LA LNGUISTIQUE °
APERCU HISTORIQUE
La linguistique moderne n'est pas sortie tout armée du cerveau de
quelques savants, mals s'est élaborée, et s*élabore, aujourd'hui plus que
jamais, grace a une réflexion critique sur des notions, des concephons quelle
‘a héritées d’une longue histoire (plus de deux millénaires dans notre aire are-
co-latine). Il est naif de oroire que le regard qu’on jette sur fe langage puisse
tre innocent, coupe de tout passé | en realite, ce regard est toujours siiué.
Comment saisir par exemple les fondements de notre grammaize traditionne!-
le, si l’on fait abstraction des cadres de pensée gréco-latins ?
Toute esquisse historique, méme sommaire, doit eombattre impression:
que l'étude du langage se développe dans un monde d’idées pures et scion Ja
ligne d’un progres continu ; en fait, cette étude est indissociable des sociétes
dans lesquelles elle s’élabore, étant toujours lige, plus ou moins explicite-
ment, 4 une philosophie, Aun certain type de relation aux textes (littéraires,
religieux...) ‘Autrement dit, Paccés a la langue se réalise a travers un
ensemble de pratiques sociales (dont les pratiques scolaires) qui délimitent le
champ a lintérieut duquel il peut s’exercer.
De lantiquité au comparatisme
S’il est tres difficile d’assigner un commencement a ia linguistique (le
mot lui-eméme n’existe qu’a partir du XIiXe siecle), on tetient souvent trois
grands moments dans histoire des théories du langages eu Occident : la
grammaire grecque, ja grammaire comparée au début du XiXe siécle et la lin-
guistique structurale au début du XXe.
15* NOTIONS FONDAMENTALES «
La grammaire antique
La réflexion linguistique rigoureuse fa plus ancienne est sans conteste
celle des urammairiens hindous. Panini en particulier. gui ant analysé le sans-
krit. Mais. dans notre culture, la réflexion sur le langage est sotidaire du
mode de pensée défini par Ia civilisation greeque classique : s°y est dévelop-
Pée une apprehension rationnelle du langage qui, hors de tout eadre mythique
ou religieux, vise 4 lanalyser comme une organisation spécifique, lei, Fon
distinguera deux approches trés différentes : le point de vue rhétorigne, lig &
lémergence de la sophistique. ct le point de vue fogigue.
La constitution de la democratic greeque a fait passer au premier plan le
souci de la persuasion politique, rendant nécessaire apparition de techni
Ciens de la parele, les sophistes. Dans leur volonté de fournir & feurs éléves
les moyens de maitriser ie verbe, ils ont été condui sager le langage
comme un instrament dont il était possible d’analyser et de codifier les 1es-
sources. Ce courant de la parole efficace aboutit & la Rhetorique d’Aristote
(384-322 av. J-C.), qui exerga une influence décisive sur tovte la culture
occidentale, Parallélement 4 cette approche qui voit dans le langage un
moyen d'agir sur autrui, sc développe une réflexion philosophique qui tente
Warticuler langage et vérité, Cotte fois, il s*agit de mettre en relation la struc
ture du langage et celle des propositions par lesquelles l'esprit énonce des
jugements vrais ou faux sur le monde, La encore, i faut citer Mauvee
d'Anistote, qui insiste sur fa complémentarité fondamentale oatre «sujet» et
eprédicat».
Mais. pow a peu, va se dégager une réflexion plus proprement grounte
ticale, plus soucicuse de Marticulation effective des langues naturelles, en
particulier avec [es grammairiens d' Alexandrie (Egypte). Ainsi Denys de
Thrace (-170 & - 90) écrit-il la premiére grammaire systématique de la cul-
lure occidentale, ou i distingue des parties du diseours (article, nom, pro-
nom, verbe, participe, adverbe, préposition. conjonction), encore valides
aujourd"hui, Mais chez ces Alexandrins Vintérét pour fa langue est Ini-
méme souvent subordonné a un intérét phitologique + rendre lisibles les
testes litiéraires prestigicux, ies auvres d’Homére surtout, dont la langue
Gait de plus cn plus éloignée du gree couramment pratiqué aux Ile et le
sidcles.
Les Grees nous ont également [égué deux des grands débats de philoso
phic du langage qui ont travers¢ toute la culture occidentale. Le premier
oppose ceux (les «analogistes») qui pensent que la structure de fa langue est
réguliére ct peut done faire l'objet dune science. & ceux (les eanonmalistes»)
qui n'y voient qu'un agglomérat dusages arbitraires. Le second débat oppase
les tenants d'une relation naturelle entre les mots et la réalité {tel mot par
exemple a tel sens parce qu'il est composé de tels sons) a cone qui, tcl
Aristote, pensent que le rapport entre les signes et ce qu’ils désignent {leur
caéiérent») est corventionnel, immotivé.
