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DU MÊME AUTEUR
CHEZ LE MÊME ÉDITEUR
Théorie critique
Essais
Payot
Retrouvez l'ensemble des parutions
des Éditions Payot & Rivages sur
www.payot-rivages.fr
« Critique de la politique »
collection dirigée par Miguel Abensour
© S. Fischer Verlag.
© 1978, Éditions Payot pour la traduction française.
© 2009, Éditions Payot & Rivages pour la présente édition,
106, boulevard Saint-Germain, 75006 Paris.
PRÉSENTATION
« Parmi les raisons qui m'ont fait différer la réédition des essais
parus dans la Zeitschrift fur Sozialforschung et depuis longtemps
épuisés, la moindre n'a pas été ma conviction qu'un auteur ne
doit jamais publier que des idées qu'il puisse défendre sans
réserve. Les travaux philosophiques que j'ai publiés autrefois et
qui paraissent ici de nouveau ne demanderaient pas seulement à
être remis en forme avec rigueur ; ils sont aussi dominés par des
conceptions économiques que l'on ne peut plus accepter aujour-
d'hui 5 ... » C'est par ces lignes que M. Horkheimer ouvre sa pré-
face à la réédition6 des essais parus dans les années 1930 et 1940
et qui ont pour l'essentiel contribué à constituer la Théorie critique.
Présentation / Il
\
Présentation / Il
X
Présentation / Il
I. LA DISTANCE
l'esprit » qui soit au-dessus des partis (p. 322). Jusqu'à ce jour, le
concept d'idéologie aurait essentiellement contribué à dévaluer les
conceptions de l'adversaire politique en les référant à leurs condi-
tions sociales. Mais maintenant qu'il n'est plus possible d'éviter
de saisir sa propre position intellectuelle comme « liée à l'être »,
ce concept serait devenu un outil universel de la connaissance
grâce auquel le passé pourrait être réexaminé et la situation critique
de la pensée contemporaine précisée. La science de la distribution
sociale des idées, qui naîtrait ainsi, serait la seule issue à la détresse
spirituelle de notre temps, dans lequel la confiance en la validité
inconditionnée de l'une des diverses conceptions du monde serait
déjà profondément ébranlée (p. 55).
À la base de cette nouvelle sociologie du savoir, il y a un
nouveau concept d'idéologie dont M. essaye d'exposer l'histoire.
Ce serait vraisemblablement dans la praxis politique que serait
apparue une « attitude spirituelle » qui suspecte les conceptions
particulières de l'adversaire d'être des travestissements servant son
intérêt. Ce soupçon, d'après M., devient en fin de compte un
principe. Il ne concerne pas la forme mais seulement les contenus
de la pensée adverse, qu'il explique psychologiquement par
l'égoïsme. Quand le mot d'idéologie ne désigne rien d'autre que
ce qui force par voie causale, tel ou tel intérêt à tel mensonge ou
à tel travestissement, M. dit : idéologie « particulière ». Face à ce
concept « particulier » d'idéologie, le concept « total » qui met en
question « la conception du monde de l'adversaire en son entier
(y compris l'appareil catégorial) » représente un progrès important
(cf. p. 9 et suivantes). Ce nouveau concept serait fondé théorique-
ment dans la philosophie de la conscience de Kant chez qui la
totalité de notre expérience est modelée par l'usage effectif des
éléments de notre entendement au lieu d'être le miroir d'un monde
donné. C'est aussi en ce sens que se trouve affirmée dans le
concept total d'idéologie une dépendance de la structure du monde
par rapport au sujet. Mais maintenant, le sujet ne connaît plus
comme chez Kant d'une façon absolue et générale mais au
contraire dépend, avec tout son appareil cognitif, avec ses catégo-
ries et ses formes de l'intuition, de conditions historiques et
sociales. À la situation d'un groupe social doivent « correspondre »
non seulement des contenus déterminés, mais surtout une manière
déterminée de connaître et par conséquent d'évaluer et d'agir. On
ne recourt pas comme pour le concept particulier d'idéologie aux
hommes concrets, dotés d'intérêts, pour l'explication des repré-
sentations, mais à un « sujet de référence », c'est-à-dire à un com-
portement cognitif idéal qui, au point de vue de la signification,
Un nouveau concept d'idéologie ? / 35
* « Die gegenwâitige Lage der Sozialphilosophie und die Aufgaben eines Instituts
fur Sozialforschung », in Sozialphilosophische Studien, Frankfurt am Main, Fischer,
1972. Traduit de l'allemand par Gérard Coffin, Olivier Masson et Joëlle Masson.
56 / Théorie critique
autres il ne peut atteindre ses buts dans toute leur ampleur : c'est
pourquoi ces autres sont le moyen pour le but du particulier.
