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Revue du GRADIS, N° 03, janvier 2018

B.P. 234 Saint-Louis (Sénégal) – Tél. (221) 961 22 87 – Fax (221) 961 18 84
Courriers électroniques: boubacar.camara@ugb.edu.sn ou kalidou.sy@ugb.edu.sn

Directeur de publication
Prof. Cheikh SARR, Maitre de Conférences

Rédacteur en chef
Dr. Kalidou SY, HDR

COMITE SCIENTIFIQUE

Prof. Momar CISSE Université Cheikh Anta DIOP (Sénégal)


Prof. Alioune Badara DIANE Université Cheikh Anta DIOP (Sénégal)
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Prof. Pape Aliou NDAO Université Cheikh Anta DIOP (Sénégal)
Prof. Lamine NDIAYE Université Cheikh Anta DIOP (Sénégal)
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COMITE DE RÉDACTION

Prof. Boubacar CAMARA Université Gaston Berger (Sénégal)


Prof. Moussa DAFF Université Cheikh Anta DIOP (Sénégal)
Prof. Maweja MBAYA Université Gaston Berger (Sénégal)
Prof. Fallou MBOW Université Cheikh Anta DIOP (Sénégal)

© GRADIS, Université Gaston Berger de Saint Louis, janvier 2018


ISSN : 2337-2850
Sommaire

1. Présentation
[Kalidou SY] ....................................................................................1
2. Du fonctionnement cohésif de l’argumentation avec la
communication sociale
[Jean-Marie Andoh Gbakré] .............................................................7
3. La démocratie participative en Afrique francophone : organisation et
instruments de communication citoyenne (Bénin, Burkina Faso,
Mali).
[Ladislas NZE BEKALE] ..............................................................25
4. SENEGAL : L’impact et les limites de la communication sociale
[Seydou Nourou SALL & Adama NDIAYE] ................................67
5. L’enseignement de la communication en langue française : de la
lecture efficace au développement des compétences en expressions
écrite et orale
[Chibane Rachid] ............................................................................97
6. Publicité et paysage linguistique au Sénégal : le wolof dans l’espace
public dakarois
[Adjaratou Oumar SALL] ............................................................119
7. Discours médiatique en temps de crise : Ebola dans la presse
sénégalaise
[Moussa MBOW] .........................................................................155
8. STÉRÉOTYPE DANS LE GUIDE DE VOYAGE PETIT FUTÉ
GHANA : LE CAS DES PHRASES GÉNÉRIQUES
[Edem Kwasi BAKAH]................................................................175
9. L’information mondiale et les mediations du vivre-ensemble : Droit,
justice et construction citoyenne dans l’Afrique contemporaine
[Georice Madébé] .........................................................................205
10. La communication sociale écrite dans la prévention sanitaire au
Sénégal
[Maimouna DIA] ..........................................................................243
11. La communication sociale au Sénégal : la radio, espace d’identité et
de changement social
[Ousmane GUÈYE] ......................................................................259
12. La dimension socioculturelle de l’usage de la langue à travers
tabous, euphémismes, termes familiaux et expressions
idiomatiques : cas du wolof au Sénégal
[Astou Diop] .................................................................................279
13. Net Art : le potentiel sémiotique du médium en ligne
[Stefania Caliandro] .....................................................................301
Du fonctionnement cohésif de l’argumentation avec la communication
sociale

[Jean-Marie Andoh Gbakré]


Département de Lettres Modernes - Université Peleforo Gon Coulibaly

Résumé
L’argumentation fonctionne avec une projection faite sur le résultat envisagé.
La communication sociale, à travers le système de l’information, consiste à
rendre les faits dans leur état de nature sans avis motivé. En argumentation, le
locuteur peut convoquer différentes stratégies pour mener son opinion. En
communication sociale, la priorité est de partager l’information, quitte à ce que
l’information communiquée parvienne à transformer le monde environnant.
L’une et l’autre visent les mêmes enjeux, mais dans une démarche moins
embrayée chez la seconde que chez la première. C’est au regard de l’action
communicative que le principe d’efficacité argumentative s’évalue. En quoi
l’argumentation adhère-t-elle à la visée de la communication sociale ? Ces deux
notions sont abordées dans le champ théorique de la pragmatique et de l’analyse
du discours. La détermination des enjeux qui ressortent de leur mise en
commun procède de la mise en évidence du fonctionnement de l’argumentation
en relation avec la communication sociale.
Mots clés : argumentation, auditoire, communication sociale, implicite,
information, pertinence, symétrie discursive.

