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Subes J. Hypothèse sur l'enfance. In: Enfance. Tome 5 n°1, 1952. pp. 48-75.
http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/enfan_0013-7545_1952_num_5_1_1233
HYPOTHÈSE SUR L'ENFANCE
par J. Subes
A vrai dire, il ne semble pas que les psychanalystes soient très éloignés
de donner à cette notion une importance capitale. En effet, de l'avis de
M. Merleau-Ponty, la « prématuration », l'anticipation par l'enfant de
formes de vie adultes est presque pour les psychanalystes, la définition
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(1) M. Merleau-Ponty. Les Relations avec autrui chez l'enfant, C. D. U., 1951, p. 43.
(2) Voir Lacan. Encyclopédie française, t. vin, 8.40-7.
(3) Enfance, 1951, I, p. 71.
(4) R. Cousinet. L'Éducation nouvelle, p. 106, Delachaux-Niestlé, 1951.
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(1) Claparede. Psychologie de l'enfant et pédagogie expérimentale, I, p. 166, éd. 1946, Delachaux-
Niestlé, 1909.
(2) Alain. Propos sur l'Éducation, Rîeder, 1932, p. 24 et 20»
(3) Alain. Propos sur l'Éducation, Rieder, 1932, p. 20 et 17.
(4) J. Chateau. Le Jeu de l'Enfant, p. 90-91, Vrin, 1946.
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(1) A. Adler. Connaissance de l'Homme, trad! J.- Matty, Payot, 1949,, p, 5D~51i
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à fin reproductrice, si elle peut s' expliquer par un réel instinct sexuel, rien
de semblable ne nous permet d'expliquer Faimance enfantine. Quelle
est sa cause? D'où tire-t-elle son origine? On ne peut l'affirmer que
comme un fait. Dire que la mère est un objet libidinal, c'est dire seul
ement que l'enfant aime la mère, est attiré par elle. La libido n'explique
rien ici; une explication par la sexualité au sens commun du terme de
meurerait encore plus incompréhensible.
Pourquoi cette libido du nouveau-né par sa mère? Pourquoi a-t-on
pu affirmer « que le pivot du développement pendant la première année
est fourni par les rapports affectifs avec la mère (1)? » Cela peut s'expli
quer,je crois, en reconnaissant que la croissance est, elle aussi, une
« fonction corporelle embrassant l'ensemble de l'être ». Elle est la pul
sion instinctuelle fondamentale de l'enfance. Obscurément, l'enfant tend
vers l'adulte comme plus tard l'adolescent recherchera, sans en avoir
d'abord nécessairement conscience, la réalisation des rapports sexuels.
Il tend à devenir semblable à Padulte, à se rapprocher de ce modèle
que la vie, petit à petit, réalisera en lui. C'est la même tendance biolo
gique essentielle qui détermine la croissance physiologique de l'enfant
et son retentissement psychique : le besoin de croître, de devenir comme
l'adulte. En même temps que se réalise sa croissance, l'enfant recherche
l'identification à l'adulte, représentation réelle du but inconscient qu'il
poursuit. L'enfant a besoin de cette représentation. Ce que dit J. Cha
teau du jeune enfant semble plus valable encore pour le nourrisson.
« II ne suffit pas que l'enfant sente la possibilité d'un grandissement,
éprouve l'appel d'une transcendance qui le domine. Un tel appel reste
trop vague, trop imprécis, trop abstrait. Il ne peut convenir qu'à un
adulte et même à un adulte bien doué. Un mysticisme qui ne précise
pas la nature de l'être supérieur, mais qui s'efforce cependant vers lui,
qui lutte pour s'élever, ne peut être certes, un mysticisme d'enfant.
Comme la plupart des hommes et plus encore qu'eux, l'enfant a besoin
de modèles concrets. Pour lui, le dieu inconnu doit faire place à des héros
et à des saints tout proches de lui. Et où trouver ces modèles à copier,
sinon dans les adultes toujours présents, toujours plus sages, toujours
plus forts et toujours meilleurs? Les adultes, et plus généralement les
aînés, sont les dieux que l'enfant adore, ceux vers lesquels il veut s'élever,
ceux qu'il copie dans tous ses actes (2). »
Mme Montessori avait décrit en termes similaires l'amour de l'enfant
pour l'adulte, ce besoin qu'il a de lui . « C'est, au contraire, l'enfant qui
l'aime. Il désire l'adulte présent. Son délice est d'appeler son attention
sur lui : « Regarde-moi, reste près de moi... » L'adulte passe à côté de cet
amour mystique sans s'en apercevoir. Et ce petit être qui nous aime
grandira et disparaîtra. Qui donc nous aimera jamais comme lui? » (3)
(1) A. R. Spitz! « La Perte de la mère par le nourrisson. > Enfance, I, 1948, n° 5, p. 390.
