Vous êtes sur la page 1sur 1

A.

Brenner – 2020/2021 V22PH5

TEXTE 7

Abel Rey, « Vers le positivisme absolu » (1909), dans Les textes fondateurs de l’épistémologie
française, A. Brenner (éd.), Paris, Hermann, 2015, p. 213-215.

Il peut y avoir une manière de philosopher, une philosophie qui mérite d’être appelée
scientifique, parce que les sciences impliquent nécessairement et toujours des idées
philosophiques, parce que la science implique une philosophie, et l’implique d’une façon
encore plus explicite que latente. La philosophie scientifique n’est pas une science spéciale qui
applique à des objets, autres que ceux des sciences au sens ordinaire et seul valable du mot, les
méthodes scientifiques. Elle est l’aboutissant, et la continuation, dans la pensée des savants, où
elle se dissimule le moins, du travail scientifique lui-même. Entre ce travail et le sien, la
différence n’est pas de nature, mais de degré, et la limite n’est nulle part bien nette – au contraire
des affirmations de l’ancien positivisme. – Un positivisme digne de son nom, à notre époque,
un positivisme qui ne recule devant aucune donnée, aucune nécessité de fait, un positivisme
absolu doit donc avoir pour but de dégager cette philosophie de la science en appliquant à
l’étude de la pensée scientifique contemporaine la méthode et la critique historiques, qui sont
au fond sa méthode propre. – De cette pensée scientifique elle cherchera l’unité — et les
divergences ou les lacunes. Elle se demandera ensuite quelles indications et quels
enseignements elle peut tirer de ces premiers résultats pour la culture générale de l’esprit
humain, et en particulier pour les problèmes de la vie et de la destinée humaine, tels qu’ils se
sont toujours posés et imposés dans leur généralité à la curiosité réfléchie, à travers les nuances
dont les colorent les contingences temporelles.
En tant que cette philosophie positive ne cherchera pas à dépasser ce que la science lui
donne le droit d’affirmer, ou d’anticiper par l’hypothèse (dans les limites où celle-ci peut être
utile, c’est-à-dire dans les limites où l’enferment les règles que les savants assignent à l’emploi
de l’hypothèse), en tant qu’elle se contentera toujours, en en signalant les incertitudes et les
lacunes, de la base solide que lui fournit la science de l’époque, cette philosophie positive peut
à bon droit s’appeler philosophie scientifique. Elle peut à bon droit aussi s’opposer comme
tendance, doctrine et système à la philosophie métaphysique. Sous ce nom nous rangeons les
philosophies qui se passent des indications de la science, celles qui les faussent dans un
matérialisme ou un naturalisme arbitraires, celles enfin qui, les prétendant à jamais
insuffisantes, croient pouvoir les dépasser par quelque autre méthode considérée comme
supérieure en vérité à la science elle-même. Il ne saurait y avoir, pour une philosophie
scientifique, plusieurs méthodes pour atteindre la vérité. Il n’y en a qu’une qui ait fait sur
quelques points particuliers ses preuves : la méthode scientifique. D’ailleurs n’est-il pas
contradictoire dans les termes, la vérité étant nécessairement une à moins de ne plus être,
d’admettre pour l’atteindre, des méthodes multiples et diverses ? […]
Un positivisme absolu doit chercher, comme la philosophie d’autrefois, à n’être que la
science de l’époque. Il ne méprisera pas du reste les métaphysiques, qui, étant des faits,
s’imposent à ce titre à son examen comme l’expansion de certaines tendances et peut-être de
certains besoins humains. Mais en ne les considérant que comme des faits et en les étudiant du
point de vue scientifique qui leur convient, il s’édifiera au-dessus d’elles. Et son utilité et son
rôle seront comme dans la grande tradition philosophique gréco-latine, qui s’oppose nettement
par ce point, à la métaphysique du XIXe siècle, issue de l’idéalisme allemand, de dessiner
l’éducation et la culture générale que la science comporte, de façonner, dans l’intérêt même de
la science, l’esprit général à l’attitude scientifique moderne.

Vous aimerez peut-être aussi