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AVIS D’EXPERT

La rhumatologie
au Maroc et en France
Comparaison des prises en charge thérapeutiques
Dr Michel Bodin*

Entretien lors des JNR 2016 avec le Pr Najia Hajjaj-Hassouni, rhumatologue, ancien
doyen de la faculté de médecine de Rabat, directrice du centre d’innovation, univer-
sité Mohammed VI des sciences de la santé, Casablanca (Maroc).

Michel Bodin  : L’exercice de la


médecine en France est encadré
par les autorités de santé et les
organismes de sécurité sociale.
Quelles sont les différences
entre votre mode d’exercice au
Maroc et le nôtre ?

Najia Hajjaj-Hassouni  : Il existe


effectivement un certain nombre de
similitudes, mais aussi de très nom-
breuses différences. Nos facultés
enseignent la médecine en français,
par ailleurs de nombreux rhumato-
DR

logues marocains ont soit suivi leur


formation en France pour les plus d’être aussi évidente qu’en France, ment, le système de l’AMO (Assu-
anciens, soit y ont fait des stages notamment en dehors des villes. rance maladie obligatoire) et le
de perfectionnement et nous avons Et si l’on tente une comparaison, la RAMED (Régime d’assistance mé-
donc coutume de suivre les recom- population française, à mon sens, ne dicale aux économiquement dému-
mandations françaises. Toutefois, se rend pas compte de la facilité avec nis). Aujourd’hui, plus de 8 millions
l’absence de codification stricte au laquelle elle peut bénéficier de soins de personnes sont bénéficiaires de
niveau national fait que, dans cer- efficaces et d’avis éclairés. l’AMO et/ou du RAMED, mais plus
tains cas, notre exercice se pratique de 40  % de la population demeure
de manière plus individuelle. Une exclue du système et il persiste de
autre différence majeure est l’accès M.B. : Y a-t-il des organismes de très grandes disparités au niveau
des patients aux soins  : l’accès à protection sociale, et lesquels ? des prestations.
une consultation spécialisée est loin
N.H.-H. : Il y en a : nous disposons
par exemple de la Mutuelle des M.B. : Ces systèmes sont-ils ca-
fonctionnaires. Par ailleurs, le gou- pables de subvenir aux besoins ?
* Griselles
vernement a mis en place, récem- Par exemple aux coûts des nou-

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La rhumatologie au Maroc et en France

« Le nombre de SPA Cette étude a confirmé ces hypo- ailleurs, la PR en chef de file. Nous
thèses et mis en évidence que la devons cependant noter que le
est plus important au sévérité de la maladie était surtout nombre de spondyloarthropathies
Maroc qu’en France : liée au retard de diagnostic. Qui dit (SPA) est plus important au Maroc
retard de diagnostic dit retard de qu’en France : nous estimons que
une SPA pour la mise en route du traitement et nous voyons en consultation une
deux PR. » donc pertes de chance pour le ma- SPA, souvent évoluée, pour deux
lade. Nous avons constaté qu’une PR. Dans les années 1990-2000,
prise en charge précoce permettait en collaboration avec mon maître
la mise en route d’un traitement le Pr Bernard Amor, le Pr Maxime
veaux médicaments, comme les très efficace dans un grand nombre Dougados et le Pr  Pascal Claude-
biothérapies ? de cas. En fait, le méthotrexate Pierre, nous avions publié
(MTX) et les AINS permettent sou- quelques travaux comparatifs des
N.H.-H.  : Les biothérapies com- vent un bon contrôle de l’affection SPA vues au Maroc et en France.
mencent effectivement à être em- et, surtout, une épargne en corti- Nous avions constaté une sévé-
ployées au Maroc, mais restent ex- cothérapie, dont l’emploi au Maroc rité plus importante des formes
cessivement chères et la majorité est fort mal contrôlé  : obtenir des marocaines, avec une destruction
des patients ne peuvent y recourir. cortisoniques, avec ou sans ordon- plus précoce et plus fréquente des
C’est dire tout l’intérêt du présent nance, est malheureusement plu- hanches, survenant de plus chez
congrès  : abandonnant pour un tôt facile. La consommation abu- des patients jeunes. Cette étude
temps le domaine sophistiqué des sive de ces traitements, loin d’être avait été étendue ultérieurement
biothérapies, il fait la part belle aux anodins, induit un surdosage cri- à l’ensemble du Maghreb (Algérie
médications beaucoup moins oné- tique chez nombre de nos malades. et Tunisie), et nous avions conclu
reuses, mais néanmoins efficaces, Nous essayons de les sevrer, tout avec nos collègues français qu’il
utilisables dans nos pays moins ri- au moins partiellement, mais il est existait vraisemblablement un fac-
chement dotés. Cela nous donne les souvent difficile ultérieurement de teur d’environnement défavorable
moyens de traiter beaucoup plus de reprendre une thérapeutique plus (absence d’eau courante ou de sys-
patients. Pour intéresser davantage logique. Nous avons pu toutefois tème de réfrigération au domicile
nos autorités de tutelle à la polyar- publier une série de PR diagnos- des patients). La possibilité d’in-
thrite rhumatoïde (PR), nous avons tiquées et traitées de manière fection bactérienne latente avait
mis en route au Maroc une étude précoce par des rhumatologues, été évoquée, mais il n’était pas, à
de cohorte sur la PR avec l’aide des suivies pendant deux ans et béné- l’époque, dans nos possibilités de
Pr Maxime Dougados et Bernard ficiant d’une évolution favorable, confirmer ou d’infirmer ces hypo-
Combe. Les Pr Alain Saraux et Valé- avec des formes cliniques relative- thèses. Avec le recul, il n’est pas
rie Devauchelle, de Brest, nous ont ment peu sévères et même un cer- impossible que celles-ci aient été
aidés à la formation de deux méde- tain nombre de rémissions. pertinentes  : l’amélioration des
cins marocains pour la lecture des conditions de vie, les possibilités
clichés. de diagnostic plus précoce, l’ins-
M.B.  : La PR constitue-t-elle tauration rapide d’un traitement
l’affection la plus fréquente efficace, notamment par les AINS,
M.B.  : Quelle était la finalité de amenant à consulter ? ont changé le profil et le pronostic
cette étude de cohorte ? de l’affection. Les formes juvéniles
N.H.-H. : Comme en France, énor- sont moins fréquentes qu’il y a une
N.H.-H. : Nous avions l’impression mément de consultants souffrent dizaine d’années. Le gouvernement
que le profil de la PR dans notre de lombalgies ou de rachialgies. marocain a fait de gros efforts pour
pays était tout à fait différent  : La gonarthrose suit en termes la distribution en eau courante et
elle paraissait moins sévère, avec de fréquence et, immédiatement en électricité sur l’ensemble du
moins de manifestations systé- après, ce sont les rhumatismes territoire, toutes mesures évidem-
miques ou extra-articulaires, mais inflammatoires chroniques qui ment efficaces sur le niveau de vie
avec davantage de déformations. s’imposent avec, comme partout et sur la santé des populations.

