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INTERNATIONALITE
Auteur : Hélène Gaudemet-TallonProfesseur à l'Université Paris II – Panthéon-Assas
La réalisation de la synthèse de la journée consacrée à l'internationalité est l'occasion, pour Madame le Professeur Hélène Gaudemet-Tallon,
d'étudier de quelle façon l'internationalité impose un dépassement de l'Etat, lequel reste néanmoins « un passage obligé » pour appréhender
la notion.
Je voudrais d'abord remercier très sincèrement les organisateurs de ce colloque et, en particulier, Sylvaine Poillot-Peruzzetto, pour la parfaite organisation de cette
journée et aussi pour avoir eu le courage de maintenir cette manifestation malgré le drame vécu par Toulouse en septembre, drame qui a touché directement ou
indirectement beaucoup des personnes qui se trouvent dans cette salle. Je remercie aussi tous les intervenants d'aujourd'hui qui nous ont livré des rapports aussi
riches les uns que les autres sur le thème particulièrement bien choisi de « l'internationalité ». Nous sommes beaucoup ici en tant que « spécialistes » de droit
international, et c'est donc sur notre matière première que nous avons ainsi eu l'occasion de réfléchir.
La synthèse de toutes les communications, relevant tant du droit international public que du droit international privé, du droit international économique, du droit du
commerce international, du droit pénal international, du droit communautaire n'est pas aisée. Ce matin, Jean-Michel Jacquet a parlé de « l'internationalité qui sépare
et de celle qui assemble » : cette dernière fonction ne me paraît pas évidente au moment de tenter la synthèse !
Je partirai d'une citation d'un intellectuel italien, Antonio Negri, qui écrivait ceci : « On est en train de passer de l'ère des Empires à celle d'un seul Empire, à savoir
la fin de la pluralité des centres et des acteurs au profit d'un monde unifié qui ne connaît plus d'extérieur ou d'étranger »(1).
Je crois que malgré la « globalisation », la « mondialisation » (dont Hervé Synvet vient de nous rappeler la réalité dans certains cas), on est encore loin de ce
monde unifié et les travaux de cette journée le montrent bien.
Certes, la « mondialisation » existe et, sous ce terme galvaudé, on peut mettre beaucoup de réalités : ainsi, en juillet dernier, on trouvait ce titre dans le journal Le
Monde à propos de diverses restructurations d'entreprises « Des plans sociaux planétaires et quasi instantanés »(2), dans le même ordre d'idées, la fréquence
des « délocalisations » témoigne de la facilité avec laquelle les entreprises utilisent l'espace mondial ; on peut songer aussi, de façon plus positive, à
l'internationalisation des textes sur les droits de l'Homme, sur les droits de l'enfant, mais, à l'inverse, ces derniers temps, il est beaucoup question du terrorisme
international. Mais l'espace mondial reste cependant encore souvent divisé en espaces nationaux.
Alors, que nous ont apporté les travaux de cette journée sur « l'internationalité » ? A priori , le sujet était simple : l'internationalité c'est le caractère de ce qui est
international, c'est-à-dire qui présente un élément d'extranéité, qui concerne plusieurs ordres juridiques, l'ordre juridique de base servant de référence, étant, au
moins pour le moment, l'ordre juridique de la nation, de l'Etat(3). L'internationalité s'opposerait tout simplement à l'« internalité » et à l'« externalité ».
Mais l'internationalité est une « bombe à retardement » a dit J.-M. Jacquet, et les divers rapports présentés aujourd'hui ont montré que la réalité est plus complexe.
L'internationalité est une notion « mouvante et relative » a dit Paul Lagarde, notion « intuitive » a dit Poillot-Peruzzetto, et Horatia Muir-Watt a parlé de
« l'élasticité » des critères de l'internationalité ; on pourrait aussi dire que l'internationalité est un diamant aux multiples facettes, une notion qui éblouit par sa
richesse et par sa diversité selon l'angle sous laquelle on l'envisage.
Le brillant historique retracé par Slim Laghmani nous a entraînés sur le terrain philosophique, voire métaphysique : le jus gentium , le droit naturel, l'ambiguïté du
rapport à l'autre (hostis ou hospes )... tout ceci nous a montré que l'internationalité devait nous faire réfléchir au-delà du droit.