Néanmoins, dans sa relation à d'autres, le but particulier se donne
la forme de l'universalité et se satisfait tout en satisfaisant en
même temps au bien d'autrui 7 . » C'est seulement ainsi que selon
Hegel l'État se conserve : il est déterminé immédiatement par les
conflits d'intérêts de la société.
Mais si l'histoire et l'État dans leur extériorisation naissent du
« pullulement de l'arbitraire », si l'historien empirique a affaire à
un enchaînement de souffrances et de mort, d'imbécillité et
d'infamie, si l'existence finie sombre dans des affres indescripti-
bles et si l'histoire selon Hegel peut être considérée comme
« l'abattoir dans lequel sont sacrifiés le bonheur des peuples, la
sagesse des États et la vertu des individus8 », la philosophie, elle,
nous élève, au-dessus de ce point de vue de l'observateur empi-
rique. Car « ce qu'on entend d'habitude par réalité » - ainsi qu'il
l'enseigne dans les Leçons sur la philosophie de l'histoire - « est
considéré par la philosophie comme un point de vue paresseux
qui peut certes faire illusion mais qui n'est pas réel en et pour
soi. Cette compréhension renferme ce qu'on peut appeler la conso-
lation face à la représentation du malheur absolu, de la folie de
ce qui a eu lieu. C'est en ceci que la consolation n'est que le
palliatif d'un mal qui n'aurait pas dû se produire et qu'elle a son
séjour dans le fini. La philosophie n'est donc pas une consolation ;
elle est plus, elle réconcilie, elle transfigure le réel qui semble
injuste en Rationnel, le présente comme tel, comme fondé dans
l'idée même et elle montre comment la raison doit être satis-
faite9. » La « transfiguration » dont parle Hegel s'effectue juste-
ment par la doctrine selon laquelle l'essence véritable de l'homme
ne réside pas dans la simple intériorité ni dans le destin factuel
de l'individu fini, mais au contraire s'affirme dans la vie des
peuples et se réalise dans l'État. Devant la pensée que dans l'his-
toire mondiale cette essence substantielle, l'idée, se conserve, le
déclin du particulier apparaît sans poids philosophique ; bien plus
le philosophe peut déclarer : « Le particulier est la plupart du
temps trop restreint face à l'Universel ; les individus sont livrés
et sacrifiés. Ce n'est pas directement que l'idée paye le tribut de
l'existence et de l'éphémère mais à travers des souffrances des
individus10. » C'est seulement dans la mesure où l'individu a part
au Tout dans lequel il vit - ou bien plus : c'est seulement dans la
mesure où le Tout vit dans l'individu que l'individu a réalité ; car
la vie du Tout est la vie de l'Esprit. Le Tout est par excellence
La situation actuelle de la philosophie sociale... / 59
des principes d'un ordre bon, ils sont tout à fait prêts à les esquiver
ou à les trahir dès que leur application conséquente menace de ne
plus servir leur intérêt mais de le contrer. Ils sont prêts à jeter
par-dessus bord tous les idéaux auxquels les pères de la révolution
bourgeoise ont travaillé et pour lesquels ils se sont battus, et à les
écarter de l'éducation dès que les hommes deviennent assez évo-
lués et critiques pour ne plus les utiliser mécaniquement afin de
conserver les institutions mais dialectiquement, en vue de la réa-
lisation d'un monde meilleur. Les besoins internes et externes du
pouvoir ont pour propriété d'étouffer en maints endroits ou même
d'éliminer sciemment tout ce qui dans la morale bourgeoise va
dans le sens du progrès. On voit se réduire de plus en plus le
nombre des pays dans lesquels on ne réprouve pas encore toutes
les idées qui vont dans le sens d'un accroissement du bonheur des
individus. On constate que le laps de temps que mit le monde
bourgeois à produire la morale a été trop court pour pénétrer la
chair et le sang de la collectivité (Allgemeinheit). Non seulement
la morale séculière mais même ce que le christianisme, la force
civilisatrice qui l'a précédée, avait, génération après génération,
insufflé dans les âmes de bonté et d'amour de l'humanité, pénétra
trop peu profondément pour qu'on ne craigne pas de voir ces
forces dépérir en quelques années. Le sentiment moral des gou-
vernements, des peuples et d'un grand nombre de porte-parole du
monde civilisé est si faible que bien qu'il s'exprime par des ras-
semblements à l'occasion de tremblements de terre et de catastro-
phes minières, il devient très facilement muet et amnésique dès
qu'il s'agit d'une injustice pourtant criante, qu'on voit se réaliser
au mépris de toutes les valeurs bourgeoises, au nom de purs inté-
rêts d'appropriation, c'est-à-dire d'intérêts qui vont dans le sens
de la « loi naturelle ».
