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In
memoriam
le
Père
Prof.
Alfons
J.
Smet
1926 – 2015
Le
Vendredi
Saint,
le
père
Alfons
J.
Smet,
passioniste
vient
de
décéder
subitement.
En
Flandres
il
n’était
connu
que
les
dernières
années
dans
sa
communauté
et
dans
des
groupes
de
prières.
Mais
dans
une
publication,
faite
à
Kinshasa
en
1997,
l’éditeur
n’hésitait
pas
à
écrire:
“Le
nom
de
‘Père
Smet’
est
aujourd’hui
des
plus
connus
dans
le
monde
philosophique
africain.
Les
chercheurs
africains
voient
en
lui
l’homme
qui
aura
sorti
la
philosophie
africaine
de
sa
préhistoire”.
(M.
Buassa
Mbadu,
Père
A.J.
Smet
et
la
philosophie
Africaine,
Kinshasa,
1997,
122
p
–
Recherches
Philosophiqes
Africaines
n°
27).
Celui
qui
fait
des
recherches
à
Google
avec
le
nom
A.J.
Smet,
en
connection
avec
‘Philosophie
Africaine’,
n’en
trouvera
que
des
confirmations
en
beaucoup
de
langues.
Le
père
Smet
a
défendu
avec
grand
succès
un
doctorat
à
l’Université
de
Leuven
en
1958
et
y
restait
quelques
années
au
Centre
De
Wulf-‐Mansion
en
tant
que
chercheur
dans
le
domaine
de
la
philosophie
médiévale.
Rien
ne
pouvait
entrevoir
l’importance
que
cela
pouvait
avoir
sur
sa
carrière
plus
tard
au
Congo/Zaïre
pendant
les
années
’70
–
’90.
Pendant
les
années
de
troubles
à
Paris
en
’67-‐’68,
il
sa
prépara
pour
devenir
missionnaire
au
Congo
en
suivant
des
cours
sur
la
pensée
Africaine
auprès
des
spécialistes
de
l’époque,
G.
Balandier
en
J.
Maquet.
Ainsi
préparé,
il
était
invité
en
1968
à
donner
des
cours
de
philosophie
à
la
Faculté
de
Philosophie
et
Lettres
de
l’Université
Lovanium
à
Kinshasa
(Congo).
En
1971
il
partait
pour
devenir
chef
du
département
de
philosophie
à
Lubumbashi.
Il
retourne
à
Kinshasa
pour
y
devenir
également
chef
du
département
de
Philosophie
et
de
Religions
Africaines
de
la
Faculté
de
Théologie
de
Kinshasa
de
1977
à
1981.
Sa
carrière
de
professeur
de
philosophie
à
Kinshasa
de
1974
à
1991
sera
parfois
coupée
par
quelques
années
de
rectorat
au
Philosophat
Saint
Augustin
à
Kinshasa
ou
réduit
à
un
mandat
à
temps
partiel
à
la
Faculté
de
Théologie.
De
1991
à
1993
et
de
1995
à
1998
il
devient
recteur
à
plein
temps
au
Philosophat
Saint
Augustin.
Mais
des
raisons
d’une
santé
précaire
l’obligent
à
rentrer
en
Belgique
au
couvent
à
Wezembeek-‐Oppem
où
il
meurt
subitement
le
3
avril
2015.
Quand
je
l’ai
rencontré
en
2012
il
savait
que
sa
santé
pouvait
lui
manquer
un
jour,
mais
il
était
content
d’avoir
fini
sa
tache
en
préparant
tous
les
textes
pour
une
édition
critique
de
l’œuvre
du
père
Pl.
Tempels,
une
œuvre
qu’il
connaissait
comme
personne
d’autre.
Par
faute
de
publication
sur
papier,
on
peut
trouver
tous
les
textes
en
version
digitale
à
http://www.aequatoria.be/tempels/
.
Pendant
son
année
sabbatique
à
Paris
en
1967-‐1968,
il
découvrit
donc
la
pensée
africaine.
Un
intérêt
qu’il
gardera
toute
sa
vie.
Durant
les
premières
années
au
Congo
il
cherchait
plus
d’informations
et
découvrit
l’œuvre
bien
connue
du
Père
P.
Tempels
:
La
Philosophie
Bantoue,
publiée
en
1949
à
Présence
Africaine
et
réimprimée
en
1961.
Ce
n’est
qu’à
l’instigation
de
son
jeune
collègue
du
Bénin,
le
prof.