Abstract
The argumentation works with a projection made on the envisaged result.
Social communication, through the information system, consists in making the
facts in their state of nature without any reasoned opinion. In argumentation,
the speaker can convene different strategies to carry out his opinion. In social
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communication, the priority is to share information, even if the information


communicated succeeds in transforming the surrounding world. One and the
other are aimed at the same issues, but in a step less engaged in the second than
in the first. It is in the light of communicative action that the principle of
argumentative efficiency is evaluated. How does the argumentation adhere to
the purpose of social communication? These two notions are addressed in the
theoretical field of pragmatics and discourse analysis. The determination of the
issues that emerge from their pooling results from the demonstration of the
functioning of the argumentation in relation to social communication.
Keywords : argumentation, audience, social communication, implicit,
information, relevance, discursive symmetry.

Introduction

L’argumentation est présente dans l’exercice quotidien de la


langue. Locuteur et interlocuteur s’en servent parfois même
inconsciemment pour défendre leurs opinions. Elle sous-tend à la fois
une volonté des sujets d’informer, mais surtout de communiquer dans
l’optique de transformer, c’est-à-dire de pouvoir apporter un
changement par rapport à un état de nature. En référence au principe de
convaincre, principe qui la détermine au niveau perlocutoire aussi bien
en mode dialogal que dialogique, l’argumentateur prend toujours soin
de s’assurer que son auditoire a le contrôle épistémique des énoncés à
lui soumis. Compte tenu de l’enjeu communicationnel qui en suscite
l’approche, le locuteur peut convoquer un certain nombre d’artifices
susceptibles de véhiculer explicitement ou implicitement l’intention
induite. C’est ainsi qu’un dialogue ou un texte peut comporter une visée
communicationnelle implicite, mais tant qu’il répond aux ambitions du
locuteur à faire adopter une valeur d’idée sous-jacente, il fonctionne
sous une tension pragmatique favorable au jeu coopératif. En d’autres
termes, l’efficacité d’une argumentation se mesure à la finalité de la
Jean-Marie Andoh Gbakré 9

communication sociale. Et cela, par rapport au fait que la


communication sociale au même titre que l’argumentation convie
l’auditoire au partage d’idées impliquées. Cet état de fait, essentiel dans
le jeu du discours, attire l’attention du linguiste. Notre hypothèse situe
la communication sociale sous un niveau argumentatif au sens où le
mécanisme qui sous-tend l’information reste toujours fidèle à
l’intention communicative. Quel est le lien entre l’argumentation et la
communication sociale ? Dans quelle mesure l’argumentation peut-elle
constituer un moyen efficace de communication sociale ? Quel est
l’enjeu de la mise en commun de ces notions dans l’interaction sociale ?
La réflexion s’inscrit au registre de la pragmatique et de l’analyse du
discours dans un cadre théorique. Après avoir déterminé les rapports
entre l’argumentation et la communication sociale, le fonctionnement
argumentatif de la communication sociale est montré. L’étude aboutit à
un enjeu de coopération implicite entre ces deux notions en vertu du jeu
d’action sociale que vise tout système discursif.

1- De l’interactivité entre l’argumentation et la communication


sociale

L’argumentation se déploie à travers différentes sortes de


stratégies. Il en est de même pour la communication sociale.
Argumenter, c’est le fait pour un sujet de tenir pour vraie une opinion
qu’il vise à faire adopter à un auditoire à travers des mots et une
stratégie adaptés. Selon B. Meyer, « il s’agit d’abord de convaincre
autrui, c’est-à-dire de le faire changer d’avis, ou, du moins, d’essayer.
L’on peut même dire que ce changement d’opinion constitue le seul
signe patent de l’efficacité d’une argumentation ». (B. Meyer,
2011 :13). Communiquer, c’est parler à propos, c’est échanger sur un
thème que l’on souhaite partager à un auditoire. A en croire le Larousse
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illustré, c’est « donner connaissance, faire partager à quelqu’un ».


