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L’image de la femme dans le roman d’Afrique francophone

à travers

le thème de la polygamie

(Littérature africaine d’expression française)

THÈSE

Présentée à Université de Khartoum en vue de

L’obtention du doctorat

Préparée par

Ikhlas Siddig Mohamed Ahmed

(Master en FLE 2000. Université de Khartoum)

Faculté des Lettres

Département de Français

Sous la direction de

Dr. Viviane-Amina YAGI

  Janvier 2011
Dédicace

A la femme africaine

« Femme des champs,

Femme des rivières,

Femme du grand fleuve,

Ô toi, ma mère, je pense à toi »

(Camara Laye, 1953 : préface)

Remerciements
 
Nous tenons à remercier chaleureusement Madame Viviane Amina Yagi,
professeur à l’Université de Khartoum, qui a accepté de diriger cette
recherche.

Nos sincères remerciements vont également à Madame Josette Gaume,


Maître de Conférences à l’Université de Franche-Comté, qui a suivi la
rédaction de cette thèse et qui nous a accordée une grande partie de son
temps précieux.

Nous remercions vivement Monsieur Alpha Ousmane Barry, Maître de


Conférences HDR à l’Université de Franche-Comté, qui a lu et corrigé ce
travail.

Nous remercions les personnels du Centre Linguistique Appliquée (CLA) à


Besançon, Isabelle Grünenwald, Philippe Hoibian qui nous ont aidés avec
tous les moyens disponibles.

Nous remercions tous les amis au Soudan et en France pour leur soutien et
leur encouragement.

 
Résumé

Cette recherche vise à mettre en évidence la fonction sociale de la littérature


comme miroir qui reflète la vie d’une société à une époque donnée.

A travers le thème de la polygamie, nous essayons de découvrir l’image que


les romanciers dressent de la femme africaine. Nous essayons également de
découvrir l’attitude de la femme vis-à-vis de la polygamie et les impacts de
celle-ci sur la vie des couples et des enfants.

Le champ de l’étude est le roman africain francophone. Nous nous sommes


appuyés sur trois ouvrages de grands romanciers Africains : Xala de
Sembène Ousmane, Perpétue et l’habitude du malheur de Mongo Béti et
Une si longue lettre de Mariama Bâ écrits dans les années 70. Nous nous
sommes servis d’autres romans qui abordent le sujet, ceux qui représentent
des époques différentes pour montrer des points de vues différents sur le
sujet, notamment celui de l’homme ou de la femme.

Dans notre recherche nous avons adopté la méthode analytique descriptive et


comparative pour les romans choisis.

Dans les romans étudiés, la polygamie est traitée d’une tonalité différente.
D’abord, elle est abordée d’une banalité normale, et puis, suite aux défis de
modernité comme beaucoup d’autres coutumes, elle subit des critiques
violentes. Cependant elle persiste tant qu’il n’existe pas d’autre institution
qui puisse se substituer à elle et tant qu’elle trouve le soutien, notamment des
intellectuels.

Plusieurs facteurs culturels, religieux, sociaux et économiques favorisent la


pratique de la polygamie en Afrique. Pour les africains, elle est considérée
comme un héritage culturel, une coutume ancestrale fortement enracinée.
 
En général, les images que les romanciers donnent à la femme se répartissent
entre celle de femme forte et de femme faible ou victime. Les femmes
écrivains ont créé une nouvelle image, celle de femme en lutte. Quant à la
réaction contre la polygamie, on peut distinguer principalement deux
images : l’image de la femme soumise et l’autre de la femme révoltée.

 
‫ﺒﺴﻡ ﺍﷲ ﺍﻟﺭﺤﻤﻥ ﺍﻟﺭﺤﻴﻡ‬

‫ﻤﺴﺘﺨﻠﺹ‬
‫ﺍﺴﻡ ﺍﻟﻁﺎﻟﺒﺔ ‪ :‬ﺍﺨﻼﺹ ﺼﺩﻴﻕ ﻤﺤﻤﺩ ﺍﺤﻤﺩ‬

‫‪   ‬ﻋﻨﻭﺍﻥ ﺍﻟﺭﺴﺎﻟﺔ ‪:‬‬

‫‪L’image de la femme dans le roman d’Afrique francophone à travers le‬‬


‫‪  thème de la polygamie ‬‬

‫‪)            ‬ﺍﻟﻤﺭﺃﺓ ﻓﻲ ﺍﻟﺭﻭﺍﻴﺔ ﺍﻻﻓﺭﻴﻘﻴﺔ‪ ‘’  ‬ﺍﻟﻔﺭﺍﻨﻜﻭﻓﻭﻨﻴﺔ ’‘‪  ‬ﻤﻥ ﺨﻼل ﻤﻭﻀﻭﻉ ﺘﻌﺩﺩ ﺍﻟﺯﻭﺠﺎﺕ‪( ‬‬

‫ﻴﻨﻁﻠﻕ ﻫﺫﺍ ﺍﻟﺒﺤﺙ ﻤﻥ ﺃﻫﻤﻴﺔ ﺍﻷﺩﺏ ﻭﺩﻭﺭﻩ ﺍﻻﺠﺘﻤﺎﻋﻲ ﻜﻤﺭﺁﺓ ﺘﻌﻜﺱ ﻭﺍﻗﻊ ﺍﻟﺤﻴﺎﺓ ﻓﻲ ﻤﺠﺘﻤﻊ ﻤﺎ ﻓـﻲ‬
‫ﻓﺘﺭﺓ ﺯﻤﻨﻴﺔ ﻤﻌﻴﻨﺔ ﺇﺫ ﻴﻬﺩﻑ ﻟﻠﻜﺸﻑ ﻋﻥ ﺼﻭﺭﺓ ﺍﻟﻤﺭﺃﺓ ﻓﻲ ﺍﻟﺭﻭﺍﻴﺔ ﺍﻹﻓﺭﻴﻘﻴﺔ ﻤﻥ ﺨـﻼل ﻤﻭﻀـﻭﻉ‬
‫ﺘﻌﺩﺩ ﺍﻟﺯﻭﺠﺎﺕ ﻭﻴﺭﺘﻜﺯ ﻋﻠﻰ ﺩﺭﺍﺴﺔ ﻭﺘﺤﻠﻴل ﻫﺫﻩ ﺍﻟﻅﺎﻫﺭﺓ ﻓﻲ ﺃﻋﻤﺎل ﺃﺩﺒﻴـﺔ ﻟﺜﻼﺜـﺔ ﻤـﻥ ﺍﻟﻜﺘـﺎﺏ‬
‫‪)Sembène  Ousmane ‬‬ ‫ﺍﻟﺭﻭﺍﺌﻴﻴﻥ ﺍﻟﺒﺎﺭﺯﻴﻥ ﻭﻫﻲ‪ :‬ﺭﻭﺍﻴﺔ ‪)   Xala ‬ﺨﺎﻟﺔ( ﻟﻠﻜﺎﺘـﺏ ﺍﻟﺴـﻨﻐﺎﻟﻲ‬
‫‪) Perpétue et l’habitude du malheur  ‬ﺒﻴﺭﺒﺘﻭ ﻭﻤﻌﺎﻴﺸﺔ ﺍﻵﻻﻡ ‪( ‬ﻟﻠﻜﺎﺘﺏ‬ ‫ﺴﺎﻤﺒﻴﻥ ﻋﺜﻤﺎﻥ(‬
‫ﺍﻟﻜﻤﺭﻭﻨﻲ ‪) Mango Béti‬ﻤﻨﻘﻭ ﺒﻴﺘﻲ( ﻭ‪ Une si longue lettre‬ﺨﻁﺎﺏ ﻁﻭﻴـل ﺠـﺩﹰﺍ ﻟﻠﻜﺎﺘﺒـﺔ‬
‫ﺍﻟﺴﻨﻐﺎﻟﻴﺔ‪ ) Marima  Bâ‬ﻤﺭﻴﺎﻤﺎ ﺒﺎ‪(.‬ﻫﺫﻩ ﺍﻷﻋﻤﺎل ﻜﺘﺒﺕ ﻓﻲ ﺴﺒﻌﻴﻨﺎﺕ ﺍﻟﻘﺭﻥ ﺍﻟﻤﺎﻀﻲ‪ .‬ﻜﻤﺎ ﺘﻨﺎﻭﻟﻨـﺎ‬
‫ﻷ ﺘﻤﺜل ﺤﻘﺒﹰﺎ ﺘﺎﺭﻴﺨﻴﺔ ﺴﺎﺒﻘﺔ ﻭﻻﺤﻘﺔ ﻟﺘﻠﻙ ﺍﻟﻔﺘﺭﺓ ﺤﺘﻰ ﻨﻁﹼﻠﻊ ﻋﻠﻰ ﻭﺠﻬﺎﺕ ﻨﻅﺭ ﻟﻤﺨﺘﻠﻑ ﺍﻟﻜﺘـﺎﺏ‬
‫ﺃﻋﻤﺎ ُ‬
‫ﻤﻥ ﺍﻟﺠﻨﺴﻴﻥ ﻤﻤﺎ ﻴﺩﻋﻡ ﻫﺫﺍ ﺍﻟﺒﺤﺙ ﻭﻴﻌﻀﺩ ﻨﺘﺎﺌﺠﻪ‪.‬‬

‫ﺃﺘﺒﻊ ﺍﻟﺒﺎﺤﺙ ﺍﻟﻤﻨﻬﺞ ﺍﻟﺘﺤﻠﻴﻠﻲ ﺍﻟﻭﺼﻔﻲ ﺍﻟﻤﻘﺎﺭﻥ ﻓﻲ ﺍﻟﺭﻭﺍﻴﺎﺕ ﻤﻭﻀﻭﻉ ﺍﻟﺩﺭﺍﺴﺔ‪.‬‬

‫ﻤﻥ ﺃﻫﻡ ﺍﻟﻨﺘﺎﺌﺞ ﺍﻟﺘﻲ ﺘﻭﺼﻠﺕ ﻟﻬﺎ ﺍﻟﺩﺭﺍﺴﺔ ‪ :‬ﺃﻥ ﺍﻟﻜﺘﺎﺏ ﺍﻟﺭﻭﺍﺌﻴﻴﻥ ﺘﻨﺎﻭﻟﻭﺍ ﻫـﺫﺍ ﺍﻟﻤﻭﻀـﻭﻉ‬
‫ﺒﻨﺒﺭﺓ ﺘﺨﺘﻠﻑ ﻤﻥ ﻜﺎﺘﺏ ﻵﺨﺭ ﻓﺒﻴﻨﻤﺎ ﺍﻋﺘﺒﺭﻫﺎ ﺍﻟﺒﻌﺽ ﻤﻅﻬﺭﹰﺍ ﻤﻥ ﻤﻅﺎﻫﺭ ﺍﻟﺤﻴﺎﺓ ﺍﻟﻌﺎﺩﻴﺔ ﺘﻌﺭﺽ ﻟﻬـﺎ‬
‫ﺍﻟﺒﻌﺽ ﺍﻵﺨﺭ ﺒﺎﻟﻨﻘﺩ ﺍﻟﻼﺫﻉ‪ ،‬ﻭﻴﻌﺯﻯ ﺫﻟﻙ ﺍﻟﺘﺤﻭل ﻟﻠﺘﻐﻴﺭﺍﺕ ﺍﻟﺘﻲ ﻁﺭﺃﺕ ﻋﻠﻰ ﺍﻟﻤﺠﺘﻤـﻊ ﺍﻷﻓﺭﻴﻘـﻲ‬
‫ﻭﺘﺤﺩﻴﺎﺕ ﺍﻟﺤﻴﺎﺓ ﺍﻟﻌﺼﺭﻴﺔ‪ .‬ﻟﻜﻥ ﻨﺠﺩ ﺃﻥ ﺍﻟﻅﺎﻫﺭﺓ ﻗﺩ ﺍﺴﺘﻤﺭﺕ ﺭﻏﻡ ﺫﻟﻙ ﻨﺴﺒﺔ ﻟﻌـﺩﻡ ﻭﺠـﻭﺩ ﻨﻅـﺎﻡ‬
‫ﻼ ﻋﻥ ﺃﻨﻬﺎ ﺘﺠﺩ ﺍﻟﺩﻋﻡ ﻭﺍﻟﻤﺴﺎﻨﺩﺓ ﺴﻴﻤﺎ ﻤﻥ ﺍﻟﻁﺒﻘﺔ ﺍﻟﻤﺜﻘﻔﺔ‪.‬‬
‫ﺍﺠﺘﻤﺎﻋﻲ ﺒﺩﻴل ﻓﻀ ﹰ‬

‫‪ ‬‬
‫ﻫﻨﺎﻟﻙ ﻋﺩﺓ ﻋﻭﺍﻤل ﺜﻘﺎﻓﻴﺔ ﻭ ﺍﺠﺘﻤﺎﻋﻴﺔ ﻭﺩﻴﻨﻴﺔ ﻭﺍﻗﺘﺼﺎﺩﻴﺔ ﺘﻌﺯﺯ ﻭﺠﻭﺩ ﻫﺫﻩ ﺍﻟﻅـﺎﻫﺭﺓ ﺍﻟﺘـﻲ‬
‫ﺘﻌﺘﺒﺭ ﺇﺭﺜﹰﺎ ﺜﻘﺎﻓﻴﹰﺎ ﻀﺎﺭﺏ ﺍﻟﺠﺫﻭﺭ ﻓﻲ ﺤﻴﺎﺓ ﺍﻷﺴﺭﺓ ﺍﻻﻓﺭﻴﻘﻴﺔ‪.‬‬

