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DU
COLLÈGE DE FRANCE
2007-2008
RÉSUMÉ
DES COURS ET TRAVAUX
108 e année
PARIS
1 1 , p l a c e Ma rc e l i n - Be r t h e l o t ( Ve )
Photo couverture : Statue de Guillaume Budé (1467-1540)
à l’origine de la fondation du Collège de France
(par M. Bourgeois, 1880)
La loi du 11 mars 1957 n’autorisant, aux termes des alinéas 2 et 3 de l’article 41, d’une
part, que les « copies ou reproductions strictement réservées à l’usage privé du copiste et
non destinées à une utilisation collective » et, d’autre part, que les analyses et les courtes
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Cette représentation ou reproduction, par quelque procédé que ce soit, constituerait donc
une contrefaçon sanctionnée par les articles 425 et suivants du Code pénal.
© Collège de France, 2008,
ISSN 0069-5580
ISBN 978-2-7226-0082-9
LE COLLÈGE DE FRANCE
I. LES ORIGINES
autorité souveraine, six lecteurs royaux, deux pour le grec, Pierre Danès et
Jacques Toussaint ; trois pour l’hébreu, Agathias Guidacerius, François Vatable
et Paul Paradis ; un pour les mathématiques, Oronce Finé ; puis, un peu plus
tard, en 1534, un autre lecteur, Barthélémy Masson (Latomus), pour l’éloquence
latine. Les langues orientales autres que l’hébreu firent leur entrée au Collège avec
Guillaume Postel (1538-1543), l’arabe en particulier, avec Arnoul de L’isle
(1587-1613).
Le succès justifia cette heureuse initiative. Les auditeurs affluèrent auprès des
nouveaux maîtres. Par là, un coup mortel venait d’être porté aux arguties stériles,
aux discussions à coups de syllogismes, aux recueils artificiels qui avaient trop
longtemps tenu la place des textes eux-mêmes. Par l’étude des langues, on remontait
aux sources. On y retrouvait le pur jaillissement d’une pensée libre et féconde.
Ainsi naquit le Collège de France. Ne relevant que du roi, dégagés des entraves
qu’imposaient aux maîtres de l’Université les statuts d’une corporation trois fois
séculaire, affranchis des traditions et de la routine, novateurs par destination, les
lecteurs royaux furent, pendant tout le xvie siècle, les meilleurs représentants de la
science française. Le Collège, pourtant, n’avait pas encore de domicile à lui. Il ne
constituait même pas une corporation distincte, à proprement parler ; il n’existait,
comme personne morale, que par le groupement de ses maîtres sous le patronage
du grand aumônier du roi. Mais son unité résultait de leur indépendance même.
Et déjà, il assurait son avenir par la valeur et l’influence de quelques-uns d’entre
eux, tels qu’Adrien Turnèbe, Pierre Ramus, Jean Dorat, Denis Lambin, Jean
Passerat, comme aussi par la reconnaissance qu’ils inspiraient à d’illustres auditeurs,
un Joachim du Bellay, un Ronsard, un Baïf, un Jacques Amyot. Leurs méthodes
d’enseignement étaient variées. Les uns faisaient surtout œuvre de critiques et
d’éditeurs de textes ; d’autres commentaient, quelquefois éloquemment, comme
Pierre Ramus, les orateurs ou les philosophes, les historiens ou les poètes de
l’antiquité classique. Tous, ou presque tous, étaient vraiment des initiateurs en
même temps que des érudits.
Ainsi s’expliquent son extension considérable au cours du xixe siècle et son rôle
dans le développement d’un grand nombre de sciences. En fait, sous une apparence
inchangée, il a subi une réelle transformation qui se continue au xxe siècle. Elle
s’est accomplie, comme il est naturel, en accord intime avec celle qui se produisait
simultanément au-dehors dans presque tous les ordres de connaissance. Mais il est
à noter que, très souvent, c’est le Collège de France qui a frayé ou élargi les voies
nouvelles, et qu’il continue de le faire.
En 1999, ont été créées une chaire de Philosophie des sciences biologiques et
médicales pour Mme Anne Fagot-Largeault et une chaire de Philosophie et histoire
des concepts scientifiques pour M. Ian Hacking (2001-2006).
En 1905, une chaire d’Histoire et antiquités nationales s’y ajouta pour Camille
Jullian (1905-1930), tenue ensuite par Albert Grenier (1936-1948).
Consacrée à l’activité extérieure de la France, une chaire, fondée par les principales
colonies d’alors, a été occupée sous le titre d’Histoire coloniale par Alfred Martineau
(1921-1935), puis, sous le titre d’Histoire de la colonisation, par Edmond
Chassigneux (1939-1946), et ensuite, sous le titre d’Histoire de l’expansion de
l’Occident, par Robert Montagné (1948-1954).
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Enfin a été créée, en 1984, une chaire d’Histoire de la France contemporaine, pour
M. Maurice Agulhon, qui l’a occupée jusqu’en 1997.
La chaire de Langues et littératures slaves fut inaugurée en 1840 par le poète
polonais, chargé de cours, Adam Mickiewicz (1840-1852) puis par Cyprien
Robert (chargé de cours 1852-1857) et Alexandre Chodzko (chargé de cours
1857-1883), et occupée plus tard par Louis Léger (1885-1923), André Mazon
(1923-1951) et André Vaillant (1952-1962). En 1992 a été créée une chaire
d’Histoire moderne et contemporaine du monde russe pour M. François-Xavier
Coquin (1993-2001).
Une chaire de Langues et littératures de l’Europe méridionale, qui eut pour titulaires
successifs Edgar Quinet (de 1841 à 1852 et de 1870 à 1875), Paul Meyer (1876-
1906), Alfred Morel-Fatio (1907-1924), a été rétablie, en 1925, sous le titre
d’Histoire des littératures comparées de l’Europe méridionale et de l’Amérique latine
pour Paul Hazard (1925-1944). Depuis, deux des domaines qu’elle recouvrait ont
été distingués par la création, en 1945 et en 1946, de deux chaires consacrées l’une
aux Langues et littératures de la péninsule ibérique et de l’Amérique latine, tenue par
Marcel Bataillon (1945-1965), puis par Israël Révah (1966-1973) ; l’autre à
l’Histoire de la civilisation italienne pour Augustin Renaudet de 1946 à 1950,
transformée en chaire de Langues et civilisation italienne pour André Pézard de
1951 à 1963. En 1992, une chaire de Langues et littératures romanes a été créée
pour M. Harald Weinrich, qui l’occupa jusqu’en 1998.
Une chaire de Langues et littératures d’origine germanique eut pour premiers
titulaires Philarète Chasles (1841-1873) et Guillaume Guizot (1874-1892).
Celui-ci fut suppléé par Jean-Jules Jusserand, puis par Arthur Chuquet, qui
devint titulaire de la chaire en 1893 et l’occupa jusqu’en 1925. Lui succédèrent
Charles Andler (1926-1933), Ernest Tonnelat (1934-1948), Fernand Mossé
(1949-1956), et Robert Minder de 1957 à 1973. En 1984 a été créée une chaire
de Grammaire et pensée allemandes, pour M. Jean-Marie Zemb, qui l’occupa
jusqu’en 1998.
Une chaire de Langues et littératures celtiques a été occupée par Henry d’arbois
de Jubainville (1882-1910) puis par Joseph Loth (1910-1930).
Une chaire de Civilisation américaine, créée en 1931, pour Bernard Faÿ (révoqué
en 1945), a été transformée pour Marcel Giraud, de 1947 à 1971, en chaire
d’Histoire de la civilisation de l’Amérique du Nord.
Une chaire d’Étude de la création littéraire en langue anglaise a été créée en 2001
pour M. Michael Edwards (2003-2008).
Langues, histoires et littératures orientales. — L’enseignement de
l’Hébreu, le plus ancien de tous, donné par Étienne Quatremère (1819-1857),
puis par Louis Dubeux (chargé de cours 1857-1861), a été illustré ensuite par
Ernest Renan (1862-1864 et 1870-1892), par Salomon Munk (1864-1867) et par
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Philippe Berger (1893-1910). Celui de l’Araméen a été assuré par Rubens Duval
(1895-1907). Après un long intervalle, une chaire intitulée Hébreu et Araméen a
été instituée de 1963 à 1971 pour André Dupont-Sommer ; puis pour André
Caquot de 1972 à 1994. Une chaire d’Épigraphie et antiquités sémitiques a été
créée pour Charles Clermont-Ganneau (1890-1923), une autre d’Histoire
ancienne de l’Orient sémitique a été occupée par Isidore Lévy (1932-1941) et de
1995 à 2001, une chaire d’Antiquités sémitiques occupée par M. Javier Teixidor.
L’égyptologie a fait son entrée au Collège avec son fondateur, Jean-François
Champollion (1831-1832), dans une chaire d’Archéologie tenue ensuite par
Jean-Antoine Letronne (1837-1848), puis par Charles Lenormant (1849-1859).
Elle devint chaire de Philologie et archéologie égyptiennes avec Emmanuel de Rougé
(1860-1872) et Gaston Maspero (1874-1916), fut reprise par Alexandre Moret
(1923-1938), et occupée successivement par Pierre Lacau (1938-1947), Pierre
Montet (1948-1956), Étienne Drioton (1957-1960), et Georges Posener (1961-
1978). Elle a subsisté sous le titre d’Égyptologie pour M. Jean Leclant (1979-1990),
puis pour M. Jean Yoyotte (1991-1997). En 1999, une chaire de Civilisation
pharaonique : archéologie, philologie, histoire a été créée pour M. Nicolas Grimal.
L’enseignement de l’assyriologie a été ouvert aussi par un fondateur, Jules Oppert
(1874-1905), dans une chaire de Philologie et archéologie assyriennes où lui a succédé
Charles Fossey (1906-1939). Après un intervalle, il a été repris par Édouard
Dhorme (1945-1951) sous le titre de Philologie et archéologie assyro-babyloniennes
et poursuivi sous celui d’Assyriologie par René Labat de 1952 à 1974, puis par
M. Paul Garelli, de 1986 à 1995 et par M. Jean-Marie Durand depuis 1999.
Une chaire d’Archéologie de l’Asie occidentale a été créée en 1953 pour Claude
Schaeffer-Forrer qui l’a occupée jusqu’en 1969. Enfin, en 1973 était créée une
chaire de Langues et civilisation de l’Asie Mineure pour Emmanuel Laroche, qui
l’a occupée jusqu’en 1985.
Une chaire d’Histoire et civilisation du monde achéménide et de l’empire d’Alexandre
a été créée en 1998 pour M. Pierre Briant, qui l’occupe depuis 1999.
La chaire d’Arabe a été tenue successivement par Antoine Caussin de Perceval
(1783-1833), Armand-Pierre Caussin de Perceval (1833-1871), Charles-François
Defrémery (1871-1883), Stanislas Guyard (1884), Adrien Barbier de Meynard
(1885-1908), Paul Casanova (1909-1926), William Marçais (1927-1943). Elle a
été transformée en chaire d’Histoire du monde arabe pour Jean Sauvaget
(1946-1950). Devenue chaire de Langue et littérature arabes, elle a été occupée par
Gaston Wiet (1951-1959). À côté d’elle, furent fondées : en 1902, une chaire de
Sociologie et sociographie musulmanes, inaugurée par Alfred le Chatelier
(1902-1925), occupée ensuite par Louis Massignon (1926-1954), modifié en
chaire de Sociologie musulmane pour Henri Laoust de 1956 à 1975, et transformée
en 1976 en une chaire de Langue et littérature arabes classiques pour M. André
Miquel, occupée jusqu’en 1997 — puis en 1941, une chaire d’Histoire des arts de
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l’Orient musulman pour Albert Gabriel (1941-1953). En 1956 était créée une
chaire d’Histoire sociale de l’Islam contemporain, occupée par Jacques Berque
jusqu’en 1981. Une chaire d’Histoire contemporaine du monde arabe est créée en
2003 pour M. Henry Laurens.
Les chaires de turc et de persan ont été réunies de 1784 à 1805 par Pierre Ruffin,
qui abandonna à partir de 1805 le persan au plus illustre islamisant de l’époque,
Isaac Silvestre de Sacy (1806-1838). Lui succédèrent : Amédée Jaubert (1838-
1847), Jules Mohl (1850-1876), Adrien Barbier de Meynard (1876-1885),
James Darmesteter (1885-1894). Après Pierre Ruffin (1805-1822) l’enseignement
du turc seul a été assuré par Daniel Kieffer (1822-1833), Alix Desgranges (1833-
1854), Mathurin-Joseph Cor (1854), Abel Pavet de Courteille (chargé de cours
1854-1861, titulaire 1861-1889). En 1997, a été créée une chaire d’Histoire turque
et ottomane pour M. Gilles Veinstein, qui l’occupe depuis 1999.
Les domaines de recherche nouveaux entrés dans l’enseignement du Collège au
xixe siècle ont d’abord été ceux de l’Inde et de la Chine, dont l’étude avait été
amorcée en Europe par plusieurs orientalistes du Collège au siècle précédent. En
1814, furent créées ensemble les chaires de Sanscrit et de Chinois.
La première a été inaugurée par Léonard de Chézy (1814-1832), illustrée par
Eugène Burnouf (1932-1852), et reprise après un intervalle de suppléances par
Édouard Foucaux (1862-1894), puis Sylvain Lévi (1894-1935) et Jules Bloch
(1937-1951). L’enseignement y débordant traditionnellement le domaine du
sanscrit, elle a repris en 1951, la dénomination de chaire de Langues et littératures
de l’Inde et a eu pour titulaire Jean Filliozat de 1952 à 1978. En 1983 a été créée
une chaire d’Histoire du monde indien pour M. Gérard Fussman, et, en 1993, une
chaire de Langues et religions indo-iraniennes pour M. Jean Kellens.
La seconde, dont l’enseignement s’est, de son côté, constamment étendu à
l’ensemble de la sinologie, a été tenue par Jean-Pierre Abel-Rémusat (1814-1932),
Stanislas Julien (1832-1873), Léon d’Hervey de Saint-Denys (1874-1892),
Édouard Chavannes (1893-1918), Henri Maspero (1921-1945), Paul Demiéville
(1946-1964), M. Jacques Gernet (1975-1992) ; depuis 1991 une chaire d’Histoire
de la Chine moderne est occupée par M. Pierre-Étienne Will et une chaire d’Histoire
intellectuelle de la Chine est confiée en 2008 à Mme Anne Cheng.
Étendant le champ des enseignements aux pays d’influence indienne et chinoise
et aux civilisations propres à ces pays, trois chaires ont été créées : la première de
Langues, histoire et archéologie de l’Asie centrale pour Paul Pelliot (1911-1945),
qui devait prendre le titre d’Histoire et civilisations de l’Asie centrale pour
Louis Hambis, de 1965 à 1977, et se transformer en chaire de Sociographie de
l’Asie du Sud-Est pour Lucien Bernot (1978-1985) ; la deuxième d’Histoire et
philologie indochinoises pour Louis Finot (1920-1930), auquel ont succédé Jean
Przyluski (1931-1944), puis Émile Gaspardone, de 1946 à 1965, et qui a été
alors transformée en chaire d’Étude du monde chinois : institutions et concepts pour
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Dès 1831, était instituée pour Jean-Baptiste Say une chaire d’Économie politique,
qui fut occupée après lui par Pellegrino Rossi (1833-1840), Michel Chevalier
(1840-1879), et Paul Leroy-Beaulieu (1880-1916). Une chaire d’Histoire des
doctrines économiques, créée en 1871 pour Émile Levasseur, fut transformée sur sa
demande en 1885 en chaire de Géographie, histoire et statistiques économiques. En
1911, elle devint chaire d’Étude des faits économiques et sociaux pour Marcel
Marion (1912-1932). De 1955 à 1974 une chaire d’Analyse des faits économiques
et sociaux a été occupée par François Perroux ; en 1987 a été créée une chaire
d’Analyse économique pour M. Edmond Malinvaud qui l’a occupée jusqu’en 1993.
Une chaire de Théorie économique et organisation sociale a été créée en 1998 pour
M. Roger Guesnerie, qui l’occupe depuis 2000.
En 1958 une chaire d’Anthropologie sociale était créée pour M. Claude Lévi-
Strauss (1959-1982), et en 1971, une chaire d’Anthropologie physique pour Jacques
Ruffié (1972-1992). En 1981, a été créée pour Mme Françoise Héritier une
chaire d’Étude comparée des sociétés africaines (1982-1998) et en 1992 pour
M. Nathan Wachtel une chaire d’Histoire et anthropologie des sociétés méso- et sud-
américaines (1992-2005). En 1999, une chaire d’Anthropologie de la nature a été
créée pour M. Philippe Descola, qui l’occupe depuis 2000.
En 1920, une chaire instituée pour dix ans, à l’initiative de la Fédération des
Sociétés coopératives, et affectée à l’Enseignement de la Coopération, a eu pour
titulaire Charles Gide jusqu’en 1930.
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Une chaire nouvelle, créée par la loi de Finances de 1964, et portant le titre de
Physique théorique des particules élémentaires a été occupée par M. Jacques Prentki
jusqu’en 1983. En 2000, une chaire de Physique quantique a été créée pour M. Serge
Haroche qui l’occupe depuis 2001. M. Gabriele Veneziano occupe depuis 2004
la chaire de Particules élémentaires, gravitation et cosmologie créée l’année précédente.
En 2005 est créée une chaire de Physique mésoscopique, occupée depuis 2007 par
M. Michel Devoret.
En 1844 fut créée une chaire d’Embryogénie comparée, tenue par Victor Coste
(1844-1873), Édouard Balbiani (1874-1899), Félix Henneguy (1900-1928),
puis par Emmanuel Fauré-Frémiet (1928-1954). Consacrée ensuite à l’Embryologie
expérimentale, elle a été occupée de 1955 à 1974 par Étienne Wolff. Depuis 1974
elle a été transformée en chaire de Communications cellulaires pour M. Jean-Pierre
Changeux (1976-2006).
Enfin, en 1964, une chaire nouvelle a été créée par la loi de Finances sous le
titre de Génétique cellulaire pour M. François Jacob (1965-1991). Elle a été
transformée en chaire de Génétique moléculaire pour M. Pierre Chambon
(1992-2002), puis en chaire de Génétique humaine pour M. Jean-Louis Mandel
(2003). En 1967 était créée pour Jacques Monod une chaire de Biologie moléculaire,
qui l’occupa jusqu’en 1973. Une chaire de Génétique et physiologie cellulaire a été
créée en 2000 pour Mme Christine Petit, qui l’occupe depuis 2001, et une chaire
de Processus morphogénétiques est créée en 2006, occupée à partir de 2007 par
M. Alain Prochiantz.
L’anatomie fut professée par Antoine Portal de 1773 à 1832, tandis que la
médecine dite pratique était attribuée à d’autres titulaires, parmi lesquels Jean-
Nicolas Corvisart (1796-1804), Jean-Noël Hallé (1805-1822), René-Théophile
Laennec (1822-1826), et Joseph Récamier (1827-1830). François Magendie
(1830-1855) eut pour successeurs Claude Bernard (1855-1878), Charles Brown-
Séquard (1878-1894), Arsène d’Arsonval (1894-1930) et Charles Nicolle
(1932-1936). Une chaire d’Épidémiologie fut créée pour Hyacinthe Vincent
(1925-1936). La chaire de Médecine a été occupée par René Leriche (1937-1950) ;
transformée ensuite en chaire de Médecine expérimentale, elle a été occupée par
Antoine Lacassagne (1951-1954), Charles Oberling (1955-1960), Bernard
Halpern (1961-1975), M. Jean Dausset (1977-1987), et subsiste sous cette
même dénomination pour M. Pierre Corvol (1989).
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1. L’année indiquée est celle de la délibération de l’Assemblée des Professeurs sur la création,
le maintien ou la transformation de la chaire.
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1821
Droit de la nature et des gens Droit de la nature et des gens
Pierre de Pastoret (1804-1821) Xavier de Portets (1822-1854)
Poésie latine Poésie latine
Pierre-François Tissot (révoqué) Joseph Naudet (1821-1830)
(1813-1821)
1822
Médecine Médecine
Jean-Noël Hallé (1805-1822) René-Théophile Laennec (1822-1826)
Turc Turc
Pierre Ruffin (1805-1822) Daniel Kieffer (1822-1833)
Astronomie Astronomie
Jean-Baptiste Delambre (1807-1822) Jacques Binet (1823-1856)
1823
Physique générale et expérimentale Physique générale et expérimentale
Louis Lefèvre-Gineau (révoqué) André-Marie Ampère (1824-1836)
(1786-1823)
1826
Médecine Médecine
René-Théophile Laennec (1822-1826) Joseph Récamier (1827-1830)
1829
Langue et littérature grecques Langue et littérature grecques
Jean-Baptiste Gail (1791-1829) Jean-François Boissonade (1829-1855)
1830
Histoire et morale Histoire et morale
Pierre Daunou (1819-1830) Jean-Antoine Letronne (1831-1837)
Poésie latine Poésie latine
Joseph Naudet (1821-1830) Pierre-François Tissot (rétabli)
(1830-1854)
1831
Médecine Médecine
Joseph Récamier (1827-1830) François Magendie (1831-1855)
Création Économie politique
Jean-Baptiste Say (1831-1832)
Création Archéologie
Jean-François Champollion (1831-1832)
Création Histoire générale et philosophique
des législations comparées
Eugène Lerminier (1831-1849)
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1832
Anatomie Chaire supprimée
Antoine Portal (1773-1832)
Histoire naturelle Histoire naturelle, puis Histoire naturelle
Georges Cuvier (1800-1832) des corps inorganiques
Léonce Élie de beaumont (1832-1874)
Langues et littératures chinoise et Langues et littératures chinoise et
tartare-mandchoue tartare-mandchoue
Jean-Pierre Abel-Rémusat (1814-1832) Stanislas Julien (1832-1873)
Langue et philosophie grecques Philosophie grecque et latine
Jean-François Thurot (1814-1832) Théodore Jouffroy (1832-1837)
Langue et littérature sanscrites Langue et littérature sanscrites
Léonard de Chézy (1815-1832) Eugène Burnouf (1832-1852)
Économie politique Économie politique
Jean-Baptiste Say (1831-1832) Pellegrino Rossi (1833-1840)
1833
Arabe Arabe
Antoine Caussin de Perceval Armand-Pierre Caussin de Perceval
(1784-1833) (1833-1871)
Littérature française Littérature française
Stanislas Andrieux (1814-1833) Jean-Jacques Ampère (1833-1853)
Turc Turc
Daniel Kieffer (1822-1833) Alix Desgranges (1833-1854)
1836
Physique générale et expérimentale Physique générale et expérimentale
André-Marie Ampère (1824-1836) Félix Savart (1836-1841)
1837
Archéologie Archéologie
Jean-François Champollion (1831-1832) Jean-Antoine Letronne (1837-1848)
Histoire et morale Histoire et morale
Jean-Antoine Letronne (1831-1837) Jules Michelet (1838-1852)
Philosophie grecque et latine Philosophie grecque et latine
Théodore Jouffroy (1832-1837) Jules Barthélémy Saint-Hilaire
(1838-1852)
Création Histoire naturelle des corps organisés
Georges Duvernoy (1837-1855)
1838
Persan Persan
Antoine-Isaac Silvestre de Sacy Amédée Jaubert (1838-1847)
(1806-1838)
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1840
1841
1843
Mathématiques Mathématiques
Sylvestre-François Lacroix (1843-1848) Guillaume Libri-Carucci (1815-1843)
1844
1845
1847
Persan Persan
Amédée Jaubert (1838-1847) Jules Mohl (1850-1876)
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1848
Le 7 avril 1848, un décret du gouvernement provisoire supprima cinq chaires :
Économie politique, Droit de la nature et des gens, Législations comparées, Turc et Poésie
latine,
pour en créer douze nouvelles destinées à instituer une École d’Administration dont
l’existence fut éphémère :
Droit politique français et droit politique comparé, Jean Reynaud
Droit international et histoire des traités, Alphonse de Lamartine
Droit privé, Armand Marrast
Droit criminel, Faustin Hélie
Économie générale et statistique de la population, Augustin Serres
Économie générale et statistique de l’agriculture, Joseph Decaisne
Économie générale et statistique des mines, usines, arts et manufactures, Jean-Martial Bineau
Économie générale et statistique des travaux publics, Alfred-Charles Franquet
de Franqueville
Économie générale et statistique des finances et du commerce, Louis-Antoine Garnier-Pagès
Droit administratif, Louis-Marie Delahaye de Cormenin
Histoire des institutions administratives françaises et étrangères, Alexandre Ledru-Rollin
Mécanique, Jean-Victor Poncelet.
Le 14 novembre 1848, l’Assemblée Nationale rétablit les cinq chaires supprimées et leurs
titulaires furent réintégrés au Collège.
1857
Hébreu Langues hébraïque, chaldaïque, et syriaque
Étienne-Marc Quatremère (1819-1857) Louis Dubeux, chargé de cours
(1857-1861)
Langue et littérature slaves Langue et littérature slaves
Cyprien Robert, chargé de cours Alexandre Chodzko, chargé de cours
(1852-1857) (1857-1883)
Philosophie grecque et latine Philosophie grecque et latine
Émile Saisset, chargé de cours Charles Lévêque, chargé de cours
(1853-1857) (1857-1860), titulaire (1861-1900)
Langue et littérature sanscrites Langue et littérature sanscrites
Théodore Pavie, chargé de cours Édouard Foucaux, chargé de cours
(1853-1857) (1857-1862), titulaire (1862-1894)
1860
Astronomie Mécanique céleste
Jacques Binet (1823-1856) Joseph Serret (1861-1885)
Archéologie Philologie et archéologie égyptiennes
Charles Lenormant (1849-1859) Emmanuel de Rougé (1860-1872)
Langues hébraïque, chaldaïque, et syriaque Langues hébraïque, chaldaïque, et syriaque
Louis Dubeux, chargé de cours (1857-1861) Ernerst Renan (1862-1864)
Création Épigraphie et antiquités romaines
Léon Renier (1861-1885)
1862
Physique mathématique Physique générale et mathématique
Jean-Baptiste Biot (1801-1862) Joseph Bertrand (1862-1900)
Histoire et morale Histoire et morale
Joseph Guigniaut (1857-1862) Alfred Maury, chargé de cours (1861),
titulaire (1862-1892)
1864
Langue et littérature françaises modernes Langue et littérature françaises modernes
Jean-Jacques Ampère (1853-1864) Louis de Loménie (1864-1878)
Langues hébraïque, chaldaïque, et syriaque Langues hébraïque, chaldaïque, et syriaque
Ernest Renan (révoqué) (1862-1864) Salomon Munk (1864-1867)
Création Grammaire comparée
Michel Bréal, chargé de cours
(1864-1865), titulaire (1866-1905)
1865
Création Chimie organique
Marcelin Berthelot (1865-1907)
31
1869
Histoire naturelle des corps organisés Histoire naturelle des corps organisés
Pierre-Jean-Marie Flourens (1855-1867) Étienne-Jules Marey (1869-1904)
1870
1871
Arabe Arabe
Armand-Pierre Caussin de Perceval Charles-François Defrémery
(1833-1871) (1871-1883)
1872
1873
1880
Économie politique Économie politique
Michel Chevalier (1840-1879) Paul Leroy-Beaulieu (1880-1916)
Langue et littérature françaises modernes Langue et littérature françaises modernes
Paul Albert (1878-1880) Émile Deschanel (1881-1903)
Création Histoire des religions
Albert Réville (1880-1906)
1882
Mathématiques Mathématiques
Joseph Liouville (1851-1882) Camille Jordan (1883-1912)
Esthétique et histoire de l’art Esthétique et histoire de l’art
Charles Blanc (1878-1882) Eugène Guillaume (1882-1905)
Création Langues et littératures celtiques
Henry d’Arbois de Jubainville
(1882-1910)
1883
Histoire des législations comparées Histoire des législations comparées
Édouard Laboulaye (1849-1883) Jacques Flach (1884-1919)
Arabe Arabe
Charles-François Defrémery (1871-1883) Stanislas Guyard (1884)
1884
Langue et littérature slaves Langues et littératures slaves
Alexandre Chodzko, chargé de cours Louis Léger (1885-1923)
(1857-1883)
Arabe Arabe
Stanislas Guyard (1884) Adrien Barbier de Meynard (1885-1908)
1885
Éloquence latine Philologie latine
Ernest Havet (1854-1885) Louis Havet (1885-1925)
Mécanique céleste Mécanique analytique et mécanique céleste
Joseph Serret (1861-1885) Maurice Lévy (1885-1908)
Épigraphie et antiquités romaines Épigraphie et antiquités romaines
Léon Renier (1861-1885) Ernest Desjardins (1886)
Poésie latine Histoire de la littérature latine
Gaston Boissier (1869-1885) Gaston Boissier (1885-1906)
Histoire des doctrines économiques Géographie, histoire, et statistiques
Émile Levasseur (1871-1885) économiques
Émile Levasseur (1885-1911)
Persan Langues et littératures de la Perse
Adrien Barbier de Meynard (1876-1885) James Darmesteter (1885-1894)
34
1886
Épigraphie et antiquités romaines Épigraphie et antiquités romaines
Ernest Desjardins (1886) René Cagnat (1887-1930)
1887
Droit de la nature et des gens Psychologie expérimentale et comparée
Adolphe Franck (1856-1887) Théodule Ribot (1888-1901)
1890
Turc Épigraphie et antiquités sémitiques
Abel Pavet de Courteille (1861-1889) Charles Clermont-Ganneau (1890-1923)
1892
Histoire et morale Géographie historique de la France
Alfred Maury (1862-1892) Auguste Longnon (1892-1911)
Création Histoire générale des sciences
Pierre Laffitte (1892-1903)
1893
Langue et littérature grecques Langue et littérature grecques
Jean-Pierre Rossignol (1855-1892) Maurice Croiset (1893-1930)
Langues hébraïque, chaldaïque Langues et littératures hébraïque,
et syriaque chaldaïque, et syriaque
Ernest Renan (1870-1892) Philippe Berger (1893-1910)
Langues et littératures d’origine germanique Langues et littératures d’origine germanique
Guillaume Guizot (1874-1892) Arthur Chuquet (1893-1925)
Langues et littératures chinoise et Langues et littératures chinoise et
tartare-mandchoue tartare-mandchoue
Léon d’Hervey de Saint-Denys Édouard Chavannes (1893-1918)
(1874-1892)
1894
Langue et littérature sanscrites Langue et littérature sanscrites
Édouard Foucaux (1862-1894) Sylvain Lévi (1894-1935)
Médecine Médecine
Charles-Édouard Brown-Séquard Arsène d’Arsonval (1894-1930)
(1878-1894)
Langues et littératures de la Perse Langue et littérature araméennes
James Darmesteter (1885-1894) Rubens Duval (1894-1907)
1897
Chimie minérale Chimie minérale
Paul Schützenberger (1876-1897) Henri Le Chatelier (1898-1907)
Création Philosophie sociale
Jean Izoulet (1897-1929)
35
1899
Histoire de la philosophie moderne Philosophie moderne
Jean Nourrisson (1874-1899) Gabriel Tarde (1900-1904)
Embryogénie comparée Embryogénie comparée
Édouard Balbiani (1874-1899) Félix Henneguy (1900-1928)
1900
Philosophie grecque et latine Philosophie grecque et latine
Charles Lévêque (1861-1900) Henri Bergson (1900-1904)
Physique générale et mathématique Physique générale et mathématique
Joseph Bertrand (1862-1900) Marcel Brillouin (1900-1931)
1901
Psychologie expérimentale et comparée Psychologie expérimentale et comparée
Théodule Ribot (1888-1901) Pierre Janet (1902-1934)
1902
Création Sociologie et sociographie musulmanes
Alfred Le Chatelier (1902-1925)
1903
Langue et littérature françaises du Moyen Âge Langue et littérature françaises du Moyen Âge
Gaston Paris (1872-1903) Joseph Bédier (1903-1936)
Histoire générale des sciences Histoire générale des sciences
Pierre Laffitte (1892-1903) Grégoire Wyrouboff (1903-1913)
Création Pathologie générale et comparée
Albert Charrin (1903-1907)
1904
Histoire naturelle des corps organisés Histoire naturelle des corps organisés
Étienne-Jules Marey (1869-1904) Nicolas François-Franck (1905-1921)
Histoire naturelle des corps inorganiques Histoire naturelle des corps inorganiques
Ferdinand Fouqué (1877-1904) Auguste Michel-Lévy (1905-1911)
Langue et littérature françaises modernes Langue et littérature françaises modernes
Émile Deschanel (1881-1903) Abel Lefranc (1904-1937)
Philosophie moderne Philosophie moderne
Gabriel Tarde (1900-1904) Henri Bergson (1904-1921)
1905
Grammaire comparée Grammaire comparée
Michel Bréal (1866-1905) Antoine Meillet (1906-1936)
Philologie et archéologie assyriennes Philologie et archéologie assyriennes
Jules Oppert (1874-1905) Charles Fossey (1906-1939)
Esthétique et histoire de l’art Esthétique et histoire de l’art
Eugène Guillaume (1882-1905) Georges Lafenestre (1905-1919)
36
1911
Langues et littératures hébraïque, Langues, histoire et archéologie de
chaldaïque, et syriaque l’Asie centrale
Philippe Berger (1893-1910) Paul Pelliot (1911-1945)
1912
Anatomie générale Histologie comparée
Louis Ranvier (1875-1911) Jean Nageotte (1912-1937)
Mathématiques Mathématiques
Camille Jordan (1883-1912) Georges Humbert (1912-1921)
Géographie, histoire et statistiques Étude des faits économiques et
économiques sociaux
Émile Levasseur (1885-1911) Marcel Marion (1912-1932)
Géographie historique de la France Histoire de l’Afrique du Nord
Auguste Longnon (1892-1911) Stéphane Gsell (1912-1932)
Histoire naturelle des corps inorganiques Géologie
Lucien Cayeux (1912-1936) Auguste Michel-Lévy (1905-1911)
Création temporaire (fondation Albert Géographie humaine
Kahn) Jean Brunhes (1912-1930)
1914
Histoire générale des sciences Chaire supprimée
Grégoire Wyrouboff (1903-1913)
1916
Philologie et archéologie égyptiennes Chaire supprimée
Gaston Maspero (1874-1916)
Chimie organique Chaire supprimée
Émile Jungfleisch (1908-1916)
Création Prévoyance et assistance sociales
(fondation de la Ville de Paris) Édouard Fuster (1917-1935)
1917
Économie politique Chimie organique
Paul Leroy-Beaulieu (1880-1916) Charles Moureu (1917-1929)
1919
Langues et littératures chinoise et Langue et littérature chinoises
tartare-mandchoue Henri Maspero (1921-1945)
Édouard Chavannes (1893-1918)
Esthétique et histoire de l’art Histoire de l’art français
Georges Lafenestre (1905-1919) André Michel (1920-1925)
1920
Histoire des législations comparées Histoire des sciences
Jacques Flach (1884-1919) Pierre Boutroux (1920-1922)
38
Création Épidémiologie
Hyacinthe Vincent (1925-1936)
1926
Épigraphie et antiquités grecques Épigraphie grecque
Paul Foucart (1877-1926) Maurice Holleaux (1927-1932)
Sociologie et sociographie musulmanes Sociologie et sociographie musulmanes
Alfred Le Chatelier (1902-1925) Louis Massignon (1926-1954)
Langue et littérature arabes Langue et littérature arabes
Paul Casanova (1909-1926) William Marçais (1927-1943)
Histoire de l’art français Esthétique et histoire de l’art
André Michel (1920-1925) Gabriel Millet (1926-1937)
1928
Embryogénie comparée Embryogénie comparée
Félix Henneguy (1900-1928) Emmanuel Fauré-Frémiet (1928-1954)
1929
Philosophie sociale Sociologie
Jean Izoulet (1897-1929) Marcel Mauss (1931-1942)
Chimie organique Chimie organique
Charles Moureu (1917-1929) Marcel Delépine (1930-1941)
Numismatique de l’Antiquité Préhistoire
Théodore Reinach (1924-1928) Henri Breuil (1929-1947)
Création Mécanique animale appliquée de l’aviation
Antoine Magnan (1929-1938)
1930
Histoire et philologie indochinoises Histoire et philologie indochinoises
Louis Finot (1920-1930) Jean Przyluski (1931-1944)
1931
Épigraphie et antiquités romaines Civilisation romaine
René Cagnat (1887-1930) Eugène Albertini (1932-1941)
Langue et littérature grecques Langue et littérature grecques
Maurice Croiset (1893-1930) Émile Bourguet (1932-1938)
Médecine Médecine
Arsène d’Arsonval (1894-1930) Charles Nicolle (1932-1936)
Physique générale et mathématique Physique théorique
Marcel Brillouin (1900-1931) Léon Brillouin (1932-1949)
Histoire du travail Histoire du travail
Georges Renard (1907-1930) François Simiand (1932-1935)
Biologie générale Biologie générale
Émile Gley (1908-1930) Jacques Duclaux (1931-1948)
40
1937
Langue et littérature françaises du Moyen Âge Histoire du vocabulaire français
Joseph Bédier (1903-1936) Mario Roques (1937-1946)
Langue et littérature françaises modernes Poétique
Paul Valéry (1937-1945) Abel Lefranc (1904-1937)
Grammaire comparée Grammaire comparée
Antoine Meillet (1906-1936) Émile Benveniste (1937-1972)
Géologie Géologie méditerranéenne
Lucien Cayeux (1912-1936) Paul Fallot (1938-1960)
Histoire coloniale Histoire de la colonisation
Alfred Martineau (1921-1935) Edmond Chassigneux (1939-1946)
Épidémiologie Médecine
Hyacinthe Vincent (1925-1936) René Leriche (1937-1950)
1938
Mécanique analytique et mécanique céleste Mathématique et mécanique
Jacques Hadamard (1909-1937) Szolem Mandelbrojt (1938-1972)
Histologie comparée Morphologie expérimentale et endocrinologie
Jean Nageotte (1912-1937) Robert Courrier (1938-1966)
Égyptologie Égyptologie
Alexandre Moret (1923-1938) Pierre Lacau (1938-1947)
Esthétique et histoire de l’art Esthétique et histoire de l’art
Gabriel Millet (1926-1937) Henri Focillon (1938-1942)
Mécanique animale appliquée à l’aviation Aérolocomotion mécanique et biologique
Antoine Magnan (1929-1938) Étienne Œhmichen (1939-1955)
Langue et littérature grecques Épigraphie et antiquités grecques
Émile Bourguet (1932-1938) Louis Robert (1939-1974)
1941
Philologie et archéologie assyriennes Histoire des arts de l’Orient musulman
Charles Fossey (1906-1939) Albert Gabriel (1941-1953)
Physique générale et expérimentale Physique générale et expérimentale
Paul Langevin (1909-1946) (révoqué Maurice Debroglie (1942-1944),
en 1940, réintégré en 1944) puis à nouveau Paul Langevin
Philosophie Philosophie
Édouard Leroy (1921-1940) Louis Lavelle (1941-1951)
Mathématiques Affectation réservée
Henri Lebesgue (1921-1941)
Histophysiologie Radiobiologie expérimentale
Justin Jolly (1925-1940) Antoine Lacassagne (1941-1951)
Chimie organique Chimie organique
Marcel Delépine (1930-1941) Charles Dufraisse (1942-1955)
42
2. L’année indiquée est celle de la délibération de l’Assemblée des Professeurs, l’arrêté ministériel
déclarant la vacance de la chaire, postérieur de quelques mois, peut être parfois daté de l’année
suivante.
43
1951
Langues et littératures slaves Langues et littératures slaves
André Mazon (1923-1951) André Vaillant (1952-1962)
Physiologie des sensations Physique mathématique
Henri Piéron (1923-1951) André Lichnerowicz (1952-1986)
Histoire de la philosophie au Moyen Âge Histoire et technologie des systèmes
Étienne Gilson (1932-1950) philosophiques
Martial Guéroult (1951-1962)
Histoire des religions Histoire des religions
Jean Baruzi (1933-1951) Henri-Charles Puech (1952-1972)
Langue et littérature sanscrites Langues et littératures de l’Inde
Jules Bloch (1937-1951) Jean Filliozat (1952-1978)
Philosophie Philosophie
Louis Lavelle (1941-1951) Maurice Merleau-Ponty (1952-1961)
Histoire de la langue latine Littérature latine
Alfred Ernout (1944-1951) Pierre Courcelle (1952-1980)
Philologie et archéologie assyro-babyloniennes Assyriologie
Édouard Dhorme (1945-1951) René Labat (1952-1974)
Radiobiologie expérimentale Histophysiologie
Antoine Lacassagne (nommé en Jacques Benoit (1952-1966)
1951, titulaire de la chaire de
Médecine expérimentale créée
l’année précédente)
1953
Histoire des arts de l’Orient musulman Archéologie de l’Asie occidentale
Claude Schaeffer-Forrer (1954-1969) Albert Gabriel (1941-1953)
1954
Littérature latine du Moyen Âge Analyse des faits économiques et sociaux
Edmond Faral (1925-1954) François Perroux (1955-1974)
Embryogénie comparée Embryologie expérimentale
Emmanuel Fauré-Frémiet (1928-1954) Étienne Wolff (1955-1974)
Civilisation romaine Civilisation romaine
André Piganiol (1942-1954) Jean Gagé (1955-1972)
Médecine expérimentale Médecine expérimentale
Antoine Lacassagne (1951-1954) Charles Oberling (1955-1960)
1955
Sociologie et sociographie musulmanes Sociologie musulmane
Louis Massignon (1926-1954) Henri Laoust (1956-1975)
Aérolocomotion mécanique et biologique Algèbre et géométrie
Étienne Œhmichen (1939-1955) Jean-Pierre Serre (1956-1994)
45
1963
Physique cosmique Astrophysique théorique
Alexandre Dauvillier (1944-1962) Jean-Claude Pecker (1964-1988)
Langue et littérature chinoises Histoire et civilisations de l’Asie centrale
Paul Démiéville (1946-1964) Louis Hambis (1965-1977)
Histoire des créations littéraires en France Littérature française moderne
Georges Blin (1965-1988) Jean Pommier (1946-1964)
Littérature et civilisation italiennes Archéologie et histoire de la Gaule
André Pézard (1951-1963) Paul-Marie Duval (1964-1982)
Création Physique théorique des particules élémentaires
Jacques Prentki (1965-1983)
Création Génétique cellulaire
François Jacob (1965-1991)
1965
Langues et littératures de la péninsule Langues et littératures de la péninsule
ibérique et de l’Amérique latine ibérique et de l’Amérique latine
Marcel Bataillon (1945-1965) Israël Révah (1966-1973)
Histoire et philologie indochinoises Étude du monde chinois : institutions
Émile Gaspardone (1946-1965) et concepts
Rolf A. Stein (1966-1981)
1967
Morphologie expérimentale et endocrinologie Physiologie cellulaire
Robert Courrier (1938-1966) François Morel (1967-1993)
Archéologie paléochrétienne et byzantine Histoire et civilisation de Byzance
André Grabar (1946-1966) Paul Lemerle (1967-1973)
Histophysiologie Biologie moléculaire
Jacques Benoit (1952-1966) Jacques Monod (1967-1973)
1968
Civilisation indo-européenne Préhistoire
Georges Dumézil (1949-1968) André Leroi-Gourhan (1969-1982)
1969
Géographie historique de la France Géographie du continent européen
Roger Dion (1948-1968) Maurice Lelannou (1969-1976)
Archéologie de l’Asie occidentale Histoire des sociétés médiévales
Claude Schaeffer-Forrer (1954-1969) Georges Duby (1970-1991)
Démographie sociale : la vie des populations Sociologie de la civilisation moderne
Alfred Sauvy (1959-1969) Raymond Aron (1970-1978)
Histoire de la pensée philosophique Histoire des systèmes de pensée
Jean Hyppolite (1963-1968) Michel Foucault (1970-1984)
47
1970
Civilisations de l’Extrême-Orient Art et civilisation de la Renaissance en Italie
Paul Mus (1946-1969) André Chastel (1970-1984)
Étude du monde tropical Étude du Bouddhisme
Pierre Gourou (1947-1970) André Bareau (1971-1991)
Physique théorique Physique de la matière condensée
Jean Laval (1950-1970) Pierre-Gilles de Gennes (1971-2004)
1971
Histoire de la civilisation de Anthropologie physique
l’Amérique du Nord Jacques Ruffié (1972-1992)
Marcel Giraud (1947-1971)
Neurophysiologie générale Neurophysiologie
Alfred Fessard (1949-1971) Yves Laporte (1972-1991)
Hébreu et araméen Hébreu et araméen
André Dupont-Sommer (1963-1971) André Caquot (1972-1994)
1972
Physique atomique et moléculaire Physique atomique et moléculaire
Francis Perrin (1946-1972) Claude Cohen-Tannoudji (1973-2004)
Biochimie générale et comparée Biochimie cellulaire
Jean Roche (1947-1972) François Gros (1973-1996)
Physique nucléaire Physique corpusculaire
Louis Leprince-Ringuet (1959-1972) Marcel Froissart (1973-2004)
1973
Grammaire comparée Langues et civilisation de l’Asie Mineure
Émile Benveniste (1937-1972) Emmanuel Laroche (1973-1985)
Mathématique et mécanique Analyse mathématique des systèmes
Szolem Mandelbrojt (1938-1972) et de leur contrôle
Jacques-Louis Lions (1973-1998)
Histoire de la civilisation moderne Histoire de la civilisation moderne
Fernand Braudel (1950-1972) Emmanuel Le Roy Ladurie (1973-1999)
Histoire des religions La Grèce et la formation de la pensée morale
Henri-Charles Puech (1952-1972) et politique
Jacqueline de Romilly (1973-1984)
Civilisation romaine Théorie des groupes
Jean Gagé (1955-1972) Jacques Tits (1973-2000)
Langues et littératures d’origine germanique Étude comparée des religions antiques
Robert Minder (1957-1973) Jean-Pierre Vernant (1975-1984)
Langues et littératures de la péninsule Histoire sociale et intellectuelle de la Chine
ibérique et de l’Amérique latine Jacques Gernet (1975-1992)
Israël Révah (1966-1973)
48
1985
1986
1987
1988
1989
1990
1991
Philosophie de la connaissance Langues et littératures romanes
Jules Vuillemin (1962-1990) Harald Weinrich (1992-1998)
Histoire des sociétés médiévales Histoire de l’Occident méditerranéen
Georges Duby (1970-1991) au Moyen Âge
Pierre Toubert (1992-2003)
Neurophysiologie Physiologie de la perception et de l’action
Yves Laporte (1972-1991) Alain Berthoz (1992)
Épistémologie comparative Histoire et anthropologie des sociétés
Gilles-Gaston Granger (1986-1990) méso- et sud-américaines
Nathan Wachtel (1992-2005)
Chaire européenne Wolf Lepenies (1991-1992)
1992
Génétique cellulaire Génétique moléculaire
François Jacob (1964-1991) Pierre Chambon (1993-2002)
Étude du Bouddhisme Histoire moderne et contemporaine
André Bareau (1971-1991) du monde russe
François-Xavier Coquin (1993-2001)
Histoire sociale et intellectuelle de la Chine Langues et religions indo-iraniennes
Jacques Gernet (1975-1992) Jean Kellens (1993)
Histoire de la pensée hellénistique Histoire économique et monétaire de
et romaine l’Orient hellénistique
Pierre Hadot (1982-1991) Georges Le Rider (1993-1998)
Chaire européenne Umberto Eco (1992-1993)
Création Chaire internationale
Bronislaw Geremek (1992-1993)
1993
Anthropologie physique Fondements et principes de la
Jacques Ruffié (1972-1992) reproduction humaine
Étienne Baulieu (1993-1998)
Études comparées de la fonction poétique Littératures de la France médiévale
Yves Bonnefoy (1981-1993) Michel Zink (1994)
Tradition et critique des textes grecs Les civilisations de l’Europe au néolithique
Jean Irigoin (1986-1992) et à l’âge du bronze
Jean Guilaine (1994-2007)
Chaire européenne Werner Hildenbrand (1993-1994)
Chaire internationale Zhang Guangda (1993-1994)
1994
Physiologie cellulaire Biologie moléculaire des plantes
François Morel (1967-1993) Joseph Schell (1994-1998)
Hébreu et araméen Antiquités sémitiques
André Caquot (1972-1994) Javier Teixidor (1995-2001)
52
1999
2000
2005
2006
2007
De cet historique des chaires, il ressort que le Collège de France a servi souvent,
selon l’esprit de son royal fondateur, à des enseignements nouveaux qui n’avaient
pas encore reçu ailleurs droit de cité. C’est ce qui a fait dire à Ernest Renan
qu’« à côté des établissements où se garde le dépôt des connaissances acquises, il
est donc nécessaire qu’il y ait des chaires indépendantes où s’enseignent, non les
branches de la Science qui sont faites, mais celles qui sont en voie de se faire »
(Questions contemporaines p. 144).
Le Collège de France recrute sans condition de grades universitaires ; et par là,
il lui est possible d’appeler à lui des savants qui ne sont pas des professeurs de
carrière mais qui se sont signalés par des découvertes, par des vues personnelles,
par des travaux originaux. Il suffit qu’on soit en droit d’attendre d’eux, dans le
domaine de leurs recherches propres, des résultats nouveaux.
D’autre part, il ne prépare à aucun examen et, par conséquent, ses enseignements
ne sont assujettis à d’autre programme que celui défini chaque année par le titulaire
de la chaire et approuvé par l’Assemblée des Professeurs. Nulle part, la recherche
scientifique ne jouit d’une indépendance aussi large. De plus en plus, cette liberté
est devenue sa loi, parce qu’elle est sa raison d’être ; et, de plus en plus, elle a
déterminé son organisation.
N’étant pas enfermé dans un cycle d’études invariables, le Collège de France n’a
pas, en principe, de chaires permanentes. Selon que les sciences diverses se modifient
et selon que se produisent des hommes aptes à les faire progresser, les enseignements
anciens peuvent disparaître ou se transformer, des enseignements nouveaux peuvent
être institués.
Le nombre des chaires de professeurs titulaires est actuellement de cinquante-
deux (décret du 22 juin 1934, loi de finances du 24 mai 1951, du 4 août 1956,
du 30 décembre 1957 et de 1964 ; à partir de 1969 intégration des trois chaires
municipales dans le budget de l’État). Chaque fois qu’un de ces traitements devient
disponible par retraite, démission ou décès d’un titulaire, l’Assemblée des professeurs
est appelée, de droit, à décider à quel enseignement il conviendrait d’affecter le
crédit qui se trouve ainsi sans emploi. Elle peut demander au Ministre le maintien
de l’enseignement dont le titulaire vient de disparaître ; elle peut, si elle juge
préférable, l’inviter à y substituer un enseignement différent. Dans un cas comme
dans l’autre, dès que sa proposition est acceptée, elle désigne deux candidats, l’un
en première ligne, l’autre en seconde ; et, comme il a été dit plus haut, elle n’est
liée, dans cette désignation, par aucune condition de grade. Elle transmet les
procès-verbaux de ses délibérations et ses votes au Ministre, qui communique les
documents à l’une des cinq Académies de l’Institut de France : celle-ci présente, à
son tour, et dans les mêmes formes, deux candidats. Il appartient au Ministre de
58
choisir, entre les candidats proposés, le futur professeur ; celui-ci est nommé par
un décret du Président de la République.
À partir de 1970 le principe de chaires de « professeur associé » a été admis, et
deux crédits de chaire ont été ouverts à cet effet au budget de l’État. Des savants
étrangers sont ainsi invités chaque année par l’Assemblée à venir au Collège donner,
pendant un ou deux mois, un enseignement relatif à leurs recherches.
En outre deux chaires permettant l’accueil de savants étrangers pour la durée
d’une année académique ont été créées :
— en 1989, une chaire dite européenne, destinée à une personnalité scientifique
originaire d’un pays membre de la Communauté économique européenne ;
— en 1991, une chaire dite internationale, destinée à une personnalité originaire
des pays de l’Europe de l’Est ou d’autres continents.
Puis, en 2004 est créée une chaire de création artistique, consacrée à toutes les
formes de création artistique, qui accueille chaque année un professeur différent.
Enfin, en 2007, est créée une nouvelle chaire annuelle, chaire d’Innovation
technologique-Liliane Bettencourt, en partenariat avec la fondation Bettencourt-
Schueller.
Dans la pratique, sans doute, la liberté de transformation, qui est un élément
constitutif de l’institution du Collège, ne saurait être absolue ; l’Assemblée des
Professeurs cherche à conserver une juste proportion entre chaires de Sciences
exactes et chaires de Lettres et Sciences humaines. En outre, il arrive qu’on juge
nécessaire de conserver une chaire, bien que de nombreuses chaires de même titre
existent dans les Universités, s’il y a lieu de faire place à un maître original.
Dans l’enseignement aussi prédomine le même principe de liberté. Chaque
professeur choisit, d’année en année, le sujet de son cours dans le domaine
scientifique qui lui est propre, et généralement dans l’ordre particulier de recherches
auxquelles il s’applique à ce moment. Il le soumet ensuite à l’approbation de
l’Assemblée des professeurs du Collège, comme il a été indiqué plus haut. Une
partie de l’enseignement peut être donné dans des institutions françaises en dehors
de Paris, en France ou dans d’autres pays ; cette possibilité a été étendue à l’ensemble
des établissements d’enseignement supérieur européens à partir de 1989,
extraeuropéens à partir de 1992.
Quelle qu’en soit la forme, les enseignements ont pour règle commune de viser
au développement de la science. La simple vulgarisation en est exclue. Les
professeurs s’accordent à prendre comme point de départ ce qui est connu et se
proposent toujours d’y ajouter quelques éléments nouveaux : faits d’expérience,
éclaircissements personnels, vues ou interprétations propres, analyses plus exactes
ou synthèses plus suggestives. Il est entendu, au reste, que cet enseignement même
n’est que l’une des formes extérieures de leur activité scientifique, laquelle se traduit
aussi bien, ou mieux, par des publications, par des missions, par les travaux divers
qu’ils font eux-mêmes ou qu’ils suscitent et dirigent.
59
C’est pourquoi, aux leçons proprement dites, viennent s’adjoindre les directions
données aux recherches individuelles qui se font dans les divers laboratoires. Bien
entendu, ces recherches comportent toujours, de la part de ceux qui les font auprès
des professeurs, un travail personnel et vraiment scientifique. Il ne s’agit en aucun
cas de préparation aux examens universitaires, exception faite pour les doctorats,
qui ne sont pas assujettis à des programmes. Elles sont surtout l’affaire de chercheurs
déjà engagés dans une voie déterminée, qui viennent demander les conseils de
savants connus, se familiariser avec leur méthode, profiter de leurs suggestions et
des ressources spéciales qu’ils ont pu réunir.
Les cours du Collège étant ouverts à tous, il n’y a ni immatriculation ni droits
à payer. L’accès des salles d’enseignement est entièrement libre, dans la limite des
places disponibles.
Le Collège de France ne fait pas partie des Universités de Paris. Il relève
directement de son protecteur, le Chef de l’État, et, par délégation, du ministre
ayant en charge l’Enseignement supérieur et la Recherche.
C’est à l’Assemblée des professeurs qu’appartiennent, sous réserve de l’approbation
ministérielle, toutes les décisions relatives aux intérêts généraux de l’établissement.
L’exécution de ces décisions et la direction des services sont confiées à un
Administrateur. Celui-ci doit être pris parmi les professeurs. Il est présenté par ses
collègues et nommé par trois ans par décret du Président à la République, sur la
proposition du Ministre. Il préside l’Assemblée, dont le bureau comprend, à côté
de lui, un vice-président, nommé selon les mêmes règles, et un secrétaire, choisis
l’un et l’autre parmi les professeurs.
Par une loi du 31 décembre 1932, l’établissement, qui déjà était investi de la
personnalité civile, a été également doté de l’autonomie financière. Un décret du
5 octobre 1990 portant organisation du Collège de France, modifie les textes
antérieurs (décrets de 1911 et 1935). Il stipule notamment que « le Collège de
France est administré par l’Assemblée du Collège de France. Il est dirigé par un
administrateur assisté de deux directeurs adjoints, l’un chargé des affaires culturelles
et des relations extérieures, l’autre chargé des affaires administratives et financières.
Il est doté d’un Conseil d’établissement ».
L’Assemblée du Collège de France comprend les 52 professeurs titulaires avec
voix délibérative ; les deux professeurs associés dans les chaires européenne,
internationale et de création artistique peuvent y siéger avec voix consultative. Elle
détermine la politique scientifique de l’établissement et joue également le rôle d’un
Conseil d’administration. L’avis du Conseil d’établissement — qui comprend,
outre l’Administrateur, neuf professeurs, quatorze représentants élus des personnels
et quatre personnalités extérieures — doit précéder la délibération de l’Assemblée
dans les matières énumérées par le décret.
Voici la liste des Administrateurs du Collège, depuis l’institution de ce titre :
Louis Lefèvre-Gineau (1800-1823), Isaac Silvestre de Sacy (1824-1838),
Louis Thénard (1838-1840), Jean-Antoine Letronne (1840-1848), Jules
60
V. DONATIONS
Les ressources mises à la disposition du Collège par divers donateurs lui
permettent, chaque année, de favoriser certains efforts de la pensée scientifique.
Don Singer-Polignac
Mme Jean Ébersolt a fait une donation en 1968 dont les arrérages doivent être
affectés au développement des études d’Histoire et civilisation de Byzance.
Donation Voronoff
Bourses et prix
Chargés de cours
Fondation Loubat
Par deux décrets en date du 16 avril 1902 et 28 juillet 1903, le Collège de France
a été autorisé à accepter la donation faite par le duc de Loubat, membre associé
de l’Institut de France, en vue de la fondation, dans l’établissement, d’un cours
complémentaire d’Antiquités américaines.
Ce cours a été confié à Léon Lejeal (1902-1907), puis au docteur Louis Capitan
(1908-1929). Depuis 1939, les revenus de cette fondation ont permis de demander
des conférences à des américanistes.
Voici la liste des conférenciers qui ont répondu à l’appel du Collège :
1939. Jacques Soustelle. 1945. Marcel Giraud.
1941. André Leroi-Gourhan. 1946. Henri Vallois.
1942. Raoul d’Harcourt 1943 1948. Guy Stresser-Péan.
Maurice Leenhardt. 1950. Claude Lévi-Strauss.
65
Fondation Michonis
Par décret du 10 mars 1903, M. G. Michonis a légué au Collège de France une
somme dont les revenus doivent servir à « faire faire, toutes les fois que ce sera
possible, par un savant ou un penseur étranger désigné par les professeurs ou
l’administrateur du Collège de France, et qui sera, autant que les circonstances le
permettront, au moins une fois sur trois un philosophe ou un historien de sciences
religieuses, une série de conférences ». L’exécution des volontés de M. Michonis
a commencé en 1905.
Voici la liste des conférenciers invités par le Collège :
1905. Édouard Naville. 1930. Georges D. Birkoff.
Franz Cumont. 1933. Magnus Olsen.
1906. Guglielmo Ferrero. 1934. Harl Jaberg.
1908. Charles Michel. Jacob Jud.
Xénopol. 1935. Stanislas Kot.
1910. Christophe Nyrop. 1936. Jacques Pirenne.
Édouard Montet. 1937. Albert Michotte.
1912. Lorentz. 1938. Giorgio Levi Della Vida.
Gomperz. 1940. Hrozny.
1914. Maxime Kowalewsky. 1942. Jean Piaget.
1915. Georges Doutrepont. 1943. Franz Cumont.
Delannoy. 1945. Alexandre Rosetti.
Albert Brachet. 1947. Georges Dossin.
1916. Charles de La Vallée-Poussin. Hans Selye.
1917. Joséphine Ioteyko. 1948. Charles Detolnay.
1918. Paul Frédéricq. 1951. Étienne Lamotte.
1919. Henri Pirenne-Anesaki. 1956. Gino Luzzatto.
1920. Michel Rostovtzeff. Walter E. Petrascheck.
Jorga. 1961. Théodor W. Adorno.
1922. Albert Einstein. 1965. V.I. Abaev.
1923. Raffaele Altamira. 1968. Théodor W. Adorno.
1924. Ettore Pais. 1973. Ludovico Geymonat.
1925. Holger Pedersen. 1984. Jean Rudhart.
1926. Nicolas Alexeieff. 1989. David Wiggins.
1927. Ernest Muret. 2002. Oleg Grabar.
1929. Wolfgang Koehler. 2007. Philippe Borgeaud.
66
Fondation Saintour
Par décret du 25 juillet 1889, l’administrateur du Collège de France a été autorisé
à accepter le legs fait au Collège de France par le Dr Saintour pour la fondation
d’un prix. Ce prix, périodiquement revalorisé, est décerné tous les deux ans par
l’Assemblée des professeurs, sur la présentation qui lui est faite, d’après un
roulement déterminé, par l’une des trois sections instituées à cet effet. Chaque
section regroupe les titulaires de chaire pour lesquels les différentes Académies
composant l’Institut ont concurremment avec le Collège le droit de présentation.
Les trois sections comprennent ensemble la totalité des professeurs.
Ce prix a été attribué depuis sa fondation (1893) à M. Matignon, M. Chassinoit,
M. Abel Lefranc, M. Philippe Glangeaud, M. Laurent, M. Chauvin,
M. Hallion, M. Lenestour, M. Lacôte, M. Ernest Charles, M. Léon Lecornu,
M. Homo, M. Jules Chauvin, M. Paul Langevin, M. Gaston Colin, M. Gaston
Cohen, M. Pierre Leroux, M. Georges Mayer, M. Alexandre Dufour, M. Alfred
Ernout, M. Louis Bodin, M. Paul Mazon, M. René Henry, M. Julien Barat,
Mlle Chevroton, Mlle Loyez, M. Delaruelle, M. Valois, M. Chabot,
M. Édouard Salles, M. Copaux, M. Claude Blanchel, M. Jules Bloch,
M. Boudréaux, M. Gaffiot, M. Virolleaud, M. Brillaut, M. Henri Clouzot,
M. Georges Lecarpentier, M. Achille Millien, M. Champy, M. Leroux, M. Lévy,
M. et Mme Marouseau, M. Lejeune, M. Terroine, M. Roux, Mme Boudréaux,
M. Ouveriaux, M. Foulet, Mlle Blanchard Demonge, M. Boulard, M. Bernard
Leroy, M. André Pézard, M. Randouin, Mlle Ioteyko, M. Prosper Alfaric,
M. Doutrepont, Mlle Maitret, M. Delapparent, M. Alfred Quinquaud,
M. Meyerson, M. Henri Heine, M. Taha Hussein, M. André Vaillant,
M. Marty, l’abbé Busson, M. Sartre, M. Fréjacques, M. Émile Benveniste,
M. Sommerfelt, M. Caridroit, M. Misconi, M. baudot, M. Albert Houstin,
Mlle Marie Cochet, M. Millon, Mlle Marchal, Mlle bezard, M. Contineau,
M. Umbegaun, M. P. Noailhon, M. Boris Ephrussi, M. Casteras, M. Salovine,
M. Samara, M. Martini, M. Paul Émard, Mlle Alice Hulubet, M. Robert
Courrier, M. Jean Filliozat, M. Pierre Pascal, M. Marc Cohn, M. Maurice
Leenhardt, M. Étienne Wolff, Mme d’Also, M. Chapire, M. Rolland,
M. Biquard, M. Jean Fourquet, M. André Chevalier, M. Albert Dauzat,
M. René Clozier, M. Jules Driessens, M. René Pintard, M. Klein, M. René
Vallois, M. Charles Morazé, M. A. Jost, M. Marcel Simon, M. Lemagnen,
M. Paul-Henri Michel, M. André Adam, Mme Skreb-Guilcher, Rév. Père
Estugière, M. Yves Lecorre, M. Adigard des Gautries, M. Pierre Rancastel,
M. Armand Hampé, M. Jacques Fontaine, M. Roger Guillemin, M. Louis-
Charles Damais, M. Jean Pouilloux, M. Guy Lasserre, M. Paul Kessler, M. Paul
Garelli, Mme Martha Spitzer, M. Henri Rolland, M. Paul Pelissier, M. André
Landesman, M. Jean Riché, M. W. Streiff, M. Valentin Nikiprowetzky,
M. Richard Gascon, M. Gilles Granger, M. Hans Glattli, Mlle Odette Taffanel,
M. Michel Gaudin, M. Hervé Savon, M. Victor Goldschmidt, M. Neil Sullivan,
M. Venceslas Kruta, M. M. Flato, M. R. Turcan, M. Daniel Estève, M. Jean-
67
Ainsi, la Station de Biologie Marine de Concarneau a offert sur près de 140 ans,
l’exemple d’une recherche parfois marginale au regard des activités pratiquées dans
les autres laboratoires marins : endocrinologie comparée, écobiochimie, biologie
des espèces des grands fonds sous leurs aspects fondamentaux mais aussi pratiques :
biotechnologies, enzymes, biomatériaux, gestion de l’espace marin.
Depuis 1996, la station est devenue Station de Biologie Marine du Muséum
National d’Histoire Naturelle et du Collège de France, la gestion scientifique et
administrative étant assurée dans le cadre du Muséum National d’Histoire
Naturelle.
Un programme de réhabilitation des viviers, partie historique du laboratoire,
d’extension du Marinarium, exposition ouverte au public et de modernisation des
locaux scientifiques et de l’accueil des chercheurs et stagiaires a été élaboré. Ce
projet bénéficie du concours du Collège de France, du Muséum, de fonds euro-
péens et de l’aide des collectivités locales.
2007
20 juillet .............. Décret du Président de la République (publié au Journal
officiel du 22 juillet 2007) nommant M. Manfred Kropp
professeur associé à temps plein au Collège de France sur la
Chaire européenne 2007-2008.
23 juillet .............. Décret du Président de la République (publié au Journal
officiel du 25 juillet 2007) nommant Mme Ariane Mnouchkine
professeure associée à temps plein au Collège de France sur la
chaire de Création artistique 2007-2008.
30 juillet .............. Décret du Président de la République (publié au Journal
officiel du 1er août 2007) nommant M. Pierre Magistretti
professeur associé à temps plein au Collège de France, sur la
Chaire internationale 2007-2008, et M. Gérard Berry
professeur associé à temps plein au Collège de France sur la
chaire d’Innovation technologique-Liliane Bettencourt 2007-
2008
4 août .................. Publication au Journal officiel de l’avis de création des chaires
de Chimie des processus biologiques et d’Histoire intellectuelle
de la Chine.
13 septembre........ Par arrêté ministériel, MM. Michael Edwards et Michel
Tardieu sont admis à faire valoir leurs droits à la retraite à
compter du 1er septembre 2008.
19 novembre ........ Décret du Président de la République (publié au Journal
officiel du 21 novembre 2007) nommant M. Michel Brunet
professeur au Collège de France sur la chaire de Paléontologie
humaine, et M. Thomas Römer professeur au Collège de
France sur la chaire de Milieux bibliques.
23 novembre ........ Décret du Président de la République (publié au Journal
officiel du 28 novembre 2007) nommant M. Philippe
Sansonetti professeur au Collège de France sur la chaire de
Microbiologie et maladies infectieuses.
25 novembre ........ Délibération de l’Assemblée des Professeurs demandant la
création d’une chaire de Physique de la matière condensée (en
remplacement de la chaire de Civilisations de l’Europe au
Néolithique et à l’âge de bronze).
70 CHRONIQUE DE L’ANNÉE ACADÉMIQUE 20072008
2008
19 février.............. Publication au Journal officiel de l’avis de création de la chaire
de Physique de la matière condensée.
7 avril................... Publication au Journal officiel du décret de création de la
Fondation du Collège de France, reconnue d’utilité publique.
2 mai ................... Décret du Président de la République (publié au Journal
officiel du 4 mai 2008) nommant Mme Anne Cheng
professeure au Collège de France sur la chaire d’Histoire
intellectuelle de la Chine et M. Marc Fontecave professeur
au Collège de France sur la chaire de Chimie des processus
biologiques.
19 mai ................. Décret du Président de la République (publié au Journal
officiel du 21 mai 2008) nommant Mme Esther Duflo
professeure associée à temps plein au Collège de France sur la
chaire internationale – Savoirs contre pauvreté 2008-2009.
11 juin ................. Par arrêté ministériel, Mme Anne Fagot-Largeault est admise
à faire valoir ses droits à la retraite à compter du 1er septembre
2009.
5 juillet ................ Décret du Président de la République (publié au Journal
officiel du 9 juillet 2008) nommant M. Henri Léridon
professeur associé à temps plein au Collège de France sur la
chaire européenne – développement durable 2008-2009 et
M. Mathias Fink professeur associé à temps plein au Collège
de France sur la chaire d’innovation technologique – Liliane
Bettencourt 2008-2009.
27 août ................ Décret du Président de la République (publié au Journal
officiel du 29 août 2008) nommant M. Pierre-Laurent Aimard
professeur associé à temps plein au Collège de France sur la
chaire de Création artistique 2008-2009.
NÉCROLOGIE
François MOREL
(1923-2007)
Le 9 mai 2007, François Morel nous quittait à l’âge de 84 ans, après toute une
vie consacrée à la recherche sur la physiologie rénale qu’il a réalisée en grande partie
au Collège de France où il a été titulaire de la chaire de Physiologie cellulaire de
1967 à 1993. François Morel était né à Genève en 1923. Son père était titulaire
de la chaire de Psychiatrie dans cette ville, ce qui l’a sans doute incité à entreprendre
des études de médecine. En fait, il n’a jamais exercé la médecine car, très vite, il a
été attiré par la démarche expérimentale. En 1944, quatre ans avant de passer son
diplôme de Médecine, il est licencié ès sciences et, par le fait de rencontres fortuites,
il découvre le laboratoire de Robert Courrier, titulaire de la chaire d’Endocrinologie
et de morphologie expérimentale (1938-1966) au Collège de France, à qui il
succédera en 1967.
I. SCIENCES MATHÉMATIQUES,
PHYSIQUES ET NATURELLES
Analyse et géométrie
1. Introduction
J’ai donné cette année dans mon cours la solution d’un problème que j’avais
formulé il y a quelques années et qui donne une caractérisation spectrale des
variétés Riemanniennes.
∫
Le symbole – représente la trace de Dixmier.
78 ALAIN CONNES
Définition 2.2. Un triplet spectral est fortement régulier si tous les endomorphismes
du A-module H∞ appartiennent au domaine de δm, pour tout entier m.
3. Topologie de A
On utilise l’égalité :
m
m m−k
D Tξ = ∑ ξ, ∀ξ ∈ Dom|D|m
m
(3.1) δ k (T ) D
k =0
k
On montre alors que A est une algèbre de Fréchet avec les semi-normes sous-
multiplicatives
(3.2) p k ( xy ) ≤ p k ( x ) p k ( y ), ∀x, y ∈ A
associées à la condition de régularité,
x
δ(x ) " δ k (x ) / k !
0 x " "
(3.3) pk(x) =
ρk(x)
, ρk(x)=
" " x δ(x )
0 " 0 x
où ρk est une représentation de A.
Le Lemme 3.1 donne des estimés de Sobolev. Soient ημ des générateurs du
A-module H∞, on définit les normes de Sobolev sur A par
On a
Proposition 3.2.
(1) Munie des normes (3.4), A est un espace de Fréchet nucléaire séparable.
(2) On a des estimés de Sobolev de la forme
(3.5) p k ( a ) ≤ c k & a &ssobolev , p k ([ D, a ]) ≤ c ′k & a &ssobolev
′ , ∀a ∈ A
k k
5. Dérivations dissipatives
. Dérivations auto-adjointes
forme (4.2) i.e. δ0(a) = i(ξ|[D, a]ξ), ∀a ∈ A, est le générateur d’un groupe à un
paramètre d’automorphismes σt ∈ Aut(A) tels que
— ∂t σt(a) = δ0(σt(a).
— L’application (t, a) ∈ ⺢ × A σt(a) ∈ A est continue.
On peut alors montrer directement la continuité absolue des mesures σ t∗ (λ) par
rapport à λ. Nous dirons qu’une mesure μ est fortement équivalente à υ si et
seulement si il existe c > 0 tel que cυ ≤ μ ≤ c–1υ.
Proposition 6.4. Soit (A, H, D), δ0 et σt comme dans le Théorème 6.3. Alors
pour tout t ∈ ⺢ la mesureλ de
(6.3) ad λ = – a|D|–p, ∀a ∈ C(X ).
est fortement équivalente à ses transformées par σt .
. Multiplicité spectrale
Lemme 7.1. Pour tout ouvert V ⊂ X les mesures suivantes sont fortement
équivalentes :
— la restriction λ|V à V de la mesure λ de (6.3) ;
— la restriction à V de la mesure spectrale associée à un vecteur ξ ∈ H∞ pour lequel
(ξ, ξ) est strictement positif sur V .
On a de plus
Théorème 8.1. Il existe une constante finie κp telle que pour tous aj ∈ A et tout
compact K ⊂ X on ait, avec J = L (p, 1), l’inégalité
où :
λ(K ) = inf –b|D|–p.
b∈A + , b1 K =1 K
(8.3) V ( x) ≤ C ,
mac ∀x ∈ W = sα(V )
. Théorème de Reconstruction
Il en résulte alors
En utilisant ce lemme, l’on montre que l’on peut doter le spectre X de A d’une
unique structure de variété compacte lisse telle que A = C ∞(X ).
ANALYSE ET GÉOMÉTRIE 85
Conférences
Publications
avons découvert un critère alternatif, d’emploi plus simple, basé sur la notion de
multicône. Nous appelons multicône une partie ouverte de P1 = P1(R), non vide
et distincte de P1, qui a un nombre fini de composantes connexes. Le critère est
plus simple à énoncer lorsque ∑ est un décalage complet. Dans ce cas, le cocycle
associé à ( Aα )α ∈A est uniformément hyperbolique si et seulement s’il existe un
multicône M tel que Aα M est contenu dans M pour tout α ∈A .
Dans le cas général d’un décalage de type fini, la condition est qu’il existe des
multicônes M α ,α ∈A tels que Aβ Mα ⊂ Mβ pour chaque transition admissible
α → β.
Pour voir que ces conditions impliquent l’uniforme hyperbolicité, on fait appel
à un autre critère d’uniforme hyperbolicité (valable pour les cocycles à valeurs dans
SL (2, R) sur une base compacte) : il faut et il suffit que la norme des produits
An(x) croisse de façon uniformément exponentielle. Cette croissance est obtenue
en munissant les multicônes de leur métrique de Hilbert.
Supposons inversementque le cocycle défini par ( Aα )α ∈A soit uniformément
hyperbolique. Pour x ∈ , notons e s (x), e u (x) les directions stables et instables
(considérées comme des points de P1).
Lorsque ∑ est un décalage complet, posons K s = e s (∑), K u = e u (∑). Appelons
noyau instable (resp. stable) la partie U (resp. S) de P1 dont le complémentaire
est l’union des composantes connexes de P1 – Ku qui rencontrent K s (resp. des
composantes connexes de P1 – K s qui rencontrent K u). Alors S et U sont des
parties compactes non vides et disjointes de P1 qui n’ont qu’un nombre fini de
composantes connexes. De plus, les composantes connexes de U et S sont alternées
pour l’ordre cyclique de P1 et on a Aα U ⊂ U , Aα−1 S ⊂ S pour tout α ∈A. Le
multicône M est alors un épaississement approprié de U (ne rencontrant pas S).
Lorsque ∑ est un décalage de type fini général, on doit définir, pour chaque
α ∈A
K αs = e s ({ x ∈ , x 0 = α }),
K αu = e u ({ x ∈ , x −1 = α }).
Le noyau instable (resp. stable) U α (resp. Sα ) est alors le complémentaire de
l’union des composantes connexes de P 1 − K αu qui rencontrent Aα K αs (resp. des
composantes connexes de P 1 − K αs qui rencontrent Aα−1K αu ). Les parties U α , Sα
sont compactes non vides et n’ont qu’un nombre fini de composantes connexes. Les
parties U α et Aα Sα sont disjointes et leurs composantes connexes sont alternées.
On a Aβ U α ⊂ U β , Aα−1Sβ ⊂ Sα pour chaque transition admissible α → β . Le
multicône Mα est un épaississement approprié de U α .
On notera que les cônes stables et instables dépendent continûment des
paramètres. En particulier, le nombre de composantes connexes, et la façon dont
elles sont envoyées les unes dans les autres par les Aα, restent les mêmes dans une
composante connexe du lieu d’hyperbolicité H.
ÉQUATIONS DIFFÉRENTIELLES ET SYSTÈMES DYNAMIQUES 89
Théorème – On a ∂E = ∂H = (H ∪ E )c .
Indiquons quel est le lemme principal dans la démonstration des théorèmes
précédents. On dit qu’une paire (A, B) est tordue si A et B ne sont pas elliptiques
et (A, B) n’appartient pas à H0 .
Lemme – Si (A, B) est tordue, alors une et une seule des quatre propriétés suivantes
est satisfaite :
i) AB est elliptique ;
ii) ( A, B ) ∈ Hid ;
iii) (A, AB) est tordue ;
iv) (BA, B) est tordue.
Ceci étant, on veut montrer que (SL(2, R))2 est l’union disjointe de H0, E et
des HF , F ∈M. On prend donc une paire (A, B) qui n’appartient pas à H0 ∪ E
et on applique le lemme. Le cas i) est impossible par hypothèse. Si on se trouve
dans les cas iii) ou iv) on applique à nouveau le lemme à la paire obtenue. Il s’agit
de voir qu’on ne peut indéfiniment éviter le cas ii), ce qui résulte de l’étude de la
dynamique sur les triplets (tr A, tr B, tr AB) au cours de ce processus.
5. On dispose d’une description explicite des multicônes correspondant aux
composantes non principales de H pour le décalage complet sur 2 symboles.
Notons M* le monoïde opposé de M ; pour F ∈M*, posons j ( F ) = p q , où
q désigne la longueur du mot F(AB) et p le nombre d’occurences de B dans ce
mot. L’application j est une bijection de M* sur Q ∩ (0,1).
Fixons p q ∈Q ∩ (0,1). Posons IA = [0, 1 − p/q), IB = [1 − p q , 1), et notons
θ : [0,1] → { A,B} l’application qui vaut A sur IA et B sur IB.
Notons Rp/q l’application x 哫 x + p q mod 1. Pour x ∈[0,1), posons
Θ( x ) = (θ ( R ip q x )) 0≤i < q . L’image Θ([0,1)) = : O( p q ) est un ensemble de q mots de
longueur q qui se déduisent les uns des autres par permutation cyclique.
Soit [ p 0 q 0 , p1 q1 ] l’intervalle de Farey dont p q est le centre. On munit
l’union disjointe O := O( p q ) O( p 0 q 0 ) O( p1 q1 ) de l’ordre cyclique
suivant (où Θ0, Θ1 sont définis à partir de p 0 q 0 , p1 q1 comme l’a été Θ à partir
de p q ) : on commence par Θ0(0), Θ(0), Θ1(0) puis on rencontre alternativement,
par ordre lexicographique croissant, les mots Θ( R ip q (0)) et Θ 1( R ip1 q1 (0)),
1
0 < i < q1, puis le mot Θ( R qp1 q (0)) = Θ(1 − ), et enfin alternativement, par ordre
q
−j −j
lexicographique décroissant, les mots Θ 0 ( R p0 q 0 (0)) et Θ( R p q (0)), 0 < j < q 0 .
Si (A, B) appartient à une composante connexe de H associée à p q , les cônes
stable et instable ont chacun q composantes connexes, et les 2q composantes
connexes du complémentaire de S U sont naturellement paramétrées par O :
pour C ∈O, il existe une composante de (S U )c dont les extrémités sont sC et uC.
ÉQUATIONS DIFFÉRENTIELLES ET SYSTÈMES DYNAMIQUES 91
Conférences, Missions
Publications
1. Introduction
Le cours, suite de celui de l’an dernier, a porté sur une théorie nouvelle élaborée
en collaboration avec M. Jean-Michel Lasry, appelée théorie des « jeux à champ
moyen ». L’objectif de cette théorie est d’introduire rigoureusement, d’analyser et
d’appliquer dans différents contextes une nouvelle classe de modèles mathématiques
permettant d’étudier des situations faisant intervenir un très grand nombre de
joueurs rationnels (au sens de l’Économie, c’est-à-dire optimisant leur
comportement), chaque joueur interagissant avec les autres en « moyenne ». Ce
type de situations est fréquent en Économie et en Finance où chaque agent (joueur)
optimise ses actions en tenant compte d’informations globales c’est-à-dire
moyennées sur l’ensemble des joueurs. D’autres domaines d’applications concernent
les transports et l’étude du trafic ou la Biologie et l’Écologie.
1. Propagation of chaos for the Boltzmann Equation, Arch. Rat. Mech. Anal., 42 (1971),
p. 323-345.
2. On the large N limit of the Itzykson-Zuber integral, preprint.
ÉQUATIONS AUX DÉRIVÉES PARTIELLES ET APPLICATIONS 97
Alors, on peut extraire une sous-suite (encore notée uN pour simplifier) telle qu’il
existe U ∈ C (P ) vérifiant
ii) Un exemple important de fonctions U dans C (P ) est fourni par les polynômes
i.e. les combinaisons linéaires finies de monômes définis par, étant donnés k 1
(ordre) et ϕ ∈ C (Qk) ou pour simplifier C ∞ (Qk) symétrique (coefficient),
k
(3) M k (m ) = ϕ dm( x i ) .
QK i =1
3. Calcul différentiel
Le but est de définir sur P un calcul différentiel compatible avec la limite
considérée au paragraphe précédent, ce qui n’est pas le cas du calcul différentiel
élaboré (ou esquissé) dans l’espace (dit) de Wasserstein par de nombreux auteurs.
La présentation la plus simple de notre calcul différentiel consiste en se servir d’une
part de la structure Hilbertienne de L2 (Ω) et du calcul différentiel induit et d’autre
part de la troisième remarque faite après le théorème 1.
ÉQUATIONS AUX DÉRIVÉES PARTIELLES ET APPLICATIONS 99
d
(7) |U (m1 ) − U (m0 ) −U (m1 ) | d 2 (m0 , m1 )ω (d 2 (m0 , m1 )) ,
dt
où mt est défini par ∫Q ϕ dmt = ∫Q2 ϕ ((1 – t) x + ty) dM (x, y), ∀ϕ C (Q).
Enfin, U est différentiable en m0 si et seulement si on peut trouver U , U ∈C 1( P )
telles que : U U U sur P et U (m0 ) = U (m0 ).
Le deuxième point, à savoir la cohérence avec la limite étudiée précédemment,
peut s’illustrer par l’exemple suivant des résultats que nous avons obtenus. En
notant πN U la fonction symétrique définie sur QN par π N U ( X ) = U (m XN ), on
démontre que U ∈ C1 (P) si et seulement si πN U ∈ C 1 (QN ) et il existe un module
de continuité uniforme ω indépendant de N tel que, pour tous X, Y ∈ QN,
(8) |(πN U ) (Y ) – (πN U ) (X ) – (∇(πN U ) (X ), Y – X )| d2 (X, Y ) ω (d2 (X, Y )).
Remarque : Bien sûr, les résultats mentionnés ci-dessus ne sont que des
échantillons (à peine) représentatifs du calcul différentiel mis en place et présenté
dans le cours. Signalons qu’il est possible d’obtenir de nombreuses autres
100 PIERRELOUIS LIONS
i =1 i , j =1
avec la condition initiale (10). Là encore, on démontre que u N N U ∈ C ( P ×[0, ∞[ )
où U est l’unique solution (de viscosité par exemple) d’une équation de diffusion
sur P que l’on peut écrire formellement comme
d
∂U α2 β2 ∂m ∂m
2 ∑
(14) + (∇U , Δm ) − D 2U ( , ) = 0 et U |t =0 = U 0
∂t 2 i =1
∂x i ∂x i
Il est bien sûr possible et utile d’aller au-delà de ces deux exemples, ce que nous
ferons dans le cours de l’année 2008-2009.
ÉQUATIONS AUX DÉRIVÉES PARTIELLES ET APPLICATIONS 101
Cours et Séminaire
— 30 mai 2008 : François Golse (École Polytechnique). Le gaz de Lorentz périodique dans
la limite de Boltzmann-Grad.
— 6 juin 2008 : Massimiliano Gubinelli (Université de Paris-Sud). Sur l’équation du
transport stochastique et les EDS avec dérive irrégulière.
— 13 juin 2008 : Ivan Gentil (Ceremade, Université Paris-Dauphine). Convergence
entropique et inégalités fonctionnelles.
— 20 juin 2008 : Graeme Milton (University of Utah). Variational principles for
elastodynamics and Maxwell’s equations in inhomogeneous bodies.
Publications
Le thème du cours de cette année était le lien entre les valeurs spéciales des
fonctions L motiviques (et de leurs dérivées) d’un côté et les invariants algébro-
géométriques des objets auxquels ces fonctions sont liées de l’autre. Les invariants
en question, du type « régulateur généralisé », se calculent à l’aide de fonctions
spéciales telles que les fonctions logarithme ou polylogarithme dans les situations
les plus simples et des fonctions de Green dans des situations plus générales.
Travaux d’Euler
L’année 2007 ayant été le 300e anniversaire de la naissance d’Euler, le cours a
commencé par un aperçu historique des travaux d’Euler sur les fonctions zêta.
Cette partie ne sera pas reproduite ici, sauf pour rappeler qu’Euler, dans ses travaux
datés de 1734 et 1749, a trouvé :
• la définition de la fonction zêta dite « de Riemann » comme somme infinie,
∞
1
ζ( s ) = ∑ ns ;
n=1
• la décomposition multiplicative de cette fonction comme produit portant sur
les nombres premiers,
1
ζ( s ) = ∏
−s ;
p premier 1 − p
• les formules
π2 π4 π6
ζ(2 ) = , ζ( 4 ) = , ζ(6 ) = , …
6 90 945
106 DON ZAGIER
et plus généralement
B
ζ(k ) = − k (2i π ) k (k > 0 pair, Bk = k-ième nombre de Bernoulli) (1)
2k
pour les valeurs de ζ (s) pour s un entier pair strictement positif ;
• l’extension de ζ (s) à des valeurs de s inférieures à 1 ;
• les formules
1 1 1
ζ(0) = − , ζ(−1) = − , ζ(−2 ) = 0, ζ(−3) = , ζ(−4 ) = 0, …
2 12 120
et plus généralement
B
ζ(1 − k ) = (−1) k −1 k (k > 0, Bk = k-ième nombre de Bernoulli) (2)
k
pour les valeurs de ζ (s) pour s un entier négatif ;
• l’équation fonctionnelle (sans démonstration)
πs Γ( s )
ζ(1 − s ) = 2 cos( ) ζ( s )
2 (2 π ) s
de la fonction ζ (s) pour s réel, avec des arguments théoriques et des vérifications
numériques à haute précision pour appuyer cette conjecture ;
• la définition de la série L « de Dirichlet »
∞
χ(n ) 1 1
L( s , χ ) = ∑ = 1− + −…
n=1 ns 3s 5s
pour le caractère χ (n) = (– 4/n) et les généralisations de toutes les propriétés ci-
dessus (produit d’Euler, prolongement à s < 1, valeurs spéciales pour s = 1, 3, 5, 7, ...
et pour s ∈ ⺪≤ 0, énoncé de l’équation fonctionnelle) pour cette fonction.
En d’autres mots, Euler a trouvé toutes les propriétés essentielles de la fonction
zêta connues actuellement sauf la preuve de l’équation fonctionnelle et l’énoncé de
l’hypothèse de Riemann, donnés tous les deux par Riemann dans son mémoire
célèbre de 1859.
(défini soit par le nombre de fonctions gamma intervenant dans le facteur gamma
de l’équation fonctionnelle, soit par le degré des facteurs d’Euler typiques de la
fonction L) est égal au degré de la représentation ρ.
Tous ces exemples sont liés aux corps de nombres ou aux « motifs de dimension 0 »
et ont k = 1 (c’est-à-dire que l’équation fonctionnelle relie les valeurs s et 1 – s de
l’argument de la fonction zêta, que les racines des polynômes Pp (t) ont toutes la
valeur absolue 1, et que l’hypothèse de Riemann généralisée prédit ℜ( s ) = 12 pour
les racines de la fonction zêta dont il s’agit). Ça ne sera plus le cas dans les exemples
venant de la géométrie. En voici quelques-uns.
5. Fonction L d’une
courbe elliptique, L (E, s). Pour une courbe elliptique E/⺡ on
définit L (E, s) = Pp ( p–s)–1, où Pp (t) = 1 – a ( p)t + pt2 avec a ( p) = p + 1 – |E (⺖p)|
pour presque tout p. On n’a aucune définition directe de ces fonctions comme séries
de Dirichlet (et c’est l’une des raisons principales pour la difficulté de démontrer
leurs propriétés essentielles telles que le prolongement analytique ou l’équation
fonctionnelle). L’hypothèse de Riemann locale, avec k = d = 2, est l’inégalité connue,
mais non-triviale, | a( p ) | ≤ 2 p . Le prolongement analytique de L (E, s) et
l’équation fonctionnelle, avec k = 2, d = 2, α1 = 0 et α2 = 1, sont également connus,
mais extrêmement difficiles (théorème de Wiles et al.).
6. Fonction L d’une courbe, L (C, s). La définition de la fonction L dans ce cas
est analogue au cas des courbes elliptiques, sauf que les polynômes Pp (t) pour p
générique ont le degré d = 2g, où g est le genre de la courbe C définie sur ⺡.
L’hypothèse de Riemann locale est connue encore dans ce cas, mais le prolongement
analytique et l’équation fonctionnelle restent conjecturales sauf pour certains cas
particuliers comme les courbes modulaires.
7. Fonctions L associées à la cohomologie d’une variété. Dans cet exemple, qui
généralise les deux précédents, on associe au groupe i-ième de cohomologie d’une
variété X définie sur ⺡ une fonction L donnée par un produit eulerien dans lequel
Pp (t) est un polynôme de degré d = dim H i (X ) (i-ième nombre de Betti) et qui
satisfait à l’hypothèse de Riemann locale avec k = i + 1 (conjecture de Weil,
démontrée par Deligne). Bien sûr, on n’a aucune démonstration du prolongement
analytique ou de l’équation fonctionnelle en général.
Enfin, il y a les fonctions L attachées aux formes automorphes (mais qui seront,
d’après le programme de Langlands, identiques avec les fonctions du type 7. dans
beaucoup de cas). On en mentionne deux.
∞
8. Fonction L de Hecke d’une forme modulaire, L ( f , s). Si f ( z ) = ∑ a(n )e 2i πnz
n=0
est une forme modulaire sur Γ0 (N ), propre pour les opérateurs
de Hecke et
normalisée par a(1) = 1, alors la série de Dirichlet L (f, s) = n >0 a (n)n–s a un
produit d’Euler Pp (p–s)–1 avec Pp (t) = 1 – a (p)t + pk–1t 2 pour p N et possède
un prolongement analytique (entière si f est parabolique, et avec un seul pôle en
s = k sinon) et équation fonctionnelle du type (3) avec d = 2, α1 = 0, α2 = 1. Les
THÉORIE DES NOMBRES 109
Valeurs spéciales
Les valeurs spéciales (1) et (2) de ζ (s) données par Euler ont une vaste généralisation
conjecturale due à Deligne. Supposons donnée une fonction L motivique, avec
équation fonctionnelle donnée par (3) et (4). On appelle critique une valeur entière
s0 de l’argument s telle que ni s0 ni k – s0 sont des pôles du facteur gamma γ (s). Alors
la valeur de L (s0), sera conjecturalement un multiple algébrique d’une certaine
−
période (= intégrale d’une forme différentielle définie sur sur un cycle fermé).
Plus généralement, d’après des conjectures dues à Bloch, Beilinson et Scholl, si s0 est
un entier quelconque et on note par r l’ordre de L ( s ) en s = s0 (ou s = k – s0), alors la
valeur de la dérivée r-ième de L ( s ) en s = s0 (ou s = k – s0) sera le produit d’une
période et d’un « régulateur » défini comme le déterminant d’une certaine matrice
réelle de taille r × r. Ces conjectures contiennent comme cas spéciaux des conjectures
classiques célèbres telle que la conjecture de Stark, où L (s) est du type 4. ci-dessus,
s0 = 0, et les éléments de la matrice qui définit le régulateur sont des logarithmes
d’unités algébriques, ou la conjecture de Birch et Swinnerton-Dyer, dans laquelle
L (s) est la fonction L d’une courbe elliptique E sur ⺡, s0 = 1, r est conjecturalement
égal au rang du groupe de Mordell-Weil de E, et les éléments de la matrice qui
définit le régulateur sont donnés par les hauteurs des points rationnels sur E. Une
autre généralisation de la conjecture de Deligne est l’énoncé que si l’argument central
s0 = k/2 est critique, alors la valeur de la série L en s0, divisée par une période
correctement normalisée, sera un carré dans son corps de définition naturel. C’est le
cas, par exemple, dans la conjecture de Birch et Swinnerton-Dyer (où la valeur
centrale normalisée est égale à l’ordre du groupe de Shafarevich-Tate, qui est toujours
un carré) et pour les valeurs centrales des séries L associées aux caractères de Hecke,
qui, correctement normalisées, sont toujours des carrés (théorème de Villegas et
l’auteur ; voir le résumé de cours de 2001-2002).
De nombreux exemples spéciaux de ces conjectures ont été discutés dans le
cours. Nous en reprenons quelques-uns ici.
110 DON ZAGIER
fonction dilogarithme modifiée qui intervient dans le calcul des valeurs des
fonctions zêta de Dedekind en s = 2.) Une description précise des combinaisons
linéaires permises a été donnée il y a quelques années par l’auteur (avec des
corrections dues à Schappacher et Rolshausen dans certains cas) et présentée dans
le cours. Si on remplace E par une courbe C/⺡ de genre g > 1, les conjectures
générales impliquent toujours une expression pour L (C, 2) en termes d’un certain
régulateur dont les coefficients sont des intégrales sur la courbe, mais ne sont plus
donnés en termes d’une fonction explicite comme le dilogarithme elliptique. Le
groupe sur lequel ces intégrales doivent être évaluées est le K-groupe algébrique
K2 (C/⺪). Ce cas, qui a été étudié et vérifié numériquement dans beaucoup de cas
(tous hyperelliptiques, de genre allant jusqu’à 6) dans un article récent de R. de
Jeu, T. Dokchitser et l’auteur, a été discuté en détail. Le problème de construire
des éléments non-triviaux du K-groupe K2 (C ) dans ces cas mène à des problèmes
élémentaires en théorie des nombres où il s’agit de trouver des polynômes f définis
sur ⺡ pour lesquels f (x)2 – f (0)2 se factorise en autant de facteurs rationnels que
possible, un exemple typique étant la décomposition (x6 + 2x5 – 787x4 – 188x3
+ 150012x 2 – 149040x – 3326400) 2 – 3326400 2 = (x – 22) (x – 20) (x – 18)
(x – 12) (x – 10) (x – 1)x (x + 7) (x + 15) (x + 18) (x + 23) (x + 24).
Dans des travaux joints avec B. Gross il y a un certain nombre d’années, un lien
a été établi entre les dérivées centrales L′ (f, k/2) des séries L des formes modulaires
(propres pour les opérateurs de Hecke) de poids pair k et des valeurs de certaines
fonctions de Green modulaires associées aux quotients du demi-plan de Poincaré
par un groupe fuchsien, avec la métrique hyperbolique. Ces résultats dans le cas
k = 2 avaient des conséquences pour la conjecture de Birch et Swinnerton-Dyer,
mais aussi (dans le même cas) pour l’étude arithmétique des valeurs de la fonction
modulaire j (z) dans des points z à multiplication complexe. Pour k > 2, ils ont
mené à une conjecture d’après laquelle les valeurs de ces fonctions de Green dans
les arguments à multiplication complexe seraient dans certains cas les logarithmes
de nombres algébriques. Un nombre de résultats obtenus par l’auteur dans l’entre-
temps, et des résultats très récents de A. Mellit qui démontrent l’algébricité prédite
dans certains cas (notamment quand k = 4, le groupe modulaire en question est
SL (2, ⺪), et l’un des arguments de la fonction de Green est −1) ont été présentés
dans le cours, mais sont trop techniques pour être repris ici. Un aspect intéressant
est le lien entre les fonctions de Green qui interviennent ici et les fonctions
polylogarithmes qui interviennent dans les conjectures concernant les valeurs
spéciales des fonctions zêta de Dedekind. Les conjectures et résultats peuvent
s’interpréter aussi comme des énoncés sur les valeurs spéciales de certaines fonctions
qui satisfont à une équation différentielle à coefficients rationnels ou algébriques.
112 DON ZAGIER
Conférences invitées
Bordeaux, octobre 2007 : Quantum modular forms. Conférence à l’occasion du 60e anni-
versaire d’Henri Cohen, Université de Bordeaux I.
Bonn, Allemagne, octobre 2007 : Verknotete Modulformen. Conférence à l’occasion du
80e anniversaire de Friedrich Hirzebruch, Universität Bonn.
Banff, Canada, octobre 2007 : Modularity and three-manifolds. Conférence sur « Low-
dimensional Topology and Number Theory », Banff International Research Station.
Paris, novembre 2007 : Les « mock theta functions » de Ramanujan (d’après Zwegers et
Bringmann-Ono). Séminaire Bourbaki, Institut Henri Poincaré.
Lille, décembre 2007 : Les fausses formes modulaires. Colloque, Université de Lille I.
Bonn, Allemagne, janvier 2008 : The Riemann zeta function and the Selberg zeta function
as determinants. Workshop « Random matrices and number theory », Hausdorff Mathematics
Institute.
Bonn, Allemagne, janvier 2008 : Gaussian periods and finite projective planes. Number
Theory Seminar, Max-Planck-Institut für Mathematik.
Bonn, Allemagne, janvier et février 2008 : Asymptotic methods (deux conférences).
Conférences pour membres de l’école doctorale « IMPRS », Max-Planck-Institut für
Mathematik.
THÉORIE DES NOMBRES 113
Paderborn, Allemagne, janvier 2008 : Warum ich von Primzahlen träume. Conférence
populaire dans le cadre du programme « Zahlen, bitte! », Nixdorf-Zentrum.
Bonn, Allemagne, février 2008 : Spectral decomposition and the Rankin-Selberg method.
Second Japanese-German number theory workshop.
Amsterdam, Pays-Bas, février 2008 : Mock theta functions and their applications.
Colloquium, Universiteit Amsterdam.
Utrecht, Pays-Bas, février 2008 : Finite projective planes, Fermat curves, and Gaussian
periods. Colloquium Universiteit Utrecht.
Amsterdam, Pays-Bas, février 2008 : Modular Green’s functions. Intercity number theory
seminar « L-functions and friends ».
Dublin, Irlande, avril 2008 : Gaussian periods and finite projective planes. Colloquium,
University College Dublin et Trinity College.
Dublin, Irlande, avril 2008 : The amazing five-term relation. Conférence populaire,
Trinity College.
Dublin, Irlande, avril 2008 : Modular forms and not-so-modular forms in mathematics and
physics. Workshop on Gauge Theory, Moduli spaces and Representation Theory, Trinity
College.
Vienne, Autriche, avril 2008 : Quantum ideas in number theory and vice versa. Conférence
plénière à l’occasion du 15e anniversaire de l’Institut Ernst Schrödinger.
Baton Rouge, Louisiana, États-Unis, avril 2008 : The « q » of « quantum » (trois
conférences). Porcelli Lectures 2008, Louisiana State University.
Austin, Texas, États-Unis, avril 2008 : Mock modular forms. Number theory seminar,
University of Texas.
Bonn, Allemagne, mai 2008 : Diophant und die diophantischen Gleichungen. Conférence
pour lycéens, Max-Planck-Institut für Mathematik.
Bar-Ilan, Israël, mai 2008 : Differential equations and curves on Hilbert modular surfaces.
Conférence « Hirz80 » en l’honneur du 80e anniversaire de Friedrich Hirzebruch, Université
de Bar-Ilan.
Haifa, Israël, mai 2008 : The mysterious mock theta functions of Ramanujan. Colloquium,
University of Haifa.
Bonn, Allemagne, juin 2008 : Das Geheimleben der Zahlen. Conférence d’intérêt général
dans le cadre du programme « Mathe für alle—Vorlesungen im Freien ».
Bielefeld, Allemagne, juin 2008 : On the conjecture of Birch and Swinnerton-Dyer.
Conférence générale dans la série « Jahrtausendprobleme der Mathematik ».
Bonn, Allemagne, juin et juillet 2008 : Periods of modular forms (trois conférences).
Conférences pour membres de l’école doctorale « IMPRS », Max-Planck-Institut für
Mathematik.
Bonn, Allemagne, juillet 2008 : Von Zahlentheorie zu Knotentheorie zu Quantentheorie.
Conférence populaire, « Nacht der offenen Tür » du Max-Planck-Institut für Mathematik.
Bayreuth, Allemagne, juillet 2008 : Diophantische Gleichungen: 2000 Jahre alt und noch
nicht gelöst. Conférence spéciale dans le cadre du Tag der Mathematik de l’Université de
Bayreuth.
Bonn, Allemagne, juillet 2008 : Mock theta functions, indefinite theta series and wall-
crossing formulas. Workshop on Mirror Symmetry, Hausdorff Institute for Mathematics.
Bonn, Allemagne, juillet 2008 : Teichmüller curves and modular forms. Workshop on
Codes, Invariants and Modular Forms, Max-Planck-Institut für Mathematik.
114 DON ZAGIER
Tokyo, Japon, août 2008 : q-series and modularity. Algebra Colloquium, Tokyo
University.
Tokyo, Japon, août 2008 : The mathematics of and around Seki Takakazu as seen through
the eyes of a contemporary mathematician. International Conference on History of Mathematics
in Memory of Seki Takakazu, Tokyo University of Science.
Publications et Prépublications
(avec L. Weng) Deligne products of line bundles over moduli spaces of curves. Commun.
in Math. Phys. 281 (2008), no 3, 793-803.
Evaluation of S (m, n). Appendice à « Low energy expansion of the four-particle genus-
one amplitude in type II superstring theory » par M. Green, J. Russo et P. Vanhove,
JHEP 02 (2008), 020, pp. 33-34.
Integral solutions of Apéry-like recurrence equations. A paraître dans Groups and
Symmetries : From the Neolithic Scots to John McKay, CRM Proceedings and Lecture Notes
of the American Mathematical Society, 47 (2008), Centre de Recherches Mathématiques,
18 pages.
Ramanujan’s mock theta functions and their applications (d’après Zwegers and
Bringmann-Ono). Séminaire Bourbaki, 60e année, 2006-2007, no 986, à paraître dans
Astérisque, 20 pages.
(avec A. Zinger) Some properties of hypergeometric series associated with mirror
symmetry. Dans Modular Forms and String Duality, Fields Institute Communications 54
(2008), pp. 163-177.
Exact and asymptotic formulas for vn. Appendice à « Sequences of enumerative geometry :
congruences and asymptotics » par D. Grünberg et P. Moree, pp. 21-24, à paraître dans
Experimental Mathematics.
Physique quantique
par absorption d’énergie (effet photo-électrique étudié par Einstein en 1905), si bien
que le champ est détruit par la mesure. Cette destruction est une limitation des
expériences d’optique non imposée par la physique quantique. Les physiciens se sont
demandés, depuis les années 1970, comment détecter les photons de façon non
absorptive, les laissant présents après la mesure. Un tel procédé dit QND (pour
Quantum Non-Demolition) ouvrirait la voie à de nombreuses applications.
Nous avons ensuite décrit différents modèles d’appareils réalisant une mesure
projective idéale. Nous avons en particulier analysé un modèle simple dans lequel
l’appareil de mesure est un moment angulaire, superposition symétrique de spins ½.
L’importance de la décohérence dans le processus de mesure a été soulignée. Les
incertitudes sur les mesures de variables conjuguées ont été rappelées, et la limite que
ces incertitudes imposent sur la précision des mesures a été discutée. Certains aspects
« paradoxaux » de la mesure ont été soulignés (effet Zenon). Enfin, les propriétés des
corrélations entre mesures effectuées sur des parties spatialement séparées d’un
système nous ont conduit à rappeler l’aspect non-local de la physique quantique.
Dans la deuxième leçon, nous avons décrit des mesures « généralisées » n’obéissant
pas aux critères restrictifs de la mesure projective idéale de von Neumann. Ces
mesures qui donnent une information plus ou moins partielle sur l’état d’un
système quantique correspondent souvent à des situations plus proches des
expériences réelles que les mesures projectives. Un cas particulier important de
mesure généralisée est défini par un ensemble d’opérateurs hermitiques positifs
formant un « POVM » (Positive Operator Valued Measure). Le lien entre mesures
généralisées, POVM et mesure projective a été rappelé et un certain nombre
d’exemples intéressants pour la suite ont été présentés.
Comme nous l’avions vu dans la première leçon, un modèle simple de processus
de mesure est réalisé par le couplage d’un système quantique S à un ensemble de
N spins ou « qubits » de mesure indépendants (constituant un moment angulaire
J = N/2). Nous avons montré que l’acquisition partielle d’information résultant du
couplage de S avec un seul qubit est un POVM et avons décrit comment
l’accumulation de mesures POVM résultant du couplage avec un ensemble de
qubits se transforme en mesure projective. Nous avons aussi montré que l’acquisition
d’information sur S résultant de la mesure POVM s’apparente à un processus
d’inférence bayesienne en théorie des probabilités. Nous avons conclu la leçon en
considérant un exemple curieux de mesure, dans lequel il semble que l’information
soit obtenue « sans que le système mesuré ait interagi avec l’appareil ». Le paradoxe
provient, comme dans d’autres cas du même genre, de l’utilisation indue de
concepts classiques pour décrire une situation quantique.
La troisième leçon a introduit les mesures QND du champ électromagnétique.
Le but en est de mesurer une observable du champ sans la perturber de façon à
pouvoir répéter la mesure et retrouver le même résultat dans une mesure ultérieure.
Il s’agit de la mesure projective d’une observable qui ne change pas entre deux
détections successives sous l’effet de l’évolution Hamiltonienne. L’énergie du
118 SERGE HAROCHE
champ et son nombre de photons sont des observables pouvant être mesurées de
façon QND, à condition d’éviter l’absorption de photons dans le détecteur. Nous
avons présenté quelques modèles simples de mesures QND, basées soit sur la
détection de la pression de radiation exercée sur un miroir (mesures opto-
mécaniques), soit sur l’effet Kerr croisé dans un milieu optique non linéaire. Nous
avons analysé l’effet en retour de la mesure sur la phase du champ, ce qui nous a
conduit à définir de façon rigoureuse un opérateur de phase. L’analyse s’appuie soit
sur une description des champs en terme de vecteurs d’états (ce qui est bien adapté
au cas où la mesure projette le champ sur un état de Fock), soit sur une discussion
en terme de bruit de photon, commode lorsque la mesure ne discrimine pas les
photons individuels et que le champ apparaît comme une variable continue
fluctuante. Les deux approches sont bien sûr équivalentes à la limite continue.
A partir de la quatrième leçon, nous avons abordé la description du comptage non
destructif de photons micro-ondes dans une cavité de très grand facteur de qualité.
Cette méthode QND, qui atteint la résolution des quanta de rayonnement, exploite
les concepts de l’Electrodynamique Quantique en Cavité (CQED), dont nous avons
commencé par rappeler les principes. Nous avons évoqué brièvement des expériences
de CQED faites dans le domaine optique pour les distinguer des études micro-onde
qui nous intéresseront plus particulièrement ici. La méthode QND de comptage
utilise pour détecter les photons les propriétés remarquables des atomes de Rydberg
dans des états circulaires couplés à une cavité micro-onde supraconductrice. Nous
avons consacré l’essentiel de la leçon aux atomes, et laissé la description de la cavité
pour la leçon suivante. Un aspect remarquable du principe de correspondance est
que les propriétés des états circulaires (dont tous les nombres quantiques sont grands)
peuvent se comprendre à partir d’une description quasi-classique, en n’introduisant
les concepts quantiques (quantification des orbites atomiques et du champ rayonné)
que de façon minimale, à l’image de la description de l’ancienne théorie des quanta
de Bohr. Nous avons décrit ainsi classiquement le rayonnement de ces états
circulaires, leur susceptibilité aux champs électriques et leur couplage à la cavité.
Nous avons enfin analysé les méthodes de préparation et de détection des atomes de
Rydberg circulaires et leur sélection en vitesse.
La cinquième leçon a été consacrée aux expériences d’électrodynamique en cavité
micro-onde détectant, sans les détruire, des photons uniques piégés. Les sondes du
champ sont des atomes de Rydberg traversant un à un la cavité C. Le champ laisse
une empreinte sur la phase d’une superposition d’états atomiques, préparée avant
l’entrée des atomes dans C par une première impulsion micro-onde R1 et analysée,
après C, par une seconde impulsion R2. L’ensemble R1-R2 est un interféromètre
de Ramsey. Le détecteur D mesure l’état final de l’atome. L’information fournie
par chaque atome est binaire, ce qui suffit pour discriminer entre 0 et 1 photon.
Le photon n’étant pas détruit, la mesure peut en principe être indéfiniment répétée.
Deux expériences ont été analysées. La première (1999) exploite une interaction
atome-cavité résonnante, la condition QND étant réalisée en ajustant le temps
d’interaction pour que l’atome revienne dans son état initial, sans absorber le
PHYSIQUE QUANTIQUE 119
photon (impulsion Rabi 2π). Elle a été faite dans une cavité amortie en un temps
TC = 1 ms, trop court pour de multiples répétitions de la mesure. La seconde
expérience (2006) utilise une interaction dispersive non-résonnante et une cavité
stockant les photons pendant un temps très long (Tc = 0,13 s). Des centaines de
mesures indépendantes du même photon ont permis d’observer pour la première
fois les sauts quantiques associés à l’annihilation et la création de photons dans les
miroirs de la cavité. Avant de décrire ces expériences, nous avons commencé par
des rappels théoriques sur les états du système atome-champ dans la cavité.
La sixième leçon a montré comment la méthode de mesure QND dispersive de 0
ou 1 photon peut être généralisée au comptage d’un nombre de photons supérieur à
1. Nous avons rappelé que la mesure d’un quantum de lumière unique nécessitait
que le déphasage Φ0 induit par un photon sur le dipôle atomique vaille π. Chaque
atome, décrit comme un spin, sort alors de l’appareil en pointant le long de l’une de
deux directions opposées, indiquant que C contient 0 ou 1 photon. Le réglage Φ0=π
est adapté à la mesure de la parité du nombre n de quanta, assimilable à n si le
champ, très faible, a une probabilité négligeable de contenir plus d’un photon. Pour
des champs plus grands, le comptage QND reste possible en modifiant Φ0. La valeur
de n ne peut plus être obtenue à l’aide d’un seul ‘spin’ mais doit être extraite d’un
ensemble d’atomes. En détectant les ‘spins’ de cet ensemble un à un, on observe
l’évolution progressive du champ vers un état de Fock, ce qu’on appelle l’effondrement
ou ‘collapse’ de sa fonction d’onde. La répétition de la mesure correspondant au
passage dans C d’ensembles d’atomes successifs, révèle la cascade en marches
d’escalier du nombre de photons vers le vide, due à la relaxation du champ. Après
quelques rappels et remarques générales, nous avons analysé cette procédure de
mesure idéale de la lumière en l’appliquant à un petit champ cohérent.
La septième et dernière leçon nous a permis d’apporter quelques précisions sur les
mesures QND de champs piégé micro-onde et de conclure le cours sur quelques
perspectives. Nous avons vu (leçon 6) que la mesure d’une séquence de m atomes
traversant un à un une cavité C en étant tous soumis au même déphasage par
photon Φ0 réduit progressivement le champ à un état de Fock |n>. Le nombre m
augmente comme nm2, où nm est la borne supérieure de n. Nous avons décrit le
principe d’une variante de cette expérience, utilisant successivement des atomes
soumis à des déphasages Φ0 = π, π/2, π/4…, qui peut déterminer n avec seulement
m~log2 nm atomes.
Nous nous sommes intéressé ensuite au premier état intermédiaire du champ,
entre l’état initial cohérent et l’état de Fock final. L’action en retour de la mesure
QND produit après détection du premier atome une superposition d’états du
champ avec 2 phases classiques différentes. Quand Φ0 = π, les composantes de ce
« chat de Schrödinger » ont des amplitudes opposées et ne contiennent, suivant
l’état final de l’atome, qu’un nombre pair ou impair de photons. En injectant dans
C un champ cohérent d’homodynage et en continuant à mesurer de façon QND
avec les atomes suivants la parité de n, on reconstruit la fonction de Wigner de ces
120 SERGE HAROCHE
‘chats’ et on étudie en temps réel leur décohérence. Nous avons présenté le principe
de ces expériences qui ont été décrites plus en détail dans le séminaire de I. Dotsenko
qui faisait suite au cours. Nous avons enfin conclu la leçon par la description d’une
expérience d’effet Zénon sur un champ mesuré de façon répétée et par une brève
présentation des études sur la non-localité que nous comptons effectuer, dans le
prolongement de ces expériences, avec deux cavités.
— Avril 2008 : Rydberg lecture à l’Université de Lund : « Trapping and counting photons
without destroying them: a new way to look at light », Lund, Suède.
— Avril 2008 : Communication invitée à la Conference on precision measurements with
quantum gases : « QND photon counting applied to the preparation and reconstruction of
Schrödinger cat states of light trapped in a cavity », Trente, Italie.
— Avril 2008 : Colloquium à l’Université du Wisconsin : « Trapping and counting photons
without destroying them: a new way to look at light », Madison, Wisconsin, États-Unis.
— Avril 2008 : Séminaire à l’Université du Wisconsin : « Reconstructing the Wigner
function of a photonic Schrödinger cat in a cavity : a movie of decoherence », Madison,
Wisconsin, États-Unis.
— Avril 2008 : Colloquium à l’université de Bielefeld : « Trapping and counting photons
without destroying them : a new way to look at light », Bielefeld, Allemagne.
— Avril 2008 : Colloquium à l’Université d’Innsbruck : « Quantum non-demolition
photon counting & Schrödinger cat states reconstruction in a cavity », Innsbruck, Autriche.
— Mai 2008 : Présentation invitée au Solvay Workshop on Bits, Quanta, and Complex
System: « Generating and reconstructing non-classical photonic states in Cavity QED : present
stage and perspectives », Bruxelles.
— Mai 2008 : Conférence invitée au Workshop on Quantum Phenomena and
Information « Reconstructing the Wigner function of photonic Schrödinger cats in a cavity : a
movie of decoherence », Trieste, Italie.
— Mai 2008 : Colloquium à l’Université technologique de Vienne : « Time-resolved
reconstruction of photonic Schrödinger cats in a cavity : a movie of decoherence », Vienne,
Autriche.
— Juin 2008 : Conférence invitée au Symposium en l’Honneur du 75e anniversaire de
Peter Toschek : « From atom to light quantum jumps : applying to photons the wizard tricks
learned from Peter Toschek and his ion trapper colleagues », Hambourg.
Activités de recherche
que la présence des vortex raccourcisse la durée de vie des atomes, mais qu’elle la
laisse cependant très supérieure à ce qu’elle est en présence de métaux normaux. Pour
vérifier ces prévisions, il est essentiel du point de vue expérimental de pouvoir
mesurer de très longs temps de vie dans le piège sans être limité par des causes de
bruit technique. Atteindre ou approcher les très longs temps de piégeage prédits par
la théorie est un but difficile, mais indispensable si l’on veut tirer avantage des puces
cryogéniques. Nous avons à cette fin réduit significativement les sources de bruit
technique dans notre expérience. Ceci nous a permis d’augmenter d’un facteur 5 le
temps de vie rapporté précédemment et ouvre la voie à une mesure réaliste de la
dissipation dans les puces supraconductrices.
1. Enseignement au Collège
cette fonction d’onde ne peut pas avoir tous ses moments finis à la fois en
fréquence et en temps, comme une fonction gaussienne, et servir en même temps
de patron pour une base discrète.
Au cours de la quatrième leçon, nous avons établi l’expression des opérateurs de
champ dans l’espace des fréquences, à partir de la décomposition du signal en ondes
de vecteurs d’onde bien déterminés. Le commutateur de ces opérateurs de champ est
singulier : il est donné par une fonction de Dirac faisant intervenir la somme des
fréquences. De même, dans l’état thermique, la valeur moyenne de l’anti-commutateur
est donnée par la même fonction de Dirac, mais multipliée par une fonction analogue
au nombre moyen de photons d’un oscillateur. On arrive ainsi à des expressions
commodes pour les calculs ; mais pour retrouver le sens physique des opérateurs, il
faut introduire les opérateurs de création et d’annihilation de mode, à partir des
ondelettes définies dans la leçon précédente. Ces opérateurs de modes permettent de
spécifier rigoureusement l’état du champ dans une ligne de transmission, par exemple
un état semi-classique du champ. On peut représenter un état semi-classique par une
généralisation du vecteur de Fresnel, surnommée parfois « sucette de Fresnel » : on
munit le segment du vecteur, qui représente l’amplitude et la phase moyenne de l’état
dans le plan des quadratures, non pas d’une pointe de flèche, mais d’un disque dont le
rayon donne l’écart type des fluctuations, en l’occurrence celles de point zéro. En
revanche, un état avec un nombre de photons bien déterminé (état dit de Fock)
correspond à une figure avec symétrie de rotation comportant une série d’anneaux, le
nombre d’anneaux étant égal au nombre de photons.
La cinquième leçon a commencé par le rappel de la relation entre le nombre
de photons dans un mode propagatif et les valeurs moyennes quadratiques
correspondantes des courants et des tensions. À partir de ce type de relation, on
peut calculer les fluctuations des quantités électriques pour un circuit LC, et par
là, établir pour une impédance quelconque la relation entre la partie réelle de
l’impédance et la densité spectrale des fluctuations du bruit Johnson. Dans le cas
quantique, cette densité spectrale est asymétrique : les fréquences positives, qui
correspondent aux processus d’émission spontanée et stimulée du circuit connecté
à l’impédance, sont plus intenses que les fréquences négatives, qui correspondent
aux processus d’absorption. Nous avons présenté ce calcul de la densité spectrale
à la fois en prenant le point de vue de Caldeira-Leggett, où l’impédance est
remplacée par une série infinie d’oscillateurs harmoniques (modes stationnaires),
et le point de vue de Nyquist, qui remplace la partie dissipative de l’impédance
par une ligne de transmission semi-infinie (modes propagatifs), peuplée par un
champ thermique incident. Le formalisme entrée-sortie est très utile pour passer
des équations du circuit avec les deux termes de dissipation et de forçage, aux
équations de diffusion des champs sur le noyau formé de la partie réactive du
circuit. Ainsi, le théorème fluctuation-dissipation quantique peut-il être vu comme
une conséquence de la propriété de symétrie du circuit : ce dernier ne peut pas
distinguer, dans le processus de diffusion des champs conduits par la ligne de
transmission, un signal déterministe du bruit thermique.
130 MICHEL DEVORET
3. Activité de recherche
3.1. Signaux et circuits quantiques (en collaboration avec Nicolas Bergeal,
Flavius Schakert, Archana Kamal et Adam Marblestone)
Le phénomène d’amplification des signaux électriques par un composant
électronique actif est à la base d’un grand nombre d’applications dans tous les
domaines de la physique. Il est soumis à un principe dérivé de la relation
PHYSIQUE MÉSOSCOPIQUE 131
Nous avons mis au point cette année deux nouveaux qubits supraconducteurs.
Le but de cette recherche est de comprendre les facteurs influant sur la décohérence,
c’est-à-dire la perte d’information quantique d’un circuit. Le premier qubit est basé
sur le « transmon », qui est une boîte à paires de Cooper dans laquelle on a
augmenté le rapport entre l’énergie Josephson et l’énergie de charge, de façon à
rendre le circuit insensible aux fluctuations de charge du substrat. Dans ce nouveau
qubit, la capacité ajoutée à la jonction tunnel est obtenue par une ligne de
transmission dans laquelle la jonction est insérée en série, au lieu de la configuration
parallèle précédemment explorée dans le groupe de R. Schoelkopf. Les mesures des
temps de décohérence T1 et T2 sont en cours. Le deuxième qubit met en jeu une
approche encore plus radicale. Nous shuntons une jonction de grande énergie de
charge par une très forte inductance réalisée grâce à un réseau de 50 jonctions
tunnel en série. Ce shunt des courants continus supprime complètement les
fluctuations de charge, tout en rendant possible un contrôle du dispositif par la
charge alternative des signaux sonde. La mesure spectroscopique des niveaux
d’énergie du système est en cours, et l’analyse du spectre devrait permettre de
remonter aux paramètres de l’hamiltonien avec une excellente précision, ce qui sera
très utile pour ensuite mesurer la dissipation du circuit de manière contrôlée.
132 MICHEL DEVORET
4. Publications
[1] Boaknin E., Manucharian V., Fissette S., Metcalfe M., Frunzio L., Vijay R., Siddiqi I.,
Wallraff A., Schoelkopf R. and Devoret M.H., Dispersive Bifurcation of a Microwave
Superconducting Resonator Cavity incorporating a Josephson Junction, [Cond-Mat/0702445],
Submitted to Physical Review Letters.
[2] Manucharian V., Boaknin E., Metcalfe M., Fissette S., Vijay R., Siddiqi I. and
Devoret M.H., Rf Bifurcation of a Josephson Junction : Microwave Embedding Circuit
Requirements, [Cond-Mat/0612576] Phys. Rev. B 76, 014524 (2007).
[3] Schuster D.I., Houck A.A., Schreier J.A., Wallraff A., Gambetta J.M., Blais A.,
Frunzio L., Johnson B., Devoret M.H., Girvin S.M., Schoelkopf R.J., Resolving Photon
Number States in a Superconducting Circuit, Nature (London) 445, 515-518 (2007) [Cond-
Mat/0608693].
[4] Houck A.A., Schuster D.I., Gambetta J.M., Schreier J.A., Johnson B.R., Chow J.M.,
Frunzio L., Majer J., Devoret M.H., Girvin S.M., Schoelkopf R.J., Generating single
microwave photons in a circuit, Nature 449, 328 - 331 (2007).
[5] Boulant N., Ithier G., Meeson P., Nguyen F., Vion D., Esteve D., Siddiqi I.,
Vijay R., Rigetti C., Pierre, F. and Devoret M., Quantum Nondemolition Readout Using a
Josephson Bifurcation amplifier, Phys. Rev. B 76, 014525 (2007).
[6] Majer J., Chow J.M., Gambetta J.M., Koch Jens, Johnson B.R., Schreier J.A.,
Frunzio L., Schuster D.I., Houck A.A., Wallraff A., Blais A., Devoret M.H., Girvin S.M.,
Schoelkopf R.J., Coupling superconducting qubits via a cavity bus, Nature 449, 443-447
(2007).
[7] Metcalfe M., Boaknin E., Manucharyan V., Vijay R., Siddiqi I., Riggetti C.,
Frunzio L., and Devoret M.H., Measuring a Quantronium qubit with the Cavity Bifurcation
Amplifier, Phys. Rev. 76, 174516 (2007) [Cond-Mat, arXiv:0706.0765].
[8] Koch J., Yu T.M., Gambetta J., Houck A.A., Schuster D.I., Majer J., Blais A.,
Devoret M.H., Girvin S.M., and Schoelkopf R.J., Charge insensitive qubit design from
optimizing the Cooper-Pair Box, Phys. Rev. A 76, 042319 (2007).
[9] Devoret, M., Girvin, S., Schoelkopf, R.S., Circuit-QED: How strong can the coupling
between a Josephson junction atom and a transmission line resonator be ?, Annalen Der Physik
16, 767-779 (2007).
[10] Houck A.A., Schreier J.A., Johnson, B.R., Chow J.M, Koch Jens, Gambetta J.M.,
Schuster D.I., Frunzio L., Devoret M.H., Girvin S.M., Schoelkopf R.J., Controlling the
spontaneous emission of a superconducting transmon qubit, Phys. Rev. Lett 101, 080502
(2008).
[11] Schreier J.A., Houck A.A., Koch Jens, Schuster D.I., Johnson B.R., Chow J.M.,
Gambetta J.M., Majer J., Frunzio L., Devoret M.H., Girvin S.M., and Schoelkopf R.J.,
Suppressing charge noise decoherence in superconducting charge qubits, Phys. Rev. B 77,
180502(R) (2008).
[12] Bergeal N., Vijay R., Manucharyan V. E., Siddiqi I., Schoelkopf R. J., Girvin S. M.
and Devoret M. H., Analog information processing at the quantum limit with a Josephson ring
modulator, Submitted to Nature Physics (2008) [arXiv:0805.3452].
[13] Devoret M., De l’atome aux machines quantiques, Leçon inaugurale, Collège de
France / Fayard, 2008 (à paraître).
[14] Bergeal N., Schakert F., Frunzio L., Schoelkopf R.J., Girvin S.M. and Devoret M.H.,
Parametric Amplification with the Josephson Ring Modulator, en préparation.
PHYSIQUE MÉSOSCOPIQUE 133
5. Conférences
5.1 Exposés donnés sur invitation
Octobre 2007 : CIFAR meeting on Quant. Inf. Proc., Newport, Rhode Island, USA.
Décembre 2007 : Decoherence in Superconducting Qubits, Berkeley, California, USA.
Janvier 2008 : Physics of Quantum Electronics, Snowbird, Utah, USA.
Mars 2008 : Physics Colloquium, Penn State University, State College, Pennsylvania,
USA.
Avril 2008 : Stanford Photonics Research Center Meeting, Stanford, California, USA.
Avril 2008 : Quantum Information Seminar, MIT, Cambridge, Massachussetts, USA.
Mai 2008 : Journées Supraconductivité, ESPCI, Paris.
Juin 2008 : Séminaire général de Physique, ESPCI, Paris.
Particules élémentaires, gravitation et cosmologie
1. Enseignement au Collège
1.1. Le cours de l’année 2007-2008 : « Le modèle standard et ses extensions »
Après la parenthèse 2006-2007 (cours donné entièrement à l’étranger), le cours
de l’année 2007-2008 a repris le chemin initié en 2004-2005 et 2005-2006 afin
de compléter la présentation du modèle standard des particules élémentaires. Les
deux cours précédents ayant porté sur les interactions fortes (dans leurs aspects
perturbatives et non perturbatives respectivement), ce dernier cours se concentra
sur le secteur dit électrofaible du Modèle Standard (MS).
Le cours s’est déroulé en 18 heures, dont 11 de cours proprement dit et 7 heures
de séminaires, donné en partie par le professeur Riccardo Barbieri de l’École
Normale (Scuola Normale) de Pise et en partie par le professeur Ferruccio Feruglio
de l’Université de Padoue.
Chaque cours et séminaire, présenté avec l’aide d’un fichier « Power Point », a
été imprimé et distribué avant chaque cours, et ensuite inséré sur les sites en
français et en anglais de la chaire.
Le premier cours, « Théories de jauge : un rappel », fut un résumé des principales
notions (déjà discutée en 2004-2005) qui sont à la base des théories de jauge.
Nous sommes revenu, en particulier, sur l’importante distinction entre le cas de
fermions dans une représentation réelle du groupe de jauge (les cas de la QED et
QCD) et celui d’une représentation complexe (fermions « chiraux »), le cas d’intérêt
pour les interactions faibles.
Le deuxième cours, « QED et QCD : un rappel », fut, à son tour, un résumé des
concepts de base de la QED (comme théorie des interactions électromagnétiques)
et de la QCD (comme théorie des interactions fortes) qui avaient été couverts dans
les cours 2004-2005 et 2005-2006.
136 GABRIELE VENEZIANO
Après une première série de séminaires par les professeurs Riccardo Barbieri et
Ferruccio Feruglio (voir ci-dessous), le neuvième cours, « Secteur de Higgs : questions
de réglage fin » a entamé une critique bien connue du MS comme ayant besoin
d’une quantité importante de « réglage fin » afin de maintenir la masse du boson
de Higgs suffisamment basse. C’était, en même temps, une introduction à certains
modèles qui vont au-delà du MS, le sujet des deux derniers cours et séminaires.
Ainsi, le dixième cours, « Supersymétrie et le MSSM », a introduit le concept de
supersymétrie, d’abord comme construction théorique et après comme une possible
résolution du problème de réglage fin discuté dans le neuvième cours. Néanmoins,
la supersymétrie n’élimine pas complètement ce problème. En même temps elle
permet à priori certains processus qui ne sont pas observés. Donc la supériorité du
modèle supersymétrique par rapport au modèle standard n’est pas de tout évidente.
Le nouvel accélérateur de particules du CERN, le LHC, nous dira sans doute si la
supersymétrie existe bien aux énergies qui seront atteignables.
Dans le onzième cours, « Théories de Grand Unification », nous avons présenté
des modèles, dits de Grand Unification (GUT), où les trois interactions non
gravitationnelles découleraient d’une théorie de jauge basée sur un groupe de jauge
techniquement dit « simple » et donc avec des relations entre les différentes
constants de couplage et les différentes masses des particules. Les exemples des
groupes SU(5) et O(10), avec leurs avantages relatifs, ont été discutés.
3. Activité de recherche
Elle a porté sur les trois sujets de l’intitulé de la chaire en particulier sur les
questions liées à la gravitation classique et quantique dans le cadre de la théorie
des cordes. Depuis 2005, la chaire fait aussi partie de la Fédération « Interactions
Fondamentales » avec le LPT-ENS, les LPNHE et LPTHE de Paris 6, et le APC
(après son départ du Collège).
Voici un aperçu de cette activité de recherche, suivi d’une liste des publications
scientifiques correspondantes.
3.2. Gravitation
Cette dernière année, avec les professeurs Daniele Amati (Université de Trieste)
et Marcello Ciafaloni (Université de Florence), un progrès considérable sur ce
problème a été accompli. Utilisant des méthodes à la fois analytiques et numériques,
nous avons résolu les équations de mouvement qui découlent d’une action efficace
en deux dimensions de l’espace que nous avions proposé il y a une quinzaine
d’années. Cette ligne de recherche a été poursuivie en collaboration avec le
professeur Jacek Wosiek. Les résultats, obtenus dans un contexte complètement
quantique, s’accordent très bien avec les estimations classiques et pourraient
indiquer la façon avec laquelle l’information est récupérée dans un processus
quantique de collision de particules ou de cordes.
3.3. Cosmologie
4. Publications
1. « Towards and S-Matrix description of gravitational collapse » (avec D. Amati et
M. Ciafaloni), JHEP02 (2008) 049.
2. « Exploring an S-Matrix for gravitational collapse » (avec J. Wosiek), JHEP09 (2008)
023.
3. « Exploring an S-Matrix for gravitational collapse II : a momentum space analysis » (avec
J. Wosiek), JHEP09 (2008) 024.
4. « Non-local field theory suggested by Dual Models » dans « String theory and fundamental
interactions » (éditeurs : M. Gasperini et J. Maharana), Springer (2008), p. 29. Il s’agit de
la publication d’un manuscrit, écrit en 1973, que je n’avais jamais terminé. Il est maintenant
publié dans sa forme originale dans un livre avec les contributions d’un nombre de mes
collaborateurs en l’occasion de mes 65 ans.
140 GABRIELE VENEZIANO
5. Conférences
5.1. Conférences sur invitation
1. « Planar equivalence : an update », atelier sur « Non-perturbative gauge theories »
Édimbourg, août 2007.
2. « La théorie des cordes est-elle morte ? », Émission de Radio France (France Culture), Paris,
septembre 2007.
3. « Farewell talk : A sample of yet unfinished projects », CERN, Genève, septembre
2007.
4. « Did Time have a beginning ? », symposium « The two cultures : shared problems »,
Venise, octobre 2007.
5. « Transplanckian Superstring Collisions I », UCLA, novembre 2007.
6. « Transplanckian Superstring Collisions II », UCLA, décembre 2007.
7. « String Theory : Is Einstein’s dream being realized ? », Université des Hawaii, décembre
2007.
8. « Transplanckian scattering, black holes, and the information paradox », Université de
Californie à Irvine, décembre 2007.
9. « Towards an S-matrix for gravitational collapse », UCSB/KITP, Santa Barbara,
décembre 2007.
10. « Diverse prospettive di sviluppo della teoria quantistica della gravitazione », Conférence
« Spazio, tempo e materia : l’ultima parola è ancora quella di Einstein ? », Université de
Padoue, janvier 2008.
11. « Towards an S-matrix for gravitational collapse », séminaire joint des théoriciens,
IHP, Paris, avril 2008.
12. « Le Modèle standard de l’Univers : Succès et énigmes », Colloque Université Pierre et
Marie Curie, avril 2008.
13. « L’unité de la physique et la cosmologie », Conférence grand public, série « Cultures
d’Europe », Bruxelles, avril 2008.
14. « Towards an S-matrix description of gravitational collapse », Universitad Autonoma
Madrid, avril 2008.
15. « Towards an S-matrix description of gravitational collapse », Università di Roma, La
Sapienza, mai 2008.
