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ANNUAIRE

DU

COLLÈGE DE FRANCE
2007-2008

RÉSUMÉ
DES COURS ET TRAVAUX

108 e année

PARIS

1 1 , p l a c e Ma rc e l i n - Be r t h e l o t ( Ve )
Photo couverture : Statue de Guillaume Budé (1467-1540)
à l’origine de la fondation du Collège de France
(par M. Bourgeois, 1880)

La loi du 11 mars 1957 n’autorisant, aux termes des alinéas 2 et 3 de l’article 41, d’une
part, que les « copies ou reproductions strictement réservées à l’usage privé du copiste et
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Cette représentation ou reproduction, par quelque procédé que ce soit, constituerait donc
une contrefaçon sanctionnée par les articles 425 et suivants du Code pénal.
© Collège de France, 2008,
ISSN 0069-5580
ISBN 978-2-7226-0082-9
LE COLLÈGE DE FRANCE

QUELQUES DONNÉES SUR SON HISTOIRE


ET SON CARACTÈRE PROPRE

I. LES ORIGINES

Les lecteurs royaux. — Le Collège de France doit son origine à l’institution


des lecteurs royaux par le roi François Ier, en 1530.

L’Université de Paris avait alors le monopole de l’enseignement dans toute


l’étendue de son ressort. Attachée à ses traditions comme à ses privilèges, elle se
refusait aux innovations. Ses quatre facultés : Théologie, Droit, Médecine, Arts,
prétendaient embrasser tout ce qu’il y avait d’utile et de licite en fait d’études et
de savoir. Le latin était la seule langue dont on fît usage. Les sciences proprement
dites, sauf la médecine, se réduisaient en somme au quadrivium du moyen âge.
L’esprit étroit de la scolastique décadente y régnait universellement. Les écoles de
Paris étaient surtout des foyers de dispute. On y argumentait assidûment ; on y
apprenait peu de chose. Et il semblait bien difficile que cette corporation, jalouse
et fermée, pût se réformer par elle-même ou se laisser réformer.

Pourtant, un esprit nouveau, l’esprit de la Renaissance, se répandait à travers


l’Europe. Les intelligences s’ouvraient à des curiosités inédites. Quelques précurseurs
faisaient savoir quels trésors de pensée étaient contenus dans ces chefs-d’œuvre de
l’Antiquité, que l’imprimerie avait commencé de propager. On se reprochait de les
avoir ignorés ou méconnus. On demandait des maîtres capables de les interpréter
et de les commenter. Sous l’influence d’Érasme, un généreux mécène flamand,
Jérôme Busleiden, venait de fonder à Louvain, en 1518, un Collège des trois langues,
où l’on traduisait des textes grecs, latins, hébreux, au grand scandale des aveugles
champions d’une tradition sclérosée. L’Université de Paris restait étrangère à ce
mouvement.

François Ier, conseillé par le savant humaniste Guillaume Budé, « maître de sa


librairie », ne s’attarda pas à la convaincre. Il institua en 1530, en vertu de son
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autorité souveraine, six lecteurs royaux, deux pour le grec, Pierre Danès et
Jacques Toussaint ; trois pour l’hébreu, Agathias Guidacerius, François Vatable
et Paul Paradis ; un pour les mathématiques, Oronce Finé ; puis, un peu plus
tard, en 1534, un autre lecteur, Barthélémy Masson (Latomus), pour l’éloquence
latine. Les langues orientales autres que l’hébreu firent leur entrée au Collège avec
Guillaume Postel (1538-1543), l’arabe en particulier, avec Arnoul de L’isle
(1587-1613).
Le succès justifia cette heureuse initiative. Les auditeurs affluèrent auprès des
nouveaux maîtres. Par là, un coup mortel venait d’être porté aux arguties stériles,
aux discussions à coups de syllogismes, aux recueils artificiels qui avaient trop
longtemps tenu la place des textes eux-mêmes. Par l’étude des langues, on remontait
aux sources. On y retrouvait le pur jaillissement d’une pensée libre et féconde.
Ainsi naquit le Collège de France. Ne relevant que du roi, dégagés des entraves
qu’imposaient aux maîtres de l’Université les statuts d’une corporation trois fois
séculaire, affranchis des traditions et de la routine, novateurs par destination, les
lecteurs royaux furent, pendant tout le xvie siècle, les meilleurs représentants de la
science française. Le Collège, pourtant, n’avait pas encore de domicile à lui. Il ne
constituait même pas une corporation distincte, à proprement parler ; il n’existait,
comme personne morale, que par le groupement de ses maîtres sous le patronage
du grand aumônier du roi. Mais son unité résultait de leur indépendance même.
Et déjà, il assurait son avenir par la valeur et l’influence de quelques-uns d’entre
eux, tels qu’Adrien Turnèbe, Pierre Ramus, Jean Dorat, Denis Lambin, Jean
Passerat, comme aussi par la reconnaissance qu’ils inspiraient à d’illustres auditeurs,
un Joachim du Bellay, un Ronsard, un Baïf, un Jacques Amyot. Leurs méthodes
d’enseignement étaient variées. Les uns faisaient surtout œuvre de critiques et
d’éditeurs de textes ; d’autres commentaient, quelquefois éloquemment, comme
Pierre Ramus, les orateurs ou les philosophes, les historiens ou les poètes de
l’antiquité classique. Tous, ou presque tous, étaient vraiment des initiateurs en
même temps que des érudits.

II. LE DÉVELOPPEMENT HISTORIQUE

Cette bonne renommée de l’institution royale se soutint pendant les xviie et


xviiie siècles. Le Collège vit alors se préciser son organisation et s’accroître ses
chaires, au nombre d’une vingtaine à la fin de l’Ancien Régime.
Depuis le xviie siècle, les lecteurs royaux forment vraiment un corps, symbolisé
par l’apparition, sur les affiches de cours, du nom définitif, sous sa forme latine :
Collegium regium Galliarum. En 1610, le projet d’une demeure propre, élaboré
sous Henri IV, connaît un début de réalisation : Louis XIII, âgé de 9 ans, pose la
première pierre du Collège royal. Mais c’est seulement à la fin du xviiie siècle que
Chalgrin le mènera à terme sur des plans entièrement remaniés ; les lecteurs royaux
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possèdent désormais, sur la place de Cambrai, un lieu spécifique où enseigner et


relèvent directement du secrétaire d’État chargé de la Maison du roi.

En 1772, une décision royale réorganise entièrement la répartition des chaires


de manière à intégrer les enseignements novateurs : physique de Newton, turc et
persan, syriaque, droit de la nature et des gens, mécanique, littérature française,
histoire, histoire naturelle, chimie — à côté des domaines de recherche déjà en
place : médecine, anatomie, arabe, philosophie grecque, langue grecque, éloquence
latine, poésie latine, droit canon, hébreu, mathématiques.

Le Collège de France semble viser à justifier l’ambitieuse devise de son blason :


Docet omnia et, de fait, il a « vocation à tout enseigner ».

En même temps, son ouverture au monde et l’originalité de sa conception lui


valent, presque seul entre les institutions de l’Ancien Régime, d’être épargné par la
Révolution ; et, malgré plusieurs projets de réformation qui n’aboutirent pas, il se
retrouve au temps de l’Empire, et par-delà, tel qu’il était auparavant, bénéficiant
même d’une liberté accrue : la loi du 11 floréal an X (1er mai 1802) lui accorde en
effet l’initiative de présentation des candidats, à l’origine de l’actuel système de
cooptation. La souplesse de son organisation va lui permettre de s’adapter sans
peine à des conceptions changeantes et de se prêter à tous les progrès.

Ainsi s’expliquent son extension considérable au cours du xixe siècle et son rôle
dans le développement d’un grand nombre de sciences. En fait, sous une apparence
inchangée, il a subi une réelle transformation qui se continue au xxe siècle. Elle
s’est accomplie, comme il est naturel, en accord intime avec celle qui se produisait
simultanément au-dehors dans presque tous les ordres de connaissance. Mais il est
à noter que, très souvent, c’est le Collège de France qui a frayé ou élargi les voies
nouvelles, et qu’il continue de le faire.

Pour compléter et préciser les données précédentes, on pourra se reporter à l’ouvrage


d’Abel Lefranc, intitulé Histoire du Collège de France, Paris, 1893 ; au livre
jubilaire Le Collège de France, publié en 1932, où vingt-cinq notices ont été consacrées
à l’histoire de l’enseignement donné au Collège de France dans les principales disciplines
de l’ordre littéraire et de l’ordre scientifique ; à la Revue de l’Enseignement supérieur
qui a publié, sous la plume de Marcel Bataillon, dans son no 2 de 1962 (p. 1 à 50)
un aperçu de l’histoire du Collège de France, de son fonctionnement institutionnel et
de ses moyens d’action ; à la conférence d’ Yves Laporte publiée en 1990 sous forme
de plaquette par le Collège de France ; à Christophe Charle et Éva Telkès, Les
Professeurs du Collège de France, dictionnaire biographique 1901-1939, Institut
national de Recherche pédagogique et Éditions du CNRS, Paris, 1988 ; Christophe
Charle, « Le Collège de France », dans Les lieux de mémoire, sous la direction de
Pierre Nora, II : La Nation, t. 3, p. 389-424. En 1998 est également publié le livre
Les origines du Collège de France (1500-1560), sous la direction de Marc Fumaroli,
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aux Éditions Klincksieck, et en 2006 le premier tome de l’Histoire du Collège de


France : I. La Création 1530-1560, sous la direction d’André Tuilier, avec une
préface de Marc Fumaroli, aux Éditions Fayard.

III. LES CHAIRES DU COLLÈGE DE FRANCE


DEPUIS LE XIXe SIÈCLE

Antiquité grecque et romaine. — Dans la chaire de Langue et littérature


grecques où s’étaient illustrés Jean-Baptiste Gail (1791-1829) et Jean-François
Boissonade (1829-1855), Jean-Pierre Rossignol (1855-1892) eut comme
successeurs Maurice Croiset (1893-1930) et Émile Bourguet (1932-1938). Une
chaire d’Épigraphie et antiquités grecques a été instituée en 1877, et occupée
successivement par Paul Foucart (1877-1926), Maurice Holleaux (1927-1932)
et Louis Robert (1939-1974). Une chaire dénommée La Grèce et la formation de
la pensée morale et politique a été créée en 1973 pour Mme Jacqueline de Romilly,
première femme à occuper une chaire au Collège (1973-1984), puis transformée,
en 1984, en chaire de Tradition et critique des textes grecs pour M. Jean Irigoin
(1986-1992). — Gabriel Millet, qui occupa de 1926 à 1937 la chaire d’Esthétique
et histoire de l’art, l’orienta vers l’étude du byzantinisme, auquel fut consacrée une
chaire d’Archéologie paléo-chrétienne et byzantine pour André Grabar (1946-1966)
puis une chaire d’Histoire et civilisation de Byzance pour Paul Lemerle (1967-1973) ;
elle est devenue Histoire et civilisation du monde byzantin pour M. Gilbert Dagron
de 1975 à 2001. En 1992, a été créée une chaire d’Histoire économique et monétaire
de l’Orient hellenistique pour M. Georges Le Rider (1993-1998), et en 2002, une
chaire d’Épigraphie et histoire des cités grecques occupée par M. Denis Knoepfler à
partir de 2003.
Une chaire de Philosophie grecque et latine eut comme titulaires Édouard
Bosquillon (1775-1814), Jean-François Thurot (1814-1832), Théodore
Jouffroy (1832-1837), Jules Barthélémy Saint-Hilaire (1838-1852), Émile
Saisset (chargé de cours 1853-1857), Charles Lévêque (chargé de cours 1857-1860,
titulaire 1861-1900), Henri Bergson (1900-1904). Une chaire d’Histoire de la
pensée hellénistique et romaine a été créée en 1981 pour M. Pierre Hadot (1982-
1991).
Pour l’enseignement du latin, deux chaires existaient depuis l’Ancien Régime :
l’Éloquence latine, tenue successivement par Pierre Gueroult (1809-1816),
Jean-Louis Burnouf (1817-1844), Désiré Nisard (1844-1852), Wilhelm Rinn
(1853-1854), Ernest Havet (1854-1885), et la Poésie Latine, par Jacques Delille
(1778-1813), Pierre-François Tissot (1813-1821), Joseph Naudet (1821-1830),
Pierre-François Tissot à nouveau (1830-1854), Charles-Augustin de Sainte-Beuve
(1854-1869) qui, toutefois, ne put jamais enseigner. La prédominance de curiosités
et de méthodes nouvelles se manifesta par la transformation de la chaire d’Éloquence
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latine en Philologie latine, avec pour titulaire Louis Havet (1885-1925), et de la


Poésie latine en Histoire de la littérature latine, occupée par Gaston Boissier (1869-
1906) et Paul Monceaux (1907-1934). Ces enseignements ont été complétés par
ceux de disciplines qui attestaient l’élargissement de l’horizon scientifique ; une
chaire d’Épigraphie et antiquités romaines, créée en 1861, pour Léon Renier (1861-
1885) a été occupée par Ernest Desjardins (1886), et ensuite par René Cagnat
(1887-1930), puis, sous le titre élargi de Civilisation romaine, par Eugène Albertini
(1932-1941), André Piganiol (1942-1954), et Jean Gagé (1955-1972) ; elle est
devenue, de 1975 à 1999, Histoire de Rome pour M. Paul Veyne. Une chaire
d’Histoire de l’Afrique du Nord, où furent spécialement étudiées les périodes romaine
et post-romaine, a eu pour titulaire Stéphane Gsell (1912-1932). Une chaire
d’Histoire de la langue latine, occupée par Alfred Ernout (1944-1951), a été
transformée en 1951 en chaire de Littérature latine pour Pierre Courcelle (1951-
1980). En 2000, une chaire intitulée Religion, institutions et société de la Rome
antique a été créée pour M. John Scheid et est occupée depuis 2001.

Une chaire de Numismatique de l’Antiquité et du Moyen Âge, inaugurée en 1908


par Ernest Babelon, a été transformée, en 1924, en une chaire de Numismatique
de l’Antiquité, que Théodore Reinach a occupée jusqu’en 1928.

Philosophie. — Un enseignement de Philosophie moderne créé en 1874 a été


assuré par Jean Nourrisson (1874-1899), Gabriel Tarde (1900-1904), Henri
Bergson (1904-1921), Édouard Le Roy (1921-1940), Louis Lavelle (1941-1951),
Maurice Merleau-Ponty (1952-1961). En 1962, fut créée une chaire de Philosophie
de la connaissance pour Jules Vuillemin qui l’occupa jusqu’en 1990. Une chaire
d’Histoire de la philosophie au Moyen Âge, tenue de 1932 à 1950 par Étienne Gilson,
a été remplacée par une chaire d’Histoire et technologie des systèmes philosophiques
pour Martial Guéroult (1951-1962), et dénommée ensuite chaire d’Histoire de la
pensée philosophique pour Jean Hyppolite (1963-1968). Cette chaire a été
transformée en chaire d’Histoire des systèmes de pensée pour Michel Foucault
(1970-1984), puis, de 1985 à 1990, en chaire d’Épistémologie comparative pour
M. Gilles-Gaston Granger. Une chaire de Philosophie du langage et de la connaissance,
créée en 1994, est occupée depuis 1995 par M. Jacques Bouveresse.

En 1999, ont été créées une chaire de Philosophie des sciences biologiques et
médicales pour Mme Anne Fagot-Largeault et une chaire de Philosophie et histoire
des concepts scientifiques pour M. Ian Hacking (2001-2006).

Linguistique générale. — L’enseignement de la Grammaire comparée fut


inauguré au Collège de France par Michel Bréal (1866-1905), qui eut pour
successeurs Antoine Meillet (1906-1936) et Émile Benveniste (1937-1972).
Pendant un temps s’y trouva rattaché un Laboratoire de phonétique expérimentale,
dont le premier directeur fut l’abbé Rousselot ; une chaire de Phonétique
expérimentale fut occupée par ce savant de 1923 à 1924. Une chaire de Théorie
linguistique est créée en 1986 pour M. Claude Hagège (1988-2006).
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Langues, histoire et littératures occidentales. — L’enseignement de la


Littérature française fut d’abord représenté par Antoine de Cournand (1784-1814)
et Stanislas Andrieux (1814-1833). Ce fut le début d’une tradition à laquelle se
rattachent les noms de Jean-Jacques Ampère (1833-1864), de Louis de Loménie
(1864-1878), de Paul Albert (1878-1880), d’Émile Deschanel (1881-1903),
d’Abel Lefranc (1904-1937). La chaire a été transformée en une chaire de Poétique,
occupée par Paul Valéry (1937-1945), puis en une chaire d’Histoire des créations
littéraires en France pour Jean Pommier (1946-1964). Cette chaire a été ensuite
consacrée à l’enseignement de la Littérature française moderne ; elle a été occupée
par M. Georges Blin de 1965 à 1988. Une chaire de Sémiologie littéraire a été créée
pour Roland Barthes (1976-1980). En 1986, a été créée une chaire intitulée
Rhétorique et société en Europe (xvie-xviie siècles) pour M. Marc Fumaroli (1987-
2002) ; et une chaire de Littératures modernes de l’Europe néolatine a été créée pour
M. Carlo Ossola en 1998. En 2005 sont créées une chaire de Littérature française
moderne et contemporaine : histoire, critique, théorie, occupée à partir de 2006 par
M. Antoine Compagnon, et une chaire intitulée Écrit et culture dans l’Europe
moderne, occupée depuis 2006 par M. Roger Chartier.

Une chaire spécialement consacrée à la Langue et littérature françaises du Moyen


Âge, a été inaugurée par Paulin Paris (1853-1872), qui eut pour successeurs Gaston
Paris (1872-1903), puis Joseph Bédier (1903-1936). Remplacée ensuite par une
chaire d’Histoire du vocabulaire français occupée par Mario Roques (1937-1946),
elle a été rétablie sous son ancien titre pour Félix Lecoy, de 1947 à 1974, puis en
1993 sous le titre de Littératures de la France médiévale pour M. Michel Zink.

En 1905, une chaire d’Histoire et antiquités nationales s’y ajouta pour Camille
Jullian (1905-1930), tenue ensuite par Albert Grenier (1936-1948).

En 1964, a été créée une chaire d’Archéologie et histoire de la Gaule pour


Paul-Marie Duval (1964-1982), transformée en 1983 en chaire d’Antiquités
nationales pour M. Christian Goudineau.

D’autre part, deux chaires nouvelles instituées en 1925 et en 1932, concernaient


l’Europe médiévale : l’une, occupée par Edmond Faral (1925-1954), s’intitulait
Littérature latine du Moyen Âge, l’autre déjà mentionnée en philosophie, fut occupée
par Étienne Gilson, de 1932 à 1950. En 1969 a été créée une chaire d’Histoire
des sociétés médiévales pour Georges Duby, devenue en 1991 Histoire de l’occident
méditerranéen au Moyen Âge pour M. Pierre Toubert, qui l’a occupée de 1992 à
2003.

Consacrée à l’activité extérieure de la France, une chaire, fondée par les principales
colonies d’alors, a été occupée sous le titre d’Histoire coloniale par Alfred Martineau
(1921-1935), puis, sous le titre d’Histoire de la colonisation, par Edmond
Chassigneux (1939-1946), et ensuite, sous le titre d’Histoire de l’expansion de
l’Occident, par Robert Montagné (1948-1954).
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Enfin a été créée, en 1984, une chaire d’Histoire de la France contemporaine, pour
M. Maurice Agulhon, qui l’a occupée jusqu’en 1997.
La chaire de Langues et littératures slaves fut inaugurée en 1840 par le poète
polonais, chargé de cours, Adam Mickiewicz (1840-1852) puis par Cyprien
Robert (chargé de cours 1852-1857) et Alexandre Chodzko (chargé de cours
1857-1883), et occupée plus tard par Louis Léger (1885-1923), André Mazon
(1923-1951) et André Vaillant (1952-1962). En 1992 a été créée une chaire
d’Histoire moderne et contemporaine du monde russe pour M. François-Xavier
Coquin (1993-2001).
Une chaire de Langues et littératures de l’Europe méridionale, qui eut pour titulaires
successifs Edgar Quinet (de 1841 à 1852 et de 1870 à 1875), Paul Meyer (1876-
1906), Alfred Morel-Fatio (1907-1924), a été rétablie, en 1925, sous le titre
d’Histoire des littératures comparées de l’Europe méridionale et de l’Amérique latine
pour Paul Hazard (1925-1944). Depuis, deux des domaines qu’elle recouvrait ont
été distingués par la création, en 1945 et en 1946, de deux chaires consacrées l’une
aux Langues et littératures de la péninsule ibérique et de l’Amérique latine, tenue par
Marcel Bataillon (1945-1965), puis par Israël Révah (1966-1973) ; l’autre à
l’Histoire de la civilisation italienne pour Augustin Renaudet de 1946 à 1950,
transformée en chaire de Langues et civilisation italienne pour André Pézard de
1951 à 1963. En 1992, une chaire de Langues et littératures romanes a été créée
pour M. Harald Weinrich, qui l’occupa jusqu’en 1998.
Une chaire de Langues et littératures d’origine germanique eut pour premiers
titulaires Philarète Chasles (1841-1873) et Guillaume Guizot (1874-1892).
Celui-ci fut suppléé par Jean-Jules Jusserand, puis par Arthur Chuquet, qui
devint titulaire de la chaire en 1893 et l’occupa jusqu’en 1925. Lui succédèrent
Charles Andler (1926-1933), Ernest Tonnelat (1934-1948), Fernand Mossé
(1949-1956), et Robert Minder de 1957 à 1973. En 1984 a été créée une chaire
de Grammaire et pensée allemandes, pour M. Jean-Marie Zemb, qui l’occupa
jusqu’en 1998.
Une chaire de Langues et littératures celtiques a été occupée par Henry d’arbois
de Jubainville (1882-1910) puis par Joseph Loth (1910-1930).
Une chaire de Civilisation américaine, créée en 1931, pour Bernard Faÿ (révoqué
en 1945), a été transformée pour Marcel Giraud, de 1947 à 1971, en chaire
d’Histoire de la civilisation de l’Amérique du Nord.
Une chaire d’Étude de la création littéraire en langue anglaise a été créée en 2001
pour M. Michael Edwards (2003-2008).
Langues, histoires et littératures orientales. — L’enseignement de
l’Hébreu, le plus ancien de tous, donné par Étienne Quatremère (1819-1857),
puis par Louis Dubeux (chargé de cours 1857-1861), a été illustré ensuite par
Ernest Renan (1862-1864 et 1870-1892), par Salomon Munk (1864-1867) et par
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Philippe Berger (1893-1910). Celui de l’Araméen a été assuré par Rubens Duval
(1895-1907). Après un long intervalle, une chaire intitulée Hébreu et Araméen a
été instituée de 1963 à 1971 pour André Dupont-Sommer ; puis pour André
Caquot de 1972 à 1994. Une chaire d’Épigraphie et antiquités sémitiques a été
créée pour Charles Clermont-Ganneau (1890-1923), une autre d’Histoire
ancienne de l’Orient sémitique a été occupée par Isidore Lévy (1932-1941) et de
1995 à 2001, une chaire d’Antiquités sémitiques occupée par M. Javier Teixidor.
L’égyptologie a fait son entrée au Collège avec son fondateur, Jean-François
Champollion (1831-1832), dans une chaire d’Archéologie tenue ensuite par
Jean-Antoine Letronne (1837-1848), puis par Charles Lenormant (1849-1859).
Elle devint chaire de Philologie et archéologie égyptiennes avec Emmanuel de Rougé
(1860-1872) et Gaston Maspero (1874-1916), fut reprise par Alexandre Moret
(1923-1938), et occupée successivement par Pierre Lacau (1938-1947), Pierre
Montet (1948-1956), Étienne Drioton (1957-1960), et Georges Posener (1961-
1978). Elle a subsisté sous le titre d’Égyptologie pour M. Jean Leclant (1979-1990),
puis pour M. Jean Yoyotte (1991-1997). En 1999, une chaire de Civilisation
pharaonique : archéologie, philologie, histoire a été créée pour M. Nicolas Grimal.
L’enseignement de l’assyriologie a été ouvert aussi par un fondateur, Jules Oppert
(1874-1905), dans une chaire de Philologie et archéologie assyriennes où lui a succédé
Charles Fossey (1906-1939). Après un intervalle, il a été repris par Édouard
Dhorme (1945-1951) sous le titre de Philologie et archéologie assyro-babyloniennes
et poursuivi sous celui d’Assyriologie par René Labat de 1952 à 1974, puis par
M. Paul Garelli, de 1986 à 1995 et par M. Jean-Marie Durand depuis 1999.
Une chaire d’Archéologie de l’Asie occidentale a été créée en 1953 pour Claude
Schaeffer-Forrer qui l’a occupée jusqu’en 1969. Enfin, en 1973 était créée une
chaire de Langues et civilisation de l’Asie Mineure pour Emmanuel Laroche, qui
l’a occupée jusqu’en 1985.
Une chaire d’Histoire et civilisation du monde achéménide et de l’empire d’Alexandre
a été créée en 1998 pour M. Pierre Briant, qui l’occupe depuis 1999.
La chaire d’Arabe a été tenue successivement par Antoine Caussin de Perceval
(1783-1833), Armand-Pierre Caussin de Perceval (1833-1871), Charles-François
Defrémery (1871-1883), Stanislas Guyard (1884), Adrien Barbier de Meynard
(1885-1908), Paul Casanova (1909-1926), William Marçais (1927-1943). Elle a
été transformée en chaire d’Histoire du monde arabe pour Jean Sauvaget
(1946-1950). Devenue chaire de Langue et littérature arabes, elle a été occupée par
Gaston Wiet (1951-1959). À côté d’elle, furent fondées : en 1902, une chaire de
Sociologie et sociographie musulmanes, inaugurée par Alfred le Chatelier
(1902-1925), occupée ensuite par Louis Massignon (1926-1954), modifié en
chaire de Sociologie musulmane pour Henri Laoust de 1956 à 1975, et transformée
en 1976 en une chaire de Langue et littérature arabes classiques pour M. André
Miquel, occupée jusqu’en 1997 — puis en 1941, une chaire d’Histoire des arts de
13

l’Orient musulman pour Albert Gabriel (1941-1953). En 1956 était créée une
chaire d’Histoire sociale de l’Islam contemporain, occupée par Jacques Berque
jusqu’en 1981. Une chaire d’Histoire contemporaine du monde arabe est créée en
2003 pour M. Henry Laurens.
Les chaires de turc et de persan ont été réunies de 1784 à 1805 par Pierre Ruffin,
qui abandonna à partir de 1805 le persan au plus illustre islamisant de l’époque,
Isaac Silvestre de Sacy (1806-1838). Lui succédèrent : Amédée Jaubert (1838-
1847), Jules Mohl (1850-1876), Adrien Barbier de Meynard (1876-1885),
James Darmesteter (1885-1894). Après Pierre Ruffin (1805-1822) l’enseignement
du turc seul a été assuré par Daniel Kieffer (1822-1833), Alix Desgranges (1833-
1854), Mathurin-Joseph Cor (1854), Abel Pavet de Courteille (chargé de cours
1854-1861, titulaire 1861-1889). En 1997, a été créée une chaire d’Histoire turque
et ottomane pour M. Gilles Veinstein, qui l’occupe depuis 1999.
Les domaines de recherche nouveaux entrés dans l’enseignement du Collège au
xixe siècle ont d’abord été ceux de l’Inde et de la Chine, dont l’étude avait été
amorcée en Europe par plusieurs orientalistes du Collège au siècle précédent. En
1814, furent créées ensemble les chaires de Sanscrit et de Chinois.
La première a été inaugurée par Léonard de Chézy (1814-1832), illustrée par
Eugène Burnouf (1932-1852), et reprise après un intervalle de suppléances par
Édouard Foucaux (1862-1894), puis Sylvain Lévi (1894-1935) et Jules Bloch
(1937-1951). L’enseignement y débordant traditionnellement le domaine du
sanscrit, elle a repris en 1951, la dénomination de chaire de Langues et littératures
de l’Inde et a eu pour titulaire Jean Filliozat de 1952 à 1978. En 1983 a été créée
une chaire d’Histoire du monde indien pour M. Gérard Fussman, et, en 1993, une
chaire de Langues et religions indo-iraniennes pour M. Jean Kellens.
La seconde, dont l’enseignement s’est, de son côté, constamment étendu à
l’ensemble de la sinologie, a été tenue par Jean-Pierre Abel-Rémusat (1814-1932),
Stanislas Julien (1832-1873), Léon d’Hervey de Saint-Denys (1874-1892),
Édouard Chavannes (1893-1918), Henri Maspero (1921-1945), Paul Demiéville
(1946-1964), M. Jacques Gernet (1975-1992) ; depuis 1991 une chaire d’Histoire
de la Chine moderne est occupée par M. Pierre-Étienne Will et une chaire d’Histoire
intellectuelle de la Chine est confiée en 2008 à Mme Anne Cheng.
Étendant le champ des enseignements aux pays d’influence indienne et chinoise
et aux civilisations propres à ces pays, trois chaires ont été créées : la première de
Langues, histoire et archéologie de l’Asie centrale pour Paul Pelliot (1911-1945),
qui devait prendre le titre d’Histoire et civilisations de l’Asie centrale pour
Louis Hambis, de 1965 à 1977, et se transformer en chaire de Sociographie de
l’Asie du Sud-Est pour Lucien Bernot (1978-1985) ; la deuxième d’Histoire et
philologie indochinoises pour Louis Finot (1920-1930), auquel ont succédé Jean
Przyluski (1931-1944), puis Émile Gaspardone, de 1946 à 1965, et qui a été
alors transformée en chaire d’Étude du monde chinois : institutions et concepts pour
14

Rolf A. Stein (1966-1981) ; enfin la troisième, sous le titre de Civilisations


d’Extrême-Orient, a été occupée par Paul Mus (1946-1969). Une chaire d’Étude
du Bouddhisme a été créée en 1970 pour André Bareau, qui l’a occupée jusqu’en
1991. Enfin, en 1979, a été créée une chaire de Civilisation japonaise pour Bernard
Frank qui l’a occupée jusqu’en 1996.

Droit et sciences humaines. — Depuis l’Ancien Régime existait une chaire


de Droit de la nature et des gens, tenue au xixe siècle par Pierre de Pastoret
(1804-1821), Xavier de Portets (1822-1854), Adolphe Franck (1856-1887). En
1831 commençait, avec Eugène Lerminier (1831-1849), un enseignement
d’Histoire générale et philosophique des législations comparées, qui fut continué par
Édouard Laboulaye (1849-1883), et par Jacques Flach (1884-1919). En 1979,
une chaire de Droit international est créée pour René-Jean Dupuy qui l’a occupée
jusqu’en 1989. Une chaire d’Études juridiques comparatives et internationalisation
du droit a été créée en 2001 pour Mme Mireille Delmas-Marty qui l’occupe
depuis 2002.

Dès 1831, était instituée pour Jean-Baptiste Say une chaire d’Économie politique,
qui fut occupée après lui par Pellegrino Rossi (1833-1840), Michel Chevalier
(1840-1879), et Paul Leroy-Beaulieu (1880-1916). Une chaire d’Histoire des
doctrines économiques, créée en 1871 pour Émile Levasseur, fut transformée sur sa
demande en 1885 en chaire de Géographie, histoire et statistiques économiques. En
1911, elle devint chaire d’Étude des faits économiques et sociaux pour Marcel
Marion (1912-1932). De 1955 à 1974 une chaire d’Analyse des faits économiques
et sociaux a été occupée par François Perroux ; en 1987 a été créée une chaire
d’Analyse économique pour M. Edmond Malinvaud qui l’a occupée jusqu’en 1993.
Une chaire de Théorie économique et organisation sociale a été créée en 1998 pour
M. Roger Guesnerie, qui l’occupe depuis 2000.

En 1958 une chaire d’Anthropologie sociale était créée pour M. Claude Lévi-
Strauss (1959-1982), et en 1971, une chaire d’Anthropologie physique pour Jacques
Ruffié (1972-1992). En 1981, a été créée pour Mme Françoise Héritier une
chaire d’Étude comparée des sociétés africaines (1982-1998) et en 1992 pour
M. Nathan Wachtel une chaire d’Histoire et anthropologie des sociétés méso- et sud-
américaines (1992-2005). En 1999, une chaire d’Anthropologie de la nature a été
créée pour M. Philippe Descola, qui l’occupe depuis 2000.

En 1917, un cours complémentaire d’Assurances sociales fondé par Alfred Mayen,


a été transformé, aux frais de la Ville de Paris et du Département de la Seine, en
une chaire de Prévoyance et assistance sociales, qu’occupa Édouard Fuster
(1917-1935).

En 1920, une chaire instituée pour dix ans, à l’initiative de la Fédération des
Sociétés coopératives, et affectée à l’Enseignement de la Coopération, a eu pour
titulaire Charles Gide jusqu’en 1930.
15

Dans le même ordre d’études, d’autres développements se sont encore produits.


Une chaire de Philosophie sociale, créée pour Jean Izoulet (1897-1929), a été
transformée en chaire de Sociologie pour Marcel Mauss (1931-1942), puis en chaire
de Psychologie collective pour Maurice Halbwachs (1944-1945). Une chaire
d’Histoire et structure sociales de Paris et de la région parisienne, fondée par la Ville
de Paris en 1950, a été occupée par Louis Chevalier (1952-1981). Une chaire
d’Histoire du travail, fondée en 1907 par la Ville de Paris, a été occupée par Georges
Renard (1907-1930), par François Simiand (1932-1935), puis, de 1936 à 1957,
par Émile Coornaert. Une chaire de Démographie sociale : la vie des populations,
lui a succédé et a eu pour titulaire Alfred Sauvy de 1959 à 1969. Cette chaire a
été transformée en chaire de Sociologie de la civilisation moderne pour Raymond
Aron de 1970 à 1978. Enfin a été créée, en 1981, une chaire de Sociologie pour
Pierre Bourdieu (1981-2001). Une chaire d’Histoire moderne et contemporaine du
politique a été créée en 2001 pour M. Pierre Rosanvallon. En 2005 est créée une
chaire de Rationalité et sciences sociales, occupée par M. Jon Elster.
Géographie. — Une chaire de Géographie humaine, créée grâce à une libéralité
d’Albert Kahn, a été occupée de 1912 à 1930 par Jean Brunhes.
En 1932 était créée la chaire de Géographie économique et politique, où enseigna
André Siegfried (1933-1946). La Géographie historique de la France fut enseignée,
de 1892 à 1911, par Auguste Longnon ; elle a été rétablie de 1947 à 1968 pour
Roger Dion, puis transformée en chaire de Géographie du continent européen pour
Maurice Le Lannou, de 1969 à 1976. Une chaire d’Étude du monde tropical
(géographie physique et humaine) a été créée en 1946 pour Pierre Gourou
(1947-1970).
Histoire des religions. — Une chaire d’Histoire des religions, créée en 1880,
a eu pour titulaires Albert Réville (1880-1906), Jean Réville (1907-1908), Alfred
Loisy (1909-1932), Jean Baruzi (1933-1951) et Henri-Charles Puech (1952-
1972).
Une chaire d’Histoire des mentalités religieuses dans l’Occident moderne a été créée
en 1973 pour M. Jean Delumeau qui l’a occupée de 1975 à 1994 et une chaire
d’Étude comparée des religions antiques en 1973 pour Jean-Pierre Vernant, qui l’a
occupée de 1975 à 1984.
En 1977, a été créée une chaire intitulée Christianisme et gnoses dans l’Orient
préislamique pour Antoine Guillaumont qui l’a occupée jusqu’en 1986 et en
1990 une chaire d’Histoire des syncrétismes de la fin de l’Antiquité pour M. Michel
Tardieu (1991-2008). En 2006 est créée une chaire intitulée Milieux bibliques
pour M. Thomas Römer.
Préhistoire. — Fut créée, en 1929 une chaire de Préhistoire, tenue par l’abbé
Henri Breuil (1929-1947), discipline reprise de 1969 à 1982 par André Leroi-
Gourhan, puis transformée en 1982 en chaire de Paléoanthropologie et préhistoire
pour M. Yves Coppens (1983-2005), elle-même transformée en chaire de
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Paléontologie humaine en 2005. En 1993, une chaire de civilisations de l’Europe au


Néolithique et à l’Âge du Bronze a été créée pour M. Jean Guilaine (1994-2007).
Histoire générale. — L’histoire générale était professée au Collège de France
depuis le dernier tiers du xviiie siècle. On l’associait alors à la morale, et cette
union persista, nominalement au moins, pendant tout le xixe siècle. À Pierre
Daunou (1819-1830), succédèrent Jean-Antoine Letronne (1831-1837), et Jules
Michelet (1838-1852), puis, un peu plus tard, Joseph Guigniaut (1857-1862),
et Alfred Maury (1862-1892).
Une chaire d’Histoire de la civilisation moderne tenue par Lucien Febvre
(1933-1949), puis par Fernand Braudel (1950-1972), subsiste pour M. Emmanuel
Le Roy Ladurie, qui l’occupa de 1973 à 1999. En 1997, une chaire d’Histoire de
la France des Lumières créée pour M. Daniel Roche (1999-2005), transformée en
chaire intitulée Écrit et cultures dans l’Europe moderne pour M. Roger Chartier
(2006).
Une chaire de Civilisation indo-européenne a été occupée de 1948 à 1968 par
Georges Dumézil. Une chaire d’Histoire générale des sciences, créée en 1891, a été
occupée par Pierre Laffitte (1892-1903), Grégoire Wyrouboff (1903-1913) et
Pierre Boutroux (1920-1922).
Art. — Une chaire d’Esthétique et histoire de l’art, créée en 1878, a eu pour
titulaires, successivement Charles Blanc (1878-1882), Eugène Guillaume
(1882-1905) ; Georges Lafenestre (1905-1919), André Michel (1920-1925)
(qui la spécialisa en Histoire de l’art français), Gabriel Millet (1926-1937), Henri
Focillon (1938-1943). En 1970 a été créée une chaire d’Art et civilisation de la
Renaissance en Italie pour André Chastel (1970-1984). Une des chaires fondées
par la Ville de Paris, affectée en 1933 à l’Histoire de l’art monumental, a été occupée
par Paul Léon (1933-1944). Une autre a été affectée à la Psychologie des arts
plastiques pour René Huyghe de 1951 à 1976 ; désormais chaire d’État, elle a été
transformée en 1976 en Histoire de la création artistique en France pour M. Jacques
Thuillier, qui l’a occupée de 1977 à 1998. En 2000, une chaire d’Histoire de l’art
européen médiéval et moderne a été créée pour M. Roland Recht qui l’occupe
depuis 2001.
Une chaire d’Intervention, technique et langage en musique a été créée en 1975
pour M. Pierre Boulez (1976-1995) ; elle fut transformée de 1996 à 1999 pour
Jerzy Grotowski en chaire d’Anthropologie théâtrale. En 1980, a été créée pour
M. Yves Bonnefoy, une chaire d’Études comparées de la fonction poétique
(1981-1993).
Mathématiques. — L’enseignement des mathématiques fut assuré par Antoine-
Rémy Mauduit (1770-1815), Sylvestre-François Lacroix (1815-1843), Guillaume
Libri-Carucci (1843-1848), Joseph Liouville (1851-1882), Camille Jordan
(1883-1912), Georges Humbert (1912-1921), Henri Lebesgue (1921-1941). S’y
ajoutait l’Astronomie, professée par Jérôme de Lalande (1768-1807), puis par
17

Jean-Baptiste Delambre (1807-1822) et Jacques Binet (1823-1856). La chaire


d’Astronomie fut transformée, en 1856, en une chaire de Mécanique céleste pour
Joseph Serret (1861-1885). Elle devint chaire de Mécanique analytique et
mécanique céleste pour Maurice Lévy (1885-1908), et Jacques Hadamard
(1909-1937). Une chaire de Mathématique et mécanique a été occupée de 1938 à
1972 par Szolem Mandelbrojt, puis transformée en chaire d’Analyse mathématique
des systèmes et de leur contrôle pour Jacques-Louis Lions (1973-1998). Une chaire
de Théorie des équations différentielles et fonctionnelles a été occupée par Jean Leray
de 1947 à 1978. Une chaire d’Algèbre et géométrie occupée par M. Jean-Pierre
Serre de 1956 à 1994 a été transformée, en 1995, en chaire intitulée Équations
différentielles et systèmes dynamiques pour M. Jean-Christophe Yoccoz. Une chaire
de Théorie des groupes a été créée pour M. Jacques Tits (1973-2000) ainsi qu’une
chaire d’Analyse et géométrie depuis 1983 pour M. Alain Connes. En 1999, une
chaire de Théorie des Nombres a été créée pour M. Don Zagier qui l’occupe depuis
2000. Une chaire d’Équations aux dérivées partielles et applications a été créée en
2001 pour M. Pierre-Louis Lions qui l’occupe depuis 2002.
Physique. — En 1769, une chaire de Physique mathématique remplaça l’ancienne
chaire de Philosophie grecque et latine ; Jacques-Antoine Cousin l’occupa jusqu’en
1800 ; il eut pour successeur Jean-Baptiste Biot, à la fois physicien et mathématicien
(1801-1862).
Devenue chaire de Physique générale et mathématique, elle fut occupée par Joseph
Bertrand (1862-1900), Marcel Brillouin (1900-1931) ; sous le titre de Physique
théorique, elle a été occupée par Léon Brillouin (1932-1949) et par Jean Laval
(1950-1970), puis transformée en 1971 en chaire de Physique de la matière condensée
pour Pierre-Gilles de Gennes (1971-2004). D’autre part, en 1786, fut créée une
chaire de Physique générale et expérimentale, occupée par Louis Lefèvre-Gineau
jusqu’en 1823, André-Marie Ampère (1824-1836), Félix Savart (1836-1841),
Henri-Victor Régnault (1841-1871), Élie Mascart (1872-1908), Paul Langevin
(1909-1946). À la chaire de Physique générale et expérimentale, tenue par Maurice
de Broglie de 1942 à 1944 et sur laquelle fut réintégré Paul Langevin, révoqué
en 1940, succéda une chaire de Physique atomique et moléculaire par transformation
de la chaire de Physique mathématique créée en 1933 pour Albert Einstein et qu’il
n’avait jamais occupée. Elle eut pour titulaire de 1946 à 1972 Francis Perrin
auquel succéda M. Claude Cohen-Tannoudji, de 1973 à 2004. Une nouvelle
chaire de Physique mathématique a été créée en 1951 pour André Lichnerowicz
(1952-1986). Une chaire de Chimie nucléaire occupée par Frédéric Joliot (1937-
1958) a été transformée de 1958 à 1972 en chaire de Physique nucléaire pour Louis
Leprince-Ringuet puis en chaire de Physique corpusculaire de 1973 à 2004 pour
M. Marcel Froissart. Une chaire de Physique cosmique, occupée de 1944 à 1962
par Alexandre Dauvillier, a été transformée en 1962 en chaire d’Astrophysique
théorique pour M. Jean-Claude Pecker (1964-1988), puis, en 1989, en chaire
d’Astrophysique observationnelle pour M. Antoine Labeyrie. Une chaire de
Magnétisme nucléaire, créée en 1959, a été occupée par M. Anatole Abragam
18

jusqu’en 1985 et une chaire de Méthodes physiques de l’astronomie par André


Lallemand de 1961 à 1974. En 1982, une chaire de Physique statistique a été créée
pour M. Philippe Nozières (1983-2001).

Une chaire nouvelle, créée par la loi de Finances de 1964, et portant le titre de
Physique théorique des particules élémentaires a été occupée par M. Jacques Prentki
jusqu’en 1983. En 2000, une chaire de Physique quantique a été créée pour M. Serge
Haroche qui l’occupe depuis 2001. M. Gabriele Veneziano occupe depuis 2004
la chaire de Particules élémentaires, gravitation et cosmologie créée l’année précédente.
En 2005 est créée une chaire de Physique mésoscopique, occupée depuis 2007 par
M. Michel Devoret.

Chimie. — Une chaire de Chimie et une chaire d’Histoire naturelle, fondées en


1774, furent quelque temps réunies, sous le titre de chaire de Chimie et histoire
naturelle pour Jean Darcet, qui d’ailleurs limita son enseignement à la première
de ces deux sciences. Le titre primitif de la chaire de Chimie fut repris quand la
chaire fut attribuée à Nicolas Vauquelin (1801-1804) auquel succéda Louis-
Jacques Thénard (1804-1845). En 1845, elle se spécialisa sous le titre de Chimie
minérale, et elle eut pour titulaires Théophile-Jules Pelouze (1845-1850), Antoine-
Jérôme Balard (1851-1876), Paul Schützenberger (1876-1897), Henri Le
Chatelier (1898-1907) et Camille Matignon (1908-1934). Une autre chaire,
attribuée à la Chimie organique, eut pour premier titulaire Marcelin Berthelot
(1865-1907), auquel succédèrent Émile-Clément Jungfleisch (1908-1916),
Charles Moureu (1917-1929), Marcel Delépine (1930-1941) et Charles
Dufraisse (1942-1955) ; elle a été transformée en 1955 en chaire de Chimie
organique des hormones, pour Alain Horeau (1956-1980). En 1979 a été créée
pour M. Jean-Marie Lehn une chaire de Chimie des interactions moléculaires, et de
1996 à 1998 pour Jean Rouxel une chaire de Chimie des solides. En 2000, une
chaire de Chimie de la matière condensée a été créée pour M. Jacques Livage qui
l’occupe depuis 2001. En 2007 est créée une chaire de Chimie des processus
biologiques pour M. Marc Fontecave.

Histoire naturelle et sciences biologiques. — L’enseignement de l’histoire


naturelle fondé en 1774 n’étant pas effectivement donné par Jean Darcet, une
chaire consacrée à la seule Histoire naturelle fut créée en 1778 et attribuée à Louis
Daubenton (1778-1799), puis à Georges Cuvier (1800-1832). Cette chaire
nouvelle ne tarda pas à être elle-même dédoublée. D’une part, une chaire d’Histoire
naturelle des corps inorganiques fut donnée à Léonce Élie de Beaumont (1832-1874)
et fut ensuite occupée par Charles Sainte-Claire Deville (1875-1876), Ferdinand
Fouqué (1877-1904), Auguste Michel-Lévy (1905-1911). À cette chaire
succèdent une chaire de Géologie, occupée par Lucien Cayeux (1912-1936) puis
une chaire de Géologie méditerranéenne pour Paul Fallot (1938-1960) et une
chaire de Géodynamique pour M. Xavier Le Pichon (1986-2008). En 2000 est
créée une chaire d’Évolution du climat et de l’océan pour M. Édouard Bard. Entre-
temps, une création temporaire de chaire consacrée aux Études coloniales, protistologie
19

pathologique a eu pour titulaire Louis Nattan-Larrier (1923-1943). D’autre part,


une seconde chaire fut consacrée à l’Histoire naturelle des corps organisés : elle eut
pour titulaires Georges Duvernoy (1837-1855), Pierre-Jean-Marie Flourens
(1855-1867), Étienne-Jules Marey (1869-1904), Nicolas François-Franck
(1905-1921), et André Mayer (1922-1946) ; elle a été transformée pour Jean
Roche, de 1947 à 1972, en chaire de Biochimie générale et comparée, puis en chaire
de Biochimie cellulaire pour M. François Gros (1973-1996) et enfin en 1996 en
chaire d’Immunologie moléculaire pour M. Philippe Kourilsky. En 1980, une
chaire de Bio-Énergétique cellulaire a été créée pour M. Pierre Joliot (1981-2002).
En 1995 a été créée pour M. Armand de Ricqlès une chaire de Biologie historique
et évolutionnisme.

En 1844 fut créée une chaire d’Embryogénie comparée, tenue par Victor Coste
(1844-1873), Édouard Balbiani (1874-1899), Félix Henneguy (1900-1928),
puis par Emmanuel Fauré-Frémiet (1928-1954). Consacrée ensuite à l’Embryologie
expérimentale, elle a été occupée de 1955 à 1974 par Étienne Wolff. Depuis 1974
elle a été transformée en chaire de Communications cellulaires pour M. Jean-Pierre
Changeux (1976-2006).

Enfin, en 1964, une chaire nouvelle a été créée par la loi de Finances sous le
titre de Génétique cellulaire pour M. François Jacob (1965-1991). Elle a été
transformée en chaire de Génétique moléculaire pour M. Pierre Chambon
(1992-2002), puis en chaire de Génétique humaine pour M. Jean-Louis Mandel
(2003). En 1967 était créée pour Jacques Monod une chaire de Biologie moléculaire,
qui l’occupa jusqu’en 1973. Une chaire de Génétique et physiologie cellulaire a été
créée en 2000 pour Mme Christine Petit, qui l’occupe depuis 2001, et une chaire
de Processus morphogénétiques est créée en 2006, occupée à partir de 2007 par
M. Alain Prochiantz.

Médecine. — La médecine, enseignée au Collège dès le xvie siècle, disposait de


quatre chaires, progressivement spécialisées.

L’anatomie fut professée par Antoine Portal de 1773 à 1832, tandis que la
médecine dite pratique était attribuée à d’autres titulaires, parmi lesquels Jean-
Nicolas Corvisart (1796-1804), Jean-Noël Hallé (1805-1822), René-Théophile
Laennec (1822-1826), et Joseph Récamier (1827-1830). François Magendie
(1830-1855) eut pour successeurs Claude Bernard (1855-1878), Charles Brown-
Séquard (1878-1894), Arsène d’Arsonval (1894-1930) et Charles Nicolle
(1932-1936). Une chaire d’Épidémiologie fut créée pour Hyacinthe Vincent
(1925-1936). La chaire de Médecine a été occupée par René Leriche (1937-1950) ;
transformée ensuite en chaire de Médecine expérimentale, elle a été occupée par
Antoine Lacassagne (1951-1954), Charles Oberling (1955-1960), Bernard
Halpern (1961-1975), M. Jean Dausset (1977-1987), et subsiste sous cette
même dénomination pour M. Pierre Corvol (1989).
20

Furent encore créées successivement plusieurs chaires nouvelles : en 1875, une


chaire d’Anatomie générale, occupée par Louis-Antoine Ranvier (1875-1911), et
transformée d’abord en chaire d’Histologie comparée pour Jean Nageotte
(1912-1937) puis en chaire de Morphologie expérimentale et endocrinologie pour
Robert Courrier, de 1938 à 1966, puis en chaire de Physiologie cellulaire de 1967
à 1993 pour François Morel ; enfin en chaire de Biologie moléculaire des plantes
pour Joseph Schell de 1994 à 1998. En 1903, une chaire de Pathologie générale
et comparée fut créée pour Albert Charrin (1903-1907). Cette chaire fut
transformée en chaire de Biologie générale, successivement occupée par le
physiologiste Émile Gley de 1908 à 1930 et par le physico-chimiste Jacques
Duclaux de 1931 à 1948. Elle fut remplacée par une chaire de Neuro-physiologie
générale pour Alfred Fessard, de 1949 à 1971, et modifiée en 1971 en chaire de
Neurophysiologie pour M. Yves Laporte, de 1972 à 1991. Elle est devenue depuis
1992 chaire de Physiologie de la perception et de l’action pour M. Alain Berthoz.
En 1925, une chaire d’Histophysiologie, attribuée à Justin Jolly (1925-1940), a été
remplacée par une chaire de Radiobiologie expérimentale, occupée par Antoine
Lacassagne de 1941 à 1951 où il devint titulaire de la chaire de Médecine
expérimentale mentionnée au paragraphe précédent ; cette chaire a repris de 1951
à 1966, son ancienne affectation pour Jacques Benoit ; elle est devenue en 1973
chaire de Physiologie du développement pour Alfred Jost (1974-1987), puis, chaire
d’Embryologie cellulaire et moléculaire pour Mme Nicole Le Douarin (1988-2000).
En 1993, une chaire de Fondements et Principes de la reproduction humaine a été
créée pour M. Étienne-Émile Baulieu (1993-1998), transformée en 1998, en
chaire de Biologie et génétique du développement pour M. Spyros Artavanis-
Tsakonas qui l’occupe depuis 2000. En 2006 est créée la chaire de Microbiologie
et maladies infectieuses pour M. Philippe Sansonetti.

En 1929, une chaire de Mécanique animale appliquée à l’aviation, attribuée à


Antoine Magnan (1929-1938), a subsisté de 1939 à 1955 sous le titre d’Aéroloco-
motion mécanique et biologique, et a été occupée par Étienne Oehmichen.

À ces disciplines s’ajoutèrent, en 1887, l’enseignement alors nouveau de la


Psychologie expérimentale et comparée, confié successivement à Théodule Ribot
(1888-1901) et à Pierre Janet (1902-1934), puis les chaires de : Physiologie des
sensations, attribuée à Henri Piéron (1923-1951), Psychologie et éducation de
l’enfance occupée par Henri Wallon (1937-1949) ainsi que Neuropsychologie du
développement créée en 1975 pour Julian de Ajuriaguerra qui l’occupa jusqu’en
1981 et qui a été transformée, en 1982, en chaire de Neuropharmacologie pour
M. Jacques Glowinski (1983-2006). En 2005 est créée la chaire de Psychologie
cognitive expérimentale, confiée à M. Stanislas Dehaene la même année.

Chaire européenne. — Cette chaire destinée à une personnalité scientifique


originaire d’un pays membre de la communauté économique européenne, pour
une année académique, a été créée en 1989. Elle a été occupée par M. Harald
Weinrich, Professeur à l’Université de Munich qui a traité de la Mémoire
21

linguistique de l’Europe pendant l’année 1989-1990. Le Professeur Cesare Vasoli,


de l’Université de Florence, nommé pour l’année 1990-1991, n’a pu assurer son
enseignement à la suite d’un accident de santé. En 1991-1992, M. Wolf Lepenies,
Professeur au Wissenschaftskolleg de l’Université libre de Berlin a traité du sujet
suivant : Les intellectuels et la politique de l’esprit dans l’histoire européenne ; en 1992-
1993, M. Umberto Eco, Professeur à l’Université de Bologne, de La quête d’une
langue parfaite dans l’histoire de la culture européenne ; en 1993-1994, M. Werner
Hildenbrand, Professeur à l’Université de Bonn, du Contenu empirique des théories
économiques ; M. Norbert Ohler, Professeur à l’Université de Fribourg, en 1994-
1995, de l’Apport des pèlerins à la formation de l’Europe ; M. Klaus Rajewski,
Professeur à l’Université de Cologne, en 1995-1996, des Nouvelles approches
génétiques chez la souris ; M. Pieter Westbroek, Professeur à l’Université de Leyde,
en 1996-1997, de Géophysique : esquisse d’une nouvelle Science de la Terre ;
M. Abram de Swaan, Professeur à l’Université d’Amsterdam, en 1997-1998, de
Langue et culture dans la société transnationale ; M. Thomas W. Gaehtgens,
Professeur à l’Université libre de Berlin, en 1998-1999, de l’Image des collections en
Europe au XVIII e siècle ; M. Hans-Wilhelm Müller-Gärtner, Professeur à la
Faculté de Médecine de Düsseldorf, en 1999-2000, des Bases neuronales de la
conscience : apport de l’imagerie cérébrale ; M. Michael Edwards, Professeur à
l’Université de Warwick, en 2000-2001, de Poétiques de l’anglais et du français ;
M. Claudio Magris, Professeur à l’Université de Trieste, en 2001-2002, de
Nihilisme et mélancolie. Jacobsen et son Niels Lyhne ; M. Hans Belting, Professeur
à l’Université de Heideberg, en 2002-2003, de L’histoire du regard. Représentation
et vision en Occident ; M. Theodor Berchem, Professeur émérite de l’Université de
Wurzbourg, de L’Avenir de l’Université — l’Université de l’Avenir, en 2003-2004 ;
M. Sandro Stringari, Directeur du Research and Development Center on Bose-
Einstein Condensation à Trente, de Condensation de Bose-Einstein et superfluidité, en
2004-2005. Les titulaires de cette chaire ont été ensuite, en 2005-2006, M. Maurice
Bloch : L’anthropologie cognitive à l’épreuve du terrain ; en 2006-2007, M. Daniele
Vitali : Les Celtes d’Italie ; en 2007-2008, M. Manfred Kropp : Études coraniques.
En 2008-2009, cette chaire est thématisée « Savoirs contre pauvreté » et confiée à
Mme Esther Duflo.

Chaire internationale. — Créée en 1992 pour accueillir, pendant une année


académique, des personnalités scientifiques originaires des pays de l’Europe de l’Est
ou appartenant à d’autres continents, cette chaire a eu pour premier titulaire
Bronislaw Geremek, Professeur à l’Académie des Sciences de Varsovie, qui a traité
en 1992-1993 du sujet suivant : Histoire sociale : exclusions et solidarités. En 1993-
1994, M. Zhang Guangda, Professeur à l’Université de Pékin, a traité de La Chine et
les civilisations de l’Asie centrale du VII e au XI e siècle ; M. Orest Ranum, Professeur à
l’Université Johns Hopkins de Baltimore, en 1994-1995, de La France des années
1650 ; histoire et historiographie ; M. Harris Memel-Fotê, Professeur à l’Université
d’Abidjan, en 1995-1996, de L’esclavage lignager africain et l’anthropologie des Droits
de l’Homme ; M. Igor Mel’čuk, Professeur à l’Université de Montréal, en 1996-1997,
22

de Linguistique « Sens-Texte » ; M. Brian Stock, Professeur à l’Université de Toronto,


en 1997-1998, de La Connaissance de soi et la littérature autobiographique au Moyen
Âge ; M. Patrice Higonnet, Professeur à l’Université d’Harvard, en 1998-1999, des
Mythes de Paris, des Lumières au Surréalismes ; M. James Watson Cronin, Professeur
à l’Université de Chicago, en 1999-2000, du Développement de la physique des
particules et des grandes expériences ; M. Miklós Szabó, Professeur à l’Université
Eötvös Loránd de Budapest, en 2000-2001, de l’Histoire des Celtes danubiens et leur
romanisation ; M. Paul Farmer, Professeur à la Harvard Medical School de Boston,
en 2001-2002, de La violence struturelle et la matérialité du social ; M. Stuart
Edelstein, Professeur à l’Université de Genève, en 2002-2003, des Mécanismes de la
transduction du signal en biologie. M. Jayant Vishnu Narlikar, Professeur à l’Inter-
University centre for Astronomy and Astrophysics de Pune (Inde) a traité en 2003-
2004 de Cosmology : Theory and Observations ; M. A. M. Celâl Şengör, Professeur à
l’Université technique d’Istanbul, en 2004-2005, de L’histoire de la tectonique depuis
les temps les plus reculés jusqu’à l’apparition de la tectonique des plaques : une étude
épistémologique. Les titulaires de cette chaire ont été ensuite, en 2005-2006,
M. Thomas Pavel : Comment écouter la littérature ? ; en 2006-2007, M. Guy Orban :
La vision, mission du cerveau ; en 2007-2008, à M. Pierre Magistretti : Cellules
gliales, neuroénergétique et maladies neuropsychiatriques. En 2008-2009, cette chaire
est thématisée « Développement durable » et est confiée à M. Henri Leridon.

Chaire de création artistique. — Créée en 2004 pour accueillir, pendant


une année académique, une personnalité illustrant la création artistique
contemporaine, et consacrée à toutes les formes de création artistique, cette chaire
a eu pour premier titulaire, en 2005-2006, M. Christian de Portzamparc,
architecte, qui a traité de : Architecture : figures du monde, figures du temps. La
chaire est ensuite occupée, en 2006-2007, par M. Pascal Dusapin, compositeur,
dont le cours a pour titre : Composer : musique, paradoxe, flux. En 2007-2008, la
chaire est confiée à Mme Ariane Mnouchkine et en 2008-2009 à M. Pierre-
Laurent Aimard.

Chaire d’innovation technologique-Liliane Bettencourt. — Créée en


2007, en partenariat avec la fondation Bettencourt-Schueller, cette chaire a pour
vocation d’accueillir, pour chaque année académique, un nouveau titulaire chargé
de proposer un enseignement à la pointe de la recherche dans les secteurs hautement
innovants des nanotechnologies, de l’informatique, des réseaux de communication,
du transfert et du cryptage de données, des sciences du vivant. Le premier titulaire,
en 2006-2007, a été M. Jean-Paul Clozel, chercheur et P.-D.G. de la société
ActelionLtd, qui a traité de : La biotechnologie : de la science au médicament. En
2007-2008, la chaire est occupée par M. Gérard Berry, directeur scientifique de
Esterel Technologies, qui s’est consacré à la question : Pourquoi et comment le monde
devient numérique. Lui succède, pour 2008-2009, M. Mathias Fink, professeur à
l’École supérieure de physique et de chimie industrielles de la ville de Paris et
directeur du Laboratoire Ondes et acoustique.
TABLEAU DES CHAIRES DEPUIS 1800

Chaire ancienne Chaire nouvelle


1800 1
Physique mathématique Physique mathématique
Jacques-Antoine Cousin (1769-1800) Jean-Baptiste Biot (1801-1862)
Histoire naturelle Histoire naturelle
Louis Daubenton (1778-1799) Georges Cuvier (1800-1832)
1801
Chimie Chimie
Jean Darcet (1774-1801) Nicolas Vauquelin (1801-1804)
1804
Droit de la nature et des gens Droit de la nature et des gens
Mathieu-Antoine Bouchaud (1773-1804) Pierre de Pastoret (1804-1821)
Chimie Chimie
Nicolas Vauquelin (1801-1804) Louis-Jacques Thénard (1804-1845)
Création Grec moderne
Jean-Baptiste d’Ansse de Villoison
(1804-1805)
1805
Persan et Turc Persan
Pierre Ruffin (1784-1805) Antoine-Isaac Silvestre de Sacy
(1806-1838)
Médecine Médecine
Jean-Nicolas Corvisart (1796-1804) Jean-Noël Hallé (1805-1822)

1. L’année indiquée est celle de la délibération de l’Assemblée des Professeurs sur la création,
le maintien ou la transformation de la chaire.
24

Grec moderne Turc


Jean-Baptiste d’Ansse de Villoison Pierre Ruffin (1805-1822)
(1804-1805)
1807
Astronomie Astronomie
Jérôme de Lalande (1768-1807) Jean-Baptiste Delambre (1807-1822)
1809
Éloquence latine Éloquence latine
Charles-François Dupuis (1787-1809) Pierre Guéroult (1809-1816)
1812
Histoire et morale Histoire et morale
Pierre-Charles Lévesque (1791-1812) Étienne Clavier (1812-1817)
1813
Poésie latine Poésie latine
Jacques Delille (1778-1813) Pierre-François Tissot (1813-1821)
1814
Philosophie grecque et latine Langue et philosophie grecques
Édouard Bosquillon (1775-1814) Jean-François Thurot (1814-1832)
Littérature française Littérature française
Antoine de Cournand (1784-1814) Stanislas Andrieux (1814-1833)
Création Langues et littératures chinoise et
tartare-mandchoue
Jean-Pierre Abel-Remusat (1814-1832)
Création Langue et littérature sanscrites
Léonard de Chézy (1815-1832)
1815
Mathématiques Mathématiques
Antoine-Rémy Mauduit (1770-1815) Sylvestre-François Lacroix (1815-1843)
1816
Éloquence latine Éloquence latine
Pierre Guéroult (1809-1816) Jean-Louis Burnouf (1817-1844)
1817
Histoire et morale Histoire et morale
Étienne Clavier (1812-1817) Pierre Daunou (1819-1830)
1819
Hébreu Hébreu
Prosper-Gabriel Audran (1799-1819) Étienne-Marc Quatremère (1819-1857)
25

1821
Droit de la nature et des gens Droit de la nature et des gens
Pierre de Pastoret (1804-1821) Xavier de Portets (1822-1854)
Poésie latine Poésie latine
Pierre-François Tissot (révoqué) Joseph Naudet (1821-1830)
(1813-1821)
1822
Médecine Médecine
Jean-Noël Hallé (1805-1822) René-Théophile Laennec (1822-1826)
Turc Turc
Pierre Ruffin (1805-1822) Daniel Kieffer (1822-1833)
Astronomie Astronomie
Jean-Baptiste Delambre (1807-1822) Jacques Binet (1823-1856)
1823
Physique générale et expérimentale Physique générale et expérimentale
Louis Lefèvre-Gineau (révoqué) André-Marie Ampère (1824-1836)
(1786-1823)
1826
Médecine Médecine
René-Théophile Laennec (1822-1826) Joseph Récamier (1827-1830)
1829
Langue et littérature grecques Langue et littérature grecques
Jean-Baptiste Gail (1791-1829) Jean-François Boissonade (1829-1855)
1830
Histoire et morale Histoire et morale
Pierre Daunou (1819-1830) Jean-Antoine Letronne (1831-1837)
Poésie latine Poésie latine
Joseph Naudet (1821-1830) Pierre-François Tissot (rétabli)
(1830-1854)
1831
Médecine Médecine
Joseph Récamier (1827-1830) François Magendie (1831-1855)
Création Économie politique
Jean-Baptiste Say (1831-1832)
Création Archéologie
Jean-François Champollion (1831-1832)
Création Histoire générale et philosophique
des législations comparées
Eugène Lerminier (1831-1849)
26

1832
Anatomie Chaire supprimée
Antoine Portal (1773-1832)
Histoire naturelle Histoire naturelle, puis Histoire naturelle
Georges Cuvier (1800-1832) des corps inorganiques
Léonce Élie de beaumont (1832-1874)
Langues et littératures chinoise et Langues et littératures chinoise et
tartare-mandchoue tartare-mandchoue
Jean-Pierre Abel-Rémusat (1814-1832) Stanislas Julien (1832-1873)
Langue et philosophie grecques Philosophie grecque et latine
Jean-François Thurot (1814-1832) Théodore Jouffroy (1832-1837)
Langue et littérature sanscrites Langue et littérature sanscrites
Léonard de Chézy (1815-1832) Eugène Burnouf (1832-1852)
Économie politique Économie politique
Jean-Baptiste Say (1831-1832) Pellegrino Rossi (1833-1840)
1833
Arabe Arabe
Antoine Caussin de Perceval Armand-Pierre Caussin de Perceval
(1784-1833) (1833-1871)
Littérature française Littérature française
Stanislas Andrieux (1814-1833) Jean-Jacques Ampère (1833-1853)
Turc Turc
Daniel Kieffer (1822-1833) Alix Desgranges (1833-1854)
1836
Physique générale et expérimentale Physique générale et expérimentale
André-Marie Ampère (1824-1836) Félix Savart (1836-1841)
1837
Archéologie Archéologie
Jean-François Champollion (1831-1832) Jean-Antoine Letronne (1837-1848)
Histoire et morale Histoire et morale
Jean-Antoine Letronne (1831-1837) Jules Michelet (1838-1852)
Philosophie grecque et latine Philosophie grecque et latine
Théodore Jouffroy (1832-1837) Jules Barthélémy Saint-Hilaire
(1838-1852)
Création Histoire naturelle des corps organisés
Georges Duvernoy (1837-1855)
1838
Persan Persan
Antoine-Isaac Silvestre de Sacy Amédée Jaubert (1838-1847)
(1806-1838)
27

1840

Économie politique Économie politique


Pellegrino Rossi (1833-1840) Michel Chevalier (1840-1879)

Création Langue et littérature slaves


Adam Mickiewicz, chargé de cours
(1840-1852)

1841

Physique générale et expérimentale Physique générale et expérimentale


Félix Savart (1836-1841) Henri-Victor Régnault (1841-1871)

Création Langues et littératures d’origine germanique


Philarète Chasles (1841-1853)

Création Langues et littératures de l’Europe méridionale


Edgar Quinet (1841-1852)

1843

Mathématiques Mathématiques
Sylvestre-François Lacroix (1843-1848) Guillaume Libri-Carucci (1815-1843)

1844

Éloquence latine Éloquence latine


Jean-Louis Burnouf (1817-1844) Désiré Nisard (1844-1852)

Création Embryogénie comparée


Victor Coste (1844-1873)

1845

Chimie Chimie minérale


Louis-Jacques Thénard (1804-1845) Théophile-Jules Pelouze (1845-1850)

1847

Persan Persan
Amédée Jaubert (1838-1847) Jules Mohl (1850-1876)
28

1848
Le 7 avril 1848, un décret du gouvernement provisoire supprima cinq chaires :
Économie politique, Droit de la nature et des gens, Législations comparées, Turc et Poésie
latine,
pour en créer douze nouvelles destinées à instituer une École d’Administration dont
l’existence fut éphémère :
Droit politique français et droit politique comparé, Jean Reynaud
Droit international et histoire des traités, Alphonse de Lamartine
Droit privé, Armand Marrast
Droit criminel, Faustin Hélie
Économie générale et statistique de la population, Augustin Serres
Économie générale et statistique de l’agriculture, Joseph Decaisne
Économie générale et statistique des mines, usines, arts et manufactures, Jean-Martial Bineau
Économie générale et statistique des travaux publics, Alfred-Charles Franquet
de Franqueville
Économie générale et statistique des finances et du commerce, Louis-Antoine Garnier-Pagès
Droit administratif, Louis-Marie Delahaye de Cormenin
Histoire des institutions administratives françaises et étrangères, Alexandre Ledru-Rollin
Mécanique, Jean-Victor Poncelet.
Le 14 novembre 1848, l’Assemblée Nationale rétablit les cinq chaires supprimées et leurs
titulaires furent réintégrés au Collège.

Chaire ancienne Chaire nouvelle


1849
Histoire générale et philosophique Histoire des législations comparées
des législations comparées
Édouard Laboulaye (1849-1883) Eugène Lerminier (1831-1849)
Archéologie Archéologie
Jean-Antoine Letronne (1837-1848) Charles Lenormant (1849-1859)
1850
Mathématiques Mathématiques
Guillaume Libri-Carucci (1843-1848) Joseph Liouville (1851-1882)
Chimie minérale Chimie minérale
Théophile-Jules Pelouze (1845-1850) Antoine-Jérôme Balard (1851-1876)
1852
Langue et littérature sanscrites Langue et littérature sanscrites
Eugène Burnouf (1832-1852) Théodore Pavie, chargé de cours
(1853-1857)
Révocation de Quinet, Michelet, Mickiewicz.
Langue et littérature slaves Langue et littérature slaves
Adam Mickiewicz, chargé de cours Cyprien Robert, chargé de cours
(1840-1852) (1852-1857)
29

Éloquence latine Éloquence latine


Désiré Nisard (1844-1852) Wilhelm Rinn (1853-1854)
1853
Littérature française Langue et littérature françaises modernes
Jean-Jacques Ampère (1833-1853) Jean-Jacques Ampère (1853-1864)
Philosophie grecque et latine Philosophie grecque et latine
Jules Barthélémy Saint-Hilaire Émile Saisset, chargé de cours
(1838-1852) (1853-1857)
Fusion des chaires de :
— Langues et littératures de Langues et littératures étrangères de
l’Europe méridionale l’Europe moderne
Edgar Quinet (révoqué) (1841-1852) Philarète Chasles (1853-1870)
— Langues et littératures d’origine germanique
Philarète Chasles (1841-1853)
Création Langue et littérature françaises du Moyen Âge
Paulin Paris (1853-1872)
1854
Droit de la nature et des gens Droit de la nature et des gens
Xavier de Portets (1822-1854) Adolphe Franck, chargé de cours
(1854-1856), titulaire (1856-1887)
Poésie latine Poésie latine
Pierre-François Tissot (1830-1854) Charles-Augustin de Sainte-Beuve
(1854-1869)
Turc Turc
Alix Desgranges (1833-1854) Mathurin-Joseph Cor (1854)
Histoire et morale Histoire et morale
Jules Michelet (révoqué) (1838-1852) Joseph Guigniaut, chargé de cours
(1854-1857), titulaire (1857-1862)
Éloquence latine Éloquence latine
Wilhelm Rinn (1853-1854) Ernest Havet (1854-1885)
Turc Turc
Mathurin-Joseph Cor (1854) Abel Pavet de Courteille, chargé de
cours (1854-1861), titulaire (1861-1889)
1855
Langue et littérature grecques Langue et littérature grecques
Jean-François Boissonade (1855-1892) Jean-Pierre Rossignol (1829-1855)
Médecine Médecine
François Magendie (1831-1855) Claude Bernard (1855-1878)
Histoire naturelle des corps organisés Histoire naturelle des corps organisés
Georges Duvernoy (1837-1855) Pierre-Jean-Marie Flourens (1855-1867)
30

1857
Hébreu Langues hébraïque, chaldaïque, et syriaque
Étienne-Marc Quatremère (1819-1857) Louis Dubeux, chargé de cours
(1857-1861)
Langue et littérature slaves Langue et littérature slaves
Cyprien Robert, chargé de cours Alexandre Chodzko, chargé de cours
(1852-1857) (1857-1883)
Philosophie grecque et latine Philosophie grecque et latine
Émile Saisset, chargé de cours Charles Lévêque, chargé de cours
(1853-1857) (1857-1860), titulaire (1861-1900)
Langue et littérature sanscrites Langue et littérature sanscrites
Théodore Pavie, chargé de cours Édouard Foucaux, chargé de cours
(1853-1857) (1857-1862), titulaire (1862-1894)
1860
Astronomie Mécanique céleste
Jacques Binet (1823-1856) Joseph Serret (1861-1885)
Archéologie Philologie et archéologie égyptiennes
Charles Lenormant (1849-1859) Emmanuel de Rougé (1860-1872)
Langues hébraïque, chaldaïque, et syriaque Langues hébraïque, chaldaïque, et syriaque
Louis Dubeux, chargé de cours (1857-1861) Ernerst Renan (1862-1864)
Création Épigraphie et antiquités romaines
Léon Renier (1861-1885)
1862
Physique mathématique Physique générale et mathématique
Jean-Baptiste Biot (1801-1862) Joseph Bertrand (1862-1900)
Histoire et morale Histoire et morale
Joseph Guigniaut (1857-1862) Alfred Maury, chargé de cours (1861),
titulaire (1862-1892)
1864
Langue et littérature françaises modernes Langue et littérature françaises modernes
Jean-Jacques Ampère (1853-1864) Louis de Loménie (1864-1878)
Langues hébraïque, chaldaïque, et syriaque Langues hébraïque, chaldaïque, et syriaque
Ernest Renan (révoqué) (1862-1864) Salomon Munk (1864-1867)
Création Grammaire comparée
Michel Bréal, chargé de cours
(1864-1865), titulaire (1866-1905)
1865
Création Chimie organique
Marcelin Berthelot (1865-1907)
31

1869

Poésie latine Poésie latine


Charles-Augustin De Sainte-Beuve Gaston Boissier (1869-1885)
(1854-1869)

Histoire naturelle des corps organisés Histoire naturelle des corps organisés
Pierre-Jean-Marie Flourens (1855-1867) Étienne-Jules Marey (1869-1904)

1870

Langues et littératures étrangères de Langues et littératures d’origine


l’Europe moderne germanique
Philarète Chasles (1853-1870) Philarète Chasles (1870-1873)

Langues hébraïque, chaldaïque, et syriaque Langues hébraïque, chaldaïque, et syriaque


Salomon Munk (1864-1867) Ernest Renan (rétabli) (1870-1892)

Rétablissement Langues et littératures de l’Europe


méridionale
Edgar Quinet (1870-1875)

1871

Arabe Arabe
Armand-Pierre Caussin de Perceval Charles-François Defrémery
(1833-1871) (1871-1883)

Création Histoire des doctrines économiques


Émile Levasseur (1871-1885)

1872

Physique générale et expérimentale Physique générale et expérimentale


Henri-Victor Régnault (1841-1871) Élie Mascart (1872-1908)

Langue et littérature françaises du Langue et littérature françaises du


Moyen Âge Moyen Âge
Paulin Paris (1853-1872) Gaston Paris (1872-1903)

1873

Langues et littératures chinoise et Langues et littératures chinoise et


tartare-mandchoue tartare-mandchoue
Stanislas Julien (1832-1873) Léon d’Hervey de Saint-Denys
(1874-1892)
32

Embryogénie comparée Embryogénie comparée


Victor Coste (1844-1873) Édouard Balbiani (1874-1899)
Philologie et archéologie égyptiennes Philologie et archéologie égyptiennes
Emmanuel de Rougé (1860-1872) Gaston Maspero (1874-1916)
Langues et littératures d’origine germanique Langues et littératures d’origine germanique
Philarète Chasles (1870-1873) Guillaume Guizot (1874-1892)
1874
Histoire naturelle des corps inorganiques Histoire naturelle des corps inorganiques
Léonce Élie de Beaumont Charles Sainte-Claire Deville
(1832-1874) (1875-1876)
Création Histoire de la philosophie moderne
Jean Nourrisson (1874-1899)
Création Philologie et archéologie assyriennes
Jules Oppert (1874-1905)
1875
Langues et littératures de l’Europe Langues et littératures de l’Europe
méridionale méridionale
Edgar Quinet (1870-1875) Paul Meyer (1876-1906)
Création Anatomie générale
Louis Ranvier (1875-1911)
1876
Persan Persan
Jules Mohl (1850-1876) Adrien Barbier Demeynard (1876-1885)
Chimie minérale Chimie minérale
Antoine-Jérôme Balard (1851-1876) Paul Schützenberger (1876-1897)
Histoire naturelle des corps inorganiques Histoire naturelle des corps inorganiques
Charles Sainte-Clairedeville (1875-1876) Ferdinand Fouqué (1877-1904)
1877
Création Épigraphie et antiquités grecques
Paul Foucart (1877-1926)
1878
Médecine Médecine
Claude Bernard (1855-1878) Charles-Édouard Brown-Séquard
(1878-1894)
Langue et littérature françaises modernes Langue et littérature françaises modernes
Louis de Loménie (1864-1878) Paul Albert (1878-1880)
Création Esthétique et histoire de l’art
Charles Blanc (1878-1882)
33

1880
Économie politique Économie politique
Michel Chevalier (1840-1879) Paul Leroy-Beaulieu (1880-1916)
Langue et littérature françaises modernes Langue et littérature françaises modernes
Paul Albert (1878-1880) Émile Deschanel (1881-1903)
Création Histoire des religions
Albert Réville (1880-1906)
1882
Mathématiques Mathématiques
Joseph Liouville (1851-1882) Camille Jordan (1883-1912)
Esthétique et histoire de l’art Esthétique et histoire de l’art
Charles Blanc (1878-1882) Eugène Guillaume (1882-1905)
Création Langues et littératures celtiques
Henry d’Arbois de Jubainville
(1882-1910)
1883
Histoire des législations comparées Histoire des législations comparées
Édouard Laboulaye (1849-1883) Jacques Flach (1884-1919)
Arabe Arabe
Charles-François Defrémery (1871-1883) Stanislas Guyard (1884)
1884
Langue et littérature slaves Langues et littératures slaves
Alexandre Chodzko, chargé de cours Louis Léger (1885-1923)
(1857-1883)
Arabe Arabe
Stanislas Guyard (1884) Adrien Barbier de Meynard (1885-1908)
1885
Éloquence latine Philologie latine
Ernest Havet (1854-1885) Louis Havet (1885-1925)
Mécanique céleste Mécanique analytique et mécanique céleste
Joseph Serret (1861-1885) Maurice Lévy (1885-1908)
Épigraphie et antiquités romaines Épigraphie et antiquités romaines
Léon Renier (1861-1885) Ernest Desjardins (1886)
Poésie latine Histoire de la littérature latine
Gaston Boissier (1869-1885) Gaston Boissier (1885-1906)
Histoire des doctrines économiques Géographie, histoire, et statistiques
Émile Levasseur (1871-1885) économiques
Émile Levasseur (1885-1911)
Persan Langues et littératures de la Perse
Adrien Barbier de Meynard (1876-1885) James Darmesteter (1885-1894)
34

1886
Épigraphie et antiquités romaines Épigraphie et antiquités romaines
Ernest Desjardins (1886) René Cagnat (1887-1930)
1887
Droit de la nature et des gens Psychologie expérimentale et comparée
Adolphe Franck (1856-1887) Théodule Ribot (1888-1901)
1890
Turc Épigraphie et antiquités sémitiques
Abel Pavet de Courteille (1861-1889) Charles Clermont-Ganneau (1890-1923)
1892
Histoire et morale Géographie historique de la France
Alfred Maury (1862-1892) Auguste Longnon (1892-1911)
Création Histoire générale des sciences
Pierre Laffitte (1892-1903)
1893
Langue et littérature grecques Langue et littérature grecques
Jean-Pierre Rossignol (1855-1892) Maurice Croiset (1893-1930)
Langues hébraïque, chaldaïque Langues et littératures hébraïque,
et syriaque chaldaïque, et syriaque
Ernest Renan (1870-1892) Philippe Berger (1893-1910)
Langues et littératures d’origine germanique Langues et littératures d’origine germanique
Guillaume Guizot (1874-1892) Arthur Chuquet (1893-1925)
Langues et littératures chinoise et Langues et littératures chinoise et
tartare-mandchoue tartare-mandchoue
Léon d’Hervey de Saint-Denys Édouard Chavannes (1893-1918)
(1874-1892)
1894
Langue et littérature sanscrites Langue et littérature sanscrites
Édouard Foucaux (1862-1894) Sylvain Lévi (1894-1935)
Médecine Médecine
Charles-Édouard Brown-Séquard Arsène d’Arsonval (1894-1930)
(1878-1894)
Langues et littératures de la Perse Langue et littérature araméennes
James Darmesteter (1885-1894) Rubens Duval (1894-1907)
1897
Chimie minérale Chimie minérale
Paul Schützenberger (1876-1897) Henri Le Chatelier (1898-1907)
Création Philosophie sociale
Jean Izoulet (1897-1929)
35

1899
Histoire de la philosophie moderne Philosophie moderne
Jean Nourrisson (1874-1899) Gabriel Tarde (1900-1904)
Embryogénie comparée Embryogénie comparée
Édouard Balbiani (1874-1899) Félix Henneguy (1900-1928)
1900
Philosophie grecque et latine Philosophie grecque et latine
Charles Lévêque (1861-1900) Henri Bergson (1900-1904)
Physique générale et mathématique Physique générale et mathématique
Joseph Bertrand (1862-1900) Marcel Brillouin (1900-1931)
1901
Psychologie expérimentale et comparée Psychologie expérimentale et comparée
Théodule Ribot (1888-1901) Pierre Janet (1902-1934)
1902
Création Sociologie et sociographie musulmanes
Alfred Le Chatelier (1902-1925)
1903
Langue et littérature françaises du Moyen Âge Langue et littérature françaises du Moyen Âge
Gaston Paris (1872-1903) Joseph Bédier (1903-1936)
Histoire générale des sciences Histoire générale des sciences
Pierre Laffitte (1892-1903) Grégoire Wyrouboff (1903-1913)
Création Pathologie générale et comparée
Albert Charrin (1903-1907)
1904
Histoire naturelle des corps organisés Histoire naturelle des corps organisés
Étienne-Jules Marey (1869-1904) Nicolas François-Franck (1905-1921)
Histoire naturelle des corps inorganiques Histoire naturelle des corps inorganiques
Ferdinand Fouqué (1877-1904) Auguste Michel-Lévy (1905-1911)
Langue et littérature françaises modernes Langue et littérature françaises modernes
Émile Deschanel (1881-1903) Abel Lefranc (1904-1937)
Philosophie moderne Philosophie moderne
Gabriel Tarde (1900-1904) Henri Bergson (1904-1921)
1905
Grammaire comparée Grammaire comparée
Michel Bréal (1866-1905) Antoine Meillet (1906-1936)
Philologie et archéologie assyriennes Philologie et archéologie assyriennes
Jules Oppert (1874-1905) Charles Fossey (1906-1939)
Esthétique et histoire de l’art Esthétique et histoire de l’art
Eugène Guillaume (1882-1905) Georges Lafenestre (1905-1919)
36

Philosophie grecque et latine Histoire et antiquités nationales


Henri Bergson (nommé en 1904 titulaire Camille Jullian (1905-1930)
de la chaire dePhilosophie moderne)
(1900-1904)
1906
Langues et littératures de l’Europe Langues et littératures de l’Europe
méridionale méridionale
Paul Meyer (1876-1906) Alfred Morel-Fatio (1907-1924)
Histoire des religions Histoire des religions
Albert Réville (1880-1906) Jean Réville (1907-1908)
Histoire de la littérature latine Histoire de la littérature latine
Gaston Boissier (1885-1906) Paul Monceaux (1907-1934)
1907
Chimie organique Chimie organique
Marcelin Berthelot (1865-1907) Émile Jungfleisch (1908-1916)
Chimie minérale Chimie minérale
Henri Le Chatelier (1898-1907) Camille Matignon (1908-1934)
Pathologie générale et comparée Biologie générale
Albert Charrin (1903-1907) Émile Gley (1908-1930)
Création Histoire du travail
Georges Renard (1907-1930)
1908
Physique générale et expérimentale Physique générale et expérimentale
Élie Mascart (1872-1908) Paul Langevin (1909-1946) (révoqué
en 1940, réintégré en 1944)
Arabe Langue et littérature arabes
Adrien Barbier Demeynard (1885-1908) Paul Casanova (1909-1926)
Langue et littérature araméennes Numismatique de l’Antiquité et du
Rubens Duval (1895-1907) Moyen Âge
Ernest Babelon (1908-1924)
Histoire des religions Histoire des religions
Jean Réville (1907-1908) Alfred Loisy (1909-1932)
1909
Mécanique analytique et mécanique céleste Mécanique analytique et mécanique céleste
Maurice Lévy (1885-1908) Jacques Hadamard (1909-1937)
1910
Langues et littératures celtiques Langues et littératures celtiques
Henry d’Arbois de Jubainville Joseph Loth (1910-1930)
(1882-1910)
37

1911
Langues et littératures hébraïque, Langues, histoire et archéologie de
chaldaïque, et syriaque l’Asie centrale
Philippe Berger (1893-1910) Paul Pelliot (1911-1945)
1912
Anatomie générale Histologie comparée
Louis Ranvier (1875-1911) Jean Nageotte (1912-1937)
Mathématiques Mathématiques
Camille Jordan (1883-1912) Georges Humbert (1912-1921)
Géographie, histoire et statistiques Étude des faits économiques et
économiques sociaux
Émile Levasseur (1885-1911) Marcel Marion (1912-1932)
Géographie historique de la France Histoire de l’Afrique du Nord
Auguste Longnon (1892-1911) Stéphane Gsell (1912-1932)
Histoire naturelle des corps inorganiques Géologie
Lucien Cayeux (1912-1936) Auguste Michel-Lévy (1905-1911)
Création temporaire (fondation Albert Géographie humaine
Kahn) Jean Brunhes (1912-1930)
1914
Histoire générale des sciences Chaire supprimée
Grégoire Wyrouboff (1903-1913)
1916
Philologie et archéologie égyptiennes Chaire supprimée
Gaston Maspero (1874-1916)
Chimie organique Chaire supprimée
Émile Jungfleisch (1908-1916)
Création Prévoyance et assistance sociales
(fondation de la Ville de Paris) Édouard Fuster (1917-1935)
1917
Économie politique Chimie organique
Paul Leroy-Beaulieu (1880-1916) Charles Moureu (1917-1929)
1919
Langues et littératures chinoise et Langue et littérature chinoises
tartare-mandchoue Henri Maspero (1921-1945)
Édouard Chavannes (1893-1918)
Esthétique et histoire de l’art Histoire de l’art français
Georges Lafenestre (1905-1919) André Michel (1920-1925)
1920
Histoire des législations comparées Histoire des sciences
Jacques Flach (1884-1919) Pierre Boutroux (1920-1922)
38

Création Histoire et philologie indochinoises


Louis Finot (1920-1930)
Création temporaire Enseignement de la coopération
Charles Gide (1921-1930)
1921
Philosophie moderne Philosophie
Henri Bergson (1904-1921) Édouard Leroy (1921-1940)
Histoire naturelle des corps organisés Histoire naturelle des corps organisés
Nicolas François-Franck (1905-1921) André Mayer (1922-1946)
Mathématiques Mathématiques
Georges Humbert (1912-1921) Henri Lebesgue (1921-1941)
Création Histoire coloniale
Alfred Martineau (1921-1935)
1922
Histoire des sciences Égyptologie
Pierre Boutroux (1920-1922) Alexandre Moret (1923-1938)
1923
Langues et littératures slaves Langues et littératures slaves
Louis Léger (1885-1923) André Mazon (1923-1951)
Épigraphie et antiquités sémitiques Physiologie des sensations
Charles Clermont-Ganneau (1890-1923) Henri Piéron (1923-1951)
Création Phonétique expérimentale
Jean Rousselot (1923-1924)
Création temporaire Études coloniales, protistologie pathologique
Louis Nattan-Larrier (1923-1943)
1924
Langues et littératures de l’Europe Littérature latine du Moyen Âge
méridionale
Edmond Faral (1925-1954) Alfred Morel-Fatio (1907-1924)
Numismatique de l’Antiquité et du Numismatique de l’Antiquité
Moyen Âge Ernest Babelon (1908-1924)
Théodore Reinach (1924-1928)
1925
Philologie latine Histoire des littératures comparées de l’Europe
Louis Havet (1885-1925) méridionale et de l’Amérique latine
Paul Hazard (1925-1944)
Langues et littératures d’origine germanique Langues et littératures d’origine germanique
Arthur Chuquet (1893-1925) Charles Andler (1926-1933)
Phonétique expérimentale Histophysiologie
Jean Rousselot (1923-1924) Justin Jolly (1925-1940)
39

Création Épidémiologie
Hyacinthe Vincent (1925-1936)
1926
Épigraphie et antiquités grecques Épigraphie grecque
Paul Foucart (1877-1926) Maurice Holleaux (1927-1932)
Sociologie et sociographie musulmanes Sociologie et sociographie musulmanes
Alfred Le Chatelier (1902-1925) Louis Massignon (1926-1954)
Langue et littérature arabes Langue et littérature arabes
Paul Casanova (1909-1926) William Marçais (1927-1943)
Histoire de l’art français Esthétique et histoire de l’art
André Michel (1920-1925) Gabriel Millet (1926-1937)
1928
Embryogénie comparée Embryogénie comparée
Félix Henneguy (1900-1928) Emmanuel Fauré-Frémiet (1928-1954)
1929
Philosophie sociale Sociologie
Jean Izoulet (1897-1929) Marcel Mauss (1931-1942)
Chimie organique Chimie organique
Charles Moureu (1917-1929) Marcel Delépine (1930-1941)
Numismatique de l’Antiquité Préhistoire
Théodore Reinach (1924-1928) Henri Breuil (1929-1947)
Création Mécanique animale appliquée de l’aviation
Antoine Magnan (1929-1938)
1930
Histoire et philologie indochinoises Histoire et philologie indochinoises
Louis Finot (1920-1930) Jean Przyluski (1931-1944)
1931
Épigraphie et antiquités romaines Civilisation romaine
René Cagnat (1887-1930) Eugène Albertini (1932-1941)
Langue et littérature grecques Langue et littérature grecques
Maurice Croiset (1893-1930) Émile Bourguet (1932-1938)
Médecine Médecine
Arsène d’Arsonval (1894-1930) Charles Nicolle (1932-1936)
Physique générale et mathématique Physique théorique
Marcel Brillouin (1900-1931) Léon Brillouin (1932-1949)
Histoire du travail Histoire du travail
Georges Renard (1907-1930) François Simiand (1932-1935)
Biologie générale Biologie générale
Émile Gley (1908-1930) Jacques Duclaux (1931-1948)
40

Langues et littératures celtiques Histoire de la philosophie au Moyen Âge


Joseph Loth (1910-1930) Étienne Gilson (1932-1950)
Création Civilisation américaine
Bernard Faÿ (1932-1945)
1932
Histoire des religions Histoire de la civilisation moderne
Alfred Loisy (1909-1932) Lucien Febvre (1933-1949)
Histoire de l’Afrique du Nord Histoire ancienne de l’Orient sémitique
Stéphane Gsell (1912-1932) Isidore Lévy (1932-1941)
Étude des faits économiques et sociaux Géographie économique et politique
Marcel Marion (1912-1932) André Siegfried (1933-1946)
Création temporaire Histoire de l’art monumental
(fondation de la Ville de Paris) Paul Léon (1932-1944)
1933
Langues et littératures d’origine germanique Langues et littératures d’origine germanique
Charles Andler (1926-1933) Ernest Tonnelat (1934-1948)
Épigraphie grecque Histoire des religions
Maurice Holleaux (1927-1932) Jean Baruzi (1933-1951)
Création (pour A. Einstein, qui ne Physique mathématique
devait jamais l’occuper)
1934
Suppression par décret des chaires de :
Psychologie expérimentale et comparée
Pierre Janet (1902-1934)
Histoire de la littérature latine
Paul Monceaux (1907-1934)
Chimie minérale
Camille Matignon (1908-1934)
1935
Histoire et antiquités nationales Antiquités nationales
Camille Jullian (1905-1930) Albert Grenier (1936-1948)
Prévoyance et assistance sociales Psychologie et éducation de l’enfance
Édouard Fuster (1917-1935) Henri Wallon (1937-1949)
Histoire du travail Histoire du travail
François Simiand (1932-1935) Émile Coornaert (1936-1957)
1936
Langue et littérature sanscrites Chimie nucléaire
Sylvain Lévi (1894-1935) Frédéric Joliot (1937-1958)
Médecine Langue et littérature sanscrites
Charles Nicolle (1932-1936) Jules Bloch (1937-1951)
41

1937
Langue et littérature françaises du Moyen Âge Histoire du vocabulaire français
Joseph Bédier (1903-1936) Mario Roques (1937-1946)
Langue et littérature françaises modernes Poétique
Paul Valéry (1937-1945) Abel Lefranc (1904-1937)
Grammaire comparée Grammaire comparée
Antoine Meillet (1906-1936) Émile Benveniste (1937-1972)
Géologie Géologie méditerranéenne
Lucien Cayeux (1912-1936) Paul Fallot (1938-1960)
Histoire coloniale Histoire de la colonisation
Alfred Martineau (1921-1935) Edmond Chassigneux (1939-1946)
Épidémiologie Médecine
Hyacinthe Vincent (1925-1936) René Leriche (1937-1950)
1938
Mécanique analytique et mécanique céleste Mathématique et mécanique
Jacques Hadamard (1909-1937) Szolem Mandelbrojt (1938-1972)
Histologie comparée Morphologie expérimentale et endocrinologie
Jean Nageotte (1912-1937) Robert Courrier (1938-1966)
Égyptologie Égyptologie
Alexandre Moret (1923-1938) Pierre Lacau (1938-1947)
Esthétique et histoire de l’art Esthétique et histoire de l’art
Gabriel Millet (1926-1937) Henri Focillon (1938-1942)
Mécanique animale appliquée à l’aviation Aérolocomotion mécanique et biologique
Antoine Magnan (1929-1938) Étienne Œhmichen (1939-1955)
Langue et littérature grecques Épigraphie et antiquités grecques
Émile Bourguet (1932-1938) Louis Robert (1939-1974)
1941
Philologie et archéologie assyriennes Histoire des arts de l’Orient musulman
Charles Fossey (1906-1939) Albert Gabriel (1941-1953)
Physique générale et expérimentale Physique générale et expérimentale
Paul Langevin (1909-1946) (révoqué Maurice Debroglie (1942-1944),
en 1940, réintégré en 1944) puis à nouveau Paul Langevin
Philosophie Philosophie
Édouard Leroy (1921-1940) Louis Lavelle (1941-1951)
Mathématiques Affectation réservée
Henri Lebesgue (1921-1941)
Histophysiologie Radiobiologie expérimentale
Justin Jolly (1925-1940) Antoine Lacassagne (1941-1951)
Chimie organique Chimie organique
Marcel Delépine (1930-1941) Charles Dufraisse (1942-1955)
42

Civilisation romaine Civilisation romaine


Eugène Albertini (1932-1941) André Piganiol (1942-1954)
1943-1944
Histoire des littératures comparées de l’Europe Langues et littératures de la péninsule
méridionale et de l’Amérique latine ibérique et de l’Amérique latine
Paul Hazard (1925-1944) Marcel Bataillon (1945-1965)
Sociologie Psychologie collective
Marcel Mauss (1931-1942) Maurice Halbwachs (1944-1945)
Esthétique et histoire de l’art Histoire de la langue latine
Henri Focillon (révoqué) (1938-1942) Alfred Ernout (1944-1951)
Mathématique et mécanique Physique cosmique
Szolem Mandelbrojt (1938-1972) Alexandre Dauvillier (1944-1962)
(révoqué en 1942, réintégré en 1944)
1945 2
Langue et littérature chinoises Langue et littérature chinoises
Henri Maspero (1921-1945) Paul Demiéville (1946-1964)
Langue et littérature arabes Histoire du monde arabe
William Marçais (1927-1943) Jean Sauvaget (1946-1950)
Histoire ancienne de l’Orient sémitique Philologie et archéologie assyro-babyloniennes
Isidore Lévy (1932-1941) Édouard Dhorme (1945-1951)
Physique mathématique Physique atomique et moléculaire
(chaire créée pour A. Einstein en 1933) Francis Perrin (1946-1972)
Poétique Histoire des créations littéraires en France
Paul Valéry (1937-1945) Jean Pommier (1946-1964)
Psychologie collective Histoire de la civilisation italienne
Maurice Halbwachs (1944-1945) Augustin Renaudet (1946-1950)
1946
Physique générale et expérimentale Théorie des équations différentielles
Paul Langevin (1909-1946) et fonctionnelles
Jean Leray (1947-1978)
Langues, histoire et archéologie de l’Asie centrale Archéologie paléochrétienne et byzantine
Paul Pelliot (1911-1945) André Grabar (1946-1966)
Histoire naturelle des corps organisés Biochimie générale et comparée
André Mayer (1922-1946) Jean Roche (1947-1972)
Histoire et philologie indochinoises Histoire et philologie indochinoises
Jean Przyluski (1931-1944) Émile Gaspardone (1946-1965)

2. L’année indiquée est celle de la délibération de l’Assemblée des Professeurs, l’arrêté ministériel
déclarant la vacance de la chaire, postérieur de quelques mois, peut être parfois daté de l’année
suivante.
43

Civilisation américaine Histoire de la civilisation de


Bernard Faÿ (révoqué) (1932-1945) l’Amérique du Nord
Marcel Giraud (1947-1971)
Géographie économique et politique Étude du monde tropical
André Siegfried (1933-1946) Pierre Gourou (1947-1970)
Histoire du vocabulaire français Langue et littérature françaises du Moyen Âge
Mario Roques (1937-1946) Félix Lecoy (1947-1974)
Création Civilisations de l’Extrême-Orient
Paul Mus (1946-1969)
1947
Préhistoire Géographie historique de la France
Henri Breuil (1929-1947) Roger Dion (1948-1968)
Égyptologie Égyptologie
Pierre Lacau (1938-1947) Pierre Montet (1948-1956)
Histoire de la colonisation Histoire de l’expansion de l’Occident
Edmond Chassigneux (1939-1946) Robert Montagné (1948-1954)
1948
Biologie générale Neurophysiologie générale
Jacques Duclaux (1931-1948) Alfred Fessard (1949-1971)
Langues et littératures d’origine germanique Langues et littératures d’origine germanique
Ernest Tonnelat (1934-1948) Fernand Mossé (1949-1956)
Antiquités nationales Civilisation indo-européenne
Albert Grenier (1936-1948) Georges Dumézil (1949-1968)
1949
Physique théorique Physique théorique
Léon Brillouin (1932-1949) Jean Laval (1950-1970)
Histoire de la civilisation moderne Histoire de la civilisation moderne
Lucien Febvre (1933-1949) Fernand Braudel (1950-1972)
Psychologie et éducation de l’enfance Psychologie des arts plastiques
Henri Wallon (1937-1949) René Huyghe (1951-1976)
1950
Médecine Médecine expérimentale
René Leriche (1937-1950) Antoine Lacassagne (1951-1954)
Histoire de la civilisation italienne Littérature et civilisation italiennes
Augustin Renaudet (1946-1950) André Pézard (1951-1963)
Histoire du monde arabe Langue et littérature arabes
Jean Sauvaget (1946-1950) Gaston Wiet (1951-1959)
Création Histoire et structure sociales de Paris
(fondation de la ville de Paris) et de la région parisienne
Louis Chevalier (1952-1981)
44

1951
Langues et littératures slaves Langues et littératures slaves
André Mazon (1923-1951) André Vaillant (1952-1962)
Physiologie des sensations Physique mathématique
Henri Piéron (1923-1951) André Lichnerowicz (1952-1986)
Histoire de la philosophie au Moyen Âge Histoire et technologie des systèmes
Étienne Gilson (1932-1950) philosophiques
Martial Guéroult (1951-1962)
Histoire des religions Histoire des religions
Jean Baruzi (1933-1951) Henri-Charles Puech (1952-1972)
Langue et littérature sanscrites Langues et littératures de l’Inde
Jules Bloch (1937-1951) Jean Filliozat (1952-1978)
Philosophie Philosophie
Louis Lavelle (1941-1951) Maurice Merleau-Ponty (1952-1961)
Histoire de la langue latine Littérature latine
Alfred Ernout (1944-1951) Pierre Courcelle (1952-1980)
Philologie et archéologie assyro-babyloniennes Assyriologie
Édouard Dhorme (1945-1951) René Labat (1952-1974)
Radiobiologie expérimentale Histophysiologie
Antoine Lacassagne (nommé en Jacques Benoit (1952-1966)
1951, titulaire de la chaire de
Médecine expérimentale créée
l’année précédente)
1953
Histoire des arts de l’Orient musulman Archéologie de l’Asie occidentale
Claude Schaeffer-Forrer (1954-1969) Albert Gabriel (1941-1953)
1954
Littérature latine du Moyen Âge Analyse des faits économiques et sociaux
Edmond Faral (1925-1954) François Perroux (1955-1974)
Embryogénie comparée Embryologie expérimentale
Emmanuel Fauré-Frémiet (1928-1954) Étienne Wolff (1955-1974)
Civilisation romaine Civilisation romaine
André Piganiol (1942-1954) Jean Gagé (1955-1972)
Médecine expérimentale Médecine expérimentale
Antoine Lacassagne (1951-1954) Charles Oberling (1955-1960)
1955
Sociologie et sociographie musulmanes Sociologie musulmane
Louis Massignon (1926-1954) Henri Laoust (1956-1975)
Aérolocomotion mécanique et biologique Algèbre et géométrie
Étienne Œhmichen (1939-1955) Jean-Pierre Serre (1956-1994)
45

Chimie organique Chimie organique des hormones


Charles Dufraisse (1942-1955) Alain Horeau (1956-1980)
Histoire de l’expansion de l’Occident Histoire sociale de l’Islam contemporain
Robert Montagné (1948-1954) Jacques Berque (1956-1981)
1956

Égyptologie Philologie et archéologie égyptiennes


Pierre Montet (1948-1956) Étienne Drioton (1957-1960)
1957

Langues et littératures d’origine germanique Langues et littératures d’origine germanique


Fernand Mossé (1949-1956) Robert Minder (1957-1973)
1958

Histoire du travail Démographie sociale : la vie des populations


Émile Coornaert (1936-1957) Alfred Sauvy (1959-1969)
Chimie nucléaire Physique nucléaire
Frédéric Joliot (1937-1958) Louis Leprince-Ringuet (1959-1972)
Création Anthropologie sociale
Claude Lévi-Strauss (1959-1982)
1959

Langue et littérature arabes Magnétisme nucléaire


Gaston Wiet (1951-1959) Anatole Abragam (1960-1985)
1960

Géologie méditerranéenne Méthodes physiques de l’astronomie


Paul Fallot (1938-1960) André Lallemand (1961-1974)
Médecine expérimentale Médecine expérimentale
Charles Oberling (1955-1960) Bernard Halpern (1961-1975)
Philologie et archéologie égyptiennes Philologie et archéologie égyptiennes
Étienne Drioton (1957-1960) Georges Posener (1961-1978)
1961

Philosophie Philosophie de la connaissance


Maurice Merleau-Ponty (1952-1961) Jules Vuillemin (1962-1990)
1962

Histoire et technologie des systèmes Histoire de la pensée philosophique


philosophiques Jean Hyppolite (1963-1968)
Martial Guéroult (1951-1962)
Langues et littératures slaves Hébreu et araméen
André Vaillant (1952-1962) André Dupont-Sommer (1963-1971)
46

1963
Physique cosmique Astrophysique théorique
Alexandre Dauvillier (1944-1962) Jean-Claude Pecker (1964-1988)
Langue et littérature chinoises Histoire et civilisations de l’Asie centrale
Paul Démiéville (1946-1964) Louis Hambis (1965-1977)
Histoire des créations littéraires en France Littérature française moderne
Georges Blin (1965-1988) Jean Pommier (1946-1964)
Littérature et civilisation italiennes Archéologie et histoire de la Gaule
André Pézard (1951-1963) Paul-Marie Duval (1964-1982)
Création Physique théorique des particules élémentaires
Jacques Prentki (1965-1983)
Création Génétique cellulaire
François Jacob (1965-1991)
1965
Langues et littératures de la péninsule Langues et littératures de la péninsule
ibérique et de l’Amérique latine ibérique et de l’Amérique latine
Marcel Bataillon (1945-1965) Israël Révah (1966-1973)
Histoire et philologie indochinoises Étude du monde chinois : institutions
Émile Gaspardone (1946-1965) et concepts
Rolf A. Stein (1966-1981)
1967
Morphologie expérimentale et endocrinologie Physiologie cellulaire
Robert Courrier (1938-1966) François Morel (1967-1993)
Archéologie paléochrétienne et byzantine Histoire et civilisation de Byzance
André Grabar (1946-1966) Paul Lemerle (1967-1973)
Histophysiologie Biologie moléculaire
Jacques Benoit (1952-1966) Jacques Monod (1967-1973)
1968
Civilisation indo-européenne Préhistoire
Georges Dumézil (1949-1968) André Leroi-Gourhan (1969-1982)
1969
Géographie historique de la France Géographie du continent européen
Roger Dion (1948-1968) Maurice Lelannou (1969-1976)
Archéologie de l’Asie occidentale Histoire des sociétés médiévales
Claude Schaeffer-Forrer (1954-1969) Georges Duby (1970-1991)
Démographie sociale : la vie des populations Sociologie de la civilisation moderne
Alfred Sauvy (1959-1969) Raymond Aron (1970-1978)
Histoire de la pensée philosophique Histoire des systèmes de pensée
Jean Hyppolite (1963-1968) Michel Foucault (1970-1984)
47

1970
Civilisations de l’Extrême-Orient Art et civilisation de la Renaissance en Italie
Paul Mus (1946-1969) André Chastel (1970-1984)
Étude du monde tropical Étude du Bouddhisme
Pierre Gourou (1947-1970) André Bareau (1971-1991)
Physique théorique Physique de la matière condensée
Jean Laval (1950-1970) Pierre-Gilles de Gennes (1971-2004)
1971
Histoire de la civilisation de Anthropologie physique
l’Amérique du Nord Jacques Ruffié (1972-1992)
Marcel Giraud (1947-1971)
Neurophysiologie générale Neurophysiologie
Alfred Fessard (1949-1971) Yves Laporte (1972-1991)
Hébreu et araméen Hébreu et araméen
André Dupont-Sommer (1963-1971) André Caquot (1972-1994)
1972
Physique atomique et moléculaire Physique atomique et moléculaire
Francis Perrin (1946-1972) Claude Cohen-Tannoudji (1973-2004)
Biochimie générale et comparée Biochimie cellulaire
Jean Roche (1947-1972) François Gros (1973-1996)
Physique nucléaire Physique corpusculaire
Louis Leprince-Ringuet (1959-1972) Marcel Froissart (1973-2004)
1973
Grammaire comparée Langues et civilisation de l’Asie Mineure
Émile Benveniste (1937-1972) Emmanuel Laroche (1973-1985)
Mathématique et mécanique Analyse mathématique des systèmes
Szolem Mandelbrojt (1938-1972) et de leur contrôle
Jacques-Louis Lions (1973-1998)
Histoire de la civilisation moderne Histoire de la civilisation moderne
Fernand Braudel (1950-1972) Emmanuel Le Roy Ladurie (1973-1999)
Histoire des religions La Grèce et la formation de la pensée morale
Henri-Charles Puech (1952-1972) et politique
Jacqueline de Romilly (1973-1984)
Civilisation romaine Théorie des groupes
Jean Gagé (1955-1972) Jacques Tits (1973-2000)
Langues et littératures d’origine germanique Étude comparée des religions antiques
Robert Minder (1957-1973) Jean-Pierre Vernant (1975-1984)
Langues et littératures de la péninsule Histoire sociale et intellectuelle de la Chine
ibérique et de l’Amérique latine Jacques Gernet (1975-1992)
Israël Révah (1966-1973)
48

Biologie moléculaire Physiologie du développement


Jacques Monod (1967-1973) Alfred Jost (1974-1987)
Histoire et civilisation de Byzance Histoire des mentalités religieuses
Paul Lemerle (1967-1973) dans l’Occident moderne
Jean Delumeau (1975-1994)
1974
Embryologie expérimentale Communications cellulaires
Étienne Wolff (1955-1974) Jean-Pierre Changeux (1975-2006)
Méthodes physiques de l’astronomie Neuropsychologie du développement
André Lallemand (1961-1974) Julian de Ajuriaguerra (1975-1981)
1975
Épigraphie et antiquités grecques Sémiologie littéraire
Louis Robert (1939-1974) Roland Barthes (1976-1980)
Langue et littérature françaises du Moyen Âge Invention, technique et langage en musique
Félix Lecoy (1947-1974) Pierre Boulez (1976-1995)
Assyriologie Histoire de Rome
René Labat (1952-1974) Paul-Marie Veyne (1976-1999)
Analyse des faits économiques et sociaux Histoire et civilisation du monde byzantin
François Perroux (1955-1974) Gilbert Dagron (1975-2001)
Sociologie musulmane Langue et littérature arabes classiques
Henri Laoust (1956-1975) André Miquel (1976-1997)
1976
Psychologie des arts plastiques Histoire de la création artistique en France
René Huyghe (1951-1976) Jacques Thuillier (1977-1998)
Médecine expérimentale Médecine expérimentale
Bernard Halpern (1961-1975) Jean Dausset (1977-1987)
Géographie du continent européen Christianisme et gnoses dans l’Orient
Maurice Lelannou (1969-1976) préislamique
Antoine Guillaumont (1977-1986)
1977
Histoire et civilisations de l’Asie centrale Sociographie de l’Asie du Sud-Est
Louis Hambis (1965-1977) Lucien Bernot (1978-1985)
1978
Philologie et archéologie égyptiennes Égyptologie
Georges Posener (1961-1978) Jean Leclant (1979-1990)
1979
Théorie des équations différentielles Droit international
et fonctionnelles René-Jean Dupuy (1979-1989)
Jean Leray (1947-1978)
49

Langues et littératures de l’Inde Civilisation japonaise


Jean Filliozat (1952-1978) Bernard Frank (1979-1996)
Sociologie de la civilisation moderne Chimie des interactions moléculaires
Raymond Aron (1970-1978) Jean-Marie Lehn (1979)
1980
Chimie organique des hormones Bio-Énergétique cellulaire
Alain Horeau (1956-1980) Pierre Joliot (1981-2002)
Sémiologie littéraire Études comparées de la fonction poétique
Roland Barthes (1976-1980) Yves Bonnefoy (1981-1993)
1981
Littérature latine Sociologie
Pierre Courcelle (1952-1980) Pierre Bourdieu (1981-2001)
Histoire et structure sociales de Paris Étude comparée des sociétés africaines
et de la région parisienne Françoise Héritier (1982-1998)
Louis Chevalier (1952-1981)
Étude du monde chinois : institutions Histoire de la pensée hellénistique
et concepts et romaine
Rolf A. Stein (1966-1981) Pierre Hadot (1982-1991)
1982
Histoire sociale de l’Islam contemporain Physique statistique
Jacques Berque (1956-1981) Philippe Nozières (1983-2001)
Préhistoire Paléoanthropologie et préhistoire
André Leroi-Gourhan (1969-1982) Yves Coppens (1983-2005)
Neuropsychologie du développement Neuropharmacologie
Julian de Ajuriaguerra (1975-1981) Jacques Glowinski (1982-2006)
1983
Anthropologie sociale Histoire du monde indien
Claude Lévi-Strauss (1959-1982) Gérard Fussman (1984)
Archéologie et histoire de la Gaule Antiquités nationales
Paul-Marie Duval (1964-1982) Christian Goudineau (1984)
Physique théorique des particules élémentaires Analyse et géométrie
Jacques Prentki (1964-1983) Alain Connes (1984)
1984
La Grèce et la formation de la pensée morale Tradition et critique des textes grecs
et politique Jean Irigoin (1986-1992)
Jacqueline de Romilly (1973-1984)
Étude comparée des religions antiques Grammaire et pensée allemandes
Jean-Pierre Vernant (1975-1984) Jean-Marie Zemb (1986-1998)
50

1985

Histoire des systèmes de pensée Épistémologie comparative


Michel Foucault (1970-1984) Gilles-Gaston Granger (1986-1991)
Art et civilisation de la Renaissance en Italie Histoire de la France contemporaine
André Chastel (1970-1984) Maurice Agulhon (1986-1997)
Langues et civilisation de l’Asie Mineure Assyriologie
Emmanuel Laroche (1973-1985) Paul Garelli (1986-1995)

1986

Physique mathématique Analyse économique


André Lichnerowicz (1952-1986) Edmond Malinvaud (1987-1993)
Magnétisme nucléaire Géodynamique
Anatole Abragam (1960-1985) Xavier Le Pichon (1987-2008)
Christianisme et gnoses dans l’Orient Théorie linguistique
préislamique Claude Hagège (1988-2006)
Antoine Guillaumont (1977-1986)
Sociographie de l’Asie du Sud-Est Rhétorique et société en Europe
Lucien Bernot (1978-1985) (XVI e-XVII esiècles)
Marc Fumaroli (1987-2002)

1987

Physiologie du développement Embryologie cellulaire et moléculaire


Alfred Jost (1974-1987) Nicole Le Douarin (1988-2000)

1988

Médecine expérimentale Médecine expérimentale


Jean Dausset (1977-1987) Pierre Corvol (1989)

1989

Astrophysique théorique Astrophysique observationnelle


Jean-Claude Pecker (1964-1988) Antoine Labeyrie (1991)
Droit international Histoire des syncrétismes de la fin de
René-Jean Dupuy (1979-1989) l’Antiquité
Michel Tardieu (1991-2008)
Création Chaire européenne
Harald Weinrich (1989-1990)

1990

Littérature française moderne Histoire de la Chine moderne


Georges Blin (1965-1988) Pierre-Étienne Will (1991)
Égyptologie Égyptologie
Jean Leclant (1979-1990) Jean Yoyotte (1991-1997)
51

1991
Philosophie de la connaissance Langues et littératures romanes
Jules Vuillemin (1962-1990) Harald Weinrich (1992-1998)
Histoire des sociétés médiévales Histoire de l’Occident méditerranéen
Georges Duby (1970-1991) au Moyen Âge
Pierre Toubert (1992-2003)
Neurophysiologie Physiologie de la perception et de l’action
Yves Laporte (1972-1991) Alain Berthoz (1992)
Épistémologie comparative Histoire et anthropologie des sociétés
Gilles-Gaston Granger (1986-1990) méso- et sud-américaines
Nathan Wachtel (1992-2005)
Chaire européenne Wolf Lepenies (1991-1992)
1992
Génétique cellulaire Génétique moléculaire
François Jacob (1964-1991) Pierre Chambon (1993-2002)
Étude du Bouddhisme Histoire moderne et contemporaine
André Bareau (1971-1991) du monde russe
François-Xavier Coquin (1993-2001)
Histoire sociale et intellectuelle de la Chine Langues et religions indo-iraniennes
Jacques Gernet (1975-1992) Jean Kellens (1993)
Histoire de la pensée hellénistique Histoire économique et monétaire de
et romaine l’Orient hellénistique
Pierre Hadot (1982-1991) Georges Le Rider (1993-1998)
Chaire européenne Umberto Eco (1992-1993)
Création Chaire internationale
Bronislaw Geremek (1992-1993)
1993
Anthropologie physique Fondements et principes de la
Jacques Ruffié (1972-1992) reproduction humaine
Étienne Baulieu (1993-1998)
Études comparées de la fonction poétique Littératures de la France médiévale
Yves Bonnefoy (1981-1993) Michel Zink (1994)
Tradition et critique des textes grecs Les civilisations de l’Europe au néolithique
Jean Irigoin (1986-1992) et à l’âge du bronze
Jean Guilaine (1994-2007)
Chaire européenne Werner Hildenbrand (1993-1994)
Chaire internationale Zhang Guangda (1993-1994)
1994
Physiologie cellulaire Biologie moléculaire des plantes
François Morel (1967-1993) Joseph Schell (1994-1998)
Hébreu et araméen Antiquités sémitiques
André Caquot (1972-1994) Javier Teixidor (1995-2001)
52

Histoire des mentalités religieuses Biologie historique et évolutionnisme


dans l’Occident moderne Armand de Ricqlès (1995)
Jean Delumeau (1975-1994)
Analyse économique Philosophie du langage et de la connaissance
Edmond Malinvaud (1987-1993) Jacques Bouveresse (1995)
Chaire européenne Norbert Ohler (1994-1995)
Chaire internationale Orest Ranum (1994-1995)
1995
Algèbre et géométrie Équations différentielles et systèmes dynamiques
Jean-Pierre Serre (1956-1994) Jean-Christophe Yoccoz (1996)
Invention, technique et langage en musique Anthropologie théâtrale
Pierre Boulez (1976-1995) Jerzy Grotowski (1996-1999)
Assyriologie Chimie des solides
Paul Garelli (1986-1995) Jean Rouxel (1996-1998)
Chaire européenne Klaus Rajewski (1995-1996)
Chaire internationale Harris Memel-Fotê (1995-1996)
1996
Biochimie cellulaire Immunologie moléculaire
François Gros (1973-1996) Philippe Kourilsky (1998)
Chaire européenne Pieter Westbroek (1996-1997)
Chaire internationale Igor Mel’čuk (1996-1997)
1997
Civilisation japonaise Histoire de la France des Lumières
Bernard Frank (1979-1996) Daniel Roche (1999-2005)
Égyptologie Histoire turque et ottomane
Jean Yoyotte (1991-1997) Gilles Veinstein (1999)
Chaire européenne Abram Deswaan (1997-1998)
Chaire internationale Brian Stock (1997-1998)
1998
Langue et littérature arabes classiques Assyriologie
André Miquel (1976-1997) Jean-Marie Durand (1999)
Étude comparée des sociétés africaines Littératures modernes de l’Europe néolatine
Françoise Héritier (1982-1998) Carlo Ossola (1999)
Histoire de la France comtemporaine Théorie économique et organisation sociale
Maurice Agulhon (1986-1997) Roger Guesnerie (2000)
Langues et littératures romanes Histoire et civilisation du monde achéménide
Harald Weinrich (1992-1998) et de l’empire d’Alexandre
Pierre Briant (1999)
53

Fondements et principes de la Biologie et génétique du développement


reproduction humaine Étienne-Émile Baulieu (1993-1998)
Spyros Artavanis-Tsakonas (2000)
Chaire européenne Thomas W. Gaehtgens (1998-1999)
Chaire internationale Patrice Higonnet (1998-1999)

1999

Analyse mathématique des systèmes Théorie des Nombres


et de leur contrôle Don Zagier (2000)
Jacques-Louis Lions (1973-1998)
Histoire de la création artistique en France Philosophie des sciences biologiques
Jacques Thuillier (1977-1998) et médicales
Anne Fagot-Largeault (2000)
Grammaire et pensée allemandes Philosophie et histoire des concepts
Jean-Marie Zemb (1986-1998) scientifiques
Ian Hacking (2000-2006)
Histoire économique et monétaire de Anthropologie de la Nature
l’Orient hellénistique Philippe Descola (2000)
Georges Le Rider (1993-1998)
Biologie moléculaire des plantes Physique quantique
Joseph Schell (1994-1998) Serge Haroche (2001)
Chimie des solides Civilisation pharaonique : Archéologie,
Jean Rouxel (1996-1998) philologie, histoire
Nicolas Grimal (2000)
Chaire européenne Hans-Wilhelm Müler-Gärtner
(1999-2000)
Chaire internationale James Watson Cronin (1999-2000)

2000

Histoire de la civilisation moderne Chimie de la matière condensée


Emmanuel Le Roy Ladurie (1973-1999) Jacques Livage (2001)
Histoire de Rome Histoire de l’art européen médiéval et moderne
Paul Veyne (1976-1999) Roland Recht (2001)
Physique statistique Évolution du climat et de l’océan
Philippe Nozières (1983-2001) Édouard Bard (2001)
Embryologie cellulaire et moléculaire Génétique et physiologie cellulaire
Nicole Le Douarin (1988-2000) Christine Petit (2001)
Anthropologie théâtrale Religion, institutions et société de la
Jerzy Grotowski (1996-1999) Rome antique
John Scheid (2001)
54

Chaire européenne Michael Edwards (2000-2001)


Chaire internationale Miklós Szabó (2000-2001)
2001
Théorie des groupes Histoire moderne et contemporaine
Jacques Tits (1973-2000) du politique
Pierre Rosanvallon (2001)
Sociologie Études juridiques comparatives et
Pierre Bourdieu (1981-2001) internationalisation du droit
Mireille Delmas-Marty (2002)
Antiquités sémitiques Équations aux dérivées partielles et
Javier Teixidor (1995-2001) applications
Pierre-Louis Lions (2002)
Chaire européenne Claudio Magris (2001-2002)
Chaire internationale Paul Farmer (2001-2002)
2002
Histoire et civilisation du monde byzantin Étude de la création littéraire en
Gilbert Dagron (1975-2001) langue anglaise
Michael Edwards (2003-2008)
Rhétorique et sociétés en Europe Épigraphie et histoire des cités grecques
(XVI e-XVII esiècles) Denis Knoepfler (2003)
Marc Fumaroli (1987-2002)
Histoire moderne et contemporaine Histoire contemporaine du monde arabe
du monde russe Henry Laurens (2003)
François-Xavier Coquin (1993-2001)
Génétique moléculaire Génétique humaine
Pierre Chambon (1993-2002) Jean-Louis Mandel (2003)
Chaire européenne Hans Belting (2002-2003)
Chaire internationale Stuart Edelstein (2002-2003)
2003
Bioénergétique cellulaire Particules élémentaires, gravitation et
Pierre Joliot (1981-2002) cosmologie
Gabriele Veneziano (2004)
Chaire européenne Theodor Berchem (2003-2004)
Chaire internationale Jayant Vishnu Narlikar (2003-2004)
2004
Physique atomique et moléculaire Rationalité et sciences sociales
Claude Cohen-Tannoudji (1973-2004) Jon Elster (2006)
Histoire de l’Occident méditerranéen Psychologie cognitive expérimentale
au Moyen-Âge Stanislas Dehaene (2005)
Pierre Toubert (1992-2003)
55

Chaire européenne Sandro Stringari (2004-2005)


Chaire internationale Celâl Sengör (2004-2005)

2005

Physique de la matière condensée Physique mésoscopique


Pierre-Gilles de Gennes (1971-2004) Michel Devoret (2007)
Physique corpusculaire Littérature française moderne et
Marcel Froissart (1973-2004) contemporaine : histoire, critique, théorie
Antoine Compagnon (2006)
Histoire de la France des Lumières Écrit et cultures dans l’Europe moderne
Daniel Roche (1999-2005) Roger Chartier (2006)
Chaire européenne Maurice Bloch (2005-2006)
Chaire internationale Thomas Pavel (2005-2006)
Chaire de création artistique Christian de Portzamparc (2005-2006)

2006

Histoire et anthropologie des sociétés Processus morphogénétiques


méso-et sud-américaines Alain Prochiantz (2007)
Nathan Wachtel (1992-2005)
Chaire européenne Daniele Vitali (2006-2007)
Chaire internationale Guy Orban (2006-2007)
Chaire de création artistique Pascal Dusapin (2006-2007)
Chaire d’innovation technologique- Jean-Paul Clozel (2006-2007)
Liliane Bettencourt

2007

Communications cellulaires Chimie des processus biologiques


Jean-Pierre Changeux (1975-2006) Marc Fontecave (2008)
Neuropharmacologie Microbiologie et maladies infectieuses
Jacques Glowinski (1982-2006) Philippe Sansonetti (2007)
Paléoanthropologie et préhistoire Paléontologie humaine
Yves Coppens (1983-2005) Michel Brunet (2007)
Théorie linguistique Milieux bibliques
Claude Hagège (1988-2006) Thomas Römer (2007)
Les civilisations de l’Europe au néolithique Physique de la matière condensée
et à l’âge du bronze
Jean Guilaine (1994-2007)
Philosophie et histoire des concepts scientifiques Histoire intellectuelle de la Chine
Ian Hacking (2000-2006) Anne Cheng (2008)
56

Chaire européenne Manfred Kropp (2007-2008)


Chaire internationale Pierre Magistretti (2007-2008)
Chaire de création artistique Ariane Mnouchkine (2007-2008)
Chaire d’innovation technologique- Gérard Berry (2007-2008)
Liliane Bettencourt
2008
Chaire européenne - Développpement durable Henri Leridon (2008-2009)
Chaire internationale - Savoirs contre pauvreté Esther Duflo (2008-2009)
Chaire de création artistique Pierre-Laurent Aimard (2008-2009)
Chaire d’innovation technologique- Mathias Fink (2008-2009)
Liliane Bettencourt
57

IV. LE RÔLE PROPRE ET L’ORGANISATION


DU COLLÈGE DE FRANCE

De cet historique des chaires, il ressort que le Collège de France a servi souvent,
selon l’esprit de son royal fondateur, à des enseignements nouveaux qui n’avaient
pas encore reçu ailleurs droit de cité. C’est ce qui a fait dire à Ernest Renan
qu’« à côté des établissements où se garde le dépôt des connaissances acquises, il
est donc nécessaire qu’il y ait des chaires indépendantes où s’enseignent, non les
branches de la Science qui sont faites, mais celles qui sont en voie de se faire »
(Questions contemporaines p. 144).
Le Collège de France recrute sans condition de grades universitaires ; et par là,
il lui est possible d’appeler à lui des savants qui ne sont pas des professeurs de
carrière mais qui se sont signalés par des découvertes, par des vues personnelles,
par des travaux originaux. Il suffit qu’on soit en droit d’attendre d’eux, dans le
domaine de leurs recherches propres, des résultats nouveaux.
D’autre part, il ne prépare à aucun examen et, par conséquent, ses enseignements
ne sont assujettis à d’autre programme que celui défini chaque année par le titulaire
de la chaire et approuvé par l’Assemblée des Professeurs. Nulle part, la recherche
scientifique ne jouit d’une indépendance aussi large. De plus en plus, cette liberté
est devenue sa loi, parce qu’elle est sa raison d’être ; et, de plus en plus, elle a
déterminé son organisation.
N’étant pas enfermé dans un cycle d’études invariables, le Collège de France n’a
pas, en principe, de chaires permanentes. Selon que les sciences diverses se modifient
et selon que se produisent des hommes aptes à les faire progresser, les enseignements
anciens peuvent disparaître ou se transformer, des enseignements nouveaux peuvent
être institués.
Le nombre des chaires de professeurs titulaires est actuellement de cinquante-
deux (décret du 22 juin 1934, loi de finances du 24 mai 1951, du 4 août 1956,
du 30 décembre 1957 et de 1964 ; à partir de 1969 intégration des trois chaires
municipales dans le budget de l’État). Chaque fois qu’un de ces traitements devient
disponible par retraite, démission ou décès d’un titulaire, l’Assemblée des professeurs
est appelée, de droit, à décider à quel enseignement il conviendrait d’affecter le
crédit qui se trouve ainsi sans emploi. Elle peut demander au Ministre le maintien
de l’enseignement dont le titulaire vient de disparaître ; elle peut, si elle juge
préférable, l’inviter à y substituer un enseignement différent. Dans un cas comme
dans l’autre, dès que sa proposition est acceptée, elle désigne deux candidats, l’un
en première ligne, l’autre en seconde ; et, comme il a été dit plus haut, elle n’est
liée, dans cette désignation, par aucune condition de grade. Elle transmet les
procès-verbaux de ses délibérations et ses votes au Ministre, qui communique les
documents à l’une des cinq Académies de l’Institut de France : celle-ci présente, à
son tour, et dans les mêmes formes, deux candidats. Il appartient au Ministre de
58

choisir, entre les candidats proposés, le futur professeur ; celui-ci est nommé par
un décret du Président de la République.
À partir de 1970 le principe de chaires de « professeur associé » a été admis, et
deux crédits de chaire ont été ouverts à cet effet au budget de l’État. Des savants
étrangers sont ainsi invités chaque année par l’Assemblée à venir au Collège donner,
pendant un ou deux mois, un enseignement relatif à leurs recherches.
En outre deux chaires permettant l’accueil de savants étrangers pour la durée
d’une année académique ont été créées :
— en 1989, une chaire dite européenne, destinée à une personnalité scientifique
originaire d’un pays membre de la Communauté économique européenne ;
— en 1991, une chaire dite internationale, destinée à une personnalité originaire
des pays de l’Europe de l’Est ou d’autres continents.
Puis, en 2004 est créée une chaire de création artistique, consacrée à toutes les
formes de création artistique, qui accueille chaque année un professeur différent.
Enfin, en 2007, est créée une nouvelle chaire annuelle, chaire d’Innovation
technologique-Liliane Bettencourt, en partenariat avec la fondation Bettencourt-
Schueller.
Dans la pratique, sans doute, la liberté de transformation, qui est un élément
constitutif de l’institution du Collège, ne saurait être absolue ; l’Assemblée des
Professeurs cherche à conserver une juste proportion entre chaires de Sciences
exactes et chaires de Lettres et Sciences humaines. En outre, il arrive qu’on juge
nécessaire de conserver une chaire, bien que de nombreuses chaires de même titre
existent dans les Universités, s’il y a lieu de faire place à un maître original.
Dans l’enseignement aussi prédomine le même principe de liberté. Chaque
professeur choisit, d’année en année, le sujet de son cours dans le domaine
scientifique qui lui est propre, et généralement dans l’ordre particulier de recherches
auxquelles il s’applique à ce moment. Il le soumet ensuite à l’approbation de
l’Assemblée des professeurs du Collège, comme il a été indiqué plus haut. Une
partie de l’enseignement peut être donné dans des institutions françaises en dehors
de Paris, en France ou dans d’autres pays ; cette possibilité a été étendue à l’ensemble
des établissements d’enseignement supérieur européens à partir de 1989,
extraeuropéens à partir de 1992.
Quelle qu’en soit la forme, les enseignements ont pour règle commune de viser
au développement de la science. La simple vulgarisation en est exclue. Les
professeurs s’accordent à prendre comme point de départ ce qui est connu et se
proposent toujours d’y ajouter quelques éléments nouveaux : faits d’expérience,
éclaircissements personnels, vues ou interprétations propres, analyses plus exactes
ou synthèses plus suggestives. Il est entendu, au reste, que cet enseignement même
n’est que l’une des formes extérieures de leur activité scientifique, laquelle se traduit
aussi bien, ou mieux, par des publications, par des missions, par les travaux divers
qu’ils font eux-mêmes ou qu’ils suscitent et dirigent.
59

C’est pourquoi, aux leçons proprement dites, viennent s’adjoindre les directions
données aux recherches individuelles qui se font dans les divers laboratoires. Bien
entendu, ces recherches comportent toujours, de la part de ceux qui les font auprès
des professeurs, un travail personnel et vraiment scientifique. Il ne s’agit en aucun
cas de préparation aux examens universitaires, exception faite pour les doctorats,
qui ne sont pas assujettis à des programmes. Elles sont surtout l’affaire de chercheurs
déjà engagés dans une voie déterminée, qui viennent demander les conseils de
savants connus, se familiariser avec leur méthode, profiter de leurs suggestions et
des ressources spéciales qu’ils ont pu réunir.
Les cours du Collège étant ouverts à tous, il n’y a ni immatriculation ni droits
à payer. L’accès des salles d’enseignement est entièrement libre, dans la limite des
places disponibles.
Le Collège de France ne fait pas partie des Universités de Paris. Il relève
directement de son protecteur, le Chef de l’État, et, par délégation, du ministre
ayant en charge l’Enseignement supérieur et la Recherche.
C’est à l’Assemblée des professeurs qu’appartiennent, sous réserve de l’approbation
ministérielle, toutes les décisions relatives aux intérêts généraux de l’établissement.
L’exécution de ces décisions et la direction des services sont confiées à un
Administrateur. Celui-ci doit être pris parmi les professeurs. Il est présenté par ses
collègues et nommé par trois ans par décret du Président à la République, sur la
proposition du Ministre. Il préside l’Assemblée, dont le bureau comprend, à côté
de lui, un vice-président, nommé selon les mêmes règles, et un secrétaire, choisis
l’un et l’autre parmi les professeurs.
Par une loi du 31 décembre 1932, l’établissement, qui déjà était investi de la
personnalité civile, a été également doté de l’autonomie financière. Un décret du
5 octobre 1990 portant organisation du Collège de France, modifie les textes
antérieurs (décrets de 1911 et 1935). Il stipule notamment que « le Collège de
France est administré par l’Assemblée du Collège de France. Il est dirigé par un
administrateur assisté de deux directeurs adjoints, l’un chargé des affaires culturelles
et des relations extérieures, l’autre chargé des affaires administratives et financières.
Il est doté d’un Conseil d’établissement ».
L’Assemblée du Collège de France comprend les 52 professeurs titulaires avec
voix délibérative ; les deux professeurs associés dans les chaires européenne,
internationale et de création artistique peuvent y siéger avec voix consultative. Elle
détermine la politique scientifique de l’établissement et joue également le rôle d’un
Conseil d’administration. L’avis du Conseil d’établissement — qui comprend,
outre l’Administrateur, neuf professeurs, quatorze représentants élus des personnels
et quatre personnalités extérieures — doit précéder la délibération de l’Assemblée
dans les matières énumérées par le décret.
Voici la liste des Administrateurs du Collège, depuis l’institution de ce titre :
Louis Lefèvre-Gineau (1800-1823), Isaac Silvestre de Sacy (1824-1838),
Louis Thénard (1838-1840), Jean-Antoine Letronne (1840-1848), Jules
60

Barthélémy Saint-Hilaire (1848-1852), Xavier Deportets (1852-1853),


Wilhelm Rinn (1853-1854), Stanislas Julien (1854-1873), Édouard Laboulaye
(1873-1883), Ernest Renan (1883-1892), Gaston Boissier (1892-1894), Gaston
Paris (1894- 1903), Émile Levasseur (1903-1911), Maurice Croiset (1911-
1929), Joseph Bédier (1929-1936), Edmond Faral (1937-1954), Marcel
Bataillon (1955-1965), Étienne Wolff (1966-1974), Alain Horeau (1974-
1980), Yves Laporte (1980-1991), André Miquel (1991-1997), Gilbert Dagron
(1997-2000), Jacques Glowinski (2000-2006), Pierre Corvol.

V. DONATIONS
Les ressources mises à la disposition du Collège par divers donateurs lui
permettent, chaque année, de favoriser certains efforts de la pensée scientifique.

Don Singer-Polignac

Le Collège de France a reçu depuis 1950, en souvenir de Winnaretta Singer,


princesse Edmond de Polignac, des dons importants dont les revenus doivent
servir, de façon générale, « au progrès des connaissances ». L’affectation précise des
fonds est déterminée chaque année par l’Assemblée des professeurs.

Donations Gustave Schlumberger

Par décret du 24 juin 1932, l’administrateur du Collège de France a été autorisé


à accepter les legs faits au Collège par Gustave Schlumberger. Les revenus des
sommes provenant de ces legs doivent être affectés d’une part à des études d’histoire
et d’archéologie byzantines, d’autre part à des études de numismatique.

Donation Jean Ébersolt

Mme Jean Ébersolt a fait une donation en 1968 dont les arrérages doivent être
affectés au développement des études d’Histoire et civilisation de Byzance.

Donation Voronoff

Par décret du 28 septembre 1920, l’administrateur du Collège de France a été


autorisé à accepter, au nom du Collège, la donation faite à cet établissement par
Mme Frances Évelyn Bostwick, épouse Voronoff, pour la création et l’entretien
d’une « Station de chirurgie expérimentale, fondation Voronoff ».

Depuis le décès de la donatrice, et selon sa volonté, le revenu annuel est attribué


aux laboratoires de biologie, d’histologie ou autres laboratoires similaires, selon
l’avis de l’Assemblée des professeurs.
61

Fondation Paul Dellheim


Par décret du 5 juin 1956, l’administrateur du Collège de France a été autorisé
à accepter le legs fait au Collège de France par Mme J. Dellheim « pour aider les
jeunes savants peu fortunés qui, après avoir fait de fortes études, seront jugés aptes
à poursuivre leurs travaux dans les laboratoires du Collège de France, en vue de
recherches scientifiques susceptibles de contribuer au soulagement de l’humanité ».
Le prix Dellheim pour l’année 2004 est attribué à M. Fazilleau, pour l’année
2005 à M. Liyuan et pour l’année 2006 à M. Mariano Sigman. Le prix Delheim
est attribué en 2007 à M. Stéphane Romero.

Fondation Antoine Lacassagne


Par décret du 6 janvier 1964, l’administrateur du Collège de France a été autorisé
à accepter le don fait au Collège de France par Antoine Lacassagne, qui fut
titulaire de la chaire de Médecine expérimentale (de 1951 à 1954), du montant du
prix de 10 000 dollars que lui a décerné l’organisation des Nations Unies pour ses
travaux sur le cancer.
Les revenus de cette somme permettent d’inviter de jeunes biologistes français
ou étrangers à venir chaque année au Collège exposer, en français, les résultats de
leurs recherches.
L’Assemblée des professeurs du 20 février 1977, a décidé que désormais serait
attribué un prix Antoine Lacassagne auquel seraient associées deux conférences ;
son montant est de 1 600 €.
Des conférences ont été données en 1966, par le Docteur J. Harel ; en 1967,
par M. François Gros ; en 1968, par le Docteur Patrick Derome ; en 1970, par
M. Georges N. Cohen ; en 1971, par le Docteur Michel Boiron ; en 1972,
par M. François Chapeville ; en 1973, par Mme Nicole Le Douarin ; en 1974,
par M. Claude Kordon ; en 1975, par M. Luc Montagnier ; en 1976, par
M. Jean- Paul Lévy ; en 1977, par M. Robert M. Fauve.
Prix décerné en 1977 à Mme Andrée Tixier-Vidal, en 1978 à M. Serge Jard,
en 1979 à M. Michel Imbert, en 1980 à M. Jacques Glowinski, en 1981 à
M. Guy Blaudin de Thé, en 1982 à M. Jean Girard, en 1983 à M. Pierre
Freychet, en 1984 à M. François Cuzin, en 1985 à M. Michel Hamon, en 1986
à M. Dominique Stehelin, en 1987 à M. Emmanuel Pierrot-Deseilligny, en
1988 à M. Pierre Tiollais, en 1989 à M. Jean-François Nicolas, en 1990 à
M. Philippe Kourilsky, en 1991 à Mme Françoise Dieterlen, en 1992 à
Mme Anne-Marie Thierry, en 1993 à M. Gérard Couly, en 1994 à M. Alain
Doucet, en 1995 à M. Antonio Coutinho, en 1996 à M. Jean-Antoine Giraud,
en 1997 à M. Alexeï Grantyn, en 1998 à Mme Marie-Aimée Teillet, en 1999 à
M. Jules-Alphonse Hoffmann, en 2002 à M. Werner Graf, en 2004 à M. Michel
Bornens, en 2005 à Mme Ana Cumano, en 2006 à M. Philippo Rijli, en 2007
à M. Thomas Bourgeron.
62

Legs Antoine Meillet


Par décret du 1er septembre 1937, l’administrateur du Collège de France a été
autorisé à accepter le legs fait au Collège par Antoine Meillet, qui fut titulaire de
la chaire de Grammaire comparée (de 1906 à 1936). Les revenus de ce legs sont
affectés à des études de linguistique théorique, suivant les vœux du donateur.

Fondation Claude-Antoine Peccot


Plusieurs donations successives (en 1886, en 1894, en 1897, en 1902) ont
permis de créer d’abord des bourses, transformées par la suite en prix ; puis, en
outre, à partir de 1900, une charge de cours, au bénéfice de mathématiciens âgés
de moins de trente ans et s’étant signalés dans l’ordre des mathématiques théoriques
ou appliquées.
Voici, depuis l’origine, la liste des personnes qui ont bénéficié des prix ou ont
reçu la charge du cours :

Bourses et prix

À partir de 1885 : L. Bortniker, Jacques Hadamard, Élie Cartan, Jules Bocquet,


Jules Drach, Louis-Emmanuel Leroy, Adolphe Bühl, Gabriel Mesuret, Pierre
Fatou, René-Maurice Fréchet, Henri Galbrun, Osée Marcus, Jean Chazy, Albert
Laborde-Scar, Paul Frion, Gabriel Pélissier, René Garnier, Emmanuel Fauré-
Fremiet, Émile Terroine, Roux, Maurice Gevrey, F. Lafore, Joseph Marty,
Georges Giraud, Maurice Janet, Coty, Paul Lévy, Gaston Julia, Léon Brillouin,
Marcel Courtines, Szolem Mandelbrojt, Yves Rocard, Wladimir Bernstein,
Henri Cartan, André Weil, Jean Dieudonné, Paul Dubreil, René de Possel, Jean
Leray, Georges Bourion, Jean-Louis Destouches, Jacques Solomon, Claude
Chevalley, Frédéric Roger, Daniel Dugué, Gérard Petiau, Hubert Delange,
Jacques Dufresnoy, Laurent Schwartz, Jacqueline Ferrand, Roger Apéry, Jacques
Deny, Jean-Louis Koszul, Jean Combes, Jean-Pierre Serre, Paul Malliavin,
Maurice Roseau, Bernard Malgrange, François Bruhat, Pierre Cartier, Paul-
André Meyer, Marcel Froissart, Michel Demazure, Gabriel Mokobodzki, Hervé
Jacquet, Haïm Brézis, Alain Connes, Grégory Choodnovsky, Jean-Pierre
Demailly, Jean-Benoît Bost, Noam Elkies, Laurent Lafforgue, Philippe Michel,
Vincent Lafforgue, Cédric Vilani, Gaëtan Chenevier.

Chargés de cours

1900. Émile Borel. 1907. Pierre Boutroux.


1901. Émile Borel. 1908. Pierre Boutroux.
1902. Émile Borel. 1909. Ludovic Zoretti.
1903. Henri Lebesgue. 1910. Émile Traynard.
1904. René Baire. 1911. Louis Rémy.
1905. Henri Lebesgue. 1912. Jean Chazy.
1906. Guillaume Servant. Albert Chatelet.
63

1913. Arnaud Denjoy. 1951. Jean-Louis Koszul.


1914. Édouard-René Garnier. Evry Schatzman.
Maurice Gevrey. 1952. Roger Godement.
1915. Édouard-René Garnier. Michel Hervé.
1918. Gaston Julia. 1953. Jean Combes.
1919. Georges Giraud. 1954. Yvonne Fourès-Bruhat.
Paul Lévy. 1955. Jean-Pierre Serre.
1920. Léon Brillouin. 1956. Paul Malliavin.
Gaston Julia. Maurice Roseau.
1921. Maurice Janet. 1957. Jean-Pierre Kahane.
1922. René Thiry. 1958. Marcel Berger.
1923. Robert Deltheil. Alexandre Grothendieck.
Torsten Carleman. 1959. Jacques-Louis Lions.
1924. René Lagrange. Bernard Malgrange
1925. Marcel Legaut. 1960. François Bruhat.
1926. Henri Milloux. 1961. Pierre Cartier.
1927. Joseph Kampé Defériet. 1962. Jacques Neveu.
Yves Rocard. 1963. Jean-Paul Benzécri.
1928. Szolem Mandelbrojt. Philippe Nozières.
1929. Jean Favard. 1964. Paul-André Meyer.
1930. Wladimir Bernstein. 1965. Marcel Froissart.
1931. Jean Delsarte. Pierre Gabriel.
1932. Henri Cartan. 1966. Yvette Amice.
André Weil. 1967. Michel Demazure.
1933. Jean Dieudonné. Jean Ginibre.
Paul Dubreil. 1968. Uriel Frisch.
1934. René Depossel. Pierre Grisvard.
Jean Leray. 1969. Yves Meyer.
1935. Marie-Louise Claude Morlet.
Dubreil-Jacotin. Michel Raynaud.
1936. Georges Bourion. 1970. Gabriel Mokobodzki.
Jean-Louis Destouches. Roger Temam.
1937. Jacques Solomon. 1971. Jean-Pierre Ferrier.
Claude Chevalley. Hervé Jacquet.
1938. Frédéric Marty. Gérard Schiffmann.
1941. Claude Chabauty. 1972. Louis Boutet de Monvel.
1942. Gérard Pétiau. Pierre Deligne.
1943. Jean Ville. 1973. Jean-Michel Bony.
Marie-Antoinette Tonnelat. François Laudenbach.
1944. Hubert Delange. 1974. Haïm Brézis.
Jacques Dufresnoy. Michel Duflo.
1945. André Lichnerowicz. Jean Zinn-Justin.
1946. Laurent Schwartz. 1975. Jean-Marc Fontaine.
Jacqueline Ferrand. André Neveu.
1947. Gustave Choquet. Robert Roussarie.
1949. Roger Apéry. 1976. Alain Connes.
1950. Jacques Deny. Bernard Teissier.
64

1977. Luc Tartar. 1993. Marc Rosso.


Michel Waldschmidt. François Golse.
1978. Jean Lannes. 1994. Ricardo Perez-Marco.
Arnauld Beauville. Frédéric Helein.
1979. Bernard Gaveau. 1995. Éric Séré.
Grégory Choodnovsky. Loïc Merel.
1980. Gilles Robert. 1996. Laurent Lafforgue.
1981. Michel Talagrand. 1997. Christophe Breuil.
Gilles Pisier. Christine Lescop.
Christophe Soulé. 1998. Philippe Michel.
1982. Jean-Bernard Baillon. Wendelin Werner.
Jean-Luc Brylinski. 1999. Emmanuel Grenier.
1983. Jean-Loup Waldspurger. Raphaël Rouquier.
1984. Pierre-Louis Lions. 2000. Vincent Lafforgue.
Guy Henniart. Frédéric Leroux.
Laurent Clozel. 2001. Denis Auroux.
1985. Joseph Oesterlé. Thierry Bodineau.
1986. Jean-Pierre Demailly. 2002. Franck Barthe.
1987. Jean-Michel Coron. Cédric Villani.
Jean-Christophe Yoccoz. 2003. Laurent Fargues.
1988. Jean-Lin Journé. Laure Saint-Raymond.
Jean-Claude Sikorav. 2004. Artur Avila.
1989. Bernard Larrouturou. Stefaan Vaes.
Jean-François Legall. 2005. Laurent Berger.
1990. Jean-Benoît Bost. Emmanuel Breuillard.
Benoît Perthame. 2006. Erwan Rousseau.
1991. Olivier Mathieu. Jérémie Szeftel.
Claude Viterbo. 2007. Karine Beauchard.
1992. Claire Voisin. Gaëtan Chenevier.
Fabrice Bethuel. 2008. Joseph Ayoub.
Noam Elkies. Julien Dubédat.

Fondation Loubat
Par deux décrets en date du 16 avril 1902 et 28 juillet 1903, le Collège de France
a été autorisé à accepter la donation faite par le duc de Loubat, membre associé
de l’Institut de France, en vue de la fondation, dans l’établissement, d’un cours
complémentaire d’Antiquités américaines.
Ce cours a été confié à Léon Lejeal (1902-1907), puis au docteur Louis Capitan
(1908-1929). Depuis 1939, les revenus de cette fondation ont permis de demander
des conférences à des américanistes.
Voici la liste des conférenciers qui ont répondu à l’appel du Collège :
1939. Jacques Soustelle. 1945. Marcel Giraud.
1941. André Leroi-Gourhan. 1946. Henri Vallois.
1942. Raoul d’Harcourt 1943 1948. Guy Stresser-Péan.
Maurice Leenhardt. 1950. Claude Lévi-Strauss.
65

1952. Paul Rivet. 1977. Nathan Wachtel.


1953. Alfred Métraux. 1980. Christian Duverger.
1955. Jehan Vellard. 1995. Serge Gruzinski.
1965. Pierre Clastres. 1996. Philippe Descola.
1969. Frédéric Engel. 1997. Carmen Bernand.
1973. A. Laming-Emperaire. 1998. Jacques Galinier.
1974. Jean-Claude Quilici. 2002. Danielle Lavallée.
1975. Georges Larrouy. 2004. Jon Landaburu.

Fondation Michonis
Par décret du 10 mars 1903, M. G. Michonis a légué au Collège de France une
somme dont les revenus doivent servir à « faire faire, toutes les fois que ce sera
possible, par un savant ou un penseur étranger désigné par les professeurs ou
l’administrateur du Collège de France, et qui sera, autant que les circonstances le
permettront, au moins une fois sur trois un philosophe ou un historien de sciences
religieuses, une série de conférences ». L’exécution des volontés de M. Michonis
a commencé en 1905.
Voici la liste des conférenciers invités par le Collège :
1905. Édouard Naville. 1930. Georges D. Birkoff.
Franz Cumont. 1933. Magnus Olsen.
1906. Guglielmo Ferrero. 1934. Harl Jaberg.
1908. Charles Michel. Jacob Jud.
Xénopol. 1935. Stanislas Kot.
1910. Christophe Nyrop. 1936. Jacques Pirenne.
Édouard Montet. 1937. Albert Michotte.
1912. Lorentz. 1938. Giorgio Levi Della Vida.
Gomperz. 1940. Hrozny.
1914. Maxime Kowalewsky. 1942. Jean Piaget.
1915. Georges Doutrepont. 1943. Franz Cumont.
Delannoy. 1945. Alexandre Rosetti.
Albert Brachet. 1947. Georges Dossin.
1916. Charles de La Vallée-Poussin. Hans Selye.
1917. Joséphine Ioteyko. 1948. Charles Detolnay.
1918. Paul Frédéricq. 1951. Étienne Lamotte.
1919. Henri Pirenne-Anesaki. 1956. Gino Luzzatto.
1920. Michel Rostovtzeff. Walter E. Petrascheck.
Jorga. 1961. Théodor W. Adorno.
1922. Albert Einstein. 1965. V.I. Abaev.
1923. Raffaele Altamira. 1968. Théodor W. Adorno.
1924. Ettore Pais. 1973. Ludovico Geymonat.
1925. Holger Pedersen. 1984. Jean Rudhart.
1926. Nicolas Alexeieff. 1989. David Wiggins.
1927. Ernest Muret. 2002. Oleg Grabar.
1929. Wolfgang Koehler. 2007. Philippe Borgeaud.
66

Fondation Saintour
Par décret du 25 juillet 1889, l’administrateur du Collège de France a été autorisé
à accepter le legs fait au Collège de France par le Dr Saintour pour la fondation
d’un prix. Ce prix, périodiquement revalorisé, est décerné tous les deux ans par
l’Assemblée des professeurs, sur la présentation qui lui est faite, d’après un
roulement déterminé, par l’une des trois sections instituées à cet effet. Chaque
section regroupe les titulaires de chaire pour lesquels les différentes Académies
composant l’Institut ont concurremment avec le Collège le droit de présentation.
Les trois sections comprennent ensemble la totalité des professeurs.
Ce prix a été attribué depuis sa fondation (1893) à M. Matignon, M. Chassinoit,
M. Abel Lefranc, M. Philippe Glangeaud, M. Laurent, M. Chauvin,
M. Hallion, M. Lenestour, M. Lacôte, M. Ernest Charles, M. Léon Lecornu,
M. Homo, M. Jules Chauvin, M. Paul Langevin, M. Gaston Colin, M. Gaston
Cohen, M. Pierre Leroux, M. Georges Mayer, M. Alexandre Dufour, M. Alfred
Ernout, M. Louis Bodin, M. Paul Mazon, M. René Henry, M. Julien Barat,
Mlle Chevroton, Mlle Loyez, M. Delaruelle, M. Valois, M. Chabot,
M. Édouard Salles, M. Copaux, M. Claude Blanchel, M. Jules Bloch,
M. Boudréaux, M. Gaffiot, M. Virolleaud, M. Brillaut, M. Henri Clouzot,
M. Georges Lecarpentier, M. Achille Millien, M. Champy, M. Leroux, M. Lévy,
M. et Mme Marouseau, M. Lejeune, M. Terroine, M. Roux, Mme Boudréaux,
M. Ouveriaux, M. Foulet, Mlle Blanchard Demonge, M. Boulard, M. Bernard
Leroy, M. André Pézard, M. Randouin, Mlle Ioteyko, M. Prosper Alfaric,
M. Doutrepont, Mlle Maitret, M. Delapparent, M. Alfred Quinquaud,
M. Meyerson, M. Henri Heine, M. Taha Hussein, M. André Vaillant,
M. Marty, l’abbé Busson, M. Sartre, M. Fréjacques, M. Émile Benveniste,
M. Sommerfelt, M. Caridroit, M. Misconi, M. baudot, M. Albert Houstin,
Mlle Marie Cochet, M. Millon, Mlle Marchal, Mlle bezard, M. Contineau,
M. Umbegaun, M. P. Noailhon, M. Boris Ephrussi, M. Casteras, M. Salovine,
M. Samara, M. Martini, M. Paul Émard, Mlle Alice Hulubet, M. Robert
Courrier, M. Jean Filliozat, M. Pierre Pascal, M. Marc Cohn, M. Maurice
Leenhardt, M. Étienne Wolff, Mme d’Also, M. Chapire, M. Rolland,
M. Biquard, M. Jean Fourquet, M. André Chevalier, M. Albert Dauzat,
M. René Clozier, M. Jules Driessens, M. René Pintard, M. Klein, M. René
Vallois, M. Charles Morazé, M. A. Jost, M. Marcel Simon, M. Lemagnen,
M. Paul-Henri Michel, M. André Adam, Mme Skreb-Guilcher, Rév. Père
Estugière, M. Yves Lecorre, M. Adigard des Gautries, M. Pierre Rancastel,
M. Armand Hampé, M. Jacques Fontaine, M. Roger Guillemin, M. Louis-
Charles Damais, M. Jean Pouilloux, M. Guy Lasserre, M. Paul Kessler, M. Paul
Garelli, Mme Martha Spitzer, M. Henri Rolland, M. Paul Pelissier, M. André
Landesman, M. Jean Riché, M. W. Streiff, M. Valentin Nikiprowetzky,
M. Richard Gascon, M. Gilles Granger, M. Hans Glattli, Mlle Odette Taffanel,
M. Michel Gaudin, M. Hervé Savon, M. Victor Goldschmidt, M. Neil Sullivan,
M. Venceslas Kruta, M. M. Flato, M. R. Turcan, M. Daniel Estève, M. Jean-
67

Pierre Mahé, M. André Langaney, M. Jean-Marie Durand, Mme Marianne


Mahn-Lot, M. Loïc Merel, M. Willy Clarysse, M. Claude Ghesquière,
M. Pierre Milza, M. Piemontese, M. Christian Giaume.

Fondation Hugot du Collège de France


En 1977, l’Assemblée des Professeurs du Collège de France décidait à l’unanimité
de créer une fondation dite Fondation Hugot du Collège de France consacrée,
conformément aux intentions de ses bienfaiteurs, Hélène et Jean-Pierre Hugot, à
favoriser au mieux de ses moyens et en étroit accord avec le Collège de France,
« la rencontre de diverses disciplines qui œuvrent à la connaissance, à la formation
et à l’épanouissement de l’homme, le rapprochement, par delà toutes les frontières,
des meilleurs esprits animés de ce même souci ».
Pour ce faire, la Fondation s’efforce de développer toutes études, recherches et
activités ayant un double caractère à la fois humaniste et pluridisciplinaire.
Le Conseil d’État, par décret en date du 7 février 1979, faisait droit à la demande
de l’Assemblée reconnaissant comme établissement d’utilité publique autonome
ladite Fondation.
En 2001, le Conseil d’Administration de la Fondation a décidé de la création
d’un « Prix de la Fondation Hugot du Collège de France ». Ce prix consiste en
l’attribution d’un poste de Maître de conférences au Collège de France
(traditionnellement pour un an, éventuellement renouvelable une fois) ainsi qu’une
somme de 4 000 € versée par la Fondation Hugot. Il a été décidé que ce prix serait
attribué dans une discipline différente chaque année.
Le premier lauréat, pour l’année 2003-2004, est un mathématicien mexicain,
M. Ricardo Uribevargas. Le lauréat de l’année 2004-2005 est M. Han Hee-Jin,
philosophe coréen, celui de 2005-2006 est M. Wouter Henkelman, historien
néerlandais et celui de 2007-2008 est M. Jacques Boutet de Monvel, biophysicien
de la cochlée.

Station Marine de Concarneau


La Station de Biologie Marine de Concarneau a été fondée en 1859 par Victor
Coste titulaire de la chaire d’Embryogénie au Collège de France. L’établissement
ainsi créé, connu également sous le nom de Vivier-Laboratoire fut le premier d’une
longue série : Naples, Roscoff, Banyuls, Plymouth, Woods Hole.
C’est à Concarneau que furent réalisés les premiers élevages de poissons marins.
Les études de Laurent Chabry dans les années 1880 ont apporté les bases techniques
et conceptuelles de l’embryologie expérimentale.
Plus près de nous, les travaux de Jean Roche et de ses collaborateurs ont jeté les
bases d’une biochimie comparée s’appuyant sur la grande diversité structurale et
fonctionnelle des organismes marins.
68

Ainsi, la Station de Biologie Marine de Concarneau a offert sur près de 140 ans,
l’exemple d’une recherche parfois marginale au regard des activités pratiquées dans
les autres laboratoires marins : endocrinologie comparée, écobiochimie, biologie
des espèces des grands fonds sous leurs aspects fondamentaux mais aussi pratiques :
biotechnologies, enzymes, biomatériaux, gestion de l’espace marin.
Depuis 1996, la station est devenue Station de Biologie Marine du Muséum
National d’Histoire Naturelle et du Collège de France, la gestion scientifique et
administrative étant assurée dans le cadre du Muséum National d’Histoire
Naturelle.
Un programme de réhabilitation des viviers, partie historique du laboratoire,
d’extension du Marinarium, exposition ouverte au public et de modernisation des
locaux scientifiques et de l’accueil des chercheurs et stagiaires a été élaboré. Ce
projet bénéficie du concours du Collège de France, du Muséum, de fonds euro-
péens et de l’aide des collectivités locales.

Fondation du Collège de France


Le décret de création de la Fondation du Collège de France, reconnue d’utilité
publique, a été publié au Journal officiel du 7 avril 2008. Cette Fondation a pour
but, dans l’esprit du Collège de France et de son ouverture, le soutien, le
développement et la valorisation des activités d’enseignement, de recherche, de
formation, de diffusion des connaissances, en France et à l’étranger.
Les fonds privés mobilisés permettront de répondre aux besoins de financement
de projets de recherche de l’Institution, d’accroître les ressources nécessaires à
l’animation de la vie scientifique des chaires, de moderniser des laboratoires,
d’acquérir des équipements techniques de dernière génération, d’amplifier la
formation des jeunes chercheurs, de favoriser l’accès aux connaissances et aux
dernières recherches menées par les chaires et par les équipes accueillies. Ils serviront
l’exigence d’une recherche de haut niveau tournée vers la société.
La Fondation est administrée par un Conseil constitué de 12 membres (le collège
des membres fondateurs constitué de professeurs de l’Institution, le collège des
personnalités qualifiées qui fait appel à des personnalités de la société civile et
académique et le collège des donateurs). La composition du Conseil illustre la
volonté de dialogue et d’échange de la Fondation avec la société civile et les acteurs
du monde économique. Le Conseil d’administration est assisté d’un Comité
d’orientation scientifique composé de 6 à 8 membres issus du corps professoral du
Collège de France.
CHRONIQUE
DE L’ANNÉE ACADÉMIQUE 2007-2008

2007
20 juillet .............. Décret du Président de la République (publié au Journal
officiel du 22 juillet 2007) nommant M. Manfred Kropp
professeur associé à temps plein au Collège de France sur la
Chaire européenne 2007-2008.
23 juillet .............. Décret du Président de la République (publié au Journal
officiel du 25 juillet 2007) nommant Mme Ariane Mnouchkine
professeure associée à temps plein au Collège de France sur la
chaire de Création artistique 2007-2008.
30 juillet .............. Décret du Président de la République (publié au Journal
officiel du 1er août 2007) nommant M. Pierre Magistretti
professeur associé à temps plein au Collège de France, sur la
Chaire internationale 2007-2008, et M. Gérard Berry
professeur associé à temps plein au Collège de France sur la
chaire d’Innovation technologique-Liliane Bettencourt 2007-
2008
4 août .................. Publication au Journal officiel de l’avis de création des chaires
de Chimie des processus biologiques et d’Histoire intellectuelle
de la Chine.
13 septembre........ Par arrêté ministériel, MM. Michael Edwards et Michel
Tardieu sont admis à faire valoir leurs droits à la retraite à
compter du 1er septembre 2008.
19 novembre ........ Décret du Président de la République (publié au Journal
officiel du 21 novembre 2007) nommant M. Michel Brunet
professeur au Collège de France sur la chaire de Paléontologie
humaine, et M. Thomas Römer professeur au Collège de
France sur la chaire de Milieux bibliques.
23 novembre ........ Décret du Président de la République (publié au Journal
officiel du 28 novembre 2007) nommant M. Philippe
Sansonetti professeur au Collège de France sur la chaire de
Microbiologie et maladies infectieuses.
25 novembre ........ Délibération de l’Assemblée des Professeurs demandant la
création d’une chaire de Physique de la matière condensée (en
remplacement de la chaire de Civilisations de l’Europe au
Néolithique et à l’âge de bronze).
70 CHRONIQUE DE L’ANNÉE ACADÉMIQUE 20072008

2008
19 février.............. Publication au Journal officiel de l’avis de création de la chaire
de Physique de la matière condensée.
7 avril................... Publication au Journal officiel du décret de création de la
Fondation du Collège de France, reconnue d’utilité publique.
2 mai ................... Décret du Président de la République (publié au Journal
officiel du 4 mai 2008) nommant Mme Anne Cheng
professeure au Collège de France sur la chaire d’Histoire
intellectuelle de la Chine et M. Marc Fontecave professeur
au Collège de France sur la chaire de Chimie des processus
biologiques.
19 mai ................. Décret du Président de la République (publié au Journal
officiel du 21 mai 2008) nommant Mme Esther Duflo
professeure associée à temps plein au Collège de France sur la
chaire internationale – Savoirs contre pauvreté 2008-2009.
11 juin ................. Par arrêté ministériel, Mme Anne Fagot-Largeault est admise
à faire valoir ses droits à la retraite à compter du 1er septembre
2009.
5 juillet ................ Décret du Président de la République (publié au Journal
officiel du 9 juillet 2008) nommant M. Henri Léridon
professeur associé à temps plein au Collège de France sur la
chaire européenne – développement durable 2008-2009 et
M. Mathias Fink professeur associé à temps plein au Collège
de France sur la chaire d’innovation technologique – Liliane
Bettencourt 2008-2009.
27 août ................ Décret du Président de la République (publié au Journal
officiel du 29 août 2008) nommant M. Pierre-Laurent Aimard
professeur associé à temps plein au Collège de France sur la
chaire de Création artistique 2008-2009.
NÉCROLOGIE

François MOREL
(1923-2007)

Le 9 mai 2007, François Morel nous quittait à l’âge de 84 ans, après toute une
vie consacrée à la recherche sur la physiologie rénale qu’il a réalisée en grande partie
au Collège de France où il a été titulaire de la chaire de Physiologie cellulaire de
1967 à 1993. François Morel était né à Genève en 1923. Son père était titulaire
de la chaire de Psychiatrie dans cette ville, ce qui l’a sans doute incité à entreprendre
des études de médecine. En fait, il n’a jamais exercé la médecine car, très vite, il a
été attiré par la démarche expérimentale. En 1944, quatre ans avant de passer son
diplôme de Médecine, il est licencié ès sciences et, par le fait de rencontres fortuites,
il découvre le laboratoire de Robert Courrier, titulaire de la chaire d’Endocrinologie
et de morphologie expérimentale (1938-1966) au Collège de France, à qui il
succédera en 1967.

À cette époque, François Morel conclut sa leçon inaugurale au Collège par la


mention d’un compagnon de longue date, le rein, en citant une réflexion du
poète danois Isak Dienesen qui met dans la bouche d’un marin arabe naviguant
au large des côtes africaines sous un ciel étoilé : « Qu’est-ce en définitive que
l’homme quand on y réfléchit un peu, sinon un dispositif extraordinairement précis
et ingénieux, pour transformer, avec un art consommé, le vin rouge de Chiraz en
urine ? » Tout François Morel est là, dans cette ironie distante vis-à-vis de son
travail qui, effectivement, s’est concentré sur la compréhension des mécanismes
cellulaires aboutissant à la réabsorption de l’eau et des électrolytes par le rein. Il
ne s’est jamais départi de cette ligne de recherche, de 1947 jusqu’à la fin de son
parcours au Collège en 1993.

Comme beaucoup de physiologistes rénaux dans les années cinquante, François


Morel aurait pu exploiter la technique des clairances rénales pour étudier la
fonction du rein. Cette approche permet d’aborder in vivo, de façon globale et
quantitative, la capacité du rein à réabsorber l’eau, les électrolytes ou d’autres
substances mais elle ne donne aucune indication sur les mécanismes de transport,
72 NÉCROLOGIE

de sécrétion et de réabsorption qui sont impliqués. Afin de comprendre en finesse


les mécanismes mis en jeu dans les différents secteurs du rein, François Morel
étudie in vitro les différentes entités qui composent le tube néphronique en
analysant les caractéristiques propres des différents segments du néphron.
Méthodologiste précis et rigoureux, il met au point plusieurs micro-techniques
ingénieuses et novatrices. Il utilise la toute naissante technique de microperfusion
des tubules rénaux. Il sépare les différents segments du néphron par microdissection
et développe les microméthodes biochimiques nécessaires à ses travaux. Sa phrase
favorite, que ses nombreux élèves français et étrangers ont gardée en mémoire, était
« Voyez, c’est tout simple et ça marche ». Il suit le transport des ions et de l’eau à
travers les membranes cellulaires en utilisant les isotopes radioactifs dont c’était
l’une des premières applications en biologie. Il analyse ensuite mathématiquement
les résultats de ses expériences, les modélise et en tire les conclusions.
Ses premières recherches ont été favorisées par sa rencontre avec Frédéric Joliot-
Curie au Collège de France, qui lui a permis d’utiliser des produits radioactifs
provenant du tout jeune CEA. François Morel est engagé comme médecin
biologiste au CEA en 1948 et deviendra chef du laboratoire de Physiologie physico-
chimique du département de Biologie du CEA de Saclay. Il installera par la suite
son laboratoire au Collège de France, à partir de 1967.
Dans les années 70, François Morel s’intéresse à l’action des hormones sur les
différentes régions du néphron. Il caractérise les récepteurs membranaires de la
parathormone, de la vasopressine, du glucagon, de la calcitonine, des α-adrénergiques.
Il met au point une microméthode extrêmement sensible de dosage l’adénylate
cyclase qui lui permet de déterminer les cellules cibles des hormones. Il montre la
complexité et l’hétérogénéité des différents segments du néphron, la fonction de
divers types cellulaires dans un même segment tubulaire en termes de métabolisme
intermédiaire et de réponse hormonale. Afin de résoudre certaines questions de
physiologie, il fait appel à la physiologie comparée : pour étudier les mécanismes
aboutissant à l’élaboration d’une urine concentrée, il analyse les propriétés
particulières du rein de la gerboise, un rongeur du désert qui n’excrète que quelques
microlitres d’urine par mois. L’épithélium de batracien, qui possède des analogies
avec le tube urinifère de mammifère, lui sert à analyser le transport vectoriel du
sodium. Ce fut une période pionnière de la physiologie et de l’endocrinologie rénales
qui, comme il le souligne lui-même, lui a permis pendant plusieurs années d’avoir le
rare privilège d’accumuler des résultats originaux en l’absence de compétiteurs.
En s’appuyant sur la physiologie rénale, il a parfaitement démontré que l’on
pouvait disséquer un organe complexe en ses différentes fonctions cellulaires et
étudier en retour comment le travail des cellules spécialisées assure une grande
fonction intégrée de l’organisme.
François Morel possédait les qualités qu’une telle recherche exigeait : extrême
minutie, rigueur de l’analyse, ténacité et modestie. Il ne se donnait pas un rôle
dans sa recherche mais valorisait son équipe et était attentif à ceux qui l’entouraient.
NÉCROLOGIE 73

Il se décrivait comme un manuel, comme un artisan qui, à l’inverse de l’artiste, ne


signe pas ses œuvres. Il a vécu de près un débat scientifique entre deux théories
qui s’opposaient sur les mécanismes de concentration des urines. Celle de Khun et
Wirtz, qui supposait un mécanisme de concentration à contre-courant des urines,
avait la faveur de François Morel. Elle s’est avérée exacte, mais François Morel
disait modestement qu’il avait eu la chance d’être du bon côté de la balance. Lui-
même ne s’est jamais attribué une grande théorie bien qu’il ait été souvent
l’initiateur de nouveaux concepts.
François Morel n’avait rien d’un mondain, ni d’un homme de pouvoir. C’était un
homme de devoir. Il a estimé qu’il ne pouvait rester en marge des questions qui se
posaient alors et déjà ! sur l’orientation et le développement de la recherche en
France. Il s’est impliqué dans plusieurs actions concertées de la Direction générale de
la Recherche scientifique et technique (DGRST), notamment comme Président
d’une action « Membranes biologiques » dans les années 60 où il a joué un rôle
important. Son action a été aussi déterminante comme membre du Conseil supérieur
des universités dans la réforme des Diplômes d’études épprofondies en 1985.
Chez François Morel, il y avait le goût du bel ouvrage et l’émerveillement devant
la nature. Sa collection de papillons, qu’il a constituée en partie avec Christian de
Rouffignac, un des chercheurs de son laboratoire au CEA, est exceptionnelle. Il l’a
constituée par 18 voyages qu’il avait intitulés « Calendrier de mes chasses aux
papillons exotiques ». A la fois esthète et scientifique, il admirait la beauté des
papillons et cherchait à en comprendre le mimétisme.
Nous gardons de lui un souvenir vivace. Lors de ma leçon inaugurale au Collège,
je rappelais les cours de François Morel sur le mode d’action des hormones que
nombre d’entre nous, scientifiques ou médecins, suivaient assidûment. Scientifique
modeste, affable, prêt à rendre service et de haute tenue morale, il a marqué toute
une génération de chercheurs et de néphrologues qu’il a formée à une méthodologie
rigoureuse et innovante au service d’idées et de concepts originaux. La communauté
scientifique nationale et internationale perd l’un des pionniers de la physiologie et
de l’endocrinologie rénales, et le Collège de France un ami.
Pierre Corvol, le 29 juin 2008
RÉSUMÉ DES COURS
ET TRAVAUX
DE L’ANNÉE ACADÉMIQUE 2007-2008

I. SCIENCES MATHÉMATIQUES,
PHYSIQUES ET NATURELLES
Analyse et géométrie

M. Alain Connes, membre de l’Institut


(Académie des Sciences), professeur

Caractérisation spectrale des variétés

1. Introduction

J’ai donné cette année dans mon cours la solution d’un problème que j’avais
formulé il y a quelques années et qui donne une caractérisation spectrale des
variétés Riemanniennes.

2. Les axiomes et la caractérisation

Les cinq conditions, en dimension p, sont


(1) La valeur caractéristique μn de la résolvante de D vérifie μn = O(n–1/p).
(2) [[D, a], b] = 0 ∀a, b ∈ A.
(3) Pour tout a ∈ A, a et [D, a] appartiennent au domaine de δm, pour tout
entier m où δ est la dérivation : δ(T ) = [|D|, T ].
(4) Il existe un cycle de Hochschild c ∈ Zp (A, A) tel que πD (c) = 1 pour p
impair, alors que pour p pair, πD (c) = γ est une ⺪/2 graduation.
(5) Le A-module H∞ = ∩ Dom Dm est projectif de type fini. De plus l’égalité

suivante le dote d’une structure hermitienne ( | ) : ξ, aη = – a (ξ|η) |D|–p, ∀a ∈ A,
∀ξ, η ∈ H∞.
L’application πD est définie par
(2.1) πD (a0 ⊗ a1 ⊗ … ⊗ a p) = a0[D, a1] … [D, a p], ∀a j ∈ A.


Le symbole – représente la trace de Dixmier.
78 ALAIN CONNES

Théorème 2.1. Soit (A, H, D) un triplet spectral, avec A commutative, vérifiant


les cinq conditions ci-dessus, on suppose que :
— la régularité (3) est vérifiée par tous les endomorphismes de H∞ ;
— le cycle de Hochschild c est antisymétrique.
Il existe alors une variété compacte orientée X telle que A soit l’algèbre C ∞(X ) des
fonctions de classe C ∞ sur X.
De plus toute variété compacte orientée apparaît de cette manière. On a aussi la
variante suivante qui ne suppose plus la régularité forte, définie ainsi :

Définition 2.2. Un triplet spectral est fortement régulier si tous les endomorphismes
du A-module H∞ appartiennent au domaine de δm, pour tout entier m.

Théorème 2.3. Soit (A, H, D) un triplet spectral, avec A commutative, vérifiant


les cinq conditions ci-dessus, avec c antisymétrique. On suppose que la multiplicité de
l’action de A ′′ dans H est 2 p/2. Il existe alors une variété compacte X (spinc ) telle que
A = C ∞(X ).
Cette hypothèse de multiplicité est une forme faible de la dualité de Poincaré
qui était la condition (6) de ma formulation du problème. J’avais montré dans un
cours antérieur que l’opérateur D est alors un opérateur de Dirac. La condition de
réalité sélectionne ensuite les variétés spinorielles et l’action spectrale sélectionne la
connection de Levi-Civita.
Il y a trois étapes dans la démonstration :
a) Montrer que le spectre X de l’algèbre A est suffisamment grand i.e. que
l’image d’une « carte locale » aα contient un ouvert de ⺢p.
b) Montrer que la mesure spectrale des a αj ( j > 0) sur une « carte locale » est la
mesure de Lebesgue.
c) Appliquer l’estimation de l’obstruction de Voiculescu sur les unités quasi-
centrales et en déduire que les « cartes locales » sont localement injectives.

3. Topologie de A

Le lemme suivant montre que le triplet spectral (A, H, D) est uniquement


déterminé par ( A ′′ , H, D) où A ′′ est l’algèbre de von Neumann commutative
fermeture faible de A.

Lemme 3.1. Soit T ∈ A ′′ . Les conditions suivantes sont équivalentes :


(1) T ∈ A
(2) [D, T ] est borné et T et [D, T ] sont dans le domaine de δm, pour tout entier m
(3) T est dans le domaine de δm, pour tout entier m
(4) TH∞ ⊂ H∞
ANALYSE ET GÉOMÉTRIE 79

On utilise l’égalité :
m  
m m−k
D Tξ = ∑ ξ, ∀ξ ∈ Dom|D|m
m
(3.1) δ k (T ) D
k =0
k
On montre alors que A est une algèbre de Fréchet avec les semi-normes sous-
multiplicatives
(3.2) p k ( xy ) ≤ p k ( x ) p k ( y ), ∀x, y ∈ A
associées à la condition de régularité,
x
δ(x ) " δ k (x ) / k !

0 x " "
(3.3) pk(x) =
ρk(x)
, ρk(x)=
" " x δ(x )
0 " 0 x
où ρk est une représentation de A.
Le Lemme 3.1 donne des estimés de Sobolev. Soient ημ des générateurs du
A-module H∞, on définit les normes de Sobolev sur A par

& a &ssobolev = ( ∑& (1 + D 2 ) s / 2 aη μ & )1/ 2 ,


2
(3.4) ∀a ∈ A
μ

On a

Proposition 3.2.
(1) Munie des normes (3.4), A est un espace de Fréchet nucléaire séparable.
(2) On a des estimés de Sobolev de la forme
(3.5) p k ( a ) ≤ c k & a &ssobolev , p k ([ D, a ]) ≤ c ′k & a &ssobolev
′ , ∀a ∈ A
k k

avec c k < ∞, c ′k < ∞ et des suites s k > 0, s ′k > 0.


(3) Le spectre X = Spec(A) est métrisable.
(4) Tout T ∈ EndA H∞ agit continûment dans H∞ et définit un opérateur borné
dans H.
(5) L’isomorphisme algébrique H∞ = eAn est topologique.
(6) L’application (a, ξ)  aξ et le produit à valeurs dans A sont des applications
continues A × H∞ → H∞ et H∞ × H∞ → A.
On a de plus la stabilité par calcul fonctionnel démontrée par Varilly et
Rennie :

Proposition 3.3. Soient a j = a *j , n éléments auto-adjoints de A et f : ⺢n  ⺓


une fonction de classe C ∞ définie sur un voisinage du spectre des aj. Alors
f (a1,…, an) ∈ A appartient à A ⊂ A.
80 ALAIN CONNES

4. Fonctions implicites et cartes locales

Soit (A, H, D) un triplet spectral vérifiant les cinq conditions du §2.


Lemme 4.1. Soit B l’algèbre des endomorphismes of H∞. On a une décomposition
finie de la forme
(4.1) [ D, a ] = ∑ δ j ( a ) γ j , ∀a ∈ A,
où γj ∈ B et les δj sont des dérivations
(4.2) δ j ( a ) = i(ξ j [ D, a ]ξ j ), ∀a ∈ A,
pour ξj ∈ H∞.
Par hypothèse le cycle c est de la forme :
(4.3) c = ∑ a α0 ω α , ω α = ∑ ε(β )1 ⊗ a αβ (1) ⊗ " ⊗ a αβ ( p )
α β
où l’on peut supposer que les a αμ
sont auto-adjoints pour μ > 0. Le module
projectif de type fini H∞ sur A est de la forme H∞ = eAn, où e ∈ Mn(A) est un
idempotent auto-adjoint. La trace τ = Tr(e ) = ∑ e jj ∈ A détermine uniquement
les projecteurs pj ∈ A associés à la dimension j de la fibre, par l’égalité
(4.4) τ = Tr(e ) = ∑ j pj ∑ pj = 1.
On note que p0 = 0. On définit une espérance conditionnelle EA :
EndA(H∞) → A, par
1
(4.5) EA (T ) = ∑ pj ∑Tkk , ∀T = (Tkl ) ∈ eMn(A)e
j >0 j

On définit alors ρα ∈ A par


p ( p +1)
(4.6) ρα = i 2 E A (γ ∑ ε (β )[ D, a αβ (1) ]"[ D, a αβ ( p ) ]).
β
On pose
(4.7) Cα = {x ∈ X | ρα(x) = 0}
et on désigne par Uα = C αc son complément i.e. l’ouvert où ρα ne s’annule pas.

Lemme 4.2. Les Uα forment un recouvrement ouvert de X = Spec(A).


On utilise alors le lemme suivant :

Lemme 4.3. Soit A commutative, et a = (a j ), p éléments auto-adjoints de A. Soit


χ un caractère de A, et δj ∈ DerA des dérivations telles que
— chaque δj s’exponentie ;
— le déterminant de la matrice χ(δj(ak)) n’est pas nul.
ANALYSE ET GÉOMÉTRIE 81

Alors l’image par a de tout voisinage de χ dans Spec(A) contient un voisinage de


a(χ) dans ⺢p. Il existe de plus une famille de classe C ∞, σt ∈ Aut(A), t ∈ ⺢p, un
voisinage Z de χ dans X = Spec(A) et W de 0 ∈ ⺢p tels que, pour tout κ ∈ Z,
l’application t  a(κ ◦ σt) soit un diffeomorphisme, dépendant continûment de κ, de
W avec un voisinage de a(κ) dans ⺢p.

5. Dérivations dissipatives

Commençons par la propriété de dissipativité des dérivations. On a en effet :


Lemme 5.1. Supposons que les dérivations de la forme (4.2) s’exponentient. Alors,
pour tout h = h∗ ∈ A, le commutateur [D, h] est nul là où h atteint son maximum.
Réciproquement, cette propriété entraîne que les dérivations ± δj de la forme (4.2) sont
dissipatives i.e.
(5.1.)
x + λδj(x)

x
, ∀x ∈ A, λ ∈ ⺢.
On notera que la commutativité de [D, h] avec h et l’auto-adjonction de D ne
suffisent pas à entraîner la conclusion du Lemme 5.1. En effet considérons le
triplet spectral
 
(5.2.) A = C∞([0, 1]), H = L2([0, 1]) ⊗ ⺓2, D = 0 ∂x
avec la condition au bord −∂x 0
 
(5.3.) Dom D = {ξ = ξ 1 |ξ1(0) = 0, ξ2(1) = 0}
ξ2
Pour tout h ∈ A on a [D, h] = ∂x h γ1,
 
0 1
γ1=
−1 0
Ainsi [D, h] commute avec h. Mais pour h(x) = x le maximum est en x = 1 et
[D, h] ne s’annule pas en ce point.
Un point crucial est la détermination du symbole principal de |D| sous la
forme,

Proposition 5.2. Soit h = h∗ ∈ A, alors on a pour la convergence en norme dans


H:
(5.4) lim τ −1 e iτ h | D | e − iτ hξ = |[ D, h] | ξ , ∀ξ ∈ Dom D.
τ →∞

Remarque 5.3. La Proposition 5.2 montre que, sous l’hypothèse de régularité,


(5.5) [|[D, h]|, [D, a]] = 0, ∀h = h∗, a ∈ A.
Si l’on fait l’hypothèse de régularité forte de la Définition 2.2 on obtient
(5.6) [D, h]2 ∈ A, ∀h = h∗ ∈ A.
82 ALAIN CONNES

On montre de plus que la régularité suffit à assurer la propriété de dissipativité


du Lemme 5.1.

Théorème 5.4. Soit (A, H, D) un triplet spectral régulier, vérifiant la condition


d’ordre un. Alors pour tout h = h∗ ∈ A, le commutateur [D, h] s’annule là où h atteint
son maximum, i.e. pour toute suite bn ∈ A,
bn
≤ 1, de support tendant vers {χ},
|χ(h)| maximum, on a

[D, h]bn
→ 0.

Corollaire 5.5. Soit (A, H, D) un triplet spectral avec A commutative vérifiant


les cinq conditions du §2. Les dérivations ±δj du Lemme 4.1 sont dissipatives.
Cela résulte du Théorème 5.4 et du Lemme 5.1.

Corollaire 5.6. Soit h = h∗ ∈ A. Le symbole principal de l’opérateur


(5.7) Grad(h) = [D2, h]
est nul là où h atteint son maximum.

. Dérivations auto-adjointes

Nous dirons qu’un opérateur borné A est régulier si il appartient au domaine de


δm pour tout m.

Proposition 6.1. Soit A un opérateur régulier. Alors l’opérateur H = A∗DA de


domaine Dom D est essentiellement auto-adjoint. Le domaine de la fermeture de H
est l’ensemble des ξ ∈ H pour lesquels A∗DA(1 + ε|D|)–1ξ converge en norme pour
ε → 0. La limite des A∗DA(1 + ε|D|)–1ξ donne Hξ .

On applique ce résultat aux endomorphismes du A-module H∞ qui sont de


rang un, pour obtenir un opérateur de A dans A.

Lemme 6.2. Soit ξ, η ∈ H∞, la formule suivante définit un endomorphisme du


A-module H∞ :
(6.1) Tξ,η(ζ) = (η|ζ)ξ, ∀ζ ∈ H∞
où (η|ζ) est le produit à valeurs dans A. On a
(6.2) Taξ, bη = ab∗Tξ,η, ∀a, b ∈ A, Tξ∗,η = Tη,ξ
Le résultat principal est le suivant :

Théorème 6.3. Soit (A, H, D) un triplet spectral fortement régulier, avec A


commutative, vérifiant les cinq conditions du §2. Alors toute dérivation de A de la
ANALYSE ET GÉOMÉTRIE 83

forme (4.2) i.e. δ0(a) = i(ξ|[D, a]ξ), ∀a ∈ A, est le générateur d’un groupe à un
paramètre d’automorphismes σt ∈ Aut(A) tels que
— ∂t σt(a) = δ0(σt(a).
— L’application (t, a) ∈ ⺢ × A  σt(a) ∈ A est continue.
On peut alors montrer directement la continuité absolue des mesures σ t∗ (λ) par
rapport à λ. Nous dirons qu’une mesure μ est fortement équivalente à υ si et
seulement si il existe c > 0 tel que cυ ≤ μ ≤ c–1υ.

Proposition 6.4. Soit (A, H, D), δ0 et σt comme dans le Théorème 6.3. Alors
pour tout t ∈ ⺢ la mesureλ de
(6.3) ad λ = – a|D|–p, ∀a ∈ C(X ).
est fortement équivalente à ses transformées par σt .

. Multiplicité spectrale

La mesure (6.3) est localement équivalente à la mesure spectrale de la


représentation de A = C(X ) dans H. On a en effet :

Lemme 7.1. Pour tout ouvert V ⊂ X les mesures suivantes sont fortement
équivalentes :
— la restriction λ|V à V de la mesure λ de (6.3) ;
— la restriction à V de la mesure spectrale associée à un vecteur ξ ∈ H∞ pour lequel
(ξ, ξ) est strictement positif sur V .
On a de plus

Théorème 7.2. Soit V ⊂ Uα un ouvert et aαj |V la restriction des aαj ∈A au sous-


espace 1V H ⊂ H. Alors
— la mesure spectrale jointe des aαj |V est la mesure de Lebesgue sur sα(V ) ;
— la multiplicité spectrale mac(y) vérifie
(7.1) mac ( y) ≥ n ( y) = #{ sα−1( y) 傽 V } , ∀y ∈ sα(V ),
presque partout pour la mesure de Lebesgue.

. Forme locale des estimés L (p, 1)

L’obstruction de Voiculescu relative à un idéal J d’opérateurs compacts est donnée par


(8.1) k J ({a j }) = lim inf max &[ A, a j ]&J
A∈R1+ , A↑1
où R +1 est l’ensemble partiellement ordonné des opérateurs positifs de rang fini,
de norme ≤ 1, dans H.
84 ALAIN CONNES

Théorème 8.1. Il existe une constante finie κp telle que pour tous aj ∈ A et tout
compact K ⊂ X on ait, avec J = L (p, 1), l’inégalité

(8.2) κJ ({aj 1K }) ≤ κp max


δ(aj)
∞(λ(K))1/p

où :

λ(K ) = inf –b|D|–p.
b∈A + , b1 K =1 K

Corollaire 8.2. Il existe C < ∞ tel que la multiplicité spectrale mac


V ( x) du spectre

absolument continu de la restriction aαj |V des aαj , à 1VH vérifie :

(8.3) V ( x) ≤ C ,
mac ∀x ∈ W = sα(V )

Corollaire 8.3. Il existe m < ∞ tel que

(8.4) #( sα−1( x) 傽V ) ≤ m, ∀x ∈ W = sα(V )

. Théorème de Reconstruction

On utilise le Corollaire 8.3 ainsi que l’existence de suffisamment d’automorphismes


de A pour démontrer le lemme clef suivant :

Lemme 9.1. Pour tout point χ ∈ X il existe p éléments auto-adjoints x μ ∈ A et


une famille, de classe C ∞, τt ∈ Aut(A), t ∈ ⺢p, τ0 = id, tels que

— les x μ définissent un homéomorphisme d’un voisinage de χ avec un ouvert de


⺢p ;

— l’application t  h(t) = χ ◦ τt est un homéomorphisme d’un voisinage de 0 dans


⺢p avec un voisinage de χ ;

— l’application x ◦ h est un difféomorphisme local.

Il en résulte alors

Lemme 9.2. L’algèbre A est localement l’algèbre des restrictions de fonctions C ∞


sur ⺢p à un ouvert borné de ⺢p.

En utilisant ce lemme, l’on montre que l’on peut doter le spectre X de A d’une
unique structure de variété compacte lisse telle que A = C ∞(X ).
ANALYSE ET GÉOMÉTRIE 85

Conférences

Septembre 2007, 1 conférence à Oberwolfach.


Octobre 2007, 1 conférence à NYU, New York.
Octobre 2007, 1 conférence à Rutgers.
Octobre 2007, 1 conférence à ICTP, Trieste.
Mai 2008, 5 conférences à Vanderbilt (Fifth Spring Institute in Non-commutative
Geometry and Operator Algebras).
Mai 2008, 1 conférence à l’IHÉS (50e anniversaire).
Mai 2008, 3 conférences à Toronto (Fields Lectures).

Publications

A. Connes, M. Marcolli, Noncommutative Geometry, Quantum Fields, and Motives,


Colloquium Publications, Vol. 55, American Mathematical Society, 2008.
A. Connes, C. Consani, M. Marcolli, Fun with ⺖1. A paraître dans JNT.
Équations différentielles et systèmes dynamiques

M. Jean-Christophe Yoccoz, membre de l’Institut


(Académie des Sciences), professeur

Cours : cocycles uniformément hyperboliques


1. Le cours a présenté des résultats obtenus en collaboration avec A. Avila et
J. Bochi.
Soient X un espace topologique, f un homéomorphisme de X, et p : E → X un
fibré vectoriel de base X. Un cocycle linéaire au-dessus de f est un isomorphisme
F de E vérifiant f ⴰ p = p ⴰ F . Un tel cocycle est uniformément hyperbolique s’il
existe 0 < λ < 1, c > 0 et une décomposition F-invariante
E = E s ⊕ E u vérifiant
F n (v s ) ≤ c λ n v s pour n ≥ 0, vs ∈ E s ,
F −n (v u ) ≤ c λ n v u pour n ≥ 0, vu ∈ E u .
On va considérer la situation spécifique suivante : X est un sous-décalage de type
fini ∑ sur un alphabet fini A, f est le décalage σ : ∑→∑, E est le produit ∑ × R2,
et F est déterminé par une application A : ∑ → SL(2, R ) qui ne dépend que de la
lettre en position zéro dans un élément de ∑. Le cocycle F est donc déterminé par
une famille ( Aα )α ∈A ∈(S L(2, R )) A via la formule
F n ( x , v ) = (σ n ( x ), A n ( x )v ),
avec A n ( x ) = A x n−1 … A x 0 si n ≥ 0,
= A x−n1 … A x−−11 si n < 0.
Le sous-décalage ∑ étant fixé, l’espace des paramètres est donc (S L(2, R )) A . Les
cocycles uniformément hyperboliques correspondent à une partie ouverte H qu’on
se propose d’étudier.
2. Un critère classique d’uniforme hyperbolicité est basé sur l’existence d’un
champ de cônes vérifiant certaines propriétés. Dans la situation considérée, nous
88 JEANCHRISTOPHE YOCCOZ

avons découvert un critère alternatif, d’emploi plus simple, basé sur la notion de
multicône. Nous appelons multicône une partie ouverte de P1 = P1(R), non vide
et distincte de P1, qui a un nombre fini de composantes connexes. Le critère est
plus simple à énoncer lorsque ∑ est un décalage complet. Dans ce cas, le cocycle
associé à ( Aα )α ∈A est uniformément hyperbolique si et seulement s’il existe un
multicône M tel que Aα M est contenu dans M pour tout α ∈A .
Dans le cas général d’un décalage de type fini, la condition est qu’il existe des
multicônes M α ,α ∈A tels que Aβ Mα ⊂ Mβ pour chaque transition admissible
α → β.
Pour voir que ces conditions impliquent l’uniforme hyperbolicité, on fait appel
à un autre critère d’uniforme hyperbolicité (valable pour les cocycles à valeurs dans
SL (2, R) sur une base compacte) : il faut et il suffit que la norme des produits
An(x) croisse de façon uniformément exponentielle. Cette croissance est obtenue
en munissant les multicônes de leur métrique de Hilbert.
Supposons inversementque le cocycle défini par ( Aα )α ∈A soit uniformément
hyperbolique. Pour x ∈ , notons e s (x), e u (x) les directions stables et instables
(considérées comme des points de P1).
Lorsque ∑ est un décalage complet, posons K s = e s (∑), K u = e u (∑). Appelons
noyau instable (resp. stable) la partie U (resp. S) de P1 dont le complémentaire
est l’union des composantes connexes de P1 – Ku qui rencontrent K s (resp. des
composantes connexes de P1 – K s qui rencontrent K u). Alors S et U sont des
parties compactes non vides et disjointes de P1 qui n’ont qu’un nombre fini de
composantes connexes. De plus, les composantes connexes de U et S sont alternées
pour l’ordre cyclique de P1 et on a Aα U ⊂ U , Aα−1 S ⊂ S pour tout α ∈A. Le
multicône M est alors un épaississement approprié de U (ne rencontrant pas S).
Lorsque ∑ est un décalage de type fini général, on doit définir, pour chaque
α ∈A 
K αs = e s ({ x ∈ , x 0 = α }),

K αu = e u ({ x ∈ , x −1 = α }).
Le noyau instable (resp. stable) U α (resp. Sα ) est alors le complémentaire de
l’union des composantes connexes de P 1 − K αu qui rencontrent Aα K αs (resp. des
composantes connexes de P 1 − K αs qui rencontrent Aα−1K αu ). Les parties U α , Sα
sont compactes non vides et n’ont qu’un nombre fini de composantes connexes. Les
parties U α et Aα Sα sont disjointes et leurs composantes connexes sont alternées.
On a Aβ U α ⊂ U β , Aα−1Sβ ⊂ Sα pour chaque transition admissible α → β . Le
multicône Mα est un épaississement approprié de U α .
On notera que les cônes stables et instables dépendent continûment des
paramètres. En particulier, le nombre de composantes connexes, et la façon dont
elles sont envoyées les unes dans les autres par les Aα, restent les mêmes dans une
composante connexe du lieu d’hyperbolicité H.
ÉQUATIONS DIFFÉRENTIELLES ET SYSTÈMES DYNAMIQUES 89

3. On suppose dans cette section que ∑ est un décalage complet sur


N ≥ 2 symboles. Une composante connexe de H est dite principale s’il existe
(ε α )α ∈A ∈{−1, + 1} A tel que (ε α A )α ∈A appartienne à cette composante pour
toute matrice A telle que TrA > 2. Il y a 2N composantes principales ; leur union
est notée H0.
On montre aisément qu’un N-uplet hyperbolique ( Aα )α ∈A appartient à H0 si et
seulement si le cône instable U est connexe. D’autre part, si un N-uplet ( Aα )α ∈A
appartient à la frontière ∂H0 , alors soit l’une des matrices Aα est parabolique, soit il
existe des indices distincts α, β tels que uAα = s Aβ. On a désigné par uA (resp. sA) la
direction stable (resp. instable) d’une matrice hyperbolique A ; lorsque A est
parabolique mais distincte de ± id, on notera uA = sA l’unique direction invariante.
4. Nous décrivons dans cette section le lieu d’hyperbolicité H lorsque ∑ est le
décalage complet sur 2 symboles.
Considérons la partie ouverte Hid de (S L(2, R))2 formée des matrices (A, B) telles
que Tr A > 2, Tr B > 2, Tr AB > 2, TrA TrB TrAB < 0 . Notons H id+ la partie de
Hid formée des matrices telles que TrA > 2, TrB > 2, TrAB < −2.
On montre que Hid est contenu dans H − H0. En fait, H id+ est l’union de deux
composantes connexes de H qui se déduisent l’une de l’autre par une conjugaison
renversant l’orientation de P1 et Hid est donc union de huit composantes de H.
Les éléments de Hid sont exactement les paires ( A, B ) ∈H telles que le noyau
instable U a deux composantes connexes.
Pour décrire toutes les composantes connexes de H, on introduit les
difféomorphismes de (S L(2, R))2
F+(A, B) = (A, AB),
F−(A, B) = (BA, B),
et on note M le monoïde (libre) engendré par F+, F−. Pour F ∈M, on pose
HF = F−1 (Hid). Chaque HF a donc 8 composantes connexes.
Théorème – Les composantes de H sont exactement les composantes de H0 et les
composantes des HF , F décrivant M. Deux composantes connexes distinctes sont
d’adhérences disjointes. De plus, une partie compacte de (SL(2,R))2 ne rencontre qu’un
nombre fini de composantes connexes.
On désigne par E l’ensemble des paramètres ( Aα )α ∈A tels qu’il existe un point
périodique x de ∑ (de période n) telle que la matrice An(x) associée soit elliptique.
C’est une partie ouverte de l’espace des paramètres, disjointe de H.
Pour un sous-décalage de type fini général, Avila a montré que E est dense dans
le complémentaire de H. Pour le décalage complet sur deux symboles, on a un
résultat plus précis.
90 JEANCHRISTOPHE YOCCOZ

Théorème – On a ∂E = ∂H = (H ∪ E )c .
Indiquons quel est le lemme principal dans la démonstration des théorèmes
précédents. On dit qu’une paire (A, B) est tordue si A et B ne sont pas elliptiques
et (A, B) n’appartient pas à H0 .
Lemme – Si (A, B) est tordue, alors une et une seule des quatre propriétés suivantes
est satisfaite :
i) AB est elliptique ;
ii) ( A, B ) ∈ Hid ;
iii) (A, AB) est tordue ;
iv) (BA, B) est tordue.
Ceci étant, on veut montrer que (SL(2, R))2 est l’union disjointe de H0, E et
des HF , F ∈M. On prend donc une paire (A, B) qui n’appartient pas à H0 ∪ E
et on applique le lemme. Le cas i) est impossible par hypothèse. Si on se trouve
dans les cas iii) ou iv) on applique à nouveau le lemme à la paire obtenue. Il s’agit
de voir qu’on ne peut indéfiniment éviter le cas ii), ce qui résulte de l’étude de la
dynamique sur les triplets (tr A, tr B, tr AB) au cours de ce processus.
5. On dispose d’une description explicite des multicônes correspondant aux
composantes non principales de H pour le décalage complet sur 2 symboles.
Notons M* le monoïde opposé de M ; pour F ∈M*, posons j ( F ) = p q , où
q désigne la longueur du mot F(AB) et p le nombre d’occurences de B dans ce
mot. L’application j est une bijection de M* sur Q ∩ (0,1).
Fixons p q ∈Q ∩ (0,1). Posons IA = [0, 1 − p/q), IB = [1 − p q , 1), et notons
θ : [0,1] → { A,B} l’application qui vaut A sur IA et B sur IB.
Notons Rp/q l’application x 哫 x + p q mod 1. Pour x ∈[0,1), posons
Θ( x ) = (θ ( R ip q x )) 0≤i < q . L’image Θ([0,1)) = : O( p q ) est un ensemble de q mots de
longueur q qui se déduisent les uns des autres par permutation cyclique.
Soit [ p 0 q 0 , p1 q1 ] l’intervalle de Farey dont p q est le centre. On munit
l’union disjointe O := O( p q )  O( p 0 q 0 )  O( p1 q1 ) de l’ordre cyclique
suivant (où Θ0, Θ1 sont définis à partir de p 0 q 0 , p1 q1 comme l’a été Θ à partir
de p q ) : on commence par Θ0(0), Θ(0), Θ1(0) puis on rencontre alternativement,
par ordre lexicographique croissant, les mots Θ( R ip q (0)) et Θ 1( R ip1 q1 (0)),
1
0 < i < q1, puis le mot Θ( R qp1 q (0)) = Θ(1 − ), et enfin alternativement, par ordre
q
−j −j
lexicographique décroissant, les mots Θ 0 ( R p0 q 0 (0)) et Θ( R p q (0)), 0 < j < q 0 .
Si (A, B) appartient à une composante connexe de H associée à p q , les cônes
stable et instable ont chacun q composantes connexes, et les 2q composantes
connexes du complémentaire de S  U sont naturellement paramétrées par O :
pour C ∈O, il existe une composante de (S  U )c dont les extrémités sont sC et uC.
ÉQUATIONS DIFFÉRENTIELLES ET SYSTÈMES DYNAMIQUES 91

6. On suppose dans cette section que ∑ est un décalage complet sur


N ≥ 2 symboles. On a remarqué plus haut que le nombre de composantes de S et
U , ainsi que la dynamique induite par les Aα sur les composantes de S et U ,
restent invariants par déformation donc constants dans chaque composante
connexe de H.
Pour formaliser ceci, on introduit la notion de multicône combinatoire : un
ensemble fini M = Mu  Ms muni d’un ordre cyclique tel que Mu et Ms soient de
même cardinal et alternés. On appelle rang de M le cardinal q = # Ms = # Mu. Les
éléments de Ms (reps. Mu) correspondent aux composantes de S (resp. U ).
On appelle correspondance monotone une partie C de M × M telle que
i) C ⊂ (Ms × Ms) ∪ (Mu × Mu) ;
ii) C ∩ (Ms × Ms) est le graphe {(Cs(xs), xs), xs ∈ Cs} d’une application
Cs : Ms → Ms ;
iii) C ∩ (Mu × Mu) est le graphe {(xu, Cu (xu)), xu ∈ Cu} d’une application
Cu : Mu → Mu ;
iv) C peut être muni d’un ordre cyclique tel que l’élément suivant (x, y) est soit
(x++, y), soit (x+, y+), soit (x, y++) (on note x+ l’élément suivant x pour l’ordre
cyclique de M).
Les correspondances monotones forment un monoïde associatif C (M) pour la
composition.
On dit qu’une correspondance monotone est constante si Cs et Cu le sont.
Notons FN le monoïde libre à N générateurs (indexés par l’alphabet A. Chaque
Aα définit une correspondance monotone C α, donc on a un homomorphisme de
FN dans C (M).
Cet homomorphisme possède de plus les propriétés suivantes : il est hyperbolique,
c’est-à-dire que l’image de tout mot assez long est une correspondance constante ;
et il est réduit, c’est-à-dire que les images des C uα recouvrent Mu et les images des
C sα recouvrent Ms.
En résumé, à chaque composante de H est associée un multicône combinatoire
M et un morphisme hyperbolique réduit de FN dans C (M).
Inversement, lorsque N = 2, tout morphisme hyperbolique réduit est associé à
exactement 4 composantes de H (se déduisant les unes des autres par changements
de signes).
Par contre, on peut construire des exemples de morphismes hyperboliques
réduits avec N > 2 qui ne sont associés à aucune composante de H.
7. On revient dans cette section au cadre général d’un décalage ∑ de type fini.
Soient alors H une composante connexe du lieu d’hyperbolicité H, et (Aα)α∈A un
paramètre appartenant à ∂H.
92 JEANCHRISTOPHE YOCCOZ

Théorème – L’une au moins des deux propriétés suivantes a lieu :


i) il existe un point périodique x de ∑, de période k, tel que |trAk(x)| = 2 ;
ii) (connexion hétérocline) il existe des points périodiques x, y de ∑, de période respective
k et l, un entier n ≥ 0 et un point z ∈W loc u ( x ) ∩ σ − nW s ( y ) tels que Ak(x), Al(y)
loc
soient hyperboliques et on ait :
An(z) · u(Ak(x)) = s(Al(y)).
De plus, les entiers k, l, n sont majorés par une constante ne dépendant que de H.
Corollaire – Chaque composante connexe de H est un ensemble semi-algébrique.
Le bord de chaque composante est aussi semi-algébrique.
Par contre, H lui-même n’est pas (en général) semi-algébrique, puisqu’il a une
infinité de composantes connexes. Lorsque ∑ est un décalage complet, H n’est pas
une composante principale, et (Aα) ∈ ∂H comme ci-dessus, on peut montrer
qu’aucun produit des Aα ne peut être égal à ± id.
8. On a vu que, pour le décalage complet sur 2 symboles, toute partie compacte
de l’espace des paramètres ne rencontre qu’un nombre fini de composantes
connexes de H. Ceci n’est plus vrai quand on considère le décalage complet sur
3 symboles, en raison d’un phénomène de bifurcation hétérocline.
On a étudié une occurrence de ce phénomène : on a un triplet (A0, B0, C0) ∈
(SL(2, R))3 avec ( A0 , B 0 ) ∈ H id+ C 0uB 0 = sA0. Localement dans l’espace des
paramètres, l’hypersurface {CuB = sA} sépare un voisinage V de (A0, B0, C0) en deux
composantes ; l’une est contenue dans H tandis que l’autre rencontre H suivant
une suite de composantes connexes dont les combinatoires associées sont de plus
en plus compliquées.
9. De nombreuses questions concernant H et ses composantes connexes restent
ouvertes, même pour les décalages complets sur N ≥ 3 symboles.
Mentionnons ici simplement l’une d’entre elles : existe-t-il des composantes
connexes H de H qui soient bornées modulo conjugaison, c’est-à-dire telles qu’il

existe une partie compacte K de (SL(2, R))N vérifiant H ⊂ g gKg −1 ?
On dispose d’un critère intéressant pour tester cette propriété : une partie Z de
(SL(2,R))N est bornée modulo conjugaison si et seulement si chacune des fonctions
trAα, trAαAβ est bornée sur Z.
On aimerait aussi savoir si on a toujours ∂H = ∂E = (H  E )c, comme c’est le
cas pour le décalage complet sur 2 symboles.
ÉQUATIONS DIFFÉRENTIELLES ET SYSTÈMES DYNAMIQUES 93

Conférences, Missions

11 octobre 2007 : Colloquium à l’Université de Provence.


26 novembre-7 décembre 2007 : Mission à l’Instituto de Matematica Pura e Aplicada à
Rio de Janeiro, Brésil.
17 décembre-21 décembre 2007 : Mission à la Scuola Normale Superiore de Pise,
Italie.
4-8 février 2008 : Mini-cours de 4 conférences dans le cadre d’une École d’hiver à Séville,
Espagne.
5 mars 2008 : Conférence lors de la journée de Rham à l’École Polytechnique de
Lausanne, Suisse.
16 avril 2008 : Colloquium à l’Université Paris-Nord.
5-16 mai 2008 : Mission à l’Université de Montréal, Canada. Titulaire de la chaire
Aisenstadt, j’ai donné 4 conférences dans ce cadre, et une cinquième lors d’un workshop la
semaine suivante.
26-30 mai 2008 : Coorganisateur d’un colloque à la mémoire d’Adrien Douady à l’IHP,
Paris.
2-6 juin 2008 : Une conférence lors d’un workshop “Dynamique dans l’espace de
Teichmüller” à Roscoff.
14 juin 2008 : Conférence au Séminaire Bourbaki, IHP, Paris.
7-18 juillet 2008 : Co-directeur d’une école d’été en Systèmes dynamiques à l’ICTP,
Trieste, Italie.

Publications

– Ensembles de Julia de mesure positive et disques de Siegel des polynômes quadratiques


[d’après X. Buff et A. Chéritat], Séminaire Bourbaki, Volume 2005/2006, exposé n° 966,
Astérisque (311), 2007, 385-401.
– Exponential mixing for the Teichmüller flow, Publ. Math. IHES (104), 143-211 (avec
A. Avila et S. Gouezel).
Équations aux dérivées partielles et applications

M. Pierre-Louis Lions, membre de l’Institut


(Académie des Sciences), Professeur

Cours : Jeux à champ moyen (suite)

1. Introduction

Le cours, suite de celui de l’an dernier, a porté sur une théorie nouvelle élaborée
en collaboration avec M. Jean-Michel Lasry, appelée théorie des « jeux à champ
moyen ». L’objectif de cette théorie est d’introduire rigoureusement, d’analyser et
d’appliquer dans différents contextes une nouvelle classe de modèles mathématiques
permettant d’étudier des situations faisant intervenir un très grand nombre de
joueurs rationnels (au sens de l’Économie, c’est-à-dire optimisant leur
comportement), chaque joueur interagissant avec les autres en « moyenne ». Ce
type de situations est fréquent en Économie et en Finance où chaque agent (joueur)
optimise ses actions en tenant compte d’informations globales c’est-à-dire
moyennées sur l’ensemble des joueurs. D’autres domaines d’applications concernent
les transports et l’étude du trafic ou la Biologie et l’Écologie.

Plus précisément, nous considérons des équilibres de Nash à N joueurs, faisons


tendre N vers l’infini, obtenons ainsi des systèmes d’un type nouveau d’Équations
aux Dérivées Partielles (EDP en abrégé) non linéaires modélisant des équilibres (ou
points de Nash) pour des continua de joueurs, et analysons mathématiquement
ces systèmes. Les équations que nous introduisons de cette manière sont très
générales et contiennent comme cas particuliers de nombreux systèmes et équations
classiques : les équations elliptiques semilinéaires, les équations de type Hartree de
la Mécanique Quantique, les équations d’Euler compressibles de la Mécanique des
Fluides, les modèles cinétiques (équations de Vlasov, Fokker-Planck, Boltzmann…),
les équations des milieux poreux, les équations du transport optimal de masse
(problème de Monge-Kantorovich) ou les équations d’Euler-Lagrange associées à
des problèmes de contrôle optimal d’EDP…
96 PIERRELOUIS LIONS

La terminologie « champ moyen » provient de la Physique et de la Mécanique


et est naturelle puisque notre approche contient effectivement les théories classiques
de champ moyen en Physique et en Mécanique (voir d’ailleurs les exemples
mentionnés plus haut). Indiquons simplement qu’un cas particulier de notre
théorie est celui où les joueurs n’ont plus de possibilité d’influer sur (en optimisant)
leur comportement et sont alors soumis passivement aux interactions avec le reste
des joueurs ce qui est bien sûr le cas des « particules » en Physique ou des éléments
de matière en Mécanique des milieux continus.
Il est donc clair que la classe de systèmes que nous obtenons par cette approche
de modélisation est extrêmement vaste et que de très nombreuses questions
d’Analyse Mathématique se posent, dont beaucoup restent à résoudre. Signalons
en outre une direction importante de notre théorie : dans tout ce qui précède, nous
avons implicitement considéré un ensemble homogène de joueurs « identiques »
(en fait, ayant les mêmes caractéristiques). Il est en fait utile et souvent réaliste
d’introduire plusieurs catégories de joueurs (ou agents, ou organismes vivants…),
chaque catégorie étant composée d’un très grand nombre de « joueurs identiques ».
De plus, le nombre total de joueurs n’est pas nécessairement constant dans le
temps (naissance et mort, échanges d’attributs…). Les systèmes que nous
introduisons dans ces cas contiennent alors comme cas particuliers des modèles de
dynamique des populations ou de réactions chimiques…
Cette année, le cours a porté sur le cadre théorique mathématique nécessaire à
la justification (rigoureuse) de la limite quand le nombre de joueurs N tend vers
l’infini. Ce cadre mathématique permet de comprendre le comportement
asymptotique des fonctions symétriques d’un grand nombre de variables et de leur
calcul différentiel, ainsi que des solutions symétriques d’EDP en très grande
dimension. Signalons le travail antérieur d’A. Grunbaum 1 qui contient une
esquisse du cadre général abstrait que nous introduisons, et les considérations
heuristiques d’A. Matytsin 2. Enfin, indiquons que les résultats que nous présentons
s’appliquent à de nombreux autres sujets que la théorie des jeux à champ moyen :
EDP à N variables quand N tend vers l’infini, grandes déviations pour des EDP
stochastiques, théorie du transport et systèmes de particules (éventuellement
stochastiques) en interaction.

2. Fonctions symétriques d’un grand nombre de variables


Afin de simplifier la présentation et les notations, nous ne considérons ici que
le cas de variables décrivant un ensemble Q = O où O est un ouvert borné régulier
de d (d ≥ 1) muni de la métrique euclidienne usuelle (|x – y|) — nous pourrions
aussi bien considérer le tore ou [0, 1]d avec périodicité, ou aussi simplement le cas

1. Propagation of chaos for the Boltzmann Equation, Arch. Rat. Mech. Anal., 42 (1971),
p. 323-345.
2. On the large N limit of the Itzykson-Zuber integral, preprint.
ÉQUATIONS AUX DÉRIVÉES PARTIELLES ET APPLICATIONS 97

d’un espace métrique Q compact quelconque. L’objectif étant de comprendre le


comportement quand N tend vers l’infini de suites de fonctions « continues »
uN(x1, …, xN) symétriques par rapport à (x1, …, xd) ∈ QN (i.e. uN (X ) = uN (Xσ),
∀ X ∈ QN, ∀ σ ∈ SN, où X = (x1, …, xN), Xσ = (xσ(1), …, xσ(N ))) et SN désigne le
groupe des permutations de l’ensemble {1, …, N }), il nous faut introduire diverses
N
métriques sur QN (et sur l’espace quotient QN/SN ) : d p ( X ,Y ) = ( N1 ∑ x i − y i p )1/p
i =1
(pour 1  p  ∞), d LP ( X , Y ) = inf {ε > 0 / N1 (#{i / x i − y i > ε }) < ε }, dp (X, Y ) =
inf d p ( X ,Y σ ), d LP ( X ,Y ) = inf d LP ( X ,Y σ ).
σ ∈S N σ ∈S N
L’idée essentielle sera de considérer un point X = (x1, …, xN) ∈ QN (identifié à ses
permutations…) comme soit une mesure de probabilité « empirique »
N
m XN = 1
N ∑ δ x , soit une variable aléatoire dans un espace de probabilité (Ω, F, P)
i
i =1
nontrivial (fixé dans tout ce qui suit) prenant les valeurs x1, …, xN avec probabilité
1 . On note enfin P = P (Q) l’ensemble des mesures de probabilité sur Q, espace
N
métrique compact pour les distances dites de Wasserstein dp (m1, m2) =
inf {E [|X – Y|p]1/p / X ∈ L p (Ω ; ⺢d ), X a pour loi m1, Y a pour loi m2} (en tout cas
pour p < ∞) ou de Lévy-Prohorov dLP (m1, m2) = inf {ε > 0, P (|X – Y | > ε) < ε}.
Malheureusement, la terminologie consacrée oublie que les distances dp ont été
introduites (et identifiées dans le cas p = 1) par Monge et Kantorovich. Toutes ces
distances (à nouveau si p < ∞) induisent sur P la convergence faible des mesures et
on a bien d p (m XN , mYN ) = dp (X, Y), dLP (m XN , mYN ) = dLP (X, Y ). Enfin, on notera
Pp l’espace P muni de la distance dp et P = P2.

En observant que les mesures m XN sont denses dans P, on obtient facilement le

Théorème 1 : Soit uN ∈ C (QN) symétrique. On suppose que

⎪⎧⎪sup sup | u N ( X ) |< ∞, lim sup sup{| u N ( X )


(1) ⎪⎨ N X ∈Q d ε →0 N
⎪⎪
⎩⎪−u N (Y ) | / X , Y ∈ Q , d LP ( X ,Y ) < ε } = 0
N

Alors, on peut extraire une sous-suite (encore notée uN pour simplifier) telle qu’il
existe U ∈ C (P ) vérifiant

(2) lim sup | u N ( X ) − U (m XN ) | = 0


N →∞ X ∈Q N

Remarques : i) De multiples variantes et extensions de ce résultat sont possibles


(plusieurs groupes de variables symétriques, réitération, modules de continuité
en d ∞ , demi-limites au sens des solutions de viscosité…),
98 PIERRELOUIS LIONS

ii) Un exemple important de fonctions U dans C (P ) est fourni par les polynômes
i.e. les combinaisons linéaires finies de monômes définis par, étant donnés k  1
(ordre) et ϕ ∈ C (Qk) ou pour simplifier C ∞ (Qk) symétrique (coefficient),
 
k
(3) M k (m ) = ϕ dm( x i ) .
QK i =1

Et l’ensemble des polynômes est dense dans C (application du théorème de


Stone-Weierstrass ou démonstration constructive directe…),
iii) Il sera utile dans la suite d’observer qu’une fonction U dans C (Pp) peut être
identifiée à une fonction dans C (L p) (où L p = L p (Ω ; ⺢d )) possédant la propriété
d’invariance ou de symétrie suivante : U (X ) = U (Y ) si X et Y ont la même loi.
On note CL le sous-espace vectoriel formé composé de telles fonctions.
Le résultat ci-dessous est en quelque sorte dual d’un résultat classique à savoir le
théorème d’Hewitt et Savage (que l’on peut en fait redémontrer très simplement
grâce à notre point de vue…). Rappelons que, si ( fN)N  1 est une suite de mesures
de probabilité sur Q N symétriques, après extraction éventuelle d’une sous-suite, on
peut supposer que les marginales f Nk = ∫ f N ( X )dx k +1 …dx N convergent
faiblement, pour tout k  1, vers f k ∈ P (Q k) symétrique. Bien sûr, f k = ∫ f k + 1
dxk + 1 (∀k  1). Et la donnée d’une telle suite consistante ( f k)k  1 est équivalente
(Hewitt-Savage) à la donnée d’une mesure de probabilité π sur P telle que

k
f k = ∫ P m( x i ) d π (m ). On dit alors que fN converge vers π (et on dira que uN
i =1
converge vers U si (2) a lieu).
Théorème 2 : Soient U ∈ C (P), π ∈ P (P), uN ∈ C (QN) symétrique et fN ∈ P (QN)
symétrique. On suppose que uN converge vers U et que fN converge vers π. Alors, on a
 
(4) u N d f N → U (m ) d π (m ) si N → ∞
QN P
Remarque : Si π = δf (« chaos moléculaire »…) alors on déduit de (4) le fait
suivant
 
(5) | uN − u N d f N |2 d f N → 0 si N → ∞
QN QN

3. Calcul différentiel
Le but est de définir sur P un calcul différentiel compatible avec la limite
considérée au paragraphe précédent, ce qui n’est pas le cas du calcul différentiel
élaboré (ou esquissé) dans l’espace (dit) de Wasserstein par de nombreux auteurs.
La présentation la plus simple de notre calcul différentiel consiste en se servir d’une
part de la structure Hilbertienne de L2 (Ω) et du calcul différentiel induit et d’autre
part de la troisième remarque faite après le théorème 1.
ÉQUATIONS AUX DÉRIVÉES PARTIELLES ET APPLICATIONS 99

Plus précisément, on note L l’application qui à X ∈ L2 (Ω) associe sa loi. Si U


est une fonction définie sur P (ou sur un voisinage de m0 ∈ P ) alors U L est
définie sur L2 et U L ( X ) = U L (Y ) si X et Y ont même loi. Bien sûr,
U ∈ C 0, α (P ) (0  α  1) si et seulement si U L ∈C L 0,α ( L2 ). On dit alors que
U est différentiable en m0 ∈ P s’il existe X0 tel que L ( X 0 ) = m0 et U L est
différentiable en X0 (on peut vérifier que cette propriété est équivalente à la
différentiabilité de U L en tout point de L −1(m0 )). En identifiant différentielle
et gradient grâce à la structure Hilbertienne de L2 (Ω), on peut démontrer que si
U est différentiable en X0 ∈ L2 et U ∈CL ( L2 ) (par exemple), alors U définie par
U (m ) = U ( X ) si L ( X ) = m est différentiable en m0 = L ( X 0 ) et U ′( X 0 ) (∈ L2 (Ω))
est mesurable par rapport à la tribu engendrée par X0.
Ensuite, il est naturel de définir les fonctions C k, C k, a (0 < α  1) sur P par ce
biais : par exemple, U ∈ C 1 (P) si U L ∈C 1 ( L2 )…
Se posent alors les questions de savoir si le calcul différentiel que nous venons
de définir est i) d’une part intrinsèque, ii) d’autre part cohérent avec la limite
« N → ∞ ». Tel est bien le cas et nous nous contenterons d’illustrer ces deux faits
par quelques exemples. Tout d’abord, la notion naturelle de variations dans P
correspond au transport des mesures par des champs de vecteur B sur ⺢d (ou sur
Q…) supposés, pour simplifier, réguliers. En notant par (mt )t ∈ ⺢ le groupe induit,
on montre que si U est différentiable en m0 alors U (mt ) est dérivable en t = 0 et
d
(6) U (mt ) |t =0 = E[∇(U L )( X 0 ) B( X 0 )] où L ( X 0 ) = m0
dt
De plus, on démontre que U ∈ C1 (P ) si et seulement si il existe un module de
d
continuité uniforme ω tel que, pour toute mesure M (x, y) ∈ P (Q 2), U (mt )| t =0+
existe et dt

d
(7) |U (m1 ) − U (m0 ) −U (m1 ) |  d 2 (m0 , m1 )ω (d 2 (m0 , m1 )) ,
dt
où mt est défini par ∫Q ϕ dmt = ∫Q2 ϕ ((1 – t) x + ty) dM (x, y), ∀ϕ C (Q).
Enfin, U est différentiable en m0 si et seulement si on peut trouver U , U ∈C 1( P )
telles que : U  U  U sur P et U (m0 ) = U (m0 ).
Le deuxième point, à savoir la cohérence avec la limite étudiée précédemment,
peut s’illustrer par l’exemple suivant des résultats que nous avons obtenus. En
notant πN U la fonction symétrique définie sur QN par π N U ( X ) = U (m XN ), on
démontre que U ∈ C1 (P) si et seulement si πN U ∈ C 1 (QN ) et il existe un module
de continuité uniforme ω indépendant de N tel que, pour tous X, Y ∈ QN,
(8) |(πN U ) (Y ) – (πN U ) (X ) – (∇(πN U ) (X ), Y – X )|  d2 (X, Y ) ω (d2 (X, Y )).
Remarque : Bien sûr, les résultats mentionnés ci-dessus ne sont que des
échantillons (à peine) représentatifs du calcul différentiel mis en place et présenté
dans le cours. Signalons qu’il est possible d’obtenir de nombreuses autres
100 PIERRELOUIS LIONS

caractérisations, d’introduire des méthodes de régularisation et d’étudier


l’approximation (par exemple par des polynômes)… Enfin, nous pouvons ainsi
introduire une notion de fonction convexe sur P (U est convexe si U L est
convexe sur L2) qui a de nombreuses applications…

4. Équations aux dérivées partielles


Là encore, nous nous contenterons de quelques exemples.
Exemple 1 : Équation eikonale
On considère la solution uN (solution de viscosité) de
∂u N
(9)
∂t
+N ∑|∇x u N |2 = 0 dans (
i
d )N ×]0, +∞[
i
avec la condition initiale
(10) uN |t =0= u N
0

0 est symétrique et u 0 →U 0 ∈ C ( P ). La solution (de viscosité) de (9) est


où u N NN
donnée par la formule de Lax-Oleinik
 1 
(11) u N ( X , t ) = inf u N (Y ) + d 2 ( X ,Y ) 2 ;
2t
Bien sûr, uN est symétrique et u N N U ∈ C ( P ×[0, + ∞[ ) donnée par
 1 
(12) U (m, t ) = inf U 0 (m ′ ) + d 2 (m, m ′ ) 2 .
m′∈P 2t
Grâce au calcul différentiel introduit ci-dessus, on peut alors écrire une équation
« Eikonale » dans P et démontrer que la formule (12) est bien l’unique solution
(de viscosité) de cette équation.
Exemple 2 : Équation de diffusion à coefficients constants
On considère la solution uN de
N N
∂u N α2 β2
(13)
∂t

2 ∑ Δ xi u − N −
2 ∑ ∇x ∇x U N = 0 dans (
i j
d ) N ×]0, + ∞[

i =1 i , j =1
avec la condition initiale (10). Là encore, on démontre que u N N U ∈ C ( P ×[0, ∞[ )
où U est l’unique solution (de viscosité par exemple) d’une équation de diffusion
sur P que l’on peut écrire formellement comme
d
∂U α2 β2 ∂m ∂m
2 ∑
(14) + (∇U , Δm ) − D 2U ( , ) = 0 et U |t =0 = U 0
∂t 2 i =1
∂x i ∂x i
Il est bien sûr possible et utile d’aller au-delà de ces deux exemples, ce que nous
ferons dans le cours de l’année 2008-2009.
ÉQUATIONS AUX DÉRIVÉES PARTIELLES ET APPLICATIONS 101

Cours et Séminaire

Cours : Le cours a eu lieu du 12 octobre 2007 au 11 janvier 2008.

Séminaire de Mathématiques Appliquées


— 12 octobre 2007 : Olivier Pironneau (Laboratoire J.-L. Lions, Université Paris 6).
Zooms numériques et méthodes de sous-domaines.
— 19 octobre 2007 : Bruno Bouchard (Ceremade, Université Paris-Dauphine). Régularité
d’EDS rétrogrades et approches probabilistes pour la résolution d’équations semi-
linéaires paraboliques.
— 9 novembre 2007 : Christian Klingenberg (Université de Wuerzburg, Allemagne). New
numerical solvers for Hydro- and Magnetohydrodynamics.
— 16 novembre 2007 : Xavier Blanc (Laboratoire J.-L. Lions, Université Paris 6). Vortex
dans des condensats de Bose-Einstein en rotation rapide.
— 23 novembre 2007 : Nizar Touzi (CMAP, École Polytechnique). Méthode de Monte
Carlo pour les EDP non linéaires.
— 30 novembre 2007 : Albert Cohen (Laboratoire J.-L. Lions, Université Paris 6).
Triangulations adaptatives et algorithmes greedy pour l’approximation et
l’apprentissage.
— 7 décembre 2007 : Stefano Olla (Ceremade, Université Paris-Dauphine). Modèles
microscopiques pour la conductivité thermique.
— 14 décembre 2007 : Clément Mouhot (Ceremade, Université Paris-Dauphine). Quelques
résultats d’hypocoercivité en théorie cinétique collisionnelle.
— 11 janvier 2008 : Jean-Michel Morel (CMLA-ENS Cachan). Encore et toujours
l’équation de la chaleur.
— 18 janvier 2008 : Pierre Cardaliaguet (Université de Brest). Propagation d’interfaces avec
termes non locaux.
— 25 janvier 2008 : Stéphane Gaubert (INRIA-Rocquencourt). De la théorie de Perron-
Frobenius à la programmation dynamique et vice versa.
— 1er février 2008 : Sylvia Serfaty (Université de Paris 6 & Courant Institute, New York).
Configurations de vortex dans le modèle de Ginzburg-Landau de la supraconductivité.
— 8 février 2008 : Sergio Guerrero Rodriguez (Université de Paris 6). Contrôle optimal
singulier pour quelques équations aux dérivées partielles.
— 15 février 2008 : Jean-François Le Gall (Université de Paris-Sud 11). Autour des grandes
cartes planaires aléatoires.
— 14 mars 2008 : Radu Ignat (Université de Paris-Sud 11). Un résultat de compacité pour
l’état de Landau en micromagnétisme.
— 21 mars 2008 : Peter Constantin (Université de Chicago). Particles and Fluids.
— 28 mars 2008 : Herbert Koch (Université de Bonn). Strong uniqueness for elliptic and
parabolic equations.
— 4 avril 2008 : Tony Lelièvre (CERMICS, ENPC). Méthodes adaptatives en dynamique
moléculaire.
— 11 avril 2008 : Claude Viterbo (École Polytechnique). Homogénéisation symplectique.
— 16 mai 2008 : Antonin Chambolle (École Polytechnique). « Rigidité » dans les matériaux
fracturés.
— 23 mai 2008 : Nader Masmoudi (Courant Institute of Mathematical Science). Passage
à la limite de Klein-Gordon-Zakharov vers Schrödinger non linéaire.
102 PIERRELOUIS LIONS

— 30 mai 2008 : François Golse (École Polytechnique). Le gaz de Lorentz périodique dans
la limite de Boltzmann-Grad.
— 6 juin 2008 : Massimiliano Gubinelli (Université de Paris-Sud). Sur l’équation du
transport stochastique et les EDS avec dérive irrégulière.
— 13 juin 2008 : Ivan Gentil (Ceremade, Université Paris-Dauphine). Convergence
entropique et inégalités fonctionnelles.
— 20 juin 2008 : Graeme Milton (University of Utah). Variational principles for
elastodynamics and Maxwell’s equations in inhomogeneous bodies.

Publications

— Towards a self-consistent theory of volatility. En collaboration avec J.-M. Lasry. A paraître


dans J. Maths. Pures Appl.
— On the energy of some microscopic stochastic lattices. En collaboration avec X. Blanc et
C. Le Bris. Arch. Rat. Mech. Anal., 184 (2007), p. 303-340.
— Correlations and bounds for stochastic volatility models. En collaboration avec M. Musiela.
Annales de l’I.H.P. Non Linear Analysis, 24 (2007), p. 1-16.
— Large investor trading impacts on volatility. En collaboration avec J.-M. Lasry. Annales de
l’I.H.P. Non Linear Analysis, 24 (2007), p. 311-323.
— Instantaneous self-fulfilling of long-term prophecies on the probabilistic distribution of
financial asset values. En collaboration avec J.-M. Lasry. Annales de l’I.H.P. Non Linear
Analysis, 24 (2007), p. 361-368.
— Mean Field Games. En collaboration avec J.-M. Lasry. Japanese Journal of Mathematics,
2 (2007), p. 229-260.
— Deux remarques sur les flots généralisés d’équations différentielles ordinaires. En collaboration
avec M. Hauray et C. Le Bris. C.R. Acad. Sci. Paris. 344 (2007), p. 759-764.
— Global existence of weak solutions to some micro-macro models. En collaboration avec
N. Masmoudi. C.R. Acad. Sci. Paris, 345 (2007), p. 15-20.
— A discussion about the homogenization of moving interfaces. En collaboration avec
P. Cardialaguet et P.E. Souganidis.
— Préface du numéro spécial de ESAIM M2AN sur la Modélisation Moléculaire, 41 (2007).
— Atomistic to continuum limits for computational materials science. En collaboration avec
X. Blanc et C. Le Bris. ESAIM M2AN, 41 (2007), p. 391-426.
— Stochastic homogenization and random lattices. En collaboration avec X. Blanc et
C. Le Bris.
— Convexity and non-convexity of option prices for SABR models. En collaboration avec
M. Musiela.
— Trois chapitres du Lecture Notes in Maths. # 1919, Paris-Princeton Lectures In Mathematical
Finance 2004, En collaboration avec J.-M. Lasry. Springer, Berlin, (2007), p. 103-172.
— Résumé du Cours au Collège de France (2006-2007) : Jeux à champ moyen.
— Existence and uniqueness of solutions to Fokker-Planck type equations with irregular
coefficients. En collaboration avec C. Le Bris. Comm. P.D.E., 33 (2008),
p. 1272-1317.
— Molecular simulation and related topics : some open mathematical problems. Non-linearity,
21 (2008).
— Préface de Finance and Sustainable Developement, Economica, Paris, 2008. En
collaboration avec P.-A. Chiappori et J.-M. Lasry.
ÉQUATIONS AUX DÉRIVÉES PARTIELLES ET APPLICATIONS 103

Missions, Invitations, Conférences

— Conférence au Colloque « Geometric Function Theory and Nonlinear Analysis », on


the occasion of the 60th birthday of Tadeusz Iwaniec, Ischia, Naples (11-14 octobre
2007).
— Conférence à l’Académie des Sciences d’Autriche : Johann Radon Lectures, Vienne
(17 octobre 2007).
— Conférence dans un lycée dans le cadre de la « Junior Academy », Vienne, (18 octobre
2007).
— Conférence pour l’élection à l’Académie des Sciences d’Argentine, « Analyses, modèles
et simulations », Rosario (26 octobre 2007).
— Cours (8 h) à l’Université du Texas à Austin (13-26 janvier 2008).
— Conférences du Collège de France à Tunis « L’homme artificiel », Bibliothèque Nationale
(4 février 2008).
— Conférence publique à l’Académie des Sciences, Tunis (5 février 2008).
— Cours (8 h) à l’Université du Texas à Austin (10-21 février 2008).
— Cours (2 h) à l’Université de La Havane (28 février 2008).
— Conférence au Congrès « 8th International Conference on Operations Research »,
La Havane, Cuba (28 février 2008).
— Cours (6 h) dans le cadre du « Collège de France à Bruxelles », Bruxelles (15-16 avril
2008, 21-22 avril 2008).
— Cours (4 h) à l’École d’Été, « Topics in PDE and applications 2008 », Grenade (7-9 avril
2008).
— Conférence « Magna », Académie des Sciences du Brésil, Rio de Janeiro (6 mai 2008).
— Conférence COPEA, UFRJ, Rio de Janeiro (8 mai 2008).
— Conférence au Colloque « Chicago-Paris Workshop in Financial Mathematics », Château
de la Princesse, Mello (27 juin 2008).

Responsabilités collectives et fonctions diverses

— Membre de l’Académie des Sciences ; de l’Académie des Technologies ; de l’Académie


des Sciences d’Italie, d’Argentine et du Brésil ; de l’Istituto Lombardo.
— Professeur à temps partiel à l’École Polytechnique.
— Président du Conseil Scientifique de l’ENS puis Membre du Conseil d’Administration
de l’ENS.
— Président du Conseil Scientifique du CEA-DAM.
— Président du Conseil Scientifique d’EDF.
— Président du Conseil Scientifique de France Telecom.
— Président du Conseil Scientifique de la Fondation de Recherche pour l’Aéronautique et
l’Espace.
— Président du Conseil Scientifique de la Chaire de Finance et Développement Durable
de l’Université Paris-Dauphine.
— Président du Conseil Scientifique de ParisTech.
— Président du jury du prix « Science et Défense ».
— Membre du Haut Conseil de la Science et de la Technologie.
— Membre du Visiting Committee du CEA.
104 PIERRELOUIS LIONS

— Membre du Conseil Scientifique de l’Institut Europlace de Finance.


— Membre du Scientific Advisory Panel de l’European Mathematical Society.
— Membre fondateur du Comité International de l’« International Summer School of
Applied Mathematics », Morningside Institute, Chinese Academy of Sciences.
— Membre du Comité des Programmes Scientifiques du CNES.
— Membre de l’International Advisory Board de l’Institute of Mathematical Sciences de
l’Imperial College.
— Membre du Conseil Scientifique de la Fondation du Risque.
— Membre du Board of Trustees et du Conseil Scientifique de l’IMDEA (Madrid).
— Membre du Conseil d’Administration et du Conseil Scientifique de la Fondation
Sciences Mathématiques de Paris.
— Membre du Conseil d’Administration de la Fondation d’Entreprise IXIS.
— Membre du Comité d’Orientation de l’ENS.
— Membre de la Société des Amis du Palais de la Découverte.
— Membre de l’International Advisory Board of the Scuola di Dottorato in Scienze
Astronomiche, Chimiche, Fisiche e Mathematiche « Vito Volterra ».
— Administrateur de Sark et Channel Bridge.
— Conseiller Scientifique auprès de BNP PARIBAS, CALYON, EADS-ST, REECH.
Théorie des nombres

M. Don Zagier, professeur

Cours : Fonctions de Green et valeurs spéciales de fonctions L

Le thème du cours de cette année était le lien entre les valeurs spéciales des
fonctions L motiviques (et de leurs dérivées) d’un côté et les invariants algébro-
géométriques des objets auxquels ces fonctions sont liées de l’autre. Les invariants
en question, du type « régulateur généralisé », se calculent à l’aide de fonctions
spéciales telles que les fonctions logarithme ou polylogarithme dans les situations
les plus simples et des fonctions de Green dans des situations plus générales.

Travaux d’Euler
L’année 2007 ayant été le 300e anniversaire de la naissance d’Euler, le cours a
commencé par un aperçu historique des travaux d’Euler sur les fonctions zêta.
Cette partie ne sera pas reproduite ici, sauf pour rappeler qu’Euler, dans ses travaux
datés de 1734 et 1749, a trouvé :
• la définition de la fonction zêta dite « de Riemann » comme somme infinie,

1
ζ( s ) = ∑ ns ;
n=1
• la décomposition multiplicative de cette fonction comme produit portant sur
les nombres premiers,
1
ζ( s ) = ∏
−s ;
p premier 1 − p
• les formules
π2 π4 π6
ζ(2 ) = , ζ( 4 ) = , ζ(6 ) = , …
6 90 945
106 DON ZAGIER

et plus généralement
B
ζ(k ) = − k (2i π ) k (k > 0 pair, Bk = k-ième nombre de Bernoulli) (1)
2k
pour les valeurs de ζ (s) pour s un entier pair strictement positif ;
• l’extension de ζ (s) à des valeurs de s inférieures à 1 ;
• les formules
1 1 1
ζ(0) = − , ζ(−1) = − , ζ(−2 ) = 0, ζ(−3) = , ζ(−4 ) = 0, …
2 12 120

et plus généralement
B
ζ(1 − k ) = (−1) k −1 k (k > 0, Bk = k-ième nombre de Bernoulli) (2)
k
pour les valeurs de ζ (s) pour s un entier négatif ;
• l’équation fonctionnelle (sans démonstration)
πs Γ( s )
ζ(1 − s ) = 2 cos( ) ζ( s )
2 (2 π ) s
de la fonction ζ (s) pour s réel, avec des arguments théoriques et des vérifications
numériques à haute précision pour appuyer cette conjecture ;
• la définition de la série L « de Dirichlet »

χ(n ) 1 1
L( s , χ ) = ∑ = 1− + −…
n=1 ns 3s 5s

pour le caractère χ (n) = (– 4/n) et les généralisations de toutes les propriétés ci-
dessus (produit d’Euler, prolongement à s < 1, valeurs spéciales pour s = 1, 3, 5, 7, ...
et pour s ∈ ⺪≤ 0, énoncé de l’équation fonctionnelle) pour cette fonction.
En d’autres mots, Euler a trouvé toutes les propriétés essentielles de la fonction
zêta connues actuellement sauf la preuve de l’équation fonctionnelle et l’énoncé de
l’hypothèse de Riemann, donnés tous les deux par Riemann dans son mémoire
célèbre de 1859.

Fonctions zêta motiviques


La liste des propriétés de ζ (s) trouvées par Euler peut nous servir encore
aujourd’hui comme guide dans l’étude des fonctions zêta et fonctions L qui nous
intéressent en théorie des nombres. Une telle fonction est toujours donnée par une

série de Dirichlet du type L( s ) = L X ( s ) = ∑ a(n ) / n s où les an sont des entiers
n=1
(ou des entiers algébriques) liés aux propriétés d’un certain objet algébrique ou
THÉORIE DES NOMBRES 107

géométrique X (qui peut être un corps de nombres, une représentation galoisienne,


une variété algébrique sur un corps de nombres,
 une forme automorphe, etc.) ; elle
a un produit d’Euler de la forme LX (s) = p φp ( p–s), où φp (t) est une fonction
rationnelle dont les coefficients sont liés aux propriétés p-adiques de X ; elle a une
équation fonctionnelle du type
L X ( s ) := γ ( s ) L X ( s ) = ± L X (k − s ) (3)
(où quelquefois L X ( s ) = w L X *(k − s ) avec |w| = 1, où X* est un objet algébrique/
géométrique « dual » à X ) pour un certain entier k > 0, où γ (s) est une fonction
de la forme
s + α1 s +αd
γ ( s ) = A s Γ( ) … Γ( ) ( A ∈ >0 , α 1, …, α d ∈ ) (4)
2 2
liée aux propriétés de X sur le corps ⺢ ou ⺓ ; et il y a des formules spéciales qui
donnent les valeurs de LX (s) pour certaines valeurs intégrales de l’argument s. Plus
précisément, dans les cas les plus intéressants, la fonction LX (s) est une fonction
dont on sait ou dont on conjecture qu’elle est entière (ou ne possède qu’un nombre
fini de pôles, comme le pôle en s = 1 de ζ (s)) ; les fonctions φp (t) intervenant dans
le produit d’Euler ont la forme 1/Pp (t) où Pp (t) est un polynôme de degré d pour
presque tout nombre premier p (et < d pour les autres), avec le même entier d que
dans (4) ; les racines du polynôme Pp (t) (pour les p pour lesquels le degré est égal
à d ) et tous leurs conjugués algébriques ont la valeur absolue p–(k–1)/2, avec le même
entier k que dans (3) (hypothèse de Riemann locale) ; et on conjecture que toutes
les racines de la fonction L X ( s ) se trouvent sur la droite ᑬ (s) = k/2, toujours avec
le même k (hypothèse de Riemann globale).
Regardons quelques exemples avant de continuer.
1. Fonction zêta de Riemann, ζ (s). Ici on a a (n) = 1 pour tout n, la fonction
φp (t) est égale à 1/(1 – t) pour tout p, et on a l’équation fonctionnelle (3) avec
k = 1, signe +, et γ (s) = π –s/2 Γ (s/2).
2. Fonctions L de Dirichlet, L (s, χ). Ici on a a (n) = χ (n), où χ : ⺪ → ⺓ est un
caractère de Dirichlet, la fonction φp (t) est égale à 1/(1 – χ (p)t), et on a une
équation fonctionnelle du type (3) avec k = 1, signe +, et γ (s) comme dans (4) avec
d = 1 et α1 = 0 ou 1 selon la valeur de χ (– 1).
3. Fonctions zêta de Dedekind, ζF (s). Dans ce cas le nombre a (n) ∈ ⺪≥0 compte
le nombre des idéaux entiers de norme n dans un corps de nombre fixé F ; l’entier k
dans l’équation fonctionnelle (3) est égal à 1, l’entier d défini par (4) ou par le
degré des facteurs d’Euler de la fonction zêta est égal au degré [F : ⺡], et les αj
dans (4) sont égaux à 0 ou à 1, le nombre de chaque type étant déterminé par le
nombre de plongements réels de F dans ⺓.
4. Fonctions L d’Artin, L (s, ρ). Ces fonctions, qui généralisent les trois
précédentes, sont attachées à une représentation irréductible ρ du groupe de Galois
d’une extension galoisienne F/⺡. Ici encore on a k = 1, tandis que le nombre d
108 DON ZAGIER

(défini soit par le nombre de fonctions gamma intervenant dans le facteur gamma
de l’équation fonctionnelle, soit par le degré des facteurs d’Euler typiques de la
fonction L) est égal au degré de la représentation ρ.
Tous ces exemples sont liés aux corps de nombres ou aux « motifs de dimension 0 »
et ont k = 1 (c’est-à-dire que l’équation fonctionnelle relie les valeurs s et 1 – s de
l’argument de la fonction zêta, que les racines des polynômes Pp (t) ont toutes la
valeur absolue 1, et que l’hypothèse de Riemann généralisée prédit ℜ( s ) = 12 pour
les racines de la fonction zêta dont il s’agit). Ça ne sera plus le cas dans les exemples
venant de la géométrie. En voici quelques-uns.
5. Fonction L d’une
 courbe elliptique, L (E, s). Pour une courbe elliptique E/⺡ on
définit L (E, s) = Pp ( p–s)–1, où Pp (t) = 1 – a ( p)t + pt2 avec a ( p) = p + 1 – |E (⺖p)|
pour presque tout p. On n’a aucune définition directe de ces fonctions comme séries
de Dirichlet (et c’est l’une des raisons principales pour la difficulté de démontrer
leurs propriétés essentielles telles que le prolongement analytique ou l’équation
fonctionnelle). L’hypothèse de Riemann locale, avec k = d = 2, est l’inégalité connue,
mais non-triviale, | a( p ) | ≤ 2 p . Le prolongement analytique de L (E, s) et
l’équation fonctionnelle, avec k = 2, d = 2, α1 = 0 et α2 = 1, sont également connus,
mais extrêmement difficiles (théorème de Wiles et al.).
6. Fonction L d’une courbe, L (C, s). La définition de la fonction L dans ce cas
est analogue au cas des courbes elliptiques, sauf que les polynômes Pp (t) pour p
générique ont le degré d = 2g, où g est le genre de la courbe C définie sur ⺡.
L’hypothèse de Riemann locale est connue encore dans ce cas, mais le prolongement
analytique et l’équation fonctionnelle restent conjecturales sauf pour certains cas
particuliers comme les courbes modulaires.
7. Fonctions L associées à la cohomologie d’une variété. Dans cet exemple, qui
généralise les deux précédents, on associe au groupe i-ième de cohomologie d’une
variété X définie sur ⺡ une fonction L donnée par un produit eulerien dans lequel
Pp (t) est un polynôme de degré d = dim H i (X ) (i-ième nombre de Betti) et qui
satisfait à l’hypothèse de Riemann locale avec k = i + 1 (conjecture de Weil,
démontrée par Deligne). Bien sûr, on n’a aucune démonstration du prolongement
analytique ou de l’équation fonctionnelle en général.
Enfin, il y a les fonctions L attachées aux formes automorphes (mais qui seront,
d’après le programme de Langlands, identiques avec les fonctions du type 7. dans
beaucoup de cas). On en mentionne deux.

8. Fonction L de Hecke d’une forme modulaire, L ( f , s). Si f ( z ) = ∑ a(n )e 2i πnz
n=0
est une forme modulaire sur Γ0 (N ), propre pour les opérateurs 
de Hecke et
normalisée par a(1) = 1, alors la série de Dirichlet L (f, s) = n >0 a (n)n–s a un
produit d’Euler Pp (p–s)–1 avec Pp (t) = 1 – a (p)t + pk–1t 2 pour p  N et possède
un prolongement analytique (entière si f est parabolique, et avec un seul pôle en
s = k sinon) et équation fonctionnelle du type (3) avec d = 2, α1 = 0, α2 = 1. Les
THÉORIE DES NOMBRES 109

résultats d’Eichler et Shimura (pour k = 2) et Deligne (en général) implique que


cette fonction est du type 7. et donc que l’hypothèse de Riemann locale
|a (p)| ≤ 2p(k–1)/2 (hypothèse de Ramanujan) est vérifiée.
9. Fonction L du carré symétrique d’une forme modulaire, L (Sym2 f, s). Pour f
comme
 ci-dessus, cette fonction L est donnée par un produit eulerien du type
Pp (p–s)–1 avec Pp (t) = (1 – pk–1t) (1 – (a (p)2 – 2pk–1) t + p2k–2t2) pour p  N.
Son prolongement méromorphe a été démontré par Rankin et Selberg et son
prolongement holomorphe (pour f parabolique) par Shimura et l’auteur. On a une
équation fonctionnelle du type (3) (avec k remplacé par 2k – 1) et facteur gamma
donné par (4) avec d = 3. Des propriétés semblables sont conjecturées, et démontrées
dans certains cas, pour les fonctions L associées aux produits symétriques de degré
supérieur de f.

Valeurs spéciales

Les valeurs spéciales (1) et (2) de ζ (s) données par Euler ont une vaste généralisation
conjecturale due à Deligne. Supposons donnée une fonction L motivique, avec
équation fonctionnelle donnée par (3) et (4). On appelle critique une valeur entière
s0 de l’argument s telle que ni s0 ni k – s0 sont des pôles du facteur gamma γ (s). Alors
la valeur de L (s0), sera conjecturalement un multiple algébrique d’une certaine

période (= intégrale d’une forme différentielle définie sur sur un cycle fermé).
Plus généralement, d’après des conjectures dues à Bloch, Beilinson et Scholl, si s0 est
un entier quelconque et on note par r l’ordre de L ( s ) en s = s0 (ou s = k – s0), alors la
valeur de la dérivée r-ième de L ( s ) en s = s0 (ou s = k – s0) sera le produit d’une
période et d’un « régulateur » défini comme le déterminant d’une certaine matrice
réelle de taille r × r. Ces conjectures contiennent comme cas spéciaux des conjectures
classiques célèbres telle que la conjecture de Stark, où L (s) est du type 4. ci-dessus,
s0 = 0, et les éléments de la matrice qui définit le régulateur sont des logarithmes
d’unités algébriques, ou la conjecture de Birch et Swinnerton-Dyer, dans laquelle
L (s) est la fonction L d’une courbe elliptique E sur ⺡, s0 = 1, r est conjecturalement
égal au rang du groupe de Mordell-Weil de E, et les éléments de la matrice qui
définit le régulateur sont donnés par les hauteurs des points rationnels sur E. Une
autre généralisation de la conjecture de Deligne est l’énoncé que si l’argument central
s0 = k/2 est critique, alors la valeur de la série L en s0, divisée par une période
correctement normalisée, sera un carré dans son corps de définition naturel. C’est le
cas, par exemple, dans la conjecture de Birch et Swinnerton-Dyer (où la valeur
centrale normalisée est égale à l’ordre du groupe de Shafarevich-Tate, qui est toujours
un carré) et pour les valeurs centrales des séries L associées aux caractères de Hecke,
qui, correctement normalisées, sont toujours des carrés (théorème de Villegas et
l’auteur ; voir le résumé de cours de 2001-2002).
De nombreux exemples spéciaux de ces conjectures ont été discutés dans le
cours. Nous en reprenons quelques-uns ici.
110 DON ZAGIER

Le régulateur dans la conjecture de Birch et Swinnerton-Dyer


Soit E/⺡ une courbe elliptique avec groupe de Mordell-Weil de rang r, avec
générateurs (modulo torsion) P1, ..., Pr . La conjecture de Birch et Swinnerton-
Dyer prédit que la série L de E aura un zéro d’ordre exactement r en s = 1 (ce que
l’on sait dans certains cas) et que la dérivée L(r) (E, 1) sera, à un facteur élémentaire
près, égale au produit de la période réelle ΩE de E et du régulateur R = det (〈Pi,
Pj〉i,j =1,...,r), où 〈⋅, ⋅〉 est l’accouplement canonique sur E (⺡) ⊗ ⺢. Un cas particulier
d’un résultat de Scholl, qui a été explicité dans un article de M. Kontsevich et
l’auteur il y a quelques années et présenté dans le cours, dit que le produit ΩER
s’écrit lui-même comme le déterminant d’une matrice, cette fois de taille
(r + 1) × (r + 1), dont les coefficients sont des périodes « mixtes » de la courbe. La
grande question, encore non résolue, serait alors de démontrer que la valeur
L(r) (E, 1) aussi s’exprime en termes des périodes des formes algébriques ; si c’était
le cas, des conjectures générales sur les périodes nous permettraient d’espérer
pouvoir démontrer l’égalité voulue, au moins dans des cas concrets. (Pour l’instant
la conjecture de Birch et Swinnerton-Dyer n’est vérifiée que numériquement dans
aucun cas avec r > 1.)

Valeurs des fonctions zêta de Dedekind et polylogarithmes


Il s’agit ici des conjectures énoncées il y a quelques années par l’auteur, et
démontrées dans certains cas par Deligne, Beilinson et Goncharov, d’après
lesquelles les valeurs en s = m de la fonction zêta de Dedekind ζF (s) d’un corps de
nombres F quelconque, et pour un entier m > 1 quelconque, s’exprimeraient
comme le déterminant d’une matrice ayant comme coefficients des combinaisons
linéaires rationnelles des valeurs de la m-ième fonction polylogarithme Dm
(convenablement définie) avec arguments dans F. L’espace vectoriel sous-jacent à
cette matrice est le « m-ième groupe de Bloch » et devrait être isomorphe au
K-groupe algébrique K2m–1 (F ) ⊗ ⺡. Cette conjecture, qui est appuyée par
beaucoup de calculs numériques et arguments théoriques, est dans un certain sens
typique de la situation générale. On a expliqué aussi comment on peut retrouver
les fonctions Dm (x) comme des fonctions de Green associées au quotient du demi-
plan de Poincaré modulo le groupe des translations par des entiers, avec la métrique
hyperbolique.

Fonctions L des courbes sur ⺡ en s = 2


Si E est une courbe elliptique, des idées et résultats de Bloch et de Beilinson
impliquent que la valeur non-critique L (E, 2) peut s’exprimer comme un multiple
simple d’une combinaison linéaire, à coefficients dans ⺡, de la fonction dilogarithme
elliptique associée à E, évaluée dans des points algébriques de E. (Si on écrit E (⺓)
comme ⺓*/q ⺪ pour un nombre complexe q avec |q| < 1, la fonction dilogarithme
elliptique dont il s’agit est définie comme la somme sur une orbite de q ⺪ de la
THÉORIE DES NOMBRES 111

fonction dilogarithme modifiée qui intervient dans le calcul des valeurs des
fonctions zêta de Dedekind en s = 2.) Une description précise des combinaisons
linéaires permises a été donnée il y a quelques années par l’auteur (avec des
corrections dues à Schappacher et Rolshausen dans certains cas) et présentée dans
le cours. Si on remplace E par une courbe C/⺡ de genre g > 1, les conjectures
générales impliquent toujours une expression pour L (C, 2) en termes d’un certain
régulateur dont les coefficients sont des intégrales sur la courbe, mais ne sont plus
donnés en termes d’une fonction explicite comme le dilogarithme elliptique. Le
groupe sur lequel ces intégrales doivent être évaluées est le K-groupe algébrique
K2 (C/⺪). Ce cas, qui a été étudié et vérifié numériquement dans beaucoup de cas
(tous hyperelliptiques, de genre allant jusqu’à 6) dans un article récent de R. de
Jeu, T. Dokchitser et l’auteur, a été discuté en détail. Le problème de construire
des éléments non-triviaux du K-groupe K2 (C ) dans ces cas mène à des problèmes
élémentaires en théorie des nombres où il s’agit de trouver des polynômes f définis
sur ⺡ pour lesquels f (x)2 – f (0)2 se factorise en autant de facteurs rationnels que
possible, un exemple typique étant la décomposition (x6 + 2x5 – 787x4 – 188x3
+ 150012x 2 – 149040x – 3326400) 2 – 3326400 2 = (x – 22) (x – 20) (x – 18)
(x – 12) (x – 10) (x – 1)x (x + 7) (x + 15) (x + 18) (x + 23) (x + 24).

Valeurs des fonctions de Green modulaires

Dans des travaux joints avec B. Gross il y a un certain nombre d’années, un lien
a été établi entre les dérivées centrales L′ (f, k/2) des séries L des formes modulaires
(propres pour les opérateurs de Hecke) de poids pair k et des valeurs de certaines
fonctions de Green modulaires associées aux quotients du demi-plan de Poincaré
par un groupe fuchsien, avec la métrique hyperbolique. Ces résultats dans le cas
k = 2 avaient des conséquences pour la conjecture de Birch et Swinnerton-Dyer,
mais aussi (dans le même cas) pour l’étude arithmétique des valeurs de la fonction
modulaire j (z) dans des points z à multiplication complexe. Pour k > 2, ils ont
mené à une conjecture d’après laquelle les valeurs de ces fonctions de Green dans
les arguments à multiplication complexe seraient dans certains cas les logarithmes
de nombres algébriques. Un nombre de résultats obtenus par l’auteur dans l’entre-
temps, et des résultats très récents de A. Mellit qui démontrent l’algébricité prédite
dans certains cas (notamment quand k = 4, le groupe modulaire en question est
SL (2, ⺪), et l’un des arguments de la fonction de Green est −1) ont été présentés
dans le cours, mais sont trop techniques pour être repris ici. Un aspect intéressant
est le lien entre les fonctions de Green qui interviennent ici et les fonctions
polylogarithmes qui interviennent dans les conjectures concernant les valeurs
spéciales des fonctions zêta de Dedekind. Les conjectures et résultats peuvent
s’interpréter aussi comme des énoncés sur les valeurs spéciales de certaines fonctions
qui satisfont à une équation différentielle à coefficients rationnels ou algébriques.
112 DON ZAGIER

Cours à l’École Normale Supérieure : « Bouillon Mathématique »

Dans le cours « Bouillon » de cette année on a présenté des méthodes explicites


qui permettent de résoudre des diverses types de problèmes asymptotiques tels que :
1. Quel est le comportement asymptotique quand x tend vers 0 d’une série

lentement convergente de la forme ∑ f (nx ) , où f (x) est une fonction dont
n=1
le comportement pour x petit est connu ?
2. Comment trouve-t-on une formule asymptotique précise pour des nombres
an (par exemple, an pourrait être le nombre de partitions de n) dont on connaît

« explicitement » la fonction génératrice ∑ an x n ?
n=0
3. Si on a une suite de nombres An (par exemple, An pourrait être le nombre
de courbes algébriques de degré n passant par 3n – 1 points génériques dans le
plan, pour lequel Kontsevich a trouvé une récurrence non-linéaire) dont on
conjecture qu’ils ont un comportement asymptotique de la forme
An ∼ nαe An (C0 + C1n–1 + C2n–2 + …), comment peut-on trouver les premiers
coefficients A, α, C0, C1, C2, … à haute précision à partir d’un nombre limité (par
exemple, A1, …, A500) des An ?

4. Comment calculerait-on la valeur de la fonction S ( x ) = ∑ n=1 sin( x / n ) / n
de Hardy-Littlewood pour, disons, x = 1060 à 100 chiffres près ?
De tels problèmes se posent partout en mathématiques et en physique
mathématique mais les méthodes pour les résoudre de façon efficace ne sont en
général pas très bien connues.

Conférences invitées

Bordeaux, octobre 2007 : Quantum modular forms. Conférence à l’occasion du 60e anni-
versaire d’Henri Cohen, Université de Bordeaux I.
Bonn, Allemagne, octobre 2007 : Verknotete Modulformen. Conférence à l’occasion du
80e anniversaire de Friedrich Hirzebruch, Universität Bonn.
Banff, Canada, octobre 2007 : Modularity and three-manifolds. Conférence sur « Low-
dimensional Topology and Number Theory », Banff International Research Station.
Paris, novembre 2007 : Les « mock theta functions » de Ramanujan (d’après Zwegers et
Bringmann-Ono). Séminaire Bourbaki, Institut Henri Poincaré.
Lille, décembre 2007 : Les fausses formes modulaires. Colloque, Université de Lille I.
Bonn, Allemagne, janvier 2008 : The Riemann zeta function and the Selberg zeta function
as determinants. Workshop « Random matrices and number theory », Hausdorff Mathematics
Institute.
Bonn, Allemagne, janvier 2008 : Gaussian periods and finite projective planes. Number
Theory Seminar, Max-Planck-Institut für Mathematik.
Bonn, Allemagne, janvier et février 2008 : Asymptotic methods (deux conférences).
Conférences pour membres de l’école doctorale « IMPRS », Max-Planck-Institut für
Mathematik.
THÉORIE DES NOMBRES 113

Paderborn, Allemagne, janvier 2008 : Warum ich von Primzahlen träume. Conférence
populaire dans le cadre du programme « Zahlen, bitte! », Nixdorf-Zentrum.
Bonn, Allemagne, février 2008 : Spectral decomposition and the Rankin-Selberg method.
Second Japanese-German number theory workshop.
Amsterdam, Pays-Bas, février 2008 : Mock theta functions and their applications.
Colloquium, Universiteit Amsterdam.
Utrecht, Pays-Bas, février 2008 : Finite projective planes, Fermat curves, and Gaussian
periods. Colloquium Universiteit Utrecht.
Amsterdam, Pays-Bas, février 2008 : Modular Green’s functions. Intercity number theory
seminar « L-functions and friends ».
Dublin, Irlande, avril 2008 : Gaussian periods and finite projective planes. Colloquium,
University College Dublin et Trinity College.
Dublin, Irlande, avril 2008 : The amazing five-term relation. Conférence populaire,
Trinity College.
Dublin, Irlande, avril 2008 : Modular forms and not-so-modular forms in mathematics and
physics. Workshop on Gauge Theory, Moduli spaces and Representation Theory, Trinity
College.
Vienne, Autriche, avril 2008 : Quantum ideas in number theory and vice versa. Conférence
plénière à l’occasion du 15e anniversaire de l’Institut Ernst Schrödinger.
Baton Rouge, Louisiana, États-Unis, avril 2008 : The « q » of « quantum » (trois
conférences). Porcelli Lectures 2008, Louisiana State University.
Austin, Texas, États-Unis, avril 2008 : Mock modular forms. Number theory seminar,
University of Texas.
Bonn, Allemagne, mai 2008 : Diophant und die diophantischen Gleichungen. Conférence
pour lycéens, Max-Planck-Institut für Mathematik.
Bar-Ilan, Israël, mai 2008 : Differential equations and curves on Hilbert modular surfaces.
Conférence « Hirz80 » en l’honneur du 80e anniversaire de Friedrich Hirzebruch, Université
de Bar-Ilan.
Haifa, Israël, mai 2008 : The mysterious mock theta functions of Ramanujan. Colloquium,
University of Haifa.
Bonn, Allemagne, juin 2008 : Das Geheimleben der Zahlen. Conférence d’intérêt général
dans le cadre du programme « Mathe für alle—Vorlesungen im Freien ».
Bielefeld, Allemagne, juin 2008 : On the conjecture of Birch and Swinnerton-Dyer.
Conférence générale dans la série « Jahrtausendprobleme der Mathematik ».
Bonn, Allemagne, juin et juillet 2008 : Periods of modular forms (trois conférences).
Conférences pour membres de l’école doctorale « IMPRS », Max-Planck-Institut für
Mathematik.
Bonn, Allemagne, juillet 2008 : Von Zahlentheorie zu Knotentheorie zu Quantentheorie.
Conférence populaire, « Nacht der offenen Tür » du Max-Planck-Institut für Mathematik.
Bayreuth, Allemagne, juillet 2008 : Diophantische Gleichungen: 2000 Jahre alt und noch
nicht gelöst. Conférence spéciale dans le cadre du Tag der Mathematik de l’Université de
Bayreuth.
Bonn, Allemagne, juillet 2008 : Mock theta functions, indefinite theta series and wall-
crossing formulas. Workshop on Mirror Symmetry, Hausdorff Institute for Mathematics.
Bonn, Allemagne, juillet 2008 : Teichmüller curves and modular forms. Workshop on
Codes, Invariants and Modular Forms, Max-Planck-Institut für Mathematik.
114 DON ZAGIER

Tokyo, Japon, août 2008 : q-series and modularity. Algebra Colloquium, Tokyo
University.
Tokyo, Japon, août 2008 : The mathematics of and around Seki Takakazu as seen through
the eyes of a contemporary mathematician. International Conference on History of Mathematics
in Memory of Seki Takakazu, Tokyo University of Science.

Autres Missions et Activités

Bonn, Allemagne, février 2008 : Entretien enregistré avec Deutschlandfunk, diffusé le


12 mai 2008.
Bonn, Allemagne, mars 2008 : Entretien enregistré avec WDR, diffusé le 29 avril
2008.
Bar-Ilan, Israël, mai 2008 : Beirat (comité scientifique), Emmy Noether Institute.
Utrecht, Pays-Bas, mai 2009 : Membre du jury, thèse de Oliver Lorscheid (« Toroidal
automorphic forms for function fields »), Universiteit Utrecht.
Bonn, Allemagne, juin 2008 : Rapporteur et membre du jury pour la thèse de mon
étudiant Anton Mellit (« Higher Green’s functions for modular forms »), Universität
Bonn.
Berlin, Allemagne, juin 2008 : « Mathematik im Gespräch », discussion publique avec
R. Taschner, Akademientag, Deutsche Union der Akademien der Wissenschaften.
Paris, juin 2008 : Rapporteur et membre du jury, thèse de Sarah Carr (« Multizeta
values : Lie algebras and periods on ᑧ0,n »), Université de Paris 6.

Publications et Prépublications

(avec L. Weng) Deligne products of line bundles over moduli spaces of curves. Commun.
in Math. Phys. 281 (2008), no 3, 793-803.
Evaluation of S (m, n). Appendice à « Low energy expansion of the four-particle genus-
one amplitude in type II superstring theory » par M. Green, J. Russo et P. Vanhove,
JHEP 02 (2008), 020, pp. 33-34.
Integral solutions of Apéry-like recurrence equations. A paraître dans Groups and
Symmetries : From the Neolithic Scots to John McKay, CRM Proceedings and Lecture Notes
of the American Mathematical Society, 47 (2008), Centre de Recherches Mathématiques,
18 pages.
Ramanujan’s mock theta functions and their applications (d’après Zwegers and
Bringmann-Ono). Séminaire Bourbaki, 60e année, 2006-2007, no 986, à paraître dans
Astérisque, 20 pages.
(avec A. Zinger) Some properties of hypergeometric series associated with mirror
symmetry. Dans Modular Forms and String Duality, Fields Institute Communications 54
(2008), pp. 163-177.
Exact and asymptotic formulas for vn. Appendice à « Sequences of enumerative geometry :
congruences and asymptotics » par D. Grünberg et P. Moree, pp. 21-24, à paraître dans
Experimental Mathematics.
Physique quantique

M. Serge Haroche, membre de l’Institut


(Académie des Sciences), professeur

Le cours de l’année 2007-2008

Le cours donné au Collège de France, de janvier à mars 2008, était intitulé


« Mesures quantiques non destructives ». Il a analysé les propriétés fondamentales
de la mesure en physique quantique et ses relations avec les concepts de
complémentarité, d’intrication et de décohérence. Il s’est ensuite focalisé sur
l’analyse des mesures non destructives (Quantum Non-Demolition ou QND en
anglais). Celles-ci projettent le système mesuré dans un des états propres de
l’observable mesurée et peuvent être répétées un grand nombre de fois, en redonnant
le même résultat tant que le système n’est pas perturbé. Cette propriété les rend
potentiellement utiles à la détection ultra-sensible de faibles perturbations. L’histoire
des mesures QND de la lumière a été rappelée et les expériences récentes
d’électrodynamique quantique en cavité qui ont permis la détection non destructive
de photons uniques ont été décrites. Ces expériences sont réalisées sur des champs
de quelques photons piégés pendant une fraction de seconde dans une cavité de
très grand facteur de qualité. Elles constituent une nouvelle façon de « voir » la
lumière en suivant en temps réel les trajectoires stochastiques du nombre de
photons et en enregistrant les sauts quantiques associés à la perte ou à la création
d’un seul quantum. Ces mesures QND permettent la reconstruction complète de
l’état quantique du champ dans la cavité, ouvrant la voie à l’étude détaillée des
états de type « chat de Schrödinger », superpositions cohérentes d’états photoniques
de phase ou d’amplitudes différentes. Chaque leçon était accompagnée d’une
présentation par ordinateur consultable dès le jour du cours sur le site internet du
Collège de France et de l’Ecole normale supérieure ou, plus directement, à l’adresse
internet www.cqed.org.

Un tiers de l’enseignement de la chaire a par ailleurs été donné à Chicago, à


l’invitation de l’université de cette ville. Un des cours a été présenté dans le cadre
des Colloquiums du département de physique de l’université et les autres donnés
116 SERGE HAROCHE

aux étudiants et post-docs dans le domaine de la physique atomique et de l’optique


quantique. Dans ces présentations, j’ai décrit les mesures non-destructives de
lumière réalisées dans mon groupe de recherche à l’ENS (voir plus loin).
Le cours donné à Paris, réparti sur sept leçons, a traité les questions suivantes :
1. Mesures projectives en physique quantique.
2. Mesures généralisées et POVM (Positive Operator Valued Measures).
3. Généralités sur les mesures quantiques non-destructives (QND).
4. Expériences QND en électrodynamique quantique avec des atomes de
Rydberg.
5. Comptage QND de 0 ou 1 photon.
6. Comptage QND de N photons : projection progressive du champ.
7. Perspectives ouvertes par les mesures QND en électrodynamique quantique
en cavité.
La première leçon a commencé par rappeler de façon générale les propriétés
essentielles de la mesure d’un système microscopique en physique quantique. Par
« mesure » on comprend au sens large toute expérience qui extrait de l’information
d’un système quantique. Alors qu’en physique classique, le système étudié peut se
trouver dans un état indépendant de tout observateur et être mesuré sans
perturbation, en physique quantique une mesure est un processus plus complexe,
dans lequel l’état de l’objet mesuré est en général modifié. Le résultat de la mesure et
son effet sur le système sont décrits de façon statistique, la théorie ne pouvant que
déterminer la loi de probabilité du processus (« Dieu joue aux dés »). Les propriétés
de la mesure quantique entraînent des limitations (certaines mesures sont
incompatibles entre elles — cf. relations d’incertitude de Heisenberg) et des
impossibilités (par exemple théorème de « non-clonage » d’un état inconnu). Ces
caractéristiques, souvent décrites négativement, peuvent être exploitées de façon
positive pour réaliser des opérations impossibles en physique classique (cryptographie
et calcul quantiques).
Après ces rappels généraux, la leçon a abordé le problème plus spécifique de la
mesure quantique de la lumière. Le champ électromagnétique est un système central
en physique. L’essentiel de l’information qui nous provient du monde est véhiculé
par lui. Comprendre la mesure de la lumière dans la théorie quantique a toujours
préoccupé les physiciens, depuis Planck (1900), Einstein (1905) et les débuts de la
mécanique quantique moderne (expériences de pensée de Bohr, Einstein et
Schrödinger). La dualité de la lumière (onde et ensemble de photons à la fois) joue
un rôle fondamental dans cette théorie. L’optique quantique, née avec le laser en
1960, a reposé dans un contexte moderne les questions posées dans les années 1920.
La théorie de la mesure de la lumière, le comptage de photons, établie par R. Glauber
(1963), constitue le cadre d’analyse de toutes les expériences d’optique.
La mesure de la lumière implique son interaction avec un milieu matériel auquel
l’information véhiculée par le champ est transférée. Ce transfert s’effectue en général
PHYSIQUE QUANTIQUE 117

par absorption d’énergie (effet photo-électrique étudié par Einstein en 1905), si bien
que le champ est détruit par la mesure. Cette destruction est une limitation des
expériences d’optique non imposée par la physique quantique. Les physiciens se sont
demandés, depuis les années 1970, comment détecter les photons de façon non
absorptive, les laissant présents après la mesure. Un tel procédé dit QND (pour
Quantum Non-Demolition) ouvrirait la voie à de nombreuses applications.
Nous avons ensuite décrit différents modèles d’appareils réalisant une mesure
projective idéale. Nous avons en particulier analysé un modèle simple dans lequel
l’appareil de mesure est un moment angulaire, superposition symétrique de spins ½.
L’importance de la décohérence dans le processus de mesure a été soulignée. Les
incertitudes sur les mesures de variables conjuguées ont été rappelées, et la limite que
ces incertitudes imposent sur la précision des mesures a été discutée. Certains aspects
« paradoxaux » de la mesure ont été soulignés (effet Zenon). Enfin, les propriétés des
corrélations entre mesures effectuées sur des parties spatialement séparées d’un
système nous ont conduit à rappeler l’aspect non-local de la physique quantique.
Dans la deuxième leçon, nous avons décrit des mesures « généralisées » n’obéissant
pas aux critères restrictifs de la mesure projective idéale de von Neumann. Ces
mesures qui donnent une information plus ou moins partielle sur l’état d’un
système quantique correspondent souvent à des situations plus proches des
expériences réelles que les mesures projectives. Un cas particulier important de
mesure généralisée est défini par un ensemble d’opérateurs hermitiques positifs
formant un « POVM » (Positive Operator Valued Measure). Le lien entre mesures
généralisées, POVM et mesure projective a été rappelé et un certain nombre
d’exemples intéressants pour la suite ont été présentés.
Comme nous l’avions vu dans la première leçon, un modèle simple de processus
de mesure est réalisé par le couplage d’un système quantique S à un ensemble de
N spins ou « qubits » de mesure indépendants (constituant un moment angulaire
J = N/2). Nous avons montré que l’acquisition partielle d’information résultant du
couplage de S avec un seul qubit est un POVM et avons décrit comment
l’accumulation de mesures POVM résultant du couplage avec un ensemble de
qubits se transforme en mesure projective. Nous avons aussi montré que l’acquisition
d’information sur S résultant de la mesure POVM s’apparente à un processus
d’inférence bayesienne en théorie des probabilités. Nous avons conclu la leçon en
considérant un exemple curieux de mesure, dans lequel il semble que l’information
soit obtenue « sans que le système mesuré ait interagi avec l’appareil ». Le paradoxe
provient, comme dans d’autres cas du même genre, de l’utilisation indue de
concepts classiques pour décrire une situation quantique.
La troisième leçon a introduit les mesures QND du champ électromagnétique.
Le but en est de mesurer une observable du champ sans la perturber de façon à
pouvoir répéter la mesure et retrouver le même résultat dans une mesure ultérieure.
Il s’agit de la mesure projective d’une observable qui ne change pas entre deux
détections successives sous l’effet de l’évolution Hamiltonienne. L’énergie du
118 SERGE HAROCHE

champ et son nombre de photons sont des observables pouvant être mesurées de
façon QND, à condition d’éviter l’absorption de photons dans le détecteur. Nous
avons présenté quelques modèles simples de mesures QND, basées soit sur la
détection de la pression de radiation exercée sur un miroir (mesures opto-
mécaniques), soit sur l’effet Kerr croisé dans un milieu optique non linéaire. Nous
avons analysé l’effet en retour de la mesure sur la phase du champ, ce qui nous a
conduit à définir de façon rigoureuse un opérateur de phase. L’analyse s’appuie soit
sur une description des champs en terme de vecteurs d’états (ce qui est bien adapté
au cas où la mesure projette le champ sur un état de Fock), soit sur une discussion
en terme de bruit de photon, commode lorsque la mesure ne discrimine pas les
photons individuels et que le champ apparaît comme une variable continue
fluctuante. Les deux approches sont bien sûr équivalentes à la limite continue.
A partir de la quatrième leçon, nous avons abordé la description du comptage non
destructif de photons micro-ondes dans une cavité de très grand facteur de qualité.
Cette méthode QND, qui atteint la résolution des quanta de rayonnement, exploite
les concepts de l’Electrodynamique Quantique en Cavité (CQED), dont nous avons
commencé par rappeler les principes. Nous avons évoqué brièvement des expériences
de CQED faites dans le domaine optique pour les distinguer des études micro-onde
qui nous intéresseront plus particulièrement ici. La méthode QND de comptage
utilise pour détecter les photons les propriétés remarquables des atomes de Rydberg
dans des états circulaires couplés à une cavité micro-onde supraconductrice. Nous
avons consacré l’essentiel de la leçon aux atomes, et laissé la description de la cavité
pour la leçon suivante. Un aspect remarquable du principe de correspondance est
que les propriétés des états circulaires (dont tous les nombres quantiques sont grands)
peuvent se comprendre à partir d’une description quasi-classique, en n’introduisant
les concepts quantiques (quantification des orbites atomiques et du champ rayonné)
que de façon minimale, à l’image de la description de l’ancienne théorie des quanta
de Bohr. Nous avons décrit ainsi classiquement le rayonnement de ces états
circulaires, leur susceptibilité aux champs électriques et leur couplage à la cavité.
Nous avons enfin analysé les méthodes de préparation et de détection des atomes de
Rydberg circulaires et leur sélection en vitesse.
La cinquième leçon a été consacrée aux expériences d’électrodynamique en cavité
micro-onde détectant, sans les détruire, des photons uniques piégés. Les sondes du
champ sont des atomes de Rydberg traversant un à un la cavité C. Le champ laisse
une empreinte sur la phase d’une superposition d’états atomiques, préparée avant
l’entrée des atomes dans C par une première impulsion micro-onde R1 et analysée,
après C, par une seconde impulsion R2. L’ensemble R1-R2 est un interféromètre
de Ramsey. Le détecteur D mesure l’état final de l’atome. L’information fournie
par chaque atome est binaire, ce qui suffit pour discriminer entre 0 et 1 photon.
Le photon n’étant pas détruit, la mesure peut en principe être indéfiniment répétée.
Deux expériences ont été analysées. La première (1999) exploite une interaction
atome-cavité résonnante, la condition QND étant réalisée en ajustant le temps
d’interaction pour que l’atome revienne dans son état initial, sans absorber le
PHYSIQUE QUANTIQUE 119

photon (impulsion Rabi 2π). Elle a été faite dans une cavité amortie en un temps
TC = 1 ms, trop court pour de multiples répétitions de la mesure. La seconde
expérience (2006) utilise une interaction dispersive non-résonnante et une cavité
stockant les photons pendant un temps très long (Tc = 0,13 s). Des centaines de
mesures indépendantes du même photon ont permis d’observer pour la première
fois les sauts quantiques associés à l’annihilation et la création de photons dans les
miroirs de la cavité. Avant de décrire ces expériences, nous avons commencé par
des rappels théoriques sur les états du système atome-champ dans la cavité.
La sixième leçon a montré comment la méthode de mesure QND dispersive de 0
ou 1 photon peut être généralisée au comptage d’un nombre de photons supérieur à
1. Nous avons rappelé que la mesure d’un quantum de lumière unique nécessitait
que le déphasage Φ0 induit par un photon sur le dipôle atomique vaille π. Chaque
atome, décrit comme un spin, sort alors de l’appareil en pointant le long de l’une de
deux directions opposées, indiquant que C contient 0 ou 1 photon. Le réglage Φ0=π
est adapté à la mesure de la parité du nombre n de quanta, assimilable à n si le
champ, très faible, a une probabilité négligeable de contenir plus d’un photon. Pour
des champs plus grands, le comptage QND reste possible en modifiant Φ0. La valeur
de n ne peut plus être obtenue à l’aide d’un seul ‘spin’ mais doit être extraite d’un
ensemble d’atomes. En détectant les ‘spins’ de cet ensemble un à un, on observe
l’évolution progressive du champ vers un état de Fock, ce qu’on appelle l’effondrement
ou ‘collapse’ de sa fonction d’onde. La répétition de la mesure correspondant au
passage dans C d’ensembles d’atomes successifs, révèle la cascade en marches
d’escalier du nombre de photons vers le vide, due à la relaxation du champ. Après
quelques rappels et remarques générales, nous avons analysé cette procédure de
mesure idéale de la lumière en l’appliquant à un petit champ cohérent.
La septième et dernière leçon nous a permis d’apporter quelques précisions sur les
mesures QND de champs piégé micro-onde et de conclure le cours sur quelques
perspectives. Nous avons vu (leçon 6) que la mesure d’une séquence de m atomes
traversant un à un une cavité C en étant tous soumis au même déphasage par
photon Φ0 réduit progressivement le champ à un état de Fock |n>. Le nombre m
augmente comme nm2, où nm est la borne supérieure de n. Nous avons décrit le
principe d’une variante de cette expérience, utilisant successivement des atomes
soumis à des déphasages Φ0 = π, π/2, π/4…, qui peut déterminer n avec seulement
m~log2 nm atomes.
Nous nous sommes intéressé ensuite au premier état intermédiaire du champ,
entre l’état initial cohérent et l’état de Fock final. L’action en retour de la mesure
QND produit après détection du premier atome une superposition d’états du
champ avec 2 phases classiques différentes. Quand Φ0 = π, les composantes de ce
« chat de Schrödinger » ont des amplitudes opposées et ne contiennent, suivant
l’état final de l’atome, qu’un nombre pair ou impair de photons. En injectant dans
C un champ cohérent d’homodynage et en continuant à mesurer de façon QND
avec les atomes suivants la parité de n, on reconstruit la fonction de Wigner de ces
120 SERGE HAROCHE

‘chats’ et on étudie en temps réel leur décohérence. Nous avons présenté le principe
de ces expériences qui ont été décrites plus en détail dans le séminaire de I. Dotsenko
qui faisait suite au cours. Nous avons enfin conclu la leçon par la description d’une
expérience d’effet Zénon sur un champ mesuré de façon répétée et par une brève
présentation des études sur la non-localité que nous comptons effectuer, dans le
prolongement de ces expériences, avec deux cavités.

Enseignement du Collège de France « hors les murs »


L’enseignement donné à Chicago en octobre 2008 était destiné aux étudiants et
chercheurs du département de physique de l’Université de Chicago. Deux leçons
étaient réservées aux étudiants en thèse (graduate students) et aux post-docs en
physique atomique et en optique quantique. Elles ont porté sur la description des
expériences QND en électrodynamique quantique en cavité traitées dans le cours
donné à Paris (contenu des leçons 5 à 7 décrites ci-dessus). Deux autres leçons
étaient destinées aux étudiants en maîtrise (undergraduates) et ont constitué une
introduction générale à l’optique quantique et au refroidissement des atomes par
laser. Enfin, un colloquium plus général intitulé « Counting photons without
destroying them: an ideal measurement of light » a été donné à l’ensemble du
département de physique de l’université.

Les séminaires de l’année 2007-2008


Une série de sept séminaires accompagnait le cours du Collège de France à Paris
en le complétant et en en illustrant différents aspects. En voici la liste dans l’ordre
où ils ont été donnés :
21 janvier 2008 : Interférence à un photon, complémentarité et expérience à choix retardé
de Wheeler.
Jean-François Roch, ENS-Cachan.
28 janvier 2008 : Circuit QED : Quantum Optics of Electrical Circuits.
Steven Girvin, Yale University.
4 février 2008 : Optical manipulation of quantum dot spins.
Atac Imamoglu, ETH Zurich.
11 février 2008 : Chatons de Schrödinger et états non gaussiens de la lumière : de nouveaux
outils pour les communications quantiques.
Philippe Grangier, Institut d’Optique, Palaiseau.
25 février 2008 : Cavity-free efficient coupling of single photons and single emitters.
Vahid Sandoghdar, ETH, Zurich.
3 mars 2008 : Precision quantum metrology with lattice-confined ultracold atoms.
Jun Ye, JILA et Université de Boulder, Colorado.
10 mars 2008 : Tomography of photonic Schrödinger cats in a cavity.
Igor Dotsenko, LKB- ENS et Collège de France.
PHYSIQUE QUANTIQUE 121

Autres conférences et séminaires de Serge Haroche

En dehors de ses cours au Collège de France et à Chicago, S. Haroche a donné


les séminaires, cours et conférences suivants entre juillet 2007 et juin 2008 :
— Août 2007 : Communication invitée à la Gordon Research Conference on Quantum
Control of Light and Matter : « From Quantum Non-demolition measurements of photons to
the control of quantum states of light in a cavity », Newport, États-Unis.
— Août 2007 : Quatre cours à l’École Latino Américaine de Physique, ELAF 2007 :
« Quantum information with atoms and photons in cavities », Mexico.
— Septembre 2007 : Communication invitée à la Conférence « Photons, Atoms and
Qubits » de la Royal Society : « Quantum non-demolition counting of photons in a cavity: an
ideal measurement of light », Londres.
— Septembre 2007 : Communication invitée à la Conférence QuAMP 2007 : « Quantum
non-demolition counting of photons applied to the investigation of non-classical states of light »,
University College, Londres.
— Octobre 2007 : Colloquium à Argonne National Laboratories : « Quantum non-
demolition measurement of light : The birth, life and death of trapped photons », Argonne,
Illinois.
— Octobre 2007 : Communication invitée à la Conférence QIPC 2007 : « Quantum
Non-Demolition Counting of Photons in a Cavity : an ideal measurement of light »,
Barcelone.
— Novembre 2007 : Colloquium à l’Université d’Oxford : « Counting photons without
destroying them: an ideal measurement of light ».
— Décembre 2007 : Colloquium à MIT : « Trapping and counting photons without
destroying them: a new way to look at light », Cambridge, États-Unis.
— Décembre 2007 : Séminaire à Harvard University : « Quantum Non-Demolition
measurement of light and tomography of photonic Schrödinger cats in Cavity QED », Cambridge,
États-Unis.
— Janvier 2008 : Communication invitée à la Conférence « Quantum Noise in Strongly
Correlated Systems : “Non-destructive photon counting and reconstruction of photonic ‘Schrödinger
cat’ states” in cavity QED », Institut Weizman, Israël.
— Janvier 2008 : Conférence à l’École polytechnique : « Voir sans détruire la lumière : vie
et mort de photons dans une cavité ».
— Janvier 2008 : Présentation au Colloque ANR Lumière : « Champs mésoscopiques non-
locaux en electrodynamique quantique en cavité », Orsay.
— Février 2008 : Colloquium à Los Alamos : « Quantum Non Demolition counting of
photons and Schrödinger cat tomography in Cavity QED experiments », Los Alamos, Nouveau-
Mexique, États-Unis.
— Février 2008 : Communication invitée au Workshop SQUINT (Southwest Quantum
information and technology) : « Quantum Non-Demolition counting of photons in Cavity
QED », Santa Fe, Nouveau-Mexique, États-Unis.
— Mars 2008 : Présentation invitée à la Young Atom Optician Conference : « Trapping
and counting photons without destroying them : a new way to look at light », Florence, Italie.
— Mars 2008 : Conférence invitée au Meeting de la Société Finlandaise de Physique :
« Trapping and counting photons without destroying them: a new way to look at light », Turku,
Finlande.
122 SERGE HAROCHE

— Avril 2008 : Rydberg lecture à l’Université de Lund : « Trapping and counting photons
without destroying them: a new way to look at light », Lund, Suède.
— Avril 2008 : Communication invitée à la Conference on precision measurements with
quantum gases : « QND photon counting applied to the preparation and reconstruction of
Schrödinger cat states of light trapped in a cavity », Trente, Italie.
— Avril 2008 : Colloquium à l’Université du Wisconsin : « Trapping and counting photons
without destroying them: a new way to look at light », Madison, Wisconsin, États-Unis.
— Avril 2008 : Séminaire à l’Université du Wisconsin : « Reconstructing the Wigner
function of a photonic Schrödinger cat in a cavity : a movie of decoherence », Madison,
Wisconsin, États-Unis.
— Avril 2008 : Colloquium à l’université de Bielefeld : « Trapping and counting photons
without destroying them : a new way to look at light », Bielefeld, Allemagne.
— Avril 2008 : Colloquium à l’Université d’Innsbruck : « Quantum non-demolition
photon counting & Schrödinger cat states reconstruction in a cavity », Innsbruck, Autriche.
— Mai 2008 : Présentation invitée au Solvay Workshop on Bits, Quanta, and Complex
System: « Generating and reconstructing non-classical photonic states in Cavity QED : present
stage and perspectives », Bruxelles.
— Mai 2008 : Conférence invitée au Workshop on Quantum Phenomena and
Information « Reconstructing the Wigner function of photonic Schrödinger cats in a cavity : a
movie of decoherence », Trieste, Italie.
— Mai 2008 : Colloquium à l’Université technologique de Vienne : « Time-resolved
reconstruction of photonic Schrödinger cats in a cavity : a movie of decoherence », Vienne,
Autriche.
— Juin 2008 : Conférence invitée au Symposium en l’Honneur du 75e anniversaire de
Peter Toschek : « From atom to light quantum jumps : applying to photons the wizard tricks
learned from Peter Toschek and his ion trapper colleagues », Hambourg.

Activités de recherche

Le travail de recherche de S.Haroche se déroule au sein du Laboratoire Kastler


Brossel (LKB) de l’École normale supérieure. Il y co-dirige, avec ses collègues Jean-
Michel Raimond (Professeur à Paris VI et à l’Institut universitaire de France) et
Michel Brune (Directeur de recherche au CNRS) une équipe de chercheurs et
d’étudiants (groupe d’électrodynamique quantique en cavité). Un des chercheurs
du groupe est un visiteur postdoctoral recruté sur un poste de maître de conférence
au Collège de France, Monsieur Igor Dotsenko (de nationalité ukrainienne).
Le thème général des recherches du groupe porte sur l’étude des effets quantiques
(intrication, complémentarité et décohérence) et de leurs applications dans des
systèmes constitués d’atomes en interaction avec des photons. Un rapport d’activité
complet est rédigé tous les deux ans pour le comité national du CNRS et contient
une analyse détaillée des problèmes scientifiques abordés par le groupe et un bilan
des résultats nouveaux.
Nos recherches se poursuivent depuis quelques années dans deux directions :
d’une part, nous étudions des états non-classiques de champs mésoscopiques piégés
dans des cavités de très grand facteur de qualité, d’autre part nous réalisons des
PHYSIQUE QUANTIQUE 123

« puces » à atomes piégeant de petits échantillons d’atomes froids au voisinage de


circuits supraconducteurs. La problématique de ces deux types d’expériences a été
détaillée dans le résumé de cours et travaux antérieurs et nous nous contenterons
d’indiquer ici les résultats obtenus au cours de la dernière année.

1) Gel de l’évolution cohérente d’un champ quantique dans une cavité :


une démonstration de l’effet Zénon quantique

La mesure QND du champ décrite dans le résumé des travaux de l’année


dernière permet une observation répétée d’un système quantique. On sait que dans
ces conditions, toute évolution cohérente du système peut se trouver inhibée, en
raison de sa projection répétée sur l’état initial. Il s’agit du fameux effet Zénon,
analysé théoriquement depuis longtemps en physique quantique et observé sur un
certain nombre de systèmes simples au cours des dernières années. Avec notre
montage nous avons pu en faire une démonstration spectaculaire en gelant le
champ dans une cavité excitée par une succession d’impulsions micro-onde en
phase. Si le champ est laissé libre entre ces impulsions, il se bâtit dans la cavité
sous l’effet constructif des excitations successives. Si on le mesure entre deux
impulsions, cette construction du champ est empêchée et il reste très proche de
son état initial, le vide. L’expérience confirme en tous points les prévisions
théoriques et permet d’interpréter cet effet Zénon comme résultant de l’action en
retour de la mesure du nombre de photons sur la phase du champ.

2) Reconstruction d’états non classiques du champ piégé dans une cavité

La mesure quantique non destructive (QND) du nombre de photons a également


ouvert la voie à des expériences nouvelles de reconstruction complète de l’état d’un
champ piégé. Bien que la mesure QND ne fournisse en principe qu’une information
sur le nombre de photons, on peut l’utiliser pour réaliser une « tomographie »
complète d’un état quantique arbitraire préparé dans la cavité. En effet notre
mesure du nombre de photons permet, en la répétant un grand nombre de fois,
de mesurer la probabilité d’occurrence d’un nombre de photon donné dans un état
quelconque du champ. On peut ainsi directement mesurer les éléments diagonaux
de la matrice densité du champ dans la base des états nombre. En couplant une
source classique au mode de la cavité contenant le champ à mesurer, on réalise une
simple opération de translation de l’état du champ dans l’espace des phases (plan
de Fresnel). Cette opération redistribue les éléments de matrice non diagonaux de
l’opérateur densité du champ de sorte que la mesure de la probabilité du nombre
de photons de l’état translaté devient sensible à ces éléments non diagonaux. Si on
réalise cette mesure pour un nombre suffisant de translations différentes de l’état
à mesurer, on obtient un ensemble de contraintes qui déterminent complètement
l’opérateur densité du champ, ou, de façon équivalente, sa distribution de
Wigner.
124 SERGE HAROCHE

Nous venons d’appliquer cette méthode à la mesure de la fonction de Wigner


des états nombre de photons (états de Fock) préparés par notre méthode de mesure
non destructive, et d’états « chats de Schrödinger » du champ. Ces états,
superpositions quantiques de deux champs quasi-classiques de phases différentes,
sont préparés par la détection du premier atome utilisé pour la mesure QND du
champ. Leur préparation peut être vue comme l’action en retour d’une mesure
QND du nombre de photons sur son observable conjuguée, la phase du champ.
En appliquant notre protocole de reconstruction complète de l’état quantique du
champ après un délai variable, nous pouvons enregistrer le film de la décohérence
d’un chat de Schrödinger, c’est à dire observer toutes les étapes de son passage à
travers la frontière floue entre les mondes quantique et classique.

3) Expérience de puce à atome cryogénique

Après la réalisation de pièges à atome sur puce à courants supraconducteurs et


l’observation de la première condensation de Bose Einstein dans ce système (voir
résumé des travaux précédent), nous avons passé la dernière année à analyser la
durée de vie des atomes dans ce type de piège, très différent des systèmes à
température ambiante réalisés jusqu’alors. Un des principaux défis posé par les
puces à atomes est de parvenir à amener l’échantillon atomique à proximité de la
surface. C’est en effet dans ce régime que l’on obtient les plus grands confinements,
importants pour de nombreuses expériences. Il a malheureusement été observé que
le temps de vie des atomes dans le piège décroît de manière importante à très
courte distance de surfaces métalliques. On comprend bien les raisons physiques
de ce phénomène : les atomes s’approchent en effet de matériaux dans lesquels
existent des fluctuations thermiques de courant. Ces dernières rayonnent un champ
magnétique aléatoire au niveau des atomes dont certaines composantes spectrales
induisent des transitions vers des niveaux Zeeman non piégés. Le bruit magnétique
devient très important à courte distance du fait du rayonnement en champ proche
des sources de courant. On attend une situation radicalement différente dans le
cas des supraconducteurs.
Le théorème fluctuation-dissipation permet de relier le taux de pertes du piège à la
dissipation du métal par effet Joule à la fréquence de transition atomique. Or ce type
de perte est diminué drastiquement dans le cas des matériaux supraconducteurs. Les
modèles les plus simples de supraconductivité prédisent une augmentation de la
durée de vie des atomes dans le piège de plus de 6 ordres de grandeurs par rapport à
un métal normal. Toute la difficulté est cependant de disposer d’un modèle théorique
qui rende bien compte de la réponse du supraconducteur. Il y a un certain débat sur
cette question au sein de la communauté des théoriciens de la supraconductivité, en
particulier dans le cas des supraconducteurs de type II (comme le niobium) dans
lesquels existent des vortex de champ magnétique. Nous avons engagé une
collaboration avec des chercheurs du Laboratoire Pierre Aigrain spécialistes de la
question. Nous devrions bientôt apporter des réponses théoriques sur l’effet des
vortex sur le temps de vie des atomes. Il semble, au vu des résultats préliminaires,
PHYSIQUE QUANTIQUE 125

que la présence des vortex raccourcisse la durée de vie des atomes, mais qu’elle la
laisse cependant très supérieure à ce qu’elle est en présence de métaux normaux. Pour
vérifier ces prévisions, il est essentiel du point de vue expérimental de pouvoir
mesurer de très longs temps de vie dans le piège sans être limité par des causes de
bruit technique. Atteindre ou approcher les très longs temps de piégeage prédits par
la théorie est un but difficile, mais indispensable si l’on veut tirer avantage des puces
cryogéniques. Nous avons à cette fin réduit significativement les sources de bruit
technique dans notre expérience. Ceci nous a permis d’augmenter d’un facteur 5 le
temps de vie rapporté précédemment et ouvre la voie à une mesure réaliste de la
dissipation dans les puces supraconductrices.

Publications du groupe d’électrodynamique quantique en cavité


(juillet 2007 - juin 2008)

1. C. Guerlin, J. Bernu, S. Deléglise, C. Sayrin, S. Gleyzes, S. Kuhr, M. Brune,


J.-M. Raimond et S. Haroche, « Progressive field state collapse and quantum non-demolition
photon counting », Nature, 448, 889 (2007).
2. S. Haroche, M. Brune et J.-M. Raimond, « Measuring the photon number parity in a
cavity : from light quantum jumps to the tomography of non-classical field states », Journal
of Modern Optics, 54, 2101 (2007).
3. S. Haroche, « A short history of Cavity Quantum Elecrodynamics » dans Coherence
and Quantum Optics IX, N.P. Bigelow, J.H. Eberly et C.R. Stroud, éditeurs, AIP (2008).
4. M. Brune, S. Gleyzes, S. Kuhr, C. Guerlin, J. bernu, S. Deléglise, U. Busk Hoff,
J.-M. Raimond et S. Haroche, « Observing quanum jumps of light by Quantum
Non-Demolition measurements » dans Coherence and Quantum Optics IX, N.P. Bigelow,
J.H. Eberly et C.R. Stroud, éditeurs, AIP (2008).
5. S. Haroche, C. Guerlin, J. Bernu, S. Deléglise, C. Sayrin, S. Gleyzes, S. Kuhr,
M. Brune et J.-M. Raimond, « Quantum Non-Demolition counting of photons in a cavity »
dans Laser Spectrsocopy XVIII, L. Holberg , J. Bergquist et M. Kasevich editeurs, World
Scientific (2008).
6. S. Haroche, J.-M. Raimond and M. Brune, « Schrödinger cat states and decoherence
studies in cavity QED », Proceedings of the Durban Conference « Theoretical and
experimental foundations of modern technologies », European Physical Journal-Special
Topics, Volume : 159 pages : 19 (2008).
7. C. Roux, A. Emmert, A. Lupascu, T. Nierregarten, G. Nogues, M. Brune,
J.-M. Raimond et S. Haroche : Bose-Einstein condensation on a superconducting atom
chip, Ero. Phys. Lett. 81, 56004 (2008).
8. S. Deléglise, I. Dotsenko, C. Sayrin, J. Bernu, M. Brune, J.-M. Raimond et S. Haroche,
Reconstruction of non-classical cavity field states and movie of their decoherence, soumis à
publication (juin 2008).
9. J. Bernu, S. Deléglise, C. Sayrin, S. Kuhr, I. Dotsenko, M. Brune, J.-M. Raimond et
S. Haroche, Freezing coherent field growth in a cavity by quantum Zeno effect, soumis à
publication (juillet 2008).
Physique mésoscopique

M. Michel Devoret, membre de l’Institut


(Académie des Sciences), professeur

1. Enseignement au Collège

1.1. Cours de l’année 2008 : « Signaux et circuits quantiques »

En informatique, la notion de bit, unité élémentaire d’information, est souvent


discutée en termes abstraits, dissociés d’une implémentation particulière. C’est le
cas par exemple lorsqu’on aborde les opérations booléennes. Ceci est justifié par
l’universalité de la plupart des algorithmes et des protocoles de communication,
lesquels sont largement indépendants des détails de la représentation. Toutefois,
quand on s’intéresse aux limites ultimes des paramètres du traitement de
l’information comme le débit, le volume de données, la consommation d’énergie,
le temps de latence, etc., la nature physique et les interactions mutuelles des degrés
de liberté porteurs de l’information deviennent cruciales. Dans ce cours, est
explorée la physique des dispositifs et des systèmes électroniques qui traitent
l’information au niveau le plus élémentaire : le un et le zéro sont représentés par
la présence et l’absence d’un quantum d’excitation des champs électromagnétiques
dans le circuit. Les leçons de cette année ont constitué une introduction à ce
domaine, limitée aux situations où le traitement quantique des signaux et des
circuits est en continuation la plus directe du traitement classique.

La première leçon a commencé par quelques rappels de théorie des circuits


classiques, comme les définitions concernant les variables de nœuds et les variables
de boucles, les lois de Kirchhoff et les relations constitutives des éléments du
circuit, à partir de l’exemple simple d’un circuit résonant LC (inductance +
capacitance). L’élément d’information quantique, le bit quantique est constitué
d’une paire de niveaux quantiques — généralement le niveau fondamental et le
premier niveau excité — d’un degré de liberté élémentaire, en l’occurrence celui
d’un mode électromagnétique du circuit. On a compris depuis le milieu des années
90 que l’information quantique est extrêmement puissante quand il s’agit de
128 MICHEL DEVORET

représenter de façon minimale les relations contenues dans la donnée d’une


fonction. Mais comment en pratique implémenter les bits quantiques ? Peut-on
tout simplement utiliser les niveaux quantiques d’un circuit LC, comme on
utiliserait ceux d’un oscillateur harmonique mécanique ? En fait, ce dernier possède
la désagréable propriété d’avoir toutes les transitions entre niveaux voisins situées
à la même fréquence. Il faut donc introduire dans le circuit un élément non-
linéaire, non-dissipatif, pour isoler une paire de niveaux. Cet élément est une
jonction tunnel Josephson, qui joue le rôle d’une inductance dont la valeur varie
avec le courant. On arrive ainsi au circuit quantique élémentaire qui comprend un
minimum d’élément, la boîte à paires de Cooper, qui est constituée d’une simple
jonction tunnel en série avec une capacité et une source de courant. Ce circuit est
l’équivalent d’un simple atome hydrogénoïde en physique atomique.
Dans la seconde leçon, nous avons abordé le problème que pose l’écriture de
l’hamiltonien dans un circuit quantique arbitraire. Pour les atomes, l’hamiltonien
quantique s’obtient simplement en traitant les variables conjuguées du problème
classique — position et impulsion des électrons — comme des opérateurs qui ne
commutent pas. Qu’en est-il dans les circuits ? Le rôle de la position et de
l’impulsion est joué par le flux et la charge. Ces opérateurs canoniquement
conjugués sont définis à partir des intégrales temporelles de la tension et du
courant dans une branche du circuit. On peut se convaincre de la validité des
relations de commutation entre charge et flux à partir des relations de
commutation entre champ électrique et champ magnétique en électrodynamique
quantique. Parmi les notions surprenantes des circuits quantiques, il y a celle de
flux généralisé aux bornes d’un élément quelconque qui n’est pas nécessairement
une inductance. On arrive ainsi à la quantification des modes électromagnétiques
d’une ligne de transmission, en traitant celle-ci comme une chaîne d’oscillateurs
LC couplés.
La troisième leçon a été consacrée à la décomposition d’un signal se propageant
le long d’une ligne de transmission en modes discrets orthogonaux. Nous avons
introduit les concepts de base de la théorie des ondelettes. Il est remarquable
qu’un signal d’énergie finie puisse être décomposé sur une base d’ondes continues
à la fois localisées en temps et en fréquence. Chaque onde de base peut être
représentée par un rectangle dans le plan temps-fréquence, lequel rappelle la portée
d’une partition de musique. La largeur du rectangle correspond au pas en temps
de la base, et sa hauteur, au pas en fréquence de la base. Cette segmentation
discrète correspond à une « première quantification » des signaux. Lorsque les
propriétés de celle-ci sont bien acquises, on peut introduire la seconde
quantification : elle consiste à déclarer comme variables conjuguées les amplitudes
complexes de deux modes discrets de même index de position en temps, mais avec
des index opposés en fréquence. Cette seconde quantification implique l’existence
d’états discrets pour la fonction d’onde décrivant l’amplitude des deux modes. On
arrive ainsi aux états discrets correspondant aux photons, les ondelettes sous-
jacentes constituant la « fonction d’onde » des photons. Il faut remarquer que
PHYSIQUE MÉSOSCOPIQUE 129

cette fonction d’onde ne peut pas avoir tous ses moments finis à la fois en
fréquence et en temps, comme une fonction gaussienne, et servir en même temps
de patron pour une base discrète.
Au cours de la quatrième leçon, nous avons établi l’expression des opérateurs de
champ dans l’espace des fréquences, à partir de la décomposition du signal en ondes
de vecteurs d’onde bien déterminés. Le commutateur de ces opérateurs de champ est
singulier : il est donné par une fonction de Dirac faisant intervenir la somme des
fréquences. De même, dans l’état thermique, la valeur moyenne de l’anti-commutateur
est donnée par la même fonction de Dirac, mais multipliée par une fonction analogue
au nombre moyen de photons d’un oscillateur. On arrive ainsi à des expressions
commodes pour les calculs ; mais pour retrouver le sens physique des opérateurs, il
faut introduire les opérateurs de création et d’annihilation de mode, à partir des
ondelettes définies dans la leçon précédente. Ces opérateurs de modes permettent de
spécifier rigoureusement l’état du champ dans une ligne de transmission, par exemple
un état semi-classique du champ. On peut représenter un état semi-classique par une
généralisation du vecteur de Fresnel, surnommée parfois « sucette de Fresnel » : on
munit le segment du vecteur, qui représente l’amplitude et la phase moyenne de l’état
dans le plan des quadratures, non pas d’une pointe de flèche, mais d’un disque dont le
rayon donne l’écart type des fluctuations, en l’occurrence celles de point zéro. En
revanche, un état avec un nombre de photons bien déterminé (état dit de Fock)
correspond à une figure avec symétrie de rotation comportant une série d’anneaux, le
nombre d’anneaux étant égal au nombre de photons.
La cinquième leçon a commencé par le rappel de la relation entre le nombre
de photons dans un mode propagatif et les valeurs moyennes quadratiques
correspondantes des courants et des tensions. À partir de ce type de relation, on
peut calculer les fluctuations des quantités électriques pour un circuit LC, et par
là, établir pour une impédance quelconque la relation entre la partie réelle de
l’impédance et la densité spectrale des fluctuations du bruit Johnson. Dans le cas
quantique, cette densité spectrale est asymétrique : les fréquences positives, qui
correspondent aux processus d’émission spontanée et stimulée du circuit connecté
à l’impédance, sont plus intenses que les fréquences négatives, qui correspondent
aux processus d’absorption. Nous avons présenté ce calcul de la densité spectrale
à la fois en prenant le point de vue de Caldeira-Leggett, où l’impédance est
remplacée par une série infinie d’oscillateurs harmoniques (modes stationnaires),
et le point de vue de Nyquist, qui remplace la partie dissipative de l’impédance
par une ligne de transmission semi-infinie (modes propagatifs), peuplée par un
champ thermique incident. Le formalisme entrée-sortie est très utile pour passer
des équations du circuit avec les deux termes de dissipation et de forçage, aux
équations de diffusion des champs sur le noyau formé de la partie réactive du
circuit. Ainsi, le théorème fluctuation-dissipation quantique peut-il être vu comme
une conséquence de la propriété de symétrie du circuit : ce dernier ne peut pas
distinguer, dans le processus de diffusion des champs conduits par la ligne de
transmission, un signal déterministe du bruit thermique.
130 MICHEL DEVORET

La sixième leçon a été consacrée au processus d’amplification paramétrique. Le


point de départ est le théorème de Caves, qui stipule qu’un amplificateur préservant la
phase doit nécessairement ajouter au signal une intensité de bruit — comptée en se
référant à l’entrée — équivalente à un demi-photon par mode du signal. Comment
atteindre cette limite quantique ? La solution, dans le cas de l’amplificateur
paramétrique non-dégénéré, est simple : il faut utiliser le nombre minimum de modes
possibles, c’est-à-dire 2, si l’on compte le mode à amplifier. Au mode de signal doit
donc être adjoint un mode image, circulant dans une ligne annexe. Le modèle le plus
élémentaire de ce type d’amplificateur consiste en deux circuits LC couplés par une
inductance mutuelle variant sinusoïdalement dans le temps à la fréquence de la pompe.
Chacun des oscillateurs est couplé à la ligne de transmission servant à injecter et à
extraire les modes signal et image, ce qui est réalisé en pratique avec un circulateur. En
nous basant sur la théorie entrée-sortie, nous avons établi la matrice de diffusion pour
un tel circuit. Cette matrice possède la remarquable propriété d’être symplectique,
laquelle propriété traduit à son tour mathématiquement la conservation de
l’information par ce circuit actif, en dépit de la non-conservation de l’énergie. En
pratique l’implémentation de la mutuelle variable dans le temps est réalisée à l’aide
d’un modulateur en anneau Josephson, qui comprend quatre jonctions tunnel formant
une boucle dans laquelle est envoyé un demi-quantum de flux magnétique. La symétrie
de type pont de Wheatstone du modulateur en anneau privilégie les termes de mélange
à trois ondes dans l’hamiltonien, par rapport aux termes de couplage parasites qui
favorisent le chaos dynamique et donc un excès de bruit. Expérimentalement, on peut
donc avec un tel dispositif observer la compression du bruit dans les corrélations entre
le signal direct et le signal image, en les mesurant par interférence.
La leçon s’est achevée par une courte discussion sur le programme de l’année
2008-2009, qui poursuivra cette revue des phénomènes quantiques dans les circuits
supraconducteurs microondes, et qui se focalisera sur les aspects non-perturbatifs.

2. Enseignement en dehors du Collège


5, 7 et 12 novembre 2007 : Série de trois leçons données au département de
Physique Appliquée de Yale, dans le cadre de la chaire F.W. Beinecke. Ce cours
de physique mésoscopique s’intitulait « Single Electron Effects ».
2 juillet 2008 : Série de deux leçons données dans le cadre de l’International
School of Physics « Enrico Fermi », Quantum Coherence in Solid State Systems.

3. Activité de recherche
3.1. Signaux et circuits quantiques (en collaboration avec Nicolas Bergeal,
Flavius Schakert, Archana Kamal et Adam Marblestone)
Le phénomène d’amplification des signaux électriques par un composant
électronique actif est à la base d’un grand nombre d’applications dans tous les
domaines de la physique. Il est soumis à un principe dérivé de la relation
PHYSIQUE MÉSOSCOPIQUE 131

d’incertitude de Heisenberg : un amplificateur préservant la phase ajoute au moins


un bruit dont l’énergie correspond à un demi-photon à la fréquence du signal.
Aucune limitation n’intervient en revanche pour un amplificateur qui ne mesure
d’un signal qu’une composante ou que son énergie. Le but de notre recherche est
d’abord de montrer que l’on peut effectivement atteindre en pratique le régime où
le bruit d’un amplificateur « utile » n’est limité que par le bruit quantique, et
ensuite de vérifier les prédictions théoriques concernant le bruit ajouté au signal.
Nous travaillons dans le régime micro-onde, avec des fréquences de signaux aux
alentours de f = 10 GHz et des températures T << hf/k ∼ 500 mK. Nous utilisons
des résonateurs micro-ondes supraconducteurs dans lesquels est placé un milieu
non-linéaire purement dispersif, basé sur des réseaux de jonctions tunnel Josephson
pompés par irradiation micro-onde. La limite quantique devrait être atteinte du
fait de l’absence de dissipation parasite dans ce type de système, tout en préservant,
par degré de liberté amplificateur, une bande passante de l’ordre de 1 MHz et un
gain de l’ordre de 30 dB. Cette année, nous avons réalisé et mesuré une version
plus avancée de ce type d’amplificateur, basée sur un modulateur en anneau
Josephson. Le gain dépasse 40 dB. Nous avons réalisé la mesure de la température
de bruit du système complet en nous basant sur le bruit auto-calibré d’un nanofil
de cuivre. Nos résultats indiquent un facteur 3 par rapport à la limite quantique.
Même si l’on n’atteint pas encore la limite ultime, un tel résultat représente
néanmoins une amélioration d’un facteur 30 par rapport aux meilleurs amplificateurs
cryogéniques microonde basés sur les transistors HEMT.

3.2. Qubits supraconducteurs (en collaboration avec Markus Brink,


Nick Masluk et Vladimir Manucharyan)

Nous avons mis au point cette année deux nouveaux qubits supraconducteurs.
Le but de cette recherche est de comprendre les facteurs influant sur la décohérence,
c’est-à-dire la perte d’information quantique d’un circuit. Le premier qubit est basé
sur le « transmon », qui est une boîte à paires de Cooper dans laquelle on a
augmenté le rapport entre l’énergie Josephson et l’énergie de charge, de façon à
rendre le circuit insensible aux fluctuations de charge du substrat. Dans ce nouveau
qubit, la capacité ajoutée à la jonction tunnel est obtenue par une ligne de
transmission dans laquelle la jonction est insérée en série, au lieu de la configuration
parallèle précédemment explorée dans le groupe de R. Schoelkopf. Les mesures des
temps de décohérence T1 et T2 sont en cours. Le deuxième qubit met en jeu une
approche encore plus radicale. Nous shuntons une jonction de grande énergie de
charge par une très forte inductance réalisée grâce à un réseau de 50 jonctions
tunnel en série. Ce shunt des courants continus supprime complètement les
fluctuations de charge, tout en rendant possible un contrôle du dispositif par la
charge alternative des signaux sonde. La mesure spectroscopique des niveaux
d’énergie du système est en cours, et l’analyse du spectre devrait permettre de
remonter aux paramètres de l’hamiltonien avec une excellente précision, ce qui sera
très utile pour ensuite mesurer la dissipation du circuit de manière contrôlée.
132 MICHEL DEVORET

4. Publications

[1] Boaknin E., Manucharian V., Fissette S., Metcalfe M., Frunzio L., Vijay R., Siddiqi I.,
Wallraff A., Schoelkopf R. and Devoret M.H., Dispersive Bifurcation of a Microwave
Superconducting Resonator Cavity incorporating a Josephson Junction, [Cond-Mat/0702445],
Submitted to Physical Review Letters.
[2] Manucharian V., Boaknin E., Metcalfe M., Fissette S., Vijay R., Siddiqi I. and
Devoret M.H., Rf Bifurcation of a Josephson Junction : Microwave Embedding Circuit
Requirements, [Cond-Mat/0612576] Phys. Rev. B 76, 014524 (2007).
[3] Schuster D.I., Houck A.A., Schreier J.A., Wallraff A., Gambetta J.M., Blais A.,
Frunzio L., Johnson B., Devoret M.H., Girvin S.M., Schoelkopf R.J., Resolving Photon
Number States in a Superconducting Circuit, Nature (London) 445, 515-518 (2007) [Cond-
Mat/0608693].
[4] Houck A.A., Schuster D.I., Gambetta J.M., Schreier J.A., Johnson B.R., Chow J.M.,
Frunzio L., Majer J., Devoret M.H., Girvin S.M., Schoelkopf R.J., Generating single
microwave photons in a circuit, Nature 449, 328 - 331 (2007).
[5] Boulant N., Ithier G., Meeson P., Nguyen F., Vion D., Esteve D., Siddiqi I.,
Vijay R., Rigetti C., Pierre, F. and Devoret M., Quantum Nondemolition Readout Using a
Josephson Bifurcation amplifier, Phys. Rev. B 76, 014525 (2007).
[6] Majer J., Chow J.M., Gambetta J.M., Koch Jens, Johnson B.R., Schreier J.A.,
Frunzio L., Schuster D.I., Houck A.A., Wallraff A., Blais A., Devoret M.H., Girvin S.M.,
Schoelkopf R.J., Coupling superconducting qubits via a cavity bus, Nature 449, 443-447
(2007).
[7] Metcalfe M., Boaknin E., Manucharyan V., Vijay R., Siddiqi I., Riggetti C.,
Frunzio L., and Devoret M.H., Measuring a Quantronium qubit with the Cavity Bifurcation
Amplifier, Phys. Rev. 76, 174516 (2007) [Cond-Mat, arXiv:0706.0765].
[8] Koch J., Yu T.M., Gambetta J., Houck A.A., Schuster D.I., Majer J., Blais A.,
Devoret M.H., Girvin S.M., and Schoelkopf R.J., Charge insensitive qubit design from
optimizing the Cooper-Pair Box, Phys. Rev. A 76, 042319 (2007).
[9] Devoret, M., Girvin, S., Schoelkopf, R.S., Circuit-QED: How strong can the coupling
between a Josephson junction atom and a transmission line resonator be ?, Annalen Der Physik
16, 767-779 (2007).
[10] Houck A.A., Schreier J.A., Johnson, B.R., Chow J.M, Koch Jens, Gambetta J.M.,
Schuster D.I., Frunzio L., Devoret M.H., Girvin S.M., Schoelkopf R.J., Controlling the
spontaneous emission of a superconducting transmon qubit, Phys. Rev. Lett 101, 080502
(2008).
[11] Schreier J.A., Houck A.A., Koch Jens, Schuster D.I., Johnson B.R., Chow J.M.,
Gambetta J.M., Majer J., Frunzio L., Devoret M.H., Girvin S.M., and Schoelkopf R.J.,
Suppressing charge noise decoherence in superconducting charge qubits, Phys. Rev. B 77,
180502(R) (2008).
[12] Bergeal N., Vijay R., Manucharyan V. E., Siddiqi I., Schoelkopf R. J., Girvin S. M.
and Devoret M. H., Analog information processing at the quantum limit with a Josephson ring
modulator, Submitted to Nature Physics (2008) [arXiv:0805.3452].
[13] Devoret M., De l’atome aux machines quantiques, Leçon inaugurale, Collège de
France / Fayard, 2008 (à paraître).
[14] Bergeal N., Schakert F., Frunzio L., Schoelkopf R.J., Girvin S.M. and Devoret M.H.,
Parametric Amplification with the Josephson Ring Modulator, en préparation.
PHYSIQUE MÉSOSCOPIQUE 133

5. Conférences
5.1 Exposés donnés sur invitation
Octobre 2007 : CIFAR meeting on Quant. Inf. Proc., Newport, Rhode Island, USA.
Décembre 2007 : Decoherence in Superconducting Qubits, Berkeley, California, USA.
Janvier 2008 : Physics of Quantum Electronics, Snowbird, Utah, USA.
Mars 2008 : Physics Colloquium, Penn State University, State College, Pennsylvania,
USA.
Avril 2008 : Stanford Photonics Research Center Meeting, Stanford, California, USA.
Avril 2008 : Quantum Information Seminar, MIT, Cambridge, Massachussetts, USA.
Mai 2008 : Journées Supraconductivité, ESPCI, Paris.
Juin 2008 : Séminaire général de Physique, ESPCI, Paris.
Particules élémentaires, gravitation et cosmologie

M. Gabriele Veneziano, membre de l’Institut


(Académie des Sciences), professeur

1. Enseignement au Collège
1.1. Le cours de l’année 2007-2008 : « Le modèle standard et ses extensions »
Après la parenthèse 2006-2007 (cours donné entièrement à l’étranger), le cours
de l’année 2007-2008 a repris le chemin initié en 2004-2005 et 2005-2006 afin
de compléter la présentation du modèle standard des particules élémentaires. Les
deux cours précédents ayant porté sur les interactions fortes (dans leurs aspects
perturbatives et non perturbatives respectivement), ce dernier cours se concentra
sur le secteur dit électrofaible du Modèle Standard (MS).
Le cours s’est déroulé en 18 heures, dont 11 de cours proprement dit et 7 heures
de séminaires, donné en partie par le professeur Riccardo Barbieri de l’École
Normale (Scuola Normale) de Pise et en partie par le professeur Ferruccio Feruglio
de l’Université de Padoue.
Chaque cours et séminaire, présenté avec l’aide d’un fichier « Power Point », a
été imprimé et distribué avant chaque cours, et ensuite inséré sur les sites en
français et en anglais de la chaire.
Le premier cours, « Théories de jauge : un rappel », fut un résumé des principales
notions (déjà discutée en 2004-2005) qui sont à la base des théories de jauge.
Nous sommes revenu, en particulier, sur l’importante distinction entre le cas de
fermions dans une représentation réelle du groupe de jauge (les cas de la QED et
QCD) et celui d’une représentation complexe (fermions « chiraux »), le cas d’intérêt
pour les interactions faibles.
Le deuxième cours, « QED et QCD : un rappel », fut, à son tour, un résumé des
concepts de base de la QED (comme théorie des interactions électromagnétiques)
et de la QCD (comme théorie des interactions fortes) qui avaient été couverts dans
les cours 2004-2005 et 2005-2006.
136 GABRIELE VENEZIANO

Le troisième cours, « Interactions faibles : du modèle de Fermi à une théorie de


jauge », a retracé, dans ses grandes lignes, le développement de la théorie des
interactions faibles, à partir de sa première formulation par Enrico Fermi en 1934.
On a rappelé comment, à travers les différentes découvertes expérimentales, l’idée
est née qu’une théorie de jauge puisse décrire, d’une façon unifiée, les interactions
électromagnétiques et faibles en utilisant le groupe de jauge SU(2)xU(1). Ensuite,
nous avons discuté des représentations auxquelles les fermions doivent appartenir
et, en même temps, nous avons souligné la nécessité d’un mécanisme de brisure
de la symétrie de jauge sans quoi tous les fermions resteraient sans masse.
Dans le quatrième cours, « Brisure spontanée de symétries », après avoir souligné
l’importante distinction entre la brisure de symétries globales et locales, nous avons
discuté des principales caractéristiques et conséquences de chacune et, en particulier
pour cette dernière, le fameux mécanisme de Higgs dans le cas le plus simple du
groupe U(1). Nous avons aussi souligné que ce mécanisme, au moins dans sa
forme la plus simple, nécessite l’introduction d’un champ scalaire à côté des
champs de jauge et des champs de fermions.
Dans le cinquième cours, « Boson de Higgs et Lagrangien pour une seule famille »,
nous avons utilisé les éléments déjà introduits pour définir le modèle standard des
interactions électrofaibles dans les cas d’une seule famille (ou génération) de quarks
et de leptons. Nous avons aussi observé que le neutrino reste sans masse, malgré
la brisure de la symétrie, au moins d’introduire un nouveau type de neutrino qui
est neutre par rapport à toutes les interactions de jauge.
Le sixième cours, « Prédictions au niveau arbre pour une famille », nous avons tiré les
conséquences expérimentales du modèle présenté au cours précédent dans
l’approximation dite à « arbre », c’est-à-dire sans tenir compte des corrections radiatives.
L’accord est qualitativement bon, mais quantitativement pas encore parfait.
Dans le septième cours, « Plusieurs familles : mécanisme de GIM et matrice
CKM », nous avons discuté de la généralisation du modèle précédant au cas,
apparemment choisi par la Nature, où il y a trois familles de quarks et de
leptons. Même si conceptuellement la généralisation est simple, ses conséquences
phénoménologiques sont très importantes. Pourtant, le MS avec trois générations
évite d’une façon très naturelle l’apparition de courants neutres avec changement
de saveur (FCNC) et, en même temps, est capable d’introduire les mélanges
observés dans les courants chargées aussi qu’une phase qui détermine la violation
de la symétrie CP.
Le huitième cours, « Autres conséquences du Modèle Standard », a porté sur
d’autres conséquences du modèle standard en particulier dans la physique de
mésons K neutres et (en préparation des séminaires spécialisés du professeur
Feruglio, voir ci-dessous) en ce qui concerne les masses et les oscillations des
neutrinos. Nous avons terminée avec un exemple de calculs des corrections
radiatives, celui qui concerne le soi-disant paramètre ρ.
PARTICULES ÉLÉMENTAIRES, GRAVITATION ET COSMOLOGIE 137

Après une première série de séminaires par les professeurs Riccardo Barbieri et
Ferruccio Feruglio (voir ci-dessous), le neuvième cours, « Secteur de Higgs : questions
de réglage fin » a entamé une critique bien connue du MS comme ayant besoin
d’une quantité importante de « réglage fin » afin de maintenir la masse du boson
de Higgs suffisamment basse. C’était, en même temps, une introduction à certains
modèles qui vont au-delà du MS, le sujet des deux derniers cours et séminaires.
Ainsi, le dixième cours, « Supersymétrie et le MSSM », a introduit le concept de
supersymétrie, d’abord comme construction théorique et après comme une possible
résolution du problème de réglage fin discuté dans le neuvième cours. Néanmoins,
la supersymétrie n’élimine pas complètement ce problème. En même temps elle
permet à priori certains processus qui ne sont pas observés. Donc la supériorité du
modèle supersymétrique par rapport au modèle standard n’est pas de tout évidente.
Le nouvel accélérateur de particules du CERN, le LHC, nous dira sans doute si la
supersymétrie existe bien aux énergies qui seront atteignables.
Dans le onzième cours, « Théories de Grand Unification », nous avons présenté
des modèles, dits de Grand Unification (GUT), où les trois interactions non
gravitationnelles découleraient d’une théorie de jauge basée sur un groupe de jauge
techniquement dit « simple » et donc avec des relations entre les différentes
constants de couplage et les différentes masses des particules. Les exemples des
groupes SU(5) et O(10), avec leurs avantages relatifs, ont été discutés.

1.2. Les séminaires liés au cours

Après les premières 8 heures de cours, le professeur Riccardo Barbieri (Scuola


Normale Superiore, Pise, Italie) a donné deux séminaires intitulés « La physique
de la saveur dans le MS » et « Violation de la symétrie CP dans le MS ». Le premier
été centré sur la phénoménologie de la matrice CKM, les tests d’unitarieté, les
mélanges et oscillations des mésons K neutres, aussi que sur les bornes relatives aux
processus de FCNC (tels que μ → e γ). Dans le deuxième séminaire, le professeur
Barbieri a illustré les phénomènes de violation de la symétrie CP (toujours dans le
système des K neutres) et leur calcul dans le modèle standard.
Ces séminaires ont été suivis par deux autres donnés par le professeur Ferruccio
Feruglio (Université de Padoue, Italie), qui a développé la physique des neutrinos
dans le MS sous les titres « Masses, mélanges et oscillations des neutrinos : les données
expérimentales » et « Masses, mélanges et oscillations des neutrinos : la théorie ». Il a
donné ainsi un cadre très complet de la situation actuelle à la fois expérimentale
et théorique dans ce nouveau domaine très excitant de la physique des particules.
Ensuite, le professeur Barbieri est encore intervenue à trois reprises.
Premièrement, dans « Le tests de précision du MS », il a fait le point sur les tests
de précision du MS à travers des expériences de physique atomique et surtout avec
les données de l’accélérateur LEP du CERN. Il a souligné qu’un accord entre la
138 GABRIELE VENEZIANO

théorie et les données expérimentales a besoin de corrections radiatives et que cet


accord est tout à fait remarquable si le boson de Higgs est assez léger pour être
produit aux énergies du LHC.
Ensuite le séminaire « Modèles sans le boson de Higgs », porta sur des modèles où
le mécanisme de Higgs est induit par autre chose qu’un champ scalaire. Dans ce
cas de figure, il n’y aurait pas une véritable particule de Higgs. Un exemple de ce
genre c’est la théorie dite du « techni-couleur ». Même si cette classe de théorie est
esthétiquement attrayante, son accord avec les tests de précision est loin d’être
évident.
Dans son dernier séminaire, « Où la nouvelle physique peut-elle se cacher ? », le
professeur Barbieri a donné un panorama très complet des expériences qui
pourraient dénicher de la physique qui va au-delà de celle du MS soit en utilisant
de très hautes énergies (comme au LHC) soit par des mesures à basse énergie mais
d’une très grande précision.

2. Enseignement en dehors du Collège


Mai 2008 : « 40 anni di teoria delle stringhe : passato, presente e futuro ».
Conférence sur la théorie des cordes pour les étudiants des lycées à Florence: son
but était d’expliquer en quoi consiste la théorie des cordes, comment elle s’est
développée depuis sa découverte, et pourquoi les théoriciens de particules y sont
tellement intéressés aujourd’hui. Une conférence portant le même titre, mais
réadaptée, a été donnée, peu après, au « Collegio di Milano » (un Collège qui
réunit un nombre sélectionné d’étudiants universitaires de la métropole milanaise
de toutes disciplines), suivie d’un débat.

3. Activité de recherche
Elle a porté sur les trois sujets de l’intitulé de la chaire en particulier sur les
questions liées à la gravitation classique et quantique dans le cadre de la théorie
des cordes. Depuis 2005, la chaire fait aussi partie de la Fédération « Interactions
Fondamentales » avec le LPT-ENS, les LPNHE et LPTHE de Paris 6, et le APC
(après son départ du Collège).
Voici un aperçu de cette activité de recherche, suivi d’une liste des publications
scientifiques correspondantes.

3.1. Particules élémentaires


Avec le professeur Jacek Wosiek (Université de Cracovie, Pologne) nous avons
essayé de généraliser les modèles de mécanique quantique matricielle déjà étudiés
au cas d’une théorie de champs supersymétrique en deux dimensions spatio-
temporelles. En dépit d’un progrès indiscutable, nous sommes toujours confrontés
à des problèmes de divergences infrarouges qui nous empêchent, pour l’instant,
d’arriver à des conclusions fermes.
PARTICULES ÉLÉMENTAIRES, GRAVITATION ET COSMOLOGIE 139

3.2. Gravitation

L’étude théorique des collisions entre particules légères à énergies trans-


planckiennes, a été poursuivie dans le but de mieux comprendre le problème de
l’information en physique quantique des trous noirs.

Cette dernière année, avec les professeurs Daniele Amati (Université de Trieste)
et Marcello Ciafaloni (Université de Florence), un progrès considérable sur ce
problème a été accompli. Utilisant des méthodes à la fois analytiques et numériques,
nous avons résolu les équations de mouvement qui découlent d’une action efficace
en deux dimensions de l’espace que nous avions proposé il y a une quinzaine
d’années. Cette ligne de recherche a été poursuivie en collaboration avec le
professeur Jacek Wosiek. Les résultats, obtenus dans un contexte complètement
quantique, s’accordent très bien avec les estimations classiques et pourraient
indiquer la façon avec laquelle l’information est récupérée dans un processus
quantique de collision de particules ou de cordes.

3.3. Cosmologie

La théorie des cordes suggère de nouveaux scénarios cosmologiques où la


« singularité » du big-bang (c’est-à-dire l’instant où plusieurs quantités physiques
seraient devenues infinies) est remplacé par un « big bounce », une phase de
contraction qui, soudain, se transforme en expansion sans qu’aucune quantité
physique ne dépasse les bornes dictées par les dimensions finies des cordes
(« cosmologie à rebondissement »).

Récemment, avec le professeur Maurizio Gasperini (Universitè de Bari) et un


jeune chercheur, le docteur Giovanni Marozzi (Université de Bologne), nous avons
essayé de vérifier si la contre-réaction à la production cosmologique de particules
pourrait induire le rebondissement désiré. Nous avons fait des progrès considérables,
mais, pour l’instant, rien est sortie en forme de publication sur ce sujet.

4. Publications
1. « Towards and S-Matrix description of gravitational collapse » (avec D. Amati et
M. Ciafaloni), JHEP02 (2008) 049.
2. « Exploring an S-Matrix for gravitational collapse » (avec J. Wosiek), JHEP09 (2008)
023.
3. « Exploring an S-Matrix for gravitational collapse II : a momentum space analysis » (avec
J. Wosiek), JHEP09 (2008) 024.
4. « Non-local field theory suggested by Dual Models » dans « String theory and fundamental
interactions » (éditeurs : M. Gasperini et J. Maharana), Springer (2008), p. 29. Il s’agit de
la publication d’un manuscrit, écrit en 1973, que je n’avais jamais terminé. Il est maintenant
publié dans sa forme originale dans un livre avec les contributions d’un nombre de mes
collaborateurs en l’occasion de mes 65 ans.
140 GABRIELE VENEZIANO

5. Conférences
5.1. Conférences sur invitation
1. « Planar equivalence : an update », atelier sur « Non-perturbative gauge theories »
Édimbourg, août 2007.
2. « La théorie des cordes est-elle morte ? », Émission de Radio France (France Culture), Paris,
septembre 2007.
3. « Farewell talk : A sample of yet unfinished projects », CERN, Genève, septembre
2007.
4. « Did Time have a beginning ? », symposium « The two cultures : shared problems »,
Venise, octobre 2007.
5. « Transplanckian Superstring Collisions I », UCLA, novembre 2007.
6. « Transplanckian Superstring Collisions II », UCLA, décembre 2007.
7. « String Theory : Is Einstein’s dream being realized ? », Université des Hawaii, décembre
2007.
8. « Transplanckian scattering, black holes, and the information paradox », Université de
Californie à Irvine, décembre 2007.
9. « Towards an S-matrix for gravitational collapse », UCSB/KITP, Santa Barbara,
décembre 2007.
10. « Diverse prospettive di sviluppo della teoria quantistica della gravitazione », Conférence
« Spazio, tempo e materia : l’ultima parola è ancora quella di Einstein ? », Université de
Padoue, janvier 2008.
11. « Towards an S-matrix for gravitational collapse », séminaire joint des théoriciens,
IHP, Paris, avril 2008.
12. « Le Modèle standard de l’Univers : Succès et énigmes », Colloque Université Pierre et
Marie Curie, avril 2008.
13. « L’unité de la physique et la cosmologie », Conférence grand public, série « Cultures
d’Europe », Bruxelles, avril 2008.
14. « Towards an S-matrix description of gravitational collapse », Universitad Autonoma
Madrid, avril 2008.
15. « Towards an S-matrix description of gravitational collapse », Università di Roma, La
Sapienza, mai 2008.
16. « 40 anni di teoria delle stringhe : passato presente e futuro », conférence pour étudiants
des Lycées, Sesto Fiorentino, mai 2008.
17. « Il modello standard dell’Universo : successi ed enigmi », Colloque à l’Universitè de
Bologne, mai 2008.
18. « 40 anni di teoria delle stringhe : passato presente e futuro », conférence pour les
étudiants du « Collegio di Milano », mai 2008.
19. « Planar equivalence : an update », conférence « Non perturbative gauge theories »
GGI, Florence, juin 2008.
20. « Le grand Collisionneur d’hadrons (LHC) du CERN et ses enjeux », mardi de
l’Administrateur, Collège de France, juin 2008.
21. « Towards an S-matrix description of gravitational collapse », (à l’occasion de la chaire
Blaise Pascal du Professeur Michail Shifman), Orsay, juin 2008.
22. « Recent progress in transplanckian scattering », conférence pour le 50e anniversaire de
l’IHES, Bures-sur-Yvette, juin 2008.
PARTICULES ÉLÉMENTAIRES, GRAVITATION ET COSMOLOGIE 141

5.2. Organisation de conférences et d’ateliers


Comme membre de la FRIF (Fédération de Recherche Interactions Fondamentales) la
chaire a contribué à l’organisation d’un nombre d’ateliers à Paris, notamment :
— « Black holes, black rings and modular forms », ENS, Paris, août 2007.
— « Gravitational scattering, black holes, and the information paradox», IHP, Paris, 26-28
mai 2008.

6. Participation à des Comités


— Comité d’évaluation de l’école de doctorat Galileo Galilei de l’ Université de Pise.
— Chaire de l’« Advisory Committee » de l’Institut Galileo Galilei (GGI) à Arcetri
(Florence). En novembre 2007, le comité s’est réuni pour sélectionner les propositions
d’atelier pour l’année 2009. Trois propositions ont été sélectionnées.
— Depuis janvier 2007 l’Institut de Physique Nucléaire Italien (INFN) m’a chargé de
suivre les activités du GGI avec une présence de plusieurs semaines pendant chaque atelier.
J’ai donc passé au GGI quelques semaines en automne 2007 et au printemps 2008 et je
planifie d’y retourner pendant l’automne 2008.
— Chaire du « Wolfgang Pauli Committee », CERN, Genève.
— Membre du Comité d’organisation de la Conférence « Marcel Grossmann », Paris,
juillet 2009.

7. Groupes de travail
Le groupe de travail de l’Académie des sciences « Unités de base et constantes fondamentales »,
dont je faisais partie, a présenté ses recommandations finales au Bureau international des
Poids et Mesures en octobre 2006. Depuis, je fais partie d’un nouveau comité de l’Académie
des sciences, nommé « Science et métrologie », qui, poursuivant le même but, a commencé
ses travaux à l’automne 2007.

8. Prix, distinctions
Juillet 2008 : James Joyce Award, Literary and Historical Society, University College
Dublin, Irlande (sera consigné officiellement en mai 2009).
Géodynamique

M. Xavier Le Pichon, membre de l’Institut


(Académie des Sciences), professeur

COURS : Le cours n’a pas eu lieu.

Un colloque aura lieu à Saint Maximin dans le Var les 1er, 2 et 3 octobre 2008
pour mener une réflexion sur les grands problèmes de géodynamique qui ont été
traités depuis 1986 dans le cadre des cours de la chaire de géodynamique. Ce
colloque donnera lieu à la publication d’un livre.

Activités scientifiques de juin 2007 à juin 2008

Xavier Le Pichon avait dirigé le Laboratoire de Géologie de l’École normale


supérieure. Au 1er juillet 2003, il s’est délocalisé près du laboratoire du Cérège sur
l’Europôle de l’Arbois, près d’Aix-en-Provence, dans des locaux fournis par l’université
Paul Cézanne d’Aix-Marseille, pour que l’équipe de recherche de sa chaire de
Géodynamique forme avec l’équipe de recherche de la chaire d’Evolution du climat
et de l’océan d’Édouard Bard une antenne du Collège de France accueillie par
l’université Paul Cézanne. L’équipe de géodynamique comprend en 2008 treize
personnes : trois chercheurs permanents, six post-doctorants, un chercheur en cours
de thèse, un ingénieur informatique et un agent technique permanents, un agent
technique sous contrat temporaire. Le 16 septembre 2005 le nouveau bâtiment dit
« Trocadéro » mis à la disposition de l’antenne du Collège de France par l’Europôle de
l’Arbois a été inauguré, ce qui a permis une interaction plus étroite avec le laboratoire
d’Édouard Bard. Notre équipe de recherche a un accord-cadre avec la compagnie
pétrolière Total pour profiter des synergies dans nos intérêts de recherche.

L’intérêt de l’équipe repose sur la relation entre les processus de déformation


superficielle et les processus profonds en mettant l’accent sur l’importance des
forces de gravité et sur le rôle des fluides. La connaissance du contexte géodynamique
et tectonique est utile à la recherche pétrolière et c’est sur cette base qu’une
collaboration scientifique avec l’industrie pétrolière a pu être développée.
144 XAVIER LE PICHON

L’originalité de notre équipe tient à la coopération étroite avec l’industrie qui se


traduit dans le financement de thèses, de post-doctorants et de recherches, toutes les
recherches conduisant à des publications. L’axe principal de nos recherches est l’étude
géodynamique de zones tectoniquement actives menées avec la collaboration de
grands organismes de recherche publics et industriels (CEA, Total) et de PME locales
(SOACSY, EOSYS). Cet axe est sous la responsabilité de Claude Rangin. Un second
axe est lié à la technologie sous-marine avec en particulier une participation aux
efforts internationaux pour implanter des observatoires sous-marins sur les marges
continentales. Cet axe est sous la responsabilité de Pierre Henry.

L’étude géodynamique de zones tectoniquement actives en collaboration avec


l’Industrie s’appuie sur un accord-cadre avec la compagnie Total, un contrat de
recherche avec le CEA, et des contrats ponctuels avec les PME locales. Avec Total
les projets sont centrés sur la déformation des réservoirs dans le bassin du Bengale
et le Golfe du Mexique en privilégiant les relations entre déformation crustale et
glissements superficiels dans leur cadre géodynamique global. Deux sur les trois
thèses sous contrat engagées sur ce thème ont été défendues à la fin de l’année
2007. Avec le CEA et en collaboration avec Total, nous étudions la part de la
tectonique gravitaire dans la tectonique active de la Provence en testant un modèle
de glissement en masse sur des couches sédimentaires ductiles. L’analyse de profils
sismiques et leur vérité terrain est privilégiée. Mais grâce à l’IRSN, nous avons pu
disposer des données du réseau sismique de la Moyenne Durance, ce qui nous
permet de relocaliser la microsismicité de cette région prise en compte dans la
détermination du risque sismique pour la centrale de Cadarache et le nouveau
projet ITER. Ce travail a été présenté lors du colloque organisé en juin 2007 à Aix
en Provence. Il fera l’objet d’un numéro spécial de la Société Géologique de
France qui sera publié au début de l’année 2009.

L’objectif principal de la participation de l’équipe aux projets d’observatoire


sous-marin est la compréhension du couplage fluide-mécanique dans les zones de
faille et sous les pentes sous-marines instables. Les principaux chantiers sont l’étude
de la zone sismogène sur la marge de subduction japonaise dans le cadre du
programme de forage IODP, la surveillance de la faille Nord Anatolienne en Mer
de Marmara et le volet puits instrumentés de l’observatoire en Mer Ligure, conçu
en collaboration avec Géosciences Azur et l’Ifremer. Une campagne effectuée avec
le navire Atalante et le submersible Nautile d’Ifremer en mer de Marmara a eu lieu
en mai et juin 2007 sous la direction de Pierre Henry pour étudier les sorties de
fluide le long de la Faille Nord Anatolienne et leur lien possible avec l’activité
sismique. Les chantiers Marmara et Ligure entrent dans le cadre du réseau
d’excellence Européen Esonet. Le début des opérations de forage IODP avec le
navire Japonais Chikyu a eu lieu fin 2007 sur Nankai (projet Nantroseize). Ces
trois projets sont des projets à long terme.

Un effort considérable a continué à se porter sur la compréhension du contexte


géodynamique du grand séisme de Sumatra du 26 décembre 2004 qui avait été
GÉODYNAMIQUE 145

l’objet du cours principal de Xavier Le Pichon en 2006. Une participation de


Claude Rangin à la campagne de l’IFREMER  Sumatra Aftershocks  avait permis
de participer à une analyse fine de la déformation sur cette marge de subduction
très particulière. Par ailleurs, Jing Yi Lin et Tanguy Maury ont repris la localisation
des microséismes enregistrés durant la campagne. Les résultats obtenus ont été
publiés dans deux articles et les résultats finaux ont été présentés dans deux autres
articles soumis à publication. Ils mettent en évidence le rôle structurant des rides
des zones de fracture océaniques qui sont subduites obliquement sous la marge.
Il faut enfin noter la publication cette année à la Société Géologique de
France et à l’American Association of Petroleum Geologists d’un recueil de
travaux concernant la partie occidentale du Golfe du Mexique. Ce recueil met
à la disposition des chercheurs sous forme électronique et graphique les synthèses
géodynamiques (données et interprétations) obtenues dans le cadre de notre
collaboration avec TOTAL et PEMEX. Il est le fruit de la stratégie de recherche
que nous avons adoptée dans notre programme de géodynamique des zones actives
menées avec l’aide de l’industrie. Nous préparons maintenant un nouveau recueil
sur nos programmes concernant la Marge du Golfe du Bengale.