L'appel à la morale est de nos jours plus impuissant que jamais
mais il faut dire qu'on n'en a pas besoin non plus. La croyance
idéaliste en un « appel de la conscience morale » qui constituerait
une force décisive dans l'histoire est une espérance qui reste étran-
gère à la pensée matérialiste. Mais, comme malgré tout, cette
pensée elle-même participe des efforts en vue d'une société meil-
leure, elle sait parfaitement où les éléments progressistes de la
morale sont à l'œuvre aujourd'hui. Sous le lourd fardeau qui
oppresse la société contemporaine dans sa plus grande partie, on
les voit toujours se formuler comme exigence de conditions ration-
nelles qui soient adéquates au niveau actuel du développement.
La partie de l'humanité que, de par sa situation, cette transforma-
Matérialisme et morale / 97
dans la mesure où elle est sans fondement, mais non pas du tout
les propositions par lesquelles elle se fait valoir. Celui qui s'en
occupe en utilisant des moyens de connaissance modernes ne leur
accorde plus aucun crédit. Pourtant, la pensée ne produit pas à
elle seule un tel résultat. La connaissance dépend en effet, à cha-
cune de ses étapes, de bien d'autres présuppositions que celles qui
sont purement logiques. La non-vérité objective d'une affirmation
n'est que la condition nécessaire, nullement la condition suffisante
de son rejet, tout particulièrement lorsque l'opinion fausse appar-
tient à la mentalité dominante. Ce n'est pas la volonté de vérité
à elle seule qui détermine l'assentiment ou le refus, mais aussi
l'ensemble de la situation psychique de l'individu ; celle-ci résulte
à son tour du destin du sujet connaissant dans l'environnement
social. Les mathématiques elles-mêmes qui, en tant que science
auxiliaire abstraite et particulièrement soustraite aux luttes
sociales, peuvent largement isoler leurs fonctions de pensée pro-
pres et les développer comme des processus ayant une forte auto-
nomie, ne sont nullement, dans leur évolution, aussi libres à
l'égard des influences athéoriques qu'on veut bien le dire habi-
tuellement. D'autre part, la découverte de vérités n'implique pas
encore, loin de là, que d'autres les reprendront et les développe-
ront. Il se produit dans les couches sociales importantes, du fait
même de leur rôle dans le processus de production, une constitu-
tion psychique qui les détourne de l'intelligence des questions
essentielles de la vie, et, par là même, de leurs propres intérêts
réels. Jusqu'à présent il ne s'est toujours trouvé dans l'histoire
que quelques groupes déterminés pour être poussés à reconnaître
le caractère borné de la mentalité dominante et pour développer
de nouvelles idées dans un processus d'explication avec les
anciennes conceptions. Pour les autres parties de la société, la
question de savoir si, en fonction de l'état actuel des connais-
sances, une chose peut encore être tenue pour vraie, est un détail
de peu d'importance. Il existe des groupes sociaux importants pour
lesquels la clarté théorique ne pourrait constituer qu'un obstacle
à l'adaptation à leur situation, ne pourrait être qu'une source de
conflits psychiques chez l'individu. L'intérêt pour cette vérité qui
importe à un moment historique donné, naît au contraire dans des
situations qui contraignent les hommes à aller au fond des ques-
tions sociales et, par là même, métaphysiques et religieuses. Ces
conditions préalables ne se trouvent réunies que dans certaines
couches sociales et seulement à certaines époques. En général, la
pensée conceptuelle à elle seule ne parvient pas même à détruire
la superstition la plus obscure, pour peu que cette dernière exerce
À propos de la querelle du rationalisme... / 115
qu'elle joue chez lui un rôle différent de celui qu'elle a par ailleurs
dans la philosophie. La dialectique matérialiste se distingue aussi
dans son principe même de la dialectique hégélienne. Hegel a
montré en détail par le développement des principes dialectiques
et, plus encore, par des expositions dialectiques de contenu, com-
ment des concepts obtenus analytiquement peuvent être à nouveau
utilisés pour la reconstruction intellectuelle de processus vivants.
Mais chez lui, il n'y a en réalité qu'un grand processus unique
qui contient tous les concepts comme ses moments, et le philo-
sophe peut saisir et exposer une fois pour toutes ce processus, ce
« concret, Un ». Voilà pourquoi chez Hegel, les étapes particu-
lières de cette exposition passent pour des relations étemelles, non
seulement dans la logique, mais aussi dans la philosophie de la
nature et de l'esprit. Dans le système achevé, tous les rapports
sont pensés comme inaltérables. La moralité, déterminée chez
Hegel en un sens particulier par le bien et la conscience morale,
apparaît ainsi liée au droit bourgeois abstrait, comme un moment
étemel de la vie éthique ; dans celle-ci, l'État reçoit également
une signification fixe, englobant et dépassant d'une certaine façon
la famille et la société. Les catégories abstraites de toutes les
parties du système, qu'il s'agisse de celles de la pure logique (par
exemple, la quantité et la qualité) ou de celles de champs culturels
particuliers (comme l'art et la religion), doivent pouvoir s'ajouter
de façon à former l'image permanente de l'être concret. À quelque
époque que ce soit, celui qui veut saisir la signification réelle
d'une catégorie quelconque, reproduira, poussé par la logique
interne de la chose, la même image de l'être. Jusqu'à son achè-
vement, le matériau conceptuel entier reste en mouvement dans
l'esprit de celui qui le met en œuvre, puisque la signification des
catégories particulières n'acquiert sa plénitude que dans le Tout.
