beaucousin, A. « jubilatoire »
Renaux
2006 La grenouille T. Nagata Les Sciences « L’univers loufoque de ses
(Dedieu) naturelles de T. albums conjugue simplicité,
Nagata brièveté et humour. »
Seuil Jeunesse, « première approche amusante »
2006 Les Sales bêtes G. Bonotaux Album Nature Le texte est dynamique, clair et
Milan Jeunesse amusant
2006 Le Grand livre M. Bird, trad. A. Junior « humour »
(réédition) pratique de la Mélo : Gulf Stream « beaucoup de détails drôles »
sorcière en 10 leçons
2008 Les plantes qui L. Hignard, A. Dame Nature Humour : « voici un parcours de
puent, qui pètent, qui Pontoppidan, Y. Gulf Stream lecture instructif et non dénué
piquent Le Bris d'humour... »
2009 Au fil des araignées D. Godart (dir. C. Seuil Jeunesse/ Drôle : « Dessins irrésistibles »
Rollard, muséum
muséum) national d'hist.
naturelle
2009 Comment c'était N. Weil Albin Michel Humoristique : « de nombreuses
avant les vacances Jeunesse double-pages illustrées (…) dont
les dessins proposent des scènes
aussi détaillées qu'humoristiques »
2009 Le phasme (trad) T. Nagata Rêves Drôle : « un texte court, drôle... »
(Dedieu) Soc des
explorateurs
français,
Bayard
jeunesse
2009 Pourquoi les taupes F. Moutou Les albums du « dessins, photos et petits encarts
ne portent-elles pas Pommier de couleur dynamisent
de lunettes ? Le Pommier agréablement la lecture »
2009 Des petits mots qui V. Gaudin, Robin Les Passe-mots « amusant »
font les grands Le Temps
Junior
122
ANNEXE 2
Tableau des occurrences liées au plaisir, à la joie et au jeu dans les notices de la sélection
RLE
(en gras les documentaires présentant un caractère humoristique)
1967 1974 1978 1984 1989 1994 1999 2004 2009
attrayant 0 1 1 1 1 1 1 1 1
agréable 0 0 0 0 0 0 1 10+ 2 1
Autres 0 0 0 1 1 forme 3 2
occurrences séduisan décontra attractif séduisan
liées au t ctée 1 t
plaisir plaisant
1
divertis-
sant
Occurrences 1 joyeux 1 joyeux 1 gai 1 mise
liées à la joie en page
gaie
Ludique (ton) 0 3 0 1 1 0 8 4 2
Interactivité 0 0 0 0 0 0 0 1 plaisir 0
de la
manipu-
lation
Autres 0 0 0 0 0 0 0 0 0
occurrences
liées au jeu
Place des documentaires dont les notices mentionnent le plaisir dans les sélections RLE
depuis 1967.
Année de sélection 1967 1974 1978 1984 1989 1994 1999 2004 2009
Numéro RLE * Bullet Bullet RLE RLE RLE RLE RLE RLE RLE
in in n°63 n°100 n°129 n°160 n°190 n°219 n°249
n°10 n°40 nov19 nov19 nov19 déc déc nov nov
déc19 déc19 78 84 89 1994 1999 2004 2009
67 74
Nombre total de documentaires dans 140 119 47 115 108 210 122 226 154
la sélection
Occurrences liées au plaisir 0 1 1 1 2 1 10 10 5
(attrayant agréable, plaisant...)
Mention du plaisir (en pourcentage) 0 0,8 2,1 0,9 1,9 0,5 8,2 4,4 3,2
* Le Bulletin d'analyse de livres pour enfants dont le premier numéro parut en septembre 1965, devient en 1976
la Revue des livres pour enfants.
123
ANNEXE 3
Année de sélection 1967 1974 1978 1984 1989 1994 1999 2004 2009
Numéro RLE * Bullet Bullet RLE RLE RLE RLE RLE RLE RLE
in in n°63 n°100 n°129 n°160 n°190 n°219 n°249
n°10 n°40 nov19 nov19 nov19 déc déc nov nov
déc19 déc19 78 84 89 1994 1999 2004 2009
67 74
Nombre total de documentaires dans 140 119 47 115 108 210 122 226 154
la sélection
Occurrences liées au rire 2 3 1 4 4 10 11 21 25
(humoristique, comique, drôle,
rigolo)
Mention du rire (en pourcentage) 1,4 2,5 2,1 3,5 3,7 4,8 9 9,3 16,2
* Le Bulletin d'analyse de livres pour enfants dont le premier numéro parut en septembre 1965, devient en 1976
la Revue des livres pour enfants.