‫ﺍﻟﺼﻭﺭﺓ ﺍﻟﺘﻲ ﺭﺴﻤﻬﺎ ﺍﻟﻜﺘﺎﺏ ﺍﻟﺭﻭﺍﺌﻴﻴﻥ ﻟﻠﻤﺭﺃﺓ ﺘﺘﻤﺜل ﻓﻲ ﺍﻟﻤﺭﺃﺓ ﺍﻟﻘﻭﻴﺔ ﻭﺍﻟﻤـﺭﺃﺓ ﺍﻟﻀـﻌﻴﻔﺔ‬
‫ﺍﻟﻀﺤﻴﺔ ﻟﻜﻥ ﺍﻟﻜﺎﺘﺒﺎﺕ ﺍﻟﺭﻭﺍﺌﻴﺎﺕ ﺍﺴﺘﻁﻌﻥ ﺃﻥ ﻴﺄﺘﻴﻥ ﺒﺼﻭﺭﺓ ﺃﺨﺭﻯ ﻟﻠﻤﺭﺃﺓ ﻭﻫﻲ ﺍﻟﻤﺭﺃﺓ ﺍﻟﻤﻘﺎﻭﻤﺔ‪ .‬ﻤﻥ‬
‫ﺨﻼل ﻤﻭﻀﻭﻉ ﺘﻌﺩﺩ ﺍﻟﺯﻭﺠﺎﺕ ﻨﺠﺩ ﺼﻭﺭﺓ ﺍﻟﻤﺭﺃﺓ ﺍﻟﺨﺎﻀﻌﺔ ﺍﻟﻤﺴﺘﺴﻠﻤﺔ ﻭﺍﻟﻤﺭﺃﺓ ﺍﻟﺜﺎﺌﺭﺓ‪.‬‬

‫‪ ‬‬

‫‪ ‬‬
Abstract
Name of student : Ikhlas Siddig Mohmed Ahmed
Title of Thesis : L’image de la femme dans le roman d’Afrique
francophone à travers le thème de la polygamie.
(The image of woman in African″francophone″ novel through the
theme of polygamy)
This research aims to highlight the social function of literature as a mirror
that reflects the life of a society at a certain time.
Through the concept of polygamy, we try to discover the image that
novelists draw up to the african woman. We also try to discover the woman's
attitude towards the polygamy and the impact of this on the life of couples
and children.
The field of the present study is the francophone african novel. We relied on
three works of major african novelists: Xala written by Sembène Ousmane,
Perpétue et l’habitude du malheur written by Mongo Béti and Une si longue
lettre written by Mariama Bâ in the 70. The present work is also based on
other novels that address the subject and represent different eras to show the
various points of view on the subject including that of man or woman.

In our research we followed a descriptive, analytic and comparative method.

In the studied novels, the polygamy is treated in a different tonality. First, it


is tackled in a normal banality, and then, following the challenges of
modernity, like many other customs, it undergoes severe criticism. However,
it persists as long as there is no other institution that can replace it and so it
finds support, especially from intellectuals.

 
Several cultural, religious, social and economic factors promote the practice
of polygamy in Africa. For Africans, the polygamy is considered as a
cultural heritage, it is a deeply rooted ancestral custom.

In general, the image that novelists give to woman is divided between the
strong woman and the weak one. Women writers have created a new image;
the struggling woman. As far as the reaction against the polygamy is
concerned, we can distinguish two main images: the image of the submissive
wife and the rebelled wife.

 
Introduction

La question du rôle de la femme, le rapport homme/femme est au cœur


de l’histoire et de la culture en Afrique. La femme africaine joue un
rôle primordial dans la société. Son rôle comme mère productrice et
protectrice est bien exalté par les écrivains africains. Quant à la
question du rapport homme/femme, c’est la polygamie qui la
caractérise la plupart du temps.

Bien qu’elle soit prescrite dans de nombreux pays, la polygamie fait


aujourd’hui l’objet de débats de controverses, voire d’articles de lois
en France et en Occident. Dans la quête infatigable pour l’égalité
homme/femme la polygamie est considérée comme un vrai obstacle à
tout effort.

Donc la polygamie est un sujet d’actualité, un sujet qui se pose d’une


façon permanente dans la vie réelle à travers les informations dans les
medias, les articles dans la presse, ainsi que dans la fiction à travers
des séries, des films, des romans, etc. Le mariage, la polygamie en
particulier, est une thématique récurrente dans la littérature africaine
depuis qu’elle est apparue. Il va de soi que ce sujet nourrit
l’imagination et la création des écrivains africains jusqu’à nos jours.

L’importance de ce sujet part du fait que le mariage est le choix unique


qui règle la vie de couple homme/femme dans le milieu traditionnel.
De plus, avoir une descendance nombreuse est d’une importance
capitale pour les Africains pour assurer la continuité de la lignée, qui
est l’objectif optimal de l’acte du mariage. Pour réaliser cette finalité,

 
ils trouvent dans la polygamie un moyen efficace. Donc partant des
croyances traditionnelles et religieuses, la polygamie devient une
valeur ancestrale, un héritage culturel fortement respecté.

D’autre part, les sociétés africaines subissent une mutation, un


changement radical du mode de vie à partir de la deuxième moitié du
vingtième siècle suite à l’époque de la colonisation et l’influence de la
civilisation occidentale. Par conséquent la polygamie, comme d’autres
pratiques traditionnelles, est soumises aux défis de la modernité.
Beaucoup de coutumes sont abandonnées, elles nuisent au
développement de la vie sociale. D’autres persistent malgré tous les
efforts pour les abolir telle que la polygamie.

La condition de la femme africaine n’est pas enviable, dans l’optique


de l’occident, la polygamie est l’origine de la misère qui la frappe,
c’est pourquoi il faut la combattre. L’émancipation de la femme
africaine, l’amélioration de la condition de sa vie passent
exclusivement par l’abandon total de cette pratique.

Plus que d’autres personnes, la femme est crûment affectée par les
changements dans la société africaine. Prenant conscience de la gravité
de la situation de la femme africaine - qui est en proie à l’ignorance, à
l’alphabétisme et aux mauvaises coutumes - les écrivains se servent de
leurs plumes comme d’une arme pour défendre la cause de la femme.
Notamment la femme est l’agent essentiel de la promotion de la
société, donc sauver la femme c’est sauver la société et par conséquent
toute la nation.

 
Les efforts faits par les écrivains et les romanciers s’inscrivent dans la
critique sociale. Ils visent à mettre en relief les problèmes dont la
femme souffre pour y trouver des solutions. S’identifiant à leurs
personnages ils transmettent indirectement leurs messages, leurs points
du vue sur les questions abordées. Ils critiquent l’homme polygame, ils
montrent leur sympathie pour la femme considérée comme victime de
cette pratique.

Dans cette étude intitulée ″L’image de la femme dans le roman


d’Afrique francophone à travers le thème de la polygamie″, nous
essayons d’aborder le thème de la polygamie. Nous essayons
également de présenter la femme à partir des portraits faits par les
romanciers qui traitent ce sujet.

Ce travail se compose de trois parties : la première partie est une


présentation de la problématique, nous présentons le roman africain,
son évolution historique et thématique. Nous faisons un survol du
thème de la polygamie dans les romans de notre corpus, les romans qui
représentent les différentes périodes historiques de l’Afrique
occidentale : avant l’indépendance, après l’indépendance et la période
contemporaine.

Le deuxième chapitre contient les définitions des notions de polygamie


et de monogamie. Nous faisons également une présentation de la
polygamie en tant que réalité vécue partout dans le monde et dans le
continent africain en particulier. Nous mettons en opposition
polygamie/monogamie. La monogamie qui est parfois caractérisée par

 
une série de mariages divorces mariages est une autre forme de
polygamie.

La deuxième partie est également une analyse de l’image et du rôle de


la femme africaine. Cette partie peut être considérée comme un état
des lieux de la situation de la femme africaine celle qui est concernée
par cette pratique. Nous présentons l’image romanesque de la femme
africaine qui est celle d’une femme forte, femme faible (victime ou
écrasée) ou de femme en lutte. Nous présentons également le rôle de la
femme au foyer et au travail, les coutumes du mariage dans la société
traditionnelle africaine qui reflète l’importance de cette institution dans
leur vie. Nous présentons l’image de l’épouse traditionnelle, puis
l’image de la femme évoluée pour montrer l’influence de la modernité
sur la femme africaine.

La troisième partie est une analyse de la polygamie à partir des


expériences des personnages romanesques. Cette partie comprend trois
chapitres. Le premier est consacré aux raisons de la polygamie, le
deuxième aux manifestations, le troisième aux conséquences. Nous
présentons l’attitude de la femme vis-à-vis de la polygamie à travers
les images de femmes soumises à la polygamie et celles des femmes
qui se révoltent contre cette pratique. Nous présentons également
l’image de celles qui l’acceptent bien qu’elles ne soient pas
nombreuses. Nous présentons le ménage polygame, les impacts de la
polygamie sur les couples, sur les enfants et sur le reste de la famille.

Dans les commentaires qui composent la dernière partie de ce travail,


nous essayons de répondre aux questions posées, nous faisons une

 
réflexion sur la condition de la femme africaine qui. Nous comparons
sa situation avec celle de la femme occidentale. Ainsi les problèmes
de la femme existent partout dans le monde bien qu’ils soient
différents.

 
Première partie

Présentation de la problématique

 
Présentation de la problématique

La littérature africaine d’expression française est un domaine très riche


et très intéressant. Bien qu’elle soit écrite en français, elle traduit des
idées, des visions africaines, elle fait découvrir à ses lecteurs des traits
culturels africains ainsi que la pensée africaine. Cette littérature,
surtout les romans, apprend beaucoup plus que d’autres sources sur la
femme africaine, sur sa condition de vie, ses problèmes, ses
aspirations. Il s’agit d’une narration plutôt authentique des faits, des
actions, des valeurs, de la vie quotidienne réalisée par un travail
d’écriture. Un travail qui a comme objectif de présenter l’image
romanesque de la femme africaine.

Partant de la théorie littéraire du reflet, cette recherche vise à mettre en


évidence la fonction sociale de la littérature et son rôle comme miroir
reflétant les actions et les événements ayant court dans un lieu et à un
moment donné.

Dans le roman africain, on peut distinguer des principes qui


soutiennent l’usage du réalisme. Selon Claire L. Dehon (2002), ils se
représentent par : le didactisme, l’engagement politique, la
dénonciation de « l’art pour l’art » et la nécessité d’utiliser la
littérature pour le développement et l’amélioration des conditions de la
vie des peuples.

Pour Léopold Sédar Senghor, l’œuvre littéraire n’existe que si elle a


une « valeur exemplaire » ou un « pouvoir révolutionnaire » cité par
(Claire L. Dehon : 58).

 
Ainsi la conception de la littérature engagée servait la campagne anti
colonialiste ce qui est remarquable dans l’œuvre des écrivains comme
Mongo Béti, Sembène Ousmane et d’autres. Toutefois la littérature
africaine en général est liée étroitement à la réalité sociale. Il s’agit de
se préoccuper des problèmes de la société et des aspirations de
peuples.

Le choix du sujet est motivé par l’intérêt de découvrir, d’autres


sociétés africaines qui, malgré la diversité ethnique, linguistique et
culturelle ressemblent beaucoup à notre société soudanaise. D’autre
part la question de la femme africaine, son statut, ses problèmes,
l’amélioration de ses conditions de vie font partie de notre
problématique.

Nous remarquons que l’image de la femme est abondamment


présentée dans la production littéraire francophone d’Afrique et que
malgré l’évolution de l’image de la femme, la polygamie est un des
thèmes constants dans les romans africains en général et francophones
en particulier. Nous allons donc montrer :

- Quelle est l’image que les romanciers dressent de la femme


africaine, celle qui reflète sa situation, son rôle et son statut ?

- Pourquoi la polygamie persiste-t-elle malgré les aspects du


modernisme qui gagne les sociétés africaines ?

- La polygamie est-elle vraiment la pire des souffrances que la


femme africaine doit supporter ?

 
- Comment cette question est-elle traitée par les romanciers et
les romancières africains ?

Pour répondre à ces questions, nous adoptons une méthode descriptive


et analytique des romans suivants qui constituent notre corpus
littéraire. Notre choix se justifie par le fait qu’à notre avis ces romans
sont ceux qui illustrent le mieux le problème abordé :

Une si longue lettre le roman de l’écrivaine sénégalaise Mariama Bâ


publié en 1979. Le deuxième, c’est Perpétue et l’habitude du malheur
de l’écrivain camerounais Mongo Béti publié en 1974. Le troisième
c’est Xala du sénégalais Sembène Ousmane publié en 1973.

Ce corpus élargi par d’autres romans nous permet de présenter


plusieurs visions (masculine et féminine) des différentes sociétés à des
époques différentes pour enrichir notre réflexion sur le sujet. C’est
pourquoi nous nous servirons d’autres ouvrages comme corpus
secondaire.

Dans notre approche, nous adoptons une voie thématique, nous


n’insistons pas sur les côtés ou les valeurs proprement littéraires. Nous
écartons donc toutes dimensions formelles ou structurelles des romans.
Dans une perspective sociale de la littérature nous procédons à
l’analyse du thème de la polygamie qui se répète dans des ouvrages
différents. Nous nous servons de ces ouvrages comme témoignage des
époques dans lesquelles ils sont écrits. Ainsi l’époque joue-t-elle un
rôle déterminant dans l’écriture sur la femme. Mais elle n’est pas le
seul facteur, la personnalité de l’écrivain a également un rôle à jouer

 
sur la représentation qu’il donne de la femme selon qu’il est lui-même
homme ou femme.