Restons-en cependant ici, si vous le voulez bien, à une optique essentiellement juridique. Le vocabulaire est très significatif. Sans avoir la prétention de faire de la
linguistique juridique, je constate que, à côté du terme simple « international » (opposé à national), beaucoup d'autres expressions fleurissent, dont le sens n'est
pas toujours très précis : multinational, transnational, supranational, anational, extranational, etc. Paul Lagarde a opposé internationalité et internationalisation, mais
ce dernier mot avait un sens différent pour J.-M. Jacquet et pour Michel Massé ; Eric Wyler a, tout au long de son intervention, confronté le terme d'internationalité
avec ceux d'interétatique, d'interne, et d'extranéité, et Jacques Larrieu, à propos d'Internet, a évoqué le cyberespace et l'« aterritorialité ». Rappelons avec quelle
virtuosité M. Massé nous a entraînés dans des « jeux de mots » : droit pénal international ou droit international pénal avec toutes sortes de variantes, tandis que
S. Poillot-Peruzzetto, à propos de l'ordre communautaire, nous incitait à réfléchir sur les rapports entre « interne/externe », mais aussi sur les liens établis entre
les ordres juridiques avec une problématique très intéressante distinguant selon que l'internationalité était examinée en fonction de la notion de l'« autre » ou en
fonction de la notion de l'« entre ». Alors, quel est le sens exact de tous ces termes : une société multinationale est-elle aussi une société supranationale, le droit
transnational, si bien évoqué par Philippe Kahn, est-il aussi un droit anational, etc. ? La réflexion sur la notion d'internationalité implique au moins que l'on s'interroge.
Et c'est ce que l'on a fait aujourd'hui, en se situant, selon la perspective proposée par les organisateurs du colloque, tantôt du côté des ordres juridiques
concernés (international avec P. Lagarde, transnational avec Philippe Kahn, communautaire avec S. Poillot-Peruzzetto, interne avec Jean-Pierre Marty) tantôt du
côté des matières en cause (droit international public avec Eric Wyler, droit de la famille avec H. Muir-Watt, droit des biens avec Thierry Revet, des contrats avec
Claude Witz, droit des affaires avec Hervé Synvet, droit pénal avec M. Massé).
Dans chacun de ces cadres (ordre et matière), on a vu que la notion même d'internationalité n'était pas toujours utile, que le critère de l'internationalité n'était pas
facile à déterminer, que l'internationalité pouvait concerner tant des normes que des situations.
On a vu aussi qu'il n'y avait pas nécessairement correspondance entre la norme et la situation : une norme de source internationale peut s'appliquer à une situation
interne, ce que J.-M. Jacquet nous a rappelé dès son beau rapport introductif et qui a été repris par plusieurs orateurs ; et, à l'inverse, une situation internationale
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mêmes internationales (infractions étudiées par M. Massé au titre de la criminalité transfrontière et de la criminalité transnationale, et par J. Larrieu, à propos
d'Internet). M. Massé a même constaté que certaines formes de la criminalité transnationale avait pour champ des espaces qui échappaient au contrôle des Etats et
émanaient d'entités dotées d'une puissance économique et stratégique supérieure à celle des Etats. T. Revet, de son côté, s'est demandé si, s'agissant de biens
incorporels qui, pour lui, ont maintenant une place prépondérante, il était possible de localiser une « valeur » et il a constaté, même pour les biens corporels, un
recul de la lex rei sitae .
Mais, à côté de ces situations dotées d'internationalité réelle, il en est d'autres qui, même si elles se rencontrent dans un cadre interne, étatique, sont dotées de ce
que l'on pourrait appeler une « internationalité potentielle ». Je veux dire par là que, dans ces hypothèses, un droit limité au cadre étatique n'aura pas une grande
efficacité : il en est ainsi par exemple en matière de droit des personnes et de bioéthique. Interdire dans un cadre étatique l'avortement, ou certaines formes de
procréation médicalement assistée, ou encore le clonage... n'a pas beaucoup de sens dans la mesure où les individus peuvent se rendre dans d'autres Etats où le
droit serait par hypothèse différent. Il y a une « internationalité potentielle » de la situation, rendue d'autant plus forte que les modes de transport sont de plus en
plus performants et accessibles. Et, pour faire face à de tels problèmes de façon satisfaisante, il semble nécessaire d'élaborer des normes supranationales. Là
encore, l'internationalité oblige à dépasser l'Etat.