Activités diverses de Xavier Le Pichon

Le 11 juillet 2007 : Réunion de travail chez TOTAL / La Défense — Réunion de travail


sur projets Mexique et Sumatra.
Du 19/09/07 au 20/09/07 : Conférence au Colloque OCT (Ocean-Continent
Transition) à l’Institut Océanographique à Paris.
Du 17/08/07 au 21/08/07 : Conférence au Colloque « Science and Truth » à Rimini
(Italie).
Du 17/10/07 au 19/10/07 : Conférence au Colloque du Collège de France à Paris : « De
l’autorité ».
Du 16/11/07 au 19/11/07 : Meeting DPDC — Projet STOQ — Universités Pontificales
Romaines à Rome (Italie).
Du 03/12/07 au 05/12/07 : Conférence inaugurale au Symposium « Middle East Basins
Evolution » à Paris.
Le 23 janvier 2008 : Séminaire au Laboratoire Départemental de la Préhistoire du
Lazaret à Nice.
Du 21/02/08 au 28/02/08 : « Comité DPDC du Concile Pontifical pour la Culture »
(Réunion et visite d’évaluation à Rome (Italie).
Du 08/04/08 au 11/04/08 : Discours inaugural du Consortium Interuniversitaire
« Scuola per l’Alta Formazione » du 8 au 11 avril à Catane (Italie).
Du 15 au 16/04/08 : Conférence pour l’Office Chrétien des handicapés à Bruxelles
(Belgique).
Le 24 avril 2008 : Conférence pour la Société de Géographie à Marseille.
Le 11 juin 2008 : Conférence sur la Tectonique des Plaques au Musée de la Géologie
de Digne (Alpes de Haute Provence).
146 XAVIER LE PICHON

Publications de l’équipe de Géodynamique depuis juin 2007

Origin of the Southern Okinawa Trough volcanism from detailed seismic tomography.
J. Geophys. Res., 112, B08308, doi : 10.1029/2006JB004703. Lin, J.Y., Sibuet, J.C.,
Lee, C.S., Hsu, S.-K., and Klingelhoefer, F.
Spatial variations in the frequency magnitude distribution of earthquakes in the
southwestern Okinawa Trough. Earth Planets Space, 59, 221-225, 2007. Lin, J.-Y.,
Sibuet, J.C., Lee, C. S., and Hsu, S.-K.
Numerical model of fluid pressure solitary wave propagation along the decollement of an
accretionary wedge : application to the Nankaï wedge, Geofluids, 6, 1-12, 2007.
Bourlange, S., Henry, P.
Sumatra Earthquake research indicates why rupture propagated northward, EOS, 86,
497-502. SINGH, S., and the Sumatra Aftershocks Team, 2005, dont Rangin Claude.
26th December 2004 Great Sumatra-Andaman Earthquake : co-seismic and post-seismic
motions in northern Sumatra. Earth Planetary Science Letters, in press. Sibuet, J.-C.,
Rangin, C., Le Pichon, X., Singh, S., Catteneo, A., Graindorge, D., Klingelhoefer, F.,
Lin, J.-Y., Malod, J., Maury, T., Schneider, J.-L., Sultan, N., Umber, M., Yamaguchi, H.,
and the Sumatra Aftershocks Team, 2007. Earth Planet. Sci. Lett., doi: 10.1016/j.
epsl2007.09.005, 263, 88-103.
Le Pichon, Xavier. Active margins, in The establishment of the outer limits of the
continental shelf beyond 200 nautical miles — Its international circumstances and its
scientific aspects, 153-165, figures on CD, editor : Ocean Policy Research Foundation,
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Zitter T.A.C., Henry, P., Aloisi, G., Delaygue, G., Cagatay, M.N., Mercier de Lepinay, B.,
Al-Samir, M., Fornacciari, F., Tesmer, M., Pekdeger, A., Wallmann, K., and Lericolais, G.,
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Research Part 1 55 (4), 552-270. doi :10.1016/j.dsr.2008.01.002.
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Rangin, C., Le Pichon X., Flotte N. and L. Husson. Tertiary extension in the northern
Gulf of Mexico, a new interpretation of multichannel seismic data, Bull. Soc. Geol. France,
179, n° 2, 117-128.
Husson L., Le Pichon X., Henry P., Flotte N. and C. Rangin. Thermal regime of the
NW shelf of the Gulf of Mexico. Heat Flow, Bull. Soc. Geol. France, 179,
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Le Roy C., Rangin C., Le Pichon X., Aranda-García M., Hai Nguyen Thi Ngoc,
Andréani L. and Martínez-Reyes J. (2008). Neogene crustal shear zone along the western
Gulf of Mexico margin and its implications for gravity sliding processes: Evidences from
2D and 3D multichannel seismic data. Bull. Soc. Geol. France, 179, n° 2, 175-185.
Andréani L., Rangin C. and Martinez-Reyes J., Charlotte Le Roy C., Aranda-Garcia
M., Le Pichon X., and Peterson-Rodriguez R. (2008). Neogene left-lateral shearing along
GÉODYNAMIQUE 147

the Veracruz Fault: the eastern boundary of the Southern Mexico Block. Bull. Soc. Geol.
France, 179, n° 2, 195-208.
Andréani L., Le Pichon X., Rangin C. and Martinez-Reyes J., The Southern Mexico
Block : main boundaries and new estimation for its Quaternary motion, Bull. Soc. Geol.
France, 179, n° 2, 209-223.
Lin J.-Y., Sibuet J.-C., Lee C. S., Hsu S.-K., Klingelhoefer F., Auffret Y., Pelleau P. and
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Klingelhoefer, F., Lee C. S., Lin J.-Y. and Sibuet J.-C. (2008). Structure of the Okinawa
Trough from reflection and wide-angle seismic data. Tectonophysics, doi :10.1016/j.
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Lin, J.-Y., Sibuet J.-C. and Hsu S.-K. (2008). Variations of b-values at the western edge
of the Ryukyu subduction zone, northeastern Taiwan. Terra Nova, 20, 150-153.
Lin J.-Y., Sibuet J.-C., Hsu S.-K., Lee C. S. and Klingelhoefer F. (2008). Sismicité et
volcanisme dans le sud-ouest du bassin arrière-arc d’Okinawa (Nord-Est Taiwan). Bulletin
de la Société Géologique de France, accepted.
Le Pichon, X (2008). L’adoption d’une théorie scientifique, la Tectonique des Plaques,
l’effet de serre, in Antoine Compagnon (sous la direction de), De l’autorité, Paris, Odile
Jacob, 195-216.
Maurin, T., Pollitz, F. Masson, F., Rangin, C., Le Pichon, X., Chamot-Rooke, N.,
Delescluse, M., Collard, P., U Min Swe, U Win Naing, U Than Min, U Khin Maung Kyi
(2008). Northward rupture propagation of the 2004 Sumatra-Andaman Earthquake to
18°N: Evidences from geodetic and marine data in southern Myanmar. J. Geophys. Res.,
accepted.
Maurin, T. and Rangin, C. (2008). Structure and kinematics of the Indo-Burmese
Wedge : recent and fast growth of the outer wedge. Tectonics, accepted.
Crespy, A., Revil, A., Linde, N., Byrdina, S., Jardani, A., Bolève, A., and Henry, P.
Detection and localization of hydromechanical disturbances in a sandbox using the slf-
potential method, J. Geophys. Res., in press.
Évolution du climat et de l’océan

M. Édouard Bard, professeur

Histoire du climat : d’une Terre chaude à l’Eocène


aux glaciations du Pléistocène

Le cours de cette année a été consacré à la suite de l’histoire du climat de la


Terre abordé en 2006-2007. La période en question va de l’optimum du début de
l’ère Tertiaire aux glaciations du Quaternaire.

Après avoir revu brièvement les causes de l’optimum éocène, nous avons abordé
en détail la transition Eocène-Oligocène. Il s’agit d’une transition climatique
majeure mise en évidence à l’échelle mondiale dans les sédiments marins et
continentaux à toutes les latitudes. Elle correspond aussi à une transition faunistique
bien connue depuis le début du xxe siècle (« Grande Coupure » de Stehlin). Lors
du cours, une attention particulière a été portée sur l’événement Oi-1, il y a
environ 33 millions d’années. La comparaison entre les données des isotopes de
l’oxygène et de paléotempératures océaniques suggèrent que cet événement
correspond à une augmentation drastique du volume des glaces polaires. L’étude
de la distribution des débris rocheux transportés par les icebergs, en Atlantique
Nord et dans les Océans Arctique et Austral, montre bien que les deux pôles se
sont englacés de façon synchrone. Cette glaciation a été accompagnée d’une
perturbation massive de l’érosion chimique globale mise en évidence par des
indicateurs isotopiques (par ex. isotopes du strontium) et minéralogiques
(distribution des minéraux argileux). Le cycle du carbone a lui aussi subi une
variation importante, matérialisée par une augmentation de la productivité
planctonique de la zone australe, une élévation du rapport 13C/12C océanique et
un approfondissement, d’environ un kilomètre, de la profondeur de compensation
de la calcite. Ces variations du cycle du carbone ont été accompagnées d’une chute
de la teneur atmosphérique en gaz carbonique (plus de 500 ppm en moins de
10 millions d’années).
150 ÉDOUARD BARD

Plusieurs types de causes ont été proposés pour expliquer la dégradation


climatique de la transition Eocène-Oligocène. Des causes physiographiques
(ouverture des passages de Drake et de Tasmanie) expliquant l’établissement du
courant circumpolaire de l’Océan Austral qui aurait entrainé l’isolement climatique
de l’Antarctique et son entrée en glaciation. Des causes d’origine astronomique,
avec une configuration orbitale particulière caractérisée par une faible insolation
estivale aux hautes latitudes. Et enfin, des causes liées à l’influence de la
géodynamique sur le cycle du carbone : d’une part, une baisse limitée d’environ
un quart du taux d’accrétion océanique et d’autre part (surtout) la conséquence de
la collision de la plaque Indienne avec le continent asiatique. En effet, la surrection
de l’Himalaya et du plateau Tibétain a eu un impact majeur sur la circulation
atmosphérique, la mousson et sur l’altération physique et chimique des roches
cristallines de cette région du globe. La modélisation numérique prenant en compte
ces différents effets, indique que le forçage prépondérant est l’effet de serre du gaz
carbonique. Les variations orbitales expliqueraient la nature abrupte du phénomène.
L’ouverture des passages de Drake et de Tasmanie et l’établissement du courant
circumpolaire antarctique, n’auraient qu’un rôle secondaire.

L’analyse des isotopes de l’oxygène aux différentes latitudes de l’océan mondial,


montre que le climat mondial se réchauffe fortement à la transition Oligocène-
Miocène, il y a environ 25 millions d’années. L’étude des sédiments océaniques et
continentaux confirme le caractère mondial du réchauffement miocène. Cette
période correspond aussi à l’expansion des plantes en C4, adaptées à de basses
teneurs en CO2, à de fortes températures et à des saisons sèches. La transition de
la flore est reconstituée à partir des pollens, notamment ceux des graminées, ainsi
qu’à partir d’une hausse généralisée du rapport isotopique 13C/12C mesuré dans
les dents d’herbivores, les paléosols et la matière organique sédimentaire. Les faunes
se sont adaptées à ces changements de la végétation et du climat, en particulier les
mammifères avec les évolutions caractéristiques des équidés et des proboscidiens
traduisant les changements de régime alimentaire (folivore vs. graminivore) et
l’adaptation à la course dans un paysage de steppes et de savanes ouvertes.

Le climat mondial se refroidit progressivement à partir du milieu du Miocène,


mais ce n’est que vers trois millions d’années avant le présent que le climat se
dégrade vraiment avec une nouvelle intensification glaciaire au Pliocène. Plusieurs
causes ont été envisagées pour expliquer la dégradation mio-pliocène. Les
reconstitutions de la teneur en gaz carbonique ne montrent pas d’accord entre les
différents indicateurs. Néanmoins, l’enregistrement considéré comme le plus fiable
ne montre pratiquement pas de variation de la pCO2 entre 20 et 7 millions
d’années avant le présent ce qui suggère que d’autres causes sont à l’origine des
fluctuations climatiques observées.

Les variations orbitales pourraient expliquer certains événements comme l’épisode


glaciaire Mi-1 vers 23 millions d’années et l’intensification des glaciations à partir
de trois millions d’années. Néanmoins, ces configurations orbitales favorables aux
ÉVOLUTION DU CLIMAT ET DE L’OCÉAN 151

glaciations sont cycliques et il est donc probable que d’autres causes sont responsables
de la tendance à long terme sur plus de dix millions d’années.
Même si les continents avaient à peu près leurs géométries et positions actuelles,
plusieurs « petits » changements de la physiographie ont probablement eu un
impact sur la circulation océanique globale. La période considérée correspond
effectivement à l’établissement de la circulation moderne avec l’ouverture du
détroit de Fram, la fermeture de l’Isthme de Panama et un changement de la
géométrie du Passage Indonésien. L’étude de la répartition des faunes et la mise
en évidence de migrations à grande échelle (ex. des deux Amériques), ont permis
de suivre ces changements sur les continents.
L’impact de ces variations physiographiques sur la circulation océanique est
indéniable comme le montre l’analyse géochimique comparée des sédiments
carbonatés de l’Atlantique et du Pacifique, traduisant les contrastes de salinité de
surface et de ventilation profonde de ces deux océans. D’autres séries géochimiques
ont permis de mettre en évidence l’établissement de la stratification en salinité du
Pacifique Nord (halocline) vers trois millions d’années avant le présent.
Ces multiples modifications de l’océan ont eu de nombreuses répercussions sur
le climat mondial, conduisant globalement à l’installation de grandes calottes de
glace dans l’hémisphère nord. Afin de quantifier l’impact des variations des flux
de chaleur océanique sur l’évaporation et les précipitations, il est nécessaire de
considérer les résultats de la modélisation numérique. Les simulations récentes
confirment l’impact de la fermeture de l’Isthme de Panama sur la température et
les précipitations de l’hémisphère nord. La prise en compte de la stratification du
Pacifique Nord semble indispensable pour expliquer l’installation de la calotte
nord-américaine. Au niveau de la zone intertropicale, la migration vers le Nord
de la Nouvelle-Guinée serait à l’origine du refroidissement de l’Océan Indien
et de l’assèchement de l’Afrique de l’Est entre quatre et trois millions d’années
avant le présent.
Au cours des quatre derniers millions d’années, on assiste à une évolution
caractéristique des cycles glaciaires : d’une part une lente intensification des
glaciations (les calottes sont de plus en plus volumineuses) et, d’autre part, une
évolution de la fréquence des épisodes glaciaires : avec une cyclicité de 41 000 ans
avant 1,4 million d’années et d’environ 100 000 ans après 700 000 ans avant le
présent. Le cycle de 41 000 ans est clairement lié au cycle de l’obliquité de l’axe
de rotation de la Terre. Par contre, la cyclicité d’environ 100 000 ans fait encore
l’objet de nombreuses recherches car le cycle de l’excentricité orbitale, d’environ
100 000 ans, ne peut en rendre compte, son influence sur l’insolation étant
extrêmement faible. Par ailleurs, la bande de fréquence de 100 000 ans est
relativement diffuse et pourrait être liée à des multiples de l’obliquité (82 000 et
123 000 ans). L’évolution du volume des glaces continentales, étudiée finement à
partir du rapport 18O/16O de l’océan profond, montre que l’influence du cycle de
précession d’environ 19-23 000 ans est pratiquement absent avant 900 000 ans et
152 ÉDOUARD BARD

qu’il apparaît dans les enregistrements avec le cycle de 100 000 ans. Ce
bouleversement des caractéristiques, en amplitude et fréquence du phénomène
glaciaire, est appelé la « transition mi-Pléistocène » (MPT en Anglais).

Pour comprendre les causes de cette évolution, j’ai fait quelques rappels sur la
dynamique des calottes de glace, notamment les différents facteurs qui régissent
l’accumulation hivernale et l’ablation estivale. Le bilan de masse dépend évidemment
de la température et des précipitations sous forme de neige. Il est aussi crucial de
tenir compte d’autres facteurs qui agissent sur le bilan de glace, comme l’élévation
de l’inlandsis qui contribue à sa préservation, la subsidence isostatique qui entraîne
une rétroaction positive sur la croissance et la fonte de la calotte, la formation
d’une plate-forme ou barrière de glace (ice shelf en Anglais) lorsque la calotte
déborde sur l’océan, la présence en base de calotte de sédiments gorgés d’eau qui
favorisent l’écoulement (couche lubrifiante), ce phénomène pouvant être amplifé
par l’eau des lacs supraglaciaires, formée pendant la fonte estivale, qui peut pénétrer
dans les crevasses jusqu’en base de calotte.

Plusieurs mécanismes ont été envisagés pour expliquer les caractéristiques de la


transition mi-Pléistocène. L’absence des cycles de précession dans l’enregistrement
du volume des glaces continentales pourrait être expliqué par une compensation
des variations des inlandsis des deux hémisphères subissant des changements
d’insolation en antiphase. Le faible volume des calottes antérieures à la transition
serait une condition de cette compensation. D’autres chercheurs pensent que
l’énergie solaire totale reçue en été contrôle la vitesse de variation en masse des
calottes. Cette énergie totale estivale dépend essentiellement de l’obliquité ce qui
expliquerait la dominance de cette fréquence avant la transition mi-Pléistocène.

Néanmoins, les paramètres orbitaux ne permettent pas d’expliquer à eux seuls la


transition graduelle en amplitude et fréquence. Plusieurs hypothèses ont donc été
proposées pour en rendre compte. Certains chercheurs ont envisagé qu’une baisse
à long terme de la teneur atmosphérique en gaz carbonique aurait favorisé les
glaciations. Cependant, les données disponibles sur la pCO2 ne suggèrent pas
d’évolution significative dans ce sens (l’enregistrement sur 800 000 ans à partir des
bulles d’air des glaces de l’Antarctique montrant même une augmentation de la
pCO2 des périodes glaciaires).

Une autre explication possible est l’érosion mécanique du régolithe. Cette


hypothèse est fondée sur des observations géologiques suggérant que les calottes
précédant la transition auraient été très étendues en surface alors même que leurs
masses étaient plus faibles (en particulier la calotte nord-américaine). Avant la
transition mi-Pléistocène, la présence du régolithe, couche d’altérite formée aux
périodes chaudes du Tertiaire, aurait conduit à l’étalement des calottes. L’érosion
de cette couche lubrifiante aurait ensuite permis aux calottes de croître beaucoup
plus en altitude et donc en volume global.
ÉVOLUTION DU CLIMAT ET DE L’OCÉAN 153

Des inlandsis beaucoup plus gros auraient conduit à une synchronisation


interhémisphérique, notamment en raison de l’influence de l’océan sur les plate-
formes de glace périphériques ainsi que d’autres connexions possibles liées à des
rétroactions du cycle du carbone comme en témoignent l’émergence du cycle à
100 000 de la pCO2 atmosphérique et les variations du rapport isotopique 13C/12C
benthique de l’Atlantique et du Pacifique (et du gradient entre ces deux océans).
Ces grandes fluctuations du cycle du carbone à partir de la transition mi-Pléistocène
signalent la séquestration du CO2 dans l’océan profond et illustrent l’importance
probable de l’effet de serre pour expliquer la sévérité des conditions glaciaires
postérieures à la transition.
De multiples indicateurs mesurés dans plusieurs types d’archives géologiques
permettent de reconstituer le climat des grandes glaciations du dernier million
d’années. En particulier, la comparaison entre les enregistrements des sédiments
marins et des glaces polaires montre que les grands cycles glaciaires d’environ
100 000 ans sont caractérisés par des variations de température, de niveau marin
et de pCO2 globalement en phase. La datation uranium-thorium des coraux
fossiles indique que le niveau marin s’est abaissé de plus d’une centaine de mètres
pendant les glaciations et a dépassé le niveau actuel pendant quelques périodes
rares et brèves, notamment le Dernier Interglaciaire centré vers 125 000 ans avant
le présent (environ + 7 m). La moitié de cette hausse serait liée à la réduction de
moitié de la calotte Groenlandaise.
Les données paléothermométriques indiquent un refroidissement généralisé
d’environ 4 °C pendant les phases glaciaires, avec une amplification marquée sur
les continents et les latitudes les plus hautes. La comparaison de séries de température
aux différentes latitudes indique une amplification d’environ un facteur deux à
trois, traduisant l’existence de rétroactions positives spécifiques aux zones polaires.
Par exemple, la cartographie des banquises des deux hémisphères suggère que leur
influence était beaucoup plus marquée pendant les phases froides.
Le bilan des forçages radiatifs de la dernière glaciation suggère que la baisse des
teneurs en gaz à effet de serre, notamment le CO2 (baisse de 100 ppm), est
responsable pour environ un tiers de la perturbation climatique. Ce forçage serait
dominant sous les tropiques ce qui expliquerait leur refroidissement d’environ
2 °C. Au premier ordre, les observations de l’amplification polaire et du
refroidissement tropical sont compatibles avec la sensibilité climatique estimée par
les modèles numériques.
La dernière transition glaciaire-interglaciaire a été étudiée avec une bonne
résolution temporelle ce qui permet de quantifier les déphasages entre les multiples
paramètres du climat. Le réchauffement post-glaciaire est rapide à l’échelle
géologique, mais relativement lent en moyenne mondiale : quelques degrés sur dix
mille ans. L’augmentation postglaciaire du CO2 atmosphérique n’est pas la cause
du réchauffement initial, mais il n’est pas non plus une simple réponse au
réchauffement océanique. Ainsi, l’effet de la solubilité (4 %/°C ≈ 10 ppm/°C) n’est
154 ÉDOUARD BARD

responsable que d’environ 20 ppm. L’augmentation de CO2 observée, environ


100 ppm, est liée à de nombreuses rétroactions du cycle du carbone impliquant
notamment l’océan profond comme le montrent les enregistrements du 13C/12C
des foraminifères benthiques.
La chronologie et la structure du réchauffement postglaciaire sont variables
d’une région à une autre. Dans certaines zones, les enregistrements indiquent
même de grandes amplitudes, des accélérations brusques (par ex. 10 °C en quelques
décennies au Groenland) et des refroidissements transitoires : l’événement du
Dryas Récent dans l’Hémisphère Nord et le Renversement Froid Antarctique dans
la zone Australe (Antarctic Cold Reversal en Anglais). Le réchauffement semble
avoir été initié par l’augmentation de l’insolation estivale liée aux variations de
l’orbite terrestre. L’augmentation de l’effet de serre (CO2, CH4, N2O) a suivi les
premiers signes locaux d’élévation de température, mais précède l’essentiel du
réchauffement. Il s’agit d’une rétroaction positive expliquant environ le tiers de
l’amplitude thermique.
La fonte des calottes de glace peut être étudiée en cartographiant et en datant
les moraines terminales sur les continents. Néanmoins, l’enregistrement le plus
fiable est celui du niveau marin obtenu par la datation uranium-thorium des
coraux fossiles prélevés en forant les récifs coralliens, notamment ceux des îles de
La Barbade dans les Caraïbes et de Tahiti en Polynésie. Globalement, le niveau
marin suit le réchauffement postglaciaire avec un retard de plusieurs millénaires.
La remontée moyenne est relativement lente, 130 m en 15 000 ans, mais elle
ponctuée d’accélération(s) causée(s) par la débâcle des calottes : plusieurs mètres
par siècle pour l’événement « Melt Water Pulse 1A » qui a eu lieu, il y a environ
14 500 ans. La comparaison et la modélisation géophysique des niveaux marins
observés en Atlantique et dans le Pacifique permettent de localiser les sources de
glace et la chronologie de la fonte des différents inlandsis de la dernière période
glaciaire.

Pour compléter le cours sur l’histoire du climat, un colloque de séminaires a été


consacré au rôle du Soleil comparé à ceux des autres forçages climatiques.
Le flux d’énergie reçue du Soleil, la « constante solaire » (l’éclairement ou
l’irradiance), varie en fait à de nombreuses échelles de temps. Depuis la formation
du Soleil, il y a environ 4,6 milliards d’années, son activité a augmenté d’environ
30 %. Dans sa jeunesse, la surface de la Terre recevait donc moins d’énergie, ce
qui a probablement contribué à expliquer certaines périodes de glaciation extrême.
Plus proches de nous, au cours des derniers siècles, différentes observations ont
permis de mettre en évidence la variabilité de l’activité du soleil. Les aurores
boréales, ainsi que les taches solaires observées depuis l’invention de la lunette
astronomique, ont permis ainsi de démontrer l’existence d’une cyclicité très
prononcée de 11 ans, ainsi que des variations cycliques ou irrégulières sur plusieurs
dizaines et centaines d’années.
ÉVOLUTION DU CLIMAT ET DE L’OCÉAN 155

Ces variations de l’activité solaire ont pu être rapprochées des hauts et bas
climatiques en Europe, reconstitués par les historiens, et confirmés par les
paléoclimatologues. Ainsi, le « Petit Age Glaciaire » du xive au xviiie siècle
correspond globalement à une période de faible activité du Soleil (Minima de
Maunder, Spörer et Wolf), tandis que le réchauffement global du climat qui a suivi
est contemporain d’une augmentation de cette activité.

Pourtant, il a fallu attendre les mesures suffisamment précises des satellites, depuis
seulement une trentaine d’années, pour pouvoir quantifier ce flux d’énergie solaire et
en démontrer les variations. L’éclairement total varie ainsi d’environ 0,1 % au cours
d’un cycle de 11 ans. Ces trente années d’observations ne permettent pas de prouver
l’existence d’une tendance pluridécennale de l’éclairement, tendance qui au plus
serait très limitée. C’est pour cette raison que le Groupe d’experts Intergouvernemental
sur l’Evolution du Climat (GIEC) n’attribue à l’augmentation du flux d’énergie
solaire qu’une contribution très limitée au réchauffement global du dernier siècle.
D’autres mesures indirectes de l’activité du soleil permettent des reconstitutions
avant l’ère des satellites. Des mesures du flux de particules cosmiques mais aussi de la
perturbation du champ magnétique à la surface de la Terre, tous deux contrôlés par
le champ magnétique solaire, permettent de remonter sur plus d’un siècle.

Au-delà, les isotopes cosmogéniques, formés par l’interaction du rayonnement


cosmique sur l’atmosphère, notamment le carbone-14 et le béryllium-10, sont des
outils très précieux car ils permettent de remonter sur plusieurs milliers d’années
dans le passé. Comme l’origine commune aux enregistrements de ces deux isotopes
est l’activité du Soleil, leur très bonne correspondance est une preuve de leur
fiabilité comme traceurs de l’activité du Soleil. Malheureusement, tous ces
enregistrements sont trop indirects pour permettre de quantifier par eux-mêmes
les variations du flux d’énergie solaire. Pour cette raison, les nombreuses études qui
ont tenté d’expliquer les variations climatiques des derniers siècles aux derniers
millénaires à l’aide de l’activité du soleil ne reposent que sur des corrélations
empiriques. Les mécanismes physiques qui pourraient expliquer l’impact climatique
de l’activité solaire restent à découvrir. L’enjeu de cet impact sur la prévision des
changements climatiques futurs est tel qu’il est très important de progresser par
des approches pluridisciplinaires associant les astrophysiciens aux climatologues.
Tel était le but de ce colloque, qui se proposait ainsi de faire le point à la fois sur
le fonctionnement du Soleil et sur celui du système climatique, notamment des
différentes composantes sensibles à l’activité du soleil.

Sylvaine Turck-Chièze, du Laboratoire Plasmas Stellaires et Astrophysique


Nucléaire du CEA, à Saclay, a ainsi exposé l’apport de la modélisation à la
connaissance du fonctionnement de notre étoile. Des modèles de complexités
différentes permettent ainsi de tester différentes hypothèses de fonctionnement,
mais aussi d’en prévoir l’évolution. Elle a aussi dressé un bilan des connaissances
actuelles et rappelé que les observations du satellite SoHO, lancé en 1995, ont
conduit à une vision nouvelle du Soleil. Une partie de la dynamique interne du
156 ÉDOUARD BARD

Soleil a été élucidée, cependant des questions persistent encore sur le cœur solaire
et sur l’interaction entre le champ magnétique de la région radiative et celui de la
région convective.
Gérard Thuillier, du Service d’Aéronomie du CNRS, à Verrières-le-Buisson, a
ensuite exposé les principaux forçages climatiques et les mécanismes possibles de
l’impact climatique du soleil. Il n’existe pas d’accord général pour les reconstitutions
de l’éclairement solaire total pour le passé, mais de nouveaux projets sont en cours
afin de fournir de nouvelles données. Ainsi, Gérard Thuillier nous a présenté
l’expérience PICARD dont l’objectif est de mesurer l’irradiance solaire totale ainsi
que le diamètre du soleil, ces deux paramètres étant peut-être liés. Cette expérience
embarquée devrait être mise en orbite l’année prochaine dans les conditions idéales
de développement du prochain cycle solaire, le cycle 24.
Thierry Dudok de Wit, du Laboratoire de Physique et Chimie de l’Environnement
et de l’Université d’Orléans, a montré quels sont les impacts de l’activité du Soleil
sur l’environnement de la planète Terre, en termes de bombardement de particules
et d’émissions d’ondes électromagnétiques notamment. Il a également insisté sur
la composante ultraviolette (UV) de ces émissions, qui présente une variabilité bien
supérieure à celle de l’irradiance totale, et dont l’impact sur la stratosphère (via la
formation de l’ozone) pourrait représenter un mécanisme important.
Olivier Boucher, de l’Office Météorologique Britannique (Meteorological Office,
Hadley Centre), a expliqué comment les modèles actuels du climat prennent en
compte les interactions internes au système climatique basées sur les cycles
biogéochimiques, notamment le cycle du carbone. Ces modèles sont utilisés pour
réaliser des projections des changements climatiques sur le prochain siècle,
notamment dans le cadre du GIEC. Ces modèles prévoient ainsi que ces interactions
amplifient un réchauffement dû aux gaz à effet de serre, plutôt que de le limiter.
Claudia Stubenrauch, du Laboratoire de Météorologie Dynamique du CNRS et
de l’Ecole Polytechnique, a exposé les principales propriétés radiatives des nuages
et les différents moyens de mesure de ces propriétés à l’échelle globale. Les nuages
jouent des rôles importants mais complexes dans le système climatique. En outre,
il a été proposé que leur formation pourrait être influencée par l’activité du Soleil,
il est donc capital d’avoir des mesures aussi complètes que possible de cette
composante. Claudia Stubenrauch a ainsi montré que les différents types de
mesures par satellites sont complémentaires et doivent être associées afin d’avoir
une information complète sur les différents nuages et leurs propriétés.
Enfin, Sandrine Bony-Léna, du même Laboratoire de Météorologie Dynamique,
a montré comment les modèles climatiques permettent de mieux comprendre la
réponse du climat à une perturbation externe (sensibilité du climat à un forçage).
En particulier, les modèles permettent de décomposer cette réponse entre les
différentes interactions propres au système climatique. Un des résultats importants
est de limiter la contribution des nuages à environ un quart de la réponse globale
ÉVOLUTION DU CLIMAT ET DE L’OCÉAN 157

du climat. Ainsi, même si l’activité solaire jouait un rôle via ces nuages, cette
composante du climat ne pourrait amplifier les variations de l’activité solaire de
manière plus importante.
Cette journée consacrée aux variations climatiques et au rôle du Soleil et autres
forçages externes fut l’occasion de réunir des scientifiques appartenant à différentes
communautés, mais dont les objectifs de recherche se rejoignent. Ce colloque a
permis de faire le point sur l’état des connaissances actuelles et des nombreuses
questions qui subsistent encore.

Les séminaires de l’année 2007-2008


En complémentarité avec les douze cours (à Paris, Chicago, Kiel, Utrecht-Texel, Bruxelles
et Cambridge), neuf séminaires ont été organisés dont la liste est donnée ci-dessous par
ordre chronologique.
Dans le cadre du colloque intitulé « Climats du passé et du futur » organisé le 13 février
2008 au Palais des Académies de Belgique (Bruxelles) en collaboration avec l’Université
Libre de Bruxelles :
— André Berger (Université Catholique de Louvain, Belgique) « Notre exceptionnellement
long interglaciaire ».
— Roland Souchez (Université Libre de Bruxelles, Belgique) « Isotopes des gaz dans la
glace et changements climatiques ».
Dans le cadre du colloque intitulé : « Variations climatiques : rôle du Soleil et des autres
forçages externes » organisé le 30 mai 2008 à Paris (Amphithéâtre Marguerite de
Navarre) :
— Edouard Bard (Collège de France) « Perspectives historiques et paléoclimatiques ».
— Sylvaine Turck-Chièze (Laboratoire Plasmas Stellaires et Astrophysique Nucléaire du
CEA, Saclay) « Fonctionnement du Soleil et origines de sa variabilité ».
— Gérard Thuillier (Service d’Aéronomie du CNRS, Verrières-le-Buisson) « Les forçages
externes du système climatique et l’expérience PICARD ».
— Thierry Dudok de Wit (Laboratoire de Physique et Chimie de l’Environnement,
CNRS et Université d’Orléans) « Relations Soleil-Terre et le rôle de la composante UV ».
— Olivier Boucher (Meteorological Office, Hadley Centre, Angleterre) « Cycles biogéo-
chimiques et rétroactions climatiques ».
— Claudia Stubenrauch (Laboratoire de Météorologie Dynamique, CNRS, Ecole
Normale Supérieure, Ecole Polytechnique) « Propriétés des nuages et leur variabilité à partir
des observations spatiales ».
— Sandrine Bony-Léna (Laboratoire de Météorologie Dynamique, CNRS, Ecole
Normale Supérieure, Ecole Polytechnique) « Modélisation de la réponse du climat à un
forçage externe ».

Autres cours et conférences de l’année 2007-2008


Aix-en-Provence, 3 décembre 2007. Europôle de l’Arbois : « Variations climatiques
naturelles et anthropiques ».
Aix-en-Provence, 22 janvier 2008. Institut d’Etudes Politiques : « Notre société face au
climat ».
Lamont-Doherty Earth Observatory de l’Université Columbia New York, 22 mai 2008 :
« Paleomonsoon records viewed from the ocean ».
158 ÉDOUARD BARD

Paris, 26 juin 2008. Sénat OPECST (Office parlementaire d’évaluation des choix
scientifiques et technologiques) : « L’enjeu de la multidisciplinarité pour comprendre le
changement climatique ».

Activités de recherches
Cette année, l’équipe de la Chaire de l’Évolution du Climat et de l’Océan a
poursuivi son étude de la variabilité solaire à long terme et de son impact sur le
climat mondial.
Nos recherches à ce sujet sont fondées sur la comparaison d’enregistrements
totalement indépendants : le 14C mesuré dans les cernes d’arbres et le béryllium 10
analysé dans les glaces de l’Antarctique (14C et 10Be sont deux cosmonucléides
formés dans la haute atmosphère). Ces séries ont permis, d’une part, de retrouver
les périodes de faible activité solaire déjà connues des astronomes grâce aux
comptages des taches solaires et aux observations directes d’aurores boréales, et
d’autre part, de mettre en évidence des minima solaires encore plus anciens. Notre
reconstitution de l’irradiance solaire sur 1 000 ans a été choisie par les modélisateurs
du climat comme courbe de forçage « étalon » (cf. p. 479 du rapport IPCC-GIEC
2007). Cette étude est en cours d’extension pour les sept derniers millénaires
(comparaison de la courbe 14C INTCAL04 avec les données 10Be de la carotte de
glace de Vostok en Antarctique Central ; collaboration avec le CSNSM et le
LSCE).
Les mesures de 10Be peuvent maintenant être faites au CEREGE à l’aide du
nouvel accélérateur de 5MV ASTER installé sur le campus de l’Arbois à Aix-en-
Provence. La chimie préparative du béryllium (extraction et purification) est
réalisée dans le laboratoire de la chaire de l’évolution du climat et de l’océan
(bâtiment Trocadéro de l’Arbois). L’équipe est impliquée dans le programme de
mesure du 10Be sur une nouvelle carotte de glace. Le forage de Dôme Talos, site
proche de la mer de Ross, a atteint 1 619,20 m de profondeur. La glace formant
le fond du forage est très ancienne, et d’après une première datation, la carotte
couvre les derniers 65 000 ans à une profondeur de 1 300 m. Le forage a été
échantillonné pour les mesures du 10Be et les échantillons de glace sont stockés
dans un entrepôt frigorifique à proximité du CEREGE. Ce forage au Dôme Talos
a été réalisé dans le cadre du projet TALDICE mené principalement par une
collaboration franco-italienne. Le projet reçoit un soutien national de l’INSU
(programme LEFE Talos Dome) et de l’IPEV pour la logistique polaire.

Publications

2008
Eris K.K., Ryan W.B.F., Cagatay M.N., Lericolais G., Sancar U., Menot G.,
Bard E. Reply to Comment on « the timing and evolution of the post-glacial transgression
across the Sea of Marmara shelf, south of Istanbul » by Hiscott et al., Marine Geology 254,
230-236 (2008).
ÉVOLUTION DU CLIMAT ET DE L’OCÉAN 159

Tachikawa K., Sépulcre S., Toyofuku T., Bard E. Assessing influence of diagenetic
carbonate dissolution on planktonic foraminiferal Mg/Ca in the South-eastern
Arabian Sea over the past 450 k years : Comparison between Globigerinoides ruber and
Globigerinoides sacculifer. Geochemistry Geophysics Geosystems (G-cubed) 9 (4), Q04037, doi :
10.1029/2007GC001904, 1-16 (2008).
Bard E., Delaygue G. Comment on « Are there connections between the Earth’s
magnetic field and climate ? » by Courtillot et al. (2007), Earth and Planetary Science Letters
265, 302-307 (2008).

2007
Bard E., Raisbeck G., Yiou F., Jouzel J. Comment on « Solar activity during the last
1000 yr inferred from radionuclide records » by Muscheler et al. (2007). Quaternary Science
Reviews, 26, 3118-3133 (2007).
Blanchet C.L., Thouveny N., Vidal L., Leduc G., Tachikawa K., Bard E.,
Beaufort L. Terrigenous input response to glacial/interglacial climatic over southern Baja
California : a rock magnetic approach. Quaternary Science Reviews, sous presse.
Buck C, Bard E. A calendar chronology for mammoth and horse extinction in North
America based on Bayesian radiocarbon calibration. Quaternary Science Reviews, 26,
2031-2035, (2007).
Böning P., Bard E., Rose E. Towards direct micron-scale XRF elemental maps and
quantitative profiles of wet marine sediments. Geochemistry Geophysics Geosystems (G-cubed)
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Paleoceanography 22, PA3204, doi:10.1029/2006PA001269, 1-18 (2007).
Eris K.K., Ryan W.B.F., Cagatay M.N., Sancar U., Lericolais G., Menot G.,
Bard E. The timing and evolution of the post-glacial transgression across the Sea of
Marmara shelf south of Istanbul, Marine Geology, 243, 57-76 (2007).
Leduc G., Vidal L., Tachikawa K., Rostek F., Sonzogni C., Beaufort L., Bard E.
Moisture transport across Central America as a positive feedback on abrupt climatic changes.
Nature 445, 908-911 (2007).
Pichevin L., Bard E., Martinez P., Billy I. Evidence of ventilation changes in the
Arabian Sea during the Late Quaternary : implication for denitrification and nitrous oxide
emission. Global and Biogeochemical Cycles 21, GB4008, doi:10.1029/2006GB002852,
1-12 (2007).
Rickaby R.E.M., Bard E., Sonzogni C., Rostek F., Beaufort L., Barler S., Rees G.,
Schrag D. Coccolith chemistry reveals secular variations in the global ocean carbon cycle ?
Earth and Planetary Science Letters 253, 83-95 (2007).

Textes divers (vulgarisation, chapitre de livre, préface,


principales interviews) :
Bard E. Les variations climatiques du passé et de l’avenir, in « Les géosciences au service
de l’Homme : comprendre l’avenir », éditions Hirlé, 177-195 (2007).
Collectif. « Quel temps fera-t-il demain ? », éditions Tallandier, 107-120 ; 167-174
(2007).
Bard E. Bac to basics : l’effet de serre. La Recherche, hors-série n° 3, 46-53 (2007).
Bard E. L’océan et le changement climatique. La lettre de l’Académie des sciences n° 21,
15-19 (2007).
160 ÉDOUARD BARD

L’Echo (Belgique), p. 11, 24 avril 2008. La paléoclimatologie nous parle.


La Libre Belgique, p. 17, 14 février 2008. Accepter des actions qui nous coûtent.
Le Figaro, p. 12, 3-4 février 2007. Comme si Paris était déplacée à la latitude de
Bordeaux.
Libération, p. 38-39, 27-28 janvier 2007. La menace d’un changement climatique
dangereux se confirme.

Conférences dans le cadre de colloques internationaux


Londres, 8-10 janvier 2008 : Quaternary Research Association Annual Meeting (Royal
Geographical Society). Bard E. The Wiley Lecture : The last deglaciation and its impacts
in the North Atlantic and adjoining seas.
Cambridge et Londres (Royal Society), 10-13 mars 2008, The Leverhulme Climate
Symposium 2008. Bard E. The solar variability.
Vienne, 13-18 avril 2008 : European Geosciences Union General Assembly.
— Böning P., Bard E. Millennial scale thermocline ventilation changes in the Indian
Ocean as implied from aragonite preservation in the Arabian Sea.
— Camoin G., Seard C., Deschamps P., Durand N., Yokoyama Y., Matsuzaki H.,
Webster J., Braga J.C., Bard E., Hamelin B. Reef accretion during the post-glacial
sea-level rise at Tahiti (French Polynesia) : I.O.D.P. #310 expedition « Tahiti sea level ».
— Deschamps P., Durand N., Bard E., Hamelin B., Camoin G., Thomas A.L.,
Henderson G., Yokoyama Y. Deglacial Melt Water Pulse 1A revisited from the new
IODP Tahiti record.
— Felis T., Asami R., Bard E., Cahyarini S.Y., Deschamps P., Durand N.,
Hathorne E., Kölling M., Pfeiffer M. Pronounced interannual variability in South
Pacific temperatures during the early deglacial — coral-based results from IODP Expedition
310.
— Leduc G., Vidal L., Cartapanis O., Bard E. Modes of Eastern Equatorial Pacific
thermocline variability : implications for ENSO dynamics over the last glacial period.
— Naughton F., Sanchez Goni M.F., Kageyama M., Bard E., Duprat J., Cortijo E.,
Malaizé B., Joly C., Rostek F., Turon J.-L. Alternative mechanisms explaining the
complex pattern of Heinrich events in the North Atlantic mid-latitudes.
— Thomas A.L., Henderson G.M., Deschamps P., Yokoyama Y., Bard E.,
Hamelin B., Durand N., Camoin G. Lowstand sea levels from U-Th dating of pre-LGM
corals : results from IODP expedition 310 « Tahiti sea level ».
Vancouver, 13-18 juillet 2008, Goldschmidt Conference.
— Thomas A.L., Henderson G.M., Deschamps P., Yokoyama Y., Bard E.,
Hamelin B., Durand N., Camoin G. The timings of sea level change during the last
glacial cycle, from U/Th dating of submerged corals : Results from IODP expedition 310
« Tahiti sea level ».

Responsabilités diverses :
Directeur-Adjoint du Centre Européen de Recherche et d’Enseignement en Géosciences
de l’Environnement (CEREGE UMR 6635).
Membre nommé du Conseil de l’Agence d’évaluation de la recherche et de l’enseignement
supérieur (AERES) du ministère de l’Enseignement supérieur et de la Recherche (MESR).
Membre du Conseil du laboratoire NOSAMS de la Woods-Hole Oceanographic
Institution (USA).
ÉVOLUTION DU CLIMAT ET DE L’OCÉAN 161

Membre de la délégation du gouvernement français accompagnant le Ministre J.-L. Borloo


à la Conférence sur le Changement Climatique des Nations Unies (Bali, Indonésie,
décembre 2007).
Participant à la table ronde sur le climat en présence du Président N. Sarkozy et du
Prince Albert II (Monaco, 25 avril 2008).
Participant à l’audition au Sénat (OPECST) au sujet de la création d’un observatoire de
l’Arctique (Paris, 26 juin 2008).

Distinction
2008, Wiley Lecture de la Quaternary Research Association (Royal Geographical Society,
Londres),
Astrophysique observationnelle

M. Antoine Labeyrie, membre de l’Institut


(Académie des Sciences), professeur

I. Cours et séminaires
Les progrès en cours et prévisibles des observations astronomiques à haute
résolution angulaire ont encore fait l’objet du cours de cette année. La voie des
télescopes géants dilués, encore nommés « hypertélescopes », explorée depuis une
dizaine d’années, apparaît prometteuse. D’une part, la compréhension théorique de
ces instruments et de leurs propriétés d’imagerie progresse et confirme l’amélioration
de leur sensibilité, par rapport aux interféromètres plus classiques comportant un
petit nombre de grandes ouvertures. D’autre part, les techniques visant à leur mise en
œuvre se mettent en place. Un grand défi est de parvenir à rendre les hypertélescopes
utilisables pour observer les objets les plus faiblement lumineux auxquels accèdent les
télescopes classiques et leurs versions à venir nommées « Extrêmement Grands
Télescopes », comportant un miroir mosaïque de 25 à 42 m.
Ces différents points ont été abordés dans le cours, et certains l’ont été dans les
séminaires de Roberto Gilmozzi, Jean Surdej, Michel Aurière, Didier Pelat, Lyu
Abe, Jean-Gabriel Cuby, Tristan Guillot, Guy Perrin et Hervé Le Coroller.

II. Activités de recherche du Laboratoire d’Interféromètrie Stellaire


et Exo-planétaire ( LISE)
Le groupe de recherche LISE associé à la chaire d’Astrophysique Observationnelle
est hébergé à l’Observatoire de Haute Provence et à l’Observatoire de la Côte-
d’Azur, sur ses sites de Grasse et de l’Observatoire de Calern.

Hypertelescope prototype Carlina-tech (J. Dejonghe et H. Le Coroller)


L’agrandissement du prototype est en chantier à l’Observatoire de Haute-
Provence, avec une participation active de ses services techniques. Des essais
d’observation utilisant trois miroirs espacés de 10 m sont prévus au début 2009.
164 ANTOINE LABEYRIE

Prévu initialement pour une ouverture diluée dont la dimension atteindrait 18 m,


il pourrait être agrandi ultérieurement à 36 m s’il s’avère possible de construire un
correcteur focal d’aberration sphérique ouvert à F/1. Le nombre des petits miroirs
collecteurs pourrait aussi être accru, jusqu’à une centaine éventuellement, s’il
s’avère utile, en attendant la disponibilité de la version agrandie mentionnée
ci-après, d’entreprendre un programme d’observation sur des étoiles super-géantes,
bien résolues avec les dimensions d’ouverture de 18 ou 36 m. Cela nécessiterait le
déménagement de l’instrument sur un site plus favorable.
Après les premiers essais d’interférence qui ont validé partiellement le concept
dit d’hypertélescope Carlina, J. Dejonghe et H. Le Coroller, revenu de séjour post-
doctoral à Hawaii, ont augmenté le prototype en installant un troisième miroir
collecteur, et un correcteur focal à deux miroirs. Ils ont aussi, avec l’aide de
stagiaires, fait un montage d’essai du système de métrologie à laser servant à
co-sphériser les miroirs collecteurs avec une précision de l’ordre du micron. Ils
préparent des observations de franges à trois ouvertures, en attendant un plus
grand nombre. Une caméra à comptage de photons, permettant des temps de
pause très courts afin de « figer » la turbulence, a été construite en collaboration
avec l’Observatoire de la Côte-d’Azur. Le densifieur de pupille, dispositif optique
destiné a concentrer la lumière sur un nombre réduit de franges, a été étudié à
l’aide du logiciel de simulations optiques Zemax et est en cours de construction à
l’Observatoire de Haute-Provence. Enfin, un système d’asservissement permettant
de stabiliser le trépied de câbles du ballon a hélium et ainsi d’améliorer la stabilité
de l’ensemble du dispositif optique de l’hypertélescope est actuellement réalisé par
des techniciens et ingénieurs de l’Observatoire de Haute-Provence. La mise en
service du prototype Carlina à l’Observatoire de Haute-Provence, prévue pour
2009/2010, permettra de valider l’intégralité de la chaîne optique de l’hypertélescope,
et d’évaluer les performances intrinsèques de l’instrument, notamment en observant
des objets faibles (magnitude > 12). Elle devrait ouvrir la voie pour un projet
ultérieur à plus grande échelle.

Etude d’un hypertélescope à ouverture de 100 à 200 m


(A. Labeyrie, J. Dejonghe, H. Le Coroller, D. Vernet, P. Rabou)
Une version agrandie, destinée à entreprendre un programme scientifique
d’imagerie directe sur de nombreuses étoiles et sources extra-galactiques, est
simultanément étudiée. Elle pourrait comporter, au foyer d’un miroir primaire
dilué dont le diamètre atteindrait 100 ou 200 m et l’ouverture relative F/1, un
correcteur compact d’aberration sphérique et un densifieur de pupille. L’utilité
d’entamer, à cette échelle, des essais préalables sur une étoile artificielle ou bien sur
l’étoile Polaire visée en exploitant la pente d’une falaise, est également étudiée. De
tels essais sont peut-être évitables par une modélisation poussée du système (le
télescope Hubble de la NASA n’avait pas été validé en visant une étoile avant son
lancement, ce qui aurait révélé l’erreur catastrophique de fabrication optique
apparue plus tard dans l’espace).
ASTROPHYSIQUE OBSERVATIONNELLE 165

Après la construction, l’observation pourrait débuter avant de disposer d’optique


adaptative corrigeant la turbulence atmosphérique, laquelle affecte la mise en phase
des faisceaux. Il faudrait alors recourir à la méthode d’interféromètrie des tavelures,
qui a permis de retrouver la résolution théorique des grands télescopes classiques.
Dans un second temps, une optique adaptative devrait former directement des
images à haute résolution, riches en information. S’il s’avère possible d’ajouter un
système d’étoile guide laser, mentionné ci-après, l’instrument deviendrait utilisable
sur des sources faibles, telles que les galaxies lointaines observées par les ELTs.

Version pour hypertélescope d’une optique adaptative avec étoile guide laser
(A. Labeyrie)
Les systèmes d’étoiles guide laser, dont le principe fut d’abord publié par Foy et
Labeyrie en 1985, ont été mis en œuvre sur les plus grands télescopes, sur lesquels
elles permettent depuis quelques années d’étendre à des sources très faiblement
lumineuses les techniques d’optique adaptative, et donc d’observer des objets très
lointains avec une résolution améliorée. Il ne semblait pas facile d’adapter une
étoile laser à un hypertélescope, pour étendre à des sources très faibles ses capacités
d’imagerie à haute résolution. Cependant, une possibilité de solution, utilisant un
système laser modifié, est apparue. La théorie a pu être vérifiée en partie avec un
montage de laboratoire. En attendant la construction d’hypertélescopes dans
l’espace, des versions terrestres pourraient donc devenir utilisable pour les
observations de cosmologie sur les galaxies faibles et lointaines.

Faisabilité d’un hypertélescope couplé à un « Extremely Large Télescope »


(ELT)
Les projets actuels de construction d’ELTs, notamment par l’Europe, soulèvent la
question des possibilités de couplage avec un hypertélescope. L’un des sites candidats
étudiés par l’Europe, sur la sierra Macon dans les Andes d’Argentine, est une longue
crête orientée nord-sud, interrompue par un col dont la topographie pourrait convenir
pour un hypertélescope Carlina, lequel pourrait être couplé interféromètriquement
avec l’ELT. Ce dernier y gagnerait beaucoup quant à la science accessible, avec une
résolution améliorée d’un facteur 10 à 20 (www.oamp.fr/lise/).

Prospection de sites pour un hypertélescope


(A. Labeyrie, J. Dejonghe, H. Le Coroller, D. Vernet, O. Lardière)
La prospection entamée les années précédentes a été poursuivie en mesurant la
turbulence sur l’un des sites visités, à Barrosa dans les Pyrénées espagnoles. Une
seule nuit d’observation avec un petit télescope portant une caméra a montré que
la turbulence locale peut atteindre une bonne qualité, sans toutefois renseigner sur
la fréquence des nuits utilisables. Mais les données météorologiques ont permis
d’en avoir une idée grossière en précisant les statistiques de vent et de nébulosité
sur ce site, lesquelles sont plus favorables qu’aux latitudes plus basses pour le vent,
166 ANTOINE LABEYRIE

et raisonnablement favorables pour la nébulosité. L’Observatoire du Pic du Midi,


situé non loin sur le versant français de la chaîne, est réputé pour fournir
occasionnellement des images exceptionnelles.

Etude d’un hypertélescope dans l’espace (A. Labeyrie)


Après la proposition faite l’année précédente à l’Agence Spatiale Européenne
(www.oamp.fr/infoglueDeliverLive/www/OHP/Actualit%E9s?contentId=1148),
est apparue la possibilité d’une version « éthérée », utilisant de petits miroirs piégés
par des faisceaux de laser. De grands miroirs formés de nano-particules piégées par
laser avaient été étudiés les années précédentes, mais il s’agirait maintenant de
constituer un grand miroir dilué en piégeant de petits miroirs solides. Le calcul de
leur comportement est plus facile, ainsi que leur mise en œuvre, laquelle peut être
expérimentée en laboratoire. Cette version est mentionnée de façon préliminaire
dans une publication résumant la proposition (Labeyrie et al., 2008, http://dx.doi.
org/10.1007/s10686-008-9123-8).

Astrophysique théorique et relativité générale (R. Krikorian)


R. Krikorian a poursuivi l’étude de certains aspects de la supraconductivité dans
un espace-temps courbe. L’interprétation physique des équations tensorielles
décrivant la supraconductivité dans le cadre de la relativité générale présente des
difficultés dues au fait que les relations permettant de passer des grandeurs
tensorielles absolues aux grandeurs physiquement mesurables ne sont pas définies
de manière univoque. Par exemple, il n’existe pas de façon unique de déduire du
tenseur absolu champ électromagnétique les champs électrique et magnétique
physiquement mesurables. Une première approche adoptée pour la formulation
des équations tensorielles en terme de grandeurs physiquement mesurables a été la
méthode des tétrades. Dans cette approche les équations sont écrites à l’aide
d’invariants vis-à-vis des transformations générales des coordonnées d’espace-
temps. Les champs électrique et magnétique, définis à l’aide des composantes
anholonomiques du tenseur champ électromagnétique sont donc des scalaires qui
se transforment selon les lois de la relativité restreinte dans un changement de
repères orthonormés. Cette méthode a été notamment utilisée pour obtenir les
expressions des champs électrique et magnétique à l’intérieur des supraconducteurs
de type I et II (Nuovo Cimento, 2007, Astrophysics, 2008).
Il existe dans la littérature une autre approche pour l’interprétation des équations
tensorielles absolues de la relativité générale, la méthode des projections de
Cattaneo. Cette méthode, contrairement à l’approche anholonomique, a un
caractère purement tensoriel ; les équations tensorielles absolues sont écrites sous
une forme semblable à celle de la physique newtonienne et interprétées en
employant le langage de la physique classique. Ce résultat est atteint : (i) par
l’introduction, au moyen d’opérateurs de projections convenablement définis, de
grandeurs « standard » relatives au système de référence associé au système de
ASTROPHYSIQUE OBSERVATIONNELLE 167

coordonnées physiquement admissibles ; ces grandeurs se transformant selon les


lois tensorielles classiques vis-à-vis des changements de coordonnées internes au
système de référence ; (ii) en définissant un opérateur de dérivation transverse,
partielle ou covariante. Les équations tensorielles absolues de London écrites à
l’aide de ces grandeurs « standard » ont donc la même forme que les équations
vectorielles classiques reliant la vitesse du superélectron au champ électromagnétique
avec des termes supplémentaires représentant l’influence du champ de gravitation.
Les expressions des champs électrique et magnétique déduites des équations
« standard » ont été comparées à celles obtenues par la méthode anholonomique.
Ce travail a fait l’objet d’une publication. En collaboration avec D. Sedrakian,
Université d’état d’Erevan, la méthode de Cattaneo a été utilisée pour l’interprétation
physique des équations covariantes décrivant les propriétés des supraconducteurs
de type II. Ce travail sera soumis à la revue Phys. Rev. D.

III. Publications, séminaires et conférences


Krikorian R.A., « Superconductivity in curved space-time and the object of anholonomity »,
Nuovo Cimento B 122, 401, 2007.
Krikorian R.A. & Sedrakian D.M., « Tetrad formulation of the dynamical equations of
type II superconductors in curved space-time », Astrophysics 51, 58, 2008.
Sedrakian D.M. & Krikorian R.A., « Covariant formulation of the basic equations of
quantum vortices in type2 superconductors », Phys Rew B 76, 184501-1, 2007.
Krikorian R.A., « Superconductivity in curved space-time and Cattaneo’s projection
method », Nuovo CimentoB, 123, 217, 2008.
Labeyrie et al., 2008, « Luciola hypertelescope space observatory: versatile, upgradable
high-resolution imaging, from stars to deep-field cosmology », à paraître dans Experimental
Astronomy, http://dx.doi.org/10.1007/s10686-008-9123-8.
Labeyrie A., Le Coroller H. & Dejonghe J., « Steps toward hypertelescopes on Earth and
in space », proc. SPIE conf., Marseille 2008
Deux journées de discussion sur le « Cophasage des ELTs, interféromètres et
hypertélescopes », organisées au Collège de France par H. Le Coroller et A. Labeyrie les
18 et 19 mars 2008, ont rassemblé une vingtaine de chercheurs français et étrangers.

Présentations invitées et séminaires


A. Labeyrie, invité à faire une présentation au colloque « Extremely Large Telescopes at
Different Wavelengths » à Lund (Suède) les 29 et 30 novembre 2007, s’en est acquitté par
vidéo-conférence.
A. Labeyrie, « Etoile guide laser pour hypertélescope », séminaire à l’Observatoire de
Lyon, 21 mars 2008.

Conférence publique et site web


A. Labeyrie, « Le regard des géants : les grands télescopes du futur changeront-ils notre
conception actuelle de l’Univers ? » Planétarium de Vaulx-en-Velin, 20 mars 2008.
Le site web du LISE (www.oamp.fr/lise) a été mis à jour et amélioré par Mme V. Garcia
qui prend en charge sa maintenance et l’implantation d’une version en anglais.
Chimie des interactions moléculaires

M. Jean-Marie Lehn, membre de l’Institut


(Académie des Sciences), professeur

Le cours de l’année 2007-2008 a porté sur « Autoorganisation moléculaire et


supramoléculaire ». Des cours ont été donnés à l’Université Louis Pasteur de
Strasbourg (3 h), à l’Université d’Etat M. V. Lomonossov de Moscou (4 h) et à la
City University de Hong Kong (4 h).

Cours au collège de France

1) Autoorganisation supramoléculaire d’architectures entrelacées


L’autoorganisation d’architectures entrelacées de type rotaxanes, caténanes et
nœuds moléculaires met à profit l’assistance d’effets supramoléculaires pour mettre
en place les différents composants qui seront ensuite connectés par des réactions
post-assemblage. Ces effets supramoléculaires peuvent résulter de la coordination
d’ions métalliques (cours 2005-2006), d’interactions électrostatiques, de la
formation de liaisons hydrogène, de forces de Van der Waals.

a) Cavités organiques : cyclodextrines, cucurbituriles


La formation de rotaxanes a mis en œuvre l’aptitude de cavités moléculaires de
grande taille, telles que celles des cyclodextrines et des cucurbituriles, à former des
complexes d’inclusion avec de nombreux substrats moléculaires.
Deux différentes stratégies de synthèse ont été mises au point, utilisant par
exemple l’α-cyclodextrine.
170 JEANMARIE LEHN

La formation de polyrotaxanes et de caténanes a aussi été réalisée.

O O O
H 2N O O O NH2

O 2N

1. CD 2. F NO2

NO2 O 2N
O O O
O 2N N O O O N NO2
H H

De manière analogue, des rotaxanes dérivant de la [6] cucurbiturile ont été


obtenus.
CHIMIE DES INTERACTIONS MOLÉCULAIRES 171

b) Polyéthers macrocycliques

Les polyéthers macrocycliques forment des rotaxanes avec des cations ammonium
qui s’insèrent dans la cavité centrale par formation de liaisons hydrogène avec les
sites oxygène.

De nombreuses superstructures de ce type ont été obtenues, y compris des


polyrotaxanes, avec des cations polyammonium et des caténanes.
172 JEANMARIE LEHN

Structures RX

c) Macrocycles Accepteur/Donneur
L’introduction de groupements riches en électrons (Donneurs) ou pauvres en
électrons (Accepteurs) dans un récepteur macrocyclique permet l’insertion d’un
substrat contenant le groupe complémentaire dans la cavité centrale. Cette approche
s’est révélée particulièrement fructueuse et a permis d’obtenir de nombreuses
architectures mono- et poly-rotaxanes et caténanes.
85.2PF 6 87 .3X

+ +
N N
+ +
M eC N
2PF 6 3X
R oom Temp erature
+
N N

Br

Br Br O O O
86 O O Insertion
B PP3 4C 10

O O
O O O

O O O O O O
4PF 6 3X
O O O O

+ + + +
N H 4PF 6

+ + Cyclisation +

Br
O O O O

O O O O O O

88.4P F 6 [2]rotaxane
[8 7.B PP 34C 10 ].3X
CHIMIE DES INTERACTIONS MOLÉCULAIRES 173

1. O O O O O O O O O O
+ +
N N
or
O O O O O O O O O O

BPP34C10 MeCN 1/5DN38C10


N N
91.2PF6
2. NH4PF6 / H2O

Br Br
92

O O O O O O O O O O O O O O O O O O O O

+ + + +

20% 4PF6 or 4PF6 31%

+ + + +
O O O O O O O O O O O O O O O O O O O O

93.4PF6 94.4PF6

De tels rotaxanes ont été mis en œuvre pour la réalisation de dispositifs


supramoléculaires présentant des mouvements moléculaires par déplacement
contrôlé d’un composant par rapport à un autre.

Contrôle Électrochimique de la Position du Cyclophane Tétracationique


dans une « Navette » Supramoléculaire Linéaire à Deux Stations

Des rotaxanes et caténanes ont aussi été obtenus en utilisant l’effet de support
d’un anion complexé.

2) Autoorganisation de brins moléculaires


a) Chaînes polyhétérocycliques
Le repliement de brins moléculaires peut être contrôlé par la mise en œuvre de
codons de repliement (« folding codons ») présentant une conformation préférée.
174 JEANMARIE LEHN

Ainsi des groupes aza-hétérocycliques connectés en position α des atomes d’azote


donnent lieu à une orientation transoïde par rapport aux liaisons C-C de connexion.
Il en résulte qu’une séquence de quelques groupes, choisis de façon adéquate, force
un brin moléculaire à adopter une forme hélicoïdale ou linéaire ou une combinaison
de deux. On peut ainsi obtenir des hélices moléculaires à tours multiples.

Ainsi une séquence pyridine-pyrimidine-pyridine est un codon d’hélicité et une


séquence de groupes pyridine, un codon de linéarité.

Le remplacement d’un groupe pyridine par une hydrazone facilite beaucoup la


synthèse de ces brins moléculaires et permet d’obtenir ainsi des hélices à tours
multiples.

H CH3 CH3 CH3 CH3 CH3 CH3 CH3 CH3 CH3


C 3
N N N N N N N N N N
N N N N N N N N N N
N N N N N N N N N N N N N N N N N N N N

N
N N N
N N
N N
NN N
N NN
N N
11.60 Å N N
N
N N
N N
N
N
N
N
N N
N
N N
NN N
N
N N

De plus cette méthode rend accessible la génération de polymères hélicoïdaux


par polycondensation.
CHIMIE DES INTERACTIONS MOLÉCULAIRES 175

H R2
N N N
R1 N
N
N N n
N
H H N
N N NH
N N
R2
N
H H H H N N
N N C C N
N NH
H2N N H2 O O H N
H N
N N
N N N N R1 N N
+ N
N N N
R1 R2 N
H N
H N
N N NH
R2 N N
N
N N N
R1= R2= N NH
H N N

Me O OMe
N
OMe N R2

b) Chaînes pyridine-carboxamides

Différents autres éléments structuraux ont été utilisés. En particulier, des


enchaînements de groupes pyridine-carboxamides conduisent au repliement en
hélice, du fait de la formation de liaisons hydrogène. De plus, ces brins hélicoïdaux
ont aussi l’aptitude de former des dimères en double hélice.

Crystal Structure of Double Helical Heptamer

En conclusion, la mise au point de codons structuraux rend possible le contrôle


de l’autoorganisation de brins moléculaires.

Elle ouvre d’intéressantes perspectives pour la génération de molécules


synthétiques de forme contrôlée et imposée, ainsi que pour la compréhension des
facteurs déterminant la conformation des molécules biologiques.
176 JEANMARIE LEHN

Séminaires

À Paris :
— Olivia Reinaud (Université de Paris Descartes), Exploration des métallo-biosites avec
des calixarènes « complexes », 22 février 2008.
— Gérard Férey (Institut Lavoisier de l’Université de Versailles), Les métaux poreux sur
mesure, 5 mars 2008.

À Strasbourg :
Peter Stang (University of Utah), Nanoscale Molecular Architecture : Design and Self-
Assembly of Metallocyclic Polygons and Polyhedra via Coordination, 11 juillet 2007.
Jean-Pierre Bucher (IPCMS, Strasbourg), Probing Electronic and Magnetic Properties of
Atomic and Molecular Clusters with Sharp Tips, 2 octobre 2007.
Yoshihito Osada (Hokkaido University), Intelligent Gelsl – An Approach to Artificial
Muscles and Soft Tissue, 22 octobre 2007.
Adrian-Mihail Stadler (CNRS, ISIS, Strasbourg et Institut de Nanotechnologie,
Karlsruhe), Auto-Organisation et Mouvements Moléculaires.
Philippe Reutenauer (ETH Zürich), Expansion of the Scope of the [2 + 2] Cycloaddition/
Retro-Electrocyclisation Cascade Between Electron Rich Alkynes and TCNE, 11 décembre
2007.
Franck Zal (CNRS Roscoff ), The Extracellular Hemoglobin of the Annelid Polychaete
Arenicola Marina : A Natural Oxygen Carrier for Human Health, 17 décembre 2007.
Philippe Turek (Institut de Chimie, Strasbourg), Electron Paramagnetic Resonance:
A Tool for the Study of the Magnetic Properties of Molecular Materials, 29 janvier 2008.
Nathan Schultheiss (Kansas State University), Balancing Intermolecular Interactions in
the Design and Synthesis of Supermolecules, 12 février 2008.
Alexandros E. Koumbis (Aristotle University of Thessaloniki), Total Synthesis of Syributins,
Secosyrins and Syringolides, 26 février 2008.
Steven Rokita (University of Maryland), Nucelotide Sequence Controls the Efficiency
of Electron Injection and Transport in Duplex DNA, 19 mars 2008.
Alexandre Varnek (Université Louis Pasteur), From Databases to in silico Design
of New Compounds, 1er avril 2008.
Raymond Weiss (Université Louis Pasteur), Les Peroxidases et leurs Mécanismes, 23 juin
2008.

Résumé des activités de recherche

A Laboratoire de chimie supramoléculaire


(ISIS, Université Louis Pasteur, Strasbourg et UMR 7006 du CNRS)

I — Dispositifs fonctionnels moléculaires et supramoléculaires


1) Dispositifs optiques
Les propriétés optiques d’assemblées supramoléculaires de groupes porphyriniques
pourvus d’unités de reconnaissance moléculaire complémentaires ont été étudiées.
CHIMIE DES INTERACTIONS MOLÉCULAIRES 177

Elles sont le siège de transferts d’énergie dont la vitesse et l’efficacité dépendent de


la géométrie supramoléculaire (1).

2) Dispositifs électroniques et magnétiques

Les complexes linéaires multinucléaires du ruthénium(II) formés par des ligands


polytopiques à sites tridendates présentent un remarquable comportement de « fil
moléculaire » (2).

Un complexe paramagnétique tétranucléaire du fer(II) en forme de grille [2 x 2]


s’est révélé être une nanosonde magnétique de très haute sensibilité de la formation
de liaisons hydrogène (A. Stefankiewicz).
178 JEANMARIE LEHN

3) Dispositifs nanomécaniques
Des mouvements moléculaires réversibles peuvent être induits dans des brins
moléculaires oligopyridine-dicarboxamide par protonation et déprotonation (3).
L’étude des mouvements moléculaires couplés par complexation et décomplexation
successives de brins moléculaires polytopiques a été poursuivie (M. Stadler).

II — Autoorganisation de systèmes inorganiques


1) Hélicates
Un ligand de type quaterpyridine forme des complexes hélicoïdaux mono- et
bi-nucléaires (hélicates) (4).

2) Superstructures en « grille » [2 × 2]
L’autoassemblage de grilles métallosupramoléculaires [2 × 2] à partir de ligands
fonctionnalisés permet la génération de multivalences avec présentation de huit
groupements fonctionnels soit :
— en position « axiale », à partir de composants hydrazino-pyridine,
— en position « latérale », à partir de composants hydrazide (X. Cao).
La mise en évidence des effets de cette multivalence repose sur l’apparition de
propriétés nouvelles, notamment complexantes (X. Cao).
Des grilles fonctionnalisées destinées notamment à l’autoorganisation sur surface
métallique ou avec des nanoparticules métallique ont été synthétisées
(A. Stefankiewicz).
La formation sélective de grilles [2 × 2] hétérométalliques directement par
autoorganisation avec sélection des cations et régiosélectivité a été étudiée
(J. Ramirez, A.M. Stadler).
Le mécanisme de formation des grilles [2 × 2] a été étudié par RMN
(M.-N. Lalloz-Vogel, A. Marquis).
Des ligands bis-tridentates forment avec des cations lourds (HgII, PbII) des
architectures de coordination de type grille ou ratelier (5).

III — Autoorganisation de systèmes organiques


1) Hélicité de brins moléculaires
Des brins moléculaires contenant des groupes 1,8-naphtyridine adoptent une
conformation hélicoïdale et forment des assemblées oligomériques avec des cations
oligo-ammoniums (6).
CHIMIE DES INTERACTIONS MOLÉCULAIRES 179

Des brins moléculaires à sous-unités hétérocycliques présentent une


diastéréoisomérie hélicoïdale (7).

2) Matériaux / Polymères supramoléculaires


Des mesures de rhéologie et de diffusion de lumière dynamique ont permis
d’étudier les propriétés dynamiques de solutions semi-diluées de polymères
supramoléculaires (8).
La structure moléculaire et la morphologie de polymères supramoléculaires
formés à partir de monomères portant des groupes de reconnaissance
complémentaires de type Janus a été étudiée (9).
Des monocouches incorporant deux composants ont été obtenues et la formation
d’ordre à l’échelle subnanométrique a été mise en évidence par STM (10).
180 JEANMARIE LEHN

Une étude détaillée par diffusion de neutrons aux petits angles a été réalisée sur
la modulation par décoration dynamique de la structure de gels générés par des
quadruplexes de guanosine (11).
Les hydrogels basés sur des quadruplexes formés par un dérivé hydrazide de la
guanosine effectuent une sélection structurale et une libération controlée de
molécules bioactives (12).

IV — Chimie Dynamique Constitutionnelle (CDC)


1) Sélection / Adaptation en Chimie Dynamique Constitutionnelle

L’évolution forcée d’une bibliothèque dynamique constitutionnelle (BDC) de


brins hélicoïdaux sous l’effet de la complexation d’ions a été étudiée par des
mesures de RMN DOSY. Cette méthode permet d’analyser la composition de la
bibliothèque en fonction des rayons hydrodynamiques des espèces présentes (13).
CHIMIE DES INTERACTIONS MOLÉCULAIRES 181

La mise en œuvre d’une nouvelle réaction réservible en CDC, la formation


d’hémiacétals entre alcools et groupes carbonyles, a été explorée. Elle permet la
génération de BDC, en particulier sous l’effet de la complexation de cations
(D. Drahonovsky).
La possibilité d’influencer le comportement d’une BDC par complexation des
constituants a été explorée (N. Schulteiss).
L’adaptation d’une BDC à un changement de forme de l’un des composants
permet d’opérer une commutation constitutionnelle entre deux types d’espèces.
Ainsi, l’interconversion entre deux formes, de type W et U, a été réalisée dans un
système dynamique. Elle conduit à une commutation entre un état macrocyclique
et un état polymérique (14).

Ce type de commutation constitutionnelle donne lieu à des phénomènes très


intéressants d’adaptation par sélection de composants sous l’effet du changement
de morphologie ainsi qu’en fonction de la nature de l’effecteur (ions métalliques
de différentes tailles) (S. Ulrich).
Des processus de sélection multiple faisant intervenir différents composants de
grilles [2 × 2] sont en cours d’étude (M. Chmielewski).
La mise au point de mesures de l’effet de l’application d’un champ gravitationnel
par ultracentrifugation sur une BDC a été poursuivie (F. Folmer-Andersen).

2) Dynamères covalents. Polymères covalents réversibles


Des optodynamères ont été obtenus, conduisant à la génération de couleur et de
fluorescence à l’interface entre deux films de dynamères différents (15).
182 JEANMARIE LEHN

La transformation des propriétés mécaniques et optiques de films de


métallodynamères neutres par échange constitutionnel a été réalisée (16).

Une modification de constitution de dynamères par interconversion entre une


solution et un état solide démontre une capacité d’adaptation de tels systèmes à
l’environnement (17).
La modification de taille de dynamères amphiphiles sous l’effet de la température
et la sélection de composants par effet hydrophobe ont été réalisées (F. Folmer-
Andersen).
Une sélection de composants par complexation de cations métalliques a été
démontrée pour des dynamères donneur- accepteur présentant un repliement de
chaine (S. Fujii).
Les mélanges dynamiques obtenus par formation réversible d’hydrazones
permettent d’effectuer une libération controlée d’aldéhydes et de cétones
volatiles (18).
CHIMIE DES INTERACTIONS MOLÉCULAIRES 183

3) Biopolymères dynamiques- Biodynamères


La synthèse de divers composants permettant la génération de BDC d’analogues
d’acides nucléiques a été réalisée (19).
Les résultats obtenus sur la génération de glycodynamères fluorescents ont été
publiés (20), de même que la formation d’analogues dynamiques d’oligosocchariodes
de type arabinofuranoside (21).
Une revue a été rédigée sur l’autoassemblage et la chimie combinatoire dynamique
à la fois dans des systèmes chimiques et des systèmes biologiques (22).

V — Chimie Bioorganique et Médicinale


La synthèse de différentes classes d’effecteurs allostériques de l’hémoglobine a été
poursuivie (K. Fylaktakidou, A. Koumbis, S. Pothukanuri).
L’action de ces effecteurs sur la courbe d’oxygénation de l’hémoglobine a été
mesurée in vitro et in vivo (C. Duarte).
L’effecteur inositol-trispyrophosphate (ITPP) présente des propriétés très
prometteuses à la fois dans le domaine cardiovasculaire et en oncologie.

Publications

1. T.S. Balaban, N. Berova, C.M. Drain, R. Hauschild, X. Huang, H. Kalt,


S. Lebedkin, J.-M. Lehn, F. Nifaitis, G. Pescitelli, V. I. Prokhorenko, G. Riedel,
G. Smeureanu, J. Zeller, Syntheses and Energy Transfer in Multiporphyrinic Arrays Self-
Assembled with Hydrogen-Bonding Recognition Groups and Comparison with Covalent Steroidal
Models, Chem. Eur. J., 13, 8411-8427, 2007.
2. F. Loiseau, F. Nastasi, A.-M. Stadler, S. Campagna, J.-M. Lehn, Molecular Wire
Type Behavior of Polycationic Multinuclear Rack-Type RuII Complexes of Polytopic Hydrazone-
Based Ligands, Angew. Chem. Int. Ed., 46, 6144-6147, 2007.
3. E. Kolomiets, V. Berl, J.-M. Lehn, Helical Folding of Oligopyridinedicarboxamide
Strands, Chem. Eur. J., 13, 5466-5479, 2007.
4. A.R. Stefankiewicz, M. Walesa, P. Jankowski, A. Ciesielski, V. Patrioniak,
M. Kubicki, Z. Hnatejko, J.M. Harrowfield, J.-M. Lehn, Quaterpyridine Ligands
Forming Helical Complexes of Mono- and Dinuclear (Helicate) Forms, Eur. J. Inorg. Chem.,
2910-2920, 2008.
5. J. Ramirez, A.-Mihail Stadler, J.M. Harrowfield, L. Brelot, J. Huuskonen,
K. Rissanen, L. Allouche, J.-M. Lehn, Coordination Architectures of Large Heavy Metal
184 JEANMARIE LEHN

Cations (Hg2+ and Pb2+) with Bis-tridentate Ligands: Solution and Solid-State Studies,
Z. Anorg. Allg. Chem., 633, 2435-2444, 2007.
. A. Petitjean, L.A. Cuccia, M. Schmutz, J.-M. Lehn, Naphthyridine-based helical
foldamers and macrocycles: Synthesis, cation binding, and supramolecular assemblies, J. Org.
Chem., 73, 2481-2495, 2008.
7. M. Barboiu, J.-M. Lehn, Helical Diastereomerism in Self-Organization of Molecular
Strands, Rev. Chim. (Bucuresti), 59, 255-259, 2008.
. E. Buhler, S.-J. Candau, E. Kolomiets, J.-M. Lehn, Dynamical Properties of
Semidilute Solutions of Hydrogen-Bonded Supramolecular Polymers, Physical Review E, 76,
061804-1-061804-8, 2007.
9. D. Sarazin, M. Schmutz, J.-M. Guenet, A. Petitjean, J.-M. Lehn, Structure of
Supramolecular Polymers Generated via Self-Assembly through Hydrogen Bonds, Mol. Cryst.
Liq. Cryst., 468, 187-201, 2007.
10. G. Pace, A. Petitjean, M.-N. Lalloz-Vogel, J. Harrowfield, J.-M. Lehn,
P. Samori, Subnanometer-resolved patterning of bicomponent self-assembled monolayers on
Au(111), Angew. Chem. Int. Ed. 47, 2484-2488, 2008.
11. E. Buhler, N. Sreenivasachary, S.-J. Candau, J.-M. Lehn, Modulation of the
Supramolecular Structure of G-Quartet Assemblies by Dynamic Covalent Decoration, J. Am.
Chem. Soc., 129, 10058-10059, 2007.
12. N. Sreenivasachary, J.-M. Lehn, Structural Selection in G-Quartet-Based Hydrogels
and Controlled Release of Bioactive Molecules, Chem. Asian J., 3, 134-139, 2008.
13. N. Giuseppone, J.-L. Schmitt, L. Allouche, J.-M. Lehn, DOSY NMR Experiments
as a Tool for the Analysis of Constitutional and Motional Dynamic Processes: Implementation
for the Driven Evolution of Dynamic Combinatorial Libraries of Helical Strands, Angew.
Chem. Int. Ed., 47, 2235-2239, 2008.
14. S. Ulrich, J.-M. Lehn, Reversible switching between macrocyclic and polymeric states
by morphological control in a constitutional dynamic system, Angew. Chem. Int. Ed., 47,
2240-2243, 2008.
15. T. Ono, S. Fujii, T. Nobori, J.-M. Lehn, Optodynamers: Expression of Color and
Fluorescence at the Interface between two Films of Different Dynamic Polymers, Chem.
Commun., 4360-4362, 2007.
16. Cheuk-Fai Chow, S. Fujii, J.-M. Lehn, Metallodynamers : Neutral Dynamic
Metallosupramolecular Polymers Displaying Transformation of Mechanical and Optical Properties
on Constitutional Exchange, Angew. Chem. Int. Ed., 46, 5007-5010, 2007.
17. C.-F. Chow, S. Fujii, J.-M. Lehn, Crystallization-Driven Constitutional Changes of
Dynamic Polymers in Response to Neat/Solution Conditions, Chem Commun., 4363-4365,
2007.
18. B. Levrand, W. Fieber, J.-M. Lehn, A. Herrmann, Controlled Release of Volatile
Aldehydes and Ketones from Dynamic Mixtures Generated by Reversible Hydrazone Formation,
Helv. Chim. Acta, 90, 2281-2314, 2007.
19. D.T. Hickman, N. Sreenivasachary, J.-M. Lehn, Synthesis of Components for the
Generation of Constitutional Dynamic Analogues of Nucleic Acids, Helv. Chim. Acta, 91,
1-20, 2008.
20. Y. Ruff, J.-M. Lehn, Glycodynamers: Fluorescent dynamic analogues of polysaccharides,
Angew. Chem Int. Ed., 47, 3556-3559, 2008.
21. Y. Ruff, J.-M. Lehn, Glycodynamers: Dynamic analogs of arabinofuranoside
oligosaccharides, Biopolymers, 89, 486-496, 2008.
22. O. Ramström, J.-M. Lehn, Dynamic Ligand Assembly in Comprehensive Medicinal
Chemistry II, D. Triggle, J. Taylor, Eds.; Elsevier, Ltd, Oxford, 959-976, 2007.
CHIMIE DES INTERACTIONS MOLÉCULAIRES 185

Conférences présentées sur invitation

Professeur Jean-Marie Lehn


47 conférences, dont par exemple :
• Trends in Nanotechnology International Conference (TNT2007), San Sebastián,
3 septembre 2007, Self-Organization and Functional Supramolecular Devices.
• XVIIIth Mendeleev Congress, Moscou, 23-28 septembre 2007, Perspectives in Chemistry:
From Supramolecular Chemistry to Constitutional Dynamic Chemistry.
• Symposium on Metal-Rich Compounds, Universität Karlsruhe (TH), Karlsruhe,
8 octobre 2007, Metallosupramolecular Architectures and Beyond.
• 100th Anniversary of Annual Korean Chemical Society Meeting, Daegu, 18 octobre
2007, From Supramolecular Chemistry to Constitutional Dynamic Chemistry.
• 3rd International Symposium on Novel Materials and Synthesis (NMS-III), Fudan
University, Shangai, 20 octobre 2007, Functional Nanostructures and Dynamic Materials
through Self-Organization.
• France-Hong Kong Distinguished Lecture, City University of Hong Kong, 30 octobre
2007, From Matter to Life : Chemistry ? Chemistry!
• Ernst-Abbe-Kolloqium, Jena, 24 janvier 2008, Von der Materie zum Leben : Chemie ?
Chemie !
• Séminaire “questions d’émergence”, École des Hautes Études en Sciences Sociales
(EHESS), Paris, 5 mars 2008, La Notion d’Émergence en Chimie.
• Academia Europaea – Klaus Tschira Foundation “Complexity”, Heidelberg, 25-26 avril
2008, Steps towards Complex Matter: Information, Self-Organization, and Adaption in
Chemical Systems.
• “Contemporary Chemistry Conferences”, National Symposium with International
Participation, Bucarest, 1er mai 2008, Perspectives in Chemistry: From Supramolecular
Chemistry to Constitutional Dynamic Chemistry.
• DeGennes Days, Collège de France, Paris, 14 mai 2008, Perspectives in Chemistry: From
Supramolecular Chemistry to Constitutional Chemistry.
• Distinguished Schulich Lectureship Award Colloquium, Technion, Haifa, 18 mai
2008, From Supramolecular Chemistry to Constitutional Dynamic Chemistry.
• The Technion’s Nobel Laureates Symposium, Technion, Israel Institute of Technology,
Haifa, 19 mai 2008, Chemistry: Retrospects and Prospects.
• XXI Sitges Conference on Statistical Mechanics, Universitat de Barcelona, 6 juin 2008,
Self-Organization by Design and by Selection.
• III St Petersburg Meeting of Nobel Prize Laureates, Nanotechnologies: research and
education, St Petersburg, 26 juin 2008, Nanoscience and Nanotechnology — The Self-
Organization Approach.

B) laboratoire de chimie des interactions moléculaires


Collège de France

Du fait des difficultés engendrées par les travaux de rénovation des locaux, le
laboratoire de Chimie de Interactions Moléculaires a été fermé.
186 JEANMARIE LEHN

Il a été montré que les lipo-aminoglycosides obtenus antérieurement présentent


un transfert et une interférence de siRNA (23).
23. L. Desigaux, M. Sainlos, O. Lambert, R. Chevre, E. Letrou-Bonneval,
J.-P. Vigneron, P. Lehn, J.-M. Lehn, B. Pitard, Self-Assembled Lamellar Complexes of
siRNA with Lipidic Aminoglycoside Derivatives Promote Efficient siRNA Delivery and
Interference, Proc. Nat. Acad. Sci. USA, 104, 42, 16534-16539, 2007.

Distinctions — Prix — Nominations

Jean-Marie Lehn a reçu des Doctorats Honoris Causa de l’Université de Patras


et de l’Université Babeş-Bolyai (Cluj-Napoca) ainsi que la Médaille Costin
Nenitzescu de la Société Roumaine de Chimie. Il a été nommé Membre d’Honneur
de cette société ainsi que Grand Officier dans l’Ordre du Mérite Culturel de
Roumanie (section Recherche Scientifique). Il a été nommé Professeur Honoraire
de l’Université de Zhejiang (Hangzhou) et de l’Université Normale du Shaanxi
(Xi’an).
Chimie de la matière condensée

M. Jacques Livage, membre de l’Institut


(Académie des Sciences), professeur

Les matériaux nanostructurés

L’élaboration de matériaux par l’homme remonte à la découverte du feu. Nous


avons progressivement réussi à maîtriser le feu de façon à obtenir des températures
de plus en plus élevées. Ceci nous a permis de passer de l’âge du cuivre et du
bronze, à celui du fer. Aujourd’hui, à l’ère du silicium et de l’informatique, nous
cherchons à élaborer des matériaux nanostructurés répondant aux exigences des
nanotechnologies modernes.

Dans ce domaine, le vivant nous offre des exemples remarquables qui remontent
souvent au début du Cambrien. Le but de ce cours était de montrer comment des
micro-organismes pouvaient intervenir dans l’élaboration de matériaux
nanostructurés. Pour cela, nous avons développé les exemples suivants.

1. Les diatomées, des biomatériaux nanostructurés

Les diatomées, micro-algues unicellulaires, élaborent des exosquelettes de silice


(frustules) qui les protègent tout en laissant passer la lumière nécessaire à leur
activité photosynthétique. Ces frustules, dont le diamètre est de l’ordre de quelques
microns, présentent une structure poreuse tout à fait remarquable couramment
utilisée pour la réalisation de filtres ou de supports de catalyseurs. Il est en fait
possible d’utiliser directement ces frustules dans la conception de dispositifs
électroniques. C’est ainsi, qu’en mettant à profit la conductivité ou les propriétés
de luminescence des frustules de silice, on peut réaliser des micro-capteurs capables
de détecter des traces de certains gaz. La porosité régulière et hiérarchisée de ces
frustules présente même des propriétés de cristal photonique On a montré
récemment que la silice pouvait être modifiée chimiquement sans altérer la
morphologie des frustules. On forme ainsi des nano-matériaux à base d’oxydes
188 JACQUES LIVAGE

MgO, TiO2 ou BaTiO3. Il est même possible de réduire toute la silice en silicium
élément de base de l’électronique moderne.

2. Matériaux nanostructurés et polypeptides


Les peptides peuvent être utilisés pour lier entre-elles, de façon contrôlée, un
ensemble de nanoparticules minérales (métaux, oxydes, semi-conducteurs). Les
nanoparticules s’associent pour former nanostructures en chaînes, réseaux carrés,
voire même des édifices 3D. Les peptides présentent souvent des structures
tubulaires que l’on peut utiliser comme templates pour élaborer des nanotubes. Un
choix judicieux des acides aminés constituant le peptide permet d’initier la
précipitation d’un composé choisi à la surface, intérieure ou extérieure du peptide.
C’est ainsi que l’équipe animée par Franck Artzner a utilisé un polypeptide, le
lanréotide, pour élaborer des nanotubes de silice. On peut aussi réaliser des
nanotubes métalliques (Au, Cu, Pt,…) et les déposer entre deux électrodes pour
réaliser des nanocircuits électroniques. Les chaperons moléculaires, qui se présentent
sous forme d’anneaux peuvent être utilisés pour déposer de façon régulière, des
nanoparticules semi-conductrices qui pourraient intervenir comme nanocomposants
dans les mémoires flash des clés USB !

3. De l’ADN aux transistors


L’ADN, molécule de base de la vie, a été abondamment étudiée comme template
pour la réalisation de nanocomposants dans les circuits électroniques. Des ions
métalliques peuvent être insérés entre les deux brins de l’ADN ou fixés à leur
surface via les groupements phosphates, puis réduits in situ pour donner des
nanofils conducteurs ou semi-conducteurs. On peut jouer sur la complémentarité
des deux brins d’ADN pour associer les nano-composants et réaliser de véritables
circuits tels que des transistors à effet de champ !

4. Virus et nanomatériaux
De nombreux virus ont été utilisés pour élaborer des nanomatériaux. Le contrôle
de l’information génétique (ARN ou ADN) permet de contrôler la nature de
l’enveloppe protéique qui les recouvrent et dans laquelle certains acides aminés
peuvent servir de germe pour nucléer la croissance de nanoparticules. Deux types
de virus ont été pris comme exemples dans le cours.
• Le virus de la mosaïque du tabac, qui se présente sous forme d’un bâtonnet de
300 nm de long. Il permet d’élaborer des nanotubes d’oxydes (SiO2, Fe3O4) de
semi-conducteurs (PbS, CdS) de métaux (Co, Cu, Ni, Pd, …) et même de
polymères (polyaniline). Des dispositifs de commutation ont même été publiés
récemment dans lesquels les virus, recouverts de nanoparticules métalliques sont
insérés entre deux électrodes. Une commutation réversible d’un état isolant (OFF)
à un état conducteur (ON) est observée au-dessus d’une tension seuil.
CHIMIE DE LA MATIÈRE CONDENSÉE 189

• Le bactériophage M13 a aussi été largement utilisé pour l’élaboration de


nanomatériaux, en particulier par l’équipe d’Angela Belcher aux USA. Ce virus,
plus long que le précédent (880 nm), possède un manteau protéïque plus complexe.
Cinq familles de peptides différentes peuvent être génétiquement modifiées ce qui
ouvre de vastes perspectives. La plus belle réalisation est sans aucun doute
l’élaboration de nanofils d’oxyde de cobalt Co3O4 qui peuvent servir d’électrode
réversible dans des nanobatteries au lithium.

5. Les bactéries

Par rapport aux exemples précédents, les bactéries sont des objets vivants dont
le métabolisme peut être mis à profit pour réaliser la synthèse de nanoparticules
minérales. L’exemple des magnéto-bactéries qui élaborent des chaînes de
nanocristaux d’oxyde de fer magnétique Fe3O4 est bien connu. On peut, simplement
en introduisant des ions étrangers dans le milieu de culture, transformer ces
particules en spinelles, MFe2O4 (M = Co, Zn, Mn, …). Les cultures de bactéries
vivant dans des milieux extrêmes permettent de précipiter des sphères creuses de
ZnS, des nanosphères de sélénium, des nanocristaux de CdS et même des nanotubes
de sulfure d’arsenic. Une application originale consiste à utiliser des bactéries,
recouvertes de nanoparticules d’or, comme capteur d’humidité. Le gonflement
réversible de la membrane de peptidoglycane modifie la distance entre particules
métalliques et donc la résistivité du bio-composant.

Les séminaires

6 séminaires ont accompagné le cours afin de l’illustrer.

• Micro-algues et, nanomatériaux par Roberta Brayner (Itodis, Paris VII)

• Nanoparticules organométalliques : chimie de surface, contrôle de forme et


propriétés physiques par Bruno Chaudret (Chimie de coordination – Toulouse)

• La tectonique moléculaire, des molécules aux architectures périodiques par Mir


Wais Hosseini (chimie de coordination organique – Strasbourg)

• Les nano-médicaments, une nouvelle approche thérapeutique des maladies


graves par Patrick Couvreur (Pharmacie – Chatenay Malabry)

• Matériaux hybrides nano-structurés par Clément Sanchez (Chimie de la


matière condensée – Paris VI)

• Molécules, surface et symétrie, un mariage à trois par Denis Fichou


(Nanostructures – CEA)
190 JACQUES LIVAGE

Cours et séminaires à l’étranger


Cette année nous avons présenté deux séries de cours et séminaires à
l’étranger :
• A Tunis, les 26 et 27 février 2008 sur la synthèse et les propriétés d’oxydes de
vanadium ;
• A Uppsala, deux cours ‘the sol-gel process’ et un séminaire ‘vanadium oxide
gels, versatile precursors for nanostructured materials’.

Activités de recherche 2007-2008


Notre démarche vise à explorer les domaines d’interface entre la biologie et les
sciences des matériaux. Cette démarche s’articule selon trois thématiques
principales :
— l’étude des phénomènes de biominéralisation ;
— l’élaboration de matériaux et nanomatériaux bio-composites à visées médicales
ou biotechnologiques ;
— la compréhension des conditions de survie d’organismes vivants au sein de
structures minérales synthétique.

Biominéralisation de la silice : approche analytique et modèles chimiques


Les processus biologiques intervenant dans la formation de la silice chez les êtres
vivants, en particulier chez les diatomées, sont encore mal connus. Un certain
nombre de molécules associées à la silice biogénique ont pu être identifiées mais
l’étude de leur interaction vis-à-vis de la minéralisation ne permet pas encore de
reproduire in vitro la complexité des organisations minérales observées in vivo.
D’autre part, les traitements nécessaires à l’extraction de ces molécules peuvent
entraîner leur dégradation. Aussi une étude directe du matériau biologique est elle
nécessaire.
Dans ce cadre, nous avons étudié par RMN à l’état solide la coquille siliceuse
des diatomées, après leur culture puis en fonction de différents traitements
chimiques. Ce travail a été effectué en collaboration avec V. Martin-Jézéquel
(Université de Nantes) Afin de pouvoir mener une étude simultanée des parties
minérales et organiques, ces diatomées ont été cultivées en présence de substrats
enrichis en 29Si, 13C et 15N et étudiées selon des méthodes de polarisation
croisée. Cette technique nous a permis de discriminer des molécules rigides et
mobiles, c’est-à-dire associées ou non au réseau de silice. Nous avons ainsi pu
démontrer que même après des traitements chimiques intensifs, la coquille
contenait encore des carbohydrates, des protéines mais aussi des lipides. Ce dernier
résultat est particulièrement intéressant car il suggère que le rôle des lipides dans
la formation de la silice chez les diatomées a été sous-évalué jusqu’à maintenant.
CHIMIE DE LA MATIÈRE CONDENSÉE 191

Actuellement, ces études sont poursuivies à travers l’établissement de cartes de


corrélation bi-dimensionnelle qui devrait nous permettre d’identifier les
connectivités entre la matière organique et le réseau minéral.

En parallèle, nous avons cette année abordé un nouvel aspect lié à la


biominéralisation chez les plantes supérieures. Il est en effet connu que la silice est
présente à des taux de 1 % à 10 % en masse chez certaines plantes. Cette silice
joue un rôle de gestion des stress biotiques et abiotiques mais les mécanismes
associés sont encore mal connus. Nous cherchons donc à mimer des tissus végétaux
silicifiés en élaborant des matériaux hybrides cellulose/silice et à évaluer leur impact
sur la stabilisation de systèmes enzymatiques liés à la gestion du stress oxydatif. Ce
travail est effectué dans le cadre d’une thèse en co-encadrement avec l’USTHB
(Algérie). Nous avons d’ores et déjà pu montrer que la présence de la silice
permettait de stabiliser des solutions de carboxymethylcellulose, modifiant ainsi
leurs propriétés de diffusion. L’étude actuelle porte sur l’encapsulation de catalase
dans ces matériaux à teneur variable en silice et à l’étude de stress hydrique,
thermique et photochimique sur leur activité enzymatique.

Matériaux et nanomatériaux biocomposites

Depuis quelques années, nous cherchons à associer des macromolécules


biologiques et des phases inorganiques, afin de créer une synergie entre la complexité
structurale et la biocompatibilité des premiers avec les propriétés physiques
(optiques, magnétiques,…) des seconds. En particulier, dans le cadre du poste
d’ATER du Collège de France de F. Carn, nous avons poursuivi l’étude concernant
l’association entre des macromolécules de gélatine et des clusters polyoxovanadates
de type décavanadate [H2V10O28]4- connus pour être impliqués dans la formation
des rubans de V2O5.

En collaboration avec M. Djabourov (ESPCI), nous avons établi le diagramme de


phase du système [gélatine-vanadate] à 40 °C et pH acide. Nous avons ainsi mis en
évidence l’existence d’une séparation de phase en deux temps laissant apparaître trois
régions distinctes : liquide homogène, dispersion colloïdale métastable, domaine
macroscopiquement biphasique (une phase visqueuse riche en gélatine en équilibre
avec une phase diluée). Sur la base d’une étude détaillée de chaque région (RMN
liquide et solide du 51V, diffusion de la lumière), nous avons proposé un mécanisme
de formation de ces phases fondé sur un processus de coacervation complexe déjà
décrit pour des systèmes comprenant deux espèces polyélectrolytes de charges
opposées. Nous avons poursuivi les mesures de rhéologie dans le domaine liquide
homogène que l’on a combiné à celles de μ-DSC dans le but de sonder l’influence
d’espèces vanadate fortement chargées négativement sur le changement de
conformation de la gélatine. Nous avons mis en évidence une faible influence des
clusters inorganiques sur la formation des triples hélices de gélatine à température
ambiante et en revanche, un impact très significatif sur le processus de fusion des
192 JACQUES LIVAGE

triples hélices. Ce résultat surprenant a été discuté et comparé au comportement


« modèle » d’une solution de collagène natif (100 % de triples hélices).

Enfin, nous avons effectué une caractérisation détaillée de la phase visqueuse


obtenue dans le domaine bi-phasique après retour à l’ambiante (ATG, DSC, RMN
solide 51V, DRX, comportement mécanique en traction). Les mesures en traction
ont été effectuées en collaboration avec B. Fayolle (ENSAM, Paris). Nous avons
mis en évidence notamment que ce matériau hybride possède une stœchiométrie
bien déterminée. Il peut être facilement mis sous forme de film et se comporte
mécaniquement comme un élastomère avec une contribution significative du
réseau de triples hélices. L’influence de la matrice organique sur la croissance d’un
réseau de V2O5 a également été montrée.

La spectroscopie RMN du solide est une technique intéressante pour caractériser


des matériaux hybrides désordonnés. Elle suppose cependant la connaissance de la
réponse spectrale de composés modèles. C’est pourquoi, nous avons continué notre
approche consistant à coupler des expériences RMN à des calculs ab-initio sur le
décavanadate de césium et des phases lamellaires de type CsV3O8. Ce travail a été
effectué en collaboration avec R. Hajjar, Y. Millot et P. Man (SIEN, UPMC) et
L. Truflandier, F. Boucher, M. Paris et C. Payen (IMN). Outre le noyau 51V,
d’autres noyaux comme 133Cs ont également été étudiés et nous avons pu attribuer
de façon claire les signaux RMN aux sites vanadium et césium des structures
cristallographiques et préciser la localisation des sites OH du cluster inorganique.
Nous avons également effectué des expériences 133Cs-1H HETCOR CP MAS qui
n’ont jamais été reportées dans la littérature. Ces expériences permettent de sonder
l’espace interfoliaire des phases CsV3O8 ou les connectivités spatiales entre les ions
Cs+ et le réseau de liaisons hydrogène du décavanadate de césium.

En parallèle, nous avons approfondi notre connaissance des systèmes


nanoparticulaires hybrides associant un biopolymère et la silice. Dans un premier
temps, nous avons cherché à optimiser notre approche de synthèse de nanocomposites
gélatine/silice par nano-émulsion afin de réduire la dispersité en taille des particules
obtenues, cette dispersité ayant un très fort impact sur la délivrance de médicaments
in vivo. Dans un deuxième temps, nous avons cherché à encapsuler une molécule
antibiotique, la nitrofurantoïne, au sein de ces particules. Nous avons pu ainsi
vérifier que ce médicament restait présent tout au long de la synthèse au sein des
nanocomposites. Cette même molécule a été encapsulée dans des nanoparticules
combinant acide alginique et silice obtenues par voie aérosol. Dans ce cas, nous
avons pu observer un départ très rapide mais partiel de la molécule lors de sa
dispersion en milieu aqueux, et ce indépendamment de la composition (rapport
silice/alginate) de la particule. Ceci suggère qu’une fraction du médicament est
adsorbée à la surface des nanocomposites et non encapsulée. Ces résultats nous
permettent de mieux appréhender les conditions optimales pour la mise au point
de nanovecteurs hybrides afin de pouvoir étendre notre stratégie à d’autres
biopolymères de structure et de charge différente.
CHIMIE DE LA MATIÈRE CONDENSÉE 193

Encapsulation cellulaire en milieu minéral

Le futur développement de nouveaux dispositifs biotechnologiques utilisant des


activités cellulaires va dépendre des possibilités d’intégrer des organismes vivants
au sein de matériaux fonctionnels. Nous avons déjà démontré qu’il était possible
d’immobiliser des bactéries au sein de gels de silice, de conserver leur activité
métabolique pendant un mois et de les utiliser pour synthétiser des molécules
d’intérêt thérapeutique. Notre démarche actuelle vise à étendre ce procédé à
d’autres hôtes minéraux.
La principale difficulté est de mettre au point une voie de synthèse de la matrice
minérale qui soit compatible avec la survie cellulaire. Un nombre important de
cations métalliques étant cytotoxique, nous avons exploré la possibilité de former
des gels inorganiques par une voie colloïdale, c’est-à-dire à partir de nanoparticules
préformées. Cette approche nous a permis de réaliser la première encapsulation
cellulaire par voie sol-gel dans une matrice d’alumine. Nous avons observé une
perte importante (60 %) de viabilité lors de l’encapsulation, probablement due à
un temps de gel trop rapide (quelques dizaines de secondes pour l’alumine contre
3-4 minutes pour la silice), qui induit un stress important sur les bactéries
Escherishia coli. Cependant, un taux de viabilité de 50 % est obtenu pour une
durée d’un mois, en présence de glycérol. Ce résultat est similaire à celui obtenu
pour les gels de silice et suggère que ces matrices d’alumine constituent un
environnement favorable à la survie des bactéries. En suivant une approche
similaire, nous avons cherché à encapsuler des bactéries E. coli dans des gels de
zircone. Dans ce cas, une lyse cellulaire a été observée lors d’une mise en contact
prolongé des cellules avec les colloïdes inorganiques.
Ces résultats indiquent que le succès de l’encapsulation dépend non seulement
des paramètres chimiques de la synthèse mais aussi de facteurs physiques liés à la
contrainte mécanique imposée par la formation du gel et/ou à l’interaction
colloïdes/paroi cellulaire. Afin de vérifier cette dernière hypothèse, nous cherchons
actuellement à encapsuler des micro-algues au sein de gels inorganiques, afin
d’évaluer la capacité des poly-saccharides extra-cellulaires de ces organismes à
protéger les cellules des stress physiques induits par l’encapsulation. Ce travail
s’effectue en collaboration avec R. Brayner (ITODYS, Paris VII) et A. Couté
(MNHN, Paris), dans le cadre d’une thèse en co-encadrement financée par le
réseau C’nano IdF et le CNRS. En parallèle, nous étudions actuellement l’effet de
la transition sol-gel sur le comportement et la survie de micro-algues présentant
une importante motilité.
194 JACQUES LIVAGE

Publications 2007-2008

• Macrocyclic polysiloxane immobilized ligand system and its structural characterization,


N.M. El-Ashgar, I.M. El-Nahal, M.M. Chehimi, C. Connan, F. Babonneau, J. Livage,
J. Dispersion Sci. Technol. 28 (2007) 445-453.
• A new route synthesis of immobilized-polysiloxane iminodiacetic ligand system, its
characterization and applications, N.M. El-Ashgar, I.M. El-Nahal, M.M. Chehimi,
F. Babonneau, J. Livage, Mater. Lett. 61 (2007) 4553-4558.
• Designing nanotextured vanadium oxide-based macroscopic fibers : application as alcoholic
sensors, C.M. Leroy, M.F. Achard, O. Babot, N. Steunou, P. Masse, J. Livage, L. Binet,
N. Brun, R. Backov, Chem. Mater. 19 (2007) 3988-3999.
• Aqueous Silicates in Biological Sol-Gel : New Perspectives for Old Precursors, T. Coradin,
J. Livage, Acc. Chem. Res. 40 (2007) 819.
• Potentialities of silica/alginate nanoparticles as HYbrid MAgnetic Carriers, M. Boissière,
J. Allouche, C. Chanéac, R. Brayner, J.M. Devoisselle, J. Livage, T. Coradin, Int. J. Pharm.
344 (2007) 128-134.
• Sol-gel encapsulation of cells is not limited to silica : bacteria long-term viability in
alumina matrices, M. Amoura, N. Nassif, C. Roux, J. Livage, T. Coradin, Chem. Commun.
(2007) 4015-4017.
• Design of iron oxide/silica/alginate HYbrid MAgnetic Carriers (HYMAC), M. Boissière,
J. Allouche, R. Brayner, C. Chanéac, J. Livage, T. Coradin, J. Nanosci. Nanotechnol.
7 (2007) 4649–4654.
• Hydrothermal synthesis of amorphous MoS2 nanofiber bundles via acidification of
ammonium molybdate tetrahydrate. G. Nagaraju, C.N. Tharamani, G.T. Chandrappa,
J. Livage, Nanoscale Res. Lett. 2 (2007) 461-468.
• First Example of Biopolymer-Polyoxometalate Complex Coacervation in Gelatin-
Decavanadate Mixtures, F. Carn, N. Steunou, M. Djabourov, T. Coradin, F. Ribot, J. Livage,
Soft Matter 4 (2008) 735-738.
• Organically modified porous hydroxyapatites : a comparison between alkylphosphonate
grafting and citrate chelation, L. El-Hammari, H. Marroun, A. Laghzizil, A. Saoiabi,
C. Roux, J. Livage, T. Coradin, J. Solid State Chem. 181 (2008) 848-854.
• Contribution of multi-nuclear solid state NMR to characterization of the Thalassiosira
pseudonana diatom cell wall., B. Tesson, S. Masse, G. Laurent, J. Maquet, J. Livage,
V. Martin-Jezequel, T. Coradin. Anal. Bioanal. Chem. 390 (2008) 1889-1898.
• Biomimetic dual templating of silica by poly-saccharide/protein assemblies, C. Gautier,
N. Abdoul-Aribi, C. Roux, P.J. Lopez, J. Livage, T. Coradin, Colloids Surf. B, 65 (2008)
140-148.
• From diatoms to bio-inspired materials… and back, T. Coradin, R. Brayner, C. Gautier,
M. Hémadi, P.J. Lopez, J. Livage, dans Biomineralization : from Paleontology to Materials
Science ; J.L. Arias, M.S. Fernandez, eds ; Editorial Universitaria (2007) p. 419-430.
• Bio-controlled growth of oxides and metallic nanoparticles, T. Coradin, R. Brayner,
F. Fiévet, J. Livage, dans Bio-inorganic Hybrid Nanomaterials ; E. Ruiz-Hitzky, K. Ariga,
Y. Lvov, eds. Wiley-VCH (2007) p. 159-192.
Génétique humaine

M. Jean-Louis Mandel, membre de l’institut


(Académie des Sciences), professeur

Enseignement

Une série de 5 cours a été donnée au Collège en mars 2008 sur un thème de
très grande actualité : « Évolution du génome humain et gènes soumis à sélection
positive ». Des variations génétiques apparaissent à chaque génération et la plupart
disparaissent ou restent extrêmement rares, mais certaines vont augmenter de
fréquence, jusqu’à la fixation éventuelle dans certaines populations, sous l’effet de
la dérive génétique et de pression de sélection négative (pour les variants délétères)
ou positive (pour les variants ayant une valeur adaptative). Depuis plus de 50 ans,
ces phénomènes ont été étudié chez l’homme pour des protéines puis pour des
gènes « candidats » montrant des propriétés particulières : polymorphisme impor-
tant (gènes HLA) ou montrant une grande variation de fréquence dans diverses
populations (et il faut rappeler évidemment les travaux des professeurs au Collège
de France, Jacques Ruffié et Jean Dausset).

Depuis une dizaine d’années, on constate une explosion des connaissances, grâce
au séquençage du génome humain et de certains primates (chimpanzé en 2005,
macaque rhésus en 2007) et à l’étude systématique du polymorphisme du génome
humain (projet HapMap, caractérisant en 2007 plus de 3 millions de « Single
Nucleotide Polymorphisms » et leur organisation en haplotypes dans 4 populations
humaines), et aux spectaculaires développements technologiques qui sous-tendent
ces grands projets, et qui permettent des études ciblées sur des gènes et des
populations particulières. Le séquençage en cours du génome d’homme de
Néandertal va apporter également des données précieuses. Cette série de cours a
présenté les approches méthodologiques utilisées pour identifier des gènes soumis
à sélection positive, et discuté certains des résultats les plus marquants obtenus
dans les dernières années, en soulignant dans certains cas les controverses quant à
leur interprétation.
196 JEANLOUIS MANDEL

Le premier cours a présenté l’organisation en haplotypes des polymorphismes du


génome et son interprétation, et les types de mesures permettant d’estimer, pour
différentes échelles de temps depuis la séparation de l’ancêtre commun au
chimpanzé et à l’homme, la probabilité d’une sélection positive dans une région
du génome : proportion de changements fonctionnels (affectant la séquence
protéique) au cours de l’évolution des primates, distribution des fréquences de
polymorphismes, et notamment des allèles dérivés (ceux qui ne correspondent pas
à la séquence déduite de l’ancêtre commun des hominidés et du chimpanzé), et
enfin, pour l’analyse des évolutions plus récentes, différences de fréquence allélique
entre populations et longueur des haplotypes communs (cf. Sabeti et al., Science
2006 ; Nielsen et al., Nat. Rev. Genet. 2007). Les exemples classiques (étudiés au
cours des 50 dernières années) de sélection dans les régions d’endémie paludéenne
de mutations affectant les gènes globine et responsables d’hémoglobinopathies
(anémie falciforme, thalassémies) ou la glucose 6 phosphate deshydrogénase
(G6PD), illustrent le fait que selon les cas, un même variant peut conférer un
avantage sélectif ou être au contraire délétère. L’analyse approfondie des haplotypes
permet maintenant d’estimer l’âge de ces variants. Un cours a été consacré aux
découvertes récentes concernant des gènes et leurs variants associés aux différences
de couleurs de peau, d’yeux ou de cheveux. La découverte du rôle du gène
SLC24A5 dans la pigmentation de la peau humaine est particulièrement frappante,
car débutant par l’analyse d’un mutant classique de pigmentation dans le poisson
zèbre (le mutant golden), puis l’identification d’un homologue humain du gène,
définissant une grande région de très faible diversité génétique dans la population
européenne, et la présence d’une mutation inactivant ce gène dans cette population
(Lamason et al., 2005). L’hypothèse généralement admise est celle de la balance
entre la protection contre l’effet mutagénique des UV dans des régions très
ensoleillées, favorisant une peau foncée, et le rôle des UV dans la transformation
de la vitamine D (antirachitique), favorisant une peau claire dans des régions peu
ensoleillées. Des études ultérieures ont montré l’implication d’un gène similaire
(SLC45A2) dans le même phénotype. Récemment, il a été montré qu’une
combinatoire de polymorphismes dans 6 gènes est associée aux variations de
pigmentation de la peau, des yeux et des cheveux, sans permettre une prédiction
individuelle exacte de ces phénotypes (Sulem et al., 2007). Le gène EDAR
(récepteur de l’ectodysplasine) impliqué dans le développement de la peau, des
cheveux et des glandes sudoripares, montre également des caractéristiques indiquant
une sélection positive dans certaines populations.

Un cours a été consacré à l’adaptation génétique aux conditions alimentaires


dans les populations humaines. On observe une forte sélection de variants non
codants modifiant la régulation de l’expression de la lactase dans la population
européenne, mais aussi dans d’autres populations pratiquant une agriculture
pastorale, où le lait est devenu un apport alimentaire important (la sélection de
variants différents est une exemple de convergence évolutive). Pour l’amylase
(impliquée dans la digestibilité de l’amidon), c’est la variation du nombre de copies
GÉNÉTIQUE HUMAINE 197

du gène qui paraît conférer une avantage sélectif. Enfin, les études récentes de
polymorphismes prédisposant au diabète de type 2 (Sladek et al., 2007) sont en
faveur de la « thrifty gene hypothesis » qui propose que des variants permettant de
limiter la dépense énergétique dans des périodes de restriction alimentaire ont été
sélectionnés, et prédisposent aux maladies métaboliques (diabète, obésité) dans le
mode de vie actuel. Un autre cours a été consacré aux études, aux interprétations
parfois controversées, impliquant des phénomènes de sélection dans l’évolution des
fonctions cognitives pour les gènes FOXP2 (dans l’évolution du langage) et les
gènes ASPM et MCPH1, dont des mutations rares sont associées à des
microcéphalies monogéniques. Il est intéressant de noter que des études impliquent
également le gène FOXP2 dans la vocalisation ultrasonique chez les souris, et dans
l’apprentissage de chants d’oiseau (modèle du mandarin, ou zebra finch).

Les approches systématiques de recherche de régions soumises à sélection positive


sur l’ensemble du génome ont été présentées et leurs limitations discutées
(cf. Sabeti et al., Nature 2007, et Barreiro et al., de l’équipe de L. Quintana-Murci,
Nature Genet. 2008). Le dernier cours a porté sur l’apparition ou la disparition
de gènes au cours de l’évolution des grands primates. Ainsi, l’apparition de la
vision trichromate apparaît corrélée à la perte de nombreux gènes de récepteurs
olfactifs ou de l’organe voméronasal (gène TRPC2). La datation de l’inactivation
dans l’évolution humaine d’un gène myosine (MYH16) dont l’expression est
spécifique de muscles masticatoires, et du rôle de cet événement dans la gracilisation
de la mâchoire des hominidés et dans le développement de l’encéphale, sont très
controversés (Stedman et al., 2004, McCollum et al., 2006), illustrant les difficultés
de ces approches.

Un cours au Collège et une conférence à l’Université et CHU Bordeaux 2 ont


porté sur : Myopathies centronucléaires: un lien inattendu entre phosphoinositides
et des protéines impliquées dans le remodelage membranaire (dynamine 2,
amphiphysine) (cf. ci-dessous, rapport sur les travaux de recherche). Un cours
(4 h) sur la génétique des maladies communes (multifactorielles) a été donné à
l’Université de Strasbourg, et une conférence à l’Université Victor Segalen
Bordeaux 2 sur « Maladies monogéniques, du gène aux malades et aux familles ».

Un colloque intitulé « Actualités dans le domaine des maladies monogéniques :


mécanismes physiopathologiques, approches thérapeutiques » a été organisé dans le
cadre des enseignements de la chaire les 15 et 16 avril 2008, à l’amphithéâtre
Guillaume Budé. Ce colloque soutenu par l’Association Française contre les
Myopathies, qui a fait également partie de l’enseignement national pour les internes
de la spécialité de génétique médicale, a été suivi par un public nombreux et attentif.
Son programme a montré, au travers de 20 conférences, comment l’étude des
mécanismes physiopathologiques de maladies monogéniques a permis de proposer
et développer des stratégies thérapeutiques, allant dans plusieurs cas discutés au
cours du colloque jusqu’à des essais cliniques. Les exposés ont également illustré la
diversité des modèles expérimentaux utilisés : modèles cellulaires, modèles de souris
198 JEANLOUIS MANDEL

génétiquement modifiées reproduisant les mutations observées chez l’homme, mais


aussi utilisation d’organismes tels que le nématode C. elegans et la drosophile,
permettant des cribles génétiques (pour la recherche de gènes pouvant modifier le
phénotype) ou pharmacologiques. Les aspects précliniques d’études
physiopathologiques et de cibles thérapeutiques potentielles ont été abordés
notamment pour le syndrome de retard mental avec X fragile (modèles drosophile et
souris ayant abouti à l’identification de récepteurs au glutamate mGluR comme
cible thérapeutique ; J.-L. Mandel, IGBMC, Illkirch/Strasbourg), la myopathie de
Duchenne (modèles nématode et souris, Laurent Segalat, CGMC CNRS, Lyon/
Villeurbanne), l’ataxie de Friedreich (modèles souris, Hélène Puccio, IGBMC
Illkirch/Strasbourg), les myopathies dues à un déficit en alpha-sarcoglycane (modèle
souris, Isabelle Richard CNRS/Généthon, Evry), et le syndrome CADASIL de
démence vasculaire impliquant le gène NOTCH3 (modèle souris, Anne Joutel,
INSERM/Paris 7). Le passage de l’étude physiopathologique à des essais cliniques
en cours a été illustré par 1) Bart Loeys (Université de Gand), pour le syndrome de
Marfan impliquant la voie de signalisation du TGFβ, avec des résultats prometteurs
d’utilisation d’une thérapie pharmacologique (losartan) ; 2) Frédéric Becq (CNRS,
Université de Poitiers) et Olivier Morand (Actelion Pharmaceuticals, Suisse), pour
la proposition, à partir de l’étude de modèles cellulaires, de l’utilisation d’une
molécule, le miglustat (utilisé dans le traitement de la maladie de Gaucher), pour un
traitement spécifique des patients atteints de mucoviscidose et porteurs de la
mutation la plus fréquente, ΔF508 ; 3) Jean Bastin (CNRS/Necker-Enfants Malades)
pour la correction de déficits génétiques du métabolisme oxydatif mitochondrial par
le bézafibrate ; 4) Nicolas Lévy (INSERM/CHU Timone Marseille), qui à partir de
modèles cellulaires et de souris a proposé l’utilisation d’un traitement combiné par
statines et aminobiphosphonates pour inhiber la prénylation des formes tronquées
de prélamine 1 responsables de la progeria, une maladie exceptionnellement rare
entraînant un vieillissement accéléré ; 5) Arnold Munnich (INSERM/Université
Descartes) qui a décrit un premier essai clinique d’un chélateur du fer dans l’ataxie
de Friedreich. Thomas Voit (Institut de Myologie, Paris) a présenté les propriétés
d’une molécule (PTC124) permettant un « readthrough » traductionnel de
mutations non-sens, mutations retrouvées fréquemment dans de très nombreuses
maladies génétiques, et les stratégies d’essais cliniques chez des patients atteints de
mucoviscidose ou de myopathie de Duchenne et porteurs de telles mutations. Des
approches de thérapie génique ont été présentées : 1) pour la myopathie de Duchenne
avec la stratégie de « saut d’exon » pour rétablir une phase de lecture dans l’ARN
messager dystrophine, par Gert-Jan Van Ommen (Center for Human Genetics,
Leiden), qui développe une stratégie par oligonucléotides anti-sens, qui a fait l’objet
d’une première étude clinique avec des résultats biologiques encourageants ; et Luis
Garcia (Institut de Myologie, INSERM), qui utilise un vecteur viral (AAV), et
également la correction de cellules souches ; 2) pour l’adrénoleucodystrophie, une
maladie démyelinisante gravissime, par Nathalie Cartier (INSERM/Hôpital Saint-
Vincent-de-Paul) qui développe avec Patrick Aubourg la thérapie génique utilisant
un vecteur lentiviral, et qui a présenté les premières données de l’essai clinique en
GÉNÉTIQUE HUMAINE 199

cours, le premier pour ce type de vecteur. Alain Fischer (INSERM/Hôpital Necker


Enfants Malades), pionnier dans le domaine de la thérapie génique, a brossé un
tableau des déficits immunitaires monogéniques, et montré comment la
compréhension des mécanismes permet de définir des approches thérapeutiques
rationnelles par supplémentation des molécules déficientes, immunomodulation par
des cytokines, thérapie cellulaire ou génique. Philippe Coubes (Centre Gui de
Chauliac/CNRS/INSERM Montpellier) a montré de manière spectaculaire
comment, grâce aux progrès dans le domaine des neurosciences, des approches
neurochirurgicales de neuromodulation électrique du cerveau permettent d’obtenir
des résultats thérapeutiques importants dans des maladies génétiques du tonus
(dystonie) ou du mouvement (dyskinésie). Des aspects plus généraux de la
problématique du développement thérapeutique pour les maladies rares que sont les
maladies monogéniques ont été présentés par Philippe Moullier (INSERM et CHU
Nantes, et College of Medicine, Gainesville FL USA) : Etudes précliniques en
thérapie génique ; Ségolène Aymé (Orphanet, INSERM SC11, Paris) : Des thérapies
pour les maladies génétiques, succès et revers du règlement sur les médicaments
orphelins ; Bernard Barataud (Généthon, Evry) : Généthon, de la cartographie du
génome à l’Autorisation de Mise sur le Marché : le chemin du médicament. Enfin,
une douzaine de communications par affiche sur les thèmes du colloque ont été
présentées par de jeunes chercheurs, qui ont fait l’objet de discussions animées.

Recherche
Le groupe de recherche en génétique humaine fait partie du département de
Neurobiologie et Génétique de l’IGBMC (Institut de Génétique et Biologie
Moléculaire et Cellulaire, UMR 7104 du CNRS, Unité Inserm U596 et Université
Louis Pasteur de Strasbourg). Il se consacre essentiellement à l’étude des mécanismes
génétiques et physiopathologiques de maladies monogéniques neurologiques ou
musculaires. Des aspects de recherche clinique sont également développés dans le
laboratoire hospitalier de diagnostic génétique du CHU de Strasbourg, dirigé par
J.-L. Mandel. Jean-Louis Mandel a été nommé en juin 2008 directeur de l’Institut
Clinique de la Souris (ICS), une très importante plateforme technologique associée
à l’IGBMC et impliquée dans la création et le phénotypage de souris génétiquement
modifiées.
Jean-Louis Mandel est plus particulièrement impliqué dans les thématiques
suivantes :
1) Syndrome de retard mental avec chromosome X fragile et fonction de la
protéine FMRP (avec Hervé Moine, CR1 CNRS).
2) Myopathies myotubulaire et centronucléaires et analyse fonctionnelle d’une
nouvelle famille de phosphoinositides phosphatases : les myotubularines (équipe
codirigée avec Jocelyn Laporte, promu DR2 INSERM en 2007, et labellisée équipe
FRM 2007). Jocelyn Laporte a été également lauréat d’un Prix du comité Alsace
de la Fondation pour la Recherche Médicale.
200 JEANLOUIS MANDEL

3) En collaboration avec le Pr Hélène Dollfus (EA3949 et Equipe AVENIR/


INSERM ; Faculté de Médecine de Strasbourg), nous menons une étude génétique
du syndrome de Bardet-Biedl.
Yvon Trottier (DR2 INSERM) dirige depuis 2006 l’équipe qui se consacre aux
mécanismes pathogéniques des maladies neurodégénératives causées par des expan-
sions de polyglutamine, dont la maladie de Huntington et l’ataxie spinocérébelleuse
de type 7.
L’équipe dirigée par Michel Kœnig (PU-PH) se consacre à l’identification de
gènes impliqués dans des formes d’ataxies récessives, et aux études de corrélation
génotype/phénotype pour cette pathologie très hétérogène.
Hélène Puccio (promue DR2 INSERM en 2007) et son équipe s’intéressent aux
mécanismes physiopathologiques de l’ataxie de Friedreich. Hélène Puccio est
lauréate du prestigieux « ERC starting grant » du Conseil Européen de la Recherche
pour son projet « Comprendre les mécanismes moléculaires impliqués dans les
ataxies récessives liées à des déficits mitochondriaux : implication du métabolisme
des noyaux fer-soufre ».
L’équipe d’André Hanauer (MCU) étudie les mécanismes du syndrome de
Coffin-Lowry (retard mental syndromique lié au chromosome X, impliquant la
protéine kinase Rsk2).
Stanislas du Manoir (CR1 INSERM) et son équipe développent des stratégies
d’étude des réarrangements chromosomiques (amplifications, délétions) présents
dans des tumeurs solides, dans le but notamment d’identifier des oncogènes
impliqués dans la progression tumorale ou des marqueurs génomiques associés au
pronostic vital.

1) Syndrome de retard mental avec chromosome X fragile et fonction


de la protéine FMRP (thème codirigé par H. Moine et J.-L. Mandel).
Le syndrome X-fragile représente la forme la plus fréquente de retard mental
monogénique. Ce syndrome résulte d’une expansion instable de répétitions CGG
dans le gène FMR1, entraînant sa répression transcriptionnelle. FMR1 code pour
la protéine FMRP (Fragile X Mental Retardation Protein) qui lie des ARN
messagers au sein de complexes ribonucléoprotéiques associés aux polysomes et
joue un rôle de régulation de la traduction et/ou de transport de ces ARNm. Afin
de caractériser la fonction et les mécanismes d’action de cette protéine, nous avons
entrepris d’identifier et caractériser des ARNm se liant à FMRP et pouvant
constituer des cibles de son action. Nous avons montré antérieurement que FMRP
se lie de manière spécifique et avec une forte affinité aux ARNm contenant un
motif structural de type « G(uanine)-quartet » (Schaeffer et al., 2001). Nous avions
retrouvé ce motif dans l’ARNm de la phosphatase PP2A et suggéré un rôle de
FMRP dans le contrôle traductionnel de cette importante protéine régulatrice
(Castets et al., 2005). Nos travaux récents suggèrent que l’interaction de FMRP
GÉNÉTIQUE HUMAINE 201

avec son propre ARNm, au niveau d’un G-quartet présent dans la région codante
(exon 15), peut moduler l’épissage alternatif du gène FMR1. En effet, ce G-quartet
présente des propriétés activatrices de l’épissage et la liaison de FMRP avec ce
motif pourrait constituer une boucle d’autorégulation (Didiot et al., 2008).
En collaboration avec B. Bardoni (CNRS, Nice), nous avons caractérisé un
nouvel ARNm lié par FMRP, l’ARNm SOD1. L’équipe de B. Bardoni a observé
que l’expression de la protéine superoxyde dismutase 1 codée par ce gène était
diminuée dans le cerveau des souris déficientes en FMRP. Nous avons montré que
l’ARNm SOD1 ne contient pas de motif G-quartet et FMRP, en se liant à un
motif structuré en tige-boucle présent au niveau du site d’initiation de la traduction,
stimulerait la traduction de cet ARNm (résultats soumis).
Le mécanisme d’action de FMRP sur ses différents ARNm cibles est encore mal
compris. Nous avons récemment montré expérimentalement la présence de motifs
G-quartet et leur liaison par FMRP au niveau de la région 3′ non traduite de deux
gènes importants pour la plasticité synaptique et précédemment proposés comme
cible de FMRP (résultats non publiés). Nous avons entrepris d’analyser et comparer
l’impact de FMRP sur le métabolisme de ces deux ARNm en culture de neurones
primaires de souris : traduction, localisation, stabilité.
En collaboration avec l’équipe du Dr C. Branlant (CNRS Nancy) nous avons
mis en évidence une nouvelle interaction entre FMRP et le complexe SMN
d’assemblage de particules ribonucléoprotéiques du spliceosome (Piazzon et al.,
2008). Le complexe SMN est déficient dans une importante pathologie du
motoneurone, l’amyotrophie spinale (SMA).
Nous avons récemment réanalysé l’association proposée par plusieurs laboratoires
entre FMRP et le complexe RISC (RNA induced silencing complex). Nous avons
montré que FMRP : 1) n’est pas nécessaire à l’activité RISC dans les cellules,
2) présente des propriétés de localisation intracellulaire et d’association aux
polysomes distinctes de celles du complexe RISC. Nous concluons à une implication
de FMRP et RISC dans des voies fonctionnelles distinctes. FMRP contribuerait à
l’efficacité de formation des granules de stress (article en préparation).

2) Myopathies myotubulaire et centronucléaires et analyse fonctionnelle


de la voie des myotubularines (équipe codirigée par J. Laporte et J.-L. Mandel,
avec A. Buj-Bello).
Les myopathies centronucléaires (CNM) regroupent des myopathies rares
caractérisées par une grande proportion de fibres musculaires atrophiques à noyaux
centraux (les noyaux étant normalement périphériques). Les CNM sont regroupées
en trois classes, et nous avons participé à l’identification de tous les gènes impliqués
jusqu’à présent. La forme liée au chromosome X, appelée myopathie myotubulaire,
est la plus sévère et se traduit par une hypotonie généralisée qui entraîne souvent la
mort du patient dans la première année. Elle est due à des mutations dans le gène
202 JEANLOUIS MANDEL

MTM1 codant pour la myotubularine (Laporte et al., 1996), dont nous avons par la
suite montré qu’elle définit une nouvelle famille de phosphoinositides phosphatases,
agissant sur le PI3P et le PI3,5P2 (Blondeau et al., 2000, Laporte et al., 2003). Les
formes autosomiques dominantes (ADCNM) débutent à l’adolescence ou à l’âge
adulte, et sont généralement dues à des mutations de la dynamine 2, une protéine
impliquée notamment dans les mécanismes d’endocytose et de trafic membranaire
(Bitoun et al., 2005). Les formes infantiles autosomiques récessives (ARCNM) sont
de sévérité intermédiaire et nous avons récemment montré que certaines familles
sont mutées dans le gène BIN1 codant pour l’amphiphysine 2, une protéine
interagissant avec la dynamine (Nicot et al., 2007).

Nous avons poursuivi, en collaboration avec P. Guicheney (Paris), V. Biancalana


(Strasbourg) et des cliniciens, l’étude des mutations dans la dynamine 2, dont
certaines sont associées à une forme de neuropathie périphérique de Charcot-
Marie-Tooth et tentons d’établir des corrélations génotype-phénotype. L’étude
d’une grande famille avec myopathie centronucléaire dominante due à une
mutation dynamine 2 non décrite antérieurement, a montré également des signes
de neuropathie périphérique et de déficit cognitif peu sévères, suggérant un
recouvrement phénotypique entre myopathie et neuropathie, et une action sur le
système nerveux central, pour certaines mutations de la dynamine 2 (Echaniz-
Laguna et al., 2007).

Nous avons poursuivi la recherche de gènes impliqués dans les myopathies


centronucléaires récessives. Les familles recrutées étant peu informatives pour une
analyse de liaison, nous avons opté pour une recherche de gènes candidats identifiés
par analyse bio-informatique, complémentée dans les familles consanguines, par
cartographie d’homozygotie sur puces SNPs. L’amphiphysine 2 était un bon
candidat fonctionnel car cette protéine régule le trafic membranaire comme la
myotubularine (Cao et al., 2007 et 2008) et la dynamine 2, et un mutant de
drosophile montre une faiblesse musculaire associée à des anomalies des tubules-T.
Par séquençage direct, et à l’aide de cartographie par homozygotie, nous avons
trouvé 4 variants à l’état homozygote dans des familles consanguines, dont deux
mutations non sens (Nicot et al., 2007, et résultats non publiés). Les mutations
faux-sens diminuent la fonction de tubulation des membranes alors qu’un des
codons stop prématurés produit une protéine stable qui ne peut plus se lier avec
un interacteur précédemment connu de l’amphiphysine 2, la dynamine 2. La
deuxième mutation stop, identifiée très récemment dans une nouvelle famille, est
en cours d’analyse. Ce travail a donc révélé un lien moléculaire et fonctionnel entre
2 formes de myopathies centronucléaires.

Nous avons poursuivi d’autre part nos travaux sur la physiopathologie de la forme
liée au chromosome X, par l’étude du modèle souris de déficience en myotubularine
que nous avons construit antérieurement (Buj-Bello et al., 2002). Une étude
transcriptomique globale au cours du développement de la pathologie musculaire
dans ce modèle, ainsi que dans des biopsies musculaires de patients (en collaboration
GÉNÉTIQUE HUMAINE 203

avec A. Beggs, Harvard Med. School) a montré des anomalies importantes


(particulièrement dans le modèle souris) de l’expression de certains gènes impliqués
dans la régulation de l’homéostasie calcique. Nous avons confirmé ces anomalies au
niveau protéique, et montré que certaines d’entre elles survenaient précocément au
cours du développement de la pathologie. Nous avons observé d’autre part des
anomalies précoces de l’organisation des tubules T, et avons entrepris, en
collaboration avec Vincent Jacquemond (Université Lyon 1/CNRS, Villeurbanne)
une étude électrophysiologique des courants calciques des fibres musculaires des
souris déficientes en myotubularine, qui montrent certaines altérations précoces
dans l’évolution de la pathologie (manuscrit en préparation). Les anomalies de
l’organisation des tubules T et de la fonctionnalité du couplage excitation
contraction pourraient rendre compte de l’importante hypotonie musculaire
observée chez les patients. Ceci permet de relier fonctionnellement les 3 protéines
connues mutées dans les myopathies centronucléaires, à la fois par leur interaction
avec les phosphoinositides, et par leur rôle dans l’organisation des tubules T.

Nous avons aussi poursuivi une approche de thérapie génique à l’aide de vecteur
AAV (adeno-associated virus) exprimant la myotubularine, en collaboration avec
le Généthon (Evry). Des résultats très positifs ont été obtenus sur notre modèle
souris. En effet une seule injection intramusculaire dans des souris déjà atteintes
de faiblesse musculaire améliore de manière spectaculaire l’état pathologique du
muscle, corrige le positionnement des noyaux et augmente la masse musculaire
ainsi que la force, à un niveau quasi-normal (Buj-Bello et al., 2008). L’utilisation
de la même approche pour surexprimer la myotubularine suggère que cette protéine
régule l’homéostasie du sarcolemme, la membrane plasmique des fibres musculaires
(Buj-Bello et al., 2008). Nous testons maintenant par la même approche la capacité
de protéines homologues à la myotubularine (MTMR1 et MTMR2) à améliorer
le phénotype des souris Mtm1 KO, ce qui permettrait à terme d’envisager une
thérapie par réexpression des gènes homologues et ainsi diminuer la réponse
immunitaire. Sur un plan plus fondamental, ceci apportera également des
informations précieuses sur les mécanismes de spécificité musculaire liées aux
mutations du gène MTM1, son plus proche homologue MTMR2 étant muté dans
une forme récessive sévère de neuropathie périphérique démyélinisante, avec
atteinte des cellules de Schwann (Chojnowski et al., 2007) et donc nous permettre
de discriminer entre les alternatives de spécificité d’expression ou liée à la structure
de la protéine.

En collaboration avec l’équipe de T. Ogata (Tokyo), nous avons montré que le


gène CXorf6, adjacent au gène MTM1, est muté dans des cas d’anomalies du
développement génital masculin (hypospadias) (Fukami et al., 2007). Le gène
CXorf6 code pour une protéine avec un domaine de type mastermind, a des
propriétés transactivatrices sur un gène de la voie Notch, le gène Hes3, et son
inhibition augmente la production de testostérone par des cellules de Leydig
tumorales (Fukami et al., 2008).
204 JEANLOUIS MANDEL

3) Analyse génétique du syndrome de Bardet-Biedl


(collaboration avec le Pr H. Dollfus)
Le syndrome de Bardet-Biedl (BBS), de transmission autosomique récessive,
associe rétinite pigmentaire, obésité, polydactylie, anomalies rénales et atteinte
cognitive. Il est caractérisé par une étonnante hétérogénéité génétique, contrastant
avec la spécificité de la présentation clinique. De 2000 à 2005, 9 gènes (dénommés
BBS1 à 9) avaient été identifiés par des équipes américaines et anglaises, dont les
mutations ne rendent compte que d’environ 50 % des patients. L’identification de
ces gènes, codant pour des protéines de types très divers et dont les fonctions étaient
initialement inconnues, a permis de relier le syndrome BBS à des défauts dans
l’assemblage ou la fonction de structures ciliées (cil primaire) et du centrosome. Nous
participons à une étude initiée par le Prof. Hélène Dollfus (Faculté de Médecine de
Strasbourg), visant notamment à identifier de nouveaux gènes BBS. L’utilisation
d’une approche de cartographie par homozygotie dans des familles consanguines, à
l’aide de « puces SNP (single nucleotide polymorphism) », en collaboration avec
l’équipe de bioinformatique d’Olivier Poch à l’IGBMC nous a permis d’identifier en
2005-2006 deux nouveaux gènes (BBS10 et BBS12) particulièrement importants.
BBS10 est un gène majeur, dont les mutations sont retrouvées chez plus de 20 % des
patients (Stoetzel et al., 2006), et BBS12 rend compte de 5-6 % des familles. De
manière surprenante, alors que 8 des 9 gènes BBS précédemment identifiés sont très
conservés dans l’évolution, entre tous les organismes ciliés (de l’homme au nématode,
et même à l’algue Chlamydomonas), les gènes BBS10 et BBS12 codent pour des
protéines spécifiques des vertébrés et dont la séquence protéique évolue beaucoup
plus rapidement que pour les autres gènes BBS (à l’exception du gène BBS6). BBS10
et BBS12 appartiennent, comme BBS6 à la superfamille des chaperonines de type II
(Stoetzel et al., 2007). Nous avons montré que ces 3 gènes définissent une branche
spécifique des vertébrés au sein de cette superfamille dont les autres membres ont une
origine beaucoup plus ancienne (Stoetzel et al., 2007). Le phénotype indistinguable
des patients porteurs de mutations dans des gènes BBS différents suggère que les
protéines correspondantes pourraient être impliquées dans des complexes
macromoléculaires (l’absence de l’un ou l’autre d’entre eux ayant alors le même effet
négatif sur la fonction du complexe). Des travaux récents paraissent confirmer une
telle hypothèse pour 7 protéines BBS présentes de manière stoechiométrique dans un
complexe nommé BBSome (Nachury et al., 2007). Les protéines BBS6, 10 et 12
sont absentes de ce complexe, et on peut donc faire l’hypothèse d’un complexe
« chaperonin-like » qui contiendrait ces 3 protéines. Des études sont entreprises dans
cette direction, en collaboration également avec l’équipe de D. Moras à l’IGBMC.
La création de mutants avec inactivation conditionnelle des gènes BBS10 et 12
chez la souris est en cours, qui devraient notamment permettre de répondre au
problème du mécanisme (central ou périphérique) de l’obésité liée aux mutations
BBS. Des résultats récents obtenus par V. Marion et H. Dollfus suggèrent que les
protéines BBS et le cil primaire jouent un rôle important dans la différenciation
des préadipocytes et dans l’adipogenèse (résultats soumis).
GÉNÉTIQUE HUMAINE 205

La stratégie d’identification de nouveaux gènes BBS se poursuit (il reste environ


25 % de patients ne correspondant à aucun des gènes connus). Les analyses
effectuées sur des familles consanguines pour lesquelles le gène n’est pas encore
identifié nous permettent d’exclure la présence d’un gène pouvant expliquer plus
de 10 % des cas, et suggèrent au contraire une extrême hétérogénéité. Ceci
complique l’identification de nouveaux gènes, en l’absence de grandes familles
informatives, car il existe de nombreuses régions candidates (sur la base des études
d’homozygotie) de grande taille, et contenant donc de très nombreux gènes. Nous
avons récemment entrepris une nouvelle approche basée sur l’observation qu’une
proportion en général faible de mutations responsables de perte de fonction
correspondent à des délétions touchant plusieurs exons du gène cible. La très haute
densité de puces ADN utilisables pour l’analyse de SNPs et de dosage génique
devrait permettre la détection de telles délétions, notamment en sélectionnant les
régions d’homozygotie chez des patients issus de familles consanguines. Une
vingtaine de familles avec syndrome de Bardet-Biedl et sans mutation dans les
gènes connus sont actuellement en cours d’analyse sur des puces contenant
1,8 million de positions analysables (puces 6.0 d’Affymetrix).

Maladies à expansion de polyglutamine (Yvon Trottier, avec K. Mérienne)

L’équipe de Y. Trottier étudie la physiopathologie de la maladie de Huntington


(MH) et l’ataxie spinocérébelleuse de type 7 (SCA7). Ces maladies neurodégénératives
héréditaires sont dues à une expansion de répétitions CAG codant pour un
homopolymère de glutamines (polyQ) dans des protéines cibles spécifiques de
chaque maladie. L’expansion de polyQ (au-delà d’environ 39 résidus) confère aux
protéines mutées de nouvelles propriétés neurotoxiques, qui mènent entre autres à
leur accumulation et leur agrégation dans le noyau des neurones, entrainant une
dérégulation de l’expression de certains gènes et une dysfonction puis une mort
neuronale, avec une spécificité d’atteinte des neurones qui diffère selon la
maladie.

L’équipe s’intéresse aux propriétés structurales et d’agrégation des polyQ. En


collaboration avec le Dr A. Podjarny (IGBMC), nous cherchons à élucider la
structure spatiale de polyQ, un motif retrouvé dans un grand nombre de protéines,
mais dont la fonction reste inconnue. Notre stratégie consiste à déterminer la
structure de polyQ de longueur déterminée interagissant avec un partenaire, en
l’occurrence un anticorps monoclonal anti-polyQ, que nous avions caractérisé
antérieurement (Trottier et al., 1995, Trottier 2003). Nous avons déjà élucidé la
structure de l’anticorps dans deux configurations différentes. Cette étape
préliminaire nous guide actuellement dans l’analyse des cristaux formés par le
complexe polyQ:anticorps. Cette stratégie doit nous permettre de révéler la
structure de la polyQ, mais aussi celle de l’anticorps, ce qui devrait fournir une
base pour générer par modélisation des inhibiteurs de l’agrégation. D’autre part,
sur la base de nos travaux antérieurs (Klein et al., 2007), nous avons conçu un
206 JEANLOUIS MANDEL

polypeptide ayant des propriétés anti-agrégation in vitro. Nous poursuivons l’étude


du potentiel thérapeutique de ce polypeptide dans un modèle drosophile de
maladie à polyQ en collaboration avec le Dr Hervé Tricoire (CNRS/U. Paris 7).

Également dans une perspective thérapeutique, nous étudions deux molécules


chimiques qui semblent prévenir l’accumulation ainsi que l’agrégation des protéines
mutées. Les analyses sont effectuées in vitro dans un modèle cellulaire et dans un
modèle souris. Nous nous intéressons également aux mécanismes d’action de ces
molécules. Ce projet est issu d’une collaboration avec le Dr Anne Bertolotti
(Cambridge, UK) (Rousseau et al., 2004 ; Dehay et al., 2007) et le Dr Nicolas
Winssinger (ISIS, Strasbourg).

Afin d’identifier les mécanismes de dysfonction et de dégénérescence neuronale,


nous étudions depuis plusieurs années un modèle souris SCA7, qui récapitule la
dégénérescence rétinienne observée chez les patients. La rétine de ces souris se
développe normalement jusqu’à 3 semaines d’âge, puis l’activité mesurée par
électrorétinogramme (ERG) diminue progressivement et s’accompagne d’anomalies
morphologiques des photorécepteurs : une perte des segments externes et internes,
une disparition des cils connecteurs associée à une réapparition de centrosomes ou
de cils primaires périnucléaires, une altération de l’architecture du noyau avec une
décondensation de la chromatine (Helmlinger et al., 2004 ; Yefimova et al.,
manuscrit en préparation). L’étude du profil transcriptionnel de la rétine des souris
SCA7 a révélé une forte répression des gènes spécifiques des photorécepteurs,
notamment des facteurs de transcription (Nrl, Crx, Nr2e3) qui contrôlent la
différenciation des photorécepteurs (Abou-Sleymane et al., 2006 ; Helmlinger et
al., 2006 ). Ces données suggèrent que l’ataxine-7 mutée compromet le programme
génétique de différenciation des photorécepteurs. Ces photorécepteurs non
différenciés et non fonctionnels survivent néanmoins jusqu’à un stade tardif de la
pathologie, où l’activité ERG est absente.

Plusieurs voies pathogéniques pourraient participer à cette « dédifférenciation »


et sont actuellement à l’étude dans notre laboratoire. Premièrement, l’ataxine-7
mutée s’agrège dans les photorécepteurs et cause un stress en activant la voie Jnk/
c-Jun (Mérienne et al., 2003). Nous avons montré que c-Jun régule le facteur Nrl,
et que l’inactivation génétique de c-Jun retarde la rétinopathie des souris SCA7
(Mérienne et al., 2007). Deuxièmement, comme l’ataxine-7 fait partie du complexe
TFTC qui régule la transcription en acétylant les histones (Helmlinger et al.,
2004), il semble que l’ataxine-7 mutée causerait une dysfonction de TFTC qui
mènerait à la décondensation générale de la chromatine (par hyperacétylation) et
à la dérégulation des gènes spécifiques aux photorécepteurs (Helmlinger et al.,
2006). Troisièmement, nous avons récemment observé une activation microgliale
importante aux stades précoces de la rétinopathie de ces souris. Nous tentons
actuellement de savoir quel est le rôle de l’activation de la microglie : soit la
sécrétion de facteurs de survie, menant peut-être les photorécepteurs à se
dédifférencier, ou bien la phagocytose de la couche des segments des photorécepteurs.
GÉNÉTIQUE HUMAINE 207

Quatrièmement, nous avons constaté que la rétinopathie s’accompagne d’un stress


oxydatif précoce important. Le rôle du stress oxydatif, qui est aussi présent dans
la pathogenèse de la maladie de Huntington (MH), est actuellement à l’étude dans
la rétinopathie de ce modèle SCA7.
L’expansion CAG dans le locus HD muté montre une forte instabilité -avec une
tendance à un allongement additionnel- dans le striatum, la région cible principale
de la pathologie, et peu d’instabilité dans le cervelet, une région épargnée. Comme
les études corrélatives génotype-phénotype antérieures ont révélé que plus
l’expansion est longue, plus la pathologie est précoce et sévère, il est probable que
l’instabilité — et l’allongement — de l’expansion CAG dans le striatum contribue
à la dégénérescence sélective de cette région du cerveau. K. Mérienne étudie les
mécanismes menant à l’instabilité sélective de l’expansion CAG dans le striatum.

Physiopathologie de l’ataxie de Friedreich (équipe H. Puccio)


L’équipe de H. Puccio s’intéresse aux mécanismes physiopathologiques de
l’ataxie de Friedreich (AF), par la construction et l’étude de modèles murins et de
modèles cellulaires.
L’ataxie de Friedreich est une maladie autosomique récessive, gravement
invalidante, caractérisée par une dégénérescence spino-cérébelleuse et une
cardiomyopathie hypertrophique. Elle est due à la diminution quantitative d’une
protéine mitochondriale, la frataxine, qui entraîne un déficit fonctionnel des
protéines fer-soufre (Fe-S) et une accumulation intramitochondriale de fer. Cette
équipe a créé depuis plusieurs années des modèles souris de l’ataxie de Friedreich,
par inactivation conditionnelle spatio-temporelle (système Cre-Lox) du gène de la
frataxine (Puccio et al., 2001 ; Simon et al., 2004). Ces modèles conditionnels
reproduisent l’essentiel des caractéristiques physiopathologiques et biochimiques
de la pathologie humaine.
Dans la levure, la mitochondrie joue un rôle central pour la biosynthèse de tous
les noyaux Fe-S, indépendant de leur localisation cellulaire. Cependant, chez les
mammifères, le rôle central de la mitochondrie reste controversé puisqu’une
machinerie cytosolique d’assemblage des centres Fe-S indépendante a été proposée.
A travers les différents modèles murins générés, nous avons récemment montré que
la frataxine est nécessaire pour la biogenèse d’enzymes Fe-S nucléaires et
cytosoliques, et qu’il n’existe donc pas de machinerie de biosynthèse des noyaux
Fe-S chez les mammifères complètement indépendante de la mitochondrie (Martelli
et al., 2007). Ces résultats ouvrent la porte sur de nouvelles pistes physiopathologiques,
notamment la voie de réparation d’ADN. Une collaboration avec l’équipe de
Pr R. Lill (Marburg, Allemagne) a permis de montrer que la protéine cytosolique
huNbp35, une P-loop NTPase, est essentielle pour les protéines à noyau Fe-S
cytosoliques et nucléaires et joue un rôle dans la régulation du fer (Stehling et al.,
2008). L’ensemble de ces résultats démontre l’existence d’une machinerie complexe
pour l’assemblage des protéines à noyau Fe-S qui est peu étudiée chez les
208 JEANLOUIS MANDEL

mammifères. L’étude fondamentale sur le métabolisme des protéines à Fe-S


proposée dans le cadre de notre projet ERC permettra la compréhension des
conséquences d’un déficit du métabolisme Fe-S de la mitochondrie dans les cellules
neuronales.
La frataxine (FXN) est une protéine mitochondriale synthétisée sous forme d’un
précurseur de 210 acides aminés. Son import et sa maturation dans la mitochondrie
impliquent deux clivages N-terminaux. Cependant, le site final de clivage de la
forme mature m-FXN est sujet de controverses. En effet, trois formes différentes
de la protéine mature ont été décrites : depuis 1998, une protéine commençant à
l’acide aminé 56 (m56-FXN) et deux autres récemment décrites en 2007, débutant
à l’acide aminé 78 ou 81 respectivement (m78-FXN- and m81-FXN). Par une
analyse de spectrométrie de masse (en collaboration avec Manuela Argentini,
IGBMC), nous avons démontré que m81-FXN était la forme mature majoritaire
in vivo, et que les deux autres formes décrites n’existaient pas sous forme endogène
(Schmucker et al., 2008). Nous avons également démontré que la forme m78-FXN
est capable de restaurer la survie cellulaire de cellules déficientes en frataxine. De
plus, par des essais de mutagénèse dirigée, nous avons déterminé que la maturation
se faisait en deux étapes et que les formes m56-FXN et m78-FXN pouvaient être
produites en conditions cellulaires lorsque que la maturation normale de la protéine
était perturbée.
Les lignées cellulaires de patients sont peu utiles pour des analyses biochimiques
car phénotypiquement normales puisqu’elles sont issues de cellules épargnées par
la maladie (lymphoblastes et fibroblastes). L’établissement de lignées cellulaires
directement à partir des souris mutantes constitue donc un excellent système pour
étudier les anomalies biochimiques liées à l’absence totale de frataxine, donc plus
sévère, ainsi que pour un criblage à grande échelle de molécules potentiellement
thérapeutiques.
Nous avons utilisé des lignées cellulaires murines portant un allèle d’inactivation
conditionnelle de la frataxine en combinaison avec l’expression d’une recombinase
EGFP-Cre (en collaboration avec Brigitte Kieffer, IGBMC) pour isoler par
cytométrie de flux des cellules murines complètement délétées pour la frataxine.
Ce système nous a permis de montrer que l’absence totale en frataxine dans des
fibroblastes conduit à la mort cellulaire, probablement par un arrêt du cycle
cellulaire, soulignant une nouvelle fois le rôle important de la frataxine (Carelle-
Calmels et al., soumis).
Nous avons généré un modèle cellulaire par une stratégie d’antisens par ribozyme,
qui présente un défaut de prolifération cellulaire et certaines caractéristiques
moléculaires de l’AF. Dans le but d’identifier de nouvelles molécules potentiellement
thérapeutiques, en collaboration avec la plateforme de criblage du genopôle Alsace-
Lorraine, nous avons recherché des molécules susceptibles de restaurer le retard de
croissance cellulaire par criblage robotisé des molécules de la chimiothèque
Prestwick (1 500 molécules) (Carelle-Calmels, en préparation). Le criblage s’est
GÉNÉTIQUE HUMAINE 209

effectué en 3 étapes : criblage initial, confirmation et dose-réponse. Après


confirmation, nous avions identifié 48 molécules ayant un effet positif sur la
croissance des cellules déficientes en frataxine. Malheureusement, aucune des
molécules n’a été retenue lors de la courbe dose-réponse. Un criblage à plus grande
échelle est envisagé pour augmenter les chances de réussite.
Récemment, l’anomalie génétique responsable d’une myopathie mitochondriale
avec acidose lactique a été identifiée : une mutation du gène ISCU menant à une
anomalie d’épissage de son ARN messager. Ce gène est impliqué dans l’assemblage
des noyaux Fe-S et est un partenaire direct de la frataxine. En accord avec le rôle
de IscU, un déficit en succinate déshydrogénase et aconitase ainsi qu’une surcharge
en fer est observée dans les muscles des patients. Nous avons récemment généré
un modèle murin déficient en frataxine dans le muscle squelettique. Ce modèle
musculaire montre que l’absence totale de frataxine dans le muscle induit une
myopathie mitochondriale avec des fibres musculaires de tailles variées, la présence
de noyaux centraux, des fibres rouges déchiquetées (ragged red fibers), des dépôts
mitochondriaux de fer et un déficit spécifique des protéines à noyau Fe-S ainsi
qu’une acidose lactique (Wattenhofer-Donzé, manuscrit en préparation). Il est
intéressant de noter un cas clinique reporté dans la littérature d’un garçon avec un
diagnostic moléculaire de l’AF présentant en plus des signes cliniques et
électrophysiologiques d’AF, une myopathie mitochondriale sévère avec une
prolifération mitochondriale et une structure anormale des fibres musculaires. Ceci
suggère qu’il serait peut-être intéressant d’élargir le phénotype associé à la perte de
fonction en frataxine, en la recherchant dans des myopathies mitochondriales non-
expliquées. Le Dr Marie Wattenhofer-Donzé, qui étudie ce modèle, est titulaire
d’un poste ATER du Collège de France pour les années 2006-2008.

Génétique moléculaire des ataxies récessives (équipe M. Koenig)


L’équipe avait précédemment identifié les gènes impliqués dans des formes
d’ataxie avec apraxie oculomotrice (AOA1/gène aprataxine en 2001 ; AOA2/gène
senataxine en 2004) ainsi que plusieurs familles avec une forme très rare d’ataxie
avec apraxie oculomotrice due à une mutation fondatrice dans le gène MRE11
(Fernet et al., 2005, Khan et al., 2008). Ces gènes codent pour trois protéines
nucléaires, dont les deux premières sont impliquées dans la réparation des cassures
de l’ADN. L’analyse clinique de patients AOA2 confirmés par l’identification de
mutations du gène de la sénataxine nous permet de mieux définir cette nouvelle
forme d’ataxie, en particulier l’âge de début toujours supérieur à 8 ans et l’association
avec une élévation de l’alpha-fœtoprotéine sérique qui en font de très bons critères
d’orientation diagnostique, et d’identifier une élévation modérée de l’alpha-
fœtoprotéine chez les porteurs hétérozygotes (Anheim et al., 2008, Tazir et al.,
soumis, Gazulla et al., soumis). D’autres loci d’ataxie récessive ont été identifiés
par analyse de liaison dans des familles consanguines avec d’autres formes d’ataxie,
et la recherche des gènes mutés a été entreprise (Gribaa et al., 2007). Nous avons
ainsi participé à l’identification du gène du syndrome de Marinesco-Sjögren, qui
210 JEANLOUIS MANDEL

associe une ataxie précoce, une cataracte et un retard du développement


psychomoteur, en collaboration avec l’équipe du Pr A.-E. Lehesjoki (Helsinki)
(Anttonen et al., 2005).
Nous avons plus récemment identifié un nouveau gène d’ataxie récessive par
l’analyse d’une grande famille consanguine d’origine algérienne (Lagier-Tourenne
et al., 2008). Les patients de quatre autres familles se sont avérés avoir des
mutations du même gène. Ce gène code pour une kinase mitochondriale, ADCK3,
impliquée dans la régulation de la synthèse du coenzyme Q10, un lipide essentiel
au transport des électrons dans la chaîne respiratoire mitochondriale. Cette ataxie
est donc la cinquième forme d’ataxie récessive due à un déficit d’une protéine
mitochondriale, confirmant que le dysfonctionnement de cette organelle en
général et de la chaîne respiratoire en particulier, est la cause directe des mécanismes
dégénératifs des voies cérébelleuses et spinocérebelleuses dans un nombre important
de cas. L’analyse rétrospective des patients avec mutations ADCK3 confirme la
présence d’un déficit modéré en coenzyme Q10 dans les fibroblastes en culture et
d’une élévation modérée des lactates sanguins, au moins lors d’un exercice
musculaire. Nous avons étudié l’expression d’ADCK4, qui est le paralogue le plus
proche d’ADCK3, dans les lignées de patients mutés pour ADCK3. La divergence
entre les gènes ADCK3 et – 4 a probablement commencé au moment de la
duplication génomique liée à l’apparition des vertébrés. La divergence avec les
autres membres de la famille ADCK (ADCK1, – 2 et – 5) est beaucoup plus
ancienne puisque déjà présente chez les bactéries. Nous avons trouvé à la place
d’une surexpression compensatrice attendue d’ADCK4, une co-répression de ce
dernier en présence de mutations ADCK3, et une corrélation entre le niveau de
répression d’ADCK4 et le taux résiduel en coenzyme Q10. Ces résultats suggèrent
qu’ADCK4 est également impliqué dans la régulation de la synthèse du coenzyme
Q10 (Lagier-Tourenne et al., 2008). L’analyse bioinformatique de la séquence
ADCK3 et des protéines apparentées montre également qu’elles forment une
famille de kinases ancestrales ayant de lointaines similitudes avec les
phosphoinositide-kinases et les choline-kinases, suggérant que le substrat d’ADCK3
n’est pas nécessairement, ou probablement pas, une protéine. L’élucidation de la
fonction d’ADCK3 devrait permettre d’identifier un mécanisme primitif de
régulation de la synthèse de l’ATP (chaîne respiratoire) par l’ATP lui-même
(co-substrat de la kinase) et d’éclairer par un angle nouveau l’origine des
mécanismes de régulation biologique par les kinases.

Syndrome de Coffin-Lowry et kinase RSK2 (équipe A. Hanauer)


L’équipe étudie les bases moléculaires du syndrome de Coffin-Lowry (retard
mental syndromique lié au chromosome X, comportant notamment des anomalies
squelettiques progressives) et le rôle de la kinase RSK2 mutée dans ce syndrome
et de ses homologues RSK1, 3 et 4. Des souris invalidées pour le gène RSK2 ont
été créées précédemment par l’équipe. Elles présentent un retard de croissance
osseuse (Yang et al., 2004), des anomalies de la dentition (manuscrit en cours de
GÉNÉTIQUE HUMAINE 211

préparation) et des déficits d’apprentissage et de mémoire spatiale (Poirier et al.,


2006). L’équipe a récemment mis en évidence des anomalies de la voie
dopaminergique au niveau du cortex de ces souris. Une étude par chromatographie
HPLC, en collaboration avec le groupe de Michael Gruss (Université de
Magdebourg) de différents neurotransmetteurs a en effet révélé une augmentation
des concentrations en dopamine (+ 45 %, p = 0,001) au niveau du cortex, mais
non de l’hippocampe. Tous les autres neurotransmetteurs étaient présents à des
taux normaux. Ce résultat a conduit l’équipe à explorer l’expression et la
phosphorylation de différents acteurs de la voie dopaminergique. Nous avons
montré que le taux de la forme phosphorylée (active) sur la sérine 31 de la tyrosine
hydroxylase (TH), l’enzyme limitante de la synthèse des catécholamines, était
significativement augmenté dans le cortex de la souris KO-RSK2 alors que le taux
de protéine TH totale est similaire chez les souris KO et les souris WT. La sérine 31
est essentiellement phosphorylée par la kinase ERK, et nous avons montré que le
niveau des formes phosphorylées (activées) de ERK1/2 était nettement augmenté
chez les souris mutantes (+ 50 %). Nous avons également observé des augmentations
significatives des niveaux d’expression du transporteur de la dopamine (DAT) et
du récepteur dopamine DRD2 chez les souris mutantes. Cette étude confirme
enfin la fonction inhibitrice exercée par RSK2 sur la voie Ras-ERK (elle avait déjà
été rapportée auparavant, mais basée sur des études in vitro). L’ensemble de ces
résultats ont été publiés (Marques Pereira et al., 2008). Les travaux en cours
portent sur la caractérisation des conséquences de cette dérégulation du système
dopaminergique pour la transmission synaptique.

L’équipe a par ailleurs collaboré à une étude portant sur les conséquences de
l’inactivation de RSK2 pour la croissance axonale des motoneurones. Cette étude
a montré que la survie de motoneurones (spinaux) de souris KO-RSK2 en culture
était normale, mais que les axones avaient une longueur significativement plus
importante que les axones de motoneurones WT. La surexpression d’une forme
constitutivement active de RSK2 dans les motoneurones conduisait, au contraire,
à une réduction de la croissance axonale. Comme dans le cadre de notre étude sur
le système dopaminergique, une augmentation de 30-40 % de l’activité de ERK1/2
a aussi été constatée dans les motoneurones déficients pour RSK2 par rapport à
des motoneurones WT. Finalement, en appliquant un inhibiteur pharmacologique
de MEK à des cultures de motoneurones déficients pour RSK2, l’excès de croissance
axonale a pu être corrigé. L’ensemble des résultats suggère que dans des conditions
physiologiques normales RSK2 régule négativement l’allongement des axones via
la voie de signalisation MAPK/ERK. Une dérégulation de la croissance des neurites
pourrait ainsi contribuer au déficit fonctionnel du système nerveux des patients
CLS et des souris déficientes pour RSK2. Ces résultats ont été rapportés dans une
publication qui vient d’être acceptée dans le Journal of Cell Biology (Fisher et al.,
in press). Les études en cours portent sur la croissance des neurites de neurones
corticaux et hippocampiques, ainsi que sur la morphogénèse de leurs épines
dendritiques.
212 JEANLOUIS MANDEL

Finalement, une comparaison des transcriptomes d’hippocampe de souris


invalidées pour RSK2 et de souris sauvages a été réalisée. Elle a révélé des différences
d’expression significatives pour une cinquantaine de gènes. La validation d’une
dizaine de ces gènes par RT-PCR quantitative et par Western-blot a déjà été
réalisée. Parmi les gènes validés dont l’expression est nettement augmentée dans
l’hippocampe de souris déficientes pour RSK2, on trouve notamment un récepteur
ionotropique, le facteur de transcription RunX et un facteur d’initiation de la
traduction jouant un rôle très important dans la traduction locale au niveau des
dendrites. La validation des autres gènes est en cours.
La recherche de nouveaux gènes de retard mental lié au X par l’étude de
translocation X-autosome chez des femmes avec retard mental, qui avait été
poursuivie ces dernières années, a été arrêtée. Le dernier cas étudié a montré que
le point de cassure sur le chromosome X était localisé dans une région dépourvue
de gènes, mais que le point de cassure autosomique interrompait le gène CDKL3
(une protéine kinase cdc2-related), faisant de ce gène exprimé dans le cerveau un
candidat pour des formes autosomiques de retard mental (Dubos et al., 2008).

Réarrangements génomiques dans les tumeurs solides (équipe S. du Manoir)


L’équipe du Dr S. du Manoir développe des stratégies d’étude des réarrangements
chromosomiques (amplifications, délétions) des tumeurs solides par « CGH array »
et analyse du transcriptome. Afin d’identifier des marqueurs génomiques
pronostiques associés à des paramètres cliniques comme la survie, trois études ont
été entreprises pour cribler les aberrations chromosomiques par CGH sur puces.
Ces études rétrospectives construites sur des cohortes très homogènes concernent
des carcinomes de l’ovaire (coll. N. Arnold), des cancers du poumon de type
épidermoïdes et adénocarcinomes (coll. N. Martinet, Nancy). Notre étude
épidémiologique concernant une série de 1 200 cancers du poumon opéré au
CHU de Nancy depuis 1988 (constituant la tumorothèque de Nancy) confirme
le besoin de marqueurs pronostics pour les patients de stade I-II dont 45 %
meurent de récurrence (publication soumise). Nous avons réalisé deux études
rétrospectives (Adénocarcinomes : 73 cas et Epidermoïdes : 76 cas) de cancers du
poumon de stade I-II stratifiées en deux groupes (survie < 25 mois et > 60 mois)
par CGH-array. Nous avons développé une approche statistique originale pour
identifier les régions associées au pronostic. Pour les adénocarcinomes, une
amplification est présente uniquement chez les courts surviveurs et plusieurs
régions de gains et pertes sont trouvées préférentiellement chez ceux-ci. Pour les
formes épidermoïdes, la région la plus amplifiée est située en 3q et contient le gène
SOX2 (manuscrit en préparation). Plusieurs régions sont associées au mauvais
pronostic. Pour les deux histologies, une ségrégation partielle est obtenue sur la
base de ces aberrations. Ces signatures génomiques seront validées par un ensemble
de procédures statistiques. Une confirmation par Q-PCR des aberrations trouvées
devrait permettre de définir un set minimal de régions qui pourrait être à la base
d’un prototype de test pronostique. L’expression des gènes candidats sélectionnées
GÉNÉTIQUE HUMAINE 213

par des filtres bibliographiques et bioinformatiques dans ces régions génomiques


sera évaluée dans des tumeurs humaines primaires et dans des tests de croissance
tumorale / micrométastase in vivo (souris Nudes).
Nous sommes impliqués dans un programme visant à faciliter l’interprétation de
données de CGH sur puces dans le cadre de la description d’aneusomies segmentales
pour des patients souffrant de retards mentaux, (programme DHOS en
collaboration avec P. Jonveaux, Nancy), et dans le cadre d’une action du GIS
maladies rares (en particulier, une étude initiée par le Prof. Hélène Dollfus, Faculté
de Médecine de Strasbourg, visant à identifier de nouveaux gènes du syndrome
de Bardet-Biedl). Pour faciliter l’interprétation des données des puces Agilent dans
le contexte du retard mental, nous avons développé un programme automatisé,
fournissant aux cliniciens une liste ordonnée des aberrations numériques ayant le
plus de chances d’être causales du retard mental (sur la base de critères comme
la taille et le contenu en gènes…) et devant être confirmées de façon prioritaire.
Dans le cadre de notre plateforme CGH-array, 190 cancers colorectaux ont été
étudiés, 164 cancers du poumon (PNES-poumon) et 98 VADS (étude du groupe
de B. Wasylyk, IGBMC). Ce travail visait à identifier une signature moléculaire
pronostique de l’apparition ultérieure de métastases dans les cancers VADS par
l’exploration du transcriptome et des aberrations génomiques. Cette étude publiée
par le groupe de B. Wasylyk (Rickman D.S. et al., 2008) rapporte plusieurs
aberrations génomiques associées à la progression métastatique et pourraient être
à la base du développement marqueurs pronostiques et de cibles thérapeutiques
dans les cancers VADS métastatiques.

Liste des publications du groupe de génétique humaine de l’igbmc


(depuis juillet 2007)
Publications parues dans des revues de niveau international avec comité de lecture

2007
Cao C., Laporte J., Backer J.M., Wandinger-Ness A., Stein M.-P. Myotubularin lipid
phosphatase binds the hVPS15/hVPS34 lipid kinase complex on endosomes. Traffic (2007)
8 : 1052-1067.
Echaniz-Laguna A., Nicot A.S., Carré S., Franques J., Tranchant C., Dondaine N.,
Biancalana V., Mandel J.L., Laporte J. Subtle central and peripheral nervous system
abnormalities in a family with centronuclear myopathy and a novel dynamin 2 gene
mutation. Neuromuscular disorders (2007) 17 : 955-959.
Gribaa M., Salih M., Anheim M., Lagier-Tourenne C., H’mida D., Drouot N.,
Mohamed A., Elmalik S., Kabiraj M., Al-Rayess M., Almubarak M., Bétard C., Goebel H.
and Kœnig M. A new form of childhood onset, autosomal recessive spinocerebellar ataxia
and epilepsy is localized at 16q21-q23. Brain (2007) 130 : 1921-1928.
Klein F., Pastore A., Masino L., Zeder-Lutz G., Nierengarten H., Oulad-Abdelghani M.,
Altschuh D., Mandel J.L. and Trottier Y. Pathogenic and non-pathogenic polyglutamine
tracts have similar structural properties: towards a length dependent toxicity gradient.
J. Mol. Biol. (2007) 371 : 235-244.
214 JEANLOUIS MANDEL

Marques Pereira P., Heron D. and Hanauer A. The first large duplication of the RSK2
gene identified in a Coffin-Lowry syndrome patient. Hum. Genet. (2007) 122 : 541-543.
Martelli A.*, Wattenhofer-Donzé M.*, Schmucker S., Bouvet S., Reutenauer L. and
Puccio H. Frataxin is essential for extramitochondrial Fe-S cluster proteins in mammalian
tissues. Hum. Mol. Genet. (2007) 16 : 2651-2658.
Nicot A.S.*, Toussaint A.*, Tosch V., Kretz C., Wallgren-Pettersson C., Iwarsson E.,
Kingston H., Garnier J.M., Biancalana V., Oldfors A., Mandel J.L. and Laporte J. Mutations
in amphiphysin 2 (BIN1) disrupt interaction with dynamin 2 and cause autosomal recessive
centronuclear myopathy. Nat. Genet. epub 2007 Aug 5. (2007) 39 : 1134-1139. * equal
contributors.

2008
Anheim M., Fleury M.C., Franques J., Moreira M.C., Delaunoy J.P., Stoppa-Lyonnet D.,
Koenig M. and Tranchant C. Clinical and molecular findings of Ataxia with oculomotor
apraxia type 2 in 4 families. Arch. Neurol. (2008) 65 (7) : 958-962.
Boettcher C., Ulbricht E., Helmlinger D., Mack A.F., Reichenbach A., Wiedemann P.,
Wagner H.J., Seeliger M.W., Bringmann A., Priller J. Long-term engraftment of systemically
transplanted, gene-modified bone marrow-derived cells in the adult mouse retina. British
Journal of Ophthalmology (2008) 92 : 272-275.
Boulon S., Marmier-Gourrier N., Pradet-Balade B., Wurth L., Verheggen C., Jàdy B.E.,
Rothé B., Pescia C., Robert M.C., Kiss T., Bardoni B., Krol A., Branlant C., Allmang C.,
Bertrand E. and Charpentier B. The Hsp90 chaperone controls the biogenesis of L7Ae
RNPs through conserved machinery. J. Cell Biol. (2008) 180 : 579-595.
Buj-Bello A., Fougerousse F., Schwab Y., Messaddeq N., Spehner D., Pierson C.R.,
Durand M., Kretz C., Danos O., Douar A.M., Beggs A.H., Schultz P., Montus M.,
Denèfle P. and Mandel J.L. AAV-mediated intramuscular delivery of myotubularin corrects
the myotubular myopathy phenotype in targeted murine muscle and suggests a function in
plasma membrane homeostasis. Hum. Mol. Genet. (2008) 17 : 2132-2143.
Cao C., Backer J.M., Laporte J., Bedrick E.J. and Wandinger-Ness A. Sequential Actions
of Myotubularin Lipid Phosphatases Regulate Endosomal PI(3)P and Growth Factor
Receptor Trafficking. Mol. Biol. Cell. (2008) 19 : 3334-3346.
Didiot M.C., Tian Z., Schaeffer C., Subramanian M., Mandel J.L., Moine H. The
G-quartet containing FMRP Binding Site in FMR1 mRNA is a potent exonic splicing
enhancer. Nucleic Acids Res. (2008) 36 : 4902-4912.
Dubos A., Pannetier S. and Hanauer A. Inactivation of the CDKL3 gene at 5q31.1 by a
balanced t(X;5) translocation associated with nonspecific mild mental retardation. Am. J.
Med. Genet. (2008) Part A 146A : 1267-1279.
Fukami M., Wada Y., Okada M., Kato F., Katsumata N., Baba T., Morohashi K.,
Laporte J., Kitagawa M. and Ogata T. Mastermind-like domain-containing 1 (MAMLD1
or CXorf6) transactivates the Hes3 promoter, augments testosterone production, and contains
the SF1 target sequence. J. Biol. Chem. (2008) 283(9) : 5525-32.
Khan A.O., Oystreck D.T., Kœnig M. and Salih M.A. Ophthalmic features of ataxia
telangiectasia-like disorder. J. Am. Ass. Pediatr. Opht. Strabisms (2008) 12 : 186-189.
Lagier-Tourenne C., Tazir M., López L.C., Quinzii C.M., Assoum M., Drouot N.,
Busso C., Makri S., Ali-Pacha L., Benhassine T., Anheim M., Lynch D., Thibault C.,
Plewniak F., Bianchetti L., Tranchant C., Poch O., DiMauro S., Mandel J.L., Barros M.H.,
Hirano M. and Kœnig M. ADCK3, an ancestral kinase, is mutated in a form of recessive
ataxia associated with coenzyme Q10 deficiency. Am. J. Hum. Genet. (2008) 82 :
661-672.
GÉNÉTIQUE HUMAINE 215

Laugel V., Cossée M., Matis J., de Saint-Martin A., Echaniz-Laguna A., Mandel J.L.,
Astruc D., Fischbach M., Messer J. Diagnostic approach to neonatal hypotonia : retrospective
study on 144 neonates. Eur. J. Pediatr. (2008) 167 : 517-523.
Marques Pereira P., Gruss M., Braun K., Foos N., Pannetier S., Hanauer A. Dopaminergic
system dysregulation in the mrsk2_KO mouse, an animal model of the Coffin-Lowry
syndrome. J. Neurochem. (2008) Sept. 24. [Epub ahead of print]
Nicot A.S. and Laporte J. Endosomal phosphoinositides and human diseases (Review).
Traffic (2008) 9 : 1240-1249.
Piazzon N., Rage F., Schlotter F., Moine H., Branlant C., Massenet S. In vitro and in
cellulo evidences for association of the survival of motor neuron complex with the fragile
X mental retardation protein. J. Biol. Chem. (2008) 283 : 5598-610.
Schmucker S., Argentini M., Carelle-Calmels N., Martelli A., Puccio H. The in vivo
mitochondrial two-step maturation of human frataxin. Human Molecular Genetics (2008)
17 : 3521-3531.
Stehling O., Netz D.J., Niggemeyer B., Rösser R., Eisenstein R.S., Puccio H., Pierik A.J.,
Lill R. The human Nbp35 is essential for both cytosolic iron-sulfur protein assembly and
iron homeostasis. Molecular and Cellular Biology (2008) 28 : 5517-5528.
Zeniou-Meyer M., Liu Y., Béglé A., Olanish M., Hanauer A., Becherer U., Rettig J.,
Bader M.F. and Vitale N. The Coffin-Lowry syndrome-associated protein RSK2 is implicated
in calcium-regulated exocytosis through the regulation of PLD1. Proc. Natl. Acad. Sci.
(2008) 105 : 8434-8439.
Anheim M., Lagier-Tourenne C., Stevanin G., Fleury M., Durr A., Namer I.J., Denora P.,
Brice A., Mandel J.L., Kœnig M. and C. Tranchant. SPG11 spastic paraplegia : a new cause
of juvenile parkinsonism. Original communication - Journal of Neurology (in press).

Articles de synthèse et chapitres de livres

Puccio H. Conditional mouse models for Friedreich Ataxia, a neurodegenerative disorder


associating cardiomyopathy. Handb. Exp. Pharmacol. (Springer Verlag). 2007 ; (178) :
365-75. Review.
*Babady N.E., *Carelle N., Wells R.D., Rouault T.A., Hirano M., Lynch D.R., Delatycki
M.B., Wilson R.B., Isaya G. and Puccio H. Advancements in the pathophysiology of
Friedreich’s Ataxia and new prospects for treatments. Molecular Genetics and Metabolism
(2007) 92 : 23-35.
Toussaint A., Nicot A.S., Mandel J.L. and Laporte J. Mutations de l’amphiphysine 2
(BIN1) dans les myopathies centronucléaires récessives. M/S (2007) 12 : 1080-1082.
Anheim M., Chaigne D., Fleury M. Santorelli F.M., De Sèze J., Durr A., Brice A.,
Kœnig M., Tranchant C. : Ataxie spastique autosomique récessive de Charlevoix-Saguenay :
étude d’une famille et revue de la littérature. Revue Neurologique (2008) 164 : 363-368.
Puccio H (2008). Multicellular models of Friedreich’s Ataxia. Journal of Neurology in
press.
Rohde H.M., Tronchère H., Payrastre B. and Laporte J. Detection of myotubularin
phosphatases activity on phosphoinositides in vitro and ex vivo. Methods in Mol. Biol. (2008)
in press.
216 JEANLOUIS MANDEL

Conférences données par J.-L. Mandel


(depuis juillet 2007)

Conférences grand public


— 50e anniversaire de l’association genevoise (INSIEME) de parents de personnes avec
handicap mental. Genève, le 24 mai 2008. « 50 ans de recherche génétique dans le domaine
de la déficience mentale ».
— Université de Tous les Savoirs. Paris le 23 juin 2008. « Génome et médecine
prédictive ».

Conférences scientifiques, participation à des congrès


— Conférence « Des molécules à la cognition : Un hommage à Jean-Pierre Changeux
(Institut Pasteur, Paris) du 17 au 19 septembre 2007. « Genetics of mental retardation ».
— Assises de génétique humaine et médicale (Lille) du 17 au 19 janvier 2008. Modérateur
de session.
— Strasbourg-Weizmann symposium on « Transmembrane signaling » (IGBMC,
Strasbourg-Illkirch) 11 et 12 février 2008 (co-organisateur).
— « Myopathies centronucléaires : un lien inattendu entre phosphoinositides, dynamine 2
et amphiphysine » à l’Université Bordeaux 2, le 19 février 2008.
— Conférence « Maladies monogéniques, du gène aux malades et aux familles » Université
Victor Segalen Bordeaux 2, le 19 février 2008.
— Colloque « Actualités dans le domaine des maladies monogéniques : mécanismes
physiopathologiques, approches thérapeutiques » au Collège de France (Paris) 15 et 16 avril
2008. « De la drosophile à la souris : l’exemple du syndrome X fragile » (organisateur du
colloque).
— VIII National medical genetics congress (Çanakkale - Turkey) du 6 au 9 mai 2008.
« Fragile X syndrome : from diagnostic applications to pathomechanisms ».
— Colloque inaugural IFR148 « Sciences et ingénierie en biologie Santé », Brest le 4 juin
2008. « Maladies génétiques : aspects physiopathologiques et pistes thérapeutiques ».
— Colloque AFSTAL (Association Française des Sciences et Techniques de l’Animal de
Laboratoire) « Bonnes pratiques animales : partager l’éthique au quotidien » Strasbourg,
4 au 6 juin 2008. « Les modèles génétiques animaux en recherche médicale ».
Génétique et physiologie cellulaire

Mme Christine Petit, membre de l’Institut


(Académie des Sciences), professeure

TRAITEMENT DES SIGNAUX ACOUSTIQUES :


DE LA CELLULE SENSORIELLE AUDITIVE
AU COMPLEXE OLIVAIRE SUPÉRIEUR

Le cours de l’année 2008 a présenté les avancées réalisées sur la transduction


mécano-électrique auditive depuis 2002, date du précédent cours, suivies d’une
introduction au cours de l’année 2009, qui portera sur la localisation de la source
sonore.
Les quatre cours ont traité des questions suivantes :
1er cours : faut-il repenser l’amplificateur cochléaire ?
2e cours : la transduction mécano-électrique : données physiologiques et
moléculaires récentes ;
3e cours : l’environnement moléculaire de la transduction mécano-électrique, les
fonctions de transfert (a) dépolarisation membranaire-exocytose synaptique et (b)
exocytose synaptique-stimulation des neurones auditifs ;
4e cours : éléments du traitement du signal sonore par les neurones auditifs du
ganglion cochléaire et des neurones des noyaux auditifs du tronc cérébral.

1er cours : Faut-il repenser l’amplificateur cochléaire ?


Le cours a débuté par un rappel des caractéristiques physiques du son, son pur
et son complexe : hauteur du son (fréquence : notion introduite par Galilée,
définition de la fréquence caractéristique d’une corde vibrante ou fréquence
fondamentale, et de ses harmoniques ou multiples entiers de la fréquence
fondamentale), et intensité sonore (amplitude) avec pour unité de mesure, le
décibel (dB) (en réference à Graham Bell). A ces grandeurs physiques qui
caractérisent la source sonore, s’ajoutent celles de la perception définies par la
218 CHRISTINE PETIT

psychophysique et la psychoacoustique : tonie (sensation de la hauteur sonore, qui


n’est pas la simple traduction de la fréquence sonore ; s’y rapporte le pitch anglo-
saxon, que certaines définitions restreignent cependant à la sensation de hauteur
pour des sons mélodiques, musique, prosodie et langues tonales), sonie (perception
de l’intensité sonore ; loudness en anglais) et timbre (perception sonore qui s’appuie
sur le spectre fréquentiel, l’amplitude de chaque composante fréquentielle, et les
caractérisiques temporelles des sons, temps d’installation de l’amplitude de
l’enveloppe sonore, par exemple (McAdams et al, 1995).
L’histoire du décibel est intimement liée à celle du téléphone. L’introduction du
décibel répondait à la nécessité de disposer d’une mesure de la baisse de la puissance
du son véhiculé par les câbles du téléphone. Son expression logarithmique repose sur
la perception sensorielle, et « sa loi », connue sous le nom de loi de Fechner ou
Weber-Fechner, selon laquelle la sensation d’intensité du son varie proportionellement
avec le logarithme de l’intensité sonore physique, exprimée en watts/m2 (R = C
log(S), relation dans laquelle R représente la sensation d’intensité sonore, S l’intensité
du son et C une constante). Le décibel correspond approximativement au plus petit
changement d’intensité sonore qu’un individu peut percevoir. Le décibel (dB) est
un nombre sans dimension. L’intensité d’un son « IL » (IL = intensity level) s’exprime
en dB par la relation IL = 10 log10(I/Ir) dB, soit le logarithme décimal du rapport de
l’intensité du son, I (en watts/m2), à celle d’un son de référence, Ir (le facteur 10
traduisant l’expression en dB et non en Bel). En raison de la relation I = p2/Zc (où Zc
est l’impédance caractéristique), la pression p, d’un son « SPL » (SPL = sound
pressure level) en dB est donnée par, SPL = 10 log10(p/pr)2 = 20 log10(p/pr), soit le
logarithme décimal du rapport de la pression du son incident, p (en newtons/m2 ou
pascal : 1 N/m2 = 1 pascal (Pa)), à celle du son de référence, pr. Le son de référence a
une intensité, Ir, de 10-12 W/m2, et une pression, pr, de 2 ⋅ 10-5 N/m2 (20 μPa ou
2 ⋅ 10-5 Pa). Il correspond à la plus petite intensité (et pression) décelée par l’oreille
humaine, soit 0 dB (l’intensité du mouvement brownien est de – 20 dB). Pour un
son donné, les valeurs en dB IL et en dB SPL sont identiques. L’élévation d’un seuil
de perception auditive de 60 dB correspond au fait que la pression seuil perçue est
103 fois supérieure à la pression de référence et l’intensité seuil perçue est 106 fois
l’intensité de référence; une variation de 20 dB correspond à une variation d’un
ordre de grandeur de la pression acoustique et de deux ordres de grandeur de
l’intensité acoustique. En clinique, on utilise le décibel « hearing level » HL, rapport
du seuil de pression auditive observé chez le patient à celui d’un individu dont
l’audition est normale.
Il a été rappelé que le milieu affecte la vitesse de propagation et l’intensité du son
qui le traverse, mais ne modifie pas sa fréquence. La densité du milieu (ρ) et son
module d’élasticité (κ) (changement de la pression d’un milieu sous l’effet d’une
force qui lui est appliquée, ou rigidité) modifient la vitesse de propagation (c) du
son, en raison de la relation c = (κ/ρ)1/2. Plus le module d’élasticité est élevé, plus le
son se propage vite ; plus la densité du milieu est élevée, moins le son se propage
rapidement. Cependant, le son se propage plus vite dans l’eau que dans l’air car le
GÉNÉTIQUE ET PHYSIOLOGIE CELLULAIRE 219

module d’élasticité de l’eau est beaucoup plus élevé que celui de l’air. Enfin,
l’impédance caractéristique du milieu, Zc (mesurée en rayls), module à la fois
l’intensité et la vitesse de propagation du son. L’impédance est l’inertie opposée par
un système au passage d’un signal périodique (la grandeur inverse est l’admittance).
La relation entre l’impédance caractéristique et l’intensité sonore sus-mentionnée
(I = p2/Zc) montre que plus l’impédance caractéristique du milieu traversé est forte,
plus l’intensité sonore diminue ; la relation entre impédance caractéristique et vitesse
de propagation du son, Zc = roc, montre que plus l’impédance caractéristique d’un
milieu est élevée, plus la vitesse de propagation du son est grande. Par ailleurs, dans
un milieu donné, l’intensité sonore varie en relation inverse avec le carré de la
distance à la source sonore.

L’anatomie et l’histologie cochléaires ont été brièvement rappelées. Les trois


fonctions de la cochlée, organe sensoriel auditif des mammifères, ont ensuite été
évoquées : analyse spectrale, amplification de la stimulation sonore, et transduction
mécano-électrique. Celles-ci rendent compte de ses performances exceptionnelles :
une discrimination fréquentielle qui atteint 0,2 % à 1 000 Hz chez l’homme dans
les expériences psychoacoustiques, une détection de sons dont l’énergie est proche
de celle du bruit thermique, et une précision temporelle de réponse de l’ordre de
la dizaine de microsecondes.

Le cours s’est ensuite concentré sur la question de l’amplificateur cochléaire.

L’amplificateur cochléaire

Les vagues de pression qui atteignent le tympan sont transmises à la périlymphe


de la rampe vestibulaire (scala vestibuli) de la cochlée par les osselets de l’oreille
moyenne dont le dernier, l’étrier, vient frapper la membrane de la fenêtre ovale
qui obture cette rampe. Une différence de pression est créée entre les différentes
rampes de la cochlée, qui est transmise au canal membraneux cochléaire abritant
le neuroépithélium auditif (organe de Corti). Il s’ensuit un déplacement, selon
l’axe transverse, de la membrane basilaire sur laquelle repose l’organe de Corti. En
examinant, par illumination stromboscopique au microscope, le mouvement de la
membrane basilaire de cochlées humaines prélevées post mortem, von Bekesy avait
observé que les pics de déplacement de cette membrane étaient distribués le long
de l’axe longitudinal de la cochlée en fonction de la fréquence du son incident.
Pour chaque fréquence, il existait un emplacement spécifique le long de l’axe
longitudinal de la cochlée où le déplacement de la membrane basilaire était
maximal. Von Bekesy avait ainsi découvert l’existence d’une carte fréquentielle de
long de l’axe longitudinal de la cochlée (Von Bekesy, 1956). Cette relation entre
la fréquence du son et l’emplacement où la vibration de la membrane basilaire est
maximale, est appelée transformation tonopique. Von Bekesy reçut en 1961 le prix
Nobel pour cette découverte.
220 CHRISTINE PETIT

Bien vite, ces données suscitèrent des interrogations. Les pics de déplacement de la
membrane basilaire étaient très larges en regard de la discrimination fréquentielle
mise en evidence par les expériences psychoacoustiques. Ces dernières avaient, dès
1954, trouvé une traduction physiologique par les travaux de Ichiji Tasaki
(Tasaki, 1954), qui montraient que chaque neurone auditif répond préférentiellement
à une fréquence particulière. Ces courbes de réponse neuronale, dite courbes d’accord
(seuil de la décharge neuronale en dB en fonction de la fréquence sonore), très
pointues, plaidaient en faveur de l’existence d’un mécanisme additionnel de sélectivité
fréquentielle. L’introduction de l’interférométrie-laser, qui autorisait des mesures
beaucoup plus précises du mouvement de la membrane basilaire que les analyses
stroboscopiques, couplée à l’enregistrement des réponses électriques neuronales, allait
de fait montrer qu’in vivo, les vibrations maximales de la membrane basilaire étaient
d’une part beaucoup plus amples, et d’autre part limitées à un emplacement plus
restreint de la membrane basilaire pour une fréquence du son donnée. A la sélectivité
« passive », grosssière, de la membrane basilaire (en rapport avec ses propriétés
physiques), s’ajoutait donc une sélectivité « active » qui amplifiait le mouvement
passif. Or l’existence d’un amplificateur cochléaire actif avait été prédite par Thomas
Gold (Gold, 1948). En 1948, Gold avait souligné que la cochlée, remplie de liquide,
ne pouvait pas être le site d’une résonance mécanique passive d’amplitude suffisante
pour permettre la détection de sons dont l’énergie est proche de celle du bruit
thermique, et, qui plus est, avec une bonne sélectivité fréquentielle. Il conclut à la
nécessité d’une source d’énergie interne pour compenser la perte d’énergie par
dissipation visqueuse.

L’amplification du déplacement de la membrane basilaire varie de manière non


linéaire avec l’intensité du stimulus. Le facteur d’amplification a trois régimes : il
est maximal pour les intensités du son les plus faibles, décroit de manière non
linéaire pour des intensités croissantes, et est quasiment nul au-delà de 60 dB. Au
total, pour les 6 ordres de grandeur de la pression sonore auxquels la cochlée
humaine est sensible, de 0 à 120 dB SPL, l’amplitude des vibrations de la membrane
basilaire varie d’un facteur 100 (le déplacement au seuil auditif est de 0,1 nm ; son
maximum est de 10 nm à 120 dB). L’amplification, non linéaire, est donc aussi
compressive, puisque le gain de deux ordres de grandeur du déplacement de la
membrane basilaire correspond à six ordres de grandeur pour la pression du son
correspondant. Cette amplification est restreinte à la région de la cochlée où les
cellules sensorielles ont une fréquence caractéristique proche de celle du son
incident. En effet, chaque cellule sensorielle, dite cellule ciliée, répond
préférentiellement à une fréquence particulière. L’amplification augmente donc
aussi la sélectivité en fréquence de la réponse cochléaire. L’amplificateur, pour être
efficace, doit imprimer une force sur la membrane basilaire en synchronie avec son
déplacement cyclique provoqué par l’onde sonore. Cet amplificateur a aussi pour
action, pense-t-on, de permettre de détecter des sons de haute fréquence, dont
l’énergie dissipée par l’amortissement visqueux dans la cochlée est plus importante
que pour les sons de basse fréquence.
GÉNÉTIQUE ET PHYSIOLOGIE CELLULAIRE 221

En 1978, Peter Dallos (Dallos et Harris, 1978) montrait que les cellules ciliées
externes (CCE) sont indispensables à la fonction d’amplification. La découverte de
l’électromotilité de ces cellules il y a bientôt 25 ans (Brownell et al, 1985) (le
phénomène avait cependant été évoqué dès 1967 par Goldstein et Mizukoshi
(Goldstein et Mizukoshi, 1967), cf. cours 2002), paraissait avoir résolu l’origine
de l’amplification. William Brownell découvrait que si on applique une
dépolarisation à une CCE, elle se contracte ; la longueur de sa paroi latérale
diminue, cette réduction pouvant atteindre 4 % de la longueur totale. Puis, il
observait qu’un courant alternatif, qui mime en quelque sorte le cycle de
dépolarisation-repolarisation de la CCE induit par le son, augmente la longueur
de la CCE durant sa phase hyperpolarisante et la raccourcit durant sa phase
dépolarisante. Il y a donc variation de longueur en fonction du voltage, et
réciproquement, si on étire la cellule, elle s’hyperpolarise. Ces propriétés répondent
à la définition d’un composant piézoélectrique. En réalité, ce n’est pas tant le
changement de longueur que la force développée en parallèle avec ce changement
de longueur qui est le paramètre physiologique à prendre en compte.
Les caractéristiques de l’électromotilité des CCE répondent-elles à celles de
l’amplificateur cochléaire ? La force produite par l’électromotilité est d’environ
100 pN/mV. La dépolarisation de la CCE peut atteindre 20 mV; la force produite
peut donc atteindre environ 2 nN ; elle est du même ordre de grandeur que celle que
les CCE appliquent sur la membrane basilaire. En revanche, cette force varie quasi
linéairement avec le potentiel électrique de membrane pour des valeurs physiologiques
de ce potentiel. La rigidité du corps cellulaire varie aussi avec le voltage, de 1 à
25 nN/mm, et cette variation est, elle aussi, presque linéaire. Ceci ne constitue pas
un argument contre le fait que l’électromotilité soit à l’origine de l’amplification. En
effet, la stimulation de la touffe ciliaire par le son engendre une variation non-linéaire
du potentiel de membrane qui conférera une variation non-linéaire aux paramètres
de l’électromotilité qui dépendent du voltage. L’idée qui prévaut est que
l’amplificateur doit injecter de l’énergie, cycle par cycle, jusqu’à de très hautes
fréquences, plus de 100 kHz chez la chauve-souris. Il n’est cependant pas démontré
qu’une amplification à chaque cycle existe effectivement pour des fréquences très
élevées du son. L’électromotilité peut-elle aussi opérer à des fréquences très élevées ?
Quand des CCE sont soumises à un courant alternatif atteignant 70 kHz, leurs
parois se contractent et se décontractent bien cycle par cycle. On notera toutefois
qu’à ce jour, aucune vibration de la membrane basilaire excédant 13 kHz n’a été
raportée. Enfin, un composant piézoélectrique a bien été identifié dans les parois des
CCE. Il s’agit d’une protéine intégrale de membrane, qui a été nommée prestine, en
référence à son aptitude de réponse à des sons de haute fréquence.
Pourtant, une interrogation demeure, qui a conduit certains à remettre en
question l’électromotilité comme mécanisme de l’amplification. La dépolarisation
de la touffe cilaire (structure de réception de la stimulation sonore et site de la
transduction) doit se propager aux parois latérales de la CCE. Or la constante
électrique de temps de la membrane (produit de sa résistance électrique et de sa
222 CHRISTINE PETIT

capacité) fait que cette membrane se comporte comme un filtre « passe-bas »,


c’est-à-dire qu’elle ne laisse passer sans déformation que des fréquences électriques
inférieures à 1 kHz. Il y a là un véritable paradoxe, puisque l’électromotilité
apparaît durant l’évolution chez les mammifères, quand l’organe auditif devient
sensible aux sons de haute fréquence. Or, elle ne pourrait agir qu’à basse fréquence,
à cause de la contrainte imposée par la constante électrique de temps de la
membrane. Soit il y a un maillon manquant dans la caractérisation de l’amplification
ou la compréhension du mode de stimulation électrique de la membrane plasmique
conduisant à l’électromotilité, soit l’amplificateur ne se situe pas dans la paroi des
CCE. De surcroît, il faut souligner que les vertébrés inférieurs, qui n’ont pas de
CCE, ont cependant un seuil auditif très bas et une bonne sélectivité de leur
réponse fréquentielle. C’est ainsi qu’au cours des dernières années, une hypothèse
alternative a été proposée, qui place l’amplificateur dans la touffe ciliaire. En
parallèle, d’autres fonctions ont été proposées pour l’électromotilité. Ainsi, elle
pourrait positionner la touffe ciliaire des CCE dans sa zone de sensibilité maximale
à la stimulation sonore.

L’hypothèse alternative repose sur l’existence de mouvements spontanés de la


touffe cilaire et de mouvements déclenchés par l’adaptation. Des oscillations
spontanées de la touffe ciliaire ont été observées chez des vertébrés inférieurs, d’abord
la tortue (Crawford et Fettiplace, 1985), puis la grenouille (Martin et Hudspeth,
1999). Elles démontrent l’existence de mouvements actifs de la touffe cilaire (Martin
et Hudspeth, 1999). Les touffes ciliaires du saccule de grenouille (qui sont sensibles
à des fréquences allant de 5 à 130 Hz) ont des oscillations spontanées bruitées, dont
la fréquence va de 5 à 50 Hz, et l’amplitude de 25 à 100 nm. Leur stimulation par
une fibre flexible à une fréquence donnée, conduit à une amplitude plus grande de
leur mouvement lorsque la fréquence du stimulateur est proche de la fréquence
caractéristique de leur oscillation spontanée. Il y a donc bien amplification de la
stimulation par la touffe ciliaire. De plus, cette amplification a les caractéristiques de
celle observée chez les mammifères. Elle possède une spécificité fréquentielle, et
opère de façon non linéaire. Cependant, le facteur d’amplification que produit la
résonance de la touffe cilaire est de l’ordre de 5 à 10, et non de 100, comme attendu
chez les mammifères. Il faut cependant noter qu’il s’agit ici de la réponse d’une
cellule unique chez la grenouille, alors que l’amplification mesurée chez les
mammifères est le résultat de l’activité de plusieurs cellules. Ces oscillations
spontanées cessent si l’on bloque le canal de transduction mécano-électrique par la
gentamicine. Autre élément à l’appui du rôle du canal dans ces oscillations : elles
sont dépendantes des ions Ca2+, comme l’est la cinétique de ce canal (voir ci-dessous).
Si, par iontophorèse, on augmente la concentration des ions Ca2+ à la pointe des
stéréocils, on accélère le mouvement de la touffe ciliaire et on diminue son amplitude.
Si on chélate les ions Ca2+, on observe l’effet inverse. Des déplacements de la touffe
cilaire des CCI induits par un courant alternatif transépithélial ont récemment été
observés aussi chez la gerbille, dans un dispositif experimental qui, comme celui
utilisé précédemment pour la grenouille, préserve l’intégrité des deux compartiments
GÉNÉTIQUE ET PHYSIOLOGIE CELLULAIRE 223

liquidiens, endolymphatique et périlymphatique, de la cochlée (Chan et Hudspeth,


2005). Les déplacements induits de la touffe ciliaire persistaient quand les ions K+ de
l’endolymphe étaient remplacés par les cations monovalents NMDG
(N-methyl-D-glutamate), qui ne traversent pas le canal de transduction mécano-
électrique et le bloquent, tout en laissant passer les ions Ca2+. Dans ces conditions,
c’est-à-dire en l’absence de dépolarisation (et donc d’électromotilité) mais en
présence d’entrée d’ions Ca2+, les mouvements de la touffe ciliaire étaient encore
observés. Si la stimulation était acoustique, l’amplitude du déplacement des stéréocils
des CCI augmentait de manière non-linéaire et compressive (modérément) avec
l’intensité de la stimulation, tout comme les potentiels microphoniques, potentiels
électriques extracellulaires provenant pour l’essentiel de l’activité électrique des
CCE. La dépendance de ces mouvements à l’égard des ions Ca2+ renvoie aux deux
cibles calciques de la transduction mécano-électrique qui ont été proposées comme
acteurs de l’adaptation (voir ci-dessous), les myosines pour l’adaptation lente, et le
canal de transduction lui-même, pour l’adaptation rapide.

L’autre considération à l’appui de la présence d’un amplificateur logé dans la


touffe ciliaire est celle qui lie étroitement adaptation et mouvements de la touffe
ciliaire. S’y ajoute un travail récent qui suggère l’existence d’une force produite par
la touffe ciliaire des CCE. La discussion de ces travaux ne peut se faire sans un
rappel de quelques éléments concernant la transduction mécano-électrique.

Dès les premiers enregistrements du courant de transduction mécano-électrique,


il est apparu que ce courant n’est pas nul lorsque la cellule sensorielle est dans une
position de repos. Un certain pourcentage des canaux de transduction mécano-
électrique sont donc ouverts lorsque la touffe ciliaire est dans sa position de repos.
Lorsque la touffe ciliaire est soumise par le son à un mouvement sinusoïdal autour
de sa position de repos, ou défléchie par une fibre de verre rigide, son déplacement
en direction des stéréocils les plus longs se traduit par une augmentation brutale
du courant, liée à l’ouverture des canaux de transduction. Défléchie dans le sens
opposé, ces canaux se ferment, le courant diminue. Leur ouverture conduit à
l’entrée d’ions K+ et Ca2+, qui dépolarisent la cellule. Le seuil de déplacement de
la touffe ciliaire qui conduit à une dépolarisation est d’environ 1 nm. En termes
de pression, la pression la plus faible perçue par le système auditif est de 20 μPa.
Des mesures récentes effectuées chez le cobaye ont permis d’évaluer qu’en réponse
à un déplacement de la membrane basilaire de 100 nm, l’apex de la touffe cilaire
des CCES de cobaye se déplaçait d’environ 30 nm (Fridberger et de Monvel,
2003 ; Fridberger et al, 2006).

En 1984, Pickles découvre le lien apical des stéréocils (Pickles et al, 1984).
D’emblée, son implication dans la transduction mécano-électrique est proposée.
La transduction mécano-électrique auditive a alors été déjà bien explorée par le
groupe de Jim Hudspeth qui, compte tenu du temps très bref entre stimulation
mécanique et enregistrement du courant, avait proposé un an plus tôt, un modèle
pour cette transduction, connu sous le nom de gating spring model, que l’on peut
224 CHRISTINE PETIT

traduire par modèle du « ressort d’ouverture » (Corey et Hudspeth, 1983). Ce


modèle stipule que l’ouverture du canal de transduction mécano-électrique est en
rapport avec la tension qu’exercent sur lui des éléments élastiques qui lui sont
couplés. Ces éléments élastiques se comportent comme un ressort (ressort de
transduction). Si la tension dans ce ressort vient à baisser, les canaux se ferment.
Le modèle associe donc la tension du ressort de transduction à la probabilité
d’ouverture des canaux de transduction. Il faut une tension mécanique pour ouvrir
le canal, et réciproquement, l’ouverture du canal produit une force (Howard et
Hudspeth, 1988).
La raideur de la touffe ciliaire a été mesurée dans le saccule de grenouille en
1988 (Howard et Hudspeth, 1988), et estimée à environ 1 mN/m (dans ces
mesures, les liens latéraux qui unissent les stéréocils avaient sans doute été éliminés
par le traitement enzymatique effectué au préalable). La moitié de la raideur avait
alors été attribuée au canal de transduction mécano-électrique lui-même, et l’autre
aux pivots des stéréocils. L’ouverture des canaux est par ailleurs associée à une
baisse de rigidité de la touffe ciliaire, qui n’apparaît pas si le canal est bloqué alors
que la touffe ciliaire est défléchie. Cet assouplissement lié à l’ouverture des canaux
a reçu le nom de gating compliance (assouplissement d’ouverture).
En 1991, Assad et Corey montraient qu’en présence de BAPTA, un chélateur
des ions Ca2+, les liens apicaux étaient détruits et la transduction abolie ; les liens
apicaux autorisés à régénérer, la transduction retrouvait sa valeur initiale (Assad et
al, 1991). Ces auteurs produisirent alors un schéma de la transduction qui désignait
le lien apical comme le ressort de transduction. En traitant les touffes ciliaires par
le BAPTA, seul persiste 50 % de la raideur de la touffe ciliaire (tout comme après
le blocage du canal de transduction mécano-électrique). Les calculs retrouvaient
une raideur du gating spring, Kgs, d’une valeur de 0,5 à 1 mN/m.
En 2000, des études en microscopie électronique conduites par Bechara Kachar
(Kachar et al, 2000) révélèrent que le lien apical est composé de deux protofilaments
enroulés en une hélice dextrogyre, dont la périodicité est d’environ 20 nm et le
diamètre compris entre 5 et 10 nm, avec deux insertions apicales et trois basales.
Cette structure du lien apical suggérait qu’il pouvait être, non pas élastique, mais
rigide. Sa nature moléculaire, discutée dans le cadre du second cours, n’évoque pas,
de fait, celle d’un lien élastique. L’idée prévaut aujourd’hui selon laquelle le gating
spring est une structure intra-stéréociliaire associée directement ou indirectement
au canal de transduction mécano-électrique.
Comme mentionné précédemment, une relation a été établie au cours des
dernières années entre adaptation de la transduction mécano-électrique et
mouvement de la touffe cilaire. L’adaptation permet à tout système sensoriel de
restaurer sa sensibilité à de petites stimulations transitoires, alors même qu’une
forte stimulation statique se maintient. Si l’on prend l’exemple du saccule de la
grenouille, organe vestibulaire très semblable, dans son fonctionnement, à la
cochlée, il peut déceler des accélérations verticales du sol un million de fois plus
GÉNÉTIQUE ET PHYSIOLOGIE CELLULAIRE 225

petites que celle du champ de gravitation terrestre (Narins et Lewis, 1984). Le


processus d’adaptation consiste en la restauration de la probabilité d’ouverture des
canaux de transduction mécano-électrique à une valeur proche de sa valeur de
repos. En d’autres termes, il y aurait restauration de la tension du ressort de
transduction, que la touffe ciliaire ait été défléchie en direction des grands stéréocils
(ouverture des canaux) ou dans le sens opposé (fermeture des canaux). C’est ce que
traduisent les courbes courant-déplacement établies à l’issue de l’adaptation,
simples translations de la courbe initiale le long de l’axe des déplacements. La
diminution du courant au cours de l’adaptation a un caractère bimodal. Chaque
mode a des constantes de temps distinctes. Le premier a une constante de temps
de l’ordre de la milliseconde ou moins (adaptation dite rapide), et le second, une
constante de temps dix fois plus longue (adaptation dite lente). L’adaptation rapide
a été étudiée en fonction de la fréquence caractéristique des cellules sensorielles
auditives chez la tortue. Plus ces cellules ont une fréquence caractéristique élevée,
plus leur constante de temps d’adaptation est petite. Cette observation a été
étendue aux CCE de rat. D’où l’idée proposée selon laquelle c’est la cinétique
d’adaptation rapide qui détermine la fréquence caractéristique de la cellule.

Dans le 2e et le 3e cours, ont été présentées des avancées récentes portant sur la
physiologie moléculaire des cellules sensorielles de la cochlée. L’implication de la
cadhérine-23 et de la protocadhérine-15 dans la formation de liens transitoires de
la touffe ciliaire en développement et du lien apical (tip link) a été discutée.
Les molécules proposées pour entrer dans la composition du canal de transduction
mécano-électrique ont été examinées à la lumière des propriétés biophysiques de ce
canal. C’est un canal cationique non sélectif qui a une forte perméabilité pour les
ions Ca2+. Sa perméabilité aux ions Ca2+ est 5 fois plus importante qu’aux ions Na+,
aussi bien chez la grenouille, que chez la tortue et les mammifères. Sa perméabilité
aux cations monovalents s’ordonne comme suit : elle est plus élevée pour le Cs+ que
pour le K+, que pour le Na+, que pour le Li+. Bloqué par le Ca2+, ce canal l’est aussi
par de fortes concentrations de magnésium (Mg2+), par de très faibles concentrations
de lanthanium (La3+) ou de gadolinium (Gd3+) ou d’amiloride, ou par la
dihydrostreptomycine, 50 à 100 μM. Il n’est pas sensible au voltage.
Bien que les canaux de type TRP puissent encore être considérés comme
d’excellents candidats, les deux qui ont été proposés à ce jour, TRPN1 et TRPA1,
ont été éliminés.
La nature moléculaire du moteur d’adaptation a fait l’objet d’une présentation,
et les arguments en faveur d’un rôle central de la myosine 1c ont été examinés. Les
éléments qui plaident en faveur de l’implication d’une autre myosine, la
myosine VIIa, ont été discutés. Le rôle de la pompe calcique Pmca2 dans le rejet
des ions Ca2+ hors de la touffe ciliaire a été rappelé, et son mode d’action examiné,
en tenant compte de données génétiques obtenues chez l’homme et la souris, qui
établissent son couplage fonctionnel avec la cadhérine-23.
226 CHRISTINE PETIT

4e cours : éléments du traitement du signal sonore par les neurones auditifs


du ganglion cochléaire et les neurones des noyaux auditifs du tronc cérébral.
Ont été brièvement abordés, le traitement des signaux acoustiques (fréquence,
intensité et caractéristiques temporelles) dans les neurones du ganglion cochléaire,
du noyau cochléaire, et les autres noyaux auditifs du tronc cérébral, complexe
olivaire et noyaux du corps trapézoïde. Quelques éléments ont été introduits sur
la localisation des sources sonores de basse fréquence dans le plan horizontal, avec
les rebondissements récents qui remettent en cause un modèle bien établi, que l’on
croyait généralisable à l’ensemble des espèces.

Les neurones auditifs primaires: diversité et physiologie


Dans le ganglion cochléaire, les neurones afférents, neurones de type I, sont dix
foix plus nombreux que les CCI. Ce sont des neurones bipolaires, qui ne contactent
qu’une seule CCI et ne forment qu’une seule synapse. Au niveau de chaque ruban
synaptique, n’existe qu’une seule synapse (rubans synaptiques et neurones auditifs
sont dans un rapport de 1). Ces neurones sont myélinisés et, curiosité, cette
myélinisation s’étend au corps cellulaire, et même à la racine de la dendrite.
Ont été introduites, les notions de fréquence caractéristique (fréquence de
stimulation sonore pour laquelle le seuil de réponse est le plus bas) et de courbe
d’accord (seuil de réponse à différentes fréquences) de ces neurones, et la mesure de
leur sélectivité fréquentielle par le facteur de qualité Q10 dB (rapport entre la
fréquence caractéristique du neurone et la différence des fréquences pour lesquelles
les seuils de réponse du neurone sont supérieurs de 10 dB au seuil minimal). Cette
valeur croît avec la sélectivité fréquentielle de la réponse. La courbe d’accord en
fréquence de la membrane basilaire (définie pour une valeur donnée du déplacement)
et celle des CCE (définie pour une valeur donnée du potentiel de récepteur) à un
même emplacement cochléaire sont superposables. Les courbes d’accord en
fréquence des CCI et de leurs neurones afférents sont également semblables.
Tandis que les CCE répondent de manière synchrone au déplacement de la
membrane basilaire, les CCI répondent de manière synchrone à sa vitesse de
déplacement. Dans les situations pathologiques où la touffe ciliaire des CCE perd
son ancrage dans la membrane tectoriale, les CCE répondent alors, non plus
au déplacement de la membrane basilaire, mais à sa vitesse de déplacement
(Legan et al, 2000). Le mécanisme de la stimulation des CCI est assez mal connu ; il
implique la dynamique de la membrane tectoriale, et sans doute aussi celle de la
lame réticulée (structure rigide formée par les régions apicales des cellules sensorielles
et de leurs cellules de soutien, ainsi que par les jonctions entre ces cellules).
Quelques éléments de la fonction de transfert mécano-électrique des CCI ont
été rappelés. La dépolarisation de la CCI sous l’effet d’une stimulation sonore est
au maximum de 20 mV (son potentiel de membrane passe ainsi d’environ – 60 mV
à – 40 mV). Elle comporte deux composantes : une composante alternative (AC),
GÉNÉTIQUE ET PHYSIOLOGIE CELLULAIRE 227

et une composante continue, ou directe (DC). La composante AC, dont la


fréquence est la même que celle du son, n’existe que pour des fréquences inférieures
à 4 ou 5 kHz ; sa part ne cesse de décroître, au profit de celle de la composante
DC, à partir d’environ 1 kHz. Plus l’intensité du son augmente, jusqu’à 60 dB,
plus, dans les CCI comme dans les CCE, les composantes DC et AC augmentent.
Des données récentes indiquent qu’au delà de 60 dB, la composante DC augmente
davantage que la composante AC. La constante de temps électrique de la membrane
détermine une limite de fréquence, au delà de laquelle le potentiel de membrane
cesse progressivement d’osciller. Les canaux BK, canaux potassiques de large
conductance dépendant à la fois des ions Ca2+ et du voltage (Oliver et al, 2003 ;
Marcotti et al, 2004), sont responsables d’un courant potassique sortant de
cinétique rapide (courant IK,f). Lorsqu’on supprime ces canaux chez des souris
génétiquement modifiées, la constante de temps électrique de la membrane des
CCI augmente. La dépolarisation maximale de la CCI augmente considérablement
(de 20 mV, elle passe à 80 mV). La dépolarisation est très retardée, créant un délai
dans la réponse du neurone auditif, et la repolarisation est très incomplète. La
composante AC diminue, tandis que la composante DC augmente.
La dépolarisation rapide des CCI stimule les canaux calciques dépendant du
voltage, de type L (Cav1.3) ; ils sont au nombre de 1 700 environ par CCI. La
présence de 10 à 30 rubans synaptiques par CCI indique qu’une centaine de
canaux calciques dépendant du voltage sont associés, en moyenne, à chaque ruban
synaptique (leur répartition pourrait être très hétérogène).
Les CCI matures ne sont innervées que par des neurones afférents, ou neurones
de type I. Chez le chat, Charles Liberman (Liberman, 1982) a pu diviser ces
neurones en trois sous-populations en fonction de leur taux de décharge spontanée
(de 0 à 100 potentiels d’action par seconde) et de leur morphologie : neurones à
taux de décharge spontanée faible (inférieur à 0,5 potentiel d’action par seconde)
et de très petit diamètre, neurones à taux moyen de décharge spontanée (0,5 à
17 potentiels d’action par seconde) et de diamètre plus grand, neurones à taux
élevé de décharge spontanée (supérieur à 17,5 potentiels d’action par seconde) et
de grand diamètre. Ces propriétés sont corrélées avec des seuils de réponse distincts
pour chacun des groupes. Plus le taux de décharge spontanée est élevé, plus le seuil
de réponse du neurone est bas. Une CCI donnée paraît être innervée par plusieurs
neurones de chacun des sous-types. Ces neurones ont une répartition topologique
particulière. Les neurones à haut taux de décharge spontanée (bas seuil) sont
localisés dans la région de la CCI qui se situe à proximité des cellules piliers
internes. Il semble qu’ils établissent des synapses avec des rubans qui ont une taille
plus petite que les autres, et un nombre plus faible de vésicules associées. Les
projections centrales de ces différents sous-groupes de neurones sont elles aussi
différentes. Tous ces neurones se projettent sur le noyau cochléaire, mais les
neurones à taux de décharge spontanée faible ou moyen ont un beaucoup plus
grand nombre de terminaisons nerveuses destinées à une innervation préférentielle
de la région périphérique des petites cellules (voir ci-dessous). Ils sont à l’origine de
228 CHRISTINE PETIT

réseaux neuronaux distincts au niveau du tronc cérébral, aussi, semble-t-il. Ces


différents sous-groupes de neurones de type I sous-tendent donc un traitement
distinct de l’information, qui concerne principalement l’intensité de la stimulation
sonore. Ils ont aussi une dynamique de réponse différente d’un neurone à l’autre.
Enfin, pour certains, leur seuil de réponse dépendrait de la durée de stimulation.
Quelle est l’origine de leur hétérogéneité fonctionnelle ? La question sous-jacente
est celle de la participation de la présynapse aux caractéristiques de la réponse
neuronale. Comment ces neurones assurent-ils le codage en intensité et en
fréquence ? Le codage en fréquence dans les neurones auditifs est différent pour
les basses et les hautes fréquences. Les neurones auditifs ont des fréquences de
décharge de potentiels d’action qui, comme pour tout neurone, ne peuvent excéder
600 Hz à 1 kHz en raison de la période réfractaire qui suit le potentiel d’action.
En réponse à une stimulation sonore de basse fréquence, 300 Hz par exemple, les
pics de potentiel d’action peuvent atteindre cette fréquence si l’intensité du son est
forte. En tout état de cause, ces pics se situent tous précisément dans la même
phase de l’onde sonore. Plus le son est de faible intensité, plus ces décharges sont
rares. C’est collectivement que ces neurones peuvent reconstituer une fréquence de
décharge identique et synchrone à celle de la stimulation sonore. Ceci s’applique
aussi pour le traitement des sons jusqu’à 4 ou 5 kHz chez l’homme (peut-être
jusqu’à 10 kHz). Chaque neurone décharge strictement dans la même phase de
l’onde sonore, mais c’est seulement collectivement que les neurones reconstituent
une fréquence de décharge de quelques kHz. Ce code temporel de l’information
fréquentielle est fondé sur le « principe de la volée », par analogie avec une rangée
de soldats qui, en tirant à différents moments, feraient un barrage de tir continu.
Le codage fréquentiel pour les hautes fréquences repose exclusivement sur une
information de position. La carte tonotopique cochléaire en est le socle. Elle est
reproduite à chacun des différents étages du système auditif (voir ci-dessous).
Comment s’effectue le codage en intensité des diverses fréquences ? On sait par les
travaux de Rose (Rose et al, 1967) que l’intensité du son ne modifie ni la
synchronisation au son de la réponse des neurones de type I à basse fréquence, ni leur
délai de réponse. C’est parce que le délai synaptique n’est pas modulable par l’intensité
de stimulation que le codage temporel des signaux sonores est extrêmement robuste.
Sa haute précision est mise à profit pour localiser les sources sonores de basse fréquence
(voir ci-dessous). A la question des mécanismes qui sous-tendent une synchronisation
de décharges à l’identique quelle que soit l’importance de la dépolarisation de la CCI,
les travaux d’Elisabeth Glowatzki (Glowatzki et Fuchs, 2002) apportent des éléments
de réponse. En enregistrant les courants postsynaptiques au niveau des boutons
dendritiques des neurones auditifs, elle a pu montrer que la fusion des vésicules
synaptiques de la CCI à la membrane plasmique concerne en moyenne 4 à 7 vésicules
en même temps, et que ces événements de fusion multivésiculaire sont les mêmes
qu’il s’agisse des décharges spontanées ou des décharges provoquées, d’une faible ou
d’une forte stimulation. Chaque événement de fusion est constant, il n’y a pas
d’avance de phase lorsque l’intensité augmente (comme observé dans les autres
GÉNÉTIQUE ET PHYSIOLOGIE CELLULAIRE 229

systèmes neuronaux). Seule varie, en fonction de l’intensité sonore, la probabilité


d’apparition de l’événement. Ces études ont également permis de conclure que 90 %
de l’adaptation observée dans la réponse neuronale provient de la machinerie
présynaptique. Quant aux neurones auditifs, c’est encore collectivement qu’ils
reconstitueraient une réponse à un large spectre d’intensité.

A partir de ces données, on est amené à penser que l’exocytose de la CCI est
d’une extrême précision temporelle, que la cochlée traite le paramètre d’intensité
sonore en termes de probabilité d’événements d’exocytose dans la CCI, et que
conjointement, les neurones auditifs auraient une diversité de seuils de réponse.

Les noyaux auditifs du tronc cérébral et du mésencéphale

Cellules sensorielles cochléaires et neurones auditifs ont une même origine


embryologique, la placode otique, et constituent le système auditif périphérique.
Au-delà, les voies auditives ascendantes appartiennent au système nerveux central.
Le premier relais central est situé dans le noyau cochléaire. Ses projections sont
principalement controlatérales. Au-delà du noyau cochléaire, les voies auditives
ascendantes, d’ipsilatérales deviennent controlatérales.

Le noyau cochléaire est situé dans la partie caudale du tronc cérébral. Il est divisé
en trois grandes régions ou noyaux : noyau ventral antérieur (NVA), noyau ventral
postérieur (NVP) et noyau dorsal (ND). Tout axone des neurones auditifs de
type I qui pénétre dans le noyau cochléaire se divise en deux branches, une branche
antérieure (ou ascendante) et une branche postérieure (ou descendante). La branche
antérieure innerve le NVA. La branche postérieure innerve le NVP et le ND. Les
projections des neurones auditifs sont ordonnées en fonction de la fréquence
caractéristique de ces neurones, et constituent une carte tonopique dans laquelle,
comme dans la cochlée, les basses fréquences sont traitées à l’apex du noyau (région
antérieure) et les hautes fréquences à sa base (région postérieure). Ainsi, on peut
considérer qu’il existe trois cartes tonotopiques distinctes au niveau du noyau
cochléaire. Elles reçoivent une information semblable, et doivent donc en extraire
des informations différentes.

La population neuronale du noyau cochléaire est hétérogène. On distingue huit


types de neurones qui diffèrent par leur morphologie et leur réponse électrique.
Dans le NVA prédominent les neurones « en buisson », que la coloration de Nissl
permet de séparer en neurones « sphériques » et neurones « globulaires ». Dans le
NVP dominent des neurones « pieuvre » (octopus cells) et des neurones
« multipolaires » (en coloration de Nissl) ou « étoilés » (en coloration de Golgi).
Dans le ND, qui a un aspect lamellaire, prédominent des neurones fusiformes ou
pyramidaux. Cette région comporte deux autres types de neurones de plus petite
taille, petits neurones et neurones granulaires. Dans la profondeur du noyau
cochléaire, se logent des neurones « géants ».
230 CHRISTINE PETIT

Ces neurones ont des réponses électriques très diverses : réponse voisine de celle
des neurones auditifs primaires, réponse avec une périodicité en rapport avec la
stimulation sonore mais comportant une encoche au démarrage, réponse dite « en
hachoir » avec des pics qui ne sont pas synchrones au son, réponse restreinte à la
mise en place de la stimulation (comme celle des cellules « pieuvre »)…
Des cellules peuvent appartenir à un même type et décharger selon plusieurs
modes. Ainsi, les neurones en buisson déchargent selon trois modes : soit comme les
neurones auditifs primaires, soit à la mise en place du signal acoustique, soit encore
comme les neurones auditifs primaires, mais avec une encoche. Les neurones étoilés
ou multipolaires ont deux modes de réponse : l’un « en hachoir », l’autre lors de la
mise en place du signal acoustique. Les cellules « pieuvre » déchargent à la mise en
place du signal, et les cellules fusiformes ou pyramidales ont divers profils de réponse
électrique. Ces réponses électriques distinctes traduisent l’extraction de différentes
informations à partir de la réponse des neurones auditifs primaires.
Au-delà du noyau cochléaire, en raison des projections axonales bilatérales,
chaque structure relais comporte une organisation tonotopique, et reçoit des
informations provenant des deux oreilles.
Le second relais central du système auditif, le complexe olivaire supérieur (COS),
est aussi situé dans le tronc cérébral. Il comporte trois noyaux principaux, l’olive
supérieure latérale (OSL), l’olive supérieure médiane (OSM), le corps trapézoïde et
ses trois noyaux, latéral, ventral, et médian (noyau médian du corps trapézoïde ou
NMCT), ainsi qu’un ensemble de noyaux de petite taille (noyaux périolivaires). Ces
structures ont toutes une organisation tonotopique. Du noyau cochléaire, émergent
trois voies majeures : les stries acoustiques ventrale, intermédiaire, et dorsale. La strie
acoustique ventrale, ou corps trapézoïde, est formée par les axones qui proviennent
des neurones en buisson du NCVA, et des neurones stellaires et « pieuvre » du
NCVP. L’axone des cellules « en buisson » se termine essentiellement sur les trois
principaux noyaux du COS, tandis que certains de ces axones continuent leur route
à travers le lemnisque latéral jusqu’au colliculus inférieur. Celui des cellules
sphériques en buisson se projette de façon bilatérale sur l’OSM, et ipsilatérale sur
l’OSL, celui des cellules globulaires en buisson se projette en controlatéral sur les
neurones du NMCT venant inhiber l’activité de l’OSL déclenchée par les cellules
sphériques en buisson. La strie acoustique intermédiaire, ou strie de Held, inclut les
axones des cellules « pieuvre » du NVP qui se terminent dans les noyaux périolivaires
et, plus loin, dans le lemnisque latéral et le colliculus inférieur. Enfin, la « strie
acoustique dorsale » contient les axones des neurones du NCD. Elle n’envoie aucune
projection sur le complexe olivaire supérieur, et se termine, comme la strie acoustique
intermédiaire, sur le colliculus inférieur et les noyaux du lemnisque latéral. Enfin, il
existe bon nombre de projections internes au sein du noyau cochléaire.
Les neurones du NMCT comportent les synapses géantes, ou calices de Held,
qui sont considérées comme les plus grandes terminaisons synaptiques du cerveau
des mammifères. L’extrémité axonale des cellules globulaires présentes dans le
GÉNÉTIQUE ET PHYSIOLOGIE CELLULAIRE 231

noyau cochléaire opposé forme la région présynatique des calices de Held. Les
neurones du NMCT qui forment la post-synapse, sont des neurones inhibiteurs
glycinergiques, et se projettent sur divers noyaux du COS.
Les axones des neurones du noyau cochléaire et du COS se projettent
principalement vers le colliculus inférieur en formant un faisceau de fibres que l’on
appelle le lemnisque latéral. Il existe aussi des noyaux du lemnisque latéral qui sont
situés à l’intérieur du faisceau des fibres du lemnisque, et reçoivent des afférences
du noyau cochléaire et du complexe olivaire. Le noyau du lemnisque latéral
comporte deux zones, une zone dorsale et une zone ventrale.
Le mésencéphale auditif se compose du colliculus inférieur. Il comporte quatre
noyaux : central, dorsomédian, latéral, et dorsal. C’est un carrefour de voies
auditives ascendantes et descendantes. Le noyau central a une structure lamellaire,
et ne reçoit que des afférences provenant des centres auditifs inférieurs. Il est le
siège d’une tonotopie stricte et comporte des cartes de représentation de plusieurs
paramètres de la stimulation sonore, comme une carte des latences, une carte des
courbes d’accord (« carte des Q10dB »), une carte de résolution temporelle, une
carte de localisation spatiale… De nombreux facteurs indépendants du système
auditif modulent l’activité électrique du colliculus inférieur : stimuli visuels et
tactiles par exemple.

Localisation de la source sonore


Pour terminer, quelques éléments introductifs au cours de l’année suivante sur
la localisation de la source sonore ont été présentés. La capacité de localiser la
source sonore, parce qu’elle permet de localiser proies et prédateurs, contribue bien
évidemment à la survie des animaux entendants. Orienter le pavillon de l’oreille
ou tourner la tête pour déceler au mieux la localisation d’une proie, par exemple,
permet d’élaborer une stratégie d’attaque sans être vu.
La vague sonore, produite par une source externe, est diffractée par son interaction
avec le pavillon de l’oreille et l’ensemble de la tête. Ce sont les caractéristiques
temporelles et d’intensité du son ainsi diffracté qui vont fournir les substrats de la
localisation de la source sonore. Dans leur description, désormais classique, de la
localisation de la source sonore en champ libre chez l’homme, Stevens et Newman,
en 1936 (Stevens et Newman, 1936), observèrent que l’homme localisait au mieux
la source sonore dans le plan horizontal pour des fréquences du son, soit inférieures
à 1 kHz, soit supérieures à 5 kHz. Ceci suggérait l’existence de deux mécanismes
distincts de localisation de la source sonore dans le plan horizontal, l’un pour les
basses fréquences, et l’autre pour les hautes fréquences.
Cette dichotomie faisait écho à la théorie, dite théorie duplex, de l’écoute
binaurale, proposée par Lord Rayleigh en 1907 (Strutt, 1907), et dont les premiers
éléments avaient été apportés par Thomson en 1882. Selon Rayleigh, la tête peut
créer une ombre acoustique pour l’oreille la plus distante de la source sonore, de
232 CHRISTINE PETIT

sorte que l’intensité du son qui lui parvient est plus faible que celle du son qui
parvient à l’autre oreille. Ces différences de niveau sonore sont dites différences
d’intensité inter-auriculaires ou binaurales (en anglais interaural level difference,
ILD en abrégé). Cependant, l’importance de la différence d’intensité inter-
auriculaire dépend du contenu spectral de la stimulation. En effet, la tête se
comporte comme un filtre passe-bas. Elle laisse passer les fréquences basses qui la
contournent en raison de leur grande longueur d’onde, et qui par conséquent
contribuent fort peu à la différence d’intensité interauriculaire. Avant Rayleigh, le
temps qui sépare l’arrivée d’une onde sonore à une oreille et à l’autre, estimé à
quelques centaines de microsecondes, avait été considéré comme trop bref pour
être décelable par un système biologique. Rayleigh conclut au contraire que cette
différence temporelle interauriculaire est décelable, et il propose qu’elle soit le
fondement du principe de localisation des sons de basse fréquence (en anglais
interaural time difference, ITD en abrégé). L’idée d’un double système de localisation
de la source sonore s’est imposée. L’un, dédié aux hautes fréquences mis en oeuvre
dans l’OSL, est fondé sur les différences d’intensité, et l’autre, dédié aux basses
fréquences, mis en oeuvre dans le noyau laminaire chez les oiseaux et dans l’OSM
chez les mammifères, est fondé sur les différences temporelles.
L’intérêt majeur de l’écoute binaurale réside dans la localisation de la source
sonore dans l’espace. Toutefois, un son sera perçu comme légèrement plus intense
s’il est présenté aux deux oreilles (gain d’environ 3 décibels). De cette vision très
schématique, il s’en suit que pour un patient qui a une surdité unilatérale, si le
locuteur est situé du côté de l’oreille défaillante, l’oreille normale percevra
correctement les basses fréquences, mais mal les hautes fréquences, en raison de
l’ombre de la tête. Cette théorie vaut pour les sons purs. Pour la localisation de
sources sonores complexes, la composante temporelle, même pour des sons de
haute fréquence, est importante. Interviennent aussi les modulations fréquentielles
et les modulations en amplitude.
Seule a été discutée plus en détail la localisation dans le plan horizontal des
sources sonores de basse fréquence. Soit une onde sonore située sur l’azimut 90°
par rapport à la ligne médiane. L’onde sonore va parcourir le chemin d’une oreille
à l’autre soit une distance égale au rayon de la tête plus une distance égale au quart
de la circonférence de la tête. Le rayon de la tête est estimé à 9 cm, le quart de la
circonférence de la tête à environ 14 cm, soit une distance totale à parcourir de
23 cm. Compte tenu de la vitesse du son dans l’air (343 m/s), la différence de
temps entre l’arrivée du son à l’une et l’autre oreille est 670 μs. C’est le temps
maximum du parcours. En effet, quand la source se rapproche de la position
médiane, le délai entre l’arrivée des signaux sonores à l’une et l’autre oreille est
toujours plus petit. Ce temps de 670 μs est égal à la période d’un son de 1 500 Hz.
Il fixe la limite supérieure de la fréquence sonore d’une source qui pourra être
localisée en se fondant sur la disparité temporelle binaurale. Pour des fréquences
plus élevées, la localisation de la source sonore fait appel à la différence d’intensité
(ILD).
GÉNÉTIQUE ET PHYSIOLOGIE CELLULAIRE 233

Chez l’homme, le système auditif identifie deux sons comme provenant de deux
sources distinctes si, l’une étant située dans le plan médian (0° azimutal), l’autre
en est séparée d’au moins deux degrés. Ceci signifie que le système auditif distingue
deux sons qui parviennent à l’une et l’autre oreille avec un décalage temporel de
moins de 20 μs. C’est cet élément qui a permis de conclure à l’extrême précision
temporelle du système auditif (au moins jusqu’à ses relais du tronc cérébral). Plus
on s’éloigne de l’axe médian dans le plan horizontal, plus la capacité de résolution
diminue. L’angle audible minimal varie avec la position azimutale et la fréquence
de la source sonore. Sa valeur augmente quand la fréquence s’élève et que la source
sonore s’approche du 90° azimutal. Pour toutes les fréquences, la perception de la
directionalité est plus précise quand l’auditeur fait face à la source sonore. En
l’absence de mobilité du pavillon de l’oreille, c’est la tête qui bouge pour optimiser
la perception de la localisation des sources sonores.

Nous avons ensuite brièvement considéré les bases neurales de la localisation


azimutale des sources sonores de basse fréquence. Durant les cinquante dernières
années, un seul modèle a servi d’explication à la façon dont le cerveau détermine la
position de la source sonore de basse fréquence dans le plan horizontal : le modèle de
coïncidence proposé par Lloyd Jeffress en 1948 (Jeffress, 1948). Il stipule que le
cerveau transforme l’information du délai de temps relatif de l’arrivée du son à
chacune des deux oreilles en une carte, dite carte spatiale auditive ou « carte ITD ».
Ce modèle pose l’existence de neurones détecteurs de coïncidence. Leur décharge est
maximale quand les potentiels d’action qui leur parviennent, à partir de chaque
oreille, arrivent simultanément. Dans ce modèle, ces détecteurs de coïncidence
reçoivent des informations excitatrices, qui leur parviennent via des axones qui
véhiculent des signaux électriques provenant de chacune des deux oreilles. Ce modèle
repose sur trois hypothèses : 1) il existe des neurones détecteurs de coïncidence ;
ceux-ci reçoivent une information temporelle très précise venant de l’une et l’autre
oreille ; ils ne peuvent interpréter qu’une information de décharge neuronale
organisée en volée (voir ci-dessus), c’est-à-dire synchronisée au son ; 2) ils répondent
de façon maximale lorsque les potentiels d’action venus de l’une et l’autre oreille
arrivent simultanément; ils sont très sensibles à de toutes petites disparités dans le
temps d’arrivée des potentiels d’action provenant de l’une et de l’autre oreille ; 3) ce
sont des projections afférentes excitatrices venues de chaque oreille qui les stimulent,
et c’est le temps cumulé des chemins acoustique et électrique parcourus depuis la
source sonore jusqu’au détecteur (controlatéral par rapport à la source) qui est pris
en compte. En ce qui concerne le chemin électrique, le modèle stipule que la
détection de coïncidence est fondée sur le fait que les axones des neurones excitateurs
ont des longueurs différentes, qui introduisent des délais électriques (« délais de
ligne »). Le détecteur de coïncidence sera stimulé par des neurones dont la longueur
axonale va permettre une décharge synchrone des neurones afférents issus de chacune
des deux oreilles. Dans ce modèle, chaque neurone détecteur de coïncidence répond
à un temps inter-auriculaire différent et spécifique, dit temps caractéristique de la
détection temporelle. Les divers neurones dont le temps caractéristique de détection
234 CHRISTINE PETIT

temporelle est différent sont organisés en une carte de temps caractéristique


graduellement croissant. Un neurone détecteur signale la position de la source
sonore par son taux de décharge maximal.

Ce modèle a eu un impact considérable sur la recherche dans ce domaine. Il s’est


révélé fécond pour interpréter la localisation des sources de basse fréquence chez
l’oiseau. Les travaux élégants réalisés par Mazakazu Konishi et de Eric Knudsen
voir revue, (Knudsen, 2002) à partir de 1978 sur la chouette effraie, qui chasse
la nuit en utilisant exclusivement son audition pour localiser ses proies, paraissent
valider ce modèle. Cette chouette se dirige vers ses proies grâce à une reconnaissance
des vibrations qu’elles émettent. Celle-ci est fondée, dans le plan horizontal, sur
les différences temporelles, et est particulièrement efficace pour des fréquences
allant jusqu’à 7 ou 8 kHz. De fait, les décharges des neurones afférents sont en
phase avec le son jusqu’à ces valeurs de fréquence. Les neurones détecteurs de
coïncidence se situent dans le noyau laminaire. Pour lever toute ambiguïté dans
l’interprétation des délais de réponse, cette carte est couplée à une carte fréquentielle,
qui a une orientation perpendiculaire. Ainsi, chaque fréquence est en quelque sorte
équipée de son détecteur d’ITD. Une « carte ITD » est le code de représentation
de toutes les localisations des sources sonores dans le plan horizontal. L’ITD zéro,
toujours représenté par un maximum de neurones, est l’ITD pour lequel la
décharge maximale correspond à la position médiane de la source. Beaucoup de
données électrophysiologiques obtenues chez la chouette effraie sont en accord
avec ce modèle, et des axones de longueur hétérogène ont bien été mis en évidence
dans le noyau laminaire.

Chez les mammifères, des détecteurs de coïncidence sont situés dans l’OSM,
mais leur mode d’activation paraît moins clair. Chez le chat, un substrat anatomique
pour un mécanisme du type « délai de lignes » (différentes longueurs axonales) a
été observé. Cependant, des travaux menés chez la gerbille (Brand et al, 2002 ;
Kapfer et al, 2002) indiquent le rôle indispensable de neurones inhibiteurs
glycinergiques du NMCT dans la réponse à un délai caractéristique des neurones
de l’OSM. Ces neurones inhibiteurs, dont la décharge est aussi en phase avec le
son, et non des longueurs d’axones différentes d’un neurone excitateur à l’autre,
seraient le substrat des « cartes ITD » des mammifères.

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Activité de recherche du laboratoire (2007-2008)


Les avancées les plus significatives au cours de l’année 2007-2008 ont été :
1. la découverte de l’origine des distorsions acoustiques par les cellules ciliées
externes (Verpy et al, 2008),
2. la mise en évidence d’un nouveau mécanisme responsable de la surdité liée à
l’exposition au bruit (soumis pour publication),
3. la mise en évidence de l’harmonine, protéine à domaines PDZ, au sein de la
machinerie de transduction mécano-électrique et de son rôle dans l’adaptation,
4. l’identification d’un gène responsable de presbyacousie.
Nous avons également contribué à élucider le rôle du kinocilium dans la
formation de la touffe ciliaire (Jones et al, 2008), et avons apporté les premiers
éléments de la pathogénie de la surdité liée à un déficit en adénylate kinase-2
(Lagresle-Peyrou et al, 2008).

1. Origine des distorsions acoustiques dans l’oreille interne


(Elisabeth Verpy, Dominique Weil, Michel Leibovici, Carine Houdon,
Jean-Pierre Hardelin, Christine Petit ; en collaboration avec Paul Avan,
Richard J. Goodyear, Guy P. Richardson, Ghislaine Hamard) (Verpy et al,
2008)

C’est dans la cochlée que les messages sonores sont convertis par les cellules
sensorielles auditives en dépolarisations qui libèrent le neurotransmetteur, créant
une activation des neurones auditifs qui se propage jusqu’au cortex. Pour ce faire,
les cellules ciliées externes amplifient les vibrations sonores tout en les filtrant pour
éliminer les sons parasites. Toutefois, le traitement ainsi appliqué au son engendre
des distorsions des ondes acoustiques considérables, au point d’être audibles sous
forme de sons supplémentaires connus sous le nom de sons de Tartini, du nom
du violoniste du xviie siècle qui les décrivit. Parce que l’oreille les réémet, ces sons
de Tartini servent à dépister les surdités dès la naissance. En effet, leur absence
traduit la lésion des cellules ciliées externes, presque toujours accompagnée de celle
des cellules ciliées internes, authentiques cellules sensorielles.
GÉNÉTIQUE ET PHYSIOLOGIE CELLULAIRE 237

Jusqu’ici on pensait que toutes les performances des cellules ciliées externes,
amplification, filtrage des sons parasites, et distorsion, étaient dues à leurs canaux
de transduction mécano-électrique pour lesquels la courbe courant/déplacement
est sigmoïde. Nous avons montré, dans un travail mené en collaboration avec le
Pr Paul Avan (Université d’Auvergne, Clermont-Ferrand), que ce n’est probablement
pas exact. Chez des souris dont le gène qui code la stéréociline a été inactivé, il
existe, avant l’apparition du déficit de l’acuité auditive, une courte période durant
laquelle les cellules ciliées externes amplifient et filtrent normalement le son ; leurs
canaux de transduction sont donc normaux, et pourtant elles ne distordent plus le
son. Toute marque de distorsion des ondes a disparu : un son pur ne produit plus
d’harmoniques ; aucune distorsion, électrique ou acoustique, n’est décelable. Chez
ces souris mutantes, l’effet de masquage sonore est très diminué : en présence d’un
mélange de sons, les diverses composantes du mélange coexistent alors que
normalement, les plus intenses empêchent les plus faibles d’être perçues par le
système auditif. La perception des sons complexes chez ces souris mutantes est sans
doute gravement perturbée.

Nous avons observé que la stéréociline est un composant de liens latéraux


apicaux de la touffe ciliaire des cellules ciliées externes. Ces liens, dits top connectors,
sont, avec le tip link, les seuls présents dans la touffe ciliaire adulte. Ceci nous a
conduit à proposer que l’origine des distorsions acoustiques se tient dans les
contraintes que ces liens latéraux imposent à la touffe ciliaire. Ils permettraient à
une rigidité non-linéaire de la touffe ciliaire, autre que celle du canal de transduction
mécano-électrique, de se manifester sous la forme de distorsions d’ondes. Une
explication alternative serait que l’absence de ces liens déplace le « point
d’opération » de la touffe ciliaire dans une zone de fonctionnement linéaire.

2. Un nouveau mécanisme responsable de la surdité liée à l’exposition au bruit


(Amel Bahloul, Vincent Michel, Michel Leibovici, Jean-Pierre Hardelin,
Dominique Weil, Christine Petit ; en collaboration avec Paul Avan)
(Bahloul et al, soumis pour publication)

Nous avions découvert, il y a quelques années, une nouvelle protéine des


jonctions d’adhérence, la vézatine (Küssel-Andermann et al, 2000). Nous venons
de définir sa topologie par une analyse biochimique. Elle comporte deux domaines
transmembranaires très proches l’un de l’autre, et ses régions N- et C-terminales
sont cytoplasmiques. Dans la cochlée, l’immunoréactivité de la vézatine aux
jonctions entre les cellules ciliées et les cellules de soutien augmente entre le 4e et
le 16e jour après la naissance, chez la souris. Nous avons observé, par
immunomarquage de cellules MDCK, que la vézatine ne participe pas à la
formation de leurs jonctions ; elle n’est recrutée aux jonctions que tardivement.
Des doubles marquages réalisés sur des cochlées matures ont montré une
colocalisation de la vézatine avec la radixine, la β-caténine et la caténine p120, aux
jonctions entre cellules ciliées externes et cellules de Deiters. Vézatine et radixine
238 CHRISTINE PETIT

co-précipitent dans des extraits protéiques cochléaires. Cependant, lorsque la


radixine porte une mutation qui l’empêche de se lier aux filaments d’actine en
raison d’un changement de conformation, la radixine ne co-précipite plus avec la
vézatine. La vézatine interagit donc directement avec la forme « active » de la
radixine. Cette dernière pourrait donc permettre de lier la vézatine aux filaments
d’actine des jonctions cellulaires.
Pour étudier le rôle de la vézatine aux jonctions entre les cellules ciliées cochléaires
et leurs cellules de soutien, nous avons généré des souris mutantes chez lesquelles
le gène est délété uniquement dans les cellules sensorielles (la délétion ubiquitaire
est létale). Chez les souris mutantes, les seuils auditifs ne sont pas différents de
ceux des animaux témoins jusqu’à la 7e semaine. L’étude morphologique de la
cochlée ne détecte aucune anomalie jusqu’à cet âge. Cependant, après une
exposition d’une minute à un son de 105 dB, les souris mutantes deviennent
irréversiblement sourdes. Les souris sauvages, soumises à cette même stimulation
sonore, ont une altération de leur seuil auditif de l’ordre de 10 dB, suivie d’un
retour à une audition normale. Diverses anomalies de la touffe ciliaire apparaissent
chez les souris mutantes, accompagnées d’une perte massive de cellules ciliées, qui
touche principalement les cellules ciliées externes. Les cellules de l’apex de la
cochlée sont peu atteintes par la perte cellulaire induite par l’exposition au bruit.
Les souris mutantes non exposées au bruit développent, après 7 semaines, une
surdité progressive spontanée, qui augmente jusqu’à atteindre une perte de 110 dB
à 24 semaines. Cette surdité est due à une mort cellulaire touchant les cellules
ciliées, d’abord les cellules ciliées externes, qui disparaissent de la base de la cochlée
(en accord avec la perte auditive qui porte sur les hautes fréquences), puis de
l’ensemble de la cochlée (24 semaines).
Ce travail a dévoilé le rôle des jonctions cellulaires des cellules sensorielles dans
la surdité induite par le bruit, et le rôle de la vézatine dans la résistance au stress
mécanique. De surcroît, nous avons observé que les produits de distorsion ont un
seuil qui est affecté avant celui de l’audition. Ceci est une autre manifestation de
la dissociation qui peut exister entre amplification et distorsion.

3. Rôle de l’harmonine dans la transduction mécano-électrique auditive


(Nicolas Michalski, Vincent Michel, Gaelle Lefèvre, Dominique Weil,
Christine Petit ; en collaboration avec Pascal Martin, Institut Curie)
(Michalski et al., soumis pour publication)
Nous avons montré chez la souris qu’à partir du jour 5 après la naissance (P5),
l’harmonine-b est localisée au niveau du point supérieur d’insertion du lien apical
dans le stéréocil (Lefèvre et al, 2008). De plus, l’harmonine peut interagir directement
in vitro avec la protocadhérine-15 et la cadhérine-23, qui constitueraient le lien
apical. Nous avons étudié le rôle de l’harmonine, et plus particulièrement des
isoformes b, dans la transduction mécanoélectrique et l’adaptation en mettant à
profit deux modèles murins : une souris dont le gène de l’harmonine a été inactivé
GÉNÉTIQUE ET PHYSIOLOGIE CELLULAIRE 239

(Hmn-/-), et une souris mutante Dfcr-2J/Dfcr-2J, défectueuse uniquement pour les


isoformes b de l’harmonine. Les résultats obtenus, et leur modélisation effectuée en
collaboration avec Pascal Martin (Institut Curie), nous ont permis de conclure que
l’harmonine-b se comporte comme le ressort dont l’existence a été postulée pour
rendre compte des limites de l’étendue de l’adaptation. Ces données prédisent de
plus une liaison de l’harmonine-b aux moteurs d’adaptation. Or, nous avons mis en
évidence une interaction directe entre l’harmonine et la myosine VIIa, moteur
moléculaire que des expériences antérieures ont impliqué dans l’adaptation.

4. Identification d’un gène responsable de la presbyacousie


(Dominique Weil, Anne Aubois, Anne-Laure Roudevitch, Christine Petit)

L’étude de formes familiales de presbyacousie, par analyse de liaison génétique


portant sur l’ensemble du génome (en collaboration avec le Centre National de
Génotypage) nous a permis d’identifier un locus impliqué. Par séquençage des
gènes de cette région, nous avons trouvé des mutations dans l’un d’eux. Alors que
tout paraissait indiquer que cette surdité devait être mise sur le compte d’un
désordre métabolique, des résultats récents nous incitent à penser que, contre toute
attente, cette surdité est à mettre en rapport avec une synthèse in situ de ce
métabolite par les cellules sensorielles elles-mêmes. Elles en expriment également
le récepteur, ce qui indique l’existence d’un mécanisme autocrine.

Références

Bahloul A., Simmler M.-C., Michel V., Leibovici M., Perfettini I., Roux I., Weil D.,
Nouaille S., Zuo J., Avan P., Hardelin J.-P., Petit C. Vezatin, an integral membrane protein
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240 CHRISTINE PETIT

Publications du laboratoire (2007-2008)


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Lagresle-Peyrou C., Six E.M., Picard C., Rieux-Laucat F., Michel V., Ditadi A.,
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J Neurosci 27, 6478-6488.

Enseignement

Enseignement au titre du Collège de France


1.a. Cours au Collège de France (6 heures)
Les jeudis 14 février, 13, 20 et 27 mars 2008 :
Traitement des signaux acoustiques : de la cellule sensorielle auditive au complexe
olivaire supérieur
Jeudi 14 février 2008
Cours : Physiologie moléculaire de la transduction mécano-électrique auditive :
actualités
Séminaire : Pascal Martin (Laboratoire PCC–CNRS UMR 168, Institut Curie, Paris) :
Mouvements actifs de la touffe ciliaire des cellules mécano-sensorielles ciliées de
l’oreille interne
Jeudi 13 mars
Cours : Les voies auditives afférentes et leurs relais
Séminaire : Paul Avan (Laboratoire de Biophysique Sensorielle, Clermont-Ferrand) : Les
distorsions cochléaires : essentielles à la perception auditive, mais de quelles origines ?
Jeudi 20 mars
Cours : Le codage de la stimulation sonore en fréquence et en intensité
Séminaire : Paul Fuchs (Johns Hopkins University, School of Medicine, Baltimore,
USA) : Time and intensity coding by the hair cell’s ribbon synapse
Jeudi 27 mars
Cours : Plasticité synaptique dans les voies auditives
Séminaire : Christian Lorenzi (Psychologie de la Perception-Audition, Ecole Normale
Supérieure, Paris) : Effets de lésions cochléaires sur la perception de la parole

1.b. Cours en province


Professeur invitant : Jean-Louis Mandel (Institut de Génétique et de Biologie Moléculaire
et Cellulaire, IGBMC, Strasbourg).
Faculté de Médecine, 29 mai 2008 : Surdités héréditaires: qu’avons-nous appris par
l’identification des gènes impliqués ?
IGBMC, 30 mai 2008 : Understanding molecular and cellular mechanisms of hearing:
what can deafness genes teach us.
242 CHRISTINE PETIT

1.c. Cours à l’étranger :


Uppsala - Suède (1 heure), 10 juin 2008 ; Professeur invitant : Ulf Petterson (Rudbeck
laboratory, University, Uppsala, Suède) : Human hereditary deafness: beyond the genes,
the path to the mechanisms of hearing.

2. Enseignements autres
M2 Génétique Humaine et Neurobiologie (Erasmus), Université Paris 7, déc 2007 :
« Hereditary sensory defects ».

Thèses
Raphaël Étournay, Thèse de Doctorat de l’Université Pierre et Marie Curie, 12-12-2007 :
« Surdités héréditaires : rôles de la myosine VIIa dans le développement de la cellule
sensorielle auditive ».
Nicolas Michalski, Thèse de Doctorat de l’Université Pierre et Marie Curie, 4-7-2008 :
« Cochlear mechano-electrical transduction : identification and functional characterisation
of its components ».

Principaux séminaires et conférences sur invitation 2007-2008

From Molecules to Cognition - a tribute to Jean-Pierre Changeux, International congress.


Institut Pasteur, Paris, 15-17 Sept 2007 : « Hereditary deafness and molecular physiology
of hearing ».
Canadian College of Medical Geneticists Congress. Vancouver, Canada, 16 Nov 2007:
« Human hereditary deafness: from genes to pathogenesis ».
Force-Gated Ion Channels: From Structure to Sensation. HHMI Janelia Farm Research
Campus, Ashburn, USA, 18-21 May 2008 : « Fibrous links of the hair bundle : structure
and function enlightened by human deafness genes ».
International Symposium on Biotechnology. Sfax, Tunisia, 4-8 May 2008 : « From
human hereditary deafness to the cellular and molecular mechanisms of hearing ».
Faculté de Médecine, Strasbourg, 29 mai 2008 : « Surdités héréditaires : qu’avons-nous
appris par l’identification des gènes impliqués ? ».
IGBMC, Strasbourg, 30 May 2008 : « Understanding molecular and cellular mechanisms
of hearing : what can deafness genes teach us ».
Rudbeck laboratory - Faculty of Medicine, University Uppsala, Sweden, 10 June 2008.
Invited by Pr Ulf Pettersson : « Human hereditary deafness: beyond the genes, the path to
the mechanisms of hearing ».
Karolinska Institutet, Stockholm, 12 June 2008, Invited by Pr Mats Ulfendahl : « Human
hereditary deafness : From genes to the mechanisms of hearing ».
NHS2008 Conference, Beyond Newborn Hearing Screening : Infant and Childhood Hearing
in Science and Clinical Practice. Cernobbio (Como), Italy, 19-21 June 2008 : « Hereditary
auditory neuropathies : from the genes to the pathogenesis ».
International Congress on Systems Biology, Systems biology of Hearing, Göteborg, Sweden,
27 August 2008 : « Multidisciplinary experimental approaches and modelling of sensory
hair bundle functioning ».
GÉNÉTIQUE ET PHYSIOLOGIE CELLULAIRE 243

Centre de Recherche des Cordeliers, Université Pierre-et-Marie Curie, Paris, 5 sept


2008 : « Surdités héréditaires : comment les gènes impliqués éclairent la physiologie
auditive ».
Institut interdisciplinaire des Sciences du Vivant des Saints-Pères, Université Paris
Descartes, Paris, 15 sept 2008 : « Comment les surdités héréditaires humaines éclairent la
physiologie moléculaire du système auditif ».

Organisation de symposia et colloques


« From Molecules to Cognition - a tribute to Jean-Pierre Changeux », International congress.
Institut Pasteur, Paris, 15-17 sept 2007.
Colloque Institut de la Vision-département de Neuroscience de l’Institut Pasteur, Paris,
16 oct 2007.
Réunion RTRS (Réseau Thématique de Recherche et de Soins), Audition, Paris, 29 oct
2007.
International Congress on Systems Biology, Systems biology of Hearing, Göteborg, Sweden,
27 August 2008 : « Multidisciplinary experimental approaches and modelling of sensory
hair bundle functioning ».

Conférences « Grand public »


« Mystères de la science biomédicale », Institut Pasteur, Paris, 6 nov 2007.
« Surdité héréditaire : quelles avancées ? quelles perspectives ? ».

Colloques-débats
Femmes d’Histoire - Femmes de sciences, Palais des Congrès et de la Culture, Le Mans,
27 jan 2008 : « Des femmes à la tête de la recherche ».

Conférences de presse
Appear « From Lab to Life », European Parliament, Bruxelles, 27 June 2007, Bringing
the results of European research to the society.
Fondation pour la Recherche Médicale, Paris, 25 sept 2007.
Biologie et génétique du développement

M. Spyros Artavanis-Tsakonas, professeur

La génétique moléculaire des organismes modèles :


un paradigme de principes généraux en biologie

Thème général des cours


Le développement harmonieux et cohérent d’un organisme multicellulaire
nécessite une parfaite coordination des interactions cellulaires. Leurs dérèglements
sont très souvent à l’origine des dysfonctionnements cellulaires responsables des
pathologies. Au cours de ces leçons, nous avons examiné les aspects de biologie
cellulaire et moléculaire d’une voie de signalisation fondamentale conservée parmi
tous les métazoaires. L’acquisition des connaissances de biologie fondamentale sur
cette voie conduit à aborder des questions impliquées dans les processus
pathologiques et en particulier lors de la tumorigenèse. Nous avons insisté, au
cours de ces cours, sur l’usage des systèmes modèles développés chez les vertébrés
et les invertébrés, pour répondre à ces différentes questions.
Les séminaires ont été remplacés par un colloque, présenté en anglais le 21 mars
sous le titre :
« Drosophila melanogaster : un modèle expérimental pour l’étude des
maladies humaines »
Ce colloque d’une journée se proposait de donner à un novice un aperçu
théorique détaillé de la mouche du fruit, Drosophila melanogaster, utilisée comme
système modèle expérimental pour répondre à des questions-clé en biologie et en
médecine.
Drosophila est l’un des plus importants organismes modèles utilisés de nos jours
par les biologistes. Au cours de la longue période historique de son utilisation, près
d’un siècle, comme système modèle, la Drosophile a permis d’accroître de manière
246 SPYROS ARTAVANISTSAKONAS

significative et sur une large échelle notre compréhension des aspects fondamentaux
de la biologie, entraînant ainsi plusieurs découvertes qui ont ébranlé les
connaissances acquises au préalable.
Le séquençage du génome humain et celui de la mouche et leur grande homologie
ont conduit les chercheurs à créer des outils sophistiqués disponibles dans la
mouche et applicables aux maladies humaines. Au cours de cette journée, les
participants aux colloque ont été invités à une démonstration des méthodologies
génétiques et moléculaires disponibles couramment chez la mouche, mettant en
évidence ses contraintes et ses limites afin d‘appréhender aisément la littérature sur
la Drosophile et concevoir des expériences avec ce puissant système modèle.
Les thèmes suivants ont été abordés :
• Drosophila as a model organism – Past, Present and Future
• Basic Drosophila skills – Husbandry, Mutations and Phenoypes, Polytene and
Balancer Chromosomes, Aneuploidy, Gene Mapping
• Mutagenesis, Basic Genetic Screens and Cloning – Generating Mutations,
Performing a Chemical Mutagenesis Screen, Transgenesis, P elements, P lacZ,
GAL4-UAS System, Enhancer Trapping, Gain of Function Screens
• Advanced genetics – Tissue-specific Expression, Genetic Mosaics, the FLP-FRT
and MARCM Systems, Germline Mosaics and ovoD, Inducible GAL4 expression,
GFP tagging, Reverse genetics, RNAi, Transposon insertion collections
• Using flies to address human biology and behavior – Stem Cells, Spinal
Muscular Atrophy, Huntington’s Disease, Alzheimer’s Disease, Cancer and
Metastasis, Alcoholism, Drugs of Abuse, Sexual Behavior and Circuitry
Les conférenciers étaient les suivants :
Spyros Artavanis-Tsakonas – Collège de France – Department of Cell Biology,
Harvard Medical School
Doug Dimlich, Glenn Doughty, Mark Kankel, Anindya Sen - Department of
Cell Biology, Harvard Medical School

Activité générale du laboratoire


Notre recherche se concentre sur l’étude des mécanismes régissant le
développement des organismes multicellulaires. Nous essayons de comprendre
comment une cellule souche indifférenciée répond pour se différencier à des
signaux et évolue ainsi vers un état plus avancé de son développement.
La détermination d’une lignée cellulaire donnée, pendant le développement,
dépend d’un ensemble complexe de signaux. Nous sommes plus particulièrement
intéressés à définir la base moléculaire des règles à l’origine de ces mécanismes
pléiotropiques, et comment leurs actions sont intégrées dans différentes étapes du
BIOLOGIE ET GÉNÉTIQUE DU DÉVELOPPEMENT 247

développement pour affecter des décisions spécifiques. L’analyse de ces phénomènes


devrait nous permettre non seulement de définir les processus biologiques
fondamentaux, mais également de mettre en lumière les mécanismes liés aux
pathologies humaines, notamment le cancer, qui correspond à l’incapacité des cellules
à répondre de manière appropriée aux signaux lors d’un développement normal.
En utilisant la drosophile comme modèle expérimental, nous étudions une voie
de signalisation fondamentale, conservée au cours de l’évolution : la voie Notch.
Des mutations génétiques de la voie de signalisation Notch peuvent entraîner le
développement anormal d’un éventail très large de structures chez les métazoaires.
Entre autres, le fonctionnement anormal de la voie Notch chez l’Homme a été
associé à de nombreuses pathologies, dont celles dites néo-plasiques. L’élément
central de cette voie de signalisation est le récepteur de surface appelé Notch. La
voie de signalisation Notch ne semble pas donner d’instructions très précises quant
au devenir d’une lignée cellulaire. En effet, elle semble plutôt moduler la capacité
d’une cellule non différenciée à recevoir et/ou interpréter des signaux aboutissant
à des phénomènes aussi nombreux que variés, tels que la différentiation, la
prolifération et l’apoptose. Ainsi, la voie Notch, qui est présente depuis le vers
C. elegans jusqu’à l’homme est un régulateur fondamental des lignées cellulaires.
La question centrale de notre travail est de comprendre comment les signaux
Notch s’impliquent dans d’autres facteurs cellulaires pour affecter le développement
et l’entretien des systèmes cellulaires.
Nous utilisons des approches génétiques et moléculaires pour étudier le
mécanisme de signalisation du récepteur Notch et les divers éléments associés à la
cascade d’éléments biochimiques définissant la voie. Une grande partie de notre
travail concerne l’étude des rapports génétiques et moléculaires entre les éléments
de la voie Notch et d’autres éléments cellulaires qui peuvent agir pour modifier les
signaux Notch. Nous essayons de comprendre les circuits cellulaires dans lesquels
Notch est intégré pendant les processus de développement normaux et
pathologiques. Notre approche se fonde sur des techniques de génétique et de
biochimie en utilisant la drosophile, la souris et des cultures cellulaires comme
modèles expérimentaux. Depuis peu, nous utilisons aussi des approches dites
« génomiques » afin d’étudier la voie Notch dans le cadre d’une approche plus
systématique.
Dans l’avenir, nous poursuivrons ces travaux avec le projet d’ajouter quelques
moyens technologiques à notre base expérimentale et méthodologique. Les
fondements de notre projet résident dans les approches expérimentales décrites
ci-dessous :
a) Nous poursuivons l’analyse et la dissection de la voie Notch chez la drosophile
en utilisant des méthodes génétiques et moléculaires. Notre analyse génétique se
fonde sur l’identification des « modificateurs » du signal Notch dans différents
contextes du développement. En outre, notre approche génétique visant à identifier
de nouveaux « interacteurs » de Notch se complète maintenant par l’analyse
248 SPYROS ARTAVANISTSAKONAS

moléculaire des complexes protéiques en utilisant la technique de chromatographie


d’affinité suivie par analyse en spectrométrie de masse ainsi que la technique du
double hybride chez la levure. Afin d’identifier les « modificateurs » de la voie
Notch, nous effectuons aussi des criblages RNAi et des criblages de drogues, à haut
débit. Plus particulièrement, nous tentons de comprendre les effets quantitatifs de
la signalisation Notch sur la qualité du développement. En d’autres mots, nous
tentons de répondre aux questions suivantes :
— La nature de la réponse en termes de développement dépend-elle de la
quantité du signal Notch ?
— Comment les signaux Notch intègrent-ils leurs activités dans les divers
contextes cellulaires qu’ils rencontrent pendant le développement ?
Ces questions sont essentielles pour appréhender les différents aspects de la voie
Notch et sa pléiotropie. Répondre à ces questions nous permettrait également de
comprendre la voie Notch en tant que système biologique et, par conséquent, de
prendre toute la mesure la complexité qui est la règle en biologie.
b) Nous avons traditionnellement employé des moyens génétiques pour disséquer
les circuits dans lesquels la signalisation Notch est intégrée. Cependant, il est
devenu clair qu’une compréhension complète des circuits Notch ne pourra se faire
sans une cartographie complète des interactions entre protéines, dans la cellule.
Cette carte physique est en train d’être réalisée dans le cadre d’un projet ambitieux
que nous avons initié et qui associe trois laboratoires (Harvard, Berkeley et l’institut
de TATA à Bangalore) ainsi qu’une entreprise de biotechnologies (Cellzome,
Heidelberg). Le projet consiste à identifier toutes les interactions physiques dans
lesquelles l’ensemble des protéines (le protéome) est impliqué. Notre approche
comporte l’isolement biochimique des complexes de protéines par chromatographie
d’affinité, à partir de lignées cellulaires et d’embryons de drosophile. Ensuite, les
différents composants des complexes protéiques sont identifiés par analyse de
spectrométrie de masse.
c) Les approches génétiques classiques, bien qu’efficaces pour la dissection et la
compréhension de la voie Notch, sont parfois quelque peu limitées, par le besoin
de générer et d’identifier les mutants. Notre laboratoire a aujourd’hui l’honneur
d’être le « gardien » et le « distributeur » auprès de la communauté universitaire
d’une collection très sophistiquée et unique de drosophiles, correspondant à des
mutants par insertion, qui couvre ~ 50 % du génome (la collection de mutants
d’Exelixis). La collection se compose de presque 20 000 souches différentes. D’une
part, la collection joue le rôle de dépôt pour des mutations spécifiques qui sont
caractérisées à l’échelle moléculaire. D’autre part, elle peut également être utilisée
comme outil pour examiner de manière systématique et rapide les modifications
éventuelles de phénotypes spécifiques. Nous tirons profit de cette ressource en
effectuant des criblages génétiques à haut débit afin de trouver quels sont les
éléments modificateurs de la voie Notch. D’ailleurs, notre capacité à effectuer des
criblages à une vitesse sans précédent nous a incité à réexaminer quelques problèmes
BIOLOGIE ET GÉNÉTIQUE DU DÉVELOPPEMENT 249

classiques de la biologie du développement chez la drosophile, tels que la


détermination et la régénération ainsi que leur rapport possible avec Notch, de
manière systématique — encore impossible il y a peu de temps.
d) Un autre projet, que nous venons d’initier mais qui devrait se développer
dans les années à venir, se concentre sur les aspects structuraux de Notch. En
collaboration avec un collègue à Harvard (Tom Walz), nous avons lancé une étude
qui vise à comprendre des aspects structuraux du récepteur Notch en utilisant la
microscopie électronique. Tout d’abord, nous nous intéressons à l’état oligomère
du récepteur et à ses interactions avec des facteurs intracellulaires et extracellulaires.
À ce jour, rien n’est vraiment connu au sujet de ces aspects structuraux et leurs
implications dans la fonction de Notch. En utilisant la microscopie électronique
ainsi que l’analyse en microscopie optique : la technique du FRET, nous devrions
pourvoir répondre à ces questions sur les aspects fondamentaux du processus de
transduction du signal Notch.
e) Dans le cadre de nos études utilisant des systèmes mammifères, nous
examinons, d’une part, comment la modulation des signaux Notch peut influencer
le devenir et le potentiel de prolifération des cellules souches et nous essayons,
d’autre part, d’analyser les situations pathologiques dans lesquelles Notch est
impliqué. De nombreux travaux indiquent que Notch jouerait un rôle important
dans divers aspects biologiques des cellules souches. Notre collaboration avec le
laboratoire de Pr. Daniel Louvard à l’Institut Curie à Paris, consiste à examiner
comment Notch peut affecter la différentiation de cellules souches, dans l’intestin,
chez la souris. Nous poursuivons la caractérisation moléculaire d’un modèle
mammaire de cancer que nous avons développé chez la souris, où nous pouvons
induire une néoplasie non-invasive en régression qui se développe en adénocarcinome
invasif. Nous utilisons des techniques génétiques et génomiques (puce à ADN)
pour analyser les lésions qui contribuent à cette transition. Nous caractérisons
également des lésions en régression et les comparons à des tumeurs induites par
plusieurs oncogènes « classiques ». Notre analyse est également complétée par un
projet en collaboration avec le laboratoire de Joan Brugge (Harvard) qui utilise un
système tridimensionnel de culture de cellules mammaires.
Enfin, notre intérêt se porte aussi sur l’analyse et la compréhension de la base
moléculaire des mutations associées aux syndromes de CADASIL et d’Alagille. Ces
deux maladies sont des syndromes humains pléiotropiques dominants qui affectent
le récepteur Notch et son ligand Jagged. On utilise des modèles transgéniques pour
étudier ces problèmes.

Projet du laboratoire à l’Institut Curie


Dans le cadre du nouveau pôle de Biologie du développement, actuellement en
cours de construction à l’Institut Curie, un laboratoire dédié à l’étude de la
cancérogenèse va s’installer.
250 SPYROS ARTAVANISTSAKONAS

L’implication de la voie Notch dans l’oncogenèse

Le rôle de la voie Notch dans le développement comme dans tous les processus
essentiels est pléiotropique, agissant à maintes reprises dans les différents contextes
du développement. La dérégulation de Notch conduit à des déficiences dans
chaque système biologique étudié, et par voie de conséquence à des maladies ; ce
qui n’est pas surprenant compte tenu de l’importance du rôle fondamental de cette
voie de signalisation.
Il a été démontré depuis longtemps la relation entre la dérégulation de Notch et
la prolifération cellulaire. Mais de récents travaux ont insisté sur la possibilité que
le rôle de Notch dans les maladies humaines pouvait être plus ordinaire qu’il ne
semblait initialement. Il est donc apparu évident que la modulation du signal
Notch pouvait être à la fois un paramètre important d’une maladie mais aussi une
cible thérapeutique.

Objectifs
Par l’utilisation de souris transgéniques (déjà en notre possession), nous
proposons
1) d’étudier les conséquences de l’activation du récepteur Notch dans la glande
mammaire et l’épithélium intestinal ;
2) d’analyser des éléments génétiques comme cibles d’activation de Notch ;
3) d’examiner l’implication non autonome des signaux Notch dans les étapes de
la prolifération et leur rôle potentiel sur les interactions épithélium-mésemchyme.

Programme de recherche
1) Nous avons établi des lignées de quatre souris transgéniques qui hébergent
des formes activées «Floxed » de chacun des quatre récepteurs Notch 1, 2, 3, et 4
introduites dans le chromosome Rosa. Des croisements avec des lignées Cre
appropriées nous permettent d’activer le signal Notch dans des tissus spécifiques
et d’étudier pour la première fois et de manière systématique les différences
quantitatives et qualitatives entre ces quatre récepteurs.
Cette analyse commencera par une évaluation détaillée de l’activation de Notch
en utilisant MMTV Cre dans l’épithélium mammaire, et Villin Cre dans
l’épithélium intestinal. Dans les deux cas, les résultats seront comparés aux modèles
transgéniques, que nous avons développés en activant le récepteur Notch 1. Ces
deux modèles ont fait l’objet de publications ; ils définissent notre base de travail
pour ces expériences.
L’analyse phénotypique détaillée, utilisant des marqueurs immuno-cytochimiques
et fluorescents requiert la disponibilité d’équipements d’imagerie optique
spécifiques.
BIOLOGIE ET GÉNÉTIQUE DU DÉVELOPPEMENT 251

2) Nous avons développé un modèle de souris transgénique dans lequel


l’activation du récepteur Notch 1 dans l’épithélium mammaire induit le
développement rapide de néoplasmes dépendants de grossesse/lactation qui mettent
en évidence une combinaison histopathologique caractéristique. L’ensemble de
cellules activées par Notch conserve sa possibilité à répondre à des stimuli
apoptotiques et régresse dès l’involution de la glande mammaire, mais semble faire
apparaître dans les grossesses ultérieures des adénocarcinomes malins non-régressifs.
Il est donc significatif que les tumeurs régressives, observées dans la glande de
lactation présentent un exemple de dérégulation de la prolifération qui semble
précéder un dérangement de la mort cellulaire. Les cellules dans ces tumeurs
conservent leur aptitude à répondre aux signaux apoptotiques pendant l’involution
et en conséquence régressent, bien que des événements mutagéniques secondaires
entraînent une malignité qualifiée. Dans nos tentatives pour identifier ces
événements secondaires, nous avons utilisé le CGH (Comparative Génomic
Hybridization) pour comparer la régression avec la non-régression des tumeurs
Notch. Nous allons suivre les phénomènes biologiques et moléculaires de quelques-
unes de ces cibles et prévoyons de valider celles-ci sur des échantillons humains.
En outre, nous avons démontré par notre analyse in vivo que dans l’épithélium
mammaire, la Cyclin D1 est une cible in vivo des signaux Notch et que nous
pouvons inhiber l’oncogenèse mammaire induite par Hras 1 dépendant de la
cycline D1- en exprimant l’antagoniste Deltex de Notch.

Nous souhaitons utiliser le même modèle pour étudier et comparer les


conséquences sur la glande mammaire de l’activation de Notch 2, 3, et 4 (voir
ci-dessus, objectifs 1 et 3).

L’analyse, que nous avons poursuivie à la fois sur la drosophile et sur des cultures
de cellules mammaires, démontre que les cellules exprimant l’activation de Notch 1
peuvent stimuler une activité mitotique chez leurs voisins cellulaires. Ce
comportement cellulaire non autonome de Notch est le sujet d’une analyse
systématique de notre laboratoire concernant la drosophile.

Nous proposons d’étendre notre étude aux souris en utilisant des xénogreffes.
Cette approche expérimentale de notre analyse est fondée sur nos résultats se
rapportant à une lignée cellulaire — (537M provenant de souris transgéniques
MMTV) — capable d’induire des tumeurs greffées sur des « souris nudes » lorsque
celle-ci est mélangée à des cellules exprimant Notch activé tandis qu’elle n’induit
pas la formation de tumeurs lorsqu’elle est mélangée à des cellules qui n’expriment
pas Notch. Ce mélange de cellules qui inclut l’expression de cellules dans Notch
activé provoque une réduction de la lactation (de près de 50 %) et accroît le niveau
apparent de croissance des tumeurs. Une série d’expériences sont prévues pour tirer
profit de ces observations afin d’étudier la capacité du signal Notch à agir sur
divers types de cellules et aussi pour étudier en qualité et en quantité les différences
sur les quatre récepteurs Notch.
252 SPYROS ARTAVANISTSAKONAS

Publications récentes
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Arboleda-Velasquez, J.F., Zhou, Z., Shin, H.K., Louvi, A., Kim, H.H., Savitz, S.I.,
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Processus morphogénétiques

M. Alain Prochiantz, membre de l’Institut


(Académie des Sciences), professeur

Morphogènes et morphogenèse

Le cours de la chaire des Processus morphogénétiques portait cette année sur la


question des morphogènes. La première définition du terme de morphogène nous
vient d’un article de 1952 d’Alan Turing « Les bases moléculaires de la
morphogenèse ». Pour Turing, il s’agit d’évocateurs de formes, en référence aux
évocateurs de Waddington. Il s’agit donc là d’une définition assez vague, très
éloignée des critères un peu contraignants qui président aujourd’hui au classement
d’une substance dans la catégorie des morphogènes. Il reste que Turing dans cet
article séminal a mis en place le principe de réaction-diffusion qui permet de
comprendre, en principe, comment à partir d’un champ homogène deux
morphogènes auto-inducteurs et inhibiteurs réciproques, peuvent créer des
« patterns » à la suite d’un simple différentiel de diffusion.

Au delà de Turing et de sa théorie des « gènes diffusibles », ce qui me semble


constituer le fond de l’affaire, le point de départ du cours est le problème du
drapeau français tel qu’il est posé par Lewis Wolpert dans un article très important
de 1967. Dans cet article Wolpert propose un modèle très simple de patterning
d’un champ morphogénétique. Une source de morphogène, à une certaine distance
un puits qui dégrade le morphogène, et entre source et puits un gradient continue
de ce morphogène. Chaque cellule du champ reçoit une certaine dose de
morphogène en fonction de sa position entre source et puits et répond à cette
information de position par l’expression d’un caractère. Si on ajoute des effets
seuils, le champ peut être divisé en plusieurs zones qui expriment des caractères
différents, par exemple une zone bleue, une blanche et une rouge, d’où le « drapeau
français » de Wolpert.

Cet article pose dès le début un grand nombre de problèmes qui sont loin d’être
résolus et qui ont fait la substance du cours. Le premier est la diffusion : les
254 ALAIN PROCHIANTZ

morphogènes diffusent-ils ? Si on considère la surface des cellules comme une toile


cirée, rien ne s’y oppose. Mais la réalité est très éloignée de cette image. La surface
des cellules est un maquis de protéines et de sucres complexes rendant très improbable
que les morphogènes diffusent librement. Il est intéressant, et ironique, de constater
que Wolpert lui-même vient d’écrire un article dans lequel il revient sur son idée de
départ pour déclarer que les morphogènes ne diffusent pas. Un deuxième problème
est que les champs morphogénétiques ne sont pas stables. Les cellules se divisent,
meurent, migrent et acquièrent continûment des propriétés nouvelles. Un troisième
obstacle est celui du temps. Une cellule, en fonction de sa position est exposée, certes
à une certaine concentration de morphogène, mais cette exposition dure plus ou
moins longtemps. Tout modèle doit donc intégrer cette notion de durée d’exposition.
Enfin (provisoirement car il ne s’agit pas d’être exhaustif ), la concentration efficace
de morphogène dépend aussi du mode de transduction du signal et de la régulation
de cette transduction. Le problème est plus compliqué, donc, que ne le laisse penser
ce modèle idéal proposé par Wolpert en 1967 et dont l’évidente simplicité rallia tous
les esprits (les bons).

Malgré ce caveat, le modèle de Wolpert fut considéré très longtemps comme


incontournable, il est encore considéré comme valable dans certains de ses aspects.
Aussi parce qu’il a reçu de forts soutiens expérimentaux. Le plus décisif fut l’étude de
l’établissement de l’axe antéro-postérieur de l’embryon de Drosophile. Sans entrer
dans les détails, l’équipe de Nüsslein-Volhard établit que la protéine Bicoïd est
synthétisée au pôle antérieur, à partir de messagers ancrés à ce pôle et diffuse à travers
l’embryon qui, à ce stade, est un syncitium, c’est-à-dire que les noyaux se divisent
mais baignent tous dans le même cytoplasme (les membranes se formeront plus
tard). La taille totale de l’embryon est constante à ce stade et la protéine diffuse
librement, instruisant chaque noyau de sa position et régulant l’expression de gènes
qui « coupent » l’embryon en trois domaines. On ne pouvait rêver mieux comme
illustration du problème du drapeau français. C’est ainsi que Bicoïd, (pourtant un
facteur de transcription !) fut longtemps considéré comme morphogène idéal.

Sur ce modèle il fut découvert que de nombreux morphogènes apportent par


diffusion une information de position déterminant le devenir morphologique et
physiologique d’ensembles cellulaires. Un excellent exemple chez les vertébrés est
fourni par sonic hedgehog (sHH) dont la diffusion à partir de la notochorde puis
de la plaque du plancher détermine, avec d’autres facteurs comme les Bone
Morphogenetic Proteins (BMPs), le patron d’expression des gènes de développement
le long de l’axe dorso-ventral du tube nerveux. Son activité morphogénétique au
niveau de la patte est aussi un grand classique. Dans ce cas comme dans celui
d’autres morphogènes (BMPs, FGFs, Wnts,…) l’existence d’un gradient né d’une
diffusion a toujours été postulée, parfois démontrée. La drosophile a constitué un
objet d’étude essentiel à notre compréhension de la nature et du mode d’action de
morphogènes, pas seulement pour le cas de Bicoïd que je viens d’évoquer, mais
aussi pour d’autres de ces facteurs, dont DPP (une parente des BMP), Wingless
PROCESSUS MORPHOGÉNÉTIQUES 255

(Wg) et Hedgehog (HH). Mais avant de développer le rôle de ces morphogènes


dans la construction de l’aile de drosophile, le cours s’est attardé sur Bicoïd.

En 2002, Bahram Huchmandzadeh, Eric Wieschaus et le mathématicien Stanislas


Leibler publient un article dans lequel ils démontrent que le gradient de Bicoïd est
très variable entre embryons mais que les bords qui sont déterminés et les domaines
d’expression des gènes définissant les territoires morphogénétiques restent très
stables dans leurs positions et étendues. D’où un problème intéressant de robustesse
de la réponse malgré le bruit du signal. Trois années plus tard, l’équipe de Nathalie
Dostatni publie un autre article qui démontre que « contrary to recent reports
proposing that the Bcd gradient is not sufficient to establish precise positional
information, we show that Bcd drives precise and sharp expression of its target
genes through a process that depends exclusively on its ability to activate
transcription ». Décryptons : Contrairement à ce que propose Huchmandzadeh,
Wieschaus et Liebler, aucun système de filtrage du bruit n’est nécessaire à la
robustesse de la réponse génétique. Ce débat, va initier toute une série d’expériences
au cours desquelles il sera démontré que la constante de diffusion de Bicoïd est dix
fois inférieure à ce qui serait nécessaire pour établir un gradient et surtout pour
que la longueur scalaire soit constante. Ce qui semble exclure une diffusion passive
à partir d’une source antérieure et oblige à s’interroger sur la façon dont le gradient
de Bicoïd se met en place au tout début du développement embryonnaire.

Cette question de la diffusion des morphogènes est centrale et dépasse largement


le cas de Bicoïd. Une grande partie des exemples du cours pris dans la morphogenèse
de l’aile de la Drosophile ont eu pour but de s’interroger sur ce point. Il y a
plusieurs façons d’aborder le problème. D’abord du côté des morphogènes et de
leur structure. Ce sont des molécules souvent chargées positivement et donc
susceptibles d’interagir fortement avec des protéines de la matrice extracellulaire ou
de récepteurs de surface de type protéoglycans. Certains d’entre eux, Wnt/Wg et
sHH/HH par exemple, sont modifiés par l’addition de séquences lipidiques
hydrophobes, ou d’un résidu cholestérol, ce qui induit des interactions avec des
lipide membranaires. Ce sont là des freins à la diffusion qui nécessitent des
stratégies de « contournement » impliquant l’existence de transporteurs, de
mécanismes de clivage des domaines actifs, etc. Un autre paramètre est la structure
du milieu. Si l’on prend l’épithélium à jonctions serrées du disque imaginal de
l’aile de drosophile, il est constitué de cellules polarisées avec une face basolatérale
et une face apicale. La face basolatérale est extrêmement contournée et il est
improbable que la diffusion puisse se faire autrement que par mouvement brownien,
ce qui n’empêche pas que la présence de matrice et de récepteurs de surface bloque
cette diffusion.

Sans vouloir énumérer tous les cas particuliers, une chose est certaine, le
mouvement des morphogènes, le plus souvent, ne peut reposer sur une diffusion
passive mais requiert des systèmes de transport. Un des systèmes de transport,
« l’argosome », repose sur l’endocytose et l’exocytose des morphogènes. On se gardera
256 ALAIN PROCHIANTZ

d’entrer trop avant dans le débat sur la nécessité, ou non, de l’endocytose pour que la
signalisation prenne place. Débat intéressant cependant, car il est lié à la question de
la durée d’exposition à un morphogène, variable aussi importante que sa
concentration. Si la signalisation demande une endocytose, le temps passé dans la
vésicule d’endocytose, aussi vésicule de signalisation, peut influencer l’activité du
morphogène. L’argosome peut signaliser mais il peut aussi en passant de cellule à
cellule transporter les morphogènes sans que ceux-ci ne soient jamais, ou presque, en
contact avec le monde extérieur. Ce transport planaire est une façon élégante
d’échapper aux obstacles à la diffusion présents dans l’espace intercellulaire. Un autre
mode de transport à grande distance est le cytonème. Il s’agit de longs prolongements
cellulaires très fins, constitués de filaments d’actine, et qui contactent les morphogènes
à des distances parfois très grandes. L’idée est que le temps mis pour que le signal
remonte au corps cellulaire constitue une « mesure » de la distance.
Mais le modèle le plus populaire aujourd’hui est celui du cil. Il est admis
désormais que presque toutes les cellules ont un cil primaire. Ce cil est une sorte
d’organe sensoriel qui présente des récepteurs à son extrémité. Par exemple, sHH
signale en se fixant à l’extrémité du cil sur son récepteur « patched/smoothened ».
Mais, en même temps, les cils battent et ce battement est de nature à orienter les
morphogènes. Cela est d’autant plus proche de la réalité que les cellules porteuses
de cils forment un épithélium à polarité planaire conduisant à une synchronisation
du battement ciliaire. L’implication des cils a été démontrée à toutes les étapes du
développement (par exemple l’établissement d’une dissymétrie droite/gauche) non
sans conséquences sur l’étiologie de plusieurs pathologies. Un exemple intéressant
de ce concept se trouve dans la description d’un cas de morphogenèse adulte, celui
de la migration des cellules neurales de la zone subventriculaire (SVZ) vers le bulbe
olfactif. Ces cellules générées — à partir de cellules souches adultes — au niveau
de l’épithélium qui borde le ventricule latéral migrent selon un courant antérograde
et renouvellent les interneurones GABAergiques du bulbe olfactif, la région la plus
antérieure du cerveau. Des travaux récents impliquant plusieurs laboratoires et
coordonnés par Arturo Alvarez Buylla démontrent que cette direction antérograde
est induite par un facteur répulsif (Slit1/2) sécrété par le plexus choroïde et poussé
en avant par le battement coordonné des cils qui bordent le ventricule. Pour
résumer les cils ont une double action : mécanique sur le transport des morphogènes
et transductrice du signal dans la mesure où ils portent des récepteurs aux
morphogènes.
En conclusion, le cours a abordé ces questions avec pour objectif de mettre en
évidence les zones d’ombres, les contradictions expérimentales et les simplifications
abusives de nombre des modèles qui circulent. Nous n’avons pas de proposition
miracle, mais nous pensons que le phénomène de transduction des homéoprotéines,
considérées comme de véritables morphogènes, constitue une solution intéressante.
Cette solution a été examinée sur le plan théorique, en collaboration avec David
Holcman, et sur le plan expérimental. Curieusement, quand il s’agit de la formation
de bords, elle rejoint très exactement les propositions initiales d’Alan Turing.
PROCESSUS MORPHOGÉNÉTIQUES 257

Références principales du cours -

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50. Panakova, D., Sprong, H., Marois, E., Thiele, C. & Eaton, S. Lipoprotein particles
are required for Hedgehog and Wingless signalling. Nature 435, 58-65 (2005).
51. Placzek, M. & Briscoe, J. The floor plate: multiple cells, multiple signals. Nat Rev
Neurosci 6, 230-40 (2005).
52. Ramirez-Weber, F.A. & Kornberg, T.B. Cytonemes : cellular processes that project to
the principal signaling center in Drosophila imaginal discs. Cell 97, 599-607 (1999).
53. Reeves, G.T., Muratov, C.B., Schupbach, T. & Shvartsman, S.Y. Quantitative models
of developmental pattern formation. Dev Cell 11, 289-300 (2006).
54. Reinitz, J. Developmental biology : a ten per cent solution. Nature 448, 420-1
(2007).
55. Rogulja, D. & Irvine, K.D. Regulation of cell proliferation by a morphogen gradient.
Cell 123, 449-61 (2005).
56. Rohatgi, R., Milenkovic, L. & Scott, M. P. Patched1 regulates hedgehog signaling at
the primary cilium. Science 317, 372-6 (2007).
57. Rusakov, D.A. & Kullmann, D. M. A tortuous and viscous route to understanding
diffusion in the brain. Trends Neurosci 21, 469-70 (1998).
58. Satir, P. & Christensen, S.T. Overview of structure and function of mammalian cilia.
Annu Rev Physiol 69, 377-400 (2007).
59. Sjodal, M., Edlund, T. & Gunhaga, L. Time of exposure to BMP signals plays a key
role in the specification of the olfactory and lens placodes ex vivo. Dev Cell 13, 141-9
(2007).
60. Spemann, H. Embryonic Development and Induction (Yale University Press,
1938).
61. Tabin, C.J. The key to left-right asymmetry. Cell 127, 27-32 (2006)..
62. Teleman, A.A., Strigini, M. & Cohen, S. M. Shaping morphogen gradients. Cell
105, 559-62 (2001).
63. Turing, A.M. The chemical basis of morphogenesis. Phil trans B 237, 37-72
(1952).
64. Umulis, D., O’Connor, M.B. & Othmer, H.G. Robustness of embryonic spatial
patterning in Drosophila melanogaster. Curr Top Dev Biol 81, 65-111 (2008).
65. Vincent, J.P. & Magee, T. Argosomes : membrane fragments on the run. Trends Cell
Biol 12, 57-60 (2002).
66. Wolpert, L. Positional information and the spatial pattern of cellular differentiation.
J Theor Biol 25, 1-47 (1969).
67. Yucel, G. & Small, S. Morphogens : precise outputs from a variable gradient. Curr
Biol 16, R29-31 (2006).
68. Zhu, A.J. & Scott, M.P. Incredible journey : how do developmental signals travel
through tissue ? Genes Dev 18, 2985-97 (2004).
260 ALAIN PROCHIANTZ

Séminaire

Le séminaire a été tenu sous la forme d’une journée dédiée au thème Forme et
Polarité cellulaire, le Lundi 10 décembre 2007. Cette journée a été divisée en
4 thèmes :

I. Organisation dynamique de la synapse, biologie cellulaire et modélisation


Antoine Triller, INSERM et Ecole normale supérieure
Maxime Dahan, CNRS et Ecole normale supérieure

II. Transport et fusion vésiculaire, biologie cellulaire et modélisation


Thiéry Galli, CNRS et Institut Jacques Monod/Université Denis Diderot
David Holcman, CNRS et Ecole normale supérieure

III. Morphogenèse et polarités cellulaire et planaire


Yohan Bellaïche, CNRS et Institut Curie
Thomas Lecuit, CNRS et Université de Marseille-Luminy
Hotoyoshi Yasuo, CNRS, Villefrance-sur-mer
Alain Prochiantz, CNRS, Collège de France et Ecole normale supérieure

Recherche
La recherche du laboratoire se divise, avec des recouvrements, entre une partie
théorique et fondamentale et une autre plus orientée vers les applications
technologiques ou thérapeutiques.

Partie théorique et fondamentale


Création de patterns
Nous avons continué d’explorer la signification physiologique du mécanisme de
signalisation par transfert intercellulaire de protéines à homéodomaine. Ces études
s’appuient sur quatre modèles. Un premier modèle est la formation de bords le
long de l’axe dorso-ventral du tube nerveux aux périodes précoces du développement.
La stratégie est de suivre la façon dont les frontières entre territoires dorso-ventraux
peuvent être modifiés quand on bloque le passage intercellulaire de certains facteurs
de transcription de la classe des homéoprotéines en particulier Pax6 et Nkx2.2. Ces
études menées en collaboration avec l’équipe de Jean-Léon Thomas à la Salpêtrière
viennent de débuter et il est encore trop tôt pour tracer l’état des lieux. Les
premières données sont encourageantes dans la mesure où le blocage du passage
intercellulaire de Pax6 chez le poulet au stade E2 induit une modification du
patron d’expression de MNR2 et HB9.
PROCESSUS MORPHOGÉNÉTIQUES 261

Dans le même ordre d’idée nous avons utilisé, en collaboration avec Forence
Maschat (CNRS, Montpellier), une stratégie de blocage du passage de
l’homéoprotéine Engrailed dans le disque imaginal de l’aile de drosophile. Les
données sont, ici encore, préliminaires mais elles suggèrent que cette opération
modifie de façon non autonome cellulaire le développement de la veine transverse
dans la partie antérieure de l’aile (à proximité de la frontière antéro-postérieure).

Guidage axonal
Dans une étude antérieure menée en collaboration avec le laboratoire de Christine
Holt (Cambridge, UK) nous avons démontré (Brunet et al. Nature, 483, 94-98,
2005) que les cônes de croissance des neurones ganglionnaires de la rétine (RGCs)
d’origine nasale et temporale répondent de façon opposée (attraction et répulsion)
quand ils sont placés dans un gradient de l’homéoprotéine Engrailed. Cette réponse
requière l’internalisation de la protéine par les cônes et repose sur une régulation de
la traduction locale des ARN messagers des cônes par l’homéoprotéine, sans
implication de la transcription. Cela nous a amené à développer le travail le long de
deux axes. D’une part vérifier que ce mécanisme opère in vivo au moment de la mise
en place des connexion retine-tectum. D’autre part identifier les ARN messagers
régulés au niveau traductionnel après internalisation de l’homéoprotéine.
La partie in vivo implique une collaboration avec Andrea Wizenmann et
Wolfgang Wurst (Tübingen et Munich, Allemagne), et Christine Holt (Cambridge,
UK). Elle est pratiquement achevée et sera renvoyée, sous la forme d’un manuscrit
révisé, à la revue Neuron dans les semaines qui viennent. Dans ce manuscrit nous
démontrons sans ambiguïté les faits suivants :
1. Engrailed (En1 et En2) sont exprimés à la surface du tectum selon un gradient
antéro-postérieur. La quantité de protéine à la surface correspond à 5 % de son
contenu nucléaire.
2. La neutralisation de la protéine extracellulaire in vivo entraîne une projection
ectopique des neurones temporaux dans les domaines postérieurs du tectum.
3. Cette activité d’Engrailed se fait en coopération avec les Ephrins, l’EphrinA5
en particulier.
Nous pouvons donc conclure que le transfert in vivo de l’homéoproteine
Engrailed est nécessaire au patterning des projections de la rétine sur le tectum.
Pour ce qui est de la caractérisation des messagers traduits, nous avons utilisé
une approche par puces à ADN en comparant dans diverses situations (Engrailed
internalisé ou non) le population des messagers en cours de traduction (sur les
polysomes). Nous avons aujourd’hui une dizaine de candidats sérieux qui seront
bientôt testés (en collaboration avec le laboratoire de Christine Holt). Parmi ces
candidats nous avons eu la surprise de trouver des messagers mitochondriaux et
nous développons, sur cette base, l’hypothèse selon laquelle l’internalisation
d’Engrailed entraîne une augmentation de l’activité du complexe I et la synthèse
262 ALAIN PROCHIANTZ

d’ATP. Cet ATP pourrait avoir une activité intracellulaire, mais aussi extracellulaire
après sécrétion et fixation sur des récepteurs purinergiques. Nous testons
actuellement cette hypothèse en mesurant l’ATP extracellulaire et en vérifiant si la
réponse à Engrailed est modifiée par des agents pharmacologique interférant avec
la voie de signalisation purinergique.

Période critique
Dans ce travail (collaboration avec Takao Hensch, Harvard Medical School,
Boston, USA) nous avons démontré que la capture de l’homéoprotéine Otx2 par
les interneurones GABAergiques à parvalbumine (couches 3 et 4 du cortex visuel
binoculaire) ouvre la période critique (plasticité corticale) au cours de la maturation
post-natale su système visuel. Ce travail fondé sur des pertes et gain de fonction
d’Otx2 et des enregistrements électrophysiologiques est actuellement sous presse
(Sugiyama et al., Cell, 134, 508-520, 2008).
Au cours de cette étude nous avons observé qu’Otx2 infusé dans le cortex est
spécifiquement internalisé par les neurones GABA à parvalbumine, suggérant un
mécanisme de reconnaissance spécifique. Au cours de l’année écoulée nous avons
accumulé des données qui soutiennent l’hypothèse de l’existence de sites de fixation
constitués par des sucres complexes (glycosaminogycans). Nous avons identifié
dans la séquence d’Otx2 un domaine de 12 acides aminés responsable de cette
reconnaissance. La prochaine étape est donc de tester l’importance physiologique
de cette reconnaissance en la bloquant in vivo au cours de la période critique. Un
autre point important est de comprendre le mode de transduction du signal. Nous
le faisons en recherchant les cibles transcriptionnelles et traductionnelle d’Otx2
dans les neurones GABA à parvalbumine.

Modélisation
En collaboration avec David Holcman (Ecole normale supérieure), nous avons
développé des modèles pour tester les différents paramètres, tout particulièrement
la robustesse, de ce mode de signalisation au cours de la mise en place de gradients
morphogénétiques et de la formation de frontières entre territoires au sein du
neuroépithélium. Reprenant les propriétés d’auto-activation et d’inhibition
réciproque des homéoprotéines exprimées de part et d’autre d’une frontière, nous
avons calculé que ce mécanisme, proche de celui proposé par Turing en 1952, est
plausible et compatible avec les données de la littérature. Ces calculs ont été publiés
(Holcman et al. J. Theoretical Biol. 249, 503-517, 2007 ; Kasatkin et al., Bulletin
of Mathematical Biology, 70, 156-178, 2008).
PROCESSUS MORPHOGÉNÉTIQUES 263

Etudes technologiques et applications thérapeutiques


Gliomes
Au cours de l’étude des cellules souches adultes présentes dans le système nerveux
central, Isabelle Caillé avait observé l’expression, dans l’hippocampe, de HOP
(homeodomain only proteins) qui, comme son nom l’indique, est presque
uniquement constituée d’un domaine de fixation à l’ADN (l’homéodomaine).
Nous avons démontré, par perte et gain de fonction, que cette mini-protéine est
un anti-oncogène pour les cellules neurales souches adultes de l’hippocampe. Cette
fonction est exercée à travers le contrôle de la mort programmée de ces précurseurs
neuronaux. Grâce à une collaboration avec Ariel Ruiz i Altaba (Faculté de Médecine
de Genève, CH), nous avons comparé l’expression de HOP dans des tissus sains
et des cellules souches tumorales de gliomes humains. HOP est réprimé dans ces
cellules souches tumorales et l’induction de son expression les fait entrer en
apoptose, suggérant un rôle important de HOP dans le processus oncogénique
(De Toni et al. Neural Dev. 3, 13, 2008).

Glaucome
Le glaucome est provoqué par la mort des cellules ganglionnaires rétiniennes
(RGCs). Les causes de cette mort ne sont pas établies avec certitude, même si l’idée
prédominante implique une augmentation anormale de la pression intraoculaire.
Sur la base d’observations préliminaires, nous avons formé l’hypothèse d’un
contrôle de la survie des RGCs par le passage de la protéine Otx2 entre les cellules
bipolaires et les RGCs. Dans le cadre d’un contrat industriel avec Fovea-SA, nous
avons mis au point des modèles in vitro et in vivo permettant de tester les propriétés
protectrices d’Otx2 sur la mort des RGCs adultes. Nos résultats suggèrent qu’Otx2
internalisé par les RGCs protège ces neurones contre une mort induite soit par
l’axotomie (in vitro) soit par une neurotoxicité glutamatergique (in vivo). Les
hypothèses sur le rôle d’Otx2 comme protéine thérapeutique ont donné lieu à un
dépôt de brevet.

Maladie de Parkinson
L’homéoprotéine Engrailed (En1 et En2) est exprimée, chez l’adulte, dans les
noyaux dopaminergiques (DA) du mésencéphale, qui dégénèrent dans la maladie
de Parkinson. Au cours d’un travail publie en 2007 (Sonnier et al., J. Neurosci.,
27, 1063-1071, 2007), nous avions rapporté que la délétion d’un seul allèle En1
(donc un allèle Engrailed sur quatre) s’accompagne d’une mort progressive des
neurones DA chez l’adulte. Cette observation et d’autres raisons, que je ne
développe pas, nous ont conduits a proposer qu’Engrailed pouvait se trouver dans
le circuit génétique de la maladie de Parkinson. Depuis nous avons donné du poids
à cette hypothèse en démontrant qu’Engrailed internalisé par les neurones DA
protège in vitro et in vivo contre leur mort spontanée, mais aussi induite par le
MPP+, une drogue qui s’attaque au Complexe I mitochondrial. Nous sommes
264 ALAIN PROCHIANTZ

actuellement en train d’identifier les cibles transcriptionnelles et traductionnelles


qui permettraient d’expliquer cette protection. A ce jour nous avons plusieurs
cibles candidates dont nous vérifions la validité dans des modèles in vivo. Parmi
ces cibles, on retrouve des messagers encodant des protéine du complexe I, ce qui
— à travers la piste purinergique — trace un lien avec les travaux décrits plus haut
sur le guidage des axones.

Publications et brevets 2007-2008


Articles
1. D. Holcman, V. Kasatkin & A. Prochiantz. (2007). Modeling homeoprotein
intercellular transfer unveils a parsimonious mechanism for gradient and boundary formation
in early brain development. J. Theor. Biol., 249, 503-517.
2. L. Sonnier, G. Le Pen, A. Hartman, J.-C. Bizot, F. Trovero, M.-O. Krebs &
A. Prochiantz (2007). Progressive loss of dopaminergic neurons in the ventral midbrain of
adult mice heterozygote for Engrailed1 : a new genetic model for neurological and psychiatric
disorders. J. Neurosci., 27, 1063-1071.
3. A. Di Nardo, S. Nedelec (co-first), A. Trembleau, M. Volovitch, A. Prochiantz* & ML
Montesinos (2007). Dendritic localization and activity-dependent translation of En1
homeodomain transcription factor mRNA. Mol. Cell. Neurosci., 35, 230-236.
4. A. von Holst, U. Egbers, A. Prochiantz & A. Faissner. (2007). Neural stem cell/
progenitor cells express 20 tenascin isoforms that are differentially regulated by Pax6. J. Biol.
Chem., 282, 9172-9181.
5. B. Lesaffre, A. Joliot, A. Prochiantz & M. Volovitch. (2007). Direct non-cell autonomous
Pax6 activity regulates eye development in the zebrafish. Neural Development, 2, 2.
6. E. Dupont, A. Prochiantz & A. Joliot (2007). Identification of a signal peptide for
unconventional secretion. J. Biol. Chem., 282, 8894-9000.
7. V. Kasatkin, A. Prochiantz & D. Holcman (2008). Morphogenetic gradients and the
stability of boundaries between neighbouring morphogenetic regions. Bulletin of Mathematical
Biology, 70, 156-178.
8. A. De Toni, M. Zbinden, J.A. Epstein, A. Ruiz, I. Altaba, A. Prochiantz & I. Caillé.
(2008). Regulation of survival in adult hippocampal stem cell lineages by the homeodomain
only protein HOP. Neural. Dev. 3, 13.
9. S. Sugiyama, A. Di Nardo, S. Aizawa, I. Matsuo, M. Volovitch, A. Prochiantz* & TK
Hensch*. (2008). Experience-dependent transport of Otx2 homeoprotein in the visual
pathway activates postnatal cortical plasticity. Cell., 134, 508-520.

Revues et commentaires
1. I. Brunet, A. Di Nardo, L. Sonnier, M. Beurdeley & A. Prochiantz. Shaping neural
pathways with messenger homeoproteins (2007). Trends in Neurosciences, 30, 260-267.
2. A. Prochiantz. (2007). A protein fusion a day keeps the aggregates away. Molecular
Therapy, 15, 226-227.
3. Agid, Y. et al. (2007). How can drug discovery for psychiatric disorders be improved ?
Nature Reviews Drug Discovery, 6, 189-201.
4. A. Prochiantz. (2007). For protein transduction, chemistry can win over biology. Nat.
Methods, 4, 119-120.
PROCESSUS MORPHOGÉNÉTIQUES 265

Brevets
1. A. Prochiantz & K. Moya. Utilisation d’une Homéoprotéine de la famille Bicoïd pour
le traitement du Glaucome. 9 janvier 2008, N° 08/00110.

Conférences 2007-2008
1. 7th meeting of the German Neuroscience Society. Göttingen, Germany, March 29th-
April 1st 2007.
2. Molecular mechanisms in neural patterning and differentiation. CEINGE, Napoli
April 20th-22nd 2007.
3. Designing the Body Plan: Developmental mechanisms. June 4th-8th, Leiden Lorentz
center, 2007.
4. 6th international Symposium Neuronal mechanisms of Vision. Ruhr Universtät
Bochum October 11th-13th, 2007.
5. Brain Diseases and Molecular machines. March 25-28, Paris, France. Keynote
lecture.
6. Visual System Development Gordon Conference; August 10-15 2008, Newport
Rhode Island, USA.
7. The Cell-Penetrating Peptides (CPP) Satellite Meeting. 30-31 August 2008. Helsinki.
Keynote lecture.
8. Chemistry and Biology Symposium of the Japan Society of Bioscience, Biotechnology
and Agrochemistry. Nagoya September 27th 2008. Keynote lecture.
Immunologie moléculaire

M. Philippe Kourilsky, membre de l’Institut


(Académie des Sciences), professeur

I. Enseignement

Le cours 2007-2008 a porté sur « Les systèmes immunitaires dans l’évolution des
espèces ». Il est accessible sur le site du Collège de France, et on n’évoquera ici que
les enjeux scientifiques les plus importants.
Tous les êtres vivants sont dotés de mécanismes de défense qui protègent leur
intégrité et peuvent, au prix d’une extension de langage, être qualifiés d’immunitaires.
Ainsi, certaines bactéries se défendent contre l’intrusion d’ADN extérieur (bactérien
ou viral) par le système de restriction-modification. Les plantes possèdent un
système immunitaire développé, de même que les invertébrés. Bien entendu, le
point de référence habituel est le système immunitaire des mammifères,
principalement, celui de l’homme et de la souris.
Les approches expérimentales habituelles se sont récemment enrichies des
analyses génomiques qui sont pratiquées sur un nombre croissant d’organismes.
A partir de la séquence du génome entier d’une espèce donnée, on extrait, in silico,
le sous-ensemble des gènes impliqués dans les défenses immunitaires, i.e.
l’immunome. On peut rechercher des filiations génétiques, tenter d’identifier
l’origine évolutive de tel ou tel gène, et se livrer à des comparaisons et des hypothèses
sur l’évolution des fonctions.
L’immunome de l’homme contient entre 5 % et 8 % des gènes humains. Son
périmètre est fonction de la définition du système immunitaire que l’on adopte et
des appréciations que l’on porte sur la fonction des gènes. On y repère la
classification majeure, produite par des décennies de recherche, entre immunité
adaptative et immunité innée. La génération de la diversité des anticorps et des
récepteurs des cellules T figure parmi les traits caractéristiques de l’immunité
adaptative. Cette question a fasciné les immunologistes qui recherchent depuis
longtemps leurs origines évolutives, au travers notamment des homologues des
268 PHILIPPE KOURILSKY

gènes du Complexe Majeur d’Histocompatibilité (ou CMH). Toutefois, depuis


1996, leur attention s’est à nouveau portée sur les gènes de l’immunité innée et
sur plusieurs familles de récepteurs qui agissent comme détecteurs de différentes
classes d’agents infectieux.
On s’est livré, au cours des premières leçons, à une analyse « descendante » de
l’immunité adaptative et de l’immunité innée, partant de l’homme pour aborder
successivement les mammifères, d’autres vertébrés et enfin les invertébrés et les
plantes. Une analyse transversale a conclu l’ensemble du cours.
On observe que l’immunité adaptative, très développée et sophistiquée chez
l’homme et chez la souris, l’est moins chez des mammifères plus anciens, les
oiseaux et les poissons. Elle est absente chez les invertébrés. La frontière se situe
entre poissons avec et sans mâchoires, les premiers disposant d’anticorps et de
CMH et les autres pas. Mais l’étude de la lamproie et de la myxine a montré que
celles-ci fabriquent des anticorps d’un type totalement différent, caractérisés par
des motifs moléculaires dits LRR (Leucine Rich Repeats) et non par des modules
de type IgSF de la superfamille des immunoglobulines. Contrairement à ce que
l’on avait cru, il n’y a donc pas eu une solution évolutive unique à la question de
la génération de la diversité des anticorps.
Dans le même temps, on s’est aussi rendu compte que l’immunité innée est
d’une complexité inattendue, en tant que telle, tout comme dans ses articulations
avec l’immunité adaptative. Elle est particulièrement développée chez certains
mammifères comme l’opossum. Chez ce dernier, la phase de croissance extra-
placentaire du nouveau-né implique que, pendant plusieurs semaines, sa survie
dépend essentiellement de son immunité innée, qui semble effectivement très
diversifiée.
Les invertébrés n’ont pas d’immunité adaptative, mais leur immunité innée est
parfois très sophistiquée, ce dont l’immunome de l’oursin donne un exemple.
Dans tous les cas, on observe à la fois une forte conservation verticale de certains
gènes qui représentent probablement une innovation évolutive critique, et des
expansions horizontales, variables d’une espèce à l’autre, parfois considérables,
mettant en jeu jusqu’à des centaines de gènes. De plus, certains gènes donnent lieu
à des phénomènes d’épissage alternatif qui en diversifient les produits.
Les plantes disposent d’un système d’immunité innée qui présente de nombreuses
homologies avec celui des vertébrés et des invertébrés. Elles possèdent un deuxième
dispositif qui s’apparente à l’immunité adaptative, bien que fondé sur des agents
moléculaires radicalement distincts, puisqu’il s’agit des petits ARN interférants.
La découverte, récente, de l’interférence ARN est l’une des plus importantes des dix
dernières années. Les plantes l’utilisent pour se défendre contre les virus, mais le
dispositif est plus largement exploité pour la lutte contre l’invasion de transposons et
la surveillance de l’intégrité du génome. Ces observations ont conduit à rechercher
l’importance éventuelle de l’interférence ARN dans les systèmes immunitaires des
IMMUNOLOGIE MOLÉCULAIRE 269

mammifères. Il est probable que ces derniers exploitent effectivement ce mécanisme.


Ils l’utilisent aussi pour surveiller l’intégrité du génome, mais s’en servent
indirectement dans l’immunité adaptative, i.e. dans des processus de régulation
plutôt que de reconnaissance directe. On soulignera que certains agents infectieux
synthétisent de petits ARN interférants pour circonvenir les défenses cellulaires.
Dans ce cas, comme dans bien d’autres, on trouve les traces du combat évolutif entre
les agents infectieux et leurs hôtes dans la multiplicité des systèmes d’échappement
inventés par les agents infectieux et des contre-systèmes développés par leurs hôtes.

L’analyse évolutive des systèmes immunitaires induit donc un décentrage du


regard. L’attention des immunologistes reste, très légitimement, concentrée sur
l’homme, de même que sur la souris qui est censée lui servir — fort imparfaitement
d’ailleurs — de modèle. La découverte d’autres principes fondateurs de l’immunité
montre que, même pour une invention évolutive jugée remarquable, il y a plusieurs
solutions. Ainsi, il existe chez les vertébrés au moins deux catégories d’anticorps
possibles, et les petits ARN interférents constituent chez les plantes un système que
l’on peut considérer comme adaptatif. De même, au niveau moléculaire, l’évolution
a sélectionné au moins deux types de colles « universelles » : les molécules à LRR
et les modules de type IgSF. Au demeurant, les deux sont utilisés, non seulement
dans l’immunité adaptative, mais aussi dans l’immunité innée. L’analyse des
récepteurs des cellules NK chez l’homme et la souris fournit d’ailleurs un bel
exemple d’évolution convergente, leur structure étant distincte et leur fonction
quasi-identique. Il n’y a donc aucune relation bi-univoque entre motifs structuraux
et telle ou telle fonction de l’immunité adaptative ou innée.

Ce qui brouille plus encore le tableau limpide que propose la distinction


académique entre immunité innée et immunité adaptative, est la notion d’immunité
anticipative. Les vastes expansions génétiques observées dans des familles de gènes
de l’immunité innée suggèrent qu’elles correspondent à une forme d’adaptation
et/ou de sélection à telle ou telle niche écologique. Mais faut-il nécessairement en
conclure que chaque gène a été sélectionné de façon précise, par exemple pour
lutter contre un agent infectieux donné présent dans la niche en question ? On
peut imaginer à l’inverse que certains dispositifs de l’immunité innée sont
anticipatifs en ce sens qu’ils produisent (par diversification génétique et épissage
alternatif ), un jeu de structures capables d’anticiper la survenue de nouveaux
agents infectieux, ou de variantes de ces derniers. Le gène unique DSCAM, chez
la drosophile, peut produire par épissage alternatif quelques 38 000 isoformes. Il
sert à la diversification des neurones, mais apparemment aussi dans l’immunité
innée, et pourrait bien être un prototype de dispositif anticipatif. L’immunité
anticipative pourrait donc faire le lien entre deux catégories conceptuelles traitées
jusqu’à présent de façon trop distincte.

L’étude des systèmes immunitaires dans l’évolution des espaces est donc riche
d’enseignements. Elle ne se contente pas de nourrir l’histoire naturelle : elle est
aussi source de nouveaux concepts.
270 PHILIPPE KOURILSKY

Le séminaire de la chaire a été organisé sous forme de colloque :


Titre : « L’Arche de Noé immunologique : L’immunité chez les êtres des airs, des
eaux et de la terre » (« Noah’s Ark and the Immune System : Immunity in
living creatures from the sky, the water, and the earth »).
Date : Mardi 8 avril 2008.
Lieu : Amphithéâtre Marguerite de Navarre (Collège de France)
Organisateurs : Philippe Kourilsky et Dominique Buzoni-Gatel (INRA)

Intervenants / Programme :
AN OVERVIEW :
• Louis Du Pasquier, University of Basel, Switzerland.

IMMUNE DEFENSES IN PLANTS :


• Olivier Le Gall, INRA Bordeaux, France.
— Multiple resistant traits control infection in plants
• Olivier Voinnet, CNRS Strasbourg, France.
— RNA Silencing pathways and anti viral defense in plants

BUGS AND INFECTION


• Elena Levashina, CNRS Strasbourg, France.
— Immunity in disease-vector mosquitoes
• Christine Coustau, Institut Pasteur Lille, France.
— Immunity in parasite-vector molluscs
• Noël Tordo, Institut Pasteur Paris, France
— Bats as carrier of human diseases, strategies of prevention
• Jean-Michel Escoubas, University of Montpellier, France
— X-tox : a new family of immune related protein specific to Lepidoptera.
• Jonathan Ewbank, University of Marseille Luminy, France
— Resistance to fungal infection in Caenorhabditis elegans

THE IMMUNE SYSTEM IN CREATURES FROM WATER


• Pierre Boudinot, INRA Jouy-en-Josas, France
— A functional analysis of rainbow trout immune system
• Jean-Pierre Levraud, Institut Pasteur Paris, France
— The zebrafish, an enlightening tool to study the immune system in fish

THE HEN OR THE EGG


• Yves Nys, INRA Nouzilly, France
— Eggs have their own antimicrobial defense systems
IMMUNOLOGIE MOLÉCULAIRE 271

• Peter Kaiser, Compton University, UK


— Cytokines, chemokines and their implication in resistance to chicken
infection (in ovo vaccination).
• Jim Kaufman, University of Cambridge, UK
— The genomic organisation of the chicken MHC leads to gene co-
evolution, resistance to infection and insight into the origin of the adaptive
immune system.
• Véronique Jestin, AFSSA Ploufragan, France
— Vaccination against avian influenza infection

CONCLUSION
• Philippe Kourilsky, Collège de France, Paris, France

II. Conférences et colloques, interventions publiques

Date Conférence ou Table ronde Lieu

11.09.2007 Colloque « Les sciences à l’UNESCO : quelle Sénat, Palais du Luxem-


implication pour la France ? » bourg, Paris.
Table ronde : Développement Durable et envi-
ronnement : « Présentation de Facts »
10.10.2007 Conférence (CAS Albert Einstein Visiting Pro- Capital Medical Univer-
fessorship) : « Health and Sustainable Develop- sity Pekin (Chine)
ment : What can Science do ? »
12.10.2007 Conférence (CAS Albert Einstein Visiting Pro- Wuhan Institute of Viro-
fessorship) : « The Birth of Systems Immunology, logy (Chinese Academy of
How it may help fighting infectious diseases » Sciences)
23.10.2007 Symposium  Animal Genomics for Animal Organisation Mondiale de
Health » [Organisation Mondiale de la Santé la Santé Animale (OIE) à
Animale (OIE)] : « The Human Genome and Paris
biomedicine : past and future impacts »
06.11.2007 Chaire Santé et développement du CNAM : Conservatoire national des
« La recherche sur les maladies oubliées dans le arts et métiers à Paris
monde »
26.11.2007 Atelier technologique Société Française d’Im- Ecole normale supérieure
munologie (SFI) : « Les approches globales des de Lyon (ENS)
répertoires immunitaires, de la recherche au dia-
gnostic ex-vivo » : « Répertoires Immunitaires :
Analyse du système immunitaire humain (cellules
T et B) »
272 PHILIPPE KOURILSKY

Date Conférence ou Table ronde Lieu

06.12.2007 5e Forum Mondial du Développement Durable Sénat, Palais du Luxem-


(FMDD), Session « régulation sanitaire, démo- bourg, Paris.
graphie et migrations » : « La question des mala-
dies négligées »
28.01.2008 « Rendez-vous parisiens  sur Radio Aligre. Locaux de Radio Aligre,
Emission consacrée au Collège de France (avec Paris
Michel Zink)
15.04.2008 4th Biomedical Asia : « The evolving biomedical Suntec Singapore Interna-
science and industry » tional Convention and
Exhibition Centre (Singa-
pour)
21.05.2008 Conférence organisée par l’association « Scien- Sciences Po à Paris
ces Po pour l’Afrique : « La recherche dans le
domaine des maladies infectieuses, de la santé
mondiale, des partenariats publics privés, des
enjeux, etc. »
23.05.2008 Colloque Informatique et Bioinformatique Amphithéâtre Marguerite
(dans le cadre de la Chaire d’innovation techno- de Navarre, Collège de
logique - Liliane Bettencourt - Prof. G. Berry) : France
« Le système immunitaire, un grand système d’in-
formation »
06.06.2008 Conférence CLAS (pour le personnel CdF) : Amphi Budé, Collège de
« Santé et Développement durable : Que peut faire France
la Science ? »

III. Recherche

Les activités de recherche de la Chaire d’Immunologie Moléculaire sont désormais


conduites au sein de deux entités aux localisations distinctes.

1. A Paris, dans l’U668 de l’INSERM (Directeur : J. Di Santo) en collaboration


avec le groupe animé par A. Bandeira, dans l’Unité dirigée par A. Cumano
(cf. 1er thème).

2. A Singapour, au sein du Singapore Immunology Network (SIgN), présidé par


Philippe Kourilsky. SIgN, financé par l’Agence gouvernementale A*STAR, inclut
un centre de recherches qui comprend 6 000 m2 de laboratoires (cf. Annexe), où
Philippe Kourilsky anime plus particulièrement deux groupes de recherche
(thèmes 2 et 3).
IMMUNOLOGIE MOLÉCULAIRE 273

1er thème : Répertoires des cellules immunitaires de l’homme et des cellules T


régulatrices de la souris (A. Bandeira, A. Lim)

a) Poursuite de l’amélioration de l’Immunoscope (A. Lim)


L’immunoscope reste une méthodologie de référence, très puissante pour étudier
les répertoires des cellules T et B. Elle a fait la preuve de son utilité dans le suivi
clinique (1), tout autant que dans de nombreux problèmes de recherche chez la
souris (2). Une amélioration technique importante réalisée en 2007-2008 a consisté
à l’adapter, grâce notamment à l’écriture d’un nouveau logiciel, aux séquenceurs à
capillaires à haut débit (3). D’autres développements en cours incluent la mise au
point de l’analyse des chaînes alpha du TCR. Des méthodes d’analyse statistique
permettent de mesurer plus rapidement que par le passé la dimension et la diversité
des répertoires (J. Faro, Vigo, Portugal).

b) Applications à l’immunologie humaine et à la clinique (A. Lim)


. L’immunoscope est toujours utilisé pour le suivi d’un groupe d’enfants dont
l’immunodéficience a été corrigée par thérapie génique (A. Fisher, Necker) (4).
. L’adaptation de la méthode aux cellules B a permis d’entreprendre des études
en allergologie, avec M. Mempel (Munich, Allemagne) (5,6) et en dermatologie
avec l’Université de Californie (7). De plus, avec Ph. Musette (Rouen, France), une
étude clinique a été entreprise sur la reconstitution des répertoires B après traitement
du pemphigus vulgaire par l’anti-CD20 (Rituximab) (8).

c) Analyse de souris « humanisées » (J. Di Santo, A. Lim)


Il s’agit de souris RAG2/γc, qui sont greffées avec des cellules souches
hématopoïétiques humaines dérivées de foie fœtal humain. La reconstitution des
répertoires B et T est analysée par l’Immunoscope.

d) Etude de la diversité des cellules T régulatrices de la souris (A. Bandeira)


La dimension des répertoires des cellules T CD4+ CD25+ a été estimée, avec
l’aide des méthodes statistiques évoquées plus haut. Les résultats montrent que les
Treg sont très diverses, avec une taille moyenne des clones de l’ordre de deux. De
façon remarquable, le répertoire des Treg ne chevauche quasiment pas celui des
cellules T naïves, ce qui suggère fortement que les Treg reconnaissent des ligands
particuliers. Les expériences de confirmation avec des T CD4+ Fox P3+ ont été
réalisées récemment, un article est en cours de rédaction.

2e thème : Analyse systémique des macrophages humains (Wong Siew Cheng,


SIgN)
Deux populations de macrophages CD14++ CD16– (80%) et CD14+ CD16+
(20 %) ont été étudiées. Le sous-ensemble minoritaire semble plus enclin à l’apoptose
spontanée, pourrait être plus cytotoxique, et apparaît plus apte à l’adhésion et à la
274 PHILIPPE KOURILSKY

migration. Les études de transcriptomique et de protéomique ont ouvert plusieurs


voies d’investigation et hypothèses fonctionnelles. L’intervention de ces macrophages
dans divers phénomènes infectieux est à l’étude. La caractérisation des macrophages
infiltrant des tumeurs a été entreprise. Un modèle de co-culture tridimensionnelle in
vitro est en cours de mise au point (sphéroïdes) pour étudier dans quelles conditions
ces macrophages peuvent devenir pro-tumorigènes.

3e thème : Analyse des réponses immunitaires contre le virus chikungunya


(Lisa Ng, SIgN)
Le virus chikungunya est assez répandu en Asie (particulièrement en Inde) et
quelques cas ont été rapportés à Singapour pour la première fois en 2007. Les
travaux en cours visent à améliorer le diagnostic (les confusions avec l’infection par
le virus de la Dengue doivent être évitées), ainsi qu’à identifier les épitopes T
immunodominants (avec l’aide d’approches informatiques). Un projet de
vaccinologie est à l’étude. Un réseau régional de collecte d’échantillons et de
partage d’informations est en voie de constitution.

Annexe : Singapore Immunology Network (SIgN) http://www.sign.a-star.edu.sg/


SIgN a pour mission de stimuler le développement de l’immunologie dans l’Etat
de Singapour. Conformément au plan élaboré par Ph. Kourilsky en 2006 — plan
approuvé par l’Agence A*STAR, il comprend une plate-forme sur le site de Biopolis
et un réseau qui inclut les deux universités et les institutions hospitalières de
Singapour. Sous l’impulsion de SIgN, a été notamment créée la Société
Singapourienne d’Immunologie (dont le Président Honoraire est Ph. Kourilsky).
Le centre de recherches qui se développe dans 6 000 m2 de laboratoires comprend
d’ores et déjà une douzaine de groupes de recherches et plus de cent chercheurs.
Ces chiffres ont vocation à doubler dans les deux ans à venir. Au cours des deux
dernières années, SIgN a organisé sept colloques internationaux et noué des
relations avec plusieurs institutions renommées, au premier chef le Collège de
France, ainsi que l’Institut Pasteur et l’INSERM en France, l’Institut Riken au
Japon, l’Institut Karolinska en Suède et l’université de Milan, en Italie.

IV. Autres activités et nouvelles de la chaire

• Philippe Kourilsky a été, pour l’année 2007-2008, titulaire de la chaire Albert


Einstein de l’Académie des Sciences en Chine (CAS Albert Einstein Visiting
Professorship). Il a, à ce titre, effectué un séjour en Chine, principalement à Pékin
(conférence au « Capital Medical University Pekin ») et à Wu-han, où se trouve un
institut de virologie (conférence au Wuhan Institute of Virology), chargé entre
autres, du pilotage du laboratoire de haute sécurité BLS-4. Ce dernier est en cours
de construction dans le cadre d’un partenariat franco-chinois qui avait été mis en
place sous l’égide des Présidents des deux Républiques de France et de Chine en
2005 lors de la visite en France de ce dernier. P. Kourilsky a co-présidé pendant
2 ans le groupe de suivi.
IMMUNOLOGIE MOLÉCULAIRE 275

• Le comité exécutif de l’Institut National de la Recherche Scientifique (INRS)/


Université de Québec a renouvelé le mandat à titre de Professeur associé au Centre
INRS-Institut Armand Frappier jusqu’au 31 mai 2010.

• Philippe Kourilsky a été nommé en 2007, membre de la Commission du Livre


Blanc de la Diplomatie Française. Cette commission présidée par M. Alain Juppé
et Louis Schweitzer, a rendu ses conclusions début juillet 2008. Le livre blanc a
servi de base à un train des réformes Ministères des Affaires Etrangères annoncées
fin août 2008 par le Ministère des Affaires Etrangères à l’occasion de la
XIe conférence des Ambassadeurs à Paris (28-29 août 2008).

• L’initiative « FACTS » (Field Action Science)


Développement, humanitaire, santé, éducation, environnement, autant de
thématiques qui, sans être exhaustives, mobilisent l’intervention de nombreux
acteurs, ONG, organisations gouvernementales et multilatérales, institutions
académiques, consultants, sur l’ensemble de la planète. De ces activités résultent
des connaissances, des savoir-faire, des expériences et des méthodes de résolution
des problèmes, qui sont peu ou pas diffusés et partagés entre les intervenants de
terrain. L’initiative FACTS, lancée par Philippe Kourilsky, se présente comme un
outil de valorisation et de consolidation du capital de connaissances produit sur le
terrain, ayant pour objectif d’améliorer l’efficacité des actions.

La finalité de FACTS initiative, promue par Philippe Kourilsky, est de collecter


et de diffuser un savoir, des méthodologies, des bonnes pratiques à l’aide d’une
revue internationale « FACTS Reports », fonctionnant selon les règles prévalant
dans la communauté scientifique.

La création de la revue internationale « FACTS Reports » a été rendue publique


le 12 mars 2007, à Lyon, lors du Forum BioVision.
Site internet : http://www.institut.veolia.org/fr/facts-initiative.aspx

V. Publications

1. A. Bristeau-Leprince, V. Mateo, A. Lim, A. Magerus-Chatinet, E. Solary, A. Fischer,


F. Rieux-Laucat and M.-L. Gougeon : Human TCR α/β+ CD4-CD8- double-negative T
cells in patients with autoimmune lymphoproliferative syndrome (ALPS) express restricted
Vβ TCR diversity and are clonally related to CD8+ T cells. J. Immunology (2008).
2. F. Benjelloun, A. Garrigue, D.E. Demerens, C. Chappedelaine, P. Soulas-Sprauel,
M. Malassis-Seris, D. Stockholm, J. Hauer, J. Blondeau, J. Rivière, A. Lim, M. Le Lorc’h,
S. Romana, N. Brousse, F. Paques, A. Galy, P. Charneau, A. Fischer, J.-P. De Villartay and
M. Cavazzana-Calvo : Stable and functional lymphoid reconstitution in Artemis-deficient
mice following lentiviral Artemis gene transfer into hematopoietic stem cells. Molecular
Therapy (2008).
3. A. Lim, B. Lemercier, X. Wertz, S. Lesjean Pottier, F. Huetz and P. Kourilsky : Many
human peripheral VH5-expressing IgM+ B cells display a unique heavy-chain rearrangement.
Int Immunol. (2008), Jan. ; 20(1) : 105-16.
276 PHILIPPE KOURILSKY

4. S. Hacein-Bey-Abina, A. Garrigue, P. Wang Gary, J. Soulier, A. Lim, E. Morillon,


E. Clappier, L. Caccavelli, E. Delabesse, K. Beldjord, V. Asnafi, V. Macintyre,
L. Dal Cortivo, I. Radford, N. Brousse, F. Sigaux, D. Moshous, J. Hauer, A. Borkhardt,
B.H. Belohradsky, U. Wintergerst, M.C. Velez, L. Leiva, R. Sorensen, N. Wulffraat,
S. Blanche, F.D. Bushman, A. Fischer and M. Cavazzana-Calvo : Insertional oncogenesis in
4 patients after retrovirus-mediated gene therapy of SCID-X1. J Clin Invest. (2008)
Aug. 7.
5. A. Lim, S. Luderschmidt, A. Weidinger, C. Schnopp, J. Ring, R. Hein, M. Ollert, M.
Mempel : The IgE repertoire in PBMCs of atopic patients is characterized by individual
rearrangements without variable region of the heavy immunoglobulin chain bias.J Allergy
Clin Immunol. (2007), Sep. ; 120(3) : 696-706.
6. B. Belloni, M. Ziai, A. Lim, B. Lemercier, M. Sbornik, S. Weidinger, C. Andres,
C. Schnopp, J. Ring, R. Hein : Low-dose anti-IgE therapy in patients with atopic eczema
with high serum IgE levels. J Allergy Clin Immunol. (2007), Nov. ; 120(5) : 1223-5.
7. A.L. Forema, B. Lemercier, A. Lim, P. Kourlisky, T. Kenny, E. Gershwin,
M. Gougeon : VH gene usage and CDR3 analysis of B cell receptor in the peripheral blood
of patients with PBC. Autoimmunity (2008), Feb. ; 41(1) : 80-6.
8. H. Mouquet, P. Musette, M.-L. Gougeon, S. Jacquot, B. Lemercier, A. Lim,
D. Gilbert, I. Dutot, J.-C. Roujeau, M. d’Incan, C. Bedane, F. Tron, and P. Joly : B-Cell
Depletion Immunotherapy in Pemphigus : Effects on Cellular and Humoral Immune
Responses. J. Invest. Dermatol. (2008), Jun. 19.
Psychologie cognitive expérimentale

M. Stanislas Dehaene, membre de l’Institut


(Académie des Sciences), professeur

Enseignement
Cours : les fondements cognitifs de l’arithmétique élémentaire
Le cours 2008 s’est attaché à analyser, par les méthodes de la psychologie
cognitive, la représentation mentale de l’un des plus simples et cependant des plus
fondamentaux des objets mathématiques : le concept de nombre entier naturel.
La nature et l’origine des objets mathématiques font débat depuis l’Antiquité.
De nombreux mathématiciens adhèrent, explicitement ou implicitement, à une
hypothèse Platonicienne selon laquelle les mathématiques ne sont que l’exploration
d’un monde à part, régi par ses propres contraintes, et qui préexiste au cerveau
humain. Citons par exemple Alain Connes dans son débat avec Jean-Pierre
Changeux : « Lorsqu’il se déplace dans la géographie des mathématiques, le
mathématicien perçoit peu à peu les contours et la structure incroyablement riche
du monde mathématique. Il développe progressivement une sensibilité à la notion
de simplicité qui lui donne accès à de nouvelles régions du paysage mathématique »
(Changeux & Connes, 1989).
Le psychologue du développement, cependant, ne peut qu’être frappé par la
difficulté avec laquelle l’enfant se construit, petit à petit, une compétence
mathématique. Il en conclut aisément à une pure construction mentale des objets
mathématiques. Pour Piaget, la logique en constitue le fondement (« Le nombre
entier peut ainsi être conçu comme une synthèse de la classe et de la relation
asymétrique »). Pour d’autres, le langage joue un rôle essentiel (cf. Vygotsky : « la
pensée ne s’exprime pas seulement en mots : elle vient au monde à travers eux »).
La position que j’ai défendue dans ce cours, et que l’on pourrait qualifier
d’intuitionniste, n’appartient à aucun de ces deux camps. Elle postule que les
fondements cognitifs des mathématiques doivent être recherchés dans une série
278 STANISLAS DEHAENE

d’intuitions fondamentales de l’espace, du temps, et du nombre, partagées par de


nombreuses espèces animales, et que nous héritons d’un lointain passé où ces
intuitions jouaient un rôle essentiel à la survie. Les mathématiques se construisent
par la formalisation et la mise en liaison consciente de ces différentes intuitions.
Ainsi cette position se rattache-t-elle, sans pour autant s’y identifier, à
l’intuitionnisme mathématique de Brouwer et Poincaré. Dès le xiiie siècle, Roger
Bacon notait que « la connaissance mathématique est presque innée en nous… elle
est la plus facile des sciences, de tout évidence, en ce qu’aucun cerveau ne la
rejette : même les hommes du peuple et les illettrés savent compter et calculer ».
Pour les mathématiciens Philip David et Reuben Hersh, « au sein des idées, des
objets mentaux, les idées dont les propriétés sont reproductibles s’appellent des
objets mathématiques, et l’étude des objets mentaux aux propriétés reproductibles
s’appelle les mathématiques. L’intuition est la faculté qui nous permet de réfléchir
et d’examiner ces objets mentaux internes » (Davis, Hersh, & Marchisotto, 1995,
page 399).
De fait, pratiquement tous les grands mathématiciens disent faire appel à leur
intuition. Jacques Hadamard, dans l’une des plus célèbres enquêtes sur cette
question, l’Essai sur la psychologie de l’invention dans le domaine mathématique
(Hadamard, 1945), décrit comment la plupart des découvertes mathématiques
font suite à une longue période d’ « incubation » sans progression apparente,
suivie d’une illumination soudaine. Il cite également la célèbre lettre d’Einstein :
« les mots et le langage, écrits ou parlés, ne semblent pas jouer le moindre rôle
dans le mécanisme de ma pensée. Les entités psychiques qui servent d’éléments à
la pensée sont certaines signes ou des images plus ou moins claires, qui peuvent
à “volonté” être reproduits ou combinés ». Henri Poincaré voit également dans
l’intuition spatiale, motrice, ou numérique le fondement même de l’entreprise
mathématique.
La difficulté consiste à définir précisément ce que l’on entend par intuition. Il
n’est pas certain, en effet, que la variété des propriétés qu’on lui attribue soit issue
d’un processus cognitif unique. Toutefois, dans le domaine de la cognition
numérique élémentaire, les recherches récentes délimitent assez précisément un
ensemble de connaissances que l’on pourrait qualifier d’intuition numérique ou de
sens des nombres (Dehaene, 1997). Selon l’heureuse expression d’Elizabeth Spelke,
l’arithmétique élémentaire semble faire partie du noyau de connaissances de l’espèce
humaine. Un sens du nombre est présent chez le nourrisson et repose sur des
circuits cérébraux spécifiques que l’on retrouve chez d’autres primates. Il permet
une rapide évaluation du nombre d’objets présents dans des ensembles, leur
comparaison, et leur combinaison par des opérations d’addition et de soustraction.
Son fonctionnement répond à trois traits caractéristiques de l’intuition : rapidité,
automaticité, et inaccessibilité à l’introspection consciente. Ainsi l’intuition, loin
d’être inaccessible à l’étude scientifique, possède une signature psychologique et
neurale déchiffrable, et nous verrons qu’un modèle mathématique simple peut en
être proposé.
PSYCHOLOGIE COGNITIVE EXPÉRIMENTALE 279

Les multiples facettes du concept de nombre


Le concept de nombre recouvre des contenus assez divers. Il importe donc
d’introduire d’emblée quelques distinctions terminologiques essentielles. Notre
éducation nous a habitués aux symboles numériques : les nombres écrits en base 10
à l’aide des chiffres arabes, tels que « 1053 », ou exprimés à l’aide de noms de
nombres tels que « mille cinquante trois ». Cependant, la psychologie cognitive
montre l’importance, chez l’animal et le très enfant, de la perception non-symbolique
du nombre, où la quantité 13 peut être présentée sous la forme concrète d’un
nuage de 13 points ou d’une séquence de 13 sons. Le nombre est ici considéré
comme la propriété d’un ensemble, à laquelle on réfère souvent par les termes
techniques de cardinalité ou de numérosité. Enfin, l’ordinalité fait référence au rang
d’un élément dans une série ordonnée. On s’y réfère verbalement par le biais de
nombres ordinaux (par exemple « treizième »). Le concept de nombre, chez l’adulte
éduqué, consiste en l’intégration harmonieuse de ces différentes facettes symboliques
et non-symboliques du nombre.
Il va de soi que le mathématicien souhaiterait prolonger cette liste en direction
des entiers relatifs, des fractions, des nombres réels ou complexes, voire des
quaternions ou des matrices… Pour lui, peut-être considéré comme un nombre
tout objet mental susceptible d’être manipulé selon certaines opérations cohérentes.
Pour l’instant, cependant, la psychologie cognitive ne s’est guère penchée sur ces
concepts mathématiques de plus haut niveau. Nous nous en tiendrons donc à la
perception non-symbolique de la numérosité et sa mise en liaison avec les symboles
écrits ou parlés des nombres.

La perception de la numérosité
L’adulte dispose d’au moins trois processus cognitifs distincts d’énumération,
c’est-à-dire d’appréhension de la numérosité d’un ensemble d’objets :
— la subitisation ou « subitizing » en anglais fait référence à l’appréhension
immédiate des petites numérosités (un, deux, ou trois objets) ;
— l’estimation permet d’évaluer, d’une manière approximative, la numérosité
d’un ensemble de taille arbitraire. Les recherches de Véronique Izard, au laboratoire,
ont montré qu’un adulte non-entraîné estime efficacement et rapidement des
ensembles même très grands. Toutefois, le nombre perçu n’est pas toujours relié
linéairement au nombre effectivement présenté : la sous-estimation est fréquente,
et une loi de puissance relie les deux quantités (Izard & Dehaene, 2008) ;
— enfin, le comptage, dont les principes ont été étudiés par Gelman et Gallistel
(1978), permet d’énumérer avec précision un ensemble quelconque. Il consiste à
apparier, un par un, chacun des objets énumérés avec une liste de référence qui
peut être verbale (noms de nombres) ou non-verbale (doigts, parties du corps).
Des recherches récentes confirment que les trois processus de subitisation,
d’estimation et de comptage sont dissociables. La distinction entre subitisation et
280 STANISLAS DEHAENE

comptage est évidente lorsque l’on mesure le temps de dénomination de la


numérosité d’un ensemble : au-delà de trois objets, le temps de réponse montre un
soudain accroissement linéaire. L’imagerie cérébrale détecte, à cette frontière, une
soudaine amplification de l’activité dans un vaste réseau cérébral lié au comptage
verbal, et qui comprend notamment les régions pariétales postérieures bilatérales
associées aux mouvements de l’attention. L’activité de ces régions est si
caractéristique qu’elle permet de distinguer, pratiquement essai par essai, si le sujet
a compté ou pas et combien d’objets ont été dénombrés (Piazza, Giacomini, Le
Bihan, & Dehaene, 2003). Une dissociation entre subitisation et comptage
s’observe également chez certains patients qui, à la suite d’une lésion cérébrale,
développent une simultanagnosie (Dehaene & Cohen, 1994).
Jusqu’à très récemment, il était possible de soutenir que l’estimation et la
subitisation n’étaient que le reflet d’un seul et même processus. En effet, l’estimation
se caractérise par la loi de Weber : l’imprécision de l’estimation, mesurée par son écart-
type, croît linéairement avec le nombre estimé, selon une constante de proportionalité
appelée coefficient de variation ou fraction de Weber. Pour les tous petits nombres, la
loi de Weber pourrait expliquer la subitisation, car elle aboutit à une précision
suffisante pour discriminer et nommer les numérosités 1, 2 ou 3 sans pratiquement
faire d’erreur. Ainsi la subitisation se réduirait à une sorte d’« estimation précise ».
Toutefois, la recherche de Susannah Revkin, au laboratoire, montre que cette
explication ne suffit pas (Revkin, Piazza, Izard, Cohen, & Dehaene, 2008). La
précision avec laquelle nous détectons la présence d’un, deux ou trois objets dépasse
celle attendue selon la loi de Weber, car elle excède de très loin celle avec laquelle
nous discriminons 10, 20 ou 30 objets. Ainsi, la subitisation semble-t-elle faire appel
à un système dédié, peut-être celui lié à l’appréhension des objets discrets (« object
tracking » ou « object files » system, Feigenson, Dehaene, & Spelke, 2004).

Le développement de la perception numérique


Les tests Piagétiens de conservation du nombre et d’inclusion de classes ont
initialement suggéré que le jeune enfant était dépourvu de mécanismes invariants
d’appréhension du nombre. Cependant, cette conclusion a été nettement infirmée
avec l’avènement de nouvelles méthodes d’expérimentation chez le très jeune
enfant, fondées sur l’adaptation et la réaction à la nouveauté ou à la violation de
lois physiques. De nombreuses études ont démontré une sensibilité à la numérosité
chez l’enfant de 4-6 mois. Par exemple, un bébé de six mois détecte quand la
numérosité d’un ensemble change de 8 à 16 objets ou vice-versa, même lorsque
les paramètres non-numériques tels que la densité et la surface totale sont constants
(Xu & Spelke, 2000). Les enfants détectent également la violation des règles
d’addition et de soustraction, au moins d’une façon approximative. Par exemple,
lorsqu’ils voient 5 objets, puis 5 autres, disparaître derrière un écran, ils s’attendent
à voir apparaître environ 10 objets et expriment leur surprise en regardant plus
longuement lorsque l’écran s’abaisse et révèle seulement 5 objets (McCrink &
Wynn, 2004 ; Wynn, 1992).
PSYCHOLOGIE COGNITIVE EXPÉRIMENTALE 281

Si l’estimation est bien démontrée chez le très jeune enfant, la perception des
petites numérosités 1, 2 ou 3 a été plus débattue. Certains ont suggéré que leur
discrimination n’était due qu’à des paramètres confondants tels que la quantité
totale de matière (voir Feigenson et al., 2004). Cependant de nouveaux résultats
très récents indiquent que les enfants peuvent, selon le contexte, prêter attention
soit à la numérosité, soit aux paramètres non-numériques (Feigenson, 2005).
Cordes and Brannon (2008) vont jusqu’à suggérer qu’il est plus simple, pour
l’enfant, de prêter attention au nombre qu’à la quantité totale de matière, dans la
mesure où leur fraction de Weber est plus élevée dans le second cas. Au laboratoire,
nous avons effectivement observé, à l’aide des potentiels évoqués, une discrimination
des numérosités 2 et 3 en l’absence de tout artefact non-numérique (Izard,
Dehaene-Lambertz, & Dehaene, 2008).

Ainsi tant la subitisation que l’estimation et la capacité de calcul approximatif


semblent présents chez l’espèce humaine dès la première année de vie. Il est
fascinant de constater que cette intuition numérique existe également chez de
nombreuses espèces animales (pigeons, rats, lions, singes, dauphins…). Elizabeth
Brannon, en particulier, a systématiquement mis en parallèle les compétences
arithmétiques de l’homme adulte et du singe macaque, dans des tâches qui
sollicitaient la perception approximative des numérosités, leur addition et leur
comparaison (Cantlon & Brannon, 2007). Elle observe une psychophysique très
similaire, la précision des calculs étant simplement meilleure chez l’homme.

Liens avec l’arithmétique symbolique

Dans quelle mesure ces compétences précoces pour la manipulation des


numérosités non-verbales sont-elles pertinentes pour la compréhension de l’intuition
des symboles numériques à l’âge adulte ? De nombreuses expériences suggèrent que,
dès qu’un adulte éduqué perçoit un nom de nombre ou un nombre en notation
arabe, cette entrée symbolique est rapidement et automatiquement traduite
mentalement en une quantité approximative dont la manipulation interne obéit aux
mêmes lois que celles de la manipulation des numérosités perçues sous forme
d’ensembles d’objets. Ainsi, l’expérience fondatrice de Moyer et Landauer (1967) a
montré que, lorsque nous décidons lequel de deux chiffres est le plus grand, notre
temps de réponse varie en fonction inverse de la distance numérique qui les sépare.
La taille des nombres influe également sur le jugement comparatif des nombres
présentés sous forme symbolique, et la loi de Weber rend bien compte de l’ensemble
de ces données. Plus surprenant encore, tel est également le cas lorsque nous jugeons
si deux nombres sont pareils ou différent — la réponse « différent » est plus lente
pour 8 contre 7 que pour 8 contre 1. La vérification des opérations symboliques
démontre également un effet de distance numérique : lorsqu’une opération
évidemment fausse nous est proposée, la grande distance qui sépare le résultat
proposé du résultat correct nous permet de le rejeter sans faire le calcul exact (Ashcraft
& Stazyk, 1981). Enfin, une lésion cérébrale peut faire perdre toute capacité de
282 STANISLAS DEHAENE

calcul exact, tout en laissant intact cette compétence basique pour l’approximation
(Dehaene & Cohen, 1991). Ainsi l’approximation des quantités numériques, fondée
sur la loi de Weber, apparaît-elle comme une compétence fondamentale qui
transparaît dans de nombreuses tâches symboliques.
Tout récemment, une étude développementale a confirmé que l’intuition
arithmétique des quantités approximatives précède et sous-tend l’apprentissage
ultérieur de l’arithmétique symbolique (Gilmore, McCarthy, & Spelke, 2007).
Gilmore et coll. ont donné à des enfants de 5 et 6 ans, en maternelle, des problèmes
verbaux tels que « Sarah possède 21 bonbons, et on lui en donne 30 de plus. Jean,
lui, en a 34. Qui en a le plus ? » Les enfants n’avaient reçu aucun enseignement
explicite des nombres de cette taille, ni des opérations d’addition et de soustraction.
Cependant, quel que soit leur niveau socio-économique, ils répondaient bien au delà
du niveau du hasard (60-70 % de réussite), et leurs performances suivaient la loi de
Weber, ce qui laissait penser qu’ils traduisaient mentalement les problèmes
symboliques en quantités afin d’exploiter leur intuition non-symbolique. Plus
important encore, leurs performances dans cette évaluation de l’intuition
arithmétique corrélaient avec leur réussite en mathématiques à l’école. Holloway et
Ansari (2008) ont également rapporté, chez des enfants un peu plus âgés (6-8 ans),
que la variabilité de l’effet de distance au cours de la comparaison numérique prédit
la réussite scolaire en mathématiques, mais pas les scores de lecture. Dans l’ensemble,
ces résultats suggèrent que l’appréhension de la numérosité approximative et des
relations de distance entre les nombres, fondée sur la loi de Weber, joue un rôle
déterminant pour la bonne compréhension ultérieure de l’arithmétique symbolique.