En nous appuyant sur le roman africain francophone, nous précisons le


cadre linguistique de notre recherche : le roman d’expression française
et le cadre géographique : les pays d’Afrique de l’Ouest,1 représentés
par le Sénégal et le Cameroun.

Comme cadre historique, nous choisissons des romans écrits dans la


période qui suit les années des indépendances. Il faut signaler que cette
période est très signifiante dans l’histoire de l’Afrique. C’est une
période transitoire dans l’histoire du continent noir et de ses peuples
qui est pleine de changements et de confrontations au niveau politique,
économique, culturel et social. Par ailleurs, nous nous sommes
également intéressés aux romans écrits dans la période précédente et
dans la période contemporaine pour étayer notre analyse. Le passé de
la femme africaine est indissociable de son présent. Donc pour parler
de son présent, il faut connaître son passé.

                                                             
1
Pays d’Afrique noire francophone : Sénégal, Guinée, Côte-D’Ivoire, Mali, Haute-Volta, Togo,
Bénin, Tchad, République centrafricaine, Cameroun, Gabon, Congo, Zaïre, Rwanda, Burundi.

 
Chapitre 1 : Evolution historique et thématique du roman
africain.

1.1. L’importance du roman.

L’art romanesque est un genre de création littéraire qui, à part le talent,


le don (qualités naturelles), nécessite l’intervention d’autres éléments,
tels que l’expérience, l’observation et l’imagination du romancier. Ce
dernier procède par la mise en scène d’une intrigue en faisant jouer des
personnages selon le temps et le lieu de l’histoire. Puis l’écrivain peint
son portrait avec le décor qu’il lui convient pour le déroulement des
évènements.

Evidemment le roman a une valeur capitale qui se perpétue au fil des


âges. D’une part, comme une œuvre créative et esthétique, il acquiert
beaucoup d’importance au niveau culturel, en donnant satisfaction et
plaisir aux lecteurs. Ce qui fait du roman une œuvre distractive.
D’autre part son importance historique et social, puisqu’il est le reflet
d’une certaine époque et donc d’un état social donné. Le roman peut
être ainsi considéré comme une des références plus au moins
objectives, plus au moins neutres. A cette fonction documentaire
s’ajoute la fonction éducative du roman puisque du récit on peut tirer
des leçons de la vie.

En Afrique la production littéraire traditionnelle passe par l’oralité.


L’histoire, les contes, les proverbes et les maximes sont transmis
oralement de génération à génération des vieux aux jeunes. C’est ce
qu’on appelle la sagesse des vieux. Le roman africain est relativement
récent. Il date du vingtième siècle. Donc à cet égard il ne nous échappe

 
pas à citer la formule très célèbre de l’écrivain malien Amadou
Hampaté Bâ : « En Afrique, chaque fois qu’un vieillard meurt, c’est
une bibliothèque qui brûle ». Cela explique la nécessité de transposer
les savoirs par écrit en renforçant l’importance du roman et de la
littérature écrite de façon générale.

1.2. L’évolution historique du roman.

Parlant de l’évolution historique du roman africain, il va sans dire


qu’on doit citer tout d’abord Batouala de René Maran, puisqu’il s’agit
d’une première tentative de donner à l’Afrique la parole littéraire.
Cette tentative précède la montée en puissance d’une négritude
poétique et politique qui est incarnée par les trois mousquetaires de la
poésie noire : Senghor, Césaire, et Damas dans les années 1930.
Ensuite, la production littéraire romanesque d’Afrique francophone ne
cesse de croître en quantité comme en qualité. Nous citons à titre
d’exemples quelques premiers romans : Karim 1935 d’Ousmane Socé,
Doguicimi 1938 de Paul Hazoumé, L’enfant noir 1953 de Camara
Laye, Maimouna 1953 de Abdoulaye Sadji, Le vieux nègre et la
Médaille 1956 de Ferdinand Oyono, etc. Nous citons également des
écrivains qui viennent après tels que, Mongo Béti, Sembène Ousmane,
Ahmadou Kourouma, Mariama Bâ, etc.

Désormais le roman est devenu le meilleur véhicule pour l’expression


littéraire du monde africain et des populations. Il raconte leur vie, leur
histoire, toutefois il leur apprend beaucoup sur leur vie et sur leur
histoire. Ses héros tentent toujours de trouver un compromis entre leur

 
idéal et l’histoire concrète de la dégradation de la société. Ainsi le
roman s’épanouit.

La production littéraire romanesque des écrivains africains ne se limite


pas à un certain type de romans, au contraire ils produisent différents
types de textes tels que : roman autobiographique, roman historique,
roman philosophique, roman de mœurs, roman éducatif, roman
épistolaire, roman, politique, roman social, etc.

1.3. Les caractéristiques du roman africain.

Il est certain que personne ne peut ignorer l’influence du roman


français sur le roman africain francophone surtout en ce qui concerne
le mouvement du réalisme pendant la deuxième moitie du dix-
neuvième siècle. Il est donc très facile de dégager les traits du roman
réaliste au sein du roman africain qui loin du sentimentalisme
romantique, cherche à dépeindre la réalité telle qu’elle, sans artifice,
sans idéalisation. Il choisit ses sujets dans les classes moyens ou
populaires. Et il aborde des thèmes d’actualité, des thèmes qui sortent
de la vie quotidienne comme les relations conjugales, le travail ou les
affrontements sociaux.

Evidemment la plupart des écrivains africains passent une grande


partie de leur vie en France. Soit pour suivre des études soit pour
travailler soit pour les deux raisons. Ils sont influencés par des grands
écrivains français à titre d’exemple : Balzac, Zola et Stendhal. Ce
dernier est considéré comme le précurseur de la littérature miroir. Ils
ont l’avantage d’être biculturels et bilingues, ils découvrent de

 
nouveaux mondes et ils acquièrent de nouvelles expériences ce qui
enrichit leur production littéraire. Ainsi nous partageons l’avis de
Lilyan Kesteloot qui affirme que la littérature africaine s’est produite
au sein de la littérature française car, « Nul part de rien. On est
toujours fils de quelqu’un : les écrivains négro-africain aussi » (Lilyan
Kesteloot, 2001 : 6).

Cependant il faut signaler que le roman africain a ses propres


caractéristiques, ses propres charmes qui le distinguent de tout autre
roman, et qui lui donnent son autonomie. D’abord les écrivains
africains adoptent une position tout à fait semblable à l’égard des
problèmes du continent et du peuple. Ils s’engagent à brosser un décor
qui soit authentiquement africain, à dresser un inventaire réel pour
l’Afrique.

Ainsi nous trouvons que dans les romans africains les lieux sont
décrits avec une minutie, une véracité et une grande précision
géographique. Les noms propres qui s’appliquent à des personnes,
annoncent leur rôle ou ceux qui évoquent des lieux ont souvent une
signification très précise. Ces lieux et ces gens aux noms symboliques
se retrouvent même plusieurs fois tout au long de l’œuvre d’un
romancier et ces reprises authentifient encore plus leurs fonctions.
(Denise Coussy, 2000 : 150-155).

L’africanisation du roman se voit à travers des techniques narratives


particulièrement efficaces tels que : l’abondance des mots africains qui
sont utilisés tels quels pour mieux imposer un climat linguistique

 
authentique. Cela se fait pour transmettre des salutations d’usage des
conversations codées, ou dans les contes et les chansons.

Le recours abondant aux proverbes africanise plus authentiquement le


texte. L’importance du proverbe vient du fait qu’il agit à plusieurs
niveaux. D’abord son contenu puisqu’il fait référence à une réalité
banale de tous les jours qu’il glorifie en général. Ensuite, sa
forme puisqu’il se construit les plus courantes en intégrant des
éléments premiers comme le soleil, la lune, le feu, les cendres, des
animaux familiers tels que les lézards, les crapauds, les vaches, les
chiens, les serpents. Il se construit également en intégrant des
personnages de rôles sociaux de base comme : les rois, les vieilles
femmes, ou les mères, etc.

Le proverbe a également une fonction, une valeur qui est


essentiellement normative : « Les proverbes sont l’huile de palme dans
laquelle on trempe les mots pour mieux les manger » Chinua Achebe,
cité par (Denise Coussy, 2000 : 152).

1.4. Les femmes écrivains.

La femme écrivain met une trentaine d’année avant de prendre la


plume. Jusqu’aux années 70 la majorité des écrivains de l’Afrique
francophone sont des hommes. Donc ils proposent des images très
conventionnelles de la femme. Ils privilégient sa fonction de mère.
Mais ils dénoncent quelquefois la condition défavorable dans laquelle
elle se trouve comme dans Perpétue de Mongo Béti, La Noire de… de

 
Sembène Ousmane, ou dans Les soleils des indépendances
d’Ahmadou Kourouma.

Comme première voix féminine, Aoua Veita publie en 1975 Femme


d’Afrique, une autobiographie qui est considérée comme un document
référence. En 1979, la publication de Une si longue lettre de Mariama
Bâ est un grand succès de l’édition africaine. Ce roman est un miroir
sur lequel de nombreuses femmes africaines peuvent se reconnaître.

A partir des années 1980, la production littéraire africaine s’est


considérablement féminisée. Il y a encore plus de femmes écrivains :
Nafissatou Niang Diallo publie son roman Le fort maudit 1980. Puis
Aminata Sow Fall, L’appel des arènes 1982 ; Ken Bugul, Le baobab
fou 1984 et Tanella Boni Une vie de crabe 1990 et cela continue. Ces
femmes écrivains représentent une nouvelle génération de femmes
africaines, celles qui sont libérées du conformisme et des fausses
croyances des sociétés traditionnelles. Donc quand elles écrivent sur la
femme, elles parlent d’un sujet qui leur appartient, elles partent des
connaissances profondes et des expériences vécues. C’est pourquoi on
disait que "Le bon avocat de la femme c’est la femme elle-même".

1.5. L’évolution thématique du roman.

Dans un cadre historique du roman africain, nous pouvons repérer trois


grandes phases de développement de l’écriture : une première période
dite coloniale, une deuxième autour des indépendances et une
troisième à savoir la période contemporaine depuis le début des années
80 (Dénise Brahimi et Anne Trevarthen, 1998 : 8).

 
Quant aux thèmes abordés dans le roman africain, ils varient selon les
différentes époques ou les différentes périodes. A l’exception des
thèmes concernant le mariage et la vie familiale qui sont permanents.

Donc dans son évolution thématique, le roman africain passe d’abord


par le thème de la négritude. Ce thème majeur dans la littérature
africaine est abordé dans Batouala de René Maran paru en 1921 puis
L’enfant noir de Camara Laye en 1953. Dans ces romans révélateurs
de l’identité africaine, les auteurs essayent de faire connaître aux
lecteurs l’héritage culturel, social et religieux de la personnalité
africaine. Ainsi ils chantent les louages des mœurs et des valeurs
africaines. Puis à la même période, Mongo Béti et Sembène Ousmane
abordent le thème de la décolonisation, la lutte contre le colonisateur
dans plusieurs romans à titre d’exemple Mission terminée 1957, Les
bouts de bois du Dieu 1960.

Dans la période après les indépendances, nous pouvons citer des


thèmes tels que la néo-colonisation, il s’agit d’une critique de la
corruption des régimes indigènes et l’exploitation économique des
nouvelles nations par les anciens colonisateurs. Nous pouvons citer en
exemple : Main basse sur le Cameroun paru en 1972 de Mongo Béti.
Le roman qui subit une censure plusieurs années en France et au
Cameroun. Le conflit des générations, le conflit des cultures, ce thème
est également repris dans plusieurs ouvrages tel que : Sous l’orage de
Seydou Bidan paru en 1963. L’éducation traditionnelle, l’éducation
moderne, l’aliénation font sujet dans des romans comme l’Aventure
ambiguë de Cheik Hamidou Kane paru en 1961, etc.

 
Enfin dans la période contemporaine, nous citons des thèmes tels que
la révolte dans C’est le soleil qui m’a brulée de Calixe Beyala en 1987,
la guerre, l’enfant-soldat dans Allah n’est pas obligé d'Ahamadou
Kourouma en 2000, etc. Nous signalons que le thème du mariage et de
la polygamie est abordé dans presque tous les romans africains et dans
toutes les périodes ainsi que dans la période contemporaine. Pour
donner un exemple nous montrons des romans comme Exellence, vos
épouses ! de Cheik Aliou Ndao en 1993 ou Riwan et le chemin de
sable de Ken Bugul en 1999.

Nous reprenons donc ce dernier sujet avec plus de détails dans la partie
suivante.

1.5.1. Le thème de la polygamie dans les romans africains.

L’attention que les romanciers africains accordent au thème du


mariage -parmi d’autres sujets intéressants- nous indique à quel point
cette institution est d’importance dans la vie des africains. Ce sujet est
abordé sous des optiques différentes mais il reste toujours un thème
dominant. La vie familiale, les coutumes du mariage, la dot, la cola
symbole de liens et de solidarité, le choix du conjoint, l’épouse
traditionnelle idéale, la polygamie, toutes ces questions sont posées
face au défi du modernisme qui gagne la vie des africains depuis plus
d’un siècle.

Suivant le rythme rapide de la vie, traçant les changements qui


donnent leur impact sur la société, les écrivains ont leur mot à dire.
Alors ils écrivent tantôt sur un ton plus ou moins nostalgique en

 
chantant les louanges des mœurs et des valeurs traditionnelles. Tantôt
sur un ton plus ou moins critique en envisageant certaines coutumes,
certaines pratiques jugées comme non convenables aux exigences de la
vie moderne. Donc leurs œuvres sont bâties sur un fondement de
contrastes et de conflits sociaux qui résultent de la coexistence des
cultures et des valeurs traditionnelles ou occidentales. Ces œuvres
mettent en avant principalement de l’ironie exprimée par le langage et
les réflexions du point de vue du narrateur.