De nombreux rapports ont ainsi donné des exemples variés de ces situations dotées d'internationalité réelle ou potentielle et qui appellent une réaction juridique
dépassant les cadres de l'Etat. Il s'agit alors, comme l'a dit H. Muir-Watt, à propos du lien entre la libre circulation des personnes et le droit à une vie familiale
normale, « non pas de mieux protéger les frontières et les souverainetés qu'elles abritent, mais au contraire de les abaisser et donner prise à la norme
internationale ».
« (...) à côté de ces situations dotées d'internationalité réelle, il en est d'autres qui, même si elles se rencontrent dans un cadre interne, étatique, sont dotées de ce
que l'on pourrait appeler une “internationalité potentielle” ».
Mais, cette norme internationale destinée à sauvegarder des valeurs fondamentales ne sera pas aussi facile à établir qu'on le croit. L'accord est souvent
problématique. Sans doute, il y aura assez facilement convergence lorsqu'il s'agira de la lutte contre la torture et les traitements dégradants, de la lutte contre la
criminalité internationale et, en particulier, le terrorisme, ou de la protection des biens culturels. Sur ces points à l'internationalité de la situation, répond une réaction
unanime de la communauté internationale. On peut ainsi relever que la notion de génocide a été définie par l'Organisation des Nations Unies (Convention de l'ONU
du 9 décembre 1948), que celle de crime contre l'humanité a été reprise par l'ONU de celle qui figurait dans la charte du Tribunal de Nuremberg (résolution des
Nations Unies du 13 février 1946), que c'est aussi une convention de l'ONU du l0 décembre 1984 qui a été adoptée contre la torture et autres peines ou traitements
cruels, inhumains ou dégradants. Et c'est encore au niveau universel que s'organise la lutte contre les trafics illicites de biens culturels avec la Convention de
l'UNESCO du l4 novembre 1970 et la Convention Unidroit du 24 juin 1995... même si les textes adoptés ne sont pas toujours suivis de résultats à la hauteur de leurs
ambitions.
Mais, il faut bien reconnaître que plus nombreux sont les cas dans lesquels il y a divergences de points de vue et où les valeurs fondamentales ne sont pas
perçues partout de la même façon : par exemple, la protection des droits de la personnalité entre en conflit avec la liberté d'expression et si la première est
privilégiée dans certains pays, c'est au contraire la seconde qui paraît la plus importante dans d'autres. Ou encore, à propos de l'avortement, s'opposent les pays
qui font passer en premier le respect de la vie, et ceux qui estiment que la femme (ou le couple) doit pouvoir choisir de donner la vie ou non. Combien révélateur à
ce sujet est ce « bateau de l'avortement », bateau néerlandais qui « travaillait » au large des côtes irlandaises mais hors de la mer territoriale irlandaise et qui a
défrayé la grande presse en juin dernier(8).
Et toujours à propos du respect de ce droit fondamental qu'est le droit à la vie, comment est-il possible de proclamer qu'on est attaché à cette valeur et, en même
temps, continuer à admettre la peine de mort ?
S'agissant du droit des personnes et de la famille, il nous paraît évident, dans nos sociétés occidentales, que le principe d'égalité entre l'homme et la femme
s'impose et divers textes nationaux, communautaires et internationaux le consacrent... mais on sait aussi que ce point de vue (d'ailleurs récent !) est loin d'être
universel et que nombreux sont encore les pays où il paraît tout à fait naturel que la femme se voit reconnaître moins de droits que l'homme. Il s'agit de
« civilisations » différentes qui ont d'autres valeurs... H. Muir-Watt nous a rappelé que, en droit international privé, l'essor des droits fondamentaux se traduit très
souvent par des « droits contre une loi étrangère non conforme » aux valeurs du for : la jurisprudence française sur le droit de l'enfant naturel à voir établir sa
filiation le montre. Certes, la notion d'« intérêt supérieur de l'enfant » paraît s'imposer partout, mais cet intérêt sera loin d'être apprécié de la même façon dans tous
les Etats... les développements menés par H. Muir-Watt à propos de l'adoption internationale en attestent.
