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plupart des factures ne seront pas payées, tout comme


une partie des salaires. Depuis dix ans, il y a eu trois
La présidence Biden déjà menacée par le
shutdowns plus ou moins longs : seize jours en octobre
chaos au Congrès 2003, trois jours en janvier 2018 et trente-cinq jours,
PAR ROMARIC GODIN
ARTICLE PUBLIÉ LE JEUDI 30 SEPTEMBRE 2021 record à ce jour, entre décembre 2018 et janvier 2019.

Le Sénat américain lors d’une session nocturne à Washington, le


© Photo Win McNamee / Getty Images via AFP
11 août 2021. © Photo Win McNamee / Getty Images via AFP
Les divisions des démocrates placent les deux plans
d’investissements dans les infrastructures et les Ce type d’événements n’est donc pas exceptionnel,
dépenses sociales de Joe Biden dans l’impasse, alors mais la situation est plus complexe cette fois, car
même que l’opposition républicaine menace le pays elle vient se doubler d’un blocage sur la « limite
d’un défaut de paiement en octobre. à l’endettement », le « debt ceiling ». Ce dispositif
date de 1917 et limite la capacité d’endettement du
Le Capitole, siège du Congrès des États-Unis, est gouvernement fédéral à un certain montant. C’est un
en plein chaos. Et cette fois, ce n’est pas le fait, dispositif avant tout politique destiné à rappeler la
comme en janvier dernier, d’une intrusion d’une souveraineté du Congrès dans ce domaine. Depuis
meute d’extrême droite. C’est un chaos politique une vingtaine d’années, cette limite est régulièrement
que la présidence Biden est incapable de réellement suspendue par le Congrès.
maîtriser et qui menace de ruiner une partie de ses
ambitions affichées. Les élus états-uniens font face Mais la dernière suspension a expiré le 1er août
à deux immenses problèmes : le financement du dernier et, désormais, le Trésor états-unien ne peut
gouvernement fédéral et le plan « Build Back Better », plus s’endetter au-delà de 28 400 milliards de dollars.
cœur du projet de Joe Biden. Sur les deux fronts, la Selon la secrétaire d’État au Trésor Janet Yellen, cette
présidence est très affaiblie par un Congrès divisé et limite sera atteinte le 18 octobre. À cette date, il ne sera
morcelé. plus permis au Trésor d’émettre de nouvelles dettes.
Le gouvernement des États-Unis ne pourra donc plus
Un défaut des États-Unis en vue ?
faire « rouler » sa dette, autrement dit s’endetter pour
Le premier point est donc celui du financement rembourser les dettes arrivant à échéance. Il fera donc
du budget fédéral. Il se divise en réalité en deux défaut sur sa dette publique.
volets. Le premier, c’est le budget fédéral lui-même.
Un tel scénario a, jusqu’ici, toujours été évité, malgré
L’administration fédérale ne peut dépenser que ce
des menaces en 2006 et 2011. À ces dates, l’opposition
que le Congrès a accepté de lui attribuer. Le budget
avait obtenu des concessions de la présidence pour
fédéral arrive à expiration le 30 septembre et les deux
permettre une suspension de la limite. Si, cette fois, un
chambres n’ont pas encore adopté ce financement.
tel scénario ne se reproduit pas, on entrera en territoire
Au 1er octobre, les administrations fédérales se inconnu : la dette des États-Unis est plus qu’un
retrouveront à sec. moyen de financement du gouvernement fédéral, c’est
C’est ce que l’on appelle le « government shutdown aussi la principale réserve de valeur de nombreux
», ou mise à l’arrêt des activités gouvernementales. gouvernements étrangers. C’est également la « matière
Ces dernières seront alors réduites à l’essentiel, la première » du système financier mondial : avec les