Ce que racontent ces écrivains, il faut le prendre au sérieux, parce


qu’ils sont les témoins de leurs époques. Il va sans dire que nous avons
besoin de ces témoignages, de ces expériences qui servent d’éclairage
et nous guident et qui nourrissent notre vie actuelle et celle de l’avenir.

Nous allons citer quelques ouvrages qui abordent le thème de la


polygamie. Les ouvrages sur lesquels s’articule notre analyse de ce
phénomène de société pour connaître, à travers les personnages
particulièrement féminins, le statut de la femme, la première concernée
par cette pratique.

Il est remarquable de constater que, jusqu’aux années 60, la polygamie


figure dans la production romanesque comme un usage normal. Puis,
elle commence à subir des critiques qui atteignent le sommet dans les
années 70. Nous citons notamment des œuvres qui attaquent violement
cette pratique comme c’est le cas dans Une si longue lettre de
Mariama Bâ en 1979, Xala de Sembène Ousmane en 1973, etc.

Les questions qui se posent : Pourquoi ce changement d’attitude vis-à-


vis de la question de la polygamie ? Pourquoi fait-elle l’objet de

 
critique dans cette période précise ? Plus que cela, pourquoi persiste-t-
elle malgré toute cette critique ?

Nous présentons d’abord les trois œuvres qui constituent notre corpus
principal : Une si longue lettre de Mariama Bâ, Xala de Sembène
Ousmane et Perpétue et l’habitude de malheur de Mongo Béti. Puis
nous présentons d’autres romans qui abordent le même sujet d’une
manière ou d’une autre.

Nous commençons par Une si longue lettre, mais tout d’abord, il nous
paraît important de présenter l’auteur. D’une part, la personnalité de
l’auteur influence l’écriture d’autre part, toute œuvre d’art peut être
expliquée par rapport au milieu social de son auteur. Le moment, le
lieu et l’origine culturelle auxquels appartient un auteur forment
l’ensemble qui conditionne le cadre de référence pour toute analyse
sociologique d’une œuvre d’art. (Jean-Pierre Beaumarchais et al,
1994 : 2322). Autrement dit : « l’Etude du texte littéraire ne saurait
être dissociée de celle de l’environnement socioculturel de son
auteur » (Alpha Barry, 2007 :19).

1.5.2. Mariama Bâ

Mariama Bâ, l’auteur du roman Une si longue lettre est une


sénégalaise. Elle est née en 1929 au Sénégal. Elle est élevée dans un
milieu musulman par ses grands-parents maternels après la mort de sa
mère. Son père qui est ministre de la santé en 1956 encourage sa
scolarisation dans l’école française. En 1947, elle obtient le Diplôme
d’institutrice de l’Ecole Normale de Rufisque et elle devient

 
enseignante mais pour douze ans seulement puis elle demande une
mutation au sein de l’Inspection régionale de l’enseignement à cause
de sa santé fragile. Elle est mère de neuf enfants, elle est divorcée de
son mari Obéye Diop le député suite à son expérience du mariage. Elle
s’engage pour nombre d’associations féminines en propageant des
idées nouvelles sur l’éducation et les droits des femmes. A cette
finalité elle prononce des discours et elle publie des articles dans la
presse locale.1

Elle est morte en 1980 d’un cancer avant la publication de son


deuxième roman Le chant écarlate en 1981.

Publié pour la première fois en 1979, son roman, Une si longue lettre,
connaît un réel succès. En 1980 il est retenu pour la remise du Prix
Noma lors du Salon du Livre de Francfort. Cette œuvre est de
renommée internationale car le livre est traduit en vingt langues
différentes. Objet de plusieurs études et de recherches aujourd’hui, ce
roman demeure incontestablement une des références en matière de
culture négro-africaine.

Une si longue lettre est un roman épistolaire, une lettre dont


l’expéditrice est Ramatoulaye, la destinataire est Aïssatou ; les deux
sont des amies d’enfance. Mais en réalité, il s’agit d’une fausse lettre à
publier, le véritable destinataire est le lecteur. Dans ce roman lettre,
Mariama Bâ aborde la question de la polygamie par l’intermédiaire du
personnage principal Ramatoulaye. Cette dernière parle avec un cœur

                                                             
1
 fr.wikipedia.org/wiki/Mariama_Bâ

 
serré par l’angoisse, du bouleversement brutal de la vie à cause de
cette pratique. Puisque les deux amies la subissent et la considèrent
comme une trahison de la part de leurs conjoints.

Tout d’abord, Ramatoulaye la narratrice, en toute intimité, évoque leur


passé. Elle relate avec tendresse, avec nostalgie les différents moments
ayant marquées leur amitié et leur enfance commune. Une enfance qui
est pleine de joie de croyance et d’espoir. Puis elle évoque leur
présent. Elle relate avec amertume, avec chagrin, le choc de la
déception causé par le deuxième mariage de leurs maris respectifs l’un
après l’autre.

L’auteur fait un portrait de deux femmes qui se trouvent dans une


situation identique mais qui réagissent de manière différente. Puisque
l’une d’elles choisit le divorce l’autre ne peut pas renoncer à son mari,
celui qui l’a fait rêver des années et des années. Alors, déçue,
malheureuse, triste, jalouse mais amoureuse, Ramatoulaye préfère
l’assujettissement au régime polygamique.

Mariama Bâ adopte dans son roman une écriture expérimentale et


symbolique pour faire ses critiques. Elle critique des coutumes qui
sont très exaltées, elles sont considérées comme subalternes. Elle ose
faire ses critiques dans un contexte où la liberté de pensée et
d’expression sur les sujets féminins n’est pas évidente surtout si c’est
de la part d’une femme.

Bien qu’il ne soit pas un roman autobiographique, Une si longue lettre,


le fait qu’il soit écrit à la première personne lui donne la force d’une
autobiographie. Le pronom ″je″ du narrateur est là, pour se sentir

 
proche du lecteur, pour se confier et le convaincre. De plus les deux
femmes Ramatoulaye et Aïssatou, les deux personnages féminins les
plus importants dans le roman, sont de la même génération de l’auteur
qui est née en 1929. Au moment des années des indépendances, elles
sont de jeunes femmes mûres dotées de diplômes et de savoir grâce à
leur instruction, leur intelligence et leur courage. Elles assistent à la
plantation du drapeau de leur pays et à la naissance de la nouvelle
nation.

Ainsi on peut dire que le roman Une si longue lettre est issu de
l’expérience personnelle de l’auteur. Comme son héroïne, Mariama Bâ
est institutrice. Elle subit des problèmes conjugaux, le divorce. Puis
elle participe à la vie littéraire, elle agit non seulement en témoin mais
également en acteur de la vie sociale. Dans son roman, elle met
l’accent sur trois points : les tortures physiques et morales que les
épouses subissent dans le système de la polygamie, les raisons qui
poussent l’homme à devenir polygame et la réaction de la femme
moderne face à ce genre de vie conjugale.

Le message de Mariama Bâ est transmis directement à cœur ouvert


avec une sincérité et une sensibilité charmante. Elle ne relate pas
seulement des faits mais des sentiments intimes. C’est pourquoi en
lisant le récit, on sent que tout ce qui est raconté est authentique, tout
ce qu’elle dit est la vérité.

Son deuxième roman Le chant écarlate est le symbole d’une réaction


violente contre la polygamie dans un couple mixte. Une histoire d’un
amour idyllique qui unit Mireille, une jeune fille blanche issue de la

 
noblesse française et Ousmane Guèye, jeune musulman noir
sénégalais. Cette histoire se conclut tragiquement par la mort de leur
fils Gorgui, empoisonnée par la mère. Cette femme étrangère ne
supporte pas que son mari prenne une deuxième épouse, perd la tête,
elle devient complètement folle et elle tue son fils unique.

L’échec du mariage mixte est évident quant il n’est pas établi sur un
respect réciproque des cultures de l’un et de l’autre. Mireille qui a fait
de grands sacrifices pour sauver son amour en quittant son pays et en
épousant contre le gré de sa famille ne tolère jamais que son mari soit
partagé avec une autre. Comme toutes les femmes occidentales, elle
croit que son époux sera pour elle, toute seule et pour toujours. D’un
autre côté, Ousmane qui choisit de se marier avec une étrangère, ne
fait aucun sacrifice pour sauvegarder leur union. Ainsi, l’amour qu’un
homme peut garder pour une première femme ne l’empêche pas d’en
prendre une deuxième ou une troisième. C’est la logique des
polygames.

Dans ce roman, Mariama Bâ veut démontrer qu’on ne peut pas se


défaire de ce que l’on est, du jour au lendemain. Un proverbe africain
dit : « Un séjour dans le fleuve ne fera jamais d’un bâton crocodile ».

Donc, nous pouvons signaler qu’avec deux ouvrages seulement,


Mariama Bâ arrive à obtenir un grand succès dans le domaine de la
littérature au point que son nom figure parmi les grands écrivains
africains.

 
1.5.3. Sembène Ousmane

Sembène Ousmane, l’auteur du deuxième roman Xala, est né en 1923


à Ziguinchor une ville de la Casamance au sud de Sénégal. A l’âge de
sept ans, il fréquente l’école coranique et l’école française, pour
apprendre à la fois l’arabe et le français, alors que sa langue maternelle
est le wolof. Il est obligé d’interrompre ses études primaires après une
altercation avec le directeur (européen) de son école (Jean-Pierre
Beaumarchais et al, 1994 : 2322).

En 1942, il est mobilisé par l’armée française. En 1946, il embarque


pour la France, débarque clandestinement à Marseille où il vit de
différents travaux : docker, maçon, mécanicien. Puis il adhère à la
CGT et au Parti communiste français. Il milite contre la guerre en
Indochine et pour l’indépendance de l’Algérie.

Son contact avec la littérature date des années 50 : « Je suis arrivé à la


littérature comme un aveugle qui après quarante ans retrouve la vue »
(Jean-Pierre Beaumarchais et al, 1994 : 2322). En 1956, il publie son
roman Le docker noir. En 1957, Ô pays, mon beau peuple ! En 1960,
Les bouts de bois du Dieu.

En 1960, il retourne en Afrique et il voyage à travers différents pays :


le Mali, la Guinée, le Congo. Il commence à penser au cinéma, pour
donner une autre image de l’Afrique. Il veut montrer la réalité des
africaines à travers les masques les danses et les représentations.

En 1961, il va étudier le cinéma en Russie à Moscou. Dès l’année


1962, il réalise son premier court-métrage : Borom Sarret et en 1966

 
sort La Noire de…, son premier long-métrage qui est le premier de tout
le continent.

Sembène Ousmane revendique un cinéma militant et va lui même de


village en village, parcourant l’Afrique pour montrer ses films et
transmettre son message. Il est mort en 2007 à l’âge de 84 ans.1

Beaucoup d’études, de mémoires, de thèses sont consacrés à ses


œuvres littéraires et cinématographiques qui sont traduites en plusieurs
langues. Elles sont également enseignées dans les programmes
académiques scolaires ou universitaires dans beaucoup de pays de
monde. Comme écrivain engagé, il a une haute conscience de sa
mission d’homme de culture et de pédagogie. Il montre une grande
préoccupation pour son peuple dont il fait partie intégrante. Il se
propose d’élever la culture du progrès, de la démocratie et de la
justice. Il se sert de sa plume et de son caméra pour combattre toute
forme d’injustice sociale, d’aliénation mentale et culturelle de l’époque
coloniale et la corruption des régimes poste-colonial.

Ainsi, pour se faire comprendre par le peuple dont la majorité est


analphabète, il découvre que le film pourrait l’aider à mieux
communiquer avec les africains, les gens qu’il veut représenter et que
le cinéma est idéal pour éduquer les masses. Dans ses films, qui sont,
dans la plupart des cas, une mise en scène de ses romans, il critique les
nouvelles élites bourgeoises, une classe sociale qui a émergé le
lendemain de l’indépendance.

                                                             
1
 Wikipedia.org/wiki/Ousmane Sembène

 
Il anticipe sur une des grandes problématiques de son temps, telle que
la question de l’émancipation sociale de la femme. Il dénonce la
condition de la femme africaine et propose des solutions pour
améliorer son existence. Sembène Ousmane est un des romanciers qui
sont certains que la libération de l’Afrique est liée à celle de la femme
africaine, qu’elles se feront conjointement. Il dépeint la condition
féminine dans tous ses romans et il y pose le problème délicat de la
polygamie. Ce thème qui se répète sans cesse dans son œuvre, le fait
qui montre l’importance qu’il attache à ce sujet.

Pour répondre à la question : pourquoi aborde-t-il toujours ce sujet ?


Nous pouvons trouver une réponse chez Bestman : « Le témoignage de
Sembène Ousmane sur la condition de la femme noire est claire :
défenseur ardent des droits féminins, il pose nettement dans toutes ses
œuvres le problème aigu de la polygamie en prenant ses distances de
ce virus contagieux. La fréquence de ce thème chez lui révèle que c’est
un sujet qui le tient à cœur » cité par (Nafissa Abdalla, 1993 : 38).

Sembène Ousmane estime que la polygamie ralentit le développement


de la société africaine puisque une telle institution retarde le progrès
social et que ses aspects négatifs engloutissent ses avantages. C’est
pour cette raison qu’il traite de ce problème fréquemment dans son
œuvre. (Muriel, I. Ijere, 1988 : 5).