Les mécanismes cérébraux de l’arithmétique élémentaire


Quels sont les mécanismes cérébraux de l’arithmétique élémentaire ? Les toutes
premières études d’imagerie cérébrale, en SPECT, en TEP puis en IRM
fonctionnelle, ont rapidement isolé une région importante : dès qu’un adulte
calcule mentalement, on observe une activation bilatérale des flancs du sillon
intrapariétal (voir Dehaene, Piazza, Pinel, & Cohen, 2003). Cette région occupe
une position bien précise au sein d’une mosaïque de régions sensori-motrices
impliquées dans les mouvements des yeux, de la main ou du doigt (Simon, Mangin,
Cohen, Le Bihan, & Dehaene, 2002). Son activation est présente quel que soit le
calcul effectué, et même lorsque le sujet se contente de comparer deux nombres
ou de détecter la présence d’un chiffre parmi des lettres. La région intrapariétale
semble jouer un rôle important dans la représentation abstraite des nombres, dans
la mesure où elle s’active quelle que soit la notation utilisée pour présenter les
nombres (chiffres arabes, noms de nombres parlés ou écrits) et ce, dans toutes les
cultures qui ont pu être testées (Chine, Japon, États-Unis, Israël, Europe).
L’activation intrapariétale est également présente lorsque l’on présente des
numérosités sous forme d’ensembles de points (Piazza, Izard, Pinel, Le Bihan, &
Dehaene, 2004). Une méthode d’adaptation a permis de démontrer la convergence
PSYCHOLOGIE COGNITIVE EXPÉRIMENTALE 283

des représentations symboliques et non-symboliques des nombres dans cette région


(Piazza, Pinel, Le Bihan, & Dehaene, 2007). La même méthode, étendue à
l’enregistrement des potentiels évoqués chez le bébé de 2-3 mois, a montré que le
cortex intrapariétal est activé, particulièrement dans l’hémisphère droit, dès quelques
mois de vie à la présentation d’ensemble d’objets dont la numérosité varie (Izard et
al., 2008). Des lésions intrapariétales précoces pourraient d’ailleurs être à l’origine
de dyscalculies du développement chez certains enfants (Molko et al., 2004).
Il est cependant évident que cette région intrapariétale n’est pas la seule à
contribuer aux opérations arithmétiques. Chez l’adulte, des réseaux étendus,
corticaux et sous-corticaux, interviennent à différentes étapes de représentation et
de manipulation des nombres, notamment sous forme symbolique ou linguistique
(Dehaene & Cohen, 1995). La manipulation des nombres exacts et les opérations
de récupération des faits arithmétiques en mémoire, en particulier, font appel à un
vaste réseau qui implique le gyrus angulaire gauche et les aires périsylviennes du
langage, tandis que la région intrapariétale elle-même est maximalement activée
lors des opérations d’approximation et de comparaison (Dehaene, Spelke, Pinel,
Stanescu, & Tsivkin, 1999). Au cours de l’entraînement arithmétique, l’activité
corticale se déplace progressivement depuis la région intrapariétale vers le gyrus
angulaire à mesure que le participant enregistre les faits correspondants en mémoire
verbale, particulièrement les tables de multiplication (Delazer et al., 2003 ;
Ischebeck et al., 2006).
Ces résultats concordent avec l’hypothèse d’un noyau de compétences numériques,
associé au cortex intrapariétal bilatéral, présent dans toutes les cultures et indépendant
du niveau d’éducation, et complété d’un second réseau associé aux stratégies de
calcul symbolique acquises au cours de l’éducation. La neuropsychologie de
l’acalculie confirme globalement cette double dissociation : les lésions intrapariétales
focales tendent à perturber l’intuition même des quantités numériques, dans des
tâches aussi simples que l’addition, la soustraction, la comparaison, ou l’estimation
des numérosités, tandis que les lésions des aires périsylviennes ou des noyaux gris
centraux de l’hémisphère gauche tendent à perturber les tables arithmétiques
mémorisées (Lemer, Dehaene, Spelke, & Cohen, 2003).

Les neurones des nombres


L’une des découvertes les plus fascinantes de ces dernières années est certainement
celles des mécanismes neurophysiologiques de l’arithmétique élémentaire chez le
singe macaque. A la suite de travaux antérieurs de Thompson et coll. (1970) et
Sawamura et coll (2002), Andreas Nieder et Earl Miller, au Massachussetts Institute
of Technology puis à l’Université de Tübingen, ont enregistré l’activité de centaines
de neurones chez des singes éveillés qui avaient été entraînés à réaliser une tâche
de comparaison différée des numérosités de deux ensembles d’objets. Ils ont
découvert, dans le cortex préfrontal et intrapariétal, l’existence de populations de
neurones dont le taux de décharge varie avec le nombre d’objets présentés. Certains
284 STANISLAS DEHAENE

neurones sont activés préférentiellement par un objet unique, d’autres par deux,
par trois, par quatre ou par cinq objets (Nieder, 2005), et même jusqu’à une
trentaine d’objets (Nieder & Merten, 2007).

Le profil détaillé des réponses de ces neurones indique un codage de la numérosité


selon la loi de Weber, coïncidant précisément avec celui qui avait été inféré des
études psychophysiques chez l’homme. Chaque neurone présente en effet une
courbe d’accord autour de sa numérosité préférée. Sur une échelle linéaire, la
largeur de la courbe croit linéairement avec la numérosité préférée, ce qui correspond
quantitativement à la loi de Weber. Mais la description la plus compacte des
réponses neuronales est une courbe d’accord constante, avec une variabilité fixe et
de forme Gaussienne, lorsque les numérosités sont représentées sur une échelle
logarithmique. Cette représentation est dite « log-Gaussienne ». Elle implique
qu’au niveau de la population de neurones, le paramètre de nombre est représenté
par un groupe épars de neurones selon un code partiellement distribué qui
représente la numérosité approximative et non la cardinalité exacte.

Ces « neurones des nombres » sont localisés dans le cortex préfrontal dorsolatéral,
mais également dans les lobes pariétaux, dans les profondeurs du sillon intrapariétal,
dans l’aire ventrale intrapariétale (VIP). Il est à noter que les neurones pariétaux ont
une réponse plus rapide, tandis que les neurones préfrontaux répondent
préférentiellement au cours de la phase de délai de la tâche de réponse différée. Ainsi,
l’extraction initiale de l’information de numérosité se ferait dans l’aire VIP, tandis que
sa mémorisation impliquerait préférentiellement le cortex préfrontal. Par sa localisation
absolue, mais également relative à d’autres régions telles que les aires AIP et LIP
impliquées dans les mouvements des yeux et de la main, l’aire VIP constitue un
homologue plausible, chez le singe, du segment horizontal du sillon intrapariétal qui
est activé chez l’homme au cours de diverses opérations arithmétiques (Simon et al.,
2002). De fait, la méthode d’adaptation en IRMf a permis à mon laboratoire de
démontrer, chez l’homme, l’existence d’un codage cérébral log-Gaussien des
numérosités, très semblable à celui observé chez le singe macaque (Piazza et al., 2004).

Notons que, tout récemment, Roitman et coll. (2007) ont découvert un second
type de code neural de la numérosité, dans une région pariétale plus latérale et
postérieure (l’aire LIP). Les neurones de l’aire LIP diffèrent de ceux de l’aire VIP
(étudiés par Nieder et Miller) en plusieurs points. Tout d’abord, ils ne sont pas
accordés à un nombre préféré, mais leur taux de décharge varie de façon monotone
avec la numérosité, en croissant ou en décroissant avec le logarithme de la numérosité
de l’ensemble présenté. En second lieu, ces neurones possèdent des champs récepteurs
limités et ne répondent donc qu’à la numérosité du sous-ensemble d’objets qui
apparait dans une région rétinotopique bien délimitée — pas au nombre total
d’objets présent sur la rétine. Les deux propriétés — monotonie et rétinotopie — ont
récemment été observées indirectement chez l’homme dans une illusion d’adaptation
à la numérosité (Burr & Ross, 2008), ce qui suggère que ce second code neuronal de
l’aire LIP pourrait également exister dans l’espèce humaine.
PSYCHOLOGIE COGNITIVE EXPÉRIMENTALE 285

Un modèle mathématique de la décision numérique

Pourquoi une telle coexistence de deux codes neuronaux distincts, l’un avec une
variation monotone du taux de décharge en fonction de la numérosité, l’autre avec
une courbe d’accord à une numérosité préférée ? Il convient d’interpréter ces
résultats avec prudence, dans la mesure où ces deux populations de neurones n’ont
été observées que très récemment, dans des laboratoires différents, chez des animaux
différents et entraînés à des tâches numériques différentes. Toutefois, ces résultats
s’accordent bien avec un modèle théorique qui suppose que les neurones monotones
et accordés constituent deux étapes distinctes de l’extraction d’une représentation
invariante de la numérosité (Dehaene & Changeux, 1993 ; Verguts & Fias, 2004).
Selon ce modèle, la numérosité approximative peut être extraite d’une carte
rétinienne détaillée en trois étapes successives : (1) codage rétinotopique des
positions occupées par les objets, indépendamment de leur identité et de leur taille,
donc avec une quantité fixe d’activation pour chaque objet ; (2) addition
approximative de ces activations à travers l’ensemble de la carte, par le moyen de
« neurones d’accumulation » dont le niveau d’activité varie de façon monotone en
fonction de la numérosité ; (3) seuillage de cette activation par des neurones avec
des seuils croissants et une forte inhibition latérale, ce qui conduit à une population
de neurones accordés aux différentes numérosités. La simulation de ce modèle par
ordinateur, sous forme d’un réseau de neurones formels, montre qu’on aboutit
naturellement, à ce dernier niveau, à un codage log-Gaussien de la numérosité.
Avec quelques adaptations, les neurones d’accumulation peuvent être identifiés aux
neurones de l’aire LIP étudiés par Roitman et coll., tandis que les neurones accordés
à la numérosité correspondraient aux neurones de l’aire LIP enregistrés par Nieder
et Miller. Il est à noter qu’anatomiquement, les neurones de LIP projettent
effectivement vers ceux de VIP. De plus, les neurones de VIP semblent répondre
à l’ensemble du champ visuel, ce qui est compatible avec l’hypothèse qu’ils reçoivent
des entrées convergentes de nombreux neurones rétinotopiques de l’aire LIP.

A partir de ce code neural log-Gaussien, un modèle mathématique de prise de


décision, capable de rendre compte des taux d’erreurs et des temps de réponse dans
diverses tâches numériques élémentaires, a également été développé (Dehaene,
2007). Lorsque la décision est prise en un temps fixe, sans pression de rapidité, et
que seul le taux d’erreurs doit donc être modélisé, la théorie de la détection du
signal peut être appliquée très directement au code log-Gaussien. Ce modèle rend
bien compte des compétences animales et humaines dans des tâches élémentaires
de comparaison pareil-différent ou plus grand-plus petit (Dehaene, 2007 ; Piazza
et al., 2004). Il peut également être adapté à la dénomination des numérosités
(Izard & Dehaene, 2008) et à l’addition ou à la soustraction de deux numérosités,
moyennant quelques hypothèses supplémentaires sur la combinaison des variances
associées à chaque opérande (Barth et al., 2006 ; Cantlon & Brannon, 2007).

Lorsque la tâche implique une décision rapide en temps limité, la modélisation


du temps de réponse fait appel à un modèle mathématique plus sophistiqué. Ce
286 STANISLAS DEHAENE

modèle se fonde sur les travaux de Mike Shadlen qui indiquent que la prise de
décision en temps réel, sur la base de signaux bruités, s’appuie sur certains neurones
pariétaux et préfrontaux qui réalisent une accumulation des données stochastiques
que les stimuli apportent en faveur de chacune des réponses possibles. Cette
accumulation peut alors décrite mathématiquement comme une marche aléatoire
apparentée à un mouvement Brownien. La décision est prise lorsque, pour l’un des
réponses, la marche aléatoire de l’accumulateur atteint un seuil fixé à l’avance. La
réponse correspondante est alors sélectionnée. On peut démontrer que ce mécanisme
d’accumulation statistique avec seuil constitue un mécanisme optimal de prise de
décision en temps réel (Gold & Shadlen, 2002).

L’analyse montre qu’au moins dans des tâches très simples telles que la
comparaison de deux nombres, le modèle log-Gaussien doublé d’une prise de
décision par accumulation conduit à des prédictions très étroitement ajustées aux
données expérimentales. L’influence de la distance entre les nombres à comparer
est correctement modélisée, et le modèle explique pourquoi la forme de cet effet
diffère selon que l’on considère le taux d’erreur ou le temps de réponse moyen. La
distribution des temps de réponse, et la manière dont celle-ci varie avec la présence
d’une tâche interférente, sont également expliqués en grand détail (Sigman &
Dehaene, 2005).

L’impact des symboles sur la cognition numérique

Le modèle décrit ci-dessus suppose que l’acquisition des symboles numériques


tels que les chiffres arabes consiste tout simplement à mettre en relation ces formes
arbitraires avec la représentation log-Gaussienne des numérosités correspondantes,
en sorte que la prise de décision met en jeu les quantités et non plus les symboles
eux-mêmes. Cependant, plusieurs éléments convergents suggèrent que cette vision
est un peu trop simple, et que l’acquisition de symboles pour les nombres change
également en profondeur la représentation non-verbale des quantités numériques.

Verguts et Fias (2004) ont simulé l’apprentissage non-supervisé dans un réseau de


neurones formels qui est exposé, soit à des numérosités seules, soit à des numérosités
appariées avec le symbole correspondant. Dans le premier cas, le réseau développe
des neurones « détecteurs de numérosité » très semblables à ceux décrits par Nieder
et Miller, avec une courbe d’accord log-Gaussienne. Cependant, l’appariement avec
des symboles modifie profondément cette représentation. Bien que les neurones
restent accordés à la numérosité approximative, ils répondent de façon très précise à
chaque symbole numérique. La courbe d’accord des neurones présente toujours un
effet de distance, mais avec une grande composante ‘tout-ou-rien’ doublé d’un petit
effet linéaire. D’autre part, contrairement à la loi de Weber, tous les neurones
présentent la même courbe d’accord, avec une largeur fixe pour tous les nombres
testés (1 à 5). Ainsi, le réseau exposé aux symboles développe un nouveau type de
représentation que l’on qualifie de linéaire avec une variabilité fixe.
PSYCHOLOGIE COGNITIVE EXPÉRIMENTALE 287

La proposition théorique de Verguts et Fias pourrait expliquer plusieurs aspects de


l’intuition attachée aux symboles numériques. L’analyse fine des temps de réponse
montre des différences non-négligeables entre la comparaison des nombres présentés
sous forme symbolique et sous forme de numérosités d’ensembles de points, qui
correspondent à l’emploi d’une représentation plus précise et plus linéaire des
symboles numériques (Dehaene, 2007). Les expériences d’IRM fonctionnelle de
Piazza et coll. (Piazza & Dehaene, 2004 ; Piazza et al., 2007) présentent également
de subtiles asymétries qui suggèrent que, lorsque les nombres sont présentés sous
forme symbolique, le codage des quantités semble plus précis dans l’hémisphère
gauche que dans le droit et pourrait ressembler à celui prédit par le modèle. Le peu
de données dont nous disposons sur l’IRM fonctionnelle du développement de
l’arithmétique suggère effectivement qu’au cours de l’éducation, c’est surtout la
région pariétale gauche qui est modifiée, tant dans son activité de base que dans la
taille de son effet de distance, ce qui suggère un raffinement de la précision du codage
des nombres au sein de l’hémisphère gauche (Ansari & Dhital, 2006).
Tout récemment, Diester et Nieder (2007) ont publié la toute première étude
neurophysiologique des mécanismes cérébraux de l’acquisition des symboles chez
le primate non-humain. Ils ont entraîné deux singes à apparier des chiffres arabes
entre 1 et 4 avec les numérosités correspondantes. Dans le cortex préfrontal
dorsolatéral, après l’apprentissage, de nombreux neurones codaient simultanément
pour le même nombre, indépendamment de son format de présentation symbolique
ou non-symbolique. Contrairement au modèle de Verguts et Fias, la courbe
d’accord des neurones ne se modifiait pas selon la notation. Etonnamment, dans
le cortex intrapariétal, les neurones se spécialisaient soit pour les chiffres arabes,
soit pour les numérosités, mais ne répondaient pas aux deux formats simultanément.
Ainsi, seul le cortex préfrontal, chez l’animal, semble susceptible de coder la
relation arbitraire entre un symbole et sa signification. Chez l’homme, un
entraînement plus important, ainsi que de probables différences d’architecture
cérébrale, pourraient entraîner une automatisation du signe et un transfert de ces
neurones de conjonction vers les aires postérieures du cerveau. Dans leur étude
d’IRM fonctionnnelle du développement arithmétique, Rivera et coll. (2005) ont
effectivement observé un déplacement massif de l’activité préfrontale avec l’âge, au
profit de régions occipito-temporales et pariétales gauches qui pourraient
correspondre respectivement aux codes des symboles et des quantités.

Représentation spatiale des nombres et synesthésie numérique


L’éducation arithmétique s’accompagne d’un autre changement important :
l’apprentissage de liens systématiques entre les nombres et l’espace. L’intuition
d’une échelle spatiale des nombres joue un rôle essentiel en mathématiques, depuis
la notion de mesure (géo-métrie) jusqu’à l’étude des nombres irrationnels, de la
droite réelle, des coordonnées Cartésiennes ou du plan complexe. De nombreuses
études démontrent l’automaticité du lien entre les nombres et l’espace chez
l’homme adulte : la simple présentation d’un chiffre arabe suffit à biaiser les
288 STANISLAS DEHAENE

réponses motrices et l’attention visuo-spatiale, en direction de la droite pour les


grands nombres et de la gauche pour les petits nombres. Cet « effet SNARC »
(spatial-numerical association of response codes) dépend de variables attentionnelles
et culturelles telles que la direction de l’écriture — la direction de l’effet tend à
s’inverser dans les cultures qui lisent de droite à gauche (Dehaene, Bossini, &
Giraux, 1993).
L’association nombre-espace elle-même semble provenir des liens anatomiques
très étroits qu’entretient la région intrapariétale moyenne, impliquée dans le codage
du nombre, avec les régions voisines impliquées dans le codage de l’espace. En
particulier, un circuit relie les aires LIP et VIP, qui sont impliquées dans le
mouvement des yeux et le codage des positions pertinentes de l’espace. Avec Ed
Hubbard, sur la base d’une revue détaillée de ces questions, j’ai proposé que ce
circuit VIP-LIP soit en partie recyclé pour l’arithmétique élémentaire (Hubbard,
Piazza, Pinel, & Dehaene, 2005). Avec André Knops et Mariagrazia Ranzini, nous
avons obtenu des données d’IRM fonctionnelle, de potentiels évoqués et de
comportement qui vont dans ce sens. En effet, la simple présentation d’un nombre
induit une activation latéralisée des régions pariétales postérieures (homologue
plausible de l’aire LIP chez l’homme). De plus, l’addition et la soustraction
évoquent automatiquement un mouvement vers la droite et la gauche respectivement.
Ces liens spatio-numériques demeurent non-conscients chez la plupart des
personnes testées. Cependant, chez de rares individus, leur accès à la conscience
pourrait peut-être expliquer le phénomène de synesthésie numérique. Ces personnes,
en effet, affirment voir, au sens littéral, les nombres à des positions spatiales bien
déterminées sur une échelle spatiale interne.
Bien qu’intuitive et automatique, la correspondance entre nombres et espace
n’est pas entièrement fixe. Elle se modifie considérablement au cours de
développement et en fonction de l’éducation. Siegler et Opfer (2003) ont présenté
une tâche dans laquelle des enfants doivent disposer les nombres qu’on leur énonce
sur un segment étiqueté par exemple avec le nombre 1 à gauche et le nombre 100
à droite. Les enfants les plus jeunes (CP) placent les nombres en correspondance
avec l’espace d’une façon certes monotone, mais non-linéaire. Ils accordent
beaucoup plus de place aux petits nombres et tendent à suivre une échelle
compressive et logarithmique, selon laquelle 10 se situe au milieu de 1 et de 100.
Les réponses ne deviennent linéaires que chez les enfants plus âgés, entre 8 et
10 ans. Avec Pierre Pica, Véronique Izard et Elizabeth Spelke, nous avons montré
que l’éducation joue un rôle essentiel : chez les indiens Mundurucus d’Amazonie,
des personnes adultes mais dépourvues d’éducation mathématique répondent de
façon logarithmique à des nombres entre 1 et 10 présentés de façon verbale ou
non-symbolique (Dehaene, Izard, Spelke, & Pica, 2008). L’échelle de similarité
logarithmique, qui dérive de la loi de Weber, semble donc faire partie des intuitions
fondamentales de l’humanité (étant entendu que cette intuition est approximative
et n’inclut pas des propriétés mathématiques abstraites de la fonction logarithme
telles que la transformation des sommes en produits). De nombreux indices
PSYCHOLOGIE COGNITIVE EXPÉRIMENTALE 289

suggèrent que, chez l’adulte éduqué, la représentation logarithmique n’a pas


vraiment disparu. Les échelles logarithmique et linéaire semblent coexister et être
sélectionnées en fonction des instructions et du contexte de la tâche.

Conclusion
L’intuition arithmétique humaine consiste en un réseau complexe de connaissances
qui vont de la capacité d’estimer rapidement la cardinalité approximative d’un
ensemble à celle d’anticiper le résultat d’une addition, de juger que 8 est plus grand
que 3, ou de voir les nombres dans l’espace et d’évaluer que 3 est plus proche de
1 que de 10. Le noyau de ces connaissances numériques consiste en une
représentation log-Gaussienne de la numérosité approximative. Ce noyau de
connaissances est déjà présent chez le très jeune enfant et de nombreuses espèces
animales, et est associé à un circuit cérébral situé dans la région intrapariétale
bilatérale. L’apprentissage des symboles de l’arithmétique formelle s’appuie
fortement sur ce sens précoce des nombres, bien que notre compréhension de la
manière dont ce dernier est modifié par l’éducation demeure très imparfaite. Ce
sera l’une des questions importantes de la recherche à venir. Un enjeu essentiel sera
de mieux utiliser ces connaissances afin d’améliorer l’enseignement de l’arithmétique
et de mieux comprendre l’origine des dyscalculies.

Séminaire

En complément du cours, le séminaire a porté spécifiquement sur la représentation


du nombre chez l’enfant. Son objectif explicite était de revisiter ce domaine
initialement exploré par Jean Piaget et ses collaborateurs sous le regard critique des
contributions récentes de la psychologie cognitive du développement. Six chercheurs
réputés sont venus présenter leurs contributions à ce domaine :
— Marie-Pascale Noël (Université de Louvain) a présenté l’état actuel des
connaissances sur la dyscalculie développementale, son évaluation, ses causes
possibles et sa rééducation.
— Lisa Feigenson (Johns Hopkins University) a décrit ses recherches sur la
cognition numérique chez le nourrisson, qui démontre notamment une capacité
hiérarchique d’appréhension du nombre d’ensembles d’objets.
— Daniel Ansari (University of Western Ontario) s’est placé dans une
perspective neuro-physiologique, en expliquant quelle pouvait être la contribution
des outils d’imagerie cérébrale à la compréhension du développement cognitif de
l’enfant entre la naissance et l’adolescence. Il a présenté les toutes premières images
du développement cérébral de l’arithmétique.
— Michel Fayol (Université de Clermont-Ferrand) s’est intéressé aux mécanismes
de l’apprentissage du comptage et des faits arithmétiques, notamment chez l’enfant
d’âge scolaire. Le calcul constitue, en effet, l’un des premiers écueils sur lesquels
viennent buter les jeunes enfants.
290 STANISLAS DEHAENE

— Matthieu Le Corre (Harvard University) est revenu sur une phase


particulièrement importante du développement de l’enfant, entre 2 ans et demi et
3 ans et demi, où celui-ci comprend soudainement ce qu’est le comptage et, par
ce biais, accède à une représentation de la numérosité exacte.
— Enfin Elizabeth Spelke (Harvard University) a présenté un panorama étendu
des recherches de son groupe sur le noyau des connaissances numériques chez le
très jeune enfant. Les recherches comportementales qu’elle a présentées visent à
séparer les connaissances universelles de l’enfant de celles qu’il acquiert par le biais
de l’éducation et de l’immersion dans une culture et un environnement linguistique
spécifique.

Bibliographie succincte

Le cours a repris et mis à jour de nombreux éléments de mon livre La bosse des maths
(Odile Jacob, 1997). Il s’est appuyé sur plusieurs autres ouvrages et articles de revue :
Piaget, J. and A. Szeminska (1941). La génèse du nombre chez l’enfant. Neuchâtel,
Delachaux & Niestlé.
Gelman, R. and C. R. Gallistel (1978). The child‘s understanding of number. Cambridge
Mass., Harvard University Press.
Fuson, K. C. (1988). Children’s counting and concepts of number. New York : Springer-
Verlag.
Dehaene, S. (1993). Numerical Cognition. Oxford, Blackwell.
Butterworth, B. (1999). The Mathematical Brain. London, Macmillan.
Dehaene, S., Molko, N., Cohen, L., & Wilson, A. J. (2004). Arithmetic and the brain.
Current Opinion in Neurobiology, 14(2), 218-224.
Nieder, A. (2005). « Counting on neurons : The neurobiology of numerical competence ».
Nature Reviews in Neuroscience.
Hubbard, E.M., Piazza, M., Pinel, P., & Dehaene, S. (2005). Interactions between
number and space in parietal cortex. Nature Reviews in Neuroscience, 6(6), 435-448.

Principaux articles cités :


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Ashcraft, M.H., & Stazyk, E.H. (1981). Mental addition : A test of three verification
models. Memory And Cognition, 9, 185-196.
Barth, H., La Mont, K., Lipton, J., Dehaene, S., Kanwisher, N., & Spelke, E. (2006).
Non-symbolic arithmetic in adults and young children. Cognition, 98(3), 199-222.
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Activités de recherche du laboratoire

Nous mettons ici en valeur quelques résultats qui nous paraissent importants.
Vient ensuite une liste complète des publications du laboratoire.
PSYCHOLOGIE COGNITIVE EXPÉRIMENTALE 293

Mécanismes de la lecture : rôles distincts des voies ventrale et dorsale


Par le passé, les travaux du laboratoire sur les processus de lecture se sont souvent
focalisés sur une petite région occipito-temporale gauche, l’aire de la forme visuelle
des mots. En effet, chez l’adulte bien entraîné, cette région joue un rôle essentiel
dans la lecture rapide, non-consciente, et indépendante de la longueur des mots.
Sur la base d’un modèle neuronal de l’architecture de cette région (Dehaene et
coll., TICS, 2005), nous avons toutefois prédit que cette région devrait cesser de
fonctionner efficacement dans certaines conditions de stimulation :
— l’écartement des l e t t r e s , au-delà de deux espaces, devrait empêcher
l’activation des neurones-bigrammes supposés essentiels à l’identification rapide
des mots ;
— la rotation du mot, au-delà d’environ 40 degrés, devrait empêcher les
neurones de répondre à leur stimulus préféré, qu’il s’agisse des lettres, des bigrammes
ou ou des morphèmes des mots ;
— enfin la présentation du mot dans l’hémichamp gauche a un effet délétère
bien connu, sans doute parce qu’elle empêche l’accès rapide aux connaissances
orthographiques stockées dans les régions visuelles de l’hémisphère gauche.
Nous avons donc mené une expérience de comportement et d’IRM fonctionnelle
où ces trois facteurs (écartement, rotation, déplacement) étaient manipulés de
façon paramétrique (Cohen et coll., NeuroImage, 2008). Les résultats ont montré
un important ralentissement du temps de lecture, qui survenait précisément aux
valeurs paramétriques prédites par le modèle (par exemple, deux espaces d’écart
entre les lettres). Au-delà de cette valeur seuil, les temps de lecture étaient
soudainement affectés d’un important effet de longueur du mot, suggérant une
lecture attentive, avec effort, voire lettre à lettre.
L’IRM a révélé les mécanismes cérébraux de ces phénomènes comportementaux :
la lecture avec effort s’accompagne de l’entrée en activité d’un vaste réseau dorsal
qui comprend systématiquement, dans les trois conditions de ralentissement, les
régions pariétales postérieures bilatérales (homologue plausible de l’aire LIP chez
l’homme). La lecture sérielle s’accompagne également d’une amplification sélective
de la partie postérieure de l’aire occipito-temporale ventrale, à un site correspondant
au codage putatif des lettres isolées. Le réseau dorsal mis en évidence dans cette
expérience joue vraisemblablement un rôle important dans toutes les conditions
où la lecture est dégradée et rendue difficile, notamment au début de l’apprentissage
chez l’enfant. Il semble important, à l’avenir, d’examiner sa possible contribution
aux troubles de la lecture chez certains enfants dyslexiques.

Compréhension du langage parlé :


l’importance de la région temporale antérieure
Anne-Dominique Devauchelle, dans l’équipe de Christophe Pallier, a réalisé une
thèse sur la représentation cérébrale des structures de phrases. L’expérience qui fait
l’objet d’une première publication (Devauchelle et coll., Journal of Cognitive
294 STANISLAS DEHAENE

Neuroscience, sous presse) visait à utiliser l’amorçage en IRM fonctionnelle afin


d’examiner s’il existe des régions cérébrales qui codent pour des structures
syntaxiques.
Au cours de l’expérience, les participants lisaient ou écoutaient des phrases
organisées par groupes de quatre, qui pouvaient partager ou non, soit la même
construction syntaxique, soit le même contenu lexico-sémantique. Dans un cas
extrême, la même phrase était répétée quatre fois. Un fort effet d’adaptation à la
répétition était alors observé dans la majorité du réseau de traitement des phrases,
ce qui confirmait que ces régions linguistiques se prêtent bien à une étude par la
méthode d’adaptation. Dans la condition « lexico-sémantique », le même contenu
était répété à l’aide de constructions syntaxiques distinctes, par exemple « le taxi
dépose le client », « le client a été déposé par le taxi », « c’est le taxi qui dépose le
client », etc. Dans cette condition également, un fort effet d’amorçage était observé,
particulièrement dans la région temporale antérieure. Celle-ci apparaît comme un
candidat intéressant pour la représentation du sens des phrases et de l’agencement
des rôles thématiques de leurs constituants.
Le résultat le plus surprenant, toutefois, était l’absence d’effet d’amorçage dans
une condition où l’on respectait toujours la même structure syntaxique,
indépendamment des mots utilisés pour la réaliser (par exemple « c’est le taxi qui
dépose le client ; ce sont vos amis qui détestent les poireaux ; etc.). Ce résultat
suggère que la construction syntaxique abstraite n’est pas représentée
indépendamment des mots qui la véhiculent, ou bien n’est pas conservée sous une
forme explicite par des neurones reproductibles et sujets à l’adaptation. Une
hypothèse très intéressante est que les régions temporales antérieures soient
impliquées dans l’extraction de la structure abstraite ou « profonde » des phrases,
réalisant ainsi une forme d’invariance pour leurs variations plus superficielles.

Cognition numérique : les liens entre le nombre et l’espace


Depuis 2002, en collaboration avec Pierre Pica, Elizabeth Spelke, Véronique
Izard, notre laboratoire s’intéresse à la cognition numérique chez les indiens
Mundurucus d’Amazonie. Ce peuple présente un lexique numérique restreint aux
tous premiers nombres, et n’a guère accès à l’éducation mathématique. Ainsi
pouvons-nous étudier, avec les méthodes de la psychologie cognitive, les intuitions
mathématiques non-verbales. Dans une étude récente, nous avons montré que ces
indiens possèdent un sens intuitif des relations nombre-espace (Dehaene et coll.,
Science, 2008).
De nombreux travaux, réalisés chez des adultes occidentaux, montrent que, le
simple fait de penser à un nombre ou d’effectuer un calcul évoque automatiquement
un biais spatial. Cet effet trouve son origine dans les liens qu’entretiennent les
représentations numériques et spatiales dans le lobe pariétal (voir le cours de cette
année). Nos nouveaux résultats indiquent que l’intuition d’une association régulière
entre les nombres et l’espace pré-existe à toute éducation en mathématiques.
PSYCHOLOGIE COGNITIVE EXPÉRIMENTALE 295

L’expérience consiste à présenter aux Mundurucus, sur un écran d’ordinateur, une


droite étiquetée à gauche par une représentation du nombre un et à droite par une
représentation du nombre 10 (présentés sous forme de nuages de points). On leur
présente ensuite divers nombres, soit sous forme non-symbolique (nuages de
points, séquences de sons), soit sous forme symbolique (noms de nombres en
langue Mundurucu ou en portugais pour ceux qui le connaissent). Pour chaque
nombre, on leur demande de le positionner sur cette droite. Seuls deux essais
d’entraînement sont proposés, l’un avec le nombre 1, l’autre avec le nombre 10.
Dans la mesure où ces nombres ne font intervenir que les extrémités de l’échelle,
ils laissent les personnes entièrement libres de leurs choix pour les nombres
intermédiaires. Cependant, tous les participants ont positionné intuitivement
chaque nombre dans un ordre monotone, qui respectait une relation systématique
entre le nombre et l’espace. Ainsi cette relation apparaît intuitive et spontanée,
même en l’absence d’éducation mathématique.
De façon plus surprenante, toutefois, la forme que prend cette relation n’est pas
linéaire. Les Mundurucus organisent spontanément les nombres dans l’espace
suivant une échelle logarithmique. Lorsqu’on leur demande de situer le nombre 5
par exemple sur une droite graduée de 1 à 10, ils ne le placent pas vers le milieu,
mais à proximité de 10 — c’est plutôt 3 ou 4 qui, selon leur intuition, doit se
situer au milieu de 1 et de 10. Cette représentation suit la loi de Weber. La
similarité entre les nombres semble jugée sur une échelle logarithmique car celle-ci
respecte les rapports entre les nombres : 3 est placé au milieu de 1 et 9 en sorte
qu’il y ait le même rapport entre 3 et 1 qu’entre 9 et 3.
Par contraste, tous les adultes occidentaux adoptent spontanément une
représentation linéaire, dans laquelle les nombres consécutifs sont équidistants
quelle que soit leur taille – la même opération de « successeur » ou « + 1 » s’applique
tout au long de la ligne numérique mentale. Nos résultats signifient donc que ce
sens de la mesure et de la linéarité des nombres s’apprend et n’est pas immédiatement
intuitif. Chez l’enfant occidental, Siegler et Opfer ont observé que la nature des
liens entre nombre et espace change au cours du développement. C’est entre 6 et
10 ans que l’enfant passe d’une représentation logarithmique à une représentation
linéaire du nombre. Ainsi, cette recherche met en valeur le rôle essentiel de
l’éducation dans le développement mathématique : en son absence, semble-t-il,
nous ignorerions même qu’il existe un espacement constant entre les nombres 1,
2, 3, 4…

Cognition numérique : la distinction entre subitisation et estimation


Un autre travail, réalisé lors de la thèse de Susannah Revkin, a exploré les
mécanismes d’appréhension de la numérosité d’un ensemble d’objets. On sait que
les tous petits ensembles d’objets (jusqu’à 3 ou 4) sont énumérés très rapidement
et pratiquement sans erreurs. Cette « subitisation » des petits nombres est connue
depuis plus d’un siècle, mais reste inexpliquée. Un modèle classique suppose que
296 STANISLAS DEHAENE

la subitisation n’est qu’une forme d’« estimation précise » : nous disposerions d’un
mécanisme générique d’estimation soumis à la loi de Weber, c’est-à-dire que son
imprécision augmente de façon proportionnelle au nombre représenté. Pour les
tous petits nombres, la précision du codage numérique deviendrait suffisante pour
discriminer chaque nombre de ses voisins, ce qui permettrait une dénomination
rapide et précise. Cette théorie unifiée de la subitisation et de l’estimation est
séduisante dans la mesure où, chez l’animal, des neurones codant pour la numérosité
et soumis à la loi de Weber ont effectivement été enregistrés, sans qu’ils présentent
la moindre discontinuité pour les petits nombres par rapport aux grands nombres.
Toutefois d’autres dissociations, particulièrement chez le très jeune enfant, militent
en faveur d’un autre modèle selon lequel la subitisation fait appel à un mécanisme
entièrement distinct et dédié.
Afin de séparer ces possibilités théoriques, nous avons testé une conséquence
directe de la loi de Weber : la précision devrait être la même lorsque les participants
discriminent et dénomment les nombres 1, 2, 3, 4… et les nombres 10, 20, 30,
40… (dans la mesure où leur rapports sont identiques). Nous avons donc entraîné
des participants français à dénommer rapidement et approximativement les dizaines
de 10 à 80, et avons comparé ces résultats à ceux de la tâche classique de dénomination
de 1 à 8 points. Les résultats ont mis en évidence une violation très nette de la loi de
Weber : la précision est bien supérieure, et le temps de réponse nettement plus
rapide, pour les numérosités 1 à 4 que pour tous les autres nombres et notamment
les dizaines de 10 à 40. Ces résultats réfutent, d’une manière directe, l’hypothèse
qu’un seul et même mécanisme sous-tend l’estimation et le comptage. Le mécanisme
qui permet la subitisation reste inconnu, mais la recherche doit s’orienter vers des
propriétés spécifiques à la représentation visuelle des petits ensembles d’objets.

Cognition numérique : le sens des nombres chez le bébé de trois mois


De nombreuses recherches comportementales indiquent qu’une authentique
compétence numérique est présente chez l’enfant de quelques mois. Jusqu’à
présent, cependant, les mécanismes cérébraux de cette compétence restaient
indéterminés. Seule l’IRM avait permis de montrer l’implication de la région
pariétale, en particulier dans l’hémisphère droit, dans le traitement des nombres
chez l’enfant de 4 ans (Cantlon et coll., 2006).
En collaboration avec Véronique Izard et Ghislaine Dehaene-Lambertz, nous
avons pu montrer les premières images de l’activité cérébrale au cours d’un
traitement numérique chez le bébé de trois mois (Izard et coll., PLOS Biology,
2008). Nous avons comparé les potentiels évoqués par des changements
imprévisibles au sein d’un ensemble d’objets, qui consistaient soit en un changement
de nombre (2 contre 3, 4 contre 8, ou 4 contre 12), soit en un changement de
l’identité des objets. Les topographies des voltages au niveau du scalp ont démontré
des réponses massives et bien différenciées aux deux types de changements. Un
modèle réaliste du scalp et des sources corticales distribuées, rendu possible par
PSYCHOLOGIE COGNITIVE EXPÉRIMENTALE 297

notre travail antérieur d’IRM du bébé, a montré que le changement d’identité


entrainait l’activation des régions occipito-temporales ventrales, particulièrement à
gauche, tandis que le changement de nombre activait la région pariétale droite.
Ces résultats suggèrent que le cerveau du bébé est hautement organisé et que la
grande division entre voies visuelles dorsale et ventrale est déjà présente à trois mois
de vie. Ils soulignent la continuité du « sens des nombres » au fil du développement
et pointent vers un biais d’organisation en faveur du lobe pariétal droit, qui pourrait
sous-tendre le développement ultérieur de l’intuition arithmétique.

Accès à la conscience : limites de l’introspection


Le laboratoire s’intéresse, depuis plus d’une dizaine d’années, aux mécanismes qui
permettent à une information d’accéder à la conscience. Avec Guido Corallo, Jérôme
Sackur et Mariano Sigman, nous avons développé une nouvelle méthode d’étude
des capacités et des limites de l’introspection consciente (Corallo et coll., Psychological
Science, 2008). Cette méthode d’« introspection quantifiée » se situe au confluent de
nos recherches sur les nombres et sur la conscience. En effet, elle consiste à interroger
le volontaire, après chaque essai d’une tâche chronométrique, sur son introspection
de son propre temps de réponse. Contrairement à beaucoup d’autres études, cette
introspection n’est pas seulement qualitative ou verbale, mais elle est finement
quantifiée : le volontaire utilise un curseur analogique ou une réponse numérique
afin d’estimer, en millisecondes, ce qu’il estime être son temps de réponse. De cette
manière, des techniques classiques de chronométrie mentale telles que la méthode
des facteurs additifs de Sternberg peuvent être appliquées au temps de réponse
introspectif, et l’on peut étudier les limites de cette introspection.
Nos résultats démontrent que, dans une tâche de comparaison simple, le temps
de réponse introspectif est une mesure très sensible, étroitement corrélée au temps
de réponse objectif, et affectée par les mêmes facteurs expérimentaux. Toutefois,
dans une situation de « période psychologique réfractaire » où deux tâches entrent
en collision et sont réalisées l’une après l’autre, une partie des traitements mis en
jeu n’est plus accessible à l’introspection. En particulier, le délai objectif qui affecte
la seconde tâche disparaît totalement de l’introspection des participants. Ceux-ci
ne se rendent pas compte que leurs réponses sont considérablement différées par
l’exécution de la première tâche, et prétendent avoir répondu à vitesse constante,
quel que soit l’intervalle entre les cibles associées à chaque tâche.
Nous en concluons que l’introspection subjective du temps consacré à une
opération mentale corrèle avec la disponibilité d’un « espace de travail global » où
se prennent les décisions et qui ne peut réaliser qu’une tâche à la fois. Les étapes
de perception et d’exécution motrices ne sont accessibles à l’introspection que
lorsque cette espace est disponible, ce qui n’est pas le cas lorsqu’une pression
temporelle s’exerce pour réaliser deux tâches conjointes le plus rapidement possible.
Notre introspection semble limitée aux informations qui parviennent à ce goulot
d’étranglement central.
298 STANISLAS DEHAENE

Analyse temporelle de la collision mentale entre deux tâches


Avec Mariano Sigman, nous avons développé des méthodes d’analyse temporelle
en IRM fonctionnelle et en potentiels évoqués, afin d’identifier précisément les
aires corticales et les étapes d’activation cérébrale associées à ce goulot d’étranglement
central (Sigman et Dehaene, Journal of Neuroscience, 2008).
Par le passé, nous avions montré que l’idée répandue que l’IRM fonctionnelle
est largement dépourvue de résolution temporelle est fausse. L’IRM est effectivement
limitée par la lenteur de la réponse hémodynamique, qui se déploie avec plusieurs
secondes de retard par rapport à l’activité neuronale. Toutefois, Mariano Sigman
et moi-même avons montré qu’une analyse de Fourier permettait de dépasser ces
limites et d’obtenir des informations sur le décours temporel de l’activité neuronale
sous-jacente, à l’échelle de la centaine de millisecondes (Sigman et al., NeuroImage
2007).
Dans notre nouveau travail, nous avons appliqué cette méthode au phénomène
de « période psychologique réfractaire », qui fait référence à l’impossibilité de
réaliser deux tâches simultanément. Diverses expériences comportementales ont
conduit à l’hypothèse, formulée clairement par Pashler, que les étapes perceptives
et motrices peuvent être menées en parallèles, mais qu’une étape de décision
centrale impose un goulot d’étranglement où les opérations sont réalisées en série,
l’une après l’autre. Pour tester cette hypothèse, nous avons demandé à des
volontaires de réaliser des tâches doubles, qui impliquaient de prendre simultanément
une décision auditive (comparaison de hauteur tonale) et une décision visuelle
abstraite (comparison de nombres). Un délai de 300 millisecondes était injecté
dans la tâche auditive, soit pendant la période d’interférence, soit en dehors de
cette période. A l’aide de l’IRM, et bien que l’ensemble des opérations soit réalisé
en environ une seconde, nous avons pu diviser les réseaux corticaux en sous-
composantes en fonction de leurs caractéristiques temporelles. Les aires sensorielles
suivaient étroitement le moment de présentation du stimulus, tandis qu’un réseau
pariéto-préfrontal bilatéral montrait un effet de délai lié au goulot d’étranglement.
De plus, un réseau étendu qui impliquait les régions pariétales postérieures, le
cortex prémoteur, la partie antérieure de l’insula et le cervelet était partagé par les
deux étapes successives de décision. L’enregistrement des potentiels évoqués à
256 électrodes a montré que le goulot d’étranglement se traduisait par un délai
massif de la composante P3, qui reflète effectivement l’entrée en activité d’un
réseau distribué d’aires corticales associatives, tandis que les activations sensorielles
antérieures (< 250 ms) étaient strictement non-affectées par l’interférence.
Les résultats confirment que le cerveau se comporte comme une architecture à
la fois massivement parallèle (aux niveaux perceptifs et moteurs) et strictement
sérielle (au niveau décisionnel). De plus, ils délimitent les contours anatomiques
et fonctionnels de ce réseau décisionnel qui semble systématiquement associé aux
régions pariétales et préfrontales bilatérales — un système très proche de celui que
nos travaux antérieurs associent à l’accès à la conscience.
PSYCHOLOGIE COGNITIVE EXPÉRIMENTALE 299

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subjective time during the dual-task bottleneck. Psychological Science (sous presse).
Devauchelle, A.D., Oppenheim, C., Rizzi, L., Dehaene, S., Pallier, C. Sentence
syntax and content in the human temporal lobe. J. Cogn. Neurosci. (sous presse).

Livres
Dehaene, S. Les Neurones de la lecture. Paris : Odile Jacob, 2007.

Articles de revue
Kouider, S., Dehaene, S. Levels of processing during non-conscious perception : a
critical review of visual masking. Philosophical Translations of the Royal Society B, 2007, 362,
857-875.
Pica, P., Lemer, C., Izard, V., Dehaene, S. Quels sont les liens entre arithmétique et
langage ? Une étude en Amazonie. Cahiers de l’Herne consacré à Chomsky, 2007.

Chapitres de livre
Wilson, A.J., Dehaene, S. Number sense and developmental dyscalculia. In Donna
Coch, Geraldine Dawson, Kurt W. Fischer (Eds) Human behavior, learning and the
developing brain : Atypical development, The Guilford Press New, 2007, pp. 212-238.
Dehaene, S. Symbols and quantities in parietal cortex : elements of a mathematical
theory of number representation and manipulation. In Attention & Performance XXII.
Sensori-motor foundations of higher cognition, Haggard, P. and Rossetti, Y. (Ed) Cambridge,
mass., Harvard University Press. 2007, 24, pp. 527-374.
Dehaene, S. L’imagerie cérébrale peut-elle séparer mémoires conscientes et non
conscientes ? In, La Mémoire, ses mécanismes, ses désordres. Editions Le Manuscrit, 2007,
pp. 49-69.
Dehaene, S., Conscious and Nonconscious Processes. Distinct forms of evidence
accumulation ? In Better than conscious ? Implications for Performance and Institutional
Analysis. Engel C., and W. Singer, eds. Strüngmann Forum Report 1. Cambridge, MA :
MIT Press, 2008, pp. 1-29.
PSYCHOLOGIE COGNITIVE EXPÉRIMENTALE 301

Platt, M., Dehaene, S., Mccabe, K., Menzel, R., Phelps, E., Plassmann H.,
Ratcliff, R., Shadlen, M., Singer, W. In Better than conscious ? Implications for Performance
and Institutional Analysis. Engel C., and W. Singer, eds. Strüngmann Forum Report 1.
Cambridge, MA : MIT Press, 2008, pp. 125-154.
Changeux, J.-P., Dehaene, S. The neuronal workspace model : conscious processing
and learning. In : Learning and Memory : A Comprehensive Reference, R. Menzel (Ed.)
Elsevier, 2008.
Cohen, L., Wilson, A.J., Izard, V., Dehaene, S. Acalculia and Gerstmann’s syndrome.
In Cognitive and Behavioral Neurology of Stroke, Godefroy, O. & Boyousslavsky, J. (Eds)
Cambridge University Press. 2008, 8, 125-147.
Dehaene, S., Cerebral constraints in reading and arithmetic: Education as a neuronal
recycling process. In The educated brain, A. Battro (Ed), Cambridge University Press, 2008,
14, pp. 232-248.
Dehaene, S., Cohen, L. Neural coding in written words in the visual word form area.
In The visual word form area, P.L. Cornelissen, P.C. Hansen & K. Pugh (Eds), Oxford,
Oxford University Press (sous presse)
Hubbard, E.M., Piazza, M., Pinel, P. Dehaene, S. Numerical and spatial intuitions:
A role for posterior parietal cortex ? In Cognitive Biology : Evolutionary and Developmental
Perspectives on Mind, Brain and Behavior. L. Tommasi, L. Nadel and M.A. Peterson (Eds.)
Cambridge, MA : MIT Press (sous presse).

Distinctions

Stanislas Dehaene a été nommé au grade de Chevalier dans l’Ordre national du


mérite. Il a également été nommé membre de l’Académie Pontificale des Sciences,
et a reçu le Dr A.H. Heineken Prize for Cognitive Science de l’Académie Royale des
Pays-Bas.
Physiologie de la perception et de l’action

M. Alain Berthoz, Membre de l’Institut


(Académie des Sciences), Professeur

Cours
Principes simplificateurs dans les mécanismes cérébraux
de la perception et de l’action
Le cours a été consacré aux principes simplificateurs qui sous tendent la
perception et le contrôle du mouvement. Ces cours ont été donnés respectivement
dans les Universités suivantes 1 :
— Massachusetts Institute of Technology : 2 cours, l’un au département de
Cognitive et Brain Sciences et l’autre au département d’Astronautics ;
— Département de Neurosciences du California Institute of Technology
(Caltech) à Los Angeles : 1 cours ;
— Département de Psychologie de l’Université Santa Barbara : 1 cours ;
— Laboratoire MBARI de Robotique et Biologie Marine à Monterey :
1 cours ;
— Institut de Brain Sciences et à l’Hôpital Neurologique de l’Université de
Portland : 2 cours ;
— Département de Computer Sciences et à l’Institut d’étude avancée de
Colombie Britannique (Vancouver, Canada) : 3 cours ;
— Département de Psychologie de l’Université de Harvard (Cambridge, USA) :
1 cours.
Dans cette série, nous avons abordé divers volets du problème des principes qui
permettent au cerveau de simplifier la « Neurocomputation ».

1. Tous ces cours ont rempli les critères des cours du Collège de France et ont été annoncés
comme tels (public large et interdépartemental ou grand public).
304 ALAIN BERTHOZ

Une première catégorie de principes simplificateurs concerne la perception.


Nous avons décrit le fonctionnement du système visuel en analysant les mécanismes
simplificateurs dans les bases neurales de l’anticipation perceptive, la ségrégation
des voies visuelles en modules spécialisés, le contrôle du regard et la relation entre
vision et motricité oculaire. Nous avons décrit les travaux expérimentaux de notre
laboratoire concernant l’enregistrement intracrânien de l’activité cérébrale chez des
patients épileptiques dans les voies visuelles et oculomotrices.
Un des aspects les plus remarquables de la simplification dans les systèmes
perceptifs vient des modalités de coopération multisensorielle et du caractère actif
de la perception. Nous avons décrit des études sur les mécanismes de la décision
de regarder.
Une deuxième catégorie de principes concerne le contrôle de la posture et de la
marche. J’ai fait une synthèse des travaux de notre laboratoire. J’ai suggéré que les
mêmes lois simplificatrices très générales sont utilisées pour contrôler les trajectoires
de la main et les trajectoires locomotrices. J’ai résumé ces lois (co-variation planaire,
loi de la puissance 1/3, séparation du contrôle de la direction et la distance, etc.).
Ensuite, dans plusieurs conférences, j’ai fait une synthèse des travaux sur les
référentiels spatiaux pour montrer que le cerveau peut utiliser une variété de
référentiels pour le contrôle de l’équilibre et de la locomotion (grâce au système
vestibulaire qui crée une plateforme céphalique stabilisé).
J’ai aussi décrit des travaux très récents utilisant l’imagerie cérébrale et la réalité
virtuelle concernant différents réseaux du cerveau qui sous tendent la manipulation
des référentiels spatiaux et j’ai esquissé une théorie nouvelle que nous élaborons
avec des mathématiciens concernant le fait que le cerveau n’utilise pas seulement
la géométrie euclidienne mais aussi des géométries affinées.
L’ensemble de ces travaux et de ces conférences faites devant des publics très
variés dans des Universités toutes de très haut niveau m’ont donné l’occasion de
confronter mes idées avec des collègues éminents. J’ai dégagé de tout ce travail
d’enseignement et de résultats de nos travaux un concept nouveau qui va donner
lieu à un livre à paraître au printemps 2009, chez O. Jacob, sous le titre
« La simplexité ». J’ai en effet forgé un concept nouveau qui rend compte de ce
remarquable travail de l’évolution des organismes vivants pour résoudre des
problèmes complexes avec des solutions qui ne sont pas simples mais simplexes,
car elles supposent souvent en réalité des processus très élaborés, mais qui permettent
aux organismes vivants d’agir très vite, avec précision et avec de grandes capacités
d’adaptation et de flexibilité. J’ai beaucoup apprécié la possibilité donnée aux
Professeurs du Collège de France de donner leur cours à l’étranger car ce « grand
tour » d’Universités de haut niveau et la confrontation d’opinions qu’elle à induite
a été très fructueuse pour mes recherches et celles de notre laboratoire et, je l’espère,
pour ceux qui voudront bien lire mon livre. Elles ont aussi permis d’engager de
nouvelles collaborations, en particulier avec l’Université de Vancouver.
PHYSIOLOGIE DE LA PERCEPTION ET DE L’ACTION 305

Séminaires
Le cerveau, le réel et le virtuel
Le séminaire du cours a été consacré cette année au thème suivant : « Le cerveau,
le réel et le virtuel ». La question du réel est importante et donne lieu aujourd’hui
à des approches multidisciplinaires qui vont de la neuropsychologie à la robotique.
Cette question a été discutée par des conférences de psychiatres, des spécialistes de
l’hypnose, des neurologues. Nous avons aussi accordé une attention particulière à
la question de la mémoire autobiographique et les applications de la réalité
virtuelle.
Une série de conférences a été donnée par le Pr I. Takanishi sur la robotique
humanoïde. En effet, la construction de robots humanoïdes est un champ nouveau
de l’intelligence artificielle et donne lieu à des coopérations importantes entre
neurosciences et robotique.
— 16 janvier : Pr N. Franck (Institut des Sciences Cognitives CNRS Lyon),
« Les hallucinations. Altérations de la prise en compte du réel dans les psychoses » ;
Dr M.-O. Krebs & Dr I. Amada (INSERM. Hôpital Sainte-Anne Paris), « Hallucination et
schizophrénie ».
— 23 janvier : Dr J. Becchio (Université Paris Sud Orsay), « Données récente sur les
bases neurales et les applications cliniques de l’hypnose » ; Dr J.-P. Lachaux (INSERM
Lyon), Dr Ph. Kahane (Hôpital Nord, Grenoble) et Dr K. Jerbi (LPPA Collège de France),
« Brain TV : voir, contrôler et moduler l’activité de son cerveau. Bases du neurofeedback et
des interfaces cerveau-machine ».
— 30 janvier : Pr P. Haggard (Institute of Cognitive Neuroscience University College
Londres), « Sensation corporelle et représentation de soi » (en anglais avec traduction
française) ; discussion : Pr A. Berthoz et Pr J.-L. Petit, « La notion de corps virtuel ».
— 6 février : Pr L. Manning (Laboratoire de Neuropsychologie CNRS, Université de
Strasbourg), « Le réel et la fiction dans la mémoire autobiographique. Etudes comportementales
et en imagerie cérébrale » ; Pr P. Piolino (Université Paris V), « A la recherche du temps
perdu : bases neurales de la mémoire autobiographique et de ses dysfonctionnements ».
— 13 février : Pr S. Aglioti (Université La Sapienza, Rome), « Le corps et le soi dans le
cerveau » ; Pr A. Berthoz, H. Hicheur, J. Grèzes, J. Houben, L. Yahia-Cherif (LPPA Collège
de France et Ecole Jacques Lecoq), « L’expression corporelle des émotions ».
— 20 février : Pr D. Thalmann (Ecole polytechnique de Lausanne, Laboratoire de Réalité
virtuelle) « La simulation des foules par la réalité virtuelle » ; Dr S. Donikian (IRISA /CNRS
Université de Rennes) « Comment s’inspirer des comportements humains pour réaliser des
créatures virtuelles avec des images numériques ».
— Bérangère Thirioux, LPPA Collège de France. Pr Olaf Blanke, EPFL Lausanne.
Pr Gérard Jorland, EHESS. Pr A. Berthoz, LPPA. « Danser avec un funambule virtuel :
étude en EEG des bases neurales de l’empathie ».

Ces séminaires on été complétés par un Colloque international les 11 et 12 juin


2008, organisé avec les Professeurs Brian Stock (Université de Toronto) et Carlo
Ossola (Collège de France), intitulé : « La pluralité interprétative. Fondements
cognitifs de la notion de point de vue ». Près de 20 orateurs ont présenté des
travaux interdisciplinaires. Ce colloque sera publié par O. Jacob dans le cadre des
« Travaux du Collège de France ».
306 ALAIN BERTHOZ

La pluralité interprétative.
Fondements historiques et cognitifs de la notion de point de vue

Jeudi 12 juin 2008


— Brian Stock (Université de Toronto), Sources historiques de la pluralité.
— Alain Berthoz (Collège de France), La manipulation mentale des points de vue :
un des fondements de la tolérance ?
— Olivier Houdé (Université Paris Descartes et Institut Universitaire de France), Aux
origines du dialogue des cultures chez l’enfant.
— Edy Veneziano (Université Paris Descartes - CNRS), Utilisations du langage et
développement de la capacité à maîtriser plusieurs points de vue chez l’enfant.
— Stéphanie Burnett et Sarah Blakemore (University College, Cognitive Neuroscience
Center. Londres), Cognitive development during adolescence.
— Francisco Jarauta (Université de Murcia), Dialogue des interprétations : les Tre
filosofi de Giorgione.
— Dan Sperber (Ecole Normale Supérieure. Institut Jean Nicot. CNRS), Pragmatique
de l’interprétation.
— Carlo Severi (Ecole des Hautes études en Sciences Sociales et Collège de France),
Pluralité de points de vue et culture : réflexions sur le conflit culturel.
— Sara Cigada (Université de Milan), L’émotion et la persuasion politique : lectures
de Robespierre.
— Mikkel Wallentin (Center for Semiotics and Functionally Integrative Neuroscience,
Aarhus University Hospital, Danemark), What is it to you ? Spatial perspectives in
language and brain.
— Annick Paternoster (Universités de Leeds et Lugano), Politesse et point de vue dans
les dialogues de la Renaissance italienne.

Vendredi 13 juin
— Michel Tardieu (Collège de France), Le pluralisme religieux.
— Barbara Cassin (Centre Léon Robin de Recherche sur la pensée antique. CNRS/Paris
IV, ENS), Relativité de la traduction et relativisme.
— Jean-Claude Schmitt (Ecole des Hautes Etudes en Sciences Sociales), Visions et voix :
une herméneutique médiévale par les gestes, les images et la musique.
— Carlo Ossola (Collège de France), Le paradoxe herméneutique.
— Philippe Mongin (Ecole des Hautes Etudes Commerciales. CNRS), Waterloo et les
miroirs croisés de l’interprétation, de Stendhal à la théorie des jeux.
— Julie Grèzes (INSERM. ENS), Bases neurales des relations avec autrui.
— Roland Jouvent (Université Paris VI - Hôpital de la Salpétrière), Les ambiguïtés du
jugement.
— Anne Andronikof (Université Paris X), Interpréter le discours de l’autre en
psychologie clinique : projections et déviances.
— Heike Jung (Université de la Sarre, Département de Sciences juridiques), Les formes
et modèles du procès pénal - sauvegardes contre la manipulation ?
— Emmanuel Decaux (Université Paris II), Universalité des droits de l’homme et
pluralité interprétative : l’exemple des droits de l’enfant.
PHYSIOLOGIE DE LA PERCEPTION ET DE L’ACTION 307

Séminaires divers du laboratoire

— 10 janvier : Dr J. Del R. Millan (IDIAP Research Institute, EPFL, Lausanne Suisse),


« Cognitive signals for brain - Computer interaction ».
— 25 et 27 février : Pr A. Takanishi (Professeur à l’Université Waseda de Tokyo, Japon),
invité par l’Assemblée des Professeurs, sur la proposition du professeur Alain Berthoz. Deux
conférences sur les sujets suivants : 1. Relations entre la robotique des humanoïdes et la
culture et la société au Japon. 2. Les robots humanoïdes comme outils pour l’étude
scientifique du comportement humain.
— 3 mars : Dr L. Rossini (ESA/ESTEC Netherlands), « Neuro-inspired motor
anticipatory interface for teleoperation ».
— 26 mars : Pr A. Sirota (CMBN Rutgers Newark NJ, USA), « Role of oscillations in
coordination of activity within and between the neocortex and hippocampus ».
— 12 et 19, 26 juin : Pr G. Buzsaki (Professeur à Rutgers University, Newark, USA)
invité par l’Assemblée des Professeurs, sur la proposition du professeur Alain Berthoz, a
donné une série de leçons sur Rythms of the brain : 1. Neuronal synchrony : metabolic and
wiring costs of excitatory and inhibitory systems, 2. Neuronal synchrony : oscillatory and
non-oscillatory emergence of cell assemblies, 3. Neuronal synchrony : internally advancing
assemblies in the hippocampus, 4. Neuronal synchrony : coupling of hippocampal and
neocortical systems.
— 30 juin : Dr T. Pozzo (INSERM U887, Dijon), « le codage central de la gravité :
approche comportementale et corrélats neuronaux ».
— 3 juillet : Dr E.B. Torres (California Institute of Technology, USA), « Learning
movement time from space in the primate Posterior Parietal Cortex ».

Travaux de recherche des équipes du laboratoire

1. APPROCHE PROBABILISTE ET PERCEPTION ACTIVE

1.1. Perception visuelle des objets et du mouvement


J. Droulez, C. Morvan, C. Devisme, C. Boucheny
Notre équipe étudie la perception des caractéristiques géométriques et dynamiques
des objets, notamment dans le contexte de la perception active c’est-à-dire lorsque
le sujet est engagé dans une tâche motrice impliquant une interaction forte entre
le traitement des informations sensorielles et l’exécution d’une action motrice :
mouvement du regard, déplacement de la tête, mouvement de la main. Ces
recherches sont organisées autour de 2 thèses, dont une a été soutenue cette année.
Elle a également étudié l’influence de la vitesse oculaire pendant la poursuite sur
la perception de la direction du mouvement d’une cible visuelle. La thèse de Céline
Devisme (contrat Cifre avec Essilor) est centrée sur l’étude des gradients de
disparité binoculaires horizontaux et verticaux et leur influence sur la perception
du relief en vision périphérique. Ces études permettent de quantifier l’incidence
des distorsions induites par le port de verres ophtalmiques. La thèse de Christian
Boucheny (codirigée avec Georges-Pierre Bonneau, contrat Cifre EDF) a pour
objectif l’étude psychophysique des méthodes de visualisation scientifique,
308 ALAIN BERTHOZ

notamment les techniques de rendu volumique et de restitution cinématique. Il a


également mis en place de nouvelles méthodes de visualisation interactive, couplant
un oculomètre de précision à des algorithmes de simplification dans le cadre de la
visualisation de grandes bases de données tridimensionnelles. Enfin, dans le cadre
d’un stage post-doctoral, Camille Morvan a terminé une étude sur l’intégration des
signaux rétiniens et de la copie efférente de la commande oculaire dans la perception
de la vitesse d’une cible.

1.2. Modélisation bayésienne des comportements sensori-moteurs


J. Droulez, F. Colas, S. Capern, J. Laurens
Dans le cadre du programme européen BACS dont l’objectif est de démontrer
l’intérêt de l’approche Bayésienne en robotique et pour les sciences cognitives,
notre équipe s’intéresse plus particulièrement à l’implementation de l’inférence
bayésienne par des réseaux de neurones biologiquement plausibles et à la
modélisation des interactions multi-sensorielles (fusion d’informations) par des
réseaux bayésiens auto-adaptatifs. Nous avons développé un modèle bayésien
dynamique de la perception du mouvement propre à partir des informations
vestibulaires (thèse de Jean Laurens). Dans ce modèle, les caractéristiques
dynamiques de la perception du mouvement et les ambiguïtés qui résultent de
l’équivalence gravité-inertie sont expliquées par les connaissances a priori quantifiées
de façon probabiliste. Nous avons également développé un modèle unifié de la
perception des objets tridimensionnels à partir des informations visuels (flux
optique) et de la connaissance du mouvement propre (signaux vestibulaires et
moteurs). Ce modèle permet d’intégrer de façon cohérente les hypothèses de
rigidité et de stationnarité et reproduit un grand nombre de résultats psychophysiques
(thèse de Francis Colas, codirigée par Pierre Bessière). Enfin, la thèse de Simon
Capern est centrée sur la modélisation de la perception du mouvement et des
réseaux neuronaux codant les fréquences spatio-temporelles des stimuli visuels.
Une revue des modèles de détection du mouvement a été réalisée, ainsi qu’un
modèle (en collaboration avec Daniel Bennequin) de la distribution des réponses
aux fréquences spatio-temporelles dans V1 qui rend compte des résultats décrits
en imagerie optique.

1.3. Approche probabiliste de la fusion d’information


et de l’analyse de signaux biologiques
J. Droulez, L. Foubert, en collaboration avec T. Chaperon & D. Bennequin
De nouveaux outils probabilistes ont été développés pour la calibration et à
l’estimation de la pose de caméra ainsi qu’à l’extraction de données 3D à partir de
séquences vidéo dans différentes conditions d’éclairage dans le cadre d’une
collaboration avec EDF. Ces algorithmes sont utilisés dans l’interprétation et la
numérisation 3D de bâtiments ou de sites préhistoriques (Lascaux) et archéologiques
(Delphes). La modélisation par mixture de gaussiennes de la distribution des
boutons synaptiques fournit une représentation quantitative dense des données
PHYSIOLOGIE DE LA PERCEPTION ET DE L’ACTION 309

neuro-anatomiques et un outil précis de détermination des clusters (thèse de Luc


Foubert, codirigée par Chantal Milleret). Enfin l’analyse statistique fine du bruit
des données d’imagerie optique corticale a permis de proposer de nouvelles
méthodes de traitement applicables aux enregistrements en fluorescence voltage-
dépendante.

1.4. Implementation des calculs probabilistes


par les interactions biochimiques
J. Droulez, A. Houillon, en collaboration avec P. Bessière
Les modèles Bayésiens sont particulièrement efficaces pour rendre compte du
comportement et de la perception face à des situations incertaines et des stimuli
ambigus. Ces modèles supposent que le cerveau est capable de représenter des
distributions de probabilités sur des variables pertinentes (forme, mouvement,
position, etc.) et d’effectuer des calculs probabilistes sur ces distributions. Une
question ouverte est donc de comprendre par quels mécanismes et à quel niveau
les probabilités sont codées et manipulées. En collaboration avec Pierre Bessière,
nous explorons l’idée selon laquelle les réseaux biochimiques complexes de la
signalisation cellulaire sont capables d’effectuer ces tâches computationnelles. Dans
le cadre de sa thèse, Audrey Houillon développe cette idée en l’appliquant au
fonctionnement des photorécepteurs.

2. INTÉGRATION INTERHÉMISPHÉRIQUE
ET PERCEPTIF SENSORIELLE
C. Milleret, A. Grantyn, L. Foubert, J. Ribot.
En collaboration avec S. Tanaka (Riken BSI, Tokyo, Japon), J. Droulez
(LPPA) et D. Bennequin (Institut de Mathématiques, Université Paris 7).

2.1. Mise au point de l’utilisation de colorants sensibles au potentiel


de membrane pour l’imagerie optique. Premières données expérimentales
L. Foubert, C. Milleret.
En collaboration avec S. Tanaka. (Riken BSI, Tokyo, Japon)
La technique d’imagerie optique permet de mettre en image l’architecture
fonctionnelle du cortex tant les domaines spatiaux que temporels. Son principe de
fonctionnement en est le suivant : une caméra CCD à haute fréquence de
rafraîchissement (500 Hz) est placée au-dessus de la préparation et enregistre les
variations de réflexion d’une lumière incidente qui varient avec l’activité corticale.
En appliquant un colorant fluorescent voltage-sensible sur le cortex, courant 2007,
nous avons obtenu des cartes corticales avec une résolution spatiale de 20 μm et
une résolution temporelle de 3 ms sur de grandes étendues de cortex, simultanément
au niveau des 2 hémisphères, ce qui correspond à une réelle prouesse technique.
Tout récemment, nous avons en outre obtenu nos premières cartes transcalleuses
au niveau du cortex visuel primaire du chat.
310 ALAIN BERTHOZ

2.2. Analyse quantitative des effets d’une occlusion monoculaire


précoce sur la morphologie des axones calleux
L. Foubert, C. Milleret. En collaboration avec J. Droulez (LPPA)
et D. Bennequin (Institut de Mathématiques, Université Paris 7)

Sur la base de simples observations, nous avons antérieurement montré que :


1) Chez le chat adulte normal (NR), la plupart des terminaisons callosales présentes
dans le cortex visuel primaire ont un tronc principal dont le diamètre est compris
entre 0,45 et 2,25 μm. Elles sont localisées presque exclusivement dans les couches
supragranulaires (II/III) de la bordure entre les aires visuelles primaires 17 et 18
(TZ), avec un nombre relativement limité de boutons synaptiques. L’équipe l’a
bien établi en collaboration avec G. Innocenti (Houzel et al., 1994). Nous l’avons
confirmé récemment, en combinant imagerie optique et étude anatomique
(Rochefort et al., en préparation). 2) Chez le chat adulte ayant subi une occlusion
monoculaire précoce (MD), ces mêmes terminaisons calleuses ont un tronc
principal de diamètre similaire à ceux des animaux normaux. Mais ils envahissent
cette fois très largement TZ, A17 et A18. Parallèlement, le nombre de boutons
synaptiques terminaux s’accroît très significativement par rapport à la normale,
mais restent toutefois confinés aux couches supragranulaires.

Au cours de l’année qui vient de s’écouler, nous avons tenté de parfaire cette
analyse comparative des axones calleux NR et MD par 2 analyses quantitatives
sophistiquées de la dispersion globale des branches terminales et des boutons. Par
une approximation ellipsoïdale, nous avons montré que : a) La surface corticale
occupée par chaque terminaison calleuse chez les animaux MD est en moyenne
2 fois celle qui est observée chez les animaux NR ; b) Le volume occupé par chaque
terminaison axonale (= volume de l’ellipsoïde) est également en moyenne deux fois
celui qui est occupé chez les animaux NR ; c) Les arborisations terminales se
terminent à 80 % dans TZ chez les animaux NR alors qu’elles ne terminent plus
qu’à 20 % dans cette même région chez les animaux MD ; d) L’angle général de
la distribution des branches terminales et des boutons synaptiques avec TZ est de
70° chez les NR alors qu’il est seulement de 49° chez les MD. Par la seconde
méthode quantitative, nous avons aussi montré que l’occlusion monoculaire
précoce : a) double l’étendue et le volume de l’arborisation terminale des axones
calleux au niveau cortical chez l’adulte ; b) double également le nombre d’amas
synaptiques formés par ses arborisations ; c) divise par 10 le rapport entre le volume
des amas synaptiques et celui de l’arborisation terminale totale ; en d’autres termes,
la densité synaptique est grandement diminuée. Au-delà, ces nouvelles méthodes
d’analyse devraient permettre d’établir dans le futur une corrélation assez étroite
entre l’anatomie et la fonction cérébrale. Dans le contexte qui nous intéresse, elle
devrait beaucoup nous aider à établir une corrélation précise entre les connexions
calleuses et les cartes spatio-temporelles qu’elles définissent. Par là même, on
devrait mieux comprendre comment le corps calleux contribue à l’élaboration de
la perception visuelle.
PHYSIOLOGIE DE LA PERCEPTION ET DE L’ACTION 311

3. MÉMOIRE SPATIALE ET NAVIGATION


S.I. Wiener, M. Khamassi, A. Peyrache, V. Douchamps, K. Benchenane,
E. Tabuchi (LPPA), en collaboration avec P. Tierney, F. Battaglia
(Université de Amsterdam)

Afin de mieux comprendre les interactions dynamiques au niveau de structures


impliquées dans la planification et la prise de décision au cours de la navigation,
nous continuons à employer une double approche comportementale et
électrophysiologie. Nous avons continué nos analyses des enregistrements multi-
voies chez les rats effectuant deux tâches différentes dans le même labyrinthe en
forme de Y (trois bras séparés de 120°), chacune faisant appel aux mêmes réponses
comportementales et présentant des indices comparables. Mais chacune des tâches
implique des types de traitements d’informations différents, qui dépendent des
caractéristiques propres des régions impliquées (connexions anatomiques,
architecture synaptique et neurochimique). En comparant des réponses de neurones
lorsque l’animal met en œuvre différents processus cognitifs, nous déterminons le
profil d’activité d’ensemble de neurones correspondant, et l’état de synchronisation
entre les structures.

3.1. Analyses de l’activité d’ensembles de neurones lors de


l’apprentissage et alternations de stratégie

Les analyses de réactivations jusqu’à présent ne sont pas explicitement reliées à


l’apprentissage de la tâche. En effet, il ne s’agit que d’une étude d’activité globale
reposant sur des comparaisons de corrélations. Nos approches permettent à
comprendre le lien qu’il existerait entre ces réactivations et l’apprentissage per se.
La première approche à ce problème est d’analyser les corrélats comportementaux
des cellules impliquées fortement dans les composantes principales. Des classes de
cellules peuvent être ainsi définies selon leurs sélectivités : préparation de l’action,
récompense, préférence spatiale, préférence à la position de la lumière, etc. Le
travail consistera alors à vérifier et à spécifier l’existence d’invariants (de façon
purement spéculative — et à titre d’exemple — il se pourrait que seules les
composantes principales recrutant des cellules corrélées à la préparation de l’action
et à au résultat de cette action se réactivent). Inversement, dans une approche
analytique a priori, les composantes principales seront calculées sur des sous-
groupes de cellules prédéfinies en fonction de leurs corrélats comportementaux. Il
sera alors vérifié si ces composantes principales tendent à se réactiver ou non. De
façon assez similaire, la restriction du calcul des composantes principales peut se
faire non pas sur les variables (l’activité cellulaire) mais sur des périodes d’intérêt
définies de façon ad hoc (par exemple les périodes précédent ou suivant la
récompense). Finalement, une dernière approche serait de trouver les composantes
principales qui maximisent la réactivation (par exemple en calculant les
composantes principales sur les périodes de sommeil suivant la tâche) et de
regarder les corrélats comportementaux des cellules que les sous groupes cellulaires
312 ALAIN BERTHOZ

se réactivant recrutent. Cette mesure de réactivation ne fournit en rien les détails


des mécanismes physiologiques sous-jacents, tout au plus point elle les moments
d’intérêt aussi bien pendant le sommeil (maximum de réactivation) que pendant
l’éveil. En effet, la mesure de réactivation appliquée au période d’éveil fournit les
temps pendant lesquels la mesure « prend » sa valeur (la corrélation est calculé sur
une grand période, mais seul certain laps de temps peuvent être cruciaux pour
l’établissement d’une corrélation significative). Il sera très intéressant par exemple
de regarder l’activité cellulaire pendant les pics de réactivations. Deux possibilités
vont être alors possibles : ces pics correspondent à des coactivations ayant lieu
toujours dans le même sens (pour deux cellules anti corrélées pendant l’éveil, les
pics correspondent toujours à l’activation de l’une et à l’inhibition de l’autre) ou
non. S’il s’avère que les coactivations respectent un schéma invariant, l’étude des
corrélats comportementaux de ces deux cellules pourrait apporter une information
d’un grand intérêt sur la nature de la réactivation. Cependant, cela ne relève pas
forcément du mécanisme physiologique. Le sommeil à ondes lentes est caractérisé
par des oscillations corticales, thalamo-corticales et hippocampiques tout à fait
particulière. Ces phénomènes oscillatoires ne sont pas indépendants et, au
contraire, de grandes synchronisations sont observées lors de cette phase de
sommeil. L’enregistrement simultané des potentiels de champs locaux dans le
cortex préfrontal médian et l’hippocampe va nous permettre de corréler l’activité
physiologique aux réactivations. Pour étudier les relations entre les activités de
l’hippocampe et du cortex préfrontal par biais des analyses des LFPs, nous
étudions les cohérences entre les potentiels de champs locaux dans la bande thêta
entre l’hippocampe et le cortex préfrontal. Nos données montrent que les jours
ou le rat atteint le critère de réussite de la tâche, on observe une augmentation de
la cohérence au point de décision (bifurcation) dans le labyrinthe.

3.2. Le système noradrénergique dans la plasticité des réseaux


neuronaux lors de la remémoration et de la reconsolidation
Susan J. Sara, DR1 (emerita)

L’apprentissage modifie le pattern de sommeil consécutif chez le Rat, et augmente


la densité des fuseaux dans l’EEG cortical. Au niveau de l’hippocampe, nous avons
observé une augmentation du taux des oscillations à haut fréquence (ripples)
(Eschenko et al., 2008). De plus, il y a une augmentation systématique du taux
de décharge des neurones noradrénergiques du LC pendant le SWS, 2 h après
l’apprentissage (Eschenko & Sara, 2008). Les décharges des cellules du LC sont
synchronisées avec les oscillations lentes et les spindles au niveau du cortex
préfrontal. On peut donc estimer que le LC est, avec l’hippocampe et le néocortex,
un acteur important dans le traitement « off-line » des nouvelles informations,
pendant le SWS. Nous évaluons maintenant la relation entre les décharges
neuronales du LC et l’activité en ripples au niveau de l’hippocampe (en collaboration
avec Adrien Peyrache, O. Eschenko, Max Planck Institute for Biological
Cybernetics). A la lumière de ces résultats impliquant le système noradrénergique
PHYSIOLOGIE DE LA PERCEPTION ET DE L’ACTION 313

dans le traitement d’information pendant le SWS, nous évaluerons la relation


entre le décharge les neurones du LC et le « replay » des configurations d’activations
des ensembles de cellules au niveau hippocampique et corticale. Le couplage avec
l’enregistrement des ensembles, déjà pratiqué au sein de l’équipe, permettra
d’élargir et approfondir nos connaissances sur la manière dont s’effectuent les
interactions entre les réseaux neuronaux lors de l’apprentissage et la mise en
mémoire, ainsi que le rôle facilitateur du système noradrénergique dans ces
interactions.

4. MÉMOIRE SPATIALE ET CONTRÔLE DU MOUVEMENT

4.1. Physiologie de l’action et phénoménologie


J.-L. Petit (Université de Strasbourg), A. Berthoz (LPPA)

L’ouvrage paru à l’automne 2006 (traduction anglaise à Oxford University Press


2008) a mis en place une interprétation de la physiologie de l’action dans la
perspective du dernier Husserl. Renonçant à faire reposer le sens propositionnel
sur les capacités théorique et linguistique du sujet pensant, Husserl enracinait le
sens du monde vécu de l’agent humain dans les systèmes kinesthésiques de son
organisme. L’originalité de l’approche de la perception par la physiologie de
l’action ressortait ainsi clairement par rapport à l’idéologie de la cognition à base
de représentation et de transformation d’information externe. Etaient du même
coup posés de nouveaux problèmes que nous avons traités en répondant à diverses
invitations à des conférences dans des congrès internationaux. Quelle contribution
les mécanismes fonctionnels du système nerveux peuvent-ils apporter au sens des
actions pour l’agent lui-même ou un partenaire ? La découverte des systèmes
résonnants du cerveau va-t-elle relancer le mouvement de naturalisation des
sciences sociales en donnant la clé de l’empathie, de l’imitation et de la formation
des entités collectives ? La théorie des « actes de parole » (Austin-Searle-
Vanderveken) qui repose sur l’interprétation des actes sociaux en termes d’attitudes
propositionnelles — donc de proposition — pourra-t-elle retrouver la dimension
posturale des attitudes en renouant avec l’action ? Les données sur les corrélats
neuraux de la préférence et du jugement de valeur suffisent-elles à combler le fossé
entre l’être naturel et le devoir être ? A toutes ces questions la phénoménologie
laisse entrevoir une réponse cohérente, sinon unique, sur la base des affinités entre
son analyse du vécu et la conception du dynamisme fonctionnel du cerveau
comme théâtre d’un « effort de l’être vers le sens ». Contre la croyance en l’existence
d’un seuil du sens ou d’une frontière entre non sens et sens, nous avons donc
travaillé à une conception de la gradation continue du « faire sens » depuis les
valeurs biologiques dont se chargent les patrons d’activité fonctionnelle des circuits
cérébraux jusqu’aux actes intentionnels orientés vers un but et accessibles à
l’expression dans le langage naturel.
314 ALAIN BERTHOZ

4.2. Modèles computationnels contractants des circuits saccadiques :


du tronc cérébral au cortex
B. Girard, N. Tabareau, A. Berthoz, en collaboration avec D. Bennequin
(Institut de Mathématiques, Paris 7) & J.-J. Slotine (NSL, MIT USA)
Les saccades oculaires sont un objet d’étude privilégié en neurosciences, qui a
donné lieu à de nombreux allers-retours entre modélisateurs et expérimentateurs
depuis plus de 30 ans. La génération de saccades implique l’activation de nombreux
circuits neuronaux sous-corticaux (formation réticulée, colliculus supérieur, cervelet,
ganglions de la base) et corticaux (champs oculaires frontaux, cortex intra-pariétal
latéral, etc.). La richesse des données accumulées permet d’envisager la modélisation
de l’ensemble de ces circuits. Un tel modèle a été proposé dans une série de travaux
menés par l’équipe de Dominey et Arbib au début des années 90, cependant, de
nombreux résultats expérimentaux récents suffisent à en justifier une mise à jour.
Au-delà de cette simple mise à jour, ce projet de recherche a pour objectif d’évaluer,
dans le cas concret et très documenté des circuits saccadiques, l’idée proposée par
Slotine et Berthoz que la théorie de la contraction (Lohmiller et Slotine, 1998)
peut aider à comprendre la stabilité de fonctionnement du cerveau.

4.2.1. Génération des mouvements saccadiques


Le colliculus supérieur a un rôle central dans l’exécution des mouvements
saccadiques, il est composé d’un empilement de cartes rétinotopiques encodant la
position des cibles dans le champ visuel. Ces cartes ont des géométries particulières :
linéaires ou logarithmiques-complexes. Une étude de l’élaboration de la commande
saccadique dans le colliculus supérieur et la formation réticulée (Tabareau et al.,
2007) a permis la mise en place d’une preuve mathématique fondée sur des données
neurobiologiques reliant cette élaboration à la géométrie des cartes. Un nouveau
schéma de recollement a été proposé et s’est montré capable de corriger les erreurs
systématiques de la méthode standard proposée par van Gisbergen et al. (1987). Ce
modèle a été conçu comme contractant. Une implementation robotique préliminaire
a été menée en collaboration avec le laboratoire ARTS (Scuola Superiore Sant’Anna,
Pise) dans le cadre du projet Neurobotics (Manfredi et al. 2006).

4.2.2. Sélection de l’action


B. Girard, N. Tabareau, Q.C. Pham, A. Coninx, A. Berthoz (LPPA),
en collaboration avec J.J. Slotine (NSL, MIT)
Les ganglions de la base sont un ensemble de noyaux sous-corticaux interconnectés
formant des boucles parallèles avec le cortex frontal. Ils semblent impliqués dans
des processus généraux de sélection, guidés par apprentissage par renforcement.
Nous avons proposé un nouveau modèle de ces boucles, intégrant des connexions
entre noyaux usuellement négligées, doté d’une capacité de sélection supérieure à
celle du précédent modèle de (Gurney et al., 2001a,b) et capable d’amplification
sélective du signal cortical (Girard et al., 2005, 2006). Nous avons également
démontré la contraction des /locally projected dynamical systems /(lPDS) introduits
PHYSIOLOGIE DE LA PERCEPTION ET DE L’ACTION 315

par (Dupuis et Nagurney, 1993) et avons proposé de les utiliser comme nouveau
modèle de neurones artificiels (Girard et al., 2008). Le modèle contractant résultant
a été appliqué à la résolution d’une tâche standard de survie en robotique autonome,
afin de montrer son efficacité en tant que Système de sélection de l’action.

4.2.3. Modèle Bayésien de la sélection de saccades


F. Colas, F. Flacher, B. Girard, A. Berthoz (LPPA),
en collaboration avec P. Bessière (LIG, INRIA, Grenoble), L. Canto Pereira,
T. Tanner et C. Curio (MPI, Tübingen)
Afin d’étudier le rôle de la prise en compte explicite de l’incertitude dans les
processus de sélection de l’action, un modèle de sélection de cibles pour les
mouvements des yeux formalisé dans le cadre de la programmation bayésienne est
en cours de développement. Il est fondé sur des cartes d’occupation reprenant la
géométrie du colliculus supérieur. Parallèlement, une nouvelle tâche expérimentale,
inspirée du protocole MOT (Multiple Object Tracking) de Pylyshyn, mais réalisée
avec un champ de vision plus large et avec les yeux libres de bouger a été proposée.
Des mesures de mouvements des yeux dans cette tâche ont été menées, ces données
sont utilisées au LPPA pour tester et ajuster les paramètres du modèle. Ce travail
est intégré au projet européen Bayesian Approach to Cognitive Systems (BACS).

4.3. Contributions sensorielles pour la perception du mouvement


M. Vidal, A. Capelli (LPPA), en coopération avec P. Pretto,
H. Bülthoff (MPI, Tübingen)
Ces travaux de recherches s’inscrivent dans le cadre général de l’étude de la
perception du mouvement. Lorsque nous nous déplaçons, nous disposons d’un
ensemble d’informations qui sont traitées par le cerveau et renseignent sur notre
mouvement relatif et notre position dans le monde.

4.3.1 Perception des vitesses lors de mouvements propres visuels


M. Vidal, en collaboration avec P. Pretto et H.H. Bülthoff (MPI)
Le traitement du flux optique joue un rôle fondamental dans l’analyse de notre
mouvement. Je travaille actuellement en collaboration avec Paolo Pretto au MPI
à Tübingen, sur un projet cherchant à caractériser l’extraction de la vitesse propre
lors de translations visuelles sur un plan. Je m’intéresse dans ce projet aux
informations visuelles non localisantes, en d’autres termes j’exclue l’utilisation de
toute stratégie cognitive de navigation reposant sur des repères visuels pour la
perception du mouvement. La relation entre la vitesse angulaire (rétinienne) et
linéaire (égocentrique) n’est pas triviale, et pourtant le monde que nous percevons
ne se déforme pas lorsque nous nous déplaçons. Nous avons mené une série
d’expériences avec l’écran panoramique du Max Planck Institute (240° × 120° de
champ) afin de caractériser le mécanisme de compensation de l’inclinaison du
regard et l’influence de la zone visuelle disponible (champ de vision total, vision
centrale, vision périphérique), et du contraste. Ce dernier point, sujet de débats
316 ALAIN BERTHOZ

dans la littérature, présente un intérêt majeur pour les simulateurs de conduite lors
de la reproduction de situations accidentogènes provoquées par le brouillard. Les
résultats préliminaires montrent une amélioration du mécanisme de compensation
rétino-topique vers égocentrique pour la perception des vitesses lors du stimulation
large champs, mais aussi lorsque les yeux peuvent accompagner le mouvement.

4.3.2 Perception et mémorisation de mouvements visio-vestibulaires


M. Vidal, A. Capelli, en collaboration avec H.H. Bülthoff (MPI)

Des informations inertielles sont fournies par le système vestibulaire et les


organes internes et des informations de position sont fournies par la proprioception.
De nombreuses études sur le rôle des informations vestibulaires dans la perception
du mouvement ont été réalisées au LPPA dans le passé. Dans le cadre d’un projet
Européen Moves, nous étudions comment les informations internes (vestibulaires
et proprioceptives) se combinent avec le flux optique pour créer un percept de
mouvement propre. L’objectif est de déterminer quelle sera la contribution
respective de chacune des modalités et en particulier s’il y a une intégration
continue avec les informations visuelles ou juste une prise en compte ponctuelle
des informations vestibulaires. Des travaux préliminaires ont déjà été effectués par
M. Vidal au MPI, afin d’étudier le cas de rotations en lacet dans un contexte
visio-vestibulaire. Les résultats mettent en évidence une dominance visuelle dans
l’intégration sensorielle pour la perception de rotations pures.

4.3.3 Estimation du temps restant avant l’impact lors de mouvements propres


A. Capelli, M. Vidal

Peu d’études ont mis en évidence l’utilisation des informations d’accélération de


l’objet pour l’estimation du Temps restant avant l’impact (TTC) dans les tâches
d’interception (Rosenbaum, 1975 ; McIntyre et al., 2001). Dans ces études, la
tâche consistait à estimer le TTC entre un observateur et un objet en mouvement
accéléré vers lui. Nous avons examiné si à partir de stimulations visuelles seules,
l’information d’accélération peut être extraite afin d’effectuer correctement
l’extrapolation du mouvement et donc l’estimation du TTC. Nous avons utilisé
l’écran courbe du LPPA (185° de champ horizontal). La tâche du sujet était de
préciser à quel moment il atteindrait un drapeau placé devant lui sur chemin, et
vers il était visuellement déplacé. Les résultats indiquent une prise en compte de
l’accélération dans l’extrapolation du mouvement propre, mais dans le cas de
mouvements décélérés, il semblerait que l’estimation soit basée sur des informations
de 1er ordre (prologation de la dernière vitesse). Nous envisageons également
d’étudier l’estimation du temps restant avant l’impact lors de stimulations visio-
vestibulaires car la mesure de l’accélération par nos capteurs vestibulaires pourrait
venir compléter les informations visuelles afin d’améliorer les estimations du TTC
établies à partir de celles-ci.
PHYSIOLOGIE DE LA PERCEPTION ET DE L’ACTION 317

4.4. Influence des stimulations visuelles et haptiques


sur la représentation du schéma corporel
I. Olive & A. Berthoz
Nous cherchons à savoir le rôle de la plasticité rapide du schéma corporel humain
dans le processus de substitution sensorielle visuo-haptique. Notre protocole
expérimental consiste dans l’adaptation des manipulations portant sur l’induction
de la plasticité rapide et réversible du schéma corporel humain, tels que l’Illusion
de la Main en Caoutchouc (Rubber Hand illusion). Nous y introduisons un
component sensorimoteur afin d’évaluer le potentiel rôle de l’agencivité et des
processus efférents dans la modulation des processus de plasticité rapide du schéma
corporel humain. Notre protocole expérimental en psychophysiologie évalue les
effets comportementals de l’individu confronté à un conflit de caractère
multisensoriel visuo-haptique fondé sur l’introduction d’une incongruité spatiale
entre l’endroit d’acquisition du retour d’effort haptique et la localisation visuelle
de ce même endroit. Cette incongruité est censé provoquer une modulation et/où
une déviation de la localisation du retour d’effort haptique au-delà des limites du
schéma corporel envahissant l’espace péripersonal de l’individu. Une telle déviation
est corrélée directement à la plasticité rapide et réversible du schéma corporel
humain, en représentant, en conséquence, son indice.

4.5. Bases neurales de la perception des actions, intentions


et émotions d’autrui
J. Grezes (LPPA), Collaborateurs : Professeur A. Berthoz, S. Pichon,
L. Pouga, F. Fruchart, C. Bayetti (LPPA CNRS Collège de France, Paris),
Professeur B. de Gelder (Donders Lab for cognitive and affective neuroscience,
Tilburg University, The Netherlands), Dr S. Berthoz (Service de Psychiatrie de
l’adolescent et du jeune adulte, Institut Mutualiste Montsouris, Paris),
Dr B. Wicker (Institut de Neurosciences Cognitives de la Méditerranée-INCM,
CNRS, Marseille), Dr C. Calmels (INSEP, Paris)
Notre projet de recherche porte sur la perception et la compréhension des
comportements moteurs réalisés par autrui, qui jouent un rôle crucial dans la
communication et l’interaction sociale. Le but est de décrire les mécanismes
cognitifs et d’identifier les corrélats neuroanatomiques qui sont impliqués dans les
capacités à comprendre la signification du comportement d’autrui, à détecter les
intentions et les émotions qui sont à l’origine de ce comportement et qui leurs
sont associés. Ce projet combine des approches, comportementales et des techniques
de neuro-imagerie fonctionnelle (IRMf) chez le sujet normal et pathologique.

4.5.1. La perception des actions d’autrui


La perception d’une action est associée à des activations au sein de régions
cérébrales connues pour leurs rôles dans préparation et l’exécution d’une action,
en particulier le cortex prémoteur et le cortex pariétal (Grèzes et al. 2003). Ces
structures sont activées de façon plus prononcée lorsque le sujet est capable de
318 ALAIN BERTHOZ

reproduire, par rapport à une action n’appartenant pas à son répertoire moteur
(Calvo-Mérino et al. 2004, Calvo-Merino et al. 2006). En collaboration avec le
Dr C. Calmels, un projet actuellement en cours a pour but d’examiner si ce
phénomène de résonance motrice est activé chez des sportifs de haut niveau blessés,
sachant que ceux-ci sont temporairement dans l’incapacité de réaliser certains gestes
en utilisant la technique d’IRMf. La gymnastique artistique a été choisie car c’est
une des rares disciplines sportives où un/une athlète blessé(e) au membre supérieur
(membre inférieur) peut poursuivre son entraînement en réalisant des mouvements
sollicitant les membres inférieurs (membres supérieurs). Des films ont été réalisés,
édités, validés. L’expérience en IRMf a débuté en septembre 2007. Une meilleure
connaissance du mode de fonctionnement du système résonance motrice pourrait
avoir des implications directes par exemple dans le cadre de la rééducation.

4.5.2. La perception des expressions corporelles émotionnelles d’autrui


Cette partie du projet, en collaboration avec le Professeur Alain Berthoz, le
Professeur Béatrice De Gelder, Swann Pichon et Lydia Pouga, a pour but d’étudier
les bases neurales associées à la perception d’expressions corporelles d’émotions (peur
et colère) et de tester le couplage entre émotion et action. Les résultats des deux
premières études en imagerie par résonance magnétique fonctionnelle suggéraient
que la perception d’expressions corporelles de peur et de colère, par rapport à une
expression neutre, engage une étape supplémentaire, celle de se préparer à agir en
réaction à l’émotion perçue (Grèzes et al. 2007, Pichon et al. 2007). Une même
étude sur la peur a été réalisée chez des sujets sains et des sujets autistes — Asperger
en collaboration avec le Dr Bruno Wicker. Nous montrons qu’il existe des différences
cérébrales au sein de la population normale entre des sujets ayant des difficultés à
identifier et à exprimer leurs émotions, sujets dits « alexithymique » et les autres au
sein de l’amygdale, région ayant un rôle crucial dans l’évaluation émotionnelle, ainsi
que dans le cortex cingulaire antérieur qui joue un rôle dans la régulation
émotionnelle (Pouga et al., en préparation). Enfin, seuls les témoins par rapport aux
sujets autistes présentent des activations au sein du système émotionnel (amygdale,
gyrus frontal inférieur et cortex prémoteur ; Grèzes et al, soumis).

4.6. Planification et contrôle de la locomotion chez l’homme


H. Hicheur (Hertie Institut, Allemagne), A. Crétual, A.-H. Olivier
(Université de Rennes), J. Wiener (Freiburg University, Allemagne),
J.-P. Laumond (LAAS, Toulouse), D. Bennequin (Université Paris VI),
J.-J. Slotine (MIT)
Nos recherches actuelles portent principalement sur l’exploration des principes
biologiques et mathématiques sous-tendant la formation des trajectoires
locomotrices chez l’homme. Nous nous intéressons par exemple à la locomotion
exécutée dans diverses conditions expérimentales (avec/sans vision de la cible, en
marche avant/arrière, vitesse lente/rapide,...) afin de dégager l’influence des
modalités sensorielles et motrices sur la formation des trajectoires complexes. En
PHYSIOLOGIE DE LA PERCEPTION ET DE L’ACTION 319

partant de ces observations expérimentales, nous construisons des modèles


mathématiques qui font intervenir des principes tels que le contrôle optimal
stochastique ou la géométrie affine et équi-affine.
Un autre axe de recherche que nous poursuivons est l’étude de systèmes
dynamiques avec la théorie de la Contraction Nonlinéaire. Nous sommes en
particulier entrain de développer une version stochastique de cette théorie. Du
point de vue des applications, nous étudions par exemple la stabilité des réseaux
de neurones synchronisés soumis à des perturbations aléatoires.

4.7. Navigation humaine dans des environnements complexes :


contribution des indices kinesthésiques et effet d’A PRIORI
M. Lafon, J. Wiener, A. Berthoz
L’objectif est d’étudier les stratégies cognitives de navigation de l’homme.
L’originalité de ce travail réside dans la définition et l’étude des kinesthèses ou indices
du mouvement. De plus, ce travail s’appuie sur des protocoles expérimentaux
nouveaux : l’utilisation d’informations présentées préalablement à l’apprentissage
d’un environnement, l’introduction d’incertitude spatiale dans l’étude de la
planification de trajet, l’utilisation de modifications posturales pour l’étude des
kinesthèses. La thèse est également le résultat d’échanges entre le monde industriel et
le monde académique. Lors des deux premières expériences, nous avons pu tester
l’effet d’un amorçage de type carte sur un apprentissage kinesthésique d’un trajet.
Nous avons demandé au sujet de réaliser plusieurs tâches d’orientation et de
navigation pour nous rendre compte de l’interaction possible entre les représentations
mais aussi entre les stratégies. Nous concluons que l’effet de l’amorçage sur un
apprentissage kinesthésique d’un trajet est très différent suivant le type de tâche
demandée, et que certains a priori biologiques influencent notre représentation de
l’espace. Lors d’une troisième expérience, nous avons étudié l’effet d’un changement
postural et de l’habituation sur le maintien d’un pattern locomoteur. Une quatrième
expérience nous a permis de montrer que la planification avec incertitude d’un trajet
connu était réalisée de manière extrêmement performante par les sujets, et nous
avons étudié le rôle des kinesthèses lors de cette planification de trajet. Enfin, une
cinquième expérience met en évidence les contributions relatives des informations
visuelles géométriques et de type « amers visuels ». Le mémoire se termine sur les
études effectuées dans un contexte industriel. La discussion de ce travail se focalise
sur l’interaction possible des représentations de l’espace et des stratégies associées
puis ouvre sur les questions théoriques que pose la thèse.

4.8. Étude du changement de perspective visuelle


dans la navigation spatiale humaine
L. Laou, J. Barra, A. Berthoz (Projet Européen Bacs)
(Projet SCAN, en coopération avec ARCHIVIDEO)
Nous utilisons principalement deux types de perspective visuelle pour mémoriser
un trajet dans l’espace : la perspective route et la perspective survol. La perspective
320 ALAIN BERTHOZ

route (ou perspective égocentrée) correspond à la vision de l’espace en trois


dimensions telle qu’un individu la perçoit lorsqu’il se déplace physiquement dans un
environnement. La perspective survol (ou perspective allocentrée) correspond quant
à elle à une vue aérienne ou de type carte de l’environnement, c’est-à-dire à une
vision de l’espace en deux dimensions. Les représentations de type route utilisent un
cadre de référence égocentré dans lequel la localisation d’un objet se fait par rapport à
celle de l’individu, tandis que les représentations de type survol sont construites dans
un cadre de référence allocentré basé sur les relations spatiales entre les repères. Sur le
plan comportemental, il a été montré que ces deux types de perspective pouvaient
engendrer des connaissances et des performances différentes. Sur le plan neural, nous
avons montré que deux réseaux partageant certaines aires cérébrales étaient impliqués
dans ces deux stratégies (égocentrée et allocentrée) et que ces dernières pouvaient être
mémorisées en parallèle. Actuellement, nos travaux de recherche portent sur l’effet
du changement de perspective sur les performances de navigation dans une ville
virtuelle (collaboration avec Archividéo et Clarté). Nous cherchons également à
mieux caractériser les corrélats neuro-anatomiques des stratégies égocentrée et
allocentrée en utilisant l’Imagerie par Résonance Magnétique fonctionnelle (IRMf,
collaboration avec NeuroSpin). De plus, un objectif complémentaire de nos travaux
consiste à rechercher l’existence de différences entre les hommes et les femmes tant
au niveau des stratégies de navigation que des régions cérébrales impliquées.

4.9. Empathie et Referentiels spatiaux


B. Thirioux, Pr Jorland (EHESS) & A. Berthoz (LPPA),
en coopération avec O. Blanke (EPFL, Lausanne)

Au cours d’expériences en électroencéphalographie, menées en collaboration avec


le Pr Blanke (EPFL, Suisse), nous avons réutilisé notre paradigme de symétrie par
rotation et réflexion, élaboré en 2006 (Thirioux et al., soumis) pour explorer les
mécanismes neurocognitifs du changement de perspective lors d’une interaction
spontanée avec autrui (Jorland et Thirioux, 2008, sous presse). Nos résultats
montrent que lors d’une interaction sans tâche explicite avec un avatar présenté de
face, profile ou dos, les sujets prennent spontanément la perspective visuo-spatiale de
celui-ci, par une transformation mentale du corps, reflétée dans le comportement par
une symétrie par rotation. Ce changement de perspective spontané active
bilatéralement la jonction temporo-pariétale vers 500-600 ms, 450-550 ms et
400-500 ms après l’onset du stimulus, en fonction de la présentation de face, de
profil ou de dos de la funambule, confirmant l’effet de rotation. En fonction de
l’augmentation du degré de translation spatiale nécessaire à la transformation
mentale, on observe une activation prédominante de la TPJ droite mais aussi une
activation sélective du lobule pariétal inférieur gauche pour l’orientation de face. Une
tâche imposée de symétrie par réflexion active les systèmes résonnants, en particulier
le cortex dorsolatéral préfrontal droit et les aires prémotrices droites, selon un axe
antéro-postérieur en fonction de l’orientation de l’avatar, mais aussi, de façon
sélective le cortex occipital droit pour l’orientation de face (Thirioux et al., 2008a, en
PHYSIOLOGIE DE LA PERCEPTION ET DE L’ACTION 321

préparation pour Journal of Neuroscience). Une nouvelle analyse a montré qu’un


changement de perspective spontané, semblable à un changement de perspective
imposé dans une phase tardive des PE (entre 400 et 600 ms), s’en distingue cependant
entre 70-100 ms après l’onset du stimulus, activant l’insula gauche alors que la
rotation imposée active l’insula droite (Thirioux et al., 2008b, en préparation pour
Nature Neuroscience). Ces résultats indiquent une activation très précoce des régions
impliquées dans l’utilisation des référentiels spatiaux. Enfin une dernière analyse
révèle le dynamisme des changements de référentiels spatiaux précédant la stratégie
définitive (rotation ou réflexion). Pour l’orientation de face, les résultats montrent
une activation des systèmes résonants entre 0 et 500 ms, précédant le changement de
perspective spontané. On observe le pattern inverse pour l’orientation de dos. Ces
résultats montrent que les sujets, pour la mise en place de leur stratégie d’interaction
avec autrui, passent de leur propre perspective visuo-spatiale à celle d’autrui, suggérant
qu’une identification avec autrui, non observable dans le comportement, précèderait
neurophysiologiquement le changement de perspective et la distinction avec autrui.

4.10. Dynamique des changements de perspective


dans la navigation humaine
E. Dupierrix, A. Berthoz, Projet MATISS, en coopération avec RENAULT
La navigation humaine est une activité complexe nécessitant la manipulation
simultanée ou successive de différentes perspectives de l’environnement, comme le
point de vue « route » ou le point de vue « survol ». Le point de vue route (ou
égocentré) coïncide à la perspective perçue par l’individu lorsqu’il se déplace
physiquement dans l’espace tandis que le point de vue survol (ou perspective
allocentrée) correspond à une vue aérienne de l’espace. Si les recherches se sont
centrées sur les processus liés à la manipulation de ces deux stratégies spatiales, très
peu d’études ont concerné les mécanismes liés au changement de stratégies. Notre
projet de recherche vise à étudier la dynamique des changements de stratégies
spatiales pour la navigation humaine. Il s’agit plus particulièrement de caractériser
(décours temporel, coût de traitement, corrélats neuronaux) les processus sous-
jacents au changement de point de vue en combinant les méthodes comportementales
et d’imageries cérébrales (EEG).

4.11. Conséquences perceptives et motrices des asymétries cérébelleuses


et vestibulaires dans la scoliose idiopathique
D. Rousie (Université de Lille), A. Berthoz, (Projet de la Fondation Cotrel)
Dans une étude précédente, nous avons démontré qu’il existait chez les sujets
scoliotiques une asymétrie statistiquement significative de la base postérieure du
crâne reflétant une asymétrie cérébelleuse sous-jacente. Nous avons également mis
en évidence un lien direct entre ces asymétries et la présence de malformations au
niveau des canaux semi-circulaires de l’oreille interne grâce à une modélisation
réalisée à partir de données IRM. Pour vérifier une implication neurophysiologique
de ces anomalies, une étude oculomotrice approfondie des sujets scoliotiques a été
322 ALAIN BERTHOZ

menée : elle a permis de mettre en évidence des torsions et des anomalies des
poursuites oculaires relevant de dysfonctions vestibulaires. Par ailleurs, des études
expérimentales récentes ont mis en évidence des liens génétiques entre la formation
du cervelet et de l’oreille interne. Ces premiers résultats suggèrent de nouveaux
axes de recherche. Ceux-ci ont reçu le soutien de la Fondation Yves Cotrel en
novembre 2007 pour une durée de trois ans.
1. Axe génétique : une collaboration avec le Professeur Nancy Miller, également
membre de la fondation Y.Cotrel, a été mis en place. Elle a pour but l’identification
des gènes codant pour la formation de l’oreille interne et du cervelet chez l’homme
puis la comparaison des loci identifiés entre sujets scoliotiques et sujets sains.
2. Axe neurophysiologique : au niveau vestibulaire et cérébelleux : nous avions,
dans la première étude focalisé notre attention sur les canaux semi-circulaires. Il
est maintenant indispensable de nous intéresser à la fonction otolithique également
impliquée dans la fonction posturale (études de Lacour, de Pompeiano, de
De Waele…). Des travaux récents sur le cervelet (Ito) ont ciblé des fonctions
cognitives insoupçonnées du cervelet (représentation spatiale, perception du schéma
corporel… en plus des fonctions classiques de régulation motrices) : de nouveaux
tests d’appréciation de la fonction cérébelleuse vont donc être utilisés. Au niveau
oculaire, les anomalies oculomotrices que nous avons mises en évidence dans la
première étude doivent être poursuivies notamment au niveau des poursuites
oculaires. Cette partie de l’étude sera assurée par le Docteur Salvetti, ophtalmologiste
en charge des bilans oculaires des sujets.

Activités de la Chaire

Publications

Publications de l’équipe : Mémoire spatiale et contrôle du mouvement


Responsable : Alain Berthoz

Revue à comité de lecture

2007
— Capelli, A., Deborne, R., Israël, I. : Temporal intervals production during passive
self-motion in darkness, Current Psychology Letters, 22 (2).
— Hicheur, H., Pham, Q.-C., Arechavaleta, G., Laumond, J.-P., Berthoz, A. : The
Formation of Trajectories during Goal-Oriented Locomotion in Humans. I. A Stereotyped
Behavior, European Journal of Neuroscience, 26(8) : 2376-90.
— Khonsari, R., Lobel, E., Milea, D., Lehericy, S., Pierrot-Deseilligny, C. &
Berthoz, A. : Lateralized parietal activity during decision and preparation of saccades,
Neuroreport., 18(17) : 1797-800.
— Lachaux, J.-P., Jerbi, K., Bertrand, O., Minotti, L., Hoffmann, D.,
Schoendorff, B. & Kahane, P. : A Blueprint for Real-Time Functional Mapping via
Human Intracranial Recordings ?, PLoS ONE, 2(10) : e1094.
PHYSIOLOGIE DE LA PERCEPTION ET DE L’ACTION 323

— Lambrey, S., Amorim, M.A., Samson, S., Noulhiane, M., Hasboun, D.,
Dupont, S., Baulac, M. & Berthoz, A. : Distinct visual perspective taking strategies
involve differently the left and right MTL structures, Brain, Feb 2008 ; 131(2) : 523-34.
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versus spatial representations updated by self-motion, J. Intergr. Neurosc., 6(3) : 379-401.
— Milea, D., Lobel, E., Lehericy, S. Leboucher, P., Pochon, J-B., Pierrot-
Desseilligny, C. & Berthoz, A.(2007) : Prefrontal cortex is involved in internal decision
of forthcoming saccades, NeuroReport, 18(12) : 1221-4.
— Petit, J.-L. : Commentary to Helena De Preester : The deep bodily origins of the
subjective perspective : models and their problems ?, Consciousness and Cognition, 16(3) :
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— Pham, Q.-C., Hicheur, H., Arechavaleta, G., Laumond, J.-P., Berthoz, A. : The
Formation of Trajectories during Goal-Oriented Locomotion in Humans. II. A Maximum
Smoothness Model, European Journal of Neuroscience, 26(8) : 2391-2403.
— Schmidt, D., Krause, B.J., Weiss, P.H., Fink, G.R., Shah, N.J., Amorin, M.A.,
Muller, H.W. & Berthoz, A. : Visuospatial working memory and changes of the point
of view in 3D space, NeuroImage, 36(3) : 955-68.
— Tabareau, N., Bennequin, D., Berthoz, A., Slotine, J.-J. and Girard, B. :
Geometry of the superior colliculus mapping and efficient oculomotor computation,
Biological Cybernetics, 97(4) : 279-92.
— Van Heijnsbergen, C.C.R.J., Meeren, H.K.M., Grèzes, J., de Gelder, B. : Rapid
detection of fear in body expressions, an ERP study, Brain Research, 1186 : 233-41.

2008
— Girard, B., Tabareau, N., Pham, Q.C., Berthoz, A. & Slotine, J.-J. : Where
Neuroscience and dynamic system theory meet autonomous robotics : a contracting basal
ganglia model for action selection. Neural Networks, 21(4) : 628-641.
— Lambrey, S., Amorim, M.A., Samson, S., Noulhiane, M., Hasboun, D., Dupont,
S., Baulac, M., Berthoz, A. : Distinct visual perspective-taking strategies involve the left
and right medial temporal lobe structures differently. Brain., 131 (Pt 2) : 523-34.
— Mossio, M., Vidal, M., & Berthoz, A. : Traveled distances : New insights into the
role of optic flow, Vision Research, 48, 289-303.
— Wiener, J.M., Lafon, M., Berthoz, A. : Path planning under spatial uncertainty.
Mem Cognit., 36(3) : 495-504.

Publications de l’équipe « Perception et exploration actives des objets »


Responsable : Jacques Droulez

Revue à comité de lecture

2007
— Colas, F., Droulez, J., Wexler, M. & Bessière, P. : A unified probabilistic model
of the perception of three-dimensional structure from optic flow, Biological Cybernetics,
97(5) : 461-77.
324 ALAIN BERTHOZ

2008
— Bullot, N. & Droulez J. : Keeping track of invisible individuals while exploring a
spatial layout with partial cues : location-based and deictic direction-based strategies,
Philosophical Psychology, 21(1) : 15-46.
— Devisme, C., Drobe, B., Monot A. & Droulez, J. : Stereoscopic depth perception
in peripheral field and global processing of horizontal disparity gradient pattern, Vision
Research, 48(6) : 753-64.

Publications de l’équipe : Développement perceptif et intégration


interhémisphérique
Responsable : Chantal Milleret
Revue à comité de lecture
2007
— Rochefort, N., Buzas, P., Kisvarday, Z., Eysel, U.T. & Milleret, C. : Layout of
transcallosal activity in cat visual cortex revealed by optical imaging, NeuroImage, 36(3) :
804-21.

2008
— Ribot, J., O’Hashi, K., Ayaka, A., Tanaka, S. : Anisotropy in the representation of
direction preferences in cat area 18, Eur. J. Neuroscience, 27(10) : 2773-80.

Publications de l’équipe « Mémoire spatiale et navigation »


Responsable : Sidney Wiener

Revue à comité de lecture


2007
— Cacquevel, M., Launay, S., Castel, H., Benchenane, K., Cheenne, S., Buee, L.,
Moons, L., Delacourte, A., Carmeliet, P., Vivien, D. : Ageing and amyloid-beta peptide
deposition contribute to an impaired brain tissue plasminogen activator activity by different
mechanisms, Neurobiol Dis, 27(2) : 164-73.

2008
— Eschenko, O., Ramadan, W., Mölle, M., Born, J., Sara, S.J. : Sustained increase
in hippocampal sharp-wave ripple activity during slow-wave sleep after learning, Learn
Mem., 15(4) : 222-8.

Chapitres d’ouvrages collectifs


2008
— Battaglia, F.P., Peyrache, A., Khamassi, M. & Wiener S.I. : « Spatial decisions and
neuronal activity in hippocampal projection zones in prefrontal cortex and striatum ». In :
PHYSIOLOGIE DE LA PERCEPTION ET DE L’ACTION 325

Hippocampal place fields : Relevance to learning and memory. Ed : S.J.Y. Mizumori.


Oxford University Press, pp. 289-311.
— Sara, S.J. : « Reconsolidation : historical perspectives and theoretical aspects ». In :
Learning and Memory : A Comprehensive Reference. Ed : J. Byrne. Oxford, Elsevier, Vol. 1,
pp. 461-75.

Autres travaux et activités de Alain Berthoz

Chapitres d’ouvrages collectifs


— Berthoz, A. (2007) : « L’homme virtuel ». In : L’homme artificiel. Eds : J.-P. Changeux
et al. Paris, O. Jacob, pp. 224-36.
— Freyermuth S., Lachaux J.-P., Kahane P. & Berthoz A. (2007) : « Neural Basis of
Saccadic Decision Making in the Human Cortex ». In : Representation and Brain. Ed.
F. Shintaro. Springer, pp. 199-216.

Conférences
2007
— Berthoz, A. : « Development and function of the balance system in the early years »,
19th European Conference Neurodevelopment and learning difficulties, Conférence Plénière,
Institute for Neuro-physiological psychology, Pise, Italie, 22-23 septembre.
— Berthoz, A. : « Comment le cerveau s’y prend pour décider. Les apports de la neuro-
physiologie à la compréhension de la prise de décision », Séminaire Approches plurielles de
la décision, Ecole Nationale d’Administration, Paris, 28 septembre.
— Berthoz, A. : « Quels rapports l’homme entretient-il avec ses espaces ? », Colloque
Maladie d’Alzheimer : S’adapter au patient. Paris, 16 octobre.
— Berthoz, A. : « Bases neurales de la décision », Colloque la neurophysiologie de la
décision, Ecole Normale supérieure, Paris, 22 octobre.
— Berthoz, A. : « Réalité virtuelle et Neurosciences », Conférence plénière. Colloque
STIC Cité des Sciences à Paris. 5 novembre.
— Berthoz, A. : « Les théories de Bergson sur la perception, la mémoire et le rire, au
regard des données des neurosciences cognitives actuelles », Colloque L’Evolution créatrice
de Bergson cent ans après (1907-2007) : Epistémologie et Métaphysique. Collège de France,
Paris, 23 novembre.
— Berthoz, A. : « Comment le cerveau s’y prend pour décider », Réunion SGA, Ecole
militaire, Paris, 29 novembre.
— Berthoz, A. : « Neural basis of the perception of space, movement and emotions »,
Fourth International Conference on Virtual Storytelling, Saint-Malo, 5-7 décembre.
— Berthoz, A. : « Perceptive integration and postural control », Conférence Plénière.
Congrès Neuroriabilitazione e Robotica, Rome, 13-14 décembre.
— Girard, B., Tabareau, N., Bennequin, D., Slotine, J.-J., & Berthoz, A. :
« A mathematical proof of the coupling of the spatiotemporal transformation and the
superior colliculus mapping », Congrès annuel de la Société de Neuroscience américaine,
San Diego, USA, 3-7 novembre.
— Jerbi, K., Kahane, P., Minotti, L., Bertrand, O., Berthoz, A. & Lachaux, J.-P. :
« Towards Novel Brain Computer Interfaces via Online Detection of Gamma Oscillations
in Intracerebral Recordings », From Neural Code to Brain/Machine Interface, Château de
Montvillargenne, Gouvieux les Chantilly, Oise, France, 27-29 septembre 2007.
326 ALAIN BERTHOZ

2008
— Berthoz, A. : « La pensée de Merleau-Ponty sur la perception au regard des
neurosciences cognitives actuelles », Le temps et l’espace chez Merleau-Ponty, Ecole Normale
Supérieure, Paris, 5-7 juin.
— Berthoz, A. : « Neural principles of natural eye and limb movements that might be
used in robotics », Neurobotics Symposium, Freiburg, 20-22 juillet.
— Berthoz, A. : « Motricité, cognition, perception», 21e Journée d’étude La paralysie
cérébrale, des situations complexes, des pratiques en mutation, Conférence Plénière, Palais
de l’UNESCO, Paris, 24 janvier.
— Berthoz, A.: « The human brain “projects” upon the world simplying principles and
rules for perception and action », Journée IPSEN Neurobiology of Umwelt : comment les
êtres humains perçoivent le monde, Paris, Collège de France, 18 février.
— Berthoz, A. : « Cinématique de l’expression corporelle des émotions pendant la
marche », Colloque Analyse 3D du Mouvement, Collège de France, 3 juin.
— Berthoz, A. : « La manipulation mentale des points de vue : un des fondements de la
tolérance ? », Colloque La pluralité interprétative et les fondements historiques et cognitifs
des changements de point de vue, Paris, Collège de France, 12 juin.

Organisation de réunions
2007
— Berthoz, A. & Kemeny, A. : Séminaire « Images Virtuelles », Collège de France,
Paris, 14 juin.
— Berthoz, A. & Laroche, S. : Colloque final ACI, Collège de France, Paris, 11 et
12 juin.
— Berthoz, A. &. Dario, P. : Brain - Machines Interfaces, Volterra, Italie,
16-21 septembre.
— Clarac, F., Berthoz, A. & al : Colloque From Neural code : to brain/machine
interface. Château de Montvillargenne, Gouvieux-les-Chantilly, Oise, France, 27-29 septembre
2007.

2008
— Berthoz, A. et en coopération avec la Fondation IPSEN : Journée IPSEN
Neurobiology of Umwelt « Comment les êtres humains perçoivent le monde », Paris,
18 février.
— Berthoz, A. & Biometrics : Colloque Analyse 3D du Mouvement, à l’occasion du
15e anniversaire des Réunions des Utilisateurs Vicon, Collège de France, Paris, 3 juin.
— Girault, J.-A. & Chemin, J.-Y., Berthoz, A. & al. : Colloque « Mathématiques en
Neurosciences », Ecole Nationale Supérieure de chimie de Paris, Paris, 10 juin.
— Berthoz, A., Stock, B. & Ossola, C. : Colloque « La pluralité interprétative
fondements historiques et cognitifs de la notion de point de vue », Collège de France, Paris,
12-13 juin.

Enseignement
— Dario, P., Jerbi, K., Berthoz, A. : NEUROBOTICS Summer School 2007 Brain-
Machine Interface, Volterra, Italie, 16-21 septembre 2007.
PHYSIOLOGIE DE LA PERCEPTION ET DE L’ACTION 327

Participation à l’organisation de la recherche


— Membre du Comité des Programmes scientifiques du CNES.
— Membre du Conseil consultatif pour la Science France/Japon.
— Membre du Conseil scientifique de l’Institut de Neurosciences de Trinity College à
Dublin.
— Membre du Conseil pédagogique du Mastère de Sciences cognitives (Ecole doctorale
3C).
— Président du Comité scientifique de l’œuvre Falret pour les maladies mentales.
— Membre du Conseil scientifique du NEUROPOLE Ile-de-France et du RTRA « Ecole
de Neurosciences de Paris ».
— Membre du Conseil scientifique de l’institut Max Planck, Tübingen.
— Membre de la Commission de diffusion culturelle du Conservatoire des Arts et
Métiers.
— Membre du Comité Scientifique de l’AIST-CNRS Joint Japanese-French Robotics
Laboratory (JRL).

Collaboration avec l’Industrie


— Contrat avec la société Peugeot.
— Projet Européen Euréka MOVES sur les simulateurs avec la Société Renault et Max
Planck Institut, Tuebingen, et TNO Hollande.
— Projet SCAN Pôle de compétitivité Bretagne avec la Société Archividéo.
— Organisation et Présidence du séminaire de prospective de la RATP sur « Cognition
et mobilité », 5 séances et un atelier, 2007 & 2008.

Contrats de recherche et coopérations internationales


— Projet BACS : projet européen dans le cadre de Cognitive Systems.
— Projet « Asymétries cranio-faciales », Fondation Cotrel-Académie des Sciences (avec
Mme D. Rousié).
— Projet NEST WAYFINDING n° 12959, FP6-2003-Nest-Path de la Communauté
européenne.
— Programme Human Frontier Science Program (Coordinateur B. de Gelder-Tilbury)
« L’Expression corporelle des émotions ».
— Projet NEUROPROBES, IP dans le EC IST programme « Integrating and
strengthening the European research area (2002-2006) ».
— Projet NEUROBOTICS, Programme européen « Information Society Technologie-
Furture and Emerging Technologies ».

Thèses
— Lafon, M. (2008) : « Navigation humaine dans des environnements complexes :
contribution des indices kinesthésiques et effet d’a priori », Collège de France, 29 mai 2008.
Médecine expérimentale

M. Pierre Corvol, membre de l’Institut


(Académie des Sciences), professeur

L’Apéline

Le cours de la chaire de Médecine expérimentale a porté sur les propriétés d’un


nouveau peptide vasoactif, l’apéline. Le cours de l’année précédente avait montré
que plusieurs peptides vasoactifs étaient impliqués dans la formation de nouveaux
vaisseaux par des mécanismes impliquant l’angiogenèse et le remodelage vasculaire.
Ainsi, l’angiotensine et l’endothéline contrôlent non seulement le tonus vasculaire
et régulent le flux sanguin régional mais ont aussi un effet proangiogénique et
exercent un rôle dans la croissance de la paroi vasculaire. D’autres peptides vasoactifs
exercent une propriété similaire, telle que l’apéline.

La découverte de l’apéline illustre bien la démarche actuelle de l’identification de


certaines nouvelles molécules naturelles biologiques. En effet, c’est par une démarche
de « pharmacologie inverse » qu’a été identifiée l’apéline comme le ligand d’un
récepteur jusque là orphelin, l’APJ. Le récepteur APJ a été cloné en 1993 lors d’une
recherche systématique de récepteurs apparentés au récepteur de l’angiotensine II.
Il s’agit d’un récepteur à sept domaines transmembranaires découvert chez l’homme
par O’Dowd et al. (Gene, 1993). Bien qu’il soit analogue au récepteur de
l’angiotensine II, ce récepteur ne lie pas l’angiotensine. Il partage une homologie de
structure avec le récepteur CXC des chimiokines (CXCR4) et il agit comme
co-récepteur du CD4 pour l’entrée du virus HIV-1 et SIV dans les cellules.

L’isolement et la caractérisation du ligand endogène du récepteur APJ humain ont


été réalisés par l’équipe de Tatemoto et al. (BBRC, 1998). En utilisant une lignée de
culture cellulaire exprimant le récepteur APJ, et en suivant son activation par la
mesure de l’acidification extracellulaire, ces auteurs ont découvert qu’un peptide
présent dans l’estomac de bœuf stimulait l’APJ. La purification, le séquençage et
le clonage des fractions peptidiques actives a révélé qu’il existait trois peptides actifs
de 36, 17 et 13 acides aminés, issus d’un précurseur commun, la pré-proapéline. La
330 PIERRE CORVOL

pré-proapéline (77 acides aminés) est convertie en apéline 36 puis en apéline 17 et


13. Le processus de maturation de la pré-proapéline en apéline 36 n’est pas connu ;
la conversion de l’apéline 36 en apélines 17 et 13 est effectuée vraisemblablement
par des proconvertases. L’apéline sous ses différentes formes, 36, 17 et 13, est présente
dans les tissus, le plasma et divers liquides biologiques. L’apéline 17 est prédominante
dans le plasma chez l’homme. Son origine tissulaire n’est pas connue avec précision
(hypophysaire, cardiaque, tissu adipeux, autres, ?…). Le catabolisme de ces peptides,
leur demi-vie et leur clairance ont peu été étudiés. L’angiotensin-converting enzyme
2 (ACE-2) hydrolyse avec une bonne efficacité catalytique l’apéline 13 en apéline 12
qui conserve une activité biologique.

Les apélines 36, 17 et 13 ont une affinité similaire pour le récepteur APJ. Le
récepteur est couplé de façon négative à l’adénylyl cyclase par une protéine Gi.
Différentes voies de signalisation intracellulaire sont activées par le récepteur APJ,
selon le tissu concerné : phosphorylation de Akt, activation de la p70 S6 kinase,
impliquée dans la progression du cycle cellulaire, activation de la phospholipase C
et des protéines kinases C par la voie Gq. In vitro, les différents fragments d’apéline
ont une affinité similaire pour APJ et agissent préférentiellement par la voie Gi1
ou Gi2, mais la désensibilisation du récepteur dépend du type de fragment de
l’apéline (L. Messari et al., J. Neurochem., 2004).

L’apéline et son récepteur sont présents principalement dans le cerveau,


l’hypophyse, le cœur, le poumon, l’intestin. L’apéline est aussi présente dans le tissu
adipeux, au niveau du rein et des surrénales. Cette distribution correspond à des
actions chez l’homme qui peuvent être brièvement synthétisées ainsi : au niveau
central, l’apéline inhibe la production de vasopressine, module la prise d’eau et de
nourriture et stimule la libération d’ACTH. L’apéline exerce un effet cardiaque
inotrope positif et abaisse transitoirement et modestement la pression artérielle.
L’apéline agit sur les cellules gastriques en stimulant la libération de cholécystokinine ;
elle inhibe la secrétion d’insuline. Elle joue enfin un rôle important dans le
développement cardiovasculaire ainsi que l’ont révélé différents travaux.

Deux études ont montré le rôle de l’apéline et de son récepteur dans le


développement cardiaque chez le poisson zèbre (Scott et al., Developmental Cell,
2007 et Zeng et al., Developmental Cell, 2007) : dans cette espèce, le système
apéline joue un rôle à un stade très précoce, dans la migration des futurs précurseurs
myocardiques au cours de la gastrulation. L’inactivation du système à ce stade
entraîne des anomalies du développement cardiaque. En revanche, on n’observe
pas d’anomalies de l’angiogenèse primaire. Chez la grenouille (Xénope), le récepteur
APJ est exprimé dans tous les vaisseaux (en fait, il existe deux isoformes de ce
récepteur). L’apéline est exprimée précocément dans les régions intersomitiques
avant même que ne se mette en place la formation des veines de cette région. Le
système apéline n’est pas impliqué dans la vasculogenèse de cette espèce mais dans
l’angiogenèse des vaisseaux intersomitiques : l’inactivation du système perturbe le
développement des vaisseaux intersomitiques tandis que la surexpression d’apéline
MÉDECINE EXPÉRIMENTALE 331

induit une angiogenèse prématurée des veines intersomitiques. Le récepteur APJ


de l’apéline est exprimé dans tous les territoires vasculaires de l’embryon de souris
et l’apéline est présente dans les vaisseaux en formation (vaisseaux intersomitiques,
bourgeons de membres) (Kalin et al., Dev. Biol. 2007). L’apéline et son récepteur
sont exprimés dans les vaisseaux rétiniens en post-natal, au front des branches de
division des capillaires en formation (tip cells) (Saint-Geniez et al., Gene Expression
Pattern, 2003). En définitive, chez le poisson zèbre, le xénope et la souris, on note
une expression temporelle quasi simultanée de l’apéline et de son récepteur, une
co-expression spatiale de ces deux molécules. L’apéline est exprimée dans les tip
cells et les veines mais elle n’est pas impliquée dans la vasculogenèse. Ses effets
s’exercent de façon autocrine et paracrine et sont indépendants du VEGF.
Le système apéline – récepteur APJ joue un rôle in vitro et in vivo dans
l’angiogenèse. L’apéline est un agent angiogénique in vitro : elle a un effet
mitogénique sur les cellules endothéliales (HUVEC) et un effet chimiotactique.
Elle augmente la perméabilité des cellules endothéliales, induit la formation de
tubes pseudocapillaires en matrigel et elle participe au remodelage vasculaire au
niveau des cellules musculaires lisses vasculaires. L’apéline accroît le bourgeonnement
de capillaires à partir d’explants aortiques et provoque une néoangiogenèse dans le
modèle de la membrane chorioallantoïdienne de poulet. Enfin, elle favorise
l’angiogenèse dans la cornée avasculaire, la formation de capillaires chez l’animal
lorsqu’elle est implantée en sous-cutanée, elle contrôle la perméabilité capillaire et
est angiogénique dans le modèle de la patte ischémique chez le rongeur. Son effet
dans l’angiogenèse tumorale reste encore à préciser, même s’il semble que l’apéline
soit exprimée dans les tumeurs (Sorli et al., Oncogène 2007). Le mécanisme
d’action de l’apéline est complexe et pourrait impliquer l’angiopoïétine 1 et son
récepteur Tie2. L’angiopoïétine induit l’expression d’apéline dans les vaisseaux
dermiques de souris transgéniques surexprimant l’angiopoïétine 1 dans le derme.
L’apéline pourrait contrôler l’assemblage des cellules endothéliales et leur jonction
intercellulaire par l’intermédiaire de protéines d’adhésion intercellulaires telles que
VE-cadhérine et Claudin-5. Selon un travail récent (Kidoya et al. EMBO J., 2008),
le système apéline serait impliqué dans la régulation du calibre vasculaire durant
l’angiogenèse : le calibre des vaisseaux sanguins (notamment des vaisseaux dermiques
et trachéaux) est réduit chez les souris dont le gène de l’apéline a été inactivé.
Le rôle physiologique du système apéline a été étudié chez des souris adultes
dont le récepteur de l’apéline ou le gène de l’apéline a été inactivé par knock-out.
Ishida et al. (J. Biol. Chem., 2004) ont montré que l’inactivation du récepteur de
l’apéline n’entraînait pas d’anomalie macroscopique des organes étudiés chez la
souris adulte (vaisseaux, cœur, poumon, reins). La pression basale de ces animaux
est normale mais les animaux APJ -/- ont une réponse pressive accrue à la perfusion
d’angiotensine II, suggérant que l’apéline s’oppose à l’action vasopressive de
l’angiotensine II. Cette observation est à rapprocher de celle de l’effet hypotenseur
modeste et transitoire de l’administration d’apéline par voie systémique. Deux
autres expériences plaident en faveur d’une contre-régulation de l’effet hypertenseur
332 PIERRE CORVOL

de l’angiotensine par le système apéline : en l’absence d’angiotensine II endogène


(traitement par un inhibiteur de l’enzyme de conversion) ou en cas d’inactivation
du récepteur de l’angiotensine II (animaux knock-out pour le récepteur AT1), la
perfusion d’angiotensine II entraîne une élévation de la pression artérielle plus
importante chez les animaux dépourvus du récepteur APJ.
L’effet hypotenseur de l’apéline est médié par le monoxyde d’azote, NO. L’apéline
se comporte comme un vasodilatateur artériel et veineux dont l’effet dépend de la
production de NO par l’endothélium. L’apéline est exprimée au niveau de
l’endothélium des artères coronaires, et l’apéline et son récepteur sont aussi présents
dans les cellules musculaires lisses de ces artères. L’apéline est exprimée dans les
oreillettes ainsi qu’à un niveau plus faible son récepteur (Kleinz et al., Regul.
Peptides, 2004). L’apéline produite par les cellules endothéliales agit de façon
autocrine en stimulant le récepteur APJ endothélial qui induit la production de
monoxyde d’azote, ce qui entraîne à son tour la vasodilatation. L’apéline agit
également de façon paracrine sur les cellules musculaires lisses vasculaires sous-
jacentes de la paroi vasculaire. L’interaction avec le récepteur APJ entraîne alors
une vasoconstriction. In vivo, l’apéline a une action tout à fait originale et
intéressante car elle entraîne à la fois une réduction de la précharge ventriculaire
gauche et de la postcharge via une dilatation artérielle et veineuse. L’apéline exerce
une action inotrope positive puissante directe in vitro et in vivo. Elle augmente la
contractilité myocardique, ainsi que le débit cardiaque et la réserve contractile sans
qu’il y ait toutefois de développement d’une hypertrophie cardiaque. Cette action
inotrope positive s’observe sur le cœur sain et lors de l’insuffisance cardiaque
(Hashley et al., Cardiovasc. Res. 2005).
Les mécanismes intracellulaires de l’effet inotrope positif de l’apéline pourraient
impliquer plusieurs effecteurs : l’augmentation de la sensibilité des cardiomyocytes
au calcium intracellulaire, l’activation de l’échangeur sodium-proton via PLC et
PKC et l’activation indirecte de l’échangeur Na+/Ca++ via l’activation de Na+/H+. Il
n’existe pas d’anomalie cardiovasculaire apparente peu après la naissance chez la
souris dont le gène de l’apéline a été inactivé dans l’étude rapportée par Kuba et al.
(Circ. Res. 2007). Toutefois, à six mois, on observe un développement progressif
d’une altération de la fonction contractile cardiaque à type de dysfonction systolique,
sans anomalie histologique cardiaque patente. Ces anomalies peuvent être corrigées
par la perfusion d’apéline 1-13 chez l’animal pendant 2 semaines. De même, une
insuffisance cardiaque s’observe chez la souris dont le gène de l’apéline a été inactivé
lorsque l’on créé une surcharge de pression (bandage aortique), sans que l’on observe
toutefois de modification de type hypertrophie cardiaque. L’apéline joue donc
probablement un rôle dans l’adaptation de la contractilité cardiaque au cours du
vieillissement et en cas de surcharge de pression. Ainsi, on peut faire l’hypothèse
qu’une élévation compensatrice de l’apéline aurait lieu dans un premier temps lors
de l’insuffisance cardiaque par surcharge de pression, suivie d’ une baisse secondaire
du peptide qui pourrait contribuer au développement de l’insuffisance cardiaque. Il
pourrait en être de même chez l’homme. Une étude du transcriptome du ventricule
MÉDECINE EXPÉRIMENTALE 333

gauche avant et après assistance circulatoire chez des patients en insuffisance


cardiaque terminale a montré que le gène de l’apéline s’élève de façon marquée après
transplantation cardiaque ou après assistance circulatoire (Chang et al., Circulation
2003), au moment où la fonction cardiaque a été améliorée.
L’apéline pourrait constituer une piste thérapeutique intéressante en pathologie
cardiovasculaire car elle accroît la contractilité cardiaque en réduisant simultanément
la pré- et de la post-charge ventriculaire. Ses effets inotropes positifs sont préservés
au cours de l’insuffisance cardiaque congestive expérimentale, elle a un effet
cardioprotecteur lors de la souffrance myocardique aiguë et chronique et son
administration n’entraîne pas d’hypertrophie cardiaque. Il serait donc intéressant
d’étudier les effets régionaux et globaux de la perfusion de différents fragments
d’apéline chez l’homme, travail qui n’a pas été réalisé à ce jour. De même, il
apparaît utile de mesurer avec précision les taux d’apéline plasmatiques au cours
de l’insuffisance cardiaque. Les premiers travaux montreraient une élévation de
l’apéline plasmatique durant les premiers stades de l’insuffisance cardiaque puis
une baisse au cours de l’insuffisance cardiaque décompensée. Toutefois, les résultats
publiés jusqu’à présent sont dans l’ensemble difficiles à interpréter du fait de la
difficulté du dosage, de l’hétérogénéité des patients en insuffisance cardiaque et de
la nécessité de tenir compte des autres facteurs qui peuvent être impliqués dans les
variations des taux d’apéline plasmatiques, telle que l’osmolalité plasmatique.
L’apéline est abondante dans l’hypophyse et l’hypothalamus et est co-exprimée
avec l’arginine vasopressine (AVP) dans les corps cellulaires du noyau supraoptique.
Il existe une interaction entre système apélinergique et vasopressinergique : l’activité
électrique phasique des neurones AVP est diminuée par l’administration d’apéline
par voie intracérébroventriculaire (De Mota et al., PNAS 2004). Ceci suggère que
l’apéline pourrait être régulée de façon inverse à l’AVP par l’osmolalité. L’AVP s’élève
au cours de l’hyperosmolalité et négative la clairance de l’eau libre. L’apéline pourrait
s’abaisser en cas d’hyperosmolalilé. Les premiers travaux ont montré qu’effectivement
la déshydratation induit des variations inverses des taux d’apéline et d’AVP dans le
plasma et l’hypothalamus chez le rat (De Mota et al., PNAS 2004). Un travail
effectué chez l’homme sain a précisé les relations entre l’osmolalité plasmatique,
l’apéline et l’AVP plasmatique. L’étude a été réalisée dans des conditions
physiologiques, au cours d’une perfusion de serum salé hypertonique et au cours
d’une charge aqueuse afin de provoquer respectivement un état d’hyper- et d’hypo-
osmolalité plasmatique. Cette étude a montré pour la première fois que l’apéline
était régulée par un stimulus osmolaire chez l’homme : l’hyperosmolalité induite
par le serum salé hypertonique provoque une élévation du taux d’AVP et un
abaissement du taux d’apéline. Toutefois, la volémie intervient aussi dans la
régulation de l’apéline plasmatique. L’élévation de plus de 10 % du volume
plasmatique entraîne une augmentation du taux d’apéline (Azizi et al., JASN 2008).
L’apéline est donc régulée à la fois par des barorécepteurs et des volorécepteurs, de
façon indépendante de l’AVP. Ces résultats sont à rapprocher de ceux obtenus chez
l’animal qui montrent que l’apéline joue un rôle dans l’homéostasie des volumes
334 PIERRE CORVOL

sanguins au niveau central et rénal. Ils amènent à se poser de nouvelles questions :


quel peut-être le rôle physiologique de l’élévation de l’apéline plasmatique et sa
contribution à la diurèse ? ; quel est le mécanisme d’action de cet effet (effet anti-
AVP, possible effet intrarénal) ? ; quel pourrait être l’intérêt d’une classification des
états d’hypo-osmolalité avec anomalie de concentration — dilution des urines par la
mesure des taux d’apéline plasmatique ? quel serait l’intérêt de développer des
agonistes ou des antagonistes de l’apéline sur le plan thérapeutique ?
L’apéline doit être aussi considérée comme une adipokine. L’apéline est exprimée
dans l’estomac et stimule la secrétion de cholécystokinine in vitro dans une lignée
de cellules murines entéro-endocrine (Wang et al., Endocrinology, 2004). Toutefois,
il n’est pas certain que l’apéline passe dans la lumière intestinale et qu’elle exerce
des effets au niveau central. L’apéline est exprimée au niveau du tissu adipeux et
dans le stroma vasculaire. Son expression s’accroît durant la différenciation des
pré-adipocytes en adipocytes (Boucher et al., Endocrinology 2005). Les variations
des taux plasmatiques d’apéline sont parallèles à ceux de l’insulinémie : chez la
souris, l’apéline du tissu adipeux s’abaisse au cours du jeûne et s’élève durant
la reprise alimentaire, de façon similaire à l’insuline. Les taux d’apéline plasmatique
et dans le tissu adipeux et le plasma sont associés à un état d’obésité avec
hyperinsulinémie chez la souris. In vitro, ainsi qu’in vivo, l’apéline pourrait
participer à la régulation de la secrétion et/ou de la production d’insuline
(Winzell et al., Regul. Peptides 2005). L’apéline, à dose pharmacologique, régule
le métabolisme lipidique et l’adiposité chez la souris normale et obèse, sans effet
apparent sur la prise de nourriture. Elle abaisse le taux d’insuline et les triglycérides
plasmatiques, stimule les protéines découplantes et augmente la dépense énergétique
(Higuchi et al., Endocrinology 2007). En accord avec ces données chez l’animal,
une élévation des taux d’apéline chez les patients obèses avec hyperinsulinisme a
été constatée chez l’homme (Boucher et al., Endocrinology 2005). L’élévation de
l’apéline pourrait être une réponse adaptative aux anomalies liées à l’obésité ou
encore être corrélée à l’augmentation de la masse adipocytaire.
Ce cours a tenté de faire le point sur le système apélinergique, un nouveau
système impliqué dans différentes fonctions : cardiovasculaire, métabolisme
énergétique et hydrominéral, etc. L’apéline joue un rôle dans le développement
cardiovasculaire chez le poisson zèbre, le Xénope. Elle exerce des effets bénéfiques
sur la fonction cardiovasculaire (effet inotrope positif avec action vasodilatrice dans
les territoires artériel et veineux). Elle s’oppose à l’action de la vasopressine et de
l’angiotensine II. Par ailleurs, l’apéline est élevée au cours de l’insuffisance cardiaque
et de l’obésité chez l’homme. Il reste à savoir si cette augmentation correspond à
un rôle causal direct ou indirect de l’apéline dans le mécanisme de ces affections.
Actuellement, la recherche sur l’apéline souffre du manque d’agonistes et
d’antagonistes peptidiques ou, mieux encore, non peptidiques de cette molécule.
Peu de choses sont connues sur l’origine de l’apéline plasmatique, sur ses mécanismes
de dégradation et d’élimination. Les connaissances sur les fragments spécifiques de
l’apéline (apéline 36, 17, 13) sont rudimentaires. Des inhibiteurs de la dégradation
MÉDECINE EXPÉRIMENTALE 335

de l’apéline pourraient permettre de potentialiser les différents peptides et d’élucider


leurs effets en physiopathologie.
En résumé, l’apéline est un peptide à effet pléïotropique, comme l’angiotensine
II dont elle semble contrecarrer certains des effets. Ce système découvert il y a
quelques dix ans, apparaît promoteur tant sur une vue intégrée de la fonction
cardiovasculaire que sur les possibles applications en thérapeutique.

Rapport d’activité du laboratoire

I — Contrôle moléculaire du développement vasculaire


Équipe : A. Eichmann, L. Pardanaud, F. Lebrin, C. Freitas, S. Sutching,
E. Jones, B. Larrivée, R. Del-Toro Estevez, I. Brunet, Y. Xu, K. Bouvrée,
T. Mathivet, A. Jabouille, C. Bréant, L. Pibouin

1. Discrimination entre défauts génétiques et hémodynamiques


chez des mutants du récepteur de la neuropiline-1
La délétion de gènes importants pour le développement vasculaire provoque
souvent des anomalies du flux sanguin. Puisque les forces hémodynamiques sont
importantes dans l’acquisition de la forme des vaisseaux, la présence de défauts
dans le flux sanguin empêche souvent la mise en évidence précise du rôle du
produit du gène muté. Nous avons développé un système simple pour distinguer
les défauts du flux sanguin de ceux dus à la perte de fonction du récepteur de la
neuropiline-1 chez la souris (Jones E. et al., Development, 2008). Notre analyse
d’embryons de souris homozygotes pour une délétion de ce récepteur a montré
que des défauts dans le remodelage du système vasculaire du sac vitellin apparaissent
au moment de la mise en place du flux sanguin. Pour distinguer les défauts induits
par la perte de fonction de la Neuropiline-1 de ceux secondaires à une perfusion
anormale, nous avons cultivés les embryons ex utero en absence de flux sanguin.
Ces embryons ‘no flow’ ont été créés en pratiquant une incision au niveau du cœur
qui empêche la circulation embryonnaire. Les embryons peuvent survivre jusqu’à
24 heures dans une chambre rotative et leur réseau vasculaire est analysé par
marquage immunohistochimique. Nous avons observé que les défauts du
développement du réseau vasculaire chez les embryons neuropiline-1 KO se
développaient en absence de flux sanguin. De plus, l’injection d’un anticorps
bloquant la liaison du VEGF à la neuropiline-1 dans des embryons sauvages
reproduisait les anomalies du développement vasculaire. Une analyse de la migration
des cellules endothéliales a montré que les cellules des embryons knockout étaient
incapables de migrer à travers la matrice extracellulaire mais restaient piégées dans
les vaisseaux déjà formés, formant ainsi des vaisseaux anormalement élargis et
dépourvus de points de branchement.
336 PIERRE CORVOL

Ces données montrent que les défauts du développement vasculaire chez les
embryons neuropiline-1 knockout sont causés par la perte de fonction du récepteur
et ne sont pas secondaires à une perfusion vasculaire anormale. Ce système
relativement simple peut être appliqué aux nombreux mutants chez lesquels des
défauts hémodynamiques sont suspectés.

2. Contrôle moléculaire du guidage des capillaires : sélection des ‘tip cells’


L’angiogenèse par bourgeonnement procède de manière analogue à la
morphogenèse des tubes épithéliaux de la trachée chez la Drosophile. Pendant ce
processus, des cellules uniques sont sélectionnées pour former le ‘tip’ (l’extrémité)
d’un bourgeon ; ces cellules répondent au facteur FGF (branchless) par une extension
des filopodes et prennent la tête du bourgeon croissant. Les cellules situées en arrière
suivent, mais ne deviennent pas ‘tip’. Ni les tip cells, ni les autres cellules ne sont pré-
spécifiées, mais il y a une compétition entre plusieurs cellules afin que celles
présentant le plus fort taux d’activité du récepteur FGF prennent la tête, alors que
celles ayant une activité moindre prennent la suite. Cette compétition implique une
inhibition latérale médiée par Notch qui empêche des cellules surnuméraires de
prendre la tête du bourgeon (Ghabrial & Krasnow, 2006, Nature 441 : 746-9).
La sélection des ‘tip cells’ dans le système vasculaire est sous contrôle de voies de
signalisation similaires. Les cellules tip à la tête des capillaires en bourgeonnement
sont induites par la mise en jeu du VEGF via son récepteur VEGFR2
(Gerhardt et al., 2003, J Cell Biol 161 : 1163-77). Les cellules tip expriment aussi
des taux importants de Delta-like 4 (Dll4), un ligand de Notch. L’expression de
Dll4 est en aval de la signalisation du VEGF, puisque le blocage de cette signalisation
par un bloqueur du VEGF, le VEGFR soluble, diminue l’expression de DLL4
dans les tip cells. L’inactivation génique d’un allèle de dll4 chez la souris provoque
une formation excessive de tip cells dans le réseau capillaire de la rétine
(Suchting S. et al., PNAS 2007 ; Suchting S. et al., Med. Sci. 2007). Un phénotype
similaire est obtenu après inactivation pharmacologique de Notch au moyen
d’inhibiteurs des γ-sécrétases ou après la délétion endothélial-spécifique inductible
du récepteur Notch-1 (Hellström et al., 2007, Nature 445 : 776-80). L’inactivation
de dll4 s’accompagne d’un changement du taux d’expression des récepteurs du
VEGF (Tammela T. et al., Nature 2008), indiquant que DLL4 régule négativement
la réponse des cellules endothéliales au VEGF et agit comme un frein de cette
signalisation, contrôlant ainsi la formation d’un nombre limité de tip cells.

3. Facteurs de guidage des axones dans le système vasculaire


Le bourgeonnement des capillaires partage des similarités avec celle du guidage
axonal. Comme les tip cells situées en tête des capillaires, les cônes de croissances
situés à l’extrémité de l’axone étendent de nombreux filopodes qui répondent aux
facteurs de guidage présentes dans l’environnement, y compris les Nétrines. Parmi
les récepteurs des facteurs de guidage axonal, plusieurs ont une expression restreinte
MÉDECINE EXPÉRIMENTALE 337

aux vaisseaux sanguins. Au cours de l’évolution et de la diversification de ces


familles, l’expression d’un certain nombre de récepteurs a donc été annexée par le
système vasculaire. Parmi les récepteurs de la Nétrine-1, UNC5B est exprimé
sélectivement dans les cellules endothéliales, y compris dans les tip cells. Des études
de perte de fonction par délétion des gènes codant pour ces récepteurs chez la
souris montrent que leur fonction de récepteur de guidage est conservée dans leur
nouvel environnement tissulaire : les souris déficientes en unc5b ont une arborisation
vasculaire aberrante aussi bien pendant la vie embryonnaire que pendant la
néovascularisation induite expérimentalement chez l’adulte (Larrivée B. et al.,
Gene & Dev. 2007). La possibilité de diriger la croissance vasculaire pourrait avoir
des implications thérapeutiques importantes. En effet, le traitement par la Nétrine-1
empêche la progression de ‘tip’ capillaires exprimant unc5b lors de la
néovascularisation tumorale chez la souris (Larrivée B. et al., Gene & Dev. 2007).
L’expression vasculaire d’unc5b est conservé au cours de l’évolution chez la souris
et le poulet (Bouvrée K. et al., Dev. Biol. 2008) et son rôle comme récepteur de
guidage répulsif empêchant une vascularisation excessive semble aussi conservé
(Bouvrée K. et al., Dev. Biol. 2008 ; Freitas C. et al., Angiogenesis 2008 ;
Suchting S. et al., Novartis Fund. Symp. 2008).

II — Hypoxie, angiogenèse : protéines matricielles en pathologie


cardiovasculaire et tumorale
Équipe : S. Germain, C. Monnot, L. Muller, A. Barret,
C. Ardidie-Robouant, J. Philippe, E. Etienne, E. Gomez, A. Cazes,
A. Galaup, N. Bréchot, J. Verine, C. Chomel, M. Bignon, S. Gauvrit,
M. Durand
Moduler l’angiogenèse, la formation de nouveaux vaisseaux sanguins à partir de
vaisseaux préexistants, est une approche thérapeutique prometteuse dans de
nombreuses situations pathophysiologiques, notamment dans les cancers et
les ischémies cardiovasculaires. L’hypoxie est un stimulus majeur de l’angiogenèse.
Le but de notre équipe est i) la recherche de nouveaux gènes par deux approches
complémentaires, transcriptomique et protéomique et ii) l’étude de leur rôle au
cours de l’hypoxie cellulaire ou tissulaire ainsi que dans la régulation des différentes
étapes de l’angiogenèse réactionnelle.
Cette étude a été initiée par le criblage différentiel des ARNm (cDNA RDA) de
cellules endothéliales soumises à un stress hypoxique par rapport aux mêmes
cellules cultivées en condition témoin (normoxie). Trois cent gènes dont l’expression
est induite par l’hypoxie ont été identifiés. Les résultats de ce criblage ont été
vérifiés par des approches complémentaires telles que l’hybridation de puces cDNA,
sur lesquelles ont été immobilisés les cDNAs issus du criblage (en collaboration
avec l’INSERM U533). L’analyse statistique des puces nous a permis de vérifier de
façon globale l’induction par l’hypoxie d’une majorité de gènes issus du criblage et
d’identifier des gènes dont les rôles dans les mécanismes de régulation de
l’angiogenèse par l’hypoxie ne sont pas caractérisés : l’IGF-Binding Protein 3, la
338 PIERRE CORVOL

neuritine et la Thioredoxin-interacting protein. L’hybridation in situ nous a permis


de caractériser l’expression de ces gènes apportant ainsi la preuve de la validité du
criblage et la pertinence de certains marqueurs dans les tissus hypoxiques et
angiogéniques (Le Jan, 2006).

Afin d’étudier la fonction de certains de ces gènes, les critères de choix suivants
ont été appliqués : 1) constituent-ils des marqueurs de pathologies (ischémie des
membres inférieurs ou cancer) ? 2) Sont-ils des cibles thérapeutiques potentielles
(protéines sécrétées ou récepteurs) ? 3) Comment sont-ils susceptibles de moduler
la réponse angiogénique ? tsp1 et angptl4, d’une part, étaient les gènes dont
l’expression était la plus fortement induite, à la fois après criblage cDNA RDA et
analyse de puces cDNA, et d’autre part, présentaient, le profil d’expression le plus
convainquant sur des pièces d’amputation de patients souffrant d’ischémie critique
des membres inférieurs ainsi que dans les pathologies tumorales (Le Jan, 2003).
Nos efforts se sont donc concentrés sur l’étude de la fonction d’Angiopoietin-like
4 (ANGPTL4) et de la thrombospondine-1 (TSP1).

ANGPTL4 appartient à la famille des angiopoiétines, protéines impliquées dans la


maturation et la stabilisation des vaisseaux ainsi que dans le développement du
système. Nous avons montré que l’expression de ce gène est induite par l’hypoxie
dans les cellules endothéliales. L’ARNm d’ANGPTL4 est aussi exprimé spécifiquement
dans les cellules tumorales des cancers conventionnels du rein (ou à cellules claires)
pour lesquels ce gène constitue un marqueur diagnostique (Le Jan, 2003). Puis, nous
avons montré qu’ANGPTL4 est une protéine sécrétée dans les cultures primaires de
cellules endothéliales humaines issues de macro- ou de microvaisseau et soumises à
l’hypoxie. Elle est présente sous deux formes distinctes : 1- ANGPTL4 soluble,
présente dans le milieu de culture et soumise à une protéolyse extracellulaire (forme
longue de 55 kDa et protéolysée de 35 kDa) 2- ANGPTL4 matricielle, associée à la
matrice extracellulaire subendothéliale et non protéolysée (55 kDa). Cette forme
matricielle interagit très fortement avec la matrice extracellulaire, en particulier par
l’intermédiaire des héparanes sulfates protéoglycans. In vivo, une accumulation de la
forme entière d’ANGPTL4 est observée dans les muscles ischémiques dans un modèle
murin d’ischémie de patte (ligature-excision de l’artère fémorale) suggérant
qu’ANGPTL4 pourrait exercer un rôle modulateur de l’angiogenèse sur les cellules
de la paroi vasculaire dans un contexte hypoxique. Les analyses fonctionnelles réalisées
in vitro ont confirmé cette hypothèse. L’interaction matricielle d’ANGPTL4 participe
à la constitution d’un réservoir de molécules bioactives qui inhibe la migration et
l’adhésion des cellules endothéliales, au cours de processus hypoxiques. Ces
évènements s’accompagnent d’un étalement intermédiaire des HUVEC, associé à
une modification du cytosquelette objectivée par une diminution des fibres de stress
et des points focaux d’adhésion. Enfin, ANGPTL4 matricielle inhibe le
bourgeonnement endothélial et la formation de tubes (Cazes, 2006).

ANGPTL4, étant induit par l’hypoxie et interagissant avec la matrice


extracellulaire, pourrait modifier le micro-environnement tumoral et ainsi affecter
MÉDECINE EXPÉRIMENTALE 339

les cellules tumorales mais aussi les cellules endothéliales intratumorales. La


technique d’électrotransfert d’ADN a été utilisée pour exprimer ANGPTL4 in vivo
chez la souris. Nous avons montré, en collaboration avec l’UMR 8121 IGR, que
les cellules de carcinome pulmonaire 3LL xénogreffées sous la peau de souris et les
cellules de mélanome murin B16F0 injectées dans le sinus rétro-orbital, développent
moins de métastases pulmonaires chez les souris électrotransférées avec ANGPTL4
que dans les souris contrôle. Les cellules B16 forment des nodules qui restent
intravasculaires au niveau pulmonaire, montrant qu’ANGPTL4 inhibe aussi le
processus d’extravasation. De plus, ANGPTL4 inhibe la perméabilité vasculaire
dans un test de Miles en réponse à l’histamine. In vitro, l’expression d’ANGPTL4
par les cellules B16 inhibe leurs propriétés de migration, d’invasion et d’adhésion.
Ces phénomènes s’accompagnent d’une désorganisation du cytosquelette d’actine
des cellules exprimant ANGPTL4. La formation de points focaux d’adhésion est
aussi fortement réduite. Ces résultats montrent qu’ANGPTL4 inhibe les processus
métastatiques en affectant la perméabilité vasculaire et les propriétés de motilité et
d’invasion des cellules tumorales (Galaup, 2006).

Il est maintenant important de déterminer les caractéristiques moléculaires et


fonctionnelles de l’interaction d’ANGPTL4 avec la matrice extracellulaire, la
modulation de ces interactions pouvant contrôler la biodisponibilité d’ANGPTL4
dans les pathologies ischémiques tumorales comme cardiovasculaires (Chomel, 2008
soumis). Les analyses des cibles moléculaires (récepteurs, intégrines) et cellulaires
(cellules de la paroi vasculaire ou cellules tumorales) ainsi que l’étude des souris
invalidées pour le gène (angptl4 KO), disponibles au laboratoire, est en cours.

Dans le cadre d’un réseau INSERM dédié à l’étude des cellules souches, nous
étudions le transcriptome ainsi que les propriétés angiogéniques de progéniteurs
endothéliaux circulants adultes (Smadja, 2007) et (Smadja, 2008 soumis).

L’objectif de l’équipe est aussi d’analyser les modifications du microenvironnement


vasculaire dans un contexte hypoxique, par une analyse des protéines de la matrice
extracellulaire produite par les cellules endothéliales in vitro. Les processus
angiogéniques s’accompagnent d’un profond remodelage matriciel qui consiste
aussi bien en la dégradation de la matrice extracellulaire en place qu’en
l’établissement d’une matrice provisoire associée aux phénomènes dynamiques de
migration cellulaire, puis à la formation d’une lame basale permettant la stabilisation
du vaisseau néoformé. Le remodelage matriciel résulte donc à la fois des variations
d’expression de gènes et des modifications post-traductionnelles des protéines
exprimées. Dans ce contexte, il est important d’analyser le « sous-protéome »
matriciel et en particulier l’expression de certains constituants matriciels, notamment
des protéines matricellulaires auxquelles ANGPTL4 est apparentée. Les cellules
endothéliales expriment effectivement certains membres de cette famille tels que
les CCN (Cyr61, Nov et CTGF), ostéonectine (SPARC) ou la thrombospondine 1
(TSP1) et IGFBP3. Le profil d’expression de Cyr61, Nov, TSP1 et ANGPTL4 a
été établi au laboratoire dans le milieu de sécretion et la MEC de cultures primaires
340 PIERRE CORVOL

d’HUVEC (Cazes, 2006). De plus, l’expression de la TSP1 in vivo est analysée


dans les tissus ischémiques du modèle murin de patte ligaturée. Les conséquences
fonctionnelles de cette expression sont en cours dans le modèle de la patte
ischèmique chez les souris sauvages et les souris invalidées pour le gène (tsp1 KO)
(Bréchot, 2008 soumis).
Parallèlement à cette caractérisation de protéines matricellulaires candidates, une
approche protéomique différentielle, sans a priori, a été réalisée par séparation en
électrophorèse bidimensionnelle des protéines de la MEC de cultures primaires de
cellules endothéliales de micro- et macrovaisseaux cultivées en normoxie ou
hypoxie. Cette approche permet l’analyse de facteurs bioactifs associés aux
composants structuraux de la MEC. Ainsi, nous avons identifié par spectrométrie
de masse des protéases et des enzymes de pontage et de réticulation de la MEC.
Certaines de ces protéines sont accumulées dans la MEC subendothéliale hypoxique,
en association avec des réseaux de collagènes et de laminines. L’expression de ces
protéines est aussi fortement augmentée dans les tissus ischémiques de pattes de
souris ligaturées. Les analyses de ces protéines de pontage de la MEC se poursuivent
afin de déterminer leur rôle dans le remodelage matriciel et les réponses
angiogéniques des cellules vasculaires.
L’ensemble de ces travaux permettra de caractériser l’action concertée de protéines
matricielles régulées par l’hypoxie, contribuant aux modifications du micro-
environnement et impliquées dans les processus angiogéniques.

III — Angiogenèse normale et pathologique


Équipe : P. Corvol, G. Nguyen, C. Hubert, J-M. Gasc, H. Kempf,
N. Lamandé, A. Michaud, I. Queguiner, M. Clemessy, A. Bessonnat,
E. Larger, S. Ledoux, F. Vincent, A. Caillard, S. Calderari, C. Cousin,
D. Bracquard, C. Chougnet, M. Fysekidis, M. Leroux-Berger, J. Sainz
L’équipe « Angiogenèse normale et pathologique » s’intéresse à différents sujets
de recherche : 1) le rôle du système rénine-angiotensine dans la régulation du
système cardiovasculaire et la fonction rénale ; 2) la genèse des calcifications
vasculaires et 3) l’angiogenèse du pancréas au cours du développement embryonnaire
et son implication éventuelle dans le diabète. Seuls seront brièvement rapportés ici
les deux premiers sujets de recherche, le dernier étant encore au stade d’élaboration
de programme de recherche.

1. Système rénine-angiotensine
a) Activation constitutive du récepteur de l’angiotensine II
Le rôle du système rénine-angiotensine a été essentiellement étudié par la
surexpression ou l’inactivation de ses différents composants chez l’animal. Il n’existait
pas jusqu’à présent de données concernant les effets d’une activation constitutive de
l’un des gènes de ce système. Le laboratoire avait montré qu’il était possible de créer
MÉDECINE EXPÉRIMENTALE 341

une activation constitutive du récepteur AT1 de l’angiotensine II (AT1R) in vitro en


associant une mutation ponctuelle (N111S) et une délétion de l’extrémité
C-terminale intra-cytoplasmique. Dans ces conditions, le récepteur AT1R est
spontanément activé, même en l’absence d’angiotensine II, et n’est que partiellement
internalisé et désensibilisé (Billet S. et al., J. Clin. Invest. 2007). Afin de connaître
les conséquences physiologiques d’une telle activation, un modèle knock-in de
souris a été réalisé. Le récepteur constitutivement activé remplace le récepteur AT1R.
Les données in vivo sont en accord avec celles observées in vitro : la réponse
hypertensive et la durée de l’élévation de la pression artérielle sous angiotensine II
sont plus marquées que chez les animaux sauvages. Les souris chez qui AT1R
est constitutivement activé développent une discrète hypertension artérielle
(+ 20 mmHg), avec une nette fibrose au niveau cardiaque et rénal. Ceci suggère
que la fibrose dans ce cas n’est pas seulement liée à l’élévation de la pression
artérielle, somme toute modeste, mais à l’activation locale du système rénine-
angiotensine. Les données hormonologiques (rénine plasmatique basse, aldostérone
paradoxalement à des valeurs « normales », compte tenu de l’abaissement du taux de
rénine) sont similaires à celles observées dans un groupe d’hypertendus catégorisé
comme à rénine basse et aldostérone normale. Ce nouveau modèle expérimental
s’avère utile pour préciser le rôle de l’angiotensine II dans les organes cibles dans un
contexte proche de celui de certaines formes d’hypertension humaine (S. Billet et al.,
J. Clin. Invest. 2007).

b) Enzyme de conversion de l’angiotensine (ACE). Rôle du domaine C-terminal


et phylogénie
Rôle du domaine C-terminal. L’ACE joue un rôle central dans le système rénine-
angiotensine car il convertit l’angiotensine I, inactive, en un octapeptide actif,
l’angiotensine II. Par ailleurs, l’ACE inactive la bradykinine, un peptide
vasodilatateur et natriurétique. Il existe deux sites, catalytique dans l’ACE, l’un
appelé N-terminal et l’autre C-terminal. Ces deux sites N- et C-terminaux
catalysent tous deux ces réactions enzymatiques in vitro mais leur rôle respectif
in vivo n’a jamais pu être évalués, faute d’inhibiteurs puissants et sélectifs. En
collaboration avec K. Bernstein (Emory Univ., Atlanta, USA), nous avons créé une
série de souris génétiquement modifiées pour le gène de l’ACE. Le domaine
N-terminal a été inactivé sélectivement et un knock-in réalisé. Aucun phénotype
patent n’a été observé, ce qui laissait suggérer que le domaine C-terminal suffisait
à assurer l’ensemble des propriétés physiologiques de l’ACE (Fuchs S. et al., J. Biol.
Chem. 2004).
Afin de répondre à cette question, des souris chez qui le site catalytique du domaine
C-terminal a été inactivé ont été créées (knock-in). De telles souris produisent un
ACE dans les tissus somatiques et germinaux comme chez les souris sauvages. Elles
ne possèdent qu’un site N-terminal actif. Elles ont une pression artérielle et une
fonction rénale apparemment proches de celles des souris sauvages. Toutefois, la
régulation de la pression artérielle est maintenue grâce à une stimulation intense de
342 PIERRE CORVOL

la production rénale de rénine, ce qui suggère que le domaine N-terminal ne peut


compenser par lui seul l’activité du domaine C-terminal. De même, si la fonction
rénale apparaît normale en situation physiologique habituelle, les souris dont le
domaine C-terminal de l’ACE est inactif ne peuvent pas concentrer de façon
satisfaisante leurs urines lorsqu’elles sont soumises à une déshydratation. Ces résultats
montrent que le domaine C-terminal est le principal site de clivage in vivo de
l’angiotensine I. Par ailleurs, les souris dépourvues d’un site catalytique C-terminal
actif sont infertiles, ce qui montre le rôle de l’activité enzymatique de l’ACE
testiculaire dans la fertilité masculine (S. Fuchs et al., Hypertension 2008).

Présence d’une enzyme de conversion de l’angiotensine active


chez une bactérie.

L’ACE est présente dans plusieurs espèces d’invertébrés alors même que ces
espèces sont dépourvues des autres constituants du système rénine-angiotensine.
L’ACE chez les insectes et la sangsue sont des ACE possédant un seul site catalytique
(à l’inverse des vertébrés chez qui existent deux sites catalytiques) et dépourvues
d’une pièce hydrophobe d’ancrage transmembranaire. L’ACE pourrait jouer un
rôle dans la reproduction chez les insectes.

L’analyse in silico de données génomiques révèle qu’une séquence d’ADN pourrait


coder pour des enzymes de type ACE. Le clonage d’un tel ACE putatif a été réalisé
dans une bactérie phytopathogène, Xanthonomas axonopodis, et l’ACE correspondant
a été appelé XcACE. L’expression et la caractérisation de cette ACE révèle qu’il s’agit
d’une dipeptidyl-carboxypeptidase fonctionnelle. Cette protéine clive l’angiotensine
I en angiotensine II, est sensible à l’effet du chore et peut être inhibée par des
inhibiteurs d’ACE de mammifère. Ces données montrent que XcACE est une ACE
ancestrale, fonctionnelle dont le rôle n’est pas connu. Elle représente un élément de
plus pour répondre aux questions sur les relations structure/activité et sur la
spécialisation de l’ACE au cours de l’évolution (G. Rivière et al., Genes 2007).

c) Récepteur de la rénine

Les études sur les fonctions pléiotropiques du récepteur de la rénine et de la


(pro)rénine (P)RR sont poursuivies dans le groupe de G. Nguyen dans plusieurs
directions :
— Une étude sur l’expression de (P)RR a été réalisée dans le cerveau de souris
adulte. Son rôle possible dans la différenciation neuronale a débuté, en collaboration
avec Annette Koulakoff (Inserm U840 Collège de France Paris) et Charles Schwartz
(Greenwood Genetic Center, USA). Manuscrit soumis.
— La caractérisation des différentes formes moléculaires de (P)RR et, en
particulier, la recherche d’une forme soluble du récepteur. Les travaux se porteront
notamment sur l’enzyme responsable du clivage intracellulaire de (P)RR et sur les
fonctions du (P)RR soluble.
MÉDECINE EXPÉRIMENTALE 343

— Une étude de l’expression de (P)RR dans le rein embryonnaire a été réalisée.


En outre, les conséquences de l’exposition du fœtus à un diabète maternel sur les
taux de (P)RR seront étudiées. Ce programme est financé par le Conseil régional
d’Ile de France sous la forme d’une allocation doctorale de 3 ans.
— Enfin, le laboratoire devrait disposer très bientôt de souris floxées pour
(P)RR. Ces souris seront croisées avec des souris Cre sous contrôle de différents
promoteurs (podocine spécifique des cellules épithéliales rénales, SM22 spécifiques
des cellules musculaires lisses vasculaires), afin d’étudier le rôle de physiologique
de (P)RR ainsi que son implication dans différents modèles pathologiques, diabète,
hypertension.

2. Bases moléculaires des calcifications vasculaires

Dans les conditions physiologiques, la minéralisation de la matrice extracellulaire


(MEC) apparaît exclusivement dans les os (et les dents) qui se forment soit
directement par différentiation ostéoblastique soit par l’intermédiaire de cartilage
lors d’une différentiation chondro-ostéoblastique. Toutefois, dans certaines
conditions pathologiques, une minéralisation ectopique et anormale peut se
développer dans des tissus mous, telles que les artères. Cette minéralisation
ectopique des vaisseaux, appelée plus couramment calcification vasculaire, est
fréquemment observée chez le sujet âgé ou comme complication chez le patient
atteint de pathologies, telles que l’athérosclérose, le diabète, l’hypercholestérolémie,
ou encore l’insuffisance rénale. Bien que longtemps considérées comme bénignes,
il est désormais clairement établi que les calcifications vasculaires sont associées à
des évènements cardiovasculaires. La minéralisation de la paroi vasculaire est un
indicateur important de la morbi-mortalité cardiovasculaire.

Bien que la physiopathologie de ces calcifications/minéralisations vasculaires soit


bien documentée, peu de choses sont connues sur les processus moléculaires
impliqués dans leur formation et leur développement dans la paroi artérielle. Il
apparaît donc évident qu’une meilleure compréhension des mécanismes impliqués
dans l’initiation et la progression de cette pathologie est essentielle pour améliorer
la prévention et le traitement de ces minéralisations ectopiques. L’essentiel de la
littérature suggère que le développement des calcifications vasculaires est due à
la différentiation ostéoblastique de cellules musculaires lisses vasculaires en cellules
osseuses dont la MEC subit une minéralisation. Cependant, d’autres résultats
générés par l’analyse de souris mutées, telles que celles dépourvues de Matrix Gla
Protein (Mgp, une protéine γ-carboxylée de la MEC), démontrent que la
minéralisation de la paroi artérielle peut être initiée en absence d’ostéoblastes mais
en présence de chondroblastes. Ces résultats suggèrent que, lors des calcifications
vasculaires, la paroi artérielle peut être le siège, par des mécanismes qu’il reste à
découvrir, à la fois d’une différentiation chondroblastique à l’origine de l’apparition
de cellules cartilagineuses dans le vaisseau affecté et d’une minéralisation
indépendante de la présence d’ostéoblastes de ce même vaisseau.
344 PIERRE CORVOL

Pour élucider les mécanismes moléculaires responsables de l’initiation de la


minéralisation pathologique des vaisseaux, les buts de notre projet sont : 1) d’étudier
les signaux et facteurs de transcription (notamment mais pas exclusivement certains
candidats tels que Shh, BMPs et GATA6, Nkx3 .2 respectivement), responsables
de la formation de cartilage ectopique dans les artères, grâce à l’analyse de deux
modèles d’animaux présentant des calcifications vasculaires importantes ; 2) de
déterminer, en culture mais également in vivo, les rôles et interactions spécifiques
de ces molécules dans la transition phénotypique des cellules musculaires lisses en
cellules cartilagineuses ; 3) d’identifier et de caractériser des nouveaux régulateurs
impliqués dans la minéralisation indépendante de l’apparition d’osteoblastes.

Les résultats préliminaires obtenus au cours de ces derniers mois montrent :


— La disparition de marqueurs des cellules musculaires lisses au profit de
l’apparition de l’expression de marqueurs de cartilage lors du développement des
calcifications vasculaires dans le modèle des souris déficientes en Mgp. Ceci
confirme l’existence d’une trans-différentiation des cellules musculaires lisses
vasculaire en cellules de cartilage au cours des processus de calcification.
— L’existence d’une inhibition de l’activité des facteurs vasculaires par les
facteurs chondrogéniques. Inversement les facteurs vasculaires empêchent l’activité
transcriptionnelle de facteurs pro-chondrogéniques. Ces résultats suggèrent ainsi
que, dans les conditions physiologiques, il existe une modulation réciproque des
deux types de facteurs qui maintiennent chaque cellule qui les exprime dans leur
phénotype propre. En conditions pathologiques, la surexpression de facteurs pro-
chondrogéniques pourrait être responsable de la conversion des cellules musculaires
lisses en chondrocytes.

En identifiant les signaux et facteurs de transcription impliqués dans la transition


des cellules musculaires lisses vasculaires en chondrocytes, ce programme de
recherche fournira des informations nouvelles et déterminantes sur les mécanismes
qui régulent les étapes précoces des complications cardiovasculaires. Par conséquent,
nous espérons que les résultats obtenus au terme de ce projet pourront ouvrir de
nouvelles stratégies thérapeutiques destinées à bloquer très précocement l’apparition
et le développement des calcifications chez les sujets à risque.

Liste de publications du laboratoire 2007-2008

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Magnon C., Galaup A., Rouffiac V., Opolon P., Connault E., Rose M.,
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of antiangiogenic therapy by monitoring both tumoral vascularization and tissue
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MÉDECINE EXPÉRIMENTALE 345

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(pro)renin receptor. Binding kinetics of renin and prorenin in rat vascular smooth muscle
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Krebs C., Hamming I., Sadaghiani S., Steinmetz O.M., Meyer-Schwesinger C.,
Fehr S., Stahl R.A., Garrelds I.M., Danser A.H., Van Goor H., Contrepas A.,
Nguyen G. and Wenzel U. Antihypertensive therapy upregulates renin and (pro)renin
receptor in the clipped kidney of Goldblatt hypertensive rats. Kidney Int. 72 :725-730,
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progenitor cells expansion enhances in vitro angiogenesis with up-regulation of integrin
alpha(6). J. Cell. Mol. Med. 11 : 1149-1161, 2007.
Roosterman D., Cottrell G.S., Padilla B.E., Muller L., Eckman C.B.,
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in endosomes to control receptor recycling. Proc. Natl. Acad. Sci. USA 104 : 11838-11843,
2007.
Magnon C., Opolon P., Ricard M., Connault E., Ardouin P., Galaup A.,
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Larrivee B., Freitas C., Trombe M., Lv X., Delafarge B., Yuan L., Bouvree K.,
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Revues, Ouvrages
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Nguyen G. and Contrepas A. Physiology and pharmacology of the (pro)renin receptor.
Curr. Opin. Pharmacol. 8 : 127-132, 2008.

Liste des diplômés


Thèses
Aurélie Cazes : Thèse de Doctorat d’Université Paris VI,
Spécialité : Physiologie et Physiopathologie
Soutenue le 9 juillet 2007
Interaction de l’Angiopoietin-like 4 avec le microenvironnement
et modulation des comportements cellulaires en contexte hypoxique tumoral
et vasculaire
Biologie historique et évolutionnisme

Armand de Ricqlès, professeur

ENSEIGNEMENTS

1. Cours 2007-2008

Vendredi 11, 18, 25 janvier ; 1, 8, 15, 22 février, 7 et 9 mars 2008 (18 heures)
Le retour à la source : l’évolution secondaire des tétrapodes vers les milieux aquatiques
2 — Les formes mésozoïques

En prologue au Cours annoncé, j’ai consacré les deux premières séances à un point
d’histoire de la paléontologie : les débuts de l’interprétation réaliste des fossiles. Ce
choix résulte des contraintes de l’actualité. En un temps où le « néo-créationnisme »
tente de s’emparer des esprits et essaye, sur tous les continents, de subvertir à l’école
les enseignements scientifiques sur l’évolution, il est réconfortant et salutaire de se
tourner vers les « pères fondateurs ». Comment, à leur époque, et malgré un
environnement créationniste (et diluvianiste) dominant, ceux-ci ont-ils été
progressivement capables de construire une interprétation naturaliste, réaliste et
scientifiquement fondée des fossiles ? J’ai montré en détail comment les
« glossopètres » de l’Ile de Malte ont joué un rôle éminent dans cette aventure
intellectuelle qui se déroule de la Renaissance à l’Age classique. Les héros en sont
Conrad Gesner (1565), Michele Mercati (1574), Nicolas Stenon (1667,1669),
Agostino Scilla (1670) et Paolo Boccone (1671). Les « glossopetrae » ne sont pas la
langue pétrifiée de Saint Paul (évangélisateur de Malte) et multipliée dans le sol « par
la vertu des roches », ni des « jeux de la nature » mais bien de véritables dent de
squales, fossilisées et conservées dans les sédiments marins formant les assises de l’île.

J’ai brièvement présenté ensuite, au titre de « l’actualité » des travaux de la chaire,


les activités conduites depuis plusieurs années au Maroc, visant à la réalisation d’un
Musée sur site (gisement dinosaurien de Tazouda) s‘intégrant dans un vaste projet
de « Géoparc » dans le Haut Atlas.
350 ARMAND DE RICQLÈS

Le cours proprement dit a débuté par un rappel des éléments biologiques


présentés l’année dernière à propos de l’adaptation secondaire de certains amphibiens
aux milieux aquatiques (hétérochronies de développement dans l’histologie
squelettique) en posant la question de la possible pertinence de ces mêmes
mécanismes mais cette fois chez les amniotes (Reptilia). Parmi ces derniers, de
nombreuses lignées s’adaptent en effet secondairement aux milieux aquatiques à
partir d’ancêtres présumés terrestres. On a envisagé, cette année, l’évolution à cet
égard de groupes d’importance variée, soit par leur biodiversité, soit par leur
longévité géologique ou pour leur importance écologique. Après un rappel des
caractéristiques ostéologiques fondamentales des amniotes (problème des fosses
temporales, membres...) on a d’abord traité de deux petits groupes anciens, souvent
rapprochés des Synapsides (lignée mammalienne) : Mésosaures et Thalattosaures.
J’ai traité ensuite en détail le clade des Ichthyosaures (Ichthyopterygia ou
« Parapsides »). J’ai enfin passé en revue le grand clade des Sauropterygia ou
« Euryapsides » (Nothosaures, Placodontes et Plésiosaures). Comme d’habitude,
j’ai tenté de croiser, pour chaque groupe, les données d’histoire de la paléontologie
et de la systématique (premières découvertes puis compréhension « classique » du
groupe) avec les données récentes issues de la recherche moderne (nouvelles
découvertes, analyse phylogénétique, déploiement biostratigraphique et paléogéo-
graphique, biomécanique, paléobiologie, paléoécologie, extinction…).
Les Mésosaures constituent un petit groupe d’amniotes primitifs de taille
médiocre (50 cm à 1,50 m) représentant les plus anciens reptiles très modifiés par
leur adaptation à la vie aquatique (Carbonifère supérieur, Permien inférieur). Ils
sont célèbres par les implications paléogéographiques de leur répartition (Afrique
du Sud et Amérique du sud exclusivement), ayant servi d’argument fort en faveur
du « Continent de Gondwana » bien avant l’élaboration de la « tectonique des
plaques ». Ils ont vécu dans une mer épicontinentale sur le Gondwna, ayant suivi
les dépôts de tillites glaciaires en Afrique du Sud (Groupe de Dwyka). La
reconstitution du crâne chez Mesosaurus et Stereosternum avec des fosses temporales
de type « synapside » n’est pas certaine et cet argument n’est plus guère accepté
pour rapprocher les Mésosaures de la lignée mammalienne. Les phénomènes
extensifs de pachyostéosclérose intéressant la morphologie (côtes « en bananes ») et
l’histologie de tout l’endosquelette sont très marqués et suggèrent que, comme
chez les Urodèles, des hétérochronies de développement du squelette sont associées
à l’adaptation secondaire au milieu aquatique.
Les Thalattosaures forment un autre petit groupe de reptiles aquatiques découvert
au début du xxe siècle dans le Trias supérieur de Californie. Thalattosaurus et
Nectosaurus ont une fosse temporale « basse » techniquement de type synapside
(lignée mammalienne) bien que le reste de l’anatomie évoque plutôt les diapsides.
De taille moyenne (1 à 3 m de long) ils ont des membres courts mais pas
transformés en palettes natatoires. Les découvertes de l’Ecole Suisse de Peyer dans
le Trias des Alpes tessinoises (années 1930) de reptiles marins diapsides
(Macrocnemus, Askeptosaurus, etc.) assez comparables aux thalattosaures ont fait
BIOLOGIE HISTORIQUE ET ÉVOLUTIONNISME 351

rapidement soupçonner que ces derniers pourraient être des diapsides modifiés par
perte de la fosse temporale supérieure. Cette hypothèse a été confirmée à partir des
années 2000 par la découverte de formes nouvelles dans le Trias supérieur du
Guizhou (Chine). Anshunsaurus, Xinpunsaurus et d’autres taxons ont récemment
permis la construction d’un cladogramme du groupe, qui semble s’être dispersé au
Trias sur la rive nord de la Téthys.

Avec le groupe des Ichthyopterygia (Ichthyosaures) constituant un grand clade


naturel, on aborde une radiation majeure de tétrapodes retournés au milieu
aquatique. La découverte de ce groupe en Angleterre au début du xixe siècle nous
ramène aux origines mêmes de la paléontologie des vertébrés. Nous avons relaté
l’histoire de ces premières découvertes (1814) sur les côtes du Dorset par Mary
Anning, la création du Genre Ichthyosaurus par Koenig (1817) et l’intérêt de
Cuvier qui fait acheter le premier spécimen pour le Muséum (1820). On a
également relaté l’histoire des premières iconographies de vulgarisation
paléontologique à propos des ichthyosaures par de la Beche (1830) et Parley
(1837). On est passé ensuite à la présentation anatomique générale du groupe, en
notant l’importance des « fossilisations exceptionnelles » des traces du tégument,
comme à Holzmaden (Toarcien du Wurtemberg), permettant ainsi de découvrir
l’existence de nageoires dorsale et caudale supérieure uniquement tégumentaires.
La disposition crânienne des Ichthyosaures était apparue comme très singulière. Il
s’agit de diapsides, mais la fosse temporale supérieure est particulière car
typiquement limitée infèro-latéralement par le post frontal et le supra temporal.
Pendant la plus grande partie du xxe siècle, cette disposition a justifié de placer les
ichthyosaures dans une « sous classe » particulière des Reptilia : les Parapsides.
A partir des années 1970 de nouvelles études (Romer, Mc Gowan) avaient mis en
doute l’existence de cette disposition anatomique, et donc la pertinence même du
concept de parapside : il s’agirait de diapsides typiques. En fait, les travaux
comparatifs récents prenant en compte les formes du Trias et du Jurassique ont
permis de résoudre le problème. Des phénomènes de déplacements, fusions,
recouvrements et disparitions des os dermiques de la joue et de la région temporale
sont intervenus dans diverses lignées d’ichthyosaures. A partir d’une disposition
diapside « typique » plésiomorphe (Trias inférieur) une disposition parapside typique
se réalise bien secondairement, dès la base du Lias dans certaines lignées. Les dents
sont généralement coniques à carènes coupantes (fonction prédatrice), mais
quelques formes triasiques (Phalarodon, Omphalosaurus…) se sont adaptées à la
durophagie, avec des dents à couronnes bulbeuses. Les membres antérieurs et
postérieurs sont complètement transformés en palettes natatoires, dont l’origine à
partir d’une membre pentadactyle « typique » de vertébré terrestre peut être
désormais assez bien documentée grâce à la découverte de formes très primitives
(Chaohusaurus) récemment décrites du Trias inférieur d’Anhui (Chine). Il y a
toujours hyperphalangie mais le nombre de doigts peut se réduire, la palette
devenant alors étroite et très allongée (lignées « longipinnates » : Shastasauridés du
Trias supérieur). Au contraire la palette peut s’élargir (« latipinnates ») avec
352 ARMAND DE RICQLÈS

hyperdactylie, comme chez Platypterygius du Crétacé inférieur. De façon générale,


la morphologie des formes primitives (Trias inférieur) présente un corps allongé,
adapté à la nage anguilliforme, avec une caudale dans le prolongement du tronc.
Au fur et à mesure de leur évolution les ichthyosaures réalisent un profil plus
hydrodynamique avec un tronc plus court, renflé, et une caudale falciforme adaptée
à la nage thuniforme.

La phylogénie d’ensemble du groupe est désormais établie dans ses grandes


lignes par l’analyse cladistique. Les formes archaïques du Trias inférieur et moyen
(Mixosaurus, Phalarodon) sont de petite taille, vivant dans des environnements
néritiques. Les Shastasauridés du Trias supérieur, au corps encore allongé
et à la caudale plésiomorphe, représentent les premiers grands ichthyosaures
(Cymbospondylus) et contiennent les géants du groupe (Shonisaurus : 15 à 20 m ?).
La biodiversité du groupe s’effondre lors de la transition Trias/Lias mais la lignée
se poursuit avec des formes adaptées à la vie pélagique (Néoichthyosauria). Ce
sont les types « classiques » d’ichthyosaures du Jurassique, constituant de nombreux
taxons de taille moyenne (3 m) à grande (7 m) et présentant chacun des
autapomorphies variées (forme du rostre, taille des orbites…) (Ichthyosaurus,
Leptopterygius, Stenopterygius, Ophtalmosaurus, etc.). Au Jurassique terminal, le
groupe subit une nouvelle diminution de sa diversité mais persiste au Crétacé avec
des formes telles que Platypterygius présentant une polydactylie, et qui proviennent
de formes du Jurassique phylogénétiquement moins dérivées que le groupe
Ichthyosaurus-Ophtalmosaurus.

On a discuté ensuite de l’histoire de la répartition spatiale du clade qui est


relativement bien documentée. Les ichthyosaures apparaissent au Trias inférieur de
Chine (Chaohusaurus). Au Trias supérieur ils sont largement répartis depuis la
région orientale (Japon, Chine), en Europe alpine et centrale, au Spitzberg et en
bordure du Pacifique (Colombie britannique, Névada) surtout dans des sédiments
marins côtiers. Au Jurassique moyen, les principaux gisements européens
« classiques » sont en Angleterre et en Allemagne et le groupe est également connu
des bordures du Pacifique : Neuquèn (Argentine) et Wyoming (USA). A l’Albien
(Sommet du Crétacé inférieur) leur répartition est encore très vaste : « continental
seaway » sur l’Amérique du nord, Europe centrale, Russie du Sud et région
australienne.

En ce qui concerne la paléobiologie, nous avons présenté et discuté les données


et l’argumentation concernant divers aspects du mode de vie. L’histologie suggère
une croissance rapide dans un contexte adaptatif très comparable à celui des
Cétacés. La morphométrie renseigne sur l’évolution des modes de nage et suggère
une physiologie « pseudo-endothermique » chez les espèces thuniformes. La
taphonomie informe sur la reproduction (viviparité) et l’alimentation (poissons,
céphalopodes). Enfin la sédimentologie permet de préciser les habitats (formes
néritiques ou pélagiques). De nombreuses questions restent toutefois ouvertes, telle
la concentration d’individus immatures et de femelles gestantes dans d’éventuels
BIOLOGIE HISTORIQUE ET ÉVOLUTIONNISME 353

« sites de reproduction » à la façon des Cétacés (Holzmaden ?). J’ai enfin évoqué
les problèmes d’origine et d’extinction du groupe. Quand celui-ci disparaît, bien
avant la fin du Crétacé supérieur, à la suite d’une réduction progressive de son aire
d’extension géographique connue, les derniers ichthyosaures, très peu modifiés par
rapport aux formes jurassiques, étaient déjà des « fossiles vivants » dans les
écosystèmes marins du Crétacé. Le problème de l’origine des ichthyosaures demeure
largement ouvert. S’il paraît clair désormais qu’ils dérivent de quelque diapside
terrestre « généralisé » et encore inconnu, la dynamique de leur différenciation
donne toujours lieu à controverses. Pour les uns, le degré de spécialisation des
premiers ichthyosaures connus du Spathien (Trias inférieur) implique une longue
histoire permienne encore totalement inconnue. Pour les autres, sensibles à
l’énorme extinction fini-permienne, l’origine du groupe participe d’une dynamique
de recolonisation rapide des habitats par rediversification des écosystèmes après la
crise. Dans ce cas, la différenciation initiale des ichthyosaures aurait été très rapide
et concentrée à la base du Trias (base du Scythien). De futures découvertes de
terrain permettront sans doute de tester ces hypothèses.
L’autre grand rameau évolutif envisagé cette année est celui des Sauropterygia
(ou Euryapsides) dont les représentants les plus connus sont les plésiosaures.
Globalement, les sauroptérygiens montrent une plus grande biodiversité et un plus
long succès évolutif que les ichthyosaures, ne disparaissant qu’avec l’événement
fini-Crétacé. Les sauroptérygiens présentent un mode d’adaptation à la propulsion
aquatique fondamentalement différent de celui des ichthyosaures. Chez ces derniers
la propulsion était assurée par des ondulations latérales du tronc et de la queue,
comme chez les poissons, les membres pairs ne conservant que des fonctions de
stabilisateurs et de gouvernes. Chez les sauroptérygiens, les membres pairs eux-
mêmes (et leurs ceintures) conservent toujours un rôle important, voire majeur,
dans la locomotion, selon des modalités toutefois assez variées. Comme celle des
ichthyosaures, la découverte des plésiosaures ramène aux origines mêmes de la
paléontologie scientifique. J’ai relaté les soupçons de Cuvier dessinant en Angleterre
dès 1818 des os isolés de plésiosaures, la découverte du premier squelette complet
par Mary Anning (1821) et l’achat par Constant Prévost, missionné par Cuvier,
du second squelette sub-complet pour le Muséum dès 1824.
Le terme d’Euryapside, désignant classiquement une « Sous Classe » des Reptilia,
fait allusion à la disposition particulière des fosses temporales, caractéristique du
groupe. Seule est présente une fosse temporale supérieure homologue à celle des
diapsides, et donc limitée latéralement par le post orbitaire et le squamosal. En
revanche il n’y a pas de fosse temporale inférieure. A sa place, une émargination
de la bordure inféro-latérale de la joue et l’absence de quadrato-jugal suggèrent
qu’une fosse temporale inférieure de diapside aurait pu être initialement présente.
L’articulation carré/articulaire est reportée très postérieurement. Classiquement, le
clade débute au Trias avec les nothosaures, formes encore amphibies, de taille
petite ou moyenne, et les placodontes, très spécialisés dans la consommation de
coquillages. Il se poursuit au Jurassique par les formes pélagiques bien connues des
354 ARMAND DE RICQLÈS

plésiosaures à cou allongé et tête petite, et des pliosaures à cou court et à tête
allongée. On retrouve les uns et les autres au Crétacé, les plésiosaures y culminant
avec des formes terminales de très grande taille, les élasmosaures. Nous avons
montré combien ce schéma général avait été enrichi et modulé par les recherches
des deux dernières décennies, du fait de nouvelles découvertes et de l’application
de la méthode cladistique.
L’histoire paléontologique du groupe débute au Trias inférieur avec des
organismes lacertiformes de petite taille (50 cm). Le cou, le tronc et la queue sont
allongés tandis que les membres pentadactyles sont relativement courts et robustes,
avec toutefois des autopodes allongés mais sans hyperphalangie. La forme la plus
basale est Keichousaurus, de Chine, dont l’ontogénie est connue, qui se regroupe
avec d’autres taxons de très petite taille et un peu plus récents du Trias inférieur
et moyen d’Europe centrale (Dactylosaurus, Anarosaurus, etc.). L’analyse cladistique
de ces taxons, initialement classés parmi les nothosaures, montre qu’ils constituent
un premier clade basal des Sauropterygiens : les pachypleurosaures. Ce clade est
caractérisé, entre autres synapomorphies, par une histomorphogenèse squelettique
particulière, que nous avons détaillée, et qui est très proche de celle des mésosaures
(voir ci-dessus). A la suite des études récentes de O. Rieppel et coll., j’ai détaillé,
à titre d’exemple, les problèmes paléobiologiques et évolutifs concenant des
pachypleurosaures un peu plus récents et de plus grande taille, provenant des
célèbres gisements du Monte San Giorgio (Tessin). Les taxons concernés :
Serpianosaurus et trois espèces successives de Neusticosaurus (Pachypleurosaurus) :
N. pusillus, N. peyeri et N. edwardsii se succèdent localement dans la série
stratigraphique. Avec ce modèle on dispose de « paléopopulations » (contrôle
statistique) représentées par des individus complets (contrôle anatomique),
comprenant des séries de croissance (contrôle ontogénique), se succédant dans le
temps (contrôle stratigraphique) et l’espace en un même lieu (contrôle
géographique). Que souhaiter de mieux dans la documentation paléontologique ?
La série stratigraphique représente une durée de 5 MA au maximum, à la limite
Anisien/Ladinien (Trias moyen), mais les quatre principales séquences fossilifères
successives n’en représentent qu’un faible pourcentage temporel. L’analyse
cladistique place Serpianosaurus comme taxon basal, les trois autres espèces de
Neusticosaurus étant de plus en plus dérivées, ce qui est conforme à leurs situations
stratigraphiques respectives. Le cladogramme suggère l’existence de plusieurs
« lignées fantômes » répondant aux cladogenèses successives aboutissant aux quatre
taxons décrits. En revanche, on n’en a nulle trace dans la documentation
morphométrique et stratophénétique disponible, qui suggère plutôt l’existence
d’une seule lignée évoluant par anagenèse. On saisit sur cet exemple en quoi
l’analyse logique de la répartition taxinomique des états de caractères (analyse
cladistique) pourrait éventuellement différer de la phylogénie concrète.
Les Nothosaures proprement dits (Nothosaurus, Ceresiosaurus, Lariosaurus,
Simosaurus, Cymatosaurus...) sont généralement des organismes plus spectaculaires
que les pachypleurosaures (1,50 m à 4 m), présentant une grande diversité dans
BIOLOGIE HISTORIQUE ET ÉVOLUTIONNISME 355

leurs proportions crâniennes. La tête triangulaire, et plus ou moins allongée, était


de relativement petite taille et portée par un cou allongé. Les membres pentadactyles
assez peu modifiés sont cependant déjà adaptés à la vie aquatique, mais devaient
encore permettre la locomotion au sol (on a comparé leur situation, à cet égard, à
celle des pinnipèdes parmi les mammifères). La nage pouvait encore impliquer des
ondulations latérales du corps et de la queue. C’était des organismes plutôt
néritiques à rôle de superprédateurs dans les mers du Trias moyen et supérieur
(Europe centrale (Muschekalk), Trias alpin, Moyen Orient, Chine…). L’analyse
phylogénétique du groupe, très complexe, n’a pas encore abouti à des conclusions
robustes. Les nothosaures ne dépassent pas le sommet du Trias mais sont relayés
dés le Lias par les premiers plésiosaures. Ceci pose le problème de l’origine de ces
derniers. On avait soupçonné depuis longtemps qu’une famille très mal connue de
nothosaures du Trias moyen, les pistosaures, aurait été à l’origine des plésiosaures.
Cette hypothèse a été confirmée récemment par la découverte de nouveaux
pistosaures beaucoup plus complets. L’analyse phylogénétique des caractères
d’Angustasaurus, du Trias moyen du Nevada et de Yunguisaurus du Trias moyen
de Chine relativement aux nothosaures et à Plesiosaurus (2006) confirme la position
des pistosaures comme groupe-frêre externe des Plésiosaures.

Les plésiosaures apparaissent avec la transgression liasique en Europe, avec


d’emblée des formes pélagiques à tête plutôt petite et à cou long (plésiosaures
proprement dits : Cryptocleidus) et des formes à grande tête et à cou court (type
pliosaure : Peloneustes). L’analyse cladistique d’ensemble du groupe tend à montrer
que cette subdivision est plus écologique que phylogénétique, répondant à la
réalisation itérative de deux « types adaptatifs » différents de grands prédateurs
marins. Les membres sont toujours transformés en palettes natatoires plus ou
moins allongées par un forte hyperphalangie (pas d‘hyperdactylie) et sont associés
à un développement ventral considérable des ceintures scapulaires et pelviennes.
Celles-ci sont reliées ventralement par un puissant système de gastralia. La région
troncale, armée par des côtes puissantes, s’élargit assez considérablement et s’aplatit.
Les portions dorsales des ceintures étaient sans doute reliées à l’axe vertébral par
de puissants systèmes ligamentaires, transmettant l’effort propulsif. Les palettes
natatoires postérieures (pelviennes) sont un peu plus développées que les antérieures
(pectorales) chez les pliosaures, contrairement aux plésiosaures. On a relaté l’histoire
des interprétations successives de la locomotion chez ces organismes. Pendant une
bonne partie du xxe siècle, on en est resté à une reconstruction proposée par
Watson (1924) faisant des plésiosaures des « rameurs ». Une analyse critique serrée
de cette conception par Robinson (1975-76) tant du point de vue anatomique
qu’écologique et énergétique a entraîné son abandon. Désormais on voit dans les
plésiosaures (comme à la fin du xixe siècle) des pratiquants du « vol subaquatique »
à la manière des tortues marines et des manchots actuels. Ils disposaient toutefois
de deux « modules propulsifs » (pectoral et pelvien) au lieu d’un seul (pectoral)
chez leurs analogues actuels. Des considérations hydrodynamiques et énergétiques
suggèrent que les plésiosaures « classiques » à petite tête et long cou étaient des
356 ARMAND DE RICQLÈS

nageurs d’endurance mais peu rapides. Les pliosaures, beaucoup plus


hydrodynamiques, auraient été des nageurs plus rapides que l’on a pu comparer
écologiquement à des orques, dans la nature actuelle. La position des plésiosaures
et pliosaures au sein des écosystèmes marins du Jurassique supérieur a été
systématiquement analysée sur le modèle de l’Oxford Clay (Martill 1994). La
biomécanique dentaire et crânienne d’un superprédateur comme Pliosaurus a été
analysée en détail et il a pu être montré que des carcasses flottées de dinosaures
pouvaient entrer dans le régime (Taylor et al. 1993).

Le « type pliosaure » est bien représenté au Crétacé par les Polycotylidés. Des
travaux phylogénétiques récents, fondés en particulier sur la structure du palais
chez Dolichorhynchops du Campanien (Crétacé supérieur) du Kansas, ont montré
que ce groupe n’était pas apparenté directement aux pliosaures jurassiques mais
qu’il fait partie d’un clade des Cryptocleidoidea (O’Keefe 2004) comprenant
basalement des plésiosaures comme Muraenosaurus du Jurassique. Très récemment,
les découvertes d’Albright et al. en Utah (2007) ont confirmé que les Polycotylidés
font partie d’un groupe de « plésiosaures à cou court » ou « faux pliosaures ». Ainsi
les pliosaures apparaissent bien comme un écotype ayant évolué de façon
polyphylétique.

Les plésiosaures à cou long évoluent au Crétacé vers des formes de très grande
taille, les élasmosaures, pouvant atteindre 12 à 15 mètres de long, pour des crânes
de 30 à 50 cm chez les formes du Crétacé supérieur connues du centre et de l’ouest
des USA, telles que Thalassomedon, Styxsosaurus ou Hydrotherosaurus. Le cou très
mobile s’allonge démesurément tandis que la queue se raccourcit en proportions
relatives. Les grandes dents faisaient saillies extérieurement, les supérieures et les
inférieures s’entrecroisant, et réalisant ainsi une « trappe » à poissons ou à
céphalopodes. Nous avons relaté une succession de découvertes récentes concernant
le groupe. Celle d’un élasmosaure primitif dans le Jurassique inférieur français
(Bardet 1999) est venue documenter l’origine de ces formes dominantes au Crétacé,
dont l’histoire peut être suivie en détail dans les régions Néo-Zélandaises,
Australiennes et Sud-Américaine/Antarctique, et ce jusqu’au Crétacé terminal, avec
des formes parfois écologiquement très spécialisées dans la microphagie (Aristonectes).
Les rares données européennes issues du Maestrichthyen éponyme (Mulder 2000)
indiquent également une persistance modeste du groupe jusqu’à l’extrême fin du
Mésozoïque. Les travaux paléohistologiques sur des séries de croissance
d’élasmosaures et de pliosaures du Crétacé supérieur de Nouvelle Zélande ont
apporté des données intéressantes. Tandis que les jeunes ont un squelette
pachyostique suggérant un rôle de « ballast » dans des environnements néritiques,
à la façon des formes triasiques, les adultes acquièrent ensuite un squelette de
structure allégée, « de type cétacé », sans doute en relation avec la vie pélagique
(Wiffen et al. 1995).

J’ai traité à part le groupe triasique des Placodontes, dont les relations
phylogénétiques avec les autres Euryapsides ne font pas consensus. J’ai commencé
BIOLOGIE HISTORIQUE ET ÉVOLUTIONNISME 357

par la présentation de Placodus gigas, une grande forme (2 à 3 m) du Muschelkalk


(Trias moyen) du domaine marin épicontinental (plates formes carbonatées)
d’Europe centrale bordant le nord-ouest du domaine téthysien profond. C’était un
animal plongeur au tronc rebondi et à la queue allongée. Les membres, relativement
courts mais peu modifiés, ne devaient guère permettre une locomotion terrestre.
Les ostéodermes dorsaux ne forment pas de carapace. Les côtes de morphologie
complexe étaient complétées ventralement par des gastralia. Le crâne, massif et
solide, est adapté à un régime conchylophage. Les puissantes incisives proclives
sont suivies sur le palais et la mandibule par quelques énormes « dents en pavés »
à l’émail épais, propres à broyer les coquilles de mollusques marins. L’évolution du
groupe est dominée par l’adaptation à ce régime. Les autres familles de placodontes
(Cyamodontidés : Cyamodus, Sinocyamodus, Psephochelys, Psephoderma, Plachoche-
lyidés : Plachochelys, Henodontidés : Henodus, etc.) se spécialisent davantage. Le
crâne prend une forme triangulaire, se raccourcit et s’élargit postérieurement pour
faire place à une énorme musculature adductrice de la mandibule. Des ostéodermes
se soudent à sa marge postéro-latérale et le corps s’aplatit dorso-ventralement, la
queue reste allongée. Une carapace constituée par des ostéodermes polygonaux se
différencie dorsalement et ces placodontes en viennent ainsi à ressembler beaucoup,
mais superficiellement, à des chéloniens. Chez Cyamodus et Psephoderma, la
carapace est en deux parties distinctes, la région pelvienne ayant une armure
indépendante. Chez Henodus, elle prend une forme en selle, plus large que longue.
Les membres, peu spécialisés, restent bien développés. Depuis une vingtaine
d’années, de nombreux placodontes ont été découverts dans le Trias supérieur de
Chine (Guizhou) : le groupe semble avoir évolué pendant tout le Trias dans les
mers chaudes épicontinentales bordant le Nord de la Tethys. Aucun placodonte
ne dépasse le sommet du Trias. On a fait remarquer à cet égard que ces organismes
spécialisés aux milieux néritiques n’ont pu s’adapter aux grandes transgressions
liasiques, contrairement aux autres Sauropterygiens et aux Ichthyosaures qui
s’adaptent alors à des modes de vie pélagiques.

2. Séminaire 2007-2008. La notion de fonction : des sciences de la vie à la


technologie, les 21-23 mai 2008
Organisé avec le Professeur Jean Gayon (Université Paris I Panthéon Sorbonne)
dans le cadre de l’action concertée incitative (ACI), La notion de fonction dans les
sciences humaines, biologiques et médicale (Coordinat. J. Gayon, partenaires scientifique
A. de Ricqlès, O. Houdé, Fr. Parot).
Pour le biologiste, la notion de fonction est aussi familière qu’omniprésente dans
tous les aspects de son travail. Comme Monsieur Jourdain faisant de la prose sans
le savoir, le biologiste utilise cette notion à chaque instant de son activité. Il s’agit
pour lui, en quelque sorte, d’un « outil intellectuel spontané » dont la disponibilité
pratique permanente fait qu’il n’éprouve pas souvent le besoin, au fil de la
recherche, de s’interroger sur sa pertinence ou sa signification.
358 ARMAND DE RICQLÈS

Un premier aspect frappant de la notion de fonction est donc la constance de son


usage par le biologiste — et je comprends sous ce terme aussi bien le biologiste
moléculaire dans son laboratoire que le naturaliste de terrain qui peuvent être encore
parfois — et heureusement — une seule et même personne. Pour tous, la fonction
est apparemment une notion d’une grande utilité, à toutes les échelles de l’intégration
organique du vivant puisqu’on la retrouve à tous les niveaux. Qu’il s’agisse du « site
fonctionnel » de l’enzyme, du rôle du neuromédiateur trans-synaptique, de celui de
l’hormone, de celui de la cellule plus ou moins spécialisée, ou de celui du tissu, de
l’organe, du système, et jusqu’à celui de l’organisme en tant que totalité intégrée au
sein de la population, voire du rôle de l’espèce au sein de l’écosystème, la fonction est
partout. Elle nous propose donc un perpétuel cheminement bi-directionnel selon
l’axe de l’intégration organique, soit selon la voie ascendante du compositionnisme,
soit selon la voie descendante du réductionnisme.

A tous les niveaux de cette hiérarchie, l’omniprésente utilité de la fonction se


comprend assez facilement parce qu’elle propose, ne serait-ce que de façon implicite
et ramassée, une justification des données observées, autrement dit l’apparence
d’une explication rationnelle des faits. Evoquer la fonction, c’est donc toujours
donner à saisir l’amorce d’une explication. Songeons par exemple à la définition
de l’hormone : « substance chimiquement définie, produite par une glande
endocrine, véhiculée par le sang, et allant exercer sur un organe cible particulier
appelé récepteur une action spécifique qui est son seul rôle ». La fonction de
l’hormone, autrement dit l’explication de sa présence, c’est donc d’aller réguler la
marche de tel organe, dans telle circonstance physiologique.

Amorce d’une explication rationnelle, ou plutôt apparence seulement d’une


explication ? En science, en effet, une explication doit être causale. Expliquer, c’est
donc remonter rétrospectivement des effets aux causes, la cause devant toujours
précéder l’effet. Dans le cas de l’hormone et de sa définition physiologique, on
constate immédiatement un paradoxe, l’explication de l’hormone, c’est-à-dire la
cause de son existence, est dans son effet physiologique lui même : on a donc
affaire à une « explication finale » et non pas causale, au sens où l’entendent les
sciences physico-chimiques. La « cause finale », au sens aristotélicien, qui inverse
le sens de l’explication relativement au déroulement du temps, est irrecevable pour
les sciences ordinaires. De fait, l’interprétation, l’explication par la fonction, si
satisfaisante et si naturelle en apparence, a pu souvent conduire, en biologie, à un
finalisme plus ou moins généralisé, plus ou moins revendiqué, ou plus ou moins
honteux . L’explication par les causes finales est-elle inéluctable pour les sciences
biologiques ? A mon sens, aucun scientifique ne devrait se résoudre à l’admettre.
Il y a dans l’apparente légitimité des explications finales en biologie un « tour de
passe-passe » de la nature qui découle de la dimension historique et généalogique
de l’évolution, dimension non prise en compte par les sciences nomologiques.

Un deuxième aspect frappant de la fonction, c’est paradoxalement sa réalité


efficiente, concrète et opérationnelle relativement au niveau biologique où l’on
BIOLOGIE HISTORIQUE ET ÉVOLUTIONNISME 359

situe son exercice, et cependant son apparence assez abstraite, dès que l’on tente
d’isoler conceptuellement sa nature propre, parce qu’elle est avant tout interaction
plutôt que substance.

En effet, à tous les niveaux d’intégration où on l’envisage, la fonction ne peut


se concevoir effectivement sans l’existence de structures matérielles qui la sous-
tendent et en constituent en quelque sorte le support.

Ainsi, dans le cadre de la pratique des sciences biologiques, et de façon générale


des sciences positives, la fonction ne peut être opérationnellement traitée comme
une abstraction, ou comme un concept général, ainsi que pourrait le faire le
philosophe, mais bien comme une action, ou une interaction spécifique, en tant
que manifestation concrète, hic et nunc, des propriétés particulières d’objets
matériels, ou structures. Les structures, en tant qu’objets concrets figurés, avec des
caractéristiques précises en matière de composition, de taille, de forme et
d’énergétique, ont des propriétés spécifiques qui découlent avec un degré de nécessité
très fort, des lois de la physico-chimie, de la géométrie et de la topologie. On peut
donc dire que les fonctions des structures sont des propriétés émergentes de celles-
ci, émanant de leur constitution même. De là à considérer que les fonctions des
structures sont la raison même de l’existence de ces dernières, c’est franchir un pas
considérable autant que périlleux, qui débouche, on l’a vu, sur tout le problème
de la finalité. Ainsi, pour le biologiste, qui dit fonction dit en réalité, concrètement,
l’existence d’un couple structuro-fonctionnel indissociable. Comme le notait
Wainwright avec humour, « les structures sans les fonctions sont des cadavres, les
fonctions sans les structures sont des fantômes ». Le vivant est Janus bifrons, à la fois
structural et fonctionnel, indissociablement.

Le couple structure-fonction a trouvé son illustration la plus évidente, au niveau


des organismes, dans le dialogue — ou la confrontation — entre l’anatomie et la
physiologie mais il serait aisé de montrer que cette opposition organise une
systématique de tout l’ensemble des disciplines biologiques, de la molécule à
l’écosystème. On pourrait dire, par exemple, que selon l’axe des disciplines
fonctionnelles, l’écologie est une métaphysiologie des interactions supra-spécifiques.
Son pendant, sur l’axe des disciplines structurales, pourrait être la démographie.

La congruence entre la structure et la fonction s’observe partout en biologie


comme en technologie. A cet égard la ressemblance entre les solutions fonctionnelles
observées dans la nature et celles choisies en ingénièrie, ainsi que le nombre limité
de solutions structurales à un problème fonctionnel donné, suggèrent que les
systèmes de contraintes, conséquences de l’universalité des lois physiques, pèsent
fortement sur toutes les réalisations structuro-fonctionnelles, en canalisant le
champ des possibles. Si la finalité intentionnelle consciente qui se manifeste dans
les technologies humaines ne pose pas problème, sa transposition dans le domaine
biologique soulève, comme on l’a déjà souligné, des difficultés fondamentales.
360 ARMAND DE RICQLÈS

La relation de congruence de la structure à la fonction, évidente dans la


machinerie vivante comme dans la technologie humaine, amène immédiatement
au concept clé d’adaptation, concept jouant un rôle moteur et central dans
l’évolutionnisme. Toutes les structures organiques sont-elles strictement adaptées
à une ou à des fonctions spécifiques ? tout changement évolutif se réalise-t-il
nécessairement par l’adaptation des structures aux fonctions, c’est à dire par la
« traque » progressive par des structures potentiellement modifiables de fonctions
de plus en plus congruentes aux conditions de milieux, conditions elles mêmes
perpétuellement changeantes ? La pluralité fonctionnelle des structures, au prix
d’une adaptation sub-optimale n’est elle pas la clé du changement évolutif ?
La théorie synthétique de l’évolution, dans ses aspects les plus orthodoxes, a pu
sembler verser parfois dans un « pan-adaptationnisme » un peu excessif, où
l’organisme peut être atomisé en une infinité de « traits structuro-fonctionnels »,
chacun à la fois suscité, modulé et contrôlé par la sélection naturelle, celle-ci étant
considérée comme un agent d’optimisation tout puissant. L’apport de l’œuvre
d’un Stephen Jay Gould (1946-2002) a été largement de montrer combien ce
« pan adaptationnisme » exagéré laissait sur le bord du chemin une multitude de
considérations indispensables à une synthèse évolutive encore plus générale et
pertinente. Quoi qu’il en soit, la critique gouldienne du pan-adaptationnisme ne
remet pas en cause l’intérêt du concept de fonction, tel qu’il est généralement mis
en œuvre par l’évolutionnisme contemporain, c’est-à-dire un fonctionnalisme
explicite éludant, en contexte darwinien, toute référence au finalisme.
Relativement au couple structure/fonction, la notion de système occupe une
situation intermédiaire et quelque peu ambivalente. En effet, un système est
souvent délimité, c’est-à-dire pratiquement défini, par la ou les foncions qu’il
réalise : c’est donc un ensemble fonctionnel. Les interactions intervenant entre les
éléments d’un système, ou entre le système et l’extérieur constituent des activités,
des évènements qui, en contexte approprié, peuvent effectivement répondre à des
fonctions, mais ce n’est pas toujours le cas, comme nous le rappellent tous les
dysfonctionnements systémiques. D’un autre coté, un système constitue toujours
une structure, ou mieux un ensemble structuré de sous-structures co-organisées.
En ce sens, c’est bien aussi un concept structural. Ainsi, comme pour celles des
structures, les fonctions des systèmes sont des propriétés émergentes déterminées
par la constitution et la configuration même de ceux-ci. Une fois encore, les
systèmes existent-ils « pour » accomplir les fonctions qu’ils remplissent ici et
maintenant, ou pour de toutes autres raisons ? On voit poindre au travers de ces
interrogations les origines des deux grandes conceptions concurrentes — émergence
systémique anhistorique ou fruit de l’histoire sélective — que l’épistémologie
moderne propose pour des concepts de fonction débarrassés de tout finalisme.
BIOLOGIE HISTORIQUE ET ÉVOLUTIONNISME 361

Programme

Mercredi 21 mai
Introduction : Armand de Ricqlès & Jean Gayon

Session 1 :
Origines du discours fonctionnel dans les sciences de la vie et en psychologie
Origins of functional discorse in the life sciences and in psychology
Président de séance/Chair : Jean Gayon (IHPST)

James Lennox (Un. de Pittsburgh, USA, Center for Philosophy of Science) : Functions
and history [Le concept de fonction : importance de l’histoire].
François Duchesneau (Un. de Montréal, Canada, Département de philosophie) : Rôle
du couple « structure/fonction » dans la constitution de la biologie comme science [Role of the
« structure/function » dichotomy in the constitution of Biology as a science].
Laurent Clauzade (Un. Paris 1 & IHPST, Paris) : Phénomènes, propriétés, fonctions : le
terme « fonction » dans la biologie française du début du XIXe s. [Phenomena, properties,
functions: the term « function » in French biology in the early 19th Cy].
Françoise Parot (Un. Paris Descartes & IHPST, Paris) : Les psychologues fonctionnalistes
de l’école de Chicago et le premier béhaviorisme [The functionalist psychologists of the
Chicago School and the original Behaviorism].

Session 2 :
Théories philosophiques des fonctions
Philosophical theories of function
Président de séance/Chair : Françoise Parot (Un. Paris 5)

Marie-Claude Lorne (Université de Brest & IHPST, Paris) : La téléologie, l’explication et


l’esprit : 50 ans de réflexion sur la fonction biologique et l’explication fonctionnelle [Teleology,
explanation and the mind : 50 years of thinking about biological function and functional
explanation].
Karen Neander (Duke Un., USA, Department of Philosophy) : The Etiological Theory:
An Update [L’approche étiologique : une mise à jour].
Peter McLaughlin (Un. de Heidelberg, Allemagne, Department of philosophy) : «What
functions are good for »? [À quoi les fonctions sont-elles bonnes ?].

Session 3 :
Fonction, selection et adaptation
Function, selection , and adaptation
Président de séance : Anne Fagot-Largeault (Professeur au Collège de France)

Jean Gayon (IHPST, Paris) : Raisonnement fonctionnel et niveaux d’intégration en biologie


[Functional reasoning and levels of organization in biology].
Philippe Huneman (IHPST, Paris) : Fonctions et adaptations : une démarcation conceptuelle
[Function and adaptations: a conceptual demarcation].
Matteo Mossio (IHPST, Paris) & Cristian Saborido (Departamento de Logica y
Filosofía de la Ciencia, Un. del País Basco, Espagne) : Functions and self-maintenance
[Fonction et auto-maintien].
362 ARMAND DE RICQLÈS

Jeudi 22 mai
Session 4 :
Structures et fonctions en morphologie et paléontologie
Structures and functions in morphology and palaeontology
Président de séance/Chair : Olivier Houdé (Professeur à l’Université Paris 5)

Armand de Ricqlès (Collège de France) & Jorge Cubo (Un. Paris 6, UMR 7179) : Le
problème de la causalité complexe aux sources de la relation structuro-fonctionnelle ; 1) généralités,
2) l’exemple du tissu osseux [Complex causality as the root of the structure/function relation
problem : 1) general considerations ; 2) the example of the bone tissue].
Christine Argot (Muséum National d’Histoire Naturelle, Département Histoire de la
Terre) : L’analyse fonctionnelle en paléontologie des mammifères — Forme, fonction et adaptation
[Functional analysis in paleontology of mammals — form, function and adaptation].
Stéphane Peigné (Muséum National d’Histoire Naturelle, Département Histoire de la
Terre) : Structure et fonction chez les Carnivores placentaires : inférences morpho-fonctionnelles
à partir des dents et du squelette post-crâniens [Structure and function in placental Carnivores ;
morpho-functional inferences from teeth and post-cranial skeleton].
Federica Marcolini (Dip. Scienze Geologiche, Università Roma Tre, Roma, Italie) :
Enamel structure analysis as a tool for reconstructing feeding behavior of fossil voles (Arvicolidae,
Rodentia, Mammalia) [Analyse de la structure de l’émail comme outil pour reconstruire le
comportement alimentaire des campagnols fossiles (Arvicolidae, Rodentia, Mammalia].
Michel Laurin (CNRS, UMR 7179) : Structure, fonction et évolution de l’oreille moyenne
des vertébrés actuels et éteints : interprétations paléobiologiques et phylogénétiques [Structure,
fonction and evolution of the middle ear of extant and extinct vertebrates : paleobiological
and phylogenetic interpretations].
Philippe Janvier (Muséum National d’Histoire Naturelle, Département Histoire de la
Terre) : Anatomies éteintes, fonctions énigmatique [Extinct anatomies, enigmatic functions].

Session 5 :
Structures et fonctions cognitives
Cognitive structures and fucntions
Président de séance/Chair : Alain Berthoz (Collège de France)

Olivier Houdé (Un. Paris Descartes, équipe « Développement et fonctionnement


cognitifs », UMR 6095) : Fonctions et structure du développement cognitif [Functions and
structure in cognitive development].
Denis Forest (Un. Jean-Moulin-Lyon 3 et IHPST, Paris) : Architecture et évolution de la
fonction du langage [Architecture and evolution of the function of language].

Session 6 :
Attributions fonctionnelles en biologie expérimentale
Functional ascriptions in experimental biology
Président de séance/Chair : Philippe Kourilsky (Collège de France)

Michel Morange (Ecole Normale Supérieure et IHPST, Paris) : Les fonctions des protéines
[The functions of proteins].
Jean-Claude Dupont (Université de Picardie et IHPST, Paris) : Physiologie : L’histoire de
l’intégration, de Spencer à Sherrington et après [Physiology : the history of integration, from
Spencer to Sherrington and beyond].
BIOLOGIE HISTORIQUE ET ÉVOLUTIONNISME 363

Charles Galperin (IHPST, Paris) : Fonction, fonctionnement, multifonctionnalité en


génétique du développement [Functions, functioning, multi-functionality in the Genetics of
development].
Thomas Pradeu (Un. de Caen & IHPST, Paris) : Peut-on attribuer une fonction au
système immunitaire ? [Can a function be ascribed to the immune system ?].

Vendredi 23 mai
Session 7 :
Fonctions et origines de la vie
Functions and the origins of life
Président de séance/Chair : François Duchesneau (Un. de Montréal).

Christophe Malaterre (IHPST, Paris) : Attributions fonctionnelles dans le monde


prébiotique : le cas des ribozymes [Functional Ascription in the Prebiotic World : the Case of
Ribozymes].
Alvaro Moreno (Universidad del Pais Vasco, Departamento de Filosofía, Espagne) : The
problem of the emergence of functional diversity in prebiotic evolution [Le problème de
l’émergence de la diversité fonctionnelle dans l’évolution prébiotique].
Stéphane Tirard (Un. de Nantes & Equipe REHSEIS, Paris) : Aspects métaboliques de la
fonction de nutrition dans le débat sur les origines de la vie au milieu du XXe s. [Metabolic aspects
of the nutrition function in the debate over the Origins of Life in middle 20th Cy].

Session 8 :
Fonction and dysfonction
Function and dysfunction
Président de séance/Chair : Pierre Corvol (Collège de France).

Ulrich Krohs (Universität Hamburg, Department of Philosophy), Dys-’, ‘mal-’ and ‘non-’ :
the other side of functionality [‘Dys-’, ‘mal-’ et ‘non-’ : l’autre côté de la fonctionnalité].
Elodie Giroux (Un. Lyon 3 & IHPST, Paris), Du concept de fonction biologique au
concept de santé : les limites d’un transfert dans le domaine de la médecine [From the concept
of biological function to the concept of health : the limits of a transfer into the field of
medicine].
Arnaud Plagnol (Université de Paris 8, LPN & IHPST, Paris), Le raisonnement
fonctionnel en psychiatrie [Functional reasoning in Psychiatry].

Session 9 :
Le raisonnement fonctionnel dans les sciences de l’ingénieur
et dans les sciences de la vie
Functional reasoning in engineering and the life sciences
Président de séance : Armand de Ricqlès (Collège de France).

Daniel Becquemont (Un. Lille 3) : « Design » histoire du mot et du concept : sciences de


la nature, théologie, esthétique [“Design” : history of the word and history of the concept :
the concept — natural sciences, theology, aesthetics].
Tim Lewens (Cambridge Un., UK) : Foot on Natural Goodness : Normativity in Organisms
and Artefacts [Foot et la bonté naturelle : de la normativité dans les organismes et dans les
artéfacts].
364 ARMAND DE RICQLÈS

Anick Abourachid (Muséum National d’Histoire Naturelle, Département Ecologie et


Gestion de la Biodiversité, UMR 7179) & Vincent Hugel (Université de Versailles,
Laboratoire d’Ingénierie des Systèmes de Versailles) : L’idée de fonction en biologie et en
robotique : témoignage d’une collaboration autour de « RoboCoq » [The idea of function in
biology and robotics : testimony on a collaboration around « RoboCoq »].
Pieter Vermaas (Delft Un. of Technology, Department of Philosophy) & Wybo Houkes
(Eindhoven Un. of Technology, Philosophy and Ethics of Technology) : Making artefacts
and designing functions [Fabriquer des artéfacts et concevoir des fonctions].
Françoise Longy (Un. de Strasbourg 2 et IHPST, Paris) : Pourquoi une même théorie pour
les fonctions des organismes et des artefacts ? [Why looking for a unified theory of function in
organisms and artefacts ?].

Discussion-Conclusion

Débat avec la salle, animé par les responsables scientifiques des programmes de l’ACI /
Debate with the public, led by the scientific coordinators of the programme (Jean Gayon,
Olivier Houdé, Françoise Parot, Armand de Ricqlès).

RECHERCHE

1. Généralités, statuts et situation institutionnelle (juin 2008)

Au titre du CNRS la Chaire de Biologie historique et Evolutionnisme du Collège


de France, dirigée par A. de Ricqlès, est rattachée à l’UMR 7179 CNRS/UPMC-
P6/MNHN/Collège de France « Mécanismes adaptatifs : des organismes aux
communautés » dirigée par le Dr Martine Perret, Directeur de recheches au CNRS,
et constituée de quatre équipes. Le Docteur Michel Laurin à pris, au 01/01/2007
le relais du Professeur Jacques Castanet (Université Paris 6) pour assurer la direction
de l’équipe de recherche « Squelette des vertébrés » dont la Chaire de Biologie
historique et Evolutionnisme fait partie. Ces dispositions resteront valables jusqu’au
31/12/2008.

Les contraintes du « classement de Shangaï » ont entraîné, pour des raisons de


« lisibilité », une modification de la politique de certains de nos organismes de
tutelles relativement aux UMR « multisceaux » comme la nôtre. C’est ainsi que
notre équipe de recherche s’est vue contrainte de disparaître de facto. Ses
composantes CNRS et Muséum rejoindront au 01/01/2009 l’UMR 7180 au
MNHN tandis que ses composantes Paris VI rejoindront à la même date l’UFR 918
Géologie et Biodiversité/UMR-ISTEP (Directeur Professeur Ph. Huchon) à
l’Université Paris VI.

Ainsi s’achève institutionnellement une aventure intellectuelle trans-disciplinaire


et inter-établissements débutée en 1982 sous forme d’un contrat « jeune équipe »
entre l’Université Paris VII, le CNRS et le MNHN sur le thème de la biologie
comparative et de l’évolution des tissus squelettiques des vertébrés.
BIOLOGIE HISTORIQUE ET ÉVOLUTIONNISME 365

S’est donc posé le problème du rattachement institutionnel de la chaire de


Biologie historique et Evolutionnisme du Collège de France relativement aux
divers organismes impliqués. Bien que de forts liens humains et thématiques nous
attachent depuis toujours au Muséum et à l’UMR 7180, nous avons cru de notre
devoir de rattacher plutôt notre chaire à l’UFR 918/UMR-ISTEP de Paris VI. En
effet, la composante Paris VI de notre équipe représente un très petit nombre de
jeunes biologistes évolutionnistes rejoignant une grosse UFR de Géologie pour
contribuer à l’animation d’un nouveau « pôle naturaliste » à l’Université. Il nous a
donc semblé que le soutien apporté par notre chaire à nos collègues et à ce projet
justifiait ce choix.

2. Activités de recherche 2007-2008 et travaux en cours

Publications et Travaux 2007-2008


2007 (suite)
Buffrénil V. de, Bardet N., Pereda-Suberbiola X. & Bouya B. 2007. Specialization of
bone structure in Pachyvaranus crassispondylus Arambourg, 1952, an aquatic squamate from
the Late Cretaceous of the southern Tethyan margin. Lethaia 41 : 59-69.
Buffrénil V de, Hémery G. 2007. Harvest of the Nile monitor, Varanus niloticus,
in Sahelian Africa. Part I : Demographic impact of professional capture technique.
In : H-G. Horn, W. Böhme & U. Krebs (eds.) Advances in monitor Research III.
Mertensiella. 16 :181-194.
Buffrénil V. de Hémery G. Harvest of the Nile monitor, Varanus niloticus, in Sahelian
Africa. Part II : Life history traits of harvested monitors. In : H-G. Horn, W. Böhme &
U. Krebs (eds.) Advances in monitor Research III. Mertensiella 16 : 195-217.
Lord C., Fermon Y., Meunier F.J., Jegu M. & Keith P. 2007. Croissance et longévité
du Watau yaike, Tometes lebaili (Osteichthyes, Teleostei, Serrasalminae) dans le bassin du
haut Maroni (Guyane française). Cybium, 31(3) : 359-367.
Khemiri S., Gaamour A., Meunier F.J. & Zylberberg L. 2007. Age and growth of
Engraulis encrasicolus (Clupeiformes ; Engraulidae) in the Tunisian waters. Cah. Biol. Mar.,
48 : 259-269.
Ricqlès A. de. 2007. Fifty years after Enlow and Brown’s « Comparative histological
study of fossil and recent bone tissues » (1956-58) : a review of Professor Donald H. Enlow’s
contribution to paleohistology and comparative histology of bone. Comptes Rendus Palevol
(6) 591-601.(1.152)
Zaragüeta Bagils R., Bourdon E., 2007. Three-item analysis : hierarchical representation
and treatment of missing and inapplicable data. Comptes Rendus Palevol 6(6-7) :
527-534.

2008 et sous presse


Bourdon E., Amaghzaz M. & Bouya B. (In Press). A new seabird (Aves, cf. Phaethontidae)
from the Lower Eocene phosphates of Morocco. Geobios.
Bourdon E., Mourer-Chauviré C., Amaghzaz M. & Bouya B. (In Press). New specimens
of Lithoptila abdounensis (Aves, Prophaethontidae) from the Lower Paleogene of Morocco.
Journal of Vertebrate Paleontology.
366 ARMAND DE RICQLÈS

Bourdon E., Ricqlès A. & Cubo J. (In Press). A new Transantarctic relationship:
morphological evidence for a Rheidae-Dromaiidae-Casuariidae clade (Aves, Palaeognathae,
Ratitae). Zoological Journal of the Linnean Society.
Buffrénil V. de, Astibia H., Pereda Suberbiola X., Berreteaga A., Bardet N. 2008. Bone
histology of basal sirenians from the Middle Eocene of Western Europe. Geodiversitas,
30(2) : 425-432.
Buffrénil V. de, Houssaye A., Böhme W. 2008. Bone vascular supply in monitor lizards
(Squamata : Varanidae) : influence of size, growth and phylogeny. Journal of Morphology,
269 : 533-543.
Cao N., Bourdon E., El Azawi M., Zaragüeta Bagils R. (In Press). Three-item analysis
and parsimony, intersection tree and strict consensus : a biogeographical example. Bulletin
de la Société Géologique de France.
Cubo J., Legendre P., Ricqlès A. de, Montès L., Margerie E. de, Castanet J., Desdevises Y.
2008. Phylogenetic, functional and structural components of variation in bone growth rate
of amniotes. Evolution and Development, 10 : 217-227.
Deschamps M.H., Kacem A., Ventura R., Courty G., Haffray P., Meunier F.J. &
Sire J.Y. 2008. Assesment of « silent » vertebral abnormalities, bone mineralization and
bone compactness in farmed rainbow trout. Aquaculture, 279 : 11-17.
Houssaye A., Buffrénil V. de, Rage J.C., Bardet N. 2008. Analysis of vertebral
« pachyostosis » in Carentonosaurus mineaui (Mosasauroidea, Squamata) from the
Cenomanian (early Late Cretaceous) of France, with comments on its phylogenetic and
functional significance. Journal of Vertebrate Paleontology, 28 (3) : 685-691.
Meunier F.J., Deschamps M.H., Lecomte F. & Kacem A. 2008. Le squelette des poissons
téléostéens : structure, développement, physiologie, pathologie. Bull. Soc. Zool. Fr. (sous
presse).
Ricqlès A. de, Padian K., Knoll F., Horner J.R. 2008. On the origin of rapid growth
rates in archosaurs and their ancient relatives: complementary histological studies on Triassic
archosauriforms and the problem of a « phylogenetic signal » in bone histology. Annales de
Paléontologie, 94 : 57-76.
Sanchez S., Klembara J., Castanet J., Steyer S. 2008. Salamander-like development in a
seymouriamorph revealed by palaeohistology. Biology letters, Doi : 1098/rsbl.2008.0159.
Zylberberg L. & Meunier F.J. (sous presse). New data on the structure and the
chondrocyte populations of the haemal cartilage of abdominal vertebrae in the adult carp
Cyprinus carpio (Teleostei, ostariophysii, Cyprinidae). Cybium.

Ouvrages et chapitres d’ouvrages


2007 (suite)
Schmitz H., Uddenberg N., Östensson P. 2007. Linné — Une passion pour la classification.
Laurin M., traducteur. Paris : Belin.

2008 et sous presse


Deschamps M.H., Meunier F.J., Sire J.Y. (sous presse). Le Squelette de la Truite Arc-
en-Ciel. In : B. Jalabert (edt.), INRA.
Laurin M. (sous presse a.) Paleontological evidence. In : Bels V., Renous S., editors.
Vertebrates reach the land. Paris : Muséum National d’Histoire Naturelle.
BIOLOGIE HISTORIQUE ET ÉVOLUTIONNISME 367

Laurin M. (sous presse b.). Limb origin and development. In : Bels V., Renous S.,
editors. Vertebrates reach the land. Paris : Muséum National d’Histoire Naturelle.
Laurin M. (sous presse c.). Le PhyloCode. In : Prat D., Raynal A., Roguenant A., editors.
Linné et la systématique aujourd’hui — Faut-il classer le vivant ? Paris : Belin.
Meunier F.J., Erdmann M.V., Fermon Y., Caldwell R.L. (sous presse). Can the
comparative study of the morphology and histology of the scales of Latimeria menadoensis
and L. chalumnae (Sarcopterygii, Actinistia, Coelacanthidae) bring new insight on the
biogeography of recent coelacanthids ? In : Cavin L., Longbottom A. et Richter M. (Eds)
Fishes and the break-up of Pangaea. Geol. Soc. London, Special publ. 295 : 351-360.
Ricqlès A. de. 2008. L’Evolution, nouveau « récit de création » ou synthèse de toute la
biologie ? pp.13-28, In : Le Récit (W. Marx Direct), Actes de Savoirs, 4/2008, PUF.

Actes de colloques Internationaux dans des revues indexées

2007 (suite)

Bourdon E. 2007. A new phylogeny of extant ratite birds. 8th International Congress of
Vertebrate Morphology. Université Pierre et Marie Curie, Paris, France, 16-21 juillet.
J. Morphol., 268(12) : 1052.
Brito P., Meunier F.J. & De Leal M.E. 2007. Origine et diversification de l’ichtyofaune
néotropicale. In : 3es rencontres d’Ichtyologie en France, Soc. Fra. Ichtyol., Cybium, 31
(2) : 139-153.
Chanet B., Guintard C., Betti E., Clement G., Meunier F.J., Ahlberg P. Experiment
anatomical imaging in osteichthyan fishes. 8th Intern. Congress of Vertebrate Morphology,
Paris, 16-21 juillet 2007 (Poster). J. Morphol., 268(12) : 1058.
Cubo J., Montes L., Castanet J. 2007. Resting metabolic rates, bone growth rates and
bone tissue types in Amniotes. (Com. orale). 8th International Congress of Vertebrate
Morphology. Université Pierre et Marie Curie, Paris, France, 16-21 juillet. J. Morphol.,
268(12) : 1062 .
Montes L., Castanet J. and Cubo J. 2007. Relationship between bone growth rate and
bone vascular density in amniotes : a first test of Amprino’s rule in a phylogenetic context.
(Com. orale). 8th International Congress of Vertebrate Morphology. Université Pierre et
Marie Curie, Paris, France, 16-21 juillet. J. Morphol., 268(12) : 1108.
Laurin M. Morphological evolution of vertebrates in the conquest of land. 8th International
Congress of Vertebrate Morphology. Université Pierre et Marie Curie, Paris, France,
16-21 juillet 2007 (résumé). J. Morphol., 268(12) : 71.
Laurin M., Cantino P.D. 2007. Second meeting of the International Society for
Phylogenetic Nomenclature : a report. Zoologica Scripta, 36 : 109-117 (2.338).
Le Roy N., Cubo J. A predictive model of paleobiological estimation of bone growth
rate from bone tissue types in extinct archosaurs. 8th International Congress of Vertebrate
morphology (ICVM8), Université Pierre et Marie Curie, Paris, 16-21 juillet 2007 (Poster).
J. Morphol., 268(12) : 1098.
Meunier F.J. & Saur F. 2007. Etude morphologique et structurale des écailles de
Tetragonurus cuvieri (Osteichthyes, Perciformes, Tetragonuridae) et de Cleidopus gloriamaris
(Osteichthyes, Beryciformes, Monocentridae). Cybium, 31(2) : 123-132.
368 ARMAND DE RICQLÈS

Montes L., Castanet J., Cubo J. Relationship between bone growth rate and bone
vascular density in amniotes: a first tes t of Amprino’s rule in a phylogenetic context. 8th
International Congress of Vertebrate morphology (ICVM8), Paris, 16-21 juillet 2007.
Com. Orale. Résumé. J. Morphol., 268(12) : 1108.
Ricqlès A. de. 2007. Towards a classificatory scheme and nomenclature of bone histology
in 8th International Congress of Vertebrate morphology (ICVM8), Université Pierre et
Marie Curie, Paris, 16-21 juillet 2007. Com orale. J. Morphol., 268(12) : 1066.

2008 et sous presse


Thireau M., Meunier F.J., Bauchot M.L., Hamonou-Mahieu A. & Pietsch T.W. 2008.
L’œuvre icthyologique de Charles Plumier, lors de ses trois voyages aux Antilles (1689,
1693 et 1695). 130e Congrès national des sociétés historiques et scientifiques, La Rochelle,
18-23 avril 2005.

Colloques et Congrès Nationaux et autres


2007 (suite)
Dieux-Coëslier A., Zylberberg L., Silve C., Fron D., Manouvrier S., Le Merrer M.
Unusual epiphyseal and metaphyseal dysplasia associated with major advanced bone
maturation and severe asymmetric lower limbs deformation. 8th International meeting on
chondrodysplasy. Albi 19-21 juillet 2007. Résumé in Actes du Colloque p. 87.
Kacem A. & Meunier F.J. Caractéristiques histo-morphométriques du dentaire du
saumon atlantique, Salmo salar L. (Teleostei, Salmonidae) lors de sa migration anadrome.
1er Congrès Franco-Maghrébin de Zoologie et d’Ichtyologie, 3-7 novembre 2007, El Jadida,
Maroc, (communication orale).
Laurin M. Recent works on the conquest of land by vertebrates. 5th Meeting of the
European Association of Vertebrate Paleontologists. Carcassonne, 15-19 mai 2007, p. 40
(résumé).
Laurin M. Développements récents du PhyloCode et de l’ISPN. First Mediterranean
Herpetological Congress. Marrakech (Maroc), 16-20 avril 2007, p. 39 (résumé).
Marjanovic D., Laurin M. Paleontological and molecular perspectives on the origin and
diversification of lissamphibians. 5th Meeting of the European Association of Vertebrate
Paleontologists. Carcassonne, France, 15-19 mai 2007, p. 43 (résumé).
Marjanovic D., Laurin M. A paleontological and molecular perspective on the origin of
lissamphibians. First Mediterranean Herpetological Congress. Marrakech, Morocco,
16-20 avril 2007, p. 39 (résumé).
Meunier F.J., & J.Y. Sire. L’os acellulaire de la dorade royale, Sparus aurata (Teleostei,
Perciformes). 1er Congrès Franco-Maghrébin de Zoologie et d’Ichtyologie, 3-7 novembre
2007, El Jadida, Maroc, (communication orale).
Meunier F.J., Les diverses méthodes sclérochronologiquespour estimer l’âge individuel
des poissons marins. 8es Journées annuelles ATS Mer, 15-17 décembre 2007, Tabarka
(Tunisie) (Conférence invitée).
Meunier F.J. Sur l’œuvre ichtyologique de Théodore Monod. 4e Forum méhariste,
Saint-Poncy (Cantal), les 19-22 juillet 2007 (communication orale).
Meunier F.J. & Geistdoerfer P. Les espèces invasives en Mer Méditerranée : l’exemple
des Poissons 111es Journées annuelles de la SZF, Bastia, 18-25 septembre 2007
(communication orale).
BIOLOGIE HISTORIQUE ET ÉVOLUTIONNISME 369

Meunier F.J. Guillaume Rondelet (1507-1566). Un zoologiste moderne et innovateur.


Fac. Médecine Montpellier, 29 sept. 2007, Hommage à G. Rondelet (communication
orale).
Zaragüeta Bagils R., Bourdon E. 2007. Three-item analysis : representation of missing
and non-applicable data. Palaeobotany and the evolution of plants : current issues, Collège
de France, Paris, 23-25 mai 2007, p. 43 (résumé).

2008 et sous presse


Bourdon E., Ricqlès A. & Cubo J. 2008. Quantification of the phylogenetic signal in
bone microstructure in ratites (Aves, Palaeognathae) using a new morphological phylogeny.
7th International Meeting of the Society of Avian Paleontology and Evolution, Australian
Museum, Sydney, Australie, 18-22 août 2008.
Bourdon E., Castanet J., Cubo J. & Ricqlès A. 2008. Bone growth marks in ratites
(Aves, Neornithes, Palaeognathae). 7th International Meeting of the Society of Avian
Paleontology and Evolution, Australian Museum, Sydney, Australie, 18-22 août 2008.
Castanet J., Bourdon E., Cubo J., Ricqlès A. de. 2008. Bone growth marks suggest
protracted growth in Apteryx (Aves, Neornithes, Ratitae), In : XX Congrès International de
Zoologie (ICZ2008). Paris 26-29 août 2008 (Poster). Résumé Integrative zoology.
Ricqlès A. de. 2008 (sous presse). Cent ans après : l’Evolution créatrice au péril de
l’évolutionnisme contemporain. (Colloque pour le centenaire de l’Evolution créatrice d’Henri
Bergson, Paris, Collège de France et ENS), Ann. Bergson (sous presse).

Diffusion des connaissances


2007 (suite)
Meunier F.J. 2007. Léon Bertin (1896-1956). SFI-Info, 42-43 : 8-9.
Ricqlès A. de. 2007. Travaux de la chaire de Biologie historique et Evolutionnisme
2005-2006. Annales du Collège de France, 106 : 336-348.

2008 et sous presse


Keith P. & Meunier F.J. 2008 (sous presse). La mangrove, In : La Guyane littorale
(D. Guiral & R. Leguen, edts.
Laurin M. (sous presse). Review of HALL, B. K. (ed.) 2007. Fins into Limbs : Evolution,
Development and Transformation, 433 pages. University of Chicago Press, Chicago. Copeia
(0.840).
Meunier F.J. 2008. Johannes Schmidt (1877-1933). SFI-Info, 45 : 3-5.
Meunier F.J. 2008 (sous presse). Les innovations zoologiques de Guillaume Rondelet
(1507-1566). Cah. Nat.
Meunier F.J. 2008 (Comments on ). « Zebrafish. A practical approach », 2002, C. Nüsslein-
Volhard & R. Dahm, Oxford Univ. Press, 303 pages, In : Cybium, 2008, 32(1) : 42.
Meunier F.J. 2008 (Comments on). « Le léman et sa vie microscopique », 2007.
J.C. Druart & G. Balvay, In : Cybium 2008, 32(2).
Ricqlès A. de 2008. Structures et Fonctions Lettre du Collège de France, 23 : 26-27.
Schmitt St. et Ricqlès A. de (sous presse). Evolutionnisme. Encyclopaedia Universalis,
Paris.
370 ARMAND DE RICQLÈS

Autres productions, vulgarisation, formation permanente

2007 (suite)

Meunier F.J. 2008. Le Muséum national d’Histoire naturelle. Le jardin des Plantes.
Culture et Temps libre, Draveil, le 5 février 2008.
Meunier F.J. 2008. Le Muséum national d’Histoire naturelle. Le jardin des Plantes.
Culture et Temps libre, Yerres, le 27 mai 2008.

2008 et sous presse


Meunier F. & Derouch M. 2008. Fascicule de cours. Stage d’Ichtyologie : initiation.
ONEMA ed., 215 pp. Boves 80332.
Ricqlès A. de. Enseigner l’évolutionnisme scientifique face au néo-créationnisme
contemporain. http://e.geologie.free.fr/ffg/lettre/lettre2.html.

Etudiants et stagiaires 2007-2008

Thèses
Germain D. 2003-2007. Anatomie des lépospondyles et origine des lissamphibiens.
Muséum National d’Histoire Naturelle (encadrant : M. Laurin). Thèse soutenue Juin
2007, mention très hon. avec félicitations.
Houssaye A. 2006-2009. La pachyostose des squamates du Crétacé supérieur : implications
phylogénétiques, morphofonctionnelles et paléoécologiques (encadrant : V. de Buffrénil).
Marjanovic D. 2006-2009. Révision systématique des placodontes, phylogénie des
amniotes et origine des tortues. UMPC/U. de Vienne (encadrants : M. Laurin,
G. Steiner).
Montes L. 2005-2008. Relation entre le taux métabolique standard et les taux de
croissance corporelle et squelettique chez les amniotes. UMPC (encadrants : J. Castanet et
J. Cubo).

M2
Canoville A. Diversité microstructurale de l’humérus et inférence du mode de vie de
taxons éteints. M2 Sciences de l’Univers, Environnement et Ecologie, spécialité SEP :
Systématique, Evolution et Paléontologie, UPMC/MNHN. Soutenue le 26 juin 2007
(encadrant : M. Laurin).
Laville S. Extinctions et taille corporelle au cours des crises biologiques de la fin du
Permien et du Trias. M2 Sciences de l’Univers, Environnement et Ecologie, spécialité SEP :
Systématique, Evolution et Paléontologie, UPMC/MNHN. Soutenue le 26 juin 2007
(encadrant : M. Laurin).
Le Roy N. Prédiction du taux de croissance osseuse chez les amniotes fossiles à partir
d’un modèle paléobiologique. M2 Sciences de l’Univers, Environnement et Ecologie,
spécialité SEP : Systématique, Evolution et Paléontologie, UPMC/MNHN. Soutenue le
26 juin 2007 (encadrant : J. Cubo).
BIOLOGIE HISTORIQUE ET ÉVOLUTIONNISME 371

M1
Blottière L. Stage de Licence du 10 janvier au 30 juin 2008. Responsable : Jorge Cubo.
Elle a travaillé avec Laetitia dans le projet. Relations entre la croissance et le taux métabolique
chez les amniotes : approches micro et macroévolutives (encadrant J. Cubo).

Post docs
Bourdon E. ATER Collège de France 2007-2008 Recherche d’un signal phylogénétique
dans l’histologie osseuse : le modèle Ratite (encadrants : J. Cubo et A. de Ricqlès).
Piras P. Stage post-doctoral du 1er janvier au 31 décembre 2008 financé par l’Université
Pierre et Marie Curie. Responsable : Jorge Cubo. Sujet : Quantification des signaux
écologique et phylogénétique dans la forme et la microstructure des éléments squelettiques
chez Arvicola (Rodentia) (encadrant : J. Cubo).

Travaux des personnels rattachés pour ordre


à la Chaire de Biologie historique et Evolutionnisme
Pascal PICQ, Maître de Conférences au Collège de France

Enseignement
— Introduction à la médecine évolutionniste. UE2 génétique et évolution : grands
mécanismes du Master mention génétique de la Faculté de Médecine Xavier Bichat.
Université Paris VII. Cours et Travaux Dirigés. Printemps 2008.
— Origines et évolution de l’homme. Formation au CAPES interne. Université Pierre
et marie Curie. Paris, le 27 janvier 2008.
— Université Paris VII. Faculté de Chirurgie dentaire de Garancière. Série de séminaires
sur L’évolution de l’homme et l’évolution et l’adaptation du crâne des hominidés.
Printemps 2008.
— La sexualité humaine. DU de Sexologie de l’université Paris XIII (13 janvier
2008).

Publications
Livres
— Pascal Picq, Laurent Sagart, Ghislaine Dehaene et Cécile Lestienne. La plus belle
Histoire du Langage. Paris, le Seuil (192 p.) 2008.
— Pascal Picq. Les Animaux amoureux. Photographies d’Eric Travers. Paris, Editions du
Chêne (264 p.) 2007.
— Pascal Picq et Michel Hallet-Eghayan. Danser avec l’Evolution. Paris, Le Pommier
(112 p.) 2007.

Contributions à des ouvrages collectifs


— Pascal Picq. L’Homme et sa nature : de l’Hominsation à la fin des certitudes. In : Spyros
Theodérou (dir.) : Lexiques de l’Incertain. Editions Parenthèses, 2008, p. 55-80.
— Pascal Picq. Le créationnisme. In Mathieu Vidard (dir.) : Abécédaire des Sciences pour
les Curieux. Editions Sciences Humaines/France Inter, 2008.
372 ARMAND DE RICQLÈS

— Pascal Picq. L’émergence de l’Homme et de l’Humain. In : Max Poty (éd.) Emergence :


actes du colloque de Mouans-Sartoux. Les éditions Ovadia, 2007,11-130, 2007.
— Pascal Picq. Homo : le singe à rebrousse poil. In : Claude Gudin : Une Histoire naturelle
du Poil. Postface, p. 139-148. Panama, 2007.

Articles
— Les Révolutions des origines (p. 10-13) et Retour vers les Lumières (68-71). Les Textes
qui ont changé le Monde. Le Point Hors Série 18, juin-juillet 2008.
— Sur la Trace de nos Ancêtres. Dossier Pour la Science n° 57, octobre/décembre 2007 :
Editeur invité et rédaction d’articles :
A l’ouest d’Homo sapiens, p. 4-8.
L’outil ne fait pas l’homme, p. 40.
De l’importance de sauver les grands singes, avec Sabrina Krief, p. 68-69.
La bipédie est-elle spécifique à l’homme ? p. 76-77.
Les trois candidats à l’ancêtre commun, p. 98-103.
— Faits et causes pour l’évolution. Pour la Science 357 : 41-40, 2007.
— Créationnisme et dessein intelligent. Pour la Science 357 : 50-51, 2007.
— Que répondre aux créationnistes ? Pour la Science : 52-54, 2007.
— Darwin menacé par les religions ? Science et Avenir 729 (numéro spécial 60 ans)
p. 114, novembre 2007.
— Evolution : rencontres avec Yves Coppens et Pascal Picq. Archéologia 447, septembre
2007, p. 40-51.

Fonctions diverses et responsabilités administratives (extraits)


— Membre du conseil scientifique de la Cité des Sciences de la Villette.
— Membre du conseil scientifique du Musée des Confluences, Lyon.
— Membre du conseil scientifique du Palais de la Découverte.
— Membre du comité de rédaction de la Revue du Palais de la Découverte.
— Membre du conseil scientifique de la revue Le Magazine du Développement durable.
— Membre du Jury des bourses de la Chancellerie ; disciplines Littérature et Sciences
humaines.
— Scientifique référant auprès de l’Education nationale pour l’enseignement de
l’évolution de l’Homme.
— Membre du conseil scientifique de la fondation Nicolas Hulot pour l’Homme et la
Nature.
— Président du jury de La Science se Livre.

Colloques, séminaires, réunions scientifiques (extraits)

Colloques et réunions scientifiques, séminaires


— SSSSH … sexe, sélection sexuelle et sexualité humaine. 5e Congrès Int. Francophone de
Gynécologie et Andrologie psychosomatique. Paris, Espace Cardin, le 25 janvier 2008.
— La canine des Hominidés : évolution et adaptation. Congrès de la CNO/SOP de Paris.
Hôtel Mariott, le 17 janvier 2008.
— L’Homme et la machine : progrès technique ou évolution ? 1er Salon IMMOTOC-
DOMOTIC. Agora Einstein, Sophia Antipolis le 7 décembre 2007.
BIOLOGIE HISTORIQUE ET ÉVOLUTIONNISME 373

— Une archéologie vivante des langues et des mythes : l’approche structurale. Colloque
UISPP/CISENP Les Expressions intellectuelles et spirituelles des Peuples sans Ecriture.
Musée de l’Homme, Paris 22-23 octobre 2007.
— Quand l’évolution est de bon goût : du fruit à la cognition. Forum Les Voies du Goût.
Biennale Internationale des Arts Culinaires, Dijon 11-13 octobre 2007.

Diffusion des connaissances scientifiques (extraits)

Expositions, activités auprès des Musées


— Le Zizi sexuel. Exposition de la Cité des Sciences (conseiller scientifique), 2007.
— Dérives. Echanges et textes. Exposition d’art contemporain à l’espace Paul Ricard,
2007.

Martin Pickford,
Maître de conférences au Collège de France

Activité 2007-2008
Participation à des Congrès 2007 (suite) (après le 30/06/2007)
Pickford, M., Wanas, H., Mein, P., & Soliman, H., 2008. Humid conditions in the
Western Desert of Egypt during the Vallesian (Late Miocene). The Third International
Conference on the Geology of the Tethys, South Valley University, Aswan, Egypte, janvier,
2008.

Publications scientifiques 2007 (suite)


Nakatsukasa, M., Pickford, M., Egi, N., & Senut, B., 2007. Body weight, femoral length
and stature of Orrorin tugenensis, a 6 Ma hominid from Kenya. Primates, 48 : 171-178.
Pickford, M., 2007. Revision of the Mio-Pliocene bunodont otter-like mammals of the
Indian Subcontinent. Estudios geologicos, 63 (1) : 83-127.
Raghavan, P., Pickford, M., Patnaik, R., & Gayathri, P., 2007. First fossil small-clawed
otter, Amblonyx, with a note on some specimens of Lutra, from the Upper Siwaliks, India
Estudios geologicos, 63(2) : 135-146.
Pickford, M., & Hlusko, L., 2007. Late Miocene procaviid hyracoids (Hyracoidea :
Dendrohyrax) from Lemudong’o, Kenya. Kirtlandia, 56 : 106-111.

Publications scientifiques 2008 et sous presse


Pickford, M., 2008. Libycosaurus petrocchii Bonarelli, 1947, and Libycosaurus anisae
(Black, 1972) (Anthracotheriidae, Mammalia) : nomenclatural and geochronological
implications. Ann. Paléont. 94 : 39-55.
Pickford, M., 2008. The myth of the hippo-like anthracothere : The eternal problem of
homology and convergence. Revista Espanola de Paleontologia. 23 : 31-90.
Pickford , M., Wanas, H., Mein, P., & Soliman, H., 2008. Humid conditions in the
Western Desert of Egypt during the Vallesian (Late Miocene). Proceedings of the Third
International Conference on the Geology of the Tethys, South Valley University, Aswan,
January, 2008, pp. 1-17.
Paléontologie humaine

M. Michel Brunet, professeur

Les hominidés anciens… une nouvelle histoire


à la lumière des découvertes récentes

Origine, évolution, phylogénie, paléoenvironnements,


paléobiogéographie, chronologie

Leçon inaugurale, le 27 mars 2008 : Origine et histoire des hominidés…


Nouveaux paradigmes
Depuis 1994, les plus anciens hominidés connus sont passés de 3,6 Ma à 7 Ma
aujourd’hui, avec trois nouvelles espèces du Miocène supérieur : Ardipithecus
kadabba l’Ethiopien et Orrorin tugenensis le Kenyan, tandis que le plus ancien
(7 Ma) est Sahelanthropus tchadensis dit Toumaï, le tchadien.

Vers 4 Ma, ces hominidés anciens du Miocène supérieur ont donné naissance
aux Australopithèques ; eux-mêmes sûrement à l’origine entre 2 et 3 Ma des
premiers représentants, H. habilis et H. rudolfensis, du genre Homo qui va partir
(H. erectus) à la conquête du reste de l’Ancien Monde où les plus anciens sont
actuellement connus à un peu moins de 2 Ma en Géorgie au Caucase. Vers
800 000 ans on connaît Homo heidelbergensis qui donnera naissance en Europe aux
Néanderthaliens, Homo neanderthalensis, qui après une courte cohabitation vont
être remplacés vers 28-30 000 ans par les hommes modernes.

Herto, le plus ancien (155-160 000 ans) représentant actuellement décrit de


notre espèce, H. sapiens idaltu, est également africain (Ethiopie). C’est lui ou l’un
de ses frères qui partira à la conquête du reste du Monde avec le succès que nous
connaissons.
376 MICHEL BRUNET

Cours du 2 avril : L’Histoire de notre Histoire


Les Sciences de l’Antiquité confondaient l’Origine de l’Univers, l’Origine de la
Terre et l’Origine de l’Homme. Les Sciences modernes ont montré que ces trois
évènements étaient en réalité séparés par des milliards d’années.
La notion d’Homme fossile n’a été reconnue qu’en 1856, au moment de la mise
au jour des premiers restes de l’Homme de Neandertal.
Comme l’avait prédit Charles Darwin dès 1871, les plus anciens préhumains
fossiles, à ce jour datés de 7 Ma, sont donc bien connus en Afrique et témoignent
d’une origine africaine et ancienne (au moins 8 Ma) de l’humanité.
Pourtant le courant néocréationniste, habilement grimé en « pseudoscience »
sous le nom de dessein intelligent, fait preuve d’une vigueur persistante, non
seulement par sa solide implantation sur le Continent Nord Américain, mais aussi
dans l’Ancien monde, ainsi qu’en témoignent l’édition et la diffusion récentes d’un
album photos couleur de luxe intitulé « Livre de la création ».

Cours du 9 avril : Biodiversité des Primates actuels


Les Humains sont des Mammifères qui appartiennent à l’ordre des Primates
(les Premiers), créé par Linné en 1758. Cet Ordre est actuellement représenté par
plus de 200 espèces principalement arboricoles et vivant essentiellement dans les
forêts tropicales et subtropicales.
Les Primates se divisent en deux grands groupes les Strepsirhini (Lémuriformes
s.l.) caractérisés par la présence d’un rhinarium et d’une lèvre supérieure fendue,
et les Haplorhini : Tarsiiformes & Simiiformes (= les singes) sans rhinarium et à
lèvre supérieure soudée. Les Simiiformes regroupent les singes du Nouveau monde
(Platyrrhini) et ceux de l’Ancien monde (Catarrhini). Ces derniers se divisent à
leur tour en deux groupes les singes : Cercopithécoïdes (Cercopithèques,
Babouins,..), et les grands singes : Hominoïdes (Gibbons, Siamangs, Orangs-
outans, Gorilles, Chimpanzés et Humains).
Dans le cours, les hominidés (= ensemble des humains actuels et fossiles, et des
préhumains) sont considérés comme le groupe frère des Panidés (= les chimpanzés
et les bonobos) avec lesquels ils partagent un ancêtre commun.

Cours des 16 avril et 7 mai : Primates actuels et fossiles, anatomie, rapports


de parenté, biochronologie, biogéographie
D’un point de vue paléontologique, les Hominidés se distinguent des grands
singes par des caractères anatomiques particuliers de leur denture (canines petites et
assymétriques, canine supérieure sans crête aiguisoir, complexe C/P3 non aiguisoir
mais de type broyeur, émail des dents plus épais que chez les grands singes,…) et de
la base de leur crâne (trou occipital en position antérieure, face nucale très inclinée
PALÉONTOLOGIE HUMAINE 377

vers l’arrière) en liaison avec un squelette appendiculaire (notamment au membre


postérieur le pelvis, le fémur et le tibia) adapté à une locomotion bipède.
Dès 1967 Sarich et Wilson de l’Université de Californie à Berkeley ont montré
que notre proximité génétique avec les chimpanzés est si grande (moins de 2 % de
différence) que nous partageons un ancêtre commun.
Toumaï daté de 7 Ma est sûrement proche de cette dernière dichotomie qui
peut, dans l’état actuel de nos connaissances être voisine de 8 Ma. Cette population
ancestrale (DAC : dernier ancêtre commun = LCA : last common ancestor) est
sûrement Africaine. Elle constitue le groupe frère des Gorilles dont elle s’est séparée
vers 9-10 Ma. L’origine de cet ensemble (Gorilles ((Chimpanzés) (Humains))) est
généralement considérée comme africaine, mais des découvertes récentes en Eurasie
soulèvent la question de la possibilité de leur origine asiatique. Seule la découverte
de nouveaux fossiles permettra de choisir entre ces deux hypothèses.

Cours du 14 mai : Les Hominidés du Miocène supérieur


Depuis 1994, les plus anciens hominidés connus sont passés de 3,6 Ma à 7 Ma.
Dès le début du troisième millénaire trois nouvelles espèces ont été décrites dans
le Miocène supérieur : Ardipithecus kadabba l’Ethiopien, Orrorin tugenensis le
Kenyan, tandis que le plus ancien (7 Ma) est Sahelanthropus tchadensis dit Toumaï,
un hominidé tchadien.
Depuis 1994 j’ai initié et dirigé la Mission Paléoanthropologique Franco-
Tchadienne (M.P.F.T. = une soixantaine de chercheurs de 10 nationalités) qui
conduit un programme de recherches transdisciplinaires autour de l’origine et de
l’évolution des hominidés anciens et de leurs environnements successifs. La
M.P.F.T. prospecte et fouille dans le désert du Djourab au Nord Tchad, 2 500 km
à l’Ouest du grand Rift Africain, où successivement elle a mis au jour un nouvel
australopithèque, Australopithecus bahrelghazali, surnommé Abel (3,58 Ma), le
premier trouvé à l’ouest de la vallée du grand Rift Africain (Brunet et al., 1995)
et plus tard un nouvel hominidé Sahelanthropus tchadensis (Brunet et al., 2002) du
Miocène supérieur (7 Ma).
Ce plus ancien hominidé connu est une découverte majeure qui montre
définitivement que les hypothèses d’une origine australe ou orientale du clade
humain doivent être reconsidérées.
Sahelanthropus tchadensis possède une combinaison unique de caractères primitifs
et dérivés qui montre clairement qu’il ne peut être rapproché ni des gorilles, ni des
chimpanzés, mais indique au contraire son appartenance au rameau humain et sa
proximité temporelle avec le dernier ancêtre commun aux chimpanzés et aux
humains. Dans le Miocène supérieur du Tchad, les données sédimentologiques et
paléobiologiques témoignent d’une mosaïque de paysages. Actuellement dans le
Kalahari central, au Bostwana, le delta de l’Okavango m’apparaît être un bon
analogue avec un paysage mosaïque similaire de rivières, de lacs, de marécages, de
378 MICHEL BRUNET

zones boisées, d’îlots forestiers, de savane arborée, de prairies herbeuses et de zones


désertiques. Dans cette mosaïque les préférences écologiques de Toumaï sont
encore en cours d’étude. Notamment l’étude des isotopes stables du carbone (13 C)
de l’émail dentaire devrait permettre de mieux préciser son régime alimentaire.
Mais très probablement, comme les autres hominidés du Miocène supérieur
Toumaï devait fréquenter des espaces boisés. De plus, compte tenu de ce que l’on
sait de leur crâne ou de leurs membres, ces trois hominidés du Miocène supérieur
sont sûrement bipèdes. Aussi l’hypothèse qui invoquait le rôle déterminant de la
savane herbeuse dans l’origine du rameau humain et de la bipédie fait dorénavant
partie de l’histoire de notre histoire. Maintenant, il est de plus en plus clair que
ces premiers hominidés fréquentaient des environnements boisés et n’étaient pas
restreints à l’Afrique Australe et Orientale mais vivaient au contraire dans une zone
géographique plus vaste incluant une partie de l’Afrique Sahélo-Saharienne : au
moins l’Afrique centrale (Tchad) et probablement la Libye mais aussi l’Egypte et
le Soudan.

Cours des 21 et 28 mai : Les Australopithèques (1)

Dans l’état actuel de nos connaissances on peut penser que vers 4 Ma ces
hominidés anciens du Miocène supérieur ont probablement donné naissance aux
Australopithèques : A. anamensis pour le moment le plus ancien mais aussi le plus
primitif, puis A. afarensis (Lucy), A. bahrelghazali (Abel), A. garhi, etc. ; eux-
mêmes sûrement à l’origine entre 2 et 3 Ma des premiers représentants, H. habilis
et H. rudolfensis, du genre Homo.

Parmi leurs principales caractéristiques anatomiques il faut citer : des incisives et


des canines petites / au poids du corps ; une première prémolaire inf. (P3) sans
facette aiguisoir pour une canine sup. sans crête aiguisoir ; des molaires plutôt
grandes à émail épais et cuspides bulbeuses ; une face grande et un cerveau
relativement petit ; une face moins prognathe que chez les grands singes ; Foramen
magnum en position antérieure ; locomotion bipède.

Toutes les espèces décrites sont africaines. L’espèce type du genre Australopithecus
africanus (3,5-2,3 Ma) a été décrite en Afrique du Sud (enfant de Taung) par
Raymond Dart en 1925. En Afrique orientale la plus ancienne est Australopithecus
anamensis (4,2-3,9 Ma) ; la mieux connue Australopithecus afarensis (3,9-2,7 Ma)
dont Lucy (3,2 Ma) est la plus célèbre représentante, une forme plus récente
(Bouri, Middle Awash, Ethiopie, 2,5 Ma), Australopithecus ghari, est associée à des
artefacts et à des ossements portant des traces de boucherie. Cette dernière espèce
a été considérée par ses auteurs comme une forme ancestrale des hommes modernes,
dérivée de A. africanus et/ou A. afarensis.

Enfin en 1995 j’ai décrit avec mon équipe la MPFT la première espèce connue
à l’Ouest du grand Rift au Tchad dans le désert du Djourab, Australopithecus
bahrelghazali (3,58 Ma).
PALÉONTOLOGIE HUMAINE 379

Tous ces Australopithèques sont marqués par un fort dimorphisme sexuel. Ainsi
Lucy et ses frères avaient une taille moyenne de 105 à 150 cm pour un poids
d’environ 30 kg pour la plus petite femelle et 45 kg pour les grands mâles. En ce
qui concerne la locomotion, à des caractères de bipède sont associés d’autres
caractères qui indiquent encore la possibilité de grimper aux arbres : orientation de
l’omoplate ; phalanges de la main courbes ; pisiforme grand ; phalanges du pied
longues et courbes ; membres postérieurs encore courts. Sur le sol le mode de
locomotion est la bipédie mais un mode de vie arboricole est conservé pour dormir,
échapper aux prédateurs et se nourrir.

Cours du 4 juin : Les Paranthropes

Vers 2,5 Ma un groupe d’australopithèques va spécialiser son régime alimentaire


impliquant un changement morphologique vers des formes dites « robustes » qui
sont généralement regroupées dans le genre Paranthropus.

Trois espèces ont été décrites, deux en Afrique orientale dont la plus ancienne :
P. aethiopicus, « Black Skull » (2,6-2,3 Ma, Vallée de l’Omo, Ethiopie) et P. boisei
(2,1-1,1 Ma, Afrique de l’Est) ; une espèce en Afrique du sud : P. robustus
(1,5-2 Ma, Swartkrans, Kromdraai et Drimolen, Afrique du sud).

Leur denture antérieure (incisives et canines) est très réduite tandis que les dents
jugales (Pm et M) sont au contraire très développées.

P. robustus a des dents avec un taux élevé de 13 C, suggérant un régime alimentaire


avec des plantes en C4 (graminées) et de la viande.

Les relations de parenté entre ces formes robustes dépend de la nature des
caractères partagés : homologues ou homoplasiques… et est donc l’objet de
discussion au sein de la communauté scientifique.

De même certains auteurs considèrent les paranthropes comme appartenant au


genre Australopithecus.

Cours du 11 juin : Histoire des préhumains… Ce que l’on croit savoir…


Ce que l’on ne sait pas…

En fonction de la diversité et de la multiplicité des nouvelles données de leur


origine africaine au peuplement du reste du Monde l’histoire et l’évolution des
hominidés anciens doivent être reconsidérées dans le cadre de nouveaux paradigmes.
Ces nouvelles approches, principalement sur le terrain la prospection de nouvelles
aires géographiques (notamment toute l’Afrique Sahélo-Saharienne) mais aussi
l’utilisation de nouvelles technologies (scanners synchrotron, imagerie 3D,
biogéochimie isotopique, paléo ADN, etc.) vont induire immanquablement des
changements drastiques pour l’ensemble de notre histoire.
380 MICHEL BRUNET

De telle sorte que les interrogations anciennes : D’où venons-nous… Qui sommes-
nous… Qui est l’ancêtre, où et quand est-il apparu ? … Bien qu’elles soient de mieux
en mieux contraintes demeurent toujours des questions d’actualité.

Séminaires 2007-2008

2 avril : Principes de l’analyse morphologique en paléoanthropologie :


histoire de formes et histoire des formes
avec Stéphane Ducrocq, DR2 CNRS, IPHEP Université de Poitiers
La forme est l’une des propriétés les plus importantes de la matière et constitue
un marqueur essentiel de la biodiversité. C’est également le seul élément à la
disposition du paléontologue lui permettant de baser ses interprétations. La forme
peut exprimer une fonction, l’histoire d’un individu ou du développement d’un
individu. L’apparition de la bipédie chez l’homme livre de nombreux exemples de
changements qui sont exprimés dans la morphologie squelettique, changement qui
à leur tour ont eu une influence sur l’anatomie des tissus mous et la physiologie
de l’individu. D’un point de vue quantitatif, le principe d’allométrie permet de
définir la relation existant entre la forme et la taille d’un objet. La paléontologie
est donc une science pluri-disciplinaire qui exploite plusieurs outils (anatomie,
biologie, biomécanique, mathématiques, informatique). L’un des outils permettant
de replacer une forme dans un cadre temporel et évolutif (relation ancêtre-
descendant) est la cladistique. Pour ce faire, il est nécessaire de définir les états
primitifs et évolués des caractères étudiés de façon à les replacer dans la phylogénie
d’un ensemble d’individus. Cette phylogénie nous informe à terme sur
l’identification et la classification des organismes, et elle aide souvent à comprendre
pourquoi une espèce a développé une adaptation plutôt qu’une autre. Le but
ultime de l’information phylogénétique consiste à donner un sens aux schémas
observés dans la nature.

9 avril : Fossiles, imagerie, reconstructions 3D


et analyse de la variabilité morphologique
avec Renaud Lebrun, Dr. de l’Université de Montpellier II
Grâce aux développements de l’imagerie médicale et de la microtomographie il
est aujourd’hui possible d’accéder à la structure osseuse crânienne de fossiles très
minéralisés, ou d’individus de très petite taille, avec une résolution spatiale
appropriée. De plus, l’utilisation de techniques de reconstruction tridimensionnelle
ouvre la possibilité d’effectuer des analyses comparatives en incorporant des fossiles
incomplets et/ou déformés. Différentes stratégies pour la reconstruction de fossiles
de crânes de primates fossiles ont été présentées.
Parallèlement aux progrès dans l’acquisition de données tridimensionnelles,
l’introduction des méthodes de morphométrie géométrique a constitué une
PALÉONTOLOGIE HUMAINE 381

véritable révolution pour la biologie comparative. Ces méthodes permettent de


quantifier les changements phénotypiques au cours de l’évolution de manière
globale, en préservant la géométrie de l’objet lors des analyses : ceci permet d’étudier
des patrons de variabilité complexes à un niveau de détail inégalé. Une application
de ces méthodes pour l’analyse de la variabilité de la morphologie crânienne chez
les primates fossiles et actuels est donnée.

16 avril : Origine et évolution des Primates anthropoïdes en Asie :


Relations avec la paléogéographie et les paléoenvironnements
avec Jean-Jacques Jaeger, Professeur et Directeur IPHEP UMR 6046, CNRS
Université de Poitiers

Depuis des décennies, il est admis que l’origine des Primates anthropoïdes s’est
située en Afrique, et cela malgré les informations contraires apportées par la
phylogénie moléculaire. Mais récemment, cette situation s’est trouvée modifiée
grâce à la découverte d’Anthropoïdes primitifs dans des niveaux anciens de l’Eocène
moyen et supérieur d’Asie. Dans le même temps, les données qui soutenaient une
origine africaine ont pu être démenties grâce à d’autres découvertes paléontologiques.
Ces données récentes illustrent l’importance de la première partie de l’histoire des
Anthropoïdes en Asie. Les recherches en Inde, Pakistan, Chine, Thaïlande et
Birmanie permettent de mettre en évidence d’une part la très grande ancienneté
de ce groupe en Asie (55 Ma) ainsi que son extrême diversité. En effet, la radiation
Eocène asiatique comprend des formes de très petite taille (moins de 200 grammes)
ainsi que des formes pouvant atteindre une dizaine de kilogrammes, ce qui les situe
au sein des formes les plus grandes de leur temps. Parmi ces formes de grande
taille, les Amphipithécidés se distinguent par leurs caractères très modernes
(position frontale des orbites et caractères de leur squelette post-crânien) par
rapport à leurs contemporains africains. Ils semblent avoir évolué sous un climat
marqué par une forte saisonnalité, qui a permis l’apparition des caractères modernes
du crâne et de la denture qui traduisent une adaptation à un régime alimentaire à
base de nourriture dure et abrasive. Une adaptation similaire, mais beaucoup plus
récente, s’est également produite, plus de 25 millions d’années après, chez les
premiers hominidés. L’évolution de ces formes constitue donc un excellent modèle
pour comprendre les modalités et les causes de ces mêmes transformations chez les
Hominidés.

Actuellement les plus anciens Anthropoïdes africains indiscutables sont datés de


37 millions d’années et proviennent du Fayoum en Egypte et en Algérie. Mais des
découvertes très récentes, dans des niveaux un peu plus anciens, du désert de
Libye, témoignent de la présence de formes asiatiques en Afrique dès 37,5 millions
d’années. Une connaissance plus détaillée de ces immigrations, vraisemblablement
multiples, et des voies paléogéographiques suivies entre l’Asie du Sud et l’Afrique
se révèlent maintenant indispensable pour suivre en détail l’histoire ancienne de
notre rameau.
382 MICHEL BRUNET

7 mai : Les Hominoïdes eurasiatiques du Miocène


et l’origine des Hominidae
avec Louis de Bonis, Professeur émérite de l’Université de Poitiers
Les Hominoïdes modernes renferment les grands singes, gibbon (Hylobates),
siamang (Symphalangus), orang-outan (Pongo), gorille (Gorilla) et chimpanzé (Pan),
et l’homme. La recherche des liens de parenté par différentes méthodes a montré que
nous étions plus proches de deux d’entre eux, le gorille et surtout le chimpanzé, que
des autres. Les bifurcations entre les lignées conduisant aux formes actuelles se sont
produites au cours de l’époque Miocène (entre – 23 et – 5,5 millions d’années).
Les formes ancestrales des gibbons et siamangs (famille des Hylobatidae) sont
mal connues mais elles étaient probablement asiatiques depuis longtemps.
Des genres apparentés, à l’orang se rencontrent au Miocène, également en Asie.
Sivapithecus dans le sous-continent indien, Khoratpithecus en Thaïlande, ou
Ankarapithecus en Asie Mineure. Il nous faut aussi mentionner l’immense
Gigantopithecus du Pléistocène de Chine, le plus grand primate connu (beaucoup
plus grand qu’un gorille), et son proche parent du Miocène supérieur Indopithecus.
En Europe, le genre Dryopithecus, présent de l’Espagne à la mer Noire depuis le
Miocène moyen, disparaît au milieu du Miocène supérieur (– 8,5 Ma). Ce primate,
adapté au milieu forestier, se déplaçait dans la canopée à l’aide de ses bras allongés.
Se nourrissant de fruits ou de feuilles comme le montre sa dentition, il avait un
mode de vie sans doute proche de celui des grands singes africains actuels. A la
même époque, au sud-est de l’Europe, existait un autre primate, le genre
Ouranopithecus. Vivant dans un milieu différent semblable à une savane, sa robuste
dentition lui permettait de subsister sous un climat plus sec en ajoutant à son
régime des tubercules ou des racines, qu’il broyait grâce à ses robustes mâchoires.
Sa denture et l’usure de ses dents sont voisines de celles des australopithèques
découverts en Afrique dans des niveaux plus récents et ces similitudes révèlent une
proche parenté entre ces deux ensembles. Limité jusqu’à une date récente à la Grèce
du nord, il pourrait avoir été présent en Bulgarie et en Turquie tandis qu’une forme
semblable mais appelée Nakalipithecus vient d’être découverte en Afrique dans un
site daté de 10 Ma. Ces primates à la denture robuste constituent probablement
la souche ancestrale dans laquelle s’enracinent les hominiens plus récents.

14 mai : Le temps en géologie : datations absolues


avec Didier Bourles, Professeur de l’Université d’Aix-Marseille
(CEREGE, UMR CNRS IRD).

Contraindre temporellement les événements remarquables qui ont jalonné


l’histoire géologique et biologique de la planète Terre est une préoccupation
essentielle de l’humanité depuis le développement de la pensée rationnelle. Cette
quête perpétuelle a conduit aux développements de nombreux concepts et de
techniques qui peuvent être tout d’abord classés en deux catégories : les méthodes
PALÉONTOLOGIE HUMAINE 383

de datation relative et les méthodes de datation absolue. La datation relative


regroupe l’ensemble des méthodes de datation permettant d’ordonner
chronologiquement des événements géologiques ou biologiques, les uns par rapport
aux autres. Les principes géométriques (le principe de superposition, le principe de
recoupement, le principe de continuité et le principe d’inclusion) et le principe
d’identité paléontologique. La datation absolue est une datation aboutissant à
un résultat chiffré, exprimé en années. Elle peut concerner un événement, un
objet, une couche géologique ou un niveau archéologique. Le plus souvent, les
méthodes de datation absolue utilisent des phénomènes de transformations
physico-chimiques dont la vitesse est connue. La mesure du degré de transformation
permet de dater le début du processus considéré. Quatre groupes principaux de
méthodes peuvent être distingués : les méthodes basées sur des phénomènes de
diffusion, de racémisation ; les méthodes basées sur des phénomènes cycliques
(dendrochronologie…) ; les méthodes basées sur des défauts cristallins
(thermoluminescence, EPR/ESR,…) ; les méthodes basées sur des phénomènes
radioactifs, parmi lesquelles on distingue les méthodes isochrones
(U/Th, Rb/Sr…) des méthodes directes (Ar/Ar, nucléides cosmogéniques,…).
Depuis maintenant un peu plus de 25 ans, une nouvelle technique, la Spectrométrie
de Masse par Accélérateur (SMA), a été développée afin de permettre d’identifier
puis de compter les atomes formés dans l’environnement lors d’interactions entre
les particules très énergétiques issues du rayonnement cosmique et les atomes
constituant l’environnement terrestre. Au moins un million de fois plus sensible
que toute autre technique existante, la SMA a non seulement permis de pousser à
ses limites extrêmes la datation par le C-14, soit jusque vers 45 000 ans, mais
également de développer l’utilisation de nouveaux nucléides cosmogéniques, tel
que le Be-10, permettant potentiellement une datation absolue et continue sur les
15 derniers millions d’années. Récemment (2008) adaptée pour dater des dépôts
sédimentaires continentaux déposés lors d’épisodes Lac Méga-Tchad dans le nord
du bassin du lac Tchad, cette méthode a permis de dater de manière absolue les
restes d’hominidés qui y furent découverts et notamment l’actuel doyen de
l’humanité : Toumaï.
L’ensemble des principes et des phénomènes impliqués dans les diverses méthodes
de datation relative et absolue les plus communément utilisées a tout d’abord été
exposé, la technique de SMA étant plus particulièrement développée. Enfin, les
plus récents développements de cette technique ont été présentés à travers son
application à la datation des restes d’hominidés Mio-Pliocène mis au jour dans le
bassin du lac Tchad.

21 mai : Sédimentologie, milieux de dépôts


et paléo-environnements des Hominidés
avec Mathieu Schuster, CR CNRS à l’Université de Poitiers
L’évolution biologique est une résultante de la pression de sélection du milieu
sur les êtres vivants. Ainsi, l’évolution de la faune et de la flore, et en particulier
384 MICHEL BRUNET

celles des Hominidés, est directement liée à l’environnement et à ses modifications


au cours du temps. La connaissance des paléo-environnements successifs des
Hominidés est donc indispensable pour comprendre leur évolution et leur
distribution géographique.

Le terme de « paléo-environnement » désigne une réalité qui comprend aussi


bien le paysage physique que l’écosystème, c’est-à-dire un milieu naturel, siège à la
fois d’une activité biologique et d’une activité géologique. Ainsi, la reconstitution
des paléo-environnements est par essence une démarche pluridisciplinaire où
chaque spécialité apporte des données indépendantes mais complémentaires. Le
faisceau de données ainsi obtenu contribue à restituer les environnements
anciens.

La sédimentologie, à travers l’étude des roches sédimentaires, renseigne sur les


milieux de dépôts, leur dynamique et leur évolution dans l’espace et au cours du
temps. Elle permet ainsi de restituer les paysages physiques (e.g., fleuves, lacs,
reliefs) qui structurent les paléo-environnements. La géologie sédimentaire est
avant tout une discipline de terrain, basée sur l’observation des dépôts sédimentaires
à différentes échelles (lamine, strate, affleurement, bassin sédimentaire) et qui se
nourrit de la connaissance des systèmes sédimentaires actuels. L’étude
géomorphologique par télédétection (photos aériennes, images satellites, modèles
numériques de terrain) est un complément indispensable à cette démarche et
permet par exemple d’identifier dans le paysage les marques des anciens systèmes
sédimentaires (e.g. réseau hydrographique fossile) ou de repérer des zones
d’affleurements.

Chaque environnement possède sa signature sédimentaire propre (lithologie,


structures sédimentaires, géométrie) appelée faciès sédimentaire. Sur le terrain,
l’observation directe sur l’affleurement est une étape cruciale car elle permet de
collecter les indices nécessaires à l’identification des faciès sédimentaires. Un
changement de faciès dans l’enregistrement sédimentaire marque un changement
dans la dynamique de dépôt. Le « principe de Walther » qui propose que les
superpositions de faciès représentent l’image verticale de ce qui existait de manière
horizontale dans l’espace, permet de passer de l’étude des dépôts sédimentaires à
la reconstruction de l’organisation spatiale des environnements à un moment
donné.

Cette démarche, appliquée aux archives sédimentaires du Bassin du Tchad,


contribue à la reconstruction des paléo-environnements des Hominidés anciens du
Tchad (Sahelanthropus tchadensis et Australopithecus bahrelghazali). Divers types de
dépôts ont été reconnus : e.g., des dunes éoliennes, des sols à conduits racinaires
et nidifications d’insectes, des crues éphémères et des lacs. Les milieux de dépôts
identifiés jettent ainsi les bases d’un décor péri-lacustre que complète l’étude des
paléo-faunes et paléo-flores afin de restituer les paléo-environnements de cette
région-clef pour la compréhension de l’histoire de notre Histoire.
PALÉONTOLOGIE HUMAINE 385

28 mai : La lecture de l’environnement des Hominidés anciens


à l’aide des paramètres biotiques
avec Patrick Vignaud, Maître de Conférences et Directeur adjoint
UMR 6046, IPHEP Université de Poitiers

Depuis une quinzaine d’années, les découvertes de restes fossiles d’Hominidés


anciens se multiplient dans les sédiments mio-pliocènes d’Afrique de l’Est et du
Sud mais aussi d’Afrique Centrale. Cette augmentation du nombre de restes fossiles
oblige maintenant à reconsidérer les relations phylogénétiques entre les différentes
formes mises au jour dans ces régions.

D’autre part, il est dorénavant clair que les études portant sur l’origine et
l’évolution des Hominidés ne peuvent pas s’appréhender hors d’un contexte
paléoenvironnemental bien compris. Pour ce faire, deux types de paramètres sont
pris en compte dans les analyses : les paramètres abiotiques et les paramètres
biotiques.

L’analyse des flores et des faunes découvertes associées aux restes d’Hominidés
permet de préciser les conditions environnementales des écosystèmes dans lesquels
sont apparus puis ont évolué les Hominidés.

A partir d’exemples précis, choisis dans le Mio-Pliocène du désert du Djourab


au Nord Tchad, les différentes méthodes d’investigation ont été développées et les
données interprétées.

Une partie des interprétations paléoenvironnementales effectuées à l’aide des


faunes est basée sur le principe d’actualisme. Il est ainsi possible de préciser un type
d’écosystème à l’aide des caractéristiques d’un assemblage faunique, soit en
comparant le milieu de vie d’une forme actuelle par rapport à une forme fossile
proche, soit en analysant la structuration de l’assemblage. Ces méthodes, très
précises, nécessitent cependant le maximum de restes fossiles permettant ainsi de
contraindre au mieux les interprétations.

L’analyse du couvert végétal nécessite moins de matériel fossile mais est souvent
plus délicate à interpréter. Les macro-restes de végétaux étant très rarement
conservés dans les sédiments, deux approches indirectes sont classiquement utilisées.
L’analyse de la composition isotopique de l’émail dentaire des mammifères
consommateurs de végétaux (l’émail dentaire conserve une « trace » des signatures
biochimiques des végétaux consommés). Enfin, l’étude approfondie des micro-
restes végétaux (grains de pollens et phytolithes) permet aussi d’apporter des
informations qui seront confrontées aux autres données issues de l’étude de la
faune et de la flore afin de dresser un tableau des «paléo-paysages» dans lesquels
sont apparus puis ont évolué les Hominidés.
386 MICHEL BRUNET

4 juin : Apports de la modélisation climatique à l’histoire de l’évolution


de la vie et des hominidés
avec Gilles Ramstein, Directeur de Recherches au CEA, LSCE Gif-sur-Yvette
Irradiée par le Soleil jeune et moins puissant qu’actuellement, la Terre a pu
échapper pendant la quasi totalité de son histoire à une glaciation totale grâce aux
gaz à effet de serre. Pourtant par 2 fois au moins (au Paléoprotérozoique et au
Néoprotérozoique) la Terre a pu être totalement englacée. Les mécanismes physiques
qui ont pu conduire et mettre fin à cette glaciation ont été exposés, ainsi que les
implications éventuelles des glaciations/déglaciations globales sur le développement
de la vie avant « l’explosion Cambrienne ». Depuis 540 millions d’années, le climat
de la Terre est régulé par la tectonique des plaques, par son effet sur le climat et
le cycle du Carbone. Notre planète a connu des périodes chaudes (Crétacé) et des
glaciations (Permo-Carbonifère). Sur ces 2 exemples il a été montré que la
modélisation du Climat apporte aussi des éléments importants. Le Quaternaire et
particulièrement les derniers cycles climatiques sont très bien documentés grâce
aux calottes de glace et aux sédiments marins et continentaux. De plus, les causes
des glaciations sont identifiées (cycle de Milankovitch). A partir d’une hiérarchie
de modèles climatiques, il a été montré qu’on peut rendre compte des variations
glaciaires/interglaciaires, mais également de la variabilité climatique très forte des
périodes glaciaires. Enfin, à l’échelle de quelques centaines d’années, le
bouleversement en cours de la composition de l’atmosphère terrestre d’origine
anthropique qui impacte aussi les systèmes à temps de réponse plus long (dynamique
de l’océan et de la cryosphère), pourrait induire une déstabilisation des calottes de
glace et faire basculer une nouvelle fois le climat vers son mode le plus stable :
chaud et sans calotte glaciaire.

11 juin : Histoire des préhumains…


Ce que l’on croit savoir…Ce que l’on ne sait pas…
Perspectives et discussions en rapport avec le cours avec Michel Brunet
En science l’absence de preuve… n’est jamais la preuve de l’absence... et en
paléontologie la validité d’une hypothèse a souvent une durée de vie qui s’arrête
avec la découverte du prochain fossile mis au jour... !
Toumaï avec ses 7 Ma, parce qu’il est le plus ancien d’entre nous, nous dit que
ce que nous savons aujourd’hui de notre Histoire permet de confirmer la prédiction
faite par Darwin en 1871, notre origine est bien Africaine et unique. Lui et nous,
tous ensemble, nous partageons la même population ancestrale. Nous sommes
donc tous sœurs et frères et nos différences majeures sont essentiellement marquées
par la diversité de nos cultures… une richesse liée à notre histoire…
PALÉONTOLOGIE HUMAINE 387

Enseignement hors Collège de France

— Formation académique SVT, Conférence, Rouen, 21 septembre 2007 ;


— Ecole thématique du CNRS, « Les Climats pré-Quaternaire : Des premières glaciations
jusqu’à l’apparition des premiers Hominidés », Propriano, 10-12 octobre 2007 (Michel
Brunet, conférencier invité) ;
— Formation académique SVT, Conférence, Orléans, 25 février 2008 ;
— UE de Master 1 : « L’évolution en questions », Université Paris XI, Orsay, 20 mars
2008 ; cours sur les hominidés anciens ;
— Université du temps libre Versailles, Conférence, 15 avril 2008 ;
— Collège Lenain de Tillemont, Montreuil (93), rencontre avec les classes de 6e autour
de l’origine des Hominidés, 17 avril 2008.

Recherche

Thématique : Histoire des Hominidés anciens (Mio-Pliocène) et de leurs


paléoenvironnements
Mots clés : Paléontologie, Hominidés anciens, Mammifères Ongulés, Evolution, Systé-
matique, Phylogénie, Biochronologie, Paléoécologie, Paléoenvironnements, Paléobio-
géographie.

Parmi les résultats les plus saillants :


Mio-Pliocène d’Afrique Centrale: Découverte au Tchad des premiers Australopithèques
(Australopithecus bahrelghazali Brunet & al. 1996) connus à l’Ouest de la Rift Valley (Nature
378, 273-275, 1995 ; PNAS 105 (9) : 3226-3231, 2008), des plus anciens Hominidés
(Sahelanthropus tchadensis Brunet & al. 2002) du continent africain (Nature 418 : 145-151,
2002 ; Nature 419 : 582, 2002 ; Nature 434 : 752-755, 2005 ; Nature 434 : 755-759,
2005 ; PNAS 102(52) :18836-41, 2005 ; PNAS 105(9) : 3226-3231, 2008 ) et de plus de
500 sites à vertébrés fossiles dans le Mio-Plio-Quaternaire du Tchad (Nature 418 : 152-155,
2002 ; Science 311 : 821, 2006 ; PNAS 105 (9) : 3226-3231, 2008).

L’ensemble de ces découvertes récentes en Afrique Centrale conduit à revoir de manière


drastique nos conceptions sur l’origine et les premières phases de l’histoire du rameau
humain.

Direction ou participation
à des programmes scientifiques nationaux et internationaux

— M.P.F.E. : Mission Paléoanthropologique et Paléontologique Franco-Egyptienne (Dir.


M. Brunet), collaboration scientifique entre Collège de France, Université de Poitiers et
Université du Caire ; deux missions de terrain ont eu lieu depuis 2007 ;
— M.P.F.L. : Mission Paléoanthropologique et Paléontologique Franco-Libyenne (Dir.
M. Brunet), convention de recherche signée le 25 novembre 2005 entre l’Université de
Poitiers et l’Université Al Fateh de Tripoli ; trois missions de terrain ont eu lieu depuis
2006 ;
— M.P.F.T. : Mission Paléoanthropologique Franco-Tchadienne (Dir. M. Brunet) depuis
1994 ; convention de recherche entre l’Université de Poitiers, le CNAR et l’Université de
388 MICHEL BRUNET

N’Djamena (depuis1995). Ce programme international (10 nationalités) et pluridisciplinaire


regroupe maintenant une soixantaine de chercheurs ;
— Middle Awash Research Project (Ethiopie) — Dir. T.D. White, Pr. University of
California, Berkeley, USA (depuis 2000) ;
— GDRI CNRS regroupant : Chaire de Paléontologie humaine du Collège de France ;
IPHEP UMR CNRS 6046 de l’Université de Poitiers ; Anthropology Department Harvard
University, Cambridge, USA ; Human Evolution Research Center (HERC) University of
California at Berkeley, USA ; Département de Paléontologie Université de N’Djamena ;
Department of Mineral Resources, Cenozoic Paleontological Section, Bangkok (THAILAND)
(Directeur M. Brunet, 01-01-2008) ;
— CNRS/ECLIPSE : Les Hominidés anciens d’Afrique Centrale (2000-2008) ;
— Porteur d’un programme ANR 2005-2008 : « de l’origine des Anthropoïdes à
l’émergence des Hominidés : Evolution et environnements », (deux partenaires : Université
de Poitiers et Université de Montpellier II) ;
— N.S.F./R.H.O.I. : « Revealing Hominid Origins Initiative , National Science
Foundation Project (co- P.I.’s Pr. F.C. Howell & T.D. White, University of California at
Berkeley), depuis 2003.

Prospections géologiques et fouilles paléontologiques en cours

AFRIQUE : Tchad, Libye, Egypte

Thèses de doctorat, Université de Poitiers


Lebatard E.A. — Datations des séries sédimentaires à Hominidés anciens du Paléolac
Tchad depuis le Miocène jusqu’à l’actuel (Direction : M. BRUNET et D. Bourlès, CEREGE)
soutenue le 19 décembre 2007.
Pinton A. — Etude de la phylogénie et de la biodiversité des Mochokidae (Téléostéens,
Siluriformes) du Miocène à l’Actuel : implications paléobiogéographiques dans la
connaissance de la dispersion des Hominidés anciens. Direction : O. Otero et J.F. Agèse
(IRD Montpellier) et D. Paugy (IRD Paris). Allocation MENRT (soutenue le 11 juillet
2008) (M. BRUNET Président du Jury).
Bienvenu T. — La morphologie cérébrale de Toumaï (Miocène sup. du Tchad).
Reconstitution 3D, anatomie, morphométrie et comparaison avec les Hominoïdes actuels
et fossiles. IPHEP UMR 6046, Université de Poitiers, Allocation MENRT, Direction :
M. BRUNET et F. Guy, Allocation MENRT. Depuis octobre 2008.

HDR

Otero O. — Milieux de vie et voies de dispersions des hominidés et anthropoïdes


anciens. Apports croisés de l’étude paléontologique des paléoichtyofaunes et de la
biogéochimie. Mémoire d’Habilitation à Diriger des Recherches, IPHEP UMR 6046,
Université Poitiers. Soutenue le 18 décembre 2007 (M. BRUNET Président du Jury).
Barriel V. — Du caractère… à l’arbre phylogénétique », UMR 5143, Paléodiversité et
Paléoenvironnements, MNHN Paris soutenue le 21 janvier 2008 (M. BRUNET
Rapporteur).
PALÉONTOLOGIE HUMAINE 389

Congrès et séminaires

— Université Européenne d’été, « Evolution et développement » (Michel BRUNET,


Conférencier invité) Saint-Jean-d’Angely, 29-30 août 2007 ;
— Colloque CNRS « ECLIPSE 2 », Auditorium Marie Curie CNRS Paris,
15-17 octobre 2007 ;
— XIVe Colloque de la Société de Biométrie Humaine, 14-16 novembre 2007, MNHN
Paris : communication « Paléontologie et identification : du désert du Djourab à l’autoroute
A10 » par P. Fronty, M. Sapanet et M. BRUNET) ;
— Third International Conference on the Geology of the Tethys, 8-11 January, 2008,
South Valley University — Aswan Town, Egypte (Michel BRUNET, invited speaker) ;
— International Conference on Paleoanthropology, Paleontology and Archaeology in
Ethiopia. January 12-14, 2008. Economic Commission for Africa, ECA, Addis Ababa,
Ethiopia. Communication : « BRUNET M., Guy F., Vignaud P. et MPFT — Elsewhere in
Africa...10 years of fieldwork in Chad » ;
— Colloque annuel de la Société d’Histoire et d’Epistémologie des Sciences de la Vie,
« Rien en biologie n’a de sens sinon à la lumière de l’évolution », T. Dobzhansky, CCSTI
Pierre Mendès France Poitiers, 13 mars 2008 (M. BRUNET, Conférencier invité) ;
— Colloque Edgar Morin : « La dimension humaine », communication M. BRUNET :
« L’Humanité Première », Paris 11 avril 2008 ;
— Project NSF/RHOI (Collaboration HERC University of California, Berkeley) :
Revealing Hominid Origins Initiative (RHOI); Analytic Working Group – Carnivora ;
Carnivores of Africa from the middle Miocene to the Pleistocene : new data, systematics,
evolution, biogeography ; Workshop in the University of Poitiers : May 20th to May 23rd
2008 (coordinator L. de Bonis) ;
— EGU annual meeting, April 2008, Vienna (Austria), communication « Lebatard A.
E., Bourlès D., Duringer Ph., Jolivet, M., Braucher R., Schuster M., Lihoreau F.,
Mackaye, H.T., Vignaud P., BRUNET M. 2008. Cosmogenic nuclide dating of Australopithecus
bahrelghazali and Sahelanthropus tchadensis : Plio-Miocene Hominids from Chad  ;
— Colloque « Emergencia de una Nueva Conciencia Ecologica », Ambiente 21, Santiago
du Chili, 14 juin 2008 (M. BRUNET, invited speaker).

Conférences invitées

Toutes les conférences ont traité de l’histoire évolutive des Hominidés et de leurs environnements
à la lumière des découvertes nouvelles.
— Office Cantonal de la Culture, Section Archéologie & Paléontologie, Porrentruy
(Suisse), 13 septembre 2007 ;
— Société des Sciences de Chatellerault, 20 septembre 2007 ;
— Institut de Physique du Globe (IPG), UPMC Paris, 27 septembre 2007 ;
— CCF N’Djaména (Tchad), 4 octobre 2007 ;
— CCSTI Pierre Mendès France, Fête de la Science, Poitiers, 8 octobre 2007 ;
— Université de Rennes, Géosciences, Année internationale de la Planète Terre,
13 novembre 2007 ;
— Chanteloup, Vouneuil-sous-Biard (86), 5 mars 2008 ;
— Institut ISIS, Université Pasteur Strasbourg, 10 mars 2008 ;
390 MICHEL BRUNET

— Médiathèque, Issy-les-Moulineaux, 15 mars 2008 ;


— Auditorium Maurice Ravel, Jarnac, SEMLH 8 mai 2008 ;
— Santiago du Chili, Diego Portales, 14 juin 2008.

Radio-TV
France Inter : La tête au carrée, Mathieu Vidal, 8 mars ; France Culture : Travaux publics
par Jean Lebrun, 31 mars 2008 ; France 2 & France 3.

Presse écrite
Nombreux interviews et articles.

Films
— Festival du documentaire scientifique, présentation du documentaire fiction « Toumaï
le nouvel Ancêtre » par Michel Brunet, Amiens, 1er avril 2008.
— France 2 : Un jour un destin « Chirac intime » (participation M. Brunet) diffusé le
27 juin 2008.
— « Humains » Long métrage de fiction autour d’hominidés fossiles, tournage été 2008
(Michel Brunet, consultant scientifique).

Distinction

Officier dans l’Ordre national du mérite : 29 février 2008.

Articles scientifiques parus au cours du second semestre 


et du premier semestre 
dans des revues internationales à comité de lecture et IF

Bonis de L., Peigné S., Likius A., Makaye H.T., Vignaud P. et BRUNET M. (2007)
— First occurrence of the ‘hunting hyena’ Chasmaporthetes in the late Miocene fossil bearing
localities of Toros Menalla, Chad (Africa). Bull. Soc. Géol. Fr., 178 (4) : 317-326.
Bonis de L., Peigné S., Likius A., Mackaye H.T., Vignaud P. et BRUNET M. (2007)
— The oldest African fox (Vulpes riffautae n. sp., Canidae, Carnivora) recovered in late
Miocene deposits of the Djurab desert, Chad. Naturwissenschaften, 94 : 575-580.
Duringer P., Schuster M., Genise J.F., Mackaye H.T., Vignaud P. et BRUNET M.
(2007) — New termite trace fossils : Galleries, nests and fungus combs from the Chad basin
of Africa (Upper Miocene-Lower Pliocene). Palaeogeography, Palaeoclimatology, Palaeoecology,
251 : 323-353.
Lopez-Martinez N., Likius A., Mackaye H.T., Vignaud P. et Brunet M. (2007) — A
new Lagomorph from the Late Miocene of Chad (Central Africa). Revista Espanola de
Paleontologia, 22(1) : 1-20.
Otero O., Likius A., Vignaud P. et BRUNET M. (2007) — A new Claroteid Catfish
(Siluriformes) from the Upper Miocene of Toros-Menalla, Late Miocene, Chad :
Auchenoglanis soye sp. nov. J. Vert. Pal. 27(2) : 285-294.
PALÉONTOLOGIE HUMAINE 391

Geraads D., Blondel C., Likius A., Mackaye H.T., Vignaud P. et BRUNET M. (2008)
— New Hippotragini (Bovidae, Mammalia) from the late Miocene of Toros-Menalla
(Chad). J. Vert. Pal. 28(1) : 231-242.
Guy F., Mackaye HT., Likius A., Vignaud P., Schmittbuhl M. et BRUNET M. (2008)
— Symphyseal shape variation in extant and fossil hominoids, and the symphysis of
Australopithecus bahrelghazali. Journal of Human Evolution 55 (2008) 37-47.
Jolivet M., Lebatard A.E., Reyss J.L., Mackaye H.T., Lihoreau F., Vignaud P. et
BRUNET M. (2008) — Can fossil bones and teeth be dated using fission track analysis ?
Chemical Geology, 247 : 81-99.
Lebatard A.E., Bourlès D.L., Duringer P., Jolivet M., Braucher R., Carcaillet J.,
Schuster M., Arnaud N., Monie P., Lihoreau F., Likius A., Mackaye H.T., Vignaud P.
et BRUNET M. (2008) — Cosmogenic nuclide dating of Sahelanthropus tchadensis and
Australopithecus bahrelghazali : Mio-Pliocene hominids from Chad. Proc. Nat. Acad. Sci.
USA., 105, 9 : 3226-3231.
Mackaye H.T., Coppens Y., Vignaud P., Lihoreau F. et BRUNET M. (2008) — De
nouveaux restes de Primelephas dans le Mio-Pliocène du Nord du Tchad et révision du genre
Primelephas. C. R. Palevol, 7 (2008) 227-236.
Peigné S., de Bonis L., Likius A., Mackaye H.T., Vignaud P. et BRUNET M. (2008)
— Late Miocene Carnivora from Chad : Lutrinae (Mustelidae). Zool. J. Linn. Soc., 152 :
793-846.
Sepulchre P., Schuster M., Ramstein G., Krinner G., Girard J.-F., Vignaud P.,
BRUNET M. (2008) — Evolution of Lake Chad Basin hydrology during the mid-Holocene :
a preliminary approach from lake to climate modelling. Global and Planetary Change, 61,
41-48.
II. SCIENCES PHILOSOPHIQUES
ET SOCIOLOGIQUES
Philosophie du langage et de la connaissance

M. Jacques Bouveresse, professeur

A. Cours

On a repris et poursuivi l’examen de la question dont on était parti l’année dernière,


à savoir celle qui concerne le genre d’avenir que l’on peut raisonnablement attribuer
en philosophie à la construction de systèmes et le genre d’intérêt que l’on peut, si on
est convaincu que la philosophie devrait désormais renoncer à s’exprimer dans la
forme du système, attribuer encore aujourd’hui aux systèmes philosophiques qui ont
été construits dans le passé. Il est possible que, pour pouvoir construire encore des
systèmes, il faille avoir conservé une forme de naïveté dont nous ne sommes plus
capables ou qu’un excès d’intelligence nous empêche désormais de prendre
suffisamment au sérieux ce genre d’exercice. Cela pourrait constituer une explication
si on pense que la construction de systèmes philosophiques relève largement de la
fiction et s’apparente à la création de mythes savants d’une certaine sorte.
On peut penser par exemple à ce que dit, sur ce point, T. S. Eliot à propos de
l’attitude de Valéry et des raisons pour lesquelles il n’était pas et ne pouvait pas être
philosophe, en tout cas au sens où il comprenait lui-même le mot « philosophie ».
Pour être philosophe, il faut avoir une forme de foi et Valéry, qui se désigne lui-
même, pour ce qui est de sa relation à la philosophie, comme une sorte de barbare
dans Athènes, était, selon Eliot, trop profondément incroyant pour pouvoir prendre
réellement au sérieux les efforts des philosophes et les inventions auxquelles ils
aboutissent :
« […] Je pense que l’impression prédominante que l’on recevait de Valéry était celle de
l’intelligence.
Intelligence au suprême degré, et type d’intelligence qui exclut la possibilité de la foi,
implique une profonde mélancolie. On a appelé Valéry un philosophe. Mais un
philosophe, au sens ordinaire, est un homme qui construit, ou qui défend, un système
philosophique ; et nous pouvons, dans ce sens, dire que Valéry était trop intelligent pour
être un philosophe. Il faut au philosophes constructif une foi religieuse, ou quelque
396 JACQUES BOUVERESSE

substitut qui en tienne lieu ; et, généralement, il ne lui est permis de construire que parce
qu’il peut rester aveugle aux autres points de vue, ou insensible aux raisons émotives qui
l’attachent à son système particulier. Valéry était bien trop lucide pour pouvoir philosopher
de cette façon ; en sorte que sa philosophie se trouve exposée à l’accusation de n’être
qu’un jeu compliqué. Précisément, — mais pouvoir jouer ce jeu, pouvoir y goûter des
joies artistiques, c’est une des manifestations de l’homme civilisé. Il n’y a qu’un seul degré
plus élevé qu’il est possible à l’homme civilisé d’atteindre — et c’est d’unir le scepticisme
le plus profond à la plus profonde foi. Mais Valéry n’était pas Pascal, et nous n’avons pas
le droit de lui demander cela. Son esprit était, je crois, profondément destructeur, — et
même nihiliste 1. »

On peut être tenté, du reste, de considérer que le monde de la philosophie lui-


même est probablement partagé entre deux catégories de praticiens : ceux qui se
comportent à l’égard de la philosophie comme de véritables croyants et ceux — de
beaucoup les moins nombreux — qui adoptent, sur ce point, une attitude qui
s’efforce, au contraire, de ressembler aussi peu que possible à la croyance et encore
moins à la foi.
L’incroyant radical qu’est Valéry ne suggère, bien entendu, en aucune façon que
le genre d’exercice auquel se livrent, le plus souvent avec passion, les philosophes
est dépourvu d’intérêt, mais seulement qu’il est sans enjeu réel ou, plus exactement,
que ce qui s’y décide n’est pas forcément plus important que l’issue d’une simple
partie d’échecs :
« Discussion métaphysique. Si l’espace est fini, si les figures semblables sont possibles, si etc.
Ces disputes, de plus en plus serrées, ont le passionnant et les conséquences nulles d’une partie
d’échecs.
A la fin, rien n’est plus — sinon que A est plus fort joueur que B.
Parfois il en ressort aussi qu’il ne faut pas jouer tel coup désormais. On se ferait battre.
Ou qu’il faut prendre telle précaution… 2 »

Mais s’il est entendu, dans des cultures comme les nôtres, que l’on est tenu,
malgré tout, d’éprouver une certaine admiration et même une admiration spéciale
pour la philosophie, qu’est-ce qui, dans une œuvre philosophique, mérite exactement
d’être admiré ? Sont-ce en premier lieu les mérites de l’œuvre elle-même ou plutôt,
en réalité, ceux de son auteur ? Nietzsche, dans La Philosophie à l’époque tragique
des Grecs, affirme que tous les systèmes philosophiques du passé ont été réfutés et
que ce qui peut encore nous intéresser dans un système philosophique, une fois
qu’il a été réfuté, est uniquement ce qu’il appelle la personnalité. C’est, dit-il, ce
qui explique sa façon, effectivement assez particulière, de faire de l’histoire de la
philosophie :
« Je raconte en la simplifiant l’histoire de ces philosophes : je ne veux extraire de chaque
système que ce point qui est un fragment de personnalité et appartient à cette part
d’irréfutable et d’indiscutable que l’histoire se doit de préserver. C’est un premier pas pour
retrouver et reconstruire par comparaison ces personnages, et pour faire enfin résonner à

1. T. S. Eliot, « Leçon de Valéry », in « Paul Valéry vivant », Cahiers du Sud, 1946, p. 75-77.
2. Paul Valéry, Analecta, Gallimard, Paris, 1935, p. 223-224.
PHILOSOPHIE DU LANGAGE ET DE LA CONNAISSANCE 397

nouveau la polyphonie du tempérament grec. Ma tâche consiste à mettre en lumière ce


que nous serons obligés d’aimer et de vénérer toujours, et qu’aucune connaissance ultérieure
ne pourra nous ravir : le grand homme 3. »

On peut peut-être réfuter un système, mais on ne peut sûrement pas réfuter un


grand homme. Dans quel sens, cependant, faut-il comprendre exactement le mot
« réfuter » quand on dit que tous les systèmes philosophiques qui ont été construits
jusqu’à présent ont été réfutés ? Nietzsche ne donne pas beaucoup d’indications sur
ce point. Ont-ils été réfutés parce qu’ils affirmaient des choses dont la fausseté a
été établie depuis, par exemple grâce à des progrès qui ont été réalisés dans le
domaine des sciences ou dans celui de la connaissance en général ? Parce que nous
avons tout simplement cessé de croire et considérons comme impossible de croire
ce qu’ils affirment ? Ou bien pour une raison différente, à la fois plus radicale et
plus générale, à savoir que c’est l’idée même de construire des systèmes qui a cessé
d’être crédible ?
La réponse de Nietzsche à ce genre de question est malgré tout assez claire et
bien connue. La réfutation la plus décisive, à ses yeux, est la réfutation par l’histoire
et la généalogie et elle est aussi la plus définitive, celle sur laquelle on ne reviendra
pas : « La réfutation historique comme la réfutation définitive. — Il y a eu un temps
où on on cherchait à démontrer qu’il n’y a pas de Dieu, — aujourd’hui, on montre
comment la croyance qu’il y a un Dieu a pu naître et d’où cette croyance tient le
poids et l’importance qu’elle a : de ce fait, une preuve du contraire établissant qu’il
n’y a pas de Dieu devient superflue » (Morgenröte, I, § 95). C’est de cette façon-là
que les philosophies peuvent être réfutées : en montrant comment elles ont pu
apparaître et ce qui les a rendues pour un temps importantes. Mais, bien entendu,
comme une des choses dont les philosophes sont généralement le plus dépourvus
est justement, selon Nietzsche, le sens historique, il ne faut pas s’attendre à ce que
les « réfutations » de cette sorte produisent beaucoup d’effet sur eux.
Nietzsche nous dit aussi que, même quand les systèmes philosophiques sont
reconnus comme faux, ils n’en contiennent pas moins quelque chose d’irréfutable.
Et il semble vouloir dire par là que, même si nous ne pouvons plus être d’accord
avec leurs objectifs, et en particulier avec celui qui semble avoir été le plus important
de tous, à savoir la vérité, les moyens mis en œuvre pour les atteindre peuvent
continuer à susciter notre admiration parce qu’ils ont rendu possible la manifestation
de quelque chose d’impérissable, à savoir une personnalité et un caractère
exceptionnels.
Il semble, de façon générale, relativement facile de trouver des objections
possibles contre n’importe quel système philosophique, et même de le réfuter, mais

3. Friedrich Nietzsche, La Philosophie à l’époque tragique des Grecs, suivi de Sur l’avenir de nos
établissements d’enseignement, textes et variantes établis par G. Coli et M. Montinari, traduit de
l’allemand par Jean-Louis Backès, Michel Haar et Marc B. de Launay, Gallimard, Paris, 1975,
p. 9-10.
398 JACQUES BOUVERESSE

beaucoup plus difficile de concevoir que l’un quelconque d’entre eux puisse être
vrai et de démontrer qu’il l’est effectivement. Wilhelm Busch, l’immortel auteur
de Max und Moritz dit que : « Le philosophe, de même que le propriétaire de
maison, ont toujours des réparations à faire. » On peut avoir le sentiment qu’à
partir d’un certain moment, les systèmes philosophiques sont susceptibles, comme
les maisons, de devenir irréparables. Mais même ce genre de chose n’est peut-être
qu’une impression trompeuse. Si l’on en croit Edgar Poe : « Il est amusant de voir
la facilité avec laquelle tout système philosophique peut être réfuté. Mais aussi
n’est-il pas désespérant de constater l’impossibilité d’imaginer qu’aucun système
particulier soit vrai 4 ? » La première chose a plutôt tendance à réjouir les ennemis
de la philosophie, la deuxième devrait les inquiéter et le ferait probablement s’ils
n’étaient pas justement des ennemis de la philosophie.
Mais la dissymétrie à laquelle Poe fait référence est-elle aussi réelle qu’il le
suggère ? Autrement dit, est-il certain que les systèmes philosophiques soient aussi
faciles à réfuter qu’il le dit ? Il y a des auteurs qui pensent que, s’ils ne sont
assurément pas vérifiables, ils ne sont pas non plus, à proprement parler, réfutables.
Gueroult et Vuillemin, par exemple, soutiennent que, même si l’on peut hésiter à
dire d’eux qu’ils sont vrais, au sens usuel du terme, ils n’en continuent pas moins
à représenter des possibilités de vérité entre lesquelles le philosophe est obligé de
choisir, tout en sachant que d’autres choix, qui contredisent le sien, sont également
possibles et respectables.
Dans les dernières séances du cours de l’année dernière, on a évoqué ce que
Christopher Peacocke appelle le « défi de l’intégration », un défi qui a trait à la
difficulté que l’on peut avoir, en rapport avec une entreprise cognitive quelconque,
à fournir à la fois une métaphysique et une épistémologie acceptables de la vérité
pour les propositions de la discipline concernée. Selon Peacocke :
« Nous pouvons avoir une conception claire des moyens par lesquels nous en venons
ordinairement à connaître les propositions en question. Néanmoins en même temps nous
pouvons être incapables de fournir une quelconque explication plausible de conditions de
vérité dont la connaissance du fait qu’elles sont satisfaites pourrait être obtenue par ces
moyens. Ou bien nous pouvons avoir une conception claire de ce qui est impliqué dans
la vérité de la proposition, mais être incapables de voir comment nos méthodes réelles de
formation de la croyance à propos de l’objet sur lequel elles portent peuvent être suffisantes
pour connaître leur vérité. Dans certains cas nous pouvons ne pas avoir les idées claires
sur aucune des deux choses.
J’appelle la tâche générale consistant à fournir, pour un domaine déterminé, une
métaphysique et une épistémologie simultanément acceptables et à montrer qu’elles le
sont, le Défi de l’Intégration pour ce domaine 5. »
Ce que cela veut dire est que, si nous considérons une discipline quelconque qui
a une prétention à la connaissance que l’on peut présumer légitime, nous sommes

4. Edgar Allan Poe, Marginalia et autres fragments, textes choisis, présentés et traduits de
l’anglais par Lionel Menasché, Editions Allia, Paris, 2007, p. 103.
5. Christopher Peacocke, Being Known, Clarendon Press, Oxford, 1999, p. 1-2.
PHILOSOPHIE DU LANGAGE ET DE LA CONNAISSANCE 399

en droit de demander qu’elle dispose à la fois d’un concept compréhensible et


acceptable de la vérité et d’une explication également compréhensible et acceptable
de la manière dont la vérité en question peut être atteinte par les moyens dont
nous disposons. Il faut que le concept de vérité philosophique, tel qu’il est expliqué
par ceux qui l’utilisent, ne rende pas impossible à comprendre et complètement
mystérieux ou invraisemblable, au regard de l’idée que nous nous faisons de ce que
peut être la connaissance en général, la manière dont nous pouvons, avec les
moyens que nous sommes censés avoir à notre disposition, en venir à connaître la
vérité en question. Et, inversement, il ne doit pas y avoir une discordance complète
ni même un écart trop important entre ce que nous savons des processus par
lesquels se forment les croyances et les certitudes philosophiques, et l’idée que nous
nous faisons du genre de vérités à la connaissance desquelles nous sommes censés
avoir réussi à accéder grâce à eux. Il est probable qu’en réalité nous n’avons les idées
tout à fait claires ni sur le sens auquel il peut être question de vérité dans le cas
d’une discipline comme la philosophie, ni sur les moyens de connaissance dont
nous disposons pour accéder à une vérité de cette sorte.

La raison pour laquelle le défi de l’intégration est important n’est pas difficile à
comprendre, tout au moins pour ceux qui souhaitent défendre dans tous les
domaines, à commencer, bien entendu, par celui de la philosophie, un point de
vue rationaliste. Peacocke s’exprime sur ce point de la façon suivante dans la
conclusion de son livre, The Realm of Reason :
« Finalement, nous devrions, en poursuivant l’agenda rationaliste à travers plus de
domaines et de questions, viser à obtenir une meilleure compréhension de la notion de
connaissance de ce que c’est pour un contenu que d’être vrai. J’ai argué que nous ne
pouvons pas caractériser la rationalité sans invoquer cette notion. Elle informe notre
conception de ce que c’est pour une transition que d’être rationnelle. La notion de
connaître ce que c’est pour un contenu donné que d’être vrai elle-même lie ensemble le
métaphysique et l’épistémologique. Quand on échoue à réaliser l’intégration, dans un
domaine donné, de notre métaphysique avec notre épistémologie, cela fait de façon
caractéristique apparaître comme manifestement défectueuses les explications de ce que
c’est pour un contenu concernant ce domaine que d’être vrai. Comprendre la connaissance
de ce que c’est pour une chose que d’être le cas, ce serait disposer d’une clé non seulement
pour l’épistémologie et la métaphysique de ce domaine, mais pour la nature de nous-
mêmes comme penseurs rationnels. Comprendre notre appréhension de la vérité est une
partie essentielle de nous comprendre nous-mêmes 6. »

Ce n’est pas, semble-t-il, faire preuve d’un pessimisme exagéré que de dire que
nous n’avons apparemment pas, pour un domaine comme celui de la philosophie,
d’explication satisfaisante de ce que c’est pour un contenu ayant trait à ce domaine
que d’être connu comme vrai. Et on peut s’attendre à ce que ce défaut d’explication
se révèle de façon particulièrement flagrante dans l’incapacité de résoudre le défi
de l’intégration et même peut-être déjà de le prendre au sérieux. Le défi de
l’intégration constitue un problème qui a été discuté abondamment dans le cas des

6. Christopher Peacocke, The Realm of Reason, Clarendon Press, Oxford, 2004, p. 267.
400 JACQUES BOUVERESSE

mathématiques. Il l’a été beaucoup plus rarement dans le cas de la philosophie et


pourtant il y aurait de nombreuses raisons de le poser, puisqu’il pourrait bien y
avoir des difficultés particulières, pour ceux qui acceptent d’utiliser le concept de
vérité à propos de la philosophie, à concilier la métaphysique et l’épistémologie de
la vérité philosophique. L’attitude la plus répandue, sur ce point, semble être, de
façon particulièrement regrettable, celle qui consiste à éviter prudemment le
problème.
De quelle façon faut-il se représenter, dans le cas de la philosophie, la relation qui
existe entre la vérité et la possibilité pour nous de la reconnaître ? Est-il admissible
que la philosophie utilise, pour ses propres propositions, un concept de vérité qui
transcende largement toute possibilité de vérification, ce qui expliquerait que, si les
philosophes n’ont pas cessé de présenter comme vraies et d’asserter des propositions
de l’espèce la plus diverse, on ne peut malheureusement dire d’aucune d’entre elles
qu’elle ait été, à proprement parler, vérifiée, dans un sens du mot « vérifier » qui soit,
bien entendu, approprié à la nature de la discipline ? Ou bien « vrai » doit-il vouloir
dire dans le cas de la philosophie elle-même, à peu près la même chose que
« vérifiable » ou « susceptible d’être affirmé avec de bonnes raisons » ? Autrement
dit, est-il concevable que les propositions philosophiques soient bel et bien vraies ou
fausses, mais le soient d’une manière telle que nous ne parviendrons peut-être jamais
à savoir ce qu’il en est ? Ou bien faut-il rejeter complètement cette idée, ce qui risque
de nous placer dans une situation à bien des égards encore plus inconfortable ?
Comme le dit Göran Sundholm :
« Il y a deux principes traditionnels qui jouent un rôle central dans l’interaction entre la
logique et l’épistémologie. Le premier est, bien entendu, la loi du Tiers Exclu, ou toutefois,
comme le Prof. Dummett nous en a fait prendre conscience plus que n’importe qui d’autre,
la loi de la Bivalence. L’autre principe, qui est aussi vénérable que celui de la Bivalence, est le
principe auquel le Prof. Dummett s’est référé comme étant le principe K, probablement
pour signifier knowledge : si une proposition est vraie, alors il est possible en principe de
savoir qu’elle est vraie. C’est seulement en 1908 que la tension entre ce principe de
Connaissabilité et le principe de Bivalence a été ressentie simultanément dans deux endroits
différents, à savoir Cambridge et Amsterdam. G. E. Moore est le premier à envisager des
propositions vraies inconnaissables, compte tenu du fait que, étant un Réaliste, il ne
pourrait pas admettre l’abolition de la loi de Bivalence. L. E. J. Brouwer, en revanche, a
adopté l’issue opposée, dans sa réaction à cette tension dilemmatique et a choisi de conserver
le principe de Connaissabilité de la vérité, mais il a dû alors s’abstenir de reconnaître la loi
de Bivalence et la loi du Tiers Exclu qui s’ensuit, dans leur généralité complète 7. »

C’est la façon dont les philosophes ont réagi à cette tension qui est à l’origine
de la distinction qui doit être faite pour commencer, selon Vuillemin, entre deux
grandes classes de systèmes philosophiques : les systèmes dogmatiques et les
systèmes de l’examen, dont l’intuitionnisme est une des formes fondamentales,

7. Göran Sundholm, « Vestiges of Realism », in The Philosophy of Michael Dummett, edited by


Brian McGuinness and Gianluigi Oliveri, Kluwer Academic Publishers, Dordrecht/Boston/
London, 1994, p. 139-140.
PHILOSOPHIE DU LANGAGE ET DE LA CONNAISSANCE 401

l’autre étant le scepticisme. Les systèmes du premier type, comme leur nom
l’indique, utilisent une notion dogmatique de la vérité, comprise comme consistant
dans l’adéquation de la proposition avec un état de choses objectif qui est réalisé
ou ne l’est pas, indépendamment de la possibilité que nous avons (ou n’avons
peut-être pas) de savoir s’il l’est ou non. Les systèmes de l’examen choisissent
d’utiliser une notion de la vérité qui ne peut être dissociée à ce point de celle de
la vérifiabilité (dans le cas des mathématiques, de la démontrabilité). On s’est
intéressé cette année, de façon particulièrement détaillée, à l’opposition qui existe
entre l’option réaliste et l’option intuitionniste, non pas seulement sur le terrain
de la philosophie des mathématiques et de la théorie de la connaissance en général,
mais également dans le domaine de la philosophie pratique elle-même.
Avant d’aborder cet aspect du problème, on a jugé nécessaire de regarder de près
les ressemblances et les différences qui existent entre Quine et Vuillemin, en ce qui
concerne à la fois leurs conceptions respectives de la philosophie, l’idée qu’ils se
font des relations qui existent entre la philosophie et les sciences, et le genre de
critères et de méthode qu’ils utilisent pour distinguer et classer les ontologies et les
philosophies. On pourrait sans doute être tenté d’objecter à cette confrontation
que Quine n’a pas réellement cherché à construire une classification en bonne et
due forme des différentes espèces de philosophies des mathématiques et encore
moins, bien entendu, des différentes espèces de philosophies tout court. Il a plutôt
cherché, plus modestement, à montrer comment les trois espèces principales de
philosophies des mathématiques qui se sont divisées et affrontées au vingtième
siècle : le logicisme, l’intuitionnisme et le formalisme, peuvent être distinguées par
les engagements ontologiques auxquels elles consentent ou refusent de consentir et
comment le critère de l’engagement ontologique qu’il propose permet de clarifier
les désaccords qu’il y a entre elles. Mais ce n’est sûrement pas le point le plus
important. Car cela n’interdit évidemment pas de se poser la question de savoir
quelle position exacte est susceptible d’occuper une philosophie comme celle de
Quine dans la classification de Vuillemin et celle de savoir si la classification de
Quine comporte ou non une lacune qui pourrait la rendre, par exemple, incapable
de définir l’intuitionnisme au sens de Vuillemin. Cette dernière question constitue,
bien entendu, une occasion de se demander aussi s’il est indispensable d’adopter
une définition comme celle que Vuillemin donne de l’intuitionnisme pour pouvoir
comprendre l’intuitionnisme comme philosophie des mathématiques et rendre
justice à ce qu’il a été.
Un des problèmes que soulève la position de Quine est évidemment que, comme
l’a souligné Joseph Vidal-Rosset, si le critère de l’engagement ontologique est simple,
objectif et impartial, on est obligé de reconnaître qu’il ne s’embarrasse pas de nuances,
ce qui pourrait avoir pour conséquence qu’il ne fait pas suffisamment de différences.
Un exemple typique de cela est la façon dont Quine traite le réalisme, puisque,
comme on l’a rappelé, il ne fait guère de différence véritable entre deux positions
comme ce qu’on pourrait appeler le platonisme dogmatique, qui soutient que les
entités abstraites existent en soi et indépendamment de nos activités de connaissance,
402 JACQUES BOUVERESSE

et le platonisme que l’on pourrait appeler « pragmatique », qui se contente d’affirmer


que nous sommes contraints d’accepter l’existence au moins de certains d’entre eux
pour les besoins de la science, et donc d’une façon qui n’est pas vraiment dissociable
de l’entreprise de la connaissance elle-même. Or cette différence peut sembler
justement essentielle, du point de vue philosophique.
La façon dont Quine traite la question du réalisme entraîne un affaiblissement
certain de la position réaliste et nous laisse pour finir avec un réalisme qui est
véritablement minimal et ne conserve indiscutablement, même dans le cas des
mathématiques, pas grand-chose de proprement platonicien. Un autre problème,
qu’on a déjà mentionné, est celui de savoir comment il faut comprendre
l’intuitionnisme et à quel endroit il convient exactement de le situer dans la
classification des systèmes. Et il y a enfin la question de savoir quelle est la place
qui doit être attribuée à une philosophie comme celle de Quine dans la classification
de Vuillemin, si toutefois on la considère comme suffisamment systématique pour
mériter une place dans une classification qui est avant tout celle des formes de
systèmes philosophiques. (Le pragmatisme et l’éclectisme qui caractérisent la
démarche de Quine et celle d’un bon nombre de philosophies contemporaines
suscitent évidemment, chez Vuillemin, des réserves qui n’ont rien de surprenant.)
Ce qui est constitutif de l’intuitionnisme, dans l’interprétation de Vuillemin, est
moins le choix d’une réponse déterminée à la question ontologique de l’admissibilité
des objets abstraits que celui qui consiste à exiger de tous les objets de connaissance
possibles, qu’ils soient concrets ou abstraits, qu’ils puissent exhiber la méthode de
construction par laquelle ils peuvent être atteints, ce qui, comme on pouvait s’y
attendre, nous renvoie, dans la classification des formes d’assertion fondamentales,
à ce qu’il appelle les « jugements de méthode ». « Je donne, dit-il au mot
intuitionnisme un sens voisin de celui qu’il a reçu en philosophie des mathématiques.
Un mathématicien est dit intuitionniste quand il requiert d’une preuve d’existence
qu’elle fournisse le moyen de construire l’objet. De même un philosophe est
intuitionniste […] quand il requiert des objets de la connaissance qu’ils fassent voir
quelle méthode les rend légitimes. Les mathématiciens intuitionnistes se disputent
sur la nature et la limite des constructions admissibles. De même, les philosophes
intuitionnistes se disputent sur la nature et les limites des méthodes de la
connaissance 8 » Descartes et Kant peuvent évidemment être considérés, en ce sens-
là, comme des philosophes typiquement intuitionnistes.
Le point de vue intuitionniste, compris de cette façon, peut être appliqué, de
façon très naturelle, non seulement aux objets de la connaissance proprement dite,
mais également à ceux de la morale et de l’esthétique. Et c’est de cette façon-là que
le terme « intuitionnisme » est utilisé par Vuillemin dans sa classification, ce qui
permet de ranger Épicure, par exemple, à côté de Descartes et de Kant dans la
catégorie générale des intuitionnistes. Un philosophe intuitionniste qui a construit

8. Jules Vuillemin, L’Intuitionnisme kantien, Vrin, Paris, 1994, p. 7.


PHILOSOPHIE DU LANGAGE ET DE LA CONNAISSANCE 403

un système philosophique complet appliquera au cas du vrai, du bien et du beau


le même genre de traitement, que Vuillemin décrit de la façon suivante :
« Appelons intuitionniste un système qui rend ses définitions du vrai, du bien et de la
beauté dépendantes de la méthode par laquelle la connaissance, la conscience morale et
le jugement de goût parviennent jusqu’à eux. En éthique, l’intuitionnisme subordonne le
souverain bien aux règles de la liberté. Ou plutôt, comme il est sous le contrôle de notre
volonté, le souverain bien n’est rien d’autre que la législation de notre liberté, alors que
le fait d’être dépossédé de notre liberté est le principe du mal. L’autarcie épicurienne, la
maîtrise de soi cartésienne, l’autonomie kantienne résultent d’une reconnaissance
commune de la primauté de la liberté, en contraste aussi bien avec le dogmatisme qu’avec
le scepticisme moral 9. »

Une partie conséquente du cours de cette année a été consacrée à cet aspect
important et souvent un peu trop négligé de la confrontation entre l’intuitionnisme,
au sens élargi, et son adversaire réaliste, autrement à des questions du type suivant :
1) la théorie intuitionniste de la finalité esthétique chez Kant et la philosophie
intuitionniste de la beauté dans la nature et dans l’art ; 2) l’intuitionnisme moral
et le problème de la décision ; 3) la philosophie du droit de Kant et la théorie de
la justice de Rawls (Vuillemin a entrepris de démontrer que cette théorie s’est
trompée sur ses véritables ancêtres et que, contrairement à ce qu’a soutenu son
auteur, elle ne s’apparente pas à une forme d’intuitionnisme, d’inspiration
kantienne, mais plutôt à une forme de scepticisme qui ne se reconnaît pas comme
telle) ; 4) la part de la foi et celle de la raison dans la philosophie et dans l’opposition
entre les philosophies : la confrontation entre saint Anselme et Kant comme
exemple d’une opposition entre le rationalisme dogmatique et le rationalisme
intuitionniste ; 5) le problème des relations entre la vérité, la connaissance et la
croyance, dans le cas général et dans la philosophie en particulier.
Dans la dernière partie du cours, on est revenu à l’aporie de Diodore comme
constituant un principe de division entre les systèmes de la nécessité, de la
contingence et de la liberté, et, de ce fait, entre les systèmes de philosophie pratique.
L’opposition entre les systèmes se traduit notamment par une divergence entre des
conceptions différentes de ce qu’est, à proprement parler, une loi de la nature.
« Pour appliquer la méthode synthétique au dominateur, explique Vuillemin, il
faudra […] assigner, dans un système philosophique, le principe en vertu duquel
le doute doit se porter sur l’un des axiomes de l’argument et montrer l’étroite
convenance de chaque système avec l’usage spécifique qu’il fait d’une modalité
fondamentale pour définir ce qu’il entend par loi naturelle 10. » Tous les systèmes
intuitionnistes, par exemple, admettent la contingence des lois de la nature, ce qui
est une conséquence inévitable des exigences de constructivité imposées à la vérité,
ils optent de préférence pour le mécanisme strict et ils ne tolèrent la finalité qu’à
titre d’idée régulatrice de la recherche. Vuillemin procède en remontant de la

9. « Kant’s Moral Intuitionism », in L’intuitionnisme kantien, p. 57.


10. Jules Vuillemin, Nécessité ou contingence, L’argument de Diodore et les systèmes
philosophiques, Editions de Minuit, 1984, p. 275.
404 JACQUES BOUVERESSE

prémisse qui est récusée par un système philosophique dans l’aporie de Diodore à
la conception d’un type déterminé de loi naturelle, puis à l’édifice philosophique
complet dans lequel cette loi trouve sa place.
Au terme d’un analyse détaillée des différentes espèces de lois (les lois
classificatoires, dont il existe quatre espèces différentes, les lois causales et les règles
de l’examen) et de la façon dont se comportent à leur égard les différents systèmes
philosophiques, on en arrive, en suivant Vuillemin, au tableau des correspondances
qui existent entre une forme de système philosophique, un type de loi naturelle
reconnu par elle comme valable et le choix d’une prémisse déterminée, explicite
ou implicite, de l’argument dominateur qui doit, selon elle, être mise en doute.
Ainsi, par exemple, le réalisme platonicien met en question le principe de
nécessité conditionnelle, le conceptualisme aristotélicien met en question le
principe de bivalence, le nominalisme des choses met en question la troisième
prémisse, qui énonce qu’il y a des possibles qui ne se réalisent pas, Épicure, dont
la doctrine est une forme d’intuitionnisme, met en question le principe du tiers
exclu, etc. On peut remarquer également que, « mis en demeure de préciser le
statut du concept de possible qui ne se réalise jamais, les systèmes intuitionnistes
font preuve d’une même hésitation pour aboutir à une même fin de non recevoir »
(Nécessité ou contingence, p. 391). C’est vrai d’Épicure, même s’il donne l’impression
de chercher à tout prix à conserver la troisième prémisse du Dominateur, de
Descartes, pour autant que l’idée d’un possible qui ne se réaliserait jamais semble
constituer une limite imposée de façon inacceptable à la toute-puissance de Dieu,
et de Kant. Mais il faut remarquer que, alors que les nominalistes rejettent
dogmatiquement cette prémisse, les intuitionnistes se contentent de la critiquer.
On peut constater une fois de plus qu’il y a une différence importante entre refuser
simplement d’asserter un principe et affirmer explicitement sa négation.
C’est à ce stade que s’est arrêté le cours de cette année, sans avoir malheureusement
permis d’entrer réellement dans les détails de l’argumentation qui permet à
Vuillemin d’aboutir aux résultats qu’il expose. Le cours de l’année prochaine, qui
sera consacré à la façon dont on peut situer la philosophie de la nécessité et de la
contingence de Leibniz par rapport au défi que représente l’aporie de Diodore,
devra donc commencer par un retour sur celle-ci et sur le rôle déterminant et
structurant que Vuillemin a choisi de lui faire jouer dans sa tentative de construction
d’une sorte de métasystématique des systèmes de philosophie pratique.

B. Séminaire

Le séminaire de l’année 2007-2008 a été consacré à un thème qui était directement


en rapport avec le sujet du cours et qui a donné l’occasion d’entendre une série de
treize exposés, qui se sont succédé de la façon suivante :
9 janvier 2008 : Delphine Chapuis-Schmitz (University of Pittsburgh), Théorie,
méthode et vérité : en quel sens la philosophie peut-elle être systématique ?
PHILOSOPHIE DU LANGAGE ET DE LA CONNAISSANCE 405

16 janvier : Pierre Jacob (Institut Jean Nicod, Paris), Le naturalisme méthodologique


et le naturalisme métaphysique.
23 janvier : Aude Bandini (Collège de France), La philosophie et les deux images
du monde.
30 janvier : Ophélia Deroy (Université Paris 12), La philosophie contemporaine
doit-elle être relativiste et peut-elle l’être ?
6 février : Denis Perrin (Université de Grenoble), La présentation synoptique :
ressemblance et morphologie.
13 février : Gabriella Crocco (Université d’Aix-en-Provence), Sur les rapports de
la philosophie et de la science dans la pensée contemporaine.
20 février : Jocelyn Benoist (Université Paris 1), Le prix du réalisme.
27 février : Fabrice Pataut (IHPST, Paris), La philosophie analytique doit-elle être
systématique ?
5 mars : Claudine Tiercelin (Université Paris 12), L’ontologie est-elle la clé d’un
système philosophique ?
12 mars : Gerhard Heinzmann (Archives Poincaré, Nancy), La systématicité du
dialogue en tant que « structure pragmatique » de la proposition élémentaire.
19 mars : Kevin Mulligan (Université de Genève), Description, Apories et
Système.
25 mars : Jean-Jacques Rosat (Collège de France), Pourquoi une philosophie de la
psychologie doit-elle être synoptique et peut-elle l’être ?
2 avril : Jacques Bouveresse (Collège de France), Martial Gueroult et la philosophie
de l’histoire de la philosophie.
On pourrait dire, en reprenant le titre de l’un d’entre eux, que la série de ces
exposés a permis d’obtenir une vue à la fois beaucoup plus précise et plus complète
du prix que l’on doit être prêt à payer aussi bien pour défendre le réalisme que
pour défendre l’antiréalisme, la systématicité que l’antisystématicité, etc., en
philosophie. Ils ont montré, en tout cas, que la question de savoir si la philosophie
doit être systématique et en quel sens n’a rien perdu de son intérêt et que,
contrairement, à ce qui a été affirmé à maintes reprises, elle est toujours aussi loin
d’être réglée. Il n’y a pas d’accord en vue entre les philosophies, mais il n’y en a
pas non plus sur le genre de chose que doit être la philosophie.
Au travail effectué dans le séminaire s’est ajouté celui du petit groupe de recherche
franco-allemand qui se réunit depuis plusieurs années pour réfléchir à la question
des relations entre la littérature et la philosophie. Le groupe a tenu cette année
quatre séances, au cours desquelles ont été entendues et discutées des contributions
de Jean-François Laplénie, Catrin Misselhorn, Fabian Goppelsröder et Jacques
Bouveresse. Les participants sont tombés d’accord pour essayer de poursuivre dans
les années qui viennent une expérience qui s’est révélée, une fois de plus,
particulièrement positive et éclairante.
406 JACQUES BOUVERESSE

Publications

A. Ouvrages
— Les Voix de Karl Kraus : le satiriste et le prophète, Editions Agone, Marseille, 2007.
— La Connaissance de l’écrivain, Sur la littérature, la vérité et la vie, Editions Agone,
Marseille, 2008.

B. Articles et conférences
— « Precisamos da verdade ? », in Que valores para este tempo ?, Fundacaon Calouste
Gulbenkian/Gradiva, Lisbonne, 2007. p. 37-56.
— « Peut-on ne pas croire ? », conférence donnée à l’invitation des Amis du Monde
diplomatique (Versailles), 13 octobre 2007.
— « “Au commencement était la presse …” Le pouvoir des médias et la rébellion de Karl
Kraus : une leçon de résistance pour notre temps ? », conférence donnée à l’invitation des
Amis du Monde diplomatique (ENS, Ulm), 16 octobre 2007 (à paraître dans la revue
Agone, n° 40)
— « L’éthique de la croyance et la question du poids de l’autorité », contribution au
Colloque de rentrée du Collège de France, 18-19 octobre 2007 (à paraître dans les Actes
du Colloque, aux Editions Odile Jacob).
— « Science et religion », conférence-débat organisée par a Librairie Pax, Liège,
14 novembre 2007 .
— « Le pluralisme, l’éclectisme et le problème de la décision en philosophie », contribution
à la Journée sur La connaissance philosophique, organisée par le Département de Philosophie
de l’Université de Genève, 20 novembre 2007.
— « Connaissance et littérature», conférence inaugurale donnée aux Rencontres du Livre
des Sciences Humaines, Espace des Blancs Manteaux, 22 février 2008.
— « Littérature, vérité et connaissance », conférence-débat organisée par la librairie
L’Odeur du Temps, Marseille, 29 février 2008.
— « Goethe et Lichtenberg : le bleu du ciel, les ombres colorées et la nature de la
couleur », TECHNE, n° 26, 2007, p. 20-36.
— Préface à la traduction française de Karl Bühler, Sprachtheorie (1934), à paraître aux
Editions Agone, Marseille, automne 2008.
— « Le besoin de croyance et le besoin de vérité », Agone, n° 38/39, 2008, p. 281-306.
— « Littérature et politique : Karl Kraus et “la troisième nuit de Walpurgis” », conférence
donnée à l’Université de Lausanne (Institut d’Etudes Politiques et Internationales), 28 mai
2008 (à paraître).
Philosophie des sciences biologiques et médicales

Anne Fagot-Largeault, membre de l’Institut


(Académie des Sciences), professeure

L’enseignement de l’année 2007-2008 inclut un cours sur l’ontologie du devenir


(suite), fait à Paris du 31 janvier au 27 mars 2008 (les jeudis, de 10 h 30 à 12 h 30,
amphithéâtre Halbwachs), et un séminaire sur les méthodologies de la recherche
en psychiatrie, qui s’est tenu en trois demi-journées, deux fois à Paris, les 10 avril
et 5 mai 2008 (salle 4), et une fois à Bonn (Allemagne), le 19 juin 2008. En outre,
un symposium international de philosophie de la médecine a été organisé à
l’occasion du Congrès mondial de philosophie : WCP 2008, Séoul, Corée, les 4
et 5 août 2008.

Cours

Ontologie du devenir, 2
Le cours comportait sept leçons de deux heures chacune (14 heures). La sixième
leçon a été donnée par un orateur invité : Pr. Denis Duboule, Université de
Genève et Académie des sciences. Un document était mis à la disposition des
participants (et affiché après chaque leçon sur les sites web du Collège de France).
Ce document donnait, outre les grandes lignes de la leçon (reproduites ci-après),
et quelques illustrations (dont certaines sont reproduites ci-après), des indications
bibliographiques détaillées (non reproduites ici).

31 01 08 — 2.1. Approches du devenir — science et philosophie


« there are not many real evolutionnists in this world » (Ghiselin, 1997).
Intr. D’un univers stable à un univers en devenir. Ontologie biologique : de la
reproduction à l’évolution, sur une petite planète Terre où notre espèce prend
conscience de sa précarité. Être c’est devenir : l’expérience musicale. Interroger les
sciences du vivant sur leur ontologie : quelle philosophie des sciences ?
408 ANNE FAGOTLARGEAULT

« Il s’agit d’opérer la conversion de l’âme d’un jour aussi ténébreux que la nuit vers le jour
véritable, c’est-à-dire, de l’élever jusqu’à l’être ; et c’est ce que nous appellerons la vraie
philosophie [...] Quelle est donc, Glaucon, la science qui arrache l’âme à ce qui devient et la
tire vers ce qui est? » (Platon, République).
« La musique est un exercice de métaphysique inconscient, dans lequel l’esprit ne sait pas qu’il
fait de la philosophie » (Schopenhauer, Le Monde...).
« Le charme opéra de nouveau. Il me fallut poser par instants le livre, en suspendre parfois la
lecture comme on voudrait ralentir le flot de certaines musiques pour qu’elles ne passent point,
bien qu’il leur faille passer pour être » (Gilson, 1960).

1. Réception du message évolutionniste, lien entre science et philosophie


Philosophie de la nature (ou physique) d’Aristote. Cosmotheôros de Huyghens,
Philosophie zoologique de Lamarck et philosophie naturelle de Herschel. La philosophie
comme prolongement spéculatif de la recherche scientifique, selon Cournot.
Esquisse chez Peirce d’une théorie instructiviste de l’évolution. La tradition religieuse
occidentale plus accueillante pour l’idée darwinienne d’évolution que la tradition
philosophique? Rappel : outils conceptuels proposés par la philosophie au xxe siècle :
créativité (Bergson), processus (Whitehead), individuation (Simondon). Méthodes ?
« Nous ne pouvons pas être sûrs à priori que les lois de la nature sont immuables : nous ne
pouvons que nous assurer si elles changent ou ne changent pas. Or, toutes les recherches que
l’on a faites à cet égard établissent qu’elles sont invariables » (Herschel, 1830).
« La philosophie sans la science perd bientôt de vue nos rapports réels avec la création, pour
s’égarer dans des espaces imaginaires ; la science sans la philosophie mériterait encore d’être
cultivée pour les applications aux besoins de la vie ; mais hors de là on ne voit pas qu’elle offre
à la raison un élément digne d’elle, ni qu’elle puisse être prise pour le dernier but des travaux
de l’esprit. [...] Partout dans les sciences nous retrouvons la spéculation philosophique
intimement unie à la partie positive ou proprement scientifique » (Cournot, 1851).
« Would you advise me to tell Murray that my book is not more unorthodox than the subject
makes inevitable. That I do not discuss origin of man. That I do not bring in any discussions
about Genesis etc., & only give facts, & such conclusions from them as seem to me fair »
(Darwin, 1859).
« Toute science de la nature est de la philosophie et toute vraie philosophie est une science
naturelle » (Haeckel, 1866).
[La doctrine de l’évolution bien comprise devient] « une magnifique explication de la
succession des époques indiquées dans la Genèse, et les procédés darwiniens sont probablement
au nombre de ceux que Dieu a employés dans son œuvre » (Cte Begouen, 1879).
« In short, diversification is the vestige of chance spontaneity; and wherever diversity is
increasing, there chance must be operative. On the other hand, wherever uniformity is
increasing, habit must be operative » (Peirce, 1898).