Paulin
Hountondji,
professeur
de
philosophie
à
Lubumbashi
et
fort
connu
plus
tard
pour
ses
critiques
sur
l’ethnophilosophie,
qu’il
publiera
sa
première
bibliographie
de
la
pensée
africaine,
dans
une
nouvelle
revue
qu’il
venait
de
fonder
:
Cahiers
Philosophiques
Africains.
De
retour
à
Kinshasa,
le
doyen
de
la
faculté,
le
professeur
Ntedika
Konde,
l’invitait
à
donner
un
cours
sur
la
Philosophie
Africaine,
vue
le
matériel
que
le
père
Smet
avait
déjà
rassemblé.
Ce
cours
nous
a
donné
la
publication
en
deux
tomes,
maintenant
très
recherchés,
“Philosophie
Africaine
–
Textes
Choisis
et
bibliographie
sélective”
(Kinshasa,
PUZ,
1975,
557
p.),
dans
lesquels
le
père
Smet
avait
rassemblé
des
textes
de
la
‘préhistoire’
de
la
philosophie
Africaine,
souvent
introuvables
mais
importants
pour
saisir
l’importance
du
texte
du
père
Tempels
sur
la
Philosophie
Bantoue.
A
partir
de
1974,
il
procure
un
syllabus
ronéocopié
‘Notes
d’histoire
de
la
pensée
africaine’
qui
deviendra
l’article
Histoire
de
la
philosophie
africaine:
problèmes
et
méthodes
(p.
47-‐68)
dans
une
autre
nouvelle
revue
Recherches
Philosophiques
Africaines
(1977)
qui
contiendra
également
l’édition
des
actes
de
la
première
Semaine
Philosophique
de
Kinshasa
de
1976.
Cette
historique
deviendra
la
base
d’une
systématisation
des
différents
textes
philosophiques
africains
:
des
textes
d’avant
le
p.
Tempels,
les
textes
du
p.
Tempels
et
ses
‘disciples’,
des
textes
critiques
et
de
textes
politico-‐idéologiques,
p.ex.
de
L.S.
Senghor
et
de
K.
Nkrumah.
Son
cours
Histoire
de
la
philosophie
africaine
contemporaine:
courants
et
problèmes
contiendra
en
1980
299
pages
en
polycopie!
A
partir
des
années
’76
son
intérêt
se
fixera
encore
plus
à
l’œuvre
du
Père
Tempels
:
ses
écrits
connus,
mais
également
ses
écrits
moins
connus
ou
non-‐publiés.
Il
les
sauve
ainsi
de
l’oubli
et
les
prépare
pour
une
édition
critique
“Philosophie
Bantu
augmenté
du
huitième
chapitre
inédit”
(2008),
non
publiée
pour
l’instant,
mais
qui
formera
la
base
de
l’édition
italienne
de
2005
!
Nous
devrons
ici
signaler
que
c’est
un
peu
malheureux
que
Présence
Africaine
a
réédité
la
Philosophie
Bantoue
de
Tempels
en
2014
dans
sa
version
originale,
sans
en
faire
une
édition
critique.
Une
occasion
manquée.
Mais
tout
le
monde
peut
consulter
l’édition
critique
en
version
digitale
sur
le
site
www.aequatoria.be/tempels
.
Le
père
A.
Smet
n’a
rarement
pris
une
position
sur
ce
que
devrait
être
la
‘Philosophie
Africaine’.
A
ce
sujet,
il
est
très
clair
:
«
Ce
sont
les
Africains
qui
doivent
construire
leur
avenir.
Ils
ne
le
feront
pas
sans
philosophie,
implicite
ou
explicite,
classique
ou
africaine.
C’est
à
eux
de
décider
quelle
philosophie
les
mènera
à
une
nouvelle
Afrique,
qui
assume
son
passé
et
forgera
son
avenir.
Mais
l’Afrique
par
l’Afrique
ne
se
fera
pas
sans
le
peuple,
sans
sa
langue,
sans
son
génie.»
(Cité
dans
la
préface
de
Père
A.J.
Smet
et
la
Philosophie
Africaine,
1997).
La
contribution
du
père
Smet
pour
la
philosophie
africaine
ne
peut
être
sous-‐estimée,
et
est
souvent
bien
reconnue
par
tous
ceux
qui
s’y
connaissent
dans
la
problématique
de
la
philosophie
africaine
en
Afrique
et
bien
ailleurs
dans
le
diaspora
africain
:
-‐ Il
n’a
fait
que
donner
des
chances
à
ses
collègues
philosophes
africains
à
développer
en
toute
liberté
leur
pensées
propres,
à
ne
pas
copier
servilement
une
philosophie
occidentale
;
-‐ Il
a
encouragé
ses
étudiants
africains
de
philosophie
à
travailler
le
matériel
africain
:
les
langues,
les
proverbes,
les
récits…
sans
oublier
le
niveau
académique.