16. « 40 anni di teoria delle stringhe : passato presente e futuro », conférence pour étudiants
des Lycées, Sesto Fiorentino, mai 2008.
17. « Il modello standard dell’Universo : successi ed enigmi », Colloque à l’Universitè de
Bologne, mai 2008.
18. « 40 anni di teoria delle stringhe : passato presente e futuro », conférence pour les
étudiants du « Collegio di Milano », mai 2008.
19. « Planar equivalence : an update », conférence « Non perturbative gauge theories »
GGI, Florence, juin 2008.
20. « Le grand Collisionneur d’hadrons (LHC) du CERN et ses enjeux », mardi de
l’Administrateur, Collège de France, juin 2008.
21. « Towards an S-matrix description of gravitational collapse », (à l’occasion de la chaire
Blaise Pascal du Professeur Michail Shifman), Orsay, juin 2008.
22. « Recent progress in transplanckian scattering », conférence pour le 50e anniversaire de
l’IHES, Bures-sur-Yvette, juin 2008.
PARTICULES ÉLÉMENTAIRES, GRAVITATION ET COSMOLOGIE 141
7. Groupes de travail
Le groupe de travail de l’Académie des sciences « Unités de base et constantes fondamentales »,
dont je faisais partie, a présenté ses recommandations finales au Bureau international des
Poids et Mesures en octobre 2006. Depuis, je fais partie d’un nouveau comité de l’Académie
des sciences, nommé « Science et métrologie », qui, poursuivant le même but, a commencé
ses travaux à l’automne 2007.
8. Prix, distinctions
Juillet 2008 : James Joyce Award, Literary and Historical Society, University College
Dublin, Irlande (sera consigné officiellement en mai 2009).
Géodynamique
Un colloque aura lieu à Saint Maximin dans le Var les 1er, 2 et 3 octobre 2008
pour mener une réflexion sur les grands problèmes de géodynamique qui ont été
traités depuis 1986 dans le cadre des cours de la chaire de géodynamique. Ce
colloque donnera lieu à la publication d’un livre.
Origin of the Southern Okinawa Trough volcanism from detailed seismic tomography.
J. Geophys. Res., 112, B08308, doi : 10.1029/2006JB004703. Lin, J.Y., Sibuet, J.C.,
Lee, C.S., Hsu, S.-K., and Klingelhoefer, F.
Spatial variations in the frequency magnitude distribution of earthquakes in the
southwestern Okinawa Trough. Earth Planets Space, 59, 221-225, 2007. Lin, J.-Y.,
Sibuet, J.C., Lee, C. S., and Hsu, S.-K.
Numerical model of fluid pressure solitary wave propagation along the decollement of an
accretionary wedge : application to the Nankaï wedge, Geofluids, 6, 1-12, 2007.
Bourlange, S., Henry, P.
Sumatra Earthquake research indicates why rupture propagated northward, EOS, 86,
497-502. SINGH, S., and the Sumatra Aftershocks Team, 2005, dont Rangin Claude.
26th December 2004 Great Sumatra-Andaman Earthquake : co-seismic and post-seismic
motions in northern Sumatra. Earth Planetary Science Letters, in press. Sibuet, J.-C.,
Rangin, C., Le Pichon, X., Singh, S., Catteneo, A., Graindorge, D., Klingelhoefer, F.,
Lin, J.-Y., Malod, J., Maury, T., Schneider, J.-L., Sultan, N., Umber, M., Yamaguchi, H.,
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GÉODYNAMIQUE 147
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Évolution du climat et de l’océan
Après avoir revu brièvement les causes de l’optimum éocène, nous avons abordé
en détail la transition Eocène-Oligocène. Il s’agit d’une transition climatique
majeure mise en évidence à l’échelle mondiale dans les sédiments marins et
continentaux à toutes les latitudes. Elle correspond aussi à une transition faunistique
bien connue depuis le début du xxe siècle (« Grande Coupure » de Stehlin). Lors
du cours, une attention particulière a été portée sur l’événement Oi-1, il y a
environ 33 millions d’années. La comparaison entre les données des isotopes de
l’oxygène et de paléotempératures océaniques suggèrent que cet événement
correspond à une augmentation drastique du volume des glaces polaires. L’étude
de la distribution des débris rocheux transportés par les icebergs, en Atlantique
Nord et dans les Océans Arctique et Austral, montre bien que les deux pôles se
sont englacés de façon synchrone. Cette glaciation a été accompagnée d’une
perturbation massive de l’érosion chimique globale mise en évidence par des
indicateurs isotopiques (par ex. isotopes du strontium) et minéralogiques
(distribution des minéraux argileux). Le cycle du carbone a lui aussi subi une
variation importante, matérialisée par une augmentation de la productivité
planctonique de la zone australe, une élévation du rapport 13C/12C océanique et
un approfondissement, d’environ un kilomètre, de la profondeur de compensation
de la calcite. Ces variations du cycle du carbone ont été accompagnées d’une chute
de la teneur atmosphérique en gaz carbonique (plus de 500 ppm en moins de
10 millions d’années).
150 ÉDOUARD BARD
glaciations sont cycliques et il est donc probable que d’autres causes sont responsables
de la tendance à long terme sur plus de dix millions d’années.
Même si les continents avaient à peu près leurs géométries et positions actuelles,
plusieurs « petits » changements de la physiographie ont probablement eu un
impact sur la circulation océanique globale. La période considérée correspond
effectivement à l’établissement de la circulation moderne avec l’ouverture du
détroit de Fram, la fermeture de l’Isthme de Panama et un changement de la
géométrie du Passage Indonésien. L’étude de la répartition des faunes et la mise
en évidence de migrations à grande échelle (ex. des deux Amériques), ont permis
de suivre ces changements sur les continents.
L’impact de ces variations physiographiques sur la circulation océanique est
indéniable comme le montre l’analyse géochimique comparée des sédiments
carbonatés de l’Atlantique et du Pacifique, traduisant les contrastes de salinité de
surface et de ventilation profonde de ces deux océans. D’autres séries géochimiques
ont permis de mettre en évidence l’établissement de la stratification en salinité du
Pacifique Nord (halocline) vers trois millions d’années avant le présent.
Ces multiples modifications de l’océan ont eu de nombreuses répercussions sur
le climat mondial, conduisant globalement à l’installation de grandes calottes de
glace dans l’hémisphère nord. Afin de quantifier l’impact des variations des flux
de chaleur océanique sur l’évaporation et les précipitations, il est nécessaire de
considérer les résultats de la modélisation numérique. Les simulations récentes
confirment l’impact de la fermeture de l’Isthme de Panama sur la température et
les précipitations de l’hémisphère nord. La prise en compte de la stratification du
Pacifique Nord semble indispensable pour expliquer l’installation de la calotte
nord-américaine. Au niveau de la zone intertropicale, la migration vers le Nord
de la Nouvelle-Guinée serait à l’origine du refroidissement de l’Océan Indien
et de l’assèchement de l’Afrique de l’Est entre quatre et trois millions d’années
avant le présent.
Au cours des quatre derniers millions d’années, on assiste à une évolution
caractéristique des cycles glaciaires : d’une part une lente intensification des
glaciations (les calottes sont de plus en plus volumineuses) et, d’autre part, une
évolution de la fréquence des épisodes glaciaires : avec une cyclicité de 41 000 ans
avant 1,4 million d’années et d’environ 100 000 ans après 700 000 ans avant le
présent. Le cycle de 41 000 ans est clairement lié au cycle de l’obliquité de l’axe
de rotation de la Terre. Par contre, la cyclicité d’environ 100 000 ans fait encore
l’objet de nombreuses recherches car le cycle de l’excentricité orbitale, d’environ
100 000 ans, ne peut en rendre compte, son influence sur l’insolation étant
extrêmement faible. Par ailleurs, la bande de fréquence de 100 000 ans est
relativement diffuse et pourrait être liée à des multiples de l’obliquité (82 000 et
123 000 ans). L’évolution du volume des glaces continentales, étudiée finement à
partir du rapport 18O/16O de l’océan profond, montre que l’influence du cycle de
précession d’environ 19-23 000 ans est pratiquement absent avant 900 000 ans et
152 ÉDOUARD BARD
qu’il apparaît dans les enregistrements avec le cycle de 100 000 ans. Ce
bouleversement des caractéristiques, en amplitude et fréquence du phénomène
glaciaire, est appelé la « transition mi-Pléistocène » (MPT en Anglais).
Pour comprendre les causes de cette évolution, j’ai fait quelques rappels sur la
dynamique des calottes de glace, notamment les différents facteurs qui régissent
l’accumulation hivernale et l’ablation estivale. Le bilan de masse dépend évidemment
de la température et des précipitations sous forme de neige. Il est aussi crucial de
tenir compte d’autres facteurs qui agissent sur le bilan de glace, comme l’élévation
de l’inlandsis qui contribue à sa préservation, la subsidence isostatique qui entraîne
une rétroaction positive sur la croissance et la fonte de la calotte, la formation
d’une plate-forme ou barrière de glace (ice shelf en Anglais) lorsque la calotte
déborde sur l’océan, la présence en base de calotte de sédiments gorgés d’eau qui
favorisent l’écoulement (couche lubrifiante), ce phénomène pouvant être amplifé
par l’eau des lacs supraglaciaires, formée pendant la fonte estivale, qui peut pénétrer
dans les crevasses jusqu’en base de calotte.
Ces variations de l’activité solaire ont pu être rapprochées des hauts et bas
climatiques en Europe, reconstitués par les historiens, et confirmés par les
paléoclimatologues. Ainsi, le « Petit Age Glaciaire » du xive au xviiie siècle
correspond globalement à une période de faible activité du Soleil (Minima de
Maunder, Spörer et Wolf), tandis que le réchauffement global du climat qui a suivi
est contemporain d’une augmentation de cette activité.
Pourtant, il a fallu attendre les mesures suffisamment précises des satellites, depuis
seulement une trentaine d’années, pour pouvoir quantifier ce flux d’énergie solaire et
en démontrer les variations. L’éclairement total varie ainsi d’environ 0,1 % au cours
d’un cycle de 11 ans. Ces trente années d’observations ne permettent pas de prouver
l’existence d’une tendance pluridécennale de l’éclairement, tendance qui au plus
serait très limitée. C’est pour cette raison que le Groupe d’experts Intergouvernemental
sur l’Evolution du Climat (GIEC) n’attribue à l’augmentation du flux d’énergie
solaire qu’une contribution très limitée au réchauffement global du dernier siècle.
D’autres mesures indirectes de l’activité du soleil permettent des reconstitutions
avant l’ère des satellites. Des mesures du flux de particules cosmiques mais aussi de la
perturbation du champ magnétique à la surface de la Terre, tous deux contrôlés par
le champ magnétique solaire, permettent de remonter sur plus d’un siècle.
Soleil a été élucidée, cependant des questions persistent encore sur le cœur solaire
et sur l’interaction entre le champ magnétique de la région radiative et celui de la
région convective.
Gérard Thuillier, du Service d’Aéronomie du CNRS, à Verrières-le-Buisson, a
ensuite exposé les principaux forçages climatiques et les mécanismes possibles de
l’impact climatique du soleil. Il n’existe pas d’accord général pour les reconstitutions
de l’éclairement solaire total pour le passé, mais de nouveaux projets sont en cours
afin de fournir de nouvelles données. Ainsi, Gérard Thuillier nous a présenté
l’expérience PICARD dont l’objectif est de mesurer l’irradiance solaire totale ainsi
que le diamètre du soleil, ces deux paramètres étant peut-être liés. Cette expérience
embarquée devrait être mise en orbite l’année prochaine dans les conditions idéales
de développement du prochain cycle solaire, le cycle 24.
Thierry Dudok de Wit, du Laboratoire de Physique et Chimie de l’Environnement
et de l’Université d’Orléans, a montré quels sont les impacts de l’activité du Soleil
sur l’environnement de la planète Terre, en termes de bombardement de particules
et d’émissions d’ondes électromagnétiques notamment. Il a également insisté sur
la composante ultraviolette (UV) de ces émissions, qui présente une variabilité bien
supérieure à celle de l’irradiance totale, et dont l’impact sur la stratosphère (via la
formation de l’ozone) pourrait représenter un mécanisme important.
Olivier Boucher, de l’Office Météorologique Britannique (Meteorological Office,
Hadley Centre), a expliqué comment les modèles actuels du climat prennent en
compte les interactions internes au système climatique basées sur les cycles
biogéochimiques, notamment le cycle du carbone. Ces modèles sont utilisés pour
réaliser des projections des changements climatiques sur le prochain siècle,
notamment dans le cadre du GIEC. Ces modèles prévoient ainsi que ces interactions
amplifient un réchauffement dû aux gaz à effet de serre, plutôt que de le limiter.
Claudia Stubenrauch, du Laboratoire de Météorologie Dynamique du CNRS et
de l’Ecole Polytechnique, a exposé les principales propriétés radiatives des nuages
et les différents moyens de mesure de ces propriétés à l’échelle globale. Les nuages
jouent des rôles importants mais complexes dans le système climatique. En outre,
il a été proposé que leur formation pourrait être influencée par l’activité du Soleil,
il est donc capital d’avoir des mesures aussi complètes que possible de cette
composante. Claudia Stubenrauch a ainsi montré que les différents types de
mesures par satellites sont complémentaires et doivent être associées afin d’avoir
une information complète sur les différents nuages et leurs propriétés.
Enfin, Sandrine Bony-Léna, du même Laboratoire de Météorologie Dynamique,
a montré comment les modèles climatiques permettent de mieux comprendre la
réponse du climat à une perturbation externe (sensibilité du climat à un forçage).
En particulier, les modèles permettent de décomposer cette réponse entre les
différentes interactions propres au système climatique. Un des résultats importants
est de limiter la contribution des nuages à environ un quart de la réponse globale
ÉVOLUTION DU CLIMAT ET DE L’OCÉAN 157
du climat. Ainsi, même si l’activité solaire jouait un rôle via ces nuages, cette
composante du climat ne pourrait amplifier les variations de l’activité solaire de
manière plus importante.
Cette journée consacrée aux variations climatiques et au rôle du Soleil et autres
forçages externes fut l’occasion de réunir des scientifiques appartenant à différentes
communautés, mais dont les objectifs de recherche se rejoignent. Ce colloque a
permis de faire le point sur l’état des connaissances actuelles et des nombreuses
questions qui subsistent encore.
Paris, 26 juin 2008. Sénat OPECST (Office parlementaire d’évaluation des choix
scientifiques et technologiques) : « L’enjeu de la multidisciplinarité pour comprendre le
changement climatique ».
Activités de recherches
Cette année, l’équipe de la Chaire de l’Évolution du Climat et de l’Océan a
poursuivi son étude de la variabilité solaire à long terme et de son impact sur le
climat mondial.
Nos recherches à ce sujet sont fondées sur la comparaison d’enregistrements
totalement indépendants : le 14C mesuré dans les cernes d’arbres et le béryllium 10
analysé dans les glaces de l’Antarctique (14C et 10Be sont deux cosmonucléides
formés dans la haute atmosphère). Ces séries ont permis, d’une part, de retrouver
les périodes de faible activité solaire déjà connues des astronomes grâce aux
comptages des taches solaires et aux observations directes d’aurores boréales, et
d’autre part, de mettre en évidence des minima solaires encore plus anciens. Notre
reconstitution de l’irradiance solaire sur 1 000 ans a été choisie par les modélisateurs
du climat comme courbe de forçage « étalon » (cf. p. 479 du rapport IPCC-GIEC
2007). Cette étude est en cours d’extension pour les sept derniers millénaires
(comparaison de la courbe 14C INTCAL04 avec les données 10Be de la carotte de
glace de Vostok en Antarctique Central ; collaboration avec le CSNSM et le
LSCE).
Les mesures de 10Be peuvent maintenant être faites au CEREGE à l’aide du
nouvel accélérateur de 5MV ASTER installé sur le campus de l’Arbois à Aix-en-
Provence. La chimie préparative du béryllium (extraction et purification) est
réalisée dans le laboratoire de la chaire de l’évolution du climat et de l’océan
(bâtiment Trocadéro de l’Arbois). L’équipe est impliquée dans le programme de
mesure du 10Be sur une nouvelle carotte de glace. Le forage de Dôme Talos, site
proche de la mer de Ross, a atteint 1 619,20 m de profondeur. La glace formant
le fond du forage est très ancienne, et d’après une première datation, la carotte
couvre les derniers 65 000 ans à une profondeur de 1 300 m. Le forage a été
échantillonné pour les mesures du 10Be et les échantillons de glace sont stockés
dans un entrepôt frigorifique à proximité du CEREGE. Ce forage au Dôme Talos
a été réalisé dans le cadre du projet TALDICE mené principalement par une
collaboration franco-italienne. Le projet reçoit un soutien national de l’INSU
(programme LEFE Talos Dome) et de l’IPEV pour la logistique polaire.
Publications
2008
Eris K.K., Ryan W.B.F., Cagatay M.N., Lericolais G., Sancar U., Menot G.,
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Rickaby R.E.M., Bard E., Sonzogni C., Rostek F., Beaufort L., Barler S., Rees G.,
Schrag D. Coccolith chemistry reveals secular variations in the global ocean carbon cycle ?
Earth and Planetary Science Letters 253, 83-95 (2007).
Responsabilités diverses :
Directeur-Adjoint du Centre Européen de Recherche et d’Enseignement en Géosciences
de l’Environnement (CEREGE UMR 6635).
Membre nommé du Conseil de l’Agence d’évaluation de la recherche et de l’enseignement
supérieur (AERES) du ministère de l’Enseignement supérieur et de la Recherche (MESR).
Membre du Conseil du laboratoire NOSAMS de la Woods-Hole Oceanographic
Institution (USA).
ÉVOLUTION DU CLIMAT ET DE L’OCÉAN 161
Distinction
2008, Wiley Lecture de la Quaternary Research Association (Royal Geographical Society,
Londres),
Astrophysique observationnelle
I. Cours et séminaires
Les progrès en cours et prévisibles des observations astronomiques à haute
résolution angulaire ont encore fait l’objet du cours de cette année. La voie des
télescopes géants dilués, encore nommés « hypertélescopes », explorée depuis une
dizaine d’années, apparaît prometteuse. D’une part, la compréhension théorique de
ces instruments et de leurs propriétés d’imagerie progresse et confirme l’amélioration
de leur sensibilité, par rapport aux interféromètres plus classiques comportant un
petit nombre de grandes ouvertures. D’autre part, les techniques visant à leur mise en
œuvre se mettent en place. Un grand défi est de parvenir à rendre les hypertélescopes
utilisables pour observer les objets les plus faiblement lumineux auxquels accèdent les
télescopes classiques et leurs versions à venir nommées « Extrêmement Grands
Télescopes », comportant un miroir mosaïque de 25 à 42 m.
Ces différents points ont été abordés dans le cours, et certains l’ont été dans les
séminaires de Roberto Gilmozzi, Jean Surdej, Michel Aurière, Didier Pelat, Lyu
Abe, Jean-Gabriel Cuby, Tristan Guillot, Guy Perrin et Hervé Le Coroller.
Version pour hypertélescope d’une optique adaptative avec étoile guide laser
(A. Labeyrie)
Les systèmes d’étoiles guide laser, dont le principe fut d’abord publié par Foy et
Labeyrie en 1985, ont été mis en œuvre sur les plus grands télescopes, sur lesquels
elles permettent depuis quelques années d’étendre à des sources très faiblement
lumineuses les techniques d’optique adaptative, et donc d’observer des objets très
lointains avec une résolution améliorée. Il ne semblait pas facile d’adapter une
étoile laser à un hypertélescope, pour étendre à des sources très faibles ses capacités
d’imagerie à haute résolution. Cependant, une possibilité de solution, utilisant un
système laser modifié, est apparue. La théorie a pu être vérifiée en partie avec un
montage de laboratoire. En attendant la construction d’hypertélescopes dans
l’espace, des versions terrestres pourraient donc devenir utilisable pour les
observations de cosmologie sur les galaxies faibles et lointaines.
O O O
H 2N O O O NH2
O 2N
1. CD 2. F NO2
NO2 O 2N
O O O
O 2N N O O O N NO2
H H
b) Polyéthers macrocycliques
Les polyéthers macrocycliques forment des rotaxanes avec des cations ammonium
qui s’insèrent dans la cavité centrale par formation de liaisons hydrogène avec les
sites oxygène.
Structures RX
c) Macrocycles Accepteur/Donneur
L’introduction de groupements riches en électrons (Donneurs) ou pauvres en
électrons (Accepteurs) dans un récepteur macrocyclique permet l’insertion d’un
substrat contenant le groupe complémentaire dans la cavité centrale. Cette approche
s’est révélée particulièrement fructueuse et a permis d’obtenir de nombreuses
architectures mono- et poly-rotaxanes et caténanes.
85.2PF 6 87 .3X
+ +
N N
+ +
M eC N
2PF 6 3X
R oom Temp erature
+
N N
Br
Br Br O O O
86 O O Insertion
B PP3 4C 10
O O
O O O
O O O O O O
4PF 6 3X
O O O O
+ + + +
N H 4PF 6
+ + Cyclisation +
Br
O O O O
O O O O O O
88.4P F 6 [2]rotaxane
[8 7.B PP 34C 10 ].3X
CHIMIE DES INTERACTIONS MOLÉCULAIRES 173
1. O O O O O O O O O O
+ +
N N
or
O O O O O O O O O O
Br Br
92
O O O O O O O O O O O O O O O O O O O O
+ + + +
+ + + +
O O O O O O O O O O O O O O O O O O O O
93.4PF6 94.4PF6
Des rotaxanes et caténanes ont aussi été obtenus en utilisant l’effet de support
d’un anion complexé.
N
N N N
N N
N N
NN N
N NN
N N
11.60 Å N N
N
N N
N N
N
N
N
N
N N
N
N N
NN N
N
N N
H R2
N N N
R1 N
N
N N n
N
H H N
N N NH
N N
R2
N
H H H H N N
N N C C N
N NH
H2N N H2 O O H N
H N
N N
N N N N R1 N N
+ N
N N N
R1 R2 N
H N
H N
N N NH
R2 N N
N
N N N
R1= R2= N NH
H N N
Me O OMe
N
OMe N R2
b) Chaînes pyridine-carboxamides
Séminaires
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— Olivia Reinaud (Université de Paris Descartes), Exploration des métallo-biosites avec
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Yoshihito Osada (Hokkaido University), Intelligent Gelsl – An Approach to Artificial
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Karlsruhe), Auto-Organisation et Mouvements Moléculaires.
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Philippe Turek (Institut de Chimie, Strasbourg), Electron Paramagnetic Resonance:
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Alexandros E. Koumbis (Aristotle University of Thessaloniki), Total Synthesis of Syributins,
Secosyrins and Syringolides, 26 février 2008.
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Alexandre Varnek (Université Louis Pasteur), From Databases to in silico Design
of New Compounds, 1er avril 2008.
Raymond Weiss (Université Louis Pasteur), Les Peroxidases et leurs Mécanismes, 23 juin
2008.
3) Dispositifs nanomécaniques
Des mouvements moléculaires réversibles peuvent être induits dans des brins
moléculaires oligopyridine-dicarboxamide par protonation et déprotonation (3).
L’étude des mouvements moléculaires couplés par complexation et décomplexation
successives de brins moléculaires polytopiques a été poursuivie (M. Stadler).
2) Superstructures en « grille » [2 × 2]
L’autoassemblage de grilles métallosupramoléculaires [2 × 2] à partir de ligands
fonctionnalisés permet la génération de multivalences avec présentation de huit
groupements fonctionnels soit :
— en position « axiale », à partir de composants hydrazino-pyridine,
— en position « latérale », à partir de composants hydrazide (X. Cao).
La mise en évidence des effets de cette multivalence repose sur l’apparition de
propriétés nouvelles, notamment complexantes (X. Cao).
Des grilles fonctionnalisées destinées notamment à l’autoorganisation sur surface
métallique ou avec des nanoparticules métallique ont été synthétisées
(A. Stefankiewicz).
La formation sélective de grilles [2 × 2] hétérométalliques directement par
autoorganisation avec sélection des cations et régiosélectivité a été étudiée
(J. Ramirez, A.M. Stadler).
Le mécanisme de formation des grilles [2 × 2] a été étudié par RMN
(M.-N. Lalloz-Vogel, A. Marquis).
Des ligands bis-tridentates forment avec des cations lourds (HgII, PbII) des
architectures de coordination de type grille ou ratelier (5).
Une étude détaillée par diffusion de neutrons aux petits angles a été réalisée sur
la modulation par décoration dynamique de la structure de gels générés par des
quadruplexes de guanosine (11).
Les hydrogels basés sur des quadruplexes formés par un dérivé hydrazide de la
guanosine effectuent une sélection structurale et une libération controlée de
molécules bioactives (12).
Publications
Cations (Hg2+ and Pb2+) with Bis-tridentate Ligands: Solution and Solid-State Studies,
Z. Anorg. Allg. Chem., 633, 2435-2444, 2007.
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Supramolecular Polymers Generated via Self-Assembly through Hydrogen Bonds, Mol. Cryst.
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10. G. Pace, A. Petitjean, M.-N. Lalloz-Vogel, J. Harrowfield, J.-M. Lehn,
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11. E. Buhler, N. Sreenivasachary, S.-J. Candau, J.-M. Lehn, Modulation of the
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Chem. Soc., 129, 10058-10059, 2007.
12. N. Sreenivasachary, J.-M. Lehn, Structural Selection in G-Quartet-Based Hydrogels
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13. N. Giuseppone, J.-L. Schmitt, L. Allouche, J.-M. Lehn, DOSY NMR Experiments
as a Tool for the Analysis of Constitutional and Motional Dynamic Processes: Implementation
for the Driven Evolution of Dynamic Combinatorial Libraries of Helical Strands, Angew.
Chem. Int. Ed., 47, 2235-2239, 2008.
14. S. Ulrich, J.-M. Lehn, Reversible switching between macrocyclic and polymeric states
by morphological control in a constitutional dynamic system, Angew. Chem. Int. Ed., 47,
2240-2243, 2008.
15. T. Ono, S. Fujii, T. Nobori, J.-M. Lehn, Optodynamers: Expression of Color and
Fluorescence at the Interface between two Films of Different Dynamic Polymers, Chem.
Commun., 4360-4362, 2007.
16. Cheuk-Fai Chow, S. Fujii, J.-M. Lehn, Metallodynamers : Neutral Dynamic
Metallosupramolecular Polymers Displaying Transformation of Mechanical and Optical Properties
on Constitutional Exchange, Angew. Chem. Int. Ed., 46, 5007-5010, 2007.
17. C.-F. Chow, S. Fujii, J.-M. Lehn, Crystallization-Driven Constitutional Changes of
Dynamic Polymers in Response to Neat/Solution Conditions, Chem Commun., 4363-4365,
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18. B. Levrand, W. Fieber, J.-M. Lehn, A. Herrmann, Controlled Release of Volatile
Aldehydes and Ketones from Dynamic Mixtures Generated by Reversible Hydrazone Formation,
Helv. Chim. Acta, 90, 2281-2314, 2007.
19. D.T. Hickman, N. Sreenivasachary, J.-M. Lehn, Synthesis of Components for the
Generation of Constitutional Dynamic Analogues of Nucleic Acids, Helv. Chim. Acta, 91,
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20. Y. Ruff, J.-M. Lehn, Glycodynamers: Fluorescent dynamic analogues of polysaccharides,
Angew. Chem Int. Ed., 47, 3556-3559, 2008.
21. Y. Ruff, J.-M. Lehn, Glycodynamers: Dynamic analogs of arabinofuranoside
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22. O. Ramström, J.-M. Lehn, Dynamic Ligand Assembly in Comprehensive Medicinal
Chemistry II, D. Triggle, J. Taylor, Eds.; Elsevier, Ltd, Oxford, 959-976, 2007.
CHIMIE DES INTERACTIONS MOLÉCULAIRES 185
Du fait des difficultés engendrées par les travaux de rénovation des locaux, le
laboratoire de Chimie de Interactions Moléculaires a été fermé.
186 JEANMARIE LEHN
Dans ce domaine, le vivant nous offre des exemples remarquables qui remontent
souvent au début du Cambrien. Le but de ce cours était de montrer comment des
micro-organismes pouvaient intervenir dans l’élaboration de matériaux
nanostructurés. Pour cela, nous avons développé les exemples suivants.
MgO, TiO2 ou BaTiO3. Il est même possible de réduire toute la silice en silicium
élément de base de l’électronique moderne.
4. Virus et nanomatériaux
De nombreux virus ont été utilisés pour élaborer des nanomatériaux. Le contrôle
de l’information génétique (ARN ou ADN) permet de contrôler la nature de
l’enveloppe protéique qui les recouvrent et dans laquelle certains acides aminés
peuvent servir de germe pour nucléer la croissance de nanoparticules. Deux types
de virus ont été pris comme exemples dans le cours.
• Le virus de la mosaïque du tabac, qui se présente sous forme d’un bâtonnet de
300 nm de long. Il permet d’élaborer des nanotubes d’oxydes (SiO2, Fe3O4) de
semi-conducteurs (PbS, CdS) de métaux (Co, Cu, Ni, Pd, …) et même de
polymères (polyaniline). Des dispositifs de commutation ont même été publiés
récemment dans lesquels les virus, recouverts de nanoparticules métalliques sont
insérés entre deux électrodes. Une commutation réversible d’un état isolant (OFF)
à un état conducteur (ON) est observée au-dessus d’une tension seuil.
CHIMIE DE LA MATIÈRE CONDENSÉE 189
5. Les bactéries
Par rapport aux exemples précédents, les bactéries sont des objets vivants dont
le métabolisme peut être mis à profit pour réaliser la synthèse de nanoparticules
minérales. L’exemple des magnéto-bactéries qui élaborent des chaînes de
nanocristaux d’oxyde de fer magnétique Fe3O4 est bien connu. On peut, simplement
en introduisant des ions étrangers dans le milieu de culture, transformer ces
particules en spinelles, MFe2O4 (M = Co, Zn, Mn, …). Les cultures de bactéries
vivant dans des milieux extrêmes permettent de précipiter des sphères creuses de
ZnS, des nanosphères de sélénium, des nanocristaux de CdS et même des nanotubes
de sulfure d’arsenic. Une application originale consiste à utiliser des bactéries,
recouvertes de nanoparticules d’or, comme capteur d’humidité. Le gonflement
réversible de la membrane de peptidoglycane modifie la distance entre particules
métalliques et donc la résistivité du bio-composant.
Les séminaires
Publications 2007-2008
Enseignement
Une série de 5 cours a été donnée au Collège en mars 2008 sur un thème de
très grande actualité : « Évolution du génome humain et gènes soumis à sélection
positive ». Des variations génétiques apparaissent à chaque génération et la plupart
disparaissent ou restent extrêmement rares, mais certaines vont augmenter de
fréquence, jusqu’à la fixation éventuelle dans certaines populations, sous l’effet de
la dérive génétique et de pression de sélection négative (pour les variants délétères)
ou positive (pour les variants ayant une valeur adaptative). Depuis plus de 50 ans,
ces phénomènes ont été étudié chez l’homme pour des protéines puis pour des
gènes « candidats » montrant des propriétés particulières : polymorphisme impor-
tant (gènes HLA) ou montrant une grande variation de fréquence dans diverses
populations (et il faut rappeler évidemment les travaux des professeurs au Collège
de France, Jacques Ruffié et Jean Dausset).
Depuis une dizaine d’années, on constate une explosion des connaissances, grâce
au séquençage du génome humain et de certains primates (chimpanzé en 2005,
macaque rhésus en 2007) et à l’étude systématique du polymorphisme du génome
humain (projet HapMap, caractérisant en 2007 plus de 3 millions de « Single
Nucleotide Polymorphisms » et leur organisation en haplotypes dans 4 populations
humaines), et aux spectaculaires développements technologiques qui sous-tendent
ces grands projets, et qui permettent des études ciblées sur des gènes et des
populations particulières. Le séquençage en cours du génome d’homme de
Néandertal va apporter également des données précieuses. Cette série de cours a
présenté les approches méthodologiques utilisées pour identifier des gènes soumis
à sélection positive, et discuté certains des résultats les plus marquants obtenus
dans les dernières années, en soulignant dans certains cas les controverses quant à
leur interprétation.
196 JEANLOUIS MANDEL
du gène qui paraît conférer une avantage sélectif. Enfin, les études récentes de
polymorphismes prédisposant au diabète de type 2 (Sladek et al., 2007) sont en
faveur de la « thrifty gene hypothesis » qui propose que des variants permettant de
limiter la dépense énergétique dans des périodes de restriction alimentaire ont été
sélectionnés, et prédisposent aux maladies métaboliques (diabète, obésité) dans le
mode de vie actuel. Un autre cours a été consacré aux études, aux interprétations
parfois controversées, impliquant des phénomènes de sélection dans l’évolution des
fonctions cognitives pour les gènes FOXP2 (dans l’évolution du langage) et les
gènes ASPM et MCPH1, dont des mutations rares sont associées à des
microcéphalies monogéniques. Il est intéressant de noter que des études impliquent
également le gène FOXP2 dans la vocalisation ultrasonique chez les souris, et dans
l’apprentissage de chants d’oiseau (modèle du mandarin, ou zebra finch).
Recherche
Le groupe de recherche en génétique humaine fait partie du département de
Neurobiologie et Génétique de l’IGBMC (Institut de Génétique et Biologie
Moléculaire et Cellulaire, UMR 7104 du CNRS, Unité Inserm U596 et Université
Louis Pasteur de Strasbourg). Il se consacre essentiellement à l’étude des mécanismes
génétiques et physiopathologiques de maladies monogéniques neurologiques ou
musculaires. Des aspects de recherche clinique sont également développés dans le
laboratoire hospitalier de diagnostic génétique du CHU de Strasbourg, dirigé par
J.-L. Mandel. Jean-Louis Mandel a été nommé en juin 2008 directeur de l’Institut
Clinique de la Souris (ICS), une très importante plateforme technologique associée
à l’IGBMC et impliquée dans la création et le phénotypage de souris génétiquement
modifiées.
Jean-Louis Mandel est plus particulièrement impliqué dans les thématiques
suivantes :
1) Syndrome de retard mental avec chromosome X fragile et fonction de la
protéine FMRP (avec Hervé Moine, CR1 CNRS).
2) Myopathies myotubulaire et centronucléaires et analyse fonctionnelle d’une
nouvelle famille de phosphoinositides phosphatases : les myotubularines (équipe
codirigée avec Jocelyn Laporte, promu DR2 INSERM en 2007, et labellisée équipe
FRM 2007). Jocelyn Laporte a été également lauréat d’un Prix du comité Alsace
de la Fondation pour la Recherche Médicale.
200 JEANLOUIS MANDEL
avec son propre ARNm, au niveau d’un G-quartet présent dans la région codante
(exon 15), peut moduler l’épissage alternatif du gène FMR1. En effet, ce G-quartet
présente des propriétés activatrices de l’épissage et la liaison de FMRP avec ce
motif pourrait constituer une boucle d’autorégulation (Didiot et al., 2008).
En collaboration avec B. Bardoni (CNRS, Nice), nous avons caractérisé un
nouvel ARNm lié par FMRP, l’ARNm SOD1. L’équipe de B. Bardoni a observé
que l’expression de la protéine superoxyde dismutase 1 codée par ce gène était
diminuée dans le cerveau des souris déficientes en FMRP. Nous avons montré que
l’ARNm SOD1 ne contient pas de motif G-quartet et FMRP, en se liant à un
motif structuré en tige-boucle présent au niveau du site d’initiation de la traduction,
stimulerait la traduction de cet ARNm (résultats soumis).
Le mécanisme d’action de FMRP sur ses différents ARNm cibles est encore mal
compris. Nous avons récemment montré expérimentalement la présence de motifs
G-quartet et leur liaison par FMRP au niveau de la région 3′ non traduite de deux
gènes importants pour la plasticité synaptique et précédemment proposés comme
cible de FMRP (résultats non publiés). Nous avons entrepris d’analyser et comparer
l’impact de FMRP sur le métabolisme de ces deux ARNm en culture de neurones
primaires de souris : traduction, localisation, stabilité.
En collaboration avec l’équipe du Dr C. Branlant (CNRS Nancy) nous avons
mis en évidence une nouvelle interaction entre FMRP et le complexe SMN
d’assemblage de particules ribonucléoprotéiques du spliceosome (Piazzon et al.,
2008). Le complexe SMN est déficient dans une importante pathologie du
motoneurone, l’amyotrophie spinale (SMA).
Nous avons récemment réanalysé l’association proposée par plusieurs laboratoires
entre FMRP et le complexe RISC (RNA induced silencing complex). Nous avons
montré que FMRP : 1) n’est pas nécessaire à l’activité RISC dans les cellules,
2) présente des propriétés de localisation intracellulaire et d’association aux
polysomes distinctes de celles du complexe RISC. Nous concluons à une implication
de FMRP et RISC dans des voies fonctionnelles distinctes. FMRP contribuerait à
l’efficacité de formation des granules de stress (article en préparation).
MTM1 codant pour la myotubularine (Laporte et al., 1996), dont nous avons par la
suite montré qu’elle définit une nouvelle famille de phosphoinositides phosphatases,
agissant sur le PI3P et le PI3,5P2 (Blondeau et al., 2000, Laporte et al., 2003). Les
formes autosomiques dominantes (ADCNM) débutent à l’adolescence ou à l’âge
adulte, et sont généralement dues à des mutations de la dynamine 2, une protéine
impliquée notamment dans les mécanismes d’endocytose et de trafic membranaire
(Bitoun et al., 2005). Les formes infantiles autosomiques récessives (ARCNM) sont
de sévérité intermédiaire et nous avons récemment montré que certaines familles
sont mutées dans le gène BIN1 codant pour l’amphiphysine 2, une protéine
interagissant avec la dynamine (Nicot et al., 2007).
Nous avons poursuivi d’autre part nos travaux sur la physiopathologie de la forme
liée au chromosome X, par l’étude du modèle souris de déficience en myotubularine
que nous avons construit antérieurement (Buj-Bello et al., 2002). Une étude
transcriptomique globale au cours du développement de la pathologie musculaire
dans ce modèle, ainsi que dans des biopsies musculaires de patients (en collaboration
GÉNÉTIQUE HUMAINE 203
Nous avons aussi poursuivi une approche de thérapie génique à l’aide de vecteur
AAV (adeno-associated virus) exprimant la myotubularine, en collaboration avec
le Généthon (Evry). Des résultats très positifs ont été obtenus sur notre modèle
souris. En effet une seule injection intramusculaire dans des souris déjà atteintes
de faiblesse musculaire améliore de manière spectaculaire l’état pathologique du
muscle, corrige le positionnement des noyaux et augmente la masse musculaire
ainsi que la force, à un niveau quasi-normal (Buj-Bello et al., 2008). L’utilisation
de la même approche pour surexprimer la myotubularine suggère que cette protéine
régule l’homéostasie du sarcolemme, la membrane plasmique des fibres musculaires
(Buj-Bello et al., 2008). Nous testons maintenant par la même approche la capacité
de protéines homologues à la myotubularine (MTMR1 et MTMR2) à améliorer
le phénotype des souris Mtm1 KO, ce qui permettrait à terme d’envisager une
thérapie par réexpression des gènes homologues et ainsi diminuer la réponse
immunitaire. Sur un plan plus fondamental, ceci apportera également des
informations précieuses sur les mécanismes de spécificité musculaire liées aux
mutations du gène MTM1, son plus proche homologue MTMR2 étant muté dans
une forme récessive sévère de neuropathie périphérique démyélinisante, avec
atteinte des cellules de Schwann (Chojnowski et al., 2007) et donc nous permettre
de discriminer entre les alternatives de spécificité d’expression ou liée à la structure
de la protéine.
L’équipe a par ailleurs collaboré à une étude portant sur les conséquences de
l’inactivation de RSK2 pour la croissance axonale des motoneurones. Cette étude
a montré que la survie de motoneurones (spinaux) de souris KO-RSK2 en culture
était normale, mais que les axones avaient une longueur significativement plus
importante que les axones de motoneurones WT. La surexpression d’une forme
constitutivement active de RSK2 dans les motoneurones conduisait, au contraire,
à une réduction de la croissance axonale. Comme dans le cadre de notre étude sur
le système dopaminergique, une augmentation de 30-40 % de l’activité de ERK1/2
a aussi été constatée dans les motoneurones déficients pour RSK2 par rapport à
des motoneurones WT. Finalement, en appliquant un inhibiteur pharmacologique
de MEK à des cultures de motoneurones déficients pour RSK2, l’excès de croissance
axonale a pu être corrigé. L’ensemble des résultats suggère que dans des conditions
physiologiques normales RSK2 régule négativement l’allongement des axones via
la voie de signalisation MAPK/ERK. Une dérégulation de la croissance des neurites
pourrait ainsi contribuer au déficit fonctionnel du système nerveux des patients
CLS et des souris déficientes pour RSK2. Ces résultats ont été rapportés dans une
publication qui vient d’être acceptée dans le Journal of Cell Biology (Fisher et al.,
in press). Les études en cours portent sur la croissance des neurites de neurones
corticaux et hippocampiques, ainsi que sur la morphogénèse de leurs épines
dendritiques.
212 JEANLOUIS MANDEL
2007
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module d’élasticité de l’eau est beaucoup plus élevé que celui de l’air. Enfin,
l’impédance caractéristique du milieu, Zc (mesurée en rayls), module à la fois
l’intensité et la vitesse de propagation du son. L’impédance est l’inertie opposée par
un système au passage d’un signal périodique (la grandeur inverse est l’admittance).
La relation entre l’impédance caractéristique et l’intensité sonore sus-mentionnée
(I = p2/Zc) montre que plus l’impédance caractéristique du milieu traversé est forte,
plus l’intensité sonore diminue ; la relation entre impédance caractéristique et vitesse
de propagation du son, Zc = roc, montre que plus l’impédance caractéristique d’un
milieu est élevée, plus la vitesse de propagation du son est grande. Par ailleurs, dans
un milieu donné, l’intensité sonore varie en relation inverse avec le carré de la
distance à la source sonore.
L’amplificateur cochléaire
Bien vite, ces données suscitèrent des interrogations. Les pics de déplacement de la
membrane basilaire étaient très larges en regard de la discrimination fréquentielle
mise en evidence par les expériences psychoacoustiques. Ces dernières avaient, dès
1954, trouvé une traduction physiologique par les travaux de Ichiji Tasaki
(Tasaki, 1954), qui montraient que chaque neurone auditif répond préférentiellement
à une fréquence particulière. Ces courbes de réponse neuronale, dite courbes d’accord
(seuil de la décharge neuronale en dB en fonction de la fréquence sonore), très
pointues, plaidaient en faveur de l’existence d’un mécanisme additionnel de sélectivité
fréquentielle. L’introduction de l’interférométrie-laser, qui autorisait des mesures
beaucoup plus précises du mouvement de la membrane basilaire que les analyses
stroboscopiques, couplée à l’enregistrement des réponses électriques neuronales, allait
de fait montrer qu’in vivo, les vibrations maximales de la membrane basilaire étaient
d’une part beaucoup plus amples, et d’autre part limitées à un emplacement plus
restreint de la membrane basilaire pour une fréquence du son donnée. A la sélectivité
« passive », grosssière, de la membrane basilaire (en rapport avec ses propriétés
physiques), s’ajoutait donc une sélectivité « active » qui amplifiait le mouvement
passif. Or l’existence d’un amplificateur cochléaire actif avait été prédite par Thomas
Gold (Gold, 1948). En 1948, Gold avait souligné que la cochlée, remplie de liquide,
ne pouvait pas être le site d’une résonance mécanique passive d’amplitude suffisante
pour permettre la détection de sons dont l’énergie est proche de celle du bruit
thermique, et, qui plus est, avec une bonne sélectivité fréquentielle. Il conclut à la
nécessité d’une source d’énergie interne pour compenser la perte d’énergie par
dissipation visqueuse.
En 1978, Peter Dallos (Dallos et Harris, 1978) montrait que les cellules ciliées
externes (CCE) sont indispensables à la fonction d’amplification. La découverte de
l’électromotilité de ces cellules il y a bientôt 25 ans (Brownell et al, 1985) (le
phénomène avait cependant été évoqué dès 1967 par Goldstein et Mizukoshi
(Goldstein et Mizukoshi, 1967), cf. cours 2002), paraissait avoir résolu l’origine
de l’amplification. William Brownell découvrait que si on applique une
dépolarisation à une CCE, elle se contracte ; la longueur de sa paroi latérale
diminue, cette réduction pouvant atteindre 4 % de la longueur totale. Puis, il
observait qu’un courant alternatif, qui mime en quelque sorte le cycle de
dépolarisation-repolarisation de la CCE induit par le son, augmente la longueur
de la CCE durant sa phase hyperpolarisante et la raccourcit durant sa phase
dépolarisante. Il y a donc variation de longueur en fonction du voltage, et
réciproquement, si on étire la cellule, elle s’hyperpolarise. Ces propriétés répondent
à la définition d’un composant piézoélectrique. En réalité, ce n’est pas tant le
changement de longueur que la force développée en parallèle avec ce changement
de longueur qui est le paramètre physiologique à prendre en compte.
Les caractéristiques de l’électromotilité des CCE répondent-elles à celles de
l’amplificateur cochléaire ? La force produite par l’électromotilité est d’environ
100 pN/mV. La dépolarisation de la CCE peut atteindre 20 mV; la force produite
peut donc atteindre environ 2 nN ; elle est du même ordre de grandeur que celle que
les CCE appliquent sur la membrane basilaire. En revanche, cette force varie quasi
linéairement avec le potentiel électrique de membrane pour des valeurs physiologiques
de ce potentiel. La rigidité du corps cellulaire varie aussi avec le voltage, de 1 à
25 nN/mm, et cette variation est, elle aussi, presque linéaire. Ceci ne constitue pas
un argument contre le fait que l’électromotilité soit à l’origine de l’amplification. En
effet, la stimulation de la touffe ciliaire par le son engendre une variation non-linéaire
du potentiel de membrane qui conférera une variation non-linéaire aux paramètres
de l’électromotilité qui dépendent du voltage. L’idée qui prévaut est que
l’amplificateur doit injecter de l’énergie, cycle par cycle, jusqu’à de très hautes
fréquences, plus de 100 kHz chez la chauve-souris. Il n’est cependant pas démontré
qu’une amplification à chaque cycle existe effectivement pour des fréquences très
élevées du son. L’électromotilité peut-elle aussi opérer à des fréquences très élevées ?
Quand des CCE sont soumises à un courant alternatif atteignant 70 kHz, leurs
parois se contractent et se décontractent bien cycle par cycle. On notera toutefois
qu’à ce jour, aucune vibration de la membrane basilaire excédant 13 kHz n’a été
raportée. Enfin, un composant piézoélectrique a bien été identifié dans les parois des
CCE. Il s’agit d’une protéine intégrale de membrane, qui a été nommée prestine, en
référence à son aptitude de réponse à des sons de haute fréquence.
Pourtant, une interrogation demeure, qui a conduit certains à remettre en
question l’électromotilité comme mécanisme de l’amplification. La dépolarisation
de la touffe cilaire (structure de réception de la stimulation sonore et site de la
transduction) doit se propager aux parois latérales de la CCE. Or la constante
électrique de temps de la membrane (produit de sa résistance électrique et de sa
222 CHRISTINE PETIT
En 1984, Pickles découvre le lien apical des stéréocils (Pickles et al, 1984).
D’emblée, son implication dans la transduction mécano-électrique est proposée.
La transduction mécano-électrique auditive a alors été déjà bien explorée par le
groupe de Jim Hudspeth qui, compte tenu du temps très bref entre stimulation
mécanique et enregistrement du courant, avait proposé un an plus tôt, un modèle
pour cette transduction, connu sous le nom de gating spring model, que l’on peut
224 CHRISTINE PETIT
Dans le 2e et le 3e cours, ont été présentées des avancées récentes portant sur la
physiologie moléculaire des cellules sensorielles de la cochlée. L’implication de la
cadhérine-23 et de la protocadhérine-15 dans la formation de liens transitoires de
la touffe ciliaire en développement et du lien apical (tip link) a été discutée.
Les molécules proposées pour entrer dans la composition du canal de transduction
mécano-électrique ont été examinées à la lumière des propriétés biophysiques de ce
canal. C’est un canal cationique non sélectif qui a une forte perméabilité pour les
ions Ca2+. Sa perméabilité aux ions Ca2+ est 5 fois plus importante qu’aux ions Na+,
aussi bien chez la grenouille, que chez la tortue et les mammifères. Sa perméabilité
aux cations monovalents s’ordonne comme suit : elle est plus élevée pour le Cs+ que
pour le K+, que pour le Na+, que pour le Li+. Bloqué par le Ca2+, ce canal l’est aussi
par de fortes concentrations de magnésium (Mg2+), par de très faibles concentrations
de lanthanium (La3+) ou de gadolinium (Gd3+) ou d’amiloride, ou par la
dihydrostreptomycine, 50 à 100 μM. Il n’est pas sensible au voltage.
Bien que les canaux de type TRP puissent encore être considérés comme
d’excellents candidats, les deux qui ont été proposés à ce jour, TRPN1 et TRPA1,
ont été éliminés.
La nature moléculaire du moteur d’adaptation a fait l’objet d’une présentation,
et les arguments en faveur d’un rôle central de la myosine 1c ont été examinés. Les
éléments qui plaident en faveur de l’implication d’une autre myosine, la
myosine VIIa, ont été discutés. Le rôle de la pompe calcique Pmca2 dans le rejet
des ions Ca2+ hors de la touffe ciliaire a été rappelé, et son mode d’action examiné,
en tenant compte de données génétiques obtenues chez l’homme et la souris, qui
établissent son couplage fonctionnel avec la cadhérine-23.
226 CHRISTINE PETIT
A partir de ces données, on est amené à penser que l’exocytose de la CCI est
d’une extrême précision temporelle, que la cochlée traite le paramètre d’intensité
sonore en termes de probabilité d’événements d’exocytose dans la CCI, et que
conjointement, les neurones auditifs auraient une diversité de seuils de réponse.
Le noyau cochléaire est situé dans la partie caudale du tronc cérébral. Il est divisé
en trois grandes régions ou noyaux : noyau ventral antérieur (NVA), noyau ventral
postérieur (NVP) et noyau dorsal (ND). Tout axone des neurones auditifs de
type I qui pénétre dans le noyau cochléaire se divise en deux branches, une branche
antérieure (ou ascendante) et une branche postérieure (ou descendante). La branche
antérieure innerve le NVA. La branche postérieure innerve le NVP et le ND. Les
projections des neurones auditifs sont ordonnées en fonction de la fréquence
caractéristique de ces neurones, et constituent une carte tonopique dans laquelle,
comme dans la cochlée, les basses fréquences sont traitées à l’apex du noyau (région
antérieure) et les hautes fréquences à sa base (région postérieure). Ainsi, on peut
considérer qu’il existe trois cartes tonotopiques distinctes au niveau du noyau
cochléaire. Elles reçoivent une information semblable, et doivent donc en extraire
des informations différentes.
Ces neurones ont des réponses électriques très diverses : réponse voisine de celle
des neurones auditifs primaires, réponse avec une périodicité en rapport avec la
stimulation sonore mais comportant une encoche au démarrage, réponse dite « en
hachoir » avec des pics qui ne sont pas synchrones au son, réponse restreinte à la
mise en place de la stimulation (comme celle des cellules « pieuvre »)…
Des cellules peuvent appartenir à un même type et décharger selon plusieurs
modes. Ainsi, les neurones en buisson déchargent selon trois modes : soit comme les
neurones auditifs primaires, soit à la mise en place du signal acoustique, soit encore
comme les neurones auditifs primaires, mais avec une encoche. Les neurones étoilés
ou multipolaires ont deux modes de réponse : l’un « en hachoir », l’autre lors de la
mise en place du signal acoustique. Les cellules « pieuvre » déchargent à la mise en
place du signal, et les cellules fusiformes ou pyramidales ont divers profils de réponse
électrique. Ces réponses électriques distinctes traduisent l’extraction de différentes
informations à partir de la réponse des neurones auditifs primaires.
Au-delà du noyau cochléaire, en raison des projections axonales bilatérales,
chaque structure relais comporte une organisation tonotopique, et reçoit des
informations provenant des deux oreilles.
Le second relais central du système auditif, le complexe olivaire supérieur (COS),
est aussi situé dans le tronc cérébral. Il comporte trois noyaux principaux, l’olive
supérieure latérale (OSL), l’olive supérieure médiane (OSM), le corps trapézoïde et
ses trois noyaux, latéral, ventral, et médian (noyau médian du corps trapézoïde ou
NMCT), ainsi qu’un ensemble de noyaux de petite taille (noyaux périolivaires). Ces
structures ont toutes une organisation tonotopique. Du noyau cochléaire, émergent
trois voies majeures : les stries acoustiques ventrale, intermédiaire, et dorsale. La strie
acoustique ventrale, ou corps trapézoïde, est formée par les axones qui proviennent
des neurones en buisson du NCVA, et des neurones stellaires et « pieuvre » du
NCVP. L’axone des cellules « en buisson » se termine essentiellement sur les trois
principaux noyaux du COS, tandis que certains de ces axones continuent leur route
à travers le lemnisque latéral jusqu’au colliculus inférieur. Celui des cellules
sphériques en buisson se projette de façon bilatérale sur l’OSM, et ipsilatérale sur
l’OSL, celui des cellules globulaires en buisson se projette en controlatéral sur les
neurones du NMCT venant inhiber l’activité de l’OSL déclenchée par les cellules
sphériques en buisson. La strie acoustique intermédiaire, ou strie de Held, inclut les
axones des cellules « pieuvre » du NVP qui se terminent dans les noyaux périolivaires
et, plus loin, dans le lemnisque latéral et le colliculus inférieur. Enfin, la « strie
acoustique dorsale » contient les axones des neurones du NCD. Elle n’envoie aucune
projection sur le complexe olivaire supérieur, et se termine, comme la strie acoustique
intermédiaire, sur le colliculus inférieur et les noyaux du lemnisque latéral. Enfin, il
existe bon nombre de projections internes au sein du noyau cochléaire.
Les neurones du NMCT comportent les synapses géantes, ou calices de Held,
qui sont considérées comme les plus grandes terminaisons synaptiques du cerveau
des mammifères. L’extrémité axonale des cellules globulaires présentes dans le
GÉNÉTIQUE ET PHYSIOLOGIE CELLULAIRE 231
noyau cochléaire opposé forme la région présynatique des calices de Held. Les
neurones du NMCT qui forment la post-synapse, sont des neurones inhibiteurs
glycinergiques, et se projettent sur divers noyaux du COS.
Les axones des neurones du noyau cochléaire et du COS se projettent
principalement vers le colliculus inférieur en formant un faisceau de fibres que l’on
appelle le lemnisque latéral. Il existe aussi des noyaux du lemnisque latéral qui sont
situés à l’intérieur du faisceau des fibres du lemnisque, et reçoivent des afférences
du noyau cochléaire et du complexe olivaire. Le noyau du lemnisque latéral
comporte deux zones, une zone dorsale et une zone ventrale.
Le mésencéphale auditif se compose du colliculus inférieur. Il comporte quatre
noyaux : central, dorsomédian, latéral, et dorsal. C’est un carrefour de voies
auditives ascendantes et descendantes. Le noyau central a une structure lamellaire,
et ne reçoit que des afférences provenant des centres auditifs inférieurs. Il est le
siège d’une tonotopie stricte et comporte des cartes de représentation de plusieurs
paramètres de la stimulation sonore, comme une carte des latences, une carte des
courbes d’accord (« carte des Q10dB »), une carte de résolution temporelle, une
carte de localisation spatiale… De nombreux facteurs indépendants du système
auditif modulent l’activité électrique du colliculus inférieur : stimuli visuels et
tactiles par exemple.
sorte que l’intensité du son qui lui parvient est plus faible que celle du son qui
parvient à l’autre oreille. Ces différences de niveau sonore sont dites différences
d’intensité inter-auriculaires ou binaurales (en anglais interaural level difference,
ILD en abrégé). Cependant, l’importance de la différence d’intensité inter-
auriculaire dépend du contenu spectral de la stimulation. En effet, la tête se
comporte comme un filtre passe-bas. Elle laisse passer les fréquences basses qui la
contournent en raison de leur grande longueur d’onde, et qui par conséquent
contribuent fort peu à la différence d’intensité interauriculaire. Avant Rayleigh, le
temps qui sépare l’arrivée d’une onde sonore à une oreille et à l’autre, estimé à
quelques centaines de microsecondes, avait été considéré comme trop bref pour
être décelable par un système biologique. Rayleigh conclut au contraire que cette
différence temporelle interauriculaire est décelable, et il propose qu’elle soit le
fondement du principe de localisation des sons de basse fréquence (en anglais
interaural time difference, ITD en abrégé). L’idée d’un double système de localisation
de la source sonore s’est imposée. L’un, dédié aux hautes fréquences mis en oeuvre
dans l’OSL, est fondé sur les différences d’intensité, et l’autre, dédié aux basses
fréquences, mis en oeuvre dans le noyau laminaire chez les oiseaux et dans l’OSM
chez les mammifères, est fondé sur les différences temporelles.
L’intérêt majeur de l’écoute binaurale réside dans la localisation de la source
sonore dans l’espace. Toutefois, un son sera perçu comme légèrement plus intense
s’il est présenté aux deux oreilles (gain d’environ 3 décibels). De cette vision très
schématique, il s’en suit que pour un patient qui a une surdité unilatérale, si le
locuteur est situé du côté de l’oreille défaillante, l’oreille normale percevra
correctement les basses fréquences, mais mal les hautes fréquences, en raison de
l’ombre de la tête. Cette théorie vaut pour les sons purs. Pour la localisation de
sources sonores complexes, la composante temporelle, même pour des sons de
haute fréquence, est importante. Interviennent aussi les modulations fréquentielles
et les modulations en amplitude.
Seule a été discutée plus en détail la localisation dans le plan horizontal des
sources sonores de basse fréquence. Soit une onde sonore située sur l’azimut 90°
par rapport à la ligne médiane. L’onde sonore va parcourir le chemin d’une oreille
à l’autre soit une distance égale au rayon de la tête plus une distance égale au quart
de la circonférence de la tête. Le rayon de la tête est estimé à 9 cm, le quart de la
circonférence de la tête à environ 14 cm, soit une distance totale à parcourir de
23 cm. Compte tenu de la vitesse du son dans l’air (343 m/s), la différence de
temps entre l’arrivée du son à l’une et l’autre oreille est 670 μs. C’est le temps
maximum du parcours. En effet, quand la source se rapproche de la position
médiane, le délai entre l’arrivée des signaux sonores à l’une et l’autre oreille est
toujours plus petit. Ce temps de 670 μs est égal à la période d’un son de 1 500 Hz.
Il fixe la limite supérieure de la fréquence sonore d’une source qui pourra être
localisée en se fondant sur la disparité temporelle binaurale. Pour des fréquences
plus élevées, la localisation de la source sonore fait appel à la différence d’intensité
(ILD).
GÉNÉTIQUE ET PHYSIOLOGIE CELLULAIRE 233
Chez l’homme, le système auditif identifie deux sons comme provenant de deux
sources distinctes si, l’une étant située dans le plan médian (0° azimutal), l’autre
en est séparée d’au moins deux degrés. Ceci signifie que le système auditif distingue
deux sons qui parviennent à l’une et l’autre oreille avec un décalage temporel de
moins de 20 μs. C’est cet élément qui a permis de conclure à l’extrême précision
temporelle du système auditif (au moins jusqu’à ses relais du tronc cérébral). Plus
on s’éloigne de l’axe médian dans le plan horizontal, plus la capacité de résolution
diminue. L’angle audible minimal varie avec la position azimutale et la fréquence
de la source sonore. Sa valeur augmente quand la fréquence s’élève et que la source
sonore s’approche du 90° azimutal. Pour toutes les fréquences, la perception de la
directionalité est plus précise quand l’auditeur fait face à la source sonore. En
l’absence de mobilité du pavillon de l’oreille, c’est la tête qui bouge pour optimiser
la perception de la localisation des sources sonores.
Chez les mammifères, des détecteurs de coïncidence sont situés dans l’OSM,
mais leur mode d’activation paraît moins clair. Chez le chat, un substrat anatomique
pour un mécanisme du type « délai de lignes » (différentes longueurs axonales) a
été observé. Cependant, des travaux menés chez la gerbille (Brand et al, 2002 ;
Kapfer et al, 2002) indiquent le rôle indispensable de neurones inhibiteurs
glycinergiques du NMCT dans la réponse à un délai caractéristique des neurones
de l’OSM. Ces neurones inhibiteurs, dont la décharge est aussi en phase avec le
son, et non des longueurs d’axones différentes d’un neurone excitateur à l’autre,
seraient le substrat des « cartes ITD » des mammifères.
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C’est dans la cochlée que les messages sonores sont convertis par les cellules
sensorielles auditives en dépolarisations qui libèrent le neurotransmetteur, créant
une activation des neurones auditifs qui se propage jusqu’au cortex. Pour ce faire,
les cellules ciliées externes amplifient les vibrations sonores tout en les filtrant pour
éliminer les sons parasites. Toutefois, le traitement ainsi appliqué au son engendre
des distorsions des ondes acoustiques considérables, au point d’être audibles sous
forme de sons supplémentaires connus sous le nom de sons de Tartini, du nom
du violoniste du xviie siècle qui les décrivit. Parce que l’oreille les réémet, ces sons
de Tartini servent à dépister les surdités dès la naissance. En effet, leur absence
traduit la lésion des cellules ciliées externes, presque toujours accompagnée de celle
des cellules ciliées internes, authentiques cellules sensorielles.
GÉNÉTIQUE ET PHYSIOLOGIE CELLULAIRE 237
Jusqu’ici on pensait que toutes les performances des cellules ciliées externes,
amplification, filtrage des sons parasites, et distorsion, étaient dues à leurs canaux
de transduction mécano-électrique pour lesquels la courbe courant/déplacement
est sigmoïde. Nous avons montré, dans un travail mené en collaboration avec le
Pr Paul Avan (Université d’Auvergne, Clermont-Ferrand), que ce n’est probablement
pas exact. Chez des souris dont le gène qui code la stéréociline a été inactivé, il
existe, avant l’apparition du déficit de l’acuité auditive, une courte période durant
laquelle les cellules ciliées externes amplifient et filtrent normalement le son ; leurs
canaux de transduction sont donc normaux, et pourtant elles ne distordent plus le
son. Toute marque de distorsion des ondes a disparu : un son pur ne produit plus
d’harmoniques ; aucune distorsion, électrique ou acoustique, n’est décelable. Chez
ces souris mutantes, l’effet de masquage sonore est très diminué : en présence d’un
mélange de sons, les diverses composantes du mélange coexistent alors que
normalement, les plus intenses empêchent les plus faibles d’être perçues par le
système auditif. La perception des sons complexes chez ces souris mutantes est sans
doute gravement perturbée.
Références
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Enseignement
2. Enseignements autres
M2 Génétique Humaine et Neurobiologie (Erasmus), Université Paris 7, déc 2007 :
« Hereditary sensory defects ».
Thèses
Raphaël Étournay, Thèse de Doctorat de l’Université Pierre et Marie Curie, 12-12-2007 :
« Surdités héréditaires : rôles de la myosine VIIa dans le développement de la cellule
sensorielle auditive ».
Nicolas Michalski, Thèse de Doctorat de l’Université Pierre et Marie Curie, 4-7-2008 :
« Cochlear mechano-electrical transduction : identification and functional characterisation
of its components ».
Colloques-débats
Femmes d’Histoire - Femmes de sciences, Palais des Congrès et de la Culture, Le Mans,
27 jan 2008 : « Des femmes à la tête de la recherche ».
Conférences de presse
Appear « From Lab to Life », European Parliament, Bruxelles, 27 June 2007, Bringing
the results of European research to the society.
Fondation pour la Recherche Médicale, Paris, 25 sept 2007.
Biologie et génétique du développement
significative et sur une large échelle notre compréhension des aspects fondamentaux
de la biologie, entraînant ainsi plusieurs découvertes qui ont ébranlé les
connaissances acquises au préalable.
Le séquençage du génome humain et celui de la mouche et leur grande homologie
ont conduit les chercheurs à créer des outils sophistiqués disponibles dans la
mouche et applicables aux maladies humaines. Au cours de cette journée, les
participants aux colloque ont été invités à une démonstration des méthodologies
génétiques et moléculaires disponibles couramment chez la mouche, mettant en
évidence ses contraintes et ses limites afin d‘appréhender aisément la littérature sur
la Drosophile et concevoir des expériences avec ce puissant système modèle.
Les thèmes suivants ont été abordés :
• Drosophila as a model organism – Past, Present and Future
• Basic Drosophila skills – Husbandry, Mutations and Phenoypes, Polytene and
Balancer Chromosomes, Aneuploidy, Gene Mapping
• Mutagenesis, Basic Genetic Screens and Cloning – Generating Mutations,
Performing a Chemical Mutagenesis Screen, Transgenesis, P elements, P lacZ,
GAL4-UAS System, Enhancer Trapping, Gain of Function Screens
• Advanced genetics – Tissue-specific Expression, Genetic Mosaics, the FLP-FRT
and MARCM Systems, Germline Mosaics and ovoD, Inducible GAL4 expression,
GFP tagging, Reverse genetics, RNAi, Transposon insertion collections
• Using flies to address human biology and behavior – Stem Cells, Spinal
Muscular Atrophy, Huntington’s Disease, Alzheimer’s Disease, Cancer and
Metastasis, Alcoholism, Drugs of Abuse, Sexual Behavior and Circuitry
Les conférenciers étaient les suivants :
Spyros Artavanis-Tsakonas – Collège de France – Department of Cell Biology,
Harvard Medical School
Doug Dimlich, Glenn Doughty, Mark Kankel, Anindya Sen - Department of
Cell Biology, Harvard Medical School
Le rôle de la voie Notch dans le développement comme dans tous les processus
essentiels est pléiotropique, agissant à maintes reprises dans les différents contextes
du développement. La dérégulation de Notch conduit à des déficiences dans
chaque système biologique étudié, et par voie de conséquence à des maladies ; ce
qui n’est pas surprenant compte tenu de l’importance du rôle fondamental de cette
voie de signalisation.
Il a été démontré depuis longtemps la relation entre la dérégulation de Notch et
la prolifération cellulaire. Mais de récents travaux ont insisté sur la possibilité que
le rôle de Notch dans les maladies humaines pouvait être plus ordinaire qu’il ne
semblait initialement. Il est donc apparu évident que la modulation du signal
Notch pouvait être à la fois un paramètre important d’une maladie mais aussi une
cible thérapeutique.
Objectifs
Par l’utilisation de souris transgéniques (déjà en notre possession), nous
proposons
1) d’étudier les conséquences de l’activation du récepteur Notch dans la glande
mammaire et l’épithélium intestinal ;
2) d’analyser des éléments génétiques comme cibles d’activation de Notch ;
3) d’examiner l’implication non autonome des signaux Notch dans les étapes de
la prolifération et leur rôle potentiel sur les interactions épithélium-mésemchyme.
Programme de recherche
1) Nous avons établi des lignées de quatre souris transgéniques qui hébergent
des formes activées «Floxed » de chacun des quatre récepteurs Notch 1, 2, 3, et 4
introduites dans le chromosome Rosa. Des croisements avec des lignées Cre
appropriées nous permettent d’activer le signal Notch dans des tissus spécifiques
et d’étudier pour la première fois et de manière systématique les différences
quantitatives et qualitatives entre ces quatre récepteurs.
Cette analyse commencera par une évaluation détaillée de l’activation de Notch
en utilisant MMTV Cre dans l’épithélium mammaire, et Villin Cre dans
l’épithélium intestinal. Dans les deux cas, les résultats seront comparés aux modèles
transgéniques, que nous avons développés en activant le récepteur Notch 1. Ces
deux modèles ont fait l’objet de publications ; ils définissent notre base de travail
pour ces expériences.
L’analyse phénotypique détaillée, utilisant des marqueurs immuno-cytochimiques
et fluorescents requiert la disponibilité d’équipements d’imagerie optique
spécifiques.
BIOLOGIE ET GÉNÉTIQUE DU DÉVELOPPEMENT 251
L’analyse, que nous avons poursuivie à la fois sur la drosophile et sur des cultures
de cellules mammaires, démontre que les cellules exprimant l’activation de Notch 1
peuvent stimuler une activité mitotique chez leurs voisins cellulaires. Ce
comportement cellulaire non autonome de Notch est le sujet d’une analyse
systématique de notre laboratoire concernant la drosophile.
Nous proposons d’étendre notre étude aux souris en utilisant des xénogreffes.
Cette approche expérimentale de notre analyse est fondée sur nos résultats se
rapportant à une lignée cellulaire — (537M provenant de souris transgéniques
MMTV) — capable d’induire des tumeurs greffées sur des « souris nudes » lorsque
celle-ci est mélangée à des cellules exprimant Notch activé tandis qu’elle n’induit
pas la formation de tumeurs lorsqu’elle est mélangée à des cellules qui n’expriment
pas Notch. Ce mélange de cellules qui inclut l’expression de cellules dans Notch
activé provoque une réduction de la lactation (de près de 50 %) et accroît le niveau
apparent de croissance des tumeurs. Une série d’expériences sont prévues pour tirer
profit de ces observations afin d’étudier la capacité du signal Notch à agir sur
divers types de cellules et aussi pour étudier en qualité et en quantité les différences
sur les quatre récepteurs Notch.
252 SPYROS ARTAVANISTSAKONAS
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Hurlbut, G., Kankel, M., Artavanis Tsakonas, S. Notch-Ras signal integration in
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Processus morphogénétiques
Morphogènes et morphogenèse
Cet article pose dès le début un grand nombre de problèmes qui sont loin d’être
résolus et qui ont fait la substance du cours. Le premier est la diffusion : les
254 ALAIN PROCHIANTZ
Sans vouloir énumérer tous les cas particuliers, une chose est certaine, le
mouvement des morphogènes, le plus souvent, ne peut reposer sur une diffusion
passive mais requiert des systèmes de transport. Un des systèmes de transport,
« l’argosome », repose sur l’endocytose et l’exocytose des morphogènes. On se gardera
256 ALAIN PROCHIANTZ
d’entrer trop avant dans le débat sur la nécessité, ou non, de l’endocytose pour que la
signalisation prenne place. Débat intéressant cependant, car il est lié à la question de
la durée d’exposition à un morphogène, variable aussi importante que sa
concentration. Si la signalisation demande une endocytose, le temps passé dans la
vésicule d’endocytose, aussi vésicule de signalisation, peut influencer l’activité du
morphogène. L’argosome peut signaliser mais il peut aussi en passant de cellule à
cellule transporter les morphogènes sans que ceux-ci ne soient jamais, ou presque, en
contact avec le monde extérieur. Ce transport planaire est une façon élégante
d’échapper aux obstacles à la diffusion présents dans l’espace intercellulaire. Un autre
mode de transport à grande distance est le cytonème. Il s’agit de longs prolongements
cellulaires très fins, constitués de filaments d’actine, et qui contactent les morphogènes
à des distances parfois très grandes. L’idée est que le temps mis pour que le signal
remonte au corps cellulaire constitue une « mesure » de la distance.
Mais le modèle le plus populaire aujourd’hui est celui du cil. Il est admis
désormais que presque toutes les cellules ont un cil primaire. Ce cil est une sorte
d’organe sensoriel qui présente des récepteurs à son extrémité. Par exemple, sHH
signale en se fixant à l’extrémité du cil sur son récepteur « patched/smoothened ».
Mais, en même temps, les cils battent et ce battement est de nature à orienter les
morphogènes. Cela est d’autant plus proche de la réalité que les cellules porteuses
de cils forment un épithélium à polarité planaire conduisant à une synchronisation
du battement ciliaire. L’implication des cils a été démontrée à toutes les étapes du
développement (par exemple l’établissement d’une dissymétrie droite/gauche) non
sans conséquences sur l’étiologie de plusieurs pathologies. Un exemple intéressant
de ce concept se trouve dans la description d’un cas de morphogenèse adulte, celui
de la migration des cellules neurales de la zone subventriculaire (SVZ) vers le bulbe
olfactif. Ces cellules générées — à partir de cellules souches adultes — au niveau
de l’épithélium qui borde le ventricule latéral migrent selon un courant antérograde
et renouvellent les interneurones GABAergiques du bulbe olfactif, la région la plus
antérieure du cerveau. Des travaux récents impliquant plusieurs laboratoires et
coordonnés par Arturo Alvarez Buylla démontrent que cette direction antérograde
est induite par un facteur répulsif (Slit1/2) sécrété par le plexus choroïde et poussé
en avant par le battement coordonné des cils qui bordent le ventricule. Pour
résumer les cils ont une double action : mécanique sur le transport des morphogènes
et transductrice du signal dans la mesure où ils portent des récepteurs aux
morphogènes.
En conclusion, le cours a abordé ces questions avec pour objectif de mettre en
évidence les zones d’ombres, les contradictions expérimentales et les simplifications
abusives de nombre des modèles qui circulent. Nous n’avons pas de proposition
miracle, mais nous pensons que le phénomène de transduction des homéoprotéines,
considérées comme de véritables morphogènes, constitue une solution intéressante.
Cette solution a été examinée sur le plan théorique, en collaboration avec David
Holcman, et sur le plan expérimental. Curieusement, quand il s’agit de la formation
de bords, elle rejoint très exactement les propositions initiales d’Alan Turing.
PROCESSUS MORPHOGÉNÉTIQUES 257
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260 ALAIN PROCHIANTZ
Séminaire
Le séminaire a été tenu sous la forme d’une journée dédiée au thème Forme et
Polarité cellulaire, le Lundi 10 décembre 2007. Cette journée a été divisée en
4 thèmes :
Recherche
La recherche du laboratoire se divise, avec des recouvrements, entre une partie
théorique et fondamentale et une autre plus orientée vers les applications
technologiques ou thérapeutiques.
Dans le même ordre d’idée nous avons utilisé, en collaboration avec Forence
Maschat (CNRS, Montpellier), une stratégie de blocage du passage de
l’homéoprotéine Engrailed dans le disque imaginal de l’aile de drosophile. Les
données sont, ici encore, préliminaires mais elles suggèrent que cette opération
modifie de façon non autonome cellulaire le développement de la veine transverse
dans la partie antérieure de l’aile (à proximité de la frontière antéro-postérieure).
Guidage axonal
Dans une étude antérieure menée en collaboration avec le laboratoire de Christine
Holt (Cambridge, UK) nous avons démontré (Brunet et al. Nature, 483, 94-98,
2005) que les cônes de croissance des neurones ganglionnaires de la rétine (RGCs)
d’origine nasale et temporale répondent de façon opposée (attraction et répulsion)
quand ils sont placés dans un gradient de l’homéoprotéine Engrailed. Cette réponse
requière l’internalisation de la protéine par les cônes et repose sur une régulation de
la traduction locale des ARN messagers des cônes par l’homéoprotéine, sans
implication de la transcription. Cela nous a amené à développer le travail le long de
deux axes. D’une part vérifier que ce mécanisme opère in vivo au moment de la mise
en place des connexion retine-tectum. D’autre part identifier les ARN messagers
régulés au niveau traductionnel après internalisation de l’homéoprotéine.
La partie in vivo implique une collaboration avec Andrea Wizenmann et
Wolfgang Wurst (Tübingen et Munich, Allemagne), et Christine Holt (Cambridge,
UK). Elle est pratiquement achevée et sera renvoyée, sous la forme d’un manuscrit
révisé, à la revue Neuron dans les semaines qui viennent. Dans ce manuscrit nous
démontrons sans ambiguïté les faits suivants :
1. Engrailed (En1 et En2) sont exprimés à la surface du tectum selon un gradient
antéro-postérieur. La quantité de protéine à la surface correspond à 5 % de son
contenu nucléaire.
2. La neutralisation de la protéine extracellulaire in vivo entraîne une projection
ectopique des neurones temporaux dans les domaines postérieurs du tectum.
3. Cette activité d’Engrailed se fait en coopération avec les Ephrins, l’EphrinA5
en particulier.
Nous pouvons donc conclure que le transfert in vivo de l’homéoproteine
Engrailed est nécessaire au patterning des projections de la rétine sur le tectum.
Pour ce qui est de la caractérisation des messagers traduits, nous avons utilisé
une approche par puces à ADN en comparant dans diverses situations (Engrailed
internalisé ou non) le population des messagers en cours de traduction (sur les
polysomes). Nous avons aujourd’hui une dizaine de candidats sérieux qui seront
bientôt testés (en collaboration avec le laboratoire de Christine Holt). Parmi ces
candidats nous avons eu la surprise de trouver des messagers mitochondriaux et
nous développons, sur cette base, l’hypothèse selon laquelle l’internalisation
d’Engrailed entraîne une augmentation de l’activité du complexe I et la synthèse
262 ALAIN PROCHIANTZ
d’ATP. Cet ATP pourrait avoir une activité intracellulaire, mais aussi extracellulaire
après sécrétion et fixation sur des récepteurs purinergiques. Nous testons
actuellement cette hypothèse en mesurant l’ATP extracellulaire et en vérifiant si la
réponse à Engrailed est modifiée par des agents pharmacologique interférant avec
la voie de signalisation purinergique.
Période critique
Dans ce travail (collaboration avec Takao Hensch, Harvard Medical School,
Boston, USA) nous avons démontré que la capture de l’homéoprotéine Otx2 par
les interneurones GABAergiques à parvalbumine (couches 3 et 4 du cortex visuel
binoculaire) ouvre la période critique (plasticité corticale) au cours de la maturation
post-natale su système visuel. Ce travail fondé sur des pertes et gain de fonction
d’Otx2 et des enregistrements électrophysiologiques est actuellement sous presse
(Sugiyama et al., Cell, 134, 508-520, 2008).
Au cours de cette étude nous avons observé qu’Otx2 infusé dans le cortex est
spécifiquement internalisé par les neurones GABA à parvalbumine, suggérant un
mécanisme de reconnaissance spécifique. Au cours de l’année écoulée nous avons
accumulé des données qui soutiennent l’hypothèse de l’existence de sites de fixation
constitués par des sucres complexes (glycosaminogycans). Nous avons identifié
dans la séquence d’Otx2 un domaine de 12 acides aminés responsable de cette
reconnaissance. La prochaine étape est donc de tester l’importance physiologique
de cette reconnaissance en la bloquant in vivo au cours de la période critique. Un
autre point important est de comprendre le mode de transduction du signal. Nous
le faisons en recherchant les cibles transcriptionnelles et traductionnelle d’Otx2
dans les neurones GABA à parvalbumine.
Modélisation
En collaboration avec David Holcman (Ecole normale supérieure), nous avons
développé des modèles pour tester les différents paramètres, tout particulièrement
la robustesse, de ce mode de signalisation au cours de la mise en place de gradients
morphogénétiques et de la formation de frontières entre territoires au sein du
neuroépithélium. Reprenant les propriétés d’auto-activation et d’inhibition
réciproque des homéoprotéines exprimées de part et d’autre d’une frontière, nous
avons calculé que ce mécanisme, proche de celui proposé par Turing en 1952, est
plausible et compatible avec les données de la littérature. Ces calculs ont été publiés
(Holcman et al. J. Theoretical Biol. 249, 503-517, 2007 ; Kasatkin et al., Bulletin
of Mathematical Biology, 70, 156-178, 2008).
PROCESSUS MORPHOGÉNÉTIQUES 263
Glaucome
Le glaucome est provoqué par la mort des cellules ganglionnaires rétiniennes
(RGCs). Les causes de cette mort ne sont pas établies avec certitude, même si l’idée
prédominante implique une augmentation anormale de la pression intraoculaire.
Sur la base d’observations préliminaires, nous avons formé l’hypothèse d’un
contrôle de la survie des RGCs par le passage de la protéine Otx2 entre les cellules
bipolaires et les RGCs. Dans le cadre d’un contrat industriel avec Fovea-SA, nous
avons mis au point des modèles in vitro et in vivo permettant de tester les propriétés
protectrices d’Otx2 sur la mort des RGCs adultes. Nos résultats suggèrent qu’Otx2
internalisé par les RGCs protège ces neurones contre une mort induite soit par
l’axotomie (in vitro) soit par une neurotoxicité glutamatergique (in vivo). Les
hypothèses sur le rôle d’Otx2 comme protéine thérapeutique ont donné lieu à un
dépôt de brevet.
Maladie de Parkinson
L’homéoprotéine Engrailed (En1 et En2) est exprimée, chez l’adulte, dans les
noyaux dopaminergiques (DA) du mésencéphale, qui dégénèrent dans la maladie
de Parkinson. Au cours d’un travail publie en 2007 (Sonnier et al., J. Neurosci.,
27, 1063-1071, 2007), nous avions rapporté que la délétion d’un seul allèle En1
(donc un allèle Engrailed sur quatre) s’accompagne d’une mort progressive des
neurones DA chez l’adulte. Cette observation et d’autres raisons, que je ne
développe pas, nous ont conduits a proposer qu’Engrailed pouvait se trouver dans
le circuit génétique de la maladie de Parkinson. Depuis nous avons donné du poids
à cette hypothèse en démontrant qu’Engrailed internalisé par les neurones DA
protège in vitro et in vivo contre leur mort spontanée, mais aussi induite par le
MPP+, une drogue qui s’attaque au Complexe I mitochondrial. Nous sommes
264 ALAIN PROCHIANTZ
Revues et commentaires
1. I. Brunet, A. Di Nardo, L. Sonnier, M. Beurdeley & A. Prochiantz. Shaping neural
pathways with messenger homeoproteins (2007). Trends in Neurosciences, 30, 260-267.
2. A. Prochiantz. (2007). A protein fusion a day keeps the aggregates away. Molecular
Therapy, 15, 226-227.
3. Agid, Y. et al. (2007). How can drug discovery for psychiatric disorders be improved ?
Nature Reviews Drug Discovery, 6, 189-201.
4. A. Prochiantz. (2007). For protein transduction, chemistry can win over biology. Nat.
Methods, 4, 119-120.
PROCESSUS MORPHOGÉNÉTIQUES 265
Brevets
1. A. Prochiantz & K. Moya. Utilisation d’une Homéoprotéine de la famille Bicoïd pour
le traitement du Glaucome. 9 janvier 2008, N° 08/00110.
Conférences 2007-2008
1. 7th meeting of the German Neuroscience Society. Göttingen, Germany, March 29th-
April 1st 2007.
2. Molecular mechanisms in neural patterning and differentiation. CEINGE, Napoli
April 20th-22nd 2007.
3. Designing the Body Plan: Developmental mechanisms. June 4th-8th, Leiden Lorentz
center, 2007.
4. 6th international Symposium Neuronal mechanisms of Vision. Ruhr Universtät
Bochum October 11th-13th, 2007.
5. Brain Diseases and Molecular machines. March 25-28, Paris, France. Keynote
lecture.
6. Visual System Development Gordon Conference; August 10-15 2008, Newport
Rhode Island, USA.
7. The Cell-Penetrating Peptides (CPP) Satellite Meeting. 30-31 August 2008. Helsinki.
Keynote lecture.
8. Chemistry and Biology Symposium of the Japan Society of Bioscience, Biotechnology
and Agrochemistry. Nagoya September 27th 2008. Keynote lecture.
Immunologie moléculaire
I. Enseignement
Le cours 2007-2008 a porté sur « Les systèmes immunitaires dans l’évolution des
espèces ». Il est accessible sur le site du Collège de France, et on n’évoquera ici que
les enjeux scientifiques les plus importants.
Tous les êtres vivants sont dotés de mécanismes de défense qui protègent leur
intégrité et peuvent, au prix d’une extension de langage, être qualifiés d’immunitaires.
Ainsi, certaines bactéries se défendent contre l’intrusion d’ADN extérieur (bactérien
ou viral) par le système de restriction-modification. Les plantes possèdent un
système immunitaire développé, de même que les invertébrés. Bien entendu, le
point de référence habituel est le système immunitaire des mammifères,
principalement, celui de l’homme et de la souris.
Les approches expérimentales habituelles se sont récemment enrichies des
analyses génomiques qui sont pratiquées sur un nombre croissant d’organismes.
A partir de la séquence du génome entier d’une espèce donnée, on extrait, in silico,
le sous-ensemble des gènes impliqués dans les défenses immunitaires, i.e.
l’immunome. On peut rechercher des filiations génétiques, tenter d’identifier
l’origine évolutive de tel ou tel gène, et se livrer à des comparaisons et des hypothèses
sur l’évolution des fonctions.
L’immunome de l’homme contient entre 5 % et 8 % des gènes humains. Son
périmètre est fonction de la définition du système immunitaire que l’on adopte et
des appréciations que l’on porte sur la fonction des gènes. On y repère la
classification majeure, produite par des décennies de recherche, entre immunité
adaptative et immunité innée. La génération de la diversité des anticorps et des
récepteurs des cellules T figure parmi les traits caractéristiques de l’immunité
adaptative. Cette question a fasciné les immunologistes qui recherchent depuis
longtemps leurs origines évolutives, au travers notamment des homologues des
268 PHILIPPE KOURILSKY
L’étude des systèmes immunitaires dans l’évolution des espaces est donc riche
d’enseignements. Elle ne se contente pas de nourrir l’histoire naturelle : elle est
aussi source de nouveaux concepts.
270 PHILIPPE KOURILSKY
Intervenants / Programme :
AN OVERVIEW :
• Louis Du Pasquier, University of Basel, Switzerland.
CONCLUSION
• Philippe Kourilsky, Collège de France, Paris, France
III. Recherche
V. Publications
Enseignement
Cours : les fondements cognitifs de l’arithmétique élémentaire
Le cours 2008 s’est attaché à analyser, par les méthodes de la psychologie
cognitive, la représentation mentale de l’un des plus simples et cependant des plus
fondamentaux des objets mathématiques : le concept de nombre entier naturel.
La nature et l’origine des objets mathématiques font débat depuis l’Antiquité.
De nombreux mathématiciens adhèrent, explicitement ou implicitement, à une
hypothèse Platonicienne selon laquelle les mathématiques ne sont que l’exploration
d’un monde à part, régi par ses propres contraintes, et qui préexiste au cerveau
humain. Citons par exemple Alain Connes dans son débat avec Jean-Pierre
Changeux : « Lorsqu’il se déplace dans la géographie des mathématiques, le
mathématicien perçoit peu à peu les contours et la structure incroyablement riche
du monde mathématique. Il développe progressivement une sensibilité à la notion
de simplicité qui lui donne accès à de nouvelles régions du paysage mathématique »
(Changeux & Connes, 1989).
Le psychologue du développement, cependant, ne peut qu’être frappé par la
difficulté avec laquelle l’enfant se construit, petit à petit, une compétence
mathématique. Il en conclut aisément à une pure construction mentale des objets
mathématiques. Pour Piaget, la logique en constitue le fondement (« Le nombre
entier peut ainsi être conçu comme une synthèse de la classe et de la relation
asymétrique »). Pour d’autres, le langage joue un rôle essentiel (cf. Vygotsky : « la
pensée ne s’exprime pas seulement en mots : elle vient au monde à travers eux »).
La position que j’ai défendue dans ce cours, et que l’on pourrait qualifier
d’intuitionniste, n’appartient à aucun de ces deux camps. Elle postule que les
fondements cognitifs des mathématiques doivent être recherchés dans une série
278 STANISLAS DEHAENE
La perception de la numérosité
L’adulte dispose d’au moins trois processus cognitifs distincts d’énumération,
c’est-à-dire d’appréhension de la numérosité d’un ensemble d’objets :
— la subitisation ou « subitizing » en anglais fait référence à l’appréhension
immédiate des petites numérosités (un, deux, ou trois objets) ;
— l’estimation permet d’évaluer, d’une manière approximative, la numérosité
d’un ensemble de taille arbitraire. Les recherches de Véronique Izard, au laboratoire,
ont montré qu’un adulte non-entraîné estime efficacement et rapidement des
ensembles même très grands. Toutefois, le nombre perçu n’est pas toujours relié
linéairement au nombre effectivement présenté : la sous-estimation est fréquente,
et une loi de puissance relie les deux quantités (Izard & Dehaene, 2008) ;
— enfin, le comptage, dont les principes ont été étudiés par Gelman et Gallistel
(1978), permet d’énumérer avec précision un ensemble quelconque. Il consiste à
apparier, un par un, chacun des objets énumérés avec une liste de référence qui
peut être verbale (noms de nombres) ou non-verbale (doigts, parties du corps).
Des recherches récentes confirment que les trois processus de subitisation,
d’estimation et de comptage sont dissociables. La distinction entre subitisation et
280 STANISLAS DEHAENE
Si l’estimation est bien démontrée chez le très jeune enfant, la perception des
petites numérosités 1, 2 ou 3 a été plus débattue. Certains ont suggéré que leur
discrimination n’était due qu’à des paramètres confondants tels que la quantité
totale de matière (voir Feigenson et al., 2004). Cependant de nouveaux résultats
très récents indiquent que les enfants peuvent, selon le contexte, prêter attention
soit à la numérosité, soit aux paramètres non-numériques (Feigenson, 2005).
Cordes and Brannon (2008) vont jusqu’à suggérer qu’il est plus simple, pour
l’enfant, de prêter attention au nombre qu’à la quantité totale de matière, dans la
mesure où leur fraction de Weber est plus élevée dans le second cas. Au laboratoire,
nous avons effectivement observé, à l’aide des potentiels évoqués, une discrimination
des numérosités 2 et 3 en l’absence de tout artefact non-numérique (Izard,
Dehaene-Lambertz, & Dehaene, 2008).
calcul exact, tout en laissant intact cette compétence basique pour l’approximation
(Dehaene & Cohen, 1991). Ainsi l’approximation des quantités numériques, fondée
sur la loi de Weber, apparaît-elle comme une compétence fondamentale qui
transparaît dans de nombreuses tâches symboliques.
Tout récemment, une étude développementale a confirmé que l’intuition
arithmétique des quantités approximatives précède et sous-tend l’apprentissage
ultérieur de l’arithmétique symbolique (Gilmore, McCarthy, & Spelke, 2007).
Gilmore et coll. ont donné à des enfants de 5 et 6 ans, en maternelle, des problèmes
verbaux tels que « Sarah possède 21 bonbons, et on lui en donne 30 de plus. Jean,
lui, en a 34. Qui en a le plus ? » Les enfants n’avaient reçu aucun enseignement
explicite des nombres de cette taille, ni des opérations d’addition et de soustraction.
Cependant, quel que soit leur niveau socio-économique, ils répondaient bien au delà
du niveau du hasard (60-70 % de réussite), et leurs performances suivaient la loi de
Weber, ce qui laissait penser qu’ils traduisaient mentalement les problèmes
symboliques en quantités afin d’exploiter leur intuition non-symbolique. Plus
important encore, leurs performances dans cette évaluation de l’intuition
arithmétique corrélaient avec leur réussite en mathématiques à l’école. Holloway et
Ansari (2008) ont également rapporté, chez des enfants un peu plus âgés (6-8 ans),
que la variabilité de l’effet de distance au cours de la comparaison numérique prédit
la réussite scolaire en mathématiques, mais pas les scores de lecture. Dans l’ensemble,
ces résultats suggèrent que l’appréhension de la numérosité approximative et des
relations de distance entre les nombres, fondée sur la loi de Weber, joue un rôle
déterminant pour la bonne compréhension ultérieure de l’arithmétique symbolique.
neurones sont activés préférentiellement par un objet unique, d’autres par deux,
par trois, par quatre ou par cinq objets (Nieder, 2005), et même jusqu’à une
trentaine d’objets (Nieder & Merten, 2007).
Ces « neurones des nombres » sont localisés dans le cortex préfrontal dorsolatéral,
mais également dans les lobes pariétaux, dans les profondeurs du sillon intrapariétal,
dans l’aire ventrale intrapariétale (VIP). Il est à noter que les neurones pariétaux ont
une réponse plus rapide, tandis que les neurones préfrontaux répondent
préférentiellement au cours de la phase de délai de la tâche de réponse différée. Ainsi,
l’extraction initiale de l’information de numérosité se ferait dans l’aire VIP, tandis que
sa mémorisation impliquerait préférentiellement le cortex préfrontal. Par sa localisation
absolue, mais également relative à d’autres régions telles que les aires AIP et LIP
impliquées dans les mouvements des yeux et de la main, l’aire VIP constitue un
homologue plausible, chez le singe, du segment horizontal du sillon intrapariétal qui
est activé chez l’homme au cours de diverses opérations arithmétiques (Simon et al.,
2002). De fait, la méthode d’adaptation en IRMf a permis à mon laboratoire de
démontrer, chez l’homme, l’existence d’un codage cérébral log-Gaussien des
numérosités, très semblable à celui observé chez le singe macaque (Piazza et al., 2004).
Notons que, tout récemment, Roitman et coll. (2007) ont découvert un second
type de code neural de la numérosité, dans une région pariétale plus latérale et
postérieure (l’aire LIP). Les neurones de l’aire LIP diffèrent de ceux de l’aire VIP
(étudiés par Nieder et Miller) en plusieurs points. Tout d’abord, ils ne sont pas
accordés à un nombre préféré, mais leur taux de décharge varie de façon monotone
avec la numérosité, en croissant ou en décroissant avec le logarithme de la numérosité
de l’ensemble présenté. En second lieu, ces neurones possèdent des champs récepteurs
limités et ne répondent donc qu’à la numérosité du sous-ensemble d’objets qui
apparait dans une région rétinotopique bien délimitée — pas au nombre total
d’objets présent sur la rétine. Les deux propriétés — monotonie et rétinotopie — ont
récemment été observées indirectement chez l’homme dans une illusion d’adaptation
à la numérosité (Burr & Ross, 2008), ce qui suggère que ce second code neuronal de
l’aire LIP pourrait également exister dans l’espèce humaine.
PSYCHOLOGIE COGNITIVE EXPÉRIMENTALE 285
Pourquoi une telle coexistence de deux codes neuronaux distincts, l’un avec une
variation monotone du taux de décharge en fonction de la numérosité, l’autre avec
une courbe d’accord à une numérosité préférée ? Il convient d’interpréter ces
résultats avec prudence, dans la mesure où ces deux populations de neurones n’ont
été observées que très récemment, dans des laboratoires différents, chez des animaux
différents et entraînés à des tâches numériques différentes. Toutefois, ces résultats
s’accordent bien avec un modèle théorique qui suppose que les neurones monotones
et accordés constituent deux étapes distinctes de l’extraction d’une représentation
invariante de la numérosité (Dehaene & Changeux, 1993 ; Verguts & Fias, 2004).
Selon ce modèle, la numérosité approximative peut être extraite d’une carte
rétinienne détaillée en trois étapes successives : (1) codage rétinotopique des
positions occupées par les objets, indépendamment de leur identité et de leur taille,
donc avec une quantité fixe d’activation pour chaque objet ; (2) addition
approximative de ces activations à travers l’ensemble de la carte, par le moyen de
« neurones d’accumulation » dont le niveau d’activité varie de façon monotone en
fonction de la numérosité ; (3) seuillage de cette activation par des neurones avec
des seuils croissants et une forte inhibition latérale, ce qui conduit à une population
de neurones accordés aux différentes numérosités. La simulation de ce modèle par
ordinateur, sous forme d’un réseau de neurones formels, montre qu’on aboutit
naturellement, à ce dernier niveau, à un codage log-Gaussien de la numérosité.
Avec quelques adaptations, les neurones d’accumulation peuvent être identifiés aux
neurones de l’aire LIP étudiés par Roitman et coll., tandis que les neurones accordés
à la numérosité correspondraient aux neurones de l’aire LIP enregistrés par Nieder
et Miller. Il est à noter qu’anatomiquement, les neurones de LIP projettent
effectivement vers ceux de VIP. De plus, les neurones de VIP semblent répondre
à l’ensemble du champ visuel, ce qui est compatible avec l’hypothèse qu’ils reçoivent
des entrées convergentes de nombreux neurones rétinotopiques de l’aire LIP.
modèle se fonde sur les travaux de Mike Shadlen qui indiquent que la prise de
décision en temps réel, sur la base de signaux bruités, s’appuie sur certains neurones
pariétaux et préfrontaux qui réalisent une accumulation des données stochastiques
que les stimuli apportent en faveur de chacune des réponses possibles. Cette
accumulation peut alors décrite mathématiquement comme une marche aléatoire
apparentée à un mouvement Brownien. La décision est prise lorsque, pour l’un des
réponses, la marche aléatoire de l’accumulateur atteint un seuil fixé à l’avance. La
réponse correspondante est alors sélectionnée. On peut démontrer que ce mécanisme
d’accumulation statistique avec seuil constitue un mécanisme optimal de prise de
décision en temps réel (Gold & Shadlen, 2002).
L’analyse montre qu’au moins dans des tâches très simples telles que la
comparaison de deux nombres, le modèle log-Gaussien doublé d’une prise de
décision par accumulation conduit à des prédictions très étroitement ajustées aux
données expérimentales. L’influence de la distance entre les nombres à comparer
est correctement modélisée, et le modèle explique pourquoi la forme de cet effet
diffère selon que l’on considère le taux d’erreur ou le temps de réponse moyen. La
distribution des temps de réponse, et la manière dont celle-ci varie avec la présence
d’une tâche interférente, sont également expliqués en grand détail (Sigman &
Dehaene, 2005).
Conclusion
L’intuition arithmétique humaine consiste en un réseau complexe de connaissances
qui vont de la capacité d’estimer rapidement la cardinalité approximative d’un
ensemble à celle d’anticiper le résultat d’une addition, de juger que 8 est plus grand
que 3, ou de voir les nombres dans l’espace et d’évaluer que 3 est plus proche de
1 que de 10. Le noyau de ces connaissances numériques consiste en une
représentation log-Gaussienne de la numérosité approximative. Ce noyau de
connaissances est déjà présent chez le très jeune enfant et de nombreuses espèces
animales, et est associé à un circuit cérébral situé dans la région intrapariétale
bilatérale. L’apprentissage des symboles de l’arithmétique formelle s’appuie
fortement sur ce sens précoce des nombres, bien que notre compréhension de la
manière dont ce dernier est modifié par l’éducation demeure très imparfaite. Ce
sera l’une des questions importantes de la recherche à venir. Un enjeu essentiel sera
de mieux utiliser ces connaissances afin d’améliorer l’enseignement de l’arithmétique
et de mieux comprendre l’origine des dyscalculies.
Séminaire
Bibliographie succincte
Le cours a repris et mis à jour de nombreux éléments de mon livre La bosse des maths
(Odile Jacob, 1997). Il s’est appuyé sur plusieurs autres ouvrages et articles de revue :
Piaget, J. and A. Szeminska (1941). La génèse du nombre chez l’enfant. Neuchâtel,
Delachaux & Niestlé.
Gelman, R. and C. R. Gallistel (1978). The child‘s understanding of number. Cambridge
Mass., Harvard University Press.
Fuson, K. C. (1988). Children’s counting and concepts of number. New York : Springer-
Verlag.
Dehaene, S. (1993). Numerical Cognition. Oxford, Blackwell.
Butterworth, B. (1999). The Mathematical Brain. London, Macmillan.
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number and space in parietal cortex. Nature Reviews in Neuroscience, 6(6), 435-448.
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Nous mettons ici en valeur quelques résultats qui nous paraissent importants.
Vient ensuite une liste complète des publications du laboratoire.
PSYCHOLOGIE COGNITIVE EXPÉRIMENTALE 293
la subitisation n’est qu’une forme d’« estimation précise » : nous disposerions d’un
mécanisme générique d’estimation soumis à la loi de Weber, c’est-à-dire que son
imprécision augmente de façon proportionnelle au nombre représenté. Pour les
tous petits nombres, la précision du codage numérique deviendrait suffisante pour
discriminer chaque nombre de ses voisins, ce qui permettrait une dénomination
rapide et précise. Cette théorie unifiée de la subitisation et de l’estimation est
séduisante dans la mesure où, chez l’animal, des neurones codant pour la numérosité
et soumis à la loi de Weber ont effectivement été enregistrés, sans qu’ils présentent
la moindre discontinuité pour les petits nombres par rapport aux grands nombres.
Toutefois d’autres dissociations, particulièrement chez le très jeune enfant, militent
en faveur d’un autre modèle selon lequel la subitisation fait appel à un mécanisme
entièrement distinct et dédié.
Afin de séparer ces possibilités théoriques, nous avons testé une conséquence
directe de la loi de Weber : la précision devrait être la même lorsque les participants
discriminent et dénomment les nombres 1, 2, 3, 4… et les nombres 10, 20, 30,
40… (dans la mesure où leur rapports sont identiques). Nous avons donc entraîné
des participants français à dénommer rapidement et approximativement les dizaines
de 10 à 80, et avons comparé ces résultats à ceux de la tâche classique de dénomination
de 1 à 8 points. Les résultats ont mis en évidence une violation très nette de la loi de
Weber : la précision est bien supérieure, et le temps de réponse nettement plus
rapide, pour les numérosités 1 à 4 que pour tous les autres nombres et notamment
les dizaines de 10 à 40. Ces résultats réfutent, d’une manière directe, l’hypothèse
qu’un seul et même mécanisme sous-tend l’estimation et le comptage. Le mécanisme
qui permet la subitisation reste inconnu, mais la recherche doit s’orienter vers des
propriétés spécifiques à la représentation visuelle des petits ensembles d’objets.
Publications (2007-2008)
Articles originaux
Thirion. B., Pinel, P., Meriaux, S., Roche, A., Dehaene, S., Poline, J.B. Analysis of
a large fMRI cohort : Statistical and methodological issues for group analyses. NeuroImage,
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Golestani., N., Molko, N., Dehaene, S., Lebihan, D., Pallier, C. Brain structure
predicts the learning of foreign speech sounds. Cerebral Cortex, 2007, 17, 575-582.
Landmann, C., Dehaene, S., Pappata, S., Jobert, A., Bottlander, M., Roumenov, D.,
Lebihan, D. Dynamics of prefrontal and cingulate activity during a reward-based logical
deduction task. Cerebral Cortex, 2007, 17, 749-759.
Sigman, M., Jobert, A., Lebihan, D., Dehaene, S. Parsing a sequence of brain
activations at psychological times using fMRI. NeuroImage, 2007, 35, 655-668.
Piazza, M., Pinel, P., Le Bihan, D., Dehaene, S. A magnitude code common to
numerosities and number symbols in human intraparietal cortex. Neuron, 2007, 53, 293-
305.
Dehaene, S. A few steps toward a science of mental life. Mind, Brain and Education,
2007, 1, 28-47.
Vinckier, F., Dehaene, S., Jobert, A., Dubus, J.P., Sigman, M., Cohen, L. Hierarcical
coding of letter strings in the ventral stream : dissecting the inner organization of the visual
word-form system, Neuron, 2007, 55, 143-156.
Reuter, F., Del Cul, A., Audoin B., Malikova, I., Naccache, L., Ranjeva, J.P.,
Lyon-Caen, O., Cherif, A.A., Cohen, L. Dehaene, S., Pelletier, J. Intact subliminal
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Cambridge, MA : MIT Press (sous presse).
Distinctions
Cours
Principes simplificateurs dans les mécanismes cérébraux
de la perception et de l’action
Le cours a été consacré aux principes simplificateurs qui sous tendent la
perception et le contrôle du mouvement. Ces cours ont été donnés respectivement
dans les Universités suivantes 1 :
— Massachusetts Institute of Technology : 2 cours, l’un au département de
Cognitive et Brain Sciences et l’autre au département d’Astronautics ;
— Département de Neurosciences du California Institute of Technology
(Caltech) à Los Angeles : 1 cours ;
— Département de Psychologie de l’Université Santa Barbara : 1 cours ;
— Laboratoire MBARI de Robotique et Biologie Marine à Monterey :
1 cours ;
— Institut de Brain Sciences et à l’Hôpital Neurologique de l’Université de
Portland : 2 cours ;
— Département de Computer Sciences et à l’Institut d’étude avancée de
Colombie Britannique (Vancouver, Canada) : 3 cours ;
— Département de Psychologie de l’Université de Harvard (Cambridge, USA) :
1 cours.
Dans cette série, nous avons abordé divers volets du problème des principes qui
permettent au cerveau de simplifier la « Neurocomputation ».
1. Tous ces cours ont rempli les critères des cours du Collège de France et ont été annoncés
comme tels (public large et interdépartemental ou grand public).
304 ALAIN BERTHOZ
Séminaires
Le cerveau, le réel et le virtuel
Le séminaire du cours a été consacré cette année au thème suivant : « Le cerveau,
le réel et le virtuel ». La question du réel est importante et donne lieu aujourd’hui
à des approches multidisciplinaires qui vont de la neuropsychologie à la robotique.
Cette question a été discutée par des conférences de psychiatres, des spécialistes de
l’hypnose, des neurologues. Nous avons aussi accordé une attention particulière à
la question de la mémoire autobiographique et les applications de la réalité
virtuelle.
Une série de conférences a été donnée par le Pr I. Takanishi sur la robotique
humanoïde. En effet, la construction de robots humanoïdes est un champ nouveau
de l’intelligence artificielle et donne lieu à des coopérations importantes entre
neurosciences et robotique.
— 16 janvier : Pr N. Franck (Institut des Sciences Cognitives CNRS Lyon),
« Les hallucinations. Altérations de la prise en compte du réel dans les psychoses » ;
Dr M.-O. Krebs & Dr I. Amada (INSERM. Hôpital Sainte-Anne Paris), « Hallucination et
schizophrénie ».
— 23 janvier : Dr J. Becchio (Université Paris Sud Orsay), « Données récente sur les
bases neurales et les applications cliniques de l’hypnose » ; Dr J.-P. Lachaux (INSERM
Lyon), Dr Ph. Kahane (Hôpital Nord, Grenoble) et Dr K. Jerbi (LPPA Collège de France),
« Brain TV : voir, contrôler et moduler l’activité de son cerveau. Bases du neurofeedback et
des interfaces cerveau-machine ».
— 30 janvier : Pr P. Haggard (Institute of Cognitive Neuroscience University College
Londres), « Sensation corporelle et représentation de soi » (en anglais avec traduction
française) ; discussion : Pr A. Berthoz et Pr J.-L. Petit, « La notion de corps virtuel ».
— 6 février : Pr L. Manning (Laboratoire de Neuropsychologie CNRS, Université de
Strasbourg), « Le réel et la fiction dans la mémoire autobiographique. Etudes comportementales
et en imagerie cérébrale » ; Pr P. Piolino (Université Paris V), « A la recherche du temps
perdu : bases neurales de la mémoire autobiographique et de ses dysfonctionnements ».
— 13 février : Pr S. Aglioti (Université La Sapienza, Rome), « Le corps et le soi dans le
cerveau » ; Pr A. Berthoz, H. Hicheur, J. Grèzes, J. Houben, L. Yahia-Cherif (LPPA Collège
de France et Ecole Jacques Lecoq), « L’expression corporelle des émotions ».
— 20 février : Pr D. Thalmann (Ecole polytechnique de Lausanne, Laboratoire de Réalité
virtuelle) « La simulation des foules par la réalité virtuelle » ; Dr S. Donikian (IRISA /CNRS
Université de Rennes) « Comment s’inspirer des comportements humains pour réaliser des
créatures virtuelles avec des images numériques ».
— Bérangère Thirioux, LPPA Collège de France. Pr Olaf Blanke, EPFL Lausanne.
Pr Gérard Jorland, EHESS. Pr A. Berthoz, LPPA. « Danser avec un funambule virtuel :
étude en EEG des bases neurales de l’empathie ».
La pluralité interprétative.
Fondements historiques et cognitifs de la notion de point de vue
Vendredi 13 juin
— Michel Tardieu (Collège de France), Le pluralisme religieux.
— Barbara Cassin (Centre Léon Robin de Recherche sur la pensée antique. CNRS/Paris
IV, ENS), Relativité de la traduction et relativisme.
— Jean-Claude Schmitt (Ecole des Hautes Etudes en Sciences Sociales), Visions et voix :
une herméneutique médiévale par les gestes, les images et la musique.
— Carlo Ossola (Collège de France), Le paradoxe herméneutique.
— Philippe Mongin (Ecole des Hautes Etudes Commerciales. CNRS), Waterloo et les
miroirs croisés de l’interprétation, de Stendhal à la théorie des jeux.
— Julie Grèzes (INSERM. ENS), Bases neurales des relations avec autrui.
— Roland Jouvent (Université Paris VI - Hôpital de la Salpétrière), Les ambiguïtés du
jugement.
— Anne Andronikof (Université Paris X), Interpréter le discours de l’autre en
psychologie clinique : projections et déviances.
— Heike Jung (Université de la Sarre, Département de Sciences juridiques), Les formes
et modèles du procès pénal - sauvegardes contre la manipulation ?
— Emmanuel Decaux (Université Paris II), Universalité des droits de l’homme et
pluralité interprétative : l’exemple des droits de l’enfant.
PHYSIOLOGIE DE LA PERCEPTION ET DE L’ACTION 307
2. INTÉGRATION INTERHÉMISPHÉRIQUE
ET PERCEPTIF SENSORIELLE
C. Milleret, A. Grantyn, L. Foubert, J. Ribot.
En collaboration avec S. Tanaka (Riken BSI, Tokyo, Japon), J. Droulez
(LPPA) et D. Bennequin (Institut de Mathématiques, Université Paris 7).
Au cours de l’année qui vient de s’écouler, nous avons tenté de parfaire cette
analyse comparative des axones calleux NR et MD par 2 analyses quantitatives
sophistiquées de la dispersion globale des branches terminales et des boutons. Par
une approximation ellipsoïdale, nous avons montré que : a) La surface corticale
occupée par chaque terminaison calleuse chez les animaux MD est en moyenne
2 fois celle qui est observée chez les animaux NR ; b) Le volume occupé par chaque
terminaison axonale (= volume de l’ellipsoïde) est également en moyenne deux fois
celui qui est occupé chez les animaux NR ; c) Les arborisations terminales se
terminent à 80 % dans TZ chez les animaux NR alors qu’elles ne terminent plus
qu’à 20 % dans cette même région chez les animaux MD ; d) L’angle général de
la distribution des branches terminales et des boutons synaptiques avec TZ est de
70° chez les NR alors qu’il est seulement de 49° chez les MD. Par la seconde
méthode quantitative, nous avons aussi montré que l’occlusion monoculaire
précoce : a) double l’étendue et le volume de l’arborisation terminale des axones
calleux au niveau cortical chez l’adulte ; b) double également le nombre d’amas
synaptiques formés par ses arborisations ; c) divise par 10 le rapport entre le volume
des amas synaptiques et celui de l’arborisation terminale totale ; en d’autres termes,
la densité synaptique est grandement diminuée. Au-delà, ces nouvelles méthodes
d’analyse devraient permettre d’établir dans le futur une corrélation assez étroite
entre l’anatomie et la fonction cérébrale. Dans le contexte qui nous intéresse, elle
devrait beaucoup nous aider à établir une corrélation précise entre les connexions
calleuses et les cartes spatio-temporelles qu’elles définissent. Par là même, on
devrait mieux comprendre comment le corps calleux contribue à l’élaboration de
la perception visuelle.
PHYSIOLOGIE DE LA PERCEPTION ET DE L’ACTION 311
par (Dupuis et Nagurney, 1993) et avons proposé de les utiliser comme nouveau
modèle de neurones artificiels (Girard et al., 2008). Le modèle contractant résultant
a été appliqué à la résolution d’une tâche standard de survie en robotique autonome,
afin de montrer son efficacité en tant que Système de sélection de l’action.
dans la littérature, présente un intérêt majeur pour les simulateurs de conduite lors
de la reproduction de situations accidentogènes provoquées par le brouillard. Les
résultats préliminaires montrent une amélioration du mécanisme de compensation
rétino-topique vers égocentrique pour la perception des vitesses lors du stimulation
large champs, mais aussi lorsque les yeux peuvent accompagner le mouvement.
reproduire, par rapport à une action n’appartenant pas à son répertoire moteur
(Calvo-Mérino et al. 2004, Calvo-Merino et al. 2006). En collaboration avec le
Dr C. Calmels, un projet actuellement en cours a pour but d’examiner si ce
phénomène de résonance motrice est activé chez des sportifs de haut niveau blessés,
sachant que ceux-ci sont temporairement dans l’incapacité de réaliser certains gestes
en utilisant la technique d’IRMf. La gymnastique artistique a été choisie car c’est
une des rares disciplines sportives où un/une athlète blessé(e) au membre supérieur
(membre inférieur) peut poursuivre son entraînement en réalisant des mouvements
sollicitant les membres inférieurs (membres supérieurs). Des films ont été réalisés,
édités, validés. L’expérience en IRMf a débuté en septembre 2007. Une meilleure
connaissance du mode de fonctionnement du système résonance motrice pourrait
avoir des implications directes par exemple dans le cadre de la rééducation.
menée : elle a permis de mettre en évidence des torsions et des anomalies des
poursuites oculaires relevant de dysfonctions vestibulaires. Par ailleurs, des études
expérimentales récentes ont mis en évidence des liens génétiques entre la formation
du cervelet et de l’oreille interne. Ces premiers résultats suggèrent de nouveaux
axes de recherche. Ceux-ci ont reçu le soutien de la Fondation Yves Cotrel en
novembre 2007 pour une durée de trois ans.
1. Axe génétique : une collaboration avec le Professeur Nancy Miller, également
membre de la fondation Y.Cotrel, a été mis en place. Elle a pour but l’identification
des gènes codant pour la formation de l’oreille interne et du cervelet chez l’homme
puis la comparaison des loci identifiés entre sujets scoliotiques et sujets sains.
2. Axe neurophysiologique : au niveau vestibulaire et cérébelleux : nous avions,
dans la première étude focalisé notre attention sur les canaux semi-circulaires. Il
est maintenant indispensable de nous intéresser à la fonction otolithique également
impliquée dans la fonction posturale (études de Lacour, de Pompeiano, de
De Waele…). Des travaux récents sur le cervelet (Ito) ont ciblé des fonctions
cognitives insoupçonnées du cervelet (représentation spatiale, perception du schéma
corporel… en plus des fonctions classiques de régulation motrices) : de nouveaux
tests d’appréciation de la fonction cérébelleuse vont donc être utilisés. Au niveau
oculaire, les anomalies oculomotrices que nous avons mises en évidence dans la
première étude doivent être poursuivies notamment au niveau des poursuites
oculaires. Cette partie de l’étude sera assurée par le Docteur Salvetti, ophtalmologiste
en charge des bilans oculaires des sujets.
Activités de la Chaire
Publications
2007
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Neurobiology of Umwelt « Comment les êtres humains perçoivent le monde », Paris,
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— Girault, J.-A. & Chemin, J.-Y., Berthoz, A. & al. : Colloque « Mathématiques en
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PHYSIOLOGIE DE LA PERCEPTION ET DE L’ACTION 327
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L’Apéline
Les apélines 36, 17 et 13 ont une affinité similaire pour le récepteur APJ. Le
récepteur est couplé de façon négative à l’adénylyl cyclase par une protéine Gi.
Différentes voies de signalisation intracellulaire sont activées par le récepteur APJ,
selon le tissu concerné : phosphorylation de Akt, activation de la p70 S6 kinase,
impliquée dans la progression du cycle cellulaire, activation de la phospholipase C
et des protéines kinases C par la voie Gq. In vitro, les différents fragments d’apéline
ont une affinité similaire pour APJ et agissent préférentiellement par la voie Gi1
ou Gi2, mais la désensibilisation du récepteur dépend du type de fragment de
l’apéline (L. Messari et al., J. Neurochem., 2004).
Ces données montrent que les défauts du développement vasculaire chez les
embryons neuropiline-1 knockout sont causés par la perte de fonction du récepteur
et ne sont pas secondaires à une perfusion vasculaire anormale. Ce système
relativement simple peut être appliqué aux nombreux mutants chez lesquels des
défauts hémodynamiques sont suspectés.
Afin d’étudier la fonction de certains de ces gènes, les critères de choix suivants
ont été appliqués : 1) constituent-ils des marqueurs de pathologies (ischémie des
membres inférieurs ou cancer) ? 2) Sont-ils des cibles thérapeutiques potentielles
(protéines sécrétées ou récepteurs) ? 3) Comment sont-ils susceptibles de moduler
la réponse angiogénique ? tsp1 et angptl4, d’une part, étaient les gènes dont
l’expression était la plus fortement induite, à la fois après criblage cDNA RDA et
analyse de puces cDNA, et d’autre part, présentaient, le profil d’expression le plus
convainquant sur des pièces d’amputation de patients souffrant d’ischémie critique
des membres inférieurs ainsi que dans les pathologies tumorales (Le Jan, 2003).
Nos efforts se sont donc concentrés sur l’étude de la fonction d’Angiopoietin-like
4 (ANGPTL4) et de la thrombospondine-1 (TSP1).
Dans le cadre d’un réseau INSERM dédié à l’étude des cellules souches, nous
étudions le transcriptome ainsi que les propriétés angiogéniques de progéniteurs
endothéliaux circulants adultes (Smadja, 2007) et (Smadja, 2008 soumis).
1. Système rénine-angiotensine
a) Activation constitutive du récepteur de l’angiotensine II
Le rôle du système rénine-angiotensine a été essentiellement étudié par la
surexpression ou l’inactivation de ses différents composants chez l’animal. Il n’existait
pas jusqu’à présent de données concernant les effets d’une activation constitutive de
l’un des gènes de ce système. Le laboratoire avait montré qu’il était possible de créer
MÉDECINE EXPÉRIMENTALE 341
L’ACE est présente dans plusieurs espèces d’invertébrés alors même que ces
espèces sont dépourvues des autres constituants du système rénine-angiotensine.
L’ACE chez les insectes et la sangsue sont des ACE possédant un seul site catalytique
(à l’inverse des vertébrés chez qui existent deux sites catalytiques) et dépourvues
d’une pièce hydrophobe d’ancrage transmembranaire. L’ACE pourrait jouer un
rôle dans la reproduction chez les insectes.
c) Récepteur de la rénine
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ENSEIGNEMENTS
1. Cours 2007-2008
Vendredi 11, 18, 25 janvier ; 1, 8, 15, 22 février, 7 et 9 mars 2008 (18 heures)
Le retour à la source : l’évolution secondaire des tétrapodes vers les milieux aquatiques
2 — Les formes mésozoïques
En prologue au Cours annoncé, j’ai consacré les deux premières séances à un point
d’histoire de la paléontologie : les débuts de l’interprétation réaliste des fossiles. Ce
choix résulte des contraintes de l’actualité. En un temps où le « néo-créationnisme »
tente de s’emparer des esprits et essaye, sur tous les continents, de subvertir à l’école
les enseignements scientifiques sur l’évolution, il est réconfortant et salutaire de se
tourner vers les « pères fondateurs ». Comment, à leur époque, et malgré un
environnement créationniste (et diluvianiste) dominant, ceux-ci ont-ils été
progressivement capables de construire une interprétation naturaliste, réaliste et
scientifiquement fondée des fossiles ? J’ai montré en détail comment les
« glossopètres » de l’Ile de Malte ont joué un rôle éminent dans cette aventure
intellectuelle qui se déroule de la Renaissance à l’Age classique. Les héros en sont
Conrad Gesner (1565), Michele Mercati (1574), Nicolas Stenon (1667,1669),
Agostino Scilla (1670) et Paolo Boccone (1671). Les « glossopetrae » ne sont pas la
langue pétrifiée de Saint Paul (évangélisateur de Malte) et multipliée dans le sol « par
la vertu des roches », ni des « jeux de la nature » mais bien de véritables dent de
squales, fossilisées et conservées dans les sédiments marins formant les assises de l’île.
rapidement soupçonner que ces derniers pourraient être des diapsides modifiés par
perte de la fosse temporale supérieure. Cette hypothèse a été confirmée à partir des
années 2000 par la découverte de formes nouvelles dans le Trias supérieur du
Guizhou (Chine). Anshunsaurus, Xinpunsaurus et d’autres taxons ont récemment
permis la construction d’un cladogramme du groupe, qui semble s’être dispersé au
Trias sur la rive nord de la Téthys.
« sites de reproduction » à la façon des Cétacés (Holzmaden ?). J’ai enfin évoqué
les problèmes d’origine et d’extinction du groupe. Quand celui-ci disparaît, bien
avant la fin du Crétacé supérieur, à la suite d’une réduction progressive de son aire
d’extension géographique connue, les derniers ichthyosaures, très peu modifiés par
rapport aux formes jurassiques, étaient déjà des « fossiles vivants » dans les
écosystèmes marins du Crétacé. Le problème de l’origine des ichthyosaures demeure
largement ouvert. S’il paraît clair désormais qu’ils dérivent de quelque diapside
terrestre « généralisé » et encore inconnu, la dynamique de leur différenciation
donne toujours lieu à controverses. Pour les uns, le degré de spécialisation des
premiers ichthyosaures connus du Spathien (Trias inférieur) implique une longue
histoire permienne encore totalement inconnue. Pour les autres, sensibles à
l’énorme extinction fini-permienne, l’origine du groupe participe d’une dynamique
de recolonisation rapide des habitats par rediversification des écosystèmes après la
crise. Dans ce cas, la différenciation initiale des ichthyosaures aurait été très rapide
et concentrée à la base du Trias (base du Scythien). De futures découvertes de
terrain permettront sans doute de tester ces hypothèses.
L’autre grand rameau évolutif envisagé cette année est celui des Sauropterygia
(ou Euryapsides) dont les représentants les plus connus sont les plésiosaures.
Globalement, les sauroptérygiens montrent une plus grande biodiversité et un plus
long succès évolutif que les ichthyosaures, ne disparaissant qu’avec l’événement
fini-Crétacé. Les sauroptérygiens présentent un mode d’adaptation à la propulsion
aquatique fondamentalement différent de celui des ichthyosaures. Chez ces derniers
la propulsion était assurée par des ondulations latérales du tronc et de la queue,
comme chez les poissons, les membres pairs ne conservant que des fonctions de
stabilisateurs et de gouvernes. Chez les sauroptérygiens, les membres pairs eux-
mêmes (et leurs ceintures) conservent toujours un rôle important, voire majeur,
dans la locomotion, selon des modalités toutefois assez variées. Comme celle des
ichthyosaures, la découverte des plésiosaures ramène aux origines mêmes de la
paléontologie scientifique. J’ai relaté les soupçons de Cuvier dessinant en Angleterre
dès 1818 des os isolés de plésiosaures, la découverte du premier squelette complet
par Mary Anning (1821) et l’achat par Constant Prévost, missionné par Cuvier,
du second squelette sub-complet pour le Muséum dès 1824.
Le terme d’Euryapside, désignant classiquement une « Sous Classe » des Reptilia,
fait allusion à la disposition particulière des fosses temporales, caractéristique du
groupe. Seule est présente une fosse temporale supérieure homologue à celle des
diapsides, et donc limitée latéralement par le post orbitaire et le squamosal. En
revanche il n’y a pas de fosse temporale inférieure. A sa place, une émargination
de la bordure inféro-latérale de la joue et l’absence de quadrato-jugal suggèrent
qu’une fosse temporale inférieure de diapside aurait pu être initialement présente.
L’articulation carré/articulaire est reportée très postérieurement. Classiquement, le
clade débute au Trias avec les nothosaures, formes encore amphibies, de taille
petite ou moyenne, et les placodontes, très spécialisés dans la consommation de
coquillages. Il se poursuit au Jurassique par les formes pélagiques bien connues des
354 ARMAND DE RICQLÈS
plésiosaures à cou allongé et tête petite, et des pliosaures à cou court et à tête
allongée. On retrouve les uns et les autres au Crétacé, les plésiosaures y culminant
avec des formes terminales de très grande taille, les élasmosaures. Nous avons
montré combien ce schéma général avait été enrichi et modulé par les recherches
des deux dernières décennies, du fait de nouvelles découvertes et de l’application
de la méthode cladistique.
L’histoire paléontologique du groupe débute au Trias inférieur avec des
organismes lacertiformes de petite taille (50 cm). Le cou, le tronc et la queue sont
allongés tandis que les membres pentadactyles sont relativement courts et robustes,
avec toutefois des autopodes allongés mais sans hyperphalangie. La forme la plus
basale est Keichousaurus, de Chine, dont l’ontogénie est connue, qui se regroupe
avec d’autres taxons de très petite taille et un peu plus récents du Trias inférieur
et moyen d’Europe centrale (Dactylosaurus, Anarosaurus, etc.). L’analyse cladistique
de ces taxons, initialement classés parmi les nothosaures, montre qu’ils constituent
un premier clade basal des Sauropterygiens : les pachypleurosaures. Ce clade est
caractérisé, entre autres synapomorphies, par une histomorphogenèse squelettique
particulière, que nous avons détaillée, et qui est très proche de celle des mésosaures
(voir ci-dessus). A la suite des études récentes de O. Rieppel et coll., j’ai détaillé,
à titre d’exemple, les problèmes paléobiologiques et évolutifs concenant des
pachypleurosaures un peu plus récents et de plus grande taille, provenant des
célèbres gisements du Monte San Giorgio (Tessin). Les taxons concernés :
Serpianosaurus et trois espèces successives de Neusticosaurus (Pachypleurosaurus) :
N. pusillus, N. peyeri et N. edwardsii se succèdent localement dans la série
stratigraphique. Avec ce modèle on dispose de « paléopopulations » (contrôle
statistique) représentées par des individus complets (contrôle anatomique),
comprenant des séries de croissance (contrôle ontogénique), se succédant dans le
temps (contrôle stratigraphique) et l’espace en un même lieu (contrôle
géographique). Que souhaiter de mieux dans la documentation paléontologique ?
La série stratigraphique représente une durée de 5 MA au maximum, à la limite
Anisien/Ladinien (Trias moyen), mais les quatre principales séquences fossilifères
successives n’en représentent qu’un faible pourcentage temporel. L’analyse
cladistique place Serpianosaurus comme taxon basal, les trois autres espèces de
Neusticosaurus étant de plus en plus dérivées, ce qui est conforme à leurs situations
stratigraphiques respectives. Le cladogramme suggère l’existence de plusieurs
« lignées fantômes » répondant aux cladogenèses successives aboutissant aux quatre
taxons décrits. En revanche, on n’en a nulle trace dans la documentation
morphométrique et stratophénétique disponible, qui suggère plutôt l’existence
d’une seule lignée évoluant par anagenèse. On saisit sur cet exemple en quoi
l’analyse logique de la répartition taxinomique des états de caractères (analyse
cladistique) pourrait éventuellement différer de la phylogénie concrète.
Les Nothosaures proprement dits (Nothosaurus, Ceresiosaurus, Lariosaurus,
Simosaurus, Cymatosaurus...) sont généralement des organismes plus spectaculaires
que les pachypleurosaures (1,50 m à 4 m), présentant une grande diversité dans
BIOLOGIE HISTORIQUE ET ÉVOLUTIONNISME 355
Le « type pliosaure » est bien représenté au Crétacé par les Polycotylidés. Des
travaux phylogénétiques récents, fondés en particulier sur la structure du palais
chez Dolichorhynchops du Campanien (Crétacé supérieur) du Kansas, ont montré
que ce groupe n’était pas apparenté directement aux pliosaures jurassiques mais
qu’il fait partie d’un clade des Cryptocleidoidea (O’Keefe 2004) comprenant
basalement des plésiosaures comme Muraenosaurus du Jurassique. Très récemment,
les découvertes d’Albright et al. en Utah (2007) ont confirmé que les Polycotylidés
font partie d’un groupe de « plésiosaures à cou court » ou « faux pliosaures ». Ainsi
les pliosaures apparaissent bien comme un écotype ayant évolué de façon
polyphylétique.
Les plésiosaures à cou long évoluent au Crétacé vers des formes de très grande
taille, les élasmosaures, pouvant atteindre 12 à 15 mètres de long, pour des crânes
de 30 à 50 cm chez les formes du Crétacé supérieur connues du centre et de l’ouest
des USA, telles que Thalassomedon, Styxsosaurus ou Hydrotherosaurus. Le cou très
mobile s’allonge démesurément tandis que la queue se raccourcit en proportions
relatives. Les grandes dents faisaient saillies extérieurement, les supérieures et les
inférieures s’entrecroisant, et réalisant ainsi une « trappe » à poissons ou à
céphalopodes. Nous avons relaté une succession de découvertes récentes concernant
le groupe. Celle d’un élasmosaure primitif dans le Jurassique inférieur français
(Bardet 1999) est venue documenter l’origine de ces formes dominantes au Crétacé,
dont l’histoire peut être suivie en détail dans les régions Néo-Zélandaises,
Australiennes et Sud-Américaine/Antarctique, et ce jusqu’au Crétacé terminal, avec
des formes parfois écologiquement très spécialisées dans la microphagie (Aristonectes).
Les rares données européennes issues du Maestrichthyen éponyme (Mulder 2000)
indiquent également une persistance modeste du groupe jusqu’à l’extrême fin du
Mésozoïque. Les travaux paléohistologiques sur des séries de croissance
d’élasmosaures et de pliosaures du Crétacé supérieur de Nouvelle Zélande ont
apporté des données intéressantes. Tandis que les jeunes ont un squelette
pachyostique suggérant un rôle de « ballast » dans des environnements néritiques,
à la façon des formes triasiques, les adultes acquièrent ensuite un squelette de
structure allégée, « de type cétacé », sans doute en relation avec la vie pélagique
(Wiffen et al. 1995).
J’ai traité à part le groupe triasique des Placodontes, dont les relations
phylogénétiques avec les autres Euryapsides ne font pas consensus. J’ai commencé
BIOLOGIE HISTORIQUE ET ÉVOLUTIONNISME 357
situe son exercice, et cependant son apparence assez abstraite, dès que l’on tente
d’isoler conceptuellement sa nature propre, parce qu’elle est avant tout interaction
plutôt que substance.
Programme
Mercredi 21 mai
Introduction : Armand de Ricqlès & Jean Gayon
Session 1 :
Origines du discours fonctionnel dans les sciences de la vie et en psychologie
Origins of functional discorse in the life sciences and in psychology
Président de séance/Chair : Jean Gayon (IHPST)
James Lennox (Un. de Pittsburgh, USA, Center for Philosophy of Science) : Functions
and history [Le concept de fonction : importance de l’histoire].
François Duchesneau (Un. de Montréal, Canada, Département de philosophie) : Rôle
du couple « structure/fonction » dans la constitution de la biologie comme science [Role of the
« structure/function » dichotomy in the constitution of Biology as a science].
Laurent Clauzade (Un. Paris 1 & IHPST, Paris) : Phénomènes, propriétés, fonctions : le
terme « fonction » dans la biologie française du début du XIXe s. [Phenomena, properties,
functions: the term « function » in French biology in the early 19th Cy].
Françoise Parot (Un. Paris Descartes & IHPST, Paris) : Les psychologues fonctionnalistes
de l’école de Chicago et le premier béhaviorisme [The functionalist psychologists of the
Chicago School and the original Behaviorism].
Session 2 :
Théories philosophiques des fonctions
Philosophical theories of function
Président de séance/Chair : Françoise Parot (Un. Paris 5)
Session 3 :
Fonction, selection et adaptation
Function, selection , and adaptation
Président de séance : Anne Fagot-Largeault (Professeur au Collège de France)
Jeudi 22 mai
Session 4 :
Structures et fonctions en morphologie et paléontologie
Structures and functions in morphology and palaeontology
Président de séance/Chair : Olivier Houdé (Professeur à l’Université Paris 5)
Armand de Ricqlès (Collège de France) & Jorge Cubo (Un. Paris 6, UMR 7179) : Le
problème de la causalité complexe aux sources de la relation structuro-fonctionnelle ; 1) généralités,
2) l’exemple du tissu osseux [Complex causality as the root of the structure/function relation
problem : 1) general considerations ; 2) the example of the bone tissue].
Christine Argot (Muséum National d’Histoire Naturelle, Département Histoire de la
Terre) : L’analyse fonctionnelle en paléontologie des mammifères — Forme, fonction et adaptation
[Functional analysis in paleontology of mammals — form, function and adaptation].
Stéphane Peigné (Muséum National d’Histoire Naturelle, Département Histoire de la
Terre) : Structure et fonction chez les Carnivores placentaires : inférences morpho-fonctionnelles
à partir des dents et du squelette post-crâniens [Structure and function in placental Carnivores ;
morpho-functional inferences from teeth and post-cranial skeleton].
Federica Marcolini (Dip. Scienze Geologiche, Università Roma Tre, Roma, Italie) :
Enamel structure analysis as a tool for reconstructing feeding behavior of fossil voles (Arvicolidae,
Rodentia, Mammalia) [Analyse de la structure de l’émail comme outil pour reconstruire le
comportement alimentaire des campagnols fossiles (Arvicolidae, Rodentia, Mammalia].
Michel Laurin (CNRS, UMR 7179) : Structure, fonction et évolution de l’oreille moyenne
des vertébrés actuels et éteints : interprétations paléobiologiques et phylogénétiques [Structure,
fonction and evolution of the middle ear of extant and extinct vertebrates : paleobiological
and phylogenetic interpretations].
Philippe Janvier (Muséum National d’Histoire Naturelle, Département Histoire de la
Terre) : Anatomies éteintes, fonctions énigmatique [Extinct anatomies, enigmatic functions].