2. Bergson : la voie de l’intuition philosophique


L’exposé de Le Roy précède celui de Bergson. Il y a deux voies d’accès au réel, elles
sont complémentaires. Celle de la science est pratique et schématisante, celle de la
PHILOSOPHIE DES SCIENCES BIOLOGIQUES ET MÉDICALES 409

philosophie est contemplative et particularisante. Bergson précise : il veut développer


une « métaphysique positive », c’est-à-dire (comme la science) « incontestée et
susceptible d’un progrès rectiligne et indéfini », mais procédant à rebours de la
« pente naturelle » de notre intelligence qui est de plaquer sur une réalité mobile des
concepts rigides. Par l’intuition la philosophie « s’installe dans le mouvant et adopte
la vie même des choses ». Objections : sur l’opposition intellection/intuition, sur le
caractère mystique (et non communicable ?) de l’intuition, etc.
« Si nous aimons à descendre par une intuition pénétrante et subtile jusqu’aux profondeurs
intimes des Choses pour en saisir plus concrètement de jour en jour l’originalité fuyante et
l’infinie richesse, il nous plaît aussi de réduire la Nature en formules de manière à la tenir
condensée dans un schème que nous sachions résoudre en ses éléments premiers et reconstruire
pièce à pièce avec les seules ressources de la raison. Suivant que l’on a pris l’une de ces voies
ou l’autre... »] (Le Roy, 1899).
« Mais choses et états ne sont que des vues prises par notre esprit sur le devenir. Il n’y a pas de
choses, il n’y a que des actions » (Bergson, 1907).
« Plus nous nous habituons à penser et à percevoir toutes choses sub specie durationis, plus
nous nous enfonçons dans la durée réelle. Et plus nous nous y enfonçons, plus nous nous
replaçons dans la direction du principe, pourtant transcendant, dont nous participons et dont
l’éternité ne doit pas être une éternité d’immutabilité, mais une éternité de vie : comment,
autrement, pourrions-nous vivre et nous mouvoir en elle ? In ea vivimus et movemur et
sumus » (Bergson, 1911).
« The outcome of the evolution of life on different planets, if life exists on them, would have
to be diverse. Evolution is a creative process. Evolution is creative because it brings about
novelties which never existed in the past » (Dobzhansky, 1966).

3. Husserl : l’ancrage de la science dans la philosophie


L’ambition de Husserl est de restaurer l’idéal scientifique, perdu par les sciences
« positives », en renouant le lien de la connaissance avec l’évidence fondatrice du
cogito. C’est la tâche de la philosophie, « la plus sublime et la plus rigoureuse de
toutes les sciences », de retrouver ce lien, et de maintenir le travail scientifique
« dans des sphères d’intuition directe », permettant la « saisie phénoménologique
de l’essence ». Plus que les travaux de Husserl, ceux de biologistes influencés par
ses idées montrent ce qu’on peut attendre de la philosophie sur cette voie. Il est
douteux que le passage par l’épochè soit nécessaire. Par ailleurs, les philosophes-
phénoménologues se sont intéressés à la vie vécue plutôt qu’à la vie biologique.
« Je ne dis pas que la philosophie soit une science imparfaite, je dis tout simplement qu’elle n’est
point encore une science, qu’elle n’a pas encore fait son début comme science » (Husserl, 1911).
« Le besoin ici provient de la science. Mais seule la science peut définitivement surmonter le
besoin qui vient de la science. [...] Il ne faut pas que l’impulsion philosophique surgisse des
philosophies, mais des choses et des problèmes » (Husserl, 1911).
« Naturalistes et historicistes luttent pour la Weltanschauung, et les deux travaillent à changer
la signification des idées en faits — à transformer toute réalité, toute vie, en un fatras
incompréhensible de faits dont les idées sont absentes. La superstition du fait leur est commune »
(Husserl, 1911).
410 ANNE FAGOTLARGEAULT

« Les réactions et les activités spontanées de l’animal ne sont compréhensibles que si nous y
voyons des actes. Mais, ce faisant, nous admettons que nous envisageons l’animal comme un
sujet » (Buytendijk, tr. fr. 1952).
« La philosophie actuelle se trouve... dans cette transition d’une phénoménologie du sens vers
un renouveau de l’ontologie » (van Peursen, in : Rencontre Encounter Begegnung, 1957).

Concl. Diversité des approches en philosophie des sciences. L’approche


« analytique » est formelle et atemporelle. L’approche « historico-épistémologique »
s’occupe surtout des démarches cognitives (concepts, méthodes). Chercher une
ontologie du côté des sciences du vivant relève de la tradition des « philosophies
de la nature ».
[... Les scientifiques rencontrent couramment des questions théoriques que l’expérience
ne permet pas (encore) de trancher, et qui appellent des conjectures : celles-ci] restent dans
le domaine de la spéculation philosophique, dont la science, quoi qu’on fasse, ne peut s’isoler
complètement, et dont elle ne s’isolerait, si la chose était possible, qu’aux dépens de sa propre
dignité » (Cournot, 1851).
« We need to get beyond the language and come to grips with what the discourse is all about,
which in science is the entities that populate the universe and what really goes on in world of
objective reality’ » (Ghiselin, 1997).

07 02 08 — 2.2. Les sciences de la vie comme sciences historiques


« Nothing in biology makes sense except in the light of evolution » (Dobzhansky, 1973).

Intr. Donné qu’on s’intéresse ici au monde vivant, et qu’il s’agit d’un monde en
évolution dont le principe d’ordre est généalogique, on s’attend à ce que les sciences
du vivant soient des sciences historiques, et à ce qu’elles nous éclairent sur nos
origines (phylogénies, parentés génétiques). Mais il y a un problème des sciences
historiques...

1. Les sciences historiques sont-elles des sciences ?


Whewell traite séparément les sciences classificatoires (qui opèrent selon la
ressemblance : histoire naturelle, minéralogie) et les sciences palætiologiques (histoire
de la terre, des langues, des styles artistiques) qui cherchent dans le passé l’origine
causale d’un état présent. Cournot juge essentiel de distinguer, dans nos
connaissances, les éléments historiques et les éléments scientifiques ; aussi érudit et
impartial que soit l’historien, le tableau qu’il donne implique une part de
spéculation, et « la composition historique tient plus de l’art que de la science ».
L’orthodoxie épistémologique de la première partie du xxe siècle promeut le
modèle nomologique de la science, et marginalise le modèle historique. Celui-ci
est réhabilité à la fin du xxe siècle par l’historien A. Crombie, comme l’un des
« styles » de la pensée scientifique.
« [science de la terre ou géologie] : in this science we have to treat, not only of the subterraneous
forces by which parts of the earth’s crust are shaken, elevated or ruptured, but also of the causes
which may change the climate of a portion of the earth’s surface, making a country hotter or
PHILOSOPHIE DES SCIENCES BIOLOGIQUES ET MÉDICALES 411

colder than in former ages; again, we have to treat of the causes which modify the forms and
habits of animals and vegetables, and of the extent to which the effects of such causes can
proceed ; whether, for instance, they can extinguish old species and produce new » (Whewell,
1840).

« La liaison historique consiste... dans une influence exercée par chaque événement sur les
événements postérieurs, influence qui peut s’étendre plus ou moins loin... » (Cournot,
1851).

« prenons un exemple tiré des diverses langues humaines. Si nous possédions l’arbre généalogique
complet de l’humanité, un arrangement généalogique des races humaines présenterait la
meilleure classification des diverses langues parlées actuellement dans le monde entier ; »
(Darwin, 1859, tr fr Barbier).

« the obvious logical impossibility of re-enacting a given happening in the past does not prove
that historical explanations for it are not testable, and are therefore incapable of being
objectively grounded » (Nagel, 1961).

« Descartes established a demonstrative style in the philosophical history of nature. Using the
method of hypothetical modelling, he based his analysis and demonstrations upon the ontological
and methodological principle of uniformity, by which the causation of change in the past could
be inferred from observation of it in the present, which could thus in turn be derived from
the past » (Crombie, 1994).

2. Le problème du récit historique

Le Comité International des Sciences Historiques (voir : CISH/ICHS, online)


regroupe 53 pays et atteste de l’existence de ce type de science. Mais la jonction entre
sciences historiques au sens étroit (histoire humaine) et au sens large (aspects
historiques de la recherche en sciences de l’univers, de la terre, de la vie) n’est pas
réalisée, et les critères de « scientificité » du récit historique restent flous. Crombie
pense que l’ambition d’une cosmogonie scientifique, montrant comment le monde a
été engendré par une série de processus naturels, est aussi ancienne que la philosophie
grecque (ex. Démocrite). Mais qu’est-ce qui distingue le récit de l’évolution des
vivants tel qu’il résulte des connaissances accumulées (en anatomie comparée,
paléontologie, génétique moléculaire, etc.) du récit biblique de la création ? Force
logique de la temporalité, preuve par accumulation, consilience des présomptions ?
A. de Ricqlès évoque l’hypothèse de l’abandon du récit comme objectif de l’historien.
« Tout fait en histoire de l’évolution se caractérise fondamentalement par sa singularité. »
(Mayr, 1982).

« Les explications sur le mode du récit apparaissent dans la théorie de l’évolution à chaque
moment où l’on discute d’événements singuliers d’importance majeure pour l’histoire de la vie
... Les explications de ce type sont construites sans référence à des lois générales... Les explications
historiques forment une part essentielle de la théorie de l’évolution » (Goudge, 1961).

« Proposition XVI. La méga-évolution n’est qu’une somme de micro- et de macro-évolutions et


la saisie d’une opportunité » (Delsol, 1991).
412 ANNE FAGOTLARGEAULT

« L’évolution étant la seule grande théorie unificatrice de toute la biologie, son exposé et ses
justifications scientifiques doivent faire appel à tous ses aspects : le récit doit y contribuer, mais
n’y suffit pas » (Ricqlès, 2007).

3. Une thèse ontologique « hérétique ». Les espèces vivantes comme individus


Dilemme des classifications, controverses taxonomiques. Le problème des
universaux en biologie. Un article soumis en 1965 au journal Systematic Zoology.
Classes et sous-classes, en théorie des ensembles (ex. tranches d’âge) : les classes
sont des universaux abstraits, auxquels peuvent s’appliquer des propriétés
définitionnelles, et des « lois ». Tout et parties : l’individu est un tout non réductible
à la juxtaposition de ses parties, existant concrètement et ayant une relative
autonomie ontologique ; il n’y a ni lois générales, ni propriétés définitionnelles,
pour les individus. Thèse de Ghiselin (1966) : pour un spécialiste de l’évolution,
les espèces sont des individus. Les organismes qui font partie de l’espèce sont aussi
des individus. L’unité de l’espèce résulte des interactions entre ses parties : l’espèce
est une communauté reproductive, l’organisme est une communauté de cellules.
L’ontologie biologique est une ontologie stratifiée.
« Si les espèces n’existent pas, comment peuvent-elles évoluer ? » (Darwin, 1860).
« Canada and Ontario are both individuals, the latter being a part of the former. They stand
to each other in the same relation as Homo sapiens does to any one of us human beings »
(Ghiselin, 1985).
« different kinds of competition occur between species and within them. Interspecifically we
have the struggle for the means of existence only. Intraspecifically there occurs a competition
with respect to genetical resources as well, and even the resources contended for by organisms
irrespective of species in the final analysis are directed toward the intraspecific struggle for
reproductive success. Species, then, are the most extensive units in the natural economy such
that reproductive competition occurs among their parts » (Ghiselin, 1974).
« heresy has evolved into consensus » (Ghiselin, 1997).

4. Histoire vs. lois. L’inférence historique


Les individus changent (ils sont en devenir). Les organismes s’adaptent, les
espèces évoluent. Mayr souligne que « évolution » ne signifie pas « progrès ». Les
faits d’évolution sont des processus. Les processus affectent des êtres réels. Quel
processus est la spéciation ? Darwin a trouvé son modèle dans les sciences
économiques. Reconstituer l’histoire d’une lignée (phylogénie) ou d’une stratégie
évolutive (ontogénie) demande, non seulement qu’on ait amassé suffisamment de
données empiriques sur des individus réels, mais aussi qu’on sache distinguer entre
ce qui tenait à des contraintes logiques ou naturelles (lois), et ce qui est
historiquement contingent.
« Change is virtually a necessity under the concept of natural selection because the combined
forces of competition and natural selection leave little alternative but either extinction or
evolutionary progression » (Mayr, 1997).
PHILOSOPHIE DES SCIENCES BIOLOGIQUES ET MÉDICALES 413

« The world is made up of wholes and parts, each whole and each part itself being an
individual. The only entities in the universe that can change or “do” anything are individuals »
(Ghiselin, 1987).
« Darwin never attributed anything to “chance” as a causal agent, but only said that variations
and the like are fortuitous » (Ghiselin, 1981).
« In evolution, as in economic life, success means, among other things, the ability to change.
For a lineage of organisms, that means changing its genes. For an organism, that means
developing and maturing. For a reproducing organism, that means making copies of itself, but
not ones that are identical with itself » (Ghiselin, 1987).
« The laws of nature may tell us what is possible, but that only limits the number of acceptable
theses. An ideal evolutionary biology would present the entire history of life, in a manner that
made it clear what was historical accident and what was nomologically necessary, and of
course what laws applied and why, but that ideal is only beginning to be realized » (Ghiselin,
1997).
« Our goal is an historical narrative that explains the successive configurations of living matter
in terms of both individual events and laws of nature » (Ghiselin, 1997).

Concl. Ghiselin ne va pas jusqu’à dire que les individus sont des processus. Mais
il insiste sur l’importance pour les biologistes d’abandonner l’ontologie
aristotélicienne (il n’existe que des individus, et ces individus ont une nature —
une « essence » ou type). L’essentialisme est incompatible avec une philosophie de
l’évolution. Ghiselin se donne quatre catégories ontologiques : ce qui change (les
substances, i.e. les individus), le processus du changement (action ou affection), la
place (situation dans l’espace-temps), ce qui caractérise le changement (la propriété :
quantité/qualité/relation/posture/état). La science de l’évolution est synthétique
quand elle permet de produire un récit permettant de repérer ce qui dans le cours
de l’évolution tient à des lois ou régularités naturelles, et ce qui est contingent
(l’occasion propice exploitée par un individu).

14 02 08 — 2.3. Éléments nomologiques — lois, causes, entités ?


« Genetics is, among the biological disciplines, the most tightly associated
with a definition of life » (Morange, 2007).

Intr. Depuis la fin de l’année 2007 il est possible à chacun d’obtenir son profil
génétique en s’adressant à un site internet. On peut aussi se tenir au courant, à
mesure qu’elles sont publiées, des découvertes relatives aux SNPs (polymorphismes
nucléotidiques simples). Les SNPs sont, sur une séquence d’ADN, les variations
d’une seule base qui peuvent modifier le risque d’une maladie ou d’un trait (Science,
11 Jan 2008, 319 : 139).

1. Lois de Mendel, entité gène, maladies de cause génétique, thérapies géniques...


Jusqu’aux années 1970 le gène paraît être un bon candidat pour fonder une
ontologie biologique, en « réduisant » la biologie à la physico-chimie (Bouchard, in :
FRT, ch. 5). I. Mendel (1866) met en évidence des régularités dans la descendance
414 ANNE FAGOTLARGEAULT

de plantes hybrides. De Vries, Correns et von Tschermak redécouvrent ses travaux


en 1900, de Vries développe la théorie des mutations (1901-3), Bateson introduit les
termes gène et génétique (1905) et Johannsen ceux de génotype et phénotype. Morgan
avec son équipe (Sturtevant, Bridges, Muller) étudie les mutations chez la drosophile
et propose une théorie chromosomique de l’hérédité. II. Le lien entre facteur
génétique et protéine, pressenti par Garrod (1902), est relancé par le slogan de
Beadle & Tatum (un gène, une enzyme, 1941) ; Avery, McLeod et McCarthy
identifient la nature chimique (ADN, 1944) du facteur responsable de la virulence
des pneumocoques ; Pauling qualifie l’anémie falciforme de maladie moléculaire ;
Watson et Crick inventent la structure en double hélice de l’ADN (1953) ; Crick
énonce le dogme central de la biologie moléculaire (l’ADN est transcrit en ARN qui
est traduit en protéine, 1958) ; Nirenberg et coll. déchiffrent le code génétique
(1961-6). La voie du génie génétique est ouverte par Berg (ADN recombinant, 1972)
et Mullis (PCR : 1983-4), aboutissant à la production d’insuline humaine par des
bactéries (1978) et d’albumine humaine par des plants de tabac (1988). Tentatives
de thérapie génique (1990), premier succès sur des « enfants-bulles » (Fischer, 2000).
III. Essais de séquençage dès 1977, amélioration des méthodes (Olson, 1987). Sont
séquencés : un chromosome de levure (Nature, 1992) ; le génome d’un procaryote
(haemophilus influenzae, 1995), le génome d’un eucaryote (Saccharomyces cerevisiae,
1996), une région du génome mitochondrial d’un reste de néanderthalien (1997), le
génome d’un nématode (Caenorhabditis elegans, 1998), le chromosome humain 22
(1999), un génome de plante (Arabidopsis thaliana, 2000), un génome de souris
(Nature, 5 Dec 2002), un génome humain (2003). IV. Exploration de la diversité
humaine : projet HapMap (2002-6), 1000 Genomes Project (2007).
« There is no consensus of opinion amongst geneticists as to what the genes are — whether they
are real or purely fictitious — because at the level at which the genetic experiments lie, it does
not make the slightest difference whether the gene is a hypothetical unit, or whether the gene
is a material particle. In either case the unit is associated with a specific chromosome, and can
be localized there by purely genetic analysis » (Morgan, 1934).
« La fibre chromosomique contient, chiffré dans une sorte de code miniature, tout le devenir
d’un organisme, de son développement, de son fonctionnement... Les structures chromosomiques
détiennent aussi les moyens de mettre ce programme à exécution. Elles sont tout à la fois la loi
et le pouvoir exécutif, le plan de l’architecte et la technique du constructeur » (Schrödinger,
1944).
« Chaque œuf contient, dans les chromosomes reçus de ses parents, tout son propre avenir, les
étapes de son développement, la forme et les propriétés de l’être qui en émergera. […] L’être
vivant représente bien l’exécution d’un dessein, mais qu’aucune intelligence n’a conçu. Il tend
vers un but, mais qu’aucune volonté n’a choisi. Ce but, c’est de préparer un programme
identique pour la génération suivante. C’est de se reproduire » (Jacob, 1970).

2. L’organisme : régularité vs. variabilité, l’ontogenèse: développement vs. évolution


Au cours des années 1970 l’unité théorique de la notion de gène s’effrite (Gros,
1986). Multiples fonctions (gènes de régulation/de structure), composition éclatée :
dans les cellules eucaryotes les gènes sont fragmentés (exons/introns), la redondance
PHILOSOPHIE DES SCIENCES BIOLOGIQUES ET MÉDICALES 415

est considérable (bégaiement), il y a des familles de gènes (isogènes) présentant


comme des variations sur un même thème, une hiérarchie des gènes (gènes
architectes), et des gènes sauteurs (transposons : reconnus dès 1942 par McClintock).
L’idée du programme est mise en question par la « reprogrammation » du noyau
lors d’un clonage. Il faut « desserrer l’étreinte que les gènes ont constituée pour
l’imagination des biologistes » (Keller, 2000). L’entreprise de « réduction » a
échoué (Gayon, in FRT, ch. 6). La génétique n’a pas transformé la biologie en une
science déductive, sûre de ses fondements physico-chimiques, et dotée de lois
permettant de prédire le développement de l’organisme à partir de son génome.
L’inférence de la partie au tout est imprudente. En rester à la diversité des
individus ? Les médecins ont une conscience aiguë de la variabilité inter- et intra-
individuelle. En biologie ou paléontologie le specimen est volontiers pris comme
représentatif de l’espèce. En embryologie expérimentale, la « loi de Haeckel » a
couvert des généralisations de l’ontogenèse à la phylogenèse... Mais loin que
l’évolution soit un développement, c’est le développement qui est évolutif.
« the genes, as unit of physiological action... are obviously not megamolecules. They are
processes, or functions, not atomic edifices. [...] For convenience of speech we may continue to
call gene the structure, when there is no danger of confusion, provided we keep in mind that
we are using a figure of speech as when in France we use the same word for tongue and
language » (Pontecorvo, 1952).
« les gènes des eucaryotes ne sont en aucune manière, comme on l’a pensé à l’aube de la
génétique, et comme on en a un peu trop propagé l’idée, des entités d’une immuable stabilité.
[…] Non, l’ADN eucaryotique est, comme l’a bien décrit F. Jacob, le siège d’un bricolage
incessant » (Gros, 1986).
« In announcing the death of the gene, I do not wish to argue that genes are not important
in development. What I wish to lay to rest is the notion of the gene as a master molecule
controlling and organising development. I wish to dislodge the gene from the privileged site it
has occupied in our accounts of development and evolution... I have aimed to illustrate how
evolution can be narrated from a developmental systems perspective that does not privilege any
component of the system » (Gray, 1992).
« There is probably no hope to construct a general or unified concept of the gene. At best, such
a concept would be an indefinite disjunctive list of many possible structures and processes »
(Gayon, 2007).
« in evolutionary biology sweeping generalizations are rarely correct. Even when something
occurs “usually”, this does not mean that it must occur always » (Mayr, 1997).

3. L’espèce : robustesse et historicité


Cavalli-Sforza et Feldman (2003) font le point des méthodes issues de la
génétique, qui nous renseignent sur l’évolution humaine. Francisco Ayala (in :
FRT, 2007) examine les résultats. Les lignées conduisant respectivement à l’homme
et au chimpanzé ont divergé il y a cinq ou six millions d’années. L’examen de
l’ADN mitochondrial (transmis par la lignée maternelle) conforte l’hypothèse que
notre Eve ancestrale est née en Afrique, l’examen d’un fragment du chromosome Y
416 ANNE FAGOTLARGEAULT

(transmis par la lignée paternelle) conforte la même hypothèse pour l’Adam


ancestral, avec une marge d’incertitude liée au caractère fragmentaire des données;
cela, à la condition de supposer que ces « premiers parents » étaient une population
d’au moins cent mille, chiffre conclu d’un examen de l’horloge moléculaire et des
polymorphismes de fragments de gènes du système immunitaire (et confirmé par
une simulation sur ordinateur). Cela écarte la théorie du « goulot d’étranglement »
à l’origine de notre espèce. Une remarque d’Ayala, citant Tobias (1991), signale le
risque de circularité de ces raisonnements, qui de l’état des génomes en divers
points du temps (selon les restes fossiles dont on dispose) infère une histoire des
génomes, tandis que l’histoire des génomes (leur déploiement généalogique)
explique leur état à un moment donné. En appui à la reconstruction historique,
connaît-on des « mécanismes » évolutifs généraux qui régissent l’évolution ? La
sélection naturelle (où l’on cherche à démêler la part des mutations aléatoires et
celle des pressions de sélection) permet d’expliquer des divergences évolutives. On
voit ré-émerger des hypothèses sur des mécanismes de convergence évolutive
(mutualisme, symbiose). Mais ces mécanismes sont inférés a posteriori de
constatations relatives à l’histoire, et ne dispensent pas d’une réflexion sur le statut
du lien généalogique dans une science historique (ce que Lorenzano appelle law of
matching, ou loi synoptique, in FRT, ch. 7).
« Le plan du chromosome préfigure le plan de l’animal » (Le Douarin, 2000).
« Pour un biologiste s’intéressant à l’évolution, ce qu’il y a d’intrigant dans la découverte de
ces gènes Hox […] est la conservation extraordinaire de ces gènes au cours de l’évolution, alors
que les structures dont ils programment le développement ont changé du tout au tout. »
(Maynard Smith, 1998).
« modern human mtDNA sequences coalesce in an ancestral sequence, known as mitochondrial
Eve, present in Africa about 200 000 Years ago... This Eve, however, is not the only woman
from which all present day humans descend, but a mtDNA molecule from which all current
mtDNA molecules descend » (Ayala, 2007).
« in order for actual humanity to possess 59 alleles of the gene DRB1, human ancestral
populations must have consisted, on average, of at least 100 000 individuals during the last
2 million years... The minimum number of reproductive individuals who could have lived at
any one time would have never been smaller than between 4 500 and 10 000 individuals »
(Ayala, 1997).

Concl. Répétition vs. nouveauté. Contre l’éclipse du récit dans l’épistémologie


positiviste et dans l’école des Annales, Ricœur argumente en faveur de la composition
narrative en histoire, comme technique de mise en intrigue contrastant ce que les
acteurs voulaient faire et ce que les événements ont été (en particulier, les
conséquences non voulues). Mais ce modèle (qui ne vise que l’histoire au sens étroit)
n’est pas transposable aux sciences de la vie. Un philosophe de la biologie comme
Sober admet qu’il a des sciences historiques (au sens large), ou plutôt qu’il y a dans
toutes les sciences un mélange d’aspects historiques et nomologiques. Mais, bien
qu’ayant concédé que cette distinction ne recouvre pas l’opposition entre sciences
dures et molles, il privilégie la formulation de lois générales, ou de modèles
PHILOSOPHIE DES SCIENCES BIOLOGIQUES ET MÉDICALES 417

d’évolution, les données historiques servant seulement à choisir le modèle le plus


vraisemblable. Le schéma généalogique qui rendrait compte à la fois des répétitions
et des innovations est à trouver.
« métier d’historien, épistémologie des sciences historiques et phénoménologie génétique
additionnent leurs ressources pour réactiver cette visée noétique fondamentale de l’histoire que,
pour faire bref, nous avons appelée intentionnalité historique » (Ricœur, 1983).
« Some sciences try to discover general laws ; others aim to uncover particular sequences of
historical events... Reconstructing genealogical relationships is the goal of a historical science »
(Sober, 2000).

21 02 08 — 2.4. Enrichissement ontologique — épigenèse, émergence,


créativité naturelle

« En même temps que l’organisme animal ou végétal se détruit par le fait même
du fonctionnement vital, il se rétablit par une sorte de synthèse organisatrice,
de processus formatif, que nous avons appelé la création vitale et qui forme la contrepartie
de la destruction vitale » (Cl. Bernard, 1878).

Intr. Les progrès de la microscopie optique ont permis, au xixe siècle, de formuler
la théorie cellulaire, en deux propositions: « tous les organismes vivants sont
constitués de cellules » (Schleiden & Schwann, 1838-39), et « toute cellule naît
d’une cellule » (Virchow, 1858). Schwann disait s’être convaincu de « l’individualité
des cellules ». N. Le Douarin (2007) affirme que les cellules souches sont « une
invention de la multicellularité », et résume à trois les grandes inventions de la vie
sur notre planète : procaryotes (cellules sans noyau), eucaryotes (cellules à noyau,
architecturées), organismes multicellulaires impliquant division du travail, fragilité
(extinctions, apoptose), et retour périodique à l’état unicellulaire (reproduction).
« aux 21 éléments de Bichat, aux 21 tissus qui formaient pour lui les matériaux de l’organisme,
nous avons substitué un seul élément, la cellule, identique dans les deux règnes, chez l’animal
comme chez le végétal, fait qui démontre l’unité de structure de tous les êtres vivants. »
(Cl. Bernard, 1878).

1. Épigenèse, épigénétique
Le mot épigenèse vient du verbe grec épigignesthai (survenir). Il aurait été lancé par
Harvey. Il s’agit du développement embryonnaire. I. Aux xviie et xviiie siècles, le
grand débat entre partisans de l’épigenèse (Harvey, Descartes) et partisans de la
préformation (Swammerdam, Hartsoeker, Ch. Bonnet) tourne plutôt à l’avantage
des seconds, parce que la thèse d’une formation progressive d’organes à partir d’une
semence qui ne les contient pas semble aller contre le principe « qu’il doit y avoir au
moins autant de réalité dans la cause que dans son effet », à moins de supposer l’action
d’une force occulte (Wolff). La solution vient avec la théorie cellulaire, le repérage des
gamètes comme cellules, et l’observation du processus de fécondation constitutif de
la première cellule embryonnaire (Hertwig, 1875). II. La génétique élucide les modes
de transmission des gènes, et établit des liens entre certains gènes et certains traits des
418 ANNE FAGOTLARGEAULT

organismes (ex. gènes “peau claire”) ; mais elle n’explique pas comment, au cours du
développement, le génotype produit le phénotype. Waddington, au milieu du
xxe siècle, propose qu’une science épigénétique étudie la manière dont les gènes
interagissent avec leur environnement lors de la différenciation des cellules
embryonnaires, et de la formation de l’organisme. III. Depuis les années 1970, on
appelle épigénétique tout ce qui modifie l’action des gènes sans modifier la séquence
d’ADN : régulation de l’expression des gènes (transcription, traduction), interférence
de petits ARN dans le processus de reproduction, influence sur l’architecture du
cerveau (synaptogenèse) des interactions sensori-motrices avec le monde extérieur.
« We have in the study of development rather the opposite situation to that which confronts us
in the study of heredity . Whereas the latter has seemed, since Mendel’s day, to cry aloud for
an atomistic theory, the former seems to demand organismic or non-atomistic theories »
(Waddington, 1961).
« L’invention de l’épigénétique a été, à chaque fois, une réaction contre les “insuffisances” de
la génétique... Les modèles épigénétiques ont toujours porté avec eux un parfum d’hérésie »
(Morange, 2005).
« Les riches modalités de l’épigénome... suggèrent de ne pas céder à la tentation d’attribuer a
priori au génome une part majeure de l’information cellulaire, tentation visiblement alimentée
par la relative facilité d’accès à sa séquence. Elles nous incitent à abandonner la naïveté du
déterminisme purement génétique sans sombrer dans un indéterminisme démenti par les
faits. » (Kepes, 2005).
« L’inactivation du chromosome X est un processus cellulaire normal mis en place tôt au cours
de l’embryogenèse chez les mammifères femelles... La stabilité de l’état inactif du chromosome X
dans les cellules somatiques est due aux multiples marques épigénétiques qui sont mises en place
au cours du développement. Cette extrême stabilité semble compromise dans les cellules
transformées ou cancéreuses » (Heard, 2007).
« “Epigénétique”, au sens où je l’emploie, combine deux significations : l’idée de superposition
à l’action des gènes, suite notamment à l’action de l’apprentissage et à l’expérience, et celle de
développement coordonné et organisé » (Changeux, 2002).

2. Émergence
La distinction entre fait émergent (surprenant, non prédictible mécaniquement)
et fait résultant (prédictible) date du xixe siècle. Les théories de l’émergence sont
des théories du devenir créateur. L’évolution biologique vue comme « création
naturelle » d’espèces vivantes de complexité croissante suggère aux initiateurs
anglais de l’émergentisme (années 1920 : Alexander, Morgan) la notion de « saut
qualitatif » sur fond de continuité matérielle. Émergentisme vs. réductionnisme,
émergence vs. survenance (supervenience). Marginalisation, puis retour de
l’émergence depuis le milieu du xxe siècle à travers la description, l’analyse fine, la
modélisation de processus émergents vus comme processus de structuration
(morphogenèse) : changements d’état de la matière à certains seuils de température,
émergence de l’œil au cours de l’évolution des espèces, genèse des formes au cours
du développement embryonnaire, maladies émergentes et propagation épidémique,
PHILOSOPHIE DES SCIENCES BIOLOGIQUES ET MÉDICALES 419

ou plus généralement genèse de la complexité dans la nature et paliers de complexité.


Les problématiques de l’émergence incluent celles de l’épigénétique.
« I shall use the term “organic whole” to denote the fact that a whole has an intrinsic value
different in amount from the sum of the values of its parts. » (Moore, 1903).
« The higher quality emerges from the lower level of existence and has its roots therein, but it
emerges therefrom, and it does not belong to that lower level, but constitutes its possessor a new
order of existent with its special laws of behaviour. » (Alexander, 1920).
« What is supervenient at any emergent stage of evolutionary progress is a new kind of
relatedness — new terms in new relations — hitherto not in being. […] The higher entities
are not only different in themselves ; but they act and react differently in presence of others »
(Morgan, 1923).

3. Cellules souches
Les faits de régénération (hydre, planaire, salamandre) et de réparation
(cicatrisation) sont connus depuis longtemps. Au xixe siècle Cl. Bernard, puis
P. Bert, anticipent la possibilité de mettre des tissus en culture, ce qui est réalisé
en 1910. Qu’il existe des cellules souches (CS : précurseurs des cellules différenciées,
et source de la régénération permanente des organismes) dans les tissus adultes
(ex. le sang), on le sait dès le début du xxe siècle. Le propre des CS est qu’elles
peuvent à la fois se multiplier à l’identique, pour redonner des CS, et se différencier
pour engendrer des cellules spécialisées (« division asymétrique »). Paradoxe de la
différenciation : un organisme complexe vient d’une seule cellule, et toutes les
cellules de l’organisme achevé ont le même génome ; lors de l’embryogenèse, la
cellule initiale totipotente donne lieu à des lignées cellulaires pluripotentes qui
engendrent les cellules fonctionnelles spécialisées ; ce parcours est en principe
irréversible (« dogme de l’irréversibilité de l’état différencié » : Le Douarin, 2007,
III, 4). Le sort des cellules différenciées est de mourir et d’être remplacées
(ex. renouvellement des cellules de l’épithélium intestinal). Depuis qu’on sait
cultiver des CS issues de la masse cellulaire interne d’embryons au stade blastocyte
(embryons murins : 1981, humains 1998), les chercheurs ont appris à dériver de
ces CS des lignées et à conduire leur différenciation en cellules musculaires,
nerveuses, etc. Ces travaux suscitent espoirs de thérapies régénératives (myopathies,
traumatismes de la moelle épinière, etc.) et soucis relatifs à l’instrumentalisation
d’embryons. La technique du transfert de noyau utilisée par Wilmut et coll., qui a
permis en 1997 la naissance de la brebis Dolly, a montré que le noyau d’une
cellule somatique (différenciée) peut être « reprogrammé » par le cytoplasme d’un
ovocyte et retrouver sa totipotence. En 2006-7 la voie de la reprogrammation a
été identifiée. Le dogme est tombé.
« Si l’évolution a aboli le pouvoir de régénérer, elle a laissé celui de réparer» (Le Douarin,
2007).
« Les succès récents du clonage animal démontrent que le noyau d’une cellule somatique adulte
différenciée peut retourner à un état de type embryonnaire, lui permettant de repasser par les
étapes qui conduisent à la naissance d’un animal viable et normal. […] Les mécanismes
420 ANNE FAGOTLARGEAULT

moléculaires sous-jacents font désormais l’objet de nombreuses études, notamment pour


comprendre les modifications des marques épigénétiques et les remaniements de structure
chromatinienne impliqués dans cette reprogrammation » (Beaujean N., Martin C., Debey
P., Renard J.-P., 2005).

« Limitations on a differentiated cell’s pluripotency can be erased by nuclear transfer or by


fusion with embryonic stem cells, but attempts to recapitulate this process of nuclear
reprogramming by molecular means have failed. In this issue of Cell, Takahashi and Yamanaka
(2006) take a rational approach to identifying a suite of embryonic transcription factors whose
overexpression restores pluripotency to adult somatic cells » (Rodolfa & Eggan, 2006).

« La confirmation éclatante de ces données par deux équipes de Harvard (Etats-Unis), celle de
R. Jaenisch et celle de K. Hochedlinger, vient d’être publiée... cette découverte fera date, et les
conséquences sur le plan conceptuel et médical seront sans doute considérables s’il s’avère que les
observations peuvent être dupliquées chez l’homme » (Coulombel, 2007).

« en 1962 J.B. Gurdon publiait les résultats d’expériences pionnières sur le transfert de noyau
somatique dans des œufs de xénope, et l’obtention de grenouilles normales. Dans une revue
autobiographique publiée en 2006, un mois avant la publication de Takahashi, il anticipait :
“it may become possible to convert cells of an adult to an embryonic state without needing
to use eggs. Overexpression of a DNA demethylase and other reprogramming molecules
may be sufficient to generate ES-like cells”. Nous y sommes ! » (Coulombel, 2008).

Concl. Clameurs de soulagement du côté des défenseurs de l’embryon humain :


les chercheurs n’auront plus besoin d’aller chercher les embryons abandonnés dans
les congélateurs de la procréation médicalement assistée, pour mettre au point
d’utiles thérapies régénératives ? Mais la réalité est beaucoup moins limpide :
a-t-on trouvé une nouvelle façon de faire des embryons « artificiels », ou une
méthode dangereuse si elle conduisait à des applications thérapeutiques (le vecteur
utilisé pour la reprogrammation est un rétrovirus), ou une machine à remonter le
temps ? Le devenir de la cellule vivante est-il réversible ?
« After the initial excitement, both sides [advocates and opponents of ES cell research] are finding
that although iPS cells have answered some questions, they have also raised new ones » (Science,
1 Feb 2008).

13 03 08 — 2.5. Créativité scientifique — clones, hybrides, cybrides,


biologie de synthèse
« Il m’a semblé que l’esprit de découverte était un fait de la vie, un phénomène naturel »
(Ch. Nicolle, 1932).

Intr. Début 2008 : la synthèse complète d’un génome bactérien est annoncée
dans Science par l’équipe de Craig Venter et Hamilton Smith ; onze étudiants
franciliens remportent le premier prix du concours iGEM (international Genetically
Engineered Machine competition), organisé par le MIT (Massachusetts Institute
of Technology, Boston, nov 2007), pour leur invention d’un modèle d’organisme
« multicellulaire bactérien ». Après l’ingénierie génétique des années 1970, voici
l’avènement de l’ingénierie biologique (biological engineering).
PHILOSOPHIE DES SCIENCES BIOLOGIQUES ET MÉDICALES 421

« We have synthesized a 582970 base pair Mycoplasma genitalium genome. This synthetic
genome, named M. genitalium JCVI-1.0, contains all the genes of wild-type M. Genitalium
G37 except MG408, which was disrupted by an antibiotic marker to block pathogenicity...
The methods described here will be generally useful for constructing large DNA molecules from
chemically synthesized pieces and also from combinations of natural and synthetic DNA
segments » (“Complete chemical synthesis, assembly and cloning of a Mycoplasma
genitalium genome”, Science, 29 Feb 2008).

1. La synthèse comme programme de recherche


Synthèse de l’urée, 1828 (Wöhler). De Lavoisier à Berthelot : naissance de la
chimie de synthèse au xixe siècle. Implications ontologiques et épistémologiques :
(1) la nature n’est pas saturée (il y a des possibles non actualisés, le naturel inclut
le possible), (2) l’investigation scientifique porte sur les possibles, (3) la science est
créatrice (techniquement, artistiquement), elle invente des êtres nouveaux. Certaines
pratiques biotechnologiques sont très anciennes (art des fermentations : vin,
fromage), la bioingénierie naît au xxe siècle. La construction par Paul Berg en 1972
d’une molécule d’ADN hybride, ou « recombinée », marque le début de l’ingénierie
génétique (Debru, 2003, ch. 3). Avec le déchiffrage des génomes, le programme
analytique atteint sa limite. Il est relayé au tournant du xxie siècle par une jeune
et turbulente biologie systémique (holiste) et/ou constructiviste. Le laboratoire de
Brenner réussit en 1984 la synthèse d’un gène codant pour une protéine, et invente
en 1989 un système d’information génétique artificiellement étendu (AEGIS : six
lettres au lieu de quatre) qui montre à quoi la vie pourrait ressembler, ailleurs...
« La synthèse, procédant en vertu d’une loi génératrice, reproduit non-seulement les substances
naturelles, mais aussi une infinité d’autres substances qui n’auraient jamais existé dans la
nature. » « La chimie crée son objet. Cette faculté créatrice, semblable à celle de l’art lui-même,
la distingue essentiellement des sciences naturelles et historiques » (Berthelot, 1864).
« La chimie supramoléculaire présente de multiples connotations ; notamment, comme analyse
des relations entre molécules, elle forme en quelque sorte une sociologie moléculaire. Les
interactions moléculaires y définissent le lien interspécifique, l’action et la réaction, bref, le
comportement des individus et des populations moléculaires... » (Lehn, 1980).
« L’homme recrée la nature. Avec l’invention technique il va plus loin et introduit dans le
monde des êtres qui ne s’y trouvaient pas. » (Leclercq, 1959).
« possibility is more fundamental than existence » (Ghiselin, 1997).
« ce que nous enseigne l’histoire de la connaissance est l’accroissement du champ du possible et
la décroissance corrélative du champ de l’impossible » (Debru, 2003).
« The 1990s was a festival of information about molecules [anatomy]. We were due for a
move back to physiology. Systems biology is usually now taken to mean that in order to
understand the behavior of a biological ensemble, one needs to study the whole, rather than
its isolated parts » (Brent, 2004).
« Synthesis offers opportunities for achieving these goals that observation and analysis do not.
The use of synthesis in a way that complement analysis will be a main theme... » (Benner &
Sismour, 2005).
422 ANNE FAGOTLARGEAULT

2. Clones, chimères, hybrides, cybrides

Agriculture et élevage emploient des techniques de croisement entre espèces ou


variétés différentes (mulet, bardot). La biologie du développement, et la mise au
point des méthodes de la procréation médicalement assistée, ont depuis une
trentaine d’années suscité des discussions autour d’une série de problèmes qu’un
rapport britannique explicite (HFEA 2007). La fusion de cellules humaines et
animales est largement utilisée dans la recherche, elle a été l’une des techniques
utilisées pour la cartographie du génome humain. La création d’un hybride par
fécondation d’un œuf de hamster par spermatozoïde humain est un test classique
de la fertilité masculine (le développement est arrêté après la première division de
l’œuf fécondé). La production d’hormone de croissance humaine par une souris
implique le transfert d’un gène humain à l’embryon murin. Les animaux
chimériques résultant de l’ajout à un embryon animal de cellules souches humaines
permet de tester la pluripotence de celles-ci. Les cybrides, obtenus par transfert
d’un noyau dans le cytoplasme d’une cellule embryonnaire d’espèce différente, ont
aidé à comprendre le rôle du génome mitochondrial ; ils ont aussi permis des essais
de clonage d’espèces en voie de disparition. Après une large consultation publique
au printemps 2007, l’Autorité britannique a donné permission de créer des cybrides
humains pour la recherche, « avec précaution et sous surveillance ». Cette technique
a été éprouvée en Chine, en utilisant des ovocytes de lapine. Les pays qui interdisent
la création d’embryons humains pour la recherche n’ont pas à se poser la question
des cybrides.
« There is a strong increase in agreement with creating embryos which contain mostly human
and a small amount of animal genetic material in research if it may help to understand some
diseases, for example Parkinson’s and Motor neurone disease (61 % agree compared to 35 %
who agree with scientists creating an embryo which contains mostly human with a small
amount of animal genetic material purely for research) » (HFEA, 2007).

« If gametes can be termed “artificial ”, might children born of these gametes likewise be seen
as artificial in some sense ? Can a stem cell be a parent ? » (Newsom & Smajdor, 2006).

« The transplantation of adult human neural stem cells into prenatal non-humans offers an
avenue for studying human neural cell development without direct use of human embryos.
However, such experiments raise significant ethical concerns about mixing human and non-
human materials in ways that could result in the development of human-nonhuman chimeras. »
(Karpowicz, Cohen, van der Kooy, 2005).

« Consider work by Yilin Cao and colleagues (1997), in which researchers evaluated whether
a polymer template could be used to grow cartilage in the shape of a 3-year-old child’s auricle.
In order to provide a hospitable environment for the cartilage to form, the template was
inserted under the skin on the back of a mouse. Pictures from this experiment […] have been
used by anti-biotechnology organizations to elicit negative aesthetic reactions... » (Streffer,
2005).

« Any child who knows that her genetic parents were two men, or one man and two women,
would know she is different. But knowing about this difference need not harm her — unless,
of course, we tell her the difference is deviant » ( Johnston, 2007).
PHILOSOPHIE DES SCIENCES BIOLOGIQUES ET MÉDICALES 423

3. La biologie de synthèse (synthetic biology)


Premiers congrès mondiaux : MIT Boston 2004, Berkeley 2006, Zurich 2007 ;
le prochain à Hong Kong, oct. 2008. Une discipline émergente aux pouvoirs
divins (Morton), ou le simple prolongement du génie génétique en génie biologique
(Szybalski) ? « Life is what we make it » (Nature, 2005). Diversité des approches
(ingénieurs vs. théoriciens). Objectifs en vue : simplifier, standardiser, routiniser
des montages biologiques (interrupteurs, calculateurs) ; construire des organismes
(bactéries, levures) producteurs de carburants (biofuel, éthanol), ou sécréteurs de
médicaments (contre le paludisme), ou fabricants de nouveaux matériaux
(caoutchouc, textiles), ou détecteurs de polluants (arsenic), ou chasseurs de cellules
malades (cancer, HIV), ou capables de dégrader des contaminants dans le sol
(pesticides). Risques et soucis : protéger la collectivité contre toute dissémination
(accidentelle ou intentionnelle) d’organismes pathogènes, éviter la privatisation des
nouvelles formes de vie (brevets), définir une politique de recherche lisible et
démocratiquement débattue à l’échelle de la planète.
« We want to demonstrate what the heck life is by constructing it » (Steen Rasmussen, in :
Holmes, 2005).
« When asked by interviewers [Daily Telegraph, May 27, 2006] if they are playing God,
Venter’s Colleague Hamilton Smith gives a characteristically hubristic response : “We don’t
play” » (ETCgroup, 2007).
« A group of MIT engineers wanted to model the biological world. But, damn, some of nature’s
designs were complicated ! So they started rebuilding from the ground up — and gave birth
to synthetic biology » (Morton, “Life, reinvented”, WIRED magazine, Jan 2005, online).
« The recent and ongoing interest in synthetic biology is being driven by at least four different
groups : biologists, chemists, “re-writers” and engineers » (Endy, 2005).
« Using BioBrick* standard biological parts [BB*], a synthetic biologist or biological engineer
can already, to some extent, program living organisms in the same way a computer scientist
can program a computer. » (the BioBricks Foundation, online bbf.openwetware.org).
« There are a small number of projects that try to reduce the genome size of bacteria to a bare
minimum (the top-down approach to synthetic organisms). In particular, two organisms have
been addressed : E. coli and B. subtilis. And there is at least one minimal genome project that
follows the reverse (bottom up) approach, which is to start with a bacterium that already
appears to be stripped down to a bare minimum » (European Commission, 2005).
« Synthetic biology represents a shift... from molecular biology to modular biology. The
introduction of the modular approach in biology implies fundamental changes in the type of
questions that are supposed to be asked in biology, how these are structured and the answers
probed for. Therefore, we can speak of a paradigm shift » (de Vriend, 2006).
« Synthetic biology aims to design and build new biological parts and systems or to modify
existing ones to carry out novel tasks. It is an emerging research area, described by one researcher
as “moving from reading the genetic code to writing it”. Prospects include new therapeutics,
environmental biosensors and novel methods to produce food, drugs, chemicals or energy »
(UK POSTnote, 2008).
424 ANNE FAGOTLARGEAULT

Concl. À l’enthousiasme des promoteurs de la biologie de synthèse répond la


virulence de ses détracteurs (qui évoquent le danger de bioterrorisme), et la
prudence des institutions soucieuses de bonne gouvernance (programme européen
SYNBIOSAFE). Certains pensent qu’il faudrait réunir un « Asilomar 2 » (Tucker
& Zilinskas), d’autres penchent pour un dispositif d’accompagnement vigilant
(ONG) ou d’encadrement (institutionnel, légal). La réflexion sur les enjeux
psychosociaux et éthiques (synthétique !) est beaucoup plus avancée que la réflexion
proprement philosophique : comment situer dans notre ontologie le vivant
artificiel, ou de synthèse ?
« At present, synthetic biology’s myriad implications can be glimpsed only dimly. The field
clearly has the potential to bring about epochal changes in medicine, agriculture, industry,
ethics, and politics, and a few decades from now it may have a profound influence on the
definition of life, including what it means to be human. » (Tucker & Zilinskas, 2006).

20 03 08 — 2.6. L’évolution biologique et ses mécanismes.


Orateur invité : Pr Denis Duboule
Denis Duboule parle des gènes architectes, et de leur pléiotropie (muti-
fonctionnalité) qui met à mal le réductionnisme génétique. Il est réservé sur la
possibilité que les sciences du développement et celles de l’évolution se fondent en
une seule discipline (evo-devo), en raison des différences qu’elles présentent, tant
dans leur statut épistémologique, que dans leurs référentiels de temps.
Le ppt de ce cours a été affiché sur le site du Collège de France.

27 03 08 — 2.7. Quelle ontologie pour les sciences de la vie ?


« La philosophie n’est pas seulement le retour de l’esprit à lui-même […] Elle est
l’approfondissement du devenir en général, l’évolutionnisme vrai, et par conséquent le vrai
prolongement de la science » (Bergson, 1907).

Intr. Les êtres vivants sont des êtres en devenir. Ils sont le produit d’une histoire.
L’explication par l’histoire a fait son entrée en biologie : exemple du gène « peau
claire » (Gibbons A., « European skin turned pale only recently », Science, 2007,
316 : 364). On s’essaie ici à « l’approfondissement du devenir ».
« Décrire un système vivant, c’est se référer aussi bien à la logique de son organisation qu’à
celle de son évolution » (F. Jacob, 1970).

1. Temps, devenir, durée


L’univers est en devenir. Dans le monde d’Aristote il y avait un temps et un
mouvement de référence (ceux des astres). Le système newtonien suppose un
temps absolu et universel. La découverte que la propagation de la lumière n’est pas
instantanée, et la réflexion d’Einstein sur la simultanéité, ont conduit à l’abandon
du temps universel. Avec la théorie de la relativité, il faut s’habituer à penser que
le temps de chaque être est son temps propre, qui reflète son « être-au-monde » (sa
PHILOSOPHIE DES SCIENCES BIOLOGIQUES ET MÉDICALES 425

participation au devenir cosmologique). Les horloges biologiques, les rythmes


circadiens, sont endogènes ; ils s’ajustent avec une certaine plasticité aux cycles
cosmologiques ou à d’autres périodicités. On appelle devenir le temps interne, et
durée le temps vécu. Le temps n’est pas réversible. Il peut être ralenti, ou
accéléré.

« le temps est cause par soi de destruction plutôt que de génération... à vrai dire, le temps n’en
est pas la cause efficiente » « le temps est partout le même » (Aristote, Physique).

« L’univers, quel qu’il puisse être, est tout d’une pièce, comme un océan » (Leibniz, Théodicée,
1710) — « tout corps se ressent de tout ce qui se fait dans l’univers » (Leibniz, Monadologie,
1714).

« chaque être a sa durée particulière, en sorte qu’un instant de la durée de l’un peut coexister
et coexiste en effet à plusieurs instants de la durée d’un autre. [...] Si l’on fait attention que
nous n’avons pas proprement d’idée d’autre durée que la nôtre, puisque nous ne saurions nous
former l’idée d’une durée quelconque que par comparaison avec la succession de nos pensées,
on verra que c’est bien gratuitement qu’on suppose une durée qui soit la commune mesure de
celle de tous les êtres » (Condillac, 1748).

« Au temps immatériel des coordonnées cartésiennes, au temps théologique de Newton, le


paradigme de causalité propagée de la relativité nous oblige à substituer un temps individuel,
attaché à chaque chose et à chaque être » (R. Lestienne, 1990, 2003, p. 109).

2. Morphogenèse / individuation

La genèse de formes (spatio-temporelles) n’est pas un privilège du vivant. Si l’on


accepte l’hypothèse initiée par Lemaître (univers en expansion à partir de l’explosion
d’un noyau initial), bien avant l’apparition de la vie terrestre, des êtres se forment
dans l’univers : particules de matière, galaxies... Les vivants terrestres sont d’un
ordre de grandeur intermédiaire entre les très grands objets et les très petits. D’Arcy
Thompson montre que les formes vivantes sont relatives à des contraintes physiques.
La forme inscrit dans le présent quelque chose du passé. Devenir, c’est prendre
forme ? Un photon, une galaxie, sont-ils individués ? Processus d’individuation,
critères d’individualité.

« Faut-il qu’une goutte d’huile ou de graisse entende la géométrie, pour s’arrondir sur la surface
de l’eau ? » (Leibniz, Théodicée, 1710).

« En devenant présent, ce qui advient se matérialise ; mais du même coup, la matière s’est
métamorphosée et a pris la forme de ce qui advient » (N. Grimaldi, 1993).

« Life has a range of magnitude narrow indeed compared to that with which physical science
deals; but it is wide enough to include three such discrepant conditions as those in which a
man, an insect and a bacillus have their being and play their several roles. […] The
predominant factors are no longer those of our scale ; we have come to the edge of a world of
which we have no experience, and where all our preconceptions must be recast » (D’Arcy
W. Thompson, 1917).
426 ANNE FAGOTLARGEAULT

3. Vivre : persévérer dans l’être


Le souci de l’individu vivant : subsister. Cellule, organisme, espèce : la
conservation par le changement. Le « tout » survit en renouvelant ses parties.
Cl. Bernard le dit de l’organisme : « nous nous représentons un courant de matière
qui traverse incessamment l’organisme et le renouvelle dans sa substance en le
maintenant dans sa forme » (1878, I, p. 35-36). Notions de structure dissipative et
de système ouvert en thermodynamique loin de l’équilibre. Auto-organisation et
hétéro-asservissement. Solidarité du vivant et de son monde. « Interaction
constructive » (Pradeu, 2007).
« Les corps inanimés ne dépendent pas du temps. Les corps vivants lui sont indissolublement
liés. Chez eux, aucune structure ne peut être détachée de l’histoire » (Jacob, 1970).
« La vie, réduite à sa notion la plus simple et la plus générale, est essentiellement caractérisée
par le double mouvement continu d’absorption et d’exhalation, dû à l’action réciproque de
l’organisme et du milieu ambiant, et propre à maintenir, entre certaines limites de variation,
pendant un temps déterminé, l’intégrité de l’organisation » (Comte, 1835).
« How would we express in terms of the statistical theory the marvellous faculty of a living
organism, by which it delays the decay into thermodynamical equilibrium (death) ? We said
before : “It feeds upon negative entropy”, attracting, as it were, a stream of negative entropy
upon itself, to compensate the entropy increase it produces by living and thus to maintain itself
on a stationary and fairly low entropy level » (Schrödinger, 1944).
« Ce qui se présente comme une structure permanente à un certain niveau n’est en fait
maintenu que par un échange continu de composants au niveau inférieur... » (von Bertalanffy,
1968 ; tr fr 1973).
« Le degré d’organisation ou de création de néguentropie que nous pouvons obtenir est toujours
inférieur à la quantité de néguentropie qu’il a fallu dépenser pour obtenir cette information
préalable » (Lestienne, 2003).

4. Le devenir du vivant : naître, vivre, se reproduire et mourir


Comment la vie est apparue, on l’ignore ; elle continue. Les êtres monocellulaires
se reproduisent par division, d’où l’hypothèse d’August Weismann (« La durée de
la vie », 1881) que la vie est potentiellement immortelle. Le devenir cellulaire dans
un organisme complexe est un processus de différenciation, en principe irréversible :
le destin de l’organisme complexe est le vieillissement et la mort. « Les deux
inventions les plus importantes sont le sexe et la mort » (Jacob, 1970, p. 330)
— elles « conditionnent » la possibilité d’une évolution. La mort inéluctable ?
Eléments actuels du débat : cellules iPS, vieillissement des bactéries. Importance
de la conservation dans l’évolution : la vie bâtit du neuf sur du déjà routinisé.
« L’étude des éléments nucléaires révéla beaucoup de propriétés surprenantes. Ces structures,
tout en pénétrant dans chaque cellule du corps, étaient, si l’on peut dire, à l’abri des caprices
hasardeux de l’existence... » (Darlington, 1953, tr fr 1957).
« D’après la théorie de la sélection naturelle, l’extinction des formes anciennes et la production
des formes nouvelles perfectionnées sont deux faits intimement connexes » (Darwin, 1859, tr
fr 1896).
PHILOSOPHIE DES SCIENCES BIOLOGIQUES ET MÉDICALES 427

« Sans pensée pour le dicter, sans imagination pour le renouveler, le programme génétique se
transforme en se réalisant » (Jacob, 1970).

5. Emboîtements et degrés de complexité


Lamarck voit la « chaîne animale » comme une série dont l’ordre naturel (celui
dans lequel la nature l’a produite) va du simple au composé : la nature engendre
les plus simples (génération spontanée), et on monte les degrés de l’organisation
par un mécanisme que résume l’adage aristotélicien « les habitudes forment une
seconde nature » (1809, I, ch. 7). Darwin n’accepte ni l’idée d’un plan de la nature,
ni celle d’une tendance des vivants à compliquer leur organisation ; mais il admet
que la différenciation des parties », et leur spécialisation pour diverses fonctions,
puisse constituer un avantage adaptatif (1859, ch. 5). Les faits de sélection naturelle
rendent compte de l’impact, sur le tout, d’événements survenus au niveau des
parties (petites variations). Les faits de symbiose rendent compte de l’impact sur
les parties d’événements globaux (réorganisations).
« S’il est vrai que tous les corps vivans soient des productions de la nature, on ne peut se refuser
à croire qu’elle n’a pu les produire que successivement, et non tous à la fois dans un temps sans
durée ; or, si elle les a formés successivement, il y a lieu de penser que c’est par les plus simples
qu’elle a commencé, n’ayant produit qu’en dernier lieu les organisations les plus composées »
(Lamarck, 1809).
« Il ne semble pas qu’il y ait une plus grande finalité dans la variabilité des êtres organiques
ou dans l’action de la sélection naturelle, que dans la direction où souffle le vent » (Darwin,
Autobiographie).
« Tout objet que considère la biologie représente un système de systèmes... chaque niveau
d’organisation doit être envisagé par référence à ceux qui lui sont juxtaposés » (Jacob,
1970).
« The concrete enduring entities are organisms, so that the plan of the whole influences the
very characters of the various subordinate organisms which enter into it » (Whitehead,
1925).

6. Le devenir en acte
Bergson revendique pour la philosophie une intuition de la durée (qu’il refuse à
la science). Simondon préconise une démarche analogique, et recourt à de
nombreux exemples (dont celui de la cristallisation) pour dégager un schéma du
processus d’individuation : une forme émerge d’un fond, la forme prend en un
point (« acte structurant »), puis elle se propage (« opération transductive ») ;
l’instant décisif est celui de la prise de forme. Lavelle médite sur l’actualisation de
l’être au présent. Whitehead au contraire saisit l’instant présent comme ce qui relie
le passé au futur. Pour Canguilhem, l’acte du vivant affirme une préférence, un
choix de valeur. Ghiselin (1997, ch. 2) n’oublie pas l’autre aspect du processus
(action/ affection, génération/destruction), que Jonas (1966, III, App. 2) reproche
à Whitehead d’avoir gommé...
428 ANNE FAGOTLARGEAULT

« Tout changement pouvant être (a) possible, (b) en train de s’accomplir, (c) accompli, l’expression
“en acte” s’applique d’abord au moment b, par opposition, d’une part au moment a que désigne
l’expression “en puissance” (ou “potentiellement”) ; de l’autre au moment c, c’est-à-dire au
donné qui résulte de ce changement (Aristote tend à désigner le moment b par “energeia”, et
le moment c par “entelecheia”) » (d’après Lalande, Vocabulaire de la philosophie).
« L’individu n’est pas un être mais un acte, et l’être est individu comme agent de cet acte
d’individuation par lequel il se manifeste et existe. » (Simondon, 1964).
« S’il n’y a point d’autre être réel que l’être qui est en acte, c’est que l’être est l’acte même. Il
est dans et par l’opération qui le produit ; il est cette opération » (Lavelle, 1939).
« The creativity of the world is the throbbing emotion of the past hurling itself into a new
transcendent fact » (Whitehead, 1933).
« Nous pensons... que le fait pour un vivant de réagir par une maladie à une lésion, à une
infestation, à une anarchie fonctionnelle traduit le fait fondamental que la vie n’est pas
indifférente aux conditions dans lesquelles elle est possible, que la vie est polarité et par là-
même position inconsciente de valeur, bref que la vie est en fait une activité normative »
(Canguilhem, 1943).

7. Les forces vives ?


L’acte d’individuation ne requiert-il pas un sujet (le Temps ?), un principe
directeur (une Idée, un plan ?), une force (un vouloir) ? Le « principe vital » a été
postulé sous diverses identités : âme, entéléchie, vouloir vivre, élan vital, téléonomie,
et dans la version chinoise le « qi », flux d’énergie vitale coulant le long des
« méridiens ». Des médecines « alternatives » recourent à ces principes pour justifier
les pratiques de « transfert d’énergie ». Le physicien R. Lestienne (2003, p. 242)
qualifie le temps de « sève du réel » et « âme de la matière » ; la durée bergsonienne
est créatrice. L’embryologiste Hans Driesch reprend à Aristote le terme « entéléchie »
pour désigner l’ordonnateur du développement, qui conduit un paquet de cellules
à devenir un organisme différencié ; et la biologie du développement a des « gènes
architectes ». Le cas de Freud est intéressant : parti de la distinction commune
entre la faim (visant l’autoconservation) et l’amour (visant la conservation de
l’espèce), il en vient à « désintriquer » ces pulsions en une « pulsion de mort »
(visant le retour de la vie à l’état inorganique) et une pulsion sexuelle (qui par une
« contrainte de répétition » fait un long détour pour aboutir au même point).
« une morphologie est très importante, mais une énergétique est nécessaire » (Simondon,
1960).

« l’entéléchie désigne ce qu’il y a d’autonome et d’irréductible dans l’ordre qui préside à la


morphogenèse » « La morphogenèse est une épigenèse, non seulement au sens descriptif, mais
encore au sens théorique. Il y a production dans l’espace d’une diversité, là où n’existait
préalablement aucune diversité... il n’y a qu’une épigenèse, mais une épigenèse vitalistique »
(Driesch, 1909; tr fr 1921).

« Pour moi le principe vital, ce n’est point l’âme, mais, si je puis me permettre une expression
chimique, le radical de l’âme : la volonté. Ce qu’on appelle l’âme est déjà un composé : c’est
PHILOSOPHIE DES SCIENCES BIOLOGIQUES ET MÉDICALES 429

la liaison de la volonté avec le noûs, l’intellect. [...] Dans toutes les fonctions organiques du
corps, autant que dans ses actions extérieures, c’est la volonté qui constitue l’agent. »
(Schopenhauer, 1836, 1854 ; tr. fr. 1969).

« Une pulsion serait une poussée inhérente à l’organique doué de vie en vue de la réinstauration
d’un état antérieur que cet être doué de vie a dû abandonner sous l’influence de forces
perturbatrices externes » (Freud, 1920 ; tr. fr. OC, vol. 15).

Concl. Gilbert Simondon écrivait en 1964 que « le problème de l’individuation


serait résolu si nous savions ce qu’est l’information dans son rapport aux autres
grandeurs fondamentales comme la quantité de matière ou la quantité d’énergie ».
Il n’est pas certain qu’une mesure des niveaux d’organisation suffirait à tarir le
questionnement ontologique.

« La position centrale du problème de la vie ne signifie pas seulement qu’il faut lui accorder
une voix décisive quand il s’agit de juger une ontologie donnée, mais aussi que tout traitement
de ce problème doit convoquer le tout de l’ontologie » (Jonas, 1966 ; tr. fr. 2001).

Séminaires

I
Itinéraires de recherche en psychiatrie

Sous la forme de trois demi-journées de travail, le séminaire a entendu sept orateurs


témoignant chacun d’une façon d’aborder la recherche psychiatrique.
2008-04-10, jeudi, 14 h-17 h 30, Paris, CDF, salle 4 : Frank Bellivier (CHU Créteil &
INSERM U 841) analyse les difficultés des enquêtes génétiques (segregation analysis,
linkage studies, pair studies, association studies, etc) visant à identifier des facteurs de
vulnérabilité à divers types de troubles mentaux, et dressé un bilan provisoire des résultats
obtenus. Bruno Falissard (Hôpital Paul Brousse, Villejuif & INSERM U 669) explique
comment dans sa pratique de psychiatre d’enfants et adolescents il concilie les enseignements
des neurosciences et ceux de la psychanalyse.
2008-05-05, lundi, 14 h-17 h 30, Paris, CDF, salle 2 : Pierre Magistretti (Collège de
France & EPFL - Université de Lausanne) et Luc Mallet (Paris, Hôp. Pitié-Salpêtrière)
présentent deux types d’exploration du cerveau humain : d’un côté le bilan énergétique
cérébral, de l’autre les observations psychiatriques faites à l’occasion de l’implantation
d’électrodes en vue du traitement de la maladie de Parkinson, ou de la maladie de Gilles
de la Tourette.
2008-06-19, jeudi, Bonn, 9 h-13 h, Universitätsclub : Michael Quante (Universität
Köln) démontre comment certains troubles psychiques mettent en évidence les limites de
la notion traditionnelle de « personne ». Alain Leplège (Univ. Paris-VII Denis Diderot)
réfléchit sur les raisons pour lesquelles une évaluation des interventions psychothérapeutiques
par leurs résultats a été rejetée en France par les praticiens des psychothérapies analytiques.
Felix Thiele (Europäische Akademie zur Erforschung wissenschaftlich-technischer
Entwicklungen) cherche si la théorie de l’action en usage dans le droit pénal est compatible
avec l’irresponsabilité reconnue aux malades mentaux pour certains de leurs actes.
430 ANNE FAGOTLARGEAULT

II
Philosophical problems in medicine
Seoul, 04-05 Aug 2008
Dans le cadre du 22e Congrès mondial de philosophie (WCP 2008), qui s’est déroulé du
30 juillet au 5 août 2008 sur le campus de l’université nationale de Séoul (SNU), et à
l’invitation de l’Association coréenne de philosophie (KPA), trois sessions satellites du
congrès, d’une demi-journée chacune (coordonnées par AFL), se sont succédé les 4 et 5 août
sous le titre général « Problèmes philosophiques en médecine ». Trois thèmes avaient été
retenus : Concepts centraux, Comparaisons Orient-Occident, Problèmes cliniques. Douze
orateurs ont contribué à l’échange :
(1) « Core concepts » (KPA special session 09) — Chair Shinik Kang (Korea) ; Speakers
AFL (France), In-Sok Yeo (Korea), Carlos Viesca (Mexico), Hee-Jin Han (Korea).
(2) « East and West » (Roundtable) — Chair Hee-Jin Han (Korea) ; Speakers Sicheon
Kim (Korea), Seonsam Na (Korea), Mark Kirsch (France), Renzong Qiu (China), Sukjoon
Park (Korea).
(3) « Clinical problems » (Roundtable) — Chair AFL ; Speakers Shinik Kang (Korea),
Jean-Claude K. Dupont (France), Jongduck Choi (Korea), Juliana Gonzalez (Mexico).
Cette série s’est achevée par une réception amicale au siège de la (jeune) Association
coréenne de philosophie de la médecine. Les textes des présentations au congrès seront
publiés dans les Actes.
Parallèlement au congrès, Vincent Guillin (France) a donné huit heures de cours dans le
cadre de l’école d’été, coordonnée par le Pr Dong-Yun Son, qui proposait à de jeunes
lycéens une initiation à la philosophie, en même temps que la possibilité d’assister à certaines
conférences du Congrès mondial.

Autres interventions

Conférences invitées
2007-09-20 : « De l’hygiène publique à la santé publique », aux Journées Jacques Lambert
(Lambertiana), Grenoble.
2007-10-07 : « Ontologie du devenir : Bergson et l’Évolution créatrice », au Congrès
annuel de l’Académie internationale de philosophie des sciences (AIPS), sur le thème du
« temps, appréhendé à travers différentes disciplines ».
2007-10-09 : « La causalité en médecine », dans le cadre du séminaire AssoMat « Causalité,
santé et médecine », Paris, ENS, Institut Jean Nicod.
2007-11-15 : « Styles in philosophy of science », conférence plénière, European Philosophy
of Science Association (EPSA07), Madrid, Universidad Complutense.
2007-11-23 : « Le philosophe et la science, selon Bergson », Colloque international de
clôture de l’Année Bergson, « L’évolution créatrice cent ans après. Épistémologie et
métaphysique », Journée « épistémologie », Paris, Collège de France.
2007-11-29 : Déposition à l’Assemblée nationale, OPCST, « Sciences du vivant et
société : la loi bioéthique de demain », audition publique.
2008-02-18 : « Anthropological physiology : von Uexküll, Portmann, Buytendijk », au
colloque organisé par A. Berthoz, « Neurobiology of Umwelt : How Living Beings Perceive
the World », Paris (Neuilly).
2008-04-03 : « Bioéthique et philosophie des sciences », dans le cadre des Journées
philosophiques 2008 de l’Université de Limoges – IUFM.
PHILOSOPHIE DES SCIENCES BIOLOGIQUES ET MÉDICALES 431

2008-04-17 : « Individualisation et personnalisation », dans le cadre d’un Cycle organisé


par l’Institut du droit de la famille et du patrimoine et l’Académie de médecine, « L’embryon,
le fœtus, l’enfant. AMP et lois de bioéthique », 2e journée, « Le fœtus dans tous ses états :
quel statut ? », Paris, Maison du Barreau.
2008-05-15 : « Nouvelles biotechnologies humaines », Brest, Centre d’Instruction Naval,
à l’invitation du Commandant du Centre.
2008-06-17 « Qu’attendre de la connaissance des génomes », Paris, Université de tous les
savoirs (Utls), série : « Qu’est-ce que la vie ? Où en est-on de la connaissance du
génome ? ».
2008-06-20 : « Overview of children and adolescent’s health in France », dans le cadre
d’une Journée franco-allemande sur « Santé des jeunes et défis pour la santé publique /
Gesundheit for jungen Menschen und Herausforderungen an Public Health », Berlin,
Ambassade de France.
2008-08-04 : « The challenge of etiological knowledge », Séoul, WCP 2008.

Contributions à des travaux collectifs


1. réguliers
— Académie des sciences, section (biologie humaine et sciences médicales), commissions
(histoire des sciences et épistémologie, science et société, plis cachetés, CNFHPS), et groupe
de travail sur la réforme de la première année des études médicales (coordonné par Jean-
François Bach, Secrétaire perpétuel).
— Institut International de Philosophie (IIP). Négociation sur le statut de la Bibliographie
internationale de la philosophie (avec B. Saint-Sernin, auprès de : Vrin, CNRS) ; et
participation aux Entretiens annuels, Seoul (31 jul-2 aug 2008).
— Agence de Biomédecine : Collège d’experts « recherche sur l’embryon humain et les
cellules embryonnaires ».
— Haut Conseil de la Science et de la Technologie (HCST).
— France-Stanford Center for Interdisciplinary Studies : Executive Committee, le
28 avril 2008 à Stanford, CA.

2. ponctuels
— Plan Alzheimer, automne 2007.
— MSH Lille (CS), et CS du réseau national des MSH.
— Société des amis des universités de Paris (CA).
— Cité des sciences (CS).
— Comité pour la publication des Œuvres complètes de Georges Canguilhem (présidé
par Jacques Bouveresse, Librairie philosophique Vrin).
— Soutenances : sont mentionnées ici seulement les soutenances de personnes ayant
travaillé sous direction AFL — trois doctorats fin 2007. Nicolas Lechopier, « Ethique de
la recherche et démarcation. La scientificité de l’épidémiologie à l’épreuve des normes de
confidentialité » (UP1, 27-09-07) ; Stéphanie Dupouy, « Le visage au scalpel : l’expression
faciale dans l’œil des savants, 1750-1880 » (26-11-07) ; Fabrice Gzil « Problèmes
philosophiques soulevés par la maladie d’Alzheimer – Histoire des sciences, épistémologie,
éthique » (07-12-07). Les trois soutenances se sont conclues par la mention ‘Très honorable
avec félicitations’, la troisième a été, de plus, couronnée par un prix du journal Le Monde
assorti de publication aux PUF.
432 ANNE FAGOTLARGEAULT

Publications : 2007

Livre
Fagot-Largeault Anne, Rahman Shahid, Torres Juan Manuel, eds., The Influence of
Genetics on Contemporary Thinking, Dordrecht : Springer, 2007 (Series : Logic, Epistemology,
and the Unity of Science, 6).

Articles ou chapitres
« Controversias sobre células troncales », in : Juliana Gonzáles Valenzuela, coordinadora,
Dilemas de bioética, Mexico : Universidad Nacional Autonoma (UNAM), 2007, 39-63.
« Interview of François Jacob », xxix-lvi, and « Is DNA revolutionizing medicine ? »,
137-150, in : The Influence of Genetics on Contemporary Thinking, 2007 (ci-dessus).
« Philosophie des sciences », in : Philosophie, Paris : Eyrolles, coll. Mention, 2007,
109-133.
« The fetus in perspective: the moral and the legal », in : Laurence Thomas, ed.,
Contemporary Debates in Social Philosophy, Oxford : Blackwell, 2008, 113-121.
« Vivre le handicap et ses prothèses », in : J.-P. Changeux, Dir., L’homme artificiel, Paris :
Odile Jacob, 2007, 247-261 et 310-312.
« La compassion », in : Francis Jacques, Dir., Souffrir et mourir. Comment vivre l’invivable ?
La fracture et l’espérance, Paris : Editions Parole et Silence, 2007, 59-73.
« L’ontologie du devenir dans L’Évolution créatrice », in : Institut de France, Académie
des sciences morales et politiques, Centenaire de la parution de L’Évolution créatrice de Henri
Bergson, Paris : Palais de l’Institut, 2007 n° 10, 59-72.
« Problèmes philosophiques posés par les biotechnologies: l’exemple de la recherche sur
les cellules souches », in : Ioanna Kuçuradi, ed., The Proceedings of the Twenty-first World
Congress of Philosophy - Philosophy Facing World Problems, Vol. 13, Ankara : Philosophical
Society of Turkey, 137-146.

Activités de la chaire

L’excellente équipe 2007-08 se compose de Stéphane Soltani (secrétaire), Vincent


Guillin (VG, Maître de conférences), Jean-Claude K. Dupont (JCD, ATER).
Cette équipe a organisé (avec F. Worms, ENS) la partie CDF du Colloque
international de clôture de l’année Bergson (23 nov.), et prêté aide au Pr Pierre
Magistretti pour l’organisation matérielle de son colloque « Neurosciences et
psychiatrie » (27 mai). Les conférenciers intervenant à la journée CDF du colloque
Bergson « L’Évolution créatrice cent ans après. Épistémologie » étaient : P. Corvol,
M. Canto-Sperber, A. Fagot-Largeault, J. Gayon, Dong-Hyun Son, F. Azouvi,
A. François, A. de Ricqlès, P.-A. Miquel, Hee-Jin Han, A. Berthoz, H. Hude,
A. Prochiantz. VG s’est chargé de la collecte des textes et de la relecture du
manuscrit, qui a été livré à l’éditeur (PUF) au début de l’été 2008.
Le dynamisme de l’équipe a permis de commencer à rattraper quelques retards
de publication. Le manuscrit issu du séminaire Georges Canguilhem (10 juin
2005), resté en panne depuis le départ de H.-J. Han, a été relu et corrigé par JCD,
PHILOSOPHIE DES SCIENCES BIOLOGIQUES ET MÉDICALES 433

et livré à l’éditeur (Vrin) au printemps 2008. VG a pris en charge la relecture du


manuscrit issu du séminaire « Evidence-Based Medicine » (28 mai 2004), qui sera
prêt pour publication avant la fin de l’année 2008.
Le séminaire interne, animé par VG, nous a permis d’entendre : François
Lemaire (5 déc.) sur le second procès de Nuremberg, Jean-Noël Missa (31 jan.)
sur l’histoire de la psychiatrie, un débat entre Fabrice Gzil, Valérie Gateau et
Nicolas Lechopier sur leur façon de pratiquer la philosophie des sciences (27 mars),
Marcela Iacub sur son livre Par le trou de la serrure. Histoire de la pudeur publique
(22 mai), Dan Kevles (4 juin) sur l’horticulture américaine au xixe siècle.
En plus de la participation au Congrès mondial (WCP 2008), JCD a fait une
communication à un colloque en Oregon (18 mai) sur « la technique argumentative
de la Cour européenne des droits de l’homme à la lumière de la Nouvelle rhétorique
de Perelman » ; VG a fait une présentation à Oxford au colloque de la Société
britannique d’histoire des sciences (04 juil.) sur « l’éthologie de J.S. Mill ». Par
ailleurs, VG rédige en vue de publication une version modifiée de sa thèse (London,
LSE, 2007), et JCD rédige sa thèse de doctorat.
Histoire des syncrétismes de la fin de l’Antiquité

M. Michel Tardieu, professeur

Cours : Coutumes et légendes de la Haute-Mésopotamie


d’après les recueils de contes syriaques

La caravane de Midyat
Parmi les divers recueils de contes oraux en araméen moderne relatifs à la Haute-
Mésopotamie (régions du Jilu-Bohtan, Telkepe et Tûr ‘Abdîn), j’ai pour ma
dernière année de cours au Collège de France fait le choix de m’en tenir aux
collectages propres au Tûr ‘Abdîn et, dans ce domaine culturel extrêmement riche
et diversifié malgré l’étendue restreinte de son territoire montagneux (500 km2
environ) qui domine la plaine de la Mésopotamie au Nord de Nisibe et que les
gorges du Tigre délimitent au Nord et à l’Est, d’explorer de façon systématique le
corpus publié par Prym et Socin à la fin du xixe siècle 1. Cet ouvrage représente,
selon le mot d’Otto Jastrow (1968), un véritable musée de la culture syriaque
vivante. Il a l’avantage d’être doublé par son corpus jumeau en kurde (Prym-Socin
1887 et Socin 1890) provenant du même conteur. L’autre avantage, essentiel, du
recueil syriaque de Prym et Socin par rapport aux autres collectages et en particulier

1. Eugen Prym und Albert Socin, Der neu-aramaeische Dialekt des Tûr ‘Abdîn, Erster Teil : Die
Texte, Zweiter Teil : Uebersetzung (une seconde page de titre donne pour cette deuxième partie
également l’intitulé : Syrische Sagen und Maerchen aus dem Volksmunde gesammelt und uebersetzt),
Göttingen, Vandenhoeck & Ruprecht, 1881. À lire en parallèle avec les ouvrages et travaux
suivants : Eugen Prym und Albert Socin, Kurdische Sammlungen. Erzaehlungen und Lieder in den
Dialekten des Tûr ‘Abdîn und von Bohtan. Sammelt, herausgegeben und uebersetzt von Eugen
Prym und Albert Socin, A. Die Texte ; B. Uebersetzung, St Petersburg, 1887-1890. Hellmut Ritter,
Tûrôyo. Die Volksprache der syrischen Christen des Tûr ‘Abdîn, A/1 1967, A/2 1969, A/3 1971,
Wiesbaden, Franz Steiner Verlag ; B, Wörterbuch, 1979 ; C, Grammatik, 1990. Otto Jastrow,
« Ein Märchen im neuaramäischen Dialekt von Mîdin (Tûr ‘Abdîn) », Zeitschrift der Deutschen
Morgenländischen Gesellschaft, 118 (1968), p. 29-61. Bien que hors de la région étudiée, j’ajouterai
cependant le collectage effectué à Axror par E. Cerulli, Testi neo-aramaici dell’Iran settentrionale,
Napoli, Istituto Orientale, 1971.
436 MICHEL TARDIEU

à celui d’Hellmut Ritter (cinq volumes dont trois de textes, qui ont près de
700 pages chacun), est que Prym et Socin ont transmis les histoires d’un conteur
unique, Câno, originaire de Midyat, et que ce conteur était totalement illettré,
bien que parlant quatre langues (l’araméen, le kurde kurmanci, l’arabe et le turc).
Les informateurs de Ritter sont soit des jeunes gens venus du Tûr ‘Abdîn à Istanbul
faire des études ou prendre un emploi en attendant le visa des services de
l’émigration, ou bien des ecclésiastiques que Ritter a rencontrés au Tûr ‘Abdîn.
Un exemple parmi d’autres : le transmetteur de sept contes recueillis par Ritter à
Midyat (n° 21-27) est l’abouna Xori Nu‘man Aydın, chorévêque de l’église
Barsaumo. Il est né en 1909 dans le village de Kfärze (Kefärze) à 25 km au NO
de Midyat. Cinq ans après sa naissance, sa famille s’installe à Midyat, où il apprend
à lire et devient le chef de la communauté syro-jacobite de Barsaumo composée
de 500 familles. Les contes de Nu‘mân Aydın et l’ensemble des contes du corpus
de Ritter sont des histoires souvent jolies, mais cette littérature orale garde malgré
tout l’empreinte de l’écrit, c’est-à-dire de la littérature ecclésiastique et des
préoccupations des prêtres. Elle ne peut s’empêcher d’être édifiante et de donner
des leçons. On y cherchera en vain le rire et la satire, l’amour romantique et les
plaisanteries grivoises, l’absurde et le merveilleux, la perfidie ou la révolte qu’on
trouve dans les contes de Câno.

Trois communautés, d’une même culture sociale et avec des liens tribaux
identiques, vivaient imbriquées dans la Midyat du début des années 1860 : les
Chrétiens jacobites qui sont des Araméens parlant syriaque, les Kurdes qui sont
des indo-européens musulmans (sunnites, yézidis, et quelques familles shi‘ites) et
qui parlent une langue iranienne (le kurde kumanci), les Mhallamiya qui sont
musulmans, parlent un dialecte arabe avec beaucoup de traits dialectaux syriaques
et dont l’origine ethnique est discutée : s’agit-il de Kurdes, d’Arabes, ou bien
d’anciens Araméens chrétiens convertis à l’islam ? Le premier voyageur européen à
avoir signalé cette population a été Niebuhr qui visita la région en 1766. Il considère
les Mhallamiya comme des Kurdes. Sykes, au début du xxe s., pense qu’il s’agit
d’anciens chrétiens syriaques qui au xvie s. auraient quitté l’Église jacobite et se
seraient faits musulmans après le refus du patriarche de leur accorder la permission
de manger de la viande durant le Carême, alors que sévissait une grande famine.
Leurs femmes portent des vêtements rouges et ne sont pas voilées. Les Kurdes de
Turquie parlant le kurmanci ne les reconnaissent pas comme Kurdes, ce sont pour
eux des Arabes, étant donné qu’ils ne sont pas kurdophones (le critère d’identification
retenu en ce cas est la langue). Quant aux Mhallamiya eux-mêmes, ils sont divisés
sur la question de leur « identité nationale ». Certains pensent qu’ils sont d’anciens
Sûryanis, c’est-à-dire des chrétiens syriaques islamisés et arabisés (critère retenu en
ce cas : la religion), d’autres estiment qu’ils descendent de tribus arabes établies
dans la région au moment des conquêtes (explication par l’histoire politique). Une
troisième position a cours également, selon laquelle ils descendraient de tribus
kurdes qui se seraient arabisées. Selon cette thèse pankurdiste, les syriaques seraient
pareillement d’anciens Kurdes convertis au christianisme.
HISTOIRE DES SYNCRÉTISMES DE LA FIN DE L’ANTIQUITÉ 437

Les orientalistes allemands, Eugen Prym et Albert Socin, n’ont pas connu Câno
au Tûr ‘Abdîn, mais à Damas en mars 1869, où il travaillait comme manœuvre
de chantier sur les échafaudages ou bien dans la fosse à chaux. Il appartenait à une
colonie de chrétiens jacobites de Midyat établis à Damas depuis trois mois (fin
décembre 1868). Tous ces gens avaient quitté leur patrie en raison de six années
consécutives de famine due au fléau endémique des sauterelles et donné à leur
migration la direction de Jérusalem. La marche de ces migrants syriaques prit-elle
ainsi tout naturellement, comme l’explique Eugen Prym, la grand-route des
caravanes, qui de l’Est de l’Empire turc menait, en contournant par le Nord en
arc de cercle le désert syrien par Mardin, Diyarbakır et Urfa, aux grandes cités
commerçantes d’Alep et Damas. Câno fit étape à Adana, le temps d’y gagner
quelques sous pour permettre au groupe de poursuivre le voyage. Arrivés à Damas,
les « pèlerins » de Jérusalem s’installèrent à Bâb Sharqî, vidé de ses habitants et en
ruines depuis les massacres anti-chrétiens de 1860.
Socialement, Câno était sûryani. À en juger par les histoires qu’il raconte, sa
culture chrétienne semble totalement inexistante. Il n’y a pas le moindre indice,
chez lui, d’une connaissance des Écritures. Deux seulement de ses histoires en
araméen et en kurde portent sur des sujets bibliques. Mais, au témoignage même
des orientalistes qui l’ont connu, Câno ignorait qu’il s’agissait d’histoires bibliques.
Le n° 8 de la collection des contes syriaques (Le douzième fils de Jacob) est l’histoire
de Joseph (Gn 37-48 ; Coran XII). De quel récit est tributaire le conteur ? Sa
source est-elle une épopée kurde qui réutiliserait le récit coranique ? Il est difficile
de trancher. Le n° 5 de la collection des contes kurdes (Le tyran impie) concerne,
sans jamais le nommer, le personnage biblique de Nimrod, le géant impie,
constructeur de la Tour de Babel. Selon l’historiographie jacobite, le géant
nourrissait de sa chasse les constructeurs de la Tour, cela dura 40 ans, puis la Tour
fut renversée par le vent et tua Nimrod. L’histoire chez Câno est probablement
tributaire de ce qu’il a entendu raconter à l’église à ce sujet. Le gibbôr chasseur est
chez lui la figure de l’impie absolu. Il défie la loi et la puissance divines en donnant
ses filles en mariage à ses fils puis en construisant la Tour. La transgression de
l’inceste est le premier acte du combat contre Dieu.

Rire et façons de dire


Les deux traits caractéristiques des discours narratifs de Câno sont d’abord
l’inadéquation des réponses aux questions posées, ce qui a pour conséquence que
les mots sont faits pour rire de tout, ensuite le transfert massif de la société humaine
aux mondes non-humains des animaux et des géants. Le Tûr ‘Abdîn que décrivent
archéologues et historiens est le pays des moines bâtisseurs. Pour Câno c’est la terre
d’en-dessous, sans églises ni couvents, ni noms propres de lieux, ni chemins tracés,
à la différence du pays d’en-haut, où chaque lieu a un nom, où le même endroit
possède parfois plusieurs noms propres. Le territoire du conte syriaque se situe hors
des villes et des villages, que délimitent les collines verdoyantes, les jardins et les
vignes, espace indéfini, marqué par la montagne aride et les maisons abandonnées,
438 MICHEL TARDIEU

pays de la soif et de la faim, des bêtes sauvages et des bandits, terre où le temps
s’est arrêté, où les géants remplacent les humains, où les femmes ont des lieux qui
leur sont propres (La fiancée du diable n° 45, La ville de Mush n° 19, Jeux d’enfants
n° 30). Selon les conceptions cosmologiques du conteur, les quatre coins de la terre
habitée reposent sur un rocher, et celui-ci sur des colonnes de fer. En descendant
le plan incliné de cette terre, on arrive là où repose le couvercle du ciel. Le côté
intérieur du couvercle est occupé par la course diurne du soleil vers l’Occident.
Au-dessous de la terre commune (u-bäläd du-‘amm), se trouvent le pays des
hommes nus ou des chiens, puis celui des djinns, au-dessous encore il y a le
territoire des hybrides, puis celui des singes, ensuite celui des lions et enfin la terre
des ténèbres. Le pays des nains, Hâcûc uMâcûc (Gog et Magog) est un peu partout
entre ces mondes. Les Hâcûc sont nés des pertes séminales d’Adam mêlées à de la
poussière, et ont pour particularité de prévoir leur mort. Ils s’accouplent comme
les animaux et se déplacent avec une très grande rapidité. Chaque jour, ils rongent
le rempart de Dhû-l-Qarnayn pour tenter d’apercevoir le soleil briller de l’autre
côté. C’est donc un peuple de la nuit et ils sont noirs de peau. Ils aiment beaucoup
les eaux douces des fleuves, mais préfèrent à toutes celles du lac de Tibériade
(Xenge n° 36, L’échange des femmes n° 43, Le marchand de Mardin n° 44). Dans
d’autres traditions, les Gog occupent le bout du monde et sont en lien avec les
peuples turciques, chez Câno les Hâcûc sont l’un des mondes hypochthoniens,
sorte de fourmis de l’invisible. À l’extrémité de ces mondes se situe, au-delà de
l’Inde, le pays enchanté des Gurc, couvert de buissons d’épines, sans gouvernement.
Les filles y sont très jolies et appartiennent à tous.
L’inadéquation des réponses aux questions sert à fabriquer les histoires pour rire
sur le dos des artisans et des chefs tribaux (Le molla, le teigneux et le yézidi n° 12,
L’agha qui avait un fils maboul n° 13), et pour se moquer des bureaucrates et
gratte-papiers (Le renard, l’âne et le chat n° 84, Le renard qui savait lire l’éthiopien
n° 77). Les autorités et hiérarchies sociales dont les histoires de renard (au nombre
de 22 dans le corpus syriaque) font la satire sont, d’un côté, l’institution politico-
judiciaire que symbolise la fonction de kadi (syr. qoze) et, de l’autre, le clergé que
représentent pour les communautés religieuses du Tûr les charges de molla (syr.
malla) chez les musulmans et de curé (syr. qasho) chez les chrétiens. De par
l’exercice et l’étendue de leurs attributions, ces dignitaires sont par excellence des
professionnels de l’écriture, de l’encre, des registres, des livres.
Un trait particulier des histoires de Câno est l’humour religieux (Le pèlerinage
des animaux, kurde n° 3) et l’humour hagiographique (Le diable devenu portefaix,
syriaque n° 53). Une contribution donnée aux MUSJ (59, 2006, p. 145-160) a
traité du premier. J’ai donc cherché à comprendre le second par comparaison avec
la légende populaire du Tûr racontant la domestication du diable par s. Malke.
Hasan El-Shamy (Types of the Folktale in the Arab World, Bloomington, Indiana
University Press, 2004, p. 710) rattache le conte 53 de Câno à la série des contes-
types AT 1168, Various Ways of Expelling Devils (the Devil), qui sont des relations
d’exorcismes. Aucune de leurs versions signalées dans la classification internationale
HISTOIRE DES SYNCRÉTISMES DE LA FIN DE L’ANTIQUITÉ 439

ne correspond au conte araméen. Seul le premier épisode de ce récit fait état d’une
guérison par exorcisme. Cette hagiographie a en fait un autre but. Il s’agit d’une
domestication humoristique du diable pour en faire un aide et le mettre au service
du saint fondateur d’un monastère. La classification d’El-Shamy est donc erronée.
L’origine de l’histoire paraît bien à sa place, en tout cas, dans le folklore syriaque
du Tûr. Je la comprends comme relation orale ré-élaborée pour justifier une
croyance populaire qui concernait un puits de la région de Midyat, lié au cycle de
Mor Malke. Dans la légende hagiographique rapportée par Câno, le diable
qu’expulse Mor Malke de la fille du roi d’Égypte est chargé de porter au cou et
sur la tête jusqu’au Tûr ‘Abdîn la margelle et l’auge, offertes par le roi d’Égypte
reconnaissant et destinées à l’aménagement de l’eau que le saint a prévu pour son
sanctuaire de Haute-Mésopotamie. Or, il existe une vie, en syriaque littéral, de
Mor Malke, éditée par Paul Bedjan dans les Acta martyrum et sanctorum (t. 5,
Leipzig, Harrassowitz, 1895, p. 421-469) d’après un manuscrit de la fin du
xiie siècle (BN 236, fol. 86 ; Zotenberg 1874, p. 187-188), complété par un
manuscrit de Londres (BL Add.14733, fol. 83). Sur la cinquantaine de pages de
texte syriaque de cette vie, vingt portent sur l’histoire de la diablerie que Câno a
racontée aux orientalistes allemands en araméen turoyo.

Confrontons l’oral et l’écrit. La vie syriaque confirme que les pierres taillées que
le saint fait transporter d’Égypte au Tûr ‘Abdîn par le diable sont effectivement
destinées au monastère de s. Malke (Deir Mor Malke), à 2 km au sud de Kharabe
‘Ale (Khirbat Aleh, forme turcisée Harapali) dans le Djebel Izlo. La vie syriaque
situe très correctement le monastère, non par le toponyme arabe, mais en utilisant
l’ancien nom syro-grec de Kharabe ‘Ale : Arkah. Alors que la vie syriaque ainsi
que le conte oral servent à montrer que l’apprivoisement du diable par le saint est
nécessaire au transport des instruments de la distribution de l’eau et de
l’organisation du paysage du monastère, en revanche on ne peut être que surpris
de constater que l’hagiographie littéraire de s. Malke est organisée différemment
que dans le conte oral. Chez Câno, le saint va en Égypte où il exorcise la fille du
roi, mais ni le nom du roi ni celui de sa fille ne sont mentionnés, ni non plus
d’ailleurs le nom du diable que le saint expulse du corps de la jeune fille. Dans la
vie syriaque, c’est à Constantinople que le saint se rend, auprès de l’empereur
Constantin qui l’a fait appeler pour qu’il guérisse sa propre fille, dénommée
Asanasis. Le scénario de l’expulsion du diable et de la récompense du saint par le
roi est identique dans la vie et dans le conte, mais la vie transmet le nom du
diable, Astratasis, qu’omet Câno. L’épisode de la dispute chez les bédouins manque
dans la vie syriaque. Celle-ci, en revanche, précise ce que dit Câno concernant les
pierres portées par le diable jusqu’au monastère mésopotamien : autour du cou, en
collier (un turban, dit un autre diable pour s’amuser) l’assise circulaire ou margelle
formant le rebord supérieur visible du puits, et sur la tête, dressée comme une
tour, la structure interne du puits en pierres de taille arrondies. Le spectacle devait
être assez réjouissant, en effet. À qui donner l’avantage ici, à l’oral ou à l’écrit ?
Florence Jullien a repéré que la trame de l’histoire racontée par Câno et la vie
440 MICHEL TARDIEU

syriaque (guérison d’un possédé, transport d’une pierre par le diable, traversée du
désert et construction d’un monastère) était réutilisée dans les traditions syro-
orientales de l’implantation du monachisme à al-Hîra et en Arabie du Nord-Est
(communication faite au cours du 13 février 2008). La popularité de l’histoire
hors de l’Église jacobite et la référence explicite à l’Égypte dans le conte oral
donnent à penser plutôt à une dépendance de la vie littéraire par rapport à celui-ci
et à un ajustement ecclésiastique gréco-orthodoxe. La mise en situation de la
diablerie à la cour de Constantin n’est peut-être pas, cependant, une absurdité de
la vie syriaque. Elle a probablement servi à situer dans un passé lointain les liens
supposés des fondateurs syriaques du Tûr ‘Abdîn au monachisme copte que
protégeait le Basileus. Mor Malke était, dit-on, le neveu de Mar Awgin, qui était
un Égyptien originaire de Clysma. L’oncle et le neveu sont du même village. Les
monastères de l’oncle et du neveu sont voisins au Tûr ‘Abdîn. De ce fait, le conte
oral ne manque pas de pertinence en plaçant la diablerie plutôt en Égypte, chez
un roi imaginaire anonyme. Quant à la structure du puits qui traverse les déserts
à la verticale portée sur la tête du diable, elle annonce cette idiotie sublime prêtée
à Nasr Eddin Hodja. Un jour, à la sortie de la mosquée, un paysan lui demande :
« Ô Hodja, toi qui as des lumières sur toute chose en matière de religion, peux-tu
me dire comment les Arabes ont bien pu faire pour construire des minarets en
plein désert ? — C’était pourtant très facile, répond Nasr Eddin : il leur a suffi de
renverser les puits » (J.-L. Maunoury, Sublimes paroles et idioties de Nasr Eddin,
Paris, Phébus, 2002, p. 417).
Les autres catégories d’histoires de Câno étudiées dans ce cours ont été celles
dans lesquelles interviennent des thèmes propres aux chansons d’amour de Câno
en kurde par comparaison à celles de la même région en araméen chrétien et juif
(Boucles d’oreilles, Les bords de chemins) et, d’autre part, les histoires traitant
explicitement de pratiques et de croyances religieuses (Le Barberousse jacobite de
Hâh et la légende de la conversion du dernier païen).
M.T.

Séminaire 2008

Le séminaire de 2008 « Noms barbares 2 » a été la suite de celui organisé en


2007. Il s’est déroulé sous la forme d’un colloque international, en lien avec
l’Agence Nationale de la Recherche, l’EPHE-Sciences religieuses et le CNRS
(UMR 8584), et s’est tenu dans l’amphithéâtre Maurice Halbwachs, le 18 juin
2008. Les communications entendues ont été les suivantes : Michel Tardieu, La
recherche sur les formes et les contextes de la pratique magique des noms barbares ;
Lucia Saudelli (ATER Collège de France), Héraclite sur le nom de Zeus ; Jean
Yoyotte (Professeur honoraire au Collège de France), Amon et Mout, et les mots
nubiens ; Gregor Wurst (Université d’Augsbourg), Un magicien copte. Syncrétisme
religieux dans l’Égypte chrétienne ; Gérard Roquet (EPHE), Fonction incantatoire
HISTOIRE DES SYNCRÉTISMES DE LA FIN DE L’ANTIQUITÉ 441

du langage. Image, lettre, son, sens : manipulations cryptologiques ; Yvan Koenig


(CNRS), Des « trigrammes panthéistes » ramessides aux gemmes magiques de
l’époque impériale : le cas d’Abrasax ; Amina Kropp (Université de Heidelberg),
Le rôle des noms barbares dans le déroulement d’une defixio d’après le corpus
électronique des defixiones latines ; Silvia Pieri (Université de Pise), Numero e
filosofia. Alcune note sul cosiddetto Ottavo libro di Mosè (PGM XIII) ; Michel
Tardieu, La diversification de Kalyptos et son modèle logique. Reconstruire
Zostrien (NHC VIII 112-113) ; Paolo Scarpi (Université de Padoue), Le discours
vide de noms barbares ; Arnaud Sérandour (EPHE), Les noms barbares du Sefer
ha-Razin ; Claude Gilliot (Université de Provence), Les lettres mystérieuses du
Coran ; Manfred Kropp (Université de Mayence), Noms magiques d’Éthiopie ;
Claudine Besset-Lavoine, Émilie Claude, Emiliano Fiori, Flavia Ruani, Anna Van
den Kerchove (Doctorantes et doctorant de l’EPHE), Noms barbares en rituels
gnostiques. Essai d’interprétation scénique.

Histoire des christianismes orientaux


Bibliothèque

La Bibliothèque d’histoire des christianismes orientaux (ex-Bibliothèque d’histoire


des religions du Collège de France) est un centre documentaire relevant de l’Institut
du Proche-Orient ancien. Elle a été créée par Jean Baruzi en 1937. Ses spécialités
d’origine sont la philosophie religieuse antique et moderne (théories de la religion
et de la mystique) et l’histoire de la théologie hétérodoxe ancienne (surtout
marcionite et gnostique). Ces orientations ont été poursuivies par H.-Ch. Puech,
A. Guillaumont, et moi-même, aidé depuis 2001 de Florence Jullien (syriacisante
de réputation internationale, ATER puis vacataire) avec la participation de
Christelle Jullien (Chercheur au CNRS), tout en y développant les domaines
suivants : littérature apocryphe chrétienne, judéochristianisme baptiste et
mandéisme, monachisme syro-égyptien, manichéisme et iranologie, littérature
syriaque dogmatique et historique. En alliant de la sorte philosophie et religion, ce
centre documentaire représente un instrument de travail original et apprécié. La
richesse des fonds dans certains des domaines énumérés, comme le mandéisme ou
le manichéisme, en fait une bibliothèque de référence unique en France. Son
service d’accueil et d’aide à la recherche auprès des doctorants et chercheurs français
et étrangers, venant le plus souvent de l’École pratique des hautes études, de
Paris IV-Sorbonne, de l’Institut Catholique de Paris et du CNRS, s’y effectue en
collaboration avec les autres bibliothèques du site Cardinal Lemoine (Bibliothèque
byzantine notamment et Études sémitiques). Le travail de catalogage en lien avec
Catherine Piganiol (service général des Bibliothèques et Bibliothèque byzantine) a
été engagé et mené à bien par Abdallah Khaldi de 2003 à 2008, afin d’enrichir la
base bibliographique commune du Collège de France.
442 MICHEL TARDIEU

Publications

— « L’anneau perdu du roi Salomon : conte syriaque de la plaine de Mossoul », dans


J.-L. Bacqué-Grammont (éd.), L’image de Salomon. Sources et postérités (Cahiers de la Société
Asiatique, Nouvelle série 5), Paris-Louvain-Dudley, Peeters, 2007, p. 199-208.
— « Le schème hérésiologique de désignation des adversaires dans l’inscription nestorienne
chinoise de Xi’an », dans Christelle Jullien (éd.), Controverses des Chrétiens dans l’Iran
sassanide (Studia Iranica 36, Chrétiens en terre d’Iran II), Paris, Association pour l’avancement
des Études iraniennes, 2008, p. 207-226.
— « Le sinapisme du missionnaire manichéen (P. Kellis Copte 35) », dans Estelle Oudot
& Fabrice Poli (éd.), Epiphania. Études orientales, grecques et latines offertes à Aline Pourkier
(Études anciennes, 34) Nancy, ADRA, & Paris, De Boccard, 2008, p. 461-472.
— « L’apparition d’Aristote au calife al-Ma’mûn », Mélanges en hommage à Didier Pralon,
Aix-en-Provence, Publications de l’Université de Provence, 2008.

Autres activités

— Président du jury de soutenance de l’HDR de Florence Jullien, « Histoire des


institutions et traditions du monde syriaque », Université de Provence, le 13 octobre
2007.
— Présidence du Colloque international « Barhebraeus et la renaissance syriaque »,
organisé par Denise Aigle, Collège de France, 3 décembre 2007. Communication : « Le but
de Barhebraeus dans les Histoires drôles » ; ce Colloque est l’objet d’un article, cosigné par
D. Aigle et M. Tardieu, dans la Lettre du Collège de France, n° 22, février 2008, p. 32.
— Participation aux travaux collectifs du projet de l’Agence nationale de la recherche,
CENOB (Corpus des énoncés des noms barbares) avec les groupes de Padoue et de
Bruxelles, EPHE-Sciences religieuses, le 7 mars 2008, et Collège de France, le 17 juin
2008.
— Invitation aux Journées doctorales de l’université d’Aix-en-Provence sur les littéralismes
dans les fondamentalismes, Le Caire, IFAO, 6-9 avril 2008. Communication : « Ignorer ce
que lire veut dire chez les Sûryanis ».
— Codirection de la thèse de doctorat de Lucia Saudelli (ATER au Collège de France),
Héraclite et le témoignage de Philon d’Alexandrie, en co-tutelle franco-italienne (École
Pratique des Hautes Études, Université « Carlo Bo » d’Urbino) et président du jury de
soutenance, Paris, EPHE, 3 juillet 2008.
— Présidence du Colloque international « Les monachismes d’Orient. Images, échanges,
influences », organisé par Fl. Jullien et M.-J. Pierre, Collège de France, 11 juin 2008.
Communication : « L’image des moines et des monastères dans les contes oraux
syriaques ».
— Participation au Colloque international « La pluralité interprétative. Fondements
historiques et cognitifs de la notion de point de vue », organisé par A. Berthoz, C. Ossola,
Br. Stock, Collège de France, 12 et 13 juin 2008. Communication : « Le pluralisme
religieux ».
— Participation au colloque international « Paul Pelliot (1878-1945). De l’histoire à la
légende », organisé par Jean-Pierre Drège, Collège de France et Académie des Inscriptions
et belles-lettres, jeudi 2 - vendredi 3 octobre 2008. Communication : « Les Chrétiens
d’Orient dans l’œuvre de Paul Pelliot ».
HISTOIRE DES SYNCRÉTISMES DE LA FIN DE L’ANTIQUITÉ 443

— Colloque international « Damascius et le néoplatonisme en région syrienne », organisé


par Ph. Vallat, Damas, Institut Français du Proche-Orient, en lien avec l’EPHE-Sciences
religieuses, 27-29 octobre 2008. Communication : « Le concept hellène précoranique de
religion abrahamique chez les néoplatoniciens syriens. Tenants et aboutissants de la
profession de foi de Marinus de Naplouse ».
— Présidence du Colloque international « Auteurs et autorité des anciens textes littéraires
ou religieux. Livres des hommes, livres de(s) dieu(x) », organisé par Maria Gorea, Collège
de France, 1er et 2 décembre 2008. Communication : « La notion manichéenne d’auteur
entre original et copie : statut comparé des livres à textes et à images ».

Activités de la chaire

Florence Jullien (Chercheur associé à l’Institut du Proche-Orient ancien du


Collège de France) : responsable de la gestion des périodiques, collections et
ouvrages de la Bibliothèque d’histoire des christianismes orientaux ; charge de
Conférence 2007-2008 à l’EPHE Section des Sciences Religieuses, chaire des
Christianismes orientaux : « Le monachisme dans le golfe Persique à l’époque
sassanide ; étude du texte syriaque de la Chronique d’Édesse : traduction et
commentaire (fin) » ; membre associé de l’équipe CNRS Centre d’Étude des
Religions du Livre (UMR 8584) ; membre statutaire du Conseil d’administration
de la Société d’études syriaques.

Activités
— Participation à la table-ronde de la Society of Oriental and African Studies :
Christianity and monasticism in Iraq, Londres, 5 mai 2007. Communication : « The Great
Monastery on Mount Izla and the Defence of the East-Syrian Identity ».
— Membre du conseil scientifique et de publication du Colloque « Barhebraeus et la
renaissance syriaque », Collège de France, UMR 8167, Laboratoire Islam médiéval, EPHE,
3 décembre 2007 au Collège de France, organisé en collaboration avec M. Tardieu, D. Aigle
et H. Teule. Communication : « Une question de controverse religieuse: la Lettre au
catholicos nestorien Mar Denha Ier ».
— Organisatrice du Colloque : « Monachismes d’Orient. Images, Échanges, Influences »,
Paris, Collège de France, 11 juin 2008. Communication : « Types et topiques de l’Égypte :
sur quelques moines syro-orientaux des vie-viie s. ».
— Collaboration au projet onomastique de l’Académie des Sciences de Vienne (Autriche),
co-dirigé par MM. Manfred Mayrhofer et Rüdiger Schmitt, en association avec
M.P. Gignoux (DR honoraire EPHE-Sciences religieuses) et C. Jullien (UMR 7528) pour
l’Iranisches Personennamenbuch, dictionnaire recensant tous les noms propres d’origine
iranienne dans la littérature syriaque (parution prévue à la fin de l’année 2008).
— Soutenance d’une Habilitation à diriger des recherches : « Histoire des institutions et
traditions du monde syriaque », Université de Provence, le 13 octobre 2007, devant un jury
composé de M. P.-G. Borbone (Professeur à l’Université de Pise), M. P. Boulhol (Professeur
à l’Université de Provence), M. G. Dorival (Professeur à l’Université de Provence, Institut
Universitaire de France), Mme M.-J. Pierre (Directeur d’études, EPHE-Sciences religieuses),
M. M. Tardieu (Professeur au Collège de France), M. D. Taylor (Professeur à l’Oriental
Institute, Oxford).
444 MICHEL TARDIEU

Publications
— « S’affirmer en s’opposant : les polémistes du Grand monastère (vie-viie siècle) »,
Controverses des Chrétiens dans l’Iran sassanide (Studia Iranica. Cahier 36), Paris 2008, p. 29-40.
— Articles pour l’Encyclopaedia Iranica (parution prévue également sur le site web de
l’Encyclopédie) : « Xvadahoy » ; « Abraham of Kashkar » ; « Babiy the Great » ; « Dadisho‘ » ;
« Rabban Shapur » ; « East-Syrian convents in Sasanian Iran », 2008.
— Compte rendu de M.-F. Baslez, Les persécutions dans l’Antiquité. Victimes, héros,
martyrs (Paris, Fayard, 2007, 408 p.), Les Lettres Nouvelles (à paraître).
— « Le monachisme dans le golfe Persique à l’époque sassanide », Annuaire de l’EPHE
Sciences religieuses, 116 (2007-2008), sous presse.
— Le monachisme en Perse. La réforme d’Abraham le Grand, père des moines de l’Orient
(collection Corpus Scriptorum Christianorum Orientalium 622, Subsidia 121), Louvain,
2008, 293 p.

Lucia Saudelli (ATER au Collège de France du 1er septembre 2007 au 31 août


2008) : en travaillant sous la direction du Professeur, elle a pu achever la rédaction
de sa thèse doctorale : Eraclito e la testimonianza di Filone di Alessandria (Héraclite
et le témoignage de Philon d’Alexandrie), 476 p. Cette thèse de doctorat en co-
tutelle franco-italienne (École Pratique des Hautes Études, Paris, et Université
« Carlo Bo » d’Urbino, Italie) a été soutenue à Paris, le 3 juillet 2008 et a obtenu
la mention très honorable avec félicitations du jury à l’unanimité. Mlle Saudelli a
en outre contribué très activement aux recherches scientifiques collectives de la
Chaire (séminaires et publications), et collaboré à l’organisation des conférences et
des colloques. Comme les autres utilisateurs et utilisatrices de la Bibliothèque des
christianismes orientaux, elle a pris sa part de l’enrichissement des fonds
documentaires et amélioré leur consultation, en se chargeant de la gestion des
périodiques. Elle a procédé au renouvellement et à la mise à jour constante de la
page Internet du Professeur (bibliographie, agenda, travaux et projets de l’équipe)
en lien avec la responsable du site web du Collège de France.

Communications et articles
— Participation au Colloque international de The International Association for Presocratic
Studies, Brigham Young University, Provo, Utah (USA), les 23-27 juin 2008 ;
communication : « I “cadaveri” di Eraclito (fr. 96 DK) e la polemica neoplatonica di
Simplicio ».
— Communication au séminaire « Noms barbares 2 », chaire d’Histoire des syncrétismes
de la fin de l’Antiquité de M. le Professeur M. Tardieu, Collège de France, 18 juin 2008 :
« Héraclite sur le nom de Zeus ».
— Participation à la Commission de doctorat en « Discipline Umanistiche (Sciences
humaines) » de l’université « Carlo Bo » d’Urbino (Urbino), 7 novembre 2007, exposé sur
l’achèvement des recherches de thèse.
— « Kaulakau selon l’hérésiologie chrétienne », dans : Actes du Colloque international
« Noms Barbares 1 » (Collège de France, 2007), collection « Bibliothèque de l’École des
Hautes Études, Sciences Religieuses », Paris, 2008 (à paraître).
HISTOIRE DES SYNCRÉTISMES DE LA FIN DE L’ANTIQUITÉ 445

— « Les fragments d’Héraclite et leur signification dans le corpus philonicum : le cas du


fr. 60 DK », Actes du Colloque international « Philon d’Alexandrie » (Université libre de
Bruxelles, 2007), collection « Monothéismes et philosophie », Brepols, Turnhout 2008
(à paraître).
— « Les fragments d’Héraclite et l’influence gnostique chez Plotin, Enn. IV 8 [6], 1 »,
dans Pensée grecque et sagesse d’Orient. Hommage à Michel Tardieu, Bibliothèque de l’École
des hautes études, Paris, 2008 (sous presse).
— « La hodos anô kai katô d’Héraclite (fr. 22 B 60 DK/33 M) dans le De aeternitate
mundi de Philon d’Alexandrie », The Studia Philonica Annual, 19 (2007), p. 29-58.
— Compte rendu de G.P. Luttikhuizen, Gnostic Revisions of Genesis Stories and Early
Jesus Traditions (Leiden-Boston 2006), Apocrypha 18 (2007), sous presse.
Anthropologie de la nature

M. Philippe Descola, professeur

Le cours n’a pas eu lieu.

Publications

— « Le commerce des âmes. L’ontologie animique dans les Amériques », in Frédéric


Laugrand et Jarich Oosten (sous la direction de), La nature des esprits dans les cosmologies
autochtones, Québec, Les Presses de l’Université Laval, 2007, pp. 3-30.
— « Passages de témoins », Le Débat 147, novembre-décembre 2007, pp. 136-53.
— « Umano, più che umano », paginette festival filosofia n° 9, Modène, Fondazione
Collegio San Carlo, 2007.
— « Préface » à Le jardin du casoar, la forêt des Kasua. Savoir-être et savoir-faire écologiques
de Florence Brunois, Paris, CNRS Editions — Editions de la MSH, 2007.
— « A qui appartient la nature ? »/ « Who owns nature ? », La vie des idées, publication
en ligne le 21/01/2008 sur le site www.laviedesidees.fr, rubrique « Essais ».
— « Sur Lévi-Strauss, le structuralisme et l’anthropologie de la nature », entretien avec
Marcel Hénaff, Philosophie 98, juin 2008, pp. 8-36.
— « L’ombre de la croix », in Mark Alizart (sous la direction de) Traces du sacré :
Visitations, Paris, Éditions du Centre Pompidou, 2008, pp. 65-88.

Autres activités

— Directeur d’études à l’École des hautes Études en Sciences sociales.


— Directeur du Laboratoire d’Anthropologie sociale (UMR 7130 du Collège de France,
du CNRS et de l’EHESS).
— Président de la Société des Américanistes, vice-président du conseil scientifique de la
Fondation Fyssen.
448 PHILIPPE DESCOLA

Colloques, enseignements et missions à l’étranger

1. Communications à des colloques :


— « La patrimonialisation des espaces naturels », colloque « Figures et problèmes de la
mondialisation », Institut du Monde Contemporain, Collège de France, 14/12/2007.
— « From wholes to collectives », colloque « Beyond Holism », Université de Aarhus,
Sandbjerg, 4-6 juillet 2008.

2. Conférences :
— Université de Besançon, département de philosophie, « Nature et modernité », le
3/10/2007.
— Université de Lille 1, département de géographie, conférence-débat « L’homme et la
nature : continuités, discontinuités », le 26/11/2007.
— Institut national de la recherche agronomique, Paris, conférence-débat : « Une culture
naturelle ou des natures culturelles ? Un point de vue anthropologique », 29/11/2007.
— Université libre de Bruxelles, cycle de conférences « Cultures d’Europe », « Les natures
de l’homme », le 8/02/2008.
— Carl Friedrich von Siemens Stiftung (Munich), « The Making of Images. An
anthropological approach », le 12/02/08.
— Université de Heidelberg, European Molecular Biology Laboratory, « Beyond Nature
and Culture », le 20/02/2008.
— Université de Cambridge, département d’anthropologie, « Ontology and Iconology »,
le 6/03/2008.

3. Missions à l’étranger :
Le professeur a séjourné à Munich pendant une partie de l’année universitaire à
l’invitation de la Carl Friedrich von Siemens Stiftung.
Chaire théorie économique et organisation sociale

M. Roger Guesnerie, professeur

L’équilibre général et ses modèles (suite) :


macroéconomie et commerce international (2007-2008)

Après avoir abordé les problèmes de la production, (2001-2002), les aspects


économiques de la consommation, (2000-2001), le cours a ensuite porté l’attention
sur les marchés, passant successivement en revue les marchés du travail, de
l’assurance, (2002-2003), les marchés de biens et la concurrence oligopolistique
(2003-2004) et enfin les marchés financiers (2004-2006). Il a fait passer l’attention
en 2007-2008 des éléments d’un système, les marchés, au système lui-même, le
marché, ou encore, dans le vocabulaire de la profession, de l’équilibre partiel à
l’équilibre général. L’attention avait été d’abord focalisée sur le modèle abstrait de
l’équilibre général d’inspiration walrassienne, tel qu’il a été rénové par la théorie
économique moderne. Le cours avait ainsi procédé à un examen critique des
mérites et des limites du modèle, les séminaires éclairant la construction historique
et ouvrant sur des applications ou des questions connexes.

La problématique de l’équilibre général, même si le cœur walrassien du sujet


peut apparaître superficiellement démodé, reste au cœur de la construction de la
discipline économique. Elle irrigue la culture économique contemporaine, en étant
présente aussi bien dans la théorie macro-économique que dans la théorie de la
croissance ou celle du commerce international. Ces sujets étaient de fait au cœur
du programme traité en 2007-2008. Si comme à l’habitude, le cours s’adressait à
ceux qui souhaitent avoir une vue générale sur le sujet, qu’ils en soient relativement
éloignés, ou, qu’en étant plus proches, ils cherchent à s’en distancier, le champ
couvert a été plus large qu’à l’habitude. La théorie du commerce international, la
théorie de la croissance et la théorie macroéconomique sont trois domaines de
spécialité dont le champ propre est vaste et dont les savoirs reposent sur des
traditions largement différenciées. Au-delà de leur problématique commune
450 ROGER GUESNERIE

d’équilibre général au sens large, il y a cependant des justifications à un traitement


plus unifié de ces sujets : la macroéconomie de court terme, que j’appelle
macroéconomie tout court dans la suite et la macroéconomie de long terme, c’est-
à-dire la théorie de la croissance, sont des sujets de plus en plus imbriqués, au sens
où leur analyse sollicite des modélisations plus proches aujourd’hui qu’elles ne
l’étaient hier. En particulier, le rapprochement entre les techniques d’analyse
utilisées au sein de ces différents sujets s’est accentué avec l’utilisation grandissante
d’hypothèses à la Dixit-Stiglitz, qui permettent de rompre avec la fiction du bien
unique agrégé, pour introduire une variété de biens, et ce au prix d’une
symmétrisation de l’espace des biens, qui même si elle est parfois très discutable
voire caricaturale, enrichit l’analyse. De fait, des modélisations voisines ont été
introduites aussi bien dans les nouvelles théories du commerce international que
dans la théorie de la croissance endogène ou les nouveaux modèles keynésiens qui,
aujourd’hui, donnent un rôle central à la concurrence oligopolistique.

Le cours a normalement débuté par un bref rappel de la présentation faite


antérieurement de l’équilibre général walrassien. Ce rappel mettait en exergue les
forces de l’approche aussi bien que ses point aveugles ; il soulignait aussi la logique
équilibre général de sujets qui allaient être abordés.

Après cette introduction, la première partie du cours, intitulée, « traditions et


modernité de la modélisation » faisait un tour d’horizon des modèles canoniques
de chacun des sujets qui allaient être abordés, en soulignant les continuités et les
ruptures.

La théorie traditionnelle du commerce international a d’abord été présentée de


façon à en faire apparaître à la fois la logique, les limites et les ambiguïtés descriptives
ou normatives. L’argumentaire de l’avantage comparé de Ricardo, puis la logique
de l’égalisation du prix des facteurs ont d’abord été brièvement rappelés pour être
ensuite plus systématiquement réexaminés dans le cadre traditionnellement retenu,
celui d’un modèle (dit modèle 2-2-2 ou modèle d’Heckscher-Ohlin) à deux biens,
deux facteurs de production et deux pays. La clé de l’analyse tient dans la description
des caractéristiques — primales en termes de quantités ou duales, en termes de
prix — de la production agrégée atteignable, avec ou sans mobilité des facteurs,
dans chacun des pays et dans « le monde » formé de ces deux pays. L’hypothèse
de non renversement des intensités factorielles, qui donne un sens non ambigu au fait
qu’un bien est plus intensif en un facteur qu’un autre, permet de renforcer les
conclusions pour obtenir les énoncés célèbres de Stolper-Samuelson ou de
Ribczinskii. Les outils ainsi mis au point ouvrent la porte à la meilleure
compréhension des effets de l’ouverture du commerce, tant en ce qui concerne la
structure de la production, (spécialisation ou non), que les effets sur la rémunération
des facteurs dans chacun des pays participants. La théorie voit ainsi l’échange des
biens, au moins jusqu’à un certain point, comme un voile à l’échange des facteurs.
Tel était bien le point de vue d’Heckscher qui interprétait l’échange de produits
THÉORIE ÉCONOMIQUE ET ORGANISATION SOCIALE 451

industriels européens contre des produits agricoles australiens au xixe siècle, comme
l’échange du « travail européen contre la terre australienne ».
La macroéconomie de court terme a été l’objet de débats intellectuels vifs depuis
le début des années cinquante, débat dont le cours a tenté de clarifier les enjeux
et d’éclairer la genèse. Le modèle IS-LM, référence dominante ou quasi-exclusive
des manuels de macroéconomie des années cinquante, a été brièvement rappelé,
d’abord dans une version walrassienne, puis dans la variante proposée par Hicks
pour rendre compte des idées de Keynes. Aux critiques croissantes faites à ce que
l’on a pu appeler la politique économique du modèle IS-LM, et dont les remises
en question radicales de la courbe de Philips constituent un point d’orgue, se sont
ajoutées toute une série de contestations méthodologiques. Paradoxalement, l’effort
de rénovation théorique associé aux modèles à prix fixés, dont la logique et les
résultats ont été soigneusement présentés dans le cours, a souligné les faiblesses du
schéma plus qu’il n’y a remédié. Mais ce sont les progrès de l’économétrie des séries
temporelles, rappelés de façon rapide dans le cours, qui ont peu à peu changé la
perspective de la preuve empirique. Les modèles de cycles réels, modèles à horizon
infini et agent représentatif mais qui mettent en avant des mécanismes walrassiens,
s’inscrivent dans cette nouvelle perspective. Les outils (méthodes récursives)
nécessaires à leur analyse ont été introduits et leur fonctionnement a été présenté
de la façon la plus intuitive possible. La macro-économie des cycles réels constitue
apparemment un changement de paradigme (Walras contre Keynes). En fait,
comme on le verra plus loin, le changement prendra dans la suite plutôt la forme
d’un changement de programme.
La théorie traditionnelle de la croissance a été élaborée dans les années cinquante
et soixante et est associée en particulier au nom de Solow. On le sait, cette théorie
rend très imparfaitement compte de toute un série de faits empiriques sur les
variations des niveaux de développement, faits qui ont été discutés et mis en
perspective (avec les discussions sur la « convergence »). Avant de souligner ses
limites, le cours a présenté les grandes lignes de cette théorie qui fait dépendre, à
population constante, l’accroissement de la production de l’accumulation du
capital et d’un progrès technique exogène. L’accumulation du capital par tête, qui
rejoint asymptotiquement un niveau optimal, est gouverné par l’équation d’Euler
qui décrit les interactions entre épargne et taux d’intérêt. Entre cette théorie de la
croissance exogène et les théories plus récentes dites de la croissance endogène, se
situent toute une série de visions intermédiaires. Par exemple, l’introduction du
capital humain, qui joue un rôle parallèle au capital physique et qui est produit
par l’éducation, conduit à retrouver une croissance exponentielle fondée sur
l’accumulation indéfinie des capitaux plutôt que sur le deus ex machina du progrès
technique. Les modèles de croissance endogène décrivent un monde où la
décroissance de la productivité marginale est mise en échec (elle est constante dans
le modèle AK). L’accent a été mis sur ceux qui attribuent la croissance du produit
soit à la multiplication des biens soit à l’amélioration des techniques, produits de
la Recherche-Développement d’entreprises protégées par des brevets. Dans le
452 ROGER GUESNERIE

second cas, la croissance s’appuie sur la « destruction créatrice » chère à Schumpeter.


La mécanique comparée des modèles évoqués, et il s’agit en l’occurrence de
mécaniques complexes, a été analysée de la façon la plus intuitive possible,

Cette revue rapide de la croissance endogène constituait une transition avec la


seconde partie du cours intitulée « quelques tendance récentes », à laquelle elle
aurait d’ailleurs pu être rattachée.

Le premier bloc de cette partie a été consacré à la macroéconomie de court


terme. Plusieurs coups de projecteurs ont été donnés sur des sujets traditionnellement
sensibles ou intellectuellement actifs. A ainsi été évoquée la question classique de
l’effet de la monnaie sur l’activité et la position inspirée de Lucas sur les effets de
relance de l’inflation non anticipée. Le cadre analytique a été rappelé, en même
temps que la possibilité d’apparition de solutions hétérodoxes au problème de
Lucas. Deuxième coup de projecteur, cette fois sur ce que l’on appelle le nouveau
modèle keynésien. La mécanique du modèle repose sur les changements de prix
opérés à intervalle aléatoire par des entreprises disposant d’un pouvoir de marché.
Le modèle est keynésien au sens où les prix, révisés périodiquement, n’apurent pas
les marchés comme est censé le faire le commissaire priseur walrassien, mais la
solution mise en avant même si elle reste artificielle, est plus satisfaisante que celle
imaginée par Walras. L’analyse est de fait quelque peu réminiscente de celle du
modèle IS-LM. La hausse des prix reflète les conditions présentes du marché des
intrants et les anticipations d’inflation, faisant écho aux arbitrages de la courbe de
Philips tandis qu’à l’équation d’Euler peut être associée une courbe de type IS.
Troisième piste : l’incomplétude des marchés. La contrainte d’endettement par
exemple modifie le comportement d’épargne des ménages, en suscitant une épargne
de précaution, qui n’est pas liée à des hypothèses fines sur l’aversion au risque. Ce
comportement a des conséquences tant sur le niveau d’épargne global que sur la
propension marginale à consommer le revenu instantané, qui prend une valeur
intermédiaire entre ce que suggère le modèle keynésien élémentaire et l’équation
d’Euler des modèles à horizon infini. Les contraintes d’endettement auxquelles
font face les entreprises accentuent également leur sensibilité à la conjoncture bien
au-delà de ce que la logique des chocs des modèles de cycle réels suggère.

Le dernier bloc portait sur les nouvelles théories du commerce. En mettant en


exergue les rendements croissants et la différenciation des produits, les nouvelles
théories enrichissent plus qu’elles ne contredisent la théorie factorielle à la H-O.
L’introduction de rendements croissants a des effets significatifs sur l’analyse du
commerce dans un contexte H-O, (« home magnification effect »). La concurrence
sur les produits différenciés ajoute une dimension supplémentaire de gains à
l’échange : le commerce enrichit la gamme des produits disponibles pour les
consommateurs des pays participants. L’argumentaire est simple et convaincant
dans le contexte d’une différenciation à la Dixit-Stiglitz, plus ambigu dans le cadre
de différenciation horizontale. Cet avatar récent de la théorie du commerce, tout
comme l’original, n’a que des incidences limitées sur la compréhension de la
THÉORIE ÉCONOMIQUE ET ORGANISATION SOCIALE 453

croissance dite « exogène ». La théorie du commerce est apparemment susceptible


d’avoir des interactions plus complexes avec la croissance, lorsque celle-ci est
endogène. Les mécanismes mis en évidence dans les études qui traitent de ces
problèmes et évoqués dans le cours sont au moins de trois ordres :
— L’accroissement de l’espace du marché dû au commerce accroît la rente de
détention du brevet et donc la recherche ; en d’autres termes, la taille du marché
diminue le coût de production du progrès technique. Il y a donc là un bénéfice
du commerce non pris en compte dans les modèles traditionnels. Cet effet est en
même temps atténué, voire inversé lorsque l’extension de l’imitation suscitée par
le commerce diminue la rentabilité privée de la découverte
— L’endogénéité du progrès technique conduit à reprendre en profondeur à la
fois l’étude des effets du commerce sur le développement et de ses effets distributifs
au Nord et au Sud sous de multiples angles. Par exemple, l’accroissement au Nord
de la production de progrès technique défensif a des effets sur la rémunération
relative des qualifiés et des non qualifiés. Autre exemple, la spécialisation du Nord
dans les technologies de pointe n’est elle pas, comme le soutenaient les auteurs
marxistes des années 60 (Emmanuel et Amin) une spécialisation avantageuse, que
dénature la théorie traditionnelle de l’avantage comparé ? N’est elle pas au contraire
aujourd’hui, compte tenu de la stratégie du Sud et des effets d’imitation, une
planche de salut illusoire pour les pays du Nord ? Sans prétendre aller au fond de
tous ces problèmes, les modèles présentés dans le cours ont permis d’esquisser des
théories certes parcellaires mais semble t-il, moins superficielles que celles qui sous
tendent la discussion courante de politique économique.
— La question de la mobilité des facteurs a été abordée sous deux angles.
D’abord, un coup de projecteur a été donné sur l’étude des conditions qui
assureraient l’optimalité d’un sentier de croissance endogène d’un monde en deux
blocs, sans mobilité des facteurs, Ensuite, les effets théoriques des formes prises
aujourd’hui par la délocalisation, le « dégroupage » des activités, ont été discutés.

Deux colloques ont été organisés en parallèle au cours.

1. Colloque sur « problèmes ouverts de la macoréconomie », 28 mai 2008


L’objet du colloque, dans la suite du cours, était de fournir une vue synthétique
des recherches les plus récentes sur les fluctuations macro-économiques. Simulations,
imperfections de marché, horizon des agents ont été les thèmes abordés le matin,
tandis que l’après midi a mis l’accent sur les problèmes de formation des prix et
des anticipations.
La liste des intervenants extérieurs et des thèmes traités est la suivante : Michel
Juillard (PSE) « Les simulations macroéconomiques » ; Xavier Ragot (PSE)
« Macroéconomie et marchés incomplets » ; Bertrand Wigniolle (PSE, Paris I)
« Modèles à générations et macroéconomie » Arnaud Chéron (Université du Maine
454 ROGER GUESNERIE

et EDHEC) « Les fluctuations macroéconomiques et le marché du travail » ; Florin


Bilbiie (HEC, Paris) « The new keynesian model : recent developments ».

2. La notion de biens publics mondiaux : catégorie économique et/ou juridique


Mercredi 25 juin (colloque organisé avec Mireille Delmas-Marty)

La notion de bien public mondial, issue de la théorie économique, se trouve


depuis une dizaine d’années à l’orée d’une réception par les systèmes de droit.
Fortement présente dans les théories économiques qui inspirent bien des normes
juridiques, comme par exemple depuis 1992 les instruments internationaux de
lutte contre le changement climatique, elle a acquis une place centrale dans la boîte
à outils conceptuelle des grandes institutions internationales. Dans ce contexte, un
dialogue est nécessaire, entre économistes et juristes, sur la signification et le rôle
de cette notion dans le processus de mondialisation.

Les intervenants extérieurs ont été Jean-Charles Hourcade, directeur d’études à


l’EHESS, directeur du CIRED ; Joël Maurice, Conseil général des Ponts et École
d’Économie de Paris ; Marie-Angèle Hermitte, directeur de recherche au CNRS,
directeur d’études à l’EHESS ; Jean-Bernard Auby, professeur à l’Institut d’Études
Politiques de Paris ; Sandrine Maljean-Dubois, directeur de recherche au CNRS ;
Anne Peters, professeur ordinaire à l’Université de Bâle, chaire de Droit international
public et droit constitutionnel.

Activités

1. Présentations invitées à des manifestations scientifiques :


— 6-8 septembre 2007 : International Conference « General Equilibrium as Knowledge
from Warlas Onwards », Université de Paris I Panthéon Sorbonne. Conférence invitée,
« General Equilibrium : Meanings, Wrong Interpretations, and Misleading Interpre-
tations ».
— 15 novembre 2007 : Conferencia Banco Central de Chile, Santiago de Chile.
Conférence invitée, « Macroeconomic and Monetary Policies from the Eductive
Viewpoint ».
— 30 mai : Warwick, conférence en l’honneur de C. Blackorby, conférence invitée :
« Long run discount rates for environmental goods ».
— 14 juin : Salerne, Gerard Debreu lecture, European workshop of mathematical
economics, « Expectational coordination in economic contexts : a comparison of competing
“eductive” criteria ».

2. Autres participation à des Conférences :


— 15-16 juin 2007 : Colloque « Complementarities and Information », Barcelone.
Présentation du texte : « Expectational Coordination in a classe of Economic Models
Strategic Substitutabilities versus Strategic Complementarities ».
THÉORIE ÉCONOMIQUE ET ORGANISATION SOCIALE 455

— 28-29 septembre 2007 : Workshop Paris X-Nanterre, « Expectations, Indeterminacy,


and Economic Policy ». Conference intitulée « Expectational Coordination in a Class of
Economic Models : Strategic Substitutabilities versus Strategic Complementarities ».
— 1er octobre 2007 : Table ronde dans le cadre du colloque « Climate and Development
in the Changing World Order : Untying the Gordian Knot », Paris. Discussion de Joseph
Stiglitz (Columbia University) et Michael Grubb (Cambridge University, UK).
— 12 décembre 2007 : Colloque « Economie et finance du développement durable :
approches quantitatives », Université Paris Dauphine. Conference intitulée « Le calcul
coûts-avantages des politiques climatiques ».

3. Autres présentations invitées


— 10-11 septembre 2007 : World Bank Executive Directors’ Colloquium 2007,
« Climate Change : Implications for the Bank’s Mission for Sustainable Development ».
Conférence invitée « Optimal and Second-Best Carbon Mitigation Regimes ».
— 17 octobre 2007 : European University Institute, Max Weber Lecture, « Global
Warming and Climate Policies ».
— 1er décembre 2007 : Colloque « Finance et développement durable : opposition ou
partenariat ? », Principauté de Monaco. Conférence invitée « La conception économique des
politiques climatiques ».

4. Séminaires
— 16 octobre 2007 : European University, Florence. Séminaire « Expectational
Coordination in Financial Markets ».
— 23 octobre 2007, Columbia University, « Questions about climate policies ».
— 24 octobre 2007, Institute for Advanced Studies, Princeton, « Expectational
Coordination in a classe of Economic Models Strategic Substitutabilities versus Strategic
Complementarities ».
— 7 avril 2008 : séminaire Paris 1, « La coordination des anticipations en macroéconomie
et politique monétaire : le point de vue « divinatoire ».
— 20 mai, séminaire Centre Applications de Mathématiques Sociales, « La coordination
des anticipations des agents économiques : une introduction au point de vue
« divinatoire ».

5. Autres interventions
— 5 juin 2007 : Rencontres Economiques de l’Institut de la Gestion Publique et du
Développement Economique, « La Régulation de l’économie en France et en Europe ».
Intervention intitulée « Le marché et les règles : quel rôle pour les politiques de
concurrence ».
— 24 septembre 2007 : Première rentrée solennelle de Clermont Université, conférence
« Les enjeux des politiques climatiques ».
— 18 et 19 octobre 2007 : Colloque de rentrée du Collège de France, intervention sur
le thème « La suprématie des actionnaires en question(s) ».
— 10 décembre 2007 : Colloque de la Fédération Française des Sociétés d’Assurance
sous le titre « L’assurance et la planète », conférence plénière intitulée « Prendre la mesure
du réchauffement climatique ».
— 13 et 14 décembre 2007 : Colloque “Figures et problèmes de la mondialisation” sous
les auspices de l’Institut du Monde Contemporain du Collège de France. Conférence
intitulée “Gouvernance, marché, mondialisation”.
456 ROGER GUESNERIE

— 11 janvier 2008 : Participation et intervention au Colloque IFFRI sur les politiques


climatiques.
— 12 février 2008 : Anniversaire du CEPII, Paris : Débat avec Francis Mer sur l’Europe
et la politique climatique.
— 11 avril : Intervention étudiants M1 PSE sur « science économique et
mathématiques ».
— 26 mai : conférence MEDAD, « La conception économique des politiques
climatiques ».
— 5 juin : Journée de l’Association des Comptables Nationaux, Présidence de la session
sur les « nouveaux indicateurs ».
— 3 juin 2008 : Perpignan : débat avec Jean Bergougnoux, dans le cadre des journées
Prebat.
— 24 juin 2008 : Bruxelles : intervention à la journée Bruegel sur la politique
climatique.

Divers

— Présidence du comité d’audit sur « les Sciences Economiques et Sociales au lycée »


Réunions 20 mars, 25 mars, 8 avril, 18 avril, 13 mai, 29 mai, 12 juin 2008, remise du
rapport au ministre, 4 juillet.
— Présidence du Comité Stratégique de l’Ecole d’économie de Paris : 12 mars, 10 avril
2008
— Présidence du Conseil scientifique, Journées de l’Economie : 31 janvier, 9 avril,
12 ou 16 juin. 2008.
— 18 janvier 2008 : participation au Conseil Scientifique de l’IDEP, Marseille.
— 28 mars 2008 : Participation au Conseil Scientifique de la Revue d’Economie
Politique.
— 8 avril 2008 : Présentation des conclusions du comité scientifique d’Economie et
Statistique au comité de direction de l’INSEE.
— 17 avril 2008 : Jury des chaires Blaise Pascal.
— 20 juin 2008 : Conseil d’administration de l’université de Cergy-Pontoise.
— Participation aux travaux du Conseil d’Analyse Economique.
— Participation aux travaux du Comité Sen-Stiglitz.

Publications
Rapports
— Synthèse de l’avis du CAE sur le projet d’élargissement de l’assiette des cotisations
sociales employeurs, en collaboration avec M. Christian de Boissieu, juillet 2007.
— Rapport du Groupe Guesnerie « Les Sciences Economiques et Sociales à l’Institut
National de Recherche Agronomique ». Groupe composé de : Michel Callon, Armand
Hatchuel, Alain Trannoy, Alain Trognon, et Roger Guesnerie.
— Rapport au Ministre de l’Education Nationale de la mission d’audit des manuels et
programmes de sciences économiques et sociales au lycée, juillet 2008.
THÉORIE ÉCONOMIQUE ET ORGANISATION SOCIALE 457

Ouvrages (direction)
— « The design of climate policies », avec H. Tulkens, (MIT Press) (sous presse).

Articles
— « Commentaire sur le rapport Stern : quelques mots d’introduction », Revue d’Economie
Politique, juillet-août 2007, 117, 457-462.

Chapitres d’ouvrages
— « The Economic design of climate institutions and policies » in « Finance and
sustainable development », sous la direction de J.M Lasry et D. Fessler, Economica, Paris,
2008, p23-36
— « The design of climate policies : selected questions in analytical perspective » in
« The design of climate policies », sous la direction de R. Guesnerie et Henry Tulkens, à
paraître.
— « Macro-economic and monetary policies from the “edcutive” viewpoint », proceedings
conference Banco Central de Chile (sous presse).
Histoire moderne et contemporaine du politique

M. Pierre Rosanvallon, professeur

Cours : « Les métamorphoses de la légitimité


(la démocratie au XXIe siècle, III) »

L’onction populaire des gouvernants est pour nous la principale caractéristique


d’un régime démocratique. L’idée que le peuple est la seule source légitime du
pouvoir s’est imposée avec la force de l’évidence. Nul ne songerait à la contester,
ni même à la réfléchir. Nous en sommes toujours restés là. Cet énoncé recouvre
pourtant une approximation d’importance : l’assimilation pratique de la volonté
générale à l’expression majoritaire. Mais elle n’a guère été discutée. Le fait que le
vote de la majorité établisse la légitimité d’un pouvoir a en effet aussi été
universellement admis comme une procédure identifiée à l’essence même du fait
démocratique. Une légitimité définie en ces termes s’est d’abord naturellement
imposée comme rupture avec un ancien monde où des minorités dictaient leur loi.
L’évocation de « la grande majorité », ou de « l’immense majorité » suffisait alors à
donner corps à l’affirmation des droits du nombre face à la volonté clairement
particulière de régimes despotiques ou aristocratiques. L’enjeu décisif était de
marquer une différence quant à l’origine du pouvoir et aux fondements de
l’obligation politique. Partant de là, le principe de majorité s’est ensuite fait
reconnaître dans son sens plus étroitement procédural.

Le passage de la célébration du Peuple ou de la Nation, toujours au singulier, à


la règle majoritaire ne va pourtant pas de soi, tant les deux éléments se situent à
des niveaux différents. Il y a d’un côté l’affirmation générale, philosophique si l’on
veut, d’un sujet politique, et de l’autre l’adoption d’une procédure pratique de
choix. Se sont ainsi mêlés dans l’élection démocratique un principe de justification
et une technique de décision. Leur assimilation routinière a fini par masquer la
contradiction latente qui les sous-tendait. Les deux éléments ne sont en effet pas
de même nature. En tant que procédure, la notion de majorité peut s’imposer
aisément à l’esprit, mais il n’en va pas de même si elle est comprise sociologiquement.
460 PIERRE ROSANVALLON

Elle acquiert dans ce dernier cas une dimension inévitablement arithmétique : elle
désigne ce qui reste une fraction, même si elle est dominante, du peuple. Or la
justification du pouvoir par les urnes a toujours implicitement renvoyé à l’idée
d’une volonté générale, et donc d’un peuple figure de l’ensemble de la société.
Cette perspective sociologique n’a cessé d’être renforcée par le réquisit moral
d’égalité et l’impératif juridique de respect des droits, appelant à considérer la
valeur propre de chaque membre de la collectivité. C’est ainsi l’horizon de
l’unanimité qui a depuis l’origine sous-tendu l’idée démocratique : est démocratique,
au sens le plus large du terme, ce qui exprime la généralité sociale (le cours de 2007
avait longuement exploré la question qui n’a donc été que brièvement évoquée en
2008). On a seulement fait dans comme si le plus grand nombre valait pour la
totalité, comme si c’était une façon acceptable d’approcher une exigence plus forte.
Première assimilation doublée d’une seconde : l’identification de la nature d’un
régime à ses conditions d’établissement. La partie valant pour le tout, et le moment
électoral valant pour la durée du mandat : tels ont été les deux présupposés sur
lesquels a été assise la légitimité d’un régime démocratique.

Le problème est que cette double fiction fondatrice est progressivement apparue
comme l’expression d’une insupportable approximation. Dès la fin du XIXe siècle,
alors que le suffrage universel (masculin) commençait tout juste à se généraliser en
Europe, les signes d’un précoce désenchantement se sont pour cela multipliés de
toutes parts. Au spectre du règne des masses, d’abord tant redouté par les libéraux,
se trouva bientôt substitué le constat de l’avènement de régimes engoncés dans
l’étroitesse de leurs préoccupations. Les mots de peuple et de nation qui n’avaient
cessé de nourrir les attentes et les imaginations se sont alors trouvés comme
rapetissés en étant noyés dans les méandres de l’agitation partisane et des clientèles.
Le système des partis, dont aucun des premiers théoriciens de la démocratie n’avait
envisagé l’existence et le rôle, s’est imposé à partir de cette période comme le cœur
effectif de la vie politique, entraînant le règne des rivalités personnelles et des
coteries. Le Parlement, qui avait été de son côté considéré depuis l’origine comme
l’institution qui résumait l’esprit et la forme du gouvernement représentatif, perdait
à l’inverse sa centralité et voyait son fonctionnement changer de nature. L’idée
première d’une enceinte de la raison publique où serait débattue à haute voix la
définition de l’intérêt général s’est de fait dégradée en un système de marchandages
asservis à des intérêts particuliers. Le moment électoral a continué de son côté à
mobiliser les énergies et à exprimer de véritables enjeux. Mais il n’a plus été cette
fête chaleureuse de la citoyenneté qui avait dessiné le premier horizon du suffrage
universel. Pendant toute cette période des années 1890-1920 au cours de laquelle
s’amoncellent les ouvrages qui auscultent la « crise de la démocratie », l’idée que le
fonctionnement du système électoral majoritaire conduit à exprimer l’intérêt social
a ainsi perdu toute crédibilité. Le monde électoral-parlementaire est davantage
apparu gouverné par des logiques de particularité que par une exigence de généralité.
Le principe de l’élection des gouvernants a certes toujours dessiné un horizon
procédural indépassable, mais on a cessé de croire à l’automaticité de ses vertus.
HISTOIRE MODERNE ET CONTEMPORAINE DU POLITIQUE 461

Face à ce qui a été ressenti comme un profond ébranlement, ces années 1890-
1920, encadrant la Grande Guerre, vont s’efforcer de déterminer les moyens
permettant à l’idéal démocratique de retrouver sa dimension substantielle primitive.
Les voies les plus extrêmes, on le sait, seront explorées, allant même jusqu’à ériger
un moment le projet totalitaire en figure désirable du bien public. Mais du sein
de ce bouillonnement, va aussi émerger de façon plus discrète ce qui modifiera en
profondeur les régimes démocratiques : la formation d’un véritable pouvoir
administratif. C’est en effet pendant cette période que s’édifie partout un État plus
fort et mieux organisé. Le fait important est que son développement a été
indissociable d’une entreprise de refondation de ses principes. On a voulu que la
« machine bureaucratique » puisse constituer en elle-même une force identifiée à la
réalisation de l’intérêt général. Les modèles du service public en France et de
l’administration rationnelle aux Etats-Unis, ont alors illustré les deux grandes
façons de penser la poursuite de cet objectif. D’un côté, la vision d’une sorte de
corporatisme de l’universel, appelant structurellement les fonctionnaires à s’identifier
à leur mission, à devenir « intéressés au désintéressement ». De l’autre, la recherche
d’un accès à la généralité par les vertus d’une gestion scientifique. Se trouvaient de
la sorte réactualisés et réinsérés dans l’univers démocratique les anciens idéaux du
gouvernement rationnel et de la politique positive, qui, des Lumières à Auguste
Comte, avaient invité à réaliser le bien public à l’écart des passions partisanes.
Le but a été de corriger le projet problématique d’une expression unifiée des
volontés par une forme de mise en œuvre plus réaliste et plus objective de la généralité
sociale. Cette entreprise a alors effectivement commencé à prendre corps, au moins
partiellement. Sans que les choses n’aient jamais été pleinement conceptualisées, les
régimes démocratiques ont ainsi progressivement reposé sur deux pieds : le suffrage
universel et l’administration publique. Celle-ci a cessé d’être la simple courroie de
transmission du pouvoir politique pour acquérir une marge d’autonomie fondée sur
la compétence. Dans le cas français, ces deux dimensions de « l’arche sainte » du
suffrage universel et du service public ont explicitement superposé leurs valeurs
respectives dans l’idéologie républicaine. Les « jacobins d’excellence » de la haute
administration l’ont incarnée au même titre que les élus du peuple. À côté de la
légitimité d’établissement, celle de la consécration par les urnes, une deuxième
appréhension de la légitimité démocratique a ainsi vu le jour : celle d’une
identification à la généralité sociale. Elle a, dans les faits, joué un rôle décisif en tant
qu’élément compensateur de l’affaiblissement de la légitimité électorale. Se liaient de
la sorte les deux grandes façons de concevoir la légitimité : la légitimité dérivée de la
reconnaissance sociale d’un pouvoir, et la légitimité comme adéquation à une norme
ou à des valeurs. Ces deux formes croisées de légitimité, procédurale et substantielle,
avaient donné à partir du tournant du XXe siècle une certaine assise aux régimes
démocratiques. Cette page a commencé à se tourner dans les années 1980.
La légitimation par les urnes a d’abord reculé, du fait de la relativisation et de
la désacralisation de la fonction de l’élection. À l’âge « classique » du système
représentatif, celle-ci valait mandat indiscutable pour gouverner ensuite
462 PIERRE ROSANVALLON

« librement ». On présupposait en effet que les politiques à venir étaient incluses


dans les termes du choix électoral, du seul fait de l’inscription de ce dernier dans
un univers prévisible, structuré par des organisations disciplinées , aux programmes
bien définis et aux clivages clairement dessinés. Ce n’est plus le cas. L’élection a
dorénavant une fonction plus réduite : elle ne fait que valider un mode de
désignation des gouvernants. Elle n’implique plus une légitimation a priori des
politiques qui seront ensuite menées. La notion de majorité, d’un autre côté, a
changé de sens. Si elle reste parfaitement définie en termes juridiques, politiques
et parlementaires, elle l’est beaucoup moins en termes sociologiques. L’intérêt du
plus grand nombre, en effet, ne peut plus être aussi facilement assimilé que dans
le passé à celui d’une majorité. Le « peuple » ne s’appréhende plus comme une
masse homogène, il s’éprouve plutôt comme une succession d’histoires singulières,
une addition de situations spécifiques. C’est pourquoi les sociétés contemporaines
se comprennent de plus en plus à partir de la notion de minorité. La minorité n’est
plus la « petite part » (devant s’incliner devant une « grande part ») : elle est devenue
une des multiples expressions diffractées de la totalité sociale. La société se manifeste
désormais sous les espèces d’une vaste déclinaison des conditions minoritaires.
« Peuple » est désormais aussi le pluriel de « minorité ».
De son côté, le pouvoir administratif a été fortement délégitimé. La rhétorique
néo-libérale a joué son rôle, en affaiblissant la respectabilité de l’État et en invitant
à ériger le marché en nouvel instituteur du bien-être collectif. Plus concrètement,
les nouvelles techniques d’organisation des services publics (le New Public
Management) ont surtout introduit des méthodes qui ont conduit à dévaloriser la
figure classique du fonctionnaire comme agent patenté de l’intérêt général. La
haute fonction publique s’est trouvée la plus atteinte par cette évolution, ne
semblant plus capable d’incarner une force d’avenir dans un monde plus ouvert et
moins prévisible. La reconnaissance d’une technocratie parée des vertus de la
rationalité et du désintéressement a aussi perdu son évidence dans une société plus
lucide et plus éduquée. L’ancien style d’une action publique « bienveillante »,
surplombant une société considérée comme mineure, est devenu du même coup
économiquement inopérant et sociologiquement inacceptable. Le pouvoir
administratif a donc été dépossédé des éléments moraux et professionnels qui lui
avaient autrefois permis de s’imposer. L’affaiblissement de sa légitimité s’est ainsi
ajouté à celui de la sphère électorale-représentative.
L’affaissement de l’ancien système de double légitimité et les divers changements
qui l’ont à la fois provoqué et accompagné à partir des années 1980 n’ont pas
seulement entraîné un vide. Si le sentiment d’une perte, voire d’une décomposition,
s’est fortement fait ressentir, une sorte de recomposition silencieuse s’est aussi
engagée. De nouvelles attentes citoyennes sont d’abord apparues. L’aspiration à voir
s’instaurer un régime serviteur de l’intérêt général s’est exprimée dans un langage et
avec des références inédites. Les valeurs d’impartialité, de pluralité, de compassion
ou de proximité se sont par exemple affirmées de façon sensible, correspondant à
une appréhension renouvelée de la généralité démocratique, et partant des ressorts et
HISTOIRE MODERNE ET CONTEMPORAINE DU POLITIQUE 463

des formes de la légitimité. Des institutions comme les autorités indépendantes ou


les cours constitutionnelles ont parallèlement vu leur nombre et leur rôle s’accroître
considérablement. Une autre façon de gouverner semble enfin s’être esquissée avec la
place croissante prise par l’attention à l’image et à la communication. Tout ceci
dessine un paysage fort contrasté dont il faut appréhender la consistance et le devenir.
Il convient donc de le décrire. Mais en même temps de ne pas en rester à ce stade.
L’essentiel est en effet de tenter de dégager les concepts qui peuvent rendre intelligible
ce monde émergent, et plus encore de discerner les nouvelles formes démocratiques
vers lesquelles il pourrait positivement évoluer. Tout en gardant le souci d’une
description des discours et des expériences, en restant attentifs à leurs inachèvements,
à leurs équivoques, voire à leurs dangers, il convient donc de forger les idéaux-types
qui permettraient de penser la maîtrise de cet univers en gestation. Rien ne semble
en effet joué. Se mêlent encore de façon confuse l’esquisse de nouveaux possibles et
l’amorce de pathologies menaçantes.
Le trait majeur qui caractérise le tournant des années 1980 consiste dans une
reformulation latente des termes dans lesquels l’impératif démocratique d’expression
de la généralité sociale est appréhendé. Pour bien prendre la mesure de cette
évolution, il faut repartir des visions précédemment dominantes de cette généralité.
Le suffrage universel repose sur une définition agrégative de cette dernière : c’est
la masse des citoyens-électeurs dont l’expression dessine la figure de la volonté
générale. Le service public renvoie quant à lui à l’idée d’une généralité objective :
le fait que la raison publique ou l’intérêt général soient en quelque sorte identifiés
aux structures mêmes de l’État républicain. La généralité est dans les deux cas
considérée comme susceptible d’être adéquatement et positivement incarnée.
Devant l’affaissement ressenti de ces deux façons d’aborder les choses, on peut
déceler l’émergence de trois autres manières, plus indirectes, d’approcher l’objectif
de constitution d’un pouvoir de la généralité sociale. Leur description a été au
cœur des développements du cours :
— La réalisation de la généralité par détachement des particularités, distance
raisonnée et organisée vis-à-vis des différentes parties impliquées dans une question.
Elle définit un pouvoir appréhendé comme un lieu vide. La qualité de généralité
d’une institution est constituée dans ce cas par le fait que personne ne peut se
l’approprier. C’est une généralité négative. Elle renvoie à la fois à une variable de
structure qui en est le support (le fait d’être indépendant), et à une variable de
comportement (le maintien de la distance ou de l’équilibre). C’est elle qui définit
la position d’institutions comme les autorités de surveillance ou de régulation et
les distingue au premier chef d’un pouvoir élu.
— La réalisation de la généralité par le biais d’un travail de pluralisation des
expressions de la souveraineté sociale. Le but est là de compliquer les sujets et les
formes de la démocratie pour en réaliser les objectifs. Il s’agit notamment de
corriger les inaccomplissements résultant de l’assimilation d’une majorité électorale
à la volonté du corps social appréhendé dans sa globalité. C’est une généralité de
démultiplication. On peut considérer qu’une cour constitutionnelle participe d’une
464 PIERRE ROSANVALLON

telle entreprise lorsqu’elle veille à passer au tamis de la règle constitutionnelle,


exprimant ce qu’on pourrait appeler le peuple principe, les décisions du parti
majoritaire.
— La réalisation de la généralité par prise en considération de la multiplicité des
situations, reconnaissance de toutes les singularités sociales. Elle procède d’une
immersion radicale dans le monde de la particularité, marquée par le souci des
individus concrets. Ce type de généralité est associé à une qualité de comportement,
il résulte de l’action d’un pouvoir qui n’oublie personne, qui s’intéresse aux problèmes
de tous. Il est lié à un art de gouvernement qui est aux antipodes de la vision
nomocratique. À rebours de l’approche de la constitution du social par un principe
d’égalité juridique, mettant à distance toutes les particularités, la généralité est définie
dans ce cas par un projet de prise en compte de la totalité des situations existantes,
par l’étendue d’un champ d’attention. On pourrait parler pour cela d’une pratique
de « descente en généralité » 1. C’est une généralité d’attention à la particularité.
Ces différentes façons d’envisager la réalisation de la généralité ont en commun
de reposer sur une approche de la totalité sociale qui n’est comprise ni sur le mode
d’une agrégation arithmétique (avec l’idéal sous-jacent d’unanimité), ni dans une
perspective moniste (avec la référence à un intérêt social conçu comme la propriété
stable d’un corps collectif ou d’une structure). Elles renvoient à la valorisation
d’une vision beaucoup plus « dynamique » d’opérations de généralisation. Elles
correspondent en quelque sorte aux trois stratégies possibles pour explorer un
univers dans sa totalité : le considérer au télescope, multiplier les coupes au
microscope, le parcourir par des itinéraires différents. La généralité constitue dans
cette perspective un horizon régulateur ; elle n’est plus d’ordre substantiel, comme
ce que suggéraient les notions de volonté générale et d’intérêt général.
Trois nouvelles figures de la légitimité ont en conséquence commencé à se
dessiner : la légitimité d’impartialité (liée à la mise en œuvre de la généralité
négative) ; la légitimité de réflexivité (associée à la généralité de démultiplication) ;
la légitimité de proximité (suivant la généralité d’attention à la particularité). Cette
véritable révolution de la légitimité participe d’un mouvement global de décentrement
des démocraties. Se prolonge en effet sur ce terrain la perte de centralité de
l’expression électorale déjà observée dans l’ordre de l’activité citoyenne. Dans La
Contre-démocratie, j’ai ainsi décrit comment de nouvelles formes d’investissement
politique avaient émergé, les figures du peuple-surveillant, du peuple-veto et du
peuple-juge dessinant leur nouvelle vitalité en contrepoint de celle d’un peuple-
électeur effectivement plus morose. La vie des démocraties s’élargit donc de plus
en plus au-delà de la sphère électorale-représentative. Il y a dorénavant bien d’autres
façons, à la fois concurrentes et complémentaires de la consécration par les urnes,
d’être reconnu comme démocratiquement légitime.

1. Par opposition à la notion sociologique usuelle de « montée en généralité », qui signifie


prise de distance avec les cas d’espèces pour accéder à une conceptualisation.
HISTOIRE MODERNE ET CONTEMPORAINE DU POLITIQUE 465

Contrairement aux légitimités d’établissement et d’identification qui étaient


indissociables de propriétés considérées comme appartenant intrinsèquement à
certains pouvoirs (l’élection ou le concours donnant un statut à ceux qui avaient
triomphé de l’épreuve impliquée), ces formes émergentes sont constituées par des
qualités. La légitimité n’est donc jamais acquise dans leur cas. Elle reste toujours
précaire, continuellement remise en jeu, dépendante de la perception sociale de
l’action et du comportement des institutions. Ce point est essentiel : il traduit le
fait que ces nouvelles figures sortent du cadre de la typologie usuelle distinguant
la légitimité comme produit d’une reconnaissance sociale et la légitimité comme
adéquation à une norme. Les légitimités d’impartialité, de réflexivité et de proximité
superposent en effet les deux dimensions ; elles ont un caractère hybride. Elles
dérivent des caractéristiques des institutions, de leur capacité à incarner des valeurs
et des principes, mais elles restent simultanément dépendantes du fait qu’elles
doivent être socialement perçues comme telles. On peut de la sorte concevoir que
leur déploiement puisse faire entrer les démocraties dans un nouvel âge. Le régime
de légitimité qui émerge conduit en effet à dépasser les termes de l’opposition
traditionnelle entre les gardiens de la « généralité républicaine », surtout préoccupés
par la substance des choses, et les champions d’une « démocratie forte », d’abord
attentifs à l’intensité de la mobilisation sociale.
Elles élargissent encore de cette façon les typologies classiques fondées sur la seule
opposition de la légitimité par les fondements (input legitimacy) et de la légitimité par
les résultats (output legitimacy) Cette distinction a certes son utilité : elle rappelle que
la façon dont sont appréciées les actions des gouvernants entre en ligne de compte
dans le jugement que portent sur eux les citoyens (et elle suggère que des instances
non élues peuvent être reconnues comme légitimes pourvu qu’elles contribuent à la
production de ce qui est reconnu comme socialement utile). Nous avons montré
dans le cours que la redéfinition de la légitimité procèdait d’une déconstruction et
d’une redistribution de l’idée de généralité sociale, conduisant à en pluraliser
radicalement les formes. Il y a en effet plusieurs manières d’agir ou de parler « au nom
de la société » et d’être représentatif. Les trois nouvelles légitimités font pour cela
système, se complétant pour définir de façon plus exigeante l’idéal démocratique.

Séminaire : « L’État de la recherche en théorie politique (I) »


Le séminaire a été organisé autour de six doubles séances au cours desquelles a
été présenté et discuté l’état de la recherche en théorie politique dans quelques
domaines essentiels.
1) Mercredi 12 mars : Philippe Urfalino (directeur de recherches au CNRS et
directeur d’études à l’EHESS) : La démocratie délibérative.
Ph. Urfalino a d’abord montré comment un certain nombre de travaux, consacrés
à l’argumentation ou à la délibération, dans les années 1990 et 2000, ont préparé
la littérature abondante sur la démocratie délibérative, alors que dans les années
1960 on était loin de considérer que l’argumentation est au cœur de la vie politique.
466 PIERRE ROSANVALLON

Pour ressaisir la littérature consacrée à la démocratie délibérative, il importe de


montrer qu’il faut la comprendre comme destinée à répondre à trois questions. La
démocratie délibérative se veut comme une réponse au pluralisme : dans nos
sociétés ne peut plus dominer un ordre normatif permettant un consensus. Elle est
aussi une manière d’organiser une raison publique à partir de la mise en place
d’argumentation. Elle se veut enfin, dans une certaine mesure, un renouvellement
de la démocratie représentative, dans la mesure où elle veut être une mise à l’épreuve
de la responsabilité des gouvernants.
2) Mercredi 19 mars : Yves Sintomer (Professeur à l’Université de Paris VIII,
directeur adjoint du Centre Marc Bloch à Berlin) : La démocratie participative.
La démocratie participative, selon Y. Sintomer, est un effort pour mettre en place
une discussion publique des affaires de la cité. Il a montré que la théorie d’Habermas
sur l’espace publique a ouvert deux voies. La première a fondé en grande partie les
réflexions sur la démocratie délibérative (qui consiste à renforcer la légitimité
démocratique en faisant appel, à tous les niveaux, à l’argumentation). La seconde
a présidé aux interrogations sur la possibilité d’une démocratie participative. Les
expériences de démocratie participative sont nombreuses et diverses. Y. Sintomer
l’a notamment montré en étudiant les usages du tirage au sort, dont la spécificité
est qu’il permet de passer de l’égalité dans la décision (l’élection) à l’égalité dans la
nomination.
3) Mercredi 26 mars : Olivier Beaud (Professeur à l’Université de Paris II) :
Expériences et théorie du fédéralisme.
O. Beaud a d’abord présenté une vue d’ensemble de la littérature consacrée au
fédéralisme, en soulignant l’absence d’études systématiques en France, où domine
le modèle souverain. A la Révolution, le fédéralisme est associé au féodalisme. Si
la notion retrouve un certain crédit, c’est notamment parce que se créent des
institutions internationales qui la mettent en jeu (la SDN, l’Europe). Mais jamais
dans cette littérature le fédéralisme n’est étudié pour lui-même : il y est souvent
décrit comme une forme de décentralisation, et non comme un ordre politique.
O. Beaud a proposé, contre cette littérature, de défendre l’hypothèse selon laquelle
un système fédéral ne doit se comprendre ni comme un Etat ni comme un Empire.
C’est une forme politique autonome, qui assume parfaitement d’être à la fois une
union d’Etats et une institution, sachant que cette institution demande aux Etats
souverains de se transformer en Etats-membres.
4) Mercredi 2 avril : Pasquale Pasquino (Directeur de recherche au CNRS et
Professeur à New York University) : Le principe de majorité.
P. Pasquino s’est attaché à expliciter le rôle et la légitimité des organes non élus,
et notamment des cours constitutionnelles. L’élection des représentants n’est qu’une
partie seulement de la réalité constitutionnelle de nos démocraties modernes. Or,
la présence des cours constitutionnelles montre les limites du principe majoritaire.
Celui-ci est à la fois une règle d’autorisation et une règle de nomination. Mais il
HISTOIRE MODERNE ET CONTEMPORAINE DU POLITIQUE 467

ne consiste pas à choisir une politique. Ce qui le justifie, c’est qu’il impose une
forme spécifique d’égalité (toutes les opinions ont le même poids). Mais le principe
de majorité ne peut décider de tout : il ne peut, par exemple, abolir la séparation
des pouvoirs ou remettre en cause des droits établis comme inviolables. Le principe
du souverain doit être limité par un certain nombre de contrôles qui ne doivent
pas être liés aux élections.
5) Mercredi 9 avril : Dominique Rousseau (Professeur à l’Université de
Montpellier I) : Constitutionnalisme et démocratie.
Au nom de quoi interdire au peuple de vouloir ce qu’il veut ? C’est la question,
selon D. Rousseau, que pose la question du constitutionalisme, doctrine qui pense
la démocratie par la constitution. Or, il est en crise parce qu’on considère qu’il pèse
sur les institutions issues du vote populaire. Ce qu’il faut souligner, c’est que la
constitution comme garantie des droits fondamentaux produit une démocratie
d’un certain type, caractérisée par trois éléments. D’abord, l’écart entre deux
espaces porteurs de volonté normative, les actes de lois votés par les représentants
et les droits des représentés. Ensuite, la promotion de la délibération comme
régime concurrentiel de la volonté générale. Enfin, l’avènement de la société des
individus comme objet de la constitution.
6) Mercredi 16 avril : Claude Lefort (Directeur d’études à l’EHESS) : La pensée
du politique : histoire et perspectives.
Claude Lefort s’est proposé d’éclairer la nature de la démocratie moderne à
travers la distinction entre la politique (essentiellement tournée vers la considération
du régime) et le politique, qui veut en penser les conditions sociales. La science
politique méconnaît la nature profonde de la démocratie parce qu’elle laisse dans
l’ombre la société dans laquelle elle s’est formée. La démocratie n’est pas localisable
dans la société : elle est une forme de société. Dans l’Ancien Régime, le pouvoir
monarchique était incorporé dans la personne du prince. La démocratie introduit
dans cette perspective un bouleversement : le pouvoir n’est plus incorporé, c’est un
lieu vide. Le conflit est alors institutionnalisé, le pouvoir dans une démocratie ne
peut exister qu’en quête de sa légitimité. La démocratie n’est pas réductible à un
certain nombre d’institutions.

Publications scientifiques

— « Intellectual History and Democracy », Journal of History of Ideas, Volume 68,


Numéro 4, octobre 2007, p. 701-715.
— « Le sens de la Contre-démocratie », Commentaire, n° 120, Hiver 2007-2008,
pp. 1113-1115.
— « L’Universalisme démocratique : histoire et problèmes », Esprit, janvier 2008,
p. 104-120.
— « Identidad nacional y Democracia », Archivos del Presente, n° 47, février 2008.
468 PIERRE ROSANVALLON

Vulgarisation de la recherche

— « La desconfianza es una virtud civica » (entretien), La Nacion (Argentine),


30 septembre 2007.
— « Una democracia de espíritu religioso » (entretien), Clarin (Argentine), 24 novembre
2007.
— « La actividad diaria de los ciudadanos es actuar la desconfianza » (entretien),
Página 12 (Argentine), 26 novembre 2007.
— « Un intelectual lejos panfleto » (entretien), Página 12 (Argentine), 26 novembre
2007.
— « Entretien », Diasporiques, n° 44, décembre 2007.
— « Peuple, public : Comment peut-on être vraiment démocrate », in Nicolas Truong
(éd), Le Théatre des idées, Flammarion, 2008, p. 356-367.
— « Le politique doit prouver son action » (entretien), Ouest-France, 10 janvier 2008.
— « Le nouvel âge des démocraties », El Watan (Algérie), 25-26 avril 2008.
— « La démocratie face au marché », Alternatives Économiques, hors série n° 77,
2e trimestre 2008.
— « On fait comme si… » (entretien), Paris-Normandie, 6 mai 2008.

Conférences invitées à l’etranger

— Institut Français du Royaume Uni (Londres), 8 novembre 2007 : Democracy and


European Institutions.
— Université de Buenos-Aires (Argentine), 20 novembre 2007 : Confianza y desconfianza
en la democracia.
— Alliance Française de Buenos-Aires (Argentine), 21 novembre 2007 : L’Avenir de l’idée
de nation dans un monde globalisé.
— Maison « Vlaams-Nederlands Huis de Buren » (Bruxelles), 29 novembre 2007 : La
Démocratie multiple.
— Université de Leuwen (Belgique), 30 novembre 2007 : Social Citizenship.
— Séminaire du Gouvernement basque (Vitoria, Espagne), 18 avril 2008 : La nouvelle
légitimité démocratique.
— Grandes conférences d’El Watan (Alger), 26 avril 2008 : La démocratie et ses
ennemis.
— Université La Sapienza (Rome), Colloque européen d’Amalfi (Italie), 31 mai 2008 :
Situation de la démocratie contemporaine.
Écrit et cultures dans l’Europe moderne

M. Roger Chartier, professeur

1. Enseignement et recherche

A. Cours

Les quatorze heures du cours donné entre octobre et décembre 2007 ont été
consacrées à exposer les premiers résultats d’une recherche dont le point de départ
se trouve dans un registre de comptes, celui où furent inscrits les paiements faits
par le Trésorier de la Chambre du roi d’Angleterre.

Londres 1613

En date du 20 mai 1613, il mentionne le versement de 93 livres, 6 shilling et


8 pence à John Heminge, l’un des acteurs et propriétaires de la troupe des King’s
Men, officiellement désignés comme Grooms of the Chamber, pour les représentations
de quatorze pièces données durant les semaines ou les mois précédents devant « the
Princes Highnes the Lady Elizabeth [la fille de Jacques Ier] and the Prince Pallatyne
Elector [Frédéric, le prince électeur du Palatinat] ».

De ces quatorze pièces, six figureront dans le Folio de 1623 où le même John
Heminge et son compagnon de scène Henry Condell réuniront, pour la première
fois, les Comedies, Histories, & Tragedies de Shakespeare. Le même « warrant »
ordonne le paiement de soixante livres au même John Heminge pour les
représentations de six autres pièces, jouées elles aussi dans le palais royal et parmi
elles « Cardenno ». Un mois et demi plus tard, le 9 juillet 1613, la somme de
6 livres, 13 shilling et 4 pence est payée à John Heminge et « the rest of his fellows
his Majesties servants and Players » pour la représentation devant le duc de Savoie,
hôte du souverain anglais, d’une pièce « called Cardenna ». C’est cette pièce, au
nom variable, Cardenno ou Cardenna, dont cette recherche voudrait percer le
mystère.
470 ROGER CHARTIER

Parmi les vingt pièces mentionnées par le paiement de la Chambre du Roi,


pourquoi s’attacher plus particulièrement à « Cardenno » ? À l’évidence parce que
ce titre renvoie à un livre publié par Edward Blount en 1612 : The History of the
valorous and wittie Knight-Errant Don-Quixote of the Mancha. Un à peine après sa
traduction par Thomas Shelton, l’histoire de Cervantès, dont la première partie
(qui ne l’était pas encore à cette date) a été imprimée à la fin de 1604 avec la date
de publication de 1605 dans l’atelier madrilène de Juan de la Cuesta, inspire une
pièce anglaise représentée à la cour. Il ne fait pas de doute, en effet, que Cardenno
est Cardenio, le jeune noble andalou, né à Cordoue, qui par désespoir d’amour a
fait retraite dans la Sierra Morena où il se conduit en homme sauvage, les habits
déchirés, le visage brûlé par le soleil, sautant de rocher en rocher. Don Quichotte
le rencontre au chapitre XXIII (de fait, le chapitre IX du Troisième Livre du
volume de 1605 qui était divisé en quatre parties) et il apprend son nom et son
histoire au chapitre suivant. Les malheurs de Cardenio, amoureux infortuné de
Luscinda et trahi par son ami Fernando, et leur dénouement finalement heureux,
pouvaient fournir une belle matière pour une pièce, à la fois tragédie et comédie,
représentée en des jours de peine et de joie à la cour d’Angleterre : le 7 décembre
1612 est mort Henry, le fils aîné de Jacques Ier, et le 14 février 1613, jour de la
Saint Valentin, sa fille Elizabeth a épousé le prince du Palatinat. Les festivités des
douze jours et du Carnaval sont donc marquées par la douleur du deuil et la joie
de l’hyménée. Durant tout le temps des banquets et spectacles de Noël auxquels
assistent les futurs époux, le catafalque du prince Henry et son effigie de cire, parée
des insignes monarchiques, sont exposés dans l’abbaye de Westminster.
La traduction de Thomas Shelton s’inscrit dans un double contexte, théâtral et
éditorial. Son éditeur, Edward Blount, avait dès avant 1612 ouvert son catalogue
aux traductions : en 1600, il a publié The Hospitall of incurable fooles de Tomaso
Garzoni, en 1603 The Essayes or morall, politike and militarie discourses de Montaigne
dans la traduction de John Florio (dont il avait édité en 1598 le dictionnaire
italien-anglais A Worlde of Wordes), en 1604 The Naturall and morall historie of the
East and West Indies du Père José de Acosta, en 1607 l’Ars aulica de Lorenzo Ducci
et en 1608 Of wisdome de Pierre Charron. En 1623, avec William Jaggard, John
Smethwick et William Aspley, il sera l’un des quatre libraires londoniens qui
éditeront le Folio de Shakespeare et le seul dont le nom est mentionné à la dernière
ligne de la page de titre : « Printed by Isaac Jaggard, and Ed. Blount. 1623 ».
Le second contexte est celui de la forte présence espagnole sur les scènes
londoniennes. Elle prend différentes formes. Tout d’abord, la localisation de
l’action dramatique en Espagne : ainsi, avec la première et plus fameuse des pièces
espagnoles, The Spanish Tragedy de Thomas Kyd. Écrite entre 1582 et 1591, et
vraisemblablement après 1585, la pièce situe dans la péninsule ibérique un thème
majeur des drames élisabéthains : les implacables obligations de l’honneur outragé.
Inaugurant le genre des « revenge plays », The Spanish Tragedy lie avec force le
thème de la vengeance, inspiré par Sénèque, et la référence espagnole, et ce, même
si l’intrigue, qui fait du vice-roi du Portugal un tributaire du roi d’Espagne entré
ÉCRIT ET CULTURES DANS L’EUROPE MODERNE 471

en guerre contre lui, s’écarte de la réalité historique contemporaine puisque, depuis


1582, le Portugal est soumis directement à l’autorité du souverain castillan.

Un second thème espagnol sur les scènes londoniennes est celui de l’Espagnol
maniéré et poltron, tel Don Adriano de Armado, le poète alambiqué, amoureux
ridicule et bravache fanfaron, pas plus invincible que le fut l’Armada de son roi, dans
Love’s Labour’s Lost (Peines d’amour perdues) de Shakespeare, dont l’édition quarto
— la première de toutes les éditions de ses pièces qui mentionne son nom sur la page
de titre — est parue en 1598. La figure divertissante et dérisoire de l’extravagant
Armado est comme un contrepoint rassurant aux descriptions dénonciatrices des
cruautés infligées par les Espagnols aux habitants du Nouveau Monde, rappelées
pour mettre en garde contre celles qu’ils pourraient perpétrer contre les Protestants.

Dans la guerre puis dans la paix, signée à Londres en 1604 et à Madrid en 1605, la
référence espagnole habite l’imagination des auteurs anglais et, parmi eux, les
dramaturges. En 1602 le libraire Henry Rockytt publie une pièce représentée par la
troupe d’enfants des Children of Saint Paul, intitulée Blurt Master-Constable. Or the
Spaniards Night-walke, attribuée à Thomas Dekker. Elle porte sur la scène un
personnage qui porte le nom du premier des « pícaros » : Lazarillo de Tormes. La
première traduction du roman a été publiée par Abell Jeffes en 1586. Dix ans plus
tard est parue une traduction de la continuation du Lazarillo, due à William Phiston,
et c’est sans doute dans cette seconde partie, où Lazarillo est devenu soldat, que la
pièce publiée en 1602 a trouvé son Espagnol. En effet, le Lazarillo de la comédie est
un proche parent de Don Adriano de Armado et sa supposée bravoure est démentie
par les témoins de sa couardise. Sans grand rapport avec le Lazarillo castillan, le
personnage ainsi nommé par Dekker s’inscrit dans la dénonciation comique de
l’Espagnol matamore et couard, vaniteux et superstitieux, maniéré et trompé. Mais
son nom même atteste que les héros des fictions espagnoles sont familiers aux
spectateurs et aux lecteurs anglais qui s’amusent de leurs multiples identités.

C’est dans ce contexte d’une forte présence théâtrale et éditoriale de la littérature


castillane qu’est publiée en 1612 la traduction de Don Quichotte par Thomas
Shelton. Dès avant sa publication, des allusions à l’histoire du chevalier errant
apparaissent dans plusieurs pièces. La plus fameuse est The Knight of the Burning
Pestle, Le Chevalier à l’ardent pilon, attribuée à Beaumont et Fletcher sur la page
de titre des éditions de 1635 mais considérée comme écrite par le seul Beaumont
par la plupart des éditions modernes. Si la première édition quarto ne date que de
1613, la pièce a sans doute été représentée quelques années auparavant par la
compagnie d’enfants qui depuis 1600 jouait dans le théâtre installé dans l’ancien
couvent des Blackfriars. Sa date pourrait être soit 1611, à suivre littéralement le
texte de la dédicace de son éditeur Walter Burre à Robert Keysar, le « master of the
Queen’s Revels Children » des Blackfriars, soit plus probablement 1607 ou 1608, si
l’on privilégie la remarque de l’un des personnages, le Citizen, qui rappelle dans le
prologue ou « induction » que depuis « seven years there hath been plays at this
house » [« depuis sept ans on joue des pièces dans ce théâtre »].
472 ROGER CHARTIER

L’une ou l’autre date, 1607-1608 ou 1611, pose la même question : celle du


rapport de la pièce avec Don Quichotte dont la traduction n’avait pas encore été
publiée. Même s’il faut se garder d’une mise en parallèle trop étroite des situations et
des motifs de la comédie et de l’histoire et même si Beaumont (avec ou sans Fletcher)
puise son inspiration directement dans les romans de chevalerie eux-mêmes, et non
dans leur parodie, il paraît assuré que le dramaturge connaissait les aventures de Don
Quichotte. Elles sont le contrepoint de celles de Ralph, le commis d’épicerie qui se
fait « Grocer Errant », « épicier errant », sur la scène des Blackfriars pour plaire à son
patron et à la femme de celui-ci, lassés des satires contre les « Citizens » de Londres
qui y sont jouées ordinairement. Tel sera le cas, pensent-ils, de The London Merchant,
la pièce représentée par les Queen’s Revels Children, que les hauts faits du « chevalier à
l’ardent pilon » interrompront à de maintes reprises.
Comment l’œuvre de Cervantès a-t-elle pu être connue en Angleterre avant la
publication de sa traduction imprimée ? On ne peut écarter, tout d’abord,
l’hypothèse de sa lecture dans l’une ou l’autre des éditions en castillan publiée
avant 1608 : cinq en 1605 (deux à Madrid, deux à Lisbonne, une à Valence), une
en 1607 (à Bruxelles), une en 1608 (à Madrid de nouveau). Avant la traduction
de Shelton, deux autres éditions du texte de Cervantès sont en circulation : celle
de Milan en 1610 et la seconde de Bruxelles en 1611. Avec neuf éditions parues
avant 1612, Don Quichotte connaît une large circulation, qui ne se limite ni à la
péninsule ibérique, ni à l’Amérique espagnole. Lorsqu’il mentionne, dans le
chapitre III de la Seconde Partie (parue en 1615) que l’« on a déjà imprimé plus
de douze mille exemplaires de cette histoire », le bachelier Samson Carrasco est
peut-être en deçà de la vérité si l’on rappelle avec Alonso Víctor de Paredes,
compositeur et imprimeur à Séville puis Madrid, auteur vers 1680 du premier
manuel sur l’art typographique en langue vulgaire, que le tirage normal d’une
édition est de 1 500 exemplaires. Ce seraient donc 13 500 exemplaires du Quichotte
qui circulèrent en castillan dans les dix années qui suivirent l’édition sortie de
l’atelier de Juan de la Cuesta en 1605. Il est plus que probable que certains lecteurs
anglais ont lu Don Quichotte dans sa langue, d’autant qu’entre 1590 et 1605
nombreux sont les grammaires, dictionnaires et manuels destinés à enseigner
l’espagnol publiés par les éditeurs londoniens.
D’autres avaient pu le faire grâce à la circulation manuscrite de la traduction de
Shelton avant même sa publication imprimée. Le livre a été enregistré par Blount
dans le Registre de la Stationers’ Company, la communauté des libraires et imprimeurs
de Londres, le 19 janvier 1611, et, en 1612, dans la dédicace de sa traduction
adressée à Lord Walden, Shelton indique qu’il a traduit Don Quichotte en quarante
jours cinq ou six ans auparavant, soit en 1607. S’il dit vrai, cela explique pourquoi
dès cette date plusieurs dramaturges font allusion au combat du chevalier errant
contre les moulins à vent — ainsi George Wilkins dans The Miseries of Enforced
Marriage et Thomas Middleton dans Your Five Gallant — et pourquoi en 1609
dans Epicoene de Ben Jonson Truewit donne ce conseil à Sir Dauphine, s’il veut
vraiment apprendre à connaître les femmes : « Vous devez cesser de vivre dans votre
ÉCRIT ET CULTURES DANS L’EUROPE MODERNE 473

chambre et avec Amadis de Gaule ou Don Quixote, comme vous en avez l’habitude,
et vous rendre là où le thème est fréquent, à la cour, aux tournois, aux cérémonies
et aux fêtes, dans les théâtres, et parfois dans les églises. »

Les folies de don Quichotte ont donc été connues très tôt en Angleterre. Mais
pourquoi, alors, en 1613, la pièce représentée deux fois par les King’s Men à
Whitehall fait-elle de Cardenio, et non du chevalier errant son héros principal ?
Pourquoi annonce-t-elle par son titre que son intrigue sera celle des amours
contrariées et finalement satisfaites du jeune noble andalou, et non les aventures
comiques de l’hidalgo et son écuyer ? La réponse n’est pas aisée puisque jamais la
pièce ne fut publiée et qu’il n’en subsiste ni édition ni manuscrit. Cette situation,
au demeurant, n’a rien d’extraordinaire puisque la majorité des pièces représentées
en Angleterre entre 1565 (date l’édition de la première tragédie anglaise, The
Tragedie of Gordobuc de Thomas Norton et Thomas Sackville) et 1642 (date de la
fermeture des théâtres) ne fut jamais imprimée. David Scott Kastan avance l’idée
que moins du cinquième le fut alors que Douglas A. Brooks se montre un peu
plus généreux et indique, à partir d’une comparaison entre le nombre de titres
connus et celui des textes existant, que c’est un peu plus du tiers des pièces
représentées qui a eu au moins une édition imprimée. En l’absence du Cardenio
de 1613, seule une série d’hypothèses peut rendre compte de la décision qui
transforme en une pièce de théâtre cette histoire d’amours racontée par plusieurs
de ses protagonistes au fil des chapitres de Don Quichotte.

L’un des reproches faits à Cervantès, tels que les rappelle Samson Carrasco, était
d’avoir intercalé dans l’histoire du chevalier errant une « novela » : « L’un des défauts
que l’on reproche à cette histoire, dit le bachelier, c’est que son auteur y a inséré une
nouvelle intitulée : Le Curieux impertinent. Non pas qu’elle soit mauvaise ou mal
écrite, mais parce qu’elle n’est pas à sa place et n’a rien à voir avec l’histoire du
seigneur don Quichotte. » La nouvelle du « Curieux impertinent », qui occupe les
chapitres XXXIII à XXXV, est en effet un récit dans le récit, lu à haute voix par le
curé aux autres personnages (sauf don Quichotte) et qui, hors l’interruption créée
par le combat de l’hidalgo endormi contre les outres de vin prises pour le géant
usurpateur du royaume de Micomicon, est tout à fait indépendant de l’histoire
principale. Sa transformation en comédie était donc aisée et, d’ailleurs, elle le fut
puisqu’en 1611 une pièce de Thomas Middleton, The Second Maiden Tragedy, porte
sur la scène comme intrigue secondaire l’histoire d’Anselmo, le mari trop curieux ou
trop sûr de la vertu de sa femme, et de Lotario (devenu Votarius), son ami pris au jeu
de la séduction. Pourquoi, alors, le choix l’histoire de Cardenio qui présentait de
plus grandes difficultés puisque, dans ce cas, la « nouvelle » se trouve fortement et
durablement liée aux pérégrinations du chevalier errant ?

L’histoire de Cardenio pouvait fournir une bonne intrigue pour le genre


tragi-comique, alors à la mode. Fletcher l’avait ainsi défini dans l’adresse au lecteur
qui précède sa pièce, The Faithful Shepherdess, en 1608 : « Une tragi-comédie est
ainsi appelée, non parce qu’elle allie la gaîté aux tueries, mais parce que personne
474 ROGER CHARTIER

n’y trouve la mort (ce qui suffit à n’en pas faire une tragédie) bien que d’aucuns
s’en approchent (ce qui suffit à n’en pas faire une comédie, laquelle doit être une
représentation de personnages familiers, avec de ces complications qui ne mettent
nulle vie en cause). » Les amours de Cardenio entraient tout à fait dans cette
définition. Les protagonistes y frôlent ou désirent la mort, mais leurs amours sont
finalement heureusement renoués et tout est bien qui finit bien. Nous ne saurons
sans doute jamais comment ce que Cervantès désigne comme « ces aventures si
enchevêtrées et si désespérées » (« tan trabados y desesperados negocios ») fut porté
sur la scène du palais de Whitehall par les comédiens du roi lorsqu’en 1613, par
deux fois, ils représentèrent Cardenio.
Si la traduction de Shelton, fidèle au texte de Cervantès, proposait des matériaux
immédiatement utilisables pour une pièce de théâtre, avec ses moments
spectaculaires (la séduction de Dorotea par Fernando, le mariage entre celui-ci et
Luscinda, les reconnaissances et réconciliations entre les couples un temps désunis,
les adieux), ses dialogues dramatiques et ses monologues intérieurs, il n’en allait
pas de même avec la construction même de l’intrigue. Comment, en effet,
transformer en un récit linéaire ce qui était donné dans Don Quichotte comme une
série de retours en arrière où chaque narration ajoutait des épisodes connus
seulement par celui ou celle qui convoquait le passé dans sa mémoire ? Et, plus
difficile encore, comment traiter sur le théâtre l’intrication des deux histoires qui
advient dès lors que Dorotea accepte le rôle de la princesse Micomicona ? L’enjeu
n’était pas mince car il pouvait conduire soit à représenter l’histoire des amours de
Cardenio et Fernando sans la lier d’aucune manière aux aventures de don Quichotte,
soit à inventer une formule qui permettait d’associer sur la scène la déraison
comique du chevalier errant et la nouvelle sentimentale des amants séparés puis
réunis. Une pièce fondée sur Don Quichotte pouvait-elle ignorer son héros principal ?
Ou bien devait-elle, comme l’histoire parue en 1605, jouer des multiples effets que
produit la rencontre entre les folies de don Quichotte et celles de Cardenio ? Le
ou les auteurs de la pièce jouée à Londres en 1613 ne furent ni les seuls ni les
premiers dramaturges à se confronter à un semblable dilemme. Quelques années
auparavant, Guillén de Castro lui avait trouvé une solution.

Espagne 1605-1608
Les premières planches sur lesquelles montèrent don Quichotte et Cardenio furent
celles d’un « corral de comedias ». Très tôt après la publication de l’histoire, peut-être
en 1605 ou 1606 et en tous cas avant 1608, le dramaturge valencien Guillén de
Castro, à jamais fameux pour ses Mocedades del Cid, compose une comedia en trois
« jornadas » ou trois actes intitulée Don Quijote de la Mancha. Elle sera publiée à
Valence en 1618 avec ce titre de Don Quijote de la Mancha, mais les derniers vers de
la pièce suggèrent qu’elle avait peut-être été représentée sous celui des « fils
échangés » : « Y de los hijos trocados / aquí la comedia acaba, / y del Caballero
Andante / don Quijote de la Mancha » (vers 3100-3104) [« Et des fils échangés /
Finit ici la comedia, / et du Chevalier Errant / don Quichotte de la Manche »].
ÉCRIT ET CULTURES DANS L’EUROPE MODERNE 475

Malgré le titre, l’histoire que Guillén de Castro porte sur la scène est bien celle
de Cardenio, Luscinda, Dorotea et Fernando, ici nommé « El Marqués », le fils du
Duc auprès duquel Cardenio a été envoyé. Dès le premier acte, la comedia manifeste
les transformations apportées à l’histoire qui lui sert de source directe. La plus
fondamentale est celle qui fait de Cardenio, non plus un fils de noble, mais le fils
d’un paysan nommé Lisardo. De ce fait, les deux amours, celui du Marquis pour
Dorotea, fille du paysan Fideno, et celui plus immédiatement partagé par Cardenio
et Lucinda, présentent une semblable inégalité de condition qui explique tant la
réticence de Cardenio à avouer son amour à une jeune « dama » dont le rang est
sans commune mesure avec son propre état que la résistance de Dorotea face à la
passion du Marquis.
Ayant introduit cette dissymétrie des conditions dans chacun des deux couples
d’amants, Guillén de Castro en montre l’incongruité dès le premier acte. Cardenio,
le fils de paysan, et le Marquis, fils de duc, devraient être autres qu’ils ne sont.
Avec la « comedia » de Guillén de Castro, l’histoire de Cardenio, ici fils de paysan
amoureux d’une étoile, met en scène le scandale des discordances entre condition
et conduite, l’état et les sentiments. A la noblesse de cœur et la bravoure du paysan
Cardenio s’opposent la vilenie et la couardise du fils du Duc, et chacun dans la
pièce perçoit qu’il y a là une anomalie mystérieuse qui ne peut être qu’une erreur
de la Nature.
Ce n’est qu’à la fin de la scène XIII de la comedia (dans le découpage moderne
du premier acte de la pièce) qu’entre en scène don Quichotte. L’indication scénique
indique : « Sale don Quijote en Rocinante, y el vestido como le pintan en su
libro » [« Entre don Quichotte, monté sur Rossinante et dans le costume qui est
décrit dans son livre »]. La didascalie fait sans doute référence à la description de
don Quichotte au chapitre II, lorsqu’il apparaît aux deux « dames », en fait deux
filles de joie, postées à la porte de l’auberge. La pièce établit d’emblée une complicité
avec ceux et celles qui ont lu ou connaissent le livre paru en 1605.
Guillén de Castro procède avec l’histoire de Cervantès comme le fait don
Quichotte avec les romans de chevalerie et les romances qu’il a lus. Il suppose que
le livre qui raconte les exploits du chevalier errant est déjà présent dans la mémoire
des spectateurs et que les mots prononcés sur la scène les feront souvenir de leur
lecture. Ils se divertiront en reconnaissant des citations littérales et prendront
plaisir aux allusions qui leur rappelleront les épisodes de l’histoire. Mais peut-on
supposer que Don Quichotte était dès les premiers mois ou années qui ont suivi sa
publication une histoire déjà si fortement connue ?
Plusieurs données peuvent étayer une semblable hypothèse. Tout d’abord, le
nombre des éditions : cinq dans la seule année 1605, une en 1607, une en 1608.
Toutes ont été publiées dans les terres ibériques du roi très catholique (sauf celle
de Bruxelles en 1607) : trois à Madrid chez Juan de la Cuesta, deux à Lisbonne et
une à Valence chez Felipe Mey, l’imprimeur de la Primera Parte de Guillén de
Castro en 1618. Mey réemploie pour la page de titre de la comedia Don Quixote
476 ROGER CHARTIER

de la Mancha le même bois gravé, qui représente un chevalier empanaché, entrant


dans la lice la lance en avant, qu’il avait déjà utilisé en 1605 pour son édition de
Don Quixote et en 1616 pour celle de la Segunda Parte. Ensuite, très précoce est la
présence des deux héros de l’histoire, le chevalier errant et son écuyer, dans les
divertissements de cour et les mascarades populaires qui prolongent la longue
tradition parodique qui, comme l’a montré Pedro Cátedra, dès les commencements
du XVIe siècle, a accueilli dans les joutes et tournois aristocratiques des figures
telles que « el Cavallero del Mundo al Revés » ou « el Cavallero que da las Higas a
la Verde » — la couleur verte désignant les extravagances de la jeunesse, la folie et,
parfois, l’homosexualité.
Le 10 juin 1605, lors de la fête qui célèbre à Valladolid la naissance d’un héritier
du trône, le prince Felipe, le portugais Thomé Pinheiro da Veiga décrit l’un de ses
compatriotes, Jorge de Lima Barreto, comme s’il était Don Quixóte, monté sur un
pauvre roussin (« hum pobre quartão ruço »), vêtu d’un grand chapeau, d’une cape
et de chausses de velours, précédé par un « Sancho Panço » qui porte lunettes et
un « habito de Christo ». La description n’implique pas que le noble portugais ait
voulu se déguiser en don Quichotte, mais elle atteste pour le moins que, dès le
milieu de 1605, l’histoire de Cervantès était déjà suffisamment connue pour que
puissent être identifiés à son héros les chevaliers les moins fortunés — ainsi ce
Portugais qui utilise comme pauvre monture l’un des chevaux de sa voiture. C’est
également très tôt après la publication de l’histoire, en 1605 ou 1606, qu’une
Relación de las calidades de los españoles, rédigée en castillan par un voyageur
allemand, désigne parmi les livres de divertissement les plus appréciés des Espagnols
« D. Quixote de la Mancha », aux côtés de trois autres titres : La Celestina, Lazarillo
de Tormes, et la Primera Parte del Pícaro [i. e. Guzman de Alfarache].
Très tôt également, le chevalier errant et ses compagnons sortent des pages du
livre qui conte leurs aventures. En 1608, lors de l’entrée du duc de Lerma, le
« valido » de Philippe III, dans la ville de Tudela del Duero, incorporée à ses
domaines par la grâce royale, la corrida qui a lieu sur la place de l’hôtel de ville
inclut la « Aventuras del caballero don Quijote » et les festivités s’achèvent avec un
pastiche des réjouissances de la cour, la « Máscara de invención a lo pícaro del Dios
Baco ». Un an auparavant, en 1607, le chevalier errant se trouvait sur l’autre rive
de l’Atlantique et participait avec d’autres illustres chevaliers aux joutes, ou « fiesta
de sortija » organisées par don Pedro de Salamanca, corregidor de Pausa, alors
capitale de la province de Parinacochas au Pérou, pour célébrer la nomination
comme nouveau vice-roi de don Juan de Mendoza y Luna, marquis de Montesclaros.
Selon la relation manuscrite de la fête, plusieurs cavaliers entrent en compétition
dans ce tournoi où il s’agit d’atteindre une cible placée dans la carrière. Tous se
présentent déguisés en chevaliers de romans : le « corregidor », qui est aussi le
« mantenedor » ou organisateur du tournoi, apparaît d’abord, en « Cavallero de la
Ardiente Espada », surnom d’Amadis de Grecia, puis il change d’habit et concourt
comme Bradaleon, d’autres entrent dans la carrière comme s’ils étaient le
« Cavallero Antártico », avec une compagnie de plus de cent Indiens, le « Cavallero
ÉCRIT ET CULTURES DANS L’EUROPE MODERNE 477

de la Selva », précédé par quatre « sauvages », le « Cavallero Venturoso » ou le


« Dudado Furibundo » en habit de maure. L’un des compétiteurs, Don Luis de
Córdoba qui, comme l’indique la relation, « anda en este rreyno disfraçado con
nombre de Luis de Galves » [« est dans ce royaume connu sous le nom de Luis de
Galves »], a choisi un autre héros : il entre sur la place comme le « Cavallero de la
Triste Figura don Quixote de la Mancha, tan al natural y propio de como lo pintan
en su libro » [« aussi exactement qu’ il est peint dans son livre »].
Le « livre » de don Quichotte, en effet, n’est pas inconnu dans les Indes
espagnoles. À suivre les registres de l’Archivo General de Indias, dans la seule année
1605, celle des premières éditions, 262 exemplaires sont embarqués sur l’Espíritu
Santo pour Clemente de Valdés, « vecino de México », cent exemplaires que Diego
Correa sont adressés sur un bateau du même nom à Antonio de Toro à Carthagène,
trois exemplaires destinés à Juan de Guevara font le voyage sur le Nuestra Señora
del Rosario qui lui aussi doit débarquer à Carthagène et, sur un autre bateau, le
marchand Andrés de Hervas envoie 160 exemplaires en Nouvelle Espagne. Les
libraires de la métropole font ainsi parvenir de nombreux exemplaires de Don
Quichotte à leurs correspondants américains. En mars 1605, un libraire d’Alcalá de
Henares, Juan de Sarría, adresse à son confrère de Lima, Miguel Méndez, soixante
et une caisses de livres. Au cours du long voyage, huit caisses sont vendues à
Panama et huit autres embarquées séparément pour atteindre Lima — les unes et
les autres contenant très vraisemblablement des exemplaires du livre de Cervantès.
Ce sont donc quarante-cinq caisses de livres dont le fils de Juan de Sarria accuse
réception en mai 1606, soit un an après leur départ de Séville. Dans l’inventaire
qui en est dressé se rencontrent 2895 volumes dont soixante-douze exemplaires de
Don Quichotte. Il en emporte neuf à Cuzco alors que soixante-trois restent dans la
capitale. Si l’affirmation selon laquelle la quasi totalité de la première édition de
l’histoire a été envoyée en Amérique semble quelque peu exagérée, il n’en demeure
pas moins que très nombreux en sont les exemplaires qui y arrivent dès 1605, soit
à travers le commerce de librairie, soit parce que certains des voyageurs
transatlantiques ont emporté le livre avec eux.
À Pausa en 1607, dans une localité justement située sur le chemin de Cuzo
emprunté par Juan de Sarría et ses exemplaires de l’histoire, don Quichotte, monté
sur un cheval efflanqué, est doté d’un casque orné de plumes et d’une fraise
[« morrión con mucha plumerería de gallos, cuello de dozabo »], ce qui l’apparente
aux chevaliers parodiques des fêtes aristocratiques du siècle précédent et l’éloigne,
malgré ce que dit la relation, de la description qui le « peint » dans son livre. Il
porte un masque « muy al propossito que rrepresentaba » [« tout à fait approprié
pour le personnage qu’il représentait »] et est accompagné par Sancho, juché sur
son âne et portant le heaume de Mambrin, par le curé et le barbier, vêtus en
écuyer, et par la « ynfanta Micomicona ». La nuit venue et achevée la fête où se sont
côtoyés chevaliers de littérature, faux maures, véritables indiens et les élites
espagnoles de Pausa, le prix de la meilleure « invention » est donné au « Cavallero
de la Triste Figura » pour l’exactitude de sa représentation et le rire général qu’elle
478 ROGER CHARTIER

a suscité. Les héros de Cervantès demeureront durablement des figures familières,


mobilisées dans de nombreuses fêtes, en Espagne lors des célébrations des
béatifications de Thérèse d’Avila ou Ignace de Loyola, en Amérique (ainsi à Mexico
en 1621 lors la fête de béatification de San Isidro organisée par les ouvriers de la
Platería Real), et dans toute l’Europe — ainsi à Dessau en 1614 pour le baptême
du fils du Prince d’Anhalt.
Guillén de Castro déploie le second acte de la comedia entre deux fortes scènes
de Don Quichotte : d’une part, la séduction de Dorotea par Fernando, telle que la
raconte la jeune paysanne, d’autre part, le mariage de Luscinda et Fernando dont
plusieurs récits (ceux de Cardenio, Dorotea et finalement Fernando lui-même)
décrivent les épisodes successifs. Sur la scène, leur traitement est fort différent.
L’ acte commence alors que Dorotea a déjà été séduite et abandonnée. En quelques
vers, le Marquis résume et la reddition de Dorotea, convaincue par la promesse de
mariage, et le brusque changement de ses propres sentiments.
En contraste avec cette ellipse initiale, la mise en scène spectaculaire des péripéties
du mariage clôt l’acte. Averti par un billet de Lucinda que lui remet Dorotea et
qui lui annonce son prochain mariage, Cardenio se rend sur les lieux. Caché
comme l’est Dorotea, il est témoin de l’acceptation de Lucinda après que son père
lui a ordonné de donner sa main au Marquis (« Sí la doy, pero forzada : / ¡pongo
por testigo al Cielo! », vers 1985-1987 [« Oui, je la donne, mais contrainte : / que
le Ciel m’en soit témoin ! »]). Après son départ, la scène continue comme chez
Cervantès avec l’évanouissement de Lucinda, la découverte du billet et du poignard
qu’elle celait sur son sein, la fureur du Marquis et, finalement, la fuite de la jeune
fille. Guillén de Castro n’a donc pas manqué d’exploiter la théâtralité déjà présente
dans le récit en prose, mais il l’a condensée dans une action rapide (moins d’une
centaine de vers séparent l’entrée du père de Lucinda accompagné du Marquis et
le départ de Lucinda, au milieu de la plus grande confusion) qui culmine avec
l’acceptation forcée de la jeune fille.
Cette brièveté n’est pas sans modifier profondément la signification de la scène.
Chez Cervantès, elle respecte à la lettre le rituel catholique du mariage. C’est un
prêtre qui prononce les paroles rituelles : « Je dirai, poursuivit Cardenio, qu’étant
tous réunis dans la salle le curé de la paroisse entra ; et leur prenant à tous deux
la main pour faire ce qui en tel cas est requis, il vint à dire : “Voulez-vous prendre
Madame Luscinda, le seigneur don Fernando ici présent pour votre légitime époux,
ainsi que l’ordonne notre sainte mère l’Église ?” ». Les oui des époux et l’anneau
passé au doigt de Luscinda les unissent à jamais : « je l’entendis déclarer d’une voix
faible et mourante : “Oui, je le veux”. Don Fernando répondit de même et, tandis
qu’il lui passait l’anneau, ils se trouvèrent unis d’un indissoluble nœud. »
Le ressort dramatique dans le Quichotte vient du fait que ce mariage, célébré en
pleine conformité avec le rituel de l’Eglise, l’est entre deux époux qui sont déjà
unis à un autre conjoint par la promesse qu’ils lui ont faite. Dorotea rappelle
qu’elle n’a cédé à Fernando qu’après les serments réitérés de celui-ci qui, au moment
ÉCRIT ET CULTURES DANS L’EUROPE MODERNE 479

de la quitter, lui passe un anneau au doigt. Pour Dorotea, l’union célébrée entre
Fernando et Luscinda est pour celui-ci un « second mariage » dont le départ brutal
de Fernando puis la fuite de Luscinda ont empêché la consommation. Elle voit là
une raison pour garder espoir en la possible annulation de cette seconde union.
C’est cette même puissance de la parole donnée, suffisante pour que le mariage
soit reconnu et consacré, qui fait affirmer à Luscinda dans le billet trouvé sur son
sein après son évanouissement qu’elle est déjà l’épouse de Cardenio.

La restauration des premières unions, fondées sur l’échange de promesses, sans


cérémonie, sans présence ecclésiastique, sans accord des pères, suppose, dans
l’histoire de Cervantès, que soit reconnu le primat de la parole donnée sur le rituel
religieux et que soit annulé le mariage célébré entre Fernando et Luscinda. C’est
ce que répètent les mots de Dorotea, qui s’est jetée aux pieds de Fernando lorsque
les deux couples se retrouvent et se reconnaissent dans l’auberge de Juan
Palomeque. Mais c’est surtout ce que confirme le curé qui rappelle au fils du duc
l’obligation aristocratique et chrétienne qu’entraîne une promesse de mariage tout
en justifiant les unions socialement inégales lorsqu’elles sont accompagnées par
d’honnêtes sentiments. Fernando entend ces raisons, revient à Dorotea et à sa
promesse, et rend Luscinda à son Cardenio. L’histoire des amants enfin réunis n’en
dit pas plus sur la manière dont devra et pourra être annulée l’union célébrée dans
la maison des parents de Luscinda.

En un temps où est vive la tension entre ces deux définitions du mariage, celle
qui tient pour nécessaire mais suffisant l’échange des consentements et celle qui
suppose la parole sacerdotale, Guillén de Castro a préféré éviter la difficulté.
Lucinda donne sa main au Marquis sur l’injonction de son père, mais en l’absence
de tout prêtre aucune parole rituelle n’est prononcée avant le départ du Marquis à
la suite du violent affrontement qui l’oppose à Teodoro. De semblable manière,
Guillén de Castro édulcore la signification de la parole donnée par le Marquis à
Dorotea. Certes, il lui a promis de l’épouser, mais comme l’atteste le dialogue entre
Cardenio et le Marquis qui suit cet aveu, et qui est un très bref rappel de la scène
de la séduction de Dorotea, cette promesse n’est pas considérée comme suffisante
pour sceller une union matrimoniale. La promesse de mariage est ici privée de la
force sacramentelle qu’elle conserve dans le récit de Cervantès. Jamais Dorotea,
trahie par son séducteur, ou Lucinda, promise contre son gré à un homme qu’elle
n’aime pas, n’invoquent dans la comedia une promesse qui serait un premier
mariage. Une telle prudence rend plus aisé le dénouement, sans nécessité
d’annulation d’une précédente union et sans excessive contradiction entre les
paroles qui furent données et une cérémonie déjà célébrée.

Dans le second acte, plus encore que dans le premier, don Quichotte remplit
l’emploi du « gracioso », du personnage grotesque et burlesque. La servante qui
accompagne Lucinda le prend au mot lorsqu’il affirme qu’il est capable de vaincre
dix géants et de défendre deux femmes en même temps, en l’occurrence Lucinda et
Dorotea: « Para estas ocasiones / soy Leandro el Animoso » (vers 1599-1600) [« En
480 ROGER CHARTIER

ces occasions / je suis Léandre le vaillant »]. La spirituelle « doncella » entre


immédiatement dans le jeu et déclare que s’il est Léandre, elle est Héro. Comme la
prêtresse de Vénus, elle allumera un flambeau au sommet de la tour où elle attendra
son amoureux. La flamme lui indiquera qu’il peut se jeter à la mer et traverser
l’Hellespont pour la rejoindre. Sous les moqueries de la duègne de Lucinda, don
Quichotte et la servante échangent les paroles que requièrent leurs nouveaux
personnages : « Don Quijote : Répétons ce que vous direz / quand j’arriverai dans
vos bras / mouillé et détruit » — « Je te dirai quand tu arriveras, / moins chaude que
froide / dans tes hardes mouillées / ‘Ah ! Léandre de mes yeux !’ » (vers 1896-1898).

« ¡Ay, Leandro de mis ojos! » : ce vers est une parodie des romances qui s’étaient
emparés de l’histoire de Héro et Léandre transmise par les auteurs anciens. L’histoire,
mise en vers par Musée et Ovide dans les Héroïdes (livres XVII-XVIII) est évoquée
par Virgile dans les Géorgiques (Livre III, vers 257-263). En introduisant ce motif
dans sa « comedia », alors qu’il n’apparaît pas dans le répertoire des rôles endossés par
le héros chez Cervantès, Guillén de Castro s’amuse à une double parodie : d’une
part, celle des romances qui narraient la triste histoire de Léandre, noyé une nuit où le
vent a éteint la flamme qui le guidait, et de Héro, qui s’est jetée du haut de la tour où
elle l’attendait (l’un des plus fameux est le romance burlesque de Góngora de 1589) ;
d’autre part, celle des comédies mythologiques, telle la pièce intitulée Ero y Leandro
que Lope de Vega mentionne dans la liste de ses comedias qu’il publie en 1604 dans
la préface son roman chrétien, El peregrino en su patria.

La transformation de don Quichotte en Léandre permet également à Guillén de


Castro de situer, juste avant la tension dramatique de la scène du mariage, un
moment de franc comique. Don Quichotte, convaincu d’être au bord de la mer et
d’apercevoir le flambeau allumé par Héro, demande à Sancho de l’aider à ôter ses
vêtements, avant de se jeter dans l’Hellespont imaginaire qu’est la scène du théâtre
où il se met à nager : « Va nadando por el tablado, como si estuviera dentro del
agua » / « Il nage sur les planches, comme s’il était dans l’eau ». Sancho craint fort
que son maître ne tombe de la scène (« ¡Qué te vas a despeñar! », vers 1893 [« Tu
vas basculer ! »]), mais celui-ci sort en nageant et en se lamentant de ne point être
accueilli par sa chère Héro. Don Quichotte remplit ainsi parfaitement le rôle de
« gracioso », de personnage comique et risible que lui a assigné Guillén de Castro.
La duègne de Lucinda lui reconnaît explicitement cet emploi lorsqu’elle s’exclame :
« ¡El loco es gracioso! » (vers 1669), ce qui est dire à la fois que ce fou est amusant
et qu’il compose à merveille l’un des personnages obligés de toute comedia.

Dans sa pièce, Guillén de Castro donne au Duc une importance qu’il n’a pas
chez Cervantès. Dès le début du troisième acte, de la troisième « jornada », il
accueille les plaintes de Teodoro et de Fideno, qui lui demandent justice pour le
tort que son fils le Marquis a fait à leurs filles respectives : Lucinda, enlevée alors
qu’elle se déclare dans le billet trouvée sur elle épouse de Cardenio, et Dorotea,
enlevée elle aussi. Les deux pères s’adressent à l’autorité suprême du Duc pour qu’il
leur rende leur honneur. Teodoro lui demande son secours pour laver l’affront qui
ÉCRIT ET CULTURES DANS L’EUROPE MODERNE 481

lui a été fait et c’est une même raison qui conduit Fideno auprès du Duc. Guillén
de Castro noue ainsi le thème fréquent dans les comedias de l’honneur insulté, qui
demande réparation, et la figure du prince souverain dont seule la justice peut
châtier les coupables et rétablir dans leur dignité ceux et celles qui furent leurs
victimes. Bien plus que l’histoire écrite par Cervantès, la comedia de Guillén de
Castro exalte le pouvoir du prince, arbitre des conflits et garant des unions. On le
voit lorsqu’il lève l’épée contre le Marquis, avant de le faire désarmer, et au
dénouement de la pièce, c’est sous son autorité que Cardenio donne sa main à
Lucinda et que le Marquis obtient son pardon en épousant Dorotea.
Mais les unions qui avaient été nouées par les engagements échangés entre les
amants ne peuvent advenir qu’une fois restauré l’accord qui doit exister entre le
caractère et l’état. Comme l’a tant de fois pressenti ou désiré le Duc, qui reconnaissait
son fils dans le valeureux Cardenio bien plus que dans le vil Marquis, les deux
enfants ont bel et bien été échangés. Sur son lit de mort, comme le rapporte
Lisardo, sa femme a confessé devant un notaire et de nombreux témoins que
Cardenio n’était pas son fils, mais le fils du duc qu’elle avait reçu en nourrice, et
que le Marquis était, lui, le fils qu’elle avait eu avec son mari. L’histoire confirme
non seulement les sentiments du Duc mais aussi la règle qui gouverne
immanquablement la relation entre les vertus et les conditions. En faisant du
valeureux Cardenio un fils de paysan qui, en fait, était celui d’un duc, Guillén de
Castro ajoute une péripétie romanesque, dans le goût des histoires tragiques et
sentimentales, au récit qui inspire sa pièce. Mais il fait plus. Il rappelle aux
spectateurs et aux lecteurs que l’ordre social obéit à des lois infaillibles qui font que
bon sang ne saurait mentir.
Comme dans la comedia El Curioso impertinente, que Guillén de Castro composa
dans les mêmes années que Don Quijote de la Macha, entre 1607 et 1609, il adapte
avec liberté une « nouvelle » rencontrée dans le livre récemment paru de Cervantès.
Dans les deux pièces, il invente des personnages absents du premier récit et modifie
l’intrigue selon les nécessités du théâtre — ou de l’idéologie. Aux retours sur le
passé de Don Quichotte est ainsi substitué le déroulement chronologique des
événements ; à l’égalité de conditions entre Cardenio et Luscinda, la fable du fils
de duc pris pour un fils de paysan, et à l’absence du Duc, son autorité souveraine,
seule capable de régler les conflits et de sceller les unions. Mais à la différence du
Curioso impertinente, véritable « novela » sans rapport avec les exploits du chevalier
errant qui n’en est pas même auditeur, les amours de Cardenio et Luscinda, de
Dorotea et de Fernando étaient fortement et durablement imbriqués avec les
extravagances de don Quichotte. Guillén de Castro a pris le parti de conserver
cette trame complexe et, s’il a détaché les scènes où « el loco es gracioso », comme
dit la duègne, et où la folie de don Quichotte le met dans des situations ridicules
et grotesques (don Quichotte battu par les serviteurs du Marquis, don Quichotte
traversant la scène en nageant, don Quichotte dans sa cage), il a multiplié les
rencontres et les dialogues où se croisent le héros et les autres personnages. La
double désignation de la pièce, « Don Quichotte de la Manche, ou les fils
482 ROGER CHARTIER

échangés », exprime bien le lien maintenu entre les deux histoires : celle de
Cardenio, celle de don Quichotte.
En allait-il de même dans la pièce représentée quelques années plus tard à
Whitehall ? Si le Don Quijote de la Mancha de Guillén était très largement l’histoire
de Cardenio, le Cardenio joué par les King’s Men était-il aussi l’histoire de don
Quichotte ? De l’œuvre, il ne subsiste aucun manuscrit et elle n’a jamais été
imprimée. L’historien en est donc réduit à des hypothèses. Un second détour par
le continent, en France cette fois-ci, peut aider à les étayer.

Paris, 1628
En 1628, les comédiens de l’Hôtel de Bourgogne jouèrent une pièce d’un auteur
dont on ne sait presque rien, pas même le prénom : Pichou. Un an plus tard, le
26 août 1629, le libraire parisien François Targa, reçoit un privilège de six ans pour
la publication de l’œuvre, intitulée Les Folies de Cardenio. Achevée d’imprimer en
septembre, le livre comportant la pièce et les « Autres œuvres poëtiques du Sieur
Pichou » (à savoir six poèmes) paraîtra avec la date de 1630. Les Folies de Cardenio
sont l’une des quatre pièces composées par Pichou dans les trois années précédant
sa mort, survenue sans doute à la fin de 1630 ou au commencement de 1631. Les
trois autres, elles aussi donnés à l’Hôtel de Bourgogne entre 1628 et 1630, sont
Les Avantures de Rosileon, tirée de l’Astrée, L’Infidele confidente, inspirée par une
nouvelle de Céspedes y Meneses, traduite par Lancelot mais lue dans l’original
castillan par Pichou, et La Filis de Scire, dont la source est une traduction française
en prose d’une « favola pastorale » de Guidobaldo Bonarelli della Rovere. Dans
leurs éditions de 1630 et 1631, Les Folies de Cardenio et L’Infidele Confidente sont
qualifiées au titre de « tragi-comédie », La Filis de Scire de « comédie-pastorale ».
La pièce de Pichou est la première adaptation théâtrale en France de Don
Quichotte. Tout comme en Angleterre, l’histoire écrite par Cervantès avait circulé
de diverses manières et était devenu fameuse. Dès 1608 et 1609, Nicolas Baudoin
et un traducteur anonyme en avaient donné des extraits en français : le premier en
traduisant la « Nouvelle du Curieux impertinent » dans une édition qui proposait
face à face le texte espagnol et le texte français, le second en publiant selon la même
formule une traduction des amours tragiques du berger Chrysostome (rebaptisé
Philidon) et de Marcelle, racontés par Cervantès aux chapitres XII et XIII, et en y
insérant un discours de don Quichotte comparant les armes et les lettres qui suivait
celui qu’il prononce aux chapitres XXXVII et XXVIII, mais qui reprenait mais
aussi des éléments du chapitre XXI.
Après ces traductions partielles, qui anticipent sur toutes les adaptations qui
s’attacheront aux « nouvelles » plus qu’à la totalité de l’histoire, la première
traduction complète de l’histoire, due à César Oudin, paraît en 1614. Celle de la
Seconde partie est publiée en 1618 dans une traduction de François de Rosset,
traducteur avec François d’Audiguier des Nouvelles exemplaires en 1615 et, cette
même année 1618, des Epreuves et Travaux de Persilès et Sigismunda, le dernier
ÉCRIT ET CULTURES DANS L’EUROPE MODERNE 483

roman de Cervantès, publié de manière posthume en 1617. Les rééditions de la


traduction de la Première partie (en 1616, 1620, 1625), celle de la Seconde en
1622 chez Denis Moreau, ainsi que la première édition qui rassemble les deux
parties en 1625 attestent le succès de l’œuvre, d’autant que de nombreux lecteurs
l’ont sans doute lue dans le texte original. Cervantès en donne lui-même témoignage.
Après être entrés dans le royaume de France, les pèlerins du Persilès n’ont aucune
difficulté à se faire entendre des trois belles dames françaises rencontrées dans une
hôtellerie provençale, qui s’approchent d’Auristela et Costanza : « Elles leur
adressèrent la parole, leur demandant qui elles étaient, en castillan, car elles avaient
reconnu des Espagnoles en ces pélerins ; or, en France, il n’est homme ni femme
qui laisse d’apprendre la langue castillane. » L’exagération est évidente mais,
néanmoins, il est certain que la connaissance de l’espagnol était fort répandue
parmi les élites françaises du premier XVIIe siècle.
Mais tout comme en Espagne et en Amérique, don Quichotte et Sancho sortirent
très tôt des pages des livres qui, en castillan ou en français, disent leur histoire. Ils
sont présents dans les ballets et les mascarades de la Cour. Le 3 février 1614, quatre
mois avant la publication de César Oudin, le Ballet de Don Quichot est dansé au
Louvre, et le 29 janvier 1620, dans ce même Louvre et en présence du roi, don
Quichotte apparaît dans un autre ballet intitulé Les Chercheurs de Midy à Quatorze
Heures. Dans une mascarade, L’Entrée en France de Don Quichot de la Manche (sans
doute représentée entre 1616 et 1625), le chevalier errant est escorté par ses
prédécésseurs (les chevaliers de la Table ronde, les Amadis, Magis d’Aigremont, les
quatre fils Aymon, Astolphe) et il est accompagné par Sancho, le curé, le barbier
et le géant Ferragus, garde du corps de Dulcinée. Après que les ambassadeurs de
la Reine de Chine et de l’Infante des Isles fortunées lui ont remis les lettres de leurs
souveraines qui lui promettent leur royaume et leur personne, c’est la princesse
Micomicona qui lui demande le secours de son bras. Mais, défié par un chevalier
suédois, le chevalier espagnol se révèle n’être qu’un bravache sans courage, qui
s’enfuit au premier coup de feu. À n’en pas douter, la mascarade mobilise la figure
classique du matamore espagnol au service d’une politique, celle qui récuse l’alliance
du roi de France avec l’Espagne, nouée par les mariages de 1614 et enjeu
fondamental dans la guerre européenne qui durera trente ans, commencée en
Bohême en 1618.
Pichou pouvait donc aisément jouer avec la familiarité avec une histoire déjà
connue de la plupart des spectateurs avait déjà. Il ne manque pas l’allusion à l’un des
plus célèbres épisodes de livre 1605 : le combat contre les moulins à vent. Son don
Quichotte se désigne à l’acte III comme « Celui qui, malgré l’art des enchanteurs
malins / Domte des Rodomons transformez en moulins » (vers 993-994). La scène
était devenu si fameuse, tant en Angleterre qu’en France, que le frontispice de la
traduction française de la seconde partie en 1618, qui est la première gravure à
montrer dans une édition du texte don Quichotte et Sancho au naturel (sans recourir
comme les éditions lisboètes ou valencienne de 1605 à un bois utilisé pour des
romans de chevalerie), place un moulin au dernier plan de l’image. Blount reprendra
484 ROGER CHARTIER

la même gravure pour son édition de 1620 de la Seconde partie et l’insérera dans des
exemplaires de la traduction de la première partie, qu’il avait publiée en 1612.

Pichou n’a donc pas ignoré don Quichotte. Mais, comme l’indiquent le titre et
l’« Argument » de sa tragi-comédie, l’histoire principale qu’elle porte sur la scène est
celle de Cardenio, pas celle du chevalier errant. Celui-ci n’apparaît qu’à la cinquième
scène de l’acte III. Les deux premiers actes sont donc entièrement consacrés à
l’intrigue nouée par la trahison de Fernant (le Fernando de Pichou) qui, après avoir
séduit Dorotée, s’en est éloigné et ne désire plus que conquérir Luscinde. Tout
comme Guillén de Castro, Pichou ne manque pas de mobiliser sur le théâtre les
ressources dramatiques de la scène du mariage entre Luscinde et Fernant, mais en les
transformant à sa façon. Dans la comedia, la cérémonie est conduite par le père de
Lucinda qui enjoint à sa fille de donner sa main au Marquis sans qu’aucun prêtre ne
soit présent, alors que le récit de Cardenio chez Cervantès mentionnait le rôle central
du curé de la paroisse dans le rituel ainsi que la formule catholique du consentement
des époux. Pichou choisit une troisième voie en faisant officier un personnage
nommé « le sacrificateur », qui ouvre le rituel en rappelant le rôle civilisateur du
mariage et, également, la nécessité du consentement. Le « saint » mariage est ainsi
détaché de toute référence au rituel catholique et les serments ou promesses échangés
par les jeunes gens ne sont que des signes leur fidélité amoureuse, sans la force
sacramentelle des « espousailles », qui était le mot choisi par César Oudin pour
traduire, lors de la scène de séduction de Dorotea par Fernando, le terme de
« desposorio » utilisé par Cervantès. Faut-il voir dans cette double récusation des
définitions chrétiennes du mariage une prudence de Pichou, réticent à mettre sur la
scène des hommes d’Eglise puisque, de même façon, le curé du village de don
Quichotte, désigné comme tel par Cervantès et Guillén de Castro, n’apparaît chez
lui que comme « le licentié »? Ou bien doit-on interpréter la théologie toute naturelle
du « sacrificateur » comme une trace des idées et des amitiés libertines de Pichou,
qui avait consacré un long poème intitulé « Stances sur la mort de Théophile en l’an
1626 » à Théophile de Viau, le poète que le parlement de Paris a condamné par
contumace à être brûlé vif pour crime de lèse majesté divine en 1623 et qui est mort
à Paris trois ans plus tard, après plusieurs mois d’incarcération et de service dans les
armées de Montmorency ?

Dans les deux premières scènes du troisième acte Pichou fait montre de sa maîtrise
en contrastant l’immense monologue de Cardenio « dans le desert », long de
118 alexandrins, et les six strophes des stances de Luscinde « dans le monastere ». Le
monologue est un bel exemple de la poésie du macabre qui caractérise l’esthétique
qu’il est convenu, après Rousset, de qualifier de baroque. Il se déploie en plusieurs
temps. Le premier est, pour Cardenio, celui d’une plainte qui dit sa douleur devant la
double trahison (« Un rival me trahit et Luscinde me quitte », vers 704), la peine
suscitée par la perte de l’être aimé, le regret de n’avoir pas tiré vengeance de l’insulte :
« Au lieu que je pouvais, irrité par l’injure, / Chastier l’inconstante et punir le parjure »
(vers 719-720). Seule la mort espérée pourra mettre fin à un sort si malheureux.
ÉCRIT ET CULTURES DANS L’EUROPE MODERNE 485

« C’est trop peu d’un transport si paisible et si doux, / Il faut que mon esprit
s’abandonne au courroux » (vers 737-738) : avec ces vers la plainte de Cardenio se
fait plus violente et emplit la nature toute entière. Les fleurs, les rochers, les arbres
doivent entendre le « bruit affreux » de ses pleurs et de ses sanglots. La didascalie
indique que le mode du monologue a changé : « Il entre en folie. » Celle-ci, comme
dans tant d’autres œuvres qui, elles aussi, ont mis en vers ce motif obligé, s’exprime
par les visions de celui qui a perdu la raison. Renonçant à Luscinde (« Je brise vos
liens, et desja ces desers / Offrent à mon désir des objets que je sers » (vers 757-
758), Cardenio est transporté dans le monde délicieux des amours pastorales où
les » nymphes de ces forests » et les « deïtez bocagères » (vers 759) méritent son
amour bien mieux que la cruelle infidèle.

L’enchantement de dure pas : « Mais le prompt changement qui m’arrive en ces


lieux ! Quelle nouvelle horreur espouvante mes yeux » (vers 777-778). La vision de
béatitude se change en vision effroyable. Corps morts et fantômes habitent un
paysage bouleversé par d’horribles prodiges : « Ces arbres ont perdu leur figure et
leur rang, / Ce rocher est de flame, et ce fleuve est de sang » (vers 789-790). Dans
son hallucination, Cardenio ne trouve son salut qu’en traversant à la nage le
« torrent furieux » qui lui barre le passage. Sa folie métamorphose la nature au gré
de ses imaginations successives. Le « changement » est la règle dans un monde où
la déraison fait de l’illusion une réalité plus réelle que celle livrée par les sens :
« Spectres qui presentez dans l’horreur des tenebres / A nos sens endormis vos
images funebres, / Ne sont-ce point icy vos fausses visions / Qui trompent mon
esprit de ces illusions ? / Non, ces objets sont vrais, et ma peur qui redouble / Voit
que la terre tremble, et que le ciel se trouble » (vers 783-787).

Les stances de Luscinde opposent le silence du couvent aux visions furieuses de


Cardenio, la clôture du lieu saint à la nature ensauvagée, la paix retrouvée aux
tourments jamais apaisés. Pourtant, Luscinde n’y trouve pas le repos qu’inspire le
« divin mouvement » (vers 831) capable de détourner du faux dieu de l’amour :
« Mais que me servent ces exemples, / Puisque mon amour est si fort / Qu’il
conserve un premier effort / Parmy la sainteté des temples ? » (vers 835-838). Sa
passion est intacte, plus forte que la « celeste ardeur » (vers 823) qui anime ses
compagnes. Doit-on entendre cet avantage donné à la passion humaine sur l’amour
divin, que rien ne suggère dans le texte de Cervantès, et encore moins dans la
comedia de Guillén de Castro puisque Lucinda s’y réfugie chez une amie et non
dans un monastère, comme un autre signe du libertinage de Pichou ? Peut-être.
En tous cas, il lui permet, après avoir construit les deux monologues de façon
antithétique, de montrer la commune passion qui les habite.

C’est à scène V de ce troisième acte que don Quichotte et Sancho entrent en


scène. Tout comme Guillén de Castro, Pichou s’appuie sur ce que les spectateurs
savent déjà du personnage et de son histoire (le combat contre les moulins, on l’a
dit, au vers 994, l’île promise à Sancho au vers 1003, le heaume de Mambrin au
vers 1134) pour dessiner un double portrait de don Quichotte : comme bravache,
486 ROGER CHARTIER

selon le stéréotype de l’Espagnol pleutre et vantard, et comme amoureux. La


rencontre avec Cardenio, qui « en folie sort d’un coin du bois », se jette sur Sancho
et le roue de coups, permet à Pichou de lier les deux histoires, les deux folies. La
folie hallucinée de Cardenio et les illusions de don Quichotte, qui déchiffre le
monde avec les yeux des chevaliers de papier de ses chers romans, ne sont pas
identiques, mais toutes deux participent d’une déraison qui dissocient les mots et
les choses.

Partis à la recherche de don Quichotte dans son « desert », le licencié et le curé


savent l’ardeur du chevalier pour cette « beauté toute imaginaire » (vers 1144),
pour cet « objet chimérique » (vers 1152) qu’est Dulcinée. Leur rencontre avec
Cardenio à la deuxième scène de l’acte IV offre à Pichou la possibilité d’un nouveau
et fort contraste. La première réplique de Cardenio « en folie » inverse le mouvement
de son grand monologue de l’acte précédent et conduit des ténébres à la lumière.
La vision qu’il rappelle est celle d’un effroyable monde à l’envers : « Tous les astres
cachoient leurs visages ternis, / Et les quatre elemens paroissoient desunis ; / Le
sejour de Pluton estoit dessus la terre, / Il avait desarmé Jupiter du tonnerre. » (vers
1189-1192). Seule l’apparition de Luscinde a rétabli dans son ordre cet univers
déréglé et, ainsi, s’est apaisée la frayeur de Cardenio : « Lors qu’un astre amoureux,
forçant ces lieux funebres, / A fait sortir le jour du milieu des tenebres » (vers
1195-1196).

La scène bascule alors dans le comique, voire la farce puisque, dessillé de son
horrible hallucination et tout à l’exaltation de son « adorable merveille », Cardenio
prend le barbier pour Luscinde et lui dit avec une explicite ardeur le désir qui
l’habite : « Nos esprits s’uniront sur les bors de nos bouches, / Mille amours
voleront à l’entour de nos couches / Et, versant tous leurs traits sur nos corps
embrassez, / Nous recompenseront des outrages passez. / Il me semble desja que
ma main se desrobe / Aux merveilles que cache une envieuse robe, / et que ma
passion languissante à dessein / S’egare entre les lys du visage et du sein » (vers
1227-1234). Effarouché par ces extravagances, le barbier rapproche une nouvelle
fois les deux folies de don Quichotte et de Cardenio (« En recherchant un fou, je
treuve un insensé », vers 1222), avant que ce dernier, interrompu par le licencié,
ne l’agresse comme s’il était le parjure Fernant. Pour bâtir cette scène burlesque,
Pichou se souvient, à la fois, du chapitre XXVII, lorsque le barbier doit être déguisé
en demoiselle affligée dans le stratagème inventé par le curé pour ramener don
Quichotte dans son village, et du chapitre XXIII, quand le chevrier raconte
comment Cardenio, dans ses fureurs, a molesté l’un des bergers en le traitant de
« fementido Fernando », de perfide Fernando ». En les liant, il introduit dans sa
tragi-comédie un moment de rire carnavalesque.

À la dernière scène de l’acte, don Quichotte persévère dans la double identité


que lui a donnée Pichou. Amoureux ridicule, il lit à Sancho la lettre qu’il a écrite
à Dulcinée et que Pichou a rédigée pour lui en alexandrins pompeux et convenus
que l’édition présente sous le titre de « galimatias ». Ils se veulent un équivalent
ÉCRIT ET CULTURES DANS L’EUROPE MODERNE 487

français des archaïsmes et des extravagances dont le premier don Quichotte, celui
de Cervantès, a parsemé sa propre lettre à Dulcinea del Toboso. Bravache sans
courage, le don Quichotte de Pichou est mis en fuite par Fernant, son écuyer et
l’ami qui les a accompagnés dans le monastère dont ils ont arraché Luscinde.
Fernant rosse Sancho et se moque de don Quichotte.
Au dernier acte de la tragi-comédie, les « folies » de Cardenio deviennent celles
de don Quichotte. À l’instar de Guillén de Castro, Pichou achève sa pièce avec
l’une des folies de l’hidalgo. Il ne choisit pas celle où le chevalier mis en cage se
croit victime d’un enchantement. Il préfère faire retour au chapitre XXXV, lorsque
le chevalier errant dit avoir vaincu le géant usurpateur du royaume de la princesse
Micomicona. Mais le temps de mettre fin à la feinte n’est pas encore venue et la
tragi-comédie s’achève avec le départ de don Quichotte en route pour le royaume
de l’infante restaurée dans son droit. Dorotée et Cardenio continuent l’artifice qui
maintient don Quichotte dans sa fantaisie : « Menez-nous, grande reyne, où
l’honneur nous appelle, / Bastir les fondemens d’une paix eternelle » (vers
2105-2106). Ainsi finit la comédie. Ou presque. Pichou, en effet, conclut sa pièce
avec un monologue désabusé de Sancho, retiré de la fable. « Au diable soit le
maistre et sa chevalerie ! / Ce penible mestier vient de sa resverie. / J’ay tout quitté
pour luy, mes enfans, ma maison, / J’ay souffert mille maux, j’ay perdu mon
grison : / O dieux, que je connay mon esperance vaine, / Que j’ay mal employé
ma jeunesse et ma peine » (vers 2113-2118). Quarante plus tard, un autre serviteur,
lui aussi désenchanté, réclamera ses gages à son maître précipité dans les flammes
infernales.
Des représentations de la tragi-comédie à l’Hôtel de Bourgogne, nous ne savons
rien, hors son décor : au fond de la scène, un palais doté de deux ailes, sur celle
située côté cour se trouve la fenêtre où Luscinde apparaît à Cardenio (Acte II,
scène 2) ; plus en avant, côté cour, l’ermitage où Dorotée a cherché refuge et, côté
jardin, une maison au toit de chaume qui est la taverne d’où sortent les personnages
au dernier acte. En revanche les trois rééditions de la pièce en 1633 puis en 1634
(l’une chez Claude Marette en infraction du privilège de 1629, l’autre chez François
Targa, qui avait publié les deux premières), attestent le bon accueil de la pièce.
Lecteur très attentif du texte de Cervantès, Pichou en a retenu les « amoureuses
traverses », comme il écrit dans son « Argument », qui lui permettaient, tout
ensemble, de pratiquer le genre nouveau de la tragi-comédie et de composer de
longs monologues poétiques mobilisant les motifs favoris d’une esthétique de
l’inconstance des êtres et des éléments, située entre les plaintes de la pastorale et
l’effroi du macabre. Dans les Folies de Cardenio, tout comme chez Guillén
de Castro (en dépit du titre de la comedia), don Quichotte ne pouvait être que
le contrepoint burlesque des infortunes des amants séparés. Il ne figure donc dans
la pièce de Pichou qu’en relation avec eux : la rencontre avec Cardenio à l’acte III,
la feinte de la princesse Micomicona à l’acte V. Mais, même ainsi cantonné, le
personnage impose progressivement sa présence dans la tragi-comédie et ce sont
ses extravagances qui ouvrent et achèvent le cinquième acte.
488 ROGER CHARTIER

Les trois œuvres qui ont porté des épisodes du livre de 1605 sur la scène (la
comedia de Guillén de Castro, la pièce jouée à Londres, la tragi-comédie de Pichou)
ont donc privilégié l’histoire sentimentale que Cervantès a croisée avec les exploits
du chevalier et de son écuyer. Si dans les deux textes qui nous sont parvenus grâce
à leur éditions imprimées, ceux de Guillén de Castro et de Pichou, don Quichotte
et Sancho ne sont pas absents, et même de plus en plus présents au fil des actes
de la pièce française, ils demeurent comme un contrepoint comique dans une
intrigue qui est d’abord celle du mélancolique et furieux Cardenio, du fourbe et
finalement généreux Fernando et de deux jeunes femmes constantes dans leur
amour.
Dès les premiers temps de sa réception, Don Quichotte est apparu non seulement
comme la parodie comique des romans de chevalerie (et d’autres genres, picaresque,
pastoral ou théâtral), mais aussi comme une anthologie de « nouvelles » qui
pouvaient fournir aux dramaturges une matière riche en coups de théâtre, en
scènes dramatiques, en sentiments violents et contrastés. Guillén de Castro a lu
ainsi le livre puisqu’il a porté sur les tréteaux des « corrales » non seulement l’histoire
de Cardenio, mais aussi celle du « Curioso impertinente ». Il a pu en aller de même
dans l’Angleterre des commencements du XVIIe siècle où les adaptations théâtrales
de nouvelles ou des romans étaient communes. La circulation du livre de Cervantès
et sa traduction par Shelton offraient de nouvelles possibilités avec ses histoires
emboîtées dans l’histoire, celles de Cardenio, du curieux impertinent et du captif
évadé des bagnes d’Alger. En 1613, c’est la première histoire qui fut représentée
par les King’s Men qui reçurent rétribution pour avoir diverti la cour. L’argent fut
versé à John Heminge, l’un des acteurs et propriétaires, ou « shareholders » de la
compagnie, et non pas à l’auteur, jamais nommé dans les comptes du trésorier de
la Chambre du Roi.

Londres 1653
Le 9 septembre 1653 le libraire Humphrey Moseley fait enregistrer par la
communauté des libraires et imprimeurs londoniens, la Stationers’ Company, les
titres de quarante et une pièces de théâtre sur lesquelles il possède dès lors un
« right in copy », c’est-à-dire un droit de propriété exclusive. Il lui en coûte
20 shillings et 6 pence qui lui assurent, selon les règles de la communauté, le
monopole de l’impression des œuvres qu’il a ainsi « entered », fait enregistrer. Parmi
ces quarante et une pièces (et peut-être plus si l’on admet que, pour réduire le droit
versée à la Stationers’ Company, Moseley a présenté comme une seule pièce portant
un double titre, selon un usage commun du temps, ce qui était en fait deux pièces
différentes), quatre sont attribuées à Master William Shakespeare: « Henry ye.
First, & Hen: ye 2d. by Shakespeare, & Davenport », « The merry Devill of
Edmonton. By Wm: Shakespeare », et « The History of Cardenio, by Mr Fletcher.
& Shakespeare ». Des deux Henry, on ne sait rien, sinon qu’une pièce intitulée The
History of Henry the First avait été autorisée, « licensed », en 1624 et attribuée alors
à « Damport » (pour Davenport). The Merry Devill of Edmonton a pour sa part été
ÉCRIT ET CULTURES DANS L’EUROPE MODERNE 489

enregistrée en 1607 et publiée quatre fois entre 1608 et 1653. Reste The History
of Cardenio qui est sans doute la pièce jouée quarante ans plus tôt à Whitehall et
dont, pour la première fois, les auteurs sont nommés : Fletcher et Shakespeare.
En 1613, une telle collaboration entre les deux auteurs est tout à fait
vraisemblable puisqu’entre 1612 et 1614 ils composèrent ensemble deux autres
pièces : d’abord, All is True, devenue dans le Folio de 1623 The Famous History of
the Life of Henry the Eight (Henry VIII) et qui fut peut-être écrite pour le mariage
du 14 février 1613 entre la princesse Elizabeth et le prince Frederick, l’Électeur
palatin ; ensuite, The Two Noble Kinsmen (Les deux nobles cousins), publiée seulement
en 1634. La page de titre indique que la pièce a été « Written by the memorable
Worthies/ of their time / Mr. John Fletcher, and / Mr. William Shakespeare. Gent. »
dont les deux noms sont enserrés dans une grande accolade qui les unit, l’abréviation
« Gent. » étant placée à la hauteur de l’interligne qui les sépare. The History de
Cardenio serait, à suivre le registre de la Stationer’s Company, la troisième des
collaborations entre les deux dramaturges.
Le sort des trois pièces fut fort différent. Heminge et Condell exclurent
The Two Noble Kinsmen du Folio de 1623, fidèle à leur projet qui entend réunir,
pour leur édition des « Comedies, Histories, & Tragedies » de Shakespeare, « his owne
writings », ses propres écrits, comme ils le disent dans leur adresse « To the great
Variety of Readers ». À la différence du Folio de 1616 voulu par Ben Jonson et qui
présente sous le titre de « THE WORKES OF Benjamin Jonson » seulement neuf
de ses pièces, mais aussi ses masques, ses épigrammes et ses poèmes, le Folio
construit par Heminge et Condell comprend toutes les œuvres théâtrales écrites
par Shakespeare, soit dix-neuf pièces, dont les « rights in copy » ont été apportés ou
rachetés à leurs confrères par les libraires du consortium, et dix-huit autres pièces
jamais publiées et achetées à la troupe des King’s Men. Heminge et Condell n’ont
donc retenu que les pièces dont ils avaient la certitude qu’elles avaient été produites
par le seul génie de Shakespeare. De ce fait, ils ont écarté les pièces dont ils savaient
ou supposaient qu’elles avaient été écrites en collaboration : ainsi, Sir Thomas More,
une pièce probablement composée en 1592 ou 1593, jamais imprimée et que
Shakespeare, à suivre le manuscrit qui en a été conservé, révisa en 1603 ou 1604
avec Henry Chettle, Thomas Dekker et, sans doute, Thomas Heywood, Pericles,
Prince of Tyre, alors même que l’édition quarto de 1609 mentionnait le nom de
Shakespeare sur la page de titre et qui a sans doute été écrite avec George Wilkins,
ou The Two Noble Kinsmen. La monumentalisation de Shakespeare par le Folio,
hautement manifestée par les préliminaires (le portrait gravé, les poèmes de louange,
l’adresse aux lecteurs), suppose l’effacement de la pratique collective du théâtre au
profit de la construction d’un auteur singulier. Le Folio donne donc à lire au
lecteur, sans écart, les œuvres telles que l’« Author » les a « uttered », c’est-à-dire
énoncées comme des poèmes et émises comme des monnaies. La rhétorique de
Heminge et Condell soustrait le texte shakespearien, à la fois, aux corruptions
introduites par les éditions fautives, publiées par d’« injurieux imposteurs »
(« injurious impostors ») et aux contraintes imposées par la collaboration. En
490 ROGER CHARTIER

imprimant les « papers » de Shakespeare sans ratures ni repentirs, le Folio donne à


lire pour la première fois toutes les pièces qu’il a entièrement conçues. Heminge
et Condell devaient penser qu’il en allait ainsi de All is True, ou Henry VIII, mais
s’ils possédaient un manuscrit de Cardenio, ils l’ont traité comme The Two Noble
Kinsmen, et non comme All is True. Ils l’ont donc exclu du Folio.

Leurs successeurs ne seront pas plus généreux. Si dans la seconde émission du


troisième Folio, parue en 1664, sept pièces sont ajoutées au trente-sept qui figurent
dans les premier et le second Folios (1623 et 1632) ainsi que dans le premier état du
troisième, paru en 1663. La page de titre du livre de 1664, publié par Philip
Chetwinde, indique : « Mr. WILLIAM SHAKESPEAR’S Comedies, Histories, and
Tragedies. Published according to the true Original Copies. The third Impression.
And unto this Impression is added seven Playes, never before Printed in Folio ». The
History of Cardenio n’en fait pas partie. La raison en est simple : Cardenio n’a jamais
été imprimée alors que les nouvelles pièces qui entrent dans le corpus shakespearien
(et qui y resteront dans le quatrième Folio de 1685 et les éditions de Rowe et Pope en
1709 et 1725) ont toutes été publiées en format quarto au début du XVIIe siècle soit
avec le nom de Shakespeare sur la page de titre (ainsi, The London Prodigal, A
Yorkshire Tragedy, Pericles, Prince of Tyre et Sir John Oldcastle Lord Cobhan imprimées
en 1605, 1608, 1609 et 1619 avec, dans ce cas, une fausse date de 1600), soit avec
seulement les initiales W.S. (ainsi, The Tragedy of Locrine, The Life and Death of
Thomas Lord Cromwell et The Puritan Widow, publiées en 1595, 1602 et 1607). Des
sept pièces acceptées alors comme shakespeariennes en 1664-65, seule Pericles le
demeurera, même si la paternité a dû en être partagée avec Thomas Wilkins.

The History of Cardenio n’entrait donc pas dans les logiques qui ont
construit, avec des dimensions variables, les œuvres, ou l’œuvre de William
Shakespeare. Mais la pièce, si Humphrey Moseley est exact, avait un second auteur
et aurait pu figurer dans l’édition des œuvres théâtrale de John Fletcher, mort en
1625, neuf ans après Shakespeare. Il n’en a rien été. En 1647, le même Moseley
associé à Robinson publie les Comedies and Tragedies écrites par Francis Beaumont
et John Fletcher « Gentlemen » dans un Folio (le troisième pour le genre théâtral
après ceux de 1616 et 1623) destiné à rassembler les pièces jamais imprimées que
les deux dramaturges avaient composées ensemble ou non — ou comme l’annonce
la page de titre « Never printed before, and now published by the Authours
Originall Copies ». En 1647, lorsqu’il publie les trente-cinq pièces qui composent
le Folio, Moseley ne disposait vraisemblablement pas de tous les manuscrits qu’il
fit enregistrer par la Stationers’ Company six années plus tard et parmi eux la seule
pièce attribuée à John Fletcher dans la liste, The History of Cardenio. La réédition
du Folio en 1679 (où sont ajoutées dix-huit pièces) ne comprend pas, elle non
plus, la pièce que Moseley avait acquise mais qu’il n’imprima jamais.

L’attribution en 1653 de The History of Cardenio à deux dramaturges (le


nom de Fletcher étant donné en premier et séparé de celui de Shakespeare par un
point, comme si ce dernier avait été ajouté) témoigne pour l’une des caractéristiques
ÉCRIT ET CULTURES DANS L’EUROPE MODERNE 491

essentielles de la production théâtrale dans l’Angleterre des XVIe et XVIIe siècles :


l’écriture à plusieurs mains. Dans le journal de l’entrepreneur de théâtre Philip
Henslowe, Thomas Dekker apparaît comme auteur de quarante-cinq pièces : trente
et une fois il a écrit en collaboration (dont dix-huit fois avec deux co-auteurs ou
plus) et cinq fois il a travaillé sur des textes existants. Thomas Heywood, qui
prétendait en 1633 avoir écrit 220 pièces « in which I have had either an entire
hand, or at least a maine finger » [dans lesquelles j’ai mis ma seule main ou au
moins le principal doigt], est présent onze fois dans le journal : six fois pour une
pièce écrite en collaboration (dont deux fois avec Dekker et d’autres dramaturges),
une fois pour des additions. Sur les 282 pièces mentionnées par Henslowe entre
1590 et 1609, les deux tiers ont au moins deux auteurs — mais souvent plus. Un
trait frappant est l’écart entre ce pourcentage très élevé d’œuvres écrites en
collaboration et celui, beaucoup plus modeste, des pièces attribuées, pour les
mêmes décennies, à plusieurs auteurs dans les éditions imprimées et les registres
de la Stationers’ Company, à savoir 15 % pour 1590-99 et 18 % pour 1600-1609.
La différence renvoie à la logique éditoriale qui, sur les pages de titre des éditions
imprimées, assigne à un seul auteur, ou à aucun, les pièces écrites à plusieurs
mains. Sans doute moins que d’autres, Shakespeare a lui aussi, à différents moments
de sa carrière de dramaturge, écrit avec un autre — ou d’autres. Comme All is
True, comme The Two Noble Kinsmen, le Cardenio perdu devait juxtaposer au fil
des scènes les styles fort différents de Fletcher et de Shakespeare.
En 1653, l’enregistrement d’une « copy » de The Tragedy of Cardenio par
Humphrey Moseley peut être situé dans un double contexte. Le premier est donné
par la politique éditoriale du libraire, membre de la Stationer’ Company depuis
1633 et fervent royaliste. À partir de 1645, il publie une série d’ouvrages qui
proposent aux lecteurs les œuvres des poètes et des dramaturges anglais
contemporains. Les volumes ont des formats homogènes (octavo pour les poèmes
et les collections de pièces d’un même auteur, quarto pour les pièces publiées
séparément), leurs pages de titre ont des dispositions similaires et les frontispices
présentent un portrait de l’auteur. En un temps où ne sont reconnues ni la
spécificité de la « littérature » ni la dignité de l’écriture pour la scène, comme
l’atteste l’exclusion des pièces de théâtre de la bibliothèque rassemblée à Oxford
par Bodley et ses bibliothécaires, l’entreprise de Moseley donne cohérence à un
corpus qui sépare la poésie et le théâtre d’autres genres textuels (histoire, récits,
voyages, etc.) et construit un répertoire qui ne retient que des auteurs modernes
— ce qui lui confère une importance primordiale dans l’invention de l’idée même
de « littérature anglaise ».
Pour mener à bien son projet, Moseley a acquis et fait enregistrer par la Stationers’
Company un très grand nombre de pièces de théâtre du temps d’Elisabeth et des
premiers Stuarts. Le geste avait aussi une signification politique puisque depuis
1642 les théâtres avaient été fermés et les représentations publiques interdites.
C’est ainsi qu’en 1646 Moseley et Robinson avaient « entré » trente pièces de
Beaumont et Fletcher (qui seront publiées dans le Folio de 1647), quatre pièces de
492 ROGER CHARTIER

Davenant, cinq de Shirley (qu’il éditera en 1653), deux de Carlell, une de Wilson
et une pièce anonyme. Dans cette perspective, The History of Cardenio enregistrée
en 1653 n’avait pas une particulière importance, si ce n’est qu’avec trois autres
titres (les deux parties de Henry the First et The Merry Devill of Edmonton), elle
avait été composée, au moins en partie, par l’un des quatre dramaturges dont les
œuvres avaient été rassemblées dans le prestigieux format du Folio.
Le « right in copy » acquis par Moseley sur une pièce inspirée par Don
Quichotte peut être également situé dans un autre contexte : le « revival » de
l’histoire de Cervantès à la mi-XVIIe siècle en Angleterre. En 1652, est publiée et
pour la première fois dans le format in-folio une réédition de la traduction de
Shelton, corrigée et amendée, et en 1654, Edmund Gayton fait paraître son
ouvrage Pleasant Notes upon Don Quixot. L’un des poèmes des préliminaires,
intitulé « On Don Quixot with Annotations », commence ainsi : « The famous
Errant Knight of Spaine / Once more here sallies forth againe, / Remounted upon
Rosinante » [« Le fameux Chevalier Errant d’Espagne / Une fois de plus sort de
chez lui, / Monté de nouveau sur Rossinante »]. Le même poème présente
l’« auteur » du livre : « Nor is our Author a Translator, / But a Criticall Commentator ;
/ His Notes he to the Text doth fit, / With English matching Spanish wit. » [Notre
Auteur n’est pas un Traducteur, / Mais un Commentateur Critique ; / Ses Annotations
sont appropriées au Texte, / L’esprit Anglais égalant l’Espagnol].
Gayton met à profit la nouvelle édition de la traduction de Shelton. Chaque
chapitre des quatre livres est introduit par un argument en vers qu’il a composé,
puis suivent les commentaires en prose accrochés à de courtes citations copiées
presque littéralement de la traduction de Shelton. Dans ce texte curieux, qui inscrit
le texte de Cervantes dans le double registre du burlesque et du carnavalesque et
qui associe remarques grivoises, références érudites aux Anciens et allusions aux
contemporains, Gayton propose un troisième récit en anglais des amours de
Cardenio et Luscinda et de Dorotea et Fernando, après la traduction de 1612,
rééditée en 1652, et la pièce de 1613, enregistrée en 1653. Cardenio et don
Quichotte ne sont donc pas absents la révolution anglaise de la mi-XVIIe siècle.
Moseley aurait pu ou aurait dû en profiter pour publier le titre sur lequel il avait
propriété depuis le 9 septembre 1653. Mais il ne l’a pas fait, nous léguant ainsi le
mystère du Cardenio perdu.

B. Séminaire
Les sept séances du séminaire ont toutes été consacrées à des commentaires de
textes liés au cours. Ouverts par une lecture de la fable de Borges El espejo y la
máscara / Le miroir et le masque qui désigne avec une fulgurante acuité le chemin
à suivre pour que les enchantements de la fiction soient replacés au sein des
pratiques de l’écrit qui les nourrissent, s’en emparent et les transmettent, les
commentaires se sont attachés à l’ « Induction » du Knight of the Burning Pestle de
Beaumont (et peut-être Fletcher), au dernier acte de The Spanish Tragedy de
ÉCRIT ET CULTURES DANS L’EUROPE MODERNE 493

Thomas Kyd, à la scène du mariage de Luscinda dans la comedia Don Quijote de


la Mancha de Guillén de Castro, aux tirades d’Alcandre sur le théâtre (Acte II,
scène II et Acte V, scène V) dans l’Illusion comique de Corneille, aux deux premiers
recueils de lieux communs qui utilisent des citations des poèmes et pièces de
Shakespeare, le Belvedre, or The Garden of Muses et l’England’s Parnassus, tous deux
parus en 1600, et, pour finir, aux passages qui dans Hamlet mettent en scène
l’écriture à plusieurs mains.

C. Publications

1. Ouvrages personnels
— Inscription and Erasure. Literature and Written Culture from the Eleventh to the Eighteenth
Century, tr. Arthur Goldhammer, Philadelphia, University of Pennsylvania Press, 2007.
— Inscrever e apagar. Cultura escrita e literatura (séculos XI-XVIII), tr. Luzmara Curcino
Ferreira, São Paulo, Editora Unesp, 2007.
— La historia o la lectura del tiempo, tr. Mar Garita Polo, Barcelone, Gedisa, 2007.
— Écouter les morts avec les yeux, Collège de France / Fayard, 2008.
— Escuchar a los muertos con los ojos, tr. Laura Fólica, Buenos Aires, Katz, 2008.

2. Contributions à des ouvrages collectifs


— « Les chemins de l’écrit, ou le retour à Monte Verità », Scripta volant, verba manent.
Schriftkultuen in Europa zwischen 1500 und 1900 / Les cultures de l’écrit en Europe entre 1500
et 1900, Herausgegeben von Alfred Messerli un Roger Chartier, Bâle, Schwabe Verlag,
2007, pp. 483-493.
— « La muraille et les livres », Qu’est-ce qu’écrire une Encyclopédie en Chine ?, préparé par
Florence Bretelle-Establet et Karine Chemla, Presses Universitaires de Vincennes, Extrême
Orient, Extrême-Occident, Hors-Série, 2007, pp. 205-216.
— « De la scène à la page », Le Parnasse du théâtre. Les recueils d’œuvres complètes de théâtre
au XVIIIe siècle, Georges Forestier, Edric Caldicott et Claude Bourqui (dir.), Paris, Presses
de l’Université Paris-Sorbonne, 2007, pp. 17-41.
— « Mémoire et oubli. Lire avec Ricœur », Paul Ricœur et les sciences humaines, sous la
direction de Christian Delacroix, François Dosse et Patrick Garcia, Paris, La Découverte,
2007, pp. 231-248.
— « The Printing Revolution. A Reappraisal », Agent of Change. Print Culture after
Elizabeth L. Eisenstein, Edited by Sabrina Alcorn Baron, Eric N. Lindquist, and Eleanor F.
Shevlin, Amhertst and Boston, University of Massachusetts Press, 2007, pp. 397-408.
— « A escrita na tela : ordem do discurso, ordem dos livros, maneiras de ler », Questões
de leitura no hipertexto, Miguel Rettemaier, Tania M. K. Taussig (org.), Editora Universidade
de Passo Fundo, 2007, pp. 200-219.
— « L’apparition du livre imprimé », Le grand atelier. Chemins de l’art en Europe
V e-XVIII e siècle, Bruxelles, Europalia International/Fonds Mercator, 2007, pp. 29-34.
— « La materialità dello scritto. Che cos’è un libro ? Risposte a una demanda di Kant »,
Testi, forme, e usi del libro. Teorie e pratiche di cultura editriale, a cura di Lodovica Braida e
Albero Cadioli, Milan, Edizioni Sylvestre Bonnard, 2007, pp. 13-25.
494 ROGER CHARTIER

— « La universidad y la edición », Innovación y retos de la edición universitaria, Magda


Polo Pujadas (coord.), Madrid, Unión de Editoriales Universitarias Españolas et Logroño,
Universidad de la Rioja, 2007, pp. 13-28.
— « La matérialité du texte : Réponse à une question de Kant », Théorie et mythologie du
livre. Le livre français en France et en Russie, Moscou, 2007, pp. 5-16 (en russe).
— « Afterword», Why France ? American Historians Reflection an Enduring Fascination,
Edited by Laura Lee Downs and Stéphane Gerson, Ithaca et Londres, Cornell University
Press, 2007, pp. 227-232.
— « Postface », Pourquoi la France ? Des historiens américains racontent leur passion pour
l’Hexagone, sous la direction de Laura Lee Downs et Stéphane Gerson, Paris, Seuil, 2007,
pp. 361-367.

3. Articles
— « Les auteurs n’écrivent pas les livres, pas même les leurs. Francisco Rico, auteur du
Quichotte », Agenda de la pensée contemporaine, 7, Printemps 2007, pp. 13-27.
— « El pasado en el presente. Literatura , historia, memoria », Historia, Antropología y
Fuentes Orales, 37, 2007, pp. 127-140.
— « The Order of Books Revisited », Modern Intellectual History, 4, 3, 2007, pp. 509-
519.
— « Lo privado y lo público. Construcción histórica de una dicotomía », « El pasado en
el presente. Literatura, memoria e historia », « Lectores y lecturas populares. Entre imposición
y apropiación », « ¿La muerte del libro ? Orden del discurso y orden de los libros »,
Co-herencia. Revista de Humanidades, Vol. 4, n° 7, 2007, pp. 65-81, pp. 83-102, pp. 103-117
et pp. 119-129.
— « Storie senza frontera : Braudel e Cervantes », Dimensioni e problemi della ricerca
storica, 2, 2007, pp. 145-157.

D. Missions et Conférences

1. Conférences prononcées à l’étranger


[Les titres des conférences sont donnés dans la langue dans laquelle elles ont été
prononcées.]
— 4 conférences sur le thème Literatura y cultura escrita (¿Qué es un libro ?, Lo privado
y lo publico, El pasado en el presente, Lecturas y lectores populares), 31 août-1er septembre
2007, Medellin (Colombie), Université EAFIT.
— Cardenio entre páginas, fiestas y tablas, 19 septembre 2007, Tucumán (Argentine)
Université de Tucumán.
— Shakespeare between Binding and Commonplacing, 16 octobre 2007, Glasgow,
Université de Glasgow.
— Cardenio entre lenguas, géneros y lugares, 22 octobre 2007, Alcalá de Henares,
Université de Alcaá de Henares.
— La censura de la imprenta : los Voyages de Cyrano entre la circulación manuscrita y el
taller tipográfico, 12 décembre 2007, Barcelone, Université de Barcelone.
— Cardenio without Shakespeare : Guillén de Castro and Pichou, 4 février 2008,
Philadelphia, University of Pennsylvania, (Material Text Seminar).
ÉCRIT ET CULTURES DANS L’EUROPE MODERNE 495

— Cardenio, or How to Read and Perform a Lost Play, 21 février 2008, Durham, Duke
University.
— Movilidad y materialidad de los textos : Don Quijote, 27 février 2008, Princeton,
Princeton University (Department of Spanish Language and Literature).
— Braudel and Cervantes, 27 mars 2008, Princeton, Princeton University.
— Social Mobility and Textual Mobility. From the Exemplary Novels to Don Quixote,
21 avril 2008, Windsor (Canada), University of Windsor.
— « Cómo lo pintan en su libro ». Las tres primeras iconografías de Don Quijote, 12 mai
2008, Madrid, Circulo de Bellas Artes.
— 4 conférences sur le thème Literatura y cultura escrita (La fábrica del libro, La
materialidad de las obras, La movilidad de los textos, La construcción del sentido), 2-5 juin
2008, Mexico, Instituto Mora (Cátedra Marcel Bataillon).
— Aprender a leer, leer para aprender, 6 juin 2008, Mexico, Fondo de Cultura
Económica.
— ¿La muerte del libro ?, 9 juin 2008, Mexico, Universidad Nacional Autónoma de
Mexico (Departamento de Biblioteconomía).
— Cardenio y Don Quijote sobre las tablas, 20 juin 2008, Rio de Janeiro, UNIRIO.
— Representaciones de las prácticas, prácticas de la representación, 21 juillet 2008, San
José, Université du Costa Rica.

2. Colloques internationaux
— Cultura escrita : nuevos retos, nuevas perspectivas, 10-13 septembre 2007, Madrid,
Círculo de Bellas Artes et Université Carlos III.
— Jornadas Interescuelas de Historia, 19-21 septembre 2007, Tucumán, Université de
Tucumán.
— Censorship in Early Modern Europe, 11-12 décembre 2007, Barcelone, Université de
Barcelone.
— Publishing in Spain and Latin America, 28 février 2008, Princeton, Princeton
University.
— Congreso de la Asociación de los Bibliotecarios de América Latina, 11 juin 2008,
Mexico, Universidad Nacional Autónoma de Mexico.
— Congreso de los Historiadores de América Central, 21-25 juillet 2008, San José,
Université de Costa Rica.

3. Cours et séminaires
Cours à l’Université de Pennsylvanie, Philadelphie, entre janvier et avril 2008
— The Mediterranean World at the Age of Don Quixote (séminaire pour
undergraduates).
— What Is a Book ? (séminaire pour graduate students).
Cours à l’Université International Menéndez Pelayo, Valencia, 2-4 juillet 2008
— Cultura escrita y literatura (siglos XVI-XVIII).
Histoire contemporaine du monde arabe

M. Henry Laurens, professeur

Le cours a été consacré à la question de Palestine de juin 1967 à octobre 1969,


c’est-à-dire la majeure partie de la « guerre des trois ans ». La méthode suivie a été
à la fois une procédure annalistique distinguant chacune des conjonctures dans
leur originalité propre et l’analyse des grands thèmes sous-jacents. Comme le
contenu de l’enseignement est disponible en téléchargement MP3 sur le site du
Collège et qu’il sera ultérieurement publié dans une version plus complète, il paraît
inutile d’en donner ici un résumé.

Le séminaire a porté comme les années précédentes sur l’autobiographie politique


dans le monde. On a terminé la lecture commentée du véritable monument que
constituent les Mémoires d’Akram al-Hawrani, source inestimable pour l’histoire
du Proche-Orient au xxe siècle.

Une journée d’études en commun avec la chaire d’Études juridiques comparatives


et internationalisation du droit a porté le 4 juin sur une typologie historique et
communauté de valeurs. En voici le programme indicatif.

Thème d’actualité s’il en est, le terrorisme mobilise non seulement les acteurs
politiques, mais également les différents champs des sciences sociales, pour
comprendre les significations qui lui sont attribuées et les pratiques qu’il revêt. Les
aspects historiques et juridiques du terrorisme font l’objet de la réflexion théorique
engagée, au cours de cette journée, par les chaires des professeurs Mireille Delmas
Marty (d’Études juridiques comparatives et internationalisation du droit) et Henry
Laurens (Histoire du monde arabe contemporain), qui convient au débat des
juristes et des historiens. Pour la partie historique, il s’agit de tenter une typologie
historique du terrorisme, articulée autour de la construction des États-nations et
des formes de contestations politiques. L’objectif étant de repérer dans le temps les
glissements et la diversité des formes de violence politique.
498 HENRY LAURENS

Pour la partie juridique, la démarche consiste à évoquer les définitions actuelles


du terrorisme dans une perspective critique éclairée par différentes branches du
droit, interne et international. L’objectif étant de repérer les transformations, de la
répression pénale à la guerre contre le terrorisme, au regard de l’émergence d’une
communauté mondiale de valeurs.

Session I : Pour une typologie historique du terrorisme.


Henry Laurens, Professeur au Collège de France : Le terrorisme comme personnage
historique.
Hamit Bozarslan, Directeur d’études à l’EHESS : De l’action révolutionnaire aux
« bandes » au pouvoir : les komtajiliks ottomans au tournant du xxe siècle.
Barbara Lambauer, Chercheur à l’I.E.P. de Paris : Le terrorisme selon l’Allemagne nazie
et sa répression, 1939-1945.

Session II : Le terrorisme entre droit national, régional et international.


Mireille Delmas-Marty, Professeur au Collège de France : Typologie juridique du
terrorisme : durcissement des particularismes ou émergence d’une communauté mondiale
de valeurs ?
Stefano Manacorda, Professeur à l’Université de Naples II : Les conceptions de l’Union
européenne en matière de terrorisme.
Michel Rosenfeld, Professeur à la Benjamin N. Cardozo School of Law, titulaire de la
Chaire Blaise Pascal : Terrorisme et droit constitutionnel comparé.
Emmanuel Decaux, Professeur à l’Université de Paris II - Panthéon Assas : Terrorisme
et droit international des droits de l’homme.
Mireille Delmas-Marty et Henry Laurens : conclusions.

Quatre heures de cours ont été données sur la Question de Palestine à l’université
Saint Joseph de Beyrouth. La conjoncture politique a fait que les cours suivants
n’ont pu être donnés.
Dans le cadre des activités de l’Institut du Contemporain, un colloque conjoint
avec la chaire de Rationalité et sciences sociales de Jon Elster a été tenu les 6 et
7 décembre 2007 sur le sujet « Mimétisme et fausses représentations dans les
guerres civiles ».

Masques et voiles dans les guerres civiles, 6-7 décembre 2007.


Présentation du colloque par Jon Elster et Henry Laurens.
Stephen Holmes, New York University, Hobbes. La guerre civile et les faux prophètes.
Olivier Christin, Université Lyon II, Raisons et déraison de l’iconoclasme : Saumur,
1562.
Jean-Pierre Babelon, Académie des Inscriptions et Belles Lettres, Institut de France, Les
Guise et la Couronne de France.
Denis Crouzet, Université Paris IV, Noblesse et aristocratie françaises entre conquête de
l’État et quête du salut au début des guerres de religion.
Jon Elster, Collège de France, Un dilemme herméneutique.
HISTOIRE CONTEMPORAINE DU MONDE ARABE 499

Jim Fearon, Stanford University, Comments on Leonard Binder’s « Identity, Culture, and
Collective Action ».
Henry Laurens, Collège de France, Qu’est-ce qu’une communauté confessionnelle ?
Édouard Méténier, Collège de France, La production sociale de la violence politique : le
cas de l’Irak.
Jihane Sfeir, Collège de France, Parcours politiques et modes d’engagement de combattants
chiites dans la guerre civile libanaise.
Reina Sarkis, Université Paris VII Altérations psychiques et guerres infinies.

Au mois de mai 2008, le professeur invité : M. Ahmad BEYDOUN, Professeur


à l’Université de Beyrouth (Liban) a fait les quatres conférences suivantes :
1. Du Pacte de 1943 à l’accord de Taef : les résistances à la déconfessionnalisation.
2. Ce qu’« indépendance » voulait dire...
3. Une nouvelle donne intercommunautaire ?
4. Le système politique libanais a-t-il un avenir ?

Une publication rapide de ces conférences est prévue.


En coopération avec l’IISMM-EHESS et en liaison avec la Mairie de Paris un
cycle de 16 conférences publiques a été organisé sur l’intitulé général Connaissance
de l’Islam, 1re session, le Moyen-Orient, zone de conflits ?, 2e session, l’Islam au
quotidien.
M. Laurens a participé au colloque de rentrée du Collège de France sur l’autorité
avec une communication l’Autorité sans l’État, le cas des Palestiniens.
Quatre conférences ont eu lieu à l’Université de Georgetown et au Centre
culturel français de Washington en février 2008.
Une conférence à Mascate en Oman à l’invitation du Ministère des Affaires
religieuses en mars 2008.
Deux conférences en Tunisie en avril 2008 à l’invitation de l’École normale
supérieure et de la Chaire UNESCO de philosophie.
Nombreuses interventions dans différentes instances allant de l’association
parlementaire France-Égypte, la Délégation de la Communauté Européenne à
Paris, l’Académie des sciences morales, des Universités inter-âges, des associations
culturelles, le lycée de Bondy.
Participations à diverses émissions radiophoniques et télévisuelles ainsi qu’à des
documentaires télévisuelles.
Plusieurs entretiens dans la presse et dans des revues.
Quatre participations à des jurys de thèse et d’habilitation.
500 HENRY LAURENS

Participation à des colloques :


« Quelle Méditerranée pour la France, l’Italie et l’Europe ? »
Séminaire de l’Observatoire franco-italien, Turin le 21 septembre 2007.
Quel avenir pour les chrétiens d’Orient ?
Vendredi 16 et samedi 17 novembre 2007.
Colloque international organisé par l’Institut Européen en sciences des religions (IESR)
l’École Pratique des Hautes Études (EPHE).
Sous le parrainage du Ministère des Affaires Étrangères.
Citoyenneté et Identité palestiniennes.
Institute of Palestinian Studies et Institut Français du Proche-Orient.
Beyrouth les 14 et 16 décembre 2007.
Troisième Conférence et des Ateliers Culturels sur le Dialogue entre les Peuples et les Cultures
dans la Zone Euroméditerranéenne et de Golfe. Alexandrie 19-21 janvier 2008.
Participation aux sessions générales et aux ateliers.
La Greffe de la démocratie : les paradoxes de la longue durée.
Première Rencontre européenne d’analyse des sociétés politiques.
Paris 1er février 2008.
Les Sciences Sociales à L’épreuve du Monde Contemporain.
Hommage à Alain Roussillon, Le Caire, 15, 16 et 17 juin 2008.

Activité de l’équipe

Édouard Méténier, ATER au Collège de France


Installé à mon poste depuis le 1er septembre 2007, mon activité a consisté à
poser les bases du travail pour lequel le professeur Henry Laurens m’a proposé de
rejoindre son équipe de jeunes chercheurs, étant entendu que ma mission première
réside dans l’achèvement de la rédaction de ma thèse de doctorat, dont la soutenance
est prévue en décembre 2008.
— Assistance à l’activité d’enseignement de la chaire :
Rédaction de la présentation du cours 2007-2008 pour publication sur la webpage de
celle-ci, sur le site internet du Collège.
Création de la page Laboratoire sur la webpage de la chaire, sur le site internet du
Collège.
— Participation à l’activité de recherche de la chaire :
Préparation d’un atelier de travail pour décembre 2008 sur le thème « L’écriture de
l’histoire et ses enjeux : le cas de l’Irak » organisé conjointement par la chaire et par le
CERMOM/INALCO.
Préparation d’une journée d’étude : « Les democratization studies à l’épreuve du terrain :
le cas du Greater Middle-East » organisée par la chaire avec l’appui de l’IMC, prévue en
juin 2009.
Mise en place avec Jihane SFEIR, de l’équipe de recherche constituée autour de la chaire,
d’un séminaire de recherche organisé conjointement par la chaire et l’IISMM sur le
thème « Historiographie(s) du Monde Arabe Contemporain — Entre histoire(s) et
mémoire(s) : formes et enjeux des conflits de légitimité » dont la mise en route est
programmée pour le premier semestre 2009.
HISTOIRE CONTEMPORAINE DU MONDE ARABE 501

— Participation à des rencontres académiques :


Conférence internationale « Unity and Diversity in Iraq : the Nation’s Past and Future »
organisée les 26, 27 et 28 octobre 2007 à Istanbul par le TAARII et le Hollings Center.
Colloque « Masques et voiles dans les guerres civiles » organisé les 6 et 7 décembre 2007
au Collège de France par les professeurs Jon Elster et Henry Laurens.
Conférence internationale « L’ivresse de la liberté : la révolution de 1908 dans l’empire
ottoman » organisé les 5, 6 et 7 juin 2008 au Collège de France par la chaire d’histoire
ottomane et l’UMR 8032 Études turcs et ottomanes du CNRS.

— Publications remises aux éditeurs au cours de cette année :


« La production sociale de la violence dans l’Irak post-baathiste », en collaboration avec
Louloua Al-Rachid, pour la revue A Contrario (IUED/Université de Genève), vol. 5
(2007/2), numéro spécial dirigé par Riccardo Bocco : Situations conflictuels au Moyen-
Orient.
« Kurdicités irakiennes : Aperçus historiques sur la présence kurde à Bagdad à l’époque
moderne » pour la revue Études kurdes (Paris), 2008/1, numéro spécial dirigé par Boris
James, Les Kurdes d’Irak : approches historiques.

Jihane Sfeir, chercheure associée

Recherche
2008-2009 : Post-doctorante responsable de la coordination du programme ANR
Archiver : les pratiques historiographies au Moyen-Orient. Institut d’études de l’Islam et des
Sociétés du Monde Musulman (EHESS)/Collège de France. Paris.
2007-2009 : Participation au programme ANR « Mémoires de guerre » Institut Français
du Proche-Orient et Université Saint-Joseph. Beyrouth.
2006-2008 : Participation au projet Cedre (CEIFR/CNRS/USJ) « Le passage des
frontières ». Paris-Beyrouth.

Enseignement
2008-2009 : Responsable du séminaire IISMM/Collège de France : « Historiographie
contemporaine du monde arabe ». Co-direction avec Édouard Méténier.
Septembre 2007-décembre 2007 : Assistant Professor, Université Américaine de Paris
« Methodology on Islam (Master Middle-East Studies) : Frantz Fanon Wretched of the
Earth, Edward Said Orientalism » et « Palestinian Condition : History, Refugees and Every
Day Life » (Master Middle-East Studies).

Publications
Ouvrage
L’exil palestinien au Liban : le temps des origines 1947-1952, IFPO/Karthala, Beyrouth/
Paris, 2008.

Contributions à des ouvrages collectifs


« Palestinians in Lebanon : the Birth of the Enemy Within », in M.A. Khalidi et Diane
Riskedahl (ed.), Palestinian Citizenships and Identities, IPS/IFPO, Beyrouth (à paraître
2008).
502 HENRY LAURENS

« Éclatement d’une société et dispersion d’un peuple : les récits de la Hijra de 1948 », in
Leslie Tramontini et Chibli Mallat (ed.), From Baghdad to Beirut, Arab and Islamic Studies
in honor of John J. Donohue s.j., Orient-Institut, Beyrouth, 2007, pp. 427-462.

Interventions
2007
13-14 décembre : participation au colloque « Palestinian Citizenships and Identities »,
organisé par l’Institut Français du Proche-Orient (IFPO) et l’Institute for Palestine Studies
(IPS) à l’Université Américaine de Beyrouth. Intervention : « Palestinians in Lebanon : the
Birth of the Enemy Within ». Beyrouth.
6-7 décembre : Participation au colloque organisé au Collège de France : « Masques et
voiles dans les guerres civiles » (sous la direction de Henry Laurens et de Jon Elster).
Intervention sur « Parcours politiques de combattants chiites dans la guerre civile libanaise ».
Paris.
5 décembre : participation à une journée d’étude organisée par le Laboratoire
d’Anthropologie Urbaine (UPR34/CNRS), dans le cadre du programme ANR « Liban,
mémoires de guerre : pratiques, traces et usages » entamé à l’Institut Français du Proche-
Orient, en partenariat avec l’Université Saint-Joseph de Beyrouth en janvier 2007.
Intervention : « Nom de guerre : Bassel ; Portrait d’un combattant chiite. ». Paris.
29 novembre : intervention au séminaire « Guerre et société dans le monde arabe
contemporain : les figures du combattant » dirigé par Nadine Picaudou (CEMAf, Univ.
Paris I) ; Pierre Vermeren (CEMAf, Univ. Paris I) ; Raphaëlle Branche (CHS, Univ.
Paris I) ; Sylvie Thénault, (CHS, CNRS) : « Parcours politiques et modes d’engagement de
combattants chiites dans la guerre civile libanaise ». Paris.
29-31 octobre : Participation à la table-ronde « Regards croisés sur les recompositions
sociales, territoriales et identitaires dans les pays du Sud », Programme de Coopération pour
la Recherche Universitaire et Scientifique, (CORUS/ENA Meknès/IRD), Rabat.
Intervention : « Citoyennetés, Identités et territorialités palestiniennes». Rabat.
17 octobre : présentation avec Édouard Méténier du séminaire d’études IISMM/Collège
de France : « Historiographie contemporaine du monde arabe ». Paris.

2008
19 juin : Intervention dans le cadre des jeudis de l’Institut du Monde Arabe sous le titre :
« La mémoire palestinienne de 1948 ». Paris.
24 Avril : Conférence à l’Institut Français du Proche-Orient autour de « L’exil palestinien
au Liban ». Beyrouth.
15 Mai : Intervention au Centre de Formation des Journalistes. Paris.
18 Mai : Participation à la conférence autour des 60 ans de la Nakba. Bruxelles.
4 mars : Présentation de mon ouvrage « L’exil palestinien au Liban : le temps des origines,
1947-1952 » Édité par Karthala et l’Institut français du Proche-Orient (2008). Collège de
France. Paris.

Leyla Dakhli
De février à juin 2008, animation d’un séminaire sur « Le monde des journalistes arabes,
un milieu, un métier : questionnements et itinéraires » (séminaire EHESS accueilli dans les
locaux du Collège de France).
HISTOIRE CONTEMPORAINE DU MONDE ARABE 503

Participation à des colloques et ateliers :


— Nouveaux médias dans le monde arabe, « Les premiers temps de la modernisation
du paysage médiatique arabe. L’exemple de la presse écrite levantine dans l’entre-deux-
guerres », colloque organisé par l’université de Lyon II, 9-10 février.
— Panel sur l’étude de la presse arabe, Mediterranean Meeting, Florence, mars 2008
« Pour une étude de l’émergence de la presse d’opinion dans le Bilad al-Shâm : le courrier
des lecteurs ». Institut Européen Robert Schuman de Florence, 12 au 16 mars.

Publications
— Une génération d’intellectuels arabes. Syrie et Liban, 1908-1940, éditions Khartala-
IISMM (à paraître en septembre 2008).
— « The “Mahjar” as literary and political territory in the first decades of the 20th
century : the example of Amîn Rîhânî (1876-1940) », in The Arab Intellectual and the
Question of Modernity, forthcoming 2009, Routledge.
— « Le pouvoir aux savants, parcours d’une génération intellectuelle en Syrie et au Liban
(1908-1940) », in Savoirs et pouvoirs. Genèse des traditions et traditions réinventées,
Maisonneuve et Larose, octobre 2007.
— Note de lecture de Bernard Rougier, Everyday Jihad, The Rise of Militant Islam among
Palestinians in Lebanon, Harvard University Press, Cambridge MA, 2007, pour Le
Mouvement Social. http://mouvement-social.univ-paris1.fr/document.php?id=1091.
— Note de lecture de Mansoor Moaddel, Islamic Modernism, Nationalism, and
Fundamentalism. Episode and Discourse, The University of Chicago Press, Chicago, 2005,
pour les Annales HSS (à paraître n° 4 - 2008).
Rationalité et sciences sociales

M. Jon Elster, professeur

L’irrationalité

Ce cours sur l’irrationalité fait suite au cours de l’année précédente sur le


désintéressement. Comme dans ce dernier cours, j’ai fait appel à deux corps
théoriques distincts, d’un côté les classiques de la pensée, de Montaigne à
Tocqueville, et d’un autre la psychologie et l’économie récentes, cherchant les
bonnes questions chez les classiques pour essayer ensuite de trouver les bonnes
réponses chez les modernes. Ensemble, les deux cours constituent les deux volets
d’une critique de la théorie de l’homme économique, ou homo economicus. Dans
ce qui suit, je propose non pas tant un résumé du cours en tant que tel qu’une
explicitation du concept d’irrationalité tel que le cours l’a déroulé.
Sans trop caricaturer, on peut dire qu’un grand nombre d’économistes continuent
d’utiliser les deux hypothèses du choix rationnel et des motivations intéressées, qui
ont en leur faveur la simplicité et la parcimonie. Dans la mesure où la recherche de
vérité doit l’emporter sur la quête de simplicité et dans la mesure où l’hypothèse de
l’homme économique est réfutée par les observations empiriques, je défends dans le
cours l’idée qu’il faut y renoncer. J’ajoute qu’en faisant appel à d’autres hypothèses
(par exemple la théorie des perspectives proposée par Daniel Kahneman et Amos
Tversky ou la théorie de l’escompte hyperbolique proposée par R.H. Strotz et
élaborée par George Ainslie), on peut éviter l’arbitraire en déduisant de celles-ci des
faits nouveaux (les novel facts de Imre Lakatos). Le fait que ces hypothèses alternatives
ne se laissent pas intégrer dans une théorie unifiée, semblable à cet égard à la théorie
du choix rationnel, ne saurait constituer une objection décisive.
Concernant les deux composantes de la théorie économique que je viens de
mentionner, la rationalité et les motivations intéressées, il n’est pas vrai de dire que
la première implique la seconde. Il s’agit là d’une vue simpliste et fausse, qui
comporte souvent un brin de mauvaise foi. Pour attaquer la théorie du choix
506 JON ELSTER

rationnel il est sans doute commode de s’en prendre à ses avocats les plus grossiers,
pour lesquels il semble en effet aller de soi que l’agent rationnel ne poursuit que
son intérêt propre. Or c’est une victoire trop facile, car c’est une position qui n’est
défendue par aucun économiste sérieux. En réalité, une motivation désintéressée
comme l’altruisme est non seulement compatible avec la rationalité, mais elle
l’exige. Si j’alloue une partie de mon revenu à la réduction de la pauvreté dans le
tiers-monde, le même souci désintéressé qui m’y conduit doit aussi me faire
rechercher la fondation philanthropique qui en fasse le meilleur usage. Si mon
argent finit par profiter plus aux fonctionnaires de la fondation — ou aux
dictateurs — qu’aux pauvres, on pourra mettre en question non seulement mon
altruisme mais également ma rationalité. Le cours explore à cet égard ce que les
économistes appellent le « warm glow » (dans ma terminologie « l’effet Valmont »)
qui correspond au plaisir ressenti dans toute action altruiste.
Il est tout à fait possible que certains comportements d’apparence altruiste soient
en effet motivés par un désir d’autosatisfaction. Or il faut ajouter que dans cette
hypothèse il faut aussi présupposer l’irrationalité, sous la forme de la duperie de
soi-même. Afin d’obtenir la satisfaction intime d’avoir fait le bien, il faut penser
avoir agi pour le bien d’autrui. En de tels cas, on ne peut pas garder à la fois
l’hypothèse de motivations égocentriques et l’hypothèse de rationalité.
La théorie de l’homme économique comporte aussi une troisième composante :
l’hypothèse que chaque agent est parfaitement informé de la situation de tous les
autres acteurs. Il sait en particulier qu’ils sont rationnels, leur motivation intéressée,
et qu’ils sont eux aussi parfaitement informés. Cette composante est surtout
importante dans les jeux stratégiques. Elle est un peu moins essentielle que les deux
autres composantes, en ce sens qu’on peut souvent obtenir des prédictions précises
même dans le cas d’information imparfaite. Elle a pourtant une place dans le type
idéal de l’homme économique.
Une quatrième composante, dont le statut est assez différent, est celle de
l’individualisme méthodologique, selon lequel, en gros, l’élucidation complète de
la psychologie individuelle ferait disparaître la sociologie. Il n’entre pas dans mon
propos ici de défendre cette doctrine, à laquelle je souscris profondément. Il
convient néanmoins d’observer que, contrairement à ce que l’on peut lire chez les
durkheimiens, l’individualisme méthodologique n’implique ni la rationalité des
agents ni leur motivation intéressée. En fait, tout ce que je dis dans ce cours sur
les comportements irrationnels présuppose un cadre individualiste. On peut donc
retenir cette dernière composante de la théorie de l’homme économique tout en
rejetant ou en critiquant les trois autres.
Trois des idées dont je viens de parler — la rationalité, les motivations intéressées,
et l’individualisme méthodologique — sont strictement indépendantes les unes des
autres. Il existe pourtant une idéologie bien-pensante selon laquelle elles sont
étroitement solidaires et, bien entendu, sont toutes à rejeter. Qui défend l’une
d’entre elles est accusé, par réflexe, d’accepter les autres. Le présent cours est
RATIONALITÉ ET SCIENCES SOCIALES 507

largement une critique de la force explicative de la notion de rationalité. Je tiens


à souligner que du point de vue normatif, la rationalité est une idée incontournable
— transculturelle et transhistorique — au contraire de l’idée de motivations
intéressées.
Ce cours opère ainsi un va-et-vient constant entre le normatif et l’explicatif. La
force normative de la rationalité sert de correctif permanent aux tendances
irrationnelles spontanées. C’est ainsi que l’on peut expliquer tous les dispositifs que
nous construisons — ou que la société met à notre disposition — pour combattre
la faiblesse de volonté, ainsi que je les ai décrits dans un livre récent, Agir contre
soi. Or comme toujours lorsqu’il y a des moyens de correction, il peut aussi y avoir
hypercorrection. C’est ce que j’appellerai « surrationalité ». La force normative de
la rationalité est si puissante que nous sommes souvent tentés de l’appliquer hors
de son domaine naturel. Ainsi la « critique » de la rationalité que je proposerai est
en partie une critique au sens kantien, ou peut-être pascalien : « Il n’y a rien de si
conforme à la raison que ce désaveu de la raison ».
Le cours a suivi en gros le plan suivant :
10 janvier. Introduction générale
17 janvier. Les structures élémentaires de la rationalité
24 janvier. Indétermination et irrationalité
31 janvier. La surrationalité
7 février. Réduction et production de dissonance cognitive
14 février. La faiblesse de volonté
21 février. Les croyances motivées
13 mars. L’escompte du futur
20 mars. Les passions
27 mars. Les passions (suite)
3 avril. Biais et heuristiques
10 avril. La théorie des perspectives
17 avril. Vue d’ensemble

Introduction
L’idée d’irrationalité est d’origine relativement récente, comme l’est aussi celle
de rationalité par contraste avec laquelle elle se définit. On affirme souvent que la
notion de rationalité instrumentale dans son sens contemporain date des années
1860-1870, quand eut lieu la révolution marginaliste en économie. Il me semble
plus exact de remonter à Leibniz, qui concevait le choix par Dieu du meilleur des
mondes possibles par analogie avec l’entrepreneur rationnel.
Même si l’idée de la rationalité instrumentale est de date assez récente, le
comportement rationnel est de tous les temps. Il en va de même de l’irrationalité.
Pour les anciens, cependant, les phénomènes irrationnels étaient liés aux
perturbations physiologiques et viscérales. L’irrationalité était essentiellement
508 JON ELSTER

« chaude ». Or nous savons aujourd’hui qu’il existe également une irrationalité


« froide » qui n’est accompagnée d’aucune perturbation de l’organisme. Pour en
donner un exemple, considérons une personne qui marche vers deux bâtiments,
qu’on va supposer transparents.

1 2 3 4

Lorsque la personne se trouve au point 1, à quelque distance des deux bâtiments,


leurs grandeurs apparentes relatives et leurs grandeurs réelles relatives sont les
mêmes. Le bâtiment le plus grand apparaît comme le plus grand. Or quand la
personne arrive au point 2, le bâtiment plus petit domine le plus grand. Il s’agit
là d’une simple illusion que le cerveau corrige automatiquement sans que nous y
fassions attention.
On peut aussi lire le diagramme de manière différente, en interprétant l’axe
horizontal comme une dimension temporelle plutôt que spatiale et les hauteurs des
bâtiments comme des biens qui deviennent accessibles aux moments 3 et 4
respectivement. Les lignes obliques représentent maintenant la valeur présente des
deux biens aux divers moments du temps. Lorsque la personne contemple le choix
entre les biens au moment 1, le bien plus grand lui semble préférable, mais au
moment 2 la préférence s’est renversée. Elle va donc choisir le bien moins grand.
De manière qualitative, le diagramme suggère pourtant ce qui sera confirmé plus
loin, à savoir qu’il peut y avoir un changement de préférences sans que rien ne se
passe, sauf le passage du temps. C’est un cas paradigmatique de l’irrationalité
froide. A ce point de l’exposé, l’essentiel est de comprendre que le présupposé
traditionnel et implicite selon lequel l’irrationnel découle toujours des passions, au
sens large des anciens, n’est plus tenable aujourd’hui.
Dans les trente dernières années, les sciences sociales ont découvert un grand
nombre de mécanismes précis qui sont générateurs de comportements irrationnels
et dont il est longuement question dans ce cours. Pour pouvoir affirmer l’irrationalité
de tel ou tel comportement, il faut a priori définir la notion de rationalité dont on
se sert. Prenons le comportement de quelqu’un qui se soucie peu des conséquences
éloignées dans le temps de ses actions présentes, avec des conséquences négatives
pour sa santé, ses finances et ses relations personnelles. D’un point de vue intuitif,
RATIONALITÉ ET SCIENCES SOCIALES 509

on dirait sans doute que cet individu constitue le paradigme même de l’irrationalité.
Du point de vue que j’adopte dans ce cours, il n’en est rien. Je serais prêt à dire
qu’il se comporte bêtement, mais la bêtise n’est pas la même chose que l’irrationalité.
D’un point de vue objectif, cet individu souffre des effets de ses actions, ce qui
n’exclut pas que de son point de vue subjectif il fasse ce qui lui semble le mieux.
Dans ce cours, j’adopte une définition résolument subjective des notions du
rationnel et de l’irrationnel, non pas que cette définition soit plus « correcte »
qu’une autre, idée qui d’ailleurs n’a pas de sens, mais simplement parce qu’elle me
semble la plus utile à mes fins.

En ce qui concerne ces fins, elles sont surtout explicatives. La théorie du choix
rationnel suggère des hypothèses dont on peut se servir pour rendre compte des
comportements observés. De même, l’intérêt des mécanismes de l’irrationalité est
de fournir des outils pour l’explication de l’action. Cela dit, la théorie du choix
rationnel est aussi, et même d’abord, une théorie normative. Elle dicte à l’agent ce
qu’il doit faire afin de réaliser ses projets au mieux possible. Une fois établie cette
prescription, l’observateur peut la transformer en prédiction. En posant comme
hypothèse explicative que l’individu dont il s’agit est en effet rationnel, on vérifie
celle-ci en comparant son comportement observé avec le comportement que
recommande la théorie.

Il importe de voir que cette vérification fournit un critère nécessaire mais non
suffisant de la rationalité du comportement. Autrement dit, même un comportement
qui est conforme aux prescriptions de la théorie du choix rationnel pourrait être le
résultat d’un mécanisme irrationnel. Ou bien, pour le dire encore autrement, la
rationalité ou l’irrationalité d’une action n’est pas un attribut de l’action elle-même
mais du processus qui l’engendre. Le cours explore également les mécanismes
susceptibles de « mimer » la rationalité (c’est-à-dire où tout se passe « comme si »
l’agent était animé par la rationalité subjective, même lorsque l’on peut démontrer
que tel n’est pas le cas), tels que la sélection naturelle. On rencontre parfois l’idée de
la rationalité des émotions, fondée sur l’efficacité des réactions émotionnelles et
quasi automatiques aux situations dangereuses. Or à mon avis il ne faut pas confondre
le caractère adaptatif de ces réactions et leur prétendu caractère rationnel. Le fait que
la sélection naturelle ait produit des comportements qui sont souvent les mêmes que
ceux qu’aurait choisis un agent rationnel ne prouve en rien qu’il s’agit d’actions
rationnelles. De manière plus importante, je montre dans les deux conférences sur
les passions que la simulation de la rationalité par la sélection naturelle risque d’être
imparfaite, et que les réactions émotionnelles au danger enfreignent souvent les
normes de la rationalité. Le comportement des gouvernements occidentaux à la suite
du 11 septembre 2001 en offre sans doute un exemple.

A mon avis, l’influence de la sélection naturelle sur la capacité à faire des choix
rationnels délibérés est beaucoup plus importante que l’existence en nous, produite
par l’évolution, de réactions automatiques capables de simuler la rationalité. Il
s’agit en quelque sorte d’une distinction entre la vente en gros et la vente au détail.
510 JON ELSTER

Dans un environnement complexe, la capacité à former des croyances bien fondées


et à opérer des arbitrages cohérents entre les diverses fins qui s’imposent est
essentielle. Le cours traite à cet égard du problème des poids relatifs qu’il convient
d’accorder aux biens proches dans le temps et aux biens plus éloignés. Il existe
maintenant une littérature considérable suggérant fortement que cet arbitrage est
typiquement incohérent, comme je l’ai indiqué dans le diagramme de tout à
l’heure. On pourrait penser que cette incohérence constitue un handicap sévère
pour l’organisme, mais apparemment il n’en est rien.
En second lieu, on peut faire appel à une analogie sociale de la sélection naturelle,
notamment à la concurrence du marché. Ainsi, l’on pourrait réconcilier l’hypothèse
de l’agent rationnel avec certaines modélisations de la rationalité qui lui imposent
un fardeau cognitif très lourd. Admettons que des femmes et des hommes de chair
et de sang soient incapables d’accomplir les calculs pour lesquels les chercheurs ont
besoin de plusieurs pages de mathématiques avancées. Dans la réalité, les agents
sociaux utilisent des critères de décisions souvent très grossiers. Ils coupent la poire
en deux, imitent le voisin, recherchent un seuil de satisfaction plutôt qu’un
maximum, etc. On peut néanmoins affirmer qu’ils se comportent comme s’ils
étaient capables de calculs sophistiqués, puisque ceux qui s’écartent du
comportement optimal sont éliminés par le marché. L’irrationalité, dans cette
perspective, ne serait qu’un phénomène passager et éphémère.
Ce raisonnement, qui est au fondement de l’hypothèse de la rationalité
« comme si » adoptée par l’économie moderne, est pourtant extrêmement faible. Il
y a de nombreuses disanalogies entre la sélection naturelle et la concurrence du
marché, dont la plus importante découle peut-être du fait que l’environnement
économique change trop vite pour que la concurrence ait le temps d’éliminer les
agents qui auraient choisi des critères de décision sous-optimaux. De plus, la
plupart des choix des agents sociaux ne se font pas dans le cadre d’une situation
concurrentielle dont les perdants seraient éliminés. Finalement, dans l’histoire du
monde, les sociétés de marché constituent un phénomène exceptionnel.
Il convient ainsi de bien distinguer les deux propositions suivantes. D’une part,
une proposition empirique : ni les émotions ni le marché ne tendent en général à
produire, de manière systématique, des comportements adaptatifs. D’autre part,
une proposition conceptuelle : l’adaptation, qui est un fait objectif, n’a rien à voir
avec la rationalité, qui est un fait subjectif. Dans la suite de ce cours, j’insisterai
toujours sur le caractère radicalement subjectif de la rationalité, même si de temps
en temps il me faudra faire face aux implications contre-intuitives de cette approche.
N’est-il pas absurde, par exemple, d’affirmer que le toxicomane soit rationnel ?
Je répondrai que ce n’est pas absurde, même si, le plus souvent, c’est faux.
Supposons maintenant que nous nous proposions de vérifier l’hypothèse de
l’homme économique dans une situation précise, et qu’elle s’avère fausse. Puisque
l’hypothèse comporte les diverses composantes qu’on a vues, il est difficile de
savoir ce qu’il faut en conclure. Selon la thèse dite de Duhem-Quine, nos
RATIONALITÉ ET SCIENCES SOCIALES 511

hypothèses ne confrontent pas le monde une par une, mais en bloc et de manière
simultanée. Même lorsqu’une expérience est conçue afin de sonder une hypothèse
précise, un résultat négatif n’infirme pas forcément celle-ci, car il se peut que le
coupable soit l’une des hypothèses auxiliaires adoptées implicitement ou
explicitement par le chercheur. Dans le cas qui nous concerne ici, il est parfois
difficile de savoir si les résultats d’une expérience donnée réfutent l’hypothèse de
la rationalité ou celle d’une motivation intéressée. Dans mon cours de l’année
dernière, j’ai cité le comportement électoral comme un exemple possible. Pour
expliquer pourquoi les électeurs se donnent la peine de voter, on peut comprendre
leur vote comme un don à la société. Ce serait l’explication par le désintéressement.
On pourrait également interpréter leur décision de se déplacer pour voter comme
l’effet d’une sorte de pensée magique. Chaque individu se dirait, de manière plus
ou moins consciente, que s’il vote, d’autres avec les mêmes caractéristiques que lui
le feront également. « Si je vote, ceux qui sont comme moi voteront aussi. » Ce
serait l’explication par l’irrationalité.

Je voudrais dire deux mots sur le rôle de l’inconscient dans les phénomènes
irrationnels. Il me semble évident que les processus inconscients y jouent un rôle
important. La réduction de la dissonance cognitive et la formation de croyances
motivées sont des processus qui se déroulent « dans le dos » de l’agent, sans qu’il
en soit conscient. Il ne s’agit pas là d’un constat empirique, mais d’une vérité
conceptuelle. La nature exacte de ces processus nous est largement inconnue. On
peut déduire leur existence à partir de leurs effets, un peu comme on a déduit
l’existence de la matière noire dans l’univers.

Il serait tentant de conclure, avec le premier Freud, que les processus de


l’inconscient sont sujets au Principe de Plaisir. Ainsi l’on adopte parfois une
opinion ou une croyance non pas parce qu’elle est appuyée par les observations ou
les expériences, mais pour le plaisir qu’on en tire. Le cours en examine de nombreux
exemples. La propriété fondamentale de ces processus inconscients consiste en ce
qu’ils sont dirigés vers la satisfaction immédiate. L’inconscient est incapable de
reculer pour mieux sauter. Agir en vue d’une fin éloignée présuppose que celle-ci
soit représentée sur l’écran mental de l’agent, ce qui justement est un trait constitutif
de la conscience. Attribuer cette capacité à l’inconscient serait donc en faire une
conscience. Je citerai pourtant aussi des cas dans lesquels un agent semble adopter
une croyance qui ne correspond ni à ce qu’il a de bonnes raisons de croire ni à ce
qu’il désire être le cas. Qu’on pense par exemple à la jalousie d’Othello ou à celle
du Narrateur chez Proust. Pour comprendre ces comportements, peut-on faire
appel au second Freud, celui de Au-delà du principe de plaisir ? A mon avis, l’idée
de la pulsion de mort est trop spéculative pour être d’une utilité quelconque. Le
cours n’offre pas de meilleure alternative, malheureusement.

Une autre question très difficile concerne l’existence de croyances et d’émotions


inconscientes. Dans les phénomènes de mauvaise foi ou de duperie de soi-même,
il semble y avoir non seulement une croyance motivée, mais également la
512 JON ELSTER

suppression d’une croyance initiale plus pénible encore que mieux fondée. Or
comme on le sait depuis Sartre, nommer l’instance mentale qui effectue cette
suppression cause des problèmes formidables.
De plus, il faut se demander si les croyances inconscientes ont en commun avec
les croyances conscientes de pouvoir servir de prémisses à l’action. Considérons
l’exemple hypothétique suivant. Un homme se ment à lui-même sur la fidélité de
son épouse, ayant supprimé la conscience du fait qu’elle le trompe avec son
meilleur ami. Afin qu’il puisse rester ignorant au niveau de la conscience, son
inconscient l’empêche de se promener dans les parties de la ville où il risquerait de
rencontrer son épouse avec son amant. En principe, on pourrait tester l’hypothèse
d’une croyance inconsciente en annonçant au sujet que l’amant de sa femme va se
trouver en tel lieu, où le sujet se rend régulièrement, un jour donné, pour voir s’il
évite d’y aller. Dans la conférence sur les croyances motivées on voit que certaines
expériences psychologiques suggèrent la possibilité d’une telle manipulation des
sujets par leur inconscient. Tant que le problème de l’instance de la suppression
n’est pas résolu, l’interprétation de ces résultats reste pourtant fragile. L’idée
d’émotion inconsciente est ambiguë. Il y a des émotions qui s’ignorent, et des
émotions qu’on supprime. Un observateur peut constater la colère ou l’amour
chez une personne qui n’a pas elle-même conscience de ressentir ces émotions.
Dans une culture qui n’a pas conceptualisé la notion de dépression, comme c’est
apparemment le cas à Tahiti, un jeune homme dont l’amie l’a quitté pour un
autre et qui exhibe toutes les signes cliniques de la dépression, dira simplement
qu’il est « fatigué ».
Les émotions qu’on supprime mais qui persistent dans l’inconscient présentent
un problème plus aigu. Nous avons tous, sans doute, observé la transmutation de
l’émotion de l’envie en indignation. Un observateur constate sans difficulté la
persistance de l’envie, par le ton des remarques dérogatoires que fait le sujet envieux
sur l’objet de son émotion, mais le sujet lui-même se voit dans un état de juste
colère. Nous avons affaire dans ce cas non pas à une simple ignorance, mais à une
ignorance motivée. La nature hideuse de l’envie induit un désir de la supprimer
ou de la transmuer, mais même reléguée à l’inconscient, elle continue d’exercer
une influence causale sur le comportement. On ne comprend pas très bien
comment cela se fait, mails il est difficile de nier l’existence du phénomène.
Voici le schéma de base qui sert de cadre conceptuel pour le cours tout entier.
Les flèches épaisses ont une double interprétation, puisqu’elles représentent à la
fois des relations de causalité et des relations d’optimalité. Considérons les rapports
entre action, désirs et croyances. D’une part, les flèches indiquent que l’action
choisie est le meilleur moyen de réaliser les désirs de l’agent, étant donné ses
croyances. D’autre part, elles indiquent que ces désirs et ces croyances constituent
les causes de l’action. Nous avons vu que Max Weber, en soulignant uniquement
l’optimalité de l’action rationnelle, a sous-estimé l’importance des relations
causales.
RATIONALITÉ ET SCIENCES SOCIALES 513

Action

Désirs (préférences) Croyances (opinions)

Informations

Les flèches minces, en revanche, représentent des relations causales qui ne sont
pas en même temps des rapports d’optimalité. Dans le cours, ces relations causales
ont évidemment une grande importance. Sans entrer dans tous les détails,
considérons simplement la flèche qui va des désirs vers les croyances. Cette
influence causale équivaut en gros à prendre ses désirs pour des réalités. On forme
la croyance que le monde est tel qu’on voudrait qu’il soit. Je dis « en gros »,
puisqu’on a déjà vu des cas, comme celui de la jalousie d’Othello, dans lesquels
l’agent tend à former les croyances qu’il a intérêt à trouver fausses.
Le schéma représente l’explication non seulement d’une action, mais également
des croyances de l’agent et de sa recherche d’information. De manière plus précise,
ce dernier explanandum comprend la quantité de ressources — que ce soit en
temps ou en argent — que l’agent consacre à l’acquisition de nouvelles informations,
en sus de celles qu’il possède déjà. Cette variable, souvent négligée dans l’analyse
du choix rationnel, est d’une importance fondamentale. On verra notamment que
plusieurs formes d’irrationalité ont leurs origines dans un investissement soit
insuffisant soit excessif dans l’acquisition d’information.
L’acquisition d’information est une action ou un ensemble d’actions. Donc de
manière générale, l’action principale se double d’une action secondaire ou préalable,
sauf si l’agent décide de ne recueillir aucune information supplémentaire. Dans
514 JON ELSTER

certains cas, l’action principale et l’action secondaire coïncident. Dans la guerre,


dit Napoléon, « on s’engage et puis on voit ». Supposons qu’un général, avant de
livrer une bataille, cherche à déterminer l’esprit combatif des troupes adverses.
Pour y parvenir, la méthode la plus sûre est souvent d’engager le combat. Dans le
cas typique, il s’agit pourtant d’actions distinctes. L’achat d’une voiture est autre
chose que les visites chez les vendeurs d’automobiles et la lecture des brochures.
En revanche, la formation de croyances ne constitue pas une action. On ne peut
pas se décider à croire, même dans le cas où avoir une certaine croyance serait
avantageuse. Considérons par exemple le cas du fumeur qui voudrait arrêter de
fumer mais qui n’y arrive pas. Il sait que s’il croyait que le risque de développer
un cancer du poumon était certain, il arrêterait. Il a donc intérêt à y croire. Or les
croyances se commandent en amont, par les raisons qui les justifient, non pas d’en
aval, par les conséquences qui en découlent. Comme l’a démontré Bernard Williams
dans un article justement célèbre,
On ne peut pas à la fois croire que p et croire que la croyance que p est une conséquence
de la décision de croire que p (Bernard Williams, « Deciding to believe », in Problems of
the Self ).

Cela dit, comment comprendre la formation des croyances ? Au fond, c’est un


processus passif. Sartre dit quelque part qu’on tombe en mauvaise foi comme on
tombe en sommeil, et c’est vrai aussi, je pense, pour les croyances ordinaires. On
se trouve avoir telle ou telle opinion.
Dans cette perspective, l’idée de croyances rationnelles pourrait sembler
mystérieuse. A mon avis, elle est étroitement liée aux qualités de jugement et de
bon sens. Chez celui qui possède ces qualités, la synthèse spontanée des diverses
éléments d’information, de pertinence et de fiabilité souvent très variables, se fait
d’une manière qui accorde à chacune d’entre elles son poids approprié. On peut
citer ici les observations d’un économiste éminent, Paul Krugman, sur l’ancien
directeur de la Réserve Fédérale aux Etats-Unis Alan Greenspan. Plutôt que de
s’appuyer sur des modèles formels de l’économie,
Greenspan avait la capacité de deviner, à partir de données fragmentaires et parfois
contradictoires, la direction du vent économique (Paul Krugman, New York Times, octobre
28 2005).

La formation de croyances rationnelles est ainsi une question de capacités


personnelles et intimes, dont le possesseur lui-même ignore le mode d’opération,
plutôt que de procédures mécaniques susceptibles d’être enseignées et transmises.
Certes, cette proposition est controversée. Les spécialistes des sciences de la
décision proposent toute une gamme de techniques qui sont supposées permettre
la formation et la mise à jour de croyances rationnelles. A mon avis, ces idées n’ont
pourtant aucune réalité psychologique. Comme je ne suis pas moi-même spécialiste
en la matière, ce jugement pourrait sembler téméraire. Le cours essaie dans une
certaine mesure de le justifier.
RATIONALITÉ ET SCIENCES SOCIALES 515

Pour revenir au schéma, les antécédents directs de l’action sont les désirs (ou
préférences) et les croyances (ou opinions) de l’agent. Dans ma conception, les
croyances et les opinions sont de nature exclusivement positive. Même si l’on dit
couramment, « A mon avis l’avortement est inacceptable », je compte de telles
propositions comme l’expression d’une préférence plutôt que d’une opinion. Pour
éviter tout malentendu, il convient aussi de préciser que je n’utilise pas le mot
« préférence » au sens d’un simple goût, ni le mot « désir » au sens d’une impulsion
plus ou moins violente. Ce sont des termes techniques qui couvrent toutes sortes
de motivations, hédoniques, esthétiques, éthiques ou autres.
Il vaut peut-être la peine de s’attarder un instant sur deux différences entre la
notion de désir et celle de préférence. Les préférences mettent nécessairement en
jeu deux objets ou plusieurs, pour les comparer, tandis qu’un désir porte sur un
seul objet et ne comporte en lui-même aucun élément comparatif. Ainsi on peut
parler d’un renversement de préférences, mais seulement d’un changement de
l’objet du désir. Cette distinction va s’avérer importante dans les analyses de ce que
l’on peut appeler l’irrationalité diachronique.
Un système de préférences est susceptible d’être incohérent, si par exemple on
préfère un objet X à un autre objet Y, l’objet Y à l’objet Z, et enfin Z à X. Un
désir est incohérent si la description de son objet comporte une contradiction,
comme c’est le cas du désir d’être présent à ses propres funérailles pour y entendre
son oraison funèbre. Cette distinction est pertinente pour les analyses de
l’irrationalité synchronique.
J’opère également une distinction dans le cours entre préférences substantielles
et préférences formelles. Les premières expriment l’attitude de l’agent envers des
objets spécifiques, comme une préférence pour les oranges sur les pommes ou la
préférence pour un candidat politique sur un autre. Les dernières expriment
l’attitude envers le temps et envers le risque. On peut ainsi préférer un bien
moindre immédiat à un bien plus important mais futur. Je parlerai alors
d’impatience. Un agent peut aussi avoir une préférence pour l’action immédiate
par rapport à une action différée. Dans ce cas, je parlerai d’urgence. Enfin, on
observe souvent l’aversion pour le risque, quand un agent préfère un bien sûr à un
bien incertain ayant une valeur attendue plus élevée.
Pour illustrer :
L’impatience : l’agent préfère 100 euros aujourd’hui à 200 euros dans un an.
L’urgence : l’agent préfère agir aujourd’hui pour obtenir 100 euros après-demain plutôt
qu’agir demain pour obtenir 200 euros après-demain.
Le risque : l’agent préfère 100 euros à une loterie qui lui donne ou bien 50 euros avec
une probabilité de 50 % ou bien 200 euros avec une probabilité de 50 %.
Tandis que l’impatience et le risque sont des phénomènes bien connus, l’urgence
l’est moins. Dans le cours, je défends néanmoins l’idée que dans les choix faits sous
l’impulsion de l’émotion, l’urgence est susceptible de prendre une importance
considérable.
516 JON ELSTER

Les croyances sont ou bien factuelles ou bien causales. Autrement dit, elles portent
sur l’existence des diverses actions qu’on pourrait choisir ainsi que sur les
conséquences du choix de l’une d’entre elles. On risque de mal choisir faute d’avoir
assez réfléchi aux conséquences à long terme de chacune des actions possibles, mais
aussi faute d’avoir parcouru une gamme d’options suffisamment large. La distinction
est importante surtout en ce qui concerne la recherche d’informations
supplémentaires. Il y a souvent un arbitrage entre l’exploration en profondeur des
conséquences du choix de l’une des options connues et l’exploration en extension
du champ des options. Cet arbitrage est pourtant sujet à une incertitude profonde.
Les croyances qui portent sur les conséquences de l’action sont susceptibles
d’avoir deux composantes. D’une part, l’agent peut croire que s’il fait A, une des
conséquences X, Y ou Z va se produire, tandis qu’il peut exclure les conséquences
V et W. D’autre part, il peut assigner une probabilité numérique précise à chacune
des conséquences. Comme toute probabilité, il s’agit d’une évaluation subjective,
même si elle peut s’appuyer en partie sur des fréquences objectives. Si la croyance
comporte la première composante mais non pas la seconde, nous avons une
situation d’incertitude, tandis que la présence des deux composantes définit une
situation de risque.
Pourtant il convient de nuancer un peu. Dans la définition technique de
l’incertitude, on suppose qu’exactement une des conséquences possibles va se
produire. Elles sont mutuellement exclusives et conjointement exhaustives. Pour
que l’agent puisse faire cette appréciation très précise, il faut évidemment qu’il ait
une connaissance très approfondie de la situation. Dans la pratique, on imagine
mal qu’il ne puisse pas s’appuyer sur cette connaissance afin de former une opinion
sur la probabilité relative des diverses conséquences. Même s’il est incapable
d’assigner des probabilités quantitatives précises, il peut du moins conclure que
telle conséquence est plus probable que telle autre.
Par contraposition, si l’agent est vraiment incapable de dire quoi que ce soit sur
la probabilité relative des conséquences, on ne peut pas lui imputer une appréciation
précise des conséquences possibles. Selon la formule désormais célèbre de Donald
Rumsfeld, la situation peut comporter des « inconnus inconnus », unknown
unknowns, qui viennent en sus des « inconnus connus» dont on connaît la nature
tout en ignorant leur probabilité. Dans la présence d’inconnus inconnus, il convient
de parler d’ignorance plutôt que d’incertitude. Le réchauffement climatique en est
sans doute un bon exemple. Les effets lointains et indirects du réchauffement sont
susceptibles, et même presque certains, de prendre des formes dont nous n’avons
aujourd’hui aucune idée.
La pertinence de ces questions pour le thème du cours est double. D’une part, les
phénomènes d’incertitude et d’ignorance affaiblissent la force normative et prédictive
de la théorie du choix rationnel. Puisque l’agent fait son choix en fonction des
conséquences probables des diverses options, une connaissance moins complète de
celles-ci limite sa capacité à faire un choix rationnel. Même s’il est parfois possible
RATIONALITÉ ET SCIENCES SOCIALES 517

d’exclure certaines actions comme étant manifestement irrationnelles, il aura souvent


l’embarras du choix parmi celles qui restent. Ainsi il faudrait substituer à la notion
de choix rationnel celle, plus faible, de choix non irrationnel.
D’autre part, et il s’agit là d’une implication de plus grande portée, l’incertitude
et l’ignorance sont des sources profondes d’irrationalité. L’esprit humain a horreur
du vide. Il nous est très difficile d’accepter le fait que nous n’avons pas suffisamment
d’information pour avoir une opinion sur un sujet donné. Dans une boutade
amusante, Albert Hirschman caractérise une certaine culture latino-américaine par
le besoin d’avoir « une opinion ferme et instantanée sur n’importe quel sujet ».
Même si ce trait est en l’occurrence culturel, il s’agit aussi d’une tendance tout à
fait universelle. Selon Montaigne,
Il s’engendre beaucoup d’abus au monde : ou pour dire plus hardiment, tous les abus du
monde s’engendrent, de ce, qu’on nous apprend à craindre de faire profession de nostre
ignorance ; et sommes tenus d’accepter, tout ce que nous ne pouvons refuter (Montaigne,
Essais III. XI.).
Le cours se penche longuement sur les manifestations de cette crainte d’admettre
notre ignorance ou, dans le langage des psychologues, du manque de tolérance de
l’ambiguïté.
Dans le schéma de l’action rationnelle, les croyances et les opinions ont
uniquement une valeur instrumentale. Elles servent à rendre plus probable ou
moins coûteuse la réalisation des fins de l’agent. Sans doute sont-elles aussi parfois
sources de satisfaction intrinsèque, comme lorsqu’on a une bonne opinion de soi,
mais cet avantage n’entre pas parmi les éléments du schéma.
Il est vrai que certains chercheurs ont proposé l’idée selon laquelle un agent
rationnel cherche l’arbitrage optimal entre une opinion plaisante ou agréable et
une opinion bien fondée. Puisque le plaisir constitue la fin ultime de toute action,
il serait irrationnel, selon eux, de négliger les plaisirs que l’on peut tirer de la
croyance que le monde est tel qu’on voudrait qu’il le soit. Celui qui ignore les
signes d’un cancer naissant aura peut-être une espérance de vie plus courte, mais
en revanche il aura vécu, supposons le, avec moins d’angoisse.
Les multiples absurdités de ce raisonnement sont sans doute évidentes, mais il
sera néanmoins utile de les épeler. En premier lieu, il faudrait évidemment que le
choix d’une opinion agréable, plutôt que d’une opinion bien fondée, soit un choix
inconscient. Afin de tirer du plaisir d’une croyance agréable (le « warm glow ou
effet Valmont »), il faut croire qu’elle est bien fondée. En deuxième lieu, il n’y a
aucune raison — empirique ou théorique — de penser que l’inconscient soit
capable de faire les arbitrages qui s’imposent. Comme j’en ai fait la remarque plus
haut, imputer à l’inconscient la capacité de calculer, c’est le faire trop semblable à
la conscience. En dernier lieu, la prémisse selon laquelle le plaisir est la fin ultime
de toute action est indéfendable. Celui qui se bat pour une cause ne le fait pas
pour son plaisir personnel, même si celui-ci est susceptible d’être augmenté par la
surestimation des chances de victoire.
518 JON ELSTER

L’acquisition d’information est guidée par ce qu’on appelle « la règle d’arrêt


rationnelle ». Avant de commencer la collecte d’information, on doit définir les
conditions dans lesquelles on arrêtera de chercher pour passer à l’action, conditions
qui dépendent à la fois des désirs de l’agent et de ses croyances.
Considérons d’abord comment l’investissement dépend des bénéfices et des coûts
attendus de l’information. En ce qui concerne les bénéfices, on frôle le paradoxe,
car comment peut-on déterminer la valeur d’informations supplémentaires sans
déjà les posséder ? Dans les situations qui se répètent régulièrement, l’expérience
peut nous guider. Ainsi les médecins ont des connaissances très précises de
l’accroissement de la probabilité de détection d’un cancer qui se produit avec chaque
test supplémentaire. Dans les situations sans précédent, ou ayant seulement des
précédents partiels, il est plus difficile et parfois même impossible de déterminer la
valeur attendue de la recherche. Je reviendrai sur ce point la semaine prochaine.
Il est parfois possible de résoudre cette difficulté par une sorte de tâtonnement,
représente par la boucle du diagramme. Supposons que je sois parti cueillir des
champignons dans une région que je connais mal. Je sais qu’en général les
champignons poussent en groupes, mais j’ignore la distribution de ceux-ci sur le
terrain. La question qui se pose est la suivante: quand dois-je arrêter de chercher
et commencer, tant bien que mal, à cueillir ? Même s’il n’y a pas de réponse
générale, la solution peut se présenter d’elle-même si je tombe sur une concentration
de champignons tellement dense que j’en aurai assez pour remplir mon panier. De
manière semblable, on met parfois fin à des expériences médicales avant le temps
prévu si le traitement expérimental s’avère rapidement si efficace qu’il serait
contraire à l’éthique de le refuser au groupe de contrôle.
Les coûts d’acquisition de l’information se divisent en coûts directs et en coûts
d’opportunité. Si l’on va de magasin en magasin pour acheter un produit donné
le moins cher possible, il faut tenir compte du prix du taxi ou du ticket de métro.
Il y a ensuite le coût d’opportunité, qui est la valeur de la meilleure utilisation
alternative du temps consacré à la collecte d’information. Même si le prix du ticket
de métro est inférieur au gain brut escompté par l’achat au prix le plus bas, la
demi-heure de voyage aurait pu être consacrée à des activités qui, pour l’agent, ont
plus de valeur que le gain net. Comme on le voit dans le cours, la négligence des
coûts d’opportunité est susceptible d’être source d’irrationalité.
Si nous passons à l’impact des préférences sur l’acquisition d’information,
considérons d’abord l’impact des préférences formelles. Supposons que nous ayons
affaire à un agent « myope », mot que j’utilise systématiquement pour nommer un
agent qui attache peu d’importance aux conséquences éloignées dans le temps de
son choix présent. Dans l’achat d’un bien de consommation durable comme une
voiture ou une machine à laver, cette personne n’a pas intérêt à passer beaucoup
de temps à comparer la durée de vie des diverses marques. De même, l’attitude
envers le risque peut influer sur les ressources qu’on investit pour déterminer les
taux d’accident des différentes compagnies aériennes.
RATIONALITÉ ET SCIENCES SOCIALES 519

Les préférences substantielles façonneront également l’acquisition d’informations


supplémentaires. Considérons deux personnes qui ont été licenciées et qui cherchent
un nouvel emploi, dans le cadre d’un régime d’assurances-chômages généreuses qui
leur permettent de maintenir un niveau de vie assez élevé. L’une d’entre elles ne
s’intéresse au travail que pour le revenu qu’il lui procure, tandis que pour l’autre
avoir un emploi est une condition essentielle du respect de soi, sans lequel elle tire
peu de plaisir de ses activités de loisir. Cette deuxième personne investira
certainement un plus grand effort que la première dans sa quête d’un emploi, en
cherchant des informations précises et détaillées sur le marché du travail qui lui
permettent de former des croyances bien fondées sur ses chances d’être embauché.
Comme j’en ai déjà fait la remarque, un impact direct des préférences sur les
croyances n’est pas compatible avec les principes de la rationalité. On vient de voir
qu’un impact indirect, par l’intermédiaire de la collecte d’information, n’a en soi
rien d’irrationnel. Si vous regardez encore une fois le diagramme, vous constatez
pourtant qu’il y a aussi une ligne mince — donc un mécanisme causal non
rationnel — qui part des désirs pour arriver à l’information. Parfois, la formation
de croyances motivées s’opère en effet par un mécanisme plus subtil que la simple
tendance à prendre ses désirs pour des réalités. Au lieu de la règle d’arrêt rationnelle,
on peut adopter une « règle d’arrêt hédonique » et cesser la collecte d’information
lorsque la croyance justifiée par les données accumulées est celle qu’on aimerait
croire vraie. Il semble par exemple que Gregor Mendel, le père de la génétique
quantitative, ait utilisé ce principe dans ses recherches statistiques. On observe un
comportement apparenté chez les médecins qui arrêtent leur examen quand ils ont
identifié une cause, sans se demander s’il pourrait y en avoir d’autres.
J’en arrive maintenant à une question que vous vous êtes sans doute posée, à
savoir le rôle unique et spécial des désirs dans l’analyse de l’action rationnelle.
Comme vous le constatez, il n’y a aucune flèche épaisse qui aboutisse aux désirs.
Les désirs constituent les données primitives à partir desquelles se construisent les
diverses optimisations dont je viens de parler. Puisqu’ils servent de critères de
rationalité, ils ne sont pas susceptibles d’être évalués comme étant eux-mêmes plus
ou moins rationnels.
Certains trouveront sans doute bizarre l’affirmation qu’on peut être à la fois bête
et rationnel. Le paradoxe disparaît pourtant dans le contexte explicatif, dans lequel
il s’agit uniquement de comprendre le comportement de l’agent à partir de la seule
hypothèse de la rationalité subjective. Un agent rationnel chercherait si nécessaire
à ajuster ses croyances, en acquérant des informations supplémentaires, mais il n’a
aucune incitation d’ajuster ses désirs.
On peut néanmoins qualifier un désir ou un système de préférences d’irrationnel
s’il est incohérent. J’ai déjà donné quelques illustrations de cette idée. Un exemple
plus complexe, brièvement mentionné ici et dont je reparle longuement dans le
cours, concerne les renversements de préférence à la suite du passage du temps. Or
dans de tels cas, il ne s’agit pas d’évaluer un désir ou un ordre de préférence d’un
point de vue externe, mais simplement de constater leur incohérence interne.
520 JON ELSTER

Le cours couvre également les cas de figure dans lesquels l’agent est piégé dans
et par ses croyances, semblable à l’agent myope qui est piégé dans et par son
horizon temporel court, ainsi que de « l’ignorance pluraliste », c’est-à-dire les
comportements collectifs qui se maintiennent par les croyances fausses, stables et
s’auto-justifiant qu’ont les agents sociaux les uns des autres. Pour simplifier il s’agit
d’une situation où on suppose que la croyance ou le désir en question est peu
répandu mais qu’il y une croyance très répandue qu’ils sont très répandus.
J’explique dans le cours la logique de l’ignorance pluraliste par des exemples qui
permettent aussi d’introduire une application importante de la théorie du choix
rationnel, à savoir la théorie des jeux. A travers les exemples du Dilemme du
Prisonnier ou du Jeu de l’Assurance, je propose de distinguer l’irrationalité non
seulement de la bêtise, mais également de la malchance, qui s’avère en fait subsumer
la bêtise. Il serait facile, par exemple, de taxer de bêtise le toxicomane qui meurt
d’une surdose à vingt ans. Dans certains cas, l’accusation est sans doute justifiée,
mais elle ne l’est pas si la seule et unique cause de son addiction se trouve dans le
fait d’avoir un taux d’escompte du futur élevé. Bien que la psychologie ne soit pas
encore en mesure d’expliquer la myopie de certains individus, il est certain que
celle-ci n’est jamais choisie. L’individu myope est piégé.

Publications 2007-2008
« The night of August 4 1789 : A study in collective decision making », Revue Européenne
des sciences sociales, 2007.
Études juridiques comparatives et internationalisation du droit

Mireille Delmas-Marty, membre de l’Institut


(Académie des Sciences morales et politiques), professeure

COURS : VERS UNE COMMUNAUTÉ DE VALEURS ? — LES DROITS FONDAMENTAUX

Dans notre quête de valeurs communes, nous étions partis d’une intuition : on
identifie plus facilement ce qui choque la conscience commune que ce qui lui plaît.
Nous avions donc choisi de commencer par la face la plus sombre, celle des Interdits
fondateurs, ceux dont la violation caractérise les crimes à vocation universelle.

Il fallut pourtant reconnaître que ces crimes internationaux, y compris le très


emblématique crime « contre l’humanité », ne pourraient jouer le rôle fondateur
d’une future communauté mondiale de valeurs qu’à la condition d’éviter tout
fondamentalisme juridique, donc à la condition, en intégrant des variables de
temps et de lieu, d’admettre une interprétation évolutive et à plusieurs niveaux.

Un tel constat nous suggérait alors de renoncer à la métaphore architecturale de


l’édifice construit sur des fondations qui se voudraient définitives. D’où l’énigme
de cette communauté mondiale qui pour devenir inter/humaine, et pas seulement
inter/étatique, se construit sans fondations préalables.

Quand on passe à l’autre face, des interdits fondateurs aux droits que l’on persiste
à nommer « fondamentaux », le mystère ne s’éclaircit pas pour autant. Même à
l’échelle nationale, le « socle » des droits de l’homme a été inscrit dans les constitu-
tions bien après les « piliers » de la légalité et de la garantie judiciaire : en France, il
faut attendre 1971 pour que le Conseil constitutionnel intègre la Déclaration des
droits de l’homme de 1789 au « bloc de constitutionnalité » et 1974 pour qu’une
réforme élargissant la procédure de saisine à un groupe de soixante parlementaires
vienne transformer le Conseil en organe de contrôle quasi juridictionnel 1. Au plan
international, il faut attendre la même année 1974 pour que la France ratifie la

1. C’est seulement en 2008 que sera créée l’exception d’inconstitutionnalité.


522 MIREILLE DELMASMARTY

Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme (CESDH), puis 1981


pour qu’elle accepte le contrôle de la cour européenne et simultanément ratifie les
deux pactes internationaux des Nations unies sur les droits de l’homme.
Pour résoudre l’énigme, il faut non seulement déplacer le regard, des interdits
fondateurs aux droits fondamentaux, mais encore parcourir un long chemin, de la
renaissance du droit naturel à la naissance d’un droit commun.
Les droits de l’homme ne peuvent en effet donner naissance à un véritable droit
commun que s’ils sont perçus, non pas comme un acte de foi énonçant des axiomes
indémontrables, mais comme un processus dynamique. A la fois évolutifs et interac-
tifs, les droits de l’homme ainsi compris ne « fondent » pas à proprement parler un
édifice immobile mais suscitent un mouvement d’internationalisation des droits.
Mais pour relever le défi d’une communauté qui se construit sans fondements
préalables, il faut sans doute dépasser la vision qui assimile les droits fondamentaux
aux seuls droits de l’homme et amorcer une réflexion plus large afin de situer
l’universalisme des valeurs au confluent d’une triple évolution : l’évolution biologique
(hominisation), éthique (humanisation) et technologique (globalisation).
Si les droits de l’homme semblent encore écartelés entre une hominisation
unificatrice et une humanisation qui s’est construite sur la différentiation des
cultures, l’apparition de l’expression de « biens publics mondiaux » doit également
être prise en considération car elle pourrait aider à résoudre les tensions entre
hominisation et humanisation et contribuer ainsi à l’émergence de valeurs
universalisables. A condition de ne pas imposer, au nom de la globalisation, une
unification trop rapide qui risquerait d’affaiblir l’humanisation.
Car il reste à résoudre la contradiction entre l’universalisme affirmé par la Déclara-
tion universelle des droits de l’homme (DUDH) et le relativisme d’une humanisation
qui s’est réalisée par différenciation, comme le confirme la convention de l’Unesco sur
la diversité culturelle, qui présente cette diversité comme « caractéristique inhérente à
l’humanité », et la qualifie, elle aussi (tout comme la déclaration de 1997 l’avait fait
du génome), de « patrimoine commun de l’humanité ». Si la dynamique interactive
des droits de l’homme peut contribuer à résoudre la contradiction, une solution pour-
rait aussi venir d’une vision élargie des droits fondamentaux qui engloberait non seu-
lement les droits de l’homme mais encore les « biens publics mondiaux ». Malgré la
dissymétrie apparente entre « droits » et « biens », cette notion exprime en effet,
notamment dans le langage du Programme des Nations unies pour le développement
(PNUD) et de la Banque mondiale, l’idée qu’il serait possible de répondre à la globa-
lisation par une solidarité transnationale et même transtemporelle.
En somme, pour que les biens publics mondiaux puissent renforcer la dynamique
des droits de l’homme et contribuer à la formation de valeurs universelles, il
faudrait que la synergie ainsi créée soit assez puissante pour ordonner les valeurs
et responsabiliser ceux qui les transgressent, les deux conditions d’une véritable
communauté de droit.
ÉTUDES JURIDIQUES COMPARATIVES ET INTERNATIONALISATION DU DROIT 523

Les droits de l’homme : des valeurs universelles en question


Soixante ans après la Déclaration du 18 décembre 1948, les droits de l’homme
se sont à la fois enrichis et obscurcis.
Ils se sont enrichis, tant par la multiplication des sources juridiques et la
diversification de leur contenu que par leur mise en œuvre par les juridictions,
nationales, internationales ou supranationales, désormais compétentes. Cependant,
même en Occident, cette juridicisation des droits de l’homme ne va pas de soi.
C’est d’ailleurs l’une des limites des études sociologiques ou philosophiques qui
situent l’émergence d’un champ des droits de l’homme au carrefour du droit et de
la politique que de ne pas suffisamment tenir compte de la tradition, comme si
l’intégration des droits de l’homme au champ juridique marquait une évolution
continue. Pour être complète, l’observation ne devrait pas seulement porter sur
l’effet de juridicisation des droits de l’homme dans le champ politique, mais aussi
sur leur effet de perturbation politique dans le champ juridique traditionnel. Nous
avions montré au début de ce cours comment le « flou du droit », sinon créé du
moins fortement accentué par le droit des droits de l’homme, avait bouleversé les
montages institutionnels traditionnels.
Du même coup, les droits de l’homme se sont obscurcis, à mesure que la
rédaction des textes, puis les problèmes posés par leur interprétation, révélaient
non seulement les conflits potentiels entre divers droits de l’homme mais aussi
entre divers choix culturels sous-jacents. Pour résoudre ces conflits, on retrouve
sans surprise les deux voies, que nous avions commencé à explorer à propos des
interdits fondateurs, du dialogue et de l’approfondissement.
Le dialogue fut entrouvert à propos de la Déclaration universelle (DUDH). Certes
le projet avait été conçu à partir de la collecte des textes existants, qui étaient tous
d’origine occidentale, mais il y eut un début d’échange transculturel, notamment à
propos de l’article 1. Pour ne pas compromettre l’universalisme de la déclaration, les
rédacteurs ont finalement choisi d’éviter tout parti pris sur l’origine de l’égale dignité,
en supprimant toute référence à Dieu comme à la nature.
Le dialogue sera relancé, notamment auprès des cours régionales des droits de
l’homme, chaque fois que des désaccords apparaissent, qu’il s’agisse de situer le
commencement de la vie (avortement) ou sa fin (euthanasie, peine de mort), de
caractériser les peines et traitements inhumains ou dégradants (débats sur la torture,
ou les châtiments corporels), ou encore de concevoir le statut des non humains
(débat ouvert par la Déclaration sur les droits des animaux).
Mais le monde n’est pas immobile et les découvertes scientifiques, ainsi que les
nouvelles technologies qui en résultent (procréation médicalement assistée,
recherche sur les cellules souches, clonage humain etc.), renouvellent chacun de ces
débats, obligeant chaque culture à s’approfondir pour chercher une réponse
compatible avec ses repères. Au choc des certitudes culturelles contradictoires
s’ajoute l’instabilité née des incertitudes scientifiques.
524 MIREILLE DELMASMARTY

C’est ainsi que sont nés les comités d’éthique dont les avis, purement consultatifs,
sont rendus au cas par cas. Si les méthodes sont apparemment opposées, entre un
droit international des droits de l’homme qui commence par définir des principes
que l’on espère stables et la démarche éthique qui dégage des solutions nécessairement
évolutives, les interactions sont évidentes, comme en témoignent d’une part des
textes comme la convention sur « les droits de l’homme et la biomédecine »
(Conseil de l’Europe) ou la déclaration sur « les droits de l’homme et la bioéthique »
(Unesco), d’autre part la casuistique des cours internationales.
En somme, qu’on invoque les droits de l’homme directement ou par le biais des
comités d’éthique, l’universalisme se cherche toujours par le dialogue et l’approfon-
dissement. D’où notre hypothèse que, même s’ils sont dits « fondamentaux », les
droits de l’homme fonctionnent moins comme des concepts constituant un socle de
valeurs universelles, qui détermineraient des réponses supposées définitives, que
comme des processus transformateurs qui déclenchent un mouvement de mise en
compatibilité des différences.
Nous avons tenté de le montrer à partir de trois couples antagoniques : « vie/
mort », « humain/inhumain » et « humain/non humain ». S’ils n’épuisent évidem-
ment pas la question de l’universalisme des droits de l’homme, du moins ces couples
ont-ils le mérite d’illustrer la dynamique selon laquelle les droits de l’homme contri-
buent à l’élaboration, interactive et évolutive, de valeurs universalisables.

Le couple « vie/mort »
Si toutes les cultures valorisent la vie humaine, les instruments internationaux
n’en font pas une valeur absolue, admettant explicitement diverses exceptions, de
la peine de mort à la guerre, en passant par la légitime défense, et laissant ouvertes
des questions comme l’avortement ou l’euthanasie, renvoyées à la jurisprudence
nationale et internationale.
Qu’il s’agisse d’attribuer le pouvoir de disposer de la vie, ou encore de situer le
moment de la naissance et de la mort, les réponses s’inscrivent en effet dans une
diversité culturelle devenue source de désaccords. Hannah Arendt évoquait la
différence entre la vie humaine bornée par un commencement et une fin (bios) et
le mouvement cyclique que la nature (zôè) impose à tout ce qui vit, « ne connaissant
ni mort ni naissance au sens où nous entendons ces mots » 2. C’est pourquoi,
constatant que « la naissance et la mort des êtres humains ne sont pas de simples
évènements naturels », elle avait clairement souligné leur origine culturelle.
D’où les nombreux désaccords, culturels et souvent religieux, car les questions
liées au respect du droit à la vie s’inscrivent dans des conceptions fortement
enracinées dans l’histoire de chaque peuple. Il n’est donc pas surprenant que les
cours régionales des droits de l’homme soient restées particulièrement circonspectes

2. H. Arendt, Condition de l’homme moderne, Calmann-Lévy, 1988, p. 142.


ÉTUDES JURIDIQUES COMPARATIVES ET INTERNATIONALISATION DU DROIT 525

dans leurs interprétations, qu’il s’agisse de situer le commencement du droit à la


vie — avortement volontaire ou involontaire, sur soi-même ou sur autrui — ou
de définir ses conséquences quant au droit de choisir sa propre mort — du suicide
à l’euthanasie.

S’ajoutent les incertitudes nées des découvertes scientifiques et des nouvelles


technologies biomédicales, car la convergence apparente entre l’universalisme des
sciences et celui des droits de l’homme ne doit pas laisser croire qu’ils sont
identiques. Certes la rencontre s’est faite lors du procès des médecins nazis devant
les juges américains et le code de Nuremberg a servi de référence à l’adoption de
la Déclaration d’Helsinki par l’Association médicale mondiale en 1964. Et le droit
dit de la bioéthique reste marqué par cette origine commune avec le droit
international pénal et celui des droits de l’homme. Pourtant un juriste comme
Bernard Mathieu n’hésite pas à soutenir la thèse selon laquelle l’universalisme de
la bioéthique est pour l’essentiel dérogatoire au regard de l’universalisme des droits
de l’homme (dont il reconnaît d’ailleurs l’inspiration occidentale) 3.

L’hypothèse que nous avons proposé de vérifier est un peu différente dès lors que
les droits de l’homme sont perçus, non comme des concepts déjà stabilisés (des
textes sacrés), mais comme des processus transformateurs. A ce titre, ils sont en
interaction avec les données de fait, y compris les données scientifiques qui peuvent
être une incitation, comme les confrontations nées du dialogue des cultures, à
approfondir la réflexion confrontée aux nouvelles questions soulevées par les
découvertes scientifiques. La difficulté est que certaines innovations technologiques,
comme la procréation médicalement assistée (PMA renommée AMP par la loi de
1994), ont été admises avant que le travail d’approfondissement ait permis à
chaque culture d’adapter ses représentations de la vie et de la mort aux nouvelles
questions qu’elles suscitent, comme la recherche sur l’embryon.

Seul un renouvellement du formalisme juridique peut faciliter l’harmonisation


internationale, en préservant des marges nationales, mais il ne dispense pas de fixer
des limites à ne pas franchir, au nom de valeurs communes qui pourraient conduire
vers des réponses universalisables, comme on commence à l’envisager pour
l’interdiction du clonage reproductif humain ou l’abolition de la peine de mort.
Apparemment très différents, ces deux exemples ont pour point commun de relier
la vie au respect de la dignité humaine, comprise à la fois par référence à l’homme
et à l’humanité.

Il est donc impossible de conclure sur ce seul couple vie/mort, profondément


marqué par la diversité culturelle, en même temps que perturbé par les incertitudes
scientifiques. S’il ouvre malgré tout la voie vers un certain universalisme des valeurs,
ce n’est pas en opposant la mort à la vie, mais sans doute en rappelant que le droit

3. B. Mathieu, « La bioéthique ou comment déroger au droit commun des droits de l’homme »,


in La société internationale et les enjeux bioéthiques, dir. S. Maljean-Dubois, Pedone, 2006, p. 85 sq.
526 MIREILLE DELMASMARTY

à la vie est, bien au-delà du simple droit d’exister, la reconnaissance d’une spécificité
humaine qui interdit d’infliger volontairement la mort dans des conditions
« inhumaines ».

Le couple « humain/inhumain »
Du couple « vie/mort » au couple « humain / inhumain », l’évolution dans la
représentation des valeurs à vocation universelle est tardive et sans doute inachevée.
Tardive car il faudra des pratiques massives de déshumanisation, notamment
dans les camps nazis, pour que le refus de l’inhumain trouve à s’exprimer. Annoncé
en tête de la DUDH, par le préambule qui vise les « actes de barbarie qui révoltent
la conscience de l’humanité », le principe égale dignité de tous les êtres humains
est inscrit à l’article 1er et sera placé par la suite en tête de la Charte de l’Union
européenne sur les droits fondamentaux.
Au plan national, le principe de dignité humaine est consacré en 1945 par la loi
fondamentale allemande, dont l’exemple sera suivi par de nombreuses constitutions.
En France, il faut toutefois attendre 1994 pour qu’une décision du Conseil
constitutionnel vienne tirer de la référence à « la victoire remportée par les peuples
libres sur les régimes qui ont tenté d’asservir et de dégrader la personne humaine »
(Préambule Constitution 1946 intégré au bloc de constitutionalité) le principe
d’une protection constitutionnelle de la dignité humaine.
Ce n’est pas un hasard si le Conseil a eu l’idée de « constitutionaliser » le principe
de dignité à propos des lois bioéthiques : entre 1946 et 1994, le risque d’inhumanité
a changé de visage. On savait que l’inhumain pouvait se conjuguer avec le respect
de la vie — l’esclavage et la torture ne tuent pas toujours — et l’on connaissait
déjà les dérives de l’eugénisme, mais on découvrait seulement, dans les années 90,
les formes nouvelles de sélection, liées à l’AMP, ou même de fabrication d’êtres
humains (clonage reproductif ).
C’est pourquoi le changement dans la représentation des valeurs est sans doute
inachevé car de telles questions ne peuvent être résolues sur le seul plan des droits
individuels reconnus à chaque être humain. C’est de l’humanité qu’il s’agit, présente
et à venir : il ne s’agit plus seulement de la dignité propre à chaque être humain,
mais de la dignité emblème de cette communauté interhumaine qui accompagne
la globalisation.
En somme, qu’il traduise le refus de la déshumanisation d’êtres humains ou celui
de leur fabrication, le refus de l’inhumain déclenche un double processus de
transformation des valeurs : l’extension des droits de l’homme à la dignité, et
l’apparition de droits de l’humanité, mutation plus radicale qui pourrait annoncer
de nouveaux conflits, ceux de l’homme dressé contre l’humanité.
Quant à l’extension des droits de l’homme à la dignité, nous l’avions évoquée l’an
dernier à travers le « droit pénal de l’inhumain » qui se construit à partir des
ÉTUDES JURIDIQUES COMPARATIVES ET INTERNATIONALISATION DU DROIT 527

paradigmes du crime de guerre et du crime contre l’humanité. Il s’agit ici d’appliquer


la même méthode, du droit à l’éthique, non plus à des crimes internationaux
imputables à des individus, mais au droit international des droits de l’homme, qui
oppose aux États l’inhumanité de la torture et traitements assimilés. C’est un défi
considérable car ces pratiques sont parfois prévues en toute légalité par le droit
pénal national.
Dès lors il fallait innover car les droits de l’homme traditionnels étaient
insuffisants : c’est au nom de la dignité que l’article 5 de la DUDH pose le principe
que « nul ne sera soumis à la torture, ni à des peines ou traitements cruels,
inhumains ou dégradants », parfois opposé à la peine de mort. Mais la peine de
mort n’épuise pas le débat sur les autres peines, notamment les châtiments corporels,
ou plus largement les pratiques carcérales : la France a été à nouveau critiquée sur
ce point par le Comité européen de prévention de la torture (rapport 2007). On
peut aussi s’interroger sur la nouvelle mesure de rétention de sûreté (loi février
2008). Certes le Conseil constitutionnel juge qu’il ne s’agit pas d’une peine ; mais
ne pourrait-on qualifier de traitement inhumain une privation de liberté qui, par
tranches d’un an, peut être renouvelée sans limite sur la base d’une dangerosité
dont les critères restent incertains ?
Tout se passe comme si la question de l’inhumain se déplaçait à mesure que les
pratiques se font plus inventives. C’est d’ailleurs pourquoi l’extension des droits de
l’homme à la dignité ne suffit pas : confrontés aux découvertes scientifiques qui
pourraient conduire à l’inhumain par une autre voie, en fabricant l’être humain,
les réponses juridiques laissent deviner un autre processus de transformation des
valeurs : l’apparition de droits de l’humanité.
L’apparition des droits de l’humanité devient en effet nécessaire face aux nouvelles
technologies biomédicales d’intervention de plus en plus intrusives. Où situer
désormais l’inhumain ? En écartant de l’art. 1er toute référence à Dieu comme à la
nature, les rédacteurs de la DUDH n’ont pas facilité la tâche ; ils obligent à
approfondir notre vision de l’humanité comme valeur à protéger au besoin contre les
pratiques des États, mais aussi contre les désirs des individus de sélectionner leurs
descendants (eugénisme), ou même de les fabriquer à leur image (par clonage). De
l’homme à l’humanité, il n’y aurait pas seulement extension mais aussi mutation car
on quitterait la philosophie des droits de l’homme — défendre l’individu contre le
risque de pratiques arbitraires du pouvoir — pour une philosophie de l’humanité
— reconnaître l’appartenance de tous à une même communauté, interhumaine et
pas seulement interétatique, et protéger celle-ci, au besoin contre l’autonomie
revendiquée par les individus. Bernard Edelman considère qu’il y aurait là deux
systèmes de valeurs radicalement différents : si « la liberté est l’essence des droits de
l’homme, la dignité est l’essence de l’humanité » 4.

4. B. Edelman, « La dignité de la personne humaine : un concept nouveau », in La dignité de


la personne humaine, dir. M.L. Pavia et Th. Revet, Economica, 1999, p. 28-29.
528 MIREILLE DELMASMARTY

Notre analyse un peu différente : certes l’apparition de droits de l’humanité est


une mutation par rapport aux seuls droits de l’homme, mais la dignité, loin de les
séparer, permet de relier les deux conceptions : elle est de l’essence des droits de
l’homme quand elle concerne l’être humain pris comme individu et le défend, par
exemple, contre des pratiques de déshumanisation par autrui (torture commise par
des agents de l’État) ; mais elle caractérise aussi l’humanité, comme valeur
universalisable.
Pour résoudre les questions pratiques liées aux possibilités, nouvelles ou
renouvelées, de sélection d’être humains par eugénisme, ou de production d’êtres
humains par clonage, voire de fabrication d’êtres quasi humains (robots
« humanoïdes »), on retrouve les difficultés que nous avions rencontrées à propos
du crime contre l’humanité. Et la réponse proposée semble transposable, consistant
à définir l’humanité-valeur (formée selon deux processus de différentiation et
d’intégration) par une double composante: la singularité de chaque être humain et
son égale appartenance à la même communauté.
En somme, le refus de la déshumanisation comme celui de la fabrication d’être
humains s’inscriraient au confluent de l’hominisation autour d’une seule espèce et
de la différenciation des cultures qui caractérise l’humanisation.
Encore faut-il réussir à temps cette synthèse entre hominisation et humanisation
qui commanderait l’universalisme du couple « humain/inhumain ». A défaut d’y
parvenir, Henri Atlan nous annonce déjà que « le débat sur le clonage repartira de
plus belle quand l’ectogénèse humaine [c’est-à-dire la gestation extracorporelle,
dans un utérus artificiel] sera devenue possible » 5. Il explique que l’implantation
dans un utérus naturel reste « un repère en même temps qu’un verrou, permettant
de contrôler les techniques et d’empêcher l’application éventuelle à l’espèce
humaine de reproductions non sexuées, telles que le clonage ou la parthénogénèse » ;
or ce verrou, « à la fois technique et symbolique », risque de disparaître, annonce-
t-il, dès lors que l’ectogénèse sera devenue une pratique familière — sinon familiale !
– adoptée par une proportion non négligeable de femmes ».
Un autre verrou risque de disparaître avec les nouveaux développements
technologiques qui nous annoncent déjà, avec « l’homme artificiel » 6, la possibilité
d’hybrides de vivants et de machines. Il y aurait donc urgence à se mettre d’accord
sur le couple « humain/inhumain ».
Mais la synthèse que nous suggérons semble remettre en cause un humanisme
qui était traditionnellement conçu comme un dualisme qui sépare nature /culture
(y compris les technologies). Du même coup, elle fait surgir d’autres interrogations,
sur la place de l’humain confronté, non plus à l’inhumain, mais au non humain.