(2) J. Chateau. L'Enfant et le jeu, Édit. du Scarabée, 1951, p. 43.
(3) M. Montessori. L'Enfant, trad. G.-J.-J. Bernard, Desclée de Brouwer, p. 257.
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Stade de V indistinction.
Stade de l'opposition.
(1) D. Burlingham et Â. Freud. Enfants sans famille, trad. A. Berman, P. U. F., 1949, chàp. I.
(2) H. Wallon, op. cit., p. 74.
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Période de latence.
(1) A. Freud. Le Moi et les mécanismes de défense, p. 131, P. U. F., 1949, trad. A. Berman
et H. Deutsch. La. Psychologie des femmes. I. Enfance et Adolescence, P. U. F., 1949, chap. II,
trad. H. Benoit.
(2) Cf. R. Koskas « L'Adolescent et sa famille. » Enfance, I, 1949, p. 68. Comparant les ado
lescents de milieux différents, l'auteur conclut : la famille prolétarienne n'est pas la famille petite-
bourgeoise.
(3) E. Jouhy et V. Shentoub. L'Évolution de la mentalité de l'enfant pendant la guerre, Delà-
chaux-Niestlé, 1949.
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Quelques problèmes
(1) C.-G. Jung. L'Inconscient dans la fie psychique normale et anormale, trad, chez Payot, 1928.
(2) E. Pichon. Le Développement psychologique de l'enfant et de l'adolescent, Masson, 1936,
éd. 1947* p. 71.
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Phénomènes de régression.
(1) O. Schwarz nie également, mais pour d'antres raisons, le caractère sexuel de l'onanisme.
Sexualtiheit und PeraOnlickeit. Wesen wtd Formen ihrer Beziehungen, Vienne, 1934.
(2) Voir par exemple M. Rambbrt : La Vie affective et morale de l'enfant,- Delachaux-Niestlé,
1945. F. Dolto-Maretth : « Hypothèse nouvelle concernant les réactions de jalousie à la nais
sance d'un puîné », Psyché, 1947r n«* 7 et 9-10. .
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ce fait est assez fréquent chez les très jeunes pensionnaires trop tôt
livrés à eux-mêmes; c'est aussi parfois, nous l'avons vu, le cas des enfants-
de guerre. La même cause peut produire l'effet contraire lorsque l'enfant*
est plus âgé; il y a alors affranchissement prématuré. L'enfant doit
apprendre petit à petit à s'affirmer homme par lui-même et non pair
participation à la puissance parentale. La régression est le refus de
cet effort ou un échec devant une situation requérant de façon trop
brutale et prématurée cet effort (i).
Il faut également tenir compte des inversions où ce qui signifie
grand pour l'adulte n'a pas du tout la même signification chez l'enfant.
J'ai observé une petite fille qui, entre un an 1/2 et 2 ans 1/2, présentait
une attitude régressive portant sur le mot grand : elle ne voulait pas
s'entendre dire qu'elle était grande et protestait en disant : « Non,
petite, petite ». C'était une enfant élevée sans aucune sévérité, mais
qui présentait de nettes attitudes d'opposition localisées uniquement
sur les trois principaux points où les parents, s'occupant beaucoup de
cette fille unique, avaient fait porter leur volonté : nutrition, propreté
et acquisition du langage. Répugnant à employer la contrainte, ils
s'étaient efforcés de se faire obéir en disant à leur fille : « Si tu manges,
tu seras grande, etc. * II s'était formé dans l'esprit de l'enfant une liaison,
entre la capitulation sur le point où elle affirmait sa volonté personnelle
et le mot « grand »; si bien que ce mot avait pris en quelque sorte et
provisoirement un sens inverse. Aucune régression ne se manifestait
en dehors de ce mot. (Le retard dans la propreté et le langage ayant
souvent et certainement dans ce cas, selon la théorie exposée ici, une-
signification d'affirmation inadaptée de la puissance de l'enfant.) L'en
fant que nous observions était au contraire très portée à imiter toutes?