124
ANNEXE 4
Détermination du corpus en fonction des mots-clefs
Champ lexical et mot-clef issu de la Humour Titre Auteur et Collection et
notice RLE / illustrateur éditeur
comique
Humour : « avec humour » oui De l'origine des C. Gandillot « Le théatre
mathématiques d'images »
MeMo
Humour : « Avec humour, avec sérieux, oui Un tableau peut en Caroline Palette
ce livre invite à des découvertes cacher un autre Larroche
originales... »
Humour : « avec un humour potache... » oui Le Moyen-Age D. Casali, C. Coll. « Le
Bathia journal de
l'histoire »
Milan
Jeunesse
Humour : « ces albums (…) si oui Londres M. Sasek Casterman
marquants par leur poésie, leur humour (réédition)
et leur recherche formelle... »
idem oui Venise M. Sasek Casterman
idem oui New-york M. Sasek Casterman
idem oui Paris M. Sasek Casterman
idem oui Rome M. Sasek Casterman
Humour : « humour décalé et pertinent oui Combien y en a-t- T. Gomi Bayard
pour des jeux d'observation... » il ? : jeux pour les 4-5 jeunesse
ans
Humour : « le ton est juste, et la oui Chère Traudi A. Villeneuve « Carré
tendresse, l'humour, éclairent le récit... » blanc »
Les 400
coups
Humour : « voici un parcours de lecture oui Les bêtes qui JB de « Dame
instructif et non dénué d'humour... » crachent, qui collent, Panafieu nature »
qui croquent à la mer Gulf Stream
Humour : « beauté et humour éclatent oui Jacques Prévert : C. Aurouet, E. Flammarion
dans la mise en page colorée... » Paris la belle Bachelot
Prévert, NT
Binh
Humour : « illustrations pleines oui Au coin du fourneau A. Barman La Joie de
d'humour qu'il faut s'amuser à Lire
décrypter »
Humour : « Chaque mini-texte est clair oui Le grand livre de la S. Ledu, S. Milan
et accompagné d'un dessin famille Frattini Jeunesse
humoristique »
Humour : « de nombreuses double- oui Comment c'était N. Weil Albin Michel
pages illustrées (…) dont les dessins avant les vacances Jeunesse
proposent des scènes aussi détaillées
qu'humoristiques »
Humour : « illustrations oui Des molécules plein J. Maricon « Graine de
125
humoristiques » l'assiette : la cuisine savant »
par les sciences Milan
expliquée aux enfants Jeunesse
Humour : « illustrations oui Je ne peux pas le H. Pince, R. « Graine de
humoristiques » sentir : le monde Pince savant »
secret des odeurs Milan
expliqué aux enfants Jeunesse
Humour : « Une lecture instructive (…) oui Des animaux ? Pline « Mouckins
amusante et humoristique » l'Ancien, »
textes choisis Editions
par G. Pourret Mouck
Comique : « Le jeune lecteur suivra oui Tomber d'en haut ! : KS Kang « Ohé la
l'aventure amusante d'un petit garçon... » la gravitation (trad) science ! »
SH Jeong Ricochet
Comique : « les illustrations sont oui Des petits mots qui V. Gaudin, « Les passe-
amusantes » font les grands Robin mots »
Le Temps
Junior
Comique : « une page amusante » non Dauphins et baleines S. Baussie, N. « Kididoc »
Choux/ E. Nathan
Toublanc
Comique : «des illustrations oui Fermes et campagnes MM Pons, A. Actes Sud
amusantes » Laprun Junior
Comique : « Dessins irrésistibles » oui Au fil des araignées D. Godart Seuil
(dir. C. Jeunesse/
Rollard, muséum
muséum) national
d'hist.