5. H. Atlan, L’utérus artificiel, Seuil, 2005, pp. 43-81.


6. Voir L’homme artificiel, Colloque du Collège de France, dir. J.P. Changeux, éd. Odile Jacob,
2007.
ÉTUDES JURIDIQUES COMPARATIVES ET INTERNATIONALISATION DU DROIT 529

Le couple humain/non humain


L’une des questions les plus obscures que posent les droits « de l’homme », dans
leur prétention à l’universel, est de savoir où situer l’humain par rapport au non
humain, qu’il renvoie à l’animal ou à la nature.
C’est une conception séparatiste, à la fois dualiste et anthropocentrique, qui a
finalement émergé et s’est stabilisée en Europe au cours des derniers siècles. Philippe
Descola la nomme « naturaliste » et la distingue de trois autres conceptions du
couple humain / non humain en ce qu’elle considère les humains comme « les seuls
à posséder le privilège de l’intériorité tout en se rattachant au continuum des non-
humains par leurs caractéristiques matérielles » 7.
Dans le champ juridique, ce modèle semble avoir inspiré le droit international,
conduisant à déclarer universel l’irréductible humain (art. 1 DUDH proclamant
l’égale dignité de tous les êtres humains). Pourtant tout se passe comme si le droit
était à présent en première ligne pour remettre en cause les certitudes du naturalisme.
Sous l’effet conjugué des découvertes scientifiques et des innovations technologiques,
la résistance des courants écologiques se radicalise. Les certitudes qui nourrissaient
cet humanisme juridique de séparation sont en effet ébranlées par une évolution
qui suggère un renouvellement de l’humanisme juridique.
L’ébranlement des certitudes humanistes pourrait conduire à l’éclatement car il
tient à deux mouvements apparemment contradictoires. D’une part la notion même
d’humanisme juridique serait affaiblie, voire menacée, par des propositions comme
celle d’une Déclaration des droits de l’animal (adoptée lors d’une conférence à
l’Unesco en1978, mod. 1989) qui semble calquer ces droits sur les droits de l’homme.
Il est en effet affirmé dès le préambule que « tout être vivant possède des droits
naturels et que tout animal doté d’un système nerveux possède des droits particuliers »
et l’article 8 va jusqu’à définir comme « génocide » tout acte « compromettant la
survie d’une espèce sauvage et toute décision conduisant à un tel acte ».
Mais d’autre part l’humanité, élargie aux générations futures, se trouverait
renforcée dans ses prérogatives, comme titulaire d’un patrimoine : on se souvient
en effet que la notion de « patrimoine commun de l’humanité », apparue lors
d’une conférence sur le droit de la mer, fut inscrite dans plusieurs conventions
internationales pour désigner certains espaces naturels tels que la lune et autres
corps célestes (convention 1979), ou encore le fond des mers et des océans
(convention 1982).
Écartelé entre la personnification de l’animal et la patrimonialisation de la
nature, le non humain ne se séparerait plus aussi nettement de l’humain dans cette
nouvelle conception du monde qui semble privilégier un monisme centré sur

7. Ph. Descola, « La patrimonialisation des espaces naturels », in Figures et problèmes de la


mondialisation, Colloque du Collège de France, 13-14 déc. 2007, inédit ; également Par-delà
nature et culture, Gallimard, 2005, notamment p. 176 et les tableaux pp. 382, 416.
530 MIREILLE DELMASMARTY

l’homme. Mais ce n’est sans doute qu’un modèle transitoire car aucun de ces deux
mouvements n’est encore stabilisé.
Par ses excès mêmes, un tel ébranlement pourrait annoncer une recomposition
des valeurs conduisant vers un humanisme juridique d’un type nouveau qui ne
reprend aucun des modèles existants, mais esquisse une sorte de synthèse entre eux.
Le droit maintient en effet une distinction entre l’humain et le non humain, donc
un certain dualisme, mais ce dualisme est atténué par une relation qui semble
progressivement se dégager de l’anthropocentrisme, qu’il s’agisse de l’animal, perçu
comme un être sensible qui ne serait assimilable ni à une personne physique, ni à
une chose, ou de la nature, considérée non pas comme patrimoine mais plutôt
comme bien commun.
Philippe Descola, suggérait la voie d’un « universalisme relatif », au sens propre,
c’est-à-dire se rapportant à une relation. C’est cette hypothèse que nous avons
voulu transposer dans le champ juridique et explorer comme évolution possible
d’un humanisme juridique « de mise en relation », qui construirait la relation de
l’humain à l’animal, et plus largement à la nature, échappant ainsi à la fois au
dualisme qui maintient une stricte opposition entre l’humain et le non humain et
au monisme qui marque une continuité sans doute excessive.
Plus l’on s’interroge sur la nature juridique de l’animal, plus le choix binaire entre
le dualisme (l’animal est une chose qui n’a rien à voir avec l’homme) et le monisme
(l’animal est une personne assimilable à l’homme) paraît inadapté pour rendre
compte d’une évolution qui maintient une séparation entre l’humain et le non
humain, mais organise leur relation. C’est ainsi que les promoteurs de la Charte
constitutionnelle française de 2005 sur l’environnement, rappelant qu’elle avait été
conçue « pour l’homme et non pour la nature elle-même », ont tenu à qualifier leur
démarche d’écologie humaniste. Il reste à savoir quelle signification donner à cette
formule d’apparence consensuelle. Certains commentateurs y voient la confirmation
d’un humanisme centré sur l’homme. Toutefois le préambule souligne aussi « que
l’homme exerce une influence croissante sur les conditions de la vie et sur sa propre
évolution » et que « la diversité biologique, l’épanouissement de la personne et le
progrès des sociétés humaines sont affectés par certains modes de consommation ou
de production et par l’exploitation excessive des ressources naturelles ». Il en résulte
que « les choix destinés à répondre aux besoins du présent ne doivent pas
compromettre la capacité des générations futures et des autres peuples à satisfaire
leurs propres besoins ». D’où l’énonciation, rare en matière constitutionnelle,
exprimée sous la forme d’un devoir : « toute personne a le devoir de prendre part à la
préservation et à l’amélioration de l’environnement » (art. 2). Quelles que soient les
doutes sur la portée pratique de ce dispositif, il ouvre la voie à une protection plus
autonome, que viennent d’ailleurs renforcer les articles 3 (devoir de prévention) et 5
(le fameux principe dit de précaution, alors qu’il incite plutôt à l’anticipation).
Peut-être arrivons-nous ici aux limites des possibilités offertes par le concept
de droits « de l’homme ». Ce qui devrait inciter les juristes à concevoir une relation
ÉTUDES JURIDIQUES COMPARATIVES ET INTERNATIONALISATION DU DROIT 531

d’un type nouveau entre l’humain et le non humain, afin de mettre le droit au
service de la relation entre les humains et les autres espèces vivantes, plutôt qu’au
seul service du bon fonctionnement de la société humaine. La voie la plus radicale
consisterait à faire de la diversité biologique un sujet de droit à part entière et de
reconnaître ainsi la valeur intrinsèque du vivant non humain (cf. Constitution de
la Confédération suisse).
Mais cette valeur intrinsèque semble un leurre dès lors qu’on ne peut la définir
et la défendre sans passer par l’homme. Pour imaginer ce qu’il nomme « le
parlement des choses », Bruno Latour, empruntant à la fois aux modernes (la
séparation de la nature et de la société), aux prémodernes (la non séparabilité des
choses et des signes), et aux postmodernes (la dénaturalisation), s’oriente vers une
autre voie, celle d’un « humanisme redistribué » où l’humain deviendrait
médiateur 8.
J’y vois une invitation à dépasser l’asymétrie du rapport juridique, qu’il s’agisse
d’un droit de l’humain sur le non humain ou de l’inverse, de sorte que, dans sa
relation au non humain, l’humanisme abandonne la forme bilatérale d’un droit
pour celle unilatérale d’un « devoir ». Le changement est déjà inscrit dans de
nombreux textes, qu’il s’agisse des animaux ou de la nature ; mais il ne suffit pas
à définir un régime juridique. Pour y parvenir, nous tenterons d’explorer les
possibilités offertes par cet étrange concept de « bien mondial », qui renvoie
simultanément à l’économie (bien collectif ), à la politique (bien public) et à
l’éthique (bien commun), et pourrait contribuer, par son ambiguïté même, à la
formation de valeurs universelles.

Les biens publics mondiaux : des valeurs universelles en formation ?


Pour faire comprendre cette notion issue de la science économique, Roger
Guesnerie cite un passage de Victor Hugo évoquant l’amour de la mère pour ses
enfants : « Chacun en a sa part et tous l’ont tout entier » qui résume les
caractéristiques du bien public mondial, dont l’archétype serait la qualité du
climat : « chacun en a sa part, » c’est-à-dire qu’on ne peut exclure quiconque de
son usage, et « tous l’ont tout entier », c’est-à-dire qu’il n’y a pas de rivalité pour
sa consommation. Ainsi « ma consommation ne détruit pas et n’interdit pas sa
consommation par quiconque » 9.
A première vue ces critères (bien non rival et non exclusif ), utilisés principalement
par le PNUD et la Banque mondiale, sont difficilement transposables en droit.
Pourtant le terme de bien public mondial émerge dans le champ juridique depuis
dizaine d’années. Qu’il s’agisse de capacités humaines comme la santé ou de

8. B. Latour, Nous n’avons jamais été modernes, La découverte, 1997, p. 186.


9. R. Guesnerie, Kyoto et l’économie de l’effet de serre, rapport Conseil d’analyse économique,
La documentation française, 2003, p. 22.
532 MIREILLE DELMASMARTY

ressources naturelles, comme le climat, l’on pourrait y voir un processus


dynamique qui permettrait une synergie entre le marché et les droits de l’homme,
les valeurs marchandes et non marchandes.

Appliquée à la qualité du climat, la qualification de bien public mondial conduit


à introduire dans le droit de l’environnement un marché des permis d’émission,
permis de polluer dit-on parfois, mais aussi permis fondés sur des quotas destinés
à limiter la quantité d’émission de gaz à effets de serre (convention-cadre de Rio
en 1992 et protocole de Kyoto en 1997). En revanche, appliquée à la santé, la
même qualification, par une dynamique inverse, permet, pour certains médicaments,
de créer des licences obligatoires qui limitent la logique du marché, comme en
témoigne l’évolution du droit des brevets à l’OMC après la conférence de Doha
en 2001.

Les capacités humaines : santé et accès aux médicaments

Définir la santé comme bien mondial n’est pas une évidence. D’abord perçue
comme rupture de l’harmonie, la santé ne s’est différenciée des autres formes de
malheur et de souffrance que progressivement et par des voies propres à chaque
culture, déterminant des modèles différents de prévention sanitaire, qui vont du
modèle magico-religieux au modèle contractuel, en passant par diverses formes de
contrainte.

En France, il faut attendre la Constitution de 1946 et la création de la « sécurité


sociale » pour voir affirmé dans le préambule, repris par celui de 1958, que la
Nation doit garantir à tous la protection de la santé. Un principe également
consacré par le droit international, à partir de la création de l’Organisation mondiale
de la santé (OMS) dont l’acte constitutif de 1946 affirme pour la première fois
que « la possession du meilleur état de santé qu’il est capable d’atteindre constitue
l’un des droits fondamentaux de tout être humain ». Peu après, la DUDH, associant
les droits économiques, sociaux et culturels au droit à la dignité (art. 22), reconnaît
explicitement à toute personne le droit à un niveau de vie suffisant pour assurer sa
santé et les soins médicaux nécessaires (art. 25).

Si la légitimité du droit à la santé semble ainsi admise, il resterait à le rendre


universalisable à l’échelle mondiale. On mesure le chemin qui reste à parcourir
quand on réalise que les habitants des pays en développement, qui représentent
75 % de la population mondiale, ne consomment que 8 % des médicaments
vendus dans le monde. Malgré la création de l’OMS, le droit à la santé est sans
doute resté l’un des droits le plus inégalement appliqués. Et les inégalités risquent
de croître encore : à mesure que les systèmes de santé deviennent de plus en plus
dépendants des développements technologiques, et nécessitent des investissements
de plus en plus lourds, on peut craindre qu’ils s’orientent vers les produits destinés
aux consommateurs les plus prospères, notamment en ce qui concerne la mise au
point des médicaments, dont le prix intègre les droits de propriété intellectuelle.
ÉTUDES JURIDIQUES COMPARATIVES ET INTERNATIONALISATION DU DROIT 533

Après la DUDH, de nombreux instruments internationaux reprennent et


développent pourtant le principe d’un droit à la santé opposable aux États : à l’échelle
mondiale avec le pacte international sur les droits économiques, sociaux et culturels
PIDESC Onu (1966), ou les conventions sur la protection des femmes (1979) ou
des enfants (1989) ; et à l’échelle régionale avec la charte sociale européenne (1961),
la charte africaine (1981), le protocole additionnel à la Convention américaine
(1988) et plus récemment la charte des droits fondamentaux de l’UE (Ch. IV
Solidarité, art. 34 et 35), l’Europe étant seule à garantir le droit à l’assistance sociale
et médicale. Mais c’est pourtant tardivement que les mécanismes de contrôle et de
mise en œuvre seront mis en place, et ils restent très faibles au niveau mondial.

Jointe à une certaine éclipse de l’OMS , cette faiblesse pourrait expliquer la


montée en puissance de nouveaux acteurs, comme la Banque mondiale et le
PNUD, qui vont introduire une logique économique : de droit opposable aux
États, la santé deviendrait un bien relevant des marchés privés dont l’OMC serait
le pivot : dérogeant au droit des brevets après la conférence de Doha en novembre
2001, certains médicaments et produits pharmaceutiques sont placés au confluent
du marché et des droits de l’homme. L’Accord sur les aspects des droits de propriété
intellectuelle (ADPIC), dont l’article 31 énonce un certain nombre de situations
dans lesquelles les licences obligatoires sont compatibles avec la liberté du commerce,
a en effet été complété en 2005 par une décision du 6 décembre 2005 (conférence
de Hong Kong) qui ébauche une synergie entre marché et droits de l’homme.

Les membres de l’OMC ont alors réussi à se mettre d’accord sur un sujet qui, au-
delà de leurs intérêts commerciaux immédiats, concerne la santé publique et plus
directement la vie de millions de personnes, notamment en Afrique, touchées par
certaines maladies infectieuses comme le VIH/sida, la tuberculose ou le paludisme.
Le nouvel article 31bis a en effet pour objectif de permettre aux pays membres de
l’OMC d’accorder les licences obligatoires en vue d’exporter des médicaments vers
les pays sans capacités de fabrication, ou avec des capacités insuffisantes ; mais le
contenu du texte est d’une extrême complexité. Malgré un premier bilan positif
quant au traitement antirétroviral, le nouveau dispositif, critiqué à la fois par les
ONG et par l’industrie pharmaceutique, est contourné par la multiplication
d’accords bilatéraux qui se substituent à la vision multilatérale de l’OMC.

La synergie entre marchés et droits de l’homme est d’autant plus difficile à


réaliser que le droit à la santé ne peut être totalement séparé du droit à un
environnement sain, le débat sur le couple « humain/non humain » étant désormais
réactualisé sous l’angle des biens publics mondiaux.

Les ressources naturelles : qualité du climat et maîtrise de l’effet de serre

Pour comparer droits fondamentaux et biens publics mondiaux, il faut confronter


la protection juridique du non humain aux mécanismes de marché introduits pour
protéger le climat et maîtriser l’effet de serre.
534 MIREILLE DELMASMARTY

En ce qui concerne les droits fondamentaux, la protection du non humain reste


incertaine. Pendant un siècle (1872-1972), le modèle des Parcs nationaux a
privilégié les valeurs esthétiques et la préservation des cycles naturels et le phénomène
s’est encore accéléré à partir de 1972 : la superficie des zones protégées au titre de
réserves naturelles a été multipliée par quatre, sous l’impulsion d’organismes
internationaux comme l’UNESCO, l’Union Internationale pour la Conservation
de la Nature, ou l’United Nations Environment Program. L’ensemble des sites
terrestres et marins concernés couvrent environ 19 millions de km², soit
approximativement 12 % de la surface terrestre mondiale. Mais cette croissance
des aires protégées s’accompagnait de fortes disparités de statut, la diversité des
intérêts en jeu conduisant à un certain désordre conceptuel, marqué par des
glissements progressifs, des parcs nationaux à la biodiversité, puis des ressources
biologiques au développement durable.

Inscrit en 1987 dans le rapport Bruntland pour tenter de concilier la poursuite


de la croissance industrielle avec la préservation de l’environnement et des ressources
biologiques, le développement durable serait caractérisé par les deux principes de
gestion rationnelle (Déclaration de Stockholm, 1972) et de gestion intégrée, c’est-
à-dire coordonnée à l’échelle globale (Agenda de Rio, 1992). Mais l’expression,
critiquée comme le résultat confus d’un compromis diplomatique, ne suffit pas à
résoudre les conflits de valeurs. La biodiversité reste en effet une abstraction qui ne
prend sens qu’au plan global, y compris dans les pays développés, alors qu’au plan
local apparaissent les aspects négatifs d’une protection qui contrarie les besoins
économiques et sociaux de la population.

Il n’en reste pas moins que le dernier rapport mondial sur le développement
humain, élaboré par le PNUD pour la période 2007-2008, présente le changement
climatique comme le problème « le plus important et le plus urgent ». Inspiré du
4e rapport du Groupe intergouvernemental d’experts sur l’évolution du climat
(GIEC, 2007), qui établit, malgré les incertitudes scientifiques, la part déterminante
des activités humaines dans le changement climatique, et du rapport de Nicholas
Stern The Economics of Climate Change, qui démontre que la prévention est plus
économique que l’immobilisme, le rapport du PNUD place d’emblée le débat sur
un plan éthique.

Mais l’énoncé du problème ne donne pas la solution. La coopération internationale


a permis d’améliorer la protection de la couche d’ozone (convention de Vienne,
1985 et protocole de Montréal, 1987). Il faudra attendre la convention-cadre de
1992 pour entrevoir, au nom du développement durable, un début de réponse aux
changements climatiques. Pour assurer une certaine équité à l’échelle globale, il a
fallu imaginer le principe de « responsabilités communes mais différenciées » (art.
3 principe 1). Il reste à le mettre en œuvre, en tenant compte de la spécificité des
priorités nationales et régionales de développement (voir notamment art. 4, les
engagements des pays développés et assimilés figurant à l’annexe 1), sans pour
autant renoncer à l’objectif de protection de la planète.
ÉTUDES JURIDIQUES COMPARATIVES ET INTERNATIONALISATION DU DROIT 535

D’où l’innovation qui consiste à donner toute sa signification à l’expression de


bien public mondial en faisant intervenir les marchés comme instruments privilégiés
d’une politique globale, à vocation supra/nationale, destinée à renforcer une
coopération limitée aux relations inter/nationales.
A défaut de gouvernement mondial, on tente ainsi de mondialiser la lutte contre
l’effet de serre en utilisant les stratégies du marché. Pour évaluer ce choix, qui
repose sur l’efficacité supposée du marché, il faut rappeler que le protocole de
Kyoto définit les quantités d’émission de GES autorisées pour 2008-2012 selon
des quotas fixés à chaque pays par référence à ses émissions en 1990. Pour entrer
en vigueur le texte devait être ratifié par 55 pays représentant au moins 55 % des
émissions. La seconde condition fut remplie en 2004, avec la ratification par la
Russie. Et pourtant, bien qu’il ait été en 2007 ratifié par 156 États, la faiblesse du
protocole est qu’il couvre seulement un tiers des émissions mondiales.
La raison tient d’une part au refus persistant de la trentaine d’États qui n’ont ni
signé, ni ratifié ce dispositif, y compris les USA qui détiennent pourtant le record du
monde avec 6 tonnes de carbone par tête et par an (contre moins d’une demi tonne
pour l’Inde) et 25 % des émissions mondiales. D’autre part, et c’est sans doute le
point le plus faible du dispositif de Kyoto, l’espace du marché « carbone » qu’il
instaure est limité, en application du principe des responsabilités différenciées qui a
conduit à cantonner la mise en œuvre immédiate aux seuls pays développés. En
termes d’efficacité, la solution consisterait à ouvrir l’Espace Kyoto aux pays en
développement (PED). Mais ces derniers rappellent à juste titre que l’accumulation
des gaz à effet de serre dans l’atmosphère relève de la responsabilité historique des
pays développés, soulevant ainsi la question des critères de légitimité.
C’est pourquoi la logique du marché ne suffit pas. Encore faut-il assurer la
légitimité politique, qui conditionne la possibilité d’un contrôle international
malgré l’absence de gouvernement mondial, et la légitimité éthique, qui permettrait
de résoudre les conflits de valeurs malgré l’absence de constitution mondiale.
Car le plus difficile à résoudre est le conflit que l’on peut rattacher, au-delà des
biens publics mondiaux, à la notion sous-jacente de bien commun, qui semble
prise entre un commun uniformisateur et un commun pluraliste. À cet égard, la
technique juridique des responsabilités différenciées apparaît comme une tentative
pour concevoir un commun qui ne soit uniforme ni dans l’espace ni dans le temps.
Sans doute imparfaite, car elle laisse encore sans réponse la question des pays en
développement, cette technique ne doit cependant pas être abandonnée, mais
perfectionnée, et peut-être élargie à la solution d’autres conflits de valeurs, car elle
permet d’admettre des hiérarchies variables selon les questions posées.
On entrevoit ainsi que la véritable synergie entre droits fondamentaux et biens
publics mondiaux repose sur la capacité des systèmes de droit à remplir un double
rôle qui relie communauté de valeurs et communauté de droit : ordonner les
valeurs et responsabiliser les acteurs.
536 MIREILLE DELMASMARTY

Le rôle du droit dans l’émergence d’une communauté de valeurs


Comme révélateur des valeurs, les systèmes de droit font surtout apparaître les
incohérences qui les sous-tendent et la mondialisation semble annoncer, comme
nous en avons vu de nombreux exemples, le grand désordre juridique du monde.
Désordre juridique, mais aussi « anarchie des valeurs » selon Paul Valadier, une
anarchie qui risquerait de nous condamner soit à un pessimisme de résignation, soit
à un dogmatisme aveugle. « Mais le moraliste, ajoute-t-il, ne peut pas attendre des
lendemains supposés meilleurs pour proposer comme sensée la moralisation de soi et
de l’histoire : il lui faut donc tenter de montrer ou de suggérer, et telle est sa
responsabilité intellectuelle, que des issues sont possibles et que les pleureurs sont au
fond les complices du relativisme et du désespoir qu’ils dénoncent en en vivant » 10.
Quand au juriste, il doit se souvenir que le droit ne se limite pas à nommer et
classer les valeurs, il est aussi un instrument normatif et comme tel un processus
transformateur, y compris dans la sphère internationale où, malgré l’absence de
gouvernement mondial, les normes juridiques permettraient de dépasser le désordre
et l’anarchie pour ordonner les valeurs, ou ordonner, par référence aux valeurs, les
choix d’action ; et les ordonner de façon suffisamment rationnelle et objective pour
réussir à responsabiliser les acteurs, publics ou privés, individuels ou collectifs, dans
l’exercice de leurs pouvoirs.

Ordonner les valeurs


Du niveau national au niveau mondial, la transposition est difficile car les choix
de valeurs, rarement explicités par des juges internationaux, ne sont ni débattus
devant un parlement souverain, ni garantis dans leur mise en œuvre par un
gouvernement mondial, mais négociés au gré des États. Il en résulte une prolifération
de normes juridiques et leur fragmentation, à la fois verticale et horizontale. Telle
que nous avons pu l’observer à propos des crimes à vocation universelle, des droits
de l’homme, puis des biens publics mondiaux, cette fragmentation entraine la
pluralité des échelles qui ordonnent les valeurs.
La pluralité n’empêche pas toute tentative de mise en ordre, mais elle la rend
plus incertaine qu’au niveau national. Même quand il s’agit de résoudre des conflits
de valeurs propres à chaque système, et a fortiori quand il s’agit d’un conflit
« intersystémique », les processus de mise en ordre permettent rarement de
hiérarchiser et de stabiliser les valeurs. Pour assurer à la fois l’universalisme, le
pluralisme et le pragmatisme, il faut le plus souvent tenter d’équilibrer les valeurs,
en les conciliant de façon non exclusive, et d’anticiper sur les évolutions dans le
temps. C’est dire la complexité des méthodes de mise en ordre.
Pour résoudre les conflits de valeurs, les juristes disposent en effet de deux
modèles. L’un consiste, en présence de plusieurs énoncés contradictoires, à ne

10. P. Valadier, L’anarchie des valeurs, Albin Michel, 1997, p. 165.


ÉTUDES JURIDIQUES COMPARATIVES ET INTERNATIONALISATION DU DROIT 537

prendre en compte qu’un seul d’entre eux (au nom de la dignité écarter des
pratiques comme la torture ou la peine de mort ayant pour but de protéger la
sécurité). L’autre opère par conciliation ou pondération, afin d’appliquer
partiellement chacune des valeurs en conflit (sécurité et liberté, vie privée et liberté
d’expression, propriété privée et protection de l’environnement, etc.). En somme,
le modèle d’exclusivité — ou de sub/ordination d’une valeur à l’autre car il impose
la norme supérieure et écarte la norme inférieure — repose sur un processus de
hiérarchisation, mais aussi de stabilisation quand la hiérarchie est fixée par avance
selon la vision traditionnelle (moderne) de l’ordre, à la fois hiérarchique et stable.
En revanche le modèle de pluralité — ou de co/ordination — suggère plutôt un
processus de conciliation des valeurs. Toutefois les exemples étudiés, notamment
dans le domaine des biotechnologies et des biens publics mondiaux, montrent que
cette conciliation est réalisée de façon tantôt simultanée (équilibrage), tantôt
successive (anticipation marquant l’importance nouvelle de la relation au temps et
des vitesses de transformation). D’où l’émergence d’un autre type d’ordre (post
moderne ?), interactif et évolutif, qui superpose au rêve, ou au cauchemar, de
valeurs universelles reconnues à l’identique par une communauté humaine unifiée
une réalité beaucoup plus complexe.

Pour concilier des valeurs à première vue contraires et promouvoir une autre
vision de l’ordre, interactif et évolutif, les juristes ont imaginé deux principes : le
principe de proportionnalité, qui introduit une pondération facilitant l’équilibrage,
et plus récemment le principe dit de précaution qui introduit en réalité une
dynamique d’anticipation permettant d’intégrer le temps à la solution des conflits
de valeurs (générations « futures », développement « durable »).

Visant à prévenir des risques non seulement potentiels, mais graves et/ou
irréversibles, le principe de précaution apparaît à la fois comme principe d’action,
qui conditionne la prise de décision politique, et principe d’imputation, qui
commande l’attribution d’un nouveau type de responsabilité. Dans les deux
perspectives, il traduit un processus d’anticipation. Comme principe d’action, il
incite, ou devrait inciter, les responsables politiques à ne pas attendre que le risque
soit avéré pour mettre en place des procédures de recherche et d’évaluation sur les
incertitudes qui concernent la menace de risques majeurs. Comme principe
d’imputation, le principe de précaution aurait l’ambition de faire entrer l’évaluation
des degrés d’incertitude dans le champ juridique. C’est dire le lien indissociable
entre le type d’ordre qui sous-tend l’émergence d’une communauté mondiale de
valeurs et la façon de responsabiliser les acteurs.

Responsabiliser les acteurs

Si le rôle du droit, dans l’émergence d’une communauté mondiale de valeurs,


n’est pas de créer ces valeurs mais de contribuer à les ordonner, il est aussi, en cas
de transgression, de responsabiliser les acteurs.
538 MIREILLE DELMASMARTY

Mais comment limiter l’irresponsabilité souveraine des États et chefs d’États,


non seulement dans le cas de crimes à vocation universelle, mais encore en cas de
violation des droits de l’homme ou de transgression de valeurs qualifiées de biens
publics mondiaux ? Et plus largement, comment reconnaître que la détention d’un
pouvoir d’échelle globale (qu’il soit politique, économique, scientifique, médiatique,
religieux ou culturel) implique le corollaire d’une responsabilité globale ?
A ces questions, les réponses apportées dans les trois domaines que nous avons
explorés sont à la fois fragmentaires et hétérogènes : si la responsabilité est au cœur
du droit international pénal, elle ne concerne que les quelques individus accusés
de crimes à vocation universelle ; en revanche, dans le domaine plus large des
droits de l’homme, la responsabilité se limite pour l’essentiel aux États et semble
refoulée pour les autres responsables potentiels, individus ou entreprises, comme
s’il s’agissait de la face cachée des droits de l’homme. Enfin la responsabilité reste
quasiment absente du débat sur les biens publics mondiaux, pour lesquels l’efficacité
est d’abord recherchée dans les logiques du marché (politique des prix ou politique
des quantités, par ex, pour les gaz à effet de serre).
C’est pourtant dans ces trois domaines, où nous avons repéré l’émergence de
valeurs communes, que pourrait se déployer, au confluent de l’universalisme des
valeurs et de la globalisation de certains acteurs, un nouveau type de responsabilité,
caractérisé par une double extension : une extension des conditions et des effets
qui se traduit par une sorte de dilatation dans l’espace et dans le temps ; et une
extension des sujets de droit qui entraîne la multiplication des acteurs.
Quant à la dilatation de la responsabilité, les premières prises de conscience se
situent dans les domaines apparemment très différents de la responsabilité pénale
pour crimes à vocation universelle et de la responsabilité d’abord civile ou
administrative, mais parfois pénale, dans les domaines de l’environnement et de la
santé, au confluent des droits de l’homme et des biens publics mondiaux.
Comme la notion de crime « contre l’humanité », celle de préjudice « écologique »
est exemplaire car elle fait entrer dans la sphère juridique l’idée de fonder une
obligation de répondre non pas à la personne directement lésée par notre faute,
civile ou pénale, mais de répondre afin de préserver un état nécessaire à la vie
collective.
Significative d’une extension de la responsabilité hors de la sphère interindividuelle,
cette conception évoque la notion de devoir qui avait toujours été maintenue à
l’ombre des droits de l’homme pour éviter le risque de récupération politique par
des régimes autoritaires ou totalitaires. Comme nous l’avons précédemment noté,
à propos du couple humain/non humain, le terme de devoir s’impose pourtant
pour définir une responsabilité humaine quand il s’agit de protéger des valeurs
relevant du monde non humain, en raison de la dissymétrie qui caractérise notre
relation à l’animal comme à la nature. Plutôt que de rattacher le devoir aux droits
de l’homme, mieux vaut le déduire de la notion de bien public mondial, ce qui
ÉTUDES JURIDIQUES COMPARATIVES ET INTERNATIONALISATION DU DROIT 539

permet d’y introduire le mécanisme de la responsabilité. Telle est d’ailleurs, semble-


t-il, la logique qui inspire, dans le prolongement du « Grenelle de l’environnement »,
le rapport de la Mission Lepage (15 janvier 2008).
Dans le temps, la dilatation est plus difficile encore à concevoir, s’agissant d’une
responsabilité dont le fait générateur, au lieu d’être inscrit dans le passé (punition
de la faute) ou circonscrit au présent (réparation du dommage), se place au futur
(conservation du vivant) et comme tel risque de s’étendre à l’infini. Comment
concevoir un régime applicable à l’incertain et à l’infini ?
A cette question redoutable, des réponses juridiques sont proposées, tant pour
définir un régime de preuve, qui permettrait d’évaluer le risque de préjudice et de
prouver le risque de causalité, que pour prévoir des faits justificatifs fondés sur
l’acceptabilité sociale des risques.
A défaut d’un tel régime juridique, l’extension de la responsabilité dans l’espace
et l’allongement dans le temps de la portée de la responsabilité, pourraient avoir
un effet inverse de l’effet souhaité dans la mesure où le sujet de la responsabilité
pourrait ainsi devenir insaisissable, d’autant que la dilatation de la responsabilité
s’accompagne d’un phénomène de multiplication des acteurs, qu’il s’agisse de
déterminer les personnes imputables ou les titulaires de l’action en responsabilité.
Quant aux personnes imputables, la responsabilité est d’abord attribuée aux
États. Même si le droit international général conventionnel a peu progressé, une
responsabilité peut être attribuée, en cas de violation des droits de l’homme, aux
États qui ont accepté le recours individuel devant les cours régionales (Europe,
Amérique latine, Afrique) ou le comité des droits de l’homme des Nations unies
et peuvent faire l’objet d’un contrôle international. Encore faut-il distinguer du
contrôle juridictionnel, mis en place au plan régional, le contrôle non juridictionnel,
notamment celui du Comité des droits de l’homme des Nations unies, seul
applicable au niveau mondial, qui a également fait son apparition dans le domaine
des biens publics mondiaux, avec le dispositif d’observance prévu par le protocole
de Kyoto à propos du changement climatique.
Mais une communauté mondiale interhumaine ne saurait se limiter aux seuls
États. Vu le rôle croissant des acteurs non étatiques, il est nécessaire de leur
reconnaître une responsabilité. Outre les individus — dont la responsabilité peut
être mise en cause pour des crimes à vocation universelle devant les juridictions
pénales, soit internationales, soit nationales —, on entrevoit, s’agissant de la
protection des valeurs qui sous-tendent les droits de l’homme et les biens publics
mondiaux, une tendance nouvelle à responsabiliser les acteurs économiques déjà
mondialisés que sont les entreprises multinationales, tant à partir du droit interne
que du droit international.
Quant aux titulaires d’actions en responsabilité, on est encore loin d’une
conception harmonisée. S’agissant de l’action en responsabilité pénale pour des
crimes à vocation universelle, la constitution de partie civile est exclue devant les
540 MIREILLE DELMASMARTY

juridictions internationales mais la victime peut intervenir au procès et le rôle des


personnes morales, et notamment des organisations non gouvernementales, est
admis pour soutenir l’action des victimes et informer les juridictions pénales.
S’agissant de l’action contre les États, il faut surtout noter la révolution juridique
créée par la clause dite du recours individuel en matière de droits de l’homme. Si
le recours auprès du Comité des droits de l’homme se limite en effet aux victimes
individuelles, il est élargi auprès de la Cour européenne à toute ONG ou tout
groupe de particuliers qui se prétendent victimes d’une violation et s’accompagne
d’un rôle d’information plus largement admis. Cette mission d’information, voire
de surveillance, apparaissant aussi comme un appoint à la mise en œuvre de la
responsabilité en matière de biens publics mondiaux.

Mais la technicité du débat ne doit pas occulter l’importance du changement


éthique. Répondre à la victime, du dommage ou de la faute, dont les droits ont
été lésés n’a pas le même sens que de répondre au nom d’un devoir de préservation
de valeurs universelles qui concernent l’humanité présente et à venir et englobent
la protection du non humain. D’une certaine façon, c’est aussi ce changement
éthique que traduit la multiplication des titulaires d’une action en responsabilité
qui devient action en solidarité.

En conclusion, le recours à la valeur serait-il le talisman que l’on brandit hors


contexte et hors histoire ? Paul Valadier suggère une réponse, plus modeste et plus
pragmatique, « le recours à la valeur […] est un élément essentiel pour rassembler
dans une unité (provisoire) de sens la diversité des données constitutives de l’action
humaine » 11. Il invite à porter le poids du réel afin de découvrir dans cette épreuve
jamais achevée non pas le chemin mais les chemins de la sagesse, des chemins sur
lesquels il faut affronter de plein fouet « le désaveu de l’idéal par le réel phénoménal ».
Ces chemins, il engage à les suivre à travers ce qu’il nomme une « praxéologie »,
une pratique qui ne renonce pas à l’éthique et pourrait mener vers un universel
concret qu’il associe au bien commun.

Aux juristes, il revient de montrer comment le droit pourrait réunir lui aussi une
pratique et une éthique pour cheminer vers une communauté de valeurs. Empruntée
à Vieira da Silva, la métaphore de « l’issue lumineuse » suggère que le droit pourrait
éclairer les réponses en termes de valeurs et qu’un nouvel humanisme
juridique, relationnel plutôt qu’anthropocentrique, est sans doute possible. Sans
renoncer à la diversité des cultures, ni aux acquis des humanisations, il se donnerait
les moyens de les ordonner, de façon ouverte car interactive et évolutive, autour
de couples bipolaires, comme l’égale dignité ou le développement durable. C’est
seulement par une telle humanisation réciproque que nous pourrons relever le défi
d’une communauté sans dehors, désormais élargie à toute la planète, et concevoir
ensemble un destin commun.

11. P. Valadier, précité, p. 157.


ÉTUDES JURIDIQUES COMPARATIVES ET INTERNATIONALISATION DU DROIT 541

Séminaires

— Séminaire conjoint avec la Chaire d’Histoire contemporaine du monde arabe


(Henry Laurens), Typologie du terrorisme et communauté(s) de valeurs, 4 juin
2008.
Thème d’actualité s’il en est, le terrorisme mobilise non seulement les acteurs
politiques, mais également les différents champs des sciences sociales. La partie
historique, dont l’objectif était de repérer dans le temps les glissements et la
diversité des formes de violence politique, s’est orientée vers une typologie historique
du terrorisme, articulée autour de la construction des États-nations et des formes
de contestations politiques. La partie juridique visait, quant à elle, à repérer les
transformations, de la répression pénale à la guerre contre le terrorisme, au regard
de l’émergence d’une communauté mondiale de valeurs. Les définitions actuelles
du terrorisme telles qu’elles résultent de différentes branches du droit, révèlent
l’inadaptation tant du droit interne que du droit international aux réalités
multiformes du terrorisme dans un monde globalisé. Les solutions proposées ont
conduit à formuler une alternative : soit reconnaître les faiblesses du concept de
terrorisme et préconiser l’utilisation d’autres qualifications pénales telles que les
crimes de droit commun ou les crimes contre l’humanité selon les cas ; soit parvenir
à une définition globale du terrorisme. Chaque hypothèse nécessite le respect de
conditions à la fois de fond (proportionnalité de la réponse à l’attaque, respect des
valeurs fondamentales de la communauté internationale comme la dignité
humaine…) et de forme (trouver un arbitre qui puisse pallier l’absence d’une cour
mondiale des droits de l’homme).
— Séminaire conjoint avec la Chaire de Théorie économique et Organisation
sociale (Roger Guesnerie), La notion de biens publics mondiaux : catégorie
économique et/ou juridique, 25 juin 2008.
La notion de bien public mondial, issue de la théorie économique, se trouve
depuis une dizaine d’années à l’orée d’une réception par les systèmes de droit. Dans
ce contexte, un dialogue est nécessaire, entre économistes et juristes, sur la
signification et le rôle de cette notion dans le processus de mondialisation. La
partie économique s’est d’abord orientée vers la terminologie et son rôle dans
l’analyse : l’examen des négociations climatiques d’une part, et des interactions de
la politique climatique et de l’exploitation des énergies fossiles d’autre part, a
permis de souligner les tensions entre considérations économiques et juridiques,
ainsi que la complexité de l’analyse politico-économique. Juridiquement, la notion
de bien public mondial, à la différence, notamment, de celle de patrimoine
commun de l’humanité, n’a pas été consacrée par des textes normatifs. Même si
elle n’est pas directement opératoire et malgré les obstacles que rencontre cette
notion, il n’est pas exclu qu’elle puisse être utilisée comme un processus dynamique,
dont la mise en œuvre appelle une évaluation critique. A défaut d’une véritable
synergie entre l’approche économique et l’approche juridique, le séminaire a permis
542 MIREILLE DELMASMARTY

d’identifier une perspective institutionnelle (en l’absence de gouvernement mondial


la notion de BPM permet d’ouvrir de nouveaux espaces de négociations et de
suivi) et une perspective substantielle (la seule conception acceptable de la notion
de bien commun étant un commun pluraliste permettant tout à la fois d’ordonner
les valeurs, de responsabiliser les acteurs de façon différenciée et non uniforme).
La recherche d’un bien commun pluraliste impose deux conditions : en pratique,
il doit reposer à la fois sur le droit international et le droit interne et, en théorie,
il impose de dépasser la vision traditionnelle d’un ordre juridique hiérarchisé et
stable pour se donner les moyens de concevoir et mettre en œuvre un ordre
interactif et évolutif.

Enseignements à l’étranger

Brésil : Université de São-Paulo (Chaire Levi-Strauss), du 3 au 17 octobre 2007, cours


sur : « Le droit pénal de l’inhumain » et séminaires en relation avec le sujet du cours.

Publications

Ouvrage collectif
Les chemins de l’harmonisation pénale, Harmonising Criminal Law, sous la direction de
Mireille Delmas-Marty, Mark Pieth et Ulrich Sieber, UMR de droit comparé de Paris,
volume 15, Paris, Société de législation comparée, 2008.

Ouvrage (traduction)
Les grands systèmes de politique criminelle, version en persan, vol. 2, Mizan, Téhéran (vol. 1
publié en 2002)

Articles
— « L’Adieu aux Barbares », Presses Univ. de Laval, Coll. Mercure du Nord/Verbatim,
2007, 44 p.
— « Le paradigme de la guerre contre le crime : légitimer l’inhumain ? », RSC 2007,
n° 3, pp. 461-472.
— « Il paradigma della guerra contro il crimine : legittimare l’inumano ? » in Studi sulla
questione criminale, Nuova serie di “Dei delitti e delle pene”, Carocci, Quadrimestrale, anno
II, n. 2, 2007, pp. 21-37.
— « La justice entre le robot et le roseau », in J.-P. Changeux (dir.) L’Homme artificiel,
Odile Jacob, 2008, pp. 239-246.
— « Au pays des nuages ordonnés », Revue ASPECTS, 2008, n° 1, pp. 13-26.
— « Mondialisation et montée en puissance des juges » in Le dialogue des juges, Actes du
Colloque organisé le 28 avril 2006 à l’Université libre de Bruxelles, Les Cahiers de l’Institut
d’études sur la Justice n° 9, Bruxelles, Bruylant, 2007, pp. 95-114.
— « Universalisme des droits de l’homme et dialogue des cultures : l’énigme d’une
communauté mondiale sans fondations », in Aliança das Civilizaçoes, Interculturalismo e
Direitos Humanos, Rio de Janeiro, Educam, pp. 85-97.
ÉTUDES JURIDIQUES COMPARATIVES ET INTERNATIONALISATION DU DROIT 543

— « Le paradigme du crime contre l’humanité : construire l’humanité comme valeur »,


in Pierre Robert Baduel (dir), Construire un monde ? Mondialisation, pluralisme et
universalisme, Paris, Maisonneuve & Larose, 2007, p. 227 sq.
— « Globalization and Transnational Corporations », in Strafrecht und Wirtschaftsstrafrecht,
Festrschrift für Klaus Tiedmann, Carl Heymanns Verlag, Munich, 2008, pp. 1291-1301.

Laboratoire

Réseaux ID :
— Réseau ID franco-brésilien, Première rencontre 12, « Les violations graves des droits de
l’homme et la lutte contre l’impunité — Évolution des relations entre droit international et
droit interne », São-Paulo, 15-16 octobre 2007.
— Réseau ID franco-américain, Troisième rencontre 13, « La qualité du climat et
l’internationalisation du droit », Paris, 1-2 juillet 2008.

12. Participants : Sérgio Adorno (Professeur de sociologie de l’Université de São Paulo,


Directeur du Núcleo de estudos da violência) ; Luiz Olavo Baptista (Professeur de droit international
à l’Université de São Paulo, membre de la Cour permanente d’arbitrage de La Haye) — excusé
et représenté par Evandro Menezes de Carvalho (Professeur de « droit global et alternatives
institutionnelles » à la Fondation Getúlio Vargas de Rio de Janeiro) ; Joaquim Barbosa (Juge au
Supremo Tribunal Federal) ; Fabio Comparato (Professeur de droit public de l’Université de São
Paulo) ; Emmanuel Decaux (Professeur de droit international à l’Université de Paris II) ; Mireille
Delmas-Marty (Professeur au Collège de France, Membre de l’Institut de France) ; Jorge
Fontoura (Consultant juridique du Sénat, Professeur de L’Institut Rio Branco) ; Celso Lafer
(Professeur de droit international à l’Université de São Paulo, ancien Ministre des affaires
étrangères) ; Kathia Martin-Chenut (Chercheur et Coordinatrice du Réseau ID franco-brésilien
au Collège de France) ; Leonardo Nemer Brant (Professeur de droit international de l’Université
fédérale de Minas Gerais, Président du CEDIN) ; Alain Pellet (Professeur de droit international
à l’Université de Paris X) ; Claudia Perrone-Moises (Professeur de droit international à
l’Université de São Paulo, chercheur au Centre d’études sur la violence de l’Université de São
Paulo) ; Jean-Pierre Puissochet (ancien juge à la Cour de Justice des Communautés européennes) ;
Francisco Rezek (ancien juge à la Cour internationale de justice et au Supremo Tribunal Federal,
ancien Ministre des affaires étrangères du Brésil, ancien professeur de l’Université de Brasília,
actuellement avocat et professeur à l’UNICEUB).
13. Participants : Diane Marie Amann, Professor, University of California, Davis, School of
Law (Martin Luther King, Jr Hall) ; Jean-Bernard Auby, Professeur de droit public et directeur
de la Chaire « Mutations de l’action publique et du droit public » à Sciences Po Paris ; George
Bermann, Professor, Columbia University School of Law ; Stephen Breyer, Associate Justice,
United States Supreme Court ; Guy Canivet, membre du Conseil constitutionnel ; Vivian
Curran, Professor, University of Pittsburgh School of Law ; Mireille Delmas-Marty, professeur
au Collège de France ; Olivier Dutheillet de Lamotte, membre du Conseil constitutionnel ;
Hélène Ruiz Fabri, professeur à l’Université de Paris I Panthéon-Sorbonne, directrice de l’UMR
de droit comparé de Paris ; William A. Fletcher, Circuit Judge, United States Court of Appeals
for the Ninth Circuit ; Charles Fried, Professor, Harvard University Law School ; Harold
Hongju Koh, Dean, Yale Law School ; Antoine Garapon, secrétaire général de l’Institut des
hautes études sur la justice ; Roger Guesnerie, Professeur au Collège de France, titulaire de la
chaire « Théorie économique et organisation sociale », président de l’École d’économie de Paris ;
Mathias Guyomar, maître des requêtes au Conseil d’État ; Horatia Muir-Watt, professeur à
l’Université de Paris I Panthéon-Sorbonne ; Michel Rosenfeld, Professor, Benjamin Cardozo
School of Law ; Jonathan Wiener, Professor, Duke Law School.
544 MIREILLE DELMASMARTY

Recherche Figures de l’harmonisation du droit — Amérique Latine

— Deuxième réunion, São Paulo, EDESP-FGV, 4 octobre 2007.


— Troisième réunion et présentation publique, Brasilia, CEUB, 5-6 octobre 2007.
— Quatrième réunion, São Paulo, EDESP-FGV, 5 août 2008.

Recherche ATLAS (Armed Conflict, Peacekeeping, Transitional Justice : Law


as Solution)

— Programme européen (7e PCRDT) — Réunion de lancement, 7 février 2008, Collège


de France.

Colloques, conférences, Entretiens

— « La mondialisation du droit », Conférence-débat ((cycle L’Occident en question),


Bibliothèque de la Part-Dieu, Lyon, 13 septembre2007.
— « Conclusions », XVe Congrès international de Défense sociale, Le droit pénal entre la
guerre et la paix : Justice et coopération pénale dans les interventions militaires internationales,
Tolède, Espagne, 20-22 sept. 2007.
— Controverse avec Roger Pol-Droit « Peut-on éviter la torture ? », animée par Catherine
Clément, Musée du Quai Branly, 25 octobre 2007.
— Colloque de Paris (universités NYU Law, Cardozo et UMR de droit comparé de
Paris I) Repenser le constitutionnalisme à l’âge de la mondialisation et de la privatisation,
Présidence de la table-ronde « Faut-il ordonner le pluralisme ? », La Sorbonne, 25-26 octobre
2007.
— Evening Lecture, « Dignité Humaine et Droits de l’Homme : vers un Univers Pluriel ? »,
European Science Foundation-LiU, Pathways of Human Dignity : From Cultural Traditions to
a New Paradigm, Vadstena, Suède, 31 octobre-4 novembre 2007.
— « Le paradigme du crime contre l’humanité : construire l’humanité comme valeur »,
Conférence Institut de recherche sur le Maghreb contemporain, 23 novembre 2007, Tunis,
Tunisie.
— Participation au débat organisé autour du livre La Chine et la démocratie (M. Delmas-
Marty et P.-E. Will (dir.), Paris, Fayard, 2007) par le Centre d’études sur la Chine moderne
et contemporaine, EHESS, Paris, 4 décembre 2007.
— « Universalisme des droits de l’homme et dialogue des cultures : l’énigme d’une
communauté mondiale sans fondations préalables », Conférence internationale, Alliance of
Civilizations, Interculturalism and Human Rights, Université Candido Mendes, Rio de
Janeiro, Brésil, 8-10 décembre 2007.
— « Gouvernance et État de droit » et « La notion de biens publics mondiaux », in
Figures et problèmes de la mondialisation, Institut du Monde Contemporain, Collège de
France, 13 et 14 décembre 2007.
— « Violence et massacres : vers un droit pénal de l’inhumain ? », Conférence Institut
italien de Sciences humaines, Palazzo Strozzi, Florence, 3 mars 2008.
— « La mondialisation du droit : vers une communauté de valeurs ? », Conférence ENS,
Lyon, 24 janvier 2008.
— « Le rôle du droit dans l’émergence d’une communauté de valeurs », Communication
à l’Académie des sciences morales et politiques, 7 juillet 2008.
ÉTUDES JURIDIQUES COMPARATIVES ET INTERNATIONALISATION DU DROIT 545

— Entretiens : avec Marianne Durand-Lacaze, « Les forces imaginantes du droit », Canal


Académie, 1er février 2008, « La Chine et la démocratie », 2 mars 2008 ; avec Marc Kirsch,
La lettre du Collège, mars 2008 ; avec M. Brillié-Champaux et S. Lavric, « La Chine, les
droits de l’homme et les biens communs », 1er août 2008, Blog Dalloz, http://blog.dalloz.
fr/blogdalloz/2008/08/la-chine-les-dr.html ; avec Geneviève Fraisse, « l’Europe des idées »,
BNF 16 avril 2008, diffusion France Culture 2 août 2008.

Activités de l’Équipe

Emmanuel Breen
Emmanuel Breen, maître de conférences en droit public, a été mis à la disposition
de la Chaire « Études juridiques comparatives et internationalisation du droit » par
l’Université de Paris VIII Vincennes – Saint-Denis, durant l’année universitaire
2007-2008. Prenant la suite de Naomi Norberg, il a assuré la coordination du
Réseau ID franco-américain, prenant en charge l’organisation d’une réunion
internationale de juges et d’universitaires les 1er et 2 juillet 2008 à la Fondation
Hugot du Collège de France, sur le thème : « Qualité du climat et internationalisation
du droit ». Il a également assuré la traduction des conférences du professeur Onuma
Yasuaki et conduit des recherches sur le thème des biens publics mondiaux et de
la bonne gouvernance, contribuant ainsi à l’organisation du séminaire sur les biens
publics mondiaux (25 juin 2008), après avoir participé au séminaire de la Chaire
« Mutations de l’action publique et du droit public » de Sciences-Po Paris (11 avril
2008). Emmanuel Breen a été recruté par l’Université Paris-Sorbonne (Paris IV) à
compter du 1er septembre 2008, comme maître de conférences.

Isabelle Fouchard
Isabelle Fouchard a été affectée à la Chaire d’études juridiques comparatives et
internationalisation du droit, en qualité d’ATER, le 1er septembre 2006. Elle a
poursuivi ses recherches doctorales sur le sujet « Crime international : entre
internationalisation du droit pénal et pénalisation du droit international », et a
soutenu sa thèse à Genève le 3 septembre 2008. En outre, elle a contribué à la
préparation des cours par la réalisation de recherches documentaires et la rédaction
de notes, notamment sur la jurisprudence des tribunaux pénaux internationaux, le
droit international général, le droit international humanitaire et le droit international
des droits de l’homme. Isabelle Fouchard a également participé au projet de
recherches « Les figures de l’internationalisation du droit » en tant que rapporteur
sur le thème « Statut de Rome et mise en place de la justice pénale internationale » ;
ainsi qu’à l’organisation des séminaires et à la valorisation des activités de la Chaire,
y compris leur diffusion. Elle a enfin collaboré à la réponse à un appel d’offre de
la Commission européenne (7e PCRDT), qui a donné naissance au projet ATLAS
(Armed Conflict, Peacekeeping, Transitional Justice : Law as Solution) auquel le
Collège de France est associé avec six grands centres de recherches européens. Le
projet ATLAS, coordonné par le CERDIN (Centre de recherche en droit
546 MIREILLE DELMASMARTY

international) de l’Université de Paris I (Panthéon-Sorbonne), a débuté le 1er février


2008, pour 4 ans. Isabelle Fouchard occupera le poste de chercheur attaché au
Collège de France pour ce projet à partir du 1er septembre 2008.

Kathia Martin-Chenut
Kathia Martin-Chenut a été affectée à la Chaire comme ATER (2005-2007),
puis comme chercheur attaché au Collège pour le projet ATLAS mentionné
ci-dessus (fév.-août 2008). Dans le cadre de ce projet, elle a développé des recherches
sur la protection des enfants dans les conflits armés. Elle s’est également consacrée
au développement de deux projets lancés en 2005 : le projet de recherche « Les
figures de l’internationalisation du droit — Amérique Latine », dont elle assure la
co-direction et le « Réseau ID franco-brésilien », dont elle assure la coordination.
A cet effet, elle a organisé pour le projet « Figures de l’Internationalisation du
droit » deux rencontres de l’équipe (São Paulo et Brasília, les 4 et 5 octobre 2007)
et une présentation publique des résultats partiels de la recherche (Brasília, le
6 octobre 2007) ; tout en participant elle-même aux travaux en tant que rapporteur
sur « l’internationalisation des droits de l’enfant » et co-rapporteur sur
« l’internationalisation de la justice pénale ». Elle a assuré la coordination du Réseau
ID franco-brésilien et pris en charge l’organisation de ses premières rencontres, qui
ont eu lieu les 15 et 16 octobre 2007 à São Paulo sur un thème intitulé « Les
violations graves des droits de l’homme et la lutte contre l’impunité — Évolution
des relations entre droit international et droit interne ». Elle a, en outre, entrepris
les démarches nécessaires pour que ces deux projets soient intégrés en 2009 aux
activités officielles de l’Année de la France au Brésil. Kathia Martin-Chenut a
également participé à une réunion d’experts des Nations unies sur les droits de
l’homme et l’administration de la justice par les tribunaux militaires (Brasília, 27 à
29 novembre 2007) et à deux séminaires de l’UNESCO (Programme « Chemins
de la pensée » : Rio de Janeiro, 13 et 14 novembre 2007 ; Paris, 10 juin 2008).
Enfin, elle a soutenu une Habilitation à diriger des recherches (HDR) à l’Université
de Paris I en février 2008 et enseigné à l’Institut d’études politiques de Paris
(Sciences-Po) dans le cadre du cours « Les grands enjeux de la justice ».
III. SCIENCES HISTORIQUES
PHILOLOGIQUES ET ARCHÉOLOGIQUES
Civilisation pharaonique : archéologie, philologie, histoire

M. Nicolas Grimal, membre de l’Institut


(Académie des Inscriptions et Belles-Lettres), professeur

Cours et séminaire
Le temple d’Amon-Rê à Karnak : Héliopolis et l’Empire
On a poursuivi cette année l’historique de la redécouverte des temples de Karnak,
tout d’abord au cours du pachalik de Méhémet Ali, soit pratiquement toute la
première moitié du xixe siècle (1805-1848).
Partagée entre la recherche d’une affirmation nationale face à la Sublime Porte
et un désir profond d’Occident, l’Egypte, fortement marquée par l’impulsion que
lui donna Bonaparte, s’ouvre alors aux influences européennes. Mais, si Méhémet
Ali avait parfaitement compris le parti que son pays pouvait tirer de l’Europe et
de l’industrialisation, il offrait également à ses nouveaux partenaires une terre
d’opportunités, attirant par là même ceux que poussait le désir de nouveaux
horizons ou de fortunes rapides. L’engouement pour le passé de l’Egypte fut l’un
des principaux moteurs de la venue d’hommes qui, pour des raisons diverses, se
trouvaient à l’étroit dans une Europe que la Révolution française, puis les campagnes
de Bonaparte avaient ouverte sur le monde. Fuyant une société dans laquelle ils ne
trouvaient pas leur place, ou plus simplement poussés par l’appât du gain, ils
apportèrent avec eux un esprit d’aventure, mûri des connaissances popularisées par
les Lumières sur un fonds de réminiscences classiques.
Deux figures de condottieres se détachent tout particulièrement : Bernardino
Drovetti et Giovanni Belzoni. Le premier est très représentatif de cette génération
déracinée par les tourmentes de la fin du xviiie siècle. En 1794, à 18 ans, il
s’engage dans les troupes de Bonaparte, participe comme simple soldat à la
campagne d’Egypte en 1798. Il fait ensuite la campagne d’Italie, se couvre de
gloire en 1800 à Marengo contre les Autrichiens et finit colonel. Lorsque le Premier
Consul demanda à Talleyrand d’envoyer au Caire un homme sûr pour occuper le
poste nouvellement créé de consul général permanent, c’est lui qui fut choisi.
550 NICOLAS GRIMAL

Débarqué en Egypte en 1802, il se consacra immédiatement à la recherche


d’antiquités, dans l’intention de vendre les collections ainsi amassées, à la France
d’abord, au plus offrant sinon. La première, la plus importante, fut achetée en
1824 par roi de Piémont-Sardaigne, Carlo-Felice. C’est cette collection qui fournit,
dès juin 1824, à Jean-François Champollion le terrain sur lequel mettre à l’épreuve
sa théorie. Seule la deuxième des trois collections que rassembla Belzoni fut acquise
par la France, en 1827, grâce au même Jean-François Champollion, mandaté par
Charles X. La troisième alla à la Prusse en 1836.
Les premières années du xixe siècle restent assez confuses au Caire, du moins
jusqu’à ce que Méhémet Ali l’emporte définitivement sur les Mamelouks, en 1811.
Dès cet instant les autres puissances européennes s’empressent auprès de lui, avant
tout pour faire pièce à la Sublime Porte. Ainsi se retrouvent associés contre un rival
commun des pays opposés entre eux sur d’autres terrains : l’empire ottoman, lié à
l’autrichien, réunit contre lui la France et le Royaume Uni, qui se déchiraient
encore naguère en Egypte. Cette alliance — si tant est que l’on puisse employer
le terme — ne se fait pas vraiment entre Etats, mais plutôt par groupements
sociaux, comme celui de la Franc-Maçonnerie : son essor fut largement favorisé
par Méhémet Ali et se poursuivra jusque sous le règne de Farouk. Elle constituait
un puissant outil politique pour Napoléon, qui sut en jouer avec habileté dans les
pays que dominait son empire, cristallisant les oppositions locales sur les thèmes
issus de la Révolution, tout particulièrement celui de la liberté des nations.
L’opposition à l’empire ottoman trouvait un fondement humaniste et libertaire
dans la libération des peuples d’Egypte, d’Italie ou des îles ioniennes. L’expédition
de Morée, sous Charles X, puis Louis-Philippe concrétiseront la dernière. Garibaldi,
tout comme Méhémet Ali feront de même…
C’est dans ce contexte que le Royaume Uni envoie, en 1815, Henry Salt comme
consul au Caire. Les deux consuls, le français et l’anglais, s’engagent alors dans une
compétition sans merci, n’épargnant aucun moyen, aucune ruse, s’attachant des
hommes que leur passion a aussi jetés dans cette aventure. Du côté de Drovetti,
ce sont essentiellement le nantais Frédéric Caillaud qui poussa son exploration
jusqu’à la lointaine Méroë, le sculpteur marseillais Jacques Rifaud, qui, lui aussi,
était allé jusqu’en Nubie dès 1805. Henry Salt, lui, engage Giovanni Belzoni, un
autre personnage haut en couleurs : né en 1778, ce padouan est un véritable
colosse; destiné à la vie monastique, il y renonce et se lance dans des études
d’hydraulique. A 25 ans, en 1803, il fuit l’Italie, probablement à cause des Français,
qu’il détestera toute sa vie. Emigré à Londres, il gagne sa vie pendant une dizaine
d’années comme lutteur de foire, jouant de sa force exceptionnelle. Une tournée
le conduit du Portugal à Malte, puis en Egypte, où il arrive en 1815. Si ses
compétences d’hydraulicien n’intéressent pas Méhémet Ali, le personnage retient,
en revanche, l’attention d’Henry Salt, lorsque Johann Burckhardt — autre
aventurier converti à l’islam, sous le nom de Cheikh Ibrahim, découvreur de Petra
et Abou Simbel — le lui présenta. L’infatigable lutteur mécanicien, en quatre
années, déplaça jusqu’en Alexandrie un des colosses du Ramesseum, l’obélisque de
CIVILISATION PHARAONIQUE : ARCHÉOLOGIE, PHILOLOGIE, HISTOIRE 551

Philae, entra dans le temple d’Abou Simbel, la deuxième pyramide de Gîza, la


tombe de Ramsès Ier et de Séthi Ier dans la Vallée des Rois, et, naturellement,
fouilla à Karnak.

Il s’attaque, en 1816, à l’enceinte de Mout, dans l’espoir de mettre au jour de


nouvelles statues de Sekhmet et au motif que « l’envahisseur français » y avait déjà
porté la pioche. Or, les hasards de la politique française font que Drovetti est
désormais totalement libre de son temps pour se consacrer à l’exploration
archéologique de l’Egypte et du Soudan : il est, en effet, écarté de ses fonctions
officielles, pour cause de Restauration, de 1816 à 1820. Jouant de ses appuis
égyptiens, il fait occuper le terrain dès que le padouan a terminé sa première
campagne ; celui-ci se tourne en 1817 vers le 8e pylône, mais se heurte à nouveau
à l’équipe de son rival. L’année suivante, la confusion atteint son comble : Belzoni
se brouille avec Salt, qui, à son tour, vient contrecarrer ses projets à Thèbes ; les
rivaux en viennent aux mains à Karnak, des coups de feu sont échangés… En
1819, Drovetti reste maître du terrain. Mais jusque vers les années 1830, le site
est le théâtre d’affrontements entre une poignée d’aventuriers hauts en couleurs,
dont les monuments sont les premières victimes.

Le premier à conduire réellement des fouilles fut le marseillais Jean-Jacques


Rifaud, qui se mit au service de Drovetti dès son arrivée en Alexandrie en 1814.
Il toucha à peu près tous les secteurs de Karnak ; il reste toutefois difficile de
savoir quelles furent exactement ses recherches. Car il n’a laissé aucune description
de ses fouilles, qui ne sont connues que par les objets qui en sont sortis, et dont
on retrouve en partie la trace sur les planches qu’il avait préparées à partir de
croquis pour les réunir dans un Voyage en Egypte, en Nubie et lieux circonvoisins,
depuis 1805 jusqu’en 1928, illustré de 300 lithographies : seulement 250 ont été
imprimées et leurs vestiges sont conservés au Musée communal de Nivelles en
Belgique. La confrontation de ces dessins aux monuments originaux — en
particulier pour les reliefs du temple d’Opet — montre des qualités que l’on a
parfois déniées à tort à Rifaud. Certes, les hiéroglyphes sont approximatifs — mais
que l’on se souvienne des fureurs que prenait Jean-François Champollion contre
ceux de la Description ! Il ne faut, en effet, pas oublier que le marseillais en ignorait
la signification.

Le véritable élan va suivre, naturellement, la découverte de Champollion. La


Lettre à M. Dacier en 1822, puis la visite à Turin en 1824 et l’étude de la première
collection Drovetti marquent deux étapes essentielles de l’extraordinaire production
scientifique de Jean-François Champollion. Il trouve en Ippolito Rosellini un ami
et un allié, avec lequel il monte l’expédition franco-toscane en Egypte qu’ils
conduiront tous deux en 1828. Angelleli, qui accompagnait l’expédition a
immortalisé les jours passés à étudier les temples de Karnak dans la magnifique
toile qu’il réalisa pour le palais Pitti, et qui est aujourd’hui conservée au Musée
archéologique de Florence. Au-delà de l’exotisme oriental — que l’on retrouve
dans le portrait de Champollion, probablement dû également à Angelleli, de la
552 NICOLAS GRIMAL

collection Chateauminois à Vif — on y sent l’intense exaltation de ces jeunes


savants, vivant une aventure extraordinaire, dans le droit fil de leurs prédécesseurs
de l’expédition de Bonaparte.
La moisson est riche. Elle ne commencera à être connue du public,
malheureusement, que deux ans après la mort de Champollion. Revenu épuisé de
son expédition, il enseignera à peine un an au Collège royal dans la « chaire
d’archéologie » qui fut créée pour lui le 12 mars 1831, et mourra le 4 mars 1832.
C’est son frère qui publiera les Monuments d’Egypte & de Nubie, de 1833 à 1845.
Karnak y figure en bonne place, avec, pour la première fois, des lectures exactes
des textes, augmentées d’abondants commentaires.
Car c’est surtout aux sources écrites que Champollion s’était intéressé sur place,
et principalement aux textes et représentations historiques, qui lui permettaient de
préciser les cadres d’une civilisation qu’il était le premier à lire. Cette tradition du
primat des données textuelles sur l’archéologie aura la vie dure en égyptologie, et
le premier qui eût à lutter contre fut le premier vrai fouilleur de Karnak : Auguste
Mariette.
Dans les années 1840, en effet, dans le mouvement de développement économique
et de l’industrialisation voulues par Méhémet Ali, devenu maître héréditaire de
l’Egypte en 1840, les monuments, et tout particulièrement ceux de Karnak,
devinrent autant de carrières de pierres pour les chaufourniers. Les pylônes, en
particulier, furent partiellement vidés des monuments de remploi qu’ils contenaient,
ce qui détermina cette curieuse particularité, qui se retrouve, hélas ! un peu partout
dans le pays : seuls les monuments bâtis en grès furent épargnés, tandis que les
autres disparaissaient à tout jamais. On ne connaîtra ainsi, de l’architecture en
calcaire de Karnak, pratiquement que les monuments démontés qui ont échappé
aux chaufourniers. Le vidage des parties des pylônes épargné donnera ainsi aux
égyptologues une idée des monuments antérieurs à ceux qui les remploient faussée
jusque là par cette question du matériau. Le remodelage du temple datant, en effet,
essentiellement du Nouvel Empire, l’idée s’est durablement installée, au terme de
laquelle on aurait construit à Karnak, en calcaire au Moyen Empire, puis en grès
plus tard. Nous verrons ce qu’il convient d’en penser…
Avant Mariette, une autre figure de l’égyptologie naissante s’est rendue à Karnak :
Achille Constant Théodore Emile Prisse d’Avennes. Engagé dans des études
d’ingénieur, il s’en éloigne et participe en 1826 à la guerre d’indépendance grecque ;
on le retrouve ensuite secrétaire du gouverneur général des Indes, puis à Jérusalem,
d’où il repart, chevalier du Saint-Sépulcre, pour l’Egypte, où il réside de 1827 à
1844. Il y devient un familier de Méhémet-Ali, qui lui confie l’éducation des enfants
d’Ibrahim Pacha. Il est dans le même temps successivement ingénieur civil,
hydrographe, professeur de topographie à l’Académie militaire (Djihad Abad),
d’architecture militaire à l’Ecole d’infanterie de Damiette. Mais en 1836, lassé des
querelles administratives et fasciné par les travaux de Champollion, il abandonne
cette brillante carrière pour se consacrer à l’étude des hiéroglyphes et des civilisations
CIVILISATION PHARAONIQUE : ARCHÉOLOGIE, PHILOLOGIE, HISTOIRE 553

orientales. Au cours de son séjour au Proche-Orient, il a parcouru la Turquie, la


Perse, la Syrie, la Palestine, l’Arabie — où il visite la Mecque et Médine —, l’Egypte,
la Nubie, l’Ethiopie, l’Abyssinie. Il a relevé, décrit, mais aussi collectionné.

Deux monuments particulièrement importants sont aujourd’hui conservés en


France grâce à lui. Le premier est le papyrus qui porte son nom, qu’il acquit
probablement au Caire — et non en Thébaïde — en 1843 1, aujourd’hui conservé
à la Bibliothèque nationale de France, et que l’on considère généralement comme
le plus ancien traité de morale égyptien : les préceptes de Kagemni et les maximes
de Ptahhotep y ont, en effet, été compilés au début du deuxième millénaires, soit
environ cinq siècles après la disparition de leurs auteurs. Le second, lui, vient de
Karnak. Il s’agit de la « chambre des Ancêtres », conservée au Louvre. L’histoire de
son démontage par Prisse, puis de son transport, au nez et à la barbe de Lepsius,
qui espérait bien, lui aussi « sauver » le précieux monuments ont déjà été maintes
fois relatés 2. On a brièvement décrit cette année la « chambre » et indiqué les
pistes d’études qui permettent de retracer, grâce à elle, une partie de l’histoire de
Karnak avant la grande réfection d’Ipet-sout réalisée par les souverains du Nouvel
Empire. On y reviendra plus en détails l’an prochain 3.

De retour en France, Prisse est fait chevalier de la Légion d’Honneur, devient


un personnage officiel… Surtout, il publie, entre autres, en 1848 chez Firmin
Didot ses Monuments égyptiens […] pour faire suite aux Monuments de l’Egypte et
de la Nubie de Champollion-le-Jeune : la première planche est consacrée à la chambre
des Ancêtres 4, et Karnak y tient une grande place, avec 14 planches sur 50.
Excellent dessinateur, Prisse y donne des relevés très exacts, en particulier des
premiers éléments amarniens connus, avec le talent et la verve que l’on retrouve
dans ses autres ouvrages consacrés à l’art égyptien et à l’art oriental. Chargé par
Napoléon III de missions en Egypte et au Proche-Orient, Prisse rapporte en
France, en 1860, 300 dessins et peintures in-folio (certains atteignent huit mètres
de long !), plus de 400 m d’estampages, 150 prises de vues architecturales et autant
de photographie stéréoscopiques, une masse énorme de notes et 29 momies, dont
il fait don au Louvre… Ce personnage hors du commun fut, en fait, le premier
successeur de Champollion, auquel il vouait une admiration sans borne.

Au moment même où Prisse d’Avennes emportait la chambres des Ancêtres,


Karl Richard Lepsius arrivait en Thébaïde, à la tête d’une expédition commanditée
par le roi de Prusse, et dont la moisson scientifique marque une étape capitale dans
l’étude et la connaissance des monuments égyptiens, tout particulièrement pour

1. Voir M. Dewachter, RdE 39 (1988), p. 209-210.


2. Voir l’excellent feuilleton d’A. Sackho-Autissier : www.egypt.edu/feuilleton/prisse.
3. L’étude complète en paraîtra dans les Hommages dédiés à D. Silverman.
4. Dont Prisse avait donné une étude en 1845 dans la Revue archéologique t. II, p. 1-16. On
trouvera sur le site www.egyptologues.net la bibliographie exhaustive des temples de Karnak,
compilée par Alain Arnaudiès.
554 NICOLAS GRIMAL

Karnak. Les relevés, dessins et commentaires parus dans les Denkmäler aus Aegypten
und Nubien, qui paraissent de 1849 à 1858 constituent à la fois un précieux état
des lieux et un outil de travail toujours utilisé de nos jours.
C’est à la même époque que les techniques de relevé connaissent un changement
qui sera déterminant pour l’avenir : la photographie naissante vient dans un
premier temps compléter le dessin, auquel elle ne se substituera jamais, mais auquel
elle sert aujourd’hui de plus en plus de support.
Hector Horeau ouvre la voie à l’utilisation du daguerréotype comme support au
dessin architectural en publiant en 1841 son Panorama d’Egypte et de Nubie, avec
un portrait de Méhémet-Ali et un texte orné de vignettes, à compte d’auteur et en
souscription, à l’Imprimerie Bouchard-Buzard, à Paris. Il y donne la définition de
cette nouvelle technique : « des dessins faits sur place et de bienveillantes
communications de vues daguerréotypées m’ont permis d’apporter une grande
exactitude dans la reproduction des merveilles de la vallée du Nil ». Le résultat est
un ouvrage atypique, combinant des vues réalistes, — entre autres des monuments
du Caire, un panorama développé de la ville depuis la Citadelle —, des détails
d’architecture, mais aussi des vues à caractère ethnographiques, voire une restitution
de la ville antique de Karnak vue depuis le toit de la salle hypostyle, à tout prendre
encore supérieure à des tentatives plus récentes. Karnak et la Thébaïde y tiennent
la première place, fournissant de précieux aperçus de l’état des monuments avant
les travaux de Mariette.
Le milieu du xixe siècle voit les premiers photographes, dont la technique
naissante a besoin d’une lumière forte et constante, partir à la découverte des pays
du sud méditerranéen. L’Egypte, naturellement, leur fournit un terrain de choix 5.
L’un des premiers clichés est publié par Joseph-Philibert Girault de Prangey, dans
ses Monuments arabes d’Egypte, de Syrie et d’Asie Mineure, Paris, 1846, chez Hauser :
il s’agit d’un daguerréotype non signé représentant une maison de Rosette, en
briques apparentes et en encorbellement.
C’est à peu près le même cliché que Maxime du Camp réalise, dix ans plus tard,
dans le quartier franc du Caire ; la différence vient d’un personnage placé au
premier plan : son compagnon de voyage, Gustave Flaubert. Pendant deux années,
les deux hommes parcourent la vallée du Nil, amassant souvenirs et descriptions
pour l’un, clichés et observations pour l’autre. Gustave Flaubert raconte son voyage
dans Par les champs & par les grèves. Voyage en Orient. Maxime du Camp, lui,
affiche d’autres ambitions, que révèle le titre de l’ouvrage qu’il fait paraître en 1852
à Paris, chez Gide et Baudry : En Egypte, Nubie, Palestine et Syrie : dessins
photographiques recueillis pendant les années 1849, 1850 et 1851, accompagnés d’un
texte explicatif et précédés d’une introduction par Maxime Du Camp, chargé d’une
mission archéologique en Orient par le ministère de l’Instruction publique.

5. Voir l’excellent ouvrage de Nicolas Le Guern, L’Egypte et ses premiers photographes. Etude des
différentes techniques et du matériel utilisés de 1839 à 1869, Paris, 2001.
CIVILISATION PHARAONIQUE : ARCHÉOLOGIE, PHILOLOGIE, HISTOIRE 555

Karnak tient, naturellement, une grande place, aussi bien dans le texte que dans
les deux volumes d’album qui l’accompagnent, et le témoignage ainsi apporté sur
l’état des monuments est de grande valeur. Toutefois, malgré le propos scientifique
affiché par l’auteur, cet ouvrage reste plus un récit de voyage qu’une description
scientifique. Une comparaison entre les deux récits — celui de Gustave Flaubert
et celui de Maxime du Camp — montre que, si la qualité littéraire n’est pas
forcément du côté où on l’attendrait, l’œil du photographe donne au texte qui
accompagnent ses clichés un sens de l’observation qui fait défaut au romancier. Je
n’en prends qu’un exemple : la description de la visite des deux compagnons de
voyage à Debod.

Flaubert décrit ainsi l’épisode : « DEBOUT : Mercredi matin. Temple. Trois


portes encore debout en enfilades. Le temple est fort ruiné; il n’a pas été achevé,
le mur en certains endroits n’est pas encore ciselé, et des carrés de pierres sur les
portes attendent que l’on sculpte le globe avec l’uræus. Je reste à l’ombre dans un
coin, fouillant le sol avec mon bâton de palmier : j’ai trouvé la moitié du sabot
d’une vache. Un petit oiseau blanc à tête et queue noires, descendant du mur qui
est derrière moi, est venu se poser tout en face et près de moi ; quand tout le
monde a été parti, deux autres sont venus se mettre sur le chapiteau d’une colonne,
à gauche. Avant de nous rembarquer, un sorcier nègre, au nez épaté, nous dit la
bonne aventure. Dans un panier plat, plein de sable, il fait des cercles, et de ces
cercles partent des lignes qu’il trace avec le doigt. Il me prédit que « je recevrai à
Assouan deux lettres, qu’il y a une dame vieille qui pense beaucoup à moi, que
j’avais eu l’intention d’emmener ma femme avec moi en voyage, mais que, tout
bien décidé, je suis parti seul ; que j’ai à la fois envie de voyager et d’être chez moi,
qu’il y a dans mon pays un homme très puissant qui me veut beaucoup de bien,
et que de retour dans ma patrie je serai comblé d’honneurs 6 ».

Maxime du Camp est plus disert, plus précis également : « Malgré un vent
violent qui, ralentissant la marche de la barque, me permit de faire une longue
course sous les palmiers et dans les champs de Demhid, nous arrivâmes le lendemain
au village de Deboudeh, où se dressent trois propylônes, placés à d’inégales
distances et précédant un temple dédié à Ammon-Ra, à Hathor, et subsidiairement
à Osiris et à Isis. Commencé par Ataramoun, roi éthiopien, contemporain de
Ptolémée Philadelphe, il fut continué et achevé par Auguste et Tibère. Parmi les
sculptures mutilées et d’un style peu châtié, je ne vois rien qui offre un grand
intérêt, si ce n’est un roi à tête crépue, sur lequel Ammon-Bélier et Osiris-Epervier
versent un flot de croix ansées qui, comme je te l’ai déjà dit, sont un symbole de
divinité. Dans une des salles gît une niche monolithe en granit rose, haute d’environ
cinq pieds et demi; elle est écornée et brisée, mais on peut voir encore les trous où
s’enfonçait la grille aujourd’hui absente. C’était sans doute la cage, destinée à la
garde d’un épervier sacré.

6. Par les champs & par les grèves. Voyage en Orient, éd. 1974 p. 513.
556 NICOLAS GRIMAL

Lorsque j’arrivai à la cange, je vis Joseph qui m’attendait debout sur le pont ; il
vint à moi rapidement :
— Savez-vous ce qu’il y a de nouveau, signor, me dit-il, voilà un strego (sorcier)
qui prétend pouvoir lire dans le sable, et qui veut vous dire votre bonne
aventure.
En effet, j’aperçus parmi les matelots un noir dont le visage intelligent dénotait
une grande finesse ; il se dirigea vers moi, me prit la main, la baisa et resta
immobile. Je consentis volontiers à l’expérience que me proposait Joseph. Le
Nubien tira de dessous sa longue robe bleue un petit plat en cuivre, le fit remplir
de sable et s’accroupit près des bastingages pendant que je me tenais devant lui. Il
appliqua la paume de sa main droite sur le sable, y traça certains signes entrecroisés,
et, parlant lentement, il me dit sans lever les yeux sur moi :
— Ton esprit n’a point de patrie, tu dors aussi bien sous la tente que dans la
maison ; ton coeur est noir, car ceux qui l’habitaient sont maintenant dans la
trompette de l’ange du jugement dernier ; tu penses trouver des lettres à Assouan,
mais il n’yen a pas : tu n’en recevras qu’au Kaire ; en les lisant, un grand orage
s’élèvera dans ta poitrine, et tu pleureras comme un nouveau-né ; tu reviendras dans
ton pays, où tu as été longtemps malade ; tu n’y resteras pas, car les pieds te
démangent dès que tu es en repos ; tu feras encore des voyages sur des dromadaires.
Il s’arrêta. Plusieurs choses étaient vraies parmi celles qu’il venait de me dire,
mais Joseph avait pu les lui indiquer après les avoir apprises de mon domestique.
Malgré son horoscope, je trouvai le surlendemain des lettres à Assouan ; mais au
Kaire, en effet, je devais apprendre d’exécrables nouvelles. Je payai le magicien et
la cange partit. 7 »
Autant Flaubert se lasse d’un voyage qui jour après jour l’ennuie un peu plus
— n’écrit-il pas au bout de quelques semaines : « les temples égyptiens m’embêtent
profondément — est-ce que ça va devenir comme les églises en Bretagne et comme
les cascades dans les Pyrénées ? ô la réussite ! Faire ce qu’il faut faire ! être comme
un jeune homme comme un voyageur (etc en poussant cela à l’infini) doit
être ! » ? — , autant Maxime du Camp se passionne pour cette entreprise qui lui
vaudra louanges et honneurs.
C’est un autre voyage en Orient qui va permettre d’imposer définitivement la
photographie comme témoin de l’histoire : celui que Gustave Le Gray entreprend
aux côtés, lui aussi, d’un homme de lettres, Alexandre Dumas. Le Gray est alors
un peintre reconnu, mais surtout l’inventeur, en 1850, du négatif sur verre au
collodion humide et, en 1851, du négatif sur papier ciré sec. Fondateur de la
Société héliographique — la future Société française de photographie — il participe
à la Mission héliographique. Il est connu depuis quelques années pour les superbes

7. Le Nil. Egypte et Nubie, 5e éd., Hachette, 1889, p. 166-167.


CIVILISATION PHARAONIQUE : ARCHÉOLOGIE, PHILOLOGIE, HISTOIRE 557

marines qu’il a réalisées sur la côte normande en combinant deux clichés : l’un du
ciel, l’autre de la mer ; le résultat est une série de paysages marins au ciel tourmenté,
dont le romantisme suscite alors l’enthousiasme. Napoléon III a fait de lui le
photographe officiel de la Cour ; mais Le Gray est aussi mauvais gestionnaire que
bon photographe, et il fuit ses créanciers en accompagnant Dumas en Italie. Il
« couvre » la révolution garibaldienne, prend des clichés poignants de Palerme
bombardée et une photo romantique du dictateur autoproclamé qui fera le tour
de l’Europe.
Abandonné sans ressources par Alexandre Dumas à Malte, il se rend en Syrie ;
blessé, il s’installe en Alexandrie, puis, en 1864, au Caire, où Ismaïl Pacha le prend
sous sa protection. De ce long séjour égyptien datent de nombreux clichés, dont
beaucoup, hélas ! sont perdus. Mais Gustave Le Gray a une postérité abondante et
à sa suite, les photographes s’installeront durablement en Egypte, maîtrisant un art
désormais adulte, et que le tourisme naissant rendra rapidement rentable.
Parmi ces pionniers, pour la plupart hauts en couleurs figure Francis Frith. Elevé
dans le Derbyshire par les Quakers, il abandonne la coutellerie en 1850 pour
ouvrir un studio photographique à Liverpool. Cinq ans plus tard, il quitte tout et
part en Egypte, Syrie et Palestine. De retour dans le Surrey, après neuf ans, il se
marie et crée sa propre société. Il se lance dans une vaste entreprise de relevé
photographique de chaque ville et village du Royaume Uni, devient pasteur quaker
et finit dans la peau d’un libéral extrême. De son relevé photographique vont
naître des centaines de cartes postales, vendues rapidement dans plus de deux
milles boutiques du Royaume-Uni.
C’est cette nouvelle industrie que vont développer des photographes comme
Félix Bonfils. Il était, à l’origine, relieur à Saint-Hippolyte-du-Fort. Il apprend la
photographie avec Niepce de Saint-Victor, le neveu de Nicephor Niepce, et, à
36 ans, s’installe comme photographe à Beyrouth. Sa femme, Lidye, réalise des
portraits en studio, tandis que lui multiplie les prises de vue, essentiellement en
Egypte, Palestine et Syrie. Il constitue ainsi un fonds de 15 000 tirages et
9 000 plaques stéréoscopiques. Ses clichés égyptiens lui valent une médaille de la
Société française de photographie. En 1872, il publie aux éditions Ducher un
album de 100 photographies du Proche-Orient, vendu dans le monde entier par
des agents, puis il rentre en France en 1876 et publie une série de cinq albums,
Souvenirs d’Orient : album pittoresque des sites, villes et ruines les plus remarquables.
Il obtient en 1878 une médaille à l’Exposition universelle de Paris. Ses clichés
servent de base à d’innombrables cartes postales. Le fonds Bonfils est d’autant plus
important qu’il est poursuivi jusqu’en 1918 par son fils, Adrien, qui lui succède à
Beyrouth, puis par l’associé de celui-ci, Abraham Guiragossian, jusqu’à la veille de
la Seconde Guerre mondiale.
Il faudrait encore citer les frères Béchard, Henri et Emile, qui collaborèrent à la
fin du xixe siècle avec plusieurs archéologues, dont Gaston Maspero, et laissèrent
de nombreuses vues de monuments, en particulier de Karnak.
558 NICOLAS GRIMAL

Deux personnages, enfin, sont à retenir pour notre propos : les frères Beato.
D’origine vénitienne et sans doute tous deux nés à Corfou, ils devinrent britanniques
en même temps que leur île natale. Ils enrichirent considérablement le fonds
photographique de la fin du xixe siècle, chacun dans une partie de l’empire
britannique : l’un, Felice, en Extrême Orient, le second, Antonio, essentiellement
en Egypte, plus particulièrement à Louqsor, où il exerça de 1860 jusqu’à sa mort,
en 1906. Il fut témoin des premiers grands travaux de Karnak, sur lesquels il
apporte un témoignage qui vient compléter les premières photos prises par les
archéologues eux-mêmes. Ses clichés sont, aujourd’hui encore, vendus comme
cartes postales sur place.
Le premier vrai fouilleur de Karnak fut Auguste Mariette. Point n’est besoin de
revenir ici sur sa carrière ni sur l’œuvre immense qu’il accomplit en Egypte. À
Karnak, il entreprit de rapides campagnes de déblaiement, de la fin 1858 à 1860
et dans les premiers mois de 1874.
Il dégagea ainsi dans l’enceinte de Montou une statue d’albâtre d’Amenardis et
une, de bronze, d’Isis actuellement au musée Vleeshuis d’Anvers. Dans l’enceinte
d’Amon, il découvre le socle du naos d’Amon, daté d’Amenemhat Ier. Jusqu’à la
découverte de la colonne d’Antef, ce sera le plus ancien vestige connu. Il identifie
également l’emplacement de la fondation de Sésostris Ier, dans ce que l’on appelle
depuis la « cour du Moyen Empire. Surtout, Mariette publie en 1875 le premier
ouvrage entièrement consacré à Karnak, Karnak. Etude topographique et
archéologique, avec un appendice comprenant les principaux textes hiéroglyphiques
découverts ou recueillis pendant les fouilles exécutées à Karnak. Ouvrage publié sous les
auspices de son altesse Ismail Khédive d’Egypte, auquel il ajoute la première étude des
listes de peuples figurées sur les parois et pylônes du temple : Les listes géographiques
des pylônes de Karnak comprenant la Palestine, l’Ethiopie, le pays des Somâl. Ouvrage
publié sous les auspices de son altesse Ismail khédive d’Egypte, Atlas,
Il faudra attendre 1895 pour que les travaux de dégagement et d’entretien du
temple soient, en quelque sorte, institutionnalisés et placés sous la responsabilité du
tout jeune service des Antiquités. Gaston Maspero et Georges Legrain constituent le
premier « couple », associant un égyptologue et un architecte, d’une série qui s’est
continuée jusqu’à récemment. L’espace limité de ce rapport ne permet pas d’évoquer
en détails les recherches et découvertes qui ont marqué plus d’un siècle de l’histoire
récente du temple, de la prodigieuse découverte de la cour de la Cachette aux derniers
travaux du Centre franco-égyptien des temples de Karnak. Nous y reviendrons plus
tard, au fur et à mesure de l’étude des diverses parties du temple.

Les Annales de Thoutmosis III : étude et commentaire


On a étudié cette année les colonnes 88 à 103, soit la fin de la campagne de
l’an 23. On trouvera ci-après la traduction provisoire de ce passage, ainsi que celle
des colonnes 56 à 88, que je n’ai pu, faute de place, intégrer aux rapports des
années précédentes.
CIVILISATION PHARAONIQUE : ARCHÉOLOGIE, PHILOLOGIE, HISTOIRE 559

Annales I, 56-84

« L’an 23, 19e jour du premier mois de l’été : réveil en [vie] (57) dans la tente
de (Celui qui est) doué de vie, santé et force à proximité de la ville de A[rou]na.

Marche (58) vers le nord par Ma Majesté, sous l’étendard de <mon> père [Amon-
Rê Seigneur des Trônes du Double Pays, qui ouvrait les chemins (59) devant <Ma>
Majesté, (tandis que) Horakhty confortait le cœur de <mes> troupes, (60) et que
<mon> père Amon {Seigneur des Trônes des Deux Terres} [ren]forçait le glaive de
[Ma Majesté Montou étendant sa protection sur (61) Ma] Majesté.

Sa [Majesté fit] marche [à la tête de] son [armée], form[ée] (62) en nombreux
bataillons, [sans rencontrer] un seul [ennemi, l’] (63) aile sud étant à Ta[anak, (64)
l’]aile nord sur le côté sud de […]

(65) Et Sa Majesté de <les> haranguer : « [… (66) …] et ce vi[l] ennemi doit


être abattu (67) [… (68) …] Amon [… (69) … (70) … Sa] Majesté […] au glaive
plus puissant que (?) (71) […] l’ar[mée] de [Sa] Majesté [arriva] à (72) Arouna.
Puis, tandis que l’arrière de l’armée victorieuse de Sa Majesté était à la hauteur de
la place (73) d’Arouna, l’avant de sortir à la hauteur de la vallée de Qena, (74)
jusqu’à remplir la plaine de cette vallée.

Ils dirent alors à Sa Majesté — qu’Elle soit en vie, santé et force ! : (75) «“ Oui !
Sa Majesté est sortie avec [ses] troupes victorieuses et ils o[n]t investi la (76) vallée.
Que notre maître victorieux nous écoute cette fois-ci ! (77) Que notre maître
attende l’arrière de [son] arm[ée avec ses gens], (78) [et lorsque sera parvenu
jusqu’à nous], l’arrière de l’armée, alors, [nous combattrons contre (79) ces
montagnards], sans avoir à nous soucier [de l’arrière de] (80) notre [armée]. ”

Sa Majesté fit [donc halte], en plein air, assi[se] (81) là, attendant l’arrière [de]
son [armée] victorieuse. Et lorsque l’arrière de [la trou] (82) pe fut sorti sur ce
chemin, (83) l’ombre [avait franchi (83) midi].

Sa Majesté atteignit le sud de Megiddo, au bord de la rivière Qena, à la septième


heure du jour. Alors on établit là le camp pour Sa Majesté, et on fit cette
proclamation devant le front des troupes : “ Equipez-vous, fourbissez vos armes.
Car on va affronter au combat ce vil ennemi demain. Car on va [ … ]. ”

(84) Se reposer dans les quartiers de Celui qui est en Vie, Santé et Force. Assurer
l’approvisionnement des officiers et les vivres pour les serviteurs. Passer en revue
les veilleurs de l’armée, après leur avoir passé la consigne: “ Fermeté ! ” et
“ Vigilance ! ”

Réveil en vie dans la tente de Celui qui est en vie, santé et force. On vient dire
à Sa Majesté : “ (la situation du) désert alentour est favorable, (celle des) troupes
au sud et au nord également ! ” »
560 NICOLAS GRIMAL

Annales I, 84-87
« 23e année de règne, premier mois de l’été, 21e jour, le jour de la fête de la
Nouvelle Lune, exactement. Apparition du roi au petit matin.
Alors, on donna à l’armée tout entière l’ordre du jour pour marcher [contre les
ennemis].
(85) Sa Majesté avance sur le char d’électrum,
Parée des ornements du combat,
Tel Horus le Vaillant, le Maître des rites,
Tel Montou thébain,
<Son> père Amon donnant la force à ses bras.
L’aile sud de l’armée de Sa Majesté s’étend vers la colline qui est au sud de [la
vallée] de Qena, l’aile nord au nord-est de Megiddo, Sa Majesté au milieu, Amon
assurant sa protection <dans> la mêlée, la force [de Seth s’étendant sur] (86) ses
membres.
Sa Majesté était ainsi plus puissante qu’eux, à la tête de son armée, et lorsqu’ils
virent que Sa Majesté était plus forte qu’eux, ils s’enfuirent en trébuchant vers
Megiddo, le visage plein de terreur. Ils abandonnèrent leurs chevaux et leurs chars
d’argent et d’électrum, et on les tira vers le haut par leurs vêtements dans cette
ville. Car ces gens là avaient fermé cette ville, tout en [laissant pendre (87)] des
vêtements, afin de les tirer en haut dans cette ville.
Si seulement l’armée de Sa Majesté ne s’était pas alors attachée à piller les biens
de ces ennemis, alors elle [serait entrée] dans Megiddo sur le champ, tandis que
l’on hissait le vil ennemi de Qadesh, ainsi que le vil ennemi de cette ville, en hâte,
pour les faire entrer dans leur ville !

Annales I 88-103
Alors la crainte de Sa Majesté [entre dans (88) leur corps], leurs bras sont sans
force, [et] l’uræus s’empare d’eux. Leurs chevaux et leurs chars plaqués d’or et
d’électrum sont mis au pillage immédiatement comme libre [butin], leurs [batail]ons
renversés au sol, tels les poissons dans la poche d’eau.
Et l’armée victorieuse de Sa Majesté de compter ses biens ! Et on pilla la tente
de [ce vil enne]mi, qui était plaqu[ée d’ (89)...] .
Et l’armée tout entière de marteler sa joie,
De rendre grâce à Am[on,
Pour la victoire]
Qu’il a donnée à son [fils] en ce jour,
Et chanter les louanges] de Sa Majesté,
D’exalter Sa victoire.
Et ils emportèrent alors le butin qu’ils avaient fait: mains, prisonniers, chevaux
et [ch]ars d’or plaqué d’électrum, […] multicolores (90) […]
CIVILISATION PHARAONIQUE : ARCHÉOLOGIE, PHILOLOGIE, HISTOIRE 561

[Sa Majesté fit alors] cette [pro]clamation à son armée :


« Allez ! [Courage, mes b]raves [soldats] !
Oui, [c’est bien par la volonté de Rê que tous ces pays] se retrouvent
[dans cette cité] aujourd’hui,
Puisque tous les chefs de tous les pays y sont en cage,
Et que ce sera prendre mille cités que prendre Megiddo !
Allez ! Courage !
Oui, [c’est bien (91) …] »
[…] Et les chefs de corps d’exhor[ter leurs soldats, de faire connaître à ] chacun
sa place. Ils prirent la mesure de [cette vill]e, (la) prenant au piège à l’aide de talus,
l’entourant de (palissades de) bois frais (faites) de tous leurs arbres fruitiers.
Dans le même temps, Sa Majesté en personne fermait l’est de cette cit[é, et le
surveillaitt en (92) personne, nuit et jour …] qu’il entou]re d’un mur d’enceinte
[…] à l’aide de son enceinte, à qui on donna le nom de « Menkheperrê prend au
piège les Asiatiques ».
On plaça des [gens] pour garder la tente de Sa Majesté, en leur disant : « Courage
et soyez vi[gilants] ! ».
[Puis Sa Majesté] (93) […empêchant qu’un] seul d’entre eux sorte par l’arrière
de cette muraille, sauf pour aller frapper à la porte de leur prison.
Quant à tout ce que Sa Majesté a fait contre cette cité, contre ce vil ennemi et
sa vile armée, cela a été consigné avec l’indication par jour à Son nom et par
campagne [… (94) …] consigné sur un rouleau de cuir dans la demeure d’Amon
à la date de ce jour.
Alors, les chefs de ce pays vinrent, à plat-ventre, flairer le sol devant la puissance
de Sa Majesté, implorer le souffle pour leur nez, tant est grande Sa force, tant est
puis[sante la crainte d’Amon sur les pays étrangers (95) [… pays étrang]ers. [A]lors
[tous les] chefs d’apporter à Sa puissance, chargés de leurs tributs : or, argent, lapis-
lazuli, turquoise, — d’apporter grain, vin, bœufs, petit bét[ail] pour l’armée de Sa
Majesté. Une partie d’entre e[ux, chargée de tributs, prit le chemin du] Sud.
Puis Sa Majesté entreprit de [confir]mer les chefs (96) [de chaque cité …]
[Liste des prises emportées par l’armée de Sa Majesté de la cité de Megiddo :]
340 prisonniers,
83 mains,
2 041 chevaux,
191 poulinières,
6 étalons,
[...] poulains […],
le char plaqué d’or et aux parements en or de ce vil ennemi,
le splendide char plaqué d’électrum du [chef de] (97) [Megiddo …],
chars de sa vile armée : 892.
Soit un total de 924.
562 NICOLAS GRIMAL

Bronze : belle cuirasse de combat de ce vil vaincu : 1.


Bronze : belle cuirasse de combat du chef de Megi[ddo : 1.
Bronze] : belles cuirasses de combat de sa vile armée : 200.
Arcs : 502.
[Piquets en bois ] — mery plaqué d’argent de la tente de ce vaincu : 7.
[L’armée de (98) Sa Majesté] s’empara également de […] 387 […], 1 929 bœufs,
2 000 chèvres et 20 500 moutons.

Liste de ce que le roi a emporté ensuite des biens de la demeure de ce vaincu,


— celle de [Yen]oam, de Anouges, de [Helenker, ainsi que les biens de] ceux qui
avaient fait allégeance [emportés par] (99) : […] dont 30 [Maryanou] ; 47 enfants
de ce [vaincu] et des chefs qui sont avec lui, dont 5 Maryanou ; 1 796 serviteurs
et servantes, avec leurs enfants ; 103 de ceux qui se sont rendus, poussés par la
fa[im] à quitter [ce vaincu].

Soit un total de 2 503.

Ainsi que :
Pierres fines et or : des coupes-dedet et divers vases, (100) […] un grand vase-
akounou en travail de Syrie, des gobelets-tjebou, des coupes-dedet, des coupes-
khentou, divers vases à boire, de grands chaudrons, [X +] 27 couteaux. Soit un total
de 1 784 deben.
Or en lingots trouvés aux mains des artisans, en même temps que de l’argent en
nombreux lingots : 966 deben et 1 kite.
Argent : une statue représentant (101) [ … ], la tête en or, trois hampes à tête
humaine.
Ivoire, ébène et cèdre plaqués or : 6 fauteuils de ce vaincu et 6 repose-pieds qui
vont avec.
Ivoire et cèdre : 6 grandes tables.
Cèdre recouvert d’or et de toutes sortes de pierres précieuses : un lit en forme
de couche de ce vaincu, entièrement plaqué d’or.
Ebène plaqué (102) d’or : une statue de ce vaincu dont la tête est en l[apis-
lazuli ? …].
[…] ce […], vases de bronze, nombreux vêtements de ce vaincu.

Ensuite, les champs furent transformés en domaines, et des agents du domaine


royal <en> établir le recensement, afin que leur récolte soit emportée.

Liste de la récolte emportée par Sa Majesté des domaines de Megiddo : 2 007 300
[+ X] sacs de farine, (103) sans compter ce qui a été coupé lors de la prise par
l’armée de Sa Majesté […]. »
CIVILISATION PHARAONIQUE : ARCHÉOLOGIE, PHILOLOGIE, HISTOIRE 563

Travaux et publications 

— En collaboration avec Emad Adly et Alain Arnaudiès, chroniques archéologiques :


Bulletin d’information archéologique et « Fouilles et travaux en Egypte et au Soudan », pour
la revue Orientalia.
— Campagne d’étude à Karnak en novembre 2007 et décembre 2007.
— Expertise auprès de l’Académie des Sciences de Vienne pour la section Proche-Orient,
27-28 mars 2008.

Publications
— « L’œuvre architecturale de Thoutmosis III dans le temple de Karnak », dans Compte
rendus de l’Académie des Inscriptions & Belles-Lettres 2006, p. 231-249.
— « Civilisation pharaonique : archéologie, philologie, histoire », Annuaire du Collège de
France 2007 ; rapport complet en ligne sur www.egyptologues.net.
— Hommage à l’Académie des Inscriptions & Belles-Lettres : « Christophe Barbotin, La
voix des hiéroglyphes. Promenade au département des Antiquités égyptiennes du musée du Louvre,
Institut Khéops — Musée du Louvre, Paris, 2005 », dans Comptes rendus de l’Académie des
Inscriptions & Belles-Lettres 2006, p. 296-298.
— « Les grandes expéditions scientifiques du xixe siècle sur support numérique : la
Description de l’Egypte », Comptes rendus de l’Académie des Inscriptions & Belles-Lettres 2006,
p. 359-364.
— En collaboration avec Emad Adly, Bulletin d’information archéologique 35 (janvier-
juin 2007), www.egyptologues.net.
« Langue et culture dans le Proche-Orient antique », dans Géopolitique. Revue de l’Institut
international de Géopolitique 100, p. 7-12.
— En collaboration avec Emad Adly, Bulletin d’information archéologique 36 (juillet-
décembre 2007), www.egyptologues.net.
— En collaboration avec Emad Adly et Alain Arnaudiès, « Fouilles et travaux en Egypte
et au Soudan, 2005-2007 », dans Orientalia 76, p. 176-283 et pl. XIII-XXXVII.

Conférences et colloques
— « L’Egypte pharaonique et l’ordre du monde antique », conférence prononcée à
l’Université de Neufchâtel, 12 décembre 2007.
— « Temps et espace : la civilisation pharaonique est-elle immortelle ? », conférence
prononcée à l’Association Guillaume Budé, Lyon, 17 janvier 2008.
— Organisation, avec Nathalie Beaux et Bernard Pottier du colloque international
« Image et conception du monde dans les écritures figuratives », Collège de France et
Académie des Inscriptions et Belles-Lettres, 24-25 janvier 2008.
— Participation au colloque international de la Société française d’Archéologie Classique
« Grecs et Romains en Egypte. Territoires, espaces de la vie et de la mort, objets de prestige
et du quotidien », 15 mars 2008, INHA.

8. A la demande de l’Administration du Collège de France, ne figurent dans ce rapport que


les activités du titulaire de la chaire. Le rapport complet, incluant les travaux de l’équipe et du
cabinet d’égyptologie peut être consulté en ligne à l’adresse suivante : www.egyptologues.net.
564 NICOLAS GRIMAL

Jurys de thèses
— Présidence du jury de thèse de Doctorat présentée par Hanane Gaber-Kerious, sous
le titre Recherches sur les tombes inédites d’Amennakht et de ses fils Nebenmaât et Khameteri
(Deir el-Médina TT 218, TT 219, TT 220). Edition des tombes et étude comparative des livres
funéraires en contextes royal et privé, à l’Université Marc Bloch (Strasbourg-II), le mardi
11 septembre 2007.
— Participation au jury de thèse de Doctorat de l’Ecole des Hautes Etudes en Sciences
Sociales (Discipline : Archéologie) présentée par Nathalie Buchez, et intitulée Chronologie
et transformations structurelles de l’habitat au cours du prédynastique. Apports des mobiliers
céramiques funéraires et domestiques du site d’Adaïma (Haute-Egypte), Toulouse, 29 février
2008.
— Participation au jury de thèse de Doctorat de l’Université libre de Bruxelles présentée
par Laurent Bavay sous le titre « Dis au potier qu’il me fasse une poterie-kôtôn ». Archéologie
et céramique de l’Antiquité tardive à nos jours dans la tombe thébaine n° 29 à Cheikh abd
el-Gourna, Egypte (fouilles de l’Université Libre de Bruxelles), Bruxelles, 12 février 2008.
— Présidence du jury de thèse de Doctorat présentée par Aurélia Masson, Le quartier
des prêtres à l’est du lac Sacré dans le temple d’Amon de Karnak, devant l’Université de Paris
Sorbonne le 12 mars 2008.
— Présidence du jury de thèse de Doctorat présentée par Marie Millet, Installations
anterieures au Nouvel Empire au sud-est du lac Sacré du temple d’Amon de Karnak, devant
l’Université de Paris Sorbonne le 23 juin 2008.
Assyriologie

M. Jean-Marie Durand, professeur

Dans l’imaginaire occidental concernant le Proche-Orient, le monde politique


est soumis à la puissance d’un seul : le roi a confisqué la toute puissance et, face à
lui, il n’a que des serviteurs : à cela s’oppose la conception de l’individu libre, le
citoyen grec.

Pendant les années précédentes, pour une période très bien documentée comme
le xviiie siècle av. n. è., on a vu que c’est plutôt la notion de groupe qui existe et
chacun essaie d’y trouver sa place, chef comme contribules ; c’est une réalité au
sein de laquelle le chef du groupe et les membres pratiquent des relations complexes
de solidarités.

À partir de la présente année, en choisissant toujours la documentation dans le


même domaine très riche, il s’agissait d’examiner un autre thème à propos de
l’exercice du pouvoir : de l’extérieur de la Mésopotamie, on considère, en effet, que
face à la toute puissance du roi, il existe en revanche la toute puissance des dieux.

Il s’agit, là encore, d’une vision en apparence négative : les dieux mésopotamiens


semblent avoir été des réalités lointaines, peu épanouies, jalouses, soucieuses
uniquement de leur propre bien-être, jusqu’à la bêtise, ne rêvant que de dormir.
Ils ont gardé pour eux la vie, ils sont donc immortels, ils ont tout caché aux
humains, surtout leur avenir. Il faut ainsi leur arracher les secrets de la santé et de
la réussite dans l’action.

Certains chercheurs du domaine mésopotamien ont beaucoup durci cette notion


selon laquelle les dieux ont besoin des hommes qui par ailleurs les gênent.

C’est de cet effort pour contraindre les dieux que seraient apparues la magie et
la divination dont l’Antiquité proche-orientale se trouve être sinon la patrie
exclusive, au moins l’une des patries.
566 JEANMARIE DURAND

A) Pas de divination sumérienne


Il y a, à l’heure actuelle, un consensus selon lequel il n’existait pas de divination
sumérienne ; rien n’en suggère de fait la pratique au moins au niveau de l’État qui
est le seul à nous être vraiment documenté. Il est peu vraisemblable, cependant,
que l’homme sumérien particulier n’ait pas été intéressé par son avenir et qu’il n’ait
eu la possibilité de rencontrer ou de solliciter, sur les places publiques, dans les
marchés et au cours de ses voyages, des gens d’autres cultures qui y recourraient.
Cela rentre dans la problématique du rapport entre « public » et « privé » qui est
pour nous très difficile d’accès à l’heure actuelle. Si cela apparaissait au détour
d’une des rares lettres gardées pour le IIIe millénaire, ou d’un proverbe, il n’en
resterait pas moins qu’une telle anecdote n’irait pas au delà d’elle-même.
De fait, le vocabulaire de la divination, au moment où s’en multiplient les
attestations, c’est-à-dire surtout dans les textes de Mari, semble libre d’influences
sumériennes ; ce n’est que dans l’usage récent qu’apparaissent de nombreux
idéogrammes, d’origine savante. Les textes les plus anciens ont cette caractéristique
d’être écrits de façon phonétique.
Beaucoup de faits militent pour montrer l’origine populaire de la divination : les
tablettes divinatoires sont aussi grossières que les tablettes scolaires. Elles ne
semblent pas présenter un savoir réservé : elles devaient être accessibles à quiconque
savait lire. Les scribes qui les ont rédigées n’appartenaient pas à un monde de très
haute culture.
Au IIIe millénaire les hautes questions politiques ne semblent pas être réglées au
moyen d’actes de divination. Les deux seuls sujets abordés, la nomination de la
grande prêtresse et l’autorisation de faire reconstruire son temple donnée par le
dieu, datent de la fin du monde sumérien. Il pourrait s’agir là de marqueurs de la
pénétration du vieux monde sumérien par un esprit nouveau apporté par des
populations de sentimentalité différente.
Le nom du devin en sumérien est d’ailleurs « celui qui prend le chevreau », ce
qui ne fait pas allusion à l’agneau cher aux Mésopotamiens. Il « touche » l’animal,
mais rien ne dit qu’il en regarde les entrailles.
Il semble donc bien que la divination soit un fait sémitique et récent, qui
provient de pratiques populaires, non encore intégrées au savoir des lettrés ; à leur
apparition elles sont encore très proches d’une science orale et le devin est avant
tout un praticien.

B) La pratique de la divination
À l’époque paléo-babylonienne, on constate la très grande importance de
l’hépatoscopie, soit l’examen du foie mais, en fait, on procédait alors à un examen
général des entrailles, les tîrânu. De plus, les lettres de Mari montrent une autre
pratique très populaire, celle des « oiseaux de trou ». Parallèlement, à Babylone, on
ASSYRIOLOGIE 567

recourait à l’aleuromancie ou la lécanomancie, c’est-à-dire la distribution de jets de


farine ou les irisations produites par de l’huile sur une surface plane ou liquide.
Avec le temps apparaissent à côté des actes isolés, la constitution de grands
corpus, joyaux des bibliothèques royales récentes, babyloniennes et assyriennes,
accompagnés d’un vaste ensemble de commentaires, qui recourent à des observations
de bien plus grande ampleur : une série part des événements fortuits dans le
monde : une autre de l’observation des astres.
Cette dernière est au Ier millénaire la vraie science qui remplace la divination à
partir des entrailles et devient la discipline reine.
Au cours de l’histoire mésopotamienne, on ne voit pas le devin évoluer vers la
figure du mage qui est celle par excellence du personnage oriental qui s’intéresse à
l’avenir, mais vers celle du savant et du théoricien, à partir d’une observation
méticuleuse de données naturelles, établissant une grille de lecture et des critères
d’explications qui permettent de porter un verdict en introduisant le moins possible
de critères personnels de choix. C’est ce que Jean Bottéro considérait comme la
naissance de l’esprit scientifique : l’observation du réel et l’oubli des critères
personnels dans la décision.
C’est au moins la théorie car tous les cas ne sont pas prévus, les traditions se
contredisent et plus d’une fois le devin est obligé d’avouer qu’il est dans l’embarras
ou que les critères à disposition conduisent à des choix ambigus.
La consultation du corpus épistolaire mariote donne la possibilité d’observer la
divination au fil des jours et dans son contexte événementiel précis. On n’est donc
plus dans le domaine de la théorie et des constructions par induction ou déduction
qui sont censées avoir produit les grands corpus du Ier millénaire.
On se rend très vite compte que le souci n’est pas fondamentalement de connaître
son avenir de façon précise. Cette possibilité n’est qu’une des conséquences de la
divination, pratique dont le but est en fait tout autre.
L’acte divinatoire hépatoscopique se passe au moment du sacrifice. Ce dernier,
dans l’idéologie mésopotamienne, consiste d’abord à faire manger la divinité. C’est
le même terme qui sert à dire « repas » et « sacrifice ». Ce dernier est donc compris
comme un acte d’hospitalité où l’on fait manger les dieux et au cours duquel on
engage la conversation avec eux. Il s’y noue un rapport personnel. Beaucoup
d’anecdotes de Mari montrent que c’est au cours d’un repas qu’on fait parler
l’autre, en général après l’avoir bien fait boire, lorsqu’il est «dans sa bière ». Le
moment de la boisson termine le banquet.
Un moderne peut se demander comment soûler une divinité. On a une bonne
illustration du fait dans la Nekyomancie d’Homère (Odyssée xi) où Ulysse fait
parler les morts après leur avoir fait boire le sang des victimes. Lors du sacrifice
aux dieux, un liquide précieux leur est versé, le sang de la victime; le terme
technique utilisé nîqum signifie exactement « versement ».
568 JEANMARIE DURAND

À l’époque, il y a deux sortes de sang même si on ne sait pas exactement lequel


est utilisé ; le terme qui signifie « serment » est le même que celui qui signifie
« vie ». La divinité est en réalité attirée, lors du sacrifice, dans le monde des hommes
et c’est alors que le contact se noue.
Inversement, dans le rêve qui est un produit du sommeil, lequel est à l’image de
la mort, ou lors d’une incubation, le rêveur quitte le monde des hommes et entre
dans un univers où il peut retrouver la divinité qui lui délivre un message, ou lui
répond.
Le moment divinatoire est ainsi celui où l’on peut savoir où l’on en est dans ses
rapports avec la divinité. C’est fondamentalement un phénomène général de
communion qui n’est d’habitude pas perçu dans la documentation d’origine
irakienne, parce que ceux qui l’étudient aujourd’hui sont obnubilés par la
complexité des considérations techniques résultant de l’observation des données
physiques : hépatoscopiques, puis astrales. L’essence même de l’interrogation
ominale est cachée par tous les arbres des faits relevant de la technique.
On parle donc avec la divinité, tant dans l’acte hépatoscopique, que dans le rêve,
pour s’en tenir aux deux domaines privilégiés de la divination ancienne, aussi bien du
présent, que du futur et — surtout — que du passé. On voit ainsi que la « divination »
n’est pas obligatoirement, comme on le croit souvent naïvement, tournée vers le
futur humain ni la connaissance (inquiète) du sort réservé à l’individu.
Un autre point très important est que la divinité n’est pas, comme on le croirait,
passive, ou piégée : elle peut prendre les devants pour donner un avis à un homme
(surtout le roi, d’après notre documentation) pour l’informer (ou s’informer !) sur
le passé, le présent ou le futur.
Lors du sacrifice la divinité peut décider de parler d’autre chose que du sujet où on
l’invite ou de quelqu’un d’autre que celui qui l’interroge et il en est du même pour le
rêve, de la même façon qu’il y a envoi de messagers ou échanges épistolaires entre
l’humain et le divin. Cette conduite englobe d’ailleurs prophéties et ordalies.

C) Le concret et le théorique
La divination semble avoir été à Mari plus archaïque et plus concrète, ce qui
explique qu’elle représente une conduite moins élaborée qu’à Babylone, laquelle
recourt effectivement à une enquête plus théorique, déconnectée des contingences,
en marche vers une discipline qui pose ses principes et en tire des déductions, même
si cette conduite est, à nos yeux de modernes, en porte-à-faux sur le monde réel.
1. Une grande différence tient au fait qu’à Babylone, on interroge les dieux dans
le cadre général de l’hémérologie ; on réalise ainsi l’antiquité de pratiques que l’on
croyait n’apparaître qu’à basse époque, avec la fin de l’empire néo-assyrien, ce que
l’on ne pouvait soupçonner en mettant en fiche la seule technique hépatoscopique.
L’hémérologie crée des « jours tabous » qui déterminent l’action humaine.
ASSYRIOLOGIE 569

On connaît l’importance du Livre des Fastes à Rome : fās est différent de jūs
dans la mesure où s’opposent le droit dit par les dieux et celui qui est dit par les
hommes. C’est de la connaissance de ses données que dépendaient sessions des
tribunaux et réunions des citoyens.
À Mari le munûtum (« comput ») détenu par le roi et qu’on lui réclame comportait
une sorte de calendrier cultuel. On ne sait malheureusement pas s’il s’agissait de
la liste des fêtes oraculairement permises ou de celles décidées par le roi. Il n’existe
qu’au début du règne des Bensim’alites, il est inattesté ensuite. Il pourrait donc
s’agir d’un héritage de l’ancien ordre de choses, celui de la dynastie qu’il avait
renversée et qui tirait ses origines du pays d’Akkad, auquel Babylone appartenait.

2. Le second point tient à la détermination du sujet oraculaire.


Elle montre le lien qui relie divination et magie.
La magie a effectivement besoin de fragments de la personnalité visée pour
opérer, ou de faire entrer en contact l’ensorceleur et son objet comme on le voit
par le texte ARM XXVI 253 :
« Voici ce qu’on a fait dire à la femme : “(Je jure) que ma fille, Mârat-Eštar n’a
pas fait d’ensorcellement contre NP”. Cette femme, ni à la porte ni ailleurs,
n’a donné du bois ensorcelé, ni ne l’a fait “manger” à NPl, sous forme de pain, de
nourriture, de bière ou de quoi que ce soit. »
Dans l’acte hépatoscopique il y a également nécessité d’être « tout près » du
sujet. Dans l’acte sacrificiel, le devin « touche » : il met le doigt sur la personne
concernée pour la désigner. Ainsi trouve-t-on dans A.3308+ :
« J’ai fait recopier la route que l’armée doit prendre et j’ai fait envoyer (le tout)
chez mon Seigneur. On doit lire cette tablette devant mon Seigneur. En accord
avec les instructions de cette tablette, il faut que les devins touchent le front des
guides afin que, pour l’expédition dont les présages seront bons, leurs guides
prennent la tête des 3 000 hommes que mon Seigneur m’a envoyés… »
De même lit-on dans ARM XXVI 114 :
« J’ai procédé à l’interrogation oraculaire. J’ai touché le front du chef de pâture.
Les oracles que j’ai obtenus étaient bons… »
Le geste de « toucher le front » revenait à marquer une personne explicitement
comme le sujet de l’interrogation oraculaire.
Lorsqu’il s’agit d’un sujet « lointain », plusieurs recours étaient connus:
a) en ce qui concerne les lieux, on opérait sur une motte de terre qui en
provenait.
b) pour les personnes, on se servait de sa sissiktum et d’une boucle de ses
cheveux.
570 JEANMARIE DURAND

On trouve ici un écho avec les rituels du Droit, dont le domaine extrêmement
conservateur dans ses pratiques est très proche des manipulations magiques. La
sissiktum a d’ailleurs valeur juridique : c’est un substitut du sceau qui définit la
singularité d’une personne par le symbolisme des figures ou l’énonciation d’un
nom et de la situation sociale (parenté, titre). Les cheveux sont, également, la
marque de la personne, tout comme l’ongle dont l’empreinte peut servir à signer
un texte. « Cheveux » et « ongle » sont les parties vivantes du corps, du fait de leur
dynamisme qui les fait croître et qu’on peut prélever sans dommage pour l’intégrité
physique ; en opposition les deux sangs que définit l’époque amorrite comportent
les notions de vie et de race et ne servent que pour le rite de communion qui
permet d’accroître la famille : ils participent à d’autres rituels étudiés d’autres
années auparavant.

3. Détermination du libellé de l’interrogation


L’important était de prononcer une formule très précise pour que la réponse du
sort ne soit pas ambiguë, comme le montre le détail de la conscription pour la
campagne contre une ville (Tamîtu n° 1).
Ô Soleil, dieu du serment, Ô Tempête, dieu de la divination !
les soldats du palais, ceux de la porte du palais, ceux de la charrerie,
les fantassins, les forces mobiles et les patrouilleurs,
ceux qui forment le gros des troupes, le corps des Soutéens,
et ceux des pâtures du pays, soldats qui obéissent à Marduk,
tous ceux dont Hammu-rabi de Babylone
forme sa troupe, tant gens de métier que démobilisables —
doit-il (y) choisir et sélectionner chars et fantassins ?
Pour ce qui est de la détermination de la route, nous n’avons plus gardé à Mari
que des indications sommaires, comme celles de A.3308 :
« J’ai fait recopier la route que l’armée doit prendre et j’ai fait envoyer (le tout)
chez mon Seigneur. »
De tels textes succincts doivent être explicités par d’autres comme celui de la
Tamîtu n° 4 :
« Doivent-ils quitter par la porte de Padnu et marcher vers la cascade du
Campement du Félin, vers la Borne-frontière du (mont) Nikkur, vers la grand
Grotte, vers le wadi du Défilé, vers le terrain planté de buissons, vers le Figuier du
combat, vers le Pistachier rabougri, vers le Moulin en ruine, vers le lieu aux
Térébinthes ?
Au soir de ce jour, doivent-ils bivouaquer aux Térébinthes ?
Au soleil levant, à l’aube, doivent-ils quitter les Térébinthes, vers les Gypses, vers
la couche du…, etc. »
ASSYRIOLOGIE 571

4. L’interrogation ominale
Le fait de questionner la divinité n’inclut pas de terme technique et se dit
normalement « questionner », à la fois à Babylone et à Mari. Mais Mari utilise
pour « fixer le libellé d’une question oraculaire » le verbe kapâdum, usage inconnu
à Babylone.
« À la tête de la troupe de mon Seigneur marchera NP, le devin, serviteur de mon
Seigneur, et, avec la troupe de Babylone, marchera un devin babylonien. Ces six
cents hommes de troupe s’établiront à (Nlieu). Les devins formuleront le libellé de
leurs présages et, selon le caractère favorable des présages qu’ils auront obtenus, il y
aura des patrouilles par groupe de 150 hommes. » (ARM II 22 = LAPO 17 585).
Si l’exigence de la précision est identique à Mari et à Babylone, l’usage de
kapâdum marque une différence entre les deux centres d’interrogation oraculaire :
à Babylone, ce terme se prend en mauvaise part et signifie « prendre une décision
mauvaise », « comploter ». Il est très souvent associé à un verbe qui a le sens
d’ « avoir un grand désir ». Il signifie en babylonien « avoir un désir incoercible »,
il est associé à la colère, au désir instinctif d’agir. Sans étymologie claire, il a généré
dans la langue tardive un adverbe signifiant « rapidement ».
On peut conclure de l’usage de Mari que « choisir les termes de la question
oraculaire » est à peu près l’équivalent de notre « avoir un flash », « sentir en soi le
désir inspiré des dieux » de poser une question. Le devin est donc celui qui a les
moyens de savoir quoi et comment demander à la divinité pour en avoir une
réponse fiable.
À Mari le rôle du devin relève plutôt de l’inspiration que de la réflexion. Il n’est
donc pas étonnant qu’à Mari, à côté du devin bârûm, « celui qui lit », il existe la
possibilité que se tienne un homme inspiré (l’âpilum, le « traducteur ») qui prend
la parole et qui commente par enthousiasme, au sens propre du mot (enthousiasmos :
le fait que le dieu soit en soi).

5. La préparation de l’agneau du sacrifice


Nous avons encore pour ce qui concerne la Babylonie : le rituel du devin.
« Ô Soleil du jugement ! Ô Tempête du vœu et de la divination !
Me voici porteur pour vous d’un mâle, pur (B.)/ en bonne santé (A), fils d’une
femelle, une oblation, un agneau à teinte indécise,
frotté (?), dont la toison boucle, pur, qui vient d’être déversé de “l’étroitesse” de
la femelle ;
(Lui) dont le pâtre n’a pas arraché de boucle à droite ni à gauche :
voici que j’arrache pour toi à gauche et à droite une boucle de lui et que je la
dépose pour toi ! »
572 JEANMARIE DURAND

Sur cet animal qui est présenté comme un être encore indécis, le devin prie pour
indiquer les marques ominales qu’il veut voir apparaître.
(Invocation aux dieux.)
Sur l’animal qui vient de naître, sur qui n’ont eu d’action ni monde extérieur ni
hommes, qui est sans histoire, comme une page blanche, on demande à la divinité
d’inscrire les sorts que le technicien aura pour tâche de repérer et d’interpréter.
Comment interpréter cette grande prière ?
Il est évident que le devin tente d’orienter la volonté divine en énumérant tout
ce qui lui permettrait de lire que le sort réservé à son patient est bon ; mais en
même temps on peut considérer que cette interminable énumération représente le
pacte explicite passé entre devin et dieu pour fixer leur accord sur ce qui est bon
et mauvais, comme deux alliés humains énumèrent, lors d’un accord, ce qu’il faut
faire et ne pas faire.

6. La signification du sacrifice de l’agneau à Babylone


Le devin entreprend de fendre en deux l’agneau, certainement vivant.
C’est un acte hautement symbolique qui évoque le bris de l’enveloppe en argile
qui protège un message. Elle ne porte que l’adresse et les signes de reconnaissance
comme l’empreinte du sceau de l’expéditeur. En accédant aux viscères, le devin
prend connaissance du texte rédigé en toute liberté par le dieu.
Le devin ne choisit pas à l’aveuglette son agneau comme une « pochette surprise »
qui révèle au déballage ses mystères. Aussi étudie-t-il le comportement du mouton
de sacrifice pour deviner si son sacrifice sera pour le bien ou non.

D) Les procédés à Mari


L’interrogation unitaire porte le nom de qâtum (« main ») c’est l’ensemble des
présages constatés lors du sacrifice d’un mouton. Linguistiquement, qâtum est
l’équivalent du français « fois ». Pour reprendre le vocabulaire du jeu de des cartes
à jouer, c’est la « donne ».
L’interrogation n’est jamais simple. Elle comporte toujours une « contre-
épreuve » ou « vérification ». C’est la piqittum. Sa nécessité permet de comprendre
l’apparent désordre entre le singulier têrtum (présage) et son pluriel têrêtum. Le
pluriel signifie que le devin a fait la contre-épreuve ou l’a confiée à un assistant ou
un collègue. De fait, tous les prédictions sont au pluriel šalmâ, magrâ (« bon ») ou
lupputâ (« mauvais »).
Lorsqu’une interrogation a un mauvais résultat, le devin réclame d’obtenir une
nouvelle «donne » comme le montre ARM XXVI 186 :
« Les présages que nous obtenons ne sont pas sains. Donne-nous des agneaux
que nous retournions demain à la “donne” et que nous reprenions les présages. »
ASSYRIOLOGIE 573

Chaque interrogation demande le sacrifice d’un nouvel animal.


Quel était le libellé de la piqittum ? Un texte particulièrement détaillé indique
qu’on y posait l’inverse de la question précédente.

1. Prouver la divination
Par delà la pratique de la « confirmation » piqittum, la divination par
l’hépatoscopie était-elle la seule technique de déterminer l’avenir ? Cela pose la
question du recours à la technique des oiseaux.
J. Nougayrol a publié un texte intitulé « “Oiseau” ou oiseau ? » (Revue
d’Assyriologie 61, 1967). Le texte dit :
Si, au bas de l’aisselle droite, une tache rouge se trouve ; présence de
(Divinité),
Si l’aile de l’oiseau, de droite, se soulève plusieurs fois : en campagne, l’ennemi
réglera le compte de mon armée. » etc.
La question était de savoir s’il s’agissait d’un vrai oiseau dont on examinait les
taches corporelles ou d’une métonymie pour « mouton », ou une partie de son
foie. Cette dernière position est celle des Dictionnaires.
En fait, les textes de Mari lèvent l’ambiguïté. ARM XXVI 22 dit :
« J’ai mené l’enquête par le moyen des “oiseaux de trou”. Le rêve est réel. »
Dans ARM XXVI 145, il est dit :
« Dans le district où j’habite, il n’y a pas de devin, on ne me donne pas de
colombes. »
Tous les textes s’accordent à nous dire que ces colombes sont des oiseaux qui
vivent dans les « fenêtres », à l’époque de simples trous dans le mur. C’est donc
bien un oiseau réel.
Il s’agit, en fait, tout comme pour la lécanomancie ou l’aleuromancie, de
techniques de substitution. Les techniques ne concourent pas entre elles, mais
semblent s’exclure : elles ont en fait des motivations économiques propres, bien
moins coûteuses que le sacrifice de moutons.

2. Les présages fortuits


C’est un domaine où la comparaison de Mari et Babylone est intéressante. Il y
a bien à l’Est pluralité de techniques pour prédire l’avenir. Elles donnent plus tard
naissance à l’immense corpus des prédictions qui fut exporté de par tout le Proche-
Orient lorsque la culture babylonienne essaima, recouvrant les cultures divinatoires
indigènes, au delà des frontières occidentales des Hittites vers le monde grec, puis
jusqu’au lointain Occident où chaque technique fut repensée et reconstruite.
574 JEANMARIE DURAND

Mari montre au xviiie siècle av. n.è. une attention soutenue à l’égard d’événements
auxquels on prête attention parce qu’on y voit un signe divin qu’il convient de
déchiffrer. Mais le fait n’a pas valeur par lui-même.
Un des cas les plus nets est celui des izbu. On appelle ainsi les nouveau-nés,
humains ou animaux, qui naissent avec une malformation. Le Protocole des Devins
de Mari fait allusion au phénomène.
ARM XXVI 1 : « Le mauvais oracle défavorable qui se produira et que je verrai
lors de la prise de présages pour Zimri-Lim, mon Seigneur, dans une naissance
anormale… »
ARM XXVI 241 en donne un exemple :
« (L’agneau) n’a qu’une tête ; sa face est celle d’un ovin mâle ; il n’a qu’une
poitrine, (qu’un) cœur (qu’un seul) ensemble de viscères ; (mais), depuis son
nombril jusqu’à sa hanche, (il a) deux corps. À sa naissance, une de ses épaules a
été arrachée et l’on a, de ce fait, endommagé sa tête. »
Il n’y a pas de commentaire sur le fait rapporté. L’attitude ne serait pas la même
au Ier millénaire, où l’on fait immédiatement un rituel expiatoire.
Il en est de même concernant les événements de la vie. On constate qu’aucun
des événements rapportés qui feraient sens ominal au Ier millénaire n’a d’autre
conséquence que de déclencher une interrogation oraculaire pour qu’on sache si
c’est un signe des dieux ou non.
Les événements astraux eux-mêmes entrent dans la même problématique, comme
une éclipse de lune. Or, là, on est sûr qu’à Babylone, on considérait déjà que
l’éclipse avait un sens pour la divination de l’avenir.
On opposera ARM XXVI 81 :
« Le 14 du mois, il y a eu une éclipse de lune et l’existence même de cette éclipse
est un fait désagréable. J’ai pris les oracles pour le bien-être de mon Seigneur et
celui du district supérieur. Les oracles étaient sains. Il faut, maintenant que mon
Seigneur, là où il est, fasse prendre des oracles pour son bien être et celui de la
ville de Mari. Que mon seigneur ne s’inquiète pas ! »
avec un texte qui énumère les éclipses en fonction des mois :
« Si au mois de Tammuz, il se produit une éclipse, il y aura une famine et un
roi qui a du renom [mourra]. La population de la ville s’enfuira.
Si au mois d’Abum, il se produit une éclipse, la moisson se passera bien ; l’armée
du roi recevra une mission glorieuse. » etc.
Le texte a été retrouvé à Mari, mais il vient d’une voisine de Babylone, à en juger
par la ménologie.
ASSYRIOLOGIE 575

L’observation des astres ne sert encore que de datations du calendrier agricole,


analogues aux Géorgiques de Virgile.
On voit donc qu’en définitive, il n’y a à l’Ouest qu’une discipline reine : c’est
l’hépatoscopie qui est seule à pouvoir expliquer ce qui inquiète. Les Amorrites
n’ont développé une typologie du signe ominal qu’à l’Est ; à l’Ouest ; il y a encore
une dichotomie très forte entre observations du quotidien et pratique de
l’hépatoscopie.
C’est là que l’on constate le clivage entre mentalités de l’Est et l’Ouest.

E) Divination et représentation du monde


1. La symbolique du foie : aller au palais réaliser ses désirs.
Le foie ominal a été compris par les Babyloniens comme ce qui permettait
d’interpréter le monde. Un traité récent, la 16e tablette de l’hépatoscopie, porte un
titre évocateur « Si le foie est le miroir du ciel. » C’est une vision récente, le miroir
magique où l’on peut voir le reflet des volontés divines.
En fait, lorsque l’on suit les noms des parties du foie qu’examine le devin
babylonien, c’est un microcosme d’où l’on induit l’état du macrocosme.
En Babylonie ancienne il s’agit d’arriver à un palais et d’y obtenir ce que l’on
désire du roi divin. Voici la liste des parties dans l’ordre de consultation du foie :
manzazzum = « présence divine »; var. naplastum « regard »
padânum = le chemin
pû tâbum = le mot agréable / bakchich
danânum = renforcement » = zone royale surveillée
bâb ekallim = porte du palais = on entre chez le roi / dieu
šulmum = « salutation »
martum = la vésicule = le Chef
nîdi kussîm = les assises du trône
ubânum = le doigt (le ministre, l’action)
sibtum = prise, tenure (= la réussite de ce que l’on cherche).
C’est donc bien une visite chez le roi/dieu pour avoir quelque chose.
Chacune de ces zones comprend des sous-parties ; la casuistique ominale fait
l’objet d’autres études.
Or, les différentes parties du foie (dans la mesure ou on les connaît) ne donnent
pas à Mari l’image du même monde qu’à Babylone.
On trouve ainsi la sissiktum au lieu du manzazzum.
La vésicule est appelée « pasteur » ; une zone toute entière est appelée « enclos ».
On n’est plus dans l’image d’une civilisation de citadins mais de pasteurs.
576 JEANMARIE DURAND

Pušqum « étroitesse » dans la zone du padânum est remplacé par le puzrum


« zone royale ».
Deux remarques : (a) les particularismes mariotes se retrouvent dans l’hépatoscopie
hittite et les textes d’Emar, à l’époque moyenne, montrent l’existence d’une double
tradition : syrienne (héritée de Mari) et babylonienne (empruntée).
(b) On a déjà à Mari des parties ominales qui étaient tenues pour n’apparaître
qu’à partir du Ier millénaire : c’est un indice qu’il y a eu des traditions divergentes
de la doctrine babylonienne et qu’elles ont continué jusqu’à ce que les érudits du
Ier millénaire entreprennent leur collecte, intégrant à leur savoir toutes les traditions
divergentes connues. C’est un trait constant dans les conduites magiques ou
médicales de toutes époques.

2. Le prophète à côté du devin


Le terme kapâdum a montré une différence essentielle entre devins babyloniens
et mariotes. Les premiers posent une question ; les seconds trouvent les mots qu’il
faut.
Or, ce kapâdum, n’est pas, on l’a vu, un verbe de sens positif : il signifie une
idée plutôt irrationnelle, qui provient de l’aspect ténébreux de l’individualité, non
de l’intelligence rayonnante.
Cela explique une autre différence majeure de l’Ouest avec Babylone. Dans la
région de l’Oronte, tout à fait à l’Occident, le devin est doublé par un prophète,
l’âpilum.
FM VII 39 : « Lors des interrogations oraculaires, le dieu Tempête de Kallassu
est présent :
« Ne suis-je pas le dieu Tempête de Kallassu, qui l’ai élevé sur le haut de mes
cuisses et qui l’ai fait revenir sur le trône de la maison de son père ? Depuis que
je l’ai fait revenir sur le trône de la maison de son père, je lui ai donné à nouveau
une résidence. Maintenant, puisque je l’ai fait revenir sur le trône de la maison de
son père, je m’approprierai un bien dans son Domaine. S’il ne (me le) donne pas,
le maître du trône, des territoires et de la ville c’est moi, et ce que j’ai donné je
(le) reprendrai. Si au contraire il accède à mon désir, je lui donnerai trône sur
trône, maison sur maison, territoire sur territoire, ville sur ville, et je lui livrerai le
pays, de son levant à son ponant. »
Voilà ce qu’ont déclaré les répondants.
De fait, lors des interrogations oraculaires, (le dieu Tempête) est chaque fois
présent. »
L’interrogation oraculaire se poursuit en prophétie. La constatation de la présence
du sujet ominal est un préliminaire obligé ; il devrait s’en suivre l’interprétation
ASSYRIOLOGIE 577

d’un signe omineux et une apodose comme « Si tel signe se produit, un dieu qui
t’a jusqu’ici favorisé te reprendra ses faveurs/ce qu’il t’a donné. »
Cette apodose est remplacée par un discours grandiloquent et d’expression
poétique qui va bien au delà. La prophétie est ici une apodose amplifiée.
Nous sommes dans l’extrême Ouest, où les deux genres de divination,
l’hépatoscopique et l’élocution prophétique, sont complètement imbriqués : il
s’agit d’un niveau encore plus primitif que dans la zone médiane que documente
Mari. Le « répondant » « traduit » la pensée du dieu puisque tel est à l’époque le
sens de la racine sur laquelle son nom est construit.
Il y a bien des répondants à Babylone, comme il y a des prophéties dites par une
divinité d’Ešnunna, mais si le fait existe c’est parce que ce sont des Amorrites qui
se sont installés dans ces régions. En revanche, il est intéressant de se rendre compte
que nul texte officiel du pays d’Akkad ni du pays de Sumer ne documente leur
dire. On constatait à l’époque où des Akkadiens dominent à Mari, l’inexistence de
prophéties ; désormais l’une est apparue dans un document de leur époque. Elle
permet de voir que (a) il y avait bien alors autour du grand dieu local, Dagan, des
prophéties, mais que (b) on n’y prêtait pas attention.
Cette indifférence du pays d’Akkad envers le couple Devin-Prophète est
signifiante. Mari considère que le devin appartient à un monde inspiré ; ce dernier
pratique bien le genre de l’apodose ; son verdict de devin se coule déjà dans la
forme rhétorique qui commandera la rédaction des grands corpus divinatoires.
C’est un fait d’emprunt à l’Est. Mais l’extrême-Ouest a conservé un état de choses
plus ancien.
La présence obligatoire d’un devin au moment du sacrifice mariote montre que
l’on pense que le sacrifice n’est pas seulement un moyen de savoir où l’on en est avec
son dieu (favorable/non favorable) ; cet acte sacré est aussi interprété comme
l’occasion pour la divinité de dépasser le rapport avec son fidèle pour proclamer
quelque chose à un être plus lointain. Le devin, comme on le verra, jure d’observer si,
au moment du sacrifice d’un homme du peuple, le dieu entreprend de parler au roi.
À Babylone, le présage porte sa signification propre. L’apodose précise à
l’occasion, à propos d’une observation sur le foie, « pour un particulier cela signifie
telle chose ; pour un homme important telle autre chose ». Il n’y a plus de message
pour le roi derrière la réponse faite au particulier, cela est préalablement codifié.

Conclusion
Dans cette introduction à la divination, on a voulu montrer tout particulièrement
qu’il n’existait pas simplement une divination, comme on le croit généralement,
laquelle se sclérose de plus en plus pour donner les grands recueils, vides d’utilité
d’ailleurs, au Ier millénaire. Il y avait en fait plusieurs façons d’appréhender cette
technique selon les lieux et les mentalités.
578 JEANMARIE DURAND

Il apparaît, selon ces analyses, que l’hépatoscopie est un fait originaire de l’Ouest,
non de l’Est suméro-akkadien ; dans l’Ouest, elle a encore gardé à l’époque de
Mari un aspect concret, qui révèle ses origines ; dans l’Est, s’est construit désormais
tout un système autonome qui entreprend de dégager des principes et d’en tirer
des conclusions.
Dans l’Ouest, il s’agissait en principe de savoir où l’on en était de ses rapports
avec la divinité ; ce n’était qu’un complément normal au sacrifice ; dans l’Est, on
est en route vers une herméneutique qui doit déboucher sur la possibilité de forcer
les secrets des dieux.
Dans l’Ouest, les formes primitives de cette conduite humaine montrent le
devin comme quelqu’un qui fait la part de l’enthousiasme en lui ; il est donc
normalement assisté d’un prophète ; dans l’Est, les deux conduites tendent de plus
en plus à diverger et l’enthousiasme est remplacé par un esprit de logique déductive,
avec recours à la prière ou aux purifications lorsque l’on se rend compte qu’il y a
péril en la demeure.
Maintenant que le cadre est posé, il s’agira de voir comme cette attitude envers
les secrets des Dieux peut influer sur l’exercice du pouvoir.

Activités de la chaire

Publications du professeur

Livres
— La Nomenclature des habits et textiles dans les textes de Mari, Matériaux pour le
Dictionnaire de Babylonien de Paris 1, Archives Royales de Mari XXX, Paris, sous presse.
— La Religion à l’époque amorrite d’après les archives de Mari, Orientalia Lovaniensia
Analecta 169, Louvain, sous presse.

Articles
— « Histoire d’une redécouverte : l’évolution d’une problématique (centre et périphérie) »,
dans « Tell Hariri/Mari Textes », Supplément au Dictionnaire de la Bible 14, Paris, 2008,
col. 214-216.
— « L’amorrite et les particularités syriennes face au “suméro-akkadien” », dans
« Tell Hariri/Mari Textes », Supplément au Dictionnaire de la Bible 14, Paris, 2008,
col. 216-220.
— « Les nomades », dans « Tell Hariri/Mari Textes », Supplément au Dictionnaire de la
Bible 14, Paris, 2008, col. 298-324.
— « Le panthéon et les temples », dans « Tell Hariri/Mari Textes », Supplément au
Dictionnaire de la Bible 14, Paris, 2008, col. 356-371.
— « La vengeance et les cas royaux », dans « Tell Hariri/Mari Textes », Supplément au
Dictionnaire de la Bible 14, Paris, 2008, col. 435-436.
— « Chroniques du Moyen-Euphrate 6. Mesures mariotes avant la babylonisation de
l’écriture », RA 100, 2006 [2007], p. 97-99.
ASSYRIOLOGIE 579

— « “Un habit pour un oracle ! ” À propos d’une prophétie de Mari », dans T. Tarhan,
A. Tibet & E. Konyar (éd.), Muhibbe Darga Armagani, Istanbul, 2008, p. 231-235.

Notes brèves
— « Le nom du désert en amorrite », NABU 2007/56.
— « À propos des shakkanakku de Mari », NABU 2008/18.
— « ARM XXI 59 // ARM XXI 396 », NABU 2008/19.
— « Nouveaux textes de Tell Tâban », NABU 2008/43.

Colloques
Le professeur a organisé une table ronde se tenant à la fondation Hugot du
Collège de France, ayant pour thème, « Les Shakkanakku de Mari, état de la
question », le 7 décembre 2007 et y a présenté une communication sur « la réforme
de l’écriture à Mari ».
Le professeur a organisé avec N. Ziegler une table ronde se tenant à la fondation
Hugot du Collège de France ayant pour thème « Du Habur vers l’Euphrate au
IIe millénaire. Recherches de géographie historique », le 10 décembre 2007, et y a
présenté une communication sur « Le royaume de Nagar d’après les archives d’Ebla
et de Mari ».
Le professeur a participé aux 8e journées d’études franco-syriennes sur les
Archives de Mari (14-15 avril 2008), à Damas, sur le thème « Originalité de la
culture syrienne dans l’Antiquité » où il a présenté une communication sur
« l’écriture en Syrie à l’époque amorrite ».
Le professeur a organisé le 5e colloque orientaliste « Divination et magie dans
les cultures de l’Orient », au Collège de France, les 19-20 juin 2008, en collaboration
avec les Pr P. Filliozat, J.-P. Mahé, et J.-L. Bacqué-Grammont.

Invitations
Deux professeurs étrangers ont été invités à donner des cours au Collège de
France. Mme Maria Giovanna Biga, Professeur à l’Université « La Sapienza » de
Rome, en février 2008, a présenté quatre conférences sur le thème « La Syrie au
IIIe millénaire av. J.-C. d’après les archives d’Ebla », et M. Leonid Kogan, Professeur
à l’Université d’Etat de Russie, a présenté quatre conférences sur le thème « Les
noms des plantes akkadiennes dans leur contexte sémitique ».

Missions de terrain
Le professeur a accompli 3 missions en Syrie. Une première d’une semaine en
janvier 2008 de déchiffrement de textes cunéiformes au musée de Raqqa (Syrie).
Une seconde d’un mois en avril 2008 et une troisième de trois semaines en
septembre-octobre 2008 de déchiffrement de textes cunéiformes au musée de
Dêr ez-Zôr (Syrie).
Histoire et civilisation du monde achéménide
et de l’empire d’Alexandre

M. Pierre Briant, professeur

Alexandre le Grand aujourd’hui (VI)


Histoire d’Alexandre et histoire de l’expansion et de l’identité européennes (iii).
Alexandre dans l’œuvre de Voltaire.

Introduit à plusieurs reprises ici même depuis trois ans, Voltaire l’a été d’une
manière à la fois indirecte et insistante l’an dernier, puisque l’on avait dédié une
grande partie du cours à l’analyse du Siècle d’Alexandre (1762 1 ; 1769 2), dont
l’auteur (Linguet) se présentait sans modestie comme l’héritier et le défenseur de
la méthode historienne de Voltaire ; d’une certaine manière Linguet développa
jusqu’à son terme la fameuse affirmation de Voltaire, selon laquelle il n’existait
guère au cours de l’histoire que quatre siècles dignes d’être maintenus dans la
mémoire des hommes ; le Siècle d’Alexandre venait en premier (Annuaire 2006-7,
p. 618-622). L’on sait que traditionnellement Voltaire est considéré comme l’un
des trois auteurs (avec Montesquieu et Linguet) à s’être montrés « favorables au
conquérant ». L’on a déjà observé pourquoi une telle opinion, sans être erronée,
reste partielle et lacunaire (Annuaire 2004-5, p. 595-6). On a aussi rappelé qu’aux
yeux d’Elias Bikerman (Renaissance 1944/5), Voltaire et les déistes anglais avaient
déjà partiellement formulé la conception que Droysen exprima d’un Alexandre
ouvrant la voie qui allait mener à l’avènement du christianisme. C’est à définir plus
précisément la place de Voltaire dans l’historiographie d’Alexandre qu’a été
consacré le cours de cette année, mais aussi, bien entendu, à mettre au jour les
raisons pour lesquelles Voltaire a si fréquemment introduit le cas d’Alexandre dans
le cours de son œuvre.

Contrairement à Montesquieu (qui a réservé au sujet des développements très


cohérents et très argumentés dans l’Esprit des Lois X.13-14 et XXI.8), et à Linguet
(qui lui a consacré un livre), ou encore à des auteurs d’histoire grecque qui, tels
Rollin et Mably en France, ont explicité dans des chapitres parfois très longs leurs
582 PIERRE BRIANT

vues sur le conquérant et les résultats de sa conquête, Voltaire n’a jamais ressenti
la nécessité de consacrer un développement suivi et spécifique à Alexandre, encore
moins un livre.

On s’est interrogé sur ce constat. L’une des raisons, probablement la raison


première, c’est qu’aux yeux de Voltaire, il n’était d’histoire que moderne et
contemporaine, c’est-à-dire l’histoire née du mouvement nouveau créé et symbolisé
par l’imprimerie, la boussole, la conquête turque de Constantinople, et plus encore
par les découvertes et la dilatation du monde connu :

« Un nouveau système de politique s’établit ; on fait, avec le secours de la boussole, le tour


de l’Afrique, et on commerce avec la Chine plus aisément que de Paris à Madrid. L’Amérique
est découverte ; on subjugue un nouveau monde, et le nôtre est presque tout changé ;
l’Europe chrétienne devient une espèce de république immense, où la balance du pouvoir
est établie mieux qu’elle ne le fut en Grèce. Une correspondance perpétuelle en lie toutes les
parties, malgré les guerres que l’ambition des rois suscite, et même malgré les guerres de
religion, encore plus destructives. Les arts, qui font la gloire des États, sont portés à un
point que la Grèce et Rome ne connurent jamais. Voilà l’histoire qu’il faut que tout homme
sache ; c’est là qu’on ne trouve ni prédictions chimériques, ni oracles menteurs, ni faux
miracles, ni fables insensées : tout y est vrai, aux petits détails près, dont il n’y a que les
petits esprits qui se soucient beaucoup… » (Remarques sur l’histoire 1742).

L’opposition est fermement marquée avec l’histoire ancienne, royaume des fables,
des légendes, et des mensonges. (« Faut-il qu’au siècle où nous vivons on imprime
encore le conte des Oreilles de Smerdis, et de Darius qui fut déclaré roi par son
cheval, lequel hennit le premier ?... »). D’où ses conseils aux jeunes hommes « d’avoir
une légère teinture de ces temps reculés ». Une étude sérieuse de l’histoire ne devrait
se faire que depuis « le temps où elle devient réellement intéressante pour nous : il
me semble que c’est vers la fin du xve siècle […] ».

Tout est dit (et souvent répété !) : mépris pour les contes et légendes, refus de
l’érudition, admiration pour les transformations du monde induites par les grandes
découvertes…, tout éloigne Voltaire d’un intérêt intrinsèque pour l’histoire ancienne.
Certes, il établit des distinctions : pour lui comme chez tous ses contemporains
(Rollin, Mably) et prédécesseurs (Bossuet), on connaît mieux l’histoire ancienne à
partir de la confrontation entre Grecs et Perses (cf. « Histoire » dans Encyclopédie,
1765, ou Pyrrhonisme IX, 1768). Mais, fondamentalement, l’Antiquité n’est pas pour
lui un objet d’études digne pour l’historien : elle reste d’abord et avant tout une
référence, où l’on peut puiser des exemples et des précédents. De même pour l’histoire
d’Alexandre, car les contradictions entre auteurs anciens paraissent insurmontables,
sauf pour les « compilateurs,… modernes perroquets qui répètent des paroles
anciennes… » (Bible, 1776). Il convient donc de s’en tenir à l’essentiel, soit :

« Après cette guerre du Péloponnèse, décrite par Thucydide, vient le tems célèbre
d’Alexandre, prince digne d’être élevé par Aristote, qui fonde beaucoup plus de villes que
les autres n’en ont détruit, & qui change le commerce de l’Univers » (Encyclopédie,
Histoire).
HISTOIRE ET CIVILISATION DU MONDE ACHÉMÉNIDE 583

En-dehors de l’entrée « Alexandre » des Questions sur l’Encyclopédie (1771) et


plus encore le commentaire sur le Livre II des Maccabées dans La Bible enfin
expliquée (1776), les références à Alexandre sont casuelles et le plus souvent
répétitives. Au fond, si l’on voulait résumer son opinion positive, ou sa thèse, sur
le roi macédonien, il suffirait presque de citer ses Conseils à un journaliste sur la
philosophie, l’histoire, le théâtre (1737) :
« Si vous rendez compte de l’histoire ancienne, proscrivez, je vous en conjure, toutes ces
déclamations contre certains conquérants. Laissez Juvénal et Boileau donner, du fond de
leur cabinet, des ridicules à Alexandre, qu’ils eussent fatigué d’encens s’ils avaient vécu sous
lui ; qu’ils appellent Alexandre insensé ; vous, philosophe impartial, regardez dans Alexandre
ce capitaine général de la Grèce… chargé de venger son pays… Ne le faites pas voir
seulement subjuguant tout l’empire de l’ennemi des Grecs, et portant ses conquêtes jusqu’à
l’Inde, où s’étendait la domination de Darius ; mais représentez-le donnant des lois au
milieu de la guerre, formant des colonies, établissant le commerce, fondant Alexandrie et
Scanderon, qui sont aujourd’hui le centre du négoce de l’Orient. C’est là surtout qu’il faut
considérer les rois ; et c’est ce qu’on néglige. Quel bon citoyen n’aimera pas mieux qu’on
l’entretienne des villes et des ports que César a bâtis, du calendrier qu’il a réformé, etc., que
des hommes qu’il a fait égorger ?» (Œuvres XXII, p. 244).

En deux mots : contre les « déclamateurs » qui, tel Boileau, ont déconsidéré
Alexandre en conquérant et en guerrier téméraire et insensé, il convient de voir en
lui un Législateur, et l’ouvreur de routes commerciales nouvelles semées de villes
neuves, dont le rôle commercial reste toujours aussi puissant de notre temps
(c’est-à-dire celui de Voltaire).
Il y a évidemment ici et là des jugements moins favorables, car le contexte
discursif l’impose. Ainsi dans les Dialogues d’Evhémère (1777), le dialogue entre
Evhémère et Callicrate, au cours duquel le philosophe réduit Alexandre à un
guerrier assoiffé de destructions et de sang :
« Je ne l’ai vu que dans l’Inde et dans Babylone, où j’avais couru comme les autres, dans
la vaine espérance de m’instruire. On m’a dit qu’en effet il avait commencé ses expéditions
comme un héros, mais il les a finies comme un fou : j’ai vu ce demi-dieu, devenu le plus
cruel des barbares après avoir été le plus humain des Grecs. J’ai vu le sobre disciple
d’Aristote changé en un méprisable ivrogne. J’arrivai auprès de lui lorsqu’au sortir de table
il s’avisa de mettre le feu au superbe temple d’Esthékar, pour contenter le caprice d’une
misérable débauchée nommée Thaïs. Je le suivis dans ses folies de l’Inde ; enfin je l’ai vu
mourir à la fleur de son âge dans Babylone, pour s’être enivré comme le dernier des
goujats de son armée ».

On retrouve là les accusations habituellement portées depuis l’Antiquité contre


l’évolution jugée négative d’Alexandre (destruction de Persépolis, massacres en
Inde, ivrognerie…), accusations que l’on trouve aussi au xviiie siècle chez des
auteurs (Rollin, Mably), contre lesquels Voltaire a polémiqué régulièrement. De
même la position d’Alexandre est plutôt reléguée dans l’ombre dès lors que Voltaire
oppose les victoires militaires du roi macédonien à « ce que Pierre le Grand a fait
d’utile pour le genre humain » (Lettre à Prévost d’Exiles du 16 mars 1737), ou qu’il
adresse des louanges de courtisan à Catherine : « Elle me paraît autant au-dessus
d’Alexandre que le fondateur est au-dessus du destructeur » (Lettre à Shouvalov du
584 PIERRE BRIANT

18 février 1768). Il n’entend pas non plus nier ou passer sous silence les meurtres
jugés inexcusables : « Celui qui, en écrivant l’histoire d’Alexandre, nierait ou
excuserait le meurtre de Clitus, s’attirerait le mépris et l’indignation » (Lettre au
même du 27 mai 1759).

Lancées dans le cours de propos très polémiques et très engagés (auprès de


souverains dont il loue les qualités en les opposant aux vices d’Alexandre), ou
introduites au cours d’un dialogue dont Voltaire n’est pas à proprement parler un
locuteur, ces accusations ne sont que de peu de poids dès lors qu’on les rapporte
à l’ensemble de l’œuvre. De toute façon, les « vices privés » d’Alexandre sont
parfaitement compatibles avec ses « vertus publiques 1 », exactement comme dans
le cas de Pierre de Russie :
« Il avait de grands défauts, sans doute ; mais n’étaient-ils pas couverts par cet esprit
créateur, par cette foule de projets tous imaginés pour la grandeur de son pays, et dont
plusieurs ont été exécutés ? N’a-t-il pas établi les arts ? N’a-t-il pas enfin diminué le
nombre des moines ? Votre Altesse royale a grande raison de détester ses vices et sa
férocité 2 […] Je ne dissimulerai pas ses fautes, mais j’élèverai le plus haut que je pourrai,
non seulement ce qu’il a fait de grand et de beau, mais ce qu’il a voulu faire. Je voudrais
qu’on eût jeté au fond de la mer toutes les histoires qui ne nous retracent que les vices
et les fureurs des rois […] » (Lettre à Frédéric en janvier 1738).

C’est ce qui explique que Voltaire a repris inlassablement les mêmes propos
favorables à Alexandre dans nombre de ses œuvres, par exemple :
« Il n’est plus permis de parler d’Alexandre que pour dire des choses neuves et pour
détruire les fables historiques, physiques et morales, dont on a défiguré l’histoire du seul
grand homme qu’on ait jamais vu parmi les conquérants de l’Asie.

Quant on a un peu réfléchi sur Alexandre, qui, dans l’âge fougueux des plaisirs et dans
l’ivresse des conquêtes, a bâti plus de villes que tous les autres vainqueurs de l’Asie n’en
ont détruit, quand on songe que c’est un jeune homme qui a changé le commerce du
monde, on trouve assez étrange que Boileau le traite de fou, de voleur de grand chemin,
et qu’il propose au lieutenant de police la Reynie, tantôt de le faire enfermer et tantôt de
le faire pendre… ».

« Tout ce qu’on peut recueillir de certain, c’est qu’Alexandre, à l’âge de vingt-quatre ans,
avait conquis la Perse par trois batailles, qu’il eut autant de génie que de valeur ; qu’il
changea la face de l’Asie, de la Grèce, de l’Égypte, et celle du commerce du monde ; et
qu’enfin Boileau ne devait pas tant se moquer de lui, attendu qu’il n’y a pas d’apparence
que Boileau en eût fait autant en si peu d’années » (Questions sur l’Encyclopédie, s.v.
Alexandre. 1771).

1. Voir par exemple l’échange de lettres entre Voltaire et Frédéric de Prusse en janvier-février
1774 : « Alexandre, le plus dissolu et le plus emporté des hommes […] Il est certain qu’un
caractère aussi peu modéré ne pouvait en aucune façon être comparé à Socrate. Mais il est vrai
aussi que si Socrate s’était trouvé à la tête de l’expédition contre les Perses, il n’aurait peut-être
pas égalé l’activité ni les résolutions hardies par lesquelles Alexandre dompta tant de nations »
(réponse de Frédéric).
2. A ce point, rapprochement avec Alexandre et le meurtre de Clitus.
HISTOIRE ET CIVILISATION DU MONDE ACHÉMÉNIDE 585

Ou encore :
« Alexandre, que des déclamateurs n’ont regardé que comme un destructeur, et qui
cependant fonda plus de villes qu’il n’en détruisit, homme sans doute digne du nom de
grand malgré ses vices, avait destiné sa ville d’Alexandrie à être le centre du commerce et
le lien des nations : elle l’avait été en effet, et sous les Ptolémées, et sous les Romains, et
sous les Arabes. Elle était l’entrepôt de l’Égypte, de l’Europe et des Indes » (Essai sur les
mœurs, Chap. CXLI).

« Les Orientaux comparent Tamerlan à Alexandre ; mais [il est] fort inférieur au
Macédonien, en ce qu’il naquit chez une nation barbare, et qu’il détruisit beaucoup de
villes comme Gengis, sans en bâtir une seule : au lieu qu’Alexandre, dans une vie très
courte, et au milieu de ses conquêtes rapides, construisit Alexandrie et Scanderon, rétablit
cette même Samarcande, qui fut depuis le siège de l’empire de Tarmerlan, et bâtit des
villes jusque dans les Indes, établit des colonies grecques au-delà de l’Oxus, envoya en
Grèce les observations de Babylone, et changea la face du commerce de l’Asie, de l’Europe
et de l’Afrique, dont Alexandrie devint le magasin universel. Voilà, ce me semble, en quoi
Alexandre l’emporte sur Tamerlan, sur Gengis, et sur tous les conquérants qu’on veut lui
égaler » (Essai sur les mœurs, I, p. 807).

La plume se fait même plus élogieuse encore dans l’une des dernières œuvres de
Voltaire, La Bible enfin expliquée (1776), où il reprend des idées et des jugements
déjà exposés à plusieurs reprises, mais auxquels il donne une vigueur encore accrue.
Il polémique contre tous les auteurs de son temps, y compris « des compilateurs
estimables » (Prideaux, Rollin), qui ont répété des fables inventées par Diodore,
Plutarque, Justin. Il estime qu’Alexandre a mené une « guerre légitime », et une
entreprise qui se distingue par ce qu’elle a légué à l’avenir, en particulier des villes
nombreuses et un développement inédit des liaisons commerciales. « J’oserais lui
rendre grâce au nom du genre humain ».

L’image que Voltaire s’est faite d’Alexandre s’insère parfaitement dans son
discours sur le héros et le grand homme 3. Comme il le précise dans son article
des Questions sur l’Encyclopédie, la seule « valeur » (dans le domaine militaire) n’est
pas le critère de distinction décisif : il faut aussi du « génie » (dans le domaine des
réalisations durables). Tel est bien le cas d’Alexandre, dont le génie a été utile au
genre humain (fondations de villes, extension du commerce). En cela le roi
macédonien est ‘moderne’. Au demeurant, dans le chapitre CXLI de l’Essai sur les
mœurs sur le commerce des Portugais, Voltaire interprète aussi le voyage de Vasco
de Gama comme une sorte de fin de cycle ouvert par Alexandre : la circumnavigation
de l’Afrique « changea le commerce de l’Univers », et elle vint mettre fin à la
prospérité d’Alexandrie, que son fondateur (« homme sans doute digne du nom de
grand malgré ses vices ») « avait destiné[e] à être le centre du commerce et le lien
des nations ». Parlant de l’empire d’Alexandre, Voltaire aurait donc pu parfaitement
utiliser la formule introduite pour caractériser le monde nouveau né après les

3. Entre autres nombreux exemples, cf. la lettre à M. Thériot (15 juillet 1735) : « J’appelle
grands hommes tous ceux qui ont excellé dans l’utile ou dans l’agréable. Les saccageurs de
provinces ne sont que héros. »
586 PIERRE BRIANT

grandes découvertes : « Une correspondance perpétuelle en lie toutes les parties ».


En cela, Alexandre n’est pas simplement un précédent, il est aussi un pionnier de
l’aventure européenne.
C’est la raison pour laquelle Voltaire place Alexandre parmi les très rares
personnages qui ont réellement modifié leur temps, d’où l’expression « Siècle
d’Alexandre » : « On n’a point assez remarqué, que le temps d’Alexandre fit une
révolution dans l’esprit humain aussi grande que celle des empires de la terre. »
Dans l’esprit de Voltaire, Alexandre est l’héritier d’Athènes (« cette lumière venait
de la seule Athènes »), mais en même temps, « nul homme n’eut plus d’esprit, plus
de grâces et de goût, plus d’amour pour les sciences que ce conquérant [….] Ce
fut un temps à peu près semblable à ce qu’on vit depuis sous César et Auguste, et
sous les Médicis. Les hommes s’accoutumèrent peu-à-peu à penser plus
raisonnablement… ». Même sous une forme balbutiante et très incomplète, c’est
en quelque sorte le premier siècle des lumières à l’échelle du monde connu : « Une
nouvelle lumière, quoique mêlée d’ombres épaisses, vint éclairer l’Europe, l’Asie,
et une partie de l’Afrique septentrionale ».
Grâce à Alexandre et à ses généraux, la richesse de la pensée et de la réflexion
grecques passa aux « Juifs hellénistes ». À terme, « c’est dans le second livre des
Maccabées que l’on voit pour la première fois une notion claire de la vie éternelle
et de la résurrection, qui devint bientôt le dogme des pharisiens. On remarque
encore dans ce second livre la croyance anticipée d’une espèce de purgatoire… ».
C’est évidemment cette œuvre de Voltaire que Bikerman avait à l’esprit lorsque
dans son article de 1944/5, il insiste sur le rôle pionnier joué par le philosophe
français dans la mise au jour de ce qui sera, chez Droysen, la caractéristique
fondamentale de l’époque hellénistique.
L’histoire d’Alexandre s’intègre bien au souci de Voltaire de ne pas limiter ni
restreindre le point de vue à la Grèce et à Rome 4 : Alexandre a parcouru tout
l’espace entre la Macédoine et l’Indus, car son objectif constant a été la conquête de
tout l’empire achéménide 5. D’où aussi les comparaisons et rapprochements
nombreux entre les différents « conquérants de l’Asie ». Il refuse toute assimilation
entre Alexandre et Tamerlan, qui, en réalité, est « fort inférieur…, en ce qu’il naquit
chez une nation barbare, et qu’il détruisit beaucoup de villes comme Gengis, sans en
bâtir une seule… » (EM). L’opposition entre Tamerlan/barbare et Alexandre/civilisé
va l’amener à évoquer parallèlement Alexandre et Pierre de Russie, l’un et l’autre
confrontés à leurs barbares, Scythes dans le cas du premier, Tartares dans le cas du
second. Traitant de la marche du Csar contre la Perse, Voltaire (Histoire de Russie)

4. Voir par exemple Nouveau plan : « Frappés de l’éclat de cet empire [romain], de ses
accroissements et de sa chute, nous avons jusqu’à présent dans la plupart de nos histoires
universelles traité les autres hommes comme s’ils n’existaient pas. La Grèce, les Romains, se sont
emparés de toute notre attention… ».
5. Comme bien d’autres idées de Voltaire, celle-ci fut reprise et développée par Linguet
(Annuaire 2006-7, p. 625-6).
HISTOIRE ET CIVILISATION DU MONDE ACHÉMÉNIDE 587

ne manque pas de renvoyer à Alexandre, dès lors que Pierre parvient aux Portes de
Fer, et il souligne la nécessité de se protéger des barbares (en les attaquant). Scythes
et Tartares ont en effet ont été depuis l’Antiquité une menace constante 6. Contre
beaucoup d’auteurs (Sainctyon, Galand, Petis de la Croix…) qui ont écrit des pages
très positives sur Gengis et sur Tamerlan, Voltaire ne croit pas que ni l’un ni l’autre
puissent être rangés dans sa catégorie du « grand homme ». Il ne croit pas au « bon
sauvage 7 ». C’est ce qui, dans le même ouvrage (Histoire de Russie) et ailleurs,
l’amène à contester avec une extrême énergie la réalité du discours que Quinte-Curce
fait tenir devant Alexandre à un ambassadeur scythe. Déjà introduit dans les
discussions des érudits sur la crédibilité de l’auteur latin 8, le passage est cette fois
utilisé par Voltaire à des fins de politique contemporaine. Il établit une assimilation
entre les Scythes et les Tartares, et entre les Tartares et les Turcs :
« Les Scythes sont ces mêmes barbares que nous avons depuis appelés Tartares ; ce sont
ceux-là mêmes qui, longtemps avant Alexandre, avaient ravagé plusieurs fois l’Asie, et qui
ont été les déprédateurs d’une grande partie du continent. Tantôt, sous le nom de
Mongols ou de Huns, ils ont asservi la Chine et les Indes ; tantôt, sous le nom de Turcs,
ils ont chassé les Arabes qui avaient conquis une partie de l’Asie. C’est de ces vastes
campagnes que partirent les Huns pour aller jusqu’à Rome. Voilà ces hommes désintéressés
et justes dont nos compilateurs vantent encore aujourd’hui l’équité quand ils copient
Quinte-Curce. C’est ainsi qu’on nous accable d’histoires anciennes, sans choix et sans
jugement ; on les lit à peu près avec le même esprit qu’elles ont été faites, et on ne se met
dans la tête que des erreurs ».

Vis-à-vis des Tartares, Pierre, selon lui, se trouve donc dans la même situation
qu’Alexandre face aux Scythes. Ils sont l’un et l’autre des « grands hommes », qui
étendent le domaine de la civilisation, en utilisant des moyens identiques ou
comparables (fondations de ville, extension du commerce), qui ont permis au
premier d’« embellir les déserts », contre des peuples voués à transformer les pays
fertiles en autant de déserts :
« Les rhéteurs qui ont cru imiter Quinte-Curce se sont efforcés de nous faire regarder ces
sauvages du Caucase et des déserts, affamés de rapine et de carnage, comme les hommes
du monde les plus justes ; et ils ont peint Alexandre, vengeur de la Grèce et vainqueur
de celui qui voulait l’asservir, comme un brigand qui courait le monde sans raison et sans
justice. On ne songe pas que ces Tartares ne furent jamais que des destructeurs, et

6. Sur ce point, on a présenté en détail le beau livre de Rolando Minuti, Oriente barbarico e
storiografia settecentesca, Venise, 1994.
7. Voir par exemple ce qu’il écrit à propos des Gaulois et des Germains dans l’Avant-Propos
de l’EM (« Ce que nous savons des Gaulois, par Jules César et par les autres auteurs romains,
nous donne l’idée d’un peuple qui avait besoin d’être soumis par une nation éclairée »), en
concluant : « Vous avez donc grande raison de vouloir passer d’un coup aux nations qui ont été
civilisées les premières ».
8. Cf. La Mothe Le Vayer dès 1646. Dans la deuxième édition de son Examen critique des
anciens historiens d’Alexandre (1804), Sainte-Croix consacre un long passage au discours scythe ;
il considère que Quinte-Curce « y a très bien suivi le style sentencieux et figuré de l’éloquence
propre aux nations sauvages » ; suit un rapprochement (classique à cette époque) avec le discours
d’un chef indien de la nation Oneida, qu’il a lu dans le Voyage dans la Haute-Pensylvanie de
Crèvecœur (1801).
588 PIERRE BRIANT

qu’Alexandre bâtit des villes dans leur propre pays ; c’est en quoi j’oserais comparer Pierre
le Grand à Alexandre : aussi actif, aussi ami des arts utiles, plus appliqué à la législation,
il voulut changer comme lui le commerce du monde, et bâtit ou répara autant de villes
qu’Alexandre » (Histoire de Russie).

La comparaison entre Alexandre et Pierre n’est pas propre à Voltaire. L’un et


l’autre « ont voulu changer le commerce du monde », et Saint-Petersbourg est
rapprochée d’Alexandrie, comme dans l’Éloge funèbre du Csar (« le conquérant
académicien ») prononcé par Fontenelle devant l’Académie des Sciences en
novembre 1725 :
« Cette Ville, à qui il avait donné la naissance et son nom, était pour lui ce qu’était
Alexandrie pour Alexandre son fondateur, et comme Alexandrie, se trouva si heureusement
située qu’elle changea la face du Commerce d’alors, et en devint la capitale à la place de
Tir, de même Petersbourg changerait les Routes d’aujourd’huy et deviendrait le centre
d’un des plus grands Commerces de l’Univers ».

Mais, chez Voltaire, au-delà des Scythes et des Tartares, ce sont les Turcs dont
il est question, car ceux-ci « étaient compris parmi ces Tartares que l’Antiquité
nommait Scythes » (EM, chap. LIII). Voltaire a en effet soutenu sans faillir Pierre
puis Catherine dans leur lutte contre les Turcs. Le débat sur le « discours scythe »
et sur Quinte-Curce est un élément de la polémique pro-russe et anti-turque de
Voltaire, qui fut parfois d’une extrême violence.
On est revenu sur Mably et de sa contestation des positions de Voltaire, y
compris le rapprochement entre Alexandre et Pierre. Mably y recourt lui aussi,
mais dans un sens opposé à celui que Voltaire a voulu lui donner. Après avoir mis
fortement en doute dans ses Observations sur les Grecs (1749 et 1762) la vision
développée par Montesquieu d’un Alexandre Législateur 9, il fait de même de
l’image de Pierre chez Voltaire dans De l’étude de l’histoire (1783). La solidité de
l’œuvre de Pierre avait déjà été mise en doute par Rousseau dans le Contrat social
(1762), contre lequel Voltaire avait polémiqué dans la Préface de l’Histoire de
Russie 10. Mably y revient en 1783 :
« Vous avez créé des matelots, des constructeurs, des soldats, des commerçants, des
artistes ; mais si vous ne leur avez pas d’abord appris à être citoyens, quel avantage durable
la Russie retirera-t-elle de vos travaux, de leurs connaissances et de vos talents ? Ce n’est
point par ses chantiers, ses canaux et ses digues que la Hollande est admirable, c’est par
cet esprit qui l’a formée, c’est par les lois qui ont établi sa liberté ».

Le rapprochement qui suit entre Pierre et Alexandre, vient redoubler la polémique


menée par Mably contre Montesquieu :
« Rien n’était impossible à Alexandre, et il aurait pu donner aux Perses même le goût de
la liberté, s’il eût été capable d’en concevoir le dessein. On peut reprocher au czar Pierre

9. « Montesquieu, Mably et Alexandre le Grand », Revue Montesquieu 8, 2005-2006,


p. 151-185.
10. Sur la polémique entre Voltaire et Rousseau, cette fois à propos d’Alexandre, voir Lettre à
Frédéric de Prusse vers le 25 janvier 1774, et la réponse du roi en date du 16 février 1774.
HISTOIRE ET CIVILISATION DU MONDE ACHÉMÉNIDE 589

premier de n’avoir pas profité de ses succès et de ses victoires pour établir un nouveau
gouvernement dans son pays. C’est pour ne l’avoir pas du moins tenté, qu’il sera confondu
avec les princes qui ont un règne glorieux ; mais il ne sera jamais placé au rang des
législateurs et des bienfaiteurs de leur nation ».

Pour terminer, on a explicité et analysé les vues de Voltaire sur les ruines de
Persépolis, et on les a évaluées et interprétées dans le contexte des récits de
voyageurs, et des études sur l’histoire de la civilisation et sur l’histoire de l’art.
Voltaire se place résolument du côté de ceux qui (de Pauw par exemple), comme
Winckelmann, méprisent l’art de Persépolis, au motif qu’il n’y a de beauté qu’à
Athènes et en Grèce (cf. par exemple EM, Introduction, chap. XXIV ; voir aussi
Annuaire 2006-7, p. 621-622, à propos de Linguet et de ses vues sur l’art perse,
largement empruntées à Voltaire). L’on a complété l’analyse par un exposé du
débat né sur ce thème entre le comte de Caylus et le baron de Sainte-Croix.

Séminaire
Le Séminaire a eu lieu sous forme d’un Colloque international tenu au Collège
de France les 9 et 10 novembre 2007 sur le sujet suivant : « Organisation des
pouvoirs et contacts culturels dans les pays de l’empire achéménide ».

Cours à l’étranger
Oxford, 27-28 novembre 2007 : 1. From Darius to Alexander : some thoughts about
continuity and change (Classics Centre); 2. Achaemenid Art and the Internet (Maison française
d’Oxford).

Conférences et participations à des Colloques


4 avril 2008, University of Brown (E.U.), communication : From the Indus Countries to
the Mediterranean : Administration and Logistics on the High Roads of the Achaemenid Empire,
dans le cadre du Colloque Highways and Road Systems : Comparative Perspectives (4-6 April
2008).
7 avril 2008, University of Brown (E.U.), conférences : 1. The Virtual and Interactive
Achaemenid Museum; 2. Alexander and the irrigation-works in Babylonia and Elam.
8 avril 2008, Oriental Institute, Chicago, conference : The current state of the achemenet
and MAVI programs.
11 avril 2008, University of Tampa (Floride), communication : Who Spoke to Whom ?
Languages and Communication in the Achaemenid World and Alexander’s Empire, dans le
cadre de l’Annual Meeting of the Association of Ancient Historians (April 10-13).

Publications du professeur
« Alexandre ‘héros des Lumières’ », in : Cahiers parisiens, 3, 2007, p. 321-345.
« De Thémistocle à Lamartine. Remarques sur les concessions de terres et de villages en
Asie mineure occidentale, de l’époque achéménide à l’époque ottomane », in : P. Brun (éd.),
Scripta Anatolica. Hommages à Pierre Debord (Études 18), Bordeaux-Paris, 2007,
p. 165-191.
590 PIERRE BRIANT

« Histoire du Siècle d’Alexandre de Linguet », Annuaire du Collège de France 197, 2006-7,


p. 613-634.
« L’Art achéménide », in : Le profane et le divin. L’art de l’Antiquité. Fleurons du musée
Barbier-Mueller, Genève, 2008, p. 106-115.
« Michael Rostovtzeff et le passage du monde achéménide au monde hellénistique »,
Studi Ellenistici XX, 2008, p. 137-154.
« Retour sur Alexandre et les katarrraktes du Tigre. II (Suite et fin) », Studi Ellenistici XX,
2008, p. 155-218.
Pouvoir central et polycentrisme culturel dans l’empire achéménide. (Recueil d’articles traduits
en persan par Nahid Forughan), Téhéran, Éd. Akhtaran, 2008

Travaux des collaborateurs

M. Wouter Henkelman (maître de conférences associé 2006-8) a achevé la


révision de sa thèse (Leiden 2006), qui doit paraître en octobre 2008 dans la
collection Achaemenid History (Leiden). Il a également contribué à l’édition
scientifique des Actes du Colloque 2006 sur les archives de Persépolis, sous-presse
dans la Collection Persika. Il a pris part à diverses missions dans le cadre des
programmes achemenet et MAVI, dont il est maintenant co-directeur éditorial aux
côtés de Mme Yannick Lintz (Musée du Louvre), sous la direction du professeur.
Il a donné des conférences à l’EPHE (sur la langue élamite des tablettes de
Persépolis) et présenté des communications lors du Colloque achéménide de
novembre 2007, et lors d’un Colloque organisé par J.-M. Durand en mai 2008.
Enfin, W. Henkelman a effectué plusieurs séjours de travail à l’Oriental Institute
de Chicago, dans le cadre du programme de publication des tablettes de
Persépolis.

M. José Paumard, maître de conférences en Génie informatique à Paris-XIII, est


depuis septembre 2007 rattaché aux chaires des professeurs Briant et Scheid.
Directeur technique des programmes achemenet et MAVI, il a poursuivi activement
le développement d’une nouvelle version (dénommée Open melodie) du software,
qui permettra au programme MAVI (ou à tout autre) de gérer ses données internes
de façon autonome. Le deuxième objectif est de publier cette plateforme sous
licence open-source, de façon à permettre à toute équipe souhaitant mettre en
ligne des données scientifiques de la complexité de celles du MAVI, de pouvoir
utiliser gratuitement cette plateforme, éventuellement de la faire évoluer, et de
compléter ses fonctionnalités. Open melodie est actuellement en bêta-test interne,
la plateforme est capable d’enregistrer les données du MAVI et de les restituer
depuis quelques mois. La deuxième phase consiste en le développement d’une
interface en ligne pour le cœur du système, donnant accès à l’ensemble de ses
fonctionnalités. L’objectif est de disposer d’une version fonctionnelle en
décembre 2008, puis de la développer au cours des mois qui suivent. Par ailleurs,
J. Paumard a établi une collaboration avec plusieurs chercheurs dans le cadre du
programme Adonis du CNRS.
HISTOIRE ET CIVILISATION DU MONDE ACHÉMÉNIDE 591

Missions dans le cadre du MAVI


P. Briant et W. Henkelman ont mené une mission à Berlin les 22-23 janvier
2008. Ils y ont rencontré M. Sven Hansen, Directeur de l’Eurasien Abteilung du
Deutsche Archäologisches Institut (DAI), et son équipe, afin de discuter d’une
collaboration avec le MAVI (numérisation de plusieurs milliers de photos prises
sur des sites iraniens). La mission a été redoublée le 9 juin, en compagnie de José
Paumard et Salima Larabi. Un accord de collaboration a été conclu officiellement.
Dans ce cadre, S. Larabi a mené une troisième mission de huit jours en juillet 2008 :
elle a procédé à la numérisation de 1 300 photos, qui seront disposées sur la base
du MAVI. Une deuxième mission sur place devra être menée pour achever le
travail de numérisation.
Par ailleurs, P. Briant et W. Henkelman ont discuté à Bruxelles avec le Directeur
des Musées d’Art royaux (le 13 mai 2008), en vue d’une collaboration entre le
Musée et le MAVI. Un accord a été conclu et il entrera en application
prochainement. — Lors de missions menées indépendamment en avril et en juillet
2008, ils ont également eu des conversations avec le Directeur de l’Oriental
Institute de Chicago (Gil Stein) et le Directeur du musée (Geoff Emberling) : le
principe d’une collaboration est désormais acquis.

Collection Persika
Outre ses interventions et missions dans le cadre d’Achemenet (dont elle assure
le Secrétariat éditorial) et du MAVI (voir ci-dessus), Salima Larabi, assistante du
professeur, a réalisé deux nouveaux ouvrages :
Jean Kellens, Études avestiques et mazdéennes 2 (Persika 10), de Boccard, Paris, 2007.
Pierfrancesco Callieri, L’archéologie du Fārs à l’époque hellénistique. Quatre leçons au
Collège de France, 8, 15, 22 et 29 mars 2007 (Persika 11), de Boccard, Paris, 2007.
Épigraphie et histoire des cités grecques

M. Denis Knoepfler, membre de l’Institut


(Académie des Inscriptions et Belles-Lettres), professeur

Cours : Une cité au cœur du monde méditerranéen antique.


Érétrie et son territoire, histoire et institutions

Séminaire : Lecture d’inscriptions eubéennes en rapport avec le cours


Trois ans durant (2005-2007), le professeur a entretenu l’auditoire de ses
recherches sur les cités béotiennes telles qu’elles apparaissent à travers le prisme de
la description de Pausanias au livre IX de la Périégèse et dans les inscriptions. En
passant cette année de la Béotie vers l’Eubée, il n’a pas changé de monde, tant cette
grande île, longue de quelque 200 km, est proche de la Grèce continentale : dès
l’Antiquité, elle y était même reliée par un pont sur l’Euripe, au passage le plus
étroit du canal Euboïque. Ce n’est donc pas sans raison que le grand historien
Éphore, au milieu du ive siècle avant J.-C., considérait l’Eubée comme un simple
prolongement péninsulaire de la Béotie (voir Strabon, Géographie IX, 2, 2). Les
contacts entre ces deux pays ont été extrêmement étroits à toutes les époques. Il
n’en reste pas moins vrai que, par rapport au pays béotien, même l’Eubée centrale
constitue un espace distinct, tant du point de vue linguistique, culturel et religieux
que, le plus souvent, politique.
Prendre l’île d’Eubée pour objet d’étude, c’est donc être confronté à des sources
littéraires et documentaires en partie différentes de celles qui ont été sollicitées
pour la Béotie. Force est de prendre congé, en particulier, du guide commode et
fiable (le plus souvent) qu’est Pausanias, car cet auteur n’a pas laissé de chapitre
eubéen, bien qu’il ait probablement eu l’ambition d’intégrer à sa Périégèse cette île
pour ainsi dire continentale, de même qu’il eut assurément le projet de traiter de
la Locride Opontienne ou Orientale, après avoir achevé, au livre X, sa description
de l’autre Locride, celle de l’Ouest ; le chapitre eubéen ou Euboïkè syngraphè aurait
ainsi pu former la matière d’un livre XI (selon un découpage qui ne remonte pas
à l’auteur) où, par la région d’Oponte et des Thermopyles qui fait face au cap
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Kénaion, le Pérégète aurait parcouru l’île dans toute sa longueur depuis l’extrémité
nord-ouest, revenant en quelque sorte à son point de départ, puisque la région de
Carystos se trouve à une petite journée de navigation du cap Sounion, par quoi
s’ouvre en effet le livre I de la Périégèse. Telle est du moins l’opinion personnelle
que le professeur croit pouvoir soutenir sur cette question controversée. Mais à
défaut de Pausanias, d’autres auteurs anciens — des plus prestigieux aux plus
obscurs — fournissent de quoi éclairer le destin de la cité d’Érétrie, qui a bénéficié
à cet égard de sa proximité avec Athènes. Par ailleurs, une œuvre aussi tardive et
marginale (ou tenue pour telle) que Les vies des philosophes illustres de Diogène
Laërce s’est avérée être une source capitale pour la phase hellénistique de l’histoire
eubéenne par le biais de la biographie très bien informée que cet auteur du iiie siècle
de notre ère a laissée du philosophe et homme d’État Ménédème d’Érétrie.
Si cette cité mérite, au sein de la tétrapole eubéenne, une attention particulière,
ce n’est pas parce qu’elle n’aurait cessé d’occuper une position prépondérante par
rapport aux trois autres grandes poleis de l’île. Certes, durant la période archaïque
(viie-vie s.), elle est indiscutablement une des cités majeures de la Grèce propre.
Mais les Érétriens furent parmi les peuples grecs les plus touchés par les guerres
médiques (490-479), puis par la lourde domination athénienne ; le redressement
de leur cité est spectaculaire à partir de 411, pas au point cependant qu’ils
puissent prétendre exercer l’hégémonie sur l’ensemble de l’Eubée, où les deux
cités de Chalcis et d’Histiée, d’une taille comparable à celle d’Érétrie, connaissent
également un notable essor, qui se maintient, en dépit des vicissitudes, pendant la
plus grande partie de l’époque hellénistique et encore sous la domination de
Rome. Érétrie, elle, tend alors à se dépeupler et elle disparaîtra, de fait, à une date
relativement précoce (vers le ive s. de notre ère), tandis que ses deux voisines
immédiates, Carystos et surtout Chalcis, subsistent durant toute la période
médiévale et moderne.
Ce qui fait, objectivement, l’importance exceptionnelle d’Érétrie pour l’historien
de l’Antiquité, c’est la qualité de la documentation qui s’y rapporte, tant sur le plan
des sources littéraires que, surtout, au point de vue de l’épigraphie et de l’archéologie.
Le site d’Érétrie est, en effet, le seul de l’Eubée qui ait fait l’objet de fouilles
systématiques, d’abord au tournant du xixe et du xxe s., puis de 1964 à nos jours
par une équipe d’archéologues suisses en collaboration avec le Service grec des
Antiquités. Et si les investigations y ont été particulièrement fructueuses, cela est
dû en partie au fait qu’elles ont eu pour cadre un site dépourvu de toute implantation
byzantine ou ottomane et relativement épargné encore par l’expansion urbaine de
l’époque moderne et contemporaine. Parallèlement, la recherche sur l’histoire
millénaire de cette cité a connu un notable développement, auquel le professeur a
lui-même contribué par d’assez nombreux travaux depuis bientôt quarante ans. Le
cours donné en 2008 a donc permis de présenter un état des lieux, qui, sans
négliger les phases antérieures, privilégie l’histoire des ive et iiie s. avant J.-C.,
époque d’apogée pour la cité, comme en témoigne la grande majorité des
inscriptions, tant publiques que privées. Signalons ici qu’un aperçu synthétique du
ÉPIGRAPHIE ET HISTOIRE DES CITÉS GRECQUES 595

site et de son histoire figure dans l’ouvrage collectif édité par l’École suisse
d’archéologie en Grèce en 2004, Érétrie. Guide de la cité antique. À la même date
paraissait le livre de Keith G. Walker, Archaic Eretria, dont les vues audacieuses,
trop souvent étayées de manière insuffisante, voire erronée, ont été critiquées à
diverses reprises.

Réflexions préliminaires sur la phase archaïque de l’histoire d’Érétrie


C’est en effet aux débuts obscurs de la ville, puis de la cité en tant qu’État que
le professeur a consacré ses premières leçons. Le problème de la fondation ne
saurait, bien sûr, être traité en vase clos, en dehors du phénomène très complexe,
de la naissance de la polis grecque, objet de nombreuses études récentes 1 ; d’autant
moins que, précisément, la connaissance que l’on a pu acquérir des commencements
d’Érétrie sert souvent, aujourd’hui, de référence, sinon de modèle, à des tentatives
plus générales d’explication de la « poléogénèse ». Ce qui semble désormais établi
en l’occurrence, c’est que la ville appelée Eretria n’est pas extrêmement ancienne.
L’absence presque totale de mythe de fondation et plus généralement de passé
héroïque autour d’une dynastie royale était déjà, dans les sources littéraires, un
indice allant nettement en ce sens. De fait, on cherchera en vain le toponyme
Eretria sur la « carte du tragique » (pour reprendre le titre d’un livre de A. Bernand
publié en 1985), c’est-à-dire dans le répertoire de la tragédie attique du ve s. :
quelle différence avec Thèbes, sans parler d’Argos ! Ce qui est remarquable, ce n’est
donc pas que le nom Eretria fasse son apparition seulement dans le Catalogue des
Vaisseaux au chant II de l’Iliade — pièce rapportée qui ne saurait, en tout état de
cause, être antérieure au viie s. —, c’est bien plutôt le fait qu’aucun texte même
plus tardif ne suggère une origine plus ancienne que l’époque d’Homère. Mais cela
ne préjuge évidemment pas de la date, qui pourrait être sensiblement plus haute,
à laquelle s’est formée la communauté désignée, à partir du viiie s., par l’ethnique
Eretrieis. L’exploration archéologique est venue confirmer cette induction, puisque
la fouille extensive n’a livré aucun vestige significatif remontant à l’époque dite
mycénienne, c’est-à-dire aux xv-xiie s. avant notre ère. Cela ne signifie assurément
pas que le site soit resté totalement vierge jusque vers 750, date de l’émergence du
premier habitat, réparti en de nombreux secteurs du site, qu’il s’agisse d’espaces
sacrés, publics ( ?), domestiques et/ou funéraires. Mais il est désormais certain qu’il
n’y a pas de ville, ni même de bourgade à cet emplacement avant l’époque désignée
sous le nom de « géométrique » (ixe-viiie s.).
La question qui se pose est donc de savoir pour quelles raisons ce site doté à
première vue de maints avantages naturels, avec son port protégé par une presqu’île,
son espace constructible de bonne étendue entre le rivage et une colline rocheuse
culminant à un peu plus de 100 m, avec des possibilités de défense autour de cette

1. Voir par exemple D. Novaro, dans Ktema 2007, et pour Érétrie en particulier, Cl. Bérard
dans Technai, Paris 2007 = Mètis n.s. 5, 2007, p. 393 sqq. ; plus généralement A. Schnapp-
Gourbeillon, Aux origines de la Grèce, Paris 2002.
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citadelle (qui valut à la ville la même épithète que Corinthe avec l’Acrocorinthe,
soit ophruoessa, « sourcilleuse », accolée au nom d’Érétrie dans l’épopée tardive 2).
Mais cette impression est trompeuse, car au début du Ier millénaire encore, la zone
de la future ville, on le sait désormais, n’était en réalité qu’un delta en formation,
d’où aussi la dispersion de l’habitat primitif. Il ne semble pas y avoir une fondation
stricto sensu, avec délimitation d’un espace urbain et implantation d’une ligne de
défense : de fait, contrairement à ce que l’on a pu croire (ainsi encore Walker), il
n’y a pas d’enceinte urbaine, ni non plus acropolitaine à Érétrie avant la fin de
l’époque dite archaïque, c’est-à-dire le milieu du vie s. au plus tôt 3. L’absence d’un
véritable port naturel — puisqu’au viiie s. encore la presqu’île orientale reste un
îlot — n’enlevait certes pas au site tout intérêt sur le plan des relations maritimes.
Située exactement en face de la baie d’Oropos (la moderne Skala Oropou), la ville
d’Érétrie se trouve placée à un endroit de passage des plus favorables, puisque pour
un navire longeant la côte septentrionale de l’Attique, la baie d’Oropos est la
première à offrir un mouillage ; c’est surtout le point d’arrivée d’une route terrestre
fort importante qui, au départ d’Athènes, contourne le massif du Parnès, et permet
ensuite d’atteindre l’Eubée par voie de mer (sur ces deux routes, les réflexions de
Thucydide, VII 28,1 sont fondamentales). En fait c’est l’existence de ce passage
qui a conditionné, négativement ou positivement, toute l’histoire d’Érétrie, ville
qu’on pourrait qualifier de « porthmique » (du mot porthmos, « traversée maritime »),
comme d’autres cités commerçantes — ainsi Corinthe ou Chalcis — sont
« isthmiques », maîtresses d’un isthmos naturel ou artificiel.

L’importance de ce facteur géographique dans le choix du site est confirmée par


les fouilles menées en ces dernières années à l’ouest de l’actuelle Skala Oropou,
d’abord en un endroit caractérisé par un habitat dont les niveaux les plus anciens
paraissent remonter à l’époque « protogéométrique » (xe s.), puis, à 0,5 km de là
environ vers l’ouest, une nouvelle implantation très remarquable datant, elle, du
milieu du viiie s., soit de l’époque même de ce qu’il est convenu d’appeler la
fondation d’Érétrie. Comme l’a vu le fouilleur, le professeur Alexandros Mazarakis
Ainian 4, ce nouvel établissement continental, à vocation clairement artisanale,
doit nécessairement être mis en relation avec la première phase de l’histoire
érétrienne. De fait, on doit avoir affaire au site de Graia, localité mentionnée dans
le Catalogue homérique parmi les villes béotiennes, mais disparue ensuite sans
laisser d’autres traces que littéraires chez Aristote et Strabon, qui la situaient près
d’Oropos ; le grammairien Stéphane de Byzance, de son côté, parle de Γραiα πoλις
’Ερετρiας, expression bizarre en grec, mais qui devient parfaitement intelligible si
l’on fait de Eretrias l’adjectif féminin ’Ερετριaς, désormais bien attesté dans les

2. Chez Nonnos de Panopolis, Dionysiaques, livre XIII au vers 199 : cf. D. Knoepfler, Ant.
Kunst 12, 1969, p. 82 sqq.
3. Ant. Kunst 51, 2004, p. 91 sq,, en particulier 94-95 ; cf. Guide de la cité antique, p. 27.
4. Voir notamment sa communication dans les actes du colloque de Naples en 1998 (Euboica)
ou, plus récemment, de celui de Volo sur la Thessalie et la Grèce Centrale (2006).
ÉPIGRAPHIE ET HISTOIRE DES CITÉS GRECQUES 597

inscriptions. Cette ville de Graia était dite « érétrienne », car il s’agissait d’un
comptoir fondé par les insulaires, ce qu’atteste du reste explicitement un fragment
de l’historien local Nikokratès qualifiant Oropos de « fondation des Érétriens »
(ktisma Erétriéôn) ; et le professeur a rappelé que, selon lui, le nom même d’Oropos
s’explique comme une variante dialectale d’origine érétrienne de l’hydronyme
Asopos, fleuve béotien dont l’embouchure est toute voisine de ces établissements
archaïques. Oropos est ainsi à placer dans le même contexte historique que celui
qui vit les Eubéens de Chalcis et d’Érétrie fonder des « colonies » (apoikiai) en
Occident (Sicile et Campanie) et dans le nord de l’Égée (golfe Thermaïque et
péninsule Chalcidique). On a montré aussi qu’un lien étroit existait entre ces divers
théâtres d’opération, comme le suggérait déjà, chez Plutarque, l’épisode des
Érétriens à Corcyre et à Méthone (Quaest. Gr. 11 ; Mor. 293A.), dont la datation
dans la seconde moitié du viiie s. est désormais corroborée par des fouilles exécutées
à Méthone même.

Reste évidemment la question de savoir quelle était l’origine des gens qui vinrent
occuper le site d’Érétrie. On ne peut certes exclure l’arrivée d’éléments étrangers à
l’Eubée, à commencer par l’Attique toute proche puisque une tradition faisait venir
d’Athènes les fondateurs de Chalcis et d’Érétrie (chose dont il existe un écho
— longtemps méconnu — dans les sources documentaires : voir Bull. épigr. 2008,
n° 267). Néanmoins, la plus grande partie de la population paraît avoir été de
souche locale, à en juger par l’uniformité de la céramique « géométrique » à travers
toute l’Eubée centrale. Depuis longtemps, la conjecture a été faite que les premiers
Érétriens pourraient avoir eu pour résidence le site archéologique de Lefkandi à
10 km à l’ouest d’Érétrie, qui, de fait, après une phase très brillante à l’époque
proto-géométrique encore, fut progressivement déserté à partir de 750, sans doute
au profit d’un endroit plus aisé à défendre. Cette hypothèse ne manque pas de
séduction, mais on a fait voir qu’elle repose sur des bases en réalité assez fragiles.
En tout cas, il est totalement abusif d’alléguer en sa faveur la distinction faite à
deux reprises par Strabon (IX 2, 1 et X 1, 10) entre une ancienne ville (Παλαιà
Èρbτρια) et la ville actuelle (â νäν Èρbτρια) puisque, selon le Géographe, l’ancienne
aurait été détruite en 490 seulement et aurait été située dans la direction opposée.
La tradition strabonienne comporterait, par conséquent, une double erreur, à la
fois chronologique et topographique, ce qui suffit à rendre bien douteuse cette
théorie 5. Le temps paraît donc venu d’y renoncer.

Quelle qu’ait été l’importance de Lefkandi (dont le nom antique n’est pas connu
avec certitude, l’identification au bourg chalcidien d’Argoura, proposée naguère
par le professeur, restant toujours la plus probable à ses yeux), un autre site
protohistorique doit être pris en considération, qui a aujourd’hui les meilleures
chances d’avoir été la véritable « capitale » des futurs Érétriens : c’est, à une dizaine

5. Elle n’en continue pas moins à avoir d’assez nombreux adeptes : ainsi V. Parker, Der
lelantische Krieg, 1997, ou Walker dans sa récente synthèse érétrienne.
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Plan du site archéologique d’Érétrie


ÉPIGRAPHIE ET HISTOIRE DES CITÉS GRECQUES 599

Carte du territoire d’Érétrie dans l’Antiquité

de km à l’est, la colline de Paléoekklisiès — plus connue désormais sous le nom


antique d’Amarynthos — au pied de laquelle se trouvait très certainement le
sanctuaire d’Artémis Amarysia (longtemps cherché, mais à tort, à proximité
immédiate des remparts d’Érétrie, sur la base d’un texte de Strabon dont on a
montré dès 1988 qu’une fois corrigé de manière très légère il vient en réalité
corroborer une identification d’Amarynthos à Paléoekklisiès). Les fouilles entamées
là, à l’instigation du professeur, par l’École suisse d’archéologie en Grèce ont
confirmé l’ancienneté en même temps que la permanence de l’occupation des
600 DENIS KNOEPFLER

lieux. Cette haute antiquité résultait déjà du caractère préhellénique du toponyme


Amarynthos, chose qui, au surplus, a été confirmée encore par l’apparition de ce
nom même dans les archives mycéniennes de la Cadmée de Thèbes, sous la forme
A-ma-ru-to-de (adverbe de lieu-direction signifiant « vers Amarynthos »). On ne
saurait donc plus douter qu’Amarynthos ait été, dans la seconde moitié du
IIe millénaire avant J.-C., une sorte de capitale régionale.

Plus tard, dans un contexte politique profondément différent, il y eut déplacement


du centre de gravité : la population de la plaine côtière vint s’installer sur le site
plus aisément défendable d’Érétrie, sans abandonner pour autant le vieux bourg
d’Amarynthos, qui devait conserver tout son prestige sur le plan religieux. Ce
changement de résidence eut nécessairement des conséquences à la fois sur le trafic
entre l’île et le point le plus proche du continent — d’où l’émergence du comptoir
d’Oropos (appelé encore Graia à cette date) — et sur les relations, très rapidement
conflictuelles, des habitants de la ville nouvelle avec les cultivateurs et éleveurs de
la riche plaine lélantine ; d’où, à terme, l’abandon du site de Lefkandi, sans doute
au profit de Chalcis. Même si l’enchaînement des faits ne peut pas être reconstitué,
il y a là l’origine probable de la longue dispute entre les deux cités voisines désormais
en plein essor. Conflit aussi célèbre qu’obscur, à vrai dire, que cette guerre
« lélantine » (comme l’appellent les modernes), sur laquelle on ne s’est arrêté que
le temps d’en définir le cadre le plus vraisemblable. La première chose à noter est
que la victoire ne fut chalcidienne que dans la mesure où la cité de l’Euripe parvint
à conserver la possession de toute la plaine, y compris sa partie orientale, au-delà
du fleuve Lélas ou Lélantos (comme on peut le déduire de la localisation du bourg
chalcidien d’Argoura au voisinage de Lefkandi). D’autre part, une lecture critique
des deux sources principales, Hérodote (V 99, 1) et Thucydide (I 15, 3), impose
de dater la phase panhellénique du conflit de la fin de l’époque archaïque seulement,
vers 600-580 : il ne s’agit donc pas, à proprement parler, d’une guerre liée à la
colonisation, du moins pas pour Chalcis et Érétrie elles-mêmes. Car il faut rapporter
à ce conflit international — malgré les objections exprimées récemment à l’encontre
d’une brillante suggestion faite en 1967 par J. et L. Robert — l’allusion qui est
faite à un mégas polémos dans une longue épigramme de Milet gravée vers 200 avant
J.-C. sur un tombeau commun ou polyandreion, évoquant par ailleurs l’activité
coloniale de cette cité dans le Pont-Euxin et faisant mention des gens de Mégare
en tant qu’adversaires des Milésiens (P. Herrmann, Inschr. von Milet VI 2, 732). Il
paraît certain en effet que Mégare fut mêlée, comme Corinthe, à la guerre
« lélantine » quand Milet prit le parti d’Érétrie et Samos celui de Chalcis. Or,
l’alliance de Corinthe et de Samos, attestée pour l’extrême fin du viiie s. par
Thucydide, n’implique nullement que, plus d’un siècle après, les tyrans de Corinthe
soient restés dans l’orbite chalcido-samienne. Vers 580, par conséquent, Mégare
— éternelle rivale de Corinthe — a fort bien pu être dans le camp des adversaires
de Milet, d’autant plus que Mégariens et Milésiens se trouvaient alors en concurrence
dans la Propontide et le Pont-Euxin ; or, tel est justement le contexte indiqué par
ÉPIGRAPHIE ET HISTOIRE DES CITÉS GRECQUES 601

l’épigramme 6. Le fait que les Thessaliens aient participé à cette guerre aux côtés
de Chalcis (Plutarque, Erot. 17) est un argument supplémentaire en faveur d’une
datation basse, puisque c’est seulement au début du vie siècle que se constitue un
État thessalien très actif en Grèce centrale et dans l’Amphictionie pyléo-delphique,
avec du reste un débouché sur le golfe Euboïque en Malide 7. Ce conflit ayant pu
se développer sur plusieurs théâtres d’opération, il est loisible d’y rattacher divers
épisodes guerriers que nous font connaître d’autres sources littéraires ou
documentaires : ainsi, d’après l’historien Konon (résumé dans la Bibliothèque de
Photoius, 186, 44), une guerre livrée par les Milésiens en Eubée même contre les
gens de Carystos, cité toute voisine et donc a priori rivale d’Érétrie, chose que paraît
confirmer un papyrus d’Oxyrhinchos (n° 2508) contenant les bribes d’un poème
élégiaque qui fait mention côte à côte, dans un contexte militaire, des Carystiens
et des Érétriens (Erétriéôn chôron). La guerre « lélantine » n’a pu, en revanche, se
prolonger après la conquête de l’Ionie par les Perses à partir du milieu du vie s.

Oligarchie des hippeis et « tyrannie » de Diagoras


À cette date, du reste Chalcis et Érétrie se trouvaient également à l’aube de grands
changements politiques. Jusque-là, en effet, le pouvoir y avait été exercé par les
membres d’une aristocratie équestre, les Hippobotai ou « éleveurs de chevaux ».
C’est sous leur domination, comme le relève Strabon en citant un ouvrage perdu
d’Aristote, que Chalcis et Érétrie avaient fondé notamment leurs colonies de
Chalcidique : « lorsque prévalait le régime politique dit des Hippobotes » (X 1, 8 C
447 : hé tôn Hippobotôn kalouménè politieia), qui était de caractère nettement
censitaire (apo timèmatôn) pour l’accès aux magistratures. De fait, l’auteur de la
Politique, établit un lien explicite entre gouvernement oligarchique et élevage des
chevaux, hippotrophia, avec une cavalerie dont le rôle était « autrefois » — donc
bien avant le ive siècle — prédominant dans la conduite de la guerre chez les
Érétriens et les Chalcidiens notamment (Pol. IV 1289b 35 : oion Eretrieis,
Khalikideis, etc.). Il ressort d’autre part d’Hérodote V 99 (cf. aussi Aristote,
Athénaiôn Politieia, XV 2-3) que l’oligarchie des hippeis était encore au pouvoir à
Érétrie à l’époque du retour à Athènes du tyran Pisistrate, vers 545, puisque celui-ci
put visiblement compter sur leur appui pour mener à bien ses affaires en Thrace,
dans une zone dès alors colonisée par les Érétriens (établissement de Rhaikélos 8
non loin de Méthone et de la future Dikaia). Les jours de ce régime n’en étaient pas
moins comptés, car c’est encore avant la fin du vie s. qu’il faut placer son
renversement par un certain Diagoras, dont Aristote est ici encore pratiquement

6. De fait, comme le suggère un jeune historien roumain, M. Adrian Robu, dans une thèse
tout récemment soutenue sur la colonisation mégarienne, il paraît y avoir eu rivalité aiguë entre
ces deux cités lors de la fondation d’Héraclée Pontique vers 560-550.
7. Voir B. Helly, L’État thessalien ; cf. Bull. épigr. 1995, 308.
8. Localisation : cf. M. Zarhnt, Olynth, p. 218, qui met ce comptoir au cap Karabournou,
dans le territoire d’Aineia ; D. Viviers, JHS 197, 1987, p. 193-193, « Peissitratos’ Establishment
on the Thermaic Gulf : a connection with Eretrian colonization ? ».
602 DENIS KNOEPFLER

seul à faire mention (V 6, 1306a). La cause de cette katalysis (« dissolution ») aurait


été un mariage, ce qui ne surprend guère quand on sait le rôle des alliances
matrimoniales dans la société aristocratique et « tyrannique » grecque : deux
exemples mettant précisément en scène un Érétrien, Lysanias, ou une Érétrienne,
Koisyra, ont pu être évoqués, qui montrent combien cette aristocratie terrienne était
liée, directement ou indirectement, à celle d’Athènes. En témoigne du reste un petit
document parmi les inscriptions archaïques d’Érétrie, l’épitaphe fort remarquable et
souvent commentée (encore récemment) d’un certain « Chairiôn d’Athènes,
appartenant aux Eupatrides », Eupatridôn (IG I3, 1516 ; cf. Bull. épigr. 2006, 213).

Mais à quel moment situer le coup d’État de Diagoras ? On le saurait sans doute
mieux si l’on possédait encore la « Constitution des Érétriens » (Erétriôn Politieia)
produite vers 330 par l’École d’Aristote ; mais seules de rares citations en ont été
conservées, dont une concerne justement ce Diagoras : en route pour Sparte, le
personnage serait décédé à Corinthe, ce qui amena les Érétriens à lui élever une
« statue-portrait », eikôn (Héraclide Lembos = FHG II 217). À défaut d’indice
chronologique précis, on a longtemps été tenté de placer cette révolution
« démocratique » le plus tard possible, vers 508, dans le sillage de l’instauration de la
démocratie à Athènes par Clisthène, dont Diagoras aurait été l’émule. Mais à cette
datation basse on a préféré généralement la chronologie plus haute préconisée par Fr.
Geyer (Topographie und Geschichte der Insel Euboia, 1906), qui situe la chose entre
540 et 510, puisque les Pisistratides, chassés d’Athènes en 510, ne purent
apparemment plus bénéficier de l’appui des hippeis d’Érétrie. Cette conclusion paraît
effectivement raisonnable, et elle est adoptée maintenant par Walker (Archaic
Eretria), qui a toutefois cru pouvoir faire un très audacieux pas supplémentaire en
admettant que ces trois décennies correspondaient à la durée effective du « règne »
de Diagoras, dont la tyrannie aurait été ainsi plus longue que celle de Pisistrate ou de
Périandre ! Hypothèse bien invraisemblable. En revanche, il apparaît de plus en plus
clairement, au vu de plusieurs travaux récents sur les débuts de la démocratie grecque
— même si ceux-ci ignorent superbement l’exemple érétrien pourtant tout voisin
d’Athènes 9 — que nulle part ne s’observe un passage direct de l’oligarchie à la
démocratie : quand une phase de transition, de caractère « démagogique », n’est pas
expressément attestée, il faut pratiquement dans tous les cas en supposer l’existence.
Force serait donc de voir en Diagoras un « bon tyran » à la manière de Pisistrate
(comme le fait Walker avec décision) ou au moins une espèce de Solon érétrien,
maintenant l’équilibre entre les prérogatives des anciens oligarques et les nouvelles
aspirations populaires. Cela expliquerait qu’il ait pu ou dû, à un certain moment,
quitter sa patrie et qu’il ait été honoré post mortem par une statue (honneur si
considérable pour l’époque archaïque qu’on pourrait y voir un anachronisme,
puisque Solon lui-même ne paraît pas y avoir eu droit, les premières statues

9. Ainsi E. W. Robinson, The First Democracies, Stuttgart 1997, ou plus récemment encore,
Claudia de Oliveira Gomes, La cité tyrannique. Histoire politique de la Grèce archaïque, paru à
Rennes en 2007.
ÉPIGRAPHIE ET HISTOIRE DES CITÉS GRECQUES 603

honorifiques à Athènes étant celles des tyrannoctones Harmodios et Aristogiton peu


après 508). Diagoras d’Érétrie se distingue néanmoins sur un point fondamental
d’un législateur comme Solon : c’est précisément par le fait qu’il est l’auteur d’un
acte révolutionnaire qui met fin au régime ancestral, à la patrios politeia, provoquant
ainsi une rupture dans l’histoire de la cité. On est ainsi acculé à penser que si Diagoras
a pu renverser les hippeis solidement installés au pouvoir depuis des générations, c’est
qu’il eut bel et bien le pouvoir d’un tyran, chose qui avait été pressentie par certains
historiens modernes 10. De fait, n’aurait-il pas été bien étonnant que l’Érétrie
archaïque eût échappé à cette forme de pouvoir, quand pratiquement toutes les
grandes cités — y compris sa voisine Chalcis (cf. Aristote, Pol. V 12, 1316a 22) —
connaissait une période plus ou moins prolongée de tyrannie ? D’autres tyrans ont,
du reste, pu exister dans cette cité, dont le nom même n’est pas connu ou n’apparaît
qu’incidemment (celui de Lysanias, par exemple, grand personnage allié aux tyrans
de Sicyone). En conclusion, il paraît probable que Diagoras fut à Érétrie l’homme
qui sut saisir l’occasion de débarrasser sa cité d’un régime obsolète en s’appuyant
d’abord sur une faction d’aristocrates mécontents, puis sur l’élément populaire, cela
à un moment où les fils de Pisistrate connaissaient, vers 514, leurs premiers revers. Il
dut avoir la sagesse de ne pas s’accrocher au pouvoir lorsque se produisit à Athènes la
révolution de Clisthène. Ainsi rendrait-on compte au mieux de ce que le personnage
ait été grandement honoré par ses compatriotes : en votant une statue à ce
« dissoluteur » de l’oligarchie des hippeis, amis des tyrans athéniens, le peuple
d’Érétrie n’aurait fait, en somme, qu’inaugurer ce culte des libérateurs qui apparaissait
aux yeux d’un Cicéron encore (voir son Pro Milone) comme une pratique
typiquement hellénique. Ce qui est certain — quoi qu’on en ait dit encore récemment
(ainsi Walker) — c’est que le plus ancien document attestant l’existence à Érétrie du
régime démocratique (IG XII Suppl. 549 ; cf. Décrets érétriens n° I) ne saurait être
antérieur à 500 et doit même être sensiblement postérieur à cette date (cela a pu être
démontré en séminaire).

Une cité dans la tourmente des guerres médiques :


les Érétriens en expédition à Chypre et en déportation à Arderrika de Susiane

Ce n’est donc, en fin de compte, que bien peu d’années avant le début du conflit
avec l’Empire perse qu’Érétrie dut entrer en « isonomie », sans doute au sortir d’un
bref intermède de tyrannie populaire : cette réforme constitutionnelle pourrait
devoir être mise en relation plus ou moins directe avec la mainmise des Athéniens
sur les terres des « hippobotes » chalcidiens (Hérodote V 77 ; cf. Bull. épigr.
2008, 236), avec l’aide au moins passive des Érétriens. Or, c’est précisément en
506 que la Chronique d’Eusèbe, dans sa liste des « thalassocraties », fait commencer
la période où Érétrie aurait été la principale puissance navale. En 490, à l’heure de

10. Ainsi déjà Busolt-Swoboda, Griechische Staatskunde, Munich 1926 ; cf. surtout H. Berve,
Griechische Tyrannis, Darmstadt 1967.
604 DENIS KNOEPFLER

l’attaque perse, le régime des hippeis appartenait en tout cas au passé de la cité. Dès
499 les Érétriens s’étaient engagés aux côtés des Athéniens dans le soulèvement des
cités de l’Ionie contre le Grand Roi. On a fait valoir les raisons de penser que leur
engagement fut plus considérable qu’on ne le croit, ce qui explique la rigueur du
châtiment qu’ils eurent à subir. Déjà le témoignage d’Hérodote est révélateur,
puisqu’il en ressort que c’est pour aider les gens de Milet, en vertu d’une ancienne
alliance, et non point par crainte de leurs désormais puissants voisins d’Athènes,
qu’ils furent pratiquement les seuls Grecs continentaux à venir au secours de leurs
frères d’Ionie (V 99). On a noté au passage que si les autres Eubéens s’abstinrent,
c’est qu’ils n’avaient pas ou plus de flotte à cette date, tandis que les Érétriens
disposaient certainement d’au moins vingt navires, qui leur permettaient de
contrôler le trafic maritime dans tout le canal euboïque (au témoignage d’une
célèbre inscription archaïque 11) ; cette orientation vers les choses de la mer
transparaît en d’autres documents érétriens : ainsi, à la fin du ve s. encore, la belle
dédicace d’un collège de « marins éternels », Aeinautai 12 (le mot lui-même était
déjà attesté une fois, pour Milet — chose notable — par un texte de Plutarque,
Quaest. Gr. 32). Malgré la faiblesse de leurs effectifs (quelques centaines d’hommes
transportés sur cinq vaisseaux), les Érétriens s’illustrèrent durant l’expédition contre
Sardes, capitale régionale de l’Empire perse, puisque leur chef, l’athlète Eualkidas,
perdit la vie en combattant, ce qui lui valut d’être chanté par le poète Simonide
de Kéos dans une épigramme malheureusement perdue. Hérodote n’a pas méconnu
ce haut fait, même si Plutarque, dans son traité Sur la Malignité d’Hérodote, accuse
le grand historien d’avoir passé sous silence leur principal exploit, dont cet auteur
dit avoir trouvé la mention dans les Eretri(a)ka d’un certain Lysanias de Mallos
(FGHist 426 F) : à savoir leur participation à une expédition navale destinée à
repousser la flotte perse, par quoi ils avaient contribué à la victoire des forces
ioniennes sur les Chypriotes au large de la Pamphylie. Ce texte tardif a été le plus
souvent rejeté ou ignoré, sous prétexte qu’il contient une évidente erreur
chronologique (l’expédition vers Chypre ayant eu lieu après et non point avant la
marche contre Sardes) ; mais il est aisé de la rectifier sans compromettre l’information
de base, de même qu’on doit, de toute nécessité, amender le texte pour faire du
complément bκ Κuπρου non pas la patrie des adversaires des Grecs en cette bataille
navale (les Chypriotes ayant été d’emblée les alliés des Ioniens), mais le simple
point de départ de la flotte perse en marche contre l’Ionie. D’autre part et surtout,
on a négligé un témoignage numismatique d’un grand intérêt, fourni dès 1935 par
un trésor monétaire trouvé fortuitement à Larnaka 13 (l’ancienne Kition), qui avait
fait connaître, entre autres émissions chypriotes des alentours de 500, celle d’un
atelier inconnu, dont le type de droit est certes assez commun (gueule de lion),
alors que celui du revers, infiniment plus rare, imite très fidèlement l’octapode ou

11. Reprise en dernier lieu chez H. Van Effenterre-F. Ruzé, Recueil d’inscriptions politiques et
juridiques de l’archaïsme grec, 1, n° 91.
12. SEG XXXIV 898. Cf. Walker, p. 127, qui la date comme toujours beaucoup trop haut.
13. P. Dikaios et S. Robinson Num. Chron. 1935, p. 165-190 (cf. 1937) = IGCH n° 1272.
ÉPIGRAPHIE ET HISTOIRE DES CITÉS GRECQUES 605

poulpe des monnaies frappées à Érétrie (avec, au droit, une vache se retournant
pour lécher son sabot, ce bovidé, bous, étant en quelque sorte l’emblème de l’Eubée
riche en bovins, euboia). Une telle convergence ne saurait être fortuite, pas plus
qu’est due au hasard la présence des types érétriens dans le monnayage de Dikaia,
colonie d’Érétrie sur la côte thrace. C’est donc la preuve qu’un roi chypriote, au
moment de l’expédition de 499, voulut marquer ainsi son alliance avec les Érétriens
venus à son secours. Tout récemment, un nouveau trésor est venu non seulement
confirmer que ces monnaies circulaient avec celles d’Érétrie même (comme l’avait
fait voir dès 1978 le célèbre trésor d’Asyut en Égypte) mais apporter, grâce à un
exemplaire de grand module — aujourd’hui au Cabinet des Médailles de Paris
— le nom du souverain qui les avait émises, soit (en syllabaire local), A-ri-si-to-pa-
to, c’est-à-dire Aristophantos 14. Si l’éditrice, la numismate suisse S. Hurter, a bien
compris l’intérêt historique de ce trésor, le témoignage de Plutarque lui a échappé
(comme à tous ses devanciers), qui seul permet de comprendre la raison d’être des
émissions du roi Aristophantos, dont on situera la capitale sur la côte nord de l’île,
peut-être à Marion ou mieux à Soloi, dans la baie même où se livra la bataille
navale, en face de la Pamphylie. Quant à la cité de Mallos, patrie de l’historien
Lysanias, elle se trouve en face de la pointe orientale de Chypre, et cette proximité
géographique pourrait bien être à l’origine de l’intérêt qu’un citoyen d’une ville
cilicienne fut amené à porter à l’histoire d’Érétrie.

Mais de cet auteur on n’a rien conservé d’autre. L’essentiel de ce que l’on sait sur
les péripéties de la cité pendant la première guerre médique (490) vient d’Hérodote
qui, ayant vécu temporairement à Athènes, devait être bien informé sur la grande île
voisine. Son récit de l’expédition punitive envoyée par Darius contre les Athéniens et
les Érétriens témoigne en tout cas de sa connaissance des réalités topographiques (VI
100-101). Après un premier débarquement à Carystos, les Perses se rapprochèrent le
plus possible de la ville d’Érétrie par voie de mer, ne laissant pas aux habitants le
moyen de livrer bataille dans de bonnes conditions, ce qui explique assez pourquoi,
obligés de s’enfermer dans leurs murs, ils ne purent résister bien longtemps et furent
victimes d’une trahison, alors que les Athéniens, eux, eurent le temps de se porter
contre l’ennemi débarqué à Marathon, évitant ainsi de voir des traîtres ouvrir aux
Perses les portes de la ville. En effet, contrairement à ce que donnent à penser la
plupart les éditeurs et traducteurs, le premier des trois bourgs érétriens mentionnés
par Hérodote dans ce contexte ne s’appelait pas Tamynai : ce nom résulte d’une
correction érudite au xviiie s., qui aurait dû être abandonnée depuis longtemps, car
on sait aujourd’hui que Tamynai était non pas une localité côtière (près d’Aliveri)
mais une bourgade située à l’intérieur des terres (près d’Avlonari), à une bonne
vingtaine de km au nord-est de la ville. En réalité, le nom authentique, dans les
manuscrits, est Téménos, qu’il faut chercher sur le littoral s’étendant d’Érétrie à
Amarynthos, exactement comme les deux autres localités (Aigilea/Aigalè et

14. S. Hurter, Quaderni Ticinesi 2006, p. 54-56 ; pour l’inscription cf. aussi M. Egetmeyer,
Kadmos 46, 2007 (2008).
606 DENIS KNOEPFLER

Choiriéai 15). C’est donc à une faible distance de la ville que les Perses débarquèrent,
ce qui eut à la fois un effet positif et un effet négatif pour le peuple des Érétriens : si
la ville elle-même fut, au moins partiellement, livrée au flamme — l’étendue de la
destruction est l’objet d’une vive discussion entre archéologues (notamment sur le
point de savoir dans quelle mesure fut détruit le temple d’Apollon Daphnéphoros,
achevé une quinzaine d’années plus tôt) — et si la population urbaine eut à l’évidence
beaucoup à souffrir de cette attaque, bon nombre de citoyens vivant à la campagne
put, en revanche, échapper à la vindicte des Perses, quoi qu’ait prétendu la tradition
historiographique en dehors d’Hérodote.

Dès une époque relativement ancienne, en effet, la tendance a été de dramatiser


à l’extrême la prise d’Érétrie, qui aurait abouti, d’une part, à l’anéantissement de
la ville (destruction si totale que son site en ruine aurait encore été visible, sous le
nom de Palaia Eretria, des siècles après l’événement selon Strabon) et, d’autre part,
à la capture de toute la population par l’application de la tactique dite de la « prise
au filet » (sagèneia), décrite, il est vrai, par Hérodote lui-même (III 149 et surtout
VI 32), mais en d’autres circonstances. En fait, le récit de l’historien des guerres
médiques prouve que le chiffre des prisonniers fut relativement modeste, puisque
ces malheureux purent être tous parqués, quelques jours durant, dans un îlot
extrêmement exigu de la rade de Styra, non loin de la baie de Marathon. Pour un
territoire aussi vaste que l’était dès alors l’Érétriade, la méthode de la sagèneia était
clairement inapplicable. Ce n’est pas sans étonnement, dès lors, que l’on constate
l’adoption de cette version chez les auteurs de l’époque impériale (Seconde
sophistique). Mais ce succès s’explique bien, en réalité, puisque, dès le début du
ive s. avant J.-C., Platon lui-même s’en fit le garant dans le Ménéxène (40 B-C)
d’abord à travers le discours patriotique de Socrate — censé reproduire un logos
épitaphios d’Aspasie, maîtresse de Périclès — puis dans les Lois (III 698 C-D), sous
une forme certes un peu atténuée, comme une rumeur propagée par les Perses
eux-mêmes et non nécessairement avérée. Ces deux passages convergents prouvent
donc qu’il existait à Athènes une tradition bien accréditée selon laquelle aucun
Érétrien n’avait échappé à la captivité, sinon à la mort. Si les Athéniens étaient
attachés à cette version, au mépris de celle, bien plus crédible, d’Hérodote, c’est
que le malheur même des Érétriens donnait un relief accru au courage et à la valeur
militaire des fils d’Athènes face à un tel adversaire. Il s’agit donc bien d’un discours
idéologique, dont la portée historique est assez faible. On peut admettre cependant
qu’il reposait en dernière analyse sur une tradition remontant peut-être à Hellanicos
de Lesbos, auteur d’une histoire de l’Attique déjà connue de Thucydide 16.

Ce qui est sûr, c’est qu’un certain nombre d’Érétriens furent effectivement
emmenés en captivité jusque à Suse, résidence du roi Darius : le récit d’Hérodote

15. Pour la situation desquelles voir D. Knoepfler, Décrets érétriens, 2001, p. 103 sqq.
16. Mais on signalera que pour M. Moggi, Studi Classici e Orientali 17, 1986, p. 213 sq.,
Platon n’a pas eu d’autre source qu’Hérodote.
ÉPIGRAPHIE ET HISTOIRE DES CITÉS GRECQUES 607

en porte témoignage, qui précise que ces prisonniers — après un très long voyage
— furent installés à une quarantaine de km de la capitale de l’Empire, à Arderrika,
à proximité — relève l’historien (VI 119) — d’un « puits extraordinaire » fournissant
trois produits différents : « car on y puise du bitume (asphaltos), du sel (hals) et de
l’huile (élaion) » : nul doute, comme cela a été reconnu de longue date, que ces
déportés se trouvèrent ainsi placés dans les parages d’un puits de pétrole, le premier
qui soit attesté dans l’histoire de l’humanité ! Mais sa localisation dans la région
de Dizful (peut-être à Kir-Ab, nom signifiant du reste « Eau bitumineuse »)
demeure d’autant plus problématique qu’on est là dans une zone bouleversée par
l’exploitation industrielle du précieux liquide et peut-être par les récents
affrontements entre l’Iran et l’Irak. Si Hérodote n’a pas nécessairement décrit cet
endroit de visu, il put visiblement recueillir de la bouche d’un témoin oculaire des
informations sur les Érétriens d’Arderrika, puisqu’il les décrit comme parlant
toujours, à l’époque où lui-même écrivait (mekhri emeou), leur ancienne langue
(tèn archaian glôssan), c’est-à-dire leur parler d’origine 17. Mais quel fut après cette
date, à situer vers 440, le sort des Érétriens d’Arderrika ?

Si Xénophon, chose normale du reste, ne les mentionne pas dans son Anabase,
on a pu montrer que le souvenir d’une population grecque installée au cœur de
l’Empire perse subsistait chez les historiens d’Alexandre (ainsi Quinte-Curce
comme aussi Diodore) et d’abord, bien sûr, dans les sources contemporaines
(perdues), non sans confusion parfois sur leur origine ethnique ou sur le lieu de
leur déportation. De ces témoignages se dégage l’impression que vers la fin du
ive s. cette population d’ores et déjà bilingue (diglôssos) n’était plus très éloignée
de perdre définitivement son identité ; car si Strabon, à l’extrême fin de l’époque
hellénistique, évoque encore ces Érétriens établis en Gordyène (XVII 1, 24), cela
ne prouve évidemment pas qu’ils existaient toujours à l’époque d’Auguste. On est
d’autant plus surpris d’apprendre que le village des Érétriens aurait encore été
visité, au milieu du ier siècle de notre ère, par le philosophe, prédicateur et
thaumaturge Apollonios de Tyane au cours du long voyage qu’il aurait fait jusqu’en
Inde. Le personnage est certainement historique, mais sa biographie, qui nous est
connue essentiellement par la Vie d’Apollonios du sophiste Philostrate, au début du
iiie siècle ap. J.-C., comporte un nombre élevé d’épisodes entièrement fictifs. Dans
un mémoire en préparation depuis longtemps, le professeur montre que tel est bien
le caractère de cette prétendue visite, qui fourmille d’invraisemblances et
d’anachronismes. Mais ce long excursus sur la situation des Érétriens, leurs activités
professionnelles, leur état de santé, leurs monuments funéraires et honorifiques
(pour les rois des Perses, de Darius le Grand à Daridaios, alias Dareiaios ou
Darius II, mort en 404) remonte manifestement à un témoin oculaire beaucoup
plus ancien. Sur la base d’indices remarquablement convergents, on peut identifier
sûrement ce témoin au médecin Ctésias de Cnide, qui séjourna à la cour de Suse
aux alentours de 400 avant J.-C. Dès lors, cet extrait de la romanesque Vie

17. Pour le sens de archaios/palaios chez Hdt. voir Edm. Lévy, Ktéma 2007, avec cet exemple.
608 DENIS KNOEPFLER

d’Apollonios devra être considéré, pour son noyau essentiel, comme un « fragment »
supplémentaire, jusqu’ici méconnu, des Persika de Ctésias (ouvrage récemment
édité dans la Collection des Universités de France par les soins de D. Lenfant),
d’un grand intérêt pour la biographie du personnage, puisque du chiffre 88 indiqué
par Philostrate pour le nombre d’années pendant lequel les Érétriens continuèrent
à faire usage de l’écriture il devient possible d’inférer que le passage de Ctésias à
Arderrika (probablement lors d’un déplacement de Suse à Ecbatane en compagnie
de son royal patient Artaxerxès II) eut lieu exactement en 402 av. J.-C., fournissant
ainsi la preuve définitive que Ctésias était à la cour des Achéménides depuis 404
au moins. À l’extrême fin du ve s., les descendants des prisonniers de 490 non
seulement parlaient toujours le grec, mais ils l’écrivaient encore, utilisant pour cela,
selon toute vraisemblance, le vieil alphabet eubéen « épichorique », alors qu’à
Érétrie même celui-ci était justement en passe de sortir complètement de l’usage,
comme l’atteste en particulier un célèbre décret de l’année 411. On a fait voir aux
auditeurs, par plusieurs exemples examinés en séminaire, ce qui différencie les
inscriptions érétriennes traditionnelles des monuments gravés selon le nouvel
alphabet, dit attico-ionien.

« La Cité de Ménédème » (IVe-IIIe siècles avant J.-C.)

On résumera ici plus succinctement la partie du cours qui a été consacrée à


l’histoire de la cité après la période de domination athénienne (446-411). En effet,
la libération d’Érétrie à l’automne 411 ouvre une période qui a fait l’objet, de la
part du professeur, d’assez nombreuses études — travaux auxquels il est aisé de
renvoyer le lecteur curieux d’en savoir davantage ou de mesurer la complexité des
problèmes — et qui, surtout, doit être présentée de manière synthétique dans un
ouvrage en préparation, destiné à paraître sous le titre de La cité de Ménédème.
L’époque qui mérite pleinement l’appellation de « siècle de Ménédème », du nom
du plus célèbre des citoyens d’Érétrie, est sensiblement plus courte, il est vrai, ne
s’étendant guère que de la fin du ive s. au milieu du iiie s., plus précisément de la
guerre appelée lamiaque (323-322) à celle dite de Chrémonidès (268/7-261/1),
toutes deux en relation avec l’histoire des cités dans leurs rapports avec la monarchie
macédonienne. Mais l’auteur est convaincu que cette courte période d’autonomie
et de prospérité relatives pour les Érétriens forme en réalité un tout, sur le plan
institutionnel et social, avec ce qui précède comme avec ce qui suit immédiatement.
Car c’est précisément l’expansion consécutive à l’année 411 qui donne à l’État
érétrien la forme et les structures qu’il conservera intactes, autant qu’on en puisse
juger, jusqu’à la fin de la domination macédonienne au moins. De fait, c’est une
nouvelle période qui s’ouvre avec la mainmise romaine sur la Grèce, quelle que soit
la date précise qu’il faille arrêter dans le cas d’Érétrie et de l’Eubée : 198, 194 ou
191, voire seulement 167 ou 146. Il y a donc bien une « Cité de Ménédème » qui
se met en place dès le début du ive s. et qui subsiste pour l’essentiel, en dépit d’une
longue série de vicissitudes, jusqu’à l’extrême fin du iiie s. au moins.
ÉPIGRAPHIE ET HISTOIRE DES CITÉS GRECQUES 609

Dans cette longue tranche d’histoire, les questions qui ont été proposées à
l’attention et à la critique des auditeurs ont été principalement les suivantes :

I. L’arrière-plan politique de la libération de la cité, suite à la défaite des oligarques


athéniens devant le port d’Érétrie en 411. On a montré que le récit de Thucydide
(VIII 95) contenait une indication dont l’importance avait totalement échappé
jusqu’ici aux commentateurs. En effet, si les Athéniens ont pu croire qu’ils avaient
affaire à une cité « amie », ce n’est point par naïveté ou aveuglement : c’est parce
que les Érétriens avaient adopté précédemment le régime oligarchique prôné par
les Quatre-Cents à Athènes ; Thucydide l’a expressément signalé pour d’autres cités
comme Thasos ; s’il a omis de le dire pour Érétrie, c’est faute d’avoir eu le loisir
de revoir ce livre VIII, clairement inachevé. Ainsi s’explique également qu’il ait
utilisé le terme de épiteichisma (à ne pas corriger en teichisma avec la plupart des
éditeurs) pour désigner le fort où quelques Athéniens purent se réfugier à l’issue
de la bataille navale ; car ce fort situé probablement sur la presqu’île de Pezonisi,
à la sortie du port, demeura en mains athéniennes même après la perte de l’Eubée,
comme en témoigne indirectement le compte des Hellénotames de l’année 409
(conservé au Louvre) : depuis 411 et jusqu’en 405, époque où Thucydide rédigeait
ce livre VIII, l’ancien teichisma était donc devenu un épiteichisma, un fort installé
en territoire ennemi, ce qu’il n’était à l’évidence pas lors de la bataille de 411 : c’est
un autre indice d’inachèvement de la rédaction.

On s’est demandé d’autre part, en séance de séminaire, si les historiens modernes


étaient fondés à mettre en relation avec cette bataille l’épigramme qui surmontait,
au témoignage de Pausanaias (I 29, 13), un grand monument du Dèmosion Sèma
athénien. Il est apparu que cette opinion conduisait à une impasse et que le texte
en question n’avait rien à voir avec les événements des années 413-411 (grande
expédition de Sicile et campagnes subséquentes) mais qu’il devait être rapporté à
des péripéties militaires diverses survenues en l’an 424. On a contesté également
que deux fragments d’une liste — dont un tout récemment publié (cf. Bull. épigr.
2005, 24) — d’Athéniens morts à la guerre, soient les restes du tombeau public
évoqué (certainement de seconde main) par Pausanias : jusqu’ici, par conséquent,
aucun vestige assuré ne paraît subsister du monument élevé pour les Athéniens
morts à Érétrie en 411.

II. Érétrie dans les affres de la guerre civile. La nouvelle loi contre la tyrannie.
À la lumière de cette importante inscription, publiée en 2002-2003 par les soins du
professeur, il importait de reconsidérer une phase particulièrement troublée de
l’histoire de la cité, entre 366 (date où la tyrannie fait son apparition pour Érétrie
dans les sources littéraires), et 341 (époque où le tyran Kleitarchos fut abattu manu
militari au terme d’une expédition menée par Athènes dans le but de libérer l’Eubée
de l’emprise du roi Philippe de Macédoine). Il a ainsi été possible de faire le point
sur plusieurs documents athéniens mentionnant les Érétriens, en particulier le décret
IG II2 125, dont le professeur avait montré naguère qu’il ne pouvait s’appliquer à la
610 DENIS KNOEPFLER

conjoncture de 357 mais devait être rapporté aux événements dramatiques de l’année
348 et ne datait lui-même que des alentours de 343, datation qui, avec les restitutions
nouvelles qu’elle impliquait, a été largement entérinée par les spécialistes (cf. en
dernier lieu S. Lambert, ZPE 161, 2007, p. 68). Temporairement libérés de leur
« tyran » Ploutarchos (allié de Midias, l’ennemi personnel de Démosthène), les
Érétriens connaissent une nouvelle et ultime phase de tyrannie en 342 -341, qui
mène la cité au bord de la guerre civile : « pauvres et malheureux Érétriens »,
s’exclame l’auteur de la Midienne dans un discours de l’hiver 342/1 (IX 66). C’est
manifestement à cette époque de lutte intense contre Kleitarchos et ses acolytes que
se réfère, dans sa partie la plus originale, la loi votée au lendemain de la libération de
341, puisqu’elle prévoit, dans les termes les plus précis, la manière d’organiser la
guérilla contre les adversaires du régime démocratique (fort précisément défini
comme étant la politeia où tous les citoyens sont admis au tirage au sort donnant
accès à la boulè). Chemin faisant, on a examiné quelques problèmes subsistant dans
la restitution et l’interprétation de ce texte amputé. Si un nouveau supplément
proposé par l’historien britannique Robert Parker a pu être d’emblée accepté, le
professeur a dû combattre en revanche l’interprétation et la chronologie d’une jeune
historienne allemande (A. Dössel : cf. Bull. épigr. 2008 n° 265), qui voudrait distinguer
pas moins de trois lois dans cet ensemble, la dernière pouvant être, selon elle, l’œuvre
du seul parti démocratique installé à Porthmos avant son expulsion en 342 : ce texte
législatif est certes constitué de strates successives, mais il a été tout entier réécrit au
moment de la libération (comme la loi d’Eukratès à Athènes en 336), et c’est
l’Artémision d’Amarynthos qui, jusqu’à preuve du contraire, reste le lieu d’exposition
le plus vraisemblable de cette grande stèle, non pas la forteresse de Porthmos.

C’était l’occasion aussi de reprendre en séminaire l’examen du règlement


instituant un concours musical aux Artémisia, car cette belle inscription publiée il
y a plus d’un siècle appartient manifestement au même contexte politique (même
s’il faut admettre, de toute nécessité, un écart de quelques années entre elle et la
loi contre la tyrannie). Il est apparu que le commentaire en était à reprendre sur
plus d’un point, le sens de plusieurs expressions ayant été méconnu : cela concerne
en particulier le calendrier, l’emplacement de la fête, le déroulement de la procession,
les victimes à sacrifier, etc. ; le professeur en donnera très prochainement une
réédition critique — assortie pour la première fois d’une traduction française —
dans le cadre de ses recherches archéologiques sur l’Artémision d’Amarynthos.

III. Les fondements chronologiques de la biographie du philosophe et homme d’État


Ménédème et les décrets d’Érétrie entre 323 et 304. L’importance de cette biographie
pour l’histoire de la Grèce à la fin du ive et plus encore au début du iiie s. n’est plus à
démontrer : elle s’explique d’un côté par le fait que Ménédème a côtoyé bien des
souverains hellénistiques et qu’il a lui-même exercé de hautes charges dans sa cité, et
tient d’un autre côté au fait que le récit de Diogène Laërce s’appuie en dernière
analyse sur un noyau pratiquement contemporain, l’œuvre du biographe Antigone
de Carystos, alors que les sources historiographiques font dramatiquement défaut
ÉPIGRAPHIE ET HISTOIRE DES CITÉS GRECQUES 611

entre 300 et 250 environ. Mais les informations fournies par ce texte ne sont
utilisables que si elles peuvent être datées. Or, le cadre chronologique de la Vie de
Ménédème a été l’objet, depuis au moins un siècle, de vives discussions : autour de la
date-pivot qu’a constitué la bataille de Lysimacheia en 278, s’ajoutant à la conviction
que Ménédème était mort à 74 ans, une chronologie haute s’était imposée, qui faisait
naître le philosophe vers 350 déjà et disparaître dès après cette victoire du roi
Antigone sur les Galates, tandis que, depuis l’historien Beloch en 1927, on préférait
à juste titre, mais non sans rencontrer de sérieuses difficultés, une chronologie basse,
où Ménédème né vers 339 seulement, prolongeait son existence jusque vers 267. En
1991, le professeur a pu démontrer que ces deux systèmes étaient l’un et l’autre
rendus caducs par une erreur remontant à la fin du xviie s. : la préférence,
philologiquement injustifiée, donnée à la leçon de la vulgate pour l’âge de Ménédème,
soit 74 ans, alors que la leçon authentique lui donne en réalité 84 ans d’existence.
Cette rallonge de dix ans a permis de dater correctement un épisode capital de la
biographie : l’envoi, à l’âge de 20 ans environ, du futur philosophe à Mégare comme
garnisaire. Le professeur a pu montrer en effet aux auditeurs que seul le soulèvement
de la plupart des cités de Grèce propre contre le pouvoir macédonien à la mort
d’Alexandre en 323, permettait de rendre compte de cette opération insolite,
Mégariens et Érétriens ayant été alors parmi les très rares peuples à demeurer fidèles
au régent Antipatros. Dès lors, tout s’éclaire : Ménédème, né vers 345/4, eut tout le
loisir, entre 322 et 310 environ de faire les longs séjours de formation à l’étranger
qu’évoque le biographe, et c’est seulement après 304, voire plus tard encore, qu’il a
entamé sa carrière politique à Érétrie ; son décès n’est survenu que vers 262, plusieurs
années après qu’il eut été obligé de fuir sa patrie pour des raisons politiques, laps de
temps pendant lequel il essaya en vain d’obtenir du roi Antigone, son ancien élève,
que fût rendu à ses compatriotes le régime démocratique aboli ou suspendu après la
prise de la ville par ce monarque 268/7 très probablement. C’est donc dans ce cadre
qu’il convient d’ordonner désormais les autres épisodes marquants de la biographie.
Par ailleurs, on a essayé de reconstituer, à l’aide cette fois des décrets érétriens
parvenus jusqu’à nous, les vicissitudes de la « cité de Ménédème », entre 322 et 301,
période particulièrement bien documentée (voir Décrets érétriens, n° VI-XIV).

Quelques-uns de ces documents ont été examinés en séances de séminaire. Ce


fut le cas en particulier, même s’il n’a pas été possible d’en envisager tous les
aspects, d’une inscription érétrienne particulièrement fameuse, datable des années
315-310, la convention pour l’assèchement du lac de Ptéchai, document étudié
naguère par le professseur dans le cadre d’un symposium du Collège de France
organisé par son collègue Pierre Briant, et pour l’interprétation duquel il a bénéficié
des recherches de son élève et assistant Thierry Châtelain sur les modalités
techniques d’une telle entreprise de drainage. Cette inscription parvenue au Musée
épigraphique d’Athènes est malheureusement fort endommagée ; cependant, outre
un texte d’un intérêt capital sur le plan juridique et institutionnel, elle conserve
un fragment de sculpture en relief, où l’on a fait voir qu’il fallait reconnaître, tout
à gauche, la déesse-mère Léto tenant un sceptre, précédée des deux divinités
612 DENIS KNOEPFLER

majeures de la cité, Artémis Amarysia à la torche puis Apollon Daphéphoros


(entièrement perdu) représenté avec la cithare comme sur un autre relief érétrien,
tandis que tout à droite figurait sans doute le dieu au nom duquel l’entrepreneur
étranger Chairéphanès s’engageait vis-à-vis des Érétriens.

IV. La cité à l’époque du roi Démétrios, les ambassades de Ménédème avant et après le
tournant de 286. C’est en bonne partie sous le règne de ce roi Démétrios Poliorcète,
dont Plutarque a laissé une biographie riche en informations, que s’est développée la
carrière politique de Ménédème. Mais il n’est plus possible d’admettre que la
première ambassade du philosophe auprès de ce souverain — celle où il plaida « avec
gravité » (et sans doute succès) la cause de la petite cité d’Oropos, toute vosine
d’Érétrie — eut lieu dès 304, quand ce fils d’Antigone le Borgne se rendit maître de
toute la région : malgré l’autorité de Louis Robert, qui l’avait prônée en 1960, cette
datation se heurte effet à des difficultés insurmontables : il faut donc abaisser
l’époque de l’ambassade jusque vers 295, quand Oropos put être arrachée à la
domination des Athéniens qui étaient alors les adversaires déclarés de Démétrios.
Proche à certains égards de ce souverain, Ménédème fut plus d’une fois député auprès
de lui par ses compatriotes : vers la fin du règne, il se vit confier la mission difficile
d’obtenir un allègement de la très lourde dette que les Érétriens avaient accumulée
(200 talents, une somme colossale pour une cité de cette taille). Il sut également lui
résister : dans un passage mal interprété ou même incorrectement édité, le biographe
indique qu’en tant que haut magistrat (proboulos), il fit obstacle à ceux qui cherchait
à s’appuyer sur le roi pour établir une oligarchie, sauvant ainsi sa cité de la menace
« des tyrans ». Un tel épisode est parfaitement en situation dans la période 294-287,
quand Démétrios imposait un régime de cette nature aux Athéniens eux-mêmes.
De fait, Ménédème continua à exercer de hautes magistratures après le tournant de
287-286, quand, partant pour l’Asie, le roi dut relâcher sa tutelle sur les cités
de Grèce propre, puis leur restituer de fait leur autonomie. De ce retour à la liberté
vers 285 on a un témoignage épigraphique méconnu pendant plus d’un demi-
millénaire : c’est la « loi sacrée » copiée en 1436 par le célèbre voyageur Cyriaque
d’Ancône, décret qui fait état d’une libération de la cité et du rétablissement de la
démocratie après le départ inopiné d’une garnison. Depuis un fameux mémoire de
Maurice Holleaux en 1897 — qui est un chef-d’œuvre insurpassable d’érudition
critique et de rhétorique au service de l’intelligence historique — on a été convaincu
que cette libération était à mettre en relation avec un épisode sensiblement plus
ancien de l’histoire de l’Eubée dans ses rapports avec le Koinon béotien (Holleaux
ayant su démontrer que la cité avait adhéré à la confédération voisine au moment de
promulguer la loi en question). Mais cette exégèse si séduisante se heurte aujourd’hui
à des objections dirimantes. Il faudra donc savoir y renoncer en faveur d’une datation
au milieu des années 280, époque de renouveau pour l’État fédéral béotien. Il n’en
reste pas moins certain que la période béotienne d’Érétrie ne fut pas de longue durée.
Plusieurs documents attestent un prompt retour à l’autonomie et à ses institutions
ancestrales : c’est déjà le cas du décret proposé par Ménédème en personne au
lendemain de la victoire du roi Antigone à Lysimacheia en 278, décret non retrouvé
ÉPIGRAPHIE ET HISTOIRE DES CITÉS GRECQUES 613

mais conservé en partie par Diogène Laërce. La magistrature traditionnelle des


probouloi survécut même à la mise sous tutelle de la cité après 267, comme le prouve
un décret publié par le professeur en 2001 (Décrets érétriens, n° 15), qui témoigne
éloquemment de la situation politique et financière critique d’Érétrie vers 260-250,
à la veille de la sécession d’Alexandre fils Cratère, gouverneur royal dont le nom
figure en tête de ce document.

Dans une séance de séminaire tenue le 18 avril 2008, le professeur d’abord puis
surtout Mme Brigitte Le Guen, professeur à l’Université de Paris VIII, ont examiné
avec les auditeurs une inscription eubéenne justement célèbre, la loi sur les
« technites dionysiaques » (acteurs et musiciens) émanant des quatre cités de l’île
et datant à coup sûr de la domination de Démétrios Poliorcète (soit très
probablement des années 295-287 environ). Spécialiste reconnue de l’histoire du
théâtre grec en général et des associations d’artistes en particulier, elle a pu mettre
en évidence l’intérêt exceptionnel de cette inscription, bien au-delà du cadre
historique strictement eubéen (cf. Bull. épigr. 2007, 328).

V. La structure du corps civique et l’organisation du territoire à la haute époque


hellénistique. Deux séances ont été finalement consacrées à cet aspect de l’enquête
sur l’histoire d’Érétrie, qui n’est certes pas le moins intéressant, compte tenu du fait
que très rares sont en définitive les cités qui offrent une documentation comparable
sur les subdivisions territoriales et d’abord civiques. C’est d’une part que l’Érétriade
ou Érétrique était un pays d’une étendue assez considérable, presque la moitié de
l’Attique ou territoire d’Athènes ; et c’est d’autre part que les Érétriens ont
visiblement été influencés par le modèle athénien, qu’ils ont toutefois su adapter
sans servilité aux réalités géographiques et démographiques locales. L’exposé du
professeur a essayé de mettre en lumière les principales étapes de la recherche depuis
plus d’un siècle, quand apparurent les premières listes de citoyens portant un
démotique. Une étape importante fut franchie en 1947 avec l’étude du canadien
W. Wallace, qui put établir de façon incontestable que les quelque cinquante dèmes
ou villages connus alors étaient regroupés en cinq « districts », lesquels, comme cela
fut plus tard démontré, s’appelaient en fait chôroi. C’est fort récemment seulement,
en revanche, que les travaux du professeur ont fait apparaître une structure qui avait
été totalement négligée jusque-là, celle des phylai ou tribus. Il a montré qu’elles
devaient être au nombre de six ; et c’est en fonction de cette division « tribale » que
— sauf cas particulier (contexte militaire notamment) — se répartissaient les citoyens
sur les grandes stèles conservées en totalité ou en partie. Il en a administré une
nouvelle preuve en examinant un fragment encore inédit se rattachant à un morceau
déjà connu (IG XII 9, 247). C’est le reste d’une des six stèles où fut gravé, à l’époque
de Ménédème (dont le nom figure sur une des stèles), un recensement complet de la
population adulte mâle. Tout récemment (2006), l’historien danois Mogens Hansen
a essayé de tirer parti de cette documentation désormais exploitable à des fins de
démographie historique. Sa méthode et les résultats obtenus ont fait l’objet d’une
présentation critique (cf. Bull. épigr. 2007, n° 327).
614 DENIS KNOEPFLER

Lors d’une séance de séminaire (16 mai 2008), M. Sylvian Fachard, secrétaire
scientifique de École suisse d’achéologie en Grèce, auteur d’une thèse maintenant
achevée sur Les fortifications de l’Érétriade à l’époque classique et hellénistique, a
entretenu le public de ses recherches et de ses fouilles ; son exposé très richement
illustré a montré tout ce qu’une exploration systématique du territoire apportait à
la connaissance de la polis Eretriéôn, de son organisation, de son économie et
d’abord, bien sûr, de son système de défense.

La nouvelle inscription de Dikaia, colonie d’Érétrie

Le 30 mai 2008, au séminaire comme déjà dans le cours, le professeur Emmanuel


Voutiras (Université de Thessalonique) a présenté le très important document qu’il
vient de publier avec son collègue K. Sismanidis, Ancient Macedonia. Papers read
at the VIIth Symposium, 2007 p. 253-274, en grec moderne). En attendant le texte
qu’il donnera dans les CRAI 2008, 2e fascicule (assorti des remarques du titulaire
de la chaire lors de la communication faite par cet historien à l’Institut de France ;
cf. aussi Bull. épig. 2008, n° 263 et 339), on trouvera ici un bref résumé de sa
présentation.

Trouvée au printemps 2001 par le propriétaire d’un terrain situé sur une colline
du village d’Aghia Paraskevi, dans la basse vallée de l’Anthémonte, à environ 15 km
au sud-est de Thessalonique, cette inscription, longue de 105 lignes, contient une
série de décrets portant sur les conditions et modalités de la réconciliation à
effectuer au sein de la cité des Dikaiopolites, ainsi que le texte du serment par
lequel ils s’engagent tous à maintenir la paix civile en respectant les accords et
l’amnistie décrétés. Le texte est daté par la mention du roi Perdikkas III de
Macédoine (365-359 av. J.-C.), qui est le garant du traité. Le premier résultat de
l’étude a été de permettre de localiser la colonie érétrienne de Dikaia sur la côte
orientale du golfe Thermaïque, non pas certes à l’endroit d’où proviendrait la stèle
selon le paysan qui l’a remise au Service archéologique (malgré l’existence, là, d’un
établissement archaïque et classique de caractère agricole), mais, sur la base d’un
témoignage décisif et d’un faisceau d’indices, au site occupé aujourd’hui par la
petite ville côtière de Nea Kallikrateia (à quelques 40 km de Thessalonique), qui
s’est avéré être le véritable lieu de la découverte. La localisation de Dikaia sur la
côte de la Crousside s’accorde parfaitement avec les témoignages épigraphiques,
notamment avec la mention de cette cité entre Aineia et Potidaia dans la liste des
théarodoques d’Épidaure. La seule difficulté est que Dikaia ne figure pas dans
l’énumération détaillée des bourgades côtières de la Crousside que fournit, chez
Hérodote, l’itinéraire de la flotte de Xerxès vers Thermè. Mais cette objection peut
aisément être écartée, si la colonie érétrienne de Dikaia été fondée seulement après
les guerres médiques, vers 470 av. J.-C. (date limite basse). De fait, on connaît
dans cette région d’autres colonies datant du ve siècle av. J.-C., plus précisément
de la pentékontaétia entre les guerres médiques et la guerre du Péloponnèse : c’est
le cas de Bréa et surtout d’Amphipolis, toutes deux colonies athéniennes.
ÉPIGRAPHIE ET HISTOIRE DES CITÉS GRECQUES 615

Bien qu’il ne s’agisse pas d’un texte purement dialectal, l’inscription n’est sans
intérêt pour la langue parlée à Dikaia, car elle contient des formes ioniennes qui se
retrouvent dans les inscriptions d’Eubée (et en particulier d’Érétrie) et de la
Chalcidique. On notera cependant l’absence du rhotacisme, trait spécifiquement
érétrien attesté au ve et dans la première moitié du ive s. av. J.-C., absence qui pourrait
s’expliquer de deux manières, soit que Dikaia eût été fondée à une date encore
antérieure à l’apparition de ce phénomène, soit qu’elle eût subi de bonne heure
l’influence du dialecte eubéen de ses voisins les Chalcidiens de Thrace, lequel ne
connaît effectivement pas le rhotacisme. Compte tenu de la date proposée ci-dessus
pour la fondation de Dikaia, c’est la seconde explication qui paraît devoir être
retenue. Il faut remarquer aussi que l’onomastique de Dikaia, telle qu’elle apparaît
dans ce document, est purement érétrienne, puisque tous les noms de personnes se
retrouvent à Érétrie, à l’exception d’un seul, Argaios, qui est sans aucun doute
d’origine macédonienne.
À l’intérieur du bref règne de Perdikkas III (365-359 av. J.-C.), il paraît possible de
préciser encore davantage la date de l’inscription en fonction des événements
survenus dans la région au cours de ces six ans. L’intérêt des rois de Macédoine pour
la vallée de l’Anthémonte et la Crousside remonte haut dans le temps. Mais au début
du ive s. cette zone du golfe Thermaïque limitrophe de la Confédération chalcidienne
était devenue un enjeu important dans les manœuvres des grandes puissances. Ayant
adhéré à la Seconde ligue athénienne dès sa fondation en 377 av. J.-C., Dikaia se
trouvait dans le camp des adversaires des Chalcidiens, toujours hostiles aux tentatives
des Athéniens pour remettre la main sur Amphipolis. Dans ce but, Athènes avait
cherché à gagner le soutien des rois de Macédoine. C’est ce qu’avait fait notamment
Iphicrate, ami personnel d’Amyntas III, en 370/69, sans grand succès, faute de
moyens suffisants. Mais en été 364 l’Athénien Timothéos revint avec une flotte plus
importante et, avec l’appui du jeune roi Perdikkas désormais majeur, il parvint à
s’emparer de Potidée et de Toronè aux dépens des Chalcidiens. Cette victoire permit
sans doute à Perdikkas d’étendre son influence sur la Crousside, y compris Dikaia.
On peut montrer que si Perdikkas s’allia alors avec Timothéos, c’est pour lutter
contre Pausanias, prétendant au trône de Macédoine, qui « disposait d’une armée de
soldats grecs et s’était emparé d’Anthémonte, de Therma, de Strepsa et de quelques
autres places ». La base de son pouvoir se trouvait donc dans la Mygdonie orientale.
Or, on retrouve ce Pausanias parmi les théarodoques d’Épidaure (vers 360 av. J.-C.)
où il représente Kalindoia, une cité de cette région, de même que sur des monnaies
de la même période. Très vraisemblablement, Pausanias avait le soutien des
Chalcidiens de Thrace, ennemis à la fois d’Athènes et du royaume de Macédoine.
L’inscription fournit également de précieuses informations sur la topographie
publique et sacrée de la ville de Dikaia : outre l’agora et le sanctuaire d’Apollon
Daphnéphoros, elle mentionne un sanctuaire d’Athéna, située sans doute sur
l’acropole, exactement comme celui qu’ont révélé tout récemment, à Érétrie même,
les fouilles menées sur l’acropole par S. Huber. Toutefois, il ne fait aucun doute
qu’Apollon Daphnéphoros était la divinité principale de Dikaia comme d’Érétrie :
616 DENIS KNOEPFLER

c’est ce dieu, en effet, qui garantit le serment, et c’est à son profit que seront
confisqués les biens des contrevenants éventuels. On y apprend par ailleurs que
« les sanctuaires les plus saints » de la cité étaient au nombre de trois (l. 6) : il est
donc raisonnable de penser que la troisième de ces divinités majeures n’était autre
qu’Artémis Amarysia, exactement comme dans la métropole.
La prééminence du culte d’Apollon Daphnéphoros est mise en évidence par la
mention d’un mois nommé Daphnéphoriôn, attesté ici pour la première fois : il
s’agit sans aucun doute d’un emprunt au calendrier érétrien, étudié naguère par le
professeur Knoepfler dans le cadre d’une étude d’ensemble sur les calendriers des
cités de l’Eubée et de leurs colonies (Journal des Savants, 1989). Il faudra désormais
en modifier partiellement les conclusions en fonction de ce nouveau nom de mois,
que l’on est tenté de placer en tête de l’année chalcido-érétrienne (qui commençait
aux alentours du solstice d’hiver). Le nom de ce nouveau mois invite en outre à
postuler l’existence, à Dikaia comme d’abord à Érétrie, d’une grande fête annuelle
appelée Daphnéphoria.

Activités diverses

Comme les années précédentes, le professeur a poursuivi en Grèce ses travaux


épigraphiques en rapport avec la topographie et l’histoire de la Béotie (édition
commentée du livre IX de Pausanias) comme aussi de l’Eubée (dossiers d’inscriptions
à publier). En août-septembre 2007, il a assumé la responsabilité scientifique de la
seconde campagne de fouille menée près d’Érétrie en Eubée par l’École suisse
d’archéologie en Grèce en vue de mettre au jour le grand sanctuaire d’Artémis à
Amarynthos. Si les sondages de 2006 n’avaient pas été entièrement concluants à
cet égard, ceux de 2007 ont révélé une structure fort importante, que l’on a de
bonnes raisons de mettre en relation avec le sanctuaire recherché depuis si
longtemps. Cette découverte, qui a reçu un large écho dans la presse grecque et
helvétique, a fait l’objet d’un rapport détaillé d’ores et déjà publié (voir ci-dessous
n° 7). L’identification définitive dépendra des trouvailles, notamment épigraphiques,
à venir dans les terrains à investiguer au voisinage.
À l’Académie des Inscriptions et Belles-Lettres, il a patronné la note d’information
présentée par le professeur E. Voutiras (Université de Salonique) sur une nouvelle
inscription de Dikaia de Thrace (1er juin 2008) ; il a été chargé par la même
Académie de faire rapport sur le mémoire de M. Cédric Brélaz, membre étranger
de 3e année de l’École française d’Athènes, intitulé : « Les premiers comptes du
sanctuaire d’Apollon à Délion et le concours panbéotien des Délia » (travail à
paraître dans le périodique de cet établissement).
Le professeur a été associé au jury de la thèse M. Thibaut Boulay, Les cités
grecques et la guerre en Asie Mineure à l’époque hellénistique, thèse dirigée par le
professeur Maurice Sartre (Institut Universitaire de France) et soutenue devant
ÉPIGRAPHIE ET HISTOIRE DES CITÉS GRECQUES 617

l’Université de Tours le 7 décembre 2007. D’autre part, dans le cadre de sa dernière


année d’enseignement à l’Université de Neuchâtel (Suisse), il a eu la satisfaction de
mener à soutenance la moitié environ des quelque dix thèses qu’il y dirigeait
encore, à savoir :
— M. Thierry Châtelain (thèse en cotutelle avec l’Université de Paris IV-
Sorbonne, prof. André Laronde) : La perception et l’exploitation des milieux palustres
dans l’Antiquité : La Grèce et ses marais (29 novembre 2007) ;
— Nathan Badoud (thèse en cotutelle avec l’Université de Bordeaux 3, prof.
Alain Bresson) : La cité de Rhodes : de la chronologie à l’histoire (20 décembre
2007) ;
— Adrian Robu (thèse en cotutelle avec l’Université du Mans, prof. Alexandru
Avram) : La cité de Mégare et ses établissements coloniaux en Sicile, dans la Propontide
et le Pont Euxin : histoire et institutions (19 février 2008) ;
— Fabienne Marchand : Tanagraïka Mnêmata : recherches sur le matériel
archéologique et épigraphique provenant des anciennes fouilles de Tanagra en Béotie
(ler avril 2008) ;
— Frédéric Hurni : Théramène ne plaidera pas coupable. Un homme politique
athénien dans les révolutions athéniennes de la fin du V e siècle avant J.-C. (19 mai
2008).

Toutes ces thèses ont obtenu l’appréciation la plus favorable (summa cum laude)
et seront, pour la plupart, publiées à très brève échéance.

Distinction

Le professeur a reçu le Prix 2008 de l’Institut Neuchêlois, organe culturel de la


République et Canton de Neuchâtel (Suisse). Cette distinction lui a été octroyée lors
d’une cérémonie publique le 15 mars 2008 au Musée Internationale de l’Horlogerie
à La Chaux-de-Fonds. La laudatio du lauréat a été prononcée par l’helléniste André
Hurst, ancien recteur de l’Université de Genève. Après un intermède au cours duquel
deux jeunes musiciennes suisses domiciliées à Bruxelles exécutèrent une sonate de K.
Szymanowski, Mythes — dont Narcisse en deuxième mouvement —, le professeur fit
une conférence illustrée sur La patrie de Narcisse : un mythe antique enraciné dans la
terre et dans l’histoire d’une cité grecque, texte dont une version remaniée et étoffée
paraîtra très prochainement chez un éditeur parisien.

Par ailleurs, en juin 2008, au moment de quitter la Faculté des lettres et sciences
humaines de l’Université de Neuchâtel où il aura enseigné trente ans durant,
d’abord en tant que maître assistant, puis, dès 1984, comme professeur titulaire de
la chaire d’archéologie classique et d’histoire ancienne, il a reçu le titre de
« professeur honoraire » de cette Université.
618 DENIS KNOEPFLER

Colloques, Conférences

1. « Enseigner au Collège de France : pour quel public, sur quelles matières, dans quelles
conditions ? », causerie présentée devant le Lycéum-Club de Neuchâtel, 8 novembre 2007.
2. « Du vallon des Muse Héliconiades à l’Éros thespien de Praxitèle avec Pausanias et
François Chamoux », communication à l’Académie des Inscriptions et Belles-Lettres dans le
cadre de la journée d’hommage à l’helléniste François Chamoux (1915-2007), Paris,
11 janvier 2008.
3. « L’Étolie victorieuse des Galates à Delphes et à Thermos : réflexions autour d’une
statue-trophée et de son image monétaire à l’époque des monarchies hellénistiques »,
communication donnée au colloque Image du pouvoir, Pouvoir de l’image, organisé à
l’Université de Bâle par l’Association interdisciplinaire EIKONES, Bâle, 19 mai 2008.
4. « L’institution du concours musical des Artémisia d’Amarynthos : retour sur une
inscription d’Érétrie un siècle après sa découverte », conférence-séminaire donnée à la Scuola
Normale Superiorie di Pisa, à l’invitation de son directeur, le prof. Carmine Ampolo, Pise,
12 juin 2008.
5. Présentation à l’Académie des Inscriptions et Belles-Lettres du volume collectif intitulé
Old and New Worlds in Greek Onomastics, edited by Elaine Matthews, London, The British
Academy 2007, Paris, 26 septembre 2008.

Publications

1. « Polymnis est-il l’authentique patronyme d’Épaminondas ? », in : M.B. Hatzopoulos


(éd.), ΦωΝΗΣ ΧΑΡΑΚΤΗΡ ΕΘΝΙΚΩΣ. Actes du V e Congrès International de dialectologie
grecque, Athènes 28-30 septembre 2006 (Mélétémata 52), Athènes 2007, p. 117-135, avec
une pl.
2. « Pausanias en Béotie, 3e partie : la Béotie du Copaïs », Annuaire du Collège de France,
Résumés des cours et travaux 2006-2007, 107, 2008, p. 637-662.
3. « Un don des amis du Louvre au Département des Antiquités grecques, étrusques et
romaines : la lettre d’Hadrien aux habitants de Naryka (Locride) », avec Alain Pasquier,
Comptes Rendus de l’Académie des Inscriptions et Belles-Lettres 2006 (2008), p. 1283-1313.
4. « Débris d’évergésie au gymnase d’Érétrie », in : O. Curty et M. Piérart (éd.),
Évergétisme et gymnasiarchie dans les cités hellénistiques, Fribourg-Paris, 2008, p. 203-257.
5. « Un apport épigraphique au texte reçu des Stratagèmata de Polyen », Revue de
Philologie, de littérature et d’histoire ancienne, 80, 1, 2006 (2008), p. 57-62.
6. « Béotie - Eubée », dans le Bulletin épigraphique de la Revue des Études Grecques 120,
2007, p. 665-686 n° 304-334.
7. « Bilan et perspectives [conclusion du rapport sur la seconde campagne de fouille de
l’École suisse d’archéologie en Grèce à Amarynthos, Eubée] », Antike Kunst 51, 2008,
p. 165-171.
8. « Un exemple d’aménagement du territoire dans l’Antiquité gréco-romaine : le dossier
épigraphique de Coronée (Béotie) », avec la collaboration de Thierry Châtelain, La Lettre
du Collège de France 21, 2007, p. 10-11 (= The Letter of Collège de France, 3, 2008,
p. 17-18).
9. « Un témoignage helvétique sur le quatrième centenaire du Collège de France », La
Lettre du Collège de France 23, 2008, p. 55-56.
ÉPIGRAPHIE ET HISTOIRE DES CITÉS GRECQUES 619

Activités des collaborateurs

Les titulaires des deux postes d’ATER accordés à la chaire d’épigraphie et


d’histoire des cités grecques sont arrivés à la fin de leur mandat en septembre 2008.
L’un, M. Thierry Châtelain, titulaire d’un DEA de l’Université de Paris IV-
Sorbonne, a pu achever sa thèse de doctorat consacrée à l’exploitation des terres
marécageuses en Grèce ancienne, qu’il a soutenue à Neuchâtel le 29 novembre
2007 (voir ci-dessus sous « Autres activités ») et dont il prépare maintenant la
publication ; cela lui a permis d’obtenir l’inscription sur la liste d’aptitude à un
poste de maître de conférence, mais, tout en ayant été fort honorablement classé
en diverses universités françaises, il n’a pas été en mesure de décrocher un poste
dès cette année. Par ailleurs, il a poursuivi et poursuivra encore avec le professeur
sa collaboration à l’entreprise des Testimonia Eretriensia, qu’il s’est engagé à mener
jusqu’à son terme. Il est coauteur de l’article signalé ci-dessus sous le n° 8.
L’autre poste a été occupé, de 2006 à 2008 également, par Mlle Claire Grenet,
diplômée de l’Université de Lyon 2-Lumière. qui a pu avancer considérablement
sa thèse sur la cité de Chéronée en Béotie, patrie de Plutarque (voir rapport
précédent). Cette année, elle a travaillé en particulier sur le corpus épigraphique,
constituée de près de deux cent cinquante inscriptions, qui lui permettront de
présenter une analyse précise des instituions politiques et religieuses ; son intérêt
s’est porté également sur la manière dont cette petite cité frontalière a été intégrée
dans les structures et les organes de la Confédération béotienne, tout en conservant
des liens privilégiés avec ses voisines immédiates en Phocide ou avec la grande cité
d’Orchomène sur le Copaïs, sans oublier ses rapports avec les autorités romaines
jusque sous l’Empire. En juin 2008, elle a pu effectuer un nouveau séjour en Grèce
(Ecole française d’Athènes) pour compléter sa connaissance des réalités
archéologiques de la ville et du territoire de Chéronée. Au terme de son mandat
au Collège, elle a pu obtenir un poste d’ATER au Département d’histoire de
l’Université de Rennes 2 pour la rentrée universitaire 2008, ce qui lui permettra
certainement d’achever sa thèse d’ici une année. Les deux nouveaux titulaires de
ces postes pour l’année 2008/2009 sont MM. Damien Aubriet, doctorant à
l’Université de Paris IV-Sorbonne (thèse sur Mylasa de Carie avec le prof. André
Laronde), qui a fait carrière jusqu’ici dans l’enseignement secondaire, et Adrian
Robu, jeune chercheur roumain, qui vient de soutenir à l’Université de Neuchâtel
une thèse d’histoire ancienne (Mégare et ses colonies) élaborée sous la direction du
professeur en cotutelle avec l’Université du Mans (prof. Alexandru Avram).
Religion, institutions et société de la Rome antique

M. John Scheid, professeur

1. COURS : LE CULTE DES EAUX ET DES SOURCES DANS LE MONDE ROMAIN


UN SUJET PROBLÉMATIQUE, DÉTERMINÉ PAR LA MYTHOLOGIE MODERNE

Nullus enim fons non sacer, « il n’y a de source, en effet, qui ne soit sacrée ». C’est
en ces termes que le commentateur de l’Enéide de Virgile, Servius, expliquait l’emploi
par le poète, de l’expression sacer fons, « source sacrée », au vers 84 du livre 7.
Cette formule lapidaire met à l’aise le lecteur moderne qui est persuadé que le
sujet n’a rien de surprenant. La source est sacrée, on vénère et on supplie le sacré
qui est dans l’eau pour obtenir un bienfait, généralement la santé. Voilà ce que le
lecteur entend en lisant le commentaire de Servius. C’est la sacralité active de l’eau
qui semble en cause, c’est cela que les Anciens étaient censés rechercher. Et le
lecteur pense immédiatement à Lourdes, à Vichy, Ax, Ferrières, Spa, Bagnères-de-
Bigorre et tant d’autres stations thermales. La formule de Servius n’a toutefois pas
le sens que les modernes ont tendance à lui accorder après un siècle et demi de
thermalisme. Pour désarmer le contresens potentiel, nous avons examiné le mythe
moderne qui détermine notre perception du culte des sources. Depuis l’époque
romantique, il existe en effet une approche particulière des phénomènes naturels
et de leur culte, qui exprime une vision chrétienne de la nature et de ses merveilles,
et qui s’inspire des pratiques populaires. Le thème du culte de l’eau s’est répandu
à travers l’Europe du Nord, en Allemagne et en France notamment, où le thème
s’est fortement développé. On le trouve déjà dans la Deutsche Mythologie de Jakob
Grimm, qui fut publiée en 1835. En France, le thème est ressassé depuis la même
époque. Le début de la XVe leçon sur La religion des Gaulois d’Alexandre Bertrand
(Paris 1887, 191-212) suffit pour résumer le thème : « À côté du culte des pierres,
à côté du culte du soleil et du feu existait en Gaule le culte des eaux, des sources,
des fontaines, des lacs et des rivières. Ce culte très répandu paraît même avoir été
celui qui répondait le mieux aux instincts religieux de nos populations primitives,
622 JOHN SCHEID

celui qui parlait le mieux à leur esprit et à leur cœur. Ce culte a laissé sur le sol les
traces les plus nombreuses et les plus profondes. Nous oserions le qualifier de culte
national par excellence. » Quant à l’antiquité évidente de ce culte, Bertrand
considérait qu’il n’avait pas « été introduit par Rome en Gaule ; l’influence religieuse
des Romains en Gaule, tout à fait superficielle, se fit à peine sentir aux couches
profondes de la population. On ne peut l’attribuer aux Galates conquérants qui,
sans clergé et d’ailleurs relativement peu nombreux, avaient abandonné aux druides
le gouvernement des âmes. Ces superstitions, ces pratiques qui relèvent de la vieille
croyance aux esprits, peuvent avoir été plus ou moins réglées, réglementées par les
druides, comme cela paraît avoir également été pour les feux solsticiaux ; les druides
n’en ont point été les premiers missionnaires. Ce culte, comme celui des pierres,
comme celui du feu, est prédruidique, s’il n’est pas préceltique. Il est le produit de
la race. »

Ce thème cher aux folkloristes eut une fortune particulière chez les historiens de
l’Antiquité. Jules Toutain le reprend dans le premier volume de ses Cultes païens dans
l’Empire Romain (Paris, 1907, I, 372-284), il l’a aussi étendu au culte des eaux dans
la Grèce antique (Nouvelles études de mythologie et d’histoire des religions antiques,
Paris 1935, 268-294). Camille Jullian a écrit dans sa monumentale Histoire de la
Gaule (VI, Paris 1920, 56) que « la moitié de la vie dévote, pour le moins, se passe
auprès des fontaines ; et les lieux de rendez-vous les plus populaires, ceux où l’on
rassemble le plus d’idoles, de chapelles et de croyants, sont ceux où la multiplicité
des eaux peut faire croire aux hommes que les dieux y tiennent assemblée ». Dans la
lignée de cette tradition, Albert Grenier a consacré l’épais IVe volume de son Manuel
d’architecture gallo-romain (Paris 1960) aux Villes et sanctuaires des eaux. Comme S.
Deyts, par exemple, l’a déjà souligné (« Cultes et sanctuaires des eaux en Gaule »,
dans Archeologia 37, 1986, 9-30, notamment p. 19), le recensement fait par Grenier
oriente « parfois le lecteur vers certaines conclusions hâtives ». S. Deyts conclut avec
beaucoup de bons sens : « Un sanctuaire, tout comme un village ou un établissement
agricole, ne peut s’installer qu’à proximité d’un point d’eau. De ce fait, la liaison
entre vital et sacramental ne peut pas être prise comme postulat. »

Ce genre de raisonnements n’est pas l’apanage exclusif des historiens et


archéologues français. Pour prendre un exemple, je peux citer l’article de Giancarlo
Susini, l’épigraphiste éminent de Bologne, qui, dans un article important réunissant
les données sur les cultes salutaires et les cultes des eaux en Italie Cispadane, écrit
qu’on trouvera difficilement un acte ou une manifestation de religiosité antique ou
médiévale qui n’implique pas au fond un culte des eaux (Giancarlo Susini, « Culti
salutari e delle acque : materiali antichi nella Cispadana », dans Studi romagnoli 26,
1975, 321-338, notamment 322).

À cette approche héritée de l’époque romantique et nationaliste s’est ajoutée plus


récemment un thème tout aussi efficace : celui de la phénoménologie religieuse,
telle qu’elle s’est diffusée sous l’influence des œuvres de Mircea Eliade. À la base
de ces théories se trouve le postulat que tous les phénomènes religieux sont
RELIGION, INSTITUTIONS ET SOCIÉTÉ DE LA ROME ANTIQUE 623

identiques, partout et toujours. Ce principe a conduit à une sorte de comparatisme


direct dans lequel tout est censé correspondre à tout, et a créé des figures comme
les Déesses mères, ou a attribué à des divinités indiennes des noms latins et vice-
versa. Et ainsi de suite. La critique de cette approche n’est plus à faire. Sous
l’influence des anthropologues, les historiens se sont progressivement aperçu que
le comparatisme universel que pratique M. Eliade et ceux qui le suivent est en fait
une interprétation du monde suivant des critères occidentaux modernes. Cette
inclination à assimiler toute conception religieuse à la nôtre rejoint la perspective
romantique et sa vénération de la nature sacralisée, et a eu pour conséquence que
les théories phénoménologiques se sont harmonieusement coulées dans le moule
de l’historiographie traditionnelle.

Pour ce qui concerne le culte des eaux, M. Eliade institue les cultes des eaux à côté
des dieux ouraniens, des cultes solaires, de la mystique lunaire, des pierres et des
arbres sacrés, de la terre et de la fécondité (Traité d’histoire des religions, Paris 19742,
165-187). Son cinquième chapitre, consacré au Eaux et au symbolisme aquatique
commence par cette phrase : « Dans une formule sommaire, on pourrait dire que les
eaux symbolisent la totalité des virtualités ; elles sont à la fois fons et origo, la matrice
de toutes les formes d’existence. » À l’appui, M. Eliade cite des textes védiques. Cette
virtualité de toutes les formes, les Eaux (avec majuscule) la remplissent partout :
« Quelle que soit la structure des ensembles culturels dans lesquels elles se trouvent,
elles précèdent toute forme et supportent toute création. L’immersion dans l’eau
symbolise la régression dans le préformel, la régénération totale, la nouvelle naissance,
car une immersion équivaut à une dissolution des formes, à une réintégration dans le
mode indifférencié de la préexistence… Le contact avec l’eau implique toujours la
régénération ; d’une part, parce que la dissolution est suivie d’une ‘nouvelle
naissance’, d’autre part, parce que l’immersion fertilise et augmente le potentiel de
vie et de création. L’eau confère une ‘nouvelle naissance’ par un rite initiatique, elle
guérit par un rituel magique », et ainsi de suite. Un peu plus loin (169), nous lisons
que « Symbole cosmogonique, réceptacle de tous les germes, l’eau devient la
substance magique et médicinale par excellence ; elle guérit, elle rajeunit, assure la
vie éternelle ». Et encore « L’eau vive rajeunit et donne la vie éternelle ; toute eau, par
un processus de participation et de dégradation… est efficiente, féconde ou
médicinale. De nos jours encore, dans la Cornouaille, les enfants malades sont
immergés trois fois dans le puits de Saint-Mandron. En France, le nombre de
fontaines et de rivières guérissantes est considérable… hors de ces sources, d’autres
eaux possèdent une valeur en médecine populaire. » Comme preuve pour ces
affirmations, Eliade cite le Folkore de France de Paul Sébillot, notamment au volume
II, 175-303 (Paris 1905), et d’autres folkloristes, anglais ou allemands, qui tous
reprennent et développent les théories romantiques sur les cultes naturels, sur le sacré
qui résiderait et se manifesterait dans les phénomènes naturels. Jamais un document
précis n’est cité dans son contexte ; seules sont invoqués quelques citations et des
résumés établis par des folkloristes. Rien dans cette superficialité anachronique ne
surprend le lecteur d’aujourd’hui, et pour cause : elle exprime élégamment la
624 JOHN SCHEID

communis opinio de l’Occident moderne, et son point de vue sur la religiosité, tel
qu’il a été forgé par quinze siècles de pensée et de pratique judéo-chrétienne. Le
véritable intérêt du Traité d’histoire des religions de M. Eliade, tout comme les écrits
plus anciens des folkloristes et de ceux qui s’en inspirent réside dans une réflexion
contemporaine sur la religiosité, la nôtre et celle des autres, mesurée à l’aune de nos
concepts et a priori.

Les pages que Georg Wissowa (Religion und Kultus der Römer, Munich 19122,
219-229) a consacrées aux divinités des sources et des fleuves donnent toutes les
informations sur les divinités en cause, sur leur culte et leurs particularités et
reconnaissent parfaitement le caractère guérisseur de certaines de ces divinités, mais
sans invoquer comme argument la survivance de ces fonctions dans le folklore
moderne. De la même manière, G. Dumézil se conforme à la constatation qu’il
fait dans le chapitre de sa Religion romaine archaïque intitulé Forces et éléments (Paris
19872, 379) : « En face de (l’)imposante représentation des forces qui animent
l’agriculture et l’élevage, en face de Tellus qui les soutient et de Carna qui en rend
efficaces les produits, les Romains n’ont pas fait large la part divine de l’eau. » Et
dans la suite, sur deux pages, il donne un résumé de Wissowa, avec quelques
remarques de son crû. Pas davantage que chez Wissowa, le naturalisme religieux et
ses avatars romantiques ne jouent un rôle dans l’œuvre de Dumézil. C’est ce point
de vue que nous avons adopté au cours de ces leçons.

Mais l’intitulé du cours, la mention du culte des eaux, ne sont-ils pas déjà un
choix, une concession faite à la phénoménologie ou au folklore ? D’une certaine
manière oui, mais il faut bien se comprendre et savoir de quoi on parle. En
revanche, les eaux et les sources ne sont pas pour nous les éléments vénérés en tant
que tels, mais la propriété des divinités des sources ou des cours d’eau, près desquels
et dans lesquels elles résident.

Revenons aux théories du passé concernant les eaux et les sources. Chez les
folkloristes aussi bien que M. Eliade (cf. Traité 38) et ceux qui adoptent leurs idées,
on décèle trois a priori avant tout. Le premier est fondamental et dépasse largement
les eaux et les sources : tout phénomène naturel est censé être sacré. Et par sacré,
ces théories entendent une qualité intrinsèque et agissante, presque indépendante
de la divinité qui est en cause, telle qu’elles a été définie dans le célèbre livre de
Rudolf Otto sur Das Heilige (1917, traduit en français sous le titre Le Sacré en
1929), ou dans les autres travaux de la phénoménologie religieuse, comme ceux de
Van der Leeuw ou de L. Lévy-Bruhl. Tous ces travaux conféraient une substance
suprahistorique à cette notion, à cette essence, même si elle était liée, les documents
obligent, à une hiérophanie. C’est une interprétation philosophique et théologique
de l’histoire religieuse, qui aboutit au mystère de l’incarnation, comme chez Eliade,
et non une enquête historique. Il va sans dire que cette position ne peut aller de
pair qu’avec une approche très superficielle et réductrice des sources. En tout cas,
le fait que dans les phénomènes naturels insolites se manifeste « le Sacré » est un
premier a priori qu’il faut vérifier.
RELIGION, INSTITUTIONS ET SOCIÉTÉ DE LA ROME ANTIQUE 625

La déduction de ce premier a priori est que l’eau, en tant que phénomène naturel
souvent surprenant, est sacrée en elle-même. Cette déduction, qui paraît être
confirmée par des documents comme le passage de Servius cité plus haut, n’implique
toutefois pas que ce caractère sacré doive être interprété comme le font Eliade ou
les folkloristes. Enfin, le troisième a priori réside dans la vertu guérisseuse de l’eau.
Cette affirmation non plus n’est pas fausse. Il existe des divinités de sources qui
ont des vertus salutaires ou curatives. Mais cette activité thérapeutique n’est pas la
raison de leur caractère sacré et de leur culte. Malgré un avertissement (« Épigraphie
et sanctuaires guérisseurs en Gaule », dans Mélanges de l’École Française de Rome.
Antiquité 104, 1992, 25-40), que certains collègues ont pris au sérieux,
l’interprétation traditionnelle continue. On peut par exemple lire dans un article
et un ouvrage récents que nous ne parlerions en fait que des textes et des inscriptions,
mais que dans la réalité, sur le terrain, dans l’archéologie, il en irait différemment.
On nous apprend dans cet article qu’« il convient… de mettre entre parenthèses,
sur des matières aussi délicates et qui touchent aux mentalités profondes, le
scepticisme de mise chez les purs intellectuels — il s’agit de l’auteur de ce cours —,
qui risquent de passer à côté de survivances précieuses » (Raymond Chevallier,
« Problématique de l’étude des cultes des eaux thermales : Gaule et Italie du Nord »,
dans Lidio Gasperini, Usus veneratioque fontium. Fruizione e culto delle acque
salutari nell’Italia romana <1993>, Tivoli 2006, 139-160, notamment 153). Nous
nous sommes par conséquent attaché dans ces cours à prouver une fois de plus,
non seulement à partir des documents explicites, qu’il s’agisse des textes littéraires
et des inscriptions, nourriture du « pur intellectuel », mais encore à l’aide des
sources archéologiques explicites, explorées la truelle et le crayon à la main, que
toutes les sources et eaux ne sont pas guérisseuses, et que celles qui le sont opèrent
selon d’autres modalités que nos centres thermaux modernes ou nos hôpitaux.

À ce propos, nous avons brièvement mentionné l’argument de la survivance, qui


est régulièrement invoqué depuis le XIXe s. Tel qu’il est utilisé dans la bibliographie
plus ancienne, c’est-à-dire de façon très superficielle et acritique, il ne vaut rien.
Constater que telle source se trouve près d’une église où se déroulent des dévotions et
où auraient lieu des miracles, ne suffit pas pour établir l’existence d’un culte de source
antique, et notamment d’une source guérisseuse. Le sujet est en lui-même passionnant,
et devrait mériter une attention scientifique plus grande. Mais pour ce faire, il
convient de travailler sur les documents plutôt que de se fonder sur des intuitions
déterminées par le folklore chrétien ou l’hagiographie mineure. Ainsi, par exemple,
l’étude récemment parue de Giovanna Alvino et de Tersilio Leggio (« Acque e culti
salutari in Sabina », dans Lidio Gasperini, Usus veneratioque fontium. Fruizione e culto
delle acque salutari nell’Italia romana <1993>, Tivoli 2006, 17-54) examine-t-elle la
question des Aquae Cutiliae. Il s’agit sans aucun doute d’un des cultes aquatiques les
plus connus de l’Italie antique, et du culte le plus important de Sabine. Or les
bâtiments et installations antiques furent rapidement abandonnés, et au cours du
Moyen Âge le site ne fut plus utilisé du tout, notamment en raison des mutations
religieuses et du style de vie. Et même plus tard, au XVIe s., les humanistes
626 JOHN SCHEID

reconnaissaient que le souvenir thérapeutique des eaux avait survécu sur le plan local,
mais que les qualités de l’eau ne correspondaient pas aux indications de Pline
l’Ancien. En tout cas, les deux savants démontrent que l’utilisation des eaux était
désormais épisodique et dépourvue de tout aspect religieux. Et il en va de même avec
beaucoup d’autres sites antiques, qui ne sont plus un lieu de cure de nos jours, et
inversement, beaucoup de sites thermaux actuels n’ont pas été utilisés dans
l’Antiquité. Pour se prononcer sur l’existence d’une survivance du culte d’une source,
il convient donc de disposer d’une documentation qui permet de reconstituer la vie
du site pendant le Moyen Âge et l’époque moderne, et de documents antiques
établissant sans ambiguïté l’existence d’une exploitation de la source et de son culte.
L’intérêt de ce type d’enquête dépasse le problème des cultes de source et concerne
tous les lieux de culte, surtout ceux qui étaient situés sur le territoire rural des cités.
Bien souvent, quand nous disposons de sources documentaires, nous nous rendons
compte qu’entre la réutilisation d’un site au Moyen Âge ou l’époque moderne et
l’abandon du lieu de culte antique, il existe une longue solution de continuité. Et
quand le site est réutilisé, le contexte religieux du sanctuaire et sa fonction sont très
différents. Autrement dit, la question des survivances n’est nullement inintéressante.
Elle est trop importante pour être invoquée à tort et à travers, et sans le support d’un
socle documentaire sérieux.

Le concept de sanctuaire naturel dans l’Antiquité

Nous avons conduit l’enquête en deux temps. Nous avons d’abord feuilleté les
auteurs antiques pour découvrir quelle signification avaient pour eux les phénomènes
naturels et notamment les sanctuaires de sources. Dans un premier temps, nous
avons repris le dossier des bois sacrés, tel que nous l’avions développé il y a quelques
années dans un colloque (O. de Cazanove (éd.), Les bois sacrés, Naples, 10, 1993,
13-20), en y ajoutant quelques précisions, Le spectacle de la nature intacte,
impressionnante et, pour ainsi dire, originelle, suscitait chez les Anciens un certain
effroi, qui ne provoquait toutefois pas l’extase mystique. Tout au contraire, le frisson
éveillait la raison et des réactions religieuses tout à fait rationnelles. Les forêts
profondes, les marécages, les lacs insondables et la haute montagne situés à l’extérieur
des espaces habités passaient pour chaotiques, laids et terrifiants, ils n’attiraient
personne. Ils correspondaient à ce que les philologues appellent le locus horridus,
contraire du locus amoenus (cf. Ermanno Malaspina, « Tipologia dell’inameno nella
letteratura latina. Locus horridus, paesaggio eroico, paesaggio dionisiaco : una
proposta di risistemazione », dans Aufidus 23, 1994, 7-22). Seuls les phénomènes
naturels inclus dans l’espace humain pouvaient susciter des émotions profondes.
L’effroi qu’ils soulevaient débouchait sur une réflexion concernant l’ordre des choses.
Nous avons ensuite regardé de près les deux textes qui développent la signification
des phénomènes naturels, ceux de Sénèque (Lettres à Lucilius 3, 41, 1-5) et de Pline
l’Ancien (Histoire naturelle 12, 3-5) que tous les auteurs ont invoqué depuis le début
RELIGION, INSTITUTIONS ET SOCIÉTÉ DE LA ROME ANTIQUE 627

du XIXe s. Sénèque et Pline considèrent les bois sacrés dans leur majesté comme des
lieux intacts, sombres, déserts, stériles, autrement dit comme des réalités non
artificielles, non créées, non entretenues et non habitées par l’homme. Avant d’aller
plus loin, nous avons souligné que les deux auteurs n’assimilent nullement les bois
sacrés ou les autres phénomènes naturels surprenants à des divinités. Dans un exposé
général sur les qualités des arbres, Pline affirme que jadis les forêts servaient de
temples aux divinités ; avant de résider dans des temples construits de main
d’homme, c’est dans les forêts que les dieux habitaient. D’autre part, un arbre pouvait
être dédié à une divinité, en raison de son aspect remarquable ou de son essence
particulière. Enfin, Pline rappelle que les mythes ont peuplé les forêts de Silvains, de
Faunes et de diverses sortes de déesses. Nulle part, toutefois, il ne déclare que les
dieux étaient des arbres, ou les arbres des dieux ; aucun culte n’est rendu à des arbres.
Chez Sénèque, il s’agit d’illustrer à Lucilius comment un spectacle extraordinaire
conduit à la supposition qu’un dieu est à l’œuvre dans cette chose, ou dans cet
homme. Car Sénèque veut démontrer qu’il y a un dieu qui agit dans chacun d’entre
nous. Les phénomènes naturels servent de preuve à son argumentation. Le spectacle
d’un vieux bois sacré provoque un choc, mais cet ébranlement frappe l’animus,
« l’esprit », et suscite un mouvement de recul respectueux plutôt qu’un élan mystique.
L’aspect exceptionnel du lieu signale l’intervention d’un dieu, d’une uis ou d’un
numen divins. Créé et poussé à des hauteurs ou des profondeurs effarantes par la
volonté d’un dieu, un lucus révèle par son aspect miraculeux qu’il n’est pas de ce
monde, ou que son créateur et maître ne sont pas du monde des humains. Le numen
évoqué par Sénèque ne désigne jamais, jusqu’à l’époque d’Auguste, et même au-delà,
une « réalité numineuse » ou une « divinité ». G. Dumézil (La religion romaine
archaïque, Paris 19872, 36-48 pour la bibliographie) a prouvé définitivement, contre
les tenants de l’animisme, que ni les emplois du terme, ni les contextes ne prouvent
l’existence de cette forme divine diffuse et anonyme, qui ressemble tant à la Weltseele
des Romantiques. Le texte de Sénèque est parfaitement clair, comme le sont
également celui de Virgile racontant la visite d’Énée sur le site du futur Capitole
(Enéide. 8, 352), ou la description de l’Antre de Cilicie par Pomponius Mela
(Chorographie 1, 72-75) : les dieux habitent ces lieux, « ils se révèlent avec une sorte
de puissance divine ». Virgile n’écrit pas quis deus, incertum est, est deus, mais quis
deus, incertum est, habitat deus. Et le specus de Cilicie est augustus et uere sacer
habitarique a diis et dignus et creditus, nihil non uenerabile et quasi cum aliquo numine
se ostentat. Le merveilleux est un signe du divin, il renvoie à l’intervention d’une
divinité, à son action, sa volonté (numen), à sa présence dans un lieu, et non à la
divinité de ce lieu ou de cet être, et à la Nature créatrice. Autrement l’homme idéal
imaginé par Sénèque, dont on reconnaît qu’il est habité par le souffle d’un dieu,
serait lui-même dieu, ce qui ne correspond ni à l’intention ni à l’opinion de Sénèque.
Par conséquent, les exemples pris par Sénèque pour illustrer son argumentation ne
peuvent pas être interprétés différemment : les bois sacrés, les cavernes (non manu
factas, « qui ne sont faites de main humaine »), les fluminum capita, « les sources de
fleuves », les sources chaudes ou les étangs insondables sont l’œuvre, la propriété et/
ou le lieu de résidence d’une divinité, ils ne sont pas des dieux eux-mêmes.
628 JOHN SCHEID

Sacrés en tant que propriété et lieu de résidence d’une divinité, les bois sacrés
portent la marque du non-humain, du surhumain. Car, il faut encore le souligner,
sacer signifie, malgré les emplois métaphoriques du terme, « ce qui appartient à un
dieu », et cela seulement « après consécration officielle par un agent du Peuple
romain ». Les textes de Sénèque et de Pomponius Mela contiennent de nombreux
renvois à la signification précise du terme sacer : habitare — augustus et uere sacer
— habitarique a diis ; uis isto diuina descendit ; caelestis potentia agitat ; sine
adminiculo numinis — cum aliquo numine se ostentat. Le problème de la relation
entre la nature et la religion se pose sans doute en d’autres termes dans d’autres
civilisations, mais il semble que, dans le monde romain, c’est de cette manière qu’il
faut comprendre les sources.
Quelle est alors la signification religieuse des bois sacrés à Rome ? Il ne s’agit pas de
donner d’emblée une réponse globale, applicable à la fois aux représentations que
nous trouvons dans les documents littéraires et aux témoignages liturgiques et
archéologiques. Ces deux ordres de documents appartiennent à deux univers
différents, dont les lois ne sont pas les mêmes. Dans les rituels et sur le terrain, un
bois sacré est une réalité « muette », dont seuls l’agencement et les règles liturgiques
peuvent définir le caractère, de manière implicite et suivant des contextes très
variables. Même si elles ne s’appuient pas sur cette même réalité cultuelle, les
définitions et les descriptions des antiquaires, grammairiens, poètes ou philosophes
appartiennent à l’ordre de l’interprétation, et se placent sur un plan général et dans
une logique qui n’est régie par aucune contrainte rituelle. On peut certes s’attendre à
ce que ces deux ordres de sources se rejoignent, mais la prudence recommande de les
analyser séparément. L’approche archéologique et liturgique du problème est difficile.
Devant l’apparent « silence » des sources non littéraires, il est nécessaire d’explorer
dans un premier temps la signification du terme lucus chez les auteurs latins, sans
vouloir réduire entièrement les sources archéologiques et rituelles à cette définition.
Les érudits romains donnent des bois sacrés deux définitions concurrentes, qui ne
sont pas exclusives. D’une part, un lucus est, à proprement parler, une « clairière »
ouverte dans un bois (Ernout-Meillet, Dictionnaire étymologique de la langue
latine s.v. ; Thesaurus Linguae latinae s.v.). D’autre part, sur un plan plus général, les
Romains établissent également une opposition entre le lucus, et les deux autres
termes désignant les forêts, nemus et silua. Le texte de référence est extrait du
Commentaire de l’Enéide par le grammairien Servius, dans la version de P. Daniel :
« Un lucus est un ensemble d’arbres soumis à des obligations religieuses, le nemus un
ensemble d’arbres bien ordonné, et la silua une forêt épaisse et sans entretien »
(Servius de P. Daniel, Commentaire de l’Énéide 1, 310 : Interest… inter nemus et
siluam et lucum ; lucus enim est arborum multitudo cum religione, nemus uero composita
multitudo arborum ; silua diffusa et inculta.) Cette définition est celle d’un
grammairien du V e s., il faut le préciser, et ne donne pas forcément le sens de ces
termes et de ces réalités religieuses, qui ont pu en outre varier selon le lieu et le
temps. Mais faute de mieux, nous pouvons débuter un raisonnement à partir de ces
définitions.
RELIGION, INSTITUTIONS ET SOCIÉTÉ DE LA ROME ANTIQUE 629

Même s’ils sont composés d’arbres en nombre important, le lucus et le nemus ne


sont ni épais ni privés d’entretien. Le nemus est soumis à l’activité humaine, qui
l’ordonne en bois harmonieux, composita multitudo. La silua est manifestement
soustraite à toute action : elle est un ensemble d’arbres non entretenus. Enfin,
d’après notre définition, le lucus n’est apparemment ni harmonieusement composé,
ni abandonné à lui-même ; d’autre part, contrairement au nemus ou à la silua, le
lucus possède un statut sacré, il est soumis à des obligations religieuses. Par rapport
aux trois autres types de bois, le lucus seul est toujours sacré, lié à des observations
religieuses. Des autres rien de tel n’est dit. Et comme l’écrivent le grammairien
Servius et le philologue italien Erm. Malaspina (« Nemus sacrum ? Il ruolo di nemus
nel campo semantico del bosco sino a Virgilio : osservazioni di lessico e di
etimologia », dans Quaderni del dipartimento di filologi, a linguistica e tradizione
classica 1995 ; 75-97, notamment 77), sacer signifie « cultuel, rituel » c’est-à-dire
désigne une qualité créée par les mortels et non par les dieux. En revanche, comme
Malaspina le prouve, nemus n’a jamais la valence religieuse, même si dans la langue
poétique le terme peut s’appliquer aussi bien à silua qu’à saltus. Si Caton (Origines
II, 21 Jordan = 58 Peter = II, 28 Chassignet : Lucum Dianium in Nemore Aricino
Egerius Baebius Tusculanus dedicauit dictator Latinus) situe le Lucus Dianius in
Nemore Aricino, cela signifie, d’après Malaspina, que le Nemus Aricinus était un
toponyme. La partie sacrée de ce grand bois des Collines albaines, appelé le Nemus
d’Aricie, était le lucus, la clairière cultuelle de Diane.
Deux faits permettent de mieux comprendre la nature des bois sacrés. D’un côté,
ils sont propriété d’une divinité, qui est reconnue et enregistrée comme telle par
les humains, après que les dieux eux-mêmes se sont consacré ces lieux. Quand Énée
visite le site de Rome, le Capitole l’impressionne, parce qu’il ressent qu’une divinité
y est déjà à l’œuvre. (Enéide 8, 352). Il en va de même avec les lieux foudroyés.
D’un lieu où la foudre était tombée, les Romains « pensaient qu’il devenait
d’emblée religiosus, parce que la divinité paraissait l’avoir dédié à elle-même » (Paul
Diacre, Abrégé de Festus, p. 82 édition Lindsay : Fulguritum, id quod est fulmine
ictum, qui locus statim fieri putabatur religiosus, quod eum deus sibi dicasse videretur).
Dans ce texte religiosus désigne ce qui est marqué d’une obligation religieuse, avec
sans doute une nuance péjorative, étant donné le côté négatif de l’événement. Ce
qui paraît important, c’est, pour citer le dictionnaire de Festus, le fait que les
divinités paraissaient s’être consacré ces lieux à elles-mêmes. Dans un cas, une
intervention directe, la foudre qui tombe et désigne un lieu, dans l’autre un espace
qui par ses caractéristiques apparaît comme une propriété divine.
Mais il convient de nuancer cette conclusion : il s’agit d’interprétations et non
de données cultuelles. En fait, les bois sacrés étaient définis, libérés et consacrés
comme les temples, ainsi que Filippo Coarelli a raison de le souligner (dans O. de
Cazanove (éd.), Les bois sacrés, Naples, 1993, 13-20). Par exemple, d’après Caton,
que nous venons de citer, le dictateur latin Egerius Baebius dédia (dedicauit) le
bois sacré de Diane dans le Bois d’Aricie. La différence est aussi marquée quand
les augures définissent par la parole et libèrent un terrain afin de l’inaugurer,
630 JOHN SCHEID

c’est-à-dire pour en faire un templum au sens premier, un terrain orienté selon les
points cardinaux et définis après consultation de Jupiter. Le templum est un lieu
installé en commun par Jupiter et les représentants de la cité, le bois sacré qui
existait par exemple au Capitole avant la libération du lieu de toute servitude, sa
définition par la parole et enfin l’inauguration, était un lieu que les dieux avaient
eux-mêmes créé et occupé. Enfin, les rites des arvales en leur bois sacré montrent
que le côté impénétrable et sauvage est en fait construit par les interdits, les
expiations et l’élagage rituel qui a lieu chaque année. Le lucus est une catégorie
rituelle, le reste ce sont des commentaires de rites ou des définitions lexicographiques.
Mais ces interprétations ont l’avantage de révéler comment les Anciens comprenaient
les phénomènes naturels surprenants.

Les sanctuaires des eaux d’après les Anciens

À côté d’autres documents examinés, la plus belle description d’un sanctuaire de


source est celle que Pline le Jeune fait de sa visite aux sources du Clitumne, près
de Mévania, en Ombrie (Lettres 8, 8).
La lettre de Pline décrit avec une relative précision l’aménagement du site et les
pratiques cultuelles qui étaient pratiquées. Il est extraurbain, et appartient à la
colonie de Hispellum (Spello), formant de toute évidence une enclave sur le territoire
de Spolète. Le lieu de culte n’a jamais été retrouvé. Dans le sanctuaire du Clitumne,
la divinité réside avant tout dans un élément naturel, ici la source jaillissante, mais
elle dispose également d’un temple construit au bord du bassin, de la même manière
que dans un bois sacré existe souvent un temple (E. Lefèvre, « Plinius-Studien IV.
Die Naturauffassung in den Beschreibungen der Quelle am Lacus Larius (4, 30), des
Clitumnus (8, 8) und des Lacus Vadimo (8, 20) », dans Gymnasium, 95, 1988, 236-
269). Ce temple devait être modeste, car il n’a laissé aucune trace. Pline décrit
l’aménagement de ces deux types de lieu cultuel de manière très précise. Au sanctuaire
de Clitumne, les clivages spatiaux sont nettement soulignés. Le centre du sanctuaire
est constitué par une source située au pied d’une colline à pente douce boisée de
cyprès : « Une médiocre hauteur se dresse, boisée et ombragée par d’antiques cyprès.
À son pied la source jaillit et se répand par plusieurs filets inégaux ; une fois dégagée
du bouillonnement qu’elle forme, elle s’étale en un large bassin, limpide et
transparente, si bien qu’il est possible d’y compter les pièces (stipes) qu’on y jette et
les cailloux qui brillent ». Pline parle d’une colline boisée et sombre, qui peut
correspondre au lucus de Clitumne évoqué par Properce (cf. pour toutes les citations,
A. Dubourdieu, « Les sources du Clitumne. De l’utilisation et du classement des
sources littéraires », dans Cahiers du Centre Gustave Glotz 8, 1997, 131-149). Par
ailleurs, toujours d’après Pline, des frênes et des peupliers entourent le bassin de la
source. On a donc l’impression que, comme dans les bois sacrés que nous avons vus
précédemment, le lieu de culte proprement dit s’étend dans une sorte de clairière,
puisqu’il s’ouvre dans une forêt opaque.
RELIGION, INSTITUTIONS ET SOCIÉTÉ DE LA ROME ANTIQUE 631

Sur le bord de ce bassin se dresse un templum avec une statue de Clitumne en toge
prétexte. Cette tenue n’est pas anodine, car elle indique que dans ce sanctuaire public
la divinité exerce le pouvoir, autrement dit que son numen y est présent ; sa volonté
et son pouvoir sont efficaces en ce lieu. Maître du lieu, Clitumne n’est pas seul dans
son sanctuaire. Conformément aux principes du polythéisme antique, son temple
est entouré des chapelles d’un certain nombre d’autres divinités. « Chacune a son
culte spécial, son nom et quelques unes même leurs sources. Car outre Clitumne qui
est comme le père des autres, il y en a de plus petites, ayant chacune leur lieu
d’origine, mais qui viennent se mêler à la rivière sur laquelle est un pont. ». Nous
ignorons quels sont ces dieux, mais ce ne sont pas forcément des divinités de sources,
car Pline précise que certaines de ces divinités possèdent même une source. Nous
découvrons donc que les divinités vénérées près d’une source ne sont pas simplement
la source, mais les propriétaires de la source. Pline distingue donc les Aquae, le fons
ou les Nymphes de la divinité qui est leur maître.

Un peu plus bas que le temple et son bassin, un pont se jette sur le Clitumne,
qui représente « la limite du sacré et du profane », is terminus sacri profanique
(8, 8, 5). En amont, on peut seulement se déplacer en barque, donc à la surface
de l’eau inviolable ; en deçà du pont, l’eau est profane, c’est-à-dire propre à
l’utilisation par les humains. La partie sacrée de la source, donc tout ce qui est en
amont du pont, est aussi inviolable qu’un lucus, une aire consacrée ou la cella d’une
aedes, et on y pénètre uniquement pour célébrer le culte, pour préparer ou pour
entretenir le sanctuaire.

La distinction entre sacré et profane, entre propriété inviolable de la divinité et


espace ouvert à l’utilisation humaine, est attestée également sur une inscription de
Tivoli (ILLRP 510), et dans les fameux règlements des bois sacrés de Spolète et de
Lucérie (ILLRP 505-6 et 504), ou de l’autel de Vulcain au Quirinal (ILS 4914).
C’est donc une règle de droit sacrée générale que Pline décrit ici, une règle qui est
attestée ailleurs. De même qu’un chemin donne accès à un bois sacré, on peut
atteindre par barque le centre du sanctuaire, sans toutefois pouvoir pénétrer dans
l’eau. Pline ne décrit que l’aspect touristique de ce trajet en barque, mais il est
vraisemblable que la même voie était empruntée par ceux qui célébraient le culte
ou consultaient, par exemple, l’oracle. Les règles concernant le lac sacré Vadimon,
décrit par Pline quelques lettres plus loin (8, 20, 5), sont plus sévères, car toute
navigation y est interdite, sans doute parce que le lieu de culte proprement dit se
situait en marge du lac, et qu’on n’avait pas besoin d’aller plus loin.

Le sanctuaire de Clitumne ou le lac Vadimon appartiennent au même type de


sanctuaire que les sources des grands cours d’eau, les bois sacrés, les grottes, les
sources chaudes ou les lacs d’une profondeur insondable, pour utiliser l’énumération
de Sénèque que nous avons commentée au début du cours. Autrement dit, il s’agit
toujours de phénomènes naturels surprenants. Le sanctuaire du Clitumne l’était par
la clarté exceptionnelle de son eau, et pas sa puissance : quand il jaillit, il possède
tout de suite une force et une puissance extraordinaires (8, 8, 2 ). Le Lac Vadimon
632 JOHN SCHEID

est merveilleux par ses îles flottantes. Ces lieux naturels surprenants n’étaient pas
sacrés en eux-mêmes, comme nous l’avons vu. Et Pline n’écrit rien de tel. Ils l’étaient
en tant qu’ils étaient la création immédiate d’une divinité et une propriété divine
immédiate, que les hommes se bornaient à reconnaître et à consacrer comme telles.
D’un côté le bassin qui est sacré, qui est la résidence du dieu et de ses pairs, où l’on
ne peut pénétrer, de l’autre la même eau, désormais profane, où l’on peut pénétrer et
dont ont peut aussi se servir. Les eaux sacrées sont donc intouchables par les humains.
Ceux-ci peuvent les contempler, se mouvoir à leur surface, y faire des offrandes, mais
jamais s’en servir pour des activités humaines. Cette règle, qu’il faudra essayer de
détecter ailleurs, est en tous points conforme aux qualités spécifiques de l’espace
sacré dans le droit sacré romain ; elle vaut pour les bois sacrés aussi bien que pour les
temples, pour les espaces qualifiés de sacrés.
Nous avons ensuite retrouvé cette représentation du sanctuaire de source dans
deux images, celles qui ornent la patère dite d’Otañez (Fr. Diez de Velasco,
Termalismo y religion. La sacralización del agua termal en la Peninsula Ibérica y el
norte de Africa en el mundo antico, Madrid 1988, 47-48) et le manche d’une patère
de Capheaton (Northumberland, au British Museum). Dans les deux cas, la source
et l’eau qui s’en échappe sont clairement séparées d’un bassin ou d’un réceptacle,
contenant une eau qui est utilisable par les mortels.
Tous les documents examinés permettent de dresser la liste des principales
caractéristiques que les auteurs antiques donnent de l’aménagement rituel d’une
source.
a. La source jaillit dans un bois sacré, dans une clairière. Dans un cas, la source
jaillit sous un temple. Le texte de Pline, mais aussi l’inscription de la patère d’Otañez
(Salus Umeritana) signalent des qualités surprenantes, la force et la blancheur, ou
la salubrité, qui sont autant de signes qu’une divinité est à l’œuvre ;
b. la source se déverse dans un premier bassin qui est sacré, ce qui signifie sur le
plan rituel, que les mortels ne peuvent pas entrer physiquement en contact avec elle ;
c. la seule activité possible dans cette partie du lieu est le culte, célébré à distance
prudente. On peut aussi regarder la source, sur le Clitumne on peut même faire
une promenade en barque, et offrir des monnaies ;
d. une limite, qui est un pont dans les deux documents explicites : le Clitumne
et la patère d’Otañez, marque la transition vers le deuxième bassin de la source,
qui est profane. Les mortels peuvent désormais se plonger dans l’eau de la source,
la puiser et la manipuler.

Enquête de terrain : les sanctuaires de sources dans le monde romain


occidental

Nous avons ensuite parcouru la partie occidentale de l’empire, du Nord au Sud,


pour vérifier si l’aménagement des sanctuaires de source indubitables et bien attestés
correspondait à ce portrait. En dépit de l’insuffisance de la documentation dans de
RELIGION, INSTITUTIONS ET SOCIÉTÉ DE LA ROME ANTIQUE 633

nombreux cas, le résultat de cette enquête a été positif. Nous avons retrouvé la même
bipartition des espaces, entre le lieu sacré, propriété de la divinité, et la partie profane,
où les mortels peuvent vaquer à leurs occupations. À Bath, par exemple, on discerne
très bien la volonté de respecter la forme irrégulière de la source, autour de laquelle
sont construits, d’un côté, le temple et ses annexes, strictement réservés au culte, de
l’autre les thermes utilisant la source. En revanche le captage de la source n’est
accessible aux visiteurs que par le regard. La même configuration de l’espace est par
exemple attestée à Villards d’Héria, chez les Séquanes (W. Van Andringa, « Un grand
sanctuaire de la cité des Séquanes : Villards d’Héria », dans M. Dondin-Payre,
M.Th. Raepsaet-Charlier, Sanctuaires, pratiques cultuelles et territoires civiques dans
l’Occident romain, Bruxelles 2006, 121-134.), en pays trévire, à Wallerborn
(W. Binsfeld, « Das Quellheiligtum Wallenborn bei Heckenmünster <Kreis
Wittlich> », dans Trierer Zeitschrift 32, 1969, 239-268.) ou à Hochscheid
(G. Weisgerber, Das Pilgerheiligtum des Apollo und der Sirona von Hochscheid im
Hunsrück, Bonn 1975 ), et à Balaruc, en Narbonnaise (Carte Archéologique de la
Gaule 03, 1989). En Afrique romaine correspondent encore à ce modèle les
sanctuaires de source des Aquae Septimianae près de Timgad (L. Leschi, Etudes
d’épigraphie, d’archéologie et d’histoire africaines, Paris 1957, 240-245 ; M. Le Glay,
« Un centre de syncrétisme en Afrique : Thamugadi de Numidie », dans Africa
Romana 8, 1991, 67-78.), les Aquae Flavianae, près de Théveste (J. Birebent, Aquae
Romanae. Recherches d’hydraulique romaine dans l’Est algérien, Alger 1962 (1964),
237-243 ; J.-P. Laporte, « Henchir el-Hammam (antique Aquae Flavianae) », dans
Aouras 3, 2006, 284-321) ou les sanctuaires de Zaghouan et de Jebel Oust en Tunisie
(Friedrich Rakob, « Das Quellheiligtum in Zaghouan und die römische Wasserleitung
nach Karthago », dans Mitteilungen des Deutschen archäologischen Instituts, Römische
Abteilung, 81, 1974, 41-89 ; A. Ben Abed, J. Scheid « Nouvelles recherches
archéologiques à Jebel Oust (Tunisie) », dans Comptes Rendus de l’Académie des
Inscriptions et Belles-Lettres 2005, 321-349).

Qu’est-ce en fin de compte une source dans l’antiquité ?

1. Nous avons constaté, en lisant des textes descriptifs et des inscriptions antiques,
que les Anciens ne vénéraient pas la Nature ou les Eaux, mais des divinités qui
sont actives dans la nature, ou y agissent. Ces lieux sont généralement signalés par
des phénomènes extraordinaires : eau bouillonnante, chaude, très froide, à
température toujours égale, soufrée, résurgence d’une source ou d’un cours d’eau,
puissance de l’eau, qui est souvent à l’origine d’un fleuve, lac profond ou lac doté
d’îles flottantes. Bref, toute une série de signes qu’une divinité occupe ce lieu, et
se l’est même façonné pour son usage.
2. Quelle est la présence divine dans ces lieux ? Deux situations sont attestées :
soit nous trouvons des « grands » dieux, qui possèdent la source, comme un bien,
et comme un instrument pour faire le bien. Soit nous trouvons seulement des
Nymphes ou des Eaux, qui sont comme des petites divinités fonctionnelles, telles
634 JOHN SCHEID

les Sondergötter de H. Usener, qui représentent la force de ces eaux. Mais il arrive
que l’on dédouble encore leur fonction, pour leur adjoindre les Vires, le Numen,
ou en Afrique, le Serpent, le Draco. Tout ceci est très romain. Parfois les Nymphes
sont seules, ou alors elles sont aux côtés de la divinité qui possède le site. Elles ne
sont pas immortelles pour toujours, mais disparaissent quand le lieu lui-même
disparaît. Leur personnalité est limitée à leur fonction : salubrité, sonorité (et par
ce biais elles renvoient aux Muses), etc. Nous avons aussi noté que si les Nymphes
renvoient à la force propre des sources, les Aquae en revanche expriment une vertu
plus topographique, alors que Fons, le dieu Source, semble gérer l’ensemble de ce
domaine. À leurs côtés on peut trouver encore d’autres divinités. Le Genius loci,
qui exprime toutes les qualités du lieu, Silvanus, qui renvoie à la sauvagerie du site,
Mercure, le dieu du passage, Hercule, grand découvreur de sources, mais aussi
guérisseur à l’occasion, puisqu’il terrasse le mal, Apollon, qui est aussi medicus,
comme son fils, le technicien Esculape avec sa parèdre Hygie, la Santé, exprimant
l’effet de son action.

3. Ce n’est pas n’importe quelle source qui est sacrée. Certes, en elle-même une
source l’est toujours, comme le soulignait le commentateur de Virgile que nous
avons cité au début, puisque l’eau qui surgit du sol est un phénomène extraordinaire.
Mais toutes les sources ne sont pas l’objet d’un culte organisé, de même que tous
les bois, et tous les phénomènes naturels ne sont pas l’objet d’un culte. Les habitants
d’une cité créent toujours un paysage religieux, ils sélectionnent quelques sources,
quelques bois sacrés, quelques lacs ou grottes, qui doivent exprimer leur relation
avec l’action divine dans le territoire de leur cité. Souvent, ce sont les sources dont
l’activité est spectaculaire qui sont vénérées. En tout cas, ce choix n’est pas
systématique. Il ne faut pas considérer toute fontaine, toute vasque, tout therme
comme un sanctuaire de source. Il ne faut pas oublier que le culte a besoin d’eau,
pour les ablutions, pour la cuisine sacrificielle, et c’est à cela que servent beaucoup
de bassins, nymphées et thermes.

4. L’eau est sacrée, dans le cadre d’un culte. Elle a été consacrée par le signe
divin, choisissant le lieu, et ensuite par la consécration publique (ou privée dans
un domaine).

5. L’organisation du lieu de culte est toujours très particulière. Elle comprend,


comme dans tout temple romain, une partie sacrée, et une partie profane. Cette
bipartition des espaces, peut être observée sous plusieurs formes dans tout le monde
romain occidental, si seulement la documentation est assez précise.

6. Toute l’eau d’un sanctuaire de source n’est donc pas sacrée, elle peut provenir
d’une eau sacrée, comme les parts de viande que l’on consomme lors du banquet
sacrificiel proviennent d’une victime consacrée et immolée à une divinité, et elle
garde des qualités éminentes qui énoncent certaines vertus de la source : salubrité,
efficacité, pureté. Cette dernière est même divinisée dans certains contextes.
RELIGION, INSTITUTIONS ET SOCIÉTÉ DE LA ROME ANTIQUE 635

2. Séminaire : SANCTUAIRES ET CULTES

Le séminaire a développé et approfondi certains aspects du cours. Nous avons


ainsi examiné le problème archéologique de la mise en évidence d’un bois sacré, la
reconstruction détaillée et l’interprétation de la topographie du sanctuaire de Jebel
Oust, ainsi que les fragments d’inscriptions qui paraissent renvoyer au culte des
Cereres à Carthage.
Le professseur a fait cinq séminaires en relation avec le sujet. Un sixième
séminaire a été consacré au thème des Biens des sanctuaires en Italie, traité en 2007
sous forme de symposium. Il a permis à M. Yan Thomas (E.H.E.S.S.) de réagir
aux exposés faits en 2007.

3. Enseignements délocalisés

Le professeur a donné un cours (« Der Sinn des Rituals bei den Römern ») et
un séminaire (« Die Ritualpraxis und das Verständnis der religiösen Institutionen
Roms ») à l’Université de Bonn, le 15 et le 16 janvier 2008.
Les 27 et 28 mars 2008, le professeur a donné quatre séminaires à l’université
Marc Bloch de Strasbourg sur « Les sanctuaires des eaux ».

4. Conférences et participations à des colloques

— Conférence lors de la séance d’ouverture au Congrès international d’épigraphie grecque


et romaine, à Oxford (« L’épigraphie latine et la religion »).
— Participation au colloque La « norme » religieuse à Lyon en novembre 2007.
— Participation au colloque Les politiques du pardon à l’Université de Paris XIII (« La
clémence d’Auguste ») en décembre 2007.
— Participation au VI Collegio di Diritto Romano (« Appartenenza religiosa e esclusione
dalla città ») en janvier et septembre 2008.
— Participation au colloque Iconographie et Religions dans le Maghreb antique et médiéval
à Tunis (« Comment interpréter des figurations religieuses muettes ? L’exemple du décor de
l’architrave du temple de Dea Dia à Rome ») en février 2008.
— Participation au colloque Staging Festivity. Figurationen des Theatralen in Europa, Freie
Universität Berlin (« Theater und Spiele im Rahmen der Ludi Saeculares von 17 vor und
204 nach Christus ») en mars 2008.
— Conférence à l’Université Marc Bloch de Strasbourg (« Hiérarchies spatiales et
hiérarchies théologiques dans les sanctuaires romains ») le 27 mars 2008.
— Participation au colloque sur The Centrality of Animal Sacrifice in Greek Religion :
Ancient Reality or Modern Construct ?, Université de Chicago (« Roman Sacrifice and the
System of Being ») en avril 2008.
— Workshop sur les Questions romaines de Plutarque, Université de Chicago (16 avril
2008).
— Conférence à l’Université de Yale (« Ritual and meaning of religion ») en avril 2008
636 JOHN SCHEID

— Séminaires à l’Université de Foggia (Italie).


— Quatre leçons sur « Storia, storia delle religioni, archeologia del rito » à l’Istituto
Italiano di Scienze Umane de Florence en mai 2008.
— Co-direction de la mission archéologique de Jebel Oust (Tunisie) en mai-juin.
— Participation à la Commission de recrutement de deux professeurs d’histoire ancienne
à l’Université de Fribourg-en-Brisgau (avril/novembre 2008).

Le professeur a été nommé membre du Comité Supérieur de la Recherche et de


l’Innovation au Grand-Duché de Luxembourg).

5. Publications

— (avec Th. Drew-Bear) « Les fragments des Res Gestae Divi Augusti découverts à
Apollonia de Pisidie », dans G. Paci (éd.), Contributi all’epigrafia d’età augustea (Actes de la
XIIIe Rencontre franco-italienne sur l’épigraphie du monde romain), Tivoli 2006,
131-144.
— « Körperbestattung und Verbrennungssitte aus der Sicht der schriftlichen Quellen »,
dans Fasold, P., Struck, M., Witteyer, M. (éd.). Körpergräber des 1.-3. Jahrhunderts in der
römischen Welt (Frankfurt, 19-10 nov. 2004), Frankfort 2007, 19-26.
— « Carmen et prière. Les hymnes dans le culte public de Rome », dans Y. Lehmann,
L’hymne antique et son public, Tournai 2007, 439-450.
— « Le pontife et le flamine : religion et histoire à Rome (Entretien) », dans Europe,
janvier-février 2008, 159-190.
— « Religions in contact », dans S.I. Johnston (éd.), Ancient Religions, Cambridge, MA,
2007, 112-127.
— « Sacrifices for Gods and Ancestors », dans J. Rüpke (éd.), A Companion to Roman
Religion, 2007, 263-272.
— « Le sens des rites. L’exemple romain », dans Rites et croyances dans les religions du
monde romain (Entretiens sur l’Antiquité, Fondation Hardt, t. LIII), Genève 2007, 39-71.
— « Les activités religieuses des magistrats romains », dans R. Haensch, J. Heinrichs
(éd.), Herrschen und Verwalten. Der Alltag der römischen Administration in der Hohen
Kaiserzeit, Cologne 2007, 126-144.
— (avec E. Wirbelauer), « La correspondance entre Georg Wissowa et Theodor Mommsen
(1883-1901) », dans C. Bonnet, V. Krings (éds.), S’écrire et écrire sur l’Antiquité. L’apport des
correspondances à l’histoire des Travaux scientifiques, Grenoble 2008, 155-212.
— « Il culto di Minerva in epoca romana e il suo rapporto colla Minerva di Travo », dans
Minerva Medica in Valtrebbia, Plaisance 2008, 85-91.

6. Activités de M. Fabrice Bessière, ATER

1. Elaboration de la base de données sur les lieux de cultes de l’Italie antique (Fana
Templa Delubra) en collaboration avec J. Scheid et J. Paumard (maître de conférences associé
au Collège de France). Il s’agissait d’affiner la liste des « champs » nécessaires à l’enregistrement
des données, c’est-à-dire, en premier lieu, de définir le niveau de détail que l’on souhaite
atteindre dans l’acquisition de l’information dans la perspective de permettre un
enregistrement représentatif et rapide des données. La réflexion a ensuite porté sur
RELIGION, INSTITUTIONS ET SOCIÉTÉ DE LA ROME ANTIQUE 637

l’organisation des blocs de champs à l’intérieur du système informatique et sur leur relation
les uns avec les autres. Cette phase est achevée et une première version de la base est en
cours de programmation.
2. Reprise des données de terrain et rédaction du rapport d’activité de la campagne de
fouilles à Jebel Oust (Tunisie) pendant l’année 2007.
3. Début de la compilation de la documentation graphique du chantier de Jebel Oust,
afin de constituer le plan général du sanctuaire et du clivus. Vectorisation du plan levé
manuellement (années 2001-2006) et ajout des plans partiels liés aux opérations de fouille.
Périodisation des vestiges.
4. Stage de formation aux techniques de relevés archéologiques par « photoplan » et aux
techniques de relevés topographiques au tachéomètre laser sous la direction de J. Metzler et
de C. Gaeng, Musée du Luxembourg.
5. Séjours de travail à Rome chez l’éditeur Quasar qui publie la version papier du Corpus
des lieux de cultes.
6. Mission de fouilles à Jebel Oust (Tunisie) dans le cadre de la campagne programmée
sur la voie menant des thermes au sanctuaire (avril-mai 2008).

M. Bessière a été nommé le 1er mai 2008 Coordinateur du programme de


recherche du Centre Européen du Mont-Beuvray (Bibracte EPCC).
Langues et religions indo-iraniennes

M. Jean Kellens, professeur

Cours : 1. Métamorphose du panthéon avestique ; 2. Controverses récentes


sur les textes vieil-avestiques.

Huit leçons ont été consacrées à la première partie du cours. Elles ont permis de
dégager les conclusions suivantes sur les chapitres 16 à 21 du Yasna.

1. Les litanies en yazamaide « nous sacrifions » du Y(asna) 16 témoignent du fait


que le panthéon avestique a atteint son stade ultime de développement, celui qui
donne sa structure au calendrier religieux. La troisième strophe montre que le
groupe des six entités formant avec Ahura Mazdā l’heptade canonique dite des
Immortels bienfaisants était constituée et avait trouvé son rang énumératif, après
Ahura Mazdā et avant les autres dieux du panthéon. Cette strophe est aussi la seule
du corpus avestique à justifier cette relative préséance : ces entités sont les « créations
créées en premier » d’Ahura Mazdā.

2. L’introduction (Y19.1-11) au commentaire de la première formule liminaire


de l’Avesta ancien, l’Ahuna Vairiia, n’est, pour une part, qu’une des nombreuses et
banales magnifications de la magie des textes sacrés. Mais elle a cette autre
particularité de présenter avec insistance la récitation primordiale de l’Ahuna Vairiia
par Ahura Mazdā comme le facteur déclenchant de la cosmogonie. Trois strophes
situent cette récitation avant l’apparition du monde matériel, mais après celle des
Immortels bienfaisants, si bien que le commentaire du texte de l’Ahuna Vairiia est
aussi un commentaire sur la notion de « créations créées en premier ».

3. L’idée de base du commentaire de l’Ahuna Vairiia (Y19.12-14) est qu’il y a


entre Ahura Mazdā et ses créations un lien d’appartenance réciproque. Le créateur
appartient à ses créations, en tant qu’il est leur maître, et les créations appartiennent
à leur créateur, en tant qu’elles sont son œuvre. L’autorité du créateur sur ses
créations résulte du fait que le créateur est nécessairement antérieur à ses créations.
640 JEAN KELLENS

Du point de vue cosmogonique, la récitation primordiale de l’Ahuna Vairiia


implique l’existence du premier (Vohu Manah, allégorie de la pensée) et du
troisième (Xšaϑra, allégorie de la capacité) des Immortels bienfaisants.

4. Le Y19 parle très peu des deux « esprits » (Mainiiu) incarnant le bien et le
mal. Le « bon » est sollicité, juste avant le commentaire proprement dit, pour
appuyer les déclarations d’Ahura Mazdā sur les pouvoirs de l’Ahuna Vairiia
(Y19.9-11). Le « mauvais » entre en scène tout de suite après la récitation
primordiale de l’Ahuna Vairiia, pour être banni (Y19.15). Nous n’apprenons rien
de leur origine, de leur fonction, de leur rapport au panthéon. Tout se passe
comme s’ils se situaient hors cosmogonie et n’étaient pas des créations.

5. Le deuxième niveau du commentaire (Y19.16-18) fait l’analyse des divisions


essentielles de l’Ahuna Vairiia, qui comporte, nous dit-il, trois vers, quatre figures
et style et cinq mots-clés. Ces notions rhétoriques sont ensuite assimilées à des
facteurs culturels et sociaux, les vers avec la triade rituelle pensée-mot-geste, les
figures de style avec les fonctions sociales (prêtre, guerrier, agriculteur, plus le
pressurage de haoma, qui renvoie à la fonction de commanditaire du sacrifice), les
mots-clés avec les cercles de l’appartenance sociale (famille, clan, tribu, nation,
pouvoir religieux supranational). La nécessité conceptuelle de ce transfert paraît
simple et univoque : l’autorité sur les divers cercles sociaux et l’appartenance à une
fonction spécialisée sont les critères selon lesquels les officiants à peine investis
(Y13.1-3) configurent l’assistance (peut-être virtuelle) au sacrifice.

6. Le troisième niveau du commentaire (Y19.19-21) situe la triade pensée-mot-


geste dans la cosmogonie. Le premier vers-pensée suscite chez Ahura Mazdā la
prise de conscience que quelqu’un est pourvu de la qualité de « conforme à
l’Agencement » (ašauuan), le deuxième vers-parole suscite la composition et la
récitation de tout l’Avesta ancien, le troisième vers-geste permet de souligner
l’énoncé du nom des Immortels bienfaisants. Un développement supplémentaire
est accordé au niveau de la pensée. Le dieu qui a perçu l’homme comme ašauuan
et l’homme qui a été proclamé ašauuan par le dieu ont en commun d’être « très
bons » (vahišta). La différence est que le premier a le pouvoir d’être très bon
(xšaiiamna) et que le deuxième n’en a pas la liberté (auuasō.xšaϑra). La suite
explique comment cette imperfection a pu être corrigée.

7. Le commentaire de l’Ašem Vohū consiste à définir la singularité d’Aša, allégorie


de l’ordre cosmique, qui est le deuxième Immortel bienfaisant dans l’ordre
énumératif. Alors que la relation d’Ahura Mazdā aux entités Vohu Manah et
Xšaϑra se traduit par l’appartenance réciproque, Aša a le privilège de l’appartenance
réflexive (« Aša appartient à Aša »). Puis, après s’être ainsi refermé sur lui-même, le
lien d’appartenance s’ouvre et se transmet en chaîne : la « capacité » (xšaϑra)
appartient à Aša et Aša appartient à la suite ininterrompue des hommes qui l’ont
pris pour règle et ont entrepris de sacrifier. Via Aša, les hommes ont accès à ce
pouvoir qui leur fait originellement défaut. Selon quelles procédures ?
LANGUES ET RELIGIONS INDOIRANIENNES 641

8. Le commentaire du YéAhē Hātąm (Y21) prolonge sous forme de dialogue le


récit cosmogonique que tisse la succession des commentaires. Après qu’Ahura
Mazdā l’a perçu et proclamé ašauuan, Zaraϑuštra prend la parole et prononce le
YéAhē Hātąm, par lequel il fonde le sacrifice. Ahura Mazdā le remercie en récitant
la strophe gâthique Y43.1 qui fait du sacrifice le moyen par lequel l’homme peut
accéder à la haute « capacité » divine et gagner l’immortalité.
9. En faisant place au commentaire des trois formules liminaires de l’Avesta
ancien, l’arrangeur du Yasna poursuit un double but. D’une part, il justifie la
structure de son panthéon par l’ordre de succession des créations, d’autre part, il
explique l’origine archétypique et la finalité de ce que le collège sacerdotal vient
d’entreprendre : un sacrifice.
10. Nous devons à la préservation de ces textes trois informations essentielles.
1) Nous disposons du récit de la première phase de la création, celle du monde à
l’état spirituel, une doctrine que l’on ne croyait documentée en avestique que par
le misérable fragment introduit dans la traduction pehlevie du Videvdad 2.19.
2) La question de la dignité sacrificielle des diverses divinités a été récurrente dans
l’histoire du mazdéisme. Elle hante pareillement l’auteur vieil-avestique du Y51.22,
l’adaptateur moyen-avestique du YéAhē Hātąm et le commentateur avestique récent
du Y21. Tous trois répondent par le même paradoxe : le sacrifice est dû à un seul
et à tous, avec des nuances donnant à comprendre que c’est un peu plus à un seul
qu’à tous. 3) De nombreux indices sur la chronologie relative des textes avestiques
devront être examinés soigneusement.
La deuxième partie du cours, qui a fait l’objet de deux leçons visant aussi à
introduire aux conférences des professeurs invités, est d’ores et déjà parue au
Journal Asiatique (voir bibliographie).

Séminaire : Lecture de textes en relation avec le sujet du cours


Les textes lus sont ceux qui ont été commentés lors du cours.

Cours extra muros


Trois cours sur le Bagān Yašt et trois séminaires sur des questions de langues et
de religions iraniennes anciennes ont été faits à l’Université de Bologne au siège de
Ravenne entre le 26 mars et le 1er avril 2008.

Invitation de savants etrangers


M. Albert de Jong, professeur à l’Université de Leiden, a donné quatre cours
intitulés « Les quatre phases de la religion mazdéenne » pendant le mois de
mai 2008. M. Martin Schwartz, professeur à l’Université de Berkeley, a donné
deux conférences intitulées « The poetry of the Gathas : Mysteries of composition,
and the composition of mysteries » pendant la même période.
642 JEAN KELLENS

Colloques

Participation à la VIe Conférence de la Societas Iranologica Europaea à Vienne du 18 au


22 septembre 2007.
Participation à la conférence « Zoroastrian Past and Present » de l’Ancient India and Iran
Trust à Cambridge le 7 et 8 juin 2008.

Activités diverses

Une conférence sur le rituel mazdéen a été faite pour l’Association Clio à Paris le
16 janvier 2008.
Présidence du jury lors de la soutenance de la thèse L’Ard-Yašt de l’Avesta par M. Hossein
Najari, le 28 mai 2008.

Publications

« L’amphipolarité sémantique et la démonisation des daivas », Indogermanica. Festschrift


für Gert Klingenschmitt, Taimering 2005 [2007], 283-288.
« Liturgie et dialectique des âmes », Rites et croyances dans les religions du monde romain,
Entretiens de la Fondation Hardt, Vandœuvres — Genève 2007, 289-308.
« Quand Darius parle à Darius », Iranian Languages and Texts from Iran and Turfan.
Ronald E. Emmmerick Memorial Volume, Wiesbaden 2007, 143-146.
« Controverses actuelles sur la composition des Gâthâs », Journal Avestique 295.2, 2007,
257-289.
« Résumé des cours et travaux de la chaire de Langues et religions indo-iraniennes du
Collège de France », Annuaire du Collège de France 2006-2007, 2008, 685-694 (avec une
participation de Xavier Tremblay).
« Les cosmogonies iraniennes entre héritage et innovation », Chomolangma, Demawend
und Kasbeck. Festschrift für Roland Bielmeier, Halle 2008, 505-512.
Histoire du monde indien

M. Gérard Fussman, Professeur

Cours et séminaire : Lecture du texte sanskrit du Vimalakīrtinirdeśa

Le Vimalakīrtinirdeśa (désormais Vkn) est l’un des plus anciens et plus célèbres
textes du mahāyāna. Il expose sous forme d’aphorismes souvent énigmatiques le
concept central du mahāyāna, la doctrine de la śūnyatā (littéralement : la viduité
ou vacuité), selon laquelle on ne peut rien dire des phénomènes car ceux-ci ne sont
qu’apparence, y compris la doctrine de la vacuité. C’est la reconnaissance de ce fait
(donc la destruction de l’ignorance) qui permet la libération. La date manifestement
ancienne du Vkn et la netteté de ses affirmations l’ont souvent fait considérer
comme une des sources du madhyamaka de Nāgārjuna. N’était cette question de
date, qui est plus le problème de la date de Nāgārjuna que celui de la date du Vkn,
on croirait plutôt le contraire : dans bien des cas le Vkn semble illustrer ou résumer
Nāgārjuna. Mais la majeure partie des savants préfère considérer que c’est l’inverse :
Nāgārjuna développe les thèses du Vkn.
Exception faite d’être l’un des textes supposés avoir influencé Nāgārjuna, le Vkn
ne semble pas avoir eu une très grande popularité en Inde. C’est sans doute la
raison pour laquelle l’original sanskrit en était perdu. Par contre il fut l’objet de
très nombreuses traductions chinoises (8) et de traductions tibétaines (2 ou 3),
sogdienne (1) et khotanaise (1). Les Chinois semblent avoir été fascinés par la
façon dont le bodhisattva laïc Vimalakīrti « celui dont la gloire est sans tache » fait
la leçon (nirdeśa) aux moines arhant premiers compagnons du Buddha et les
ridiculise. Le Vkn a été connu en Europe au travers des versions chinoises et traduit
en français par É. Lamotte à partir d’une des trois traductions tibétaines.
La traduction de Lamotte 1 est, comme toujours, un modèle d’érudition et de
clarté. On y trouve la liste des traductions et celle des sources, une analyse du

1. L’Enseignement de Vimalakīrti (Vimalakīrtinirdeśa) traduit et annoté par Étienne Lamotte,


Bibliothèque du Muséon, vol. 51, Louvain 1962.
644 GÉRARD FUSSMAN

contenu, une tentative de datation et de très nombreuses notes indiquant si telle ou


telle expression du Vkn est héritée ou au contraire novatrice. Lamotte restitue la
phraséologie sanskrite du Vkn à partir des équivalences du grand dictionnaire
sanskrit-tibétain dit Mahāvyutpatti. Mais il ne connaissait pas le texte sanskrit lui-
même. Un manuscrit de celui-ci fut découvert en 1999 dans la bibliothèque du
Potala, à Lhasa. Nos collègues japonais de l’Université Taishō obtinrent en 2002
l’autorisation de le publier. Une première édition (copie diplomatique, avec en
parallèle les traductions tibétaine et chinoises) parut en 2004 ; une deuxième édition,
suggérant quelques corrections, sans les textes tibétain et chinois, en 2006.
La remarquable traduction d’É. Lamotte permet d’étudier le texte sanskrit en
ayant l’illusion de connaître à travers elle les traductions chinoises et tibétaines et
en se dispensant de la plus grande partie des recherches de sources indispensables
à la compréhension d’un tel texte. Bien que les éditeurs japonais, dont la rapidité
mérite tous les éloges, aient assuré que le texte sanskrit n’apportait pas de nouveautés
majeures par rapport à la traduction chinoise de Xuangzang, sa lecture minutieuse
est loin d’être sans intérêt. Elle exige quand même de l’auditoire un minimum de
connaissances préalables. C’est la raison pour laquelle le cours de cette année s’est
confondu avec le séminaire, ce qui a permis un dialogue constant avec l’auditoire.
Je remercie tout particulièrement mes collègues sinologues et tibétologues qui ont
bien voulu participer à ses séances avec, sous les yeux, le texte des versions chinoises
et tibétaine et ainsi suppléer à ma coupable ignorance en ce domaine.
Le livre dans lequel se trouve le texte sanskrit du Vkn comprend un autre texte, le
Jñānālokālamkāra, « Ornement du flambeau de la connaissance ». Les deux textes
n’ont guère de rapport l’un avec l’autre, mais ils ont été copiés à un mois de distance par
le même scribe, Cāndoka, sur l’ordre du même moine, Śīladhvaja, identifié par
M. Kapstein à un moine tibétain du même nom ayant séjourné à Vikramaśīla, au
Bengale, vers 1150. Cela correspond à la date assignée au manuscrit par l’étude de sa
graphie et explique le nom du moine : « Drapeau des vertus (héroïques)/de
Vikramaśīla ». C’est une des réponses possibles à la question que nous nous étions
posée lors du séminaire de 2004 (Les bibliothèques des monastères bouddhiques
indiens, Annuaire du Collège de France 2003-2004, 929-955) : comment sont choisis
les textes qui figurent dans des recueils composites ? La réponse est ici que Śīladhvaja a
probablement fait copier deux textes qui n’existaient pas dans la bibliothèque de son
monastère et qu’il les a réunis pour obtenir un volume de taille normale. En d’autres
termes, il n’est nul besoin que deux textes soient apparentés pour qu’ils soient réunis en
un seul volume, sauf lorsque cette réunion est manifestement systématique car plusieurs
fois attestée (cas du Bhaisajyaguru-sūtra suivi ou précédé du Vajracchedikā-sūtra).
Voici le texte non corrigé des deux colophons en question.
Deyadharmo’yam pravaramahāyānayāyinah bhiksuśīladhvajasya cad hatra punyam
tat bhavatu ācāryopādhyāyamātāpitrpūrvamgamam krtvā sakalasatvarāśer anuttara
jn
 ānaphalāvāptaya iti// mahārājādhirājaśrīmadgopāladevarājye samvat 12 śrāmanadine
30 likhitam idam upasthāyakacāndokeneti // (Jñānālokālamkāra)
HISTOIRE DU MONDE INDIEN 645

Deyadharmo’yam pravaramahāyānayāyino bhiksuśīladhvajasya yad atra punyam tad


 āna
bhavatu ācāryopādhyāyamātāpitrpūrvamgamam krtvā sakalasatvarāśer anuttarajn
phalāvāptaya iti// śrīmadgopāladevarājye samvat 12 bhādradine 29 likhiteyam
upasthāyakacāndokasyeti // (Vkn)

Ces colophons, rédigés par les mêmes personnes (probablement Śīladhvaja pour
la première ligne, Cāndoka pour la seconde) à un mois de distance, permettent
de juger de la connaissance du sanskrit au Bengale au XIIe siècle. La première
ligne mêle un sanskrit recherché (suffixe -yāyin, sakala- au lieu de sarva- en raison
de l’utilisation du mot rāśi-) à des constructions de type moyen ou même néo-
indien (non déclinaison de bhiksu-, utilisation de rāśi- comme suffixe de pluriel =
bengali -lok). La seconde ligne montre que le rédacteur de cette partie du
colophon prononçait iyam le neutre idam et utilisait le génitif en fonction
d’instrumental tout en connaissant les formes et usages corrects. En d’autres
termes, il écrivait du sanskrit « hybride » en plein XIIe siècle. Cela devrait nous
mettre en garde contre la tentation de dater un texte en fonction de son seul
aspect linguistique.

Cette même seconde ligne est historiquement intéressante : Śīladhvaja utilise


comme scribe son serviteur personnel (upasthāyaka) Cāndoka. Tous deux, dans un
texte à usage privé, utilisent le comput du royaume bengali, c’est-à-dire se
considèrent comme tout à fait indiens. Ils étaient probablement considérés comme
tels par les moines de Vikramaśīla. L’origine tibétaine de Śīladhvaja n’y était pas
plus exotique pour un Bengali de l’époque qu’une origine tamoule ou gilgitie. Tous
appartenaient à la partie indienne du catur-diśa samgha. Ce n’était manifestement
pas le cas des moines chinois qui nous disent dans leurs récits ou avoir été traités
avec mépris ou avoir suscité étonnement et admiration. Cette même seconde ligne
devrait mettre en garde les historiens contre des analyses hâtives des variations de
titres. Entre août et septembre de l’an 12, Gopāladeva (III, probablement) n’a
certainement pas cessé d’être un mahārājādhirāja.

La découverte du manuscrit contenant le texte sanskrit permet d’affiner la date


du texte ou des états successifs du Vkn. Comme presque toujours, la date des
traductions chinoises constitue la donnée majeure. La traduction la plus ancienne
conservée, et probablement réalisée (Lamotte, p. 70), est celle de Zhi Qian,
effectuée entre 222 et 229 de n.è. Le texte en est donné dans l’édition japonaise
de 2004, ainsi que celui de deux traductions postérieures, celle de Kumārajīva,
achevée en 406, et celle de Xuangzang, achevée en 650, donc de beaucoup
antérieure à notre manuscrit. Le texte traduit par Xuanzang devait être très proche
de celui conservé dans le manuscrit sanskrit : on ne constate que des variations
minimes et lorsqu’il y a divergence, le manuscrit donne souvent un sens meilleur,
ou en tout cas plus attendu. Kumārajīva est plus bref, mais cela tient sans doute à
son style de traduction (Lamotte, p. 10). Lamotte, p. 4, semble considérer que
Zhi Qian a utilisé un texte sanskrit un peu plus court. La comparaison du texte
sanskrit avec celui de Zhi Qian, facilitée par la disposition très claire de l’édition
646 GÉRARD FUSSMAN

japonaise, montre que dans les premiers chapitres en tout cas Zhi Qian n’omet
rien d’essentiel et traduit assez bien des passages en fort bon sanskrit. Il est donc
tout à fait possible que Zhi Qian ait utilisée une version du Vkn très semblable à
celle dont nous disposons aujourd’hui et qu’il ait choisi d’en résumer ou d’en
omettre des passages relativement brefs et jugés par lui d’importance secondaire.
On peut donc admettre que le Vkn sanskrit, dans l’unique version que nous en
possédions, était achevé pour l’essentiel en 222.

Les quelques sondages faits dans le texte, et qui sont loin d’être suffisants ni
véritablement démonstratifs, donnent l’impression qu’il y a eu au moins trois
« mains » dans le texte. L’analyse porte non sur le contenu philosophique ou
pseudo-philosophique du contenu, mais sur le style et l’état de la langue dans les
parties non doctrinales. On remarquera très facilement que coexistent des passages
très plats, faits de répétitions, en sanskrit bouddhique correct mais maladroit, et
des passages beaucoup plus brillants, beaucoup plus vivaces, en sanskrit plus
élégant. Le texte incorpore en outre deux passages versifiés en sanskrit dit
« hybride », déjà identifiés (je me demande comment) par Lamotte p. 1,
probablement plus anciens que les passages en prose et en sanskrit correct, mais
qui n’ayant pas un rapport nécessaire au texte peuvent y avoir été incorporés
postérieurement. Zhi Qian ne traduit pas le premier stotra (les stances de Ratnākara
en I, 10), ce qui ne signifie pas nécessairement qu’il ne l’ait pas connu : il peut
avoir jugé inutile de traduire ces très médiocres vers.