Mais, comme moments de l'unité intellectuelle qui, pour Hegel,
n'est pas un simple reflet mais l'absolu lui-même, elles sont cen-
sées avoir une validité inaltérable.
« La logique doit par conséquent être conçue comme le système
de la raison pure, comme le royaume de la pensée pure. Ce
royaume est la vérité telle qu'elle est, sans voile, en soi et pour
soi-même. On peut donc dire que ce contenu est l'exposition de
Dieu tel qu'il est en son essence étemelle avant la création de la
nature et d'un esprit fini33. »
La logique contient cependant in nuce le système entier. La
théorie achevée elle-même n'est plus chez Hegel incluse dans
l'histoire ; il y a une pensée englobante dont le produit n'est plus
abstrait et altérable : la dialectique est close.
À propos de la querelle du rationalisme... / 127
doit en retour agir sur elles. Cela va de soi : c'est une proposition
qui vaut de façon universelle pour les processus vivants.
L'usage non dynamique des concepts de Tout et de Partie est
toujours à la base de la doctrine irrationaliste de l'individu et de
la communauté. Il joue actuellement un rôle, en particulier dans
la philosophie universaliste qui vient d'Othmar Spann. Ce sont
essentiellement deux erreurs de méthode qui dominent aujourd'hui
le discours sur individu et communauté. En premier lieu, lorsque
la relation en question est établie de façon unilatérale, c'est la
nature particulière du processus (qu'il s'agit dans chaque cas d'étu-
dier) au cours duquel totalité et éléments se déterminent chacun
d'une façon différente, qui n'est pas convenablement prise en
considération. Cela se reflète dans des raisonnements dont la pri-
mitivité métaphysique est difficile à dépasser, mais qui sont
d'autant plus facilement assimilés. On affirme par exemple de la
proposition « le Tout est antérieur aux parties40 » qu'elle ne pose
aucune relation causale, qu'elle désigne seulement une priorité
logique et qu'une façon causaliste de considérer les choses « n'a
aucune place en ce qui concerne la société41 ». Il s'avère toutefois
bien vite que cette affirmation est purement terminologique et qu'il
ne lui est attribué aucune signification réelle ; en effet, cette pro-
position, assurément sans signification dans la logique pure, est
rapportée avec insouciance à des problèmes génétiques réels. Sa
transposition à des questions sociales s'effectue de façon toute
mécanique : « Une fois reconnu le fait que la communauté ou
totalité spirituelle constitue le fondement ou l'essence de tous les
phénomènes sociaux, il va de soi que la réalité prioritairement
essentielle est la "société" et que l'individu n'est que ce qui en
résulte de façon dérivée (parce qu'il a le caractère de membre).
L'individu ne produit pas maintenant de façon autarcique, mais
au contraire comme un membre. La société de son côté n'est pas
une accumulation, mais une totalité qui se décompose en mem-
bres42. » « Il en résulte deux caractéristiques : a) Le Tout, la
société, est la réalité proprement dite et b) le Tout est ce qui est
primitif (conceptuellement premier) ; l'individu n'est en quelque
sorte véritablement présent que comme élément, comme membre
du Tout. Il est par conséquent le dérivé43. »
La plupart des écrits philosophiques ou sociologiques actuels
sur individu et communauté ne reposent pas habituellement sur
des considérations plus rigoureuses. Ils ne sont nullement supé-
rieurs à ceux de leurs adversaires individualistes qui soutiennent
la thèse inverse, c'est-à-dire la priorité logique et ontologique des
parties sur le Tout. On peut même dire que ces derniers sont moins
À propos de la querelle du rationalisme... / 141
d'une façon mieux appropriée à son temps que ne l'a fait l'onto-
logie rationaliste de son époque. La philosophie théorique elle-
même contient déjà la présupposition qu'il y a de la connaissance
absolue, dégagée de toute expérience sensible, et que seule une
telle connaissance mérite le nom de vérité. La Critique de la raison
pure elle-même dépend de la présupposition que les concepts purs
et les jugements « a priori » se trouvent d'avance dans la conscience
et que la métaphysique non seulement a existé de tout temps, mais
subsistera à bon droit éternellement. L'œuvre de Kant inclut en
elle l'opposition des écoles des philosophes anglais et allemands.