les activités des adultes, à emprunter avec une grande joie tous les
objets dont ceux-ci se servaient, à agir seule, etc. Brusquement, à
2 ans 1/2, avec peu de retard sur le moment où cet enfant acquit une
propreté satisfaisante, retrouva son appétit et fit enfin de rapides pro
grès dans l'acquisition du langage — tout ceci d'ailleurs sous l'influence
de personnes autres que les parents — elle se mit à protester contre
l'épithète de petit et à affirmer avec autorité qu'elle était grande. Vers
3 ans, elle était devenue le papa ou la maman et s'occupait de ses
parents et autres grandes personnes ramenées au rang de « bébés ».
Des phénomènes de régression pourront également apparaître sous,
la pression de la culpabilité. Nous l'avons vu, le désir d'être grand ne va
pas sans agressivité et sans susciter de conflits avec l'autorité parentale.
H. Wallon remarque : « Une inquiétude de culpabilité se combine habi-
(1) « La régression vers l'infantilisme qui se manifeste dans toute inadaptation : cette décou
verte si riche de la psychanalyse n'a d'autres causes que l'impossibilité de résoudre les contra
dictions sur une base plus élevée que celle sur laquelle elles se sont produites. Là où le progrès
n'est pas possible, il y a régression; ...dans le comportement individuel, c'est la régression vers
des conduites « idylliques » du parasitisme infantile. • Jouhy et Shkntoub, op. cit., p. 127.
'•■'.'. X SUBES
. Le feu.
Il semble bien que, finalement, ce soit dans le jeu, à cause de son carac
tère fictif qui est perçu par l'enfant, que le désir d'être grand se fasse le
!>lus aisément jour. L'imaginaire joue un double rôle; il fait du jeu le
'domaine rêvé de la prématuration : grâce à la fiction, c'est là que l'enfant
pourra le mieux égaler l'adulte. D'autre part, grâce au caractère en
«narge de la vie et de la fonction du réel, que l'imaginaire confère au jeu,
il permet la substitution de l'enfant à l'adulte avec le niinimum de culpab
ilité. La théorie de K. Groos et de Claparède selon laquelle le jeu est
tme préparation à la vie adulte, théorie remarquablement complétée
parles études; de J. Chateau, prend ainsi tout son sens. Ce n'est pas en
vertu de quelque mystérieuse prédestination que l'enfant .accomplit
dans les jeux des actes qui le préparent à ceux qu'il accomplira adulte.
Cette coïncidence vient de ce que le rôle essentiel du jeu est de permettre
à l'enfant de se faire plus grand, plus puissant, plus identique au modèle
«dulte qu'il ne l'est réellement, est de lui permettre ainsi de réaliser sa
■tendance fondamentale.
La théorie que j'expose est encore une fois en total accord avec celle
'des psychanalystes pour lesquels le jeu permet à l'enfant d'exprimer et de
■Jibérer des tendances qui ne sauraient se manifester sans inconvénients
•dans la réalité eu que l'enfant est contraint à refouler; le jeu a bien une
fonction de compensation. En effet, c'est bien la plus essentielle de ces
tendances de l'enfance, celle d'où dérivent presque toutes les autres,
le besoin d'être adulte, réprimée par la réalité et la culpabilité qui se
manifeste, ainsi que les tendances qui en dérivent, à travers le jeu.
Ainsi se trouve Egalisée la synthèse de, deux grandes théories du jeu :
cette âe Grara-CJaparède et J. Chateau et celle de la psychanalyse.
fl} @p>. «*, p<. 7#. ■ •
<(BjP Ehfmmt, Î9M, 1, p. 71.-
HYPOTHÈSE SUR VENFANCE 71
Agressivité enfantine.
Acculturation.
C'est par un processus tout analogue que l'enfant adoptera les règles
de conduite morale. Le mécanisme d'introjection est caractéristique de
l'affectivité enfantine qui vise avant tout à assimiler l'état d'adulte.