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bons du trésor états-uniens, on dispose d’un actif les débats parlementaires et offre donc la possibilité
solide à son bilan que l’on peut apporter comme d’un vote majoritaire simple. Mais cette procédure a
collatéral (garantie) auprès de toutes les banques plusieurs inconvénients.
centrales pour obtenir de la liquidité. Un défaut états- D’abord, elle est assez longue à mettre en place dans
unien serait un désastre économique mondial. le calendrier parlementaire actuel. Il faut donc se hâter
Seulement, pour l’éviter, il y a de nombreux obstacles de la lancer ou elle risque d’arriver trop tard. Ensuite,
au Sénat. Car, en matière budgétaire, un texte peut être elle ne permet que de relever la limite d’endettement,
bloqué indéfiniment par la « flibusterie parlementaire pas de la suspendre, ce qui est plus délicat et risque de
», une méthode consistant pour l’opposition à prendre conduire à un nouveau blocage rapidement, d’autant
indéfiniment la parole pour empêcher le vote. Pour que, on va le voir, les plans Biden nécessitent de
contourner la difficulté et forcer au vote, il faut une nouvelles ressources. Enfin, elle romprait une certaine
résolution de 60 sénateurs sur 100. Dans le cadre unanimité bipartisane sur la question de la dette
actuel, il faut donc que dix sénateurs républicains qui rassure les marchés en considérant que la dette
acceptent le texte. états-unienne est acceptée par l’ensemble du spectre
Or les républicains sont décidés à ne pas entrer dans politique.
un processus de compromis et de négociations, à C’est pour cette raison que le chef de la majorité
la différence de 2006 et 2011. Selon le leader de sénatoriale Charles Schumer rejette cette option et
la minorité sénatoriale, Mitch McConnell, ce sont a préféré déposer sur le bureau de la Chambre
aux démocrates d’assumer le pouvoir et donc de haute un projet de texte assurant le financement
se débrouiller pour passer l’obstacle. « La limite à du gouvernement fédéral après le 1er octobre sans
l’endettement sera levée comme d’habitude, mais par toucher, pour l’instant, à la limite d’endettement.
les démocrates eux-mêmes », a-t-il martelé. Ce serait certes éviter l’arrêt des activités fédérales
Les républicains ne demandent donc rien, ils refusent jusqu’à début décembre, mais ce serait aussi ignorer
simplement toute action bi-partisane. Dès lors, la la question centrale de l’endettement qui va se reposer
proposition démocrate de permettre le financement immédiatement. D’où la demande de la présidente
du gouvernement fédéral après le 30 septembre et de (« speaker ») de la Chambre des représentants,
relever la limite d’endettement a été rejetée lundi Nancy Pelosi, de lancer au plus tôt une procédure de
27septembre par les républicains sans aucune forme réconciliation.
de négociation. L’indécision des démocrates et le silence de la Maison-
Leur calcul est simple : en cas de défaut, la faute Blanche font dès lors peser une menace sur la
en reviendrait dans l’opinion à Joe Biden et aux première économie mondiale. Déjà, le président de
démocrates ; en cas de relèvement du plafond de JPMorgan Chase, Jamie Dimon, a annoncé, mardi
la dette, ils pourraient rester sur leurs positions 28 septembre, que sa banque se préparait pour un
« vertueuses » et faire oublier les dérapages extrêmes événement « potentiellement catastrophique ».
du déficit sous la présidence de Donald Trump. En L’impasse du plan Biden
ligne de mire, on sent déjà les midterms, les élections
Mais il est vrai que les parlementaires états-uniens ont
de mi-mandat, qui se tiendront dans un an.
d’autres problèmes et pas des moindres. Car les deux
En face, les démocrates sont divisés sur l’action à plans de Joe Biden sont en discussion en ce moment
mener. La seule manière de contourner l’obstacle et, sans surprise, cela ne se passe pas très bien. Pour
est la procédure de « réconciliation ». Elle permet faire face aux difficultés parlementaires, le président
de contourner la flibusterie en limitant à 20 heures avait divisé en deux son plan de relance et l’avait réduit
de 6000 à 4000 milliards de dollars. C’était un moyen
d’apaiser les deux sénateurs démocrates centristes,

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Kyrsten Sinema et John Manchin. Opposés aux plans septembre, ils ont été reçus à la Maison-Blanche, mais
Biden, ces deux sénateurs menaçaient de rejeter tout ont précisé qu’ils n’avaient rien accepté et qu’aucun
le plan si l’on ne parvenait pas à un accord bipartisan accord sur le montant du plan n’avait été atteint.
avec les républicains. Entre-temps, le plan d’infrastructures arrive jeudi
Joe Biden avait donc accepté une proposition 30septembre à la chambre après son adoption au
de centristes républicains et démocrates sur les Sénat en août. Or, ici, la gauche du parti démocrate
investissements, ramenant le plan à 1 200 milliards a décidé de hausser le ton. Pour elle, les concessions
de dollars sur dix ans, mais avec seulement 550 comprises dans ce plan ne sont acceptables que si
milliards de dollars de dépenses nouvelles. L’idée le plan BBB, lui, est intègre. Les grandes figures
était de monnayer ce compromis pour obtenir un progressistes demandent donc d’avoir d’abord le cadre
vote des deux sénateurs centristes sur un plan de ce qui sera soumis à la procédure de réconciliation
global de 3 500 milliards de dollars comprenant avant d’adopter le texte sur les infrastructures. Ce
des dépenses sociales et des investissements d’avenir dernier menace donc d’être rejeté par la Chambre
dans l’industrie et la transition écologique. Ce basse. Bernie Sanders, lui-même, qui a voté en faveur
dernier plan, baptisé « Build Back Better » (BBB), du plan bi-partisan au Sénat en août, demande aux
devait faire l’objet, précisément, d’une procédure de démocrates de la chambre de rejeter ce même texte…
réconciliation, contournant l’opposition républicaine. Joe Biden est ainsi pris au piège. S’il accepte la
Seulement, comme on pouvait s’y attendre, les deux demande de la gauche et présente un texte du plan
sénateurs centristes n’ont pas du tout joué ce jeu. BBB au Sénat, Sinema et Manchin voteront contre,
Ils ont rapidement profité de leur droit de veto de et il sera rejeté. S’il ne le fait pas, c’est le plan
fait sur le plan BBB pour demander que l’on en d’infrastructure qui sera rejeté. Le nouveau locataire
réduise le montant. John Manchin a estimé que 2 000 de la Maison-Blanche est donc soumis au manque
milliards de dollars étaient suffisants. En tout état de de cohérence des démocrates et aux méandres des
cause, la stratégie de Joe Biden semble avoir échoué : institutions états-uniennes. Le risque, c’est un vrai
Manchin et Sinema refusent de voter ce plan. Mardi 28 blocage qui fasse déraper l’ensemble des réformes de
Biden, pourtant déjà largement insuffisantes face à
l’urgence climatique et sociale.

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