(Larousse illustré, 2000 : 239). Pendant que la première notion articule
clairement une intention du locuteur de convaincre l’auditoire, la
seconde semble avoir une portée d’action limitée à l’information. Et
pourtant, traiter de l’efficacité en communication sociale renvoie, tout
comme en argumentation, à la finalité projetée par la transmission de
l’information. Si l’acte d’informer semble se soustraire à toute équation
de subtilité intentionnelle, celui de communiquer efficacement sur un
thème suppose plutôt qu’il y a un résultat en termes d’effets projetés qui
est recherché. Or, parlant d’effets projetés, il est sous-entendu que la
communication pourrait adjoindre en pratique, moyens et stratégies
susceptibles de provoquer chez l’auditoire une réaction. Il ressort en
substance une corrélation entre la communication sociale et
l’argumentation. Mais il y a mieux.

En effet, parler de communication sociale renferme l’idée de


communication de masse, c’est-à-dire tout acte communicatif qui se
donne les moyens d’une action remarquable sur une entité générique.
Au-delà des différents moyens de communication qui œuvrent à
l’interaction sociale, la parole reste l’une des formes les plus
déterminantes. Aussi bien en usage oral qu’à travers l’appareil
énonciatif mis en œuvre dans les textes argumentatifs, l’acte de parole
détermine un enjeu conséquent du comportement de l’homme dans la
société. K. Orecchioni soutient que « parler, c’est échanger, et c’est
changer en échangeant ». (K. Orecchioni, 2001 : 2). Le fait que l’acte
de parole induise un changement de comportement amène à porter un
regard sur la communication. Même quand elle n’utilise pas la voie
orale, la communication reste un jeu de discours qui a pour finalité
l’homme. Il n’existe pas de milieu mieux que la société pour
appréhender l’homme. Ainsi, communiquer, c’est mener toute action
interactive au but d’enclencher un contact avec celui-ci à toutes fins
Jean-Marie Andoh Gbakré 11

utiles. La communication se fait en société. Elle est faite par des


hommes et pour les hommes. Par ricochet, argumenter revient à mener
une opinion sur un thème dont l’enjeu communicatif consiste à faire
adhérer un auditoire sur la valeur de la thèse défendue. Aussi bien
l’argumentation, de manière explicite, que la communication, de façon
implicite, visent à agir sur un état existant au profit d’un état nouveau.

Quand C. Perelman et L. Olbrechts définissent l’argumentation


comme « l’étude des techniques discursives permettant de provoquer
ou d’accroître l’adhésion des esprits aux thèses qu’on présente à leur
assentiment », (C. Perelman, L. Olbrechts, 1970 : 5), ils ne semblent
pas ignorer la force de persuasion qu’il y a à stimuler un auditoire à
s’approprier une somme d’idées. Ce qui suppose que « le langage est
probablement d’abord et avant toute chose un outil de représentation et
de transmission de connaissance et d’information ». (A. Reboul, J.
Moeschler : 1998 :17). Or, il ne peut y avoir projet de transmission de
connaissance ou d’information sans une volonté de voir cette
connaissance ou cette information parvenir au but visé. A en croire H.
Sakanyi, « le code langagier qu’étudie la linguistique proprement dite
se voit généralement suppléer par un logos qui s’occupe d’interpréter le
discours de l’interlocuteur avec qui on échange. C’est l’objet de la
pragmatique ». (H. Sakanyi, 2015 :143-144). L’interprétation du
discours de l’interlocuteur ou de l’auditoire se perçoit donc comme un
feed-back à travers lequel le locuteur se donne les moyens d’évaluer son
acte de communication. La communication sociale est ainsi logée au
même élan d’action que l’argumentation. Par ailleurs, c’est le degré de
satisfaction des attentes du communicateur par rapport à l’information
transmise à l’auditoire qui peut permettre à celui-ci d’appréhender
l’efficacité de sa stratégie de communication sur cet auditoire.