Comme le veut Freud, le surmoi naît bien du ça, des pulsions intellec
tuelles. L'enfant a essentiellement besoin de jouer le rôle d'un adulte.
C'est pourquoi il préférera renoncer à certains de ses plaisirs pour rester
en accord avec le monde adulte; il ira par la suite jusqu'à jouer lui-même
le rôle de l'adulte-modèle, à se donner les ordres et les interdictions,
jouant ainsi à la fois le rôle de l'adulte qui ordonne et de l'enfant qui
obéit. Les règles ainsi introjectées, comme les objets d'admiration,
survivront normalement à l'enfance. A l'âge adulte, la libido de type
enfantin ne disparaît sans doute pas totalement; elle n'apparaît plus
dans le comportement, n'ayant généralement, comme nous l'avons noté,
plus d'objet à atteindre. Mais les attitudes affectives qu'elle a engendrées
ne disparaissent pas pour autant. On sait que la réaction à la frustration
subsiste même lorsque la frustration a disparu, que l'abandonite sévit
même lorsqu'elle n'a plus sa raison d'être. De la même façon, les atti
état"
tudes par lesquelles l'enfant a recherché son adulte demeureront
lorsque cet état sera atteint. L'expérience qu'il aura faite de l'opposition
restera acquise, elle se répétera sur les mêmes modes, ou du moins sur des
modes qui seront en rapports plus ou moins complexes avec ceux adoptés
au cours de l'enfance; il en est de même de son expérience œdipienne
de la sexualité. Ainsi l'enfant se retrouvera en l'homme; la dualité de la
libido enfantine et de celle de l'adulte n'introduit nullement une coupure
entre l'enfant et l'adulte, entre ce que l'individu a appris à vivre par pré-
maturation et ce qu'il vit. Ainsi, le complexe d'Œdipe, qui est l'occasion
de l'apprentissage de l'amour sexuel par l'enfant, reste la grande source
possible des névroses sexuelles de l'adulte. On conçoit aussi pourquoi
l'enfant devenu adulte répétera souvent les comportements amoureux
de ses parents puisque ce sont ceux-là qui ont servi de modèle à sa pre
mière relation amoureuse. L'imitation des parents sexualise la vie de
l'enfant : elle la sexualise selon son mode propre.
Parfois, cependant, l'enfant grandissant rejettera les patterns fami
liaux, phénomène particulièrement net au cours de l'adolescence, surtout
si celle-ci se trouve prolongée par une situation de dépendance. Ceci
semble normal puisque l'adolescence est la période où l'enfant, tout près
de l'état adulte, préférera le mode d'identification à l'adulte qui consiste
à s'aÇirmer lui-même comme adulte et délaissera normalement la satis
faction de participation affective avec un adulte. Nous retrouvons l'oppo
sition du stade anal, mais ici l'issue normale est inverse; elle n'est pas
dans la soumission mais dans l'affirmation de soi; l'adolescent sera donc
amené à chercher des modèles en dehors de ceux que lui offrent ses
parents (1). L'adolescence, comme d'ailleurs toute l'enfance, est un
(1) Voir par exemple Debesse : La Crise d'originalité juvénile, Alcan, 1937. Sprangkr : Psyc
hologie des Jungendelters, Leipzig, 1928.
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(1) « Toute l'enfance se passe à oublier l'enfant qu'on était la veille. La croissance ne signifie
pas autre chose. Et l'enfant ne désire rien de plus que de ne phis être enfant. » Alain. Propos
sur l'Éducation, p> 17. — J'ai fait l'expérience de demander à des garçons de & à 14 ans die choi
sirdans un groupe de 5Û reproductions de tableaux celles qu'ils préféraient. Ces reproductions
se divisaient en 10 sujets : mer, paysage, maison, intérieur» nature morte, fleurs, animaux, enfants,
portraits, tableaux d'histoire. Dans l'ensemble des choix, le sujet « enfant » est classé avants
dernier. H est le pins- rejeté- chez les garçons de 13-14 ans. C'est sans doute c& même fait qui, mia-
à part quelques refoulements réels, contribue à expliquer l'amnésie des souvenirs d'enfance,
amnésie qui adan W. Kansmel, est plus complète avant la puberté et pendant qu'après (W. Kam-
mel. Ueber die erste Ernzelerinnerung, Leipzig, 1913).
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