Dans une interview faite avec lui, il donne franchement son avis à
propos de cette question : « Je suis contre la polygamie… mais les
personnages que j’ai rencontrés l’approuvaient. Je crois que la
polygamie est un faux problème. Le véritable problème est

 
économique. Il faut instituer le planning familial… que chaque homme
ait trois femmes s’il le veut, mais que le nombre des enfants soit
limité… Mais c’est une idée combattue. Il faut regarder les choses en
face : dans les Etats, de nombreux enfants ne peuvent aller à l’école.
Qu’en fera-t-on plus tard ? (Muriel, I. Ijere, 1988 : 6) ». Dans son idée
contre la polygamie, il est soutenu par quelques autres écrivains tels
que Mongo Béti, Ahmadou Kourouma et Ferdinad Oyono.

Nous remarquons également que ce phénomène est moins critiqué


dans ses premiers romans que dans les derniers, par exemple dans le
Mandat, les deux femmes de Ibrahima Dieng s’entendent très bien.
Dans Ô pays, mon beau peuple !, Rokhya privilège d’avoir une
coépouse. Et c’est pareil pour Aisstan dans Les bouts de bois du Dieu.
Dans ce même roman, la plupart des ouvriers qui font la grève des
cheminots Dakar-Niger sont polygames. Ces ouvriers revendiquent
leur droit d’un traitement égal à propos des allocations familiales
comme leurs collègues français et n’en soient pas être privés parce
qu’ils sont polygames, ou qu’ils y seront.

Ainsi pour montrer le point de vue des administrateurs européens sur


la polygamie chez les africains, Sembène Ousmane écrit en leur
donnant la parole : « Dès qu’ils ont de l’argent, c’est pour acheter
d’autres épouses et les enfants pullulent comme des fourmis ».
(Sembène Ousmane, 1960 : 250) Et plus loin : « Ils sont polygames et
ils veulent les allocations familiales avec le nombre d’enfants qu’ils
ont, c’est incroyable ! » (ibid., 1960 : 257). C’est dans son roman Xala
que Sembene Ousmane commence à critiquer violemment la
polygamie. A travers un personnage masculin, Al Hadj Abdou Kader

 
le personnage principal du roman, un polygame qui se marie pour la
troisième fois, l’auteur montre tous les problèmes catastrophiques qui
peuvent arriver à un homme, à toute une famille suite à la polygamie.
Al Hadj Abdou Kader qui n’arrive pas à consommer son mariage, qui
perd tout : son prestige son poste, son argent et sa dignité d’homme…
Tout de même il ne gagne rien. Il est donc la vraie victime de son
action. Donc, prenant cet exemple, l’homme doit penser mille fois
avant d’être polygame afin de ne pas avoir un sort pareil.

D’autre part, le roman raconte les douleurs des deux anciennes


épouses. Adja Awa première qui souffre en silence et Oumi N’doye la
deuxième qui ne peut pas cacher sa colère.

Plus qu’un reflet des préoccupations de sa société et son temps,


l’œuvre de Sembène Ousmane paraît incontestablement comme un
miroir de son époque. Elle visualise toutes ses contradictions, elle
pose toutes ses interrogations, elle dévoile toutes ses angoisses mais
aussi elle transporte son espérance et de sa foi en l’être humain. Donc,
de son œuvre, on peut tirer des leçons sur le courage, l’humanisme et
la générosité.

1.5.4. Mongo Béti.

Non seulement romancier renommé, Mongo Béti, est aussi un


essayiste engagé, un enseignant, un libraire et un éditeur. Il fait partie
des plus grands écrivains africains. Mongo Béti est un pseudonyme
d’Alexandre Diyidi Awala. Son premier pseudonyme est Eza Boto. Il

 
est né en 1932 à Akométan, un petit village situé à 60 kilomètres de
Yaoundé la capitale de Cameroun.

Après les études primaires à l’école missionnaire de Mabalmayo, il


entre en 1945 au lycée Leclerc à Yaoundé. En 1951, il vient en France
poursuivre des études supérieurs de Lettres à l’université de Aix-en-
Provence puis à la Sorbonne à Paris.

Il commence sa carrière littéraire avec la nouvelle Sans haine et sans


amour qui est publiée en 1953 dans la revue Présence Africaine. Son
premier roman Ville cruelle publié en 1954 sous le pseudonyme d’Eza
Boto. La parution de son roman Le pauvre Christ de Bomba en 1956
fait scandale accuse de la description satirique qui est faite par l’auteur
du monde missionnaire et colonial. En 1957, paraissent encore deux
romans : Mission terminée qui gagne le Prix Sainte-Beuve 1958 et Le
Roi miraculé.

En 1958, il travaille pour la revue Preuves, pour laquelle il effectue un


reportage en Afrique. Il travaille également comme maître auxiliaire
au lycée Rambouillet.

En 1959, il est nommé professeur certifié au lycée Henri Avril à


Lamballe. Il passe l’Agrégation de Lettres classiques en 1966 et
enseigne au lycée Corneille de Rouen de cette date jusqu’en 1994.

En 1972, il revient avec éclat à l’écriture. Son livre Main basse sur le
Cameroun, autopsie d’une décolonisation est censuré aussitôt après sa
parution par un arrêté du ministre de l’Intérieur français Raymond
Marcellin, sur la demande de Jacques Foccart, du gouvernement
camerounais, représenté à Paris par l’ambassadeur Ferdinand Oyono.

 
Il publie en 1974 Perpétue et l’habitude du malheur. Après une longue
procédure judiciaire lui et son éditeur François Maspéro obtiennent
l’annulation de l’arrête d’interdiction de Main basse sur le Cameroun.

En 1978, il lance avec son épouse Odile Tobner, la revue bimestrielle


Peuples Noirs Peuples africains, qu’il fait paraître jusqu’en 1991. Cette
revue décrit et dénonce inlassablement les maux apportés à l’Afrique
par les régimes néo-coloniaux. Pendant cette période paraissent les
romans : La ruine presque cocasse d’un polichinelle 1979, Les deux
mères de Guillaume Ismaël Dzewatama futur camionneur 1983, La
revanche de Guillaume Ismaïl Dzewatama, 1984 Lettre ouverte aux
camerounais ou la deuxième mort de Ruben Um Nyobe, 1989 le
Dictionnaire de la négritude avec Odile Tobner.

Après 32 ans d’exil Mongo Béti retourne au Cameroun en 1991. Il


publie en 1993 la France contre l’Afrique, retour au Cameroun.

En 1994, il prend sa retraite de professeur. Il ouvre à Yaoundé la


Librairie des peuples noirs et organise dans son village d’Akometam
des activités agricoles. Il crée des associations de défense des citoyens
et il donne à la presse privée de nombreux articles de protestation. Il
subit une agression policière en janvier 1996 dans la rue à Yaoundé. Il
est interpellé lors d’une manifestation en octobre 1997. Parallèlement
il publie plusieurs romans : L’histoire du fou en 1994, Trop de soleil
tue l’amour en 1999 et Branle-bas en noir et blanc en 2000, deux
volumes d’une trilogie restée inachevée. Hospitalisé à Yaoundé le

 
premier octobre en 2001 puis à Douala le 6 et y mort le 7 octobre
20011.

Mongo Béti qui réussit très précocement en publiant plus d’un roman à
l’âge de 23 ans, se distingue également par la fécondité et la richesse
de la production littéraire de qualité de ses essais, et de ses articles
journalistiques d’actualité.

Sans doute, on peut affirmer que Mongo Béti est l’un des écrivains les
plus reconnus au Cameroun. Un écrivain anticolonialiste, il milite sa
vie durant pour la libération des peuples africains. Il se sert du roman
comme d’une arme contre le colonialisme et le néo-colonialisme de
l’après les indépendances. Contre les régimes locaux, des indigènes,
des élites qui se caractérisent par la corruption et l’exploitation de
l’homme. Des régimes dont le système politique et économique
condamne la plupart des gens à vivre dans la pauvreté et l’impuissance
totale.

Dans son roman Perpétue et l’habitude du malheur, les critiques


sociales et politiques vont parallèlement. Ce roman qui a des
dimensions politiques et sociales, dénonce les conditions désagréables
de la femme africaine, la corruption et la médiocrité des fonctionnaires
qui représentent le régime du pouvoir de Baba Toura.

Le roman dans son intégralité peut être considéré comme une réflexion
ou une médiation sur la situation du continent d’après les
Indépendances. La fatalité du destin dont ses propres fils sont les
principaux acteurs. Puisque l’indépendance d’un pays africain, dans un
                                                             
1
 fr.wikipedia.org/wiki/Mongo_Beti

 
sens, veut dire : « Un gouvernement noir, fondant des usines avec
l’argent des Noirs, pour donner des médicaments à ses frères noirs, ça
devait être cela l’indépendance non ? » (Mongo Béti, 1974 : 77).
Perpétue est morte parce qu’elle ne trouve pas de médicaments pour se
soigner.

Donc la vraie victime n’est pas Perpétue, la vraie victime c’est


l’Afrique ou plutôt le peuple africain. Perpétue n’est qu’un symbole
pour les nationalistes, au même titre que Ruben : « Nous vengeons
Ruben, nous vengeons Perpétue » (ibid., 1974 : 83). La mort de
Perpétue est l’avertissement pour tous les espoirs d’une vie décente,
une vie agréable pour tous les pays du continent après l’ère coloniale.

Perpétue l’héroïne du roman, dont la fatalité s’est inscrite jusque dans


son prénom, est une jeune femme morte prématurément en couche.
Son frère Essola qui est un prisonnier politique retourne au village
natal après avoir passé six ans dans un camp de concentration pour
opposition au régime Baba Toura. Quand il est emporté au camp du
Nord, Perpétue est encore enfant, elle a à peine onze ou douze ans.
Après son retour, il décide de faire une enquête sur la mort de sa sœur
Perpétue qui est disparue entre-temps.

En compagnie d’un cousin, il se déplace cherchant des témoignages


des gens qui connaissent la jeune femme. Son enquête révèle des
informations stupéfiantes : contre son gré, elle est mariée précocement
à un fonctionnaire qui paye beaucoup d’argent comme dot à sa mère.
Avec son mari elle mène une vie de misère et de souffrance. Tout
d’abord pendant son absence à cause de l’accouchement son mari

 
prend une autre épouse. Puis il la jette dans les bras d’un commissaire
de police plus puissant pour tirer du bénéfice et gagner une promotion
dans son travail. Et finalement poussé par des soupçons de jalousie il
l’emprisonne dans la maison jusqu’à sa mort.

Donc comme nous venons de le dire ce roman est un miroir qui permet
aux africains de prendre conscience d’eux-mêmes et de réfléchir sur
leur condition, leur société.

Dans son roman Le pauvre Christ de Bomba, Mongo Béti attaque


violemment les activités des missions catholiques en Afrique. A cet
égard il fait une remarque très importante : l’empressement des
femmes africaines à adhérer au catholicisme. Et cela est mentionné très
souvent dans ses romans : « Les femmes seules ont Dieu dans le sang,
les hommes ça ne les intéresse plus » (Mongo Béti, 1956 : 133). Il
remarque également que les femmes soutiennent matériellement les
Missions (le nombre de poulets, les confessions).

Alors pour répondre aux questions qui se posent : pourquoi cette


attitude des femmes vis-à-vis à l’Eglise ? Pourquoi s’empressent-elles
à adhérer au catholicisme ? Pourquoi soutiennent-elles l’Eglise à tel
point ? Pour répondre à ces questions, on peut dire que le motif est
explicite à travers les romans. Puisque dans des sociétés polygamiques
où l’Eglise prêche les principes monogamiques les femmes trouvent
leur compte. Donc les femmes adhérent au catholicisme parce qu’elles
ont l’espoir qu’il institue la monogamie. Elles comptent sur les ordres
de l’Eglise pour chasser leurs rivales.

 
D’autre part, les prêtres connaissent la jalousie des femmes, le désir de
chaque femme d’être la seule chez son époux et gagner sa confiance,
alors ils utilisent ces vœux pour propager leur religion (Arlette
Chemain, 1980 : 204). Ils prêchent la suppression de la dot (Le père
Drumont met en accusation la mère qui laisse vendre sa fille pour une
somme exorbitante). Ils menacent de l’enfer les hommes qui pensent à
multiplier le nombre de leurs femmes. D’ailleurs la femme trouve
peut-être dans les mythes chrétiens une compensation ou une
conciliation ou même une amélioration des conditions dures qu’elles
vivent. Dans la doctrine catholique qui vise à limiter le pouvoir de
l’homme sur la femme, l’Eglise peut intervenir et décider du
châtiment. Ainsi, Zachaire dans le roman Le pauvre Christ de Bomba
est déclaré coupable parce qu’il abat sa femme.

Il est remarquable que Mongo Béti évoque à plusieurs reprises le


rapport entre la religion catholique et la polygamie. A titre d’exemple,
nous citons : « Pourquoi ne pas faire un christianisme à l’usage des
Noirs ? Un christianisme… je ne sais pas, moi… où la polygamie
serait autorisée… où la pureté sexuelle ne figurerait pas en tête du
cortège des vertus » (Mongo Béti 1956: 204). Un autre passage : « La
polygamie a son origine de nos aïeux, et c’est pourquoi il est difficile
de la sacrifier en faveur d’une religion étrangère » (ibid., 1958 : 131).

Dans le roman Le roi miraculé, le chef « le vieux cochon polygame »


revient à la vie après une maladie très grave, il reçoit le baptême, il
devient chrétien. Maintenant il doit renoncer à toutes ses femmes, les
répudier et les renvoyer dans leurs clans. Il doit garder une seule
femme, l’unique femme, celle qu’il va épouser devant Dieu.