Sous réserve d’une étude détaillée de l’ensemble du texte, et en prenant garde à


ne pas tomber dans une critique subjective (higher criticism) qui attribuerait aux
auteurs anciens nos goûts esthétiques, on peut donc reconnaître au moins trois
« mains » dans ce texte dont l’unité foncière ne fait cependant pas de doute : c’est
un texte très savamment composé, pas un texte fait de bric et de broc. Ces trois
« mains » supposent une élaboration assez longue, peut-être trois générations, et
laissent supposer l’existence d’une première version vers 100 de n.è. au plus tard.
C’est l’opinion de Lamotte (p. 77), qui la justifie avec des arguments plus forts
que les miens.

La version sanskrite copiée par Cāndoka, très proche et de la traduction de


Xuanzang (650) et de la traduction tibétaine de Dharmatāśīla (c. 810) 2, est, malgré
des inégalités incontestables de style ou de langue, d’une qualité littéraire bien
supérieure à celle des grands sūtra du mahāyāna. Le vocabulaire est parfois très
recherché. Ainsi, lorsque les restitutions sanskrites de Lamotte ne correspondent
pas au texte que nous lisons aujourd’hui grâce à nos collègues japonais, c’est en
général parce que le Vkn emploie des mots plus rares et des expressions plus

2. Il a en fait existé trois traductions tibétaines, dont deux uniquement conservées de façon
fragmentaire par des manuscrits de Dunhuang (Lamotte, p. 19). La version de Dharmatāśīla
utilisée par Lamotte diffère légèrement de celle imprimée par les éditeurs japonais du texte
sanskrit.
HISTOIRE DU MONDE INDIEN 647

recherchées que les équivalents choisis par Lamotte dans la Mahāvyutpatti. Le sens
est en général le même, le niveau de vocabulaire est différent.
La composition est très savante et permet une lecture chapitre par chapitre, et
même passage par passage à l’intérieur d’un chapitre. Il y a toujours un effet de
surprise : on se demande ce que va dire Vimalakīrti. Dans le chapitre III, ainsi, les
arhant sont ridiculisés de façon très fine : ils sont décrits dans des situations
correspondant au caractère et aux qualités que la légende leur attribue. Il y a des
jeux de mots, pas toujours vus par Lamotte qui traduit le texte comme s’il était
uniquement philosophique. Par exemple, au début de III, le Vkn joue sur les deux
sens du mot pratisamlayana-, l’un très technique (méditation d’après déjeuner),
l’autre très courant (sieste en début d’après-midi), pour se moquer de Śāriputra.
Les exemples de ce type pourraient être multipliés.
L’un des passages les plus significatifs et de l’humour de l’auteur du Vkn et de
sa maîtrise du sanskrit, est celui relatif à Upāli (III, 33-37). Lorsqu’on lit, même
(et uniquement en ce qui me concerne) à travers Lamotte, les traductions chinoises
et tibétaines, on ne comprends pas pourquoi Upāli est interrogé par deux moines
sur un point de discipline (sa spécialité). La réponse est dans le texte sanskrit qui
emploie, et uniquement en cet endroit, des formes rares en sanskrit bouddhique
car trop classiques ou trop grammaticales par rapport au niveau de langue ordinaire
des mahāyānasūtra. Ainsi Upāli s’adresse-t-il aux deux moines en utilisant le duel.
Vimalakīrti, quant à lui, s’adresse à Upāli en utilisant un vocabulaire relevé, des
composés cvī et des injonctifs (āgādhīkārsīh, āvilīkārsīh). Or Upāli, barbier, donc
de basse caste, normalement ne doit pas connaître le sanskrit et n’est même pas
autorisé à l’entendre.
On est passé rapidement sur le contenu pseudo-philosophique du texte. On a
montré en effet que pour un Européen, il y avait contradiction entre les passages
narratifs, dont le récit-cadre, avec leurs millions de personnages et leurs miracles à
répétition, et une prédication affirmant que tout cela est illusion et détourne de la
vraie connaissance et de la vraie libération. D’un point de vue bouddhiste, il n’y a
pas contradiction. Comme dans la plupart des sūtra du mahāyāna, il n’y a aucune
démonstration. La vérité (jn  āna) se voit, elle ne s’apprend pas. La science (vidyā)
est d’abord croyance en la vérité de l’enseignement et perception intuitive et
inexprimable de ses vérités. Il n’y a recherche de démonstration que chez les
philosophes comme Nāgārjuna et les abhidharmistes. Dans le Vkn, l’enseignement
de Vimalakīrti n’est en rien discursif. C’est une suite d’aphorismes qui s’imposent
d’eux-mêmes au croyant. L’essentiel est de croire en la vérité de ces affirmations
tranchées. Dans d’autres religions on appellerait cela le mystère de la foi (śraddhā).
Les fééries du récit-cadre ne sont pas plus stupéfiantes que les vérités énoncées par
Vimalakīrti.
On a très rapidement fait un sort à l’émerveillement chinois devant le caractère
laïc de Vimalakīrti : tous les bodhisattva sont laïcs, et représentés en la:cs, souvent
en rois ou princes (kumāra). Le texte sanskrit du Vkn n’utilise pas très souvent
648 GÉRARD FUSSMAN

l’expression grhapati, « maître de maison, riche propriétaire », pour désigner


Vimalakīrti. Ce n’est manifestement pas sa caractéristique essentielle. Le début du
chapitre II insiste sur le fait que son apparence de laïc n’est elle aussi qu’une
illusion, un moyen de vivre dans le monde des laïcs pour les amener au salut, un
effet de son habileté en moyens salvifiques (upāya-kauśalya). II, 4 nous dit qu’à
l’occasion il exerce les fonctions d’un roi (rājakāryānupravistah) et II, 5 qu’il est un
grhapati pour les grhapati, un ksatriya pour les ksatriya, un brahmane pour les
brahmanes etc. Le passage le plus significatif est III, 36 : « ne croyez pas que ce
soit un grhapati. Pourquoi ? Il n’y a personne qui puisse mettre son éloquence en
défaut, ni moine ni bodhisattva, excepté le/un tathāgata : telle est la lumière
qu’apporte sa sapience » (traduction libre ; tibétain et chinois autres). En d’autres
termes, Vimalikīrti est un tathāgata.
L’essentiel du cours a porté sur la lecture mot à mot du texte. Après Lamotte et
en partie grâce à lui, on constate qu’une grande partie des notions et des formules
se trouvait déjà dans les sūtra anciens : idéologiquement le mahāyāna puise dans
des conceptions anciennes. Le nombre de ces parallèles prouve surtout que la
composition des mahāyānasūtra fut le fait de gens parfaitement au courant de
notions et de textes enseignés seulement dans les monastères. En d’autres termes,
ce fut le fait de moines, dont rien ne permet de dire qu’ils aient défroqué. Il n’était
pas inutile de le rappeler à propos d’un texte qui ridiculise ces mêmes moines.
L’étude a aussi porté sur la caractérisation linguistique du texte. Le sanskrit n’a
rien de très particulier. C’est du sanskrit bouddhique ordinaire, mais le ou les
auteurs étaient capables de faire beaucoup mieux : en témoigne le passage sur Upāli
(supra). En d’autres termes, le sanskrit bouddhique tient plus à une volonté
d’utiliser la langue-type des sūtra qu’à une incapacité à écrire du sanskrit paninéen.
Quant au moyen-indien sous-jacent au stotra très sanskritisé de I, 10, il est d’une
variété jusqu’à présent inconnue, en particulier en ce qui concerne certaines formes
adjectivo-verbales 3.
La lecture du texte s’étant arrêtée, faute de temps, à la fin du chapitre III, le
cours-séminaire sur le Vkn se poursuivra en 2008-2009. Aucune publication n’est
envisagée, le Professeur ayant malheureusement d’autres obligations.

Activités de la chaire
M. Éric Ollivier, architecte-cartographe, gère l’informatique de la chaire et
supervise l’identification, le catalogage informatisé dans Portfolio Extensis et la
numérisation des collections de photographies données à la photothèque de
l’Institut d’Études Indiennes du Collège de France (plus de 26 000 clichés à ce

3. Mme Scherrer-Schaub a fait remarquer qu’il suffit de couper naivātra ātma na ca kāraku
vedako vā en I, 10, 4c pour que le texte soit compréhensible et bouddhiquement correct. De
même il faut couper en I, 10, 5c yasmin na vedita ca cittamanahpracārā. I, 10, 4a na ca nāma asti
na ca nāsti giram prabhāsi fait difficulté, d’autres passages aussi.
HISTOIRE DU MONDE INDIEN 649

jour). Il a participé à l’élaboration et à la réalisation du livre Monuments bouddhiques


de la région de Caboul paru cette année (infra). Il a considérablement avancé son
catalogue commenté des estampilles arabes en verre de la Bibliothèque nationale
et Universitaire de Strasbourg.

Monsieur Christian Bouy, maître de conférences, a géré le catalogage et le rétro-


catalogage de la Bibliothèque d’Études Indiennes.

Mme Isabelle Szelagowski, maître de conférences, s’est occupée de recherches


documentaires et bibliographiques en relation avec le programme d’enseignement
et de recherche de la chaire. Elle assure par ailleurs le secrétariat de la chaire, gère
les commandes de livres et les publications de l’Institut d’Études Indiennes et
rédige la Lettre d’Information annuelle dudit Institut. Elle en fera paraître le n° 20
en octobre 2008.

Mme Nathalie Lapierre a participé à la fouille de Kampyr Tepe (Ouzbékistan)


sous la direction de notre collègue E. Rtveladze du 15 avril au 8 mai 2008.

Professeurs étrangers invités

Mme Kapila Vatsyayan, founder and former Secretary, Indira Gandhi Center for
the Arts (New-Delhi) a donné le vendredi 4 avril 2008 une conférence intitulée
« The building of the main cultural institutions in independant India » (voir La
Lettre du Collège de France, n° 23 », juin 2008, 12-13).

Publications

« Cours : Les Guptas et le nationalisme indien. Séminaire : relecture d’inscriptions déjà


plusieurs fois éditées », Annuaire du Collège de France 2006-2007, 695-713.
Gérard Fussman avec la collaboration d’Eric Ollivier et de Baba Murad, Monuments
bouddhiques de la région de Caboul/Kabul Buddhist Monuments, II, Publications de l’Institut
de Civilisation Indienne, fasc. 761 et 762, Paris 2008, 373 pages.

Missions de M. Fussman et autres activités

Direction de l’Institut d’Études Indiennes du Collège de France.


Président, délégué de l’Administrateur, du Conseil scientifique des bibliothèques du
Collège de France.
Appartenance au Conseil scientifique de la BULAC (Bibliothèque Universitaire des
Langues et Civilisations).
650 GÉRARD FUSSMAN

Appartenance au Comité Directeur de la Forschungsstelle für Felsbilder und Inschriften


am Karakorum Highway de l’Académie d’Heidelberg.

Président de la SEECHAC (Société Européenne pour l’Étude des Civilisations de


l’Himalaya et de l’Asie Centrale).
Û
Conférence devant le personnel du Collège de France (pour le CLAS) le 10 janvier 2008
et au Musée Cernuschi (pour la SEECHAC) le 31 janvier 2008 : « Monuments bouddhiques
de la région de Caboul ».
Û
Mission d’expertise de l’AERES (11 janvier 2008, UMR 7528).
Mission en Inde (7 au 16 février 2008) : visite des grottes bouddhiques de la région de
Bombay pour la préparation d’un futur cours.
Histoire de la Chine moderne

M. Pierre-Étienne Will, professeur

Cette quatrième et dernière livraison sur l’histoire du Guanzhong (la plaine


centrale du Shaanxi, capitale Xi’an) au début de l’époque républicaine s’est
concentrée sur la lente et difficile mise en route d’un « cycle vertueux de
développement » dans la région à partir de la décennie 1930. Nous avions retracé
dans nos cours des trois dernières années l’histoire chaotique du Guanzhong
pendant les deux décennies précédentes : la guerre civile, la famine, les projets de
modernisation avortés, la spirale descendante du sous-développement… L’automne
1930 marque un point tournant à beaucoup d’égards. Politiquement et
militairement, d’abord, c’est la fin ce qu’on peut appeler le cycle des seigneurs de
la guerre. Dès les lendemains de la révolution de 1911, ou presque, la vie de la
région (comme celle de beaucoup de régions en Chine) avait été dominée et
rythmée par les rivalités de ces chefs d’armées dont le but principal, sinon toujours
exclusif, était d’accroître leur propre puissance en exploitant sans scrupule les
ressources des territoires qu’ils étaient capables de contrôler. Certains ont réussi à
occuper plus ou moins longtemps le poste de gouverneur militaire du Shaanxi,
avec la sanction du gouvernement central, mais leur pouvoir ne s’étendait jamais
qu’à une fraction limitée du territoire de la province, le reste étant aux mains de
militaristes locaux qui n’obéissaient à aucun ordre. Ces derniers ont été réduits un
à un en 1927 et 1928 par les lieutenants de Feng Yuxiang, l’un des « grands »
seigneurs de la guerre de l’époque, qui nourrissait des ambitions nationales et à qui
le nouveau gouvernement nationaliste avait été contraint de laisser le contrôle du
Nord-Ouest, ce qui ne l’avait pas empêché de se retourner contre lui. Le régime
de Nankin n’impose définitivement son pouvoir à Xi’an qu’en octobre 1930, après
avoir défait les forces de Feng Yuxiang, et c’est à partir de là que le Shaanxi cesse
de servir périodiquement de champ de bataille pour factions militaristes rivales.
(La guerre contre les bases communistes situées dans le nord de la province est
l’exception, mais elle a été conduite assez mollement et a cessé avec la proclamation
du second « Front uni » fin 1936.)
652 PIERREÉTIENNE WILL

La fin de 1930 marque aussi la sortie d’une sécheresse qui dure depuis deux ans
et qui s’est conjuguée aux exactions des militaires et à la désorganisation générale
de la société pour causer l’une des plus épouvantables famines de l’histoire au
Shaanxi et dans la province voisine du Gansu. Le retour à l’ordre que laisse espérer
l’entrée des nationalistes à Xi’an a convaincu les principales organisations
philanthropiques du pays de revenir dans une région qu’elles avaient pour la
plupart d’entre elles désertée par manque de sécurité. Elles bénéficient du plein
appui des nouvelles autorités provinciales, et le mot d’ordre désormais est non
seulement de secourir les populations affamées, mais aussi de jeter les bases du
développement économique. L’un des projets phares, la réhabilitation du système
d’irrigation du Weibei (sur la rive gauche de la rivière Wei, directement au nord
de Xi’an), dont on parlait depuis 1912 et pour laquelle des études approfondies
avaient été conduites au début des années 1920 sous la direction de l’ingénieur Li
Yizhi, peut démarrer dès la fin 1930 grâce à l’appui de la China International
Famine Relief Commission (CIFRC), l’un des principaux organismes
philanthropiques de l’époque en Chine. Il est clair que la réalisation relativement
rapide de ce chantier — la première tranche de ce qui s’appelle désormais le canal
Jinghui 涇惠渠 a été inaugurée en juin 1932 — a été un signal fort pour les
populations locales.
De fait, comme nous l’avions vu l’an passé, c’est un véritable sentiment de
renaissance qui s’exprime dans une quantité d’articles publiés à Xi’an juste après le
changement de régime : cette transition politique de la fin 1930 a été vécue comme
une sortie du tunnel et comme l’orée d’un nouveau cycle de tranquillité et de
progrès économique. Certes il ne s’agit encore que d’espoirs et de projets, et ces
éléments virtuels ont mis du temps à s’actualiser et à produire leurs effets. Pour ne
prendre qu’un exemple, si le retour à l’ordre a été proclamé dès sa prise de fonctions
par le nouveau gouverneur de la province, le général Yang Hucheng, en réalité
certains incidents dont il sera question plus loin montrent qu’en 1932 ou 1933
encore l’insécurité était grande, même à proximité de Xi’an, et que dans des zones
assez étendues le contrôle du gouvernement provincial restait très limité.
Mais il est clair qu’une nouvelle dynamique s’est instaurée dans la région et que,
si une action dans la durée a été possible, c’est parce qu’en dépit de quelques
soubresauts sans grand effet sur les conditions de vie de la population le Guanzhong
a bénéficié, à partir de l’installation du pouvoir nationaliste à Xi’an, d’une stabilité
politique qu’il n’avait pas connue depuis le milieu du xixe siècle.
Notre exposé s’est concentré sur deux grands sujets : d’une part, le rôle de l’aide
étrangère dans le processus de développement auquel on vient de faire allusion, et
plus précisément la nature des relations entre Chinois et experts étrangers ; d’autre
part, l’impact technique et économique du modèle de développement symbolisé
par la modernisation du site du Weibei.
La coopération entre Chinois et étrangers, nous l’avons examinée principalement
dans le cadre de la CIFRC, qui était par sa constitution même un organisme
HISTOIRE DE LA CHINE MODERNE 653

sino-étranger et qui est restée une présence importante au Shaanxi jusqu’au milieu
des années 1930 : c’est elle qui a relancé le projet du Weibei (auquel elle s’était
déjà intéressée pendant la décennie précédente), ses ingénieurs en ont eux-mêmes
conçu et réalisé la partie techniquement la plus difficile, et en fin de compte elle
a assuré l’essentiel du financement jusqu’en 1934, bien au-delà de ce qui avait été
prévu dans le contrat signé avec le gouvernement de la province. Cette
contribution est minimisée, voire passée sous silence, dans la plus grande partie
de la littérature consacrée en Chine populaire à la reconstruction économique de
la région après 1930. Un autre des grands projets d’ingénierie civile de la CIFRC
en Chine du Nord concernait également le Shaanxi : la transformation de
l’ancienne route impériale reliant Xi’an et, 700 km à l’ouest, Lanzhou, la capitale
du Gansu, en une route adaptée à la circulation automobile (appelée route Silan,
i.e. Xi-Lan 西蘭, dans les sources occidentales) qui a permis de réduire le temps
de parcours de 18 à 3 jours et a notablement contribué à désenclaver l’extrême
nord-ouest de la Chine.
Pour toutes ces raisons il était intéressant d’examiner la nature même, sur le
terrain, des relations entre les ingénieurs et les administrateurs de la CIFRC et les
habitants du Shaanxi avec lesquels ils étaient en contact constant : les travailleurs
employés sur les chantiers, les fournisseurs, les intermédiaires chargés de recruter
la main d’œuvre, les autorités locales civiles et militaires, et le gouvernement
provincial. Comment les étrangers — même travaillant dans le cadre d’entreprises
de nature philanthropique, donc en principe pour le bien de la Chine — étaient-ils
considérés par leurs interlocuteurs chinois, comment leur rôle et leur attitude
étaient-ils perçus et ressentis ? À l’inverse, comment les étrangers travaillant dans
le cadre de l’assistance philanthropique considéraient-ils leurs interlocuteurs
chinois ? Ces questions sont plus culturelles, politiques mêmes, que strictement
économiques, mais elles sont omniprésentes dans les sources traitant de problèmes
de développement, d’expertise technique et d’aide internationale, qu’il s’agisse de
la CIFRC ou de tout autre organisme comparable, comme la Croix-rouge
américaine, ou même de la Société des Nations.
Avant de les aborder nous sommes revenu beaucoup plus en détail que
précédemment sur l’organisation et le mode de fonctionnement de la CIFRC,
fondée, rappelons-le, en novembre 1921, au terme de la grande famine de
1920-1921 en Chine du Nord, dans le but de fédérer les associations provinciales
sino-étrangères alors en activité et de créer une structure permanente et préventive.
La CIFRC était un organisme centralisé, doté d’un comité exécutif, d’un secrétariat
général et de bureaux spécialisés. L’un de ses principes fondateurs était la parité
entre responsables chinois et étrangers. (Parmi ces derniers la majorité venaient du
milieu des missions protestantes anglo-saxonnes.) Elle comptait un certain nombre
de comités provinciaux (sept en 1922, quinze en 1935) dont les activités étaient
encadrées de près par les instances centrales. Dès sa fondation elle a été l’organisation
non gouvernementale disposant des moyens les plus importants en Chine, mais sa
réputation reposait aussi sur la qualité et la rigueur de sa gestion, sur un ensemble
654 PIERREÉTIENNE WILL

de procédures bien rodées, et sur son carnet d’adresses à l’étranger. Jusqu’à ce que
le gouvernement nationaliste ne tente sérieusement de reprendre la main au début
des années 1930, les autorités se reposaient presque entièrement sur elle pour les
travaux d’infrastructure lancés au moment des désastres naturels et des famines,
basés sur le principe des secours en échange de travail (gongzhen 工賑) : outre les
moyens qu’elle était capable de mobiliser, elle était la seule à posséder le savoir-faire
et les capacités d’organisation nécessaires, sans parler du bureau d’ingénierie dont
il sera question plus bas.

L’instance décisionnelle de la CIFRC était son comité exécutif, composé de


11 personnes (6 Occidentaux et 5 Chinois jusqu’en 1928, l’inverse après cette
date), où les membres du bureau exerçaient de facto une influence dominante : le
président, le vice-président, les deux trésoriers et le secrétaire général, ce dernier
étant en fait le personnage clé de tout le dispositif. Pendant la plus grande partie
de l’histoire de la Commission les responsabilités de secrétaire général ont été
assumées par un seul et même personnage, Zhang Yuanshan 章元善 (Y.S. Djang),
un ingénieur chimiste diplômé de l’Université Cornell dont il sera plus longuement
question ci-dessous. La plupart des membres du comité exécutif étaient des grands
notables bien connectés dans les milieux universitaires, dans les milieux d’affaires,
au gouvernement et dans les ambassades étrangères.

Dès sa fondation la CIFRC avait mis sur pied une douzaine de sous-comités
spécialisés (changshe fenwei banhui 常設分委辦會) où étaient invités divers experts
supposés conduire des enquêtes et soumettre des propositions aux instances
dirigeantes. L’administration centrale (zonghui shiwusuo 總會事務所), placée sous
l’autorité du secrétaire général, comportait également un certain nombre de
bureaux spécialisés où travaillaient les employés de la Commission. Cette double
structure n’allait pas sans redondance, et dans les faits la plupart des sous-comités
ont progressivement perdu de leur influence au profit des bureaux, qui s’avéraient
nettement plus efficaces. Tel a été en particulier le cas du bureau d’ingénierie
(gongcheng gu 工程股) placé sous la direction de l’ingénieur américain O.J. Todd,
recruté par la CIFRC en 1923 et que nous avons déjà souvent évoqué : Todd, qui
ne craignait pas les conflits, a rapidement marginalisé les ingénieurs distingués qui
composaient le « comité technique » (jishu bu 技術部), lequel a été dissout dès
1925 pour cause d’insuffisance de travail.

D’un intérêt particulier pour notre propos sont les relations entre dirigeants
chinois et étrangers au sein de la Commission. En surface au moins la coopération
était harmonieuse. Huang Wende 黃文德, à qui l’on doit la monographie la plus
complète sur la CIFRC (publiée à Taiwan en 2004), remarque que ces bonnes
relations sont d’autant plus remarquables que le nationalisme chinois était intense
à l’époque et que dans de larges milieux les étrangers, même affichant le plus
grand dévouement à la cause de la Chine, étaient soupçonnés de servir les intérêts
de l’impérialisme. Mais l’examen des archives privées de l’ingénieur Todd,
conservées à la Hoover Institution de Stanford, démontre que la CIFRC n’était pas
HISTOIRE DE LA CHINE MODERNE 655

toujours la réunion d’idéalistes passionnément dévoués au sauvetage de la Chine


que suggère sa littérature officielle — ou plus précisément, que si ses dirigeants
étaient incontestablement idéalistes et dévoués, ils ne s’entendaient pas toujours
entre eux, et qu’en particulier il pouvait y avoir de fortes tensions entre Chinois et
Occidentaux. C’est ce que suggèrent également un certain nombre de publications
chinoises récentes, sur le monde de la philanthropie en général et sur la CIFRC en
particulier, qui font appel à des publications, à des archives et à des témoignages
inconnus jusqu’alors.
Les membres chinois de la direction de la CIFRC étaient tous anglophones,
chrétiens la plupart du temps, et diplômés d’universités européennes ou américaines ;
beaucoup avaient servi dans la diplomatie, et tous étaient des notables qui savaient
comment parler et se comporter dans les milieux occidentaux de Chine (plusieurs
étaient membres du Rotary Club) — bref, de ces gens dont les Occidentaux
aimaient à penser qu’ils leur ressemblaient, ou ne désiraient rien tant que de leur
ressembler le plus possible. Mais les indices ne manquent pas pour montrer que
les choses étaient plus complexes. Même on ne peut plus occidentalisés, les Chinois
du comité exécutif de la CIFRC ou d’autres instances similaires restaient chinois,
et tenaient à le rester. Exerçant par ailleurs de multiples responsabilités dans des
instances purement chinoises, on peut supposer qu’ils n’étaient pas toujours à l’aise
avec cette asymétrie en vertu de laquelle la CIFRC, bien que sino-étrangère, était
d’abord anglophone et fonctionnait suivant des principes et des procédures
d’inspiration occidentale. Et ils avaient inévitablement quelque difficulté à accepter
l’attitude paternaliste naturellement adoptée par leurs collègues européens et
américains, peut-être pas envers eux-mêmes, mais certainement envers la société
chinoise, autrement dit leur société. Les publications officielles de la CIFRC nous
informent des décisions de la Commission, de ses analyses, des politiques qu’elle
préconise, mais elles ne nous disent rien des débats, des désaccords et des rivalités
en amont, ni de l’existence possible de factions au sein de l’équipe dirigeante,
défendant des intérêts qui ne coïncident pas toujours et, surtout, exprimant des
sensibilités différentes — chinoises d’un côté, et de l’autre occidentales, certains
diraient même coloniales.
De tout cela, qui a très certainement tenu une place importante dans la vie de
la Commission, nous n’avons que des traces. Le seul exemple dont nous ayons
connaissance un peu concrètement concerne les relations difficiles entre le secrétaire
général Y.S. Djang — l’un des fondateurs de la CIFRC et l’âme de l’organisation
pendant une quinzaine d’années — et l’ingénieur en chef O.J. Todd. Les frictions
entre l’un et l’autre étaient en partie déterminées par les choix stratégiques de la
CIFRC. Celle-ci en effet avait assez vite été conduite à concentrer ses efforts sur
deux grands programmes, visant l’un et l’autre à renforcer les capacités de résistance
de la société rurale face aux désastres naturels et en même temps à diminuer
l’impact potentiel de ces désastres par des mesures préventives. Le premier était la
mise en place d’un réseau de coopératives de crédit rural ayant pour objet d’aider
les paysans à sortir de la pauvreté en leur enseignant comment s’organiser entre
656 PIERREÉTIENNE WILL

eux, économiquement et socialement ; le second, c’étaient les grands travaux


(digues, systèmes d’irrigation, routes) relevant du domaine de l’ingénierie civile,
qui permettaient de combiner secours et édification d’infrastructures suivant la
formule des secours en échange de travail déjà mentionnée.

À la CIFRC l’homme des coopératives rurales était Y.S. Djang, qui avait lancé
le mouvement dès 1923 et en est resté l’inspirateur et le responsable pendant toute
l’histoire de la Commission. La réussite du programme de crédit rural dans la
province pilote du Hebei (où se trouve Pékin et qui a gardé son nom impérial de
Zhili jusqu’en 1928), à laquelle on l’avait volontairement limité pendant les
premières années, a suffisamment contribué à la réputation de Y.S. Djang pour
qu’en 1931, au moment des inondations catastrophiques du Yangzi, les autorités
nationalistes fassent appel à lui pour étendre le mouvement aux provinces du Sud
de la Chine ; là encore, le succès de l’opération a conduit les autorités à lui confier
en fin de compte la direction du programme de coopératives du gouvernement
lui-même, poste que Djang a assumé de 1935 à 1937. Même si dans ses souvenirs,
rédigés en Chine populaire en 1960, Djang tend à minimiser l’importance des
coopératives en en parlant comme d’un mouvement réformiste incapable de
s’attaquer aux causes socio-politiques profondes de la misère rurale, et de plus mené
au nom d’une organisation qu’il dénonce comme un instrument de l’impérialisme
américain, il n’en reste pas moins qu’il est visiblement très fier de ce qui a été sans
conteste l’œuvre de sa vie, et dont il avait tiré à l’époque une grande renommée.

Todd, en revanche, n’en avait que pour les grands projets d’infrastructure et
essayait par tous les moyens de développer son département d’ingénierie et de
renforcer sa propre position au sein de la CIFRC, comme l’illustrent d’abondance
les correspondances conservées dans ses archives. Il y avait là, inévitablement, une
source de frictions, non seulement parce que Todd ne cachait pas son dédain pour
le programme de coopératives rurales, mais aussi parce que les deux principales
activités de la Commission se trouvaient en concurrence pour mobiliser ses
ressources humaines et matérielles. Particulièrement problématique, du point de
vue de la Commission, était l’ambition de Todd d’entretenir en permanence un
département d’ingénierie en état de marche et pourvu d’une équipe d’ingénieurs
au complet, plutôt que d’avoir à limiter ses activités aux épisodes de calamités
naturelles où la CIFRC avait vocation à intervenir et à solliciter des financements
extérieurs (américains notamment, pour lesquels le principal conduit était une
organisation appelée China Famine Relief USA Inc., domiciliée à New York). En
dehors de ces périodes on était obligé de renvoyer le personnel et, comme le
confirme le témoignage d’un certain Ma Xiqing 馬席慶, un ingénieur chinois
employé un temps à la CIFRC, cela nuisait incontestablement à la qualité et à la
continuité du travail du département.

Or, après 1930 environ les priorités de la CIFRC ont commencé à changer dans
un sens défavorable aux grands travaux, alors qu’au moment de sa fondation
ceux-ci avaient été désignés comme sa principale vocation. La raison majeure de
HISTOIRE DE LA CHINE MODERNE 657

ce retournement, qui ne s’est pleinement matérialisé qu’au milieu des années 1930,
était le désir du gouvernement nationaliste de prendre directement en charge les
programmes d’infrastructure, plutôt que de les sous-traiter à des entreprises
philanthropiques en partie contrôlées par des étrangers, telle la CIFRC. L’organisme
gouvernemental à qui était confiée la mise en œuvre de ces nouveaux programmes
était la National Economic Commission (NEC), ou Jingji weiyuanhui 經濟委員
會, fondée en 1931 mais qui n’a réellement exercé sa fonction de coordination
nationale, et avec des moyens conséquents, qu’à partir de 1933. Son patron était
le beau-frère de Chiang Kai-chek, T. V. Soong (Song Ziwen 宋子文), alors ministre
des finances et sans conteste l’un des hommes d’État les plus compétents au sein
du gouvernement nationaliste ; et sa référence en matière d’expertise technique
était la Société des Nations, très active en Chine au milieu des années 1930 et dont
la concurrence était plutôt mal vue des Américains, qui n’en faisaient pas partie.
Quoi qu’il en soit, la propension de Todd à critiquer publiquement les choix
stratégiques de la CIFRC, ainsi que ses responsables lorsqu’il était en désaccord
avec eux, et peut-être plus encore une attitude impatiente et passablement arrogante
envers les Chinois qui semble avoir créé beaucoup de problèmes, lui étaient
régulièrement reprochées par ses amis. Elles n’ont pu que s’ajouter au retournement
de conjoncture dont il vient d’être question pour mettre en péril son emploi comme
ingénieur en chef à la CIFRC : dès 1930 — alors que plusieurs de ses projets
majeurs sont en cours de réalisation — quantité de correspondances nous montrent
ses efforts pour trouver des financements extérieurs et sauver aussi bien son poste
que son département ; et à l’en croire, l’homme qui cherchait à le faire tomber
n’était autre que le secrétaire général Djang. Il est à vrai dire difficile de se faire
une idée précise, mais il semble assez clair que le coût du département d’ingénierie
et le « salaire d’expatrié » versé à son chef (65 % du budget de fonctionnement du
département en 1933, et en plus il voulait être augmenté !) suscitaient des
oppositions au sein du Comité exécutif, la ligne de partage se situant plus ou moins
entre Chinois et Américains : ce sont apparemment les membres chinois du Comité
qui font adopter en juillet 1934 la décision de fermer le département d’ingénierie
de la CIFRC et de remercier Todd. (Il travaillera cependant pendant une année de
plus pour la CIFRC avec des financements extérieurs.)
Le rôle de Y.S. Djang dans tout cela n’est pas facile à évaluer ; mais il est peu
douteux qu’il ressentait l’attitude d’un personnage qui laissait dire, d’après un
témoignage chinois, qu’il n’avait pas la stature d’un « secrétaire », tout au plus celle
d’un simple commis (clerk). Tout indique par ailleurs que Djang affichait un
nationalisme sans concession, jusque dans son vêtement et son style de vie, alors
même que ses fonctions l’amenaient à fréquenter quotidiennement la grande
bourgeoisie sino-occidentale, avec laquelle il était d’ailleurs parfaitement à l’aise.
En présence des étrangers, si l’on en croit les souvenirs de ses proches, il ne se
montrait ni humble ni hautain mais tenait à « préserver sa dignité de Chinois ».
Les témoignages abondent également sur son intégrité, et lui-même, dans ses
souvenirs sur la CIFRC publiés en 1960, insiste sur le réglementarisme très
658 PIERREÉTIENNE WILL

sourcilleux qu’il tentait non sans mal d’imposer à ses collègues étrangers. En fait,
de façon très frappante si l’on se souvient que la CIFRC était supposée faire
coopérer Chinois et étrangers, ces souvenirs incluent une section intitulée « la lutte
avec les étrangers » (tong yangren de douzheng 同洋人的斗爭) — ces collaborateurs
étrangers dont il n’a de cesse de souligner l’arrogance, la désinvolture et le complexe
de supériorité et dont il explique comment il lui fallait les remettre à leur place, à
la grande satisfaction du personnel chinois. (Dans un épisode au moins Todd est
directement mis en cause, mais comme toujours il est difficile d’évaluer la réalité
d’accusations d’ailleurs assez vagues.)

Dans tout les cas, ce genre d’accusation dépasse largement le cadre de la CIFRC.
L’on pourrait dire qu’on a d’abord affaire à une opposition entre deux styles,
aggravée par beaucoup de préjugés de part et d’autre, entre deux sensibilités qui
avaient du mal à cohabiter, et même à se comprendre. Mais c’est un fait que
l’attitude de Todd, en particulier, ne faisait que refléter, même si c’était en la
grossissant, une façon d’être en Chine extrêmement répandue chez les Occidentaux
qui y travaillaient, même les plus dévoués dans leurs efforts pour aider le pays à se
sortir de ses difficultés et à se moderniser. Comme le remarquait en son temps
John K. Fairbank dans son classique The United States and China, jusqu’en 1949
la relation entre les deux pays a toujours été placée sous le signe de l’inégalité, la
Chine étant le partenaire en position de faiblesse, bénéficiaire de l’aide et de la
philanthropie américaines. La bonne conscience américaine ne pouvait que heurter
le nationalisme des Chinois, même les plus cosmopolites et les mieux disposés
envers l’Occident, tels les dirigeants de la CIFRC.

Mais nous avons aussi voulu explorer ces relations en nous intéressant non plus
aux notables occidentalisés, mais aux travailleurs et aux collaborateurs avec qui les
ingénieurs étrangers, américains notamment, étaient en contact quotidien sur les
chantiers. Là encore les nombreux articles et conférences d’O.J. Todd, ainsi qu’un
certain nombre de textes conservés dans ses archives, sont une source importante
car personne, semble-t-il, ne s’est exprimé de façon aussi concrète ni aussi abondante
sur le fonctionnement des grands sites de travaux publics en Chine et sur la façon
dont on y vivait, sans parler du fait que l’on ne trouve pour ainsi dire rien sur ce
sujet en langue chinoise. (L’abondance des écrits d’O.J. Todd s’explique autant par
son sens de la promotion que par le leadership qui lui était reconnu dans la
profession en Chine et la nécessité où il était de financer son département.)

En dehors des aspects purement techniques du métier, être à la tête d’un chantier
en Chine comportait une grande part de gestion financière, de négociation avec
les autorités locales et les pourvoyeurs de main-d’œuvre, de commandement et de
mobilisation, de maintien de l’ordre, de résolution des conflits, sans parler du
contrôle sanitaire et de la prévention des épidémies. Avant l’apparition de l’ingénieur
moderne la plupart de ces responsabilités étaient assumées par des fonctionnaires
impériaux ; mais dans le cas des ingénieurs étrangers travaillant en Chine à l’époque
républicaine elles posaient des problèmes particuliers puisqu’elles supposaient une
HISTOIRE DE LA CHINE MODERNE 659

interaction directe et quotidienne avec des cadres et des travailleurs appartenant à


une autre culture, n’ayant pas les mêmes traditions professionnelles ni le même
rapport au travail, et ne parlant pas la même langue. Or, l’un des traits distinctifs
des grands chantiers en Chine (jusque très récemment) était la masse considérable
de travailleurs non qualifiés qu’il fallait conduire à la manœuvre, s’expliquant par
le niveau très faible de mécanisation des opérations de construction et de transport
et le coût extrêmement bas de la main-d’œuvre, surtout sur des chantiers, comme
ceux de la CIFRC, basés sur le principe des secours en échange de travail et où
l’on payait les travailleurs en rations calculées d’après le minimum vital.
Même si la condescendance pointe toujours, les étrangers dont nous avons les
témoignages, surtout les Américains, affichent en général une certaine sympathie,
voire même une réelle admiration pour la dureté à la tâche, l’ingéniosité et la
bonne humeur de ceux qu’on appelait les « coolies », autrement dit les paysans qui
constituaient l’essentiel de la force de travail. (Il est intéressant de noter que le mot
« coolie », qui appartenait au jargon colonial de l’époque et n’a pas ici de connotation
particulièrement péjorative, était parfois employé, notamment par les ingénieurs
chinois s’exprimant en anglais à propos de leurs compatriotes, pour signifier
« rétrograde », voire « stupide ».)
Mais ces « coolies » constituaient malgré tout une masse dont il était essentiel de
garder le contrôle et qui pouvait devenir rétive, dangereuse même, en tout cas
prompte à écouter toutes les rumeurs, et qu’il fallait savoir manipuler et discipliner
pour ne pas se laisser déborder. Quels que fussent les sentiments de sympathie
occasionnellement exprimés par les ingénieurs occidentaux travaillant dans l’intérieur
du pays ou par les militants des organismes philanthropiques, dont l’ouverture et le
dévouement au progrès de la Chine ne sauraient être mis en question, dès lors qu’ils
rencontraient une difficulté ou se heurtaient à des manières d’être ou de faire qui ne
répondaient pas à leurs attentes ils étaient prompts à exprimer leur impatience ou
leur inconfort sous la forme de clichés sur les Chinois renvoyant aux préjugés les plus
répandus dans la société des expatriés de Shanghai ou d’ailleurs.
Il est évidemment impossible de généraliser. L’aptitude à communiquer en
chinois faisait certainement une différence. Todd, dont les capacités de ce point de
vue semblent être toujours restées très limitées malgré ses quelque vingt années en
Chine, remarque à plusieurs reprises que les missionnaires, surtout ceux de
l’intérieur, qui ont beaucoup assisté la CIFRC et avant elle la Croix-rouge américaine
dans leurs entreprises de travaux publics, doivent à leur relation aux gens ordinaires
et à leur connaissance de la langue un contact beaucoup plus direct, et sans doute
moins problématique, avec leurs interlocuteurs chinois, et qu’ils sont souvent les
plus efficaces lorsqu’il s’agit de recruter des travailleurs ou de négocier avec les chefs
d’équipe et les fournisseurs.
Sans doute faut-il aussi tenir compte de ce qu’on pourrait appeler l’« exception
américaine ». Dans la Chine des années 1920 et 1930 l’Amérique était nettement
mieux perçue que les autres puissances, notamment la Grande-Bretagne, qui depuis
660 PIERREÉTIENNE WILL

la guerre de l’Opium était l’incarnation par excellence de l’impérialisme et l’est


restée jusqu’à la guerre du Pacifique (la diabolisation de l’impérialisme américain
date de la guerre froide). En dépit de leur participation active au système des traités
et à l’invasion économique de la Chine les États-Unis ont toujours prétendu à la
neutralité et se sont faits les champions de la politique de la porte ouverte, excluant
toute conquête territoriale. Il existait en outre aux État-Unis un fort courant de
sympathie à l’égard de la Chine, encouragé par les missions protestantes à l’origine
de la grande tradition américaine d’intervention humanitaire dans ce pays,
également par la présence nombreuse de boursiers chinois dans les universités
américaines, dont beaucoup étaient financés sur les fonds payés au titre de
l’« indemnité boxeurs » et réaffectés au développement de l’éducation en Chine.
Enfin, la capitulation du gouvernement Wilson devant les exigences japonaises au
moment du traité de Versailles en 1919 avait provoqué une vague d’indignation
dans l’opinion publique américaine et ce que certains n’ont pas hésité à appeler un
sentiment de culpabilité à l’égard de la Chine. Par là s’explique la réponse
enthousiaste du public américain aux appels pour secourir les victimes de la grande
famine de 1920-1921 — les organisations charitables américaines ont alors déversé
sur la Chine des millions de dollars —, et en général sa promptitude à répondre
aux sollicitations répétées des nombreuses entreprises philanthropiques actives
pendant toute cette période : la CIFRC, qui était fondamentalement une entreprise
sino-américaine, en est un des meilleurs exemples. L’Amérique en retirait une réelle
popularité, jusque dans des régions aussi reculées que le Shaanxi ou le Gansu, et
ses ressortissants en tiraient d’incontestables avantages aussi bien moraux que
commerciaux.

Beaucoup d’Américains en Chine non seulement rêvaient d’établir une « relation


spéciale » entre la Chine et l’Amérique, mais encore se sentaient investis d’une
mission. Les ingénieurs auxquels nous nous intéressons se qualifient volontiers
d’« ingénieurs-missionnaires » : leur vocation est non seulement d’équiper la Chine
pour la sortir du sous-développement, mais encore, et surtout, de former une élite
de cadres et de techniciens compétents, cela va sans dire, mais aussi imbus de
valeurs typiquement américaines telles que le dévouement, l’intégrité, l’esprit
d’équipe, etc., car ce sont en fin de compte ces gens-là qui sauveront la Chine. Or,
nos ingénieurs-missionnaires semblent considérer qu’il reste encore beaucoup à
faire de ce point de vue. À les en croire, contrairement aux sympathiques coolies
les membres plus favorisés de la société ont tendance à être paresseux, jouisseurs,
corrompus, truqueurs, dénués de « morale nationale », et incapables de coopérer à
des entreprises communes : tout cela, c’est un problème de civilisation et de
« coutumes ». Plus proche de notre sujet, nombre d’auteurs déplorent chez une
majorité d’ingénieurs chinois, en particulier les jeunes, une tendance à considérer
que le travail manuel est indigne d’eux — d’aucuns y voient un effet de la tradition
mandarinale — et un faible intérêt pour le travail pratique : ils préfèrent le bureau
au terrain et le confort de la ville aux rigueurs d’un exil de plusieurs mois dans une
région isolée, voire dangereuse. Les « retours de l’étranger », qui ont reçu une
HISTOIRE DE LA CHINE MODERNE 661

formation théorique de haut niveau et sont particulièrement soucieux de promotion


sociale, semblent les plus exposés à ces faiblesses. On regrette aussi, surtout au
début des années 1920, que les jeunes ingénieurs formés en Chine manquent trop
souvent d’initiative, de créativité, et d’autorité sur le terrain.
Telle est donc la « mission » que s’assignent Todd et ses collègues : enseigner par
l’exemple à la jeune génération des ingénieurs chinois les vertus du contact avec
les réalités physiques et sociales du terrain et la valeur du leadership et du management
à l’américaine. Ce que sont d’ailleurs incapables de leur inculquer, d’après eux, les
ingénieurs européens envoyés par la Société des Nations, avec lesquels ils
entretiendront une polémique assez violente au milieu des années 1930 : à ces
« ingénieurs en chambre » ils opposent les « ingénieurs en bras de chemise qui
connaissent la Chine et ses rivières » — c’est-à-dire eux-mêmes, que leur familiarité
avec les problèmes de rivières « longues et boueuses » comme le Mississipi ou le
Colorado rend particulièrement aptes à travailler sur le fleuve Jaune ou le Yangzi.
Ils se reconnaissent d’ailleurs des alliés sur place, qui partagent les mêmes valeurs
professionnelles et dont les sources montrent qu’ils les considèrent comme leurs
égaux, d’autant que la plupart ont été formés dans les mêmes universités qu’eux :
Li Yizhi est l’exemple type de cette élite d’ingénieurs civils chinois chevronnés qui
dans les années 1930 vont être appelés à concevoir et diriger les grands projets du
gouvernement nationaliste. (Beaucoup sont membres de l’Association of Chinese
and American Engineers, basée à Pékin, à laquelle nous avons consacré un exposé
lors du séminaire mentionné ci-dessous.)
Outre le personnel des chantiers et les jeunes collègues chinois qui les assistaient,
les ingénieurs occidentaux en charge de grands projets devaient en permanence
négocier avec les autorités locales, sans la collaboration ou au moins la neutralité
desquelles la conduite d’un chantier en période de famine, bien souvent dans une
région reculée et dangereuse, devenait extrêmement difficile. Seuls les « magistrats »
responsables des districts disposaient de l’usage de la force, quand ils voulaient
bien s’en servir (ou la facturer) pour protéger les chantiers contre les attaques de
bandits poussés par la misère, par la perspective de la récolte d’opium en train
d’être mise sur le marché, ou simplement parce que c’était le jour de la paye —
nous en avons cité plusieurs exemples. De la même façon, la garantie de prix
acceptables et prévisibles pour les approvisionnements et les fournitures ainsi que
l’établissement d’une norme officielle pour les poids et mesures et pour les
rémunérations, seul moyen de décourager les contestations, rien de cela n’était
concevable indépendamment du contexte administratif et politique dans lequel se
déroulaient les travaux. Or, pendant les deux premières décennies de la République
(et au-delà) ce contexte était souvent chaotique, à tout le moins dominé par les
impératifs militaires et fiscaux de gouvernements provinciaux identifiés peu ou
prou avec les seigneurs de la guerre, si bien que du point de vue des pouvoirs
locaux les grands travaux philanthropiques risquaient d’être une occasion de
squeeze autant que de coopération pour le bien des populations. De même, et c’est
un point important, fallait-il s’entendre avec les pouvoirs locaux et provinciaux
662 PIERREÉTIENNE WILL

pour qu’ils évaluent les emprises à exproprier (right-of-way) et, surtout, qu’ils les
indemnisent, ce que les associations philanthropiques qui ouvraient les chantiers
se refusaient à faire. Il y avait là une source constante de difficultés, de trafic
d’influence et de mécontentement.
Il était donc indispensable que la CIFRC (ou tout autre organisme comparable)
établisse des relations de confiance avec les différentes autorités de la région, et que
celles-ci s’investissent dans la réussite des travaux entrepris et démontrent leur
volonté de coopération. Nous sommes revenu vers le Shaanxi et les chantiers dont
nous avons déjà maintes fois parlé pour examiner la situation de ce point de vue.
Dans la mesure où le Weibei et la route Silan étaient des projets en coopération
entre la CIFRC et le gouvernement provincial, celui-ci était évidemment intéressé à
leur réussite et donc à maintenir de bonnes relations avec la CIFRC et ses
représentants sur place. Bien que les sources officielles évoquent une collaboration
sans nuages, ces relations s’avèrent avoir été parfois assez compliquées, probablement
plus que même les sources privées ne veulent bien le dire. C’est ce que suggèrent en
tout cas deux incidents révélateurs des conditions socio-politiques extrêmement
difficiles dans lesquelles s’est enclenché le cycle de développement du Guanzhong.
Au moment de la prise de pouvoir des nationalistes à Xi’an fin 1930 le retour à
l’ordre et l’éradication du banditisme avaient été proclamés comme une priorité
absolue, car c’était à ce prix seulement qu’on pouvait espérer attirer de nouveau la
philanthropie dans la région et impulser enfin le développement économique. Or,
les incidents en question montrent que deux ou trois ans plus tard le gouvernement
de la province n’était pas toujours en mesure d’assurer la sécurité d’experts étrangers
travaillant avec un organisme philanthropique sous contrat avec lui, même à quelques
kilomètres de Xi’an, et qu’en outre son attitude n’était pas toujours très claire.
La première affaire survient très peu de temps après la mise en service de la
première tranche du canal Jinghui en juin 1932. Jusque-là les relations entre la
CIFRC et les autorités de Xi’an (à commencer par le bureau d’hydraulique dirigé
par Li Yizhi) avaient été dans l’ensemble harmonieuses en dépit de quelques
problèmes techniques ou financiers, vite oubliés dans l’enthousiasme des cérémonies
d’inauguration. Surtout, le chantier du Weibei était resté une oasis de sécurité au
milieu d’un environnement où le banditisme restait endémique : en effet le projet
était populaire, et en outre, à en croire certaines sources, une partie des « bandits
locaux » (tufei) travaillaient en fait sur le chantier. Mais ces relations vont devenir
extrêmement tendues après le meurtre d’un missionnaire suédois travaillant pour
la CIFRC comme responsable administratif du chantier de la route Silan, un
certain Tornvall, en compagnie de trois autres personnes alors qu’ils circulaient en
voiture aux abords de Xi’an. Les agresseurs sont des soldats de l’armée régulière,
les voitures ont été volées et les corps ne seront jamais retrouvés.
Cet incident, considéré par Todd et les autorités de la CIFRC comme un crime
crapuleux et un grand scandale, dont les autorités de Xi’an auront à répondre et
pour lequel elles devront payer des dédommagements, a en réalité tout de la
HISTOIRE DE LA CHINE MODERNE 663

ténébreuse affaire. Deux sources chinoises indépendantes l’une de l’autre suggèrent


que les victimes n’étaient peut-être pas entièrement innocentes, que Tornvall
cherchait à sortir de la province une somme importante en dollars d’argent à un
moment où c’était prohibé, et qu’un de ses compagnons de route, un Japonais,
était un espion. Les sources évoquent aussi un obscur trafic de voitures non encore
payées (de tels trafics étaient fréquents dans le Far-West chinois à l’époque, et l’une
des victimes de l’incident était un représentant américain des automobiles Ford en
tournée dans la région) : il n’est nullement exclu qu’un contrôle militaire près de
Xi’an, peut-être basé sur des informations reçues, ait mal tourné et qu’une grosse
bavure ait ensuite été camouflée en crime, les responsables étant par ailleurs
couverts par leurs chefs et par les autorités (le gouverneur du Shaanxi, Yang
Hucheng, était également chef des armées et le détachement incriminé dépendait
d’un de ses proches lieutenants, le général Sun Weiru 孫蔚如). D’après les souvenirs
en général très bien informés d’un proche de Yang Hucheng, un nommé Li
Zhigang 李志剛, les voyageurs étaient en fait des espions recrutés par leur
compagnon japonais et Yang Hucheng les aurait fait délibérément exécuter par ses
troupes, suscitant un grave problème avec Chiang Kai-shek et de très vives pressions
(attestées par ailleurs) de la part des ambassades concernées. Enfin, une allusion
dans une lettre de J.E. Baker — un expert américain proche de la CIFRC, présent
au Shaanxi pendant la famine de 1930 — suggère une sombre affaire de
détournements de fonds et laisse entendre que Tornvall aurait pu être dénoncé par
des personnes appartenant au comité provincial de la CIFRC.
On discerne de toute façon derrière l’incident tout un arrière-plan de manœuvres,
de tractations et d’initiatives dont il est difficile de savoir ce que connaissaient
exactement Todd et ses collègues lorsqu’ils sont venus sur place pour enquêter et
exiger des réparations : même dans leurs correspondances privées on soupçonne
beaucoup de non-dit. Pour un temps les relations entre la CIFRC et l’administration
de Yang Hucheng vont devenir exécrables. Les ingénieurs de la CIFRC sont retirés
du terrain et les chantiers en cours sont arrêtés. Ils reprendront quelques mois plus
tard (début 1933) après le versement de compensations, même jugées insuffisantes,
par le gouvernement du Shaanxi : il eût été dans tous les cas embarrassant de laisser
en friche des projets proches de la finition (la route Silan était réalisée à 70 %),
déjà financés, et dont on attendait beaucoup en termes de développement
économique et, précisément, de sécurité.
C’est alors qu’éclate la seconde affaire, qui fera plus de bruit encore : le kidnapping
de l’ingénieur Eliassen, un employé de la CIFRC qui avait dirigé le chantier du
canal Jinghui, par un parti de bandits sur le site même du canal où il était retourné
pour inspecter l’état des installations, en avril 1933. Eliassen et son compagnon de
captivité, un assistant ingénieur nommé Henry S. Chuan, réussissent à s’échapper
séparément après avoir été promenés pendant une vingtaine de jours de cache en
cache dans les collines escarpées qui surplombent le site au nord, et avant que la
rançon qui avait été négociée par les autorités n’ait été versée. (Henry Chuan, ou
Quan Shaozhou, qui était cousin d’un des dirigeants de la CIFRC, va s’avérer au
664 PIERREÉTIENNE WILL

cours d’un épilogue assez divertissant avoir escroqué les fonds supposés avoir payé
sa propre libération et se conduire de manière quelque peu paranoïaque une fois
démasqué et expulsé de l’organisation.) Par delà ses aspects rocambolesques, qu’on
peut reconstituer à partir des archives Todd — lesquelles confirment presque point
par point la version romancée publiée vingt ans plus tard par Eliassen sous le titre
Dragon Wang’s River —, l’affaire est à plusieurs égards révélatrice de la situation qui
régnait alors dans la région. Il y a d’abord ce détail inattendu, que les bandits locaux
qui se sont emparés d’Eliassen et Chuan s’étaient alliés avec un groupe de propagande
communiste venu du nord de la province, alors qu’on n’aurait pas soupçonné que
les guérillas communistes de la région soient à cette date capables d’agir, même
clandestinement, si près de la capitale du Shaanxi. (Il semble y avoir eu à peu près
à la même époque une tentative avortée pour créer un soviet rural dans le nord de
la région du Weibei.) Mais les communistes, dont les chefs semblent fort cultivés
politiquement, se font manipuler par leurs contacts locaux et quittent assez vite la
scène, non sans avoir dénoncé devant Eliassen la collaboration de la CIFRC avec
l’impérialisme et son exploitation éhontée des travailleurs sur ses chantiers, autant
de thèmes qu’on trouve formulés ailleurs dans la littérature du Parti à l’époque.
Le plus remarquable est l’osmose entre bandits, paysans, soldats et travailleurs du
chantier : tout le monde se connaît et l’on passe sans difficulté d’un groupe à l’autre.
Lorsque les récoltes sont mauvaises et que c’est la disette — comme c’est alors le cas
dans la région —, les rangs des bandits grossissent rapidement. Cette écologie
dangereuse semble surtout caractéristique de la région dite du « plateau », dominant
le parcours du canal Jinghui, qui ne bénéficie pas de l’irrigation alors que ses habitants
avaient mis de grands espoirs dans les projets formulés par Li Yizhi et d’autres depuis
les années 1920. C’est de ce « bandit-land » que vient le chef des hors-la-loi, un certain
Miao Jiaxiang, qui lui aussi semble avoir multiplié les états — ancien officier de
l’armée régulière, ancien agent du bureau d’irrigation du Shaanxi et responsable de la
paye sur le chantier du Weibei, chef de l’association des paysans du Weibei-Ouest, et
à présent leader des paysans passés au banditisme —, que tout le monde connaît et
auquel tout le monde s’adresse pour négocier (Li Yizhi notamment). Comme le note
Eliassen lui-même, après une douzaine d’années de famine et de combats dans tout le
Guanzhong le banditisme et la violence restent le moyen de survie le mieux adapté
pour les habitants de ces piémonts particulièrement misérables.
On voit en fait se dessiner une dichotomie croissante entre ces terrasses
inaccessibles à l’irrigation, où la seule eau disponible est celle qui tombe du ciel
— et l’année 1933 a été catastrophique de ce point de vue —, et la plaine
immédiatement en dessous, dont le développement est en train de s’amorcer grâce
au système hydraulique du Weibei en cours d’achèvement et où la valeur de la terre
augmente corrélativement. Les paysans de la plaine, encouragés semble-t-il par
Li Yizhi en personne, tentent d’intervenir pour faire libérer les prisonniers en
manifestant et en pétitionnant dans les villages du plateau : beaucoup profitent
déjà de l’irrigation, mais la CIFRC a menacé de ne pas terminer le chantier et de
retirer ses financements. Son ambition, et celle des technocrates locaux dont
HISTOIRE DE LA CHINE MODERNE 665

Li Yizhi est le mentor respecté, est à terme d’enclencher un cycle de prospérité et


de sécurité économique qui profite à toute la région et conduise par là-même à
l’extinction du banditisme. Or, si au moment de l’enlèvement d’Eliassen au
printemps 1933 des progrès importants ont été accomplis au regard de la situation
qui prévalait à la fin de 1930, la situation reste précaire et il suffit d’un retour de
sécheresse pour que l’insécurité redevienne un problème majeur.
On découvre aussi que la construction du canal Jinghui n’a pas fait que des
heureux. Si Todd ou Eliassen tendent à donner une vision un peu idyllique des
relations entre direction et travailleurs sur leurs chantiers (l’on ne dispose d’aucun
témoignage chinois là-dessus), il existe quand même des indices suggérant que les
choses ne se passaient pas toujours sans tensions, frustrations et contestations du
côté de la force de travail, et qu’aussi bien la CIFRC que le bureau d’hydraulique
du Shaanxi, responsable de la partie aval du chantier, n’évitaient pas toujours de
recourir à la coercition. Il y avait en outre, parmi les mécontents, tous ceux dont
la vie quotidienne avait été bouleversée par cet immense chantier, notamment les
propriétaires qui avaient été expropriés de tout ou partie de leur patrimoine.
Plusieurs témoignages d’ingénieurs étrangers travaillant en Chine montrent qu’à
cette époque les problèmes d’expropriation et d’indemnisation étaient loin d’avoir
été résolus, même si les dispositions légales existaient, et à leurs yeux c’était là un
des principaux obstacles à une politique efficace d’infrastructures : partout sont
dénoncées la mauvaise volonté des autorités à verser les indemnisations promises,
ainsi que les manœuvres des gens influents pour éviter d’être expropriés de terrains
avantageusement situés ou de cimetières familiaux, et ce en toute ignorance des
contraintes techniques. (Les ingénieurs chinois semblent parfois plus sensibles à ces
impératifs religieux ou sociaux que leurs collègues occidentaux considèrent comme
injustifiables.) Le projet du Weibei n’a pas échappé à ces problèmes, et apparemment
Eliassen était tenu responsable par certains de ses ravisseurs du non remboursement
des terres expropriées, alors qu’il s’agissait contractuellement d’une responsabilité
du gouvernement de la province et qu’il n’avait rien à y voir ; et Todd se plaint en
effet dans une lettre de ce que la plus grande partie des terres expropriées pour le
canal Jinghui n’a jamais été remboursée. Ce qu’il ne dit pas, mais qu’il sait
certainement — ne serait-ce que par son ami Li Yizhi, qui a toujours été aux côtés
de la CIFRC dans ses démêlés avec le gouvernement du Shaanxi —, c’est que pour
toutes sortes de raisons, militaires notamment, ce gouvernement qu’il accuse d’être
mauvais payeur pour tout, y compris les salaires de ses propres ingénieurs, est alors
dans une situation financière proche de la banqueroute.
Pendant la captivité d’Eliassen et dans les semaines qui suivent, l’embarras des
autorités provinciales du Shaanxi est extrême et le ton adopté par Todd, qui s’est
autoproclamé négociateur au nom de la CIFRC, se fait particulièrement agressif.
(L’un de ses thèmes favoris à ce moment est d’opposer l’anarchie et l’arriération
qui règnent au Shaanxi à la sécurité et à l’attitude coopérative des autorités dans
la province voisine du Shanxi, placée sous la houlette de son inamovible « gouverneur
modèle », Yan Xishan 閻錫山, pour le compte de qui Todd conduit un programme
666 PIERREÉTIENNE WILL

d’études en vue d’édifier divers ouvrages d’hydraulique.) Les choses changent


notablement quelques mois plus tard lorsque c’est au tour de la CIFRC d’être
embarrassée par les détournements de fonds publics de son employé Henry Chuan ;
mais elles changent aussi parce qu’entre temps Yang Hucheng, victime, entre autres
choses, des affaires précédemment évoquées, a été démis de ses fonctions de
président du Shaanxi (il reste commandant des troupes de la province) et remplacé
par un proche de Chiang Kai-shek, Shao Lizi 邵力子 (1882-1967), qui conservera
le poste jusqu’à la fin 1936.
Le personnage de Shao Lizi est d’autant plus difficile à cerner qu’il a été récupéré
comme « patriote » et compagnon de route, voire comme crypto-communiste, par
l’historiographie officielle — ses sympathies de gauche étaient en effet connues et
en 1949 il est passé sans états d’âme du côté du nouveau régime —, si bien que
les quelques travaux qui lui ont été consacrés versent systématiquement dans
l’hagiographie et sont inutilisables. (Les récentes élucubrations sur son statut de
« taupe communiste » dans un ouvrage à succès sur Mao Zedong ne valent guère
mieux.) Mais tous les témoignages que nous avons cités s’accordent sur son
intelligence, son intégrité et son urbanité, ainsi que son empressement à rencontrer
les étrangers de passage : pour ces derniers en tout cas le contraste devait être assez
fort avec le général et ex-chef de bandits Yang Hucheng, avec qui d’ailleurs Shao
Lizi a conservé d’excellentes relations dans les années suivantes.
Shao Lizi semble avoir œuvré avec une certaine efficacité pour sortir la province
de l’arriération. Il est vrai qu’il recueillait le fruit des efforts accomplis depuis 1930,
si incomplets aient-ils été, et qu’il bénéficiait d’un environnement politique et
économique beaucoup plus favorable que son prédécesseur. Les politiques de
développement menées au Shaanxi sous son égide doivent en effet être replacées
dans le cadre plus général des efforts d’édification d’un État et d’une économie
modernes entrepris par le régime nationaliste à partir du début des années 1930, de
façon beaucoup plus systématique et organisée qu’avant. Des projets forts de réforme
et de reconstruction avaient été lancés dès l’installation du nouveau gouvernement
à Nankin en 1928, mais ils avaient été compromis par l’hostilité de plusieurs satrapes
provinciaux au pouvoir de Chiang Kai-shek et par les conflits qui en étaient résultés
(ainsi avec Feng Yuxiang), ainsi que par des désastres naturels majeurs comme la
grande sécheresse de 1928-1930 dans le Nord-Ouest ou les inondations
catastrophiques de la vallée du Yangzi en 1931, ceci sans parler des blocages causés
par les conflits internes au Guomindang. L’année 1933 marque sans doute un point
tournant, avec la mainmise des technocrates de la NEC et du ministère de l’Industrie
sur l’ensemble des politiques de développement. Dans leur vision comme dans celle
de leur patron politique, le ministre des finances T.V. Soong, l’édification d’une
Chine prospère et indépendante doit d’abord passer par celle d’une base industrielle
« nationale » (minzu), c’est-à-dire libérée de l’emprise des capitaux étrangers ; et c’est
donc dans ce sens qu’ils ont surtout œuvré, non sans un certain succès étant donné
les contraintes qu’ils devaient affronter et, surtout, le peu de temps dont ils ont
disposé avant que la guerre avec le Japon n’emporte tout.
HISTOIRE DE LA CHINE MODERNE 667

Dans cette vision le développement de l’agriculture sert avant tout à soutenir la


croissance industrielle en améliorant l’offre en matières premières et en développant
un marché national pour les produits industriels modernes. C’est ce qu’illustre le cas
de la filière coton (étudié par Margherita Zanassi dans un chapitre de Saving the
Nation, 2006), qui fait l’objet d’une attention soutenue de la part du gouvernement
à partir de 1933 et pour laquelle est mise sur pied une « Commission de direction du
coton » (Mianye tongzhi weiyuanhui 棉業統制委員會). Tout ceci intéresse
directement le Shaanxi puisqu’il s’agit depuis les Qing d’une des principales régions
productrices de coton en Chine. L’expansion de la production cotonnière du
Guanzhong, son amélioration surtout (pour la rendre compatible avec les normes
des filatures industrielles), enfin la mise en place de coopératives rurales pour soutenir
le mouvement, tout cela a notablement contribué à la sortie du sous-développement
qui s’amorce pour de bon, à ce moment, dans la région. Le Guanzhong au milieu des
années 1930 offre un peu l’image en réduction du dynamisme et de l’optimisme
alors tellement frappants dans les régions plus proches du centre, de cet effort
frénétique de mise en valeur des ressources du pays et de modernisation socio-
économique basée sur le progrès scientifique, avec l’encouragement et la collaboration
des experts de la Société des Nations. Là encore le temps n’a pas été laissé pour que
cet effort puisse influencer en profondeur les conditions de vie et de production dans
le monde rural — du moins pas partout.
Nous sommes en effet revenu en conclusion sur la question de l’irrigation au
Shaanxi, qui avait été notre point de départ. Or, là se produit incontestablement
une mutation qu’on peut dire « scientifique », et qui a eu des effets importants à
long terme. Avant toutefois d’évoquer les fondamentaux de l’économie rurale (le
crédit, les techniques, la gestion, l’enseignement), il nous a paru intéressant de
proposer un panorama, un peu impressionniste sans doute, de ce que nous avons
appelé les signes extérieurs de la modernisation dans la région du Guanzhong
pendant la même période. En effet, les « fondamentaux » en question ne peuvent
être dissociés d’un cadre où beaucoup d’autres choses étaient en train de changer,
parfois très sérieusement.
Il y a d’abord la capitale provinciale, Xi’an, dont l’histoire urbaine au xxe siècle
reste à écrire mais où les quelques témoignages de visiteurs étrangers que nous
avons cités suggèrent d’assez considérables transformations pendant les années qui
nous concernent (entre 1932 et 1937, plus précisément). On voit ainsi apparaître
des immeubles modernes — administrations, grands magasins, immeubles de
bureaux, banques, hôtels — dont certains sont d’une qualité architecturale
comparable à ce qu’on trouve dans les concessions de la côte est, l’électricité et le
téléphone se généralisent (mais il n’y a pas encore de système d’adduction d’eau),
la circulation automobile cesse d’être une curiosité, les institutions modernes
d’enseignement se multiplient, etc. Mais le point crucial, ce sont les communications
avec l’extérieur. Avant que le chemin de fer ne finisse par les atteindre, Xi’an et
son hinterland n’étaient reliés aux centres vitaux du pays que par une route de terre
(l’ancienne route impériale), plus ou moins carrossable depuis le début des années
668 PIERREÉTIENNE WILL

1920 mais totalement impraticable par temps de pluie : l’on a du célèbre sinologue
tchèque Jaroslav Průšek, qui séjournait alors en Chine comme étudiant, une
description dantesque du trajet sous la pluie entre Tongguan, à l’accès oriental du
Guanzhong, et Xi’an, qu’il compare à une forteresse assiégée au milieu d’un océan
de boue. Peut-être Průšek, qui a eu la malchance de visiter le Guanzhong dans de
mauvaises conditions météorologiques, en remet-il un peu, et une étude de
l’ingénieur Todd sur les routes carrossables du Shaanxi au début 1931 donne en
fait une image un peu moins catastrophique de la situation ; mais il est incontestable
que l’arrivée du chemin de fer a tout changé.

Le prolongement vers l’ouest de la grande transversale ferroviaire du Longhai,


d’abord jusqu’à Tongguan en 1931, puis jusqu’à Xi’an en décembre 1934, était
programmé depuis avant la chute de l’empire, mais il avait dû être repoussé à plusieurs
reprises par manque de financement ou pour cause de guerre civile. Les choses ont
commencé à changer après l’invasion de la Mandchourie en septembre 1931, lorsque
la confrontation avec le Japon est apparue inévitable et que, pour cette raison,
l’édification d’un « grand arrière » communiquant avec l’Asie centrale et l’URSS est
devenue une priorité stratégique pour l’État. Ce n’est pourtant qu’à l’été 1933 que le
gouvernement nationaliste réussit à rétablir suffisamment son crédit international
pour contracter des emprunts importants à l’étranger, et que par conséquent le
chantier du Longhai peut trouver un financement adéquat et être mené à bien en un
peu plus d’un an. Pendant les deux années qui suivent la voie est prolongée de 173 km
vers l’ouest, jusqu’à Baoji, et jusqu’au Gansu au début des années 1940.

L’arrivée du chemin de fer a radicalement désenclavé l’économie de la vallée de


la Wei. Les échanges avec les provinces centrales changent d’échelle. Du jour au
lendemain Xi’an sort de la stagnation à laquelle elle semblait condamnée, retrouvant
d’une certaine manière le rôle de centre de redistribution qui était le sien à l’époque
impériale, sinon sa splendeur du temps de la route de la soie, et devenant accessible
aux conforts de la vie moderne. Surtout, le chemin de fer a rendu possible un
début d’industrialisation, accéléré encore par la guerre sino-japonaise lorsque
certaines industries de l’intérieur sont venues se mettre à l’abri au Guanzhong.
Pour E.B. Vermeer, l’auteur qui a étudié le plus en détail l’économie de la vallée
de la Wei entre 1930 et 1980 (dans un ouvrage paru en 1988), l’on ne peut
vraiment parler de développement économique au Shaanxi qu’après la connexion
de Xi’an au réseau ferré. Il nous semble cependant que ce cycle de développement
s’est amorcé un peu avant, avec les premiers projets formulés au lendemain de
l’installation du pouvoir nationaliste à Xi’an, et parfois effectivement réalisés, à
commencer par l’édification du système d’irrigation du Weibei.

Il faut aussi tenir compte d’éléments moins immédiatement matériels (ou


économiques) que ceux que nous venons d’énumérer, tels que le développement
du système éducatif et, ce qui est lié, le niveau d’expertise scientifique disponible
localement. Concernant ce dernier point l’on est par exemple frappé par la qualité
de la revue mensuelle d’hydraulique fondée par Li Yizhi en 1932, le Shaanxi shuili
HISTOIRE DE LA CHINE MODERNE 669

yuekan 陝西水利月刊, qui contient une quantité d’articles techniques et


d’économie agraire de grande qualité et a continué de paraître jusqu’en 1942.
L’investissement dans l’enseignement technique remonte en fait au début des
années 1920, et là encore il faut citer en premier Li Yizhi, qui avait alors fondé un
collège d’ingénierie dont la section d’hydraulique devait devenir, après diverses
péripéties, le département d’hydraulique du célèbre Institut agronomique de
Wugong et a été une pépinière d’ingénieurs pour le Shaanxi et au-delà.
La création de l’Institut agronomique du Nord-Ouest (Xibei nongxueyuan 西北
農學院), qui date de 1932, passe pour avoir été initiée par deux anciens du régime
dissident de l’Armée de Pacification Nationale dont nous avions longuement parlé
les années précédentes : Yu Youren, devenu une personnalité influente du régime
nationaliste, et le gouverneur Yang Hucheng. L’Institut est également appelé l’École
de Wugong 武功, du nom du district où il avait son siège, situé sur la Wei un peu
à l’ouest de Xi’an et réputé être le lieu où Houji 后稷, l’un des héros fondateurs
de la civilisation chinoise, aurait enseigné l’agriculture à l’humanité. L’École de
Wugong semble avoir commencé à fonctionner dès 1932 ; parvenue à son plein
développement, en 1936, elle se composait de six départements couvrant tous les
domaines de l’agronomie et de la science forestière, disposait de vastes terrains
expérimentaux, et était logée dans des bâtiments high-tech édifiés par une des
entreprises shanghaïennes les plus réputées de l’époque. Ce n’était pas la seule de
son genre dans la région — on en mentionne deux autres fondées pendant la
même période, à Zhouzhi et à Xianyang —, mais elle a rapidement acquis la
réputation nationale qu’elle possède encore aujourd’hui.
L’Institut d’agronomie de Wugong a joué un rôle de premier plan, mais les
recherches qu’on y poursuivait et l’enseignement qu’on y dispensait n’ont été qu’un
élément parmi d’autres dans la mutation de l’agriculture du Guanzhong qui
s’amorce pendant ces quelques années et dont les effets se sont fait très
progressivement sentir. Certaines des personnalités associées à la création de
l’Institut avaient une vision globale — et non pas simplement agronomique — du
développement qu’ils appelaient de leurs vœux dans une région qui était encore,
essentiellement, sous-développée. De nouveau le nom de Li Yizhi s’impose, à la
fois pour son œuvre en tant que chef du bureau d’hydraulique du Shaanxi, où il
a servi jusqu’à son dernier jour, et parce qu’il est représentatif d’une génération
d’ingénieurs qui défendaient une approche intégrée de l’ingénierie hydraulique,
dans laquelle il ne s’agissait pas simplement d’accroître la productivité et la sécurité
de l’agriculture, mais bien d’impulser un développement économique multiforme.
David Pietz a montré dans son ouvrage sur les programmes d’aménagement de la
rivière Huai à l’époque républicaine (Engineering the State, 2002) que cette vision
combinant amélioration de l’agriculture, aménagements hydrauliques, institutions
de crédit, industrialisation, transports modernes et enseignement était déjà celle de
l’homme d’État modernisateur Zhang Jian 張謇 (1853-1926), qu’on peut
considérer comme un des pères de l’ingénierie civile moderne en Chine, et qu’on
la retrouve au sein du comité d’ingénieurs en charge du programme de la Huai
670 PIERREÉTIENNE WILL

après 1928, dont Li Yizhi était le chef. Au Shaanxi, Li Yizhi propose au lendemain
de l’inauguration du canal Jinghui un plan visant à faire de la région du Weibei ce
qu’il appelle « une zone économique complète » (zhengge de jingji quyu 整個的經
濟區域), financée par les revenus de l’irrigation et servant progressivement de
modèle à l’ensemble de la région.

Indépendamment de tout input scientifique, le modèle d’irrigation du Weibei,


qui donnera dans les vingt années suivantes naissance à sept autres projets sur le
pourtour de la vallée de la Wei, de moindre ampleur mais techniquement
comparables, a eu des effets spectaculaires, et immédiats : triplement (au minimum)
de la productivité par mu (confirmé par plusieurs sources concernant la culture du
coton), décuplement de la valeur de la terre, et, par delà, repeuplement et
reconstruction des villages dévastés par la famine, ouverture sur le marché national
grâce au chemin de fer, etc. Mais on observe aussi l’amorce d’une mutation
qualitative. Ainsi la Commission de direction du coton, déjà mentionnée, s’efforce-
t-elle de disséminer les meilleures variétés de semences et de soutenir
économiquement les producteurs au moyen d’un programme de coopératives
rurales leur donnant accès à un crédit moins cher et facilitant la commercialisation
de leur production. Le Shaanxi dans les années 1930 a un peu été une terre de
mission du mouvement coopératif rural né, comme on l’a vu, dans la province du
Hebei sous l’égide de la CIFRC et de son secrétaire général Zhang Yuanshan
(Y.S. Djang). Dès 1933 la CIFRC et le bureau de reconstruction de la province
lancent le mouvement en organisant un stage qui semble avoir débouché sur la
création rapide (hâtive, diront les experts de la SDN) d’une trentaine de coopératives
au Guanzhong ; et l’année suivante Djang est invité par le gouverneur Shao Lizi à
venir diriger le bureau de coopération de la province, poste qu’il occupera pendant
deux ans (sans y être très présent, de son propre aveu) avant d’être recruté par le
gouvernement nationaliste pour prendre en charge le mouvement coopératif à
l’échelle de tout le pays.

Pour en revenir aux intrants fondamentaux de la production agricole, la mutation


dont nous avons parlé s’observe autant dans la gestion de l’irrigation que dans les
pratiques agricoles proprement dites ; et dans les deux cas l’on peut parler d’une
constante négociation entre les principes et le vocabulaire nouveaux introduits par les
réformateurs et les traditions auxquelles les paysans restent par définition attachés.

La mutation dans la gestion de l’irrigation avait en fait été initiée dès 1928,
lorsque les autorités se réclamant de la révolution nationaliste avaient tenté de
centraliser et rationaliser les pratiques dans certains systèmes locaux à travers des
associations hydrauliques élues démocratiquement et fonctionnant sous le contrôle
des bureaux officiels d’hydraulique. Certains textes que nous avons découverts dans
les archives locales avec notre collègue Christian Lamouroux montrent que cette
volonté de centralisation rencontrait les plus vives oppositions de la part des
notables traditionnellement responsables des communautés d’irrigation et du
règlement des conflits, qui supportaient mal que les précédents consignés depuis
HISTOIRE DE LA CHINE MODERNE 671

des siècles dans les registres ou gravés dans la pierre puissent être remis en question,
en même temps que leur pouvoir coutumier. Mais il est clair que le mouvement
était irréversible : même s’il ménageait des compromis avec l’organisation
traditionnelle des communautés en matière de partage de l’eau et d’entretien des
canaux, le modèle instauré à grande échelle avec la modernisation de l’irrigation
dans le Weibei sous l’égide du bureau d’hydraulique dirigé par Li Yizhi s’est
rapidement imposé. Ces nouvelles procédures introduisaient de nouveaux concepts
qu’on peut qualifier de « modernes », qu’elles s’attachaient à diffuser par le moyen
de manuels distribués aux utilisateurs : méthodes « scientifiques » pour mesurer le
terrain, les débits, les charges d’alluvions ou les temps d’irrigation, rationalisation
de la distribution et de l’utilisation de l’eau en tenant compte des différents types
de culture et des différents moments du cycle agricole, et règles strictes pour le
paiement des droits sur l’eau et le financement de l’entretien, tout cela sous la
supervision étroite du bureau d’hydraulique. Il s’agissait en somme d’optimiser les
effets de l’irrigation et d’éviter les gaspillages et les disputes qui étaient le pain
quotidien des organisations traditionnelles. Cet héritage sera repris au moment de
la collectivisation dans les années 1950, mais ce sera alors dans un contexte socio-
économique et politique entièrement nouveau.
*
Nous avons donné deux cours à l’Université Ca’Foscari de Venise sur les sujets
suivants : « Engineers and State Building in Republican China : Li Yizhi (1882-
1938) and his circle », et « Militarism and the Revolutionary Connection in Late-
Qing and Early Republican Shaanxi Province », ainsi qu’un séminaire consacré aux
sources de l’histoire moderne du Shaanxi.
*
Le séminaire de cette année a pris la forme d’un colloque qui s’est réuni les
23 et 24 juin 2008 et a traité de « L’émergence de la profession d’ingénieur en
Chine ». Il s’agissait de faire état de nouvelles recherches sur l’introduction en
Chine des différentes disciplines de l’ingénierie moderne depuis la fin des Qing
jusqu’à la fin des années 1930, ainsi que sur les aspects économiques, sociaux et
politiques du développement de la profession d’ingénieur. Des éléments de
comparaison internationale ont également été présentés.
Les interventions suivantes ont été proposées :
Pierre-Étienne Will (Collège de France) : « Présentation générale et problématique ».
Marianne Bastid-Bruguière (CNRS, Académie des Sciences Morales et Politiques) :
« La naissance du métier d’ingénieur en Chine : du génie maritime au génie civil,
1866-1911 ».
Bruno Belhoste (Université Paris 1) : « Le système de formation des ingénieurs dans la
première mondialisation : organisations nationales et circulations internationales ».
Iwo Amelung (Université de Francfort) : « The Yellow River in Germany. On engineering
interaction between China and Germany in the first half of the 20th century ».
Delphine Spicq (Collège de France) : « Parcours d’ingénieur et enseignement technique à
Tianjin ».
672 PIERREÉTIENNE WILL

Xiaohong Xiao-Planes (INALCO) : « La formation et l’émergence des ingénieurs-


entrepreneurs dans les années 1920 et 1930 ».
Pierre-Étienne Will : « L’Association of Chinese and American Engineers et sa revue (1920-
1940) ».
Françoise Kreissler (INALCO) : « La Chine républicaine et la Société des Nations :
contextes et programmes d’une coopération technique transcontinentale ».
Natalie Delande-Liu (Département d’Histoire de l’Architecture, Architecture-Ville-
Design, Université Paris 1) : « De l’ingénieur à l’architecte : genèse d’une modernisation
professionnelle dans l’industrie architecturale à Shanghai (fin xixe-début xxe siècle) ».
Konstantinos Chatzis (École Nationale des Ponts et Chaussées) : « L’émergence et
l’affermissement de la profession d’ingénieur en Grèce, 1830-1940 ».

Publications

« La génération 1911 : Xi’an, 1905-1930 », in Alain Roux, Yves Chevrier et Xiaohong


Xiao-Planes (éd.), Citadins et citoyens dans la Chine du XX e siècle (Paris, Éditions de la
Maison des Sciences de l’Homme, 2008), pp. 347-418.
« Views of the Realm in Crisis : Testimonies on imperial audiences in the nineteenth
century », Late Imperial China, 29, n° 1 Supplement (June 2008), pp. 125-159.
« Virtual Constitutionalism in Late Imperial China : The Case of the Ming Dynasty », in
Stephanie Balme et Michael Dowdle (éd.), Constitutionalism and judicial power in China,
New York, Palgrave Mac Millan, sous presse.
Antiquités nationales

M. Christian Goudineau, professeur

I. COURS

Un colloque international s’étant tenu au Collège de France en juillet 2006 sur


le thème « Celtes et gaulois : l’archéologie face à l’histoire », organisé conjointement
par la chaire d’Antiquités nationales et le Centre Archéologique européen de
Bibracte (Mont-Beuvray), le cours a été consacré à des réflexions reprenant quelques
conclusions — centrées sur la période la plus récente de la protohistoire — et
ouvrant quelques pistes de recherche.

Un mot cependant sur les périodes « anciennes ». Pendant près de cent cinquante
ans, on a considéré que, à partir d’une région « originelle » (indéterminée), les
Celtes s’étaient lancés dans de grandes migrations comme celles que, plus tard,
Tite-Live nous signale et décrit en Italie. La linguistique (notamment fondée sur
l’étude de la culture de Golasecca) et l’archéologie démontrent des contacts anciens
(Bronze final, début du premier Âge du Fer) entre diverses populations et des
contacts évidents avec les Celtes. Aujourd’hui, on ne peut plus retenir l’hypothèse
d’un « berceau hallstattien » qui aurait essaimé vers les VIe-Ve siècles. Reste que,
comme pour les « Indo-Européens », on ne dispose d’aucune théorie convaincante
concernant l’origine et l’expansion (la culture dite campaniforme ?), ce qui signifie
probablement que le problème est mal posé, ou plutôt que nous le posons en des
termes simplificateurs. Qu’est-ce qu’un Français ? On remonte aux Francs ? Mais
ceux-ci étaient très romanisés. On remonte jusqu’où ? Impasse de nos connaissances
qui ne se fondent que sur des graffiti rarissimes et sur des vestiges archéologiques
dont l’interprétation varie au fil des temps.

Le problème essentiel tient à ce que les historiens actuels dénomment


« instrumentalisation », celle des Gaulois, constituée pour l’essentiel au XIXe siècle,
et que nous n’arrivons pas à surmonter, car elle est liée à notre histoire nationale,
celle qui a forgé notre identité. Pour en saisir la force, nous avons évoqué une
674 CHRISTIAN GOUDINEAU

exposition et un livre consacrés à « L’archéologie nazie à l’ouest du Reich », où l’on


trouve ces paroles prononcées le 20 juin 1942 à Berlin par un préhistorien français,
invité par Heinrich Himmler devant l’Institut scientifique de la SS : « Le devoir de
l’Allemagne victorieuse est de libérer le pays bourguignon, de le rendre à la
communauté germanique (…). Nous pourrons peut-être bientôt entrer dans un
Reich agrandi, non pas en tant que vaincus mais en tant qu’affranchis ! ».
Permanence des oppositions qui remonte (au moins) à Jules César opposant
Gaulois et Germains, les premiers assimilables, les seconds à laisser dans leur
sauvagerie. Que l’archéologie nazie ait tenté de se réapproprier nombre de sites
celtiques de l’est de la France n’a donc rien d’étonnant, mais on ne savait guère
qu’elle avait tenté de « récupérer » les mégalithes armoricains et même nombre de
vestiges du Bronze final, de Normandie jusqu’en Gascogne, dénommés « indo-
germaniques ». Voilà qui démontre à la fois nos incertitudes sur la protohistoire
ancienne et la force des nationalismes.

Les actuels manuels d’histoire offerts aux collégiens n’inspirent que consternation.
D’abord, parce que l’archéologie de la France passe directement des grottes ornées
du paléolithique supérieur à la période romaine — en ignorant toutes les découvertes
qui ont démontré l’incroyable richesse du néolithique, des Âges du Bronze et du
Fer — avec (toujours !) quelques lignes apitoyées ou réprobatrices sur ces malheureux
(ou horribles) Gaulois que — heureusement — Rome vint civiliser. Un
exemple :

« LA GAULE, UN MONDE À CONQUÉRIR.

Le territoire de la France était autrefois appelé la Gaule. Il était peuplé de


Celtes venus du centre de l’Europe.
• Les peuples de la Gaule sont organisés en tribus qui se querellent
fréquemment. Leurs villes, peu nombreuses, sont avant tout des places
fortes (oppida) construites sur des sites défensifs où l’on se rassemble pour
la guerre.
• Les Gaulois sont polythéistes. À la différence des dieux grecs, leurs dieux
apparaissent sous des formes terrifiantes. Les Gaulois les honorent dans des
lieux sacrés, souvent des forêts, autour d’un arbre ou d’une source.
• Les Gaulois sont habiles au travail du bois et des métaux. Ils ont laissé
de très beaux objets : casques, parures, harnachements. Ils contrôlent de
grandes routes de commerce, comme la route de l’étain, de la Bretagne à
Massilia, en passant par les sources de la Seine. »

Des tribus, la guerre, des dieux terrifiants, les cultes naturistes, mais de l’habileté :
c’est une description de type colonialiste (ou impérialiste). Aucune connaissance
de l’archéologie ni des réflexions récentes et actuelles. On croirait lire un mauvais
ouvrage des environs de 1840. Tel est l’état de notre enseignement et de la
« culture » infligée aux élèves.
ANTIQUITÉS NATIONALES 675

L’important est de comprendre pourquoi règnent de telles pesanteurs. Elles


remontent très haut. Si l’on se réfère à l’historiographie grecque, on voit l’intérêt
porté aux Égyptiens, aux Scythes ou aux Perses, mais une quasi-indifférence vis-à-
vis des Celtes, sauf pour quelques traits de mœurs ou pour leur localisation
géographique, d’ailleurs très floue. Il faudra qu’éclatent des conflits, que ces
« barbares » s’en prennent à l’Italie ou lancent des incursions en Grèce pour qu’ils
s’attirent l’attention des historiens — après avoir retenu celle des politiques ! La
création d’une confédération galate en Anatolie, les campagnes périodiques qui ont
opposé ces Celtes aux rois de Pergame ont contribué à la constitution d’un « cliché »
qui devait avoir la vie longue — les civilisés contre les barbares, les Dieux contre
les Géants —, dont nous avons étudié l’iconographie originelle et sa longue
descendance.

Avec l’irruption des Celtes-Gaulois dans l’histoire du monde civilisé, vont se


diffuser — surtout à Rome — les stéréotypes que l’on retrouve en Europe au
XIXe siècle (et parfois encore aujourd’hui en d’autres lieux du monde) : c’est
l’ennemi, il menace les vraies valeurs, il s’oppose au grand dessein (« intelligent
design ») que les dieux ou la Providence ont chargé Rome d’accomplir. Les deux
caractéristiques de l’« étranger » sont réunies chez eux : différence et inversion. Des
auteurs plus récents, comme Strabon, écrivant après la conquête, nuanceront le
tableau en ajoutant des correctifs. Nous avons tenté, à partir du texte de Strabon,
de reconstituer celui de Poséidonios — antérieur à la guerre des Gaules — en
gommant les ajouts ultérieurs. Voici, à notre avis, ce qu’était la description :
« Dans son ensemble, la race qu’on appelle aujourd’hui soit gallique soit galatique est à la
fois éprise de guerre, impulsive et prompte à prendre les armes, mais par ailleurs dépourvue
d’artifice et de vice. Voilà qui explique leurs conduites. Si on leur cherche querelle, comme
un seul homme, ils se précipitent au combat, ouvertement, sans la moindre réflexion
préalable si bien qu’ils se font battre facilement par quiconque se donne la peine de
manœuvrer ! De fait, si on les provoque (quels que soient le lieu, le moment ou le prétexte),
on les voit prêts à tout risquer sans autre allié que leur force et leur résolution ! Leur force
vient d’abord de leur physique, car ils sont grands, et ensuite de leur nombre. Leurs
rassemblements énormes sont facilités par leur naïveté et leur spontanéité, car ils s’indignent
toujours des injustices dont — à leur idée ! — leurs proches sont victimes ! C’est aussi ce
trait qui explique que leurs migrations se soient faites facilement : ils se déplaçaient en bloc,
tous guerriers réunis, et plus encore en rassemblant tous leurs parents, lorsque plus fort
qu’eux les expulsait. Donc, ce sont tous des guerriers par nature, mais ils sont meilleurs
cavaliers que fantassins. Ajoutons que, plus on va vers le Nord et vers l’Océan, plus leurs
qualités de guerriers augmentent. Leur armement est à la mesure de leur grande taille :
longue épée suspendue au côté droit, long bouclier, lances en proportion et enfin le
« madaris », un genre de javelot. Certains se servent également d’arcs et de frondes. Il existe
aussi une sorte d’arme en bois qui ressemble au « grosphos », qui se lance à la main sans
propulseur, dont la portée dépasse celle d’une flèche et qu’ils utilisent tout particulièrement
pour la chasse aux oiseaux. Leur insondable légèreté les rend insupportables quand ils sont
vainqueurs mais, s’ils ont le dessous, elle les plonge dans la stupeur. Leur simplicité d’esprit
et leur impulsivité s’augmentent de beaucoup de stupidité, de vantardise et d’amour des
bijoux. C’est ainsi que non seulement ils portent des parures d’or (colliers au cou, bracelets
aux bras et aux poignets) mais les personnages de haut rang portent des vêtements de
couleur brillante brodés d’or. Ils portent le « sagum », se laissent pousser les cheveux et
676 CHRISTIAN GOUDINEAU

utilisent des pantalons larges, bouffants et, au lieu de « chitônes », ils portent des tuniques
fendues, à manches, qui leur descendent jusqu’au bas-ventre et aux fesses. C’est avec une
laine à la fois fibreuse et aux extrémités touffues qu’ils tissent les « sagums » épais, qu’ils
appellent « lainal ». C’est à même le sol que dorment, aujourd’hui encore, la plupart d’entre
eux, de même qu’ils s’assoient sur des lits faits de végétaux pour prendre leurs repas ! La
nourriture surabondante, à base de lait et de viandes de toutes sortes, tout particulièrement
de porc, aussi bien frais que salé (leurs porcs, même la nuit, sont en liberté ; par la taille
comme la vigueur et la rapidité, ils sont exceptionnels — aussi est-il dangereux de s’en
approcher si l’on n’est pas habitué à eux, y compris pour un loup !). Quant à leurs maisons,
faites de poteaux et de clayonnages, elles sont grandes, arrondies, et ils les recouvrent d’un
chaume épais. (…) »

On pourrait placer face à un tel texte nombre de descriptions presque identiques


écrites par des explorateurs ou des conquérants européens découvrant les civilisations
d’Orient, d’Afrique ou d’Amérique. Pourtant, Grecs, Romains et Celtes s’étaient
rencontrés depuis bien longtemps, Poséidonios écrit durant la première moitié du
Ier siècle avant J.-C. Comment mieux démontrer la totale incompatibilité,
l’inintelligibilité entre deux mondes ? Rome avait conquis l’Italie du Nord —
peuplée de Celtes —, la Grèce avait lancé des enquêtes ethnographiques. Rien n’y
fait. Les Celtes, les Gaulois : l’étranger. Certes, ils peuvent êtres domesticables, ils
peuvent se plier à l’action civilisatrice de Rome, mais leur nature demeure ce
qu’elle est. En 48 avant J.-C., quatre ans après Alésia, le magistrat monétaire
L. Hostilius Saserna fait émettre à Rome un denier célébrant une fois de plus la
victoire de César. Or, pour se conformer aux stéréotypes, il fait représenter un
personnage hirsute, portant moustache et barbe non taillées — le contraire de ce
que montrent les deniers frappés en Gaule ou les statues d’aristocrates depuis
plusieurs décennies ; même le char de combat avait depuis longtemps laissé place
à d’autres techniques guerrières. Mais telle est la force des images mentales.

Les années récentes, sans doute en raison de phénomènes comme la colonisation,


ont permis d’apprécier le poids des préjugés que nous ont transmis les textes grecs
et latins. De même, on a beaucoup avancé sur une piste qui s’avère de plus en plus
féconde : la conception géographique du monde qui a inspiré nombre de
descriptions et de commentaires. J’ai repris un dossier ouvert ici-même il y a vingt
ans, lorsque j’avais tenté de comprendre la bizarrerie de l’organisation qu’imposa,
lorsqu’il s’occupa du cas des Gaules, l’Empereur Auguste. J’avais montré à l’époque
que nous ne pouvions rien comprendre en nous en tenant à la géographie telle que
nous la connaissons, qu’il fallait au contraire se référer aux conceptions de l’époque,
ANTIQUITÉS NATIONALES 677

avec les Pyrénées nord-sud, le Cemmène (les chaînes du Massif Central) ouest-est,
les fleuves coulant du sud au nord (sauf le Rhône).

L’organisation se comprend donc fort bien, si l’on suit ce cadre (carte ci-dessus),
qui devait subsister trois siècles. Sauf que Strabon et Pline signalent, dans des textes
longtemps négligés ou incompris, des tentatives initiales bien différentes, mais
toutes fondées sur la conception que le monde est organisé en formes géométriques,
rectangles ou carrés, qu’a voulues la Providence — conception philosophique
remontant au plus loin de la pensée grecque et que le stoïcisme a diffusés. Nous
avons repris le cas de la Gaule dans cette optique, tout en signalant que les nouvelles
éditions des géographes et ethnographes antiques ne peuvent désormais échapper
à ce cadre (on vient de le voir pour l’Ibérie).

Cette réflexion nous a amené à prendre quelques exemples régionaux, notamment


puisés dans les travaux récents de Patrick Thollard et Matthieu Poux, en y ajoutant
notre grain de sel. Nous avons examiné, entre autres, le cas des Volques et des
Voconces du Midi, puis celui des Arvernes. Histoire, archéologie, géographie s’y
mêlent intimement, non seulement pour des problèmes de délimitation de
territoires mais aussi pour d’éventuelles expansions ou rétractions. Les notions de
la géographie contemporaine sont-elles adaptées à l’antiquité, depuis les « polygones
de Thyssen » jusqu’à la conception de « capitale multipolaire » ? Le foisonnement
des idées, l’insertion de nos études dans des débats contemporains, voilà qui suscite
l’optimisme.

II. SÉMINAIRES

Les séminaires ont porté sur :


— Les fouilles de l’Institut Curie à Paris, avec M. Didier Busson, Chargé de
mission pour l’Archéologie à la Commission du Vieux-Paris.
678 CHRISTIAN GOUDINEAU

— Recherches récentes sur le site de la Cathédrale Saint-Pierre à Genève, avec


M. Charles Bonnet, ancien Archéologue cantonal.
— Les nouvelles fouilles d’Aix-en-Provence, avec Mme Núria Nin, Archéologue
de la Ville.
— Douze ans de recherches sur le sanctuaire de Mars Mullo à Allonnes (Sarthe),
avec Mme Katherine Gruel, Directrice de recherche au CNRS.
— Cent cinquante ans après la découverte de la Tène : état des recherches sur
l’Âge du Fer en Suisse, avec M. Gilbert Kaenel, Directeur du Musée Cantonal
d’Archéologie et d’Histoire de Lausanne.

III. RESPONSABILITÉS, ACTIVITÉS, MISSIONS


Le Professeur a été renommé au Conseil d’Administration de l’Institut National de
Recherche Archéologique Préventive (INRAP). Il est membre du Comité scientifique
de la Maison Méditerranéenne des Sciences de l’Homme d’Aix-en-Provence, et de
celui de la Carte Archéologique de la Gaule (CNRS, MEN, Culture).
Le Professeur est allé en mission pour des séminaires, des conférences ou des
colloques, à Lyon, Grenoble, La Turbie, Nantes, Francfort, Louvain, Autun,
Bologne, Budapest, Dublin, Caen, Rouen, Tulle, Toulouse, La Rochelle.
L’exposition sur la religion celtique, présentée à Lyon en 2006, a été reprise au
Latenium de Neuchâtel, avant de se rendre à Berne, puis dans d’autres musées
européens.
Le Professeur a été fait docteur honoris causa de l’Université de Bologne.
Il a présidé plusieurs jurys de thèse, et celui de l’HDR de Patrick Thollard.

IV. PUBLICATIONS
Ouvrage :
— Regard sur la Gaule, Actes Sud, Babel, 2007.

Articles :
— Plusieurs contributions dans Archéopages, revue de l’INRAP.
— « La Gaule, les Gaulois et le sentiment national au XIXe siècle », Alésia et la
bataille du Teutoburg, Beihefte der Francia, 66, 2008, 53-71.
— « La Querelle des Origines », Pouvoirs. Représenter le pouvoir en France,
Catalogue d’exposition, Nantes, 2008, p. 152-157.
Nombreuses participations ou interviews dans la presse écrite et audio-visuelle.
DVD sur Lutèce, sur les fouilles suisses de Mormont, diffusions sur Arte.
Histoire turque et ottomane

M. Gilles Veinstein, professeur

COURS : Istanbul, carrefour diplomatique : l’établissement des ambassades


permanentes européennes
La pénétration ottomane en Europe, à partir du milieu du xive siècle,
s’accompagne, bien entendu, de relations de guerre avec les Etats chrétiens
européens, mais aussi de relations qu’on peut qualifier de diplomatiques. Elles sont
naturellement amenées par les limites des capacités militaires du conquérant, aux
prises avec des adversaires qui ne sont pas inertes, qui nouent entre eux (ainsi
d’ailleurs qu’avec des partenaires musulmans en Asie) des coalitions d’une certaine
puissance. Elles sont favorisées aussi par les divisions existant entre ces adversaires,
aux visées divergentes et concurrentes. C’est à cette diplomatie ottomane en
Europe, des origines au xviiie siècle, qu’ont été consacrés les trois derniers cours.
Des traités de différents types sont conclus dont la nature renvoie aux principes
fondamentaux du droit musulman des rapports avec les infidèles, les Ottomans ne
faisant qu’en donner une adaptation, d’ailleurs de plus en plus souple. Ces
constatations ont fait l’objet du premier cours. Se conformant aux usages
immémoriaux en la matière, les Ottomans pratiquent la diplomatie à travers
l’échange d’ambassadeurs extraordinaires de différents rangs et caractères. Comme
on a toujours fait, de par le monde, ils en reçoivent, mais, ce qui est moins connu,
ils en envoient aussi à chaque fois que le besoin s’en fait sentir. Cette question a
fait l’objet du deuxième cours. En revanche, ils n’adoptent pas, au long de la
période moderne, cette innovation qui apparaît dans l’Italie du xve siècle et qui
sera désormais l’un des facteurs essentiels de la diplomatie européenne :
l’établissement d’ambassadeurs résidents ou permanents. Plus exactement, ils ne
l’adopteront qu’à moitié : eux-mêmes n’établiront pas de semblables ambassades
dans les principales capitales européennes avant l’extrême fin du xviiie siècle.
En revanche — et cela reste significatif de leur attitude vis-à-vis du monde
extérieur — ils accepteront très tôt des ambassades permanentes chez eux. Il en
résultera une dissymétrie souvent remarquée. Voltaire parlera ainsi de « la mauvaise
680 GILLES VEINSTEIN

politique de la Porte d’avoir toujours par vanité des ambassadeurs des princes
chrétiens à Constantinople et de ne pas entretenir un seul agent dans les cours
chrétiennes ». Le dernier cours s’est attaché à cette particularité : les Turcs reçoivent
des ambassadeurs permanents (quelques-uns du moins) mais n’en établissent pas à
leur tour. Nous nous sommes demandé si, comme la formule qui précède, tend à
le suggérer, ce comportement résultait d’un principe, d’un axiome politique conçu
a priori (dont le moteur aurait, par exemple, été la vanité) ou s’il n’avait pas été
plutôt le fruit de circonstances dans lesquelles les gouvernants ottomans auraient
été plus ou moins passifs, quitte à ce qu’ils y trouvent des avantages à l’usage et
donc des justifications après coup. En d’autres termes, nous nous sommes penché
sur les conditions de création des quatre premières ambassades permanentes à
Constantinople : celles de Venise (1454), de France (1535), d’Angleterre (1583)
et enfin des Pays-Bas (1612). Les autres qui suivront au xviiie siècle, ne feront
qu’emprunter une voie désormais bien tracée. Dans chacun des quatre cas considérés
de plus près, nous avons cherché à évaluer ce qui revenait à l’Etat représenté et ce
qu’avait été le comportement de la Porte.

Le cas vénitien
Le premier ambassadeur permanent dans la Constantinople ottomane fut le
baile (bailo), c’est-à-dire le représentant de la république de Venise — et de loin
puisqu’il est apparu dès 1454, soit dès l’année qui a suivi la conquête de la ville.
Encore s’agit-il d’un cas bien différent de celui qui suivra quatre-vingts ans plus
tard (l’établissement de l’ambassade de France), puisqu’il ne s’agit en rien d’une
innovation mais de la simple reprise d’une institution bien antérieure. Le baile de
Venise auprès du sultan ne fait en effet que prendre la suite du baile de Venise à
Byzance — une institution très ancienne, remontant au xie siècle, mais qui n’avait
acquis toute son importance et ses caractéristiques qu’après la reconquête de
Byzance par Michel Paléologue en 1265-1268. Comme ce sera le cas à l’époque
ottomane, la fonction se situe au sommet de la carrière diplomatique vénitienne ;
elle est détenue par des membres des grandes familles patriciennes spécialisées dans
les affaires du Levant ; elle comprend trois volets principaux : le baile est à la fois
un ambassadeur en charge des affaires politiques ; un consul, protecteur des intérêts
commerciaux de Venise et des droits de ses marchands ; un chef de communauté,
administrant et jugeant les ressortissants vénitiens. Son autorité ne se limite pas à
la capitale, mais s’étend à l’empire byzantin dans son ensemble : il est Baiulus
Venetorum in Constantinopoli et in toto imperio Romanie.
Au surplus, dès avant la conquête de Constantinople, le baile accrédité auprès
du basileus byzantin, joue, de fait, de par sa position géopolitique, un rôle déjà
important dans les relations diplomatiques entre le jeune Etat ottoman (dont les
capitales sont successivement Bursa puis Edirne) et la Sérénissime, que lui-même
(parmi d’autres dignitaires) serve d’ambassadeur extraordinaire auprès des sultans,
ou qu’il envoie ses émissaires à ces derniers. Dans ces conditions, la substitution
du pouvoir ottoman au pouvoir byzantin à Constantinople n’apporte pas de
HISTOIRE TURQUE ET OTTOMANE 681

changement radical au dispositif diplomatique vénitien dans la région (même si,


par ailleurs, une menace formidable pèsera désormais de ce fait sur le Dominio da
Mar de la République et ne cessera plus).
Encore fallait-il pour que la continuité s’opère ainsi que le conquérant ottoman
s’y prêtât. Rien n’était a priori évident sur ce point puisque les Vénitiens présents
dans la capitale, à commencer par le baile lui-même, Gerolamo Minotto, avaient
apporté activement leur concours au basileus assiégé. Minotto sera même exécuté
en conséquence par les vainqueurs. Au demeurant, une fois le succès militaire
obtenu, Mehmed II dont l’objectif est d’assurer désormais la renaissance et la
prospérité de la ville conquise dont il a décidé de faire sa nouvelle capitale, et
d’autre part de poursuivre ses conquêtes, notamment en Grèce, fait preuve d’un
réalisme consommé. De même qu’il conclut un traité avec les Génois de Galata
(qui l’avaient pourtant trahi durant le siège), il traite avec Venise. Le même
Bartolomeo Marcello que le sénat vénitien avait dépêché à l’origine pour persuader
le jeune sultan de faire la paix avec le basileus, avait vu l’objet de son ambassade
être modifié en cours de route, Constantinople étant tombée entre-temps : par une
décision du 17 juillet, le sénat, ayant pris acte de la disparition du basileus, ne
prescrivait plus à son ambassadeur que d’obtenir le renouvellement, l’orage étant
passé, du traité vénéto-ottoman antérieur de 1451. Le sultan y consent par un acte
du 18 avril 1454, ratifié ensuite à Venise : le sultan a besoin de Venise, de son
commerce et de sa neutralité. L’un des objectifs de la République est de rétablir le
baile à Constantinople dans la plénitude de ses fonctions et prérogatives et de
garantir ce statut par un traité (une « capitulation ») accordé sous serment par le
sultan (un ‘ahdnâme). Elle n’y parviendra pas d’un seul coup, se heurtant donc
apparemment à des résistances de l’autre partie. On peut constater, à travers les
renouvellements successifs des capitulations vénitiennes, dans la seconde moitié du
xve et encore au début du xvie siècle, combien la diplomatie vénitienne progresse
sur cette voie et réussit finalement à faire reconnaître par le sultan, en vertu de son
‘ahdnâme, la totalité des droits et prérogatives de l’ancien baile de Byzance.
Le traité de 1454 acceptait déjà qu’un baile de Venise séjourne à Istanbul, avec
sa suite, ce qui était déjà un acquis essentiel, mais ce baile ne pouvait demeurer
que pendant un an, au terme duquel il devait être remplacé. Dans cette restriction
manifestement imputable à la partie ottomane, on peut discerner la méfiance
suscitée par cette présence étrangère, et peut-être aussi un souci de se conformer à
la durée du séjour autorisé à un musta’min, tel qu’il est fixé par le droit hanéfite.
Une durée aussi brève ne pouvait que sembler incommode à la partie vénitienne.
Elle devra néanmoins attendre le traité ottomano-vénitien de 1503, consécutif à la
guerre entre les deux Etats des années 1499-1502, pour que le sultan Bayezid II
leur accorde un délai plus satisfaisant de trois ans. Les négociateurs vénitiens
n’avaient d’ailleurs obtenu cette concession que in extremis. Dans une lettre des
3-12 octobre 1503, Bayezid II, tirant les conclusions des négociations qui avaient
été menées à ce sujet, annonçait au doge Leonardo Loredan son intention d’allonger
jusqu’à trois ans le séjour du baile (Archives d’Etat de Venise, Bailo a Costantinopoli,
682 GILLES VEINSTEIN

busta 1, n° 109). Le doge répond au sultan par une lettre du 19 avril 1504 qu’il
ratifie la correction apportée à la dernière capitulation, faisant passer à trois ans la
durée d’exercice de l’office du baile (M.-P. Pedani, I « Documenti Turchi »
dell’Archivio di Stato di Venezia, 1994, p. 41, n° 149). Cette disposition est
confirmée dans la capitulation suivante, celle de 1513 qui institue en outre un
principe de succession automatique qui n’avait pas été formulé jusqu’ici. Il stipule
en effet : « qu’il parte avant qu’une période de trois années ne s’achève, et qu’un
autre vienne à sa place, de la même façon » (üç yıl tamam olmadın ol gide, anun
yerine ol vechile bir dahi gele).
Il est à noter que cette durée réglementaire de trois ans (appelée à un grand
avenir puisqu’elle est encore la durée moyenne de séjour des ambassadeurs dans les
usages internationaux) ne sera pas toujours strictement respectée dans les faits : des
durées de séjour supérieures des bailes (quatre, cinq, six ans et même sept ans)
seront observées dans la seconde moitié du xvie et au xviie siècle, en raison de
circonstances particulières, sans opposition des autorités ottomanes.
Outre la question de la durée de la mission, essentielle à la notion d’ambassade
permanente, d’autres articles relatifs au baile apparaîtront également dans les
‘ahdnâme vénitiens successifs. L’essentiel est déjà présent dans celui de 1482, émis
à l’occasion de l’avènement de Bayezid II. Il y est énoncé : « qu’il [le baile] vienne
avec sa suite et qu’il s’établisse à Istanbul, de sorte qu’il s’y occupe des affaires des
marchands vénitiens et qu’il règle les litiges de toutes natures qui lui seront soumis,
conformément à leurs usages (ayinlerince) ».
Non seulement les droits de justice du baile sur ses administrés sont ainsi
reconnus, mais il lui est également loisible de recourir, en cas de besoin, à la force
publique ottomane : « que l’officier de police (subașı) en fonctions à Istanbul, lui
prête assistance dans les affaires qui le concernent ». En ce sens, le baile est en
quelque sorte intégré à l’appareil d’Etat ottoman. De nouvelles clauses seront
ajoutées dans les ‘ahdnâme de 1513 et 1517, selon lesquelles les marchands vénitiens
désireux de se rendre à Bursa et dans d’autres lieux de l’Empire, ne pourront le
faire sans l’autorisation du baile. S’ils désobéissent (et de fait les marchands voyaient
d’un mauvais oeil l’immixtion du baile et des autres consuls vénitiens dans leurs
affaires), les officiers de police locaux devaient prêter main-forte aux bailes pour
faire plier les récalcitrants.
Par ailleurs, les mêmes traités reconnaissaient au baile certaines immunités
constituant une sorte d’embryon d’un statut diplomatique du baile, préfigurant dans
une certaine mesure les notions d’immunité diplomatique et de privilège
d’exterritorialité, qui s’imposeront par la suite dans le « droit des gens » (jus gentium),
tel qu’il sera codifié en Occident. Ces immunités sont avant tout d’ordre judicaire.
Selon les capitulations de 1513, le baile ne pourra être tenu pour responsable des
dettes des sujets vénitiens ; s’il est impliqué dans un procès, celui-ci ne sera pas du
ressort du juge local, mais devra être porté devant le « divan impérial ». Ces affaires
font donc partie des « causes réservées » de cette juridiction suprême. Si le sultan est
HISTOIRE TURQUE ET OTTOMANE 683

absent de la capitale, le baile sera entendu par son substitut, le kaymakam, en présence
du cadi d’Istanbul. D’autres immunités du baile sont au contraire absentes des
‘ahdnâme, mais entreront dans l’usage et seront d’ailleurs régulièrement confirmées
par cette autre source de droit que sont les ordres impériaux. Il s’agit d’immunités
fiscales : l’exemption de droits de douane et des autres taxes sur les denrées destinées
à l’approvisionnement du baile, de son personnel et de sa suite (notamment les
raisins, le vin et les porcs). Absentes des traités, ces dernières immunités étaient peut-
être conçues par la Porte comme situées sur un autre registre : celui des lois de
l’hospitalité. L’ambassadeur est en effet un hôte, en même temps — nous y
reviendrons — qu’il est virtuellement un otage (les Français, quant à eux, n’en
prendront pas moins la précaution de faire inscrire ces franchises fiscales de
l’ambassadeur dans leurs capitulations, plus tard, à partir de 1604).
Si tout ce qui définit la position du baile, n’est pas inclus dans les ‘ahdnâme (il
est d’ailleurs bien des domaines dans lesquels ces traités ne sont pas le seul
instrument juridique applicable aux Vénitiens en général), ceux-ci constituent
néanmoins un corpus auxquels les muftis peuvent se référer dans leurs consultations
juridiques (fetvâ), au même titre que les autres sources de droit reconnues dans
l’empire. On trouvera ainsi dans les archives du baile, une fetvâ qu’il avait
vraisemblablement sollicitée lui-même, portant sur la question suivante : le baile
étant le représentant (vekil et kaymakam) des marchands vénitiens, ces derniers
sont-ils habilités à lui demander des indemnités pour les marchandises qu’ils ont
perdues ? Pour argumenter sa réponse, le mufti ne cite pas d’autre autorité que les
passages des ‘ahdnâme relatifs au baile (ASV, Bailo, B. 339, n° 53).
Il est à noter également que les capitulations vénitiennes se réfèrent surtout au
baile, dans deux de ses fonctions que nous avions déjà citées, celles de consul et
de chef de la communauté vénitienne. De fait, bien que souvent négligée par les
historiens, la fonction consulaire garde toute son importance à l’époque ottomane.
Comme l’écrivait la Seigneurie vénitienne au baile Marino Cavalli (1560), étudié
naguère par le regretté Bruno Simon :
« Nous vous avons envoyé là-bas pour être notre baile, comme le veut la coutume,
et, finalement, vous recommanderez les marchands et nos sujets à Sa Majesté [le
sultan], comme il vous paraîtra expédient, pendant le temps où vous serez en sa
présence. Vous ne manquerez pas dans toutes les occasions où cela leur sera nécessaire
de donner à ces marchands et à nos sujets toute aide et faveur possibles, car cela est
une des principales raisons pour lesquelles nous vous avons envoyé là-bas ».
Le fait qu’à l’époque ottomane, les Vénitiens perdent au profit de nouveaux
venus de l’ouest de l’Europe la place qui avait été la leur à l’époque byzantine (où
seuls les Génois étaient pour eux des concurrents sérieux) n’exclut pas, bien au
contraire, la nécessité pour le baile de protéger et d’essayer de promouvoir, dans
ce contexte difficile, l’activité de ses nationaux. Dans cette tâche, il est assisté,
comme à l’époque précédente, par un conseil de douze marchands (qui perdra
toutefois de son importance après la guerre de Chypre) et, d’autre part, par le
684 GILLES VEINSTEIN

réseau des consuls de Venise, que le sultan confirme par des exæquatur appelés
berat. Ces consuls, comme l’a montré M. Géraud Poumarède dans sa thèse, ne
dépendent d’ailleurs pas tous au même titre du baile : si ce dernier garde, comme
au Moyen Âge, le droit de nommer des consuls dans les zones proches d’Istanbul,
les anciens et prestigieux consuls de Syrie et d’Egypte restent désignés par le
Maggior Consiglio et il leur arrive de correspondre directement avec la Porte qui
leur donne volontiers, à eux aussi, le titre de bailes (ces deux consulats qui auront
perdu beaucoup de leur importance seront finalement supprimés au milieu des
années 1670). De même, Venise créera des postes consulaires nouveaux dans les
colonies qui lui auront été enlevées par les Ottomans, et ces postes seront laissés à
la discrétion d’une institution créée par Venise au début du xvie siècle pour
réactiver son commerce, les Cinque savi alla mercanzia.
Pour ce qui est du rôle du baile comme chef de sa nation, il se poursuit tout
naturellement au sein de la structure communautaire de l’Empire ottoman. Non
seulement la Porte le reconnaît comme représentant de sa communauté, mais,
comme nous l’avons vu, elle lui offre son appui dans l’exercice de cette responsabilité.
Si, en revanche, les ‘ahdnâme ne citent pas expressément son rôle politique qui en
fait non pas seulement un consul mais un authentique ambassadeur, les autorités
ottomanes le reconnaissent d’autant plus naturellement dans les faits que les
problèmes politiques avec Venise ne manquent pas et que, dans la paix comme dans
la guerre, elles ont besoin de cet interlocuteur que viennent d’ailleurs fréquemment
rejoindre à Constantinople des ambassadeurs extraordinaires quand les circonstances
le réclament. Les rapports étroits (et même, semble-t-il, amicaux) ayant pu exister
entre un Marc’Antonio Barbaro, baile au moment de la guerre de Chypre et le grand
vizir Sokollu Mehmed pacha, sont emblématiques de la place que le représentant
vénitien peut tenir dans la capitale ottomane. Au surplus, la Porte met à profit sa
présence pour bénéficier de l’incomparable réseau d’informations vénitien sur la
situation politique et militaire des Etats européens, particulièrement de ceux qui
l’intéressent le plus. Elle compense en partie par ce biais, sa propre absence de
résidents à l’extérieur. Conscientes de cet atout dans leur jeu avec les Turcs, les
autorités vénitiennes élaborent complaisamment des sortes de bulletins
d’information, les avvisi, qu’elles font traduire en turc à l’intention de leurs
partenaires ottomans. Ces derniers en sont friands et attendent avec impatience leur
arrivée à Istanbul, accordant un crédit total au renseignement vénitien.
Ce rôle politique notable est ce qui fait tout l’attrait de la fonction auprès des
diplomates vénitiens. Ottavio Bon, en 1604, comparait l’office à un jardin « dans
lequel les roses et les autres fleurs sont les affaires publiques, tandis que les épines
et les mauvaises herbes sont les affaires des personnes privées, ayant trait à leurs
bateaux, aux contrats qu’elles font et aux avanies qui leur sont imposées… »
Cependant, c’est aussi ce rôle politique qui fait le danger de la fonction, dans le
contexte mouvementé des relations entre le Grand Turc et la République (outre
que cette fonction est onéreuse et expose par ailleurs le détenteur aux terribles
épidémies sévissant en Orient).
HISTOIRE TURQUE ET OTTOMANE 685

Les Ottomans ont en effet pour principe de mettre aux arrêts, soit en les jetant
carrément en prison, soit en les assignant du moins à résidence les ambassadeurs
(et tous les ressortissants qui tombent entre leurs mains) des pays avec lesquels ils
sont en guerre. Cela s’applique d’ailleurs aussi bien aux ambassadeurs extraordinaires
qu’aux résidents, mais les seconds, au moins, par nature, seront toujours à
disposition. Les Vénitiens en ont fait l’expérience dès avant la conquête de
Constantinople, lors de la guerre vénéto-ottomane pour la possession de Salonique
(1425-1430). A en croire certaines chroniques, les deux ambassadeurs successifs
(Nicolo Zorzi et Giacomo Dandolo) auraient non seulement été emprisonnés mais
mis à mort par leurs geôliers, ce qui n’arrivera plus par la suite. Paolo Preto dit
même que la prison pouvait parfois être « dorée » et que la détention n’était pas
toujours très sévère. Par exemple, lors de la guerre vénéto-ottomane de 1537-1540,
le baile est bien entendu emprisonné, mais il sera libéré dès novembre 1539 pour
assister aux grandes fêtes de circoncision de deux fils de Soliman le Magnifique
auxquelles il est convié (il est vrai que des pourparlers de paix étaient d’ores et déjà
engagés ; Charrière, I, p. 417). Pendant cette même guerre, un autre représentant
vénitien, le consul à Damas, également aux arrêts dans la forteresse de cette ville,
n’en entretient pas moins une abondante correspondance avec le gouverneur
vénitien de Chypre. A cette fin, comme lui-même le confie, il utilise les services
d’ « un janissaire digne de confiance ». Le fait que les guerres avec Venise soient
considérées comme des crises certes graves mais passagères et qui doivent
immanquablement, une fois les buts de guerre atteints, être suivies d’une reprise
des bonnes relations habituelles, explique la relative modération présidant à ces
détentions. Impulsions intempestives et tentatives d’intimidation n’étaient toutefois
pas exclues. On rapporte ainsi qu’au début de la guerre de Crète, le sultan Ibrahim
aurait eu l’intention de faire exécuter le baile de Venise. Il aurait fallu l’intervention
du grand vizir, du grand mufti et de plusieurs autres dignitaires pour l’en dissuader
et le ramener au principe traditionnel de la simple captivité (Hammer, X, p. 112).
Cette dernière, appliquée aux Vénitiens comme elle le sera à tout ambassadeur
dont le pays entrait en guerre avec le sultan, répondait, semble-t-il, à deux
motivations : il fallait interdire à l’agent du pays ennemi toute activité d’espionnage
et menées subversives ; mais il y avait sans doute aussi dans la mesure une dimension
de rétorsion, de vengeance dont l’ambassadeur faisait les frais, en même temps
qu’un chantage plus ou moins explicite exercé à travers lui sur son gouvernement:
il devenait alors pleinement l’otage qu’il avait été virtuellement jusque là. Un
témoignage en est fourni, se rapportant non à un ambassadeur vénitien, mais au
comportement de Soliman le Magnifique vis-à-vis de Malvezzi, ambassadeur de
Ferdinand de Habsbourg. Lorsque ce dernier réclama au sultan l’élargissement de
son ambassadeur, il lui fut rétorqué que « les ambassadeurs répondaient de la
parole donnée par leurs maîtres et [que], en leur qualité d’otages, ils devaient
expier la violation » (Charrière, II, p. 211). Même, sous contrôle (quelles que
fussent les circonstances, aucun ambassadeur chrétien en poste à Istanbul ne fut
jamais exécuté), cette prise en otage des représentants étrangers fut fortement
exploitée à l’appui de la thèse, selon laquelle les Ottomans restaient en dehors du
686 GILLES VEINSTEIN

droit des gens, donnaient l’exemple emblématique de la violation des immunités


diplomatiques. Lorsque Wickford, auteur de L’ambassadeur et ses fonctions et
diplomate lui-même, s’attira par ses activités d’espionnage une arrestation dans le
pays où il représentait le duc de Brunswick-Lunebourg, la Hollande, il compare
naturellement ses geôliers aux barbares turcs :
« Les avanies étaient autrefois particulières aux Turcs, écrit-il, mais, depuis
quelque temps, elles se sont si bien communiquées à la chrétienté que les circoncis
y pourraient venir apprendre quelque chose de plus que ce qu’ils savent ».

Le cas français
Si Venise a, la première, longtemps avant les autres Etats européens, jeté les bases
des représentations permanentes à Istanbul, elle n’avait fait qu’obtenir
progressivement de Mehmed II et de ses successeurs, le rétablissement intégral de
la position de son principal agent diplomatique et commercial en Méditerranée
orientale : le baile. Les sultans s’étaient peu à peu laissés convaincre de revenir sur
ce point comme sur divers autres au statu quo antérieur à la conquête. Par rapport
à ces particularités du cas vénitiens, le cas français apparaît dans toute sa singularité,
son exceptionnalité. L’ambassade de France n’aura donc pas été la première,
contrairement à ce qui sera durablement la version officielle française, soucieuse
d’appuyer sur l’antériorité chronologique du représentant du roi sa primauté
hiérarchique dans le corps diplomatique stambouliote, comme, plus généralement,
un traitement privilégié des Français dans l’Empire ottoman. En revanche, elle
présente l’originalité d’être une innovation absolue.
Le rapprochement franco-ottoman naît de l’antagonisme entre François 1er et
Charles-Quint, héritier des « rois catholiques » d’Espagne et des ducs de Bourgogne,
chef de la maison de Habsbourg et Empereur élu du Saint Empire romain
germanique. Charles-Quint s’oppose aux prétentions italiennes du Valois (sur
Gênes et Milan, voire sur le royaume de Naples). Lui-même a des revendications
sur l’héritage bourguignon et il constitue une menace pour le royaume qu’il
encercle presque entièrement de ses possessions. La France cherche un contrepoids
à ce redoutable adversaire en nouant des contacts avec les Etats chrétiens du reste
de l’Europe (Pologne, Hongrie, Transylvanie), mais elle n’y trouve pas un secours
suffisant. La situation devient critique en 1525, à la suite de la défaite de Pavie et
de l’emprisonnement de François 1er à Madrid. C’est alors que la régente, Louise
de Savoie, mère du roi, et le roi lui-même se décident à tourner le dos à la politique
traditionnelle des « rois très-chrétiens » vis-à-vis de l’islam en général et en dernier
lieu, vis-à-vis des Ottomans. Le roi, en grave difficulté, est demandeur et le sultan,
Soliman le Magnifique, immédiatement conscient des avantages symboliques et
stratégiques d’une telle alliance, accorde son amitié à un prince dont il ne méconnaît
nullement la place sur l’échiquier européen — amitié qu’il inscrit d’emblée dans
un rapport inégalitaire de protecteur à protégé. Compte tenu de l’innovation
scandaleuse que représente ce rapprochement, la France fait d’abord appel dans
HISTOIRE TURQUE ET OTTOMANE 687

une première phase à des émissaires secrets ou au moins discrets, le cas échéant
officiellement accrédités auprès du roi de Hongrie et non directement auprès du
sultan. Tout devrait se passer à l’insu, non seulement de l’ennemi, mais d’une
partie de l’entourage du roi qui désapprouve entièrement cette orientation. Le
« secret du roi » n’en est pas moins rapidement éventé par le réseau d’espions de
Charles-Quint. La connivence avec l’Infidèle est violemment dénoncée ; le désastre
hongrois de Mohács de 1526 lui est imputé ; les agents du roi sont traqués entre
France et Turquie. Pour remplir des missions aussi délicates et dangereuses auprès
de son nouvel allié, bien différentes des ambassades ordinaires, François 1er choisira
dans une première phase des hommes au profile particulier : ce sont des étrangers
(le cas échéant de haute lignée), ayant une certaine connaissance et expérience de
l’est et du sud de l’Europe et résolument en rupture avec le système politique de
Charles-Quint, des esprits avisés en même temps que des hommes d’action
intrépides. Interviendront ainsi dans les premières années de l’alliance, le croate
Jean-François Frangipani, le Castillan Antonio Rincon, le Napolitain César
Cantelmo, un autre Italien, Camillo Orsino, le marchand Ragusain Séraphin
Gučetić (ou Séraphin de Gozo). A ce dernier, il reviendra de négocier secrètement
avec le grand vizir Ibrahim pacha, à Alep, au printemps 1534, le premier traité
franco-ottoman, une « trêve marchande » dont le genre hybride trahit bien la
difficulté à donner forme — une forme avouable — à une entente sans précédent.
François 1er ne la publiera qu’en janvier 1535, acte signifiant sa volonté d’afficher
désormais ouvertement son union avec le Turc.
Pour Soliman et ses pachas qui, de leur côté, ne font pas les distinguos auxquels les
Européens sont attachés, entre les différentes sortes et les « caractères » inégaux des
ambassadeurs, ces émissaires d’un genre particulier, sont purement et simplement
les « ambassadeurs (elçi) du pâdișâh de France » auxquels sont rendus les honneurs
correspondant à l’état des relations entre le sultan et le prince qu’ils représentent et
dont l’incognito n’est nullement respecté, dès lors qu’il est utile au sultan de faire
sonner bien haut leur présence aux oreilles de leurs adversaires. L’agent Antonio
Rincon sera ainsi reçu par Soliman, en juillet 1532, dans son camp de Belgrade
comme un ambassadeur à part entière. Des coups de canon seront tirés ; les tentes
seront illuminées — un spectacle destiné à impressionner les deux émissaires des
Habsbourg, Joseph de Lamberg et Léonard de Nogarella, également présents dans le
camp et impatients de faire avancer leurs négociations avec les Turcs. Comme le
note le journal de campagne de Soliman, le 5 juillet, l’ambassadeur français, ainsi
que celui du roi de Pologne et les envoyés de Ferdinand, sont admis au baisemain
avec le cérémonial observé dans la campagne précédente, celle de 1529, à l’occasion
de la réception du roi de Hongrie, Jean Zapolya (Hammer, V, p. 478).
Par rapport à cette première phase, de l’avis général des historiens des relations
franco-ottomanes, l’ambassade à Constantinople de Jean de la Forêt (Jehan de la
Forest), en 1535, aurait marqué un tournant. Il est en effet unanimement considéré
comme le premier véritable ambassadeur de France auprès du sultan : non plus un
simple agent mais un ambassadeur en titre et établi à demeure ; par conséquent
688 GILLES VEINSTEIN

un ambassadeur permanent. En fait, des sources précises sur ce qu’ont été alors les
intentions des gouvernants français, les débats qu’a pu susciter le sujet, les décisions
prises, n’ont pas été mis au jour (contrairement aux cas anglais et hollandais que
nous verrons plus loin). Nous devons donc déduire des quelques faits connus. Le
profile de La Forêt est tout à fait distinct de celui de ses prédécesseurs : c’est un
Français, originaire de la Limagne, en Auvergne, devenu « notaire et secrétaire du
roi » ; un clerc attaché à la maison du chancelier Duprat, un des grands artisans
de l’alliance franco-ottomane qui rédigera d’ailleurs ses instructions. Rien d’un
aventurier par conséquent. Cependant, c’est aussi un homme qui avait voyagé dans
sa jeunesse ; qui avait résidé à Rome, à Venise et à Florence ; qui avait été l’élève
de Lascaris, émigré de Constantinople et bibliothécaire érudit de Laurent de
Médicis. Il avait acquis ainsi des connaissances en grec ancien et moderne et en
italien, qui pourraient être utiles à sa mission. Par ailleurs, comme il convient à un
véritable ambassadeur, La Forêt avait été doté d’une suite qui comprenait
notamment un secrétaire, Charles de Marillac, son propre cousin, ainsi qu’un
érudit, prodigieux polyglotte, Guillaume Postel. Ce dernier était chargé de
rechercher des manuscrits grecs. Sa présence donnait une teinture « culturelle » à
la délégation : facteur de prestige mais peut-être aussi masque destiné à en dissimuler
l’objet véritable. Autre particularité de cette ambassade qui n’est probablement pas
fortuite : pour la première fois, on a conservé, dans les archives des affaires
étrangères, le texte des instructions remises à l’ambassadeur avant son départ.
Duprat y a détaillé les offres et les demandes que l’ambassadeur devait présenter
successivement à l’amiral de la flotte, Hayreddîn Barberousse à Alger, puis au
sultan lui-même à Istanbul. Certaines précautions avaient été prises pour ne pas
faire apparaître le roi comme trahissant, de son propre chef, la cause de la solidarité
chrétienne, mais c’est bien de plans d’action militaire concertée avec le sultan qu’il
s’agissait très précisément, ainsi que d’une demande d’aide financière (« ung million
d’or »). En revanche, le texte qui nous est parvenu ne précise rien sur ce qui nous
préoccupe ici : la nature exacte de l’ambassade conçue par le roi et son chancelier.
La lettre royale que La Forêt devrait remettre à Soliman en disait assurément plus
à ce sujet, mais nous ignorons jusqu’à quel point puisque cette lettre a disparu et
que nous ne connaissons d’elle que l’allusion du sultan dans sa réponse, comme
nous le verrons plus loin. Pourquoi, à ce stade des relations bilatérales, établir une
ambassade permanente et comment la concevait-on ? Nous connaissons, en général,
la propension de François 1er à l’établissement d’ambassades permanentes puisque
d’une seule qui existait au début de son règne, il en portera le nombre à dix à la
fin. Quelle durée était envisagée pour celle-là ? La seule indication dont nous
disposions à cet égard est le relevé selon lequel La Forêt avait reçu du Trésor, le
13 janvier 1535, la somme de 11 260 livres tournois « pour sa dépense de 563 jours
qu’il pourroit vacquer en l’estat et charge d’ambassadeur pour le Roy devers aucuns
Princes et seigneurs du Pays d’aultre mer [Barberousse et Soliman qu’on évitait de
nommer] ». Cette durée — grosso modo un an et demi — correspondait-elle à la
durée totale prévue (en fonction de quels critères ?) ou s’agissait-il d’un premier
versement, à compléter éventuellement ? Rétrospectivement, la mission de La
HISTOIRE TURQUE ET OTTOMANE 689

Forêt aura duré deux ans et demi, mais cela ne renseigne guère sur les intentions
françaises initiales puisque deux impondérables interviendront : la décision de
Soliman d’emmener l’ambassadeur avec lui en Albanie dans sa campagne de 1537,
puis le décès de La Forêt à Vlorë (Avlonya) au début de septembre 1537.
Par ailleurs, un autre document apporte quelque lumière sur ce que pourrait être à
l’avenir un résident français à la Porte : les passages concernant le « baile de France »
dans ce qu’on a trop longtemps considéré à tort comme les capitulations de 1536
entre François 1er et Soliman le Magnifique. Il s’agit en réalité d’un texte préparatoire
de traité, rédigé par La Forêt (Rincon le caractérisera en 1539 comme « des articles
et capitulations qu’autrefois, du vivant d’Ibrahim Bacha, le feu de La Forest avoit
faites et proposées » ; Charrière, I, p. 413-414) ; peut-être après discussion avec
Ibrahim pacha (le texte y fait allusion mais il pourrait s’agir d’une simple anticipation
de ce qui aurait dû se produire). Ce projet ne fut jamais ratifié et promulgué par le
sultan, et il n’entra donc pas en vigueur. Une des raisons possibles de l’interruption
du processus est l’exécution du grand vizir, le 5 mars 1536. La genèse du texte de
La Forêt pose également question : l’obtention de capitulations faisait-elle partie
de sa mission (mais ses instructions n’en soufflent mot) ou prit-il l’initiative d’engager
une négociation sur ce point, et le choix des articles était-il de son fait ? Quoi qu’il en
soit, les articles retenus proviennent en droite ligne du modèle vénitien et le terme de
baile appliqué au représentant français confirme bien la filiation. Si on y retrouve les
principales prérogatives du baile vénitien, telles que nous les avons retracées plus
haut, il est à noter que le rédacteur du texte français a écarté ce qui, dans le précédent
vénitien, fixait la durée de séjour du baile et instituait son remplacement automatique
au bout de trois ans. D’une manière générale, le baile français dont La Forêt a
esquissé le portrait, fait, dirions-nous, profile bas. Le lieu de sa résidence elle-même
est laissé dans le vague : « Constantinople, Péra ou autre lieu de cet empire ». Bien
plus, le rédacteur note à chaque fois que les prérogatives demandées pour lui sont
celles d’un baile ou d’un consul. D’une manière générale, rien ne distingue vraiment
le baile envisagé d’un simple consul, tel que la France en possède déjà un : le consul
des Français et des Catalans d’Alexandrie — poste qui date de l’époque mamelouke
et dont, précisément, Soliman a récemment, en 1528, confirmé les privilèges.
Comment expliquer cette retenue sinon par un double souci : d’un côté, celui de ne
pas trop compromettre ni engager le roi de France ; d’un autre celui de ne pas
effaroucher le sultan par une innovation trop ambitieuse dont il risquerait de prendre
ombrage ? On discerne bien là la différence avec le cas vénitien : la relation vénéto-
ottomane était structurelle pour les deux pays. La relation avec la France n’est encore
que conjoncturelle. Il est à relever aussi pour mieux situer la place de La Forêt que
lui-même ne s’assimile pas personnellement à ce baile dont il esquisse la modeste
figure : dans le préambule de son texte, il se désigne au contraire comme « conseiller-
secrétaire et ambassadeur du très-excellent et très-puissant prince François ».
Si les conditions d’élaboration de l’innovation française ne nous sont ainsi pas
entièrement connues, il est clair en tout cas qu’elle ne fit l’objet d’aucune
concertation préalable avec le sultan et que celui-ci ne fut pas même averti qu’était
690 GILLES VEINSTEIN

envoyé vers lui, en ce printemps de 1535, un ambassadeur d’un genre inédit,


différent, par exemple, de celui qu’il recevra le 26 mai suivant, dans le cadre de sa
campagne de Baghdad, à la frontière de l’Irak et de la Syrie. Le journal de campagne
désigne ce dernier comme França kralının elçisi, sans plus de précision : il s’agit
vraisemblablement, comme l’a montré autrefois Jorjo Tadić, de Séraphin de Gozo,
accomplissant là une nouvelle mission. Pour le reste, l’ambassade de La Forêt fut
marquée par la malchance : lorsqu’il débarque à Istanbul le 8 juin 1535 (comme
l’attestent les documents de Simanca découverts par Jean Aubin), le sultan et le
grand vizir sont absents, menant au loin leur campagne contre la Perse. Il est reçu
par le gouverneur de la capitale, un simple sancakbey et il est si mal reçu qu’on
peut se demander si cet officier avait été seulement informé de l’arrivée de ce
représentant de l’allié de son maître (qui avait dû pourtant bénéficier d’un sauf-
conduit) : à en croire le récit d’un témoin direct, Postel, il l’aurait accusé de n’être
qu’un espion « explorateur du royaume » (Le thrésor des prophéties de l’Univers) et
il fallut bien de la présence d’esprit au nouveau venu pour se tirer de ce mauvais
pas. Il eut ensuite à attendre dans une relative inaction le retour à Istanbul de ses
interlocuteurs : Ibrahim pacha à qui ses instructions prescrivaient de s’adresser en
premier, et le sultan lui-même. Peu après ce retour, l’exécution d’Ibrahim pacha
prive l’ambassadeur de son partenaire privilégié. Dans ces conditions, il faudra
attendre le 5 avril 1536 (soit dix mois après l’arrivée de La Forêt) pour que Soliman
accuse enfin réception à François 1er des lettres d’accréditation de son ambassadeur.
Dans l’importante lettre émise ce jour, le sultan relate au roi l’accueil qui a été
réservé à son ambassadeur — un accueil qui, peut-être en raison des circonstances
politiques particulières, n’a, paradoxalement, pas été aussi honorifique que pour
ses prédécesseurs : il a été reçu par le « divan sublime », devant lequel il a fait part
des instructions reçues de son maître, et, dans un second temps ses propos ont été
rapportés au sultan. Cette formulation laisse supposer qu’Ibrahim pacha était
encore en fonction au moment de cette audience et qu’en ne mentionnant pas le
grand vizir, mais seulement le « divan sublime », Soliman ne fait que sacrifier à la
damnatio memoriæ de son ancien favori. Il reste que si La Forêt a eu droit à
l’audience des vizirs, il n’a pas été admis au baisemain, c’est-à-dire à l’audience du
sultan qui suivait généralement et dont Rincon, par exemple, comme nous l’avons
vu, avait bénéficié. Mais par ailleurs, le sultan rassure pleinement son correspondant
sur la poursuite de leur amitié et de leur concorde, dans des formules rituelles qui
prennent cependant ici une force particulière, après la condamnation d’Ibrahim
pacha. Enfin le sultan réagit à l’initiative diplomatique du roi que, manifestement,
il n’a découverte qu’après son retour de Perse : « vous avez ordonné à votre
ambassadeur susdit de demeurer ici, à notre Porte de félicité : qu’il demeure ! ».
L’ambassade permanente est donc acceptée, mais sans le moindre commentaire et
sans la moindre précision : c’est le bon plaisir du prince qui fait et défait sans
explication. Il n’y aucune garantie pour l’avenir comme les Vénitiens en avaient
fait inscrire dans leurs ‘ahdnâme.
HISTOIRE TURQUE ET OTTOMANE 691

D’ailleurs dans le contexte d’étroite collaboration militaire avec la France, le


sultan ne tarde pas à constater l’intérêt d’avoir constamment sous la main un
intermédiaire avec son allié qu’il considère comme étant autant à son service et
soumis à ses ordres qu’à ceux du roi. Peut-être y voit-il également le vivant symbole,
aux yeux de l’Europe chrétienne, du coin qu’il a enfoncé en son sein. Ainsi
s’expliquerait qu’il tienne à se faire accompagner dans sa grande campagne maritime
et terrestre de 1537 par l’ambassadeur et sa suite, une pratique qui se reproduisit
par la suite, en faveur de son successeur d’Aramon. Au milieu des revirements
continuels de l’allié français, ce résident était aussi un otage. Le secrétaire de La
Forêt, Marillac, qui exercera l’intérim après la mort du premier, y voyait la véritable
raison du refus du sultan de lui accorder le congé qu’il désirait ardemment, « soubz
couleur de dire qu’il n’a homme avec qui il puisse traicter les affaires ».
L’ambassade de la Forêt ne fut pas heureuse : il échoua à maintenir de bonnes
relations entre Venise et la Porte. La campagne de 1537 qui fut marquée par le
siège de Corfu, possession vénitienne, signifiait son échec et, frappé par la peste,
il y laissa la vie. Marillac renvoya alors en France les membres de la suite du défunt
pour qui tout ce séjour semble n’avoir été qu’une longue épreuve, « tant pour avoir
souffert en ce pays l’espace de trois ans tant de travaulx, maladies, ennuys et
fascheryes avec ceste barbare nation qu’il leur serait trop grief en endurer
davantaige ». Triste oraison pour une première ambassade !
Le principe des ambassadeurs résidents à Istanbul n’en fut pas moins maintenu
par la France, mais on revint pour les successeurs immédiats de La Forêt au type
d’hommes des premières missions : Rincon lui-même remplaça La Forêt après
l’intérim de Marillac puis ce fut au tour d’un Français de nouveau, mais un
militaire, « général des galères », le capitaine Polin. Tous deux furent vivement
appréciés par le sultan. Il est difficile de parler d’ambassadeurs résidents dans leur
cas puisqu’ils se déplacèrent beaucoup, aussi bien d’ailleurs sur ordre du sultan que
sur celui du roi. Polin surtout, fit l’admiration de l’Europe pour la rapidité de ses
allées et retours entre la France et la Turquie. Quant à Rincon, traqué depuis
longtemps par les Habsbourgeois, c’est à un retour de France où il s’était rendu
sur ordre de Soliman, qu’il fut assassiné sur le Pô par les hommes du gouverneur
du Milanais, le marquis del Vasto, le 2 juillet 1541. Néanmoins, quand les titulaires
étaient ainsi absents de Constantinople, des « chargés d’affaires » tenaient
l’ambassade à leur place. Les documents officiels ottomans en prirent acte en leur
attribuant le titre de kaymakam. Gabriel de Luetz, seigneur d’Aramon, fut ainsi le
kaymakam de Polin. Il n’en correspond pas moins directement avec le sultan,
décidément peu soucieux du rang des ambassadeurs, par des billets ou par
l’intermédiaire du chef des eunuques blancs, le kapı ağa. La conclusion du traité
de Crépy en Valois le met un moment dans une position délicate. Quand,
longtemps privé de toutes instructions, d’Aramon décide de rentrer en France pour
être éclairé sur les intentions du roi, le kaymakam laisse un autre kaymakam à sa
place : Jean-Jacques de Cambray, « homme de grande littérature, orné de plusieurs
et diverses langues », selon le portrait que brossera de lui Nicolas de Nicolay.
692 GILLES VEINSTEIN

D’Aramon est renvoyé par François 1er à Istanbul, cette fois comme ambassadeur
à part entière. Le roi, au soir de sa vie, veut relancer une nouvelle fois la coopération
avec le Turc, attendant désormais de ce dernier qu’il attaque non plus en Italie
mais en Hongrie, et qu’il lance sa flotte sur la côte d’Afrique. Il s’agit aussi de
contrer les manœuvres à la Porte de Veltwick, l’ambassadeur des Habsbourg, qui
cherche à prolonger la trêve austro-ottomane, Pour faire oublier ses atermoiements
passés et regagner auprès du sultan un prestige bien entamé, François 1er donne à
cette ambassade un lustre sans précédent : elle apporte des présents somptueux et
comprend une suite splendide. Cette ambassade durera six ans et verra le passage
du règne de François 1er à celui de Henri II qui, après un moment de flottement,
confirmera pleinement la politique pro-ottomane de son père.
C’est avec l’ambassade de Gabriel d’Aramon qui va durer six ans qu’on prend
pleinement la mesure de ce que signifie une ambassade permanente française à
Constantinople. Unique représentation étrangère dans la capitale ottomane
(excepté, bien entendu, le cas vénitien qui est décidément à part), elle matérialise
la relation étroite, la concertation permanente existant dans la période entre les
deux Etats. Le crédit de l’ambassadeur se manifeste avec un éclat sans précédent,
notamment à l’occasion de sa participation, à la demande de Henri II, à la première
phase de la campagne de Perse, dite de Tabriz, de 1548-1549, durant laquelle
lui-même et sa suite voyagent dans l’équipage le plus magnifique : « quelle gloire
pour cet ambassadeur et pour sa nation française, écrira Brantôme, de tenir tel rang
auprès du plus grand monarque du monde ». Même constatation chez Jacques
Gassot : « Je pense que de nostre temps jamais ambassadeur ne chemina en tel
ordre, équipage et réputation ». Il se manifeste également par la communication
directe existant, dans les moments forts de la coopération, entre le sultan et lui. Le
premier prend sur lui de le renvoyer en France en janvier 1551 pour communiquer
ses plans au roi. A son retour, il l’invitera à prendre part à la campagne navale de
l’été 1552, en le dotant de deux galères à cet effet. En même temps, l’ambassadeur,
en vertu de sa personnalité propre, est le point de rencontre d’une pléiade d’hommes
de lettres et savants français qui, dans un esprit bien caractéristique de la Renaissance,
affluent alors vers la Turquie (Pierre Belon, Jean Chesneau, Jacques Gassot,
Guillaume Postel, Pierre Gilles, Nicolas de Nicolay).
Néanmoins, conçue et maintenue par une volonté française, cette institution
nouvelle ne subsiste que par l’acquiescement de fait du sultan qui en reconnaît
pragmatiquement l’utilité et qui, concrètement, accorde les sauf-conduits (amân-i
șerîf ) nécessaires aux arrivants successifs et qui s’inquiète même quand le roi tarde
à donner un successeur au détenteur précédent de l’office. A propos de la
confirmation de Jean Dolu par Charles IX, Soliman écrit à ce dernier que son
frère, François II, avait précédemment nommé le même Dolu « conformément à
l’usage selon lequel vous avez un ambassadeur à notre Porte de Félicité » (Charrière,
II, p. 260). Légitimée par l’usage, l’ambassade permanente (on verra apparaître le
terme de mukim pour rendre la notion de résident) n’a pas d’autre fondement en
droit ottoman. Elle n’est pas, comme son antécédent vénitien, inscrite dans un
HISTOIRE TURQUE ET OTTOMANE 693

‘ahdnâme. Le besoin ne se fait pas sentir de donner suite aux articles que La Forêt
avait esquissés à ce sujet. Chose remarquable, les premières capitulations qui seront
accordées à la France, celles de 1569, émises par Selim II à l’instigation d’un
envoyé extraordinaire, Claude du Bourg, font silence sur la question de
l’ambassadeur, et, notamment, ne reprennent pas les projets de La Forêt sur ce
point. Elles n’apportent aucune sanction a posteriori de ce qui existait de facto
depuis trente cinq ans. Faut-il y voir l’effet de l’hostilité de du Bourg et du grand
vizir Sokollu Mehmed pacha à l’encontre de l’ambassadeur en titre du moment,
Grantrie de Grandchamp ?
La mention de l’ambassadeur dans les ‘ahdnâme accordés à la France n’apparaîtra
en fait pour la première fois que dans la version de 1581, l’article correspondant
ne portant pas sur l’existence même de cet officier qui, sans doute, n’a plus besoin
à cette époque, d’être établie, mais (outre les droits de justice de l’ambassadeur et
des consuls enfin reconnus) sur la préséance de celui-ci par rapport aux autres
ambassadeurs présents à Constantinople. Par la suite, d’autres mentions relatives
aux prérogatives des ambassadeurs de France, figureront dans les capitulations
ultérieures. Pour revenir à la question de la préséance française, dont le seul fait
qu’elle était posée dans les années 1580, en disait long sur les changements de la
conjoncture diplomatique et de la place de la France à la Porte, avait été soulevée
par un événement anecdotique, les funérailles du baile de Venise, Nicolo Barbarigo.
A cette occasion, un ambassadeur (extraordinaire et non pas résident) d’Espagne,
Giovanni Margliani (Don Margliano) avait prétendu prendre le pas dans la
cérémonie sur le Français Jacques de Germigny. A la suite de cet incident qui eut
pour conséquence qu’aucun ambassadeur ne fut finalement convié aux obsèques,
le gouvernement du sultan d’alors, Murad III, accepta de reconnaître la préséance
française, non seulement dans sa lettre à Henri III de juillet 1580, mais en la
gravant dans le marbre des capitulations renouvelées qu’il lui accorda peu après,
en la justifiant sur l’antériorité de l’ambassade française et, plus largement, sur celle
de la lignée royale française par rapport à celles de tous les autres princes et roi
chrétiens. Cette complaisance avait une explication : dans le même temps, le sultan
était en négociations avec un autre concurrent de la France, dont la rivalité
s’avérerait bien plus durable, l’Angleterre.

Le cas anglais
Quelques marchands anglais commencent à lancer des opérations commerciales
dans l’Empire ottoman vers le milieu du xvie siècle et y font preuve d’un grand
dynamisme. Ils comprennent l’intérêt de court-circuiter les intermédiaires vénitiens
dans les importations d’Orient et ils éprouvent rapidement le besoin de s’affranchir
de l’obligation de naviguer sous pavillon français. Cette obligation les rendait
dépendants et entraînait le versement aux consuls français de droits dits de
« consulage » qui se montaient à 2 % de la valeur des cargaisons. Le droit de
pavillon était une conséquence de la position quasi-monopolistique de la France
en tant qu’alliée du sultan. Il s’appliquait à toutes les autres nations chrétiennes
694 GILLES VEINSTEIN

(Venise exceptée) voulant commercer avec l’empire, la protection française les


mettant à l’abri des risques de leur situation de harbi, c’est-à-dire d’infidèles en
guerre avec les musulmans. Reconnu dans les faits, dès les débuts de l’alliance
franco-ottomane, le droit de pavillon français fait l’objet d’une allusion dès les
capitulations françaises de 1569, et sera expressément officialisé dans les suivantes.
Outre les Anglais, plusieurs autres Etats tentaient vers la même époque d’échapper
à cette tutelle française en nouant ou renouant des liens directs avec Istanbul :
Florence, Gênes, Milan, Lucques. Mais l’Anglais William Harborne, factor et
émissaire de deux négociants, Edward Osborne et Richard Staper, arrivé dans
l’empire en 1578, fera preuve de la plus grande efficacité. L’ouvrage de Suzanne
Skilitter, William Harborne and the Trade with Turkey (1578-1582) (Oxford,
1977) qui a rassemblé et analysé de près toute la documentation sur la question,
reste un guide précieux. Il apparaît que si le facteur premier du rapprochement
spectaculaire qui s’accomplit alors entre l’Angleterre de la grande Elisabeth et
l’empire de Murad III, est bien l’initiative anglaise, d’inspiration essentiellement
commerciale (même si des considérations politiques viendront l’appuyer), le sultan
y répond avec un empressement exceptionnel. Plusieurs raisons l’expliquent : il est
alors englué dans une longue guerre avec la Perse au Caucase. A l’ouest, il se sent
menacé par la politique de puissance du « roi catholique » Philippe II et redoute
particulièrement les escadres de ce dernier en Méditerranée (les flottes d’Espagne,
de Naples et de Sicile). Contre ce danger, le roi de France n’est plus l’allié chrétien
idéal qu’il avait été, du fait de l’affaiblissement du royaume pris dans la tourmente
des guerres de religion et des pressions espagnoles sur le pays. Il n’est pas question
pour autant d’en finir avec l’amitié acquise avec ce pays, ce qui serait insulter
l’avenir. Mais si la France reste en conséquence ménagée (et si le retard de cinq
ans mis par Henri III à envoyer son nouvel ambassadeur, Jacques de Germigny est
mal perçu), c’est bien l’Angleterre qui répond le mieux aux nécessités de l’heure,
à la fois comme puissance navale prometteuse et comme nation protestante. A ce
second titre, elle présente le grand avantage au regard des Ottomans de ne pas être
tenue par les interdits pontificaux d’exportation d’armes, d’étain et d’autres métaux
en leur faveur. Dans ces conditions, à la suite des premières démarches de Harborne,
le sultan prend l’initiative d’adresser une lettre à la reine Elisabeth. Cette lettre du
7 mars 1579, conservée dans la traduction latine effectuée par un drogman de la
Porte, Mustafa, qui avait été jointe à l’original, est un cas unique puisque, pour la
première fois, un sultan prend les devants et adresse à un prince chrétien autre
chose qu’une réponse. Il fait part à la reine des ordres qu’il a donnés à ses agents
en tous lieux pour que les marchands anglais, sur terre comme sur mer, ne soient
pas molestés mais traités comme les Français et les Polonais (c’est-à-dire les
ressortissants de pays ayant obtenu des capitulations). Le sultan, certes, ne demande
pas l’envoi d’un ambassadeur mais signale son entière bonne volonté à l’égard des
ressortissants anglais. Contrairement aux assurances données à Henri III, le sultan
ne se soucie nullement, dans ces premiers contacts avec la reine, de passer par
l’intermédiaire français, malgré la volonté exprimée par le roi « que toutes ces
choses se fassent à son intervention et non autrement ». Dans la foulée, Harborne
HISTOIRE TURQUE ET OTTOMANE 695

obtient sans peine en 1580 des capitulations analogues aux capitulations françaises
de 1569, au grand dam des ambassadeurs français et vénitien. Ces derniers croient
prendre leur revanche quand, peu après, un incident diplomatique, l’attaque de
deux bateaux grecs se rendant de Patmos à Venise par un vaisseau corsaire anglais,
le Bark Roe, interrompt le processus de ratification des capitulations anglaises.
Germigny obtient même dans le renouvellement des capitulations françaises de
1581, la mention explicite de l’Angleterre parmi les nations devant naviguer sous
pavillon français. Néanmoins, Harborne, ses commanditaires et les autres marchands
concernés vont tout faire à Londres pour faire aboutir, en dépit du contretemps,
le processus engagé, en s’assurant le concours de la reine et de son gouvernement.
Ils créent en septembre 1581 une société marchande, la Turkey Company. Une
autre sera créée en 1583, la Venice Company. Les deux seront réunies en 1592,
sous l’appellation de Levant Company. Celle-ci deviendra fameuse en tenant au
xviie siècle la première place dans le commerce européen au Levant. Les marchands
sont convaincus que la ratification de leurs capitulations et, au-delà, la protection
de leurs droits et garanties au Levant, ne peuvent être assurées que par l’envoi d’un
ambassadeur permanent à Istanbul. Comme les Vénitiens bien avant eux, les
Anglais établissent un lien nécessaire entre capitulations et ambassade permanente,
ce que les Français dont l’objectif était avant tout politique, n’ont pas fait dans un
premier temps, et ce que les Polonais mettront encore beaucoup plus de temps à
faire. Les marchands de Londres cherchent à convaincre la reine qu’elle n’atteindra
ces buts que « having her agent there contynualie resident ». La reine et son
gouvernement n’y sont pas hostiles en principe (Angleterre et Turquie ont bien un
ennemi commun : Philippe II), mais les considérations financières amènent des
échanges de vue entre la company et le gouvernement, pour déterminer la part de
chacun dans les dépenses entraînées par la mise sur pied de l’ambassade, les
dédommagement fiscaux auxquels la company pourrait prétendre en échange de sa
contribution, et d’autre part sur la nature même de cette ambassade, question liée
à celle de son coût. A travers quelques pétitions et memoranda qui ont subsisté,
nous recueillons des échos des débats qui ont eu lieu sur les diverses solutions
envisageables, dont nous n’avions pas trouvé l’équivalent dans le cas français.
A propos de l’importance du cadeau à présenter au sultan, on se demandait par
exemple s’il fallait envoyer un représentant permanent (dont le caractère serait à
déterminer) ou un simple nuncio, c’est-à-dire un envoyé de deuxième ordre, qui
rentrerait après avoir remis son cadeau, ayant, le cas échéant, été accompagné par
un subalterne, un simple agent, qui, quant à lui, resterait sur place. On voit, peu
après, que le principe d’un ambassadeur permanent a été finalement retenu et
qu’on entend obtenir pour lui le traitement le plus honorifique : il devra recevoir
du sultan une allocation (ta‘ yin) maximale et être reçu par celui-ci, à son arrivée
et à son départ. Il sera autorisé à rester au plus cinq ans (dans le cas français,
rappelons-le, la durée n’a, au contraire, jamais été fixée). Après quoi, il laissera
derrière lui un agent pour trois ans. C’est bien ce qui arrivera dans les faits :
William Harborne, compte tenu de son expérience et de ses succès passés sera
nommé ambassadeur et séjournera cinq ans à Istanbul où il fera définitivement
696 GILLES VEINSTEIN

ratifier les capitulations anglaises en 1583. Son secrétaire, Edward Barton lui
succédera et résidera pendant trois ans, de 1583 à 1591.
Ce succès anglais était un revers pour la France dont l’ambassadeur Savary de
Lancosme se dédommagera en prétendant que lui seul était ambassadeur à
Constantinople, Barton, quant à lui, n’étant jamais qu’un marchand. Le jugement
(ou le préjugé) n’était pas tout à fait sans fondement dans la mesure où l’ambassadeur
d’Angleterre restera l’employé à la fois du gouvernement et de la company,
dépendant financièrement des deux, même si, le plus souvent, le roi s’en réservera
la désignation. S’occupant principalement du commerce, il peut également acquérir
dans certaines circonstances un rôle politique substantiel et ses instructions
comportent en tout état de cause « la découverte de toutes les négociations et
intrigues susceptibles de troubler la chrétienté ». Comprenant rapidement qu’ils
n’étaient pas en position de faire revenir la Porte sur l’existence d’un résident
« protestant » (Luteran elçisi pour les Turcs ) et de capitulations anglaises, les
ambassadeurs de France, notamment celui de Henri IV, Savary de Brèves,
s’efforcent du moins, non sans peine et sans déboires, de préserver leur droit de
pavillon sur les nations tierces, Savary de Brèves ne dédaignant nullement de se
faire délivrer des fetvâ par les șeyh ül-islâm à cette fin, récemment présentées par
M. Viorel Panaite ( BNF, fonds turc ancien n° 130 ; Blochet, p. 53). A l’extrême
fin du xvie et au début du xviie siècle, les « Hollandais » ou, plus exactement, les
ressortissants des Provinces-Unies, en dissidence par rapport au roi d’Espagne,
devinrent l’enjeu principal de cette concurrence, compte tenu de leur percée
notable, au cours des années 1590, dans le commerce du Levant. En 1598, la
France obtient du sultan qu’un nișân soit accordé aux Hollandais, reconnaissant
leur droit, dès lors qu’ils naviguent sous pavillon français, à bénéficier de toutes les
garanties de la capitulation française, telle qu’elle avait été renouvelée, l’année
précédente (ibid., ms 130, fol. 161v). En 1609, le grand vizir Kuyucu Murad
pacha rendit son arbitrage entre les deux rivaux en donnant la protection des
ressortissants des provinces du sud, catholiques et ralliés au maître espagnol à la
France, et celle des ressortissants des provinces du nord, principalement protestants
et restés en dissidence (malgré une trêve de douze ans conclue en 1609 avec le roi
d’Espagne, Philippe III) à l’Angleterre. L’arbitrage, sous son apparente équité,
favorisait en réalité l’Angleterre puisque c’était surtout des marchands des provinces
du nord (avant tout la Hollande et la Zélande) qui commerçaient avec le Levant.
Au demeurant, cet arrangement eut peu de conséquences puisque les Etats-
Généraux des provinces du nord obtinrent peu après leurs propres capitulations.

Le cas hollandais
Nous sommes aidés pour retracer les débuts des relations entre l’Empire ottoman
et la Hollande par les publications fondamentales, remontant au début du xxe siècle,
de K. Heeringa et les excellentes études, nettement plus récentes, de G.R. Bosscha
Erdbrink (1975) et surtout A. H. de Groot (1978). Aux yeux des Ottomans, les
Provinces-Unies présentaient des avantages comparables à ceux de l’Angleterre,
HISTOIRE TURQUE ET OTTOMANE 697

adaptés aux nécessités du moment. Il s’agissait d’un Etat protestant, comme tel
non tenu par les interdits pontificaux sur les exportations d’armes et de matériel
stratégique en direction des pays musulmans ; qui n’avait plus rien à prouver de
son hostilité à l’Espagne contre laquelle il était en rébellion ouverte depuis la fin
des années 1560. Il s’agissait enfin d’une puissance navale montante, alors que
c’était sur mer que les Turcs se sentaient menacés par les ambitions espagnoles.
A cet égard, un événement fit beaucoup pour la réputation des Hollandais : la
victoire en 1607 de l’amiral hollandais van Heemskerk sur la flotte espagnole à
Gibraltar. De leur côté, les Provinces-Unies ne pouvaient qu’être intéressées par
des relations directes avec les Ottomans : ce serait un moyen d’échapper aux
tutelles française et anglaise sur leur commerce levantin et, également, pensait-on,
de faciliter la libération de leurs compatriotes capturés par les corsaires barbaresques,
fléau dont souffrait la navigation hollandaise, à l’instar des autres navigations
européennes. L’initiative prise par les Hollandais en 1604 de libérer les musulmans
des chiourmes de l’escadre espagnole qu’ils avaient vaincue à Sluis dans les Flandres
et de les renvoyer à leurs frais dans leurs pays d’origine, n’avait pas entraîné la
réciprocité attendue, et la question restait entière. Il est probable, dans ces
conditions, que de premiers contacts aient été pris très tôt entre les deux parties
aux intérêts objectivement concordants : on en a des indices, même si ces menées,
secrètes par nature, demeurent obscures et sont de toutes façons restées sans effet.
Les choses se précisent en tout cas aux lendemains des affaires de Sluis et de
Gibraltar : des « messieurs bons offices », avides de jouer les intermédiaires
incontournables entrent en scène comme ce Giacomo Ghisbrechti (Jacob Gijbertz),
orfèvre et joaillier à Galata et qui a des frères marchands à Venise ; ou comme cet
ancien voiévode de Moldavie, Stefan Bogdan, qui avait eu l’occasion de se rendre
en Hollande vers 1591. Mais l’élément déterminant est une initiative officielle.
Elle ne provient pas du centre du pouvoir, c’est-à-dire qu’elle n’émane pas
directement du sultan Ahmed 1er lui-même, ni de son grand-vizir Nasuh pacha,
alors en campagne en Perse, ni même du lieutenant (kaymakam) de ce dernier à
Istanbul, Gürci Mehmed pacha, mais du moins d’un très haut dignitaire, Halîl
pacha, qui est alors grand amiral (kapudan pașa) et membre du divan impérial.
Natif de Maraş et issu du devșirme, il avait gravi les échelons d’une grande carrière
ottomane, occupant notamment la fonction de grand fauconnier qui l’avait mis en
rapport avec les ambassadeurs étrangers dont il s’était fait hautement apprécier. Par
la suite, dans cette période politiquement très troublée allant du règne d’Ahmed
1er à celui de Murad IV, il connaîtra des hauts et des bas, mais sera de nouveau,
à plusieurs reprises, kapudan pașa et même grand vizir, faisant preuve d’une
incontestable habileté à rebondir et à se maintenir dans les allées du pouvoir. Il est
à noter que c’est en tant que kapudan pașa, lors de sa première affectation à ce
poste, qu’il a donné l’impulsion décisive au rapprochement ottomano-hollandais
— illustration emblématique d’un phénomène plus général : la place des kapudan
pașa ou du moins des plus ouverts et lucides d’entre eux- dans les relations de
l’Empire ottoman avec le monde extérieur et, notamment, les Etats européens :
Hayreddin Barberousse avait joué un rôle crucial dans les débuts de l’alliance
698 GILLES VEINSTEIN

franco-ottomane ; Kılıç ‘Ali pacha avait été l’interlocuteur privilégié et le conseiller


de l’ambassadeur de France Germigny. Un autre Grand Amiral, Çigalazade Sinan
pacha, avait favorisé au contraire l’ambassadeur d’Angleterre Henry Lello en lui
permettant d’obtenir les capitulations très avantageuses de 1601. En ce qui
concerne Halîl pacha, la grande idée stratégique qu’il conçoit alors et à laquelle il
restera fidèle dans la suite de sa carrière, est celle d’une alliance entre l’Empire
ottoman, le Maroc du sultan Moulay-Zaydan et les Provinces-Unies, conjuguant
leurs forces contre l’Espagne. Pourtant, cette idée reposait sur un malentendu dans
la mesure où le kapudan sous-estimait les difficultés inhérentes aux relations entre
l’Empire ottoman et le Maroc, entre le Maroc et les Provinces-Unies, et surtout
s’illusionnait sur les véritables intentions des Hollandais : ces derniers n’ont que
défiance vis-à-vis des musulmans et s’ils sont pragmatiquement intéressés par un
accord de commerce, il n’envisage pas un seul instant une coopération militaire
comme celle qui avait pu exister quatre-vingts ans plus tôt entre la France et
l’Empire ottoman. Ce d’autant moins qu’ils sont alors sous l’influence prépondérante
du Grand Pensionnaire de Hollande, van Oldenbarnevelt, pacifiste et artisan de la
trêve de douze ans conclue en 1609 avec le roi d’Espagne Philippe III.
Le premier acte de Halîl pacha fut l’envoi en 1610 d’une lettre aux Etats-
Généraux des Provinces-Unies, acheminée par des marchands flamands établis à
Venise. La lettre dont l’original est perdu, fut traduite de l’ottoman en arabe et de
l’arabe en flamand. Cette traduction fut lue aux Etats-Généraux le 22 novembre
1610 et des copies en furent envoyées aux différents Etats des sept provinces du
nord. On a conservé aujourd’hui la traduction flamande non de la lettre elle-
même, mais d’une lettre d’accompagnement destinée au Stadhouder, le prince
Mauritz d’Orange. Selon ce qu’on peut déduire de cette traduction, au demeurant
très incertaine (Bosscha-Erdbrink, p. 3), le sultan avait décidé d’accorder ses faveurs
aux Hollandais et de leur reconnaître le droit de naviguer sous leurs propres
couleurs (c’est-à-dire de leur octroyer des capitulations propres) en Syrie et dans le
reste de l’Empire ottoman. En outre, le sultan semble avoir exprimé le désir de
voir un représentant de la République à sa Sublime Porte. De telles offres étaient
inédites : pour la première fois, non pas le sultan lui-même, mais du moins un
haut dignitaire ottoman, proposait des capitulations à un Etat chrétien et semblait
même l’inciter à établir un ambassadeur à Constantinople.
En tout état de cause, la nature et le rang de cet ambassadeur restaient à définir
par la partie hollandaise, et c’est bien ce qui devient objet de discussion dans les
Etats-Généraux et les différents Etats provinciaux, dès lors que le principe est
admis d’emblée de saisir la main ainsi tendue. On assiste alors à des débats
analogues à ceux qui avaient existé une quarantaine d’années plus tôt chez les
marchands de Londres et dans l’entourage de la reine Elizabeth — ces débats dont
nous avons souligné qu’on ne retrouve pas de traces dans le cas français. Les
gouvernants hollandais associent leurs marchands à ces discussions. Ces derniers
jugent indispensable la présence d’un ambassadeur hollandais à Constantinople
pour veiller au respect des capitulations qui leur seront accordées et à leurs intérêts
HISTOIRE TURQUE ET OTTOMANE 699

en général. De même, le choix de la personne qui serait en tout état de cause


envoyée, fut vite fait : il s’agissait de Cornelis Haga (Corneille de La Haye) un
juriste qui avait déjà eu l’occasion de se rendre en Turquie et qui avait déjà
accompli une mission diplomatique en Suède. La question restait en suspend de
savoir si on enverrait ce dernier en tant qu’émissaire extraordinaire et discret, doté
d’une suite réduite, se contentant d’apporter son cadeau et de négocier des
capitulations pour rentrer aussitôt sa mission accomplie ou s’il resterait au contraire
comme ambassadeur permanent sur le Bosphore, doté d’un caractère plus élevé et
d’une suite plus considérable. C’est la première option qui prévalut. Sur ce point
aussi, l’influence de Johan van Oldebarneveldt fut déterminante : à des soucis
d’économie, se conjuguait la volonté de ne pas s’engager au-delà d’un accord
strictement commercial et aussi de ne pas heurter de front les anciens protecteurs
de la Hollande, la France et l’Angleterre. Cornelis Haga débarqua à Yeşilköy (San
Stefano), près d’Istanbul, le 14 mars 1612 dans la plus grande discrétion. Halîl
pacha s’ingénia aussitôt à lever toutes les embûches qui l’attendaient. La principale
opposition à l’entreprise hollandaise provint naturellement de ceux dont elle
risquait de concurrencer les positions acquises : l’ambassadeur de France, Harlay
de Sancy, le baile de Venise, l’agent autrichien, et l’ambassadeur d’Angleterre qui
devait d’ailleurs changer de camp, à la mi-avril 1612. Le kapudan pașa, Öküz
Mehmed pacha, successeur de Halîl pacha, était également de leur côté.
Contrairement à ce qui leur sera reproché ensuite, ces anti-hollandais ne restèrent
pas inactifs, allant jusqu’à faire parvenir un mémorandum au sultan, par-dessus la
tête de ses ministres dont ils se méfiaient, en se servant de l’entremise de l’ağa des
eunuques noirs pour acheminer leur message au fond du sérail, Ce mémorandum
(un ‘arz-u hâl) énonçait que la Hollande (Filandra) n’était nullement un Etat
indépendant, un véritable royaume, mais seulement une province (beylerbeyilik) de
l’Espagne qui continuait à en dominer effectivement les trois quarts (ce qui était
la vérité). Il n’était donc pas digne du sultan de s’allier à de telles gens. Au surplus,
les Hollandais ne seraient en aucune façon des alliés fiables du fait de la trêve qu’ils
venaient de conclure avec Philippe III d’Espagne, laquelle pouvait au contraire
faire d’eux des ennemis actifs de l’Empire ottoman. On faisait aussi courir le bruit
que Haga n’était qu’un simple courrier qui n’avait pas le pouvoir de négocier. De
semblables arguments n’étaient pas sans force et pouvaient ruiner le projet des
Hollandais et de Halîl pacha. Néanmoins, autour de ce dernier, le parti pro-
hollandais ne manquait pas de ressources à son tour. Il réunissait à Istanbul tous
les adversaires les plus résolus du catholicisme et de l’Espagne. Ils comprenaient,
ceux qu’on appelait les « Grenadins », c’est-à-dire les Morisques persécutés en
Espagne, qui s’étaient réfugiés à Istanbul, mais aussi un prélat orthodoxe, Cyrille
Loukaris, alors patriarche d’Alexandrie, qui deviendrait plus tard patriarche de
Constantinople. A ces premiers appuis s’ajouteront, dans un second temps, d’autres
soutiens de taille : celui du șeyh ül-islâm Mehmed, fils de Hoca Sa’dü-d-dîn et celui
d’un mystique dont l’aura rayonnait depuis son couvent d’Üsküdar, qui était le
guide spirituel de Halîl pacha, le cheikh Mahmûd Huda’i. Grâce à ces ralliements,
Haga obtenait, un mois et demi après son arrivée, une audience du sultan
700 GILLES VEINSTEIN

Ahmed 1er par laquelle il était consacré comme ambassadeur. Le 20 mai suivant,
il entamait ses négociations en présentant au kaymakam un projet de capitulations,
traduction ottomane d’un brouillon sorti des mains de Van Oldenbarnevelt en
personne, le grand pensionnaire de Hollande agissant en promoteur zélé du
commerce de son pays. Le texte qui sera ratifié par le sultan, reprenait celui des
capitulations françaises et anglaises, mais stipulait néanmoins un droit de douane
de 3 % au lieu des 5 % réglementaires, ce que les Anglais n’avaient obtenu qu’en
1601 et que les Français n’obtiendront qu’en 1675. Haga était reconnu comme
ambassadeur auprès de la Porte ottomane, « au même titre que les autres
ambassadeurs qui s’y trouvaient présents ». Par ailleurs, le texte restait muet, à
l’instar des capitulations françaises et anglaises, sur la durée de son séjour et son
mécanisme de remplacement, de même qu’il était peu disert sur les droits et
prérogatives de cet ambassadeur hollandais. Par ailleurs, pour ne pas heurter leurs
anciens protecteurs, les Hollandais s’étaient abstenus de demander un droit de
pavillon à leur profit.
Une fois ces capitulations obtenues, Haga était supposé rentrer à la Haye pour
y porter le rouleau magnifiquement calligraphié et enluminé sur lequel elles
figuraient. Cette perspective permettait aux adversaires de Haga de laisser entendre
que ce retour marquerait la fin de toutes les illusions ottomanes sur un appui
militaire des Hollandais et peut-être même de la neutralité hollandaise ; que, en
d’autres termes, les Turcs seraient bernés. C’est pour faire taire ces insinuations
troublantes que Halîl pacha poussa son protégé à faire d’une ambassade conçue
comme temporaire une ambassade permanente. Le 6 juillet 1612, Haga se voyait
remettre le texte définitif des capitulations, et il écrivait le même jour aux Etats-
Généraux pour leur expliquer la situation et leur demander l’autorisation de ne pas
quitter Constantinople. Ils répondirent positivement et son ambassade temporaire
fut ainsi transformée, sur les instances du dignitaire ottoman, en une ambassade
permanente qui devait durer vingt-sept ans. Ce sera d’ailleurs l’attitude ordinaire
des gouvernements hollandais que de laisser leurs ambassadeurs à Constantinople
pendant des durées record, ce qui permettait à ces derniers de devenir des
connaisseurs incomparables du personnel politique et de la politique des sultans.
L’étude comparative des quatre cas envisagés confirme que le concept des
ambassades permanentes était au départ doublement étranger aux Ottomans : non
seulement eux-mêmes ne le pratiquèrent pas (pas avant la fin du xviiie siècle), mais
s’ils laissèrent à d’autres le droit de le pratiquer chez eux, ce ne fut pas le résultat
d’une attitude volontariste et délibérée de leur part. Pour des raisons diverses et
dans des circonstances variées, ils se contentèrent de laisser faire, tolérant des
pratiques qui satisfaisaient des intérêts immédiats et flattaient d’autre part leur
orgueil en concrétisant l’image, de plus en plus illusoire, d’une Sublime Porte, pôle
d’attraction des souverains du monde, à laquelle ils manifesteraient leur soumission
en s’y faisant représenter. Se familiarisant avec une pratique importée par certains,
ils l’instrumentalisèrent dans un second temps en l’imposant à d’autres qui ne
l’avaient pas expressément demandée. Le jeu n’était pas sans danger pour
HISTOIRE TURQUE ET OTTOMANE 701

l’indépendance de la Porte car elles accueillait ainsi à domicile des agents d’influence
dont le poids irait croissant et que seules atténueraient les rivalités opposant les
puissances représentées.

SÉMINAIRE : Introduction aux requêtes (‘arz-u hâl)

L’étude des ambassades européennes à Istanbul conduit naturellement à tenter


d’élucider leurs méthodes de travail, les modalités de leur communication avec les
autorités ottomanes. Les rencontres des ambassadeurs avec les sultans sont rares et
prennent un caractère de plus en plus formel et même ritualisé. Les entretiens avec le
grand vizir sont eux aussi généralement très protocolaires, quand les circonstances ne
les rendent pas carrément glaciales, mais il y a cependant des exceptions : certains
grands vizirs et certains ambassadeurs nouent à l’occasion des relations plus
personnelles et peuvent avoir des discussions politiques assez poussées à travers
lesquelles les interlocuteurs, faute de se convaincre mutuellement, à tout le moins
échangent des informations. En tout état de cause, ce n’est pas là le cadre dans lequel
la masse des affaires courantes sont traitées. Celles-ci sont présentées par des notes
écrites des ambassadeurs de différents types (‘arz-u hâl, takrîr) qui seront suivies de
réponses, en même temps que d’un jeu de commandements et de lettres diverses
destinés à régler l’affaire. C’est sur ces notes initiales qui n’ont guère retenu jusqu’ici
l’attention des historiens que nous avons entrepris de mettre l’accent. Elles doivent
nécessairement être rédigées en ottoman et la première question que nous nous
sommes posée a eu trait aux auteurs de ce passage à l’ottoman. La question relative à
la rédaction des requêtes est d’ailleurs plus large et s’étend à d’autres textes nécessaires
à l’activité des ambassades, également rédigés ou copiés en ottoman. Elle renvoie à
celle du travail des interprètes. L’importance de ces derniers qu’on appelle drogmans
ou truchements (ottoman : tercümân ou tercemân ; arabe : mutardjim), est
généralement soulignée dans les relations diplomatiques avec la Porte, mais sans
qu’on distingue toujours suffisamment entre les différentes catégories d’interprètes
et qu’on s’interroge sur la répartition des tâches entre elles. Deux catégories
d’interprètes interviennent dans l’activité diplomatique : les drogmans des
ambassades et ceux du divan impérial. Elles se distinguent non seulement par
l’employeur et le statut, mais par l’origine de leurs membres respectifs, leur religion,
leur parcours et leurs compétences. Les drogmans des ambassades ne sont jamais
musulmans (se convertissent-ils, ils sont aussitôt licenciés). Ce sont des chrétiens
(catholiques ou « schismatiques », chaque pays ayant ses préférences), ou des juifs.
Ce sont des sujets dhimmî du Grand Seigneur. Plusieurs Etats essayeront, avec le
temps, de leur substituer des nationaux formés à cet effet, moins dépendants des
Ottomans, moins corruptibles, plus fiables. Colbert crée ainsi en 1669-1670, l’Ecole
des « jeunes de langues » qui, après plusieurs tâtonnements, trouve ses formules
pédagogiques au début du xviiie siècle. Toutefois, les gradués plus ou moins
méritants de cette école ne combleront jamais l’ensemble des besoins des ambassades
et des consulats et le recours aux dhimmî se poursuivra. Les drogmans du divan sont
702 GILLES VEINSTEIN

au contraire des musulmans (ce ne seront des Grecs ou, comme on dira, des
Phanariotes, qu’entre 1669 et 1821), c’est-à-dire en réalité des « renégats », le plus
souvent anciens prisonniers de guerre de provenances diverses (Allemands, Italiens,
Polonais, Hongrois, etc.) convertis à l’islam et passés au service du sultan. Certains
— les drogmans en chef surtout —, jouent un rôle diplomatique de premier plan,
sont ambassadeurs et négociateurs, deviennent très influents et très riches. Si l’étude
des archives des ambassades (celles de France et de Venise ont été particulièrement
prises en considération) mettent bien en évidence le rôle de leurs drogmans comme
traducteurs de l’ottoman en français ou en vénitien, elles ne les montrent pas, d’après
nos premières investigations, traduisant, copiant ou rédigeant en ottoman (même si
nous nous garderons, dans l’état de nos connaissances d’exclure définitivement cette
possibilité). En revanche, nous avons recueilli un certain nombre d’exemples
concrets, appartenant à différentes périodes, entre le xvie et le xviiie siècle,
d’ambassadeurs recourant aux interprètes du divan pour mettre en ottoman les
‘arz-u hâl ou autres notes qu’ils adressent au sultan, au grand vizir ou au kapudan
pașa. Ces derniers rédigeaient soit sur la base d’indications orales, soit en traduisant
un texte préalable en italien. Dans le cas de la France, le texte français était d’abord
traduit en italien par les drogmans de l’ambassade avant d’être remis aux interprètes
du divan qui passaient à l’ottoman. De façon analogue, s’agissant des lettres adressées
par les rois de France aux sultans, les interprètes du divan, en tout cas au xvie siècle,
à une époque où ils ignoraient le français, se tournaient vers les drogmans de
l’ambassade de France pour les aider à établir une première traduction italienne de
ces lettres royales avant d’en faire la traduction ottomane. Dans ces différents cas,
l’italien servait ainsi de langue intermédiaire. Nous constatons également que les
ambassadeurs s’adressaient aussi à des « écrivains » (kâtib) ottomans (pas
nécessairement cette fois des interprètes du divan) pour rédiger des lettres aux
correspondants avec lesquels ils étaient en affaire, leurs propres drogmans n’ayant
manifestement pas les compétences nécessaires, en matière de langue et aussi de
protocole, pour s’acquitter convenablement de cette tâche. En outre, il n’est pas
exclu qu’à l’insuffisance du savoir faire se soient ajoutés des obstacles d’ordre religieux
dans l’utilisation de l’alphabet arabe et de l’ottoman. Nous avons conçu ces résultats
qui sont provisoires et donc donnés avec prudence, comme un préambule à l’étude
proprement dite des ‘arz-u hâl.

Le séminaire a d’autre part accueilli plusieurs exposés de collègues et d’étudiants


avancés en rapport avec le sujet du cours : Elisabetta Borromeo (Collège de France),
« La protection des chrétiens dans le régime des capitulations » ; Edhem Eldem
(Université du Bosphore, Istanbul), « Commerce et diplomatie dans le régime des
capitulations » ; Güneş Işıksel (doctorant EHESS), « Les allocations (ta‘ yin)
accordées par les sultans aux ambassadeurs ; Albrecht Fuess (Universités d’Erfurt
et de Tours ), « Prélude aux relations franco-ottomanes : les sièges de Beyrouth de
1403 et 1520 » ; Frédéric Hitzel (CNRS), « Les résidences des ambassadeurs
occidentaux à Istanbul et à Péra ».
HISTOIRE TURQUE ET OTTOMANE 703

Conférences, colloques, missions

Participation au débat : « Les voies de la base dans l’islam », 10e rendez-vous de l’histoire,
Blois, 21 octobre 2007.
Conférence : « les Turcs ottomans en marche vers l’Occident », Carqueiranne, Var,
Thématique 2007-2008, « Envahisseurs », 25 janvier 2008.
Participation à une rencontre dans le cadre du programme sur les chancelleries musulmanes
médiévales ; Institut d’Etudes anatoliennes, Istanbul (11-12 avril ) : Communication sur les
lettres des sultans ottomans aux rois de France au xvie siècle.
Mission de recherche dans les archives ottomanes de la Présidence du Conseil (Başbakanlık
Osmanlı Arşivleri), Istanbul (14-18 avril ).
Conférence à l’Université Paris-Sorbonne-Abu Dhabi : « L’Empire ottoman et les mers
du sud au xvie siècle ; mer Rouge, Golfe arabo-persique ; mer d’Oman ». Visite des
institutions de recherche historique de l’émirat d’Abu Dhabi (26-29 avril).
Participation au séminaire du Centre d’histoire des relations internationales dans les
mondes modernes de l’Université de Paris-Sorbonne, Paris IV, animé par L. Bély et
G. Poumarède : exposé sur « Les lieux de la diplomatie ottomane » (10 mai).
Participation au colloque : « Antoine Galland et Ali Ufkî Bey interprètes de la civilisation
ottomane » ; centre culturel français d’Izmir. Communication : « A quoi servent les
drogmans ? » (20-21 mai).
Participation à la table ronde « Mamluks, Turcs et Ottomans », Collège de France.
Communication : « Le serviteur des deux saints sanctuaires. Des Mamlouks aux Ottomans »
(30 mai 2008).
Participation au 18e colloque du Comité international d’études pré-ottomanes et
ottomanes (CIEPO), Zagreb, faculté de philosophie, 25-30 août 2008. Organisation et
présentation de l’atelier : « Les fonds d’archives ottomans conservés dans les îles grecques ».
Communication : « Les documents émis par le kapudan pașa dans le fonds ottoman de
Patmos ».

Dans l’année universitaire 2007- 2008, la chaire a été co-organisatrice de trois colloques
internationaux qui se sont tenus au Collège de France :
« Islamisation de l’Asie centrale. Pratiques sociales et acculturation dans le monde turco-
sogdien », Collège de France, 7-9 novembre 2007 (avec M. E. de la Vaissière ; EPHE,
IVe section).
Table ronde « Mamluks, Turcs et Ottomans », 29-30 mai 2008 (avec M. N. Vatin,
EPHE, IVe section, CNRS).
« L’ivresse de la liberté. La révolution de 1908 dans l’Empire ottoman » (5-7 juin 2008,
avec M. François Georgeon, CNRS).

La chaire a reçu le professeur Peter Golden (Rutgers University) qui a donné


quatre conférences sur « Les peuples turciques avant l’Islam » (mai 2008).

Publications

« Comment Soliman le Magnifique préparait ses campagnes. La question de


l’approvisionnement (1544-1545 / 1551-1552) » dans F. Bilici, I. Cândea, A. Popescu, éds.,
Enjeux économiques et militaires en mer Noire (XIVe-XXIe siècles), Braïla, éditions Istros, 2007,
p. 487-532.
704 GILLES VEINSTEIN

« Autour du berat de Pouqueville, commissaire de France à Jannina (1806) » dans


E. Kolovos, Ph. Kotzageorgis, S. Laiou, M. Sariyannis, éds., The Ottoman Empire, the
Balkans, the Greek Lands : toward a social and economic history, Istanbul, Isis, 2007, p. 333-
356.
« Les conditions de la prise de Constantinople en 1453 : un sujet d’intérêt commun pour
le patriarche et le grand mufti » dans Le patriarcat œcuménique de Constantinople aux
XIVe-XVIe siècles : rupture et continuité. Actes du Colloque international, Rome, 5-7 décembre
2005 ; Centre d’études byzantines, néo-helléniques et sud-est européennes, Ecole des hautes
études en sciences sociales, Paris, 2007.
« Les capitulations franco-ottomanes de 1536 sont-elles encore controversables ? » dans
Living in the Ottoman Ecumenical Community. Essays in honour of Suraiya Faroqhi,
V. Costantini et M. Köller, éds., Brill, Leyde Boston 2008, p. 71-88.

Équipe de recherche

Le professeur est membre de l’équipe de l’EHESS et du Collège de France associée au


CNRS, UMR 8032, « Etudes turques et ottomanes », dirigée par M. François Georgeon
(CNRS). Il dirige le pôle « Histoire ottomane » et deux des publications de cette équipe :
Turcica. Revue d’Études turques (Peeters, Louvain), dont le tome 39 (2007), est paru, et la
collection de monographies « Turcica » (un volume paru et trois volumes sous presse en
2007-2008).
Littératures de la France médiévale

M. Michel Zink, membre de l’Institut


(Académie des Inscriptions et Belles-Lettres), professeur

Pour la troisième et dernière année, le cours s’est intéressé, à travers les exemples
proposés par la poésie médiévale, aux divers modes de relation que la poésie peut
entretenir avec le récit ; plus précisément à la façon dont elle peut gagner son statut
poétique et être identifiée comme poésie à travers le récit et non pas malgré lui
comme notre propre conception de la poésie nous induit spontanément à le penser.
Le titre, « La poésie comme récit (suite). Des nouvelles de l’amour », était, bien
entendu, en jeu de mots : la poésie médiévale donne avec prédilection des nouvelles
de l’amour ; les œuvres qu’on a prises en considération sont des nouvelles, au sens
qu’a ce mot dans la terminologie littéraire. Des nouvelles dont le sujet est l’amour,
qui s’enracinent dans des poèmes d’amour et qui sont elles-mêmes des poèmes.

Il y a deux ans, on avait posé la question de la poésie comme récit de façon


générale et théorique, en partant de la notion moderne de poésie pour remonter
ensuite de la poésie contemporaine et de la définition contemporaine de la poésie
jusqu’au Moyen Âge. Car notre idée de la poésie, qui en exclut spontanément et
instinctivement le narratif, est une idée moderne, née avec la « révolution
baudelairienne », Baudelaire lui-même étant largement redevable sur ce point à
Edgar Allan Poe, dont il traduit The Poetic Principle, où il trouve l’idée qu’il ne
peut exister de poésie épique. Elle est confortée plus tard par la notion de poésie
pure, puis par la conception de la poésie comme présence immédiate de l’être ou
du monde. Le cours avait alors tenté de montrer que les médiévistes de la seconde
moitié du XXe siècle (ou les poètes de cette période intéressés par le Moyen Âge)
ont appliqué rétrospectivement au Moyen Âge cette idée de la poésie. C’est
pourquoi ils ont réduit et identifié la poésie médiévale à la poésie lyrique. C’est
pourquoi l’hypothèse que la poésie médiévale était une « poésie formelle » leur a
paru d’autant plus séduisante qu’elle rencontrait leurs propres conceptions et
qu’elle prêtait ainsi une modernité au Moyen Âge et des racines anciennes à la
modernité.
706 MICHEL ZINK

Après ces prolégomènes, le cours s’est penché, la première année, sur la façon dont
l’effusion et le récit théâtralisé du moi se conjuguent dans la poésie du dit telle qu’elle
se développe à partir du début du XIIIe siècle. Une théâtralisation qui peut revêtir,
soit la forme de la caricature de soi-même modelée par le regard prêté à autrui, soit la
forme de l’allégorie décomposant le moi en ses diverses instances et les laissant
s’exprimer ou s’affronter devant le for intérieur. On s’est particulièrement intéressé à
Rutebeuf, représentant exemplaire, non seulement de ces deux mouvements et de
leur combinaison, non seulement de cette dérision de soi-même sous le regard de
l’autre, qui alimentera tout un courant de la poésie française, mais encore de ce que
j’ai appelé une « poésie pauvre », au sens où notre regretté collègue Jerzy Grotowski
parlait de — et pratiquait — un « théâtre pauvre ».

L’année dernière, on a lu les vidas et les razos des troubadours occitans, découvrant
que, sous leur apparence de boniment volontiers railleur et dépréciatif à l’égard des
poètes, de contrepoint souvent humoristique, à la fois terre à terre et farfelu, à leurs
chansons, ces récits, qui semblent se limiter à la plus plate des critiques biographiques
sans même avoir le mérite de la fiabilité, font, sous la forme, déconcertante pour
nous, du récit et non du commentaire critique, une lecture souvent extrêmement
perspicace et pénétrante de cette poésie, dont ils savent révéler les obsessions et les
tourments. Plus encore, la disposition alternée et imbriquée des vidas et razos et
des poèmes, disposition en vue de laquelle vidas et razos ont à l’évidence été
rédigées et qui est celle des chansonniers copiés dans les ateliers de Vénétie, a pour
résultat de faire de ces manuscrits des prosimètres et ainsi d’intégrer chansons et
récits au sein d’une même cohérence poétique.

Cette année, on ne s’est pas contenté de poursuivre l’enquête à travers d’autres


exemples. On l’a mise en relation avec la question même sur laquelle j’avais ouvert,
il y a quatorze ans, mon enseignement au Collège de France. Cette question
touchait à la relation entre la littérature du Moyen Âge et le temps. Je suggérais
alors que cette littérature, et singulièrement cette poésie, se définit et prend
conscience d’elle-même en créant — au besoin de façon illusoire et comme en
trompe-l’œil — l’impression d’une profondeur temporelle et d’un ancrage dans le
passé. C’était le fil directeur de ma leçon inaugurale et de ma première série de
cours. La même question de la relation entre la littérature du Moyen Âge et le
temps a ensuite commandé le cours sur « Froissart et le temps » et celui sur « La
mémoire des troubadours ». Pourquoi la question de la poésie comme récit se
situe-t-elle dans cette perspective ? D’abord parce que l’effet fondateur de la
poétique médiévale repose volontiers sur le souvenir fragmentaire ou estompé
d’une histoire : la poésie naît du démembrement allusif d’un récit rejeté dans le
passé. D’autre part, parce que, si le poème recèle ainsi en lui un récit caché dont
il permet l’affleurement, mais rien de plus que l’affleurement, la latence de ce récit
est soit celle du souvenir, soit celle du possible.

Latence du souvenir : le poème peut se donner pour une allusion à un récit


antérieur. C’est ce qui fonde la poétique de l’épopée et ce qui donne la couleur de
LITTÉRATURES DE LA FRANCE MÉDIÉVALE 707

l’épopée aux chansons de toile. Chrétien de Troyes limite chacun de ses romans au
destin d’un seul héros, tout en l’enrichissant des résonances de l’immense histoire
arthurienne.
Latence du possible, saisissable par une sorte d’aller-et-retour entre le poème et
un récit, dont il ne prétend pas se souvenir, mais qu’au contraire il suscite. Les
textes narratifs pris en considération cette année étaient eux-mêmes des poèmes.
Non pas des poèmes faisant allusion à des récits antérieurs, non pas des récits en
prose expliquant des poèmes antérieurs par des circonstances antérieures aux
poèmes, comme le font les razos étudiées l’année précédente, mais des poèmes qui
sont des récits et qui font allusion à —, utilisent ou remploient des poèmes lyriques
antérieurs, qu’ils mentionnent, qu’ils citent, dont ils s’inspirent ou qu’ils
développent. L’explicitation du récit latent ne se reporte pas à un avant le poème,
mais se veut poème elle-même : un poème nourri de poèmes.
La situation ainsi décrite évoque évidemment celle des lais de Marie de France
au regard des lais lyriques bretons. Cet exemple, si banal soit-il, a été le point de
départ du cours, mais pour mettre en parallèle l’utilisation ponctuelle plus précise
que fait Marie de France d’autres poèmes lyriques, mieux connus que les lais
bretons dont on sait au fond peu de chose, ceux des troubadours. À cet égard, les
lais de Marie de France sont en continuité et en harmonie avec le prolongement
narratif et argumentatif, en même temps que poétique, des chansons de troubadours
qu’offrent les novas occitanes, mais aussi les saluts d’amour, qui ont constitué pour
l’essentiel la matière du cours.
On a cependant commencé par deux mises au point préalables d’histoire littéraire,
mais aussi de réflexion sur les formes et les notions littéraires. L’une touchait la
définition et l’emploi, en français et en occitan, des termes de nouvelle et de novas.
L’autre, impliquée et rendue nécessaire par la relation entre le poème lyrique et le
poème narratif ou discursif qu’il engendre ou auquel il se réfère, portait sur la
conception médiévale de la brevitas et de l’amplificatio.
Aujourd’hui, le mot nouvelle désigne soit une œuvre littéraire narrative brève
(anglais short story), sans référence particulière à l’idée de nouveauté, soit une
information inédite, sans la moindre idée d’une mise en forme littéraire. « Les
nouvelles » désignent spécifiquement les informations diffusées par les média
(anglais news). En moyen français, ce double sens est explicite dans le titre en jeu
de mots des Cent nouvelles nouvelles. Existe-t-il déjà en ancien français ? En principe
non : l’emploi du mot pour désigner une forme littéraire est un emprunt à l’italien
comme cette forme elle-même. En réalité, la situation est plus ambiguë. On a
examiné une nouvelle fois le fameux début, lui-même extraordinairement ambigu
et subtil, du Chevalier au Lion (v. 8-32). Les considérations sur l’amour, le présent,
le passé, la fable et le mensonge, qui bifurquent en incise et s’enchaînent en
rebondissements successifs à partir du v. 14, brouillent la simple opposition entre
« raconter des nouvelles » et « parler d’Amours ». Entre ces deux activités, ces deux
récits, ces deux paroles, on soupçonne des collusions ou des confusions, des
708 MICHEL ZINK

rencontres ou des confrontations à fronts renversés. « Raconter des nouvelles » peut


conduire à « parler d’amour » : c’est ce qui se passera dans le roman, puisque la
« nouvelle » que raconte Calogrenant deviendra l’histoire d’amour d’Yvain. Dans
le passé idéal où le roman entend se situer, parler d’amour, c’est être dans l’ordre
de la vérité, tandis que les nouvelles peuvent être vraies (ainsi, celle de Calogrenant)
comme elles peuvent être des fables ; mais dans le monde présent, celui où le
roman s’écrit, l’amour est du côté de la fable : la vérité est donc insaisissable, et
c’est bien ce que sera, dans l’ordre de l’amour, la leçon ambiguë du roman. Le lien
entre poésie et amour passe par le questionnement sur la vérité du récit et sur celle
de l’amour. L’incertitude demeure, à strictement parler, sur le point de savoir si,
au vers 12 du Chevalier au Lion, le mot « nouvelle » renvoie ou non à une forme
littéraire. Mais en tout état de cause, le contexte montre que ce mot met en branle
pour l’auteur le mouvement d’un jeu ambigu entre récit, fiction, amour et vérité :
un jeu éminemment poétique.
S’agissant des novas, après avoir rappelé que la langue d’oc connaît deux mots,
novas et novella, le premier désignant une forme littéraire, le second une information
inédite, après avoir commenté le fait que novas est un pluriel, après avoir rappelé
la valeur particulière du « nouveau » et de la « nouveauté » au Moyen Âge, on a
défini ce que sont les novas occitanes. En apparence, rien de plus simple : des
poèmes narratifs composés, comme il se doit, en couplets d’octosyllabes et longs
généralement de quelques centaines de vers. En somme, des nouvelles en vers,
comme le sont aussi les lais narratifs. En réalité, les novas occitanes diffèrent
sensiblement de la plupart des nouvelles françaises, que celles-ci soient baptisées,
par les rubriques des manuscrits ou dans le texte même, lais, contes, dits, fabliaux
ou plus tard nouvelles. Elles en diffèrent par le ton, par les résonances littéraires et
souvent même, ou jusqu’à un certain point, par le contenu. Elles ont la particularité
d’être profondément enracinées dans l’univers lyrique, de se vouloir le prolongement
des chansons des troubadours et de paraître juger cette relation ou ce dialogue avec
les chansons plus importants que l’intérêt ou le piquant de l’anecdote qu’elles
relatent. On peut même se demander si c’est vraiment la narration qui définit les
novas, et non pas plutôt la glose poétique de la poésie, la poursuite de la poésie
lyrique par une voie poétique non lyrique.
Ce trait, si important au regard du sujet du cours, n’a rien d’étonnant : quoi
qu’on ait dit pour essayer de prouver le contraire, par exemple en supposant sans
preuves qu’une partie importante de cette littérature a été perdue, la littérature
occitane du Moyen Âge est essentiellement lyrique, centrée sur le lyrisme, et les
genres narratifs y ont connu un développement remarquablement réduit. Le titre
du beau livre d’Alberto Limentani, brillant philologue italien trop tôt disparu,
L’eccezione narrativa décrit parfaitement cette réalité. Au reste, les novas rimadas
elles-mêmes ne sont pas très nombreuses : à peine dix, et en ratissant large. Dans
le volume Nouvelles courtoises occitanes et françaises (Lettres gothiques, 1997),
Suzanne Thiolier-Méjean en retient six, mais la première, dont l’intérêt est en soi
immense, constitue un cas si particulier qu’elle n’est réunie aux autres que parce
LITTÉRATURES DE LA FRANCE MÉDIÉVALE 709

que, précisément, le corpus est si mince. C’est le Roman d’Esther, adaptation en


langue d’oc du livre biblique par un auteur juif et copiée en caractères hébreux.
Les autres sont Castia Gilos attribué au catalan Raimon Vidal de Besalú, En aquel
temps c’om era gais, qui est certainement de lui, Las novas del papagay d’Arnaud de
Carcassès, Frayre de Joy et Sor de Plaser, Lai on cobra sos dregs estatz de Peire Guilhem
de Toulouse. Il faut y ajouter Abrils issi’e mays intrava, encore de Raimon Vidal.
Cette liste pourrait à la rigueur être augmentée des trois poèmes provençalo-
catalans publiés par Amédée Pagès dans Romania en 1891 et, bien qu’il s’agisse
plus d’un « vrai » roman, d’une œuvre récemment exhumée, malheureusement
mutilée et difficilement classable, La ventura del cavaller N’Huc et Madona
(« L’aventure du chevalier Hugues et de Madame »), publiée par ses inventeurs,
Lola Badia et Amadeu J. Soberanas.

La porosité de la frontière entre les novas et les chansons des troubadours a


conduit à prendre en compte un autre type de poèmes, qui ne sont pas non plus
des poèmes lyriques, car ils ne sont pas chantés, mais qui sont plus proches du
lyrisme courtois que ne le sont les novas, car ce sont des poèmes subjectifs, à la
première personne, dans lesquels le poète est supposé s’épancher : les « saluts
d’amour », qui traitent les mêmes thèmes que les chansons, mais se présentent
comme des épîtres en vers (en couplets d’octosyllabes) adressées par le poète à sa
dame. Le salut d’amour pousse à son terme la tendance de la canso au discours
argumentatif et persuasif.

« Les uns racontaient des nouvelles, les autres parlaient d’amour », dit Chrétien
de Troyes. Les novas réunissent les deux activités. Elles se situent au point où ces
deux activités ne font qu’une. Ce sont des nouvelles d’amour et des nouvelles de
l’amour. Elles méditent et elles glosent sur l’amour et sur la condition de l’amoureux
à partir de cas et à partir de poèmes — autrement dit à partir d’un corpus passé
de l’amour, qui se prête à l’extrapolation et au commentaire. Leur refus de distinguer
l’anecdote de la casuistique dit encore autre chose : que ce qui est nouveau, ce n’est
pas seulement une histoire inédite, mais aussi la méditation toujours fraîche et
renouvelée — « nouvelle » au sens médiéval du terme — de la poésie.

En conclusion à ce développement, le début des Razos de trobar de Raimon


Vidal de Besalú a permis de mieux cerner encore la place qui, à ses yeux, est celle
des novas au regard du trobar. Les novas ne donnent pas directement des nouvelles
du monde, elles ne racontent pas directement le monde, elles ne méditent pas
directement sur lui. Elles racontent et glosent cette mémoire du monde qui est
condensée et recelée dans la poésie. Les novas, récits et débats en vers fondés sur
les chansons des troubadours, montrent bien ainsi que pour leurs auteurs la poésie
ne relève pas du récit à sa source, mais se prête à des prolongements dans l’ordre
du récit. À l’origine de la poésie, il y a le chant, enthousiasme se manifestant au
printemps par des variations mélodiques de la voix chez le troubadour comme chez
l’oiseau ; tout le reste en est, d’une façon ou d’une autre, le développement. Et
Raimon Vidal prête spécifiquement à cette poésie chantée des troubadours, que
710 MICHEL ZINK

nous désignons aujourd’hui sous le nom de poésie lyrique, une importance


immense, prodigieuse, mystérieuse aussi, puisqu’elle est la mémoire du monde :
Et tot li mal e˙l ben del mon son mes en remembrance per trobadors. Et ja non trobares
mot (ben) ni mal dig, poi[s] trobaires l’a mes en rima, que tot jorns [non sia] en
remembransa, car trobars et chantars son movemens de totas galhardias.
Et tout ce qu’il y a au monde de mal et de bien est mis en mémoire par les troubadours.
Et vous ne trouverez pas une parole ni un propos satirique, dès lors qu’un troubadour l’a
mis en rime, qui ne soit désormais toujours en mémoire, car composer de la poésie et
chanter sont la source de tout élan d’audace joyeuse.

Le second point liminaire, la poésie entre brevitas et amplificatio, ne pouvait


être évité. Le poème narratif greffé sur un poème lyrique en est le développement.
Le salut d’amour exploite systématiquement les arguments ébauchés par la canso
pour toucher le cœur de la dame. À l’inverse, le poème lyrique qui se veut l’écho
d’un récit s’y réfère brièvement ou de façon allusive. Ils ne le font pas
spontanément ni inconsciemment, mais se réfèrent aux notions de brevitas et
d’amplificatio, très présentes dans la réflexion médiévale sur l’art littéraire.
Attentif comme il l’est aux enseignements de la rhétorique latine classique, qu’il
étudie sans cesse et qu’il reproduit à sa manière dans les Artes dicandi,
praedicandi, dictaminis, le Moyen Âge sait l’importance de la brevitas comme de
l’amplificatio dans la composition littéraire. Mais il ne leur donne pas le même
sens que l’Antiquité, comme Curtius et d’autres l’ont abondamment montré. La
brevitas antique doit caractériser la narratio, mais au sens où l’entend l’éloquence
judiciaire, c’est-à-dire le récit des faits relatifs à la cause plaidée. Pour le Moyen
Âge, tout récit est narratio, et tout récit doit donc idéalement être bref. Il
recherche donc un peu mécaniquement la brevitas et en fait systématiquement
l’éloge. Mais il connaît aussi le procédé inverse. Les Artes dicandi enseignent à la
fois l’abbreviatio et la dilatatio ou amplificatio. En un sens, l’association et
l’opposition des deux procédés inverses remonte à Quintilien : amplificare vel
minuere (VIII, 4, 1). Mais ce que Quintilien nomme amplificatio n’est pas
l’allongement, mais l’insistance, qui permet, par divers procédés de style, de
donner de l’importance à ce qui sert l’argumentation ou l’effet recherché, minuere
désignant à l’inverse une atténuation qui peut revêtir d’autres formes que celle de
l’abrègement (euphémisme, prétérition, etc.). Il donne même des exemples où
l’amplificatio se fonde sur la brièveté. Curtius cherche par quels cheminements
(saint Jérôme, Cassiodore) on est passé à l’idée que l’amplificatio est l’allongement
et s’oppose à la brevitas. Peut-être peut-on aussi rapprocher très simplement cette
évolution du fait que le vulgaire roman est syntaxiquement une langue de la
coordination, de l’enchaînement narratif, et non de la subordination rhétorique :
il est naturel que des auteurs dont il est la langue maternelle conçoivent d’abord
le style en termes d’allongement et d’abrègement.
Et la poésie comme récit, dans tout cela ? Curtius clôt le chapitre XIII de son
grand livre en suggérant qu’on était au Moyen Âge « lassé des longueurs de
l’épopée ». En réalité, les chansons de geste ne cessent de s’allonger, parfois dans
LITTÉRATURES DE LA FRANCE MÉDIÉVALE 711

des proportions considérables. Jean Rychner a montré que leur évolution va vers
l’allongement des laisses et vers la narration linéaire au détriment des laisses courtes
et répétitives, des effets de ressac, de refrain et d’écho.
D’une façon générale, l’allongement accompagne la narration, conformément au
génie de la langue vulgaire. La brièveté est un phénomène lyrique : expression
ramassée et énigmatique des troubadours, recours à des mètres très brefs,
interruptions et rupture de la strophe et du refrain — surtout, bien entendu, du
refrain inséré. Il est naturel dès lors que l’allongement soit, plus qu’une tendance,
un procédé et un effet du poème narratif fondé sur un poème lyrique. Son auteur
a conscience sans doute de pratiquer l’amplificatio. Les novas développent par le
récit aussi bien que par l’argumentation une situation typique impliquée,
généralement de façon allusive, par les chansons des troubadours (jalousie, obstacles
à la rencontre des amants, rigueur de la femme aimée, tentation de céder aux
avances d’une maîtresse plus complaisante) ; les saluts d’amour le font aussi dans
un registre plus personnel et d’un point de vue subjectif qui est le même que celui
des chansons. Les lais français à sujet breton revendiquent la même démarche à
partir du récit « latent » des lais lyriques bretons — une latence dont la nature est
difficile à définir, faute de connaître assez précisément ces lais lyriques — et
l’appliquent aussi, mais cette fois sans le dire, aux chansons des troubadours.
Ce sont ces points qui ont été examinés d’abord. La question du lai lui-même a
été tellement étudiée et depuis si longtemps qu’il était inutile d’y revenir, sinon
pour un bref rappel. On le sait, le mot lai apparaît pour la première fois au
IXe siècle sous la forme loîd dans un court poème irlandais copié dans un manuscrit
de Priscien. Qu’il s’agisse d’un manuscrit de Priscien est évidemment le fait du
hasard. Mais enfin, on ne peut s’empêcher de relever que Marie de France s’abrite
derrière l’autorité de cet auteur (ceo testimoine Preciëns) dès le prologue de ses lais,
pour dire que les anciens s’exprimaient dans leurs livres avec une obscurité
volontaire, afin de provoquer la perspicacité du commentaire de leurs successeurs.
Pourquoi Priscien ? Ses Institutiones grammaticae, qui étaient au Moyen Âge le
manuel classique pour l’apprentissage du latin, sont remarquables par leurs
nombreuses citations d’auteurs anciens. Au moment de développer des poèmes
allusifs, fragmentaires peut-être, de façon à en révéler le sens, Marie invoque
l’auteur dans lequel la femme savante qu’elle est a appris le latin, mais qui est
surtout un auteur célèbre pour avoir rassemblé des fragments poétiques. Le moine
irlandais qui, vers 830-850, a copié dans un manuscrit de Priscien quelques vers
d’un poème l’a-t-il fait mû par une association de pensée du même genre ? On y
lit : « Une haie d’arbustes m’entoure ; pour moi, en vérité, le merle agile chante
son loîd… » Ce mot désigne à l’évidence une composition musicale ou un chant,
ce qui permet de l’appliquer métaphoriquement au sifflement du merle. Le loîd se
définit donc à coup sûr comme une pièce essentiellement musicale. C’est ce qui
ressort des premières attestations de loîd, puis, à partir de 110, de laid, comme de
Leih et de Leich en allemand. Quelle que soit son origine, le mot Lai — Leich
s’applique, semble-t-il, à des compositions lyriques fondées sur la transposition
712 MICHEL ZINK

dans les langues celtiques ou germaniques du vers rythmique latin, et cela à une
époque assez haute pour que la question ne se soit pas posée pour les langues
romanes, non encore réellement différenciées du latin. S’agissant de l’irlandais, on
trouve, à l’intention des apprentis poètes, des exemples de laid, au texte souvent
hermétique ou en apparence incohérent, dans le célèbre Livre de Leinster (vers
1160) et dans quelques autres manuscrits. À partir de là, on peut suivre l’histoire
de la forme poétique et musicale appelée lai ou Leich tout au long du Moyen Âge,
et dans toutes les langues, sans autre difficulté que celles — considérables —
qu’offrent son instabilité formelle et sa complexité musicale.
Or, dès son apparition en français, au XIIe siècle, au moment, à peu de chose
près, où est copié le Livre de Leinster, le mot peut désigner aussi une nouvelle ou
un conte, sans la moindre référence musicale : Marie de France, auteur qui écrit
en français, mais connaît aussi, outre le latin, l’anglais et le « breton » (c’est-à-dire
une langue celtique), dit s’inspirer de « lais bretons » pour composer des contes en
vers qu’elle appelle des « lais ».
Mais les appelle-t-elle vraiment ainsi ? N’est-ce pas nous qui sommes à la fois
contraints et justifiés de leur donner ce nom par le fait que le mot lai, par une
extrapolation de l’usage qu’elle en fait, est employé après elle, pour désigner des
contes en vers plus ou moins analogues aux siens ? Ce débat ancien a, pour
l’essentiel, été clarifié depuis longtemps, entre autres par la belle analyse de Martín
de Riquer, « La ‘aventure’, el ‘lai’ y el ‘conte’, en Marie di Francia », dans Filologia
Romanza II, 1, p. 1-19. On a cependant examiné systématiquement les occurrences
du mot lai chez Marie de France et dans les « lais anonymes », au début et à la fin
de chaque pièce ainsi que dans le prologue de Marie. D’une part, le caractère
musical des lais bretons dont s’inspirent les « lais narratifs » ne fait aucun doute et
est mentionné à plusieurs reprises, sans ambiguïté. D’autre part, Marie de France
ou l’auteur anonyme disent toujours qu’ils racontent « l’aventure du lai », l’histoire
à partir de laquelle les Bretons ont fait un lai. Les deux traits se combinent de
façon significative au début du lai anonyme de Doon :
Doon, cest lai sevent plusor : Doon : ce lai, beaucoup le connaissent ;
N’i a gueres bon harpëor il n’y a guère de bon harpeur
Ne sache les notes harper ; qui ne sache en jouer la mélodie sur la harpe.
Nes je vos voil dire e conter Et moi aussi, je veux vous dire et vous raconter
L’aventure dont li Breton l’aventure à partir de laquelle les Bretons
Apelerent cest lai Doon. appelèrent ce lai Doon. (v. 1-6)
Tous les bons musiciens savent jouer le lai de Doon ; de son côté, l’auteur va
raconter l’aventure à partir de laquelle les Bretons ont appelé ce lai Doon. Mais
jamais l’auteur ne dit que le conte qu’il compose est un lai. Sur trente-cinq ou
trente-six occurrences de ce genre, on en trouve une seule, au début de Bisclavret,
dans lequel le mot lai paraît désigner les contes mêmes composés par Marie de
France. On a longuement commenté ce passage, rendu ambigu par une erreur de
transcription du manuscrit (unique en cet endroit) dans les deux éditions de
référence et par une inexactitude de traduction fondée sur cette erreur même. On
LITTÉRATURES DE LA FRANCE MÉDIÉVALE 713

a suggéré que le scribe de ce manuscrit British Library Harley 978, copié entre
1261 et 1265, comme celui du manuscrit BnF nouv. Acq. fr. 1104, copié à la fin
du XIIIe ou au début du XIVe siècle, qui réserve une section aux « Lais de
Bretaigne », pouvaient donner au mot lai le sens de « conte en vers » que Marie
elle-même ne lui donnait pas encore.
Bref, le processus est le suivant : une aventure se produit ; les Bretons en gardent
la mémoire en composant un lai musical, joué sur la harpe, sans doute avec des
paroles, en attachant une grande importance au nom par lequel le lai est désigné ;
Marie (ou l’auteur anonyme) raconte l’histoire, c’est-à-dire remonte à l’aventure
dont le lai conserve la mémoire.
Mais alors, si on va de l’aventure à l’aventure, pourquoi ne pas faire l’économie
du lai intermédiaire ? Pourquoi en faire état ? Parce qu’il est la source ? Mais la
source est-elle le lai musical ou ce qu’on racontait à son propos et autour de lui,
peut-être comme une introduction avant de l’interpréter, l’histoire à laquelle on le
rattachait, sa razo en somme ? Le lai n’est mentionné que comme résonance
poétique et ancrage dans la tradition.
Marie considère le récit qui lui fournit la matière de son conte, et qu’elle appelle
« l’aventure », comme la razo de la pièce poétique et musicale qu’est le lai breton.
Elle le dit en ces propres termes au début d’Eliduc :
D’un mult anciën lai bretun
Le cunte e tute la raisun
Vus dirai… (v. 1-3)

Il est clair que l’expression dire le conte et la raison d’un lai — le lai étant une
pièce musicale et poétique — signifie développer le récit latent, aliment du poème
chanté et que le poème — à supposer même qu’il n’ait pas été purement musical
— ne peut aborder que de façon allusive. Pourtant la situation, tout en étant
analogue, est très différente de celle des razos des troubadours. Si l’on va de
l’aventure à l’aventure en supposant — mais en supposant seulement — le lai
lyrique entre les deux, cela implique, non que la razo qu’est le conte de Marie de
France approfondit la poésie du poème, comme le feront les razos dans les
chansonniers occitans, puisque ce poème est absent, puisque la razo en est le
succédané et est composée précisément pour qu’il ne soit pas oublié, comme le dit
Marie dans son prologue. C’est donc l’idée du poème absent, sa trace, l’affirmation
obstinée, répétée, qu’elle veut en sauver la mémoire, qui poétisent le conte de
Marie de France. C’est pour cela qu’elle a besoin de le mentionner et qu’elle ne
peut aller directement de l’aventure à l’aventure, du récit dont le lai garde la
mémoire à son propre récit. Car, comme on l’a montré à partir de nombreux
exemples, mais particulièrement ceux de Chaitivel et du Lecheor, on porte une
attention presque maniaque au titre du lai : c’est tout ce qui reste du lai breton
dans le conte ; c’est le titre qui marque le conte comme le prolongement poétique
d’un poème.
714 MICHEL ZINK

Le lai narratif n’existe que par métonymie. Si ce mot a fini par désigner un conte
racontant une histoire qui a d’autre part inspiré un poème, c’est que Marie de
France a réussi à persuader ses lecteurs que le conte ne peut exister sans le poème,
que l’histoire en elle-même n’est rien sans cette mémoire fragile et allusive qui en
oublie les péripéties et en concentre l’émotion. Son art de conteuse est pénétré de
cette conviction. La poésie de ses récits est de donner l’impression que ses récits
s’enracinent dans des poèmes qui ne racontent pas tout.

Rappelons-nous son prologue, et l’allusion à Priscien : Marie invoque l’auteur


ancien d’un traité de grammaire qui est également lu comme une anthologie de
citations — autrement dit comme un recueil de fragments — pour dire que le sens
des œuvres ne se découvre que peu à peu et que la réflexion des générations
successives l’approfondit. Pour montrer que, même si elle a renoncé à adapter une
œuvre latine, son travail et son ambition restent les mêmes, elle doit mettre en
évidence que ses contes se fondent chaque fois sur des poèmes produits par chacune
des ces histoires, mais qui ne la racontent pas, puisque, précisément, ce sont des
« morceaux » musicaux et poétiques. À elle d’en retrouver le sens et de l’approfondir.
Le sens, ce n’est pas seulement une idée ou une leçon abstraites. C’est l’ensemble
des effets, des résonances, des prolongements, des émois indicibles, des nœuds
affectifs que recèle le poème et que, dans la pratique médiévale, comme les razos
des troubadours le montrent, le récit peut mettre au jour aussi bien que l’analyse
ou le commentaire critiques. Celui qui a le mieux compris, dans cet esprit, la
relation entre le lai musical et le récit, c’est, une fois de plus, Dante, comme on le
voit au chant IX du Purgatoire (v. 13-15).

Il avait été souligné au début du cours que les novas s’enracinent explicitement
dans les chansons des troubadours et qu’elles les citent constamment, tandis que
les lais de Marie de France, qui s’enracinent explicitement dans les lais bretons, ne
les citent jamais, à l’exception de leurs titres : le rapport du récit en vers au poème
lyrique est donc entièrement différent. Mais ce qui rapproche les lais de Marie de
France des novas, c’est qu’ils sont également redevables aux chansons de troubadour,
sans jamais cependant les citer ni s’en réclamer. Comment s’en étonner ? Quelle
qu’ait été l’identité de Marie de France, il ne fait pas de doute qu’elle ait été liée
au milieu Plantagenêt. C’est aussi le cas d’un grand nombre de troubadours, entre
autres de Bernard de Ventadour. Car même s’il n’est pas absolument certain que
le senhal « Mon Aziman » désigne Aliénor d’Aquitaine et même si les renseignements
que donne sur elle la vida écrite par Uc de Saint-Circ sont erronés, il n’en demeure
pas moins qu’il dédie explicitement deux chansons à Henri II Plantagenêt et qu’il
semble bien, à lire la chanson Lancan vei per mei la landa, être allé en
Angleterre.

L’exemple retenu pour illustrer l’usage que fait Marie de sa connaissance des
troubadours a été son emploi de surplus, comme euphémisme désignant les faveurs
ultimes accordées par une femme, au v. 533 de Guigemar, par comparaison, non
seulement avec le même emploi dans un passage fameux du Conte du Graal de
LITTÉRATURES DE LA FRANCE MÉDIÉVALE 715

Chrétien de Troyes, mais aussi avec celui, dans le même sens, de plus au v. 18 de
la chanson Be˙m cuidei de chantar sofrir de Bernard de Ventadour :
E car vos plac que˙m fezetz tan d’onor Et puisqu’il vous a plus de me faire tant
d’honneur
Lo jorn que˙m detz en baizan vostr’amor, le jour où vous m’avez donné d’un baiser
votre amour,
Del plus, si˙us platz, prendetz esgardamen ! pensez, s’il vous plaît, au plus !

De même qu’en commençant l’une des chansons où il fait mention à la fois du


roi d’Angleterre et de son « Aimant » par Ge˙s de chantar no˙m pren talan, Bernard
reprend, mais en l’inversant, le premier vers de la célèbre chanson d’adieu de son
prédécesseur Guillaume IX, le premier troubadour, Pos de chantar m’es pres talentz,
de même ces vers font très certainement allusion à la quatrième strophe de la
chanson du même Guillaume IX, Ab la dolchor del temps novel, dans laquelle le
comte se souvient du jour où celle qu’il aime lui a accordé son amour :
Enquer me membra d’un mati Il me souvient sans cesse d’un matin
Que nos fezem de guerra fi, où nous avons mis fin à la guerre,
E que˙m donet un don tan gran, et où elle me fit ce don immense :
Sa drudari’e son anel. son amour et son anneau.

À ce point, Bernard, qui s’est fait l’écho de son prédécesseur presque jusqu’au jeu
de mots (que˙m donet un don tan gran dans la chanson de Guillaume IX, que˙m
fezetz tan d’onor dans la sienne), souhaite obtenir en plus le « plus ». Et Guillaume,
que souhaitait-il ? Les deux vers qui terminent la strophe sont bien connus :
Enquer me lais Dieux viure tan Que Dieu me laisse vivre assez longtemps
C’aja mas manz soz so mantel ! pour que j’aie (un jour) mes mains sous son
manteau !

Les deux poèmes sont ceux d’amants heureux, mais qui pourraient l’être davantage.
Chacun imagine à sa manière le surplus qui portera au comble sa félicité et chacun
l’exprime à sa manière, tous deux partageant le souci de ne pas l’exprimer jusqu’au
bout et de ne pas dire l’indicible. Bernard dissimule l’indicible sous le voile de
l’euphémisme en en disant effectivement le moins possible et en se contentant de la
brièveté abstraite du monosyllabe « plus » ; Guillaume s’abandonne à une
imagination audacieuse, mais à l’audace retenue. Au lieu du voile métaphorique
d’un bref mot imprécis (plus), il use d’un voile matériel, concret : le manteau sous
lequel se glissent les mains et qui voile, qui dissimule leur geste avide. Voile, ou, pour
utiliser les termes qui étaient à cette époque même, chez les chartrains, ceux de
l’herméneutique et de la poétique, involucrum, integumentum : termes qui désignent
une étoffe, un vêtement, une enveloppe qui recouvre et dissimule — l’étoffe, le voile,
le vêtement des figures poétiques ou du sens littéral qui recouvrent et dissimulent le
sens second, que la perspicacité du lecteur doit mettre au jour. L’étoffe, le voile, le
vêtement : autant dire le manteau. Guillaume nomme l’integumentum concret,
littéral, qui, concrètement, dissimule l’objet du désir et sa poursuite. Bernard recourt
à l’integumentum métaphorique, celui des mots et, puisqu’il s’agit de dissimuler
716 MICHEL ZINK

l’indicible, il emploie le mot le plus bref possible, le plus général possible. « Plus ! » :
en une seule syllabe, le cri de l’insatiable.

Marie, pour sa part, raconte, étape par étape, la rencontre, l’amour naissant, l’aveu,
les premières privautés entre Guigemar et la jeune femme enfermée par son mari
jaloux, auprès de laquelle l’a conduit la nef enchantée. Parvenue au moment où la
pudeur interdit au récit de se poursuivre avec le même détail, elle se souvient du
« plus » de Bernard de Ventadour et y recourt. Mais ce n’est qu’alors, dans le cadre du
récit développé, que ce « plus », développé, allongé lui-même en « surplus », joue
véritablement son rôle d’euphémisme. Il marque, avec une discrétion apparente et,
en réalité, une certaine complaisance, une ellipse dans le récit, des points de
suspension. Les troubadours, pour leur part, situent leur poème tout entier au point
exact où il n’y a pas de récit : rien que la requête, nourrie du souvenir de ce qui s’est
passé et de l’attente de ce qui pourrait se passer. Au moment même du poème, il n’y
a rien à raconter, il ne se passe rien. Dans cette pause du récit, le monosyllabe « plus »
éclate, résonne, emplit l’imagination, comme le font aussi les mains dont le manteau
dissimule l’audace : le « plus » et les mains sous le manteau n’agissent pas comme des
euphémismes, mais plutôt comme une amplification assourdissante, aveuglante de
trop de proximité. Une telle proximité du désir que l’amant y est immergé, n’entend
plus résonner qu’une syllabe, ne voit plus ce qui lui est trop proche.

Marie de France, au contraire, utilise le « surplus » pour atténuer, pour détourner


le regard du lecteur des deux amants couchés ensemble et placer en écran devant lui
la connaissance abstraite de ce que « les autres ont l’habitude de faire » dans ce genre
de circonstances. Dans ce cas précis, c’est en glissant sur le « surplus » et en substituant
au récit le renvoi allusif à une expérience commune et à une connaissance générale
qu’elle fait pour un instant de la poésie lyrique le soutien et le substitut de son récit et
qu’elle préserve, mais en en gauchissant le sens, le suspens du poétique dans le
déroulement de ce récit. Peut-être procède-t-elle de la même façon au regard des lais
bretons. Peut-être existe-t-il une relation analogue entre les développements et les
silences de ses récits d’une part, les paroles et les silences des lais bretons d’autre part,
mais nous n’en savons rien, faute de connaître ces lais. Nous devons bien nous
contenter des poèmes dont, dans le détail, elle s’inspire : ceux des troubadours.

On a ensuite étudié la situation des saluts d’amour entre chanson et roman à partir
d’une comparaison entre l’insomnie amoureuse de Didon dans le Roman d’Enéas, qui
développe en près de quarante vers les cinq célèbres premiers vers du Livre IV de
l’Enéide, et celle du poète Arnaud de Mareuil, évoquée plus longuement encore dans
son premier salut d’amour, Dona genser qe ne sai dir. Cet examen, trop minutieux et
trop long pour être ici résumé, a fait appel à bien d’autres poèmes, de Cligès à Cerveri
de Girona et à Auzias March, en passant par d’autres troubadours et par le troisième
salut d’amour d’Arnaud de Mareuil lui-même. Il a mis en évidence, au-delà de
l’identité des motifs et des détails, la tension poétique dans le salut d’amour entre une
narration ordonnée et un ressassement obsessionnel dont le caractère onirique et le
bouleversement sensuel se révèlent dans des détails, comme l’emploi particulier de
LITTÉRATURES DE LA FRANCE MÉDIÉVALE 717

deves ou le fait que le poète compare la satisfaction érotique qu’il lui semble éprouver
en rêve à celle, non des amoureux, mais des amoureuses illustres.
Au bout de cette nuit passée dans les tourments amoureux, dans les ambiguïtés,
dans les contradictions et dans les obsessions de l’amour, Arnaud ne se lèvera pas,
comme Didon, pour aller se confier à sa sœur Anne. L’histoire est ressassée, et non
pas poursuivie. La poésie est bien une poésie du récit, mais d’un récit conçu
comme une exploration des strates de la conscience, un approfondissement et un
ressassement, non comme la succession de péripéties nouvelles.
Enfin, la relation entre les novas et les chansons a été abordée sous deux angles.
D’une part, les novas comme développement des chansons. Ce point a été illustré
par la plus connue des novas, la Nouvelle du perroquet, et les questions posées par
sa tradition manuscrite. Seul le ms. R poursuit le récit jusqu’à l’incendie du château
par le perroquet, qui permet ainsi aux amants de se retrouver brièvement pendant
que tout le monde est occupé à éteindre le feu. Les autres manuscrits s’arrêtent au
moment où le perroquet rend compte à son maître du succès de son ambassade
ou concluent par un débat amoureux entre la dame et le chevalier.
On voit l’intérêt que présente pour nous cette situation. La nouvelle développe
sous forme narrative la thématique des chansons, qu’il s’agisse des arguments du
débat amoureux, du cadre du verger, du motif du jaloux et plus encore de celui de
l’oiseau messager. Mais, selon les versions, elle la développe plus ou moins et elle la
développe différemment. Les manuscrits qui s’arrêtent au vers 140 présentent une
version proche des chansons : pour le thème, sinon pour l’esprit, on n’est pas si loin
des deux chansons de l’estournel de Marcabru. Les manuscrits qui se terminent par
un débat amoureux entre la dame et le chevalier restent dans la tonalité lyrique, en
poussant dans la direction qui est celle des autres novas, celle de la casuistique
amoureuse. Le manuscrit R déplace l’intérêt sur une péripétie de fantaisie, métaphore
du feu de l’amour et preuve que la passion ne recule devant rien. C’est sa version qui
a fait la gloire de la nouvelle, sans que l’on puisse savoir si Arnaud de Carcassès, qui
se l’attribue et dont le nom n’apparaît que dans cette version et dans ce manuscrit,
est un remanieur de la version brève antérieure ou s’il est l’auteur de l’œuvre entière.
Bien que des arguments puissent être invoqués dans les deux sens, on a suggéré que
la version brève pourrait bien être la version d’origine, comme le pensaient les
premiers philologues à s’être penchés sur ce texte.
Cette nouvelle est une variation sur le motif de l’oiseau messager, entraînée hors
du cadre lyrique qui lui est habituel. La fantaisie et le fantastique du motif sont
naturels à la chanson et y trouvent leur place sans effort par la grâce de la brièveté
allusive du poème. Mais ils ressortent fortement dès lors qu’ils sont développés par
le récit. Au lieu d’être voilés et spontanément acceptés, ils sont mis en valeur et
soulignés par l’outrance et le comique du personnage du perroquet, bavard habile
et satisfait de lui-même, vrp de l’amour. Il n’est pas étonnant que cette tendance
ait été accentuée par l’épisode lui-même outrancier de l’incendie du château.
718 MICHEL ZINK

D’autre part, on a étudié le recours aux citations des troubadours dans les novas
à partir d’une citation de Raimbaut d’Orange légèrement modifiée par Raimon
Vidal de Besalú pour être insérée dans En aquel temps c’om era gais, avec pour
conséquence, non seulement une banalisation de la forme, mais aussi une
modification du sens, alors même que les changements paraissent insignifiants.
La conclusion générale a, entre autres, tenté de montrer pourquoi le dialogue
entre le narratif et le lyrique a pour effet d’imposer au premier une esthétique du
fragment.
À Paris, après une ouverture par le professeur, le séminaire, en relation avec le
cours, a accueilli six invités. Le 15 janvier 2008, Milena Mikhailova, maître de
conférences à l’université de Limoges : « Entre pierreries et ombres, contez, vous qui
savez de nombre. L’accomplissement du chant courtois. » Le 22 janvier, Véronique
Dominguez, maître de conférences à l’université de Nantes : « Le théâtre comme
récit : remarques sur la poétique de la Passion de Semur (XVe siècle). » Le 29 janvier,
Nathalie Koble, maître de conférences à l’École Normale Supérieure : « Abréger les
romans en prose : « visce de mauvais escrivain » ou art poétique du translater ? »
Le 5 février, Carla Rossi, docteur ès lettres : « Posture d’auteur et choix identitaire :
si sui de France. » Le 12 février, Sylvie Lefèvre, professeur à l’université de Tours :
« La tentation lyrique ou allégorique des saluts-complaintes. » Le 19 février, Andrea
Valentini, ingénieur de recherche au Collège de France : « Le récit comme poésie :
les monologues lyriques dans quelques romans arthuriens en vers des XIIe et XIIIe
siècles. »
Le séminaire s’est poursuivi à l’université de Chicago le vendredi 11 avril 2008,
sous la forme d’un colloque réuni autour de Michel Zink à l’initiative de Daisy
Delogu sur le thème : « Ce que la poésie raconte. » L’exposé d’ouverture de Michel
Zink a été suivi des communications suivantes : Elizabeth Poe (Tulane University),
« In the Beginning was the Razo » ; H. Justin Steinberg (University of Chicago),
« Making Poems Tell Stories in Dante’s Vita Nuova » ; Kevin Brownlee (University
of Pennsylvania), « Poetry, Music and Narrative in Guillaume de Machaut’s
Motets » ; David Hult (University of California, Berkeley), « Thoughts of the mise
en scène of the lyric voices : Alain Chartier’s Belle Dame sans Mercy » ; Nancy
Freeman Regalado (New York University), « Who tells the stories of poetry / Qui
raconte la poésie ?: Villon and his Readers ». Le colloque s’est conclu sur une table
ronde animée par Claudio Giunta (Università degli studi di Trento), Alison James
(University of Chicago), Mark Payne (University of Chicago) et Eleonora Stoppino
(University of Illinois, Urbana-Champaign).
S’agissant du cours, six heures ont été délocalisées à l’université de Toulouse II,
à l’université de Chicago et à l’université de Bonn.
Toutes les heures de cours données à Paris ont été diffusées par France-Culture
dans le cadre de l’émission « Éloge du savoir » et sont disponibles en podcast sur
le site du Collège de France.
LITTÉRATURES DE LA FRANCE MÉDIÉVALE 719

Activités du professeur

Publications

Livre
Un portefeuille toulousain, Paris, Éditions de Fallois, 2007, 234 p.

Articles
« Paul Zumthor. La vie ouverte en poésie », dans Paul Zumthor. Traversées, sous la
direction d’Eric Méchoulan et de Marie-Louise Ollier, Presses de l’Université de Montréal,
2007, p. 187-193.
« La frontière et la définition de la littérature », dans L’idée de frontière dans les littératures
romanes. Actes du Colloque international, Sofia, 25-27 février 2005. Textes réunis par Stoyan
Atanassov, Presses Universitaires de Sofia « Saint Clément d’Ohrid », 2007, p. 14-21.
« Medioevo al presente », dans Il Sole — 24 Ore, 9 septembre 2007, p. 32 (trad. Carlo
Ossola).
« Conclusions », dans La place de la musique dans la culture médiévale. Actes du Colloque
organisé à la Fondation Singer-Polignac le mercredi 25 octobre 2006. Édités par Olivier
Cullin, Turnhout, Brepols, 2007, p. 139-143.
« Conclusions », dans La traduction vers le moyen français. Actes du IIe colloque de
l’AIEMF, Poitiers, 27-29 avril 2006. Dir. Claudio Galderisi et Cinzia Pignatelli, Turnhout,
Brepols, 2007, p. 453-457.
« Jacques Le Goff et la voix poétique », dans L’Europe et le livre au Moyen Âge — II
Hommage au Prof. Jacques Le Goff. Revista portuguesa de história do livro, Revue portugaise
d’histoire du livre X, 2006, n° 20, p. 305-310 (parution automne 2007).
« El Grial o el mito de la salvación », dans Philía. Revista de la Bibliotheca Mystica et
Philosophica Alois Maria Haas, 1, automne 2007, p. 115-140.
« La narración de la poesia. Vidas y razos de los trovadores occitanos », dans De los orígines
de la narrativa corta en occidente, Ginebra magnolia, TESSEL.LA, Lima (Pérou), 2007,
p. 119-137.
« The Place of the Senses », dans Rethinking the Medieval Senses. Heritage, Fascinations,
Frames, éd. Stephen G. Nichols, Andreas Kablitz et Alison Calhoun, Baltimore, Johns
Hopkins U. P., 2008, p. 93-101.
« Raimon de Miraval, entremetteur ou éternel mari ? », dans L’homme dans le texte.
Mélanges offerts à Stoyan Atanassov à l’occasion de son 60e anniversaire, Sofia, Presses
universitaires de Sofia « Saint Clément d’Ohrid », 2008, p. 29-38.
« Le XIIe siècle français : le rayonnement sans la puissance », dans France Forum, nouvelle
série, n° 29, mars 2008, p. 36-38.
« Pourquoi lire la poésie du passé ? », dans La conscience de soi de la poésie, sous la direction
d’Yves Bonnefoy, Paris, Seuil, 2008, p. 161-169.
« Introduction. La prison et la nature de la poésie », dans « Le loro prigioni » : scritture dal
carcere, éd. Anna Maria Babbi et Tobia Zanon, Vérone, Edizioni Fiorini, 2008, p. 1-18.
Comptes rendus, Académie des inscriptions et belles-lettres : La Grèce antique sous le
regard du Moyen Âge occidental, éd. Jean Leclant et Michel Zink, dans Académie des
Inscriptions et Belles-Lettres. Comptes rendus des séances de l’année 2006, juillet-octobre, Paris,
De Boccard, 2006 (parution 2008), p. 1476-1479 ; Portraits de troubadours. Initiales des
chansonniers provençaux I et K (Paris, BNF, ms. Fr. 854 et 12473), éd. Jean-Loup Lemaître
et Françoise Vielliard, ibid., p. 1479-1481.
720 MICHEL ZINK

Participation à des colloques

4-6 octobre 2007, Beaulieu-sur-Mer. XVIIIe colloque de la Villa Kérylos (Institut de


France, Académie des Inscriptions et Belles-Lettres), « Pratiques et discours alimentaires en
Méditerranée de l’Antiquité à la Renaissance.» Communication : « La poésie par le menu.
Pourquoi la nourriture est-elle au Moyen Âge un sujet poétique ? ».
20 octobre 2007, Paris, Fondation Singer-Polignac : « Les Académies en Europe,
XIXe-XXe siècles ». Conclusions.
22-23 octobre 2007, Paris, Institut de France : « Les Académies en Europe au XXIe siècle ».
Organisation scientifique de la rencontre. Conclusions générales.
16-17 novembre 2007, Paris, Institut historique allemand — Institut hongrois : « Sainte
Élisabeth (1207-1231). Huit siècles de rayonnement européen ». Communication : « La Vie
de sainte Élisabeth de Hongrie de Rutebeuf ».
24 mai 2008, Villa Lagarina (TN, Italie), Palazzo Guerrieri-Gonzaga, séminaire
international organisé par Anna Maria Babbi, Claudio Galderisi et Michel Zink, « Rileggere
il Medioevo ». Exposé d’ouverture, présidence du colloque et conclusions.

Conférences

Oxford, Maison française, « Les images du récit et l’esprit du poème : réflexions sur
« l’histoire d’amour sans paroles » du manuscrit Chantilly, Musée Condé 388 » (6 novembre
2007) — Aubervilliers, Théâtre équestre Zingaro, Les lundis du Collège de France, « De
l’utopie au carnaval : le théâtre du Moyen Âge » (12 novembre 2007). — Université de
Genève et Université de Zurich, « Perspectives sur la littérature du Moyen Âge : à la
recherche de la bonne distance » (22 novembre et 12 décembre 2007). — Université de
Toulouse-Le Mirail, « Le Roman de Renard, roman de la faim » (27 novembre 2007). —
Saint-Germain-en-Laye, cercle d’études médiévales « La Licorne », « Nature et poésie au
Moyen Âge » (13 février 2008). — Université de Padoue, « La chanson volée. Arnaut
Daniel, Anc ieu non l’aic, mas elha m’a (BdT 29, 2) et sa razo » (21 mai 2008). — Université
de Vérone, « Que peut la littérature secondaire ? » (23 mai 2008).

Distinction

Le professeur a été lauréat du Prix Balzan 2007 (« Les littératures européennes :


1000-1500 »).

Activités de la chaire

Odile Bombarde, maître de conférences

Publications :
« La pensée du rêve », dans Yves Bonnefoy. Poésie, recherche et savoirs (Actes du colloque
de Cerisy), Daniel Lançon et Patrick Née éd., Paris, Hermann, 2007, p. 547-584.
« Poésie et psychanalyse : « ouvrez-moi cette porte… », dans La Conscience de soi de la
poésie, Actes des colloques de la Fondation Hugot, Seuil, 2008, p. 77-94.
LITTÉRATURES DE LA FRANCE MÉDIÉVALE 721

Colloques :
« Mémoire fertile et souvenir rêvé », (Colloque Baudelaire et Nerval, poétiques comparées,
Université de Zurich, 25-27 octobre 2007)
« Du récit au poème, la ‘Femme noire’ de Pierre Jean Jouve », (Journée Visages de la poésie
du XXe siècle, Université de Nancy III, 24 janvier 2008)

Catherine Fabre, maître de conférences

Conférence :
« Ces Messieurs de la Religion », conférence donnée à La Valette, Malte le 2 mai 2008.

Andrea Valentini, ingénieur de recherche

Publications :
Livre
Le remaniement du Roman de la Rose par Gui de Mori. Étude et édition des interpolations
d’après le manuscrit Tournai, Bibliothèque de la Ville, 101, Bruxelles, Académie royale de
Belgique, « Anciens auteurs belges », n. s., 14, 2007, 306 p.

Articles
« Notice sur un manuscrit du Roman de la Rose acheté par la Bibliothèque nationale de
France (n.a.f. 28047) », dans Romance Philology, t. 61, 2007, p. 93-101.
« Sur la date et l’auteur du remaniement du Roman de la Rose par Gui de Mori », dans
Cahiers de l’AIEF, t. 59, 2007, p. 361-381 (publié une première fois dans Romania, t. 124,
2006, p. 361-377 ; republié pour avoir obtenu le prix de l’AIEF 2006).
« Entre traduction et commentaire érudit : Simon de Hesdin ‘translateur’ de Valère
Maxime », dans Claudio Galderisi et Cinzia Pignatelli dir., La traduction vers le moyen
français. Actes du IIe colloque de l’AIEMF (Université de Poitiers, 27-29 avril 2006),
Turnhout, Brepols, « The Medieval Translator », 11, 2007, p. 353-365.
« D’adolescent inconscient à chevalier inconstant. Spécificité du héros dans le roman
occitan de Jaufré », dans Gary Ferguson dir., L’homme en tous genres, numéro thématique
d’Itinéraires, publication du Centre d’étude « Nouveaux espaces littéraires » (Université de
Paris 13), à paraître en 2008.

Conférences
Collège de France, séminaire de M. le Professeur Michel Zink, « Le récit comme poésie :
les monologues lyriques dans quelques romans arthuriens en vers des XIIe et XIIIe siècles »
(19 février 2008). — Université de Parme, « I monologhi del romanzo di Jaufre sono delle
cansos ? » (5 mars 2008). — Université de Paris 3-Sorbonne nouvelle, « Les gloses lexicales
et philologiques dans la traduction de Valère Maxime par Simon de Hesdin » (28 mars
2008).
Littérature française moderne et contemporaine :
histoire, critique, théorie

M. Antoine Compagnon, professeur

Cours : « Morales de Proust »

Le cours a porté sur l’œuvre de Proust pour une deuxième année consécutive,
mais, après « Proust : Mémoire de la littérature » en 2006-2007, sur un sujet
nouveau et tout autre, « Morales de Proust », sujet risqué des deux côtés : du côté
de la morale, car celle-ci a été longtemps tenue pour hors-jeu dans les études
littéraires, et du côté de Proust, car celui-ci a été longtemps tenu pour immoral ou
amoral par la critique. Une double justification préalable fut donc nécessaire.

Morale et littérature

À la veille du premier cours, un correspondant me rappela, pour s’étonner du


titre de l’année et pour y relever une inconséquence, que Le Démon de la théorie,
publié il y a dix ans (1998), se terminait par cette proposition : « La perplexité est
la seule morale littéraire ». À l’époque, c’était une manière d’écarter un sujet qui
n’avait pas été traité dans ce livre en réfutant toute récupération édifiante de la
littérature, mais c’était aussi la preuve que la question se posait, qu’elle était
ouverte, mais qu’on restait sur le seuil, qu’on ne le franchirait pas, ne se risquerait
pas au-delà. La perplexité, le doute, l’irrésolution, le scepticisme étaient donnés
comme les seules morales littéraires possibles, par opposition à toute forme de
certitude morale, d’assurance éthique, existentielle ou ontologique que pourrait
procurer la lecture. La littérature ouvre à la perplexité morale — la complication,
l’embarras —, elle détruit les certitudes morales au lieu d’en donner ou de les
consolider. Elle désillusionne et déniaise.

Mais dans La Littérature, pour quoi faire ?, la leçon inaugurale de la chaire


donnée l’an dernier, j’observais un tournant des études littéraires vers les usages et
les pouvoirs de la littérature, vers la littérature comme action, et vers la critique
comme pragmatique de la littérature. Plutôt que d’un tournant, il pourrait s’agir
724 ANTOINE COMPAGNON

d’un revirement, d’un reniement ou même d’une trahison, pour un homme de ma


génération grandi hors de la critique éthique et longtemps très éloigné d’elle.
Après la théorie et l’histoire, serait ainsi venu le temps de la critique, c’est-à-dire
de la réflexion sur les valeurs créées et transmises par la littérature. Plusieurs
explications peuvent être données de cet infléchissement, personnelles et collectives,
ces deux ordres étant d’ailleurs solidaires et indémêlables : on croyait être original ;
on s’aperçoit qu’on a tout juste été typique.
Le passage à l’éthique est un signe de l’âge, comme Stendhal commençait la Vie
de Henry Brulard par ces mots : « Je vais avoir cinquante ans, il serait bien temps
de me connaître. Qu’ai-je été ? Que suis-je ? En vérité, je serais bien embarrassé de
le dire. » Un tournant moral engage un retour à soi. Mon attitude envers la
littérature a changé. On a longtemps pu se passer de poser des questions morales
— en tout cas expressément morales — à la littérature. On a longtemps cru qu’elle
nous rendait plus intelligents, non meilleurs. À présent je me dis que si ce qu’elle
pouvait, c’était nous rendre meilleurs, ou moins mauvais, ce serait suffisant.
Mais c’est aussi un signe des temps : un « tournant éthique » a eu lieu dans les
études littéraires au cours des années 1990. Le « sujet », aux deux sens du terme,
s’était absenté de ces études depuis les années 1960 ou 1970 ; il était démodé ou
disqualifié au temps de ma formation : dans Critique et vérité, par exemple, Roland
Barthes s’élevait contre la morale défendue par l’ancienne critique, ses normes
implicites, ses interdits bourgeois. La nouvelle critique ignorait la psychologie des
personnages au même titre que la biographie des auteurs, et elle réprouvait
l’identification et l’empathie : un même discrédit frappait biographie et psychologie,
histoire littéraire et morale littéraire, comme les deux faces, le recto et le verso, de
l’ancienne critique. La critique éthique était bourgeoise, idéologique, moins morale
que moraliste ou moralisatrice, aliénante et aliénée : pensez-vous, la littérature
nous rend meilleurs ! Quelle « moraline », suivant le mot de Nietzsche. On ne fait
pas de littérature avec des bons sentiments, aurait dit Gide selon la rumeur. La
littérature, c’est la souveraineté de la transgression, c’est l’expérience des limites.
Hostiles à l’humanisme, on se situait aussi après l’existentialisme et le marxisme,
qui tous deux impliquaient encore une éthique, fût-ce une autre éthique : une
politique de la littérature et une morale de l’engagement. On s’opposait autant à
l’usage public et social qu’à l’usage privé et intime de la littérature. Le structuralisme
et le poststructuralisme tournaient le dos à l’éthique comme à la politique.
Ma génération a donc été élevée, dressée contre la lecture éthique ou morale de la
littérature, contre une vision de la littérature occidentale comme création et
transmission de valeurs, vision commune depuis Aristote, qui rattachait la fonction
de la littérature à son sens moral et qui définissait la catharsis — la purification ou
purgation des passions et émotions, pour le dire vite — comme un bienfait de la
littérature, en l’occurrence de la tragédie. La portée ou la valeur morale de la littérature
relevait d’une tradition dont il était temps de se débarrasser : l’idée humaniste,
perpétuée jusqu’au milieu du xxe siècle, qu’on vit mieux avec la littérature.
LITTÉRATURE FRANÇAISE MODERNE ET CONTEMPORAINE 725

La fonction éthique de la littérature était déniée par la plupart des théoriciens :


il y avait une illusion éthique auprès des autres illusions, biographique, référentielle
et expressive. Plus platoniciens qu’aristotéliciens — la Poétique d’Aristote était
restreinte à ses considérations formelles —, on se méfiait des arts, qui rendent plus
sensibles et non moins sensibles, et on les condamnait comme des manipulations.
Le théâtre de Brecht cherchait à empêcher la résolution cathartique des émotions,
et la catharsis était vue comme un dispositif bourgeois.
Ainsi l’éthique fut absente aux grandes heures de la théorie. On n’en parlait pas
ou on la réprouvait. Mais la lecture morale de la littérature survivait de manière
souterraine, un peu comme la religion dans les catacombes. À l’école, dans les
cours de français : on les dit aujourd’hui compromis par la pédagogie formaliste,
mais on n’a probablement jamais cessé de lire les fables de La Fontaine pour la
morale. L’éthique n’avait pas vraiment disparu, même si elle restait implicite. La
rhétorique, revenue à la mode et qui définissait l’orateur par sa moralité comme
vir bonus bene dicendi peritus, permettait de passer à l’éthique, même si, des trois
livres d’Aristote — message, ethos et pathos —, on insistait sur le premier au
détriment des deux autres. L’interdit éthique n’était donc pas si contraignant que
cela, et il ne s’imposait qu’à ceux qui le voulaient bien.
Et il ne fut qu’une parenthèse vite refermée. Avant elle, du temps de
l’existentialisme et du marxisme, voici comment Barthes lui-même, dans Le Degré
zéro de l’écriture, définissait cette dernière : « L’écriture est donc essentiellement la
morale de la forme ». La liberté et la responsabilité de l’écrivain étaient engagées
dans le choix — éthique, politique — d’une écriture plus ou moins bourgeoise ou
neutre. Après la parenthèse, au Collège de France, les cours de Barthes étaient déjà
marqués par le retour de l’éthique, ou du « souci de soi » comme disait Foucault :
« Vivre ensemble », ainsi s’intitula son premier cours. Sa conférence « Proust et
moi » proposait sous ce titre non pas une comparaison, mais une identification
fondée sur l’usage moral du livre Proust pour se connaître soi-même.
Au reste, une réaction éthique à la littérature est ordinaire et inéluctable : quand
je lis un roman ou un drame, je m’intéresse aux conflits moraux qui se posent aux
héros, à leurs dilemmes existentiels, aux choix auxquels la vie – vie fictive – les
soumet : Phèdre dénoncera-t-elle Hippolyte ? Avec quelles conséquences ? Je les
approuve ou bien je les condamne ; en tout cas je les juge. La lecture est une
expérience, une expérimentation et une épreuve morale. Le narrateur de la Recherche
du temps perdu le sait bien, qui éprouve souvent le besoin de se justifier à nous,
ses lecteurs, de ses actions, de ses mensonges, de son indifférence, de son voyeurisme
ou de ses déloyautés.
Nos habitudes de lecture sont héritées de la tradition morale depuis Aristote.
Nous abordons la littérature avec un préjugé — une précompréhension
herméneutique — en faveur de son interprétation morale, et de morale à moralisante
ou moralisatrice, le pas est sûrement trop vite franchi. Aussi théoriciens que nous
soyons, nous ne cessons pas de lire ingénument comme si les livres pouvaient nous
726 ANTOINE COMPAGNON

donner des intuitions ou des idées morales, nous fournir un apprentissage moral,
nous initier au contrôle de nos émotions.
La dimension éthique la plus évidente de la littérature tient au récit, c’est-à-dire
à l’exposition narrative ou dramatique de problèmes moraux, incarnés dans des
personnages, des vies, des subjectivités inventées et fictives. La littérature — en
particulier le roman — est une modalité privilégiée de la réflexion morale, réflexion
non systématique mais particularisante ou exemplaire, complexe et contextuelle.
Comme telle, certains philosophes moraux soutiennent même qu’elle est
irremplaçable pour former le caractère. Il y a une éthique du récit par opposition
à celle du traité ou du système. Suivant de très anciens modèles, l’instruction
morale peut prendre deux formes, celle des règles et celle des récits, des lois et des
paraboles, comme dans la Bible. Le récit et le roman ont ainsi longtemps servi à
l’initiation morale des adolescents occidentaux, après les vies de saints et avant les
jeux vidéo, pour aller vite.
Et la poésie ? W. H. Auden, que je citais déjà dans Le Démon de la théorie,
jugeait que la première question qui l’intéressait quand il lisait un poème était
d’ordre technique : « Voici une machine verbale. Comment fonctionne-t-elle ? »
Mais sa deuxième question était bien, au sens le plus large, morale : « Quelle sorte
de type habite ce poème ? Quelle idée se fait-il de la belle vie ou du bon lieu ? Et
quelle idée du mauvais lieu ? Que cache-t-il au lecteur ? Et que se cache-t-il aussi
à lui-même ? »

Morale et idéologie
Certes, la mise en garde marxiste doit être prise au sérieux : l’éthique se
confondrait avec l’idéologie ; sous l’éthique, se dissimulerait la légitimation,
l’universalisation ou la naturalisation du politique et de l’économique, c’est-à-dire
des rapports de classe et des valeurs d’un groupe. L’éthique n’est jamais qu’une
illusion intersubjective qui voile la réalité politique ou économique des commerces
humains comme rapports sociaux, comme si toute intersubjectivité — ainsi que
toute subjectivité — était nécessairement factice, trompeuse, aliénée et aliénante.
L’éthique est idéologique et bourgeoise ; c’est une forme de la fausse conscience,
de la mauvaise foi, de l’hypocrisie ou de la duperie, de l’aveuglement sur sa
condition, et de l’aliénation. Elle doit être dépassée vers le politique.
Paul Nizan s’en prenait ainsi aux philosophes bourgeois dans Les Chiens de garde,
et notamment à la morale kantienne comme noyau de la morale faussement
universelle : « […] toute la hardiesse de leur philosophie consista à identifier la société
humaine, toutes les sociétés humaines possibles avec la société bourgeoise, la raison
humaine, toutes les raisons humaines possibles avec la raison bourgeoise. La morale
humaine, avec la morale bourgeoise. De façon que les attaques contre la société, la
pensée, la morale bourgeoises parussent des attaques contre la société, la pensée, la
morale humaines ». Ou encore : « La fonction du kantisme fut de justifier la morale
bourgeoise en faisant d’elle la fille d’une raison législatrice de l’astronomie ».
LITTÉRATURE FRANÇAISE MODERNE ET CONTEMPORAINE 727

La critique déconstructrice de l’éthique est encore plus radicale : la subjectivité


n’est pas un signifié transcendantal mais un simple effet de langage, comme
l’intentionnalité et le choix, la liberté et la responsabilité. Il n’y a donc pas de sujet
kantien, autonome et rationnel, préalable, et l’intérêt pour les personnages, le moi
ou le sujet est illusoire, puisque nous sommes sujets du système — linguistique et
non plus économique — où moi et intention ne sont rien que des traces. La
déconstruction de l’éthique humaniste comme impératif catégorique est ainsi
accomplie : la moralité est fondée sur des concepts métaphysiques et des apories
linguistiques.
Des deux bords, l’éthique est rejetée, car elle élève en universaux — le bien et
le mal — des valeurs particulières, contingentes, les nôtres, contre celles des autres :
l’éthique déguise des rapports de domination, travestit la volonté de puissance d’un
groupe. Les valeurs ne sont pas intemporelles ni universelles, mais toujours
contingentes, historiques et culturelles, ou encore construites et, en un mot,
relatives. C’est le relativisme de toute morale qui disqualifie la lecture morale de
la littérature.
Et la littérature, en tant qu’éthique, idéologique ou métaphysique, aliène et
manipule. Il faut donc se méfier d’elle au lieu de lui faire confiance pour se libérer.
À l’école, on apprend non plus la confiance, mais la méfiance à son égard. Suivant
la déconstruction, il s’agit d’être plus intelligent, plus rusé qu’elle, et de savoir la
prendre en défaut. La littérature n’est plus entendue non comme une libération,
mais comme une aliénation, sur le modèle de la culture de masse et de la
propagande. Elle fait de nous des « dupes de la culture » ou des « cultural dupes »,
suivant l’expression terrible de Stuart Hall, doyen des Cultural Studies anglo-
américaines.

L’hypocrisie de moralité
Proust n’était pas indifférent à ce travestissement de la morale, c’est-à-dire à la
morale bourgeoise entendue comme principes et convenances, ou défense de
l’ordre moral. Dès « Combray », théâtre du conformisme bourgeois, trois scènes
illustrent ce confort ou ce conformisme moral aliénant.
À propos des Vices et des Vertus de Padoue qui n’en ont pas l’air — passage
essentiel pour la compréhension des morales de la Recherche du temps perdu —, le
narrateur décrit la Justice de Giotto en ces termes : « […] une Justice, dont le
visage grisâtre et mesquinement régulier était celui-là même qui, à Combray,
caractérisait certaines jolies bourgeoises pieuses et sèches que je voyais à la messe
et dont plusieurs étaient enrôlées d’avance dans les milices de réserve de l’injustice »
(I, 81). La Justice de Giotto et les bourgeoises de Combray, les dames de patronage,
figurent ici une allégorie du cant, le sens des convenances, la phraséologie pieuse
et l’affectation de bonté, ou « l’hypocrisie de moralité », suivant l’excellente
traduction de Stendhal (De l’amour, chap. XLVI), c’est-à-dire le pharisaïsme du
Nouveau Testament.
728 ANTOINE COMPAGNON

Les « milices de réserve » nous renvoient à la Bible, à la « Sainte milice » (Isaïe,


13, 3) ou à la milice céleste, l’ensemble des Anges ayant saint Michel pour chef
(Daniel, 10, 13), l’ange du Jugement et le saint patron du baron de Charlus. Ces
« bourgeoises pieuse et sèches » illustrent un lieu commun moral du Nouveau
Testament : « Malheur à vous, scribes et Pharisiens hypocrites, parce que vous
ressemblez à des tombeaux blanchis, qui au dehors paraissent beaux, mais au
dedans sont remplis d’ossements de morts et de toute immondice. Ainsi vous, au
dehors, vous paraissez justes aux hommes, mais au dedans vous êtes pleins
d’hypocrisie et d’iniquité » (Matthieu, 23, 27-28). C’est l’habit qui ne fait pas le
moine, comme dans le fameux prologue de Gargantua.
La moralité de Combray relève de cette hypocrisie, comme les principes de la
famille du narrateur, jouant contre le mariage de Swann ou les manières de Bloch :
« Il n’était pas pourtant l’ami que mes parents eussent souhaité pour moi ; ils
avaient fini par penser que les larmes que lui avait fait verser l’indisposition de ma
grand-mère n’étaient pas feintes ; mais ils savaient d’instinct ou par expérience que
les élans de notre sensibilité ont peu d’empire sur la suite de nos actes et la
conduite de notre vie, et que le respect des obligations morales, la fidélité aux
amis, l’exécution d’une œuvre, l’observance d’un régime, ont un fondement plus
sûr dans des habitudes aveugles que dans ces transports momentanés, ardents et
stériles. » L’ami du narrateur leur paraît trop émotionnel ou même hystérique. Sa
morale n’est pas coutumière : « Ils auraient préféré pour moi à Bloch des
compagnons qui ne me donneraient pas plus qu’il n’est convenu d’accorder à ses
amis, selon les règles de la morale bourgeoise ; qui ne m’enverraient pas
inopinément une corbeille de fruits parce qu’ils auraient ce jour-là pensé à moi
avec tendresse, mais qui, n’étant pas capables de faire pencher en ma faveur la
juste balance des devoirs et des exigences de l’amitié sur un simple mouvement de
leur imagination et de leur sensibilité, ne la fausseraient pas davantage à mon
préjudice » (I, 91-92). C’est l’habitude qui interdit les excès, qui garantit l’équilibre,
la juste mesure, comme la balance de la justice : la morale bourgeoise n’accorde
pas de privilèges, mais elle ne commet pas non plus de préjudices. Du moins c’est
ce qu’elle prétend.
La grande scène de cant à « Combray » a lieu lors de la rencontre de Swann et de
Vinteuil : « Un jour que nous marchions avec Swann dans une rue de Combray,
M. Vinteuil qui débouchait d’une autre, s’était trouvé trop brusquement en face de
nous pour avoir le temps de nous éviter ; et Swann avec cette orgueilleuse charité de
l’homme du monde qui, au milieu de la dissolution de tous ses préjugés moraux, ne
trouve dans l’infamie d’autrui qu’une raison d’exercer envers lui une bienveillance
dont les témoignages chatouillent d’autant plus l’amour-propre de celui qui les
donne, qu’il les sent plus précieux à celui qui les reçoit, avait longuement causé avec
M. Vinteuil » (I, 147). Swann, comme les dames de patronage, confond ici vice et
vertu, orgueil et charité, amour-propre et bienveillance, dans la pure « hypocrisie de
moralité ». Le narrateur n’est pas de ceux qui veulent faire des vices privés des vertus
publiques. Mais Vinteuil n’est pas meilleur.
LITTÉRATURE FRANÇAISE MODERNE ET CONTEMPORAINE 729

Une fois que Swann leur a tourné le dos et que Vinteuil se retrouve seul avec
les parents du narrateur, le musicien prend en effet aussitôt sa revanche : « “Quel
homme exquis”, nous dit-il, quand Swann nous eut quittés, avec la même
enthousiaste vénération qui tient de spirituelles et jolies bourgeoises en respect et
sous le charme d’une duchesse, fût-elle laide et sotte. “Quel homme exquis ! Quel
malheur qu’il ait fait un mariage tout à fait déplacé !” / Et alors, tant les gens les
plus sincères sont mêlés d’hypocrisie et dépouillent en causant avec une personne
l’opinion qu’ils ont d’elle et expriment dès qu’elle n’est plus là, mes parents
déplorèrent avec M. Vinteuil le mariage de Swann au nom de principes et de
convenances auxquels (par cela même qu’ils les invoquaient en commun avec lui,
en braves gens de même acabit) ils avaient l’air de sous-entendre qu’il n’était pas
contrevenu à Montjouvain » (I, 147-148). Chacun des deux hommes connaît le
défaut ou la fêlure de l’autre, et chacun se ment à lui-même, rappelant cette fois
la parabole de la paille et de la poutre. Tous deux sont pareillement victimes de la
morale bourgeoise comme hypocrisie de moralité.
Mais toute éthique est-elle fatalement bourgeoise, idéologique, hypocrite,
conformiste, aliénée, pharisienne, comme à Combray ? N’a-t-on pas besoin
d’éthique — et de littérature — justement pour lutter contre le moralisme et le
pharisaïsme ? Comme Proust le suggère souvent, en face de la méchanceté des
bons, de l’hypocrisie de moralité des dames patronnesses, de l’aveuglement de
Swann ou de Vinteuil, pour les contrebalancer, il y a heureusement la bonté des
méchants, celle de Charlus ou de la fille de Vinteuil et de son amie, celle de tous
les pervers du roman, ou celle des personnages de Dostoïevski qui sont
incompréhensibles pour la reine de Naples avec sa « conception étroite, un peu
tory et de plus en plus surannée de la bonté ». La reine de Naples fait preuve d’une
bonté aristocratique, conservatrice, paternaliste, d’une bonté de caste : « Mais,
ajoute le narrateur, cela ne signifie pas que la bonté fût moins sincère et moins
ardente chez elle » (III, 825), au contraire, car cette bonté d’Ancien Régime tranche
avec la fausse bonté des bourgeoises, leur hypocrisie de moralité et leur cant.
Les valeurs morales ne sont-elles donc jamais rien d’autre que de l’idéologie
masquée ? Toute éthique est-elle forcément pharisienne, catégorique, sûre de son
bon droit ? Tout jugement de valeur emporte-t-il une exclusion ? Ou bien n’est-ce
pas le propre de la littérature d’ébranler les certitudes morales, d’embarrasser le
cant, de nous déconcerter et de nous rendre perplexes ? Aussi ne confondons pas
éthique et moralisme. Une éthique peut être fondée sur la conscience de la
différence avec l’autre, sur la reconnaissance de l’autre, sur l’honnêteté ou ce qu’on
appelait jadis la beauté morale. Montaigne, dans « Des cannibales », appelait à un
retournement des valeurs, à la reconnaissance du même et de l’autre, de l’identité
et de la différence. La question éthique de la vie bonne était pour lui inséparable
de la question politique et de la guerre civile : l’éthique et le politique étaient
indémêlables. Montaigne liait la morale privée et la morale publique contre la
cruauté ; il défendait l’application d’une moralité privée dans la vie publique,
contre la raison d’État et le machiavélisme.
730 ANTOINE COMPAGNON

La « grande » littérature pourrait bien être celle qui empêche de s’ériger en juge
et d’être catégorique dans ses jugements, celle qui nous ouvre à l’autre, à l’identité
et à la différence. « La parole est moitié à celuy qui parle, moitié à celuy qui
l’escoute », disait encore Montaigne (III, 13). L’éthique n’est pas fatalement
pharisienne, sûre de soi, satisfaite de soi et moralisatrice, grâce à la littérature
justement.

Hygiène, morale, travail

L’avant-garde théorique jetait le soupçon sur l’usage moral de la littérature, sur


son instrumentation ou sa récupération idéologique. Précisons quand même qu’il
n’y avait rien là de très nouveau, car le refus de la morale a été caractéristique de
toute la modernité, par exemple chez les surréalistes, et la théorie a été la queue
de la modernité. Flaubert, Baudelaire, Mallarmé, Valéry ont fondé le refus de
l’application de la littérature, se sont élevés contre son usage édifiant, contre sa
soumission à l’ordre moral, contre l’art utile ou militant, contre le roman à thèse.
Proust lui-même, dans Le Temps retrouvé, a repris le flambeau : « L’idée d’un art
populaire comme d’un art patriotique si même elle n’avait pas été dangereuse, me
semblait ridicule. […] Ce n’est pas la bonté de son cœur vertueux, laquelle
était fort grande, qui a fait écrire à Choderlos de Laclos Les Liaisons dangereuses »
(IV, 466-467).
La séparation de la moralité et de la littérarité est une idée à laquelle le narrateur
tient et qu’il affirme à propos de Dostoïevski notamment : « Si je viens avec vous
à Versailles comme nous avons convenu, je vous montrerai le portrait de l’honnête
homme par excellence, du meilleur des maris, Choderlos de Laclos, qui a écrit le
plus effroyablement pervers des livres, et juste en face de celui de Madame de
Genlis qui écrivit des contes moraux et ne se contenta pas de tromper la duchesse
d’Orléans, mais la supplicia en détournant d’elle ses enfants » (III, 881). Il ne s’agit
même plus ici d’hiatus, mais de chiasme, entre art et morale.
Dans Mon cœur mis à nu, Baudelaire insistait sur leur incompatibilité et faisait de
George Sand le type même du moralisme honni : « Sur George Sand. / La femme
Sand est le Prudhomme de l’immoralité. Elle a toujours été moraliste. / Seulement
elle faisait autrefois de la contre-morale. — Aussi elle n’a jamais été artiste. / […]
Elle a, dans les idées morales, la même profondeur de jugement et la même délicatesse
de sentiment que les concierges et les filles entretenues. » Passée d’une morale à la
morale contraire, de l’anti-bourgeois au bourgeois, elle est toujours aussi moraliste,
et Baudelaire est lui aussi de ceux qui associent le roman au cant.
Il s’écrie encore : « Tous les imbéciles de la Bourgeoisie qui prononcent sans
cesse les mots : “immoral, immoralité, moralité dans l’art” et autres bêtises, me
font penser à Louise Villedieu, putain à cinq francs, qui m’accompagnant une fois
au Louvre, où elle n’était jamais allée, se mit à rougir, à se couvrir le visage, et me
tirant à chaque instant par la manche, me demandait, devant les statues et les
LITTÉRATURE FRANÇAISE MODERNE ET CONTEMPORAINE 731

tableaux immortels, comment on pouvait étaler publiquement de pareilles


indécences. / Les feuilles de vigne du sieur Nieuwerkerke. » Baudelaire se moque
ici de l’amant de la princesse Mathilde, le surintendant des Beaux-Arts, qui faisait
revêtir les nudités des monuments publics.
Mais, déjà chez Baudelaire, premier des modernes, la dénonciation de l’art
moraliste ne signifie pas l’absence de toute morale. Baudelaire défend une autre
morale contre la moralité de l’art, une morale du « souci de soi » : « hygiène.
morale. / — À Honfleur ! Le plus tôt possible, avant de tomber plus bas. / Que
de pressentiments et de signes envoyés déjà par Dieu, qu’il est grandement temps
d’agir, de considérer la minute présente comme la plus importante des minutes, et
de faire ma perpétuelle volupté de mon tourment ordinaire, c’est-à-dire du Travail ! »
Baudelaire fait l’apologie de la morale non pas comme devoir ni règles, mais
comme discipline, ascèse ou hygiène : « hygiène. conduite. morale. — À chaque
minute nous sommes écrasés par l’idée et la sensation du temps. Et il n’y a que
deux moyens pour échapper à ce cauchemar, pour l’oublier : le Plaisir et le Travail.
Le Plaisir nous use. Le Travail nous fortifie. Choisissons. » Ainsi, la morale devient
la conquête de soi ou la conduite de soi.
Baudelaire s’élève contre le moralisme de George Sand et du roman, mais non
pas contre toute conduite morale. Au contraire, toute sa vie il a été à la recherche
d’une Hygiène, entre Plaisir et Travail, avec des majuscules allégorisantes, comme
les Vices et les Vertus ou comme Les Travaux et les Jours d’Hésiode travestis dans
Les Plaisirs et les Jours de Proust. L’article clé, virgilien et stendhalien, de la morale
de Proust est annoncé dans Sodome et Gomorrhe I : « tout être suit son plaisir »
(III, 23), rappelant le vers de Virgile : « Trahit sua quemque voluptas » (Églogues,
II, 65). Il n’empêche que, s’il y a une morale de Proust, c’est, comme chez
Baudelaire, celle du Travail, ou celle de la dialectique du Plaisir et du Travail, de
leur conversion réciproque.
Proust, velléitaire et procrastinateur comme Baudelaire, malade de la volonté,
revient souvent sur son sens de la discipline, sa foi dans le travail. Comme Ruskin,
comme Baudelaire, il n’est pas convaincu de la valeur morale de la liberté : « Je crois
que nous mourons en effet, mais faute non pas de liberté, mais de discipline »,
répond-il en 1904 à une enquête. La liberté n’est pas bonne pour l’artiste, qui donne
le meilleur de lui-même sous une règle. L’idée est en effet ruskinienne : « Quand les
hommes sont occupés comme ils doivent l’être, leur plaisir naît de leur travail »,
décrétait Ruskin dans Sésame et les Lys, et Proust enchérissait dans sa traduction :
« Et dès les plus bas degrés de l’échelle du travail. Du travail le plus humble naît un
plaisir. » Proust n’a jamais abjuré la foi de Ruskin dans le travail : « Ce plaisir-là est
satisfaction de soi, plaisir à se trouver avec les autres, optimisme. »
« Work while you have light » : dans sa préface à l’édition de 1871 de Sésame et
les Lys, Ruskin résumait le sens de son livre, c’est-à-dire le sens de sa vie et de son
apostolat, dans cette parole de Jean : « Marchez, pendant que vous avez la lumière »
(12, 35), et dans une autre de Matthieu : « Heureux les miséricordieux, car ils
732 ANTOINE COMPAGNON

obtiendront miséricorde » (5, 7). Travail et miséricorde définissaient la réforme


artistique et morale pour laquelle Ruskin milita. Proust ne devait jamais l’oublier.
Au moment de se mettre à son œuvre vers la fin de 1908, il écrivait à son ami
Georges de Lauris : « Georges, quand vous le pourrez : travaillez. Ruskin a dit
quelque part une chose sublime et qui doit être devant votre esprit chaque jour,
quand il a dit que les deux grands commandements de Dieu [...] étaient : “Travaillez
pendant que vous avez encore la lumière” et “Soyez miséricordieux pendant que
vous avez encore la miséricorde.” » Le même « beau commandement du Christ
dans saint Jean » est repris par Proust dans une ébauche du début du Contre
Sainte-Beuve : « Travaillez pendant que vous avez encore la lumière. »
Comme chez Baudelaire, il y a chez Proust une autre morale, morale du Travail
et Miséricorde, morale non du code mais de l’ascèse. Dans L’Usage des plaisirs,
Foucault soulignait l’ambiguïté du mot « morale ». Il désigne d’abord le code
moral, c’est-à-dire l’« ensemble de valeurs et de règles d’action qui sont proposées
aux individus et aux groupes par l’intermédiaire d’appareils prescriptifs divers »,
comme peuvent l’être la famille et l’école. Il renvoie aussi à la moralité des
comportements, à la relation des conduites et des règles, au « comportement réel
des individus dans son rapport aux règles et valeurs », à « la manière dont ils se
soumettent […], dont ils obéissent ou résistent » : « Une chose, dit en effet
Foucault, est une règle de conduite ; autre chose la conduite qu’on peut mesurer
à cette règle. » Mais ce n’est pas tout, car c’est un troisième sens de la morale qui
l’intéresse, plus subjectif, plus essentiel : « […] autre chose encore, la manière dont
on doit “se conduire”, […] dont on doit se constituer soi-même comme sujet
moral ». Tous ne suivent pas les règles de la même façon : un code étant donné,
précise-t-il, « il y a différentes manières de “se conduire” moralement, […] non pas
simplement comme agent, mais comme “sujet moral” de cette action ».
Ainsi, une action morale ne se résume pas en des actes conformes à des règles, mais
implique un « rapport à soi », non simplement la conscience de soi, mais la
constitution de soi comme « sujet moral ». Or il n’y a pas de conduite morale, « pas
de constitution de soi du sujet moral sans des “modes de subjectivation”, sans une
“ascétique” ou des “pratiques de soi” qui les appuient ». Parlant de littérature — de
Baudelaire à Proust et au-delà —, de la littérature comme non édifiante, l’accent ne
doit pas être mis sur le code moral qu’elle transmet, ni sur la moralité des
comportements qu’elle décrit, mais bien sur la morale au troisième sens de Foucault,
c’est-à-dire sur l’ascétique, sur les « modes de subjectivation », sur les « pratiques de
soi », sur l’exercice de la subjectivité et de l’intersubjectivité morales.

Jugement moral et émotion morale


Or Proust a été longtemps jugé immoral ou amoral, de Mauriac à Sartre — rappel
historique qui a fait l’objet d’une autre leçon —, jusqu’à Bataille qui a fait de lui
un héros nietzschéen défendant une morale souveraine contre la morale ordinaire.
Dans le roman, l’artiste est en effet soumis à une autre morale que la morale
LITTÉRATURE FRANÇAISE MODERNE ET CONTEMPORAINE 733

commune, à la seule discipline de la construction de soi et de l’élaboration de son


œuvre. Dès une note de Sésame et les Lys, le snobisme ou le carriérisme est décrit
comme « le vice le plus grave pour l’homme de lettres, celui que sa morale instinctive,
c’est-à-dire l’instinct de conservation de son talent, lui représente comme le plus
coupable, dont il a le plus de remords, bien plus que la débauche, par exemple,
qui lui est bien moins funeste, l’ordre et l’échelle des vices étant dans une certaine
mesure renversés pour l’homme de lettres ». Pour l’artiste, le snobisme est une faute
plus grave que la débauche, car il ne contribue pas à l’œuvre, contrairement à elle.
La « morale artistique », morale supérieure, se situe au-delà du bien et du mal.

Pourtant, cette distinction nietzschéenne reprise par Bataille n’est pas encore
suffisante. Au-delà de la morale ordinaire et de la morale artistique, il y a encore
place dans la Recherche du temps perdu pour une émotion morale, irréductible à
l’une ou à l’autre, comme l’illustre l’un des épisodes qui ont le plus choqué les
lecteurs et les critiques de Proust, le coup de théâtre de la révélation de
l’homosexualité de Saint-Loup dans Albertine disparue, malgré toutes les précautions
du narrateur et ses tentatives de justification.

Certes, le narrateur prétend se placer au-dessus de la morale ordinaire :


« Personnellement je trouvais absolument indifférent au point de vue de la morale
qu’on trouvât son plaisir auprès d’un homme ou d’une femme, et trop naturel et
humain qu’on le cherchât là où on pouvait le trouver » (IV, 264). L’expression
rappelle la morale de Virgile et de Stendhal résumée déjà dans Sodome et Gomorrhe I
sous la forme : « tout être suit son plaisir ». Pourtant, malgré sa doctrine morale
souvent professée, la liaison de Saint-Loup et de Morel blesse le narrateur, non pas
pour une raison morale donc, mais pour une cause difficilement explicable. Lorsque
la vérité de la sexualité de Saint-Loup lui est indiquée par Jupien, cette révélation,
dit-il, lui fait « une peine infinie » (IV, 256). La liaison de Robert et de Morel, et
surtout le comportement de Morel, scandalisent Jupien pour d’autres raisons qui
soulignent elles aussi par contraste le mystère de la réaction du narrateur : « Non,
que ce misérable musicien ait quitté le baron comme il l’a quitté, salement, on peut
bien le dire, c’était son affaire. Mais se tourner vers le neveu. Il y a des choses qui ne
se font pas » (IV, 257). Il y a une morale de l’immoralité, un sens de l’honneur, un
code de l’honneur, celui du bandit comme homme d’honneur et qui a son point
d’honneur : « Jupien était sincère dans son indignation ; chez les personnes dites
immorales, les indignations morales sont tout aussi fortes que chez les autres et
changent seulement un peu d’objet. » Morel a transgressé une autre morale que la
morale ordinaire, mais encore un code moral. Pourtant, ce qui désole le narrateur
n’est pas de cet ordre, ni relève ni de la morale ordinaire ni de la morale extraordinaire,
et c’est bien pourquoi il échoue à s’expliquer à lui-même ce qui l’affecte tant.

Le narrateur amoralise la sexualité (moraliser un comportement, c’est l’universa-


liser et faire appel à la punition contre les transgressions de ce comportement). Il
ne porte pas de condamnation morale sur l’homosexualité de Saint-Loup. Ce qui
était une faute morale ancienne devient pour lui un choix de vie moderne, choix
734 ANTOINE COMPAGNON

raisonné, rationalisé, justifié par le narrateur. Restent pourtant cette émotion et ces
larmes inexpliquées, irréductibles à la morale artistique comme à la morale ordinaire
de bourgeois et à la morale extraordinaires des bandits.
Déjà, dans « Avant la nuit », nouvelle parue dans La Revue blanche en 1893 et
non recueillie dans Les Plaisirs et les Jours — sans doute à cause de cela —,
l’amoralisation des conduites avait cours : « [...] il n’est pas moins moral — ou
plutôt pas plus immoral qu’une femme trouve du plaisir avec une autre femme
plutôt qu’avec un être d’un autre sexe. La cause de cet amour est dans une altération
nerveuse qui l’est trop exclusivement pour comporter un contenu moral. On ne
peut pas dire parce que la plupart des gens voient les objets qualifiés rouges, rouges,
que ceux qui les voient violets se trompent. » Cette analogie entre les couleurs et
les désirs était prémonitoire et servait à naturaliser toutes les formes du désir.
C’est cette amoralisation du plaisir qui a été perçue par les moralistes des années
1930, de Mauriac à Sartre, comme une démoralisation, ou comme une attaque de
la moralité. Mais quand on amoralise certains comportements, on ne manque pas
d’en moraliser d’autres. Si on a aujourd’hui amoralisé la sexualité, on a moralisé
d’autres choses, comme l’acte de fumer, de manger de la viande, ou de porter des
fourrures. Si le narrateur pleure, n’est-ce donc pas qu’il moralise certains
comportements qui ont été ici transgressés par Saint-Loup ?
La tentative de rationalisation échoue. Il est naturel que tout être cherche son
plaisir là où il peut le trouver : « Si donc Robert n’avait pas été marié, sa liaison
avec Charlie n’eût dû me faire aucune peine. Et pourtant je sentais bien que celle
que j’éprouvais eût été aussi vive si Robert était resté célibataire. De tout autre, ce
qu’il faisait m’eût été bien indifférent. Mais je pleurais en pensant que j’avais eu
autrefois pour un Saint-Loup différent une affection si grande et que je sentais
bien, à ses nouvelles manières froides et évasives, qu’il ne me rendait plus, les
hommes, depuis qu’ils étaient devenus susceptibles de lui donner des désirs, ne
pouvant plus lui inspirer d’amitié » (IV, 264).
Puis Aimé lui apprend les aventures de Saint-Loup et du liftier dès la première
année à Balbec, du temps de leur amitié, ou plutôt le narrateur repense à cette
information qu’il avait d’abord niée, et l’émotion le saisit à nouveau, toujours aussi
vive : « L’apprendre de n’importe qui m’eût été indifférent, de n’importe qui
excepté de Robert. Le doute que me laissaient les paroles d’Aimé ternissait toute
notre amitié de Balbec et de Doncières, et bien que je ne crusse pas à l’amitié, ni
en avoir jamais véritablement éprouvé pour Robert, en repensant à ces histoires du
lift et du restaurant où j’avais déjeuné avec Saint-Loup et Rachel j’étais obligé de
faire un effort pour ne pas pleurer » (IV, 266).
Que nous disent cet échec de la rationalisation morale et cette émotion
mystérieuse et récurrente ? Que, face au raisonnement, au jugement moral
universalisable, subsiste telle quelle une intuition morale particulière, en situation.
Ces larmes nous surprennent, mais en même temps nous les comprenons. Dès
LITTÉRATURE FRANÇAISE MODERNE ET CONTEMPORAINE 735

qu’elles tombent, elles deviennent nécessaires et elles nous convainquent. Toutes


les fausses raisons de l’émotion ont été écartées, le mariage et l’amitié, mais il reste
quelque chose, un autre sens moral qui a été trahi : la loyauté, la sincérité,
l’honnêteté, la pureté, tout simplement la beauté morale. Saint-Loup a trahi
quelque chose que le narrateur ne sait pas exprimer. Les larmes sont le signe de
cette impossibilité. Beaucoup de larmes sont aussi répandues à la fin d’« Avant la
nuit ». Les larmes montrent la tension, le conflit qui oppose la rationalité (la
raison, le raisonnement ou la rationalisation), en l’occurrence la tolérance du
narrateur pour tous les plaisirs et désirs, à une émotion singulière.
Ce genre de conflit, représenté dans les larmes, est analysé aujourd’hui par les
neurosciences contemporaines qui ont repéré des zones du cerveau associées à
l’émotion et d’autres zones dévolues à l’analyse rationnelle. Une partie des lobes
frontaux est liée aux émotions, tandis qu’une autre partie du cerveau se réserve les
facultés cognitives, le calcul mental, le raisonnement, la décision. L’imagerie
cérébrale permet d’observer l’impact de l’émotion sur la raison. Si les lobes frontaux
sont endommagés et que les émotions sont émoussées, on devient utilitariste et
froidement rationnel, ce qui n’est visiblement pas le cas du narrateur, comme le
prouvent ses larmes. Il a bien, comme presque nous tous, un sixième sens moral,
contrairement à ce qu’il avance dans La Prisonnière : « […] le sentiment de la
justice, jusqu’à une complète absence de sens moral, m’était inconnu » (III, 794).
Nos intuitions morales sont instinctives, comme si nous avions un sens moral inné
résultant de l’évolution.
« On ne peut pas dire parce que la plupart des gens voient les objets qualifiés
rouges, rouges, que ceux qui les voient violets se trompent », jugeait Proust dès Les
Plaisirs et les Jours. La coïncidence est étonnante, car la même comparaison est faite
aujourd’hui par des biologistes pour montrer que certaines parties de notre
expérience subjective sont le produit de notre équipement biologique et n’ont pas
de contrepartie objective dans le monde, comme les couleurs ou, soutiennent-ils,
l’intuition morale. La différence entre le rouge et le violet est un trait de notre
système nerveux commun, et si notre espèce avait évolué différemment, ou si
quelques gènes nous manquaient, notre réaction serait différente. La distinction
entre le bien et le mal a-t-elle plus de réalité que celle du rouge et du violet ?
Mon intérêt dans la Recherche du temps perdu — cette année — est donc allé
non pas vers une morale ni vers une moralité de Proust, mais vers les conflits qui
naissent de manière récurrente dans son roman entre un jugement moral rationnel
et une intuition, une émotion ou un sentiment moral. Le narrateur est capable
d’une approbation raisonnée de l’homosexualité en général, mais il n’en verse pas
moins des larmes irraisonnées face à la révélation de l’homosexualité de son ami
Saint-Loup. Nombreuses sont dans le roman les situations de trouble moral, ou
de conflit entre deux moralités, l’une rationnelle et l’autre émotionnelle. Le
narrateur est déconcerté, dérouté, décontenancé, surpris, stupéfait, ou, en un mot,
interloqué, incapable d’expliquer la réaction que l’intuition morale a décidée en lui
en dépit du jugement moral.
736 ANTOINE COMPAGNON

En voici un autre exemple dans unes des phrases les plus célèbres du roman, tout
simplement la clausule d’« Un amour de Swann » : « Et avec cette muflerie
intermittente qui reparaissait chez lui dès qu’il n’était plus malheureux et que
baissait du même coup le niveau de sa moralité, il s’écria en lui-même : “Dire que
j’ai gâché des années de ma vie, que j’ai voulu mourir, que j’ai eu mon plus grand
amour, pour une femme qui ne me plaisait pas, qui n’était pas mon genre !” »
(I, 375). D’un côté la muflerie du jugement ou du choix rationnel : elle n’est « pas
mon genre » ; de l’autre côté la moralité du malheur, c’est-à-dire de l’amour,
suivant cette sentence : « On devient moral dès qu’on est malheureux » (I, 619).
Cette perplexité est une variante du conflit de la raison et du sentiment. Pour le
lecteur, elle donne lieu à la même réaction de surprise que quand on apprend que
Madame Swann et Odette de Crécy ne font qu’un : « Madame Swann ! Cela ne
vous dit rien ? Odette de Crécy ? — Odette de Crécy ? Mais je me disais aussi, ces
yeux tristes... Mais savez-vous qu’elle ne doit plus être de la première jeunesse ! Je
me rappelle que j’ai couché avec elle le jour de la démission de Mac-Mahon »
(I, 413). Et la surprise cède aussitôt devant la nécessité de l’émotion morale.
Ce sont donc des cas de perplexité morale dans le roman de Proust qui ont fait
l’objet d’analyses rapprochées, des cas que nous avons rangés sous la liste des
Vertus et des Vices de Padoue, « ces figures symboliques de Giotto dont M. Swann
m’avait donné des photographies » (I, 80), étant entendu que vices et vertus ne
sont jamais tranchés, mais toujours indistincts, impurs, coupés. Le mélange des
vertus et des vices, de la bonté et de la méchanceté, du bien et du mal, est habituel
et constant chez l’homme, disait Montaigne. Odette, Albertine, Saint-Loup sont à
la fois le mal et le remède, comme « cette Odette sur le visage de qui [Swann] avait
vu passer les mêmes sentiments de pitié pour un malheureux, de révolte contre
une injustice, de gratitude pour un bienfait, qu’il avait vu éprouver autrefois par
sa propre mère, par ses amis » (I, 263), mais qui est aussi une femme entretenue
et cruelle, qui le fait souffrir.
Telle est aussi la conclusion de l’épisode de Sole mio à Venise, dans Albertine
disparue, quand le héros rejoint sa mère au dernier moment, après l’avoir fait
souffrir : « “Tu sais, dit-elle, ta pauvre grand-mère le disait : C’est curieux, il n’y a
personne qui puisse être plus insupportable ou plus gentil que ce petit-là.” »

Séminaire
Le séminaire, qui s’est tenu douze semaines à la suite du cours et sur le même sujet, a
permis de prolonger et de préciser l’examen des morales de Proust, à travers une série
d’études de cas.
Philippe Chardin, Université François-Rabelais, Tours, « Amoralités proustiennes »,
15 janvier 2008.
Luc Fraisse, Université Strasbourg II - Marc-Bloch, « Proust et l’écriture du mensonge »,
22 janvier 2008.
Jacques Dubois, Université de Liège, « Petites sociologies morales dans la Recherche »,
29 janvier 2008.
LITTÉRATURE FRANÇAISE MODERNE ET CONTEMPORAINE 737

Élisabeth Ladenson, Université Columbia, New York, « Proust et la morale publique »,


5 février 2008.
Mireille Naturel, Université Paris III - Sorbonne-Nouvelle, « Les mauvais sujets »,
12 février 2008.
Edward Hughes, Queen Mary College, Université de Londres, « Perspectives sur la
culture populaire », 19 février 2008.
Raymonde Coudert, Université Paris VII - Denis-Diderot, « Fables animales proustiennes »,
26 février 2008.
Mariolina Bertini, Université de Parme, « Moralité de la lecture : de la vision pédagogique
de Ruskin à la complicité proustienne », 4 mars 2008.
Françoise Leriche, Université Grenoble III - Stendhal, « C’est à l’influence de quelqu’un
qu’on juge de sa moralité », 11 mars 2008.
Maya Lavault, Université Paris IV - Sorbonne, « Histoire de crimes proustiens », 18 mars
2008.
Joshua Landy, Université Stanford, « “Un égoïsme utilisable pour autrui” : le statut
normatif de l’auto-description chez Proust », 25 mars 2008.
Jon Elster, Collège de France, « L’aveuglement volontaire », 1er avril 2008.

Conférences
« L’autorité », co-organisation du colloque de rentrée, Collège de France, octobre 2007.
« L’histoire littéraire des écrivains », co-organisation du colloque Paris IV-Sorbonne -
Columbia University, octobre 2007.
« Maintenir le canon », Società Universitaria per gli Studi di lingua e letteratura francese,
Rome, novembre 2007.
« Roman et mémoire », Collège de France, novembre 2007.
« Après les antimodernes », Katholieke Universiteit, Leuven, mars 2008.
« Thibaudet à Genève », Université de Genève, mars 2008.
« Roman et mémoire », Society of Dix-Neuviémistes, University of Manchester, mars
2008.
« La traversée de la critique », Université de Bordeaux III, avril 2008.
« Roman et mémoire », Universidad Complutense, Madrid, avril 2008.
« Israël avant Israël », Université de Tel Aviv, mai 2008.
« “Vaines pointures, mais toujours pointures” : Montaigne et l’Ecclésiaste », École normale
supérieure, juin 2008.
« Les ennemis de Zola », Bibliothèque nationale de France, juin 2008.
« Michel Butor : Montaigne - Proust et retour », Collège de France, juin 2008.

Publications
Articles
« Préface » à Montaigne, Los Ensayos, trad. J. Bayod Brau, Barcelone, Acantilado, 2007.
« Les programmes : élaboration et contenu », Pouvoirs (« L’Éducation nationale »), no 122,
2007.
« La théorie baudelairienne des nombres », La Licorne (« Baudelaire et les formes
poétiques », éd. Yoshikazu Nakaji), no 83, 2008.
738 ANTOINE COMPAGNON

« Proust et la légende des siècles », Marcel Proust. Die Legende der Zeiten im Kunstwerk
der Erinnerung, éd. Karlheinz Stierle, Frankfurt, Insel-Verlag, 2007.
« Joseph Reinach et l’éloquence française », Commentaire, no 120, 2007 ; Les Frères
Reinach, éd. Sophie Basch, Michel Espagne et Jean Leclant, Académie des inscriptions et
belles-lettres - De Boccard, 2008.
« Nazisme, histoire et féerie : retour sur Les Bienveillantes », Critique, no 726, 2007.
« Comme la souffrance va plus loin en psychologie que la psychologie ! », Psychologies fin
de siècle, éd. Jean-Louis Cabanès, Jacqueline Carroy et Nicole Edelman, Université Paris
Ouest, 2008.
« Vies parallèles », Critique (« Bergson »), no 732, 2008.
« Thibaudet chargé de reliques », Le Débat, no 150, 2008.

Tribunes
« Le déclin français vu des États-Unis », Le Monde, 30 novembre 2007.
« Tant vaut le maître, tant vaut l’école », Le Figaro, 23 janvier 2008.
« Montaigne », Le Monde des livres, 14 mars 2008.
« Les sciences humaines entre universités et CNRS », Le Monde, 21 juin 2008.

Autres responsabilités
Membre du Haut Conseil de l’Éducation.
Membre du Haut Conseil de la Science et de la Technologie.
Membre du conseil scientifique de la Fondation des Treilles.
Membre du conseil scientifique du Collegium de Lyon.
Membre du conseil scientifique de l’Institut des Hautes Études pour la Science et la
Technologie (IHEST).
Membre de la commission sur la condition enseignante (commission Pochard).
Président du conseil scientifique de l’École normale supérieure.
Président de la commission « Littérature classique et critique littéraire » du Centre
national du livre (CNL).

Thèses soutenues sous la direction du professeur


Jean-Baptiste Amadieu, « L’Index romain et la littérature française de fiction au
xixe siècle », Paris IV, décembre 2007.
Mireille Naturel, « Proust et le fait littéraire », HDR, Paris IV, décembre 2007.
Hiroya Sakamoto, « Les inventions techniques dans l’œuvre de Marcel Proust », Paris IV,
janvier 2008.
Maxime Abolgassemi, « Pour une poétique du hasard objectif », Paris IV, février 2008.
Yoko Matsubara, « Proust et Racine : les références raciniennes dans les écrits de Proust »,
Paris IV, mars 2008.
Liza Gabaston, « Le langage du corps dans À la recherche du temps perdu de Marcel
Proust », Paris IV, juin 2008.
Young-Hae Kim, « Proust et la transposition de l’image à l’écriture : autour des éléments
asiatiques », Paris IV, AC, juillet 2008.
LITTÉRATURE FRANÇAISE MODERNE ET CONTEMPORAINE 739

M. Jean-Baptiste Amadieu, ATER


La chaire de Littérature française moderne et contemporaine compta pour la
deuxième année consécutive un poste d’ATER, occupé par Jean-Baptiste Amadieu,
agrégé de Lettres modernes. Au cours de ces deux années, il mena à terme une
thèse de doctorat entreprise sous la direction du professeur et portant sur les
archives inédites de la Congrégation romaine de l’Index. Ce travail qui éditait et
commentait les fonds de la censure ecclésiastique concernant les œuvres littéraires
françaises du xixe siècle examinées par le Saint-Siège, fut publiquement soutenu le
30 novembre 2007 et reçut les félicitations unanimes du jury. Dans la continuité
de cette étude, la chaire lui accorda un séjour de recherche pour explorer les
archives du Saint-Office récemment ouvertes pour le pontificat de Pie XI : examens
censoriaux de Mauriac, Gide, Claudel et Bernanos. M. Amadieu collabora
également à l’organisation du séminaire, à l’édition scientifique des Réflexions sur
la littérature de Thibaudet, et à l’édition des actes des séminaires de la chaire.
Littératures modernes de l’Europe néolatine

M. Carlo Ossola, professeur

Renaissance et création
1. « Orgiasme »
Le cours a étudié les modes littéraires et figuratifs à travers lesquels, dans la
civilisation de la Renaissance (dans ses bases classiques et médiévales et dans sa
réception moderne et contemporaine), se sont trouvés confrontés les mythes de la
Renovatio et de la Genèse, de la création divine ou du retour de la mythologie
classique (idéalement représentables, à quelques lustres de distances, d’un côté par
la Naissance de Vénus de Botticelli et de l’autre par les fresques de la Création sur
la voûte de la Sixtine de Michel-Ange).
Le projet figuratif de Michel-Ange n’a pas seulement un caractère apologétique,
mais il est la continuation et l’accomplissement de la plus haute méditation de
l’Humanisme italien : il suffit de rappeler l’Heptaplus. De septiformi sex dierum
geneseos enarratione, 1489, de Jean Pic de la Mirandole, qui continue admirablement
la tradition patristique des « hexamérons », soulignant en elle — selon la récente
résurgence humaniste de la tradition judaïque 1 — l’émanation nécessaire d’un
« ordre du monde », que Pic reconduit à la Genèse, là où Moïse « traite expressément
de l’émanation de toute chose à partir de Dieu, du degré, du nombre, de l’ordre
des parties de l’univers, avec la plus haute capacité philosophique 2 ».

1. Voir, sur ce thème, les nombreux essais de Moshe Idel (et notamment Absorbing Perfections.
Kabbalah and Interpretation, New Haven, Yale University Press, 2002) ; de François Secret, Les
Kabbalistes chrétiens de la Renaissance, Paris, Dunod, 1963 ; et récemment de Giulio Busi, L’enigma
dell’ebraico nel Rinascimento, Torino, Nino Aragno, 2007.
2. G. Pico della Mirandola, De hominis dignitate. Heptaplus. De Ente et Uno, par E. Garin,
1942; reprint Torino, Nino Aragno, 2004, p. 176-177 : « ubi [Moses] vel ex professo de rerum
omnium emanatione a Deo, de gradu, de numero, de ordine partium mundanarum altissime
philosophatur » (texte latin en regard du texte italien) ; je cite de la traduction française par André
Chastel, « Pic de la Mirandole et l’“Heptaplus” », Les Cahiers d’Hermès, n° 2, La Colombe, 1947,
p. 99 [avec une petite modification].
742 CARLO OSSOLA

Cette tension apocalyptique qui entoure de Prophètes et de Sibylles les scènes


de la Genèse a pu être suggérée par les marbres polychromes du Duomo de Sienne 3
— comme si Michel-Ange avait porté à hauteur de plafond cette “histoire sacrée”
qui à Sienne était au niveau du pavement —, mais surtout elle tire son caractère
d’“héroïque terribilité”, selon la Vie de Michel-Ange de Vasari, de la prédication
alors récente de Jérôme Savonarole :
Dilettossi [Michelangelo] molto della Scrittura sacra, come ottimo cristiano che egli era,
et ebbe in gran venerazione l’opere scritte da fra’ Girolamo Savonarola, per avere udito la
voce di quel frate in pergamo.

Il [Michel-Ange] prenait grand plaisir à la Sainte Ecriture en excellent chrétien qu’il était
et il eut une grande vénération pour les écrits du frère Jérôme Savonarole dont il avait
entendu la voix en chaire 4.

Par ailleurs, on ne peut soutenir que Botticelli représente, à l’inverse, et


simplement, le versant “païen” de la Renaissance florentine, puisque là aussi Vasari
(bien que dans le cadre de son apologie des Médicis) nous montre un tableau
biographique bien plus contrasté, et — une fois encore — entièrement traversé
par l’expérience savonarolienne :
[…] la meilleure [gravure] est le Triomphe de la foi de frère Jérôme Savonarole de Ferrare.
Sandro prit parti pour cette secte, ce qui l’amena à abandonner la peinture, et, n’ayant
plus les moyens de gagner sa vie, il sombra dans le plus grand désordre. En effet,
obstinément attaché à ce parti et faisant, comme on disait alors, le piagnone, il s’abstint
de travailler. Il se retrouva vieux et pauvre et, si Laurent de Médicis ne l’avait soutenu
[…], il serait quasiment mort de faim 5.

On pourrait même suggérer que, pour comprendre la nature des tensions qui,
dans l’historiographie moderne relative au xvie siècle, alimentent la polarité
Création — Renaissance (et tout autant la lecture de leurs emblèmes : la création,
d’une part, du Michel-Ange de la Sixtine au Tasse du Mondo creato et la Renaissance,
d’autre part, de la Vénus de Botticelli aux Fureurs héroïques de Giordano Bruno),
il faudrait, idéalement, circonscrire cette période allant de la fin du xve siècle à la

3. Je renvoie à F. Ohly, Die Kathedrale als Zeitenraum. Zum Dom von Siena, 1972 (trad. it. de
M. A. Coppola, La cattedrale come spazio dei tempi. Il Duomo di Siena, Siena, Accademia Senese
degli Intronati, 1979).
4. G. Vasari, La vita di Michelangelo nelle redazioni del 1550 e del 1568, par Paola Barocchi,
Milano-Napoli, Ricciardi, 1962, vol. I, p. 121 ; trad. fr. et éd. commentée sous la dir. d’André
Chastel, Vie de Michel-Ange Buonarroti, in Les Vies des meilleurs peintres, sculpteurs et architectes,
Arles, Actes Sud, 2005, 2 vol. ; citation vol. II, « Livre IX », p. 308.
5. G. Vasari, Vie de Sandro Botticello, peintre florentin, in Les Vies des meilleeurs peintres,
sculpteurs et architectes, trad. cit., vol. I, « Livre IV », p. 261 [« (…) onde il meglio che si vegga
di sua mano è il trionfo della fede di fra’ Girolamo Savonarola da Ferrara : della setta del quale
fu in guisa partigiano, che ciò fu causa che egli abandonando il dipignere e non avendo entrate
da vivere, precipitò in disordine grandissimo. Perciò che, essendo ostinato a quella parte e facendo
(come si chiamavano allora) il piagnone, si diviò dal lavorare : onde in ultimo si trovò vecchio e
povero, di sorte che se Lorenzo de’ Medici (…) non l’avesse sovvenuto, (…) si sarebbe quasi
morto di fame » ; Roma, Newton Compton, 1991, p. 494].
LITTÉRATURES MODERNES DE L’EUROPE NÉOLATINE 743

fin du xvie entre les deux dates de deux bûchers : celui de Jérôme Savonarole
(1498) et celui de Giordano Bruno (1600), chacun avec ses apologistes, chacun
avec ses détracteurs.

Si la question savonarolienne et le “prophétisme” michelangelesque (de la


voûte de la Sixtine au mur du Jugement universel, Genèse et Apocalypse
recueillies en un seul espace-temps) sont bien loin d’avoir trouvé une
appréciation historiographique satisfaisante, de nouveaux clairs-obscurs surgissent
maintenant autour de la “Renaissance païenne”, que l’école d’Aby Warburg
semblait pourtant avoir imposée à l’historiographie des arts du xvie siècle. En
effet, le second volume de la traduction italienne des écrits d’Aby Warburg 6
— le premier a paru en 2004 chez le même éditeur — présente non seulement
une vaste anthologie de la dernière partie de son activité de recherche et de sa
vie, mais elle offre également au lecteur quelques précieux inédits, dont les
principaux sont les trois versions de sa conférence sur Ghirlandaio, donnée à la
Bibliotheca Hertziana de Rome en mai 1929, et un cahier de notes fiévreuses sur
Giordano Bruno, qui a accompagné le savant — comme le retrace finement
Maurizio Ghelardi dans son Introduzione — jusqu’à la veille de sa mort. Le
26 octobre 1929, à quatre heures du matin, il notait : « Persée, ou “Esthétique
de l’énergie comme fonction logique dans le problème de l’orientation chez
Giordano Bruno” : j’ai enfin choisi le titre de ma leçon inaugurale 7. » Il allait
mourir seulement quelques heures plus tard.

Désormais, l’œuvre de Warburg et son importance sont trop connues pour


qu’il soit nécessaire de revenir sur l’emblématique conférence “hertzienne” (à
laquelle Silvia De Laude a consacré d’importantes études, liées par ailleurs à la
présence à Rome de Curtius 8). Il convient en revanche de prêter attention ici
au cahier concernant Bruno. Il s’agit de 45 feuillets de notes remontant au séjour
en Italie de Warburg et de Gertrud Bing (Rimini, Orvieto, Rome, Naples,
Capoue, entre l’automne 1928 et le printemps 1929). Ces notes indiquent
immédiatement une direction forte de “lecture” de Giordano Bruno :
« Renforcement de la révolte à travers l’action de saisir 9 » ; ascension et
déification par le recours au mythe orphique de connaissance et de sacrifice :

6. A. Warburg, Opere, vol. II : La rinascita del paganesimo antico e altri scritti (1917-1929),
par M. Ghelardi, Torino, Nino Aragno, 2007.
7. Ibid., je cite de l’Introduzione de Maurizio Ghelardi, p. XVI-XVII. Toutes les indications de
page infra renvoient à cette édition, d’après laquelle sont traduites les citations de Warburg.
8. Cf. S. De Laude, Continuità e variazione : studi su Ernst Robert Curtius e Aby Warburg,
Napoli, Solimene, 2005.
9. A.Warburg, [Giordano Bruno], carnet de notes, à la plume et au crayon, composé de
45 feuillets, et d’une feuille libre sur laquelle on peut lire : « Giordano Bruno. Auffahrt 1929
(Mithras, Rimini, Perseus) ». Deux photographies de Warburg et Gertrud Bing, datées
respectivement « November 928 » et « 19.III.929, Orvieto » fournissent une confirmation de
quelques-unes des étapes du voyage. La note, placée en ouverture du cahier (op. cit., p. 923),
explicite la note de la ligne précédente : « Saisir et comprendre [Griff u. Begreifen] ».
744 CARLO OSSOLA

« L’ascension imaginaire et le sacrifice en tant que pratique 10. » Et presque à la


même date : « Un jour : liquidation des ténèbres grâce à la lumière extérieure
(Mithra) et à celle intérieure (G. Bruno) 11. »
La figure du Nolain frappe tant l’esprit de Warburg qu’il en demeure indécis,
hésitant à le situer, face à don Quichotte, parmi les fondateurs de l’impératif
catégorique :
Rome 2. XII. 1928
don Quichotte Giordano Bruno
Chevalier errant 12 Hygin moralisé
du concept d’infinité
“Défi” sur le fondement humain
individuel
à travers
une émulsion dynamique
impératif catégorique la réforme de l’humaine
causalité figurative

Naissance de l’impératif
catégorique 13,

ou bien à le poser comme le défenseur d’un dionysisme “non endeuillé” :


« Rétablissement de la dynamique / humaine (il ne s’agit pas de l’endeuillement)
passionnelle / Giordano Bruno » 14, jusqu’à le représenter comme un précurseur
de Nietzsche : « Dans les Fureurs héroïques, parvenu au point où Actéon de
prédateur devient proie de la solitude pensante 15 » ; «Bruno // L’acte de l’adhésion
héroïco-érotique au chaos et la Hylè / acte originel créateur du détachement qui
produit l’espace de la pensée 16. »

10. Ibid., note du « 20.V. 1929 », p. 930.


11. Ibid., note du « 17.V. 1929 », p. 941.
12. En français dans le texte de Warburg.
13. Ibid., note du « 2. XII. 1928 », p. 957.
14. Ibid., note du « 23. XII. 1928 », p. 963.
15. Ibid., note datée « Naples, 8 mai 1929 » et ayant pour titre Giordano Bruno, p. 975. La note
doit être complétée par celle du jour suivant : « Transformation d’Actéon comme acte intuitif et
totale adhésion à la contemplation [Schau] » (ibid., note datée du « 12 mai 1929 — ai fini avec
Gertrud Bing la lecture des Fureurs héroïques », p. 976). Il est indubitable qu’ici résonne le souvenir
des Sonette an Orpheus de Rainer Maria Rilke, édités en 1923, où souffle — comme motif
conducteur — le « Wolle die Wandlung » (II, XII : « Veux la métamorphose » ; je cite de la
traduction de Maurice Regnaut, Sonnets à Orphée, in Œuvres poétiques et théâtrales, sous la dir. de
Gerald Stieg, Paris, Gallimard, 1997, p. 606). On peut, du reste, qualifier de très “brunienne” la
conclusion du sonnet XXVII de la Deuxième Partie : « Tels que nous sommes, les sans trêve, /
auprès des forces qui demeurent, / nous avons valeur de divin usage » (Sonnets à Orphée, trad. cit.,
p. 615). C’est là un thème qui mériterait de vastes recherches, et une lecture différente, “brunienne”,
de l’Ouvert de Rilke : « Tout est distance, — et nulle part ne peut se refermer le cercle » (II, XX,
trad. cit., p. 610-611 [« Alles ist weit -, und nirgends schließt sich der Kreis »]).
16. A. Warburg, [Giordano Bruno], cit., in Opere, vol. II, p. 979 [« 18.V.1929 Naples »].
LITTÉRATURES MODERNES DE L’EUROPE NÉOLATINE 745

Or, quand on sait l’importance que Warburg attribue, dans son système, à la
pensée de Nietzsche, et précisément au cours de ces mêmes semaines “bruniennes”
durant lesquelles il prépare son compte rendu (du 18 mai 1929) sur L’Antique
romain dans l’atelier de Ghirlandaio, qui commence ainsi : « Nietzsche, dans la
Naissance de la tragédie (1886), nous a appris à considérer l’Antique à travers le
symbole du double hermès Dionysos-Apollon» 17 ; quand encore on se rappelle
que dès 1908 (dans sa conférence Le Monde antique des Dieux et la première
renaissance au nord et au sud ) c’est le Nietzsche dionysiaque qui capte son
attention : « Chaque époque, sur la base du développement de sa vision intérieure,
peut comprendre ce qu’elle est en mesure de reconnaître et de supporter des
symboles olympiques. À la nôtre, par exemple, Nietzsche a appris à voir
Dionysos 18 » ; alors, il ne sera pas indu de supposer que, dans la pensée de
Warburg, Giordano Bruno vient résoudre l’aporie d’un “nietzschéisme sans
Nietzsche” désormais en vigueur d’après les couleurs wagnériennes et les mythes
aryens de plus en plus présents dans la propagande du national-socialisme (et qui,
de manière problématique, touchent aussi le cahier de Warburg : « Liquidation de
la Bête […] // Vénération de l’énergie socialement utile 19 »). Dostoïevski, face
aux mêmes apories et à l’impératif d’“émerger du chaos”, avait choisi l’Idiot / don
Quichotte 20 ; Warburg choisira la « fureur » orphique, et régénératrice, bruniano-
nietzschéenne.

Giordano Bruno venait ainsi accomplir (avec des conséquences qui se projetteront
sur toute l’école warburgienne, à commencer par Frances Yates, et sur la récente
réception italienne, saturée de mythes bruniens) la parabole amorcée par Warburg
lors de son premier séjour en Italie et rappelée également dans son dernier cahier :
« Botticelli (tapisserie) / Politien / Urbino / Giordano Bruno 21. » Le « paganisme »
warburgien — ainsi que l’a proposé Eugenio Battisti pour le thème des
« bacchanales 22 » — est tout autre qu’un triomphe humaniste des « Grâces » et
de la forme nue ; Warburg penche, au contraire, et dès les notes de L’Exposition
sur Ovide (1927), du côté orphico-sacrificiel de la tradition classique :
Actéon transformation
Daphné poursuite
mort

17. A. Warburg, L’antico romano nella bottega di Ghirlandaio. Resoconto, 18 maggio 1929, texte
inédit publié maintenant in Opere, cit., vol. II, p. 863-869; citation p. 865.
18. A. Warburg, Opere, éd. cit., vol. I, p. 504.
19. Ibid., [Giordano Bruno], in Opere, vol. II, p. 983 [« 10.VI.1929 »].
20. Je me permets de renvoyer à mon cours « En pure perte » : le renoncement et le gratuit (textes
des XIX e et XX e siècles), in Cours et Travaux du Collège de France, CV : Résumés 2004-2005, Paris,
Collège de France, 2006, p. 723-737.
21. A. Warburg, [Giordano Bruno], cit., in Opere, vol. II, p. 952 [« 24.XII.1928 »].
22. E. Battisti, Mitologie per Alfonso d’Este, in Rinascimento e Barocco, Torino, Einaudi, 1960,
p. 112-145.
746 CARLO OSSOLA

Proserpine enlèvement
Enfers
transformation
Médée Polixène expiation rite
sacrifice humain
Orphée expiation (extrême sacrifice)
orgiasme
Méléagre Alceste Lamentation 23.
Ce parcours “orphique” du mythe était un prélude à l’« Aboutissement de la
dynamique poétique / épique et lyrique / dans le drame réel de l’époque
moderne 24 ». Indubitablement, la lecture faite par Warburg se plaçait sur le
versant du « Rétablissement de la dynamique [...] passionnelle », et donc des
Pathosformen. Mais à quel point cette lecture était empreinte d’inquiétude, et
insatisfaisante, et rongée de l’intérieur par l’hypothèque nietzschéenne, cela nous
est confirmé par une note écrite peu après :
Le passé de l’Antique païen doit-il donc dominer nos idées maîtresses ?
Renverser la question :
devrions-nous donc oublier l’Antique si nous voulons parvenir à nous sentir
invulnérables 25 ?
« Création — mort » versus « sacrifice — invulnérabilité » : on voit bien comment
la réflexion sur les modèles interprétatifs du xvie siècle touche à la nature même
de l’homme moderne et de la société contemporaine; et comment — mais se sera
l’occasion d’un autre cours — la bataille que l’homme contemporain a engagée
contre la mort tend, au fond, non pas à renouveler la création, mais à procurer, là
esthétiquement et aujourd’hui techniquement, l’invulnérabilité — une intangible
durée qui est évoquée chez Rilke par une parabole semblable :
Même si le monde doit un jour s’effondrer sous ses pieds, il est l’élément créateur qui perdure
de façon indépendante, il est la méditative possibilité de mondes et de temps nouveaux.
C’est pourquoi celui qui en fait sa vision de la vie, l’artiste, est aussi l’homme du but ultime,
qui traverse les siècles en restant jeune, sans aucun passé derrière lui. Les autres vont et
viennent, il dure 26.

23. A. Warburg, La mostra su Ovidio, in Opere, vol. II, cit., p. 670. Parallèlement, dans une
note du « 28. I. 1927 », Warburg établit une distribution analogue : « Poursuite / Daphné I //
Enlèvement / Proserpine II // Transformation / Actéon III /// Sacrifice humain / Médée Polixène
4 // extrême sacrifice / Orphée 5 // Lamentation / Méléagre Alceste 6 » (ibidem). C’est sur la
même parabole que se concluait la première partie des Sonnets à Orphée : « Ivres de vengeance,
elles t’ont achevé, mis en pièces, / ta voix gardant comme demeure le lion, le roc, / l’arbre,
l’oiseau. C’est de là encore que tu chantes. // Ô toi, dieu perdu ! Ô toi, trace infinie ! » (I, XXVI ;
je traduis).
24. A. Warburg, La mostra su Ovidio, vol. II, p. 670.
25. Ibid., vol. II, p. 671.
26. R. M. Rilke, Sur l’art [1], trois fragments publiés dans la revue Ver sacrum sous le titre
Über Kunst, en novembre 1898-mai 1899 ; voir maintenant Œuvres en prose. Récits et essais, sous
la direction de Cl. David, Paris, Gallimard, 1993, p. 678.
LITTÉRATURES MODERNES DE L’EUROPE NÉOLATINE 747

2. « Repos »
Le panorama proposé par Aby Warburg s’étend sur une réalité principalement
italienne, allant de Ferrare à Florence aux xve et xvie siècles. De même, ses premiers
essais se fondaient sur des lectures italiennes : dans “La Naissance de Vénus” et “Le
Printemps” di Sandro Botticelli (1893), il rappelle les dettes qu’il a contractées
envers l’édition des œuvres de Politien donnée par Giosue Carducci, Le Stanze,
l’Orfeo e le Rime di M. A. Poliziano (Firenze, Barbera, 1863). Récemment, Giovanna
Cordibella 27 a évoqué l’importance de cette dette; mais il faudrait aller plus loin
encore : la formule même de « renaissance du paganisme antique » semble être
empruntée à Carducci, lequel, dans le finale de son chapitre consacré à Florence à
la fin du xve siècle, prend ainsi congé — encore une fois — de Savonarole, véritable
moment décisif de tout jugement sur la Renaissance italienne :
Il Rinascimento sfolgorava da tutte le parti; da tutti i marmi scolpiti, da tutte le tele
dipinte, da tutti i libri stampati in Firenze e in Italia irrompeva la ribellione della carne
contro lo spirito, della ragione contro il misticismo ; ed egli, povero frate, rizzando suoi
roghi innocenti contro l’arte e la natura, parodiava gli argomenti di discussione di Roma ;
egli ribelle, egli scomunicato, egli in nome del principio di autorità destinato a ben altri
roghi. E non sentiva che la riforma d’Italia era il rinascimento pagano, che la riforma
puramente religiosa era riservata ad altri popoli più sinceramente cristiani ; e tra le ridde
de’ suoi piagnoni non vedeva, povero frate, in qualche canto della piazza sorridere
pietosamente il pallido viso di Nicolò Machiavelli 28.
La Renaissance resplendissait de toutes parts; de tous les marbres sculptés, de toutes les
toiles peintes, de tous les livres imprimés à Florence et en Italie jaillissait la rébellion de
la chair contre l’esprit, de la raison contre le mysticisme ; et lui, pauvre frère, en dressant
ses innocents bûchers contre l’art et la nature, il parodiait les arguments de discussion de
Rome ; lui rebelle, lui excommunié, lui destiné au nom du principe d’autorité à bien
d’autres bûchers. Et il ne sentait pas que la réforme d’Italie était la renaissance païenne,
que la réforme religieuse était réservée à d’autres peuples, plus sincèrement chrétiens ; et
parmi la foule de ses piagnoni, il ne voyait pas, pauvre frère, en quelque recoin de la place
sourire, apitoyé, le pâle visage de Nicolas Machiavel.
Au cours de ces mêmes années, l’opposition Savonarole — Machiavel sera
corroborée par la Storia della letteratura italiana (1870-1871) de Francesco De
Sanctis, dans laquelle Machiavel prépare une route, toute matérielle, à l’aventure
humaine, dont Bruno sera — à côté de Galilée — le prophète et le modèle,
annonçant la « Science nouvelle », une science politico-philosophique en cohésion
avec celle de Machiavel :
Machiavelli aveva già parlato di uno spirito del mondo immortale ed immutabile, fattore
della storia secondo le sue leggi costitutive. Quello spirito della storia nella speculazione
di Bruno è il fabbro del mondo, il suo artefice interno 29.

27. G. Cordibella, « Una lettera inedita di Aby Warburg a Giosue Carducci », Lettere Italiane,
LIX, 2007, n° 4, p. 574-581.
28. G. Carducci, Dello svolgimento della letteratura nazionale, 1868-1971 ; Discorso IV ; in
Prose, Bologna, Zanichelli, 1941, p. 378-379 ; je souligne.
29. F. De Sanctis, Storia della letteratura italiana, 1870-1871 ; je cite à partir de l’édition
établie par N. Gallo et G. Ficara, Torino, Einaudi — Gallimard, 1996, chap. XIX : « La nuova
scienza », § 5, p. 634.
748 CARLO OSSOLA

Déjà Machiavel avait parlé d’un esprit du monde immortel et immuable, faiseur de
l’histoire selon ses lois constitutives. Dans la spéculation de Bruno, cet esprit de l’histoire
est le faiseur du monde, son artisan interne.

De Sanctis, toutefois, ne considérait pas la pensée mais les formes actives de la


liberté que l’Italie perdait au xvie siècle; sa condamnation en bloc du Cinquecento
est donc sans appel :

C’était alors l’époque où les grands États d’Europe prenaient une assise stable, et fondaient
chacun leur patrie […]. Et c’était aussi l’époque où l’Italie non seulement ne parvenait
pas à fonder la patrie mais perdait tout à fait son indépendance, sa liberté, son primat
dans l’histoire du monde. De cette catastrophe il n’y avait aucune conscience nationale,
on en éprouvait même une certaine satisfaction 30.

Carducci, plus sensible à la continuité historique d’une grande civilisation


classique au xvie siècle italien, en jugeait bien diversement. S’opposant de manière
explicite à De Sanctis qui avait déclaré :

Parce que finalement c’est la vie italienne qui, vide de conscience, faisait défaut [au
xvie siècle], et l’histoire de cette opposition italienne n’est rien d’autre que l’histoire de la
lente reconstitution de la conscience nationale. Qu’y avait-il dans la conscience ? Rien.
Pas de dieu, pas de patrie, pas de famille, pas d’humanité, pas de civilisation. Et il n’y
avait même plus la négation, qui elle aussi est la vie 31 ;

Carducci le pressait sur le plan de la méthode historique :

Il pourra bien, ce philosophe de l’histoire [scil. : De Sanctis], avec tout le brio de son
ingéniosité, nous prouver que le mouvement de l’Italie au xvie siècle ne fut rien
d’autre que l’oubli insouciant de la réalité et une manière de se préparer à bien mourir,
que l’Italie devait mourir, parce qu’elle n’était pas devenue une nation et qu’elle n’avait
pas la conscience d’une nation ; il pourra, cet historien de la littérature, par d’exquises
subtilités, nous montrer que tout l’art du xvie siècle n’est que dissolution, et que
l’Italie était vouée à la dissolution, parce qu’elle ne croyait pas, parce qu’elle n’avait pas
opéré sa réforme religieuse. Mais l’histoire est ce qu’elle est : que nous, nous voulions
la refaire à notre gré, que nous, nous voulions revoir comme un thème d’écolier le
grand livre des siècles et inscrire dessus, de l’air courroucé des maîtres, nos corrections,
ou, pire, rayer d’un trait de plume les pages qui ne nous plaisent pas […] ; tout cela

30. Ibid., chap. XVII : « Torquato Tasso », § 1, p. 543 : « Quello era il tempo che i grandi stati
d’Europa prendevano stabile assetto, e fondavano ciascuno la patria […]. E quello era il tempo
che l’Italia non solo non riusciva a fondare la patria, ma perdeva affatto la sua indipendenza, la
sua libertà, il suo primato nella storia del mondo. Di questa catastrofe non ci era una coscienza
nazionale, anzi ci era una certa soddisfazione. »
31. Ibid., chap. XIX : « La nuova scienza », § 1; éd. cit., p. 623-624 : « Perché infine la vita
italiana mancava [nel Cinquecento] per il vuoto della coscienza, e la storia di questa opposizione
italiana non è altro se non la storia della lenta ricostituzione della coscienza nazionale. Cosa ci
era nella coscienza ? Nulla. Non Dio, non patria, non famiglia, non umanità, non civiltà. E non
ci era più neppure la negazione, che anch’essa è vita. »
LITTÉRATURES MODERNES DE L’EUROPE NÉOLATINE 749

est volonté arbitraire ou gymnastique de l’esprit, mais ce n’est pas la vérité, et c’est
même le contraire. 32

À la condamnation prononcée par De Sanctis, qui partant de la littérature arrive


jusqu’aux institutions de la langue 33, Carducci opposera une pietas plus mesurée,
sans “héroïques fureurs” et de laquelle jaillira « un monde supérieur de liberté et
de raison » :
Spectacle que d’aucuns pourront dire honteux et qui à moi m’apparaît plein de piété
sacrée, celui d’un peuple de philosophes, de poètes, d’artistes, qui au milieu des soldats
étrangers faisant irruption de toutes parts poursuit dans la douleur mais résolu son œuvre
de civilisation. […] Et le chant des poètes recouvre la triste sonnerie du clairon, et les
presses de Venise, de Florence, de Rome, crissent et œuvrent à illuminer le monde. […]
Chère et sainte patrie ! Elle ouvrit les esprits à un monde supérieur de liberté et de raison;
et de tout fit don à l’Europe 34.

Carducci, renonçant aux Pathosformen de De Sanctis et de Warburg, ne cherchait


pas dans la Renaissance une “régénération” mais une continuité, une continuité
sans palingénésie, une continuité de millénaires païens qui « avait fait païen […]
le christianisme » ; en reprenant à son compte la thèse de De Sanctis, il la renversait
en paradoxe, montrant l’inanité de la vigueur du politique par rapport à la durée
des arts, l’inanité de la réforme religieuse par rapport à la liberté, bien plus grande,
de la raison :
Si elle [scil. : l’Italie] s’était laissé manier par un Souabe ou par un Angevin ou par un
Visconti qui, l’ayant domptée, pressée, battue, l’avait poussée comme un cheval de bataille
aux conquêtes, aurait-elle accompli ce qu’elle a accompli à travers le libre développement
de tous ses éléments, de toutes ses populations ? Aurait-elle eu ses échanges commerciaux
unificateurs de l’Europe, son art conciliateur de l’antiquité et du moyen-âge, sa renaissance ?

32. G. Carducci, Dello svolgimento della letteratura nazionale, cit., Discorso V, 1, p. 382-383 :
« Potrà bene quel filosofo della storia [scil. : il De Sanctis] con molta accensione d’ingegno
provarci che il movimento dell’Italia nel secolo decimosesto altro non fu che oblio spensierato
della realtà e un prepararsi a ben morire, che l’Italia doveva morire perché non si era fatta nazione
e non aveva la conscienza di nazione ; potrà questo storico della letteratura con isquisite sottigliezze
mostrarci che tutta l’arte del secolo decimosesto è dissoluzione, e che l’Italia doveva dissolversi
perché non credeva, perché non aveva operato la riforma della religione. Ma la storia è quel che
è : volerla rifare noi a nostro senno, voler riveder noi come un tema scolastico il gran libro dei
secoli e inscrivervi sopra, con cipiglio di maestri, le correzioni e, peggio, cancellar d’un frego di
penna le pagine che non ci gustano […] ; tutto ciò è arbitrio o ginnastica d’ingegno, ma non è
il vero anzi è il contrario. »
33. « Ce fut alors que se forma l’Académie de la Crusca, et elle fut le Concile de Trente de
notre langue. Elle aussi excommunia des auteurs et posa des dogmes » (F. De Sanctis, Storia della
letteratura italiana, cit., chap. XVII, 4, p. 548 : « Fu allora che si formò l’Accademia della Crusca,
e fu il Concilio di Trento della nostra lingua. Anch’essa scomunicò scrittori e pose dogmi »).
34. Il s’agit de la conclusion même de l’essai. G. Carducci, Dello svolgimento della letteratura
nazionale, cit., Discorso V, 6, p. 409-410 : « Spettacolo che altri potrà dir vergognoso e che a me
apparisce pieno di sacra pietà, cotesto d’un popolo di filosofi di poeti di artisti, che in mezzo ai
soldati stranieri d’ogni parte irrompenti séguita accorato e sicuro l’opera sua di civiltà. […] E il
canto de’ poeti supera il triste squillo delle trombe straniere, e i torchi di Venezia di Firenze di
Roma stridono all’opera d’illuminare il mondo. […] Cara e santa patria ! Ella aprì alle menti un
mondo superiore di libertà e di ragione; e di tutto fe’ dono all’Europa. »
750 CARLO OSSOLA

Ou encore aurait-elle pu la produire avec un tel renouveau universel […] ? La réforme


religieuse, comment l’Italie aurait-elle dû ou pu la promouvoir ou l’accepter, elle qui avait
fait païen à son image le christianisme ? Comment aurait-elle du accepter de Luther
l’autorité de la Bible, elle qui en politique plaçait, avec Machiavel, la pensée humaine
comme créatrice et maîtresse de tout […] ? Mais est-il possible d’imaginer en Italie une
renaissance luthérienne ? Et un Arioste zwinglien ? Un Machiavel puritain ? Un Raphaël
calviniste ? Un Michel-Ange quaker ? Non, vraiment 35.
Carducci assumait, quant au Cinquecento, cette ligne de continuité, cette
« civilisation », qui s’était développée « dès l’an Mille 36 » et qui n’avait donc pas
besoin de ces ruptures religieuses rénovatrices ou de ces rites de purification
“sacrificiels” qui étaient en revanche sous-jacents au monde warburgien. Au fond,
porte-drapeau de l’éternelle vitalité des formes païennes, Carducci confirmait, par
un effet de miroir pour ainsi dire, la thèse que le Tasse, sur l’autre versant, celui
de la “création”, avait exprimée dans son Mondo creato, à savoir que l’univers
n’avait rien connu de germinal, rien d’inchoatif, parce qu’il avait été créé par Dieu
dans la perfection de ses formes :
Anzi questa gran mole ancor novella,
questo grande, dico io, mirabil mondo
non conobbe l’infanzia, e tutto insieme
perfetto apparve, e ne l’aspetto adorno 37.

Ainsi cette grande contexture encore toute neuve,


ce grand, dis-je, cet admirable monde
ne connut pas d’enfance, et tout ensemble
apparut parfait, en son aspect déjà orné.
La raison elle-même, dans la plénitude de son ingéniosité, ne connaît — et
pourtant nous sommes à l’époque tridentine ! — que le « sublime honneur » de
son propre exercice :
Ma l’ardita ragion nulla ritiene.
Questa con l’ali sue trapassa a volo
non pur de l’aria i più ventosi campi,
ma del ciel gli stellanti ed aurei chiostri.
[…]

35. Ibid., Discorso V, 2, p. 385 : « Se [l’Italia] fossesi lasciata maneggiare da uno svevo o da un
angioino o da un Visconti che, domata, spremuta, battuta, l’avesse poi spinta come caval di
battaglia alle conquiste, avrebbe ella operato quel che operò nello svolgimento libero di tutti gli
elementi suoi, di tutte le sue genti ? Avrebbe ella avuto i suoi commerci unificatori d’Europa,
l’arte sua conciliatrice dell’antichità e del medio evo, il suo rinascimento ? O avrebbe ella potuto
produrlo con tale una rifioritura universale […] ? La riforma religiosa come avrebbe dovuto o
potuto promuoverla o accettarla l’Italia, ella che aveva fatto ad imagine sua pagano il cristianesimo ?
Come avrebbe dovuto accettar da Lutero l’autorità della Bibbia, ella che nella politica poneva co
’l Machiavelli fattore, e signore del tutto, il pensiero umano [...] ? Ma è egli possibile a imaginare
il rinascimento in Italia luterano ? E un Ariosto zuingliano ? Un Machiavelli puritano ? Un
Raffaello calvinista ? Un Michelangelo quaquero ? No, veramente. »
36. Ibid., p. 386.
37. T. Tasso, Il mondo creato, VI, 1315-1318 ; je cite de l’édition établie par B. Maier, in
Opere, vol. IV, Milano, Rizzoli, 1964, p. 266.
LITTÉRATURES MODERNES DE L’EUROPE NÉOLATINE 751

Così per arte de l’umano ingegno


prende tutte le cose e fa soggette 38.

Mais rien ne retient la raison hardie,


qui de ses ailes franchit
non les seuls champs venteux de l’air,
mais du ciel les arcades d’or étoilées.
[…]
Ainsi par l’art de l’ingéniosité humaine
prend-elle toutes choses et les assujettit

À la longue continuité de la “renaissance”, de la « rifioritura universale » chère à


Carducci, correspondait — sur le versant de la “création” — le « repos » parfait,
dans l’éternel présent de contemplation réciproque de Dieu en l’homme et de
l’homme en Dieu, sur lequel se conclut le Mondo creato :
[…] il Figlio
devea ne l’uom quetarsi, e ’n membra umane.
[…]
Dunque s’acquetò Dio ne l’uom terreno,
e l’uomo in sé non ha quiete o pace?
[…]
E se ’n terra ne l’uom quetarsi ei volle,
fu perché l’uomo in Dio s’acqueti al fine 39.

[…] le Fils
devait en l’homme et en membres humains se reposer.
[...]
Dieu s’apaisa en l’homme ici-bas,
et l’homme ne trouve en soi ni tranquillité ni paix ?
[…]
Et si sur terre il voulut en l’homme se reposer,
ce fut pour que l’homme à la fin en Dieu s’apaisât.

Ainsi s’accomplissait ce « mundanum enharmonium » entonné, au cœur du


xvie siècle, par Francesco Giorgio Veneto : « atque tandem in se ipsum illa eadem
omnia revocat [Deus] : ut totum mundanum enharmonium ab uno procedens,
unica vita et flatu consonantissimum, in unum tendat et redeat ». 40
Lorsqu’on parcourt aujourd’hui, dans l’historiographie moderne du xvie siècle,
les formes bibliques de la Création ou celles, classiques, de la Renaissance, on
devrait — avant de céder aux formules — se rappeler à quelles nappes ont puisé
ceux qui les ont esquissées, savants du xixe siècle et des débuts du xxe, eux-mêmes
victimes ou prophètes impatients de « ruptures instauratrices » (selon la formule de

38. Ibid., VI, 1791-1803 ; éd. cit., p. 282-283.


39. Ibid., VII, 123-152.
40. Francisci Georgi Veneti De Harmonia mundi totius Cantica tria, in Venetiis, in aedibus
Bernardini de Vitalibus, MDXXV, Cantici primi tonus sextus, p. XCVIIIv. Je cite du reprint, avec
Introduzione de C. Vasoli, Lavis, La Finestra, 2008.
752 CARLO OSSOLA

Michel de Certeau) 41. Pourtant il y eut, tout au long du Cinquecento, du De


harmonia mundi au Mondo creato, une vision ni brisée ni palingénésique de
l’univers : entièrement recueilli dans la perfection d’une création choyée de son
Créateur, et dans laquelle il n’est jamais ni consomption ni perte : Capillus de
capite vestro non peribit 42.

Activités du professeur

Publications

Livres
— C. Ossola, Augustin au XVII e siècle. « Actes du Colloque organisé par Carlo Ossola au
Collège de France les 30 septembre et 1er octobre 2004 », Textes réunis par Laurence
Devillairs, Florence, Olschki, 2007 [C. Ossola, Avant-propos, p. V-VI ; et Augustinus sine
tempore traditus, p. 263-287].
— Jacques-Bénigne Bossuet, Discorso sugli Angeli Custodi, texte publié et introduit par
C. Ossola, Bologne, Pendragon, 2008 [C. Ossola, Introduzione, p. 7-67].
— Michel de Certeau, Fabula mistica. XVI-XVII secolo, trad. it. : Milan, Jaca Book, 2008
[C. Ossola, « Historien d’un silence ». Michel de Certeau, p. XXVII-LIV].
— Waldemar Deonna, Il simbolismo dell’occhio, trad. it. : Torino, Bollati Boringhieri,
2008 [C. Ossola, Introduzione. Tra Bibbia e Surrealismo. L’occhio di Waldemar Deonna,
p. IX-XXIII].

Articles et essais
— C. Ossola, Viaje y metamorfosis. Psique, del amor y del alma, in La estela de los viajes.
De la historia a la literatura, essais réunis par F. Jarauta, Santander, Fundación Marcelino
Botín [« Cuadernos de la Fundación M. Botín », 10], 2007, p. 19-38.
— C. Ossola, Un espacio lleno de plenitud, in De la ciudad antigua a la cosmopolis, essais
réunis par F. Jarauta, Santander, Fundación Marcelino Botín [« Cuadernos de la Fundación
M. Botín », 11], 2008, p. 61-70.
— C. Ossola, Vom Glück, weiträumig zu denken. Über Carlo Denina, in Die europäische
« République des Lettres », essais réunis par Lea Ritter Santini, Göttingen, Wallstein, 2007,
p. 83-99.
— C. Ossola, « Petit triptyque romain », in Conférence, 26, 2008, p. 453-459.
— C. Ossola, « Leopardi : préludes et passions », dans AA.VV., La Conscience de soi de
la poésie, sous la direction de Yves Bonnefoy, Colloques de la Fondation Hugot du Collège
de France (1993-2004), « Le Genre humain », n° 47, Paris, Seuil, 2008, pp. 235-268.
— C. Ossola, « Della pubblica felicità, oggi » in Italianieuropei, 2008, 2, p. 10-13.
— C. Ossola, «“Italia”. Una civiltà e un lascito », in Cenobio, LVII, 1 (janvier-mars
2008), p. 37-39.

41. M. de Certeau, La faiblesse de croire, texte établi et présenté par L. Giard, Paris, Seuil,
1987, p. 208 [et p. 301 : « coupure instauratrice »] ; concept qui radicalise la formule précédente
d’« “errances” inauguratrices » (M. de Certeau, « L’énonciation mystique », in Recherches de science
religieuse, LXIV, 1976, p. 183-215 ; la citation à la p. 183).
42. Luco, XXI, 18 ; et De Harmonia mundi, Cantici tertii tonus septimus, chap. XII,
p. LXXVII.
LITTÉRATURES MODERNES DE L’EUROPE NÉOLATINE 753

— C. Ossola, Les raisons “en blanc” du baroque italien, in République des Lettres, République
des Arts. Mélanges en l’honneur de Marc Fumaroli, réunis et édités par Ch. Mouchel et
C. Nativel, Genève, Droz, 2008, p. 247-262.

Activités de la Chaire

Colloques
Le 10 juin 2008, Création, Renaissance, ordre du monde, en collaboration avec
l’Institut d’Etudes Italiennes (ISI) de l’Université de la Suisse Italienne, Lugano,
avec la participation de :
— M. Carlo Ossola, Collège de France :
Introduction : origines et retours
— M. Stefano Prandi, Université de Berne (Suisse) :
« Deus artifex » : formes et histoire d’une métaphore
— M. Agostino Paravicini Bagliani, Université de Lausanne (Suisse) :
La papauté, la création et l’ordre de la nature (XII e-XIV e s.)
— M. Piero Boitani, Université de Rome La Sapienza (Italie) :
De Monreale à Michelangelo : le Moteur mobile
— M. Victor Stoichita, Université de Fribourg (Suisse) :
« Touche », « Coup de pinceau » et création picturale chez le Titien
— Mme Benedetta Papasogli, Université LUMSSA de Rome (Italie) :
« Création » et « créature » chez Fénelon
— M. Michel Jeanneret, Université Johns Hopkins de Baltimore (U.S.A.) :
Versailles, Chaosmos
— M. Jürgen Maehder, Freie Universität de Berlin (Allemagne) :
Olivier Messiaen au seuil de la musique sérielle : ordre numérique et création
— M. Corrado Bologna, Université de Rome III (Italie) :
Le geste « philosophique » de l’artiste et la création de l’ordre du monde

Le 11 juin 2008, Autour de l’œuvre de Michel Butor, avec la participation de :


— M. Antoine Compagnon, Collège de France,
Montaigne-Proust et retour
— Mme Laura Barile, Université de Sienne (Italie),
Franchir les frontières : écritures et structures mobiles de Michel Butor
— M. Carlo Ossola, Collège de France,
Michel Butor : des chronotopes
— Mme Mireille Calle-Gruber, Université de Paris III-Sorbonne,
Michel Butor, poète avec les peintres
— M. Michel Butor, Université de Genève (Suisse),
Conclusions

Professeur invité

M. Victor Stoichita, Université de Fribourg (Suisse), a donné quatre conférences,


du 15 mai au 6 juin 2008, sur le sujet suivant : Des Larmes et des Saints.
754 CARLO OSSOLA

Travaux scientifiques des collaborateurs

— Christine Jacquet-Pfau, Maître de conférences au Collège de France.


Publications
— « Lexicographie et terminologie au détour du xixe siècle : La Grande Encyclopédie,
dans Danielle Candel et Dan Savatovsky, Genèse de la terminologie contemporaine, Langages,
n° 168, 4/2007, pp. 24-38.
— « Claude Hagège, Combat pour le français. Au nom de la diversité des langues et des
cultures, 2007, in La Linguistique, vol. 43, fasc. 2/2007, pp. 150-151.

Communications à des colloques et journées d’études


— « L’homme au travail », Séminaire de Doctorat, Paris 4, 26 octobre 2007, En l’honneur
de Jean-Marie Zemb.
— « Statut de la synonymie lexicale dans un corpus encyclopédique de la fin du
xixe siècle : La Grande Encyclopédie », Colloque international La Synonymie, 29 nov.-1er déc.
2007, Université Paris-Sorbonne, Ecole doctorale « Concepts et Langages », Equipe d’accueil
Sens, Texte, Histoire, Ecole normale supérieure, GEHLF.
— « Dictionnaires et correcteurs (informatiques) », 2e Journée d’étude du LDI-Cergy-
Pontoise (UMR 7187), 17 mars 2008, De la lexicographie informatique et de l’actualité
lexicographique.

Exposition
Directrice de l’Exposition éditoriale organisée à l’occasion de la Journée internationale des
dictionnaires, Université de Cergy-Pontoise, 14 mars 2008, Dictionnaires et littérature.

Paola Cattani, Université de Pise (Italie), Boursière Compagnia di San Paolo-


Collège de France
— Paul Valéry e le arti visive. Disegno, pittura, architettura e parola poetica, Pisa, Ets,
2007.
— « Traces du dialogue de Valéry avec la critique vincienne dans le dossier génétique »,
dans Valéry et Léonard : le drame d’une rencontre. Genèse de l’Introduction à la méthode de
Léonard de Vinci, éd. Ch. Vogel, Bern, Peter Lang, 2007.
— « Il disegno di Leonardo da Vinci e la riflessione sulla creazione artistica in Paul
Valéry e André Breton », [sous presse] dans Immagine, immaginazione, creazione, a cura di
A. Sanna, Roma, Istituti Poligrafici Italiani, 2008.
— « Paul Valéry e i fiori di Jean Paulhan : tra retorica e terrore », en cours de publication
dans la revue italienne « Il Confronto letterario ».

Gabriele Quaranta, Université de Rome « La Sapienza » (Italie), Boursier


Compagnia di San Paolo - Collège de France
— Bagliori dal Passato : il Palazzo Gallio in Alvito e i suoi dipinti tassiani, Rome, Bardi
Editore, 2003.
— « Don Chisciotte nel Castello di Cheverny. Un ciclo dipinto del Seicento francese »
Critica del testo, IX / 1-2, 2006 (Actes du Colloque Itinerari chisciotteschi moderni. In
margine al IV centenario, Rome 20-21 octobre 2006)
— « Momenti di pittura. Gli affreschi quattrocenteschi della chiesa della Santa Croce a
Genazzano » Universitates e Baronie. Arte e Architettura in Abruzzo e nel Regno al tempo dei
Durazzo, (Actes du Colloque, Guardiagrele-Chieti, 9-11 novembre 2006), [à paraître
courant 2008].
Étude de la création littéraire en langue anglaise

M. Michael Edwards, professeur

Le cours de la première heure, Shakespeare : le poète au théâtre, eut pour point


de départ une question que j’avais posée dans un des cours de 2005-2006 sur La
Poétique en questions : pourquoi le plus grand poète anglais choisit-il d’écrire avant
tout pour le théâtre ? Reprendre cette réflexion en pensant à l’ensemble de ses
pièces, comme aux Sonnets qui leur sont intimement associés, incite à se demander
aussi quel élargissement de l’idée même de la poésie ce choix implique, et quelle
idée du théâtre le motivait.

J’avais suggéré il y a deux ans que, pour Shakespeare, le théâtre transforme la poésie
en paroles, dites et échangées, et qu’il peut devenir ainsi la recherche de la parole de
l’autre ; que le théâtre invite le poète à renoncer au lyrisme du moi et à s’aventurer
dans le je des autres, à chercher une vérité transpersonnelle dans une poésie proprement
dramatique ; que Shakespeare avait, de manière remarquable, le don et le désir
d’entrer dans la conscience de tous les personnages, même très secondaires ; que
chacune de ses pièces est un poème qui l’encourage à multiplier les points de vue
avant de se mettre à les ordonner. Le cours de cette année confirma ces suggestions,
en leur donnant des perspectives nouvelles dans chacune des pièces analysées ; il
commença avec Les Deux gentilhommes de Vérone, qui pourrait être le tout premier
ouvrage de Shakespeare, afin d’étudier les rapports qu’il crée dès le début, entre
poésie et théâtre, et afin d’indiquer une idée inattendue, mais probablement très
exacte, du théâtre qui s’esquisse déjà dans cette œuvre de jeunesse.