Session 5 :
Structures et fonctions cognitives
Cognitive structures and fucntions
Président de séance/Chair : Alain Berthoz (Collège de France)
Session 6 :
Attributions fonctionnelles en biologie expérimentale
Functional ascriptions in experimental biology
Président de séance/Chair : Philippe Kourilsky (Collège de France)
Michel Morange (Ecole Normale Supérieure et IHPST, Paris) : Les fonctions des protéines
[The functions of proteins].
Jean-Claude Dupont (Université de Picardie et IHPST, Paris) : Physiologie : L’histoire de
l’intégration, de Spencer à Sherrington et après [Physiology : the history of integration, from
Spencer to Sherrington and beyond].
BIOLOGIE HISTORIQUE ET ÉVOLUTIONNISME 363
Vendredi 23 mai
Session 7 :
Fonctions et origines de la vie
Functions and the origins of life
Président de séance/Chair : François Duchesneau (Un. de Montréal).
Session 8 :
Fonction and dysfonction
Function and dysfunction
Président de séance/Chair : Pierre Corvol (Collège de France).
Ulrich Krohs (Universität Hamburg, Department of Philosophy), Dys-’, ‘mal-’ and ‘non-’ :
the other side of functionality [‘Dys-’, ‘mal-’ et ‘non-’ : l’autre côté de la fonctionnalité].
Elodie Giroux (Un. Lyon 3 & IHPST, Paris), Du concept de fonction biologique au
concept de santé : les limites d’un transfert dans le domaine de la médecine [From the concept
of biological function to the concept of health : the limits of a transfer into the field of
medicine].
Arnaud Plagnol (Université de Paris 8, LPN & IHPST, Paris), Le raisonnement
fonctionnel en psychiatrie [Functional reasoning in Psychiatry].
Session 9 :
Le raisonnement fonctionnel dans les sciences de l’ingénieur
et dans les sciences de la vie
Functional reasoning in engineering and the life sciences
Président de séance : Armand de Ricqlès (Collège de France).
Discussion-Conclusion
Débat avec la salle, animé par les responsables scientifiques des programmes de l’ACI /
Debate with the public, led by the scientific coordinators of the programme (Jean Gayon,
Olivier Houdé, Françoise Parot, Armand de Ricqlès).
RECHERCHE
Bourdon E., Ricqlès A. & Cubo J. (In Press). A new Transantarctic relationship:
morphological evidence for a Rheidae-Dromaiidae-Casuariidae clade (Aves, Palaeognathae,
Ratitae). Zoological Journal of the Linnean Society.
Buffrénil V. de, Astibia H., Pereda Suberbiola X., Berreteaga A., Bardet N. 2008. Bone
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30(2) : 425-432.
Buffrénil V. de, Houssaye A., Böhme W. 2008. Bone vascular supply in monitor lizards
(Squamata : Varanidae) : influence of size, growth and phylogeny. Journal of Morphology,
269 : 533-543.
Cao N., Bourdon E., El Azawi M., Zaragüeta Bagils R. (In Press). Three-item analysis
and parsimony, intersection tree and strict consensus : a biogeographical example. Bulletin
de la Société Géologique de France.
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bone compactness in farmed rainbow trout. Aquaculture, 279 : 11-17.
Houssaye A., Buffrénil V. de, Rage J.C., Bardet N. 2008. Analysis of vertebral
« pachyostosis » in Carentonosaurus mineaui (Mosasauroidea, Squamata) from the
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téléostéens : structure, développement, physiologie, pathologie. Bull. Soc. Zool. Fr. (sous
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comparative study of the morphology and histology of the scales of Latimeria menadoensis
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368 ARMAND DE RICQLÈS
Montes L., Castanet J., Cubo J. Relationship between bone growth rate and bone
vascular density in amniotes: a first tes t of Amprino’s rule in a phylogenetic context. 8th
International Congress of Vertebrate morphology (ICVM8), Paris, 16-21 juillet 2007.
Com. Orale. Résumé. J. Morphol., 268(12) : 1108.
Ricqlès A. de. 2007. Towards a classificatory scheme and nomenclature of bone histology
in 8th International Congress of Vertebrate morphology (ICVM8), Université Pierre et
Marie Curie, Paris, 16-21 juillet 2007. Com orale. J. Morphol., 268(12) : 1066.
2007 (suite)
Meunier F.J. 2008. Le Muséum national d’Histoire naturelle. Le jardin des Plantes.
Culture et Temps libre, Draveil, le 5 février 2008.
Meunier F.J. 2008. Le Muséum national d’Histoire naturelle. Le jardin des Plantes.
Culture et Temps libre, Yerres, le 27 mai 2008.
Thèses
Germain D. 2003-2007. Anatomie des lépospondyles et origine des lissamphibiens.
Muséum National d’Histoire Naturelle (encadrant : M. Laurin). Thèse soutenue Juin
2007, mention très hon. avec félicitations.
Houssaye A. 2006-2009. La pachyostose des squamates du Crétacé supérieur : implications
phylogénétiques, morphofonctionnelles et paléoécologiques (encadrant : V. de Buffrénil).
Marjanovic D. 2006-2009. Révision systématique des placodontes, phylogénie des
amniotes et origine des tortues. UMPC/U. de Vienne (encadrants : M. Laurin,
G. Steiner).
Montes L. 2005-2008. Relation entre le taux métabolique standard et les taux de
croissance corporelle et squelettique chez les amniotes. UMPC (encadrants : J. Castanet et
J. Cubo).
M2
Canoville A. Diversité microstructurale de l’humérus et inférence du mode de vie de
taxons éteints. M2 Sciences de l’Univers, Environnement et Ecologie, spécialité SEP :
Systématique, Evolution et Paléontologie, UPMC/MNHN. Soutenue le 26 juin 2007
(encadrant : M. Laurin).
Laville S. Extinctions et taille corporelle au cours des crises biologiques de la fin du
Permien et du Trias. M2 Sciences de l’Univers, Environnement et Ecologie, spécialité SEP :
Systématique, Evolution et Paléontologie, UPMC/MNHN. Soutenue le 26 juin 2007
(encadrant : M. Laurin).
Le Roy N. Prédiction du taux de croissance osseuse chez les amniotes fossiles à partir
d’un modèle paléobiologique. M2 Sciences de l’Univers, Environnement et Ecologie,
spécialité SEP : Systématique, Evolution et Paléontologie, UPMC/MNHN. Soutenue le
26 juin 2007 (encadrant : J. Cubo).
BIOLOGIE HISTORIQUE ET ÉVOLUTIONNISME 371
M1
Blottière L. Stage de Licence du 10 janvier au 30 juin 2008. Responsable : Jorge Cubo.
Elle a travaillé avec Laetitia dans le projet. Relations entre la croissance et le taux métabolique
chez les amniotes : approches micro et macroévolutives (encadrant J. Cubo).
Post docs
Bourdon E. ATER Collège de France 2007-2008 Recherche d’un signal phylogénétique
dans l’histologie osseuse : le modèle Ratite (encadrants : J. Cubo et A. de Ricqlès).
Piras P. Stage post-doctoral du 1er janvier au 31 décembre 2008 financé par l’Université
Pierre et Marie Curie. Responsable : Jorge Cubo. Sujet : Quantification des signaux
écologique et phylogénétique dans la forme et la microstructure des éléments squelettiques
chez Arvicola (Rodentia) (encadrant : J. Cubo).
Enseignement
— Introduction à la médecine évolutionniste. UE2 génétique et évolution : grands
mécanismes du Master mention génétique de la Faculté de Médecine Xavier Bichat.
Université Paris VII. Cours et Travaux Dirigés. Printemps 2008.
— Origines et évolution de l’homme. Formation au CAPES interne. Université Pierre
et marie Curie. Paris, le 27 janvier 2008.
— Université Paris VII. Faculté de Chirurgie dentaire de Garancière. Série de séminaires
sur L’évolution de l’homme et l’évolution et l’adaptation du crâne des hominidés.
Printemps 2008.
— La sexualité humaine. DU de Sexologie de l’université Paris XIII (13 janvier
2008).
Publications
Livres
— Pascal Picq, Laurent Sagart, Ghislaine Dehaene et Cécile Lestienne. La plus belle
Histoire du Langage. Paris, le Seuil (192 p.) 2008.
— Pascal Picq. Les Animaux amoureux. Photographies d’Eric Travers. Paris, Editions du
Chêne (264 p.) 2007.
— Pascal Picq et Michel Hallet-Eghayan. Danser avec l’Evolution. Paris, Le Pommier
(112 p.) 2007.
Articles
— Les Révolutions des origines (p. 10-13) et Retour vers les Lumières (68-71). Les Textes
qui ont changé le Monde. Le Point Hors Série 18, juin-juillet 2008.
— Sur la Trace de nos Ancêtres. Dossier Pour la Science n° 57, octobre/décembre 2007 :
Editeur invité et rédaction d’articles :
A l’ouest d’Homo sapiens, p. 4-8.
L’outil ne fait pas l’homme, p. 40.
De l’importance de sauver les grands singes, avec Sabrina Krief, p. 68-69.
La bipédie est-elle spécifique à l’homme ? p. 76-77.
Les trois candidats à l’ancêtre commun, p. 98-103.
— Faits et causes pour l’évolution. Pour la Science 357 : 41-40, 2007.
— Créationnisme et dessein intelligent. Pour la Science 357 : 50-51, 2007.
— Que répondre aux créationnistes ? Pour la Science : 52-54, 2007.
— Darwin menacé par les religions ? Science et Avenir 729 (numéro spécial 60 ans)
p. 114, novembre 2007.
— Evolution : rencontres avec Yves Coppens et Pascal Picq. Archéologia 447, septembre
2007, p. 40-51.
— Une archéologie vivante des langues et des mythes : l’approche structurale. Colloque
UISPP/CISENP Les Expressions intellectuelles et spirituelles des Peuples sans Ecriture.
Musée de l’Homme, Paris 22-23 octobre 2007.
— Quand l’évolution est de bon goût : du fruit à la cognition. Forum Les Voies du Goût.
Biennale Internationale des Arts Culinaires, Dijon 11-13 octobre 2007.
Martin Pickford,
Maître de conférences au Collège de France
Activité 2007-2008
Participation à des Congrès 2007 (suite) (après le 30/06/2007)
Pickford, M., Wanas, H., Mein, P., & Soliman, H., 2008. Humid conditions in the
Western Desert of Egypt during the Vallesian (Late Miocene). The Third International
Conference on the Geology of the Tethys, South Valley University, Aswan, Egypte, janvier,
2008.
Vers 4 Ma, ces hominidés anciens du Miocène supérieur ont donné naissance
aux Australopithèques ; eux-mêmes sûrement à l’origine entre 2 et 3 Ma des
premiers représentants, H. habilis et H. rudolfensis, du genre Homo qui va partir
(H. erectus) à la conquête du reste de l’Ancien Monde où les plus anciens sont
actuellement connus à un peu moins de 2 Ma en Géorgie au Caucase. Vers
800 000 ans on connaît Homo heidelbergensis qui donnera naissance en Europe aux
Néanderthaliens, Homo neanderthalensis, qui après une courte cohabitation vont
être remplacés vers 28-30 000 ans par les hommes modernes.
Dans l’état actuel de nos connaissances on peut penser que vers 4 Ma ces
hominidés anciens du Miocène supérieur ont probablement donné naissance aux
Australopithèques : A. anamensis pour le moment le plus ancien mais aussi le plus
primitif, puis A. afarensis (Lucy), A. bahrelghazali (Abel), A. garhi, etc. ; eux-
mêmes sûrement à l’origine entre 2 et 3 Ma des premiers représentants, H. habilis
et H. rudolfensis, du genre Homo.
Toutes les espèces décrites sont africaines. L’espèce type du genre Australopithecus
africanus (3,5-2,3 Ma) a été décrite en Afrique du Sud (enfant de Taung) par
Raymond Dart en 1925. En Afrique orientale la plus ancienne est Australopithecus
anamensis (4,2-3,9 Ma) ; la mieux connue Australopithecus afarensis (3,9-2,7 Ma)
dont Lucy (3,2 Ma) est la plus célèbre représentante, une forme plus récente
(Bouri, Middle Awash, Ethiopie, 2,5 Ma), Australopithecus ghari, est associée à des
artefacts et à des ossements portant des traces de boucherie. Cette dernière espèce
a été considérée par ses auteurs comme une forme ancestrale des hommes modernes,
dérivée de A. africanus et/ou A. afarensis.
Enfin en 1995 j’ai décrit avec mon équipe la MPFT la première espèce connue
à l’Ouest du grand Rift au Tchad dans le désert du Djourab, Australopithecus
bahrelghazali (3,58 Ma).
PALÉONTOLOGIE HUMAINE 379
Tous ces Australopithèques sont marqués par un fort dimorphisme sexuel. Ainsi
Lucy et ses frères avaient une taille moyenne de 105 à 150 cm pour un poids
d’environ 30 kg pour la plus petite femelle et 45 kg pour les grands mâles. En ce
qui concerne la locomotion, à des caractères de bipède sont associés d’autres
caractères qui indiquent encore la possibilité de grimper aux arbres : orientation de
l’omoplate ; phalanges de la main courbes ; pisiforme grand ; phalanges du pied
longues et courbes ; membres postérieurs encore courts. Sur le sol le mode de
locomotion est la bipédie mais un mode de vie arboricole est conservé pour dormir,
échapper aux prédateurs et se nourrir.
Trois espèces ont été décrites, deux en Afrique orientale dont la plus ancienne :
P. aethiopicus, « Black Skull » (2,6-2,3 Ma, Vallée de l’Omo, Ethiopie) et P. boisei
(2,1-1,1 Ma, Afrique de l’Est) ; une espèce en Afrique du sud : P. robustus
(1,5-2 Ma, Swartkrans, Kromdraai et Drimolen, Afrique du sud).
Leur denture antérieure (incisives et canines) est très réduite tandis que les dents
jugales (Pm et M) sont au contraire très développées.
Les relations de parenté entre ces formes robustes dépend de la nature des
caractères partagés : homologues ou homoplasiques… et est donc l’objet de
discussion au sein de la communauté scientifique.
De telle sorte que les interrogations anciennes : D’où venons-nous… Qui sommes-
nous… Qui est l’ancêtre, où et quand est-il apparu ? … Bien qu’elles soient de mieux
en mieux contraintes demeurent toujours des questions d’actualité.
Séminaires 2007-2008
Depuis des décennies, il est admis que l’origine des Primates anthropoïdes s’est
située en Afrique, et cela malgré les informations contraires apportées par la
phylogénie moléculaire. Mais récemment, cette situation s’est trouvée modifiée
grâce à la découverte d’Anthropoïdes primitifs dans des niveaux anciens de l’Eocène
moyen et supérieur d’Asie. Dans le même temps, les données qui soutenaient une
origine africaine ont pu être démenties grâce à d’autres découvertes paléontologiques.
Ces données récentes illustrent l’importance de la première partie de l’histoire des
Anthropoïdes en Asie. Les recherches en Inde, Pakistan, Chine, Thaïlande et
Birmanie permettent de mettre en évidence d’une part la très grande ancienneté
de ce groupe en Asie (55 Ma) ainsi que son extrême diversité. En effet, la radiation
Eocène asiatique comprend des formes de très petite taille (moins de 200 grammes)
ainsi que des formes pouvant atteindre une dizaine de kilogrammes, ce qui les situe
au sein des formes les plus grandes de leur temps. Parmi ces formes de grande
taille, les Amphipithécidés se distinguent par leurs caractères très modernes
(position frontale des orbites et caractères de leur squelette post-crânien) par
rapport à leurs contemporains africains. Ils semblent avoir évolué sous un climat
marqué par une forte saisonnalité, qui a permis l’apparition des caractères modernes
du crâne et de la denture qui traduisent une adaptation à un régime alimentaire à
base de nourriture dure et abrasive. Une adaptation similaire, mais beaucoup plus
récente, s’est également produite, plus de 25 millions d’années après, chez les
premiers hominidés. L’évolution de ces formes constitue donc un excellent modèle
pour comprendre les modalités et les causes de ces mêmes transformations chez les
Hominidés.
D’autre part, il est dorénavant clair que les études portant sur l’origine et
l’évolution des Hominidés ne peuvent pas s’appréhender hors d’un contexte
paléoenvironnemental bien compris. Pour ce faire, deux types de paramètres sont
pris en compte dans les analyses : les paramètres abiotiques et les paramètres
biotiques.
L’analyse des flores et des faunes découvertes associées aux restes d’Hominidés
permet de préciser les conditions environnementales des écosystèmes dans lesquels
sont apparus puis ont évolué les Hominidés.
L’analyse du couvert végétal nécessite moins de matériel fossile mais est souvent
plus délicate à interpréter. Les macro-restes de végétaux étant très rarement
conservés dans les sédiments, deux approches indirectes sont classiquement utilisées.
L’analyse de la composition isotopique de l’émail dentaire des mammifères
consommateurs de végétaux (l’émail dentaire conserve une « trace » des signatures
biochimiques des végétaux consommés). Enfin, l’étude approfondie des micro-
restes végétaux (grains de pollens et phytolithes) permet aussi d’apporter des
informations qui seront confrontées aux autres données issues de l’étude de la
faune et de la flore afin de dresser un tableau des «paléo-paysages» dans lesquels
sont apparus puis ont évolué les Hominidés.
386 MICHEL BRUNET
Recherche
Direction ou participation
à des programmes scientifiques nationaux et internationaux
HDR
Congrès et séminaires
Conférences invitées
Toutes les conférences ont traité de l’histoire évolutive des Hominidés et de leurs environnements
à la lumière des découvertes nouvelles.
— Office Cantonal de la Culture, Section Archéologie & Paléontologie, Porrentruy
(Suisse), 13 septembre 2007 ;
— Société des Sciences de Chatellerault, 20 septembre 2007 ;
— Institut de Physique du Globe (IPG), UPMC Paris, 27 septembre 2007 ;
— CCF N’Djaména (Tchad), 4 octobre 2007 ;
— CCSTI Pierre Mendès France, Fête de la Science, Poitiers, 8 octobre 2007 ;
— Université de Rennes, Géosciences, Année internationale de la Planète Terre,
13 novembre 2007 ;
— Chanteloup, Vouneuil-sous-Biard (86), 5 mars 2008 ;
— Institut ISIS, Université Pasteur Strasbourg, 10 mars 2008 ;
390 MICHEL BRUNET
Radio-TV
France Inter : La tête au carrée, Mathieu Vidal, 8 mars ; France Culture : Travaux publics
par Jean Lebrun, 31 mars 2008 ; France 2 & France 3.
Presse écrite
Nombreux interviews et articles.
Films
— Festival du documentaire scientifique, présentation du documentaire fiction « Toumaï
le nouvel Ancêtre » par Michel Brunet, Amiens, 1er avril 2008.
— France 2 : Un jour un destin « Chirac intime » (participation M. Brunet) diffusé le
27 juin 2008.
— « Humains » Long métrage de fiction autour d’hominidés fossiles, tournage été 2008
(Michel Brunet, consultant scientifique).
Distinction
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— First occurrence of the ‘hunting hyena’ Chasmaporthetes in the late Miocene fossil bearing
localities of Toros Menalla, Chad (Africa). Bull. Soc. Géol. Fr., 178 (4) : 317-326.
Bonis de L., Peigné S., Likius A., Mackaye H.T., Vignaud P. et BRUNET M. (2007)
— The oldest African fox (Vulpes riffautae n. sp., Canidae, Carnivora) recovered in late
Miocene deposits of the Djurab desert, Chad. Naturwissenschaften, 94 : 575-580.
Duringer P., Schuster M., Genise J.F., Mackaye H.T., Vignaud P. et BRUNET M.
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PALÉONTOLOGIE HUMAINE 391
Geraads D., Blondel C., Likius A., Mackaye H.T., Vignaud P. et BRUNET M. (2008)
— New Hippotragini (Bovidae, Mammalia) from the late Miocene of Toros-Menalla
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Guy F., Mackaye HT., Likius A., Vignaud P., Schmittbuhl M. et BRUNET M. (2008)
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Lebatard A.E., Bourlès D.L., Duringer P., Jolivet M., Braucher R., Carcaillet J.,
Schuster M., Arnaud N., Monie P., Lihoreau F., Likius A., Mackaye H.T., Vignaud P.
et BRUNET M. (2008) — Cosmogenic nuclide dating of Sahelanthropus tchadensis and
Australopithecus bahrelghazali : Mio-Pliocene hominids from Chad. Proc. Nat. Acad. Sci.
USA., 105, 9 : 3226-3231.
Mackaye H.T., Coppens Y., Vignaud P., Lihoreau F. et BRUNET M. (2008) — De
nouveaux restes de Primelephas dans le Mio-Pliocène du Nord du Tchad et révision du genre
Primelephas. C. R. Palevol, 7 (2008) 227-236.
Peigné S., de Bonis L., Likius A., Mackaye H.T., Vignaud P. et BRUNET M. (2008)
— Late Miocene Carnivora from Chad : Lutrinae (Mustelidae). Zool. J. Linn. Soc., 152 :
793-846.
Sepulchre P., Schuster M., Ramstein G., Krinner G., Girard J.-F., Vignaud P.,
BRUNET M. (2008) — Evolution of Lake Chad Basin hydrology during the mid-Holocene :
a preliminary approach from lake to climate modelling. Global and Planetary Change, 61,
41-48.
II. SCIENCES PHILOSOPHIQUES
ET SOCIOLOGIQUES
Philosophie du langage et de la connaissance
A. Cours
substitut qui en tienne lieu ; et, généralement, il ne lui est permis de construire que parce
qu’il peut rester aveugle aux autres points de vue, ou insensible aux raisons émotives qui
l’attachent à son système particulier. Valéry était bien trop lucide pour pouvoir philosopher
de cette façon ; en sorte que sa philosophie se trouve exposée à l’accusation de n’être
qu’un jeu compliqué. Précisément, — mais pouvoir jouer ce jeu, pouvoir y goûter des
joies artistiques, c’est une des manifestations de l’homme civilisé. Il n’y a qu’un seul degré
plus élevé qu’il est possible à l’homme civilisé d’atteindre — et c’est d’unir le scepticisme
le plus profond à la plus profonde foi. Mais Valéry n’était pas Pascal, et nous n’avons pas
le droit de lui demander cela. Son esprit était, je crois, profondément destructeur, — et
même nihiliste 1. »
Mais s’il est entendu, dans des cultures comme les nôtres, que l’on est tenu,
malgré tout, d’éprouver une certaine admiration et même une admiration spéciale
pour la philosophie, qu’est-ce qui, dans une œuvre philosophique, mérite exactement
d’être admiré ? Sont-ce en premier lieu les mérites de l’œuvre elle-même ou plutôt,
en réalité, ceux de son auteur ? Nietzsche, dans La Philosophie à l’époque tragique
des Grecs, affirme que tous les systèmes philosophiques du passé ont été réfutés et
que ce qui peut encore nous intéresser dans un système philosophique, une fois
qu’il a été réfuté, est uniquement ce qu’il appelle la personnalité. C’est, dit-il, ce
qui explique sa façon, effectivement assez particulière, de faire de l’histoire de la
philosophie :
« Je raconte en la simplifiant l’histoire de ces philosophes : je ne veux extraire de chaque
système que ce point qui est un fragment de personnalité et appartient à cette part
d’irréfutable et d’indiscutable que l’histoire se doit de préserver. C’est un premier pas pour
retrouver et reconstruire par comparaison ces personnages, et pour faire enfin résonner à
1. T. S. Eliot, « Leçon de Valéry », in « Paul Valéry vivant », Cahiers du Sud, 1946, p. 75-77.
2. Paul Valéry, Analecta, Gallimard, Paris, 1935, p. 223-224.
PHILOSOPHIE DU LANGAGE ET DE LA CONNAISSANCE 397
3. Friedrich Nietzsche, La Philosophie à l’époque tragique des Grecs, suivi de Sur l’avenir de nos
établissements d’enseignement, textes et variantes établis par G. Coli et M. Montinari, traduit de
l’allemand par Jean-Louis Backès, Michel Haar et Marc B. de Launay, Gallimard, Paris, 1975,
p. 9-10.
398 JACQUES BOUVERESSE
beaucoup plus difficile de concevoir que l’un quelconque d’entre eux puisse être
vrai et de démontrer qu’il l’est effectivement. Wilhelm Busch, l’immortel auteur
de Max und Moritz dit que : « Le philosophe, de même que le propriétaire de
maison, ont toujours des réparations à faire. » On peut avoir le sentiment qu’à
partir d’un certain moment, les systèmes philosophiques sont susceptibles, comme
les maisons, de devenir irréparables. Mais même ce genre de chose n’est peut-être
qu’une impression trompeuse. Si l’on en croit Edgar Poe : « Il est amusant de voir
la facilité avec laquelle tout système philosophique peut être réfuté. Mais aussi
n’est-il pas désespérant de constater l’impossibilité d’imaginer qu’aucun système
particulier soit vrai 4 ? » La première chose a plutôt tendance à réjouir les ennemis
de la philosophie, la deuxième devrait les inquiéter et le ferait probablement s’ils
n’étaient pas justement des ennemis de la philosophie.
Mais la dissymétrie à laquelle Poe fait référence est-elle aussi réelle qu’il le
suggère ? Autrement dit, est-il certain que les systèmes philosophiques soient aussi
faciles à réfuter qu’il le dit ? Il y a des auteurs qui pensent que, s’ils ne sont
assurément pas vérifiables, ils ne sont pas non plus, à proprement parler, réfutables.
Gueroult et Vuillemin, par exemple, soutiennent que, même si l’on peut hésiter à
dire d’eux qu’ils sont vrais, au sens usuel du terme, ils n’en continuent pas moins
à représenter des possibilités de vérité entre lesquelles le philosophe est obligé de
choisir, tout en sachant que d’autres choix, qui contredisent le sien, sont également
possibles et respectables.
Dans les dernières séances du cours de l’année dernière, on a évoqué ce que
Christopher Peacocke appelle le « défi de l’intégration », un défi qui a trait à la
difficulté que l’on peut avoir, en rapport avec une entreprise cognitive quelconque,
à fournir à la fois une métaphysique et une épistémologie acceptables de la vérité
pour les propositions de la discipline concernée. Selon Peacocke :
« Nous pouvons avoir une conception claire des moyens par lesquels nous en venons
ordinairement à connaître les propositions en question. Néanmoins en même temps nous
pouvons être incapables de fournir une quelconque explication plausible de conditions de
vérité dont la connaissance du fait qu’elles sont satisfaites pourrait être obtenue par ces
moyens. Ou bien nous pouvons avoir une conception claire de ce qui est impliqué dans
la vérité de la proposition, mais être incapables de voir comment nos méthodes réelles de
formation de la croyance à propos de l’objet sur lequel elles portent peuvent être suffisantes
pour connaître leur vérité. Dans certains cas nous pouvons ne pas avoir les idées claires
sur aucune des deux choses.
J’appelle la tâche générale consistant à fournir, pour un domaine déterminé, une
métaphysique et une épistémologie simultanément acceptables et à montrer qu’elles le
sont, le Défi de l’Intégration pour ce domaine 5. »
Ce que cela veut dire est que, si nous considérons une discipline quelconque qui
a une prétention à la connaissance que l’on peut présumer légitime, nous sommes
4. Edgar Allan Poe, Marginalia et autres fragments, textes choisis, présentés et traduits de
l’anglais par Lionel Menasché, Editions Allia, Paris, 2007, p. 103.
5. Christopher Peacocke, Being Known, Clarendon Press, Oxford, 1999, p. 1-2.
PHILOSOPHIE DU LANGAGE ET DE LA CONNAISSANCE 399
La raison pour laquelle le défi de l’intégration est important n’est pas difficile à
comprendre, tout au moins pour ceux qui souhaitent défendre dans tous les
domaines, à commencer, bien entendu, par celui de la philosophie, un point de
vue rationaliste. Peacocke s’exprime sur ce point de la façon suivante dans la
conclusion de son livre, The Realm of Reason :
« Finalement, nous devrions, en poursuivant l’agenda rationaliste à travers plus de
domaines et de questions, viser à obtenir une meilleure compréhension de la notion de
connaissance de ce que c’est pour un contenu que d’être vrai. J’ai argué que nous ne
pouvons pas caractériser la rationalité sans invoquer cette notion. Elle informe notre
conception de ce que c’est pour une transition que d’être rationnelle. La notion de
connaître ce que c’est pour un contenu donné que d’être vrai elle-même lie ensemble le
métaphysique et l’épistémologique. Quand on échoue à réaliser l’intégration, dans un
domaine donné, de notre métaphysique avec notre épistémologie, cela fait de façon
caractéristique apparaître comme manifestement défectueuses les explications de ce que
c’est pour un contenu concernant ce domaine que d’être vrai. Comprendre la connaissance
de ce que c’est pour une chose que d’être le cas, ce serait disposer d’une clé non seulement
pour l’épistémologie et la métaphysique de ce domaine, mais pour la nature de nous-
mêmes comme penseurs rationnels. Comprendre notre appréhension de la vérité est une
partie essentielle de nous comprendre nous-mêmes 6. »
Ce n’est pas, semble-t-il, faire preuve d’un pessimisme exagéré que de dire que
nous n’avons apparemment pas, pour un domaine comme celui de la philosophie,
d’explication satisfaisante de ce que c’est pour un contenu ayant trait à ce domaine
que d’être connu comme vrai. Et on peut s’attendre à ce que ce défaut d’explication
se révèle de façon particulièrement flagrante dans l’incapacité de résoudre le défi
de l’intégration et même peut-être déjà de le prendre au sérieux. Le défi de
l’intégration constitue un problème qui a été discuté abondamment dans le cas des
6. Christopher Peacocke, The Realm of Reason, Clarendon Press, Oxford, 2004, p. 267.
400 JACQUES BOUVERESSE
C’est la façon dont les philosophes ont réagi à cette tension qui est à l’origine
de la distinction qui doit être faite pour commencer, selon Vuillemin, entre deux
grandes classes de systèmes philosophiques : les systèmes dogmatiques et les
systèmes de l’examen, dont l’intuitionnisme est une des formes fondamentales,
l’autre étant le scepticisme. Les systèmes du premier type, comme leur nom
l’indique, utilisent une notion dogmatique de la vérité, comprise comme consistant
dans l’adéquation de la proposition avec un état de choses objectif qui est réalisé
ou ne l’est pas, indépendamment de la possibilité que nous avons (ou n’avons
peut-être pas) de savoir s’il l’est ou non. Les systèmes de l’examen choisissent
d’utiliser une notion de la vérité qui ne peut être dissociée à ce point de celle de
la vérifiabilité (dans le cas des mathématiques, de la démontrabilité). On s’est
intéressé cette année, de façon particulièrement détaillée, à l’opposition qui existe
entre l’option réaliste et l’option intuitionniste, non pas seulement sur le terrain
de la philosophie des mathématiques et de la théorie de la connaissance en général,
mais également dans le domaine de la philosophie pratique elle-même.
Avant d’aborder cet aspect du problème, on a jugé nécessaire de regarder de près
les ressemblances et les différences qui existent entre Quine et Vuillemin, en ce qui
concerne à la fois leurs conceptions respectives de la philosophie, l’idée qu’ils se
font des relations qui existent entre la philosophie et les sciences, et le genre de
critères et de méthode qu’ils utilisent pour distinguer et classer les ontologies et les
philosophies. On pourrait sans doute être tenté d’objecter à cette confrontation
que Quine n’a pas réellement cherché à construire une classification en bonne et
due forme des différentes espèces de philosophies des mathématiques et encore
moins, bien entendu, des différentes espèces de philosophies tout court. Il a plutôt
cherché, plus modestement, à montrer comment les trois espèces principales de
philosophies des mathématiques qui se sont divisées et affrontées au vingtième
siècle : le logicisme, l’intuitionnisme et le formalisme, peuvent être distinguées par
les engagements ontologiques auxquels elles consentent ou refusent de consentir et
comment le critère de l’engagement ontologique qu’il propose permet de clarifier
les désaccords qu’il y a entre elles. Mais ce n’est sûrement pas le point le plus
important. Car cela n’interdit évidemment pas de se poser la question de savoir
quelle position exacte est susceptible d’occuper une philosophie comme celle de
Quine dans la classification de Vuillemin et celle de savoir si la classification de
Quine comporte ou non une lacune qui pourrait la rendre, par exemple, incapable
de définir l’intuitionnisme au sens de Vuillemin. Cette dernière question constitue,
bien entendu, une occasion de se demander aussi s’il est indispensable d’adopter
une définition comme celle que Vuillemin donne de l’intuitionnisme pour pouvoir
comprendre l’intuitionnisme comme philosophie des mathématiques et rendre
justice à ce qu’il a été.
Un des problèmes que soulève la position de Quine est évidemment que, comme
l’a souligné Joseph Vidal-Rosset, si le critère de l’engagement ontologique est simple,
objectif et impartial, on est obligé de reconnaître qu’il ne s’embarrasse pas de nuances,
ce qui pourrait avoir pour conséquence qu’il ne fait pas suffisamment de différences.
Un exemple typique de cela est la façon dont Quine traite le réalisme, puisque,
comme on l’a rappelé, il ne fait guère de différence véritable entre deux positions
comme ce qu’on pourrait appeler le platonisme dogmatique, qui soutient que les
entités abstraites existent en soi et indépendamment de nos activités de connaissance,
402 JACQUES BOUVERESSE
Une partie conséquente du cours de cette année a été consacrée à cet aspect
important et souvent un peu trop négligé de la confrontation entre l’intuitionnisme,
au sens élargi, et son adversaire réaliste, autrement à des questions du type suivant :
1) la théorie intuitionniste de la finalité esthétique chez Kant et la philosophie
intuitionniste de la beauté dans la nature et dans l’art ; 2) l’intuitionnisme moral
et le problème de la décision ; 3) la philosophie du droit de Kant et la théorie de
la justice de Rawls (Vuillemin a entrepris de démontrer que cette théorie s’est
trompée sur ses véritables ancêtres et que, contrairement à ce qu’a soutenu son
auteur, elle ne s’apparente pas à une forme d’intuitionnisme, d’inspiration
kantienne, mais plutôt à une forme de scepticisme qui ne se reconnaît pas comme
telle) ; 4) la part de la foi et celle de la raison dans la philosophie et dans l’opposition
entre les philosophies : la confrontation entre saint Anselme et Kant comme
exemple d’une opposition entre le rationalisme dogmatique et le rationalisme
intuitionniste ; 5) le problème des relations entre la vérité, la connaissance et la
croyance, dans le cas général et dans la philosophie en particulier.
Dans la dernière partie du cours, on est revenu à l’aporie de Diodore comme
constituant un principe de division entre les systèmes de la nécessité, de la
contingence et de la liberté, et, de ce fait, entre les systèmes de philosophie pratique.
L’opposition entre les systèmes se traduit notamment par une divergence entre des
conceptions différentes de ce qu’est, à proprement parler, une loi de la nature.
« Pour appliquer la méthode synthétique au dominateur, explique Vuillemin, il
faudra […] assigner, dans un système philosophique, le principe en vertu duquel
le doute doit se porter sur l’un des axiomes de l’argument et montrer l’étroite
convenance de chaque système avec l’usage spécifique qu’il fait d’une modalité
fondamentale pour définir ce qu’il entend par loi naturelle 10. » Tous les systèmes
intuitionnistes, par exemple, admettent la contingence des lois de la nature, ce qui
est une conséquence inévitable des exigences de constructivité imposées à la vérité,
ils optent de préférence pour le mécanisme strict et ils ne tolèrent la finalité qu’à
titre d’idée régulatrice de la recherche. Vuillemin procède en remontant de la
prémisse qui est récusée par un système philosophique dans l’aporie de Diodore à
la conception d’un type déterminé de loi naturelle, puis à l’édifice philosophique
complet dans lequel cette loi trouve sa place.
Au terme d’un analyse détaillée des différentes espèces de lois (les lois
classificatoires, dont il existe quatre espèces différentes, les lois causales et les règles
de l’examen) et de la façon dont se comportent à leur égard les différents systèmes
philosophiques, on en arrive, en suivant Vuillemin, au tableau des correspondances
qui existent entre une forme de système philosophique, un type de loi naturelle
reconnu par elle comme valable et le choix d’une prémisse déterminée, explicite
ou implicite, de l’argument dominateur qui doit, selon elle, être mise en doute.
Ainsi, par exemple, le réalisme platonicien met en question le principe de
nécessité conditionnelle, le conceptualisme aristotélicien met en question le
principe de bivalence, le nominalisme des choses met en question la troisième
prémisse, qui énonce qu’il y a des possibles qui ne se réalisent pas, Épicure, dont
la doctrine est une forme d’intuitionnisme, met en question le principe du tiers
exclu, etc. On peut remarquer également que, « mis en demeure de préciser le
statut du concept de possible qui ne se réalise jamais, les systèmes intuitionnistes
font preuve d’une même hésitation pour aboutir à une même fin de non recevoir »
(Nécessité ou contingence, p. 391). C’est vrai d’Épicure, même s’il donne l’impression
de chercher à tout prix à conserver la troisième prémisse du Dominateur, de
Descartes, pour autant que l’idée d’un possible qui ne se réaliserait jamais semble
constituer une limite imposée de façon inacceptable à la toute-puissance de Dieu,
et de Kant. Mais il faut remarquer que, alors que les nominalistes rejettent
dogmatiquement cette prémisse, les intuitionnistes se contentent de la critiquer.
On peut constater une fois de plus qu’il y a une différence importante entre refuser
simplement d’asserter un principe et affirmer explicitement sa négation.
C’est à ce stade que s’est arrêté le cours de cette année, sans avoir malheureusement
permis d’entrer réellement dans les détails de l’argumentation qui permet à
Vuillemin d’aboutir aux résultats qu’il expose. Le cours de l’année prochaine, qui
sera consacré à la façon dont on peut situer la philosophie de la nécessité et de la
contingence de Leibniz par rapport au défi que représente l’aporie de Diodore,
devra donc commencer par un retour sur celle-ci et sur le rôle déterminant et
structurant que Vuillemin a choisi de lui faire jouer dans sa tentative de construction
d’une sorte de métasystématique des systèmes de philosophie pratique.
B. Séminaire
Publications
A. Ouvrages
— Les Voix de Karl Kraus : le satiriste et le prophète, Editions Agone, Marseille, 2007.
— La Connaissance de l’écrivain, Sur la littérature, la vérité et la vie, Editions Agone,
Marseille, 2008.
B. Articles et conférences
— « Precisamos da verdade ? », in Que valores para este tempo ?, Fundacaon Calouste
Gulbenkian/Gradiva, Lisbonne, 2007. p. 37-56.
— « Peut-on ne pas croire ? », conférence donnée à l’invitation des Amis du Monde
diplomatique (Versailles), 13 octobre 2007.
— « “Au commencement était la presse …” Le pouvoir des médias et la rébellion de Karl
Kraus : une leçon de résistance pour notre temps ? », conférence donnée à l’invitation des
Amis du Monde diplomatique (ENS, Ulm), 16 octobre 2007 (à paraître dans la revue
Agone, n° 40)
— « L’éthique de la croyance et la question du poids de l’autorité », contribution au
Colloque de rentrée du Collège de France, 18-19 octobre 2007 (à paraître dans les Actes
du Colloque, aux Editions Odile Jacob).
— « Science et religion », conférence-débat organisée par a Librairie Pax, Liège,
14 novembre 2007 .
— « Le pluralisme, l’éclectisme et le problème de la décision en philosophie », contribution
à la Journée sur La connaissance philosophique, organisée par le Département de Philosophie
de l’Université de Genève, 20 novembre 2007.
— « Connaissance et littérature», conférence inaugurale donnée aux Rencontres du Livre
des Sciences Humaines, Espace des Blancs Manteaux, 22 février 2008.
— « Littérature, vérité et connaissance », conférence-débat organisée par la librairie
L’Odeur du Temps, Marseille, 29 février 2008.
— « Goethe et Lichtenberg : le bleu du ciel, les ombres colorées et la nature de la
couleur », TECHNE, n° 26, 2007, p. 20-36.
— Préface à la traduction française de Karl Bühler, Sprachtheorie (1934), à paraître aux
Editions Agone, Marseille, automne 2008.
— « Le besoin de croyance et le besoin de vérité », Agone, n° 38/39, 2008, p. 281-306.
— « Littérature et politique : Karl Kraus et “la troisième nuit de Walpurgis” », conférence
donnée à l’Université de Lausanne (Institut d’Etudes Politiques et Internationales), 28 mai
2008 (à paraître).
Philosophie des sciences biologiques et médicales
Cours
Ontologie du devenir, 2
Le cours comportait sept leçons de deux heures chacune (14 heures). La sixième
leçon a été donnée par un orateur invité : Pr. Denis Duboule, Université de
Genève et Académie des sciences. Un document était mis à la disposition des
participants (et affiché après chaque leçon sur les sites web du Collège de France).
Ce document donnait, outre les grandes lignes de la leçon (reproduites ci-après),
et quelques illustrations (dont certaines sont reproduites ci-après), des indications
bibliographiques détaillées (non reproduites ici).
« Il s’agit d’opérer la conversion de l’âme d’un jour aussi ténébreux que la nuit vers le jour
véritable, c’est-à-dire, de l’élever jusqu’à l’être ; et c’est ce que nous appellerons la vraie
philosophie [...] Quelle est donc, Glaucon, la science qui arrache l’âme à ce qui devient et la
tire vers ce qui est? » (Platon, République).
« La musique est un exercice de métaphysique inconscient, dans lequel l’esprit ne sait pas qu’il
fait de la philosophie » (Schopenhauer, Le Monde...).
« Le charme opéra de nouveau. Il me fallut poser par instants le livre, en suspendre parfois la
lecture comme on voudrait ralentir le flot de certaines musiques pour qu’elles ne passent point,
bien qu’il leur faille passer pour être » (Gilson, 1960).
« Les réactions et les activités spontanées de l’animal ne sont compréhensibles que si nous y
voyons des actes. Mais, ce faisant, nous admettons que nous envisageons l’animal comme un
sujet » (Buytendijk, tr. fr. 1952).
« La philosophie actuelle se trouve... dans cette transition d’une phénoménologie du sens vers
un renouveau de l’ontologie » (van Peursen, in : Rencontre Encounter Begegnung, 1957).
Intr. Donné qu’on s’intéresse ici au monde vivant, et qu’il s’agit d’un monde en
évolution dont le principe d’ordre est généalogique, on s’attend à ce que les sciences
du vivant soient des sciences historiques, et à ce qu’elles nous éclairent sur nos
origines (phylogénies, parentés génétiques). Mais il y a un problème des sciences
historiques...
colder than in former ages; again, we have to treat of the causes which modify the forms and
habits of animals and vegetables, and of the extent to which the effects of such causes can
proceed ; whether, for instance, they can extinguish old species and produce new » (Whewell,
1840).
« La liaison historique consiste... dans une influence exercée par chaque événement sur les
événements postérieurs, influence qui peut s’étendre plus ou moins loin... » (Cournot,
1851).
« prenons un exemple tiré des diverses langues humaines. Si nous possédions l’arbre généalogique
complet de l’humanité, un arrangement généalogique des races humaines présenterait la
meilleure classification des diverses langues parlées actuellement dans le monde entier ; »
(Darwin, 1859, tr fr Barbier).
« the obvious logical impossibility of re-enacting a given happening in the past does not prove
that historical explanations for it are not testable, and are therefore incapable of being
objectively grounded » (Nagel, 1961).
« Descartes established a demonstrative style in the philosophical history of nature. Using the
method of hypothetical modelling, he based his analysis and demonstrations upon the ontological
and methodological principle of uniformity, by which the causation of change in the past could
be inferred from observation of it in the present, which could thus in turn be derived from
the past » (Crombie, 1994).
« Les explications sur le mode du récit apparaissent dans la théorie de l’évolution à chaque
moment où l’on discute d’événements singuliers d’importance majeure pour l’histoire de la vie
... Les explications de ce type sont construites sans référence à des lois générales... Les explications
historiques forment une part essentielle de la théorie de l’évolution » (Goudge, 1961).
« L’évolution étant la seule grande théorie unificatrice de toute la biologie, son exposé et ses
justifications scientifiques doivent faire appel à tous ses aspects : le récit doit y contribuer, mais
n’y suffit pas » (Ricqlès, 2007).
« The world is made up of wholes and parts, each whole and each part itself being an
individual. The only entities in the universe that can change or “do” anything are individuals »
(Ghiselin, 1987).
« Darwin never attributed anything to “chance” as a causal agent, but only said that variations
and the like are fortuitous » (Ghiselin, 1981).
« In evolution, as in economic life, success means, among other things, the ability to change.
For a lineage of organisms, that means changing its genes. For an organism, that means
developing and maturing. For a reproducing organism, that means making copies of itself, but
not ones that are identical with itself » (Ghiselin, 1987).
« The laws of nature may tell us what is possible, but that only limits the number of acceptable
theses. An ideal evolutionary biology would present the entire history of life, in a manner that
made it clear what was historical accident and what was nomologically necessary, and of
course what laws applied and why, but that ideal is only beginning to be realized » (Ghiselin,
1997).
« Our goal is an historical narrative that explains the successive configurations of living matter
in terms of both individual events and laws of nature » (Ghiselin, 1997).
Concl. Ghiselin ne va pas jusqu’à dire que les individus sont des processus. Mais
il insiste sur l’importance pour les biologistes d’abandonner l’ontologie
aristotélicienne (il n’existe que des individus, et ces individus ont une nature —
une « essence » ou type). L’essentialisme est incompatible avec une philosophie de
l’évolution. Ghiselin se donne quatre catégories ontologiques : ce qui change (les
substances, i.e. les individus), le processus du changement (action ou affection), la
place (situation dans l’espace-temps), ce qui caractérise le changement (la propriété :
quantité/qualité/relation/posture/état). La science de l’évolution est synthétique
quand elle permet de produire un récit permettant de repérer ce qui dans le cours
de l’évolution tient à des lois ou régularités naturelles, et ce qui est contingent
(l’occasion propice exploitée par un individu).
Intr. Depuis la fin de l’année 2007 il est possible à chacun d’obtenir son profil
génétique en s’adressant à un site internet. On peut aussi se tenir au courant, à
mesure qu’elles sont publiées, des découvertes relatives aux SNPs (polymorphismes
nucléotidiques simples). Les SNPs sont, sur une séquence d’ADN, les variations
d’une seule base qui peuvent modifier le risque d’une maladie ou d’un trait (Science,
11 Jan 2008, 319 : 139).
« En même temps que l’organisme animal ou végétal se détruit par le fait même
du fonctionnement vital, il se rétablit par une sorte de synthèse organisatrice,
de processus formatif, que nous avons appelé la création vitale et qui forme la contrepartie
de la destruction vitale » (Cl. Bernard, 1878).
Intr. Les progrès de la microscopie optique ont permis, au xixe siècle, de formuler
la théorie cellulaire, en deux propositions: « tous les organismes vivants sont
constitués de cellules » (Schleiden & Schwann, 1838-39), et « toute cellule naît
d’une cellule » (Virchow, 1858). Schwann disait s’être convaincu de « l’individualité
des cellules ». N. Le Douarin (2007) affirme que les cellules souches sont « une
invention de la multicellularité », et résume à trois les grandes inventions de la vie
sur notre planète : procaryotes (cellules sans noyau), eucaryotes (cellules à noyau,
architecturées), organismes multicellulaires impliquant division du travail, fragilité
(extinctions, apoptose), et retour périodique à l’état unicellulaire (reproduction).
« aux 21 éléments de Bichat, aux 21 tissus qui formaient pour lui les matériaux de l’organisme,
nous avons substitué un seul élément, la cellule, identique dans les deux règnes, chez l’animal
comme chez le végétal, fait qui démontre l’unité de structure de tous les êtres vivants. »
(Cl. Bernard, 1878).
1. Épigenèse, épigénétique
Le mot épigenèse vient du verbe grec épigignesthai (survenir). Il aurait été lancé par
Harvey. Il s’agit du développement embryonnaire. I. Aux xviie et xviiie siècles, le
grand débat entre partisans de l’épigenèse (Harvey, Descartes) et partisans de la
préformation (Swammerdam, Hartsoeker, Ch. Bonnet) tourne plutôt à l’avantage
des seconds, parce que la thèse d’une formation progressive d’organes à partir d’une
semence qui ne les contient pas semble aller contre le principe « qu’il doit y avoir au
moins autant de réalité dans la cause que dans son effet », à moins de supposer l’action
d’une force occulte (Wolff). La solution vient avec la théorie cellulaire, le repérage des
gamètes comme cellules, et l’observation du processus de fécondation constitutif de
la première cellule embryonnaire (Hertwig, 1875). II. La génétique élucide les modes
de transmission des gènes, et établit des liens entre certains gènes et certains traits des
418 ANNE FAGOTLARGEAULT
organismes (ex. gènes “peau claire”) ; mais elle n’explique pas comment, au cours du
développement, le génotype produit le phénotype. Waddington, au milieu du
xxe siècle, propose qu’une science épigénétique étudie la manière dont les gènes
interagissent avec leur environnement lors de la différenciation des cellules
embryonnaires, et de la formation de l’organisme. III. Depuis les années 1970, on
appelle épigénétique tout ce qui modifie l’action des gènes sans modifier la séquence
d’ADN : régulation de l’expression des gènes (transcription, traduction), interférence
de petits ARN dans le processus de reproduction, influence sur l’architecture du
cerveau (synaptogenèse) des interactions sensori-motrices avec le monde extérieur.
« We have in the study of development rather the opposite situation to that which confronts us
in the study of heredity . Whereas the latter has seemed, since Mendel’s day, to cry aloud for
an atomistic theory, the former seems to demand organismic or non-atomistic theories »
(Waddington, 1961).
« L’invention de l’épigénétique a été, à chaque fois, une réaction contre les “insuffisances” de
la génétique... Les modèles épigénétiques ont toujours porté avec eux un parfum d’hérésie »
(Morange, 2005).
« Les riches modalités de l’épigénome... suggèrent de ne pas céder à la tentation d’attribuer a
priori au génome une part majeure de l’information cellulaire, tentation visiblement alimentée
par la relative facilité d’accès à sa séquence. Elles nous incitent à abandonner la naïveté du
déterminisme purement génétique sans sombrer dans un indéterminisme démenti par les
faits. » (Kepes, 2005).
« L’inactivation du chromosome X est un processus cellulaire normal mis en place tôt au cours
de l’embryogenèse chez les mammifères femelles... La stabilité de l’état inactif du chromosome X
dans les cellules somatiques est due aux multiples marques épigénétiques qui sont mises en place
au cours du développement. Cette extrême stabilité semble compromise dans les cellules
transformées ou cancéreuses » (Heard, 2007).
« “Epigénétique”, au sens où je l’emploie, combine deux significations : l’idée de superposition
à l’action des gènes, suite notamment à l’action de l’apprentissage et à l’expérience, et celle de
développement coordonné et organisé » (Changeux, 2002).
2. Émergence
La distinction entre fait émergent (surprenant, non prédictible mécaniquement)
et fait résultant (prédictible) date du xixe siècle. Les théories de l’émergence sont
des théories du devenir créateur. L’évolution biologique vue comme « création
naturelle » d’espèces vivantes de complexité croissante suggère aux initiateurs
anglais de l’émergentisme (années 1920 : Alexander, Morgan) la notion de « saut
qualitatif » sur fond de continuité matérielle. Émergentisme vs. réductionnisme,
émergence vs. survenance (supervenience). Marginalisation, puis retour de
l’émergence depuis le milieu du xxe siècle à travers la description, l’analyse fine, la
modélisation de processus émergents vus comme processus de structuration
(morphogenèse) : changements d’état de la matière à certains seuils de température,
émergence de l’œil au cours de l’évolution des espèces, genèse des formes au cours
du développement embryonnaire, maladies émergentes et propagation épidémique,
PHILOSOPHIE DES SCIENCES BIOLOGIQUES ET MÉDICALES 419
3. Cellules souches
Les faits de régénération (hydre, planaire, salamandre) et de réparation
(cicatrisation) sont connus depuis longtemps. Au xixe siècle Cl. Bernard, puis
P. Bert, anticipent la possibilité de mettre des tissus en culture, ce qui est réalisé
en 1910. Qu’il existe des cellules souches (CS : précurseurs des cellules différenciées,
et source de la régénération permanente des organismes) dans les tissus adultes
(ex. le sang), on le sait dès le début du xxe siècle. Le propre des CS est qu’elles
peuvent à la fois se multiplier à l’identique, pour redonner des CS, et se différencier
pour engendrer des cellules spécialisées (« division asymétrique »). Paradoxe de la
différenciation : un organisme complexe vient d’une seule cellule, et toutes les
cellules de l’organisme achevé ont le même génome ; lors de l’embryogenèse, la
cellule initiale totipotente donne lieu à des lignées cellulaires pluripotentes qui
engendrent les cellules fonctionnelles spécialisées ; ce parcours est en principe
irréversible (« dogme de l’irréversibilité de l’état différencié » : Le Douarin, 2007,
III, 4). Le sort des cellules différenciées est de mourir et d’être remplacées
(ex. renouvellement des cellules de l’épithélium intestinal). Depuis qu’on sait
cultiver des CS issues de la masse cellulaire interne d’embryons au stade blastocyte
(embryons murins : 1981, humains 1998), les chercheurs ont appris à dériver de
ces CS des lignées et à conduire leur différenciation en cellules musculaires,
nerveuses, etc. Ces travaux suscitent espoirs de thérapies régénératives (myopathies,
traumatismes de la moelle épinière, etc.) et soucis relatifs à l’instrumentalisation
d’embryons. La technique du transfert de noyau utilisée par Wilmut et coll., qui a
permis en 1997 la naissance de la brebis Dolly, a montré que le noyau d’une
cellule somatique (différenciée) peut être « reprogrammé » par le cytoplasme d’un
ovocyte et retrouver sa totipotence. En 2006-7 la voie de la reprogrammation a
été identifiée. Le dogme est tombé.
« Si l’évolution a aboli le pouvoir de régénérer, elle a laissé celui de réparer» (Le Douarin,
2007).
« Les succès récents du clonage animal démontrent que le noyau d’une cellule somatique adulte
différenciée peut retourner à un état de type embryonnaire, lui permettant de repasser par les
étapes qui conduisent à la naissance d’un animal viable et normal. […] Les mécanismes
420 ANNE FAGOTLARGEAULT
« La confirmation éclatante de ces données par deux équipes de Harvard (Etats-Unis), celle de
R. Jaenisch et celle de K. Hochedlinger, vient d’être publiée... cette découverte fera date, et les
conséquences sur le plan conceptuel et médical seront sans doute considérables s’il s’avère que les
observations peuvent être dupliquées chez l’homme » (Coulombel, 2007).
« en 1962 J.B. Gurdon publiait les résultats d’expériences pionnières sur le transfert de noyau
somatique dans des œufs de xénope, et l’obtention de grenouilles normales. Dans une revue
autobiographique publiée en 2006, un mois avant la publication de Takahashi, il anticipait :
“it may become possible to convert cells of an adult to an embryonic state without needing
to use eggs. Overexpression of a DNA demethylase and other reprogramming molecules
may be sufficient to generate ES-like cells”. Nous y sommes ! » (Coulombel, 2008).
Intr. Début 2008 : la synthèse complète d’un génome bactérien est annoncée
dans Science par l’équipe de Craig Venter et Hamilton Smith ; onze étudiants
franciliens remportent le premier prix du concours iGEM (international Genetically
Engineered Machine competition), organisé par le MIT (Massachusetts Institute
of Technology, Boston, nov 2007), pour leur invention d’un modèle d’organisme
« multicellulaire bactérien ». Après l’ingénierie génétique des années 1970, voici
l’avènement de l’ingénierie biologique (biological engineering).
PHILOSOPHIE DES SCIENCES BIOLOGIQUES ET MÉDICALES 421
« We have synthesized a 582970 base pair Mycoplasma genitalium genome. This synthetic
genome, named M. genitalium JCVI-1.0, contains all the genes of wild-type M. Genitalium
G37 except MG408, which was disrupted by an antibiotic marker to block pathogenicity...
The methods described here will be generally useful for constructing large DNA molecules from
chemically synthesized pieces and also from combinations of natural and synthetic DNA
segments » (“Complete chemical synthesis, assembly and cloning of a Mycoplasma
genitalium genome”, Science, 29 Feb 2008).
« If gametes can be termed “artificial ”, might children born of these gametes likewise be seen
as artificial in some sense ? Can a stem cell be a parent ? » (Newsom & Smajdor, 2006).
« The transplantation of adult human neural stem cells into prenatal non-humans offers an
avenue for studying human neural cell development without direct use of human embryos.
However, such experiments raise significant ethical concerns about mixing human and non-
human materials in ways that could result in the development of human-nonhuman chimeras. »
(Karpowicz, Cohen, van der Kooy, 2005).
« Consider work by Yilin Cao and colleagues (1997), in which researchers evaluated whether
a polymer template could be used to grow cartilage in the shape of a 3-year-old child’s auricle.
In order to provide a hospitable environment for the cartilage to form, the template was
inserted under the skin on the back of a mouse. Pictures from this experiment […] have been
used by anti-biotechnology organizations to elicit negative aesthetic reactions... » (Streffer,
2005).
« Any child who knows that her genetic parents were two men, or one man and two women,
would know she is different. But knowing about this difference need not harm her — unless,
of course, we tell her the difference is deviant » ( Johnston, 2007).
PHILOSOPHIE DES SCIENCES BIOLOGIQUES ET MÉDICALES 423
Intr. Les êtres vivants sont des êtres en devenir. Ils sont le produit d’une histoire.
L’explication par l’histoire a fait son entrée en biologie : exemple du gène « peau
claire » (Gibbons A., « European skin turned pale only recently », Science, 2007,
316 : 364). On s’essaie ici à « l’approfondissement du devenir ».
« Décrire un système vivant, c’est se référer aussi bien à la logique de son organisation qu’à
celle de son évolution » (F. Jacob, 1970).
« le temps est cause par soi de destruction plutôt que de génération... à vrai dire, le temps n’en
est pas la cause efficiente » « le temps est partout le même » (Aristote, Physique).
« L’univers, quel qu’il puisse être, est tout d’une pièce, comme un océan » (Leibniz, Théodicée,
1710) — « tout corps se ressent de tout ce qui se fait dans l’univers » (Leibniz, Monadologie,
1714).
« chaque être a sa durée particulière, en sorte qu’un instant de la durée de l’un peut coexister
et coexiste en effet à plusieurs instants de la durée d’un autre. [...] Si l’on fait attention que
nous n’avons pas proprement d’idée d’autre durée que la nôtre, puisque nous ne saurions nous
former l’idée d’une durée quelconque que par comparaison avec la succession de nos pensées,
on verra que c’est bien gratuitement qu’on suppose une durée qui soit la commune mesure de
celle de tous les êtres » (Condillac, 1748).
2. Morphogenèse / individuation
« Faut-il qu’une goutte d’huile ou de graisse entende la géométrie, pour s’arrondir sur la surface
de l’eau ? » (Leibniz, Théodicée, 1710).
« En devenant présent, ce qui advient se matérialise ; mais du même coup, la matière s’est
métamorphosée et a pris la forme de ce qui advient » (N. Grimaldi, 1993).
« Life has a range of magnitude narrow indeed compared to that with which physical science
deals; but it is wide enough to include three such discrepant conditions as those in which a
man, an insect and a bacillus have their being and play their several roles. […] The
predominant factors are no longer those of our scale ; we have come to the edge of a world of
which we have no experience, and where all our preconceptions must be recast » (D’Arcy
W. Thompson, 1917).
426 ANNE FAGOTLARGEAULT
« Sans pensée pour le dicter, sans imagination pour le renouveler, le programme génétique se
transforme en se réalisant » (Jacob, 1970).
6. Le devenir en acte
Bergson revendique pour la philosophie une intuition de la durée (qu’il refuse à
la science). Simondon préconise une démarche analogique, et recourt à de
nombreux exemples (dont celui de la cristallisation) pour dégager un schéma du
processus d’individuation : une forme émerge d’un fond, la forme prend en un
point (« acte structurant »), puis elle se propage (« opération transductive ») ;
l’instant décisif est celui de la prise de forme. Lavelle médite sur l’actualisation de
l’être au présent. Whitehead au contraire saisit l’instant présent comme ce qui relie
le passé au futur. Pour Canguilhem, l’acte du vivant affirme une préférence, un
choix de valeur. Ghiselin (1997, ch. 2) n’oublie pas l’autre aspect du processus
(action/ affection, génération/destruction), que Jonas (1966, III, App. 2) reproche
à Whitehead d’avoir gommé...
428 ANNE FAGOTLARGEAULT
« Tout changement pouvant être (a) possible, (b) en train de s’accomplir, (c) accompli, l’expression
“en acte” s’applique d’abord au moment b, par opposition, d’une part au moment a que désigne
l’expression “en puissance” (ou “potentiellement”) ; de l’autre au moment c, c’est-à-dire au
donné qui résulte de ce changement (Aristote tend à désigner le moment b par “energeia”, et
le moment c par “entelecheia”) » (d’après Lalande, Vocabulaire de la philosophie).
« L’individu n’est pas un être mais un acte, et l’être est individu comme agent de cet acte
d’individuation par lequel il se manifeste et existe. » (Simondon, 1964).
« S’il n’y a point d’autre être réel que l’être qui est en acte, c’est que l’être est l’acte même. Il
est dans et par l’opération qui le produit ; il est cette opération » (Lavelle, 1939).
« The creativity of the world is the throbbing emotion of the past hurling itself into a new
transcendent fact » (Whitehead, 1933).
« Nous pensons... que le fait pour un vivant de réagir par une maladie à une lésion, à une
infestation, à une anarchie fonctionnelle traduit le fait fondamental que la vie n’est pas
indifférente aux conditions dans lesquelles elle est possible, que la vie est polarité et par là-
même position inconsciente de valeur, bref que la vie est en fait une activité normative »
(Canguilhem, 1943).
« Pour moi le principe vital, ce n’est point l’âme, mais, si je puis me permettre une expression
chimique, le radical de l’âme : la volonté. Ce qu’on appelle l’âme est déjà un composé : c’est
PHILOSOPHIE DES SCIENCES BIOLOGIQUES ET MÉDICALES 429
la liaison de la volonté avec le noûs, l’intellect. [...] Dans toutes les fonctions organiques du
corps, autant que dans ses actions extérieures, c’est la volonté qui constitue l’agent. »
(Schopenhauer, 1836, 1854 ; tr. fr. 1969).
« Une pulsion serait une poussée inhérente à l’organique doué de vie en vue de la réinstauration
d’un état antérieur que cet être doué de vie a dû abandonner sous l’influence de forces
perturbatrices externes » (Freud, 1920 ; tr. fr. OC, vol. 15).
« La position centrale du problème de la vie ne signifie pas seulement qu’il faut lui accorder
une voix décisive quand il s’agit de juger une ontologie donnée, mais aussi que tout traitement
de ce problème doit convoquer le tout de l’ontologie » (Jonas, 1966 ; tr. fr. 2001).
Séminaires
I
Itinéraires de recherche en psychiatrie
II
Philosophical problems in medicine
Seoul, 04-05 Aug 2008
Dans le cadre du 22e Congrès mondial de philosophie (WCP 2008), qui s’est déroulé du
30 juillet au 5 août 2008 sur le campus de l’université nationale de Séoul (SNU), et à
l’invitation de l’Association coréenne de philosophie (KPA), trois sessions satellites du
congrès, d’une demi-journée chacune (coordonnées par AFL), se sont succédé les 4 et 5 août
sous le titre général « Problèmes philosophiques en médecine ». Trois thèmes avaient été
retenus : Concepts centraux, Comparaisons Orient-Occident, Problèmes cliniques. Douze
orateurs ont contribué à l’échange :
(1) « Core concepts » (KPA special session 09) — Chair Shinik Kang (Korea) ; Speakers
AFL (France), In-Sok Yeo (Korea), Carlos Viesca (Mexico), Hee-Jin Han (Korea).
(2) « East and West » (Roundtable) — Chair Hee-Jin Han (Korea) ; Speakers Sicheon
Kim (Korea), Seonsam Na (Korea), Mark Kirsch (France), Renzong Qiu (China), Sukjoon
Park (Korea).
(3) « Clinical problems » (Roundtable) — Chair AFL ; Speakers Shinik Kang (Korea),
Jean-Claude K. Dupont (France), Jongduck Choi (Korea), Juliana Gonzalez (Mexico).
Cette série s’est achevée par une réception amicale au siège de la (jeune) Association
coréenne de philosophie de la médecine. Les textes des présentations au congrès seront
publiés dans les Actes.
Parallèlement au congrès, Vincent Guillin (France) a donné huit heures de cours dans le
cadre de l’école d’été, coordonnée par le Pr Dong-Yun Son, qui proposait à de jeunes
lycéens une initiation à la philosophie, en même temps que la possibilité d’assister à certaines
conférences du Congrès mondial.
Autres interventions
Conférences invitées
2007-09-20 : « De l’hygiène publique à la santé publique », aux Journées Jacques Lambert
(Lambertiana), Grenoble.
2007-10-07 : « Ontologie du devenir : Bergson et l’Évolution créatrice », au Congrès
annuel de l’Académie internationale de philosophie des sciences (AIPS), sur le thème du
« temps, appréhendé à travers différentes disciplines ».
2007-10-09 : « La causalité en médecine », dans le cadre du séminaire AssoMat « Causalité,
santé et médecine », Paris, ENS, Institut Jean Nicod.
2007-11-15 : « Styles in philosophy of science », conférence plénière, European Philosophy
of Science Association (EPSA07), Madrid, Universidad Complutense.
2007-11-23 : « Le philosophe et la science, selon Bergson », Colloque international de
clôture de l’Année Bergson, « L’évolution créatrice cent ans après. Épistémologie et
métaphysique », Journée « épistémologie », Paris, Collège de France.
2007-11-29 : Déposition à l’Assemblée nationale, OPCST, « Sciences du vivant et
société : la loi bioéthique de demain », audition publique.
2008-02-18 : « Anthropological physiology : von Uexküll, Portmann, Buytendijk », au
colloque organisé par A. Berthoz, « Neurobiology of Umwelt : How Living Beings Perceive
the World », Paris (Neuilly).
2008-04-03 : « Bioéthique et philosophie des sciences », dans le cadre des Journées
philosophiques 2008 de l’Université de Limoges – IUFM.
PHILOSOPHIE DES SCIENCES BIOLOGIQUES ET MÉDICALES 431
2. ponctuels
— Plan Alzheimer, automne 2007.
— MSH Lille (CS), et CS du réseau national des MSH.
— Société des amis des universités de Paris (CA).
— Cité des sciences (CS).
— Comité pour la publication des Œuvres complètes de Georges Canguilhem (présidé
par Jacques Bouveresse, Librairie philosophique Vrin).
— Soutenances : sont mentionnées ici seulement les soutenances de personnes ayant
travaillé sous direction AFL — trois doctorats fin 2007. Nicolas Lechopier, « Ethique de
la recherche et démarcation. La scientificité de l’épidémiologie à l’épreuve des normes de
confidentialité » (UP1, 27-09-07) ; Stéphanie Dupouy, « Le visage au scalpel : l’expression
faciale dans l’œil des savants, 1750-1880 » (26-11-07) ; Fabrice Gzil « Problèmes
philosophiques soulevés par la maladie d’Alzheimer – Histoire des sciences, épistémologie,
éthique » (07-12-07). Les trois soutenances se sont conclues par la mention ‘Très honorable
avec félicitations’, la troisième a été, de plus, couronnée par un prix du journal Le Monde
assorti de publication aux PUF.
432 ANNE FAGOTLARGEAULT
Publications : 2007
Livre
Fagot-Largeault Anne, Rahman Shahid, Torres Juan Manuel, eds., The Influence of
Genetics on Contemporary Thinking, Dordrecht : Springer, 2007 (Series : Logic, Epistemology,
and the Unity of Science, 6).
Articles ou chapitres
« Controversias sobre células troncales », in : Juliana Gonzáles Valenzuela, coordinadora,
Dilemas de bioética, Mexico : Universidad Nacional Autonoma (UNAM), 2007, 39-63.
« Interview of François Jacob », xxix-lvi, and « Is DNA revolutionizing medicine ? »,
137-150, in : The Influence of Genetics on Contemporary Thinking, 2007 (ci-dessus).
« Philosophie des sciences », in : Philosophie, Paris : Eyrolles, coll. Mention, 2007,
109-133.
« The fetus in perspective: the moral and the legal », in : Laurence Thomas, ed.,
Contemporary Debates in Social Philosophy, Oxford : Blackwell, 2008, 113-121.
« Vivre le handicap et ses prothèses », in : J.-P. Changeux, Dir., L’homme artificiel, Paris :
Odile Jacob, 2007, 247-261 et 310-312.
« La compassion », in : Francis Jacques, Dir., Souffrir et mourir. Comment vivre l’invivable ?
La fracture et l’espérance, Paris : Editions Parole et Silence, 2007, 59-73.
« L’ontologie du devenir dans L’Évolution créatrice », in : Institut de France, Académie
des sciences morales et politiques, Centenaire de la parution de L’Évolution créatrice de Henri
Bergson, Paris : Palais de l’Institut, 2007 n° 10, 59-72.
« Problèmes philosophiques posés par les biotechnologies: l’exemple de la recherche sur
les cellules souches », in : Ioanna Kuçuradi, ed., The Proceedings of the Twenty-first World
Congress of Philosophy - Philosophy Facing World Problems, Vol. 13, Ankara : Philosophical
Society of Turkey, 137-146.
Activités de la chaire
La caravane de Midyat
Parmi les divers recueils de contes oraux en araméen moderne relatifs à la Haute-
Mésopotamie (régions du Jilu-Bohtan, Telkepe et Tûr ‘Abdîn), j’ai pour ma
dernière année de cours au Collège de France fait le choix de m’en tenir aux
collectages propres au Tûr ‘Abdîn et, dans ce domaine culturel extrêmement riche
et diversifié malgré l’étendue restreinte de son territoire montagneux (500 km2
environ) qui domine la plaine de la Mésopotamie au Nord de Nisibe et que les
gorges du Tigre délimitent au Nord et à l’Est, d’explorer de façon systématique le
corpus publié par Prym et Socin à la fin du xixe siècle 1. Cet ouvrage représente,
selon le mot d’Otto Jastrow (1968), un véritable musée de la culture syriaque
vivante. Il a l’avantage d’être doublé par son corpus jumeau en kurde (Prym-Socin
1887 et Socin 1890) provenant du même conteur. L’autre avantage, essentiel, du
recueil syriaque de Prym et Socin par rapport aux autres collectages et en particulier
1. Eugen Prym und Albert Socin, Der neu-aramaeische Dialekt des Tûr ‘Abdîn, Erster Teil : Die
Texte, Zweiter Teil : Uebersetzung (une seconde page de titre donne pour cette deuxième partie
également l’intitulé : Syrische Sagen und Maerchen aus dem Volksmunde gesammelt und uebersetzt),
Göttingen, Vandenhoeck & Ruprecht, 1881. À lire en parallèle avec les ouvrages et travaux
suivants : Eugen Prym und Albert Socin, Kurdische Sammlungen. Erzaehlungen und Lieder in den
Dialekten des Tûr ‘Abdîn und von Bohtan. Sammelt, herausgegeben und uebersetzt von Eugen
Prym und Albert Socin, A. Die Texte ; B. Uebersetzung, St Petersburg, 1887-1890. Hellmut Ritter,
Tûrôyo. Die Volksprache der syrischen Christen des Tûr ‘Abdîn, A/1 1967, A/2 1969, A/3 1971,
Wiesbaden, Franz Steiner Verlag ; B, Wörterbuch, 1979 ; C, Grammatik, 1990. Otto Jastrow,
« Ein Märchen im neuaramäischen Dialekt von Mîdin (Tûr ‘Abdîn) », Zeitschrift der Deutschen
Morgenländischen Gesellschaft, 118 (1968), p. 29-61. Bien que hors de la région étudiée, j’ajouterai
cependant le collectage effectué à Axror par E. Cerulli, Testi neo-aramaici dell’Iran settentrionale,
Napoli, Istituto Orientale, 1971.
436 MICHEL TARDIEU
à celui d’Hellmut Ritter (cinq volumes dont trois de textes, qui ont près de
700 pages chacun), est que Prym et Socin ont transmis les histoires d’un conteur
unique, Câno, originaire de Midyat, et que ce conteur était totalement illettré,
bien que parlant quatre langues (l’araméen, le kurde kurmanci, l’arabe et le turc).
Les informateurs de Ritter sont soit des jeunes gens venus du Tûr ‘Abdîn à Istanbul
faire des études ou prendre un emploi en attendant le visa des services de
l’émigration, ou bien des ecclésiastiques que Ritter a rencontrés au Tûr ‘Abdîn.
Un exemple parmi d’autres : le transmetteur de sept contes recueillis par Ritter à
Midyat (n° 21-27) est l’abouna Xori Nu‘man Aydın, chorévêque de l’église
Barsaumo. Il est né en 1909 dans le village de Kfärze (Kefärze) à 25 km au NO
de Midyat. Cinq ans après sa naissance, sa famille s’installe à Midyat, où il apprend
à lire et devient le chef de la communauté syro-jacobite de Barsaumo composée
de 500 familles. Les contes de Nu‘mân Aydın et l’ensemble des contes du corpus
de Ritter sont des histoires souvent jolies, mais cette littérature orale garde malgré
tout l’empreinte de l’écrit, c’est-à-dire de la littérature ecclésiastique et des
préoccupations des prêtres. Elle ne peut s’empêcher d’être édifiante et de donner
des leçons. On y cherchera en vain le rire et la satire, l’amour romantique et les
plaisanteries grivoises, l’absurde et le merveilleux, la perfidie ou la révolte qu’on
trouve dans les contes de Câno.
Trois communautés, d’une même culture sociale et avec des liens tribaux
identiques, vivaient imbriquées dans la Midyat du début des années 1860 : les
Chrétiens jacobites qui sont des Araméens parlant syriaque, les Kurdes qui sont
des indo-européens musulmans (sunnites, yézidis, et quelques familles shi‘ites) et
qui parlent une langue iranienne (le kurde kumanci), les Mhallamiya qui sont
musulmans, parlent un dialecte arabe avec beaucoup de traits dialectaux syriaques
et dont l’origine ethnique est discutée : s’agit-il de Kurdes, d’Arabes, ou bien
d’anciens Araméens chrétiens convertis à l’islam ? Le premier voyageur européen à
avoir signalé cette population a été Niebuhr qui visita la région en 1766. Il considère
les Mhallamiya comme des Kurdes. Sykes, au début du xxe s., pense qu’il s’agit
d’anciens chrétiens syriaques qui au xvie s. auraient quitté l’Église jacobite et se
seraient faits musulmans après le refus du patriarche de leur accorder la permission
de manger de la viande durant le Carême, alors que sévissait une grande famine.
Leurs femmes portent des vêtements rouges et ne sont pas voilées. Les Kurdes de
Turquie parlant le kurmanci ne les reconnaissent pas comme Kurdes, ce sont pour
eux des Arabes, étant donné qu’ils ne sont pas kurdophones (le critère d’identification
retenu en ce cas est la langue). Quant aux Mhallamiya eux-mêmes, ils sont divisés
sur la question de leur « identité nationale ». Certains pensent qu’ils sont d’anciens
Sûryanis, c’est-à-dire des chrétiens syriaques islamisés et arabisés (critère retenu en
ce cas : la religion), d’autres estiment qu’ils descendent de tribus arabes établies
dans la région au moment des conquêtes (explication par l’histoire politique). Une
troisième position a cours également, selon laquelle ils descendraient de tribus
kurdes qui se seraient arabisées. Selon cette thèse pankurdiste, les syriaques seraient
pareillement d’anciens Kurdes convertis au christianisme.
HISTOIRE DES SYNCRÉTISMES DE LA FIN DE L’ANTIQUITÉ 437
Les orientalistes allemands, Eugen Prym et Albert Socin, n’ont pas connu Câno
au Tûr ‘Abdîn, mais à Damas en mars 1869, où il travaillait comme manœuvre
de chantier sur les échafaudages ou bien dans la fosse à chaux. Il appartenait à une
colonie de chrétiens jacobites de Midyat établis à Damas depuis trois mois (fin
décembre 1868). Tous ces gens avaient quitté leur patrie en raison de six années
consécutives de famine due au fléau endémique des sauterelles et donné à leur
migration la direction de Jérusalem. La marche de ces migrants syriaques prit-elle
ainsi tout naturellement, comme l’explique Eugen Prym, la grand-route des
caravanes, qui de l’Est de l’Empire turc menait, en contournant par le Nord en
arc de cercle le désert syrien par Mardin, Diyarbakır et Urfa, aux grandes cités
commerçantes d’Alep et Damas. Câno fit étape à Adana, le temps d’y gagner
quelques sous pour permettre au groupe de poursuivre le voyage. Arrivés à Damas,
les « pèlerins » de Jérusalem s’installèrent à Bâb Sharqî, vidé de ses habitants et en
ruines depuis les massacres anti-chrétiens de 1860.
Socialement, Câno était sûryani. À en juger par les histoires qu’il raconte, sa
culture chrétienne semble totalement inexistante. Il n’y a pas le moindre indice,
chez lui, d’une connaissance des Écritures. Deux seulement de ses histoires en
araméen et en kurde portent sur des sujets bibliques. Mais, au témoignage même
des orientalistes qui l’ont connu, Câno ignorait qu’il s’agissait d’histoires bibliques.
Le n° 8 de la collection des contes syriaques (Le douzième fils de Jacob) est l’histoire
de Joseph (Gn 37-48 ; Coran XII). De quel récit est tributaire le conteur ? Sa
source est-elle une épopée kurde qui réutiliserait le récit coranique ? Il est difficile
de trancher. Le n° 5 de la collection des contes kurdes (Le tyran impie) concerne,
sans jamais le nommer, le personnage biblique de Nimrod, le géant impie,
constructeur de la Tour de Babel. Selon l’historiographie jacobite, le géant
nourrissait de sa chasse les constructeurs de la Tour, cela dura 40 ans, puis la Tour
fut renversée par le vent et tua Nimrod. L’histoire chez Câno est probablement
tributaire de ce qu’il a entendu raconter à l’église à ce sujet. Le gibbôr chasseur est
chez lui la figure de l’impie absolu. Il défie la loi et la puissance divines en donnant
ses filles en mariage à ses fils puis en construisant la Tour. La transgression de
l’inceste est le premier acte du combat contre Dieu.
pays de la soif et de la faim, des bêtes sauvages et des bandits, terre où le temps
s’est arrêté, où les géants remplacent les humains, où les femmes ont des lieux qui
leur sont propres (La fiancée du diable n° 45, La ville de Mush n° 19, Jeux d’enfants
n° 30). Selon les conceptions cosmologiques du conteur, les quatre coins de la terre
habitée reposent sur un rocher, et celui-ci sur des colonnes de fer. En descendant
le plan incliné de cette terre, on arrive là où repose le couvercle du ciel. Le côté
intérieur du couvercle est occupé par la course diurne du soleil vers l’Occident.
Au-dessous de la terre commune (u-bäläd du-‘amm), se trouvent le pays des
hommes nus ou des chiens, puis celui des djinns, au-dessous encore il y a le
territoire des hybrides, puis celui des singes, ensuite celui des lions et enfin la terre
des ténèbres. Le pays des nains, Hâcûc uMâcûc (Gog et Magog) est un peu partout
entre ces mondes. Les Hâcûc sont nés des pertes séminales d’Adam mêlées à de la
poussière, et ont pour particularité de prévoir leur mort. Ils s’accouplent comme
les animaux et se déplacent avec une très grande rapidité. Chaque jour, ils rongent
le rempart de Dhû-l-Qarnayn pour tenter d’apercevoir le soleil briller de l’autre
côté. C’est donc un peuple de la nuit et ils sont noirs de peau. Ils aiment beaucoup
les eaux douces des fleuves, mais préfèrent à toutes celles du lac de Tibériade
(Xenge n° 36, L’échange des femmes n° 43, Le marchand de Mardin n° 44). Dans
d’autres traditions, les Gog occupent le bout du monde et sont en lien avec les
peuples turciques, chez Câno les Hâcûc sont l’un des mondes hypochthoniens,
sorte de fourmis de l’invisible. À l’extrémité de ces mondes se situe, au-delà de
l’Inde, le pays enchanté des Gurc, couvert de buissons d’épines, sans gouvernement.
Les filles y sont très jolies et appartiennent à tous.
L’inadéquation des réponses aux questions sert à fabriquer les histoires pour rire
sur le dos des artisans et des chefs tribaux (Le molla, le teigneux et le yézidi n° 12,
L’agha qui avait un fils maboul n° 13), et pour se moquer des bureaucrates et
gratte-papiers (Le renard, l’âne et le chat n° 84, Le renard qui savait lire l’éthiopien
n° 77). Les autorités et hiérarchies sociales dont les histoires de renard (au nombre
de 22 dans le corpus syriaque) font la satire sont, d’un côté, l’institution politico-
judiciaire que symbolise la fonction de kadi (syr. qoze) et, de l’autre, le clergé que
représentent pour les communautés religieuses du Tûr les charges de molla (syr.
malla) chez les musulmans et de curé (syr. qasho) chez les chrétiens. De par
l’exercice et l’étendue de leurs attributions, ces dignitaires sont par excellence des
professionnels de l’écriture, de l’encre, des registres, des livres.
Un trait particulier des histoires de Câno est l’humour religieux (Le pèlerinage
des animaux, kurde n° 3) et l’humour hagiographique (Le diable devenu portefaix,
syriaque n° 53). Une contribution donnée aux MUSJ (59, 2006, p. 145-160) a
traité du premier. J’ai donc cherché à comprendre le second par comparaison avec
la légende populaire du Tûr racontant la domestication du diable par s. Malke.
Hasan El-Shamy (Types of the Folktale in the Arab World, Bloomington, Indiana
University Press, 2004, p. 710) rattache le conte 53 de Câno à la série des contes-
types AT 1168, Various Ways of Expelling Devils (the Devil), qui sont des relations
d’exorcismes. Aucune de leurs versions signalées dans la classification internationale
HISTOIRE DES SYNCRÉTISMES DE LA FIN DE L’ANTIQUITÉ 439
ne correspond au conte araméen. Seul le premier épisode de ce récit fait état d’une
guérison par exorcisme. Cette hagiographie a en fait un autre but. Il s’agit d’une
domestication humoristique du diable pour en faire un aide et le mettre au service
du saint fondateur d’un monastère. La classification d’El-Shamy est donc erronée.
L’origine de l’histoire paraît bien à sa place, en tout cas, dans le folklore syriaque
du Tûr. Je la comprends comme relation orale ré-élaborée pour justifier une
croyance populaire qui concernait un puits de la région de Midyat, lié au cycle de
Mor Malke. Dans la légende hagiographique rapportée par Câno, le diable
qu’expulse Mor Malke de la fille du roi d’Égypte est chargé de porter au cou et
sur la tête jusqu’au Tûr ‘Abdîn la margelle et l’auge, offertes par le roi d’Égypte
reconnaissant et destinées à l’aménagement de l’eau que le saint a prévu pour son
sanctuaire de Haute-Mésopotamie. Or, il existe une vie, en syriaque littéral, de
Mor Malke, éditée par Paul Bedjan dans les Acta martyrum et sanctorum (t. 5,
Leipzig, Harrassowitz, 1895, p. 421-469) d’après un manuscrit de la fin du
xiie siècle (BN 236, fol. 86 ; Zotenberg 1874, p. 187-188), complété par un
manuscrit de Londres (BL Add.14733, fol. 83). Sur la cinquantaine de pages de
texte syriaque de cette vie, vingt portent sur l’histoire de la diablerie que Câno a
racontée aux orientalistes allemands en araméen turoyo.
Confrontons l’oral et l’écrit. La vie syriaque confirme que les pierres taillées que
le saint fait transporter d’Égypte au Tûr ‘Abdîn par le diable sont effectivement
destinées au monastère de s. Malke (Deir Mor Malke), à 2 km au sud de Kharabe
‘Ale (Khirbat Aleh, forme turcisée Harapali) dans le Djebel Izlo. La vie syriaque
situe très correctement le monastère, non par le toponyme arabe, mais en utilisant
l’ancien nom syro-grec de Kharabe ‘Ale : Arkah. Alors que la vie syriaque ainsi
que le conte oral servent à montrer que l’apprivoisement du diable par le saint est
nécessaire au transport des instruments de la distribution de l’eau et de
l’organisation du paysage du monastère, en revanche on ne peut être que surpris
de constater que l’hagiographie littéraire de s. Malke est organisée différemment
que dans le conte oral. Chez Câno, le saint va en Égypte où il exorcise la fille du
roi, mais ni le nom du roi ni celui de sa fille ne sont mentionnés, ni non plus
d’ailleurs le nom du diable que le saint expulse du corps de la jeune fille. Dans la
vie syriaque, c’est à Constantinople que le saint se rend, auprès de l’empereur
Constantin qui l’a fait appeler pour qu’il guérisse sa propre fille, dénommée
Asanasis. Le scénario de l’expulsion du diable et de la récompense du saint par le
roi est identique dans la vie et dans le conte, mais la vie transmet le nom du
diable, Astratasis, qu’omet Câno. L’épisode de la dispute chez les bédouins manque
dans la vie syriaque. Celle-ci, en revanche, précise ce que dit Câno concernant les
pierres portées par le diable jusqu’au monastère mésopotamien : autour du cou, en
collier (un turban, dit un autre diable pour s’amuser) l’assise circulaire ou margelle
formant le rebord supérieur visible du puits, et sur la tête, dressée comme une
tour, la structure interne du puits en pierres de taille arrondies. Le spectacle devait
être assez réjouissant, en effet. À qui donner l’avantage ici, à l’oral ou à l’écrit ?
Florence Jullien a repéré que la trame de l’histoire racontée par Câno et la vie
440 MICHEL TARDIEU
syriaque (guérison d’un possédé, transport d’une pierre par le diable, traversée du
désert et construction d’un monastère) était réutilisée dans les traditions syro-
orientales de l’implantation du monachisme à al-Hîra et en Arabie du Nord-Est
(communication faite au cours du 13 février 2008). La popularité de l’histoire
hors de l’Église jacobite et la référence explicite à l’Égypte dans le conte oral
donnent à penser plutôt à une dépendance de la vie littéraire par rapport à celui-ci
et à un ajustement ecclésiastique gréco-orthodoxe. La mise en situation de la
diablerie à la cour de Constantin n’est peut-être pas, cependant, une absurdité de
la vie syriaque. Elle a probablement servi à situer dans un passé lointain les liens
supposés des fondateurs syriaques du Tûr ‘Abdîn au monachisme copte que
protégeait le Basileus. Mor Malke était, dit-on, le neveu de Mar Awgin, qui était
un Égyptien originaire de Clysma. L’oncle et le neveu sont du même village. Les
monastères de l’oncle et du neveu sont voisins au Tûr ‘Abdîn. De ce fait, le conte
oral ne manque pas de pertinence en plaçant la diablerie plutôt en Égypte, chez
un roi imaginaire anonyme. Quant à la structure du puits qui traverse les déserts
à la verticale portée sur la tête du diable, elle annonce cette idiotie sublime prêtée
à Nasr Eddin Hodja. Un jour, à la sortie de la mosquée, un paysan lui demande :
« Ô Hodja, toi qui as des lumières sur toute chose en matière de religion, peux-tu
me dire comment les Arabes ont bien pu faire pour construire des minarets en
plein désert ? — C’était pourtant très facile, répond Nasr Eddin : il leur a suffi de
renverser les puits » (J.-L. Maunoury, Sublimes paroles et idioties de Nasr Eddin,
Paris, Phébus, 2002, p. 417).
Les autres catégories d’histoires de Câno étudiées dans ce cours ont été celles
dans lesquelles interviennent des thèmes propres aux chansons d’amour de Câno
en kurde par comparaison à celles de la même région en araméen chrétien et juif
(Boucles d’oreilles, Les bords de chemins) et, d’autre part, les histoires traitant
explicitement de pratiques et de croyances religieuses (Le Barberousse jacobite de
Hâh et la légende de la conversion du dernier païen).
M.T.
Séminaire 2008
Publications
Autres activités
Activités de la chaire
Activités
— Participation à la table-ronde de la Society of Oriental and African Studies :
Christianity and monasticism in Iraq, Londres, 5 mai 2007. Communication : « The Great
Monastery on Mount Izla and the Defence of the East-Syrian Identity ».
— Membre du conseil scientifique et de publication du Colloque « Barhebraeus et la
renaissance syriaque », Collège de France, UMR 8167, Laboratoire Islam médiéval, EPHE,
3 décembre 2007 au Collège de France, organisé en collaboration avec M. Tardieu, D. Aigle
et H. Teule. Communication : « Une question de controverse religieuse: la Lettre au
catholicos nestorien Mar Denha Ier ».
— Organisatrice du Colloque : « Monachismes d’Orient. Images, Échanges, Influences »,
Paris, Collège de France, 11 juin 2008. Communication : « Types et topiques de l’Égypte :
sur quelques moines syro-orientaux des vie-viie s. ».
— Collaboration au projet onomastique de l’Académie des Sciences de Vienne (Autriche),
co-dirigé par MM. Manfred Mayrhofer et Rüdiger Schmitt, en association avec
M.P. Gignoux (DR honoraire EPHE-Sciences religieuses) et C. Jullien (UMR 7528) pour
l’Iranisches Personennamenbuch, dictionnaire recensant tous les noms propres d’origine
iranienne dans la littérature syriaque (parution prévue à la fin de l’année 2008).
— Soutenance d’une Habilitation à diriger des recherches : « Histoire des institutions et
traditions du monde syriaque », Université de Provence, le 13 octobre 2007, devant un jury
composé de M. P.-G. Borbone (Professeur à l’Université de Pise), M. P. Boulhol (Professeur
à l’Université de Provence), M. G. Dorival (Professeur à l’Université de Provence, Institut
Universitaire de France), Mme M.-J. Pierre (Directeur d’études, EPHE-Sciences religieuses),
M. M. Tardieu (Professeur au Collège de France), M. D. Taylor (Professeur à l’Oriental
Institute, Oxford).
444 MICHEL TARDIEU
Publications
— « S’affirmer en s’opposant : les polémistes du Grand monastère (vie-viie siècle) »,
Controverses des Chrétiens dans l’Iran sassanide (Studia Iranica. Cahier 36), Paris 2008, p. 29-40.
— Articles pour l’Encyclopaedia Iranica (parution prévue également sur le site web de
l’Encyclopédie) : « Xvadahoy » ; « Abraham of Kashkar » ; « Babiy the Great » ; « Dadisho‘ » ;
« Rabban Shapur » ; « East-Syrian convents in Sasanian Iran », 2008.
— Compte rendu de M.-F. Baslez, Les persécutions dans l’Antiquité. Victimes, héros,
martyrs (Paris, Fayard, 2007, 408 p.), Les Lettres Nouvelles (à paraître).
— « Le monachisme dans le golfe Persique à l’époque sassanide », Annuaire de l’EPHE
Sciences religieuses, 116 (2007-2008), sous presse.
— Le monachisme en Perse. La réforme d’Abraham le Grand, père des moines de l’Orient
(collection Corpus Scriptorum Christianorum Orientalium 622, Subsidia 121), Louvain,
2008, 293 p.
Communications et articles
— Participation au Colloque international de The International Association for Presocratic
Studies, Brigham Young University, Provo, Utah (USA), les 23-27 juin 2008 ;
communication : « I “cadaveri” di Eraclito (fr. 96 DK) e la polemica neoplatonica di
Simplicio ».
— Communication au séminaire « Noms barbares 2 », chaire d’Histoire des syncrétismes
de la fin de l’Antiquité de M. le Professeur M. Tardieu, Collège de France, 18 juin 2008 :
« Héraclite sur le nom de Zeus ».
— Participation à la Commission de doctorat en « Discipline Umanistiche (Sciences
humaines) » de l’université « Carlo Bo » d’Urbino (Urbino), 7 novembre 2007, exposé sur
l’achèvement des recherches de thèse.
— « Kaulakau selon l’hérésiologie chrétienne », dans : Actes du Colloque international
« Noms Barbares 1 » (Collège de France, 2007), collection « Bibliothèque de l’École des
Hautes Études, Sciences Religieuses », Paris, 2008 (à paraître).
HISTOIRE DES SYNCRÉTISMES DE LA FIN DE L’ANTIQUITÉ 445
Publications
Autres activités
2. Conférences :
— Université de Besançon, département de philosophie, « Nature et modernité », le
3/10/2007.
— Université de Lille 1, département de géographie, conférence-débat « L’homme et la
nature : continuités, discontinuités », le 26/11/2007.
— Institut national de la recherche agronomique, Paris, conférence-débat : « Une culture
naturelle ou des natures culturelles ? Un point de vue anthropologique », 29/11/2007.
— Université libre de Bruxelles, cycle de conférences « Cultures d’Europe », « Les natures
de l’homme », le 8/02/2008.
— Carl Friedrich von Siemens Stiftung (Munich), « The Making of Images. An
anthropological approach », le 12/02/08.
— Université de Heidelberg, European Molecular Biology Laboratory, « Beyond Nature
and Culture », le 20/02/2008.
— Université de Cambridge, département d’anthropologie, « Ontology and Iconology »,
le 6/03/2008.
3. Missions à l’étranger :
Le professeur a séjourné à Munich pendant une partie de l’année universitaire à
l’invitation de la Carl Friedrich von Siemens Stiftung.
Chaire théorie économique et organisation sociale
industriels européens contre des produits agricoles australiens au xixe siècle, comme
l’échange du « travail européen contre la terre australienne ».
La macroéconomie de court terme a été l’objet de débats intellectuels vifs depuis
le début des années cinquante, débat dont le cours a tenté de clarifier les enjeux
et d’éclairer la genèse. Le modèle IS-LM, référence dominante ou quasi-exclusive
des manuels de macroéconomie des années cinquante, a été brièvement rappelé,
d’abord dans une version walrassienne, puis dans la variante proposée par Hicks
pour rendre compte des idées de Keynes. Aux critiques croissantes faites à ce que
l’on a pu appeler la politique économique du modèle IS-LM, et dont les remises
en question radicales de la courbe de Philips constituent un point d’orgue, se sont
ajoutées toute une série de contestations méthodologiques. Paradoxalement, l’effort
de rénovation théorique associé aux modèles à prix fixés, dont la logique et les
résultats ont été soigneusement présentés dans le cours, a souligné les faiblesses du
schéma plus qu’il n’y a remédié. Mais ce sont les progrès de l’économétrie des séries
temporelles, rappelés de façon rapide dans le cours, qui ont peu à peu changé la
perspective de la preuve empirique. Les modèles de cycles réels, modèles à horizon
infini et agent représentatif mais qui mettent en avant des mécanismes walrassiens,
s’inscrivent dans cette nouvelle perspective. Les outils (méthodes récursives)
nécessaires à leur analyse ont été introduits et leur fonctionnement a été présenté
de la façon la plus intuitive possible. La macro-économie des cycles réels constitue
apparemment un changement de paradigme (Walras contre Keynes). En fait,
comme on le verra plus loin, le changement prendra dans la suite plutôt la forme
d’un changement de programme.
La théorie traditionnelle de la croissance a été élaborée dans les années cinquante
et soixante et est associée en particulier au nom de Solow. On le sait, cette théorie
rend très imparfaitement compte de toute un série de faits empiriques sur les
variations des niveaux de développement, faits qui ont été discutés et mis en
perspective (avec les discussions sur la « convergence »). Avant de souligner ses
limites, le cours a présenté les grandes lignes de cette théorie qui fait dépendre, à
population constante, l’accroissement de la production de l’accumulation du
capital et d’un progrès technique exogène. L’accumulation du capital par tête, qui
rejoint asymptotiquement un niveau optimal, est gouverné par l’équation d’Euler
qui décrit les interactions entre épargne et taux d’intérêt. Entre cette théorie de la
croissance exogène et les théories plus récentes dites de la croissance endogène, se
situent toute une série de visions intermédiaires. Par exemple, l’introduction du
capital humain, qui joue un rôle parallèle au capital physique et qui est produit
par l’éducation, conduit à retrouver une croissance exponentielle fondée sur
l’accumulation indéfinie des capitaux plutôt que sur le deus ex machina du progrès
technique. Les modèles de croissance endogène décrivent un monde où la
décroissance de la productivité marginale est mise en échec (elle est constante dans
le modèle AK). L’accent a été mis sur ceux qui attribuent la croissance du produit
soit à la multiplication des biens soit à l’amélioration des techniques, produits de
la Recherche-Développement d’entreprises protégées par des brevets. Dans le
452 ROGER GUESNERIE
Activités
4. Séminaires
— 16 octobre 2007 : European University, Florence. Séminaire « Expectational
Coordination in Financial Markets ».
— 23 octobre 2007, Columbia University, « Questions about climate policies ».
— 24 octobre 2007, Institute for Advanced Studies, Princeton, « Expectational
Coordination in a classe of Economic Models Strategic Substitutabilities versus Strategic
Complementarities ».
— 7 avril 2008 : séminaire Paris 1, « La coordination des anticipations en macroéconomie
et politique monétaire : le point de vue « divinatoire ».
— 20 mai, séminaire Centre Applications de Mathématiques Sociales, « La coordination
des anticipations des agents économiques : une introduction au point de vue
« divinatoire ».
5. Autres interventions
— 5 juin 2007 : Rencontres Economiques de l’Institut de la Gestion Publique et du
Développement Economique, « La Régulation de l’économie en France et en Europe ».
Intervention intitulée « Le marché et les règles : quel rôle pour les politiques de
concurrence ».
— 24 septembre 2007 : Première rentrée solennelle de Clermont Université, conférence
« Les enjeux des politiques climatiques ».
— 18 et 19 octobre 2007 : Colloque de rentrée du Collège de France, intervention sur
le thème « La suprématie des actionnaires en question(s) ».
— 10 décembre 2007 : Colloque de la Fédération Française des Sociétés d’Assurance
sous le titre « L’assurance et la planète », conférence plénière intitulée « Prendre la mesure
du réchauffement climatique ».
— 13 et 14 décembre 2007 : Colloque “Figures et problèmes de la mondialisation” sous
les auspices de l’Institut du Monde Contemporain du Collège de France. Conférence
intitulée “Gouvernance, marché, mondialisation”.
456 ROGER GUESNERIE
Divers
Publications
Rapports
— Synthèse de l’avis du CAE sur le projet d’élargissement de l’assiette des cotisations
sociales employeurs, en collaboration avec M. Christian de Boissieu, juillet 2007.
— Rapport du Groupe Guesnerie « Les Sciences Economiques et Sociales à l’Institut
National de Recherche Agronomique ». Groupe composé de : Michel Callon, Armand
Hatchuel, Alain Trannoy, Alain Trognon, et Roger Guesnerie.
— Rapport au Ministre de l’Education Nationale de la mission d’audit des manuels et
programmes de sciences économiques et sociales au lycée, juillet 2008.
THÉORIE ÉCONOMIQUE ET ORGANISATION SOCIALE 457
Ouvrages (direction)
— « The design of climate policies », avec H. Tulkens, (MIT Press) (sous presse).
Articles
— « Commentaire sur le rapport Stern : quelques mots d’introduction », Revue d’Economie
Politique, juillet-août 2007, 117, 457-462.
Chapitres d’ouvrages
— « The Economic design of climate institutions and policies » in « Finance and
sustainable development », sous la direction de J.M Lasry et D. Fessler, Economica, Paris,
2008, p23-36
— « The design of climate policies : selected questions in analytical perspective » in
« The design of climate policies », sous la direction de R. Guesnerie et Henry Tulkens, à
paraître.
— « Macro-economic and monetary policies from the “edcutive” viewpoint », proceedings
conference Banco Central de Chile (sous presse).
Histoire moderne et contemporaine du politique
Elle acquiert dans ce dernier cas une dimension inévitablement arithmétique : elle
désigne ce qui reste une fraction, même si elle est dominante, du peuple. Or la
justification du pouvoir par les urnes a toujours implicitement renvoyé à l’idée
d’une volonté générale, et donc d’un peuple figure de l’ensemble de la société.
Cette perspective sociologique n’a cessé d’être renforcée par le réquisit moral
d’égalité et l’impératif juridique de respect des droits, appelant à considérer la
valeur propre de chaque membre de la collectivité. C’est ainsi l’horizon de
l’unanimité qui a depuis l’origine sous-tendu l’idée démocratique : est démocratique,
au sens le plus large du terme, ce qui exprime la généralité sociale (le cours de 2007
avait longuement exploré la question qui n’a donc été que brièvement évoquée en
2008). On a seulement fait dans comme si le plus grand nombre valait pour la
totalité, comme si c’était une façon acceptable d’approcher une exigence plus forte.
Première assimilation doublée d’une seconde : l’identification de la nature d’un
régime à ses conditions d’établissement. La partie valant pour le tout, et le moment
électoral valant pour la durée du mandat : tels ont été les deux présupposés sur
lesquels a été assise la légitimité d’un régime démocratique.
Le problème est que cette double fiction fondatrice est progressivement apparue
comme l’expression d’une insupportable approximation. Dès la fin du XIXe siècle,
alors que le suffrage universel (masculin) commençait tout juste à se généraliser en
Europe, les signes d’un précoce désenchantement se sont pour cela multipliés de
toutes parts. Au spectre du règne des masses, d’abord tant redouté par les libéraux,
se trouva bientôt substitué le constat de l’avènement de régimes engoncés dans
l’étroitesse de leurs préoccupations. Les mots de peuple et de nation qui n’avaient
cessé de nourrir les attentes et les imaginations se sont alors trouvés comme
rapetissés en étant noyés dans les méandres de l’agitation partisane et des clientèles.
Le système des partis, dont aucun des premiers théoriciens de la démocratie n’avait
envisagé l’existence et le rôle, s’est imposé à partir de cette période comme le cœur
effectif de la vie politique, entraînant le règne des rivalités personnelles et des
coteries. Le Parlement, qui avait été de son côté considéré depuis l’origine comme
l’institution qui résumait l’esprit et la forme du gouvernement représentatif, perdait
à l’inverse sa centralité et voyait son fonctionnement changer de nature. L’idée
première d’une enceinte de la raison publique où serait débattue à haute voix la
définition de l’intérêt général s’est de fait dégradée en un système de marchandages
asservis à des intérêts particuliers. Le moment électoral a continué de son côté à
mobiliser les énergies et à exprimer de véritables enjeux. Mais il n’a plus été cette
fête chaleureuse de la citoyenneté qui avait dessiné le premier horizon du suffrage
universel. Pendant toute cette période des années 1890-1920 au cours de laquelle
s’amoncellent les ouvrages qui auscultent la « crise de la démocratie », l’idée que le
fonctionnement du système électoral majoritaire conduit à exprimer l’intérêt social
a ainsi perdu toute crédibilité. Le monde électoral-parlementaire est davantage
apparu gouverné par des logiques de particularité que par une exigence de généralité.
Le principe de l’élection des gouvernants a certes toujours dessiné un horizon
procédural indépassable, mais on a cessé de croire à l’automaticité de ses vertus.
HISTOIRE MODERNE ET CONTEMPORAINE DU POLITIQUE 461
Face à ce qui a été ressenti comme un profond ébranlement, ces années 1890-
1920, encadrant la Grande Guerre, vont s’efforcer de déterminer les moyens
permettant à l’idéal démocratique de retrouver sa dimension substantielle primitive.
Les voies les plus extrêmes, on le sait, seront explorées, allant même jusqu’à ériger
un moment le projet totalitaire en figure désirable du bien public. Mais du sein
de ce bouillonnement, va aussi émerger de façon plus discrète ce qui modifiera en
profondeur les régimes démocratiques : la formation d’un véritable pouvoir
administratif. C’est en effet pendant cette période que s’édifie partout un État plus
fort et mieux organisé. Le fait important est que son développement a été
indissociable d’une entreprise de refondation de ses principes. On a voulu que la
« machine bureaucratique » puisse constituer en elle-même une force identifiée à la
réalisation de l’intérêt général. Les modèles du service public en France et de
l’administration rationnelle aux Etats-Unis, ont alors illustré les deux grandes
façons de penser la poursuite de cet objectif. D’un côté, la vision d’une sorte de
corporatisme de l’universel, appelant structurellement les fonctionnaires à s’identifier
à leur mission, à devenir « intéressés au désintéressement ». De l’autre, la recherche
d’un accès à la généralité par les vertus d’une gestion scientifique. Se trouvaient de
la sorte réactualisés et réinsérés dans l’univers démocratique les anciens idéaux du
gouvernement rationnel et de la politique positive, qui, des Lumières à Auguste
Comte, avaient invité à réaliser le bien public à l’écart des passions partisanes.
Le but a été de corriger le projet problématique d’une expression unifiée des
volontés par une forme de mise en œuvre plus réaliste et plus objective de la généralité
sociale. Cette entreprise a alors effectivement commencé à prendre corps, au moins
partiellement. Sans que les choses n’aient jamais été pleinement conceptualisées, les
régimes démocratiques ont ainsi progressivement reposé sur deux pieds : le suffrage
universel et l’administration publique. Celle-ci a cessé d’être la simple courroie de
transmission du pouvoir politique pour acquérir une marge d’autonomie fondée sur
la compétence. Dans le cas français, ces deux dimensions de « l’arche sainte » du
suffrage universel et du service public ont explicitement superposé leurs valeurs
respectives dans l’idéologie républicaine. Les « jacobins d’excellence » de la haute
administration l’ont incarnée au même titre que les élus du peuple. À côté de la
légitimité d’établissement, celle de la consécration par les urnes, une deuxième
appréhension de la légitimité démocratique a ainsi vu le jour : celle d’une
identification à la généralité sociale. Elle a, dans les faits, joué un rôle décisif en tant
qu’élément compensateur de l’affaiblissement de la légitimité électorale. Se liaient de
la sorte les deux grandes façons de concevoir la légitimité : la légitimité dérivée de la
reconnaissance sociale d’un pouvoir, et la légitimité comme adéquation à une norme
ou à des valeurs. Ces deux formes croisées de légitimité, procédurale et substantielle,
avaient donné à partir du tournant du XXe siècle une certaine assise aux régimes
démocratiques. Cette page a commencé à se tourner dans les années 1980.
La légitimation par les urnes a d’abord reculé, du fait de la relativisation et de
la désacralisation de la fonction de l’élection. À l’âge « classique » du système
représentatif, celle-ci valait mandat indiscutable pour gouverner ensuite
462 PIERRE ROSANVALLON
ne consiste pas à choisir une politique. Ce qui le justifie, c’est qu’il impose une
forme spécifique d’égalité (toutes les opinions ont le même poids). Mais le principe
de majorité ne peut décider de tout : il ne peut, par exemple, abolir la séparation
des pouvoirs ou remettre en cause des droits établis comme inviolables. Le principe
du souverain doit être limité par un certain nombre de contrôles qui ne doivent
pas être liés aux élections.
5) Mercredi 9 avril : Dominique Rousseau (Professeur à l’Université de
Montpellier I) : Constitutionnalisme et démocratie.
Au nom de quoi interdire au peuple de vouloir ce qu’il veut ? C’est la question,
selon D. Rousseau, que pose la question du constitutionalisme, doctrine qui pense
la démocratie par la constitution. Or, il est en crise parce qu’on considère qu’il pèse
sur les institutions issues du vote populaire. Ce qu’il faut souligner, c’est que la
constitution comme garantie des droits fondamentaux produit une démocratie
d’un certain type, caractérisée par trois éléments. D’abord, l’écart entre deux
espaces porteurs de volonté normative, les actes de lois votés par les représentants
et les droits des représentés. Ensuite, la promotion de la délibération comme
régime concurrentiel de la volonté générale. Enfin, l’avènement de la société des
individus comme objet de la constitution.
6) Mercredi 16 avril : Claude Lefort (Directeur d’études à l’EHESS) : La pensée
du politique : histoire et perspectives.
Claude Lefort s’est proposé d’éclairer la nature de la démocratie moderne à
travers la distinction entre la politique (essentiellement tournée vers la considération
du régime) et le politique, qui veut en penser les conditions sociales. La science
politique méconnaît la nature profonde de la démocratie parce qu’elle laisse dans
l’ombre la société dans laquelle elle s’est formée. La démocratie n’est pas localisable
dans la société : elle est une forme de société. Dans l’Ancien Régime, le pouvoir
monarchique était incorporé dans la personne du prince. La démocratie introduit
dans cette perspective un bouleversement : le pouvoir n’est plus incorporé, c’est un
lieu vide. Le conflit est alors institutionnalisé, le pouvoir dans une démocratie ne
peut exister qu’en quête de sa légitimité. La démocratie n’est pas réductible à un
certain nombre d’institutions.
Publications scientifiques
Vulgarisation de la recherche
1. Enseignement et recherche
A. Cours
Les quatorze heures du cours donné entre octobre et décembre 2007 ont été
consacrées à exposer les premiers résultats d’une recherche dont le point de départ
se trouve dans un registre de comptes, celui où furent inscrits les paiements faits
par le Trésorier de la Chambre du roi d’Angleterre.
Londres 1613
De ces quatorze pièces, six figureront dans le Folio de 1623 où le même John
Heminge et son compagnon de scène Henry Condell réuniront, pour la première
fois, les Comedies, Histories, & Tragedies de Shakespeare. Le même « warrant »
ordonne le paiement de soixante livres au même John Heminge pour les
représentations de six autres pièces, jouées elles aussi dans le palais royal et parmi
elles « Cardenno ». Un mois et demi plus tard, le 9 juillet 1613, la somme de
6 livres, 13 shilling et 4 pence est payée à John Heminge et « the rest of his fellows
his Majesties servants and Players » pour la représentation devant le duc de Savoie,
hôte du souverain anglais, d’une pièce « called Cardenna ». C’est cette pièce, au
nom variable, Cardenno ou Cardenna, dont cette recherche voudrait percer le
mystère.
470 ROGER CHARTIER
Un second thème espagnol sur les scènes londoniennes est celui de l’Espagnol
maniéré et poltron, tel Don Adriano de Armado, le poète alambiqué, amoureux
ridicule et bravache fanfaron, pas plus invincible que le fut l’Armada de son roi, dans
Love’s Labour’s Lost (Peines d’amour perdues) de Shakespeare, dont l’édition quarto
— la première de toutes les éditions de ses pièces qui mentionne son nom sur la page
de titre — est parue en 1598. La figure divertissante et dérisoire de l’extravagant
Armado est comme un contrepoint rassurant aux descriptions dénonciatrices des
cruautés infligées par les Espagnols aux habitants du Nouveau Monde, rappelées
pour mettre en garde contre celles qu’ils pourraient perpétrer contre les Protestants.
Dans la guerre puis dans la paix, signée à Londres en 1604 et à Madrid en 1605, la
référence espagnole habite l’imagination des auteurs anglais et, parmi eux, les
dramaturges. En 1602 le libraire Henry Rockytt publie une pièce représentée par la
troupe d’enfants des Children of Saint Paul, intitulée Blurt Master-Constable. Or the
Spaniards Night-walke, attribuée à Thomas Dekker. Elle porte sur la scène un
personnage qui porte le nom du premier des « pícaros » : Lazarillo de Tormes. La
première traduction du roman a été publiée par Abell Jeffes en 1586. Dix ans plus
tard est parue une traduction de la continuation du Lazarillo, due à William Phiston,
et c’est sans doute dans cette seconde partie, où Lazarillo est devenu soldat, que la
pièce publiée en 1602 a trouvé son Espagnol. En effet, le Lazarillo de la comédie est
un proche parent de Don Adriano de Armado et sa supposée bravoure est démentie
par les témoins de sa couardise. Sans grand rapport avec le Lazarillo castillan, le
personnage ainsi nommé par Dekker s’inscrit dans la dénonciation comique de
l’Espagnol matamore et couard, vaniteux et superstitieux, maniéré et trompé. Mais
son nom même atteste que les héros des fictions espagnoles sont familiers aux
spectateurs et aux lecteurs anglais qui s’amusent de leurs multiples identités.
chambre et avec Amadis de Gaule ou Don Quixote, comme vous en avez l’habitude,
et vous rendre là où le thème est fréquent, à la cour, aux tournois, aux cérémonies
et aux fêtes, dans les théâtres, et parfois dans les églises. »
Les folies de don Quichotte ont donc été connues très tôt en Angleterre. Mais
pourquoi, alors, en 1613, la pièce représentée deux fois par les King’s Men à
Whitehall fait-elle de Cardenio, et non du chevalier errant son héros principal ?
Pourquoi annonce-t-elle par son titre que son intrigue sera celle des amours
contrariées et finalement satisfaites du jeune noble andalou, et non les aventures
comiques de l’hidalgo et son écuyer ? La réponse n’est pas aisée puisque jamais la
pièce ne fut publiée et qu’il n’en subsiste ni édition ni manuscrit. Cette situation,
au demeurant, n’a rien d’extraordinaire puisque la majorité des pièces représentées
en Angleterre entre 1565 (date l’édition de la première tragédie anglaise, The
Tragedie of Gordobuc de Thomas Norton et Thomas Sackville) et 1642 (date de la
fermeture des théâtres) ne fut jamais imprimée. David Scott Kastan avance l’idée
que moins du cinquième le fut alors que Douglas A. Brooks se montre un peu
plus généreux et indique, à partir d’une comparaison entre le nombre de titres
connus et celui des textes existant, que c’est un peu plus du tiers des pièces
représentées qui a eu au moins une édition imprimée. En l’absence du Cardenio
de 1613, seule une série d’hypothèses peut rendre compte de la décision qui
transforme en une pièce de théâtre cette histoire d’amours racontée par plusieurs
de ses protagonistes au fil des chapitres de Don Quichotte.
L’un des reproches faits à Cervantès, tels que les rappelle Samson Carrasco, était
d’avoir intercalé dans l’histoire du chevalier errant une « novela » : « L’un des défauts
que l’on reproche à cette histoire, dit le bachelier, c’est que son auteur y a inséré une
nouvelle intitulée : Le Curieux impertinent. Non pas qu’elle soit mauvaise ou mal
écrite, mais parce qu’elle n’est pas à sa place et n’a rien à voir avec l’histoire du
seigneur don Quichotte. » La nouvelle du « Curieux impertinent », qui occupe les
chapitres XXXIII à XXXV, est en effet un récit dans le récit, lu à haute voix par le
curé aux autres personnages (sauf don Quichotte) et qui, hors l’interruption créée
par le combat de l’hidalgo endormi contre les outres de vin prises pour le géant
usurpateur du royaume de Micomicon, est tout à fait indépendant de l’histoire
principale. Sa transformation en comédie était donc aisée et, d’ailleurs, elle le fut
puisqu’en 1611 une pièce de Thomas Middleton, The Second Maiden Tragedy, porte
sur la scène comme intrigue secondaire l’histoire d’Anselmo, le mari trop curieux ou
trop sûr de la vertu de sa femme, et de Lotario (devenu Votarius), son ami pris au jeu
de la séduction. Pourquoi, alors, le choix l’histoire de Cardenio qui présentait de
plus grandes difficultés puisque, dans ce cas, la « nouvelle » se trouve fortement et
durablement liée aux pérégrinations du chevalier errant ?
n’y trouve la mort (ce qui suffit à n’en pas faire une tragédie) bien que d’aucuns
s’en approchent (ce qui suffit à n’en pas faire une comédie, laquelle doit être une
représentation de personnages familiers, avec de ces complications qui ne mettent
nulle vie en cause). » Les amours de Cardenio entraient tout à fait dans cette
définition. Les protagonistes y frôlent ou désirent la mort, mais leurs amours sont
finalement heureusement renoués et tout est bien qui finit bien. Nous ne saurons
sans doute jamais comment ce que Cervantès désigne comme « ces aventures si
enchevêtrées et si désespérées » (« tan trabados y desesperados negocios ») fut porté
sur la scène du palais de Whitehall par les comédiens du roi lorsqu’en 1613, par
deux fois, ils représentèrent Cardenio.
Si la traduction de Shelton, fidèle au texte de Cervantès, proposait des matériaux
immédiatement utilisables pour une pièce de théâtre, avec ses moments
spectaculaires (la séduction de Dorotea par Fernando, le mariage entre celui-ci et
Luscinda, les reconnaissances et réconciliations entre les couples un temps désunis,
les adieux), ses dialogues dramatiques et ses monologues intérieurs, il n’en allait
pas de même avec la construction même de l’intrigue. Comment, en effet,
transformer en un récit linéaire ce qui était donné dans Don Quichotte comme une
série de retours en arrière où chaque narration ajoutait des épisodes connus
seulement par celui ou celle qui convoquait le passé dans sa mémoire ? Et, plus
difficile encore, comment traiter sur le théâtre l’intrication des deux histoires qui
advient dès lors que Dorotea accepte le rôle de la princesse Micomicona ? L’enjeu
n’était pas mince car il pouvait conduire soit à représenter l’histoire des amours de
Cardenio et Fernando sans la lier d’aucune manière aux aventures de don Quichotte,
soit à inventer une formule qui permettait d’associer sur la scène la déraison
comique du chevalier errant et la nouvelle sentimentale des amants séparés puis
réunis. Une pièce fondée sur Don Quichotte pouvait-elle ignorer son héros principal ?
Ou bien devait-elle, comme l’histoire parue en 1605, jouer des multiples effets que
produit la rencontre entre les folies de don Quichotte et celles de Cardenio ? Le
ou les auteurs de la pièce jouée à Londres en 1613 ne furent ni les seuls ni les
premiers dramaturges à se confronter à un semblable dilemme. Quelques années
auparavant, Guillén de Castro lui avait trouvé une solution.
Espagne 1605-1608
Les premières planches sur lesquelles montèrent don Quichotte et Cardenio furent
celles d’un « corral de comedias ». Très tôt après la publication de l’histoire, peut-être
en 1605 ou 1606 et en tous cas avant 1608, le dramaturge valencien Guillén de
Castro, à jamais fameux pour ses Mocedades del Cid, compose une comedia en trois
« jornadas » ou trois actes intitulée Don Quijote de la Mancha. Elle sera publiée à
Valence en 1618 avec ce titre de Don Quijote de la Mancha, mais les derniers vers de
la pièce suggèrent qu’elle avait peut-être été représentée sous celui des « fils
échangés » : « Y de los hijos trocados / aquí la comedia acaba, / y del Caballero
Andante / don Quijote de la Mancha » (vers 3100-3104) [« Et des fils échangés /
Finit ici la comedia, / et du Chevalier Errant / don Quichotte de la Manche »].
ÉCRIT ET CULTURES DANS L’EUROPE MODERNE 475
Malgré le titre, l’histoire que Guillén de Castro porte sur la scène est bien celle
de Cardenio, Luscinda, Dorotea et Fernando, ici nommé « El Marqués », le fils du
Duc auprès duquel Cardenio a été envoyé. Dès le premier acte, la comedia manifeste
les transformations apportées à l’histoire qui lui sert de source directe. La plus
fondamentale est celle qui fait de Cardenio, non plus un fils de noble, mais le fils
d’un paysan nommé Lisardo. De ce fait, les deux amours, celui du Marquis pour
Dorotea, fille du paysan Fideno, et celui plus immédiatement partagé par Cardenio
et Lucinda, présentent une semblable inégalité de condition qui explique tant la
réticence de Cardenio à avouer son amour à une jeune « dama » dont le rang est
sans commune mesure avec son propre état que la résistance de Dorotea face à la
passion du Marquis.
Ayant introduit cette dissymétrie des conditions dans chacun des deux couples
d’amants, Guillén de Castro en montre l’incongruité dès le premier acte. Cardenio,
le fils de paysan, et le Marquis, fils de duc, devraient être autres qu’ils ne sont.
Avec la « comedia » de Guillén de Castro, l’histoire de Cardenio, ici fils de paysan
amoureux d’une étoile, met en scène le scandale des discordances entre condition
et conduite, l’état et les sentiments. A la noblesse de cœur et la bravoure du paysan
Cardenio s’opposent la vilenie et la couardise du fils du Duc, et chacun dans la
pièce perçoit qu’il y a là une anomalie mystérieuse qui ne peut être qu’une erreur
de la Nature.
Ce n’est qu’à la fin de la scène XIII de la comedia (dans le découpage moderne
du premier acte de la pièce) qu’entre en scène don Quichotte. L’indication scénique
indique : « Sale don Quijote en Rocinante, y el vestido como le pintan en su
libro » [« Entre don Quichotte, monté sur Rossinante et dans le costume qui est
décrit dans son livre »]. La didascalie fait sans doute référence à la description de
don Quichotte au chapitre II, lorsqu’il apparaît aux deux « dames », en fait deux
filles de joie, postées à la porte de l’auberge. La pièce établit d’emblée une complicité
avec ceux et celles qui ont lu ou connaissent le livre paru en 1605.
Guillén de Castro procède avec l’histoire de Cervantès comme le fait don
Quichotte avec les romans de chevalerie et les romances qu’il a lus. Il suppose que
le livre qui raconte les exploits du chevalier errant est déjà présent dans la mémoire
des spectateurs et que les mots prononcés sur la scène les feront souvenir de leur
lecture. Ils se divertiront en reconnaissant des citations littérales et prendront
plaisir aux allusions qui leur rappelleront les épisodes de l’histoire. Mais peut-on
supposer que Don Quichotte était dès les premiers mois ou années qui ont suivi sa
publication une histoire déjà si fortement connue ?
Plusieurs données peuvent étayer une semblable hypothèse. Tout d’abord, le
nombre des éditions : cinq dans la seule année 1605, une en 1607, une en 1608.
Toutes ont été publiées dans les terres ibériques du roi très catholique (sauf celle
de Bruxelles en 1607) : trois à Madrid chez Juan de la Cuesta, deux à Lisbonne et
une à Valence chez Felipe Mey, l’imprimeur de la Primera Parte de Guillén de
Castro en 1618. Mey réemploie pour la page de titre de la comedia Don Quixote
476 ROGER CHARTIER
de la quitter, lui passe un anneau au doigt. Pour Dorotea, l’union célébrée entre
Fernando et Luscinda est pour celui-ci un « second mariage » dont le départ brutal
de Fernando puis la fuite de Luscinda ont empêché la consommation. Elle voit là
une raison pour garder espoir en la possible annulation de cette seconde union.
C’est cette même puissance de la parole donnée, suffisante pour que le mariage
soit reconnu et consacré, qui fait affirmer à Luscinda dans le billet trouvé sur son
sein après son évanouissement qu’elle est déjà l’épouse de Cardenio.
En un temps où est vive la tension entre ces deux définitions du mariage, celle
qui tient pour nécessaire mais suffisant l’échange des consentements et celle qui
suppose la parole sacerdotale, Guillén de Castro a préféré éviter la difficulté.
Lucinda donne sa main au Marquis sur l’injonction de son père, mais en l’absence
de tout prêtre aucune parole rituelle n’est prononcée avant le départ du Marquis à
la suite du violent affrontement qui l’oppose à Teodoro. De semblable manière,
Guillén de Castro édulcore la signification de la parole donnée par le Marquis à
Dorotea. Certes, il lui a promis de l’épouser, mais comme l’atteste le dialogue entre
Cardenio et le Marquis qui suit cet aveu, et qui est un très bref rappel de la scène
de la séduction de Dorotea, cette promesse n’est pas considérée comme suffisante
pour sceller une union matrimoniale. La promesse de mariage est ici privée de la
force sacramentelle qu’elle conserve dans le récit de Cervantès. Jamais Dorotea,
trahie par son séducteur, ou Lucinda, promise contre son gré à un homme qu’elle
n’aime pas, n’invoquent dans la comedia une promesse qui serait un premier
mariage. Une telle prudence rend plus aisé le dénouement, sans nécessité
d’annulation d’une précédente union et sans excessive contradiction entre les
paroles qui furent données et une cérémonie déjà célébrée.
Dans le second acte, plus encore que dans le premier, don Quichotte remplit
l’emploi du « gracioso », du personnage grotesque et burlesque. La servante qui
accompagne Lucinda le prend au mot lorsqu’il affirme qu’il est capable de vaincre
dix géants et de défendre deux femmes en même temps, en l’occurrence Lucinda et
Dorotea: « Para estas ocasiones / soy Leandro el Animoso » (vers 1599-1600) [« En
480 ROGER CHARTIER
« ¡Ay, Leandro de mis ojos! » : ce vers est une parodie des romances qui s’étaient
emparés de l’histoire de Héro et Léandre transmise par les auteurs anciens. L’histoire,
mise en vers par Musée et Ovide dans les Héroïdes (livres XVII-XVIII) est évoquée
par Virgile dans les Géorgiques (Livre III, vers 257-263). En introduisant ce motif
dans sa « comedia », alors qu’il n’apparaît pas dans le répertoire des rôles endossés par
le héros chez Cervantès, Guillén de Castro s’amuse à une double parodie : d’une
part, celle des romances qui narraient la triste histoire de Léandre, noyé une nuit où le
vent a éteint la flamme qui le guidait, et de Héro, qui s’est jetée du haut de la tour où
elle l’attendait (l’un des plus fameux est le romance burlesque de Góngora de 1589) ;
d’autre part, celle des comédies mythologiques, telle la pièce intitulée Ero y Leandro
que Lope de Vega mentionne dans la liste de ses comedias qu’il publie en 1604 dans
la préface son roman chrétien, El peregrino en su patria.
Dans sa pièce, Guillén de Castro donne au Duc une importance qu’il n’a pas
chez Cervantès. Dès le début du troisième acte, de la troisième « jornada », il
accueille les plaintes de Teodoro et de Fideno, qui lui demandent justice pour le
tort que son fils le Marquis a fait à leurs filles respectives : Lucinda, enlevée alors
qu’elle se déclare dans le billet trouvée sur elle épouse de Cardenio, et Dorotea,
enlevée elle aussi. Les deux pères s’adressent à l’autorité suprême du Duc pour qu’il
leur rende leur honneur. Teodoro lui demande son secours pour laver l’affront qui
ÉCRIT ET CULTURES DANS L’EUROPE MODERNE 481
lui a été fait et c’est une même raison qui conduit Fideno auprès du Duc. Guillén
de Castro noue ainsi le thème fréquent dans les comedias de l’honneur insulté, qui
demande réparation, et la figure du prince souverain dont seule la justice peut
châtier les coupables et rétablir dans leur dignité ceux et celles qui furent leurs
victimes. Bien plus que l’histoire écrite par Cervantès, la comedia de Guillén de
Castro exalte le pouvoir du prince, arbitre des conflits et garant des unions. On le
voit lorsqu’il lève l’épée contre le Marquis, avant de le faire désarmer, et au
dénouement de la pièce, c’est sous son autorité que Cardenio donne sa main à
Lucinda et que le Marquis obtient son pardon en épousant Dorotea.
Mais les unions qui avaient été nouées par les engagements échangés entre les
amants ne peuvent advenir qu’une fois restauré l’accord qui doit exister entre le
caractère et l’état. Comme l’a tant de fois pressenti ou désiré le Duc, qui reconnaissait
son fils dans le valeureux Cardenio bien plus que dans le vil Marquis, les deux
enfants ont bel et bien été échangés. Sur son lit de mort, comme le rapporte
Lisardo, sa femme a confessé devant un notaire et de nombreux témoins que
Cardenio n’était pas son fils, mais le fils du duc qu’elle avait reçu en nourrice, et
que le Marquis était, lui, le fils qu’elle avait eu avec son mari. L’histoire confirme
non seulement les sentiments du Duc mais aussi la règle qui gouverne
immanquablement la relation entre les vertus et les conditions. En faisant du
valeureux Cardenio un fils de paysan qui, en fait, était celui d’un duc, Guillén de
Castro ajoute une péripétie romanesque, dans le goût des histoires tragiques et
sentimentales, au récit qui inspire sa pièce. Mais il fait plus. Il rappelle aux
spectateurs et aux lecteurs que l’ordre social obéit à des lois infaillibles qui font que
bon sang ne saurait mentir.
Comme dans la comedia El Curioso impertinente, que Guillén de Castro composa
dans les mêmes années que Don Quijote de la Macha, entre 1607 et 1609, il adapte
avec liberté une « nouvelle » rencontrée dans le livre récemment paru de Cervantès.
Dans les deux pièces, il invente des personnages absents du premier récit et modifie
l’intrigue selon les nécessités du théâtre — ou de l’idéologie. Aux retours sur le
passé de Don Quichotte est ainsi substitué le déroulement chronologique des
événements ; à l’égalité de conditions entre Cardenio et Luscinda, la fable du fils
de duc pris pour un fils de paysan, et à l’absence du Duc, son autorité souveraine,
seule capable de régler les conflits et de sceller les unions. Mais à la différence du
Curioso impertinente, véritable « novela » sans rapport avec les exploits du chevalier
errant qui n’en est pas même auditeur, les amours de Cardenio et Luscinda, de
Dorotea et de Fernando étaient fortement et durablement imbriqués avec les
extravagances de don Quichotte. Guillén de Castro a pris le parti de conserver
cette trame complexe et, s’il a détaché les scènes où « el loco es gracioso », comme
dit la duègne, et où la folie de don Quichotte le met dans des situations ridicules
et grotesques (don Quichotte battu par les serviteurs du Marquis, don Quichotte
traversant la scène en nageant, don Quichotte dans sa cage), il a multiplié les
rencontres et les dialogues où se croisent le héros et les autres personnages. La
double désignation de la pièce, « Don Quichotte de la Manche, ou les fils
482 ROGER CHARTIER
échangés », exprime bien le lien maintenu entre les deux histoires : celle de
Cardenio, celle de don Quichotte.
En allait-il de même dans la pièce représentée quelques années plus tard à
Whitehall ? Si le Don Quijote de la Mancha de Guillén était très largement l’histoire
de Cardenio, le Cardenio joué par les King’s Men était-il aussi l’histoire de don
Quichotte ? De l’œuvre, il ne subsiste aucun manuscrit et elle n’a jamais été
imprimée. L’historien en est donc réduit à des hypothèses. Un second détour par
le continent, en France cette fois-ci, peut aider à les étayer.
Paris, 1628
En 1628, les comédiens de l’Hôtel de Bourgogne jouèrent une pièce d’un auteur
dont on ne sait presque rien, pas même le prénom : Pichou. Un an plus tard, le
26 août 1629, le libraire parisien François Targa, reçoit un privilège de six ans pour
la publication de l’œuvre, intitulée Les Folies de Cardenio. Achevée d’imprimer en
septembre, le livre comportant la pièce et les « Autres œuvres poëtiques du Sieur
Pichou » (à savoir six poèmes) paraîtra avec la date de 1630. Les Folies de Cardenio
sont l’une des quatre pièces composées par Pichou dans les trois années précédant
sa mort, survenue sans doute à la fin de 1630 ou au commencement de 1631. Les
trois autres, elles aussi donnés à l’Hôtel de Bourgogne entre 1628 et 1630, sont
Les Avantures de Rosileon, tirée de l’Astrée, L’Infidele confidente, inspirée par une
nouvelle de Céspedes y Meneses, traduite par Lancelot mais lue dans l’original
castillan par Pichou, et La Filis de Scire, dont la source est une traduction française
en prose d’une « favola pastorale » de Guidobaldo Bonarelli della Rovere. Dans
leurs éditions de 1630 et 1631, Les Folies de Cardenio et L’Infidele Confidente sont
qualifiées au titre de « tragi-comédie », La Filis de Scire de « comédie-pastorale ».
La pièce de Pichou est la première adaptation théâtrale en France de Don
Quichotte. Tout comme en Angleterre, l’histoire écrite par Cervantès avait circulé
de diverses manières et était devenu fameuse. Dès 1608 et 1609, Nicolas Baudoin
et un traducteur anonyme en avaient donné des extraits en français : le premier en
traduisant la « Nouvelle du Curieux impertinent » dans une édition qui proposait
face à face le texte espagnol et le texte français, le second en publiant selon la même
formule une traduction des amours tragiques du berger Chrysostome (rebaptisé
Philidon) et de Marcelle, racontés par Cervantès aux chapitres XII et XIII, et en y
insérant un discours de don Quichotte comparant les armes et les lettres qui suivait
celui qu’il prononce aux chapitres XXXVII et XXVIII, mais qui reprenait mais
aussi des éléments du chapitre XXI.
Après ces traductions partielles, qui anticipent sur toutes les adaptations qui
s’attacheront aux « nouvelles » plus qu’à la totalité de l’histoire, la première
traduction complète de l’histoire, due à César Oudin, paraît en 1614. Celle de la
Seconde partie est publiée en 1618 dans une traduction de François de Rosset,
traducteur avec François d’Audiguier des Nouvelles exemplaires en 1615 et, cette
même année 1618, des Epreuves et Travaux de Persilès et Sigismunda, le dernier
ÉCRIT ET CULTURES DANS L’EUROPE MODERNE 483
la même gravure pour son édition de 1620 de la Seconde partie et l’insérera dans des
exemplaires de la traduction de la première partie, qu’il avait publiée en 1612.