16* APERCU HISTORIQUE «
Les Latins ont wransmis les travaux des Grees. dautant plus aisément que
ructure du latin était assez proche de celle du gree. Dans la mesure of ka
grammaire greeque privilégie la morphologie {e"est-A-dire V'Stude du mot.
considiéré avec ses diverses désinences). if faifait que la langue latine dispose
Sgalement de déclinaisons pour que te passage de l'une & Pautre pu
rer facilement. Le grammairien le plus remarquable est Varron (ler sigele av
J.-C) auteur dun De fingue atine. Donat (vers 400) et Priscien (vers 500)
sont auteurs de manuels d’enseignement du latin classique (eclui de Cicéron}
qui feront autorite jusqu'au XVIle sigele en Europe.
"ops
La grammaire médiévale
Le fait qui domine cette gpoque est la prépondérance absolve du latin sar
la vie cultureile, Les grammairiens médi¢vaux ont affing la gtammmaire lati-
ne ; Alexandre de Villedicu, par exemple (vers 1200), en a fait un résumé
vorsifié & des fins pédagogiques qui connaitra un immense succes. L'essenticl
de Papport médiéval réside dans le développement. au Xille sicele. dune
thgorie philosophique de ia signification gui débouche sur une granneire
speculative (speculative. paree gue la langue y est le méroir, speed en
latin, de la réalité). Ces philosophes. dits modisies, s‘intéressent aus modes
de signification, aux principes universels selon lesquels le signe linguistique
est 1ié au monde ct a Vesprit de Mhonime. Pour eux. fa grammaire est la
méme dans toutes les langues, qui ne different pay dans lei asubsiancen
mais dans Jeuts «accidents»,
La grammaire humaniste
La Renaissance est te Leu d'un double mouvement en appirenee contra
dlictoire. puisqu'or remet & Mhonneur le gree et Je latin classiques et qu’en
méme temps on se met & étudier les langues vernacula:res propres fi chaque
pays, En fait, ces deux tendances convergent souvent ; ctudivr le frangais,
est supposer qu'il présente une organisation grammaticale digne de ce nom,
ct, pour le prouver. on cherche @ montrer sa conformité avee le latin ou le
gree (ef. H. Estionne ; Traité de la conformité du langage fiunceis avec de
grec, 1569). Un intense mouvement philologique de restitution des textes
antiques se développe, favorisé par l'apparition de limprimerie. En 1839, le
francais devient officicilement ta kingue de Vadminisivation. Vers 1530 appa-
taisseat les premiéres grammaires Srancaises (par exemple : John Palsgrave,
Eclaircissement de to langue francaise. (530 — Mei igtet, Traité de ta gran
maire foancaise, 1$50...), La description grammatizale de cette époque se
caractérise par Vintérét porté & la varieté. a le multiplicité des formes, aus
usages de la langue. C'est 14 un empirisme qui s'exerce aux dépens cune
recherche des principes généraux. Le développement des voyages. des
échanges commerciaun. des explorations et de lévangélisation améne
"Europe connaitre des idiomes irés divers. dont les dictionnaires poi
glottes constituent des repertoires essenticliement dévolus a favoriser kt come
munication,
17witorisée est
1a photocopie no
:
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La grammaire classique
A partir du XVile siécle se codifie progressivement la notion de «bel»
ou de «bon usage», en particulier avec Je renforcement du centralisme
monarchique et le développement-conComitant d’une vie de Cour. Un gentil-
homme, Vaugelas, avait publiéen 1647s Remarques sur la langue frin-
gaise Grigeant en norme du botmlangac usage de la Cour et de quelques
cercles privilégiés. Un tel point de vue, qui est un peu Vantithése de ja ten-
dance rationaliste (Port-Royal), améne A accorder davantage importance &
des points de détails, aux caprices de l’usage qu'aux grandes régularités de
ta langue ; la notion de «faute de francais» est ici cruciale : bien parler, c’est
cannaitre un ensemble de conventions, un code, celui d'une élite sociale. Ce
bon usage va progressivement se couper de l'usage effectif, prenant pour
référence les textes de quelques écrivains sélectionnés pour leur «elassici
me». Ce point de vue normatif va avoir unc importance décisive sur Pensei
gnement du francais. et jusqu’a nos jours. La fondation de |’ Académie fian=
caise par Richelieu, en 1635, constitue un événement important : cette
institution va fixer le Dor usage, en particulier grace & son Dictionnaire (le
edit, 1694)
Dans le domaine proprement grammatical, Pouvrage qui marque cette
Spogue est la Grammaire dite “de Port-Royal” (1660) dont les auteurs sont
A. Arnauld ct Lancelot. L’étude des formes grammaticales y est subordonnée
a une théorie des relations logiques qui fondent Ia langue. Le langage est une
représentation de la pensée par des signes, et en analysant une langue, ou plu-
sicurs, on remonte de usage aux principes rationnels universels auxqucls
doit obdir toute langue si elle veut exister, ¢est-d-dire représenter fidélement
la pensée. Dans cette grammaire dite mentaliste, le fondement des regles
grammaticates. ce sont les principes clairs qui expliquent comment ces régles
permettent d’exprimer la pensée.