Jusque dans les dernières années de sa vie, Kant a lui-même de
plus en plus cherché à trouver la solution des contradictions que
révèle son œuvre, à établir la médiation entre critique et système
dogmatique, entre un concept mécaniste de la science et la doctrine
de la liberté intelligible, entre la foi en des commandements éter-
nels et une théorie isolée de la praxis. Cette recherche infructueuse
est en même temps le témoignage de sa grandeur. D'un côté une
. analyse poussée jusqu'au bout, une méfiance sceptique à l'égard
tde la théorie en général, de l'autre une propension à la foi naïve
ien des principes rigides et filandreux : telles sont les caractéristi-
Iques de l'esprit bourgeois tel qu'il apparaît sous une forme hau-
tement perfectionnée dans la philosophie de Kant.
Le manque d'influence que peut avoir le progrès des méthodes
du savant sur son comportement à l'égard des problèmes impor-
tants de son époque, le fait que des connaissances scientifiques
exceptionnelles soient accompagnées par ces croyances infantiles
en la Bible, reflètent cette relation scindée à la vérité. Nous avons
déjà attiré l'attention sur les rapports du positivisme (cette ten-
dance particulièrement rigoureuse de la philosophie moderne) avec
la superstition la plus primitive4. Auguste Comte n'a pas seulement
jeté les bases d'un culte fantasque, il s'est aussi fait gloire de
comprendre les diverses doctrines de l'au-delà. William James
s'est tourné vers le mysticisme5 comme vers le spiritisme. Il consi-
déra moins le cerveau comme incitation que comme inhibition des
connaissances éclairantes qui existent « ready-made in the trans-
cendantal world » et font leur apparition comme expériences télé-
pathiques dès que le seuil de l'activité cérébrale consciente est
« anormalement » amoindri. Le mot « influx » qu'on utilise dans
les cercles swedenborgiens décrit fort bien ce phénomène . Le
pragmatiste F.C.S. Schiller, que James cite, explique à ce propos
que « la matière n'est pas ce qui produit la connaissance mais ce
qui la limite », et il conçoit le corps comme « un mécanisme
d'inhibition de la conscience7 ». On peut suivre ce penchant au
Sur le problème de la vérité / 157
-a,, 'jc"; la
traitera pas " iauestion
, de savoir dans quelle mesure « 1 onto-
logie f o r m e l l e » esquissée par Husserl, ontologie qui se rapporte
«dans la pure généralité à un monde possible 17 », et l'apophan-
tique formelle qui se rapporte, également dans la pure généralité,
à toutes les énonciations possibles, ou encore certaines parties de
la logique pure et des mathématiques, sont dépourvues de toute
liaison avec cette activité humaine et possèdent une réelle valeur
de connaissance indépendamment de celle-ci.)
Certaines interprétations philosophiques des mathématiques
peuvent bien accorder à juste titre une grande importance à l'aprio-
rité, c'est-à-dire à la pureté des constructions mathématiques à
l'égard de toute intuition empirique ; il reste que les modèles
mathématiques de la physique théorique (modèles dans lesquels
apparaît finalement la véritable valeur heuristique des mathémati-
ques) sont toujours structurés en rapport avec des processus qui
se laissent produire et constater en fonction du degré de dévelop-
pement de l'appareil technique existant. Autant il est certain que
les mathématiques n'ont pas besoin de s'occuper de cette relation
dans leurs déductions, autant il est vrai que leur forme est toujours
déterminée par l'accroissement de la capacité technique de l'huma-
nité, comme ce dernier l'est à son tour par le développement des
mathématiquesf La confirmation et la vérification de représenta-
tions qui se rapportent à l'homme ou à la société ne résident
toutefois pas seulement dans les expériences de laboratoire ou
l'exhumation de documents, mais.bien dans des luttes historiques
au sein desquelles la conviction elle-même joue un rôle essentiel.
L'opinion fausse, selon laquelle l'ordre actuel est en son fond
harmonieux, constitue un moment dans le renouvellement de la
disharmonie et du déclin ; elle devient un facteur de sa propre
réfutation pratique ; la théorie juste des États dominants, la doc-
trine qui enjoint de creuser les crises et d'aller vers les catastro-
phes, sont certes continuellement confirmées dans les détails ; mais
l'image d'un ordre menteur qui les habite, image dans laquelle
l'affirmation de la médiocrité du présent trouve à s'orienter, ainsi
que la représentation de l'homme et des possibilités qui leur est
immanente, sont déterminées», corrigées et confirmées au cours
même des luttes historiques^'agir ne doit donc pas être conçu
comme un appendice, comme le sjmp.le au-delà de la pensée, mais
il influe constamment sur,la. théorie et ns doit nullement être séparé
e e
" - C'est précisément la raison pour laquelle la pure pensée ne
procure pas en l'occurrence la satisfaction de posséder fermement
et sûrement la chose et d'être réconciliée avec elle. On ne peut
certes jamais penser assez de bien des conquêtes de l'esprit humain
168 / Théorie critique
autant qu'il est possible avec les principes formels du cours réel
des événements.