Outre ces aspects, vu que le principe de coopération entre des


sujets communicants se mesure au degré de complicité établi, la
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question d’efficacité en communication sociale va dès lors se rapporter


à la pertinence de l’acte argumentatif mis en jeu par le locuteur. « La
pertinence se définit en termes de coûts et de bénéfices, comme une
fonction des stimuli vers les processus cognitifs ». (D. Wilson, 2006 :
44). Et Wilson n’a pas tort de le dire ainsi, dans la mesure où l’enjeu
communicatif qui motive l’interaction est validé par les acteurs, il se
présente un schéma procédural favorable à la perception cognitive des
sujets. La cognition est la capacité pour chaque sujet à déceler le mobile
cohésif qui sous-tend par exemple une argumentation. Le locuteur
propose un champ d’idée dont il sait son auditoire capable
d’appréhender le jeu d’esprit impliqué. Par principe de retro activité,
c’est la dimension cognitive profilée dans le discours qui va donc
permettre l’évaluation du niveau de satisfaction illocutoire. Ce que
Wilson qualifie par les termes de « coûts » et « bénéfices ». Et pour
rendre son idée plus fluide, il ajoute :
Le destinataire part de la signification décodée linguistiquement : il
suit le chemin le moins coûteux, enrichit la signification au niveau
explicite et la complète au niveau implicite jusqu’à ce que
l’interprétation ainsi obtenue satisfasse ses attentes de pertinence,
puis s’arrête. L’ajustement mutuel du contenu explicite, des
hypothèses contextuelles et des effets cognitifs contraints par les
attentes de pertinence est la caractéristique fondamentale de la
théorie de la pertinence. (D. Wilson, 2006 : 45)

A partir de cette théorie, il ressort le lien entre l’acte argumentatif


et l’acte communicatif. De fait, il n’y a pas de communication sociale
qui ne vise un objectif perlocutoire. Et il en est de même pour
l’argumentation. Ces deux notions partagent le critère de pertinence
comme une exigence fondamentale en interaction sociale. Aussi étant
entendu que le jeu de l’implicite communicationnel est favorable à une
coopération tacite des sujets interactifs, l’obtention de tout résultat
prégnant émane-t-il d’une intention de communiquer à travers un acte
argumentatif. La communication sociale collabore ainsi avec le système
Jean-Marie Andoh Gbakré 13

argumentatif. Il convient alors de mener une réflexion sur le


fonctionnement argumentatif de la communication sociale.

2- Du fonctionnement argumentatif de la communication sociale

A cause du but identique qu’elles poursuivent, l’argumentation


et la communication sociale évoluent aux mêmes critères d’essence.
Autrement dit, il y a un fonctionnement argumentatif dans la
communication sociale. Au nombre des maximes conversationnelles
définies par P. Grice se dégagent les catégories de la quantité et de la
modalité qui stipulent respectivement : « Que votre contribution ne
contienne pas plus d'information qu'il n'est requis » et « évitez d’être
ambigu », (P. Grice, 1979 : 61). Ces catégories et leurs orientations
conversationnelles s’appliquent précisément aux maximes de quantité
et de clarté relatives à la transmission d’une information. Pour faciliter
les échanges, le locuteur ne doit dire plus qu’il ne sait et éviter d’être
obscur dans l’expression de ses idées. L’information doit être transmise
à sa juste valeur et être de juste portée afin d’éviter toute ambigüité de
sens. Ce principe de la loi de l’informativité qui fait cas de notoriété en
argumentation sert la communication sociale. Quand O. Ducrot et J.C
Anscombre (1983) militent en faveur d’une argumentativité radicale,
c’est dans l’optique d’œuvrer à la réduction des disparités de sens au
niveau de l’acte énonciatif. L’information est naturellement influencée
par la subjectivité du locuteur. Aussi pour éviter toute implication de
soi dans le rendu des événements, appartient-il au sujet de servir des
énoncés empreints de clarté à mesure de favoriser son dédouanement
quant à une éventuelle accusation de manipulation. En communication
sociale, l’information est très sensible à cause du fait qu’elle est
transmise à un auditoire supposé être hétéroclite. La dynamique du sens
reste donc liée à la caractéristique de non-ambigüité que projette tout
14 Gradis nᵒ03, janvier 2018

schéma argumentatif. Les propos d’un sujet, homme politique, homme


de média, etc. s’évaluent prioritairement en termes de compréhension
par l’auditoire avant la mise au jour de tout éventuel effet produit sur
celui-ci. C’est dire que la communication sociale se construit dans un
premier temps sur l’axe de l’informativité qui s’entend comme une
nécessité de clarté dans le traitement de l’information.

