ANNALES CORRIGÉES
Classe(s) : 1re Générale | Thème(s) : Hugo, Les Contemplations – « Les Mémoires d’une âme »
4 heures
20 points
INTÉRÊT DU SUJET • Que dit un poète de lui-même dans ses poèmes ? Le sujet invite à confronter
deux genres : l’autobiographie et la poésie.
► La poésie romantique se caractérise par la forte présence du « je ». Pensez-vous que ce « je »
lyrique soit un « je » autobiographique ?
Vous répondrez à cette question dans un développement argumenté, en vous appuyant sur votre
lecture des Contemplations de Hugo et sur les autres textes étudiés dans le cadre du parcours
« Mémoires d’une âme ».
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CORRIGÉ
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INTRODUCTION
Le lyrisme est défini comme l’expression forte d’une subjectivité sur des thèmes comme l’amour, la
mort, la nature. Mais le « je lyrique » n’est pas obligatoirement un « je autobiographique », dans le
sens où il n’est pas nécessaire que le poète ait vécu en personne les événements qu’il prend pour
motifs de ses poèmes.
Avec le romantisme, le « je lyrique » prend une place nouvelle caractérisée par l’expression des
sentiments subjectifs.
« Je suis le premier qui ai fait descendre la poésie du Parnasse, et qui ai donné à ce qu’on nommait la
muse, au lieu d’une lyre à sept cordes de convention, les fibres mêmes du cœur de l’homme,
touchées et émues par les innombrables frissons de l’âme et de la nature », écrit Lamartine dans la
préface des Méditations poétiques.
La poésie romantique se réclame d’Orphée, chantant sa douleur après la mort d’Eurydice. Le chant
lyrique est incarné par la personne du poète.
2. Le « je lyrique »
La question se pose alors de l’identité de ce « je lyrique » : le poète est-il lui-même le sujet de son
écriture, ou un « je » plus universel ?
C’est ainsi que dans le même recueil, Méditations poétiques, Lamartine adresse un « Hymne au
soleil », exprime la douleur de la perte d’un amour (« Isolement ») et s’adresse à son lecteur : « Qui
n’a pas entendu cette voix dans son cœur ? » (« Vallon »).
Méditations poétiques est un recueil teinté de mélancolie, à l’image de Lamartine, qui, comme
Orphée, ne peut voir le monde qu’à travers sa douleur. Mais l’expression de sa mélancolie ne fait pas
de son recueil un recueil autobiographique.
3. Le poème autobiographique
MOT CLÉ
L’autobiographie est un « récit rétrospectif en prose qu’une personne réelle fait de sa propre
existence, lorsqu’elle met l’accent sur sa vie individuelle, en particulier sur l’histoire de sa
personnalité. » P. Lejeune, Le Pacte autobiographique, 1975
Le poète peut affirmer ses préférences. Ainsi de ce vers « J’aime le souvenir de ces époques
nues, / Dont Phoebus se plaisait à dorer les statues », dans lequel Baudelaire expose ses goûts
esthétiques.
La datation et/ou la mention du lieu peuvent ancrer le poème dans la vie du poète : « C’est le temps
de la ville. – Oh ! lorsque l’an dernier, /J’y revins, que je vis ce bon Louvre et son dôme, / Paris et sa
fumée, et tout ce beau royaume » (Musset, Contes d’Espagne et d’Italie, « Sonnet », 1830).
Il s’agit de montrer en quoi le projet autobiographique annoncé par Hugo dans sa préface se
différencie de l’autobiographie telle qu’elle est définie par Philippe Lejeune.
À la manière de Rousseau dans son préambule aux Confessions, Hugo conclut avec son lecteur
« un pacte de sincérité ».
Lorsqu’il écrit qu’il « a laissé, pour ainsi dire, ce livre se faire en lui », il nous garantit la véracité des
événements et des sentiments.
En affirmant avoir écrit « jour à jour », Hugo présente Les Contemplations comme un journal intime.
Pourtant elles relèvent bien du genre des mémoires comme le prouvent le sous-titre « Mémoires
d’une âme » et le fait qu’il ait écrit le recueil entre 1840 et 1850 (dates qui ne correspondent ni à son
enfance ni à son adolescence).