naturelle
Comique : « drôlement et oui La vie à bord de la D. Georget Gulf stream
intelligemment dessiné par D. frégate Hermione
Georget... »
Comique : « un texte court, drôle... » oui Le phasme (trad) T. Nagata Soc.des
(trad) explorateurs
français,
Bayard
jeunesse
Plaisir : « agréable », « dessins, photos oui Pourquoi les taupes F. Moutou « Les albums
et petits encarts de couleur dynamisent ne portent-elles pas du
agréablement la lecture », de lunettes ? pommier »
Le Pommier
Plaisir : « Séduisant » non La petite galerie de la P. Geis « La petite
Joconde (trad) galerie »
Palette
Plaisir : « Séduisant » non La petite galerie de P. Geis « La petite
Calder (trad) galerie »
Palette
126
ANNEXE 5
Grille d'observation des fonctions de l'humour
127
ANNEXE 6a
Formes de l'humour dans les documentaires du corpus
128
ANNEXE 6b
Formes et place de l'humour dans les documentaires du corpus (analyse croisée)
En gris moyen : les positions privilégiées de l'humour au sein de chaque documentaire
En gris clair : les documentaires utilisant l'humour à la fois dans le discours principal et dans les éléments
du annexes.
Titre Humour intégré Humour périphérique
Textuel Image relation Textuel Image hum. Titres
hum. texte image
Jacques Prévert : Paris la 5 0 0 1 1 0
belle
Un tableau peut en cacher 5 0 0 0 0 6
un autre
Le grand livre de la famille 0 0 0 1 17 4
Comment c'était avant les 0 17 0 0 0 0
vacances
Rome 2 5 0 0 3 0
Le Moyen-Age 45 3 0 0 9 17
La vie à bord de la frégate 1 5 0 0 19 0
Hermione
Chère Traudi 3 0 0 0 2 0
Des animaux ? (11)voc arch. 0 0 0 33 0
Le phasme (trad) 0 1 2 1 7 0
Au fil des araignées 0 0 0 0 21 11+ titre gnl
Les bêtes qui crachent, qui 1 0 2 9 89 1 (titre gnl)
collent... à la mer
Je ne peux pas le sentir ... 0 0 0 0 30 5+ titre gnl
Tomber d'en haut ! : la 0 7 0 0 4 1 (titre gnl)
gravitation
Des molécules plein 0 0 0 0 27 16
l'assiette...
De l'origine des 8 7 7 1 0 6
mathématiques
Au coin du fourneau 0 0 0 0 48 1 (titre gnl)
Combien y en a-t-il ? : jeux 1 2 0 0 3 0
pour les 4-5 ans
Fermes et campagnes 0 0 0 0 4 0
Des petits mots qui font les 0 0 0 0 334 1 (titre gnl)
grands
Pourquoi les taupes ne 4 0 0 0 36 16
portent-elles pas...
129
ANNEXE 7
Le Moyen-Age 45 12 PARODIE 17 27 0 0
+ 1 Dédra 120
La vie à bord de la frégate 35 17 0 0 16 2 1 Savoir
Hermione SC
Chère Traudi 5 5 0 0 0 0 0
Dédra
Des animaux ? 75 40 0 0 35 0 0
130
Total Fonctions affectives Fonctions Fonctions
occ d'apprentissage éducatives
Au coin du fourneau 186 77 41 0 3 6 0
SC
Combien y en a-t-il ? : jeux 7 7 0 0 0 1 0
pour les 4-5 ans SC
Fermes et campagnes 6 2 0 0 3 0 1 Im Sc
Des petits mots qui font les 334 125 165 209 0 0 0
grands
Pourquoi les taupes ne 56 10 10 16 24 5 2 Narrateur
portent-elles pas... + 21 Masc Im Sc
131
ANNEXE 8
Types de sentiments et d'émotions mis en scène
132
ANNEXE 9
Détails sur la fonction d'appartenance (formes humoristiques liées)
133
ANNEXE 10
Détails sur la fonction d'intégration (exemples humoristiques associés)
Total Déclinaison
des Figuration des concepts comique des
occur- concepts et des
rences connaissances
Représentation Métaphores et Visualisation
de l'invisible comparaisons (en des concepts
gras : liées à
l'humanisation)
Jacques Prévert : Paris... 2 2
Un tableau ... 6 6
Le grand livre ... 20
Comment c'était ... 0 1
Rome 1
Le Moyen-Age 27 15
La vie à bord ... 16
Chère Traudi 0
Des animaux ? 35 35 8
Le phasme (trad) 9 1 16
Au fil des araignées 27 12 58
Les bêtes qui crachent... 66 5+3 24
Je ne peux pas le sentir 26 1 1 8
Tomber d'en haut !... 8 24
Des molécules ... 22 1
De l'origine ... 17 2 15
Au coin du fourneau 3 3
Combien y en a-t-il ? 0
Fermes et campagnes 3 3
Des petits mots ... 0*
Pourquoi les taupes ... 24 24
* Ce documentaire constitue un cas particulier où l'humour joue une fonction d'accroche sous forme
imagée, qui peut également fonctionner comme une intégration a posteriori. Si nous ne l'avons pas
comptabilisé comme tel, remarquons cependant ici qu'il propose quelques éléments humoristiques qui
relèveraient de la métaphore (12), et de la visualisation de l'abstrait (15), la majorité des exemples proposés
renvoyant à une déclinaison comique (136).