Par ailleurs, toute argumentation se conçoit autour d’un projet


de communication. La communication sociale elle-même s’articule
autour d’un référent qui est l’objet autour duquel gravite le système de
l’information. Dans une désignation, l’appel à un substantif permet de
caractériser l’élément en question à travers l’usage d’un déterminant ou
d’un article. L’arbitraire du signe linguistique propose une
détermination du nom par rapport à l’antéposition du morphème de
spécification. Si le déterminant mène une approche sémantique plus
ouverte de la structure phrastique, l’article entend marquer une
orientation indiquée du sens. Lorsqu’un journaliste propose en titre à
un article, comme illustré ci-dessous :
Le fils du président équato-guinéen, propriétaire d’un hôtel de luxe
à Paris.

Il indique à travers "le", et l’existence, et l’unicité du fils de


Monsieur Théodore Obiang N’guema. L’utilisation du déterminant
"un" n’aurait pas donné la même valeur de précision que l’article.
D’abord, la construction déterminative en "du" est rendue par la fusion
de la préposition "de" avec l’article "le" au but de spécifier la personne.
Ensuite, la complétive déterminative "de luxe à Paris", soutenue par les
prépositions "de" et "à" indique à la fois la qualité et le lieu où est situé
l’hôtel dont est propriétaire le fils de ce président africain. Le système
référentiel mis en jeu exploite la situation linguistique pour prendre
l’option d’une sémantisation extra linguistique. Si l’auditoire ne s’en
tient qu’au posé, il y a un certain nombre de données informationnelles
Jean-Marie Andoh Gbakré 15

qui pourraient lui échapper. Tenté de connaître l’affaire en question le


lecteur va-t-il se proposer de lire l’intégralité de l’article, mieux,
chercher à savoir qui est "Le fils du président équato-guinéen". Pour C.
Jamet et al, « l’article défini a une double fonction : soit il inscrit une
information nouvelle dans un système de références connues du lecteur,
soit il donne envie de lire l’article en annonçant ce qui suit ». (C. Jamet
et al, 1999 :188). Cela dit, l’information telle qu’elle est transmise dans
ce titre, fonctionne comme un stimulus qui éveille le sens cognitif de
l’auditoire. Consciemment ou inconsciemment, le journaliste suscite
ainsi la curiosité du lecteur que même la lecture de l’article pourrait ne
pas satisfaire. La disposition à attirer par le titre est une stratégie de
captation. De même, si le lecteur est influencé par le titre et qu’il
s’applique à lire effectivement l’article il devient implicitement
complice de la valeur d’idées sous-jacente que le journaliste veut
partager. C’est dire que dans le système de la communication, le jeu de
l’implicite occupe une place importante en tant que jeu argumentatif.

En effet, le traitement de données en communication sociale, à


travers l’approche du journalisme par exemple, montre trois sphères
importantes susceptibles d’influencer les données intrinsèques de
l’information. Selon R. Rieffel, il y a :
la sphère subjective, des journalistes, c’est-à-dire la connaissance de
leurs motivations, de leur perception de rôle ; ensuite la sphère
productive proprement dite, c’est-à-dire l’étude des conditions de
travail et des routines professionnelles qui président à la fabrication
de l’information ; enfin (…) la sphère extérieure, c’est-à-dire
l’analyse des relations des journalistes avec leurs sources (en amont)
et avec leur public (en aval). (R. Rieffel, 2015 :127-128).