Cette perspective va dominer jusqu’a la fin du XVille siécle. La proposi-
tion logique, le jugement sont au centze de la réflexion : la proposition analy-
se la pensée en combinant des idées représentées par les mots. L'histoire des
langues ainsi que leur diversité sont secondaires face 4 l'universalité et la sta-
bilité de la raison cartésienne. Une telle conception se retrouve en particulier
dans !'Encyclopédie ot le grammairicn Beauzée affirme par exemple que
«toutes les langues assujettiront indispensablement leur marche aux lois de
Tanalyse logique de fa pensée ; et ces lois sont invariablement les mémes
partout et dans tous jes temps». Cela explique l’intérét porté a cette épeque a
Vorigine des langues, au mythe d'une langue originelle dans laquelle le lan-
gage aurait coincidé parfaitement avec la pensée.
18‘* APERCU HISTORIQUE «
Comparcitisme et linguistique historique
Au début du X1Xc siécle se produit une mutation dans [a réflexion gram-
maticale (bien qu'elle n°ail pratiquement pas cu d'infiuenee sur Peiscigne-
ment}. Si, !époque classique, Ie langage analysait Ia pensée. au XINe
siécle. il devient un organisme grammatical soumis a I'Histoire. Le fait capi-
tal est constitué par fa restitution de Mindo-enrapéen, restitution correlative
d'une méthodologie. le comparatisme.
Le Comparatisme
En 1786. Anglais W. Jones emet Maypothése que le sunskrit fvieille
langue saceée de Inde), présentant des ressemblances frappantes avee le
latin, le gree, le celtique, le persan, cic., avait la méine origin. De multiple
recherches furent réalisées dans ce sens, cl si Allemand F, Schlegel diffusa
bes idées dans son livre Swe fe fangue ef fe sayesse des Indiens (1808), ce
furent les travaux de F. Bopp et R. Rask qui allaignt fonder !a méthode com-
paratiste,
F. Bopp (1791-1867) publia en 1816 un meémoire sur Le syvican des
conjugaisons du sanskrit comparé & celui du grec, ce fatin, die persan of da
germanique, dans lequel if démontya rigoureusement la communauté d’origi-
ne de ces langues, les faisant déviver d'une hypathetique langue mere. Mreio~
européen, Un ant plus t6t. le Danois Ro Rask (1787-8523. dans son
Investigation sur Uorigine du vieux Nerrois ow istinieis. avant ctabli. prais
sang se servir du sanskrit, les affinités entre iskindais. langues seandinaves,
aree, latin, arménien, slave, langues germaniques... Aves ces GeuN aLIEUS. el
beaucoup d'autres, la notion vague et préscientifique de wressemblances
entre langues fait place 4 ume methodologic de plus en plus ngoyrcuse ct pre-
cise.
Romantisme et modéle biologique
Les productions culturelies de cette speque altestent une prse de
conscience aigué de lhistoricité et Mexattation. cormétative de Veveil des
nationalismes. des passés nationaux. des cantiquités nationales». Les fittéra-
tures populaires suscitent un grand intérét, dans la mesure cit on pense
alteindre 4 travers elles lime prolonde» des peuples. fe vouloir d'une nation
sanmise a une destinge historique, porteuse dune mission. Dans cetic pers-
pective se développe un intense travail phitologique sur les contes. Tegendes.
épopees:
Une influence en quelque sorte opposée, mais tout aussi capitals, s’exer-
ce sur étude du langage, celle des sciences de kt nature, alors en pleine
inutation, avec Cuvier, Darwin... Dés 1808, F, Schlegel Serivait : «La gram-
maire compare nous fournira des solutions absetument nouvelles sur lt
genbalogic des jangues, de la méme manere que / wnaiomie conparte «
19"ipa rid jour ules partes spire de haar ature La
emetic siege de cts Epoque favorit ete aloe ge st
consis come wv xgensine ch alton ensue, et atc econ
mem, cn oivant ds lls corpmrabies cellos des for vias [hee