2. Le brouillage du temps
Un projet autobiographique s’inscrit dans une continuité historique, pourtant cette temporalité est
brouillée.
La composition du recueil en deux grandes parties « Autrefois » et « Aujourd’hui », ainsi que les trois
livres qui les composent, se succèdent chronologiquement.
Mais un désordre s’installe : par exemple « À Granville, en 1836 », précède le poème « Vers 1820 ».
De plus, les dates sont peu précises : dans le deuxième livre, seul un poème est précisément daté
(juin 1839), un autre précise la décennie (septembre 183…). Les autres poèmes ne portent que la
mention du mois et du siècle : juin 18…
La prose va de l’avant de manière continue, alors que chaque poème vaut pour lui-même et
constitue souvent une forme brève.
Il suffit d’observer la suite des poèmes du livre I pour voir qu’y règnent le discontinu et l’ellipse.
Quelle continuité trouver entre « La vie aux champs » (I, 6) et « Réponse à un acte d’accusation » (I,
7) ou entre « À madame D.G de G. » (I, 10) et « Lise » (I, 11) ?
À NOTER
Maulpoix et un poète contemporain, auteur d’essais critiques sur la poésie. Dans un de ses articles, il
s’interroge sur la place du « je » dans la poésie.
[Transition] Ainsi, on peut dire avec Maulpoix, que « Là où l’autobiographie tend à centrer la figure,
la poésie l’émiette, la disperse et la dé-figure ».
Comment le « je » autobiographique et le « je » lyrique, qui, selon Hugo, dépasse sa propre
individualité, cohabitent-ils dans la poésie pour devenir le miroir du lecteur ?
Dans sa préface, Hugo reprend un reproche souvent adressé aux poètes romantiques : ils sont trop
centrés sur eux-mêmes.
D’autre part, au lieu de tendre à l’universel, le poème n’est parfois qu’un miroir narcissique. Dans la
« Nuit de décembre » de Musset, cet « autre qui [lui] ressemblait comme un frère » et qui revient de
manière lancinante n’est que son propre reflet.
2. Le miroir du lecteur ?
Pour éviter cet égocentrisme, Hugo affirme, dans sa préface, que « Ce livre contient, nous le
répétons, autant l’individualité du lecteur que celle de l’auteur. Homo sum. »
Le « je » autobiographique est alors un « je » collectif dans lequel le lecteur doit apprendre à se
reconnaître, car tous les hommes ont une même destinée, de « l’énigme du berceau » à « l’énigme
du cercueil ».
Il y a une universalité des états d’âme même si les événements qui les provoquent sont différents de
ceux vécus par le lecteur : le « je » lyrique s’adresse plus directement au lecteur que le « je
autobiographique ».
On peut mettre en relation cette adresse au lecteur avec le poème liminaire des Fleurs du mal dans
lequel Baudelaire apostrophe le lecteur : « Hypocrite lecteur, - mon semblable, - mon frère ! »
Car c’est au lecteur d’apprendre à se reconnaître dans le miroir tendu par le poète : « Hélas ! quand
je vous parle de moi, je vous parle de vous. Comment ne le sentez-vous pas ? Ah ! insensé, qui crois
que je ne suis pas toi ! », écrit Hugo dans sa préface.
3. Je est un autre
Si la poésie est ce miroir qui fait passer du je au je (Musset), du je au nous (Hugo), elle peut être aussi
ce qui permet au « je » de se voir « autre ».
C’est ce qu’exprime Rimbaud dans sa lettre à Demeny (1871) : « Car Je est un autre. Si le cuivre
s’éveille clairon, il n’y a rien de sa faute. Cela m’est évident : j’assiste à l’éclosion de ma pensée : je la
regarde, je l’écoute : je lance un coup d’archet : la symphonie fait son remuement dans les
profondeurs, ou vient d’un bond sur la scène. »
CONCLUSION
[Ouverture] Ce « je » qu’il soit lyrique ou autobiographique sera rejeté par les parnassiens et par les
symbolistes, et particulièrement par Mallarmé qui cherche la « disparition élocutoire du poète » pour
laisser parler la poésie elle-même et passer de la parole poétique à l’acte poétique.