* « Der neueste Angriff auf die Metaphysik », in Kritische Theorie, II, Frankfiut
am Main, Fischer, 1968. Traduit de l'allemand par Gérard Coffin, Olivier Masson et
Joëlle Masson.
196 / Théorie critique
l'âme au corps elles aussi sont, du moins sous leur forme tradi-
tionnelle, entrées en conflit avec les démarches théoriques
actuelles, sans que pour autant la structure de la conscience uni-
verselle en eût été transformée. Cette situation ne fait en réalité
que perpétuer une contradiction qui traverse toute la période
moderne. Conscience officielle et science bourgeoise n'ont encore
jamais véritablement coïncidé. L'idée religieuse d'un ordonnance-
ment de toutes choses établi dès l'origine et dans lequel l'homme
lui aussi a sa place, est déjà abandonnée par la science du
XVIIE siècle. Pour autant que chez Descartes l'homme n'est pas un
simple mécanisme comme l'animal - une collection de corpuscules
mus d'une façon aveugle - son essence réside dans la pure pensée,
dans le moi sur lequel la science cartésienne elle-même trouve
aussi peu à dire que Kant sur le moi de l'aperception originaire-
ment pure, à savoir que tout ce que nous savons y a un rapport
nécessaire. D'ailleurs ce point culminant de la philosophie, ce
concept fondamental de la nouvelle conception du monde fut
plutôt concédé à la foi qu'à la science qui n'en peut rien faire. La
psychologie elle non plus ne nous mène pas hors du jeu aveugle
de la matière. C'est très tôt déjà qu'elle s'est constituée en doctrine
du mouvement des passions, lesquelles selon Descartes appartien-
nent moins à l'essence du moi qu'elles ne le perturbent et qu'elles
ne menacent de l'anéantir. Alors que depuis des siècles les méta-
physiciens persistent à parler d'une âme qui existe, qui est soumise
aux commandements éthiques et qui a un destin étemel, cette façon
dont leurs systèmes, aux endroits les plus décisifs, sont cousus de
pures opinions, d'affirmations invraisemblables et de conclusions
erronées, suffit à trahir leur incertitude. Par là ils expriment toutes
les contradictions que contient la conscience des gens cultivés,
sous ses divers aspects. Formellement on considère la connais-
sance scientifique actuelle comme juste ; mais on poursuit néan-
moins les considérations métaphysiques. La science conçue
comme le miroir d'une réalité sans signification, tant sur le plan
de la nature que sur celui de la société, aurait laissé les masses
insatisfaites aussi bien que l'individu réfléchissant dans une situa-
tion dangereuse et désespérée ; pour le psychisme individuel
comme pour l'économie officielle, on ne pouvait s'en tirer sans
une idéologie qui surplombe tout. On maintint donc les deux,
science et idéologie métaphysique, l'une à côté de l'autre.
La pensée la plus récente a peiné sur cette contradiction. Déjà
la tâche traditionnelle de la philosophie, héritée du Moyen Âge,
consistait à élaborer la conception du monde impliquée par la reli-
gion avec les moyens de la simple raison, c'est-à-dire scientifique-
198 / Théorie critique
être destinée à une carrière aussi vaste car elle seule est capable
d'introduire la disposition intellectuelle qui permette de trouver un
r e m è d e aux maladies du monde moderne. » Voilà ce qui s'appelle
parler avec prétention. Cette orientation se donne aussi ces derniers
temps le nom d'empirisme logique. Elle se présente comme une
école aux contours précis, dans laquelle comme pour la phénomé-
nologie fondée par Husserl à son époque, on peut distinguer cer-
taines tendances, et par ailleurs elle peut se prévaloir de la
sympathie de quelques chercheurs célèbres appartenant à diffé-
rentes branches de la science.
Comme nous n'avons pas ici l'intention de retracer le devenir
de cette union mais de démontrer la carence de cette façon de
penser et son rapport avec l'histoire de la bourgeoisie, nous
n'entrerons pas dans les détails. L'empirisme logique a en commun
avec l'ancien la conception selon laquelle tout savoir consistant
concernant les objets dérive en dernier ressort des données de
l'expérience sensible. Rudolf Camap pense qu'il s'est avéré que
tous les concepts « sont à ramener à des concepts radicaux
(Wurzelbegriffe) qui se rapportent au "donné", au contenu du vécu
immédiat6 ». Tant qu'il s'agit de la validité ou plutôt de la vrai-
semblance de théories, les sciences s'en remettent en dernière
instance à l'observation et à l'expérience. D'une façon générale,
le travail de la connaissance dans tous les domaines équivaut à
prévoir des données sensibles avec la plus grande précision pos-
sible. Il existe certes déjà dans cette conception une différence
certaine entre l'empirisme traditionnel et ses héritiers modernes.