Aborder ainsi la pièce permet de montrer qu’elle ne se contente pas de satiriser


certaines conduites conventionnelles des amoureux et des amis, avec le langage
frelaté qui les accompagne. Malgré une psychologie et des comportements pour la
plupart volontairement superficiels, qui se placent au niveau auquel nous vivons le
plus souvent, Shakespeare descend par moments dans l’être de ses personnages,
surtout quand l’être est en jeu. Banni et obligé de quitter Sylvia, Valentin comprend
que c’est lui-même qu’il quitte, Sylvia n’étant pas l’objet de son amour mais le sujet
756 MICHAEL EDWARDS

de son « essence » : « I leave to be, dit-il, / If I be not by her fair influence / Fostered,
illumined […] » (« je cesse d’être / Si je ne suis pas par sa bonne influence / Nourri,
illuminé […] »). Shakespeare attire déjà l’attention sur le verbe fondamental en le
laissant en suspens à la fin du vers, et il augmente déjà la force ontologique du
mot par l’hésitation de la syntaxe, où Valentin semble dire : « je cesse d’être si, par
sa bonne influence, je ne suis pas ».
En même temps, le théâtre est le seul genre littéraire qui soit matériel, visible,
audible, et choisir l’espace théâtral, où œuvre, comédiens et spectateurs sont
plongés dans le monde immédiat des sens, permet à Shakespeare de voir se dérouler
en un milieu concret toute la poésie dont il est capable et tout ce qu’il imagine,
jusqu’aux rêves les plus éthérés. Son imagination s’exerçant toujours, du reste, à
renouveler la réalité ordinaire, il semblerait que même ses êtres surnaturels habitent
plus abondamment que nous le monde naturel : la plainte de la reine des fées dans
Le Songe d’une nuit d’été ne cesse d’évoquer la « source caillouteuse », le « ruisseau
étoffé de joncs », et ainsi de suite. L’unité de ce Tout qui nous environne et qui
nous pénètre est d’autant plus sensible, et les réalités les plus immatérielles d’autant
mieux mises en relief. Le repentir, par exemple, qui intéresse Shakespeare dès le
début. Proteus, surpris dans la forêt par Valentin au moment où il menace Sylvia
de la violer, se repent par un de ces revirements rapides mais parfaitement véritables
qui dénouent souvent les pièces de Shakespeare, comiques ou tragiques, dans le
sens de l’espoir et du nouveau, mais que les critiques hésitent à accepter. Proteus
demande pardon avec le vocabulaire du Livre des prières en commun, et il découvre
en lui à la fois la « honte », qui peut enfermer en soi, et la « culpabilité », qui ouvre
vers autrui. Et, si tôt dans sa réflexion, Shakespeare donne une perspective éclairante
sur cet art théâtral pleinement présent devant nous mais qui s’offre aussi comme
un spectacle, un simulacre, une fiction qui s’incarne dans des faits (comédiens,
costumes, décor) qui sont eux-mêmes fictifs. Devant la preuve soudaine et à peine
croyable que son meilleur ami est en train de le trahir, Valentin se dit : « Comme
ceci ressemble à un rêve ! Je vois, et j’entends… » On dirait la voix du spectateur,
qui voit et qui entend, mais qui observe aussi une sorte de songe du réel. Un seul
vers constitue déjà la mise en abyme de tout le théâtre shakespearien à venir, et
même de tout théâtre. Une situation critique et pénible conduira bientôt au
repentir de Proteus et à une nouvelle générosité chez Valentin. Le rêve étrange du
théâtre offre, en effet, un lieu et un temps où tout change et peut continuer de
changer, car le théâtre est le signe artistique le plus palpable et le plus complet du
changement possible du monde, et le miroir que la pratique du théâtre tend à la
nature, selon Hamlet, est un miroir transformant.
Il importe aussi de comprendre que, dans ses premières pièces, Shakespeare ne
dédaigne pas la poésie au sens le plus simple du mot en s’engageant dans l’écriture
théâtrale. La foison de formes poétiques dans Peines d’amour perdues (vers 1594),
où plusieurs personnages écrivent des poèmes et parlent spontanément, de temps
à autre, en sonnets, n’est le signe ni d’un désir de ridiculiser la poésie de l’époque,
ni d’un besoin de se montrer supérieur à ses rivaux. Au moment même où Biron
ÉTUDE DE LA CRÉATION LITTÉRAIRE EN LANGUE ANGLAISE 757

assure Rosaline qu’il renonce aux termes affectés et qu’il ne veut plus « faire la cour
avec des rimes », sa déclaration d’amour prend néanmoins la forme d’un sonnet.
Si les Navarrois se lancent dans de prodigieuses hyperboles, si Biron et Dumaine
« s’émerveillent » de leurs bien-aimées, c’est parce que la beauté ravive qui la
contemple, la beauté n’étant pas une affaire d’esthétique, mais de vie. Si l’amour
mène à la poésie, c’est parce qu’il est le seuil de l’émerveillement et qu’il se répand
naturellement en louanges ; les chansonniers et suites de sonnets qui s’adressent à
Laure, à Hélène, à Stella et à tant d’autres, sont au cœur de la poésie. En nous
attirant de la prose vers la poésie, en ouvrant le réel au poétique, Shakespeare
répond au vœu que le réel, que la vie, soient poésie, qu’une parole pleine nous place
au sein de ce qui est et de ce que nous sommes.
Le sérieux de la pièce se révèle surtout en ce qu’elle approfondit la comédie. La
poésie surabondante ne conduit pas à l’échec de l’amour, mais au triomphe d’un
amour lucide et d’une comédie avertie du mal d’exister. La pièce, où il se passe si
peu de choses, est une suite de scènes comiques, de « plaisirs, danses, mascarades
et heures de gaieté », où la gaieté s’appauvrit, cependant, en se transformant en
raillerie, lorsque les Navarrois, comme les Françaises qu’ils courtisent, au lieu de
rire devant l’exubérance de la vie, se moquent les uns des autres. Même les
divertissements deviennent amers, et la langue des filles moqueuses « aussi
tranchante / Que le fil du rasoir ». La comédie ne pouvant plus avancer après cette
chute dans le malheur, un messager survient pour annoncer la mort du roi de
France, ce qui oblige la Princesse et ses amies à repartir et empêche les quatre
mariages attendus d’avoir lieu. La mort ne fait pas avorter la pièce, cependant,
comme la critique le prétend. La Princesse, en exigeant du roi de Navarre qu’il
s’isole pendant un an dans un lieu éloigné des plaisirs du monde, pour voir si son
offre de mariage survivra aux « gels », aux « jeûnes » , au « rude logement » et aux
« maigres vêtements », lui demande, non pas d’étudier l’art de vivre (le but de
l’Académie qu’il voulait créer au début de la pièce), mais de vivre, et de s’étudier
lui-même. Elle place sa main dans la sienne en promettant d’être à lui, et, selon la
coutume de l’époque, les voilà, sous condition, mariés. La condition qu’impose
Rosaline à Biron est de rendre visite aux malades tous les jours pendant un an, et
de « Forcer les infirmes en tourment à sourire ». Elle veut qu’il perde son esprit de
dérision et qu’il se livre entièrement à son génie comique, à sa langue si douce et
sémillante, dit-elle, que les enfants et les vieillards s’arrêtent pour l’écouter. Elle
veut qu’il quitte la moquerie pour le rire qui jaillit du bonheur d’exister, pour une
vivacité d’esprit telle qu’un mourant même pourrait s’en réjouir. Peines d’amour
perdues annonce ce que j’ai appelé chez Shakespeare les comédies de l’émerveillement,
surtout par la juxtaposition saisissante, au moment où Rosaline et Biron se
regardent dans les yeux, du rire et de la mort.
Il convient de remarquer aussi que les Sonnets, qui explorent les mêmes sujets
que les pièces de la maturité de Shakespeare et qui ne furent rassemblés qu’en
1609, développent, en les assombrissant, certaines données de Peines d’amour
perdues. Ils prennent au sérieux, surtout, des affirmations mi-sérieuses, mi-plaisantes
758 MICHAEL EDWARDS

d’Armado : « Amour est un diable. Il n’est aucun mauvais ange sinon Amour »,
afin d’explorer la dimension vraiment infernale de l’amour, ou plutôt la luxure. On
pourrait appeler les Sonnets, à plus juste titre que la pièce, à bien y penser, Peines
d’amour perdues. Et si l’on sent, dans le travail de Shakespeare au théâtre, la présence
d’un poète, qui inclut parfois des poèmes dans ses pièces, on comprend mieux les
Sonnets à les lire comme l’œuvre d’un dramaturge, qui introduit le théâtre dans la
poésie. Quatre personnages, tous anonymes : un « je » qui parle et qui est lui-
même poète, un jeune célibataire, une femme mariée et un poète rival, participent
à une histoire discontinue, incertaine et inachevée. Les Sonnets ressemblent à la
vie : nous découvrons des êtres et des événements par fragments et selon une foule
de perspectives, et tout frémit de significations sans que le sens en soit clair. Ils
répètent, néanmoins, en chacun des trois personnages principaux, le passage de
l’Éden à la Chute, d’une perfection à sa perte. On encourage le beau jeune homme,
dans les dix-sept premiers sonnets, à se marier et à avoir des enfants, avec une
générosité répondant à celle de la Nature, à prendre place dans le concert des êtres
(sonnet 8), à sortir, lui aussi, d’une conscience lyrique afin d’acquérir une conscience
dramatique. Le refus du jeune homme, noté dès le début, le précipite dans la
contemplation stérile de sa propre beauté. Il devrait être aussi l’objet irréprochable
de la louange, l’occasion pour la poésie de redire le réel, d’en répéter sans cesse
l’inépuisable perfection : de s’approcher des réitérations du soleil, « chaque jour
nouveau et vieux » (sonnet 76), et des prières quotidiennes de la liturgie, inchangées
et toujours actuelles (sonnet 108). Celui qui paraît, cependant, « l’ornement jeune
du monde » (sonnet 1), et qui semble réunir en sa personne les charmes d’Adonis
et d’Hélène, la beauté du printemps et la largesse de l’automne (sonnet 53), révèle
peu à peu sa laideur morale, une « grâce lascive » (sonnet 40) qui masque à peine
toute la litanie des « péchés », « vices », « souillures », « fautes », « erreurs » (sonnets
95 et 96) dont l’infecte malgré tout le monde déchu. Et dans une histoire dont on
ne nous livre que des aperçus, le jeune homme ne cesse de tomber, à cause d’un
va-et-vient continuel entre l’éloge et le blâme, où des révélations de sa trahison et
de sa méchanceté foncière peuvent être suivies de poèmes chantant la confiance du
locuteur et l’excellence de celui qu’il aime.

La dame brune du recueil, maîtresse du locuteur, est apparentée par ses cheveux
et ses yeux noirs à la bien-aimée du Cantique des cantiques, à l’une des amantes les
plus fidèles de toutes les littératures. Elle aussi déchoit, cependant, en trahissant le
locuteur avec le beau jeune homme et finalement avec tout le monde. Shakespeare
ne se livre pas à une misogynie futile et pathologique, mais choisit de renverser,
avec tristesse et perspicacité, l’idéalisation de la femme qu’entreprennent en général
les suites de sonnets, afin de renforcer son examen sombre de la perte de l’Éden.
Et cela culmine dans la chute du poète qui est censé composer le recueil. Constant,
crédule, prompt à pardonner et à souffrir pour un ami qu’il considère comme un
moi au même titre que son propre moi, on le voit aussi trouble et injuste, et il
reconnaît peu à peu son « péché d’amour de soi » (sonnet 62), et, dans ses rapports
avec sa maîtresse, son érotisme incontrôlé, son acquiescement aux plaisanteries
ÉTUDE DE LA CRÉATION LITTÉRAIRE EN LANGUE ANGLAISE 759

licencieuses, à l’aveuglement inévitable et à la culpabilité partagée. Malgré quelques


allusions au bien que nous fait la reconnaissance du péché et à « la mort de la
mort » dans la rédemption du monde (sonnet 146), malgré aussi la fête de
l’inventivité que constitue cette suite de sonnets qui renouvelle le genre de fond
en comble, avec une richesse d’expérience humaine qui excède toute tentative
d’interprétation, Shakespeare regarde fixement le monde comme il va, en se
pénétrant du pire, ou du moins du très mauvais, et en faisant apparaître l’élan vers
le possible par moments seulement et de façon partielle.
En écrivant un ouvrage qui s’éloigne des normes, Shakespeare procède comme
dans les trois pièces « à problème » : Troilus et Cressida, Mesure pour mesure et Tout
est bien qui finit bien — qui pourraient dater de 1601-1604 et avoir accompagné
la composition de beaucoup de sonnets — où il choisit une perspective difficilement
définissable afin de sonder la complexité de la condition humaine et de laisser la
possibilité d’en sortir aussi problématique que dans la vie réelle. Il dérange surtout
les dénouements, comme dans les Sonnets, et semble réfléchir sur notre besoin
d’une fin satisfaisante. La réflexion se précise dans Troilus et Cressida lorsque
Agamemnon suppose que nul dessein des hommes n’atteint sa plénitude, étant
formé « sur la terre, ici-bas », et que l’exécution de nos entreprises les tire « Bias
and thwart » (« De biais et de travers »). Il situe ainsi, par une métaphore qui
revient, à la fois les défauts des personnages et la satire de ces défauts. Les
personnages sont aussi insaisissables, par leur inconsistance, que ceux des Sonnets,
le sens shakespearien de la nature multidimensionnelle et contradictoire de l’être
humain devenant ici une vision de l’être, comme de l’action, désorganisés. Pensant,
par exemple, à sa première nuit d’amour, imminente, avec Cressida, Troilus
demande à Pandarus d’être le « Charon » qui lui servira de guide vers les délices
de la mort. Cressida fait tout pour ne pas le trahir en cédant à Diomède, et tout
pour se laisser séduire. Même le jeu habituel entre vers et prose devient troublant :
la prose de certains personnages brise parfois l’élan de la poésie des autres, et des
personnages qui parlent généralement en vers passent dans la prose devant Ajax ou
Thersite. Toute la pièce dévie à la fin. Les amants ne sont pas tragiquement séparés,
puisque Cressida se donne aussitôt à un autre ; Hector ne meurt pas tragiquement,
puisque les Myrmidons lui tombent dessus quand il est désarmé.
La critique a tendance à y voir le signe de la désillusion de Shakespeare, le
monde n’ayant plus pour lui ni ordre ni sens, et il est vrai que le nombre de rôles
satiriques est ici considérable. Mais il est important de découvrir la bonne
perspective pour les observer. Thersite, par exemple, pratique moins la satire que
le travestissement : il discerne le grotesque, mais s’aveugle sur tout le reste. Il passe
sa vie à railler, et il lui convient que le monde soit méprisable. Il sait qu’au fond
de son être se trouvent « de l’esprit larvé de malveillance et de la malveillance farcie
d’esprit » ; il reconnaît s’être perdu « dans le labyrinthe de [sa] fureur ». On
comprend avec Pandarus que les allusions pornographiques abondent dans la pièce,
comme dans les Sonnets, à cause de l’absence de vrai amour. Sa satire, qui va, elle
aussi, de travers, vient de sa maladie sexuelle, qu’il menace à la fin, par des paroles
760 MICHAEL EDWARDS

extraordinaires et d’une rare violence, de transmettre aux spectateurs. Comme les


deux derniers sonnets, qui tournent sur les maladies vénériennes et sur la fièvre
inextinguible du désir, le poème de Pandarus qui termine la pièce renvoie les
spectateurs à leurs propres désirs et les engage dans le monde déchu que la pièce
a sondé. Au-delà de la satire se trouvent aussi des signes d’espoir, que l’œuvre de la
pièce consiste à mettre discrètement en valeur. Ajax, par exemple, est présenté
comme un chaos de contradictions, comme le représentant de l’humanité déchue
observé sous l’angle du burlesque, mais après une pause dans son combat singulier
avec Hector il commence soudain à parler en vers, avec humilité et courtoisie, à
exprimer le nouvel être qu’il a acquis en observant, chez son cousin, des qualités
qu’il n’avait jamais rencontrées. Il continue de parler en vers jusqu’à la fin, en
guidant les Grecs, dans une petite scène métaphorique, vers la lumière, et en disant
pour la première fois son admiration pour Achille. Ajax, personnage relativement
mineur, se transforme, et l’œuvre cachée de la pièce aboutit à l’aperçu qu’il offre
d’un changement, d’un possible.
On observe ici la poïèsis de Shakespeare, l’art de créer, de construire, que le poète
partage avec d’autres sortes d’écrivains et qui lui permet de travailler des matériaux
même contraires en leur donnant un sens, une direction. Dans Mesure pour mesure
on voit aussi que le poète en Shakespeare écrit certains passages ouvertement
poétiques, qui portent les émotions de la pièce et qui en suggèrent la forme
signifiante. Lucio, en annonçant que la fiancée de Claudio vient d’avoir un enfant,
« sa matrice prodigue » attestant un « labour conjugal » comme la semaison amène
la jachère à la « bonne foison », célèbre la fertilité des humains comme participant
de celle de la terre, et toute la vie féconde proclamée également par le nombre de
femmes enceintes que la pièce contient ou mentionne. Il évoque le début de la
Genèse et le tout premier commandement : « Soyez féconds, multipliez », et fait
penser aux dix-sept premiers sonnets, qui ouvrent, eux aussi, sur l’exubérance au
cœur de la création. Le coup de génie de Shakespeare est de faire prononcer ces
vers par Lucio, qui représente l’autre face du désir : la prostitution, les maladies
vénériennes, la séparation entre sexualité et amour, en rappelant également l’autre
face des Sonnets et en créant la nostalgie de l’innocence. Isabelle, en décrivant le
vignoble puis le jardin par lesquels Angelo l’invite à passer afin de faire l’amour
avec lui pour sauver son frère condamné à mort, fait voir que la sexualité corrompue
d’Angelo nie, au cœur même de la nature, l’abondante réalité de celle-ci, et qu’elle
apporte la luxure jusque dans le signe, le reflet, de l’Éden. Shakespeare revient si
souvent à la sexualité parce que son abus frappe le principe même de la vie et altère
l’élan originel et religieux de la nature : les Sonnets commencent par l’engendrement
et se terminent par les bains chauds où l’on cherche à guérir la syphilis. Le Duc,
finalement, regardant par une fenêtre de la prison et voyant que l’étoile du berger
l’appelle à sortir ses bêtes et qu’il « fait presque jour », aperçoit l’harmonie du Tout
et la possibilité du nouveau au moment où il se prépare à dénouer l’action.
Ces trois « poèmes » marquent les trois temps de l’œuvre : le bonheur, le malheur
et leur dépassement. Celui-ci est rendu possible par une idée, un stratagème, à
ÉTUDE DE LA CRÉATION LITTÉRAIRE EN LANGUE ANGLAISE 761

plusieurs facettes : la substitution. Tout procède du remplacement temporaire du


Duc par Angelo, appelé à gouverner la ville de Vienne pendant son absence. Le
premier stratagème du Duc, qui revient déguisé en moine, est de substituer
Marianne à Isabelle dans le lit d’Angelo, dont elle est la fiancée répudiée, et le
deuxième, d’envoyer à Angelo la tête d’un autre prisonnier à la place de celle de
Claudio. Le poète en Shakespeare lui fait ajouter à ce motif répété et salutaire les
substitutions comiques de mots perpétrées par le Clown, qui amène au tribunal
« deux bienfaiteurs notoires », et une doctrine théologique qui le place dans un
contexte infini et éternel. Pour persuader Angelo d’épargner Claudio, Isabelle
soutient qu’il serait condamné lui-même par la loi divine, comme tous les hommes,
si Dieu n’avait pas trouvé un « remède ». En évoquant la Crucifixion au détour
d’un vers, elle indique la réconciliation de la justice et de la miséricorde que toute
la pièce recherche, et elle termine la liste des substitutions. L’œuvre salutaire de la
comédie consiste également à transformer le titre de la pièce : Mesure pour mesure,
qui commence par ressembler à la loi du talion (« œil pour œil »), mais qui finit
par signifier, grâce à la lecture attentive que Shakespeare semble avoir consacrée à
l’expression dans chacun des Synoptiques, la bonne mesure que l’on donne et la
très bonne mesure que l’on reçoit. Elle consiste aussi à permettre aux personnages
de se connaître pleinement et de se renouveler. Angelo se repent, brièvement mais
vraiment. Marianne trouve la profondeur de son amour, en se donnant à Angelo,
malgré tout le mal qu’elle lui reconnaît, tel qu’il est et sans mesure. Isabelle accepte
finalement de supplier le Duc d’épargner Angelo, qu’elle croit meurtrier de son
frère, en pardonnant sans mesure et en se donnant entièrement dans son pardon.
La comédie précise son œuvre lorsque la « résurrection » de Claudio impose l’idée
d’une vie après la mort, et surtout sur la terre, après la mort du vieux moi.

La critique suppose néanmoins que Shakespeare prend conscience, dans Mesure


pour mesure comme dans Tout est bien qui finit bien, de l’existence de douleurs, de
désirs, de fautes, que la comédie serait inapte à englober. Il est à noter d’abord,
cependant, qu’il explore et rejette de nouveau, dans l’intrigue secondaire de Tout
est bien qui finit bien, la raillerie, lorsque Paroles, menacé de mort par des soldats
qui feignent d’appartenir à l’ennemi, manifeste sa lâcheté en trahissant les secrets
de son camp. Shakespeare transforme le rire méprisant dont Paroles est la cible, en
lui donnant des mensonges intarissables regorgeant d’inventivité qui font venir,
sous le rire moqueur, un rire d’allégresse, et en lui permettant, une fois démasqué,
d’accueillir sa disgrâce, de se connaître en profondeur, et d’accepter, par une
nouvelle humilité, d’être à jamais la cause du rire chez les autres. Cette pièce qu’on
appelle communément une comédie sombre, critique et rachète l’idée qui fonde la
comédie, non pas sur la joie (je ris avec vous), mais sur le ridicule (je ris de vous).
Il est vrai que Bertrand, comte de Roussillon, est aussi peu aimable que le jeune
aristocrate des Sonnets. Mais n’est-ce pas parce que la comédie, pour prouver son
aptitude à introduire partout sa vérité, doit prendre le risque d’un héros mauvais ?
La comédie le change, mais pas complètement. En lisant une lettre qui lui prouve
la bonté et l’humilité de sa femme — qui lui révèle une vie meilleure — « il a
762 MICHAEL EDWARDS

presque été changé, dit un témoin, en un autre homme ». Il entrevoit la conversion


totale de l’être, mais il n’est que « presque » changé, et cela seulement pendant un
moment. Il se repent de ses actions (mépriser Hélène, débaucher Diane, mentir) à
la dernière scène, et promet d’aimer toujours et ardemment sa femme, mais il
semble hésiter aussi, en attendant de savoir si les conditions apparemment
impossibles qu’il avait posées avant de se réconcilier avec Hélène ont été satisfaites.
Il demeure, comme le jeune homme des Sonnets, énigmatique, insaisissable.

Il est vrai aussi que la pièce semble partagée entre un conte magique et un récit
réaliste. En guérissant le roi d’une maladie incurable, Hélène fait participer à son
acte, par la poésie d’une incantation, la totalité de l’univers en mouvement et les
fables (les chevaux du soleil, la lampe d’Hespérus) par lesquelles nous l’imaginons.
En se substituant à Diane dans le lit de Bertrand, cependant, elle conçoit une ruse
d’un réalisme, disons, médiéval (et qui vient, d’ailleurs, de Boccace). Mais si nous
sommes conscients de passer entre le monde surnaturel intermittent et le monde
naturel des convoitises et les lâchetés, n’est-ce pas ce que Shakespeare cherche ? La
discordance entre des types d’histoire et entre des styles d’écriture marque l’accès
discontinu et provisoire à une réalité supérieure dans notre monde.

Tous ces signes contradictoires culminent dans le dénouement, qui refuse la


profonde réconciliation entre Hélène et Bertrand à laquelle on s’attend, et qui laisse
supposer, malgré le titre de la pièce, que tout ne finit pas bien pleinement et aussitôt.
Shakespeare a déjà donné à un Deuxième Seigneur anonyme cette pensée pascalienne
avant la lettre : « La trame de notre vie est tissée avec des fils mélangés […] ; nos
vertus seraient fières si nos fautes ne les fouettaient pas, et nos vices désespéreraient
s’ils n’étaient pas consolés par nos vertus », et il semble s’intéresser à écrire une
comédie qui tient parfaitement compte de ce qu’elle opère ses transformations des
êtres et de la vie entière dans un monde divisé et radicalement imparfait. La pièce va
bien de la mort vers la vie. Hélène, qui répand la rumeur de sa propre mort,
« ressuscite » à la fin, comme le font tant de personnages shakespeariens afin de
représenter de la manière la plus nette la transformation qui se situe au cœur de son
œuvre, et elle est en outre enceinte. Mais en réfléchissant de nouveau sur l’idée de
dénouement, Shakespeare prend au sérieux, dans la pièce qui annonce l’idée dans
son titre, le fait qu’à l’époque finir bien signifiait avant tout mourir bien, et que la
vraie fin attendait après la mort. Il freine donc la résolution et la joie des dernières
scènes afin de laisser personnages et spectateurs dans le vrai monde contradictoire et
inaccompli que l’on retrouve en quittant le théâtre.

Dans Cymbeline, finalement, qui pourrait dater de 1609-1610 et qui figure


parmi ses dernières pièces, Shakespeare réfléchit continuellement sur la poésie et
sur le théâtre. Quand Iachimo décrit une tapisserie représentant la rencontre
d’Antoine et Cléopâtre, où le fleuve Cydnus déborde à cause « soit du nombre de
barques, soit de son orgueil », il offre, en quelques mots, une petite leçon de
poétique : la recréation du réel la plus convaincante est celle qui respecte les faits.
Lorsqu’il décrit une sculpture représentant le bain de Diane, en disant que les
ÉTUDE DE LA CRÉATION LITTÉRAIRE EN LANGUE ANGLAISE 763

figures étaient si vivantes que l’artiste paraissait comme une puissance créatrice qui
« dépassait la nature, / Hormis le mouvement et le souffle », il s’étonne que l’art
soit en même temps supérieur à la nature, grâce à sa faculté de transformer le
monde par la neuve consonance des lignes et des volumes — on pourrait ajouter :
des mots, des choses évoquées, des personnages, des événements — et infiniment
inférieur puisque l’artiste ne dispose pas du principe de la vie. L’art ne surpasse la
vie que par sa capacité de suggérer, mais non pas de créer, une forme de vie
supérieure, une terre et un ciel renouvelés.
En sondant le théâtre dans Cymbeline, Shakespeare rassemble plusieurs idées et
pratiques qui sont des éléments fondamentaux du génie théâtral. La pièce est
remarquable par le nombre de déguisements. Bien des personnages shakespeariens,
dans les comédies comme dans les tragédies, se trouvent en se perdant sous des
dehors d’emprunt, la voie vers l’être vrai passant nécessairement, dans un monde
où l’être est en partie effacé, par l’être-autre. En voulant mourir vaillamment « To
shame the guise o’ th’ world » (« Pour couvrir de honte les façons du monde »),
Posthumus fait penser que se dé-guiser, c’est refuser la guise, l’apparence d’un
monde corrompu, et chercher en soi, sous une autre apparence, le nouvel être dont
le monde aussi a besoin. Shakespeare associe l’acte de se déguiser à celui de passer,
durant la pièce, dans une seconde réalité, comme le bois près d’Athènes dans Le
Songe d’une nuit d’été, par exemple, ou la Bohême dans Le Conte d’hiver, lieux à la
fois réels et autres qui sont l’occasion pour les personnages de découvrir d’autres
dimensions du vécu et de changer, avant de retourner dans le monde ordinaire
transformé par leur aventure. Dans Cymbeline, tous les personnages principaux se
trouvent en se hasardant au pays de Galles. Shakespeare semble suggérer aussi que
le théâtre même est un déguisement, qu’il fait honte aux usages du monde en
s’habillant d’une fiction à la fois heuristique et transfiguratrice, comme il est un
lieu autre où les spectateurs peuvent également se trouver en changeant, avant de
sortir dans un monde familier rendu étrange par la vision théâtrale. D’où la
présence, dans cette pièce qui constitue un résumé de son œuvre, d’un masque
— rêve de Posthumus matérialisé devant les spectateurs, où Jupiter et des fantômes
renforcent l’impression que participe à la pièce une puissance surnaturelle, une
sorte de hasard providentiel — et des obsèques d’Imogène, que l’on croit morte
mais qui n’est que droguée, qui ne sont pas nécessaires à l’action, mais qui
représentent parfaitement le simulacre qu’est le théâtre, la fiction visible qu’il fait
dérouler devant nous. Avec la « résurrection » d’Imogène, finalement, et l’effet
cumulatif, dans le dénouement, d’une série de révélations qui surprennent les
personnages et qui peuvent étonner à un autre niveau les spectateurs, pourtant déjà
dans les secrets de l’intrigue, nous pouvons trouver mystérieux, étrange, merveilleux,
le monde néanmoins explicable qui se révèle peu à peu, en nous disant que c’est
peut-être cela, la poésie : l’apparition quasi magique de ce qui est.
Le cours de la deuxième heure : Le Bonheur d’être ici, procéda également d’une
réflexion déjà entamée, dans une communication de 2003 sur Claudel et Baudelaire
lors d’un congrès de l’Association Guillaume Budé, où j’avais mis en opposition
764 MICHAEL EDWARDS

deux expressions : « le bonheur d’être ici » de Claudel (dans « Un après-midi à


Cambridge ») et « N’importe où hors du monde » de Baudelaire (dans Le Spleen
de Paris). Sans représenter intégralement la réflexion de ces deux poètes, elles
expriment à la perfection deux convictions existentielles : ou bien qu’ici est le lieu
où vivre, en nous rapprochant des êtres et du monde, ou bien que le malheur de
l’ici nous oblige à chercher ailleurs le bonheur, le nouveau, le possible, l’inconnu.
Je voulais étudier, dans le cours, comment la littérature, et accessoirement la
peinture et la musique, découvrent et chantent le bonheur de l’ici dans un monde
trop évidemment malheureux et malade, en examinant une variété de perspectives
sur la question dans plusieurs ouvrages fort différents les uns des autres, et en
réfléchissant à l’origine du mot bonheur, qui laisse penser que le bonheur vise
l’avenir, et qu’être heureux, ce serait se trouver l’objet d’un « présage favorable »
qui commence déjà à se réaliser.
Lors du célèbre accident qu’il raconte au deuxième chapitre des Rêveries du
promeneur solitaire (1782), Rousseau, renversé par un chien danois, perd
connaissance et n’est conscient, quand il revient à lui, que du « ciel », de « quelques
étoiles » et d’un « peu de verdure ». Il ne connaît que le « moment présent », et il
dit même : « Je naissais dans cet instant à la vie. » Il existe une curieuse ressemblance
entre cette « naissance » et celle d’Adam dans Le Paradis perdu de Milton, telle qu’il
la décrit pour l’ange Raphaël au livre 8. Adam pense se réveiller « du plus profond
sommeil », il se trouve couché « sur l’herbe fleurie » et tourne les yeux « vers le
ciel » afin de contempler « l’ample firmament ». Il dit, exactement comme
Rousseau : « je ne savais ni qui j’étais ni où j’étais », et comme Rousseau éprouve
un « calme ravissant », il regarde en haut avec des « yeux émerveillés ». Milton
imagine, dans l’Éden, un bonheur d’être ici absolu et à peine concevable, dont il
nous sait exclu ; Rousseau opère dans le monde réel de la Chute et du malheur.
S’il ne sent « ni mal, ni crainte, ni inquiétude », il a néanmoins reçu de multiples
blessures ; il voit l’Éden : la terre d’ici et la profondeur du ciel nocturne, lorsque
le malheur du monde est pleinement présent, y compris la mort, un carrosse qui
suivait le chien ayant failli lui passer sur le corps. Il est à remarquer finalement
qu’il situe avec précision cette expérience quasi mystique dans le temps et le lieu,
en notant que cela lui arriva le « jeudi 24 octobre 1776 […] sur les 6 heures »,
dans « la descente de Ménilmontant presque vis-à-vis du Galant Jardinier ». Il place
cette révélation transcendante dans la trame du réel ordinaire, cet ici essentiel dans
l’ici banal où il trouve son sens.
Pour bien comprendre « Song of the Open Road » (« Chant de la route libre »),
que le poète américain Walt Whitman ajouta à la deuxième édition (1856) de ses
Leaves of Grass (Feuilles d’herbe), il convient de remarquer qu’il reprend, dans les
premiers vers, les derniers vers du Paradis perdu. Pour Milton, Adam et Ève
découvrent que, malgré leur expulsion de l’Éden, « The world was all before them »
(« Le monde entier s’étendait devant eux ») ; Whitman, s’élançant sur la route de
la vie, se trouve, dit-il, « free, the world before me » (« libre, le monde devant moi »).
Si Adam et Ève avancent, cependant, « à pas incertains et lents », Whitman a « le
ÉTUDE DE LA CRÉATION LITTÉRAIRE EN LANGUE ANGLAISE 765

cœur léger », et au lieu de se laisser guider par la « Providence », il « choisit » sa


direction, le chemin « me conduisant, dit-il, là où je veux ». Le vieux poète sent la
présence de Dieu et reconnaît la tristesse d’un monde compromis ; le nouveau
poète que Whitman représente n’a pas besoin de Dieu, cherche avant tout le
bonheur, et transforme la prosodie et la syntaxe de Milton en adoptant la liberté
autre du verset et d’une suite de phrases peu construites par la grammaire. (Il est
instructif, et pas seulement pour l’histoire littéraire et l’évolution des idées, de
noter que Wordsworth aussi revient aux derniers vers du Paradis perdu dans les
premiers vers du Prélude, publié après sa mort en 1850, dans un désir semblable,
mais différent, d’aggiornamento.) Pour Whitman, la terre est « suffisante »,
« inépuisable » — d’où les nombreux catalogues qui s’enthousiasment du grain, du
toucher, des objets du monde — et en continuelle expansion. Il est convaincu que
« L’est et l’ouest sont miens, et le nord et le sud sont miens », selon une exubérance
de l’âme qui regarde, non pas des paysages, mais une géographie, non pas un pays,
mais un continent, et qui remplace, en l’imitant, le mysticisme chrétien. Il est
persuadé aussi, cependant, de la dimension « inaperçue » et « divine » du monde,
et qu’il ne nous est pas indifférent. « L’émanation de l’âme est le bonheur, écrit-il,
le bonheur est ici, / Je pense qu’il se répand dans l’air, en attente à tous moments,
/ Maintenant il pénètre en nous. » Le bonheur n’est pas une émotion, un état :
c’est le mouvement de l’être vers ce qui est, et le mouvement de ce qui est vers
nous. Conscient de ce qu’il doit à cette réciprocité, Whitman s’adresse ainsi au
monde : « Toi, air qui me sers du souffle afin que je parle ! / Vous, objets qui
appelez dans leur état diffus mes significations et qui leur donnez forme ! » Ce n’est
plus le poète qui appelle les choses par leur nom, ni qui appelle le monde pour
qu’il vienne dans le poème, mais les objets qui appellent ce qui flotte dans l’esprit
du poète. Donne forme, selon cette poétique sage qui mérite que l’on y réfléchisse,
non pas en premier lieu le travail que le poète effectue sur la langue et sur le vers,
mais le rapport de plus en plus exact entre le poète et certaines présences du
monde. Même si on sent chez Whitman quelque optimisme « victorien » difficile
à admettre, il trouve sûrement le bonheur d’être ici dans un aller continu, dans
une réaction incessante à tout ce que font glisser vers nous le temps et l’espace.

Il est utile aussi de regarder les œuvres qui semblent plongées dans la misère,
mais qui réussissent à évoquer le bonheur. L’Enfer de Dante concerne bien le
malheur de l’ici : il sonde moins la souffrance des damnés qu’il ne crée un angle
de vue infernal sur la vie terrestre (en attendant les angles de vue purificateur puis
paradisiaque des deux autres cantiques). Puisqu’il parle néanmoins de la vie après
la mort et d’un lieu inconnu que nous peinons à imaginer, Dante se sert
constamment de comparaisons avec notre vie, afin d’illuminer l’étrange par le
familier. A-t-on remarqué, cependant, à quel point ces comparaisons sont
nombreuses ? Et a-t-on compris, avec précision, leur rôle ? Pour T.S. Eliot, elles
servent à nous faire voir plus clairement l’action que Dante raconte, comme lorsque
des ombres prises sous une pluie de feu regardent Dante et Virgile en clignant des
yeux, « comme le vieux tailleur » qui cherche « le chas de l’aiguille » (chant 15).
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Oui, mais le rapport avec la réalité ordinaire est bien plus complexe. Beaucoup de
comparaisons nous sortent de l’enfer pour nous placer dans l’ici malheureux.
Virgile ordonne à Dante, par exemple, de monter sur le dos du monstre Géryon,
et Dante écrit : « Tel celui qui, sentant le premier frisson de la fièvre quarte, a déjà
les ongles blêmes et tremble tout entier en regardant l’ombre, tel je devins à
entendre ces paroles » (chant 17). Le monstre appartient au mythe et au cauchemar ;
la fièvre quarte nous ramène à nos maladies dangereuses. Si le lecteur rencontre,
cependant, bien des malheurs réels par l’effet de ces comparaisons, il rencontre
aussi de très nombreux bonheurs. Au chant 16, par exemple, Dante sort d’un
cercle de l’enfer : « J’étais déjà au lieu, écrit-il, où s’entendait le bruit de l’eau qui
tombait dans l’autre cercle, pareil au bourdonnement que font les ruches. » Géryon
commence son vol avec Virgile et Dante sur le dos, « Comme le petit bateau sort
du port à reculons », le petit bateau (navicella), dans cette scène agréable de bord
de mer, étant même le contraire du monstre gigantesque. Dante fait dérouler
devant le lecteur, au fond de l’enfer, des moments de bonheur simple dans la vie
ordinaire, et certaines comparaisons parlent même d’un malheur qui se transforme
en bonheur. La plus extraordinaire occupe les quinze premiers vers du chant 24,
et décrit « la très jeune année » où un villageois qui, prenant du givre pour de la
neige, se lamente de ne pas pouvoir sortir ses troupeaux, retrouve « l’espoir » un
peu plus tard, en comprenant son erreur et en voyant que, sous l’effet du soleil,
« le monde a changé de face ». Puisque la chose à comparer est toute simple et se
dit en trois vers : Virgile se fâche d’avoir manqué le chemin, puis se calme en le
trouvant, ce long passage existe pour parler de la vie à la campagne, et pour évoquer
l’espoir, et la possibilité, même au fond de notre enfer, que le monde change de
face. La dernière image de l’Enfer : « je vis les belles choses que porte le ciel, par
un pertuis rond. Et par là nous sortîmes à revoir les étoiles », est également l’image
de ce que fait Dante dans son poème : abîmé dans le malheur et même l’enfer
d’être ici, il ouvre sans cesse des fenêtres sur le bonheur et la beauté.

Proust œuvre de manière semblable dans le récit merveilleusement stratifié de La


Prisonnière (1923), qui ressemble à un cercle de l’Enfer par les sombres observations
sur l’amour, le désir, le rêve, par la présence de la maladie, de la mort et surtout
des mensonges incessants d’Albertine et du narrateur, mais où le bonheur d’être ici
intervient souvent de façon soudaine, comme dans l’impatience de Bergotte devant
des tableaux d’un art factice « qui ne valait pas les courants d’air et de soleil d’un
palazzo de Venise, ou d’une simple maison au bord de la mer ». L’art authentique
est celui qui permet de trouver un plaisir plus riche dans le réel commun : air,
soleil, maison, mer, en le recréant comme le fait Proust, par ces « courants […] de
soleil », par cette parole neuve qui fait voir à nouveau les reflets ondoyants renvoyés
par l’eau. L’intérêt du passage sur la mort de Bergotte ne se résume pas, en effet,
au « petit pan de mur jaune » tant commenté, et il culmine dans les réflexions du
narrateur, qui commencent ainsi : abattu, Bergotte « roula du canapé par terre
[…]. Il était mort. Mort à jamais ? Qui peut le dire ? » Les deux questions sont
imprévisibles et étonnantes, et le narrateur continue en disant que, si rien ne
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prouve que l’âme subsiste, « tout se passe dans notre vie comme si nous y entrions
avec le faix d’obligations contractées dans une vie antérieure ». La préexistence ne
nous incite pas à nous élever jusqu’aux Idées platoniciennes, mais à respecter une
certaine morale : faire du bien, être délicats, malgré le fait qu’il n’y a aucune raison
dans notre vie sur terre « pour que nous nous croyions obligés […] même à être
polis », et cela s’étend aussi à la vocation artistique, « l’artiste athée » n’ayant pas
de raison non plus, « dans nos conditions de vie », de se croire tenu à « recommencer
vingt fois un morceau ». Il ne s’agit pas ici des vertus salvatrices de l’art — au
contraire : un certain bonheur émane de la pensée que nous obéissons à des lois
inconnues, et de l’intuition de la simple possibilité qu’il existe un autre monde,
intuition qui ne vient pas, comme ailleurs dans À la recherche du temps perdu, de
l’art, mais du sentiment de l’obligation. Il ne s’agit pas non plus de la survie de
l’œuvre et du nom, mais de la personne. Dans ce passage inséré au sein du roman,
Proust s’aventure dans une autre sorte de spéculation, dans un « comme si » qui
semble le travailler et qui ouvre l’ouvrage à un autre genre de possible. S’il le place
ici, ce n’est pas pour fournir encore un exemple de la duplicité d’Albertine (dont
le mensonge fait que le narrateur se trompe sur la date exacte de la mort de
Bergotte), mais pour que cette duplicité ajoute au passage une signification
supplémentaire, en le situant dans le malheur du monde connu.

L’Ecclésiaste peut étonner encore davantage. Dans cet opuscule de l’Ancien


Testament dont on retient surtout le refrain : « Vanité des vanités, tout est vanité »,
l’auteur considère avec acuité de nombreuses facettes du malheur d’être ici, mais à
la lumière du récit, dans la Genèse, de la désobéissance d’Adam et Ève et de leur
punition. Il se demande si nous sommes destinés à toujours travailler et mourir, et
il pose sans cesse une question pertinente : « Quel avantage revient-il à l’homme
de tout le travail qu’il fait sous le soleil ? » Il ne trouve pas de sortie, mais il aperçoit
un début de réponse en réfléchissant au mot hébreu towb, et, semble-t-il, au fait
que dans le récit de la Création, où Dieu vit que tout ce qu’il créa fut towb, une
multiplicité de sens qui sont, pour nous, séparés — bon, beau, vrai, réel, et que
savons-nous encore ? — s’associaient dans l’unité originelle. En examinant « ce
qu’il est bon (towb) pour les fils de l’homme de faire sous les cieux », il cherche ce
qui demeure accessible de ce towb de l’origine. Sa réponse : « il est bon (towb) pour
un homme de manger et de boire et de se réjouir de son travail », peut paraître
décevante, si l’on ne comprend pas qu’il trouve un bonheur d’être ici dans
l’approfondissement quotidien de la réalité ordinaire, qu’il s’enthousiasme en
revenant constamment à l’idée pour lui ajouter de nouvelles précisions, et qu’il
« loue la joie », ce qui donne de l’auteur une image très différente de celle d’un
mélancolique désabusé de tout. En voyant que c’est Dieu qui « donne… la joie »,
il transforme sa notion du temps ennuyeux, où tout revient et rien n’est nouveau,
pour dire que Dieu préserve le passé et qu’il « fait toute chose belle en son temps »,
ou, pour le redire dans une autre sorte de discours : rien n’est perdu, le passé revit
dans le présent comme il revivra à l’avenir, et il est possible de racheter le temps
qui passe, de valoriser chaque moment du vécu. Même sa perspective sur la sagesse
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change dès qu’il s’aperçoit qu’elle est supérieure à la folie comme la lumière aux
ténèbres (autre allusion au début de la Genèse), et qu’elle « donne la vie » à ceux
qui la possèdent. Un ouvrage apparemment assombri par le pessimisme
recommande, comme une obligation réjouissante, le bonheur terrestre sous le signe
de la « crainte » et de l’« écoute » de Dieu, ou du Réel, et le rédacteur du texte finit
par dire que l’auteur de ce « grand nombre de sentences » choisit ses mots « pour
donner du plaisir ».

Un poème de l’Ancien Testament, le passage du troisième chapitre de Daniel qui


figure seulement dans la Bible grecque, mais qui est devenu le Benedicite des
liturgies romaine et anglicane, peut aider à réfléchir sur certaines questions
concernant l’ici et son bonheur. Pourquoi reconnaissons-nous l’obligation (pour
rappeler Proust) de conserver les espèces ? Les petites choses sont-elles importantes ?
— l’activité dans la rue au-delà de nos fenêtres, une lumière d’hiver qui argente
les quais et qui devient visible sur les vaguelettes de la Seine — ou faut-il penser
comme Fénelon, dans le deuxième des trois Dialogues sur l’éloquence (en utilisant,
peut-être, un autre vocabulaire), que depuis « le péché originel, l’homme est tout
enfoncé dans les choses sensibles ; c’est là son grand mal : il ne peut être longtemps
attentif à ce qui est abstrait » ? Les détails du corps du monde sont-ils à connaître
et à aimer, ou le corps humain et la réalité matérielle sont-ils pour nous une
prison ? Dans le Benedicite, les trois jeunes Hébreux que Nabuchodonosor a fait
jeter dans une fournaise ardente, mais que les flammes épargnent, commencent par
bénir Dieu avant de se lancer dans un chant passionné où ils demandent à tous
les phénomènes de l’univers d’en faire autant. Ils s’adressent aux anges, aux cieux,
au soleil, à la lune, puis tout à coup aux « Pluies et rosées », aux « Vents », aux
« Feux et chaleurs de l’été », aux « Froids et rigueurs de l’hiver ». Ils passent de
façon vertigineuse entre les choses grandes et petites, en associant « Lumière et
ténèbres » et « Rosées et bruines », « Mers et fleuves » et « fontaines ». Ils
s’émerveillent de l’ici, des choses toutes proches : gelées, glaces, neiges, en prenant
plaisir à s’enfoncer dans les choses sensibles. En parcourant cette tout autre lecture
de la Genèse, qui exalte les créatures en même temps qu’il les invite à exalter Dieu,
on comprend pourquoi le chant est précédé de la prière de l’un des trois adolescents,
une confession, non pas personnelle mais collective, qui reconnaît que Dieu a agi
avec justice en punissant les Hébreux par la captivité babylonienne. L’acte de se
mettre en rapport avec l’universalité du monde ambiant est encore plus joyeux si
l’on s’en sentait auparavant tout à fait séparé, et le moyen de sortir de la misère et
du désespoir se révèle être, précisément, de sortir de soi. Faire appel aux éclairs,
aux nuages, aux poissons, aux baleines, c’est créer, non pas une conscience de soi,
mais une conscience incessante de l’autre, un mouvement continu vers ce que
Wordsworth appelle « les présences de la Nature » qui permet à la personne de se
comprendre dans ses relations avec le Tout. Donner ainsi à toute chose une
importance en dehors de nous dans un ensemble numineux, c’est apercevoir
l’Éden, le bonheur d’un ici immense et harmonieux. Notons finalement la
profondeur ici de l’acte poétique : en chantant ensemble leur poème, les trois
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adolescents évitent le lyrisme du moi ; en disant une poésie vocative, comme celle
de Whitman, ils créent un rapport chaleureux entre le monde et ce qu’il y a de
plus profond en eux ; en visant, du cœur du feu créateur, la totalité des créatures
qu’ils ne voient pas, ils renouvellent le monde par la mémoire, l’imagination et la
parole poétique.
Certains ouvrages à moitié légendaires suggèrent à la fois le bonheur du réel et le
bonheur du possible : les Voyages, par exemple, de John Mandeville. Écrit en anglo-
normand vers 1356, il figure parmi ces œuvres « françaises » peu connues en France
qu’un des plaisirs de cette chaire a été de remettre en valeur. Le livre commence
comme un guide pour les pèlerins de la « Terre de promesse », mais Mandeville
quitte bientôt la géographie réelle afin de voyager, en imagination, vers son idée de
« l’Asie profonde », vers les royaumes du Grand Khan et de Prêtre Jean. Les
« merveilles » qu’il raconte, qui sont d’abord des villes et des églises, deviennent de
plus en plus prodigieuses, et leur nombre même se révèle démesuré, Mandeville
signalant qu’il lui est impossible de les raconter toutes, comme il souligne par ailleurs
la multiplicité des êtres vivants qui peuplent le monde selon l’élan irrépressible de la
Création. En s’aventurant, non pas dans l’au-delà, mais dans ce qu’il appelle le « par
delà », il découvre, à l’extrême orient de notre désir, le Paradis terrestre, qui est relié
au monde familier par ses fleuves qui divisent les terres de Prêtre Jean en plusieurs
régions, et qui alimentent même le Nil et « toutes les eaux douces du monde ». Ce
désir étrange de croire que le Paradis est encore présent quelque part sur la terre vient
sans doute en partie de notre impression que le monde se présente réellement, par
moments, comme édénique, grâce à une certaine lumière, ou à la beauté émerveillante
de certains lieux. Le Paradis est de toute façon inaccessible — pour aller vers cette
clarté parfaite, il faudrait traverser « la région ténébreuse où l’on ne pourrait voir ni
de jour ni de nuit » — et en écrivant un récit de voyage qui est en même temps un
conte magique, Mandeville évoque le caractère fictif du réel, auquel nous mélangeons
toujours notre imagination ou, au pire, notre fantaisie, et il laisse supposer que le réel
cherche un sens — ici, la présence-absence du Paradis — comme une œuvre cherche
un sens à composer. Puis, s’étant émerveillé du réel et de son possible, il retourne en
Europe, au monde familier, comme plus tard tant de personnages shakespeariens, à
une réalité qu’il définit avec un certain génie. Il revient en vue de son ouvrage : « j’ai
mis ces choses-là en écrit », et pour être malade : il souffre de la goutte articulaire.
Conscient que la Merveille n’abolit pas la maladie et la mort, il reconnaît en même
temps le bonheur et le malheur d’être ici, et il termine en demandant à ses lecteurs
de prier Dieu de lui pardonner ses péchés. Après son grand voyage dans le fabuleux
du possible, il revient au vrai lieu de l’écriture, au moi qui souffre et qui reconnaît ce
dont il a besoin.
La profondeur du bonheur quotidien vient de ce que le vécu ne donne pas
seulement, comme le rêve ou la recherche de l’idéal, sur autre chose, mais qu’il l’attire
aussi dans la trame des événements et le temps qui passe. Le bain de mer, par exemple,
que Valéry évoque dans une sorte de poème en prose inclus dans les Cahiers pour
1921, devient l’expérience d’un grand Tout, d’une « immense plage », d’un « ciel
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énorme », et surtout d’une « eau universelle » et d’un « jeu divin » où les adjectifs ne
décrivent pas les substantifs mais les développent. « Se mouvoir dans le mouvement »,
c’est devenir un esprit et un corps qui œuvrent ensemble, ressentir dans le tréfonds
de l’être incessant l’animation de toutes choses, se trouver ici et en même temps dans
une réalité qui s’élargit. En s’abandonnant au milieu, Valéry découvre que son corps
renouvelle son esprit, qu’avec l’eau qu’il étreint il enfante « mille étranges idées »,
que la réciprocité entre son corps et le corps du monde donne naissance, plutôt que
la réflexion, à la poésie. La poésie naît d’un regard qui imagine, grâce à une attention
accrue et à une mémoire fertile. Lorsque le vent couvre les lames « d’écailles, de
tuiles », ou que Valéry, sorti de la mer, « marche sur le miroir sans cesse repoli par la
couche mince d’eau qui se recontracte », on comprend que les métaphores,
parfaitement exactes, ne procèdent pas de la rhétorique, mais de la réalité. Dans
« Quincaillerie » (Usage du temps, 1943), Jean Follain glisse dans un monde encore
plus ordinaire, où s’alignent vis, écrous, clous, verrous et croix de grilles, afin d’en
révéler peu à peu la dimension extraordinaire et tout aussi réelle. Étant « virginales »,
par exemple, ces croix de grilles sont toutes neuves comme au commencement. Il
suffit de toucher les objets « pour sentir le poids du monde inéluctable », pour
éprouver l’existence, non pas de soi, mais de la réalité, solide et toujours là, pour
saisir que le quotidien n’est pas des objets en vrac, mais un monde que l’on peut
rencontrer. Puisque la quincaillerie « vogue vers l’éternel » et vend à satiété « les
grands clous qui fulgurent », on passe, dans un magasin en province, par un ici qui
voyage vers un temps inconnu, comme on passe, dans la lecture du poème, des
premiers mots : « Dans une quincaillerie », aux derniers : « qui fulgurent », de la
banalité à une grande lumière qui irradie le quotidien bien vécu. Le poème est une
leçon de vie, qui parle d’objets simples qui ne sont pas de simples objets.

Milton explore le rôle de la poésie en ce domaine dans Comus, un masque joué


au château de Ludlow en 1634 qui constitue une méditation persévérante et
admirablement multidimensionnelle sur le bonheur et l’ici. Milton évalue surtout
la sensibilité à la beauté naturelle chez les deux personnages principaux : Comus,
fils de Circé et maître d’une drogue qui transforme la tête de l’homme en tête
d’animal, et la jeune fille qui résiste à ses enchantements. Comus, habitant des
bois, perçoit la beauté du monde et prend plaisir à en rehausser l’éclat à l’aide de
la poésie. Par ses tout premiers mots, par exemple, il dit le soir avec beaucoup de
délicatesse : il évoque le rapport entre le haut du ciel et la vie sur terre en notant
l’étoile qui enseigne au berger de rassembler son troupeau, se rappelle une figure
de la poésie gréco-latine pour dire que le char du soleil rafraîchit son essieu brûlant
dans les eaux de l’Atlantique, et observe que les rayons du soleil au couchant ne
descendent plus vers la terre mais montent jusqu’à la voûte du ciel. Sa sensibilité
est détachée, cependant, de son être, qui demeure destructeur, et son don poétique
ne le conduit pas à honorer ni à aimer. La jeune fille aussi décrit le soir : « when
the grey-hooded Even / Like a sad votarist in palmer’s weed / Rose from the hindmost
wheels of Phoebus’ wain » (« quand le Soir au capuchon gris, / Comme un grave
pèlerin portant sa palme, / S’élevait des roues disparues du char de Phébus »). Si
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elle pense à l’imagerie païenne, cependant, elle voit aussi un pèlerin, et se met en
rapport avec le réel en y apercevant le signe de sa croyance ; sa comparaison est
profondément exacte, le soir étant réellement le moment où des pensées graves
viennent à l’esprit ; elle renouvelle notre perception du soir, en observant qu’au
moment où le soleil disparaît, une ombre s’élève, comparable, en effet, à un pèlerin
au capuchon gris. De la même façon, Comus reconnaît que les chants de Circé et
des Sirènes, qui prennent « l’âme emprisonnée » pour la bercer de « plaisirs
élyséens », plongent la raison dans un « agréable sommeil » et une « douce folie ».
Il décrit une certaine mauvaise écoute de la musique, ou une mauvaise lecture de
la poésie, un mauvais regard sur la peinture. Étonné par une chanson de la jeune
fille, où il sent quelque chose de « saint », de « sacré », il y découvre, au contraire,
« La si sobre certitude d’un bonheur éveillé ». Il oppose, au sommeil provoqué par
une poésie qui s’enchante d’elle-même, l’éveil provoqué par la poésie orientée vers
le réel ; il apprend un bonheur éveillé qui est également un bonheur auquel on se
réveille ; il éprouve la « certitude » de qui se réveille à l’ici.

Milton et Claudel invitent à réfléchir aussi sur le rapport entre le poète et le


bonheur d’être ici avant même la naissance du poème. Dans Les Muses (1900-
1904), que j’avais commenté en 2006-2007 sous un autre angle, Claudel, regardant
sur un sarcophage un bas-relief représentant les Muses, écrit ceci : « dans le silence
du silence / Mnémosyne soupire ». Le silence n’appartient pas, comme le bruit, au
temps, et il suffit d’en devenir conscient pour avoir l’impression, ou bien d’être à
un commencement où tout est possible, ou bien de se trouver au centre, de toucher
à l’être. Entendre le silence du silence, ce serait voyager très loin dans ce qui est,
vers le lieu où naît, pour le poète mais non pas en lui, le soupir qui précède les
mots. Et ce silence au fond du silence nous attire vers le cœur battant du réel, car
Mnémosyne est « posée […] / Sur le pouls même de l’Être », l’Être n’étant pas une
idée, mais une Vie. Claudel parle aussi du « clair dialogue avec le silence
inépuisable », en évoquant, en créant pour l’imagination, un vaste silence qui
soutient tout, qui demeure après les bruits du monde et les sons du poème, et où
l’on peut sans cesse trouver autre chose. Ce « dialogue » avec le silence serait à
mettre en rapport avec « l’interrogation » que le poète nouveau confie au « savant
chœur de l’inextinguible Écho », et pour comprendre ces deux échanges inattendus
il convient de revenir à Comus, où la jeune fille demande à Écho, dans sa chanson,
où se trouvent ses deux frères, perdus dans la forêt. Milton semble concevoir cette
situation singulière (Écho ne peut répondre, selon la fable, que les derniers mots
qu’elle entend) afin de réfléchir, comme Claudel, à l’acte poétique, et de suggérer
que, lorsqu’un poète interroge le silence ou l’écho, ce ne sont pas ses propres mots
qui reviennent vers lui, mais des mots inouïs, différents de ceux qu’il avait eu
l’intention d’écrire. S’il dit aussi qu’Écho habite près des « rives verdoyantes » du
Méandre ou dans un vallon « brodé de violettes » et qu’elle dort sur « un lit de
mousse », c’est sans doute pour ne pas séparer le domaine mystérieux du silence et
du son du réel le plus palpable, comme lorsque Comus imagine que les notes de
la chanson se répandent dans la voûte nocturne, et qu’en lissant le « plumage de
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corbeau » de l’obscurité, elles le font sourire. (Il pense peut-être à la lune qui fait
soudain luire un nuage.) La jeune fille pose, comme le poète, une question à
l’Univers conçu comme une immense chambre de résonance, à un Silence qui
capte d’autres voix et qui peut les répéter. Pour Milton, comme pour Claudel, la
poésie n’est faite ni d’idées ni de mots, mais de paroles, qui commencent comme
un soupir et qui résonnent dans la chambre de résonance de l’oreille.
La peinture établit des rapports multiples avec le bonheur d’être ici, qui est
souvent le sujet même du tableau, comme dans l’Impressionnisme, où l’ici est le
monde moderne des gares, des cafés-concerts, des rues de Paris. Dans Un Bar aux
Folies-Bergère, de 1881-1882, Manet continue de s’intéresser à la fraîcheur du
maintenant, au chatoiement incessant des présences du monde, mais pour son
dernier chef-d’œuvre il cherche aussi dans le lieu une profondeur autre. Un miroir
signifie notre désir de faire mirer la visibilité du monde dans l’altérité d’une surface
qui change tout sans violer les lois de la vision ; un tableau figuratif, même réaliste,
tend à la nature un miroir magique. Ici, le tableau inclut un miroir, qui s’étend
sur toute sa largeur, mais on sait qu’il ne reflète exactement ni les bouteilles sur le
comptoir, ni la serveuse. Le reflet de celle-ci est déplacé à droite comme par un
miroir courbe ou à facettes, mais une profusion de lignes horizontales montre que
le miroir est droit, et la serveuse passée de l’autre côté du miroir est un peu plus
corpulente, ses cheveux sont plus déployés sur sa nuque, et elle se penche davantage.
L’ici devient mystérieux : le tableau est partagé (comme Le Balcon ou Le Skating)
entre un premier plan plein de la vie immédiate des êtres et des objets et un arrière-
plan secret, comme si le réel familier donnait sur un plus-loin étrange et attirant.
La serveuse qui nous regarde et son reflet qui nous tourne le dos retrouvent la
disposition des personnages dans Portrait de Zacharie Astruc et Le Chemin de fer
(toiles, comme les autres que j’ai mentionnées, qu’Un Bar aux Folies-Bergère
reprend, résume et dépasse), et on peut penser que la scène impossible, où la
serveuse reflétée se penche vers un homme en haut-de-forme afin d’écouter, ou de
provoquer, des propositions sans doute louches, est la création de la serveuse réelle.
Manet trouve ainsi le moyen de rendre visible la vie intérieure d’un personnage,
en enfreignant les règles de la peinture figurative. L’homme du miroir, qui usurpe
notre place, ou celle du peintre dans cette nouvelle géométrie de l’espace, figure le
nouveau regard de Manet, qui lui permet de passer le seuil de la présence immédiate
afin de sonder, non pas la présence de l’au-delà, mais un au-delà de la présence. Il
apporte aussi le temps qui dure et qui semble se libérer des moments qui passent,
dans le coin d’un tableau où règne partout ailleurs la vivacité de l’instant. Notons
finalement, dans ce tableau où le réel s’ouvre à son propre arrière-fond imaginé, la
présence à la fois de la mélancolie — la saturation du bleu — et de la joie, et
surtout de l’humour. Manet signe l’ouvrage sur une bouteille, comme si Manet
était le nom du fabricant, du responsable de cette clairvoyante ivresse.
Une des nombreuses façons d’associer la musique au bonheur d’être ici passe par
les chants d’oiseaux. Musique du réel indépendante de nos idées et de nos émotions,
ces chants parlent néanmoins, comme les poètes le sentent en les plaçant au point
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culminant de tant de reverdies, du commencement, du possible, d’une joie qui renaît.


Je suppose qu’ils fascinent les musiciens parce qu’ils ressemblent à la voix humaine et
qu’ils encouragent une musique désirable et impure, qui cherche, du Chant des
oiseaux de Janequin au Catalogue d’oiseaux de Messiaen, à se rapprocher des rumeurs
du monde. Pour son My Beloved Spake (Mon bien-aimé a parlé), composé vers 1680,
Purcell choisit, au deuxième chapitre du Cantique des cantiques, une reverdie, où il
est dit que l’hiver est parti, que la pluie a cessé et que les fleurs apparaissent. La
musique change de rythme et s’enflamme aux mots tout simples : « et le temps du
chant des oiseaux est venu », le chœur, dont on ne soupçonnait pas l’existence,
intervient pour la première fois en les chantant après les solistes, l’orchestre prend la
relève dans des phrases musicales qui rappellent la forme de l’expression, puis, tout à
coup, les solistes suivis du chœur chantent « Alléluia ! » Dans une musique qui est en
principe sacrée, Purcell s’enthousiasme pour le retour des chants d’oiseaux et fait
chanter un « alléluia », qui suit traditionnellement une mention de Dieu, à la pensée
d’une musique printanière. Deux oiseaux figurent dans L’Allegro, il Penseroso ed il
Moderato, où Haendel étudie à sa manière, en 1740, deux poèmes de Milton épissés
intelligemment (et complétés médiocrement) par Charles Jennens. Si j’ai parlé de
Milton à plusieurs reprises dans ce cours, c’était en partie pour honorer le quatrième
centenaire de sa naissance en 1608. Milton voit dans le chant de l’alouette la victoire
sur la nuit, l’annonce d’un commencement et de l’espoir et le bonheur d’être ici « in
spite of sorrow », « malgré la peine ». Haendel ressent une joie très évidente à
rapprocher les trilles de sa musique de celles de l’oiseau, au-delà d’une simple
imitation, et à faire dialoguer un chant d’oiseau avec le chant humain. Pour Milton,
la voix du rossignol est celle, non pas de l’ici qui s’ouvre à l’avenir, mais de l’ici qui
dure et qui s’approfondit ; venant du cœur obscur de la nuit, elle ne figure pas
l’allégresse, mais la joie profonde et pensive. Chez Haendel, la flûte baroque, tout en
imitant le rossignol, l’intègre finalement à la phraséologie et à la structure musicales
de l’époque, et la voix humaine, qui cherche, sans paroles, à entrer dans le jeu d’un
chant extra-humain, impose à la longue sa supériorité. C’est comme si la musique
exprimait la nature en l’embellissant, au lieu de s’en éloigner afin de créer, dans sa
pureté, le monde autre de l’art.

Au dernier cours, qui fut aussi ma leçon de clôture, je n’ai pas parlé du bonheur
d’être ici à propos d’une œuvre, mais d’un lieu en particulier, le Pont des Arts, et j’ai
réfléchi également, dans ce contexte, sur la « création littéraire » à laquelle cette
chaire est consacrée. Le Pont des Arts est un lieu privilégié, mais une des leçons de
l’engagement dans l’ici est que tout lieu est privilégié dès qu’une sorte de besoin vital
du monde ambiant nous permet d’en discerner la richesse. Nous sommes par notre
rapport aux lieux, comme aux personnes ; nous sommes même ce rapport, nous
vivons par notre langage, notre façon de voir et notre manière d’écouter, où nous
soutiennent respectivement la poésie, la peinture et la musique. Devenus attentifs,
nous apercevons les interventions du réel, les signes que nous fait la réalité
quotidienne et qui sont différents pour chacun : les lumières, par exemple, qui, la
nuit, étincellent sous les pieds, entre les planches du tablier, comme de fins sourires.
774 MICHAEL EDWARDS

La littérature est donc toute proche, par ce très vieux genre littéraire qu’est l’éloge,
passage vers ce qui est, mouvement de l’être vers l’être de l’autre, et chant par lequel
nous rendons présente la présence du monde. Elle est proche aussi en ce que chacune
de ces interventions, en nous réveillant (la vie est un rêve dont il faut sans cesse se
réveiller), en parlant du réel et du possible du réel, peut être à l’origine de la création
d’une œuvre. Chacun de ses détails peut aussi éloigner de ce que Whitman appelle,
dans le poème commenté, le « noir emprisonnement » dans le soi « autre » et
« louche » qui nous habite (ce n’est pas la mort que nous avons à craindre, mais la
vie), et pour cela une pelure d’orange abandonnée sous un des bancs du Pont des
Arts peut être aussi efficace que la vue, sous des flots de lumière dorés, de la Cour
Carrée du Louvre. Puis, le pont nous place entre l’immobilité des édifices et le
mouvement de la Seine, entre le besoin de durer et le besoin également urgent de
changer, le fleuve associant à merveille les deux quand, un soir d’hiver, des arbres
sous forme d’ombres se déplacent lentement sur les immeubles proches au passage
d’un bateau-mouche illuminé. Le pont partage aussi l’amont et l’aval, ces deux sens à
la fois prosaïques et figuratifs, l’amont étant l’origine, le passé, la mémoire, le
bonheur du vécu et de l’appris, l’aval étant l’avenir, l’aventure, le possible, la joie
mélancolique du surcroît de réalité qui attend et de la disparition. On sent ici que
« l’être qui devient » (Antonio Machado), qui est en suspens entre l’amont et l’aval
sur une passerelle de bois elle-même suspendue au-dessus de l’eau périlleuse, vit par
le temps et sait que chaque instant est le moment opportun. On sent également que,
si Whitman voit « la terre en expansion à droite et à gauche », cette vision est à notre
portée autant sur un pont de Paris que sur le continent américain, que tout lieu a
une belle hauteur sous plafond, mais qu’un pont relie aussi la terre à la terre, l’ici-bas
à l’ici-bas, dans un geste horizontal et humble. Fragile, il peut faire penser aussi à un
radeau, ou à un effondrement, à une perte de soi qui, dans le domaine de la création
littéraire, est tout à fait salutaire. (Mourir, c’est sans doute voir les choses telles
qu’elles sont, et pour mourir, on n’a pas besoin de cesser de vivre.) Sur le Pont des
Arts, finalement, on se trouve dans une œuvre d’art : parmi de grandes architectures
et au cœur du paysagisme urbain. Et les arts sont un pont, vers le réel, vers autre
chose, vers l’autre rive. Lorsqu’on regarde le lieu changer, en remarquant la fumée
verte du saule à la pointe du square du Vert Galant, ou le tout, malgré les réverbères,
baigné de nuit, on sent qu’un poème pourrait commencer ici, ou un récit, une pièce
de théâtre. Je ne sais pas si la sculpture attend dans la pierre, mais je sais que le poème
attend dans le lieu, ou mieux, dans le rapport entre le lieu et le poète. Une des sources
de la création littéraire, c’est le sentiment que le lieu aussi attend de devenir poèmes,
que le lieu veut dire quelque chose, qu’il cherche à devenir, sous nos yeux, poésie.
Je voulais surtout que cette leçon de clôture soit une leçon d’ouverture. Les
auditeurs si sympathiques ayant demandé un bis, j’ai lu mon poème « Le Pont des
Arts ».
ÉTUDE DE LA CRÉATION LITTÉRAIRE EN LANGUE ANGLAISE 775

Activités de la chaire

Publications

De l’émerveillement, Paris, Fayard, 2008, 292 p.


Préface, La Poésie de Geoffrey Hill et la modernité, éd. Kilgore-Caradec, Gallet, Paris,
L’Harmattan, 2007.
« Shakespeare : le poète au théâtre », Shakespeare poète, Paris, Société Française Shakespeare,
2007, pp. 121-130.
« Donald Davie et la difficulté d’être », Études anglaises, juillet-septembre 2007,
pp. 280-289.
« L’Eutopie. La littérature et l’espoir du lieu », Études, janvier 2008, pp. 69-79.
« Autrement dit », La Conscience de soi de la poésie, sous la direction d’Yves Bonnefoy,
Le Genre Humain, avril 2008, pp. 95-106.
« Unpropitious : Christian Poetry and ‘Now’ », Ecstacy and Understanding, éd. Grafe,
Harrison, Londres, New York, Continuum, 2008, pp. 192-202.
« Le poème est … », La poésie, c’est autre chose, sous la direction de Gérard Pfister, Orbey,
Arfuyen, 2008, p. 76.
« Vues et revues de Paris » (cinq poèmes en versions française et anglaise), Le rêve et la
ruse dans la traduction de la poésie, éd. Bonhomme, Syminton, Paris, Champion, 2008,
pp. 19-29.
« Yves Bonnefoy et les Sonnets de Shakespeare », Littérature, n° 150, juin 2008,
pp. 25-39.

Colloques, lectures, entretiens

Lecture de poèmes, Crypte Ararat, le 15 mars 2008.


« Variations sur L’Ecclésiaste », Littérature et vanité : la trace de L’Ecclésiaste en littérature
de Montaigne à Beckett, Port-Royal des Champs, le 7 juin 2008.
Entretiens à la télévision, à la radio, et dans plusieurs journaux français et anglais.
Membre, Comité d’honneur des Amis de Rimbaud.

Prix

Prix Dagnan-Bouveret de l’Académie des sciences morales et politiques pour


De l’émerveillement.
Histoire de l’art européen médiéval et moderne

M. Roland Recht, membre de l’Institut


(Académie des Inscriptions et Belles-Lettres), professeur

2007-2008 : Le cours n’a pas eu lieu cette année.

Activités du professeur

Nouvelles responsabilités scientifiques


— Comité de rédaction de la revue en ligne Histara.
— Comité de rédaction de la revue en ligne artefakt.
— Comité de rédaction de la revue Perspective.

Participation à des colloques


— Invité d’honneur aux Rencontres d’Archimède consacrées à l’avenir du patrimoine,
30 août 2007, Cluny.
— « La réception du Romantisme allemand en France », communication au colloque
Histoire de l’art du XIX e siècle (1848-1914), bilans et perspectives, Musée d’Orsay, Ecole du
Louvre, 13-14 septembre 2007.
— « Goethe et Falconet », communication au colloque De la quête des règles au discours
sur les fins. Les mutations des discours sur l’art en France dans la seconde moitié du XVIII e siècle,
Université de Lausanne 14-16 février 2008, Paris (Centre allemand d’histoire de l’art),
10-12 avril.

Conférences
— « Parler de l’art en Europe », conférence dans le cadre de l’exposition Le grand atelier,
Bruxelles, Académie royale de Belgique des Sciences et des Arts, 29 novembre 2007.
— « Gotische Architektur zwischen Abbild und Bauforschung. Gibt es eine französische
Rezeption der deutschen Kunstgeschichte ? », conférence pour le centenaire du Deutscher
Verein für Kunstwissenschaft, Berlin, Kunstgewerbemuseum, 15 mars 2008.
778 ROLAND RECHT

Ouvrages :
— Le grand atelier. Chemins de l’art en Europe (V e – XVIII e siècle), catalogue de l’exposition
Europalia, palais des Beaux-Arts de Bruxelles, 5 octobre 2007-20 janvier 2008, Bruxelles
2007, 336 pages ; édition anglaise : The grand atelier. Pathways of Art in Europe
(5th-18th centuries), Bruxelles 2007 ; édition flamande : Het meesterlijke atelier. Europese
kunstroutes (5de-18de eeuw), Bruxelles 2007 ; édition allemande : Atelier Europa. Meisterwerke -
Kunst aus 1300 Jahren, Stuttgart 2007.
— Relire Panofsky, (dir.), coll. Principes et théories de l’histoire de l’art, Cycle de
conférences au musée du Louvre du 19 novembre au 17 décembre 2001, Louvre - Beaux-
arts de Paris, Paris 2008, 200 pages.

Articles
— « Introductory Remarks on the Notion of Universality », dans Museum International,
235, septembre 2007, p. 52-58.
— « Buren sobre Ryman, Moritz sobre Winckelmann : a critica constitutive da historia
da arte », dans Arte & Ensaios, Rio de Janeiro, Revista do Programa de Pos-Graduaçao em
Artes Visuais EBA-UFRJ, XIV, n° 15, 2007, p. 166-173.
— « Une stratégie culturelle exigeante », dans Un monde à part. Dialogue entre art
moderne et art contemporain dans la collection Würth, dans le catalogue de l’exposition du
Musée Würth France-Erstein, 2008, p. 157-159.
— « L’historien de l’art est-il naïf ? Remarques sur l’actualité de Panofsky », dans Relire
Panofsky, Paris 2008, p. 11-36.
— « Louis Courajod et Salomon Reinach à l’Ecole du Louvre : deux conceptions de
l’histoire de l’art », dans Les frères Reinach. Colloque réuni les 22 et 23 juin 2007 à
l’Académie des Inscriptions et Belles-Lettres, (dir. S. Basch, M. Espagne, J. Leclant), Paris
2008, p. 236-248.
— « Goethe et la société mondiale de l’art », dans Clartés. Grandes signatures, n° 3, juil./
août 2008, p. 62-73.

Articles de presse et médias


— Chronique mensuelle dans Le Journal des Arts.
— France-Culture, Peinture fraîche, novembre 2007, invité de Jean Daive.
— France-Culture, Du grain à moudre, vendredi 11 avril 2008.
IV. CHAIRES ANNUELLES
Chaire de création artistique

Mme Ariane Mnouchkine, professeure associée

Le cours n’a pas eu lieu.


Chaire européenne

M. Manfred Kropp, professeur associé

Études coraniques

Dans le cadre des enseignements donnés par la chaire annuelle européenne


« Études coraniques » en 2007-2008, 14 heures de cours et 14 heures de séminaire
ont été tenues. En effet, les heures du séminaire se révélèrent être, en pratique, des
heures de cours, et cela était dû aux sujets particuliers qui furent abordés — mots
d’origine éthiopienne dans le Coran, développement de l’orthographe coranique,
définition des termes techniques clés dans le Coran à partir de leur origine
étrangère, etc. — qui exigeaient une présentation faite par l’enseignant lui-même
au premier plan et ne permettaient l’intervention des participants que dans les
discussions consécutives à l’intervention du professeur, celles-ci excédant, de par
leur vivacité, le temps prévu. De la même façon, les discussions postérieures aux
heures de cours se distinguaient par l’engagement sérieux des intervenants qui
étaient bien souvent des gens instruits et spécialistes dans des disciplines voisines.
En conclusion, la réaction du public, du reste très assidu du début jusqu’à la fin
des cours, démontrait que le concept pédagogique de l’enseignement avait réussi
et portait ses fruits de manière tangible au niveau de l’information et du savoir de
tous les participants, moi compris.

Le cours

La leçon inaugurale ainsi que les trois premières heures de cours formaient une
unité méthodologique qui avait comme but de démontrer à travers l’exemple de
la sourate 85 Le Cercle zodiacal les diverses approches possibles du corpus et des
textes coraniques selon un « bricolage intellectuel » effectué par le philologue et
l’historien. D’abord, on situait et on définissait les études coraniques comme étant
une partie intégrante des études sémitiques. Donc, pas d’isolement splendide d’un
784 MANFRED KROPP

sujet singulier et extraordinaire, mais une collocation du phénomène coranique


avec l’histoire religieuse, linguistique, littéraire, etc., du Proche-Orient antique et
de la Basse Antiquité. Ce qui implique une position tout à fait séculière et
rationnelle, voire positiviste, envers ce corpus de texte qui est considéré, par les
croyants musulmans, comme étant à la fois une œuvre sacrée et une révélation
directe et littérale de Dieu. Cette position peut se résumer dans la formulation
suivante : nous cherchons ce que l’on peut savoir de l’origine, de la nature et de
la fonction primordiale de ce texte apparemment produit en langue arabe (mais
laquelle ?), ce que l’on peut savoir de sa transmission orale et écrite, en écartant
dans un premier temps tout ce que l’on croyait à propos de ce texte, bien que la
tradition musulmane et d’autres traditions puissent aussi apporter de temps à autre
des éléments valables concernant les témoins matériels et les sources primaires, à
savoir les premiers manuscrits coraniques, les premières inscriptions et les papyrus
en langue arabe. Ceci en citant ou en se référant au Coran, à partir du viie siècle
après J.-C. Ce qui semble une position et une approche évidente et naturelle pour
un chercheur et scientifique. Mais là, il faut constater un fait surprenant : même
la science et les études occidentales coraniques n’ont pas toujours suivi ces principes,
pour des raison diverses qu’il ne fallait pas trop exposer. La conséquence la plus
éclatante d’un tel comportement dans la recherche est le fait qu’on ne dispose pas,
jusqu’à maintenant, d’une édition historico-critique du texte coranique. En
attendant cet opus magnum qui, on l’espère, va se réaliser durant le xxie siècle, les
exemples de critique textuelle appliquée aux passages choisis du Coran qui furent
présentés durant les heures de cours voulaient démontrer ce que l’on peut atteindre
avec le matériel qui est déjà à notre disposition et avec les méthodes expérimentées
et approuvées par la philologie historique, la linguistique comparée, les études
littéraires et religieuses comparées, etc.

Premier exemple : la sourate 85, 1-9 Le Cercle zodiacal

Ce petit texte de 9 versets s’est révélé emblématique et tout à fait pertinent soit
pour démontrer les particularités de la tradition et de l’interprétation musulmanes,
soit pour exemplifier l’éventail des méthodes à appliquer afin de trouver une
hypothèse plausible pour l’origine, la fonction première, la langue et le contenu
du texte coranique. L’image suivante donne le texte en traduction française selon
l’interprétation traditionnelle musulmane, suivie par la plupart des traducteurs
occidentaux ; en même temps, on pointe les flèches vers les points névralgiques de
cette interprétation.

Les exégètes traditionnels y voient une référence du Coran à un événement


historique, à savoir la persécution des Chrétiens arabes, dans la ville de Najran, par
un roi himyarite juif qui s’est passée plus de cent ans avant la révélation coranique.
Pour arriver à ce résultat ils doivent accepter quelques prémisses dans la
compréhension du texte.
CHAIRE EUROPÉENNE 785

Versets 1-9 de la sourate 85 en discussion


les points “névralgiques” qui demeurent
Au nom d'Allah, le Bienfaiteur
miséricordieux
1 Par le ciel renfermant les Ou bien “qu’ils soient maudits”?
constellations
2 par le jour promis ! Al-ukhduud: est-ce vraiment “le four”?
3 par celui qui témoigne et ce dont il est
témoigné !‘ Qui sont ces hommes?
4 [Ils] ont été tués, les Hommes du Four,
“Être assis” ou simplement “rester”?
5 – feu sans cesse alimenté –
6 tandis qu'ils étaient assis autour, Ou bien “ce qu’ils font”?
7 témoins de ce qu'ils faisaient aux
Croyants ; Qu’est-ce qu’ils ont vraiment fait?
8 ils ne les tourmentèrent que parce que Qui sont “ils” et qui sont “ceux-ci”?
ceuxci croyaient en Allah, le Puissant,
le Digne de Louanges,
9 à qui revient la royauté des Cieux et Ou bien “(pour) qu’ils croient”?
de la Terre. Allah, de toute chose est
Témoin.

Il faut noter déjà maintenant que la récitation liturgique n’aide nullement à


l’interprétation et à la compréhension du texte. La récitation, dans son style
solennel et surtout uniforme pour toutes les parties de ce corpus hétérogène,
composé de pièces d’origine, de caractère et de fonctions très diverses et divergentes,
est pensée pour donner au tout un caractère sacré et intouchable, n’invitant pas à
la réception critique du contenu, mais à la contemplation et à la méditation
religieuses sous l’influence de l’expérience esthétique du texte psalmodié. Et c’est,
on va le voir, exactement le contraire de la nature du texte en question.
Les trois serments, en guise d’introduction, sont pris dans leur sens littéral et on
y voit une partie intégrale du texte. Néanmoins, la phrase suivante est comprise
comme la constatation d’un fait du passé (« ils ont été tués »), tandis que les
serments d’habitude requièrent une promesse ou une menace postérieure. « Les
hommes de la fosse, du four » résultent d’une interprétation ou bien d’une
définition d’un mot rare et douteux en arabe (ukhduud), terme technique qui,
ensuite, donne son nom à la localité présumée pour l’événement, près de la ville
de Najran. En conséquence, le reste du texte est mis au passé, contre l’évidence de
l’emploi du temps du verbe concerné en arabe qui indique ou bien le présent ou
bien le futur. « Reprocher, ou bien tourmenter », dans le verset 8, est une définition
arbitraire du verbe arabe naqama, qui d’habitude veut dire « se venger de ».
Pour arriver à une interprétation alternative, il faut d’abord essayer de définir la
situation communicative de ce petit texte, dans le cadre du corpus coranique
786 MANFRED KROPP

naturellement. Il s’agit d’un énoncé bref et agité, très caractéristique des premières
révélations. Là, on trouve des menaces du Jugement dernier et de la punition
éternelle pour les incroyants, mais aussi de belles promesses de paradis pour les
croyants. Ce serait le caractère général ; le caractère particulier de ce texte, compris
comme étant une constatation du présent et du futur, se révèle comme étant un
coup, une explosion de colère intempérante d’un prédicateur ou d’un missionnaire
qui voit son message rejeté par une partie — voire la grande partie — de son
public. Comment cette explosion de rage a-t-elle été transmise à l’écrit ? On peut
s’imaginer qu’il s’agit du début d’une oraison bien construite et bien formulée, par
conséquent écrite comme un aide-mémoire ; de même, il faut s’imaginer une
longue suite et un long développement de cette oraison, improvisée sur le moment
et non transmise jusqu’à l’écriture. Il est fort possible que cette hypothèse s’applique
à bien d’autres passages similaires du Coran.

Disons dès maintenant que la sourate 85, telle qu’elle figure dans le corpus
coranique, est une pièce hétérogène — la rupture se trouve après le verset 9 —,
composée après coup par des rédacteurs postérieurs qui mettaient ensemble ces
différentes parties du fait de la rime identique et du contenu similaire en
quelque sorte.

Le genre littéraire de ce texte explique les trois serments du début, utilisés comme
un instrument rhétorique connu dans la littérature arabe pré-islamique, surtout dans
les sermons des présages et des poètes. Avec de grands mots énigmatiques, obscurs,
très souvent sans relation logique avec ce qui suit, on espère attirer l’attention du
public à un moment donné : cela a bien la fonction d’une « sonnette ». Alors, il ne faut
pas trop creuser pour trouver un sens à chaque mot, bien que dans le cas de la sourate
85 des concepts religieux aient déjà pris partiellement la place d’autres expressions
décrivant les grands phénomènes de la nature, de la terre et du ciel, etc. Mais il y a un
lien logique et grammatical entre cette introduction et ce qui suit. Comme on l’a déjà
dit : une promesse ou une menace doit suivre. Dans le cas de la sourate 85, c’est bien la
menace aux incroyants : « qu’ils périssent, les hommes de… » quoi ? !

Avec le mot énigmatique ukhduud, on rejoint une autre astuce rhétorique de


l’orateur et du texte coranique en général : il veut impressionner son public, ajouter
de l’importance à son message avec des mots recherchés, rares, voire étrangers ou
inconnus. N’oublions pas que le corpus relativement restreint d’environ
60 000 mots compte plus de 250 hapax legomena souvent de sens très douteux et
disputé, ou inconnu, ce qui correspond à une occurrence de tels hapax environ
une page sur deux dans le texte imprimé. Ainsi, ukhduud ne trouve pas d’explication
satisfaisante à partir de l’arabe. Le fait qu’il s’agisse de quelque chose de
volontairement incompréhensible est bien indiqué par la phrase suivante, qui
présuppose la présence des questions rhétoriques qu’on retrouve souvent dans le
Coran. Mais qui t’enseigne ce qu’est ce mot et cette chose inconnus du public ?
Le verset 5 n’est qu’une réponse, explication ou paraphrase du mot inconnu, au
verset précédent. On sait maintenant qu’il veut dire un grand feu sans cesse
CHAIRE EUROPÉENNE 787

alimenté. Mais dans quelle langue ? Même si le mot araméen gdodaa n’est pas
attesté pour le moment dans des textes religieux et parallèles au Coran, le sens de
la racine en araméen est, entre d’autres, « se lever (se dit de la poussière, d’une
flamme) ». Ce qui conduit au changement d’un point diacritique dans le texte
canonique et reçu ; et on lit, avec l’alif prostheticum requis par la phonétique arabe,
ujduud avec le sens requis « flamme embrasée ».

C’est presque évident, mais il faut le dire comme un principe de la critique


textuelle dans les études coraniques : bien qu’elle soit des milliers de fois correcte,
la mise en place des points diacritiques du texte reçu et canonique est à remettre
en question, du point de vue méthodologique, surtout pour les cas des mots et
expressions qui sont problématiques même pour la tradition musulmane, les
premiers témoins matériels ne connaissant ni points diacritiques ni autres signes
de lectures (voyelles, etc.). Et il y a des incertitudes de la part des lecteurs et des
exégètes musulmans dès le début de la tradition connue du texte, ce qui est bien
un indice qu’on disposait de manuscrits du texte, mais pas d’une tradition orale
authentique et ininterrompue.

Notons au passage que le verbe qaCada « être assis » ne doit plus être compris
dans le sens concret (les persécuteurs sont assis autour du grand feu où ils
tourmentent leurs victimes), mais il a le sens grammaticalisé d’un verbe de temps
prolongé : « ils vont rester dedans (éternellement) ». Ce séjour est un témoignage
de ce qu’ils infligent aux croyants (l’orateur compris, ce qui explique sa rage) dans
le présent. Avec cela, on arrive au dernier point névralgique pour le moment.

L’interprétation du verset 8 réside dans la définition du mot arabe naqama « se


venger ? » et dans l’identification de l’agent pour ce verbe qui est en combinaison
avec la sphère temporelle dans laquelle la phrase est située. Si l’on continue, en
concordance avec la grammaire arabe, avec présent ou futur, il faut d’abord traduire
« pour qu’ils croient ». Et cela ouvre une perspective pour l’interprétation alternative
de ce qui précède. Qui invite à croire en Dieu ? Les croyants, et notamment le
prédicateur, le missionnaire. Naqama, on le postule comme hypothèse, doit avoir le
sens de « demander, chercher à, inviter ». Mais, de nouveau : dans quelle langue ?
Pour ukhduud / ujduud, on a admis un mot étranger, araméen, adapté à l’arabe tout
simplement. Le cas de naqama semble différent et plus compliqué. D’abord, il faut
trouver une langue, et puis un mot dans cette langue, qui peut signifier « demander,
chercher à » et « se venger » selon le contexte. L’araméen vient de nouveau à notre
secours. En syriaque, mais aussi dans d’autres langues araméennes, le verbe tbaC
remplit les conditions requises. Ce qu’il faut supposer maintenant, c’est l’existence
d’un calque linguistique en arabe qui serait modelé sur le verbe araméen, en étant
peut-être le fruit et le résultat de traductions, — seulement mentales, ou bien
écrites ? — : un individu de langue araméenne qui traduirait en arabe ou bien un
Arabe qui traduirait de l’araméen en arabe ? Le verbe araméen tbaC : il est, selon le
contexte, traduit correctement une fois par l’arabe naqama « se venger », et est
traduit dans un autre contexte, où le sens demanderait un complément arabe, dans
788 MANFRED KROPP

le sens de « demander » (p.e. Talaba) d’une manière stéréotypée et mécanique


toujours avec le même mot naqama, qui, en principe et dans l’usage répété, aurait pu
prendre le sens secondaire de « demander » en arabe courant. Ce n’était pas le cas et
le mot est resté un pseudo hapax legomenon et un mot énigmatique dans le Coran. La
traduction proposée cherche à sauver le parfum d’un mot étranger, nouvellement
arrivé — bien dans l’esprit du prédicateur qui veut impressionner avec ses mots
choisis, rares et inconnus — en choisissant un sens entre « se venger » et « demander »,
le sens attesté pour le mot araméen étant « presser sur, harceler ».
Mettons ensemble les pièces détachées de l’interprétation alternative de la
sourate 85 « Le cercle zodiacal », versets 1-8 :
1. Par le ciel avec (son cercle de zodiaque qui paraît être) des tours !
2. Par le jour (du dernier jugement) promis !
3. Par le témoignage absolu et complet !
4. Qu’ils soient maudits, les gens de la flamma flagrans –
5. – le feu (de l’enfer qui ne manquera jamais) d’alimentation ! –
6. tandis qu’ils resteront dedans (pour toujours)
7. en donnant témoignage (représenté par les tourments de la peine éternelle
qui leur sera infligée) pour ce qu’ils font maintenant avec les croyants !
8. Ceux-ci (les croyants), en fait, ne leur ont harcelé (demandé) rien d’autre que
de croire en Dieu, le Puissant, le Digne de Louanges.

Deuxième exemple : la profession de foi de la sourate 112


Si déjà le passage bref, mais bien construit, de la sourate 85, 1-8, se prêtait à être
répété, voire même scandé dans les rues et sur les marchés comme un programme
religieux, menace aux incroyants et infidèles, exhortation et encouragement aux
croyants — dans ce cas-là, avec un rythme lourd et long et une rime de même nature
(-uud), on va voir avec la profession de foi de la sourate un autre exemple de formule
brève, rythmée et rimée, qui, considérée avec d’autres cas de textes coraniques, a
toute la chance d’être « pré-coranique », d’être partie d’un héritage de textes religieux,
polémiques, en langue arabe. Cet héritage aurait pu se former dans les périodes
antérieures à l’islam où l’Arabie connaissait des mouvements missionnaires de toutes
sortes — juifs, chrétiens de diverses confessions — et serait le fruit linguistique et
littéraire de tels mouvements dont l’islam naissant se serait emparé.
Le texte canonique en traduction :
Sourate 112 Al-IkhlaaS « La Foi sincère »
Au nom d’Allah, le Bienfaiteur miséricordieux.
1. Dis : Il est Allah, unique (aHad),
2. Allah le Seul (aS-Samad).
3. Il n’a pas engendré et n’a pas été engendré.
4. N’est égal à Lui personne.
CHAIRE EUROPÉENNE 789

Sourate 112 Al-IkhlaaS « la dévotion sincère »


Un credo musulman et ses problèmes linguistiques
Le Texte Objectif de l’étude
Les points névralgiques:
vralgiques: Mettre en relief l’importance et le rôle
névralgiques du point de vue linguistique ou philologique des variantes de lecture canoniques
bien entendu.
entendu.
(qiraa‘aat)

– La construction du nom de nombre "aHad"


aHad" dans
le premier verset qui pré précisé
cisément par sa Description et exemple du principe
construction agrammaticale se révélera être un stylistique: mot étranger suivi par une
mot étranger traduction ou une paraphrase en arabe
– La signification du mot Samad et le rôle du
verset 2 dans le contexte et la composition de la Mettre en relief le rôle du «faux ami»
sourate dans la traduction: un mot arabe dans le texte
est lr calque d‘un mot étranger.
– La forme et le sens du mot kufuc dans le
quatriè
quatrième verset.
verset.

En guise de conclusion:
conclusion:
Essai de reconstruction du prototype oral du texte écrit actuel

Les « points névralgiques » ont été traités durant les heures de cours, dans la
perspective des objectifs d’étude qui avaient été formulés, et d’une manière
exhaustive. Les résultats obtenus seront publiés sous la forme de divers articles
séparés. Dans ce rapport, on se limitera à un résumé de l’essentiel.
La tradition musulmane elle-même nous rapporte l’existence de doutes pour
savoir si cette pièce, comme les deux autres sourates brèves qui la suivent à la fin
de la rédaction canonique, et la première sourate, la faaTiHa — espèce de prière
introductive — font vraiment partie du texte révélé. Cela va dans un sens
d’interprétation qui a déjà été indiqué : il s’agit très probablement d’un petit texte
religieux, un slogan polémique tripartite (on le verra), mais anti-trinitaire. Un tel
texte peut être conçu dans des milieux chrétiens hétérodoxes, ou bien juifs, les
deux étant présents dans l’Arabie pré-islamique. Cette hypothèse est corroborée
par le fait que la tradition des lectures offre pour ces passages de véritables variantes
qui semblent bien être le reflet d’une tradition orale vivante, contrairement à tant
d’autres textes et passages coraniques, où, on l’a déjà dit, les soi disant variantes de
lecture et de tradition orale ne sont que le résultat du travail des philologues
postérieurs. Leur action s’exerçait sur un texte dépourvu de points diacritiques et
de voyelles, mais aussi dépourvu d’une véritable tradition orale, texte qu’ils ne
comprenaient plus et qu’ils cherchaient à expliquer de leur mieux et selon leurs
possibilités. Un premier résultat de reconstruction d’une version originale orale de
ce texte à partir des variantes attestées et selon les principes de la critique textuelle
790 MANFRED KROPP

est que le verset 2 serait une addition explicative postérieure qui se réfère au mot
problématique, dernier mot du verset 1 : aHad (ou bien eHad ?). Ce qui reste en
terme de structure est une formule en trois parties, bien construite et rimée sur la
rime -ad (typique pour les formules anti-trinitaires) car les mots walad « fils » ou
« engendrer », mais également le nombre aHad « un, unique » ont cette rime.
Là aussi, il s’agit d’un slogan facile à mémoriser et à scander dans le public contre
les adversaires religieux.
Le mot problématique aHad « un » du verset 1 et sa construction grammaticale
ont fait couler beaucoup d’encre depuis les premières études sur le Coran au début
de l’exégèse musulmane jusqu’aux travaux scientifiques occidentaux — le dernier
vers la fin du xxe siècle. Lorsqu’il est lu et compris comme le nombre arabe « un »,
il demeure des difficultés pour la construction syntaxique. Pour proposer
simplement la solution choisie, disons que le verset 1 est bien évidemment une
réminiscence du « SmaC Israel », la profession de foi juive en l’unicité de Dieu.
Ainsi, le mot en question pourrait se révéler être une intarsia — « ornement
étranger » — savante, l’hébreu eHad qui serait pris quasiment comme nom propre
de Dieu en arabe.
Le verset 2, on l’a déjà dit, est une addition postérieure à la formule originale et
se veut bien une explication et paraphrase de eHad en arabe et de sa construction.
C’est bien une explication du type obscurum per obscurior, qui a fait couler autant
d’encre que le mot qui devrait être expliqué, parce que le mot arabe Samad est très
rare et il fait partie plutôt du langage poétique ; son sens semble être « compact,
non-vide, dur, rocher, etc. », ce qui correspondrait au fond avec l’idée de l’unicité
de Dieu.
Le mot kufuc « égal » ouvre toute une série de questions, des quisquilia philologica,
concernant d’abord l’orthographe des textes coraniques et de l’arabe dit « classique »
et, ensuite, des questions qui mènent finalement au problème fondamental : de
quelle langue (arabe) s’agit-il dans les premiers manuscrits coraniques ayant une
orthographe purement consonantique, dépourvue de tout autre signe de lecture ?
On peut ici seulement faire allusion au problème de l’existence d’un hamza dans
cette langue coranique, l’origine de l’alif otiosum et son usage, ainsi que la question
de l’existence ou non d’une flexion désinentielle dans cette langue, autant de
questions qui réclament une réponse avant qu’on puisse interpréter avec certitude
le seul mot kufuc et sa fonction dans la phrase.
Notons, en passant, que la construction de la négation lam (verset 3) avec une
forme du verbe préfixée pour le passé négatif, qui est retenue comme étant hautement
littéraire et classique en arabe moderne, et qui ne trouve pas de correspondant dans
les langues arabes parlées modernes, est bien attestée non seulement dans les
premières inscriptions en langue arabe (par exemple celle d’en-Nemara, 328 A.D.),
mais aussi dans des textes arabes chrétiens du viiie siècle (fragment des psaumes
bilingues de Damas) dans lesquels la langue n’est certainement pas un arabe classique
et lettré, mais une sorte de vernaculaire local.
CHAIRE EUROPÉENNE 791

Et pour conclure le travail de critique textuelle et de reconstruction, disons


qu’avec les connaissances acquises et les méthodes éprouvées qui ont été appliquées,
il a été possible de déceler une autre de ces formules tripartites et anti-trinitaires
coraniques dans le verset 3 de la sourate 72 Les Djinns. La version canonique cache
bien par tous les moyens du camouflage philologique cette structure originale dans
un seul vers au lieu de trois, de même qu’elle efface un mot syriaque Had « unique,
un », encore dite de Dieu, en le remplaçant par un incompréhensible et mal placé
jadd « la fortune » ou par des formes similaires.

Q 72, 3 Reconstruction de la formule originale


et comparaison avec la version officielle
l’application des connaissances acquises dans l’analyse de la sourate
112 à un vers de la sourate 72 al-Jinn “Les Djinns”
Version officielle
Wa-canna-huu – taCaalaa jaddu rabbi-naa – maa ttakhada SaaHibatan wa-laa waladaa
Et Lui donc – que soit exaltée la grandeur
. de Notre Seigneur! – n'a pas pris de compagne ou d'enfant.

• Points névralgiques: Eulogie prècede sa référence et se réfère à une des qualités de Dieu, qui, en outre,
est exprimée par un mot étrange dans le contexte (jadd bonheur)!
• Reconstruction:

„1. Inna-huu - taCaalaa - Had! = 7 1. Lui donc – exalté


exalté soit-
soit-Il – est Un (Unique)!
Unique)!
„2. Rabb(a)-naa maa (i)ttakhad = 5(7) 2. Notre Seigneur n‘a pas pris
„3. SaaHiba wa-laa walad! = 7
3. Ni compagne ni enfant!
enfant!
„ Eulogie en position correcte se référant à Dieu ; mot savant Had = Dieu Unique
(mot connu dans sourate 112,1 sous form aHad) ; structure rythmique d’un slogan
politico-religieux parfaitement équilibrée.

Troisième exemple : la sourate 19 Maryam /Marie : poésie religieuse parallèle


à la poésie syriaque et des mots arabes chimériques qui sont le résultat d’une
fausse lecture d’une Vorlage « modèle » garshouni, c’est-à-dire de l’arabe écrit
en lettres syriaques. (Bloc thématique des cinq heures de cours
du 6 mars au 17 avril 2008)
La sourate 19 Maryam / Marie est une belle pièce narrative et poétique du Coran
qui est composée de divers épisodes relatifs aux prophètes, en premier rang desquels
Jean Baptiste et Jésus (surtout l’histoire de sa naissance, d’où le nom de la sourate). Du
point de vue littéraire, on y trouve tous les éléments essentiels de la poésie chrétienne
syriaque, notamment le genre Soghito : structure en strophes avec un refrain constant
et des parties narratives qui alternent avec des parties en dialogue. En même temps, il
faut constater que le genre est adapté à l’esprit de la langue arabe et de la littérature
arabe. Il faut encore bien des recherches comparées approfondies pour dresser un
tableau de l’influence syriaque sur le Coran et surtout pour bien définir l’esprit et la
structure de l’adaptation qui ne manque point de créativité et d’originalité.
792 MANFRED KROPP

Le texte de la sourate se prête à d’autres observations philologiques. Des mots arabes


plutôt très rares (ce n’est pas par hasard qu’il s’agit d’hapax legomena dans le Coran
même), sinon chimériques, mal placés et difficiles à comprendre dans le contexte, se
révèlent, vus sous l’angle de l’hypothèse d’une influence araméenne ou syriaque, non
seulement linguistique mais aussi du point de vue de l’écriture (n’oublions pas que
l’écriture arabe n’est qu’une évolution particulière d’une ou des écritures araméennes),
comme étant des fautes de lecture multiples. Et en plus de cela, ils jettent de la lumière
sur des Vorlagen « modèles » matériels dont s’est servi l’auteur (ou les auteurs) des
textes réunis dans le corpus coranique. En analysant les exemples présents dans les
verset 97-98 de la sourate, précisément les mots rikz « bruit faible, murmure » et ladd
« adversaires, querelleurs », on arrive à proposer des conjectures ou émendations en
supposant qu’il s’agit de fausses lectures de lettres araméennes. Là, R et D sont
identiques (sinon distingués par des points diacritiques) ; L et Cayn sont très similaires
et assez souvent confondus. L’affaire se complique car, comme deuxième étape dans
l’hypothèse, il faut admettre que dans le cas de ces Vorlagen « modèles », il s’agissait de
textes écrits en écriture syriaque, mais composés en langue arabe ! Phénomène bien
connu par ailleurs dans la littérature arabe chrétienne ; ce sont en effet les textes dits
garchouni, dont on pose l’origine en accord avec cette hypothèse de travail dans le
temps pré-islamique. Cela jette une nouvelle lumière naturellement sur le sujet
hautement disputé de l’existence d’une littérature arabe chrétienne avant l’islam. Du
reste, la transposition, mieux, la transcription des textes coraniques présumés
garchouni produit d’autres fautes de lecture typiques : par exemple, le copiste voit la
lettre D/R araméenne et écrit mécaniquement non la lettre arabe correspondante,
mais la lettre arabe proche dans la forme optique, c’est-à-dire W (processus qui
engendre bien d’autres mots, voire racines, chimériques dans le texte coranique ; par
exemple la racine WJL !). En tout cas, en multipliant les exemples de fautes de lecture,
rendues évidentes par des conjectures évidentes et heureuses dans le texte, on arrivera
dans le futur à bien consolider l’hypothèse en question.

Araméen /syriaque D / R
deux lettres identiques
à distinguer par des points diacritiques
CHAIRE EUROPÉENNE 793

Quant à la substitution des mots pour la sourate 19, 97-98, on remplace rikz
« le murmure » par dhikr « mémoire » et, en effet, le contexte l’exige parce que
l’effacement de la mémoire est une deuxième mort, pire que la mort physique !
— et ladd « les querelleurs » remplacé par Cadd « en (grand nombre) », du point
de vue stylistique, est beaucoup mieux dans son contexte.
Reste, toujours dans les mêmes versets, un problème d’une autre nature, mais
qu’on a déjà vu en traitant la sourate 85 (le mot naqama) : le calque linguistique.
Sans pouvoir entrer trop dans les détails, il faut remarquer que des mots
fréquemment utilisés dans le Coran et interprétés par « faciliter, éclaircir, élucider,
etc. », font bien partie d’une manière métaphorique commune aux langues
sémitiques. En effet, selon le contexte, tous ces mots veulent simplement dire
« traduire ».
Certes, cette interprétation, naturelle pour un linguiste sémitisant, sera
difficilement acceptable dans le monde musulman. Rappelons-nous que chacune
des milliers et des milliers de récitations coraniques quotidiennes dans le monde
entier sont introduites par la phrase stéréotypée: maa tayassara min …, « ce qui a
été facilité (par Dieu) dans (le Coran) ». Cette phrase, avec son mot clé yassara /
tayassara (aussi en sourate 19, 98), doit être comprise dans bien des cas, dans le
contexte coranique, comme « traduire ». Voici le résultat pour l’interprétation et
la traduction du Coran de ce qui précède :

Sourate Maryam Q 19, 97

Trad. Régis Blachère : Trad. M. Hamidullah :


Nous l’avons simplement facilité par ta voix Nous l’avons rendu (le Coran) facile [à
pour que tu en fasses l’heureuse annonce comprendre] en ta langue, afin que tu annonces
aux Pieux et que tu en avertisses un peuple la bonne nouvelle aux gens pieux, et que tu
hostile. avertisses un peuple irréductible.

Nous l‘avons traduit dans ta langue,


langue, afin que tu annonces la
bonne nouvelle,
nouvelle, mais pas sans exhorter les gens pieux en grand
nombre !
794 MANFRED KROPP

Après ce tour de force dans la forêt sauvage de la philologie, de la critique


textuelle, des fautes de lecture, des conjectures et des émendations, le cours s’est
conclu en ouvrant une perspective et un aperçu sur un champ de recherche quelque
peu différent, mais hautement complémentaire. La nouvelle approche du Coran
vise sa nature comme message religieux, comme acte de parole. Comment peut-on
s’imaginer son rôle et sa place dans les circonstances historiques de sa première
promulgation ? Est-il possible d’entrevoir le personnage et la psychologie de ce
personnage qu’il faut présumer comme auteur ? Il semble que l’analyse des textes
comme acte de parole, et notamment le concept de l’acte de parole « pluri-adressé »,
est capable d’ouvrir de nouvelles perspectives et de nouvelles voies dans les études
coraniques, comme elle l’a déjà fait dans les cas d’autres écrits religieux. Je me
permets d’inclure ici le dernier paragraphe du cours lu le 17 avril 2008.
Ce que l’on a présenté, c’est bien une analyse de la fiction religieuse qui
considère la source de l’inspiration comme étant un Dieu transcendant. Le cours
avait comme sujet le Coran en tant que document linguistique et historique.
Pour le linguiste et pour l’historien, c’est un document provenant de la créativité
humaine et de l’histoire humaine de la même façon que les autres textes et
documents. Leur analyse de la structure du discours coranique sera par conséquent
quelque peu différente de celle des religieux, bien que l’analyse de la structure
proposée par la religion et par la foi puisse et doive devenir, à son tour, l’objet
d’une analyse scientifique. La première réévaluation nécessaire de la structure et
de son analyse concerne, bien sûr, la nature de la source « d’inspiration ». On
pourrait penser, pour sauver l’hypothèse d’une source externe, à des personnes
qui instruisent l’auteur de ces textes. C’était déjà, comme on l’a vu, le reproche
et la moquerie exprimés par des adversaires contemporains. Cette explication est
valable du point de vue du contenu ; elle peut expliquer les parallèles avec les
autres écritures sacrées de l’époque. Mais du point de vue du style et du rôle des
locuteurs et des interlocuteurs, cela pose des problèmes, à moins qu’on veuille y
voir une sorte de journal (actes) de l’enseignant anonyme de MuHammad,
comme cela a été, en fait, proposé dans les années cinquante du siècle précédent
par un chercheur français.
Une autre solution pour formuler une approche scientifique et un programme
de recherche sur cet aspect du document semble plus plausible et réalisable.
Mettons la source d’inspiration à l’intérieur du medium, du messager, et faisons-en
une facette de sa personnalité. Ainsi la psychologie, la psychanalyse et leurs
méthodes seront combinées à celles de la linguistique pragmatique des textes,
notamment aux théories et aux approches des documents religieux de type
coranique en tant qu’actes de parole. Ce sont, en fait, des actes de parole spécifiques,
« poly-» ou « pluri-adressés » (avec de doubles ou multiples adresses) mais aussi
avec un caractère particulier. Des actes de parole « pluri-adressés » (à plusieurs
adresses) et leurs particularités peuvent être observés chaque jour dans la vie
quotidienne. C’est, par exemple, une conversation à travers un téléphone portable,
à haute voix dans un restaurant animé, donc un acte d’impolitesse de premier
CHAIRE EUROPÉENNE 795

ordre ! (Au début de l’usage de cette manie, il était suffisant de poser le cellulaire
« discrètement » sur la table.) C’est une conversation qui se déroule avec
l’interlocuteur de l’autre côté de la chaîne de communication électronique, mais
c’est aussi une conversation qui a pour deuxième but (souvent le premier !)
d’impressionner les gens qui sont autour et qui sont obligés d’écouter la conversation
« en cachette ». Un autre exemple est le discours parlementaire. Certes, le discours
parlementaire s’adresse formellement aux collègues dans le parlement, le locuteur
parle et discute avec eux. Mais l’autre aspect pragmatique de ce discours, et peut-
être le plus important, concerne les médias et donc un large public non déterminé,
le peuple en tant qu’il est intéressé par la politique. Ces doubles et multiples
fonctions d’un discours changent profondément sa nature, son style, son lexique
et naturellement aussi sa réalisation concrète (l’énonciation). Le discours religieux,
même s’il partage des éléments importants avec ceux qu’on vient de décrire
brièvement, est quelque peu différent et plus compliqué parce que des éléments de
fiction (on pourrait dire plus respectueusement des éléments d’inspiration, de
vision ou quelque chose de similaire), non seulement dans le contenu, mais aussi
dans la nature de l’acte de parole, de ses acteurs et de leurs rôles respectifs, agissent
ici et interviennent pour une grande part. Et avec ces auteurs, on a affaire à des
personnages complexes et hors du commun dont l’étude et le déchiffrement des
caractéristiques n’exigent pas seulement la participation des philologues, des
historiens et des linguistes pour étudier et pour analyser les énoncés (textes écrits
et transmis), mais aussi l’essai, même à une distance de presque 1 500 ans, de
passer par une étude de l’énonciation, c’est-à-dire l’étude des circonstances et des
situations qui ont produit ces énoncés, en mettant ces éléments en relation avec la
personne qui a effectué la première mise en forme du discours. Pour atteindre cet
objectif, il faut accomplir un travail interdisciplinaire en liaison avec des
psychologues et psychanalystes.

Pour le discours religieux, dans bien des cas, il faut distinguer trois instances
réparties sur deux axes. Il y a la source du message (Dieu, les anges, etc.), le
destinataire particulier du message, à savoir le prophète, et les destinataires de la
prédication du messager (au fond naturellement les destinataires indirects du
premier message). L’axe vertical, de haut en bas, est caractéristique d’un discours
entre une source et un messager. L’axe horizontal est propre à la relation entre le
messager et le peuple des croyants.

Le premier acte de parole qui est annoncé est rendu public parce qu’il est un
élément nécessaire à la légitimation du messager. Mais souvent ce sont des récits
courts (« J’ai eu la vision et l’ange m’a dit, etc. »), ou des allusions (Jésus : « Comme
le père m’a envoyé je vous envoie aussi, etc. »). Le message prend la forme adaptée
au public et s’adresse directement à lui.

Le cas du Coran est différent. Pour le dire d’une manière brutale : les destinataires
du message sont déclassés en voyeurs écoutant en cachette les secrets d’un acte de
parole divine qui est destiné, du moins dans certaines de ses parties, au medium
796 MANFRED KROPP

seul. C’est bien là un élément d’authenticité et de vérité du message, on peut le


dire, mais cela est fait à la manière d’une abstraction totale du phénomène de
l’expérience individuelle du medium avec son Dieu. Et cela provoque des réserves,
du moins chez nous les Modernes, qui y voyons, d’une manière naïve, mais
instruite et avertie, trop de parallèles avec les fictions d’une réalité immédiate,
dans l’historiographie de toutes les époques et dans une certaine presse politique
et documentaire d’aujourd’hui. Si cela s’ajoute, en plus, à l’usage fréquent de la
menace envers ceux qui, malgré cette preuve d’authenticité, ne veulent pas croire
(l’enfer et la punition se trouvent nommés trois fois plus que le paradis et la
bonne récompense), la position de l’auditeur ou du lecteur perd encore en
sympathie. Quant à la fiction (certes le discours coranique est bien construit,
consciemment ou inconsciemment), l’inspiration artistique existe dans ses
manifestations et elle est construite en vue de son effet sur le public. Ainsi, l’acte
de parole premier et fictif fait bien partie du deuxième volet concret dont on a les
traces. La genèse du texte et son énonciation sont donc aussi un problème et un
objet pour les études psychologiques, et peu importe pour l’instant si ces textes
sont passés par écrit tout de suite (ce qui est probable) et furent prononcés et
récités sur la base d’un écrit par la suite. Prenons un premier exemple d’étude et
d’interprétation psychologique en tant que tentative de mettre en relief un trait du
discours coranique.
Les réactions et les réponses éventuelles du public sur le message ne sont pas
rapportées directement dans le texte. Pour la plupart, elles sont négatives de la part
de ses adversaires. Mais on a vu l’exemple positif de la réaction des jinns envers le
Coran. Le messager ne les présente pas comme émanant de son expérience directe
et récente qu’il a sans doute, toutefois, faite. Il les transforme en observation de
Dieu, sa source, qui ensuite seulement lui fait part de la réalité vécue par lui-
même. Cette source dans l’interprétation psychologique constitue une partie, une
facette de sa personnalité, qui semble scindée d’une manière profonde. En tout cas,
le fait de transformer l’expérience personnelle en observation d’un troisième acteur,
même fictif, avec toutes les conséquences engendrées par cela, me semble un indice
et le phénomène d’une perte énorme de réalité et de contact avec elle. À cela
s’ajoute le phénomène d’identification graduelle et insidieuse du messager avec la
source de son message, une méta-fiction dans la fiction.
Retournons au programme de recherche. La reconstruction des états historiques
du texte devra toujours être à la base de chaque étude et interprétation ultérieures,
en plus raffiné. Mais sans un travail de bénédictin de la part des philologues et des
historiens, tout le reste n’aura aucune base. C’est ensuite seulement que l’on pourra
penser sérieusement à un travail interdisciplinaire entre linguistes et psychologues
ou psychanalystes. Sur cette base, une fois bien établie, pourraient se construire ce
qu’on peut appeler un psychogramme de la personnalité source ou bien des sources
des textes contenus dans le corpus coranique.
CHAIRE EUROPÉENNE 797

S (source Un acte de parole pluri-adressé


d’inspiration ou du texte) sur deux axes (verticale et horizontale) : la
le “moi, nous, mon, notre”,
mais parle aussi de soi- structure du discours coranique
même en 3.p.sg. “Il, son”

ƒ m monologue en Entrent dans m


sens unique
ƒ contenu : histoires, Et si S et M n’étaient rien d’autre que deux
exhortations, facettes d’une seule personnalité ?
consolations,
incitations, adressés à
M ou à M et P observés par S !
ƒ instructions pour la
prédication à M

réactions, Public du messager, les “vous, votre;


ils, leur”
Bloqués !I réponses
M, le medium, le m transmis tel ƒ croyants, disciples
quel ; avec des
messager ; le “toi, ƒ adversaires
ton…” etc. ajouts possibles
ƒGroupes divers : juifs, chrétiens etc.

Les séminaires

Les 14 séminaires accompagnant les heures de cours étaient dédiés en grande


partie à l’approfondissement des questions et des problèmes soulevés et traités dans
le cours, avec l’objectif de présenter des détails supplémentaires à des étudiants et
à un public plus spécialisés.
Néanmoins, il y avait là des blocs thématiques à part, ne faisant pas partie des
sujets du cours. Ainsi les six premières heures traitaient en détail, et comme partie
intégrante d’une recherche en cours, l’influence éthiopienne sur le Coran et
notamment les mots d’origine éthiopienne. Le résultat de ces sessions s’est condensé
dans une intervention à un colloque international en avril 2004, dont la forme
élaborée a fait l’objet d’une publication (voir activités scientifiques et publications
ci-dessous). Entre autres, l’étude traite le groupement assez particulier des mots
éthiopiens dans le corpus coranique ainsi qu’un essai d’établissement d’une
chronologie relative de leur apparition dans les textes.
Ces deux phénomènes caractéristiques sont assez signifiants pour l’histoire et
l’origine du corpus coranique. Le Coran désigne, dans une dernière période,
l’Ancien Testament et l’Évangile par les mots injiil et — dans la lecture traditionnelle
et canonique — tawraat. Le travail a établi l’origine, ou bien la voie de transmission,
éthiopienne de ces deux termes religieux techniques et a fourni, pour la première
798 MANFRED KROPP

fois, soit une explication plausible de la forme arabe injiil à partir de l’éthiopien
wängel, soit une nouvelle lecture du terme technique pour l’AT en yoriit, parallèle
exact de l’éthiopien oriit. Ce dernier, comme tant d’autres termes dans le langage
religieux de l’ancien éthiopien, dérive à son tour de mots étrangers — en général
grecs ou araméens. Et c’est ainsi que les zones d’influence sur le Coran (et la langue
arabe en général) se croisent et se rejoignent. Il est, et il sera souvent, bien difficile
de décider si un emprunt lexical en arabe est passé directement d’un dialecte
araméen ou bien a fait un détour à travers l’autre rive de la mer Rouge par
l’éthiopien. La forme phonétique peut être décisive de temps à autre. Sinon il faut
connaître — et hélas nos sources à disposition ne le permettent pas toujours — les
circonstances historiques de chaque cas d’emprunt particulier.
Avec la discussion de la lecture tawraat ou bien yoriit, on a ouvert un autre bloc
thématique très épineux et vraiment des quisquilia philologica : l’orthographe des
premiers manuscrits coraniques et son développement, que l’on peut partiellement
suivre dans les témoins matériels. Il s’agit surtout de la question des différentes
matres lectionis utilisées pour noter la voyelle longue « a » (médiane), qui n’est pas
notée dans la première étape du développement de l’écriture coranique. Mais là
aussi, la perspective du problème, qui semblait apparaître tout à fait comme une
question relevant de « l’art pour l’art », change rapidement quand le résultat d’une
telle étude repose sur la lecture d’un mot ou d’un terme technique clé. Un exemple :
cela fait bien une différence dans nombre de textes coraniques si on lit baraacaa
« immunité, exemption », concept et mot purement arabes, ou bien beriit (hébreu)
ou barayt(aa) (araméen) « pacte (surtout de Dieu avec les hommes) ». Les résultats
de ce bloc thématique sont en train d’être discutés et élaborés en contact direct
avec des collègues et chercheurs spécialisés en la matière.
Un troisième bloc abordait une partie plutôt anecdotique dans divers passages
coraniques. Il s’agit des scènes reprises de la vie de l’auteur présumé de ces textes
et de ses relations avec des personnes juives. Un trait récurrent dans ces anecdotes,
racontées non sans rage et indignation par l’auteur, est la moquerie exercée par les
juifs qui profitent de la proximité de leur langue (sacrée) hébraïque, ou bien
araméenne (vernaculaire), avec l’arabe pour forger des jeux de mots qui auraient
bien pu insulter le personnage visé, qui ne se prive pas de réponses dures.
L’hypothèse de travail posant qu’il s’agirait en effet de moqueries linguistiques
réciproques a ainsi permis de résoudre une énigme d’exégèse coranique (Q 4, 46)
et a projeté un peu de lumière aussi sur les mécanismes (très humains) du progrès
dans les études et la recherche. Le premier pas vers la solution proposée par moi-
même, qui va bientôt être publiée dans un journal scientifique, a été fait par un
savant autrichien il y a plus de cent ans maintenant dans son compte rendu, plein
d’humour du reste, d’une thèse de doctorat d’un rabbin juif sur Mohammed et le
Coran (Aloys Sprenger, cr de J. Gastfreund, Mohamed nach Talmud et Midrasch.
Berlin, 1875. Dans : ZDMG, 25, 1875, 654-659. On laisse le lecteur imaginer
pourquoi ces lignes ont été oubliées si vite : l’œuvre volumineuse de Sprenger sur
Mohammed, l’islam et le Coran, mise à l’écart par la science pendant longtemps,
CHAIRE EUROPÉENNE 799

se révèle d’une actualité et d’une perspicacité considérables et elle est à rédecouvrir).


Le dernier essai, encore dans le xxe siècle, de résoudre l’énigme de ce passage
coranique a été fait par feu l’éminent arabisant autrichien Arne A. Ambros (« Hoere,
ohne zu hoeren — zu Koran 4/46 ». Dans ZDMG 136/1986, 15-22), paru dans
le même journal que le compte rendu de Sprenger et précisément cent ans après
lui. L’auteur dispose d’un savoir énorme et l’applique à son sujet en échafaudant
des constructions de parallèles avec d’autres écritures sacrées, notamment l’AT,
sans être capable toutefois de présenter une solution plausible, qu’il recherche
toujours dans un sens religieux, sublime et caché de la phrase — selon la lecture
canonique — « écoute sans écouter ». Il y est condamné parce que le respect absolu
de chaque lettre de la version canonique (la conviction d’une tradition orale
authentique y comprise) de cette écriture sacrée, et peut-être aussi un scrupule
relevant de la foi, l’empêchent de voir la solution évidente et requise par tout le
contexte qui consiste à changer les points diacritiques d’une lettre et de changer
deux voyelles, ce qui donne le sens : « Ne t’adresse pas (à moi, Mohammed) en
disant : iSmaC (avec la sifflante à l’hébreu ou l’araméenne, et non pas en arabe :
ismaC !), ce n’est pas ainsi qu’on attire mon oreille (mon attention) ! »

Publications et activités de Manfred Kropp 2007-2008

Articles
The Ethiopic Satan = Šaytān and its Quranic successor. With a note on verbal stoning.
In : Christianisme Oriental. Kerygme et Histoire. Mélanges offerts au père Michel Hayek.
Coordination Charles Chartouni. Paris, 2007, 331-341.
Äthiopische Arabesken im Koran : afro-asiatische Perlen auf Band gereiht, einzeln oder
zu Paaren, diffus verteilt oder an Glanzpunkten konzentriert. In : Schlaglichter. Die beiden
ersten islamischen Jahrhunderte. Groß, Markus und Karl-Heinz Ohlig (Eds.). Berlin :
Schiler, 2008. (Inaarah. Schriften zur frühen Islamgeschichte und zum Koran. 3.)
384-410.
Monumentalised Accountancy from Ancient Ethiopia : The Stele of Maryam Anza.
Dans : 2nd International Littmann Conference at Aksum — 100 Years German Aksum
Expedition (DAE) 6.-10. Januar 2006 (Sous presse).

Comptes rendus
Wolf Leslau, Reference Grammar of Amharic. Wiesbaden, 1995. Dans Oriens Christianus.
91, 2007, 252-254.
Encyclopaedia Aethiopica. Wiesbaden : Harrassowitz. Volume 1 : A-C, 2003, Volume 2 :
D-Ha, 2005. Dans Oriens Christianus. 91, 2007, 250-254.

Articles dans dictionnaires


‘Āmda-Seyon - Amharische Literatur - Äthiopischer Buchdruck - Äthiopien - Äthiopische
Kirche - Äthiopische Klöster - Dabtarā - Eččagē - Galāwdēwos - Ignazio Guidi - Kebra Nagaśt
- Lālibalā - Ludolf - Wissenschaft vom Christlichen Orient (Äthiopien) - Zar’a-Yā‘qob -
Zeitrechnung in : Kleines Lexikon des Christlichen Orients. 2. Auflage des Kleinen Wörterbuchs
des Christlichen Orients. Herausgegeben von Hubert Kaufhold. Wiesbaden, 2007.
800 MANFRED KROPP

Participations aux Congrès


Symposium : Frühe Islamgeschichte und der Koran /Early History of Islam
and the Koran. 13.-16. März 2008, Otzenhausen. (Inaarah. 1.). Intervention
« Äthiopische Arabesken im Koran : afro-asiatische Perlen auf Band gereiht, einzeln
oder zu Paaren, diffus verteilt oder an Glanzpunkten konzentriert » (sous presse).
Noms barbares 2, le 18 juin 2008. Séminaire-colloque organisé par le professeur
Michel Tardieu en partenariat avec l’ANR, le CNRS et l’EPHE. Intervention
« Noms magiques d’Ethiopie ». Publication en préparation. Résumé :
La magie éthiopienne est représentée, la plupart du temps, par des talismans
protecteurs (contre maladies et malheurs de toute sorte), il s’agit donc d’une magie
« blanche », bien que des exemples de magie « noire » soient attestés. Il s’agit, en
général, de rouleaux en cuir portés sur le corps ou bien suspendus aux murs des
maisons. L’objet magique est fait par un magicien de profession, généralement un
dabtara, sorte de lettré et érudit de l’église éthiopienne, qui n’est cependant pas
prêtre. A côté de ses devoirs comme poète de poésie religieuse et comme chantre
et danseur dans la liturgie, il utilise sa connaissance de l’écriture et des textes sacrés
pour composer les textes magiques des rouleaux protecteurs et d’autres.
Le nom propre joue un rôle éminent dans la culture éthiopienne et dans les
croyances populaires, jusqu’au point que le nom se confonde avec la personne.
Celui qui le détient a le pouvoir sur la personne. De même, les magiciens éthiopiens
sont toujours à la recherche du vrai et puissant nom de Dieu, des anges, mais aussi
des démons et des esprits méchants et malfaisants. On trouve, dans les textes, toute
sorte de noms arbitrairement créés par la fantaisie. Une autre catégorie est formée
des noms parlants, tirés de diverses langues parlées, par exemple « celui qui frappe
à midi », « celui qui frappe dans l’ombre » pour désigner certaines maladies. Mais
la source la plus riche et la plus exploitée pour la création des noms magiques et
barbares sont des mots et des textes en langues étrangères, transcrits en écriture
éthiopienne, naturellement. C’est d’abord la Bible qui offre nombre des mots et
des noms ; viennent ensuite les autres textes liturgiques et théologiques ; enfin, il
ne faut pas oublier des traductions et des adaptations de traités magiques, surtout
depuis l’arabe.
Voilà trois exemples typiques :
– certains éléments de base (lis, pis, el, ahi, dahi, etc.) sont à ajouter aux mots ou
bien à répéter librement pour former des termes nouveaux ; l’élément confère un
sens général (guérison d’une certaine maladie ; partie de l’édifice d’une église, etc.) ;
– le carré sator devient sador arador danat adera rodas et est interprété comme
les noms des clous de la sainte croix.
– melos, mot tout à fait artificiel, qui n’a rien à voir avec le grec melos, et est,
peut-être, le nom de Salomon lu à l’envers, figure dans beaucoup de textes
magiques. On lui donne une signification arbitraire mais constante dans la
CHAIRE EUROPÉENNE 801

tradition : « pierre précieuse », « épée ardente » (de Dieu) ou bien « Saint Esprit ».
Ce mot et nom magique d’origine « barbare » a fait carrière, jusqu’à entrer dans la
liturgie, et il est invoqué lors de la consécration de l’euchariste.

38th Seminar for Arabian Studies. London from Thursday 24th — Saturday
26th July 2008. Intervention « People of powerful South Arabian kings or just
“people like others” » (sous presse). Résumé :

One recurring theme of the Qur’an narrates the fates of peoples called upon by
God’s messengers, refusing the divine call to confess His unity and suffering the
subsequent divine wrath and punishment. There are proper names given to some
of these people, their regions or towns as well as to some of the messengers, while
others remain anonymous. Behind these proper names are clearly known Biblical
figures as Fir’awn (Pharao), Lut (Loth) etc. However, some of the messengers, e.g.
Salih and Hud, and peoples, e.g. ‘Ad, are commonly thought to be part of an
Arabian historical or legendary heritage. Other proper names have remained
ambiguous or unclear since the beginning of the study of the Quranic texts, despite
the efforts of outstanding Muslim commentators.

Thus I do not intend to go astray or get lost in the « thicket » (al-Ayka) but try
to give a different meaning to the « people of the Tubba » interpreted in the
Muslim tradition as the powerful South Arabian, especially Sabaean or Himyarite,
kings. Tradition takes it as a proper name in the sg. to which a pl. tababi’a is
formed. And later « national » Yemenite tradition preserves the memory of the
deeds and misdeeds of these kings. In general the allusion made twice in the
Qur’an to the « people of the Tubba’ ? » is accepted as a vague historical memory
of invasions or campaigns of South Arabian kings and armies into Central and
Northwestern Arabia. But one gets the feeling that these stories (rather than the
Tubba’ !) are intruders and stand out from most other attested peoples of Biblical
origin. Other allusions to South Arabia and Yemen, besides the story of Queen
Bilqis (this one also tributary to Biblical and Misdrashic sources), are likewise
hypothetical (Sura 85 ; Sura 105).

There is an alternative way to interpret the presumed proper name. It may well
originate in a common Arabic and can be explained by a common morphological
pattern (participle or adjective in the plural). It would then be an attribute to the
preceding qawm « people », an expression with several parallels at least as far as
morphology and syntax are concerned. What remains of the common explanation
is in the semantic field of the Arabic root, where, according to the context of the
two passages, qawm tubba ? refers to « people who follow their example », « people
who stick to them », « people of their kind ».

The proposed method is not new, but it needs to be applied more consistently
in Quranic studies in order to gain new insights into the history of its text and to
steer interpretation away from age-old beaten tracks.
Chaire internationale

M. Pierre Magistretti, professeur associé

L’enseignement dispensé au cours de l’année académique 2007-2008, dans le


cadre de la Chaire internationale, intitulé : « Cellules gliales, neuroénergétique et
maladies neuropsychiatriques » a été centré sur les mécanismes cellulaires et
moléculaires du métabolisme énergétique cérébral et sur le rôle que les cellules
gliales jouent dans ces processus en condition physiologiques et pathologiques.
Outre l’enseignement ex-cathedra, un colloque, d’une journée, a été organisé en fin
de cours, intitulé : « Neurosciences et psychanalyse : une rencontre autour de
l’émergence de la singularité ».

Fondements de la neuroénergétique

Le cours a débuté par la définition d’un certain nombre de concepts fondamentaux


de la neuroénergétique. La neuroénergétique est un terme dérivé de celui de
bioénergétique et qui se réfère aux mécanismes moléculaires et cellulaires de la
production et de la consommation d’énergie qui sont directement liés à l’activité
neuronale. En fait, la neuroénergétique représente l’ensemble des processus
énergétiques qui sont liés au traitement de l’information, au sens large du terme,
par le système nerveux. Le cerveau est un organe qui a d’importantes demandes
énergétiques. En effet, bien que ne représentant que 2 % du poids corporel total,
son activité rend compte de 20 à 25 % de la consommation d’énergie totale de
l’organisme. La question qui se pose donc est celle de savoir quels sont les
mécanismes propres au cerveau qui requièrent ces demandes importantes d’énergie ?
Pour répondre à cette question, le premier cours s’est focalisé sur ce que l’on appelle
le budget énergétique du cerveau et, en particulier, du cortex cérébral. Etant donné
que 85 % des synapses et des neurones présents dans le cortex utilisent le glutamate
comme neurotransmetteur, différents auteurs ont proposé de calculer le coût
énergétique de la transmission glutamatergique dans le cortex cérébral [1]. Ainsi, si
l’on prend en considération les différents processus moléculaires liés à la
804 PIERRE MAGISTRETTI

neurotransmission glutamatergique, tels que les potentiels d’action, la libération


présynaptique, la recapture et le recyclage par les astrocytes périsynaptiques et
l’action postsynaptique, les chiffres suivants ont été calculés. Pour recycler le
glutamate libéré par 4 000 vésicules, ce recyclage impliquant la transformation du
glutamate en glutamine par l’astrocyte ainsi que sa métabolisation en alpha-
cetoglutarate et en aspartate, 11 000 molécules d’ATP sont nécessaires. Au niveau
postsynaptique la libération d’une vésicule de glutamate active environ 15 à
50 canaux non-NMDA ayant un temps d’ouverture moyen de 1 à 1,5 msec
(millisecondes) et une capacitance d’environ 12 pS (picosiemens). En considérant
une force électrochimique d’environ 120 mV, il ressort un coût d’environ
67 000 molécules d’ATP par vésicule de glutamate. Pour ce qui est des récepteurs
NMDA, ce coût est de 70 000 molécules d’ATP et de 3 000 pour les récepteurs
métabotropes. Le maintien des potentiels de repos au niveau des neurones est estimé
à 3,5 × 108 molécules d’ATP par seconde et au niveau astrocytaire 108 molécules
d’ATP par seconde. Ramené à un coût par vésicule de glutamate libérée, la
transmission glutamatergique, la signalisation pré et postsynaptique combinée au
recyclage astrocytaire du glutamate est estimée à 1,6 × 105 molécules d’ATP par
vésicule libérée. Pour ce qui est de la genèse et de la propagation du potentiel
d’action, le coût énergétique est estimé à 3,98 molécules d’ATP. Dans la mesure où
un potentiel d’action peut évoquer la libération de glutamate à partir d’environ
8 000 vésicules synaptique et en considérant une fréquence de 4 Hz, on arrive à un
coût global de 3,3 × 108 molécules d’ATP. Si l’on ajoute à ces coûts la consommation
liée aux effets post-synaptiques on aboutit à un coût global de 7 × 108 molécules
d’ATP par neurone par potentiel d’action. En intégrant ces coûts pour une
fréquence de décharge à 4 Hz la consommation globale serait de 3,3 × 109 molécules
d’ATP par neurone par seconde. Avec une densité au niveau cortical d’environ
9,2 × 107 neurones par cm3, donc par gramme [2], on calcule une consommation
globale d’énergie par la matière grise de 30 à 40 ATP/mmol/g/min. Cette valeur
correspond bien à celle mesurée par la technique du 2-déoxyglucose [3], avec
laquelle on obtient des valeurs de 30 à 50 mmol/g/min. Pour ce qui est des différents
processus liés à la neurotransmission glutamatergique, leur contribution relative se
répartirait de la manière suivante : 47 % pour les potentiels d’action, 35 % pour les
réponses postsynaptiques, 12 % pour le maintien des potentiels de repos et des
gradients électrochimiques, 3 % pour le recyclage glial du glutamate et 3 % pour
l’activité de libération à partir des terminaisons [1]. Si l’on met en relation cette
consommation liée à la transmission glutamatergique avec la consommation globale
d’énergie par le cortex cérébral, il en résulte une consommation d’environ 15 % qui
serait déterminée par des mécanismes autres que la transmission glutamatergique,
notamment par des processus de fonctionnement commun à toutes les cellules de
l’organisme. En résumé, il apparaît que la transmission glutamatergique constitue
environ 85 % du coût énergétique cérébral. Des calculs analogues ont été effectués
chez le primate, en prenant en compte la densité synaptique, le nombre de neurones
par mm3, les fréquences de décharge et ont abouti à une estimation d’un coût
CHAIRE INTERNATIONALE 805

énergétique de 2,5 × 109 molécules d’ATP par neurone par potentiel d’action, ce
qui correspond à peu près à un coût de 2,5 fois inférieur à celui déterminé chez le
rongeur [4].

Le couplage métabolique neurone-glie


Ayant déterminé quels sont les processus liés à l’activité neuronale qui
consomment de l’énergie, le cours a abordé l’étude des mécanismes qui sont à la
base du couplage entre l’activité neuronale et la consommation d’énergie. En effet,
une des questions encore aujourd’hui ouvertes en neurobiologie et en
neuroénergétique spécifiquement, est celle de savoir comment les événements
électrochimiques qui se produisent au niveau neuronal et, en particulier, au niveau
synaptique, se traduisent par une augmentation de la disponibilité de substrats
énergétiques localement en lien direct avec l’activité neuronale. Dans cette partie
du cours, les travaux du laboratoire ont été présentés. Ces travaux ont permis de
mettre en évidence un rôle central d’un type particulier de cellules gliales dans ce
couplage métabolique. En effet, les astrocytes ont une disposition morphologique
particulière, possédant des processus qui entourent, en grande partie, les profils
synaptiques et d’autres qui recouvrent les parois des capillaires intraparenchymateux.
Ces derniers processus périvasculaires sont appelés les pieds astrocytaires. Au
laboratoire, nous avons démontré que le glutamate libéré présynaptiquement est
recapté, de manière très efficace, par les astrocytes au travers de transporteurs
spécifiques dénommés EAAC1 et EAAC2 qui utilisent le gradient électrochimique
du sodium comme force électrochimique pour transporter le glutamate à l’intérieur
de l’astrocyte contre son gradient chimique. Cette entrée de sodium active la
sodium/potassium-ATPase qui en consommant de l’ATP en diminue la disponibilité
et donc active comme, par un mécanisme homéostatique, l’entrée de glucose dans
l’astrocyte. De manière surprenante, le glucose recapté par ce mécanisme est
relargué sous forme de lactate qui peut être consommé par le neurone après
conversion en pyruvate. Le pyruvate peut intégrer le cycle de Krebs et produire par
la phosphorylation oxydative à laquelle il est couplé 17 ATP par molécule [5].

La navette lactate astrocyte-neurone


Les différents éléments moléculaires de cette « navette lactate astrocyte-neurones »
ont été caractérisés. Ainsi, les transporteurs au monocarboxylate (MCT) qui
permettent le transfert intercellulaire du lactate sont sélectivement exprimés :
MCT1 au niveau astrocytaire et MCT2 au niveau neuronal. De plus, l’expression
de l’enzyme lactate deshydrogénase (LDH) présente aussi une distribution cellulaire
sélective. Ainsi la forme LDH1, forme qui est exprimée dans des tissus et cellules
qui utilisent le lactate comme substrat comme, par exemple le myocarde, est
sélectivement exprimée au niveau neuronal alors que la forme LDH5, qui elle est
exprimée dans les tissus glycolytiques produisant du lactate, sont exprimés de
manière sélective au niveau des astrocytes. Ainsi il semble exister un mécanisme
direct de couplage entre l’activité synaptique et la consommation de glucose qui
806 PIERRE MAGISTRETTI

met en jeu les astrocytes, le recaptage de glutamate par ces cellules et la production
de lactate à partir de glucose importé depuis les capillaires, qui peut ensuite être
utilisé comme substrat énergétique par les neurones [6].
L’utilisation de souris chez lesquelles le gène codant pour le transporteur du
glutamate glial a été invalidé a démontré clairement, qu’en l’absence de cette
molécule, le couplage entre l’activité synaptique glutamatergique et l’utilisation de
glucose n’a pas lieu [7]. Des expériences conduites par l’utilisation d’oligonucléotides
antisens ciblés contre le transporteur au glutamate glial ont donné des résultats
analogues [8]. Les expériences ont été conduites dans les deux cas dans la voie
somato-sensorielle qui connecte les vibrisses aux barrils.

Le coût énergétique de la neurotransmission inhibitrice


La question qui a été ensuite abordée dans le cours est celle du coût énergétique
de la transmission inhibitrice. En effet, environ 10 % des synapses corticales sont
GABAergiques. Les résultats démontrent toutefois que le GABA, bien que recapté
par l’astrocyte, ne modifie pas, de manière suffisante, l’homéostasie sodique, le
signal principal pour l’activation de la sodium/potassium-ATPase et la réponse
métabolique qui lui est couplée. Les augmentations de sodium induites par le
recaptage de GABA sont marginales avec une cinétique lente qui n’aboutit pas à
une activation rapide de la sodium/potassium-ATPase. Le GABA n’active donc pas
la glycolyse astrocytaire. L’absence d’effet métabolique du GABA au niveau de
l’astrocyte soulève la question du coût énergétique de la transmission inhibitrice et
des mécanismes de couplage pour faire face à ces besoins. L’organisation synaptique
des neurones GABAergiques fournit une piste de réflexion. En effet, la grande
majorité de ces neurones sont des interneurones, notamment au niveau du cortex
cérébral. Ces interneurones GABAergiques reçoivent eux-mêmes des afférences
glutamatergiques. Une explication possible dès lors est que lors de la libération de
glutamate dans une région corticale, l’entrée de glucose dans le parenchyme
médié par la transmission glutamatergique fournit suffisamment d’énergie
localement pour également faire face aux besoins énergétiques des interneurones
GABAergiques.
Ce point de vue est d’ailleurs conforté par les expériences conduites au laboratoire
qui ont démontré que le signal glutamatergique est amplifié du point de vue
spatial par le biais des jonctions communicantes (gap junctions) qui existent entre
les astrocytes. En effet, le glutamate stimule la production d’une vague calcique
qui se propage de proche en proche entre les astrocytes, notamment par le biais
des jonctions communicantes ; divers laboratoires on démontré que cette vague
calcique stimule la libération locale de glutamate à partir de l’astrocyte [9]. Le
glutamate ainsi libéré à partir d’astrocytes est recapté par les astrocytes adjacents
produisant, comme cela pouvait être prévu, une entrée de sodium et une propagation
d’une vague sodique. Cette même vague sodique déclenche par les mécanismes
décrits précédemment, l’entrée de glucose et produit donc une vague métabolique.
CHAIRE INTERNATIONALE 807

Ainsi, suite à l’activation métabolique localisée produite par la libération synaptique


de glutamate, le couplage qui aboutit à l’entrée de glucose localement, est amplifié
par l’existence de cette vague métabolique produite par la libération de glutamate
par les astrocytes. Ainsi ce mécanisme augmente considérablement le volume
cortical au sein duquel le glucose est importé en réponse à l’activation
synaptique [10]. Cette amplification du signal métabolique permet également de
fournir les substrats énergétiques aux interneurones GABAergiques qui ne semblent
pas avoir de mécanisme de couplage neurométabolique direct.

Le lactate comme substrat énergétique pour l’activité neuronale


L’utilisation de lactate comme substrat énergétique a également été discutée. En
effet, par des expériences de résonance magnétique par spectroscopie (MRS) il a
été possible de démontrer que les neurones, en présence de concentrations égales
de lactate et de glucose, consomment de manière préférentielle le lactate, dans un
rapport de 9 à 1 [11]. Dès lors, il semble que le lactate soit, non seulement un
substrat utilisable par les neurones mais, qu’en fait, il s’agirait d’un substrat
préférentiel.
Kasischke et collaborateurs [12], ont analysé par microscopie biphotonique le
signal NADH/NAD+ comme marqueur de la glycolyse (augmentation du signal)
ou de la phosphorylation oxydative (baisse de NADH), lors de l’activité synaptique.
Ces expériences ont permis d’apporter des informations sur la cinétique et la
séquence des processus qui constituent la navette lactate astrocyte neurone. D’après
ces expériences, suite à une activation neuronale, il existe une utilisation rapide de
lactate et son oxydation par les neurones. À cette première phase, illustrée par une
diminution du signal NADH localisée sélectivement au niveau neuronal, suit une
réponse glycolytique marquée par l’augmentation du signal NADH et qui est
exclusivement localisé au niveau astrocytaire. Ainsi, il semble que lors de l’activation,
les neurones utilisent rapidement les substrats énergétiques disponibles dans
l’espace extracellulaire, vraisemblablement du lactate et que le mécanisme médié
par le transporteur au glutamate reconstitue ce pool extracellulaire de lactate pour
les utilisations subséquentes [13].
La question de l’utilisation du lactate de manière préférentielle par les neurones
a ensuite été abordée à la lumière de données bien établies de la biochimie ainsi
que de données récentes fournies par la résonance magnétique spectroscopique.
Ainsi, le lactate peut être utilisé sans aucun investissement d’ATP, contrairement
au glucose, par une simple conversion en pyruvate sous l’action de la lactate
déshydrogénase. Il apparaît dès lors que l’utilisation de ce substrat qui ne comporte
pas investissement d’énergie, est avantageuse du point de vue énergétique.

Lactate et transfert d’équivalents réducteurs


D’autre part, le lactate est transporté à travers les membranes via les transporteurs
en monocarboxylate par un mécanisme de co-transport avec des protons, donc
808 PIERRE MAGISTRETTI

d’un pouvoir réducteur. Cerdan et collaborateurs ont démontré que la navette


lactate astrocyte neurone permettait d’effectuer un transfert d’équivalents réducteurs
entre les astrocytes et les neurones [14]. Ainsi, lorsque le lactate est capté par les
neurones, la conversion de lactate en pyruvate consomme du NAD+ et inhibe la
consommation de glucose par les neurones. Les résultats de Barros et
collaborateurs [15] démontrent d’ailleurs une inhibition de la consommation de
glucose par les neurones lors de l’activation neuronale.
Ainsi, l’utilisation de lactate par le neurone a le double avantage de fournir sous
forme de lactate, de l’énergie rapidement utilisable pour la phosphorylation
oxydative ainsi que des équivalents réducteurs. En quoi la disponibilité d’équivalents
réducteurs est-elle importante pour les neurones ? Entre ici en jeu le fait que les
neurones ont une activité oxydative importante qui a comme effet collatéral une
forte production de radicaux libres. Ainsi, l’activité de la phosphorylation oxydative
et d’enzymes tels les oxygénases sont des contributeurs importants à la formation
de ces molécules qui présentent un danger pour l’intégrité cellulaire. Des mécanismes
d’inactivation de ces radicaux libres existent, notamment par l’activité de la
superoxyde dismutase (SOD) qui permet la formation de peroxyde d’hydrogène à
partir de radicaux libres. Ce peroxyde d’hydrogène représente en soi encore une
molécule potentiellement toxique ; elle est toutefois prise en charge par l’enzyme
glutathion peroxydase qui utilise la capacité réductrice du glutathion réduit pour
produire de l’eau en consommant des équivalents réducteurs. La glutathion
réductase permet de régénérer le glutathion réduit. Cette dernière réaction nécessite
des équivalents réducteurs sous forme de NADPH. On voit donc que le neurone,
site important de production de radicaux libres dépend de l’astrocyte pour la
fourniture d’équivalents réducteurs. Il en dépend également pour la production de
glutathion. En effet, les neurones ne peuvent pas capter la cystine, qui une fois
transformée en cystéine, est un des acides aminés qui constituent le glutathion avec
la glycine et le glutamate. Les travaux de Dringen et collaborateurs [16] ont montré
que les neurones dépendent des astrocytes pour la synthèse de glutathion. En effet,
le glutathion synthétisé par l’astrocyte, est libéré dans l’espace extracellulaire au
travers de transporteurs appartenant à la famille des multidrug resistance proteins
(MRP). Une fois libéré dans l’espace extracellulaire, le glutathion est clivé en un
dipeptide, la cystéine-glycine, qui peut être recaptée par le neurone. La cystéine-
glycine est couplée ensuite au glutamate ce qui permet de produire le glutathion
à l’intérieur du neurone.
Un point qui a donc été particulièrement discuté dans le cours, est celui la
dépendance de l’astrocyte de la part du neurone, non seulement du point de vue
énergétique sous forme d’ATP mais également du point de vue de sa capacité
réductrice. De manière intéressante, des travaux récents démontrent que le
glutamate lui-même stimule la libération de glutathion à partir de l’astrocyte [17].
Ainsi, un stimulus synaptique, le glutamate, déclenche la libération de lactate et
de glutathion à partir de l’astrocyte, ces deux substrats métaboliques étant essentiels
pour l’équilibre énergétique du neurone.
CHAIRE INTERNATIONALE 809

Les flux métaboliques astrocytaires

Une autre question concernant le couplage métabolique astrocyte-neurone a été


abordée, afin d’éclairer le fait que l’astrocyte, bien que présentant des densités
mitochondriales appréciables, produit du lactate en présence d’oxygène au lieu
d’oxyder le pyruvate. Diverses explications sont possibles. L’une d’entre elles
implique le fait que l’enzyme clé pour l’entrée du pyruvate dans le cycle de Krebs,
la pyruvate déshydrogénase, serait inhibée au niveau de l’astrocyte, du fait de son
degré de phosphorylation. Des résultats du groupe de Sokoloff, montrent que le
dichloroacétate qui a comme action d’activer la pyruvate déshydrogénase, diminue
considérablement la production de lactate à partir de l’astrocyte [18]. Récemment,
la mesure directe de l’activité oxydative basale de l’astrocyte a pu être réalisée, en
utilisant l’acétate. Ainsi, les travaux de Waniewski ont montré que ce substrat est
capté de manière sélective par les astrocytes [19]. L’acétate marqué par le carbone 13
est actuellement utilisé dans des expériences de résonance magnétique spectro-
scopique pour mesurer in vivo l’activité oxydative astrocytaire. Les résultats récents
du groupe de Nedergaard [20] qui ont procédé à une analyse transcriptomique à
partir de préparations d’astrocytes isolés de manière aiguë et sélective, ont démontré
la présence d’enzymes du cycle de Krebs et de la phosphorylation oxydative. Dans
ces mêmes expériences, les auteurs ont toutefois démontré une importante
production de lactate à partir de glucose par les astrocytes. La conclusion qui peut
être tirée à partir de ces expériences, est que l’astrocyte a une capacité oxydative
réelle, mais qui est rapidement dépassée par l’augmentation du flux glycolytique
stimulé par le glutamate qui de fait aboutit à la production et libération de lactate
même en présence d’oxygène par l’astrocyte. Son activité oxydative est donc
présente mais limitée.

Rôle du glycogène astrocytaire

Le cours a ensuite abordé une caractéristique particulière du métabolisme


astrocytaire, à savoir la présence de glycogène. En effet, le glycogène est
exclusivement localisé au niveau astrocytaire, à l’exception de quelques neurones
de grande taille au niveau du tronc cérébral. Des expériences conduites au
laboratoire ont démontré l’existence d’un nombre restreint de neurotransmetteurs
qui mobilisent le glycogène astrocytaire et aboutissent à la production de lactate.
Ces neurotransmetteurs sont le VIP, la noradrénaline et l’adénosine, tous agissant
pour l’essentiel, via des récepteurs spécifiques couplés à des protéines G qui elles-
mêmes aboutissent à l’activation de la cascade AMP cyclique [21]. Le rôle de cette
mobilisation du glycogène médié par certains neurotransmetteurs est de fournir,
lors de l’activation, des substrats énergétiques aux neurones sous forme de lactate.
Des expériences conduites en laboratoire ont permis de démontrer un effet
biphasique dans la régulation du métabolisme du glycogène astrocytaire par les
neurotransmetteurs. En effet, suite à l’effet glycogénolytique rapide qui se déploie
en quelques secondes, une resynthèse massive du glycogène est activée. Cette
810 PIERRE MAGISTRETTI

resynthèse dépend de l’induction de gènes. Le gène qui est induit de manière


significative est celui qui code pour le protein targeting glycogen (PTG). Le PTG
est une protéine de type « chaperone » qui favorise la compartimentalisation des
enzymes responsables de la resynthèse de glycogène. Ainsi, une induction de
l’expression de PTG aboutit à une orientation du métabolisme du glucose vers la
synthèse de glycogène plutôt que vers la glycolyse. Une série d’expériences conduites
au laboratoire a permis de montrer un rôle de cette resynthèse de glycogène induite
par le PTG dans le cycle veille-sommeil. En effet, le PTG présente une variation
circadienne avec une augmentation de l’expression en fin de période d’éveil. Si
cette période d’éveil est prolongée par une déprivation de sommeil, l’induction de
PTG est massive. Il ne s’agit pas seulement d’une augmentation de l’expression de
gène ; en effet il s’en suit une conséquence fonctionnelle dans la mesure où l’activité
de la glycogène synthase est fortement augmentée [22]. Une récupération de
sommeil de 3 heures rétablit les niveaux de PTG et l’activité de la glycogène
synthase. Nous avons interprété ces résultats de la manière suivante : lors de la
période d’éveil et d’activité, des mécanismes transcriptionnels sont enclenchés par
le VIP, la noradrénaline et l’adénosine qui aboutissent à l’induction de l’expression
de PTG. Cette augmentation de l’expression de PTG prépare, du point de vue
métabolique, le cortex cérébral à une phase d’endormissement. En effet, dans ces
conditions qui favorisent l’induction du sommeil, le glucose sera stocké
préférentiellement sous forme de glycogène plutôt que d’être utilisé. Cette série
d’observations est en ligne avec le constat général d’un rôle homéostatique
énergétique du sommeil [23].

Un nouveau paradigme : la plasticité métabolique

Un aspect nouveau abordé récemment au laboratoire a été présenté et discuté


dans le cours. Il s’agit de l’hypothèse selon laquelle le couplage neurométabolique
entre astrocytes et neurones pourrait être sujet à des mécanismes de plasticité
comme le sont les mécanismes liés à la transmission synaptique. En d’autres termes
la question posée est celle de savoir si des mécanismes de plasticité métabolique
localisés au niveau astrocytaire sont nécessaires, voire indispensables à l’expression
de la plasticité synaptique. Pour illustrer ce point, des résultats récents du
laboratoire ont été présentés. Il s’agit d’expériences d’apprentissage spatial chez la
souris, apprentissage dont on sait qu’il s’accompagne de modifications de la
plasticité synaptique au niveau de diverses régions de l’hippocampe. Ces animaux
ont été soumis à un apprentissage spatial de type labyrinthe à 8 bras, dont 3 sont
appâtés par de la nourriture. En quelques jours, les souris apprennent à identifier
les bras appâtés à partir de repères spatiaux ; après 7 jours, ils atteignent l’objectif
avec une précision proche de 100 %. Afin d’identifier ce que l’on pourrait appeler
une « trace métabolique » de la plasticité, les expériences d’autoradiographie au
2-désoxyglucose ont été réalisées chez ces souris au cours de l’apprentissage. Il a
été mis en évidence une activation de différentes sous-régions de l’hippocampe qui
varie selon le degré d’apprentissage. De manière très frappante, lorsque l’on
CHAIRE INTERNATIONALE 811

effectue une expérience de rappel, 5 jours après le dernier jour d’apprentissage, le


gyrus dentelé est la seule sous-région de l’hippocampe activée, alors qu’à la fin de
9 jours d’apprentissage, lorsque la performance comportementale est identique à
celle observée au cours du rappel, les régions CA1 et CA3 sont activées [24].
Ainsi, en présence d’une performance comportementale identique, des régions
différentes sont activées. Ces données laissent entrevoir la possibilité d’une
plasticité métabolique qui s’installe au cours de l’apprentissage. Actuellement, les
expériences portent sur l’identification de gènes codant pour des protéines
impliquées dans le couplage métabolique neurone-glie, mesurées par PCR
quantitative à partir de microdissections effectuées par microscopie à capture laser,
dans l’hippocampe d’animaux ayant suivi les protocoles d’apprentissage en utilisant
la « trace métabolique » fournie par l’autoradiographie au 2DG comme index
de localisation.

Un deuxième aspect de la plasticité métabolique potentielle a été également


présenté, sur la base de résultats très récents, obtenus au laboratoire. La question
posée était celle de savoir si des conditions pathologiques pourraient modifier le
phénotype métabolique astrocytaire. Afin d’aborder cette question, nous avons
exposé chroniquement les astrocytes à un environnement pro-inflammatoire
représenté par les cytokines pro-inflammatoires comme l’interleukine 1 bêta ou le
TNF alpha. Ces expériences ont par ailleurs été conduites en présence de la forme
pathologique de la bêta-amyloïde, la forme 1-42, qui est présente dans les plaques
de patients présentant la maladie d’Alzheimer. Les résultats indiquent un effet
important de l’environnement pro-inflammatoire qui aboutit à un profil
métabolique de l’astrocyte considérablement différent. En effet, les cytokines
augmentent significativement le captage de glucose en conditions basales par
l’astrocyte tout en diminuant aussi bien le contenu en glycogène que la production
de lactate. On peut ainsi déduire qu’en présence d’un environnement pro-
inflammatoire le rôle de l’astrocyte, comme stock énergétique et fournisseur de
substrat énergétiques aux neurones, est considérablement altéré. Pour ce qui est de
l’excès de glucose capté, il est traité par la voie des pentoses phosphates et par le
cycle de Krebs et la phosphorylation oxydative qui sont fortement augmentés [25].
Ainsi, la production de radicaux libres par la phosphorylation oxydative est stimulée
en même temps que le mécanisme contre-régulateur, qui est la stimulation du
shunt des pentoses qui représente la voie principale pour la production d’équivalents
réducteurs qui permettent de neutraliser les radicaux libres. L’astrocyte, en présence
de cytokines, se trouve donc métaboliquement dans une sorte de cycle futile au
cours duquel la production de radicaux libres est augmentée en même que les
mécanismes de défense contre ces derniers. On peut déduire également que la
fonction neuroprotectrice de l’astrocyte se trouve ainsi diminuée. Ceci a été validé
en démontrant qu’en présence d’astrocytes qui ont préalablement été exposés à des
cytokines, les neurones sont moins résistants à un stimulus potentiellement toxique
comme un excès de glutamate. Il est à noter que tous les effets des cytokines sur
le phénotype métabolique astrocytaire sont potentialisés par la présence
812 PIERRE MAGISTRETTI

concomitante de bêta-amyloïde 1-42. Il semble dès lors que l’environnement


extracellulaire qui caractérise la maladie d’Alzheimer au niveau cortical, à savoir la
présence de cytokines pro-inflammatoires et de bêta-amyloïde, modifie la capacité
des astrocytes à effectuer un soutien métabolique aux neurones.
L’étude de l’effet de la bêta-amyloïde dans sa forme toxique 1-42, nous a amenés
à mettre en évidence un mécanisme d’internalisation de la bêta-amyloïde par
l’astrocyte, qui implique la mise en jeu de récepteurs de type « scavenger ». Ainsi,
de manière sélective, la bêta-amyloïde dans une certaine forme d’agrégation
fibrillaire uniquement est internalisée par les astrocytes. Des expériences récentes
conduites au laboratoire indiquent que cette internalisation de l’amyloïde par
l’astrocyte est un mécanisme indispensable pour l’effet de cette protéine sur le
phénotype métabolique de l’astrocyte. La voie reste donc ouverte pour étudier les
mécanismes qui associent de manière causale l’internalisation de la bêta-amyloïde
par l’astrocyte et la modification de son phénotype métabolique.
D’autres évidences de plasticité astrocytaire, notamment morphologiques, se
déployant en parallèle à des mécanismes de plasticité synaptique ont été fournies par
divers laboratoires, Ainsi Welker et collaborateurs [26] ont démontré une
augmentation considérable de la couverture astrocytaire des épines dendritiques dans
les barrils du cortex somato-sensoriel suite à une stimulation soutenue des vibrisses
correspondantes. De manière intéressante, cette augmentation de la couverture
synaptique par des astrocytes s’accompagne également d’une surexpression des
transporteurs au glutamate astrocytaire.

Neuroénergétique et imagerie cérébrale fonctionnelle


Dans la partie finale du cours, les implications du couplage métabolique neurone-
glie et de la neuroénergétique en général, ont été discutée en relation à la genèse
des signaux qui sont détectés par les techniques d’imagerie cérébrale fonctionnelle.
Le premier aspect discuté concernait la technique de tomographie à émissions de
positons (TEP) pour le 2-déoxyglucose marqué au 18Fluor. Cette technique permet
de visualiser la consommation de glucose en réponse à une activité synaptique. Sur
la base des résultats expérimentaux mettant en évidence le rôle du couplage neuro-
astrocytaire, on en déduit que l’accumulation du traceur se produit essentiellement
au niveau astrocytaire. Cette constatation n’enlève rien à la valeur de localisation
de la technique dans la mesure où le signal de départ est un signal d’origine
synaptique, le glutamate. Toutefois, cette constatation met en évidence le fait que
des altérations au niveau astrocytaire des mécanismes de couplage entre le transport
de glutamate et la glycolyse qu’il déclenche et qui aboutit à la libération de lactate,
pourraient être perturbées dans certaines pathologies et résulter en un signal en
TEP altéré.
Par ailleurs, l’existence d’une glycolyse transitoire lors de l’activation, permet de
fournir des arguments pour proposer un rôle de cette glycolyse dans la production
du signal BOLD (Blood ogygen level dependent signal) qui est à la base de l’imagerie
CHAIRE INTERNATIONALE 813

par résonance magnétique fonctionnelle (IRMf). En effet, le signal BOLD est


produit par un changement du rapport oxy/déoxyhémoglobine qui modifie les
propriétés paramagnétiques du sang artériel qui irrigue la région activée. Il s’agit
là d’un paradoxe car on pourrait s’attendre que lors de l’activation, il y ait une
diminution de la concentration en oxyhémoglobine ; or il se produit de l’inverse,
à savoir une augmentation relative de l’oxyhémoglobine par rapport à la
déoxyhémoglobine. Ceci est toutefois cohérent par rapport au fait que, si durant
l’activation il se produit un traitement du glucose dans la région activée sans
consommation initiale d’oxygène (glycolyse), et que ce traitement du glucose est
concomitant à l’arrivée de sang artériel en excès (hyperémie d’activation), on sera
en présence d’un excès d’oxyhémoglobine dont l’oxygène n’est pas immédiatement
consommé. Ainsi, il existerait un lien entre la glycolyse aérobie astrocytaire et la
modification du rapport oxy-déoxyhémoglobine qui aboutit à la production du
signal BOLD.
L’existence de cette glycolyse transitoire qui aboutit à une production de lactate
a été également discutée en termes du rôle potentiel des astrocytes dans le couplage
neurovasculaire. En effet, la glycolyse modifie le rapport NADH/NAD+ au niveau
astrocytaire. Selon les travaux du groupe de Raichle [27], ce changement de rapport
entre NADH/NAD+ pourrait jouer un rôle vasodilatateur, donc d’augmentation
du débit sanguin. Ces travaux ont amené dans la discussion, d’autres mécanismes
postulés concernant un rôle des astrocytes dans le couplage neurovasculaire. L’un
de ces mécanismes proposé par divers investigateurs [28], implique la formation
de postanoïdes astrocytaires faisant suite à l’activation de récepteurs métabotropiques
au glutamate.
On voit donc que tout un faisceau de résultats récents pointent vers un rôle de
l’astrocyte, non seulement dans le couplage neurométabolique, c’est-à-dire entre
l’activité synaptique et la consommation de glucose mais également dans le
couplage neurovasculaire, c’est-à-dire le couplage entre l’activité synaptique et
l’augmentation du débit sanguin local. Dans les deux cas, l’astrocyte joue un rôle
central dans ce couplage en détectant l’activité glutamatergique soit au moyen du
transporteur au glutamate dans le cas du couplage neurométabolique, soit par
l’activation de récepteurs métabotropes dans le cas du couplage neurovasculaire.

Un paradoxe : la consommation d’énergie élevée en conditions « basales »


Un autre aspect, lié à l’imagerie cérébrale fonctionnelle et aux mécanismes
cellulaires et moléculaires qui la sous-tendent, a été discuté. En effet, contrairement
à ce que l’on pourrait penser, l’augmentation de la consommation d’oxygène, ou
du débit sanguin, ou encore de la consommation de glucose dans les régions
activées, sont relativement modestes par rapport aux régions non activées. En
réalité, ces augmentations métaboliques et vasculaires ne correspondent qu’à une
augmentation de 10 à 15 % par rapport au niveau basal. Dès lors, la question se
pose de savoir quels sont les mécanismes impliqués dans la consommation très
814 PIERRE MAGISTRETTI

élevée que le cerveau fait en condition dite basale. Diverses hypothèses sont
évoquées. La première est celle d’un équilibre dynamique entre excitation et
inhibition. Il se peut, en effet, que l’activation induite par le glutamate au niveau
de circuits particuliers, soit contrecarrée par une activité inhibitrice prépondérante.
La sortie de ce circuit, dans lequel excitation et inhibition s’annulent, pourrait être
nulle du point de vue électrophysiologique. Toutefois, les mécanismes cellulaires
et moléculaires liés au couplage métabolique précédemment discuté, vont être
opérationnels même si la sortie électrophysiologique est nulle. Dès lors, même sans
activation particulière détectable électrophysiologiquement, de l’énergie sera
consommée. Le deuxième mécanisme évoqué pour rendre compte de cette
consommation basale élevée, est l’activité hors ligne ou activité de post-processing
de l’information, liée à la plasticité synaptique. En effet, le cerveau ne fonctionne
pas uniquement en ligne lors de l’activation, mais des processus de traitement de
l’information et de plasticité sont en action en permanence. Cette activité hors
ligne consomme également de l’énergie.
Des observations récentes de Raichle et collaborateurs, qui discutent la question
de cette activité basale élevée, ont été évoquées [29]. En effet, il existe certaines
régions du cerveau dont l’activité augmente lorsque le sujet n’est pas concentré sur
une tâche particulière. Par ailleurs, ces mêmes régions, lorsqu’une activité spécifique
est mise en jeu, qu’elle soit sensorielle ou motrice, diminuent leur activité [30].
Raichle a défini ce système comme un « default mode » donc comme un mode par
défaut, dont la signification reste encore à définir. Le mode par défaut concerne
des régions corticales médianes, notamment le cortex préfrontal médian, le cortex
cingulaire postérieur médian, le précuneus et certaines zones du cortex pariétal,
latéral et médian. De manière fort intéressante, ce système présente des caractéristiques
développementales particulières avec notamment une hypoactivité, voire une
absence, chez des enfants en dessous de 10 ans [31] ; c’est également un des systèmes
qui présentent des diminutions importantes lors de la maladie d’Alzheimer [31].

Neuroénergétique et maladies neuropsychiatriques


En ce qui concerne les maladies psychiatriques en général, et spécifiquement la
maladie d’Alzheimer, de nombreuses observations ont été réalisées par imagerie
cérébrale fonctionnelle. En particulier, on observe une diminution considérable de
la consommation de glucose mesurée par TEP chez des patients souffrant d’une
maladie d’Alzheimer. Ceci n’est pas surprenant dans la mesure où, avec la perte
neuronale, la libération synaptique de glutamate, qui est responsable de l’importation
de glucose au sein du parenchyme cérébral, est diminuée. Toutefois, ce qui est le
plus frappant est que chez des patients qui sont à risque pour la maladie d’Alzheimer,
par exemple, ceux exprimant un polymorphisme de l’apolipoprotéine 4 présentent
déjà une baisse de la consommation de glucose dans des aires temporo-pariétales
avant que l’on puisse mettre en évidence une atrophie corticale ou même des
troubles cognitifs [32]. Cette observation soulève la possibilité que des altérations
du métabolisme astrocytaire soient à l’origine, ou en tout cas qu’elles puissent
CHAIRE INTERNATIONALE 815

amplifier, un processus pathologique qui aboutirait ensuite à la mort neuronale.


C’est dans cette optique que nous avons conduit au laboratoire des expériences de
stimulation de l’échange métabolique astrocyte-neurones au cours desquels nous
avons tenté d’augmenter l’augmentation du captage de glucose par l’astrocyte et le
captage de lactate par les neurones. Ces expériences ont été conduites en réalisant
la surexpression du transporteur au glucose GLUT1 et du transporteur au lactate
MCT2 en transfectant les astrocytes avec des vecteurs viraux contenant le cDNA
codant pour GLUT1 et les neurones avec des vecteurs aboutissant à la surexpression
de MCT2. Ces résultats ont montré, dans des préparations in vitro, dans lesquelles
les astrocytes sont cultivés en présence de neurones, que les neurones résistent
mieux à des stimulations nocives de type excitotoxique [33]. On peut donc postuler
qu’une activité accrue de la navette lactate-astrocyte-neurones aboutisse à un effet
neuroprotecteur.
L’implication du couplage métabolique médié par les astrocytes dans d’autres
pathologies psychiatriques peut également être évoquée. Ainsi, dans une étude par
analyse de transcriptome, conduite sur des cerveaux post-mortem obtenus à partir
de patients souffrant de dépression majeure, certains gènes se sont révélés être
considérablement diminués dans leur expression, à savoir le gène codant pour le
transporteur au glutamate glial et pour l’enzyme glutamique synthase, qui est
impliquée dans le recyclage du glutamate sous forme de glutamine. Cette dernière
est ensuite recaptée par les neurones afin de rétablir le pool de glutamate
vésiculaire [34]. Une diminution de la fonction de ce recyclage du glutamate devrait
aboutir à une diminution de la signalisation qui permet l’importation de glucose
dans le parenchyme cérébral et donc se traduire par une diminution du signal TEP,
notamment dans le cortex dorsolatéral chez les patients dépressifs. Or, il se trouve
que c’est exactement ce qui est observé par cette technique d’imagerie. Il y a donc
là une relation entre les niveaux d’expression de molécules spécifiques gliales, un
signal par imagerie cérébrale fonctionnelle et une pathologie neuropsychiatrique.

Colloque

Un colloque de clôture du cours intitulé « Neurosciences et psychanalyse : une


rencontre autour de l’émergence de la singularité » s’est tenu le 27 mai 2008 à
l’auditoire Marguerite de Navarre. Les conférenciers invités étaient les suivants :
François Ansermet et Pierre Magistretti :
« Plasticité et homéostasie à l’interface entre neurosciences et à la psychanalyse ».
Cristina Alberini :
« The Dymanics of our Internal Representations : Memory Consolidation, Reconsolidation and
the Integration of New Information with the Past ».
Marcus Raichle : « Two Views of Brain Function ».
Antonio Damasio : « A Neurobiology for Conscious and Unconscious Processing ».
Marc Jeannerod : « La psychotérapie neuronale ».
816 PIERRE MAGISTRETTI

Michel Le Moal :
« De l’homéostasie aux processus opposants : une dynamique psychobiologique ».
Alim Benabid : « Du Parkinson à l’humeur, le chemin questionnant du neurochirurgien ».
Daniel Widlocher : « Neuropsychologie de l’imaginaire ».
Lionel Naccache : « De l’inconscient fictif à la fiction consciente ».
Eric Laurent : « Usages des neurosciences pour la psychanalyse ».

L’existence de processus psychiques inconscients est un sujet d’intérêt et de


recherche commun aux neurosciences et à la psychanalyse. Toutefois le dialogue
entre ces deux disciplines a été pour le moins difficile. Quelles en sont les raisons ?
Certes les cadres de référence sont sans commune mesure, le langage propre à
chaque champ est différent et ces deux disciplines ont des histoires divergentes,
difficiles à concilier, qui font aussi leur originalité. Pourtant neurosciences et
psychanalyse partagent l’incontournable question de l’émergence de la
singularité.
C’est dans ce contexte que s’est inscrit le colloque « Neurosciences et psychanalyse :
une rencontre autour de l’émergence de la singularité ». L’idée de ce colloque a été
de réunir d’éminents spécialistes des neurosciences et de la psychanalyse pour
explorer les points de convergence potentiels entre ces deux disciplines que tout
apparemment sépare et que l’on pourrait qualifier d’incommensurables. Dans ce
type d’exercice il convient de bien se garder de tomber dans un syncrétisme
simplificateur dans lequel les principes des deux ordres pourraient être
interchangeables et par lequel psychanalyse et neurosciences y perdraient leur nature
et leur tranchant. La démarche qui a animé ce colloque a été plutôt d’identifier des
points d’intersection à partir desquels les concepts d’un domaine fertilisent la
réflexion de l’autre, ouvrent vers des perspectives de recherche nouvelles. Un de ces
points d’intersection est sans doute la notion de trace et de plasticité neuronale.
D’autres, comme par exemple ceux qui concernent les états somatiques et le maintien
de l’homéostasie, notions du champ biologique qui sont à rapprocher de celles de
pulsion et du principe de plaisir du champ freudien méritent d’être explorées. Ce
sont ces points d’intersection potentiels qui ont été abordés par les représentants de
premier plan des deux disciplines invités à ce colloque.

Publications

Rappaz B., Barbul A., Emery Y., Korenstein R., Depeursinge C., Magistretti P.J.,
Marquet P. Comparative study of human erythrocytes by digital holographic microscopy,
confocal microscopy, and impedance volume analyzer. Cytometry A. 2008 Jul 9. [Epub
ahead of print].
Wyss M.T., Weber B., Treyer V., Heer S., Pellerin L., Magistretti P.J., Buck A.
Stimulation-induced increases of astrocytic oxidative metabolism in rats and humans
investigated with 1-(11)C-acetate. J Cereb Blood Flow Metab. 2008 Aug 20. [Epub ahead
of print].
CHAIRE INTERNATIONALE 817

Chiry O., Fishbein W.N., Merezhinskaya N., Clarke S., Galuske R., Magistretti P.
J., Pellerin L. Distribution of the monocarboxylate transporter MCT2 in human cerebral
cortex : An immunohistochemical study. Brain Res. 2008, Jun 18.
Badaut J., Brunet J.F., Petit J.M., Guérin C.F., Magistretti P.J., Regli L. Induction
of brain aquaporin 9 (AQP9) in catecholaminergic neurons in diabetic rats. Brain Res. 2008
Jan 10 ; 1188 : 17-24. Epub 2007 Nov 7.
Rappaz B., Charrière F., Depeursinge C., Magistretti P.J., Marquet P. Simultaneous
cell morphometry and refractive index measurement with dual-wavelength digital holographic
microscopy and dye-enhanced dispersion of perfusion medium. Opt Lett. 2008 Apr 1 ;
33(7) : 744-6.
Gavillet M., Allaman I., Magistretti P.J. Modulation of astrocytic metabolic
phenotype by proinflammatory cytokines. Glia. 2008 Mar 27 ; [Epub ahead of print].
Pellerin L., Bouzier-Sore A.K., Aubert A., Serres S., Merle M., Costalat R.,
Magistretti P.J. Activity-dependent regulation of energy metabolism by astrocytes: an
update. Glia. 2007 Sep ; 55(12) : 1251-62. Review.
Granziera C., Thevenet J., Price M., Wiegler K., Magistretti P.J., Badaut J.,
Hirt L. Thrombin-induced ischemic tolerance is prevented by inhibiting c-jun N-terminal
kinase. Brain Res. 2007 May 7 ; 1148 : 217-25. Epub 2007 Feb 22.
Badaut J., Brunet J.F., Petit J.M., Guérin C.F., Magistretti P.J., Regli L. Induction
of brain aquaporin 9 (AQP9) in catecholaminergic neurons in diabetic rats. Brain Res. 2007
Nov 7.
Kovacs K.A., Steullet P., Steinmann M., Do K.Q., Magistretti P.J., Halfon O.,
Cardinaux J.R. TORC1 is a calcium- and cAMP-sensitive coincidence detector involved
in hippocampal long-term synaptic plasticity. Proc Natl Acad Sci USA. 2007, 104(11) :
4700-4705.
Granziera C., Thevenet J., Price M., Wiegler K., Magistretti P.J., Badaut J.,
Hirt L. Thrombin-induced ischemic tolerance is prevented by inhibiting c-jun N-terminal
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Laughton J.D., Bittar P., Charnay Y., Pellerin L., Kovari E., Magistretti P.J.,
Bouras C. Metabolic compartmentalization in the human cortex and hippocampus :
evidence for a cell- and region-specific localization of Lactate Dehydrogenase 5 and Pyruvate
Dehydrogenase. BMC Neuroscience 2007, 23 ; 8 (1) : 35.
Aubert A., Pellerin L., Magistretti P.J., Costalat R.A. coherent neurobiological
framework for functional neuroimaging provided by a model integrating compartmentalized
energy metabolism. Proc Natl Acad Sci USA. 2007, 104(10) : 4188-4193.

Commentaire, chapitre
Magistretti P.J., Allaman I. Glycogen : a Trojan horse for neurons. Nat Neurosci.
2007, 11, 1341-2.
Magistretti P.J. Brain Energy Metabolism. In : Fundamental Neuroscience, 3rd Edition.
Squire L., Berg, D., Bloom, F.e., du Lac S., Ghosh A., Spitzer N. Eds, Academic Press,
2008, 271-293.

Conférences plénières et sur invitation

2008
— « Mind your Brain » Symposium, Lausanne.
— 100th meeting of the Swiss Neurological Society.
— Club cellules gliales, Paris.
818 PIERRE MAGISTRETTI

— École Normale Supérieure, Paris.


— Institute for Research in Biomedicine, Barcelona.
— Colloque des neurosciences cliniques, CHUV.
— Symposium on « Neurosciences and Society », FENS.
— European Science Open Forum, Barcelona.
— Gordon Research Conference on « Membrane transport proteins », Il Ciocco.

2007
— École Normale Supérieure, Paris.
— 12th Neuronal degeneration workshop, Verbier.
— Acettepe University, Ankara.
— Wallenberg Symposium, Stockholm.
— International Meeting of ESCAP (European Society for Child and Adolescent
Psychiatry), Florence.
— VIII European Meeting on Glial Function, London.
— Glaxo Smith Kline, Harlow.
— Association Psicoanalitica de Argentina, Buenos Aires.
— London Psychoanalytical Society, London.
— Yale University, Department of Physiology.
— Mount Sinai School of Medicine, Department of Neuroscience.
— Phyloctetes Center, New York Psychoanalytical Society, New York.
— University of Pennsylvania, Department of Pediatrics.
— University of Ancona, Annual Lecture, Department of Neuroscience.

Liste des articles cités dans le rapport d’activité

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[4] Lennie, Current Biol 13 : 493-497, 2003.
[5] Magistretti et al., Science 283 : 496-497, 1999.
[6] Magistretti, J Exp Biol. 209 : 2304-2311, 2006.
[7] Voutsinos-Porche et al., Neuron 37 : 275-286, 2003.
[8] Cholet et al., J Cereb Blood Flow Metab. 21 : 404-412, 2001.
[9] Jourdain et al., Nat Neurosci. 10 : 331-339, 2007.
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[13] Pellerin et Magistretti, Science 305 : 50-52, 2004.
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[24] Ros et al., J Cereb Blood Flow Metab. 26 : 468-477, 2006.
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[31] Raichle et Mintun, Annu Rev Neurosci. 29 : 449-476, 2006.
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[34] Choudray et al., Proc Natl Acad Sci USA. 102 : 15653-15658, 2005.
Chaire d’innovation technologique — Liliane Bettencourt

M. Gérard Berry
Membre de l’Institut (Académie des sciences)
et de l’Académie des technologies,
Professeur associé

Pourquoi et comment le monde devient numérique

1. Introduction

Le cours « pourquoi et comment le monde devient numérique » a été donné


dans le cadre de la chaire annuelle d’innovation technologique Liliane Bettencourt.
Il a été le tout premier cours d’informatique jamais donné au Collège de France.
J’ai choisi de le conduire selon un point de vue non classique, plutôt grand public
que technique. En effet, mes collègues informaticiens et moi-même observons
depuis longtemps un phénomène étonnant : si tout le monde constate que le
numérique transforme le monde de façon très rapide et très profonde, dans ses
composantes quotidiennes, scientifiques, industrielles, et culturelles, ses racines
restent largement inconnues ou incomprises. Il sort chaque mois des livres sur la
« révolution numérique », analysant ses impacts de tous ordres, certains prêchant
l’enthousiasme et d’autres la résistance ; si tous parlent des effets, pratiquement
aucun ne parle du contenu et donc des causes, souvent même en revendiquant cette
omission. Or le non-savoir accepté est une cause de majeure de dépendance, et est
donc dangereux à terme.

Cette situation troublante doit être opposée à celle de la fin du 19e siècle et du
début du 20e, où les grands progrès scientifiques considérables de l’époque étaient
popularisés et vulgarisés dans d’excellents livres et revues. Ayant été lecteur assidu de
ce genre d’ouvrage, j’ai pensé que la même approche « leçon de choses » s’appliquerait
parfaitement au numérique, à condition de trouver le bon niveau de description.
J’avais déjà pratiqué des conférences ou des enseignements selon ce point de vue en
plusieurs circonstances. J’en citerai deux : l’association « Art Science Pensée » de ma
ville de Mouans-Sartoux, et l’école Montessori des Pouces Verts dans la même ville.
Ces expériences m’ont permis d’entrevoir ce que les gens ne comprenaient pas, et
822 GÉRARD BERRY

donc de commencer à construire un discours leur permettant de comprendre — et


d’aimer — le sujet. Mon cours au Collège peut être vu comme une extension de
cette approche. J’espère qu’il aura contribué à lever le voile.

1.1. Conduite du cours


Le cours s’est composé de la leçon inaugurale et de huit séances, chacune
consacrée à un grand sous-domaine de l’informatique : algorithmes, circuits,
langages de programmation, systèmes embarqués, chasses aux bugs, réseaux, images,
cryptologie et conclusion. D’autres sujets importants comme les bases de données
et systèmes d’informations n’ont pu être traités faute de temps. Chaque séance s’est
composée de deux parties : le cours proprement dit, et un séminaire donné par une
ou plusieurs personnalités extérieures, chercheurs ou industriels. Cette division m’a
paru importante pour que ma relative ignorance de chaque sujet soit compensée
par la grande connaissance d’un spécialiste, et pour que mon cours général soit
complété par une intervention concernant un aspect plus spécifique mais important
en terme de compréhension ou d’impact. Sauf un (cryptologie), tous les cours et
séminaires ont été mis en ligne en vidéo. Il faut noter que 28 étudiants de diverses
universités se sont inscrits au cycle de cours, validé pour leur formation. Après le
cours, un colloque informatique et bio-informatique a été consacré à cinq sujets
spécifiques, chacun présenté par un grand spécialiste du domaine.

1.2. Répétitions de la leçon inaugurale


J’ai répété quatre fois la leçon inaugurale en d’autres lieux : à l’Université de
Grenoble, dans le cadre de la journée dédiée à Louis Bolliet (16 mai) ; à Sophia-
Antipolis, sur invitation de l’école Polytech Nice et de l’INRIA (26 mai) ; au Lycée
Marcel Bloch de Strasbourg, devant des classes de première, dans le cadre des
journées de l’Académie des sciences en Alsace (28 mai) ; au colloque INIST / CNRS
de Nancy (18 juin). Je la répèterai encore en octobre à l’INRIA Rocquencourt
(9 octobre) puis à l’INRIA Rennes (24 octobre), sur invitation de ces organismes, et
je donnerai un séminaire similaire à la CCI d’Amiens (30 septembre). La leçon
inaugurale a également été projetée dans diverses grandes écoles sans ma présence.

1.3. Actions sur l’enseignement


Lors de la leçon inaugurale, j’ai insisté sur le retard considérable pris sur le thème
général de l’informatique par l’enseignement pré-universitaire en France, peu
compatible avec l’entrée dans le 21e siècle. Cette affirmation a rencontré un écho
certain dans diverses instances, et mon action se poursuit de plusieurs façons. J’ai
répété ma leçon inaugurale dans un lycée à Strasbourg, et je compte le faire dans
d’autres. J’ai donné une conférence « la révolution numérique dans les sciences » lors
de la remise des prix des Olympiades de mathématiques (12 juin). J’ai également été
chargé d’une mission sur l’enseignement de l’Informatique au lycée par l’Académie
des sciences. A ce titre, j’ai rencontré diverses associations de professeurs, et j’ai
CHAIRE D’INNOVATION TECHNOLOGIQUE — LILIANE BETTANCOURT 823

donné un séminaire à l’université d’été des professeurs de mathématiques à St Flour


en août 2008. J’ai enfin présidé le jury des prix scientifiques collectifs de l’Ecole
Polytechnique (30 juin).

1.4. Retombées médiatiques


Le cours a eu un impact médiatique important. Au niveau radiophonique, j’ai
participé aux émissions suivantes :
— Les matins de France Culture, Ali Baddou, 17 janvier, le matin de la leçon
inaugurale.
— Mediapolis, Michel Field et Olivier Duhamel, Europe no 1 , 2 mars.
— Travaux publics, Jean Lebrun, France Culture, 12 mars.
— Science publique, Michel Alberganti, France Culture, 4 avril.
— Le pudding, Nicolas Errera et Jean Croc, Radio Nova, 13 et 20 avril.
— Place de la toile, Caroline Broué et Thomas Baumgartner, France Culture,
23 mai.
J’ai aussi participé à des émissions radio plus courtes (France Bleue, RFI,) et à
deux émissions de télévision (France 3 et LCI). Le cours a été annoncé et suivi par
des articles dans nombreux journaux, revues et sites Internet.

2. Bref résumé de la leçon inaugurale


Après avoir rappelé les très nombreux effets du passage au numérique et
l’ignorance généralisée de ses causes, j’ai présenté ma vision sous la forme d’une
conjonction de quatre points :
1. L’idée de numériser de façon homogène toutes sortes de données et de
phénomènes.
2. Les fantastiques progrès de la machine à informations, faite de circuits et
logiciels.
3. Ceux de la science et de la technologie de son utilisation.
4. L’existence d’un espace d’innovation sans frein.
L’idée de numérisation systématique est née dans les années 1950, avec un
contribution fondamentale de Shannon qui a défini son sens et ses limites. La
numérisation permet de s’affranchir de l’ancestrale dépendance d’une information
vis-à-vis de son support : papier pour l’écriture, disque vinyle pour le son, film
argentique pour l’image, etc. Une fois numérisées, toutes les informations prennent
la forme unique de suites de nombres. On peut alors leur appliquer deux types
d’algorithmes combinables avec une totale liberté :
— des algorithmes génériques, indépendants du contenu, pour stocker, copier,
comprimer (faiblement), encrypter et transporter l’information sans aucune perte,
ce qui est impossible avec les représentations analogiques classiques.
824 GÉRARD BERRY

— des algorithmes spécifiques à un type de données : compression forte et


amélioration d’images et de sons, recherche dans les textes, recherche de chemins
optimaux dans des graphes, algorithmes géométriques en robotique ou en imagerie
médicale, algorithmes de calcul scientifique, la liste est interminable.
La possibilité d’appliquer effectivement ces algorithmes à bas coût repose sur les
progrès exponentiels des circuits électroniques et les avancées scientifiques dans
leur conception et dans celle des logiciels. Plutôt que le terme « ordinateur », qui
évoque trop précisément l’utilisation d’un clavier et d’un écran, j’utilise le terme
général de « machine à information » En effet, la plupart des circuits et logiciels
sont maintenant enfouis dans des objets de toutes sortes, de façon invisible à
l’utilisateur.
Insistons sur le point 4 ci-dessus, l’espace d’innovation sans frein : dans des
sciences physiques ou biologiques, il y a souvent loin de l’idée à la réalisation. Tout
progrès demande d’abord la compréhension d’un monde préexistant extrêmement
complexe. En informatique, la situation est bien différente. L’évolution des
machines à informations et de leurs applications ne se heurte pas à la complexité
de la nature, puisqu’elle en synthétise en quelque sorte une autre. La distance entre
l’idée et l’application est très courte, et la vraie limite à l’expansion des innovations
numériques est celle de l’imagination humaine. De nombreux exemples sont
fournis par la profusion d’idées nouvelles contribuant à l’expansion du Web : pour
l’innovation majeure qu’est le moteur de recherches, il a suffi de quelques mois
pour passer de l’idée à la mise en service.
Dans les sciences, le numérique conduit à une révolution généralisée, qui
poursuit celle réalisée par l’introduction des mathématiques. En effet, l’informatique
étend la notion mathématique de mise en équations en la notion bien plus générale
de mise en calculs, et amplifie les possibilités très limitées du calcul manuel par
celles quasi infinies du calcul automatique.
La leçon s’est terminée par l’expression de l’inquiétude sur les insuffisances
massives de l’enseignement, et de façon plus générale de l’information scientifique
et technique dans ce domaine crucial pour l’avenir.

3. Cours algorithmes

Les algorithmes sont les éléments centraux de l’informatique, et l’algorithmique


en est la science. Son but est de construire des algorithmes efficaces en fonction
d’un jeu de primitives de base, et d’étudier leur coût ou complexité, mesuré suivant
divers paramètres : temps de calcul, mémoire ou surface de circuit utilisée, énergie
dépensée, etc.
Le coût d’un algorithme dépend fortement de la nature machine d’exécution.
L’algorithmique classique s’est concentrée sur les machines de type von Neumann,
où une seule instruction est exécutée à chaque instant. L’algorithmique moderne
CHAIRE D’INNOVATION TECHNOLOGIQUE — LILIANE BETTANCOURT 825

s’intéresse aussi aux machines parallèles, qu’elles soient synchrones comme les
circuits digitaux, ou asynchrones comme les supercalculateurs multiprocesseurs et
maintenant les processeurs multicœurs.
Il existe des milliers d’algorithmes pour résoudre des milliers de problèmes de
natures extrêmement variées : traitement de textes (recherche, orthographe, etc.),
traitement d’images, de sons et de films (amélioration, compression, analyse,
recherche d’objets, etc.), traitement d’objets géométriques (imagerie médicale,
synthèse d’image, conception assistée par ordinateur, robotique), calcul scientifique
et mathématique, gestion de communications et de réseaux, contrôle en temps-
réels de transports ou d’usines, etc. Des applications comme l’imagerie médicale
utilisent une conjonction d’algorithmes complémentaires de types divers. Cette
variété n’exclut pas une théorie générale : la plupart des algorithmes reposent sur
un petit nombre de principes centraux illustrés dans le cours : dichotomie (diviser
pour régner), procéder récursivement ou itérativement, exploiter l’aléatoire, etc.

3.1. Tri de listes


Notre premier exemple est le tri-fusion sur machine séquentielle, qui illustre à lui
seul de nombreux principes. On coupe la liste donnée en deux parties égales (à 1
près), on trie récursivement ces deux listes avec le même algorithme, puis on fusionne
les deux listes triées en comparant itérativement leurs têtes. Le couple récursion/
dichotomie assure que le coût maximal en temps est de n log(n) pour une liste de
taille n, ce qi est théoriquement optimal. Cependant, ce coût reste le même quelque
soit la liste de départ, même si elle était déjà triée. D’autres algorithmes permettent
d’améliorer le coût en moyenne, ce qui est important en pratique.

3.2. Addition entière


Notre second exemple est l’addition de deux entiers. Les algorithmes de l’école
sont de coût linéaire dans le nombre de chiffres à cause de la propagation des
retenues. Nous montrons comment faire mieux sur un circuit, en additionnant
deux nombres p et q par dichotomie/récursion : en supposant qu’ils ont 2n chiffres
en base 2, on coupe p et q au milieu des poids forts et faibles, posant p = p’ + 2n p”
et q = q’ + 2n q”. On calcule alors en parallèle les trois sommes s’ = p’ + q’, s”0 = p” + q”
et s”1 = p” + q” + 1. Chaque somme est calculée récursivement avec un additionneur
du même modèle La somme s’ des poids faibles contient n + 1 bits. On en extrait
le nombre t’ formé des n premiers bits et le n + 1e bit de poids fort r’, qui est la
retenue intermédiaire. Le résultat final s est alors défini ainsi : s = t’ + 2n s”0 si r’ = 0,
ou s = t’ + 2n s”1 si r’ = 1. La sélection entre s”0 et s”1 se fait en temps unitaire dans
un circuit à l’aide de multiplexeurs parallèles. Grâce à la dichotomie et à la
récursion, le coût en temps de l’algorithme est logarithmique, ce qui est beaucoup
mieux que le coût usuel linéaire.
L’addition dichotomique illustre deux principes fondamentaux de l’algorithmique
des circuits, l’anticipation et l’échange temps-espace. Pour les poids forts, on anticipe le
826 GÉRARD BERRY

calcul de la retenue intermédiaire ; quand celle-ci est connue, les deux poids forts
possibles sont déjà disponibles. Le gain de temps est considérable, mais au prix d’une
perte en espace, puisqu’on utilise trois sous-additionneurs parallèles au lieu des deux
strictement nécessaires, et d’une dépense supplémentaire d’énergie, puisque l’un des
deux résultats de poids forts pré-calculés sera simplement jeté aux oubliettes.

3.3. Algorithmes géométriques

Notre troisième exemple concerne le calcul de l’enveloppe convexe d’un ensemble


de points du plan. Cet algorithme est fondamental en géométrie algorithmique,
par exemple pour calculer l’intérieur d’un objet. Il se fait en plusieurs étapes :
calcul du point le plus bas, tri des angles entre ce point et les autres points, puis
parcours itératif des points dans l’ordre ainsi établi pour déterminer les segments
de l’enveloppe convexe. L’algorithme est illustré par une animation dans la vidéo
et les transparents du cours. Son analyse est remarquable sur un point : l’étape
chère de l’algorithme est le tri des angles, en n log2(n) s’il y a n sommets. Les autres
étapes sont linéaires, ce qui n’est pas évident a priori. L’analyse d’algorithmes recèle
beaucoup de surprises, même pour des algorithmes simples !
Les diagrammes de Voronoï constituent une structure fondamentale de la géométrie
algorithmique. Etant donné un ensemble E de points du plan, le diagramme de
Voronoï associé découpe le plan en polygones contenant chacun un point p de E,
et tels que chaque point de l’intérieur d’un polygone est plus près de p que de tout
autre point p’ de E. La structure duale, formées de segments qui joignent les points
de E perpendiculairement aux arêtes des polygones, est appelée triangulation de
Delaunay. Les arêtes des polygones de Voronoï sont les médiatrices des côtés des
triangles de Delaunay, eux-mêmes caractérisés par le fait que leur cercle circonscrit
ne contient aucun autre point de l’ensemble. Les diagrammes de Voronoï ont de
très nombreuses applications. Ils ont été introduits par Descartes pour étudier la
répartition des constellations dans le ciel, utilisés par John Snow pour modéliser la
propagation des épidémies dans les années 1850, et le sont maintenant à grande
échelle pour le calcul de maillages efficaces en calcul numérique, pour la
représentation des objets 3D en synthèse d’image, etc.
Nous montré leur construction à l’aide d’un petit logiciel fourni par l’INRIA,
également idéal pour illustrer les notions d’algorithme incrémental et d’algorithme
itératif. Ajouter un nouveau point à un diagramme existant se fait de façon
incrémentale au voisinage de ce nouveau point, sans perturber le reste. L’efficacité
est excellente, ce qu’on voit en cliquant et bougeant la souris à grande vitesse. On
peut aussi minimiser l’énergie d’un diagramme, comptée comme l’intégrale des
carrés des distances de chaque point du domaine au point caractéristique du
polygone auquel il appartient. Cette énergie n’est pas minimale quand le point
caractéristique d’un polygone est distinct de son centre de gravité. L’algorithme de
Lloyd fournit une méthode itérative de minimisation par déplacement des points
initiaux vers le centre de gravité. Il est très beau à voir fonctionner sur la
CHAIRE D’INNOVATION TECHNOLOGIQUE — LILIANE BETTANCOURT 827

démonstration. Il se rencontre effectivement dans la nature, par exemple pour


expliquer le déplacement des soles cachées sous le sable pour guetter leur proie
lorsqu’il faut laisser de la place à une nouvelle arrivante.

3.4. Le problème SAT et les algorithmes NP-complets


Le cours a ensuite présenté le problème SAT de satisfaction Booléenne, dont
l’objet est de savoir si une formule Booléenne (écrite avec des variables et les
opérations vrai, faux, et, ou et non) peut être rendue vraie par un jeu de valeurs
des variables. Ce problème élémentaire est en fait très difficile et mal compris. Il
est central pour la vérification formelle des circuits et programmes, et il fait l’objet
d’une véritable compétition industrielle. Il de plus caractéristique de la classe des
problèmes NP-complets, qui en comprend des centaines d’autres (emploi du temps,
horaires de train, etc.). Pour ces problèmes, on ne connaît que des algorithmes
exponentiels dans le cas le pire. Savoir s’il existe des algorithmes toujours
polynomiaux pour SAT et les problèmes NP-complets est considéré comme un des
problèmes les plus difficiles des mathématiques actuelles.

3.5. Machines chimiques et nombres premiers


Les algorithmes parallèles peuvent être très différents des algorithmes séquentiels.
Nous avons présenté une variante parallèle du crible d’Eratosthène pour le calcul
des nombres premiers. Intuitivement, on met tous les nombres sauf 1 dans un
grand chaudron, et on les laisse être agités par le mouvement brownien. Un nombre
p peut manger ses multiples quand il les rencontre, et tous les combats peuvent se
faire en parallèle. Les nombres premiers sont les seuls à survivre. Ce modèle ultra-
simple s’étend en une machine chimique générale, introduite par J.P. Banâtre et Le
Métayer puis perfectionnée par G. Boudol et l’auteur. Les machines chimiques
sont utilisées pour modéliser les réseaux de types Internet, la migration des calculs
dans les réseaux, et certains phénomènes biologiques (cf. section 11).

3.6. Séminaire : algorithmes probabilistes sur de grandes masses de données


Le séminaire donné par Philippe Flajolet, directeur de recherches à l’INRIA, a été
consacré aux algorithmes probabilistes sur de grandes masses de données. Il a illustré
un autre grand principe algorithmique, l’exploitation positive de l’aléa, reposant ici
sur l’utilisation de fonctions de hachage pseudo-aléatoires. Une telle fonction va associer
une information de taille fixe (par exemple 32 ou 64 bits) à n’importe quelle
information d’entrée (mot, texte, image, son, etc.). Etant pseudo-aléatoire, elle va
répartir équitablement les informations d’entrée dans les valeurs hachées, en cassant
leurs régularités potentielles. P. Flajolet a montré l’efficacité de ces algorithmes dans
un grand nombre de problèmes apparemment dissociés : le comptage approché de
mots dans un livre avec très peu de mémoire et sans dictionnaire, le classement d’un
grand nombre de documents selon leur similarité, la détection d’intrusions et de
virus dans un réseau, etc. Bien que ces algorithmes soient très simples, leur analyse
fait appel à des mathématiques particulièrement sophistiquées.
828 GÉRARD BERRY

4. Cours circuits
Les circuits électroniques sont le moteur du monde numérique. Depuis les années
1970, ils se sont développés suivant la loi de Moore 1 : le nombre de transistors sur
une puce double tous les 18 mois. Cette loi exponentielle est due aux progrès de la
physique des transistors et à l’amélioration continuelle des techniques de fabrication.
Elle a des conséquences étonnantes : un microprocesseur comportait quelques
milliers de transistors en 1975, quelque centaines de milliers en 1985, une dizaines
de millions en 1995, et un milliard en 2005, tout cela à prix décroissant. Elle se
poursuit pour l’instant, et sera probablement freinée plus par des considérations
énergétiques et économiques que par des problèmes physiques de miniaturisation.
Mettre autant de transistors sur une puce permet de fabriquer des circuits
hétérogènes appelés systèmes sur puce (System on Chip ou SoCs en anglais), qui
intègrent des processeurs de calcul, des accélérateurs (graphique, cryptage, etc.),
des mémoires, des processeurs d’entrées/sorties, des émetteurs récepteurs radio,
tous reliés par des réseaux hiérarchiques. Il s’en fait des milliards par an, et le
volume ne cesse d’augmenter. Ils se trouvent dans les objets de tous genres :
téléphones, voitures, trains, avions, vélos, maisons, prothèses médicales, jouets, etc.
On prévoit qu’il y aura de l’ordre de mille circuits par humain d’ici une quinzaine
d’années, la plupart reliés en réseau.

4.1. Les principes des circuits digitaux synchrones


Les circuits digitaux synchrones fonctionnent sur le mode binaire 0/1 en étant
cadencés par une horloge. Ce sont les plus importants et les seuls étudiés ici. Ils
sont complétés par les circuits analogiques, utilisés pour la radio et la communication
avec le monde physique, et par quelques circuits asynchrones sans horloges.
Un circuit digital synchrone se comporte électriquement comme un réseau
acyclique de portes logiques reliées par des fils qui peuvent être portés à deux
potentiels stables 0 et 1 Volt. Les portes calculent les fonctions Booléennes et, ou,
non, briques de base avec lesquelles on peut coder tout autre calcul. Le circuit
comporte aussi des mémoires, commandées toutes en même temps par l’horloge.
Le principe est simple et quasiment inchangé depuis les premiers ordinateurs:
pendant un cycle d’horloge, l’environnement maintient les entrées à 0 ou 1, et les
mémoires maintiennent leurs sorties vers les portes à 0 ou 1. Les signaux se
propagent dans le réseau de portes jusqu’à devenir stables aux sorties du circuit et
aux entrées des mémoires. Au front montant suivant de l’horloge, l’environnement
échantillonne les sorties, et les mémoires basculent : leurs entrées au front
deviennent leurs nouvelles sorties pour tout le cycle suivant. La fréquence maximale
de l’horloge est déterminée par la nécessité d’avoir stabilisé tous les fils au front
montant.

1. Du nom de Gordon Moore, co-fondateur d’Intel.


CHAIRE D’INNOVATION TECHNOLOGIQUE — LILIANE BETTANCOURT 829

Les portes sont organisées en blocs architecturaux. Par exemple, un microprocesseur


comporte des décodeurs d’instructions, des unités de calcul arithmétique et logique,
des unités de gestion mémoire et des entrées/sorties. Il lit un programme en langage
machine et des données, et exécute les calculs spécifiés. L’accélération par pipeline
est un concept architectural fondamental identique à celui développé par Henry
Ford pour ses usines de voitures : chaque opération est découpée en phases qui se
suivent dans le temps, et toutes les phases d’instructions consécutives s’exécutent
en parallèle. L’accélération par spéculation repose sur des calculs réalisés en avance
de phase mais potentiellement inutiles, comme expliqué pour l’addition à la
section 3.2. Les mémoires caches permettent de pallier la lenteur des mémoires
externes (RAM) en utilisant des tampons locaux. Des exemples animés sont montré
dans la vidéo et les transparents. Beaucoup de détails fins doivent être réglés pour
un fonctionnement efficace et sûr des pipelines, spéculations et caches. L’architecture
des processeurs modernes est vraiment aux limites des capacités humaines, et celle
des systèmes sur puce de tous ordres la rejoint en termes de difficultés.

4.2. Electronic Design Automation : la synthèse de circuits


La conception de circuits aussi gigantesques ne se fait évidemment plus à la
main, Les étapes ont été successivement automatisées, donnant naissance à une
industrie spécifique, l’EDA (Electronic Design Automation). Les outils EDA
permettent une synthèse continue et automatique, allant des niveaux abstraits du
design fonctionnel vers le dessin concret des masques lithographiques qui servent
à fabriquer les circuits. On part de langages de haut niveau pour générer des portes
logiques, qu’on va dimensionner, placer et router sur le rectangle de silicium,
déterminant alors à quelle vitesse peut tourner l’horloge. Il faut en fait une dizaine
d’étapes logicielles, dont le bon fonctionnement est aussi vérifié par logiciel.
L’outillage est très cher et très gourmand, et sa complexité ne fait qu’augmenter.
Comme le circuit est fabriqué en une fois, le moindre bug de conception peut
le rendre entièrement inopérant. Il faut donc être sûr de son bon fonctionnement
avant la mise en fabrication. La vérification fonctionnelle se fait soit par simulation,
soit avec les méthodes formelles étudiées en 7.2. Elle revient couramment à 70 %
du coût total, et est de moins en moins exhaustive. C’est donc un goulot
d’étranglement fondamental.

4.3. Séminaire : la fabrication des circuits


La fabrication des circuits a été présentée dans le séminaire donné par Laurent
Thénié, de Cadence Systems Design. Il a détaillé le principe lithographique de la
fabrication, les longues et nombreuses étapes nécessaires, et les usines et leurs
machines. Une génération de circuits est caractérisée par la taille du transistor,
actuellement 65 ou 50 nanomètres. Des complications considérables sont induites
par le caractère non-linéaire des gravures modernes, qui reposent sur des images
bien plus fines que la longueur d’onde de leurs sources lumineuses. Enfin, il faut
830 GÉRARD BERRY

tester un à un tous les circuits fabriqués, car un seul problème de fabrication (par
exemple, une seule poussière) suffit à rendre un circuit inopérant. Les tests sont
faits à partir de longues séquences fournies par les outils EDA.
La fabrication est de fait très dissociée de la conception : les outils EDA définissent
exactement ce qui doit être fabriqué et testé, et le fabriquant n’est pas du tout
concerné par ce que fait le circuit.Un problème majeur est que le prix de l’usine
augmente considérablement avec chaque génération, et atteindra bientôt des
dizaines de milliards d’euros. Bien que l’objet qu’elle fabrique soit l’un des plus
légers, l’industrie est une des plus lourdes !

4.4. Le futur des circuits


De nombreuses difficultés de tous ordres risquent de ralentir l’évolution
exponentielle : sur le plan technique, citons la difficulté de monter encore en fréquence,
les limites posées aux circuits par la chaleur dissipée, et les problèmes posés par la
gestion d’horloges multiples ; sur le plan humain, citons la complexité de la conception,
qui peut demander des milliers de personnes, le coût extrême des investissements, et la
nécessité de rentabiliser une fabrication par de très grands volumes.
De nouvelles solutions apparaissent pour contourner ces problèmes. Le FPGA
(Field Programmable Gate Array) a été introduit dans les années 1980. C’est un
méta-circuit transformable à volonté en circuit précis par téléchargement d’une
configuration binaire. Un même circuit physique peut être ainsi rapidement
configuré en un très grand nombre de circuits logiques par l’utilisateur, au prix d’un
coût plus élevé et d’une densité moindre. D’autres propositions étudient des circuits
à grand nombre de processeurs simples programmables par logiciel. Mais bien les
programmer reste un grand défi intellectuel. Enfin, il ne sera bientôt plus possible de
fabriquer des circuits zéro défaut. On s’oriente vers des formes de redondance
permettant de ne pas utiliser des parties de circuits non fonctionnelles.
Pour gagner des ordres de grandeurs en taille et complexité de circuits, l’industrie
de l’EDA évolue vers l’Electronic System Design ou ESL. Il s’agit de grimper encore
des niveaux d’abstraction, par exemple pour synthétiser complètement un circuit
à partir de spécifications de type logiciel et prouver mathématiquement son bon
fonctionnement 2.

5. Cours langages de programmation


Les langages de programmation sont l’instrument indispensable pour l’écriture
des programmes. Leur genèse précède celle des ordinateurs : les logiciens comme
Frege, Russel, Turing et Church se sont intéressé au problème de la définition
précise du langage mathématique, qui est de même nature. Les premiers langages
ont été les langages machines des ordinateurs, bientôt rendu symboliques sous le

2. Ce qui est le sujet principal du travail de l’auteur.


CHAIRE D’INNOVATION TECHNOLOGIQUE — LILIANE BETTANCOURT 831

nom d’assembleurs. Un tournant a été apporté dans les années 1950 par FORTRAN
(Formula Translator), qui a augmenté le niveau d’abstraction en utilisant directement
les expressions mathématiques comme (A + B) ∗C pour programmer, avec comme
primitives l’affectation de type X = (A + B) ∗C, la mise en séquence d’instructions,
les boucles DO, et l’appel de fonctions définies elles-mêmes par des programmes.
Il faut alors un programme appelé compilateur pour traduire ces programmes de
plus haut niveau en langage machine. Ce schéma est toujours valable.

5.1. Le monde Darwinien des langages


FORTRAN sera suivi dans les années 1960-70 par des langages plus riches et
développés plus scientifiquement, comme ALGOL et PASCAL, et par le langage
C né avec Unix. En parallèle, des langages très différents verront le jour comme
LISP, dédié au calcul pour l’intelligence artificielle. Ce langage fonctionnel (sans
affectation) et d’exécution interactive sera suivi par SMALLTALK, SCHEME, puis
ML, qui a donné naissance au populaire et rigoureux langage Caml développé à
l’INRIA, et au puissant langage fonctionnel Haskell. L’augmentation permanente
de la taille des programmes a conduit à l’ajout de systèmes de modules ou de
classes objet permettant de définir et de maintenir de vraies architectures logicielles
(Modula, ADA, C++, Java, Caml, etc.).
Tous les langages précités permettent de programmer n’importe quel algorithme
sur une machine monoprocesseur. Avec les réseaux et la commande de processus
temps-réel est apparu la nécessité d’écrire des programmes parallèles s’exécutant sur
une ou plusieurs machines, d’où la naissance de langages asynchrones comme CSP
puis ADA, de langages synchrones comme Esterel et Lustre (cf. 6.3), et l’ajout de
techniques de programmation parallèles dans les langages classiques (en général au
moyen de threads, ou flots d’exécutions coordonnés). D’autres langages sont plus
spécifiques. Basic, petit langage interactif des années 60, est devenu Visual Basic,
présent dans toutes les applications bureautiques de Microsoft. APL est dédié à
l’écriture très compacte d’algorithmes matriciels. FORTH, originellement destiné
aux programmes temps-réel, a introduit les codes compacts embarqués (byte-code),
repris par Java et Caml. Prolog a introduit la programmation par règles logiques
et fait naître la famille des langages à contraintes. Les langages de scripts, inaugurés
par le shell d’Unix, sont devenus très populaires pour les manipulations systèmes
et le Web (tcl, perl, python, php, etc.).
Si l’on ajoute la présence de plusieurs dialectes pour chaque langage (des centaines
pour LISP), on voit que le paysage linguistique est extrêmement complexe.
L’évolution est Darwinienne : la survie d’un langage dépend de la création au bon
moment d’un groupe grandissant d’utilisateurs écrivant de nouvelles applications :
C est né d’Unix, Java a crû avec le Web, etc. Les guerres de religion ont abondé :
les gens du fonctionnel ne supportaient pas l’impératif et réciproquement, les
amateurs de langages interactifs ne supportaient pas de devoir attendre la fin d’une
compilation, etc. Tout ceci s’est bien calmé, car concevoir un nouveau langage et
832 GÉRARD BERRY

l’ensemble de son outillage (compilateur, débogueur, etc.) demande un


investissement de plus en plus considérable.

5.2. Pourquoi tant de langages ?


Le nombre des langages est une conséquence normale de l’existence de nombreux
styles pour exprimer un algorithme ou une classe d’algorithmes. Chaque style
exprime un niveau d’abstraction particulier : le style fonctionnel décrit le résultat à
obtenir plus que la façon de le calculer, le style impératif fait exactement l’inverse, le
style logique définit les algorithmes par des combinaisons de règles individuellement
simples, le style objet encapsule les données dans des classes fournissant des méthodes
de traitement locales, le style parallèle abandonne l’idée de suivre un programme
avec un doigt, le style graphique propose une programmation plus visuelle que
textuelle ; la gestion de la mémoire est soit explicite soit implicite, les pointeurs sont
autorisés ou non, etc. Par ailleurs, il existe plusieurs styles syntaxiques capables à eux
seuls de faire se battre les gens : C est piquant et impératif, LISP est rond et récursif,
CAML est mathématique et récursif, etc. Comme en art, chaque style a son intérêt
et combiner deux styles n’est jamais simple.

5.3. Syntaxe, types et sémantiques


Tout langage a trois composantes fondamentales : une syntaxe, qui définit les
programmes bien écrits, un système de types, qui assure avant d’exécuter les
programmes qu’on n’additionnera pas des choux et des carottes, et une sémantique,
qui définit le sens des programmes.
L’analyse syntaxique est un problème magnifiquement réglé depuis longtemps. Le
typage évolue encore. Il est fondamental pour détecter les erreurs avant l’exécution et
donc avant qu’elles n’aient des conséquences. FORTRAN n’avait que des nombres
entiers et flottants. LISP n’avait pas de types du tout. Pascal, C, Ada, C++, etc. ont
incorporé des systèmes de types de plus en plus riches, permettant de définir des
structures de données complexes tout en détectant beaucoup d’erreurs. ML a fait un
pas important en introduisant un système de types qui garantit mathématiquement
l’absence d’erreur à l’exécution, avec inférence de types pour éviter d’écrire les types à
la main, et généricité pour écrire par exemple des files d’attente bien typées
fonctionnant sur types paramétriques. La théorie des types est bien établie
mathématiquement mais peut encore progresser pratiquement.
La sémantique des programmes définit ce qu’ils doivent faire. Elle est souvent
traitée un peu par dessus la jambe : exécutez donc votre programme pour voir ce
qu’il fait ! Pourtant, avoir une sémantique claire est indispensable pour avoir des
programmes portables d’une machine à une autre, être sûr de ce qu’ils font, et les
prouver formellement. La communauté théorique sait maintenant définir
complètement la sémantique d’un langage, pourvu qu’il soit conçu pour. Par
exemple, des langages comme Caml, Lustre et Esterel sont définis de façon
mathématique et ne peuvent donner lieu à des erreurs d’interprétation.
CHAIRE D’INNOVATION TECHNOLOGIQUE — LILIANE BETTANCOURT 833

5.4. Séminaire : du langage à l’action


Xavier Leroy, Directeur de Recherches à l’INRIA a présenté la compilation de
programmes de haut niveau en code machine. Il en a détaillé les différentes étapes :
analyse syntaxique, analyse des types, allocation des données, en mémoire,
mécanismes d’exécution par piles, allocation de registres, optimisation, et génération
de code. Il a montré qu’optimiser un programme demandait souvent de spéculer
pour compenser la lenteur des mémoires, en dépliant les boucles et en
réordonnançant le code expansé obtenu pour pré-charger les données avant d’en
avoir réellement besoin. Il a enfin montré la possibilité d’écrire des compilateurs
mathématiquement prouvés correct, exploit que son groupe a été le premier à
réaliser et qui pourra avoir des impacts pratiques considérables à l’avenir.

6. Cours systèmes embarqués


Un système embarqué est un système informatique logiciel et matériel enfoui dans
un objet afin de contrôler son activité et sa sécurité, d’offrir des services à ses utilisateurs
et de communiquer avec d’autres objets. Les systèmes embarqués sont extrêmement
nombreux et variés : téléphones portable, avions, trains, voitures, et même vélos,
appareils photos et lecteurs MP3, objets domotique, stimulateurs cardiaques et
prothèses intelligentes, etc. Le domaine est en croissance très rapide et va aller en
s’unifiant avec celui des réseaux, car les objets seront de plus en plus reliés entre eux,
soit par des communications spécifiques, soit tout simplement par Internet.
Bien que leurs principes fondamentaux soient les mêmes que ceux des ordinateurs
à clavier et écrans, la façon de concevoir et de mettre au point les systèmes
embarqués est très différente. Ils sont le plus souvent soumis à des contraintes
d’autonomie, de fiabilité et de sécurité bien supérieures, surtout s’ils sont destinés
à fonctionner en environnement hostile : il est clair que le taux de bugs acceptable
pour le pilotage d’un avion soit être absolument minimal.

6.1. Parallélisme et déterminisme

Les systèmes embarqués doivent le plus souvent concilier deux caractéristiques


fondamentales : le parallélisme et le déterminisme. Le parallélisme résulte de la
présence de nombreux composants devant agir de façon simultanée et coordonnée.
Ainsi, dans un système de pilotage, il faut simultanément gérer les capteurs, calculer
la trajectoire, corriger la commande en fonction de cette trajectoire, solliciter les
actionneurs, etc. Le déterminisme est une contrainte sur le comportement du
système, qui exprime que toute exécution à partir de la même séquence d’entrées
doit produire le même comportement. Il est clair que la réaction d’une voiture à un
coup de frein ou à un mouvement du volant doit être toujours la même dans les
mêmes conditions de route. Bien gérer le parallélisme déterministe est fondamental.
Le parallélisme est partagé par bien d’autres applications non embarquées, par
exemple par les applications Internet. La situation est différente pour le
834 GÉRARD BERRY

déterminisme. S’il est naturel pour les systèmes embarqués, il ne l’est pas pour
d’autres applications parallèles. Par exemple, on ne peut évidemment pas demander
à un moteur de recherche de répondre toujours de la même façon à une question
donnée, puisqu’il doit au contraire se mettre à jour en continu.

6.2. Méthodes classiques de programmation

Les méthodes classiques pour la programmation des systèmes embarqués sont


fondées sur une extension directe des méthodes de programmation séquentielle au
cas parallèle. Le parallélisme peut être introduit de deux manières :

1. Au moyen d’un système de tâches séquentielles gérées par un ordonnanceur.


Celui-ci peut être dynamique, conduisant à du non-déterminisme, ou pré-calculé
et statique, alors déterministe. Mais le raisonnement sur un système de tâche et sa
vérification sont difficiles.

2. Par introduction directe dans un langage séquentiel : tasks en ADA, threads


en Java, etc. Dans ce cas, les exécutions des différentes actions parallèles se font de
façon asynchrone et non-déterministe, ce qui est contraire à la contrainte de
déterminisme. Dans certains cas (Spark ADA), des restrictions permettent d’assurer
le déterminisme.

6.3. Les méthodes synchrones

Les méthodes synchrones sont fondées sur un principe complètement différent,


né au début des années 1980 dans trois laboratoires français. Elles supposent que
les différents composants du système sont cadencés par la même horloge logique
et savent communiquer en temps zéro. Cette simplification théorique est analogue
à celle de la vision logique des circuits électriques synchrones. Elle permet le
développement de langages et formalismes graphiques parallèles particulièrement
simples et élégants, ayant des sémantiques mathématiques parfaitement définies.
Le développement des théories mathématiques associées dans les 25 dernières
années a montré comment compiler efficacement les programmes synchrones de
façon efficace, soit en programmes C ou ADA séquentiels, soit en circuits
électroniques, et comment les vérifier formellement.

Les langages Lustre (CNRS Grenoble) et Esterel (Ecole des Mines et INRIA
Sophia-Antipolis) sont développés et commercialisés par la société de l’auteur, avec
leurs ateliers logiciels complets : éditeurs, simulateurs, générateurs de code,
vérifieurs, etc. Ils sont utilisés par de nombreuses sociétés industrielles dans les
domaines avioniques, ferroviaires, nucléaire, industrie lourde et électronique grand
public. A titre d’exemple, plusieurs millions de lignes de code générées par SCADE
assurent des fonctions essentielles dans l’Airbus A380 : pilotage, commande des
réacteurs, freinage, etc.
CHAIRE D’INNOVATION TECHNOLOGIQUE — LILIANE BETTANCOURT 835

6.4. Séminaire : La certification, ou comment faire confiance au logiciel pour


l’avionique critique
Gérard Ladier, responsable des méthodes et de la qualité logicielle chez Airbus
Industries, a présenté les méthodes de certification du logiciel critique en avionique.
La norme imposée est la DO-178B, qui définit les processus de vérification à
appliquer à ces logiciels. Cette norme reconnaît clairement la spécificité du logiciel
par rapport aux autres composants de l’avion, et donc le besoin d’un traitement
spécifique. La vérification se fait par une conjonction d’activités concernant le
processus de développement :
— revues des codes et documentations ;
— tests intensifs, autonomes ou sur le simulateur avion ;
— caractérisation de la couverture des exigences fonctionnelles (haut niveau) et
du code (bas niveau) apportée par les tests ;
— traçabilité complète entre toutes les étapes, des exigences fonctionnelles au
code et aux tests.
Elle fait intervenir des autorités extérieures, qui vérifient la validité et la
complétude des vérifications faites par le constructeur.
G. Ladier a montré comment le processus de certification logicielle est mis en
place chez Airbus, et comment il a permis d’obtenir des résultats exceptionnels :
zéro bug détecté en vol sur l’A320 en plus de 50 millions d’heures de vol. Une
nouvelle norme DO-178C est définie par un groupe de travail international de
120 personnes fonctionnant sur le principe du consensus total. Elle mettra
davantage l’accent sur un approche orientée produit, avec la qualification d’outils
de haut niveau, conception fondé sur des modèles abstraits, méthodes orientées
objet, génération automatique de code et vérification formelle.

7. Cours « la chasse aux bugs », ou la vérification des programmes


L’ensemble des cours a insisté sur la notion centrale de bug en informatique.
L’ignorer ou la sous-estimer, c’est s’exposer à de graves conséquences. La vérification
des circuits et logiciels a pour but d’assurer la conformité aux spécifications, et
donc l’absence de bugs. Elle effectue de deux manières complémentaires, par test
ou par calcul formel. Les tests reposent sur une exécution directe du circuit ou du
programme dans son environnement réel ou simulé, avec observation de son
comportement. Les stimuli sont produits manuellement ou de façon aléatoire
guidée, et l’on observe les résultats, la couverture du code et celle des spécifications
pour mesurer ce qui a été vérifié. Comme le nombre de cas d’exécution est a priori
non borné, le test ne peut jamais être exhaustif.
A l’opposé, la vérification formelle s’effectue sans exécuter le programme, mais
en calculant dessus manuellement ou automatiquement à l’aide de différentes
logiques associées au langage de programmation. Elle permet des garanties à
100 %, mais se heurte à des problèmes de complexité algorithmique dès que les
questions sont trop dures ou les objets trop gros.
836 GÉRARD BERRY

7.1. Qu’est-ce qu’une spécification ?


La notion même de vérification pose immédiatement une difficulté essentielle :
que veut réellement dire spécifier une application ? Dans les bons cas, les choses sont
simples : spécifier qu’une liste de nombres est triée est trivial : il s’agit de fournir une
liste triée comportant les mêmes éléments avec la même multiplicité. La correction
totale du programme sera alors assurée. Mais les choses sont beaucoup plus complexes
pour le pilotage d’un avion ou le bon fonctionnement d’un microprocesseur ou d’un
système d’exploitation. On s’intéresse alors à des spécifications partielles, exigeant le
respect de propriétés individuellement simples. Citons quelques exemples : l’ascenseur
ne voyagera jamais la porte ouverte et finira par passer par tous les étages ; le train
d’atterrissage ne pourra jamais être rétracté quand l’avion est au sol ; le système
d’exploitation ne pourra jamais se geler et devenir perpétuellement inactif. Une
conjonction de telles propriétés peut quelquefois devenir une spécification complète.

7.2. La vérification des systèmes d’états finis


Le cas le plus favorable pour la vérification est celui des systèmes d’états finis, qui
ne peuvent prendre qu’un nombre fini d’états distincts. Ils sont très nombreux
dans les applications industrielles : circuits à mémoire limitée, interfaces homme-
machine, systèmes de contrôle/commande embarqués, etc. Leur vérification
formelle a fait récemment des progrès considérables, grâce aux avancées majeures
sur le problème SAT discutées en 3.4, ainsi qu’à l’introduction des techniques de
vérification par model checking pour raisonner sur l’évolution des systèmes dans le
temps 3. Une propriété comme « l’ascenseur ne voyagera jamais la porte ouverte »
se montre maintenant sans difficulté à l’aide de systèmes de vérification standard,
ce qui a été démontré dans le cours avec l’outil Esterel Studio. Ce type de
vérification devient clef pour les systèmes embarqués critiques.
En conception assistée des circuits, pratiquement toutes les transformations
élémentaires intervenant dans les étapes de synthèse mentionnées en 4.2 sont
vérifiées formellement. Des propriétés de sous-systèmes critiques comme les caches
et les pipelines sont aussi vérifiées formellement autant que possible mais restent
très difficile. Pour toutes les applications industrielles, le grand problème ouvert
reste la prédictibilité du coût de la vérification, industriellement nécessaire pour
allouer les budgets correspondants.

7.3. L’indécidabilité de la vérification des systèmes généraux


Les programmes généraux peuvent être d’états infinis, et donc hors de portée des
techniques précédentes. Prenons une propriété élémentaire comme « le programme p
s’arrête-t-il quand on lui donne une donnée d ? ». Turing a montré que cette

3. Joseph Sifakis, du CNRS Grenoble, a obtenu le prix Turing 2007 pour la co-invention du
model-checking.
CHAIRE D’INNOVATION TECHNOLOGIQUE — LILIANE BETTANCOURT 837

propriété est indécidable en général, c’est-à-dire non vérifiable par un algorithme


prenant p et d comme données et s’exécutant toujours en temps fini.
Montrons ce résultat historique. On utilise d’abord le principe de numérisation
de Gödel, voyant tout programme et toute donnée comme des nombres entiers p
et d, et toute machine ϕ comme une fonction partielle sur les entiers définie si et
seulement si p s’arrête sur d. Ecrivons ϕp(d) pour l’application de p à d. On
généralise le vieux paradoxe du menteur 4 de la façon suivante : supposons qu’il
existe un programme a tel que le calcul ϕa (2p3q) s’arrête toujours et réponde 0 si
ϕp(d) s’arrête et 1 si ϕp(d) ne s’arrête pas ; le programme a fournirait alors un test
total d’arrêt de p sur d. Construisons un autre programme m ainsi :
ϕm(d) = 0 si ϕa (2d3d) = 1
= ϕm(d) si ϕa (2d3d) = 0
Par construction, ϕm(d) boucle si et seulement si et seulement si ϕd(d) ne boucle
pas. Poser d = m fournit immédiatement une contradiction, démontrant par
l’absurde que a ne peut exister.
Beaucoup d’autres propriétés élémentaires peuvent être montrées indécidables
par réduction au problème de l’arrêt, par exemple l’équivalence de deux programmes
p et q pour toutes données.

7.4. Systèmes d’aide à la preuve interactive


Bien qu’elle pose une frontière fondamentale à la vérification, l’indécidabilité est
contournable dans beaucoup de cas, car beaucoup de propriétés peuvent se prouver
par récurrence. Par exemple, la preuve d’arrêt de l’algorithme de tri présenté en 3.1
est simple, puisque chaque appel récursif réduit la longueur des listes arguments.
En pratique, les preuves de terminaison ou de correction d’algorithmes généraux
peuvent être très techniques. Elles ont donc été mécanisées très tôt dans des
systèmes d’assistance à la démonstration. Partant de systèmes assez rudimentaires
comme Boyer-Moore (U. Texas) et LCF (Stanford), on est allé vers des systèmes
beaucoup plus sophistiqués comme ACL-2 (MIT), HOL (Cambridge), Isabelle
(Cambridge), PVS (Stanford Research Institute) ou Coq (INRIA).
Des succès importants ont été obtenus récemment : la vérification des
arithmétiques flottantes des microprocesseurs d’Intel et AMD, la vérification d’un
compilateur C en Coq par Xavier Leroy mentionnée en 5.4, la vérification de
protocoles de sécurité pour cartes à puce, et l’authentique exploit qu’est la
vérification formelle du théorème des 4 couleurs par Georges Gonthier 5. A l’avenir,

4. L’homme qui affirme « je mens » ne peut ni mentir ni dire la vérité.


5. Il est intéressant de noter que la partie la plus dure de cette preuve était celle d’un lemme
considéré comme « folk result » par les mathématiciens qui avaient publiée la première preuve
agréé par la communauté.
838 GÉRARD BERRY

il est hautement souhaitable de pouvoir disposer de bibliothèques d’algorithmes


vérifiés formellement par ces méthodes.

7.5. Lien avec les langages de programmation


L’objectif de la vérification formelle est de prouver la correction des programmes
que l’on écrit effectivement. Or, on ne peut rien prouver sur un programme si on
ne sait pas dire exactement ce qu’il fait. Il faut donc que le langage dans lequel il
est écrit ait une sémantique formelle au sens présenté en 5.3. Diverses méthodes de
définitions sémantiques sont adaptées à la vérification formelle. Citons la logique
de Floyd-Hoare à base de pré- et post conditions (prédicats valides avant et après
l’exécution d’une instruction), celle de Scott fondées sur la théorie des treillis, et
la sémantique opérationnelle structurelle de Plotkin fondée sur la définition d’une
logique directement associée aux instructions du langage. Conçues théoriquement
dans les années 1970-1980, ces logiques voient leurs applications fleurir dans les
systèmes d’aide à la vérification.

7.6. Séminaire : l’interprétation abstraite


Patrick Cousot, professeur à l’Ecole Normale Supérieure, a présenté l’interprétation
abstraite, qu’il développe avec son équipe depuis trente ans. L’idée est de faire
calculer symboliquement le programme selon les mêmes lois d’exécution mais sur
des données plus abstraites, comme des intervalles ou des polygones au lieu de
nombres individuels. On peut alors approximer supérieurement l’ensemble des
calculs possibles en temps fini, et détecter l’impossibilité de certaines erreurs
critiques : accès à un tableau hors de ses bornes, division par zéro, débordement
arithmétique (erreur qui a conduit à l’explosion d’Ariane 501).
L’interprétation abstraite repose sur un cadre général mathématiquement
sophistiqué et sur le développement d’une collection de domaines abstraits
(intervalles, octogones, ellipsoïdes, etc.). Son implémentation demande une
ingénierie subtile pour bien combiner les propriétés des différents domaines. Elle
a été industrialisée par plusieurs sociétés (Polyspace, AbsInt, etc.). L’équipe de P.
Cousot a développé le logiciel Astrée, utilisé par Airbus pour vérifier l’absence
d’exception arithmétique dans le code de pilotage de l’A380, ce qui constitue un
des plus grands succès actuels de la vérification formelle.

7.7. Séminaire : preuve et calcul, des rapports intimes


Gilles Dowek, professeur à l’Ecole Polytechnique, est l’auteur du livre « Les
métamorphoses du calcul », Grand Prix de philosophie de l’Académie Française en
2007. Il a discuté les relations entre calcul et preuve, évidemment centrales pour la
vérification des programmes. Il a montré que les algorithmes ont historiquement
précédé les démonstrations, comme le prouvent de nombreuses tablettes d’argile de
diverses origines, et que ces algorithmes étaient probablement prouvés corrects de
façon non écrite. La notion de démonstration formelle a été introduite plus tard par
CHAIRE D’INNOVATION TECHNOLOGIQUE — LILIANE BETTANCOURT 839

les Grecs, probablement à partir d’algorithmes déjà existants ou inventés pour


résoudre des problèmes précis, avant d’être développée pour son intérêt propre et de
fonder les mathématiques. Des théorèmes bien connus comme Thalès et Pythagore
correspondent effectivement à des problèmes algorithmiques. L’analyse de la preuve
d’Euclide pour l’algorithme du calcul du pgcd par soustraction montre sa relation
très étroite avec les méthodes modernes de preuves de programmes, qui s’intéressent
bien sûr à des objets beaucoup plus gros, avec des démonstrations corrélativement
beaucoup plus grosses qu’il est nécessaire de vérifier elles-mêmes par ordinateur.

8. Cours réseaux
Les réseaux connectent les machines à informations entre elles. Ils ont été introduits
dans deux mondes différents : celui des télécommunications, passé au numérique
dans les années 1960/70, et celui des ordinateurs. Les réseaux de télécommunication
avaient alors pour seul objectif la transmission de la voix, avec multiplexage des
communications sur les fils. Leur développement a permis des progrès techniques
essentiels en matière de transmission d’informations, dont la transmission par
paquets de bits, maintenant généralisée. Les réseaux d’ordinateurs avaient un objectif
initial bien différent : la transmission de fichiers entre machines distantes. Un
tournant a été l’introduction publique d’Internet au milieu des années 1990, après
son expérimentation chez les militaires et les chercheurs. Ce réseau des réseaux a très
vite gagné en capacité, et des applications de transfert de voix y sont apparues dans
les années 2000. Elles balayent maintenant les télécommunications fixes. Dans le
même temps, l’industrie des télécommunications a évolué vers les services mobiles
(GSM, etc.), et fourni des entrées rapides sur Internet ADSL et le câble. Cette histoire
complexe repose sur des bases scientifiques et techniques que nous décrivons ici.

8.1. La transmission point à point


La brique de base est la transmission de l’information numérique d’un point à
une autre par une liaison avec ou sans fil. Elle peut se faire un bit à la fois ou
plusieurs bits en parallèle, avec ou sans transmission d’horloges, par échantillonnage
de niveaux ou détection de fronts, etc. La tendance moderne est la transmission
sérielle bit par bit, les bits étant codés par des fronts suffisamment nombreux pour
reconstituer l’horloge de transmission sans la transmettre explicitement. Par
exemple, le code de Manchester différentiel associe au moins un front par bit, avec
toujours un front en milieu de cycle plus un front en début de cycle pour 0. La
multiplicité des fronts fournit une quasi-horloge qui permet un décodage aisé. On
peut aussi multiplexer les communications sur un seul fil en travaillant en parallèle
sur de nombreuses bandes de fréquences. L’ADSL en utilise 255.

8.2. Rattrapage d’erreurs : les turbocodes


La transmission point à point n’est jamais parfaite et peut altérer les bits. La théorie
de l’information de Shannon définit la quantité maximale d’information qu’on peut
840 GÉRARD BERRY

transmettre sur une ligne ayant un rapport signal sur bruit donné. La théorie des
codes correcteurs fournit le moyen de corriger les erreurs. Son principe est d’ajouter
au message des bits redondants, qui permettent de reconstituer le message initial
même altéré par la transmission. La question est de savoir combien de bits il faut
ajouter en fonction du rapport signal/bruit et comment les calculer. De nombreux
codes aux propriétés mathématiques diverses ont été proposés. La TNT (Télévision
Numérique Terrestre), qui représentait l’état de l’art en 1994 quand sa norme a été
définie, utilise deux codes successifs. On savait alors ce double codage non optimal
au sens de Shannon, mais on ne pensait pas pouvoir faire mieux.

L’introduction des turbocodes par Claude Berrou et Alain Glavieux dans les
années 1990 a résolu le problème en pratique. Au lieu de séquentialiser les deux
codes, ce qui est asymétrique, on les met en parallèle. Au décodage, chaque
information apportée par un code aide l’autre, comme toute découverte sur une
horizontale ou une verticale d’un problème de mots croisés aide l’autre direction.
Cette restauration de la symétrie permet d’atteindre pratiquement la limite de
Shannon, et les turbocodes sont en voir de généralisation.

8.3. Les réseaux locaux

Les réseaux locaux ont une portée de l’ordre de la centaine de mètres. On les
trouve dans les bâtiments, les usines, les automobiles, trains ou avions. Leurs temps
de transmissions élémentaires sont faciles à borner, ce qui est impossible dans les
réseaux globaux.

La question centrale est de régler les conflits entre stations désirant parler sur le
réseau, qui produisent des collisions de messages. La première solution est d’éviter
les collisions. Dans les réseaux à jetons, on fait tourner un jeton virtuel unique
entre les stations, sous forme de message spécial ou de bits spéciaux dans les
messages, et seule la station qui possède le jeton peut parler. C’est apparemment
simple, mais insérer dynamiquement une station dans le réseau peut être complexe,
et connecter deux réseaux l’est encore plus car il faut tuer un des deux jetons. Une
autre technique pour éviter les collisions est de discriminer a priori les émetteurs
en leur attribuant une fenêtre temporelle précise, déterminée par exemple par une
station de base à l’aide de tirages aléatoires. C’est la technique TDMA utilisée dans
le téléphone GSM.

Les réseaux à collision comme Ethernet acceptent les collisions entre stations
parlant sur le réseau. Une station détecte une collision en comparant ce qu’elle
émet avec ce qu’elle entend. Elle arrête alors son émission normale et émet une
trame de brouillage détectable par les autres stations. Chaque station émettrice
attend un temps aléatoire avant de reparler, avec l’idée que l’aléatoire va séparer les
émetteurs et supprimer les collisions. Si une collision se reproduit immédiatement,
chaque station double la taille de sa fenêtre aléatoire, etc. Une méthode plus
efficace serait que chaque station tire au sort si elle reparle immédiatement ou pas,
CHAIRE D’INNOVATION TECHNOLOGIQUE — LILIANE BETTANCOURT 841

diminuant probabilistiquement et itérativement la taille de l’ensemble en collision


par 2 (protocole de Kapetanakis).
Toutes les techniques précitées présentent un certain degré d’indéterminisme qui
peut être inacceptables pour les réseaux devant offrir des garanties de temps réel,
par exemple pour synchroniser les freins et la suspension d’une voiture. Des réseaux
locaux plus déterministes sont en cours de déploiement en automobile ou
avionique : citons TTP et FlexRay, qui utilisent des protocoles fondés sur le temps
absolu et la synchronisation d’horloges, et des variantes déterministes d’Ethernet.

8.4. Les réseaux globaux


Il existe deux grandes technologies de réseaux globaux : l’allocation de ressources
et le routage dynamique. L’allocation de ressources est la base de la téléphonie
classique. Une transmission commence par l’établissement d’une communication,
avec choix d’un chemin d’acheminement et allocation de ressources dans chacun
des nœuds du chemin. Une fois l’allocation faite, la transmission des paquets est
très simple et la qualité garantie. Cependant, l’établissement de la communication
est complexe et doit être repris à zéro cas de panne sur le chemin ; il peut être
refusé en cas de saturation des ressources ; des ressources sont bloquées inutilement
en cas de silence sur la ligne ; enfin, le système passe difficilement à l’échelle
gigantesque des liaisons mondiales actuelles.
Le routage dynamique des paquets a été introduit initialement dans le réseau
Cyclades de L. Pouzin, et repris dans le réseau ARPA puis dans le réseau Internet.
La transmission repose sur un système d’adressage mondial hiérarchique et universel
(adresses IP = Internet Protocol). Chaque paquet contient l’adresse complète de
son destinataire et est transmis par des routeurs sans allocation de ressources. Les
routeurs maintiennent à jour des tables de routage, qui leurs disent à quel autre
routeur ou équipement terminal transmettre un paquet reçu en fonction de son
adresse. Les tables de routage sont échangées dynamiquement sur le réseau entre
les routeurs, assurant ainsi une gestion quasi-optimale de tous les changements
dans le réseau. Celui-ci n’a jamais de vision exacte de sa propre configuration. Il
n’y a donc pas de garantie de qualité, mais un mécanisme « best effort » simple,
souple et extensible. Les réseaux de ce type sont robustes aux pannes, mais restent
vulnérables aux attaques, par exemple par surcharge des routeurs. Ils tendent à
supplanter les réseaux de télécommunications classiques, qui peuvent cependant
servir aussi à transporter les paquets Internet.
Pour gérer des centaines de milliards d’objets sur le réseau, il faudra introduire un
adressage beaucoup plus riche (celui d’IP v6, qui entre progressivement en fonction),
augmenter considérablement les bandes passantes par tous les moyens utilisables
(radio, fibre optique, satellites, etc.), augmenter la résistance aux attaques, etc.
Mais le plus spectaculaire reste l’extraordinaire panoplie d’innovations qu’ont
permis les réseaux : courrier électronique, sites Web, commerce électronique,
842 GÉRARD BERRY

moteurs de recherche, travail coopératif, etc. Nous en avons sélectionnées deux


pour le séminaire associé au cours.

8.5. Séminaire : qu’est-ce qu’un moteur de recherches ?


François Bourdoncle, co-fondateur de la société Exalead, a présenté l’anatomie
d’un moteur de recherche, qui comprend trois sous-fonctions : le rapatriement des
pages à collecter sur Internet, leur indexation, et le calcul et la présentation des
réponses aux questions. Le premier moteur Altavista, tenait dans une grosse machine
et indexait 100 millions de pages. Les moteurs modernes utilisent des milliers de
PCs et indexent des dizaines de milliards de pages multilingues et bientôt multimedia.
La collecte des pages exploite la structure particulière du graphe des pages Web en
« nœud papillon », avec les grands portails comme centres d’aiguillage. L’indexation
repose sur un codage efficace des listes inverses mots vers documents. F. Bourdoncle
a expliqué les algorithmes de construction et de consultation de l’index, ainsi que le
calcul de l’ordre des pages dans la réponse qui a construit la suprématie de Google. Il
a enfin discuté les immenses enjeux économiques associés.

8.6. Séminaire : le pair à pair et la transmission épidémique d’information


François Massoulié, de Thomson, a présenté la transmission d’information de pair à
pair, qui est dominante pour la distribution (légale ou illégale) des films ou de la
musique sur Internet, et occupe maintenant 80 % de la bande passante du Web. L’idée
est de ne pas utiliser de serveur centralisé, mais de transformer chaque récepteur d’un
flux en un relais de transmission pour ce flux. Les virus ont été la première application
de cette technique ; leur nom montre bien qu’ils se propagent de façon épidémique. F.
Massoulié a détaillé le problème central du choix des paquets d’information à relayer à
chaque instant par un terminal. Des variations subtiles d’algorithmes peuvent donner
des résultats très différents. Le meilleur algorithme semble être d’envoyer le dernier
paquet utile de l’émetteur à une cible aléatoire, ce qui est loin d’être intuitif. Cette
diffusion fournit un débit arbitrairement proche de l’optimal, avec délai optimal.
Le pair à pair est très simple et très efficace, bien que reposant sur des décisions
aléatoires et décentralisées. La recherche s’oriente maintenant vers d’autres
applications, comme la réalisation de grands calculs distribués sur de très nombreux
processeurs distants.

9. Cours images
Le cours image s’est composé d’une courte présentation suivie de trois séminaires
décrits ci-dessous.

9.1. Séminaire : de l’imagerie médicale au patient virtuel


Nicholas Ayache, directeur de recherches à l’INRIA, a présenté les progrès de la
médecine et de la chirurgie induits par l’imagerie médicale et la modélisation
CHAIRE D’INNOVATION TECHNOLOGIQUE — LILIANE BETTANCOURT 843

numérique du corps humain. Les nouvelles techniques d’imagerie (Scanner, IRM,


TEP, etc.) fournissent des images aux caractéristiques distinctes et complémentaires.
Il est possible de fusionner ces images à l’aide d’algorithmes mathématiques pour
obtenir des images résultantes 3D ou 4D donnant beaucoup plus d’informations que
les images séparées. Ceci améliore le diagnostic et fournit une aide à la thérapie
médicamenteuse ou chirurgicale : planification, simulation, contrôle de la réalisation
et suivi. N. Ayache a présenté de nombreux exemples d’applications: neurochirurgie
et chirurgie du foie assistées par ordinateur, anatomie algorithmique du cerveau ou
du cœur, suivi de l’évolution des tumeurs, modèles électromécaniques du cœur avec
simulations de pathologies, etc. Le séminaire s’est terminé par la présentation des
nouvelles techniques d’imagerie microscopique in vivo, qui permettent par exemple
d’explorer en temps réel les alvéoles pulmonaires au niveau des cellules individuelles.

9.2. Séminaire : pourquoi le numérique révolutionne la photographie


Ce séminaire a été donné par Frédéric Guichard, directeur scientifique de la
société DxO Labs. La photographie numérique repose sur un couple optique/
logiciel, où le logiciel joue le rôle le plus important. En numérique, il est possible
de défaire par logiciel les déformations des objectifs et capteurs : distorsions
géométriques, aberrations chromatiques, certains types de flous, amélioration du
contraste, réduction du bruit. C’est ce que fait le logiciel DxO Optics Pro, dont
la puissance a été montrée par de nombreux exemples.
Cette nouvelle approche révolutionne l’optique. Plutôt que de concevoir des
zooms chers à beaucoup de lentilles ayant des distorsions modérées mais complexes,
il sera meilleur de concevoir des zooms très simples et bon marché, ayant des
distorsions plus fortes mais faciles à défaire. On peut aussi fabriquer des objectifs
numériques à grande profondeur de champ, en profitant du fait qu’on peut rendre
une photo globalement nette si une seule de trois couleurs primaires (rouge, vert,
bleu) est nette. Au lieu d’essayer de diminuer l’aberration chromatique longitudinale
de l’objectif, qui fait que les couleurs ne focalisent pas à la même distance, on
l’augmente par des matériaux adaptés, séparant au mieux les hyperfocales de
chaque couleur. On obtient ainsi une bonne netteté de 20 cm à l’infini, chose
impossible en optique non-numérique.

9.3. Séminaire : traitement d’image pour télévision haute définition


Stéphane Mallat, professeur à l’Ecole Polytechnique et fondateur de la société Let
It Wave, a présenté divers algorithmes fondamentaux pour la télévision haute
définition (TVHD) et leur implémentation matérielle. La TVHD demande des
puissances de calcul considérables qui se comptent en téra-opérations par secondes
(1012 ops). Un bon exemple est le redimensionnement spatio-temporel des images,
qui change le nombre de points et la fréquence temporelle de leur flux, passant par
exemple une séquence vidéo standard en résolution supérieure et à 100 Hz. Les
interpolations adaptées à l’expansion dans l’espace sont bien connues en
844 GÉRARD BERRY

photographie. L’expansion dans le temps est plus complexe, car elle demande une
interpolation dynamique fine entre les images données pour créer les images
manquantes, sous peine de sautillements désagréables. S. Mallat a présenté des
techniques d’estimation de mouvement pixel par pixel, bien plus fines que les
techniques classiques qui opèrent sur des blocs, et a montré comment les implémenter
efficacement sur des circuits dédiés. Il a également montré les faiblesses des
algorithmes de compressions classiques de type MPEG et comment les éliminer à
l’aide d’une nouvelle transformée en bandelettes.

10. Séminaire : la cryptologie


Jacques Stern, professeur à l’Ecole Normale Supérieure et président de la société
Ingenico, a présenté les concepts fondamentaux de la cryptologie, qui est la science
du transfert sûr de l’information entre parties. Un élément essentiel en est le
chiffrement des messages, qui doit obéir à plusieurs critères : facilité de chiffrement
et difficulté de déchiffrement, sécurisation des échanges de clefs, etc. Il y a deux
types principaux de protocoles : ceux à clef partagées, efficaces mais susceptibles
d’attaques lors du partage de la clef, et ceux à clef publique, dont le fameux RSA
(Rivest-Shamir-Adleman), très employé sur Internet. J. Stern a présenté les
propriétés mathématiques des algorithmes sous-jacents, puis les nouveaux
algorithmes fondés sur les fonctions elliptiques, qui peuvent être plus efficaces que
ceux fondés sut les grands nombres premiers comme RSA. Il a montré les nouveaux
types d’attaque et leurs contre-mesures. Il a enfin expliqué un cas pratique : la
validation d’une transaction de carte bleue sur un terminal portable.

11. Colloque informatique et bio-informatique


Le 23 mai 2008 un colloque informatique et bio-informatique a terminé le cours.
La matinée a été consacrée à la bio-informatique, qui est en plein bouillonnement, et
sera incontestablement un des très grands sujets d’avenir de la recherche scientifique.
Les échanges entre biologie et informatique sont doubles. D’abord, la biologie n’est
évidemment pas qu’une affaire de molécules. Celles-ci servent à transporter
information et énergie dans le corps, notions elles-mêmes physiquement reliées et
objets de l’informatique. En retour, la biologie devrait à terme fournir de nouvelles
idées en termes de moyens de calcul. Malgré leur extraordinaire efficacité, ceux des
ordinateurs restent en effet bien rudimentaires, puisque limités à faire très vite et très
exactement des opérations individuellement stupides. La biologie offre une
vision exactement inverse : faire lentement, de façon pas très fiable mais massivement
parallèle et probabiliste des opérations bien plus variées. Comme les circuits actuels
dépassent allègrement le milliard de transistors, les limitations de taille sont de moins
en moins présentes. Passer à des modes de calculs de type plus biologique est donc
particulièrement tentant ; mais il faudra se méfier des idées simplistes, qui ont
toujours échoué par échec du passage à l’échelle.
S’abstraire de la nature précise des molécules pour comprendre de façon plus
globale les chemins d’information auxquels elles participent est la première étape
CHAIRE D’INNOVATION TECHNOLOGIQUE — LILIANE BETTANCOURT 845

indispensable pour ne pas être noyé par les détails. Dans le premier exposé, Philippe
Kourilsky, professeur au Collège de France, a analysé comment cela pourrait se faire
pour le système immunitaire vu comme un grand système d’informations. Mais le
système immunitaire un très grand système d’informations faisant intervenir des
milliers de processus et de médiateurs dans de nombreux types de communications,
et sa compréhension informationnelle prendra certainement beaucoup de temps.
L’informatique fournit de nouveaux moyens d’étude des processus biologiques.
Le séquençage du génome est un exemple bien connu. Le second exposé, par
François Fages, directeur de recherches à l’INRIA, en a présenté un autre : l’étude
des réactions chimiques dans la cellule au moyen de techniques originellement
introduites pour la vérification formelle des circuits et programmes (cf. 7.2). L’idée
est de présenter ces réactions dans le cadre conceptuel de la machine chimique
(cf. 3.5) devenue ici BIOCHAM, d’instrumenter les équations de cette machine
avec des lois cinétiques probabilistes, et de faire calculer des systèmes de résolution
de contraintes Booléennes ou numériques pour répondre à beaucoup de questions
inaccessibles à l’étude manuelle sur les chaînes réactionnelles.
Le cerveau est évidemment un des organes les plus fascinants au niveau bio-
informatique. Alexandre Pouget, professeur à l’université de Rochester et en année
sabbatique au Collège de France, a exposé la nouvelle vision des mécanismes
globaux de calcul dans le cerveau fournie par les neurosciences computationnelles.
A travers une série d’exemples, il a montré que le cerveau fait essentiellement des
évaluations probabilistes rapides et des choix assez simples, en particulier pour les
activités motrices demandant de prendre des décisions non-triviales. Le cerveau
brille également par ses capacités d’apprentissage, dues à la fois à la modification
permanente des connections synaptiques en fonction des sollicitations externes et
à l’ajustage permanents des critères d’évaluation probabilistes employés. La
modélisation informatique de ces mécanismes apportera des contributions
fondamentales à leur compréhension et à leur simulation informatique.
L’après-midi du colloque a été consacrée à des sujets plus directement
informatiques. Alberto Sangiovanni-Vincentelli, professeur à Berkeley et directeur
du GIE Parades à Rome, a présenté l’évolution inéluctable du Web vers l’intégration
des objets physiques. D’ici une quinzaine d’années, il pourrait y avoir de l’ordre d’un
millier d’objets informatisés et mis en réseau par être humain. Le Web comptera
alors des téra-clients (téra = 1012), qui iront des objets audio-visuels classiques aux
prothèses médicales, en passant par tous les composants des maisons ou des systèmes
de transports (cf. 6). Les pucerons électroniques correspondants effectueront des
fonctions de surveillance, de conduite, d’optimisation, et de communication. Cette
nouvelle extension du monde numérique demandera une nouvelle approche
pluridisciplinaire, intégrant informatique, nanotechnologies, et biotechnologies, et
donc de nouvelles techniques de constructions d’objets et de systèmes.
Martin Abadi, professeur à l’Université de Santa Cruz (Californie) et chercheur
à Microsoft Research, a enfin présenté les problèmes posés par la sécurité des
846 GÉRARD BERRY

données et des interactions informatiques. Ces problèmes sont devenus cruciaux


avec la généralisation des échanges sur support banalisé de type Internet avec ou
sans fil. Les solutions reposent sur des protocoles de sécurité utilisant des techniques
cryptographiques. Mais les codes secrets sont loin de suffire à garantir la sécurité.
Leur utilisation doit être encadrée par des protocoles très fins pour résister aux
tentatives d’intrusions malignes de toutes sortes, fruits d’imaginations sans limites.
L’étude serrée des protocoles et standards à clefs publiques ou privées successivement
proposés a permis d’augmenter considérablement leur sécurité. Le sujet reste
évidemment très actif en raison de son importance stratégique.

12. Conclusion
Ce cours général sur le monde numérique a représenté un défi important. Il n’était
évidemment pas simple de présenter de façon pertinente les sujets individuellement
très vastes de chacun des cours en deux heures. Mais j’ai jugé que c’était indispensable,
car il faut absolument tordre le cou à l’ignorance sur un sujet qui façonne autant
notre vie quotidienne, et donc faire mieux connaître la science informatique.

Remerciements : je remercie le Collège de France, institution merveilleuse et


seul endroit (au monde ?) où donner ce genre de cours est possible, ainsi que la
Fondation Bettencourt-Schueller pour son soutien à la chaire d’innovation
technologique. Je souhaite enfin remercier très chaleureusement Marie Chéron et
Cécile Barnier qui m’ont aidé (supporté, comme on dit en anglais) pendant tout
le cours, Marion Susini et son équipe pour la rapidité et la qualité de l’installation
des vidéos sur le Web, et tous les personnels du Collège qui m’ont aidé avec
gentillesse et efficacité.

Bibliographie
G. Berry, Pourquoi et comment le monde devient numérique, Fayard/Collège de France,
2008.
D. Harel, Algorithmics, The Spirit of Computing, Addison-Wesley Publishing co., 2004.
F. Anceau. Y. Bonnassieux, Conception des circuits VLSI, Dunod, 2007.
G. Dowek, J.-J. Lévy, Introduction à la théorie des langages de programmation, Les éditions
de l’Ecole Polytechnique, 2006.
L. Zaffalon, Programmation synchrone de systèmes réactifs avec Esterel et les SyncCharts,
Presses Polytechniques Romandes, 2005.
G. Dowek, Les métamorphoses du calcul, Le Pommier, 2007.
J.-M. Sepulchre, DxO pour les photographes, Eyrolles, 2008.
J. Stern, La science du secret, Editions Odile Jacob, 1998

Publication
G. Berry, Pourquoi et comment le monde devient numérique, Fayard/Collège de France,
2008.
PROFESSEURS HONORAIRES
ACTIVITÉS, PUBLICATIONS

M. Yves Bonnefoy
Études comparées de la fonction poétique, 1981-1993

Principales publications depuis le 1er octobre 2007

1. Livres
— Raymond Mason, la liberté de l’esprit, Galilée, 2007, 100 p.
— Il grande spazio (Le grand espace), édition bilingue (traduction en italien de Feliciano
Paoli), suivi d’un entretien avec Daniel Bergez et d’un essai de Flavio Ermini, Bergame,
Moretti & Vitali, 2008. 128 p.
— Le Grand Espace, Galilée, 2008, 72 p.
— La Longue Chaîne de l’ancre, Mercure de France, 2008, 170 p.
— Traité du pianiste et autres écrits anciens, Mercure de France, 2008, 194 p.
— Shakespeare, Les Sonnets précédés de Vénus et Adonis et du Viol de Lucrèce, présentation
et traduction d’Yves Bonnefoy, Poésie/Gallimard, 2007, 348 p.
— Aller, aller encore, avec deux eaux-fortes de Masafumi Yamamoto, Chênes-Bougerie,
Cercle des Amis d’Éditart, 2008, 12 p.
— Farhad Ostovani et le livre, éd. Kimé, les Cahiers de Marge, n° 5, Paris, 2008, 96 p.

2. Quelques publications en revue ou dans des ouvrages collectifs


— « Quelques propositions quant aux Sonnets de Shakespeare » dans Shakespeare poète,
Actes du congrès 2006 de la Société française Shakespeare, Paris, 2007, p. 13-38.
— « Préface » à : François Lallier, La Voix antérieure, Baudelaire, Poe, Mallarmé, Rimbaud,
Bruxelles, La lettre volée, 2007, p. 7-12.
— « Gilbert Lely le poète », dans Gilbert Lely, la poésie dévorante, textes réunis par
Emmanuel Rubio, L’Âge d’homme, 2007, p. 13-24.
— « Une vie toujours attentive », préface à : Eugenio De Signoribus, Ronde des convers,
Verdier, 2007, p. 7-9.
848 PROFESSEURS HONORAIRES

— « Le regard d’Yves Bonnefoy » (titre ajouté par l’éditeur), dans Charles Auffret,
M. Archimbaut et J.-C. Auffret dir., Somogy éditions d’art, 2007, p. 14-43.
— « Au rendez-vous des amis », « Apparentements et filiations », « Lettre du 26 octobre
2001 », « Paroles d’introduction (2002) », dans La conscience de soi de la poésie, colloques de
la Fondation Hugot du Collège de France (1993-2004) sous la direction de Yves Bonnefoy,
Le Seuil, coll. Le Genre humain, 2008, 432 p.
— « Dessins d’Hélène Garache », dans Conférence, n° 25, automne 2007.
— « Les Caprices, nuit et lumière », dans Goya, Les Caprices, & Chapman, Morimura,
Pondick, Schütte, Paris, Somogy/Lille, Palais des Beaux-Arts, 2008, p. 11-13.
— « Ceux que tentent la religion devraient réfléchir à la poésie » (titre ajouté par l’éditeur),
entretien avec Natacha Polony, Le Magazine littéraire, n° 474, avril 2008, p. 92-96.
— « Nous sommes de simples étincelles » (titre ajouté par l’éditeur), entretien avec
Didier Jacob, Le Nouvel Observateur, n° 2277, 28 juin 2008, p. 91-92.
— « La traduction au sens large. A propos d’Edgar Poe et de ses traducteurs », dans
Littérature, n° 150, juin 2008 (Yves Bonnefoy, traduction et critique poétique), p. 9-24.
— « Beelden van het absolute » (L’absolu et ses effigies) dans Nexus, 2008, n° 50,
traduction en neerlandais par Rokus Hofstede, p. 465-477.
— « Enzo », dans Yves Bonnefoy, Lucio Mariani, Rosanna Warren, Per Enzo, Edizioni
dell’Elefante, Rome, 2008, pp. 5-10.
— « Ut musica pictura » dans Farhad Ostovani, Ut musica pictura, Morat Institut für
Kunst und Kunstwissenschaft, Fribourg-en-Brisgau, 2008, p. 3-8.
— « Critique et poésie », dans Poétique et ontologie, colloque international Yves Bonnefoy,
Bordeaux, 2007, Ardua et William Blake & Co éd., p. 15-19.

3. Traductions en volume
— Oblà Prkna (Les Planches courbes), Prague, Opus 2007, trad. en tchèque et postface
de Jiri Pelán, 136 p.
— Ukrivljene deske (Les Planches courbes), trad. en slovène par Nadja Dobnik et Ivan
Dobnik, Poetikonove Lire, Ljubljana, Hisa poezije, 2007, 128 p.
— Kép és jelenlét, Yves Bonnefoy válogatott írásai, Budapest, Argumentum, 2007,
traductions diverses, présentation de Sepsi Enikö, 240 p.
— Tarea de esperanza, Antologia poetica, trad. en esp. par Arturo Carrera, Valence,
Éditions Pre-Textos, 2007, 568 p.
— Rome, 1630, traduction en arménien par Chouchanik Thamrazian, éd. Naïri, Erevan,
2007, 248 p. (en préface : « mes souvenirs d’Arménie », p. 7-15).

4. Quelques autres activités


— 18 octobre, exposé au Colloque « Quatre poètes » (organisé par Stéphane Michaud)
à Paris III, salle Bourjac.
— 30 octobre, réception du prix Kafka à la Vieille Mairie de Prague. Discours sur
« Kafka et la poésie ».
— 1er novembre, rencontre au Collegium de Budapest, à l’occasion de la publication
d’une anthologie.
— 2 novembre, conférence et lecture à l’Institut français de Budapest. Avec Jérôme
Thélot.
— 12 novembre, attribution du Grand Prix de poésie de l’Académie chinoise, à
Beijing.
— 13 novembre, attribution du prix Horst Bienek de l’Académie de Bavière.
PROFESSEURS HONORAIRES 849

— 9-10 avril 2008, conférence et lecture à l’Université Stendhal à Grenoble.


— 17 mai, participation à La poésie et autres pensées de l’être au monde, journée d’étude
à la Bibliothèque Municipale de Tours. Avec Marlène Zarader, Jérôme Thélot, François
Trémolières, Patrick Née, Daniel Lançon.
— 24 mai, « Jean-Pierre Vernant et la poésie » à la journée d’hommage à Jean-Pierre
Vernant, Maison de l’Amérique latine.
— 25 mai, lecture à la librairie Tschann.
— 27 mai, rencontre au lycée Henri IV, « Le latin et la poésie française ».
— 18 juin, Doctorat Honoris Causa de l’Université d’Oxford.

M. Pierre Chambon, membre de l’Institut


(Académie des Sciences)
Génétique moléculaire, 1993-2003

Résumé de l’activité scientifique


Les travaux effectués au cours de l’année écoulée, dans le cadre de l’équipe que je co-
dirige à l’IGBMC avec le Dr. Daniel Metzger, ont porté comme les années précédentes sur
le rôle joué par les voies de signalisation faisant intervenir la superfamille des récepteurs
nucléaires. D’intéressants résultats, certains en collaboration avec des chercheurs français ou
étrangers, ont été obtenus concernant la compréhension des mécanismes moléculaires et
cellulaires qui sous-tendent le rôle joué par les récepteurs nucléaires, d’une part dans le
contrôle du métabolisme énergétique, dans la voie de signalisation des estrogènes et dans la
voie de signalisation de l’acide rétinoique, et d’autre part dans la pathogénie des maladies
atopiques, la dermatite atopique et l’asthme. Les recherches concernant la pathogénie des
maladies atopiques sont actuellement activement poursuivies. L’ensemble de nos travaux
seront exposés en détail dans le prochain rapport d’activité.

Liste des principales publications (juin 2007 – juillet 2008)

Articles originaux
G. McLean, H. Li, D. Metzger, P. Chambon and M. Petkovich : Apoptotic extinction
of germ cells in testes of Cyp26b1 knockout mice. Endocrinology (2007) 148, 4560-
4567.
A. Berry, P. Balard, A. Coste, D. Olagnier, C. Lagane, H. Auhier, F. Benoit-
Vical, J.C. Lepert, J.P. Seguela, J.F. Magnaval, P. Chambon, D. Metzger,
B. Desvergne, W. Wahli, J. Auwerx and B. Pipy : IL-13 induces expression of C36 in
human monocytes through PPARgamma activation. Eur. J. Immunol. (2007) 37, 1642-
1652.
M. Slezak, C. Goritz, A. Niemiec, J. Frisen, P. Chambon, D. Metzger and
F. Pfrieger : Transgenic mice for conditional gene manipulation in astroglial cells. GLIA
(2007) 55, 1565-1576.
M.A. McDevitt*, C. Glidewell-Kenney, J. Weiss, P. Chambon, J.L. Jameson and
J.E. Levine : ERE-independent ERα signaling does not rescue sexual behavior but restores
850 PROFESSEURS HONORAIRES

normal testosterone secretion in male ERαKO mice. Endocrinology (2007) 148, 5288-
5294.
K. Khetchoumian, M. Teletin, M. Mark, B. Herquel, J. Tisserand, F. Cammas,
T. Lerouge, D. Metzger, P. Chambon and R. LOSSON : Loss of the transcriptional
intermediary factor 1 α (TIF1α) gene confers oncogenic activity to retinoic acid receptor
α (RARα).Nature Genetics (2007) 39, 1500-1506.
T. Nakamura, Y. Imai, T. Matsumoto, S. Sato, K. Takeuchi, K. Igarashi, Y. Harada,
Y. Azuma, A. Krust, Y. Yamamoto, H. Nishina, S. Takeda, H. Takayanagi, D. Metzger,
J. Kanno, K. Takaoka, Y.J. Martin, P. Chambon and S. Kato : Estrogen prevents bone
loss via estrogen recepor alpha and induction of Fas ligand in osteoclasts. Cell (2007) 130,
811-823.
H.J. Kim, M.C. Gieske, S. Hudgins, B.G. Kim, A. Krust, P. Chambon and C. Ko :
Estrogen receptor alpha-induced cholecystokinin type A receptor expression in the female
mouse pituitary. J. Endocrinology (2007) 195, 393-405.
C.R. Cederroth, O. Schaad, P. Descombes, P. Chambon, J.-D. Vassalli and S. Nef :
Estrogen receptor alpha is a major contributor to estrogen-mediated fetal testis dysgenesis
and cryptorchidism.Endocrinology (2007) 148, 5507-5519.
M.C. Gieske, H.J. Kim, S.J. Legan, Y. Koo, A. Krust, P. Chambon and C. Ko :
Pituitary gonadotroph estrogen receptor alpha is necessary for fertility in females.
Endocrinology (2008) 149, 20-27.
M.C. Antal, A. Krust, P. Chambon and M. Mark : Sterility and absence of
histopathological defects in non-reproductive organs of a novel mouse ERbeta-null mutant.
Proc. Natl. Acad. Sci. USA (2008) 105, 2433-2438.
C.K. Ratnacaram, M. Teletin, M. Jiang, X. Meng, P. Chambon and D. Metzger :
Temporally-controlled ablation of PTEN in adult mouse prostate epithelium generates a
model of invasive prostatic adenocarcinoma. Proc. Natl. Acad. Sci. USA (2008) 105, 2521-
2526.
M. Ignat, M. Teletin, J. Tisserand, K. Khetchoumian, C. Dennefeld, P. Chambon,
R. Losson and M. Mark : Arterial calcifications and increased expression of vitamin D
receptor targets in mice lacking TIF1alpha. Proc. Natl. Acad. Sci. USA (2008) 105, 2598-
2603.
J. Orengo, P. Chambon, D. Metzger, D.R. Mosier, J. Snipes and T.A. Cooper :
Expanded CTG repeats within the DMPK 3’ UTR causes severe skeletal muscle wasting in
an inducible mouse model for myotonic dystrophy. Proc. Natl. Acad. Sci. USA (2008) 105,
2646-2651.
I. Malanchi, H. Peinado, D. Kassen, T. Hussenet, D. Metzger, P. Chambon,
M. Huber, D. Hohl, A. Cano, W. Birchmeier, and J. Huelsken : Cutaneous cancer
stem cell maintenance is dependent on beta-catenin signallig. Nature (2008) 452, 650-
653.
V. Drouin-Echinard, S. Laffont, C. Seillet, L. Delpy, A. Krust, P. Chambon,
P. Gourdy, J.F. Arnal, and J.C. Guery : Estrogen receptor alpha, but not beta, is required
for optimal dendritic cell differentiation and CD40-induced cytokine production.
J. Immunol. (2008) 180, 3661-3669.
M. Konishi, H. Nakamura, H. Miwa, P. Chambon, D.M. Ornitz and N. Itoh : Role
of Fgf receptor 2c in adipocyte hypertrophy in mesenteric white adipose tissue. Mol. Cell
Endocrinol. (2008), in press.
S. Claxton, V. Kostourou, S. Jadeja, P. Chambon, K. Hodivala-Dilke and
M. Fruttiger : Efficient, inducible Cre-recombinase activation in vascular endothelium.
Genesis (2008) 46, 47-80.
S. Mandillo, V. Tucci, S.M. Holter, H. Meziane, M. Al Banchaabouchi,
M. Kallnik, H.V. Lad, P.M. Nolan, A.M. Ouagazzal, E.L. Coghill, K. Gale,
PROFESSEURS HONORAIRES 851

E. Golini, S. Jacquot, W. Krezel, A. Parker, F. Riet, I. Schneider, D. Marazziti,


J.H. Auwerx, S.D. Brown, P. Chambon, N. Rosenthal, G. Tocchini-Valentini and
W. Wurst : Reliatbility, robustness and Reproducibility in mouse behavioral phenotyping :
a cross-laboratory study. Physiol Genomics (2008) in press.
E. Küppers, A. Krust, P. Chambon and C. Beyer : Fonctional alterations of the
nigrostriatal dopamine system in estrogen receptor-alpha knockout (ERKO) mice.
Psychoneuroendocrinology (2008) in press.
W.L. Liao, H.C. Tsai, H.F. Wang, J. Chang, K.M. Lu, H.L. Wu, Y.C. Lee, T.F. Tsai,
H. Takahashi, M. Wagner, N.B. Ghyselinck, P. Chambon and F.C. Liu : Modular
patterning of structure and funtion of the striatum by retinoid receptor signaling. PNAS
(2008) 105(18), 6765-6770.

Conférences données sur invitation par Pierre Chambon


dans le cadre de congrès et colloques

Juin 2007-Juillet 2008


— 4th Meeting of Bone Biology Forum, Mount Fuji (Japan) August 24-25, 2007.
P. Chambon (Plenary Lecture) : « Involvement of nuclear receptors (VDR, RAR, RXR) in
the pathogenesis of atopic diseases ».
— 66th Annual Meeting of the Japanese Cancer Association, Yokohama, (Japan)
October 3, 2007. P. Chambon (Plenary Lecture) : « The role of Nuclear Receptors in
atopic diseases ».
— 66th Annual Meeting of the Japanese Cancer Association, Yokohama, (Japan)
October 4, 2007. (Luncheon Seminar) P. Chambon : « Efficient engineering of cancer
models through spatio-temporally-controlled somatic mutagenesis in the mouse»
— Séance Statutaire de l’Académie de Sciences, Strasbourg, (France) May 26-28, 2008.
(Plenary Lecture) P. Chambon : « Implication des récepteurs nucléaires de la vitamine D
et de l’acide rétinoique dans la pathogénie des affections atopiques (eczéma et asthme) »
— 15th MTA Anniversary at Karolinska Institutet, Stockholm, (Sweden) June 3-5,
2008. (Plenary Lecture) P. Chambon : « Role of Nuclear Receptors RXRs, VDR and RARγ
in atopic diseases (dermatitis and asthma)»

Séminaires donnés sur invitation par Pierre Chambon

Juin 2007-Juillet 2008)


— IMCB (Prof. Shigeaki Kato), Tokyo, Japon, le 23 août 2007. « Involvement of
Nuclear Receptors in Atopic diseases (Atopic dermatitis and asthma) »
— Department of Immunology, Faculty of Medicine (Prof. Tada Taniguchi), Tokyo,
Japon, le 28 août 2007. « Involvement of Nuclear Receptors and TSLP in the pathogenesis
of atopic diseases ».
— TEIJIN Pharma Limited (Prof. Shigeyuki Ishii), Tokyo, Japon, le 29 août 2007.
« Involvement of Nuclear Receptors (VDR, RAR, RXR) in the pathogenesis of atopic
diseases ».
— Department of Life Sciences, Tokyo Institute of Technology (Prof. Hiroshi Ichinose),
Yokohama, le 2 oct 2007. « Involvement of Nuclear Receptors and TSLP in the pathogenesis
of atopic diseases ».
852 PROFESSEURS HONORAIRES

— Department of Genetics and Development, Medical School, Columbia University


(Prof. Gérard Karsenty), New York, le 9 octobre 2007. « Role of Nuclear Receptors RXRs,
VDR and RARγ in atopic diseases (dermatitis and asthma) ».
— Faculté de Médecine Toulouse-Rangueil (Dr. J-F Arnal), Toulouse, le 24 juin 2008.
« Implication des récepteurs nucléaires de la vitamine D et de l’acide rétinoique dans la
pathogénie des affections atopiques (eczéma et asthme) ».

M. Jean-Pierre Changeux, membre de l’Institut


(Académie des Sciences)
Communications cellulaires, 1975-2006

The neuronal workspace model : conscious processing and learning


Changeux J.P., Dehaene S. In : R. Menzel (Ed.), Learning Theory and Behavior,
Vol. 1 of Learning and Memory : A Comprehensive Reference.
J. Byrne Editor, 2008, pp. 729-758. Oxford : Elsevier.
Cette revue reprend l’ensemble des articles publiés avec Stanislas Dehaene sur la
théorie de l’espace neuronal conscient et sur sa récente mise à l’épreuve expérimentale
par le groupe de Stanislas Dehaene et par d’autres groupes dans le monde. Les
implications médicales possibles de la théorie sont discutées, en particulier à propos
de la schizophrénie et de l’autisme (restriction de l’accès à la conscience) et de la
sclérose en plaque (lésions de la substance blanche altérant la capacité de l’espace
conscient).

Nicotinic receptors, allosteric proteins and medicine


Changeux J.-P. & Taly A. Trends in Mol. Med. 2008, 14 : 93-102.
Cette revue traite de l’application du modèle de Monod-Wyman-Changeux aux
récepteurs canaux en général et, plus spécifiquement, au modèle de « torsion
quaternaire » qui fait intervenir un mouvement global de la molécule de récepteur
nicotinique qui modifie simultanément les sites de liaison de l’acétylcholine dans
le domaine synaptique et le canal ionique dans le domaine membranaire, sites qui
tous se trouvent situés à l’interface entre sous-unités.
Sevoflurane anesthesia alters exploratory and anxiety-like behavior in mice
lacking the β2 nicotinic acetylcholine receptor subunit
Wiklund A., Granon S., Cloëz-Tayarani I., Faure P., Le Sourd A.-M., Sundman
E., Changeux J.-P., Eriksson L. Anesthesiology, 2008 (sous presse).
L’anesthésie générale entraîne des effets secondaires qui se manifestent par des
troubles cognitifs dont l’ampleur s’aggrave avec l’âge et à la suite de lésions
génétiques. Les conséquences de l’anesthésie par le sevoflurane sont étudiées chez
PROFESSEURS HONORAIRES 853

les souris invalidées pour la sous-unité β2 du récepteur nicotinique cérébral. On


trouve que, chez les souris β2-/-, certains traits de l’organisation spatio-temporelle
du comportement sont altérés et que l’anxiété s’accroît, suggérant un rôle protecteur
de la transmission cholinergique nicotinique contre l’effet de l’anesthésie.
Brain activation by short-term nicotine exposure in anesthetized wild-type
and β2-nicotinic receptors knockout mice : a BOLD fMRI study
Suarez S.V., Amadon A., Giacomini E., Wiklund A., Changeux J.-P.,
Le Bihan D., Granon S. Psychopharmacology, 2008 (sous presse).
Les territoires cérébraux activés par la nicotine injectée de manière systémique
aiguë sont examinés par résonance magnétique fonctionnelle « Bold » chez la souris
de type sauvage anesthésiée et chez son homologue invalidé pour la sous-unité β2
du récepteur nicotinique cérébral. Les territoires activés incluent le cortex préfrontal
antérieur, moteur et somatosensoriel ainsi que l’aire tegmentale ventrale et la
substance noire. Chez les souris β2-/- cette activation disparaît, à l’exception du
circuit méso-cortico-limbique vraisemblablement sous le contrôle des récepteurs
nicotiniques de type α7.
Intracellular complexes of the β2 subunit of the nicotinic acetylcholine
receptor in brain identified by proteomics
Kabbani N., Woll M.P., Levenson R., Lindstrom J.M., Changeux J.-P.
Proc. Natl. Acad. Sci. USA, 2007, 104 : 20570-20575.
L’interaction de la sous-unité β2 du récepteur nicotinique cérébral avec des
protéines cytoplasmiques est suivie par spectrographie de masse après purification
à partir de la boucle intracellulaire de β2 ou immunoprécipitation. L’association
avec des protéines Gα, l’inducteur de croissance neuritique 1 réglé par les protéines
G et le canal K+ activé par les protéines G suggère un lien entre récepteur
nicotinique et signalisation intracellulaire par les protéines G.

Publications

Publication 2007 (fin)


Article
— Kabbani N, Woll M.P., Levenson R., Lindstrom J.M., Changeux J.-P. Intracellular
complexes of the β2 subunit of the nicotinic acetylcholine receptor in brain identified by
proteomics. Proc. Natl. Acad. Sci. USA, 204 : 20570-20575.

Publications 2008
Articles
— Taly A., Changeux J.-P. Functional organization and conformational dynamics of the
nicotinic receptor: a plausible structural interpretation of myasthenic mutations. Ann. NY Acad.
Sci. 1132 : 42-52.
854 PROFESSEURS HONORAIRES

— Jackson K.J., Martin B.R., Changeux J.-P., Damaj M.I. Differential role of nicotinic
acetylcholine receptor subunits in physical and affective nicotine withdrawal signs. J. Pharmacol.
Exp. Ther. 325(1) : 302-312.
— Putz G., Kristufek D., Orr-Urtreger A., Changeux J.-P., Huck S., Scholze P. Nicotinic
acetylcholine receptor-subunit mRNAs in the mouse superior cervical ganglion are regulated by
development but not by deletion of distinct subunit genes. J. Neurosci. Res. 8 : 972-981.
— Evrard A., Changeux J.-P. Abnormal response of dopaminergic neurons to nicotine
without perturbation of nicotinic receptors in αCGRP knock-out mice. Brain Res. 1228 : 89-
96.
— Araoz R., Herdman M., Rippka R., Ledreux A., Molgo J., Changeux J.-P., Tandeau
de Marsac N., Nghiêm Ho. A non-radioactive ligand-binding assay for detection of
cyanobacterial anatoxins using Torpedo electrocyte membranes. Toxicon, 52 : 163-174.
— Avale M.E., Faure P., Pons S., Robledo P., Deltheil T., David D.J., Gardier A.M.,
Maldonado R., Granon S., Changeux J.-P., Maskos U. Interplay of beta2* nicotinic receptors
and dopamine pathways in the control of spontaneous locomotion. Proc. Natl. Acad. Sci. USA,
41 : 15991-15996.
— Besson M., Suarez S., Cormier A., Changeux J.-P., Granon S. Chronic nicotine
exposure has dissociable behavioural effects on control and β2-/- mice. Behav. Genet., 38(5) :
503-514.
— Even N., Cardona A., Soudant M., Corringer P.J., Changeux J.-P., Cloëz-Tayarani I.
Regional differential effects of chronic nicotine on brain α4 and α6-containing receptors.
NeuroReport, 19(15) : 1545-1550.
— Wiklund A., Granon S., Cloëz-Tayarani I., Faure P., Le Sourd A.-M., Sundman E.,
Changeux J.-P., Eriksson L. Sevoflurane anesthesia alters exploratory and anxiety-like behavior
in mice lacking the β2 nicotinic acetylcholine receptor subunit. Anesthesiology (sous presse).
— Suarez S.V., Amadon A., Giacomini E., Wiklund A., Changeux J.-P., Le Bihan D.,
Granon S. Brain activation by short-term nicotine exposure in anesthetized wild-type and β2-
nicotinic receptors knockout mice : a BOLD fMRI study. Psychopharmacology (sous presse).

Revues

— Changeux J.-P., Taly A. Nicotine receptors, allosteric proteins and medicine. Trends in
Mol. Med. 14 : 93-102.
— Corringer P.J., Changeux J.-P. Nicotinic acetylcholine receptors. Scholarpedia, 3(1) :
3468
— Changeux J.-P., Dehaene S. The neuronal workspace model : conscious processing and
learning. In : R. Menzel (Ed.), Learning Theory and Behavior. Vol. 1 of Learning and
Memory : A Comprehensive Reference. J. Byrne Editor, pp. 729-758. Oxford : Elsevier.
Corringer P.J., Changeux J.-P. Nicotinic acetylcholine receptors. In : Larry R. Squire,
Editor-in-Chief, Encyclopedia of Neuroscience, Academic Press, Oxford (sous presse).

Distinctions

— Pioneer Award for the fundamental discoveries concerning « The structure and
function of the nicotinic acetylcholine receptor », Collège International de Neuro-
Psychopharmacologie (CINP), Munich (2008).
PROFESSEURS HONORAIRES 855

— Neuronal Plasticity prize for the outstanding work in the domain of the Molecular
Targets of Drug Abuse : « Short & long-term effects of nicotine on nicotinic receptors : a
model of drug addiction », Fondation Ipsen, 6th Forum of the European Neuroscience,
Genève (2008).

Principales conférences données sur invitation


à des congrès, colloques et symposia internationaux
— Séance inaugurale du Collège de France en Belgique, Bruxelles : « Vers une conception
nouvelle de la chimie du cerveau », 27 novembre 2007.
— Conférences du Collège de France à Tunis : « Le récepteur de l’acétylcholine : une protéine
allostérique membranaire engagée dans la transmission synaptique », Académie Tunisienne des
Sciences, des Lettres et des Arts Beït al-Hikma, Carthage, Tunisie, 10 mars 2008. « Vers une
neuroscience de la personne humaine », Bibliothèque Nationale, Tunis, 11 mars 2008.
— Conférence plénière : « Toward a neuroscience of the capable person : unity, diversity
and oneself-as-another », « The 13th International Conference on Thinking », Norrköping,
Suède, 17-21 juin 2007.
— Conférence plénière : « The nicotinic acetylcholine receptor : from molecular biology to
cognition », « Cholinergic signaling : from genes to environment », à l’occasion du 60e anniversaire
du Pr Hermona Soreq, Jérusalem, Israël, 20-22 août 2007.
— Conférence principale (Keynote) « Nicotinic receptors in the brain : from molecular
level to cognition », Spetses Summer School on Nuclear receptor signalling : from molecular
mechanisms to integrative physiology, Ile de Spetsaï, Grèce, 26-31 août 2007.
— Conférence : « Modeling access to consciousness and its consequences for brain imaging »,
« 1st INCF Workshop on neuroimaging database integration », Stockholm, Suède, 30-
31 août 2007.
— Conférence d’ouverture : « The preclinical point of view : Nicotine and nicotinic
receptors : from molecular biology to cognition », 9th Annual conference of the SRNT Europe,
Madrid, Espagne, 3-5 octobre 2007.
— Conférence : « Toward a neuroscience of the capable person : unity, diversity and oneself-
as-another », Vienna Biocenter PhD symposium « Molecules to mind », Vienne, Autriche,
15 novembre 2007.
— Conférence principale (Keynote) « Evolution of human intellect and culture : emotions,
body, and brain plasticity consequences in artistic contemplation and creation », « International
forum on intellectual unity II », Tokyo, Japon, 8 décembre 2007.
— Conférence invité : ASPET’s Centennial meeting « Nicotinic receptors : a model for
allosteric membrane protein », San Diego Convention Center, USA, 5-9 avril 2008.
— Conférence spéciale : « The logic of allosteric receptors and its consequences for chemical
therapeutics », « Nicotinic acetylcholine receptors 2008 », The Wellcome Trust Conference
Centre, Hinxton, Cambridgeshire, UK, 23-26 avril 2008.
— Conférence : « Is the brain the organ of truth ? », International Balzan Foundation,
Symposium « Truth in the Humanities, Science and Religion », Lugano, Suisse, 16-17 mai
2008.
— Conférence : « La dépendance de la nicotine : un modèle de mémoire à long terme ? » et
Conclusions, Séance commune Académie des Sciences/Académie nationale de médecine
« La Mémoire », Paris, 3 juin 2008.
— Conférence : « Nicotinic receptors and their role in brain function », Nobel symposium
« Genes, Brain and Behavior », Karolinska Institute, Stockholm, Suède, 12-14 juin 2008.
856 PROFESSEURS HONORAIRES

— Conférence : « Le rôle de la bungarotoxine dans l’identification et l’élucidation de la


structure du récepteur nicotinique », Journée scientifique organisée par le Muséum national
d’Histoire naturelle et le Commissariat à l’énergique atomique, Hommage au Professeur
André Ménez « De l’évolution des toxines à l’évolution des espèces », Muséum d’Histoire
naturelle, Paris, 23 juin 2008.
— Conférence : « The nicotinic acetylcholine receptor : a model of allosteric neurotransmitter-
gated ion channel », 33rd FEBS Congress & 11th IUBMB Conference, Athènes, Grèce,
29 juin-1er juillet 2008.
— Conférence d’ouverture : « Short and long-term effect of nicotine on nicotinic receptors »,
XIII International Symposium on Cholinergic Mechanisms, Iguassu Falls, Brésil, 16-
20 août 2008.

M. Claude Cohen-Tannoudji, membre de l’Institut


(Académie des Sciences)
Physique atomique et moléculaire, 1973-2004

Publications
— Rédaction, en collaboration avec David Guéry-Odelin d’un ouvrage ayant pour titre :
« Advances in Atomic Physics — An overview », à paraître chez World Scientific, Singapour.
— Enregistrement pour la collection : « A voix haute » / Collège de France d’un CD
intitulé « Lumière et Matière ».

Conférences invitées à des conférences internationales


Conférences spéciales et commémoratives
— Conférence internationale organisée par la Royal Society de Londres, « Photons, Atoms
and Qubits 2007 (PAQ07) », Peter Knight’s 60th birthday, Londres, UK, 2 au 5 septembre
2007 : « Manipulating Atoms with Light Methods and Perspectives ».
— Wokshop dédié aux travaux et à la vie du Professeur Maurice Jacob, Genève, Suissse,
11 septembre 2007 : « A few personal recollections of the time spent with Maurice at Ecole
Normale ».
— Symposium international en l’honneur d’Alain Aspect à l’occasion de ses 60 ans,
Palaiseau, Campus Polytechnique, France, « From Entangled Photons to Atom Lasers »,
14 septembre 2007 : « Thirty years of friendship and collaboration with Alain. »
— Conférence INFM à Rome, Italie, 16 au 17 septembre 2007.
— Cérémonie de Remise de Diplôme (2e année du Master de Physique, voies Recherche
et Professionnelle), Lyon, France, 5 octobre 2007.
— Participation à la conférence « The Future of Science and Technology in Europe »,
« Promoting and Attracting Human Resources in S&T », Lisbonne, Portugal, 8 au
10 octobre 2007.
— Conférence inaugurale de l’année universitaire 2007-2008 à l‘Institut Rachi, « Les
grandes conférences », Troyes, France, 17 octobre 2007 : « Une brève histoire de la lumière ».
— C. N. Yang’s Symposium, Conférence internationale en l’honneur du 85e anniversaire
de CN Yang, République de Singapour, 29 octobre au 3 novembre 2007 : « Ultracold
atoms: Achievements and Perspectives ».
PROFESSEURS HONORAIRES 857

— France-Hong Kong Distinguished Lectures Series, série de 10 cours dans le cadre de


la Chaire « Professor at Large » de la « City University » de Hong Kong, Chine, 3 au
17 novembre 2007 : « Laser cooling and trapping ».
— Conférence invitée à l’Ecole Supérieure de Physique et Chimie de la Ville de Paris
– 125e anniversaire de l’ESPCI — colloque dédié à la mémoire de Pierre-Gilles de Gennes,
Paris, France, 21 au 22 novembre 2007 : « Atomes ultrafroids, applications à la mesure du
temps ».
— 2nd meeting of the High-level Scientific Policy Advisory Committee (HISPAC), à
l‘European Space Agency (ESA), à Paris, France, 11 janvier 2008.
— Journées Scientifiques Inaugurales du Centre de Microéléctronique de Provence
Georges Charpak, Gardanne, Saint-Etienne, France, 29 et 30 janvier 2008 : « Du pompage
optique aux atomes ultrafroids ».
— Conférence devant les élèves de l’Ecole supérieure de Gestion, Paris, France, 26 mars
2008 : « Matière et lumière ».
— Conférence à Nancy-Université, France, 3 avril 2008 : « Manipulation d’atomes par la
lumière ».
— 37th Meeting of the ICTP Scientific Council, Trieste, Italie, 8 au 9 mai 2008.
— Hyman and Irène Kreitman Annual Memorial Lecture, Ben-Gurion University of the
Negev, Beer-Sheva, Israël, 27 mai 2008 : « Light and Matter, The Modernity of Einstein’s
Ideas ».
— Conférence au Lycée Français de Londres, UK, 02 juin 2008.
— Conférence internationale : « Third Nobel Prize Laureates Meeting — Science and
Society », St Petersbourg, Russie, 22 au 27 juin 2008: « Ultracold Atoms — A model system
for new investigations in physics ».

Responsabilités diverses
Président d’honneur du Conseil Scientifique de la Fondation France-Israël.
Secrétaire du CODHOS (Comité de Défense des Hommes de Science, de l’Académie
des Sciences).
Membre du Comité Exécutif de l’International Human Rights Network of Academies
and Scholarly Societies (IHRNASS).
Membre du forum d’initiative franco-espagnol, depuis 2006.
Membre de l’HISPAC, (High-level Science Policy Advisory Committee).
Membre du Comité pour le Prix International pour l’alphabétisation scientifique des
enfants de la planète.
Membre du Comité de Pilotage « Science à l’Ecole » depuis 2004.
Membre du Conseil Scientifique de la Scuola Normale Superiore, Pise.
Membre du Conseil Scientifique de l’IFRAF (Institut Francilien de Recherche sur les
Atomes froids) depuis 2004.
Membre du Conseil Scientifique de l’ICTP (International Centre of Theoretical Physics),
Trieste.
Membre du Conseil Scientifique de l’« IPSO » (Israeli-Palestinian Science Organisation).

Distinctions

8 novembre 2007 — Docteur Honoris Causa de la City University de Hong Kong,


Chine.
858 PROFESSEURS HONORAIRES

M. François-Xavier Coquin, professeur


Histoire moderne et contemporaine du monde russe (1993-2001)

22-30 juin 2007. Moscou : Participation au colloque : « la guerre russo-turque. 1877-


1878 ». Communication : « attitude de la France face au conflit russo-turc, et au Congrès
de Berlin », (sous presse).
A.N. Sakharov, Rossija, narod, praviteli, civilizacija (La Russie : le peuple, les dirigeants,
la civilisation), Institut d’histoire russe (Acad. des Sciences), Moscou, 2005, 960 p. Compte
rendu critique, Nationalities Papers, 2007, vol. 35, n° 3, p. 581-591.
27 février-5 mars 2008. Moscou : Observateur étranger à Moscou et dans sa région à
l’occasion des élections présidentielles du 2 mars 2008.
Préface (p. 9-27) à la traduction française de l’ouvrage de Natalija A. Narotchnitskïa
« Que reste-t-il de notre victoire ? », Paris, 2008, Les Syrtes éd.
8-9 septembre 2008. Paris : Communication au colloque « La deuxième guerre mondiale :
causes et résultats de la remise en cause des acquis de 1945 », organisé par divers instituts
russes et ukrainiens sous le patronage du Centre culturel russe, et interview donnée à ce
sujet à Radio Moscou.

M. Yves Coppens, membre de l’Institut


(Académie des Sciences)
Paléoanthropologie et préhistoire 1983-2005

Recherche

Outre quelques sujets de recherches en cours depuis plusieurs années (rôle de


l’environnement dans l’histoire de l’homme, par exemple), j’ai engagé une
prospection en Mongolie à la suite de la découverte d’une calotte crânienne
humaine associée à du Rhinocéros laineux, dans le nord-est du pays (mission sur
le terrain au mois d’août 2007 et contrat de 5 ans avec le gouvernement mongole).
La problématique de ce projet est de progresser dans la compréhension de l’origine
de l’Homme moderne : déploiement à partir d’un foyer africain unique ou
évolution sur place de l’Homo erectus là où il est.
Nous avons poursuivi par ailleurs la collecte de nouveaux restes de Mammouths
et la gestion de leur analyse (en ce moment celle de Lyuba, petite femelle de 3 mois
découverte dans la presqu’île de Yamaal et âgée de plus de 40 000 ans) et préparé
la 5e conférence internationale sur les Mammouths et leur famille (présidence,
session de préparation à Weimar en février 2008).

Muséologie

A la demande d’un cabinet d’architectes français qui en avait gagné l’appel


d’offre international, nous nous sommes employés, un collaborateur, Fabrice
PROFESSEURS HONORAIRES 859

Demeter, et moi, à concevoir en Corée, un musée de site, sur un gisement,


Jeongok, qui avait livré un outillage paléolithique (beaucoup de bifaces) de plus
de 300 000 ans (accueil au Museum national d’Histoire naturelle de Paris et au
Musée d’Archéologie nationale de Saint-Germain-en-Laye d’une délégation
coréenne, juillet 2007).
Je suis par ailleurs toujours lié à certains projets du Museum national d’Histoire
naturelle (conseil scientifique), du Musée d’Archéologie nationale de Saint-
Germain-en-Laye et de la Cité des Sciences et de l’Industrie de Paris, à des
programmes en cours des Museums ou Sociétés d’Histoire naturelle de Bordeaux,
de Toulouse, des Musées de Vannes, de Carnac, du Puy (Crozatier), de la Chapelle-
aux-Saints, de Villers-sur-mer mais aussi du Transvaal Museum de Pretoria
(exposition en 2007) du Musée d’Anthropologie préhistorique de la Principauté
de Monaco (présidence du Comité international), etc.

Gestion de la recherche

Je suis membre du Haut Conseil de la Science et de la Technologie (j’y ai été


rapporteur du dossier sur la baisse d’attractivité de la Science), de l’Office parlementaire
d’évaluation des choix scientifiques et technologiques, du Comité international
d’évaluation des programmes Revealing Hominid Origins Initiative de la National
Science Foundation (USA), du programme HOPSEA, Human Origins Patrimony
South East Asia, de recherches en Asie et du programme HOPE, Human origins and
past environments de recherche en Afrique du sud. Je suis aussi Administrateur (pour le
patrimoine) des TAAF, Terres Australes et Antarctiques françaises.

Publications (juin 2007-juin 2008)


Anonyme (Yves Coppens), Francis Clark Howell, Membres de l’Académie disparus,
Institut de France, Académie des Sciences, Annuaire 2008, p. 199-200.
Yves Coppens, Paléoanthropologie et préhistoire, 1983-2005, Annuaire du Collège de
France, résumés 2006-2007, 2008, p. 952-956.
Yves Coppens, Préface, Le Quaternaire, limites et spécificités, Quaternaire, volume 18,
n° 1, 2 et 4, mars, juin et décembre 2007, p. 7.
Yves Coppens, Préface, in Sylvie Mercier de Flandre, Nature et rêveries, éditions du Signe,
Strasbourg, 2007, 3 pages non paginées.
Yves Coppens, Quand le Singe est-il devenu Homme ?, Sciences et Avenir, novembre
2007, p. 106-107.
Yves Coppens, Préface, in Bernard Vandermeersch et Bruno Maureille eds, Les
Néandertaliens, Biologie et Culture, Editions du Comité des travaux historiques et scientifiques,
2007, p. 9-10.
Yves Coppens, Postface, in Patrick Norbert et Tanino Liberatore, Lucy, l’espoir, Capitol
edition, 2007, p. 72-73 (bande dessinée).
Yves Coppens, Avant propos in Michel Signoli, Dominique Chevé, Gilles Boëtsch et
Olivier Dutour, Peste : entre Epidémies et Sociétés, Plague : Epidemics and Societies, Firenze
University Press, 2007, p. 9.
860 PROFESSEURS HONORAIRES

Yves Coppens, Lucy, Australopithèque afarensis, Addis Abeba, 2001 in Titouan Lamazou,
Zoe : femmes du Monde, Gallimard 2007, T. 1, p. 17-25.
Yves Coppens, Damdinsuren Tseveendorj, Fabrice Demeter, Tsagaan Turbat, Pierre-
Henri Giscard, Découverte d’une calotte crânienne d’un Homo sapiens archaïque dans le
Nord-Est de la Mongolie, C.R. Palevol. 7 (2008), p. 51-60.
Yves Coppens, L’East Side story n’est plus, Homo sapiens, l’Odyssée de l’espèce,
Taillandier, 2005, p. 40-48.
Emmanuel-Alain Cabanis, Jackie Badawi-Fayad, Marie-Thérèse Iba-Zizen, Adrian Istoc,
Henry et Marie-Antoinette de Lumley et Yves Coppens, Scanner à rayons X et
paléoanthropologie crânienne, Bull. Acad. Natle de Médecine, 2007, 191, 6, 1069-1089.
Yves Coppens in Les secrets du cerveau, Les mystères du XXIe siècle à Saint Tropez,
1-3 décembre 2006, DVD video 2007.
Yves Coppens, L’Homme et l’environnement, climat subi, climat conquis, climat meurtri,
in Le Climat dans tous ses états, Les mystères du XXIe siècle à Saint-Tropez, 7-9 décembre 2007,
DVD video 2008 (DVD n° 1/4).
Yves Coppens, Le pied, la roue, AT Magazine, n° 1, 2008, p. 73-75.
Hassane Taïsso Mackaye, Yves Coppens, Patrick Vignaud, Fabrice Lihoreau, Michel
Brunet, De nouveaux restes de Primelephas dans le Mio-Pliocène du Nord du Tchad et
révision du genre Primelephas, C.R. Palevol. 7 (2008), p. 227-236.
Yves Coppens, In Memoriam : Francis Clark Howell, Bull. et Mens. de la Soc. Anthrop.
de Paris, n.s., t. 19, 2007, 1-2, p. 5-6.
Yves Coppens, avant-propos in Yves Coppens, président, Origine de l’Homme et peuplement
de la Terre, éd. du Musée d’Anthropologie préhistorique de Monaco, 2008, p. 6-7.
Yves Coppens, Préhumains et origine de l’Homme in Yves Coppens, président, Origine
de l’Homme et peuplement de la Terre, éd. du Musée d’Anthropologie préhistorique de
Monaco, 2008, p. 12.

Livres

Patrick Norbert et Tanino Liberatore, conseiller scientifique Yves Coppens, Lucy, l’espoir,
Capitol Editions, Paris, 2007, 74 pages (bande dessinée).
Hubert Reeves, Joël de Rosnay, Yves Coppens, Dominique Simonnet, La plus belle
histoire du monde, Le Seuil, 1996 ; édition basque, 2007.
Yves Coppens, Soizik Moreau, Sacha Gepner, Le origini dell’Uomo, Editoriale Jaca Book,
Milan, 2008, 61 pages ; édition française, Yves Coppens raconte l’Homme, ed. Odile Jacob,
2008.
Yves Coppens, L’Histoire de l’Homme, 22 ans d’amphi au Collège de France (1983-2005),
éditions Odile Jacob, 2008, 246 pages ; édition club pour le Grand Livre du Mois, 2008 ;
édition italienne, Editoriale Jaca Book, Milan, 2008.
Yves Coppens (présidence), Origine de l’Homme et peuplement de la Terre, Comité
scientifique international du Musée d'Anthropologie préhistorique de Monaco, éd. du
Musée d’Anthropologie préhistorique de Monaco, 2008, 64 pages.
PROFESSEURS HONORAIRES 861

Audiovisuel

Le climat dans tous ses états, Les Mystères du XXIe siècle à Saint Tropez (8e édition),
invités d’honneur, Hubert Reeves et Yves Coppens, 4 DVD video 2008.
L’odyssée de l’espèce, Homo sapiens, Le sacre de l’Homme, France Télévision distribution,
Jacques Malaterre réalisation, Yves Coppens, directeur scientifique, coffret des 3 DVD,
2007.
36 Chroniques « Histoire d’Homme », Yves Coppens et Marie-Odile Monchicourt, 5 fois
chaque lundi de juin 2007 à août 2007, 5 fois un dimanche sur deux de septembre 2007
à juin 2008.

Conférences, communications, allocutions

Conférences à Pretoria, Transvaal Museum (7 novembre 2007), à Saint Germain-en-Laye


(15 septembre 2007), à Nancy, Opéra (20 septembre 2007), à Nancy, aux Élus, Hôtel de
Ville (22 septembre 2007), à Paris, salle Olympe de Gouge, pour la mairie du
11e arrondissement (30 octobre 2007), à Paris, au restaurant le Doyen, pour le groupe Vinci
(28 mars 2008), à Paris, au Musée de l’Homme, pour la Société des Amis du Musée de
l’Homme (19 mai 2008), à Marseille (10 octobre 2007), à Tautavel, Pyrénées orientales
(2 novembre 2007), à Dinard (19 et 20 janvier 2008), à Rueil (7 février 2008), à Villers-sur-
mer (9 février 2008), aux Angles, Pyrénées-Orientales (3 mars 2008), à Monaco, à la
Fondation Prince Pierre (17 mars 2008), à Ajaccio (21 avril 2008), aux Rencontres de Porto
Vecchio (30 avril 2008), à Toulouse au Muséum d’Histoire naturelle (19 juin 2008), à
Cannes, au Symposium de l’Eau (24 juin 2008), à Quiberon, 5 fois (30 juin-4 juillet 2008).
Conférences sur le Costa Marina (2), croisière en Norvège, 30 mai-11 juin 2008.
Participation à la 1st International Conference, Archaeological Research in Mongolia,
13-23 août 2007, Ulaanbaatar (communication le 20 août 2007, en anglais) ; au mois de
la préhistoire du Musée d’Archéologie nationale de Saint-Germain-en-Laye, 15 septembre-
15 octobre 2007 (conférence inaugurale le 15 septembre 2007) ; au 9e Congrès de
l’International Ocular Inflammation Society, Musée du Quai Branly, Paris (allocution le
19 septembre 2007, en anglais) ; aux Rencontres de Paris sur les Primates et leurs habitats,
20e Colloque de la Société francophone de Primatologie, Muséum national d’Histoire
naturelle, 22-26 octobre 2007 (conférence le 24 octobre 2007) ; à la conférence Human
Origins Patrimony, Studies in Southeast Asia, Paris, 10-12 décembre 2007 (HOP sea network
conference) (keynote address, en anglais, présidence de la session au Musée de l’Homme le
11 décembre 2007 et address for conclusion, en anglais, au Museum national d’Histoire
naturelle, le 12 décembre 2007) ; à la 8e édition des Mystères du XXIe siècle à Saint Tropez,
Le climat dans tous ses états, 7-9 décembre 2007 (invité d’honneur, communication le
8 décembre et conclusion, le 9 décembre 2007) ; au symposium international, Des collections
anatomiques aux objets de culte : conservation et exposition des restes humains dans les musées,
Musée du Quai Branly, 22-23 février 2008 (communication le 22 février 2008) ; au
Colloque IPSEN (Innovation for patient care), Translations cortico-motrices, mouvement et
risque, Abbaye de Royaumont, 28-29 mars 2008 (conférence inaugurale le 28 mars 2008) ;
à l’Interdisciplinary workshop on 3D Paleo-Anthropology, Anatomy, Computer Science
and Engineering Synergies for the future, Muséum de Toulouse, 19-20 juin 2008
(présidence, allocution d’ouverture).
Exposés dans des écoles : aux élèves de CM1-CM2 des écoles primaires de Nancy, à l’Hôtel
de ville (2 sessions successives le 21 septembre 2007), au lycée français Jules Verne de
Johannesburg (9 novembre 2007), au Collège des Francs-Bourgeois, Paris 4e (6e, 28 novembre
2007), à l’Ecole Yves Coppens de Grand-Champ (Morbihan) (2 janvier 2008), aux élèves de
plusieurs établissements (1res et Terminales) réunis au Casino de Trouville (8 février 2008),
862 PROFESSEURS HONORAIRES

aux élèves de l’Ecole élémentaire des Angles (Pyrénées-Orientales) (6 mars 2008) ; aux élèves
de secondes, premières et terminales de Saint-Sigisbert de Nancy (22 septembre 2007), aux
étudiants étrangers de l’IUEFM à l’Hôtel de Ville de Nancy (22 septembre 2007), aux élèves
des Prépas du lycée Poincaré de Nancy (21 septembre 2007).
Allocutions à la remise des insignes de Chevalier dans l’ordre de la Légion d’Honneur à
Monsieur François Raulin, Professeur des Universités (Observatoire de Paris, 20 février 2008),
à la remise des insignes de Commandeur dans l’ordre de la Légion d’Honneur à Madame
Coquery-Vidrovitch, Professeur des Universités (Université de Paris VII, 14 avril 2008).
Allocutions à la mairie d’Ajaccio (27 septembre 2007), au Palais des Arts de Dinard, pour
l’ouverture de l’exposition Quel avenir pour les Grands Singes ? (19 janvier 2008), au Musée
du Quai Branly, pour le 60e anniversaire de Sciences et Avenir, Quel avenir pour l’Homme ?,
Quel avenir pour la planète ? (12 novembre 2007), au Club de la Chasse et de la Nature,
Paris 3e, pour la délégation de scientifiques chinois en voyage d’étude, Pékin-Lascaux,
23 mai 2008. Allocution pour l’ouverture de l’exposition Mother Africa and Mrs Ples, en
qualité d’Honorary Patron, 8 novembre 2007 ; allocution au Salon du Livre de Nancy (sous
le chapiteau), pour l’ouverture du Livre sur la Place, en qualité de Président 2007 ; allocution
à l’Ecole Yves Coppens de Grand-Champ (Morbihan) à l’occasion de la cérémonie de
dénomination de l’Ecole, 26 janvier 2008.
Présentation du livre L’Histoire de l’Homme aux représentants des éditions Odile Jacob,
septembre 2007 ; présentation du même livre à la presse, 17 avril 2008 ; présentation des
films Stantari au Palais des Congrès d’Ajaccio, 27 septembre 2007 ; présentation du livre
d’Emmanuel Anati, L’Odysée des Premiers Hommes en Europe, Musée de l’Homme,
22 octobre 2007.
Rencontre et dédicace de l’album Lucy, l’espoir avec Tanino Liberatore, Fnac Saint-Lazare,
31 janvier 2008 ; dédicace de mes livres les plus récents, Musée de Tautavel, 30 octobre 2007 ;
dédicace de mes livres disponibles, Le livre sur la place, Nancy, 20, 21, 22, 23 septembre 2007
dédicace de L’Histoire de l’Homme, librairie Nicole Maruani, Paris 13e, 26 juin 2008.
Participation à un débat avec Henry de Lumley, Palais des Congrès, Tautavel, sur les
Premiers Hommes de l’Europe, 31 octobre 2007, à un débat avec quelques collègues sur
les changements climatiques, Opéra de Nancy, 22 septembre 2007 ; participation au
séminaire docu-fiction de France 2, 16 avril 2008.

Enseignement extérieur

Master « Evolution, Patrimoine naturel et sociétés », Museum national d’Histoire


naturelle, 17 septembre 2007.

Participation à 5 jurys :

Diplôme de fin d’études d’architecture


Magalie Rayebois : Un musée de paysage à Jeongok (Corée du Sud), Ecole d’architecture de
Paris La Villette, septembre 2007, Yves Coppens, membre du jury.

Doctorat d’Université
Anne-Elisabeth Lebatard, « Datations radiochronologiques des séries sédimentaires à
Hominidés du Paléolac Tchad, depuis le Miocène supérieur », Université de Poitiers, novembre
2007, Yves Coppens rapporteur et président.
Noëlle Perez Christiaens, « Porter sur soi, se porter, porter, se comporter, transporter, se
charger et se décharger sans dommage. Contribution à l’étude d’une catégorie universelle de
PROFESSEURS HONORAIRES 863

techniques : le transport des charges sur soi », Ecole des Hautes Etudes en Sciences sociales,
mai 2008, Yves Coppens, rapporteur.
Guillaume Nicolas, « Des données anatomiques à la simulation de la locomotion bipède.
Application à l’homme, au Chimpanzé et à Lucy (Al 288.1) », Université de Rennes 2,
octobre 2007, Yves Coppens, président.
Bekele Metasebia, « Pierres dressées et coutumes funéraires dans les sociétés Konso et Gewada
du Sud de l’Ethiopie », Université de Paris 1, Panthéon-Sorbonne, décembre 2007, Yves
Coppens, président.

Responsabilités diverses et fonctions nouvelles

Membre du Haut Conseil de la Science et de la Technologie (Présidence de la République),


membre du Conseil d’Analyse de la Société (Premier Ministre) ; membre du Conseil
scientifique de l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques
(Assemblée nationale et Sénat). Membre du Conseil scientifique du Muséum national
d’Histoire naturelle ; membre de la Commission d’avancement des personnels scientifiques
du Museum ; membre de la commission du patrimoine historique et des sites archéologiques
des Terres australes et antarctiques françaises (TAAF).
Président du Comité scientifique pour l’étude et la valorisation du site de Carnac
(Ministère de la Culture de la Communication) ; président du Comité scientifique
international du Musée d’Anthropologie préhistorique de la Principauté de Monaco ;
président de Vocations patrimoine, l’héritage du futur (en collaboration avec l’Unesco).
Honorary Research Associate of the Human Origins and past environments programme
(HOPE) Transvaal Museum, 2007 ; membre d’Honneur de l’Association Rayonnement du
CNRS, Associations des anciens et des amis du CNRS, 2008 ; membre du Comité scientifique
d’honneur du Festival des Primates de l’Université de Liège, 2007 ; membre du Comité
d’honneur de la Fondation Nationale de Gérontologie et membre du Comité d’Honneur
de son Prix Chronos de littérature, 2007.
Membre de Comité d’orientation de la revue, Clartés, Grandes Signatures, 2008 ; membre
du Comité de parrainage international de la Cité du livre et de l’écriture, La Colle-sur-
Loup, Alpes-Maritines, 2008.
Membre de la Fondation pour l’Institut européen d’histoire et des cultures de l’alimentation
(IEHCA) (renouvellement) ; membre du comité de parrainage du Réseau Mémoire de
l’Environnement (renouvellement) ; parrain du projet de Chaîne de télévision publique
scientifique en TNT, la chaîne comprendre (LCC), 2007 ; membre du Comité de soutien
pour la création d’une chaîne généraliste de Télévision nationale TNT consacrée à tous les
patrimoines, 2007.
Membre d’honneur de la Fondation Teilhard de Chardin, 2007 ; membre d’honneur de
l’UPR 2147 du CNRS, Dynamique de l’Evolution humaine, 2007 ; membre d’honneur de
la Société des Amis du Palais de la Découverte (SAPADE), 2008.
Co-vice-président de la Fondation Geneviève Laporte à Pierrebourg pour la protection
des grands singes, 2007.
Membre du Comité d’honneur du Comité scientifique pour l’étude du bébé Mammouth
Lyuba, découvert en Sibérie occidentale, Institut de Zoologie de Saint Petersbourg, 2007 ;
président de la 5e Conférence internationale sur les Mammouths et leur famille, Musée
Crozatier, Le Puy-en-Velay (Haute-Loire), 30 août-4 septembre 2010 (première réunion de
travail, Weimar, février 2008).
Conseiller scientifique de l’expo-dossier Quoi de neuf en paléoanthropologie ?, Cité des
Sciences et de l’Industrie, 2008, février 2009 ; parrain du mois de la Préhistoire 2007 du
Musée d’Archéologie nationale, Saint-Germain-en-Laye ; parrain des films Stantari, Ajaccio,
864 PROFESSEURS HONORAIRES

Porto-Vecchio, 2007-2008 ; parrain de la Fondation pour la Recherche en Santé respiratoire,


2008.
Président d’honneur du XIVe colloque international de la Société de Biométrie humaine
Identification et authentification des personnes, Museum national d’Histoire naturelle,
novembre 2007 ; président d’honneur du XVe Colloque Avancées en Biométrie humaine,
Museum national d’Histoire naturelle, novembre 2008 ; président d’honneur de l’Institut
des Déserts, 2007. Président du salon du livre de Nancy, Le livre sur la place, 20-23 septembre
2007 ; président d’honneur des célébrations du centenaire de la découverte de l’Homme de
la Chapelle-aux-Saints, 3 août 2008.
Création des entretiens Yves Coppens-Michel Serres, 2008 (suite aux Rencontres Sciences
et Sociétés d’Evian), Paris, 2007, prochains entretiens à Lyon en octobre 2008.
Parrain des célébrations à Bordeaux du tricentenaire de la naissance de Linné, Museum
d’Histoire naturelle de Bordeaux, exposition Le voyage en Laponie de Carl von Linné,
26 janvier-30 septembre 2007, Bibliothèque municipale de Bordeaux-Mériadeck, exposition
Voici des fruits, des fleurs, des feuilles et des branches, 28 septembre-22 décembre 2007, Société
Linéenne de Bordeaux, exposition Linné-trois siècles de Sciences naturelles, salle capitulaire de
la Cour Mably, 13 octobre-27 octobre 2007, Jardin Botanique de Bordeaux-Bastide,
exposition Salon du Champignon, 27 octobre-29 octobre 2007, et baptême de l’Esplanade
Linné, inauguration 25 octobre 2007. Parrain du projet de traversée Ouest-Est du Sahara
de Régis Belleville, 2007.
Membre du Comité scientifique internatinal du Colloque Global change Social Sciences
and humanities facing the Climate change challenges et keynote speaker, Paris 22-23 septembre
2008 ; membre du comité scientifique de l’exposition universelle de Milan, 2015, Feeding
the Planet, Energy for Life, forum Working together for Food safety, Food security and Health
Lifestyles, 4 et 5 février 2015 ; membre du Comité scientifique du Colloque, Déserts d’Afrique
et d’Arabie, environnement, climat et impact sur les populations de l’Académie des Sciences de
l’Institut de France, 8-9 septembre 2008 ; membre du Comité scientifique du Colloque
vieillissement des Mystères du XXIe siècle, Saint-Tropez, décembre 2008. Invité par la
Pontifical Academy of Sciences pour participer au colloque Scientific Insights into the
evolution of the Universe and of Life, Rome, 31 octobre-4 novembre 2008 ; invité par la
Pontificia Università Gregoriana pour participer à la conférence internationale Evolution
and Evolution Theories, Rome, 3-7 mars 2009.

Distinctions

Commandeur du Mérite culturel de la Principauté de Monaco, 2007, médailles des villes


d’Ajaccio, 2007 et de Grand-Champ (Morbihan), 2008.
Ecole élémentaire « Yves Coppens » de Grand-Champ (Morbihan), 2008 ; rue Yves
Coppens, Franqueville-Saint-Pierre (agglomération rouennaise) (Seine maritime), 2008.
Honorary patron de l’exposition du Transvaal Museum « Mother Africa and Mrs Ples »,
novembre 2007 ; Patrón de Honor de la Fundación Josep Gibert, Espagne, février 2008.
Astéroïde Coppens 172850 (Union astronomique internationale, 2008).
Prix Andersen, il mondo dell’infanzia, « miglior libro di divulgazione » pour Yves Coppens
(avec la collaboration de Soizik Moreau et Sacha Gepner), Yves Coppens racconta le origini
dell’Uomo, editoriale Jaca Book, Milan, 2008.
« Yves Coppens », une des 7 personnalités retenues pour l’exposition Des Collections et des
Hommes, voyageurs, savants, artistes, Musée de Vannes, juin-décembre 2008.
PROFESSEURS HONORAIRES 865

M. Gilbert Dagron, membre de l’Institut


(Académie des Inscriptions et Belles-Lettres)
Histoire et civilisation du monde byzantin, 1975-2001

Publications

— « Vérité du miracle », Rivista di Storia e Letteratura Religiosa, 42/3, 2006 (Atti del
Convegno Internazionale : Pellegrinaggi santuari miracoli nel mondo cristiano tra storia e
letteratura), p. 475-493.
— « Une rhétorique de l’événement : l’astrologie », dans Faire l’événement au Moyen Âge,
sous la direction de Claude Carozzi et Huguette Taviani-Carozzi, Le temps de l’histoire,
Publications de l’Université de Provence, 2007, p. 193-200.
— « From the mappa to the akakia : Symbolic drift », dans From Rome to Constantinople.
Studies in Honour of Averil Cameron, éd. Hagit Amirav et Bas Ter Haar Romeny, Louvain,
2007, p. 203-219.
— « Couronnes impériales. Forme, usage, couleur des stemmata dans le cérémonial
impérial du Xe siècle », dans Byzantina Mediterranea. Festschrift für Johannes Koder zum 65.
Geburtstag, éd. Klaus Belke, Ewald Kislinger, Andreas Külzer, Maria A. Stassinopoulou,
Vienne, Cologne, Weimar, 2007, p. 157-174.
— « La France au miroir de Byzance. Quelques remarques sur l’historiographie française
du Moyen Âge au XVIIIe siècle », dans Rossijskaja Akademia Nauk, Sankt-Peterburgskoe
Otdelenie, Vspomogatel’nye istoričeskie discipliny XXX (Mélanges Igor Medvedev), Saint-
Pétersbourg, 2007, p. 264-272.
— « L’icône, un portrait parlé », dans Sciences humaines. Les grands dossiers : Entre image
et écriture, 11 (juin-août 2008), p. 50-55.

Activités

— 14 mai 2008, remise du prix de l’essai attribué par la Revue des Deux Mondes pour
Décrire et peindre. Essai sur le portrait iconique (Gallimard, Bibliothèque des Histoires,
2007).
— 21 mai 2008, séminaire à l’Université d’Oxford, « À propos du Livre des cérémonies
de Constantin Porphyrogénète ».

M. Jean Delumeau, membre de l’Institut


(Académie des Inscriptions et Belles-Lettres)
Histoire des mentalités religieuses dans l’Occident moderne, 1975-1994
Conférences et publications
Jean Delumeau a donné en 2007-2008 des conférences à Paris et, en outre, à
Aubervilliers, Caen, Châteaulin, Nice, Rennes, Saint-Brieuc et Tunis.
866 PROFESSEURS HONORAIRES

Il a publié Le Mystère Campanella (Paris, Fayard, 2008, 592 p.). Sont sorties les
traductions suivantes de ses livres : en portugais (Brésil) de Guetter l’aurore ; en
russe de La Civilisation de la Renaissance ; en polonais de La plus belle histoire du
bonheur.

M. Marc Fumaroli, membre de l’Académie française


et de l’Académie des inscriptions et belles-lettres
Rhétorique et société en Europe (XVIe-XVIIe siècles), 1987-2002

Conférences et séminaires

25-27 février 2008 : Rome, Accademia dei Lincei, présentation de la Revue République
des Lettres, dirigée par Mina Fattori, directrice de l’Institut de philosophie de La
Sapienza.
5 avril : Chantilly avec Mireille Huchon : Louise Labbé est-elle le prête-nom de Maurice
Scève ?
7 avril : Mairie de Nancy, Pour une antenne de l’Institut d’Histoire de la République des
Lettres.
26 avril : Académie d’Aix en Provence, Peiresc à Aix.
28-29 avril : Fondation Gulbenkian à Lisbonne, Le comte de Caylus et le style « à la
grecque ».
3 mai : Conseil scientifique de l’ISU à Florence.

Publications

Livres
El Estado cultural, ensayo sobre una religión moderna, traducción de Eduardo Gil Berra,
Barcelona, Acantilado, 2007, 461 pages. Traduit en espagnol : La educación de la libertad,
Epílogo de Carlos García Gual, Arcadia, 2007, 54 pages.

Préfaces
de Jean-Baptiste Alexandre Le Blond, Architecte 1679-1719. De Paris à Saint-Pétersbourg,
Alain Baudry et Cie éditeur, 2007.
de Michel David-Weill, L’esprit en fête, Paris, Robert Laffont, 2007, 266 pages.
de Estienne Perret, XXV fables des animaux, PUF, Fondation Martin Bodmer, collection
Sources, 2007, p. 9-23.
De Négociations européennes d’Henri IV à l’Europe des 27, « L’esprit de la diplomatie
européenne », sous la direction A. Pekar Lempereur et A. Colson, Le Cercle des Négociateurs,
Perspectives, Paris, A2C Medias éditeur, 2008, p. 15-21.
PROFESSEURS HONORAIRES 867

Postfaces
de Chateaubriand, Amour et Vieillesse, Paris, Rivages Poche/petite Bibliothèque, 2007,
p. 23-61.
de Chateaubriand, Amor y vejez, traducción de José Ramon Monreal, Acantilado, 2008,
p. 21-52.

Compte rendu
de Les Disparus de Daniel Mendelsohn, Paris, Flammarion, 642 pages, Le Point 1825,
6 septembre 2007, p. 94 : « Le Temps retrouvé de Mendelsohn ».

Articles scientifiques
« Chateaubriand et Goethe », Die europäische République des lettres in der Zeit der Weimarer
Klassik, Wallstein Verlag, 2007, p. 151-173.
« La Republica dellelettere e l’identità europea », Intersezioni, Rivista di storia delle idee, Il
Mulino, Anno XXVII, Agosto 2007, p. 157-168.
« Le comte de Caylus et les origines françaises du ‘retour à l’Antique’ européen », Roma
triumphans ? L’attualità dnell Francia del Setteceto, Roma, Edizioni di Storia e Letteratura,
2007.
« Das Vermächtnis der europäischen république des lettres », Die europäische République
des lettres in der Zeit der Weimarer Klassik, Wallstein Verlag, 2007, p. 11-30.
« L’invention de l’enfance chez Rousseau et Chateaubriand », Studi Veneziani, N.S. LI
(2006), Fabrizio Serrra editore, 2007, p. 17-30.
« L’esprit de la diplomatie européenne », Préface de Négociations européennes d’Henri IV à
l’Europe des 27, sous la direction A. Pekar Lempereur et A. Colson, Le Cercle des
Négociateurs, Perspectives, Paris, A2C Medias éditeur, 2008, p. 15-21.
« La ‘herencia de Amyot’ : La crítica de la novela de caballería y los orígenes de la novela
moderna », Anales Cervantinos, vol. XXXIX, Enero - Diciembre 2007, p. 235-262.
Introduction journée Paul-Louis Courier, Cahiers de l’Association internationale des études
françaises, Mai 2008, n° 60, p. 73-77.
« Cézanne tel que je le vois, à rebours de sa légende », Ce que Cézanne donne à penser,
Actes du colloque d’Aix-en-Provence, Juillet 2006, Paris, Gallimard, 2008, p. 11-19.

Articles de presse
« Montaigne, retour aux sources », Le Monde, Vendredi 15 juin 2007, p. 3.
« Pèlerinage à Ise », Revue des Deux Mondes, Juillet-août 2007, p. 97-119.
« Pour une relecture critique de « Tartuffe » », Le Monde, Vendredi 6 juillet 2007, p. 7.
« Pour une Europe unie de l’esprit », Valeurs actuelles, 2 novembre 2007, p. 60-61.
« Oublier Saint-Simon », Le Point, n° 1844, 17 janvier 2008, p. 42.
« Une civilisation mondiale est une contradiction… », Le spectacle du monde, n° 541,
Janvier 2008, p. 47-49.
« Tocqueville. Perchè amò l’America », La Repubblica, mercoledì 26 marzo 2008,
p. 46-47.
« Le misanthrope humaniste », L’Express, n° 2964, 24/4/2008, p. 110-112.
« Tocqueville et ses arrières-pensées », Le Point, n° 1854, 27 mars 2008, p. 108-109.
868 PROFESSEURS HONORAIRES

« L’invention de l’enfance chez Rousseau et Chateaubriand », Grandes signatures, n° 1,


Avril 2008, p. 14-27.
« Stendhal, ou le ‘Rêve américain’ », Le Point, 22 mai 2008, p. 122-123.

Entretiens – interview
de Benedetta Craveri, « Il vecchio e la sirena », La Repubblica, Sabato 11 agosto 1007,
p. 51.
avec Sophie Lannes, « L’Italie et le don de la beauté », Géopolitique n° 97, Janvier 2007,
p. 121-127.
avec Juan Pedro Quironero « Voe dificil que Sarkozy se atreava a romper con la vaca
sagrada del Ministerio de Cultura », ABC International, Sabado 1 IX 2007.

M. Jacques Gernet, membre de l’Institut


(Académie des Inscriptions et Belles-Lettres)
Histoire sociale et intellectuelle de la Chine, 1975-1992

Publications

— Société et pensée chinoises aux XVIe et XVIIe siècles, Collège de France/Fayard, 2007,
202 p.
— La Vie quotidienne en Chine à la veille de l’invasion mongole (1250-1276), rééd. Éd.
Philippe Picquier, 2007, 420 p.
— Kniecki svet, trad. serbe corrigée du Monde chinois, Armand Colin, 2003, Clio,
Belgrade, 2007, 844 p.
— Zhongguo shehui shi, rééd. de la dernière trad. chinoise du Monde chinois, Armand
Colin, 2003, Nankin, 2008, 644 p.
— « Remarques sur le contexte chinois de l’inscription de la stèle nestorienne de Xi’an »,
in Jullien, C. (éd.), Controverses des chrétiens dans l’Iran sassanide, coll. Studia Iranica.
Cahier 36, Paris, 2008, 227-243.
— Présentation de livre, CR de l’Académie des Inscriptions et Belles-Lettres, avril-juin 2006,
766-70.

Divers

— Allocution pour la remise d’épée à M. Jean-Noël Robert, Académie des Inscriptions


et Belles-Lettres, 30 janv. 2008.
— Communication au Colloque Les Signes, instruments de la pensée, 14-18 juillet 2008,
Château Mercier, Sierre, Suisse. J. Gernet : « Langage, mathématiques, rationalité. Catégorie
ou fonction ».
PROFESSEURS HONORAIRES 869

M. Jean Guilaine
Civilisations de l’Europe au Néolithique et à l’Âge du bronze, 1994-2007

Publications

a. Ouvrages
J. Guilaine : Les racines de la Méditerranée et de l’Europe, Fayard, 2008, 95 p., 14 fig.
J. Guilaine, M. Barbaza, M. Martzluff (dirs.) : Prehistória d’Andorra. Les excavacions a la
Balma de la Margineda (1979-1991). Les fouilles à l’abri de la Margineda, Tome IV, Govern
d’Andorra, 2007, 600 p., 226 fig., 67 tableaux, 9 plans.
J. Guilaine, C. Manen, J.-D. Vigne (dirs.) : Pont de Roque Haute. Nouveaux regards sur
la néolithisation de la France méditerranéenne, Centre de Recherche sur la Préhistoire et la
Protohistoire de la Méditerranée/Ecole des Hautes Etudes en Sciences Sociales, Toulouse,
2007, 332 p., 134 fig.
A. Langaney, J. Clottes, J. Guilaine, D. Simonnet : La plus belle histoire de l’homme,
Editions du Seuil, Points 779, 2007, 202 p.

b. Articles
J. Guilaine : Jalons historiographiques : le Néolithique, entre matériel et idéel,
XXVIe Congrès Préhistorique de France (Avignon, 21-25 septembre 2004), Société Préhistorique
Française, 2007, pp. 441-448.
J. Guilaine : Les enjeux de Sidari, in G. Arvanitou-Metallinou (dir.) : Prehistoric Corfù
and its adjacent areas. Problems-Perspectives, Proceedings of the Conference Dedicated to
Augustus Sordinas, (Corfu, 17 décembre 2004), Kepkypa, 2007, pp. 91-96, 1 fig.
J. Guilaine : Ô Bonne Mère…, Archéopages, Constructions de l’archéologie, INRAP, Paris,
février 2008, pp. 22-27, 3 fig.
J. Guilaine : Des pèlerinages dès la Préhistoire ? in J. Chélini (dir.) : Les pèlerinages dans
le monde à travers le temps et l’espace, Fondation Singer-Polignac, Picard, Paris, 2008,
pp. 13-20.
J. Guilaine : Le Néolithique et la naissance des sociétés complexes (Annales, 60e année,
septembre-octobre 2005), Académie des Inscriptions et Belles-Lettres, Comptes rendus, 2006,
juillet-octobre 2008, pp. 1651-1652.
J. Guilaine : Préface in J. Vaquer, M. Gandelin, M. Remicourt, Y. Tchérémissinoff : Défunts
néolithiques en Toulousain, Ecole des Hautes Etudes en Sciences Sociales/Centre de Recherche
sur la Préhistoire et la Protohistoire de la Méditerranée, Toulouse, 2008, pp. 9-10.
J. Guilaine et C.-A. de Chazelles : Les premières architectures de Chypre in A. Bouet
(dir.) : D’Orient et d’Occident. Mélanges offerts à Pierre Aupert, Ausonius Editions, Bordeaux,
2008, pp. 79-86, 4 fig.
J. Guilaine et J. Malaterre : Le Néolithique. Naissance des Civilisations in M. Vidard (dir.) :
Abécédaire scientifique pour les curieux. Les têtes au carré, Sciences Humaines Editions, 2008,
pp. 127-132.
J. Guilaine et C. Manen : From Mesolithic to Early Neolithic in the Western
Mediterranean in A. Whittle et V. Cummings : Going Over. The Mesolithic-Neolithic
Transition in North-West Europe, The British Academy, Oxford University Press, 2007,
pp. 21-51, 10 fig.
J. Martinez Moreno, M. Martzluff, R. Mora, J. Guilaine : D’une pierre deux coups :
entre percussion posée et plurifonctionnalité, le poids des comportements “opportunistes”
dans l’Epipaléolithique-Mésolithique pyrénéen in L. Astruc, F. Bon, V. Léa, P.-Y. Milcent
870 PROFESSEURS HONORAIRES

et S. Philibert (dirs.) : Normes techniques et pratiques sociales. De la simplicité des outillages


pré et protohistoriques, XXVIe Rencontres internationales d’archéologie et d’histoire d’Antibes,
Editions APDCA, Antibes, 2006, pp. 147-160, 6 fig.

Audio-visuel

Films commentaires autour du « Sacre de l’Homme », Pixcom/Boréales/France 2/France 5,


3 films de 52’ (co-direction scientifique avec Yves Coppens) (Diffusion France 5, 3, 10 et
17 décembre 2007)
La Prehistoria à Moia (Barcelona), film de X. Juncosa, 2007 (interview)
La Cité de Carcassonne, au cœur de l’histoire, film de Ph. Satgé et F. Soulet, CRDP,
Montpellier, 2007 (séquence sur le site de Carsac)
Otzi, l’homme des glaces, et son temps, Editions Gallimard, Col. « A voix haute »
(enregistrement 28 mars 2008)

Colloques/Réunions scientifiques

EHESS/Université d’été, Carcassonne, 14-15 septembre 2007 : « L’archéologie comme


discipline » (Ph. Boissinot dir.), communication : « L’archéologie, une discipline ? ».
Colloque des Palynologues de langue française, Toulouse, 2-4 octobre 2007 : « Les
réchauffements climatiques. Réponses des Ecosystèmes et des Sociétés », communication : « Sociétés
néolithiques et environnements ».
Colloque international de Préhistoire maghrebine, Tamanrasset (Algérie), 5-7 novembre
2007, communication : « Entre Europe, Asie et Afrique au Néolithique : la Méditerranée, lien
ou frontière culturelle ? » et présidence d’une session.
Colloque « Archéologies frontalières : Alpes du sud, Côte d’Azur, Piémont, Ligurie », Nice,
13-15 décembre 2007, présidence de séance et synthèse finale (Néolithique, Âge du
bronze).
Colloque de la Société d’Anthropologie de Paris « Autour de la Méditerranée de la
Préhistoire à nos jours », Marseille, 23-25 janvier 2008, conférence inaugurale : « Du
Néolithique à l’Âge du bronze en Méditerranée » et présidence de session.
Colloque « First Great Migrations of Peoples in History » UNESCO, Paris, 19 juin 2008,
communication : « The First Villagers to Conquer Europe : Migrations or Cultural
Diffusions ? ».
Colloque Interdisciplinaire « Sciences et Politique », Université Paul Sabatier/ADREUC,
27-29 juin 2008, communication : « Archéologie, Idéologie, Politique ».

Administration de la recherche

Présidence du Comité d’AERES des UMR 5197 (Archéozoologie, archéobotanique :


sociétés, pratiques et environnements) et 5198 (Histoire naturelle de l’homme préhistorique),
Muséum National d’Histoire Naturelle, Paris, 17 janvier 2008.
Commission des présidents, AERES, 27 mars 2008.
Présidence du Comité Scientifique International de l’Institut de Préhistoire de l’Université
de Cantabrie, Santander, 27-30 avril 2008.
PROFESSEURS HONORAIRES 871

Conférences/Débats
Portiragnes, 18 octobre 2007 : présentation de l’ouvrage « Pont de Roque Haute. Nouveaux
regards sur la néolithisation du Sud de la France » (allocution).
Tautavel, Palais des Congrès, 26 octobre 2007 : conférence autour du film « Le Sacre de
l’Homme » (J. Malaterre).
Tautavel, Palais des Congrès, 27 octobre 2007 : débat sur le thème « L’homme,
l’environnement et l’agriculture ».
Saint-Pons : Inauguration du Musée de la Préhistoire et de la sculpture mégalithique
(allocution), 16 février 2008.
Paris, Société psychanalytique de Paris, séminaire d’E. Smadja, 2 avril 2008 :
Communication « Manifestations religieuses néolithiques ».
Principauté d’Andorre (Farga Rossell), à l’occasion de la présentation de l’ouvrage « Les
excavacions a la Balma de la Margineda (1979-1991) » : conférence « Aux racines de l’Andorre.
La Balma de la Margineda ».

Autres activités

— Jurys de thèses ou d’HDR de C. Rougé-Maillard (EHESS), L. Salanova (Université


de Paris I, présidence), A. Theodoropoulou (Université de Paris I, présidence), L. Nespoulous
(INALCO), N. Buchez (EHESS).
— Membre du Comité scientifique du Musée d’Anthropologie Préhistorique (Principauté
de Monaco).
— Membre d’honneur de la Société des Amis du Palais de la Découverte, Paris
(SAPADE).
— Membre du Comité scientifique du Colloque en l’honneur du 25e anniversaire du
Séminaire International « Représentations préhistoriques » (Musée de l’Homme, Paris,
19-21 juin 2008).
— Membre du jury du prix « Clio-Archéologie » (20 juin 2008).

Mme Françoise Héritier


Étude comparée des sociétés africaines, 1982-1998

Publications parues

— « Chimères, artifice et imagination », pp. 39-59 in Jean-Pierre Changeux (sous la


direction de) L’Homme artificiel. Colloque annuel du Collège de France (12-13 octobre
2006). Paris, Odile Jacob, 2007.
— « Une anthropologue dans la Cité. Entretien avec Françoise Héritier par Michèle
Fiéloux, Claire Mestre, Marie-Rose Moro », L’Autre. Cliniques, cultures et sociétés 9 (1),
2008 : 11-36.
— « Saisir l’insaisissable et le transmettre », L’Homme. L’anthropologue et le contemporain :
autour de Marc Augé, 185-186, 2008 : 45-54.
872 PROFESSEURS HONORAIRES

— « Françoise Héritier » 9, pp. 149-166 in Anne Dhoquois (sous la direction de),


Comment je suis devenue ethnologue. Paris, Éditions Le Cavalier bleu, 2008.
— « Il était beau, grand, brun, les cheveux coiffés en arrière, un peu ondulés, avec un
beau regard… », pp. 175-192 in Olivia Benhamou, éd. Le premier homme de ma vie. Onze
femmes racontent leur père. Paris, Robert Laffont, 2008.
— avec Jacques Delcuvellerie et Annette Wieviorka, « Pour le meilleur et pour le pire :
l’homme entre culture et barbarie », pp. 118-131 in Le Théâtre des idées. 50 penseurs pour
comprendre le XXI e siècle, ouvrage dirigé par Nicolas Truong avec le Festival d’Avignon.
Paris, Flammarion, 2008.
— « Masculin/féminin : raisons de la hiérarchie, voies vers l’égalité », pp. 177-214 in
Marx contemporain. Acte 2. Paris, Éditions Syllepses et Espaces Marx, 2008. Collection
Espaces Marx : Explorer, confronter, innover.
— À voix haute. Paris, Gallimard-Collège de France, 2008. Collection audio. TDK.
CD-R80.
— L’Identique et le différent. Entretiens avec Caroline Broué. Paris, Éditions de l’Aube,
2008, 112 p. Collection Monde en cours, Série À voix nue.
— Maschile e femminile, Il pensiero della differenza. Editori Laterza, 2000. Prima edizione
Nei Sagettari Laterza, 1997. Biblioteca universale Laterza, 2000 ; Economica Laterza, 2002.
Réédition 2007, Collection Odile Jacob bibliothèque.

Colloques

Internationaux
— Réseau entre la ville et l’hôpital pour l’orthogénie. Paris, Sorbonne, 8 mars 2008.
Conférence : « Transparence et clandestinité ».

Conférences

— Centre des jeunes dirigeants d’entreprise, Paris, 8 octobre 2007. Conférence-débat sur
la féminisation dans l’entreprise.
— Total, Eurosites Georges V, Paris, 9 octobre 2007. Séminaire Diversités plurielles.
Conférence plénière : « Hommes, femmes : les mécanismes de la différence ».
— Centre Georges Pompidou, Paris, 24 octobre 2007. Les Revues parlées. Histoire des
Trente (1977-2007). Conférence-anniversaire de la parution de Masculin/féminin. La Pensée
de la différence.
— Théâtre de l’Odéon, Paris, 23 janvier 2008. Atelier de la pensée, sur le thème Femmes
empêchées, avec Laure Adler, Elisabeth Guigou, Julia Kristeva, Taslima Nasreen et Jean-Pierre
Vincent.
— EHESS, Paris, 14 mars 2007. Séminaire Corps et sciences sociales sous la direction
de Dominique Memmi et Florence Bellivier. Débat autour de l’ouvrage Corps et Affects.

Séminaires

— Dans le cadre du Laboratoire d’anthropologie sociale, direction de l’atelier mensuel


de l’équipe Corps et Affects avec Margarita Xanthakou.
PROFESSEURS HONORAIRES 873

Activités diverses
— Vice-Présidente de la Fondation Médéric-Alzheimer.
— Membre du Comité consultatif national d’éthique pour les sciences de la vie.
— Membre de l’Académie universelle des cultures.
— Membre du Comité de vigilance de l’Institut Pasteur.
— Membre du Conseil d’Administration du Collège international de philosophie.

Distinctions
— Commandeur dans l’Ordre national de la Légion d’Honneur.

M. Jean Leclant, membre de l’Institut


(Académie des inscriptions et belles-lettres)
Égyptologie, 1979-1990

Missions et activités
Secrétaire perpétuel de l’Académie des inscriptions et belles-lettres. Vice-président de la
Commission nationale française de l’UNESCO, président honoraire du Haut-comité des
Célébrations nationales, président d’honneur de la Société asiatique, de la Société
internationale des études nubiennes et de la Société française d’égyptologie.
Participation à plusieurs colloques et conférences (Paris, Beaulieu).

Publications
— Les frères Reinach, sous la direction de S. Basch, M. Espagne et J. Leclant, Paris,
2008.
— Adresse à la XIe Conférence internationale des études nubiennes, dans Between the
Cataracts, Proceedings of the 11th Conference for Nubian Studies, Warsaw University, 27 August-
2 September 2006, Varsovie, 2008, p. 11.
— Allocution d’ouverture au XVIIIe colloque de la Villa Kerylos, 4-6 octobre 2007 :
« Pratiques et discours alimentaires en Méditerranée de l’Antiquité à la Renaissance », dans
Cahiers de la Villa Kerylos XIX, 2008.
— Préface à La correspondance entre Mikhail Rostovtzeff et Franz Cumont, Mémoires de
l’Académie des Inscriptions et Belles-Lettres, t. XXXVI, Paris, 2007.
— Préface à Les Pyrénées orientales (C.A.G.66), par J. Kotarba, G. Castellvi et Fl. Mazière,
Paris, 2007.
— Préface à Arles, Crau, Camargue (C.A.G. 13/5, par M.-P. Rothé et M. Heijmans,
Paris, 2008.
— « Missions et activités, publications des professeurs honoraires », Résumé des cours et
travaux, AnnCdF 2006-2007, p.
— Nombreux hommages d’ouvrages récents à l’Académie des Inscriptions et
Belles-lettres.
874 PROFESSEURS HONORAIRES

— Allocution à la Journée d’hommage à François Chamoux, 11 janvier 2008, AIBL,


Palais de l’Institut.
— Allocution d’accueil à la IVe Journée d’études nord-africaines : « Les monuments et
les cultes funéraires », AIBL/SEMPAM, 28 mars, Palais de l’Institut.
— Allocution, Journée France-Japon, 23 mai 2008, AIBL, Palais de l’Institut.

Distinctions
Le 16 novembre 2007, J. Leclant a reçu le diplôme de docteur honoris causa de l’Université
de Vienne, Autriche.

M. Emmanuel Le Roy Ladurie, membre de l’Institut


(Académie des Sciences morales et politiques)
Histoire de la civilisation moderne, 1973-1999
Pourquoi, près d’une quarantaine d’années après l’Histoire du climat depuis l’An
Mil (1967), remise à jour ensuite à plusieurs reprises, ai-je récidivé, au titre d’une
histoire humaine et comparée du climat, parue chez Fayard ces temps-ci en deux
volumes, résumés en un Abrégé d’Histoire du Climat (2007, Fayard, idem) ? C’est que
depuis cette date du siècle précédent, bien des recherches nouvelles sont apparues ;
elles ont rajeuni la question en tout ou partie. Et puis en sept ou huit lustres de
travail sur ce thème et sur des sujets proches (histoire rurale, etc.) j’ai eu le temps
d’accumuler des données. Mon maître Braudel, notre illustre collègue, en sa
Méditerranée, fit allusion le premier (sur la base des travaux italiens, peu connus, du
géographe U. Monterin) à la poussée du petit âge glaciaire (alpin) au terme du
xvie siècle. Jean Meuvret et Micheline Baulant ont beaucoup fait eux aussi pour
établir la chronologie multiséculaire… et quotidienne des prix du blé (fort influencés
par le climat de chaque année) et des dates de vendanges. Les marxistes, avec leurs
conceptions matérialistes, eussent dû être à l’avant-garde de telles enquêtes : le climat,
comme l’a souligné l’un d’entre eux, Kautsky, n’est-il pas lui aussi, selon le vocabulaire
du vieux Karl, une « force de production » ? À vrai dire, même si la contribution
marxienne en ce domaine fut insuffisante, on citera néanmoins, historico-climatiques,
les noms respectés d’Alain Croix, Guy Lemarchand et de Guy Bois, auxquels
s’ajoutent, hors marxisme, les contributions majeures de François Lebrun, Jean
Nicolas, Jean-Yves Grenier, grands dépendeurs d’archives. Mes trois livres très
récents, après quelques autres, posent les bases d’une chronologie : celle du petit
optimum médiéval alias POM, allant du ixe siècle au xiiie, parfaitement exploré
aussi grâce aux travaux (belges) de Pierre Alexandre, complémentaires des miens de
l’époque 2000-2008. M’aidant des enquêtes de l’école de Berne (Pfister, Luterbacher,
Holzhauseer) j’ai décrit le petit âge glaciaire (FAG, allant de 1300 à 1860, dates
larges), avec sa variabilité considérable. J’ai affiné divers détails, tout en esquissant les
grandes lignes du phénomène, ou certaines d’entre elles. J’ai remis ce FAG en
PROFESSEURS HONORAIRES 875

chantier dans mes dernières contributions et j’ai tenté par ailleurs d’en préciser
l’impact humain, par météo trop froide et trop humide ; famines, etc., avec leur
prélèvement mortel sur les populations, 1 300 000 morts français en 1693 ; et
600 000 en 1709. Et puis la canicule de 1718-1719 avec ses 450 000 morts surtout
infantiles (dysenterie, déshydratation, etc.) J’ai proposé, au sujet de la Fronde un ou
plusieurs concepts de politisation du climat. Ils deviennent infiniment plus évidents
en 1788-1789 et en 1845-1846-1848, du moins quant à l’inscription chronologique
de ces deux pré-révolutions et révolutions dont les causalités profondes non-
écologiques, (politiques, culturelles, etc.), nous sont exposées par ailleurs dans les
grands travaux de Furet, Ozouf, Soboul… Politisation, bien sûr, qui va revenir à
l’ordre du jour lors des grandes chaleurs de 2003 ; anticipatrices du global warming ?
Avec sa vaste base CLIM-HIST, Christian Pfister nous a offert une superbe
histoire du climat suisse de 1530 à nos jours. En France, les données disponibles ou
enfouies dans les Archives sont littéralement innombrables. On attend toujours, et
sans doute suis-je le premier coupable, que soit créée dans le même esprit pfistérien
une data bank à la française, recensant les faits climatiques bon an mal an, mois par
mois, saison par saison, depuis dix siècles. Mes travaux susdits, mes ouvrages de ces
dernières années, y compris 2007-2008, ainsi que ceux de Pascal Yiou et de Madame
Daux sur les dates de vendanges constituent des pierres d’attente à cet égard.
Ils justifient, me semble-t-il, leur brève mention dans le présent annuaire, compte
tenu de l’existence, par ailleurs, d’une prestigieuse Chaire d’Evolution du climat et
de l’océan dont notre éminent collègue Edouard Bard est le titulaire. Sur ce point,
l’Histoire doit donc céder le pas aux sciences dures.

Livres
Histoire humaine et comparée du climat, 2 vol., Fayard, 2004 et 2006.
Abrégé de l’Histoire du Climat du Moyen Age à nos jours. Entretiens avec Anouchka Vasak,
Fayard, 2007.