 
Avec un tel ton cruellement ironique, un tel esprit satirique, il nous
semble que Mongo Béti se moque des missions catholiques en Afrique
qu’il n’approuve pas leur rôle. Il se moque également de l’institution
polygamique qui est toujours contre.

1.6. D’autres romans abordent la polygamie.

1.6.1. Batouala.

Le roman Batouala qui gagne le Prix Goncourt en 1921 nous intéresse


à deux titres : c’est le premier roman comme on dit "nègre écrit par un
nègre" et le premier roman qui aborde le sujet de la polygamie. Son
auteur René Maran est considéré par Léopold Sédar Senghor comme
un précurseur de la négritude. Il est antillais d’origine guinéenne. Il vit
en Afrique tropicale, il part d’un contexte africain et il raconte une
réalité africaine. Il décrit la vie authentique du village et de la brousse,
l’harmonie entre l’homme, l’animal et la nature.

Le roman raconte l’histoire du chef d’une tribu africaine, Batouala, qui


est un vaillant chasseur et un excellent marcheur. Un polygame qui a
neuf épouses. L’intrigue se déclenche à cause des soupçons selon
lesquels une de ses épouses, la plus belle, la préférée, Yasignui’ndja
aurait une relation avec Bissibingui. Un très beau jeune homme qui
gagne l’admiration de toutes les femmes du village. Prise par la
jalousie, Batouala décide de tuer son rival lors d’une chasse. Mais il
n’arrive pas à exécuter sa vengeance parce qu’il meurt suite à une
grave blessure, car une panthère saute sur lui et l’éventre. Il meurt
malgré les soins d’un sorcier.

 
En plein temps colonial, les critiques de l’auteur ne portent pas sur la
polygamie qui est considérée comme une pratique totalement banale,
une habitude irréprochable à cette époque là. Mais ses critiques portent
sur les abus de l’administration coloniale en Afrique et les méfaits de
l’impérialisme.

Donc il est remarquable d’observer que malgré le sentiment de jalousie


qui l’incite, la polygamie soit vue comme une réalité normale.

1.6.2. Les soleils des Indépendances.

Les soleils des Indépendances d’Ahmadou Kouroma (écrivain


ivoirien) paru en 1970, met en fiction l’opposition de la tradition et de
la modernité à travers le personnage de Fama un prince de
Horodougou, dernier représentant de la lignée Doumbouya et ses deux
femmes Salimata et Mariam. Fama est frappé de stérilité.

L’auteur aborde également la condition de la femme africaine. Son


roman décrit dans une sorte d’accumulation toutes les pratiques
traditionnelles dont la femme africaine peut souffrir dès son très jeune
âge. L’excision, la polygamie, le lévirat, et le maraboutage, la
sorcellerie transforment la vie de Salimata la première femme de Fama
en un enfer. Victime d’un viol diabolique pendant les jours de
l’excision toute sa vie est colorée de sang. Puis elle est frappée par la
stérilité et c’est le comble ! Devant tout le monde Salimata est
responsable de cette situation de stérilité, l’impuissance d’enfanter.
Perdant son équilibre, Salimata commence à courir d’un marabout à un
autre cherchant à enfanter à tout prix. Son mari de son côté cherche

 
dans son deuxième mariage avec Mariam, la veuve de son cousin une
résolution à tous les problèmes.

Comme Perpétue de Mongo Béti, Salimata est l’incarnation de la


femme victime des croyances et des traditions.

1.6.3. La Grève des bàttu.

Dans le roman La Grève des battu, publié en 1979 d’Aminata Sow


Fall, le thème principal est le phénomène de mendiants dans les
grandes villes africaines. Les mendiants sont une tranche de la société
écrasée par l’humiliation. Mais ils sont aussi des êtres humains. Ils ont
donc le droit de faire la grève, de s’arrêter volontairement, de mendier.
Mais ce fait bouleverse la vie des hommes riches, des puissants qui ne
trouvent à qui faire les dons qui leur apporte la réussite.

Toujours dans le cadre de la critique sociale, le roman accorde une


grande place au sujet de la polygamie. A propos de ce sujet, l’auteur
fait parler des personnages de générations différentes : les parents de
Loli qui croient profondément à la polygamie, Loli, l’épouse de Mour
Ndiaye qui ne sait quoi faire mais qui se soumet finalement à la
polygamie et Rama leur fille qui la rejette complètement. Conflit
éternel sur ce qui doit exister ou non.

Dans la famille de Mour Ndiaye (haut fonctionnaire) qui après une


vingtaine d’année d’une vie monogame se trouve face à une épreuve
difficile qui est la polygamie. Toutefois l’auteur attire notre attention
sur une idée un peu paradoxale, le fait de faire un ″don″ d’une femme

 
à quelqu’un. Mour Ndiaye qui n’avait aucune idée de prendre une
deuxième femme, qui respecte sa femme et qui apprécie sa patience et
sa fidélité, un beau jour dit brutalement à sa femme : « On me ″donne″
une femme demain » (Aminata Sow Fall,1979 : 57).

Dans une société patriarcale, c’est l’homme qui décide de l’avenir de


la femme en tant que père, frère ou mari. Donc il peut faire d’elle un
don, signe de respect pour un ami, un chef ou un marabout, mais, en
même temps c’est un signe d’humiliation pour la pauvre.

1.6.4. Excellence, vos épouses !

Dans Excellence, vos épouses ! paru en 1993, Cheik Aliou Ndao


consacre tout un roman au sujet de la polygamie. Goor Gnak un
ministre qui partage la vie avec ses quatre femmes qui s’entendent
bien. Chacune d’elles issue d’un milieu très spécifique lui assure une
diversité de goût. Kodou la première, vient de la brousse comme lui,
Nidkou la deuxième une dakaroise, Tokosel la troisième, fille d’un
berger qui campe avec son troupeau de vaches quelques kilomètres
hors de la ville de Dakar et Aram la quatrième, fille d’un maçon qui
habite dans le quartier le plus pauvre de la ville. Mais, un jour, il vient
d’apprendre le mauvais sort qui l’attend lorsqu’il perd son fauteuil
ministériel. Son nom ne figure plus sur la liste du nouveau
gouvernement. Alors il vit pendant une longue période entre l’anxiété
et l’amertume avant d’être renommé ambassadeur dans un pays dont il
ne connaît même pas le nom.

 
Le problème se pose quand il veut reprendre son nouveau poste : pour
voyager à l’étranger qu’est-ce qu’il va faire avec ses quatre épouses et
ses quatorze enfants ? Il faut qu’il en choisisse une parmi ces quatre
épouses pour l’accompagner, mais, laquelle ? Enfin le choix tombe sur
la troisième parce ses enfants n’atteignent pas encore l’âge de la
scolarité.

Avec ce récit l’auteur essaye de brosser un tableau tout en réalisme de


la société sénégalaise de la période post indépendance. Son roman
constitue un témoignage d’une génération d’hommes des élites qui
unissent avec le pouvoir deux autres pratiques : la polygamie et le
maraboutage. Cependant il présente une vision favorable de la
polygamie en décrivant l’entente remarquable chez les coépouses du
ministre et leur volonté d’aller au secours de leur mari aux moments
difficiles quand il a perdu son siège au gouvernement.

1.6.5. Riwan ou le chemin de sable.

Riwan ou le chemin de sable publié en 1999, le roman de la


sénégalaise Ken Bugul, est un récit puisé aux sources d’un vécu
authentique. Née dans un milieu polygame, d’une famille paysanne,
puis reçoit une formation occidentale, l’écrivaine a une double culture.
Après un long voyage en occident, un voyage à la recherche de soi,
elle rentre dans son village natal en Afrique. Par l’intermédiaire du
personnage narratrice, l’auteur qui part des expériences personnelles
réelles, raconte des destins croisés de femmes africaines prises dans

 
des relations polygamiques, traditionnelles. Elle décrit également et
d’une façon détaillée, les coutumes traditionnelles du mariage.

La narratrice est une femme intellectuelle ; évoluée, dotée de


diplômes, devient la vingt-huitième épouse chez un sérigne (un
marabout) pour qui elle avait de l’amitié. Elle s’intègre dans le monde
du harem, elle qui est plus d’une fois rongée par la jalousie, voit ses
coépouses belles sereines et heureuses.

Ce roman révèle un autre visage de la polygamie, celle qui est


pratiquée chez les marabouts. Là où la dimension religieuse et
spirituelle joue un rôle très important. Là où toutes les épouses sont
sous le ″Ndigueul″1, en toute soumission, toute obéissance parce que
c’est la garantie du Paradis. Elles se plaisent dans cette spiritualité sauf
Rama qui ne supporte pas la spiritualité, qui enfin trompe le sérigne et
s’enfuit.

Les marabouts de leur côté tirent le maximum de bénéfice de cette


atmosphère, de ce respect qui leur accordé par tout le monde. L’excès
de la polygamie est évident chez le serigne. Presque une trentaine
d’épouses sont emprisonnées dans une cour. Comme dans une salle
d’attente, elles sont prêtes à répondre aux appels de leur mari. Lui,
dans son appartement, selon sa volonté ou son désir peut appeler celle
sur qui tombe le choix.

                                                             
1
  ″Ndigueul″ C'est le fait de se soumettre et de s'abandonner à quelqu'un. C'est le dynamisme du
mouridisme. La femme peut être sous le Ndigueul de son mari, l’homme sous le ndigueul d’un
serigne. Cette soumission totale est également la garantie du paradis. (Ken Bugul,1999, interview
Amina, par Renée Mendy-Ongoundou).

 
L’auteur porte une réflexion sur la jalousie. Sur la possibilité de
cohabiter avec ce sentiment positivement, de ne pas se laisser prendre
par une jalousie destructive.

Le roman reflète également une vision plutôt favorable de la vie


polygame. La narratrice apprécie les moments affectueux, la vie
heureuse chez le serigne polygame. Elle lui garde de bon souvenir
après sa mort.

1.6.6. ″Orniatte al-Nare″(Le chant du feu).

″Le chant du feu″ est une traduction de titre du roman écrit en arabe,
Orniatte al-Nare de l’écrivaine soudanaise, Buthina Khider Maki,
publié en 1998. Traçant le chemin de la femme africaine de l’Afrique
de l’Ouest à l’Est, nous nous installons cette fois-ci au Soudan, puis en
vue de jeter un regard interrogateur sur l’Ethiopie avec l’écrivaine
soudanaise, Buthina Khider Maki.

Son roman ″ Orniatte al-Nare ″est une nouvelle attribution dans


l’écriture féminine africaine. Il représente une écriture d’un milieu
linguistique et culturel différent. Puisque l’auteur est arabophone, le
roman est écrit en arabe avec le même thème de la condition de la
femme, la relation homme/femme, la polygamie et la vie familiale
quotidienne. De plus elle suit la même lignée que d’autres femmes
écrivains en sortant de la pudeur et du conformisme, et en parlant des
sujets tels que l’amour, le désir et la sexualité.

 
Raja, l’héroïne du roman est une femme pleine d’intelligence, de
beauté et de mérite. Elle se déplace avec son époux Assim un médecin
militaire qui a de hauts titres dans l’armée de son pays. Ils vont dans
des villes différentes, au Soudan et à l’étranger selon l’exigence du
travail. Ce couple a une vie agréable, tranquille, mais hélas ! Pour tout
bonheur il y a toujours quelque chose qui manque : Raja ne peut pas
enfanter et cela l’agace. Pourtant son mari ne cesse de la rassurer,
disant que l’amour qui les réunit est l’essentiel.

D’un autre côté, Adel le frère de Raja qui part en Ethiopie pour une
mission de travail, rencontre une jeune fille éthiopienne. Elle le
fréquente dans l’hôtel où il s’installe. Quand il rentre au Soudan, elle
vient le chercher. Il est obligé de se marier avec elle, mais en cachette.
Il ne peut pas déclarer leur mariage qui ne serait pas accepté par sa
famille. La pauvre épouse ne supporte pas d’être emprisonnée et
maltraitée par son mari, elle rentre dans son pays après avoir donné
naissance à une fille. La petite est adoptée par Raja, sa tante qui n’a
pas d’enfants.

Plus tard, un jour après le retour d’Assim du pays, après la mort de sa


mère, Raja, son épouse, en arrangeant ses affaires, découvre, dans sa
poche, un nouveau contrat de mariage de son mari avec une autre
femme. Elle se met en colère et elle rentre dans son pays quelques
jours après sans même écouter ses raisons ou ses justifications. Lui qui
aime toujours sa femme se trouve devant une obligation. Puisque sa
mère dans ses derniers jours, avant de mourir, lui demande de prendre
Somaya (une cousine orpheline élevée par elle) comme épouse afin
qu’il puisse avoir une progéniture. La demande de la mère est une

 
chose sacrée surtout quand elle est sur son lit de mort. Donc pour lui,
le deuxième mariage est un devoir. Avec la deuxième, il a des enfants
mais il n’oublie jamais sa première femme. Enfin il réussit à se
réconcilier avec elle et l’emmène pour vivre ensemble.

Cette histoire, bien qu’elle ait une fin heureuse et qui incarne une
réussite d’un amour très fort, présente une partie des souffrances des
femmes, les douleurs physiques et morales quand elles sont victimes
des coutumes ou des préjugés de la société, surtout dans la situation de
stérilité.