Celui-là affirmait la prétention des individus, même face à la
science, de faire fonctionner la société pour eux, la science devait
faire ses preuves devant l'individu. Cela n'était possible qu'à tra-
vers l'assurance que la science n'affirme que ce que chacun peut
voir et entendre. On montra au bourgeois que la physique et toute
science n'étaient que l'expression ramassée, la figure épurée de
son propre vécu quotidien, rien de plus qu'un procédé pour se
repérer plus rapidement dans la réalité, semblable à celui qu'il
appliquait lui-même dans la vie pratique, bien que d'une façon
moins systématique. C'est pourquoi la théorie de l'homme
constitue, ne serait-ce que d'une façon restreinte, le contenu de
cette philosophie. On montre comment la science part de l'expé-
nence sensible et a à s'y référer constamment. Locke veut « rendre
compte d'une manière historique et simple des moyens par les-
quels notre entendement parvient à acquérir des connaissances sur
les choses, et veut établir les critères de la fiabilité de notre savoir
ou des fondements de notre conviction7 ». Hume considère comme
204 / Théorie critique
« Ainsi, les KLM [..,], K' L' M' [...] (les observateurs différents
quant à leur système nerveux, Max Horkheimer) se comportent
comme des appareils physiques dont les données, les résultats
doivent être débarrassés de leur particularité, de leurs constantes
spécifiques [...]. Ce qui permet d'obtenir une base sûre pour le
domaine entier de la recherche18. » L'idée de faire disparaître radi-
calement le sujet, non seulement en physique mais dans la connais-
sance en général, en posant les différences individuelles en
elles-mêmes comme une série de faits, est une maxime de la
recherche vraiment par trop bornée. La conversion de ce postulat
dans la croyance en la possibilité de sa réalisation à chaque
moment historique, possibilité qui ne rencontrerait que des diffi-
cultés accidentelles, mène nécessairement à un concept acritique,
anhistorique de la connaissance, et à l'hypostase des démarches
particulières, propres aux sciences de la nature.
Par suite de quoi, il n'existe aucune différence de structure
théorique qui reposerait sur des conflits d'intérêts historiquement
déterminés, et qui puisse être poussée à son terme par une contra-
diction conséquente au lieu de l'être par « une expérience com-
mune ». Le rapport harmonieux des sujets entre eux devient un
fait, un fait qui a un caractère encore plus général qu'une loi de
la nature elle-même, un fait étemel en quelque sorte, qui est à
mettre directement au rang des principes rationalistes et transcen-
dantaux. « La détermination de la valeur d'une grandeur physique
dans un cas concret est [...] indépendante du sujet qui recherche
[...] quand deux sujets sont d'opinion différente concernant la
longueur d'un bâton, la température d'un corps, la fréquence d'une
oscillation, on tentera, au moyen d'une expérience commune, de
parvenir à un accord. Les physiciens sont d'avis que [...] là où,
dans la pratique, on ne parvient pas à un consensus, c'est qu'il y
a seulement des difficultés techniques (imperfection des auxiliaires
techniques, manque de temps et autres choses semblables) qui font
obstacle [...]. Les déterminations physiques ont une valeur inter-
subjective l9. » Et il en est de même en biologie, en psychologie
et dans la théorie de la société. «Tous les autres langages [...]
qui sont encore utilisés dans les sciences [...] peuvent être réduits
au langage physicaliste20 » et par là même, « la science entière
devient physique21 ». Pour l'empirisme logique, malgré quelques
affirmations qui sonnent autrement, les formes de la connaissance,
et par conséquent le rapport de l'homme à la nature et des hommes
entre eux, restent immuables. De même pour le rationalisme, toutes
les possibilités subjectives et objectives consistent en des juge-
ments qui résident depuis toujours dans l'individu. Néanmoins,
La dernière attaque contre la métaphysique / 209
que les cas qu'elle retient face aux réalisations intellectuelles qui
ont joué et continuent à jouer leur rôle dans le développement de
l'histoire humaine, elle sort complètement de sa fonction tautolo-
gique et se révèle être une position subjective qui contredit l'empi-
risme.