A
un
certain
moment
il
a
décidé
à
les
inviter
à
traduire
des
textes
philosophiques
dans
leur
propre
langue
maternelle
pour
forger
une
langue
philosophique
originelle,
tout
comme
cela
s’est
passé
en
Occident
où
on
a
du
développer
une
langue
philosophique
française,
allemande,
anglaise,
même
néerlandaise
(
!)
pour
se
démarquer
de
la
langue
courante
en
philosophie
et
en
théologie
à
l’époque
:
le
latin
;
-‐ Il
invita
des
philosophes
de
toute
l’Afrique
et
de
l’Europe
à
se
rencontrer
lors
de
semaines
philosophiques
de
Kinshasa
à
partir
de
1976.
Il
y
donnait
ainsi
une
plateforme
aux
collègues,
mais
également
au
jeunes
assistants
et
étudiants
qui
y
feraient
leur
premiers
pas
en
philosophie.
Plusieurs
parmi
eux
sont
devenus
des
grands
noms
à
travers
le
monde.
Ils
sortaient
également
de
l’anonymat
par
la
publication
des
actes
dans
les
fameuses
Recherches
Philosophiques
Africaines.
Ainsi
on
découvrit
la
soi-‐disant
école
herméneutique
de
Kinshasa
avec
les
professeurs
Nkombe
Oleko
en
Tshiamalenga
Ntumba
;
-‐ Le
rassemblement
des
textes
introuvables
des
premiers
pionniers
de
la
philosophie
africaine
sont
encore
des
œuvres
de
base,
fort
recherchés,
les
fameux
tomes
en
rouge
:
‘Philosophie
Africaine
–
textes
choisis’
de
1975;
-‐ Déjà
comme
chercheur
à
l’université
à
Leuven,
il
était
conscient
de
l’importance
d’un
inventaire
de
tous
les
textes
concernant
un
sujet.
Ainsi
il
collectionnait
précieusement
tous
les
documents
qui
concernaient
de
près
ou
de
loin
la
question
de
la
philosophie
africaine
dans
ses
bibliographies.
En
2005
une
publication
voyait
le
jour
:
Philosophie
Africaine,
une
étude
bibliographique
1729-‐2000
–
tome
1
(jusqu’à
la
lettre
M),
éditée
comme
Recherches
Philosophiques
Africaines
n°33,
mais
entretemps
à
consulter
sur
internet
jusque
l’année
2004
sous
les
auspices
de
l’Institut
de
Philosophie
de
Université
de
Louvain-‐la-‐Neuve
(http://www.isp.ucl.ac.be/recherche/philafr/
);
Qui
poursuivra
ce
travail
important
?
-‐ Ses
ébauches
bibliographiques
l’ont
amené
à
la
publication
de
son
fameux
Panorama
de
la
philosophie
africaine
contemporaine,
publié
dans
Mélanges
de
Philosophie
Africaine,
1978,
p.
263-‐281,
en
collaboration
avec
le
jeune
et
talentueux
prof.
Nkombe
Oleko.
Ils
distinguaient
quatre
courants
:
un
courant
idéologique
;
un
courant
de
reconnaissance
d’une
philosophie
africaine
traditionelle
;
un
courant
critique
et
un
courant
synthétique.
Ce
panorama
sert
encore
toujours
de
base
à
beaucoup
de
manuels
sur
la
philosophie
africaine
en
Afrique
et
ailleurs
;
-‐ Son
plus
grand
mérite
est
sans
doute
la
publication
et
la
défense
de
l’originalité
de
la
Philosophie
Bantoue
du
p.
Tempels.
On
a
connu
plusieurs
éditions
et
traductions
qui
ont
données
également
des
interprétations
parfois
malheureuses.
Le
père
Smet
est
un
des
rares
auteurs
qui
connaissent
et
savent
lire
l’édition
originale
en
Néerlandais
(c’est
le
sous-‐titre
de
l’édition
néerlandaise
!),
mais
également
les
annotations
de
la
main
du
père
Tempels
lui-‐même.
Ainsi
le
père
Smet
pouvait
faire
au
moins
deux
remarques
importantes
que
les
interprètes
oubliaient
souvent:
1.