Quant à la protection de l'environnement, qui n'implique pas de grandes options philosophiques et qui devrait rallier tous les suffrages, on sait qu'il est, pour le
moment, presque impossible d'obtenir un accord unanime à propos de situations qui pourtant, par nature, sont universelles. Sans doute, il y a en cette matière de
très nombreuses conventions internationales... sur la protection de la faune et de la flore, sur la protection de la mer, sur la protection de la couche d'ozone, sur la
protection du climat, etc.(9) Mais elles n'ont pas toujours le succès escompté et, pour ne donner qu'un exemple, on sait que le refus des Etats-Unis de mettre en
œuvre le Protocole de Kyoto du l0 décembre 1997 prévoyant la réduction avant 2012 des émissions de six gaz à effet de serre compromet fortement la réussite de
la Convention-cadre de Rio de Janeiro du 9 juin 1992 sur les changements climatiques.
Alors, dans tous ces domaines concernant des valeurs fondamentales, valeurs morales, valeurs attachées à la personne humaine, ou encore valeurs esthétiques
et écologiques à respecter pour assurer une vie de qualité sur la planète, le cadre étatique est sans aucun doute trop étroit et l'internationalité inhérente à ces
problèmes appelle des réponses réunissant toute la communauté internationale.
On constate ainsi que tant en matière d'échanges économiques que dans les domaines mettant en cause des valeurs fondamentales de nos sociétés (les deux
sphères ayant d'ailleurs de nombreux points de recoupement), l'internationalité transcende (ou devrait transcender) l'Etat. C'est l'idée énoncée par E. Wyler, « Le
droit planétaire ne peut se concevoir que dans un paradigme de l'univocité, au titre d'un monisme absolu ».
Mais il serait erroné de croire que ce dépassement de l'Etat par l'internationalité est une règle constante. Les travaux de cette journée nous ont bien montré, et c'est
l'autre aspect de notre réflexion, que, à l'inverse, l'internationalité suppose l'Etat.
II. – L'INTERNATIONALITE SUPPOSE L'ETAT Pierre Mayer a écrit que « la dimension internationale d'un problème purement privé suffit à faire venir l'Etat sur le
devant de la scène »(10) et les travaux d'aujourd'hui le montrent.
Il me semble que trois constatations ressortent des rapports que nous avons entendus aujourd'hui. Tout d'abord, l'Etat est nécessaire à l'internationalité (A),
ensuite l'Etat permet de traiter l'internationalité (B), enfin l'Etat permet de lutter contre les abus que l'internationalité peut entraîner (C).
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A. – L'Etat est une condition nécessaire de l'internationalité S'il n'y avait pas d'Etat, il n'y aurait pas d'internationalité. En droit international public, si, comme l'a
rappelé J-M. Jacquet, les relations entre Etats ne relèvent jamais de la loi d'un Etat, il n'en demeure pas moins que les Etats sont à la fois les auteurs et les sujets de
ce droit. En droit international privé, pour moi – mais, sur ce point, les auteurs ne sont pas unanimes et, par exemple, H. Muir-Watt est d'un avis contraire – ce n'est
pas la différence entre les droits qui crée l'internationalité mais le fait que ces droits relèvent de souverainetés différentes. Il y a internationalité lorsqu'un belge
épouse une française même si les droits français et belges du mariage sont pratiquement identiques. En revanche, il n'y a pas internationalité si un catalan épouse
une castillane, quand bien même les droits de Catalogne et de Castille seraient différents. De même il n'y a pas internationalité si, au Liban, une catholique épouse
un musulman... Les conflits « interprovinciaux », les conflits « interpersonnels » ne sont pas très éloignés des conflits internationaux, mais ils n'en sont pas.
Et constater comme l'a fait la Cour de cassation le l3 avril 1999(11) que, s'agissant de responsabilité civile née d'un accident de la circulation, la loi belge a les
mêmes conséquences que la loi française et qu'il importe donc peu que le juge français ait appliqué la loi française au lieu de la loi belge désignée par la Convention
de La Haye de l971, me semble être un « traitement » de l'internationalité (voir, infra , B) et non pas une négation de l'internationalité.
Il y a en effet une caractéristique propre aux conflits internationaux : les systèmes juridiques en présence relèvent de souverainetés différentes. A priori , aucun
organe « central » ne peut apporter de solution au conflit, alors que le conflit interprovincial, interfédéral, ou interpersonnel peut être résolu par une norme étatique
qui s'impose à toutes les provinces ou régions, à tous les membres de la fédération, à toutes les personnes.