Le journaliste ne vit pas en dehors de la société. Bien au


contraire, c’est parce qu’il y est imprégné qu’il est suffisamment outillé
à proposer un traitement fiable des événements. L’information est donc
construite autour d’un ensemble de données à la fois immanentes et
16 Gradis nᵒ03, janvier 2018

situationnelles qui en structure la teneur. Humainement, celui qui donne


une information a ses sensibilités propres vis-à-vis des faits. Qui plus
est, l’environnement dans lequel il travaille comporte des exigences à
satisfaire. Au demeurant, le trajet de l’information est soumis à une
dynamique de perception eu égard à ce que le dit peut-être favorable ou
défavorable au grand public selon les circonstances. De telles réalités
construisent souvent le prétexte d’une manipulation de l’information, et
par ailleurs de l’auditoire dans un système de non-dit à découvrir. Dans
cet élan, l’acte de communication implique un certain engagement du
locuteur qui sous-entend une nécessité de donner à entendre. La volonté
d’exprimer les faits avec la vivacité qui les caractérise ne va pas sans
une implication de soi à quelque degré près. En tant que rapporteur
d’événements, le locuteur les représente avec une intuition du
traitement que le destinataire pourrait en faire. Pour L. de Saussure et
al :
que le destinataire pense que le locuteur communique P par l’énoncé
U est un pré-requis fondamental pour que la communication ait lieu,
et, de manière converse, que le locuteur pense que le destinataire
pense que le locuteur communique P par l’énoncé U est
nécessairement une hypothèse entretenue par le destinataire. Si tel
n’était pas le cas, l’interaction devrait se borner à des demandes de
confirmation ou de précision quant au sens à attribuer à l’énoncé
produit. (…); cette identification conduit à l’attribution au locuteur
par le destinataire, à un engagement. (L. de Saussure et al, 2009 :
224).

La relation informationnelle entre le locuteur et l’auditoire, pour


éviter d’être symptomatique d’une implication grossière du premier,
s’instruit d’un engagement débrayé qui laisse le soin au second
d’inférer la logique communicationnelle intentée. Les implicatures
conversationnelles participent ainsi au système de l’information. Au
niveau primaire, les idées émises construisent en surface la logique du
discours communicatif sous la forme la plus objective possible. Mais, à
un degré plus approfondi, la participation tacite souhaitée du
Jean-Marie Andoh Gbakré 17

destinataire vient donner à l’information une valeur de projet


argumentatif dont l’enjeu ne peut aboutir si d’une certaine manière, ce
dernier ne marque son accord. La communication sociale est complice
d’un fonctionnement argumentatif, ce qui ouvre sur une perspective
d’enjeux à relever.

3- Des enjeux de l’argumentation en communication sociale

Le système argumentatif opère dans le même registre d’enjeu que


la communication sociale. S’il est vrai que l’on peut argumenter par
rapport à un interlocuteur unique, il y a aussi que l’effet suscité peut
avoir un effet de contagion susceptible d’influencer un auditoire plus
élargi. La communication sociale n’est pas produite pour une seule
personne, or le fait qu’elle entretienne une relation avec
l’argumentation, elle est censée se servir des aptitudes d’extension des
effets argumentatifs qui entament le particulier pour parvenir au
général. A partir d’un motif de vérité, il est créé un effet de vérité. En
effet, les propos émis par un locuteur sous les traits d’une information
s’assurent un équilibre de rayonnement à partir d’une objectivité
prédéterminée. X ne dit pas Y parce que c’est de lui, mais il le dit parce
que c’est ce qui est. Par conséquent, sa mission est juste de transmettre
les données en leur état. Or, la révélation ou le traitement des faits ne
se situe pas dans un rapport anthologique de données intrinsèquement
empiriques, il s’agit bien d’événements existentiels menés avec les
charges consubstantielles de leur caractère prégnant. Cela dit, s’inscrire
dans une logique du dire vrai relativement aux instances situationnelles
en vigueur et prétendre se dédouaner de toute implication reste
appréciable au juste fait. La vérité est parce que le locuteur la conçoit
en tant que telle. Et c’est à partir de cette opinion de vérité perçue et
admise en situation qu’il entend mener une projection sur l’auditoire.
18 Gradis nᵒ03, janvier 2018