Les
titres
en
Français
et
en
Anglais
donnaient
injustement
l’impression
que
le
père
Tempels
aurait
écrit
LA
philosophie
des
Bantu,
éventuellement
en
extrapolant
même
à
tous
les
Africains.
L’édition
originale
en
Néerlandais
(et
Allemand)
n’avait
pas
cet
article
définitif
dans
le
titre.
Ce
n’était
que
‘Bantoe-‐Filosofie’
ou
donc
‘Philosophie
Bantoue’.
Le
père
Smet
insistait
toujours
que
le
père
Tempels
était
également
très
hésitant
à
écrire
qu’il
avait
écrit
LA
philosophie
bantoue.
Ce
n’était
qu’une
hypothèse,
sans
but
d’écrire
l’œuvre
de
base
que
dirait
le
mot
final.
Mais
c’était
pour
le
p.
Tempels
qu’une
contribution
pour
y
baser
une
catéchèse
chrétienne,
tout
en
reconnaissant
«
une
»
philosophie
à
la
base
des
conceptions
des
Bantu.
Tout
devenait
clair
quand
le
p.
Smet
découvrit
le
fameux
huitième
chapitre
non-‐publié
dans
lequel
le
p.
Tempels
exprime
ses
réserves
et
contredit
quelques
critiques
non-‐fondées.
Les
interprètes
qui
ne
lisent
que
les
versions
françaises
ou
anglaises
des
éditions
de
Présence
Africaine
manquent
ces
nuances
;
-‐ 2.
Le
p
.
Tempels
a
beaucoup
été
critiqué
que
‘être’
était
‘force’.
Il
ouvrait
ainsi
une
vielle
discussion
philosophique
que
le
p.
Smet
comprenait
immédiatement,
vu
ses
études
de
la
philosophie
médiévale.
On
critiquait
le
p
.
Tempels
qu’il
n’avait
pas
respecté
la
vision
scolastique
thomiste
en
identifiant
‘être’
avec
‘force,
là
ou
St.
Thomas
disait
que
‘être’
était
quelque
chose
en
soi
et
le
reste
ne
pouvait
être
compris
que
comme
prédicat.
Ce
qui
donnait
une
conception
assez
statique
de
l’être.
En
faisant
de
l’être
un
être
dynamique
(être
=
force),
le
p.
Tempels
semblait
rejeter
la
‘philosophia
perennis’
(E.
Boelaert).
Mais
le
p.
Smet,
spécialiste
dans
cette
matière,
a
bien
reconnu
que
le
p.
Tempels
s’inspirait
plutôt
de
la
philosophie
de
Duns
Scotus
,
un
confrère
franciscain
du
Moyen-‐Age,
pour
donner
une
portée
plus
dynamique
au
concept
de
l’être
en
l’identifiant
dans
son
essence
avec
‘force’.
Notant
qu’au
début
du
vingtième
siècle
d’autres
philosophes
européens
étaient
déjà
du
même
avis
qu’il
vaut
mieux
comprendre
l’être
dans
un
sens
plus
dynamique
(Bergson,
Heidegger,
…).
Dans
un
journal
en
Flandre
se
trouvait
qu’une
brève
annonce
du
décès
du
père
A.J.
Smet.
Mais
le
père
provincial
passioniste
congolais,
le
père
Vital,
disait
pendant
les
obsèques
justement
:
Avec
le
décès
du
père
Smet,
beaucoup
d’intellectuels
au
Congo,
mais
également
dans
l’Afrique
et
en
dehors,
nous
perdons
quelqu’un
qui
a
été
un
homme
important
dans
la
reconnaissance
de
l’Afrique.
C’était
le
style
de
vie
du
père
Smet:
en
toute
modestie,
être
pour
les
autres.
En
philosophie
africaine
il
a
donné
une
plateforme
aux
autres
:
par
la
fondation
des
revues
(Cahiers
Philosophiques
Africains,
Recherches
Philosophiques
Africaines),
des
publications
des
textes
et
des
bibliographies,
ou
des
rencontres
réguliers
(Semaine
Philosophique
de
Kinshasa).
Du
chef
de
sa
situation
de
professeur
ou
de
chef
de
département
il
a
puisé
dans
les
moyens
et
les
possibilités
pour
laisser
la
parole
aux
Africains
eux-‐mêmes
à
s’exprimer
sans
contrainte,
à
chercher
leur
propre
chemin
dans
le
labyrinthe
qu’est
la
philosophie.
Beaucoup
lui
en
seront
reconnaissant,
en
Afrique,
mais
également
ailleurs
dans
le
diaspora
Africain.
Herman Lodewyckx