Lier ainsi internationalité et interétatique s'oppose certes, comme l'a exposé E. Wyler, au monisme « intersocial » de G. Scelle, mais, en revanche, est conforme à
l'essentiel du monisme normativiste, ou encore du dualisme classique d'Anzilotti, et, dans une moindre mesure, des dualismes dits « objectivistes » et
« contemporains ». Il semble donc bien que, en majorité, les doctrines qui se sont intéressées à la théorie des ordres juridiques admettent d'une façon ou d'une
autre ce lien entre internationalité et interétatique.
Pour toute situation dotée d'internationalité, chaque Etat concerné est à même d'apporter une réponse, quitte à déboucher sur des phénomènes tels que celui
envisagé par T. Revet sous l'expression de « plurilocalisation » des biens immatériels. Et, si l'on veut déboucher sur une réponse unique internationale, ou bien
les Etats se mettront d'accord par voie de traités, ou bien ils agiront par l'intermédiaire d'organisations internationales créées par eux, ou enfin, ils donneront force
obligatoire à un droit spontané, professionnel, tel que, par exemple, la lex mercatoria .
Un exemple emprunté à la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'Homme illustre deux idées : tout d'abord que pour qu'il y ait internationalité il faut que
deux ordres juridiques étatiques soient en cause, et, en second lieu, que l'Etat est le « passage obligé » pour régler un conflit entre ordres juridiques, quand bien
même la situation en cause ne serait pas dotée d'internationalité.
Le 20 juillet 2001, la Cour de Strasbourg, dans l'affaire Pellegrini c/ Italie (12), a considéré que constituait une violation de l'article 6 de la Convention européenne
de sauvegarde des droits de l'Homme et des libertés fondamentales l'exequatur accordé par la Cour d'appel de Florence (pourvoi rejeté par la Cour de cassation) à
un jugement de nullité de mariage rendu par les juridictions ecclésiastiques (Tribunal ecclésiastique régional du Latium près le Vicariat de Rome, et, sur
appel, Rote Romaine) . Substantiellement, ce qui était contraire à l'article 6, c'était la procédure dite « abrégée » (prévue par l'article 1688 du Code
canonique) qui méconnaissait gravement les droits de la femme. Mais, il était impossible à la Cour européenne des droits de l'Homme d'appréhender directement la
décision religieuse. Ce n'est que l'exequatur prononcé par la juridiction étatique italienne qui pouvait être censuré. On constate d'abord – et c'est l'illustration de la
première idée – qu'il n'y avait aucune « internationalité » de la situation, même si, en réalité, deux systèmes juridiques étaient en cause : le système juridique
canonique et le système juridique étatique italien. L'internationalité suppose donc bien la mise en cause d'au moins deux Etats : l'internationalité suppose l'Etat. De
plus – et c'est l'illustration de la seconde idée – l'Etat italien était un intermédiaire nécessaire tant du point de vue de la décision à sanctionner (l'exequatur) que du
point de la vue de la norme applicable (l'Italie ayant ratifié la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme et des libertés fondamentales) : le conflit
entre l'ordre juridique canonique et l'ordre de la Convention européenne des droits de l'Homme ne pouvait se résoudre qu'en passant par l'ordre juridique italien.
Sans doute peut-on faire remarquer avec Ch. Leben dans un article récent consacré à l'étude « De quelques doctrines de l'ordre juridique »(13) que « n'importe
quel groupe de particuliers peut constituer une association politique « internationale », une religion « internationale », une organisation « internationale », des
producteurs d'asperges, avec ses règles, ses organes et ses sanctions ». Mais ces « ordres juridiques transnationaux » n'existent, comme le souligne Ch.
Leben, que « parce que les Etats acceptent, favorisent, tolèrent ou même parfois, ignorent leur existence »(14). Et, finalement, ainsi que cela ressortait du
rapport d'H. Synvet, le fait que l'Etat reste le cadre essentiel de production des normes juridiques entraîne une concurrence salutaire entre les divers systèmes
juridiques.
Si donc, l'internationalité suppose l'Etat, c'est aussi l'Etat qui va donner les moyens de « traiter » l'internationalité.
B. – L'Etat permet de traiter l'internationalité Je citerai encore P. Mayer qui a écrit il y a quelques années : « Parmi les diverses figures de l'Etat qui apparaissent
sur la scène du droit international privé, l'une surtout paraît en définitive jouer un rôle compatible avec une analyse moderne du conflit de lois et de juridictions :
celle de l'Etat législateur »(15).