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AVIS D’EXPERT

« Les formes désintéressant du marché maro- pus Meda que nous avions monté
juvéniles de PR sont cain. Nous ne disposons pas par
exemple de l’hexatrione, de l’hy-
avec la France (Pr François Ran-
nou) et l’Italie (Pr Giuseppe Vita).
moins fréquentes droxychloroquine, ni du MTX par voie En matière de thermalisme, nous
qu’il y a une dizaine orale. Nous avons le MTX par voie disposons d’une station thermale
intramusculaire mais pas par voie d’eaux sulfurées, Moulay-Yacoub,
d’années. » sous cutanée. Cette nouvelle forme, très connue des Marocains, où de
certainement plus confortable pour nombreuses affections (dont l’ar-
le malade, sera peut-être prochai- throse) sont prises en charge. Mais
M.B. : Et l’arthrose ? nement distribuée chez nous si son nous prescrivons peu de cures
coût n’est pas trop élevé. thermales, leur prise en charge
N.H.-H. : L’arthrose se présente des cures restant dans la majorité
sous des profils différents. Elle est des cas à la charge des patients.
évidemment courante en consulta- M.B. : Comment les médicaments
tion, mais la population marocaine sont-ils agréés au Maroc ?
reste plus jeune qu’en Europe, M.B. : Pour finir, peut-on dire un
même si on estime que l’évolu- N.H.-H.  : C’est un système globa- mot de la pratique de la chirur-
tion se fait vers le vieillissement et lement calqué sur le système fran- gie du rhumatisme ?
qu’en 2020, les personnes âgées çais : les médicaments sont soumis
de plus de 60 ans représenteront à l’avis de commissions dépendant N.H.-H.  : Malheureusement, mal-
11,5 % de la population. Au Maroc, du ministère de la Santé, sur pro- gré tous nos efforts, il n’y a pas
l’arthrose du genou reste la plus position des laboratoires. Si les encore de collaboration suffi-
fréquente. Elle concerne principa- spécialités font défaut, dans beau- samment active entre les rhuma-
lement les femmes, chez lesquelles coup de cas un certain nombre tologues et les chirurgiens ortho-
on retrouve très fréquemment des de malades trouvent le moyen de pédistes. C’est sans doute une
facteurs favorisants tels que la s’approvisionner directement en des raisons pour lesquelles nous
sédentarité et le surpoids. Celui- France, par l’un ou l’autre moyen. devrons nous attacher au dévelop-
ci est d’ailleurs en augmentation pement des biothérapies, puisqu’il
régulière dans la population maro- a été démontré qu’elles pouvaient
caine. De plus, l’arthrose du genou, M.B.  : Les traitements non mé- contribuer à diminuer, voire retar-
notamment chez les hommes, ap- dicamenteux sont vraisembla- der, la mise en place de prothèses.
paraît souvent sur des genoux pré- blement très utilisés, non ? En fait, ce n’est que l’un des nom-
sentant une déviation axiale princi- breux travaux que nous devons
palement en varus. La coxarthrose, N.H.-H.  : Bien sûr, aussi bien en encore mettre en chantier… n
elle, est beaucoup plus rare. ville qu’à l’hôpital. Nous avons, à
Salé, une école nationale de kinési- ✖✖Les auteurs déclarent ne pas avoir de liens d’intérêts.
thérapie qui a formé de nombreux
M.B. : Disposez-vous d’un arse- kinésithérapeutes. Ces dernières
nal thérapeutique suffisant ? années, ont également été formés
des médecins de médecine phy- Mots-clés
N.H.-H.  : Nous n’avons pas accès sique et de réadaptation fonction- Maroc, Arthrose, Spondyloarthrites,
à un grand nombre de produits, un nelle. Un certain nombre d’entre Polyarthrite rhumatoïde, Biothérapies,
certain nombre de laboratoires se eux a été formé lors du projet Tem- Méthotrexate

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