Pichou n’a donc pas ignoré don Quichotte. Mais, comme l’indiquent le titre et
l’« Argument » de sa tragi-comédie, l’histoire principale qu’elle porte sur la scène est
celle de Cardenio, pas celle du chevalier errant. Celui-ci n’apparaît qu’à la cinquième
scène de l’acte III. Les deux premiers actes sont donc entièrement consacrés à
l’intrigue nouée par la trahison de Fernant (le Fernando de Pichou) qui, après avoir
séduit Dorotée, s’en est éloigné et ne désire plus que conquérir Luscinde. Tout
comme Guillén de Castro, Pichou ne manque pas de mobiliser sur le théâtre les
ressources dramatiques de la scène du mariage entre Luscinde et Fernant, mais en les
transformant à sa façon. Dans la comedia, la cérémonie est conduite par le père de
Lucinda qui enjoint à sa fille de donner sa main au Marquis sans qu’aucun prêtre ne
soit présent, alors que le récit de Cardenio chez Cervantès mentionnait le rôle central
du curé de la paroisse dans le rituel ainsi que la formule catholique du consentement
des époux. Pichou choisit une troisième voie en faisant officier un personnage
nommé « le sacrificateur », qui ouvre le rituel en rappelant le rôle civilisateur du
mariage et, également, la nécessité du consentement. Le « saint » mariage est ainsi
détaché de toute référence au rituel catholique et les serments ou promesses échangés
par les jeunes gens ne sont que des signes leur fidélité amoureuse, sans la force
sacramentelle des « espousailles », qui était le mot choisi par César Oudin pour
traduire, lors de la scène de séduction de Dorotea par Fernando, le terme de
« desposorio » utilisé par Cervantès. Faut-il voir dans cette double récusation des
définitions chrétiennes du mariage une prudence de Pichou, réticent à mettre sur la
scène des hommes d’Eglise puisque, de même façon, le curé du village de don
Quichotte, désigné comme tel par Cervantès et Guillén de Castro, n’apparaît chez
lui que comme « le licentié »? Ou bien doit-on interpréter la théologie toute naturelle
du « sacrificateur » comme une trace des idées et des amitiés libertines de Pichou,
qui avait consacré un long poème intitulé « Stances sur la mort de Théophile en l’an
1626 » à Théophile de Viau, le poète que le parlement de Paris a condamné par
contumace à être brûlé vif pour crime de lèse majesté divine en 1623 et qui est mort
à Paris trois ans plus tard, après plusieurs mois d’incarcération et de service dans les
armées de Montmorency ?
Dans les deux premières scènes du troisième acte Pichou fait montre de sa maîtrise
en contrastant l’immense monologue de Cardenio « dans le desert », long de
118 alexandrins, et les six strophes des stances de Luscinde « dans le monastere ». Le
monologue est un bel exemple de la poésie du macabre qui caractérise l’esthétique
qu’il est convenu, après Rousset, de qualifier de baroque. Il se déploie en plusieurs
temps. Le premier est, pour Cardenio, celui d’une plainte qui dit sa douleur devant la
double trahison (« Un rival me trahit et Luscinde me quitte », vers 704), la peine
suscitée par la perte de l’être aimé, le regret de n’avoir pas tiré vengeance de l’insulte :
« Au lieu que je pouvais, irrité par l’injure, / Chastier l’inconstante et punir le parjure »
(vers 719-720). Seule la mort espérée pourra mettre fin à un sort si malheureux.
ÉCRIT ET CULTURES DANS L’EUROPE MODERNE 485
« C’est trop peu d’un transport si paisible et si doux, / Il faut que mon esprit
s’abandonne au courroux » (vers 737-738) : avec ces vers la plainte de Cardenio se
fait plus violente et emplit la nature toute entière. Les fleurs, les rochers, les arbres
doivent entendre le « bruit affreux » de ses pleurs et de ses sanglots. La didascalie
indique que le mode du monologue a changé : « Il entre en folie. » Celle-ci, comme
dans tant d’autres œuvres qui, elles aussi, ont mis en vers ce motif obligé, s’exprime
par les visions de celui qui a perdu la raison. Renonçant à Luscinde (« Je brise vos
liens, et desja ces desers / Offrent à mon désir des objets que je sers » (vers 757-
758), Cardenio est transporté dans le monde délicieux des amours pastorales où
les » nymphes de ces forests » et les « deïtez bocagères » (vers 759) méritent son
amour bien mieux que la cruelle infidèle.
La scène bascule alors dans le comique, voire la farce puisque, dessillé de son
horrible hallucination et tout à l’exaltation de son « adorable merveille », Cardenio
prend le barbier pour Luscinde et lui dit avec une explicite ardeur le désir qui
l’habite : « Nos esprits s’uniront sur les bors de nos bouches, / Mille amours
voleront à l’entour de nos couches / Et, versant tous leurs traits sur nos corps
embrassez, / Nous recompenseront des outrages passez. / Il me semble desja que
ma main se desrobe / Aux merveilles que cache une envieuse robe, / et que ma
passion languissante à dessein / S’egare entre les lys du visage et du sein » (vers
1227-1234). Effarouché par ces extravagances, le barbier rapproche une nouvelle
fois les deux folies de don Quichotte et de Cardenio (« En recherchant un fou, je
treuve un insensé », vers 1222), avant que ce dernier, interrompu par le licencié,
ne l’agresse comme s’il était le parjure Fernant. Pour bâtir cette scène burlesque,
Pichou se souvient, à la fois, du chapitre XXVII, lorsque le barbier doit être déguisé
en demoiselle affligée dans le stratagème inventé par le curé pour ramener don
Quichotte dans son village, et du chapitre XXIII, quand le chevrier raconte
comment Cardenio, dans ses fureurs, a molesté l’un des bergers en le traitant de
« fementido Fernando », de perfide Fernando ». En les liant, il introduit dans sa
tragi-comédie un moment de rire carnavalesque.
français des archaïsmes et des extravagances dont le premier don Quichotte, celui
de Cervantès, a parsemé sa propre lettre à Dulcinea del Toboso. Bravache sans
courage, le don Quichotte de Pichou est mis en fuite par Fernant, son écuyer et
l’ami qui les a accompagnés dans le monastère dont ils ont arraché Luscinde.
Fernant rosse Sancho et se moque de don Quichotte.
Au dernier acte de la tragi-comédie, les « folies » de Cardenio deviennent celles
de don Quichotte. À l’instar de Guillén de Castro, Pichou achève sa pièce avec
l’une des folies de l’hidalgo. Il ne choisit pas celle où le chevalier mis en cage se
croit victime d’un enchantement. Il préfère faire retour au chapitre XXXV, lorsque
le chevalier errant dit avoir vaincu le géant usurpateur du royaume de la princesse
Micomicona. Mais le temps de mettre fin à la feinte n’est pas encore venue et la
tragi-comédie s’achève avec le départ de don Quichotte en route pour le royaume
de l’infante restaurée dans son droit. Dorotée et Cardenio continuent l’artifice qui
maintient don Quichotte dans sa fantaisie : « Menez-nous, grande reyne, où
l’honneur nous appelle, / Bastir les fondemens d’une paix eternelle » (vers
2105-2106). Ainsi finit la comédie. Ou presque. Pichou, en effet, conclut sa pièce
avec un monologue désabusé de Sancho, retiré de la fable. « Au diable soit le
maistre et sa chevalerie ! / Ce penible mestier vient de sa resverie. / J’ay tout quitté
pour luy, mes enfans, ma maison, / J’ay souffert mille maux, j’ay perdu mon
grison : / O dieux, que je connay mon esperance vaine, / Que j’ay mal employé
ma jeunesse et ma peine » (vers 2113-2118). Quarante plus tard, un autre serviteur,
lui aussi désenchanté, réclamera ses gages à son maître précipité dans les flammes
infernales.
Des représentations de la tragi-comédie à l’Hôtel de Bourgogne, nous ne savons
rien, hors son décor : au fond de la scène, un palais doté de deux ailes, sur celle
située côté cour se trouve la fenêtre où Luscinde apparaît à Cardenio (Acte II,
scène 2) ; plus en avant, côté cour, l’ermitage où Dorotée a cherché refuge et, côté
jardin, une maison au toit de chaume qui est la taverne d’où sortent les personnages
au dernier acte. En revanche les trois rééditions de la pièce en 1633 puis en 1634
(l’une chez Claude Marette en infraction du privilège de 1629, l’autre chez François
Targa, qui avait publié les deux premières), attestent le bon accueil de la pièce.
Lecteur très attentif du texte de Cervantès, Pichou en a retenu les « amoureuses
traverses », comme il écrit dans son « Argument », qui lui permettaient, tout
ensemble, de pratiquer le genre nouveau de la tragi-comédie et de composer de
longs monologues poétiques mobilisant les motifs favoris d’une esthétique de
l’inconstance des êtres et des éléments, située entre les plaintes de la pastorale et
l’effroi du macabre. Dans les Folies de Cardenio, tout comme chez Guillén
de Castro (en dépit du titre de la comedia), don Quichotte ne pouvait être que
le contrepoint burlesque des infortunes des amants séparés. Il ne figure donc dans
la pièce de Pichou qu’en relation avec eux : la rencontre avec Cardenio à l’acte III,
la feinte de la princesse Micomicona à l’acte V. Mais, même ainsi cantonné, le
personnage impose progressivement sa présence dans la tragi-comédie et ce sont
ses extravagances qui ouvrent et achèvent le cinquième acte.
488 ROGER CHARTIER
Les trois œuvres qui ont porté des épisodes du livre de 1605 sur la scène (la
comedia de Guillén de Castro, la pièce jouée à Londres, la tragi-comédie de Pichou)
ont donc privilégié l’histoire sentimentale que Cervantès a croisée avec les exploits
du chevalier et de son écuyer. Si dans les deux textes qui nous sont parvenus grâce
à leur éditions imprimées, ceux de Guillén de Castro et de Pichou, don Quichotte
et Sancho ne sont pas absents, et même de plus en plus présents au fil des actes
de la pièce française, ils demeurent comme un contrepoint comique dans une
intrigue qui est d’abord celle du mélancolique et furieux Cardenio, du fourbe et
finalement généreux Fernando et de deux jeunes femmes constantes dans leur
amour.
Dès les premiers temps de sa réception, Don Quichotte est apparu non seulement
comme la parodie comique des romans de chevalerie (et d’autres genres, picaresque,
pastoral ou théâtral), mais aussi comme une anthologie de « nouvelles » qui
pouvaient fournir aux dramaturges une matière riche en coups de théâtre, en
scènes dramatiques, en sentiments violents et contrastés. Guillén de Castro a lu
ainsi le livre puisqu’il a porté sur les tréteaux des « corrales » non seulement l’histoire
de Cardenio, mais aussi celle du « Curioso impertinente ». Il a pu en aller de même
dans l’Angleterre des commencements du XVIIe siècle où les adaptations théâtrales
de nouvelles ou des romans étaient communes. La circulation du livre de Cervantès
et sa traduction par Shelton offraient de nouvelles possibilités avec ses histoires
emboîtées dans l’histoire, celles de Cardenio, du curieux impertinent et du captif
évadé des bagnes d’Alger. En 1613, c’est la première histoire qui fut représentée
par les King’s Men qui reçurent rétribution pour avoir diverti la cour. L’argent fut
versé à John Heminge, l’un des acteurs et propriétaires, ou « shareholders » de la
compagnie, et non pas à l’auteur, jamais nommé dans les comptes du trésorier de
la Chambre du Roi.
Londres 1653
Le 9 septembre 1653 le libraire Humphrey Moseley fait enregistrer par la
communauté des libraires et imprimeurs londoniens, la Stationers’ Company, les
titres de quarante et une pièces de théâtre sur lesquelles il possède dès lors un
« right in copy », c’est-à-dire un droit de propriété exclusive. Il lui en coûte
20 shillings et 6 pence qui lui assurent, selon les règles de la communauté, le
monopole de l’impression des œuvres qu’il a ainsi « entered », fait enregistrer. Parmi
ces quarante et une pièces (et peut-être plus si l’on admet que, pour réduire le droit
versée à la Stationers’ Company, Moseley a présenté comme une seule pièce portant
un double titre, selon un usage commun du temps, ce qui était en fait deux pièces
différentes), quatre sont attribuées à Master William Shakespeare: « Henry ye.
First, & Hen: ye 2d. by Shakespeare, & Davenport », « The merry Devill of
Edmonton. By Wm: Shakespeare », et « The History of Cardenio, by Mr Fletcher.
& Shakespeare ». Des deux Henry, on ne sait rien, sinon qu’une pièce intitulée The
History of Henry the First avait été autorisée, « licensed », en 1624 et attribuée alors
à « Damport » (pour Davenport). The Merry Devill of Edmonton a pour sa part été
ÉCRIT ET CULTURES DANS L’EUROPE MODERNE 489
enregistrée en 1607 et publiée quatre fois entre 1608 et 1653. Reste The History
of Cardenio qui est sans doute la pièce jouée quarante ans plus tôt à Whitehall et
dont, pour la première fois, les auteurs sont nommés : Fletcher et Shakespeare.
En 1613, une telle collaboration entre les deux auteurs est tout à fait
vraisemblable puisqu’entre 1612 et 1614 ils composèrent ensemble deux autres
pièces : d’abord, All is True, devenue dans le Folio de 1623 The Famous History of
the Life of Henry the Eight (Henry VIII) et qui fut peut-être écrite pour le mariage
du 14 février 1613 entre la princesse Elizabeth et le prince Frederick, l’Électeur
palatin ; ensuite, The Two Noble Kinsmen (Les deux nobles cousins), publiée seulement
en 1634. La page de titre indique que la pièce a été « Written by the memorable
Worthies/ of their time / Mr. John Fletcher, and / Mr. William Shakespeare. Gent. »
dont les deux noms sont enserrés dans une grande accolade qui les unit, l’abréviation
« Gent. » étant placée à la hauteur de l’interligne qui les sépare. The History de
Cardenio serait, à suivre le registre de la Stationer’s Company, la troisième des
collaborations entre les deux dramaturges.
Le sort des trois pièces fut fort différent. Heminge et Condell exclurent
The Two Noble Kinsmen du Folio de 1623, fidèle à leur projet qui entend réunir,
pour leur édition des « Comedies, Histories, & Tragedies » de Shakespeare, « his owne
writings », ses propres écrits, comme ils le disent dans leur adresse « To the great
Variety of Readers ». À la différence du Folio de 1616 voulu par Ben Jonson et qui
présente sous le titre de « THE WORKES OF Benjamin Jonson » seulement neuf
de ses pièces, mais aussi ses masques, ses épigrammes et ses poèmes, le Folio
construit par Heminge et Condell comprend toutes les œuvres théâtrales écrites
par Shakespeare, soit dix-neuf pièces, dont les « rights in copy » ont été apportés ou
rachetés à leurs confrères par les libraires du consortium, et dix-huit autres pièces
jamais publiées et achetées à la troupe des King’s Men. Heminge et Condell n’ont
donc retenu que les pièces dont ils avaient la certitude qu’elles avaient été produites
par le seul génie de Shakespeare. De ce fait, ils ont écarté les pièces dont ils savaient
ou supposaient qu’elles avaient été écrites en collaboration : ainsi, Sir Thomas More,
une pièce probablement composée en 1592 ou 1593, jamais imprimée et que
Shakespeare, à suivre le manuscrit qui en a été conservé, révisa en 1603 ou 1604
avec Henry Chettle, Thomas Dekker et, sans doute, Thomas Heywood, Pericles,
Prince of Tyre, alors même que l’édition quarto de 1609 mentionnait le nom de
Shakespeare sur la page de titre et qui a sans doute été écrite avec George Wilkins,
ou The Two Noble Kinsmen. La monumentalisation de Shakespeare par le Folio,
hautement manifestée par les préliminaires (le portrait gravé, les poèmes de louange,
l’adresse aux lecteurs), suppose l’effacement de la pratique collective du théâtre au
profit de la construction d’un auteur singulier. Le Folio donne donc à lire au
lecteur, sans écart, les œuvres telles que l’« Author » les a « uttered », c’est-à-dire
énoncées comme des poèmes et émises comme des monnaies. La rhétorique de
Heminge et Condell soustrait le texte shakespearien, à la fois, aux corruptions
introduites par les éditions fautives, publiées par d’« injurieux imposteurs »
(« injurious impostors ») et aux contraintes imposées par la collaboration. En
490 ROGER CHARTIER
The History of Cardenio n’entrait donc pas dans les logiques qui ont
construit, avec des dimensions variables, les œuvres, ou l’œuvre de William
Shakespeare. Mais la pièce, si Humphrey Moseley est exact, avait un second auteur
et aurait pu figurer dans l’édition des œuvres théâtrale de John Fletcher, mort en
1625, neuf ans après Shakespeare. Il n’en a rien été. En 1647, le même Moseley
associé à Robinson publie les Comedies and Tragedies écrites par Francis Beaumont
et John Fletcher « Gentlemen » dans un Folio (le troisième pour le genre théâtral
après ceux de 1616 et 1623) destiné à rassembler les pièces jamais imprimées que
les deux dramaturges avaient composées ensemble ou non — ou comme l’annonce
la page de titre « Never printed before, and now published by the Authours
Originall Copies ». En 1647, lorsqu’il publie les trente-cinq pièces qui composent
le Folio, Moseley ne disposait vraisemblablement pas de tous les manuscrits qu’il
fit enregistrer par la Stationers’ Company six années plus tard et parmi eux la seule
pièce attribuée à John Fletcher dans la liste, The History of Cardenio. La réédition
du Folio en 1679 (où sont ajoutées dix-huit pièces) ne comprend pas, elle non
plus, la pièce que Moseley avait acquise mais qu’il n’imprima jamais.
Davenant, cinq de Shirley (qu’il éditera en 1653), deux de Carlell, une de Wilson
et une pièce anonyme. Dans cette perspective, The History of Cardenio enregistrée
en 1653 n’avait pas une particulière importance, si ce n’est qu’avec trois autres
titres (les deux parties de Henry the First et The Merry Devill of Edmonton), elle
avait été composée, au moins en partie, par l’un des quatre dramaturges dont les
œuvres avaient été rassemblées dans le prestigieux format du Folio.
Le « right in copy » acquis par Moseley sur une pièce inspirée par Don
Quichotte peut être également situé dans un autre contexte : le « revival » de
l’histoire de Cervantès à la mi-XVIIe siècle en Angleterre. En 1652, est publiée et
pour la première fois dans le format in-folio une réédition de la traduction de
Shelton, corrigée et amendée, et en 1654, Edmund Gayton fait paraître son
ouvrage Pleasant Notes upon Don Quixot. L’un des poèmes des préliminaires,
intitulé « On Don Quixot with Annotations », commence ainsi : « The famous
Errant Knight of Spaine / Once more here sallies forth againe, / Remounted upon
Rosinante » [« Le fameux Chevalier Errant d’Espagne / Une fois de plus sort de
chez lui, / Monté de nouveau sur Rossinante »]. Le même poème présente
l’« auteur » du livre : « Nor is our Author a Translator, / But a Criticall Commentator ;
/ His Notes he to the Text doth fit, / With English matching Spanish wit. » [Notre
Auteur n’est pas un Traducteur, / Mais un Commentateur Critique ; / Ses Annotations
sont appropriées au Texte, / L’esprit Anglais égalant l’Espagnol].
Gayton met à profit la nouvelle édition de la traduction de Shelton. Chaque
chapitre des quatre livres est introduit par un argument en vers qu’il a composé,
puis suivent les commentaires en prose accrochés à de courtes citations copiées
presque littéralement de la traduction de Shelton. Dans ce texte curieux, qui inscrit
le texte de Cervantes dans le double registre du burlesque et du carnavalesque et
qui associe remarques grivoises, références érudites aux Anciens et allusions aux
contemporains, Gayton propose un troisième récit en anglais des amours de
Cardenio et Luscinda et de Dorotea et Fernando, après la traduction de 1612,
rééditée en 1652, et la pièce de 1613, enregistrée en 1653. Cardenio et don
Quichotte ne sont donc pas absents la révolution anglaise de la mi-XVIIe siècle.
Moseley aurait pu ou aurait dû en profiter pour publier le titre sur lequel il avait
propriété depuis le 9 septembre 1653. Mais il ne l’a pas fait, nous léguant ainsi le
mystère du Cardenio perdu.
B. Séminaire
Les sept séances du séminaire ont toutes été consacrées à des commentaires de
textes liés au cours. Ouverts par une lecture de la fable de Borges El espejo y la
máscara / Le miroir et le masque qui désigne avec une fulgurante acuité le chemin
à suivre pour que les enchantements de la fiction soient replacés au sein des
pratiques de l’écrit qui les nourrissent, s’en emparent et les transmettent, les
commentaires se sont attachés à l’ « Induction » du Knight of the Burning Pestle de
Beaumont (et peut-être Fletcher), au dernier acte de The Spanish Tragedy de
ÉCRIT ET CULTURES DANS L’EUROPE MODERNE 493
C. Publications
1. Ouvrages personnels
— Inscription and Erasure. Literature and Written Culture from the Eleventh to the Eighteenth
Century, tr. Arthur Goldhammer, Philadelphia, University of Pennsylvania Press, 2007.
— Inscrever e apagar. Cultura escrita e literatura (séculos XI-XVIII), tr. Luzmara Curcino
Ferreira, São Paulo, Editora Unesp, 2007.
— La historia o la lectura del tiempo, tr. Mar Garita Polo, Barcelone, Gedisa, 2007.
— Écouter les morts avec les yeux, Collège de France / Fayard, 2008.
— Escuchar a los muertos con los ojos, tr. Laura Fólica, Buenos Aires, Katz, 2008.
3. Articles
— « Les auteurs n’écrivent pas les livres, pas même les leurs. Francisco Rico, auteur du
Quichotte », Agenda de la pensée contemporaine, 7, Printemps 2007, pp. 13-27.
— « El pasado en el presente. Literatura , historia, memoria », Historia, Antropología y
Fuentes Orales, 37, 2007, pp. 127-140.
— « The Order of Books Revisited », Modern Intellectual History, 4, 3, 2007, pp. 509-
519.
— « Lo privado y lo público. Construcción histórica de una dicotomía », « El pasado en
el presente. Literatura, memoria e historia », « Lectores y lecturas populares. Entre imposición
y apropiación », « ¿La muerte del libro ? Orden del discurso y orden de los libros »,
Co-herencia. Revista de Humanidades, Vol. 4, n° 7, 2007, pp. 65-81, pp. 83-102, pp. 103-117
et pp. 119-129.
— « Storie senza frontera : Braudel e Cervantes », Dimensioni e problemi della ricerca
storica, 2, 2007, pp. 145-157.
D. Missions et Conférences
— Cardenio, or How to Read and Perform a Lost Play, 21 février 2008, Durham, Duke
University.
— Movilidad y materialidad de los textos : Don Quijote, 27 février 2008, Princeton,
Princeton University (Department of Spanish Language and Literature).
— Braudel and Cervantes, 27 mars 2008, Princeton, Princeton University.
— Social Mobility and Textual Mobility. From the Exemplary Novels to Don Quixote,
21 avril 2008, Windsor (Canada), University of Windsor.
— « Cómo lo pintan en su libro ». Las tres primeras iconografías de Don Quijote, 12 mai
2008, Madrid, Circulo de Bellas Artes.
— 4 conférences sur le thème Literatura y cultura escrita (La fábrica del libro, La
materialidad de las obras, La movilidad de los textos, La construcción del sentido), 2-5 juin
2008, Mexico, Instituto Mora (Cátedra Marcel Bataillon).
— Aprender a leer, leer para aprender, 6 juin 2008, Mexico, Fondo de Cultura
Económica.
— ¿La muerte del libro ?, 9 juin 2008, Mexico, Universidad Nacional Autónoma de
Mexico (Departamento de Biblioteconomía).
— Cardenio y Don Quijote sobre las tablas, 20 juin 2008, Rio de Janeiro, UNIRIO.
— Representaciones de las prácticas, prácticas de la representación, 21 juillet 2008, San
José, Université du Costa Rica.
2. Colloques internationaux
— Cultura escrita : nuevos retos, nuevas perspectivas, 10-13 septembre 2007, Madrid,
Círculo de Bellas Artes et Université Carlos III.
— Jornadas Interescuelas de Historia, 19-21 septembre 2007, Tucumán, Université de
Tucumán.
— Censorship in Early Modern Europe, 11-12 décembre 2007, Barcelone, Université de
Barcelone.
— Publishing in Spain and Latin America, 28 février 2008, Princeton, Princeton
University.
— Congreso de la Asociación de los Bibliotecarios de América Latina, 11 juin 2008,
Mexico, Universidad Nacional Autónoma de Mexico.
— Congreso de los Historiadores de América Central, 21-25 juillet 2008, San José,
Université de Costa Rica.
3. Cours et séminaires
Cours à l’Université de Pennsylvanie, Philadelphie, entre janvier et avril 2008
— The Mediterranean World at the Age of Don Quixote (séminaire pour
undergraduates).
— What Is a Book ? (séminaire pour graduate students).
Cours à l’Université International Menéndez Pelayo, Valencia, 2-4 juillet 2008
— Cultura escrita y literatura (siglos XVI-XVIII).
Histoire contemporaine du monde arabe
Thème d’actualité s’il en est, le terrorisme mobilise non seulement les acteurs
politiques, mais également les différents champs des sciences sociales, pour
comprendre les significations qui lui sont attribuées et les pratiques qu’il revêt. Les
aspects historiques et juridiques du terrorisme font l’objet de la réflexion théorique
engagée, au cours de cette journée, par les chaires des professeurs Mireille Delmas
Marty (d’Études juridiques comparatives et internationalisation du droit) et Henry
Laurens (Histoire du monde arabe contemporain), qui convient au débat des
juristes et des historiens. Pour la partie historique, il s’agit de tenter une typologie
historique du terrorisme, articulée autour de la construction des États-nations et
des formes de contestations politiques. L’objectif étant de repérer dans le temps les
glissements et la diversité des formes de violence politique.
498 HENRY LAURENS
Quatre heures de cours ont été données sur la Question de Palestine à l’université
Saint Joseph de Beyrouth. La conjoncture politique a fait que les cours suivants
n’ont pu être donnés.
Dans le cadre des activités de l’Institut du Contemporain, un colloque conjoint
avec la chaire de Rationalité et sciences sociales de Jon Elster a été tenu les 6 et
7 décembre 2007 sur le sujet « Mimétisme et fausses représentations dans les
guerres civiles ».
Jim Fearon, Stanford University, Comments on Leonard Binder’s « Identity, Culture, and
Collective Action ».
Henry Laurens, Collège de France, Qu’est-ce qu’une communauté confessionnelle ?
Édouard Méténier, Collège de France, La production sociale de la violence politique : le
cas de l’Irak.
Jihane Sfeir, Collège de France, Parcours politiques et modes d’engagement de combattants
chiites dans la guerre civile libanaise.
Reina Sarkis, Université Paris VII Altérations psychiques et guerres infinies.
Activité de l’équipe
Recherche
2008-2009 : Post-doctorante responsable de la coordination du programme ANR
Archiver : les pratiques historiographies au Moyen-Orient. Institut d’études de l’Islam et des
Sociétés du Monde Musulman (EHESS)/Collège de France. Paris.
2007-2009 : Participation au programme ANR « Mémoires de guerre » Institut Français
du Proche-Orient et Université Saint-Joseph. Beyrouth.
2006-2008 : Participation au projet Cedre (CEIFR/CNRS/USJ) « Le passage des
frontières ». Paris-Beyrouth.
Enseignement
2008-2009 : Responsable du séminaire IISMM/Collège de France : « Historiographie
contemporaine du monde arabe ». Co-direction avec Édouard Méténier.
Septembre 2007-décembre 2007 : Assistant Professor, Université Américaine de Paris
« Methodology on Islam (Master Middle-East Studies) : Frantz Fanon Wretched of the
Earth, Edward Said Orientalism » et « Palestinian Condition : History, Refugees and Every
Day Life » (Master Middle-East Studies).
Publications
Ouvrage
L’exil palestinien au Liban : le temps des origines 1947-1952, IFPO/Karthala, Beyrouth/
Paris, 2008.
« Éclatement d’une société et dispersion d’un peuple : les récits de la Hijra de 1948 », in
Leslie Tramontini et Chibli Mallat (ed.), From Baghdad to Beirut, Arab and Islamic Studies
in honor of John J. Donohue s.j., Orient-Institut, Beyrouth, 2007, pp. 427-462.
Interventions
2007
13-14 décembre : participation au colloque « Palestinian Citizenships and Identities »,
organisé par l’Institut Français du Proche-Orient (IFPO) et l’Institute for Palestine Studies
(IPS) à l’Université Américaine de Beyrouth. Intervention : « Palestinians in Lebanon : the
Birth of the Enemy Within ». Beyrouth.
6-7 décembre : Participation au colloque organisé au Collège de France : « Masques et
voiles dans les guerres civiles » (sous la direction de Henry Laurens et de Jon Elster).
Intervention sur « Parcours politiques de combattants chiites dans la guerre civile libanaise ».
Paris.
5 décembre : participation à une journée d’étude organisée par le Laboratoire
d’Anthropologie Urbaine (UPR34/CNRS), dans le cadre du programme ANR « Liban,
mémoires de guerre : pratiques, traces et usages » entamé à l’Institut Français du Proche-
Orient, en partenariat avec l’Université Saint-Joseph de Beyrouth en janvier 2007.
Intervention : « Nom de guerre : Bassel ; Portrait d’un combattant chiite. ». Paris.
29 novembre : intervention au séminaire « Guerre et société dans le monde arabe
contemporain : les figures du combattant » dirigé par Nadine Picaudou (CEMAf, Univ.
Paris I) ; Pierre Vermeren (CEMAf, Univ. Paris I) ; Raphaëlle Branche (CHS, Univ.
Paris I) ; Sylvie Thénault, (CHS, CNRS) : « Parcours politiques et modes d’engagement de
combattants chiites dans la guerre civile libanaise ». Paris.
29-31 octobre : Participation à la table-ronde « Regards croisés sur les recompositions
sociales, territoriales et identitaires dans les pays du Sud », Programme de Coopération pour
la Recherche Universitaire et Scientifique, (CORUS/ENA Meknès/IRD), Rabat.
Intervention : « Citoyennetés, Identités et territorialités palestiniennes». Rabat.
17 octobre : présentation avec Édouard Méténier du séminaire d’études IISMM/Collège
de France : « Historiographie contemporaine du monde arabe ». Paris.
2008
19 juin : Intervention dans le cadre des jeudis de l’Institut du Monde Arabe sous le titre :
« La mémoire palestinienne de 1948 ». Paris.
24 Avril : Conférence à l’Institut Français du Proche-Orient autour de « L’exil palestinien
au Liban ». Beyrouth.
15 Mai : Intervention au Centre de Formation des Journalistes. Paris.
18 Mai : Participation à la conférence autour des 60 ans de la Nakba. Bruxelles.
4 mars : Présentation de mon ouvrage « L’exil palestinien au Liban : le temps des origines,
1947-1952 » Édité par Karthala et l’Institut français du Proche-Orient (2008). Collège de
France. Paris.
Leyla Dakhli
De février à juin 2008, animation d’un séminaire sur « Le monde des journalistes arabes,
un milieu, un métier : questionnements et itinéraires » (séminaire EHESS accueilli dans les
locaux du Collège de France).
HISTOIRE CONTEMPORAINE DU MONDE ARABE 503
Publications
— Une génération d’intellectuels arabes. Syrie et Liban, 1908-1940, éditions Khartala-
IISMM (à paraître en septembre 2008).
— « The “Mahjar” as literary and political territory in the first decades of the 20th
century : the example of Amîn Rîhânî (1876-1940) », in The Arab Intellectual and the
Question of Modernity, forthcoming 2009, Routledge.
— « Le pouvoir aux savants, parcours d’une génération intellectuelle en Syrie et au Liban
(1908-1940) », in Savoirs et pouvoirs. Genèse des traditions et traditions réinventées,
Maisonneuve et Larose, octobre 2007.
— Note de lecture de Bernard Rougier, Everyday Jihad, The Rise of Militant Islam among
Palestinians in Lebanon, Harvard University Press, Cambridge MA, 2007, pour Le
Mouvement Social. http://mouvement-social.univ-paris1.fr/document.php?id=1091.
— Note de lecture de Mansoor Moaddel, Islamic Modernism, Nationalism, and
Fundamentalism. Episode and Discourse, The University of Chicago Press, Chicago, 2005,
pour les Annales HSS (à paraître n° 4 - 2008).
Rationalité et sciences sociales
L’irrationalité
rationnel il est sans doute commode de s’en prendre à ses avocats les plus grossiers,
pour lesquels il semble en effet aller de soi que l’agent rationnel ne poursuit que
son intérêt propre. Or c’est une victoire trop facile, car c’est une position qui n’est
défendue par aucun économiste sérieux. En réalité, une motivation désintéressée
comme l’altruisme est non seulement compatible avec la rationalité, mais elle
l’exige. Si j’alloue une partie de mon revenu à la réduction de la pauvreté dans le
tiers-monde, le même souci désintéressé qui m’y conduit doit aussi me faire
rechercher la fondation philanthropique qui en fasse le meilleur usage. Si mon
argent finit par profiter plus aux fonctionnaires de la fondation — ou aux
dictateurs — qu’aux pauvres, on pourra mettre en question non seulement mon
altruisme mais également ma rationalité. Le cours explore à cet égard ce que les
économistes appellent le « warm glow » (dans ma terminologie « l’effet Valmont »)
qui correspond au plaisir ressenti dans toute action altruiste.
Il est tout à fait possible que certains comportements d’apparence altruiste soient
en effet motivés par un désir d’autosatisfaction. Or il faut ajouter que dans cette
hypothèse il faut aussi présupposer l’irrationalité, sous la forme de la duperie de
soi-même. Afin d’obtenir la satisfaction intime d’avoir fait le bien, il faut penser
avoir agi pour le bien d’autrui. En de tels cas, on ne peut pas garder à la fois
l’hypothèse de motivations égocentriques et l’hypothèse de rationalité.
La théorie de l’homme économique comporte aussi une troisième composante :
l’hypothèse que chaque agent est parfaitement informé de la situation de tous les
autres acteurs. Il sait en particulier qu’ils sont rationnels, leur motivation intéressée,
et qu’ils sont eux aussi parfaitement informés. Cette composante est surtout
importante dans les jeux stratégiques. Elle est un peu moins essentielle que les deux
autres composantes, en ce sens qu’on peut souvent obtenir des prédictions précises
même dans le cas d’information imparfaite. Elle a pourtant une place dans le type
idéal de l’homme économique.
Une quatrième composante, dont le statut est assez différent, est celle de
l’individualisme méthodologique, selon lequel, en gros, l’élucidation complète de
la psychologie individuelle ferait disparaître la sociologie. Il n’entre pas dans mon
propos ici de défendre cette doctrine, à laquelle je souscris profondément. Il
convient néanmoins d’observer que, contrairement à ce que l’on peut lire chez les
durkheimiens, l’individualisme méthodologique n’implique ni la rationalité des
agents ni leur motivation intéressée. En fait, tout ce que je dis dans ce cours sur
les comportements irrationnels présuppose un cadre individualiste. On peut donc
retenir cette dernière composante de la théorie de l’homme économique tout en
rejetant ou en critiquant les trois autres.
Trois des idées dont je viens de parler — la rationalité, les motivations intéressées,
et l’individualisme méthodologique — sont strictement indépendantes les unes des
autres. Il existe pourtant une idéologie bien-pensante selon laquelle elles sont
étroitement solidaires et, bien entendu, sont toutes à rejeter. Qui défend l’une
d’entre elles est accusé, par réflexe, d’accepter les autres. Le présent cours est
RATIONALITÉ ET SCIENCES SOCIALES 507
Introduction
L’idée d’irrationalité est d’origine relativement récente, comme l’est aussi celle
de rationalité par contraste avec laquelle elle se définit. On affirme souvent que la
notion de rationalité instrumentale dans son sens contemporain date des années
1860-1870, quand eut lieu la révolution marginaliste en économie. Il me semble
plus exact de remonter à Leibniz, qui concevait le choix par Dieu du meilleur des
mondes possibles par analogie avec l’entrepreneur rationnel.
Même si l’idée de la rationalité instrumentale est de date assez récente, le
comportement rationnel est de tous les temps. Il en va de même de l’irrationalité.
Pour les anciens, cependant, les phénomènes irrationnels étaient liés aux
perturbations physiologiques et viscérales. L’irrationalité était essentiellement
508 JON ELSTER
1 2 3 4
on dirait sans doute que cet individu constitue le paradigme même de l’irrationalité.
Du point de vue que j’adopte dans ce cours, il n’en est rien. Je serais prêt à dire
qu’il se comporte bêtement, mais la bêtise n’est pas la même chose que l’irrationalité.
D’un point de vue objectif, cet individu souffre des effets de ses actions, ce qui
n’exclut pas que de son point de vue subjectif il fasse ce qui lui semble le mieux.
Dans ce cours, j’adopte une définition résolument subjective des notions du
rationnel et de l’irrationnel, non pas que cette définition soit plus « correcte »
qu’une autre, idée qui d’ailleurs n’a pas de sens, mais simplement parce qu’elle me
semble la plus utile à mes fins.
En ce qui concerne ces fins, elles sont surtout explicatives. La théorie du choix
rationnel suggère des hypothèses dont on peut se servir pour rendre compte des
comportements observés. De même, l’intérêt des mécanismes de l’irrationalité est
de fournir des outils pour l’explication de l’action. Cela dit, la théorie du choix
rationnel est aussi, et même d’abord, une théorie normative. Elle dicte à l’agent ce
qu’il doit faire afin de réaliser ses projets au mieux possible. Une fois établie cette
prescription, l’observateur peut la transformer en prédiction. En posant comme
hypothèse explicative que l’individu dont il s’agit est en effet rationnel, on vérifie
celle-ci en comparant son comportement observé avec le comportement que
recommande la théorie.
Il importe de voir que cette vérification fournit un critère nécessaire mais non
suffisant de la rationalité du comportement. Autrement dit, même un comportement
qui est conforme aux prescriptions de la théorie du choix rationnel pourrait être le
résultat d’un mécanisme irrationnel. Ou bien, pour le dire encore autrement, la
rationalité ou l’irrationalité d’une action n’est pas un attribut de l’action elle-même
mais du processus qui l’engendre. Le cours explore également les mécanismes
susceptibles de « mimer » la rationalité (c’est-à-dire où tout se passe « comme si »
l’agent était animé par la rationalité subjective, même lorsque l’on peut démontrer
que tel n’est pas le cas), tels que la sélection naturelle. On rencontre parfois l’idée de
la rationalité des émotions, fondée sur l’efficacité des réactions émotionnelles et
quasi automatiques aux situations dangereuses. Or à mon avis il ne faut pas confondre
le caractère adaptatif de ces réactions et leur prétendu caractère rationnel. Le fait que
la sélection naturelle ait produit des comportements qui sont souvent les mêmes que
ceux qu’aurait choisis un agent rationnel ne prouve en rien qu’il s’agit d’actions
rationnelles. De manière plus importante, je montre dans les deux conférences sur
les passions que la simulation de la rationalité par la sélection naturelle risque d’être
imparfaite, et que les réactions émotionnelles au danger enfreignent souvent les
normes de la rationalité. Le comportement des gouvernements occidentaux à la suite
du 11 septembre 2001 en offre sans doute un exemple.
A mon avis, l’influence de la sélection naturelle sur la capacité à faire des choix
rationnels délibérés est beaucoup plus importante que l’existence en nous, produite
par l’évolution, de réactions automatiques capables de simuler la rationalité. Il
s’agit en quelque sorte d’une distinction entre la vente en gros et la vente au détail.
510 JON ELSTER
hypothèses ne confrontent pas le monde une par une, mais en bloc et de manière
simultanée. Même lorsqu’une expérience est conçue afin de sonder une hypothèse
précise, un résultat négatif n’infirme pas forcément celle-ci, car il se peut que le
coupable soit l’une des hypothèses auxiliaires adoptées implicitement ou
explicitement par le chercheur. Dans le cas qui nous concerne ici, il est parfois
difficile de savoir si les résultats d’une expérience donnée réfutent l’hypothèse de
la rationalité ou celle d’une motivation intéressée. Dans mon cours de l’année
dernière, j’ai cité le comportement électoral comme un exemple possible. Pour
expliquer pourquoi les électeurs se donnent la peine de voter, on peut comprendre
leur vote comme un don à la société. Ce serait l’explication par le désintéressement.
On pourrait également interpréter leur décision de se déplacer pour voter comme
l’effet d’une sorte de pensée magique. Chaque individu se dirait, de manière plus
ou moins consciente, que s’il vote, d’autres avec les mêmes caractéristiques que lui
le feront également. « Si je vote, ceux qui sont comme moi voteront aussi. » Ce
serait l’explication par l’irrationalité.
Je voudrais dire deux mots sur le rôle de l’inconscient dans les phénomènes
irrationnels. Il me semble évident que les processus inconscients y jouent un rôle
important. La réduction de la dissonance cognitive et la formation de croyances
motivées sont des processus qui se déroulent « dans le dos » de l’agent, sans qu’il
en soit conscient. Il ne s’agit pas là d’un constat empirique, mais d’une vérité
conceptuelle. La nature exacte de ces processus nous est largement inconnue. On
peut déduire leur existence à partir de leurs effets, un peu comme on a déduit
l’existence de la matière noire dans l’univers.
suppression d’une croyance initiale plus pénible encore que mieux fondée. Or
comme on le sait depuis Sartre, nommer l’instance mentale qui effectue cette
suppression cause des problèmes formidables.
De plus, il faut se demander si les croyances inconscientes ont en commun avec
les croyances conscientes de pouvoir servir de prémisses à l’action. Considérons
l’exemple hypothétique suivant. Un homme se ment à lui-même sur la fidélité de
son épouse, ayant supprimé la conscience du fait qu’elle le trompe avec son
meilleur ami. Afin qu’il puisse rester ignorant au niveau de la conscience, son
inconscient l’empêche de se promener dans les parties de la ville où il risquerait de
rencontrer son épouse avec son amant. En principe, on pourrait tester l’hypothèse
d’une croyance inconsciente en annonçant au sujet que l’amant de sa femme va se
trouver en tel lieu, où le sujet se rend régulièrement, un jour donné, pour voir s’il
évite d’y aller. Dans la conférence sur les croyances motivées on voit que certaines
expériences psychologiques suggèrent la possibilité d’une telle manipulation des
sujets par leur inconscient. Tant que le problème de l’instance de la suppression
n’est pas résolu, l’interprétation de ces résultats reste pourtant fragile. L’idée
d’émotion inconsciente est ambiguë. Il y a des émotions qui s’ignorent, et des
émotions qu’on supprime. Un observateur peut constater la colère ou l’amour
chez une personne qui n’a pas elle-même conscience de ressentir ces émotions.
Dans une culture qui n’a pas conceptualisé la notion de dépression, comme c’est
apparemment le cas à Tahiti, un jeune homme dont l’amie l’a quitté pour un
autre et qui exhibe toutes les signes cliniques de la dépression, dira simplement
qu’il est « fatigué ».
Les émotions qu’on supprime mais qui persistent dans l’inconscient présentent
un problème plus aigu. Nous avons tous, sans doute, observé la transmutation de
l’émotion de l’envie en indignation. Un observateur constate sans difficulté la
persistance de l’envie, par le ton des remarques dérogatoires que fait le sujet envieux
sur l’objet de son émotion, mais le sujet lui-même se voit dans un état de juste
colère. Nous avons affaire dans ce cas non pas à une simple ignorance, mais à une
ignorance motivée. La nature hideuse de l’envie induit un désir de la supprimer
ou de la transmuer, mais même reléguée à l’inconscient, elle continue d’exercer
une influence causale sur le comportement. On ne comprend pas très bien
comment cela se fait, mails il est difficile de nier l’existence du phénomène.
Voici le schéma de base qui sert de cadre conceptuel pour le cours tout entier.
Les flèches épaisses ont une double interprétation, puisqu’elles représentent à la
fois des relations de causalité et des relations d’optimalité. Considérons les rapports
entre action, désirs et croyances. D’une part, les flèches indiquent que l’action
choisie est le meilleur moyen de réaliser les désirs de l’agent, étant donné ses
croyances. D’autre part, elles indiquent que ces désirs et ces croyances constituent
les causes de l’action. Nous avons vu que Max Weber, en soulignant uniquement
l’optimalité de l’action rationnelle, a sous-estimé l’importance des relations
causales.
RATIONALITÉ ET SCIENCES SOCIALES 513
Action
Informations
Les flèches minces, en revanche, représentent des relations causales qui ne sont
pas en même temps des rapports d’optimalité. Dans le cours, ces relations causales
ont évidemment une grande importance. Sans entrer dans tous les détails,
considérons simplement la flèche qui va des désirs vers les croyances. Cette
influence causale équivaut en gros à prendre ses désirs pour des réalités. On forme
la croyance que le monde est tel qu’on voudrait qu’il soit. Je dis « en gros »,
puisqu’on a déjà vu des cas, comme celui de la jalousie d’Othello, dans lesquels
l’agent tend à former les croyances qu’il a intérêt à trouver fausses.
Le schéma représente l’explication non seulement d’une action, mais également
des croyances de l’agent et de sa recherche d’information. De manière plus précise,
ce dernier explanandum comprend la quantité de ressources — que ce soit en
temps ou en argent — que l’agent consacre à l’acquisition de nouvelles informations,
en sus de celles qu’il possède déjà. Cette variable, souvent négligée dans l’analyse
du choix rationnel, est d’une importance fondamentale. On verra notamment que
plusieurs formes d’irrationalité ont leurs origines dans un investissement soit
insuffisant soit excessif dans l’acquisition d’information.
L’acquisition d’information est une action ou un ensemble d’actions. Donc de
manière générale, l’action principale se double d’une action secondaire ou préalable,
sauf si l’agent décide de ne recueillir aucune information supplémentaire. Dans
514 JON ELSTER
Pour revenir au schéma, les antécédents directs de l’action sont les désirs (ou
préférences) et les croyances (ou opinions) de l’agent. Dans ma conception, les
croyances et les opinions sont de nature exclusivement positive. Même si l’on dit
couramment, « A mon avis l’avortement est inacceptable », je compte de telles
propositions comme l’expression d’une préférence plutôt que d’une opinion. Pour
éviter tout malentendu, il convient aussi de préciser que je n’utilise pas le mot
« préférence » au sens d’un simple goût, ni le mot « désir » au sens d’une impulsion
plus ou moins violente. Ce sont des termes techniques qui couvrent toutes sortes
de motivations, hédoniques, esthétiques, éthiques ou autres.
Il vaut peut-être la peine de s’attarder un instant sur deux différences entre la
notion de désir et celle de préférence. Les préférences mettent nécessairement en
jeu deux objets ou plusieurs, pour les comparer, tandis qu’un désir porte sur un
seul objet et ne comporte en lui-même aucun élément comparatif. Ainsi on peut
parler d’un renversement de préférences, mais seulement d’un changement de
l’objet du désir. Cette distinction va s’avérer importante dans les analyses de ce que
l’on peut appeler l’irrationalité diachronique.
Un système de préférences est susceptible d’être incohérent, si par exemple on
préfère un objet X à un autre objet Y, l’objet Y à l’objet Z, et enfin Z à X. Un
désir est incohérent si la description de son objet comporte une contradiction,
comme c’est le cas du désir d’être présent à ses propres funérailles pour y entendre
son oraison funèbre. Cette distinction est pertinente pour les analyses de
l’irrationalité synchronique.
J’opère également une distinction dans le cours entre préférences substantielles
et préférences formelles. Les premières expriment l’attitude de l’agent envers des
objets spécifiques, comme une préférence pour les oranges sur les pommes ou la
préférence pour un candidat politique sur un autre. Les dernières expriment
l’attitude envers le temps et envers le risque. On peut ainsi préférer un bien
moindre immédiat à un bien plus important mais futur. Je parlerai alors
d’impatience. Un agent peut aussi avoir une préférence pour l’action immédiate
par rapport à une action différée. Dans ce cas, je parlerai d’urgence. Enfin, on
observe souvent l’aversion pour le risque, quand un agent préfère un bien sûr à un
bien incertain ayant une valeur attendue plus élevée.
Pour illustrer :
L’impatience : l’agent préfère 100 euros aujourd’hui à 200 euros dans un an.
L’urgence : l’agent préfère agir aujourd’hui pour obtenir 100 euros après-demain plutôt
qu’agir demain pour obtenir 200 euros après-demain.
Le risque : l’agent préfère 100 euros à une loterie qui lui donne ou bien 50 euros avec
une probabilité de 50 % ou bien 200 euros avec une probabilité de 50 %.
Tandis que l’impatience et le risque sont des phénomènes bien connus, l’urgence
l’est moins. Dans le cours, je défends néanmoins l’idée que dans les choix faits sous
l’impulsion de l’émotion, l’urgence est susceptible de prendre une importance
considérable.
516 JON ELSTER
Les croyances sont ou bien factuelles ou bien causales. Autrement dit, elles portent
sur l’existence des diverses actions qu’on pourrait choisir ainsi que sur les
conséquences du choix de l’une d’entre elles. On risque de mal choisir faute d’avoir
assez réfléchi aux conséquences à long terme de chacune des actions possibles, mais
aussi faute d’avoir parcouru une gamme d’options suffisamment large. La distinction
est importante surtout en ce qui concerne la recherche d’informations
supplémentaires. Il y a souvent un arbitrage entre l’exploration en profondeur des
conséquences du choix de l’une des options connues et l’exploration en extension
du champ des options. Cet arbitrage est pourtant sujet à une incertitude profonde.
Les croyances qui portent sur les conséquences de l’action sont susceptibles
d’avoir deux composantes. D’une part, l’agent peut croire que s’il fait A, une des
conséquences X, Y ou Z va se produire, tandis qu’il peut exclure les conséquences
V et W. D’autre part, il peut assigner une probabilité numérique précise à chacune
des conséquences. Comme toute probabilité, il s’agit d’une évaluation subjective,
même si elle peut s’appuyer en partie sur des fréquences objectives. Si la croyance
comporte la première composante mais non pas la seconde, nous avons une
situation d’incertitude, tandis que la présence des deux composantes définit une
situation de risque.
Pourtant il convient de nuancer un peu. Dans la définition technique de
l’incertitude, on suppose qu’exactement une des conséquences possibles va se
produire. Elles sont mutuellement exclusives et conjointement exhaustives. Pour
que l’agent puisse faire cette appréciation très précise, il faut évidemment qu’il ait
une connaissance très approfondie de la situation. Dans la pratique, on imagine
mal qu’il ne puisse pas s’appuyer sur cette connaissance afin de former une opinion
sur la probabilité relative des diverses conséquences. Même s’il est incapable
d’assigner des probabilités quantitatives précises, il peut du moins conclure que
telle conséquence est plus probable que telle autre.
Par contraposition, si l’agent est vraiment incapable de dire quoi que ce soit sur
la probabilité relative des conséquences, on ne peut pas lui imputer une appréciation
précise des conséquences possibles. Selon la formule désormais célèbre de Donald
Rumsfeld, la situation peut comporter des « inconnus inconnus », unknown
unknowns, qui viennent en sus des « inconnus connus» dont on connaît la nature
tout en ignorant leur probabilité. Dans la présence d’inconnus inconnus, il convient
de parler d’ignorance plutôt que d’incertitude. Le réchauffement climatique en est
sans doute un bon exemple. Les effets lointains et indirects du réchauffement sont
susceptibles, et même presque certains, de prendre des formes dont nous n’avons
aujourd’hui aucune idée.
La pertinence de ces questions pour le thème du cours est double. D’une part, les
phénomènes d’incertitude et d’ignorance affaiblissent la force normative et prédictive
de la théorie du choix rationnel. Puisque l’agent fait son choix en fonction des
conséquences probables des diverses options, une connaissance moins complète de
celles-ci limite sa capacité à faire un choix rationnel. Même s’il est parfois possible
RATIONALITÉ ET SCIENCES SOCIALES 517
Le cours couvre également les cas de figure dans lesquels l’agent est piégé dans
et par ses croyances, semblable à l’agent myope qui est piégé dans et par son
horizon temporel court, ainsi que de « l’ignorance pluraliste », c’est-à-dire les
comportements collectifs qui se maintiennent par les croyances fausses, stables et
s’auto-justifiant qu’ont les agents sociaux les uns des autres. Pour simplifier il s’agit
d’une situation où on suppose que la croyance ou le désir en question est peu
répandu mais qu’il y une croyance très répandue qu’ils sont très répandus.
J’explique dans le cours la logique de l’ignorance pluraliste par des exemples qui
permettent aussi d’introduire une application importante de la théorie du choix
rationnel, à savoir la théorie des jeux. A travers les exemples du Dilemme du
Prisonnier ou du Jeu de l’Assurance, je propose de distinguer l’irrationalité non
seulement de la bêtise, mais également de la malchance, qui s’avère en fait subsumer
la bêtise. Il serait facile, par exemple, de taxer de bêtise le toxicomane qui meurt
d’une surdose à vingt ans. Dans certains cas, l’accusation est sans doute justifiée,
mais elle ne l’est pas si la seule et unique cause de son addiction se trouve dans le
fait d’avoir un taux d’escompte du futur élevé. Bien que la psychologie ne soit pas
encore en mesure d’expliquer la myopie de certains individus, il est certain que
celle-ci n’est jamais choisie. L’individu myope est piégé.
Publications 2007-2008
« The night of August 4 1789 : A study in collective decision making », Revue Européenne
des sciences sociales, 2007.
Études juridiques comparatives et internationalisation du droit
Dans notre quête de valeurs communes, nous étions partis d’une intuition : on
identifie plus facilement ce qui choque la conscience commune que ce qui lui plaît.
Nous avions donc choisi de commencer par la face la plus sombre, celle des Interdits
fondateurs, ceux dont la violation caractérise les crimes à vocation universelle.
Quand on passe à l’autre face, des interdits fondateurs aux droits que l’on persiste
à nommer « fondamentaux », le mystère ne s’éclaircit pas pour autant. Même à
l’échelle nationale, le « socle » des droits de l’homme a été inscrit dans les constitu-
tions bien après les « piliers » de la légalité et de la garantie judiciaire : en France, il
faut attendre 1971 pour que le Conseil constitutionnel intègre la Déclaration des
droits de l’homme de 1789 au « bloc de constitutionnalité » et 1974 pour qu’une
réforme élargissant la procédure de saisine à un groupe de soixante parlementaires
vienne transformer le Conseil en organe de contrôle quasi juridictionnel 1. Au plan
international, il faut attendre la même année 1974 pour que la France ratifie la
C’est ainsi que sont nés les comités d’éthique dont les avis, purement consultatifs,
sont rendus au cas par cas. Si les méthodes sont apparemment opposées, entre un
droit international des droits de l’homme qui commence par définir des principes
que l’on espère stables et la démarche éthique qui dégage des solutions nécessairement
évolutives, les interactions sont évidentes, comme en témoignent d’une part des
textes comme la convention sur « les droits de l’homme et la biomédecine »
(Conseil de l’Europe) ou la déclaration sur « les droits de l’homme et la bioéthique »
(Unesco), d’autre part la casuistique des cours internationales.
En somme, qu’on invoque les droits de l’homme directement ou par le biais des
comités d’éthique, l’universalisme se cherche toujours par le dialogue et l’approfon-
dissement. D’où notre hypothèse que, même s’ils sont dits « fondamentaux », les
droits de l’homme fonctionnent moins comme des concepts constituant un socle de
valeurs universelles, qui détermineraient des réponses supposées définitives, que
comme des processus transformateurs qui déclenchent un mouvement de mise en
compatibilité des différences.
Nous avons tenté de le montrer à partir de trois couples antagoniques : « vie/
mort », « humain/inhumain » et « humain/non humain ». S’ils n’épuisent évidem-
ment pas la question de l’universalisme des droits de l’homme, du moins ces couples
ont-ils le mérite d’illustrer la dynamique selon laquelle les droits de l’homme contri-
buent à l’élaboration, interactive et évolutive, de valeurs universalisables.
Le couple « vie/mort »
Si toutes les cultures valorisent la vie humaine, les instruments internationaux
n’en font pas une valeur absolue, admettant explicitement diverses exceptions, de
la peine de mort à la guerre, en passant par la légitime défense, et laissant ouvertes
des questions comme l’avortement ou l’euthanasie, renvoyées à la jurisprudence
nationale et internationale.
Qu’il s’agisse d’attribuer le pouvoir de disposer de la vie, ou encore de situer le
moment de la naissance et de la mort, les réponses s’inscrivent en effet dans une
diversité culturelle devenue source de désaccords. Hannah Arendt évoquait la
différence entre la vie humaine bornée par un commencement et une fin (bios) et
le mouvement cyclique que la nature (zôè) impose à tout ce qui vit, « ne connaissant
ni mort ni naissance au sens où nous entendons ces mots » 2. C’est pourquoi,
constatant que « la naissance et la mort des êtres humains ne sont pas de simples
évènements naturels », elle avait clairement souligné leur origine culturelle.
D’où les nombreux désaccords, culturels et souvent religieux, car les questions
liées au respect du droit à la vie s’inscrivent dans des conceptions fortement
enracinées dans l’histoire de chaque peuple. Il n’est donc pas surprenant que les
cours régionales des droits de l’homme soient restées particulièrement circonspectes
L’hypothèse que nous avons proposé de vérifier est un peu différente dès lors que
les droits de l’homme sont perçus, non comme des concepts déjà stabilisés (des
textes sacrés), mais comme des processus transformateurs. A ce titre, ils sont en
interaction avec les données de fait, y compris les données scientifiques qui peuvent
être une incitation, comme les confrontations nées du dialogue des cultures, à
approfondir la réflexion confrontée aux nouvelles questions soulevées par les
découvertes scientifiques. La difficulté est que certaines innovations technologiques,
comme la procréation médicalement assistée (PMA renommée AMP par la loi de
1994), ont été admises avant que le travail d’approfondissement ait permis à
chaque culture d’adapter ses représentations de la vie et de la mort aux nouvelles
questions qu’elles suscitent, comme la recherche sur l’embryon.
à la vie est, bien au-delà du simple droit d’exister, la reconnaissance d’une spécificité
humaine qui interdit d’infliger volontairement la mort dans des conditions
« inhumaines ».
Le couple « humain/inhumain »
Du couple « vie/mort » au couple « humain / inhumain », l’évolution dans la
représentation des valeurs à vocation universelle est tardive et sans doute inachevée.
Tardive car il faudra des pratiques massives de déshumanisation, notamment
dans les camps nazis, pour que le refus de l’inhumain trouve à s’exprimer. Annoncé
en tête de la DUDH, par le préambule qui vise les « actes de barbarie qui révoltent
la conscience de l’humanité », le principe égale dignité de tous les êtres humains
est inscrit à l’article 1er et sera placé par la suite en tête de la Charte de l’Union
européenne sur les droits fondamentaux.
Au plan national, le principe de dignité humaine est consacré en 1945 par la loi
fondamentale allemande, dont l’exemple sera suivi par de nombreuses constitutions.
En France, il faut toutefois attendre 1994 pour qu’une décision du Conseil
constitutionnel vienne tirer de la référence à « la victoire remportée par les peuples
libres sur les régimes qui ont tenté d’asservir et de dégrader la personne humaine »
(Préambule Constitution 1946 intégré au bloc de constitutionalité) le principe
d’une protection constitutionnelle de la dignité humaine.
Ce n’est pas un hasard si le Conseil a eu l’idée de « constitutionaliser » le principe
de dignité à propos des lois bioéthiques : entre 1946 et 1994, le risque d’inhumanité
a changé de visage. On savait que l’inhumain pouvait se conjuguer avec le respect
de la vie — l’esclavage et la torture ne tuent pas toujours — et l’on connaissait
déjà les dérives de l’eugénisme, mais on découvrait seulement, dans les années 90,
les formes nouvelles de sélection, liées à l’AMP, ou même de fabrication d’êtres
humains (clonage reproductif ).
C’est pourquoi le changement dans la représentation des valeurs est sans doute
inachevé car de telles questions ne peuvent être résolues sur le seul plan des droits
individuels reconnus à chaque être humain. C’est de l’humanité qu’il s’agit, présente
et à venir : il ne s’agit plus seulement de la dignité propre à chaque être humain,
mais de la dignité emblème de cette communauté interhumaine qui accompagne
la globalisation.
En somme, qu’il traduise le refus de la déshumanisation d’êtres humains ou celui
de leur fabrication, le refus de l’inhumain déclenche un double processus de
transformation des valeurs : l’extension des droits de l’homme à la dignité, et
l’apparition de droits de l’humanité, mutation plus radicale qui pourrait annoncer
de nouveaux conflits, ceux de l’homme dressé contre l’humanité.
Quant à l’extension des droits de l’homme à la dignité, nous l’avions évoquée l’an
dernier à travers le « droit pénal de l’inhumain » qui se construit à partir des
ÉTUDES JURIDIQUES COMPARATIVES ET INTERNATIONALISATION DU DROIT 527
l’homme. Mais ce n’est sans doute qu’un modèle transitoire car aucun de ces deux
mouvements n’est encore stabilisé.
Par ses excès mêmes, un tel ébranlement pourrait annoncer une recomposition
des valeurs conduisant vers un humanisme juridique d’un type nouveau qui ne
reprend aucun des modèles existants, mais esquisse une sorte de synthèse entre eux.
Le droit maintient en effet une distinction entre l’humain et le non humain, donc
un certain dualisme, mais ce dualisme est atténué par une relation qui semble
progressivement se dégager de l’anthropocentrisme, qu’il s’agisse de l’animal, perçu
comme un être sensible qui ne serait assimilable ni à une personne physique, ni à
une chose, ou de la nature, considérée non pas comme patrimoine mais plutôt
comme bien commun.
Philippe Descola, suggérait la voie d’un « universalisme relatif », au sens propre,
c’est-à-dire se rapportant à une relation. C’est cette hypothèse que nous avons
voulu transposer dans le champ juridique et explorer comme évolution possible
d’un humanisme juridique « de mise en relation », qui construirait la relation de
l’humain à l’animal, et plus largement à la nature, échappant ainsi à la fois au
dualisme qui maintient une stricte opposition entre l’humain et le non humain et
au monisme qui marque une continuité sans doute excessive.
Plus l’on s’interroge sur la nature juridique de l’animal, plus le choix binaire entre
le dualisme (l’animal est une chose qui n’a rien à voir avec l’homme) et le monisme
(l’animal est une personne assimilable à l’homme) paraît inadapté pour rendre
compte d’une évolution qui maintient une séparation entre l’humain et le non
humain, mais organise leur relation. C’est ainsi que les promoteurs de la Charte
constitutionnelle française de 2005 sur l’environnement, rappelant qu’elle avait été
conçue « pour l’homme et non pour la nature elle-même », ont tenu à qualifier leur
démarche d’écologie humaniste. Il reste à savoir quelle signification donner à cette
formule d’apparence consensuelle. Certains commentateurs y voient la confirmation
d’un humanisme centré sur l’homme. Toutefois le préambule souligne aussi « que
l’homme exerce une influence croissante sur les conditions de la vie et sur sa propre
évolution » et que « la diversité biologique, l’épanouissement de la personne et le
progrès des sociétés humaines sont affectés par certains modes de consommation ou
de production et par l’exploitation excessive des ressources naturelles ». Il en résulte
que « les choix destinés à répondre aux besoins du présent ne doivent pas
compromettre la capacité des générations futures et des autres peuples à satisfaire
leurs propres besoins ». D’où l’énonciation, rare en matière constitutionnelle,
exprimée sous la forme d’un devoir : « toute personne a le devoir de prendre part à la
préservation et à l’amélioration de l’environnement » (art. 2). Quelles que soient les
doutes sur la portée pratique de ce dispositif, il ouvre la voie à une protection plus
autonome, que viennent d’ailleurs renforcer les articles 3 (devoir de prévention) et 5
(le fameux principe dit de précaution, alors qu’il incite plutôt à l’anticipation).
Peut-être arrivons-nous ici aux limites des possibilités offertes par le concept
de droits « de l’homme ». Ce qui devrait inciter les juristes à concevoir une relation
ÉTUDES JURIDIQUES COMPARATIVES ET INTERNATIONALISATION DU DROIT 531
d’un type nouveau entre l’humain et le non humain, afin de mettre le droit au
service de la relation entre les humains et les autres espèces vivantes, plutôt qu’au
seul service du bon fonctionnement de la société humaine. La voie la plus radicale
consisterait à faire de la diversité biologique un sujet de droit à part entière et de
reconnaître ainsi la valeur intrinsèque du vivant non humain (cf. Constitution de
la Confédération suisse).
Mais cette valeur intrinsèque semble un leurre dès lors qu’on ne peut la définir
et la défendre sans passer par l’homme. Pour imaginer ce qu’il nomme « le
parlement des choses », Bruno Latour, empruntant à la fois aux modernes (la
séparation de la nature et de la société), aux prémodernes (la non séparabilité des
choses et des signes), et aux postmodernes (la dénaturalisation), s’oriente vers une
autre voie, celle d’un « humanisme redistribué » où l’humain deviendrait
médiateur 8.
J’y vois une invitation à dépasser l’asymétrie du rapport juridique, qu’il s’agisse
d’un droit de l’humain sur le non humain ou de l’inverse, de sorte que, dans sa
relation au non humain, l’humanisme abandonne la forme bilatérale d’un droit
pour celle unilatérale d’un « devoir ». Le changement est déjà inscrit dans de
nombreux textes, qu’il s’agisse des animaux ou de la nature ; mais il ne suffit pas
à définir un régime juridique. Pour y parvenir, nous tenterons d’explorer les
possibilités offertes par cet étrange concept de « bien mondial », qui renvoie
simultanément à l’économie (bien collectif ), à la politique (bien public) et à
l’éthique (bien commun), et pourrait contribuer, par son ambiguïté même, à la
formation de valeurs universelles.
Définir la santé comme bien mondial n’est pas une évidence. D’abord perçue
comme rupture de l’harmonie, la santé ne s’est différenciée des autres formes de
malheur et de souffrance que progressivement et par des voies propres à chaque
culture, déterminant des modèles différents de prévention sanitaire, qui vont du
modèle magico-religieux au modèle contractuel, en passant par diverses formes de
contrainte.
Les membres de l’OMC ont alors réussi à se mettre d’accord sur un sujet qui, au-
delà de leurs intérêts commerciaux immédiats, concerne la santé publique et plus
directement la vie de millions de personnes, notamment en Afrique, touchées par
certaines maladies infectieuses comme le VIH/sida, la tuberculose ou le paludisme.
Le nouvel article 31bis a en effet pour objectif de permettre aux pays membres de
l’OMC d’accorder les licences obligatoires en vue d’exporter des médicaments vers
les pays sans capacités de fabrication, ou avec des capacités insuffisantes ; mais le
contenu du texte est d’une extrême complexité. Malgré un premier bilan positif
quant au traitement antirétroviral, le nouveau dispositif, critiqué à la fois par les
ONG et par l’industrie pharmaceutique, est contourné par la multiplication
d’accords bilatéraux qui se substituent à la vision multilatérale de l’OMC.
Il n’en reste pas moins que le dernier rapport mondial sur le développement
humain, élaboré par le PNUD pour la période 2007-2008, présente le changement
climatique comme le problème « le plus important et le plus urgent ». Inspiré du
4e rapport du Groupe intergouvernemental d’experts sur l’évolution du climat
(GIEC, 2007), qui établit, malgré les incertitudes scientifiques, la part déterminante
des activités humaines dans le changement climatique, et du rapport de Nicholas
Stern The Economics of Climate Change, qui démontre que la prévention est plus
économique que l’immobilisme, le rapport du PNUD place d’emblée le débat sur
un plan éthique.
prendre en compte qu’un seul d’entre eux (au nom de la dignité écarter des
pratiques comme la torture ou la peine de mort ayant pour but de protéger la
sécurité). L’autre opère par conciliation ou pondération, afin d’appliquer
partiellement chacune des valeurs en conflit (sécurité et liberté, vie privée et liberté
d’expression, propriété privée et protection de l’environnement, etc.). En somme,
le modèle d’exclusivité — ou de sub/ordination d’une valeur à l’autre car il impose
la norme supérieure et écarte la norme inférieure — repose sur un processus de
hiérarchisation, mais aussi de stabilisation quand la hiérarchie est fixée par avance
selon la vision traditionnelle (moderne) de l’ordre, à la fois hiérarchique et stable.
En revanche le modèle de pluralité — ou de co/ordination — suggère plutôt un
processus de conciliation des valeurs. Toutefois les exemples étudiés, notamment
dans le domaine des biotechnologies et des biens publics mondiaux, montrent que
cette conciliation est réalisée de façon tantôt simultanée (équilibrage), tantôt
successive (anticipation marquant l’importance nouvelle de la relation au temps et
des vitesses de transformation). D’où l’émergence d’un autre type d’ordre (post
moderne ?), interactif et évolutif, qui superpose au rêve, ou au cauchemar, de
valeurs universelles reconnues à l’identique par une communauté humaine unifiée
une réalité beaucoup plus complexe.
Pour concilier des valeurs à première vue contraires et promouvoir une autre
vision de l’ordre, interactif et évolutif, les juristes ont imaginé deux principes : le
principe de proportionnalité, qui introduit une pondération facilitant l’équilibrage,
et plus récemment le principe dit de précaution qui introduit en réalité une
dynamique d’anticipation permettant d’intégrer le temps à la solution des conflits
de valeurs (générations « futures », développement « durable »).
Visant à prévenir des risques non seulement potentiels, mais graves et/ou
irréversibles, le principe de précaution apparaît à la fois comme principe d’action,
qui conditionne la prise de décision politique, et principe d’imputation, qui
commande l’attribution d’un nouveau type de responsabilité. Dans les deux
perspectives, il traduit un processus d’anticipation. Comme principe d’action, il
incite, ou devrait inciter, les responsables politiques à ne pas attendre que le risque
soit avéré pour mettre en place des procédures de recherche et d’évaluation sur les
incertitudes qui concernent la menace de risques majeurs. Comme principe
d’imputation, le principe de précaution aurait l’ambition de faire entrer l’évaluation
des degrés d’incertitude dans le champ juridique. C’est dire le lien indissociable
entre le type d’ordre qui sous-tend l’émergence d’une communauté mondiale de
valeurs et la façon de responsabiliser les acteurs.
Aux juristes, il revient de montrer comment le droit pourrait réunir lui aussi une
pratique et une éthique pour cheminer vers une communauté de valeurs. Empruntée
à Vieira da Silva, la métaphore de « l’issue lumineuse » suggère que le droit pourrait
éclairer les réponses en termes de valeurs et qu’un nouvel humanisme
juridique, relationnel plutôt qu’anthropocentrique, est sans doute possible. Sans
renoncer à la diversité des cultures, ni aux acquis des humanisations, il se donnerait
les moyens de les ordonner, de façon ouverte car interactive et évolutive, autour
de couples bipolaires, comme l’égale dignité ou le développement durable. C’est
seulement par une telle humanisation réciproque que nous pourrons relever le défi
d’une communauté sans dehors, désormais élargie à toute la planète, et concevoir
ensemble un destin commun.
Séminaires
Enseignements à l’étranger
Publications
Ouvrage collectif
Les chemins de l’harmonisation pénale, Harmonising Criminal Law, sous la direction de
Mireille Delmas-Marty, Mark Pieth et Ulrich Sieber, UMR de droit comparé de Paris,
volume 15, Paris, Société de législation comparée, 2008.
Ouvrage (traduction)
Les grands systèmes de politique criminelle, version en persan, vol. 2, Mizan, Téhéran (vol. 1
publié en 2002)
Articles
— « L’Adieu aux Barbares », Presses Univ. de Laval, Coll. Mercure du Nord/Verbatim,
2007, 44 p.
— « Le paradigme de la guerre contre le crime : légitimer l’inhumain ? », RSC 2007,
n° 3, pp. 461-472.
— « Il paradigma della guerra contro il crimine : legittimare l’inumano ? » in Studi sulla
questione criminale, Nuova serie di “Dei delitti e delle pene”, Carocci, Quadrimestrale, anno
II, n. 2, 2007, pp. 21-37.
— « La justice entre le robot et le roseau », in J.-P. Changeux (dir.) L’Homme artificiel,
Odile Jacob, 2008, pp. 239-246.
— « Au pays des nuages ordonnés », Revue ASPECTS, 2008, n° 1, pp. 13-26.
— « Mondialisation et montée en puissance des juges » in Le dialogue des juges, Actes du
Colloque organisé le 28 avril 2006 à l’Université libre de Bruxelles, Les Cahiers de l’Institut
d’études sur la Justice n° 9, Bruxelles, Bruylant, 2007, pp. 95-114.
— « Universalisme des droits de l’homme et dialogue des cultures : l’énigme d’une
communauté mondiale sans fondations », in Aliança das Civilizaçoes, Interculturalismo e
Direitos Humanos, Rio de Janeiro, Educam, pp. 85-97.
ÉTUDES JURIDIQUES COMPARATIVES ET INTERNATIONALISATION DU DROIT 543
Laboratoire
Réseaux ID :
— Réseau ID franco-brésilien, Première rencontre 12, « Les violations graves des droits de
l’homme et la lutte contre l’impunité — Évolution des relations entre droit international et
droit interne », São-Paulo, 15-16 octobre 2007.
— Réseau ID franco-américain, Troisième rencontre 13, « La qualité du climat et
l’internationalisation du droit », Paris, 1-2 juillet 2008.
Activités de l’Équipe
Emmanuel Breen
Emmanuel Breen, maître de conférences en droit public, a été mis à la disposition
de la Chaire « Études juridiques comparatives et internationalisation du droit » par
l’Université de Paris VIII Vincennes – Saint-Denis, durant l’année universitaire
2007-2008. Prenant la suite de Naomi Norberg, il a assuré la coordination du
Réseau ID franco-américain, prenant en charge l’organisation d’une réunion
internationale de juges et d’universitaires les 1er et 2 juillet 2008 à la Fondation
Hugot du Collège de France, sur le thème : « Qualité du climat et internationalisation
du droit ». Il a également assuré la traduction des conférences du professeur Onuma
Yasuaki et conduit des recherches sur le thème des biens publics mondiaux et de
la bonne gouvernance, contribuant ainsi à l’organisation du séminaire sur les biens
publics mondiaux (25 juin 2008), après avoir participé au séminaire de la Chaire
« Mutations de l’action publique et du droit public » de Sciences-Po Paris (11 avril
2008). Emmanuel Breen a été recruté par l’Université Paris-Sorbonne (Paris IV) à
compter du 1er septembre 2008, comme maître de conférences.
Isabelle Fouchard
Isabelle Fouchard a été affectée à la Chaire d’études juridiques comparatives et
internationalisation du droit, en qualité d’ATER, le 1er septembre 2006. Elle a
poursuivi ses recherches doctorales sur le sujet « Crime international : entre
internationalisation du droit pénal et pénalisation du droit international », et a
soutenu sa thèse à Genève le 3 septembre 2008. En outre, elle a contribué à la
préparation des cours par la réalisation de recherches documentaires et la rédaction
de notes, notamment sur la jurisprudence des tribunaux pénaux internationaux, le
droit international général, le droit international humanitaire et le droit international
des droits de l’homme. Isabelle Fouchard a également participé au projet de
recherches « Les figures de l’internationalisation du droit » en tant que rapporteur
sur le thème « Statut de Rome et mise en place de la justice pénale internationale » ;
ainsi qu’à l’organisation des séminaires et à la valorisation des activités de la Chaire,
y compris leur diffusion. Elle a enfin collaboré à la réponse à un appel d’offre de
la Commission européenne (7e PCRDT), qui a donné naissance au projet ATLAS
(Armed Conflict, Peacekeeping, Transitional Justice : Law as Solution) auquel le
Collège de France est associé avec six grands centres de recherches européens. Le
projet ATLAS, coordonné par le CERDIN (Centre de recherche en droit
546 MIREILLE DELMASMARTY
Kathia Martin-Chenut
Kathia Martin-Chenut a été affectée à la Chaire comme ATER (2005-2007),
puis comme chercheur attaché au Collège pour le projet ATLAS mentionné
ci-dessus (fév.-août 2008). Dans le cadre de ce projet, elle a développé des recherches
sur la protection des enfants dans les conflits armés. Elle s’est également consacrée
au développement de deux projets lancés en 2005 : le projet de recherche « Les
figures de l’internationalisation du droit — Amérique Latine », dont elle assure la
co-direction et le « Réseau ID franco-brésilien », dont elle assure la coordination.
A cet effet, elle a organisé pour le projet « Figures de l’Internationalisation du
droit » deux rencontres de l’équipe (São Paulo et Brasília, les 4 et 5 octobre 2007)
et une présentation publique des résultats partiels de la recherche (Brasília, le
6 octobre 2007) ; tout en participant elle-même aux travaux en tant que rapporteur
sur « l’internationalisation des droits de l’enfant » et co-rapporteur sur
« l’internationalisation de la justice pénale ». Elle a assuré la coordination du Réseau
ID franco-brésilien et pris en charge l’organisation de ses premières rencontres, qui
ont eu lieu les 15 et 16 octobre 2007 à São Paulo sur un thème intitulé « Les
violations graves des droits de l’homme et la lutte contre l’impunité — Évolution
des relations entre droit international et droit interne ». Elle a, en outre, entrepris
les démarches nécessaires pour que ces deux projets soient intégrés en 2009 aux
activités officielles de l’Année de la France au Brésil. Kathia Martin-Chenut a
également participé à une réunion d’experts des Nations unies sur les droits de
l’homme et l’administration de la justice par les tribunaux militaires (Brasília, 27 à
29 novembre 2007) et à deux séminaires de l’UNESCO (Programme « Chemins
de la pensée » : Rio de Janeiro, 13 et 14 novembre 2007 ; Paris, 10 juin 2008).
Enfin, elle a soutenu une Habilitation à diriger des recherches (HDR) à l’Université
de Paris I en février 2008 et enseigné à l’Institut d’études politiques de Paris
(Sciences-Po) dans le cadre du cours « Les grands enjeux de la justice ».
III. SCIENCES HISTORIQUES
PHILOLOGIQUES ET ARCHÉOLOGIQUES
Civilisation pharaonique : archéologie, philologie, histoire
Cours et séminaire
Le temple d’Amon-Rê à Karnak : Héliopolis et l’Empire
On a poursuivi cette année l’historique de la redécouverte des temples de Karnak,
tout d’abord au cours du pachalik de Méhémet Ali, soit pratiquement toute la
première moitié du xixe siècle (1805-1848).
Partagée entre la recherche d’une affirmation nationale face à la Sublime Porte
et un désir profond d’Occident, l’Egypte, fortement marquée par l’impulsion que
lui donna Bonaparte, s’ouvre alors aux influences européennes. Mais, si Méhémet
Ali avait parfaitement compris le parti que son pays pouvait tirer de l’Europe et
de l’industrialisation, il offrait également à ses nouveaux partenaires une terre
d’opportunités, attirant par là même ceux que poussait le désir de nouveaux
horizons ou de fortunes rapides. L’engouement pour le passé de l’Egypte fut l’un
des principaux moteurs de la venue d’hommes qui, pour des raisons diverses, se
trouvaient à l’étroit dans une Europe que la Révolution française, puis les campagnes
de Bonaparte avaient ouverte sur le monde. Fuyant une société dans laquelle ils ne
trouvaient pas leur place, ou plus simplement poussés par l’appât du gain, ils
apportèrent avec eux un esprit d’aventure, mûri des connaissances popularisées par
les Lumières sur un fonds de réminiscences classiques.
Deux figures de condottieres se détachent tout particulièrement : Bernardino
Drovetti et Giovanni Belzoni. Le premier est très représentatif de cette génération
déracinée par les tourmentes de la fin du xviiie siècle. En 1794, à 18 ans, il
s’engage dans les troupes de Bonaparte, participe comme simple soldat à la
campagne d’Egypte en 1798. Il fait ensuite la campagne d’Italie, se couvre de
gloire en 1800 à Marengo contre les Autrichiens et finit colonel. Lorsque le Premier
Consul demanda à Talleyrand d’envoyer au Caire un homme sûr pour occuper le
poste nouvellement créé de consul général permanent, c’est lui qui fut choisi.
550 NICOLAS GRIMAL
Karnak. Les relevés, dessins et commentaires parus dans les Denkmäler aus Aegypten
und Nubien, qui paraissent de 1849 à 1858 constituent à la fois un précieux état
des lieux et un outil de travail toujours utilisé de nos jours.
C’est à la même époque que les techniques de relevé connaissent un changement
qui sera déterminant pour l’avenir : la photographie naissante vient dans un
premier temps compléter le dessin, auquel elle ne se substituera jamais, mais auquel
elle sert aujourd’hui de plus en plus de support.
Hector Horeau ouvre la voie à l’utilisation du daguerréotype comme support au
dessin architectural en publiant en 1841 son Panorama d’Egypte et de Nubie, avec
un portrait de Méhémet-Ali et un texte orné de vignettes, à compte d’auteur et en
souscription, à l’Imprimerie Bouchard-Buzard, à Paris. Il y donne la définition de
cette nouvelle technique : « des dessins faits sur place et de bienveillantes
communications de vues daguerréotypées m’ont permis d’apporter une grande
exactitude dans la reproduction des merveilles de la vallée du Nil ». Le résultat est
un ouvrage atypique, combinant des vues réalistes, — entre autres des monuments
du Caire, un panorama développé de la ville depuis la Citadelle —, des détails
d’architecture, mais aussi des vues à caractère ethnographiques, voire une restitution
de la ville antique de Karnak vue depuis le toit de la salle hypostyle, à tout prendre
encore supérieure à des tentatives plus récentes. Karnak et la Thébaïde y tiennent
la première place, fournissant de précieux aperçus de l’état des monuments avant
les travaux de Mariette.
Le milieu du xixe siècle voit les premiers photographes, dont la technique
naissante a besoin d’une lumière forte et constante, partir à la découverte des pays
du sud méditerranéen. L’Egypte, naturellement, leur fournit un terrain de choix 5.
L’un des premiers clichés est publié par Joseph-Philibert Girault de Prangey, dans
ses Monuments arabes d’Egypte, de Syrie et d’Asie Mineure, Paris, 1846, chez Hauser :
il s’agit d’un daguerréotype non signé représentant une maison de Rosette, en
briques apparentes et en encorbellement.
C’est à peu près le même cliché que Maxime du Camp réalise, dix ans plus tard,
dans le quartier franc du Caire ; la différence vient d’un personnage placé au
premier plan : son compagnon de voyage, Gustave Flaubert. Pendant deux années,
les deux hommes parcourent la vallée du Nil, amassant souvenirs et descriptions
pour l’un, clichés et observations pour l’autre. Gustave Flaubert raconte son voyage
dans Par les champs & par les grèves. Voyage en Orient. Maxime du Camp, lui,
affiche d’autres ambitions, que révèle le titre de l’ouvrage qu’il fait paraître en 1852
à Paris, chez Gide et Baudry : En Egypte, Nubie, Palestine et Syrie : dessins
photographiques recueillis pendant les années 1849, 1850 et 1851, accompagnés d’un
texte explicatif et précédés d’une introduction par Maxime Du Camp, chargé d’une
mission archéologique en Orient par le ministère de l’Instruction publique.
5. Voir l’excellent ouvrage de Nicolas Le Guern, L’Egypte et ses premiers photographes. Etude des
différentes techniques et du matériel utilisés de 1839 à 1869, Paris, 2001.
CIVILISATION PHARAONIQUE : ARCHÉOLOGIE, PHILOLOGIE, HISTOIRE 555
Karnak tient, naturellement, une grande place, aussi bien dans le texte que dans
les deux volumes d’album qui l’accompagnent, et le témoignage ainsi apporté sur
l’état des monuments est de grande valeur. Toutefois, malgré le propos scientifique
affiché par l’auteur, cet ouvrage reste plus un récit de voyage qu’une description
scientifique. Une comparaison entre les deux récits — celui de Gustave Flaubert
et celui de Maxime du Camp — montre que, si la qualité littéraire n’est pas
forcément du côté où on l’attendrait, l’œil du photographe donne au texte qui
accompagnent ses clichés un sens de l’observation qui fait défaut au romancier. Je
n’en prends qu’un exemple : la description de la visite des deux compagnons de
voyage à Debod.
Maxime du Camp est plus disert, plus précis également : « Malgré un vent
violent qui, ralentissant la marche de la barque, me permit de faire une longue
course sous les palmiers et dans les champs de Demhid, nous arrivâmes le lendemain
au village de Deboudeh, où se dressent trois propylônes, placés à d’inégales
distances et précédant un temple dédié à Ammon-Ra, à Hathor, et subsidiairement
à Osiris et à Isis. Commencé par Ataramoun, roi éthiopien, contemporain de
Ptolémée Philadelphe, il fut continué et achevé par Auguste et Tibère. Parmi les
sculptures mutilées et d’un style peu châtié, je ne vois rien qui offre un grand
intérêt, si ce n’est un roi à tête crépue, sur lequel Ammon-Bélier et Osiris-Epervier
versent un flot de croix ansées qui, comme je te l’ai déjà dit, sont un symbole de
divinité. Dans une des salles gît une niche monolithe en granit rose, haute d’environ
cinq pieds et demi; elle est écornée et brisée, mais on peut voir encore les trous où
s’enfonçait la grille aujourd’hui absente. C’était sans doute la cage, destinée à la
garde d’un épervier sacré.
6. Par les champs & par les grèves. Voyage en Orient, éd. 1974 p. 513.
556 NICOLAS GRIMAL
Lorsque j’arrivai à la cange, je vis Joseph qui m’attendait debout sur le pont ; il
vint à moi rapidement :
— Savez-vous ce qu’il y a de nouveau, signor, me dit-il, voilà un strego (sorcier)
qui prétend pouvoir lire dans le sable, et qui veut vous dire votre bonne
aventure.
En effet, j’aperçus parmi les matelots un noir dont le visage intelligent dénotait
une grande finesse ; il se dirigea vers moi, me prit la main, la baisa et resta
immobile. Je consentis volontiers à l’expérience que me proposait Joseph. Le
Nubien tira de dessous sa longue robe bleue un petit plat en cuivre, le fit remplir
de sable et s’accroupit près des bastingages pendant que je me tenais devant lui. Il
appliqua la paume de sa main droite sur le sable, y traça certains signes entrecroisés,
et, parlant lentement, il me dit sans lever les yeux sur moi :
— Ton esprit n’a point de patrie, tu dors aussi bien sous la tente que dans la
maison ; ton coeur est noir, car ceux qui l’habitaient sont maintenant dans la
trompette de l’ange du jugement dernier ; tu penses trouver des lettres à Assouan,
mais il n’yen a pas : tu n’en recevras qu’au Kaire ; en les lisant, un grand orage
s’élèvera dans ta poitrine, et tu pleureras comme un nouveau-né ; tu reviendras dans
ton pays, où tu as été longtemps malade ; tu n’y resteras pas, car les pieds te
démangent dès que tu es en repos ; tu feras encore des voyages sur des dromadaires.
Il s’arrêta. Plusieurs choses étaient vraies parmi celles qu’il venait de me dire,
mais Joseph avait pu les lui indiquer après les avoir apprises de mon domestique.
Malgré son horoscope, je trouvai le surlendemain des lettres à Assouan ; mais au
Kaire, en effet, je devais apprendre d’exécrables nouvelles. Je payai le magicien et
la cange partit. 7 »
Autant Flaubert se lasse d’un voyage qui jour après jour l’ennuie un peu plus
— n’écrit-il pas au bout de quelques semaines : « les temples égyptiens m’embêtent
profondément — est-ce que ça va devenir comme les églises en Bretagne et comme
les cascades dans les Pyrénées ? ô la réussite ! Faire ce qu’il faut faire ! être comme
un jeune homme comme un voyageur (etc en poussant cela à l’infini) doit
être ! » ? — , autant Maxime du Camp se passionne pour cette entreprise qui lui
vaudra louanges et honneurs.
C’est un autre voyage en Orient qui va permettre d’imposer définitivement la
photographie comme témoin de l’histoire : celui que Gustave Le Gray entreprend
aux côtés, lui aussi, d’un homme de lettres, Alexandre Dumas. Le Gray est alors
un peintre reconnu, mais surtout l’inventeur, en 1850, du négatif sur verre au
collodion humide et, en 1851, du négatif sur papier ciré sec. Fondateur de la
Société héliographique — la future Société française de photographie — il participe
à la Mission héliographique. Il est connu depuis quelques années pour les superbes
marines qu’il a réalisées sur la côte normande en combinant deux clichés : l’un du
ciel, l’autre de la mer ; le résultat est une série de paysages marins au ciel tourmenté,
dont le romantisme suscite alors l’enthousiasme. Napoléon III a fait de lui le
photographe officiel de la Cour ; mais Le Gray est aussi mauvais gestionnaire que
bon photographe, et il fuit ses créanciers en accompagnant Dumas en Italie. Il
« couvre » la révolution garibaldienne, prend des clichés poignants de Palerme
bombardée et une photo romantique du dictateur autoproclamé qui fera le tour
de l’Europe.
Abandonné sans ressources par Alexandre Dumas à Malte, il se rend en Syrie ;
blessé, il s’installe en Alexandrie, puis, en 1864, au Caire, où Ismaïl Pacha le prend
sous sa protection. De ce long séjour égyptien datent de nombreux clichés, dont
beaucoup, hélas ! sont perdus. Mais Gustave Le Gray a une postérité abondante et
à sa suite, les photographes s’installeront durablement en Egypte, maîtrisant un art
désormais adulte, et que le tourisme naissant rendra rapidement rentable.
Parmi ces pionniers, pour la plupart hauts en couleurs figure Francis Frith. Elevé
dans le Derbyshire par les Quakers, il abandonne la coutellerie en 1850 pour
ouvrir un studio photographique à Liverpool. Cinq ans plus tard, il quitte tout et
part en Egypte, Syrie et Palestine. De retour dans le Surrey, après neuf ans, il se
marie et crée sa propre société. Il se lance dans une vaste entreprise de relevé
photographique de chaque ville et village du Royaume Uni, devient pasteur quaker
et finit dans la peau d’un libéral extrême. De son relevé photographique vont
naître des centaines de cartes postales, vendues rapidement dans plus de deux
milles boutiques du Royaume-Uni.
C’est cette nouvelle industrie que vont développer des photographes comme
Félix Bonfils. Il était, à l’origine, relieur à Saint-Hippolyte-du-Fort. Il apprend la
photographie avec Niepce de Saint-Victor, le neveu de Nicephor Niepce, et, à
36 ans, s’installe comme photographe à Beyrouth. Sa femme, Lidye, réalise des
portraits en studio, tandis que lui multiplie les prises de vue, essentiellement en
Egypte, Palestine et Syrie. Il constitue ainsi un fonds de 15 000 tirages et
9 000 plaques stéréoscopiques. Ses clichés égyptiens lui valent une médaille de la
Société française de photographie. En 1872, il publie aux éditions Ducher un
album de 100 photographies du Proche-Orient, vendu dans le monde entier par
des agents, puis il rentre en France en 1876 et publie une série de cinq albums,
Souvenirs d’Orient : album pittoresque des sites, villes et ruines les plus remarquables.
Il obtient en 1878 une médaille à l’Exposition universelle de Paris. Ses clichés
servent de base à d’innombrables cartes postales. Le fonds Bonfils est d’autant plus
important qu’il est poursuivi jusqu’en 1918 par son fils, Adrien, qui lui succède à
Beyrouth, puis par l’associé de celui-ci, Abraham Guiragossian, jusqu’à la veille de
la Seconde Guerre mondiale.
Il faudrait encore citer les frères Béchard, Henri et Emile, qui collaborèrent à la
fin du xixe siècle avec plusieurs archéologues, dont Gaston Maspero, et laissèrent
de nombreuses vues de monuments, en particulier de Karnak.
558 NICOLAS GRIMAL
Deux personnages, enfin, sont à retenir pour notre propos : les frères Beato.
D’origine vénitienne et sans doute tous deux nés à Corfou, ils devinrent britanniques
en même temps que leur île natale. Ils enrichirent considérablement le fonds
photographique de la fin du xixe siècle, chacun dans une partie de l’empire
britannique : l’un, Felice, en Extrême Orient, le second, Antonio, essentiellement
en Egypte, plus particulièrement à Louqsor, où il exerça de 1860 jusqu’à sa mort,
en 1906. Il fut témoin des premiers grands travaux de Karnak, sur lesquels il
apporte un témoignage qui vient compléter les premières photos prises par les
archéologues eux-mêmes. Ses clichés sont, aujourd’hui encore, vendus comme
cartes postales sur place.
Le premier vrai fouilleur de Karnak fut Auguste Mariette. Point n’est besoin de
revenir ici sur sa carrière ni sur l’œuvre immense qu’il accomplit en Egypte. À
Karnak, il entreprit de rapides campagnes de déblaiement, de la fin 1858 à 1860
et dans les premiers mois de 1874.
Il dégagea ainsi dans l’enceinte de Montou une statue d’albâtre d’Amenardis et
une, de bronze, d’Isis actuellement au musée Vleeshuis d’Anvers. Dans l’enceinte
d’Amon, il découvre le socle du naos d’Amon, daté d’Amenemhat Ier. Jusqu’à la
découverte de la colonne d’Antef, ce sera le plus ancien vestige connu. Il identifie
également l’emplacement de la fondation de Sésostris Ier, dans ce que l’on appelle
depuis la « cour du Moyen Empire. Surtout, Mariette publie en 1875 le premier
ouvrage entièrement consacré à Karnak, Karnak. Etude topographique et
archéologique, avec un appendice comprenant les principaux textes hiéroglyphiques
découverts ou recueillis pendant les fouilles exécutées à Karnak. Ouvrage publié sous les
auspices de son altesse Ismail Khédive d’Egypte, auquel il ajoute la première étude des
listes de peuples figurées sur les parois et pylônes du temple : Les listes géographiques
des pylônes de Karnak comprenant la Palestine, l’Ethiopie, le pays des Somâl. Ouvrage
publié sous les auspices de son altesse Ismail khédive d’Egypte, Atlas,
Il faudra attendre 1895 pour que les travaux de dégagement et d’entretien du
temple soient, en quelque sorte, institutionnalisés et placés sous la responsabilité du
tout jeune service des Antiquités. Gaston Maspero et Georges Legrain constituent le
premier « couple », associant un égyptologue et un architecte, d’une série qui s’est
continuée jusqu’à récemment. L’espace limité de ce rapport ne permet pas d’évoquer
en détails les recherches et découvertes qui ont marqué plus d’un siècle de l’histoire
récente du temple, de la prodigieuse découverte de la cour de la Cachette aux derniers
travaux du Centre franco-égyptien des temples de Karnak. Nous y reviendrons plus
tard, au fur et à mesure de l’étude des diverses parties du temple.
Annales I, 56-84
« L’an 23, 19e jour du premier mois de l’été : réveil en [vie] (57) dans la tente
de (Celui qui est) doué de vie, santé et force à proximité de la ville de A[rou]na.
Marche (58) vers le nord par Ma Majesté, sous l’étendard de <mon> père [Amon-
Rê Seigneur des Trônes du Double Pays, qui ouvrait les chemins (59) devant <Ma>
Majesté, (tandis que) Horakhty confortait le cœur de <mes> troupes, (60) et que
<mon> père Amon {Seigneur des Trônes des Deux Terres} [ren]forçait le glaive de
[Ma Majesté Montou étendant sa protection sur (61) Ma] Majesté.
Sa [Majesté fit] marche [à la tête de] son [armée], form[ée] (62) en nombreux
bataillons, [sans rencontrer] un seul [ennemi, l’] (63) aile sud étant à Ta[anak, (64)
l’]aile nord sur le côté sud de […]
Ils dirent alors à Sa Majesté — qu’Elle soit en vie, santé et force ! : (75) «“ Oui !
Sa Majesté est sortie avec [ses] troupes victorieuses et ils o[n]t investi la (76) vallée.
Que notre maître victorieux nous écoute cette fois-ci ! (77) Que notre maître
attende l’arrière de [son] arm[ée avec ses gens], (78) [et lorsque sera parvenu
jusqu’à nous], l’arrière de l’armée, alors, [nous combattrons contre (79) ces
montagnards], sans avoir à nous soucier [de l’arrière de] (80) notre [armée]. ”
Sa Majesté fit [donc halte], en plein air, assi[se] (81) là, attendant l’arrière [de]
son [armée] victorieuse. Et lorsque l’arrière de [la trou] (82) pe fut sorti sur ce
chemin, (83) l’ombre [avait franchi (83) midi].
(84) Se reposer dans les quartiers de Celui qui est en Vie, Santé et Force. Assurer
l’approvisionnement des officiers et les vivres pour les serviteurs. Passer en revue
les veilleurs de l’armée, après leur avoir passé la consigne: “ Fermeté ! ” et
“ Vigilance ! ”
Réveil en vie dans la tente de Celui qui est en vie, santé et force. On vient dire
à Sa Majesté : “ (la situation du) désert alentour est favorable, (celle des) troupes
au sud et au nord également ! ” »
560 NICOLAS GRIMAL
Annales I, 84-87
« 23e année de règne, premier mois de l’été, 21e jour, le jour de la fête de la
Nouvelle Lune, exactement. Apparition du roi au petit matin.
Alors, on donna à l’armée tout entière l’ordre du jour pour marcher [contre les
ennemis].
(85) Sa Majesté avance sur le char d’électrum,
Parée des ornements du combat,
Tel Horus le Vaillant, le Maître des rites,
Tel Montou thébain,
<Son> père Amon donnant la force à ses bras.
L’aile sud de l’armée de Sa Majesté s’étend vers la colline qui est au sud de [la
vallée] de Qena, l’aile nord au nord-est de Megiddo, Sa Majesté au milieu, Amon
assurant sa protection <dans> la mêlée, la force [de Seth s’étendant sur] (86) ses
membres.
Sa Majesté était ainsi plus puissante qu’eux, à la tête de son armée, et lorsqu’ils
virent que Sa Majesté était plus forte qu’eux, ils s’enfuirent en trébuchant vers
Megiddo, le visage plein de terreur. Ils abandonnèrent leurs chevaux et leurs chars
d’argent et d’électrum, et on les tira vers le haut par leurs vêtements dans cette
ville. Car ces gens là avaient fermé cette ville, tout en [laissant pendre (87)] des
vêtements, afin de les tirer en haut dans cette ville.
Si seulement l’armée de Sa Majesté ne s’était pas alors attachée à piller les biens
de ces ennemis, alors elle [serait entrée] dans Megiddo sur le champ, tandis que
l’on hissait le vil ennemi de Qadesh, ainsi que le vil ennemi de cette ville, en hâte,
pour les faire entrer dans leur ville !
Annales I 88-103
Alors la crainte de Sa Majesté [entre dans (88) leur corps], leurs bras sont sans
force, [et] l’uræus s’empare d’eux. Leurs chevaux et leurs chars plaqués d’or et
d’électrum sont mis au pillage immédiatement comme libre [butin], leurs [batail]ons
renversés au sol, tels les poissons dans la poche d’eau.
Et l’armée victorieuse de Sa Majesté de compter ses biens ! Et on pilla la tente
de [ce vil enne]mi, qui était plaqu[ée d’ (89)...] .
Et l’armée tout entière de marteler sa joie,
De rendre grâce à Am[on,
Pour la victoire]
Qu’il a donnée à son [fils] en ce jour,
Et chanter les louanges] de Sa Majesté,
D’exalter Sa victoire.
Et ils emportèrent alors le butin qu’ils avaient fait: mains, prisonniers, chevaux
et [ch]ars d’or plaqué d’électrum, […] multicolores (90) […]
CIVILISATION PHARAONIQUE : ARCHÉOLOGIE, PHILOLOGIE, HISTOIRE 561
Ainsi que :
Pierres fines et or : des coupes-dedet et divers vases, (100) […] un grand vase-
akounou en travail de Syrie, des gobelets-tjebou, des coupes-dedet, des coupes-
khentou, divers vases à boire, de grands chaudrons, [X +] 27 couteaux. Soit un total
de 1 784 deben.
Or en lingots trouvés aux mains des artisans, en même temps que de l’argent en
nombreux lingots : 966 deben et 1 kite.
Argent : une statue représentant (101) [ … ], la tête en or, trois hampes à tête
humaine.
Ivoire, ébène et cèdre plaqués or : 6 fauteuils de ce vaincu et 6 repose-pieds qui
vont avec.
Ivoire et cèdre : 6 grandes tables.
Cèdre recouvert d’or et de toutes sortes de pierres précieuses : un lit en forme
de couche de ce vaincu, entièrement plaqué d’or.
Ebène plaqué (102) d’or : une statue de ce vaincu dont la tête est en l[apis-
lazuli ? …].
[…] ce […], vases de bronze, nombreux vêtements de ce vaincu.
Liste de la récolte emportée par Sa Majesté des domaines de Megiddo : 2 007 300
[+ X] sacs de farine, (103) sans compter ce qui a été coupé lors de la prise par
l’armée de Sa Majesté […]. »
CIVILISATION PHARAONIQUE : ARCHÉOLOGIE, PHILOLOGIE, HISTOIRE 563
Travaux et publications
Publications
— « L’œuvre architecturale de Thoutmosis III dans le temple de Karnak », dans Compte
rendus de l’Académie des Inscriptions & Belles-Lettres 2006, p. 231-249.
— « Civilisation pharaonique : archéologie, philologie, histoire », Annuaire du Collège de
France 2007 ; rapport complet en ligne sur www.egyptologues.net.
— Hommage à l’Académie des Inscriptions & Belles-Lettres : « Christophe Barbotin, La
voix des hiéroglyphes. Promenade au département des Antiquités égyptiennes du musée du Louvre,
Institut Khéops — Musée du Louvre, Paris, 2005 », dans Comptes rendus de l’Académie des
Inscriptions & Belles-Lettres 2006, p. 296-298.
— « Les grandes expéditions scientifiques du xixe siècle sur support numérique : la
Description de l’Egypte », Comptes rendus de l’Académie des Inscriptions & Belles-Lettres 2006,
p. 359-364.
— En collaboration avec Emad Adly, Bulletin d’information archéologique 35 (janvier-
juin 2007), www.egyptologues.net.
« Langue et culture dans le Proche-Orient antique », dans Géopolitique. Revue de l’Institut
international de Géopolitique 100, p. 7-12.
— En collaboration avec Emad Adly, Bulletin d’information archéologique 36 (juillet-
décembre 2007), www.egyptologues.net.
— En collaboration avec Emad Adly et Alain Arnaudiès, « Fouilles et travaux en Egypte
et au Soudan, 2005-2007 », dans Orientalia 76, p. 176-283 et pl. XIII-XXXVII.
Conférences et colloques
— « L’Egypte pharaonique et l’ordre du monde antique », conférence prononcée à
l’Université de Neufchâtel, 12 décembre 2007.
— « Temps et espace : la civilisation pharaonique est-elle immortelle ? », conférence
prononcée à l’Association Guillaume Budé, Lyon, 17 janvier 2008.
— Organisation, avec Nathalie Beaux et Bernard Pottier du colloque international
« Image et conception du monde dans les écritures figuratives », Collège de France et
Académie des Inscriptions et Belles-Lettres, 24-25 janvier 2008.
— Participation au colloque international de la Société française d’Archéologie Classique
« Grecs et Romains en Egypte. Territoires, espaces de la vie et de la mort, objets de prestige
et du quotidien », 15 mars 2008, INHA.
Jurys de thèses
— Présidence du jury de thèse de Doctorat présentée par Hanane Gaber-Kerious, sous
le titre Recherches sur les tombes inédites d’Amennakht et de ses fils Nebenmaât et Khameteri
(Deir el-Médina TT 218, TT 219, TT 220). Edition des tombes et étude comparative des livres
funéraires en contextes royal et privé, à l’Université Marc Bloch (Strasbourg-II), le mardi
11 septembre 2007.
— Participation au jury de thèse de Doctorat de l’Ecole des Hautes Etudes en Sciences
Sociales (Discipline : Archéologie) présentée par Nathalie Buchez, et intitulée Chronologie
et transformations structurelles de l’habitat au cours du prédynastique. Apports des mobiliers
céramiques funéraires et domestiques du site d’Adaïma (Haute-Egypte), Toulouse, 29 février
2008.
— Participation au jury de thèse de Doctorat de l’Université libre de Bruxelles présentée
par Laurent Bavay sous le titre « Dis au potier qu’il me fasse une poterie-kôtôn ». Archéologie
et céramique de l’Antiquité tardive à nos jours dans la tombe thébaine n° 29 à Cheikh abd
el-Gourna, Egypte (fouilles de l’Université Libre de Bruxelles), Bruxelles, 12 février 2008.
— Présidence du jury de thèse de Doctorat présentée par Aurélia Masson, Le quartier
des prêtres à l’est du lac Sacré dans le temple d’Amon de Karnak, devant l’Université de Paris
Sorbonne le 12 mars 2008.
— Présidence du jury de thèse de Doctorat présentée par Marie Millet, Installations
anterieures au Nouvel Empire au sud-est du lac Sacré du temple d’Amon de Karnak, devant
l’Université de Paris Sorbonne le 23 juin 2008.
Assyriologie
Pendant les années précédentes, pour une période très bien documentée comme
le xviiie siècle av. n. è., on a vu que c’est plutôt la notion de groupe qui existe et
chacun essaie d’y trouver sa place, chef comme contribules ; c’est une réalité au
sein de laquelle le chef du groupe et les membres pratiquent des relations complexes
de solidarités.
C’est de cet effort pour contraindre les dieux que seraient apparues la magie et
la divination dont l’Antiquité proche-orientale se trouve être sinon la patrie
exclusive, au moins l’une des patries.
566 JEANMARIE DURAND
B) La pratique de la divination
À l’époque paléo-babylonienne, on constate la très grande importance de
l’hépatoscopie, soit l’examen du foie mais, en fait, on procédait alors à un examen
général des entrailles, les tîrânu. De plus, les lettres de Mari montrent une autre
pratique très populaire, celle des « oiseaux de trou ». Parallèlement, à Babylone, on
ASSYRIOLOGIE 567
C) Le concret et le théorique
La divination semble avoir été à Mari plus archaïque et plus concrète, ce qui
explique qu’elle représente une conduite moins élaborée qu’à Babylone, laquelle
recourt effectivement à une enquête plus théorique, déconnectée des contingences,
en marche vers une discipline qui pose ses principes et en tire des déductions, même
si cette conduite est, à nos yeux de modernes, en porte-à-faux sur le monde réel.
1. Une grande différence tient au fait qu’à Babylone, on interroge les dieux dans
le cadre général de l’hémérologie ; on réalise ainsi l’antiquité de pratiques que l’on
croyait n’apparaître qu’à basse époque, avec la fin de l’empire néo-assyrien, ce que
l’on ne pouvait soupçonner en mettant en fiche la seule technique hépatoscopique.
L’hémérologie crée des « jours tabous » qui déterminent l’action humaine.
ASSYRIOLOGIE 569
On connaît l’importance du Livre des Fastes à Rome : fās est différent de jūs
dans la mesure où s’opposent le droit dit par les dieux et celui qui est dit par les
hommes. C’est de la connaissance de ses données que dépendaient sessions des
tribunaux et réunions des citoyens.
À Mari le munûtum (« comput ») détenu par le roi et qu’on lui réclame comportait
une sorte de calendrier cultuel. On ne sait malheureusement pas s’il s’agissait de
la liste des fêtes oraculairement permises ou de celles décidées par le roi. Il n’existe
qu’au début du règne des Bensim’alites, il est inattesté ensuite. Il pourrait donc
s’agir d’un héritage de l’ancien ordre de choses, celui de la dynastie qu’il avait
renversée et qui tirait ses origines du pays d’Akkad, auquel Babylone appartenait.
On trouve ici un écho avec les rituels du Droit, dont le domaine extrêmement
conservateur dans ses pratiques est très proche des manipulations magiques. La
sissiktum a d’ailleurs valeur juridique : c’est un substitut du sceau qui définit la
singularité d’une personne par le symbolisme des figures ou l’énonciation d’un
nom et de la situation sociale (parenté, titre). Les cheveux sont, également, la
marque de la personne, tout comme l’ongle dont l’empreinte peut servir à signer
un texte. « Cheveux » et « ongle » sont les parties vivantes du corps, du fait de leur
dynamisme qui les fait croître et qu’on peut prélever sans dommage pour l’intégrité
physique ; en opposition les deux sangs que définit l’époque amorrite comportent
les notions de vie et de race et ne servent que pour le rite de communion qui
permet d’accroître la famille : ils participent à d’autres rituels étudiés d’autres
années auparavant.
4. L’interrogation ominale
Le fait de questionner la divinité n’inclut pas de terme technique et se dit
normalement « questionner », à la fois à Babylone et à Mari. Mais Mari utilise
pour « fixer le libellé d’une question oraculaire » le verbe kapâdum, usage inconnu
à Babylone.
« À la tête de la troupe de mon Seigneur marchera NP, le devin, serviteur de mon
Seigneur, et, avec la troupe de Babylone, marchera un devin babylonien. Ces six
cents hommes de troupe s’établiront à (Nlieu). Les devins formuleront le libellé de
leurs présages et, selon le caractère favorable des présages qu’ils auront obtenus, il y
aura des patrouilles par groupe de 150 hommes. » (ARM II 22 = LAPO 17 585).
Si l’exigence de la précision est identique à Mari et à Babylone, l’usage de
kapâdum marque une différence entre les deux centres d’interrogation oraculaire :
à Babylone, ce terme se prend en mauvaise part et signifie « prendre une décision
mauvaise », « comploter ». Il est très souvent associé à un verbe qui a le sens
d’ « avoir un grand désir ». Il signifie en babylonien « avoir un désir incoercible »,
il est associé à la colère, au désir instinctif d’agir. Sans étymologie claire, il a généré
dans la langue tardive un adverbe signifiant « rapidement ».
On peut conclure de l’usage de Mari que « choisir les termes de la question
oraculaire » est à peu près l’équivalent de notre « avoir un flash », « sentir en soi le
désir inspiré des dieux » de poser une question. Le devin est donc celui qui a les
moyens de savoir quoi et comment demander à la divinité pour en avoir une
réponse fiable.
À Mari le rôle du devin relève plutôt de l’inspiration que de la réflexion. Il n’est
donc pas étonnant qu’à Mari, à côté du devin bârûm, « celui qui lit », il existe la
possibilité que se tienne un homme inspiré (l’âpilum, le « traducteur ») qui prend
la parole et qui commente par enthousiasme, au sens propre du mot (enthousiasmos :
le fait que le dieu soit en soi).
Sur cet animal qui est présenté comme un être encore indécis, le devin prie pour
indiquer les marques ominales qu’il veut voir apparaître.
(Invocation aux dieux.)
Sur l’animal qui vient de naître, sur qui n’ont eu d’action ni monde extérieur ni
hommes, qui est sans histoire, comme une page blanche, on demande à la divinité
d’inscrire les sorts que le technicien aura pour tâche de repérer et d’interpréter.
Comment interpréter cette grande prière ?
Il est évident que le devin tente d’orienter la volonté divine en énumérant tout
ce qui lui permettrait de lire que le sort réservé à son patient est bon ; mais en
même temps on peut considérer que cette interminable énumération représente le
pacte explicite passé entre devin et dieu pour fixer leur accord sur ce qui est bon
et mauvais, comme deux alliés humains énumèrent, lors d’un accord, ce qu’il faut
faire et ne pas faire.
1. Prouver la divination
Par delà la pratique de la « confirmation » piqittum, la divination par
l’hépatoscopie était-elle la seule technique de déterminer l’avenir ? Cela pose la
question du recours à la technique des oiseaux.
J. Nougayrol a publié un texte intitulé « “Oiseau” ou oiseau ? » (Revue
d’Assyriologie 61, 1967). Le texte dit :
Si, au bas de l’aisselle droite, une tache rouge se trouve ; présence de
(Divinité),
Si l’aile de l’oiseau, de droite, se soulève plusieurs fois : en campagne, l’ennemi
réglera le compte de mon armée. » etc.
La question était de savoir s’il s’agissait d’un vrai oiseau dont on examinait les
taches corporelles ou d’une métonymie pour « mouton », ou une partie de son
foie. Cette dernière position est celle des Dictionnaires.
En fait, les textes de Mari lèvent l’ambiguïté. ARM XXVI 22 dit :
« J’ai mené l’enquête par le moyen des “oiseaux de trou”. Le rêve est réel. »
Dans ARM XXVI 145, il est dit :
« Dans le district où j’habite, il n’y a pas de devin, on ne me donne pas de
colombes. »
Tous les textes s’accordent à nous dire que ces colombes sont des oiseaux qui
vivent dans les « fenêtres », à l’époque de simples trous dans le mur. C’est donc
bien un oiseau réel.
Il s’agit, en fait, tout comme pour la lécanomancie ou l’aleuromancie, de
techniques de substitution. Les techniques ne concourent pas entre elles, mais
semblent s’exclure : elles ont en fait des motivations économiques propres, bien
moins coûteuses que le sacrifice de moutons.
Mari montre au xviiie siècle av. n.è. une attention soutenue à l’égard d’événements
auxquels on prête attention parce qu’on y voit un signe divin qu’il convient de
déchiffrer. Mais le fait n’a pas valeur par lui-même.
Un des cas les plus nets est celui des izbu. On appelle ainsi les nouveau-nés,
humains ou animaux, qui naissent avec une malformation. Le Protocole des Devins
de Mari fait allusion au phénomène.
ARM XXVI 1 : « Le mauvais oracle défavorable qui se produira et que je verrai
lors de la prise de présages pour Zimri-Lim, mon Seigneur, dans une naissance
anormale… »
ARM XXVI 241 en donne un exemple :
« (L’agneau) n’a qu’une tête ; sa face est celle d’un ovin mâle ; il n’a qu’une
poitrine, (qu’un) cœur (qu’un seul) ensemble de viscères ; (mais), depuis son
nombril jusqu’à sa hanche, (il a) deux corps. À sa naissance, une de ses épaules a
été arrachée et l’on a, de ce fait, endommagé sa tête. »
Il n’y a pas de commentaire sur le fait rapporté. L’attitude ne serait pas la même
au Ier millénaire, où l’on fait immédiatement un rituel expiatoire.
Il en est de même concernant les événements de la vie. On constate qu’aucun
des événements rapportés qui feraient sens ominal au Ier millénaire n’a d’autre
conséquence que de déclencher une interrogation oraculaire pour qu’on sache si
c’est un signe des dieux ou non.
Les événements astraux eux-mêmes entrent dans la même problématique, comme
une éclipse de lune. Or, là, on est sûr qu’à Babylone, on considérait déjà que
l’éclipse avait un sens pour la divination de l’avenir.
On opposera ARM XXVI 81 :
« Le 14 du mois, il y a eu une éclipse de lune et l’existence même de cette éclipse
est un fait désagréable. J’ai pris les oracles pour le bien-être de mon Seigneur et
celui du district supérieur. Les oracles étaient sains. Il faut, maintenant que mon
Seigneur, là où il est, fasse prendre des oracles pour son bien être et celui de la
ville de Mari. Que mon seigneur ne s’inquiète pas ! »
avec un texte qui énumère les éclipses en fonction des mois :
« Si au mois de Tammuz, il se produit une éclipse, il y aura une famine et un
roi qui a du renom [mourra]. La population de la ville s’enfuira.
Si au mois d’Abum, il se produit une éclipse, la moisson se passera bien ; l’armée
du roi recevra une mission glorieuse. » etc.
Le texte a été retrouvé à Mari, mais il vient d’une voisine de Babylone, à en juger
par la ménologie.
ASSYRIOLOGIE 575
d’un signe omineux et une apodose comme « Si tel signe se produit, un dieu qui
t’a jusqu’ici favorisé te reprendra ses faveurs/ce qu’il t’a donné. »
Cette apodose est remplacée par un discours grandiloquent et d’expression
poétique qui va bien au delà. La prophétie est ici une apodose amplifiée.
Nous sommes dans l’extrême Ouest, où les deux genres de divination,
l’hépatoscopique et l’élocution prophétique, sont complètement imbriqués : il
s’agit d’un niveau encore plus primitif que dans la zone médiane que documente
Mari. Le « répondant » « traduit » la pensée du dieu puisque tel est à l’époque le
sens de la racine sur laquelle son nom est construit.
Il y a bien des répondants à Babylone, comme il y a des prophéties dites par une
divinité d’Ešnunna, mais si le fait existe c’est parce que ce sont des Amorrites qui
se sont installés dans ces régions. En revanche, il est intéressant de se rendre compte
que nul texte officiel du pays d’Akkad ni du pays de Sumer ne documente leur
dire. On constatait à l’époque où des Akkadiens dominent à Mari, l’inexistence de
prophéties ; désormais l’une est apparue dans un document de leur époque. Elle
permet de voir que (a) il y avait bien alors autour du grand dieu local, Dagan, des
prophéties, mais que (b) on n’y prêtait pas attention.
Cette indifférence du pays d’Akkad envers le couple Devin-Prophète est
signifiante. Mari considère que le devin appartient à un monde inspiré ; ce dernier
pratique bien le genre de l’apodose ; son verdict de devin se coule déjà dans la
forme rhétorique qui commandera la rédaction des grands corpus divinatoires.
C’est un fait d’emprunt à l’Est. Mais l’extrême-Ouest a conservé un état de choses
plus ancien.
La présence obligatoire d’un devin au moment du sacrifice mariote montre que
l’on pense que le sacrifice n’est pas seulement un moyen de savoir où l’on en est avec
son dieu (favorable/non favorable) ; cet acte sacré est aussi interprété comme
l’occasion pour la divinité de dépasser le rapport avec son fidèle pour proclamer
quelque chose à un être plus lointain. Le devin, comme on le verra, jure d’observer si,
au moment du sacrifice d’un homme du peuple, le dieu entreprend de parler au roi.
À Babylone, le présage porte sa signification propre. L’apodose précise à
l’occasion, à propos d’une observation sur le foie, « pour un particulier cela signifie
telle chose ; pour un homme important telle autre chose ». Il n’y a plus de message
pour le roi derrière la réponse faite au particulier, cela est préalablement codifié.
Conclusion
Dans cette introduction à la divination, on a voulu montrer tout particulièrement
qu’il n’existait pas simplement une divination, comme on le croit généralement,
laquelle se sclérose de plus en plus pour donner les grands recueils, vides d’utilité
d’ailleurs, au Ier millénaire. Il y avait en fait plusieurs façons d’appréhender cette
technique selon les lieux et les mentalités.
578 JEANMARIE DURAND
Il apparaît, selon ces analyses, que l’hépatoscopie est un fait originaire de l’Ouest,
non de l’Est suméro-akkadien ; dans l’Ouest, elle a encore gardé à l’époque de
Mari un aspect concret, qui révèle ses origines ; dans l’Est, s’est construit désormais
tout un système autonome qui entreprend de dégager des principes et d’en tirer
des conclusions.
Dans l’Ouest, il s’agissait en principe de savoir où l’on en était de ses rapports
avec la divinité ; ce n’était qu’un complément normal au sacrifice ; dans l’Est, on
est en route vers une herméneutique qui doit déboucher sur la possibilité de forcer
les secrets des dieux.
Dans l’Ouest, les formes primitives de cette conduite humaine montrent le
devin comme quelqu’un qui fait la part de l’enthousiasme en lui ; il est donc
normalement assisté d’un prophète ; dans l’Est, les deux conduites tendent de plus
en plus à diverger et l’enthousiasme est remplacé par un esprit de logique déductive,
avec recours à la prière ou aux purifications lorsque l’on se rend compte qu’il y a
péril en la demeure.
Maintenant que le cadre est posé, il s’agira de voir comme cette attitude envers
les secrets des Dieux peut influer sur l’exercice du pouvoir.
Activités de la chaire
Publications du professeur
Livres
— La Nomenclature des habits et textiles dans les textes de Mari, Matériaux pour le
Dictionnaire de Babylonien de Paris 1, Archives Royales de Mari XXX, Paris, sous presse.
— La Religion à l’époque amorrite d’après les archives de Mari, Orientalia Lovaniensia
Analecta 169, Louvain, sous presse.
Articles
— « Histoire d’une redécouverte : l’évolution d’une problématique (centre et périphérie) »,
dans « Tell Hariri/Mari Textes », Supplément au Dictionnaire de la Bible 14, Paris, 2008,
col. 214-216.
— « L’amorrite et les particularités syriennes face au “suméro-akkadien” », dans
« Tell Hariri/Mari Textes », Supplément au Dictionnaire de la Bible 14, Paris, 2008,
col. 216-220.
— « Les nomades », dans « Tell Hariri/Mari Textes », Supplément au Dictionnaire de la
Bible 14, Paris, 2008, col. 298-324.
— « Le panthéon et les temples », dans « Tell Hariri/Mari Textes », Supplément au
Dictionnaire de la Bible 14, Paris, 2008, col. 356-371.
— « La vengeance et les cas royaux », dans « Tell Hariri/Mari Textes », Supplément au
Dictionnaire de la Bible 14, Paris, 2008, col. 435-436.
— « Chroniques du Moyen-Euphrate 6. Mesures mariotes avant la babylonisation de
l’écriture », RA 100, 2006 [2007], p. 97-99.
ASSYRIOLOGIE 579
— « “Un habit pour un oracle ! ” À propos d’une prophétie de Mari », dans T. Tarhan,
A. Tibet & E. Konyar (éd.), Muhibbe Darga Armagani, Istanbul, 2008, p. 231-235.
Notes brèves
— « Le nom du désert en amorrite », NABU 2007/56.
— « À propos des shakkanakku de Mari », NABU 2008/18.
— « ARM XXI 59 // ARM XXI 396 », NABU 2008/19.
— « Nouveaux textes de Tell Tâban », NABU 2008/43.
Colloques
Le professeur a organisé une table ronde se tenant à la fondation Hugot du
Collège de France, ayant pour thème, « Les Shakkanakku de Mari, état de la
question », le 7 décembre 2007 et y a présenté une communication sur « la réforme
de l’écriture à Mari ».
Le professeur a organisé avec N. Ziegler une table ronde se tenant à la fondation
Hugot du Collège de France ayant pour thème « Du Habur vers l’Euphrate au
IIe millénaire. Recherches de géographie historique », le 10 décembre 2007, et y a
présenté une communication sur « Le royaume de Nagar d’après les archives d’Ebla
et de Mari ».
Le professeur a participé aux 8e journées d’études franco-syriennes sur les
Archives de Mari (14-15 avril 2008), à Damas, sur le thème « Originalité de la
culture syrienne dans l’Antiquité » où il a présenté une communication sur
« l’écriture en Syrie à l’époque amorrite ».
Le professeur a organisé le 5e colloque orientaliste « Divination et magie dans
les cultures de l’Orient », au Collège de France, les 19-20 juin 2008, en collaboration
avec les Pr P. Filliozat, J.-P. Mahé, et J.-L. Bacqué-Grammont.
Invitations
Deux professeurs étrangers ont été invités à donner des cours au Collège de
France. Mme Maria Giovanna Biga, Professeur à l’Université « La Sapienza » de
Rome, en février 2008, a présenté quatre conférences sur le thème « La Syrie au
IIIe millénaire av. J.-C. d’après les archives d’Ebla », et M. Leonid Kogan, Professeur
à l’Université d’Etat de Russie, a présenté quatre conférences sur le thème « Les
noms des plantes akkadiennes dans leur contexte sémitique ».
Missions de terrain
Le professeur a accompli 3 missions en Syrie. Une première d’une semaine en
janvier 2008 de déchiffrement de textes cunéiformes au musée de Raqqa (Syrie).
Une seconde d’un mois en avril 2008 et une troisième de trois semaines en
septembre-octobre 2008 de déchiffrement de textes cunéiformes au musée de
Dêr ez-Zôr (Syrie).
Histoire et civilisation du monde achéménide
et de l’empire d’Alexandre
Introduit à plusieurs reprises ici même depuis trois ans, Voltaire l’a été d’une
manière à la fois indirecte et insistante l’an dernier, puisque l’on avait dédié une
grande partie du cours à l’analyse du Siècle d’Alexandre (1762 1 ; 1769 2), dont
l’auteur (Linguet) se présentait sans modestie comme l’héritier et le défenseur de
la méthode historienne de Voltaire ; d’une certaine manière Linguet développa
jusqu’à son terme la fameuse affirmation de Voltaire, selon laquelle il n’existait
guère au cours de l’histoire que quatre siècles dignes d’être maintenus dans la
mémoire des hommes ; le Siècle d’Alexandre venait en premier (Annuaire 2006-7,
p. 618-622). L’on sait que traditionnellement Voltaire est considéré comme l’un
des trois auteurs (avec Montesquieu et Linguet) à s’être montrés « favorables au
conquérant ». L’on a déjà observé pourquoi une telle opinion, sans être erronée,
reste partielle et lacunaire (Annuaire 2004-5, p. 595-6). On a aussi rappelé qu’aux
yeux d’Elias Bikerman (Renaissance 1944/5), Voltaire et les déistes anglais avaient
déjà partiellement formulé la conception que Droysen exprima d’un Alexandre
ouvrant la voie qui allait mener à l’avènement du christianisme. C’est à définir plus
précisément la place de Voltaire dans l’historiographie d’Alexandre qu’a été
consacré le cours de cette année, mais aussi, bien entendu, à mettre au jour les
raisons pour lesquelles Voltaire a si fréquemment introduit le cas d’Alexandre dans
le cours de son œuvre.
vues sur le conquérant et les résultats de sa conquête, Voltaire n’a jamais ressenti
la nécessité de consacrer un développement suivi et spécifique à Alexandre, encore
moins un livre.
L’opposition est fermement marquée avec l’histoire ancienne, royaume des fables,
des légendes, et des mensonges. (« Faut-il qu’au siècle où nous vivons on imprime
encore le conte des Oreilles de Smerdis, et de Darius qui fut déclaré roi par son
cheval, lequel hennit le premier ?... »). D’où ses conseils aux jeunes hommes « d’avoir
une légère teinture de ces temps reculés ». Une étude sérieuse de l’histoire ne devrait
se faire que depuis « le temps où elle devient réellement intéressante pour nous : il
me semble que c’est vers la fin du xve siècle […] ».
Tout est dit (et souvent répété !) : mépris pour les contes et légendes, refus de
l’érudition, admiration pour les transformations du monde induites par les grandes
découvertes…, tout éloigne Voltaire d’un intérêt intrinsèque pour l’histoire ancienne.
Certes, il établit des distinctions : pour lui comme chez tous ses contemporains
(Rollin, Mably) et prédécesseurs (Bossuet), on connaît mieux l’histoire ancienne à
partir de la confrontation entre Grecs et Perses (cf. « Histoire » dans Encyclopédie,
1765, ou Pyrrhonisme IX, 1768). Mais, fondamentalement, l’Antiquité n’est pas pour
lui un objet d’études digne pour l’historien : elle reste d’abord et avant tout une
référence, où l’on peut puiser des exemples et des précédents. De même pour l’histoire
d’Alexandre, car les contradictions entre auteurs anciens paraissent insurmontables,
sauf pour les « compilateurs,… modernes perroquets qui répètent des paroles
anciennes… » (Bible, 1776). Il convient donc de s’en tenir à l’essentiel, soit :
« Après cette guerre du Péloponnèse, décrite par Thucydide, vient le tems célèbre
d’Alexandre, prince digne d’être élevé par Aristote, qui fonde beaucoup plus de villes que
les autres n’en ont détruit, & qui change le commerce de l’Univers » (Encyclopédie,
Histoire).
HISTOIRE ET CIVILISATION DU MONDE ACHÉMÉNIDE 583
En deux mots : contre les « déclamateurs » qui, tel Boileau, ont déconsidéré
Alexandre en conquérant et en guerrier téméraire et insensé, il convient de voir en
lui un Législateur, et l’ouvreur de routes commerciales nouvelles semées de villes
neuves, dont le rôle commercial reste toujours aussi puissant de notre temps
(c’est-à-dire celui de Voltaire).
Il y a évidemment ici et là des jugements moins favorables, car le contexte
discursif l’impose. Ainsi dans les Dialogues d’Evhémère (1777), le dialogue entre
Evhémère et Callicrate, au cours duquel le philosophe réduit Alexandre à un
guerrier assoiffé de destructions et de sang :
« Je ne l’ai vu que dans l’Inde et dans Babylone, où j’avais couru comme les autres, dans
la vaine espérance de m’instruire. On m’a dit qu’en effet il avait commencé ses expéditions
comme un héros, mais il les a finies comme un fou : j’ai vu ce demi-dieu, devenu le plus
cruel des barbares après avoir été le plus humain des Grecs. J’ai vu le sobre disciple
d’Aristote changé en un méprisable ivrogne. J’arrivai auprès de lui lorsqu’au sortir de table
il s’avisa de mettre le feu au superbe temple d’Esthékar, pour contenter le caprice d’une
misérable débauchée nommée Thaïs. Je le suivis dans ses folies de l’Inde ; enfin je l’ai vu
mourir à la fleur de son âge dans Babylone, pour s’être enivré comme le dernier des
goujats de son armée ».
18 février 1768). Il n’entend pas non plus nier ou passer sous silence les meurtres
jugés inexcusables : « Celui qui, en écrivant l’histoire d’Alexandre, nierait ou
excuserait le meurtre de Clitus, s’attirerait le mépris et l’indignation » (Lettre au
même du 27 mai 1759).
C’est ce qui explique que Voltaire a repris inlassablement les mêmes propos
favorables à Alexandre dans nombre de ses œuvres, par exemple :
« Il n’est plus permis de parler d’Alexandre que pour dire des choses neuves et pour
détruire les fables historiques, physiques et morales, dont on a défiguré l’histoire du seul
grand homme qu’on ait jamais vu parmi les conquérants de l’Asie.
Quant on a un peu réfléchi sur Alexandre, qui, dans l’âge fougueux des plaisirs et dans
l’ivresse des conquêtes, a bâti plus de villes que tous les autres vainqueurs de l’Asie n’en
ont détruit, quand on songe que c’est un jeune homme qui a changé le commerce du
monde, on trouve assez étrange que Boileau le traite de fou, de voleur de grand chemin,
et qu’il propose au lieutenant de police la Reynie, tantôt de le faire enfermer et tantôt de
le faire pendre… ».
« Tout ce qu’on peut recueillir de certain, c’est qu’Alexandre, à l’âge de vingt-quatre ans,
avait conquis la Perse par trois batailles, qu’il eut autant de génie que de valeur ; qu’il
changea la face de l’Asie, de la Grèce, de l’Égypte, et celle du commerce du monde ; et
qu’enfin Boileau ne devait pas tant se moquer de lui, attendu qu’il n’y a pas d’apparence
que Boileau en eût fait autant en si peu d’années » (Questions sur l’Encyclopédie, s.v.
Alexandre. 1771).
1. Voir par exemple l’échange de lettres entre Voltaire et Frédéric de Prusse en janvier-février
1774 : « Alexandre, le plus dissolu et le plus emporté des hommes […] Il est certain qu’un
caractère aussi peu modéré ne pouvait en aucune façon être comparé à Socrate. Mais il est vrai
aussi que si Socrate s’était trouvé à la tête de l’expédition contre les Perses, il n’aurait peut-être
pas égalé l’activité ni les résolutions hardies par lesquelles Alexandre dompta tant de nations »
(réponse de Frédéric).
2. A ce point, rapprochement avec Alexandre et le meurtre de Clitus.
HISTOIRE ET CIVILISATION DU MONDE ACHÉMÉNIDE 585
Ou encore :
« Alexandre, que des déclamateurs n’ont regardé que comme un destructeur, et qui
cependant fonda plus de villes qu’il n’en détruisit, homme sans doute digne du nom de
grand malgré ses vices, avait destiné sa ville d’Alexandrie à être le centre du commerce et
le lien des nations : elle l’avait été en effet, et sous les Ptolémées, et sous les Romains, et
sous les Arabes. Elle était l’entrepôt de l’Égypte, de l’Europe et des Indes » (Essai sur les
mœurs, Chap. CXLI).
« Les Orientaux comparent Tamerlan à Alexandre ; mais [il est] fort inférieur au
Macédonien, en ce qu’il naquit chez une nation barbare, et qu’il détruisit beaucoup de
villes comme Gengis, sans en bâtir une seule : au lieu qu’Alexandre, dans une vie très
courte, et au milieu de ses conquêtes rapides, construisit Alexandrie et Scanderon, rétablit
cette même Samarcande, qui fut depuis le siège de l’empire de Tarmerlan, et bâtit des
villes jusque dans les Indes, établit des colonies grecques au-delà de l’Oxus, envoya en
Grèce les observations de Babylone, et changea la face du commerce de l’Asie, de l’Europe
et de l’Afrique, dont Alexandrie devint le magasin universel. Voilà, ce me semble, en quoi
Alexandre l’emporte sur Tamerlan, sur Gengis, et sur tous les conquérants qu’on veut lui
égaler » (Essai sur les mœurs, I, p. 807).
La plume se fait même plus élogieuse encore dans l’une des dernières œuvres de
Voltaire, La Bible enfin expliquée (1776), où il reprend des idées et des jugements
déjà exposés à plusieurs reprises, mais auxquels il donne une vigueur encore accrue.