M. Jean-Claude Pecker, membre de l’Institut


(Académie des Sciences)
Astrophysique théorique, 1964-1988

I. Travaux et publications
a) Travaux en cours
Mes travaux se poursuivent dans les directions suivantes :
(i) L’étude et la publication des correspondances de Jérôme Lalande (en
collaboration avec Mme Simone Dumont, astronome à l’Observatoire de Paris),
876 PROFESSEURS HONORAIRES

continuent par l’analyse de la correspondance de Lalande avec ses correspondants


de l’Académie de Berlin, notamment les Bernouilli, et von Zach, et se complètent
par des textes (sous presse) sur Lalande, et sur Voltaire.
(ii) Histoire du Collège de France, volume II, pour ce qui concerne l’astronomie ;
Histoire de l’Académie des Sciences, pour ce qui concerne l’astronomie.
(iii) Détermination de la contribution locale (stellaire et galactique) au
rayonnement de fond du ciel dans les grandes longueurs d’onde des « micro-
ondes » radioélectriques, et les conséquences cosmologiques de cette détermination
(collaboration avec les Professeurs J.V. Narlikar, Pune, Inde, et C. Wickramasinghe,
Cardiff, UK).
(iv) Évaluation de l’influence de l’évolution stellaire dans les premières phases
de la formation des planètes.
(v) Continuation de l’étude de l’origine astronomique des pétroglyphes du
Mont Bégo (Alpes-Maritimes), permettant leur datation (avec Mme A. Échassoux
et le Professeur H. de Lumley, du Laboratoire de Paléo-anthropologie du Lautaret
à Nice).

b) Ouvrages
Simone Dumont & J.-C. P., Lalandiana I, Correspondances de Jérôme Lalande, 1, Lettres
à sa chère Pantomaté ; 2, Lettres à l’astronome Honoré Flaugergues, Vrin éd., 2007.

c) Préfaces des ouvrages suivants


Simone Dumont, Lalande, un astronome des Lumières, Vuibert éd., 2007.
Pierre Bayart, La Méridienne de France, Baleares éd., 2007.
Françoise Launay, Jules Janssen, globe-trotter de la physique solaire, Vuibert éd., 2008.

d) Articles divers
J.-C. P. Galaxies de marée, dans : L’Astronomie, mai 2007.
J.-C. P. Les astronomes du Collège de France, dans : L’astronomie, 2007 ; cet article a été
reproduit dans La Lettre du Collège de France, n° 22 et n° 23, 2008.
De Lumley, H., Echassoux, A., J.-C. P., Romain, O., Figurations de l’amas stellaire des
Pléiades sur deux roches gravées de la région du Mont Bégo, dans : L’anthropologie, 111, 2007,
p. 755-824.
J.-C. P., Le Programme de Versailles, dans : Les débuts de la Recherche Spatiale Française :
Au temps des fusées–sondes, Institut Français d’Histoire de l’Espace éd., 2008, p. 229-230.
J.-C. P. Interview par Mme Pinhas, pour l’Histoire du CNRS : Petite et grande histoire
d’astrophysique, sous presse.
J.-C. P. Interview par Christian Seguin, Au ciel de l’enfance, dans le quotidien Sud-Ouest,
20 juin 2008.
PROFESSEURS HONORAIRES 877

II. Missions diverses, conférences et colloques


(1) 13 juin 2007, Observatoire de Paris, Colloque Lalande – Loewy. Contribution :
Napoléon contre Lalande.
(2) Hendaye, 2 août 2007 : Conférence publique à l’Observatoire d’Abbadia : Les matins
d’un astronome solaire.
(3) Bourg-en-Bresse, 9-10 octobre 2007, à l’occasion de l’exposition Lalande, conférence :
Lalande et Bourg-en-Bresse.
(4) Beijing, Chine, 15-21 novembre 2007, Science and human development, colloque
organisé par le Center of Inquiry Transnational de Beijing. Deux conférences en anglais sur
Popularisation of science, et sur Creationism in cosmology.
(5) Shanghai, Chine, 21-29 novembre 2007 : participation au Symposium de l’Union
Astronomique Internationale, Astronomy of the microsecond.
(6) Cardiff (Wales, UK) 11-18 décembre 2007 : discussions scientifiques à l’Université
avec mon collègue anglais Ch.Wickramasinghe. Rédaction d’un mémoire en commun sur
le rayonnement cosmologique.
(7) École normale supérieure, Paris, 2008, colloque en hommage à Robert Dautray sur
Le transfert radiatif. Contribution : Les modèles des atmosphères solaire et stellaires : construction
et limites.
(8) Strasbourg, 28 avril 2008, Observatoire de Strasbourg. Réunion mensuelle de l’Union
Rationaliste. Conférence : Le débat sur le « big bang ».
(9) Strasbourg, 29 avril 2008, IRIST, Université de Strasbourg. Conférence: Le traitement
des images et les observations de galaxies.
(10) Bordeaux, 29-30 mai 2008, colloque à l’Observatoire de Bordeaux-Floirac, sur La
(re)fondation des observatoires astronomiques sous la IIIe République. J.-C. P. a présidé
l’ensemble du Colloque et prononcé une Allocution d’ouverture ; en fin de colloque, il en a
tiré les Conclusions. Ces deux textes seront publiés dans les Actes du colloque.

M. Daniel Roche
Histoire de la France des Lumières, 1999-2005

Activités de recherches

Mes activités de recherches se poursuivent dans trois directions principales.


1) La participation à des activités d’organisation et de coordination éditoriale
ou de diffusion. Je préside le Comité éditorial de la Revue d’Histoire Moderne et
Contemporaine qui a mis en chantier plusieurs numéros spéciaux importants
(fascisme italien, maladies professionnelles, histoire du climat, genèse au temps des
révolutions). Je dirige et participe à l’édition des Mémoires, Mes loisirs ou Journal
d’événements tels qu’ils parviennent à ma connaissance (1753-1783). Ce texte
fondamental pour la culture et l’histoire du XVIIIe siècle français et européen a été
publié dans le cadre d’une coopération Collège de France, commencée en 2000
878 PROFESSEURS HONORAIRES

avec l’association de l’IHMC (CNRS-ENS), de l’Université de Laval au Canada et


la collaboration de l’équipe du Professeur Pascal Bastien de l’Université du Québec
à Montréal. Le tome 1 est sorti au premier trimestre 2008, il sera suivi d’une
dizaine de volumes que complèteront les actes de rencontres organisées au Collège
autour du texte.

2) Je poursuis mon travail dans le domaine de la culture équestre. Un premier


tome, le Cheval moteur, a été publié chez Fayard. Il montre l’accroissement des
chevaux suscité par le besoin d’énergie entre le XVIe et le XIXe siècle et il inverse
l’habituelle analyse de l‘histoire des chevaux et des hommes en conférant à l’utilité,
à la ville, au monde des producteurs et des utilisateurs le rôle premier. Le sujet
souligne l’importance d’une histoire des sciences et des techniques confrontée au
vivant, à l’aléa agricole dans l’élevage, à l’aléa social dans les usages. Au centre du
livre, du village à la cité, de la route aux auberges, on retrouve les acteurs de deux
révolutions majeures, celle du triomphe des véhicule, celles de la sélection des
nouveaux chevaux. La prochaine étape consiste à retrouver autrement ces
transformations en reprenant l’analyse de l’économie matérielle et sociale de la
distinction. Pouvoir, pédagogie, guerres seront d’abord les trames principales de
cette histoire socio-culturelle de la culture équestre.

3) Dans le cadre de l’IHMC, après avoir achevé l’enquête sur les capitales
culturelles et contribué à conclure le volume, dirigé par C. Charle, Le Temps des
capitales culturelles européennes (XVIIIe-XXe siècle) (sous presse aux Editions
Champvallon), je participe à la mise en route d’une nouvelle entreprise consacrée
à l’Histoire de l’internationalisation culturelle en Europe de 1750 à 1950. Il s’agit
de mesurer les circulations internationales et transnationales, les échanges et les
refus culturels. Dans une première étape, le séminaire de l’IHMC sera consacré à
une réflexion générale critique sur l’historiographie et les méthodes à utiliser dans
le projet. Parallèlement, il définira autour des quatre axes principaux le choix des
problèmes à aborder : ceux du livre et des traductions, ceux des usages politiques
des circulations culturelles dans la construction des empires européens, ceux des
savoirs sociaux et techniques, enfin les questions des circulations artistiques.

Publications

Livres
A Cheval ! Ecuyers, amazones et cavaliers du XVIe au XXIe siècle, sous la direction de
D. Roche et D. Reytier, Paris, Association pour l’Académie équestre de Versailles, 2008,
400 p.
La culture équestre occidentale, XVIe-XIXe siècles, L’Ombre du cheval, T. 1, Le cheval moteur,
Paris, A. Fayard, 479 p.
Simeon Prosper Hardy, Mes loisirs, vol. 1, 1753-1770, Québec Presses de l’Université de
Laval, sous la direction de D. Roche et P. Bastien, 2008, 836 p.
PROFESSEURS HONORAIRES 879

Articles
« Voltaire, du voyage à la philosophie », Studies on Voltaire, Oxford, 2008, pp. 43-60.
« Ménétra et la femme », Mélanges Maurice Gresset, P. Delsalle ed., Besançon, Annales de
l’Université de Franche-Comté, 2008, 820, 28, pp. 349-357.

Mme Jacqueline de Romilly, de l’Académie française


et de l’Académie des Inscriptions et Belles-Lettres
La Grèce et la formation de la pensée morale et politique, 1973-1984

1) Livres
— Le sourire innombrable, éd. De Fallois, janvier 2008, 125 p.

2) Conférences
— « Osons parler de la vertu ! », conférence d’introduction au colloque sur la vertu, à
l’Institut de France, le 12 décembre 2007.

3) Autres activités
— Divers articles sur la Grèce, et diverses introductions ou lettres d’introduction à des
livres d’enseignement et de culture grecque ou de langue française. Nombreuses interviews
sur ces divers sujets.
— Participation au film de la série Empreintes pour France 5, le 25 janvier 2008.

M. Jean-Pierre Serre, membre de l’Institut


(Académie des Sciences)
Algèbre et géométrie, 1956-1994

Publications

— Three letters to Walter Feit on group representations and quaternions, J. Algebra 319
(2008), 549-557.
— Two letters to Jaap Top, in “Algebraic Geometry and its Applications” (J. Chaumine,
J. Hirschfeld & R. Rolland edit.), World Sci.Publ.Co. (2008), pp. 84-87.

Cours

— Finite Groups in Number Theory (10 exposés), Harvard, septembre-octobre 2007.


880 PROFESSEURS HONORAIRES

Exposés

— Discrete groups of rotations in 3-space, Harvard, septembre 2007.


— Variation with p of the number of solutions mod p of a system of polynomial equations,
Brown University, octobre 2007; Vancouver, mai 2008.
— Comment utiliser les corps finis pour des problèmes concernant les corps infinis, C.I.R.M.,
Luminy, novembre 2007.
— L’arithmétique des groupes de Cremona, C.I.R.M., Luminy, décembre 2007.
— Représentations linéaires des groupes finis en caractéristique p > 0, Marseille, décembre
2007 ; E.P.F.L., Lausanne, décembre 2007 (2 exposés).
— Sous-groupes finis du groupe de Cremona (propriétés arithmétiques), Chevaleret, janvier
2008.
— Finite subgroups of G(k) where G is a reductive group, Bielefeld, février 2008.
— Finite subgroups of Cr(k), where Cr is the Cremona group in 2 variables, Bielefeld,
février 2008.
— Lie groups and prime numbers, Vancouver, mai 2008.
— Le groupe de Cremona, Montréal, juin 2008.

Distinction

Doctorat honoris causa de l’université McGill, Montréal, mai 2008.

M. Jacques Thuillier
Histoire de la création artistique 1977-1998
Durant l’année des cours et travaux de 2005-2006 notre attention a été requise
par un événement exceptionnel autant qu’inattendu : la restauration complète de
la Galerie des Glaces au château de Versailles. Une occasion unique s’offrait
d’examiner de tout près les peintures de Le Brun, les sculptures et les ornements.
De cette expérience sont issus à la fin de 2007 un petit fascicule en couleurs de
128 pages publié par les éditions Gallimard, et dans le grand volume imprimé par
les éditions Faton, un chapitre d’introduction : Charles Le Brun et la Galerie des
Glaces : un moment de l’histoire de l’art français (p. 22-29).
Les temps de parution, qui se croisaient avec de malencontreuses difficultés de
santé, nous ont empêché de faire état ici de ces travaux.
Après le contact direct avec les œuvres, nous avons cru opportun de revenir
durant cette année 2006-2007 au domaine de la réflexion, et nous avons tenu à
reprendre et conduire à sa fin un projet longtemps caressé, mais que des circonstances
diverses nous avaient plusieurs fois contraint d’interrompre. Il s’agit de la publication
de la correspondance de Nicolas Poussin.
PROFESSEURS HONORAIRES 881

Le public et les érudits ne disposent que d’une édition qui remonte à 1911. Elle
est due à Charles Jouanny, et par conséquent savante et intelligente. Mais elle n’a
jamais été réimprimée et il est devenu malaisé d’en trouver un exemplaire. En un
siècle seules peu de lettres nouvelles sont apparues ; mais en revanche de nombreux
documents ou des fragments importants sont venus compléter notre savoir.
D’autre part le public des « poussinistes » s’est multiplié. Il dépasse largement la
France, l’Allemagne, l’Italie, l’Angleterre et le Japon. Or ce public souhaite un
texte minutieusement établi à partir des originaux de l’artiste. En même temps il
a bien souvent quelque peine à pénétrer l’orthographe et le vocabulaire du vieil
artiste. Nous n’avons pas cru que doubler le texte de Poussin d’une version
modernisée serait une offense ou une prudence superflue.
Nous pensons livrer ainsi une approche commode de la correspondance qui nous
reste de Poussin. L’expérience de l’enseignement nous a trop prouvé l’utilité d’une
annotation en marge de tous les textes anciens pour que nous ayons cru devoir nous
contenter de brefs renvois. De plus, il nous a semblé qu’il convenait de compléter la
correspondance par la réunion des multiples testaments de l’artiste. On les avait
jusqu’ici négligés. En marge des lettres, ils offrent une image de Poussin, tout compte
fait, non moins sincère. Il en va pareillement de l’inventaire après décès.
En 1911, la Correspondance de Nicolas Poussin de Charles Jouanny comportait
déjà xvi – 524 pages. On ne s’étonnera pas qu’après cent ans la remise au point nous
ait réclamé plus d’une année de travail. Nous souhaitons seulement qu’elle puisse
réveiller la critique. Ainsi, en 1960, la grande exposition Poussin voulue par André
Chastel et organisée au Louvre par Sir Anthony Blunt a multiplié les manifestations
consacrées aux peintures et dessins de l’artiste. Peut-être une relecture de ses textes
pourra-t-elle pareillement aider à nous rapprocher de sa pensée.

M. Pierre Toubert, membre de l’Institut


(Académie des Inscriptions et Belles-Lettres)
Histoire de l’Occident méditerranéen au Moyen Âge

Rapport d’activité 2007-2008

I — Missions et activités
— Les 3-6 mai 2007, le professeur a participé à Madrid à la réunion du Comité des
Publications de la Casa de Velázquez dont il est d’autre part membre du Conseil
d’Administration.
— Du 16 au 30 mai 2007, il a donné une série de conférences à l’Université de Nagoya
(Japon). Le 22 mai, il a reçu le Prix spécial (Award) pour 2007 de la Japan Society for
Promotion of Science qui lui a été remis par le professeur Ono, directeur du J.S.P.S. et
secrétaire d’Etat à la Recherche.
882 PROFESSEURS HONORAIRES

— Du 18 au 23 juin, il a co-dirigé avec le professeur Michel Zink un séminaire de


recherches de la Fondation des Treilles qui avait pour objet de mettre au point la publication
par les Editions Fayard de l’ensemble des leçons inaugurales des professeurs du Collège de
France relatives au Moyen Age et à la Renaissance.
— Le 25 septembre, il a participé au jury qui a décerné le Grand Prix de l’Histoire
Augustin-Thierry, prix annuel du Centre européen de Promotion de l’Histoire (Blois).
— Du 4 au 8 octobre, il a participé au Colloque International organisé à la Villa Kerylos
de Beaulieu sur Mer par l’Académie des Inscriptions et Belles-Lettres. Il y a donné une
communication intitulée : « Disettes, famines et contrôle du risque alimentaire dans le
monde méditerranéen au Moyen Age ».
— Du 8 au 12 novembre, il a participé à Rome au Colloque International organisé par
l’Istituto storico italiano per il Medioevo pour célébrer l’achèvement du Repertorium Fontium
Medii Aevi, dit « le nouveau Potthast ». Il a à cette occasion donné la conférence d’ouverture
sur « L’œuvre d’August Potthast, 1862-1895 ».
— Du 23 au 25 novembre, il a participé à Madrid à la réunion périodique du Comité
des Publications de la Casa de Velázquez.
— Le professeur a été nommé en octobre 2007 membre du Conseil Scientifique de la
Fondation des Treilles (Fondation Schlumberger – Grüner) et il a participé à la réunion
dudit Conseil le 11 février 2008.
— Les 14 mars et 26 juin 2008, il a participé aux réunions du Conseil Scientifique de
l’Ecole Nationale des Chartes dont il fait partie au titre de l’Institut de France.
— Le 17 mars 2008, il a organisé au Collège de France la réunion des membres belges
et français du Comité de Rédaction de la revue Le Moyen Age dont il est l’un des
co-directeurs.
— Du 8 au 12 mai 2008, il a accompli une mission à Madrid et participé au Comité
des Publications de la Casa de Velázquez.
— Le 23 juin 2008, il a participé à la réunion du Conseil d’Administration de l’Ecole
Normale Supérieure de Lyon (E.N.S. – L.S.H.).

II — Publications sous presse


1) « La perception sociale du risque dans le monde méditerranéen au Moyen Age », dans les
Actes du colloque sur Les sociétés méditerranéennes devant le risque, réuni à la Casa de
Velázquez (Madrid) du 29 septembre au 1er octobre 2003, sous la direction de G.
Chastagnaret (éd.).
2) « La percezione del rischio nella pastorizia del mondo mediterraneo nord-occidentale »,
dans les Actes du congrès international La pastorizia nel Mediterraneo, Storia e dirrito
(sec. XI-XX), Alghero (Sassari), 7-11 novembre 2006, en cours de publication sous la
direction d’A. Mattone, Publications de l’Université de Sassari.
3) « Disettes, famines et contrôle du risque alimentaire dans le monde méditerranéen au
Moyen Age », à paraître dans les Actes des colloques de la Villa Kerylos, vol. XIX, Pratiques
et discours alimentaires en Méditerranée de l’Antiquité à la Renaissance », Académie des
Inscriptions et Belles-Lettres, éd. De Boccard, octobre 2008.
ENSEIGNEMENT DES PROFESSEURS
EN FRANCE ET À L’ÉTRANGER

EN FRANCE

Université de la Rochelle

M. Christian GOUDINEAU (titulaire de la Chaire d’Antiquités nationales) a


donné au printemps 2008, 6 cours sur : Questions relatives à l’économie et à
la religion de la Gaule.

Université de Nice Sophia-Antipolis

M. Antoine L (titulaire de la Chaire d’Astrophysique observationnelle) a


donné en mars 2008, 3 cours sur : Exo-planètes, étoiles et galaxies : progrès de
l’observation et 3 séminaires sur : Séminaire général d’astrophysique.

Institut de génétique et de biologie moléculaire et cellulaire (IGBMC) -


Strasbourg

Mme Christine P (titulaire de la Chaire de Génétique et Physiologie cellulaire)


a donné en avril 2008, 2 cours sur : Audition et surdités héréditaires :
1. Traitement des signaux acoustiques dans la cochlée ; 2. Des gènes à la
physiologie moléculaire de la cochlée.

Université Marc Bloch de Strasbourg

M. John S (titulaire de la Chaire de Religion, Institutions et Société de la


Rome antique) a donné au printemps 2008, 4 séminaires sur : Les cultes des
eaux.
884 ENSEIGNEMENT DES PROFESSEURS EN FRANCE ET À L’ÉTRANGER

Université Louis Pasteur de Strasbourg

M. Jean-Marie L (titulaire de la Chaire de Chimie des interactions


moléculaires) a donné en décembre 2007 - janvier 2008, 3 cours sur : Autoorga-
nisation supramoléculaire. Systèmes organiques et inorganiques et 7 séminaires,
d’octobre 2007 à juin 2008, sur : Progrès récents en chimie moléculaire et
supramoléculaire.

M. Jean-Louis M (titulaire de la Chaire de Génétique humaine) a donné


1 cours sur : Génétique de la dégénérescence maculaire liée à l’âge.

Faculté de médecine de Rangueil,Toulouse

M. Pierre C (titulaire de la Chaire de Médecine expérimentale) a donné


en mars 2008, 1 cours sur : Système rénine et angiogenèse.

Université de Toulouse-le Mirail

M. Michel Z (titulaire de la Chaire de Littératures de la France médiévale)


a donné du 26 novembre au 1er décembre 2007, 2 cours sur : Poèmes raisonneurs
et récits poétiques : novas occitanes et Pais bretons.

ENSEIGNEMENT À L’ÉTRANGER

ALLEMAGNE

Université de Bonn (Chaire Ernst Robert Curtius)

M. John S (titulaire de la Chaire de Religion, Institutions et Société de la


Rome antique) a donné en janvier 2008, 1 cours sur : Le sens des rites dans la
religion romaine et 1 séminaire en relation avec le sujet du cours.

M. Michel Z (titulaire de la Chaire de Littératures de la France médiévale)


a donné en mai 2008, 1 cours sur : La poésie comme récit. Exemples
médiévaux.

Université de Kiel

M. Édouard B (titulaire de la Chaire d’Évolution du climat et de l’océan) a


donné en octobre 2007, 1 cours sur : The tropical record of abrupt climate
changes.
ENSEIGNEMENT DES PROFESSEURS EN FRANCE ET À L’ÉTRANGER 885

BELGIQUE

Université Libre de Bruxelles


M. Édouard B (titulaire de la Chaire d’Évolution du climat et de l’océan) a
donné en février 2008, 1 cours et 2 séminaires sur : Climats du passé et du futur.

BRÉSIL

Université de São-Paulo (Chaire Levi-Strauss)


Mme Mireille D-M (titulaire de la Chaire d’Études juridiques et
internationalisation du droit) a donné en octobre 2007, 4 cours sur : Le droit
pénal de l’inhumain et 2 séminaires en relation avec le sujet du cours.

CANADA

Université de Montréal - Université de Vancouver


M. Alain B (titulaire de la Chaire de Physiologie de la perception et de
l’action) a donné en mai 2008, 4 cours sur : Principes simplificateurs dans les
mécanismes cérébraux de la perception et de l’action.

CHINE

Institute of Otolaryngology, Chinese PLA General Hospital, Beijing


Mme Christine P (titulaire de la Chaire de Génétique et physiologie cellulaire)
a donné 5 cours sur : Hearing and deafness.

City University of Hong Kong


M. Jean-Marie L (titulaire de la Chaire de Chimie des interactions
moléculaires) a donné en octobre 2007, 4 cours sur : Supramolecular Chemistry -
From Molecular Recognition towards Self-Organization.

GRANDE-BRETAGNE

Maison française d’Oxford


M. Pierre B (titulaire de la Chaire d’Histoire et civilisation du monde
achéménide et de l’empire d’Alexandre) a donné en novembre 2007, 2 cours sur :
Recherches récentes sur l’empire achéménide.
886 ENSEIGNEMENT DES PROFESSEURS EN FRANCE ET À L’ÉTRANGER

Université de Cambridge

M. Édouard B (titulaire de la Chaire d’Évolution du climat et de l’océan) a


donné en janvier 2008, 1 cours sur : The ocean record of the last deglaciation.

ÉTATS-UNIS

Université de Chicago

M. Édouard B (titulaire de la Chaire d’Évolution du climat et de l’océan) a


donné en octobre 2007, 3 cours sur : High latitude and tropical records of rapid
climate changes.

M. Stanislas D (titulaire de la Chaire de Psychologie cognitive


expérimentale) a donné en février 2008, 3 cours sur : « Reading in the brain » :
1 - The visual word form area : myth or reality ?
2 - Mirror errors : evidence for neuronal recycling in reading acquisition.
3 - Subliminal and supraliminal processing of words and digits.

M. Serge H (titulaire de la Chaire de Physique quantique) a donné en


septembre-octobre 2007, 4 cours sur : Exploring the quantum dynamics of
atoms and photons in cavities.

M. Michel Z (titulaire de la Chaire de Littératures de la France médiévale)


a donné en avril 2008, 2 cours sur : Poésie courtoise, nouvelles courtoises, et
4 séminaires sur : Ce que la poésie raconte.

Massachusetts Institute of Technology - Université de Harvard -


Université de Portland

M. Alain B (titulaire de la Chaire de Physiologie de la perception et de


l’action) a donné en mai 2008, 5 cours sur : Principes simplificateurs dans les
mécanismes cérébraux de la perception et de l’action.

Université de Yale, New Haven

M. Michel D (titulaire de la Chaire de Physique mésoscopique) a donné


en octobre 2007, 3 cours sur : « Single Electron Effects in Mesoscopic Systems ».
ENSEIGNEMENT DES PROFESSEURS EN FRANCE ET À L’ÉTRANGER 887

GRÈCE

Université d’Athènes

M. Spyros A-T (titulaire de la Chaire de Biologie et génétique


du développement) a donné en février 2008, 3 cours sur : The development
biology and evolutionary implications of Notch signaling crosstalk.

ITALIE

Université Ca’Foscari, Venise

M. Pierre-Étienne W (titulaire de la Chaire d’Histoire de la Chine moderne


a donné en mai 2008, 2 cours sur : 1. Militarism and the revolutionary
connection in late-Qing and early Republican Shaanxi province ; 2. Engineers
and state-building : Li Yizhi (1882-1938) and his circle, et 2 séminaires :
Discussion de sources en relation avec le sujet du cours.

PAYS-BAS

Université d’Utrecht

M. Édouard B (titulaire de la Chaire d’Évolution du climat et de l’océan) a


donné en septembre 2007, 1 cours sur : The last deglaciation.

SINGAPOUR

Agency for Science and Technology

M. Pierre C (titulaire de la Chaire de Médecine expérimentale) a donné


en mars 2008, 1 cours sur : Normal and abnormal angiogenesis.

RUSSIE

M.V. Lomonossov Moscow State University

M. Jean-Marie L (titulaire de la Chaire de Chimie des interactions


moléculaires) a donné en septembre-octobre 2007, 4 cours sur : Supramolecular
Chemistry - From Molecular Recognition towards Self-Organization.
888 ENSEIGNEMENT DES PROFESSEURS EN FRANCE ET À L’ÉTRANGER

SUÈDE

Université d’Uppsala
M. Jean-Marie L (titulaire de la Chaire de Chimie des interactions
moléculaires) a donné 3 cours sur : From Supramolecular Chemistry to
Constitutional Dynamic Chemistry.
M. Jacques L (titulaire de la Chaire de Chimie de la matière condensée) a
donné une série de cours sur : Soft chemistry synthesis of advanced materials.
Mme Christine P (titulaire de la Chaire de Génétique et physiologie cellulaire)
a donné 2 cours sur : Hereditary deafness : from the genes to the cellular and
molecular mechanisms of hearing.

SUISSE

Université de la Suisse Italienne Lugano


M. Carlo O (titulaire de la Chaire de Littératures modernes de l’Europe
néolatine) a donné de septembre 2007 à mars 2008, ses cours sur : « Renaissance »
et « création » au XVIe siècle.

TUNISIE

Université de Tunis
M. Jacques L (titulaire de la Chaire de Chimie de la matière condensée) a
donné en avril 2008, 6 cours sur : Nouvelles avancées en chimie du solide
COURS ET CONFÉRENCES
SUR INVITATION
DE L’ASSEMBLÉE DES PROFESSEURS

I.
Chaires d’état réservées à ses savants étrangers

M. Nicholas Purcell, Professeur, St. John’s College, Oxford (Grande-Bretagne)


a donné les 23 et 30 octobre, 6 et 13 novembre 2007, une série de leçons sur les
sujets suivants : 1. Devenir maritime ; 2. Les pentes de la connectivité ; 3. Aux
marges de la Méditerranée : écologie, réseaux, interdépendances ; 4. Le couloir
de Téthys et les problèmes de la Transeuphratène.
M. Diego Gambetta, Professeur à Nuffield College, Université d’Oxford
(Grande-Bretagne) a donné les 27 novembre, 4, 11 et 18 décembre 2007, une série
de leçons sur le sujet suivant : The theory of signals and its application to
human behaviour.
Mme Elaine Fuchs, Professeur à l’Université Rockefeller de New York (États-
Unis), a donné les 8, 15, 18 et 22 janvier 2008, une série de leçons sur les sujets
suivants : 1. Stem Cells : Biology, Ethics and potential for Medicine ; 2. The
Biology and Genetics of Skin and Hair ; 3. Cell adhesion, Migration and
Cancer ; 4. Stem Cells of the Skin and their Lineages.
M. Orly Goldwasser, Professeur à l’Université hébraïque de Jérusalem (Israël)
a donné les 22, 29 janvier, 5 et 12 février 2008, sur le sujet suivant : L’archéologie
de la pensée égyptienne : classification et catégories des anciens égyptiens.
Mme Maria Giovanna Biga, Professeur à l’Université « La Sapienza » de Rome
(Italie) a donné les 5, 12, 19 et 26 février 2008, une série de leçons sur le sujet
suivant : La Syrie au IIIe millénaire av. J.-C. d’après les archives d’Ebla. 1. La
vie à la cour d’Ebla ; 2. L’organisation de l’État eblaite ; la royauté et la gestion
du pouvoir ; 3. Le royaume d’Ebla et ses voisins ; 4. La religion d’Ebla.
M. Leonid Kogan, Professeur à l’Université d’État de Russie, a donné les 4, 11,
18 et 25 mars 2008, une série de leçons sur le sujet suivant : Les noms des plantes
akkadiennes dans leur contexte sémitique : 1. Introduction : terminologie
890 COURS ET CONFÉRENCES

botanique générale et noms des parties des plantes ; 2. Plantes sauvages ;


3. Plantes domestiquées : les céréales et les légumes ; 4. Plantes domestiquées :
les arbres et la vigne.

M. Jose Alexandre Scheinkman, Professeur à l’Université de Princeton (États-


Unis) a donné les 10, 17, 26 et 31 mars 2008, une série de leçons sur le sujet
suivant : Long Term Risk.

M. Albert de Jong, Professeur à l’Université de Leiden (Pays-Bas) a donné les 6,


13, 20 et 27 mai 2008, une série de leçons sur le sujet suivant : Les quatre phases
de la religion mazdéenne.

M. Ahmad Beydoun, Professeur à l’Université de Beyrouth (Liban) a donné les


6, 22, 27 et 29 mai 2008, une série de leçons sur les sujets suivants : 1. Du pacte
de 1943 à l’accord de Taef : les résistances à la déconfessionnalisation ; 2. Ce
qu’ « indépendance » voulait dire… 3. Une nouvelle donne inter-commu-
nautaire ? 4. Le système politique libanais a-t-il un avenir ?

M. José Emilio Burucúa, Professeur à l’Université San Martín (Argentine) a


donné les 7, 14, 19 et 26 mai 2008, une série de leçons sur les sujets suivants :
1. Le concept d’altérité et la représentation picturale de l’histoire d’Ulysse
depuis la Renaissance ; 2. Le massacre ancien et le massacre moderne :
problèmes d’historiographie et de représentation ; 3. Les pathosformeln du rire
et la gravure européenne au début de la modernité ; 4. Les gravures du
Quichotte en France du XVIIe siècle.

M. Peter Golden, Professeur à l’Université de Rutgers, New Jersey (États-Unis)


a donné les 7, 14, 21 et 28 mai 2008, une série de leçons sur les sujets suivants :
1. The origins and shaping of the Turks of medieval Eurasia ; Ethnicity in
Medieval Eurasia ; 2. The origins of the Khazars and their conversion to
judaism in a Eurasian context, i.e. the adoption of universal faiths by the
Turkic nomads ; 3. Sacral kingship among the early Turkic peoples with
particular reference to the khazars ; 4. The Qïpchaqs : origins and
migrations.

Mme Jean Cohen, Professeur à l’Université de Columbia, New York (États-Unis)


a donné les 7, 14, 21 et 28 mai 2008, une série de leçons sur le sujet suivant :
Rethinking Sovereignty, Rights and International Law in the Epoch of
Globalization : 1. Sovereignty and International Law : A Dualist Perspective ;
2. Cosmopolitanism and Empire ; 3. Intervention, Occupation and Human
Rights ; 4. Towards the Constitutionalization of International Law.

M. Victor Stoichita, Professeur à l’Université de Fribourg (Suisse) a donné les


15, 23, 30 mai et 6 juin 2008, une série de leçons sur le sujet suivant : Des larmes
et des Saints.
COURS ET CONFÉRENCES 891

M. Gyorgy Buzsáki, Professeur à l’Université Rutgers, Newark (États-Unis) a


donné les 12, 19 et 26 juin 2008, une série de leçons sur le sujet suivant : Rythms
of the Brain :
Neuronal synchrony :
1. Metabolic and wiring costs of excitatory and inhibitory systems ;
2. Oscillatory and non-Oscillatory emergence of cell assemblies ;
3. Internally advancing assemblies in the hippocampus ;
4. Coupling of hippocampal and neocortical systems.

II.
Fondation Claude-Antoine Peccot
Mme Karine Beauchard, Chargée de Recherches au CNRS, a donné les 9, 16,
23 et 30 janvier 2008, une série de leçons sur le sujet suivant : Contrôle d’équations
de Schrödinger.
M. Gaëtan Chenevier, Chargé de Recherches au CNRS, a donné les 17,
31 mars, 7 et 14 avril 2008, une série de leçons sur le sujet suivant : Variétés de
Hecke des groupes unitaires et représentations galoisiennes.

III.
Fondation Antoine Laccassagne
M. Thomas Bourgeron, Professeur à l’Université Paris VII, a donné les 4 et
11 avril, deux conférences sur les sujets suivants : 1. La vulnérabilité génétique à
l’autisme : les altérations synaptiques ; 2. La vulnérabilité génétique à
l’autisme : les altérations de l’horloge circadiennes.

IV.
Conférence Michonis
M. Philippe Borgeaud, Professeur à l’Université de Genève (Suisse) a donné le
8 octobre 2007, une conférence sur le sujet suivant : Une rhétorique antique du
blâme et de l’éloge : la religion des autres.

V.
Conférences du don en souvenir de Winnaretta Singer :
Princesse Edmond de Polignac
M. Dong-Hyun Son, Professeur, Sungkyunkwan University, Séoul (Corée) a
donné le 20 novembre 2007, une conférence sur le sujet suivant : Une anthropologie
philosophique des technologies de l’information et de la communication : une
réflexion taoïste sur la réalité virtuelle.
892 COURS ET CONFÉRENCES

Mme Maria Luisa Meneghetti, Professeur à l’Università degli Studi di Milano


(Italie) a donné le 4 février 2008, une conférence sur le sujet suivant : Les frontières
du grand chant courtois.
M. Gunter Gebauer, Professeur à la Freie Universität de Berlin (Allemagne) a
donné le 8 février 2008, une conférence sur le sujet suivant : « L’Anthropologie »
de Wittgenstein.
M. Atsuo Takanishi, Professeur à l’Université Waseda de Tokyo (Japon) a donné
les 25 et 27 février 2008, deux conférences sur les sujets suivants : 1. Relations
entre la robotique des humanoïdes et la culture et la société au Japon ; 2. Les
robots humanoïdes comme outils pour l’étude scientifique du comportement
humain.
M. Yasuaki Onuma, Professeur à l’Université de Tokyo (Japon) a donné les 6 et
14 mars 2008, deux conférences sur le sujet suivant : Human rights in a Multipolar
and Multi-civilizational world of the 21st century - A view from a trans-
civilizational Perspective.
M. Geoffrey Hill, Professeur honoraire de l’Université de Boston (États-Unis)
a donné le 18 mars 2008, une conférence sur le sujet suivant : A reading and
discussion of my own writings in the context of contemporary British
Philosophy and peotry.
Mme Kapila Vatsyayana, Former secretary (culture) to the India government,
Founder and former head of the Indira Gandhi National Centre for the Arts
(Inde) a donné le 4 avril 2008, une conférence sur le sujet suivant : The building
of the Main Cultural Institutions in Independant India.
M. Martin Schwartz, Professeur à l’Université de California, Berkeley (États-
Unis) a donné les 20 et 27 mai 2008, deux conférences sur le sujet suivant : The
poetry of the Gathas : Mysteries of composition, and the composition of
mysteries : 1. Compositional techniques of the individual poems, and of the
serial generation of the corpus ; 2. The esoteric dimensions of gathic style.
M. Karl Friston, Professeur, University College London (Grande Bretagne) a
donné les 29, 30 mai et 2 juin 2008, trois conférences sur le sujet suivant : A free-
energy principle for the brain : 1. Action, perception and free-energy ;
2. Perceptual inference and learning ; 3. Variational filtering and inference.
M. David Warnock, Professeur à l’Université d’Alabama, Birmingham (États-
Unis) a donné les 3 et 18 juin 2008, deux conférences sur les sujets suivants :
1. Stroke, CV disease and chronic kidney disease ; 2. Proteinuria and blood
pressure control and progression of chronic kidney disease.
COURS ET CONFÉRENCES

RÉSUMÉS

M. Nicholas Purcell
Professeur, St. John’s College, Oxford (Grande-Bretagne)
Les quatre leçons données en octobre et novembre 2007 sont intitulées :
1. Devenir maritime
2. Les pentes de la connectivité
3. Aux marges de la Méditerranée : écologie, réseaux, interdépendances
4. Le couloir de Téthys et les problèmes de la Transeuphratène
La Méditerranée : avec ce concept, peut-on et doit-on faire de l’histoire
intéressante ? Si oui, quel genre d’histoire ? Telles sont les questions qui sous-
tendaient The Corrupting Sea. A Study of Mediterranean History (Oxford, 2000).
Les conférences présentées au Collège de France ont exploré la manière dont on
pourrait aborder les relations entre les histoires de la Méditerranée et celles du
monde qui entourait la région méditerranéenne. Elles se concentraient sur l’histoire
antique, avec des incursions dans l’histoire plus récente.
Dans la pensée antique, le terrestre et le maritime étaient strictement distingués.
Cette distinction est bien comprise. Nous avons exploré la manière dont les auteurs
de l’Antiquité entendaient réduire la séparation en parlant de « devenir maritime »,
contrairement à l’orientation normale de la vie humaine tournée vers la terre. Le
locus classicus se trouve dans Hérodote 7, 144 : anankasas thalassious genesthai
Athenaious (« forçant les Athéniens à devenir maritimes »), un précédent
spectaculairement développé par la stratégie de Rome contre Carthage lors de la
Première Guerre punique. Ce topo a une longue histoire et on le retrouve dans de
nombreux récits de victoires militaires inattendues. On peut se demander comment
cette conception bien connue peut être reliée à l’histoire sociale et politique plus
réaliste des gens de mer de la Méditerranée. L’enquête conduit à une vision des
moyens et des objectifs d’une mobilisation plus ou moins forcée de gens dans un
894 RÉSUMÉS DES COURS ET CONFÉRENCES

milieu maritime. Ce dernier acquiert de ce fait une personnalité historique distincte,


et établit en même temps des relations particulières avec les terres où sont recrutés
les marins. En retour, la comparaison éclaire d’un autre jour les épisodes bien
connus du « devenir maritime » dans l’histoire antique.

Nous avons commencé par tracer la frontière entre les lieux où l’on recrutait les
gens de mer et la mer sur laquelle ils se déployaient. En tant qu’espace, celle-ci
était définie par cette mobilisation, et plus largement par sa connectivité. Ceux qui
vivaient le plus près de la mer pouvaient être mobilisés aisément et de façon
répétée. Pourtant dans certains cas, ce sont les plus improbables des habitants des
terres qui sont « devenus maritimes » : les montagnards et les barbares venus de
territoires éloignés des côtes. « Devenir maritime » apparaît alors comme un
mouvement unique orienté vers la mer et son niveau élevé de connectivité, selon
un gradient qui peut être calculé en fonction de la connectivité, et surtout en
fonction de la mobilisation des biens et des personnes. Les zones terrestres de
l’intérieur ont aussi leur propre régime de connectivité. Nous avons donc étudié
l’histoire des polarités changeantes, dans les zones situées entre la mer et le
continent, qui peuvent être dominées à la fois par des formations d’origine maritime
ou terrestre, selon des mouvements récurrents qui nous poussent à les nommer
« sociétés du ressac ». La dynamique de ces changements peut être étroitement
reliée au développement des États, et nous avons entrepris de rechercher des
dénominateurs communs dans le développement de petites entités politiques à la
périphérie de l’espace méditerranéen, entre l’âge du bronze et le Moyen Âge.

Après l’étude des « pentes de la connectivité », nous nous sommes concentré sur
l’une des principales dynamiques des interactions explorées dans la précédente
conférence : les échanges commerciaux. Le but de l’exercice était de réévaluer une
partie des connaissances sur les commerçants grecs et romains, dans l’espoir qu’une
approche plus écologique apportera une meilleure compréhension de la diversité
des contextes et des formes du commerce antique que ne le font les modèles
modernisants que nous employons habituellement. De même que pour les
formations des États, il est fécond de considérer les diasporas commerciales et les
réseaux marchands de l’Antiquité comme des caractéristiques de la périphérie
méditerranéenne. Non seulement elles sont intimement reliées à la connectivité,
mais il s’avère que, du fait de l’importance du trafic d’esclaves, elles ont un rapport
spécial avec la mobilisation forcée qui apparaît comme une caractéristique essentielle
d’une histoire spécifiquement méditerranéenne.

Dans un premier temps, nous n’avons pas essayé de comparer les zones terrestres
(ou d’autres espaces maritimes) dont les histoires peuvent être juxtaposées à celles
de la Méditerranée. Pour conclure, nous avons revisité les thèmes des conférences
précédentes pour examiner les rapports entre le monde méditerranéen et ses voisins
de l’Est. Nous considérons le couloir de basses terres qui inclut la Mésopotamie et
qui s’étend de la Syrie jusqu’à Élam et l’entrée du golfe Persique à la fois comme
un espace connectif spécifique, dont on peut explorer la périphérie de la même
RÉSUMÉS DES COURS ET CONFÉRENCES 895

manière que la périphérie de la Méditerranée que nous avons examinée, et comme


un important prolongement de l’espace méditerranéen. Il forme une entité unique :
le couloir de Téthys. La Méditerranée de The Corrupting Sea revendique sa place
en tant qu’unité dotée d’un régime propre de connectivité, que l’on peut rapprocher
d’autres unités semblables pour les comparer ou en faire l’objet d’« histoires
connectées » reliant plusieurs d’entre elles. La zone charnière du Levant cesse d’être
une frontière entre royaumes étrangers pour devenir un espace de transition entre
entités étroitement comparables. Ce type d’analyse peut produire des résultats
intéressants pour d’autres espaces méditerranéens en marge de zones complexes
mais essentiellement connectives, telles que le Sahara ou la façade atlantique. Il
laisse entrevoir une Méditerranée qui continue d’être un objet fécond et spécifique
pour la réflexion historique, sans qu’il soit besoin de la monter en épingle, de façon
inacceptable, comme une exception.
(Traduit de l’anglais par Marc Kirsch)

M. Diego Gambetta
Professeur à Nuffield College, Université d’Oxford (Grande-Bretagne)

Signalling theory and its applications

My course, which comprised 4 lectures, was an introduction to the principles of


signalling theory, its history, and its common misconceptions. I also presented two
applications: to trust decisions and to interpersonal violence. Herewith, I give a
brief overview of the theory and of the range of its applications, without going
into the details of the two particular applications which I presented in my
lectures.
Signalling theory (ST) tackles a fundamental problem of communication: how
can an agent, the receiver, establish whether another agent, the signaller, is telling
or otherwise conveying the truth about a state of affairs or event which the signaller
might have an interest to misrepresent? And, conversely, how can the signaller
persuade the receiver that he is telling the truth, whether he is telling it or not?
This two-pronged question potentially arises every time the interests between
signallers and receivers diverge or collide and there is asymmetric information,
namely the signaller is in a better position to know the truth than the receiver is.
ST, which is only a little more than 30 years old, has now become a branch of
game theory. In economics it was introduced by Michael Spence in 1973. In
biology it took off not so much when Amotz Zahavi first introduced the idea in
1975, but since, in 1990, Alan Grafen proved formally that ‘honest’ signals can be
an evolutionarily stable strategy.
896 RÉSUMÉS DES COURS ET CONFÉRENCES

Typical situations that signalling theory covers have two key features:
(i) there is some action the receiver can do which benefits a signaller, whether
or not he has the quality k, for instance marry him, but
(ii) this action benefits the receiver if and only if the signaller truly has k, and
otherwise hurts her — for instance, marry an unfaithful man.
This applies to conflict situations too: if we know that our opponent is going
to win a fight we may choose to yield without fighting at a lesser cost for both.
Thus k signallers and receivers share an interest in the truth, but the interests of
non-k signallers and receivers are opposed: non-k signallers would like to deceive
receivers into thinking they have k, in order to receive the benefit, while receivers
have an interest in not being deceived. (The interests of k’s and non-k’s are also
usually opposed because the activity of the latter damages the credibility of the
signals of the former.)
The main result in signalling theory is that there is a solution in which at least
some truth is transmitted, provided that among the possible signals is one, s,
which is cheap enough to emit, relatively to the benefit, for signallers who have k,
but costly enough to emit, relatively to the benefit, for those who do not. If it is
too costly to fake for all or most non-k signallers then observing s is good evidence
that the signaller has k.
It is hard to think of another theory that in recent times has been developing so
fast across all behavioural sciences. In economics applications have concerned
Spence’s model of education as a signal of productivity, and practices, such as
product guarantees, financial markets, advertising, charity donations, scientific
publications funded by private firms. In political science applications include, ways
of credibly signalling foreign policy interests; how different political arrangements
can favour more discriminating signals of high quality politicians; under what
conditions bargaining mediators are credible; whether the size of terrorist attacks
can be a signal of terrorist organisation resources; and whether the theory can shed
light on ethnic mimicry. Anthropologists have used the theory to make sense of
« wasteful » or « inefficient » practices in pre-modern cultures, such as redistributive
feasts, big yam displays, and hunting difficult preys ; they have also used the theory
to investigate the cooperative effects of differentially costly rituals and requirements
in religious groups. In sociology applications have concerned the attraction that a
group of deviant youth display for the punishment beatings they receive from the
IRA, the signals taxi drivers rely on when deciding whether to pick up hailers or
callers in dangerous cities, criminals’ strategies to identify bona fide criminals, the
patterns of prison fights and the use of self-harm.
RÉSUMÉS DES COURS ET CONFÉRENCES 897

Mme Elaine Fuchs


Professeur, université Rockefeller de New York (États-Unis)
La série de cours donnés les 8, 15, 18 et 22 janvier 2008 a porté sur les sujets
suivants :
1. Stem Cells: Biology, Ethics and potential for Medicine;
2. The Biology and Genetics of Skin and Hair;
3. Cell adhesion, Migration and Cancer;
4. Stem Cells of the Skin and their Lineages.

1. Stem Cells: Biology, Ethics and potential for Medicine

The remarkable ability to generate an embryo from a single fertilized oocyte, to


periodically replace dying cells within tissues and to repair tissues damaged during
injury, is a direct consequence of stem cells, nature’s gift to multicellular organisms.
The gold standard of stem cells is the fertilized egg, which produces an organism
replete with ~ 220 specialized cell types, including reproductive germ stem cells.
As the embryo first develops, an outer protective shell of support cells, referred to
as the trophectoderm, encases an undifferentiated mass (the inner cell mass) of
pluripotent embryonic stem (ES) cells that will make the animal. As tissues and
organs develop, stem cells become more restricted in their options (Fuchs et al.
2004 ; Fuchs 2007) 1.
Although cell type specification is largely complete at or shortly after birth,
organs must possess a mechanism to replenish those cells within the tissue that die
or become damaged with age. This process of cell replacement by natural wear
and tear is referred to as homeostasis, and is fueled by adult stem cells which
typically reside within a tissue. Some tissues, like the skin epidermis or intestinal
epithelium, undergo constant turnover and rejeuvenation involving the entire
tissue. For other tissues/organs, e.g. the brain, it has only been recently that
scientists have appreciated the existence of stem cells that have the ability to
replenish specialized neurons, glial cells and oligodendrocytes over time, even if
this capacity is much reduced in comparison to the hematopoietic system or
epithelial tissues. Increasing evidence is pointing to the view that most tissues of
the body have adult stem cells.
Like ES cells, adult stem cells undergo self-renewal, the ability to divide to
generate self, and the ability to generate cells that will differentiate to produce
tissues. Adult stem cells, however, typically give rise to only a few different types
of tissues, a feature often referred to as multipotent. Some stem cells, e.g. germ
stem cells, are thought to give rise to only one lineage, in this case, either oocyte

1. Les références complètes sont indiquées dans la version qui peut être téléchargée sur le site
Internet du Collège de France : http://www.college-de-france.fr, page du professeur Christine
Petit, onglet Conférenciers invités.
898 RÉSUMÉS DES COURS ET CONFÉRENCES

(female germ stem cells) or sperm (male germ stem cells). Given the fountain of
youth ability of adult stem cells to generate tissues during normal homeostasis and
wound-repair, these stem cells are typically set aside in protected reservoirs within
the developing tissue. They are often used sparingly, and hence undergo fewer
divisions than their activated progeny. The protective niches are composed not only
of stem cells but also a complex “microenvironment” of neighboring differentiated
cell types which secrete and organize a diverse range of extracellular matrix and
other factors that allow stem cells to manifest their unique intrinsic properties
(Fuchs et al. 2004; Moore and Lemischka 2006; Morrison and Kimble 2006).
Harnessing adult stem cells for regenerative medicine has long been a major
focus of scientists and clinicians alike. Examples of the successful use of stem cells
for regenerative medicine include bone marrow transplants to replace cells of the
hematopoietic system and cultured epidermal sheets for the replacement of
epidermis lost in badly burned skin (Weissman 2000; De Luca et al. 2006). ES
cells have received more attention because of their broader potential and hence
greater promise for generating cell types to treat injuries and degenerative conditions
for which we presently have no cures. With the promise are also ethical
considerations dealing with the use of fertilized eggs for research necessary to
harness this potential. Scientists have countered with technology referred to as
nuclear transfer, often mistakenly referred to as human cloning. This technology
involves making a hybrid somatic cell from an unfertilized oocyte whose nucleus
was removed and replaced by an adult somatic cell (Hochedlinger and Jaenisch
2006). In collaboration with the laboratory of Peter Mombaerts at the Rockefeller
University, my laboratory has used this technology to demonstrate that ES cells
and in fact healthy viable mice could be generated from hybrid diploid totipotent
cells, each composed of an unfertilized enucleated mouse oocyte and an adult hair
follicle stem cell, normally able to differentiate into only epidermis, hair follicles
and sebaceous glands (Blanpain and Fuchs 2006; Li et al. 2007). Although nuclear
transfer technology has not yet been successful for generation of human ES cells,
scientists recently succeeded in generating primate ES cells through nuclear transfer
(Byrne et al. 2007).
Can adult skin cells be utilized to generate ES cells directly, without the use of an
unfertilized oocyte? Breakthroughs over the past year have led scientists to predict
that this may be possible in the future. In a pioneering study published in summer,
2007, Yamanaka and coworkers reported the generation of germline competent
“induced pluripotent stem cells” (iPS cells) generated by retroviral infection of
mouse skin fibroblasts to force the expression of four transcription factors normally
expressed by ES cells but not by adult somatic cells (Meissner et al. 2007; Okita et al.
2007). Unfortunately, one of the transcription factors was a potent cell cycle
stimulator and the mice generated developed tumors with time. Since this time,
however, researchers have now succeeded in eliminating this gene from the mix, and
now only three transcription factors appear to be sufficient (Nakagawa et al. 2008;
Park et al. 2008). Moreover, in animal mouse models of human disease, iPS cells
RÉSUMÉS DES COURS ET CONFÉRENCES 899

have already shown promise for treatments (Hanna et al. 2007), and in the past
several months, two groups have independently succeeded in generating human iPS
cells from adult skin cells (Takahashi et al. 2007; Yu et al. 2007).
This explosion of research bodes well for the future of human regenerative
medicine. The challenge now will be how to avoid the genetic manipulation (in
some cases, > 50 integrated retroviral DNAs) that occurs in generating iPS cells
and/or overcoming the present hurdles in generating human ES cells by nuclear
transfer. While nuclear transfer is preferable in using epigenetic reprogramming
rather than genetic manipulation, it still uses unfertilized oocytes. That said, the
excitement and promise of stem cells for regenerative medicine continues to grow
and 2007 has been a very successful year in overcoming technological barriers that
less than a decade ago were thought to be insurmountable.

2. The Biology and Genetics of Skin and Hair


The skin epidermis and its appendages provide a protective barrier that is
impermeable to harmful microbes and also prevents dehydration. To perform their
functions while being confronted with the physico-chemical traumas of the
environment, these tissues undergo continual rejuvenation through homeostasis
and in addition, they must be primed to undergo wound-repair in response to
injury. The skin’s fountain of youth for maintaining tissue homeostasis, regenerating
hair and repairing the epidermis following injury is its stem cells, which reside in
the adult hair follicle, sebaceous gland and epidermis. Stem cells have the remarkable
capacity to both self-perpetuate and also give rise to the differentiating cells that
constitute one or more tissues. In recent years, researchers have begun to uncover
the properties of skin stem cells, and unravel the mysteries underlying their
remarkable capacity to perform these feats.
The adult skin epithelium is composed of molecular building blocks, consisting of
a pilosebaceous unit (HF and sebaceous gland) and its surrounding
interfollicularepidermis (IFE) (Blanpain and Fuchs 2006). Both the IFE and the
sebaceous gland contain their own progenitor cells for normal homeostasis in the
absence of injury (Levy et al. 2005; Horsley et al. 2006; Levy et al. 2007). HFs
contain a niche of relatively quiescent follicle stem cells that are normally activated
at the start of each new hair cycle. Upon wounding, these cells are able to repair the
epidermis and sebaceous glands. Like many other adult stem cells of the body, skin
epithelial stem cells were predicted to be relatively infrequently utilized, and hence
slow-cycling (Taylor et al. 2000; Oshima et al. 2001). Like other stratified squamous
epithelia and many glandular epithelia, the skin epithelial cells with proliferative
activity were known to express keratins 5 and 14 (Fuchs and Green 1980 ; Vassar et
al. 1989). On the basis of these two characteristics, we devised a pulse-chase strategy
with a fluorescent histone to identify and fluorescently mark the slow-cycling K5/
K14-positive cells of mice (Tumbar et al. 2004). Located in a region of the hair
follicle known as the bulge, special cells within this niche could be activated to
900 RÉSUMÉS DES COURS ET CONFÉRENCES

proliferate and divide with each new hair cycle and could be mobilized to repair
wounds to the epidermis. Using fluorescence activated cell sorting, cell culture, and
skin engraftments with clonally derived progeny of single bulge cells, we showed
that these cells are in fact stem cells, and they have multipotent capacity (Blanpain et
al. 2004; Morris et al. 2004; Tumbar et al. 2004; Ito et al. 2005).
We’ve used transcriptional profiling and genetic analyses to understand how
these stem cells maintain quiescence and become activated upon initiation of a
new hair cycle. We’ve revealed roles for the Wnt signaling pathway in stem cell
activation, self renewal, hair shaft production and tumorigenesis (Zhou et al. 1995;
Gat et al. 1998; Chan et al. 1999; DasGupta and Fuchs 1999; Merrill et al. 2001;
McLean et al. 2004; Lowry et al. 2005; Nguyen et al. 2006). We’ve revealed roles
for the BMP pathway in controlling stem cell quiescence (Kobielak et al. 2003;
Kobielak et al. 2007; Horsley et al. 2008). Collectively, the studies from my
laboratory and others (Huelsken and Birchmeier 2001 ; Van Mater et al. 2003;
Andl et al. 2004; Lo Celso et al. 2004; Ito et al. 2007) suggest a working model
for stem cell quiescence, self-renewal and activation in the hair follicle during
normal homeostasis and wound repair.

3. Cell adhesion, Migration and Cancer


The skin epidermis is an excellent example for exploring homeostasis and injury
repair in a stratified epithelium. The epidermis maintains a single inner (basal)
layer of proliferative cells that adhere to an underlying basement membrane rich
in extracellular matrix (ECM) and growth factors (Fuchs 2007). Basal cells express
a number of characteristic markers including keratins and transcription factors.
Periodically, these cells withdraw from the cell cycle, commit to differentiate
terminally, move outward and are eventually shed from the skin surface. This
architecture allows the epidermis to generate a self-perpetuating barrier that keeps
harmful microbes out and essential body fluids in.
Upon commitment to terminally differentiate, an epidermal keratinocyte
progresses through three distinct differentiation stages : spinous, granular and
stratum corneum. Major changes in transcription, morphology and function occur
at the basal/spinous layer transition and again at the granular/stratum corneum
transition, such that differentiated cells reaching the skin surface are enucleated,
cellular skeletons that are packed with cables of keratin filaments encased by an
indestructible envelope of proteins. An additional final step in the differentiation
process is the extrusion of a lipid bilayer that seals and protects the body surface
from dehydration and harmful microbes. The process is in a continual homeostasis,
so that surface cells are continually sloughed and replaced by inner cells
differentiating and moving outward. In human epidermis, the self-renewing
capacity of epidermal stem cells is enormous, and within 4 weeks, a basal cell has
terminally differentiated and exited at the skin surface. In mice, the epidermis
becomes thinner and proliferation slows substantially as the hair coat develops.
RÉSUMÉS DES COURS ET CONFÉRENCES 901

To coordinate epidermal homeostasis and wound-repair and to maintain a single


layer of dividing cells and multiple layers of differentiating cells, the epidermis
displays an elaborate cytoskeletal architecture. Ten nanometer wide intermediate
filaments composed of keratin proteins are the major cytoskeletal component of the
epidermis and its appendages. Dividing cells express keratins 5 and 14, while
differentiating epidermal cells express keratins 1 and 10 (Fuchs and Green 1980).
The basic subunit structure of the keratin filament is an obligatory heterodimer of
type I and type II keratins (Fuchs et al. 1981; Hanukoglu and Fuchs 1982;
Hanukoglu and Fuchs 1983; Coulombe and Fuchs 1990)). The function of these
keratins is to impart mechanical integrity to the epidermis, without which the cells
become fragile and prone to rupturing upon physical stress (Albers and Fuchs 1987;
Albers and Fuchs 1989; Coulombe et al. 1990; Vassar et al. 1991; Letai et al. 1992)).
First discovered in mice and then in humans, the blistering skin disease epidermolysis
bullosa simplex (EBS) is a genetic disorder of keratins 14 and 5 (Bonifas et al. 1991;
Coulombe et al. 1991; Lane et al. 1992; Fuchs and Weber 1994), and the blistering
disorder epidermolytic hyperkeratosis is a genetic disorder of keratins 1 and 10
(Cheng et al. 1992; Chipev et al. 1992; Rothnagel et al. 1992). There are now more
than 20 different IF disorders in humans, and many of these set the paradigm first
discovered for EBS (Fuchs and Cleveland 1998; Omary et al. 2004).

To form a cytoskeleton, keratin filaments associate with α6β4 integrin-rich


hemidesmosomes at the base of the basal epidermal cell, and desmosomal-cadherin-
rich desmosomes to make cell-cell junctions. When these IF-adhesive connections
are defective, mechanical fragility and degenerative disorders also occur. By contrast,
the actin cytoskeleton associates with α3β1 integrin-rich focal adhesions and to
E-cadherin rich adherens junctions (Perez-Moreno et al. 2006). We’ve used gene
targeting to conditionally mutate the genes encoding E-cadherin, α-catenin and
p120-catenin from the skin epidermis(Vasioukhin et al. 2000; Vasioukhin et al.
2001; Tinkle et al. 2004; Kobielak and Fuchs 2006; Perez-Moreno et al. 2006)).
Intriguingly, mutations in all of these genes render the skin epithelium prone to
squamous cell carcinomas and/or proinflammatory responses. We’ve shown that
α-catenin is particularly important not only for coordinating adhesion-actin
dynamics but also proliferation, invasion, and inflammation (Vaezi et al. 2002;
Jamora et al. 2003; Kobielak and Fuchs 2006).

Interestingly, it is also required for proper spindle orientation in the epidermis,


a process which requires actin-microtubule polarization. During embryonic
development as the epidermis transits from a single layer to a stratified layered
epithelium, spindle orientation changes to become asymmetric relative to the
basement membrane. Mechanistically, the process appears to involve many of the
proteins used by fly neuroblasts in as ymmetric divisions that generate neurons
(Lechler and Fuchs 2005).

In addition to requiring α-catenin, the process of asymmetric divisions in the


epidermis also relies upon β1 integrin (Lechler and Fuchs 2005). We’ve targeted β1
902 RÉSUMÉS DES COURS ET CONFÉRENCES

and its downstream tyrosine kinase effector, focal adhesion kinase (FAK) for ablation
in the skin (Raghavan et al. 2000; Raghavan et al. 2003; Schober et al. 2007).
Without β1 integrin, basement membrane assembly is defective and hair follicles
cannot invaginate. Epidermal cells also fail to activate FAK and focal adhesion
turnover, necessary for efficient cell migration, is impaired (Schober et al. 2007).
Without FAK, the skin epidermis becomes more resistant to tumorigenesis (McLean
et al. 2004; Schober et al. 2007). Interestingly, TGFβ signaling may also be linked to
focal adhesions, as without TGFβ signaling, the skin is more susceptible to
tumorigenesis and FAK is upregulated (Guasch et al. 2007).

In summary, in the nearly three decades of skin biology research conducted by


my laboratory, an understanding is beginning to emerge of how multipotent stem
cells receive external signals to change their programs of transcription and gene
expression, remodel their cytoskeletal-adhesive contacts and generate tissues. In the
case of skin, one of the remarkable features of these multipotent stem cells is their
ability to generate the epidermis, hair follicle and sebaceous gland, three fascinating
and strikingly distinct tissue structures. With the future promise of the skin as a
possible source for generating embryonic stem cells, the skin may well not only
prove to be our largest organ and our largest immune system of the body, but also
our most important source of material for the future of regenerative medicine.

Mme Maria Giovanna Biga


Professeur, université « La Sapienza » de Rome (Italie)

La Syrie au IIIe millénaire av. J.-C. d’après les archives d’Ebla

Les textes des Archives du palais royal G d’Ebla (Tell Mardikh, 60 km au sud-
ouest d’Alep, dans la Syrie septentrionale) du xxive siècle av. J.-C. permettent
désormais d’écrire l’histoire politique, économique et sociale de la Syrie du
IIIe millénaire av. J.-C., totalement inconnue auparavant. Ils documentent la
présence en Syrie, déjà à partir du début du troisième millénaire, d’une urbanisation
intense ainsi que beaucoup de royaumes qui avaient d’intenses rapports politiques
et commerciaux avec celui d’Ebla.

Après plus de trente ans d’étude des textes d’Ebla et surtout la détermination de
la chronologie relative des textes, lesquels sont datés seulement par le nom du mois
et qu’il faut donc ranger en recourant avant tout à des critères prosopographiques,
il est aujourd’hui possible de décrire pour une cinquantaine d’années dans le cours
du xxive siècle av. J.-C. l’histoire de la Syrie, de la Haute-Mésopotamie et de la
Mésopotamie.
RÉSUMÉS DES COURS ET CONFÉRENCES 903

Les textes permettent aussi de connaître la vie de la première et plus ancienne


cour du Proche-Orient que l’on connaisse ; c’est une cour très riche et vivante que
gagnent des messagers envoyés par beaucoup de royaumes syriens y compris ceux
de Mari sur le Moyen-Euphrate, mais aussi de Kish en Mésopotamie et de Nagar
dans la haute vallée du Khabur.
Beaucoup d’événements tenants à la vie privée de ces cours (parmi lesquels on
compte naissances, mariages et morts) ou à des engagements militaires entre les
autres royaumes ou encore les nouvelles des victoires de l’armée éblaïte sont portés
à la connaissance du roi.
La Syrie se présente, à cette période, comme divisée en royaumes structurés à la
façon de celui d’Ebla, dirigés par un roi (qu’on désigne par le titre sumérien de
« en »), aidé par un certain nombre d’Anciens et de fonctionnaires-mashkim ; le
roi d’Ebla a ainsi à son service un nombre variable (qui oscille entre quinze et
vingt-cinq) de « seigneurs » attestées dans le seul royaume d’Ebla et qui paraissent
avoir été des superviseurs des grands secteurs productifs de l’économie ou des
collecteurs de taxes. Ce sont eux qui acheminent au palais les grandes quantités de
biens, surtout de l’argent et de l’or.
La reine, à la cour, avait un grand rôle, ainsi qu’à une certaine période d’Ebla,
la reine-mère aussi.
L’histoire de la cour d’Ebla pendant le règne des trois rois qui se sont succédé
dans la période documentée dans les archives, est désormais connue par de multiples
détails.
S’il n’y a pas beaucoup de textes concernant son prédécesseur, le roi Igrish-Kalab,
pendant le règne duquel on a rédigé le premier traité international connu, celui
entre Ebla et Abarsal, beaucoup plus de textes documentent le règne de l’avant-
dernier roi, Irkab-damu. Avec lui, Ebla intensifie son expansion politique en
cherchant à contrer la prédominance de Mari.
Les rapports diplomatiques, les alliances matrimoniales mêmes qui s’instaurent
avec beaucoup de souverains des royaumes de la Syrie, les dons envoyés par le roi
éblaïte, contribuent à renforcer le réseau commercial d’Ebla. Il est évident qu’Ebla
assure le transport de ses précieux tissus dans une bonne partie du Proche-Orient,
mais qu’elle est aussi un centre de commerce du lapis-lazzuli et autres biens, comme
les bois précieux de la côte méditerranéenne, en recevant, en échange, de l’or, de
l’argent et d’autres biens comme des équidés nécessaires pour les transports.
Dans les dernières années du règne d’Irkab-damu, une femme appelée Dusigu
obtient la première place à la cour parmi les femmes de du harem; elle est sûrement
devenue la dernière épouse du roi.
Probablement avec l’aide d’un membre de sa famille, Ibrium, qui devint vizir,
elle réussit, à la mort du souverain, à mettre sur le trône son fils, Ishar-damu,
dernier né du roi, encore un enfant.
904 RÉSUMÉS DES COURS ET CONFÉRENCES

Dusigu devint alors la reine-mère et Ibrium fut le vizir qui, avec elle, devait tenir
les rênes du pouvoir pour de nombreuses années.
Ibrium entama une série de guerres pour punir des alliés rebelles, tant pour
renforcer le réseau commercial que pour l’étendre, pour guider les armées éblaïtes
dans des campagnes militaires annuelles.
Sous le long règne de son dernier roi, Ishar-Damu, grâce aux victoires d’Ibrium
d’abord, puis de son fils Ibbi-zikir, renforcées par une politique d’alliances, mariages
interdynastiques, pactes jurés, Ebla devient une puissance régionale considérable
avec des frontières qui s’étendaient au Nord-Est jusqu’à Karkémish sur l’Euphrate,
au Sud à Hama, à l’Est à Emar sur l’Euphrate, arrivant même jusqu’à à Alalakh,
et donc à la mer Méditerranée.
Des royaumes importants comme celui de Harran, dans la Turquie actuelle,
étaient liés à Ebla par un lien de parenté et, à la fin de l‘existence d’Ebla, le puissant
royaume de Nagar en Haute-Mésopotamie, lui aussi, devait se lier à Ebla par un
lien matrimonial entre la fille du roi d’Ebla, Tagrish-Damu, et le fils du roi du
Nagar. Dans le royaume de Kish en Mésopotamie, également, on devait envoyer
comme épouse la princesse Keshdut, fille du couple royal.
Malgré les liens avec les royaumes les plus puissants de l’époque et une grande
victoire en rase campagne, Ebla, après quelques années, fut détruite par un ennemi
qui, selon certains, pourrait être venu de la Mésopotamie et avoir été le roi Sargon
d’Akkad, selon d’autres, aurait été un ennemi syrien, comme Mari ou Armi, un
État avec lequel les rapports ont toujours été difficiles ou fluctuants.
Grâce aux archives, on peut avoir aussi une connaissance de la plus ancienne
religion syrienne avec un panthéon de divinités qui devaient être, ensuite, bien
documentées dans la Syrie du deuxième millénaire comme Dagan et Hadad,
Rasap, Ishkhara et Ishtar, ainsi que d’autres divinités comme le dieu-Soleil et Enki,
déjà connues dans le monde sumérien ; mais des divinités comme le dieu dynastique
Kura, sa parèdre Barama et le dieu Adabal semblent avoir disparu par la suite du
panthéon sémitique occidental.
On a retrouvé à Ebla aussi quelques rituels importants parmi lesquels le grand
rituel de renouvellement de la royauté pourrait avoir été connu même en Égypte,
où la fête Sed représentait également un rituel de renouvellement de la royauté.
RÉSUMÉS DES COURS ET CONFÉRENCES 905

M. Leonid Kogan
Professeur à l’Université d’État de Russie, Moscou (Russie)

Les noms des plantes akkadiennes dans leur contexte sémitique

I.
Dans chaque langue, ancienne ou moderne, morte ou vivante, les lexèmes qui
appartiennent au vocabulaire de base peuvent être classifiés comme provenant
d’une des trois sources diachroniques fondamentales : (1) mots hérités de la proto-
langue ; (2) « mots nouveaux », produits au sein de la langue au cours de son
histoire ; (3) mots empruntés aux autres langues. La terminologie botanique
akkadienne n’offre pas d’exception. Dans ce stratum du vocabulaire akkadien on
découvre facilement les trois sources diachroniques en question, à illustrer par (1)
kanû ‘canne’ < proto-sémitique *kanaw-, (2) aršātum ‘blé’ ou ‘orge’ < aršu ‘cultivé’
< erēšum (assyrien arāšum) ‘cultiver’; (3) gišimmarum ‘palmier dattier’ < sumérien
gišimmar. Dans le cadre des quatre conférences en question, la présentation a été
restreinte aux 50-55 termes appartenant au premier groupe — les termes botaniques
akkadiens qui remontent au proto-sémitique.
La recherche sur les origines sémitiques du vocabulaire botanique n’a jamais été
particulièrement intense, malgré le fait que quelques illustres assyriologues et
sémitisants y aient pris part, tels que Bedřich Hrozný, Pelio Fronzaroli ou Marten
Stol. Plusieurs questions théorétiques en rapport avec ce sujet ont à peine été
touchées (par ex. le problème des emprunts lexicaux ou la reconstruction interne
du vocabulaire botanique proto-sémitique), sans parler des multiples étymologies
concrètes.

II.
Dans le domaine de la terminologie botanique générale, l’origine sémitique est
évidente pour isu ‘arbre’ < *¢iT, kīštu ‘bois, forêt’ < *kayS- et dīšu ‘herbe’ < *da£¿-.
La désignation plus générale de l’herbe (šammu) reste étymologiquement obscure,
le seul parallèle convaincant étant l’égyptien sm.w, dont la sémantique générale est
plus ou moins identique à celle du mot akkadien (‘herbe’ en opposition à ‘arbre’).
Parmi les noms des parties des plantes, šuršu ‘racine’, zēru ‘graine, semence’, per¿u
‘pousse, germe’, šubultu ‘épi’ et tibnu ‘paille’ remontent à des prototypes communs
transparents, à savoir *SVrš-, *Dar ¢-, *parγ-, *šu(n)bul-at- et *tibn-. Le concept de
‘feuille’, une notion importante du vocabulaire de base dans les langues du monde,
est peu développé dans le lexique akkadien, le seul candidat étant aru (artu), dont
l’étymologie reste peu claire (à comparer avec l’arabe γār- ‘feuilles de la vigne’?).
L’akkadien ašnan, une désignation générale (souvent déifiée) de grain ou de céréale,
a été comparé avec le soqotri šane ‘grain’ autant qu’à quelques termes de même
sens dans les langues couchitiques (Oromo saňňi, Somali šuni).
906 RÉSUMÉS DES COURS ET CONFÉRENCES

III.
La terminologie proto-sémitique des herbes sauvages est pauvre, et seule une
petite partie de ces termes communs sont préservés par la langue akkadienne. Les
cinq lexèmes suivants sont les plus certains des points de vue philologique et
étymologique : daddaru ‘chardon’ < *dardar-, ašlu ‘jonc’ < *¿ašal-, kanû ‘roseau,
canne’ < *kanaw-, elpetu ‘alfa’ < *hVlp(-at)-, pekû, pekkūtu ‘coloquinte’ < *pVkV¢-.
Les désignations des arbres sauvages remontant à des prototypes sémitiques
assurés ne sont pas beaucoup plus nombreuses : butnu, butumtu ‘térébinthe’
< *butm(-at)-, bīnu ‘tamaris’ < *bayan-, ettettu ‘un arbrisseau épineux’ < *¿atad-,
¶ilēpu ‘saule’ < *¶ilāp-, burāšu ‘genièvre’ < *burā£-. Pour quelques autres termes
akkadiens appartenant à ce groupe on trouve des apparentements sémitiques
prometteurs, mais les données disponibles ne sont pas suffisantes pour une
reconstruction cohérente : tarpa¿u ‘tamaris’ — l’arabe tarfā¿-, allānu ‘chêne’ —
l’hébreu ¿ēlā ‘térébinthe’ et ¿allōn ‘chêne’, l’araméen commun *¿īlān- ‘arbre’, sarbatu
‘peuplier d’Euphrate’ — l’hébreu ¢ărābā, le syriaque ¢arbtā, l’arabe γarab-, erēnu
‘cèdre’ ou ‘genièvre’ — l’arabe ¢ar ¢ar- ‘genièvre’, l’hébreu ¢ar ¢ar ‘genièvre’ ou
‘tamaris’.
En ce qui concèrne les champignons, le seul terme d’importance est l’akkadien
kam¿atu, traduit traditionnellement comme ‘truffle’ mais plus probablement
désignant une autre espèse mycologique. Le terme akkadien ne peut pas être séparé
de quelques désignations des champignons dans les langues ouest-sémitiques (à
savoir, l’arabe kam¿at- et l’hébreu rabbinique kemēhīm), mais la nature de leur
rapport (cognats ou emprunts ?) reste à eclaircir.

IV.
Les noms akkadiens des céréales ayant une étymologie sémitique assurée sont
peu nombreux : buklu ‘malt’ < *bVkl-, uttetu ‘céréale?’, ‘orge?’, ‘blé?’ < *hint-at-,
possiblement burru ‘blé’ < *bVrr-, du¶nu ‘mil’ < *du¶n- et kunāšu ‘épeautre’
< *kunā£-. De même pour la terminologie proto-sémitique des légumes, dont les
réflexes akkadiens se bornent à šūmū ‘ail’ < *£ūm- (le rapport entre ce terme
commun et le sumérien sum reste contestable), karašu ‘poireau’ < *kara£-, kiššû
‘concombre?’ < *kV£(£)V¿-, ¶assū ‘laitue’ < *¶ass-. Parmi les désignations akkadiennes
des arbres cultivés, celles qui remontent à des prototypes sémitiques assurés ne
sont que deux : šikdu ‘amandier’ < *£akid- et tittu ‘figuier’ < *ta¿in(-at)-.
L’importance de la viniculture dans la Mésopotamie étant assez réduite, on ne
s’étonne pas d’observer que la plupart des termes ouest-sémitiques communs ayant
rapport à la vigne sont absents ou marginalisés en akkadien. Ainsi, le proto-
sémitique *gapn- ‘vigne’, bien attesté dans les langues sémitiques centrales, pourrait
correspondre aux termes akkadiens gapnu et gupnu, attestés dans les sources tardives
et avec un sens visiblement différent (‘arbre’, ‘tronc’). Le proto-sémitique *¢inab-
‘raisin’ (l’hébreu ¢ēnāb, le syriaque ¢enbtā, l’arabe ¢inab-) doit être en rapport avec
RÉSUMÉS DES COURS ET CONFÉRENCES 907

l’akkadien inbu, attesté cependant avec un sens plus général (‘fruit’). Le proto-
sémitique *¿V£kāl- ‘un racème de fruits, une grappe de vigne’ est bien attesté dans
les listes lexicales éblaïtes (áš-kà-lum, iš11-kà-um), tandis que la forme paléo-
babylonienne is¶unnatum, traditionellement mise en rapport avec ce terme
commun, présente des irrégularités phonologiques graves et inexplicables.

M. Albert de Jong
Professeur, université de Leyde (Pays-Bas)

Les quatre phases de la religion mazdéenne

Quatre leçons au Collège de France : 6 - 13 - 20 - 27 mai 2008


Le mazdéisme (connu aussi comme zoroastrisme ou religion de Zarathoustra) est
l’une des plus anciennes religions du monde. Ses origines historiques et géographiques
sont fortement contestées. L’historicité de son fondateur, Zarathoustra, a été mise en
doute, ainsi que l’interprétation traditionnelle des textes fondateurs de la religion,
l’Avesta. L’antiquité de la religion l’a assurée d’une place importante parmi les
historiens qui s’occupent des religions du monde ancien. Ceci n’est pas le cas pour
l’histoire non-impériale du mazdéisme, qui commence avec les conquêtes arabes de
l’Iran et l’islamisation du monde iranien. Le fait que les communautés mazdéennes
n’occupaient qu’une place marginale dans la société iranienne islamisée (et dans la
société indienne pour les parsis) jusqu’à leur « redécouverte » par les voyageurs
européens et leur émancipation dans le xixe (pour les parsis) et xxe (pour les
communautés de l’Iran) siècle, a permis aux historiens de les voir comme un « reste »
d’un passé plus grand, de les oublier ou les ignorer.

Ainsi, presque la moitié de l’histoire du mazdéisme a été laissée à quelques


spécialistes ou n’est pas du tout étudiée. La religion est connue substantiellement
comme elle était dans la période sassanide tardive et les premiers siècles de l’Islam. Cet
image de la religion a été employé tant pour l’interprétation des expressions religieuses
antérieures (surtout des achéménides et parthes), que pour mesurer les développements
postérieurs. Ceci a produit une image stationnaire de toute la religion.

Dans les décennies passées, l’histoire générale (des origines jusqu’au présent) du
mazdéisme a néanmoins été écrite deux fois, par Mary Boyce et par Michael
Stausberg. La première en a apporté toutes ses puissances historiques et
philologiques, mais sa thèse d’une grande continuité historique produite par les
enseignements du prophète Zarathoustra a provoqué beaucoup d’objections. Le
deuxième s’est largement limité à une approche descriptive. Nous nous trouvons
encore face à la question posée il y a presque cinquante ans par Marijan Molé :
une histoire du mazdéisme est-elle possible ?
908 RÉSUMÉS DES COURS ET CONFÉRENCES

Dans ces quatre leçons, une réponse à Molé sera formulée : une histoire du
mazdéisme est seulement possible quand on y reconnaît quatre phases distinctes et
s’efforce à penser quels ont pu être les liens entre ces phases. Première place doit être
donné aux considérations sociologiques et au projet de repenser l’importance et
l’emploi des textes dits sacrés, qui ont été au centre de l’intérêt savant occidental.

Première leçon : La formation de l’identité mazdéenne


La première leçon sert comme introduction méthodologique à l’histoire
proprement dite, qui ne commence qu’avec les achéménides. Avec le rejet de
l’historicité de Zarathoustra par quelques savants modernes vient aussi le rejet de
la notion d’une « conversion » des iraniens au mazdéisme. Il est important de
séparer l’un de l’autre, car l’existence de l’Avesta établit qu’une conversion a
effectivement eu lieu. L’historicité de Zarathoustra n’est pas exclusivement une
question de foi, mais aussi une question de méthode. Pour étudier la formation de
l’identité mazdéenne, la question la plus importante est de savoir comment
expliquer les « nouveautés » de la religion mazdéenne, une autre question est de
méthode. Il est évident que les règles doivent être établies de nouveau. Ceci n’est
possible que quand on donne des définitions acceptables de toutes ces catégories
qui jouent un rôle du premier plan : prophète, prêtre, conversion et la notion des
« limites » d’une tradition religieuse. Toute approche historique est une approche
comparative et il faut aussi nous unir sur les règles de la comparaison.

Deuxième leçon : Le mazdéisme religion impériale


Le mazdéisme commence dans une société sans rois et il survit dans une société
sans roi (mazdéen). Entre les deux se trouve la longue période du mazdéisme
impérial, qui commence avec Darius et s’éteint avec le dernier roi sassanide,
Yazdegerd III. Entre le vie siècle avant notre ère et le viie siècle de notre ère, on
distingue quatre dynasties : les Achéménides, (Alexandre et) les Séleucides, les
Arsacides (Parthes) et les Sassanides. Les Séleucides, d’origine macédonienne,
n’étaient pas des mazdéens, mais le mazdéisme des Achéménides, des Arsacides et
même des Sassanides, a aussi été mis en doute. Ceci n’est possible que quand on
les approche avec une définition stricte de la religion, qui est toujours fondée sur
une combinaison de l’information fournie par l’Avesta avec les données des livres
pehlevis. Cette combinaison ignore le rôle que les rois eux-mêmes ont joué dans
le développement de la religion. Ainsi, le rapport de forces royales et religieuses a
été fatalement renversé : les activités royales sont jugées comme si elles étaient
déterminées par la religion, tandis qu’on doit (aussi) reconstruire comment les rois
ont exercé leur pouvoir dans le domaine religieux.

Troisième leçon : le quiétisme mazdéen

Les conquêtes arabes de l’empire Sassanide ont, d’un seul coup, dérobé tout
pouvoir profane aux mazdéens de l’Iran. Le succès de ces conquêtes est vu dans la
RÉSUMÉS DES COURS ET CONFÉRENCES 909

tradition (et l’historiographie) musulmane comme une des preuves de la supériorité


de l’Islam. Pour les mazdéens, elles étaient une catastrophe. Les historiens modernes
ont largement suivi un modèle historique qui est dominé par notre connaissance
des événements ultérieurs : le retrait des mazdéens de l’Iran dans les déserts du
centre du pays, avec l’émigration de la communauté de Khorasan à l’Inde (les
Parsis). Ce modèle dénie le fait que dans les premiers siècles de l’Hégire, les
mazdéens de l’Iran ont participé à et bénéficié de la vie culturelle du nouvel empire
Abbaside. Le retrait des mazdéens, et le quiétisme mazdéen, ne s’est produit
qu’après les raides des Saljûq et des Mongols. Après le xiiie siècle, les mazdéens
— définis comme une minorité religieuse tolérée — continuent à démontrer leur
participation à la culture iranienne, mais le transfert aux régions marginales est
accompagné par une « émigration interne ». Dès le xve siècle, les communautés de
l’Iran et d’Inde échangent des lettres et traités religieux. Ceci a souvent été présenté
comme indicatif du fait que la communauté iranienne avait une position d’autorité
spirituelle sur la communauté indienne. Le fait que les sources pour l’histoire des
Parsis n’ont que très partiellement été publiées et encore moins étudiées rend toute
tentative d’interprétation provisoire, mais du côté des Parsis on trouve aussi des
fortes indications de participation à la société Indienne.

Quatrième leçon : L’émancipation des mazdéens


Les destins des communautés indiennes et iraniennes suivent des cours distincts :
pour les Parsis, le xixe siècle est le temps de l’émancipation et de la richesse. Pour
les mazdéens de l’Iran, le xixe siècle est un temps de répression et de perte. C’est
ainsi que les parsis se sont occupés d’améliorer la situation des mazdéens de l’Iran.
Le haut-point de cette tentative est l’abolition du jizya, suivi par l’organisation de
l’éducation. On a souvent vu dans ce développement les germes de la réforme qui
a pris place dans le xxe siècle. Dans le xxe siècle et encore plus dans les temps
modernes, les communautés mazdéennes du monde se trouvent confrontés avec de
multiples difficultés sociales et religieuses. La question de l’influence des études
occidentales de la religion mazdéenne doit y être apportée.
En conclusion, les grandes lignes d’une histoire trimillénaire ont été revisitées.
910 RÉSUMÉS DES COURS ET CONFÉRENCES

M. Ahmad Beydoun
Professeur, université de Beyrouth (Liban)
1. Du pacte de 1943 à l’accord de Taef : les résistances à la déconfes-
sionnalisation ;
2. Ce qu’« indépendance » voulait dire…
3. Une nouvelle donne inter-communautaire ?
4. Le système politique libanais a-t-il un avenir ?
La crise systémique qui menace de désintégrer l’État Libanais, et déjà en paralyse les
institutions, est-elle une simple réédition de crises antérieures qui ont jalonné, plus ou
moins régulièrement, l’histoire contemporaine de ce pays ? Sans nier les régularités
que l’on constate en se plaçant à un niveau très élevé (et – croyons-nous – peu
productif ) d’abstraction, nous pensons qu’une approche singularisante de la crise en
cours serait plus appropriée pour en cerner les mécanismes effectifs et tenter de mesurer
son impact présent et, surtout, prévisible, sur le pays et son système politique.
En effet, dans la configuration de chaque crise libanaise, se trouve incorporé (à
tout le moins) le « travail » du conflit précédent et de ses lendemains. C’est dire
que la Guerre de 1975-1990 a bien eu lieu, que l’après-guerre qui s’est étendu sur
une décennie et demie imprime aussi son cachet à la conjoncture présente qui,
ayant assimilé l’une et l’autre, ne peut les répéter. En nous exerçant à aller le plus
loin possible dans le démantèlement de la fameuse aporie libanaise où il est question
de « Nous » et des « Autres », nous tenterons d’interroger sur la nouvelle donne
intra- et intercommunautaire issue des développements des trois ou quatre dernières
décennies, la vacance potentielle de la fonction d’arbitrage politique, gérée et, du
même coup, dissimulée par le tuteur syrien, la conjonction inédite d’un chiisme
libanais en voie de cristallisation et de l’alliance irano-syrienne – conjonction qui
redéfinit les perspectives stratégiques de la donne su-mentionnée, etc.
Compte sera tenu, pour ce faire, du système politique dans son entièreté, c’est-à-
dire d’une société politique aux multiples clivages mais de plus en plus musclée et
ombrageuse et d’un État aux institutions déliquescentes mais plus âprement
convoitées que jamais. La question serait alors de savoir si ce système possède encore,
dans la conjoncture durablement défavorable qui a déclenché sa crise, les ressources
aptes à lui ménager une sortie de crise raisonnablement viable. Autrement libellée, la
question serait de savoir si les forces politiques en présence, travaillées déjà par leur
préparation à des conflits probables, voudront ou pourront, à un moment supposé
opportun, se résigner aux lourdes conditions, en termes de réforme institutionnelle
et de refonte politique et organisationnelle, d’un compromis stratégique.
Les titres proposés pour chacune des conférences ne départageront que très
approximativement les quatre étapes de l’analyse. À la fin du cycle, les thèmes
indiqués auront été plus ou moins développés. On ne s’interdira pas, toutefois, de les
faire empiéter les uns sur les autres, en vue de donner une cohérence à l’ensemble.
RÉSUMÉS DES COURS ET CONFÉRENCES 911

M. José Emilio Burucúa


Professeur, université San Martín (Argentine)

1. Le concept d’altérité et la représentation picturale


de l’histoire d’Ulysse depuis la Renaissance
La conférence s’attachera à la réception et au traitement du mythe d’Ulysse et
du récit de l’Odyssée dans la peinture italienne et flamande des xvie et xviie siècles.
Elle montrera qu’une interprétation comique de cette histoire allait de pair avec
l’idée d’un Ulysse découvreur, symbole de la grandeur intellectuelle et morale que
la connaissance du prochain pouvait fournir aux hommes engagés dans la
construction du monde moderne. L’étude détaillée des fresques peintes par Pellegrino
Tibaldi vers 1551 dans le Palais Poggi à Bologne sera placée au centre de cette
conférence qui considérera les interprétations iconographiques de l’histoire entre la
décoration de Pinturicchio dans la grande salle du Palais Petrucci à Sienne en 1509
et les tapisseries du cycle d’Ulysse dessinées par Jacob Jordaens autour de 1640.

2. Le massacre ancien et le massacre moderne :


problèmes d’historiographie et de représentation
Le massacre est un événement de l’histoire humaine dont le récit a présenté pour
les historiens grecs et romains d’énormes difficultés tant pour sa construction
narrative que pour son explication rationnelle. Cette conférence montrera, en
premier lieu, comment l’historiographie et l’art qui se sont occupés de l’expérience
contemporaine des génocides ont réédité, approfondi et dépassé ces dilemmes que
les Anciens ont vécus avec perplexité scientifique et angoisse émotionnelle. En
second lieu, à partir du recueil d’images des Histoires diverses qui sont mémorables
touchant les guerres, massacres, & troubles, advenues en France ces dernieres annees de
Perrissin et Tortorel (1569), elle présentera les modes de compréhension et de
représentation de quelques massacres modernes qui, aux temps des guerres de
religion en France et de la guerre des Trente Ans en Europe, reprennent les exemples
anciens et les images du martyre chrétien.

3. Les Pathosformeln du rire et la gravure européenne


au début de la modernité
Pour Aby Warburg, une Pathosformel est un ensemble de formes représentatives et
signifiantes, historiquement déterminées au moment de leur première synthèse, qui
renforce la compréhension du sens de ce qui est représenté par la mobilisation du
champ affectif dont une culture dispose pour accomplir les expériences fondamentales
de la vie sociale. Chaque Pathosformel se transmet à travers les générations qui
construisent un même horizon de civilisation, et elle connaît des temps de latence,
de récupération, d’appropriations et de métamorphoses. L’objet de cette conférence
est la recherche des Pathosformeln sur lesquelles la première modernité européenne a
fondé les représentations de ses expériences du rire et du comique. La peinture de la
912 RÉSUMÉS DES COURS ET CONFÉRENCES

Renaissance tardive sera explorée mais le champ privilégié de l’étude sera consacré à
la production des gravures drôles et satiriques qui ont connu une très large circulation
dans l’Italie et la France des xvie et xviie siècles.

4. Les gravures du Quichotte dans le XVIIe siècle français :


les estampes de Jacques Lagniet

Il n’y a pas beaucoup de textes qui, comme le Quichotte, ont suscité, parmi les
artistes du visuel, un élan si intense et si fréquent vers le désir ou la nécessité de
l’illustration. En Occident, seulement la Bible et la Divine Comédie pourraient peut-
être se comparer au Quichotte dans le processus de génération d’images destinées à
accompagner ou, quelquefois, à suppléer et remplacer la lecture. Dans tous les cas,
soit la représentation d’un récit proposé par un texte dont elle est une suite visuelle,
soit la représentation de ce qui est raconté comme un point de départ pour la création
d’un objet séparé du texte même, il faudra se demander quelle est la place de chaque
œuvre visuelle entre les deux pôles possibles qui définissent les relations entre image
et narration écrite, i.e. le pôle de l’illustration pure et subordonnée et le pôle de la
recréation visuelle. La conférence essaiera de déterminer la position des trente-huit
gravures des aventures de Don Quichotte et Sancho Panza, publiées par Jacques
Lagniet entre 1650 et 1652, par rapport à cette polarité. Les liens et les distances
entre l’image et le texte chez Lagniet ont, en effet, établi un mode d’appropriation de
l’histoire du Quichotte qui va au-delà du grotesque pour atteindre une joyeuse
abondance de significations dont la convergence demeure impossible.

M. Peter Golden
Professeur, université de Rutgers, New Jersey (États-Unis)

Lecture I : The Question of Türk Origins


The question of the ancient homeland of the Turkic peoples and the origins of the
distinct grouping that bore the ethnonym Türk remain a topic of debate. The earliest
references to peoples that are presumed to be Turkic date to the era of the Xiongnu
(2nd century BC), well before the appearance of the Türks proper (mid-6th century
AD). The breakup of the Xiongnu (whose ethno-linguistic affiliations remain a
matter of conjecture) produced the migrations of Oghuric-Turkic speaking peoples
to the Kazakhstanian and then western Eurasian (Ponto-Caspian) steppes (4th and
5th centuries AD). The rise of the Ashina, the ruling clan of the Türks, its origins in
the polyethnic borderlands of China and connections with the East Iranian world,
were also ultimately a by-product of the migrations touched off by the collapse of
the Xiongnu. Interestingly, none of the early Türk Qaghans bear Turkic names. The
fall of the First Türk Qaghanate in 630 in the east brought about by the Tang led to
RÉSUMÉS DES COURS ET CONFÉRENCES 913

the close interaction of key elements of the Eastern Türks with China. The Tang
emperor Taizong, calling himself “Heavenly Qaghan” in the Türk style and his
successor, preserved the Türks for a time from steppe foes while attempting to use
them as border forces. The Türks broke free and founded the Second Türk Qaghanate
(682-742). The ethnonym Türk spread as a generic term for Turkic (and some non-
Turkic) steppe peoples among their neighbors and was used as a cultural marker by
some Turkic peoples that had been part of the Türk Qaghanate.

Lecture II : Successors of the Türks in the Western Eurasian Steppes-


The Khazars and their Conversion to Judaism
The Khazars (ca. mid-7th century to 965-969), centered in the lower Volga with
their capital at Atïl, created one of the largest polities of medieval Eurasia, extending
from the Middle Volga in the north to the North Caucasus and Crimea in the south
and from the western Eurasian steppes to western Kazakhstan and Uzbekistan in the
east. It was a polyethnic state with a population of Turkic, Iranian, Finno-Ugric,
Slavic and Palaeo-Caucasian elements. Khazaria had an ongoing entente with
Byzantium, serving as its partner in wars (during the latter part of the 7th to mid-8th
century) with the Arabian Caliphate and as Constantinople’s first line of defense in
the steppes. During the 9th and 10th centuries, it was one of the major arteries of
commerce between Northern Europe and the Middle East as well as a connection to
the Silk Road. The question of Khazar origins, a successor state of the Western Türks,
and linguistic affiliations within Turkic remain problematic. Various Turkic
groupings speaking Oghuric and Common Turkic composed the Khazar union. The
belief system of the Khazars before their conversion to Judaism, as can be
reconstructed from archaeological finds, descriptions of kindred subject peoples
(e.g. the North Caucasian “Huns”) brief mentions in the Islamic geographers and
other sources indicates Tengri (the celestial supreme deity of the Turkic and Mongolic
peoples) worship and shamanism. The lecture concludes with a discussion of the
much debated dating of the conversion (most probably early 9th century), the
conversion narratives and the spread of Judaism among the population of Khazaria.

Lecture III : Sacral Kingship in the Turkic World: The Khazar Model
Various forms of sacral kingship were widespread across Eurasia. It was known
among the Türks and elements of it are reported among the Uyghurs (744-840)
their successors in the east. Among the Khazars, the sacral kingship took on a
somewhat different character leading to the transformation of the Khazar Qaghan
into a ritually isolated, tabuized figure that reigned, but did not rule. The actual
governance of the state was given to the Qaghan Beg/Ishâd, although the Qaghan
retained great authority as the bearer of qut (heaven-sent good fortune). Even in
death, he continued to be venerated. This transformation occurred in the 9th
century, as the Qaghan is noted in the sources as an active, governing figure before
then. It was not connected with Judaization as older Türk traditions of sacral
kingship (e.g. the ritual strangulation of the Qaghan at investiture) of shamanic
914 RÉSUMÉS DES COURS ET CONFÉRENCES

origin continued. One of the possible sources for this transformation may have
been the Ors guard force of the Qaghans. The Ors were Khwârazmian in origin
and a number of the practices associated with the later Khazar Qaghans are similar
to Iranian (cf. Sasanid) traditions.

Lecture IV : The Shaping of the Cuman-Qïpchaqs and their World


The Cuman-Qïpchaqs constituted an acephalous, loosely held tribal union that
dominated an area extending from the Pontic Steppes to Western Siberia and
Uzbekistan, a region termed the Qïpchaq Steppe (cf. Pers. Dasht-i Qipchâq). The
Cuman-Qïpchaqs integrated themselves into the regional political systems, serving
as difficult, occasionally predatory neighbors and sometimes allies (cemented by
marital ties) of the Rus’, Byzantium, Georgia, Khwârazm and Hungary. Cuman-
Qïpchaq origins remain an ongoing question of Turkic Studies. They are known
by a variety of names in a wide range of Turkic, Mongol, European, Transcaucasian,
Islamic and Chinese sources. The Cuman-Qïpchaqs derived from elements of the
Kimek confederation in Western Siberia (which contained Turkic and Mongolic
elements) that was broken up (first half of the 11th century) by a series of
migrations that began in the steppe borderlands of China. The contours of these
events are preserved in the 12th century authors, al-Marwazî (repeated by Aufî –
early 13th century) and Matthew of Edessa. This lecture suggests some new
identifications of the peoples mentioned in these accounts. It concludes with a
brief overview of the Cuman-Qïpchaq religious system.

Mme Jean Louise Cohen


Professeur, université de Columbia (États-Unis)

Rethinking Sovereignty,
Rights and International Law in the Epoch of Globalization
Two developments associated with globalization challenge the way we think about
rights, sovereignty and international law. The first is the increasingly influential
discourse of international human rights. This discourse has led cosmopolitan legal
and moral theorists to argue that the “sovereignty” and external legitimacy of
governments should be contingent on their being both non-aggressive and minimally
just. A radical idea is at stake : that the international community may enforce moral
principles and legal rules regulating the conduct of governments toward their own
citizens. The second development is the expanding reach of global governance
institutions that make authoritative policies and coercive legal rules regulating the
actions of state and non-state actors. The global political system centered in the
U.N. now acts in response to the proliferation of new threats to international peace
and security coming from civil wars, failing states, transnational terrorism and the
RÉSUMÉS DES COURS ET CONFÉRENCES 915

risk that private individuals will acquire weapons of mass destruction. The dangers
these threats pose to “human security” seem to indicate the necessity to transcend the
state centric, sovereignty oriented model of international relations and international
law. Indeed many have argued that we are witnessing the constitutionalisation of
international law, and that the decoupling of that law from the state, means that the
latter has lost legal as well as political sovereignty. Sovereignty is deemed an
anachronistic concept, inadequate for understanding the new world order
characterized by global politics and global law. Developments such as humanitarian
intervention, transformative occupation regimes, and legislation by the United
Nations Security Council to counter the “emergency” posed by global terrorism are
seen as the key constitutional moments in the development of a new world order.
This lecture series will challenge the notion that we are en route to a cosmopolitan
world order without the sovereign state. Instead of defending a “state-centric”
sovereigntist position, however, I will argue in favor of a dualist conception of the
new world order, for which the concept of changing “sovereignty regimes” is more
appropriate than cosmopolitanism. I will embrace the project of the “further
constitutionalisation” of international law, as the only acceptable alternative to
empire or to the disintegration of the international order into regional “grossraume”,
but I will do so on the basis of a constitutional pluralist, rather than a monist
perspective. The first lecture will address the theoretical issues involved in rethinking
the relation between sovereignty, and the globalization/constitutionalisation of
international law. The second will address the question of how to think about the
relation between human rights and sovereign equality, the two key principles of the
global legal order, in the epoch of humanitarian intervention, construed as the
enforcement by the international community of human rights. The third will address
the paradoxes involved in the transformative occupations that follow upon
humanitarian intervention regarding the concepts of sovereignty, popular sovereignty
and self-determination. The last will take up the dilemmas produced the fact that the
Security Council has started legislating in the global war on terror, in ways that
undermine human rights in the name of human security and threaten both domestic
as well as global constitutionalism. In each case I will argue that the legitimacy of
global governance and of global governance institutions depends now on formal legal
reform involving the participation of all member states, of the new world order.
l. Sovereignty and International Law Revisited : A Pluralist Perspective.
2. Rethinking Human Rights and Sovereign Equality in the epoch of
Humanitarian Intervention.
3. Toward a Jus Post Bellum for Transformative and/or Humanitarian
Occupations.
4. A Global State of Emergency or the Further Constitutionalisation of
International Law.
916 RÉSUMÉS DES COURS ET CONFÉRENCES

M. Victor I. Stoichita
Professeur à l’université de Fribourg (Suisse)

Des Larmes et des saints


Le mot « vision », disait Thomas d’Aquin, peut avoir deux sens : dans le premier, il
signifie la perception par l’organe de la vue ; dans le second, il est appliqué à la perception
interne due à l’imagination ou à l’intellect (Summa theologica, I, q. LVII, a, 1).
Au sens mystique, l’épreuve visionnaire n’est pas nécessairement une expérience
optique, tout en étant une expérience de l’image. Cette image peut revêtir des
degrés de clarté variables. La plupart des mystiques sont pourtant d’accord sur le
fait que la rencontre avec le transcendant est, dans son essence, ineffable, inénarrable,
irreprésentable, ce qui n’empêche pas que la culture occidentale dispose d’innom-
brables textes littéraires et d’autant d’œuvres d’art qui en parlent. Il s’agit pourtant
d’images et de textes problématiques et paradoxaux puisqu’ils représentent ce qui,
a priori, ne peut être ni vu, ni représenté.
C’est justement le grand problème de la « représentation de l’irreprésentable »
que cette série de conférence se propose d’aborder. La peinture espagnole du xvie
et du xviie siècles fournira la plupart des exemples, mais l’enjeu de cette recherche
est plus vaste. Il s’agit, en fait, d’aborder un cas extrême de la représentation
figurative, dans un espace géographique limité mais sur une toile de fond très
ample. Cette toile de fond est constituée, d’un côté, par l’art occidental de la même
époque et, de l’autre, par la spiritualité de la Contre-Réforme, qui redécouvre le
rôle de l’imaginaire dans l’exercice de la foi.
Pour assumer cette tâche, les conférences emprunteront le chemin le plus direct :
interroger la langue originaire des images, essayer de déchiffrer le mécanisme de
leur fonctionnement en tant qu’images relatant une expérience d’image (une
« vision »). Elles s’arrêteront sur les mécanismes de dédoublement métapictural à
l’œuvre dans les tableaux de visions, interrogeront le rôle du corps en extase dans
la communication d’une expérience inénarrable. La démarche interprétative, simple
quant à son point de départ, ne sera exempte ni de risques ni de difficultés, car les
caractéristiques fondamentales de l’imaginaire occidental se trouvent ici
indéniablement poussées jusque dans leurs derniers retranchements.
RÉSUMÉS DES COURS ET CONFÉRENCES 917

M. Gyorgy Buzsáki
Professeur à l’Université Rutgers, Newark (États-Unis)

1. Neuronal synchrony : metabolic and wiring costs of excitatory


and inhibitory systems

The major part of the brain’s energy budget (~ 60-80%) is devoted to its
communication activities. While inhibition is critical to brain function, relatively
little attention has been paid to its metabolic costs. Understanding how inhibitory
interneurons contribute to brain energy consumption (brain work) is not only of
interest in understanding a fundamental aspect of brain function but also in
understanding functional brain imaging techniques which rely on measurements
related to blood flow and metabolism. I this talk I will examine issues relevant to
an assessment of the work performed by inhibitory interneurons in the service of
brain function.

2. Neuronal synchrony : oscillatory and non-oscillatory emergence


of cell assemblies

Timing of spikes within the theta cycle has been shown to reflect the spatial
position of the animal (“phase precession”). The phase of spikes correlates more
strongly with distance than with the time elapsed from the point the rat enters the
place field. We show here that at faster running speeds place cells are active for fewer
theta cycles but oscillate at a higher frequency and emit more spikes per cycle. As a
result, the phase shift of spikes from cycle to cycle (i.e., temporal precession slope) is
faster. Interneurons also show transient phase precession and contribute to the
formation of coherently precessing assemblies. Thus, the speed-correlated increase
of place cell oscillation is responsible for the phase-distance invariance of hippocampal
place cells.We report that temporal spike sequences from hippocampal “place”
neurons on an elevated track recur in reverse order at the end of a run but in forward
order in anticipation of the run, coinciding with sharp waves. Vector distances
between the place fields are reflected in the temporal structure of these sequences.
This bidirectional reenactment of temporal sequences may contribute to the
establishment of higher order associations in episodic memory.

3. Neuronal synchrony : internally advancing assemblies


in the hippocampus

Five key topics have been reverberating in hippocampal-entorhinal cortex


research over the past five decades: episodic and semantic memory, path integration
(“dead reckoning”) and landmark (“map”) navigation, and theta oscillation. We
suggest that the systematic relations between single cell discharge and the activity
of neuronal ensembles reflected in local field theta oscillations, provide a useful
918 RÉSUMÉS DES COURS ET CONFÉRENCES

insight into the relationship among these terms. In rats trained to run in direction-
guided (1-dimensional) tasks, hippocampal cell assemblies discharge sequentially,
with different assemblies active on opposite runs, that is place cells are unidirectional.
Such tasks do not require map representation and are formally identical with
learning sequentially occurring items in an episode. Hebbian plasticity, acting
within the temporal window of the theta cycle, converts the travel distances into
synaptic strengths between the sequentially activated and unidirectionally connected
assemblies. In contrast, place representations by hippocampal neurons in
2-dimensional environments are typically omnidirectional, characteristic of a map.
Generation of a map requires exploration, essentially a dead reckoning behavior. I
suggest that orthogonal and omnidirectional navigation through the same places
(junctions) during exploration gives rise to omnidirectional place cells and,
consequently, maps free of temporal context. Analogously, multiple crossings of
common junction(s) of episodes convert the common junction(s) into context-free
or semantic memory. Theta oscillation can hence be conceived as the navigation
rhythm through both physical and mnemonic space, facilitating the formation of
maps and episodic/semantic memories.
A longstanding conjecture in neuroscience is that aspects of cognition depend on
the brain’s ability to self-generate sequential neuronal activity. We found that reliably
and continually-changing cell assemblies in the rat hippocampus appeared not only
during spatial navigation but also in the absence of changing environmental or
body-derived inputs. During the delay period of a memory task each moment in
time was characterized by the activity of a unique assembly of neurons. Identical
initial conditions triggered a similar assembly sequence, whereas different conditions
gave rise, uniquely, to different sequences, thereby predicting behavioral choices,
including errors. Such sequences were not formed in control, non-memory, tasks.
We hypothesize that neuronal representations, evolved for encoding distance in
spatial navigation, also support episodic recall and the planning of action sequences.

4. Neuronal synchrony : coupling of hippocampal


and neocortical systems

Both the thalamocortical and limbic systems generate a variety of brain state-
dependent rhythms but the relationship between the oscillatory families is not well
understood. Transfer of information across structures can be controlled by the
offset oscillations. I suggest that slow oscillation of the neocortex, temporally
coordinates the self-organized oscillations in the neocortex, entorhinal cortex,
subiculum and hippocampus. Transient coupling between rhythms can guide
bidirectional information transfer among these structures and might serve to
consolidate memory traces.
RÉSUMÉS DES COURS ET CONFÉRENCES 919

M. Gaëtan Chenevier
Chargé de recherches au CNRS

Variétés de Hecke des groupes unitaires et représentations galoisiennes

Soient E un corps de nombres, p un nombre premier, S un ensemble fini de


premiers de E (contenant ceux divisant p), et GS le groupe de Galois d’une
extension algébrique maximale de E non ramifiée hors de S. Nous nous intéressons
à l’espace analytique p-adique Xd paramétrant les représentations (semi-simples) de
GS de dimension d et à coefficients p-adiques. Un sous-ensemble dénombrable
naturel Z de Xd est donné par les représentations dites « géométriques », qui
apparaissent (à torsion près) dans la cohomologie étale des variétés projectives lisses
sur E, et la question s’est posée de comprendre ce lieu. En 1995, Gouvêa-Mazur
et Coleman ont démontré que pour E = ⺡, l’ensemble Z est Zariski-dense dans
certaines composantes connexes de X2 (qui sont des boules ouvertes de dimension 3).
L’objectif du cours est d’étudier le cas de la dimension supérieure, notamment la
contribution de la partie Zu de Z provenant des variétés de Shimura associées aux
groupes unitaires sur ⺡. Nous supposons pour cela que E est un corps quadratique
imaginaire (dans lequel p est décomposé) et que toutes les représentations en jeu
satisfont de plus une condition d’auto-dualité. Le théorème principal est alors que
Zu est Zariski-dense dans certaines composantes de X3 (qui sont des boules ouvertes
de dimension 6). Nous développons de plus un ensemble de résultats permettant
de « minorer » l’adhérence de Zariski de Zu en toutes les dimensions d, et nous
étudions un analogue de ces questions pour le groupe de Galois absolu de ⺡p.

Le cours s’est composé de quatre séances de deux heures chacune, dont nous
décrivons maintenant brièvement le contenu.

D’après les travaux de nombreux auteurs, aux points de Zu sont associées des
représentations automorphes pour divers groupes unitaires à d variables attachés à
E/⺡ ; la première partie du cours a consisté en une analyse des congruences
modulo une puissance de p entre celles-ci. Nous travaillons avec des groupes
unitaires U dont les points réels sont compacts, et l’objectif est d’étendre à ces
derniers les résultats sur les familles p-adiques de formes modulaires obtenus par
Hida, Coleman et Coleman-Mazur dans le cadre du groupe GL2 sur ⺡. Pour un
tel groupe U, nous définissons ce qu’est une « représentation automorphe p-adique
de pente finie » et nous démontrons que l’ensemble de ces dernières forme un
espace analytique p-adique naturel : la « variété de Hecke » de U. Cet espace,
disons noté Yd (U ), est d’équi-dimension d. Il peut être vu comme une interpolation
p-adique d’une partie du spectre automorphe (discret) de U. En effet, à chaque
paire (Π, R) formée d’une représentation automorphe Π de U telle que Πp est non
ramifiée, et d’un « raffinement » R de Πp (essentiellement, un ordre total sur les
valeurs propres de la classe de Langlands de Πp), est associé un point dit « classique »
de Yd (U ) ; les points classiques sont Zariski-denses dans Yd (U ).
920 RÉSUMÉS DES COURS ET CONFÉRENCES

Lorsque nous savons associer aux représentations automorphes de U les


représentations galoisiennes prédites par Langlands et Arthur (par exemple quand
d ≤ 3 ou sous certaines hypothèses locales), nous obtenons par interpolation un
morphisme Yd (U ) → Xd, qui se trouve être quasi-fini. Il envoie les points classiques
de Yd (U ) dans Zu, mais son image, disons notée Fd, est assez complexe. En effet,
l’espace Xd est de dimension d ( d2+1) en général alors que Yd (U ) est de dimension
d ; de plus, en chaque point x de Zu qui est l’image d’un point classique de Yd (U )
passe en général d ! branches de Fd, correspondant aux différents choix de
raffinements associés aux antécédents de x dans Yd (U ). Il en résulte que Fd admet
une structure de type fractal. L’objet analogue dans le cadre de GL2 avait été mis
en évidence par Gouvêa et Mazur, qui lui ont donné le nom de « fougère infinie »
(que l’on reprendra pour Fd) pour en illustrer cet aspect.
La seconde partie du cours a constitué en l’étude de Fd. L’objectif est de
comprendre les positions relatives des différentes branches de la fougère Fd au
voisinage d’un point x de Zu comme plus haut. Le résultat principal est que sous
une condition purement locale en p de « généricité » sur x que nous définissons,
la somme des espaces tangents des différentes branches de Fd en x est de dimension
au moins d ( d2+1) ; nous en déduisons les résultats annoncés au premier paragraphe.
Pour démontrer cet énoncé, nous étudions tout d’abord la restriction au groupe de
Galois absolu de ⺡p de la famille p-adique naturelle de représentations de GS
portée par Yd (U ). Ses propriétés s’interprêtent de manière naturelle à l’aide de la
théorie des (ϕ, Γ)-modules et de la notion de représentations « triangulines »
(Colmez), qui permettent notamment de comprendre le pendant galoisien des
« raffinements » intervenus plus haut. En dimension 2, ces résultats sont dus à
Kisin et Colmez ; les généralisations nécessaires à la dimension supérieure présentées
dans le cours sont un travail en commun avec Joël Bellaïche. Ceci étant fait, nous
nous ramenons à démontrer un énoncé purement local, concernant la théorie des
représentations cristallines de Fontaine : « Toute déformation à l’ordre un d’une
représentation cristalline générique est combinaison linéaire de déformations
triangulines ».
À la fin du cours, nous avons illustré nos résultats par un exemple explicite de
composante de X3 attachée au carré symétrique de la courbe elliptique X0(19).
RÉSUMÉS DES COURS ET CONFÉRENCES 921

M. Dong-Hyun Son
Professeur, Sungkyunkwan University, Séoul (Corée du Sud)

Une anthropologie philosophique des technologies de l’information


et de la communication : une réflexion taoïste sur la réalité virtuelle

Conférence donnée le 20 novembre 2007


La culture post-moderne contemporaine, qu’on appelle aujourd’hui la « société
de l’information », est saturée de réalité virtuelle. Les technologies de l’information
et de la communication constituent le moteur de cette réalité virtuelle qui établit
un nouveau Lebenswelt. C’est la « révolution digitale » qui a rendu possible ces
nouvelles technologies, qui résultent de la fusion de deux technologies différentes :
la technologie de l’intelligence artificielle et la technologie de la sensation. La
première consiste dans l’intensification de la faculté humaine de « penser », qui
nous permet de dépasser les restrictions organiques dues au corps dans le corps
lui-même. La seconde est l’extension de la faculté humaine de « sentir » : elle
permet de dépasser les restrictions spatio-temporelles en dehors du corps.
La caractéristique absolument nouvelle du mélange de ces deux technologies réside
dans sa capacité à associer « noesis » et « aisthesis » : l’objet de la pensée (l’unité
logico-mathématique) et l’objet de la sensation (sense data) se transforment l’un dans
l’autre. Le cyber-espace, base ontologique de la réalité virtuelle, trouve son origine
dans cette convergence technologique. La réalité virtuelle, fondée sur le cyber-espace,
peut s’éloigner du monde naturel en dépassant les restrictions naturelles qui ont été
si longtemps associées à la condition humaine. Le cyber-espace n’est pas réellement
un espace : il n’y subsiste ni extensionalité ni distance. Et là où nulle distance ne
subsiste, le temps aussi disparaît. Dans cet espace hybride, où l’identité et la différence
coexistent sans pouvoir être distinguées, rien de substantiel ne demeure. La
simultanéité et l’instantanéité provoquent la « déterritorialisation » des choses.
La culture, considérée comme le produit des activités spirituelles humaines, est
fondamentalement une transformation ou une variation de la nature. Et même si
la culture transcende la nature, elle ne peut pas apparaître si elle en est coupée. La
« culture de l’information », qui repose ontologiquement sur la réalité virtuelle,
peut échapper au contrôle humain, dans la mesure où la réalité virtuelle outrepasse
les limites de n’importe quelle expérience humaine concevable. Au contraire, la
culture au sens ordinaire renvoie à l’esprit humain qui est objectivé dans la réalité
naturelle. Elle reste ainsi dans le domaine des activités humaines, qui ne lui
permettent pas de transcender la nature.
La réalité virtuelle apparaît donc comme une production très artificielle, dans la
perspective de l’enseignement de Lao-Tseu. Celui-ci affirmait en effet que nous ne
devrions rien ajouter d’artificiel au monde et laisser les choses telles qu’elles sont, de
manière à connaître la réalité telle qu’elle est vraiment pour ensuite agir droitement.
922 RÉSUMÉS DES COURS ET CONFÉRENCES

Pour ce qui est des êtres humains, le Monde entendu comme un tout n’est pas
un fait, mais seulement une idée. Ce qui nous est donné au travers de nos activités
n’est pas le monde lui-même mais plusieurs « mondes » ou seulement quelques
aspects du monde. La technologie, à l’instar de n’importe quelle autre activité
humaine, constitue, ou plutôt nous révèle, un monde unique, qui a sa nature et
ses caractéristiques propres. Les technologies de l’information et de la communication
ont donné naissance à un monde de réalité virtuelle, qui n’a pas besoin de suivre
les principes du monde naturel ordinaire. Grâce à son « hyper-réalité », nous
pouvons maintenant découvrir de nombreux mondes possibles et étendre
indéfiniment le domaine de résidence de l’humanité.
Aujourd’hui, la « digitalisation » de la variété des activités et des expériences
humaines dans un code neutre, qui se diffuse dans tout le cyber-espace, est devenue
en quelque sorte routinière. À première vue, ce mouvement apparaît comme un
progrès pour le bien-être de l’humanité. Pourtant, il masque le danger que ne
soient détruites et fragmentées la subjectivité et l’identité personnelle. L’enseignement
de Lao-Tseu, quand il nous enjoint de « ne rien faire », suppose « l’équilibre et
l’harmonie » au sein des différents points de vue, des différents « mondes », dans
l’intérêt du tout, c’est-à-dire du Monde. Le fait que le cyber-monde, qui n’est
qu’un des mondes, s’impose au détriment des autres mondes constitués par la
variété des expériences humaines, doit être examiné d’un point de vue ontologique.
Sans un fondement ontologique solide, le cyber-monde demeurera fragile. Et la
démarcation entre le monde réel et le monde imaginaire se révélera de plus en plus
obscure, porteuse de risques qui nous sont encore inconnus.

Mme Maria Luisa Meneghetti


Professeur, Università degli Studi di Milano (Italie)

Les frontières du grand chant courtois

Le concept de grand chant courtois, de même que son antécédent plus générique
– mais plus « fort » du point de vue théorique –, celui de poésie formelle, a conditionné,
en bien ou en mal, la réflexion sur la poésie lyrique médiévale des quatre ou cinq
dernières décennies. On a cependant l’impression que depuis longtemps, dans la
communis opinio des critiques, les deux concepts ont été tellement simplifiés et
vulgarisés qu’ils ont prêté le flanc à toute une série d’objections, notamment de la
part des partisans d’une approche plus sensible à l’épaisseur idéologique et culturelle
des textes et de leurs auteurs. Ce n’est donc qu’à partir d’un réexamen du sens primitif
donné à ces deux concepts par leur inventeur, Robert Guiette, que l’on peut essayer
de montrer dans quelle mesure ils pourront encore se révéler utiles et efficaces dans le
cadre de la recherche actuelle.
RÉSUMÉS DES COURS ET CONFÉRENCES 923

Lorsque l’on s’en tient aux principes les plus généraux de la réflexion de Guiette,
on se rend d’abord compte qu’il considérait, en principe, la poésie formelle comme
une modalité stylistique typiquement médiévale, dans laquelle la structure rhétorico-
musicale apparaît inséparable d’un contenu déterminé pour ainsi dire
idéologiquement, tandis que le grand chant courtois aurait été, à son avis, un
véritable genre, qui se développa dans un milieu historique et culturel très précis
– celui des poètes aristocratiques d’oïl d’avant la troisième décennie du xiiie siècle –,
sans aucune possibilité d’extension abusive à d’autres réalités lyriques. Deuxièmement,
Guiette voyait l’élément fondateur de la poésie formelle dans une typologie
communicative que l’on pourrait, d’après les acquisitions de la critique post-
bachtinienne, appeler « interdiscursive » ; cela signifie que, pour comprendre le
sens de cette poésie, il est nécessaire de fixer son attention non pas sur le texte
isolé, mais sur la série textuelle dont celui-ci fait partie : pour le créateur de poésie
comme pour son public, ce qui compte vraiment est l’expérience de la sérialité.

Cela dit, on peut ajouter que deux éléments ont contribué à renforcer la
« conscience du genre » chez les poètes d’oïl et le public contemporain du grand
chant courtois : en premier lieu, l’évidente homogénéité structurelle et thématique
des textes, puisqu’avec la forme de la chanson ne sont réalisées que des œuvres dont
le sujet est de nature amoureuse, exprimé selon les formules de l’effusion des
sentiments et traité dans le cadre consolidé de l’idéologie de l’amour courtois ; en
second lieu, l’opposition, nette et essentiellement binaire, entre la chanson et les
genres poétiques à forme fixe qui sont souvent (mais pas uniquement) d’origine
populaire. Par contre, la canso occitane, qui est pourtant la concrétisation d’un art
formel fondé sur des bases fort semblables à celles du grand chant des trouvères, ne
peut pas être définie aussi catégoriquement comme la « forme-type » de la poésie
d’amour des troubadours, puisque, tout en restant pratiquement inaltérée tout au
long du parcours de la littérature d’oc, elle n’accueille pas exclusivement le thème
érotique, mais draine une gamme de contenus bien plus riches et plus variés.

Ce qui rend la canso occitane quelque chose de tout à fait différent par rapport
au grand chant courtois, c’est le « quotient d’hétéroréférence » – c’est-à-dire la
capacité d’accueillir dans le texte poétique une série d’indications, de références et
d’impulsions étrangères à la ligne de l’auto-anamnèse typique du discours lyrique –
qui la caractérise. La présence d’un « quotient d’hétéroréférence » très élevé fait que
la canso s’ouvre à toute une série de thématiques et de stratégies rhétoriques et
discursives que le grand chant courtois, en principe, ignore. En particulier, tandis
que chez les trouvères le rapport qui s’instaure entre chaque texte appartenant au
genre du grand chant courtois et ses « confrères » peut aisément être décrit, comme
on vient de le dire plus haut, en ayant recours à la notion d’interdiscursivité, les
troubadours semblent privilégier, pour leurs textes, les liens de nature intertextuelle,
plus marqués précisément du point de vue de la référence.
924 RÉSUMÉS DES COURS ET CONFÉRENCES

M. Yasuaki Onuma
Professeur à l’université de Tokyo (Japon)

Human Rights in a Multipolar and Multi-civilizational World


of the 21st century.
A View from a Trans-civilizational Perspective

Lecture I. The trans-civilizational perspective : a cognitive framework


for viewing the st century world

I. From a State-centric and West-centric International Society


to a Multi-polar and Multi-civilizational Global Society

1. The State-centric and West-centric International Society of the 20th Century.


2. Conflicts Destabilizing the International Order.
(1) The Conflict between the Transnationalization of Economics and Information,
and the Sovereign States System.
(2) The Conflict between the Global Quest for Human Dignity and the Sense
of Humiliation Shared by Developing Nations.
(3) Emerging Discrepancies between Asian Economic Power and Western
Intellectual/Informational Hegemony in Global Society.

II. The Trans-civilizational Perspective as Compared with the International


and Transnational Perspectives

1. The International Perspective.


2. The Transnational Perspective.
(1) Significance of the Transnational Perspective.
(2) Problems with the International and Transnational Perspectives.
3. The Trans-civilizational Perspective.
(1) Civilizational Factors and Perspectives as Preserved and Utilized within the
Sovereign States System.
(2) Decline of the Non-Intervention Principle and the Problematization of
Civilizations.
(3) The Need to Minimize Conflicts between Egocentric, Unilateral
Universalisms.
(4) The Functional Trans-civilizational Perspective.
RÉSUMÉS DES COURS ET CONFÉRENCES 925

Lecture II. human rights from a trans-civilizational perspective

I. “Universality vs. Relativity” in Human Rights


1. The Scope of “Universality” of Human Rights.
2. Problematic Features of the Theory of the Universal Origin of Human
Rights.

II Conditions for Globally Legitimate Standards and Frameworks


of Human Rights
1. Human Rights as the Most Effective Means for Protecting the Values and
Interests of Individuals against Sovereign States and the Capitalist Economy.
2. Liberation from West-centrism.
3. Liberation from Liberty-Centrism.
4. Liberation from Individualism.

III. The Search for Trans-Civilizational Human Rights


1. Significance of Current International Human Rights Norms.
2. Modification and Supplementation of International Human Rights Norms
from a Transnational Perspective.
3. Modification and Supplementation of International Human Rights Norms
from a Trans-civilizational Perspective.

M. Martin Schwartz
Professeur, université de Californie, Berkeley (Etats-Unis)

The poetry of the Gathas :


Mysteries of composition, and the composition of mysteries
1. Compositional techniques of the individual poems, and of the serial
generation of the corpus.
2. The esoteric dimensions of gathic style.
Like other early Indo-European poetries, the Gathas, in addition to and alongside
their direct communicative aspect, are characterrized by a cryptic aspect of style,
at once mystagogic and ludic. I shall illustrate the various devices which constitute
this latter aspect — intentionally ambiguous syntax, morphology, and lexicon
926 RÉSUMÉS DES COURS ET CONFÉRENCES

(word-play), and various cryptic uses of coded initial sounds — a kind of phonic
cabbalism — as well as oral acrostics.
I shall focus particularly on Yasna 32, bringing together my various insights
about this amazing text, as it figures in the early histor yof Zoroastrianism, and
and its general interest for cognitive issues.
In my talk I shall summarize my discoveries about the composition of the Gathas
— ring composition of first-stage (protopoems) and second-stage final poems, and
serial generation of the corpus, from poem to poem (as indicated below).
In addition I shall a new, and I hope somewhat astonishing demonstration of
the teleological nature of the Gathic corpus. This will provide material for
discussion of the question of the authorship of the Gathas. Subject to minor
adjustments in translation, the following describes this new view of the gathas
which I shall present.
Yasna 53 is a wedding poem in the poet (stanzas 3-5) addresses the bride as
“Pouruchista Haechataspana, the youngest of Zarathushtra’s daughters”, says that
“he will give her (a benefactor) as
mate’ and states further, “I will entrust *her with the zeal whereby she
will attend to father, husband, pasturers, and family”.
The formulation of the foregoing would ordinarily be thought dictated merely
by the realia of the occasion at hand. However, I shall show that everything here
(and most else in the poem) derives its wording from earlier poems in accordance
with a very precise set of gamelike rules of composition. Beginning with the first
poem in the corpus (demonstrably Yasna 29), every completed poem (in an order
different from that of the present Gathic canon) contributes a set of two strings
of words, whereby each poem gives, stanza by stanza in each direction , a series of
words whose formal equivalents (i.e. identical forms or cognates or homonyms)
enter the next poem, stanza by stanza, both backwards and forwards, with each
new poem cumulatively bearing the word-strings of all the preceding poems. In
addition, each poem had to be composed according to patterns of concentric ring
composition. I have presented these principles and illustrated them with charts in
The Bulletin of the Asia Institute, Volumes 16 and 17.
Yasna 53, the last poem composed, thus contains the lexical strings of all the
poems composed earlier (hence the irregular length of lines in Y53), which would
obligatorily serve as the basic « vertical » word pool for the poem’s phraseology.
Thus the contents summarized in my first paragraph above, including words
quoted (and even the elements of the proper names), which refer to practicalities
of a real wedding, recapitulate words used earlier in other poems in contexts which
are theological/mythological and eschatological.
The many odd, virtually labyrinthine, formal constraints which the Gathic poet
imposed upon his compositions present us with new tools for the study of the
RÉSUMÉS DES COURS ET CONFÉRENCES 927

relative chronology of his poems, for the lexicographical problems they pose, and
for assessing the connection of his poetic with his religious thought. For a broader
perspective on of what this all amounts to (and I confess feeling still too close to
the data to have a desirable perspective), I look forward to the reactions and
insights to be provided by the discussion.

M. Karl Friston
Professeur, University College London (Grande Bretagne)

A Free energy principle for the brain

Thursday May 29th : Action, perception and free-energy


Value-learning and perceptual learning have been an important focus over the
past decade, attracting the concerted attention of experimental psychologists,
neurobiologists and the machine learning community. Despite some formal
connections; e.g., the role of prediction error in optimising some function of
sensory states, both fields have developed their own rhetoric and postulates. In
work, we show that perceptual learning is, literally, an integral part of value
learning ; in the sense that perception is necessary to integrate out dependencies
on the inferred causes of sensory information. This enables the value of sensory
trajectories to be optimised through action. Furthermore, we show that acting to
optimize value and perception are two aspects of exactly the same principle; namely
the minimisation of a quantity [free energy] that bounds the probability of sensory
input, given a particular agent or phenotype. This principle can be derived, in a
straightforward way, from the very existence of agents, by considering the
probabilistic behaviour of an ensemble of agents belonging to the same class.
This treatment unifies value and perceptual learning and suggests that value is
simply the probability of sensory input expected by an agent. This means that
acting to maximise value is the same as acting to minimise surprise; in other words,
sampling the environment so that is conforms to our expectations. In this way,
exchange or interactions with the environment are maintained within bounds that
preserve the integrity of the agent. Clearly, the surprise of a sensory exchange
depends on some representation or perceptual model of that exchange. We show
that this model emerges naturally as the internal states of the agent optimise the
free energy bound above.
This formulation is important because it places the mechanisms of value-learning
and reinforcement in the larger context of perceptual learning. For example,
conditioning paradigms (both classical and operant) can be regarded as introducing
928 RÉSUMÉS DES COURS ET CONFÉRENCES

statistical regularities into the sensorium. These are learned in the same way we
learn the causal structure of sensory contingencies. In this view, rewards are simply
predictable stimuli (and aversive stimuli are, be definition, surprising). Furthermore,
the neurobiological substrates of value-learning become accountable to the larger
problem of perceptual inference in the brain. For example, dopamine may not just
signal reward but have a much more generic and role encoding the conditional
certainty or precision of our predictions. This is consistent with a role in modulating
the balance between bottom-up sensory information and top-down empirical
priors, during perpetual inference.

Friday May 30th : (NeuroSpin) : Variational filtering and inference


We present a variational treatment of dynamic models that furnishes the time-
dependent conditional densities of a system’s states and the time-independent
densities of its parameters. These obtain by maximising the variational free energy
of the system with respect to the conditional densities. The ensuing free energy
represents a lower-bound approximation to the models marginal likelihood or log-
evidence required for model selection and averaging. This approach rests on
formulating the optimisation of free energy dynamically, in generalised co-ordinates
of motion. The resulting scheme can be used for online Bayesian inversion of
nonlinear dynamic causal models and eschews some limitations of existing
approaches, such as Kalman and particle filtering. We refer to this approach as
dynamic expectation maximisation (DEM).

Monday June 1st : Perceptual inference and learning


This talk summarizes our recent attempts to integrate action and perception
within a single optimization framework. We start with a statistical formulation of
Helmholtz’s ideas about neural energy to furnish a model of perceptual inference
and learning that can explain a remarkable range of neurobiological facts. Using
constructs from statistical physics it can be shown that the problems of inferring
what cause our sensory inputs and learning causal regularities in the sensorium can
be resolved using exactly the same principles. Furthermore, inference and learning
can proceed in a biologically plausible fashion. The ensuing scheme rests on
Empirical Bayes and hierarchical models of how sensory information is generated.
The use of hierarchical models enables the brain to construct prior expectations in
a dynamic and context-sensitive fashion. This scheme provides a principled way to
understand many aspects of the brain’s organization and responses.
Here, we suggest that these perceptual processes are just one aspect of systems
that conform to a free-energy principle. The free-energy considered here represents
a bound on the surprise inherent in any exchange with the environment, under
expectations encoded by its state or configuration. A system can minimize free-
energy by changing its configuration to change the way it samples the environment,
or to change its expectations. These changes correspond to action and perception
RÉSUMÉS DES COURS ET CONFÉRENCES 929

respectively and lead to an adaptive exchange with the environment that is


characteristic of biological systems. This treatment implies that the system’s state
and structure encode an implicit and probabilistic model of the environment and
that its actions suppress surprising exchanges with it. Furthermore, it suggests that
free-energy, surprise and [negative] value are all the same thing. We will look at
models entailed by the brain and how minimization of free-energy can explain its
dynamics and structure.

M. David Warnock
Professeur à l’Université d’Alabama, Birmingham (États-Unis)

Stroke, CV Disease and Chronic Kidney Disease


The incidence of end-stage renal disease (ESRD) is increasing in the United
States (US) population USRDS, and the prevalence of chronic kidney disease also
appears to be increasing, in parallel with increased surveillance, routine reporting
of estimated glomerular filtration rates (eGFR) with the MDRD equation, as well
as increasing prevalence of hypertension and diabetes in the general population.
These same etiologic factors are also increasing at the global level; the increasing
prevalence of CKD in the US population mirrors what is happening at the global
level.
There is an increasing realization that CKD is associated with cardiovascular
outcome events, and that this association is more marked with more advanced
CKD. This association has been described with short-term outcomes in patients
with acute myocardial infarction, as well as longer term outcome measures,
including mortality rates, hospitalization rates and cardiovascular event rates.
Anemia is frequently associated with CKD, and when present, serves as an
independent risk factor for cardiovascular morbidity and mortality associated.
Abramson et al. reported that CKD and anemia (hemoglobin < 12 gm/dl in
women, and < 13 gm/dl in men) were independent risk factors for stroke in a
middle-aged community-based population in the Atherosclerosis Risk in the
Community (ARIC) study, with a relative risk of 7.49 in those subjects who are
anemic and had creatinine clearance < 60 ml/min compared to the non-anemic
participants with creatinine clearances > 60 ml/min. Similarly, the combination of
anemia and CKD has a significant impact on survival after acute myocardial
infarction in a study of Medicare recipients in Georgia. There are 3 large samples of
patients in the US that provide estimates of the prevalence of CKD, with stratification
according to the degree of impairment of kidney function: a) the Renal REGARDS
cohort is the focus of our current efforts at the University of Alabama at Birmingham ;
930 RÉSUMÉS DES COURS ET CONFÉRENCES

b) the National Kidney Foundation Kidney Early Evaluation Program (KEEP) ; and
c) the National Health and Nutrition Examination Survey (NHANES) 1999-2004.
All three cohorts also provide prevalence estimates for co-morbidities such as
cardiovascular and cerebrovascular disease.
The REGARDS and KEEP cohorts are older than the NHANES cohort, and
have slightly greater prevalence of more advanced CKD (Stage 3) than the
NHANES cohort. These cohorts are the undergoing longitudinal evaluation to
prospectively determine the incidence of cardiovascular disease (MI and CHF),
cerebrovascular disease (strokes and TIAs), and progressive CKD and ESRD. Based
on self-reported history of co-morbidities, there appears to be an association
between CKD (eGFR < 60 ml/min/1.73 m2) and AMI and stroke, with an
increased risk, adjusted for traditional (e.g., Framingham) risk factors of 35%.
These prevalence estimates and associations will be converted to actual hazard
ratios and detailed definition of the importance of traditional (i.e., systolic
hypertension, diabetes, smoking, cholesterol, age, gender) and non-traditional
(CKD stage, anemia, inflammation, ethnicity) risk factors for the occurrence of
stroke, cardiovascular events and ESRD.

Proteinuria, Hypertension and Chronic Kidney Disease Progression

Effective blood pressure control, especially of the systolic component, is of


primary importance in both primary and secondary prevention of Cardiovascular
and Cerebrovascular Events. Similarly, systolic blood pressure control is important
in the primary and secondary prevention of chronic kidney disease (CKD), and in
patients for whom kidney function is already affected, the focus is on preventing the
worsening of their current condition, which is described as slowing the “progression”
of CKD. Progression of CKD is usually quantified as the linear slope with time
of changes in the glomerular filtration rate, expressed as ml/min/1.73 m2/year. In
addition to systolic blood pressure, control of hyperlipidemia, anemia management,
smoking cessation and dietary salt intake at the recommended daily allowance of
2.4 grams of sodium are part of the general approach to optimizing outcomes in
patients with CKD.
Proteinuria is an important biomarker is many forms of CKD, including type
I, and type II diabetes mellitus. Even in forms of CKD not usually associated with
proteinuria (e.g., autosomal dominant polycystic kidney disease), reduction of
urine protein excretion with “anti-proteinuric” therapy can have a beneficial effect
on the rate of progression CKD. Proteinuria is a biomarker of kidney damage, and
may also directly contribute to the ongoing damage to the kidney in CKD
associated with proteinuria. Angiotensin converting enzyme inhibitors (ACEIs),
and angiotensin type 1-receptor blockers (ARBs), used either alone or in
combination are the mainstays of antiproteinuric therapy. This effect is well
described, and seems greater than that seen with other classes of antihypertensive
RÉSUMÉS DES COURS ET CONFÉRENCES 931

therapy, giving rise to the feeling that these agents have beneficial effects above and
beyond what can be achieved with blood pressure control alone.
At present, there is a balancing act between the control of blood pressure and
control of proteinuria. Even in the most well defined outcome studies of type I,
and type II diabetes, the outcomes with respect to slowing the rate of progression
of CKD, though significant, do not achieve the ultimate goal of reducing the
progression rate to < 1 ml/min/1.73 m2/year.
A new paradigm is emerging that focuses directly on the control of proteinuria to
less than 0.5 grams/day with ACEI/ARB therapy and also other non-traditional
forms of therapy including other forms of RAS blockers, vitamin D, and other
agents.
These issues will be put in focus for the case of Fabry nephropathy. Fabry disease
is a rate multi-system disease caused by a mutation in the alpha-galactosidase A
gene on the X-chromosome. It is a progressive form of proteinuric CKD, but in
contrast to diabetes, the systolic blood pressure is not usually elevated, which
makes the utilization of traditional anti-proteinuric therapy challenging.
In conclusion, the importance of control of proteinuria in slowing the progression
of CKD will be emphasized with the use of a combination of treatment approaches
to achieve this goal. In this context, control of proteinuria, per se, rather than
lowering the systolic blood pressure to an arbitrary, fixed goal becomes the primary
outcome measure. While this approach clearly has merit, long-term outcome
studies are need before reduction of urinary protein excretion can be accepted as
a surrogate endpoint for slowing the progression of CKD.
LES ÉQUIPES ACCUEILLIES
AU COLLÈGE DE FRANCE

Le monde indien : textes, sociétés, représentations


EA 2723, EPHE/Collège de France

Membres EPHE : Lyne Bansat-Boudon, Gerdi Gerschheimer, Cristina Scherrer-


Schaub (Directeurs d’études), Rosita De Selva (Ingénieur d’études), Martine van
Woerkens (Ingénieur de recherche), Silvia d’Intino (post-doctorante).
Doctorants : Stéphanie Bourla, Hugo David, Julia Estève, Kathia Juhel, Isabelle
Ratié (ATER à l’EPHE), Vincent Tournier, Eva Szily, Seiji Kumagai (Ecole
doctorale franco-japonaise).
Membre hors EPHE : Judit Törzsök (Maître de conférences, univ. Lille 3, chargée
de conférences à l’EPHE).
L’équipe compte également 16 membres associés et 4 doctorants associés
appartenant à d’autres institutions de recherche et d’enseignement.
Responsable : L. Bansat-Boudon.

I
Domaines, recherches

Les recherches de l’équipe portent sur l’Inde et les espaces asiatiques concernés
par la diffusion de sa culture (Asie centrale, Tibet, Asie du Sud-Est notamment),
ses savoirs, religions et systèmes politiques à travers les siècles. Centrés en premier
sur l’étude des sources textuelles et le repérage de manuscrits et autres documents
inédits, les travaux portent sur les religions et philosophies indiennes (brahmanique,
jaina et bouddhique), les belles-lettres et l’histoire. Ils s’enrichissent d’enquêtes de
terrain (anthropologie), de recherches comparatives (en histoire des religions par
934 LES ÉQUIPES ACCUEILLIES AU COLLÈGE DE FRANCE

exemple) et de réflexions méthodologiques (histoire textuelle, technique éditoriale,


théorie de la traduction, codicologie, etc.).

1. Philosophie, exégèse
1.1. Trois membres de l’équipe poursuivent des recherches importantes dans le
domaine du Shivaïsme non dualiste du Cachemire et du tantrisme. L. Bansat-
Boudon achève actuellement une édition et une traduction commentée d’une des
sources majeures de l’école çivaïte dite du Trika, le Pâramârthasâra (« L’Essence de
la réalité ultime ») d’Abhinavagupta (xe-xie s. de n. è.) et de sa glose par Yogarâja
(xie s.) (parution prévue en 2009). La comparaison de ce texte et du Pâramârthasâra
d’Âdiçesha, texte d’obédience philosophique différente dont il constitue la réécriture
çivaïte, contribue à l’étude du thème de « la réécriture », inscrit au quadriennal de
l’équipe.
1.2. I. Ratié poursuit, dans le cadre d’une thèse (soutenance prévue en 2008),
l’étude de la notion de pratyabhijñâ chez Abhinavagupta, sur la base de nouveaux
matériaux repérés en Inde.
1.3. Enfin, l’un des textes les plus anciens sur le culte des yoginî, le Picumata-
Brahmayâmala Tantra, est le sujet de la troisième recherche (J. Törzsök).
1.4. L’œuvre de Skandasvâmin (viie s. de n. è.) fait l’objet d’une étude sur la
tradition exégétique du Rgveda (S. d’Intino), projet en cours auprès de la Gonda
Foundation (IIAS, Leyde).

2. Les recherches de G. Gerschheimer se sont concentrées cette année sur la


notion de divinité, tant en Exégèse védique (mîmâmsâ) qu’en Nouvelle logique
(navya-nyâya). H. David a entamé une thèse de doctorat sur l’épistémologie de la
connaissance verbale et la théorie de l’exégèse dans la branche dite Vivarana de
l’école d’Advaita Vedânta. A. Clavel, doctorante associée, achèvera bientôt sa thèse
consacrée à l’épistémologie d’Akalanka, célèbre docteur jaina du viiie s. de n. è.

3. Le programme de Corpus des inscriptions khmères (CIK), dirigé par


G. Gerschheimer, poursuit sur son forum électronique l’inventaire et l’édition
annotée des inscriptions du Cambodge ancien, majoritairement en sanskrit et en
vieux khmer. Bénéficiant de moultes collaborations internationales, il est aussi,
depuis 2008, partenaire du projet plus vaste d’Espace khmer ancien de Constitution
d’un corpus numérique de données archéologiques et épigraphiques (EFEO/EPHE),
financé par l’ANR ‘Corpus’ (2008-2010). Une partie des énergies de l’année a été
investie dans trois directions : la mise au point d’une chronologie fiable des
inscriptions ; la mise en place d’une nouvelle présentation des inscriptions du
musée national de Phnom Penh (Cambodge), qui sera inaugurée en oct. 2008 ; la
préparation d’un atelier spécifique de la 12e conférence de la EurASAA (Leyde,
Pays-Bas, sept. 2008), consacré aux sanctuaires dits Çivapâda du Cambodge
ancien.
LES ÉQUIPES ACCUEILLIES AU COLLÈGE DE FRANCE 935

Les deux doctorants rattachés à l’équipe, principalement (J. Estève) ou à titre


d’associé (D. Soutif, Paris III), achèveront leurs thèses en 2008.

4. Complément important aux recherches précédentes, la réflexion


anthropologique, sous la direction de M. van Woerkens, concerne d’une part
l’étude des structures de pouvoir et des articulations des différences (genres,
sociétés, religions), d’autre part celle des rapports entre oralité et écriture dans le
cadre de pratiques rituelles ou ordinaires. L’année passée a permis de mettre au
point, pour publication, les textes des interventions aux journées d’études sur La
louange en Inde organisées par l’équipe l’an dernier (6-7 mars 2007) et d’avancer
dans la rédaction d’une histoire des femmes indiennes et de leurs résistances aux
xixe-xxie siècles, (M. van Woerkens).

5. Quatre membres de l’équipe travaillent dans le domaine du bouddhisme


indien et de sa transmission en Asie centrale et au Tibet (C. Scherrer-Schaub,
K. Juhel, V. Tournier, S. Kumagai), collaborent de manière suivie avec d’autres
équipes en France (ENS, CNRS, EFEO) et participent activement à des projets de
recherche internationaux (Autriche, USA).
5.1. L’étude raisonnée des traités de philosophie Madhyamaka par le savant
tibétain Ron ston (1367-1449) et de la Vigrahavyâvartanî du philosophe indien
Nâgârjuna (iie-iiie s. de n. è.) ont fait l’objet du séminaire d’études bouddhiques
EPHE 2007/2008 (C. Scherrer-Schaub & S. Kumagai). Deux publications sont
annoncées pour 2009 (S. Kumagai).
5.2. K. Juhel et V. Tournier (doctorants) poursuivent l’analyse des matériaux du
Mahâvastu (école Lokottaravâdin-Mahâsâmghika). La recherche bénéficie de
lectures commentées de mahâyânasûtra, ainsi que de l’analyse critique de sources
supposées avoir circulé en Inde dans des milieux proches de ladite école (séminaires
de G. Fussman au CdF et de C. Scherrer-Schaub à l’EPHE), ainsi que de séjours
d’étude et de recherche à l’étranger (avec le soutien du CdF, voir ci-après). Une
partie des recherches en cours a fait l’objet de communications lors de colloques
et congrès internationaux (voir ci-après).
5.3. Le projet sur l’étude des documents servant à l’histoire politique et militaire
du Tibet et de ses monastères à l’époque impériale (viie-ixe s. de n. è.) a porté,
cette année, sur les documents concernant le legs de serfs, le droit d’héritage et la
gestion de biens des communautés bouddhiques du Tarim.
5.4. L’approche méthodologique de description et de datation relative des
documents tibétains par C. Scherrer-Schaub (EPHE) et G. Bonani (ETH, Zürich)
a fait l’objet d’une communication en juin 2007 au CTRC de Pékin et est
actuellement en cours de traduction en chinois.
5.5. Les premiers résultats de la recherche portant sur différents aspects de la
théorie politique indienne aux premiers siècles de n. è., son adaptation en milieu
bouddhique et ses rapports avec l’idéologie sous-jacente ont fait l’objet d’une
publication.
936 LES ÉQUIPES ACCUEILLIES AU COLLÈGE DE FRANCE

II
Activités, échanges internationaux

1. Les activités des chercheurs et des enseignants chercheurs se caractérisent par


deux traits principaux : (1) sur le plan local (France), la collaboration suivie avec
d’autres équipes et d’autres institutions (participation aux séminaires, voire
organisations de journées d’étude, colloques, conférences dites “transversales”) ; (2)
sur le plan international, une grande mobilité des chercheurs (et en particulier des
jeunes chercheurs, doctorants et post-docs) dans le cadre de stages d’étude et de
recherche, colloques, congrès (en 2007/2008 : Angleterre, Autriche, Chine, Inde,
Italie, Pays-Bas, Japon, Thaïlande, USA), de missions (étude de monuments,
fouilles archéologiques, enquêtes de terrain en Inde, dans les régions himalayennes
et en Russie), voir ci-après § III.

2. Une dynamique s’est ainsi créée et les échanges internationaux de doctorants


sont au cœur des projets : Seiji Kumagai (Université de Kyoto, Japon) a été choisi
en tant que premier chercheur en visite à l’EPHE dans le cadre de la nouvelle école
doctorale franco-japonaise. V. Tournier, de son côté, a obtenu un subside de la
Japan Foundation for the Promotion of Science qui lui a permis de séjourner à
Tokyo en 2008, auprès du Prof. S. Karashima qui sera du reste l’année prochaine
invité au CdF (chaire du Prof. G. Fussman).

K. Juhel a effectué un séjour d’étude à Rome (La Sapienza, Museo di arte


orientale et IsIAO) en 2008. De même, S. d’Intino (post-doc) séjourne actuellement
à l’IIAS de Leyde au titre de la bourse Gonda.

3. I. Ratié (EPHE et Oxford) a effectué une mission en Inde (repérage de


manuscrits). H. David a passé une année entière en Inde afin d’approfondir sa
compréhension des textes majeurs de l’Advaita-vedânta ou de diversifier ses
compétences auprès de divers lettrés indiens.

K. Juhel a continué, en août et sept. 2007, son stage de fouilles à Termez,


Ouzbékistan (Mafouz de Bactriane, P. Leriche, dir.) : fouilles du Complexe Cultuel
et aide à la mise en place d’une prospection géophysique autour du stûpa de Kara-
tepe (dir. Shakir Pidaev).

Deux autres doctorants (J. Estève et D. Soutif ) ont présenté leurs travaux dans
des colloques et journées d’étude, voir infra.

L. Bansat-Boudon, membre de l’« Atelier Chicago-Paris sur les religions


anciennes », collabore à un projet d’envergure, et J. Törzsök contribue à la rédaction
du vol. 3 du dictionnaire tantrique Tântrikâbhidhânakosha.
LES ÉQUIPES ACCUEILLIES AU COLLÈGE DE FRANCE 937

III
Colloques et Journées d’étude

1. Organisation
Des colloques ou journées d’études (3) ont été (co)organisés par l’équipe : (1)
« Les ‘esclaves’ dans l’épigraphie du Cambodge ancien » (12/09/07, Naples, Italie).
Interventions de J. Estève, G. Gerschheimer, D. Soutif ; (2) Journées d’études
d’épigraphie asiatique qui se sont tenues au CdF les 16-17 oct. 2007. Interventions
de G. Gerschheimer, C. Scherrer-Schaub, D. Soutif ; (3) « Edition, Editions :
l’écrit au Tibet, évolution et devenir ». Intervention de C. Scherrer-Schaub.

2. Participation
Un post-doc, trois doctorants et un DE sont intervenus lors de colloques ou
congrès internationaux qui se sont tenus en 2007-08, à Leyde, Bangkok, Atlanta,
Paris.

IV. Publications

— Bansat-Boudon, L., CR de l’ouvrage : Nâgadeva, La Défaite d’Amour. Poème narratif,


trad. du sanskrit et présenté par N. Balbir et J.-P. Osier, Paris, dans Revue de l’histoire des
religions 224/3 (2007), p. 379-383.
— Billard, R. et Eade, J.C. , « Dates des inscriptions du pays khmer », BEFEO 93
(2006), 33 p. [document augmenté par J.C. Eade, édité par le CIK].
— D’Intino, S., « Meaningful mantras. The introductory portion of the Rgvedabhâshya
by Skandasvâmin », dans W. Slaje (dir.), Çâstrârambha : inquiries into the Preamble in
Sanskrit, Wiesbaden, 2008, p. 149-170.
— Eade, J.C., « Computers vs Tables, Billard vs Golzio : Two New Date-Lists of the
Inscriptions of Kamboja », ZDMG 158/1 (2008), p. 73-104.
— Ratié, I., « Otherness in the Pratyabhijñâ Philosophy », JIP 35/4, 2007, p. 313-
370.
— Scherrer-Schaub, C., « Revendications et recours hiérarchique : contributions à
l’histoire de Ça cu sous administration tibétaine », dans Etudes de Dunhuang et Turfan.
Textes réunis par J.-P. Drège avec la collaboration d’O. Venture. Genève, 2007, p. 257-
326.
— « Immortality extolled with reason : Philosophy and politics in Nâgârjuna », dans
Pramânakîrtih. Papers dedicated to Ernst Steinkellner on the occasion of his 70th birthday,
Part 2, B. Kellner et alii (éd.), Wien, 2007, p. 757-793.
— Törzsök, J., « Créer sans procréer : problèmes de la procréation divine dans le
Skandapurâna », dans Représentations mythologiques du sentiment familial : autour de la haine
et de l’amour, J. Boulogne (éd.), Lille, p. 99-108.
— Van Woerkens, M. : « Ecrire pour soi, écrire pour les autres. Trois femmes écrivains
au xixe siècle », dans G. Charuty et B. Baptandier (éd.), Du corps au texte, Nanterre, 2008,
25 p.
938 LES ÉQUIPES ACCUEILLIES AU COLLÈGE DE FRANCE

Centre de recherche sur les civilisations chinoise, japonaise et tibétaine


(UMR 8155)

Responsable : Alain Thote


Formé de trois équipes, le centre a été créé en janvier 2006 (présentation dans
la Lettre du Collège de France, no 22, février 2008, p. 12-13). Il comprend
maintenant cinquante-trois chercheurs (hors associés). Ses activités, en relation
étroite avec les bibliothèques des Instituts d’Extrême-Orient, se partagent entre
plusieurs programmes collectifs de recherches, auxquels participent aussi les
membres associés de l’UMR et de nombreux collaborateurs étrangers.

Chine
L’équipe « Civilisation chinoise » poursuit, depuis de nombreuses années, une
politique d’acquisition de livres, tous mis à la disposition des lecteurs de la
bibliothèque de l’Institut des Hautes Etudes Chinoises (IHEC, dirigé par Pierre-
Etienne Will).
Activités principales dans le cadre des programmes collectifs :
–– Séminaire « La fabrique du lisible » (responsable : Jean-Pierre Drège),
dépendant du programme sur « La matérialité du texte. Mise en page et mise en
texte du livre manuscrit en Chine, des Royaumes combattants au début des Song
(ve s. av. J.-C. - xe s. de notre ère.) ».
Ce séminaire régulier vise à l’étude de la mise en texte des manuscrits chinois
selon les méthodes définies à partir de l’expérience lancée par Henri-Jean Martin
sur les manuscrits, puis sur les imprimés occidentaux. Il s’agit de déceler les
transformations qui s’opèrent dans la présentation même des textes chinois
manuscrits au cours du temps, en relation ou non avec les changements de supports.
L’objectif est précisément de chercher à montrer comment le discours écrit se
détermine autant par les conditions matérielles de sa production que par sa
structure interne.
–– Programme de recherche sur la tombe de l’empereur Qianlong (1736-1796)
(responsable : Françoise Wang-Toutain). Dans ce programme transversal sont
associés sinologues et tibétologues. Il repose sur un partenariat entre l’UMR, une
équipe établie à Marseille spécialisée dans l’usage de technologies nouvelles pour
l’étude des monuments anciens (UMR 694) et les responsables chinois de l’Institut
du patrimoine culturel de Dongling (province du Hebei), site classé en l’an 2000
au patrimoine mondial de l’humanité par l’Unesco. L’étude porte sur une tombe
dont l’architecture, le programme iconographique et les inscriptions (plus de
30 000 signes en écriture tibétaine et indienne) témoignent d’une double
appartenance culturelle, chinoise et tibétaine, en étroite association avec le
bouddhisme. Elle permettra notamment une modélisation en trois dimensions de
LES ÉQUIPES ACCUEILLIES AU COLLÈGE DE FRANCE 939

la tombe et un relevé complet des inscriptions (80 % environ des graphies sont
déchiffrées) grâce à l’utilisation de techniques de pointe.
–– Programme international en partenariat avec l’Institut archéologique et du
patrimoine du Zhejiang (Chine) : « The Potter’s Villages of Longquan District in
Zhejiang: Decoding a Traditional Local Craft Society » (responsable : Zhao Bing).
Il s’agit d’un des six volets du programme interdisciplinaire 2006-2009 « Professional
cultures and the transmission of specialized knowledge : Artisans and merchants in
local society » (direction scientifique : Christian Lamouroux, Centre Chine,
EHESS). Cette opération, qui a fait l’objet d’une convention de recherche entre
l’EPHE, l’EHESS et l’Institut d’archéologie du Zhejiang en 2007, a donné lieu à
plusieurs missions de terrain en Chine. D’autre part, un collègue chinois, M. Shen
Yueming (Institut d’archéologie et du patrimoine du Zhejiang), a été invité en
France à l’automne 2007. Lors de son séjour, un atelier a été organisé pour présenter
les premiers résultats de travail, notamment sur les archives locales en rapport avec
la production de la période républicaine (1911-1949).

Colloque
–– Paris, Collège de France, 16-17 octobre 2007 : Journées d’études d’épigraphie
asiatique.
Ces journées ont été organisées conjointement par l’UMR 8155, l’UMR 8173 « Chine,
Corée, Japon » (CNRS/EHESS/Université Paris 7), l’EA 518 « Le monde indien : textes,
sociétés, représentations » (EPHE) et la JE 2342 « Archéologie du monde khmer » (EFEO).
Il s’agissait de confronter les différentes approches dans le domaine épigraphique de l’Asie,
de l’Inde au Japon.
Organisateurs : Jean-Pierre Drège (EPHE), Yannick Bruneton (université Denis Diderot/
Paris 7) et Gerdi Gerschheimer (EPHE).

Ouvrages collectifs et livres :


–– Michela Bussotti et Jean-Pierre Drège, éd., « Chine-Europe : Histoires de livres (viiie/
xve - xxe siècles) », dossier édité dans Histoire et civilisation du livre, 2007.
–– Jacques Gernet, La vie quotidienne à la veille de l’invasion mongole (1250-1276), Paris,
Editions Philippe Picquier, 2007 (3e édition), 419 p.
–– Jacques Gernet, Société et pensée chinoises aux XVIe et XVIIe siècles, Paris, Fayard, 2007,
201 p.
— Rémi Mathieu, Laozi, le Daode jing, « Livre de la Voie et de la Vertu », selon les dernières
découvertes archéologiques, traduction et commentaires, Paris, Albin Michel, 2007.
— Christine Mollier, Buddhism and Taoism Face to Face : Scripture, Ritual, and Iconographic
Exchange in Medieval China, Honolulu, University of Hawaii Press, 2008, 280 p. [prix
Stanislas Julien 2008 de l’Académie des Inscriptions et Belles-Lettres].
— Michèle Pirazzoli-t’Serstevens, Anne Kerlan-Stephens, éd., Collections et collectionneurs
en Chine du XVe au XIXe siècle, Paris/Lausanne, EPHE/Droz, 2008, 230 p. [Actes du colloque
Autour des collections d’art en Chine au xviiie siècle, INHA, 23 et 24 juin 2006].
— Michèle Pirazzoli-t’Serstevens, Giuseppe Castiglione 1688-1766 - Peintre et architecte à
la cour de Chine, Paris, Thalia, 2007, 258 p.
940 LES ÉQUIPES ACCUEILLIES AU COLLÈGE DE FRANCE

Japon
Au cours de l’année, un professeur japonais a été accueilli pour une durée d’un
an : Monsieur Umeyama Hideyuki, titulaire de la chaire de la littérature japonaise
de l’Université Momoyama Gakuin (Kyoto).

Activités dans le cadre des programmes collectifs :


L’équipe « Civilisation japonaise » a poursuivi ses activités dans le cadre
d’une dizaine de programmes collectifs, parmi lesquels on soulignera plus
particulièrement :
— « Histoire des savoirs et des représentations du Japon pré-moderne, xviie-xixe
siècles » (responsable Annick Horiuchi). Le groupe de recherches sur l’Histoire des
savoirs a travaillé en collaboration avec le Centre de recherches sur le Japon de
l’EHESS pour animer le séminaire « Culture et société de l’époque pré-moderne ».
L’objectif de ce séminaire a été d’éclairer les grandes orientations de la production
lettrée au cours des deux siècles et demi du pouvoir Tokugawa et les évolutions
intervenues à partir du xviiie siècle, avec le rôle moteur joué par les savoirs dits
« hollandais ». Les chercheurs de l’équipe se sont interrogés sur les pratiques lettrées
(modes et vecteurs de communication, structuration en réseaux, organisation de
rassemblements, constitution de salons), sur les rapports que les lettrés entretiennent
avec le pouvoir, sur l’émergence d’une identité lettrée. L’équipe a co-organisé avec
l’Université de Leiden une journée d’étude, et une publication est à paraître aux
Indes Savantes (Savoirs et pratiques des lettrés au Japon et en Chine, sous la direction
d’Annick Horiuchi, Collection Etudes Japonaises, Paris, Les Indes savantes,
2008).
Par l’intermédiaire de deux de ses membres, l’UMR a participé à deux programmes
de recherche CHORUS, programmes de coopération scientifique franco-japonaise,
financés par le Ministère des Affaires Etrangères et par la Japan Society for the
Promotion of Science (JSPS) :
— « Modernités multiples : l’individu et la communauté en France et au Japon »,
coordonné par Michel Wieviorka (EHESS), Miura Nobutaka (université Chûô) et
Yatabe Kazuhiko (UMR 8155).
— « La question de la santé au travail et les politiques publiques en France et
au Japon : genèse et métamorphoses », coordonné par Annie Thebaud-Mony (Dr.
Inserm), Isao Hirota (Pr., Université de Niigata), Paul Jobin (UMR 8155) et
Bernard Thomann (MC, Inalco). Ce projet reçoit une aide complémentaire de
l’ANR (2006-2008), en synergie avec le projet « Sociologie de la production de
connaissance sur les atteintes liées au travail ; étude comparée : France, Brésil,
Japon, Québec », également sous la responsabilité d’Annie Thébaud-Mony pour
l’ensemble des quatre équipes de chacun des pays, et dirigé par Paul Jobin (UMR
8155) pour la partie sur le Japon.
LES ÉQUIPES ACCUEILLIES AU COLLÈGE DE FRANCE 941

Colloques internationaux
— « Linguistique du Kango » (responsables Hiroko Ôshima et Akiko Nakajima), colloque
international organisé les 14 et 15 mars 2008 à l’Université Paris Diderot. Les kango, que
l’on s’accorde à définir comme les constructions à base de morphèmes d’origine chinoise
écrits en kanji dans l’usage courant, occupent une place importante en japonais, et posent
des problèmes d’analyse spécifiques. Le projet avait pour objectif de faire un bilan de
l’ensemble des connaissances relatives aux kango et d’ouvrir de nouvelles pistes de recherches
dans tous les domaines concernés : phonologie, morphologie, syntaxe, sémantique,
psycholinguistique, pragmatique, acquisition (langue première ou seconde), etc., tant dans
leurs aspects diachroniques que synchroniques.
— « Matters untranslatable – Ce qui ne peut être traduit » (responsable Josef Kyburz),
colloque international organisé conjointement avec l’université Hôsei (Japon), au Centre
Européen d’Etudes Japonaises d’Alsace (CEEJA), Kientzheim, 21-24 novembre 2007.

Journées d’étude
— « La vie culturelle à l’époque d’Edo », journée organisée par Annick Horiuchi, en
collaboration avec le département d’études japonaises de l’Université de Leiden (30 novembre
2007, Université de Paris Diderot).
— « Les 150 ans des relations diplomatiques France-Japon », sous la responsabilité de
Jean-Noël Robert (23 mai 2008, Académie des Inscriptions et belles Lettres).
— « Autour du Dit des Heike : narration épique et théâtralité » sous la responsabilité de
Claire Brisset, Arnaud Brotons et Daniel Struve (6 et 7 juin 2008, Université de Paris
Diderot).

Ouvrages collectifs et livres :


— Jean-Jacques Tschudin, traduction du japonais : Scènes d’été, de Nagai Kafû, Paris,
Edition du Rocher, 2007.
— Jean-Jacques Tschudin et Claude Hamon (sous la direction de), La société japonaise
devant la montée du militarisme. Culture populaire et contrôle social dans les années 1930,
Arles, Editions Philippe Picquier, 2007, 238 pages.

Tibet
Activités de l’équipe « Civilisation tibétaine » dans le cadre des programmes
collectifs :
–– « Rituels et représentations dans le monde tibétain » (responsable : Katia
Buffetrille).
Colloque : « La transformation des rituels dans l’aire tibétaine à l’époque contemporaine »
(organisateur : K. Buffetrille), les 8 et 9 novembre 2007 au Collège de France. Les actes
seront publiés dans la collection de la Bibliothèque des Hautes-Etudes, Section des Sciences
religieuses, en 2009. Une présentation en a été donnée dans Lettre du Collège de France
(n° 22, février 2008, p. 27-28).

D’autre part, le séminaire a poursuivi ses travaux sur l’émergence de la modernité


au Tibet et dans les pays de l’aire tibétaine, avec une réunion trimestrielle d’une
journée, comportant, outre les exposés des participants, une conférence invitée.
–– « Histoire et interprétation des textes et des doctrines » (responsables : Jean-
Luc Achard, Anne Chayet).
942 LES ÉQUIPES ACCUEILLIES AU COLLÈGE DE FRANCE

Dans le cadre de ce programme, un numéro de la Revue d’Etudes Tibétaines,


dirigée par Jean-Luc Achard et ouverte aux membres statutaires de l’unité aussi
bien qu’à des collaborateurs réguliers ou occasionnels, a été publié :
Revue d’Etudes tibétaines, n° 13, février 2008 : 1. Guillaume Jacques (Paris V, CRLAO) :
« Deux noms tangoutes dans une légende tibétaine », p. 4-10 ; 2. Etienne Bock (INALCO) :
« Coiffe de pandit », p. 11-43; 3. Richard Whitecross (Edimburgh) : « Transgressing the
Law : Karma, Theft and its Punishment », p. 45-74 ; 4. Jean-Luc Achard : « L’irruption de
la nescience — la notion d’errance samsarique dans le rDzogs chen », p. 75-107.

Deux numéros d’hommage sont en préparation et seront publiés au cours de


l’été 2008.
Colloque : « Edition, éditions : l’écrit au Tibet, évolution et devenir », 29-31 mai 2008,
Ecole normale supérieure. Organisation : A. Chayet, C. Scherrer-Schaub, F. Robin, F. Jagou,
J.-L. Achard, H. Stoddard. Le thème de ce colloque, qui s’inscrit dans un programme
nouveau de l’équipe, et donnera lieu à plusieurs réalisations collectives sur les nombreux
sujets abordés, doit être poursuivi et développé en collaboration avec certains de nos
collègues étrangers présents, qui en ont exprimé le souhait.

–– « Bhoutan : une marche du monde tibétain » (responsable : Françoise


Pommaret).

En dépit du détachement (MAE) de Françoise Pommaret au Bhoutan (Ministère


de l’Education), le programme a poursuivi ses travaux sur l’histoire, la société et
les traditions du Bhoutan. J. Ardussi et F. Pommaret ont publié un volume
collectif (actes d’un colloque) : Bhutan. Traditions and Changes. Proceedings of the
Tenth Seminar of the International Association for Tibetan Studies, Oxford, 2003,
Brill, Leiden-Boston, 2007.

Ouvrages collectifs et livres :


–– Achard, Jean-Luc, 2007. La Pratique des Six Points Essentiels de l’Esprit de Parfaite
Pureté, Editions Khyung-lung, 2007, 182 p.
–– Matthew Kapstein et Brandon Dotson, éds., Contributions to the Cultural History of
Early Tibet. Leiden, Brill, 2007.
–– Françoise Robin, L’artiste tibétain, de Thöndrubgyäl, Présentation et traduction, Paris,
Bleu de Chine, 2007.
–– Brigitte Steinmann (dir.), « Petits objets, grands enjeux, ou le terrain comme attente
de l’ethnologue », Socio-Anthropologie, Revue interdisciplinaire de sciences sociales, n° 20
(2007).

Anne Chayet, Nicolas Fiévé et Alain Thote


LES ÉQUIPES ACCUEILLIES AU COLLÈGE DE FRANCE 943

Laboratoire des Etudes sémitiques anciennes


(composante de l’Unité mixte de recherche
« Orient et Méditerranée », UMR 8167)

Directeur (du LESA et de l’UMR 8167) : Christian Julien Robin

En juin 2008, le LESA comptait 27 membres statutaires : 8 chercheurs CNRS


(plus 1 émérite), 1 ITA CNRS et 17 enseignants chercheurs. Au cours de l’année
écoulée, il a reçu le renfort d’un nouveau chercheur CNRS, Robert Hawley,
historien du monde syrien au iie millénaire avant l’ère chrétienne, de nationalité
étatsunienne ; Jérémie Shiettecatte, archéologue de l’Arabie antique, a été recruté
sur un poste de post-doc CNRS pour une durée de deux ans ; Isabelle Sachet,
archéologue spécialiste du monde des morts en Arabie antique, a obtenu un poste
d’ATER du Collège de France pour deux ans.

Les recherches du LESA portent sur le monde sémitique occidental ancien, des
débuts de l’écriture jusqu’à la conquête islamique. Si les recherches du LESA
s’intéressent principalement aux textes, qu’ils soient épigraphiques ou littéraires,
l’archéologie occupe une place importante.

Les chercheurs du LESA participent à un programme collectif propre au


laboratoire intitulé « Syncrétismes religieux : bilan et perspectives » (2006-2009),
dont la direction est assurée par Mme Hedwige Rouillard-Bonraisin (DE EPHE V).
Il s’agit de comprendre, par-delà les différences de situations et d’époques, quels
sont les mécanismes à l’œuvre dans les phénomènes de synchrétismes religieux,
tout particulièrement au Proche-Orient à l’époque romaine. Les chercheurs du
LESA contribuent également aux activités d’une dizaine de missions archéologiques
et aux programmes collectifs de l’UMR, en tout premier lieu le projet ANR « De
l’Antiquité tardive à l’Islam » (2006-2008) dirigé par Christian Robin. Par ailleurs,
l’activité des chercheurs du LESA s’inscrit dans une spécialité, exigeant la
connaissance de langues rares et une fréquentation régulière du terrain. Ces
spécialités peuvent être regroupées en huit ensembles :
— l’Arabie (Mounir Arbach, François Bron, Guillaume Charloux, Iwona Gajda,
Laïla Nehmé, Christian Robin, Isabelle Sachet, Jérémie Shiettecatte) ;
— la Syrie de l’Euphrate (Pascal Butterlin, Béatrice Muller-Margueron, Maria
Grazia Masetti-Rouault) ;
— Ougarit (Pierre Bordreuil, Robert Hawley, Jacques Lagarce, Hedwige
Rouillard-Bonraisin, Arnaud Sérandour) ;
— les textes fondateurs des religions monothéistes, Bible, Qumrân, Coran
(Françoise Briquel-Chatonnet, Maria Gorea, Jean-Michel Poffet, Emile Puech,
Hedwige Rouillard-Bonraisin, Arnaud Sérandour, Christian Robin) ;
944 LES ÉQUIPES ACCUEILLIES AU COLLÈGE DE FRANCE

— les mondes cananéen, phénicien et punique (Catherine Apicella, Pierre


Bordreuil, Françoise Briquel-Chatonnet, François Bron, Guillaume Charloux,
Sandrine Crouzet, Maria Gorea) ;
— les mondes araméens (Pierre Bordreuil, Maria Gorea, Laïla Nehmé) ;
— les débuts du christianisme, l’Orient chrétien (notamment de langue syriaque)
(Marie-Françoise Baslez, Françoise Briquel-Chatonnet, Alain Desreumaux, Maria
Gorea, Etienne Nodet) ;
— la linguistique sémitique (François Bron, Antoine Lonnet, Bernadette
Leclercq-Neveu, Christophe Rico) ;
— l’archéologie du Proche-Orient des époques hellénistique, romaine et
byzantine (Alain Desreumaux, Jean-Baptiste Humbert, Laïla Nehmé, Isabelle
Sachet).
Pour les principaux résultats de l’année, voir la bibliographie, ci-dessous.

Organisation de colloques
— Christian Robin et Isabelle Sachet : « Dieux et déesses d’Arabie : images et
représentations », Paris, Collège de France, 1er et 2 octobre 2007 (dans le cadre du
projet ANR « De l’Antiquité tardive à l’Islam »).
— Préparation de sept colloques (novembre et début décembre 2008) qui
concluront le projet ANR « De l’Antiquité tardive à l’Islam ».

Fouilles archéologiques et missions de terrain

— Yémen
1. Christian Robin, Jérémie Schiettecatte, Guillaume Charloux : dans le cadre
de la mission archéologique et épigraphique dans l’antique royaume de Qatabān,
dirigée par Christian Robin, poursuite de la fouille de Hasî (février - mi-mars
2008).
2. Iwona Gajda : dans le même cadre, poursuite de la prospection épigraphique
et archéologique sur le territoire de Madhâ (février - mi-mars 2008).

— Arabie saoudite
1. Laïla Nehmé : création et co-direction de la mission archéologique de Madâ’in
Sâlih, l’ancienne Hégra (Arabie saoudite), dont la première campagne a eu lieu
début 2008, en collaboration avec la Commission supérieure pour le tourisme
d’Arabie saoudite. Ont également participé à cette campagne Isabelle Sachet et
Guillaume Charloux.
2. Christian Robin (directeur), Mounir Arbach, Guillaume Charloux et Jérémie
Schiettecatte : prospection épigraphique dans la région de Najrân (mars-avril
2008).
LES ÉQUIPES ACCUEILLIES AU COLLÈGE DE FRANCE 945

— Syrie
1. Maria-Grazia Masetti-Rouault : direction de la Mission archéologique française
dans le site de Tell Masâ’ikh, bas Moyen-Euphrate syrien (niveaux halafien, obeïdien,
Bronze Moyen II-III, Fer II-III — néo-assyrien et néo-babylonien —, romano-
parthe et islamique ; réalisation d’un programme de prospections et sondages dans le
bas Moyen-Euphrate (région de Terqa) (octobre-novembre 2007).
2. Jacques Lagarce : achèvement de la mise en état, entreprise en 2003, du site
de Ra’s Ibn Hânî (Lattaquié).
3. Ougarit : missions de Pierre Bordreuil, Hedwige Rouillard-Bonraisin, Robert
Hawley (chargé de la publication de tablettes épistolaires, juridiques et scolaires),
membres de l’équipe épigraphique de la Mission archéologique franco-syrienne de
Ra’s Shamra-Ougarit.
4. Françoise Briquel-Chatonnet et Alain Desreumaux : dans le cadre de la
mission franco-syrienne qui prépare le volume « Syrie » du Recueil des inscriptions
syriaques (Académie des Inscriptions et Belles-Lettres), prospection épigraphique en
Syrie du Nord (juin 2008).

— Liban
Françoise Briquel-Chatonnet et Alain Desreumaux : catalogage des manuscrits
syriaques du patriarcat syro-catholique à Charfet, en collaboration avec deux
chercheurs de l’Institut de Recherche et d’Histoire des Textes et deux chercheurs
syriens (juin 2008).

Collaboration à des Equipes internationales


— Laïla Nehmé : participation au projet d’exploration de la piste caravanière
reliant Hégra à Pétra en collaboration avec une équipe de la Commission supérieure
pour le tourisme d’Arabie saoudite, sous la direction de ‘Alî Ghabbân.
— Christian Robin : direction de l’équipe française du réseau « Religions of
Pre-Islamic Arabia in the Middle Eastern Cultural Context », INTAS (International
Association for the promotion of co-operation with scientists from the New
Independent States of the former Soviet Union), Bruxelles, 2006-2008 (2 équipes
russes, 2 équipes italiennes, 1 équipe allemande et 1 équipe française).

Publications

Ouvrages
— Arbach, M. et Audouin, R., San’â’ national Museum : collection of epigraphic and
archaeological artifacts from al-Jawf sites, Part II, Sanaa, 2007, 160 p.
— Baslez, M.-F. (éditeur), Economies et sociétés, Grèce ancienne, 478-88 av. J.-C., Neuilly
sur Seine, 2007, 507 p.
946 LES ÉQUIPES ACCUEILLIES AU COLLÈGE DE FRANCE

— Baslez, M.-F., Les Persécutions dans l’Antiquité. Victimes, héros, martyrs, Paris, 2007,
418 p.
— Briquel-Chatonnet, F., Bordreuil, P. et Michel, C. (éditeurs), Les débuts de
l’histoire. Le Proche-Orient, de l’invention de l’écriture à la naissance du monothéisme, Paris,
2008, 420 p.
— Puech, E., Hilhorst, A. et Tigchelaar, E. (éditeurs), Flores Florentino : Dead Sea
Scrolls and other early Jewish studies in honour of Florentino Garcia Martinez, Supplements to
the Journal for the study of Judaism 122, Leiden-Boston, 2007, 710 p.
— Schiettecatte, J., Chevalier, P. et Martignon, V. (éditeurs), Yémen : territoires et
identités, Revue des mondes musulmans et de la Méditerranée 121-122, Aix-en-Provence,
2008, 287 p.

Articles (revues, actes de colloques, mélanges)


— Arbach, M. et Jâzim, M., « Makhtût mafâkhir Qahtân wa-’l-Yaman laysa Kitâb al-
Iklîl », al-Thawâbit, 2007 (novembre), 83-96.
— Bordreuil, E., « Numération et unités pondérales dans les textes administratifs et
économiques en ougaritique et dans les tablettes métrologiques en cunéiforme suméro-
akkadien », dans J. Michaud (éditeur), Le royaume d’Ougarit de la Crète à l’Euphrate.
Nouveaux axes de recherche. Actes du Colloque International de Sherbrooke, 5-8 juillet 2005,
Proche-Orient et Littérature Ougaritique, Sherbrooke, 2007, 381-421.
— Bordreuil, P., « De Qadmos vers (l’)Europe : à propos des cheminements de
l’alphabet vers l’Occident », Bulletin de la SELEFA, 2007, 13-20.
— Bordreuil, P., « L’antidote au venin dans le mythe ougaritique de “Horon et les
serpents” et le serpent d’airain de Nombres 21:4-9 », dans W. WATSON (éditeur), « He
unfurrowed his brow and laughed », essays in honor of Professor Nicolas Wyatt, Alter Orient
und Altes Testament 299, Münster, 2007, 35-38.
— Bordreuil, P., « Noé, Dan(i)el et Job en Ezékiel XIV, 14.20 et XXVIII, 3 : entre
Ougarit et Babylone », dans J. Michaud (éditeur), Le royaume d’Ougarit de la Crète à
l’Euphrate. Nouveaux axes de recherche. Actes du Colloque International de Sherbrooke,
5-8 juillet 2005, Proche-Orient et Littérature Ougaritique, Sherbrooke, 2007, 567-578.
— Bordreuil, P., « Ugarit and the Bible : New data from the house of Urtenu », dans
K. L. Yourger (éditeur), Ugarit at seventy-Five : proceedings of the Symposium held at Trinity
international University, Deerfiels, Illinois, Feb. 18-20 2005, Winona Lake, 2007, 89-97.
— Briquel-Chatonnet, F., « De l’Ahiqar araméen à l’Ahiqar syriaque : les voies de
transmission d’un roman », dans S. G. Vashalomidze et L. Greisiger (éditeurs), Der
christliche Orient in seiner Umwelt : Gesammelte Studien zu Ehren Jürgen Tubachs anlässlich
seines 60. Geburtstags, Wiesbaden, 2007, 51-57.
— Briquel-Chatonnet, F. et Fauveaud-Brassaud, C., « Ad majorem scientiae fructum.
Le Corpus inscriptionum semiticarum dans les correspondances conservées à l’Institut de
France », dans C. Bonnet et V. Krings (éditeurs), S’écrire et écrire sur l’Antiquité : l’apport
des correspondances à l’histoire des travaux scientifiques, Horos, Grenoble, 2008, 215-228.
— Desreumaux, A., « Enseigner, prêcher, évangéliser : le kérygme dans la Doctrina
Addai », dans Miscellanea Patristica reverendissimo domino Marco Starowieyski septuagenario
professori illustrissimo vero amplissimo ac doctissimo oblata, Warszawskiej Studia Teologiczne
XX/2, Warszawa, 2007, 51-62.
— Desreumaux, A., « Ephrem, la musique et les apocryphes », dans Saint Ephrem. Un
poète pour notre temps, Patrimoine syriaque XI. Actes du colloque, Antelias (Liban), 2007,
134-142.
— Desreumaux, A., « Trois inscriptions édesséniennes du Louvre sur mosaïque », dans
S. G. Vashalomidze et L. Greisiger (éditeurs), Der christliche Orient in seiner Umwelt :
LES ÉQUIPES ACCUEILLIES AU COLLÈGE DE FRANCE 947

Gesammelte Studien zu Ehren Jürgen Tubachs anlässlich seines 60. Geburtstags, Wiesbaden,
2007, 123-136.
— Gorea, M., « Note sur une dédicace palmyrénienne au dieu Abgal », Semitica 52-53,
2007, 162-164.
— Gorea, M., Contributions à La Collection Clermont-Ganneau. Ostraca, épigraphes sur
jarre, étiquettes de bois, éd. H. Lozachmeur (Mémoires de l’Académie des Inscriptions et
Belles-Lettres, XXXV), Paris (De Boccard), 2007, 2 vol., vol. 1, 427-433 ; vol. 2, pl. 298-
300, 304, 306.
— Hawley, R., « On the Alphabetic Scribal Curriculum at Ugarit », dans R. D. Biggs,
J. Myers et M. T. Roth (éditeurs), Proceedings of the 51st Rencontre Assyriologique
Internationale Held at the Oriental Institute of the University of Chicago, July 18-22, 2005,
Studies in Ancient Oriental Civilization, 62, Chicago, Illinois, 2008, 57-67.
— Lonnet, A., « Arabic loanwords in Modern South Arabian », dans C. Versteegh
(éditeur), Encyclopedia of the Arabic Language and Linguistics, Leiden, 2008.
— Masetti-Rouault, M. G., « Economie de redistribution et économie de marché au
Proche-Orient ancien », dans Y. Roman et J. Dalaison (éditeurs), L’économie antique, une
économie de marché ? Actes des deux tables rondes tenues à Lyon les 4 février et 30 novembre
2004, Mémoires de la Société des Amis de Jacob Spon, Paris, 2008, 49-67.
— Masetti-Rouault, M. G., « La route du Moyen-Euphrate à la fin de l’Âge du
Bronze : un essai de reconstitution », dans J. Michaud (éditeur), Le royaume d’Ougarit de
la Crète à l’Euphrate. Nouveaux axes de recherche. Actes du Colloque International de Sherbrooke,
5-8 juillet 2005, Proche-Orient et Littérature Ougaritique, Sherbrooke, 2007, 141-161.
— Masetti-Rouault, M. G., « L’apkallu-poisson et son image : note sur la conservation
et la diffusion d’éléments de la culture mésopotamienne au Proche-Orient à l’époque
préclassique », Semitica 52-53, 2007, 37-55.
— Masetti-Rouault, M. G., « Living in the valley : State, Irrigation and Colonization
in the Middle Euphrates Valley », dans H. Kühne, R. M. Czichon et F. J. Krepper
(éditeurs), Proceedings of the 4th International Congress of the Archaeology of the Ancient Near
East, 29 March-3 April 2004, Freie Universität Berlin, Vol. I, The Reconstruction of the
Environment : Natural Resources and Human Interrelations through Time. Art History : Visual
Communication, Wiesbaden, 2008, 129-141.
— Masetti-Rouault, M. G. et Poli, P., « La céramique du chantier F de Terqa-Ashara »,
Akh Purattim 1, 2007, 63-111.
— Masetti-Rouault, M. G., Robert, B., Bland, C. et Chapoulie, R., « Characterizing
the Halaf-Ubaid Transitional Period by studying Ceramic from Tell Masaikh, Syria.
Archaeological data and Archaeometry investigations », dans H. Kühne, R. M. Czichon
et F. J. Krepper (éditeurs), Proceedings of the 4th International Congress of the Archaeology of
the Ancient Near East, 29 March-3 April 2004, Freie Universität Berlin, Vol. II, Social and
Cultural transformation : the Archaeology of Transitional Periods and Dark Ages. Excavations
Reports, Wiesbaden, 2008, 225-234.
— Nehmé, L., « Introduction » et « Catalogue des monuments », dans J. Bessac et
L. Nehmé (éditeurs), Le travail de la pierre à Pétra. Technique et économie de la taille rupestre,
Paris, 2007, 27 et 146-170.
— Nehmé, L., « La langue et l’écriture des Nabatéens », dans J. Dentzer-Feydy et al.
(éditeurs), Bosra, aux portes de l’Arabie, Guides archéologiques de l’Institut Français du
Proche-Orient 5, Beyrouth, 2007, 16-18.
— Nehmé, L. et Dentzer-Feydy, J., « Les dieux avant la province d’Arabie », dans
J. dentzer-Feydy et al. (éditeurs), Bosra, aux portes de l’Arabie, Guides archéologiques de
l’Institut Français du Proche-Orient 5, Beyrouth, 2007, 19-20.
— Nodet, E., « De Josué à Jésus, via Qumrân et le “pain quotidien” », Revue biblique
114, 2007, 208-236.
948 LES ÉQUIPES ACCUEILLIES AU COLLÈGE DE FRANCE

— Poffet, J., « Bible et histoire : enjeux et chance d’une révision », dans D. Doré
(éditeur), Comment la Bible saisit-elle l’histoire : XXIe congrès de l’Association catholique
française pour l’étude de la Bible, Issy-les-Moulineaux, 2005, Lectio divina 215, Paris, 2007,
7-11.
— Rico, C., « Traduire une langue morte », dans J. E. Achilar-Chiu, K. J. O’Mahony
et M. Roger (éditeurs), Bible et Terre Sainte. Mélanges Marcel Beaudry, New York, 2008,
509-513.
— Robin, Ch. J., « La nature du judaïsme de Himyar à la lumière de nouveaux
documents », dans M. H. Fantar (éditeur), Osmose ethno-cultuelle en Méditerranée, actes du
colloque organisé à Mahdia du 26 au 29 juillet 2003, Tunis, 2007, 243-274.
— Robin, Ch. J., « A propos des “Filles de Dieu” », Semitica 52-53, 2007, 139-148.
— Robin, Ch. J., « [Rescue Excavation al-‘Arâfa, Tomb Ar 1] The inscriptions », dans
Paul Yule, Kristina Franke, Cornelius Meyer, G. Wilhelm Nebe, Christian Robin et
Carsten Witzel, « Zafâr, Capital of Himyar, Ibb Province, Yemen », dans Archäologische
Berichte aus dem Yemen, XI, 2007, 479-547 et pl. 1-47 (543-544).
— Robin, Ch. J., « L’Arabie et les parfums », dans Une histoire mondiale du parfum,
Afrique, Amérique, Europe, Océanie, Orient, des origines à nos jours, sous la direction de
Marie-Christine Grasse, Paris (Somogy, Editions d’art), 2007, 79-82.
— Robin, Ch. J., « Préface », dans Marie-Louise Inizan et Madiha Rachad, Art rupestre
et peuplements préhistoriques au Yémen, avec les contributions de Bruno Marcolongo,
Anne-Marie Lézine, Djillali Hadjouis, Frank Braemer, Pierre Bodu, Rémy Crassard,
Muhamad Manqsh, Sanaa (CEFAS), 2007, 7.
— Robin, Ch. J., Sznycer, M., Teixidor, J. et Sérandour, A., « André Caquot. In :
memoriam », Semitica 52-53, 2007, 7-9.
— Schiettecatte, J., « La population des villes sudarabiques préislamiques : entre
‘asabiyya et hadarî », dans P. Chevalier, V. Martignon et J. Schiettecatte (éditeurs),
Yémen : territoires et identités, Revue des mondes musulmans et de la Méditerranée 121-122,
Aix-en-Provence, 2008, 35-51.
— Schiettecatte, J., « Settlement Process in Ancient Hadramawt », dans T. Sasaki et
H. Sasaki (éditeurs), Proceedings of the 13th Conference on Hellenistic and Islamic Archaeology,
2007.
— Schiettecatte, J., « Urbanization and Settlement pattern in Ancient Hadramawt
(1st mill. BC) », Bulletin of Archaeology of the Kanazawa University 28, 2007, 11-28.
— Schiettecatte, J., Benoist, A., Mouton, M. et Lavigne, O., « Chronologie et
évolution de l’architecture à Makaynûn : la formation d’un centre urbain à l’époque
sudarabique dans le Hadramawt », Proceedings of the Seminar for Arabian Studies 37, 2007,
17-35.
— Sérandour, A., « Alfred Loisy face à l’histoire d’Israël », dans F. Laplanche,
C. Biagioli et C. Langlois (éditeurs), Alfred Loisy cent ans après. Autour d’un petit livre,
Actes du colloque international Collège de France-EPHE, 23-24 mai 2003, Bibliothèque de
l’Ecole des hautes études, sciences religieuses 131, [série] Histoire et prosopographie de la
section des sciences religieuses 4, Turnhout, 2007, 107-120.
— Sérandour, A., « Des dieux et des étoiles à Ougarit et dans la Bible », dans
J. Michaud (éditeur), Le royaume d’Ougarit de la Crète à l’Euphrate. Nouveaux axes de
recherche. Actes du Colloque International de Sherbrooke, 5-8 juillet 2005, Proche-Orient et
Littérature Ougaritique, Sherbrooke, 2007, 315-325.
LES ÉQUIPES ACCUEILLIES AU COLLÈGE DE FRANCE 949

Groupe de théorie neurale


(Group for Neural Theory)

Le Groupe de théorie neuronale s’articule autour de trois chercheurs permanents


(Sophie Denève, Boris Gutkin et Christian Machens) et d’un chercheur invite
(M. Tsodyks). Nous utilisons des méthodes issues des mathématiques, des
statistiques et de la physique pour modéliser la dynamique des processus neuronaux
et leurs principes computationnels.

Théorie bayesienne de la biophysique et des calculs neuronaux


Nous avons développé une théorie probabiliste du codage neuronal dans le cas
de neurones « à spikes ». Cette théorie explique la grande variabilité des réponses
neuronales observées dans le cortex cérébral, ainsi que la grande précision dont est
capable le système sensoriel. Nous avons développé un modèle de détecteur optimal
de changement, implémenté par un micro-circuit canonique faisant le pont entre
l’anatomie et la physiologie des circuits corticaux et la théorie de l’information.
Ce modèle nous a permis de proposer un nouveau rôle pour l’inhibition divisive
(« shunting ») dans les réseaux de neurones. Nous avons également développé une
théorie du transfert optimal d’information avec les neurones à spikes. Le but est
de déterminer combien d’information un neurone à spikes peut véhiculer à propos
d’un stimulus variable dans le temps, étant donnés la variabilité de son entrée et
de sa sortie. A un niveau d’analyse plus élevé, nous avons développé une théorie
suggérant que la réponse en spikes des neurones visuels au contexte extérieur (ici,
des séquences naturelles) reflète une inférence et un apprentissage probabilistes.

Théories et modèles de la mémoire de travail


Les humains et les animaux ne se contentent pas de percevoir puis de réagir à
leur information sensorielle ; ils sont également capables de manipuler cette
information à leur guise. Cette capacité de manipuler librement l’information est
au coeur même de notre vie mentale. Un acteur fondamental de ce processus est
le système en charge de notre mémoire de travail : c’est là que l’information est
stockée sur le court terme, avec la possibilité d’être librement restituée et manipulée.
Comment ce système fonctionne-t-il ?
Pour étudier la mémoire de travail, nous combinons l’analyse de données
électrophysiologiques avec de la modélisation computationnelle. Nous avons
travaillé sur la base de données enregistrées par Ranulfo Romo (UNAM, Mexique)
chez des singes, pendant une tâche paramétrique simple sollicitant la mémoire de
travail. Nous avons constaté que les activités des cellules du cortex préfrontal sont
difficilement réconciliables avec les modèles standard de réseaux pour la mémoire
de travail. En particulier, les courbes de réponse des neurones individuels forment
une fonction monotone de la valeur (paramétrique) mémorisée, en opposition avec
l’hypothèse traditionnelle d’une fonction « en cloche ». Dans un travail publié
950 LES ÉQUIPES ACCUEILLIES AU COLLÈGE DE FRANCE

l’année dernière, nous avons montré comment ces données peuvent être expliquées
par des principes de symétrie au niveau de la connectivité neuronale. Ce travail
propose des perspectives mathématiques sur différentes architectures possibles de
systèmes de mémoire de travail. Un travail en cours cherche à affiner ces modèles
de réseaux, afin de mieux reproduire les données expérimentales, et de proposer
des prédictions pour des expériences futures.
Nous avons développé une théorie nouvelle pour expliquer les courbes de
mémoire à court terme. Dans cette théorie, la mémoire de travail est entretenue
par de la facilitation synaptique basée sur le calcium, au niveau des connections
récurrentes dans les réseaux du néo-cortex. Le calcium présynaptique résiduel
jouerait alors le rôle d’un tampon, contrôlé, renouvelé et « lu » par les activités
« spikantes » des neurones. Du fait des longues constantes de temps de la cinétique
du calcium, le taux de renouvellement peut être bas, menant à un mécanisme
efficace et robuste. La durée et la stabilité de la mémoire à court terme peuvent
être contrôlées en modulant l’activité spontanée au sein du réseau. Ce travail a
conduit à une publication dans Science.

Dynamique de la neuromodulation et de la fonction dendritique


En collaboration avec le Experimental and Theoretical Neuroscience Laboratory et
le Salk Institute, nous avons mené une série d’expériences pour tester l’influence de
l’acetylcholine sur la dynamique de la génération de spikes dans les neurones
corticaux. Ces expériences révèlent une influence non-linéaire assez surprenante de
l’acetylcholine sur l’excitabilité des neurones pyramidaux du cortex, via la
modulation des multiples canaux potassium contrôlant l’adaptation à la fréquence
de décharge. Nous développons des modèles théoriques de ces effets, et examinons
l’interaction des multiples mécanismes d’adaptation lors du calcul neuronal.
Nous avons développé une nouvelle théorie et un cadre mathématique pour
étudier la dynamique des arbres dendritiques possédant des oscillateurs intrinsèques.
Nous avons montré sous quelles conditions l’arbre dendritique se comporte comme
une seule unité globale de traitement du signal. Nous appliquons ce cadre théorique
pour étudier le traitement probabiliste de l’information au niveau des dendrites,
l’apprentissage et la formation de champs de grilles (« grid fields ») dans le cortex
entorhinal, qu’on sait en relation avec les facultés animales de navigation.

Théories et modèles de la dépendance aux drogues


Le tabac, qui instaure un comportement compulsif et de dépendance, reste un
problème majeur de santé publique. La nicotine est le principal facteur de
dépendance contenu dans la fumée de tabac. Bien que les cibles moléculaires de la
nicotine sont maintenant bien connues, ainsi que ses effets aux niveaux moléculaire,
cellulaire et comportemental, les mécanismes précis reliant ces différentes échelles
ne sont pas encore bien cernés. Nous avons approché ce problème à travers deux
modèles complémentaires de dynamique neuronale.
LES ÉQUIPES ACCUEILLIES AU COLLÈGE DE FRANCE 951

La première approche est un modèle hypothétique d’auto-administration de la


nicotine, qui combine un ensemble de circuits neuronaux aux échelles moléculaire,
cellulaire et systémique, qui rend correctement compte de différent processus
neurobiologiques et comportementaux menant à la dépendance. Nous avons
suggéré que le comportement d’auto-administration de la nicotine apparaît
naturellement de la combinaison de deux éléments : des changements dans la
réponse des récepteurs des neurones dopaminergiques de l’aire ventrale tegmentale
(VTA), et un apprentissage modulé par la dopamine au niveau des circuits de
sélection d’action. Nous avons montré qu’un processus d’opposition, accentué par
la prise persistente de nicotine, rend l’auto-administration rigide et habituelle en
inhibant le processus d’apprentissage, ce qui mène à des handicaps durables en cas
d’absence de la drogue.

Une deuxième approche a été d’étudier les mécanismes par lesquels la nicotine
usurpe le signal dopaminergique dans le VTA. Nous avons conçu et analysé un
modèle des circuits neuronaux dans le VTA qui inclut les principales caractéristiques
des récepteurs nicotiniques à l’acétylcholine, telles que leurs distributions relatives
sur les différents types cellulaires, leur affinité, leurs possibilités de sensibilisation
et d’inactivation. Nous avons montré comment la nicotine mène à une augmentation
persistante de la sortie dopaminergique. Nous avons enfin montré comment les
donnés in vivo et in vitro, considérées jusqu’à présent contradictoires, peuvent être
réconciliées.

Publications 20072008
(en ordre alphabétique et par année)

Denève, S., Bayesian Spiking Neurons I : Inference. Neural Computation, 20, 91-117
(2008).
Denève, S., Bayesian Spiking Neurons II : Learning. Neural Computation, 20, 118-145
(2008).
Gutkin, B.S., Tuckwell, H., and Jost, J., Random perturbations of spiking activity in
a pair of coupled neurons. Theory in the Biosciences (in press), (2008).
Gutkin, B.S., Tuckwell, H., and Jost, J., Transient termination of synaptically sustained
firing by noise. Euro Physics Letters, 81, 20005 (2008).
Lochmann, T. and Denève, S., Information transmission with spiking Bayesian neurons.
New Journal of Physics, 10, article ID : 055019 (2008).
Mongillo, G., Barak, O., and Tsodyks, M., Synaptic theory of working memory.
Science, 319, 1543-1546 (2008).
Machens, C.K. and Brody, C.D., Design of continuous attractor networks with
monotonic tuning using a symmetry principle. Neural Computation, 20, 452-485 (2008).
Ahmed, S., Bobashev, G., and Gutkin, B.S., The simulation of addiction :
pharmacological and neurocomputational models of drug self-administration. Drug Alcohol
Depend, 90(2-3), 304-11 (2007).
952 LES ÉQUIPES ACCUEILLIES AU COLLÈGE DE FRANCE

Benda, J., Gollisch, T., Machens, C.K., and Herz, A.V.M., From response to stimulus:
adaptive sampling in sensory physiology. Current Opinion in Neurobiology, 17(4), 430-436
(2007).
Bobashev, G., Costenbader, E., and Gutkin, B.S., Comprehensive mathematical
modeling in drug addiction sciences. Drug Alcohol Depend, 89(1), 102-6 (2007).
Brumberg, J.C. and Gutkin, B.S., Cortical pyramidal cells as non-linear oscillators :
Experiment and spike-generation theory. Brain Research, 1171, 122-137 (2007).
Denève, S., Duhamel, J., and Pouget, A., Optimal sensorimotor integration in recurrent
cortical networks : a neural implementation of Kalman filters. Journal of Neuroscience, 27,
5744-5756 (2007).
Jeong, H.Y. and Gutkin, B.S., Synchrony of neuronal oscillations controlled by
GABAergic reversal potentials. Neural Computation, 19 (3), 706-729 (2007).
Mongillo, G. and Denève, S., Online Learning with Hidden Markov Models. Neural
Computation, in press (2008).
Rouger, J., Lagleyre, S., Fraysse, B., Denève, S., Deguine, O., and Barone, P.,
Evidence that cochlear-implanted deaf patients are better multisensory integrators.Proceedings
of the National Academy of Sciences USA, 104(17), 7295-7300 (2007).

Neuropeptides centraux et régulations hydrique et cardiovasculaire


INSERM U 691

Responsable : Catherine Llorens-Cortes

Le Système Rénine-Angiotensine (SRA) Cérébral


Nous avons montré dans ce système que l’aminopeptidase A (APA) est impliquée
dans la conversion de l’angiotensine (Ang) II en AngIII, développé les premiers
inhibiteurs spécifiques et sélectifs de l’APA, inexistants jusqu’à ce jour et identifié
le peptide effecteur du SRA cérébral qui est l’AngIII et non l’AngII comme établi
à la périphérie. L’AngIII au niveau central exerce un effet stimulateur tonique sur
le contrôle de la pression artérielle (PA) chez le rat hypertendu. Ainsi le blocage
central et non systémique de l’APA diminue fortement la PA dans différents
modèles expérimentaux d’hypertension artérielle (HTA), suggérant que l’APA
cérébrale constituerait une cible thérapeutique potentielle pour le traitement de
certaines formes d’HTA. L’HTA touche près de 7 millions de personnes en France.
Après 50 ans, un Français sur 4 est concerné. Aux US, sa prévalence est considérée
autour de 15-20 %. L’HTA est un facteur de risque majeur de nombreuses maladies
telles que les affections coronariennes, les accidents vasculaires cérébraux,
l’insuffisance cardiaque et l’insuffisance rénale. L’importance de cette maladie a
justifié le développement de nombreuses familles thérapeutiques, cependant, elle
reste difficile à contrôler. Les monothérapies sont insuffisantes dans plus de la
moitié des cas, et les réponses individuelles à un composé donné — quelle que soit
LES ÉQUIPES ACCUEILLIES AU COLLÈGE DE FRANCE 953

sa famille — sont très variables. Il y a donc un besoin de thérapies complémentaires.


Notre projet vise à développer un nouvel antihypertenseur avec un mode d’action
différent de ceux utilisés jusqu’à présent. Pour cela, notre objectif est de développer
de nouveaux inhibiteurs de l’APA, puissants et sélectifs capables de passer les
barrières intestinale, hépatique et hématoencéphalique après administration par
voie orale avec un index thérapeutique élevé et peu de risques de toxicité. Nous
venons d’obtenir en collaboration avec l’équipe du Pr B.P. Roques (INSERM
U640) une telle molécule, le RB150 (1 brevet licence exclusive Société Quantum
Genomics) qui après administration par voie intraveineuse ou orale chez le rat
hypertendu, pénètre dans le cerveau, inhibe l’activité du SRA cérébral et a un effet
hypotenseur qui dure plusieurs heures. De plus, le RB150 ne présente pas de
risque de toxicité cardiaque et hépatique, de génotoxicité et d’interactions
médicamenteuses. Nous poursuivons ce programme de recherche en partenariat
avec la Société Quantum Genomics afin d’une part, de finaliser le développement
pré-clinique du RB150 et d’autre part, de développer de nouvelles molécules
capables de se substituer au RB150 si ce composé ne répondait pas à tous les
critères nécessaires pour une évaluation chez l’homme. Si le RB150 obtient les
autorisations nécessaires, cela permettra d’initier les études cliniques de Phase I au
CIC de l’HEGP, dirigé par le Pr. M. Azizi afin de déterminer la tolérance, la
sécurité et la pharmacocinétique du RB150 chez l’homme (dose unique et doses
répétées croissantes). Une étude de pharmacodynamie réalisée au CIC en
collaboration avec notre laboratoire chez des sujets soumis à des régimes enrichis
ou appauvris en sodium, déterminera l’efficacité du RB150 sur différents
biomarqueurs pertinents de l’HTA.
Ce programme de recherche a été soutenu par une ANR émergence 2006-2007
et sélectionné pôle de compétitivité par l’INSERM. Un contrat de collaboration
avec la Société Quantum-Genomics a été signé avec INSERM Transfert en mai
2007 pour 18 mois avec une possibilité de prolongation en fonction des résultats
obtenus. Ces travaux ont fait l’objet d’un article et d’un éditorial dans la revue
Hypertension et d’un communiqué de presse par l’INSERM.

Le Système Apélinergique
En recherchant un récepteur spécifique de l’AngIII, nous avons isolé chez le rat
un récepteur couplé aux protéines G, partageant 95 % d’identité de séquence avec
le récepteur orphelin humain APJ qui s’est révélé être le récepteur d’un nouveau
peptide, l’apéline. Nous avons caractérisé pharmacologiquement ce récepteur, établi
dans le cerveau de rat la distribution des neurones apélinergiques ainsi que celle
de l’ ARNm du récepteur de l’apéline et observé que l’apéline et son récepteur sont
co-exprimés avec la vasopressine (AVP) dans les neurones magnocellulaires
vasopressinergiques. Nous avons mis en évidence que l’apéline, injectée par voie
centrale chez la rate en lactation, diminue l’activité électrique de ces neurones et
la sécrétion d’AVP dans la circulation sanguine, provoquant une diurèse aqueuse.
Enfin nous avons établi chez le rat déshydraté que l’apéline et l’AVP sont régulées
954 LES ÉQUIPES ACCUEILLIES AU COLLÈGE DE FRANCE

de façon opposée afin de maintenir l’équilibre hydrique de l’organisme, en


optimisant la sécrétion d’AVP dans la circulation sanguine et évitant ainsi une perte
d’eau supplémentaire par les reins. Afin de poursuivre cette exploration chez
l’homme, nous avons initialisé, en collaboration avec le CIC de l’HEGP dirigé par
le Pr M. Azizi, la première étude clinique sur l’apéline réalisée chez le volontaire
sain. Nous avons montré que la restriction hydrique associée à la surcharge en sel,
chez les cinq sujets chez qui l’étude a été réalisée, induit une augmentation de
l’osmolalité plasmatique parallèlement à une baisse des taux d’apéline dans le plasma
alors que ceux de l’AVP augmentent de façon linéaire. Ces résultats nous ont
conduits à effectuer une exploration complémentaire visant à augmenter la sécrétion
d’apéline par une charge orale hydrique. A l’inverse, dans ce second protocole réalisé
sur cinq sujets, la baisse de l’osmolalité plasmatique induite par une charge hydrique
diminue les taux d’AVP dans le plasma alors que ceux de l’apéline augmentent
rapidement. En conclusion, ces données montrent que les sécrétions d’apéline et
d’AVP sont régulées de façon opposée par les stimuli osmotiques suggérant que
l’apéline comme l’AVP joue un rôle crucial dans le maintien de l’équilibre hydrique
chez l’homme comme chez le rongeur. Finalement, nous avons montré que l’apéline
injectée par voie iv chez le rat diminue la PA et plusieurs laboratoires ont découvert
que l’apéline augmentait la force contractile du myocarde suggérant que ce nouveau
peptide joue un rôle dans le contrôle des fonctions cardiovasculaires. Par ailleurs,
nous avons étudié chez le rat, la distribution des ARNms du récepteur de l’apéline
ainsi que le rôle de ce peptide sur la fonction rénale. Les ARNms du récepteur de
l’apéline ont été détectés dans les cellules endothéliales et les cellules musculaires
lisses des artérioles glomérulaires, dans les glomérules, les canaux collecteurs ainsi
que dans la zone interne de la médullaire externe, région richement vascularisée.
L’apéline induit une vasorelaxation-NO dépendante des artérioles afférentes et
efférentes glomérulaires préalablement contractées par l’Ang II. D’autre part,
l’apéline injectée par voie iv exerce un effet diurétique dose-dépendant qui pourrait
être lié à un effet de l’apéline au niveau des canaux collecteurs où sont présents ses
récepteus ainsi que ceux de l’AVP. Ces données suggèrent un rôle régulateur de
l’apéline dans l’hémodynamique rénale et la fonction tubulaire.
Enfin, il est important de préciser qu’à l’heure actuelle aucun agoniste ou
antagoniste du récepteur de l’apéline n’a été développé. Notre projet vise donc à
obtenir de telles molécules qui devraient permettre d’explorer plus avant le rôle de
ce peptide dans des pathologies comme l’insuffisance cardiaque ou rénale et les
secrétions inappropriées d’AVP.

Recherche de ligands endogènes de récepteurs orphelins


Nos travaux ont été consacrés en collaboration avec l’unité INSERM U413
dirigée par le Pr H Vaudry et l’Institut de Recherche SERVIER à la recherche du
ligand naturel du récepteur GPR39 à partir d’un extrait de cerveaux de grenouille,
en mettant à profit la propriété qu’ont la plupart des récepteurs à 7 domaines
transmembranaires couplé aux protéines G de s’internaliser sous l’action de ligands
LES ÉQUIPES ACCUEILLIES AU COLLÈGE DE FRANCE 955

agonistes. En réalisant 4 étapes de purification et de tests d’internalisation successifs,


nous avons isolé une fraction correspondant à un pic bien individualisé, qui a
provoqué l’internalisation de ce récepteur dans 80 % des cellules testées. La
spectrométrie de masse réalisée sur cette fraction a révélé qu’elle contenait 3 peptides
majeurs qui ont été séquencés mais aucune des répliques synthétiques ne s’est
révélée active sur l’internalisation du GPR39, montrant que le ligand du GPR39
était bien présent dans cette fraction mais en quantité trop faible pour être séquencé
dans nos conditions expérimentales. Fin 2005, un article dans Science publié par
Zhang et coll identifiait par prédiction bioinformatique, l’obestatine, comme étant
un nouveau peptide dérivé du précurseur de la ghréline. Ce peptide a été purifié
à partir d’un extrait d’estomacs de rat et sa réplique synthétique a montré des
propriétés anorexigènes et induit une perte de poids chez la souris. De plus
l’obestatine était identifiée comme le ligand endogène du récepteur orphelin
humain GPR39, majoritairement exprimé dans le SNC. Afin de caractériser
pharmacologiquement le GPR39, nous avons synthétisé l’obestatine humaine ainsi
que différents fragments de ce peptide. Les effets de ces peptides ont été évalués
sur les cellules exprimant de manière stable le GPR39. Ils ne se lient pas au GPR39
et ne modifient pas la production de seconds messagers (production d’AMPc,
mobilisation du calcium intracellulaire), ni l’internalisation du GPR39. Par contre,
nous avons montré que l’obestatine injectée par voie icv diminue légèrement la
prise de nourriture chez la souris. Ces résultats montraient que l’obestatine n’est
pas le ligand endogène du GPR39. Ils ont remis en cause les résultats obtenus par
Zhang et al. concernant la nature du récepteur impliqué dans les effets biologiques
de l’obestatine. Ce travail a été publié dans la revue Science sous la forme d’un
« Technical Comment ».

Publications 20072008

Publications originales dans des journaux à comité de lecture

Chartrel N., Alvear-Perez R., Leprince J., Iturrioz X., Reaux-Le Goazigo A.,
Audinot V., Chomarat P., Cogé F., Nosjean O., Rodriguez M., Galizzi J.P., Boutin J.
A., Vaudry H., Llorens-Cortes C. Comment on « obestatin, a peptide encoded by the
ghrelin gene, opposes ghrelin’s effects on food intake ». Science, 2007, 315(5813) : 766.
Reaux-Le Goazigo A., Alvear-Perez R., Zizzari P., Epelbaum J., Bluet-Pajot M.T.,
Llorens-Cortes C. Cellular localization of apelin and its receptor in the anterior pituitary :
Evidence for a direct stimulatory action of apelin on ACTH release. Am J Physiol Endocrinol
Metab. 2007, 292(1) : E7-15.
Azizi M., Iturrioz X., Blanchard A., Peyrard S., De Mota N., Chartrel N.,
Vaudry H., Corvol P., Llorens-Cortes C. Osmotic stimulation induces opposite
regulation of plasma apeline and vasopressin levels in human. J Am Soc Nephrol. 2008
May ;19(5) : 1015-24.
Bodineau L., Frugiere A., Marc Y., Inguimbert N., Fassot C., Roques B., Llorens-
Cortes C. Orally active aminopeptidase A inhibitors reduce blood pressure by inhibiting
956 LES ÉQUIPES ACCUEILLIES AU COLLÈGE DE FRANCE

the brain-renin-angiotensin system : a new strategy for treating hypertension. Hypertension.


2008 May ; 51(5) : 1318-25.
De Mota N., Iturrioz X., Claperon C., Bodineau L., Fassot C., Roques B.P.,
Palkovits M., Llorens-Cortes C. Human brain aminopeptidase A : biochemical properties
and distribution in brain nuclei. J Neurochem. 2008 Jul ; 106(1) : 416-28.
Hus-Citharel A., Bouby N., Bodineau L., Frugiere A., Gasc J.-M., Llorens-
Cortes C. Effect of apelin on glomerular hemodynamic function in the rat kidney. Kidney
Int. 2008 Aug ; 74(4) : 486-94.

Publications de revues dans des journaux à comité de lecture ou chapitres de livre


Iturrioz X., El Messari S., De Mota N., Fassot C., Alvear-Perez R., Maigret B.,
Llorens-Cortes C. Functional dissociation between apelin receptor signaling and
endocytosis : implications for the effects of apelin on arterial blood pressure. Arch Mal Cœur
Vaiss. 2007 Aug ; 100(8) : 704-8.
Llorens-Cortes C., Kordon C. Jacques Benoit lecture : the neuroendocrine view of the
angiotensin and apelin systems. J Neuroendocrinol. 2008 Mar ; 20(3) : 279-89.
Bodineau L., Frugiere A., Marc Y., Claperon C., Llorens-Cortes C. Aminopeptidase
A inhibitors as centrally acting antihypertensive agents. Heart Fail Rev. 2008 Sep ; 13(3) :
311-9.
Reaux-Le Goazigo A., Iturrioz X., Llorens-Cortes C. Apelin. In : The New
Encyclopedia of Neuroscience, Larry R. Squire (Ed), Academic Press, Oxford, 2008.
Llorens-Cortes C., Moos F. Opposite potentiality of hypothalamic coexpressed
neuropeptides, apelin and vasopressin in maintaining body-fluid homeostasis. In : Progress
in Brain Research, I.D Neumann and R. Landgraf (Eds.), vol. 170, chapter 43, 559-570.
Iturrioz X., Reaux-Le Goazigo A., Moos F., Llorens-Cortes C. Apelin and
Vasopressin. In : Cardiovascular Hormone Systems. From Molecular Mechanisms to Novel
Therapeutics. Bader, M. (ed.) Wiley-VCH Verlag GmbH & Co. KGaA, Weinheim,
chapter 8, 193-208.

Brevets

1. Dérivés de 4,4′-dithiobis-(3-aminobutane-1-sulfonates) nouveaux


et compositions les contenant
Apport en santé : Lutte contre l’hypertension et les maladies cardiovasculaires
Demande de Brevet FR n° 02 08977 déposé au nom de l’INSERM le 16 Juillet 2002.
Brevet Français n° FR2842522 (A1) publié le 23-01-2004
Demande Internationale PCT/FR03/02242 le 16/07/2003
Brevet américain n° US 7,235,687 B2 délivré le 26/06/2007;
Inventeurs : Fournie-Zaluski M.C., Llorens-Cortes C., Roques B.P., Corvol P.,
Licence exclusive avec Glaxo-Smith Kline Beecham, n° 98299 (2000-2003)
Licence exclusive avec la Société Quantum Genomics (2007-2009), n° 06296A10

2. Dérivés de 4,4′-dithiobis-(3-aminobutane-1-sulfonates) nouveaux


et compositions les contenant
Apport en santé : Lutte contre l’hypertension et les maladies cardiovasculaires
Demande de Brevet FR n° 03 09 700 déposé au nom de l’INSERM le 6 août 2003
Brevet Français n° FR2858617 (A1) publié le 2-11-2005
LES ÉQUIPES ACCUEILLIES AU COLLÈGE DE FRANCE 957

Demande Internationale PCT/FR04/02106 du 6/08/2004


Passage en phases nationales/régionale : Europe, japon, Canada et Etats-Unis
Inventeurs : Roques B.P., Inguimbert N., Fournie-Zaluski M.C., Corvol P., Llorens-
Cortes C.
Licence exclusive avec Glaxo-Smith Kline Beecham, n° 98299 (2000-2003)
Licence exclusive avec la Société Quantum Genomics (2007-2009), n° 06296A10

Génétique moléculaire Neurophysiologie et comportement


UMR CNRS/Collège de France 7148

Directeur : François Tronche


Equipe Tronche. Chercheurs : A. Bailly, J. Barik, S. Mhaouty-Kodja, S. Vyas,
F. Tronche. Etudiants : M.A. Carrillo-Conesa, G. Maroteaux, A. Milet,
S. Parnaudeau, K. Raskin ; ITA : C. Benstaali, N. Huet, E. Massourides, A. Saint-
Amaux.
Equipe Tassin. Chercheurs : V. Houades, J.P. Tassin, Etudiants : C. Lanteri,
ITA : G. Godeheu, P. Babouram.
L’équipe de François Tronche s’intéresse aux mécanismes transcriptionnels qui
sous-tendent les réponses nécessaires à l’adaptation de l’organisme aux variations
de l’environnement, avec un intérêt particulier pour la physiologie cérébrale. Dans
ce contexte, elle étudie, d’une part, les mécanismes moléculaires qui sous-tendent
l’effet des androgènes sur le comportement sexuel et, d’autre part, les mécanismes
par lesquels les hormones glucocorticoïdes libérées en réponse au stress affectent
divers comportements et peuvent conduire à des pathologies graves telles certaines
dépressions, des troubles de l’anxiété et l’addiction.
Les travaux de l’équipe sont centrés sur la fonction des gènes de trois facteurs de
transcription (le récepteur des androgènes — AR, le récepteur des glucocorticoïdes —
GR et Stat5 qui interagit avec GR) activés par la libération d’hormones. L’équipe
développe pour cela des approches de génétique moléculaire, chez la souris. Des
modèles murins dans lesquels les gènes GR ou AR sont invalidés, dans une
population cellulaire ciblée, sont établis. Leurs études physiologique,
comportementale et anatomique comparative permet de définir le rôle de ces
récepteurs nucléaires ainsi que la nature des cellules qui sous-tendent les effets des
glucocorticoïdes ou des androgènes. Une approche complémentaire qui repose sur
la surexpression réversible du gène GR a également été développée.
Concernant le lien entre « stress » GR et addiction, cette année les travaux de
J. Barik, S. Parnaudeau, A. Bailly et A. Saint-Amaux ont élargi l’étude des
conséquences de l’absence du GR dans les neurones dopaminoceptif. Ils ont
montré qu’elle diminue très fortement la sensibilisation et la préférence de place à
958 LES ÉQUIPES ACCUEILLIES AU COLLÈGE DE FRANCE

la cocaïne confirmant le rôle essentiel de ce facteur de transcription pour l’expression


des effets comportementaux de la cocaïne. Il semble en revanche que le GR, dans
ces neurones n’est pas impliqué dans les effets de la morphine ou de l’alcool.

Les glucocorticoïdes sont essentiels pour la répression de l’inflammation. C’est


pourquoi MA Carrillo-Conesa et S Vyas ont étudié le rôle du GR dans la microglie.
Son absence, dans ces cellules de type macrophage, conduit à une augmentation
de la mort neuronale dans deux situations d’inflammation : l’injection de LPS dans
le cortex et un modèle de maladie de Parkinson induit par le MPTP. Concernant
le rôle du gène AR dans le cerveau, S Mhaouty-Kodja et K Raskin ont engendré
et étudié des souris dépourvues d’AR dans le cerveau. Chez le mâle, l’absence d’AR
provoque une dérégulation de l’axe endocrinien des hormones sexuelles, une
diminution légère mais significative de la masse corporelle et affecte profondément
le comportement sexuel et l’agression.

L’équipe de Jean-Pol Tassin étudie depuis plusieurs années les modifications neu-
rochimiques à long terme dues à la prise répétée de drogues d’abus. En 2006, cette
équipe a montré qu’il existe, chez les animaux non dépendants, une régulation
réciproque des neurones noradrénergiques et sérotoninergiques par l’intermédiaire
des récepteurs a1b-adrénergiques (contrôle noradrénergique des neurones sérotoni-
nergiques) et 5-HT2A (contrôle sérotoninergique des neurones noradrénergiques).
Les prises répétées de psychostimulants — comme l’amphétamine ou la cocaïne —,
d’opiacés — comme la morphine ou l’héroïne —, ou d’alcool, dissocient cette
régulation mutuelle (5). Chaque système, noradrénergique ou sérotoninergique,
devient alors autonome et hyper-réactif. Cette dissociation (ou découplage) se
maintient plusieurs mois après la dernière prise de drogue, est indépendante de la
libération de dopamine et n’apparaît pas si les animaux sont pré-traités par des
antagonistes des récepteurs a1b-adrénergiques et 5-HT2A avant chaque prise de
drogue d’abus. Ce travail a donné lieu à la proposition d’un nouveau concept de
la pharmaco-dépendance (2,4) selon lequel le découplage, vraisemblablement pré-
sent chez les toxicomanes, entraîne une autonomisation des neurones noradréner-
giques et sérotoninergiques qui réagissent de façon indépendante et hyper-réactive
aux stimuli externes. Reprendre de la drogue permettrait un recouplage artificiel
de ces neurones, créant ainsi un soulagement temporaire susceptible d’expliquer la
rechute de la consommation.

Cette année, l’équipe a plus particulièrement travaillé sur la tabaco- et l’alcoolo-


dépendance. Des résultats qu’elle avait déjà obtenus suggérant que la nicotine seule
n’agissait pas comme une drogue d’abus mais qu’elle pouvait le devenir en présence
d’inhibiteurs de monoamine oxydases (IMAOs), contenus dans le tabac ont été
précisés. Il s’avère effectivement que, bien que ni la prise répétée de nicotine ni
celle d’IMAOs n’entraîne de découplage, la prise répétée des deux composés,
nicotine et IMAO, déclenche un découplage, ce qui explique que le tabac,
contrairement à la nicotine seule, ait un fort pouvoir addictif. Un travail très récent
de Christophe Lanteri indique que les IMAOs agissent en désensibilisant le
LES ÉQUIPES ACCUEILLIES AU COLLÈGE DE FRANCE 959

récepteur 5-HT1A permettant ainsi à la nicotine d’activer les neurones séroto-


ninergiques (6). Enfin, l’utilisation de souris dépourvues de récepteurs μ-opioïdes,
confiées à l’équipe par Brigitte Kieffer (Strasbourg), a permis à Emilie Doucet, au
cours de son stage de M2, de montrer que le découplage induit par l’éthanol
nécessite la stimulation des récepteurs μ-opioïdes, ce qui confirme la convergence,
déjà constatée en clinique, entre les effets addictifs de l’éthanol et celle des
opiacés.

Equipe Tronche : publications 20072008

Stress and addiction, identification of a specific neuronal cell-type for glucocorticoid


receptor-induced facilitation of cocaine seeking. F. Ambroggi A., M. Turiault M., Aude
Milet A., V. Deroche-Gamonet, S. Parnaudeau, E. Balado, T. Lemberger, G. Schütz,
M. Lazar, M. Marinelli, P.V. Piazza, F. Tronche. Soumis.
Conditional inactivation of androgen receptor gene in the nervous system impairs
masculine behaviors and androgen feedback on LH release. Raskin K., de Gendt K.,
Duittoz A., Verhoeven G., Tronche F., Mhaouty-Kodja S. En révision.
Decaens T., Godard C., de Reyniès A., Rickman D.S., Tronche F., Couty J.P.,
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Sainte-Marie Y., Cat A., Perrier R., Mangin L., Soukaseum C., Peuchmaur M.,
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Engblom D., Kornfeld J.W., Schwake L., Tronche F., Reimann A., Beug H.,
Hennighausen L., Moriggl R., Schütz G.. Direct glucocorticoid receptor-Stat5
interaction in hepatocytes controls body size and maturation-related gene expression. Genes
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Tuckermann J.P., Kleiman A., Moriggl R., Spanbroek R., Neumann A., Illing A.,
Clausen B.E., Stride B., Forster I., Habenicht A.J., Reichardt H.M., Tronche F.,
Schmid W., Schütz G. Macrophages and neutrophils are the targets for immune suppression
by glucocorticoids in contact allergy. J. Clin. Invest., 2007, 117 : 1381-1390.
Lemberger T., Parlato R., Dassesse D., Westphal M., Casanova E., Turiault M.,
Tronche F., Schiffmann S.N., Schütz G. Expression of Cre recombinase in
dopaminoceptive neurons. BMC Neurosci., 2007, 3 ; 8 : 4.
Muller O., Pradervand S., Berger S., Centeno G., Milet A., Nicod P.,
Pedrazzini T., Tronche F., Schütz G., Chien K., Rossier B.C., Firsov D. Identification
of corticosteroid-regulated genes in cardiomyocytes by serial analysis of gene expression.
Genomics, 2007, 89 : 370-377.
960 LES ÉQUIPES ACCUEILLIES AU COLLÈGE DE FRANCE

Equipe Tassin : publications 20072008

Salomon L., Lanteri C., Godeheu G., Blanc G., Gingrich J., Tassin J.P. Paradoxical
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Psychopharmacology (Berl), 2007, 194 : 11-20.
Tassin J.P. Neurobiologie de l’addiction : Proposition d’un nouveau concept. In :
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Tassin J.P., Torrens Y., Salomon L., Lanteri C., Seeman P. Elevated dopamine
D2(High) receptors in alpha-1b-adrenoceptor knockout supersensitive mice. Synapse, 2007,
61 : 569-72.
Tassin J.P. Uncoupling between noradrenergic and serotonergic neurons as a molecular
basis of stable changes in behavior induced by repeated drugs of abuse. Biochem Pharmacol.,
2008, 75 : 85-97.
Lanteri C., Salomon L., Glowinski J., Tassin J.P. Drugs of abuse specifically sensitize
noradrenergic and serotonergic neurons via a non dopaminergic mechanism.
Neuropsychopharmacology, 2008, 33, 1724-1734.
Lanteri C., Salomon L., Godeheu G., Doucet E., Torrens Y. and Tassin J.P.
Inhibition of Monoamine Oxidases desensitizes 5-HT1A receptor and allows Nicotine to
induce a neurochemical and behavioral sensitization. Soumis.

Communication jonctionnelle
et interactions entre réseaux neuronaux et gliaux
INSERM U840

Directeur : Dr Christian Giaume


Les travaux de notre équipe ont porté sur différents aspects des interactions entre
neurones et cellules gliales, avec comme objet principal d’étude des propriétés et
le rôle des jonctions communicantes entre cellules gliales dans des conditions
normales et pathologiques. Dans le système nerveux central, les connexines,
protéines constituantes des jonctions communicantes (gap junctions), sont
exprimées en grande quantité dans les cellules gliales. Ces jonctions définissent une
organisation en réseaux des cellules communicantes, en particulier dans les
astrocytes. Plus précisément, nos recherches se sont concentrées sur les interactions
entre les circuits neuronaux et les réseaux astrogliaux dans des conditions normales et
pathologiques.

1. Régulation intracellulaire des canaux jonctionnels


(Martine Tencé, Edwige Amigou, Pascal Ezan)
Nous avons poursuivi l’identification des mécanismes intracellulaires responsables
du contrôle de la communication jonctionnelle dans un modèle de culture primaire
LES ÉQUIPES ACCUEILLIES AU COLLÈGE DE FRANCE 961

d’astrocytes. L’incubation des cellules avec l’endothéline-1, la sphingosine-1-


phosphate ou des inhibiteurs métaboliques, traitements qui miment une inflammation
ou une ischémie, induisent une inhibition totale de la communication. Celle-ci
s’accompagne d’une déphosphorylation, par les serine/thréonine phosphatases PP2B
et PP1/ PP2A, de la connexine43 (Cx43) présente dans les canaux jonctionnels des
membranes. Cette déphosphorylation dépend d’une voie de signalisation médiée par
une protéine Gi qui n’implique pas les protéines kinases ERK, p38, PI3-K ou ROCK.
Les études en immunofluorescence et microscopie confocale montrent que la Cx43
membranaire est co-localisée avec ZO-1 et l’occludine. La Cx43 co-immunoprécipite
avec ZO-1, indiquant que ces deux protéines font partie d’un même échafaudage
protéique. Enfin, récemment nous avons obtenu des données biochimiques suggèrant
qu’une partie importante des Cx43 astrocytaires sont localisées dans les rafts qui
constituent des domaines membranaires considérés comme des plateformes de
signalisation et impliqués dans l’internalisation des récepteurs.

2. Interactions entre compartiments neuronaux et réseaux astrocytaires


dans les glomérules olfactifs (Lisa Roux)
Les propriétés de communication entre astrocytes, et l’expression des Cx43 et
Cx30, ont été étudiées dans les glomérules du bulbe olfactif. Cette région du
cerveau a été choisie car les glomérules olfactifs sont caractérisés par une forte
compartimentation anatomo-fonctionnelle des neurones qui les composent. Nous
avons cherché à définir comment s’organisent les réseaux astrocytaires dans ces
compartiments neuronaux. Dans cette structure, nous avons observé une expression
différentielle des deux connexines astrocytaires Cx43 et Cx30, ainsi qu’une
communication jonctionnelle favorisée dans les glomérules. Ces résultats indiquent
que les réseaux astrocytaires présentent une organisation qui est étroitement liée à
celle des neurones. Cette observation nous a amené à poser la question d’un
contrôle des propriétés des réseaux astrocytaires par l’activité neuronale, pour cela
deux situations ont été considérées. A court terme (heures), la mise sous silence
des neurones par la TTX diminue le nombre de cellules couplées. A long terme
(semaines), l’occlusion d’une narine réduit l’activité des neurones dans la couche
glomérulaire et diminue l’incidence de couplage.
L’ensemble de ces observations indique que dans les glomérules olfactifs, les
astrocytes forment des réseaux plastiques et dynamiques dont les propriétés sont
contrôlées par l’activité neuronale. Par conséquent, ces réseaux pourraient contribuer
à la définition d’un glomérule comme unité fonctionnelle.

3. Réseaux métaboliques astrocytaires et activité synaptique dans


l’hippocampe (Nathalie Rouach, Ulrike Pannasch, Mickael Derangeon)
L’utilisation d’un dérivé fluorescent du glucose (2-NBDG) a permis la mise en
évidence de réseaux métaboliques astrocytaires dans la région CA1 de l’hippocampe.
Leur étendue dépend de l’activité des neurones puisqu’elle est réduite en présence
962 LES ÉQUIPES ACCUEILLIES AU COLLÈGE DE FRANCE

de TTX et augmentée lors de décharges de type épileptique, induites


pharmacologiquement. Cette régulation fait intervenir le glutamate et les récepteurs
de type AMPA. En absence de glucose dans le milieu extérieur, l’activité neuronale
est progressivement supprimée. Cependant, cette perte d’excitabilité peut-être
maintenue en injectant le réseau astrocytaire avec du glucose ou du lactate. Cette
propriété n’est pas observée en utilisant des souris transgéniques dans lesquelles
l’expression des deux connexines astrocytaires a été supprimée.
Ces résultats démontrent que les réseaux astrocytaires peuvent pourvoir au
soutien métabolique de l’activité neuronale en permettant le transfert de composés
énergétiques depuis la circulation sanguine vers les neurones.

4. Rôle des connexines astrocytaires dans la mise en place et le maintien


de la barrière hématoencéphalique (Martine Cohen-Salmon)
Dans le cerveau, les astrocytes forment des réseaux fonctionnels sous-tendus par
la présence de jonctions communicantes intercellulaires connexines Cx43 et Cx30.
Nous avons montré que ces jonctions sont en particulier remarquablement
concentrées au niveau des extensions astrocytaires périvasculaires, qui constituent
un des éléments de structure de la barrière hémato-encéphalique (BHE).
Actuellement, nous nous posons la question du rôle des Cx30 et Cx43 à l’interface
gliovasculaire au niveau de laquelle les pieds astrocytaires entourent les vaisseaux
sanguins. L’injection intrajugulaire de peroxidase (horse raddish peroxidase,
MW 40 000 Kda) chez des souris délétées en Cx30 montre que la BHE de ces
animaux est endommagée, en particulier au niveau de l’hippocampe, du thalamus
et du striatum. Par ailleurs, une étude du transcriptôme dans l’hippocampe de ces
souris montre des dérégulations de l’expression de plusieurs gènes impliqués dans
la physiologie du système vasculaire. Une approche identique sur un modèle murin
délété en Cx43 astrocytaire est actuellement en cours.
Ces résultats démontrent que les jonctions communicantes astrocytaires sont
impliquées directement dans le maintien de la BHE. Notre étude se poursuit pour
comprendre et identifier les bases moléculaires de cette fonction.

5. Changements d’expression des connexines astrocytaires dans un modèle


murin de maladie d’Alzheimer (Xin Mei, Pascal Ezan, Annette Koulakoff )
Dans diverses atteintes cérébrales, aigues ou chroniques, des altérations
différentielles d’expression des connexines astrocytaires, qui dépendent du type de
lésion et du temps post-lésionnel, ont été décrites. Dans la maladie d’Alzheimer
(MA), des dépôts de peptide β-amyloide (Aβ) s’accumulent dans le cortex et
l’hippocampe des patients où ils forment des lésions caractéristiques, les plaques
séniles. Des lésions semblables se développent dans des modèles murins de MA,
en particulier dans des souris double transgéniques APP/PS1, qui portent deux
mutations rencontrées dans des cas familiaux de MA. Dans ce modèle, nous avons
analysé la distribution des deux connexines astrocytaires, Cx43 et Cx30, par une
LES ÉQUIPES ACCUEILLIES AU COLLÈGE DE FRANCE 963

approche immunohistochimique en microscopie confocale sur coupes de cerveau,


puis quantifié leur expression. A 2 mois, comme chez les souris contrôle, ces souris
ne présentent ni activation gliale, ni dépôt Aβ et la distribution des Cx43 et Cx30
est similaire au tissu contrôle. Dès le quatrième mois, des dépôts Aβ entourés de
microglies activées et d’astrocytes réactifs GFAP+ apparaissent dans le cortex et
l’hippocampe et leur nombre augmente avec l’âge. Au niveau de ces plaques,
l’expression des deux connexines, examinée à 4 et 6 mois, est modifiée dans les
prolongements astrocytaires qui infiltrent les plaques : augmentée dans la majorité
des plaques (75 % pour Cx30, 90 % pour Cx43), mais dans 5 % d’entre elles, une
diminution d’expression des deux Cxs est observée, préférentiellement dans des
plaques de petite taille. Des doubles marquages Cx30/Cx43 montrent dans la
majorité des plaques (70 %) une régulation parallèle des deux Cxs. Les conséquences
fonctionnelles de ces modifications d’expression des Cx43 et Cx30 sur l’étendue
du réseau astrocytaire et/ou l’activation locale d’hémicanaux, susceptibles d’interférer
avec la survie neuronale dans cette pathologie, sont en cours d’étude.

Publications

Nadrigny F., Li D., Kemnitz K., Ropert N., Koulakoff A., Rudolph S., Vitali M.,
Giaume C., Kirchhoff F. and Oheim M. (2007) Systematic colocalization errors between
acridine orange and EGFP in astrocyte vesicular organelles. Biophys. J., 93 : 969-980.

Giaume C., Kirchhoff F., Matute C., Reichenbach A. and Verkhratsky A. (2007)
Glia : the fulcrum of brain diseases. Cell Death Differ., 14 : 1324-1335.

Houades V., Koulakoff A., Ezan P., Seif I., Giaume C. (2008) Gap junction-mediated
astrocytic networks in the mouse barrel cortex. Journal of Neuroscience, 28 : 5207-17.

Retamal M.A., Froger N., Palacios-Prado N., Ezan P., Sáez P.J., Sáez J.C., Giaume C.
(2007) Cx43 hemichannels and gap junction channels in astrocytes are regulated oppositely
by proinflammatory cytokines released from activated microglia. Journal of Neuroscience,
27 : 13781-92.

Li D., Ropert N., Koulakoff A., Giaume C., Oheim M. (2008) Lysosomes are the
major vesicular compartment undergoing Ca2+-regulated exocytosis from cultured cortical
astrocytes. Journal of Neuroscience, 28 : 7648-58.

Herrero-González S., Valle-Casuso J.C., Sánchez-Alvarez R., Giaume C.,


Medina J.M., Tabernero A. (2008) Connexin43 is involved in the effect of endothelin-1
on astrocyte proliferation and glucose uptake. Glia (sous presse).

Koulakoff A., Ezan P, Giaume C. (2008) Neurons control the expression of Connexin
30 and Connexin 43 in mouse cortical astrocytes. Glia, 56 : 1299-311.
964 LES ÉQUIPES ACCUEILLIES AU COLLÈGE DE FRANCE

Dynamique et physiopathologie des réseaux neuronaux


(Inserm U 667)

Responsable : Jean-Michel Deniau


Nos recherches portent sur les ganglions de la base, structures sous corticales
impliquées dans le contrôle adaptatif du comportement. Connectées au système
limbique et aux centres de planification et d’exécution motrice, les ganglions de la
base participent à la sélection des actions appropriées au contexte environnemental
en tenant compte de facteurs motivationnels et de l’expérience passée. Le
dysfonctionnement pathologique des ganglions de la base est responsable de
troubles moteurs et cognitifs. Dans une perspective à la fois fondamentale
et thérapeutique, notre groupe étudie les propriétés fonctionnelles normales et
pathologiques de ces réseaux neuronaux.

Interactions synaptiques et transfert des informations corticales


dans le striatum (E. Fino, C. Gras, V. Paillé, V. Goubard, C. Bosch, L. Venance)

Interactions entre neurones striataux


Le striatum est la structure d’accès des informations corticales aux ganglions de
la base. Les neurones de projection striataux (NETM, neurones épineux de taille
moyenne), sont interconnectés par des synapses chimiques et électriques. Afin de
déterminer l’organisation de ces interactions locales par rapport à l’organisation
anatomo-fonctionnelle du striatum, nous utilisons des souris D1/EGFP et D2/
EGFP (Gensat Project) qui permettent de visualiser les NETM exprimant les
récepteurs dopaminergiques de type D1 ou D2. Les NETM engagés dans les deux
circuits de sortie du striatum, les voies directe et indirecte expriment respectivement
les récepteurs D1 et D2. Par des enregistrements en double patch-clamp sur
tranches de cerveau, nous avons montré que les NETM de la voie directe et ceux
de la voie indirecte sont couplés par des synapses GABAergiques unidirectionnelles.
Par ailleurs, nous étudions l’impact des interneurones striataux sur le transfert des
informations cortico-striatales.

Interactions neurone-glie et transfert cortico-striatal


Le concept de synapse tripartite (éléments pré-, post-synaptiques et gliaux)
reconnaît aux cellules gliales un rôle majeur dans la transmission synaptique. D’un
point de vue thérapeutique, il est important de considérer l’état du réseau glial car,
assurant le lien entre le milieu intérieur et les neurones, les cellules gliales participent
à l’acheminement de molécules métaboliques ou thérapeutiques vers le réseau
neuronal. Par des enregistrements en double patch-clamp d’un astrocyte et d’un
NETM associés à une stimulation corticale, nous avons enregistré et caractérisé
pharmacologiquement les courants astrocytaires générés par le transport du
LES ÉQUIPES ACCUEILLIES AU COLLÈGE DE FRANCE 965

glutamate et du GABA. Nous étudions désormais l’impact de ces transports gliaux


sur la transmission et les plasticités synaptiques cortico-striatales, ainsi que les
phénomènes de plasticité au niveau des cellules gliales.

Plasticité synaptique cortico-striatale de type « spike-timing dependent-plasticity »


(STDP)
La rencontre quasi-coïncidente d’une activation pré-synaptique avec la rétro-
propagation d’un potentiel d’action dans l’arbre dendritique, entraîne des
changements d’efficacité synaptique à long terme. Classiquement, un décalage
négatif de la stimulation post-synaptique par rapport à celle pré-synaptique induit
une dépression synaptique, tandis qu’un décalage positif induit une potentialisation.
De manière surprenante, nous avons observé une plasticité « inverse » au niveau
cortico-striatal : un décalage négatif induit une potentialisation à long terme (LTP)
et un décalage positif une dépression (LTD). Cette plasticité « inverse », observée
pour la première fois chez les mammifères indique une spécificité du codage au
niveau de l’axe cortico-striatal.
En plus des NETM, le striatum est composé d’interneurones cholinergiques et
GABAergiques. Ces interneurones ont un poids synaptique important sur les NETM
et moduleraient efficacement la transmission cortico-striatale. Nous avons montré
que les interneurones striataux peuvent développer de puissantes plasticités synaptiques
de type STDP et que celles-ci montrent des spécificités cellulaires. Les interneurones
cholinergiques montrent une STDP « inverse », similaire à celle des NETM, tandis
que les interneurones GABAergiques développent une STDP classique, similaire à
celle décrite dans différentes structures du SNC des mammifères.

Plasticité intrinsèque dans le cortex somatosensoriel


et intégration sensorielle dans le circuit corticostriatal
S. Mahon, S. Charpier, M. Pidoux, J. Paz

Il est admis que les processus d’apprentissage et de mémorisation résultent de


modifications « expérience-dépendante » dans la force des connexions synaptiques.
Des études in vitro ont révélé que l’excitabilité intrinsèque neuronale peut être
modifiée durablement par l’activité préalable, suggérant un rôle des propriétés
électriques non synaptiques dans les mécanismes de mémorisation. L’existence
d’une telle plasticité intrinsèque et ses propriétés d’induction et d’expression dans
des conditions physiologiques restaient à préciser. Par des enregistrements
intracellulaires in vivo chez le rat, nous avons montré que des conditionnements
cellulaires, « mimant » l’activité de décharge naturelle des neurones du cortex
somatosensoriel, induisaient des changements durables dans l’excitabilité intrinsèque
de ces cellules. Cette plasticité intrinsèque s’exprimait de manière bidirectionnelle
(dépression ou potentialisation) en modifiant l’intensité du courant liminaire
(« seuil ») pour le déclenchement de potentiels d’action, ou la pente de la relation
966 LES ÉQUIPES ACCUEILLIES AU COLLÈGE DE FRANCE

courant injecté-fréquence moyenne de décharge (« gain »). Ces modifications


d’excitabilité pouvaient favoriser la genèse de potentiels d’action sur les réponses
évoquées par des stimulations naturelles des vibrisses sans modifier la force
synaptique.

Rôle du cortex somatosensoriel dans la genèse des crises d’absence


(S. Charpier, S. Mahon, PO. Polack)

Nous étudions les mécanismes de déclenchement et de contrôle des épilepsies-


absences en utilisant le rat GAERS (Genetic Absence Epilepsy Rats from Strasbourg)
comme modèle expérimental. Nous avons mis en évidence que les neurones du
cortex somatosensoriel présentent des décharges épileptiques précédant celles des
autres neurones corticaux et thalamiques. Par des blocages pharmacologiques de
l’activité du cortex somatosensoriel et de régions corticales distantes, nous avons
montré que la région faciale du cortex somatosensoriel était suffisante et nécessaire
pour initier les crises, démontrant ainsi que cette région corticale constitue un
véritable « foyer » épileptique. De plus, les drogues « anti-absence » utilisées en
clinique humaine pouvaient « convertir » les neurones ictogéniques du foyer en
neurones « normaux ».

synchronisation excessive dans la bande de fréquence bêta


et interruption de la transmission dopaminergique
(B. Degos, N. Maurice)

Chez les patients parkinsoniens comme dans les modèles animaux de la maladie,
on note une synchronisation excessive de l’activité électro-encéphalographique
(EEG) dans la bande de fréquence bêta (15-35 Hz). Il a été proposé que cette
synchronisation excessive joue un rôle central dans la mise en place de l’akinésie
parkinsonienne.
Nous avons révélé que la synchronisation excessive dans la bande de fréquence
bêta apparaît de façon progressive et retardée suite à la lésion des neurones
dopaminergiques de la substance noire. L’expression de ce phénomène dépend de
l’état de vigilance de l’animal. Elle apparait durant l’éveil et le sommeil paradoxal,
mais jamais durant le sommeil lent. Nous avons démontré pour la première fois
un décalage temporel net entre la mise en place de l’akinésie, observée dès le
premier jour post-lésionnel, et la synchronisation excessive dans la bande de
fréquence bêta qui nécessite plusieurs jours pour apparaître. La synchronisation
excessive dans la bande bêta était plus forte dans le cortex moteur que dans le
cortex somatosensoriel et chez les animaux lésés unilatéralement par rapport aux
animaux lésés bilatéralement. Cette synchronisation excessive était accompagnée
par une augmentation de cohérence entre l’activité des cortex moteur et
somatosensoriels.
LES ÉQUIPES ACCUEILLIES AU COLLÈGE DE FRANCE 967

Ces données suggèrent que l’hyper-synchronisation bêta est générée par des
processus de plasticité dont le décours temporel est retardé par rapport à l’akinésie.
Ce phénomène ne reflète pas uniquement les changements plastiques induits par
l’interruption de la transmission dopaminergique au sein des réseaux reliant le
cortex cérébral aux ganglions de la base, mais traduit également l’état cérébral
nécessaire à son expression.

Rôle des interneurones cholinergiques et des circuits locaux striataux


dans la physiopathologie des ganglions de la base
(M.L. Kemel, S. Pérez, V. Aliane, C. Deschamps)

Impact de la dénervation dopaminergique nigro-striatale ou d’un traitement


par la cocaïne sur l’expression des MORs et la régulation enképhaline/MOR
de la libération de l’acétylcholine
Dans le territoire limbique du striatum, les récepteurs opioïdes de type mu
(MORs) sont présents sur les neurones efférents des striosomes et les interneurones
cholinergiques (Jabourian et al. 2005). L’expression de ces récepteurs est inversement
régulée par la transmission dopaminergique : en absence de dopamine (DA), les
neurones efférents n’expriment plus de MORs alors qu’ils sont toujours présents sur
les interneurones cholinergiques. Une régulation inverse est obtenue en présence de
cocaïne qui provoque une augmentation des taux extracellulaires de DA. Les
régulations enképhaline (ENK)/MORs de la libération de l’acétylcholine (ACh)
sont en accord avec l’expression des MORs dans les différentes situations analysées.

Interaction entre les régulations ENK/MOR et tachykinines/NK1 de la libération


de l’ACh dans le territoire limbique/PF du striatum dorsal
Les récepteurs NK1 aux tachykinines sont co-exprimés avec les MORs dans les
interneurones cholinergiques du territoire limbique du striatum dorsal. Le blocage
simultané des contrôles DA/D2 et ENK/MORs inhibiteurs de la transmission
cholinergique a permis de révéler la facilitation tachykinines/NK1 de la libération
de l’ACh via le sous-type du récepteur NK1, le « new NK1 sensitive » qui présente
un profil pharmacologique particulier. Dans ce territoire, les tachykinines participent
à l’hypercholinergie striatale observée lors de la dégénérescence du système nigro-
strié. Les antagonistes ayant une bonne affinité pour le récepteur « new NK1
sensitive » pourraient contribuer au rétablissement de ce déséquilibre.
Ces données montent le rôle important que jouent les peptides, opioïdes et
tachykinines, dans le contrôle de la « balance DA-ACh » au niveau du striatum
dorsal et tout particulièrement lors de l’altération de la transmission dopaminergique.
Ils pourraient être à l’origine de nouvelles perspectives thérapeutiques dans le
traitement symptomatique de certaines pathologies associées au dysfonctionnement
des ganglions de la base.
968 LES ÉQUIPES ACCUEILLIES AU COLLÈGE DE FRANCE

Modulation dopaminergique du transfert des informations


au niveau du cortex préfrontal (CPF)

Les comportements ciblés résultent du transfert d’informations à partir d’aires


sous-corticales sensorielles et limbiques vers le cortex préfrontal où elles sont
intégrées et transférées vers les aires motrices pour l’accomplissement d’un
comportement donné.

Après avoir établi des critères d’identification électrophysiologique des


interneurones du CPF, nous avons montré que l’hippocampe active directement
les interneurones préfrontaux qui en retour court-circuitent l’activité des cellules
pyramidales par un mécanisme d’inhibition directe. Nous avons pour la première
fois in vivo révélé l’effet induit par l’application de DA ou la stimulation de l’aire
tegmentale ventrale (ATV) sur l’activité des interneurones du PFC. L’application
iontophorétique de DA ou la stimulation de l’ATV réduit la fréquence de décharge
des interneurones et cet effet implique les récepteurs D1 et D2. Cet effet dépresseur
est parfois bloqué par un antagoniste des récepteurs GABAA, suggérant que la DA
peut agir au niveau post-synaptique, mais également pré-synaptique. Nous avons
étudié l’effet modulateur de la DA sur les entrées issues de l’hippocampe.
L’application locale de DA ou la stimulation de l’ATV réduit l’intensité de la
réponse excitatrice évoquée au niveau des interneurones (probabilité de décharge
et nombre de potentiels d’action par réponse). Cette réduction d’intensité est
souvent accompagnée par une focalisation temporelle de la réponse.

Ces résultats suggèrent que les processus d’inhibition directe au niveau du CPF
concourent à une augmentation du rapport signal-bruit, et la modulation
dopaminergique de la réponse des interneurones aux afférences hippocampiques
entraîne une plus grande précision temporelle des signaux inhibiteurs. D’un point
de vue pathologique, l’hypodopaminergie du CPF décrite dans la schizophrénie
pourrait provoquer une perte de la modulation temporelle de l’activité des
interneurones et donc altérer les traitements cognitifs par les circuits préfrontaux.

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Perez, S., Soucy, A., Deniau, J.M., Kemel, M.L. Tachykinin regulation of cholinergic
transmission in the limbic/prefrontal territory of the rat dorsal striatum : implication of new
neurokinine 1-sensitive receptor binding and interaction with enkephalin/mu opioid
receptor transmission. J Neurochem, 103 : 2153-2169 (2007).
LES ÉQUIPES ACCUEILLIES AU COLLÈGE DE FRANCE 969

Fino, E., Deniau, J.M., Venance, L. Cell-specific spike-timing-dependent plasticity in


GABAergic and cholinergic interneurons in corticostriatal rat brain slices. J Physiol, 586.1,
265-282 (2008).
Vandecasteele, M., Glowinski, J., Deniau, J.M., Venance, L. Chemical transmission
between dopaminergic neuron pairs. Proc Natl Acad Sci USA, 105 n° 12, 4904-4909
(2008).
Degos, B., Deniau, J.M., Le Cam J., Mailly P., Maurice N. Evidence for a direct
subthalamo-cortical loop circuit in the rat. Eur J Neurosci, 27, 2599-2610 (2008).
Gras C., Amilhon B., Lepicard E., Poirel O., Vinatier J., Herbin M., Dumas S.,
Tzavara E., Wade M.R., Nomikos G., Hanoun N., Saurini F., Kemel M.L., Gasnier B.,
Giros B., El Mestikawy S. The vesicular glutamate transporter VGLUT3 synergizes
striatal acetylcholine tone. Nature Neuroscience, 1-9 (2008).

Gênes et pression artérielle


INSERM 772 / Collège de France

Responsable : Xavier Jeunemaitre

EQUIPE 1 – Responsable : Xavier Jeunemaitre

Thème 1 : Identification de gènes et de variants impliqués


dans la régulation du métabolisme hydrosodé, l’hypertension artérielle
et ses conséquences vasculaires
G. Beaurain, X. Jeunemaitre, H. Louis-dit-Picard, J. Perdu, P.F. Plouin,
R. Vargas-Poussou, X. Zhou.
L’objectif de notre projet est d’identifier de nouveaux gènes ou de nouveaux
variants qui influencent de façon significative le métabolisme hydrosodé,
l’hypertension artérielle (HTA) ou des pathologies vasculaires cause ou conséquence
de l’HTA.
En 2007-8, les résultats les plus significatifs concernent :
1. La mise en place d’un PHRC hospitalier visant à rechercher les conséquences
chez l’homme d’un polymorphisme fonctionnel de la protéine Nedd4-2, protéine
impliquée dans la régulation du canal sodium épithélial. Le protocole s’effectue au
CIC de l’HEGP et comprend une étude en régime riche ou pauvre en Na+/K+,
un test pharmacologique en aigu et en chronique (amiloride).
2. La poursuite de l’analyse de relations génotype-phénotype dans l’HTA
essentielle, avec en particulier l’analyse du cortisol libre urinaire (5) et des mutations
responsables de pathologies du tubule rénal affectant la réabsorption hydro-sodée
(32).
970 LES ÉQUIPES ACCUEILLIES AU COLLÈGE DE FRANCE

3. La poursuite de nos travaux sur la dysplasie fibromusculaire (DFM),


artériopathie systémique pour le moment d’origine inconnue, cause classique
d’HTA secondaire (37). Notre cohorte unique de plus de 350 cas de DFM a
permis de de confirmer une agrégation familiale compatible avec un effet gène
majeur (14) et de tester des gènes de la matrice extracellulaire. Une analyse
protéomique différentielle sur des tissus sains et pathologiques est en cours. Notre
équipe mène deux projets qui ont obtenus un financement du PHRC et de la
Fondation de Recherche en HTA en 2008. L’un porte sur la recherche de facteurs
prédictifs d’évolution de la sévérité (protocole PHRC Profile), l’autre vise à obtenir
une collection transversale supplémentaire de plus de 500 sujets atteints (Etude
Arcadia) avec l’objectif d’une étude d’association pangénomique.
4. La mise en place de réseaux européens sur l’HTA essentielle (Réseau
Hypergenes, PI Prof. D. Cusi, Milan, Italie), sur les maladies rares rénales (Réseau
Eunefron, PI Prof A Devuyst, Louvain Belgique) et sur les maladies artérielles
aortiques disséquantes (FAD, J.B. Michel) financés par le FP7 et auxquels notre
unité participe.

Thème 2 : Gènes et pathologies héréditaires associées à l’aldostérone.


S. Boulkroun, M. Caprio, E. Hubert, F.L. Fernandes Rosa, B. Samson-Couterie,
S. Tareen, M.C. Zennaro
L’aldostérone et le récepteur minéralocorticoïde (MR) jouent un rôle fondamental
dans la régulation de la volémie et de la pression artérielle, dont les altérations
aboutissent au pseudohypoaldostéronisme de type 1 (PHA1) et à l’hypertension
artérielle (HTA). L’objectif de mon programme de recherche est d’explorer les
mécanismes génétiques sous-jacents aux pathologies liées à l’aldostérone.
La coordination d’un réseau clinique et de recherche sur le PHA1, PHA1NET
(GIS–maladies rares), qui est partie intégrante du réseau MARHEA (AP-HP), a
permis la mise en place du seul diagnostic génétique de routine du PHA1 en
France (service de génétique, HEGP). Ce diagnostic comprend l’analyse des gènes
NR3C2, SCNN1A, SCNN1B et SCNN1G ainsi que la détection de larges
délétions de NR3C2 (15, 21). L’étude fonctionnelle des mutations du MR
identifiées est également réalisée et nous développons actuellement de nouveaux
outils d’analyse ex vivo. Une étude visant à explorer le système cardiovasculaire chez
des patients adultes porteurs de mutations du MR est actuellement en cours
(PHRC 2007, coordinateur : Dr. B. Escoubet, CHU Bichat, Paris).
L’analyse génétique de différentes cohortes de patients nous a permis de montrer
que des SNP fonctionnels du gène NR3C2 codant pour le MR étaient impliqués
à la fois dans la réabsorption sodée ou la réponse au stress et un état de dépression
chez le sujet âgé.
Enfin, nous avons mis en évidence le rôle clé du MR dans la différenciation
adipocytaire, notamment dans les effets des hormones glucocorticoïdes. Ces
LES ÉQUIPES ACCUEILLIES AU COLLÈGE DE FRANCE 971

résultats ouvrent des perspectives originales pour des approches thérapeutiques de


l’obésité et du syndrome métabolique et sur l’interaction entre régulation de la
balance sodée et différenciation adipocytaire (4).

Thème 3 : Paragangliomes et Phéochromocytomes


N. Burnichon, J. Favier, A.P. Gimenez-Roqueplo, B. d’Hayer, P.F. Plouin,
J. Rivière.
L’objectif de notre groupe de recherche est d’élucider les mécanismes moléculaires
en cause dans la tumorigenèse des paragangliomes (PGL) et des phéochromocytomes
(PH) SDH dépendants qui impliquent notamment le métabolisme mitochondrial et
les voies de réponse à l’hypoxie (25). En 2007-2008, nous avons poursuivi le
développement de modèles expérimentaux, cellulaires et animaux, de la maladie.
Nous disposons d’une lignée de cellules ES où le gène SDHB est inactivé, ainsi que
des lignées de souris KO dans lesquelles le gène SDHB est inactivé soit dans les
cellules germinales (KO ubiquitaire), soit de façon conditionnelle (KO tissu-
spécifique) uniquement dans les cellules dérivées des crêtes neurales. Nous avons
développé les outils nécessaires à la caractérisation de ces modèles qui est en cours.
Sur le plan clinique, nous avons participé à deux études internationales. La première a
révélé que des tumeurs gastro-intestinales sarcomateuses (GIST) pouvaient aussi être
induites par des mutations SDHs (11, 29). La seconde a montré que des mutations
du gène SDHD pouvaient aussi être associées à un phénotype malin (31). Enfin, les
résultats de l’analyse du transcriptome par microarray et de la caractérisation des
pertes d’hétérozygotie par CGH-array de la collection PH/PGL du réseau COMETE
qui ont été réalisés sur les plate-formes de la Ligue Nationale contre le Cancer
(programme CIT-3) sont en cours d’analyse statistique.

EQUIPE 2 Responsable Frédéric Jaisser

Thème 1 : Rôle du récepteur minéralocorticoïde en physiologie


cardiovasculaire
V. Charhbili, N. Farman, F. Jaisser, C. Latouche, A. N’Guyen Dinh Cat,
N. Panek-Huet, C. Soukaseum, A. Zhang.

Notre objectif est de définir le rôle de l’aldostérone (aldo) et des glucocorticoïdes


(gluco) ainsi que de leurs récepteurs, les récepteurs minéralocorticoïdes et
glucocorticoïdes (RM et RG) dans les systèmes cardiovasculaire, rénal ou autre, en
conditions physiologiques et pathologiques.
En 2007-2008, nous avons abordé plusieurs points :
— la surexpression conditionnelle du RG dans le cœur nous a permis d’établir : i)
le rôle de l’activation du GR dans le cœur (induction de troubles de conduction
majeurs, remodelage ionique), 2) l’implication spécifique du RM et dans diverses
fonctions cardiomyocytaires (contraction, rythme, remodelage ionique) par
972 LES ÉQUIPES ACCUEILLIES AU COLLÈGE DE FRANCE

comparaison avec le modèle de surexpression du GR (17) ; ii) l’importance des


interactions locales entre aldo et angiotensine II (travail soumis) ; iii) la signalisation
spécifique RM/RG dans le cœur avec l’identification de gènes spécifiquement modulés
par le RM dans le cœur, certains d’entre eux étant proposés comme biomarqueurs de
l’activation du RM (dépôt de brevet et étude cliniques de validation en cours) ;
— le rôle physiopathologique du couple aldo/RM dans différents organes cibles
dit non-classiques comme les vaisseaux (endothélium et cellules musculaires lisses).
Les résultats ont montré un effet de l’aldo sur la pression artérielle indépendamment
de l’effet rénal classique sur le contrôle de la balance hydrosodée. La modulation
de la réactivité vasculaire, in vivo et ex vivo aux agents vasoconstricteurs que nous
avons observée pourrait expliquer ces observations ;
— le rôle nouveau de l’activation du MR dans les kératinocytes et le follicules
pileux, démontrant un rôle jusqu’alors insoupçonné dans la physiologie cutanée
(16).

Thème 2 : Rôle de WNK1 en physiopathologie cardiovasculaire et rénale


Sonia Bergaya, Emilie Elvira, Juliette Hadchouel.

L’Hypertension Hyperkaliémique Familiale (HHF) est une forme rare


d’hypertension artérielle, autosomique dominante, associant hyperkaliémie, acidose
métabolique hyperchlorémique et fonction rénale normale (Hadchouel J., J Am Soc
Nephol 2006). Notre laboratoire a contribué à l’identification de deux premiers
gènes responsables de la maladie : WNK1 et WNK4. Plusieurs études in vitro
récentes ont montré que ces gènes peuvent réguler l’activité de plusieurs
transporteurs et canaux du néphron distal.

Nous avons montré que le gène WNK1 est à l’origine de plusieurs isoformes
(Delaloy C., Mol Cell Biol. 2003). L’isoforme KS-WNK1, dépourvue d’activité
kinase, est exprimée spécifiquement dans le tubule contourné distal (DCT) et le
tubule connecteur. Les isoformes L-WNK1 possèdent une activité kinase et sont
exprimées de façon ubiquitaire, en particulier dans le système cardiovasculaire
(Delaloy C, Am J Pathol. 2006). Les mutations identifiées chez les patients HHF au
locus WNK1 sont de grandes délétions de l’intron 1 (41 et 22 kb sur un intron qui
en fait 60) (Delaloy C., Hypertension 2005). Grâce à un modèle transgénique, nous
avons montré que L-WNK1 et KS-WNK1 sont surexprimés dans le néphron distal
et que KS-WNK1 est exprimé de façon ectopique dans l’ensemble des tissus (Delaloy
C., Hypertension 2008, accepté). Nous avons commencé à étudier le rôle de L-WNK1
dans le système cardiovasculaire. Nos résultats préliminaires indiquent que L-WNK1
jouent un rôle clé dans le développement cardiovasculaire et la régulation du tonus
vasculaire. Nous avons également étudié le rôle de KS-WNK1 dans le rein et nos
résultats préliminaires indiquent que, comme WNK4, cette isoforme joue un rôle
important dans la régulation du transport sodé au niveau du DCT.
LES ÉQUIPES ACCUEILLIES AU COLLÈGE DE FRANCE 973

Publications 2007

1. Amar L., Baudin E., Burnichon N., Peyrard S., Silvera S., Bertherat J.,
Bertagna X., Schlumberger M., Jeunemaitre X., Gimenez-Roqueplo A.P.*, Plouin
P.F.*. J Clin Endocrinol Metab. 2007 ; 92 : 3822-8.
2. Blanchard A., Azizi M., Peyrard S., Stern N., Alhenc-Gelas F., Houillier P.,
Jeunemaitre X.. Clin J Am Soc Nephrol. 2007 ; 2(2) : 320-5.
3. Briet M., Collin C., Laurent S., Tan A., Azizi M., Agharazii M., Jeunemaitre
X., Alhenc-Gelas F., Boutouyrie P. Hypertension. 2007 ; 50(5) : 970-6.
4. Caprio M., Feve B., Claes A., Viengchareun S., Lombes M., Zennaro M.C. Faseb
J 2007 ; 21(9) : 2185-94.
5. Chamarthi B., Kolatkar N.S., Hunt S.C., Williams J.S., Seely E.W., Brown N.
J., Murphey L.J., Jeunemaitre X., Williams G.H. J Clin Endocrinol Metab. 2007 ; 92(4) :
1340-6
6. Cazabat L., Libè R., Perlemoine K., René-Corail F., Burnichon N., Gimenez-
Roqueplo A.P., Dupasquier-Fediaevsky L., Bertagna X., Clauser E., Chanson P.,
Bertherat J., Raffin-Sanson M.L. Eur J Endocrinol. 2007 ; 157(1) : 1-8.
7. Daly A.F., Vanbellinghen J.F., Khoo S.K., Jaffrain-Rea M.L., Naves L.A.,
Guitelman M.A., Murat A., Emy P., Gimenez-Roqueplo A.P., Tamburrano G., Raverot
G., Barlier A., De Herder W., Penfornis A., Ciccarelli E., Estour B., Lecomte P.,
Gatta B., Chabre O., Sabate M.I., Bertagna X., Garcia Basavilbaso N., Stalldecker G.,
Colao A., Ferolla P., Wemeau J.L., Caron P., Sadoul J.L., Oneto A., Archambeaud F.,
Calender A., Sinilnikova O., Montanana C.F., Cavagnini F., Hana V., Solano A.,
Delettieres D., Luccio-Camelo D.C., Basso A., Rohmer V., Brue T., Bours V., Teh B.
T., Beckers A. Aryl J Clin Endocrinol Metab. 2007 ; 92 : 1891-6.
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Rouquet P., Leroy E., Jeunemaitre X., Ardaillou R., Paillard F., Meneton P.,
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Barrou B. Am J Kidney Dis. 2007 ; 49(6) : 862-4.
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13. Pacak K., Eisenhofer G., Ahlman H., Bornstein S.R., Gimenez-Roqueplo A.P.,
Grossman A.B., Kimura N., Mannelli M., McNicol A.M., Tischler A.S. Nat Clin
Pract Endocrinol Metab. 2007 ; 3 : 92-102.
14. Perdu J., Boutouyrie P., Bourgain C., Stern N., Laloux B., Bozec E., Azizi
M., Bonaiti-Pellié C., Plouin P.F., Laurent S., Gimenez-Roqueplo A.P., Jeunemaitre
X. J Hum Hypertens. 2007 ; 21(5) : 393-400.
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Zennaro M.C. Hum Mutat. 2007 ; 28(1) : 33-40.
16. Sainte Marie Y., Toulon A., Paus R., Maubec E., Cherfa A., Grossin M.,
Descamps V., Clemessy M., Gasc J.M., Peuchmaur M., Glick A., Farman N., Jaisser F.
974 LES ÉQUIPES ACCUEILLIES AU COLLÈGE DE FRANCE

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Peuchmaur M., Tronche F., Farman N., Escoubet B., Benitah J.P., Jaisser F. FASEB J.
2007 ; 21 (12) : 3133-3141;
18. Thouënnon E., Elkahloun A.G., Guillemot J., Gimenez-Roqueplo A.P.,
Bertherat J., Pierre A., Ghzili H., Grumolato L., Muresan M., Klein M., Lefebvre H.,
Ouafik L., Vaudry H., Plouin P.F., Yon L., Anouar Y. J Clin Endocrinol Metab. 2007 ;
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Morlat C., Nicolino M., Zennaro M.C., Cochat P. Nephrol Dial Transplant. 2008 ;
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22. Caprio M., Zennaro M.C., Fève B., Mammi C., Fabbri A., Rosano G. 2008 ;
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Escoubet B., Marniquet X., Richard S., Jaisser F., Gómez A.M., Charpentier F.,
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Plouin P.F. Clin Exp Pharmacol Physiol. 2008 ; 35(4) : 376-9.
26. Imauchi Y., Jeunemaître X., Boussion M., Ferrary E., Sterkers O., Grayeli
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28. Loyer X., Gómez A.M., Milliez P., Fernandez-Velasco M., Vangheluwe P.,
Vinet L., Charue D., Vaudin E., Zhang W., Sainte-Marie Y., Robidel E., Marty I.,
Mayer B., Jaisser F., Mercadier J.J., Richard S., Shah A.M., Bénitah J.P., Samuel J.L.,
Heymes C. Circulation. 2008 ; 117(25) : 3187-98.
29. Pasini B., McWhinney S.R., Bei T., Matyakhina L., Stergiopoulos S.,
Muchow M., Boikos S.A., Ferrando B., Pacak K., Assie G., Baudin E., Chompret A.,
Ellison J.W., Briere J.J., Rustin P., Gimenez-Roqueplo A.P.*, Eng C.*, Carney J.A.*,
Stratakis C.A*. Eur J Hum Genet. 2008 ; 16 : 79-88.
30. Pons S., Griol-Charhbili V., Heymes C., Fornes P., Heudes D., Hagege A.,
Loyer X., Meneton P., Giudicelli J.F., Samuel J.L., Alhenc-Gelas F., Richer C. Eur J
Heart Fail. 2008 ; 10(4) : 343-51.
31. Timmers H.J., Pacak K., Bertherat J., Lenders J.W., Duet M., Eisenhofer G.,
Stratakis C.A., Niccoli-Sire P., Huy P.T., Burnichon N., Gimenez-Roqueplo A.P.
Clin Endocrinol (oxf ). 2008 ; 68(4) : 561-6.
32. Vargas-Poussou R., Cochat P., Le Pottier N., Roncelin I., Liutkus A.,
Blanchard A., Jeunemaître X. Pediatr Nephrol. 2008 Jan ; 23(1) : 149-53.
LES ÉQUIPES ACCUEILLIES AU COLLÈGE DE FRANCE 975

Revues et Ouvrages
33. Gimenez-Roqueplo A.P., Froissart M., Halimi P. Hernigou 2007 Paragangliomes.
Dans Traité d’Endocrinologie, p. 387-91, Médecine-Sciences Flammarion éditeur.
34. Gimenez-Roqueplo A.P., Amar L., Jeunemaitre X., Plouin P.F. 2007
Phéochromocytome : données récentes. Dans Cardiologie et maladies vasculaires, p. 417-9,
édité sous l’égide de la Société Française de Cardiologie.
35. Nguyen D.C., Sainte-Marie Y., Jaisser F.. Animal models in cardiovascular
diseases : new insights from conditional models. Handb Exp Pharmacol. 2007 ; (178) : 377-
405.
36. Plouin P.F., Perdu J., La Batide-Alanore A., Boutouyrie P., Gimenez-Roqueplo
A.P., Jeunemaitre X. Fibromuscular dysplasia. Orphanet J Rare Dis. 2007 Jun 7 ; 2 : 28.
37. Messadi-Laribi E., Griol-Charhbili V., Gaies E., Vincent M.P., Heudes D.,
Meneton P., Alhenc-Gelas F., Richer C. Cardioprotection and kallikrein-kinin system
in acute myocardial ischaemia in mice. Clin Exp Pharmacol Physiol. 2008 35(4) :
489-93. Re.
MAÎTRES DE CONFÉRENCES
ET ATTACHÉS TEMPORAIRES D’ENSEIGNEMENT
ET DE RECHERCHE (ATER)
RATTACHÉS AU COLLÈGE DE FRANCE EN 2007-2008

Jean-Baptiste Amadieu, ATER, chaire de Littératures modernes de l’Europe néolatine.


Aude Bandini, ATER, chaire de Philosophie du langage et de la connaissance.
Mélanie Baroni, ATER, chaire d’Évolution du climat et de l’océan.
Fabrice Bessiere, ATER, chaire de Religion, institutions et société de la Rome antique.
Philipp Böning, ATER, chaire d’Évolution du climat et de l’océan.
Estelle Bourdon, ATER, chaire de Biologie historique et évolutionnisme.
Jacques Boutet de Monvel, maître de conférences associé, chaire de Génétique et
physiologie cellulaire.
Sophie Calderari, ATER, chaire de Médecine expérimentale.
Florent Carn, ATER, chaire de Chimie de la matière condensée.
Thierry Chatelain, ATER, chaire d’Épigraphie et histoire des cites grecques.
Claude Chevaleyre, ATER, chaire d’Histoire de la Chine moderne.
Cédric Claperon, ATER, équipe de Neuropeptides centraux et régulations hydrique et
cardiovasculaire.
Igor Dotsenko, maître de conférences associé, chaire de Physique quantique.
Jean-Claude Dupont, ATER, chaire de Philosophie des sciences biologiques et
médicales.
Raphaël Etournay, ATER, chaire Génétique et physiologie cellulaire.
Judith Favier, ATER, équipe de Gènes et pression artérielle, institut de biologie.
Elodie Fino, ATER, laboratoire de Dynamique et physio-pathologie des réseaux
neuronaux.
Luc Foubert, ATER, laboratoire de Physiologie de la perception et de l’action
978 MAÎTRES DE CONFÉRENCES ET ATER

Isabelle Fouchard, ATER, chaire d’Études juridiques comparatives et


internationalisation du droit.
Claire Grenet, ATER, chaire d’Épigraphie et histoire des cites grecques.
Wouter Henkelman, maître de conférences associé, chaire d’Histoire et civilisation
du monde achéménide et de l’empire d’Alexandre.
Halim Hicheur, ATER, laboratoire de Physiologie de la perception et de l’action.
Karim Hnia, ATER, chaire de Génétique humaine.
Hana Jaber, ATER, chaire d’Histoire moderne et contemporaine du politique.
Tobias Jäger, maître de conférences associé, chaire d’Équations différentielles et
systèmes dynamiques.
Marc Kirsch, maître de conférences associé, chaire de Philosophie et histoire des
concepts scientifiques.
Hélène Landemore, ATER, chaire de Rationalité et sciences sociales.
Jing-Yi Lin, ATER, chaire de Géodynamique.
Alessandro Mancuso, maître de conférences associé, chaire d’Anthropologie de la
nature.
Dimitri Mavridis, ATER, chaire de Théorie économique et organisation sociale.
Édouard Metenier, ATER, chaire d’Histoire contemporaine du monde arabe.
Sébastien Parnaudeau, ATER, institut de biologie.
Alexandre Pouget, maître de conférences associé, équipe de Neurosciences
théoriques.
Sarah Rey, ATER, chaire d’Antiquités nationales.
Yves Ruff, ATER, chaire de Chimie des interactions moléculaires.
Jean-Jacques Rosat, maître de conférences associé, chaire de Philosophie du langage
et de la connaissance.
Isabelle Sachet, ATER, laboratoire des Études sémitiques anciennes.
Lucia Saudelli, ATER, chaire d’Histoire des syncrétismes de la fin de l’Antiquité.
Marie Wattenhofer-Donze, ATER, chaire de Génétique humaine.
Xavier Wertz, ATER, chaire d’Immunologie moléculaire.
Cédric Yvinec, ATER, chaire d’Anthropologie de la nature.
PERSONNEL
DU COLLÈGE DE FRANCE

Professeurs titulaires

Artavanis-Tsakonas Spyros.
Bard Édouard, [a].
Berthoz Alain, [a, O. l], membre de l’Académie des Sciences.
Bouveresse Jacques.
Briant Pierre, ["].
Brunet Michel, [a, O. l, O. "].
Chartier Roger.
Cheng Anne, [a].
Compagnon Antoine, [a, O. "].
Connes Alain, membre de l’Académie des Sciences.
Corvol Pierre, [C. a, C. l], membre de l’Académie des Sciences.
Dehaene Stanislas, [l], membre de l’Académie des Sciences.
Delmas-Marty Mireille, [C. a, C. l], membre de l’Académie des Sciences
morales et politiques.
Descola Philippe, [a, O. l, "].
Devoret Michel.
Durand Jean-Marie, [a, O. "].
Edwards Michael.
Elster Jon.
Fagot-Largeault Anne, [O. a, O. l], membre de l’Académie des Sciences.
Fussman Gérard.
Goudineau Christian, [O. a].
Grimal Nicolas, [a, l, "], membre de l’Académie des Inscriptions
et Belles-Lettres.
Guesnerie Roger, [a, l].
Haroche Serge, [O. a], membre de l’Académie des Sciences.
980 PERSONNEL DU COLLÈGE DE FRANCE

Kellens Jean.
Knoepfler Denis.
Kourilsky Philippe, [O. a, C. l], membre de l’Académie des Sciences.
Labeyrie Antoine, [l].
Laurens Henry.
Lehn Jean-Marie, [C. a, l, "], membre de l’Académie des Sciences.
Le Pichon Xavier, [O. a, C. l], membre de l’Académie des Sciences.
Lions Pierre-Louis, [O. a]membre de l’Académie des Sciences.
Livage Jacques, [a], membre de l’Académie des Sciences.
Mandel Jean-Louis, [a].
Ossola Carlo.
Petit Christine, [a, O. l], membre de l’Académie des Sciences.
Prochiantz Alain.
Recht Roland, [O. l], membre de l’Académie des Inscriptions et Belles-Lettres.
Ricqlès Armand de, [a].
Römer Thomas.
Rosanvallon Pierre.
Scheid John.
Tardieu Michel, [a].
Veinstein Gilles, ["].
Veneziano Gabriele.
Will Pierre-Étienne.
Yoccoz Jean-Christophe, [a, O. l], membre de l’Académie des Sciences.
Zagier Don.
Zink Michel, [a, O. "].

Professeurs associés
(Chaires européenne, internationale, de création artistique et
d’innovation technologique — Liliane Bettencourt)

Berry Gérard, [O. l].


Kropp Manfred.
Magistretti Pierre.
Mnouchkine Ariane.

Administrateurs honoraires

Dagron Gilbert, [O. a, C. "], membre de l’Académie des Inscriptions et


Belles-Lettres.
PERSONNEL DU COLLÈGE DE FRANCE 981

Glowinski Jacques, [C. a, C. l], membre de l’Académie des Sciences.


Laporte Yves, [C. a, k 39-45, S, G.O. l, C. "], membre de l’Académie des
Sciences.
Miquel André, [C. a, O. l, C. A, C. "].

Professeurs honoraires

Abragam Anatole, [C. a, G.C. l, C. "], membre de l’Académie des Sciences.


Agulhon Maurice, [O. a, O. A, O. "].
Baulieu Étienne-Émile, [G.O. a, l], membre de l’Académie des Sciences et de
l’Académie de Médecine.
Blin Georges, [O. a, O. "].
Bonnefoy Yves, [C. A].
Boulez Pierre.
Chambon Pierre, [C. a, C. l], membre de l’Académie des Sciences.
Changeux Jean-Pierre, [G.O. a, G.C. l, C. A, C. "], membre de l’Académie
des Sciences.
Cohen-Tannoudji Claude, [C. a, C. l], membre de l’Académie des Sciences.
Coppens Yves, [C. a, C. l, O. A, C. "], membre de l’Académie des
Sciences.
Coquin François-Xavier.
Dausset Jean, [G.C. a, G.C. l, C. "], membre de l’Académie des Sciences.
Delumeau Jean, [C. a, C. l, C. A, C. "], membre de l’Académie des
Inscriptions et Belles-Lettres.
Froissart Marcel.
Fumaroli Marc, [O. a, C. l, C. A, O. "], membre de l’Académie française
et de l’Académie des Inscriptions et Belles-Lettres.
Gernet Jacques, [a, C. "], membre de l’Académie des Inscriptions et Belles-
Lettres.
Glowinski Jacques, [C. a, C. l], membre de l’Académie des Sciences.
Granger Gilles Gaston.
Gros François, [C. a, C. l], membre de l’Académie des Sciences.
Guilaine Jean, [a, l, A].
Hacking Ian.
Hadot Pierre.
Hagège Claude, [O. a, A, O. "].
Héritier Françoise, [C. a, G.O. l, C. A, ", J].
Jacob François, [G.C. a, L, k 39-45, G.O. l], membre de l’Académie
française et de l’Académie des Sciences.
Joliot Pierre, [C. a, C. l], membre de l’Académie des Sciences.
982 PERSONNEL DU COLLÈGE DE FRANCE

Le Douarin Nicole, [G.O. a, G.C. l, O. "], membre de l’Académie des


Sciences.
Leclant Jean, [G.O. a, G.O. l, C. A, C. "], secrétaire perpétuel de l’Académie
des Inscriptions et Belles-Lettres.
Le Rider Georges [O. a, O. l, C. "], membre de l’Académie des Inscriptions
et Belles-Lettres.
Le Roy Ladurie Emmanuel, [C. a, C. A], membre de l’Académie des Sciences
morales et politiques.
Lévi-Strauss Claude, [G.C. a, C. l, C. A, C. "], membre de l’Académie
française.
Malinvaud Edmond, [C. a, G.C. l, C. "].
Nozières Philippe, [O. a, C. l], membre de l’Académie des Sciences.
Pecker Jean-Claude, [C. a, G.C. l, C. "], membre de l’Académie des
Sciences.
Prentki Jacques.
Roche Daniel, [l, C. A, "].
Romilly Jacqueline de, [G.O. a, G.C. l, C. A, C. "], membre de l’Académie
française et de l’Académie des Inscriptions et Belles-Lettres.
Serre Jean-Pierre, [G.O. a, G.C. l], membre de l’Académie des Sciences.
Teixidor Javier.
Thuillier Jacques, [O. a, G.O. l, C. A].
Tits Jacques, [a, O. l, C. "], membre de l’Académie des Sciences.
Toubert Pierre, [O. a, O. l, A, C. "], membre de l’Académie des Inscriptions
et Belles-Lettres.
Veyne Paul, [a, O. l, O. A].
Wachtel Nathan, [a, "].
Weinrich Harald, [C. "].
Yoyotte Jean, [a, l, A, "].

Personnels scientifiques

A - Sous-directeurs de laboratoire

Gasc Jean-Marie.
Magnan Christian, [l].
Magre Solange.
Studler Jeanne-Marie.
Teboul-Imbert Martine.
PERSONNEL DU COLLÈGE DE FRANCE 983

Sous-directeurs de laboratoire honoraires

Amiel Charles.
Butlen Daniel.
Devillers-Thiéry Anne.
Dubois Régis, ["].
Frontisi Françoise.
Goldman Maurice, ["].
Haguenau Françoise, [a, l].
Hervet Hubert.
Jouffroy Jacqueline.
Le Gal Yves, [l, m, "].
Moch Raymond, [O. a, k 39-45, S, C. "].
Ober Raymond.
Rivet Pierre.
Sentis Philippe, [O. l].
Tits Marie-Jeanne, ["].

B - Maîtres de conférences
Ang Isabelle, chaire d’Histoire de la Chine moderne.
Bombarde Odile, chaire de Littératures de la France médiévale.
Bouy Christian, chaire d’Histoire de la Chine moderne.
Delahaye Hubert, chaire d’Histoire de la Chine moderne.
Dolbeau Jean, chaire de Physique corpusculaire.
Fabre Catherine, chaire de Littératures de la France médiévale.
Jacquet-Pfau Marie-Christine, chaire de Littératures modernes de l’Europe néo-
latine.
Koulakoff Annette, chaire de Neuropharmacologie.
Krikorian Ralph, chaire d’Astrophysique observationnelle.
Lamandé Noël, chaire de Médecine expérimentale.
Lewinski Liliana, chaire d’Histoire et anthropologie des sociétés méso- et
sud-américaines.
Maisant Corinne, chaire d’Histoire de l’art européen médiéval et moderne.
Milleret Chantal, chaire de Physiologie de l’action et de la perception.
Monsoro Anne-Hélène, chaire de Biologie et génétique du développement.
Pernot Jean-François, chaire d’Histoire de la France des Lumières.
Pickford Martin, chaire de Paléoanthropologie et préhistoire.
Picq Pascal, chaire de Paléoanthropologie et préhistoire.
Solinas Francesco, chaire d’Histoire de l’art européen médiéval et moderne.
Spicq Delphine, chaire d’Histoire de la chaire moderne.
Szelagowski Isabelle, chaire d’Histoire du monde indien.
Vialles Noëlie, chaire d’Anthropologie de la nature.
984 PERSONNEL DU COLLÈGE DE FRANCE

Personnels de Direction de l’Établissement


Rigoni Jean-François, Terrasse-Riou Florence.

Personnels de Recherche et de Formation

Ingénieurs et personnels techniques


Ingénieurs de recherche :
Lecoq Anne-Marie, L’Hôte Gilles.

Ingénieurs d’étude :
Armstrong Angela, Beaupoil Claude, Castelnau Christine, Cazal Nathalie,
Delangle Marie-Christine, Farres Josette, Geller Philippe, Grougnet Félicie,
Guilbard Jean-Jacques, Hus Annette, Jandeau Gilles, Jestin Marie-Françoise,
Laurens Patrick, Le Gall Jean-Yves, Leung Wing Fong, Morel Agathe, Méric
Robert, Mouret Sandrine, Ollivier Éric, Perdu Olivier, Poulin Françoise,
Quenech’du Nicole, Rayati-Moghaddam Fatemeh, Sauvageot Agathe,
Segers Françoise, Spagnoli Monique, Thomas Marie-Annick, de Vasconcelos
Cruz Eduardo.

Assistants-ingénieurs :
Benitta Sophie, Donnier Christophe, Dupraz Yves, Imbert Patrick, Lallias
Stéphane, Lemarie Marylène, Llegou Patricia, Le Poupon Chantal, Queguiner
Isabelle, Quenehen Danièle.

Techniciens :
Amigou Edwige, Bidois Dominique, Brunier Patricia, Crepin Françoise, David
Françoise, Debonne Gilles, Dejonghe Julien, Delizy Aline, Espérandieu
Daniel, Étienne Éric, Fang Ling, Fassi Jean-Louis, Gérard Patrice, Gibert
Marie-Christine, Jeanne Bruno, Koch Catherine, Larabi Salima, Le Bras
Christian, Le Tenaff Bérangère, Malvaud Françoise, Mangin d’Hermantin
Jean, Marques-Joaquim Gordana, Pérez Sylvie, Piequet Fatine, Sainz
Véronique, Soupault Jacqueline, Sportouch Sylvie, Susini Marion, Tembely
Fanta-Taga, Vernet David.

Adjoints techniques :
Ah-Pet Marie-Claudine, André Françoise, Aouabed Samir, Azzedine Khadija,
Babouram Marie-Ange, Ben Zaiet Yessia, Blondel Valérie, Bodelle Andrée,
Borne Roger, Boudjelal Ahmed, Boulanger Nathalie, Bourge Murielle,
Bosser Sophie, Brossaud Joëlle, Cabraja Alexandra, Cazères Joséphine,
Chaslerie Marie-Françoise, Cheng Shao Pierre, Cougnot Patricia, Deffoun
PERSONNEL DU COLLÈGE DE FRANCE 985

Alain, Dei Daniel, Douglas Francis, Doutremer Suzette, Duriez Lucienne,


Éloire Gérard, Ézan Pascal, Fedel Philippe, Gaspaldy Patrick, Gérin René,
Ghanès Mustapha, Gillot Jean, Guingnier Lydie, Haddad Samia, Ibrahim
Hassani, Julien Christian, Khaldi Abdella Ali, Kiourtzian Georges, Korn-
Gentilini Soy, Kotowicz Ginette, Labirin Joselita, Lamrous Hayat, Le Coupé
Grainville Chantal, Lehoux Béatrice, Le Méhauté Marie-Jeanne, Le Mercier
Patricia, Lesage Matthieu, Maillard Karine, Maloumian France, Mangin
Jean, Marie Aroquiaradjo Sandanam, Mary Claudine, Mathen Muriel,
Maury Évelyne, Maussion Sophie, Mégoeuil Bernard, Mégoeuil Martine,
Montlouis Miguel, Morvany Marie-Line, Moudjeniba Madani, Munoz
Christophe, Néchal Serge, Noton Jean-Jacques, Pagesse Bruno, Palin Aurélie,
Panek-Huet Nathalie, Petges Romain, Phoudiah Florian, Picco Nadia,
Raborio Jean-François, Rigole Gilbert, Rigole Brigitte, Robez Chia-Chian,
Robouant Corinne, Séry Jean-Marc, Sittie Célestine, Smith Denise, Smith
Étienne, Smith Ombline, Sousa Iderlinda, Tondeleir Sébastien, Thos Eugène,
Toderasc Carmen, Urbe Jean-Pierre, Urbe Robert, Valderrama Francisco,
Vasseur Philippe, Zoundi Brigitte.

Personnels de l’Administration Scolaire et Universitaire

A - Personnels administratifs

Attachée principale d’administration :

Campinchi Catherine ("), Roche Isabelle.

Attachés d’administration :

Beaucourt Nadine, Feret Lorea.

Secrétaires d’administration :

Bernard Martine, Delmer Évelyne, Gudin Véronique, Labruna Laurence, Lam


Suong, Lataguerra Sylvie, Torregrossa Martine, Van Zandt Éric.

Adjoints administratifs :

Aurousseau Émilie, Belhamri Jedjiga, Colin Pascal, Etchetto Sandrine,


Laborie Maryse, Lebot Dominique, Maïga Halimatan, Michel Jocelyne,
Pautrat Valérie, Quillin Inès, Salagnac Françoise, Sfez Annie, Soltani
Stéphane, Tramcourt Fabienne.
986 PERSONNEL DU COLLÈGE DE FRANCE

B - Personnel de santé

Infirmière :
Dumas Marie.

Personnels des Bibliothèques

Conservateurs :
Bodéré Nicole, Cazabon Marie-Renée, Piganiol Catherine.

Bibliothécaires :
Alemany Carmen, Blanchet Marie-Hélène, Koczorowski Marie-Catherine.

Bibliothécaires adjoints spécialisés :


Ferreux Jenny, Marquet Françoise, Rabaud Julien.

Magasinier spécialisé :
Adjedj Daniel.
INSTANCES STATUTAIRES
ET
ADMINISTRATIVES
DU COLLÈGE DE FRANCE 1

(11, place Marcelin-Berthelot, 75231 Paris Cedex 05)


Téléphone : 01.44.27.12.11.
Internet : www.college-de-france.fr

ASSEMBLÉE DES PROFESSEURS


Tous les Professeurs titulaires.

BUREAU DE L’ASSEMBLÉE
Pierre Corvol, administrateur, président.
Michel Zink, vice-président.
Jean-Christophe Yoccoz, secrétaire.

CONSEIL D’ÉTABLISSEMENT
Président :
Pierre Corvol, administrateur.

Membres élus :
Pierre Briant, professeur.
Nicolas Grimal, professeur.
Serge Haroche, professeur.
Jean Kellens, professeur.
Jacques Livage, professeur.

1. Au 1er septembre 2008


988 INSTANCES STATUTAIRES ET ADMINISTRATIVES

Christine Petit, professeur.


John Scheid, professeur.
Jean-Christophe Yoccoz, professeur.
Michel Zink, professeur.
Jeanne-Marie Studler, sous-directeur.
Marie-Christine Jacquet Pfau, maître de conférences.
Catherine Fabre, maître de conférences.
Arnaud Serandour, maître de conférences.
Iwona Gadja, chargée de recherches.
Juliette Hadchouel, chargée de recherches.
Judith Favier, ATER.
Jean-Jacques Guilbard, ingénieur d’études.
Danièle Quénéhen, technicienne.
Marie-Annick Thomas, ingénieur d’études.
Pierre Le Coupé Grainville, ingénieur d’études.
Mohamed Zaoui, ingénieur d’études.
Constantin Zuckerman, directeur d’études.

Personnalités extérieures :
1. Représentants d’organismes scientifiques :
Gilles Sentise, délégué régional CNRS Paris Michel-Ange.
Hervé Douchin, secrétaire général de l’INSERM.
Maurice Gross, directeur des partenariats, CNRS Paris Michel-Ange.
2. Représentant des activités économiques :
Pierre Gasc, Président du directoire et directeur général de Finter Bank France.

BUREAU DU CONSEIL D’ÉTABLISSEMENT


Pierre Corvol.
Michel Zink.
Catherine Fabre.
Danièle Quénéhen.
Jeanne-Marie Studler.
Mohamed Zaoui

ADMINISTRATEUR
Pierre Corvol, [C. a, O. l], (Professeur), poste 16.75 1.

Assistante de Direction :
Nicole Braure, poste 16.75. Télécopie : 01.44.27.16.91.

1. Indicatif du poste téléphonique.


INSTANCES STATUTAIRES ET ADMINISTRATIVES 989

AFFAIRES CULTURELLES ET RELATIONS EXTÉRIEURES


Directrice : Florence Terrasse-Riou, poste 11.01.
Télécopie : 01.44.27.11.09.
Secrétariat : Évelyne Delmer, poste 11.07.
Télécopie : 01.44.27.11.09.
Courrier institutionnel : Christine Castelnau, poste 11.06.
Télécopie : 01.44.27.11.09.
Communication institutionnelle : Martine Torregrossa, poste 12.47.
Relations avec la presse
et Communication : Marie Chéron, poste 11.78.
Cécile Barnier, poste 11.68.
Télécopie : 01.44.27.12.95.
Enseignements
et organisation des colloques : Sophie Benitta, poste 11.45.
Télécopie : 01.44.27.11.44.
Coordination des chaires
annuelles : Sophie Grandsire-Rodriguez, poste 11.60.
Diffusion et gestion de fichiers : Claudine Mary, poste 11.43.
Secteur édition : Jean-Jacques Rosat, poste 14.12.
Publications : Céline Vautrin, poste 13.45.
Télécopie : 01.44.27.11.44.
Station d’Édition : Patricia Llegou, poste 11.42.
Télécopie : 01.44.27.11.44.
Site Internet : Marion Susini, poste 14.53.
David Adjemian, poste 10.18.
Télécopie : 01.44.27.11.44.

AFFAIRES ADMINISTRATIVES ET FINANCIÈRES


Directeur : Jean-François Rigoni, [l, "], poste 11.02.
Télécopie : 01.44.27.11.09.
Secrétariat : Christophe Munoz, poste 11.04.
Télécopie : 01.44.27.11.09.

SERVICE DES AFFAIRES GÉNÉRALES ET BUDGÉTAIRES :


Télécopie : 01.44.27.11.09.
Affaires budgétaires : Martine Bernard, poste 11.10.
990 INSTANCES STATUTAIRES ET ADMINISTRATIVES

Comptabilité
des Services généraux : Françoise Salagnac, poste 11.20.

SERVICE DES RESSOURCES HUMAINES ET DES TRAITEMENTS :


Télécopie : 01.44.27.12.63.
Chef de service : Nadine Beaucourt, poste 11.23.
Gestion des bibliothèques -
Organisation des élections : Éric Van Zandt, poste 11.84.
Fichier des personnels extérieurs : Karine Maillard, poste 10.95.
Gestion du personnel ITARF : Bérangère Le Tenaff, poste 11.25.
Gestion du personnel ATOS
et contractuels : Maryse Laborie, poste 12.64.
Gestion du personnel enseignant : Véronique Gudin, poste 11.86.
Formation continue et concours : Monique Spagnoli, poste 11.24.
Sylvie Ahier, poste 12.51.
Sandrine Etchetto, poste 11.62.
Gestion des traitements : Lorea Feret, poste 11.26 (chef de service).
Fatine Piequet, poste 12.51.
Jean-Louis Fassi, poste 11.21.
Rémunérations
sur budget propre : Françoise Crépin, poste 11.27.
Karine Maillard, poste 10.95.

SERVICE DES AFFAIRES FINANCIÈRES :


Télécopie : 01.44.27.12.35.
Chef de service : Isabelle Roche, poste 11.03.
Contrats, marchés : Françoise Grougnet, poste 11.34.
Bruno Jeanne, poste 13.13.
Suong Lam Ngoc, poste 13.03.
Dépenses et missions : Émilie Aurousseau, poste 12.80.
Dominique Le Bot, poste 11.31.
Célestine Sittie, poste 13.04.
Carmen Toderasc, poste 11.33.

SERVICE MÉDICAL :
Médecins du travail : Dr Bernard Jouanjean, poste 11.52.
Infirmière : Marie Dumas, poste 11.51.
INSTANCES STATUTAIRES ET ADMINISTRATIVES 991

SERVICE PHOTOGRAPHIQUE :
Photographe : Patrick Imbert, postes 11.39/11.40.

SERVICE INFORMATIQUE DE GESTION :


Informaticien : Gilles Jandeau, poste 14.00.
Adjoints : Patrick Gaspaldy, poste 10.71.
Lionel Mangin, poste 10.71.

SERVICE TECHNIQUE :
Télécopie : 01.44.27.10.90.
Coordonnateur : Gilles Cottebrune, poste 14.98.
Secrétariat : Valérie Pautrat, poste 11.22.
Adjoints :
— Logistique : Pascal Colin, poste 11.48.
— Bâtiment et maintenance : Stéphane Lallias, poste 13.28.
— Logistique électricité : Jean Mangin d’Hermantin, poste 11.28.
Régisseurs
(postes 10.35 et 19.74) : Gilles Debonne.
Denis Jacquinet
Miguel Monlouis.
Bruno Pagesse.
Francisco Valderrama.
Ateliers :
— Peintres (poste 11.54) : Alain Deffoun.
Roger Borne.
— Plombiers (poste 11.57) : Mustapha Ghanes.
Florian Phoudiah.
— Menuisier (poste 11.53) : Christian Julien.
— Serrurier-menuisier
(poste 11.53) : Jean-Marc Séry.
— Électriciens (poste 11.55) : Daniel Deï.
Jean Gillot.
Jean Mangin d’Hermantin.
Pôle réseau VDI : Jean-François Chollet, poste 10.22.
Christophe Trehen, poste 10.22.
Van Trung Truong, poste 12.20.
Téléphone/annuaire : Gordana Joaquim, poste 15.98.
992 INSTANCES STATUTAIRES ET ADMINISTRATIVES

SERVICE HYGIÈNE ET SÉCURITÉ :


Télécopie : 01.44.27.16.00.
Coordinateur : Gilles Cottebrune, poste 14.98.
Chef de service : Agathe Morel, poste 11.28.
Secrétariat : Valérie Pautrat, poste 11.22.

SERVICE INTÉRIEUR :
Télécopie : 01.44.27.11.17.
Chef de service : Catherine Campinchi, poste 11.05.
Adjoints : Jedjiga Belhamri, postes 11.13/11.35.
Françoise Chaslerie, postes 11.13/11.16.
Daniel Espérandieu, poste 11.14/11.13.
Lydie Guingnier, poste 12.75/11.13.
Intendance annexes
(Lemoine et Ulm) : Daniel Espérandieu, poste 11.74.
Télécopie : 01.44.27.11.70.
Loges - Concierges :
— Site Berthelot : M. et Mme Smith, poste 11.11.
— Site Ulm : M. et Mme Mégoeuil, poste 11.72.
Télécopie : 01.44.27.11.85.
— Site rue du
Cardinal Lemoine : M. et Mme Rigole, poste 11.63.
Télécopie : 01.44.27.11.70.
M. Gérard Eloire, poste 11.63.
— Site Nogent : M. Thos, 01.45.14.15.15.
— Site Meudon : M. Noton, 01.45.07.18.62.
Accueil : Julie Chedly, poste 11.47.
Marie-Jeanne Le Méhauté, poste 11.47.
Fabienne Tramcourt, poste 19.72.
Khaleed Benhammad, poste 19.72.
Courrier - Reprographie
(poste 11.19) : Francis Douglas.
Bertrand Crepin.
Marie-Line Morvany.
INSTANCES STATUTAIRES ET ADMINISTRATIVES 993

Livraisons (poste 15.82/19.28) : Françoise Andre.


Pierre Cheng Shao.
Hervé Saint-Auret.
Magasinier
(poste 15.97/19.78) : Soy Korn-Gentilini.
Sécurité (poste 11.47) : Sandanam Marie Aroquiaradjo.
Antony Lefevre.
Chauffeurs : Romain Petges, poste 10.88.
Philippe Vasseur, poste 11.56.
Chef des agents : Christian Le Bras, poste 11.49.
Agents d’entretien
(poste 19.14) : Marie-Line Ayela
Khadija Azzedine.
Hanisu Debretsion.
Mathilde Gago.
Patricia Lemercier.
Muriel Mathen.
(poste 19.13) : Samir Aouabed.
Madani Moudjeniba.
Lingerie : Aurélie Palin, poste 17.24.

AGENCE COMPTABLE
Télécopie : 01.44.27.12.81
Agent Comptable : Jean-Paul Guigny, poste 13.93.
Adjointes : Marylène Lemarié, poste 11.37.
Sylvie Lataguerra, poste 11.87.
Assistantes : Inès Quillin, poste 13.92.

DIRECTEUR HONORAIRE DES AFFAIRES CULTURELLES


ET DES RELATIONS EXTÉRIEURES
Jean-Pierre de Morant, [a, l, C. "].

SECRÉTAIRES GÉNÉRAUX HONORAIRES


Pierre Develay, [a, O. "].
Robert Pfau, [O. l, O. "].
994 INSTANCES STATUTAIRES ET ADMINISTRATIVES

SERVICE DES BIBLIOTHÈQUES ET DES ARCHIVES


Chef de service : Marie-Renée Cazabon, conservatrice générale,
poste 17.92.
Télécopie : 01.44.27.17.93.
Chef de service adjoint : Catherine Piganiol, conservatrice en chef,
poste 17.97.
Télécopie : 01.44.27.11.70.

BIBLIOTHÈQUE GÉNÉRALE
Directeur : Marie-Renée Cazabon, conservatrice générale,
poste 17.92.
Bibliothécaires : Carmen Alemany, poste 13.68
(responsable section Lettres).
Françoise Marquet, poste 17.94 (périodiques).
Julien Rabaud, poste 17.96
(prêt entre bibliothèques).
Jacqueline Soupault, poste 10.52
(section Sciences).
Documentalistes : Sandrine Mouret, poste 12.62
(responsable section Sciences).
Josette Come-Garry, poste 17.95
(section Sciences).
Magasiniers spécialisés : Daniel Adjedj, poste 14.05.
Bastien Cazabon, poste 14.05.
Secrétariat : Halimatou Maïga, poste 17.88.

ARCHIVES
Claire Güttinger, poste 10.36.
Évelyne Maury, poste 10.36.

BIBLIOTHÈQUES SPÉCIALISÉES

INSTITUTS D’ORIENT

Institut d’égyptologie
Télécopie : 01.44.27.10.44.
Directeur : Nicolas Grimal, professeur au Collège de France,
poste 10.46.
INSTANCES STATUTAIRES ET ADMINISTRATIVES 995

Bibliothèque : Marie-Catherine Koczorowski, poste 10.47.


Dominique Lefèvre, poste 10.47.
Elsa Rickal, poste 10.47.
Archives : Olivier Perdu, poste 17.68.

Institut du Proche-Orient Ancien


Télécopie : 01.44.27.11.70.
Directeur : Jean-Marie Durand, professeur
au Collège de France, poste 16.04.

Bibliothèque d’assyriologie
Télécopie : 01.44.27.11.70
Directeur : Jean-Marie Durand,
professeur au Collège de France, poste 16.04.
Bibliothèque : Antoine Jacquet, poste 10.43.
Ilya Arkhipov, poste 10.43.

Bibliothèque d’études ouest-sémitiques


Télécopie : 01.44.27.16.03.
Bibliothèque : Catherine Fauveaud, poste 10.51.

Bibliothèque d’histoire des christianismes orientaux


Télécopie : 01.44.27.11.70.
Directeur : Michel Tardieu, professeur
au Collège de France, poste 10.34.
Bibliothèque : Florence Jullien, poste 18.75.
Abdella Khaldi, poste 18.75.

Institut d’études arabes, turques et islamiques


Télécopie : 01.44.27.11.70.
Directeur : Gilles Veinstein, professeur
au Collège de France, poste 17.80.
Bibliothèque : Nasrine Rayati, poste 17.86.

Institut d’études byzantines


Télécopie : 01.44.27.11.70. et 18.85.
Directeur : Jean-Claude Cheynet, poste 17.73.
996 INSTANCES STATUTAIRES ET ADMINISTRATIVES

Bibliothèque : Catherine Piganiol, conservatrice en chef,


poste 17.97.
Marie-Hélène Blanchet, poste 17.97.
Thierry Ganchou, poste 17.76.
Georges Kiourtzian, poste 17.97.

Institut d’Extrême-Orient

Président : Pierre-Étienne Will, professeur


au Collège de France, poste 10.06.
Information scientifique : Hubert Delahaye, poste 18.48.
Secrétariat : Christine Gibert, poste 10.98.
Service général : Jean-François Raborio, poste 18.11.

Civilisation indienne
Télécopie : 01.44.27.18.54.
Directeur : Gérard Fussman, professeur au Collège de France,
poste 18.29.
Bibliothèque : Christian Bouy, poste 18.07.
Chantal Duhuy, poste 18.10.
Publications : Isabelle Szelagowski, poste 18.28.

Études tibétaines
Télécopie : 01.44.27.18.54.
Directeur : Anne Chayet, poste 18.30.
Bibliothèque : Jenny Ferreux, poste 18.30.

Hautes études chinoises


Télécopie : 01.44.27.18.54.
Directeur : Pierre-Étienne Will,
professeur au Collège de France, poste 10.06.
Bibliothèque : Lucienne Duriez, poste 18.09.
Kiang Hua, poste 18.08.
Ginette Kotowicz, poste 18.09.
Wing Fang Leung, poste 18.79.
Chia-Chian Robez, poste 10.97.
Esther Rosolato, poste 18.94.
Denise Smith, poste 18.08.
Delphine Spicq, poste 18.08.
INSTANCES STATUTAIRES ET ADMINISTRATIVES 997

Études coréennes
Télécopie : 01.44.27.18.54.
Directeur : Martine Prost, poste 18.32.
Bibliothèque : Mi-Sug No, poste 18.14.

Hautes études japonaises


Télécopie : 01.44.27.18.54.
Responsable : Sekiko Petitmangin-Matsusaki, poste 18.24.
Bibliothèque : Nathalie Cazal, poste 18.06.

AUTRES BIBLIOTHÈQUES

Anthropologie sociale
Télécopie : 01.44.27.17.66.
Directeur : Philippe Descola, professeur au Collège de
France, poste 10.12.
Bibliothèque : Marion Abélès, poste 17.46.
Marie-Christine Vickridge, poste 17.64.

Société asiatique
Télécopie : 01.44.27.11.70.
Directeur : Jean-Pierre Mahé, membre de l’Institut.
Bibliothèque : Jeanne-Marie Allier, poste 18.04.
PROGRAMME DES COURS
DE L’ANNÉE 2008 – 2009

Les cours, accessibles à tous librement, sans inscription,


dans la limite des places disponibles, commencent à partir du 1er octobre 2008. Les
auditeurs ne sont admis dans les salles que 20 minutes au plus tôt
avant les cours.

Le programme des cours et les modifications éventuelles sont communiqués


sur internet www.college-de-france.fr
11, place Marcelin Berthelot, Paris Ve – Tél. : 01 44 27 11 47

I. SCIENCES MATHÉMATIQUES, PHYSIQUES ET NATURELLES

Analyse et géométrie
M. Alain Connes, membre de l’Institut
Cours : Thermodynamique des espaces non commutatifs, les jeudis, de 14 h 30
à 16 h 30, salle 5 (ouverture : 8 janvier).

Équations différentielles et systèmes dynamiques


M. Jean-Christophe Yoccoz, membre de l’Institut
Cours : Échanges d’intervalles affines, les mercredis, de 9 heures à 11 heures, salle
de conférences, Collège de France, 3 rue d’Ulm, Paris 5e (ouverture : 12 novembre).

Équations aux dérivées partielles et applications


M. Pierre-Louis Lions, membre de l’Institut
Cours : Théorie des jeux de champ moyen et applications (suite), les vendredis,
de 9 heures à 11 heures, salle 5 (ouverture : 24 octobre).
Séminaire : Mathématiques appliquées, les vendredis, de 11 h 15 à 12 h 30, salle 5
(ouverture : 24 octobre).
1000 PROGRAMME DES COURS DE L’ANNÉE 20082009

Théorie des nombres


M. Don Zagier
Cours : Topologie, combinatoire et formes modulaires, les lundis, de 16 h 15 à
18 h 15, salle 2 (ouverture : 6 octobre).

Physique quantique
M. Serge Haroche, membre de l’Institut
Le cours n’aura pas lieu.

Physique mésoscopique
M. Michel Devoret, membre de l’Institut
Cours : Circuits et signaux quantiques (II), les mardis, à 9 h 30, amphithéâtre
Maurice Halbwachs (ouverture : 12 mai).
Séminaire : En relation avec le sujet du cours, les mardis, à 11 heures, amphithéâtre
Maurice Halbwachs (ouverture : 12 mai).

Particules élémentaires, gravitation et cosmologie


M. Gabriele Veneziano
Cours : Gravitation et Cosmologie : le Modèle Standard, les vendredis, à
9 h 45, amphithéâtre Maurice Halbwachs (ouverture : 9 janvier).
Séminaire : En relation avec le sujet du cours, les vendredis, à 11 heures, amphithéâtre
Maurice Halbwachs (ouverture : 9 janvier).

Évolution du climat et de l’océan


M. Édouard Bard
Cours : Les cours auront lieu à l’étranger.
Séminaire : Bilan scientifique de l’Année Polaire Internationale, sous la forme d’un
symposium, le vendredi 15 mai, de 9 heures à 18 heures, amphithéâtre Marguerite de
Navarre.

Astrophysique observationnelle
M. Antoine Labeyrie, membre de l’Institut
Cours : Exo-planètes, étoiles et galaxies : progrès de l’observation, les
mercredis, à 16 h 30, amphithéâtre Maurice Halbwachs (ouverture : 4 février).
PROGRAMME DES COURS DE L’ANNÉE 20082009 1001

Séminaire : Séminaire général d’astrophysique, les mercredis, à 17 h 30, amphithéâtre


Maurice Halbwachs (ouverture : 4 février).

Chimie des processus biologiques


M. Marc Fontecave, membre de l’Institut
La leçon inaugurale aura lieu le jeudi 26 mars, à 18 heures, amphithéâtre
Marguerite de Navarre.
Cours : La chimie du vivant : enzymes et métalloenzymes, des bio-catalyseurs
fascinants, les mercredis, à 10 heures, salle 5 (ouverture : 1er avril).
Séminaire : En relation avec le sujet du cours, les mercredis, à 11 heures, salle 5
(ouverture : 1er avril).

Chimie des interactions moléculaires


M. Jean-Marie Lehn, membre de l’Institut
Cours : Autoorganisation et dynamique moléculaires (la date de l’ouverture et
la salle seront annoncées ultérieurement).
Séminaire : Progrès récents en chimie moléculaire et supramoléculaire, (la date de
l’ouverture et la salle seront annoncées ultérieurement).

Chimie de la matière condensée


M. Jacques Livage, membre de l’Institut
Cours : Les cours auront lieu à l’étranger.
Séminaire : histoire de la chimie au Collège de France, sous la forme d’un colloque, le
lundi 4 mai, de 9 heures à 18 heures, amphithéâtre Maurice Halbwachs.

Génétique humaine
M. Jean-Louis Mandel, membre de l’Institut
Cours : Maladies affectant les fonctions cognitives : progrès récents dans les
approches génétiques, les mercredis 11, 18 et 25 mars, de 16 heures à 18 h 15,
salle 2.
Séminaire : Trinucleotide repeat expansion diseases : from mechanisms to therapeutic
strategies, sous la forme d’un colloque (la date et le lieu seront annoncés
ultérieurement).
1002 PROGRAMME DES COURS DE L’ANNÉE 20082009

Génétique et physiologie cellulaire


Mme Christine Petit, membre de l’Institut
Cours : Localisation de la source sonore : traitement binaural du signal
acoustique, les jeudis 11 et 18 décembre, 15 et 22 janvier, de 10 heures à 11 h 30,
salle 2.
Séminaire : Physiologie cochléaire : actualités, les jeudis 11 et 18 décembre,
15 et 22 janvier, de 11 h 30 à 13 heures, salle 2.

Biologie et génétique du développement


M. Spyros Artavanis-Tsakonas
Cours : Génétique du développement et Génomique fonctionnelle (une
approche théorique et pratique), les jeudis 5, 12, 19 et 26 mars, de 14 heures à
16 heures, amphithéâtre Guillaume Budé.
Séminaire : En relation avec le sujet du cours, les vendredis 6, 13 et 20 mars, de
9 heures à 13 heures, amphithéâtre Guillaume Budé.

Processus morphogénétiques
M. Alain Prochiantz, membre de l’Institut
Cours : Évolution du système nerveux : robustesse et plasticité, les lundis, à
17 heures, amphithéâtre Guillaume Budé (ouverture : 6 octobre).
Séminaire 1 : Formes, déformations, transformations, sous la forme d’un colloque
organisé en commun avec la chaire d’Anthropologie de la Nature, le vendredi 20 mars,
de 9 heures à 18 heures, amphithéâtre Maurice Halbwachs.
Séminaire 2 : Cartes cérébrales, sous la forme d’un colloque organisé en commun avec
la chaire de Physiologie de la Perception et de l’Action, le mardi 28 avril, de 9 heures à
18 heures, amphithéâtre Maurice Halbwachs.

Immunologie moléculaire
M. Philippe Kourilsky, membre de l’Institut
Cours : Le soi et l’autre : compatibilité et incompatibilité immunologiques,
les mercredis, de 17 heures à 19 heures, amphithéâtre Maurice Halbwachs
(ouverture : 19 novembre).
Séminaire : Symposium Bernard Halpern d’Immunologie, le jeudi 9 et le vendredi
10 octobre, de 9 heures à 18 heures, amphithéâtre Marguerite de Navarre.
PROGRAMME DES COURS DE L’ANNÉE 20082009 1003

Microbiologie et maladies infectieuses


M. Philippe Sansonetti, membre de l’Institut
La leçon inaugurale aura lieu le jeudi 20 novembre, à 18 heures, amphithéâtre
Marguerite de Navarre
Cours : Des microbes et des hommes : guerre et paix aux surfaces muqueuses,
les jeudis, de 16 heures à 17 h 30, salle 2 (ouverture : 27 novembre).
Séminaire 1 : En relation avec le sujet du cours, les jeudis 27 novembre et 15 janvier,
à 17 h 30, salle 2.
Séminaire 2 : Seeing is believing : imaging infectious processes in vitro and in vivo,
sous la forme d’un symposium, le lundi 27 avril, de 9 heures à 18 h 30, amphithéâtre
Marguerite de Navarre.

Psychologie cognitive expérimentale


M. Stanislas Dehaene, membre de l’Institut
Cours : L’inconscient cognitif et la profondeur des opérations subliminales,
les mardis, à 9 h 30, amphithéâtre Marguerite de Navarre (ouverture : 6 janvier).
Séminaire : «Neuro-économie», sous la forme d’un colloque organisé en commun avec
la chaire Théorie économique et organisation sociale, le lundi 4 mai, de 9 heures à
18 heures, amphithéâtre Marguerite de Navarre.

Physiologie de la perception et de l’action


M. Alain Berthoz, membre de l’Institut
Cours : Fondements cognitifs de l’identité : entre mémoire et anticipation, les
mercredis, à 16 heures, amphithéâtre Marguerite de Navarre (ouverture : 7 janvier).
Séminaire 1 : En relation avec le sujet du cours, les mercredis, à 17 heures,
amphithéâtre Marguerite de Navarre (ouverture : 7 janvier).
Séminaire 2 : Cartes cérébrales, sous la forme d’un colloque organisé en commun avec
la chaire Processus morphogénétiques, le mardi 28 avril, de 9 heures à 18 heures,
amphithéâtre Maurice Halbwachs.
Séminaire 3 : Métiers et Travail, sous la forme d’un colloque, le lundi 22, mardi 23
et le mercredi 24 juin, de 9 heures à 18 heures, amphithéâtre Marguerite de
Navarre.

Médecine expérimentale
M. Pierre Corvol, membre de l’Institut
Cours : Nouveaux peptides vasoactifs : adrénomédulline et urotensine, les
lundis 12, 19 et 26 janvier, de 17 heures à 19 heures, amphithéâtre Guillaume
Budé.
1004 PROGRAMME DES COURS DE L’ANNÉE 20082009

Séminaire : Les élèves de Claude Bernard : continuité de pensée et évolutions


disciplinaires, sous la forme d’un symposium, le lundi 30 mars, de 9 heures à
18 heures, amphithéâtre Guillaume Budé.

Biologie historique et évolutionnisme


M. Armand de Ricqlès
Cours : 1) L’adaptation secondaire des tétrapodes à la vie aquatique (suite et
fin) : Diapsida, Chelonia ; 2) Problèmes d’actualité, les vendredis, à 16 heures,
amphithéâtre Guillaume Budé (ouverture : 9 janvier).
Séminaire : Cent cinquante ans après « l’Origine des espèces » : du darwinisme de
Darwin à l’évolutionnisme contemporain, sous la forme d’un colloque, le mercredi 10, le
jeudi 11 et le vendredi 12 juin, de 9 heure à 18 heures, amphithéâtre Maurice
Halbwachs.

Paléontologie humaine
M. Michel Brunet
Cours : Les hominidés anciens… Une nouvelle histoire à la lumière des
découvertes récentes, les jeudis, à 10 heures, amphithéâtre Marguerite de Navarre
(ouverture : 26 mars).
Séminaire : en relation avec le sujet du cours, les jeudis, à 11 heures, amphithéâtre
Marguerite de Navarre (ouverture : 26 mars).

II. SCIENCES PHILOSOPHIQUES ET SOCIOLOGIQUES

Philosophie du langage et de la connaissance


M. Jacques Bouveresse
Cours : Dans le labyrinthe : nécessité, contingence et liberté chez Leibniz, les
mercredis, à 14 heures, amphithéâtre Marguerite de Navarre (ouverture : 7 janvier).
Séminaire : Usages de Wittgenstein, les mercredis, à 16 h 30, salle 5 (ouverture :
7 janvier).
PROGRAMME DES COURS DE L’ANNÉE 20082009 1005

Philosophie des sciences biologiques et médicales


Mme Anne Fagot-Largeault, membre de l’Institut
Cours : Ontologie du devenir (3), les jeudis, de 10 h 30 à 12 h 30, amphithéâtre
Maurice Halbwachs (ouverture : 29 janvier).
Séminaire 1 : La biologie de synthèse, sous la forme d’un colloque international en
collaboration avec le Professeur. C. Galperin de l’Université Lille 3, le jeudi 14 mai, de
9 heures à 18 heures, amphithéâtre Maurice Halbwachs.
Séminaire 2 : les méthodologies de recherche en psychiatrie, sous la forme d’une série
de séminaires à raison de 3 heures par mois (la salle et les dates seront annoncées
ultérieurement).

Anthropologie de la nature
M. Philippe Descola
Cours : Ontologie des images, les mercredis, à 14 heures, amphithéâtre
Guillaume Budé (ouverture : 4 mars).
Séminaire : Formes, déformations, transformations, sous la forme d’un colloque
organisé en commun avec la chaire Processus morphogénétiques, le vendredi 20 mars, de
9 heures à 18 heures, dans l’amphithéâtre Maurice Halbwachs.

Théorie économique et organisation sociale


M. Roger Guesnerie
Cours : L’équilibre général, le panorama actuel (suite et fin), les mercredis, à
16 h 30, amphithéâtre Guillaume Budé (ouverture : 15 octobre).
Séminaire 1 : En relation avec le sujet du cours, les mercredis, à 17 h 30,
amphithéâtre Guillaume Budé (ouverture : 22 octobre).
Séminaire 2 : « Neuro-économie », sous la forme d’un colloque organisé en commun
avec la chaire de Psychologie cognitive et expérimentale, le lundi 4 mai, de 9 heures à
18 heures, amphithéâtre Marguerite de Navarre.

Histoire moderne et contemporaine du politique


M. Pierre Rosanvallon
Le cours n’aura pas lieu.
1006 PROGRAMME DES COURS DE L’ANNÉE 20082009

Écrit et cultures dans l’europe moderne


M. Roger Chartier

Cours : Circulations textuelles et pratiques culturelles dans l’Europe des


XVIe-XVIIIe siècles. Cardenio II. Entre Cervantès, Shakespeare et Theobald, les
jeudis, de 10 heures à 12 heures, amphithéâtre Maurice Halbwachs (ouverture :
23 octobre).
Séminaire : La fabrique du texte. Écriture, publication et lecture aux XVIe et
XVIIe siècles. Études de cas, les jeudis, de 16 heures à 18 heures, salle 4 (ouverture :
30 octobre).

Histoire contemporaine du monde arabe


M. Henry Laurens

Cours : La question de Palestine à partir de 1969, les mercredis, de 15 heures à


17 heures, amphithéâtre Marguerite de Navarre (ouverture : 5 novembre).
Séminaire : Autobiographie politique arabe, les mercredis, de 11 heures à 12 h 30,
salle de conférences, Collège de France, 3 rue d’Ulm, Paris 5e (ouverture :
5 novembre).

Rationalité et sciences sociales


M. Jon Elster

Cours : Les décisions collectives, les jeudis, à 15 heures, amphithéâtre Guillaume


Budé (ouverture : 15 janvier).
Séminaire : en relation avec le sujet du cours, les lundis, de 17 heures à 19 heures,
salle 4 (ouverture : 9 mars).

Études juridiques comparatives et internationalisation du droit


Mme Mireille Delmas-Marty, membre de l’Institut

Cours : Libertés et sûreté dans un monde dangereux, les mardis, à 14 h 30,


amphithéâtre Maurice Halbwachs (ouverture : 20 janvier).
Séminaire : En relation avec le sujet du cours, sous la forme d’une journée d’études (la
date et la salle seront annoncées ultérieurement).
PROGRAMME DES COURS DE L’ANNÉE 20082009 1007

III. SCIENCES HISTORIQUES, PHILOLOGIQUES


ET ARCHÉOLOGIQUES

Civilisation pharaonique : archéologie, philologie, histoire


M. Nicolas Grimal, membre de l’Institut
Cours : Le temple d’Amon-Rê à Karnak : Héliopolis et l’Empire (suite), les
lundis, à 14 heures, amphithéâtre Marguerite de Navarre (ouverture : 5 janvier).
Séminaire : Les annales de Thoutmosis III (suite), les lundis, à 15 heures,
amphithéâtre Marguerite de Navarre (ouverture : 5 janvier).

Assyriologie
M. Jean-Marie Durand
Cours : Divination et pouvoir (suite), les jeudis, de 16 heures à 17 h 30,
amphithéâtre Maurice Halbwachs (ouverture : 5 février).
Séminaire : Le jeune héros, sous la forme d’un colloque en commun avec la chaire
Milieux bibliques, le lundi 6 et le mardi 7 avril, de 9 heures à 18 heures, amphithéâtre
Guillaume Budé.

Milieux bibliques
M. Thomas Römer
La leçon inaugurale aura lieu le jeudi 5 février, à 18 heures, amphithéâtre
Marguerite de Navarre
Cours : La construction d’un ancêtre : la formation du cycle d’Abraham, les
mercredis, à 14 heures, amphithéâtre Maurice Halbwachs (ouverture : 11 février).
Séminaire : Le jeune héros, sous la forme d’un colloque en commun avec la chaire
d’Assyriologie, le lundi 6 et le mardi 7 avril, de 9 heures à 18 heures, amphithéâtre
Guillaume Budé.

Histoire et civilisation du monde achéménide et de l’empire d’alexandre


M. Pierre Briant
Le cours n’aura pas lieu.
1008 PROGRAMME DES COURS DE L’ANNÉE 20082009

Épigraphie et histoire des cités grecques


M. Denis Knoepfler, membre de l’Institut
Cours : Le fédéralisme antique en question : renouveau et transformation des
confédérations hellénistiques sous la domination de Rome, les vendredis, à
9 h 45, salle 2 (ouverture : 13 février).
Séminaire : Documents anciens et nouveaux sur le fonctionnement des États Fédéraux
en Grèce et en Asie Mineure, les vendredis, à 11 heures, salle 1 (ouverture :
13 février).

Religion, institutions et société de la rome antique


M. John Scheid
Cours : La religion, la cité, l’individu. La piété chez les Romains, les jeudis, à
14 h 30, amphithéâtre Maurice Halbwachs (ouverture : 30 octobre).
Séminaire : Les paysages religieux. À propos des inventaires de lieux de culte (Italie,
Afrique, Gaule et Chine), sous la forme d’un colloque, le jeudi 9 avril, de 9 heures à
18 heures, amphithéâtre Maurice Halbwachs.

Langues et religions indo-iraniennes


M. Jean Kellens
Cours : La notion d’âme préexistante, les vendredis, à 9 h 30, salle 2 (ouverture :
21 novembre).
Séminaire : Lecture de textes en relation avec le sujet du cours, les vendredis, à
11 heures, salle 2 (ouverture : 21 novembre).

Histoire du monde indien


M. Gérard Fussman
Cours et séminaire : Lecture du texte sanskrit du Vimalakirtinirdesha (suite),
les mardis, de 15 heures à 17 heures, salle 7 (ouverture : 6 janvier).

Histoire intellectuelle de la Chine


Mme Anne Cheng
La leçon inaugurale aura lieu le jeudi 11 décembre, à 18 heures, amphithéâtre
Marguerite de Navarre
Cours : Confucius revisité : textes anciens, nouveaux discours, les mercredis, à
11 heures, amphithéâtre Maurice Halbwachs (ouverture : 14 janvier).
PROGRAMME DES COURS DE L’ANNÉE 20082009 1009

Séminaire : Lectures de textes et exposés en relation avec le sujet du cours, les jeudis, à
17 heures, salle 1 (ouverture : 15 janvier).

Histoire de la Chine moderne


M. Pierre-Étienne Will
Cours : Documents autobiographiques et histoire, 1640-1930, les mercredis, à
14 heures, salle 2 (ouverture : 21 janvier).
Séminaire : Les manuels d’administration de la Chine impériale : conclusions et
comparaisons, sous la forme d’un colloque, le jeudi 4 et le vendredi 5 juin, dans la
salle 4.

Antiquités nationales
M. Christian Goudineau
Cours : La Gaule au lendemain de la conquête césarienne, les lundis (tous les
quinze jours), de 14 h 30 à 16 h 30, amphithéâtre Marguerite de Navarre (ouverture :
6 octobre).
Séminaire : Actualité de la recherche, les lundis (tous les quinze jours), de 14 h 30 à
16 h 30, amphithéâtre Marguerite de Navarre (ouverture : 27 octobre).

Histoire turque et ottomane


M. Gilles Veinstein
Cours : Les esclaves du Sultan dans l’Empire ottoman, les mardis, à 14 h 30,
amphithéâtre Marguerite de Navarre (ouverture : 6 janvier).
Séminaire : La supplique (arz-u hal), outil administratif et diplomatique dans
l’Empire ottoman, les mardis, à 16 heures, salle 4 (ouverture : 6 janvier).

Littératures de la france médiévale


M. Michel Zink, membre de l’Institut
Cours : Non pedum passibus, sed desideriis quaeritur Deus (Saint Bernard).
Que cherchaient les quêteurs du Graal ?, les jeudis, à 10 h 30, amphithéâtre
Guillaume Budé (ouverture : 4 décembre).
Séminaire 1 : en relation avec le sujet du cours, les jeudis, à 11 h 30, amphithéâtre
Guillaume Budé (ouverture : 4 décembre).
1010 PROGRAMME DES COURS DE L’ANNÉE 20082009

Séminaire 2 : Lire un livre vieilli, du Moyen Âge à nos jours, sous la forme d’un
colloque, de 9 heures à 18 heures, le jeudi 2 avril, salle 5 et le vendredi 3 avril,
Amphithéâtre Guillaume Budé.

Littérature française moderne et contemporaine :


histoire, critique, théorie
M. Antoine Compagnon
Cours : Écrire la vie : Montaigne, Stendhal, Proust, les mardis, à 16 h 30,
amphithéâtre Marguerite de Navarre (ouverture : 6 janvier).
Séminaire : Témoigner, les mardis, à 17 h 30, amphithéâtre Marguerite de Navarre
(ouverture : 6 janvier).

Littératures modernes de l’europe néolatine


M. Carlo Ossola
Le cours n’aura pas lieu.

Histoire de l’art européen médiéval et moderne


M. Roland Recht, membre de l’Institut
Cours : L’image médiévale, les vendredis, de 10 heures à 12 heures, amphithéâtre
Marguerite de Navarre (ouverture : 31 octobre).
Séminaire : Les méthodes en histoire de l’art : bilan actuel, sous la forme d’un colloque
de deux journées, les lundis 18 mai et 25 mai, de 9 heures à 18 heures, amphithéâtre
Maurice Halbwachs.

Chaire de création artistique


Pierre-Laurent Aimard, professeur associé, pianiste
La leçon inaugurale aura lieu le 22 janvier, à 18 heures, amphithéâtre Marguerite
de Navarre et portera sur : Rôle et responsabilités de l’interprète aujourd’hui.
Cours : Paramètres et dimensions de l’interprétation musicale, les mercredis
18 février, 11, 18 mars, 8 avril, 6, 13 et 27 mai, à 18 heures, amphithéâtre Marguerite
de Navarre.
Séminaire : Élaboration d’une interprétation, les 5, 14, 25 et 28 mai, à 18 heures,
amphithéâtre Marguerite de Navarre.
PROGRAMME DES COURS DE L’ANNÉE 20082009 1011

Chaire européenne – Développement durable


M. Henri Leridon, professeur associé,
professeur à l’Institut national d’études démographiques
La leçon inaugurale aura lieu le jeudi 5 mars, à 18 heures, amphithéâtre Marguerite
de Navarre et portera sur : De la croissance zéro au développement durable.
Cours : Démographie, fin de la transition, les mercredis, à 10 heures,
amphithéâtre Maurice Halbwachs (ouverture : 18 mars)
Séminaire 1 : En relation avec le sujet du cours, les mercredis 8, 29 avril et 6 mai, à
11 heures, amphithéâtre Maurice Halbwachs.
Séminaire 2 : En relation avec le sujet du cours, sous la forme d’un colloque
international, le jeudi 4 et le vendredi 5 juin, de 9 heures à 18 heures, amphithéâtre
Maurice Halbwachs.

Chaire internationale – Savoirs contre pauvreté


Mme Esther Duflo, professeure associée,
professeure au Massachusetts Institute of Technology, Cambridge, USA
La leçon inaugurale aura lieu le jeudi 8 janvier, à 18 heures, amphithéâtre
Marguerite de Navarre et portera sur : Expérience, science et lutte contre la
pauvreté.
Cours : Pauvreté et développement dans le monde, les lundis, de 17 heures à
19 heures, amphithéâtre Marguerite de Navarre (ouverture le 12 janvier).
Séminaire : Évaluation des politiques de lutte contre la pauvreté, sous la forme d’un
colloque, le lundi 8 et le mardi 9 juin, de 9 heures à 18 heures, amphithéâtre
Marguerite de Navarre.

Chaire d’Innovation Technologique – Liliane Bettencourt


M. Mathias Fink, professeur associé, membre de l’Institut,
professeur à l’École supérieure de physique et chimie industrielles
La leçon inaugurale aura lieu le jeudi 12 février, à 18 heures, amphithéâtre
Marguerite de Navarre et portera sur : Renversement du temps, ondes et
innovation.
Cours : Ondes et images, les lundis, à 16 heures, amphithéâtre Maurice
Halbwachs (ouverture : 2 mars).
Séminaire : Ondes et Images, les lundis, à 17 heures, amphithéâtre Maurice
Halbwachs (ouverture : 2 mars).
PROGRAMME DES COURS DE L’ANNÉE 20082009 1013

ENSEIGNEMENT À L’EXTÉRIEUR

EN FRANCE

Université d’amiens

M. Jacques Livage (titulaire de la Chaire de Chimie de la matière condensée)


donnera en novembre-décembre 2008, 3 cours sur : Bio-inspired materials.

Université de Bordeaux

M. Jacques Livage (titulaire de la Chaire de Chimie de la matière condensée)


donnera 3 cours sur : Le chimiste à l’école de la nature.

Université de Dijon

M. Christian Goudineau (titulaire de la Chaire d’Antiquités nationales) donnera


au printemps 2009, 6 cours sur : Questions relatives à la société et l’économie de
la Gaule.

Université Louis Pasteur

M. Jean-Marie Lehn (titulaire de la Chaire de Chimie des interactions


moléculaires) donnera en décembre 2008 — janvier 2009, 3 cours sur :
Autoorganisation moléculaire et supramoléculaire et 7 séminaires, d’octobre 2008 à
juin 2009, sur : Progrès récents en chimie moléculaire et supramoléculaire.

Université Marc Bloch de Strasbourg

M. John Scheid (titulaire de la Chaire de Religion, institutions et société de la


Rome antique) donnera en février 2009, 4 séminaires sur : Les réformes d’Auguste.
Forme et contenu.

Institut de recherche pour le développement et université de la Nouvelle-


Calédonie

M. Édouard Bard (titulaire de la Chaire de l’Évolution du climat et de l’océan)


donnera en août 2008, 3 cours sur : 1) Événements climatiques rapides et
leur expression dans l’océan ; 2) Activité solaire et forçage climatique ;
3) Changement climatique et niveau marin et 4 séminaires sur : Changement
climatique et niveau marin.
1014 PROGRAMME DES COURS DE L’ANNÉE 20082009

À L’ÉTRANGER

ALLEMAGNE

Université de Bonn 1*
M. Pierre Corvol (titulaire de la Chaire de Médecine expérimentale) donnera en
mai 2009, 1 cours sur : Tumoral Angiogenesis.

AUTRICHE

Université de Vienne
M. Michel Zink (titulaire de la Chaire de Littératures de la France médiévale)
donnera du 15 au 29 avril 2009, 2 cours et 2 séminaires sur : « Lecture du Graal ».

BELGIQUE

Université Libre de Bruxelles*


Mme Mireille Delmas-Marty (titulaire de la Chaire d’Études juridiques et
internationalisation du droit) donnera à partir du 16 décembre 2008, 4 cours sur :
Les valeurs universelles en questions : le « laboratoire européen ».
Mme Anne Fagot-Largeault (titulaire de la Chaire de Philosophie des sciences
biologiques et médicales) donnera au printemps 2009, 3 cours sur : Ontologie du
devenir.

Université de Liège
M. Antoine Labeyrie (titulaire de la Chaire d’Astrophysique observationnelle)
donnera au printemps 2009, 3 cours sur : L’émergence des hypertélescopes pour
mieux voir les étoiles et l’univers lointain et 3 séminaires sur : Astrophysique.

BRÉSIL

Instituto de Matematica Pura e Aplicada - Rio de Janeiro


M. Jean-Christophe Yoccoz (titulaire de la Chaire des Équations différentielles et
systèmes dynamiques) donnera en janvier 2009, une série de 16 cours sur : Quelques
résultats récents dans la théorie des systèmes dynamiques.

* Dans le cadre d’une convention signée avec le Collège de France.


PROGRAMME DES COURS DE L’ANNÉE 20082009 1015

CANADA

Université du Québec*
M. Gilles Veinstein (titulaire de la Chaire d’Histoire turque et ottomane) donnera
du 29 septembre au 11 octobre 2008, 4 cours sur : Introduction aux institutions
de l’État ottoman et 4 séminaires sur : Étude de documents d’archive ottomans
(XVIe-XVIIIe s.)

CHINE

City University of Hong Kong*


M. Jean-Marie Lehn (titulaire de la Chaire de Chimie des interactions
moléculaires) donnera en octobre 2008, 3 cours sur : Molecular and Supramolecular
Self-Organization.

Université de Pékin
Mme Christine Petit (titulaire de la Chaire de Génétique et Physiologie cellulaire)
donnera au printemps 2009, 4 cours sur : Hereditary deafness – Molecular
physiology of the cochlea.

ESPAGNE

Université Complutense de Madrid


M. Roger Chartier (titulaire de la Chaire Ecrit et cultures dans l’Europe moderne)
donnera 2 cours sur : Culture écrite et littérature au Siècle d’Or.

ÉTATSUNIS

Université de Californie – San Diego


M. Philippe Descola (titulaire de la Chaire d’Anthropologie de la nature) donnera
en octobre 2008, 1 séminaire sur : Complex relationships.

Université de Chicago*
M. Philippe Descola (titulaire de la Chaire d’Anthropologie de la nature) donnera
en octobre 2008, 2 cours et 2 séminaires sur : The institution of beings.
1016 PROGRAMME DES COURS DE L’ANNÉE 20082009

Université Harvard

M. Philippe Descola (titulaire de la Chaire d’Anthropologie de la nature) donnera


en novembre 2008, 1 cours sur : The anthropology of images.

Université de Princeton

M. Philippe Descola (titulaire de la Chaire d’Anthropologie de la nature) donnera


en novembre 2008, 1 cours sur : Towards a monist anthropology.

M. Pierre-Etienne Will (titulaire de la Chaire d’Histoire de la Chine moderne)


donnera en novembre 2008, 1 cours sur : Are there Political Resources for
Democratic Institutions in Chinese History et 1 séminaire sur : The Penal Code
and its Commentaries in the Ming and Qing Dynasties.

Reed College – Portland

M. Philippe Descola (titulaire de la Chaire d’Anthropologie de la nature) donnera


en octobre 2008, 1 cours sur : Anthropology and ontology et 1 séminaire sur :
New trends in the anthropology of nature.

Université Stanford

M. Michel Zink (titulaire de la Chaire de Littératures de la France médiévale)


donnera du 5 au 13 mars 2009, 2 séminaires sur : « Chercher Dieu et le Graal ».

Woods Hole Oceanographic Institution – Massachusetts

M. Édouard Bard (titulaire de la Chaire d’Évolution du climat et de l’océan)


donnera en octobre 2008, 1 cours sur : The last deglaciation.

Université Yale – New Haven

M. Michel Devoret (titulaire de la Chaire de Physique mésoscopique) donnera


les 6, 8 et 13 octobre 2008, 3 cours sur : Quantum Noise in Mesoscopic Systems.

INDE

Académie des Sciences de l’Inde – Bangalore

M. Marc Fontecave (titulaire de la Chaire de Chimie des processus biologiques)


donnera en mai 2009, 3 cours et 3 séminaires sur : Chimie du vivant : enzymes et
metalloenzymes (Biological chemistry : enzymes and metalloenzymes).
PROGRAMME DES COURS DE L’ANNÉE 20082009 1017

ISRAËL

Institute for Advanced Studies – Jerusalem*


M. Gabriele Veneziano (titulaire de la Chaire de Particules élémentaires,
gravitation et cosmologie) donnera entre le 15 mars et le 3 avril 2009, 3 cours et
3 séminaires sur : Transplanckian Scattering : A Gedanken Experiment for 21st
Century Physics ?

Université Hébraïque de Jérusalem*


M. John Scheid (titulaire de la Chaire de Religion, institutions et société de la
Rome antique) donnera en mars 2009, 2 cours sur : Statut civique et obligation
religieuse.

ITALIE

Université de Gènes
M. Alain Berthoz (titulaire de la Chaire de Physiologie de la perception et de
l’action) donnera 1 cours sur : Peut-on donner une identité à un humanoïde ?

Université de Naples « L’Orientale »


M. Gérard Fussman (titulaire de la Chaire d’Histoire du monde indien) donnera
en décembre 2008, 4 cours sur : Pour une nouvelle histoire de l’Inde.

Université « La Sapienza » de Rome - Istituto italiano per l’Africa e l’Oriente


M. Jean Kellens (titulaire de la Chaire de Langues et religions indo-iraniennes)
donnera au printemps 2009, 3 cours sur : L’Avestique ancien à la lumière du corpus
récent : question de chronologie relative et 3 séminaires en relation avec le cours.

Université de Sienne
M. Alain Berthoz (titulaire de la Chaire de Physiologie de la perception et de
l’action) donnera 1 cours sur : Fondements cognitifs et pathologie de l’identité.

PORTUGAL

Université de Coimbra – Institut de systèmes et robotique


M. Alain Berthoz (titulaire de la Chaire de Physiologie de la perception et de
l’action) donnera 1 cours sur : Problèmes communs entre Robotique et
Neurosciences : la relation entre perception et action.
1018 PROGRAMME DES COURS DE L’ANNÉE 20082009

SUÈDE

Université d’Uppsala*
M. Jean-Marie Lehn (titulaire de la Chaire de Chimie des interactions
moléculaires) donnera en juin 2009, 4 cours sur : From Supramolecular Chemistry
towards Adaptative Chemistry.
M. Pierre Corvol (titulaire de la Chaire de Médecine expérimentale) donnera en
mars 2009, 2 cours sur : 1) Angiotensin and hematopoiesis ; 2) Angiogenic effects
of vasoactive peptides.

SUISSE

Université de Berne
M. Édouard Bard (titulaire de la Chaire d’Évolution du climat et de l’océan)
donnera au printemps 2009, 10 cours sur : Changements climatiques brusques et
glaciations.

TCHÉQUIE

Université Charles – Prague*


M. Jean-Marie Lehn (titulaire de la Chaire de Chimie des interactions
moléculaires) donnera en septembre 2008, 4 cours sur : Molecular and
Supramolecular Chemistry – Towards Self-Organization.
M. Michel Zink (titulaire de la Chaire de Littératures de la France médiévale)
donnera du 30 avril au 7 mai 2009, 2 cours et 2 séminaires sur : Qu’est-ce que la
quête du Graal ?

TUNISIE

Université de Tunis
M. Jacques Livage (titulaire de la Chaire de Chimie de la matière condensée)
donnera en février 2009, 3 cours sur : Chimie douce et matériaux.
Table des matières

Le Collège de France ................................................................................ 5

Chronique de l’année académique 2007-2008 ........................................... 69

Nécrologie ................................................................................................. 71

Résumés des cours et travaux des professeurs


pour l’année académique 2007-2008 ............................................... 75

I. Sciences mathématiques, physiques et naturelles ................................ 75

Analyse et Géométrie (M. Alain Connes) ................................................. 77

Équations différentielles et systèmes dynamiques


(M. Jean-Christophe Yoccoz) ............................................................. 87

Équations aux dérivées partielles et applications (M. Pierre-Louis Lions) ... 95

Théorie des nombres (M. Don Zagier) ..................................................... 105

Physique quantique (M. Serge Haroche).................................................. 115

Physique mésoscopique (M. Michel Devoret) .......................................... 127

Particules élémentaires, gravitation et cosmologie (M. Gabriele Veneziano) 135

Géodynamique (M. Xavier Le Pichon) ..................................................... 143

Évolution du climat et de l’océan (M. Édouard Bard)................................ 149


1020 TABLE DES MATIÈRES

Astrophysique observationnelle (M. Antoine Labeyrie) ............................. 163

Chimie des interactions moléculaires (M. Jean-Marie Lehn) ..................... 169

Chimie de la matière condensée (M. Jacques Livage) ................................. 187

Génétique humaine (M. Jean-Louis Mandel) ........................................... 195

Génétique et physiologie cellulaire (Mme Christine Petit) ......................... 217

Biologie et génétique du développement (M. Spyros Artavanis-Tsakonas) 245

Processus morphogénétiques (M. Alain Prochiantz)................................ 253

Immunologie moléculaire (M. Philippe Kourilsky) .................................. 267

Psychologie cognitive expérimentale (M. Stanislas Dehaene) .................... 277

Physiologie de la perception et de l’action (M. Alain Berthoz) ................. 303

Médecine expérimentale (M. Pierre Corvol)............................................. 329

Biologie historique et évolutionnisme (M. Armand de Ricqlès) ................ 349

Paléontologie humaine (M. Michel Brunet) ............................................. 375

II. Sciences philosophiques et sociologiques ......................................... 393

Philosophie du langage et de la connaissance (M. Jacques Bouveresse) ..... 395

Philosophie des sciences biologiques et médicales


(Mme Anne Fagot-Largeault) ............................................................ 407

Histoire des syncrétismes de la fin de l’Antiquité (M. Michel Tardieu) ...... 435

Anthropologie de la nature (M. Philippe Descola) ................................... 447

Chaire théorie économique et organisation sociale (M. Roger Guesnerie) .. 449

Histoire moderne et contemporaine du politique (M. Pierre Rosanvallon) 459

Écrit et cultures dans l’Europe moderne (M. Roger Chartier) .................. 469

Histoire contemporaine du monde arabe (M. Henry Laurens).................. 497

Rationalité et sciences sociales (M. Jon Elster) ......................................... 505

Études juridiques comparatives et internationalisation du droit


(Mireille Delmas-Marty) ................................................................... 521
TABLE DES MATIÈRES 1021

III. Sciences historiques, philologiques et archéologiques .................... 547

Civilisation pharaonique : archéologie, philologie, histoire


(M. Nicolas Grimal) ........................................................................... 549

Assyriologie (M. Jean-Marie Durand)....................................................... 565

Histoire et civilisation du monde achéménideet de l’empire d’Alexandre


(M. Pierre Briant) .............................................................................. 581

Épigraphie et histoire des cités grecques (M. Denis Knoepfler) ................ 593

Religion, institutions et société de la Rome antique (M. John Scheid) ....... 621

Langues et religions indo-iraniennes (M. Jean Kellens) ............................ 639

Histoire du monde indien (M. Gérard Fussman)....................................... 643

Histoire de la Chine moderne (M. Pierre-Étienne Will) ............................ 651

Antiquités nationales (M. Christian Goudineau) ...................................... 673

Histoire turque et ottomane (M. Gilles Veinstein).................................... 679

Littératures de la France médiévale (M. Michel Zink) ................................ 705

Littérature française moderne et contemporaine :


histoire, critique, théorie (M. Antoine Compagnon) ........................... 723

Littératures modernes de l’Europe néolatine (M. Carlo Ossola) ................ 741

Étude de la création littéraire en langue anglaise (M. Michael Edwards) .... 755

Histoire de l’art européen médiéval et moderne (M. Roland Recht) .......... 777

IV. Chaires annuelles .............................................................................. 779

Chaire de création artistique (Mme Ariane Mnouchkine) ......................... 781

Chaire européenne (M. Manfred Kropp) ................................................... 783

Chaire internationale (M. Pierre Magistretti) ......................................... 803

Chaire d’innovation technologique-Liliane Bettencourt


(M. Gérard Berry) .............................................................................. 821
1022 TABLE DES MATIÈRES

Professeurs honoraires (activités, publications) .................................... 847

Enseignement des Professeurs en province et à l’étranger............... 883

Cours et conférences sur invitation de l’Assemblée des professeurs 889

Cours et conférences (résumés) ............................................................ 893

Les équipes accueillies au Collège de France ..................................... 933

Maîtres de conférences et ater rattachés au Collège de France


en 2007-2008...................................................................................... 977

Personnel du Collège de France ......................................................... 979

Instances statutaires et administratives du Collège de France ....... 987

Programme des cours de l’année académique 2008-2009.................... 999

Table des matières ...................................................................................... 1019


Conception graphique, mise en page et impression
bialec, nancy (France)
Dépôt légal n° 69755 - décembre 2008

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