134
ANNEXE 11
Informations complémentaires concernant les documentaires présentés
135
ANNEXE 12 : Exemple de grille d'analyse documentaire
Tomber d'en haut ! La gravitation (Ohé la science ! Ricochet)
Page Forme d'humour Position humour Fonctions affectives Fonctions cognitives Fonctions éducatives
Textuel Graphi Mixte Disc. Para- Hum. de CLI-1 CLI-2 APP-1 APP-2 ED-1 ED-2
que Princ. discours l'entre 2 Contexte positif Implication affective Accroche Entraînement cognitif Réflexion Développement
identitaire esprit critique
Couv. Titre X Lapalissade (« tomber
d'en haut »)
3 Ill. X Visualisation par exemple
comique (incongruité
présence éléphant)
4 Ill. X Scatologie (« voilà un Visualisation par exemple
caca d'oiseau qui comique
tombe »)
6 Ill. X Humanisation chien Visualisation (trajectoire des
objets)
15 Détail X Comique situation
(chien en parachute)
15 Ill. X Mésaventure (chute) Jeu avec les
peurs (chute)
18 Détail X Détails incongrus
(oiseau nichant sur la
tête du garçon)
20 Ill. X Référence au quotidien Illustration des conséquences
(régime) de l'apesanteur
21 Détail Intégration par exemple
comique (oeuf au plat)
22 Détail X Scatologie (papier WC) Intégration par exemple
comique
23 Ill. X Illustration des conséquences
de l'apesanteur (comique
situation : boisson qui flotte)
24 Ill. X Illustration des conséquences
de l'apesanteur (comique
postures)
Nombre total d'occurrences humoristiques : 11 + titre principal (gris moyen : fonction majoritaire, gris clair : fonction fréquente)
BIBLIOGRAPHIE
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enfants n°175-176 (« L'illustration documentaire » p.61-68), 1997.
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française Le mot d'esprit et ses rapports avec l'inconscient (Paris, Gallimard, 1930).
137
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des lettres canadiennes », Fides, Montréal, 2003.
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MAC GHEE P., Understanding and promoting the development of children's humor , Kendall,
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TESSIER G., L 'humour à l'école – Développer la créativité verbale chez l'enfant, Paris,
Privat, 1994.
CORPUS :
Bulletin de la revue des livres pour enfants, sélections annuelles 1967, 1970, 1974
Revue des livres pour enfants, sélections annuelles 1978, 1984, 1989, 1994, 1999, 2004, 2009
138
TABLE DES MATIERES
139
C- Humour et éducation …........................................................................................ p.23
1- Tradition de l'apprentissage ludique .................................................
a- Le jeu, le plaisir et les apprentissages …...............................
b-Des pratiques marginales ....................................................... p.24
140
A- Enquête exploratoire au fil des sélections RLE ...................................... p.43
141
discours périphérique ............................................................ p.74
c- L'image humoristique intégrée au discours principal : le cas
le plus rare ..............................................................................
142
(transposition) ...................................................................... p.102
CONCLUSION............................................................................................................. p.117
143