Il me semble résulter de l'ensemble des rapports de cette journée qu'effectivement, la fonction normative de l'Etat permet de traiter les situations dotées
d'internationalité. Et c'était une des conclusions de S. Laghmani ce matin : quel que soit le sens que l'on donne à l'expression « droit international », il s'agit d'un
droit créé par et/ou entre les Etats. On se souvient aussi de ce qu'a dit J.-P. Marty : en face d'une relation juridique internationale donnée, l'Etat choisit d'accepter ou
de rejeter l'internationalité ; dans les deux cas c'est une façon de « traiter » l'internationalité.
La norme qui traite ainsi l'internationalité peut être une norme interne : et c'est le droit international privé propre à chaque Etat avec les mécanismes prévus pour
trancher les conflits de lois (règles de conflits bilatérales ou unilatérales, ou encore règles matérielles de droit international privé), mais aussi les normes qui, dans
chaque Etat, déterminent la compétence internationale des tribunaux et le sort réservé aux jugements étrangers. Et, si l'on accepte que la doctrine de l'Ecole
historique du Droit garde une grande part de vérité, il faut bien admettre que ces normes internes sont, au moins dans certains domaines, comme en droit de la
famille, celles qui répondent le mieux aux aspirations de la collectivité à laquelle elles s'adressent(16). Et même en droit des affaires, c'est bien souvent le droit
national qui s'adapte pour régler les situations internationales : H. Synvet nous l'a rappelé en insistant sur « l'assouplissement » et la « sophistication » du droit
national entraînés par cette adaptation.
A nouveau l'ordre juridique communautaire se manifeste ici : par exemple, un arrêt de la Cour d'appel de Toulouse du 27 juin 2000 (17) devant se prononcer
sur la situation d'un enfant dans un contentieux après-divorce entre les deux parents prend soin de relever que si le parent gardien a déménagé à l'étranger, il
s'agit d'un déménagement « dans un pays voisin membre de la Communauté »... La solution aurait-elle été différente si le parent gardien s'était établi hors l'Union
européenne ? Ceci rejoint l'un des thèmes abordés par S. Poillot-Peruzzetto lorsqu'elle a parlé de la réception de l'internationalité par l'ordre communautaire pour la
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Mais, j'ai parlé trop longtemps, et certainement sans avoir su rendre toute la richesse des exposés que nous avons entendus aujourd'hui. Il est temps de conclure.
CONCLUSION Sommes-nous plus avancés que ce matin : l'internationalité, qu'est-ce ? A quoi ce concept sert-il ?
On a bien vu tout au long de la journée que la définition de l'internationalité n'était pas simple, et que la réponse n'était pas univoque selon qu'il s'agissait de
l'internationalité des normes ou de l'internationalité des situations : pour les normes, on peut admettre qu'elles sont internationales si elles émanent de deux ou plus
de deux Etats, mais on pourrait reconnaître aussi ce qualificatif à des normes internes s'appliquant à des situations internationales ; pour les situations juridiques,
on retrouve l'éternel débat sur les critères économiques (et lesquels ?), ou les critères juridiques (et lesquels aussi ?) de l'internationalité, débat renouvelé et
compliqué par l'essor des techniques, en particulier d'Internet ; s'y ajoute la problématique des vrais et des faux conflits ; et, surtout dans l'ordre communautaire,
reste, par exemple, posée la question de savoir si la nationalité des personnes reste dans certains cas un critère utilisable pour caractériser l'internationalité.
« Selon les ordres juridiques en cause, selon les domaines matériels concernés, la notion d'internationalité n'est pas forcément exactement la même. »
On a vu aussi que si l'internationalité de la grande criminalité, du terrorisme ne faisait aucun doute, il était moins certain que l'on puisse vraiment parler
d'internationalité des droits de l'Homme...