1.6.7. Trois femmes puissantes.

Trois femmes puissantes le roman qui gagne le Prix Goncourt l’année


2009 écrit par la sénégalaise Marie Ndiaye consiste en trois récits de
trois femmes qui se battent pour préserver leur dignité. Norah l’héroïne
du premier récit issue d’une famille d’un couple mixte, mère française
et père sénégalais. Le drame commence quand son père quitte
définitivement la France. Il emmène son fils Sonny qui a seulement
cinq ans sans rien dire à sa maman. Il rentre dans son pays natal pour y
refaire sa vie et se remarier plus tard avec une très jeune fille. Laissant
sa première femme avec ses deux filles, Norah et sa sœur, âgées de
huit et neuf ans dans la souffrance et la pauvreté et les douleurs de la
privation de son fils.

Lui, grâce à l’investissement dans le tourisme, mène une vie aisée. Il


assure à son fils une bonne vie et une bonne instruction. Le fils très
gâté a une liaison avec sa belle-mère qui a presque le même âge que

 
lui. Cette dernière donne naissance à des jumelles dont le père est le
fils. Suite à ces incidents, le père découvre la vérité. Il tue sa femme et
laisse emprisonner son fils à sa place disant que c’est lui qui a commis
le crime. Ce père terrible, implacable, est responsable de tout le
malheur qui frappe la famille.

Norah dont les souffrances fortifient sa personnalité, réussit à avoir la


formation qu’elle souhaite. Avec ses efforts personnels, en travaillant
pour payer son éducation, elle devient avocate. Elle reçoit une
convocation de son père pour venir défendre son frère.

C’est plus qu’une seule leçon de morale qu’on peut tirer de cette
histoire. Elle révèle un des exemples des situations tragiques qui se
produisent au sein de la polygamie, quand l’époux, aveuglé par
l’égoïsme ne pense qu’à lui, laissant sa partenaire dans l’enfer. Enfin il
ne gagne que la malédiction, le châtiment douloureux et l’amertume
pendant tout le restant de sa vie.

Dans les ouvrages étudiés, nous remarquons que presque tous les
personnages masculins qui sont polygames sont d’une couche sociale
appartenant à des intellectuels et à des hauts fonctionnaires. Des
hommes nantis de richesse et exerçant le pouvoir. Ils sont considérés
comme des élites, cependant ils ont la mentalité de leurs parents et
leurs grands parents. Nous pouvons citer parmi eux des médecins, des
députés, des hommes d’affaire et même des ministres et des
diplomates.

 
Dans l’article ″Sembène Ousmane et l’institution polygamique″
(Muriel Ijere, 2007 : 5), l’auteur parle de deux genres de la polygamie :

- Celle de la campagne, et dans des sociétés traditionnelles où


chaque mari construit une case individuelle pour chacune de ses
épouses. Et lui, il vit seul dans la sienne. Cela pour éviter les
problèmes et les chicanes entre les différentes épouses. Chacune
d’elle est maîtresse de sa propre case.

- L’autre genre de la polygamie dans les grandes villes : là où le


mari pratique une (polygamie géographique). Chaque épouse
possède sa maison personnelle dans laquelle elle vit avec ses
enfants loin des autres. Ce système se montre moins pratique
parce que le mari doit se déplacer constamment d’un domicile à
l’autre, ce nomadisme manque de commodité.
Les deux femmes de Diara, dans Les bouts de bois du Dieu de
Sembène Ousmane habitent dans deux maisons différentes qui se
trouvent aux deux extrémités de la ville Bamako, ce qui pose au mari
de sérieux problèmes de déplacement.
Pour des raisons financières, il y a également dans les villes des maris
polygames qui vivent dans la même maison avec leurs différentes
coépouses. Mibaye dans Le Manda, de Sembène Ousmane illustre ce
type de ménage polygame. Il vit avec ses deux épouses dans la même
villa. Sa première épouse est musulmane et la deuxième est
chrétienne.1

                                                             
1
 fr.wikipedia.org/wiki/Polygamie

 
Mais si le mari dispose de moyens financiers ou bien qu’il est de
condition aisée, il est préférable de leur offrir chacune son propre
domicile. El Hadji Abdou Kader Bèye dans Xala est un polygame très
riche. Chaque épouse possède une villa qui porte son nom. Les quatre
épouses de Goor Gnak, dans Excellence, vos épouses ! de Cheik Aliou
Ndao, habitent chacune d’elles dans une maison ou un appartement
très éloignée l’une de l’autre.

Dans certains cas, comme pour les marabouts, les serignes, la pratique
la plus fréquente est de garder les épouses dans un seul foyer. Le
serigne dans Riwan ou le chemin de sable de Ken Bugul est un
marabout très riche, toutefois il met toutes ses épouses ensemble dans
la même cour, la même maison.

 
Chapitre 2 : Définition et histoire de la polygamie.

2.1. La polygamie

2.1.1. Définition de la polygamie.

Dans sa définition courante, la polygamie est un système social qui


reconnaît les unions légitimes multiples et simultanées des épouses.
Une situation dans laquelle un homme s’unit par mariage à plusieurs
femmes.

L’internet en donne plusieurs définitions dont nous citons les


suivantes :

- La polygamie désigne la situation dans laquelle une personne


dispose au même moment de plusieurs conjoints de même sexe :
pour une femme ayant plusieurs maris, on parle de polyandrie,
pour un homme ayant plusieurs femmes de polygynie1.

- Etymologiquement, le terme polygamie est formé de deux


mots grecs, polus qui signifie « plusieurs » et gamos, signifiant
« mariage ». Donc la polygamie c’est le fait de contracter
plusieurs mariages.

La polygamie s'oppose à la monogamie. Dans le cas précis de deux


conjoints simultanés, il s'agit d'une bigamie.

On distingue différents types de polygamie, notamment les plus


fréquents sont les suivants :

                                                             
1
 fr.wikipedia.org/wiki/Polygamie

 
- La polygamie parallèle qui désigne la situation où un individu
s'accouple avec plusieurs partenaires, non pas au cours du même
acte sexuel mais au cours d'une même période reproductive.
- La polygamie séquentielle qui consiste pour un individu à avoir
plusieurs partenaires différents au cours de sa vie, mais pas de
façon simultanée. Cette dernière forme de polygamie est aussi
dite monogamie sérielle.1
On distingue également d’autres définitions de la polygamie dont,
entre autres :

- La polygamie est un type de mariage dans lequel une personne


est unie à plus d'une autre. On observe deux types de polygamie:
celle dans laquelle un homme épouse plus d'une femme, et la
polyandrie dans laquelle une femme épouse plus d'un homme2.
De fait, la polygamie qui correspond aujourd’hui à la pluralité des
épouses est en recul dans le monde ; la polyandrie quant à elle est rare.
Le terme polygamie est souvent utilisé dans ce sens, non seulement
dans la langue courante mais également par les anthropologues.
L’homme ne peut pas avoir plusieurs fiancées, la femme ne peut pas
être fiancée à plus d’un homme. Cependant, après que le mariage est
consommé, il est possible pour le mari de prendre plusieurs épouses.
On observe aussi dans certaines sociétés que l’épouse devienne la
concubine d’autres hommes mariés ou célibataires.3

                                                             
 1
 fr.wikipedia.org/wiki/Polygamie
2
 http://www.bladi.net/forum/17932-polygamie-permise-islam/
3
Roger Bastide : 2006, http://www.innovation-democratique.org/…)

 
2.1.2. La conception du mariage.
Parlant de la polygamie qui est une de multiples formes de l’institution
du mariage, il nous semble indispensable d’aborder maintenant
quelques aspects liés à l’institution du mariage. Il faut constater que la
conception du mariage est le résultat d’une évolution au cours de
l’histoire et selon les peuples. Traditionnellement, le terme mariage
signifie une « union légitime entre homme et femme » qui consacre un
cadre pour établir une famille, mettre au monde des enfants, et les
élever. C’est un engagement sans limite de durée avec une possibilité
de séparation, de divorce.
Actuellement nous trouvons dans les dictionnaires une tendance à
élargir la définition du terme mariage qui est désormais présenté
comme une « union entre deux personnes, généralement homme et
femme ».1 Cette nouvelle définition plus souple peut comprendre le
mariage entre des personnes de même sexe.
Il existe d’autres unions avec moins de contraintes dans lesquelles les
partenaires n’ont pas le même statut que celui du mariage. On peut
citer en exemple le PACS (pacte civil de solidarité) en France qui est
une forme d'union civile. Il s'agit d'un contrat de droit français. La loi
qui instaure le PACS est votée en 1999. Le PACS est défini comme un
partenariat contractuel entre deux personnes majeures les
« partenaires », quel que soit leur sexe, ayant pour objet d'organiser
leur vie commune2.
Avec le mariage, les époux peuvent obtenir un statut particulier
puisque le mariage émancipe la personne qui devient majeure, il lui
                                                             
1
 fr.wikipedia.org/wiki/Mariage 
2
 fr.wikipedia.org/.../Pacte_civil_de_solidarité

 
donne des obligations envers sa future progéniture et la famille de son
conjoint. Le mariage peut servir à des fins politiques : établir des
alliances entre lignées ou tribus, sceller la paix entre deux royaumes,
ou à des fins économiques : transférer les biens, obtenir un capital, une
dot. Le mariage a ainsi deux caractères : juridique et rituel.
L’établissement d’un mariage donne toujours lieu à une cérémonie
publique qui est souvent fêtée par les proches les amis et les
connaissances, l’ensemble de ces cérémonies est appelé noces.
Le mariage peut être civil ou religieux ou les deux. Dans les pays où
les institutions politiques sont séparées des institutions religieuses, le
mariage religieux requiert généralement un mariage civil au préalable.
Dans certains cas, les époux ne peuvent pas contracter un nouveau
mariage tant que le premier est valide ; dans ce cas on parle de système
monogame. Ce type d’union est pratiqué dans les pays européens.
Toutefois en d’autres lieux, le mariage peut être actualisé
simultanément avec plusieurs personnes en même temps ; dans ce cas
le système est alors dit polygame. Cela existe dans certains pays,
notamment africains et arabes de culture musulmane, et d’autres
comme chez les mormons en Amérique.
Selon Roger Bastide (2006), théoriquement, on distingue quatre
formes de mariages1 :
1- La monogamie : un mariage entre un homme et une femme
2- La polygynie : un mariage entre un homme et plusieurs femmes

                                                             
1
 Roger Bastide, 2006, http://www.innovation-democratique.org/…) 

 
3- La polyandrie : un mariage entre une femme et plusieurs hommes
(Pratiquée chez les Scythes de l’Asie centrale, les Abisis de
centre du Nigéria et les Zo’es de la forêt amazonienne).1
4- Le mariage par groupes : un mariage entre plusieurs femmes avec
plusieurs hommes (Il existe chez les Todas en Inde)

Actuellement une cinquième forme est apparue :

Le mariage homosexuel : un mariage entre deux personnes du


même sexe (Autorisé récemment dans certains pays occidentaux
tels que : la Belgique, l’Espagne, les Pays-Bas, la Norvège, la
Suède, le Portugal et l’Islande)2

2.1.3. La polygamie phénomène universel.

Dans l’histoire de l’antiquité, la polygamie était pratiquée par tous les


peuples : les anciens chinois, les anciens indiens, les anciens égyptiens.
Elle était également connue chez les anciens perses, les assyriens, les
japonais, les hindous. Elle existait aussi chez les germains et pratiquée
par certains rois en Grèce.

Juridiquement, la polygamie couvre un champ beaucoup plus vaste


que la monogamie. Selon les estimations actuelles des démographes et
des ethnologues, 80% des sociétés connues sont polygames. Donc

                                                             
1 http:
//fr.wikipedia.org/wiki/Polyandrie
2
fr.wikipedia.org/wiki/Mariage_homosexuel

 
nous pouvons dire que cette pratique est un phénomène universel,
qu’elle ne se limite pas aux sociétés africaines traditionnelles1.

La polygamie est autorisée dans la totalité des pays à forte population


musulmane à l’exception de la Turquie et la Tunisie où elle est
interdite en 1957. Elle est également pratiquée dans des pays
africains2. De plus elle est transportée Outre-Atlantique (Cheik. Aliou.
Ndao : 130). Les Antillais, les Brésiliens d’ascendance africaine ont le
goût d’entretenir plusieurs foyers. A Haïti, à titre d’exemple, il y a des
expressions telles : installer ou ″placer″ lorsqu’un riche fermier met
une de ses plantations à la disposition d’une de ses nouvelles épouses.

2.1.4. La Polygamie dans la préhistoire.

Au cours de l’année 2003, une étude génétique arrive à une conclusion


qu’au Paléolithique, (première période de l’ère quaternaire ou
apparurent des humains avec des outils de pierre taillée) les premières
civilisations, les sociétés humaines sont polygames. Cela conforte la
conclusion des études précédentes menées par certains archéologues et
anthropologues. Ces derniers viennent de découvrir que des hommes
sont enterrés avec deux ou trois femmes, ce qui pousse les chercheurs

                                                             
1
 fr.wikipedia.org/wiki/Polygamie 
2
  Pour plus de précision, nous présentons une liste d’une cinquantaine de pays où la
polygamie est reconnue : Afghanistan, Algérie, Angola, Arabie Saoudite, Bahreïn,
Bangladesh, Bénin, Birmanie, Brunei, Burkina Faso, Cambodge, Cameroun, Centrafrique,
Comores, Congo, Djibouti, Egypte, Emirats arabes unis, Gabon, Gambie, Guinée équatoriale,
Indonésie, Irak, Iran, Jordanie, Kenya, Koweït, Laos, Lesotho, Liban, Libéria, Libye, Mali,
Maroc, Mauritanie, Nigeria, Oman, Ouganda, Pakistan, Qatar, Sénégal, Somalie, Soudan, Sri
Lanka, Swazi land, Syrie, Tanzanie, Tchad, Togo.