Il polémique contre tous les auteurs de son temps, y compris « des compilateurs
estimables » (Prideaux, Rollin), qui ont répété des fables inventées par Diodore,
Plutarque, Justin. Il estime qu’Alexandre a mené une « guerre légitime », et une
entreprise qui se distingue par ce qu’elle a légué à l’avenir, en particulier des villes
nombreuses et un développement inédit des liaisons commerciales. « J’oserais lui
rendre grâce au nom du genre humain ».
L’image que Voltaire s’est faite d’Alexandre s’insère parfaitement dans son
discours sur le héros et le grand homme 3. Comme il le précise dans son article
des Questions sur l’Encyclopédie, la seule « valeur » (dans le domaine militaire) n’est
pas le critère de distinction décisif : il faut aussi du « génie » (dans le domaine des
réalisations durables). Tel est bien le cas d’Alexandre, dont le génie a été utile au
genre humain (fondations de villes, extension du commerce). En cela le roi
macédonien est ‘moderne’. Au demeurant, dans le chapitre CXLI de l’Essai sur les
mœurs sur le commerce des Portugais, Voltaire interprète aussi le voyage de Vasco
de Gama comme une sorte de fin de cycle ouvert par Alexandre : la circumnavigation
de l’Afrique « changea le commerce de l’Univers », et elle vint mettre fin à la
prospérité d’Alexandrie, que son fondateur (« homme sans doute digne du nom de
grand malgré ses vices ») « avait destiné[e] à être le centre du commerce et le lien
des nations ». Parlant de l’empire d’Alexandre, Voltaire aurait donc pu parfaitement
utiliser la formule introduite pour caractériser le monde nouveau né après les
3. Entre autres nombreux exemples, cf. la lettre à M. Thériot (15 juillet 1735) : « J’appelle
grands hommes tous ceux qui ont excellé dans l’utile ou dans l’agréable. Les saccageurs de
provinces ne sont que héros. »
586 PIERRE BRIANT
4. Voir par exemple Nouveau plan : « Frappés de l’éclat de cet empire [romain], de ses
accroissements et de sa chute, nous avons jusqu’à présent dans la plupart de nos histoires
universelles traité les autres hommes comme s’ils n’existaient pas. La Grèce, les Romains, se sont
emparés de toute notre attention… ».
5. Comme bien d’autres idées de Voltaire, celle-ci fut reprise et développée par Linguet
(Annuaire 2006-7, p. 625-6).
HISTOIRE ET CIVILISATION DU MONDE ACHÉMÉNIDE 587
ne manque pas de renvoyer à Alexandre, dès lors que Pierre parvient aux Portes de
Fer, et il souligne la nécessité de se protéger des barbares (en les attaquant). Scythes
et Tartares ont en effet ont été depuis l’Antiquité une menace constante 6. Contre
beaucoup d’auteurs (Sainctyon, Galand, Petis de la Croix…) qui ont écrit des pages
très positives sur Gengis et sur Tamerlan, Voltaire ne croit pas que ni l’un ni l’autre
puissent être rangés dans sa catégorie du « grand homme ». Il ne croit pas au « bon
sauvage 7 ». C’est ce qui, dans le même ouvrage (Histoire de Russie) et ailleurs,
l’amène à contester avec une extrême énergie la réalité du discours que Quinte-Curce
fait tenir devant Alexandre à un ambassadeur scythe. Déjà introduit dans les
discussions des érudits sur la crédibilité de l’auteur latin 8, le passage est cette fois
utilisé par Voltaire à des fins de politique contemporaine. Il établit une assimilation
entre les Scythes et les Tartares, et entre les Tartares et les Turcs :
« Les Scythes sont ces mêmes barbares que nous avons depuis appelés Tartares ; ce sont
ceux-là mêmes qui, longtemps avant Alexandre, avaient ravagé plusieurs fois l’Asie, et qui
ont été les déprédateurs d’une grande partie du continent. Tantôt, sous le nom de
Mongols ou de Huns, ils ont asservi la Chine et les Indes ; tantôt, sous le nom de Turcs,
ils ont chassé les Arabes qui avaient conquis une partie de l’Asie. C’est de ces vastes
campagnes que partirent les Huns pour aller jusqu’à Rome. Voilà ces hommes désintéressés
et justes dont nos compilateurs vantent encore aujourd’hui l’équité quand ils copient
Quinte-Curce. C’est ainsi qu’on nous accable d’histoires anciennes, sans choix et sans
jugement ; on les lit à peu près avec le même esprit qu’elles ont été faites, et on ne se met
dans la tête que des erreurs ».
Vis-à-vis des Tartares, Pierre, selon lui, se trouve donc dans la même situation
qu’Alexandre face aux Scythes. Ils sont l’un et l’autre des « grands hommes », qui
étendent le domaine de la civilisation, en utilisant des moyens identiques ou
comparables (fondations de ville, extension du commerce), qui ont permis au
premier d’« embellir les déserts », contre des peuples voués à transformer les pays
fertiles en autant de déserts :
« Les rhéteurs qui ont cru imiter Quinte-Curce se sont efforcés de nous faire regarder ces
sauvages du Caucase et des déserts, affamés de rapine et de carnage, comme les hommes
du monde les plus justes ; et ils ont peint Alexandre, vengeur de la Grèce et vainqueur
de celui qui voulait l’asservir, comme un brigand qui courait le monde sans raison et sans
justice. On ne songe pas que ces Tartares ne furent jamais que des destructeurs, et
6. Sur ce point, on a présenté en détail le beau livre de Rolando Minuti, Oriente barbarico e
storiografia settecentesca, Venise, 1994.
7. Voir par exemple ce qu’il écrit à propos des Gaulois et des Germains dans l’Avant-Propos
de l’EM (« Ce que nous savons des Gaulois, par Jules César et par les autres auteurs romains,
nous donne l’idée d’un peuple qui avait besoin d’être soumis par une nation éclairée »), en
concluant : « Vous avez donc grande raison de vouloir passer d’un coup aux nations qui ont été
civilisées les premières ».
8. Cf. La Mothe Le Vayer dès 1646. Dans la deuxième édition de son Examen critique des
anciens historiens d’Alexandre (1804), Sainte-Croix consacre un long passage au discours scythe ;
il considère que Quinte-Curce « y a très bien suivi le style sentencieux et figuré de l’éloquence
propre aux nations sauvages » ; suit un rapprochement (classique à cette époque) avec le discours
d’un chef indien de la nation Oneida, qu’il a lu dans le Voyage dans la Haute-Pensylvanie de
Crèvecœur (1801).
588 PIERRE BRIANT
qu’Alexandre bâtit des villes dans leur propre pays ; c’est en quoi j’oserais comparer Pierre
le Grand à Alexandre : aussi actif, aussi ami des arts utiles, plus appliqué à la législation,
il voulut changer comme lui le commerce du monde, et bâtit ou répara autant de villes
qu’Alexandre » (Histoire de Russie).
Mais, chez Voltaire, au-delà des Scythes et des Tartares, ce sont les Turcs dont
il est question, car ceux-ci « étaient compris parmi ces Tartares que l’Antiquité
nommait Scythes » (EM, chap. LIII). Voltaire a en effet soutenu sans faillir Pierre
puis Catherine dans leur lutte contre les Turcs. Le débat sur le « discours scythe »
et sur Quinte-Curce est un élément de la polémique pro-russe et anti-turque de
Voltaire, qui fut parfois d’une extrême violence.
On est revenu sur Mably et de sa contestation des positions de Voltaire, y
compris le rapprochement entre Alexandre et Pierre. Mably y recourt lui aussi,
mais dans un sens opposé à celui que Voltaire a voulu lui donner. Après avoir mis
fortement en doute dans ses Observations sur les Grecs (1749 et 1762) la vision
développée par Montesquieu d’un Alexandre Législateur 9, il fait de même de
l’image de Pierre chez Voltaire dans De l’étude de l’histoire (1783). La solidité de
l’œuvre de Pierre avait déjà été mise en doute par Rousseau dans le Contrat social
(1762), contre lequel Voltaire avait polémiqué dans la Préface de l’Histoire de
Russie 10. Mably y revient en 1783 :
« Vous avez créé des matelots, des constructeurs, des soldats, des commerçants, des
artistes ; mais si vous ne leur avez pas d’abord appris à être citoyens, quel avantage durable
la Russie retirera-t-elle de vos travaux, de leurs connaissances et de vos talents ? Ce n’est
point par ses chantiers, ses canaux et ses digues que la Hollande est admirable, c’est par
cet esprit qui l’a formée, c’est par les lois qui ont établi sa liberté ».
premier de n’avoir pas profité de ses succès et de ses victoires pour établir un nouveau
gouvernement dans son pays. C’est pour ne l’avoir pas du moins tenté, qu’il sera confondu
avec les princes qui ont un règne glorieux ; mais il ne sera jamais placé au rang des
législateurs et des bienfaiteurs de leur nation ».
Pour terminer, on a explicité et analysé les vues de Voltaire sur les ruines de
Persépolis, et on les a évaluées et interprétées dans le contexte des récits de
voyageurs, et des études sur l’histoire de la civilisation et sur l’histoire de l’art.
Voltaire se place résolument du côté de ceux qui (de Pauw par exemple), comme
Winckelmann, méprisent l’art de Persépolis, au motif qu’il n’y a de beauté qu’à
Athènes et en Grèce (cf. par exemple EM, Introduction, chap. XXIV ; voir aussi
Annuaire 2006-7, p. 621-622, à propos de Linguet et de ses vues sur l’art perse,
largement empruntées à Voltaire). L’on a complété l’analyse par un exposé du
débat né sur ce thème entre le comte de Caylus et le baron de Sainte-Croix.
Séminaire
Le Séminaire a eu lieu sous forme d’un Colloque international tenu au Collège
de France les 9 et 10 novembre 2007 sur le sujet suivant : « Organisation des
pouvoirs et contacts culturels dans les pays de l’empire achéménide ».
Cours à l’étranger
Oxford, 27-28 novembre 2007 : 1. From Darius to Alexander : some thoughts about
continuity and change (Classics Centre); 2. Achaemenid Art and the Internet (Maison française
d’Oxford).
Publications du professeur
« Alexandre ‘héros des Lumières’ », in : Cahiers parisiens, 3, 2007, p. 321-345.
« De Thémistocle à Lamartine. Remarques sur les concessions de terres et de villages en
Asie mineure occidentale, de l’époque achéménide à l’époque ottomane », in : P. Brun (éd.),
Scripta Anatolica. Hommages à Pierre Debord (Études 18), Bordeaux-Paris, 2007,
p. 165-191.
590 PIERRE BRIANT
Collection Persika
Outre ses interventions et missions dans le cadre d’Achemenet (dont elle assure
le Secrétariat éditorial) et du MAVI (voir ci-dessus), Salima Larabi, assistante du
professeur, a réalisé deux nouveaux ouvrages :
Jean Kellens, Études avestiques et mazdéennes 2 (Persika 10), de Boccard, Paris, 2007.
Pierfrancesco Callieri, L’archéologie du Fārs à l’époque hellénistique. Quatre leçons au
Collège de France, 8, 15, 22 et 29 mars 2007 (Persika 11), de Boccard, Paris, 2007.
Épigraphie et histoire des cités grecques
Kénaion, le Pérégète aurait parcouru l’île dans toute sa longueur depuis l’extrémité
nord-ouest, revenant en quelque sorte à son point de départ, puisque la région de
Carystos se trouve à une petite journée de navigation du cap Sounion, par quoi
s’ouvre en effet le livre I de la Périégèse. Telle est du moins l’opinion personnelle
que le professeur croit pouvoir soutenir sur cette question controversée. Mais à
défaut de Pausanias, d’autres auteurs anciens — des plus prestigieux aux plus
obscurs — fournissent de quoi éclairer le destin de la cité d’Érétrie, qui a bénéficié
à cet égard de sa proximité avec Athènes. Par ailleurs, une œuvre aussi tardive et
marginale (ou tenue pour telle) que Les vies des philosophes illustres de Diogène
Laërce s’est avérée être une source capitale pour la phase hellénistique de l’histoire
eubéenne par le biais de la biographie très bien informée que cet auteur du iiie siècle
de notre ère a laissée du philosophe et homme d’État Ménédème d’Érétrie.
Si cette cité mérite, au sein de la tétrapole eubéenne, une attention particulière,
ce n’est pas parce qu’elle n’aurait cessé d’occuper une position prépondérante par
rapport aux trois autres grandes poleis de l’île. Certes, durant la période archaïque
(viie-vie s.), elle est indiscutablement une des cités majeures de la Grèce propre.
Mais les Érétriens furent parmi les peuples grecs les plus touchés par les guerres
médiques (490-479), puis par la lourde domination athénienne ; le redressement
de leur cité est spectaculaire à partir de 411, pas au point cependant qu’ils
puissent prétendre exercer l’hégémonie sur l’ensemble de l’Eubée, où les deux
cités de Chalcis et d’Histiée, d’une taille comparable à celle d’Érétrie, connaissent
également un notable essor, qui se maintient, en dépit des vicissitudes, pendant la
plus grande partie de l’époque hellénistique et encore sous la domination de
Rome. Érétrie, elle, tend alors à se dépeupler et elle disparaîtra, de fait, à une date
relativement précoce (vers le ive s. de notre ère), tandis que ses deux voisines
immédiates, Carystos et surtout Chalcis, subsistent durant toute la période
médiévale et moderne.
Ce qui fait, objectivement, l’importance exceptionnelle d’Érétrie pour l’historien
de l’Antiquité, c’est la qualité de la documentation qui s’y rapporte, tant sur le plan
des sources littéraires que, surtout, au point de vue de l’épigraphie et de l’archéologie.
Le site d’Érétrie est, en effet, le seul de l’Eubée qui ait fait l’objet de fouilles
systématiques, d’abord au tournant du xixe et du xxe s., puis de 1964 à nos jours
par une équipe d’archéologues suisses en collaboration avec le Service grec des
Antiquités. Et si les investigations y ont été particulièrement fructueuses, cela est
dû en partie au fait qu’elles ont eu pour cadre un site dépourvu de toute implantation
byzantine ou ottomane et relativement épargné encore par l’expansion urbaine de
l’époque moderne et contemporaine. Parallèlement, la recherche sur l’histoire
millénaire de cette cité a connu un notable développement, auquel le professeur a
lui-même contribué par d’assez nombreux travaux depuis bientôt quarante ans. Le
cours donné en 2008 a donc permis de présenter un état des lieux, qui, sans
négliger les phases antérieures, privilégie l’histoire des ive et iiie s. avant J.-C.,
époque d’apogée pour la cité, comme en témoigne la grande majorité des
inscriptions, tant publiques que privées. Signalons ici qu’un aperçu synthétique du
ÉPIGRAPHIE ET HISTOIRE DES CITÉS GRECQUES 595
site et de son histoire figure dans l’ouvrage collectif édité par l’École suisse
d’archéologie en Grèce en 2004, Érétrie. Guide de la cité antique. À la même date
paraissait le livre de Keith G. Walker, Archaic Eretria, dont les vues audacieuses,
trop souvent étayées de manière insuffisante, voire erronée, ont été critiquées à
diverses reprises.
1. Voir par exemple D. Novaro, dans Ktema 2007, et pour Érétrie en particulier, Cl. Bérard
dans Technai, Paris 2007 = Mètis n.s. 5, 2007, p. 393 sqq. ; plus généralement A. Schnapp-
Gourbeillon, Aux origines de la Grèce, Paris 2002.
596 DENIS KNOEPFLER
citadelle (qui valut à la ville la même épithète que Corinthe avec l’Acrocorinthe,
soit ophruoessa, « sourcilleuse », accolée au nom d’Érétrie dans l’épopée tardive 2).
Mais cette impression est trompeuse, car au début du Ier millénaire encore, la zone
de la future ville, on le sait désormais, n’était en réalité qu’un delta en formation,
d’où aussi la dispersion de l’habitat primitif. Il ne semble pas y avoir une fondation
stricto sensu, avec délimitation d’un espace urbain et implantation d’une ligne de
défense : de fait, contrairement à ce que l’on a pu croire (ainsi encore Walker), il
n’y a pas d’enceinte urbaine, ni non plus acropolitaine à Érétrie avant la fin de
l’époque dite archaïque, c’est-à-dire le milieu du vie s. au plus tôt 3. L’absence d’un
véritable port naturel — puisqu’au viiie s. encore la presqu’île orientale reste un
îlot — n’enlevait certes pas au site tout intérêt sur le plan des relations maritimes.
Située exactement en face de la baie d’Oropos (la moderne Skala Oropou), la ville
d’Érétrie se trouve placée à un endroit de passage des plus favorables, puisque pour
un navire longeant la côte septentrionale de l’Attique, la baie d’Oropos est la
première à offrir un mouillage ; c’est surtout le point d’arrivée d’une route terrestre
fort importante qui, au départ d’Athènes, contourne le massif du Parnès, et permet
ensuite d’atteindre l’Eubée par voie de mer (sur ces deux routes, les réflexions de
Thucydide, VII 28,1 sont fondamentales). En fait c’est l’existence de ce passage
qui a conditionné, négativement ou positivement, toute l’histoire d’Érétrie, ville
qu’on pourrait qualifier de « porthmique » (du mot porthmos, « traversée maritime »),
comme d’autres cités commerçantes — ainsi Corinthe ou Chalcis — sont
« isthmiques », maîtresses d’un isthmos naturel ou artificiel.
2. Chez Nonnos de Panopolis, Dionysiaques, livre XIII au vers 199 : cf. D. Knoepfler, Ant.
Kunst 12, 1969, p. 82 sqq.
3. Ant. Kunst 51, 2004, p. 91 sq,, en particulier 94-95 ; cf. Guide de la cité antique, p. 27.
4. Voir notamment sa communication dans les actes du colloque de Naples en 1998 (Euboica)
ou, plus récemment, de celui de Volo sur la Thessalie et la Grèce Centrale (2006).
ÉPIGRAPHIE ET HISTOIRE DES CITÉS GRECQUES 597
inscriptions. Cette ville de Graia était dite « érétrienne », car il s’agissait d’un
comptoir fondé par les insulaires, ce qu’atteste du reste explicitement un fragment
de l’historien local Nikokratès qualifiant Oropos de « fondation des Érétriens »
(ktisma Erétriéôn) ; et le professeur a rappelé que, selon lui, le nom même d’Oropos
s’explique comme une variante dialectale d’origine érétrienne de l’hydronyme
Asopos, fleuve béotien dont l’embouchure est toute voisine de ces établissements
archaïques. Oropos est ainsi à placer dans le même contexte historique que celui
qui vit les Eubéens de Chalcis et d’Érétrie fonder des « colonies » (apoikiai) en
Occident (Sicile et Campanie) et dans le nord de l’Égée (golfe Thermaïque et
péninsule Chalcidique). On a montré aussi qu’un lien étroit existait entre ces divers
théâtres d’opération, comme le suggérait déjà, chez Plutarque, l’épisode des
Érétriens à Corcyre et à Méthone (Quaest. Gr. 11 ; Mor. 293A.), dont la datation
dans la seconde moitié du viiie s. est désormais corroborée par des fouilles exécutées
à Méthone même.
Reste évidemment la question de savoir quelle était l’origine des gens qui vinrent
occuper le site d’Érétrie. On ne peut certes exclure l’arrivée d’éléments étrangers à
l’Eubée, à commencer par l’Attique toute proche puisque une tradition faisait venir
d’Athènes les fondateurs de Chalcis et d’Érétrie (chose dont il existe un écho
— longtemps méconnu — dans les sources documentaires : voir Bull. épigr. 2008,
n° 267). Néanmoins, la plus grande partie de la population paraît avoir été de
souche locale, à en juger par l’uniformité de la céramique « géométrique » à travers
toute l’Eubée centrale. Depuis longtemps, la conjecture a été faite que les premiers
Érétriens pourraient avoir eu pour résidence le site archéologique de Lefkandi à
10 km à l’ouest d’Érétrie, qui, de fait, après une phase très brillante à l’époque
proto-géométrique encore, fut progressivement déserté à partir de 750, sans doute
au profit d’un endroit plus aisé à défendre. Cette hypothèse ne manque pas de
séduction, mais on a fait voir qu’elle repose sur des bases en réalité assez fragiles.
En tout cas, il est totalement abusif d’alléguer en sa faveur la distinction faite à
deux reprises par Strabon (IX 2, 1 et X 1, 10) entre une ancienne ville (Παλαιà
Èρbτρια) et la ville actuelle (â νäν Èρbτρια) puisque, selon le Géographe, l’ancienne
aurait été détruite en 490 seulement et aurait été située dans la direction opposée.
La tradition strabonienne comporterait, par conséquent, une double erreur, à la
fois chronologique et topographique, ce qui suffit à rendre bien douteuse cette
théorie 5. Le temps paraît donc venu d’y renoncer.
Quelle qu’ait été l’importance de Lefkandi (dont le nom antique n’est pas connu
avec certitude, l’identification au bourg chalcidien d’Argoura, proposée naguère
par le professeur, restant toujours la plus probable à ses yeux), un autre site
protohistorique doit être pris en considération, qui a aujourd’hui les meilleures
chances d’avoir été la véritable « capitale » des futurs Érétriens : c’est, à une dizaine
5. Elle n’en continue pas moins à avoir d’assez nombreux adeptes : ainsi V. Parker, Der
lelantische Krieg, 1997, ou Walker dans sa récente synthèse érétrienne.
598 DENIS KNOEPFLER
l’épigramme 6. Le fait que les Thessaliens aient participé à cette guerre aux côtés
de Chalcis (Plutarque, Erot. 17) est un argument supplémentaire en faveur d’une
datation basse, puisque c’est seulement au début du vie siècle que se constitue un
État thessalien très actif en Grèce centrale et dans l’Amphictionie pyléo-delphique,
avec du reste un débouché sur le golfe Euboïque en Malide 7. Ce conflit ayant pu
se développer sur plusieurs théâtres d’opération, il est loisible d’y rattacher divers
épisodes guerriers que nous font connaître d’autres sources littéraires ou
documentaires : ainsi, d’après l’historien Konon (résumé dans la Bibliothèque de
Photoius, 186, 44), une guerre livrée par les Milésiens en Eubée même contre les
gens de Carystos, cité toute voisine et donc a priori rivale d’Érétrie, chose que paraît
confirmer un papyrus d’Oxyrhinchos (n° 2508) contenant les bribes d’un poème
élégiaque qui fait mention côte à côte, dans un contexte militaire, des Carystiens
et des Érétriens (Erétriéôn chôron). La guerre « lélantine » n’a pu, en revanche, se
prolonger après la conquête de l’Ionie par les Perses à partir du milieu du vie s.
6. De fait, comme le suggère un jeune historien roumain, M. Adrian Robu, dans une thèse
tout récemment soutenue sur la colonisation mégarienne, il paraît y avoir eu rivalité aiguë entre
ces deux cités lors de la fondation d’Héraclée Pontique vers 560-550.
7. Voir B. Helly, L’État thessalien ; cf. Bull. épigr. 1995, 308.
8. Localisation : cf. M. Zarhnt, Olynth, p. 218, qui met ce comptoir au cap Karabournou,
dans le territoire d’Aineia ; D. Viviers, JHS 197, 1987, p. 193-193, « Peissitratos’ Establishment
on the Thermaic Gulf : a connection with Eretrian colonization ? ».
602 DENIS KNOEPFLER
Mais à quel moment situer le coup d’État de Diagoras ? On le saurait sans doute
mieux si l’on possédait encore la « Constitution des Érétriens » (Erétriôn Politieia)
produite vers 330 par l’École d’Aristote ; mais seules de rares citations en ont été
conservées, dont une concerne justement ce Diagoras : en route pour Sparte, le
personnage serait décédé à Corinthe, ce qui amena les Érétriens à lui élever une
« statue-portrait », eikôn (Héraclide Lembos = FHG II 217). À défaut d’indice
chronologique précis, on a longtemps été tenté de placer cette révolution
« démocratique » le plus tard possible, vers 508, dans le sillage de l’instauration de la
démocratie à Athènes par Clisthène, dont Diagoras aurait été l’émule. Mais à cette
datation basse on a préféré généralement la chronologie plus haute préconisée par Fr.
Geyer (Topographie und Geschichte der Insel Euboia, 1906), qui situe la chose entre
540 et 510, puisque les Pisistratides, chassés d’Athènes en 510, ne purent
apparemment plus bénéficier de l’appui des hippeis d’Érétrie. Cette conclusion paraît
effectivement raisonnable, et elle est adoptée maintenant par Walker (Archaic
Eretria), qui a toutefois cru pouvoir faire un très audacieux pas supplémentaire en
admettant que ces trois décennies correspondaient à la durée effective du « règne »
de Diagoras, dont la tyrannie aurait été ainsi plus longue que celle de Pisistrate ou de
Périandre ! Hypothèse bien invraisemblable. En revanche, il apparaît de plus en plus
clairement, au vu de plusieurs travaux récents sur les débuts de la démocratie grecque
— même si ceux-ci ignorent superbement l’exemple érétrien pourtant tout voisin
d’Athènes 9 — que nulle part ne s’observe un passage direct de l’oligarchie à la
démocratie : quand une phase de transition, de caractère « démagogique », n’est pas
expressément attestée, il faut pratiquement dans tous les cas en supposer l’existence.
Force serait donc de voir en Diagoras un « bon tyran » à la manière de Pisistrate
(comme le fait Walker avec décision) ou au moins une espèce de Solon érétrien,
maintenant l’équilibre entre les prérogatives des anciens oligarques et les nouvelles
aspirations populaires. Cela expliquerait qu’il ait pu ou dû, à un certain moment,
quitter sa patrie et qu’il ait été honoré post mortem par une statue (honneur si
considérable pour l’époque archaïque qu’on pourrait y voir un anachronisme,
puisque Solon lui-même ne paraît pas y avoir eu droit, les premières statues
9. Ainsi E. W. Robinson, The First Democracies, Stuttgart 1997, ou plus récemment encore,
Claudia de Oliveira Gomes, La cité tyrannique. Histoire politique de la Grèce archaïque, paru à
Rennes en 2007.
ÉPIGRAPHIE ET HISTOIRE DES CITÉS GRECQUES 603
Ce n’est donc, en fin de compte, que bien peu d’années avant le début du conflit
avec l’Empire perse qu’Érétrie dut entrer en « isonomie », sans doute au sortir d’un
bref intermède de tyrannie populaire : cette réforme constitutionnelle pourrait
devoir être mise en relation plus ou moins directe avec la mainmise des Athéniens
sur les terres des « hippobotes » chalcidiens (Hérodote V 77 ; cf. Bull. épigr.
2008, 236), avec l’aide au moins passive des Érétriens. Or, c’est précisément en
506 que la Chronique d’Eusèbe, dans sa liste des « thalassocraties », fait commencer
la période où Érétrie aurait été la principale puissance navale. En 490, à l’heure de
10. Ainsi déjà Busolt-Swoboda, Griechische Staatskunde, Munich 1926 ; cf. surtout H. Berve,
Griechische Tyrannis, Darmstadt 1967.
604 DENIS KNOEPFLER
l’attaque perse, le régime des hippeis appartenait en tout cas au passé de la cité. Dès
499 les Érétriens s’étaient engagés aux côtés des Athéniens dans le soulèvement des
cités de l’Ionie contre le Grand Roi. On a fait valoir les raisons de penser que leur
engagement fut plus considérable qu’on ne le croit, ce qui explique la rigueur du
châtiment qu’ils eurent à subir. Déjà le témoignage d’Hérodote est révélateur,
puisqu’il en ressort que c’est pour aider les gens de Milet, en vertu d’une ancienne
alliance, et non point par crainte de leurs désormais puissants voisins d’Athènes,
qu’ils furent pratiquement les seuls Grecs continentaux à venir au secours de leurs
frères d’Ionie (V 99). On a noté au passage que si les autres Eubéens s’abstinrent,
c’est qu’ils n’avaient pas ou plus de flotte à cette date, tandis que les Érétriens
disposaient certainement d’au moins vingt navires, qui leur permettaient de
contrôler le trafic maritime dans tout le canal euboïque (au témoignage d’une
célèbre inscription archaïque 11) ; cette orientation vers les choses de la mer
transparaît en d’autres documents érétriens : ainsi, à la fin du ve s. encore, la belle
dédicace d’un collège de « marins éternels », Aeinautai 12 (le mot lui-même était
déjà attesté une fois, pour Milet — chose notable — par un texte de Plutarque,
Quaest. Gr. 32). Malgré la faiblesse de leurs effectifs (quelques centaines d’hommes
transportés sur cinq vaisseaux), les Érétriens s’illustrèrent durant l’expédition contre
Sardes, capitale régionale de l’Empire perse, puisque leur chef, l’athlète Eualkidas,
perdit la vie en combattant, ce qui lui valut d’être chanté par le poète Simonide
de Kéos dans une épigramme malheureusement perdue. Hérodote n’a pas méconnu
ce haut fait, même si Plutarque, dans son traité Sur la Malignité d’Hérodote, accuse
le grand historien d’avoir passé sous silence leur principal exploit, dont cet auteur
dit avoir trouvé la mention dans les Eretri(a)ka d’un certain Lysanias de Mallos
(FGHist 426 F) : à savoir leur participation à une expédition navale destinée à
repousser la flotte perse, par quoi ils avaient contribué à la victoire des forces
ioniennes sur les Chypriotes au large de la Pamphylie. Ce texte tardif a été le plus
souvent rejeté ou ignoré, sous prétexte qu’il contient une évidente erreur
chronologique (l’expédition vers Chypre ayant eu lieu après et non point avant la
marche contre Sardes) ; mais il est aisé de la rectifier sans compromettre l’information
de base, de même qu’on doit, de toute nécessité, amender le texte pour faire du
complément bκ Κuπρου non pas la patrie des adversaires des Grecs en cette bataille
navale (les Chypriotes ayant été d’emblée les alliés des Ioniens), mais le simple
point de départ de la flotte perse en marche contre l’Ionie. D’autre part et surtout,
on a négligé un témoignage numismatique d’un grand intérêt, fourni dès 1935 par
un trésor monétaire trouvé fortuitement à Larnaka 13 (l’ancienne Kition), qui avait
fait connaître, entre autres émissions chypriotes des alentours de 500, celle d’un
atelier inconnu, dont le type de droit est certes assez commun (gueule de lion),
alors que celui du revers, infiniment plus rare, imite très fidèlement l’octapode ou
11. Reprise en dernier lieu chez H. Van Effenterre-F. Ruzé, Recueil d’inscriptions politiques et
juridiques de l’archaïsme grec, 1, n° 91.
12. SEG XXXIV 898. Cf. Walker, p. 127, qui la date comme toujours beaucoup trop haut.
13. P. Dikaios et S. Robinson Num. Chron. 1935, p. 165-190 (cf. 1937) = IGCH n° 1272.
ÉPIGRAPHIE ET HISTOIRE DES CITÉS GRECQUES 605
poulpe des monnaies frappées à Érétrie (avec, au droit, une vache se retournant
pour lécher son sabot, ce bovidé, bous, étant en quelque sorte l’emblème de l’Eubée
riche en bovins, euboia). Une telle convergence ne saurait être fortuite, pas plus
qu’est due au hasard la présence des types érétriens dans le monnayage de Dikaia,
colonie d’Érétrie sur la côte thrace. C’est donc la preuve qu’un roi chypriote, au
moment de l’expédition de 499, voulut marquer ainsi son alliance avec les Érétriens
venus à son secours. Tout récemment, un nouveau trésor est venu non seulement
confirmer que ces monnaies circulaient avec celles d’Érétrie même (comme l’avait
fait voir dès 1978 le célèbre trésor d’Asyut en Égypte) mais apporter, grâce à un
exemplaire de grand module — aujourd’hui au Cabinet des Médailles de Paris
— le nom du souverain qui les avait émises, soit (en syllabaire local), A-ri-si-to-pa-
to, c’est-à-dire Aristophantos 14. Si l’éditrice, la numismate suisse S. Hurter, a bien
compris l’intérêt historique de ce trésor, le témoignage de Plutarque lui a échappé
(comme à tous ses devanciers), qui seul permet de comprendre la raison d’être des
émissions du roi Aristophantos, dont on situera la capitale sur la côte nord de l’île,
peut-être à Marion ou mieux à Soloi, dans la baie même où se livra la bataille
navale, en face de la Pamphylie. Quant à la cité de Mallos, patrie de l’historien
Lysanias, elle se trouve en face de la pointe orientale de Chypre, et cette proximité
géographique pourrait bien être à l’origine de l’intérêt qu’un citoyen d’une ville
cilicienne fut amené à porter à l’histoire d’Érétrie.
Mais de cet auteur on n’a rien conservé d’autre. L’essentiel de ce que l’on sait sur
les péripéties de la cité pendant la première guerre médique (490) vient d’Hérodote
qui, ayant vécu temporairement à Athènes, devait être bien informé sur la grande île
voisine. Son récit de l’expédition punitive envoyée par Darius contre les Athéniens et
les Érétriens témoigne en tout cas de sa connaissance des réalités topographiques (VI
100-101). Après un premier débarquement à Carystos, les Perses se rapprochèrent le
plus possible de la ville d’Érétrie par voie de mer, ne laissant pas aux habitants le
moyen de livrer bataille dans de bonnes conditions, ce qui explique assez pourquoi,
obligés de s’enfermer dans leurs murs, ils ne purent résister bien longtemps et furent
victimes d’une trahison, alors que les Athéniens, eux, eurent le temps de se porter
contre l’ennemi débarqué à Marathon, évitant ainsi de voir des traîtres ouvrir aux
Perses les portes de la ville. En effet, contrairement à ce que donnent à penser la
plupart les éditeurs et traducteurs, le premier des trois bourgs érétriens mentionnés
par Hérodote dans ce contexte ne s’appelait pas Tamynai : ce nom résulte d’une
correction érudite au xviiie s., qui aurait dû être abandonnée depuis longtemps, car
on sait aujourd’hui que Tamynai était non pas une localité côtière (près d’Aliveri)
mais une bourgade située à l’intérieur des terres (près d’Avlonari), à une bonne
vingtaine de km au nord-est de la ville. En réalité, le nom authentique, dans les
manuscrits, est Téménos, qu’il faut chercher sur le littoral s’étendant d’Érétrie à
Amarynthos, exactement comme les deux autres localités (Aigilea/Aigalè et
14. S. Hurter, Quaderni Ticinesi 2006, p. 54-56 ; pour l’inscription cf. aussi M. Egetmeyer,
Kadmos 46, 2007 (2008).
606 DENIS KNOEPFLER
Choiriéai 15). C’est donc à une faible distance de la ville que les Perses débarquèrent,
ce qui eut à la fois un effet positif et un effet négatif pour le peuple des Érétriens : si
la ville elle-même fut, au moins partiellement, livrée au flamme — l’étendue de la
destruction est l’objet d’une vive discussion entre archéologues (notamment sur le
point de savoir dans quelle mesure fut détruit le temple d’Apollon Daphnéphoros,
achevé une quinzaine d’années plus tôt) — et si la population urbaine eut à l’évidence
beaucoup à souffrir de cette attaque, bon nombre de citoyens vivant à la campagne
put, en revanche, échapper à la vindicte des Perses, quoi qu’ait prétendu la tradition
historiographique en dehors d’Hérodote.
Ce qui est sûr, c’est qu’un certain nombre d’Érétriens furent effectivement
emmenés en captivité jusque à Suse, résidence du roi Darius : le récit d’Hérodote
15. Pour la situation desquelles voir D. Knoepfler, Décrets érétriens, 2001, p. 103 sqq.
16. Mais on signalera que pour M. Moggi, Studi Classici e Orientali 17, 1986, p. 213 sq.,
Platon n’a pas eu d’autre source qu’Hérodote.
ÉPIGRAPHIE ET HISTOIRE DES CITÉS GRECQUES 607
en porte témoignage, qui précise que ces prisonniers — après un très long voyage
— furent installés à une quarantaine de km de la capitale de l’Empire, à Arderrika,
à proximité — relève l’historien (VI 119) — d’un « puits extraordinaire » fournissant
trois produits différents : « car on y puise du bitume (asphaltos), du sel (hals) et de
l’huile (élaion) » : nul doute, comme cela a été reconnu de longue date, que ces
déportés se trouvèrent ainsi placés dans les parages d’un puits de pétrole, le premier
qui soit attesté dans l’histoire de l’humanité ! Mais sa localisation dans la région
de Dizful (peut-être à Kir-Ab, nom signifiant du reste « Eau bitumineuse »)
demeure d’autant plus problématique qu’on est là dans une zone bouleversée par
l’exploitation industrielle du précieux liquide et peut-être par les récents
affrontements entre l’Iran et l’Irak. Si Hérodote n’a pas nécessairement décrit cet
endroit de visu, il put visiblement recueillir de la bouche d’un témoin oculaire des
informations sur les Érétriens d’Arderrika, puisqu’il les décrit comme parlant
toujours, à l’époque où lui-même écrivait (mekhri emeou), leur ancienne langue
(tèn archaian glôssan), c’est-à-dire leur parler d’origine 17. Mais quel fut après cette
date, à situer vers 440, le sort des Érétriens d’Arderrika ?
Si Xénophon, chose normale du reste, ne les mentionne pas dans son Anabase,
on a pu montrer que le souvenir d’une population grecque installée au cœur de
l’Empire perse subsistait chez les historiens d’Alexandre (ainsi Quinte-Curce
comme aussi Diodore) et d’abord, bien sûr, dans les sources contemporaines
(perdues), non sans confusion parfois sur leur origine ethnique ou sur le lieu de
leur déportation. De ces témoignages se dégage l’impression que vers la fin du
ive s. cette population d’ores et déjà bilingue (diglôssos) n’était plus très éloignée
de perdre définitivement son identité ; car si Strabon, à l’extrême fin de l’époque
hellénistique, évoque encore ces Érétriens établis en Gordyène (XVII 1, 24), cela
ne prouve évidemment pas qu’ils existaient toujours à l’époque d’Auguste. On est
d’autant plus surpris d’apprendre que le village des Érétriens aurait encore été
visité, au milieu du ier siècle de notre ère, par le philosophe, prédicateur et
thaumaturge Apollonios de Tyane au cours du long voyage qu’il aurait fait jusqu’en
Inde. Le personnage est certainement historique, mais sa biographie, qui nous est
connue essentiellement par la Vie d’Apollonios du sophiste Philostrate, au début du
iiie siècle ap. J.-C., comporte un nombre élevé d’épisodes entièrement fictifs. Dans
un mémoire en préparation depuis longtemps, le professeur montre que tel est bien
le caractère de cette prétendue visite, qui fourmille d’invraisemblances et
d’anachronismes. Mais ce long excursus sur la situation des Érétriens, leurs activités
professionnelles, leur état de santé, leurs monuments funéraires et honorifiques
(pour les rois des Perses, de Darius le Grand à Daridaios, alias Dareiaios ou
Darius II, mort en 404) remonte manifestement à un témoin oculaire beaucoup
plus ancien. Sur la base d’indices remarquablement convergents, on peut identifier
sûrement ce témoin au médecin Ctésias de Cnide, qui séjourna à la cour de Suse
aux alentours de 400 avant J.-C. Dès lors, cet extrait de la romanesque Vie
17. Pour le sens de archaios/palaios chez Hdt. voir Edm. Lévy, Ktéma 2007, avec cet exemple.
608 DENIS KNOEPFLER
d’Apollonios devra être considéré, pour son noyau essentiel, comme un « fragment »
supplémentaire, jusqu’ici méconnu, des Persika de Ctésias (ouvrage récemment
édité dans la Collection des Universités de France par les soins de D. Lenfant),
d’un grand intérêt pour la biographie du personnage, puisque du chiffre 88 indiqué
par Philostrate pour le nombre d’années pendant lequel les Érétriens continuèrent
à faire usage de l’écriture il devient possible d’inférer que le passage de Ctésias à
Arderrika (probablement lors d’un déplacement de Suse à Ecbatane en compagnie
de son royal patient Artaxerxès II) eut lieu exactement en 402 av. J.-C., fournissant
ainsi la preuve définitive que Ctésias était à la cour des Achéménides depuis 404
au moins. À l’extrême fin du ve s., les descendants des prisonniers de 490 non
seulement parlaient toujours le grec, mais ils l’écrivaient encore, utilisant pour cela,
selon toute vraisemblance, le vieil alphabet eubéen « épichorique », alors qu’à
Érétrie même celui-ci était justement en passe de sortir complètement de l’usage,
comme l’atteste en particulier un célèbre décret de l’année 411. On a fait voir aux
auditeurs, par plusieurs exemples examinés en séminaire, ce qui différencie les
inscriptions érétriennes traditionnelles des monuments gravés selon le nouvel
alphabet, dit attico-ionien.
Dans cette longue tranche d’histoire, les questions qui ont été proposées à
l’attention et à la critique des auditeurs ont été principalement les suivantes :
II. Érétrie dans les affres de la guerre civile. La nouvelle loi contre la tyrannie.
À la lumière de cette importante inscription, publiée en 2002-2003 par les soins du
professeur, il importait de reconsidérer une phase particulièrement troublée de
l’histoire de la cité, entre 366 (date où la tyrannie fait son apparition pour Érétrie
dans les sources littéraires), et 341 (époque où le tyran Kleitarchos fut abattu manu
militari au terme d’une expédition menée par Athènes dans le but de libérer l’Eubée
de l’emprise du roi Philippe de Macédoine). Il a ainsi été possible de faire le point
sur plusieurs documents athéniens mentionnant les Érétriens, en particulier le décret
IG II2 125, dont le professeur avait montré naguère qu’il ne pouvait s’appliquer à la
610 DENIS KNOEPFLER
conjoncture de 357 mais devait être rapporté aux événements dramatiques de l’année
348 et ne datait lui-même que des alentours de 343, datation qui, avec les restitutions
nouvelles qu’elle impliquait, a été largement entérinée par les spécialistes (cf. en
dernier lieu S. Lambert, ZPE 161, 2007, p. 68). Temporairement libérés de leur
« tyran » Ploutarchos (allié de Midias, l’ennemi personnel de Démosthène), les
Érétriens connaissent une nouvelle et ultime phase de tyrannie en 342 -341, qui
mène la cité au bord de la guerre civile : « pauvres et malheureux Érétriens »,
s’exclame l’auteur de la Midienne dans un discours de l’hiver 342/1 (IX 66). C’est
manifestement à cette époque de lutte intense contre Kleitarchos et ses acolytes que
se réfère, dans sa partie la plus originale, la loi votée au lendemain de la libération de
341, puisqu’elle prévoit, dans les termes les plus précis, la manière d’organiser la
guérilla contre les adversaires du régime démocratique (fort précisément défini
comme étant la politeia où tous les citoyens sont admis au tirage au sort donnant
accès à la boulè). Chemin faisant, on a examiné quelques problèmes subsistant dans
la restitution et l’interprétation de ce texte amputé. Si un nouveau supplément
proposé par l’historien britannique Robert Parker a pu être d’emblée accepté, le
professeur a dû combattre en revanche l’interprétation et la chronologie d’une jeune
historienne allemande (A. Dössel : cf. Bull. épigr. 2008 n° 265), qui voudrait distinguer
pas moins de trois lois dans cet ensemble, la dernière pouvant être, selon elle, l’œuvre
du seul parti démocratique installé à Porthmos avant son expulsion en 342 : ce texte
législatif est certes constitué de strates successives, mais il a été tout entier réécrit au
moment de la libération (comme la loi d’Eukratès à Athènes en 336), et c’est
l’Artémision d’Amarynthos qui, jusqu’à preuve du contraire, reste le lieu d’exposition
le plus vraisemblable de cette grande stèle, non pas la forteresse de Porthmos.
entre 300 et 250 environ. Mais les informations fournies par ce texte ne sont
utilisables que si elles peuvent être datées. Or, le cadre chronologique de la Vie de
Ménédème a été l’objet, depuis au moins un siècle, de vives discussions : autour de la
date-pivot qu’a constitué la bataille de Lysimacheia en 278, s’ajoutant à la conviction
que Ménédème était mort à 74 ans, une chronologie haute s’était imposée, qui faisait
naître le philosophe vers 350 déjà et disparaître dès après cette victoire du roi
Antigone sur les Galates, tandis que, depuis l’historien Beloch en 1927, on préférait
à juste titre, mais non sans rencontrer de sérieuses difficultés, une chronologie basse,
où Ménédème né vers 339 seulement, prolongeait son existence jusque vers 267. En
1991, le professeur a pu démontrer que ces deux systèmes étaient l’un et l’autre
rendus caducs par une erreur remontant à la fin du xviie s. : la préférence,
philologiquement injustifiée, donnée à la leçon de la vulgate pour l’âge de Ménédème,
soit 74 ans, alors que la leçon authentique lui donne en réalité 84 ans d’existence.
Cette rallonge de dix ans a permis de dater correctement un épisode capital de la
biographie : l’envoi, à l’âge de 20 ans environ, du futur philosophe à Mégare comme
garnisaire. Le professeur a pu montrer en effet aux auditeurs que seul le soulèvement
de la plupart des cités de Grèce propre contre le pouvoir macédonien à la mort
d’Alexandre en 323, permettait de rendre compte de cette opération insolite,
Mégariens et Érétriens ayant été alors parmi les très rares peuples à demeurer fidèles
au régent Antipatros. Dès lors, tout s’éclaire : Ménédème, né vers 345/4, eut tout le
loisir, entre 322 et 310 environ de faire les longs séjours de formation à l’étranger
qu’évoque le biographe, et c’est seulement après 304, voire plus tard encore, qu’il a
entamé sa carrière politique à Érétrie ; son décès n’est survenu que vers 262, plusieurs
années après qu’il eut été obligé de fuir sa patrie pour des raisons politiques, laps de
temps pendant lequel il essaya en vain d’obtenir du roi Antigone, son ancien élève,
que fût rendu à ses compatriotes le régime démocratique aboli ou suspendu après la
prise de la ville par ce monarque 268/7 très probablement. C’est donc dans ce cadre
qu’il convient d’ordonner désormais les autres épisodes marquants de la biographie.
Par ailleurs, on a essayé de reconstituer, à l’aide cette fois des décrets érétriens
parvenus jusqu’à nous, les vicissitudes de la « cité de Ménédème », entre 322 et 301,
période particulièrement bien documentée (voir Décrets érétriens, n° VI-XIV).
IV. La cité à l’époque du roi Démétrios, les ambassades de Ménédème avant et après le
tournant de 286. C’est en bonne partie sous le règne de ce roi Démétrios Poliorcète,
dont Plutarque a laissé une biographie riche en informations, que s’est développée la
carrière politique de Ménédème. Mais il n’est plus possible d’admettre que la
première ambassade du philosophe auprès de ce souverain — celle où il plaida « avec
gravité » (et sans doute succès) la cause de la petite cité d’Oropos, toute vosine
d’Érétrie — eut lieu dès 304, quand ce fils d’Antigone le Borgne se rendit maître de
toute la région : malgré l’autorité de Louis Robert, qui l’avait prônée en 1960, cette
datation se heurte effet à des difficultés insurmontables : il faut donc abaisser
l’époque de l’ambassade jusque vers 295, quand Oropos put être arrachée à la
domination des Athéniens qui étaient alors les adversaires déclarés de Démétrios.
Proche à certains égards de ce souverain, Ménédème fut plus d’une fois député auprès
de lui par ses compatriotes : vers la fin du règne, il se vit confier la mission difficile
d’obtenir un allègement de la très lourde dette que les Érétriens avaient accumulée
(200 talents, une somme colossale pour une cité de cette taille). Il sut également lui
résister : dans un passage mal interprété ou même incorrectement édité, le biographe
indique qu’en tant que haut magistrat (proboulos), il fit obstacle à ceux qui cherchait
à s’appuyer sur le roi pour établir une oligarchie, sauvant ainsi sa cité de la menace
« des tyrans ». Un tel épisode est parfaitement en situation dans la période 294-287,
quand Démétrios imposait un régime de cette nature aux Athéniens eux-mêmes.
De fait, Ménédème continua à exercer de hautes magistratures après le tournant de
287-286, quand, partant pour l’Asie, le roi dut relâcher sa tutelle sur les cités
de Grèce propre, puis leur restituer de fait leur autonomie. De ce retour à la liberté
vers 285 on a un témoignage épigraphique méconnu pendant plus d’un demi-
millénaire : c’est la « loi sacrée » copiée en 1436 par le célèbre voyageur Cyriaque
d’Ancône, décret qui fait état d’une libération de la cité et du rétablissement de la
démocratie après le départ inopiné d’une garnison. Depuis un fameux mémoire de
Maurice Holleaux en 1897 — qui est un chef-d’œuvre insurpassable d’érudition
critique et de rhétorique au service de l’intelligence historique — on a été convaincu
que cette libération était à mettre en relation avec un épisode sensiblement plus
ancien de l’histoire de l’Eubée dans ses rapports avec le Koinon béotien (Holleaux
ayant su démontrer que la cité avait adhéré à la confédération voisine au moment de
promulguer la loi en question). Mais cette exégèse si séduisante se heurte aujourd’hui
à des objections dirimantes. Il faudra donc savoir y renoncer en faveur d’une datation
au milieu des années 280, époque de renouveau pour l’État fédéral béotien. Il n’en
reste pas moins certain que la période béotienne d’Érétrie ne fut pas de longue durée.
Plusieurs documents attestent un prompt retour à l’autonomie et à ses institutions
ancestrales : c’est déjà le cas du décret proposé par Ménédème en personne au
lendemain de la victoire du roi Antigone à Lysimacheia en 278, décret non retrouvé
ÉPIGRAPHIE ET HISTOIRE DES CITÉS GRECQUES 613
Dans une séance de séminaire tenue le 18 avril 2008, le professeur d’abord puis
surtout Mme Brigitte Le Guen, professeur à l’Université de Paris VIII, ont examiné
avec les auditeurs une inscription eubéenne justement célèbre, la loi sur les
« technites dionysiaques » (acteurs et musiciens) émanant des quatre cités de l’île
et datant à coup sûr de la domination de Démétrios Poliorcète (soit très
probablement des années 295-287 environ). Spécialiste reconnue de l’histoire du
théâtre grec en général et des associations d’artistes en particulier, elle a pu mettre
en évidence l’intérêt exceptionnel de cette inscription, bien au-delà du cadre
historique strictement eubéen (cf. Bull. épigr. 2007, 328).
Lors d’une séance de séminaire (16 mai 2008), M. Sylvian Fachard, secrétaire
scientifique de École suisse d’achéologie en Grèce, auteur d’une thèse maintenant
achevée sur Les fortifications de l’Érétriade à l’époque classique et hellénistique, a
entretenu le public de ses recherches et de ses fouilles ; son exposé très richement
illustré a montré tout ce qu’une exploration systématique du territoire apportait à
la connaissance de la polis Eretriéôn, de son organisation, de son économie et
d’abord, bien sûr, de son système de défense.
Trouvée au printemps 2001 par le propriétaire d’un terrain situé sur une colline
du village d’Aghia Paraskevi, dans la basse vallée de l’Anthémonte, à environ 15 km
au sud-est de Thessalonique, cette inscription, longue de 105 lignes, contient une
série de décrets portant sur les conditions et modalités de la réconciliation à
effectuer au sein de la cité des Dikaiopolites, ainsi que le texte du serment par
lequel ils s’engagent tous à maintenir la paix civile en respectant les accords et
l’amnistie décrétés. Le texte est daté par la mention du roi Perdikkas III de
Macédoine (365-359 av. J.-C.), qui est le garant du traité. Le premier résultat de
l’étude a été de permettre de localiser la colonie érétrienne de Dikaia sur la côte
orientale du golfe Thermaïque, non pas certes à l’endroit d’où proviendrait la stèle
selon le paysan qui l’a remise au Service archéologique (malgré l’existence, là, d’un
établissement archaïque et classique de caractère agricole), mais, sur la base d’un
témoignage décisif et d’un faisceau d’indices, au site occupé aujourd’hui par la
petite ville côtière de Nea Kallikrateia (à quelques 40 km de Thessalonique), qui
s’est avéré être le véritable lieu de la découverte. La localisation de Dikaia sur la
côte de la Crousside s’accorde parfaitement avec les témoignages épigraphiques,
notamment avec la mention de cette cité entre Aineia et Potidaia dans la liste des
théarodoques d’Épidaure. La seule difficulté est que Dikaia ne figure pas dans
l’énumération détaillée des bourgades côtières de la Crousside que fournit, chez
Hérodote, l’itinéraire de la flotte de Xerxès vers Thermè. Mais cette objection peut
aisément être écartée, si la colonie érétrienne de Dikaia été fondée seulement après
les guerres médiques, vers 470 av. J.-C. (date limite basse). De fait, on connaît
dans cette région d’autres colonies datant du ve siècle av. J.-C., plus précisément
de la pentékontaétia entre les guerres médiques et la guerre du Péloponnèse : c’est
le cas de Bréa et surtout d’Amphipolis, toutes deux colonies athéniennes.
ÉPIGRAPHIE ET HISTOIRE DES CITÉS GRECQUES 615
Bien qu’il ne s’agisse pas d’un texte purement dialectal, l’inscription n’est sans
intérêt pour la langue parlée à Dikaia, car elle contient des formes ioniennes qui se
retrouvent dans les inscriptions d’Eubée (et en particulier d’Érétrie) et de la
Chalcidique. On notera cependant l’absence du rhotacisme, trait spécifiquement
érétrien attesté au ve et dans la première moitié du ive s. av. J.-C., absence qui pourrait
s’expliquer de deux manières, soit que Dikaia eût été fondée à une date encore
antérieure à l’apparition de ce phénomène, soit qu’elle eût subi de bonne heure
l’influence du dialecte eubéen de ses voisins les Chalcidiens de Thrace, lequel ne
connaît effectivement pas le rhotacisme. Compte tenu de la date proposée ci-dessus
pour la fondation de Dikaia, c’est la seconde explication qui paraît devoir être
retenue. Il faut remarquer aussi que l’onomastique de Dikaia, telle qu’elle apparaît
dans ce document, est purement érétrienne, puisque tous les noms de personnes se
retrouvent à Érétrie, à l’exception d’un seul, Argaios, qui est sans aucun doute
d’origine macédonienne.
À l’intérieur du bref règne de Perdikkas III (365-359 av. J.-C.), il paraît possible de
préciser encore davantage la date de l’inscription en fonction des événements
survenus dans la région au cours de ces six ans. L’intérêt des rois de Macédoine pour
la vallée de l’Anthémonte et la Crousside remonte haut dans le temps. Mais au début
du ive s. cette zone du golfe Thermaïque limitrophe de la Confédération chalcidienne
était devenue un enjeu important dans les manœuvres des grandes puissances. Ayant
adhéré à la Seconde ligue athénienne dès sa fondation en 377 av. J.-C., Dikaia se
trouvait dans le camp des adversaires des Chalcidiens, toujours hostiles aux tentatives
des Athéniens pour remettre la main sur Amphipolis. Dans ce but, Athènes avait
cherché à gagner le soutien des rois de Macédoine. C’est ce qu’avait fait notamment
Iphicrate, ami personnel d’Amyntas III, en 370/69, sans grand succès, faute de
moyens suffisants. Mais en été 364 l’Athénien Timothéos revint avec une flotte plus
importante et, avec l’appui du jeune roi Perdikkas désormais majeur, il parvint à
s’emparer de Potidée et de Toronè aux dépens des Chalcidiens. Cette victoire permit
sans doute à Perdikkas d’étendre son influence sur la Crousside, y compris Dikaia.
On peut montrer que si Perdikkas s’allia alors avec Timothéos, c’est pour lutter
contre Pausanias, prétendant au trône de Macédoine, qui « disposait d’une armée de
soldats grecs et s’était emparé d’Anthémonte, de Therma, de Strepsa et de quelques
autres places ». La base de son pouvoir se trouvait donc dans la Mygdonie orientale.
Or, on retrouve ce Pausanias parmi les théarodoques d’Épidaure (vers 360 av. J.-C.)
où il représente Kalindoia, une cité de cette région, de même que sur des monnaies
de la même période. Très vraisemblablement, Pausanias avait le soutien des
Chalcidiens de Thrace, ennemis à la fois d’Athènes et du royaume de Macédoine.
L’inscription fournit également de précieuses informations sur la topographie
publique et sacrée de la ville de Dikaia : outre l’agora et le sanctuaire d’Apollon
Daphnéphoros, elle mentionne un sanctuaire d’Athéna, située sans doute sur
l’acropole, exactement comme celui qu’ont révélé tout récemment, à Érétrie même,
les fouilles menées sur l’acropole par S. Huber. Toutefois, il ne fait aucun doute
qu’Apollon Daphnéphoros était la divinité principale de Dikaia comme d’Érétrie :
616 DENIS KNOEPFLER
c’est ce dieu, en effet, qui garantit le serment, et c’est à son profit que seront
confisqués les biens des contrevenants éventuels. On y apprend par ailleurs que
« les sanctuaires les plus saints » de la cité étaient au nombre de trois (l. 6) : il est
donc raisonnable de penser que la troisième de ces divinités majeures n’était autre
qu’Artémis Amarysia, exactement comme dans la métropole.
La prééminence du culte d’Apollon Daphnéphoros est mise en évidence par la
mention d’un mois nommé Daphnéphoriôn, attesté ici pour la première fois : il
s’agit sans aucun doute d’un emprunt au calendrier érétrien, étudié naguère par le
professeur Knoepfler dans le cadre d’une étude d’ensemble sur les calendriers des
cités de l’Eubée et de leurs colonies (Journal des Savants, 1989). Il faudra désormais
en modifier partiellement les conclusions en fonction de ce nouveau nom de mois,
que l’on est tenté de placer en tête de l’année chalcido-érétrienne (qui commençait
aux alentours du solstice d’hiver). Le nom de ce nouveau mois invite en outre à
postuler l’existence, à Dikaia comme d’abord à Érétrie, d’une grande fête annuelle
appelée Daphnéphoria.
Activités diverses
Toutes ces thèses ont obtenu l’appréciation la plus favorable (summa cum laude)
et seront, pour la plupart, publiées à très brève échéance.
Distinction
Par ailleurs, en juin 2008, au moment de quitter la Faculté des lettres et sciences
humaines de l’Université de Neuchâtel où il aura enseigné trente ans durant,
d’abord en tant que maître assistant, puis, dès 1984, comme professeur titulaire de
la chaire d’archéologie classique et d’histoire ancienne, il a reçu le titre de
« professeur honoraire » de cette Université.
618 DENIS KNOEPFLER
Colloques, Conférences
1. « Enseigner au Collège de France : pour quel public, sur quelles matières, dans quelles
conditions ? », causerie présentée devant le Lycéum-Club de Neuchâtel, 8 novembre 2007.
2. « Du vallon des Muse Héliconiades à l’Éros thespien de Praxitèle avec Pausanias et
François Chamoux », communication à l’Académie des Inscriptions et Belles-Lettres dans le
cadre de la journée d’hommage à l’helléniste François Chamoux (1915-2007), Paris,
11 janvier 2008.
3. « L’Étolie victorieuse des Galates à Delphes et à Thermos : réflexions autour d’une
statue-trophée et de son image monétaire à l’époque des monarchies hellénistiques »,
communication donnée au colloque Image du pouvoir, Pouvoir de l’image, organisé à
l’Université de Bâle par l’Association interdisciplinaire EIKONES, Bâle, 19 mai 2008.
4. « L’institution du concours musical des Artémisia d’Amarynthos : retour sur une
inscription d’Érétrie un siècle après sa découverte », conférence-séminaire donnée à la Scuola
Normale Superiorie di Pisa, à l’invitation de son directeur, le prof. Carmine Ampolo, Pise,
12 juin 2008.
5. Présentation à l’Académie des Inscriptions et Belles-Lettres du volume collectif intitulé
Old and New Worlds in Greek Onomastics, edited by Elaine Matthews, London, The British
Academy 2007, Paris, 26 septembre 2008.
Publications
Nullus enim fons non sacer, « il n’y a de source, en effet, qui ne soit sacrée ». C’est
en ces termes que le commentateur de l’Enéide de Virgile, Servius, expliquait l’emploi
par le poète, de l’expression sacer fons, « source sacrée », au vers 84 du livre 7.
Cette formule lapidaire met à l’aise le lecteur moderne qui est persuadé que le
sujet n’a rien de surprenant. La source est sacrée, on vénère et on supplie le sacré
qui est dans l’eau pour obtenir un bienfait, généralement la santé. Voilà ce que le
lecteur entend en lisant le commentaire de Servius. C’est la sacralité active de l’eau
qui semble en cause, c’est cela que les Anciens étaient censés rechercher. Et le
lecteur pense immédiatement à Lourdes, à Vichy, Ax, Ferrières, Spa, Bagnères-de-
Bigorre et tant d’autres stations thermales. La formule de Servius n’a toutefois pas
le sens que les modernes ont tendance à lui accorder après un siècle et demi de
thermalisme. Pour désarmer le contresens potentiel, nous avons examiné le mythe
moderne qui détermine notre perception du culte des sources. Depuis l’époque
romantique, il existe en effet une approche particulière des phénomènes naturels
et de leur culte, qui exprime une vision chrétienne de la nature et de ses merveilles,
et qui s’inspire des pratiques populaires. Le thème du culte de l’eau s’est répandu
à travers l’Europe du Nord, en Allemagne et en France notamment, où le thème
s’est fortement développé. On le trouve déjà dans la Deutsche Mythologie de Jakob
Grimm, qui fut publiée en 1835. En France, le thème est ressassé depuis la même
époque. Le début de la XVe leçon sur La religion des Gaulois d’Alexandre Bertrand
(Paris 1887, 191-212) suffit pour résumer le thème : « À côté du culte des pierres,
à côté du culte du soleil et du feu existait en Gaule le culte des eaux, des sources,
des fontaines, des lacs et des rivières. Ce culte très répandu paraît même avoir été
celui qui répondait le mieux aux instincts religieux de nos populations primitives,
622 JOHN SCHEID
celui qui parlait le mieux à leur esprit et à leur cœur. Ce culte a laissé sur le sol les
traces les plus nombreuses et les plus profondes. Nous oserions le qualifier de culte
national par excellence. » Quant à l’antiquité évidente de ce culte, Bertrand
considérait qu’il n’avait pas « été introduit par Rome en Gaule ; l’influence religieuse
des Romains en Gaule, tout à fait superficielle, se fit à peine sentir aux couches
profondes de la population. On ne peut l’attribuer aux Galates conquérants qui,
sans clergé et d’ailleurs relativement peu nombreux, avaient abandonné aux druides
le gouvernement des âmes. Ces superstitions, ces pratiques qui relèvent de la vieille
croyance aux esprits, peuvent avoir été plus ou moins réglées, réglementées par les
druides, comme cela paraît avoir également été pour les feux solsticiaux ; les druides
n’en ont point été les premiers missionnaires. Ce culte, comme celui des pierres,
comme celui du feu, est prédruidique, s’il n’est pas préceltique. Il est le produit de
la race. »
Ce thème cher aux folkloristes eut une fortune particulière chez les historiens de
l’Antiquité. Jules Toutain le reprend dans le premier volume de ses Cultes païens dans
l’Empire Romain (Paris, 1907, I, 372-284), il l’a aussi étendu au culte des eaux dans
la Grèce antique (Nouvelles études de mythologie et d’histoire des religions antiques,
Paris 1935, 268-294). Camille Jullian a écrit dans sa monumentale Histoire de la
Gaule (VI, Paris 1920, 56) que « la moitié de la vie dévote, pour le moins, se passe
auprès des fontaines ; et les lieux de rendez-vous les plus populaires, ceux où l’on
rassemble le plus d’idoles, de chapelles et de croyants, sont ceux où la multiplicité
des eaux peut faire croire aux hommes que les dieux y tiennent assemblée ». Dans la
lignée de cette tradition, Albert Grenier a consacré l’épais IVe volume de son Manuel
d’architecture gallo-romain (Paris 1960) aux Villes et sanctuaires des eaux. Comme S.
Deyts, par exemple, l’a déjà souligné (« Cultes et sanctuaires des eaux en Gaule »,
dans Archeologia 37, 1986, 9-30, notamment p. 19), le recensement fait par Grenier
oriente « parfois le lecteur vers certaines conclusions hâtives ». S. Deyts conclut avec
beaucoup de bons sens : « Un sanctuaire, tout comme un village ou un établissement
agricole, ne peut s’installer qu’à proximité d’un point d’eau. De ce fait, la liaison
entre vital et sacramental ne peut pas être prise comme postulat. »
Pour ce qui concerne le culte des eaux, M. Eliade institue les cultes des eaux à côté
des dieux ouraniens, des cultes solaires, de la mystique lunaire, des pierres et des
arbres sacrés, de la terre et de la fécondité (Traité d’histoire des religions, Paris 19742,
165-187). Son cinquième chapitre, consacré au Eaux et au symbolisme aquatique
commence par cette phrase : « Dans une formule sommaire, on pourrait dire que les
eaux symbolisent la totalité des virtualités ; elles sont à la fois fons et origo, la matrice
de toutes les formes d’existence. » À l’appui, M. Eliade cite des textes védiques. Cette
virtualité de toutes les formes, les Eaux (avec majuscule) la remplissent partout :
« Quelle que soit la structure des ensembles culturels dans lesquels elles se trouvent,
elles précèdent toute forme et supportent toute création. L’immersion dans l’eau
symbolise la régression dans le préformel, la régénération totale, la nouvelle naissance,
car une immersion équivaut à une dissolution des formes, à une réintégration dans le
mode indifférencié de la préexistence… Le contact avec l’eau implique toujours la
régénération ; d’une part, parce que la dissolution est suivie d’une ‘nouvelle
naissance’, d’autre part, parce que l’immersion fertilise et augmente le potentiel de
vie et de création. L’eau confère une ‘nouvelle naissance’ par un rite initiatique, elle
guérit par un rituel magique », et ainsi de suite. Un peu plus loin (169), nous lisons
que « Symbole cosmogonique, réceptacle de tous les germes, l’eau devient la
substance magique et médicinale par excellence ; elle guérit, elle rajeunit, assure la
vie éternelle ». Et encore « L’eau vive rajeunit et donne la vie éternelle ; toute eau, par
un processus de participation et de dégradation… est efficiente, féconde ou
médicinale. De nos jours encore, dans la Cornouaille, les enfants malades sont
immergés trois fois dans le puits de Saint-Mandron. En France, le nombre de
fontaines et de rivières guérissantes est considérable… hors de ces sources, d’autres
eaux possèdent une valeur en médecine populaire. » Comme preuve pour ces
affirmations, Eliade cite le Folkore de France de Paul Sébillot, notamment au volume
II, 175-303 (Paris 1905), et d’autres folkloristes, anglais ou allemands, qui tous
reprennent et développent les théories romantiques sur les cultes naturels, sur le sacré
qui résiderait et se manifesterait dans les phénomènes naturels. Jamais un document
précis n’est cité dans son contexte ; seules sont invoqués quelques citations et des
résumés établis par des folkloristes. Rien dans cette superficialité anachronique ne
surprend le lecteur d’aujourd’hui, et pour cause : elle exprime élégamment la
624 JOHN SCHEID
communis opinio de l’Occident moderne, et son point de vue sur la religiosité, tel
qu’il a été forgé par quinze siècles de pensée et de pratique judéo-chrétienne. Le
véritable intérêt du Traité d’histoire des religions de M. Eliade, tout comme les écrits
plus anciens des folkloristes et de ceux qui s’en inspirent réside dans une réflexion
contemporaine sur la religiosité, la nôtre et celle des autres, mesurée à l’aune de nos
concepts et a priori.
Les pages que Georg Wissowa (Religion und Kultus der Römer, Munich 19122,
219-229) a consacrées aux divinités des sources et des fleuves donnent toutes les
informations sur les divinités en cause, sur leur culte et leurs particularités et
reconnaissent parfaitement le caractère guérisseur de certaines de ces divinités, mais
sans invoquer comme argument la survivance de ces fonctions dans le folklore
moderne. De la même manière, G. Dumézil se conforme à la constatation qu’il
fait dans le chapitre de sa Religion romaine archaïque intitulé Forces et éléments (Paris
19872, 379) : « En face de (l’)imposante représentation des forces qui animent
l’agriculture et l’élevage, en face de Tellus qui les soutient et de Carna qui en rend
efficaces les produits, les Romains n’ont pas fait large la part divine de l’eau. » Et
dans la suite, sur deux pages, il donne un résumé de Wissowa, avec quelques
remarques de son crû. Pas davantage que chez Wissowa, le naturalisme religieux et
ses avatars romantiques ne jouent un rôle dans l’œuvre de Dumézil. C’est ce point
de vue que nous avons adopté au cours de ces leçons.
Mais l’intitulé du cours, la mention du culte des eaux, ne sont-ils pas déjà un
choix, une concession faite à la phénoménologie ou au folklore ? D’une certaine
manière oui, mais il faut bien se comprendre et savoir de quoi on parle. En
revanche, les eaux et les sources ne sont pas pour nous les éléments vénérés en tant
que tels, mais la propriété des divinités des sources ou des cours d’eau, près desquels
et dans lesquels elles résident.
Revenons aux théories du passé concernant les eaux et les sources. Chez les
folkloristes aussi bien que M. Eliade (cf. Traité 38) et ceux qui adoptent leurs idées,
on décèle trois a priori avant tout. Le premier est fondamental et dépasse largement
les eaux et les sources : tout phénomène naturel est censé être sacré. Et par sacré,
ces théories entendent une qualité intrinsèque et agissante, presque indépendante
de la divinité qui est en cause, telle qu’elles a été définie dans le célèbre livre de
Rudolf Otto sur Das Heilige (1917, traduit en français sous le titre Le Sacré en
1929), ou dans les autres travaux de la phénoménologie religieuse, comme ceux de
Van der Leeuw ou de L. Lévy-Bruhl. Tous ces travaux conféraient une substance
suprahistorique à cette notion, à cette essence, même si elle était liée, les documents
obligent, à une hiérophanie. C’est une interprétation philosophique et théologique
de l’histoire religieuse, qui aboutit au mystère de l’incarnation, comme chez Eliade,
et non une enquête historique. Il va sans dire que cette position ne peut aller de
pair qu’avec une approche très superficielle et réductrice des sources. En tout cas,
le fait que dans les phénomènes naturels insolites se manifeste « le Sacré » est un
premier a priori qu’il faut vérifier.
RELIGION, INSTITUTIONS ET SOCIÉTÉ DE LA ROME ANTIQUE 625
La déduction de ce premier a priori est que l’eau, en tant que phénomène naturel
souvent surprenant, est sacrée en elle-même. Cette déduction, qui paraît être
confirmée par des documents comme le passage de Servius cité plus haut, n’implique
toutefois pas que ce caractère sacré doive être interprété comme le font Eliade ou
les folkloristes. Enfin, le troisième a priori réside dans la vertu guérisseuse de l’eau.
Cette affirmation non plus n’est pas fausse. Il existe des divinités de sources qui
ont des vertus salutaires ou curatives. Mais cette activité thérapeutique n’est pas la
raison de leur caractère sacré et de leur culte. Malgré un avertissement (« Épigraphie
et sanctuaires guérisseurs en Gaule », dans Mélanges de l’École Française de Rome.
Antiquité 104, 1992, 25-40), que certains collègues ont pris au sérieux,
l’interprétation traditionnelle continue. On peut par exemple lire dans un article
et un ouvrage récents que nous ne parlerions en fait que des textes et des inscriptions,
mais que dans la réalité, sur le terrain, dans l’archéologie, il en irait différemment.
On nous apprend dans cet article qu’« il convient… de mettre entre parenthèses,
sur des matières aussi délicates et qui touchent aux mentalités profondes, le
scepticisme de mise chez les purs intellectuels — il s’agit de l’auteur de ce cours —,
qui risquent de passer à côté de survivances précieuses » (Raymond Chevallier,
« Problématique de l’étude des cultes des eaux thermales : Gaule et Italie du Nord »,
dans Lidio Gasperini, Usus veneratioque fontium. Fruizione e culto delle acque
salutari nell’Italia romana <1993>, Tivoli 2006, 139-160, notamment 153). Nous
nous sommes par conséquent attaché dans ces cours à prouver une fois de plus,
non seulement à partir des documents explicites, qu’il s’agisse des textes littéraires
et des inscriptions, nourriture du « pur intellectuel », mais encore à l’aide des
sources archéologiques explicites, explorées la truelle et le crayon à la main, que
toutes les sources et eaux ne sont pas guérisseuses, et que celles qui le sont opèrent
selon d’autres modalités que nos centres thermaux modernes ou nos hôpitaux.
reconnaissaient que le souvenir thérapeutique des eaux avait survécu sur le plan local,
mais que les qualités de l’eau ne correspondaient pas aux indications de Pline
l’Ancien. En tout cas, les deux savants démontrent que l’utilisation des eaux était
désormais épisodique et dépourvue de tout aspect religieux. Et il en va de même avec
beaucoup d’autres sites antiques, qui ne sont plus un lieu de cure de nos jours, et
inversement, beaucoup de sites thermaux actuels n’ont pas été utilisés dans
l’Antiquité. Pour se prononcer sur l’existence d’une survivance du culte d’une source,
il convient donc de disposer d’une documentation qui permet de reconstituer la vie
du site pendant le Moyen Âge et l’époque moderne, et de documents antiques
établissant sans ambiguïté l’existence d’une exploitation de la source et de son culte.
L’intérêt de ce type d’enquête dépasse le problème des cultes de source et concerne
tous les lieux de culte, surtout ceux qui étaient situés sur le territoire rural des cités.
Bien souvent, quand nous disposons de sources documentaires, nous nous rendons
compte qu’entre la réutilisation d’un site au Moyen Âge ou l’époque moderne et
l’abandon du lieu de culte antique, il existe une longue solution de continuité. Et
quand le site est réutilisé, le contexte religieux du sanctuaire et sa fonction sont très
différents. Autrement dit, la question des survivances n’est nullement inintéressante.
Elle est trop importante pour être invoquée à tort et à travers, et sans le support d’un
socle documentaire sérieux.
Nous avons conduit l’enquête en deux temps. Nous avons d’abord feuilleté les
auteurs antiques pour découvrir quelle signification avaient pour eux les phénomènes
naturels et notamment les sanctuaires de sources. Dans un premier temps, nous
avons repris le dossier des bois sacrés, tel que nous l’avions développé il y a quelques
années dans un colloque (O. de Cazanove (éd.), Les bois sacrés, Naples, 10, 1993,
13-20), en y ajoutant quelques précisions, Le spectacle de la nature intacte,
impressionnante et, pour ainsi dire, originelle, suscitait chez les Anciens un certain
effroi, qui ne provoquait toutefois pas l’extase mystique. Tout au contraire, le frisson
éveillait la raison et des réactions religieuses tout à fait rationnelles. Les forêts
profondes, les marécages, les lacs insondables et la haute montagne situés à l’extérieur
des espaces habités passaient pour chaotiques, laids et terrifiants, ils n’attiraient
personne. Ils correspondaient à ce que les philologues appellent le locus horridus,
contraire du locus amoenus (cf. Ermanno Malaspina, « Tipologia dell’inameno nella
letteratura latina. Locus horridus, paesaggio eroico, paesaggio dionisiaco : una
proposta di risistemazione », dans Aufidus 23, 1994, 7-22). Seuls les phénomènes
naturels inclus dans l’espace humain pouvaient susciter des émotions profondes.
L’effroi qu’ils soulevaient débouchait sur une réflexion concernant l’ordre des choses.
Nous avons ensuite regardé de près les deux textes qui développent la signification
des phénomènes naturels, ceux de Sénèque (Lettres à Lucilius 3, 41, 1-5) et de Pline
l’Ancien (Histoire naturelle 12, 3-5) que tous les auteurs ont invoqué depuis le début
RELIGION, INSTITUTIONS ET SOCIÉTÉ DE LA ROME ANTIQUE 627
du XIXe s. Sénèque et Pline considèrent les bois sacrés dans leur majesté comme des
lieux intacts, sombres, déserts, stériles, autrement dit comme des réalités non
artificielles, non créées, non entretenues et non habitées par l’homme. Avant d’aller
plus loin, nous avons souligné que les deux auteurs n’assimilent nullement les bois
sacrés ou les autres phénomènes naturels surprenants à des divinités. Dans un exposé
général sur les qualités des arbres, Pline affirme que jadis les forêts servaient de
temples aux divinités ; avant de résider dans des temples construits de main
d’homme, c’est dans les forêts que les dieux habitaient. D’autre part, un arbre pouvait
être dédié à une divinité, en raison de son aspect remarquable ou de son essence
particulière. Enfin, Pline rappelle que les mythes ont peuplé les forêts de Silvains, de
Faunes et de diverses sortes de déesses. Nulle part, toutefois, il ne déclare que les
dieux étaient des arbres, ou les arbres des dieux ; aucun culte n’est rendu à des arbres.
Chez Sénèque, il s’agit d’illustrer à Lucilius comment un spectacle extraordinaire
conduit à la supposition qu’un dieu est à l’œuvre dans cette chose, ou dans cet
homme. Car Sénèque veut démontrer qu’il y a un dieu qui agit dans chacun d’entre
nous. Les phénomènes naturels servent de preuve à son argumentation. Le spectacle
d’un vieux bois sacré provoque un choc, mais cet ébranlement frappe l’animus,
« l’esprit », et suscite un mouvement de recul respectueux plutôt qu’un élan mystique.
L’aspect exceptionnel du lieu signale l’intervention d’un dieu, d’une uis ou d’un
numen divins. Créé et poussé à des hauteurs ou des profondeurs effarantes par la
volonté d’un dieu, un lucus révèle par son aspect miraculeux qu’il n’est pas de ce
monde, ou que son créateur et maître ne sont pas du monde des humains. Le numen
évoqué par Sénèque ne désigne jamais, jusqu’à l’époque d’Auguste, et même au-delà,
une « réalité numineuse » ou une « divinité ». G. Dumézil (La religion romaine
archaïque, Paris 19872, 36-48 pour la bibliographie) a prouvé définitivement, contre
les tenants de l’animisme, que ni les emplois du terme, ni les contextes ne prouvent
l’existence de cette forme divine diffuse et anonyme, qui ressemble tant à la Weltseele
des Romantiques. Le texte de Sénèque est parfaitement clair, comme le sont
également celui de Virgile racontant la visite d’Énée sur le site du futur Capitole
(Enéide. 8, 352), ou la description de l’Antre de Cilicie par Pomponius Mela
(Chorographie 1, 72-75) : les dieux habitent ces lieux, « ils se révèlent avec une sorte
de puissance divine ». Virgile n’écrit pas quis deus, incertum est, est deus, mais quis
deus, incertum est, habitat deus. Et le specus de Cilicie est augustus et uere sacer
habitarique a diis et dignus et creditus, nihil non uenerabile et quasi cum aliquo numine
se ostentat. Le merveilleux est un signe du divin, il renvoie à l’intervention d’une
divinité, à son action, sa volonté (numen), à sa présence dans un lieu, et non à la
divinité de ce lieu ou de cet être, et à la Nature créatrice. Autrement l’homme idéal
imaginé par Sénèque, dont on reconnaît qu’il est habité par le souffle d’un dieu,
serait lui-même dieu, ce qui ne correspond ni à l’intention ni à l’opinion de Sénèque.
Par conséquent, les exemples pris par Sénèque pour illustrer son argumentation ne
peuvent pas être interprétés différemment : les bois sacrés, les cavernes (non manu
factas, « qui ne sont faites de main humaine »), les fluminum capita, « les sources de
fleuves », les sources chaudes ou les étangs insondables sont l’œuvre, la propriété et/
ou le lieu de résidence d’une divinité, ils ne sont pas des dieux eux-mêmes.
628 JOHN SCHEID
Sacrés en tant que propriété et lieu de résidence d’une divinité, les bois sacrés
portent la marque du non-humain, du surhumain. Car, il faut encore le souligner,
sacer signifie, malgré les emplois métaphoriques du terme, « ce qui appartient à un
dieu », et cela seulement « après consécration officielle par un agent du Peuple
romain ». Les textes de Sénèque et de Pomponius Mela contiennent de nombreux
renvois à la signification précise du terme sacer : habitare — augustus et uere sacer
— habitarique a diis ; uis isto diuina descendit ; caelestis potentia agitat ; sine
adminiculo numinis — cum aliquo numine se ostentat. Le problème de la relation
entre la nature et la religion se pose sans doute en d’autres termes dans d’autres
civilisations, mais il semble que, dans le monde romain, c’est de cette manière qu’il
faut comprendre les sources.
Quelle est alors la signification religieuse des bois sacrés à Rome ? Il ne s’agit pas de
donner d’emblée une réponse globale, applicable à la fois aux représentations que
nous trouvons dans les documents littéraires et aux témoignages liturgiques et
archéologiques. Ces deux ordres de documents appartiennent à deux univers
différents, dont les lois ne sont pas les mêmes. Dans les rituels et sur le terrain, un
bois sacré est une réalité « muette », dont seuls l’agencement et les règles liturgiques
peuvent définir le caractère, de manière implicite et suivant des contextes très
variables. Même si elles ne s’appuient pas sur cette même réalité cultuelle, les
définitions et les descriptions des antiquaires, grammairiens, poètes ou philosophes
appartiennent à l’ordre de l’interprétation, et se placent sur un plan général et dans
une logique qui n’est régie par aucune contrainte rituelle. On peut certes s’attendre à
ce que ces deux ordres de sources se rejoignent, mais la prudence recommande de les
analyser séparément. L’approche archéologique et liturgique du problème est difficile.
Devant l’apparent « silence » des sources non littéraires, il est nécessaire d’explorer
dans un premier temps la signification du terme lucus chez les auteurs latins, sans
vouloir réduire entièrement les sources archéologiques et rituelles à cette définition.
Les érudits romains donnent des bois sacrés deux définitions concurrentes, qui ne
sont pas exclusives. D’une part, un lucus est, à proprement parler, une « clairière »
ouverte dans un bois (Ernout-Meillet, Dictionnaire étymologique de la langue
latine s.v. ; Thesaurus Linguae latinae s.v.). D’autre part, sur un plan plus général, les
Romains établissent également une opposition entre le lucus, et les deux autres
termes désignant les forêts, nemus et silua. Le texte de référence est extrait du
Commentaire de l’Enéide par le grammairien Servius, dans la version de P. Daniel :
« Un lucus est un ensemble d’arbres soumis à des obligations religieuses, le nemus un
ensemble d’arbres bien ordonné, et la silua une forêt épaisse et sans entretien »
(Servius de P. Daniel, Commentaire de l’Énéide 1, 310 : Interest… inter nemus et
siluam et lucum ; lucus enim est arborum multitudo cum religione, nemus uero composita
multitudo arborum ; silua diffusa et inculta.) Cette définition est celle d’un
grammairien du V e s., il faut le préciser, et ne donne pas forcément le sens de ces
termes et de ces réalités religieuses, qui ont pu en outre varier selon le lieu et le
temps. Mais faute de mieux, nous pouvons débuter un raisonnement à partir de ces
définitions.
RELIGION, INSTITUTIONS ET SOCIÉTÉ DE LA ROME ANTIQUE 629
c’est-à-dire pour en faire un templum au sens premier, un terrain orienté selon les
points cardinaux et définis après consultation de Jupiter. Le templum est un lieu
installé en commun par Jupiter et les représentants de la cité, le bois sacré qui
existait par exemple au Capitole avant la libération du lieu de toute servitude, sa
définition par la parole et enfin l’inauguration, était un lieu que les dieux avaient
eux-mêmes créé et occupé. Enfin, les rites des arvales en leur bois sacré montrent
que le côté impénétrable et sauvage est en fait construit par les interdits, les
expiations et l’élagage rituel qui a lieu chaque année. Le lucus est une catégorie
rituelle, le reste ce sont des commentaires de rites ou des définitions lexicographiques.
Mais ces interprétations ont l’avantage de révéler comment les Anciens comprenaient
les phénomènes naturels surprenants.
Sur le bord de ce bassin se dresse un templum avec une statue de Clitumne en toge
prétexte. Cette tenue n’est pas anodine, car elle indique que dans ce sanctuaire public
la divinité exerce le pouvoir, autrement dit que son numen y est présent ; sa volonté
et son pouvoir sont efficaces en ce lieu. Maître du lieu, Clitumne n’est pas seul dans
son sanctuaire. Conformément aux principes du polythéisme antique, son temple
est entouré des chapelles d’un certain nombre d’autres divinités. « Chacune a son
culte spécial, son nom et quelques unes même leurs sources. Car outre Clitumne qui
est comme le père des autres, il y en a de plus petites, ayant chacune leur lieu
d’origine, mais qui viennent se mêler à la rivière sur laquelle est un pont. ». Nous
ignorons quels sont ces dieux, mais ce ne sont pas forcément des divinités de sources,
car Pline précise que certaines de ces divinités possèdent même une source. Nous
découvrons donc que les divinités vénérées près d’une source ne sont pas simplement
la source, mais les propriétaires de la source. Pline distingue donc les Aquae, le fons
ou les Nymphes de la divinité qui est leur maître.
Un peu plus bas que le temple et son bassin, un pont se jette sur le Clitumne,
qui représente « la limite du sacré et du profane », is terminus sacri profanique
(8, 8, 5). En amont, on peut seulement se déplacer en barque, donc à la surface
de l’eau inviolable ; en deçà du pont, l’eau est profane, c’est-à-dire propre à
l’utilisation par les humains. La partie sacrée de la source, donc tout ce qui est en
amont du pont, est aussi inviolable qu’un lucus, une aire consacrée ou la cella d’une
aedes, et on y pénètre uniquement pour célébrer le culte, pour préparer ou pour
entretenir le sanctuaire.
est merveilleux par ses îles flottantes. Ces lieux naturels surprenants n’étaient pas
sacrés en eux-mêmes, comme nous l’avons vu. Et Pline n’écrit rien de tel. Ils l’étaient
en tant qu’ils étaient la création immédiate d’une divinité et une propriété divine
immédiate, que les hommes se bornaient à reconnaître et à consacrer comme telles.
D’un côté le bassin qui est sacré, qui est la résidence du dieu et de ses pairs, où l’on
ne peut pénétrer, de l’autre la même eau, désormais profane, où l’on peut pénétrer et
dont ont peut aussi se servir. Les eaux sacrées sont donc intouchables par les humains.
Ceux-ci peuvent les contempler, se mouvoir à leur surface, y faire des offrandes, mais
jamais s’en servir pour des activités humaines. Cette règle, qu’il faudra essayer de
détecter ailleurs, est en tous points conforme aux qualités spécifiques de l’espace
sacré dans le droit sacré romain ; elle vaut pour les bois sacrés aussi bien que pour les
temples, pour les espaces qualifiés de sacrés.
Nous avons ensuite retrouvé cette représentation du sanctuaire de source dans
deux images, celles qui ornent la patère dite d’Otañez (Fr. Diez de Velasco,
Termalismo y religion. La sacralización del agua termal en la Peninsula Ibérica y el
norte de Africa en el mundo antico, Madrid 1988, 47-48) et le manche d’une patère
de Capheaton (Northumberland, au British Museum). Dans les deux cas, la source
et l’eau qui s’en échappe sont clairement séparées d’un bassin ou d’un réceptacle,
contenant une eau qui est utilisable par les mortels.
Tous les documents examinés permettent de dresser la liste des principales
caractéristiques que les auteurs antiques donnent de l’aménagement rituel d’une
source.
a. La source jaillit dans un bois sacré, dans une clairière. Dans un cas, la source
jaillit sous un temple. Le texte de Pline, mais aussi l’inscription de la patère d’Otañez
(Salus Umeritana) signalent des qualités surprenantes, la force et la blancheur, ou
la salubrité, qui sont autant de signes qu’une divinité est à l’œuvre ;
b. la source se déverse dans un premier bassin qui est sacré, ce qui signifie sur le
plan rituel, que les mortels ne peuvent pas entrer physiquement en contact avec elle ;
c. la seule activité possible dans cette partie du lieu est le culte, célébré à distance
prudente. On peut aussi regarder la source, sur le Clitumne on peut même faire
une promenade en barque, et offrir des monnaies ;
d. une limite, qui est un pont dans les deux documents explicites : le Clitumne
et la patère d’Otañez, marque la transition vers le deuxième bassin de la source,
qui est profane. Les mortels peuvent désormais se plonger dans l’eau de la source,
la puiser et la manipuler.
nombreux cas, le résultat de cette enquête a été positif. Nous avons retrouvé la même
bipartition des espaces, entre le lieu sacré, propriété de la divinité, et la partie profane,
où les mortels peuvent vaquer à leurs occupations. À Bath, par exemple, on discerne
très bien la volonté de respecter la forme irrégulière de la source, autour de laquelle
sont construits, d’un côté, le temple et ses annexes, strictement réservés au culte, de
l’autre les thermes utilisant la source. En revanche le captage de la source n’est
accessible aux visiteurs que par le regard. La même configuration de l’espace est par
exemple attestée à Villards d’Héria, chez les Séquanes (W. Van Andringa, « Un grand
sanctuaire de la cité des Séquanes : Villards d’Héria », dans M. Dondin-Payre,
M.Th. Raepsaet-Charlier, Sanctuaires, pratiques cultuelles et territoires civiques dans
l’Occident romain, Bruxelles 2006, 121-134.), en pays trévire, à Wallerborn
(W. Binsfeld, « Das Quellheiligtum Wallenborn bei Heckenmünster <Kreis
Wittlich> », dans Trierer Zeitschrift 32, 1969, 239-268.) ou à Hochscheid
(G. Weisgerber, Das Pilgerheiligtum des Apollo und der Sirona von Hochscheid im
Hunsrück, Bonn 1975 ), et à Balaruc, en Narbonnaise (Carte Archéologique de la
Gaule 03, 1989). En Afrique romaine correspondent encore à ce modèle les
sanctuaires de source des Aquae Septimianae près de Timgad (L. Leschi, Etudes
d’épigraphie, d’archéologie et d’histoire africaines, Paris 1957, 240-245 ; M. Le Glay,
« Un centre de syncrétisme en Afrique : Thamugadi de Numidie », dans Africa
Romana 8, 1991, 67-78.), les Aquae Flavianae, près de Théveste (J. Birebent, Aquae
Romanae. Recherches d’hydraulique romaine dans l’Est algérien, Alger 1962 (1964),
237-243 ; J.-P. Laporte, « Henchir el-Hammam (antique Aquae Flavianae) », dans
Aouras 3, 2006, 284-321) ou les sanctuaires de Zaghouan et de Jebel Oust en Tunisie
(Friedrich Rakob, « Das Quellheiligtum in Zaghouan und die römische Wasserleitung
nach Karthago », dans Mitteilungen des Deutschen archäologischen Instituts, Römische
Abteilung, 81, 1974, 41-89 ; A. Ben Abed, J. Scheid « Nouvelles recherches
archéologiques à Jebel Oust (Tunisie) », dans Comptes Rendus de l’Académie des
Inscriptions et Belles-Lettres 2005, 321-349).
1. Nous avons constaté, en lisant des textes descriptifs et des inscriptions antiques,
que les Anciens ne vénéraient pas la Nature ou les Eaux, mais des divinités qui
sont actives dans la nature, ou y agissent. Ces lieux sont généralement signalés par
des phénomènes extraordinaires : eau bouillonnante, chaude, très froide, à
température toujours égale, soufrée, résurgence d’une source ou d’un cours d’eau,
puissance de l’eau, qui est souvent à l’origine d’un fleuve, lac profond ou lac doté
d’îles flottantes. Bref, toute une série de signes qu’une divinité occupe ce lieu, et
se l’est même façonné pour son usage.
2. Quelle est la présence divine dans ces lieux ? Deux situations sont attestées :
soit nous trouvons des « grands » dieux, qui possèdent la source, comme un bien,
et comme un instrument pour faire le bien. Soit nous trouvons seulement des
Nymphes ou des Eaux, qui sont comme des petites divinités fonctionnelles, telles
634 JOHN SCHEID
les Sondergötter de H. Usener, qui représentent la force de ces eaux. Mais il arrive
que l’on dédouble encore leur fonction, pour leur adjoindre les Vires, le Numen,
ou en Afrique, le Serpent, le Draco. Tout ceci est très romain. Parfois les Nymphes
sont seules, ou alors elles sont aux côtés de la divinité qui possède le site. Elles ne
sont pas immortelles pour toujours, mais disparaissent quand le lieu lui-même
disparaît. Leur personnalité est limitée à leur fonction : salubrité, sonorité (et par
ce biais elles renvoient aux Muses), etc. Nous avons aussi noté que si les Nymphes
renvoient à la force propre des sources, les Aquae en revanche expriment une vertu
plus topographique, alors que Fons, le dieu Source, semble gérer l’ensemble de ce
domaine. À leurs côtés on peut trouver encore d’autres divinités. Le Genius loci,
qui exprime toutes les qualités du lieu, Silvanus, qui renvoie à la sauvagerie du site,
Mercure, le dieu du passage, Hercule, grand découvreur de sources, mais aussi
guérisseur à l’occasion, puisqu’il terrasse le mal, Apollon, qui est aussi medicus,
comme son fils, le technicien Esculape avec sa parèdre Hygie, la Santé, exprimant
l’effet de son action.
3. Ce n’est pas n’importe quelle source qui est sacrée. Certes, en elle-même une
source l’est toujours, comme le soulignait le commentateur de Virgile que nous
avons cité au début, puisque l’eau qui surgit du sol est un phénomène extraordinaire.
Mais toutes les sources ne sont pas l’objet d’un culte organisé, de même que tous
les bois, et tous les phénomènes naturels ne sont pas l’objet d’un culte. Les habitants
d’une cité créent toujours un paysage religieux, ils sélectionnent quelques sources,
quelques bois sacrés, quelques lacs ou grottes, qui doivent exprimer leur relation
avec l’action divine dans le territoire de leur cité. Souvent, ce sont les sources dont
l’activité est spectaculaire qui sont vénérées. En tout cas, ce choix n’est pas
systématique. Il ne faut pas considérer toute fontaine, toute vasque, tout therme
comme un sanctuaire de source. Il ne faut pas oublier que le culte a besoin d’eau,
pour les ablutions, pour la cuisine sacrificielle, et c’est à cela que servent beaucoup
de bassins, nymphées et thermes.
4. L’eau est sacrée, dans le cadre d’un culte. Elle a été consacrée par le signe
divin, choisissant le lieu, et ensuite par la consécration publique (ou privée dans
un domaine).
6. Toute l’eau d’un sanctuaire de source n’est donc pas sacrée, elle peut provenir
d’une eau sacrée, comme les parts de viande que l’on consomme lors du banquet
sacrificiel proviennent d’une victime consacrée et immolée à une divinité, et elle
garde des qualités éminentes qui énoncent certaines vertus de la source : salubrité,
efficacité, pureté. Cette dernière est même divinisée dans certains contextes.
RELIGION, INSTITUTIONS ET SOCIÉTÉ DE LA ROME ANTIQUE 635
3. Enseignements délocalisés
Le professeur a donné un cours (« Der Sinn des Rituals bei den Römern ») et
un séminaire (« Die Ritualpraxis und das Verständnis der religiösen Institutionen
Roms ») à l’Université de Bonn, le 15 et le 16 janvier 2008.
Les 27 et 28 mars 2008, le professeur a donné quatre séminaires à l’université
Marc Bloch de Strasbourg sur « Les sanctuaires des eaux ».
5. Publications
— (avec Th. Drew-Bear) « Les fragments des Res Gestae Divi Augusti découverts à
Apollonia de Pisidie », dans G. Paci (éd.), Contributi all’epigrafia d’età augustea (Actes de la
XIIIe Rencontre franco-italienne sur l’épigraphie du monde romain), Tivoli 2006,
131-144.
— « Körperbestattung und Verbrennungssitte aus der Sicht der schriftlichen Quellen »,
dans Fasold, P., Struck, M., Witteyer, M. (éd.). Körpergräber des 1.-3. Jahrhunderts in der
römischen Welt (Frankfurt, 19-10 nov. 2004), Frankfort 2007, 19-26.
— « Carmen et prière. Les hymnes dans le culte public de Rome », dans Y. Lehmann,
L’hymne antique et son public, Tournai 2007, 439-450.
— « Le pontife et le flamine : religion et histoire à Rome (Entretien) », dans Europe,
janvier-février 2008, 159-190.
— « Religions in contact », dans S.I. Johnston (éd.), Ancient Religions, Cambridge, MA,
2007, 112-127.
— « Sacrifices for Gods and Ancestors », dans J. Rüpke (éd.), A Companion to Roman
Religion, 2007, 263-272.
— « Le sens des rites. L’exemple romain », dans Rites et croyances dans les religions du
monde romain (Entretiens sur l’Antiquité, Fondation Hardt, t. LIII), Genève 2007, 39-71.
— « Les activités religieuses des magistrats romains », dans R. Haensch, J. Heinrichs
(éd.), Herrschen und Verwalten. Der Alltag der römischen Administration in der Hohen
Kaiserzeit, Cologne 2007, 126-144.
— (avec E. Wirbelauer), « La correspondance entre Georg Wissowa et Theodor Mommsen
(1883-1901) », dans C. Bonnet, V. Krings (éds.), S’écrire et écrire sur l’Antiquité. L’apport des
correspondances à l’histoire des Travaux scientifiques, Grenoble 2008, 155-212.
— « Il culto di Minerva in epoca romana e il suo rapporto colla Minerva di Travo », dans
Minerva Medica in Valtrebbia, Plaisance 2008, 85-91.
1. Elaboration de la base de données sur les lieux de cultes de l’Italie antique (Fana
Templa Delubra) en collaboration avec J. Scheid et J. Paumard (maître de conférences associé
au Collège de France). Il s’agissait d’affiner la liste des « champs » nécessaires à l’enregistrement
des données, c’est-à-dire, en premier lieu, de définir le niveau de détail que l’on souhaite
atteindre dans l’acquisition de l’information dans la perspective de permettre un
enregistrement représentatif et rapide des données. La réflexion a ensuite porté sur
RELIGION, INSTITUTIONS ET SOCIÉTÉ DE LA ROME ANTIQUE 637
l’organisation des blocs de champs à l’intérieur du système informatique et sur leur relation
les uns avec les autres. Cette phase est achevée et une première version de la base est en
cours de programmation.
2. Reprise des données de terrain et rédaction du rapport d’activité de la campagne de
fouilles à Jebel Oust (Tunisie) pendant l’année 2007.
3. Début de la compilation de la documentation graphique du chantier de Jebel Oust,
afin de constituer le plan général du sanctuaire et du clivus. Vectorisation du plan levé
manuellement (années 2001-2006) et ajout des plans partiels liés aux opérations de fouille.
Périodisation des vestiges.
4. Stage de formation aux techniques de relevés archéologiques par « photoplan » et aux
techniques de relevés topographiques au tachéomètre laser sous la direction de J. Metzler et
de C. Gaeng, Musée du Luxembourg.
5. Séjours de travail à Rome chez l’éditeur Quasar qui publie la version papier du Corpus
des lieux de cultes.
6. Mission de fouilles à Jebel Oust (Tunisie) dans le cadre de la campagne programmée
sur la voie menant des thermes au sanctuaire (avril-mai 2008).
Huit leçons ont été consacrées à la première partie du cours. Elles ont permis de
dégager les conclusions suivantes sur les chapitres 16 à 21 du Yasna.
4. Le Y19 parle très peu des deux « esprits » (Mainiiu) incarnant le bien et le
mal. Le « bon » est sollicité, juste avant le commentaire proprement dit, pour
appuyer les déclarations d’Ahura Mazdā sur les pouvoirs de l’Ahuna Vairiia
(Y19.9-11). Le « mauvais » entre en scène tout de suite après la récitation
primordiale de l’Ahuna Vairiia, pour être banni (Y19.15). Nous n’apprenons rien
de leur origine, de leur fonction, de leur rapport au panthéon. Tout se passe
comme s’ils se situaient hors cosmogonie et n’étaient pas des créations.
Colloques
Activités diverses
Une conférence sur le rituel mazdéen a été faite pour l’Association Clio à Paris le
16 janvier 2008.
Présidence du jury lors de la soutenance de la thèse L’Ard-Yašt de l’Avesta par M. Hossein
Najari, le 28 mai 2008.
Publications
Le Vimalakīrtinirdeśa (désormais Vkn) est l’un des plus anciens et plus célèbres
textes du mahāyāna. Il expose sous forme d’aphorismes souvent énigmatiques le
concept central du mahāyāna, la doctrine de la śūnyatā (littéralement : la viduité
ou vacuité), selon laquelle on ne peut rien dire des phénomènes car ceux-ci ne sont
qu’apparence, y compris la doctrine de la vacuité. C’est la reconnaissance de ce fait
(donc la destruction de l’ignorance) qui permet la libération. La date manifestement
ancienne du Vkn et la netteté de ses affirmations l’ont souvent fait considérer
comme une des sources du madhyamaka de Nāgārjuna. N’était cette question de
date, qui est plus le problème de la date de Nāgārjuna que celui de la date du Vkn,
on croirait plutôt le contraire : dans bien des cas le Vkn semble illustrer ou résumer
Nāgārjuna. Mais la majeure partie des savants préfère considérer que c’est l’inverse :
Nāgārjuna développe les thèses du Vkn.
Exception faite d’être l’un des textes supposés avoir influencé Nāgārjuna, le Vkn
ne semble pas avoir eu une très grande popularité en Inde. C’est sans doute la
raison pour laquelle l’original sanskrit en était perdu. Par contre il fut l’objet de
très nombreuses traductions chinoises (8) et de traductions tibétaines (2 ou 3),
sogdienne (1) et khotanaise (1). Les Chinois semblent avoir été fascinés par la
façon dont le bodhisattva laïc Vimalakīrti « celui dont la gloire est sans tache » fait
la leçon (nirdeśa) aux moines arhant premiers compagnons du Buddha et les
ridiculise. Le Vkn a été connu en Europe au travers des versions chinoises et traduit
en français par É. Lamotte à partir d’une des trois traductions tibétaines.
La traduction de Lamotte 1 est, comme toujours, un modèle d’érudition et de
clarté. On y trouve la liste des traductions et celle des sources, une analyse du
Ces colophons, rédigés par les mêmes personnes (probablement Śīladhvaja pour
la première ligne, Cāndoka pour la seconde) à un mois de distance, permettent
de juger de la connaissance du sanskrit au Bengale au XIIe siècle. La première
ligne mêle un sanskrit recherché (suffixe -yāyin, sakala- au lieu de sarva- en raison
de l’utilisation du mot rāśi-) à des constructions de type moyen ou même néo-
indien (non déclinaison de bhiksu-, utilisation de rāśi- comme suffixe de pluriel =
bengali -lok). La seconde ligne montre que le rédacteur de cette partie du
colophon prononçait iyam le neutre idam et utilisait le génitif en fonction
d’instrumental tout en connaissant les formes et usages corrects. En d’autres
termes, il écrivait du sanskrit « hybride » en plein XIIe siècle. Cela devrait nous
mettre en garde contre la tentation de dater un texte en fonction de son seul
aspect linguistique.
japonaise, montre que dans les premiers chapitres en tout cas Zhi Qian n’omet
rien d’essentiel et traduit assez bien des passages en fort bon sanskrit. Il est donc
tout à fait possible que Zhi Qian ait utilisée une version du Vkn très semblable à
celle dont nous disposons aujourd’hui et qu’il ait choisi d’en résumer ou d’en
omettre des passages relativement brefs et jugés par lui d’importance secondaire.
On peut donc admettre que le Vkn sanskrit, dans l’unique version que nous en
possédions, était achevé pour l’essentiel en 222.
Les quelques sondages faits dans le texte, et qui sont loin d’être suffisants ni
véritablement démonstratifs, donnent l’impression qu’il y a eu au moins trois
« mains » dans le texte. L’analyse porte non sur le contenu philosophique ou
pseudo-philosophique du contenu, mais sur le style et l’état de la langue dans les
parties non doctrinales. On remarquera très facilement que coexistent des passages
très plats, faits de répétitions, en sanskrit bouddhique correct mais maladroit, et
des passages beaucoup plus brillants, beaucoup plus vivaces, en sanskrit plus
élégant. Le texte incorpore en outre deux passages versifiés en sanskrit dit
« hybride », déjà identifiés (je me demande comment) par Lamotte p. 1,
probablement plus anciens que les passages en prose et en sanskrit correct, mais
qui n’ayant pas un rapport nécessaire au texte peuvent y avoir été incorporés
postérieurement. Zhi Qian ne traduit pas le premier stotra (les stances de Ratnākara
en I, 10), ce qui ne signifie pas nécessairement qu’il ne l’ait pas connu : il peut
avoir jugé inutile de traduire ces très médiocres vers.
2. Il a en fait existé trois traductions tibétaines, dont deux uniquement conservées de façon
fragmentaire par des manuscrits de Dunhuang (Lamotte, p. 19). La version de Dharmatāśīla
utilisée par Lamotte diffère légèrement de celle imprimée par les éditeurs japonais du texte
sanskrit.
HISTOIRE DU MONDE INDIEN 647
recherchées que les équivalents choisis par Lamotte dans la Mahāvyutpatti. Le sens
est en général le même, le niveau de vocabulaire est différent.
La composition est très savante et permet une lecture chapitre par chapitre, et
même passage par passage à l’intérieur d’un chapitre. Il y a toujours un effet de
surprise : on se demande ce que va dire Vimalakīrti. Dans le chapitre III, ainsi, les
arhant sont ridiculisés de façon très fine : ils sont décrits dans des situations
correspondant au caractère et aux qualités que la légende leur attribue. Il y a des
jeux de mots, pas toujours vus par Lamotte qui traduit le texte comme s’il était
uniquement philosophique. Par exemple, au début de III, le Vkn joue sur les deux
sens du mot pratisamlayana-, l’un très technique (méditation d’après déjeuner),
l’autre très courant (sieste en début d’après-midi), pour se moquer de Śāriputra.
Les exemples de ce type pourraient être multipliés.
L’un des passages les plus significatifs et de l’humour de l’auteur du Vkn et de
sa maîtrise du sanskrit, est celui relatif à Upāli (III, 33-37). Lorsqu’on lit, même
(et uniquement en ce qui me concerne) à travers Lamotte, les traductions chinoises
et tibétaines, on ne comprends pas pourquoi Upāli est interrogé par deux moines
sur un point de discipline (sa spécialité). La réponse est dans le texte sanskrit qui
emploie, et uniquement en cet endroit, des formes rares en sanskrit bouddhique
car trop classiques ou trop grammaticales par rapport au niveau de langue ordinaire
des mahāyānasūtra. Ainsi Upāli s’adresse-t-il aux deux moines en utilisant le duel.
Vimalakīrti, quant à lui, s’adresse à Upāli en utilisant un vocabulaire relevé, des
composés cvī et des injonctifs (āgādhīkārsīh, āvilīkārsīh). Or Upāli, barbier, donc
de basse caste, normalement ne doit pas connaître le sanskrit et n’est même pas
autorisé à l’entendre.
On est passé rapidement sur le contenu pseudo-philosophique du texte. On a
montré en effet que pour un Européen, il y avait contradiction entre les passages
narratifs, dont le récit-cadre, avec leurs millions de personnages et leurs miracles à
répétition, et une prédication affirmant que tout cela est illusion et détourne de la
vraie connaissance et de la vraie libération. D’un point de vue bouddhiste, il n’y a
pas contradiction. Comme dans la plupart des sūtra du mahāyāna, il n’y a aucune
démonstration. La vérité (jn āna) se voit, elle ne s’apprend pas. La science (vidyā)
est d’abord croyance en la vérité de l’enseignement et perception intuitive et
inexprimable de ses vérités. Il n’y a recherche de démonstration que chez les
philosophes comme Nāgārjuna et les abhidharmistes. Dans le Vkn, l’enseignement
de Vimalakīrti n’est en rien discursif. C’est une suite d’aphorismes qui s’imposent
d’eux-mêmes au croyant. L’essentiel est de croire en la vérité de ces affirmations
tranchées. Dans d’autres religions on appellerait cela le mystère de la foi (śraddhā).
Les fééries du récit-cadre ne sont pas plus stupéfiantes que les vérités énoncées par
Vimalakīrti.
On a très rapidement fait un sort à l’émerveillement chinois devant le caractère
laïc de Vimalakīrti : tous les bodhisattva sont laïcs, et représentés en la:cs, souvent
en rois ou princes (kumāra). Le texte sanskrit du Vkn n’utilise pas très souvent
648 GÉRARD FUSSMAN
Activités de la chaire
M. Éric Ollivier, architecte-cartographe, gère l’informatique de la chaire et
supervise l’identification, le catalogage informatisé dans Portfolio Extensis et la
numérisation des collections de photographies données à la photothèque de
l’Institut d’Études Indiennes du Collège de France (plus de 26 000 clichés à ce
3. Mme Scherrer-Schaub a fait remarquer qu’il suffit de couper naivātra ātma na ca kāraku
vedako vā en I, 10, 4c pour que le texte soit compréhensible et bouddhiquement correct. De
même il faut couper en I, 10, 5c yasmin na vedita ca cittamanahpracārā. I, 10, 4a na ca nāma asti
na ca nāsti giram prabhāsi fait difficulté, d’autres passages aussi.
HISTOIRE DU MONDE INDIEN 649
Mme Kapila Vatsyayan, founder and former Secretary, Indira Gandhi Center for
the Arts (New-Delhi) a donné le vendredi 4 avril 2008 une conférence intitulée
« The building of the main cultural institutions in independant India » (voir La
Lettre du Collège de France, n° 23 », juin 2008, 12-13).
Publications
La fin de 1930 marque aussi la sortie d’une sécheresse qui dure depuis deux ans
et qui s’est conjuguée aux exactions des militaires et à la désorganisation générale
de la société pour causer l’une des plus épouvantables famines de l’histoire au
Shaanxi et dans la province voisine du Gansu. Le retour à l’ordre que laisse espérer
l’entrée des nationalistes à Xi’an a convaincu les principales organisations
philanthropiques du pays de revenir dans une région qu’elles avaient pour la
plupart d’entre elles désertée par manque de sécurité. Elles bénéficient du plein
appui des nouvelles autorités provinciales, et le mot d’ordre désormais est non
seulement de secourir les populations affamées, mais aussi de jeter les bases du
développement économique. L’un des projets phares, la réhabilitation du système
d’irrigation du Weibei (sur la rive gauche de la rivière Wei, directement au nord
de Xi’an), dont on parlait depuis 1912 et pour laquelle des études approfondies
avaient été conduites au début des années 1920 sous la direction de l’ingénieur Li
Yizhi, peut démarrer dès la fin 1930 grâce à l’appui de la China International
Famine Relief Commission (CIFRC), l’un des principaux organismes
philanthropiques de l’époque en Chine. Il est clair que la réalisation relativement
rapide de ce chantier — la première tranche de ce qui s’appelle désormais le canal
Jinghui 涇惠渠 a été inaugurée en juin 1932 — a été un signal fort pour les
populations locales.
De fait, comme nous l’avions vu l’an passé, c’est un véritable sentiment de
renaissance qui s’exprime dans une quantité d’articles publiés à Xi’an juste après le
changement de régime : cette transition politique de la fin 1930 a été vécue comme
une sortie du tunnel et comme l’orée d’un nouveau cycle de tranquillité et de
progrès économique. Certes il ne s’agit encore que d’espoirs et de projets, et ces
éléments virtuels ont mis du temps à s’actualiser et à produire leurs effets. Pour ne
prendre qu’un exemple, si le retour à l’ordre a été proclamé dès sa prise de fonctions
par le nouveau gouverneur de la province, le général Yang Hucheng, en réalité
certains incidents dont il sera question plus loin montrent qu’en 1932 ou 1933
encore l’insécurité était grande, même à proximité de Xi’an, et que dans des zones
assez étendues le contrôle du gouvernement provincial restait très limité.
Mais il est clair qu’une nouvelle dynamique s’est instaurée dans la région et que,
si une action dans la durée a été possible, c’est parce qu’en dépit de quelques
soubresauts sans grand effet sur les conditions de vie de la population le Guanzhong
a bénéficié, à partir de l’installation du pouvoir nationaliste à Xi’an, d’une stabilité
politique qu’il n’avait pas connue depuis le milieu du xixe siècle.
Notre exposé s’est concentré sur deux grands sujets : d’une part, le rôle de l’aide
étrangère dans le processus de développement auquel on vient de faire allusion, et
plus précisément la nature des relations entre Chinois et experts étrangers ; d’autre
part, l’impact technique et économique du modèle de développement symbolisé
par la modernisation du site du Weibei.
La coopération entre Chinois et étrangers, nous l’avons examinée principalement
dans le cadre de la CIFRC, qui était par sa constitution même un organisme
HISTOIRE DE LA CHINE MODERNE 653
sino-étranger et qui est restée une présence importante au Shaanxi jusqu’au milieu
des années 1930 : c’est elle qui a relancé le projet du Weibei (auquel elle s’était
déjà intéressée pendant la décennie précédente), ses ingénieurs en ont eux-mêmes
conçu et réalisé la partie techniquement la plus difficile, et en fin de compte elle
a assuré l’essentiel du financement jusqu’en 1934, bien au-delà de ce qui avait été
prévu dans le contrat signé avec le gouvernement de la province. Cette
contribution est minimisée, voire passée sous silence, dans la plus grande partie
de la littérature consacrée en Chine populaire à la reconstruction économique de
la région après 1930. Un autre des grands projets d’ingénierie civile de la CIFRC
en Chine du Nord concernait également le Shaanxi : la transformation de
l’ancienne route impériale reliant Xi’an et, 700 km à l’ouest, Lanzhou, la capitale
du Gansu, en une route adaptée à la circulation automobile (appelée route Silan,
i.e. Xi-Lan 西蘭, dans les sources occidentales) qui a permis de réduire le temps
de parcours de 18 à 3 jours et a notablement contribué à désenclaver l’extrême
nord-ouest de la Chine.
Pour toutes ces raisons il était intéressant d’examiner la nature même, sur le
terrain, des relations entre les ingénieurs et les administrateurs de la CIFRC et les
habitants du Shaanxi avec lesquels ils étaient en contact constant : les travailleurs
employés sur les chantiers, les fournisseurs, les intermédiaires chargés de recruter
la main d’œuvre, les autorités locales civiles et militaires, et le gouvernement
provincial. Comment les étrangers — même travaillant dans le cadre d’entreprises
de nature philanthropique, donc en principe pour le bien de la Chine — étaient-ils
considérés par leurs interlocuteurs chinois, comment leur rôle et leur attitude
étaient-ils perçus et ressentis ? À l’inverse, comment les étrangers travaillant dans
le cadre de l’assistance philanthropique considéraient-ils leurs interlocuteurs
chinois ? Ces questions sont plus culturelles, politiques mêmes, que strictement
économiques, mais elles sont omniprésentes dans les sources traitant de problèmes
de développement, d’expertise technique et d’aide internationale, qu’il s’agisse de
la CIFRC ou de tout autre organisme comparable, comme la Croix-rouge
américaine, ou même de la Société des Nations.
Avant de les aborder nous sommes revenu beaucoup plus en détail que
précédemment sur l’organisation et le mode de fonctionnement de la CIFRC,
fondée, rappelons-le, en novembre 1921, au terme de la grande famine de
1920-1921 en Chine du Nord, dans le but de fédérer les associations provinciales
sino-étrangères alors en activité et de créer une structure permanente et préventive.
La CIFRC était un organisme centralisé, doté d’un comité exécutif, d’un secrétariat
général et de bureaux spécialisés. L’un de ses principes fondateurs était la parité
entre responsables chinois et étrangers. (Parmi ces derniers la majorité venaient du
milieu des missions protestantes anglo-saxonnes.) Elle comptait un certain nombre
de comités provinciaux (sept en 1922, quinze en 1935) dont les activités étaient
encadrées de près par les instances centrales. Dès sa fondation elle a été l’organisation
non gouvernementale disposant des moyens les plus importants en Chine, mais sa
réputation reposait aussi sur la qualité et la rigueur de sa gestion, sur un ensemble
654 PIERREÉTIENNE WILL
de procédures bien rodées, et sur son carnet d’adresses à l’étranger. Jusqu’à ce que
le gouvernement nationaliste ne tente sérieusement de reprendre la main au début
des années 1930, les autorités se reposaient presque entièrement sur elle pour les
travaux d’infrastructure lancés au moment des désastres naturels et des famines,
basés sur le principe des secours en échange de travail (gongzhen 工賑) : outre les
moyens qu’elle était capable de mobiliser, elle était la seule à posséder le savoir-faire
et les capacités d’organisation nécessaires, sans parler du bureau d’ingénierie dont
il sera question plus bas.
Dès sa fondation la CIFRC avait mis sur pied une douzaine de sous-comités
spécialisés (changshe fenwei banhui 常設分委辦會) où étaient invités divers experts
supposés conduire des enquêtes et soumettre des propositions aux instances
dirigeantes. L’administration centrale (zonghui shiwusuo 總會事務所), placée sous
l’autorité du secrétaire général, comportait également un certain nombre de
bureaux spécialisés où travaillaient les employés de la Commission. Cette double
structure n’allait pas sans redondance, et dans les faits la plupart des sous-comités
ont progressivement perdu de leur influence au profit des bureaux, qui s’avéraient
nettement plus efficaces. Tel a été en particulier le cas du bureau d’ingénierie
(gongcheng gu 工程股) placé sous la direction de l’ingénieur américain O.J. Todd,
recruté par la CIFRC en 1923 et que nous avons déjà souvent évoqué : Todd, qui
ne craignait pas les conflits, a rapidement marginalisé les ingénieurs distingués qui
composaient le « comité technique » (jishu bu 技術部), lequel a été dissout dès
1925 pour cause d’insuffisance de travail.
D’un intérêt particulier pour notre propos sont les relations entre dirigeants
chinois et étrangers au sein de la Commission. En surface au moins la coopération
était harmonieuse. Huang Wende 黃文德, à qui l’on doit la monographie la plus
complète sur la CIFRC (publiée à Taiwan en 2004), remarque que ces bonnes
relations sont d’autant plus remarquables que le nationalisme chinois était intense
à l’époque et que dans de larges milieux les étrangers, même affichant le plus
grand dévouement à la cause de la Chine, étaient soupçonnés de servir les intérêts
de l’impérialisme. Mais l’examen des archives privées de l’ingénieur Todd,
conservées à la Hoover Institution de Stanford, démontre que la CIFRC n’était pas
HISTOIRE DE LA CHINE MODERNE 655
À la CIFRC l’homme des coopératives rurales était Y.S. Djang, qui avait lancé
le mouvement dès 1923 et en est resté l’inspirateur et le responsable pendant toute
l’histoire de la Commission. La réussite du programme de crédit rural dans la
province pilote du Hebei (où se trouve Pékin et qui a gardé son nom impérial de
Zhili jusqu’en 1928), à laquelle on l’avait volontairement limité pendant les
premières années, a suffisamment contribué à la réputation de Y.S. Djang pour
qu’en 1931, au moment des inondations catastrophiques du Yangzi, les autorités
nationalistes fassent appel à lui pour étendre le mouvement aux provinces du Sud
de la Chine ; là encore, le succès de l’opération a conduit les autorités à lui confier
en fin de compte la direction du programme de coopératives du gouvernement
lui-même, poste que Djang a assumé de 1935 à 1937. Même si dans ses souvenirs,
rédigés en Chine populaire en 1960, Djang tend à minimiser l’importance des
coopératives en en parlant comme d’un mouvement réformiste incapable de
s’attaquer aux causes socio-politiques profondes de la misère rurale, et de plus mené
au nom d’une organisation qu’il dénonce comme un instrument de l’impérialisme
américain, il n’en reste pas moins qu’il est visiblement très fier de ce qui a été sans
conteste l’œuvre de sa vie, et dont il avait tiré à l’époque une grande renommée.
Todd, en revanche, n’en avait que pour les grands projets d’infrastructure et
essayait par tous les moyens de développer son département d’ingénierie et de
renforcer sa propre position au sein de la CIFRC, comme l’illustrent d’abondance
les correspondances conservées dans ses archives. Il y avait là, inévitablement, une
source de frictions, non seulement parce que Todd ne cachait pas son dédain pour
le programme de coopératives rurales, mais aussi parce que les deux principales
activités de la Commission se trouvaient en concurrence pour mobiliser ses
ressources humaines et matérielles. Particulièrement problématique, du point de
vue de la Commission, était l’ambition de Todd d’entretenir en permanence un
département d’ingénierie en état de marche et pourvu d’une équipe d’ingénieurs
au complet, plutôt que d’avoir à limiter ses activités aux épisodes de calamités
naturelles où la CIFRC avait vocation à intervenir et à solliciter des financements
extérieurs (américains notamment, pour lesquels le principal conduit était une
organisation appelée China Famine Relief USA Inc., domiciliée à New York). En
dehors de ces périodes on était obligé de renvoyer le personnel et, comme le
confirme le témoignage d’un certain Ma Xiqing 馬席慶, un ingénieur chinois
employé un temps à la CIFRC, cela nuisait incontestablement à la qualité et à la
continuité du travail du département.
Or, après 1930 environ les priorités de la CIFRC ont commencé à changer dans
un sens défavorable aux grands travaux, alors qu’au moment de sa fondation
ceux-ci avaient été désignés comme sa principale vocation. La raison majeure de
HISTOIRE DE LA CHINE MODERNE 657
ce retournement, qui ne s’est pleinement matérialisé qu’au milieu des années 1930,
était le désir du gouvernement nationaliste de prendre directement en charge les
programmes d’infrastructure, plutôt que de les sous-traiter à des entreprises
philanthropiques en partie contrôlées par des étrangers, telle la CIFRC. L’organisme
gouvernemental à qui était confiée la mise en œuvre de ces nouveaux programmes
était la National Economic Commission (NEC), ou Jingji weiyuanhui 經濟委員
會, fondée en 1931 mais qui n’a réellement exercé sa fonction de coordination
nationale, et avec des moyens conséquents, qu’à partir de 1933. Son patron était
le beau-frère de Chiang Kai-chek, T. V. Soong (Song Ziwen 宋子文), alors ministre
des finances et sans conteste l’un des hommes d’État les plus compétents au sein
du gouvernement nationaliste ; et sa référence en matière d’expertise technique
était la Société des Nations, très active en Chine au milieu des années 1930 et dont
la concurrence était plutôt mal vue des Américains, qui n’en faisaient pas partie.
Quoi qu’il en soit, la propension de Todd à critiquer publiquement les choix
stratégiques de la CIFRC, ainsi que ses responsables lorsqu’il était en désaccord
avec eux, et peut-être plus encore une attitude impatiente et passablement arrogante
envers les Chinois qui semble avoir créé beaucoup de problèmes, lui étaient
régulièrement reprochées par ses amis. Elles n’ont pu que s’ajouter au retournement
de conjoncture dont il vient d’être question pour mettre en péril son emploi comme
ingénieur en chef à la CIFRC : dès 1930 — alors que plusieurs de ses projets
majeurs sont en cours de réalisation — quantité de correspondances nous montrent
ses efforts pour trouver des financements extérieurs et sauver aussi bien son poste
que son département ; et à l’en croire, l’homme qui cherchait à le faire tomber
n’était autre que le secrétaire général Djang. Il est à vrai dire difficile de se faire
une idée précise, mais il semble assez clair que le coût du département d’ingénierie
et le « salaire d’expatrié » versé à son chef (65 % du budget de fonctionnement du
département en 1933, et en plus il voulait être augmenté !) suscitaient des
oppositions au sein du Comité exécutif, la ligne de partage se situant plus ou moins
entre Chinois et Américains : ce sont apparemment les membres chinois du Comité
qui font adopter en juillet 1934 la décision de fermer le département d’ingénierie
de la CIFRC et de remercier Todd. (Il travaillera cependant pendant une année de
plus pour la CIFRC avec des financements extérieurs.)
Le rôle de Y.S. Djang dans tout cela n’est pas facile à évaluer ; mais il est peu
douteux qu’il ressentait l’attitude d’un personnage qui laissait dire, d’après un
témoignage chinois, qu’il n’avait pas la stature d’un « secrétaire », tout au plus celle
d’un simple commis (clerk). Tout indique par ailleurs que Djang affichait un
nationalisme sans concession, jusque dans son vêtement et son style de vie, alors
même que ses fonctions l’amenaient à fréquenter quotidiennement la grande
bourgeoisie sino-occidentale, avec laquelle il était d’ailleurs parfaitement à l’aise.
En présence des étrangers, si l’on en croit les souvenirs de ses proches, il ne se
montrait ni humble ni hautain mais tenait à « préserver sa dignité de Chinois ».
Les témoignages abondent également sur son intégrité, et lui-même, dans ses
souvenirs sur la CIFRC publiés en 1960, insiste sur le réglementarisme très
658 PIERREÉTIENNE WILL
sourcilleux qu’il tentait non sans mal d’imposer à ses collègues étrangers. En fait,
de façon très frappante si l’on se souvient que la CIFRC était supposée faire
coopérer Chinois et étrangers, ces souvenirs incluent une section intitulée « la lutte
avec les étrangers » (tong yangren de douzheng 同洋人的斗爭) — ces collaborateurs
étrangers dont il n’a de cesse de souligner l’arrogance, la désinvolture et le complexe
de supériorité et dont il explique comment il lui fallait les remettre à leur place, à
la grande satisfaction du personnel chinois. (Dans un épisode au moins Todd est
directement mis en cause, mais comme toujours il est difficile d’évaluer la réalité
d’accusations d’ailleurs assez vagues.)
Dans tout les cas, ce genre d’accusation dépasse largement le cadre de la CIFRC.
L’on pourrait dire qu’on a d’abord affaire à une opposition entre deux styles,
aggravée par beaucoup de préjugés de part et d’autre, entre deux sensibilités qui
avaient du mal à cohabiter, et même à se comprendre. Mais c’est un fait que
l’attitude de Todd, en particulier, ne faisait que refléter, même si c’était en la
grossissant, une façon d’être en Chine extrêmement répandue chez les Occidentaux
qui y travaillaient, même les plus dévoués dans leurs efforts pour aider le pays à se
sortir de ses difficultés et à se moderniser. Comme le remarquait en son temps
John K. Fairbank dans son classique The United States and China, jusqu’en 1949
la relation entre les deux pays a toujours été placée sous le signe de l’inégalité, la
Chine étant le partenaire en position de faiblesse, bénéficiaire de l’aide et de la
philanthropie américaines. La bonne conscience américaine ne pouvait que heurter
le nationalisme des Chinois, même les plus cosmopolites et les mieux disposés
envers l’Occident, tels les dirigeants de la CIFRC.
Mais nous avons aussi voulu explorer ces relations en nous intéressant non plus
aux notables occidentalisés, mais aux travailleurs et aux collaborateurs avec qui les
ingénieurs étrangers, américains notamment, étaient en contact quotidien sur les
chantiers. Là encore les nombreux articles et conférences d’O.J. Todd, ainsi qu’un
certain nombre de textes conservés dans ses archives, sont une source importante
car personne, semble-t-il, ne s’est exprimé de façon aussi concrète ni aussi abondante
sur le fonctionnement des grands sites de travaux publics en Chine et sur la façon
dont on y vivait, sans parler du fait que l’on ne trouve pour ainsi dire rien sur ce
sujet en langue chinoise. (L’abondance des écrits d’O.J. Todd s’explique autant par
son sens de la promotion que par le leadership qui lui était reconnu dans la
profession en Chine et la nécessité où il était de financer son département.)
En dehors des aspects purement techniques du métier, être à la tête d’un chantier
en Chine comportait une grande part de gestion financière, de négociation avec
les autorités locales et les pourvoyeurs de main-d’œuvre, de commandement et de
mobilisation, de maintien de l’ordre, de résolution des conflits, sans parler du
contrôle sanitaire et de la prévention des épidémies. Avant l’apparition de l’ingénieur
moderne la plupart de ces responsabilités étaient assumées par des fonctionnaires
impériaux ; mais dans le cas des ingénieurs étrangers travaillant en Chine à l’époque
républicaine elles posaient des problèmes particuliers puisqu’elles supposaient une
HISTOIRE DE LA CHINE MODERNE 659
pour qu’ils évaluent les emprises à exproprier (right-of-way) et, surtout, qu’ils les
indemnisent, ce que les associations philanthropiques qui ouvraient les chantiers
se refusaient à faire. Il y avait là une source constante de difficultés, de trafic
d’influence et de mécontentement.
Il était donc indispensable que la CIFRC (ou tout autre organisme comparable)
établisse des relations de confiance avec les différentes autorités de la région, et que
celles-ci s’investissent dans la réussite des travaux entrepris et démontrent leur
volonté de coopération. Nous sommes revenu vers le Shaanxi et les chantiers dont
nous avons déjà maintes fois parlé pour examiner la situation de ce point de vue.
Dans la mesure où le Weibei et la route Silan étaient des projets en coopération
entre la CIFRC et le gouvernement provincial, celui-ci était évidemment intéressé à
leur réussite et donc à maintenir de bonnes relations avec la CIFRC et ses
représentants sur place. Bien que les sources officielles évoquent une collaboration
sans nuages, ces relations s’avèrent avoir été parfois assez compliquées, probablement
plus que même les sources privées ne veulent bien le dire. C’est ce que suggèrent en
tout cas deux incidents révélateurs des conditions socio-politiques extrêmement
difficiles dans lesquelles s’est enclenché le cycle de développement du Guanzhong.
Au moment de la prise de pouvoir des nationalistes à Xi’an fin 1930 le retour à
l’ordre et l’éradication du banditisme avaient été proclamés comme une priorité
absolue, car c’était à ce prix seulement qu’on pouvait espérer attirer de nouveau la
philanthropie dans la région et impulser enfin le développement économique. Or,
les incidents en question montrent que deux ou trois ans plus tard le gouvernement
de la province n’était pas toujours en mesure d’assurer la sécurité d’experts étrangers
travaillant avec un organisme philanthropique sous contrat avec lui, même à quelques
kilomètres de Xi’an, et qu’en outre son attitude n’était pas toujours très claire.
La première affaire survient très peu de temps après la mise en service de la
première tranche du canal Jinghui en juin 1932. Jusque-là les relations entre la
CIFRC et les autorités de Xi’an (à commencer par le bureau d’hydraulique dirigé
par Li Yizhi) avaient été dans l’ensemble harmonieuses en dépit de quelques
problèmes techniques ou financiers, vite oubliés dans l’enthousiasme des cérémonies
d’inauguration. Surtout, le chantier du Weibei était resté une oasis de sécurité au
milieu d’un environnement où le banditisme restait endémique : en effet le projet
était populaire, et en outre, à en croire certaines sources, une partie des « bandits
locaux » (tufei) travaillaient en fait sur le chantier. Mais ces relations vont devenir
extrêmement tendues après le meurtre d’un missionnaire suédois travaillant pour
la CIFRC comme responsable administratif du chantier de la route Silan, un
certain Tornvall, en compagnie de trois autres personnes alors qu’ils circulaient en
voiture aux abords de Xi’an. Les agresseurs sont des soldats de l’armée régulière,
les voitures ont été volées et les corps ne seront jamais retrouvés.
Cet incident, considéré par Todd et les autorités de la CIFRC comme un crime
crapuleux et un grand scandale, dont les autorités de Xi’an auront à répondre et
pour lequel elles devront payer des dédommagements, a en réalité tout de la
HISTOIRE DE LA CHINE MODERNE 663
cours d’un épilogue assez divertissant avoir escroqué les fonds supposés avoir payé
sa propre libération et se conduire de manière quelque peu paranoïaque une fois
démasqué et expulsé de l’organisation.) Par delà ses aspects rocambolesques, qu’on
peut reconstituer à partir des archives Todd — lesquelles confirment presque point
par point la version romancée publiée vingt ans plus tard par Eliassen sous le titre
Dragon Wang’s River —, l’affaire est à plusieurs égards révélatrice de la situation qui
régnait alors dans la région. Il y a d’abord ce détail inattendu, que les bandits locaux
qui se sont emparés d’Eliassen et Chuan s’étaient alliés avec un groupe de propagande
communiste venu du nord de la province, alors qu’on n’aurait pas soupçonné que
les guérillas communistes de la région soient à cette date capables d’agir, même
clandestinement, si près de la capitale du Shaanxi. (Il semble y avoir eu à peu près
à la même époque une tentative avortée pour créer un soviet rural dans le nord de
la région du Weibei.) Mais les communistes, dont les chefs semblent fort cultivés
politiquement, se font manipuler par leurs contacts locaux et quittent assez vite la
scène, non sans avoir dénoncé devant Eliassen la collaboration de la CIFRC avec
l’impérialisme et son exploitation éhontée des travailleurs sur ses chantiers, autant
de thèmes qu’on trouve formulés ailleurs dans la littérature du Parti à l’époque.
Le plus remarquable est l’osmose entre bandits, paysans, soldats et travailleurs du
chantier : tout le monde se connaît et l’on passe sans difficulté d’un groupe à l’autre.