Il semble qu'il faille surtout être très nuancé. Selon les ordres juridiques en cause, selon les domaines matériels concernés, la notion d'internationalité n'est pas
forcément exactement la même. Le droit pénal, le droit des affaires, le droit des biens immatériels ont sans doute plus besoin de solutions dotées d'internationalité
que le droit de la famille, ou le droit des biens matériels en tout cas des biens immobiliers. Le droit des contrats se situerait alors au milieu du gué : selon les
contrats en cause, l'internationalité jouera un rôle plus ou moins grand et le rapport de C. Witz était éclairant à se sujet avec la situation spécifique des contrats
intracommunautaires et sa proposition de suppression de la distinction entre contrat interne et contrat communautaire. Comme l'a relevé P. Lagarde, et pour les
conventions de droit international privé et pour les conventions de droit matériel, « la notion d'internationalité est moins utile qu'on aurait pu le croire de prime
abord ».
Il me semble en tout cas que l'internationalité ne doit pas déboucher sur l'uniformité, mais plutôt, selon l'expression de S. Poillot-Peruzzetto, sur un « pluralisme
ordonné ». Personnellement, dans nos sociétés si compliquées, je ne crois pas à l'unification des droits. Des rapprochements sont possibles dans certains
domaines certes et, parfois, il est vrai que l'unification représentera un progrès et non un simple compromis, mais il ne faut pas tout unifier : de même que les
enfants et les adolescents se construisent en s'affirmant par rapport à ceux avec qui ils vivent et non pas en les copiant, de même les droits seront d'autant plus
riches qu'ils resteront différents... ce qui ne veut pas dire, au contraire, qu'ils s'ignoreront. Et le cadre de l'Etat-nation reste sans doute encore, en général, un
cadre à échelle humaine, dans lequel l'individu et la collectivité peuvent se « retrouver » et qui correspond souvent à une longue histoire qui a forgé une mentalité
commune.
Ce qui complique encore la réflexion, c'est que, d'une part, on est confronté à des technologies toujours plus performantes qui réduisent, voire suppriment la
dimension spatiale, et que, d'autre part, on prend conscience qu'on ne peut dresser des cloisons étanches ni entre les divers ordres juridiques (interne,
communautaire, transnational et international), ni entre les diverses branches du droit (affaires, contrats, biens, famille, etc.). Finalement il y a une unité du Droit,
comme il y a une unité de l'Homme, mais, de même que l'être humain résulte de l'agencement encore mystérieux et extraordinaire de milliards de phénomènes
physiques, chimiques, biologiques, psychologiques, etc., il y a aussi une grande variété dans les composantes du droit (variété dont l'internationalité n'est qu'un
aspect).
J.-M. Jacquet a comparé l'internationalité à un « flux » et P. Lagarde nous a dit que la notion d'internationalité jouait un « rôle de seuil, avec toute l'ambiguïté du
terme qui évoque à la fois des idées de limite et d'ouverture ». J'arrive à la même conclusion avec une image : lorsque le fleuve se jette dans la mer, on sait bien
que le fleuve est distinct de la mer, mais on ne sait pas exactement où finit le fleuve et ou commence la mer... L'internationalité, c'est un peu cette rencontre du
fleuve et de la mer.
Notes (1)
Cité par Safir A., in L'inviolabilité profanée de l'Amérique, Courrier international , 13 sept. 2001, no 567.
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(2)
Cf. Lemaître F., Des plans sociaux planétaires et quasi instantanés, Le Monde , 26 juill. 2001.
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(3)
Dans le cadre de ce rapport, l'Etat sera considéré comme coïncidant avec la nation.
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(4)
Cf. Terré Fr., L'internationalité du juge dans l'arbitrage, in L'internationalité dans les institutions et le droit, convergences et défis, Etudes offertes à A. Plantey,
Pedone, l995, p. 219.
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(5)
Cf. CJCE, 23 nov. 1999, aff. jointes C-369/96 et C-376/96, J.-C. Arblade, Arblade & fils SARL, B. et S. Leloup et Sofrage SARL, Rec. CJCE, I, p. 8453, Rev. crit. DIP
2000, p. 710, obs. Fallon M.
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(6)
Cf. CJCE, 9 nov. 2000, aff. C-381/98, Ingmar GB Ldt c/ Eaton Leonard Technologies inc., Rec. CJCE, I, p. 9305, JDI (Clunet) 2001, p. 511, 2 e esp., note Jacquet J.-
M., Rev. crit. DIP 2001, p. 107, note Idot L. ; cf. , aussi, Raynard J., chr., in JCP éd. E 2001, p. 12.
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(7)
Cf. Leben Ch., A propos de la nature juridique des Communautés européennes, Droits 1991, no 14, p. 61 et s., spécialement p. 63.
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