Il apparaît que les deux éléments de l'empirisme logique ne
sont qu'extrinsèquement reliés. En dépit de maintes innovations
qui restent encore problématiques malgré toute la perspicacité
qu'on y a employée, comme par exemple la « doctrine des types »,
la nouvelle logique est pour l'essentiel identique à la logique
formelle et ce qu'on pouvait reprocher à celle-ci vaut aussi sans
restriction pour celle-là. La « forme » est abstraite d'un matériau
limité dans son mode et dans son étendue et constitué de concepts,
de jugements et autres configurations théoriques. Si maintenant
une doctrine logique se présente elle-même comme la logique
absolue, elle quitte par là même le formalisme et ses énoncés ont
alors un contenu signifiant et des conséquences philosophiques de
grande portée. Ce qui la distingue essentiellement de la logique
matérielle qu'elle combat et qui se comprend elle-même comme
moment de la connaissance telle qu'elle a été atteinte à tel moment,
c'est-à-dire ce qui la distingue d'Aristote et de Hegel, c'est qu'elle
ne le sait pas. Ou bien alors il lui faut éviter sans ambiguïté tout
malentendu consistant à promouvoir une prétention universelle,
qui certes est liée historiquement au nom de la logique, et interdire
expressément tout emploi normatif de ses propositions ou même
des conclusions critiques. Elle perd alors la signification philoso-
phique et particulièrement antimétaphysique qu'elle a hérité de
l'empirisme. De toute façon elle le contredit et avec la mathéma-
tique elle a toujours constitué une difficulté non résolue pour les
systèmes empiristes. Les recherches de John Stuart Mill et de
Mach pour faire dériver les propositions logiques de faits psycho-
logiques problématiques ont échoué de façon patente, même sans
faire appel aux recherches logiques d'Husserl dans ce qu'elles
comportent de formalisme. Hume était assez réfléchi pour ne pas
tenter du tout une telle dérivation des propositions mathématiques
et apparentées. C'est pourquoi chez lui les relations idéelles évi-
dentes sont posées à côté des faits empiriques sans que leur rapport
ait été élucidé. Pour Berkeley, la mathématique était une peste
comparable au matérialisme. L'Analyste et d'autres pamphlets le
prouvent. C'est ouvertement et sans concession qu'il oppose
l'empirisme au développement de la science moderne et se recon-
naît dans la Bible et le bon sens humain - sans le doter de la
mathématique moderne dont, comme le dit M. Cantor, il a mis les
La dernière attaque contre la métaphysique / 229
* « Montaigne und die Funktion der Skepsis », in Kritische Theorie, II, Frankfurt
am Main, Fischer, 1968. Traduit de l'allemand par Gérard Coffin, Olivier Masson et
•Joëlle Masson.
242 / Théorie critique
qui fasse perdre de son importance à son moi ou, par solidarité,
le dépasse, l'état psychologique d'une âme rendue si pauvre et
abstraite devient, pour le sceptique, le principe éminemment struc-
turant, plus encore - tant il nie toute valeur objective - la valeur
la plus haute, disons même l'unique valeur philosophiquement
recevable. Un intérêt de plus grande portée ne joue sciemment
aucun rôle et, n'est, pour lui, pas nécessairement inscrit dans
l'homme. Montaigne hait l'oppression, qu'elle soit sociale ou
privée. Mais il lui est absolument étranger, selon son propre aveu,
de prendre sur lui l'effort d'abolir l'injustice. « Montaigne », est-il
dit dans une récente étude66, « ne veut ni dominer, ni se dominer,
ni être dominé, il est ému et fasciné par les phénomènes moraux,
il s'adonne à l'observation du jeu complexe de la vie intérieure ;
il croît, vieillit et meurt dans cet état d'une passivité agréable et
molle [...]. L'action le rebute ; il abjure tout effort ; il ne le pra-
tique pas. »
Le rapport entre scepticisme et religiosité a marqué une évolu-
tion dans les temps modernes. C'est essentiellement cette opposi-
tion qui ressort au XVIIe siècle. Pascal reconnaît le quiétisme de
Montaigne : selon lui, il transforme le principe juste qui dit que
la raison humaine doit se reconnaître comme inadéquate et que
tout est incertain hors la foi, en mol oreiller pour le repos. Par
peur, en s'y attardant, de pénétrer par trop avant dans les pro-
blèmes particuliers, il glisse dessus67. Plus tard, Vauvenargues a
répété ce jugement. Il méprise l'indécision et la neutralité de Mon-
taigne68. La philosophie rationaliste elle aussi s'est démarquée de
Montaigne. Les mêmes tendances historiques qui scindent l'homme
en conscience morale et instinct dans la religion, conduisent, dans
la théorie de la connaissance, à la doctrine du moi rationnel qui
doit se rendre maître des passions. La religion convient aux masses
dont la soumission historiquement nécessaire ne peut être fondée
en raison mais doit être portée comme une croix ; la philosophie
caractérise le comportement de la bourgeoisie qui, par calcul,
relègue le plaisir immédiat à l'arrière-plan. La simple description
des conditions empiriques du moi propre, des habitudes, des soucis
et des penchants, des caractéristiques physiologiques et anatomi-
ques, comme on la trouve dans les Essais, n'a selon Malebranche
rien à voir avec l'étude de l'esprit. La connaissance psychologique
tant vantée de Montaigne, il la juge superficielle69. Descartes lui-
même, dans ses dernières années, semble s'être détourné de la
sagesse conformiste qui en découle70. Même Locke, qui a suivi
Montaigne si loin dans ses doctrines sur la connaissance et la
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