Lorsque les récoltes sont mauvaises et que c’est la disette — comme c’est alors le cas
dans la région —, les rangs des bandits grossissent rapidement. Cette écologie
dangereuse semble surtout caractéristique de la région dite du « plateau », dominant
le parcours du canal Jinghui, qui ne bénéficie pas de l’irrigation alors que ses habitants
avaient mis de grands espoirs dans les projets formulés par Li Yizhi et d’autres depuis
les années 1920. C’est de ce « bandit-land » que vient le chef des hors-la-loi, un certain
Miao Jiaxiang, qui lui aussi semble avoir multiplié les états — ancien officier de
l’armée régulière, ancien agent du bureau d’irrigation du Shaanxi et responsable de la
paye sur le chantier du Weibei, chef de l’association des paysans du Weibei-Ouest, et
à présent leader des paysans passés au banditisme —, que tout le monde connaît et
auquel tout le monde s’adresse pour négocier (Li Yizhi notamment). Comme le note
Eliassen lui-même, après une douzaine d’années de famine et de combats dans tout le
Guanzhong le banditisme et la violence restent le moyen de survie le mieux adapté
pour les habitants de ces piémonts particulièrement misérables.
On voit en fait se dessiner une dichotomie croissante entre ces terrasses
inaccessibles à l’irrigation, où la seule eau disponible est celle qui tombe du ciel
— et l’année 1933 a été catastrophique de ce point de vue —, et la plaine
immédiatement en dessous, dont le développement est en train de s’amorcer grâce
au système hydraulique du Weibei en cours d’achèvement et où la valeur de la terre
augmente corrélativement. Les paysans de la plaine, encouragés semble-t-il par
Li Yizhi en personne, tentent d’intervenir pour faire libérer les prisonniers en
manifestant et en pétitionnant dans les villages du plateau : beaucoup profitent
déjà de l’irrigation, mais la CIFRC a menacé de ne pas terminer le chantier et de
retirer ses financements. Son ambition, et celle des technocrates locaux dont
HISTOIRE DE LA CHINE MODERNE 665
1920 mais totalement impraticable par temps de pluie : l’on a du célèbre sinologue
tchèque Jaroslav Průšek, qui séjournait alors en Chine comme étudiant, une
description dantesque du trajet sous la pluie entre Tongguan, à l’accès oriental du
Guanzhong, et Xi’an, qu’il compare à une forteresse assiégée au milieu d’un océan
de boue. Peut-être Průšek, qui a eu la malchance de visiter le Guanzhong dans de
mauvaises conditions météorologiques, en remet-il un peu, et une étude de
l’ingénieur Todd sur les routes carrossables du Shaanxi au début 1931 donne en
fait une image un peu moins catastrophique de la situation ; mais il est incontestable
que l’arrivée du chemin de fer a tout changé.
après 1928, dont Li Yizhi était le chef. Au Shaanxi, Li Yizhi propose au lendemain
de l’inauguration du canal Jinghui un plan visant à faire de la région du Weibei ce
qu’il appelle « une zone économique complète » (zhengge de jingji quyu 整個的經
濟區域), financée par les revenus de l’irrigation et servant progressivement de
modèle à l’ensemble de la région.
La mutation dans la gestion de l’irrigation avait en fait été initiée dès 1928,
lorsque les autorités se réclamant de la révolution nationaliste avaient tenté de
centraliser et rationaliser les pratiques dans certains systèmes locaux à travers des
associations hydrauliques élues démocratiquement et fonctionnant sous le contrôle
des bureaux officiels d’hydraulique. Certains textes que nous avons découverts dans
les archives locales avec notre collègue Christian Lamouroux montrent que cette
volonté de centralisation rencontrait les plus vives oppositions de la part des
notables traditionnellement responsables des communautés d’irrigation et du
règlement des conflits, qui supportaient mal que les précédents consignés depuis
HISTOIRE DE LA CHINE MODERNE 671
des siècles dans les registres ou gravés dans la pierre puissent être remis en question,
en même temps que leur pouvoir coutumier. Mais il est clair que le mouvement
était irréversible : même s’il ménageait des compromis avec l’organisation
traditionnelle des communautés en matière de partage de l’eau et d’entretien des
canaux, le modèle instauré à grande échelle avec la modernisation de l’irrigation
dans le Weibei sous l’égide du bureau d’hydraulique dirigé par Li Yizhi s’est
rapidement imposé. Ces nouvelles procédures introduisaient de nouveaux concepts
qu’on peut qualifier de « modernes », qu’elles s’attachaient à diffuser par le moyen
de manuels distribués aux utilisateurs : méthodes « scientifiques » pour mesurer le
terrain, les débits, les charges d’alluvions ou les temps d’irrigation, rationalisation
de la distribution et de l’utilisation de l’eau en tenant compte des différents types
de culture et des différents moments du cycle agricole, et règles strictes pour le
paiement des droits sur l’eau et le financement de l’entretien, tout cela sous la
supervision étroite du bureau d’hydraulique. Il s’agissait en somme d’optimiser les
effets de l’irrigation et d’éviter les gaspillages et les disputes qui étaient le pain
quotidien des organisations traditionnelles. Cet héritage sera repris au moment de
la collectivisation dans les années 1950, mais ce sera alors dans un contexte socio-
économique et politique entièrement nouveau.
*
Nous avons donné deux cours à l’Université Ca’Foscari de Venise sur les sujets
suivants : « Engineers and State Building in Republican China : Li Yizhi (1882-
1938) and his circle », et « Militarism and the Revolutionary Connection in Late-
Qing and Early Republican Shaanxi Province », ainsi qu’un séminaire consacré aux
sources de l’histoire moderne du Shaanxi.
*
Le séminaire de cette année a pris la forme d’un colloque qui s’est réuni les
23 et 24 juin 2008 et a traité de « L’émergence de la profession d’ingénieur en
Chine ». Il s’agissait de faire état de nouvelles recherches sur l’introduction en
Chine des différentes disciplines de l’ingénierie moderne depuis la fin des Qing
jusqu’à la fin des années 1930, ainsi que sur les aspects économiques, sociaux et
politiques du développement de la profession d’ingénieur. Des éléments de
comparaison internationale ont également été présentés.
Les interventions suivantes ont été proposées :
Pierre-Étienne Will (Collège de France) : « Présentation générale et problématique ».
Marianne Bastid-Bruguière (CNRS, Académie des Sciences Morales et Politiques) :
« La naissance du métier d’ingénieur en Chine : du génie maritime au génie civil,
1866-1911 ».
Bruno Belhoste (Université Paris 1) : « Le système de formation des ingénieurs dans la
première mondialisation : organisations nationales et circulations internationales ».
Iwo Amelung (Université de Francfort) : « The Yellow River in Germany. On engineering
interaction between China and Germany in the first half of the 20th century ».
Delphine Spicq (Collège de France) : « Parcours d’ingénieur et enseignement technique à
Tianjin ».
672 PIERREÉTIENNE WILL
Publications
I. COURS
Un mot cependant sur les périodes « anciennes ». Pendant près de cent cinquante
ans, on a considéré que, à partir d’une région « originelle » (indéterminée), les
Celtes s’étaient lancés dans de grandes migrations comme celles que, plus tard,
Tite-Live nous signale et décrit en Italie. La linguistique (notamment fondée sur
l’étude de la culture de Golasecca) et l’archéologie démontrent des contacts anciens
(Bronze final, début du premier Âge du Fer) entre diverses populations et des
contacts évidents avec les Celtes. Aujourd’hui, on ne peut plus retenir l’hypothèse
d’un « berceau hallstattien » qui aurait essaimé vers les VIe-Ve siècles. Reste que,
comme pour les « Indo-Européens », on ne dispose d’aucune théorie convaincante
concernant l’origine et l’expansion (la culture dite campaniforme ?), ce qui signifie
probablement que le problème est mal posé, ou plutôt que nous le posons en des
termes simplificateurs. Qu’est-ce qu’un Français ? On remonte aux Francs ? Mais
ceux-ci étaient très romanisés. On remonte jusqu’où ? Impasse de nos connaissances
qui ne se fondent que sur des graffiti rarissimes et sur des vestiges archéologiques
dont l’interprétation varie au fil des temps.
Les actuels manuels d’histoire offerts aux collégiens n’inspirent que consternation.
D’abord, parce que l’archéologie de la France passe directement des grottes ornées
du paléolithique supérieur à la période romaine — en ignorant toutes les découvertes
qui ont démontré l’incroyable richesse du néolithique, des Âges du Bronze et du
Fer — avec (toujours !) quelques lignes apitoyées ou réprobatrices sur ces malheureux
(ou horribles) Gaulois que — heureusement — Rome vint civiliser. Un
exemple :
Des tribus, la guerre, des dieux terrifiants, les cultes naturistes, mais de l’habileté :
c’est une description de type colonialiste (ou impérialiste). Aucune connaissance
de l’archéologie ni des réflexions récentes et actuelles. On croirait lire un mauvais
ouvrage des environs de 1840. Tel est l’état de notre enseignement et de la
« culture » infligée aux élèves.
ANTIQUITÉS NATIONALES 675
utilisent des pantalons larges, bouffants et, au lieu de « chitônes », ils portent des tuniques
fendues, à manches, qui leur descendent jusqu’au bas-ventre et aux fesses. C’est avec une
laine à la fois fibreuse et aux extrémités touffues qu’ils tissent les « sagums » épais, qu’ils
appellent « lainal ». C’est à même le sol que dorment, aujourd’hui encore, la plupart d’entre
eux, de même qu’ils s’assoient sur des lits faits de végétaux pour prendre leurs repas ! La
nourriture surabondante, à base de lait et de viandes de toutes sortes, tout particulièrement
de porc, aussi bien frais que salé (leurs porcs, même la nuit, sont en liberté ; par la taille
comme la vigueur et la rapidité, ils sont exceptionnels — aussi est-il dangereux de s’en
approcher si l’on n’est pas habitué à eux, y compris pour un loup !). Quant à leurs maisons,
faites de poteaux et de clayonnages, elles sont grandes, arrondies, et ils les recouvrent d’un
chaume épais. (…) »
avec les Pyrénées nord-sud, le Cemmène (les chaînes du Massif Central) ouest-est,
les fleuves coulant du sud au nord (sauf le Rhône).
L’organisation se comprend donc fort bien, si l’on suit ce cadre (carte ci-dessus),
qui devait subsister trois siècles. Sauf que Strabon et Pline signalent, dans des textes
longtemps négligés ou incompris, des tentatives initiales bien différentes, mais
toutes fondées sur la conception que le monde est organisé en formes géométriques,
rectangles ou carrés, qu’a voulues la Providence — conception philosophique
remontant au plus loin de la pensée grecque et que le stoïcisme a diffusés. Nous
avons repris le cas de la Gaule dans cette optique, tout en signalant que les nouvelles
éditions des géographes et ethnographes antiques ne peuvent désormais échapper
à ce cadre (on vient de le voir pour l’Ibérie).
II. SÉMINAIRES
IV. PUBLICATIONS
Ouvrage :
— Regard sur la Gaule, Actes Sud, Babel, 2007.
Articles :
— Plusieurs contributions dans Archéopages, revue de l’INRAP.
— « La Gaule, les Gaulois et le sentiment national au XIXe siècle », Alésia et la
bataille du Teutoburg, Beihefte der Francia, 66, 2008, 53-71.
— « La Querelle des Origines », Pouvoirs. Représenter le pouvoir en France,
Catalogue d’exposition, Nantes, 2008, p. 152-157.
Nombreuses participations ou interviews dans la presse écrite et audio-visuelle.
DVD sur Lutèce, sur les fouilles suisses de Mormont, diffusions sur Arte.
Histoire turque et ottomane
politique de la Porte d’avoir toujours par vanité des ambassadeurs des princes
chrétiens à Constantinople et de ne pas entretenir un seul agent dans les cours
chrétiennes ». Le dernier cours s’est attaché à cette particularité : les Turcs reçoivent
des ambassadeurs permanents (quelques-uns du moins) mais n’en établissent pas à
leur tour. Nous nous sommes demandé si, comme la formule qui précède, tend à
le suggérer, ce comportement résultait d’un principe, d’un axiome politique conçu
a priori (dont le moteur aurait, par exemple, été la vanité) ou s’il n’avait pas été
plutôt le fruit de circonstances dans lesquelles les gouvernants ottomans auraient
été plus ou moins passifs, quitte à ce qu’ils y trouvent des avantages à l’usage et
donc des justifications après coup. En d’autres termes, nous nous sommes penché
sur les conditions de création des quatre premières ambassades permanentes à
Constantinople : celles de Venise (1454), de France (1535), d’Angleterre (1583)
et enfin des Pays-Bas (1612). Les autres qui suivront au xviiie siècle, ne feront
qu’emprunter une voie désormais bien tracée. Dans chacun des quatre cas considérés
de plus près, nous avons cherché à évaluer ce qui revenait à l’Etat représenté et ce
qu’avait été le comportement de la Porte.
Le cas vénitien
Le premier ambassadeur permanent dans la Constantinople ottomane fut le
baile (bailo), c’est-à-dire le représentant de la république de Venise — et de loin
puisqu’il est apparu dès 1454, soit dès l’année qui a suivi la conquête de la ville.
Encore s’agit-il d’un cas bien différent de celui qui suivra quatre-vingts ans plus
tard (l’établissement de l’ambassade de France), puisqu’il ne s’agit en rien d’une
innovation mais de la simple reprise d’une institution bien antérieure. Le baile de
Venise auprès du sultan ne fait en effet que prendre la suite du baile de Venise à
Byzance — une institution très ancienne, remontant au xie siècle, mais qui n’avait
acquis toute son importance et ses caractéristiques qu’après la reconquête de
Byzance par Michel Paléologue en 1265-1268. Comme ce sera le cas à l’époque
ottomane, la fonction se situe au sommet de la carrière diplomatique vénitienne ;
elle est détenue par des membres des grandes familles patriciennes spécialisées dans
les affaires du Levant ; elle comprend trois volets principaux : le baile est à la fois
un ambassadeur en charge des affaires politiques ; un consul, protecteur des intérêts
commerciaux de Venise et des droits de ses marchands ; un chef de communauté,
administrant et jugeant les ressortissants vénitiens. Son autorité ne se limite pas à
la capitale, mais s’étend à l’empire byzantin dans son ensemble : il est Baiulus
Venetorum in Constantinopoli et in toto imperio Romanie.
Au surplus, dès avant la conquête de Constantinople, le baile accrédité auprès
du basileus byzantin, joue, de fait, de par sa position géopolitique, un rôle déjà
important dans les relations diplomatiques entre le jeune Etat ottoman (dont les
capitales sont successivement Bursa puis Edirne) et la Sérénissime, que lui-même
(parmi d’autres dignitaires) serve d’ambassadeur extraordinaire auprès des sultans,
ou qu’il envoie ses émissaires à ces derniers. Dans ces conditions, la substitution
du pouvoir ottoman au pouvoir byzantin à Constantinople n’apporte pas de
HISTOIRE TURQUE ET OTTOMANE 681
busta 1, n° 109). Le doge répond au sultan par une lettre du 19 avril 1504 qu’il
ratifie la correction apportée à la dernière capitulation, faisant passer à trois ans la
durée d’exercice de l’office du baile (M.-P. Pedani, I « Documenti Turchi »
dell’Archivio di Stato di Venezia, 1994, p. 41, n° 149). Cette disposition est
confirmée dans la capitulation suivante, celle de 1513 qui institue en outre un
principe de succession automatique qui n’avait pas été formulé jusqu’ici. Il stipule
en effet : « qu’il parte avant qu’une période de trois années ne s’achève, et qu’un
autre vienne à sa place, de la même façon » (üç yıl tamam olmadın ol gide, anun
yerine ol vechile bir dahi gele).
Il est à noter que cette durée réglementaire de trois ans (appelée à un grand
avenir puisqu’elle est encore la durée moyenne de séjour des ambassadeurs dans les
usages internationaux) ne sera pas toujours strictement respectée dans les faits : des
durées de séjour supérieures des bailes (quatre, cinq, six ans et même sept ans)
seront observées dans la seconde moitié du xvie et au xviie siècle, en raison de
circonstances particulières, sans opposition des autorités ottomanes.
Outre la question de la durée de la mission, essentielle à la notion d’ambassade
permanente, d’autres articles relatifs au baile apparaîtront également dans les
‘ahdnâme vénitiens successifs. L’essentiel est déjà présent dans celui de 1482, émis
à l’occasion de l’avènement de Bayezid II. Il y est énoncé : « qu’il [le baile] vienne
avec sa suite et qu’il s’établisse à Istanbul, de sorte qu’il s’y occupe des affaires des
marchands vénitiens et qu’il règle les litiges de toutes natures qui lui seront soumis,
conformément à leurs usages (ayinlerince) ».
Non seulement les droits de justice du baile sur ses administrés sont ainsi
reconnus, mais il lui est également loisible de recourir, en cas de besoin, à la force
publique ottomane : « que l’officier de police (subașı) en fonctions à Istanbul, lui
prête assistance dans les affaires qui le concernent ». En ce sens, le baile est en
quelque sorte intégré à l’appareil d’Etat ottoman. De nouvelles clauses seront
ajoutées dans les ‘ahdnâme de 1513 et 1517, selon lesquelles les marchands vénitiens
désireux de se rendre à Bursa et dans d’autres lieux de l’Empire, ne pourront le
faire sans l’autorisation du baile. S’ils désobéissent (et de fait les marchands voyaient
d’un mauvais oeil l’immixtion du baile et des autres consuls vénitiens dans leurs
affaires), les officiers de police locaux devaient prêter main-forte aux bailes pour
faire plier les récalcitrants.
Par ailleurs, les mêmes traités reconnaissaient au baile certaines immunités
constituant une sorte d’embryon d’un statut diplomatique du baile, préfigurant dans
une certaine mesure les notions d’immunité diplomatique et de privilège
d’exterritorialité, qui s’imposeront par la suite dans le « droit des gens » (jus gentium),
tel qu’il sera codifié en Occident. Ces immunités sont avant tout d’ordre judicaire.
Selon les capitulations de 1513, le baile ne pourra être tenu pour responsable des
dettes des sujets vénitiens ; s’il est impliqué dans un procès, celui-ci ne sera pas du
ressort du juge local, mais devra être porté devant le « divan impérial ». Ces affaires
font donc partie des « causes réservées » de cette juridiction suprême. Si le sultan est
HISTOIRE TURQUE ET OTTOMANE 683
absent de la capitale, le baile sera entendu par son substitut, le kaymakam, en présence
du cadi d’Istanbul. D’autres immunités du baile sont au contraire absentes des
‘ahdnâme, mais entreront dans l’usage et seront d’ailleurs régulièrement confirmées
par cette autre source de droit que sont les ordres impériaux. Il s’agit d’immunités
fiscales : l’exemption de droits de douane et des autres taxes sur les denrées destinées
à l’approvisionnement du baile, de son personnel et de sa suite (notamment les
raisins, le vin et les porcs). Absentes des traités, ces dernières immunités étaient peut-
être conçues par la Porte comme situées sur un autre registre : celui des lois de
l’hospitalité. L’ambassadeur est en effet un hôte, en même temps — nous y
reviendrons — qu’il est virtuellement un otage (les Français, quant à eux, n’en
prendront pas moins la précaution de faire inscrire ces franchises fiscales de
l’ambassadeur dans leurs capitulations, plus tard, à partir de 1604).
Si tout ce qui définit la position du baile, n’est pas inclus dans les ‘ahdnâme (il
est d’ailleurs bien des domaines dans lesquels ces traités ne sont pas le seul
instrument juridique applicable aux Vénitiens en général), ceux-ci constituent
néanmoins un corpus auxquels les muftis peuvent se référer dans leurs consultations
juridiques (fetvâ), au même titre que les autres sources de droit reconnues dans
l’empire. On trouvera ainsi dans les archives du baile, une fetvâ qu’il avait
vraisemblablement sollicitée lui-même, portant sur la question suivante : le baile
étant le représentant (vekil et kaymakam) des marchands vénitiens, ces derniers
sont-ils habilités à lui demander des indemnités pour les marchandises qu’ils ont
perdues ? Pour argumenter sa réponse, le mufti ne cite pas d’autre autorité que les
passages des ‘ahdnâme relatifs au baile (ASV, Bailo, B. 339, n° 53).
Il est à noter également que les capitulations vénitiennes se réfèrent surtout au
baile, dans deux de ses fonctions que nous avions déjà citées, celles de consul et
de chef de la communauté vénitienne. De fait, bien que souvent négligée par les
historiens, la fonction consulaire garde toute son importance à l’époque ottomane.
Comme l’écrivait la Seigneurie vénitienne au baile Marino Cavalli (1560), étudié
naguère par le regretté Bruno Simon :
« Nous vous avons envoyé là-bas pour être notre baile, comme le veut la coutume,
et, finalement, vous recommanderez les marchands et nos sujets à Sa Majesté [le
sultan], comme il vous paraîtra expédient, pendant le temps où vous serez en sa
présence. Vous ne manquerez pas dans toutes les occasions où cela leur sera nécessaire
de donner à ces marchands et à nos sujets toute aide et faveur possibles, car cela est
une des principales raisons pour lesquelles nous vous avons envoyé là-bas ».
Le fait qu’à l’époque ottomane, les Vénitiens perdent au profit de nouveaux
venus de l’ouest de l’Europe la place qui avait été la leur à l’époque byzantine (où
seuls les Génois étaient pour eux des concurrents sérieux) n’exclut pas, bien au
contraire, la nécessité pour le baile de protéger et d’essayer de promouvoir, dans
ce contexte difficile, l’activité de ses nationaux. Dans cette tâche, il est assisté,
comme à l’époque précédente, par un conseil de douze marchands (qui perdra
toutefois de son importance après la guerre de Chypre) et, d’autre part, par le
684 GILLES VEINSTEIN
réseau des consuls de Venise, que le sultan confirme par des exæquatur appelés
berat. Ces consuls, comme l’a montré M. Géraud Poumarède dans sa thèse, ne
dépendent d’ailleurs pas tous au même titre du baile : si ce dernier garde, comme
au Moyen Âge, le droit de nommer des consuls dans les zones proches d’Istanbul,
les anciens et prestigieux consuls de Syrie et d’Egypte restent désignés par le
Maggior Consiglio et il leur arrive de correspondre directement avec la Porte qui
leur donne volontiers, à eux aussi, le titre de bailes (ces deux consulats qui auront
perdu beaucoup de leur importance seront finalement supprimés au milieu des
années 1670). De même, Venise créera des postes consulaires nouveaux dans les
colonies qui lui auront été enlevées par les Ottomans, et ces postes seront laissés à
la discrétion d’une institution créée par Venise au début du xvie siècle pour
réactiver son commerce, les Cinque savi alla mercanzia.
Pour ce qui est du rôle du baile comme chef de sa nation, il se poursuit tout
naturellement au sein de la structure communautaire de l’Empire ottoman. Non
seulement la Porte le reconnaît comme représentant de sa communauté, mais,
comme nous l’avons vu, elle lui offre son appui dans l’exercice de cette responsabilité.
Si, en revanche, les ‘ahdnâme ne citent pas expressément son rôle politique qui en
fait non pas seulement un consul mais un authentique ambassadeur, les autorités
ottomanes le reconnaissent d’autant plus naturellement dans les faits que les
problèmes politiques avec Venise ne manquent pas et que, dans la paix comme dans
la guerre, elles ont besoin de cet interlocuteur que viennent d’ailleurs fréquemment
rejoindre à Constantinople des ambassadeurs extraordinaires quand les circonstances
le réclament. Les rapports étroits (et même, semble-t-il, amicaux) ayant pu exister
entre un Marc’Antonio Barbaro, baile au moment de la guerre de Chypre et le grand
vizir Sokollu Mehmed pacha, sont emblématiques de la place que le représentant
vénitien peut tenir dans la capitale ottomane. Au surplus, la Porte met à profit sa
présence pour bénéficier de l’incomparable réseau d’informations vénitien sur la
situation politique et militaire des Etats européens, particulièrement de ceux qui
l’intéressent le plus. Elle compense en partie par ce biais, sa propre absence de
résidents à l’extérieur. Conscientes de cet atout dans leur jeu avec les Turcs, les
autorités vénitiennes élaborent complaisamment des sortes de bulletins
d’information, les avvisi, qu’elles font traduire en turc à l’intention de leurs
partenaires ottomans. Ces derniers en sont friands et attendent avec impatience leur
arrivée à Istanbul, accordant un crédit total au renseignement vénitien.
Ce rôle politique notable est ce qui fait tout l’attrait de la fonction auprès des
diplomates vénitiens. Ottavio Bon, en 1604, comparait l’office à un jardin « dans
lequel les roses et les autres fleurs sont les affaires publiques, tandis que les épines
et les mauvaises herbes sont les affaires des personnes privées, ayant trait à leurs
bateaux, aux contrats qu’elles font et aux avanies qui leur sont imposées… »
Cependant, c’est aussi ce rôle politique qui fait le danger de la fonction, dans le
contexte mouvementé des relations entre le Grand Turc et la République (outre
que cette fonction est onéreuse et expose par ailleurs le détenteur aux terribles
épidémies sévissant en Orient).
HISTOIRE TURQUE ET OTTOMANE 685
Les Ottomans ont en effet pour principe de mettre aux arrêts, soit en les jetant
carrément en prison, soit en les assignant du moins à résidence les ambassadeurs
(et tous les ressortissants qui tombent entre leurs mains) des pays avec lesquels ils
sont en guerre. Cela s’applique d’ailleurs aussi bien aux ambassadeurs extraordinaires
qu’aux résidents, mais les seconds, au moins, par nature, seront toujours à
disposition. Les Vénitiens en ont fait l’expérience dès avant la conquête de
Constantinople, lors de la guerre vénéto-ottomane pour la possession de Salonique
(1425-1430). A en croire certaines chroniques, les deux ambassadeurs successifs
(Nicolo Zorzi et Giacomo Dandolo) auraient non seulement été emprisonnés mais
mis à mort par leurs geôliers, ce qui n’arrivera plus par la suite. Paolo Preto dit
même que la prison pouvait parfois être « dorée » et que la détention n’était pas
toujours très sévère. Par exemple, lors de la guerre vénéto-ottomane de 1537-1540,
le baile est bien entendu emprisonné, mais il sera libéré dès novembre 1539 pour
assister aux grandes fêtes de circoncision de deux fils de Soliman le Magnifique
auxquelles il est convié (il est vrai que des pourparlers de paix étaient d’ores et déjà
engagés ; Charrière, I, p. 417). Pendant cette même guerre, un autre représentant
vénitien, le consul à Damas, également aux arrêts dans la forteresse de cette ville,
n’en entretient pas moins une abondante correspondance avec le gouverneur
vénitien de Chypre. A cette fin, comme lui-même le confie, il utilise les services
d’ « un janissaire digne de confiance ». Le fait que les guerres avec Venise soient
considérées comme des crises certes graves mais passagères et qui doivent
immanquablement, une fois les buts de guerre atteints, être suivies d’une reprise
des bonnes relations habituelles, explique la relative modération présidant à ces
détentions. Impulsions intempestives et tentatives d’intimidation n’étaient toutefois
pas exclues. On rapporte ainsi qu’au début de la guerre de Crète, le sultan Ibrahim
aurait eu l’intention de faire exécuter le baile de Venise. Il aurait fallu l’intervention
du grand vizir, du grand mufti et de plusieurs autres dignitaires pour l’en dissuader
et le ramener au principe traditionnel de la simple captivité (Hammer, X, p. 112).
Cette dernière, appliquée aux Vénitiens comme elle le sera à tout ambassadeur
dont le pays entrait en guerre avec le sultan, répondait, semble-t-il, à deux
motivations : il fallait interdire à l’agent du pays ennemi toute activité d’espionnage
et menées subversives ; mais il y avait sans doute aussi dans la mesure une dimension
de rétorsion, de vengeance dont l’ambassadeur faisait les frais, en même temps
qu’un chantage plus ou moins explicite exercé à travers lui sur son gouvernement:
il devenait alors pleinement l’otage qu’il avait été virtuellement jusque là. Un
témoignage en est fourni, se rapportant non à un ambassadeur vénitien, mais au
comportement de Soliman le Magnifique vis-à-vis de Malvezzi, ambassadeur de
Ferdinand de Habsbourg. Lorsque ce dernier réclama au sultan l’élargissement de
son ambassadeur, il lui fut rétorqué que « les ambassadeurs répondaient de la
parole donnée par leurs maîtres et [que], en leur qualité d’otages, ils devaient
expier la violation » (Charrière, II, p. 211). Même, sous contrôle (quelles que
fussent les circonstances, aucun ambassadeur chrétien en poste à Istanbul ne fut
jamais exécuté), cette prise en otage des représentants étrangers fut fortement
exploitée à l’appui de la thèse, selon laquelle les Ottomans restaient en dehors du
686 GILLES VEINSTEIN
Le cas français
Si Venise a, la première, longtemps avant les autres Etats européens, jeté les bases
des représentations permanentes à Istanbul, elle n’avait fait qu’obtenir
progressivement de Mehmed II et de ses successeurs, le rétablissement intégral de
la position de son principal agent diplomatique et commercial en Méditerranée
orientale : le baile. Les sultans s’étaient peu à peu laissés convaincre de revenir sur
ce point comme sur divers autres au statu quo antérieur à la conquête. Par rapport
à ces particularités du cas vénitiens, le cas français apparaît dans toute sa singularité,
son exceptionnalité. L’ambassade de France n’aura donc pas été la première,
contrairement à ce qui sera durablement la version officielle française, soucieuse
d’appuyer sur l’antériorité chronologique du représentant du roi sa primauté
hiérarchique dans le corps diplomatique stambouliote, comme, plus généralement,
un traitement privilégié des Français dans l’Empire ottoman. En revanche, elle
présente l’originalité d’être une innovation absolue.
Le rapprochement franco-ottoman naît de l’antagonisme entre François 1er et
Charles-Quint, héritier des « rois catholiques » d’Espagne et des ducs de Bourgogne,
chef de la maison de Habsbourg et Empereur élu du Saint Empire romain
germanique. Charles-Quint s’oppose aux prétentions italiennes du Valois (sur
Gênes et Milan, voire sur le royaume de Naples). Lui-même a des revendications
sur l’héritage bourguignon et il constitue une menace pour le royaume qu’il
encercle presque entièrement de ses possessions. La France cherche un contrepoids
à ce redoutable adversaire en nouant des contacts avec les Etats chrétiens du reste
de l’Europe (Pologne, Hongrie, Transylvanie), mais elle n’y trouve pas un secours
suffisant. La situation devient critique en 1525, à la suite de la défaite de Pavie et
de l’emprisonnement de François 1er à Madrid. C’est alors que la régente, Louise
de Savoie, mère du roi, et le roi lui-même se décident à tourner le dos à la politique
traditionnelle des « rois très-chrétiens » vis-à-vis de l’islam en général et en dernier
lieu, vis-à-vis des Ottomans. Le roi, en grave difficulté, est demandeur et le sultan,
Soliman le Magnifique, immédiatement conscient des avantages symboliques et
stratégiques d’une telle alliance, accorde son amitié à un prince dont il ne méconnaît
nullement la place sur l’échiquier européen — amitié qu’il inscrit d’emblée dans
un rapport inégalitaire de protecteur à protégé. Compte tenu de l’innovation
scandaleuse que représente ce rapprochement, la France fait d’abord appel dans
HISTOIRE TURQUE ET OTTOMANE 687
une première phase à des émissaires secrets ou au moins discrets, le cas échéant
officiellement accrédités auprès du roi de Hongrie et non directement auprès du
sultan. Tout devrait se passer à l’insu, non seulement de l’ennemi, mais d’une
partie de l’entourage du roi qui désapprouve entièrement cette orientation. Le
« secret du roi » n’en est pas moins rapidement éventé par le réseau d’espions de
Charles-Quint. La connivence avec l’Infidèle est violemment dénoncée ; le désastre
hongrois de Mohács de 1526 lui est imputé ; les agents du roi sont traqués entre
France et Turquie. Pour remplir des missions aussi délicates et dangereuses auprès
de son nouvel allié, bien différentes des ambassades ordinaires, François 1er choisira
dans une première phase des hommes au profile particulier : ce sont des étrangers
(le cas échéant de haute lignée), ayant une certaine connaissance et expérience de
l’est et du sud de l’Europe et résolument en rupture avec le système politique de
Charles-Quint, des esprits avisés en même temps que des hommes d’action
intrépides. Interviendront ainsi dans les premières années de l’alliance, le croate
Jean-François Frangipani, le Castillan Antonio Rincon, le Napolitain César
Cantelmo, un autre Italien, Camillo Orsino, le marchand Ragusain Séraphin
Gučetić (ou Séraphin de Gozo). A ce dernier, il reviendra de négocier secrètement
avec le grand vizir Ibrahim pacha, à Alep, au printemps 1534, le premier traité
franco-ottoman, une « trêve marchande » dont le genre hybride trahit bien la
difficulté à donner forme — une forme avouable — à une entente sans précédent.
François 1er ne la publiera qu’en janvier 1535, acte signifiant sa volonté d’afficher
désormais ouvertement son union avec le Turc.
Pour Soliman et ses pachas qui, de leur côté, ne font pas les distinguos auxquels les
Européens sont attachés, entre les différentes sortes et les « caractères » inégaux des
ambassadeurs, ces émissaires d’un genre particulier, sont purement et simplement
les « ambassadeurs (elçi) du pâdișâh de France » auxquels sont rendus les honneurs
correspondant à l’état des relations entre le sultan et le prince qu’ils représentent et
dont l’incognito n’est nullement respecté, dès lors qu’il est utile au sultan de faire
sonner bien haut leur présence aux oreilles de leurs adversaires. L’agent Antonio
Rincon sera ainsi reçu par Soliman, en juillet 1532, dans son camp de Belgrade
comme un ambassadeur à part entière. Des coups de canon seront tirés ; les tentes
seront illuminées — un spectacle destiné à impressionner les deux émissaires des
Habsbourg, Joseph de Lamberg et Léonard de Nogarella, également présents dans le
camp et impatients de faire avancer leurs négociations avec les Turcs. Comme le
note le journal de campagne de Soliman, le 5 juillet, l’ambassadeur français, ainsi
que celui du roi de Pologne et les envoyés de Ferdinand, sont admis au baisemain
avec le cérémonial observé dans la campagne précédente, celle de 1529, à l’occasion
de la réception du roi de Hongrie, Jean Zapolya (Hammer, V, p. 478).
Par rapport à cette première phase, de l’avis général des historiens des relations
franco-ottomanes, l’ambassade à Constantinople de Jean de la Forêt (Jehan de la
Forest), en 1535, aurait marqué un tournant. Il est en effet unanimement considéré
comme le premier véritable ambassadeur de France auprès du sultan : non plus un
simple agent mais un ambassadeur en titre et établi à demeure ; par conséquent
688 GILLES VEINSTEIN
un ambassadeur permanent. En fait, des sources précises sur ce qu’ont été alors les
intentions des gouvernants français, les débats qu’a pu susciter le sujet, les décisions
prises, n’ont pas été mis au jour (contrairement aux cas anglais et hollandais que
nous verrons plus loin). Nous devons donc déduire des quelques faits connus. Le
profile de La Forêt est tout à fait distinct de celui de ses prédécesseurs : c’est un
Français, originaire de la Limagne, en Auvergne, devenu « notaire et secrétaire du
roi » ; un clerc attaché à la maison du chancelier Duprat, un des grands artisans
de l’alliance franco-ottomane qui rédigera d’ailleurs ses instructions. Rien d’un
aventurier par conséquent. Cependant, c’est aussi un homme qui avait voyagé dans
sa jeunesse ; qui avait résidé à Rome, à Venise et à Florence ; qui avait été l’élève
de Lascaris, émigré de Constantinople et bibliothécaire érudit de Laurent de
Médicis. Il avait acquis ainsi des connaissances en grec ancien et moderne et en
italien, qui pourraient être utiles à sa mission. Par ailleurs, comme il convient à un
véritable ambassadeur, La Forêt avait été doté d’une suite qui comprenait
notamment un secrétaire, Charles de Marillac, son propre cousin, ainsi qu’un
érudit, prodigieux polyglotte, Guillaume Postel. Ce dernier était chargé de
rechercher des manuscrits grecs. Sa présence donnait une teinture « culturelle » à
la délégation : facteur de prestige mais peut-être aussi masque destiné à en dissimuler
l’objet véritable. Autre particularité de cette ambassade qui n’est probablement pas
fortuite : pour la première fois, on a conservé, dans les archives des affaires
étrangères, le texte des instructions remises à l’ambassadeur avant son départ.
Duprat y a détaillé les offres et les demandes que l’ambassadeur devait présenter
successivement à l’amiral de la flotte, Hayreddîn Barberousse à Alger, puis au
sultan lui-même à Istanbul. Certaines précautions avaient été prises pour ne pas
faire apparaître le roi comme trahissant, de son propre chef, la cause de la solidarité
chrétienne, mais c’est bien de plans d’action militaire concertée avec le sultan qu’il
s’agissait très précisément, ainsi que d’une demande d’aide financière (« ung million
d’or »). En revanche, le texte qui nous est parvenu ne précise rien sur ce qui nous
préoccupe ici : la nature exacte de l’ambassade conçue par le roi et son chancelier.
La lettre royale que La Forêt devrait remettre à Soliman en disait assurément plus
à ce sujet, mais nous ignorons jusqu’à quel point puisque cette lettre a disparu et
que nous ne connaissons d’elle que l’allusion du sultan dans sa réponse, comme
nous le verrons plus loin. Pourquoi, à ce stade des relations bilatérales, établir une
ambassade permanente et comment la concevait-on ? Nous connaissons, en général,
la propension de François 1er à l’établissement d’ambassades permanentes puisque
d’une seule qui existait au début de son règne, il en portera le nombre à dix à la
fin. Quelle durée était envisagée pour celle-là ? La seule indication dont nous
disposions à cet égard est le relevé selon lequel La Forêt avait reçu du Trésor, le
13 janvier 1535, la somme de 11 260 livres tournois « pour sa dépense de 563 jours
qu’il pourroit vacquer en l’estat et charge d’ambassadeur pour le Roy devers aucuns
Princes et seigneurs du Pays d’aultre mer [Barberousse et Soliman qu’on évitait de
nommer] ». Cette durée — grosso modo un an et demi — correspondait-elle à la
durée totale prévue (en fonction de quels critères ?) ou s’agissait-il d’un premier
versement, à compléter éventuellement ? Rétrospectivement, la mission de La
HISTOIRE TURQUE ET OTTOMANE 689
Forêt aura duré deux ans et demi, mais cela ne renseigne guère sur les intentions
françaises initiales puisque deux impondérables interviendront : la décision de
Soliman d’emmener l’ambassadeur avec lui en Albanie dans sa campagne de 1537,
puis le décès de La Forêt à Vlorë (Avlonya) au début de septembre 1537.
Par ailleurs, un autre document apporte quelque lumière sur ce que pourrait être à
l’avenir un résident français à la Porte : les passages concernant le « baile de France »
dans ce qu’on a trop longtemps considéré à tort comme les capitulations de 1536
entre François 1er et Soliman le Magnifique. Il s’agit en réalité d’un texte préparatoire
de traité, rédigé par La Forêt (Rincon le caractérisera en 1539 comme « des articles
et capitulations qu’autrefois, du vivant d’Ibrahim Bacha, le feu de La Forest avoit
faites et proposées » ; Charrière, I, p. 413-414) ; peut-être après discussion avec
Ibrahim pacha (le texte y fait allusion mais il pourrait s’agir d’une simple anticipation
de ce qui aurait dû se produire). Ce projet ne fut jamais ratifié et promulgué par le
sultan, et il n’entra donc pas en vigueur. Une des raisons possibles de l’interruption
du processus est l’exécution du grand vizir, le 5 mars 1536. La genèse du texte de
La Forêt pose également question : l’obtention de capitulations faisait-elle partie
de sa mission (mais ses instructions n’en soufflent mot) ou prit-il l’initiative d’engager
une négociation sur ce point, et le choix des articles était-il de son fait ? Quoi qu’il en
soit, les articles retenus proviennent en droite ligne du modèle vénitien et le terme de
baile appliqué au représentant français confirme bien la filiation. Si on y retrouve les
principales prérogatives du baile vénitien, telles que nous les avons retracées plus
haut, il est à noter que le rédacteur du texte français a écarté ce qui, dans le précédent
vénitien, fixait la durée de séjour du baile et instituait son remplacement automatique
au bout de trois ans. D’une manière générale, le baile français dont La Forêt a
esquissé le portrait, fait, dirions-nous, profile bas. Le lieu de sa résidence elle-même
est laissé dans le vague : « Constantinople, Péra ou autre lieu de cet empire ». Bien
plus, le rédacteur note à chaque fois que les prérogatives demandées pour lui sont
celles d’un baile ou d’un consul. D’une manière générale, rien ne distingue vraiment
le baile envisagé d’un simple consul, tel que la France en possède déjà un : le consul
des Français et des Catalans d’Alexandrie — poste qui date de l’époque mamelouke
et dont, précisément, Soliman a récemment, en 1528, confirmé les privilèges.
Comment expliquer cette retenue sinon par un double souci : d’un côté, celui de ne
pas trop compromettre ni engager le roi de France ; d’un autre celui de ne pas
effaroucher le sultan par une innovation trop ambitieuse dont il risquerait de prendre
ombrage ? On discerne bien là la différence avec le cas vénitien : la relation vénéto-
ottomane était structurelle pour les deux pays. La relation avec la France n’est encore
que conjoncturelle. Il est à relever aussi pour mieux situer la place de La Forêt que
lui-même ne s’assimile pas personnellement à ce baile dont il esquisse la modeste
figure : dans le préambule de son texte, il se désigne au contraire comme « conseiller-
secrétaire et ambassadeur du très-excellent et très-puissant prince François ».
Si les conditions d’élaboration de l’innovation française ne nous sont ainsi pas
entièrement connues, il est clair en tout cas qu’elle ne fit l’objet d’aucune
concertation préalable avec le sultan et que celui-ci ne fut pas même averti qu’était
690 GILLES VEINSTEIN
D’Aramon est renvoyé par François 1er à Istanbul, cette fois comme ambassadeur
à part entière. Le roi, au soir de sa vie, veut relancer une nouvelle fois la coopération
avec le Turc, attendant désormais de ce dernier qu’il attaque non plus en Italie
mais en Hongrie, et qu’il lance sa flotte sur la côte d’Afrique. Il s’agit aussi de
contrer les manœuvres à la Porte de Veltwick, l’ambassadeur des Habsbourg, qui
cherche à prolonger la trêve austro-ottomane, Pour faire oublier ses atermoiements
passés et regagner auprès du sultan un prestige bien entamé, François 1er donne à
cette ambassade un lustre sans précédent : elle apporte des présents somptueux et
comprend une suite splendide. Cette ambassade durera six ans et verra le passage
du règne de François 1er à celui de Henri II qui, après un moment de flottement,
confirmera pleinement la politique pro-ottomane de son père.
C’est avec l’ambassade de Gabriel d’Aramon qui va durer six ans qu’on prend
pleinement la mesure de ce que signifie une ambassade permanente française à
Constantinople. Unique représentation étrangère dans la capitale ottomane
(excepté, bien entendu, le cas vénitien qui est décidément à part), elle matérialise
la relation étroite, la concertation permanente existant dans la période entre les
deux Etats. Le crédit de l’ambassadeur se manifeste avec un éclat sans précédent,
notamment à l’occasion de sa participation, à la demande de Henri II, à la première
phase de la campagne de Perse, dite de Tabriz, de 1548-1549, durant laquelle
lui-même et sa suite voyagent dans l’équipage le plus magnifique : « quelle gloire
pour cet ambassadeur et pour sa nation française, écrira Brantôme, de tenir tel rang
auprès du plus grand monarque du monde ». Même constatation chez Jacques
Gassot : « Je pense que de nostre temps jamais ambassadeur ne chemina en tel
ordre, équipage et réputation ». Il se manifeste également par la communication
directe existant, dans les moments forts de la coopération, entre le sultan et lui. Le
premier prend sur lui de le renvoyer en France en janvier 1551 pour communiquer
ses plans au roi. A son retour, il l’invitera à prendre part à la campagne navale de
l’été 1552, en le dotant de deux galères à cet effet. En même temps, l’ambassadeur,
en vertu de sa personnalité propre, est le point de rencontre d’une pléiade d’hommes
de lettres et savants français qui, dans un esprit bien caractéristique de la Renaissance,
affluent alors vers la Turquie (Pierre Belon, Jean Chesneau, Jacques Gassot,
Guillaume Postel, Pierre Gilles, Nicolas de Nicolay).
Néanmoins, conçue et maintenue par une volonté française, cette institution
nouvelle ne subsiste que par l’acquiescement de fait du sultan qui en reconnaît
pragmatiquement l’utilité et qui, concrètement, accorde les sauf-conduits (amân-i
șerîf ) nécessaires aux arrivants successifs et qui s’inquiète même quand le roi tarde
à donner un successeur au détenteur précédent de l’office. A propos de la
confirmation de Jean Dolu par Charles IX, Soliman écrit à ce dernier que son
frère, François II, avait précédemment nommé le même Dolu « conformément à
l’usage selon lequel vous avez un ambassadeur à notre Porte de Félicité » (Charrière,
II, p. 260). Légitimée par l’usage, l’ambassade permanente (on verra apparaître le
terme de mukim pour rendre la notion de résident) n’a pas d’autre fondement en
droit ottoman. Elle n’est pas, comme son antécédent vénitien, inscrite dans un
HISTOIRE TURQUE ET OTTOMANE 693
‘ahdnâme. Le besoin ne se fait pas sentir de donner suite aux articles que La Forêt
avait esquissés à ce sujet. Chose remarquable, les premières capitulations qui seront
accordées à la France, celles de 1569, émises par Selim II à l’instigation d’un
envoyé extraordinaire, Claude du Bourg, font silence sur la question de
l’ambassadeur, et, notamment, ne reprennent pas les projets de La Forêt sur ce
point. Elles n’apportent aucune sanction a posteriori de ce qui existait de facto
depuis trente cinq ans. Faut-il y voir l’effet de l’hostilité de du Bourg et du grand
vizir Sokollu Mehmed pacha à l’encontre de l’ambassadeur en titre du moment,
Grantrie de Grandchamp ?
La mention de l’ambassadeur dans les ‘ahdnâme accordés à la France n’apparaîtra
en fait pour la première fois que dans la version de 1581, l’article correspondant
ne portant pas sur l’existence même de cet officier qui, sans doute, n’a plus besoin
à cette époque, d’être établie, mais (outre les droits de justice de l’ambassadeur et
des consuls enfin reconnus) sur la préséance de celui-ci par rapport aux autres
ambassadeurs présents à Constantinople. Par la suite, d’autres mentions relatives
aux prérogatives des ambassadeurs de France, figureront dans les capitulations
ultérieures. Pour revenir à la question de la préséance française, dont le seul fait
qu’elle était posée dans les années 1580, en disait long sur les changements de la
conjoncture diplomatique et de la place de la France à la Porte, avait été soulevée
par un événement anecdotique, les funérailles du baile de Venise, Nicolo Barbarigo.
A cette occasion, un ambassadeur (extraordinaire et non pas résident) d’Espagne,
Giovanni Margliani (Don Margliano) avait prétendu prendre le pas dans la
cérémonie sur le Français Jacques de Germigny. A la suite de cet incident qui eut
pour conséquence qu’aucun ambassadeur ne fut finalement convié aux obsèques,
le gouvernement du sultan d’alors, Murad III, accepta de reconnaître la préséance
française, non seulement dans sa lettre à Henri III de juillet 1580, mais en la
gravant dans le marbre des capitulations renouvelées qu’il lui accorda peu après,
en la justifiant sur l’antériorité de l’ambassade française et, plus largement, sur celle
de la lignée royale française par rapport à celles de tous les autres princes et roi
chrétiens. Cette complaisance avait une explication : dans le même temps, le sultan
était en négociations avec un autre concurrent de la France, dont la rivalité
s’avérerait bien plus durable, l’Angleterre.
Le cas anglais
Quelques marchands anglais commencent à lancer des opérations commerciales
dans l’Empire ottoman vers le milieu du xvie siècle et y font preuve d’un grand
dynamisme. Ils comprennent l’intérêt de court-circuiter les intermédiaires vénitiens
dans les importations d’Orient et ils éprouvent rapidement le besoin de s’affranchir
de l’obligation de naviguer sous pavillon français. Cette obligation les rendait
dépendants et entraînait le versement aux consuls français de droits dits de
« consulage » qui se montaient à 2 % de la valeur des cargaisons. Le droit de
pavillon était une conséquence de la position quasi-monopolistique de la France
en tant qu’alliée du sultan. Il s’appliquait à toutes les autres nations chrétiennes
694 GILLES VEINSTEIN
obtient sans peine en 1580 des capitulations analogues aux capitulations françaises
de 1569, au grand dam des ambassadeurs français et vénitien. Ces derniers croient
prendre leur revanche quand, peu après, un incident diplomatique, l’attaque de
deux bateaux grecs se rendant de Patmos à Venise par un vaisseau corsaire anglais,
le Bark Roe, interrompt le processus de ratification des capitulations anglaises.
Germigny obtient même dans le renouvellement des capitulations françaises de
1581, la mention explicite de l’Angleterre parmi les nations devant naviguer sous
pavillon français. Néanmoins, Harborne, ses commanditaires et les autres marchands
concernés vont tout faire à Londres pour faire aboutir, en dépit du contretemps,
le processus engagé, en s’assurant le concours de la reine et de son gouvernement.
Ils créent en septembre 1581 une société marchande, la Turkey Company. Une
autre sera créée en 1583, la Venice Company. Les deux seront réunies en 1592,
sous l’appellation de Levant Company. Celle-ci deviendra fameuse en tenant au
xviie siècle la première place dans le commerce européen au Levant. Les marchands
sont convaincus que la ratification de leurs capitulations et, au-delà, la protection
de leurs droits et garanties au Levant, ne peuvent être assurées que par l’envoi d’un
ambassadeur permanent à Istanbul. Comme les Vénitiens bien avant eux, les
Anglais établissent un lien nécessaire entre capitulations et ambassade permanente,
ce que les Français dont l’objectif était avant tout politique, n’ont pas fait dans un
premier temps, et ce que les Polonais mettront encore beaucoup plus de temps à
faire. Les marchands de Londres cherchent à convaincre la reine qu’elle n’atteindra
ces buts que « having her agent there contynualie resident ». La reine et son
gouvernement n’y sont pas hostiles en principe (Angleterre et Turquie ont bien un
ennemi commun : Philippe II), mais les considérations financières amènent des
échanges de vue entre la company et le gouvernement, pour déterminer la part de
chacun dans les dépenses entraînées par la mise sur pied de l’ambassade, les
dédommagement fiscaux auxquels la company pourrait prétendre en échange de sa
contribution, et d’autre part sur la nature même de cette ambassade, question liée
à celle de son coût. A travers quelques pétitions et memoranda qui ont subsisté,
nous recueillons des échos des débats qui ont eu lieu sur les diverses solutions
envisageables, dont nous n’avions pas trouvé l’équivalent dans le cas français.
A propos de l’importance du cadeau à présenter au sultan, on se demandait par
exemple s’il fallait envoyer un représentant permanent (dont le caractère serait à
déterminer) ou un simple nuncio, c’est-à-dire un envoyé de deuxième ordre, qui
rentrerait après avoir remis son cadeau, ayant, le cas échéant, été accompagné par
un subalterne, un simple agent, qui, quant à lui, resterait sur place. On voit, peu
après, que le principe d’un ambassadeur permanent a été finalement retenu et
qu’on entend obtenir pour lui le traitement le plus honorifique : il devra recevoir
du sultan une allocation (ta‘ yin) maximale et être reçu par celui-ci, à son arrivée
et à son départ. Il sera autorisé à rester au plus cinq ans (dans le cas français,
rappelons-le, la durée n’a, au contraire, jamais été fixée). Après quoi, il laissera
derrière lui un agent pour trois ans. C’est bien ce qui arrivera dans les faits :
William Harborne, compte tenu de son expérience et de ses succès passés sera
nommé ambassadeur et séjournera cinq ans à Istanbul où il fera définitivement
696 GILLES VEINSTEIN
ratifier les capitulations anglaises en 1583. Son secrétaire, Edward Barton lui
succédera et résidera pendant trois ans, de 1583 à 1591.
Ce succès anglais était un revers pour la France dont l’ambassadeur Savary de
Lancosme se dédommagera en prétendant que lui seul était ambassadeur à
Constantinople, Barton, quant à lui, n’étant jamais qu’un marchand. Le jugement
(ou le préjugé) n’était pas tout à fait sans fondement dans la mesure où l’ambassadeur
d’Angleterre restera l’employé à la fois du gouvernement et de la company,
dépendant financièrement des deux, même si, le plus souvent, le roi s’en réservera
la désignation. S’occupant principalement du commerce, il peut également acquérir
dans certaines circonstances un rôle politique substantiel et ses instructions
comportent en tout état de cause « la découverte de toutes les négociations et
intrigues susceptibles de troubler la chrétienté ». Comprenant rapidement qu’ils
n’étaient pas en position de faire revenir la Porte sur l’existence d’un résident
« protestant » (Luteran elçisi pour les Turcs ) et de capitulations anglaises, les
ambassadeurs de France, notamment celui de Henri IV, Savary de Brèves,
s’efforcent du moins, non sans peine et sans déboires, de préserver leur droit de
pavillon sur les nations tierces, Savary de Brèves ne dédaignant nullement de se
faire délivrer des fetvâ par les șeyh ül-islâm à cette fin, récemment présentées par
M. Viorel Panaite ( BNF, fonds turc ancien n° 130 ; Blochet, p. 53). A l’extrême
fin du xvie et au début du xviie siècle, les « Hollandais » ou, plus exactement, les
ressortissants des Provinces-Unies, en dissidence par rapport au roi d’Espagne,
devinrent l’enjeu principal de cette concurrence, compte tenu de leur percée
notable, au cours des années 1590, dans le commerce du Levant. En 1598, la
France obtient du sultan qu’un nișân soit accordé aux Hollandais, reconnaissant
leur droit, dès lors qu’ils naviguent sous pavillon français, à bénéficier de toutes les
garanties de la capitulation française, telle qu’elle avait été renouvelée, l’année
précédente (ibid., ms 130, fol. 161v). En 1609, le grand vizir Kuyucu Murad
pacha rendit son arbitrage entre les deux rivaux en donnant la protection des
ressortissants des provinces du sud, catholiques et ralliés au maître espagnol à la
France, et celle des ressortissants des provinces du nord, principalement protestants
et restés en dissidence (malgré une trêve de douze ans conclue en 1609 avec le roi
d’Espagne, Philippe III) à l’Angleterre. L’arbitrage, sous son apparente équité,
favorisait en réalité l’Angleterre puisque c’était surtout des marchands des provinces
du nord (avant tout la Hollande et la Zélande) qui commerçaient avec le Levant.
Au demeurant, cet arrangement eut peu de conséquences puisque les Etats-
Généraux des provinces du nord obtinrent peu après leurs propres capitulations.
Le cas hollandais
Nous sommes aidés pour retracer les débuts des relations entre l’Empire ottoman
et la Hollande par les publications fondamentales, remontant au début du xxe siècle,
de K. Heeringa et les excellentes études, nettement plus récentes, de G.R. Bosscha
Erdbrink (1975) et surtout A. H. de Groot (1978). Aux yeux des Ottomans, les
Provinces-Unies présentaient des avantages comparables à ceux de l’Angleterre,
HISTOIRE TURQUE ET OTTOMANE 697
adaptés aux nécessités du moment. Il s’agissait d’un Etat protestant, comme tel
non tenu par les interdits pontificaux sur les exportations d’armes et de matériel
stratégique en direction des pays musulmans ; qui n’avait plus rien à prouver de
son hostilité à l’Espagne contre laquelle il était en rébellion ouverte depuis la fin
des années 1560. Il s’agissait enfin d’une puissance navale montante, alors que
c’était sur mer que les Turcs se sentaient menacés par les ambitions espagnoles.
A cet égard, un événement fit beaucoup pour la réputation des Hollandais : la
victoire en 1607 de l’amiral hollandais van Heemskerk sur la flotte espagnole à
Gibraltar. De leur côté, les Provinces-Unies ne pouvaient qu’être intéressées par
des relations directes avec les Ottomans : ce serait un moyen d’échapper aux
tutelles française et anglaise sur leur commerce levantin et, également, pensait-on,
de faciliter la libération de leurs compatriotes capturés par les corsaires barbaresques,
fléau dont souffrait la navigation hollandaise, à l’instar des autres navigations
européennes. L’initiative prise par les Hollandais en 1604 de libérer les musulmans
des chiourmes de l’escadre espagnole qu’ils avaient vaincue à Sluis dans les Flandres
et de les renvoyer à leurs frais dans leurs pays d’origine, n’avait pas entraîné la
réciprocité attendue, et la question restait entière. Il est probable, dans ces
conditions, que de premiers contacts aient été pris très tôt entre les deux parties
aux intérêts objectivement concordants : on en a des indices, même si ces menées,
secrètes par nature, demeurent obscures et sont de toutes façons restées sans effet.
Les choses se précisent en tout cas aux lendemains des affaires de Sluis et de
Gibraltar : des « messieurs bons offices », avides de jouer les intermédiaires
incontournables entrent en scène comme ce Giacomo Ghisbrechti (Jacob Gijbertz),
orfèvre et joaillier à Galata et qui a des frères marchands à Venise ; ou comme cet
ancien voiévode de Moldavie, Stefan Bogdan, qui avait eu l’occasion de se rendre
en Hollande vers 1591. Mais l’élément déterminant est une initiative officielle.
Elle ne provient pas du centre du pouvoir, c’est-à-dire qu’elle n’émane pas
directement du sultan Ahmed 1er lui-même, ni de son grand-vizir Nasuh pacha,
alors en campagne en Perse, ni même du lieutenant (kaymakam) de ce dernier à
Istanbul, Gürci Mehmed pacha, mais du moins d’un très haut dignitaire, Halîl
pacha, qui est alors grand amiral (kapudan pașa) et membre du divan impérial.
Natif de Maraş et issu du devșirme, il avait gravi les échelons d’une grande carrière
ottomane, occupant notamment la fonction de grand fauconnier qui l’avait mis en
rapport avec les ambassadeurs étrangers dont il s’était fait hautement apprécier. Par
la suite, dans cette période politiquement très troublée allant du règne d’Ahmed
1er à celui de Murad IV, il connaîtra des hauts et des bas, mais sera de nouveau,
à plusieurs reprises, kapudan pașa et même grand vizir, faisant preuve d’une
incontestable habileté à rebondir et à se maintenir dans les allées du pouvoir. Il est
à noter que c’est en tant que kapudan pașa, lors de sa première affectation à ce
poste, qu’il a donné l’impulsion décisive au rapprochement ottomano-hollandais
— illustration emblématique d’un phénomène plus général : la place des kapudan
pașa ou du moins des plus ouverts et lucides d’entre eux- dans les relations de
l’Empire ottoman avec le monde extérieur et, notamment, les Etats européens :
Hayreddin Barberousse avait joué un rôle crucial dans les débuts de l’alliance
698 GILLES VEINSTEIN
Ahmed 1er par laquelle il était consacré comme ambassadeur. Le 20 mai suivant,
il entamait ses négociations en présentant au kaymakam un projet de capitulations,
traduction ottomane d’un brouillon sorti des mains de Van Oldenbarnevelt en
personne, le grand pensionnaire de Hollande agissant en promoteur zélé du
commerce de son pays. Le texte qui sera ratifié par le sultan, reprenait celui des
capitulations françaises et anglaises, mais stipulait néanmoins un droit de douane
de 3 % au lieu des 5 % réglementaires, ce que les Anglais n’avaient obtenu qu’en
1601 et que les Français n’obtiendront qu’en 1675. Haga était reconnu comme
ambassadeur auprès de la Porte ottomane, « au même titre que les autres
ambassadeurs qui s’y trouvaient présents ». Par ailleurs, le texte restait muet, à
l’instar des capitulations françaises et anglaises, sur la durée de son séjour et son
mécanisme de remplacement, de même qu’il était peu disert sur les droits et
prérogatives de cet ambassadeur hollandais. Par ailleurs, pour ne pas heurter leurs
anciens protecteurs, les Hollandais s’étaient abstenus de demander un droit de
pavillon à leur profit.
Une fois ces capitulations obtenues, Haga était supposé rentrer à la Haye pour
y porter le rouleau magnifiquement calligraphié et enluminé sur lequel elles
figuraient. Cette perspective permettait aux adversaires de Haga de laisser entendre
que ce retour marquerait la fin de toutes les illusions ottomanes sur un appui
militaire des Hollandais et peut-être même de la neutralité hollandaise ; que, en
d’autres termes, les Turcs seraient bernés. C’est pour faire taire ces insinuations
troublantes que Halîl pacha poussa son protégé à faire d’une ambassade conçue
comme temporaire une ambassade permanente. Le 6 juillet 1612, Haga se voyait
remettre le texte définitif des capitulations, et il écrivait le même jour aux Etats-
Généraux pour leur expliquer la situation et leur demander l’autorisation de ne pas
quitter Constantinople. Ils répondirent positivement et son ambassade temporaire
fut ainsi transformée, sur les instances du dignitaire ottoman, en une ambassade
permanente qui devait durer vingt-sept ans. Ce sera d’ailleurs l’attitude ordinaire
des gouvernements hollandais que de laisser leurs ambassadeurs à Constantinople
pendant des durées record, ce qui permettait à ces derniers de devenir des
connaisseurs incomparables du personnel politique et de la politique des sultans.
L’étude comparative des quatre cas envisagés confirme que le concept des
ambassades permanentes était au départ doublement étranger aux Ottomans : non
seulement eux-mêmes ne le pratiquèrent pas (pas avant la fin du xviiie siècle), mais
s’ils laissèrent à d’autres le droit de le pratiquer chez eux, ce ne fut pas le résultat
d’une attitude volontariste et délibérée de leur part. Pour des raisons diverses et
dans des circonstances variées, ils se contentèrent de laisser faire, tolérant des
pratiques qui satisfaisaient des intérêts immédiats et flattaient d’autre part leur
orgueil en concrétisant l’image, de plus en plus illusoire, d’une Sublime Porte, pôle
d’attraction des souverains du monde, à laquelle ils manifesteraient leur soumission
en s’y faisant représenter. Se familiarisant avec une pratique importée par certains,
ils l’instrumentalisèrent dans un second temps en l’imposant à d’autres qui ne
l’avaient pas expressément demandée. Le jeu n’était pas sans danger pour
HISTOIRE TURQUE ET OTTOMANE 701
l’indépendance de la Porte car elles accueillait ainsi à domicile des agents d’influence
dont le poids irait croissant et que seules atténueraient les rivalités opposant les
puissances représentées.
au contraire des musulmans (ce ne seront des Grecs ou, comme on dira, des
Phanariotes, qu’entre 1669 et 1821), c’est-à-dire en réalité des « renégats », le plus
souvent anciens prisonniers de guerre de provenances diverses (Allemands, Italiens,
Polonais, Hongrois, etc.) convertis à l’islam et passés au service du sultan. Certains
— les drogmans en chef surtout —, jouent un rôle diplomatique de premier plan,
sont ambassadeurs et négociateurs, deviennent très influents et très riches. Si l’étude
des archives des ambassades (celles de France et de Venise ont été particulièrement
prises en considération) mettent bien en évidence le rôle de leurs drogmans comme
traducteurs de l’ottoman en français ou en vénitien, elles ne les montrent pas, d’après
nos premières investigations, traduisant, copiant ou rédigeant en ottoman (même si
nous nous garderons, dans l’état de nos connaissances d’exclure définitivement cette
possibilité). En revanche, nous avons recueilli un certain nombre d’exemples
concrets, appartenant à différentes périodes, entre le xvie et le xviiie siècle,
d’ambassadeurs recourant aux interprètes du divan pour mettre en ottoman les
‘arz-u hâl ou autres notes qu’ils adressent au sultan, au grand vizir ou au kapudan
pașa. Ces derniers rédigeaient soit sur la base d’indications orales, soit en traduisant
un texte préalable en italien. Dans le cas de la France, le texte français était d’abord
traduit en italien par les drogmans de l’ambassade avant d’être remis aux interprètes
du divan qui passaient à l’ottoman. De façon analogue, s’agissant des lettres adressées
par les rois de France aux sultans, les interprètes du divan, en tout cas au xvie siècle,
à une époque où ils ignoraient le français, se tournaient vers les drogmans de
l’ambassade de France pour les aider à établir une première traduction italienne de
ces lettres royales avant d’en faire la traduction ottomane. Dans ces différents cas,
l’italien servait ainsi de langue intermédiaire. Nous constatons également que les
ambassadeurs s’adressaient aussi à des « écrivains » (kâtib) ottomans (pas
nécessairement cette fois des interprètes du divan) pour rédiger des lettres aux
correspondants avec lesquels ils étaient en affaire, leurs propres drogmans n’ayant
manifestement pas les compétences nécessaires, en matière de langue et aussi de
protocole, pour s’acquitter convenablement de cette tâche. En outre, il n’est pas
exclu qu’à l’insuffisance du savoir faire se soient ajoutés des obstacles d’ordre religieux
dans l’utilisation de l’alphabet arabe et de l’ottoman. Nous avons conçu ces résultats
qui sont provisoires et donc donnés avec prudence, comme un préambule à l’étude
proprement dite des ‘arz-u hâl.
Participation au débat : « Les voies de la base dans l’islam », 10e rendez-vous de l’histoire,
Blois, 21 octobre 2007.
Conférence : « les Turcs ottomans en marche vers l’Occident », Carqueiranne, Var,
Thématique 2007-2008, « Envahisseurs », 25 janvier 2008.
Participation à une rencontre dans le cadre du programme sur les chancelleries musulmanes
médiévales ; Institut d’Etudes anatoliennes, Istanbul (11-12 avril ) : Communication sur les
lettres des sultans ottomans aux rois de France au xvie siècle.
Mission de recherche dans les archives ottomanes de la Présidence du Conseil (Başbakanlık
Osmanlı Arşivleri), Istanbul (14-18 avril ).
Conférence à l’Université Paris-Sorbonne-Abu Dhabi : « L’Empire ottoman et les mers
du sud au xvie siècle ; mer Rouge, Golfe arabo-persique ; mer d’Oman ». Visite des
institutions de recherche historique de l’émirat d’Abu Dhabi (26-29 avril).
Participation au séminaire du Centre d’histoire des relations internationales dans les
mondes modernes de l’Université de Paris-Sorbonne, Paris IV, animé par L. Bély et
G. Poumarède : exposé sur « Les lieux de la diplomatie ottomane » (10 mai).
Participation au colloque : « Antoine Galland et Ali Ufkî Bey interprètes de la civilisation
ottomane » ; centre culturel français d’Izmir. Communication : « A quoi servent les
drogmans ? » (20-21 mai).
Participation à la table ronde « Mamluks, Turcs et Ottomans », Collège de France.
Communication : « Le serviteur des deux saints sanctuaires. Des Mamlouks aux Ottomans »
(30 mai 2008).
Participation au 18e colloque du Comité international d’études pré-ottomanes et
ottomanes (CIEPO), Zagreb, faculté de philosophie, 25-30 août 2008. Organisation et
présentation de l’atelier : « Les fonds d’archives ottomans conservés dans les îles grecques ».
Communication : « Les documents émis par le kapudan pașa dans le fonds ottoman de
Patmos ».
Dans l’année universitaire 2007- 2008, la chaire a été co-organisatrice de trois colloques
internationaux qui se sont tenus au Collège de France :
« Islamisation de l’Asie centrale. Pratiques sociales et acculturation dans le monde turco-
sogdien », Collège de France, 7-9 novembre 2007 (avec M. E. de la Vaissière ; EPHE,
IVe section).
Table ronde « Mamluks, Turcs et Ottomans », 29-30 mai 2008 (avec M. N. Vatin,
EPHE, IVe section, CNRS).
« L’ivresse de la liberté. La révolution de 1908 dans l’Empire ottoman » (5-7 juin 2008,
avec M. François Georgeon, CNRS).
Publications
Équipe de recherche
Pour la troisième et dernière année, le cours s’est intéressé, à travers les exemples
proposés par la poésie médiévale, aux divers modes de relation que la poésie peut
entretenir avec le récit ; plus précisément à la façon dont elle peut gagner son statut
poétique et être identifiée comme poésie à travers le récit et non pas malgré lui
comme notre propre conception de la poésie nous induit spontanément à le penser.
Le titre, « La poésie comme récit (suite). Des nouvelles de l’amour », était, bien
entendu, en jeu de mots : la poésie médiévale donne avec prédilection des nouvelles
de l’amour ; les œuvres qu’on a prises en considération sont des nouvelles, au sens
qu’a ce mot dans la terminologie littéraire. Des nouvelles dont le sujet est l’amour,
qui s’enracinent dans des poèmes d’amour et qui sont elles-mêmes des poèmes.
Après ces prolégomènes, le cours s’est penché, la première année, sur la façon dont
l’effusion et le récit théâtralisé du moi se conjuguent dans la poésie du dit telle qu’elle
se développe à partir du début du XIIIe siècle. Une théâtralisation qui peut revêtir,
soit la forme de la caricature de soi-même modelée par le regard prêté à autrui, soit la
forme de l’allégorie décomposant le moi en ses diverses instances et les laissant
s’exprimer ou s’affronter devant le for intérieur. On s’est particulièrement intéressé à
Rutebeuf, représentant exemplaire, non seulement de ces deux mouvements et de
leur combinaison, non seulement de cette dérision de soi-même sous le regard de
l’autre, qui alimentera tout un courant de la poésie française, mais encore de ce que
j’ai appelé une « poésie pauvre », au sens où notre regretté collègue Jerzy Grotowski
parlait de — et pratiquait — un « théâtre pauvre ».
L’année dernière, on a lu les vidas et les razos des troubadours occitans, découvrant
que, sous leur apparence de boniment volontiers railleur et dépréciatif à l’égard des
poètes, de contrepoint souvent humoristique, à la fois terre à terre et farfelu, à leurs
chansons, ces récits, qui semblent se limiter à la plus plate des critiques biographiques
sans même avoir le mérite de la fiabilité, font, sous la forme, déconcertante pour
nous, du récit et non du commentaire critique, une lecture souvent extrêmement
perspicace et pénétrante de cette poésie, dont ils savent révéler les obsessions et les
tourments. Plus encore, la disposition alternée et imbriquée des vidas et razos et
des poèmes, disposition en vue de laquelle vidas et razos ont à l’évidence été
rédigées et qui est celle des chansonniers copiés dans les ateliers de Vénétie, a pour
résultat de faire de ces manuscrits des prosimètres et ainsi d’intégrer chansons et
récits au sein d’une même cohérence poétique.
l’épopée aux chansons de toile. Chrétien de Troyes limite chacun de ses romans au
destin d’un seul héros, tout en l’enrichissant des résonances de l’immense histoire
arthurienne.
Latence du possible, saisissable par une sorte d’aller-et-retour entre le poème et
un récit, dont il ne prétend pas se souvenir, mais qu’au contraire il suscite. Les
textes narratifs pris en considération cette année étaient eux-mêmes des poèmes.
Non pas des poèmes faisant allusion à des récits antérieurs, non pas des récits en
prose expliquant des poèmes antérieurs par des circonstances antérieures aux
poèmes, comme le font les razos étudiées l’année précédente, mais des poèmes qui
sont des récits et qui font allusion à —, utilisent ou remploient des poèmes lyriques
antérieurs, qu’ils mentionnent, qu’ils citent, dont ils s’inspirent ou qu’ils
développent. L’explicitation du récit latent ne se reporte pas à un avant le poème,
mais se veut poème elle-même : un poème nourri de poèmes.
La situation ainsi décrite évoque évidemment celle des lais de Marie de France
au regard des lais lyriques bretons. Cet exemple, si banal soit-il, a été le point de
départ du cours, mais pour mettre en parallèle l’utilisation ponctuelle plus précise
que fait Marie de France d’autres poèmes lyriques, mieux connus que les lais
bretons dont on sait au fond peu de chose, ceux des troubadours. À cet égard, les
lais de Marie de France sont en continuité et en harmonie avec le prolongement
narratif et argumentatif, en même temps que poétique, des chansons de troubadours
qu’offrent les novas occitanes, mais aussi les saluts d’amour, qui ont constitué pour
l’essentiel la matière du cours.
On a cependant commencé par deux mises au point préalables d’histoire littéraire,
mais aussi de réflexion sur les formes et les notions littéraires. L’une touchait la
définition et l’emploi, en français et en occitan, des termes de nouvelle et de novas.
L’autre, impliquée et rendue nécessaire par la relation entre le poème lyrique et le
poème narratif ou discursif qu’il engendre ou auquel il se réfère, portait sur la
conception médiévale de la brevitas et de l’amplificatio.
Aujourd’hui, le mot nouvelle désigne soit une œuvre littéraire narrative brève
(anglais short story), sans référence particulière à l’idée de nouveauté, soit une
information inédite, sans la moindre idée d’une mise en forme littéraire. « Les
nouvelles » désignent spécifiquement les informations diffusées par les média
(anglais news). En moyen français, ce double sens est explicite dans le titre en jeu
de mots des Cent nouvelles nouvelles. Existe-t-il déjà en ancien français ? En principe
non : l’emploi du mot pour désigner une forme littéraire est un emprunt à l’italien
comme cette forme elle-même. En réalité, la situation est plus ambiguë. On a
examiné une nouvelle fois le fameux début, lui-même extraordinairement ambigu
et subtil, du Chevalier au Lion (v. 8-32). Les considérations sur l’amour, le présent,
le passé, la fable et le mensonge, qui bifurquent en incise et s’enchaînent en
rebondissements successifs à partir du v. 14, brouillent la simple opposition entre
« raconter des nouvelles » et « parler d’Amours ». Entre ces deux activités, ces deux
récits, ces deux paroles, on soupçonne des collusions ou des confusions, des
708 MICHEL ZINK
« Les uns racontaient des nouvelles, les autres parlaient d’amour », dit Chrétien
de Troyes. Les novas réunissent les deux activités. Elles se situent au point où ces
deux activités ne font qu’une. Ce sont des nouvelles d’amour et des nouvelles de
l’amour. Elles méditent et elles glosent sur l’amour et sur la condition de l’amoureux
à partir de cas et à partir de poèmes — autrement dit à partir d’un corpus passé
de l’amour, qui se prête à l’extrapolation et au commentaire. Leur refus de distinguer
l’anecdote de la casuistique dit encore autre chose : que ce qui est nouveau, ce n’est
pas seulement une histoire inédite, mais aussi la méditation toujours fraîche et
renouvelée — « nouvelle » au sens médiéval du terme — de la poésie.
des proportions considérables. Jean Rychner a montré que leur évolution va vers
l’allongement des laisses et vers la narration linéaire au détriment des laisses courtes
et répétitives, des effets de ressac, de refrain et d’écho.
D’une façon générale, l’allongement accompagne la narration, conformément au
génie de la langue vulgaire. La brièveté est un phénomène lyrique : expression
ramassée et énigmatique des troubadours, recours à des mètres très brefs,
interruptions et rupture de la strophe et du refrain — surtout, bien entendu, du
refrain inséré. Il est naturel dès lors que l’allongement soit, plus qu’une tendance,
un procédé et un effet du poème narratif fondé sur un poème lyrique. Son auteur
a conscience sans doute de pratiquer l’amplificatio. Les novas développent par le
récit aussi bien que par l’argumentation une situation typique impliquée,
généralement de façon allusive, par les chansons des troubadours (jalousie, obstacles
à la rencontre des amants, rigueur de la femme aimée, tentation de céder aux
avances d’une maîtresse plus complaisante) ; les saluts d’amour le font aussi dans
un registre plus personnel et d’un point de vue subjectif qui est le même que celui
des chansons. Les lais français à sujet breton revendiquent la même démarche à
partir du récit « latent » des lais lyriques bretons — une latence dont la nature est
difficile à définir, faute de connaître assez précisément ces lais lyriques — et
l’appliquent aussi, mais cette fois sans le dire, aux chansons des troubadours.
Ce sont ces points qui ont été examinés d’abord. La question du lai lui-même a
été tellement étudiée et depuis si longtemps qu’il était inutile d’y revenir, sinon
pour un bref rappel. On le sait, le mot lai apparaît pour la première fois au
IXe siècle sous la forme loîd dans un court poème irlandais copié dans un manuscrit
de Priscien. Qu’il s’agisse d’un manuscrit de Priscien est évidemment le fait du
hasard. Mais enfin, on ne peut s’empêcher de relever que Marie de France s’abrite
derrière l’autorité de cet auteur (ceo testimoine Preciëns) dès le prologue de ses lais,
pour dire que les anciens s’exprimaient dans leurs livres avec une obscurité
volontaire, afin de provoquer la perspicacité du commentaire de leurs successeurs.
Pourquoi Priscien ? Ses Institutiones grammaticae, qui étaient au Moyen Âge le
manuel classique pour l’apprentissage du latin, sont remarquables par leurs
nombreuses citations d’auteurs anciens. Au moment de développer des poèmes
allusifs, fragmentaires peut-être, de façon à en révéler le sens, Marie invoque
l’auteur dans lequel la femme savante qu’elle est a appris le latin, mais qui est
surtout un auteur célèbre pour avoir rassemblé des fragments poétiques. Le moine
irlandais qui, vers 830-850, a copié dans un manuscrit de Priscien quelques vers
d’un poème l’a-t-il fait mû par une association de pensée du même genre ? On y
lit : « Une haie d’arbustes m’entoure ; pour moi, en vérité, le merle agile chante
son loîd… » Ce mot désigne à l’évidence une composition musicale ou un chant,
ce qui permet de l’appliquer métaphoriquement au sifflement du merle. Le loîd se
définit donc à coup sûr comme une pièce essentiellement musicale. C’est ce qui
ressort des premières attestations de loîd, puis, à partir de 110, de laid, comme de
Leih et de Leich en allemand. Quelle que soit son origine, le mot Lai — Leich
s’applique, semble-t-il, à des compositions lyriques fondées sur la transposition
712 MICHEL ZINK
dans les langues celtiques ou germaniques du vers rythmique latin, et cela à une
époque assez haute pour que la question ne se soit pas posée pour les langues
romanes, non encore réellement différenciées du latin. S’agissant de l’irlandais, on
trouve, à l’intention des apprentis poètes, des exemples de laid, au texte souvent
hermétique ou en apparence incohérent, dans le célèbre Livre de Leinster (vers
1160) et dans quelques autres manuscrits. À partir de là, on peut suivre l’histoire
de la forme poétique et musicale appelée lai ou Leich tout au long du Moyen Âge,
et dans toutes les langues, sans autre difficulté que celles — considérables —
qu’offrent son instabilité formelle et sa complexité musicale.
Or, dès son apparition en français, au XIIe siècle, au moment, à peu de chose
près, où est copié le Livre de Leinster, le mot peut désigner aussi une nouvelle ou
un conte, sans la moindre référence musicale : Marie de France, auteur qui écrit
en français, mais connaît aussi, outre le latin, l’anglais et le « breton » (c’est-à-dire
une langue celtique), dit s’inspirer de « lais bretons » pour composer des contes en
vers qu’elle appelle des « lais ».
Mais les appelle-t-elle vraiment ainsi ? N’est-ce pas nous qui sommes à la fois
contraints et justifiés de leur donner ce nom par le fait que le mot lai, par une
extrapolation de l’usage qu’elle en fait, est employé après elle, pour désigner des
contes en vers plus ou moins analogues aux siens ? Ce débat ancien a, pour
l’essentiel, été clarifié depuis longtemps, entre autres par la belle analyse de Martín
de Riquer, « La ‘aventure’, el ‘lai’ y el ‘conte’, en Marie di Francia », dans Filologia
Romanza II, 1, p. 1-19. On a cependant examiné systématiquement les occurrences
du mot lai chez Marie de France et dans les « lais anonymes », au début et à la fin
de chaque pièce ainsi que dans le prologue de Marie. D’une part, le caractère
musical des lais bretons dont s’inspirent les « lais narratifs » ne fait aucun doute et
est mentionné à plusieurs reprises, sans ambiguïté. D’autre part, Marie de France
ou l’auteur anonyme disent toujours qu’ils racontent « l’aventure du lai », l’histoire
à partir de laquelle les Bretons ont fait un lai. Les deux traits se combinent de
façon significative au début du lai anonyme de Doon :
Doon, cest lai sevent plusor : Doon : ce lai, beaucoup le connaissent ;
N’i a gueres bon harpëor il n’y a guère de bon harpeur
Ne sache les notes harper ; qui ne sache en jouer la mélodie sur la harpe.
Nes je vos voil dire e conter Et moi aussi, je veux vous dire et vous raconter
L’aventure dont li Breton l’aventure à partir de laquelle les Bretons
Apelerent cest lai Doon. appelèrent ce lai Doon. (v. 1-6)
Tous les bons musiciens savent jouer le lai de Doon ; de son côté, l’auteur va
raconter l’aventure à partir de laquelle les Bretons ont appelé ce lai Doon. Mais
jamais l’auteur ne dit que le conte qu’il compose est un lai. Sur trente-cinq ou
trente-six occurrences de ce genre, on en trouve une seule, au début de Bisclavret,
dans lequel le mot lai paraît désigner les contes mêmes composés par Marie de
France. On a longuement commenté ce passage, rendu ambigu par une erreur de
transcription du manuscrit (unique en cet endroit) dans les deux éditions de
référence et par une inexactitude de traduction fondée sur cette erreur même. On
LITTÉRATURES DE LA FRANCE MÉDIÉVALE 713
a suggéré que le scribe de ce manuscrit British Library Harley 978, copié entre
1261 et 1265, comme celui du manuscrit BnF nouv. Acq. fr. 1104, copié à la fin
du XIIIe ou au début du XIVe siècle, qui réserve une section aux « Lais de
Bretaigne », pouvaient donner au mot lai le sens de « conte en vers » que Marie
elle-même ne lui donnait pas encore.
Bref, le processus est le suivant : une aventure se produit ; les Bretons en gardent
la mémoire en composant un lai musical, joué sur la harpe, sans doute avec des
paroles, en attachant une grande importance au nom par lequel le lai est désigné ;
Marie (ou l’auteur anonyme) raconte l’histoire, c’est-à-dire remonte à l’aventure
dont le lai conserve la mémoire.
Mais alors, si on va de l’aventure à l’aventure, pourquoi ne pas faire l’économie
du lai intermédiaire ? Pourquoi en faire état ? Parce qu’il est la source ? Mais la
source est-elle le lai musical ou ce qu’on racontait à son propos et autour de lui,
peut-être comme une introduction avant de l’interpréter, l’histoire à laquelle on le
rattachait, sa razo en somme ? Le lai n’est mentionné que comme résonance
poétique et ancrage dans la tradition.
Marie considère le récit qui lui fournit la matière de son conte, et qu’elle appelle
« l’aventure », comme la razo de la pièce poétique et musicale qu’est le lai breton.
Elle le dit en ces propres termes au début d’Eliduc :
D’un mult anciën lai bretun
Le cunte e tute la raisun
Vus dirai… (v. 1-3)
Il est clair que l’expression dire le conte et la raison d’un lai — le lai étant une
pièce musicale et poétique — signifie développer le récit latent, aliment du poème
chanté et que le poème — à supposer même qu’il n’ait pas été purement musical
— ne peut aborder que de façon allusive. Pourtant la situation, tout en étant
analogue, est très différente de celle des razos des troubadours. Si l’on va de
l’aventure à l’aventure en supposant — mais en supposant seulement — le lai
lyrique entre les deux, cela implique, non que la razo qu’est le conte de Marie de
France approfondit la poésie du poème, comme le feront les razos dans les
chansonniers occitans, puisque ce poème est absent, puisque la razo en est le
succédané et est composée précisément pour qu’il ne soit pas oublié, comme le dit
Marie dans son prologue. C’est donc l’idée du poème absent, sa trace, l’affirmation
obstinée, répétée, qu’elle veut en sauver la mémoire, qui poétisent le conte de
Marie de France. C’est pour cela qu’elle a besoin de le mentionner et qu’elle ne
peut aller directement de l’aventure à l’aventure, du récit dont le lai garde la
mémoire à son propre récit. Car, comme on l’a montré à partir de nombreux
exemples, mais particulièrement ceux de Chaitivel et du Lecheor, on porte une
attention presque maniaque au titre du lai : c’est tout ce qui reste du lai breton
dans le conte ; c’est le titre qui marque le conte comme le prolongement poétique
d’un poème.
714 MICHEL ZINK
Le lai narratif n’existe que par métonymie. Si ce mot a fini par désigner un conte
racontant une histoire qui a d’autre part inspiré un poème, c’est que Marie de
France a réussi à persuader ses lecteurs que le conte ne peut exister sans le poème,
que l’histoire en elle-même n’est rien sans cette mémoire fragile et allusive qui en
oublie les péripéties et en concentre l’émotion. Son art de conteuse est pénétré de
cette conviction. La poésie de ses récits est de donner l’impression que ses récits
s’enracinent dans des poèmes qui ne racontent pas tout.
Il avait été souligné au début du cours que les novas s’enracinent explicitement
dans les chansons des troubadours et qu’elles les citent constamment, tandis que
les lais de Marie de France, qui s’enracinent explicitement dans les lais bretons, ne
les citent jamais, à l’exception de leurs titres : le rapport du récit en vers au poème
lyrique est donc entièrement différent. Mais ce qui rapproche les lais de Marie de
France des novas, c’est qu’ils sont également redevables aux chansons de troubadour,
sans jamais cependant les citer ni s’en réclamer. Comment s’en étonner ? Quelle
qu’ait été l’identité de Marie de France, il ne fait pas de doute qu’elle ait été liée
au milieu Plantagenêt. C’est aussi le cas d’un grand nombre de troubadours, entre
autres de Bernard de Ventadour. Car même s’il n’est pas absolument certain que
le senhal « Mon Aziman » désigne Aliénor d’Aquitaine et même si les renseignements
que donne sur elle la vida écrite par Uc de Saint-Circ sont erronés, il n’en demeure
pas moins qu’il dédie explicitement deux chansons à Henri II Plantagenêt et qu’il
semble bien, à lire la chanson Lancan vei per mei la landa, être allé en
Angleterre.
L’exemple retenu pour illustrer l’usage que fait Marie de sa connaissance des
troubadours a été son emploi de surplus, comme euphémisme désignant les faveurs
ultimes accordées par une femme, au v. 533 de Guigemar, par comparaison, non
seulement avec le même emploi dans un passage fameux du Conte du Graal de
LITTÉRATURES DE LA FRANCE MÉDIÉVALE 715
Chrétien de Troyes, mais aussi avec celui, dans le même sens, de plus au v. 18 de
la chanson Be˙m cuidei de chantar sofrir de Bernard de Ventadour :
E car vos plac que˙m fezetz tan d’onor Et puisqu’il vous a plus de me faire tant
d’honneur
Lo jorn que˙m detz en baizan vostr’amor, le jour où vous m’avez donné d’un baiser
votre amour,
Del plus, si˙us platz, prendetz esgardamen ! pensez, s’il vous plaît, au plus !
À ce point, Bernard, qui s’est fait l’écho de son prédécesseur presque jusqu’au jeu
de mots (que˙m donet un don tan gran dans la chanson de Guillaume IX, que˙m
fezetz tan d’onor dans la sienne), souhaite obtenir en plus le « plus ». Et Guillaume,
que souhaitait-il ? Les deux vers qui terminent la strophe sont bien connus :
Enquer me lais Dieux viure tan Que Dieu me laisse vivre assez longtemps
C’aja mas manz soz so mantel ! pour que j’aie (un jour) mes mains sous son
manteau !
Les deux poèmes sont ceux d’amants heureux, mais qui pourraient l’être davantage.
Chacun imagine à sa manière le surplus qui portera au comble sa félicité et chacun
l’exprime à sa manière, tous deux partageant le souci de ne pas l’exprimer jusqu’au
bout et de ne pas dire l’indicible. Bernard dissimule l’indicible sous le voile de
l’euphémisme en en disant effectivement le moins possible et en se contentant de la
brièveté abstraite du monosyllabe « plus » ; Guillaume s’abandonne à une
imagination audacieuse, mais à l’audace retenue. Au lieu du voile métaphorique
d’un bref mot imprécis (plus), il use d’un voile matériel, concret : le manteau sous
lequel se glissent les mains et qui voile, qui dissimule leur geste avide. Voile, ou, pour
utiliser les termes qui étaient à cette époque même, chez les chartrains, ceux de
l’herméneutique et de la poétique, involucrum, integumentum : termes qui désignent
une étoffe, un vêtement, une enveloppe qui recouvre et dissimule — l’étoffe, le voile,
le vêtement des figures poétiques ou du sens littéral qui recouvrent et dissimulent le
sens second, que la perspicacité du lecteur doit mettre au jour. L’étoffe, le voile, le
vêtement : autant dire le manteau. Guillaume nomme l’integumentum concret,
littéral, qui, concrètement, dissimule l’objet du désir et sa poursuite. Bernard recourt
à l’integumentum métaphorique, celui des mots et, puisqu’il s’agit de dissimuler
716 MICHEL ZINK
l’indicible, il emploie le mot le plus bref possible, le plus général possible. « Plus ! » :
en une seule syllabe, le cri de l’insatiable.
Marie, pour sa part, raconte, étape par étape, la rencontre, l’amour naissant, l’aveu,
les premières privautés entre Guigemar et la jeune femme enfermée par son mari
jaloux, auprès de laquelle l’a conduit la nef enchantée. Parvenue au moment où la
pudeur interdit au récit de se poursuivre avec le même détail, elle se souvient du
« plus » de Bernard de Ventadour et y recourt. Mais ce n’est qu’alors, dans le cadre du
récit développé, que ce « plus », développé, allongé lui-même en « surplus », joue
véritablement son rôle d’euphémisme. Il marque, avec une discrétion apparente et,
en réalité, une certaine complaisance, une ellipse dans le récit, des points de
suspension. Les troubadours, pour leur part, situent leur poème tout entier au point
exact où il n’y a pas de récit : rien que la requête, nourrie du souvenir de ce qui s’est
passé et de l’attente de ce qui pourrait se passer. Au moment même du poème, il n’y
a rien à raconter, il ne se passe rien. Dans cette pause du récit, le monosyllabe « plus »
éclate, résonne, emplit l’imagination, comme le font aussi les mains dont le manteau
dissimule l’audace : le « plus » et les mains sous le manteau n’agissent pas comme des
euphémismes, mais plutôt comme une amplification assourdissante, aveuglante de
trop de proximité. Une telle proximité du désir que l’amant y est immergé, n’entend
plus résonner qu’une syllabe, ne voit plus ce qui lui est trop proche.
On a ensuite étudié la situation des saluts d’amour entre chanson et roman à partir
d’une comparaison entre l’insomnie amoureuse de Didon dans le Roman d’Enéas, qui
développe en près de quarante vers les cinq célèbres premiers vers du Livre IV de
l’Enéide, et celle du poète Arnaud de Mareuil, évoquée plus longuement encore dans
son premier salut d’amour, Dona genser qe ne sai dir. Cet examen, trop minutieux et
trop long pour être ici résumé, a fait appel à bien d’autres poèmes, de Cligès à Cerveri
de Girona et à Auzias March, en passant par d’autres troubadours et par le troisième
salut d’amour d’Arnaud de Mareuil lui-même. Il a mis en évidence, au-delà de
l’identité des motifs et des détails, la tension poétique dans le salut d’amour entre une
narration ordonnée et un ressassement obsessionnel dont le caractère onirique et le
bouleversement sensuel se révèlent dans des détails, comme l’emploi particulier de
LITTÉRATURES DE LA FRANCE MÉDIÉVALE 717
deves ou le fait que le poète compare la satisfaction érotique qu’il lui semble éprouver
en rêve à celle, non des amoureux, mais des amoureuses illustres.
Au bout de cette nuit passée dans les tourments amoureux, dans les ambiguïtés,
dans les contradictions et dans les obsessions de l’amour, Arnaud ne se lèvera pas,
comme Didon, pour aller se confier à sa sœur Anne. L’histoire est ressassée, et non
pas poursuivie. La poésie est bien une poésie du récit, mais d’un récit conçu
comme une exploration des strates de la conscience, un approfondissement et un
ressassement, non comme la succession de péripéties nouvelles.
Enfin, la relation entre les novas et les chansons a été abordée sous deux angles.
D’une part, les novas comme développement des chansons. Ce point a été illustré
par la plus connue des novas, la Nouvelle du perroquet, et les questions posées par
sa tradition manuscrite. Seul le ms. R poursuit le récit jusqu’à l’incendie du château
par le perroquet, qui permet ainsi aux amants de se retrouver brièvement pendant
que tout le monde est occupé à éteindre le feu. Les autres manuscrits s’arrêtent au
moment où le perroquet rend compte à son maître du succès de son ambassade
ou concluent par un débat amoureux entre la dame et le chevalier.
On voit l’intérêt que présente pour nous cette situation. La nouvelle développe
sous forme narrative la thématique des chansons, qu’il s’agisse des arguments du
débat amoureux, du cadre du verger, du motif du jaloux et plus encore de celui de
l’oiseau messager. Mais, selon les versions, elle la développe plus ou moins et elle la
développe différemment. Les manuscrits qui s’arrêtent au vers 140 présentent une
version proche des chansons : pour le thème, sinon pour l’esprit, on n’est pas si loin
des deux chansons de l’estournel de Marcabru. Les manuscrits qui se terminent par
un débat amoureux entre la dame et le chevalier restent dans la tonalité lyrique, en
poussant dans la direction qui est celle des autres novas, celle de la casuistique
amoureuse. Le manuscrit R déplace l’intérêt sur une péripétie de fantaisie, métaphore
du feu de l’amour et preuve que la passion ne recule devant rien. C’est sa version qui
a fait la gloire de la nouvelle, sans que l’on puisse savoir si Arnaud de Carcassès, qui
se l’attribue et dont le nom n’apparaît que dans cette version et dans ce manuscrit,
est un remanieur de la version brève antérieure ou s’il est l’auteur de l’œuvre entière.
Bien que des arguments puissent être invoqués dans les deux sens, on a suggéré que
la version brève pourrait bien être la version d’origine, comme le pensaient les
premiers philologues à s’être penchés sur ce texte.
Cette nouvelle est une variation sur le motif de l’oiseau messager, entraînée hors
du cadre lyrique qui lui est habituel. La fantaisie et le fantastique du motif sont
naturels à la chanson et y trouvent leur place sans effort par la grâce de la brièveté
allusive du poème. Mais ils ressortent fortement dès lors qu’ils sont développés par
le récit. Au lieu d’être voilés et spontanément acceptés, ils sont mis en valeur et
soulignés par l’outrance et le comique du personnage du perroquet, bavard habile
et satisfait de lui-même, vrp de l’amour. Il n’est pas étonnant que cette tendance
ait été accentuée par l’épisode lui-même outrancier de l’incendie du château.
718 MICHEL ZINK
D’autre part, on a étudié le recours aux citations des troubadours dans les novas
à partir d’une citation de Raimbaut d’Orange légèrement modifiée par Raimon
Vidal de Besalú pour être insérée dans En aquel temps c’om era gais, avec pour
conséquence, non seulement une banalisation de la forme, mais aussi une
modification du sens, alors même que les changements paraissent insignifiants.
La conclusion générale a, entre autres, tenté de montrer pourquoi le dialogue
entre le narratif et le lyrique a pour effet d’imposer au premier une esthétique du
fragment.
À Paris, après une ouverture par le professeur, le séminaire, en relation avec le
cours, a accueilli six invités. Le 15 janvier 2008, Milena Mikhailova, maître de
conférences à l’université de Limoges : « Entre pierreries et ombres, contez, vous qui
savez de nombre. L’accomplissement du chant courtois. » Le 22 janvier, Véronique
Dominguez, maître de conférences à l’université de Nantes : « Le théâtre comme
récit : remarques sur la poétique de la Passion de Semur (XVe siècle). » Le 29 janvier,
Nathalie Koble, maître de conférences à l’École Normale Supérieure : « Abréger les
romans en prose : « visce de mauvais escrivain » ou art poétique du translater ? »
Le 5 février, Carla Rossi, docteur ès lettres : « Posture d’auteur et choix identitaire :
si sui de France. » Le 12 février, Sylvie Lefèvre, professeur à l’université de Tours :
« La tentation lyrique ou allégorique des saluts-complaintes. » Le 19 février, Andrea
Valentini, ingénieur de recherche au Collège de France : « Le récit comme poésie :
les monologues lyriques dans quelques romans arthuriens en vers des XIIe et XIIIe
siècles. »
Le séminaire s’est poursuivi à l’université de Chicago le vendredi 11 avril 2008,
sous la forme d’un colloque réuni autour de Michel Zink à l’initiative de Daisy
Delogu sur le thème : « Ce que la poésie raconte. » L’exposé d’ouverture de Michel
Zink a été suivi des communications suivantes : Elizabeth Poe (Tulane University),
« In the Beginning was the Razo » ; H. Justin Steinberg (University of Chicago),
« Making Poems Tell Stories in Dante’s Vita Nuova » ; Kevin Brownlee (University
of Pennsylvania), « Poetry, Music and Narrative in Guillaume de Machaut’s
Motets » ; David Hult (University of California, Berkeley), « Thoughts of the mise
en scène of the lyric voices : Alain Chartier’s Belle Dame sans Mercy » ; Nancy
Freeman Regalado (New York University), « Who tells the stories of poetry / Qui
raconte la poésie ?: Villon and his Readers ». Le colloque s’est conclu sur une table
ronde animée par Claudio Giunta (Università degli studi di Trento), Alison James
(University of Chicago), Mark Payne (University of Chicago) et Eleonora Stoppino
(University of Illinois, Urbana-Champaign).
S’agissant du cours, six heures ont été délocalisées à l’université de Toulouse II,
à l’université de Chicago et à l’université de Bonn.
Toutes les heures de cours données à Paris ont été diffusées par France-Culture
dans le cadre de l’émission « Éloge du savoir » et sont disponibles en podcast sur
le site du Collège de France.
LITTÉRATURES DE LA FRANCE MÉDIÉVALE 719
Activités du professeur
Publications
Livre
Un portefeuille toulousain, Paris, Éditions de Fallois, 2007, 234 p.
Articles
« Paul Zumthor. La vie ouverte en poésie », dans Paul Zumthor. Traversées, sous la
direction d’Eric Méchoulan et de Marie-Louise Ollier, Presses de l’Université de Montréal,
2007, p. 187-193.
« La frontière et la définition de la littérature », dans L’idée de frontière dans les littératures
romanes. Actes du Colloque international, Sofia, 25-27 février 2005. Textes réunis par Stoyan
Atanassov, Presses Universitaires de Sofia « Saint Clément d’Ohrid », 2007, p. 14-21.
« Medioevo al presente », dans Il Sole — 24 Ore, 9 septembre 2007, p. 32 (trad. Carlo
Ossola).
« Conclusions », dans La place de la musique dans la culture médiévale. Actes du Colloque
organisé à la Fondation Singer-Polignac le mercredi 25 octobre 2006. Édités par Olivier
Cullin, Turnhout, Brepols, 2007, p. 139-143.
« Conclusions », dans La traduction vers le moyen français. Actes du IIe colloque de
l’AIEMF, Poitiers, 27-29 avril 2006. Dir. Claudio Galderisi et Cinzia Pignatelli, Turnhout,
Brepols, 2007, p. 453-457.
« Jacques Le Goff et la voix poétique », dans L’Europe et le livre au Moyen Âge — II
Hommage au Prof. Jacques Le Goff. Revista portuguesa de história do livro, Revue portugaise
d’histoire du livre X, 2006, n° 20, p. 305-310 (parution automne 2007).
« El Grial o el mito de la salvación », dans Philía. Revista de la Bibliotheca Mystica et
Philosophica Alois Maria Haas, 1, automne 2007, p. 115-140.
« La narración de la poesia. Vidas y razos de los trovadores occitanos », dans De los orígines
de la narrativa corta en occidente, Ginebra magnolia, TESSEL.LA, Lima (Pérou), 2007,
p. 119-137.
« The Place of the Senses », dans Rethinking the Medieval Senses. Heritage, Fascinations,
Frames, éd. Stephen G. Nichols, Andreas Kablitz et Alison Calhoun, Baltimore, Johns
Hopkins U. P., 2008, p. 93-101.
« Raimon de Miraval, entremetteur ou éternel mari ? », dans L’homme dans le texte.
Mélanges offerts à Stoyan Atanassov à l’occasion de son 60e anniversaire, Sofia, Presses
universitaires de Sofia « Saint Clément d’Ohrid », 2008, p. 29-38.
« Le XIIe siècle français : le rayonnement sans la puissance », dans France Forum, nouvelle
série, n° 29, mars 2008, p. 36-38.
« Pourquoi lire la poésie du passé ? », dans La conscience de soi de la poésie, sous la direction
d’Yves Bonnefoy, Paris, Seuil, 2008, p. 161-169.
« Introduction. La prison et la nature de la poésie », dans « Le loro prigioni » : scritture dal
carcere, éd. Anna Maria Babbi et Tobia Zanon, Vérone, Edizioni Fiorini, 2008, p. 1-18.
Comptes rendus, Académie des inscriptions et belles-lettres : La Grèce antique sous le
regard du Moyen Âge occidental, éd. Jean Leclant et Michel Zink, dans Académie des
Inscriptions et Belles-Lettres. Comptes rendus des séances de l’année 2006, juillet-octobre, Paris,
De Boccard, 2006 (parution 2008), p. 1476-1479 ; Portraits de troubadours. Initiales des
chansonniers provençaux I et K (Paris, BNF, ms. Fr. 854 et 12473), éd. Jean-Loup Lemaître
et Françoise Vielliard, ibid., p. 1479-1481.
720 MICHEL ZINK
Conférences
Oxford, Maison française, « Les images du récit et l’esprit du poème : réflexions sur
« l’histoire d’amour sans paroles » du manuscrit Chantilly, Musée Condé 388 » (6 novembre
2007) — Aubervilliers, Théâtre équestre Zingaro, Les lundis du Collège de France, « De
l’utopie au carnaval : le théâtre du Moyen Âge » (12 novembre 2007). — Université de
Genève et Université de Zurich, « Perspectives sur la littérature du Moyen Âge : à la
recherche de la bonne distance » (22 novembre et 12 décembre 2007). — Université de
Toulouse-Le Mirail, « Le Roman de Renard, roman de la faim » (27 novembre 2007). —
Saint-Germain-en-Laye, cercle d’études médiévales « La Licorne », « Nature et poésie au
Moyen Âge » (13 février 2008). — Université de Padoue, « La chanson volée. Arnaut
Daniel, Anc ieu non l’aic, mas elha m’a (BdT 29, 2) et sa razo » (21 mai 2008). — Université
de Vérone, « Que peut la littérature secondaire ? » (23 mai 2008).
Distinction
Activités de la chaire
Publications :
« La pensée du rêve », dans Yves Bonnefoy. Poésie, recherche et savoirs (Actes du colloque
de Cerisy), Daniel Lançon et Patrick Née éd., Paris, Hermann, 2007, p. 547-584.
« Poésie et psychanalyse : « ouvrez-moi cette porte… », dans La Conscience de soi de la
poésie, Actes des colloques de la Fondation Hugot, Seuil, 2008, p. 77-94.
LITTÉRATURES DE LA FRANCE MÉDIÉVALE 721
Colloques :
« Mémoire fertile et souvenir rêvé », (Colloque Baudelaire et Nerval, poétiques comparées,
Université de Zurich, 25-27 octobre 2007)
« Du récit au poème, la ‘Femme noire’ de Pierre Jean Jouve », (Journée Visages de la poésie
du XXe siècle, Université de Nancy III, 24 janvier 2008)
Conférence :
« Ces Messieurs de la Religion », conférence donnée à La Valette, Malte le 2 mai 2008.
Publications :
Livre
Le remaniement du Roman de la Rose par Gui de Mori. Étude et édition des interpolations
d’après le manuscrit Tournai, Bibliothèque de la Ville, 101, Bruxelles, Académie royale de
Belgique, « Anciens auteurs belges », n. s., 14, 2007, 306 p.
Articles
« Notice sur un manuscrit du Roman de la Rose acheté par la Bibliothèque nationale de
France (n.a.f. 28047) », dans Romance Philology, t. 61, 2007, p. 93-101.
« Sur la date et l’auteur du remaniement du Roman de la Rose par Gui de Mori », dans
Cahiers de l’AIEF, t. 59, 2007, p. 361-381 (publié une première fois dans Romania, t. 124,
2006, p. 361-377 ; republié pour avoir obtenu le prix de l’AIEF 2006).
« Entre traduction et commentaire érudit : Simon de Hesdin ‘translateur’ de Valère
Maxime », dans Claudio Galderisi et Cinzia Pignatelli dir., La traduction vers le moyen
français. Actes du IIe colloque de l’AIEMF (Université de Poitiers, 27-29 avril 2006),
Turnhout, Brepols, « The Medieval Translator », 11, 2007, p. 353-365.
« D’adolescent inconscient à chevalier inconstant. Spécificité du héros dans le roman
occitan de Jaufré », dans Gary Ferguson dir., L’homme en tous genres, numéro thématique
d’Itinéraires, publication du Centre d’étude « Nouveaux espaces littéraires » (Université de
Paris 13), à paraître en 2008.
Conférences
Collège de France, séminaire de M. le Professeur Michel Zink, « Le récit comme poésie :
les monologues lyriques dans quelques romans arthuriens en vers des XIIe et XIIIe siècles »
(19 février 2008). — Université de Parme, « I monologhi del romanzo di Jaufre sono delle
cansos ? » (5 mars 2008). — Université de Paris 3-Sorbonne nouvelle, « Les gloses lexicales
et philologiques dans la traduction de Valère Maxime par Simon de Hesdin » (28 mars
2008).
Littérature française moderne et contemporaine :
histoire, critique, théorie
Le cours a porté sur l’œuvre de Proust pour une deuxième année consécutive,
mais, après « Proust : Mémoire de la littérature » en 2006-2007, sur un sujet
nouveau et tout autre, « Morales de Proust », sujet risqué des deux côtés : du côté
de la morale, car celle-ci a été longtemps tenue pour hors-jeu dans les études
littéraires, et du côté de Proust, car celui-ci a été longtemps tenu pour immoral ou
amoral par la critique. Une double justification préalable fut donc nécessaire.
Morale et littérature
donner des intuitions ou des idées morales, nous fournir un apprentissage moral,
nous initier au contrôle de nos émotions.
La dimension éthique la plus évidente de la littérature tient au récit, c’est-à-dire
à l’exposition narrative ou dramatique de problèmes moraux, incarnés dans des
personnages, des vies, des subjectivités inventées et fictives. La littérature — en
particulier le roman — est une modalité privilégiée de la réflexion morale, réflexion
non systématique mais particularisante ou exemplaire, complexe et contextuelle.
Comme telle, certains philosophes moraux soutiennent même qu’elle est
irremplaçable pour former le caractère. Il y a une éthique du récit par opposition
à celle du traité ou du système. Suivant de très anciens modèles, l’instruction
morale peut prendre deux formes, celle des règles et celle des récits, des lois et des
paraboles, comme dans la Bible. Le récit et le roman ont ainsi longtemps servi à
l’initiation morale des adolescents occidentaux, après les vies de saints et avant les
jeux vidéo, pour aller vite.
Et la poésie ? W. H. Auden, que je citais déjà dans Le Démon de la théorie,
jugeait que la première question qui l’intéressait quand il lisait un poème était
d’ordre technique : « Voici une machine verbale. Comment fonctionne-t-elle ? »
Mais sa deuxième question était bien, au sens le plus large, morale : « Quelle sorte
de type habite ce poème ? Quelle idée se fait-il de la belle vie ou du bon lieu ? Et
quelle idée du mauvais lieu ? Que cache-t-il au lecteur ? Et que se cache-t-il aussi
à lui-même ? »
Morale et idéologie
Certes, la mise en garde marxiste doit être prise au sérieux : l’éthique se
confondrait avec l’idéologie ; sous l’éthique, se dissimulerait la légitimation,
l’universalisation ou la naturalisation du politique et de l’économique, c’est-à-dire
des rapports de classe et des valeurs d’un groupe. L’éthique n’est jamais qu’une
illusion intersubjective qui voile la réalité politique ou économique des commerces
humains comme rapports sociaux, comme si toute intersubjectivité — ainsi que
toute subjectivité — était nécessairement factice, trompeuse, aliénée et aliénante.
L’éthique est idéologique et bourgeoise ; c’est une forme de la fausse conscience,
de la mauvaise foi, de l’hypocrisie ou de la duperie, de l’aveuglement sur sa
condition, et de l’aliénation. Elle doit être dépassée vers le politique.
Paul Nizan s’en prenait ainsi aux philosophes bourgeois dans Les Chiens de garde,
et notamment à la morale kantienne comme noyau de la morale faussement
universelle : « […] toute la hardiesse de leur philosophie consista à identifier la société
humaine, toutes les sociétés humaines possibles avec la société bourgeoise, la raison
humaine, toutes les raisons humaines possibles avec la raison bourgeoise. La morale
humaine, avec la morale bourgeoise. De façon que les attaques contre la société, la
pensée, la morale bourgeoises parussent des attaques contre la société, la pensée, la
morale humaines ». Ou encore : « La fonction du kantisme fut de justifier la morale
bourgeoise en faisant d’elle la fille d’une raison législatrice de l’astronomie ».
LITTÉRATURE FRANÇAISE MODERNE ET CONTEMPORAINE 727
L’hypocrisie de moralité
Proust n’était pas indifférent à ce travestissement de la morale, c’est-à-dire à la
morale bourgeoise entendue comme principes et convenances, ou défense de
l’ordre moral. Dès « Combray », théâtre du conformisme bourgeois, trois scènes
illustrent ce confort ou ce conformisme moral aliénant.
À propos des Vices et des Vertus de Padoue qui n’en ont pas l’air — passage
essentiel pour la compréhension des morales de la Recherche du temps perdu —, le
narrateur décrit la Justice de Giotto en ces termes : « […] une Justice, dont le
visage grisâtre et mesquinement régulier était celui-là même qui, à Combray,
caractérisait certaines jolies bourgeoises pieuses et sèches que je voyais à la messe
et dont plusieurs étaient enrôlées d’avance dans les milices de réserve de l’injustice »
(I, 81). La Justice de Giotto et les bourgeoises de Combray, les dames de patronage,
figurent ici une allégorie du cant, le sens des convenances, la phraséologie pieuse
et l’affectation de bonté, ou « l’hypocrisie de moralité », suivant l’excellente
traduction de Stendhal (De l’amour, chap. XLVI), c’est-à-dire le pharisaïsme du
Nouveau Testament.
728 ANTOINE COMPAGNON
Une fois que Swann leur a tourné le dos et que Vinteuil se retrouve seul avec
les parents du narrateur, le musicien prend en effet aussitôt sa revanche : « “Quel
homme exquis”, nous dit-il, quand Swann nous eut quittés, avec la même
enthousiaste vénération qui tient de spirituelles et jolies bourgeoises en respect et
sous le charme d’une duchesse, fût-elle laide et sotte. “Quel homme exquis ! Quel
malheur qu’il ait fait un mariage tout à fait déplacé !” / Et alors, tant les gens les
plus sincères sont mêlés d’hypocrisie et dépouillent en causant avec une personne
l’opinion qu’ils ont d’elle et expriment dès qu’elle n’est plus là, mes parents
déplorèrent avec M. Vinteuil le mariage de Swann au nom de principes et de
convenances auxquels (par cela même qu’ils les invoquaient en commun avec lui,
en braves gens de même acabit) ils avaient l’air de sous-entendre qu’il n’était pas
contrevenu à Montjouvain » (I, 147-148). Chacun des deux hommes connaît le
défaut ou la fêlure de l’autre, et chacun se ment à lui-même, rappelant cette fois
la parabole de la paille et de la poutre. Tous deux sont pareillement victimes de la
morale bourgeoise comme hypocrisie de moralité.
Mais toute éthique est-elle fatalement bourgeoise, idéologique, hypocrite,
conformiste, aliénée, pharisienne, comme à Combray ? N’a-t-on pas besoin
d’éthique — et de littérature — justement pour lutter contre le moralisme et le
pharisaïsme ? Comme Proust le suggère souvent, en face de la méchanceté des
bons, de l’hypocrisie de moralité des dames patronnesses, de l’aveuglement de
Swann ou de Vinteuil, pour les contrebalancer, il y a heureusement la bonté des
méchants, celle de Charlus ou de la fille de Vinteuil et de son amie, celle de tous
les pervers du roman, ou celle des personnages de Dostoïevski qui sont
incompréhensibles pour la reine de Naples avec sa « conception étroite, un peu
tory et de plus en plus surannée de la bonté ». La reine de Naples fait preuve d’une
bonté aristocratique, conservatrice, paternaliste, d’une bonté de caste : « Mais,
ajoute le narrateur, cela ne signifie pas que la bonté fût moins sincère et moins
ardente chez elle » (III, 825), au contraire, car cette bonté d’Ancien Régime tranche
avec la fausse bonté des bourgeoises, leur hypocrisie de moralité et leur cant.
Les valeurs morales ne sont-elles donc jamais rien d’autre que de l’idéologie
masquée ? Toute éthique est-elle forcément pharisienne, catégorique, sûre de son
bon droit ? Tout jugement de valeur emporte-t-il une exclusion ? Ou bien n’est-ce
pas le propre de la littérature d’ébranler les certitudes morales, d’embarrasser le
cant, de nous déconcerter et de nous rendre perplexes ? Aussi ne confondons pas
éthique et moralisme. Une éthique peut être fondée sur la conscience de la
différence avec l’autre, sur la reconnaissance de l’autre, sur l’honnêteté ou ce qu’on
appelait jadis la beauté morale. Montaigne, dans « Des cannibales », appelait à un
retournement des valeurs, à la reconnaissance du même et de l’autre, de l’identité
et de la différence. La question éthique de la vie bonne était pour lui inséparable
de la question politique et de la guerre civile : l’éthique et le politique étaient
indémêlables. Montaigne liait la morale privée et la morale publique contre la
cruauté ; il défendait l’application d’une moralité privée dans la vie publique,
contre la raison d’État et le machiavélisme.
730 ANTOINE COMPAGNON
La « grande » littérature pourrait bien être celle qui empêche de s’ériger en juge
et d’être catégorique dans ses jugements, celle qui nous ouvre à l’autre, à l’identité
et à la différence. « La parole est moitié à celuy qui parle, moitié à celuy qui
l’escoute », disait encore Montaigne (III, 13). L’éthique n’est pas fatalement
pharisienne, sûre de soi, satisfaite de soi et moralisatrice, grâce à la littérature
justement.
Pourtant, cette distinction nietzschéenne reprise par Bataille n’est pas encore
suffisante. Au-delà de la morale ordinaire et de la morale artistique, il y a encore
place dans la Recherche du temps perdu pour une émotion morale, irréductible à
l’une ou à l’autre, comme l’illustre l’un des épisodes qui ont le plus choqué les
lecteurs et les critiques de Proust, le coup de théâtre de la révélation de
l’homosexualité de Saint-Loup dans Albertine disparue, malgré toutes les précautions
du narrateur et ses tentatives de justification.
raisonné, rationalisé, justifié par le narrateur. Restent pourtant cette émotion et ces
larmes inexpliquées, irréductibles à la morale artistique comme à la morale ordinaire
de bourgeois et à la morale extraordinaires des bandits.
Déjà, dans « Avant la nuit », nouvelle parue dans La Revue blanche en 1893 et
non recueillie dans Les Plaisirs et les Jours — sans doute à cause de cela —,
l’amoralisation des conduites avait cours : « [...] il n’est pas moins moral — ou
plutôt pas plus immoral qu’une femme trouve du plaisir avec une autre femme
plutôt qu’avec un être d’un autre sexe. La cause de cet amour est dans une altération
nerveuse qui l’est trop exclusivement pour comporter un contenu moral. On ne
peut pas dire parce que la plupart des gens voient les objets qualifiés rouges, rouges,
que ceux qui les voient violets se trompent. » Cette analogie entre les couleurs et
les désirs était prémonitoire et servait à naturaliser toutes les formes du désir.
C’est cette amoralisation du plaisir qui a été perçue par les moralistes des années
1930, de Mauriac à Sartre, comme une démoralisation, ou comme une attaque de
la moralité. Mais quand on amoralise certains comportements, on ne manque pas
d’en moraliser d’autres. Si on a aujourd’hui amoralisé la sexualité, on a moralisé
d’autres choses, comme l’acte de fumer, de manger de la viande, ou de porter des
fourrures. Si le narrateur pleure, n’est-ce donc pas qu’il moralise certains
comportements qui ont été ici transgressés par Saint-Loup ?
La tentative de rationalisation échoue. Il est naturel que tout être cherche son
plaisir là où il peut le trouver : « Si donc Robert n’avait pas été marié, sa liaison
avec Charlie n’eût dû me faire aucune peine. Et pourtant je sentais bien que celle
que j’éprouvais eût été aussi vive si Robert était resté célibataire. De tout autre, ce
qu’il faisait m’eût été bien indifférent. Mais je pleurais en pensant que j’avais eu
autrefois pour un Saint-Loup différent une affection si grande et que je sentais
bien, à ses nouvelles manières froides et évasives, qu’il ne me rendait plus, les
hommes, depuis qu’ils étaient devenus susceptibles de lui donner des désirs, ne
pouvant plus lui inspirer d’amitié » (IV, 264).
Puis Aimé lui apprend les aventures de Saint-Loup et du liftier dès la première
année à Balbec, du temps de leur amitié, ou plutôt le narrateur repense à cette
information qu’il avait d’abord niée, et l’émotion le saisit à nouveau, toujours aussi
vive : « L’apprendre de n’importe qui m’eût été indifférent, de n’importe qui
excepté de Robert. Le doute que me laissaient les paroles d’Aimé ternissait toute
notre amitié de Balbec et de Doncières, et bien que je ne crusse pas à l’amitié, ni
en avoir jamais véritablement éprouvé pour Robert, en repensant à ces histoires du
lift et du restaurant où j’avais déjeuné avec Saint-Loup et Rachel j’étais obligé de
faire un effort pour ne pas pleurer » (IV, 266).
Que nous disent cet échec de la rationalisation morale et cette émotion
mystérieuse et récurrente ? Que, face au raisonnement, au jugement moral
universalisable, subsiste telle quelle une intuition morale particulière, en situation.
Ces larmes nous surprennent, mais en même temps nous les comprenons. Dès
LITTÉRATURE FRANÇAISE MODERNE ET CONTEMPORAINE 735
En voici un autre exemple dans unes des phrases les plus célèbres du roman, tout
simplement la clausule d’« Un amour de Swann » : « Et avec cette muflerie
intermittente qui reparaissait chez lui dès qu’il n’était plus malheureux et que
baissait du même coup le niveau de sa moralité, il s’écria en lui-même : “Dire que
j’ai gâché des années de ma vie, que j’ai voulu mourir, que j’ai eu mon plus grand
amour, pour une femme qui ne me plaisait pas, qui n’était pas mon genre !” »
(I, 375). D’un côté la muflerie du jugement ou du choix rationnel : elle n’est « pas
mon genre » ; de l’autre côté la moralité du malheur, c’est-à-dire de l’amour,
suivant cette sentence : « On devient moral dès qu’on est malheureux » (I, 619).
Cette perplexité est une variante du conflit de la raison et du sentiment. Pour le
lecteur, elle donne lieu à la même réaction de surprise que quand on apprend que
Madame Swann et Odette de Crécy ne font qu’un : « Madame Swann ! Cela ne
vous dit rien ? Odette de Crécy ? — Odette de Crécy ? Mais je me disais aussi, ces
yeux tristes... Mais savez-vous qu’elle ne doit plus être de la première jeunesse ! Je
me rappelle que j’ai couché avec elle le jour de la démission de Mac-Mahon »
(I, 413). Et la surprise cède aussitôt devant la nécessité de l’émotion morale.
Ce sont donc des cas de perplexité morale dans le roman de Proust qui ont fait
l’objet d’analyses rapprochées, des cas que nous avons rangés sous la liste des
Vertus et des Vices de Padoue, « ces figures symboliques de Giotto dont M. Swann
m’avait donné des photographies » (I, 80), étant entendu que vices et vertus ne
sont jamais tranchés, mais toujours indistincts, impurs, coupés. Le mélange des
vertus et des vices, de la bonté et de la méchanceté, du bien et du mal, est habituel
et constant chez l’homme, disait Montaigne. Odette, Albertine, Saint-Loup sont à
la fois le mal et le remède, comme « cette Odette sur le visage de qui [Swann] avait
vu passer les mêmes sentiments de pitié pour un malheureux, de révolte contre
une injustice, de gratitude pour un bienfait, qu’il avait vu éprouver autrefois par
sa propre mère, par ses amis » (I, 263), mais qui est aussi une femme entretenue
et cruelle, qui le fait souffrir.
Telle est aussi la conclusion de l’épisode de Sole mio à Venise, dans Albertine
disparue, quand le héros rejoint sa mère au dernier moment, après l’avoir fait
souffrir : « “Tu sais, dit-elle, ta pauvre grand-mère le disait : C’est curieux, il n’y a
personne qui puisse être plus insupportable ou plus gentil que ce petit-là.” »
Séminaire
Le séminaire, qui s’est tenu douze semaines à la suite du cours et sur le même sujet, a
permis de prolonger et de préciser l’examen des morales de Proust, à travers une série
d’études de cas.
Philippe Chardin, Université François-Rabelais, Tours, « Amoralités proustiennes »,
15 janvier 2008.
Luc Fraisse, Université Strasbourg II - Marc-Bloch, « Proust et l’écriture du mensonge »,
22 janvier 2008.
Jacques Dubois, Université de Liège, « Petites sociologies morales dans la Recherche »,
29 janvier 2008.
LITTÉRATURE FRANÇAISE MODERNE ET CONTEMPORAINE 737
Conférences
« L’autorité », co-organisation du colloque de rentrée, Collège de France, octobre 2007.
« L’histoire littéraire des écrivains », co-organisation du colloque Paris IV-Sorbonne -
Columbia University, octobre 2007.
« Maintenir le canon », Società Universitaria per gli Studi di lingua e letteratura francese,
Rome, novembre 2007.
« Roman et mémoire », Collège de France, novembre 2007.
« Après les antimodernes », Katholieke Universiteit, Leuven, mars 2008.
« Thibaudet à Genève », Université de Genève, mars 2008.
« Roman et mémoire », Society of Dix-Neuviémistes, University of Manchester, mars
2008.
« La traversée de la critique », Université de Bordeaux III, avril 2008.
« Roman et mémoire », Universidad Complutense, Madrid, avril 2008.
« Israël avant Israël », Université de Tel Aviv, mai 2008.
« “Vaines pointures, mais toujours pointures” : Montaigne et l’Ecclésiaste », École normale
supérieure, juin 2008.
« Les ennemis de Zola », Bibliothèque nationale de France, juin 2008.
« Michel Butor : Montaigne - Proust et retour », Collège de France, juin 2008.
Publications
Articles
« Préface » à Montaigne, Los Ensayos, trad. J. Bayod Brau, Barcelone, Acantilado, 2007.
« Les programmes : élaboration et contenu », Pouvoirs (« L’Éducation nationale »), no 122,
2007.
« La théorie baudelairienne des nombres », La Licorne (« Baudelaire et les formes
poétiques », éd. Yoshikazu Nakaji), no 83, 2008.
738 ANTOINE COMPAGNON
« Proust et la légende des siècles », Marcel Proust. Die Legende der Zeiten im Kunstwerk
der Erinnerung, éd. Karlheinz Stierle, Frankfurt, Insel-Verlag, 2007.
« Joseph Reinach et l’éloquence française », Commentaire, no 120, 2007 ; Les Frères
Reinach, éd. Sophie Basch, Michel Espagne et Jean Leclant, Académie des inscriptions et
belles-lettres - De Boccard, 2008.
« Nazisme, histoire et féerie : retour sur Les Bienveillantes », Critique, no 726, 2007.
« Comme la souffrance va plus loin en psychologie que la psychologie ! », Psychologies fin
de siècle, éd. Jean-Louis Cabanès, Jacqueline Carroy et Nicole Edelman, Université Paris
Ouest, 2008.
« Vies parallèles », Critique (« Bergson »), no 732, 2008.
« Thibaudet chargé de reliques », Le Débat, no 150, 2008.
Tribunes
« Le déclin français vu des États-Unis », Le Monde, 30 novembre 2007.
« Tant vaut le maître, tant vaut l’école », Le Figaro, 23 janvier 2008.
« Montaigne », Le Monde des livres, 14 mars 2008.
« Les sciences humaines entre universités et CNRS », Le Monde, 21 juin 2008.
Autres responsabilités
Membre du Haut Conseil de l’Éducation.
Membre du Haut Conseil de la Science et de la Technologie.
Membre du conseil scientifique de la Fondation des Treilles.
Membre du conseil scientifique du Collegium de Lyon.
Membre du conseil scientifique de l’Institut des Hautes Études pour la Science et la
Technologie (IHEST).
Membre de la commission sur la condition enseignante (commission Pochard).
Président du conseil scientifique de l’École normale supérieure.
Président de la commission « Littérature classique et critique littéraire » du Centre
national du livre (CNL).
Renaissance et création
1. « Orgiasme »
Le cours a étudié les modes littéraires et figuratifs à travers lesquels, dans la
civilisation de la Renaissance (dans ses bases classiques et médiévales et dans sa
réception moderne et contemporaine), se sont trouvés confrontés les mythes de la
Renovatio et de la Genèse, de la création divine ou du retour de la mythologie
classique (idéalement représentables, à quelques lustres de distances, d’un côté par
la Naissance de Vénus de Botticelli et de l’autre par les fresques de la Création sur
la voûte de la Sixtine de Michel-Ange).
Le projet figuratif de Michel-Ange n’a pas seulement un caractère apologétique,
mais il est la continuation et l’accomplissement de la plus haute méditation de
l’Humanisme italien : il suffit de rappeler l’Heptaplus. De septiformi sex dierum
geneseos enarratione, 1489, de Jean Pic de la Mirandole, qui continue admirablement
la tradition patristique des « hexamérons », soulignant en elle — selon la récente
résurgence humaniste de la tradition judaïque 1 — l’émanation nécessaire d’un
« ordre du monde », que Pic reconduit à la Genèse, là où Moïse « traite expressément
de l’émanation de toute chose à partir de Dieu, du degré, du nombre, de l’ordre
des parties de l’univers, avec la plus haute capacité philosophique 2 ».
1. Voir, sur ce thème, les nombreux essais de Moshe Idel (et notamment Absorbing Perfections.
Kabbalah and Interpretation, New Haven, Yale University Press, 2002) ; de François Secret, Les
Kabbalistes chrétiens de la Renaissance, Paris, Dunod, 1963 ; et récemment de Giulio Busi, L’enigma
dell’ebraico nel Rinascimento, Torino, Nino Aragno, 2007.
2. G. Pico della Mirandola, De hominis dignitate. Heptaplus. De Ente et Uno, par E. Garin,
1942; reprint Torino, Nino Aragno, 2004, p. 176-177 : « ubi [Moses] vel ex professo de rerum
omnium emanatione a Deo, de gradu, de numero, de ordine partium mundanarum altissime
philosophatur » (texte latin en regard du texte italien) ; je cite de la traduction française par André
Chastel, « Pic de la Mirandole et l’“Heptaplus” », Les Cahiers d’Hermès, n° 2, La Colombe, 1947,
p. 99 [avec une petite modification].
742 CARLO OSSOLA
Il [Michel-Ange] prenait grand plaisir à la Sainte Ecriture en excellent chrétien qu’il était
et il eut une grande vénération pour les écrits du frère Jérôme Savonarole dont il avait
entendu la voix en chaire 4.
On pourrait même suggérer que, pour comprendre la nature des tensions qui,
dans l’historiographie moderne relative au xvie siècle, alimentent la polarité
Création — Renaissance (et tout autant la lecture de leurs emblèmes : la création,
d’une part, du Michel-Ange de la Sixtine au Tasse du Mondo creato et la Renaissance,
d’autre part, de la Vénus de Botticelli aux Fureurs héroïques de Giordano Bruno),
il faudrait, idéalement, circonscrire cette période allant de la fin du xve siècle à la
3. Je renvoie à F. Ohly, Die Kathedrale als Zeitenraum. Zum Dom von Siena, 1972 (trad. it. de
M. A. Coppola, La cattedrale come spazio dei tempi. Il Duomo di Siena, Siena, Accademia Senese
degli Intronati, 1979).
4. G. Vasari, La vita di Michelangelo nelle redazioni del 1550 e del 1568, par Paola Barocchi,
Milano-Napoli, Ricciardi, 1962, vol. I, p. 121 ; trad. fr. et éd. commentée sous la dir. d’André
Chastel, Vie de Michel-Ange Buonarroti, in Les Vies des meilleurs peintres, sculpteurs et architectes,
Arles, Actes Sud, 2005, 2 vol. ; citation vol. II, « Livre IX », p. 308.
5. G. Vasari, Vie de Sandro Botticello, peintre florentin, in Les Vies des meilleeurs peintres,
sculpteurs et architectes, trad. cit., vol. I, « Livre IV », p. 261 [« (…) onde il meglio che si vegga
di sua mano è il trionfo della fede di fra’ Girolamo Savonarola da Ferrara : della setta del quale
fu in guisa partigiano, che ciò fu causa che egli abandonando il dipignere e non avendo entrate
da vivere, precipitò in disordine grandissimo. Perciò che, essendo ostinato a quella parte e facendo
(come si chiamavano allora) il piagnone, si diviò dal lavorare : onde in ultimo si trovò vecchio e
povero, di sorte che se Lorenzo de’ Medici (…) non l’avesse sovvenuto, (…) si sarebbe quasi
morto di fame » ; Roma, Newton Compton, 1991, p. 494].
LITTÉRATURES MODERNES DE L’EUROPE NÉOLATINE 743
fin du xvie entre les deux dates de deux bûchers : celui de Jérôme Savonarole
(1498) et celui de Giordano Bruno (1600), chacun avec ses apologistes, chacun
avec ses détracteurs.
6. A. Warburg, Opere, vol. II : La rinascita del paganesimo antico e altri scritti (1917-1929),
par M. Ghelardi, Torino, Nino Aragno, 2007.
7. Ibid., je cite de l’Introduzione de Maurizio Ghelardi, p. XVI-XVII. Toutes les indications de
page infra renvoient à cette édition, d’après laquelle sont traduites les citations de Warburg.
8. Cf. S. De Laude, Continuità e variazione : studi su Ernst Robert Curtius e Aby Warburg,
Napoli, Solimene, 2005.
9. A.Warburg, [Giordano Bruno], carnet de notes, à la plume et au crayon, composé de
45 feuillets, et d’une feuille libre sur laquelle on peut lire : « Giordano Bruno. Auffahrt 1929
(Mithras, Rimini, Perseus) ». Deux photographies de Warburg et Gertrud Bing, datées
respectivement « November 928 » et « 19.III.929, Orvieto » fournissent une confirmation de
quelques-unes des étapes du voyage. La note, placée en ouverture du cahier (op. cit., p. 923),
explicite la note de la ligne précédente : « Saisir et comprendre [Griff u. Begreifen] ».
744 CARLO OSSOLA
Naissance de l’impératif
catégorique 13,
Or, quand on sait l’importance que Warburg attribue, dans son système, à la
pensée de Nietzsche, et précisément au cours de ces mêmes semaines “bruniennes”
durant lesquelles il prépare son compte rendu (du 18 mai 1929) sur L’Antique
romain dans l’atelier de Ghirlandaio, qui commence ainsi : « Nietzsche, dans la
Naissance de la tragédie (1886), nous a appris à considérer l’Antique à travers le
symbole du double hermès Dionysos-Apollon» 17 ; quand encore on se rappelle
que dès 1908 (dans sa conférence Le Monde antique des Dieux et la première
renaissance au nord et au sud ) c’est le Nietzsche dionysiaque qui capte son
attention : « Chaque époque, sur la base du développement de sa vision intérieure,
peut comprendre ce qu’elle est en mesure de reconnaître et de supporter des
symboles olympiques. À la nôtre, par exemple, Nietzsche a appris à voir
Dionysos 18 » ; alors, il ne sera pas indu de supposer que, dans la pensée de
Warburg, Giordano Bruno vient résoudre l’aporie d’un “nietzschéisme sans
Nietzsche” désormais en vigueur d’après les couleurs wagnériennes et les mythes
aryens de plus en plus présents dans la propagande du national-socialisme (et qui,
de manière problématique, touchent aussi le cahier de Warburg : « Liquidation de
la Bête […] // Vénération de l’énergie socialement utile 19 »). Dostoïevski, face
aux mêmes apories et à l’impératif d’“émerger du chaos”, avait choisi l’Idiot / don
Quichotte 20 ; Warburg choisira la « fureur » orphique, et régénératrice, bruniano-
nietzschéenne.