L’effet de vérité qui est un projet du convaincre ne peut donc


fonctionner sans une relation particulière que le locuteur lui-même
attache à ce qu’il appelle la vérité. La vérité en ce sens est plutôt un
projet de vérité, entendu comme un projet de communication sociale.
L’opinion de P. Charaudeau sur cette question est édifiante :
La valeur de vérité n’est pas d’ordre empirique. Elle est le fait d’une
construction explicative qui s’élabore à l’aide d’une instrumentation
scientifique qui est censée être extérieure à l’homme (même si c’est
lui qui l’a construite), objectivante et objectivée, qui peut se définir
comme un ensemble de techniques de savoir dire, de savoir
commenter le monde. (…) L’effet de vérité est davantage du côté du
« croire vrai » que du « être vrai ». Il surgit de la subjectivité du sujet
dans son rapport au monde, créant chez lui une adhésion à ce qui
peut être jugé vrai du fait que cela est partageable avec d’autres que
lui et s’inscrit dans des normes de reconnaissance du monde.
Contrairement à la valeur de vérité qui s’appuie sur l’évidence,
l’effet de vérité s’appuie sur de la conviction (…). (P. Charaudeau,
2005 : 36-37).

L’opinion exprimée prend l’allure d’une information dont le


caractère d’évidence crée un effet de vérité. Dans ce jeu du langage, les
savoirs de connaissance font le jeu des savoirs de croyances. Toujours
selon P. Charaudeau, pendant que les premières « procèdent d’une
représentation rationalisée sur l’existence des êtres et des phénomènes
sensibles du monde », les secondes « résultent de l’activité humaine qui
s’emploie à commenter le monde, c’est-à-dire à faire que celui-ci
n’existe plus pour lui-même mais existe à travers le regard subjectif que
le sujet porte sur lui. » (P. Charaudeau, 2005 : 32-34). Si par exemple,
dans une campagne de sensibilisation à l’utilisation de la moustiquaire
imprégnée, à travers un slogan tel que « la moustiquaire imprégnée
vous protège contre le paludisme », la société X met en avant le bien-
fondé d’utiliser ce produit, c’est par rapport aux réalités du milieu
qu’elle est supposée connaître. Supposons que l’entreprise en question
est informée de la nécessité de son produit dans l’environnement choisi.
La communication qu’elle véhicule s’appuie ainsi à la fois sur un savoir
Jean-Marie Andoh Gbakré 19

de connaissance qui repose sur l’efficacité de la moustiquaire


imprégnée à lutter contre le paludisme et sur un savoir de croyance en
ce sens que le message est susceptible d’être porté en adresse à une
population exposée au paludisme. Ce slogan peut alors s’entendre
comme « la moustiquaire imprégnée est efficace contre le paludisme et
elle vous soulagera particulièrement ». Sous un angle de généralité,
cette information a pour mission de convaincre l’auditoire et de le
mener à l’action. Par ailleurs, vu qu’elle est à mesure de s’appliquer à
un milieu spécifique sous la forme d’une nécessité adaptée à son
quotidien, elle prend l’allure d’un message ciblé. La configuration
aspectuelle donne à ce slogan un statut de vérité. Mais, au fait, ce qui
compte davantage pour la société X, c’est de pouvoir susciter un effet
de vérité (la nécessité d’utiliser la moustiquaire imprégnée) à partir du
statut de vérité (l’efficacité de la moustiquaire imprégnée contre le
paludisme) afin d’écouler son produit (la moustiquaire imprégnée). La
tournure rhématique « vous protège contre le paludisme » est le
segment énonciatif qui porte la charge informationnelle du segment
thématique « la moustiquaire imprégnée ». Le rhème fonctionne ainsi
en tant qu’un argument qui soutient le thème. La substance de
l’information est l’indice référentiel de l’utilisation souhaitée du
produit, posée en relais d’intentionnalité. Cette même séquence
renseigne sur un produit, informe sur la nécessité de l’utiliser et vise à
convaincre l’auditoire afin qu’il l’utilise effectivement. C’est donc à
raison que P. Breton affirme : « exprimer, informer, convaincre : ces
trois registres ne se confondent pas, même si, du fait de la richesse de
la parole humaine, leurs frontières ne sont pas toujours si précises que
le voudrait la théorie ». (P. Breton, 2003 :3). Dès l’instant où la
communication sociale renferme une intention, c’est à juste titre que
l’argumentation lui propose ses services. Et d’ailleurs, toute
communication sociale au même titre que l’argumentation s’inscrit
dans une visée perlocutoire de l’information.
20 Gradis nᵒ03, janvier 2018