Giordano Bruno venait ainsi accomplir (avec des conséquences qui se projetteront
sur toute l’école warburgienne, à commencer par Frances Yates, et sur la récente
réception italienne, saturée de mythes bruniens) la parabole amorcée par Warburg
lors de son premier séjour en Italie et rappelée également dans son dernier cahier :
« Botticelli (tapisserie) / Politien / Urbino / Giordano Bruno 21. » Le « paganisme »
warburgien — ainsi que l’a proposé Eugenio Battisti pour le thème des
« bacchanales 22 » — est tout autre qu’un triomphe humaniste des « Grâces » et
de la forme nue ; Warburg penche, au contraire, et dès les notes de L’Exposition
sur Ovide (1927), du côté orphico-sacrificiel de la tradition classique :
Actéon transformation
Daphné poursuite
mort
17. A. Warburg, L’antico romano nella bottega di Ghirlandaio. Resoconto, 18 maggio 1929, texte
inédit publié maintenant in Opere, cit., vol. II, p. 863-869; citation p. 865.
18. A. Warburg, Opere, éd. cit., vol. I, p. 504.
19. Ibid., [Giordano Bruno], in Opere, vol. II, p. 983 [« 10.VI.1929 »].
20. Je me permets de renvoyer à mon cours « En pure perte » : le renoncement et le gratuit (textes
des XIX e et XX e siècles), in Cours et Travaux du Collège de France, CV : Résumés 2004-2005, Paris,
Collège de France, 2006, p. 723-737.
21. A. Warburg, [Giordano Bruno], cit., in Opere, vol. II, p. 952 [« 24.XII.1928 »].
22. E. Battisti, Mitologie per Alfonso d’Este, in Rinascimento e Barocco, Torino, Einaudi, 1960,
p. 112-145.
746 CARLO OSSOLA
Proserpine enlèvement
Enfers
transformation
Médée Polixène expiation rite
sacrifice humain
Orphée expiation (extrême sacrifice)
orgiasme
Méléagre Alceste Lamentation 23.
Ce parcours “orphique” du mythe était un prélude à l’« Aboutissement de la
dynamique poétique / épique et lyrique / dans le drame réel de l’époque
moderne 24 ». Indubitablement, la lecture faite par Warburg se plaçait sur le
versant du « Rétablissement de la dynamique [...] passionnelle », et donc des
Pathosformen. Mais à quel point cette lecture était empreinte d’inquiétude, et
insatisfaisante, et rongée de l’intérieur par l’hypothèque nietzschéenne, cela nous
est confirmé par une note écrite peu après :
Le passé de l’Antique païen doit-il donc dominer nos idées maîtresses ?
Renverser la question :
devrions-nous donc oublier l’Antique si nous voulons parvenir à nous sentir
invulnérables 25 ?
« Création — mort » versus « sacrifice — invulnérabilité » : on voit bien comment
la réflexion sur les modèles interprétatifs du xvie siècle touche à la nature même
de l’homme moderne et de la société contemporaine; et comment — mais se sera
l’occasion d’un autre cours — la bataille que l’homme contemporain a engagée
contre la mort tend, au fond, non pas à renouveler la création, mais à procurer, là
esthétiquement et aujourd’hui techniquement, l’invulnérabilité — une intangible
durée qui est évoquée chez Rilke par une parabole semblable :
Même si le monde doit un jour s’effondrer sous ses pieds, il est l’élément créateur qui perdure
de façon indépendante, il est la méditative possibilité de mondes et de temps nouveaux.
C’est pourquoi celui qui en fait sa vision de la vie, l’artiste, est aussi l’homme du but ultime,
qui traverse les siècles en restant jeune, sans aucun passé derrière lui. Les autres vont et
viennent, il dure 26.
23. A. Warburg, La mostra su Ovidio, in Opere, vol. II, cit., p. 670. Parallèlement, dans une
note du « 28. I. 1927 », Warburg établit une distribution analogue : « Poursuite / Daphné I //
Enlèvement / Proserpine II // Transformation / Actéon III /// Sacrifice humain / Médée Polixène
4 // extrême sacrifice / Orphée 5 // Lamentation / Méléagre Alceste 6 » (ibidem). C’est sur la
même parabole que se concluait la première partie des Sonnets à Orphée : « Ivres de vengeance,
elles t’ont achevé, mis en pièces, / ta voix gardant comme demeure le lion, le roc, / l’arbre,
l’oiseau. C’est de là encore que tu chantes. // Ô toi, dieu perdu ! Ô toi, trace infinie ! » (I, XXVI ;
je traduis).
24. A. Warburg, La mostra su Ovidio, vol. II, p. 670.
25. Ibid., vol. II, p. 671.
26. R. M. Rilke, Sur l’art [1], trois fragments publiés dans la revue Ver sacrum sous le titre
Über Kunst, en novembre 1898-mai 1899 ; voir maintenant Œuvres en prose. Récits et essais, sous
la direction de Cl. David, Paris, Gallimard, 1993, p. 678.
LITTÉRATURES MODERNES DE L’EUROPE NÉOLATINE 747
2. « Repos »
Le panorama proposé par Aby Warburg s’étend sur une réalité principalement
italienne, allant de Ferrare à Florence aux xve et xvie siècles. De même, ses premiers
essais se fondaient sur des lectures italiennes : dans “La Naissance de Vénus” et “Le
Printemps” di Sandro Botticelli (1893), il rappelle les dettes qu’il a contractées
envers l’édition des œuvres de Politien donnée par Giosue Carducci, Le Stanze,
l’Orfeo e le Rime di M. A. Poliziano (Firenze, Barbera, 1863). Récemment, Giovanna
Cordibella 27 a évoqué l’importance de cette dette; mais il faudrait aller plus loin
encore : la formule même de « renaissance du paganisme antique » semble être
empruntée à Carducci, lequel, dans le finale de son chapitre consacré à Florence à
la fin du xve siècle, prend ainsi congé — encore une fois — de Savonarole, véritable
moment décisif de tout jugement sur la Renaissance italienne :
Il Rinascimento sfolgorava da tutte le parti; da tutti i marmi scolpiti, da tutte le tele
dipinte, da tutti i libri stampati in Firenze e in Italia irrompeva la ribellione della carne
contro lo spirito, della ragione contro il misticismo ; ed egli, povero frate, rizzando suoi
roghi innocenti contro l’arte e la natura, parodiava gli argomenti di discussione di Roma ;
egli ribelle, egli scomunicato, egli in nome del principio di autorità destinato a ben altri
roghi. E non sentiva che la riforma d’Italia era il rinascimento pagano, che la riforma
puramente religiosa era riservata ad altri popoli più sinceramente cristiani ; e tra le ridde
de’ suoi piagnoni non vedeva, povero frate, in qualche canto della piazza sorridere
pietosamente il pallido viso di Nicolò Machiavelli 28.
La Renaissance resplendissait de toutes parts; de tous les marbres sculptés, de toutes les
toiles peintes, de tous les livres imprimés à Florence et en Italie jaillissait la rébellion de
la chair contre l’esprit, de la raison contre le mysticisme ; et lui, pauvre frère, en dressant
ses innocents bûchers contre l’art et la nature, il parodiait les arguments de discussion de
Rome ; lui rebelle, lui excommunié, lui destiné au nom du principe d’autorité à bien
d’autres bûchers. Et il ne sentait pas que la réforme d’Italie était la renaissance païenne,
que la réforme religieuse était réservée à d’autres peuples, plus sincèrement chrétiens ; et
parmi la foule de ses piagnoni, il ne voyait pas, pauvre frère, en quelque recoin de la place
sourire, apitoyé, le pâle visage de Nicolas Machiavel.
Au cours de ces mêmes années, l’opposition Savonarole — Machiavel sera
corroborée par la Storia della letteratura italiana (1870-1871) de Francesco De
Sanctis, dans laquelle Machiavel prépare une route, toute matérielle, à l’aventure
humaine, dont Bruno sera — à côté de Galilée — le prophète et le modèle,
annonçant la « Science nouvelle », une science politico-philosophique en cohésion
avec celle de Machiavel :
Machiavelli aveva già parlato di uno spirito del mondo immortale ed immutabile, fattore
della storia secondo le sue leggi costitutive. Quello spirito della storia nella speculazione
di Bruno è il fabbro del mondo, il suo artefice interno 29.
27. G. Cordibella, « Una lettera inedita di Aby Warburg a Giosue Carducci », Lettere Italiane,
LIX, 2007, n° 4, p. 574-581.
28. G. Carducci, Dello svolgimento della letteratura nazionale, 1868-1971 ; Discorso IV ; in
Prose, Bologna, Zanichelli, 1941, p. 378-379 ; je souligne.
29. F. De Sanctis, Storia della letteratura italiana, 1870-1871 ; je cite à partir de l’édition
établie par N. Gallo et G. Ficara, Torino, Einaudi — Gallimard, 1996, chap. XIX : « La nuova
scienza », § 5, p. 634.
748 CARLO OSSOLA
Déjà Machiavel avait parlé d’un esprit du monde immortel et immuable, faiseur de
l’histoire selon ses lois constitutives. Dans la spéculation de Bruno, cet esprit de l’histoire
est le faiseur du monde, son artisan interne.
C’était alors l’époque où les grands États d’Europe prenaient une assise stable, et fondaient
chacun leur patrie […]. Et c’était aussi l’époque où l’Italie non seulement ne parvenait
pas à fonder la patrie mais perdait tout à fait son indépendance, sa liberté, son primat
dans l’histoire du monde. De cette catastrophe il n’y avait aucune conscience nationale,
on en éprouvait même une certaine satisfaction 30.
Parce que finalement c’est la vie italienne qui, vide de conscience, faisait défaut [au
xvie siècle], et l’histoire de cette opposition italienne n’est rien d’autre que l’histoire de la
lente reconstitution de la conscience nationale. Qu’y avait-il dans la conscience ? Rien.
Pas de dieu, pas de patrie, pas de famille, pas d’humanité, pas de civilisation. Et il n’y
avait même plus la négation, qui elle aussi est la vie 31 ;
Il pourra bien, ce philosophe de l’histoire [scil. : De Sanctis], avec tout le brio de son
ingéniosité, nous prouver que le mouvement de l’Italie au xvie siècle ne fut rien
d’autre que l’oubli insouciant de la réalité et une manière de se préparer à bien mourir,
que l’Italie devait mourir, parce qu’elle n’était pas devenue une nation et qu’elle n’avait
pas la conscience d’une nation ; il pourra, cet historien de la littérature, par d’exquises
subtilités, nous montrer que tout l’art du xvie siècle n’est que dissolution, et que
l’Italie était vouée à la dissolution, parce qu’elle ne croyait pas, parce qu’elle n’avait pas
opéré sa réforme religieuse. Mais l’histoire est ce qu’elle est : que nous, nous voulions
la refaire à notre gré, que nous, nous voulions revoir comme un thème d’écolier le
grand livre des siècles et inscrire dessus, de l’air courroucé des maîtres, nos corrections,
ou, pire, rayer d’un trait de plume les pages qui ne nous plaisent pas […] ; tout cela
30. Ibid., chap. XVII : « Torquato Tasso », § 1, p. 543 : « Quello era il tempo che i grandi stati
d’Europa prendevano stabile assetto, e fondavano ciascuno la patria […]. E quello era il tempo
che l’Italia non solo non riusciva a fondare la patria, ma perdeva affatto la sua indipendenza, la
sua libertà, il suo primato nella storia del mondo. Di questa catastrofe non ci era una coscienza
nazionale, anzi ci era una certa soddisfazione. »
31. Ibid., chap. XIX : « La nuova scienza », § 1; éd. cit., p. 623-624 : « Perché infine la vita
italiana mancava [nel Cinquecento] per il vuoto della coscienza, e la storia di questa opposizione
italiana non è altro se non la storia della lenta ricostituzione della coscienza nazionale. Cosa ci
era nella coscienza ? Nulla. Non Dio, non patria, non famiglia, non umanità, non civiltà. E non
ci era più neppure la negazione, che anch’essa è vita. »
LITTÉRATURES MODERNES DE L’EUROPE NÉOLATINE 749
est volonté arbitraire ou gymnastique de l’esprit, mais ce n’est pas la vérité, et c’est
même le contraire. 32
32. G. Carducci, Dello svolgimento della letteratura nazionale, cit., Discorso V, 1, p. 382-383 :
« Potrà bene quel filosofo della storia [scil. : il De Sanctis] con molta accensione d’ingegno
provarci che il movimento dell’Italia nel secolo decimosesto altro non fu che oblio spensierato
della realtà e un prepararsi a ben morire, che l’Italia doveva morire perché non si era fatta nazione
e non aveva la conscienza di nazione ; potrà questo storico della letteratura con isquisite sottigliezze
mostrarci che tutta l’arte del secolo decimosesto è dissoluzione, e che l’Italia doveva dissolversi
perché non credeva, perché non aveva operato la riforma della religione. Ma la storia è quel che
è : volerla rifare noi a nostro senno, voler riveder noi come un tema scolastico il gran libro dei
secoli e inscrivervi sopra, con cipiglio di maestri, le correzioni e, peggio, cancellar d’un frego di
penna le pagine che non ci gustano […] ; tutto ciò è arbitrio o ginnastica d’ingegno, ma non è
il vero anzi è il contrario. »
33. « Ce fut alors que se forma l’Académie de la Crusca, et elle fut le Concile de Trente de
notre langue. Elle aussi excommunia des auteurs et posa des dogmes » (F. De Sanctis, Storia della
letteratura italiana, cit., chap. XVII, 4, p. 548 : « Fu allora che si formò l’Accademia della Crusca,
e fu il Concilio di Trento della nostra lingua. Anch’essa scomunicò scrittori e pose dogmi »).
34. Il s’agit de la conclusion même de l’essai. G. Carducci, Dello svolgimento della letteratura
nazionale, cit., Discorso V, 6, p. 409-410 : « Spettacolo che altri potrà dir vergognoso e che a me
apparisce pieno di sacra pietà, cotesto d’un popolo di filosofi di poeti di artisti, che in mezzo ai
soldati stranieri d’ogni parte irrompenti séguita accorato e sicuro l’opera sua di civiltà. […] E il
canto de’ poeti supera il triste squillo delle trombe straniere, e i torchi di Venezia di Firenze di
Roma stridono all’opera d’illuminare il mondo. […] Cara e santa patria ! Ella aprì alle menti un
mondo superiore di libertà e di ragione; e di tutto fe’ dono all’Europa. »
750 CARLO OSSOLA
35. Ibid., Discorso V, 2, p. 385 : « Se [l’Italia] fossesi lasciata maneggiare da uno svevo o da un
angioino o da un Visconti che, domata, spremuta, battuta, l’avesse poi spinta come caval di
battaglia alle conquiste, avrebbe ella operato quel che operò nello svolgimento libero di tutti gli
elementi suoi, di tutte le sue genti ? Avrebbe ella avuto i suoi commerci unificatori d’Europa,
l’arte sua conciliatrice dell’antichità e del medio evo, il suo rinascimento ? O avrebbe ella potuto
produrlo con tale una rifioritura universale […] ? La riforma religiosa come avrebbe dovuto o
potuto promuoverla o accettarla l’Italia, ella che aveva fatto ad imagine sua pagano il cristianesimo ?
Come avrebbe dovuto accettar da Lutero l’autorità della Bibbia, ella che nella politica poneva co
’l Machiavelli fattore, e signore del tutto, il pensiero umano [...] ? Ma è egli possibile a imaginare
il rinascimento in Italia luterano ? E un Ariosto zuingliano ? Un Machiavelli puritano ? Un
Raffaello calvinista ? Un Michelangelo quaquero ? No, veramente. »
36. Ibid., p. 386.
37. T. Tasso, Il mondo creato, VI, 1315-1318 ; je cite de l’édition établie par B. Maier, in
Opere, vol. IV, Milano, Rizzoli, 1964, p. 266.
LITTÉRATURES MODERNES DE L’EUROPE NÉOLATINE 751
[…] le Fils
devait en l’homme et en membres humains se reposer.
[...]
Dieu s’apaisa en l’homme ici-bas,
et l’homme ne trouve en soi ni tranquillité ni paix ?
[…]
Et si sur terre il voulut en l’homme se reposer,
ce fut pour que l’homme à la fin en Dieu s’apaisât.
Activités du professeur
Publications
Livres
— C. Ossola, Augustin au XVII e siècle. « Actes du Colloque organisé par Carlo Ossola au
Collège de France les 30 septembre et 1er octobre 2004 », Textes réunis par Laurence
Devillairs, Florence, Olschki, 2007 [C. Ossola, Avant-propos, p. V-VI ; et Augustinus sine
tempore traditus, p. 263-287].
— Jacques-Bénigne Bossuet, Discorso sugli Angeli Custodi, texte publié et introduit par
C. Ossola, Bologne, Pendragon, 2008 [C. Ossola, Introduzione, p. 7-67].
— Michel de Certeau, Fabula mistica. XVI-XVII secolo, trad. it. : Milan, Jaca Book, 2008
[C. Ossola, « Historien d’un silence ». Michel de Certeau, p. XXVII-LIV].
— Waldemar Deonna, Il simbolismo dell’occhio, trad. it. : Torino, Bollati Boringhieri,
2008 [C. Ossola, Introduzione. Tra Bibbia e Surrealismo. L’occhio di Waldemar Deonna,
p. IX-XXIII].
Articles et essais
— C. Ossola, Viaje y metamorfosis. Psique, del amor y del alma, in La estela de los viajes.
De la historia a la literatura, essais réunis par F. Jarauta, Santander, Fundación Marcelino
Botín [« Cuadernos de la Fundación M. Botín », 10], 2007, p. 19-38.
— C. Ossola, Un espacio lleno de plenitud, in De la ciudad antigua a la cosmopolis, essais
réunis par F. Jarauta, Santander, Fundación Marcelino Botín [« Cuadernos de la Fundación
M. Botín », 11], 2008, p. 61-70.
— C. Ossola, Vom Glück, weiträumig zu denken. Über Carlo Denina, in Die europäische
« République des Lettres », essais réunis par Lea Ritter Santini, Göttingen, Wallstein, 2007,
p. 83-99.
— C. Ossola, « Petit triptyque romain », in Conférence, 26, 2008, p. 453-459.
— C. Ossola, « Leopardi : préludes et passions », dans AA.VV., La Conscience de soi de
la poésie, sous la direction de Yves Bonnefoy, Colloques de la Fondation Hugot du Collège
de France (1993-2004), « Le Genre humain », n° 47, Paris, Seuil, 2008, pp. 235-268.
— C. Ossola, « Della pubblica felicità, oggi » in Italianieuropei, 2008, 2, p. 10-13.
— C. Ossola, «“Italia”. Una civiltà e un lascito », in Cenobio, LVII, 1 (janvier-mars
2008), p. 37-39.
41. M. de Certeau, La faiblesse de croire, texte établi et présenté par L. Giard, Paris, Seuil,
1987, p. 208 [et p. 301 : « coupure instauratrice »] ; concept qui radicalise la formule précédente
d’« “errances” inauguratrices » (M. de Certeau, « L’énonciation mystique », in Recherches de science
religieuse, LXIV, 1976, p. 183-215 ; la citation à la p. 183).
42. Luco, XXI, 18 ; et De Harmonia mundi, Cantici tertii tonus septimus, chap. XII,
p. LXXVII.
LITTÉRATURES MODERNES DE L’EUROPE NÉOLATINE 753
— C. Ossola, Les raisons “en blanc” du baroque italien, in République des Lettres, République
des Arts. Mélanges en l’honneur de Marc Fumaroli, réunis et édités par Ch. Mouchel et
C. Nativel, Genève, Droz, 2008, p. 247-262.
Activités de la Chaire
Colloques
Le 10 juin 2008, Création, Renaissance, ordre du monde, en collaboration avec
l’Institut d’Etudes Italiennes (ISI) de l’Université de la Suisse Italienne, Lugano,
avec la participation de :
— M. Carlo Ossola, Collège de France :
Introduction : origines et retours
— M. Stefano Prandi, Université de Berne (Suisse) :
« Deus artifex » : formes et histoire d’une métaphore
— M. Agostino Paravicini Bagliani, Université de Lausanne (Suisse) :
La papauté, la création et l’ordre de la nature (XII e-XIV e s.)
— M. Piero Boitani, Université de Rome La Sapienza (Italie) :
De Monreale à Michelangelo : le Moteur mobile
— M. Victor Stoichita, Université de Fribourg (Suisse) :
« Touche », « Coup de pinceau » et création picturale chez le Titien
— Mme Benedetta Papasogli, Université LUMSSA de Rome (Italie) :
« Création » et « créature » chez Fénelon
— M. Michel Jeanneret, Université Johns Hopkins de Baltimore (U.S.A.) :
Versailles, Chaosmos
— M. Jürgen Maehder, Freie Universität de Berlin (Allemagne) :
Olivier Messiaen au seuil de la musique sérielle : ordre numérique et création
— M. Corrado Bologna, Université de Rome III (Italie) :
Le geste « philosophique » de l’artiste et la création de l’ordre du monde
Professeur invité
Exposition
Directrice de l’Exposition éditoriale organisée à l’occasion de la Journée internationale des
dictionnaires, Université de Cergy-Pontoise, 14 mars 2008, Dictionnaires et littérature.
J’avais suggéré il y a deux ans que, pour Shakespeare, le théâtre transforme la poésie
en paroles, dites et échangées, et qu’il peut devenir ainsi la recherche de la parole de
l’autre ; que le théâtre invite le poète à renoncer au lyrisme du moi et à s’aventurer
dans le je des autres, à chercher une vérité transpersonnelle dans une poésie proprement
dramatique ; que Shakespeare avait, de manière remarquable, le don et le désir
d’entrer dans la conscience de tous les personnages, même très secondaires ; que
chacune de ses pièces est un poème qui l’encourage à multiplier les points de vue
avant de se mettre à les ordonner. Le cours de cette année confirma ces suggestions,
en leur donnant des perspectives nouvelles dans chacune des pièces analysées ; il
commença avec Les Deux gentilhommes de Vérone, qui pourrait être le tout premier
ouvrage de Shakespeare, afin d’étudier les rapports qu’il crée dès le début, entre
poésie et théâtre, et afin d’indiquer une idée inattendue, mais probablement très
exacte, du théâtre qui s’esquisse déjà dans cette œuvre de jeunesse.
de son « essence » : « I leave to be, dit-il, / If I be not by her fair influence / Fostered,
illumined […] » (« je cesse d’être / Si je ne suis pas par sa bonne influence / Nourri,
illuminé […] »). Shakespeare attire déjà l’attention sur le verbe fondamental en le
laissant en suspens à la fin du vers, et il augmente déjà la force ontologique du
mot par l’hésitation de la syntaxe, où Valentin semble dire : « je cesse d’être si, par
sa bonne influence, je ne suis pas ».
En même temps, le théâtre est le seul genre littéraire qui soit matériel, visible,
audible, et choisir l’espace théâtral, où œuvre, comédiens et spectateurs sont
plongés dans le monde immédiat des sens, permet à Shakespeare de voir se dérouler
en un milieu concret toute la poésie dont il est capable et tout ce qu’il imagine,
jusqu’aux rêves les plus éthérés. Son imagination s’exerçant toujours, du reste, à
renouveler la réalité ordinaire, il semblerait que même ses êtres surnaturels habitent
plus abondamment que nous le monde naturel : la plainte de la reine des fées dans
Le Songe d’une nuit d’été ne cesse d’évoquer la « source caillouteuse », le « ruisseau
étoffé de joncs », et ainsi de suite. L’unité de ce Tout qui nous environne et qui
nous pénètre est d’autant plus sensible, et les réalités les plus immatérielles d’autant
mieux mises en relief. Le repentir, par exemple, qui intéresse Shakespeare dès le
début. Proteus, surpris dans la forêt par Valentin au moment où il menace Sylvia
de la violer, se repent par un de ces revirements rapides mais parfaitement véritables
qui dénouent souvent les pièces de Shakespeare, comiques ou tragiques, dans le
sens de l’espoir et du nouveau, mais que les critiques hésitent à accepter. Proteus
demande pardon avec le vocabulaire du Livre des prières en commun, et il découvre
en lui à la fois la « honte », qui peut enfermer en soi, et la « culpabilité », qui ouvre
vers autrui. Et, si tôt dans sa réflexion, Shakespeare donne une perspective éclairante
sur cet art théâtral pleinement présent devant nous mais qui s’offre aussi comme
un spectacle, un simulacre, une fiction qui s’incarne dans des faits (comédiens,
costumes, décor) qui sont eux-mêmes fictifs. Devant la preuve soudaine et à peine
croyable que son meilleur ami est en train de le trahir, Valentin se dit : « Comme
ceci ressemble à un rêve ! Je vois, et j’entends… » On dirait la voix du spectateur,
qui voit et qui entend, mais qui observe aussi une sorte de songe du réel. Un seul
vers constitue déjà la mise en abyme de tout le théâtre shakespearien à venir, et
même de tout théâtre. Une situation critique et pénible conduira bientôt au
repentir de Proteus et à une nouvelle générosité chez Valentin. Le rêve étrange du
théâtre offre, en effet, un lieu et un temps où tout change et peut continuer de
changer, car le théâtre est le signe artistique le plus palpable et le plus complet du
changement possible du monde, et le miroir que la pratique du théâtre tend à la
nature, selon Hamlet, est un miroir transformant.
Il importe aussi de comprendre que, dans ses premières pièces, Shakespeare ne
dédaigne pas la poésie au sens le plus simple du mot en s’engageant dans l’écriture
théâtrale. La foison de formes poétiques dans Peines d’amour perdues (vers 1594),
où plusieurs personnages écrivent des poèmes et parlent spontanément, de temps
à autre, en sonnets, n’est le signe ni d’un désir de ridiculiser la poésie de l’époque,
ni d’un besoin de se montrer supérieur à ses rivaux. Au moment même où Biron
ÉTUDE DE LA CRÉATION LITTÉRAIRE EN LANGUE ANGLAISE 757
assure Rosaline qu’il renonce aux termes affectés et qu’il ne veut plus « faire la cour
avec des rimes », sa déclaration d’amour prend néanmoins la forme d’un sonnet.
Si les Navarrois se lancent dans de prodigieuses hyperboles, si Biron et Dumaine
« s’émerveillent » de leurs bien-aimées, c’est parce que la beauté ravive qui la
contemple, la beauté n’étant pas une affaire d’esthétique, mais de vie. Si l’amour
mène à la poésie, c’est parce qu’il est le seuil de l’émerveillement et qu’il se répand
naturellement en louanges ; les chansonniers et suites de sonnets qui s’adressent à
Laure, à Hélène, à Stella et à tant d’autres, sont au cœur de la poésie. En nous
attirant de la prose vers la poésie, en ouvrant le réel au poétique, Shakespeare
répond au vœu que le réel, que la vie, soient poésie, qu’une parole pleine nous place
au sein de ce qui est et de ce que nous sommes.
Le sérieux de la pièce se révèle surtout en ce qu’elle approfondit la comédie. La
poésie surabondante ne conduit pas à l’échec de l’amour, mais au triomphe d’un
amour lucide et d’une comédie avertie du mal d’exister. La pièce, où il se passe si
peu de choses, est une suite de scènes comiques, de « plaisirs, danses, mascarades
et heures de gaieté », où la gaieté s’appauvrit, cependant, en se transformant en
raillerie, lorsque les Navarrois, comme les Françaises qu’ils courtisent, au lieu de
rire devant l’exubérance de la vie, se moquent les uns des autres. Même les
divertissements deviennent amers, et la langue des filles moqueuses « aussi
tranchante / Que le fil du rasoir ». La comédie ne pouvant plus avancer après cette
chute dans le malheur, un messager survient pour annoncer la mort du roi de
France, ce qui oblige la Princesse et ses amies à repartir et empêche les quatre
mariages attendus d’avoir lieu. La mort ne fait pas avorter la pièce, cependant,
comme la critique le prétend. La Princesse, en exigeant du roi de Navarre qu’il
s’isole pendant un an dans un lieu éloigné des plaisirs du monde, pour voir si son
offre de mariage survivra aux « gels », aux « jeûnes » , au « rude logement » et aux
« maigres vêtements », lui demande, non pas d’étudier l’art de vivre (le but de
l’Académie qu’il voulait créer au début de la pièce), mais de vivre, et de s’étudier
lui-même. Elle place sa main dans la sienne en promettant d’être à lui, et, selon la
coutume de l’époque, les voilà, sous condition, mariés. La condition qu’impose
Rosaline à Biron est de rendre visite aux malades tous les jours pendant un an, et
de « Forcer les infirmes en tourment à sourire ». Elle veut qu’il perde son esprit de
dérision et qu’il se livre entièrement à son génie comique, à sa langue si douce et
sémillante, dit-elle, que les enfants et les vieillards s’arrêtent pour l’écouter. Elle
veut qu’il quitte la moquerie pour le rire qui jaillit du bonheur d’exister, pour une
vivacité d’esprit telle qu’un mourant même pourrait s’en réjouir. Peines d’amour
perdues annonce ce que j’ai appelé chez Shakespeare les comédies de l’émerveillement,
surtout par la juxtaposition saisissante, au moment où Rosaline et Biron se
regardent dans les yeux, du rire et de la mort.
Il convient de remarquer aussi que les Sonnets, qui explorent les mêmes sujets
que les pièces de la maturité de Shakespeare et qui ne furent rassemblés qu’en
1609, développent, en les assombrissant, certaines données de Peines d’amour
perdues. Ils prennent au sérieux, surtout, des affirmations mi-sérieuses, mi-plaisantes
758 MICHAEL EDWARDS
d’Armado : « Amour est un diable. Il n’est aucun mauvais ange sinon Amour »,
afin d’explorer la dimension vraiment infernale de l’amour, ou plutôt la luxure. On
pourrait appeler les Sonnets, à plus juste titre que la pièce, à bien y penser, Peines
d’amour perdues. Et si l’on sent, dans le travail de Shakespeare au théâtre, la présence
d’un poète, qui inclut parfois des poèmes dans ses pièces, on comprend mieux les
Sonnets à les lire comme l’œuvre d’un dramaturge, qui introduit le théâtre dans la
poésie. Quatre personnages, tous anonymes : un « je » qui parle et qui est lui-
même poète, un jeune célibataire, une femme mariée et un poète rival, participent
à une histoire discontinue, incertaine et inachevée. Les Sonnets ressemblent à la
vie : nous découvrons des êtres et des événements par fragments et selon une foule
de perspectives, et tout frémit de significations sans que le sens en soit clair. Ils
répètent, néanmoins, en chacun des trois personnages principaux, le passage de
l’Éden à la Chute, d’une perfection à sa perte. On encourage le beau jeune homme,
dans les dix-sept premiers sonnets, à se marier et à avoir des enfants, avec une
générosité répondant à celle de la Nature, à prendre place dans le concert des êtres
(sonnet 8), à sortir, lui aussi, d’une conscience lyrique afin d’acquérir une conscience
dramatique. Le refus du jeune homme, noté dès le début, le précipite dans la
contemplation stérile de sa propre beauté. Il devrait être aussi l’objet irréprochable
de la louange, l’occasion pour la poésie de redire le réel, d’en répéter sans cesse
l’inépuisable perfection : de s’approcher des réitérations du soleil, « chaque jour
nouveau et vieux » (sonnet 76), et des prières quotidiennes de la liturgie, inchangées
et toujours actuelles (sonnet 108). Celui qui paraît, cependant, « l’ornement jeune
du monde » (sonnet 1), et qui semble réunir en sa personne les charmes d’Adonis
et d’Hélène, la beauté du printemps et la largesse de l’automne (sonnet 53), révèle
peu à peu sa laideur morale, une « grâce lascive » (sonnet 40) qui masque à peine
toute la litanie des « péchés », « vices », « souillures », « fautes », « erreurs » (sonnets
95 et 96) dont l’infecte malgré tout le monde déchu. Et dans une histoire dont on
ne nous livre que des aperçus, le jeune homme ne cesse de tomber, à cause d’un
va-et-vient continuel entre l’éloge et le blâme, où des révélations de sa trahison et
de sa méchanceté foncière peuvent être suivies de poèmes chantant la confiance du
locuteur et l’excellence de celui qu’il aime.
La dame brune du recueil, maîtresse du locuteur, est apparentée par ses cheveux
et ses yeux noirs à la bien-aimée du Cantique des cantiques, à l’une des amantes les
plus fidèles de toutes les littératures. Elle aussi déchoit, cependant, en trahissant le
locuteur avec le beau jeune homme et finalement avec tout le monde. Shakespeare
ne se livre pas à une misogynie futile et pathologique, mais choisit de renverser,
avec tristesse et perspicacité, l’idéalisation de la femme qu’entreprennent en général
les suites de sonnets, afin de renforcer son examen sombre de la perte de l’Éden.
Et cela culmine dans la chute du poète qui est censé composer le recueil. Constant,
crédule, prompt à pardonner et à souffrir pour un ami qu’il considère comme un
moi au même titre que son propre moi, on le voit aussi trouble et injuste, et il
reconnaît peu à peu son « péché d’amour de soi » (sonnet 62), et, dans ses rapports
avec sa maîtresse, son érotisme incontrôlé, son acquiescement aux plaisanteries
ÉTUDE DE LA CRÉATION LITTÉRAIRE EN LANGUE ANGLAISE 759
Il est vrai aussi que la pièce semble partagée entre un conte magique et un récit
réaliste. En guérissant le roi d’une maladie incurable, Hélène fait participer à son
acte, par la poésie d’une incantation, la totalité de l’univers en mouvement et les
fables (les chevaux du soleil, la lampe d’Hespérus) par lesquelles nous l’imaginons.
En se substituant à Diane dans le lit de Bertrand, cependant, elle conçoit une ruse
d’un réalisme, disons, médiéval (et qui vient, d’ailleurs, de Boccace). Mais si nous
sommes conscients de passer entre le monde surnaturel intermittent et le monde
naturel des convoitises et les lâchetés, n’est-ce pas ce que Shakespeare cherche ? La
discordance entre des types d’histoire et entre des styles d’écriture marque l’accès
discontinu et provisoire à une réalité supérieure dans notre monde.
figures étaient si vivantes que l’artiste paraissait comme une puissance créatrice qui
« dépassait la nature, / Hormis le mouvement et le souffle », il s’étonne que l’art
soit en même temps supérieur à la nature, grâce à sa faculté de transformer le
monde par la neuve consonance des lignes et des volumes — on pourrait ajouter :
des mots, des choses évoquées, des personnages, des événements — et infiniment
inférieur puisque l’artiste ne dispose pas du principe de la vie. L’art ne surpasse la
vie que par sa capacité de suggérer, mais non pas de créer, une forme de vie
supérieure, une terre et un ciel renouvelés.
En sondant le théâtre dans Cymbeline, Shakespeare rassemble plusieurs idées et
pratiques qui sont des éléments fondamentaux du génie théâtral. La pièce est
remarquable par le nombre de déguisements. Bien des personnages shakespeariens,
dans les comédies comme dans les tragédies, se trouvent en se perdant sous des
dehors d’emprunt, la voie vers l’être vrai passant nécessairement, dans un monde
où l’être est en partie effacé, par l’être-autre. En voulant mourir vaillamment « To
shame the guise o’ th’ world » (« Pour couvrir de honte les façons du monde »),
Posthumus fait penser que se dé-guiser, c’est refuser la guise, l’apparence d’un
monde corrompu, et chercher en soi, sous une autre apparence, le nouvel être dont
le monde aussi a besoin. Shakespeare associe l’acte de se déguiser à celui de passer,
durant la pièce, dans une seconde réalité, comme le bois près d’Athènes dans Le
Songe d’une nuit d’été, par exemple, ou la Bohême dans Le Conte d’hiver, lieux à la
fois réels et autres qui sont l’occasion pour les personnages de découvrir d’autres
dimensions du vécu et de changer, avant de retourner dans le monde ordinaire
transformé par leur aventure. Dans Cymbeline, tous les personnages principaux se
trouvent en se hasardant au pays de Galles. Shakespeare semble suggérer aussi que
le théâtre même est un déguisement, qu’il fait honte aux usages du monde en
s’habillant d’une fiction à la fois heuristique et transfiguratrice, comme il est un
lieu autre où les spectateurs peuvent également se trouver en changeant, avant de
sortir dans un monde familier rendu étrange par la vision théâtrale. D’où la
présence, dans cette pièce qui constitue un résumé de son œuvre, d’un masque
— rêve de Posthumus matérialisé devant les spectateurs, où Jupiter et des fantômes
renforcent l’impression que participe à la pièce une puissance surnaturelle, une
sorte de hasard providentiel — et des obsèques d’Imogène, que l’on croit morte
mais qui n’est que droguée, qui ne sont pas nécessaires à l’action, mais qui
représentent parfaitement le simulacre qu’est le théâtre, la fiction visible qu’il fait
dérouler devant nous. Avec la « résurrection » d’Imogène, finalement, et l’effet
cumulatif, dans le dénouement, d’une série de révélations qui surprennent les
personnages et qui peuvent étonner à un autre niveau les spectateurs, pourtant déjà
dans les secrets de l’intrigue, nous pouvons trouver mystérieux, étrange, merveilleux,
le monde néanmoins explicable qui se révèle peu à peu, en nous disant que c’est
peut-être cela, la poésie : l’apparition quasi magique de ce qui est.
Le cours de la deuxième heure : Le Bonheur d’être ici, procéda également d’une
réflexion déjà entamée, dans une communication de 2003 sur Claudel et Baudelaire
lors d’un congrès de l’Association Guillaume Budé, où j’avais mis en opposition
764 MICHAEL EDWARDS
Il est utile aussi de regarder les œuvres qui semblent plongées dans la misère,
mais qui réussissent à évoquer le bonheur. L’Enfer de Dante concerne bien le
malheur de l’ici : il sonde moins la souffrance des damnés qu’il ne crée un angle
de vue infernal sur la vie terrestre (en attendant les angles de vue purificateur puis
paradisiaque des deux autres cantiques). Puisqu’il parle néanmoins de la vie après
la mort et d’un lieu inconnu que nous peinons à imaginer, Dante se sert
constamment de comparaisons avec notre vie, afin d’illuminer l’étrange par le
familier. A-t-on remarqué, cependant, à quel point ces comparaisons sont
nombreuses ? Et a-t-on compris, avec précision, leur rôle ? Pour T.S. Eliot, elles
servent à nous faire voir plus clairement l’action que Dante raconte, comme lorsque
des ombres prises sous une pluie de feu regardent Dante et Virgile en clignant des
yeux, « comme le vieux tailleur » qui cherche « le chas de l’aiguille » (chant 15).
766 MICHAEL EDWARDS
Oui, mais le rapport avec la réalité ordinaire est bien plus complexe. Beaucoup de
comparaisons nous sortent de l’enfer pour nous placer dans l’ici malheureux.
Virgile ordonne à Dante, par exemple, de monter sur le dos du monstre Géryon,
et Dante écrit : « Tel celui qui, sentant le premier frisson de la fièvre quarte, a déjà
les ongles blêmes et tremble tout entier en regardant l’ombre, tel je devins à
entendre ces paroles » (chant 17). Le monstre appartient au mythe et au cauchemar ;
la fièvre quarte nous ramène à nos maladies dangereuses. Si le lecteur rencontre,
cependant, bien des malheurs réels par l’effet de ces comparaisons, il rencontre
aussi de très nombreux bonheurs. Au chant 16, par exemple, Dante sort d’un
cercle de l’enfer : « J’étais déjà au lieu, écrit-il, où s’entendait le bruit de l’eau qui
tombait dans l’autre cercle, pareil au bourdonnement que font les ruches. » Géryon
commence son vol avec Virgile et Dante sur le dos, « Comme le petit bateau sort
du port à reculons », le petit bateau (navicella), dans cette scène agréable de bord
de mer, étant même le contraire du monstre gigantesque. Dante fait dérouler
devant le lecteur, au fond de l’enfer, des moments de bonheur simple dans la vie
ordinaire, et certaines comparaisons parlent même d’un malheur qui se transforme
en bonheur. La plus extraordinaire occupe les quinze premiers vers du chant 24,
et décrit « la très jeune année » où un villageois qui, prenant du givre pour de la
neige, se lamente de ne pas pouvoir sortir ses troupeaux, retrouve « l’espoir » un
peu plus tard, en comprenant son erreur et en voyant que, sous l’effet du soleil,
« le monde a changé de face ». Puisque la chose à comparer est toute simple et se
dit en trois vers : Virgile se fâche d’avoir manqué le chemin, puis se calme en le
trouvant, ce long passage existe pour parler de la vie à la campagne, et pour évoquer
l’espoir, et la possibilité, même au fond de notre enfer, que le monde change de
face. La dernière image de l’Enfer : « je vis les belles choses que porte le ciel, par
un pertuis rond. Et par là nous sortîmes à revoir les étoiles », est également l’image
de ce que fait Dante dans son poème : abîmé dans le malheur et même l’enfer
d’être ici, il ouvre sans cesse des fenêtres sur le bonheur et la beauté.
prouve que l’âme subsiste, « tout se passe dans notre vie comme si nous y entrions
avec le faix d’obligations contractées dans une vie antérieure ». La préexistence ne
nous incite pas à nous élever jusqu’aux Idées platoniciennes, mais à respecter une
certaine morale : faire du bien, être délicats, malgré le fait qu’il n’y a aucune raison
dans notre vie sur terre « pour que nous nous croyions obligés […] même à être
polis », et cela s’étend aussi à la vocation artistique, « l’artiste athée » n’ayant pas
de raison non plus, « dans nos conditions de vie », de se croire tenu à « recommencer
vingt fois un morceau ». Il ne s’agit pas ici des vertus salvatrices de l’art — au
contraire : un certain bonheur émane de la pensée que nous obéissons à des lois
inconnues, et de l’intuition de la simple possibilité qu’il existe un autre monde,
intuition qui ne vient pas, comme ailleurs dans À la recherche du temps perdu, de
l’art, mais du sentiment de l’obligation. Il ne s’agit pas non plus de la survie de
l’œuvre et du nom, mais de la personne. Dans ce passage inséré au sein du roman,
Proust s’aventure dans une autre sorte de spéculation, dans un « comme si » qui
semble le travailler et qui ouvre l’ouvrage à un autre genre de possible. S’il le place
ici, ce n’est pas pour fournir encore un exemple de la duplicité d’Albertine (dont
le mensonge fait que le narrateur se trompe sur la date exacte de la mort de
Bergotte), mais pour que cette duplicité ajoute au passage une signification
supplémentaire, en le situant dans le malheur du monde connu.
change dès qu’il s’aperçoit qu’elle est supérieure à la folie comme la lumière aux
ténèbres (autre allusion au début de la Genèse), et qu’elle « donne la vie » à ceux
qui la possèdent. Un ouvrage apparemment assombri par le pessimisme
recommande, comme une obligation réjouissante, le bonheur terrestre sous le signe
de la « crainte » et de l’« écoute » de Dieu, ou du Réel, et le rédacteur du texte finit
par dire que l’auteur de ce « grand nombre de sentences » choisit ses mots « pour
donner du plaisir ».
adolescents évitent le lyrisme du moi ; en disant une poésie vocative, comme celle
de Whitman, ils créent un rapport chaleureux entre le monde et ce qu’il y a de
plus profond en eux ; en visant, du cœur du feu créateur, la totalité des créatures
qu’ils ne voient pas, ils renouvellent le monde par la mémoire, l’imagination et la
parole poétique.
Certains ouvrages à moitié légendaires suggèrent à la fois le bonheur du réel et le
bonheur du possible : les Voyages, par exemple, de John Mandeville. Écrit en anglo-
normand vers 1356, il figure parmi ces œuvres « françaises » peu connues en France
qu’un des plaisirs de cette chaire a été de remettre en valeur. Le livre commence
comme un guide pour les pèlerins de la « Terre de promesse », mais Mandeville
quitte bientôt la géographie réelle afin de voyager, en imagination, vers son idée de
« l’Asie profonde », vers les royaumes du Grand Khan et de Prêtre Jean. Les
« merveilles » qu’il raconte, qui sont d’abord des villes et des églises, deviennent de
plus en plus prodigieuses, et leur nombre même se révèle démesuré, Mandeville
signalant qu’il lui est impossible de les raconter toutes, comme il souligne par ailleurs
la multiplicité des êtres vivants qui peuplent le monde selon l’élan irrépressible de la
Création. En s’aventurant, non pas dans l’au-delà, mais dans ce qu’il appelle le « par
delà », il découvre, à l’extrême orient de notre désir, le Paradis terrestre, qui est relié
au monde familier par ses fleuves qui divisent les terres de Prêtre Jean en plusieurs
régions, et qui alimentent même le Nil et « toutes les eaux douces du monde ». Ce
désir étrange de croire que le Paradis est encore présent quelque part sur la terre vient
sans doute en partie de notre impression que le monde se présente réellement, par
moments, comme édénique, grâce à une certaine lumière, ou à la beauté émerveillante
de certains lieux. Le Paradis est de toute façon inaccessible — pour aller vers cette
clarté parfaite, il faudrait traverser « la région ténébreuse où l’on ne pourrait voir ni
de jour ni de nuit » — et en écrivant un récit de voyage qui est en même temps un
conte magique, Mandeville évoque le caractère fictif du réel, auquel nous mélangeons
toujours notre imagination ou, au pire, notre fantaisie, et il laisse supposer que le réel
cherche un sens — ici, la présence-absence du Paradis — comme une œuvre cherche
un sens à composer. Puis, s’étant émerveillé du réel et de son possible, il retourne en
Europe, au monde familier, comme plus tard tant de personnages shakespeariens, à
une réalité qu’il définit avec un certain génie. Il revient en vue de son ouvrage : « j’ai
mis ces choses-là en écrit », et pour être malade : il souffre de la goutte articulaire.
Conscient que la Merveille n’abolit pas la maladie et la mort, il reconnaît en même
temps le bonheur et le malheur d’être ici, et il termine en demandant à ses lecteurs
de prier Dieu de lui pardonner ses péchés. Après son grand voyage dans le fabuleux
du possible, il revient au vrai lieu de l’écriture, au moi qui souffre et qui reconnaît ce
dont il a besoin.
La profondeur du bonheur quotidien vient de ce que le vécu ne donne pas
seulement, comme le rêve ou la recherche de l’idéal, sur autre chose, mais qu’il l’attire
aussi dans la trame des événements et le temps qui passe. Le bain de mer, par exemple,
que Valéry évoque dans une sorte de poème en prose inclus dans les Cahiers pour
1921, devient l’expérience d’un grand Tout, d’une « immense plage », d’un « ciel
770 MICHAEL EDWARDS
énorme », et surtout d’une « eau universelle » et d’un « jeu divin » où les adjectifs ne
décrivent pas les substantifs mais les développent. « Se mouvoir dans le mouvement »,
c’est devenir un esprit et un corps qui œuvrent ensemble, ressentir dans le tréfonds
de l’être incessant l’animation de toutes choses, se trouver ici et en même temps dans
une réalité qui s’élargit. En s’abandonnant au milieu, Valéry découvre que son corps
renouvelle son esprit, qu’avec l’eau qu’il étreint il enfante « mille étranges idées »,
que la réciprocité entre son corps et le corps du monde donne naissance, plutôt que
la réflexion, à la poésie. La poésie naît d’un regard qui imagine, grâce à une attention
accrue et à une mémoire fertile. Lorsque le vent couvre les lames « d’écailles, de
tuiles », ou que Valéry, sorti de la mer, « marche sur le miroir sans cesse repoli par la
couche mince d’eau qui se recontracte », on comprend que les métaphores,
parfaitement exactes, ne procèdent pas de la rhétorique, mais de la réalité. Dans
« Quincaillerie » (Usage du temps, 1943), Jean Follain glisse dans un monde encore
plus ordinaire, où s’alignent vis, écrous, clous, verrous et croix de grilles, afin d’en
révéler peu à peu la dimension extraordinaire et tout aussi réelle. Étant « virginales »,
par exemple, ces croix de grilles sont toutes neuves comme au commencement. Il
suffit de toucher les objets « pour sentir le poids du monde inéluctable », pour
éprouver l’existence, non pas de soi, mais de la réalité, solide et toujours là, pour
saisir que le quotidien n’est pas des objets en vrac, mais un monde que l’on peut
rencontrer. Puisque la quincaillerie « vogue vers l’éternel » et vend à satiété « les
grands clous qui fulgurent », on passe, dans un magasin en province, par un ici qui
voyage vers un temps inconnu, comme on passe, dans la lecture du poème, des
premiers mots : « Dans une quincaillerie », aux derniers : « qui fulgurent », de la
banalité à une grande lumière qui irradie le quotidien bien vécu. Le poème est une
leçon de vie, qui parle d’objets simples qui ne sont pas de simples objets.
elle pense à l’imagerie païenne, cependant, elle voit aussi un pèlerin, et se met en
rapport avec le réel en y apercevant le signe de sa croyance ; sa comparaison est
profondément exacte, le soir étant réellement le moment où des pensées graves
viennent à l’esprit ; elle renouvelle notre perception du soir, en observant qu’au
moment où le soleil disparaît, une ombre s’élève, comparable, en effet, à un pèlerin
au capuchon gris. De la même façon, Comus reconnaît que les chants de Circé et
des Sirènes, qui prennent « l’âme emprisonnée » pour la bercer de « plaisirs
élyséens », plongent la raison dans un « agréable sommeil » et une « douce folie ».
Il décrit une certaine mauvaise écoute de la musique, ou une mauvaise lecture de
la poésie, un mauvais regard sur la peinture. Étonné par une chanson de la jeune
fille, où il sent quelque chose de « saint », de « sacré », il y découvre, au contraire,
« La si sobre certitude d’un bonheur éveillé ». Il oppose, au sommeil provoqué par
une poésie qui s’enchante d’elle-même, l’éveil provoqué par la poésie orientée vers
le réel ; il apprend un bonheur éveillé qui est également un bonheur auquel on se
réveille ; il éprouve la « certitude » de qui se réveille à l’ici.
corbeau » de l’obscurité, elles le font sourire. (Il pense peut-être à la lune qui fait
soudain luire un nuage.) La jeune fille pose, comme le poète, une question à
l’Univers conçu comme une immense chambre de résonance, à un Silence qui
capte d’autres voix et qui peut les répéter. Pour Milton, comme pour Claudel, la
poésie n’est faite ni d’idées ni de mots, mais de paroles, qui commencent comme
un soupir et qui résonnent dans la chambre de résonance de l’oreille.
La peinture établit des rapports multiples avec le bonheur d’être ici, qui est
souvent le sujet même du tableau, comme dans l’Impressionnisme, où l’ici est le
monde moderne des gares, des cafés-concerts, des rues de Paris. Dans Un Bar aux
Folies-Bergère, de 1881-1882, Manet continue de s’intéresser à la fraîcheur du
maintenant, au chatoiement incessant des présences du monde, mais pour son
dernier chef-d’œuvre il cherche aussi dans le lieu une profondeur autre. Un miroir
signifie notre désir de faire mirer la visibilité du monde dans l’altérité d’une surface
qui change tout sans violer les lois de la vision ; un tableau figuratif, même réaliste,
tend à la nature un miroir magique. Ici, le tableau inclut un miroir, qui s’étend
sur toute sa largeur, mais on sait qu’il ne reflète exactement ni les bouteilles sur le
comptoir, ni la serveuse. Le reflet de celle-ci est déplacé à droite comme par un
miroir courbe ou à facettes, mais une profusion de lignes horizontales montre que
le miroir est droit, et la serveuse passée de l’autre côté du miroir est un peu plus
corpulente, ses cheveux sont plus déployés sur sa nuque, et elle se penche davantage.
L’ici devient mystérieux : le tableau est partagé (comme Le Balcon ou Le Skating)
entre un premier plan plein de la vie immédiate des êtres et des objets et un arrière-
plan secret, comme si le réel familier donnait sur un plus-loin étrange et attirant.
La serveuse qui nous regarde et son reflet qui nous tourne le dos retrouvent la
disposition des personnages dans Portrait de Zacharie Astruc et Le Chemin de fer
(toiles, comme les autres que j’ai mentionnées, qu’Un Bar aux Folies-Bergère
reprend, résume et dépasse), et on peut penser que la scène impossible, où la
serveuse reflétée se penche vers un homme en haut-de-forme afin d’écouter, ou de
provoquer, des propositions sans doute louches, est la création de la serveuse réelle.
Manet trouve ainsi le moyen de rendre visible la vie intérieure d’un personnage,
en enfreignant les règles de la peinture figurative. L’homme du miroir, qui usurpe
notre place, ou celle du peintre dans cette nouvelle géométrie de l’espace, figure le
nouveau regard de Manet, qui lui permet de passer le seuil de la présence immédiate
afin de sonder, non pas la présence de l’au-delà, mais un au-delà de la présence. Il
apporte aussi le temps qui dure et qui semble se libérer des moments qui passent,
dans le coin d’un tableau où règne partout ailleurs la vivacité de l’instant. Notons
finalement, dans ce tableau où le réel s’ouvre à son propre arrière-fond imaginé, la
présence à la fois de la mélancolie — la saturation du bleu — et de la joie, et
surtout de l’humour. Manet signe l’ouvrage sur une bouteille, comme si Manet
était le nom du fabricant, du responsable de cette clairvoyante ivresse.
Une des nombreuses façons d’associer la musique au bonheur d’être ici passe par
les chants d’oiseaux. Musique du réel indépendante de nos idées et de nos émotions,
ces chants parlent néanmoins, comme les poètes le sentent en les plaçant au point
ÉTUDE DE LA CRÉATION LITTÉRAIRE EN LANGUE ANGLAISE 773
Au dernier cours, qui fut aussi ma leçon de clôture, je n’ai pas parlé du bonheur
d’être ici à propos d’une œuvre, mais d’un lieu en particulier, le Pont des Arts, et j’ai
réfléchi également, dans ce contexte, sur la « création littéraire » à laquelle cette
chaire est consacrée. Le Pont des Arts est un lieu privilégié, mais une des leçons de
l’engagement dans l’ici est que tout lieu est privilégié dès qu’une sorte de besoin vital
du monde ambiant nous permet d’en discerner la richesse. Nous sommes par notre
rapport aux lieux, comme aux personnes ; nous sommes même ce rapport, nous
vivons par notre langage, notre façon de voir et notre manière d’écouter, où nous
soutiennent respectivement la poésie, la peinture et la musique. Devenus attentifs,
nous apercevons les interventions du réel, les signes que nous fait la réalité
quotidienne et qui sont différents pour chacun : les lumières, par exemple, qui, la
nuit, étincellent sous les pieds, entre les planches du tablier, comme de fins sourires.
774 MICHAEL EDWARDS
La littérature est donc toute proche, par ce très vieux genre littéraire qu’est l’éloge,
passage vers ce qui est, mouvement de l’être vers l’être de l’autre, et chant par lequel
nous rendons présente la présence du monde. Elle est proche aussi en ce que chacune
de ces interventions, en nous réveillant (la vie est un rêve dont il faut sans cesse se
réveiller), en parlant du réel et du possible du réel, peut être à l’origine de la création
d’une œuvre. Chacun de ses détails peut aussi éloigner de ce que Whitman appelle,
dans le poème commenté, le « noir emprisonnement » dans le soi « autre » et
« louche » qui nous habite (ce n’est pas la mort que nous avons à craindre, mais la
vie), et pour cela une pelure d’orange abandonnée sous un des bancs du Pont des
Arts peut être aussi efficace que la vue, sous des flots de lumière dorés, de la Cour
Carrée du Louvre. Puis, le pont nous place entre l’immobilité des édifices et le
mouvement de la Seine, entre le besoin de durer et le besoin également urgent de
changer, le fleuve associant à merveille les deux quand, un soir d’hiver, des arbres
sous forme d’ombres se déplacent lentement sur les immeubles proches au passage
d’un bateau-mouche illuminé. Le pont partage aussi l’amont et l’aval, ces deux sens à
la fois prosaïques et figuratifs, l’amont étant l’origine, le passé, la mémoire, le
bonheur du vécu et de l’appris, l’aval étant l’avenir, l’aventure, le possible, la joie
mélancolique du surcroît de réalité qui attend et de la disparition. On sent ici que
« l’être qui devient » (Antonio Machado), qui est en suspens entre l’amont et l’aval
sur une passerelle de bois elle-même suspendue au-dessus de l’eau périlleuse, vit par
le temps et sait que chaque instant est le moment opportun. On sent également que,
si Whitman voit « la terre en expansion à droite et à gauche », cette vision est à notre
portée autant sur un pont de Paris que sur le continent américain, que tout lieu a
une belle hauteur sous plafond, mais qu’un pont relie aussi la terre à la terre, l’ici-bas
à l’ici-bas, dans un geste horizontal et humble. Fragile, il peut faire penser aussi à un
radeau, ou à un effondrement, à une perte de soi qui, dans le domaine de la création
littéraire, est tout à fait salutaire. (Mourir, c’est sans doute voir les choses telles
qu’elles sont, et pour mourir, on n’a pas besoin de cesser de vivre.) Sur le Pont des
Arts, finalement, on se trouve dans une œuvre d’art : parmi de grandes architectures
et au cœur du paysagisme urbain. Et les arts sont un pont, vers le réel, vers autre
chose, vers l’autre rive. Lorsqu’on regarde le lieu changer, en remarquant la fumée
verte du saule à la pointe du square du Vert Galant, ou le tout, malgré les réverbères,
baigné de nuit, on sent qu’un poème pourrait commencer ici, ou un récit, une pièce
de théâtre. Je ne sais pas si la sculpture attend dans la pierre, mais je sais que le poème
attend dans le lieu, ou mieux, dans le rapport entre le lieu et le poète. Une des sources
de la création littéraire, c’est le sentiment que le lieu aussi attend de devenir poèmes,
que le lieu veut dire quelque chose, qu’il cherche à devenir, sous nos yeux, poésie.
Je voulais surtout que cette leçon de clôture soit une leçon d’ouverture. Les
auditeurs si sympathiques ayant demandé un bis, j’ai lu mon poème « Le Pont des
Arts ».
ÉTUDE DE LA CRÉATION LITTÉRAIRE EN LANGUE ANGLAISE 775
Activités de la chaire
Publications
Prix
Activités du professeur
Conférences
— « Parler de l’art en Europe », conférence dans le cadre de l’exposition Le grand atelier,
Bruxelles, Académie royale de Belgique des Sciences et des Arts, 29 novembre 2007.
— « Gotische Architektur zwischen Abbild und Bauforschung. Gibt es eine französische
Rezeption der deutschen Kunstgeschichte ? », conférence pour le centenaire du Deutscher
Verein für Kunstwissenschaft, Berlin, Kunstgewerbemuseum, 15 mars 2008.
778 ROLAND RECHT
Ouvrages :
— Le grand atelier. Chemins de l’art en Europe (V e – XVIII e siècle), catalogue de l’exposition
Europalia, palais des Beaux-Arts de Bruxelles, 5 octobre 2007-20 janvier 2008, Bruxelles
2007, 336 pages ; édition anglaise : The grand atelier. Pathways of Art in Europe
(5th-18th centuries), Bruxelles 2007 ; édition flamande : Het meesterlijke atelier. Europese
kunstroutes (5de-18de eeuw), Bruxelles 2007 ; édition allemande : Atelier Europa. Meisterwerke -
Kunst aus 1300 Jahren, Stuttgart 2007.
— Relire Panofsky, (dir.), coll. Principes et théories de l’histoire de l’art, Cycle de
conférences au musée du Louvre du 19 novembre au 17 décembre 2001, Louvre - Beaux-
arts de Paris, Paris 2008, 200 pages.
Articles
— « Introductory Remarks on the Notion of Universality », dans Museum International,
235, septembre 2007, p. 52-58.
— « Buren sobre Ryman, Moritz sobre Winckelmann : a critica constitutive da historia
da arte », dans Arte & Ensaios, Rio de Janeiro, Revista do Programa de Pos-Graduaçao em
Artes Visuais EBA-UFRJ, XIV, n° 15, 2007, p. 166-173.
— « Une stratégie culturelle exigeante », dans Un monde à part. Dialogue entre art
moderne et art contemporain dans la collection Würth, dans le catalogue de l’exposition du
Musée Würth France-Erstein, 2008, p. 157-159.
— « L’historien de l’art est-il naïf ? Remarques sur l’actualité de Panofsky », dans Relire
Panofsky, Paris 2008, p. 11-36.
— « Louis Courajod et Salomon Reinach à l’Ecole du Louvre : deux conceptions de
l’histoire de l’art », dans Les frères Reinach. Colloque réuni les 22 et 23 juin 2007 à
l’Académie des Inscriptions et Belles-Lettres, (dir. S. Basch, M. Espagne, J. Leclant), Paris
2008, p. 236-248.
— « Goethe et la société mondiale de l’art », dans Clartés. Grandes signatures, n° 3, juil./
août 2008, p. 62-73.
Études coraniques
Le cours
La leçon inaugurale ainsi que les trois premières heures de cours formaient une
unité méthodologique qui avait comme but de démontrer à travers l’exemple de
la sourate 85 Le Cercle zodiacal les diverses approches possibles du corpus et des
textes coraniques selon un « bricolage intellectuel » effectué par le philologue et
l’historien. D’abord, on situait et on définissait les études coraniques comme étant
une partie intégrante des études sémitiques. Donc, pas d’isolement splendide d’un
784 MANFRED KROPP
Ce petit texte de 9 versets s’est révélé emblématique et tout à fait pertinent soit
pour démontrer les particularités de la tradition et de l’interprétation musulmanes,
soit pour exemplifier l’éventail des méthodes à appliquer afin de trouver une
hypothèse plausible pour l’origine, la fonction première, la langue et le contenu
du texte coranique. L’image suivante donne le texte en traduction française selon
l’interprétation traditionnelle musulmane, suivie par la plupart des traducteurs
occidentaux ; en même temps, on pointe les flèches vers les points névralgiques de
cette interprétation.
naturellement. Il s’agit d’un énoncé bref et agité, très caractéristique des premières
révélations. Là, on trouve des menaces du Jugement dernier et de la punition
éternelle pour les incroyants, mais aussi de belles promesses de paradis pour les
croyants. Ce serait le caractère général ; le caractère particulier de ce texte, compris
comme étant une constatation du présent et du futur, se révèle comme étant un
coup, une explosion de colère intempérante d’un prédicateur ou d’un missionnaire
qui voit son message rejeté par une partie — voire la grande partie — de son
public. Comment cette explosion de rage a-t-elle été transmise à l’écrit ? On peut
s’imaginer qu’il s’agit du début d’une oraison bien construite et bien formulée, par
conséquent écrite comme un aide-mémoire ; de même, il faut s’imaginer une
longue suite et un long développement de cette oraison, improvisée sur le moment
et non transmise jusqu’à l’écriture. Il est fort possible que cette hypothèse s’applique
à bien d’autres passages similaires du Coran.
Disons dès maintenant que la sourate 85, telle qu’elle figure dans le corpus
coranique, est une pièce hétérogène — la rupture se trouve après le verset 9 —,
composée après coup par des rédacteurs postérieurs qui mettaient ensemble ces
différentes parties du fait de la rime identique et du contenu similaire en
quelque sorte.
Le genre littéraire de ce texte explique les trois serments du début, utilisés comme
un instrument rhétorique connu dans la littérature arabe pré-islamique, surtout dans
les sermons des présages et des poètes. Avec de grands mots énigmatiques, obscurs,
très souvent sans relation logique avec ce qui suit, on espère attirer l’attention du
public à un moment donné : cela a bien la fonction d’une « sonnette ». Alors, il ne faut
pas trop creuser pour trouver un sens à chaque mot, bien que dans le cas de la sourate
85 des concepts religieux aient déjà pris partiellement la place d’autres expressions
décrivant les grands phénomènes de la nature, de la terre et du ciel, etc. Mais il y a un
lien logique et grammatical entre cette introduction et ce qui suit. Comme on l’a déjà
dit : une promesse ou une menace doit suivre. Dans le cas de la sourate 85, c’est bien la
menace aux incroyants : « qu’ils périssent, les hommes de… » quoi ? !
alimenté. Mais dans quelle langue ? Même si le mot araméen gdodaa n’est pas
attesté pour le moment dans des textes religieux et parallèles au Coran, le sens de
la racine en araméen est, entre d’autres, « se lever (se dit de la poussière, d’une
flamme) ». Ce qui conduit au changement d’un point diacritique dans le texte
canonique et reçu ; et on lit, avec l’alif prostheticum requis par la phonétique arabe,
ujduud avec le sens requis « flamme embrasée ».
Notons au passage que le verbe qaCada « être assis » ne doit plus être compris
dans le sens concret (les persécuteurs sont assis autour du grand feu où ils
tourmentent leurs victimes), mais il a le sens grammaticalisé d’un verbe de temps
prolongé : « ils vont rester dedans (éternellement) ». Ce séjour est un témoignage
de ce qu’ils infligent aux croyants (l’orateur compris, ce qui explique sa rage) dans
le présent. Avec cela, on arrive au dernier point névralgique pour le moment.
En guise de conclusion:
conclusion:
Essai de reconstruction du prototype oral du texte écrit actuel
Les « points névralgiques » ont été traités durant les heures de cours, dans la
perspective des objectifs d’étude qui avaient été formulés, et d’une manière
exhaustive. Les résultats obtenus seront publiés sous la forme de divers articles
séparés. Dans ce rapport, on se limitera à un résumé de l’essentiel.
La tradition musulmane elle-même nous rapporte l’existence de doutes pour
savoir si cette pièce, comme les deux autres sourates brèves qui la suivent à la fin
de la rédaction canonique, et la première sourate, la faaTiHa — espèce de prière
introductive — font vraiment partie du texte révélé. Cela va dans un sens
d’interprétation qui a déjà été indiqué : il s’agit très probablement d’un petit texte
religieux, un slogan polémique tripartite (on le verra), mais anti-trinitaire. Un tel
texte peut être conçu dans des milieux chrétiens hétérodoxes, ou bien juifs, les
deux étant présents dans l’Arabie pré-islamique. Cette hypothèse est corroborée
par le fait que la tradition des lectures offre pour ces passages de véritables variantes
qui semblent bien être le reflet d’une tradition orale vivante, contrairement à tant
d’autres textes et passages coraniques, où, on l’a déjà dit, les soi disant variantes de
lecture et de tradition orale ne sont que le résultat du travail des philologues
postérieurs. Leur action s’exerçait sur un texte dépourvu de points diacritiques et
de voyelles, mais aussi dépourvu d’une véritable tradition orale, texte qu’ils ne
comprenaient plus et qu’ils cherchaient à expliquer de leur mieux et selon leurs
possibilités. Un premier résultat de reconstruction d’une version originale orale de
ce texte à partir des variantes attestées et selon les principes de la critique textuelle
790 MANFRED KROPP
est que le verset 2 serait une addition explicative postérieure qui se réfère au mot
problématique, dernier mot du verset 1 : aHad (ou bien eHad ?). Ce qui reste en
terme de structure est une formule en trois parties, bien construite et rimée sur la
rime -ad (typique pour les formules anti-trinitaires) car les mots walad « fils » ou
« engendrer », mais également le nombre aHad « un, unique » ont cette rime.
Là aussi, il s’agit d’un slogan facile à mémoriser et à scander dans le public contre
les adversaires religieux.
Le mot problématique aHad « un » du verset 1 et sa construction grammaticale
ont fait couler beaucoup d’encre depuis les premières études sur le Coran au début
de l’exégèse musulmane jusqu’aux travaux scientifiques occidentaux — le dernier
vers la fin du xxe siècle. Lorsqu’il est lu et compris comme le nombre arabe « un »,
il demeure des difficultés pour la construction syntaxique. Pour proposer
simplement la solution choisie, disons que le verset 1 est bien évidemment une
réminiscence du « SmaC Israel », la profession de foi juive en l’unicité de Dieu.
Ainsi, le mot en question pourrait se révéler être une intarsia — « ornement
étranger » — savante, l’hébreu eHad qui serait pris quasiment comme nom propre
de Dieu en arabe.
Le verset 2, on l’a déjà dit, est une addition postérieure à la formule originale et
se veut bien une explication et paraphrase de eHad en arabe et de sa construction.
C’est bien une explication du type obscurum per obscurior, qui a fait couler autant
d’encre que le mot qui devrait être expliqué, parce que le mot arabe Samad est très
rare et il fait partie plutôt du langage poétique ; son sens semble être « compact,
non-vide, dur, rocher, etc. », ce qui correspondrait au fond avec l’idée de l’unicité
de Dieu.
Le mot kufuc « égal » ouvre toute une série de questions, des quisquilia philologica,
concernant d’abord l’orthographe des textes coraniques et de l’arabe dit « classique »
et, ensuite, des questions qui mènent finalement au problème fondamental : de
quelle langue (arabe) s’agit-il dans les premiers manuscrits coraniques ayant une
orthographe purement consonantique, dépourvue de tout autre signe de lecture ?
On peut ici seulement faire allusion au problème de l’existence d’un hamza dans
cette langue coranique, l’origine de l’alif otiosum et son usage, ainsi que la question
de l’existence ou non d’une flexion désinentielle dans cette langue, autant de
questions qui réclament une réponse avant qu’on puisse interpréter avec certitude
le seul mot kufuc et sa fonction dans la phrase.
Notons, en passant, que la construction de la négation lam (verset 3) avec une
forme du verbe préfixée pour le passé négatif, qui est retenue comme étant hautement
littéraire et classique en arabe moderne, et qui ne trouve pas de correspondant dans
les langues arabes parlées modernes, est bien attestée non seulement dans les
premières inscriptions en langue arabe (par exemple celle d’en-Nemara, 328 A.D.),
mais aussi dans des textes arabes chrétiens du viiie siècle (fragment des psaumes
bilingues de Damas) dans lesquels la langue n’est certainement pas un arabe classique
et lettré, mais une sorte de vernaculaire local.
CHAIRE EUROPÉENNE 791
• Points névralgiques: Eulogie prècede sa référence et se réfère à une des qualités de Dieu, qui, en outre,
est exprimée par un mot étrange dans le contexte (jadd bonheur)!
• Reconstruction:
Araméen /syriaque D / R
deux lettres identiques
à distinguer par des points diacritiques
CHAIRE EUROPÉENNE 793
Quant à la substitution des mots pour la sourate 19, 97-98, on remplace rikz
« le murmure » par dhikr « mémoire » et, en effet, le contexte l’exige parce que
l’effacement de la mémoire est une deuxième mort, pire que la mort physique !
— et ladd « les querelleurs » remplacé par Cadd « en (grand nombre) », du point
de vue stylistique, est beaucoup mieux dans son contexte.
Reste, toujours dans les mêmes versets, un problème d’une autre nature, mais
qu’on a déjà vu en traitant la sourate 85 (le mot naqama) : le calque linguistique.
Sans pouvoir entrer trop dans les détails, il faut remarquer que des mots
fréquemment utilisés dans le Coran et interprétés par « faciliter, éclaircir, élucider,
etc. », font bien partie d’une manière métaphorique commune aux langues
sémitiques. En effet, selon le contexte, tous ces mots veulent simplement dire
« traduire ».
Certes, cette interprétation, naturelle pour un linguiste sémitisant, sera
difficilement acceptable dans le monde musulman. Rappelons-nous que chacune
des milliers et des milliers de récitations coraniques quotidiennes dans le monde
entier sont introduites par la phrase stéréotypée: maa tayassara min …, « ce qui a
été facilité (par Dieu) dans (le Coran) ». Cette phrase, avec son mot clé yassara /
tayassara (aussi en sourate 19, 98), doit être comprise dans bien des cas, dans le
contexte coranique, comme « traduire ». Voici le résultat pour l’interprétation et
la traduction du Coran de ce qui précède :
ordre ! (Au début de l’usage de cette manie, il était suffisant de poser le cellulaire
« discrètement » sur la table.) C’est une conversation qui se déroule avec
l’interlocuteur de l’autre côté de la chaîne de communication électronique, mais
c’est aussi une conversation qui a pour deuxième but (souvent le premier !)
d’impressionner les gens qui sont autour et qui sont obligés d’écouter la conversation
« en cachette ». Un autre exemple est le discours parlementaire. Certes, le discours
parlementaire s’adresse formellement aux collègues dans le parlement, le locuteur
parle et discute avec eux. Mais l’autre aspect pragmatique de ce discours, et peut-
être le plus important, concerne les médias et donc un large public non déterminé,
le peuple en tant qu’il est intéressé par la politique. Ces doubles et multiples
fonctions d’un discours changent profondément sa nature, son style, son lexique
et naturellement aussi sa réalisation concrète (l’énonciation). Le discours religieux,
même s’il partage des éléments importants avec ceux qu’on vient de décrire
brièvement, est quelque peu différent et plus compliqué parce que des éléments de
fiction (on pourrait dire plus respectueusement des éléments d’inspiration, de
vision ou quelque chose de similaire), non seulement dans le contenu, mais aussi
dans la nature de l’acte de parole, de ses acteurs et de leurs rôles respectifs, agissent
ici et interviennent pour une grande part. Et avec ces auteurs, on a affaire à des
personnages complexes et hors du commun dont l’étude et le déchiffrement des
caractéristiques n’exigent pas seulement la participation des philologues, des
historiens et des linguistes pour étudier et pour analyser les énoncés (textes écrits
et transmis), mais aussi l’essai, même à une distance de presque 1 500 ans, de
passer par une étude de l’énonciation, c’est-à-dire l’étude des circonstances et des
situations qui ont produit ces énoncés, en mettant ces éléments en relation avec la
personne qui a effectué la première mise en forme du discours. Pour atteindre cet
objectif, il faut accomplir un travail interdisciplinaire en liaison avec des
psychologues et psychanalystes.
Pour le discours religieux, dans bien des cas, il faut distinguer trois instances
réparties sur deux axes. Il y a la source du message (Dieu, les anges, etc.), le
destinataire particulier du message, à savoir le prophète, et les destinataires de la
prédication du messager (au fond naturellement les destinataires indirects du
premier message). L’axe vertical, de haut en bas, est caractéristique d’un discours
entre une source et un messager. L’axe horizontal est propre à la relation entre le
messager et le peuple des croyants.
Le premier acte de parole qui est annoncé est rendu public parce qu’il est un
élément nécessaire à la légitimation du messager. Mais souvent ce sont des récits
courts (« J’ai eu la vision et l’ange m’a dit, etc. »), ou des allusions (Jésus : « Comme
le père m’a envoyé je vous envoie aussi, etc. »). Le message prend la forme adaptée
au public et s’adresse directement à lui.
Le cas du Coran est différent. Pour le dire d’une manière brutale : les destinataires
du message sont déclassés en voyeurs écoutant en cachette les secrets d’un acte de
parole divine qui est destiné, du moins dans certaines de ses parties, au medium
796 MANFRED KROPP
Les séminaires
fois, soit une explication plausible de la forme arabe injiil à partir de l’éthiopien
wängel, soit une nouvelle lecture du terme technique pour l’AT en yoriit, parallèle
exact de l’éthiopien oriit. Ce dernier, comme tant d’autres termes dans le langage
religieux de l’ancien éthiopien, dérive à son tour de mots étrangers — en général
grecs ou araméens. Et c’est ainsi que les zones d’influence sur le Coran (et la langue
arabe en général) se croisent et se rejoignent. Il est, et il sera souvent, bien difficile
de décider si un emprunt lexical en arabe est passé directement d’un dialecte
araméen ou bien a fait un détour à travers l’autre rive de la mer Rouge par
l’éthiopien. La forme phonétique peut être décisive de temps à autre. Sinon il faut
connaître — et hélas nos sources à disposition ne le permettent pas toujours — les
circonstances historiques de chaque cas d’emprunt particulier.
Avec la discussion de la lecture tawraat ou bien yoriit, on a ouvert un autre bloc
thématique très épineux et vraiment des quisquilia philologica : l’orthographe des
premiers manuscrits coraniques et son développement, que l’on peut partiellement
suivre dans les témoins matériels. Il s’agit surtout de la question des différentes
matres lectionis utilisées pour noter la voyelle longue « a » (médiane), qui n’est pas
notée dans la première étape du développement de l’écriture coranique. Mais là
aussi, la perspective du problème, qui semblait apparaître tout à fait comme une
question relevant de « l’art pour l’art », change rapidement quand le résultat d’une
telle étude repose sur la lecture d’un mot ou d’un terme technique clé. Un exemple :
cela fait bien une différence dans nombre de textes coraniques si on lit baraacaa
« immunité, exemption », concept et mot purement arabes, ou bien beriit (hébreu)
ou barayt(aa) (araméen) « pacte (surtout de Dieu avec les hommes) ». Les résultats
de ce bloc thématique sont en train d’être discutés et élaborés en contact direct
avec des collègues et chercheurs spécialisés en la matière.
Un troisième bloc abordait une partie plutôt anecdotique dans divers passages
coraniques. Il s’agit des scènes reprises de la vie de l’auteur présumé de ces textes
et de ses relations avec des personnes juives. Un trait récurrent dans ces anecdotes,
racontées non sans rage et indignation par l’auteur, est la moquerie exercée par les
juifs qui profitent de la proximité de leur langue (sacrée) hébraïque, ou bien
araméenne (vernaculaire), avec l’arabe pour forger des jeux de mots qui auraient
bien pu insulter le personnage visé, qui ne se prive pas de réponses dures.
L’hypothèse de travail posant qu’il s’agirait en effet de moqueries linguistiques
réciproques a ainsi permis de résoudre une énigme d’exégèse coranique (Q 4, 46)
et a projeté un peu de lumière aussi sur les mécanismes (très humains) du progrès
dans les études et la recherche. Le premier pas vers la solution proposée par moi-
même, qui va bientôt être publiée dans un journal scientifique, a été fait par un
savant autrichien il y a plus de cent ans maintenant dans son compte rendu, plein
d’humour du reste, d’une thèse de doctorat d’un rabbin juif sur Mohammed et le
Coran (Aloys Sprenger, cr de J. Gastfreund, Mohamed nach Talmud et Midrasch.
Berlin, 1875. Dans : ZDMG, 25, 1875, 654-659. On laisse le lecteur imaginer
pourquoi ces lignes ont été oubliées si vite : l’œuvre volumineuse de Sprenger sur
Mohammed, l’islam et le Coran, mise à l’écart par la science pendant longtemps,
CHAIRE EUROPÉENNE 799
Articles
The Ethiopic Satan = Šaytān and its Quranic successor. With a note on verbal stoning.
In : Christianisme Oriental. Kerygme et Histoire. Mélanges offerts au père Michel Hayek.
Coordination Charles Chartouni. Paris, 2007, 331-341.
Äthiopische Arabesken im Koran : afro-asiatische Perlen auf Band gereiht, einzeln oder
zu Paaren, diffus verteilt oder an Glanzpunkten konzentriert. In : Schlaglichter. Die beiden
ersten islamischen Jahrhunderte. Groß, Markus und Karl-Heinz Ohlig (Eds.). Berlin :
Schiler, 2008. (Inaarah. Schriften zur frühen Islamgeschichte und zum Koran. 3.)
384-410.
Monumentalised Accountancy from Ancient Ethiopia : The Stele of Maryam Anza.
Dans : 2nd International Littmann Conference at Aksum — 100 Years German Aksum
Expedition (DAE) 6.-10. Januar 2006 (Sous presse).
Comptes rendus
Wolf Leslau, Reference Grammar of Amharic. Wiesbaden, 1995. Dans Oriens Christianus.
91, 2007, 252-254.
Encyclopaedia Aethiopica. Wiesbaden : Harrassowitz. Volume 1 : A-C, 2003, Volume 2 :
D-Ha, 2005. Dans Oriens Christianus. 91, 2007, 250-254.
tradition : « pierre précieuse », « épée ardente » (de Dieu) ou bien « Saint Esprit ».
Ce mot et nom magique d’origine « barbare » a fait carrière, jusqu’à entrer dans la
liturgie, et il est invoqué lors de la consécration de l’euchariste.
38th Seminar for Arabian Studies. London from Thursday 24th — Saturday
26th July 2008. Intervention « People of powerful South Arabian kings or just
“people like others” » (sous presse). Résumé :
One recurring theme of the Qur’an narrates the fates of peoples called upon by
God’s messengers, refusing the divine call to confess His unity and suffering the
subsequent divine wrath and punishment. There are proper names given to some
of these people, their regions or towns as well as to some of the messengers, while
others remain anonymous. Behind these proper names are clearly known Biblical
figures as Fir’awn (Pharao), Lut (Loth) etc. However, some of the messengers, e.g.
Salih and Hud, and peoples, e.g. ‘Ad, are commonly thought to be part of an
Arabian historical or legendary heritage. Other proper names have remained
ambiguous or unclear since the beginning of the study of the Quranic texts, despite
the efforts of outstanding Muslim commentators.
Thus I do not intend to go astray or get lost in the « thicket » (al-Ayka) but try
to give a different meaning to the « people of the Tubba » interpreted in the
Muslim tradition as the powerful South Arabian, especially Sabaean or Himyarite,
kings. Tradition takes it as a proper name in the sg. to which a pl. tababi’a is
formed. And later « national » Yemenite tradition preserves the memory of the
deeds and misdeeds of these kings. In general the allusion made twice in the
Qur’an to the « people of the Tubba’ ? » is accepted as a vague historical memory
of invasions or campaigns of South Arabian kings and armies into Central and
Northwestern Arabia. But one gets the feeling that these stories (rather than the
Tubba’ !) are intruders and stand out from most other attested peoples of Biblical
origin. Other allusions to South Arabia and Yemen, besides the story of Queen
Bilqis (this one also tributary to Biblical and Misdrashic sources), are likewise
hypothetical (Sura 85 ; Sura 105).
There is an alternative way to interpret the presumed proper name. It may well
originate in a common Arabic and can be explained by a common morphological
pattern (participle or adjective in the plural). It would then be an attribute to the
preceding qawm « people », an expression with several parallels at least as far as
morphology and syntax are concerned. What remains of the common explanation
is in the semantic field of the Arabic root, where, according to the context of the
two passages, qawm tubba ? refers to « people who follow their example », « people
who stick to them », « people of their kind ».
The proposed method is not new, but it needs to be applied more consistently
in Quranic studies in order to gain new insights into the history of its text and to
steer interpretation away from age-old beaten tracks.
Chaire internationale
Fondements de la neuroénergétique
énergétique de 2,5 × 109 molécules d’ATP par neurone par potentiel d’action, ce
qui correspond à peu près à un coût de 2,5 fois inférieur à celui déterminé chez le
rongeur [4].
met en jeu les astrocytes, le recaptage de glutamate par ces cellules et la production
de lactate à partir de glucose importé depuis les capillaires, qui peut ensuite être
utilisé comme substrat énergétique par les neurones [6].
L’utilisation de souris chez lesquelles le gène codant pour le transporteur du
glutamate glial a été invalidé a démontré clairement, qu’en l’absence de cette
molécule, le couplage entre l’activité synaptique glutamatergique et l’utilisation de
glucose n’a pas lieu [7]. Des expériences conduites par l’utilisation d’oligonucléotides
antisens ciblés contre le transporteur au glutamate glial ont donné des résultats
analogues [8]. Les expériences ont été conduites dans les deux cas dans la voie
somato-sensorielle qui connecte les vibrisses aux barrils.
élevée que le cerveau fait en condition dite basale. Diverses hypothèses sont
évoquées. La première est celle d’un équilibre dynamique entre excitation et
inhibition. Il se peut, en effet, que l’activation induite par le glutamate au niveau
de circuits particuliers, soit contrecarrée par une activité inhibitrice prépondérante.
La sortie de ce circuit, dans lequel excitation et inhibition s’annulent, pourrait être
nulle du point de vue électrophysiologique. Toutefois, les mécanismes cellulaires
et moléculaires liés au couplage métabolique précédemment discuté, vont être
opérationnels même si la sortie électrophysiologique est nulle. Dès lors, même sans
activation particulière détectable électrophysiologiquement, de l’énergie sera
consommée. Le deuxième mécanisme évoqué pour rendre compte de cette
consommation basale élevée, est l’activité hors ligne ou activité de post-processing
de l’information, liée à la plasticité synaptique. En effet, le cerveau ne fonctionne
pas uniquement en ligne lors de l’activation, mais des processus de traitement de
l’information et de plasticité sont en action en permanence. Cette activité hors
ligne consomme également de l’énergie.
Des observations récentes de Raichle et collaborateurs, qui discutent la question
de cette activité basale élevée, ont été évoquées [29]. En effet, il existe certaines
régions du cerveau dont l’activité augmente lorsque le sujet n’est pas concentré sur
une tâche particulière. Par ailleurs, ces mêmes régions, lorsqu’une activité spécifique
est mise en jeu, qu’elle soit sensorielle ou motrice, diminuent leur activité [30].
Raichle a défini ce système comme un « default mode » donc comme un mode par
défaut, dont la signification reste encore à définir. Le mode par défaut concerne
des régions corticales médianes, notamment le cortex préfrontal médian, le cortex
cingulaire postérieur médian, le précuneus et certaines zones du cortex pariétal,
latéral et médian. De manière fort intéressante, ce système présente des caractéristiques
développementales particulières avec notamment une hypoactivité, voire une
absence, chez des enfants en dessous de 10 ans [31] ; c’est également un des systèmes
qui présentent des diminutions importantes lors de la maladie d’Alzheimer [31].
Colloque
Michel Le Moal :
« De l’homéostasie aux processus opposants : une dynamique psychobiologique ».
Alim Benabid : « Du Parkinson à l’humeur, le chemin questionnant du neurochirurgien ».
Daniel Widlocher : « Neuropsychologie de l’imaginaire ».
Lionel Naccache : « De l’inconscient fictif à la fiction consciente ».
Eric Laurent : « Usages des neurosciences pour la psychanalyse ».
Publications
Rappaz B., Barbul A., Emery Y., Korenstein R., Depeursinge C., Magistretti P.J.,
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confocal microscopy, and impedance volume analyzer. Cytometry A. 2008 Jul 9. [Epub
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Badaut J., Brunet J.F., Petit J.M., Guérin C.F., Magistretti P.J., Regli L. Induction
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Commentaire, chapitre
Magistretti P.J., Allaman I. Glycogen : a Trojan horse for neurons. Nat Neurosci.
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Magistretti P.J. Brain Energy Metabolism. In : Fundamental Neuroscience, 3rd Edition.
Squire L., Berg, D., Bloom, F.e., du Lac S., Ghosh A., Spitzer N. Eds, Academic Press,
2008, 271-293.
2008
— « Mind your Brain » Symposium, Lausanne.
— 100th meeting of the Swiss Neurological Society.
— Club cellules gliales, Paris.
818 PIERRE MAGISTRETTI
2007
— École Normale Supérieure, Paris.
— 12th Neuronal degeneration workshop, Verbier.
— Acettepe University, Ankara.
— Wallenberg Symposium, Stockholm.
— International Meeting of ESCAP (European Society for Child and Adolescent
Psychiatry), Florence.
— VIII European Meeting on Glial Function, London.
— Glaxo Smith Kline, Harlow.
— Association Psicoanalitica de Argentina, Buenos Aires.
— London Psychoanalytical Society, London.
— Yale University, Department of Physiology.
— Mount Sinai School of Medicine, Department of Neuroscience.
— Phyloctetes Center, New York Psychoanalytical Society, New York.
— University of Pennsylvania, Department of Pediatrics.
— University of Ancona, Annual Lecture, Department of Neuroscience.
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CHAIRE INTERNATIONALE 819
M. Gérard Berry
Membre de l’Institut (Académie des sciences)
et de l’Académie des technologies,
Professeur associé
1. Introduction
Cette situation troublante doit être opposée à celle de la fin du 19e siècle et du
début du 20e, où les grands progrès scientifiques considérables de l’époque étaient
popularisés et vulgarisés dans d’excellents livres et revues. Ayant été lecteur assidu de
ce genre d’ouvrage, j’ai pensé que la même approche « leçon de choses » s’appliquerait
parfaitement au numérique, à condition de trouver le bon niveau de description.
J’avais déjà pratiqué des conférences ou des enseignements selon ce point de vue en
plusieurs circonstances. J’en citerai deux : l’association « Art Science Pensée » de ma
ville de Mouans-Sartoux, et l’école Montessori des Pouces Verts dans la même ville.
Ces expériences m’ont permis d’entrevoir ce que les gens ne comprenaient pas, et
822 GÉRARD BERRY
3. Cours algorithmes
s’intéresse aussi aux machines parallèles, qu’elles soient synchrones comme les
circuits digitaux, ou asynchrones comme les supercalculateurs multiprocesseurs et
maintenant les processeurs multicœurs.
Il existe des milliers d’algorithmes pour résoudre des milliers de problèmes de
natures extrêmement variées : traitement de textes (recherche, orthographe, etc.),
traitement d’images, de sons et de films (amélioration, compression, analyse,
recherche d’objets, etc.), traitement d’objets géométriques (imagerie médicale,
synthèse d’image, conception assistée par ordinateur, robotique), calcul scientifique
et mathématique, gestion de communications et de réseaux, contrôle en temps-
réels de transports ou d’usines, etc. Des applications comme l’imagerie médicale
utilisent une conjonction d’algorithmes complémentaires de types divers. Cette
variété n’exclut pas une théorie générale : la plupart des algorithmes reposent sur
un petit nombre de principes centraux illustrés dans le cours : dichotomie (diviser
pour régner), procéder récursivement ou itérativement, exploiter l’aléatoire, etc.
calcul de la retenue intermédiaire ; quand celle-ci est connue, les deux poids forts
possibles sont déjà disponibles. Le gain de temps est considérable, mais au prix d’une
perte en espace, puisqu’on utilise trois sous-additionneurs parallèles au lieu des deux
strictement nécessaires, et d’une dépense supplémentaire d’énergie, puisque l’un des
deux résultats de poids forts pré-calculés sera simplement jeté aux oubliettes.
4. Cours circuits
Les circuits électroniques sont le moteur du monde numérique. Depuis les années
1970, ils se sont développés suivant la loi de Moore 1 : le nombre de transistors sur
une puce double tous les 18 mois. Cette loi exponentielle est due aux progrès de la
physique des transistors et à l’amélioration continuelle des techniques de fabrication.
Elle a des conséquences étonnantes : un microprocesseur comportait quelques
milliers de transistors en 1975, quelque centaines de milliers en 1985, une dizaines
de millions en 1995, et un milliard en 2005, tout cela à prix décroissant. Elle se
poursuit pour l’instant, et sera probablement freinée plus par des considérations
énergétiques et économiques que par des problèmes physiques de miniaturisation.
Mettre autant de transistors sur une puce permet de fabriquer des circuits
hétérogènes appelés systèmes sur puce (System on Chip ou SoCs en anglais), qui
intègrent des processeurs de calcul, des accélérateurs (graphique, cryptage, etc.),
des mémoires, des processeurs d’entrées/sorties, des émetteurs récepteurs radio,
tous reliés par des réseaux hiérarchiques. Il s’en fait des milliards par an, et le
volume ne cesse d’augmenter. Ils se trouvent dans les objets de tous genres :
téléphones, voitures, trains, avions, vélos, maisons, prothèses médicales, jouets, etc.
On prévoit qu’il y aura de l’ordre de mille circuits par humain d’ici une quinzaine
d’années, la plupart reliés en réseau.
tester un à un tous les circuits fabriqués, car un seul problème de fabrication (par
exemple, une seule poussière) suffit à rendre un circuit inopérant. Les tests sont
faits à partir de longues séquences fournies par les outils EDA.
La fabrication est de fait très dissociée de la conception : les outils EDA définissent
exactement ce qui doit être fabriqué et testé, et le fabriquant n’est pas du tout
concerné par ce que fait le circuit.Un problème majeur est que le prix de l’usine
augmente considérablement avec chaque génération, et atteindra bientôt des
dizaines de milliards d’euros. Bien que l’objet qu’elle fabrique soit l’un des plus
légers, l’industrie est une des plus lourdes !
nom d’assembleurs. Un tournant a été apporté dans les années 1950 par FORTRAN
(Formula Translator), qui a augmenté le niveau d’abstraction en utilisant directement
les expressions mathématiques comme (A + B) ∗C pour programmer, avec comme
primitives l’affectation de type X = (A + B) ∗C, la mise en séquence d’instructions,
les boucles DO, et l’appel de fonctions définies elles-mêmes par des programmes.
Il faut alors un programme appelé compilateur pour traduire ces programmes de
plus haut niveau en langage machine. Ce schéma est toujours valable.
déterminisme. S’il est naturel pour les systèmes embarqués, il ne l’est pas pour
d’autres applications parallèles. Par exemple, on ne peut évidemment pas demander
à un moteur de recherche de répondre toujours de la même façon à une question
donnée, puisqu’il doit au contraire se mettre à jour en continu.
Les langages Lustre (CNRS Grenoble) et Esterel (Ecole des Mines et INRIA
Sophia-Antipolis) sont développés et commercialisés par la société de l’auteur, avec
leurs ateliers logiciels complets : éditeurs, simulateurs, générateurs de code,
vérifieurs, etc. Ils sont utilisés par de nombreuses sociétés industrielles dans les
domaines avioniques, ferroviaires, nucléaire, industrie lourde et électronique grand
public. A titre d’exemple, plusieurs millions de lignes de code générées par SCADE
assurent des fonctions essentielles dans l’Airbus A380 : pilotage, commande des
réacteurs, freinage, etc.
CHAIRE D’INNOVATION TECHNOLOGIQUE — LILIANE BETTANCOURT 835
3. Joseph Sifakis, du CNRS Grenoble, a obtenu le prix Turing 2007 pour la co-invention du
model-checking.
CHAIRE D’INNOVATION TECHNOLOGIQUE — LILIANE BETTANCOURT 837
8. Cours réseaux
Les réseaux connectent les machines à informations entre elles. Ils ont été introduits
dans deux mondes différents : celui des télécommunications, passé au numérique
dans les années 1960/70, et celui des ordinateurs. Les réseaux de télécommunication
avaient alors pour seul objectif la transmission de la voix, avec multiplexage des
communications sur les fils. Leur développement a permis des progrès techniques
essentiels en matière de transmission d’informations, dont la transmission par
paquets de bits, maintenant généralisée. Les réseaux d’ordinateurs avaient un objectif
initial bien différent : la transmission de fichiers entre machines distantes. Un
tournant a été l’introduction publique d’Internet au milieu des années 1990, après
son expérimentation chez les militaires et les chercheurs. Ce réseau des réseaux a très
vite gagné en capacité, et des applications de transfert de voix y sont apparues dans
les années 2000. Elles balayent maintenant les télécommunications fixes. Dans le
même temps, l’industrie des télécommunications a évolué vers les services mobiles
(GSM, etc.), et fourni des entrées rapides sur Internet ADSL et le câble. Cette histoire
complexe repose sur des bases scientifiques et techniques que nous décrivons ici.
transmettre sur une ligne ayant un rapport signal sur bruit donné. La théorie des
codes correcteurs fournit le moyen de corriger les erreurs. Son principe est d’ajouter
au message des bits redondants, qui permettent de reconstituer le message initial
même altéré par la transmission. La question est de savoir combien de bits il faut
ajouter en fonction du rapport signal/bruit et comment les calculer. De nombreux
codes aux propriétés mathématiques diverses ont été proposés. La TNT (Télévision
Numérique Terrestre), qui représentait l’état de l’art en 1994 quand sa norme a été
définie, utilise deux codes successifs. On savait alors ce double codage non optimal
au sens de Shannon, mais on ne pensait pas pouvoir faire mieux.
L’introduction des turbocodes par Claude Berrou et Alain Glavieux dans les
années 1990 a résolu le problème en pratique. Au lieu de séquentialiser les deux
codes, ce qui est asymétrique, on les met en parallèle. Au décodage, chaque
information apportée par un code aide l’autre, comme toute découverte sur une
horizontale ou une verticale d’un problème de mots croisés aide l’autre direction.
Cette restauration de la symétrie permet d’atteindre pratiquement la limite de
Shannon, et les turbocodes sont en voir de généralisation.
Les réseaux locaux ont une portée de l’ordre de la centaine de mètres. On les
trouve dans les bâtiments, les usines, les automobiles, trains ou avions. Leurs temps
de transmissions élémentaires sont faciles à borner, ce qui est impossible dans les
réseaux globaux.
La question centrale est de régler les conflits entre stations désirant parler sur le
réseau, qui produisent des collisions de messages. La première solution est d’éviter
les collisions. Dans les réseaux à jetons, on fait tourner un jeton virtuel unique
entre les stations, sous forme de message spécial ou de bits spéciaux dans les
messages, et seule la station qui possède le jeton peut parler. C’est apparemment
simple, mais insérer dynamiquement une station dans le réseau peut être complexe,
et connecter deux réseaux l’est encore plus car il faut tuer un des deux jetons. Une
autre technique pour éviter les collisions est de discriminer a priori les émetteurs
en leur attribuant une fenêtre temporelle précise, déterminée par exemple par une
station de base à l’aide de tirages aléatoires. C’est la technique TDMA utilisée dans
le téléphone GSM.
Les réseaux à collision comme Ethernet acceptent les collisions entre stations
parlant sur le réseau. Une station détecte une collision en comparant ce qu’elle
émet avec ce qu’elle entend. Elle arrête alors son émission normale et émet une
trame de brouillage détectable par les autres stations. Chaque station émettrice
attend un temps aléatoire avant de reparler, avec l’idée que l’aléatoire va séparer les
émetteurs et supprimer les collisions. Si une collision se reproduit immédiatement,
chaque station double la taille de sa fenêtre aléatoire, etc. Une méthode plus
efficace serait que chaque station tire au sort si elle reparle immédiatement ou pas,
CHAIRE D’INNOVATION TECHNOLOGIQUE — LILIANE BETTANCOURT 841
9. Cours images
Le cours image s’est composé d’une courte présentation suivie de trois séminaires
décrits ci-dessous.
photographie. L’expansion dans le temps est plus complexe, car elle demande une
interpolation dynamique fine entre les images données pour créer les images
manquantes, sous peine de sautillements désagréables. S. Mallat a présenté des
techniques d’estimation de mouvement pixel par pixel, bien plus fines que les
techniques classiques qui opèrent sur des blocs, et a montré comment les implémenter
efficacement sur des circuits dédiés. Il a également montré les faiblesses des
algorithmes de compressions classiques de type MPEG et comment les éliminer à
l’aide d’une nouvelle transformée en bandelettes.
indispensable pour ne pas être noyé par les détails. Dans le premier exposé, Philippe
Kourilsky, professeur au Collège de France, a analysé comment cela pourrait se faire
pour le système immunitaire vu comme un grand système d’informations. Mais le
système immunitaire un très grand système d’informations faisant intervenir des
milliers de processus et de médiateurs dans de nombreux types de communications,
et sa compréhension informationnelle prendra certainement beaucoup de temps.
L’informatique fournit de nouveaux moyens d’étude des processus biologiques.
Le séquençage du génome est un exemple bien connu. Le second exposé, par
François Fages, directeur de recherches à l’INRIA, en a présenté un autre : l’étude
des réactions chimiques dans la cellule au moyen de techniques originellement
introduites pour la vérification formelle des circuits et programmes (cf. 7.2). L’idée
est de présenter ces réactions dans le cadre conceptuel de la machine chimique
(cf. 3.5) devenue ici BIOCHAM, d’instrumenter les équations de cette machine
avec des lois cinétiques probabilistes, et de faire calculer des systèmes de résolution
de contraintes Booléennes ou numériques pour répondre à beaucoup de questions
inaccessibles à l’étude manuelle sur les chaînes réactionnelles.
Le cerveau est évidemment un des organes les plus fascinants au niveau bio-
informatique. Alexandre Pouget, professeur à l’université de Rochester et en année
sabbatique au Collège de France, a exposé la nouvelle vision des mécanismes
globaux de calcul dans le cerveau fournie par les neurosciences computationnelles.
A travers une série d’exemples, il a montré que le cerveau fait essentiellement des
évaluations probabilistes rapides et des choix assez simples, en particulier pour les
activités motrices demandant de prendre des décisions non-triviales. Le cerveau
brille également par ses capacités d’apprentissage, dues à la fois à la modification
permanente des connections synaptiques en fonction des sollicitations externes et
à l’ajustage permanents des critères d’évaluation probabilistes employés. La
modélisation informatique de ces mécanismes apportera des contributions
fondamentales à leur compréhension et à leur simulation informatique.
L’après-midi du colloque a été consacrée à des sujets plus directement
informatiques. Alberto Sangiovanni-Vincentelli, professeur à Berkeley et directeur
du GIE Parades à Rome, a présenté l’évolution inéluctable du Web vers l’intégration
des objets physiques. D’ici une quinzaine d’années, il pourrait y avoir de l’ordre d’un
millier d’objets informatisés et mis en réseau par être humain. Le Web comptera
alors des téra-clients (téra = 1012), qui iront des objets audio-visuels classiques aux
prothèses médicales, en passant par tous les composants des maisons ou des systèmes
de transports (cf. 6). Les pucerons électroniques correspondants effectueront des
fonctions de surveillance, de conduite, d’optimisation, et de communication. Cette
nouvelle extension du monde numérique demandera une nouvelle approche
pluridisciplinaire, intégrant informatique, nanotechnologies, et biotechnologies, et
donc de nouvelles techniques de constructions d’objets et de systèmes.
Martin Abadi, professeur à l’Université de Santa Cruz (Californie) et chercheur
à Microsoft Research, a enfin présenté les problèmes posés par la sécurité des
846 GÉRARD BERRY
12. Conclusion
Ce cours général sur le monde numérique a représenté un défi important. Il n’était
évidemment pas simple de présenter de façon pertinente les sujets individuellement
très vastes de chacun des cours en deux heures. Mais j’ai jugé que c’était indispensable,
car il faut absolument tordre le cou à l’ignorance sur un sujet qui façonne autant
notre vie quotidienne, et donc faire mieux connaître la science informatique.
Bibliographie
G. Berry, Pourquoi et comment le monde devient numérique, Fayard/Collège de France,
2008.
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L. Zaffalon, Programmation synchrone de systèmes réactifs avec Esterel et les SyncCharts,
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G. Dowek, Les métamorphoses du calcul, Le Pommier, 2007.
J.-M. Sepulchre, DxO pour les photographes, Eyrolles, 2008.
J. Stern, La science du secret, Editions Odile Jacob, 1998
Publication
G. Berry, Pourquoi et comment le monde devient numérique, Fayard/Collège de France,
2008.
PROFESSEURS HONORAIRES
ACTIVITÉS, PUBLICATIONS
M. Yves Bonnefoy
Études comparées de la fonction poétique, 1981-1993
1. Livres
— Raymond Mason, la liberté de l’esprit, Galilée, 2007, 100 p.
— Il grande spazio (Le grand espace), édition bilingue (traduction en italien de Feliciano
Paoli), suivi d’un entretien avec Daniel Bergez et d’un essai de Flavio Ermini, Bergame,
Moretti & Vitali, 2008. 128 p.
— Le Grand Espace, Galilée, 2008, 72 p.
— La Longue Chaîne de l’ancre, Mercure de France, 2008, 170 p.
— Traité du pianiste et autres écrits anciens, Mercure de France, 2008, 194 p.
— Shakespeare, Les Sonnets précédés de Vénus et Adonis et du Viol de Lucrèce, présentation
et traduction d’Yves Bonnefoy, Poésie/Gallimard, 2007, 348 p.
— Aller, aller encore, avec deux eaux-fortes de Masafumi Yamamoto, Chênes-Bougerie,
Cercle des Amis d’Éditart, 2008, 12 p.
— Farhad Ostovani et le livre, éd. Kimé, les Cahiers de Marge, n° 5, Paris, 2008, 96 p.
— « Le regard d’Yves Bonnefoy » (titre ajouté par l’éditeur), dans Charles Auffret,
M. Archimbaut et J.-C. Auffret dir., Somogy éditions d’art, 2007, p. 14-43.
— « Au rendez-vous des amis », « Apparentements et filiations », « Lettre du 26 octobre
2001 », « Paroles d’introduction (2002) », dans La conscience de soi de la poésie, colloques de
la Fondation Hugot du Collège de France (1993-2004) sous la direction de Yves Bonnefoy,
Le Seuil, coll. Le Genre humain, 2008, 432 p.
— « Dessins d’Hélène Garache », dans Conférence, n° 25, automne 2007.
— « Les Caprices, nuit et lumière », dans Goya, Les Caprices, & Chapman, Morimura,
Pondick, Schütte, Paris, Somogy/Lille, Palais des Beaux-Arts, 2008, p. 11-13.
— « Ceux que tentent la religion devraient réfléchir à la poésie » (titre ajouté par l’éditeur),
entretien avec Natacha Polony, Le Magazine littéraire, n° 474, avril 2008, p. 92-96.
— « Nous sommes de simples étincelles » (titre ajouté par l’éditeur), entretien avec
Didier Jacob, Le Nouvel Observateur, n° 2277, 28 juin 2008, p. 91-92.
— « La traduction au sens large. A propos d’Edgar Poe et de ses traducteurs », dans
Littérature, n° 150, juin 2008 (Yves Bonnefoy, traduction et critique poétique), p. 9-24.
— « Beelden van het absolute » (L’absolu et ses effigies) dans Nexus, 2008, n° 50,
traduction en neerlandais par Rokus Hofstede, p. 465-477.
— « Enzo », dans Yves Bonnefoy, Lucio Mariani, Rosanna Warren, Per Enzo, Edizioni
dell’Elefante, Rome, 2008, pp. 5-10.
— « Ut musica pictura » dans Farhad Ostovani, Ut musica pictura, Morat Institut für
Kunst und Kunstwissenschaft, Fribourg-en-Brisgau, 2008, p. 3-8.
— « Critique et poésie », dans Poétique et ontologie, colloque international Yves Bonnefoy,
Bordeaux, 2007, Ardua et William Blake & Co éd., p. 15-19.
3. Traductions en volume
— Oblà Prkna (Les Planches courbes), Prague, Opus 2007, trad. en tchèque et postface
de Jiri Pelán, 136 p.
— Ukrivljene deske (Les Planches courbes), trad. en slovène par Nadja Dobnik et Ivan
Dobnik, Poetikonove Lire, Ljubljana, Hisa poezije, 2007, 128 p.
— Kép és jelenlét, Yves Bonnefoy válogatott írásai, Budapest, Argumentum, 2007,
traductions diverses, présentation de Sepsi Enikö, 240 p.
— Tarea de esperanza, Antologia poetica, trad. en esp. par Arturo Carrera, Valence,
Éditions Pre-Textos, 2007, 568 p.
— Rome, 1630, traduction en arménien par Chouchanik Thamrazian, éd. Naïri, Erevan,
2007, 248 p. (en préface : « mes souvenirs d’Arménie », p. 7-15).
Articles originaux
G. McLean, H. Li, D. Metzger, P. Chambon and M. Petkovich : Apoptotic extinction
of germ cells in testes of Cyp26b1 knockout mice. Endocrinology (2007) 148, 4560-
4567.
A. Berry, P. Balard, A. Coste, D. Olagnier, C. Lagane, H. Auhier, F. Benoit-
Vical, J.C. Lepert, J.P. Seguela, J.F. Magnaval, P. Chambon, D. Metzger,
B. Desvergne, W. Wahli, J. Auwerx and B. Pipy : IL-13 induces expression of C36 in
human monocytes through PPARgamma activation. Eur. J. Immunol. (2007) 37, 1642-
1652.
M. Slezak, C. Goritz, A. Niemiec, J. Frisen, P. Chambon, D. Metzger and
F. Pfrieger : Transgenic mice for conditional gene manipulation in astroglial cells. GLIA
(2007) 55, 1565-1576.
M.A. McDevitt*, C. Glidewell-Kenney, J. Weiss, P. Chambon, J.L. Jameson and
J.E. Levine : ERE-independent ERα signaling does not rescue sexual behavior but restores
850 PROFESSEURS HONORAIRES
normal testosterone secretion in male ERαKO mice. Endocrinology (2007) 148, 5288-
5294.
K. Khetchoumian, M. Teletin, M. Mark, B. Herquel, J. Tisserand, F. Cammas,
T. Lerouge, D. Metzger, P. Chambon and R. LOSSON : Loss of the transcriptional
intermediary factor 1 α (TIF1α) gene confers oncogenic activity to retinoic acid receptor
α (RARα).Nature Genetics (2007) 39, 1500-1506.
T. Nakamura, Y. Imai, T. Matsumoto, S. Sato, K. Takeuchi, K. Igarashi, Y. Harada,
Y. Azuma, A. Krust, Y. Yamamoto, H. Nishina, S. Takeda, H. Takayanagi, D. Metzger,
J. Kanno, K. Takaoka, Y.J. Martin, P. Chambon and S. Kato : Estrogen prevents bone
loss via estrogen recepor alpha and induction of Fas ligand in osteoclasts. Cell (2007) 130,
811-823.
H.J. Kim, M.C. Gieske, S. Hudgins, B.G. Kim, A. Krust, P. Chambon and C. Ko :
Estrogen receptor alpha-induced cholecystokinin type A receptor expression in the female
mouse pituitary. J. Endocrinology (2007) 195, 393-405.
C.R. Cederroth, O. Schaad, P. Descombes, P. Chambon, J.-D. Vassalli and S. Nef :
Estrogen receptor alpha is a major contributor to estrogen-mediated fetal testis dysgenesis
and cryptorchidism.Endocrinology (2007) 148, 5507-5519.
M.C. Gieske, H.J. Kim, S.J. Legan, Y. Koo, A. Krust, P. Chambon and C. Ko :
Pituitary gonadotroph estrogen receptor alpha is necessary for fertility in females.
Endocrinology (2008) 149, 20-27.
M.C. Antal, A. Krust, P. Chambon and M. Mark : Sterility and absence of
histopathological defects in non-reproductive organs of a novel mouse ERbeta-null mutant.
Proc. Natl. Acad. Sci. USA (2008) 105, 2433-2438.
C.K. Ratnacaram, M. Teletin, M. Jiang, X. Meng, P. Chambon and D. Metzger :
Temporally-controlled ablation of PTEN in adult mouse prostate epithelium generates a
model of invasive prostatic adenocarcinoma. Proc. Natl. Acad. Sci. USA (2008) 105, 2521-
2526.
M. Ignat, M. Teletin, J. Tisserand, K. Khetchoumian, C. Dennefeld, P. Chambon,
R. Losson and M. Mark : Arterial calcifications and increased expression of vitamin D
receptor targets in mice lacking TIF1alpha. Proc. Natl. Acad. Sci. USA (2008) 105, 2598-
2603.
J. Orengo, P. Chambon, D. Metzger, D.R. Mosier, J. Snipes and T.A. Cooper :
Expanded CTG repeats within the DMPK 3’ UTR causes severe skeletal muscle wasting in
an inducible mouse model for myotonic dystrophy. Proc. Natl. Acad. Sci. USA (2008) 105,
2646-2651.
I. Malanchi, H. Peinado, D. Kassen, T. Hussenet, D. Metzger, P. Chambon,
M. Huber, D. Hohl, A. Cano, W. Birchmeier, and J. Huelsken : Cutaneous cancer
stem cell maintenance is dependent on beta-catenin signallig. Nature (2008) 452, 650-
653.
V. Drouin-Echinard, S. Laffont, C. Seillet, L. Delpy, A. Krust, P. Chambon,
P. Gourdy, J.F. Arnal, and J.C. Guery : Estrogen receptor alpha, but not beta, is required
for optimal dendritic cell differentiation and CD40-induced cytokine production.
J. Immunol. (2008) 180, 3661-3669.
M. Konishi, H. Nakamura, H. Miwa, P. Chambon, D.M. Ornitz and N. Itoh : Role
of Fgf receptor 2c in adipocyte hypertrophy in mesenteric white adipose tissue. Mol. Cell
Endocrinol. (2008), in press.
S. Claxton, V. Kostourou, S. Jadeja, P. Chambon, K. Hodivala-Dilke and
M. Fruttiger : Efficient, inducible Cre-recombinase activation in vascular endothelium.
Genesis (2008) 46, 47-80.
S. Mandillo, V. Tucci, S.M. Holter, H. Meziane, M. Al Banchaabouchi,
M. Kallnik, H.V. Lad, P.M. Nolan, A.M. Ouagazzal, E.L. Coghill, K. Gale,
PROFESSEURS HONORAIRES 851
Publications
Publications 2008
Articles
— Taly A., Changeux J.-P. Functional organization and conformational dynamics of the
nicotinic receptor: a plausible structural interpretation of myasthenic mutations. Ann. NY Acad.
Sci. 1132 : 42-52.
854 PROFESSEURS HONORAIRES
— Jackson K.J., Martin B.R., Changeux J.-P., Damaj M.I. Differential role of nicotinic
acetylcholine receptor subunits in physical and affective nicotine withdrawal signs. J. Pharmacol.
Exp. Ther. 325(1) : 302-312.
— Putz G., Kristufek D., Orr-Urtreger A., Changeux J.-P., Huck S., Scholze P. Nicotinic
acetylcholine receptor-subunit mRNAs in the mouse superior cervical ganglion are regulated by
development but not by deletion of distinct subunit genes. J. Neurosci. Res. 8 : 972-981.
— Evrard A., Changeux J.-P. Abnormal response of dopaminergic neurons to nicotine
without perturbation of nicotinic receptors in αCGRP knock-out mice. Brain Res. 1228 : 89-
96.
— Araoz R., Herdman M., Rippka R., Ledreux A., Molgo J., Changeux J.-P., Tandeau
de Marsac N., Nghiêm Ho. A non-radioactive ligand-binding assay for detection of
cyanobacterial anatoxins using Torpedo electrocyte membranes. Toxicon, 52 : 163-174.
— Avale M.E., Faure P., Pons S., Robledo P., Deltheil T., David D.J., Gardier A.M.,
Maldonado R., Granon S., Changeux J.-P., Maskos U. Interplay of beta2* nicotinic receptors
and dopamine pathways in the control of spontaneous locomotion. Proc. Natl. Acad. Sci. USA,
41 : 15991-15996.
— Besson M., Suarez S., Cormier A., Changeux J.-P., Granon S. Chronic nicotine
exposure has dissociable behavioural effects on control and β2-/- mice. Behav. Genet., 38(5) :
503-514.
— Even N., Cardona A., Soudant M., Corringer P.J., Changeux J.-P., Cloëz-Tayarani I.
Regional differential effects of chronic nicotine on brain α4 and α6-containing receptors.
NeuroReport, 19(15) : 1545-1550.
— Wiklund A., Granon S., Cloëz-Tayarani I., Faure P., Le Sourd A.-M., Sundman E.,
Changeux J.-P., Eriksson L. Sevoflurane anesthesia alters exploratory and anxiety-like behavior
in mice lacking the β2 nicotinic acetylcholine receptor subunit. Anesthesiology (sous presse).
— Suarez S.V., Amadon A., Giacomini E., Wiklund A., Changeux J.-P., Le Bihan D.,
Granon S. Brain activation by short-term nicotine exposure in anesthetized wild-type and β2-
nicotinic receptors knockout mice : a BOLD fMRI study. Psychopharmacology (sous presse).
Revues
— Changeux J.-P., Taly A. Nicotine receptors, allosteric proteins and medicine. Trends in
Mol. Med. 14 : 93-102.
— Corringer P.J., Changeux J.-P. Nicotinic acetylcholine receptors. Scholarpedia, 3(1) :
3468
— Changeux J.-P., Dehaene S. The neuronal workspace model : conscious processing and
learning. In : R. Menzel (Ed.), Learning Theory and Behavior. Vol. 1 of Learning and
Memory : A Comprehensive Reference. J. Byrne Editor, pp. 729-758. Oxford : Elsevier.
Corringer P.J., Changeux J.-P. Nicotinic acetylcholine receptors. In : Larry R. Squire,
Editor-in-Chief, Encyclopedia of Neuroscience, Academic Press, Oxford (sous presse).
Distinctions
— Pioneer Award for the fundamental discoveries concerning « The structure and
function of the nicotinic acetylcholine receptor », Collège International de Neuro-
Psychopharmacologie (CINP), Munich (2008).
PROFESSEURS HONORAIRES 855
— Neuronal Plasticity prize for the outstanding work in the domain of the Molecular
Targets of Drug Abuse : « Short & long-term effects of nicotine on nicotinic receptors : a
model of drug addiction », Fondation Ipsen, 6th Forum of the European Neuroscience,
Genève (2008).
Publications
— Rédaction, en collaboration avec David Guéry-Odelin d’un ouvrage ayant pour titre :
« Advances in Atomic Physics — An overview », à paraître chez World Scientific, Singapour.
— Enregistrement pour la collection : « A voix haute » / Collège de France d’un CD
intitulé « Lumière et Matière ».
Responsabilités diverses
Président d’honneur du Conseil Scientifique de la Fondation France-Israël.
Secrétaire du CODHOS (Comité de Défense des Hommes de Science, de l’Académie
des Sciences).
Membre du Comité Exécutif de l’International Human Rights Network of Academies
and Scholarly Societies (IHRNASS).
Membre du forum d’initiative franco-espagnol, depuis 2006.
Membre de l’HISPAC, (High-level Science Policy Advisory Committee).
Membre du Comité pour le Prix International pour l’alphabétisation scientifique des
enfants de la planète.
Membre du Comité de Pilotage « Science à l’Ecole » depuis 2004.
Membre du Conseil Scientifique de la Scuola Normale Superiore, Pise.
Membre du Conseil Scientifique de l’IFRAF (Institut Francilien de Recherche sur les
Atomes froids) depuis 2004.
Membre du Conseil Scientifique de l’ICTP (International Centre of Theoretical Physics),
Trieste.
Membre du Conseil Scientifique de l’« IPSO » (Israeli-Palestinian Science Organisation).
Distinctions
Recherche
Muséologie
Gestion de la recherche
Yves Coppens, Lucy, Australopithèque afarensis, Addis Abeba, 2001 in Titouan Lamazou,
Zoe : femmes du Monde, Gallimard 2007, T. 1, p. 17-25.
Yves Coppens, Damdinsuren Tseveendorj, Fabrice Demeter, Tsagaan Turbat, Pierre-
Henri Giscard, Découverte d’une calotte crânienne d’un Homo sapiens archaïque dans le
Nord-Est de la Mongolie, C.R. Palevol. 7 (2008), p. 51-60.
Yves Coppens, L’East Side story n’est plus, Homo sapiens, l’Odyssée de l’espèce,
Taillandier, 2005, p. 40-48.
Emmanuel-Alain Cabanis, Jackie Badawi-Fayad, Marie-Thérèse Iba-Zizen, Adrian Istoc,
Henry et Marie-Antoinette de Lumley et Yves Coppens, Scanner à rayons X et
paléoanthropologie crânienne, Bull. Acad. Natle de Médecine, 2007, 191, 6, 1069-1089.
Yves Coppens in Les secrets du cerveau, Les mystères du XXIe siècle à Saint Tropez,
1-3 décembre 2006, DVD video 2007.
Yves Coppens, L’Homme et l’environnement, climat subi, climat conquis, climat meurtri,
in Le Climat dans tous ses états, Les mystères du XXIe siècle à Saint-Tropez, 7-9 décembre 2007,
DVD video 2008 (DVD n° 1/4).
Yves Coppens, Le pied, la roue, AT Magazine, n° 1, 2008, p. 73-75.
Hassane Taïsso Mackaye, Yves Coppens, Patrick Vignaud, Fabrice Lihoreau, Michel
Brunet, De nouveaux restes de Primelephas dans le Mio-Pliocène du Nord du Tchad et
révision du genre Primelephas, C.R. Palevol. 7 (2008), p. 227-236.
Yves Coppens, In Memoriam : Francis Clark Howell, Bull. et Mens. de la Soc. Anthrop.
de Paris, n.s., t. 19, 2007, 1-2, p. 5-6.
Yves Coppens, avant-propos in Yves Coppens, président, Origine de l’Homme et peuplement
de la Terre, éd. du Musée d’Anthropologie préhistorique de Monaco, 2008, p. 6-7.
Yves Coppens, Préhumains et origine de l’Homme in Yves Coppens, président, Origine
de l’Homme et peuplement de la Terre, éd. du Musée d’Anthropologie préhistorique de
Monaco, 2008, p. 12.
Livres
Patrick Norbert et Tanino Liberatore, conseiller scientifique Yves Coppens, Lucy, l’espoir,
Capitol Editions, Paris, 2007, 74 pages (bande dessinée).
Hubert Reeves, Joël de Rosnay, Yves Coppens, Dominique Simonnet, La plus belle
histoire du monde, Le Seuil, 1996 ; édition basque, 2007.
Yves Coppens, Soizik Moreau, Sacha Gepner, Le origini dell’Uomo, Editoriale Jaca Book,
Milan, 2008, 61 pages ; édition française, Yves Coppens raconte l’Homme, ed. Odile Jacob,
2008.
Yves Coppens, L’Histoire de l’Homme, 22 ans d’amphi au Collège de France (1983-2005),
éditions Odile Jacob, 2008, 246 pages ; édition club pour le Grand Livre du Mois, 2008 ;
édition italienne, Editoriale Jaca Book, Milan, 2008.
Yves Coppens (présidence), Origine de l’Homme et peuplement de la Terre, Comité
scientifique international du Musée d'Anthropologie préhistorique de Monaco, éd. du
Musée d’Anthropologie préhistorique de Monaco, 2008, 64 pages.
PROFESSEURS HONORAIRES 861
Audiovisuel
Le climat dans tous ses états, Les Mystères du XXIe siècle à Saint Tropez (8e édition),
invités d’honneur, Hubert Reeves et Yves Coppens, 4 DVD video 2008.
L’odyssée de l’espèce, Homo sapiens, Le sacre de l’Homme, France Télévision distribution,
Jacques Malaterre réalisation, Yves Coppens, directeur scientifique, coffret des 3 DVD,
2007.
36 Chroniques « Histoire d’Homme », Yves Coppens et Marie-Odile Monchicourt, 5 fois
chaque lundi de juin 2007 à août 2007, 5 fois un dimanche sur deux de septembre 2007
à juin 2008.
aux élèves de l’Ecole élémentaire des Angles (Pyrénées-Orientales) (6 mars 2008) ; aux élèves
de secondes, premières et terminales de Saint-Sigisbert de Nancy (22 septembre 2007), aux
étudiants étrangers de l’IUEFM à l’Hôtel de Ville de Nancy (22 septembre 2007), aux élèves
des Prépas du lycée Poincaré de Nancy (21 septembre 2007).
Allocutions à la remise des insignes de Chevalier dans l’ordre de la Légion d’Honneur à
Monsieur François Raulin, Professeur des Universités (Observatoire de Paris, 20 février 2008),
à la remise des insignes de Commandeur dans l’ordre de la Légion d’Honneur à Madame
Coquery-Vidrovitch, Professeur des Universités (Université de Paris VII, 14 avril 2008).
Allocutions à la mairie d’Ajaccio (27 septembre 2007), au Palais des Arts de Dinard, pour
l’ouverture de l’exposition Quel avenir pour les Grands Singes ? (19 janvier 2008), au Musée
du Quai Branly, pour le 60e anniversaire de Sciences et Avenir, Quel avenir pour l’Homme ?,
Quel avenir pour la planète ? (12 novembre 2007), au Club de la Chasse et de la Nature,
Paris 3e, pour la délégation de scientifiques chinois en voyage d’étude, Pékin-Lascaux,
23 mai 2008. Allocution pour l’ouverture de l’exposition Mother Africa and Mrs Ples, en
qualité d’Honorary Patron, 8 novembre 2007 ; allocution au Salon du Livre de Nancy (sous
le chapiteau), pour l’ouverture du Livre sur la Place, en qualité de Président 2007 ; allocution
à l’Ecole Yves Coppens de Grand-Champ (Morbihan) à l’occasion de la cérémonie de
dénomination de l’Ecole, 26 janvier 2008.
Présentation du livre L’Histoire de l’Homme aux représentants des éditions Odile Jacob,
septembre 2007 ; présentation du même livre à la presse, 17 avril 2008 ; présentation des
films Stantari au Palais des Congrès d’Ajaccio, 27 septembre 2007 ; présentation du livre
d’Emmanuel Anati, L’Odysée des Premiers Hommes en Europe, Musée de l’Homme,
22 octobre 2007.
Rencontre et dédicace de l’album Lucy, l’espoir avec Tanino Liberatore, Fnac Saint-Lazare,
31 janvier 2008 ; dédicace de mes livres les plus récents, Musée de Tautavel, 30 octobre 2007 ;
dédicace de mes livres disponibles, Le livre sur la place, Nancy, 20, 21, 22, 23 septembre 2007
dédicace de L’Histoire de l’Homme, librairie Nicole Maruani, Paris 13e, 26 juin 2008.
Participation à un débat avec Henry de Lumley, Palais des Congrès, Tautavel, sur les
Premiers Hommes de l’Europe, 31 octobre 2007, à un débat avec quelques collègues sur
les changements climatiques, Opéra de Nancy, 22 septembre 2007 ; participation au
séminaire docu-fiction de France 2, 16 avril 2008.
Enseignement extérieur
Participation à 5 jurys :
Doctorat d’Université
Anne-Elisabeth Lebatard, « Datations radiochronologiques des séries sédimentaires à
Hominidés du Paléolac Tchad, depuis le Miocène supérieur », Université de Poitiers, novembre
2007, Yves Coppens rapporteur et président.
Noëlle Perez Christiaens, « Porter sur soi, se porter, porter, se comporter, transporter, se
charger et se décharger sans dommage. Contribution à l’étude d’une catégorie universelle de
PROFESSEURS HONORAIRES 863
techniques : le transport des charges sur soi », Ecole des Hautes Etudes en Sciences sociales,
mai 2008, Yves Coppens, rapporteur.
Guillaume Nicolas, « Des données anatomiques à la simulation de la locomotion bipède.
Application à l’homme, au Chimpanzé et à Lucy (Al 288.1) », Université de Rennes 2,
octobre 2007, Yves Coppens, président.
Bekele Metasebia, « Pierres dressées et coutumes funéraires dans les sociétés Konso et Gewada
du Sud de l’Ethiopie », Université de Paris 1, Panthéon-Sorbonne, décembre 2007, Yves
Coppens, président.
Distinctions
Publications
— « Vérité du miracle », Rivista di Storia e Letteratura Religiosa, 42/3, 2006 (Atti del
Convegno Internazionale : Pellegrinaggi santuari miracoli nel mondo cristiano tra storia e
letteratura), p. 475-493.
— « Une rhétorique de l’événement : l’astrologie », dans Faire l’événement au Moyen Âge,
sous la direction de Claude Carozzi et Huguette Taviani-Carozzi, Le temps de l’histoire,
Publications de l’Université de Provence, 2007, p. 193-200.
— « From the mappa to the akakia : Symbolic drift », dans From Rome to Constantinople.
Studies in Honour of Averil Cameron, éd. Hagit Amirav et Bas Ter Haar Romeny, Louvain,
2007, p. 203-219.
— « Couronnes impériales. Forme, usage, couleur des stemmata dans le cérémonial
impérial du Xe siècle », dans Byzantina Mediterranea. Festschrift für Johannes Koder zum 65.
Geburtstag, éd. Klaus Belke, Ewald Kislinger, Andreas Külzer, Maria A. Stassinopoulou,
Vienne, Cologne, Weimar, 2007, p. 157-174.
— « La France au miroir de Byzance. Quelques remarques sur l’historiographie française
du Moyen Âge au XVIIIe siècle », dans Rossijskaja Akademia Nauk, Sankt-Peterburgskoe
Otdelenie, Vspomogatel’nye istoričeskie discipliny XXX (Mélanges Igor Medvedev), Saint-
Pétersbourg, 2007, p. 264-272.
— « L’icône, un portrait parlé », dans Sciences humaines. Les grands dossiers : Entre image
et écriture, 11 (juin-août 2008), p. 50-55.
Activités
— 14 mai 2008, remise du prix de l’essai attribué par la Revue des Deux Mondes pour
Décrire et peindre. Essai sur le portrait iconique (Gallimard, Bibliothèque des Histoires,
2007).
— 21 mai 2008, séminaire à l’Université d’Oxford, « À propos du Livre des cérémonies
de Constantin Porphyrogénète ».
Il a publié Le Mystère Campanella (Paris, Fayard, 2008, 592 p.). Sont sorties les
traductions suivantes de ses livres : en portugais (Brésil) de Guetter l’aurore ; en
russe de La Civilisation de la Renaissance ; en polonais de La plus belle histoire du
bonheur.
Conférences et séminaires
25-27 février 2008 : Rome, Accademia dei Lincei, présentation de la Revue République
des Lettres, dirigée par Mina Fattori, directrice de l’Institut de philosophie de La
Sapienza.
5 avril : Chantilly avec Mireille Huchon : Louise Labbé est-elle le prête-nom de Maurice
Scève ?
7 avril : Mairie de Nancy, Pour une antenne de l’Institut d’Histoire de la République des
Lettres.
26 avril : Académie d’Aix en Provence, Peiresc à Aix.
28-29 avril : Fondation Gulbenkian à Lisbonne, Le comte de Caylus et le style « à la
grecque ».
3 mai : Conseil scientifique de l’ISU à Florence.
Publications
Livres
El Estado cultural, ensayo sobre una religión moderna, traducción de Eduardo Gil Berra,
Barcelona, Acantilado, 2007, 461 pages. Traduit en espagnol : La educación de la libertad,
Epílogo de Carlos García Gual, Arcadia, 2007, 54 pages.
Préfaces
de Jean-Baptiste Alexandre Le Blond, Architecte 1679-1719. De Paris à Saint-Pétersbourg,
Alain Baudry et Cie éditeur, 2007.
de Michel David-Weill, L’esprit en fête, Paris, Robert Laffont, 2007, 266 pages.
de Estienne Perret, XXV fables des animaux, PUF, Fondation Martin Bodmer, collection
Sources, 2007, p. 9-23.
De Négociations européennes d’Henri IV à l’Europe des 27, « L’esprit de la diplomatie
européenne », sous la direction A. Pekar Lempereur et A. Colson, Le Cercle des Négociateurs,
Perspectives, Paris, A2C Medias éditeur, 2008, p. 15-21.
PROFESSEURS HONORAIRES 867
Postfaces
de Chateaubriand, Amour et Vieillesse, Paris, Rivages Poche/petite Bibliothèque, 2007,
p. 23-61.
de Chateaubriand, Amor y vejez, traducción de José Ramon Monreal, Acantilado, 2008,
p. 21-52.
Compte rendu
de Les Disparus de Daniel Mendelsohn, Paris, Flammarion, 642 pages, Le Point 1825,
6 septembre 2007, p. 94 : « Le Temps retrouvé de Mendelsohn ».
Articles scientifiques
« Chateaubriand et Goethe », Die europäische République des lettres in der Zeit der Weimarer
Klassik, Wallstein Verlag, 2007, p. 151-173.
« La Republica dellelettere e l’identità europea », Intersezioni, Rivista di storia delle idee, Il
Mulino, Anno XXVII, Agosto 2007, p. 157-168.
« Le comte de Caylus et les origines françaises du ‘retour à l’Antique’ européen », Roma
triumphans ? L’attualità dnell Francia del Setteceto, Roma, Edizioni di Storia e Letteratura,
2007.
« Das Vermächtnis der europäischen république des lettres », Die europäische République
des lettres in der Zeit der Weimarer Klassik, Wallstein Verlag, 2007, p. 11-30.
« L’invention de l’enfance chez Rousseau et Chateaubriand », Studi Veneziani, N.S. LI
(2006), Fabrizio Serrra editore, 2007, p. 17-30.
« L’esprit de la diplomatie européenne », Préface de Négociations européennes d’Henri IV à
l’Europe des 27, sous la direction A. Pekar Lempereur et A. Colson, Le Cercle des
Négociateurs, Perspectives, Paris, A2C Medias éditeur, 2008, p. 15-21.
« La ‘herencia de Amyot’ : La crítica de la novela de caballería y los orígenes de la novela
moderna », Anales Cervantinos, vol. XXXIX, Enero - Diciembre 2007, p. 235-262.
Introduction journée Paul-Louis Courier, Cahiers de l’Association internationale des études
françaises, Mai 2008, n° 60, p. 73-77.
« Cézanne tel que je le vois, à rebours de sa légende », Ce que Cézanne donne à penser,
Actes du colloque d’Aix-en-Provence, Juillet 2006, Paris, Gallimard, 2008, p. 11-19.
Articles de presse
« Montaigne, retour aux sources », Le Monde, Vendredi 15 juin 2007, p. 3.
« Pèlerinage à Ise », Revue des Deux Mondes, Juillet-août 2007, p. 97-119.
« Pour une relecture critique de « Tartuffe » », Le Monde, Vendredi 6 juillet 2007, p. 7.
« Pour une Europe unie de l’esprit », Valeurs actuelles, 2 novembre 2007, p. 60-61.
« Oublier Saint-Simon », Le Point, n° 1844, 17 janvier 2008, p. 42.
« Une civilisation mondiale est une contradiction… », Le spectacle du monde, n° 541,
Janvier 2008, p. 47-49.
« Tocqueville. Perchè amò l’America », La Repubblica, mercoledì 26 marzo 2008,
p. 46-47.
« Le misanthrope humaniste », L’Express, n° 2964, 24/4/2008, p. 110-112.
« Tocqueville et ses arrières-pensées », Le Point, n° 1854, 27 mars 2008, p. 108-109.
868 PROFESSEURS HONORAIRES
Entretiens – interview
de Benedetta Craveri, « Il vecchio e la sirena », La Repubblica, Sabato 11 agosto 1007,
p. 51.
avec Sophie Lannes, « L’Italie et le don de la beauté », Géopolitique n° 97, Janvier 2007,
p. 121-127.
avec Juan Pedro Quironero « Voe dificil que Sarkozy se atreava a romper con la vaca
sagrada del Ministerio de Cultura », ABC International, Sabado 1 IX 2007.
Publications
— Société et pensée chinoises aux XVIe et XVIIe siècles, Collège de France/Fayard, 2007,
202 p.
— La Vie quotidienne en Chine à la veille de l’invasion mongole (1250-1276), rééd. Éd.
Philippe Picquier, 2007, 420 p.
— Kniecki svet, trad. serbe corrigée du Monde chinois, Armand Colin, 2003, Clio,
Belgrade, 2007, 844 p.
— Zhongguo shehui shi, rééd. de la dernière trad. chinoise du Monde chinois, Armand
Colin, 2003, Nankin, 2008, 644 p.
— « Remarques sur le contexte chinois de l’inscription de la stèle nestorienne de Xi’an »,
in Jullien, C. (éd.), Controverses des chrétiens dans l’Iran sassanide, coll. Studia Iranica.
Cahier 36, Paris, 2008, 227-243.
— Présentation de livre, CR de l’Académie des Inscriptions et Belles-Lettres, avril-juin 2006,
766-70.
Divers
M. Jean Guilaine
Civilisations de l’Europe au Néolithique et à l’Âge du bronze, 1994-2007
Publications
a. Ouvrages
J. Guilaine : Les racines de la Méditerranée et de l’Europe, Fayard, 2008, 95 p., 14 fig.
J. Guilaine, M. Barbaza, M. Martzluff (dirs.) : Prehistória d’Andorra. Les excavacions a la
Balma de la Margineda (1979-1991). Les fouilles à l’abri de la Margineda, Tome IV, Govern
d’Andorra, 2007, 600 p., 226 fig., 67 tableaux, 9 plans.
J. Guilaine, C. Manen, J.-D. Vigne (dirs.) : Pont de Roque Haute. Nouveaux regards sur
la néolithisation de la France méditerranéenne, Centre de Recherche sur la Préhistoire et la
Protohistoire de la Méditerranée/Ecole des Hautes Etudes en Sciences Sociales, Toulouse,
2007, 332 p., 134 fig.
A. Langaney, J. Clottes, J. Guilaine, D. Simonnet : La plus belle histoire de l’homme,
Editions du Seuil, Points 779, 2007, 202 p.
b. Articles
J. Guilaine : Jalons historiographiques : le Néolithique, entre matériel et idéel,
XXVIe Congrès Préhistorique de France (Avignon, 21-25 septembre 2004), Société Préhistorique
Française, 2007, pp. 441-448.
J. Guilaine : Les enjeux de Sidari, in G. Arvanitou-Metallinou (dir.) : Prehistoric Corfù
and its adjacent areas. Problems-Perspectives, Proceedings of the Conference Dedicated to
Augustus Sordinas, (Corfu, 17 décembre 2004), Kepkypa, 2007, pp. 91-96, 1 fig.
J. Guilaine : Ô Bonne Mère…, Archéopages, Constructions de l’archéologie, INRAP, Paris,
février 2008, pp. 22-27, 3 fig.
J. Guilaine : Des pèlerinages dès la Préhistoire ? in J. Chélini (dir.) : Les pèlerinages dans
le monde à travers le temps et l’espace, Fondation Singer-Polignac, Picard, Paris, 2008,
pp. 13-20.
J. Guilaine : Le Néolithique et la naissance des sociétés complexes (Annales, 60e année,
septembre-octobre 2005), Académie des Inscriptions et Belles-Lettres, Comptes rendus, 2006,
juillet-octobre 2008, pp. 1651-1652.
J. Guilaine : Préface in J. Vaquer, M. Gandelin, M. Remicourt, Y. Tchérémissinoff : Défunts
néolithiques en Toulousain, Ecole des Hautes Etudes en Sciences Sociales/Centre de Recherche
sur la Préhistoire et la Protohistoire de la Méditerranée, Toulouse, 2008, pp. 9-10.
J. Guilaine et C.-A. de Chazelles : Les premières architectures de Chypre in A. Bouet
(dir.) : D’Orient et d’Occident. Mélanges offerts à Pierre Aupert, Ausonius Editions, Bordeaux,
2008, pp. 79-86, 4 fig.
J. Guilaine et J. Malaterre : Le Néolithique. Naissance des Civilisations in M. Vidard (dir.) :
Abécédaire scientifique pour les curieux. Les têtes au carré, Sciences Humaines Editions, 2008,
pp. 127-132.
J. Guilaine et C. Manen : From Mesolithic to Early Neolithic in the Western
Mediterranean in A. Whittle et V. Cummings : Going Over. The Mesolithic-Neolithic
Transition in North-West Europe, The British Academy, Oxford University Press, 2007,
pp. 21-51, 10 fig.
J. Martinez Moreno, M. Martzluff, R. Mora, J. Guilaine : D’une pierre deux coups :
entre percussion posée et plurifonctionnalité, le poids des comportements “opportunistes”
dans l’Epipaléolithique-Mésolithique pyrénéen in L. Astruc, F. Bon, V. Léa, P.-Y. Milcent
870 PROFESSEURS HONORAIRES
Audio-visuel
Colloques/Réunions scientifiques
Administration de la recherche
Conférences/Débats
Portiragnes, 18 octobre 2007 : présentation de l’ouvrage « Pont de Roque Haute. Nouveaux
regards sur la néolithisation du Sud de la France » (allocution).
Tautavel, Palais des Congrès, 26 octobre 2007 : conférence autour du film « Le Sacre de
l’Homme » (J. Malaterre).
Tautavel, Palais des Congrès, 27 octobre 2007 : débat sur le thème « L’homme,
l’environnement et l’agriculture ».
Saint-Pons : Inauguration du Musée de la Préhistoire et de la sculpture mégalithique
(allocution), 16 février 2008.
Paris, Société psychanalytique de Paris, séminaire d’E. Smadja, 2 avril 2008 :
Communication « Manifestations religieuses néolithiques ».
Principauté d’Andorre (Farga Rossell), à l’occasion de la présentation de l’ouvrage « Les
excavacions a la Balma de la Margineda (1979-1991) » : conférence « Aux racines de l’Andorre.
La Balma de la Margineda ».
Autres activités
Publications parues
Colloques
Internationaux
— Réseau entre la ville et l’hôpital pour l’orthogénie. Paris, Sorbonne, 8 mars 2008.
Conférence : « Transparence et clandestinité ».
Conférences
— Centre des jeunes dirigeants d’entreprise, Paris, 8 octobre 2007. Conférence-débat sur
la féminisation dans l’entreprise.
— Total, Eurosites Georges V, Paris, 9 octobre 2007. Séminaire Diversités plurielles.
Conférence plénière : « Hommes, femmes : les mécanismes de la différence ».
— Centre Georges Pompidou, Paris, 24 octobre 2007. Les Revues parlées. Histoire des
Trente (1977-2007). Conférence-anniversaire de la parution de Masculin/féminin. La Pensée
de la différence.
— Théâtre de l’Odéon, Paris, 23 janvier 2008. Atelier de la pensée, sur le thème Femmes
empêchées, avec Laure Adler, Elisabeth Guigou, Julia Kristeva, Taslima Nasreen et Jean-Pierre
Vincent.
— EHESS, Paris, 14 mars 2007. Séminaire Corps et sciences sociales sous la direction
de Dominique Memmi et Florence Bellivier. Débat autour de l’ouvrage Corps et Affects.
Séminaires
Activités diverses
— Vice-Présidente de la Fondation Médéric-Alzheimer.
— Membre du Comité consultatif national d’éthique pour les sciences de la vie.
— Membre de l’Académie universelle des cultures.
— Membre du Comité de vigilance de l’Institut Pasteur.
— Membre du Conseil d’Administration du Collège international de philosophie.
Distinctions
— Commandeur dans l’Ordre national de la Légion d’Honneur.
Missions et activités
Secrétaire perpétuel de l’Académie des inscriptions et belles-lettres. Vice-président de la
Commission nationale française de l’UNESCO, président honoraire du Haut-comité des
Célébrations nationales, président d’honneur de la Société asiatique, de la Société
internationale des études nubiennes et de la Société française d’égyptologie.
Participation à plusieurs colloques et conférences (Paris, Beaulieu).
Publications
— Les frères Reinach, sous la direction de S. Basch, M. Espagne et J. Leclant, Paris,
2008.
— Adresse à la XIe Conférence internationale des études nubiennes, dans Between the
Cataracts, Proceedings of the 11th Conference for Nubian Studies, Warsaw University, 27 August-
2 September 2006, Varsovie, 2008, p. 11.
— Allocution d’ouverture au XVIIIe colloque de la Villa Kerylos, 4-6 octobre 2007 :
« Pratiques et discours alimentaires en Méditerranée de l’Antiquité à la Renaissance », dans
Cahiers de la Villa Kerylos XIX, 2008.
— Préface à La correspondance entre Mikhail Rostovtzeff et Franz Cumont, Mémoires de
l’Académie des Inscriptions et Belles-Lettres, t. XXXVI, Paris, 2007.
— Préface à Les Pyrénées orientales (C.A.G.66), par J. Kotarba, G. Castellvi et Fl. Mazière,
Paris, 2007.
— Préface à Arles, Crau, Camargue (C.A.G. 13/5, par M.-P. Rothé et M. Heijmans,
Paris, 2008.
— « Missions et activités, publications des professeurs honoraires », Résumé des cours et
travaux, AnnCdF 2006-2007, p.
— Nombreux hommages d’ouvrages récents à l’Académie des Inscriptions et
Belles-lettres.
874 PROFESSEURS HONORAIRES
Distinctions
Le 16 novembre 2007, J. Leclant a reçu le diplôme de docteur honoris causa de l’Université
de Vienne, Autriche.
chantier dans mes dernières contributions et j’ai tenté par ailleurs d’en préciser
l’impact humain, par météo trop froide et trop humide ; famines, etc., avec leur
prélèvement mortel sur les populations, 1 300 000 morts français en 1693 ; et
600 000 en 1709. Et puis la canicule de 1718-1719 avec ses 450 000 morts surtout
infantiles (dysenterie, déshydratation, etc.) J’ai proposé, au sujet de la Fronde un ou
plusieurs concepts de politisation du climat. Ils deviennent infiniment plus évidents
en 1788-1789 et en 1845-1846-1848, du moins quant à l’inscription chronologique
de ces deux pré-révolutions et révolutions dont les causalités profondes non-
écologiques, (politiques, culturelles, etc.), nous sont exposées par ailleurs dans les
grands travaux de Furet, Ozouf, Soboul… Politisation, bien sûr, qui va revenir à
l’ordre du jour lors des grandes chaleurs de 2003 ; anticipatrices du global warming ?
Avec sa vaste base CLIM-HIST, Christian Pfister nous a offert une superbe
histoire du climat suisse de 1530 à nos jours. En France, les données disponibles ou
enfouies dans les Archives sont littéralement innombrables. On attend toujours, et
sans doute suis-je le premier coupable, que soit créée dans le même esprit pfistérien
une data bank à la française, recensant les faits climatiques bon an mal an, mois par
mois, saison par saison, depuis dix siècles. Mes travaux susdits, mes ouvrages de ces
dernières années, y compris 2007-2008, ainsi que ceux de Pascal Yiou et de Madame
Daux sur les dates de vendanges constituent des pierres d’attente à cet égard.
Ils justifient, me semble-t-il, leur brève mention dans le présent annuaire, compte
tenu de l’existence, par ailleurs, d’une prestigieuse Chaire d’Evolution du climat et
de l’océan dont notre éminent collègue Edouard Bard est le titulaire. Sur ce point,
l’Histoire doit donc céder le pas aux sciences dures.
Livres
Histoire humaine et comparée du climat, 2 vol., Fayard, 2004 et 2006.
Abrégé de l’Histoire du Climat du Moyen Age à nos jours. Entretiens avec Anouchka Vasak,
Fayard, 2007.
I. Travaux et publications
a) Travaux en cours
Mes travaux se poursuivent dans les directions suivantes :
(i) L’étude et la publication des correspondances de Jérôme Lalande (en
collaboration avec Mme Simone Dumont, astronome à l’Observatoire de Paris),
876 PROFESSEURS HONORAIRES
b) Ouvrages
Simone Dumont & J.-C. P., Lalandiana I, Correspondances de Jérôme Lalande, 1, Lettres
à sa chère Pantomaté ; 2, Lettres à l’astronome Honoré Flaugergues, Vrin éd., 2007.
d) Articles divers
J.-C. P. Galaxies de marée, dans : L’Astronomie, mai 2007.
J.-C. P. Les astronomes du Collège de France, dans : L’astronomie, 2007 ; cet article a été
reproduit dans La Lettre du Collège de France, n° 22 et n° 23, 2008.
De Lumley, H., Echassoux, A., J.-C. P., Romain, O., Figurations de l’amas stellaire des
Pléiades sur deux roches gravées de la région du Mont Bégo, dans : L’anthropologie, 111, 2007,
p. 755-824.
J.-C. P., Le Programme de Versailles, dans : Les débuts de la Recherche Spatiale Française :
Au temps des fusées–sondes, Institut Français d’Histoire de l’Espace éd., 2008, p. 229-230.
J.-C. P. Interview par Mme Pinhas, pour l’Histoire du CNRS : Petite et grande histoire
d’astrophysique, sous presse.
J.-C. P. Interview par Christian Seguin, Au ciel de l’enfance, dans le quotidien Sud-Ouest,
20 juin 2008.
PROFESSEURS HONORAIRES 877
M. Daniel Roche
Histoire de la France des Lumières, 1999-2005
Activités de recherches
3) Dans le cadre de l’IHMC, après avoir achevé l’enquête sur les capitales
culturelles et contribué à conclure le volume, dirigé par C. Charle, Le Temps des
capitales culturelles européennes (XVIIIe-XXe siècle) (sous presse aux Editions
Champvallon), je participe à la mise en route d’une nouvelle entreprise consacrée
à l’Histoire de l’internationalisation culturelle en Europe de 1750 à 1950. Il s’agit
de mesurer les circulations internationales et transnationales, les échanges et les
refus culturels. Dans une première étape, le séminaire de l’IHMC sera consacré à
une réflexion générale critique sur l’historiographie et les méthodes à utiliser dans
le projet. Parallèlement, il définira autour des quatre axes principaux le choix des
problèmes à aborder : ceux du livre et des traductions, ceux des usages politiques
des circulations culturelles dans la construction des empires européens, ceux des
savoirs sociaux et techniques, enfin les questions des circulations artistiques.
Publications
Livres
A Cheval ! Ecuyers, amazones et cavaliers du XVIe au XXIe siècle, sous la direction de
D. Roche et D. Reytier, Paris, Association pour l’Académie équestre de Versailles, 2008,
400 p.
La culture équestre occidentale, XVIe-XIXe siècles, L’Ombre du cheval, T. 1, Le cheval moteur,
Paris, A. Fayard, 479 p.
Simeon Prosper Hardy, Mes loisirs, vol. 1, 1753-1770, Québec Presses de l’Université de
Laval, sous la direction de D. Roche et P. Bastien, 2008, 836 p.
PROFESSEURS HONORAIRES 879
Articles
« Voltaire, du voyage à la philosophie », Studies on Voltaire, Oxford, 2008, pp. 43-60.
« Ménétra et la femme », Mélanges Maurice Gresset, P. Delsalle ed., Besançon, Annales de
l’Université de Franche-Comté, 2008, 820, 28, pp. 349-357.
1) Livres
— Le sourire innombrable, éd. De Fallois, janvier 2008, 125 p.
2) Conférences
— « Osons parler de la vertu ! », conférence d’introduction au colloque sur la vertu, à
l’Institut de France, le 12 décembre 2007.
3) Autres activités
— Divers articles sur la Grèce, et diverses introductions ou lettres d’introduction à des
livres d’enseignement et de culture grecque ou de langue française. Nombreuses interviews
sur ces divers sujets.
— Participation au film de la série Empreintes pour France 5, le 25 janvier 2008.
Publications
— Three letters to Walter Feit on group representations and quaternions, J. Algebra 319
(2008), 549-557.
— Two letters to Jaap Top, in “Algebraic Geometry and its Applications” (J. Chaumine,
J. Hirschfeld & R. Rolland edit.), World Sci.Publ.Co. (2008), pp. 84-87.
Cours
Exposés
Distinction
M. Jacques Thuillier
Histoire de la création artistique 1977-1998
Durant l’année des cours et travaux de 2005-2006 notre attention a été requise
par un événement exceptionnel autant qu’inattendu : la restauration complète de
la Galerie des Glaces au château de Versailles. Une occasion unique s’offrait
d’examiner de tout près les peintures de Le Brun, les sculptures et les ornements.
De cette expérience sont issus à la fin de 2007 un petit fascicule en couleurs de
128 pages publié par les éditions Gallimard, et dans le grand volume imprimé par
les éditions Faton, un chapitre d’introduction : Charles Le Brun et la Galerie des
Glaces : un moment de l’histoire de l’art français (p. 22-29).
Les temps de parution, qui se croisaient avec de malencontreuses difficultés de
santé, nous ont empêché de faire état ici de ces travaux.
Après le contact direct avec les œuvres, nous avons cru opportun de revenir
durant cette année 2006-2007 au domaine de la réflexion, et nous avons tenu à
reprendre et conduire à sa fin un projet longtemps caressé, mais que des circonstances
diverses nous avaient plusieurs fois contraint d’interrompre. Il s’agit de la publication
de la correspondance de Nicolas Poussin.
PROFESSEURS HONORAIRES 881
Le public et les érudits ne disposent que d’une édition qui remonte à 1911. Elle
est due à Charles Jouanny, et par conséquent savante et intelligente. Mais elle n’a
jamais été réimprimée et il est devenu malaisé d’en trouver un exemplaire. En un
siècle seules peu de lettres nouvelles sont apparues ; mais en revanche de nombreux
documents ou des fragments importants sont venus compléter notre savoir.
D’autre part le public des « poussinistes » s’est multiplié. Il dépasse largement la
France, l’Allemagne, l’Italie, l’Angleterre et le Japon. Or ce public souhaite un
texte minutieusement établi à partir des originaux de l’artiste. En même temps il
a bien souvent quelque peine à pénétrer l’orthographe et le vocabulaire du vieil
artiste. Nous n’avons pas cru que doubler le texte de Poussin d’une version
modernisée serait une offense ou une prudence superflue.
Nous pensons livrer ainsi une approche commode de la correspondance qui nous
reste de Poussin. L’expérience de l’enseignement nous a trop prouvé l’utilité d’une
annotation en marge de tous les textes anciens pour que nous ayons cru devoir nous
contenter de brefs renvois. De plus, il nous a semblé qu’il convenait de compléter la
correspondance par la réunion des multiples testaments de l’artiste. On les avait
jusqu’ici négligés. En marge des lettres, ils offrent une image de Poussin, tout compte
fait, non moins sincère. Il en va pareillement de l’inventaire après décès.
En 1911, la Correspondance de Nicolas Poussin de Charles Jouanny comportait
déjà xvi – 524 pages. On ne s’étonnera pas qu’après cent ans la remise au point nous
ait réclamé plus d’une année de travail. Nous souhaitons seulement qu’elle puisse
réveiller la critique. Ainsi, en 1960, la grande exposition Poussin voulue par André
Chastel et organisée au Louvre par Sir Anthony Blunt a multiplié les manifestations
consacrées aux peintures et dessins de l’artiste. Peut-être une relecture de ses textes
pourra-t-elle pareillement aider à nous rapprocher de sa pensée.
I — Missions et activités
— Les 3-6 mai 2007, le professeur a participé à Madrid à la réunion du Comité des
Publications de la Casa de Velázquez dont il est d’autre part membre du Conseil
d’Administration.
— Du 16 au 30 mai 2007, il a donné une série de conférences à l’Université de Nagoya
(Japon). Le 22 mai, il a reçu le Prix spécial (Award) pour 2007 de la Japan Society for
Promotion of Science qui lui a été remis par le professeur Ono, directeur du J.S.P.S. et
secrétaire d’Etat à la Recherche.
882 PROFESSEURS HONORAIRES
EN FRANCE
Université de la Rochelle
ENSEIGNEMENT À L’ÉTRANGER
ALLEMAGNE
Université de Kiel
BELGIQUE
BRÉSIL
CANADA
CHINE
GRANDE-BRETAGNE
Université de Cambridge
ÉTATS-UNIS
Université de Chicago
GRÈCE
Université d’Athènes
ITALIE
PAYS-BAS
Université d’Utrecht
SINGAPOUR
RUSSIE
SUÈDE
Université d’Uppsala
M. Jean-Marie L (titulaire de la Chaire de Chimie des interactions
moléculaires) a donné 3 cours sur : From Supramolecular Chemistry to
Constitutional Dynamic Chemistry.
M. Jacques L (titulaire de la Chaire de Chimie de la matière condensée) a
donné une série de cours sur : Soft chemistry synthesis of advanced materials.
Mme Christine P (titulaire de la Chaire de Génétique et physiologie cellulaire)
a donné 2 cours sur : Hereditary deafness : from the genes to the cellular and
molecular mechanisms of hearing.
SUISSE
TUNISIE
Université de Tunis
M. Jacques L (titulaire de la Chaire de Chimie de la matière condensée) a
donné en avril 2008, 6 cours sur : Nouvelles avancées en chimie du solide
COURS ET CONFÉRENCES
SUR INVITATION
DE L’ASSEMBLÉE DES PROFESSEURS
I.
Chaires d’état réservées à ses savants étrangers
II.
Fondation Claude-Antoine Peccot
Mme Karine Beauchard, Chargée de Recherches au CNRS, a donné les 9, 16,
23 et 30 janvier 2008, une série de leçons sur le sujet suivant : Contrôle d’équations
de Schrödinger.
M. Gaëtan Chenevier, Chargé de Recherches au CNRS, a donné les 17,
31 mars, 7 et 14 avril 2008, une série de leçons sur le sujet suivant : Variétés de
Hecke des groupes unitaires et représentations galoisiennes.
III.
Fondation Antoine Laccassagne
M. Thomas Bourgeron, Professeur à l’Université Paris VII, a donné les 4 et
11 avril, deux conférences sur les sujets suivants : 1. La vulnérabilité génétique à
l’autisme : les altérations synaptiques ; 2. La vulnérabilité génétique à
l’autisme : les altérations de l’horloge circadiennes.
IV.
Conférence Michonis
M. Philippe Borgeaud, Professeur à l’Université de Genève (Suisse) a donné le
8 octobre 2007, une conférence sur le sujet suivant : Une rhétorique antique du
blâme et de l’éloge : la religion des autres.
V.
Conférences du don en souvenir de Winnaretta Singer :
Princesse Edmond de Polignac
M. Dong-Hyun Son, Professeur, Sungkyunkwan University, Séoul (Corée) a
donné le 20 novembre 2007, une conférence sur le sujet suivant : Une anthropologie
philosophique des technologies de l’information et de la communication : une
réflexion taoïste sur la réalité virtuelle.
892 COURS ET CONFÉRENCES
RÉSUMÉS
M. Nicholas Purcell
Professeur, St. John’s College, Oxford (Grande-Bretagne)
Les quatre leçons données en octobre et novembre 2007 sont intitulées :
1. Devenir maritime
2. Les pentes de la connectivité
3. Aux marges de la Méditerranée : écologie, réseaux, interdépendances
4. Le couloir de Téthys et les problèmes de la Transeuphratène
La Méditerranée : avec ce concept, peut-on et doit-on faire de l’histoire
intéressante ? Si oui, quel genre d’histoire ? Telles sont les questions qui sous-
tendaient The Corrupting Sea. A Study of Mediterranean History (Oxford, 2000).
Les conférences présentées au Collège de France ont exploré la manière dont on
pourrait aborder les relations entre les histoires de la Méditerranée et celles du
monde qui entourait la région méditerranéenne. Elles se concentraient sur l’histoire
antique, avec des incursions dans l’histoire plus récente.
Dans la pensée antique, le terrestre et le maritime étaient strictement distingués.
Cette distinction est bien comprise. Nous avons exploré la manière dont les auteurs
de l’Antiquité entendaient réduire la séparation en parlant de « devenir maritime »,
contrairement à l’orientation normale de la vie humaine tournée vers la terre. Le
locus classicus se trouve dans Hérodote 7, 144 : anankasas thalassious genesthai
Athenaious (« forçant les Athéniens à devenir maritimes »), un précédent
spectaculairement développé par la stratégie de Rome contre Carthage lors de la
Première Guerre punique. Ce topo a une longue histoire et on le retrouve dans de
nombreux récits de victoires militaires inattendues. On peut se demander comment
cette conception bien connue peut être reliée à l’histoire sociale et politique plus
réaliste des gens de mer de la Méditerranée. L’enquête conduit à une vision des
moyens et des objectifs d’une mobilisation plus ou moins forcée de gens dans un
894 RÉSUMÉS DES COURS ET CONFÉRENCES
Nous avons commencé par tracer la frontière entre les lieux où l’on recrutait les
gens de mer et la mer sur laquelle ils se déployaient. En tant qu’espace, celle-ci
était définie par cette mobilisation, et plus largement par sa connectivité. Ceux qui
vivaient le plus près de la mer pouvaient être mobilisés aisément et de façon
répétée. Pourtant dans certains cas, ce sont les plus improbables des habitants des
terres qui sont « devenus maritimes » : les montagnards et les barbares venus de
territoires éloignés des côtes. « Devenir maritime » apparaît alors comme un
mouvement unique orienté vers la mer et son niveau élevé de connectivité, selon
un gradient qui peut être calculé en fonction de la connectivité, et surtout en
fonction de la mobilisation des biens et des personnes. Les zones terrestres de
l’intérieur ont aussi leur propre régime de connectivité. Nous avons donc étudié
l’histoire des polarités changeantes, dans les zones situées entre la mer et le
continent, qui peuvent être dominées à la fois par des formations d’origine maritime
ou terrestre, selon des mouvements récurrents qui nous poussent à les nommer
« sociétés du ressac ». La dynamique de ces changements peut être étroitement
reliée au développement des États, et nous avons entrepris de rechercher des
dénominateurs communs dans le développement de petites entités politiques à la
périphérie de l’espace méditerranéen, entre l’âge du bronze et le Moyen Âge.
Après l’étude des « pentes de la connectivité », nous nous sommes concentré sur
l’une des principales dynamiques des interactions explorées dans la précédente
conférence : les échanges commerciaux. Le but de l’exercice était de réévaluer une
partie des connaissances sur les commerçants grecs et romains, dans l’espoir qu’une
approche plus écologique apportera une meilleure compréhension de la diversité
des contextes et des formes du commerce antique que ne le font les modèles
modernisants que nous employons habituellement. De même que pour les
formations des États, il est fécond de considérer les diasporas commerciales et les
réseaux marchands de l’Antiquité comme des caractéristiques de la périphérie
méditerranéenne. Non seulement elles sont intimement reliées à la connectivité,
mais il s’avère que, du fait de l’importance du trafic d’esclaves, elles ont un rapport
spécial avec la mobilisation forcée qui apparaît comme une caractéristique essentielle
d’une histoire spécifiquement méditerranéenne.
Dans un premier temps, nous n’avons pas essayé de comparer les zones terrestres
(ou d’autres espaces maritimes) dont les histoires peuvent être juxtaposées à celles
de la Méditerranée. Pour conclure, nous avons revisité les thèmes des conférences
précédentes pour examiner les rapports entre le monde méditerranéen et ses voisins
de l’Est. Nous considérons le couloir de basses terres qui inclut la Mésopotamie et
qui s’étend de la Syrie jusqu’à Élam et l’entrée du golfe Persique à la fois comme
un espace connectif spécifique, dont on peut explorer la périphérie de la même
RÉSUMÉS DES COURS ET CONFÉRENCES 895
M. Diego Gambetta
Professeur à Nuffield College, Université d’Oxford (Grande-Bretagne)
Typical situations that signalling theory covers have two key features:
(i) there is some action the receiver can do which benefits a signaller, whether
or not he has the quality k, for instance marry him, but
(ii) this action benefits the receiver if and only if the signaller truly has k, and
otherwise hurts her — for instance, marry an unfaithful man.
This applies to conflict situations too: if we know that our opponent is going
to win a fight we may choose to yield without fighting at a lesser cost for both.
Thus k signallers and receivers share an interest in the truth, but the interests of
non-k signallers and receivers are opposed: non-k signallers would like to deceive
receivers into thinking they have k, in order to receive the benefit, while receivers
have an interest in not being deceived. (The interests of k’s and non-k’s are also
usually opposed because the activity of the latter damages the credibility of the
signals of the former.)
The main result in signalling theory is that there is a solution in which at least
some truth is transmitted, provided that among the possible signals is one, s,
which is cheap enough to emit, relatively to the benefit, for signallers who have k,
but costly enough to emit, relatively to the benefit, for those who do not. If it is
too costly to fake for all or most non-k signallers then observing s is good evidence
that the signaller has k.
It is hard to think of another theory that in recent times has been developing so
fast across all behavioural sciences. In economics applications have concerned
Spence’s model of education as a signal of productivity, and practices, such as
product guarantees, financial markets, advertising, charity donations, scientific
publications funded by private firms. In political science applications include, ways
of credibly signalling foreign policy interests; how different political arrangements
can favour more discriminating signals of high quality politicians; under what
conditions bargaining mediators are credible; whether the size of terrorist attacks
can be a signal of terrorist organisation resources; and whether the theory can shed
light on ethnic mimicry. Anthropologists have used the theory to make sense of
« wasteful » or « inefficient » practices in pre-modern cultures, such as redistributive
feasts, big yam displays, and hunting difficult preys ; they have also used the theory
to investigate the cooperative effects of differentially costly rituals and requirements
in religious groups. In sociology applications have concerned the attraction that a
group of deviant youth display for the punishment beatings they receive from the
IRA, the signals taxi drivers rely on when deciding whether to pick up hailers or
callers in dangerous cities, criminals’ strategies to identify bona fide criminals, the
patterns of prison fights and the use of self-harm.
RÉSUMÉS DES COURS ET CONFÉRENCES 897
1. Les références complètes sont indiquées dans la version qui peut être téléchargée sur le site
Internet du Collège de France : http://www.college-de-france.fr, page du professeur Christine
Petit, onglet Conférenciers invités.
898 RÉSUMÉS DES COURS ET CONFÉRENCES
(female germ stem cells) or sperm (male germ stem cells). Given the fountain of
youth ability of adult stem cells to generate tissues during normal homeostasis and
wound-repair, these stem cells are typically set aside in protected reservoirs within
the developing tissue. They are often used sparingly, and hence undergo fewer
divisions than their activated progeny. The protective niches are composed not only
of stem cells but also a complex “microenvironment” of neighboring differentiated
cell types which secrete and organize a diverse range of extracellular matrix and
other factors that allow stem cells to manifest their unique intrinsic properties
(Fuchs et al. 2004; Moore and Lemischka 2006; Morrison and Kimble 2006).
Harnessing adult stem cells for regenerative medicine has long been a major
focus of scientists and clinicians alike. Examples of the successful use of stem cells
for regenerative medicine include bone marrow transplants to replace cells of the
hematopoietic system and cultured epidermal sheets for the replacement of
epidermis lost in badly burned skin (Weissman 2000; De Luca et al. 2006). ES
cells have received more attention because of their broader potential and hence
greater promise for generating cell types to treat injuries and degenerative conditions
for which we presently have no cures. With the promise are also ethical
considerations dealing with the use of fertilized eggs for research necessary to
harness this potential. Scientists have countered with technology referred to as
nuclear transfer, often mistakenly referred to as human cloning. This technology
involves making a hybrid somatic cell from an unfertilized oocyte whose nucleus
was removed and replaced by an adult somatic cell (Hochedlinger and Jaenisch
2006). In collaboration with the laboratory of Peter Mombaerts at the Rockefeller
University, my laboratory has used this technology to demonstrate that ES cells
and in fact healthy viable mice could be generated from hybrid diploid totipotent
cells, each composed of an unfertilized enucleated mouse oocyte and an adult hair
follicle stem cell, normally able to differentiate into only epidermis, hair follicles
and sebaceous glands (Blanpain and Fuchs 2006; Li et al. 2007). Although nuclear
transfer technology has not yet been successful for generation of human ES cells,
scientists recently succeeded in generating primate ES cells through nuclear transfer
(Byrne et al. 2007).
Can adult skin cells be utilized to generate ES cells directly, without the use of an
unfertilized oocyte? Breakthroughs over the past year have led scientists to predict
that this may be possible in the future. In a pioneering study published in summer,
2007, Yamanaka and coworkers reported the generation of germline competent
“induced pluripotent stem cells” (iPS cells) generated by retroviral infection of
mouse skin fibroblasts to force the expression of four transcription factors normally
expressed by ES cells but not by adult somatic cells (Meissner et al. 2007; Okita et al.
2007). Unfortunately, one of the transcription factors was a potent cell cycle
stimulator and the mice generated developed tumors with time. Since this time,
however, researchers have now succeeded in eliminating this gene from the mix, and
now only three transcription factors appear to be sufficient (Nakagawa et al. 2008;
Park et al. 2008). Moreover, in animal mouse models of human disease, iPS cells
RÉSUMÉS DES COURS ET CONFÉRENCES 899
have already shown promise for treatments (Hanna et al. 2007), and in the past
several months, two groups have independently succeeded in generating human iPS
cells from adult skin cells (Takahashi et al. 2007; Yu et al. 2007).
This explosion of research bodes well for the future of human regenerative
medicine. The challenge now will be how to avoid the genetic manipulation (in
some cases, > 50 integrated retroviral DNAs) that occurs in generating iPS cells
and/or overcoming the present hurdles in generating human ES cells by nuclear
transfer. While nuclear transfer is preferable in using epigenetic reprogramming
rather than genetic manipulation, it still uses unfertilized oocytes. That said, the
excitement and promise of stem cells for regenerative medicine continues to grow
and 2007 has been a very successful year in overcoming technological barriers that
less than a decade ago were thought to be insurmountable.
proliferate and divide with each new hair cycle and could be mobilized to repair
wounds to the epidermis. Using fluorescence activated cell sorting, cell culture, and
skin engraftments with clonally derived progeny of single bulge cells, we showed
that these cells are in fact stem cells, and they have multipotent capacity (Blanpain et
al. 2004; Morris et al. 2004; Tumbar et al. 2004; Ito et al. 2005).
We’ve used transcriptional profiling and genetic analyses to understand how
these stem cells maintain quiescence and become activated upon initiation of a
new hair cycle. We’ve revealed roles for the Wnt signaling pathway in stem cell
activation, self renewal, hair shaft production and tumorigenesis (Zhou et al. 1995;
Gat et al. 1998; Chan et al. 1999; DasGupta and Fuchs 1999; Merrill et al. 2001;
McLean et al. 2004; Lowry et al. 2005; Nguyen et al. 2006). We’ve revealed roles
for the BMP pathway in controlling stem cell quiescence (Kobielak et al. 2003;
Kobielak et al. 2007; Horsley et al. 2008). Collectively, the studies from my
laboratory and others (Huelsken and Birchmeier 2001 ; Van Mater et al. 2003;
Andl et al. 2004; Lo Celso et al. 2004; Ito et al. 2007) suggest a working model
for stem cell quiescence, self-renewal and activation in the hair follicle during
normal homeostasis and wound repair.
and its downstream tyrosine kinase effector, focal adhesion kinase (FAK) for ablation
in the skin (Raghavan et al. 2000; Raghavan et al. 2003; Schober et al. 2007).
Without β1 integrin, basement membrane assembly is defective and hair follicles
cannot invaginate. Epidermal cells also fail to activate FAK and focal adhesion
turnover, necessary for efficient cell migration, is impaired (Schober et al. 2007).
Without FAK, the skin epidermis becomes more resistant to tumorigenesis (McLean
et al. 2004; Schober et al. 2007). Interestingly, TGFβ signaling may also be linked to
focal adhesions, as without TGFβ signaling, the skin is more susceptible to
tumorigenesis and FAK is upregulated (Guasch et al. 2007).
Les textes des Archives du palais royal G d’Ebla (Tell Mardikh, 60 km au sud-
ouest d’Alep, dans la Syrie septentrionale) du xxive siècle av. J.-C. permettent
désormais d’écrire l’histoire politique, économique et sociale de la Syrie du
IIIe millénaire av. J.-C., totalement inconnue auparavant. Ils documentent la
présence en Syrie, déjà à partir du début du troisième millénaire, d’une urbanisation
intense ainsi que beaucoup de royaumes qui avaient d’intenses rapports politiques
et commerciaux avec celui d’Ebla.
Après plus de trente ans d’étude des textes d’Ebla et surtout la détermination de
la chronologie relative des textes, lesquels sont datés seulement par le nom du mois
et qu’il faut donc ranger en recourant avant tout à des critères prosopographiques,
il est aujourd’hui possible de décrire pour une cinquantaine d’années dans le cours
du xxive siècle av. J.-C. l’histoire de la Syrie, de la Haute-Mésopotamie et de la
Mésopotamie.
RÉSUMÉS DES COURS ET CONFÉRENCES 903
Dusigu devint alors la reine-mère et Ibrium fut le vizir qui, avec elle, devait tenir
les rênes du pouvoir pour de nombreuses années.
Ibrium entama une série de guerres pour punir des alliés rebelles, tant pour
renforcer le réseau commercial que pour l’étendre, pour guider les armées éblaïtes
dans des campagnes militaires annuelles.
Sous le long règne de son dernier roi, Ishar-Damu, grâce aux victoires d’Ibrium
d’abord, puis de son fils Ibbi-zikir, renforcées par une politique d’alliances, mariages
interdynastiques, pactes jurés, Ebla devient une puissance régionale considérable
avec des frontières qui s’étendaient au Nord-Est jusqu’à Karkémish sur l’Euphrate,
au Sud à Hama, à l’Est à Emar sur l’Euphrate, arrivant même jusqu’à à Alalakh,
et donc à la mer Méditerranée.
Des royaumes importants comme celui de Harran, dans la Turquie actuelle,
étaient liés à Ebla par un lien de parenté et, à la fin de l‘existence d’Ebla, le puissant
royaume de Nagar en Haute-Mésopotamie, lui aussi, devait se lier à Ebla par un
lien matrimonial entre la fille du roi d’Ebla, Tagrish-Damu, et le fils du roi du
Nagar. Dans le royaume de Kish en Mésopotamie, également, on devait envoyer
comme épouse la princesse Keshdut, fille du couple royal.
Malgré les liens avec les royaumes les plus puissants de l’époque et une grande
victoire en rase campagne, Ebla, après quelques années, fut détruite par un ennemi
qui, selon certains, pourrait être venu de la Mésopotamie et avoir été le roi Sargon
d’Akkad, selon d’autres, aurait été un ennemi syrien, comme Mari ou Armi, un
État avec lequel les rapports ont toujours été difficiles ou fluctuants.
Grâce aux archives, on peut avoir aussi une connaissance de la plus ancienne
religion syrienne avec un panthéon de divinités qui devaient être, ensuite, bien
documentées dans la Syrie du deuxième millénaire comme Dagan et Hadad,
Rasap, Ishkhara et Ishtar, ainsi que d’autres divinités comme le dieu-Soleil et Enki,
déjà connues dans le monde sumérien ; mais des divinités comme le dieu dynastique
Kura, sa parèdre Barama et le dieu Adabal semblent avoir disparu par la suite du
panthéon sémitique occidental.
On a retrouvé à Ebla aussi quelques rituels importants parmi lesquels le grand
rituel de renouvellement de la royauté pourrait avoir été connu même en Égypte,
où la fête Sed représentait également un rituel de renouvellement de la royauté.
RÉSUMÉS DES COURS ET CONFÉRENCES 905
M. Leonid Kogan
Professeur à l’Université d’État de Russie, Moscou (Russie)
I.
Dans chaque langue, ancienne ou moderne, morte ou vivante, les lexèmes qui
appartiennent au vocabulaire de base peuvent être classifiés comme provenant
d’une des trois sources diachroniques fondamentales : (1) mots hérités de la proto-
langue ; (2) « mots nouveaux », produits au sein de la langue au cours de son
histoire ; (3) mots empruntés aux autres langues. La terminologie botanique
akkadienne n’offre pas d’exception. Dans ce stratum du vocabulaire akkadien on
découvre facilement les trois sources diachroniques en question, à illustrer par (1)
kanû ‘canne’ < proto-sémitique *kanaw-, (2) aršātum ‘blé’ ou ‘orge’ < aršu ‘cultivé’
< erēšum (assyrien arāšum) ‘cultiver’; (3) gišimmarum ‘palmier dattier’ < sumérien
gišimmar. Dans le cadre des quatre conférences en question, la présentation a été
restreinte aux 50-55 termes appartenant au premier groupe — les termes botaniques
akkadiens qui remontent au proto-sémitique.
La recherche sur les origines sémitiques du vocabulaire botanique n’a jamais été
particulièrement intense, malgré le fait que quelques illustres assyriologues et
sémitisants y aient pris part, tels que Bedřich Hrozný, Pelio Fronzaroli ou Marten
Stol. Plusieurs questions théorétiques en rapport avec ce sujet ont à peine été
touchées (par ex. le problème des emprunts lexicaux ou la reconstruction interne
du vocabulaire botanique proto-sémitique), sans parler des multiples étymologies
concrètes.
II.
Dans le domaine de la terminologie botanique générale, l’origine sémitique est
évidente pour isu ‘arbre’ < *¢iT, kīštu ‘bois, forêt’ < *kayS- et dīšu ‘herbe’ < *da£¿-.
La désignation plus générale de l’herbe (šammu) reste étymologiquement obscure,
le seul parallèle convaincant étant l’égyptien sm.w, dont la sémantique générale est
plus ou moins identique à celle du mot akkadien (‘herbe’ en opposition à ‘arbre’).
Parmi les noms des parties des plantes, šuršu ‘racine’, zēru ‘graine, semence’, per¿u
‘pousse, germe’, šubultu ‘épi’ et tibnu ‘paille’ remontent à des prototypes communs
transparents, à savoir *SVrš-, *Dar ¢-, *parγ-, *šu(n)bul-at- et *tibn-. Le concept de
‘feuille’, une notion importante du vocabulaire de base dans les langues du monde,
est peu développé dans le lexique akkadien, le seul candidat étant aru (artu), dont
l’étymologie reste peu claire (à comparer avec l’arabe γār- ‘feuilles de la vigne’?).
L’akkadien ašnan, une désignation générale (souvent déifiée) de grain ou de céréale,
a été comparé avec le soqotri šane ‘grain’ autant qu’à quelques termes de même
sens dans les langues couchitiques (Oromo saňňi, Somali šuni).
906 RÉSUMÉS DES COURS ET CONFÉRENCES
III.
La terminologie proto-sémitique des herbes sauvages est pauvre, et seule une
petite partie de ces termes communs sont préservés par la langue akkadienne. Les
cinq lexèmes suivants sont les plus certains des points de vue philologique et
étymologique : daddaru ‘chardon’ < *dardar-, ašlu ‘jonc’ < *¿ašal-, kanû ‘roseau,
canne’ < *kanaw-, elpetu ‘alfa’ < *hVlp(-at)-, pekû, pekkūtu ‘coloquinte’ < *pVkV¢-.
Les désignations des arbres sauvages remontant à des prototypes sémitiques
assurés ne sont pas beaucoup plus nombreuses : butnu, butumtu ‘térébinthe’
< *butm(-at)-, bīnu ‘tamaris’ < *bayan-, ettettu ‘un arbrisseau épineux’ < *¿atad-,
¶ilēpu ‘saule’ < *¶ilāp-, burāšu ‘genièvre’ < *burā£-. Pour quelques autres termes
akkadiens appartenant à ce groupe on trouve des apparentements sémitiques
prometteurs, mais les données disponibles ne sont pas suffisantes pour une
reconstruction cohérente : tarpa¿u ‘tamaris’ — l’arabe tarfā¿-, allānu ‘chêne’ —
l’hébreu ¿ēlā ‘térébinthe’ et ¿allōn ‘chêne’, l’araméen commun *¿īlān- ‘arbre’, sarbatu
‘peuplier d’Euphrate’ — l’hébreu ¢ărābā, le syriaque ¢arbtā, l’arabe γarab-, erēnu
‘cèdre’ ou ‘genièvre’ — l’arabe ¢ar ¢ar- ‘genièvre’, l’hébreu ¢ar ¢ar ‘genièvre’ ou
‘tamaris’.
En ce qui concèrne les champignons, le seul terme d’importance est l’akkadien
kam¿atu, traduit traditionnellement comme ‘truffle’ mais plus probablement
désignant une autre espèse mycologique. Le terme akkadien ne peut pas être séparé
de quelques désignations des champignons dans les langues ouest-sémitiques (à
savoir, l’arabe kam¿at- et l’hébreu rabbinique kemēhīm), mais la nature de leur
rapport (cognats ou emprunts ?) reste à eclaircir.
IV.
Les noms akkadiens des céréales ayant une étymologie sémitique assurée sont
peu nombreux : buklu ‘malt’ < *bVkl-, uttetu ‘céréale?’, ‘orge?’, ‘blé?’ < *hint-at-,
possiblement burru ‘blé’ < *bVrr-, du¶nu ‘mil’ < *du¶n- et kunāšu ‘épeautre’
< *kunā£-. De même pour la terminologie proto-sémitique des légumes, dont les
réflexes akkadiens se bornent à šūmū ‘ail’ < *£ūm- (le rapport entre ce terme
commun et le sumérien sum reste contestable), karašu ‘poireau’ < *kara£-, kiššû
‘concombre?’ < *kV£(£)V¿-, ¶assū ‘laitue’ < *¶ass-. Parmi les désignations akkadiennes
des arbres cultivés, celles qui remontent à des prototypes sémitiques assurés ne
sont que deux : šikdu ‘amandier’ < *£akid- et tittu ‘figuier’ < *ta¿in(-at)-.
L’importance de la viniculture dans la Mésopotamie étant assez réduite, on ne
s’étonne pas d’observer que la plupart des termes ouest-sémitiques communs ayant
rapport à la vigne sont absents ou marginalisés en akkadien. Ainsi, le proto-
sémitique *gapn- ‘vigne’, bien attesté dans les langues sémitiques centrales, pourrait
correspondre aux termes akkadiens gapnu et gupnu, attestés dans les sources tardives
et avec un sens visiblement différent (‘arbre’, ‘tronc’). Le proto-sémitique *¢inab-
‘raisin’ (l’hébreu ¢ēnāb, le syriaque ¢enbtā, l’arabe ¢inab-) doit être en rapport avec
RÉSUMÉS DES COURS ET CONFÉRENCES 907
l’akkadien inbu, attesté cependant avec un sens plus général (‘fruit’). Le proto-
sémitique *¿V£kāl- ‘un racème de fruits, une grappe de vigne’ est bien attesté dans
les listes lexicales éblaïtes (áš-kà-lum, iš11-kà-um), tandis que la forme paléo-
babylonienne is¶unnatum, traditionellement mise en rapport avec ce terme
commun, présente des irrégularités phonologiques graves et inexplicables.
M. Albert de Jong
Professeur, université de Leyde (Pays-Bas)
Dans les décennies passées, l’histoire générale (des origines jusqu’au présent) du
mazdéisme a néanmoins été écrite deux fois, par Mary Boyce et par Michael
Stausberg. La première en a apporté toutes ses puissances historiques et
philologiques, mais sa thèse d’une grande continuité historique produite par les
enseignements du prophète Zarathoustra a provoqué beaucoup d’objections. Le
deuxième s’est largement limité à une approche descriptive. Nous nous trouvons
encore face à la question posée il y a presque cinquante ans par Marijan Molé :
une histoire du mazdéisme est-elle possible ?
908 RÉSUMÉS DES COURS ET CONFÉRENCES
Dans ces quatre leçons, une réponse à Molé sera formulée : une histoire du
mazdéisme est seulement possible quand on y reconnaît quatre phases distinctes et
s’efforce à penser quels ont pu être les liens entre ces phases. Première place doit être
donné aux considérations sociologiques et au projet de repenser l’importance et
l’emploi des textes dits sacrés, qui ont été au centre de l’intérêt savant occidental.
Les conquêtes arabes de l’empire Sassanide ont, d’un seul coup, dérobé tout
pouvoir profane aux mazdéens de l’Iran. Le succès de ces conquêtes est vu dans la
RÉSUMÉS DES COURS ET CONFÉRENCES 909
M. Ahmad Beydoun
Professeur, université de Beyrouth (Liban)
1. Du pacte de 1943 à l’accord de Taef : les résistances à la déconfes-
sionnalisation ;
2. Ce qu’« indépendance » voulait dire…
3. Une nouvelle donne inter-communautaire ?
4. Le système politique libanais a-t-il un avenir ?
La crise systémique qui menace de désintégrer l’État Libanais, et déjà en paralyse les
institutions, est-elle une simple réédition de crises antérieures qui ont jalonné, plus ou
moins régulièrement, l’histoire contemporaine de ce pays ? Sans nier les régularités
que l’on constate en se plaçant à un niveau très élevé (et – croyons-nous – peu
productif ) d’abstraction, nous pensons qu’une approche singularisante de la crise en
cours serait plus appropriée pour en cerner les mécanismes effectifs et tenter de mesurer
son impact présent et, surtout, prévisible, sur le pays et son système politique.
En effet, dans la configuration de chaque crise libanaise, se trouve incorporé (à
tout le moins) le « travail » du conflit précédent et de ses lendemains. C’est dire
que la Guerre de 1975-1990 a bien eu lieu, que l’après-guerre qui s’est étendu sur
une décennie et demie imprime aussi son cachet à la conjoncture présente qui,
ayant assimilé l’une et l’autre, ne peut les répéter. En nous exerçant à aller le plus
loin possible dans le démantèlement de la fameuse aporie libanaise où il est question
de « Nous » et des « Autres », nous tenterons d’interroger sur la nouvelle donne
intra- et intercommunautaire issue des développements des trois ou quatre dernières
décennies, la vacance potentielle de la fonction d’arbitrage politique, gérée et, du
même coup, dissimulée par le tuteur syrien, la conjonction inédite d’un chiisme
libanais en voie de cristallisation et de l’alliance irano-syrienne – conjonction qui
redéfinit les perspectives stratégiques de la donne su-mentionnée, etc.
Compte sera tenu, pour ce faire, du système politique dans son entièreté, c’est-à-
dire d’une société politique aux multiples clivages mais de plus en plus musclée et
ombrageuse et d’un État aux institutions déliquescentes mais plus âprement
convoitées que jamais. La question serait alors de savoir si ce système possède encore,
dans la conjoncture durablement défavorable qui a déclenché sa crise, les ressources
aptes à lui ménager une sortie de crise raisonnablement viable. Autrement libellée, la
question serait de savoir si les forces politiques en présence, travaillées déjà par leur
préparation à des conflits probables, voudront ou pourront, à un moment supposé
opportun, se résigner aux lourdes conditions, en termes de réforme institutionnelle
et de refonte politique et organisationnelle, d’un compromis stratégique.
Les titres proposés pour chacune des conférences ne départageront que très
approximativement les quatre étapes de l’analyse. À la fin du cycle, les thèmes
indiqués auront été plus ou moins développés. On ne s’interdira pas, toutefois, de les
faire empiéter les uns sur les autres, en vue de donner une cohérence à l’ensemble.
RÉSUMÉS DES COURS ET CONFÉRENCES 911
Renaissance tardive sera explorée mais le champ privilégié de l’étude sera consacré à
la production des gravures drôles et satiriques qui ont connu une très large circulation
dans l’Italie et la France des xvie et xviie siècles.
Il n’y a pas beaucoup de textes qui, comme le Quichotte, ont suscité, parmi les
artistes du visuel, un élan si intense et si fréquent vers le désir ou la nécessité de
l’illustration. En Occident, seulement la Bible et la Divine Comédie pourraient peut-
être se comparer au Quichotte dans le processus de génération d’images destinées à
accompagner ou, quelquefois, à suppléer et remplacer la lecture. Dans tous les cas,
soit la représentation d’un récit proposé par un texte dont elle est une suite visuelle,
soit la représentation de ce qui est raconté comme un point de départ pour la création
d’un objet séparé du texte même, il faudra se demander quelle est la place de chaque
œuvre visuelle entre les deux pôles possibles qui définissent les relations entre image
et narration écrite, i.e. le pôle de l’illustration pure et subordonnée et le pôle de la
recréation visuelle. La conférence essaiera de déterminer la position des trente-huit
gravures des aventures de Don Quichotte et Sancho Panza, publiées par Jacques
Lagniet entre 1650 et 1652, par rapport à cette polarité. Les liens et les distances
entre l’image et le texte chez Lagniet ont, en effet, établi un mode d’appropriation de
l’histoire du Quichotte qui va au-delà du grotesque pour atteindre une joyeuse
abondance de significations dont la convergence demeure impossible.
M. Peter Golden
Professeur, université de Rutgers, New Jersey (États-Unis)
the close interaction of key elements of the Eastern Türks with China. The Tang
emperor Taizong, calling himself “Heavenly Qaghan” in the Türk style and his
successor, preserved the Türks for a time from steppe foes while attempting to use
them as border forces. The Türks broke free and founded the Second Türk Qaghanate
(682-742). The ethnonym Türk spread as a generic term for Turkic (and some non-
Turkic) steppe peoples among their neighbors and was used as a cultural marker by
some Turkic peoples that had been part of the Türk Qaghanate.
Lecture III : Sacral Kingship in the Turkic World: The Khazar Model
Various forms of sacral kingship were widespread across Eurasia. It was known
among the Türks and elements of it are reported among the Uyghurs (744-840)
their successors in the east. Among the Khazars, the sacral kingship took on a
somewhat different character leading to the transformation of the Khazar Qaghan
into a ritually isolated, tabuized figure that reigned, but did not rule. The actual
governance of the state was given to the Qaghan Beg/Ishâd, although the Qaghan
retained great authority as the bearer of qut (heaven-sent good fortune). Even in
death, he continued to be venerated. This transformation occurred in the 9th
century, as the Qaghan is noted in the sources as an active, governing figure before
then. It was not connected with Judaization as older Türk traditions of sacral
kingship (e.g. the ritual strangulation of the Qaghan at investiture) of shamanic
914 RÉSUMÉS DES COURS ET CONFÉRENCES
origin continued. One of the possible sources for this transformation may have
been the Ors guard force of the Qaghans. The Ors were Khwârazmian in origin
and a number of the practices associated with the later Khazar Qaghans are similar
to Iranian (cf. Sasanid) traditions.
Rethinking Sovereignty,
Rights and International Law in the Epoch of Globalization
Two developments associated with globalization challenge the way we think about
rights, sovereignty and international law. The first is the increasingly influential
discourse of international human rights. This discourse has led cosmopolitan legal
and moral theorists to argue that the “sovereignty” and external legitimacy of
governments should be contingent on their being both non-aggressive and minimally
just. A radical idea is at stake : that the international community may enforce moral
principles and legal rules regulating the conduct of governments toward their own
citizens. The second development is the expanding reach of global governance
institutions that make authoritative policies and coercive legal rules regulating the
actions of state and non-state actors. The global political system centered in the
U.N. now acts in response to the proliferation of new threats to international peace
and security coming from civil wars, failing states, transnational terrorism and the
RÉSUMÉS DES COURS ET CONFÉRENCES 915
risk that private individuals will acquire weapons of mass destruction. The dangers
these threats pose to “human security” seem to indicate the necessity to transcend the
state centric, sovereignty oriented model of international relations and international
law. Indeed many have argued that we are witnessing the constitutionalisation of
international law, and that the decoupling of that law from the state, means that the
latter has lost legal as well as political sovereignty. Sovereignty is deemed an
anachronistic concept, inadequate for understanding the new world order
characterized by global politics and global law. Developments such as humanitarian
intervention, transformative occupation regimes, and legislation by the United
Nations Security Council to counter the “emergency” posed by global terrorism are
seen as the key constitutional moments in the development of a new world order.
This lecture series will challenge the notion that we are en route to a cosmopolitan
world order without the sovereign state. Instead of defending a “state-centric”
sovereigntist position, however, I will argue in favor of a dualist conception of the
new world order, for which the concept of changing “sovereignty regimes” is more
appropriate than cosmopolitanism. I will embrace the project of the “further
constitutionalisation” of international law, as the only acceptable alternative to
empire or to the disintegration of the international order into regional “grossraume”,
but I will do so on the basis of a constitutional pluralist, rather than a monist
perspective. The first lecture will address the theoretical issues involved in rethinking
the relation between sovereignty, and the globalization/constitutionalisation of
international law. The second will address the question of how to think about the
relation between human rights and sovereign equality, the two key principles of the
global legal order, in the epoch of humanitarian intervention, construed as the
enforcement by the international community of human rights. The third will address
the paradoxes involved in the transformative occupations that follow upon
humanitarian intervention regarding the concepts of sovereignty, popular sovereignty
and self-determination. The last will take up the dilemmas produced the fact that the
Security Council has started legislating in the global war on terror, in ways that
undermine human rights in the name of human security and threaten both domestic
as well as global constitutionalism. In each case I will argue that the legitimacy of
global governance and of global governance institutions depends now on formal legal
reform involving the participation of all member states, of the new world order.
l. Sovereignty and International Law Revisited : A Pluralist Perspective.
2. Rethinking Human Rights and Sovereign Equality in the epoch of
Humanitarian Intervention.
3. Toward a Jus Post Bellum for Transformative and/or Humanitarian
Occupations.
4. A Global State of Emergency or the Further Constitutionalisation of
International Law.
916 RÉSUMÉS DES COURS ET CONFÉRENCES
M. Victor I. Stoichita
Professeur à l’université de Fribourg (Suisse)
M. Gyorgy Buzsáki
Professeur à l’Université Rutgers, Newark (États-Unis)
The major part of the brain’s energy budget (~ 60-80%) is devoted to its
communication activities. While inhibition is critical to brain function, relatively
little attention has been paid to its metabolic costs. Understanding how inhibitory
interneurons contribute to brain energy consumption (brain work) is not only of
interest in understanding a fundamental aspect of brain function but also in
understanding functional brain imaging techniques which rely on measurements
related to blood flow and metabolism. I this talk I will examine issues relevant to
an assessment of the work performed by inhibitory interneurons in the service of
brain function.
Timing of spikes within the theta cycle has been shown to reflect the spatial
position of the animal (“phase precession”). The phase of spikes correlates more
strongly with distance than with the time elapsed from the point the rat enters the
place field. We show here that at faster running speeds place cells are active for fewer
theta cycles but oscillate at a higher frequency and emit more spikes per cycle. As a
result, the phase shift of spikes from cycle to cycle (i.e., temporal precession slope) is
faster. Interneurons also show transient phase precession and contribute to the
formation of coherently precessing assemblies. Thus, the speed-correlated increase
of place cell oscillation is responsible for the phase-distance invariance of hippocampal
place cells.We report that temporal spike sequences from hippocampal “place”
neurons on an elevated track recur in reverse order at the end of a run but in forward
order in anticipation of the run, coinciding with sharp waves. Vector distances
between the place fields are reflected in the temporal structure of these sequences.
This bidirectional reenactment of temporal sequences may contribute to the
establishment of higher order associations in episodic memory.
insight into the relationship among these terms. In rats trained to run in direction-
guided (1-dimensional) tasks, hippocampal cell assemblies discharge sequentially,
with different assemblies active on opposite runs, that is place cells are unidirectional.
Such tasks do not require map representation and are formally identical with
learning sequentially occurring items in an episode. Hebbian plasticity, acting
within the temporal window of the theta cycle, converts the travel distances into
synaptic strengths between the sequentially activated and unidirectionally connected
assemblies. In contrast, place representations by hippocampal neurons in
2-dimensional environments are typically omnidirectional, characteristic of a map.
Generation of a map requires exploration, essentially a dead reckoning behavior. I
suggest that orthogonal and omnidirectional navigation through the same places
(junctions) during exploration gives rise to omnidirectional place cells and,
consequently, maps free of temporal context. Analogously, multiple crossings of
common junction(s) of episodes convert the common junction(s) into context-free
or semantic memory. Theta oscillation can hence be conceived as the navigation
rhythm through both physical and mnemonic space, facilitating the formation of
maps and episodic/semantic memories.
A longstanding conjecture in neuroscience is that aspects of cognition depend on
the brain’s ability to self-generate sequential neuronal activity. We found that reliably
and continually-changing cell assemblies in the rat hippocampus appeared not only
during spatial navigation but also in the absence of changing environmental or
body-derived inputs. During the delay period of a memory task each moment in
time was characterized by the activity of a unique assembly of neurons. Identical
initial conditions triggered a similar assembly sequence, whereas different conditions
gave rise, uniquely, to different sequences, thereby predicting behavioral choices,
including errors. Such sequences were not formed in control, non-memory, tasks.
We hypothesize that neuronal representations, evolved for encoding distance in
spatial navigation, also support episodic recall and the planning of action sequences.
Both the thalamocortical and limbic systems generate a variety of brain state-
dependent rhythms but the relationship between the oscillatory families is not well
understood. Transfer of information across structures can be controlled by the
offset oscillations. I suggest that slow oscillation of the neocortex, temporally
coordinates the self-organized oscillations in the neocortex, entorhinal cortex,
subiculum and hippocampus. Transient coupling between rhythms can guide
bidirectional information transfer among these structures and might serve to
consolidate memory traces.
RÉSUMÉS DES COURS ET CONFÉRENCES 919
M. Gaëtan Chenevier
Chargé de recherches au CNRS
Le cours s’est composé de quatre séances de deux heures chacune, dont nous
décrivons maintenant brièvement le contenu.
D’après les travaux de nombreux auteurs, aux points de Zu sont associées des
représentations automorphes pour divers groupes unitaires à d variables attachés à
E/⺡ ; la première partie du cours a consisté en une analyse des congruences
modulo une puissance de p entre celles-ci. Nous travaillons avec des groupes
unitaires U dont les points réels sont compacts, et l’objectif est d’étendre à ces
derniers les résultats sur les familles p-adiques de formes modulaires obtenus par
Hida, Coleman et Coleman-Mazur dans le cadre du groupe GL2 sur ⺡. Pour un
tel groupe U, nous définissons ce qu’est une « représentation automorphe p-adique
de pente finie » et nous démontrons que l’ensemble de ces dernières forme un
espace analytique p-adique naturel : la « variété de Hecke » de U. Cet espace,
disons noté Yd (U ), est d’équi-dimension d. Il peut être vu comme une interpolation
p-adique d’une partie du spectre automorphe (discret) de U. En effet, à chaque
paire (Π, R) formée d’une représentation automorphe Π de U telle que Πp est non
ramifiée, et d’un « raffinement » R de Πp (essentiellement, un ordre total sur les
valeurs propres de la classe de Langlands de Πp), est associé un point dit « classique »
de Yd (U ) ; les points classiques sont Zariski-denses dans Yd (U ).
920 RÉSUMÉS DES COURS ET CONFÉRENCES
M. Dong-Hyun Son
Professeur, Sungkyunkwan University, Séoul (Corée du Sud)
Pour ce qui est des êtres humains, le Monde entendu comme un tout n’est pas
un fait, mais seulement une idée. Ce qui nous est donné au travers de nos activités
n’est pas le monde lui-même mais plusieurs « mondes » ou seulement quelques
aspects du monde. La technologie, à l’instar de n’importe quelle autre activité
humaine, constitue, ou plutôt nous révèle, un monde unique, qui a sa nature et
ses caractéristiques propres. Les technologies de l’information et de la communication
ont donné naissance à un monde de réalité virtuelle, qui n’a pas besoin de suivre
les principes du monde naturel ordinaire. Grâce à son « hyper-réalité », nous
pouvons maintenant découvrir de nombreux mondes possibles et étendre
indéfiniment le domaine de résidence de l’humanité.
Aujourd’hui, la « digitalisation » de la variété des activités et des expériences
humaines dans un code neutre, qui se diffuse dans tout le cyber-espace, est devenue
en quelque sorte routinière. À première vue, ce mouvement apparaît comme un
progrès pour le bien-être de l’humanité. Pourtant, il masque le danger que ne
soient détruites et fragmentées la subjectivité et l’identité personnelle. L’enseignement
de Lao-Tseu, quand il nous enjoint de « ne rien faire », suppose « l’équilibre et
l’harmonie » au sein des différents points de vue, des différents « mondes », dans
l’intérêt du tout, c’est-à-dire du Monde. Le fait que le cyber-monde, qui n’est
qu’un des mondes, s’impose au détriment des autres mondes constitués par la
variété des expériences humaines, doit être examiné d’un point de vue ontologique.
Sans un fondement ontologique solide, le cyber-monde demeurera fragile. Et la
démarcation entre le monde réel et le monde imaginaire se révélera de plus en plus
obscure, porteuse de risques qui nous sont encore inconnus.
Le concept de grand chant courtois, de même que son antécédent plus générique
– mais plus « fort » du point de vue théorique –, celui de poésie formelle, a conditionné,
en bien ou en mal, la réflexion sur la poésie lyrique médiévale des quatre ou cinq
dernières décennies. On a cependant l’impression que depuis longtemps, dans la
communis opinio des critiques, les deux concepts ont été tellement simplifiés et
vulgarisés qu’ils ont prêté le flanc à toute une série d’objections, notamment de la
part des partisans d’une approche plus sensible à l’épaisseur idéologique et culturelle
des textes et de leurs auteurs. Ce n’est donc qu’à partir d’un réexamen du sens primitif
donné à ces deux concepts par leur inventeur, Robert Guiette, que l’on peut essayer
de montrer dans quelle mesure ils pourront encore se révéler utiles et efficaces dans le
cadre de la recherche actuelle.
RÉSUMÉS DES COURS ET CONFÉRENCES 923
Lorsque l’on s’en tient aux principes les plus généraux de la réflexion de Guiette,
on se rend d’abord compte qu’il considérait, en principe, la poésie formelle comme
une modalité stylistique typiquement médiévale, dans laquelle la structure rhétorico-
musicale apparaît inséparable d’un contenu déterminé pour ainsi dire
idéologiquement, tandis que le grand chant courtois aurait été, à son avis, un
véritable genre, qui se développa dans un milieu historique et culturel très précis
– celui des poètes aristocratiques d’oïl d’avant la troisième décennie du xiiie siècle –,
sans aucune possibilité d’extension abusive à d’autres réalités lyriques. Deuxièmement,
Guiette voyait l’élément fondateur de la poésie formelle dans une typologie
communicative que l’on pourrait, d’après les acquisitions de la critique post-
bachtinienne, appeler « interdiscursive » ; cela signifie que, pour comprendre le
sens de cette poésie, il est nécessaire de fixer son attention non pas sur le texte
isolé, mais sur la série textuelle dont celui-ci fait partie : pour le créateur de poésie
comme pour son public, ce qui compte vraiment est l’expérience de la sérialité.
Cela dit, on peut ajouter que deux éléments ont contribué à renforcer la
« conscience du genre » chez les poètes d’oïl et le public contemporain du grand
chant courtois : en premier lieu, l’évidente homogénéité structurelle et thématique
des textes, puisqu’avec la forme de la chanson ne sont réalisées que des œuvres dont
le sujet est de nature amoureuse, exprimé selon les formules de l’effusion des
sentiments et traité dans le cadre consolidé de l’idéologie de l’amour courtois ; en
second lieu, l’opposition, nette et essentiellement binaire, entre la chanson et les
genres poétiques à forme fixe qui sont souvent (mais pas uniquement) d’origine
populaire. Par contre, la canso occitane, qui est pourtant la concrétisation d’un art
formel fondé sur des bases fort semblables à celles du grand chant des trouvères, ne
peut pas être définie aussi catégoriquement comme la « forme-type » de la poésie
d’amour des troubadours, puisque, tout en restant pratiquement inaltérée tout au
long du parcours de la littérature d’oc, elle n’accueille pas exclusivement le thème
érotique, mais draine une gamme de contenus bien plus riches et plus variés.
Ce qui rend la canso occitane quelque chose de tout à fait différent par rapport
au grand chant courtois, c’est le « quotient d’hétéroréférence » – c’est-à-dire la
capacité d’accueillir dans le texte poétique une série d’indications, de références et
d’impulsions étrangères à la ligne de l’auto-anamnèse typique du discours lyrique –
qui la caractérise. La présence d’un « quotient d’hétéroréférence » très élevé fait que
la canso s’ouvre à toute une série de thématiques et de stratégies rhétoriques et
discursives que le grand chant courtois, en principe, ignore. En particulier, tandis
que chez les trouvères le rapport qui s’instaure entre chaque texte appartenant au
genre du grand chant courtois et ses « confrères » peut aisément être décrit, comme
on vient de le dire plus haut, en ayant recours à la notion d’interdiscursivité, les
troubadours semblent privilégier, pour leurs textes, les liens de nature intertextuelle,
plus marqués précisément du point de vue de la référence.
924 RÉSUMÉS DES COURS ET CONFÉRENCES
M. Yasuaki Onuma
Professeur à l’université de Tokyo (Japon)
M. Martin Schwartz
Professeur, université de Californie, Berkeley (Etats-Unis)
(word-play), and various cryptic uses of coded initial sounds — a kind of phonic
cabbalism — as well as oral acrostics.
I shall focus particularly on Yasna 32, bringing together my various insights
about this amazing text, as it figures in the early histor yof Zoroastrianism, and
and its general interest for cognitive issues.
In my talk I shall summarize my discoveries about the composition of the Gathas
— ring composition of first-stage (protopoems) and second-stage final poems, and
serial generation of the corpus, from poem to poem (as indicated below).
In addition I shall a new, and I hope somewhat astonishing demonstration of
the teleological nature of the Gathic corpus. This will provide material for
discussion of the question of the authorship of the Gathas. Subject to minor
adjustments in translation, the following describes this new view of the gathas
which I shall present.
Yasna 53 is a wedding poem in the poet (stanzas 3-5) addresses the bride as
“Pouruchista Haechataspana, the youngest of Zarathushtra’s daughters”, says that
“he will give her (a benefactor) as
mate’ and states further, “I will entrust *her with the zeal whereby she
will attend to father, husband, pasturers, and family”.
The formulation of the foregoing would ordinarily be thought dictated merely
by the realia of the occasion at hand. However, I shall show that everything here
(and most else in the poem) derives its wording from earlier poems in accordance
with a very precise set of gamelike rules of composition. Beginning with the first
poem in the corpus (demonstrably Yasna 29), every completed poem (in an order
different from that of the present Gathic canon) contributes a set of two strings
of words, whereby each poem gives, stanza by stanza in each direction , a series of
words whose formal equivalents (i.e. identical forms or cognates or homonyms)
enter the next poem, stanza by stanza, both backwards and forwards, with each
new poem cumulatively bearing the word-strings of all the preceding poems. In
addition, each poem had to be composed according to patterns of concentric ring
composition. I have presented these principles and illustrated them with charts in
The Bulletin of the Asia Institute, Volumes 16 and 17.
Yasna 53, the last poem composed, thus contains the lexical strings of all the
poems composed earlier (hence the irregular length of lines in Y53), which would
obligatorily serve as the basic « vertical » word pool for the poem’s phraseology.
Thus the contents summarized in my first paragraph above, including words
quoted (and even the elements of the proper names), which refer to practicalities
of a real wedding, recapitulate words used earlier in other poems in contexts which
are theological/mythological and eschatological.
The many odd, virtually labyrinthine, formal constraints which the Gathic poet
imposed upon his compositions present us with new tools for the study of the
RÉSUMÉS DES COURS ET CONFÉRENCES 927
relative chronology of his poems, for the lexicographical problems they pose, and
for assessing the connection of his poetic with his religious thought. For a broader
perspective on of what this all amounts to (and I confess feeling still too close to
the data to have a desirable perspective), I look forward to the reactions and
insights to be provided by the discussion.
M. Karl Friston
Professeur, University College London (Grande Bretagne)
statistical regularities into the sensorium. These are learned in the same way we
learn the causal structure of sensory contingencies. In this view, rewards are simply
predictable stimuli (and aversive stimuli are, be definition, surprising). Furthermore,
the neurobiological substrates of value-learning become accountable to the larger
problem of perceptual inference in the brain. For example, dopamine may not just
signal reward but have a much more generic and role encoding the conditional
certainty or precision of our predictions. This is consistent with a role in modulating
the balance between bottom-up sensory information and top-down empirical
priors, during perpetual inference.
M. David Warnock
Professeur à l’Université d’Alabama, Birmingham (États-Unis)
b) the National Kidney Foundation Kidney Early Evaluation Program (KEEP) ; and
c) the National Health and Nutrition Examination Survey (NHANES) 1999-2004.
All three cohorts also provide prevalence estimates for co-morbidities such as
cardiovascular and cerebrovascular disease.
The REGARDS and KEEP cohorts are older than the NHANES cohort, and
have slightly greater prevalence of more advanced CKD (Stage 3) than the
NHANES cohort. These cohorts are the undergoing longitudinal evaluation to
prospectively determine the incidence of cardiovascular disease (MI and CHF),
cerebrovascular disease (strokes and TIAs), and progressive CKD and ESRD. Based
on self-reported history of co-morbidities, there appears to be an association
between CKD (eGFR < 60 ml/min/1.73 m2) and AMI and stroke, with an
increased risk, adjusted for traditional (e.g., Framingham) risk factors of 35%.
These prevalence estimates and associations will be converted to actual hazard
ratios and detailed definition of the importance of traditional (i.e., systolic
hypertension, diabetes, smoking, cholesterol, age, gender) and non-traditional
(CKD stage, anemia, inflammation, ethnicity) risk factors for the occurrence of
stroke, cardiovascular events and ESRD.
therapy, giving rise to the feeling that these agents have beneficial effects above and
beyond what can be achieved with blood pressure control alone.
At present, there is a balancing act between the control of blood pressure and
control of proteinuria. Even in the most well defined outcome studies of type I,
and type II diabetes, the outcomes with respect to slowing the rate of progression
of CKD, though significant, do not achieve the ultimate goal of reducing the
progression rate to < 1 ml/min/1.73 m2/year.
A new paradigm is emerging that focuses directly on the control of proteinuria to
less than 0.5 grams/day with ACEI/ARB therapy and also other non-traditional
forms of therapy including other forms of RAS blockers, vitamin D, and other
agents.
These issues will be put in focus for the case of Fabry nephropathy. Fabry disease
is a rate multi-system disease caused by a mutation in the alpha-galactosidase A
gene on the X-chromosome. It is a progressive form of proteinuric CKD, but in
contrast to diabetes, the systolic blood pressure is not usually elevated, which
makes the utilization of traditional anti-proteinuric therapy challenging.
In conclusion, the importance of control of proteinuria in slowing the progression
of CKD will be emphasized with the use of a combination of treatment approaches
to achieve this goal. In this context, control of proteinuria, per se, rather than
lowering the systolic blood pressure to an arbitrary, fixed goal becomes the primary
outcome measure. While this approach clearly has merit, long-term outcome
studies are need before reduction of urinary protein excretion can be accepted as
a surrogate endpoint for slowing the progression of CKD.
LES ÉQUIPES ACCUEILLIES
AU COLLÈGE DE FRANCE
I
Domaines, recherches
Les recherches de l’équipe portent sur l’Inde et les espaces asiatiques concernés
par la diffusion de sa culture (Asie centrale, Tibet, Asie du Sud-Est notamment),
ses savoirs, religions et systèmes politiques à travers les siècles. Centrés en premier
sur l’étude des sources textuelles et le repérage de manuscrits et autres documents
inédits, les travaux portent sur les religions et philosophies indiennes (brahmanique,
jaina et bouddhique), les belles-lettres et l’histoire. Ils s’enrichissent d’enquêtes de
terrain (anthropologie), de recherches comparatives (en histoire des religions par
934 LES ÉQUIPES ACCUEILLIES AU COLLÈGE DE FRANCE
1. Philosophie, exégèse
1.1. Trois membres de l’équipe poursuivent des recherches importantes dans le
domaine du Shivaïsme non dualiste du Cachemire et du tantrisme. L. Bansat-
Boudon achève actuellement une édition et une traduction commentée d’une des
sources majeures de l’école çivaïte dite du Trika, le Pâramârthasâra (« L’Essence de
la réalité ultime ») d’Abhinavagupta (xe-xie s. de n. è.) et de sa glose par Yogarâja
(xie s.) (parution prévue en 2009). La comparaison de ce texte et du Pâramârthasâra
d’Âdiçesha, texte d’obédience philosophique différente dont il constitue la réécriture
çivaïte, contribue à l’étude du thème de « la réécriture », inscrit au quadriennal de
l’équipe.
1.2. I. Ratié poursuit, dans le cadre d’une thèse (soutenance prévue en 2008),
l’étude de la notion de pratyabhijñâ chez Abhinavagupta, sur la base de nouveaux
matériaux repérés en Inde.
1.3. Enfin, l’un des textes les plus anciens sur le culte des yoginî, le Picumata-
Brahmayâmala Tantra, est le sujet de la troisième recherche (J. Törzsök).
1.4. L’œuvre de Skandasvâmin (viie s. de n. è.) fait l’objet d’une étude sur la
tradition exégétique du Rgveda (S. d’Intino), projet en cours auprès de la Gonda
Foundation (IIAS, Leyde).
II
Activités, échanges internationaux
Deux autres doctorants (J. Estève et D. Soutif ) ont présenté leurs travaux dans
des colloques et journées d’étude, voir infra.
III
Colloques et Journées d’étude
1. Organisation
Des colloques ou journées d’études (3) ont été (co)organisés par l’équipe : (1)
« Les ‘esclaves’ dans l’épigraphie du Cambodge ancien » (12/09/07, Naples, Italie).
Interventions de J. Estève, G. Gerschheimer, D. Soutif ; (2) Journées d’études
d’épigraphie asiatique qui se sont tenues au CdF les 16-17 oct. 2007. Interventions
de G. Gerschheimer, C. Scherrer-Schaub, D. Soutif ; (3) « Edition, Editions :
l’écrit au Tibet, évolution et devenir ». Intervention de C. Scherrer-Schaub.
2. Participation
Un post-doc, trois doctorants et un DE sont intervenus lors de colloques ou
congrès internationaux qui se sont tenus en 2007-08, à Leyde, Bangkok, Atlanta,
Paris.
IV. Publications
Chine
L’équipe « Civilisation chinoise » poursuit, depuis de nombreuses années, une
politique d’acquisition de livres, tous mis à la disposition des lecteurs de la
bibliothèque de l’Institut des Hautes Etudes Chinoises (IHEC, dirigé par Pierre-
Etienne Will).
Activités principales dans le cadre des programmes collectifs :
–– Séminaire « La fabrique du lisible » (responsable : Jean-Pierre Drège),
dépendant du programme sur « La matérialité du texte. Mise en page et mise en
texte du livre manuscrit en Chine, des Royaumes combattants au début des Song
(ve s. av. J.-C. - xe s. de notre ère.) ».
Ce séminaire régulier vise à l’étude de la mise en texte des manuscrits chinois
selon les méthodes définies à partir de l’expérience lancée par Henri-Jean Martin
sur les manuscrits, puis sur les imprimés occidentaux. Il s’agit de déceler les
transformations qui s’opèrent dans la présentation même des textes chinois
manuscrits au cours du temps, en relation ou non avec les changements de supports.
L’objectif est précisément de chercher à montrer comment le discours écrit se
détermine autant par les conditions matérielles de sa production que par sa
structure interne.
–– Programme de recherche sur la tombe de l’empereur Qianlong (1736-1796)
(responsable : Françoise Wang-Toutain). Dans ce programme transversal sont
associés sinologues et tibétologues. Il repose sur un partenariat entre l’UMR, une
équipe établie à Marseille spécialisée dans l’usage de technologies nouvelles pour
l’étude des monuments anciens (UMR 694) et les responsables chinois de l’Institut
du patrimoine culturel de Dongling (province du Hebei), site classé en l’an 2000
au patrimoine mondial de l’humanité par l’Unesco. L’étude porte sur une tombe
dont l’architecture, le programme iconographique et les inscriptions (plus de
30 000 signes en écriture tibétaine et indienne) témoignent d’une double
appartenance culturelle, chinoise et tibétaine, en étroite association avec le
bouddhisme. Elle permettra notamment une modélisation en trois dimensions de
LES ÉQUIPES ACCUEILLIES AU COLLÈGE DE FRANCE 939
la tombe et un relevé complet des inscriptions (80 % environ des graphies sont
déchiffrées) grâce à l’utilisation de techniques de pointe.
–– Programme international en partenariat avec l’Institut archéologique et du
patrimoine du Zhejiang (Chine) : « The Potter’s Villages of Longquan District in
Zhejiang: Decoding a Traditional Local Craft Society » (responsable : Zhao Bing).
Il s’agit d’un des six volets du programme interdisciplinaire 2006-2009 « Professional
cultures and the transmission of specialized knowledge : Artisans and merchants in
local society » (direction scientifique : Christian Lamouroux, Centre Chine,
EHESS). Cette opération, qui a fait l’objet d’une convention de recherche entre
l’EPHE, l’EHESS et l’Institut d’archéologie du Zhejiang en 2007, a donné lieu à
plusieurs missions de terrain en Chine. D’autre part, un collègue chinois, M. Shen
Yueming (Institut d’archéologie et du patrimoine du Zhejiang), a été invité en
France à l’automne 2007. Lors de son séjour, un atelier a été organisé pour présenter
les premiers résultats de travail, notamment sur les archives locales en rapport avec
la production de la période républicaine (1911-1949).
Colloque
–– Paris, Collège de France, 16-17 octobre 2007 : Journées d’études d’épigraphie
asiatique.
Ces journées ont été organisées conjointement par l’UMR 8155, l’UMR 8173 « Chine,
Corée, Japon » (CNRS/EHESS/Université Paris 7), l’EA 518 « Le monde indien : textes,
sociétés, représentations » (EPHE) et la JE 2342 « Archéologie du monde khmer » (EFEO).
Il s’agissait de confronter les différentes approches dans le domaine épigraphique de l’Asie,
de l’Inde au Japon.
Organisateurs : Jean-Pierre Drège (EPHE), Yannick Bruneton (université Denis Diderot/
Paris 7) et Gerdi Gerschheimer (EPHE).
Japon
Au cours de l’année, un professeur japonais a été accueilli pour une durée d’un
an : Monsieur Umeyama Hideyuki, titulaire de la chaire de la littérature japonaise
de l’Université Momoyama Gakuin (Kyoto).
Colloques internationaux
— « Linguistique du Kango » (responsables Hiroko Ôshima et Akiko Nakajima), colloque
international organisé les 14 et 15 mars 2008 à l’Université Paris Diderot. Les kango, que
l’on s’accorde à définir comme les constructions à base de morphèmes d’origine chinoise
écrits en kanji dans l’usage courant, occupent une place importante en japonais, et posent
des problèmes d’analyse spécifiques. Le projet avait pour objectif de faire un bilan de
l’ensemble des connaissances relatives aux kango et d’ouvrir de nouvelles pistes de recherches
dans tous les domaines concernés : phonologie, morphologie, syntaxe, sémantique,
psycholinguistique, pragmatique, acquisition (langue première ou seconde), etc., tant dans
leurs aspects diachroniques que synchroniques.
— « Matters untranslatable – Ce qui ne peut être traduit » (responsable Josef Kyburz),
colloque international organisé conjointement avec l’université Hôsei (Japon), au Centre
Européen d’Etudes Japonaises d’Alsace (CEEJA), Kientzheim, 21-24 novembre 2007.
Journées d’étude
— « La vie culturelle à l’époque d’Edo », journée organisée par Annick Horiuchi, en
collaboration avec le département d’études japonaises de l’Université de Leiden (30 novembre
2007, Université de Paris Diderot).
— « Les 150 ans des relations diplomatiques France-Japon », sous la responsabilité de
Jean-Noël Robert (23 mai 2008, Académie des Inscriptions et belles Lettres).
— « Autour du Dit des Heike : narration épique et théâtralité » sous la responsabilité de
Claire Brisset, Arnaud Brotons et Daniel Struve (6 et 7 juin 2008, Université de Paris
Diderot).
Tibet
Activités de l’équipe « Civilisation tibétaine » dans le cadre des programmes
collectifs :
–– « Rituels et représentations dans le monde tibétain » (responsable : Katia
Buffetrille).
Colloque : « La transformation des rituels dans l’aire tibétaine à l’époque contemporaine »
(organisateur : K. Buffetrille), les 8 et 9 novembre 2007 au Collège de France. Les actes
seront publiés dans la collection de la Bibliothèque des Hautes-Etudes, Section des Sciences
religieuses, en 2009. Une présentation en a été donnée dans Lettre du Collège de France
(n° 22, février 2008, p. 27-28).
Les recherches du LESA portent sur le monde sémitique occidental ancien, des
débuts de l’écriture jusqu’à la conquête islamique. Si les recherches du LESA
s’intéressent principalement aux textes, qu’ils soient épigraphiques ou littéraires,
l’archéologie occupe une place importante.
Organisation de colloques
— Christian Robin et Isabelle Sachet : « Dieux et déesses d’Arabie : images et
représentations », Paris, Collège de France, 1er et 2 octobre 2007 (dans le cadre du
projet ANR « De l’Antiquité tardive à l’Islam »).
— Préparation de sept colloques (novembre et début décembre 2008) qui
concluront le projet ANR « De l’Antiquité tardive à l’Islam ».
— Yémen
1. Christian Robin, Jérémie Schiettecatte, Guillaume Charloux : dans le cadre
de la mission archéologique et épigraphique dans l’antique royaume de Qatabān,
dirigée par Christian Robin, poursuite de la fouille de Hasî (février - mi-mars
2008).
2. Iwona Gajda : dans le même cadre, poursuite de la prospection épigraphique
et archéologique sur le territoire de Madhâ (février - mi-mars 2008).
— Arabie saoudite
1. Laïla Nehmé : création et co-direction de la mission archéologique de Madâ’in
Sâlih, l’ancienne Hégra (Arabie saoudite), dont la première campagne a eu lieu
début 2008, en collaboration avec la Commission supérieure pour le tourisme
d’Arabie saoudite. Ont également participé à cette campagne Isabelle Sachet et
Guillaume Charloux.
2. Christian Robin (directeur), Mounir Arbach, Guillaume Charloux et Jérémie
Schiettecatte : prospection épigraphique dans la région de Najrân (mars-avril
2008).
LES ÉQUIPES ACCUEILLIES AU COLLÈGE DE FRANCE 945
— Syrie
1. Maria-Grazia Masetti-Rouault : direction de la Mission archéologique française
dans le site de Tell Masâ’ikh, bas Moyen-Euphrate syrien (niveaux halafien, obeïdien,
Bronze Moyen II-III, Fer II-III — néo-assyrien et néo-babylonien —, romano-
parthe et islamique ; réalisation d’un programme de prospections et sondages dans le
bas Moyen-Euphrate (région de Terqa) (octobre-novembre 2007).
2. Jacques Lagarce : achèvement de la mise en état, entreprise en 2003, du site
de Ra’s Ibn Hânî (Lattaquié).
3. Ougarit : missions de Pierre Bordreuil, Hedwige Rouillard-Bonraisin, Robert
Hawley (chargé de la publication de tablettes épistolaires, juridiques et scolaires),
membres de l’équipe épigraphique de la Mission archéologique franco-syrienne de
Ra’s Shamra-Ougarit.
4. Françoise Briquel-Chatonnet et Alain Desreumaux : dans le cadre de la
mission franco-syrienne qui prépare le volume « Syrie » du Recueil des inscriptions
syriaques (Académie des Inscriptions et Belles-Lettres), prospection épigraphique en
Syrie du Nord (juin 2008).
— Liban
Françoise Briquel-Chatonnet et Alain Desreumaux : catalogage des manuscrits
syriaques du patriarcat syro-catholique à Charfet, en collaboration avec deux
chercheurs de l’Institut de Recherche et d’Histoire des Textes et deux chercheurs
syriens (juin 2008).
Publications
Ouvrages
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946 LES ÉQUIPES ACCUEILLIES AU COLLÈGE DE FRANCE
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418 p.
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l’histoire. Le Proche-Orient, de l’invention de l’écriture à la naissance du monothéisme, Paris,
2008, 420 p.
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948 LES ÉQUIPES ACCUEILLIES AU COLLÈGE DE FRANCE
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Marie-Christine Grasse, Paris (Somogy, Editions d’art), 2007, 79-82.
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Anne-Marie Lézine, Djillali Hadjouis, Frank Braemer, Pierre Bodu, Rémy Crassard,
Muhamad Manqsh, Sanaa (CEFAS), 2007, 7.
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memoriam », Semitica 52-53, 2007, 7-9.
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Littérature Ougaritique, Sherbrooke, 2007, 315-325.
LES ÉQUIPES ACCUEILLIES AU COLLÈGE DE FRANCE 949
l’année dernière, nous avons montré comment ces données peuvent être expliquées
par des principes de symétrie au niveau de la connectivité neuronale. Ce travail
propose des perspectives mathématiques sur différentes architectures possibles de
systèmes de mémoire de travail. Un travail en cours cherche à affiner ces modèles
de réseaux, afin de mieux reproduire les données expérimentales, et de proposer
des prédictions pour des expériences futures.
Nous avons développé une théorie nouvelle pour expliquer les courbes de
mémoire à court terme. Dans cette théorie, la mémoire de travail est entretenue
par de la facilitation synaptique basée sur le calcium, au niveau des connections
récurrentes dans les réseaux du néo-cortex. Le calcium présynaptique résiduel
jouerait alors le rôle d’un tampon, contrôlé, renouvelé et « lu » par les activités
« spikantes » des neurones. Du fait des longues constantes de temps de la cinétique
du calcium, le taux de renouvellement peut être bas, menant à un mécanisme
efficace et robuste. La durée et la stabilité de la mémoire à court terme peuvent
être contrôlées en modulant l’activité spontanée au sein du réseau. Ce travail a
conduit à une publication dans Science.
Une deuxième approche a été d’étudier les mécanismes par lesquels la nicotine
usurpe le signal dopaminergique dans le VTA. Nous avons conçu et analysé un
modèle des circuits neuronaux dans le VTA qui inclut les principales caractéristiques
des récepteurs nicotiniques à l’acétylcholine, telles que leurs distributions relatives
sur les différents types cellulaires, leur affinité, leurs possibilités de sensibilisation
et d’inactivation. Nous avons montré comment la nicotine mène à une augmentation
persistante de la sortie dopaminergique. Nous avons enfin montré comment les
donnés in vivo et in vitro, considérées jusqu’à présent contradictoires, peuvent être
réconciliées.
Publications 20072008
(en ordre alphabétique et par année)
Denève, S., Bayesian Spiking Neurons I : Inference. Neural Computation, 20, 91-117
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952 LES ÉQUIPES ACCUEILLIES AU COLLÈGE DE FRANCE
Benda, J., Gollisch, T., Machens, C.K., and Herz, A.V.M., From response to stimulus:
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Bobashev, G., Costenbader, E., and Gutkin, B.S., Comprehensive mathematical
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Brumberg, J.C. and Gutkin, B.S., Cortical pyramidal cells as non-linear oscillators :
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Le Système Apélinergique
En recherchant un récepteur spécifique de l’AngIII, nous avons isolé chez le rat
un récepteur couplé aux protéines G, partageant 95 % d’identité de séquence avec
le récepteur orphelin humain APJ qui s’est révélé être le récepteur d’un nouveau
peptide, l’apéline. Nous avons caractérisé pharmacologiquement ce récepteur, établi
dans le cerveau de rat la distribution des neurones apélinergiques ainsi que celle
de l’ ARNm du récepteur de l’apéline et observé que l’apéline et son récepteur sont
co-exprimés avec la vasopressine (AVP) dans les neurones magnocellulaires
vasopressinergiques. Nous avons mis en évidence que l’apéline, injectée par voie
centrale chez la rate en lactation, diminue l’activité électrique de ces neurones et
la sécrétion d’AVP dans la circulation sanguine, provoquant une diurèse aqueuse.
Enfin nous avons établi chez le rat déshydraté que l’apéline et l’AVP sont régulées
954 LES ÉQUIPES ACCUEILLIES AU COLLÈGE DE FRANCE
Publications 20072008
Chartrel N., Alvear-Perez R., Leprince J., Iturrioz X., Reaux-Le Goazigo A.,
Audinot V., Chomarat P., Cogé F., Nosjean O., Rodriguez M., Galizzi J.P., Boutin J.
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Bodineau L., Frugiere A., Marc Y., Inguimbert N., Fassot C., Roques B., Llorens-
Cortes C. Orally active aminopeptidase A inhibitors reduce blood pressure by inhibiting
956 LES ÉQUIPES ACCUEILLIES AU COLLÈGE DE FRANCE
Brevets
L’équipe de Jean-Pol Tassin étudie depuis plusieurs années les modifications neu-
rochimiques à long terme dues à la prise répétée de drogues d’abus. En 2006, cette
équipe a montré qu’il existe, chez les animaux non dépendants, une régulation
réciproque des neurones noradrénergiques et sérotoninergiques par l’intermédiaire
des récepteurs a1b-adrénergiques (contrôle noradrénergique des neurones sérotoni-
nergiques) et 5-HT2A (contrôle sérotoninergique des neurones noradrénergiques).
Les prises répétées de psychostimulants — comme l’amphétamine ou la cocaïne —,
d’opiacés — comme la morphine ou l’héroïne —, ou d’alcool, dissocient cette
régulation mutuelle (5). Chaque système, noradrénergique ou sérotoninergique,
devient alors autonome et hyper-réactif. Cette dissociation (ou découplage) se
maintient plusieurs mois après la dernière prise de drogue, est indépendante de la
libération de dopamine et n’apparaît pas si les animaux sont pré-traités par des
antagonistes des récepteurs a1b-adrénergiques et 5-HT2A avant chaque prise de
drogue d’abus. Ce travail a donné lieu à la proposition d’un nouveau concept de
la pharmaco-dépendance (2,4) selon lequel le découplage, vraisemblablement pré-
sent chez les toxicomanes, entraîne une autonomisation des neurones noradréner-
giques et sérotoninergiques qui réagissent de façon indépendante et hyper-réactive
aux stimuli externes. Reprendre de la drogue permettrait un recouplage artificiel
de ces neurones, créant ainsi un soulagement temporaire susceptible d’expliquer la
rechute de la consommation.
Salomon L., Lanteri C., Godeheu G., Blanc G., Gingrich J., Tassin J.P. Paradoxical
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Communication jonctionnelle
et interactions entre réseaux neuronaux et gliaux
INSERM U840
Publications
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964 LES ÉQUIPES ACCUEILLIES AU COLLÈGE DE FRANCE
Chez les patients parkinsoniens comme dans les modèles animaux de la maladie,
on note une synchronisation excessive de l’activité électro-encéphalographique
(EEG) dans la bande de fréquence bêta (15-35 Hz). Il a été proposé que cette
synchronisation excessive joue un rôle central dans la mise en place de l’akinésie
parkinsonienne.
Nous avons révélé que la synchronisation excessive dans la bande de fréquence
bêta apparaît de façon progressive et retardée suite à la lésion des neurones
dopaminergiques de la substance noire. L’expression de ce phénomène dépend de
l’état de vigilance de l’animal. Elle apparait durant l’éveil et le sommeil paradoxal,
mais jamais durant le sommeil lent. Nous avons démontré pour la première fois
un décalage temporel net entre la mise en place de l’akinésie, observée dès le
premier jour post-lésionnel, et la synchronisation excessive dans la bande de
fréquence bêta qui nécessite plusieurs jours pour apparaître. La synchronisation
excessive dans la bande bêta était plus forte dans le cortex moteur que dans le
cortex somatosensoriel et chez les animaux lésés unilatéralement par rapport aux
animaux lésés bilatéralement. Cette synchronisation excessive était accompagnée
par une augmentation de cohérence entre l’activité des cortex moteur et
somatosensoriels.
LES ÉQUIPES ACCUEILLIES AU COLLÈGE DE FRANCE 967
Ces données suggèrent que l’hyper-synchronisation bêta est générée par des
processus de plasticité dont le décours temporel est retardé par rapport à l’akinésie.
Ce phénomène ne reflète pas uniquement les changements plastiques induits par
l’interruption de la transmission dopaminergique au sein des réseaux reliant le
cortex cérébral aux ganglions de la base, mais traduit également l’état cérébral
nécessaire à son expression.
Ces résultats suggèrent que les processus d’inhibition directe au niveau du CPF
concourent à une augmentation du rapport signal-bruit, et la modulation
dopaminergique de la réponse des interneurones aux afférences hippocampiques
entraîne une plus grande précision temporelle des signaux inhibiteurs. D’un point
de vue pathologique, l’hypodopaminergie du CPF décrite dans la schizophrénie
pourrait provoquer une perte de la modulation temporelle de l’activité des
interneurones et donc altérer les traitements cognitifs par les circuits préfrontaux.
Bibliographie
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electrophysiological properties of striatal neurons. Neuroscience Research, 58, 30-316
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LES ÉQUIPES ACCUEILLIES AU COLLÈGE DE FRANCE 969
Nous avons montré que le gène WNK1 est à l’origine de plusieurs isoformes
(Delaloy C., Mol Cell Biol. 2003). L’isoforme KS-WNK1, dépourvue d’activité
kinase, est exprimée spécifiquement dans le tubule contourné distal (DCT) et le
tubule connecteur. Les isoformes L-WNK1 possèdent une activité kinase et sont
exprimées de façon ubiquitaire, en particulier dans le système cardiovasculaire
(Delaloy C, Am J Pathol. 2006). Les mutations identifiées chez les patients HHF au
locus WNK1 sont de grandes délétions de l’intron 1 (41 et 22 kb sur un intron qui
en fait 60) (Delaloy C., Hypertension 2005). Grâce à un modèle transgénique, nous
avons montré que L-WNK1 et KS-WNK1 sont surexprimés dans le néphron distal
et que KS-WNK1 est exprimé de façon ectopique dans l’ensemble des tissus (Delaloy
C., Hypertension 2008, accepté). Nous avons commencé à étudier le rôle de L-WNK1
dans le système cardiovasculaire. Nos résultats préliminaires indiquent que L-WNK1
jouent un rôle clé dans le développement cardiovasculaire et la régulation du tonus
vasculaire. Nous avons également étudié le rôle de KS-WNK1 dans le rein et nos
résultats préliminaires indiquent que, comme WNK4, cette isoforme joue un rôle
important dans la régulation du transport sodé au niveau du DCT.
LES ÉQUIPES ACCUEILLIES AU COLLÈGE DE FRANCE 973
Publications 2007
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Jeunemaitre X.. Clin J Am Soc Nephrol. 2007 ; 2(2) : 320-5.
3. Briet M., Collin C., Laurent S., Tan A., Azizi M., Agharazii M., Jeunemaitre
X., Alhenc-Gelas F., Boutouyrie P. Hypertension. 2007 ; 50(5) : 970-6.
4. Caprio M., Feve B., Claes A., Viengchareun S., Lombes M., Zennaro M.C. Faseb
J 2007 ; 21(9) : 2185-94.
5. Chamarthi B., Kolatkar N.S., Hunt S.C., Williams J.S., Seely E.W., Brown N.
J., Murphey L.J., Jeunemaitre X., Williams G.H. J Clin Endocrinol Metab. 2007 ; 92(4) :
1340-6
6. Cazabat L., Libè R., Perlemoine K., René-Corail F., Burnichon N., Gimenez-
Roqueplo A.P., Dupasquier-Fediaevsky L., Bertagna X., Clauser E., Chanson P.,
Bertherat J., Raffin-Sanson M.L. Eur J Endocrinol. 2007 ; 157(1) : 1-8.
7. Daly A.F., Vanbellinghen J.F., Khoo S.K., Jaffrain-Rea M.L., Naves L.A.,
Guitelman M.A., Murat A., Emy P., Gimenez-Roqueplo A.P., Tamburrano G., Raverot
G., Barlier A., De Herder W., Penfornis A., Ciccarelli E., Estour B., Lecomte P.,
Gatta B., Chabre O., Sabate M.I., Bertagna X., Garcia Basavilbaso N., Stalldecker G.,
Colao A., Ferolla P., Wemeau J.L., Caron P., Sadoul J.L., Oneto A., Archambeaud F.,
Calender A., Sinilnikova O., Montanana C.F., Cavagnini F., Hana V., Solano A.,
Delettieres D., Luccio-Camelo D.C., Basso A., Rohmer V., Brue T., Bours V., Teh B.
T., Beckers A. Aryl J Clin Endocrinol Metab. 2007 ; 92 : 1891-6.
8. Elliott P., Walker L.L., Little M.P., Blair-West J.R., Shade R.E., Lee D.R.,
Rouquet P., Leroy E., Jeunemaitre X., Ardaillou R., Paillard F., Meneton P.,
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9. Izzedine H., Benalia H., Arzouk N., Jeunemaitre X., Hacini S., Bourry E.,
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10. Kudo F.A., Muto A., Maloney S.P., Pimiento J.M., Bergaya S., Fitzgerald T.N.,
Westvik T.S., Frattini J.C., Breuer C.K., Cha C.H., Nishibe T., Tellides G., Sessa W.
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11. McWhinney S.R., Pasini B., Stratakis C.A. for the International Carney Triad and
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McWhinney S.R., Bei T., Matyakhina L., Stergiopoulos S., Muchow M., Boikos S.A.,
Ferrando B., Pacak K., Assie G., Baudin E., Chompret A., Ellison J.W., Briere J.J., Rustin P.,
Gimenez-Roqueplo A.P., Eng C., Carney, J.A., Stratakis C.A.)
12. Messadi-Laribi E., Griol-Charhbili V., Pizard A., Vincent M.P., Heudes D.,
Meneton P., Alhenc-Gelas F., Richer C. J Pharmacol Exp Ther. 2007 ; 323(1) : 210-6.
13. Pacak K., Eisenhofer G., Ahlman H., Bornstein S.R., Gimenez-Roqueplo A.P.,
Grossman A.B., Kimura N., Mannelli M., McNicol A.M., Tischler A.S. Nat Clin
Pract Endocrinol Metab. 2007 ; 3 : 92-102.
14. Perdu J., Boutouyrie P., Bourgain C., Stern N., Laloux B., Bozec E., Azizi
M., Bonaiti-Pellié C., Plouin P.F., Laurent S., Gimenez-Roqueplo A.P., Jeunemaitre
X. J Hum Hypertens. 2007 ; 21(5) : 393-400.
15. Pujo L., Fagart J., Gary F., Papadimitriou D.T., Claes A., Jeunemaitre X.,
Zennaro M.C. Hum Mutat. 2007 ; 28(1) : 33-40.
16. Sainte Marie Y., Toulon A., Paus R., Maubec E., Cherfa A., Grossin M.,
Descamps V., Clemessy M., Gasc J.M., Peuchmaur M., Glick A., Farman N., Jaisser F.
974 LES ÉQUIPES ACCUEILLIES AU COLLÈGE DE FRANCE
Targeted Skin Overexpression of the Mineralocorticoid Am J Pathol. 2007 ; 171 (3) : 846-
860.
17. Sainte-Marie Y., N’Guyen Dinh Cat A., Perrier R., Mangin L., Soukaseum C.,
Peuchmaur M., Tronche F., Farman N., Escoubet B., Benitah J.P., Jaisser F. FASEB J.
2007 ; 21 (12) : 3133-3141;
18. Thouënnon E., Elkahloun A.G., Guillemot J., Gimenez-Roqueplo A.P.,
Bertherat J., Pierre A., Ghzili H., Grumolato L., Muresan M., Klein M., Lefebvre H.,
Ouafik L., Vaudry H., Plouin P.F., Yon L., Anouar Y. J Clin Endocrinol Metab. 2007 ;
92 : 4865-72.
19. Wielpütz M.O., Lee I.H., Dinudom A., Boulkroun S., Farman N., Cook D.I.,
Korbmacher C., Rauh R. J Biol Chem. 2007 21 ; 282(38) : 28264-73.
20. Zhu L., Bonnet D., Boussion M., Vedie B., Sidi D., Jeunemaitre X. Cardiol
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2008
21. Belot A., Ranchin B., Fichtner C., Pujo L., Rossier B.C., Liutkus A.,
Morlat C., Nicolino M., Zennaro M.C., Cochat P. Nephrol Dial Transplant. 2008 ;
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22. Caprio M., Zennaro M.C., Fève B., Mammi C., Fabbri A., Rosano G. 2008 ;
11(3) : 258-64.
23. Gellen B., Fernández-Velasco M., Briec F., Vinet L., LeQuang K., Rouet-
Benzineb P., Bénitah J.P., Pezet M., Palais G., Pellegrin N., Zhang A., Perrier R.,
Escoubet B., Marniquet X., Richard S., Jaisser F., Gómez A.M., Charpentier F.,
Mercadier J.J. Circulation. 2008 ; 117(14) : 1778-86.
24. Gimenez-Roqueplo A.P., Burnichon N., Amar L., Favier J., Jeunemaitre X.,
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Plouin P.F. Clin Exp Pharmacol Physiol. 2008 ; 35(4) : 376-9.
26. Imauchi Y., Jeunemaître X., Boussion M., Ferrary E., Sterkers O., Grayeli
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27. Jeunemaitre X. J Mol Med. 2008 ; 86(6) : 637-41.
28. Loyer X., Gómez A.M., Milliez P., Fernandez-Velasco M., Vangheluwe P.,
Vinet L., Charue D., Vaudin E., Zhang W., Sainte-Marie Y., Robidel E., Marty I.,
Mayer B., Jaisser F., Mercadier J.J., Richard S., Shah A.M., Bénitah J.P., Samuel J.L.,
Heymes C. Circulation. 2008 ; 117(25) : 3187-98.
29. Pasini B., McWhinney S.R., Bei T., Matyakhina L., Stergiopoulos S.,
Muchow M., Boikos S.A., Ferrando B., Pacak K., Assie G., Baudin E., Chompret A.,
Ellison J.W., Briere J.J., Rustin P., Gimenez-Roqueplo A.P.*, Eng C.*, Carney J.A.*,
Stratakis C.A*. Eur J Hum Genet. 2008 ; 16 : 79-88.
30. Pons S., Griol-Charhbili V., Heymes C., Fornes P., Heudes D., Hagege A.,
Loyer X., Meneton P., Giudicelli J.F., Samuel J.L., Alhenc-Gelas F., Richer C. Eur J
Heart Fail. 2008 ; 10(4) : 343-51.
31. Timmers H.J., Pacak K., Bertherat J., Lenders J.W., Duet M., Eisenhofer G.,
Stratakis C.A., Niccoli-Sire P., Huy P.T., Burnichon N., Gimenez-Roqueplo A.P.
Clin Endocrinol (oxf ). 2008 ; 68(4) : 561-6.
32. Vargas-Poussou R., Cochat P., Le Pottier N., Roncelin I., Liutkus A.,
Blanchard A., Jeunemaître X. Pediatr Nephrol. 2008 Jan ; 23(1) : 149-53.
LES ÉQUIPES ACCUEILLIES AU COLLÈGE DE FRANCE 975
Revues et Ouvrages
33. Gimenez-Roqueplo A.P., Froissart M., Halimi P. Hernigou 2007 Paragangliomes.
Dans Traité d’Endocrinologie, p. 387-91, Médecine-Sciences Flammarion éditeur.
34. Gimenez-Roqueplo A.P., Amar L., Jeunemaitre X., Plouin P.F. 2007
Phéochromocytome : données récentes. Dans Cardiologie et maladies vasculaires, p. 417-9,
édité sous l’égide de la Société Française de Cardiologie.
35. Nguyen D.C., Sainte-Marie Y., Jaisser F.. Animal models in cardiovascular
diseases : new insights from conditional models. Handb Exp Pharmacol. 2007 ; (178) : 377-
405.
36. Plouin P.F., Perdu J., La Batide-Alanore A., Boutouyrie P., Gimenez-Roqueplo
A.P., Jeunemaitre X. Fibromuscular dysplasia. Orphanet J Rare Dis. 2007 Jun 7 ; 2 : 28.
37. Messadi-Laribi E., Griol-Charhbili V., Gaies E., Vincent M.P., Heudes D.,
Meneton P., Alhenc-Gelas F., Richer C. Cardioprotection and kallikrein-kinin system
in acute myocardial ischaemia in mice. Clin Exp Pharmacol Physiol. 2008 35(4) :
489-93. Re.
MAÎTRES DE CONFÉRENCES
ET ATTACHÉS TEMPORAIRES D’ENSEIGNEMENT
ET DE RECHERCHE (ATER)
RATTACHÉS AU COLLÈGE DE FRANCE EN 2007-2008
Professeurs titulaires
Artavanis-Tsakonas Spyros.
Bard Édouard, [a].
Berthoz Alain, [a, O. l], membre de l’Académie des Sciences.
Bouveresse Jacques.
Briant Pierre, ["].
Brunet Michel, [a, O. l, O. "].
Chartier Roger.
Cheng Anne, [a].
Compagnon Antoine, [a, O. "].
Connes Alain, membre de l’Académie des Sciences.
Corvol Pierre, [C. a, C. l], membre de l’Académie des Sciences.
Dehaene Stanislas, [l], membre de l’Académie des Sciences.
Delmas-Marty Mireille, [C. a, C. l], membre de l’Académie des Sciences
morales et politiques.
Descola Philippe, [a, O. l, "].
Devoret Michel.
Durand Jean-Marie, [a, O. "].
Edwards Michael.
Elster Jon.
Fagot-Largeault Anne, [O. a, O. l], membre de l’Académie des Sciences.
Fussman Gérard.
Goudineau Christian, [O. a].
Grimal Nicolas, [a, l, "], membre de l’Académie des Inscriptions
et Belles-Lettres.
Guesnerie Roger, [a, l].
Haroche Serge, [O. a], membre de l’Académie des Sciences.
980 PERSONNEL DU COLLÈGE DE FRANCE
Kellens Jean.
Knoepfler Denis.
Kourilsky Philippe, [O. a, C. l], membre de l’Académie des Sciences.
Labeyrie Antoine, [l].
Laurens Henry.
Lehn Jean-Marie, [C. a, l, "], membre de l’Académie des Sciences.
Le Pichon Xavier, [O. a, C. l], membre de l’Académie des Sciences.
Lions Pierre-Louis, [O. a]membre de l’Académie des Sciences.
Livage Jacques, [a], membre de l’Académie des Sciences.
Mandel Jean-Louis, [a].
Ossola Carlo.
Petit Christine, [a, O. l], membre de l’Académie des Sciences.
Prochiantz Alain.
Recht Roland, [O. l], membre de l’Académie des Inscriptions et Belles-Lettres.
Ricqlès Armand de, [a].
Römer Thomas.
Rosanvallon Pierre.
Scheid John.
Tardieu Michel, [a].
Veinstein Gilles, ["].
Veneziano Gabriele.
Will Pierre-Étienne.
Yoccoz Jean-Christophe, [a, O. l], membre de l’Académie des Sciences.
Zagier Don.
Zink Michel, [a, O. "].
Professeurs associés
(Chaires européenne, internationale, de création artistique et
d’innovation technologique — Liliane Bettencourt)
Administrateurs honoraires
Professeurs honoraires
Personnels scientifiques
A - Sous-directeurs de laboratoire
Gasc Jean-Marie.
Magnan Christian, [l].
Magre Solange.
Studler Jeanne-Marie.
Teboul-Imbert Martine.
PERSONNEL DU COLLÈGE DE FRANCE 983
Amiel Charles.
Butlen Daniel.
Devillers-Thiéry Anne.
Dubois Régis, ["].
Frontisi Françoise.
Goldman Maurice, ["].
Haguenau Françoise, [a, l].
Hervet Hubert.
Jouffroy Jacqueline.
Le Gal Yves, [l, m, "].
Moch Raymond, [O. a, k 39-45, S, C. "].
Ober Raymond.
Rivet Pierre.
Sentis Philippe, [O. l].
Tits Marie-Jeanne, ["].
B - Maîtres de conférences
Ang Isabelle, chaire d’Histoire de la Chine moderne.
Bombarde Odile, chaire de Littératures de la France médiévale.
Bouy Christian, chaire d’Histoire de la Chine moderne.
Delahaye Hubert, chaire d’Histoire de la Chine moderne.
Dolbeau Jean, chaire de Physique corpusculaire.
Fabre Catherine, chaire de Littératures de la France médiévale.
Jacquet-Pfau Marie-Christine, chaire de Littératures modernes de l’Europe néo-
latine.
Koulakoff Annette, chaire de Neuropharmacologie.
Krikorian Ralph, chaire d’Astrophysique observationnelle.
Lamandé Noël, chaire de Médecine expérimentale.
Lewinski Liliana, chaire d’Histoire et anthropologie des sociétés méso- et
sud-américaines.
Maisant Corinne, chaire d’Histoire de l’art européen médiéval et moderne.
Milleret Chantal, chaire de Physiologie de l’action et de la perception.
Monsoro Anne-Hélène, chaire de Biologie et génétique du développement.
Pernot Jean-François, chaire d’Histoire de la France des Lumières.
Pickford Martin, chaire de Paléoanthropologie et préhistoire.
Picq Pascal, chaire de Paléoanthropologie et préhistoire.
Solinas Francesco, chaire d’Histoire de l’art européen médiéval et moderne.
Spicq Delphine, chaire d’Histoire de la chaire moderne.
Szelagowski Isabelle, chaire d’Histoire du monde indien.
Vialles Noëlie, chaire d’Anthropologie de la nature.
984 PERSONNEL DU COLLÈGE DE FRANCE
Ingénieurs d’étude :
Armstrong Angela, Beaupoil Claude, Castelnau Christine, Cazal Nathalie,
Delangle Marie-Christine, Farres Josette, Geller Philippe, Grougnet Félicie,
Guilbard Jean-Jacques, Hus Annette, Jandeau Gilles, Jestin Marie-Françoise,
Laurens Patrick, Le Gall Jean-Yves, Leung Wing Fong, Morel Agathe, Méric
Robert, Mouret Sandrine, Ollivier Éric, Perdu Olivier, Poulin Françoise,
Quenech’du Nicole, Rayati-Moghaddam Fatemeh, Sauvageot Agathe,
Segers Françoise, Spagnoli Monique, Thomas Marie-Annick, de Vasconcelos
Cruz Eduardo.
Assistants-ingénieurs :
Benitta Sophie, Donnier Christophe, Dupraz Yves, Imbert Patrick, Lallias
Stéphane, Lemarie Marylène, Llegou Patricia, Le Poupon Chantal, Queguiner
Isabelle, Quenehen Danièle.
Techniciens :
Amigou Edwige, Bidois Dominique, Brunier Patricia, Crepin Françoise, David
Françoise, Debonne Gilles, Dejonghe Julien, Delizy Aline, Espérandieu
Daniel, Étienne Éric, Fang Ling, Fassi Jean-Louis, Gérard Patrice, Gibert
Marie-Christine, Jeanne Bruno, Koch Catherine, Larabi Salima, Le Bras
Christian, Le Tenaff Bérangère, Malvaud Françoise, Mangin d’Hermantin
Jean, Marques-Joaquim Gordana, Pérez Sylvie, Piequet Fatine, Sainz
Véronique, Soupault Jacqueline, Sportouch Sylvie, Susini Marion, Tembely
Fanta-Taga, Vernet David.
Adjoints techniques :
Ah-Pet Marie-Claudine, André Françoise, Aouabed Samir, Azzedine Khadija,
Babouram Marie-Ange, Ben Zaiet Yessia, Blondel Valérie, Bodelle Andrée,
Borne Roger, Boudjelal Ahmed, Boulanger Nathalie, Bourge Murielle,
Bosser Sophie, Brossaud Joëlle, Cabraja Alexandra, Cazères Joséphine,
Chaslerie Marie-Françoise, Cheng Shao Pierre, Cougnot Patricia, Deffoun
PERSONNEL DU COLLÈGE DE FRANCE 985
A - Personnels administratifs
Attachés d’administration :
Secrétaires d’administration :
Adjoints administratifs :
B - Personnel de santé
Infirmière :
Dumas Marie.
Conservateurs :
Bodéré Nicole, Cazabon Marie-Renée, Piganiol Catherine.
Bibliothécaires :
Alemany Carmen, Blanchet Marie-Hélène, Koczorowski Marie-Catherine.
Magasinier spécialisé :
Adjedj Daniel.
INSTANCES STATUTAIRES
ET
ADMINISTRATIVES
DU COLLÈGE DE FRANCE 1
BUREAU DE L’ASSEMBLÉE
Pierre Corvol, administrateur, président.
Michel Zink, vice-président.
Jean-Christophe Yoccoz, secrétaire.
CONSEIL D’ÉTABLISSEMENT
Président :
Pierre Corvol, administrateur.
Membres élus :
Pierre Briant, professeur.
Nicolas Grimal, professeur.
Serge Haroche, professeur.
Jean Kellens, professeur.
Jacques Livage, professeur.
Personnalités extérieures :
1. Représentants d’organismes scientifiques :
Gilles Sentise, délégué régional CNRS Paris Michel-Ange.
Hervé Douchin, secrétaire général de l’INSERM.
Maurice Gross, directeur des partenariats, CNRS Paris Michel-Ange.
2. Représentant des activités économiques :
Pierre Gasc, Président du directoire et directeur général de Finter Bank France.
ADMINISTRATEUR
Pierre Corvol, [C. a, O. l], (Professeur), poste 16.75 1.
Assistante de Direction :
Nicole Braure, poste 16.75. Télécopie : 01.44.27.16.91.
Comptabilité
des Services généraux : Françoise Salagnac, poste 11.20.
SERVICE MÉDICAL :
Médecins du travail : Dr Bernard Jouanjean, poste 11.52.
Infirmière : Marie Dumas, poste 11.51.
INSTANCES STATUTAIRES ET ADMINISTRATIVES 991
SERVICE PHOTOGRAPHIQUE :
Photographe : Patrick Imbert, postes 11.39/11.40.
SERVICE TECHNIQUE :
Télécopie : 01.44.27.10.90.
Coordonnateur : Gilles Cottebrune, poste 14.98.
Secrétariat : Valérie Pautrat, poste 11.22.
Adjoints :
— Logistique : Pascal Colin, poste 11.48.
— Bâtiment et maintenance : Stéphane Lallias, poste 13.28.
— Logistique électricité : Jean Mangin d’Hermantin, poste 11.28.
Régisseurs
(postes 10.35 et 19.74) : Gilles Debonne.
Denis Jacquinet
Miguel Monlouis.
Bruno Pagesse.
Francisco Valderrama.
Ateliers :
— Peintres (poste 11.54) : Alain Deffoun.
Roger Borne.
— Plombiers (poste 11.57) : Mustapha Ghanes.
Florian Phoudiah.
— Menuisier (poste 11.53) : Christian Julien.
— Serrurier-menuisier
(poste 11.53) : Jean-Marc Séry.
— Électriciens (poste 11.55) : Daniel Deï.
Jean Gillot.
Jean Mangin d’Hermantin.
Pôle réseau VDI : Jean-François Chollet, poste 10.22.
Christophe Trehen, poste 10.22.
Van Trung Truong, poste 12.20.
Téléphone/annuaire : Gordana Joaquim, poste 15.98.
992 INSTANCES STATUTAIRES ET ADMINISTRATIVES
SERVICE INTÉRIEUR :
Télécopie : 01.44.27.11.17.
Chef de service : Catherine Campinchi, poste 11.05.
Adjoints : Jedjiga Belhamri, postes 11.13/11.35.
Françoise Chaslerie, postes 11.13/11.16.
Daniel Espérandieu, poste 11.14/11.13.
Lydie Guingnier, poste 12.75/11.13.
Intendance annexes
(Lemoine et Ulm) : Daniel Espérandieu, poste 11.74.
Télécopie : 01.44.27.11.70.
Loges - Concierges :
— Site Berthelot : M. et Mme Smith, poste 11.11.
— Site Ulm : M. et Mme Mégoeuil, poste 11.72.
Télécopie : 01.44.27.11.85.
— Site rue du
Cardinal Lemoine : M. et Mme Rigole, poste 11.63.
Télécopie : 01.44.27.11.70.
M. Gérard Eloire, poste 11.63.
— Site Nogent : M. Thos, 01.45.14.15.15.
— Site Meudon : M. Noton, 01.45.07.18.62.
Accueil : Julie Chedly, poste 11.47.
Marie-Jeanne Le Méhauté, poste 11.47.
Fabienne Tramcourt, poste 19.72.
Khaleed Benhammad, poste 19.72.
Courrier - Reprographie
(poste 11.19) : Francis Douglas.
Bertrand Crepin.
Marie-Line Morvany.
INSTANCES STATUTAIRES ET ADMINISTRATIVES 993
AGENCE COMPTABLE
Télécopie : 01.44.27.12.81
Agent Comptable : Jean-Paul Guigny, poste 13.93.
Adjointes : Marylène Lemarié, poste 11.37.
Sylvie Lataguerra, poste 11.87.
Assistantes : Inès Quillin, poste 13.92.
BIBLIOTHÈQUE GÉNÉRALE
Directeur : Marie-Renée Cazabon, conservatrice générale,
poste 17.92.
Bibliothécaires : Carmen Alemany, poste 13.68
(responsable section Lettres).
Françoise Marquet, poste 17.94 (périodiques).
Julien Rabaud, poste 17.96
(prêt entre bibliothèques).
Jacqueline Soupault, poste 10.52
(section Sciences).
Documentalistes : Sandrine Mouret, poste 12.62
(responsable section Sciences).
Josette Come-Garry, poste 17.95
(section Sciences).
Magasiniers spécialisés : Daniel Adjedj, poste 14.05.
Bastien Cazabon, poste 14.05.
Secrétariat : Halimatou Maïga, poste 17.88.
ARCHIVES
Claire Güttinger, poste 10.36.
Évelyne Maury, poste 10.36.
BIBLIOTHÈQUES SPÉCIALISÉES
INSTITUTS D’ORIENT
Institut d’égyptologie
Télécopie : 01.44.27.10.44.
Directeur : Nicolas Grimal, professeur au Collège de France,
poste 10.46.
INSTANCES STATUTAIRES ET ADMINISTRATIVES 995
Bibliothèque d’assyriologie
Télécopie : 01.44.27.11.70
Directeur : Jean-Marie Durand,
professeur au Collège de France, poste 16.04.
Bibliothèque : Antoine Jacquet, poste 10.43.
Ilya Arkhipov, poste 10.43.
Institut d’Extrême-Orient
Civilisation indienne
Télécopie : 01.44.27.18.54.
Directeur : Gérard Fussman, professeur au Collège de France,
poste 18.29.
Bibliothèque : Christian Bouy, poste 18.07.
Chantal Duhuy, poste 18.10.
Publications : Isabelle Szelagowski, poste 18.28.
Études tibétaines
Télécopie : 01.44.27.18.54.
Directeur : Anne Chayet, poste 18.30.
Bibliothèque : Jenny Ferreux, poste 18.30.
Études coréennes
Télécopie : 01.44.27.18.54.
Directeur : Martine Prost, poste 18.32.
Bibliothèque : Mi-Sug No, poste 18.14.
AUTRES BIBLIOTHÈQUES
Anthropologie sociale
Télécopie : 01.44.27.17.66.
Directeur : Philippe Descola, professeur au Collège de
France, poste 10.12.
Bibliothèque : Marion Abélès, poste 17.46.
Marie-Christine Vickridge, poste 17.64.
Société asiatique
Télécopie : 01.44.27.11.70.
Directeur : Jean-Pierre Mahé, membre de l’Institut.
Bibliothèque : Jeanne-Marie Allier, poste 18.04.
PROGRAMME DES COURS
DE L’ANNÉE 2008 – 2009
Analyse et géométrie
M. Alain Connes, membre de l’Institut
Cours : Thermodynamique des espaces non commutatifs, les jeudis, de 14 h 30
à 16 h 30, salle 5 (ouverture : 8 janvier).
Physique quantique
M. Serge Haroche, membre de l’Institut
Le cours n’aura pas lieu.
Physique mésoscopique
M. Michel Devoret, membre de l’Institut
Cours : Circuits et signaux quantiques (II), les mardis, à 9 h 30, amphithéâtre
Maurice Halbwachs (ouverture : 12 mai).
Séminaire : En relation avec le sujet du cours, les mardis, à 11 heures, amphithéâtre
Maurice Halbwachs (ouverture : 12 mai).
Astrophysique observationnelle
M. Antoine Labeyrie, membre de l’Institut
Cours : Exo-planètes, étoiles et galaxies : progrès de l’observation, les
mercredis, à 16 h 30, amphithéâtre Maurice Halbwachs (ouverture : 4 février).
PROGRAMME DES COURS DE L’ANNÉE 20082009 1001
Génétique humaine
M. Jean-Louis Mandel, membre de l’Institut
Cours : Maladies affectant les fonctions cognitives : progrès récents dans les
approches génétiques, les mercredis 11, 18 et 25 mars, de 16 heures à 18 h 15,
salle 2.
Séminaire : Trinucleotide repeat expansion diseases : from mechanisms to therapeutic
strategies, sous la forme d’un colloque (la date et le lieu seront annoncés
ultérieurement).
1002 PROGRAMME DES COURS DE L’ANNÉE 20082009
Processus morphogénétiques
M. Alain Prochiantz, membre de l’Institut
Cours : Évolution du système nerveux : robustesse et plasticité, les lundis, à
17 heures, amphithéâtre Guillaume Budé (ouverture : 6 octobre).
Séminaire 1 : Formes, déformations, transformations, sous la forme d’un colloque
organisé en commun avec la chaire d’Anthropologie de la Nature, le vendredi 20 mars,
de 9 heures à 18 heures, amphithéâtre Maurice Halbwachs.
Séminaire 2 : Cartes cérébrales, sous la forme d’un colloque organisé en commun avec
la chaire de Physiologie de la Perception et de l’Action, le mardi 28 avril, de 9 heures à
18 heures, amphithéâtre Maurice Halbwachs.
Immunologie moléculaire
M. Philippe Kourilsky, membre de l’Institut
Cours : Le soi et l’autre : compatibilité et incompatibilité immunologiques,
les mercredis, de 17 heures à 19 heures, amphithéâtre Maurice Halbwachs
(ouverture : 19 novembre).
Séminaire : Symposium Bernard Halpern d’Immunologie, le jeudi 9 et le vendredi
10 octobre, de 9 heures à 18 heures, amphithéâtre Marguerite de Navarre.
PROGRAMME DES COURS DE L’ANNÉE 20082009 1003
Médecine expérimentale
M. Pierre Corvol, membre de l’Institut
Cours : Nouveaux peptides vasoactifs : adrénomédulline et urotensine, les
lundis 12, 19 et 26 janvier, de 17 heures à 19 heures, amphithéâtre Guillaume
Budé.
1004 PROGRAMME DES COURS DE L’ANNÉE 20082009
Paléontologie humaine
M. Michel Brunet
Cours : Les hominidés anciens… Une nouvelle histoire à la lumière des
découvertes récentes, les jeudis, à 10 heures, amphithéâtre Marguerite de Navarre
(ouverture : 26 mars).
Séminaire : en relation avec le sujet du cours, les jeudis, à 11 heures, amphithéâtre
Marguerite de Navarre (ouverture : 26 mars).
Anthropologie de la nature
M. Philippe Descola
Cours : Ontologie des images, les mercredis, à 14 heures, amphithéâtre
Guillaume Budé (ouverture : 4 mars).
Séminaire : Formes, déformations, transformations, sous la forme d’un colloque
organisé en commun avec la chaire Processus morphogénétiques, le vendredi 20 mars, de
9 heures à 18 heures, dans l’amphithéâtre Maurice Halbwachs.
Assyriologie
M. Jean-Marie Durand
Cours : Divination et pouvoir (suite), les jeudis, de 16 heures à 17 h 30,
amphithéâtre Maurice Halbwachs (ouverture : 5 février).
Séminaire : Le jeune héros, sous la forme d’un colloque en commun avec la chaire
Milieux bibliques, le lundi 6 et le mardi 7 avril, de 9 heures à 18 heures, amphithéâtre
Guillaume Budé.
Milieux bibliques
M. Thomas Römer
La leçon inaugurale aura lieu le jeudi 5 février, à 18 heures, amphithéâtre
Marguerite de Navarre
Cours : La construction d’un ancêtre : la formation du cycle d’Abraham, les
mercredis, à 14 heures, amphithéâtre Maurice Halbwachs (ouverture : 11 février).
Séminaire : Le jeune héros, sous la forme d’un colloque en commun avec la chaire
d’Assyriologie, le lundi 6 et le mardi 7 avril, de 9 heures à 18 heures, amphithéâtre
Guillaume Budé.
Séminaire : Lectures de textes et exposés en relation avec le sujet du cours, les jeudis, à
17 heures, salle 1 (ouverture : 15 janvier).
Antiquités nationales
M. Christian Goudineau
Cours : La Gaule au lendemain de la conquête césarienne, les lundis (tous les
quinze jours), de 14 h 30 à 16 h 30, amphithéâtre Marguerite de Navarre (ouverture :
6 octobre).
Séminaire : Actualité de la recherche, les lundis (tous les quinze jours), de 14 h 30 à
16 h 30, amphithéâtre Marguerite de Navarre (ouverture : 27 octobre).
Séminaire 2 : Lire un livre vieilli, du Moyen Âge à nos jours, sous la forme d’un
colloque, de 9 heures à 18 heures, le jeudi 2 avril, salle 5 et le vendredi 3 avril,
Amphithéâtre Guillaume Budé.
ENSEIGNEMENT À L’EXTÉRIEUR
EN FRANCE
Université d’amiens
Université de Bordeaux
Université de Dijon
À L’ÉTRANGER
ALLEMAGNE
Université de Bonn 1*
M. Pierre Corvol (titulaire de la Chaire de Médecine expérimentale) donnera en
mai 2009, 1 cours sur : Tumoral Angiogenesis.
AUTRICHE
Université de Vienne
M. Michel Zink (titulaire de la Chaire de Littératures de la France médiévale)
donnera du 15 au 29 avril 2009, 2 cours et 2 séminaires sur : « Lecture du Graal ».
BELGIQUE
Université de Liège
M. Antoine Labeyrie (titulaire de la Chaire d’Astrophysique observationnelle)
donnera au printemps 2009, 3 cours sur : L’émergence des hypertélescopes pour
mieux voir les étoiles et l’univers lointain et 3 séminaires sur : Astrophysique.
BRÉSIL
CANADA
Université du Québec*
M. Gilles Veinstein (titulaire de la Chaire d’Histoire turque et ottomane) donnera
du 29 septembre au 11 octobre 2008, 4 cours sur : Introduction aux institutions
de l’État ottoman et 4 séminaires sur : Étude de documents d’archive ottomans
(XVIe-XVIIIe s.)
CHINE
Université de Pékin
Mme Christine Petit (titulaire de la Chaire de Génétique et Physiologie cellulaire)
donnera au printemps 2009, 4 cours sur : Hereditary deafness – Molecular
physiology of the cochlea.
ESPAGNE
ÉTATSUNIS
Université de Chicago*
M. Philippe Descola (titulaire de la Chaire d’Anthropologie de la nature) donnera
en octobre 2008, 2 cours et 2 séminaires sur : The institution of beings.
1016 PROGRAMME DES COURS DE L’ANNÉE 20082009
Université Harvard
Université de Princeton
Université Stanford
INDE
ISRAËL
ITALIE
Université de Gènes
M. Alain Berthoz (titulaire de la Chaire de Physiologie de la perception et de
l’action) donnera 1 cours sur : Peut-on donner une identité à un humanoïde ?
Université de Sienne
M. Alain Berthoz (titulaire de la Chaire de Physiologie de la perception et de
l’action) donnera 1 cours sur : Fondements cognitifs et pathologie de l’identité.
PORTUGAL
SUÈDE
Université d’Uppsala*
M. Jean-Marie Lehn (titulaire de la Chaire de Chimie des interactions
moléculaires) donnera en juin 2009, 4 cours sur : From Supramolecular Chemistry
towards Adaptative Chemistry.
M. Pierre Corvol (titulaire de la Chaire de Médecine expérimentale) donnera en
mars 2009, 2 cours sur : 1) Angiotensin and hematopoiesis ; 2) Angiogenic effects
of vasoactive peptides.
SUISSE
Université de Berne
M. Édouard Bard (titulaire de la Chaire d’Évolution du climat et de l’océan)
donnera au printemps 2009, 10 cours sur : Changements climatiques brusques et
glaciations.
TCHÉQUIE
TUNISIE
Université de Tunis
M. Jacques Livage (titulaire de la Chaire de Chimie de la matière condensée)
donnera en février 2009, 3 cours sur : Chimie douce et matériaux.
Table des matières
Nécrologie ................................................................................................. 71
Histoire des syncrétismes de la fin de l’Antiquité (M. Michel Tardieu) ...... 435
Écrit et cultures dans l’Europe moderne (M. Roger Chartier) .................. 469
Épigraphie et histoire des cités grecques (M. Denis Knoepfler) ................ 593
Religion, institutions et société de la Rome antique (M. John Scheid) ....... 621
Étude de la création littéraire en langue anglaise (M. Michael Edwards) .... 755
Histoire de l’art européen médiéval et moderne (M. Roland Recht) .......... 777