En effet, l’enjeu perlocutoire de l’information n’est autre que le


but à atteindre par l’acte de communication, ce que P. Breton appelle
en argumentation « l’accord préalable ». La notion d’ « accord
préalable » signifie : l'identification d'un « point d'appui », à partir d'un
thème déjà accepté par l'auditoire » (P. Breton, Idem : 53). Le système
de l’information manipule très souvent les données de sorte à établir
avec l’auditoire une certaine complicité sur le sujet traité. Le problème
se situe ainsi au niveau du traitement qui est fait de cette information.
Pour un journaliste qui informe par exemple sur la faim dans le monde,
et qui laisse entendre : « ce sont ainsi des milliers d’enfants qui meurent
de faim chaque jour devant nous », il est difficile de nier que
l’information ici est rendue à l’auditoire avec un corollaire d’effets
pathémiques dont l’intention est de susciter une action consolidée
contre la faim. Pourquoi le journaliste ne se tient-il pas à la séquence
« des milliers d’enfants meurent de faim chaque jour » et se sent-il
l’obligation d’impliquer l’auditoire à consommer cette information par
le présentatif « ce sont » en amont et l’ostensif « devant nous » en aval
? De fait, l’information ne peut pas être validée sans que l’ « accord
préalable » de l’auditoire ne soit sollicité. Les faits sont présentés dans
une logique formelle. Stratégiquement, rien ne doit être imposé à
l’auditoire, l’information apparaît affranchie de toute subjectivité. Et
pourtant, au cœur de tout ce système il n’y a qu’une seule finalité :
amener à agir. La même K. Orecchioni le dit si bien :
les paroles sont aussi des actions » : dire, c’est sans doute transmettre
à autrui certaines informations sur l’objet dont on parle, mais c’est
aussi faire, c’est-à-dire tenter d’agir sur son interlocuteur, voire sur
le monde environnant (…). (K. Orecchioni, 2001 : 1).

Il ne peut y avoir de communication sociale sans interaction


sociale. Or, là où la parole s’exerce, il y a tentative d’influence de l’autre
et volonté de transformer l’existant. La communication sociale
Jean-Marie Andoh Gbakré 21

fonctionne subtilement avec un enjeu argumentatif dont le caractère


insidieux entérine l’efficacité.

Conclusion

Toute relation interlocutive comporte en substance une


dimension intersubjective. La communication sociale est a priori
essentiellement axée sur l’information. Informer consiste à apporter du
nouveau au système cognitif d’un auditoire, ce qui fait de l’informateur
le maître du jeu. Aussi arrive-t-il que l’informateur donne un statut de
vérité à ses propos qu’il émet sous la forme d’une donnée établie. Il crée
ainsi un effet de vérité à partir d’une croyance propre. A propos de
croyances, le locuteur s’en sert dans le traitement des données,
puisqu’est mieux conçu et facilement accepté tout ce qui est
initialement reconnu en termes de valeurs par le sens commun. Le
mécanisme informationnel fonctionne très souvent avec une intention
qui surclasse la dimension dénotative des faits, voire leur objectivité.
Le référent communiqué est au centre d’une vision du monde favorable
au jeu argumentatif. En argumentation, l’enjeu est de convaincre
l’auditoire. Aussi vu qu’il n’existe pas de communication pour soi-
même, sauf circonstances particulières, la communication sociale
occupe-t-elle le champ de l’information à visée plurielle. Par ricochet,
ce qui importe ce n’est pas tant de donner à savoir, mais c’est de
transmettre une information et voir l’auditoire l’accepter et l’utiliser à
toutes fins utiles. De nature, l’argumentation conduit à un enjeu
persuasif perçu comme une clause de son organisation hiérarchique. La
communication sociale quant à elle, vise une action qui se détermine en
termes d’effets perçus sur l’auditoire. Aussi implique-t-elle une
argumentation tacite dont la démarche souvent subtile ne rejette pas une
mise en commun des finalités induites. L’enjeu mûri par
22 Gradis nᵒ03, janvier 2018

l’argumentation de manière explicite est celui que la communication


sociale recherche de manière implicite. La première en inscrivant dans
sa démarche les objectifs de la seconde montre la complicité qui instruit
leur fonctionnement, laquelle complicité se solde par le partage du
même but. L’argumentation a, en définitive, un fonctionnement cohésif
avec la communication sociale.

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