 
à émettre l’hypothèse que les anciennes sociétés sont polygames.1

2.1.5. La polygamie chez les Mormons.

Sous le nom Mormon se reconnaissent les membres d’une


communauté religieuse de l’Amérique de Nord. Une minorité qui est
localisée aux Etats-Unis. Ils vivent précisément dans le territoire de
Utah. La particularité la plus connue de ce peuple organisé en secte du
Mormonisme est la pratique de la polygamie. Ils pratiquent la
polygamie qui est interdite par la loi du pays. Dans la religion des
Mormons, la loi du mariage plural constitue une mise à l’épreuve de
leur foi. C’est pourquoi elle est recommandée et légitimée chez eux.

Le nombre des épouses n’est pas limité. Il dépend du rang hiérarchique


et des revenus de l’époux. Un président ou un chef peut avoir presque
une vingtaine d’épouses.

Issus du protestantisme, les Mormons adhèrent à une lecture


fondamentaliste des textes religieux. Ils ont les mêmes valeurs que les
chrétiens conservateurs des Etats-Unis. Ils sont contre l’avortement, la
contraception, l’homosexualité2.

                                                             

1
islammedia.free.fr/Pages/islam-polygamie.html
2
fr.wikipedia.org/.../Mariage_plural_(mormonisme)

 
2.1.6. La polygamie et les religions.

2.1.6.1. Les vieilles religions africaines.

Les peuples noirs croient en un grand Créateur unique dont le nom est
différent d’un peuple à un autre. La divinité est d’une forme
hiérarchique. A la tête se trouve le Créateur, le Tout-puissant. Sous le
Créateur existent les forces inférieures : humaines et non humaines qui
jouent un rôle déterminant dans la vie de l’homme ordinaire. Ce
dernier doit vivre en harmonie avec ces forces (Anne Stamm, 1995).

Les anciennes religions favorisent la polygamie dans deux mesures :

- La croyance que l’esprit c’est la force, la vie qui se trouve en


toute chose. Cette force se traduit par la fécondité. Il est donc
normal que tout ce qui permet la fécondité soit considéré comme
positif, tout ce qui lui fait obstacle comme négatif. Evidemment
la polygamie permet la fécondité, elle est donc recommandée.

- La croyance que les morts forment une partie intégrante de la


vie des vivants d’où vient le culte des ancêtres. La nécessité
d’avoir des enfants qui perpétuent le lignage et le culte des
ancêtres justifie la polygamie qui favorise une large procréation.
La continuation du monde des morts dans celui de vivants est
assurée par la descendance. C’est-à-dire que ces morts sont
encore des membres de la famille des vivants. Par conséquent,
certains peuples africains mettent l’accent sur la continuation de
la lignée. Cette lignée ne doit pas être coupée faute de
descendance. Un homme qui a une femme stérile est contraint
par le milieu, par la famille étendue, à prendre une nouvelle

 
épouse. Alors, le goût pour une famille nombreuse favorise la
polygamie.

2.1.6.2. Le Judaïsme.

La pratique de la polygamie répond dans le judaïsme ancien à un idéal


de la fécondité. Une descendance nombreuse est un signe de
bénédiction. Cette pratique est une législation ancienne qui existe dans
les religions comme on le voit dans la Torah. Beaucoup de Prophètes
sont polygames : Abraham (deux épouses), Jacob (quatre épouses),
Salomon (plusieurs épouses), (Seyyed Moujtaba Moussavi,  1993 :
234).

La Torah n’interdit pas la polygamie mais, le fait de prendre deux


sœurs comme épouses en même temps est interdit. Cela existe
également en Islam.

Chez les juifs, la pratique de la polygamie a continué jusqu’à l’époque


de Rabbi Gershom ben Yehudah (960-1030) qui émet un décret contre
elle. Les communautés juives qui vivent dans les pays musulmans
perpétuent cette pratique jusque dans les années 50. A cette date, une
loi du Rabbin en chef d’Israël la leur interdit.

2.1.6.3. Le Christianisme

Il était permis aux premiers chrétiens d’avoir autant d’épouses qu’ils le


souhaitaient puisque la Bible ne fait mention d’aucune restriction à cet
égard. Ainsi la polygamie était pratiquée dans l’Europe chrétienne

 
jusqu’au temps de Charlemagne, Empereur d’occident au huitième
siècle après Jésus Christ.

C’est pendant le régime de ce même empereur que la polygamie est


abolie par l’Eglise dans tout le monde chrétien. L’Eglise restreint le
nombre d’épouses à une seulement. Donc, l’homme qui avait plusieurs
épouses devait n’en garder légitiment qu’une seule.

2.1.6.4. L’Islam.

Dans l’islam, la polygamie est permise mais limitée et conditionnée.


Quant à la polyandrie, elle est totalement interdite. Dans le temps
préislamique, la polygamie était courante dans diverses communautés.
Elle était pratiquée par les diverses tribus arabes à l’époque de
Djahiliah (l’ignorance). C’était une des plus rudes pratiques au monde.
A cette époque le nombre d’épouses n’était pas limité. Plusieurs
hommes en avaient des dizaines et certains des centaines. L’Islam met
un frein à ces excès. Il limite le nombre d’épouses à quatre. Il est
permis à un homme d’épouser deux, trois ou quatre mais à condition
d’être juste envers chacune d’elles. Donc être polygame exige d’être
un homme juste.

Toutefois la polygamie n’est pas une obligation pour les musulmans.


Avoir une seule femme n’est pas un péché même si on a les moyens
d’avoir plusieurs femmes et même si on est capable de traiter toutes les
épouses d’une façon équitable.

 
De même l’Islam donne aux femmes la liberté de ne contracter le
mariage qu’avec leur consentement.

2.1.7. La polygamie en Afrique.

En Afrique, la polygamie est autorisée et pratiquée à la fois dans tous


les pays de l’Afrique de Nord dont la culture arabo-musulmane (sauf la
Tunisie) et l’Afrique Sub-saharienne de croyance animiste ou de
culture musulmane. Actuellement, l’Afrique Noire pratique toujours la
polygamie. Pour les africains, la polygamie est une question d’héritage
culturel.

Selon Kebme Milolo (1985), la polygamie est une institution


spécifiquement africaine. Ce n’est pas une conséquence de
l’introduction de l’Islam sur ce continent. Ceci dit en analysant ce
phénomène, il faut étudier le mariage polygamique et la famille
polygamique pour eux-mêmes, tel qu’ils sont et non plus seulement en
rapport avec la civilisation musulmane.

L’importance de cette institution dans la vie des africains réside en


premier lieu dans l’importance de la progéniture ou la procréation de
nombreux enfants dans leur vie. En Afrique, les systèmes modernes de
protection sociale n’existaient pas auparavant. Donc avoir plusieurs
enfants pour quelqu’un c’était assurer ses vieux jours, comme une
retraite, une garantie. Ainsi la plupart des enfants sont susceptibles de
prendre en charge une partie de leur frères qui sont souvent les plus
jeunes. L’avenir de la famille repose sur les enfants aînés. C’est-à-dire
les aînés déchargent leurs pères des cadets. Autrement dit, ils aident

 
leurs pères à entretenir le reste de la famille. C’est une véritable
solidarité familiale.

D’autre part il est fréquent qu’on se remarie avec une veuve afin
qu’elle ne soit pas laissée seule sans moyens, surtout si elle a des
enfants. C’est un autre visage de la solidarité1.

Le facteur économique joue un rôle primordial dans la question de la


polygamie. Il justifie son existence dans les sociétés traditionnelles
dans lesquelles les femmes dépendent le plus souvent entièrement des
hommes qui possèdent toutes les ressources. Frank Cézilly (2006)
affirme : « Dans les sociétés traditionnelles, comme il s’en trouve
encore en Afrique, notamment, où les femmes sont très dépendantes
des hommes parce que ceux-ci possèdent les terres et les ressources, la
polygynie demeure fréquente ». Il ajoute en s’appuyant toujours sur le
facteur économique : « Dans ce cas-là, une femme qui désire des
descendants préférera effectivement être la seconde ou la troisième
épouse d’un homme qui a beaucoup de ressources, dont ses enfants
vont bénéficier, plutôt que d’être l’unique femme d’un homme
détenant peu de ressources. Il y a là un choix qui s’explique (encore
une fois) économiquement ».2

Ainsi l’extension de la polygamie s’explique surtout par le facteur


économique. Ce sont les plus vieux, les plus riches ou les chefs qui
sont toujours polygames. Les plus jeunes, les moins puissants, sont la
plupart du temps monogames. Les femmes acceptent les polygames
                                                             
1
Fatouma Haidera, www.bamanet.net/.../1161--la-polygamie-en-afrique-moderne--incarne-t-
elle-les-mêmes-valeurs-et-objectifs-que-dans-le-passe-.html -
2
www.ledevoir.com/.../l-entrevue-la-monogamie-plus-pratique

 
pour les mêmes raisons économiques.

En revanche, depuis les années des indépendances, plusieurs facteurs


viennent remettre en cause ce type de famille parmi lesquels figure
celui de l’économique puisque le système économique instauré après
les années 1960 défavorise la polygamie. D’autre part un système de
protection sociale qui commence à s’établir, le travail de la femme dû
à une instruction rapidement répandue, l’exercice d’un commerce
informel, le changement de mentalité vis-à-vis du célibat des femmes,
l’accentuation des difficultés économiques, etc., pour toutes ces
raisons l’aspiration à une famille de taille élevée est en nette
diminution.

Avec la mutation des sociétés, avec le changement qui se produit au


sein de la famille la perception de la polygamie a beaucoup évoluée.
La polygamie qui était hier une source d’équilibre social, de
développement de la communauté, aujourd’hui elle est considérée dans
la plupart du temps, cause de discordes dans des familles.1

2.1.7.1. La polygamie au Sénégal.

Le Sénégal est le pays où la proportion de polygames est la plus


élevée. La polygamie possède un statut légal et une reconnaissance
comme régime matrimonial au même titre que la monogamie.

                                                             
1
Fatouma Haidera, www.bamanet.net/.../1161--la-polygamie-en-afrique-moderne--incarne-t-elle -
les-mêmes-valeurs-et-objectifs-que-dans-le-passe-.html -

 
Une étude menée par Philippe Antoine et Jeanne Nanitelamio (1995)
sous le titre : ″Peut-on échapper à la polygamie à Dakar ?″1, affirme
que, contrairement à l’opinion commune, la pratique de la polygamie
est plus rare dans les pays magrébins et en Egypte que dans l’Afrique
noire. C’est même aboli en Tunisie. Donc on peut constater que ce
type d’union en Afrique subsaharienne dépasse largement le cas des
pays sahéliens à dominante musulmane. Cela consolide l’avis de
Kembe Milolo à ce propos.

Cette étude affirme également que la liaison entre la ville et la


polygamie n’est pas aussi négative. La polygamie touche la ville aussi
bien que la campagne. A titre d’exemple la polygamie se maintient à
Dakar. Dans cette ville l’environnement conforte cette institution. Elle
y bénéfice d’une « légitimité » officielle, religieuse et sociale. Elle
jouit d’une normalité ou d’une banalité qui consolide son existence
dans toute la ville.

Félix Amoah (2001) atteste : « La polygamie est plus qu’une question


de nombre de femmes, elle correspond mieux aux exigences
économiques, sociales et ethniques des groupes africains que la
monogamie. Il ajoute : « La polygamie est d’abord une certaine
philosophie sexuelle, visant la liberté et la satisfaction sexuelle pour
les deux sexes, cela veut dire que la femme n’est jamais simple objet
de jouissance sexuelle pour l’homme » (Félix Amoah, 2001 : 20).

La modernité, la scolarisation, les modes de production et la diffusion


d’idées et des modes n’arrivent pas à cesser cette pratique :

                                                             
1
fr.wikipedia.org/.../Condition_féminine_au_Sénégal -

 
« L’Africain moderne revient à certain point de la sagesse des
coutumes ancestrales telle que la polygamie lorsque elle lui apporte
une satisfaction supplémentaire » (Kembe Milolo, 1985 : 168).

Le changement du système de mariage sous la forme occidentale est


toujours rejeté, ou ralenti par un nombre considérable d’intellectuels.
Ceux qui sont dans la plupart de cas instruits dans les écoles des
blancs, tout de même ne tolèrent pas la monogamie. Ils estiment
qu’elle est anti africaine et inacceptable. Ils justifient leur action par
l’invocation de la tradition africaine en opposition aux concepts
occidentaux qui ne leur conviennent pas toujours. C’est peut-être dans
la polygamie qu’ils trouvent leur compte.

D’autre part, pour eux, les coutumes demeurent le fondement des


sociétés africaines. La culture africaine n’a jamais mis en doute le
bien-fondé de la polygamie que tout le monde adopte comme mode de
vie. Ainsi cette pratique existe au fur et mesure que ses adeptes en font
leur idéal.

2.1.7.2. La polygamie au Cameroun.

Contrairement au Sénégal, au Cameroun, la polygamie est en


régression dans les zones urbaines. Elle est beaucoup plus pratiquée
dans les villages. Elle est plus au moins répandue selon les régions et
les ethnies. A l’ouest et au sud, la polygamie bat son plein.

Le jour du mariage, le Maire demande aux époux quelle option


choisissent-ils ? Polygamie ou monogamie ? L’option choisie est alors

 
portée sur l’acte de mariage. Ainsi dans le cas où la polygamie est
déclarée, les coépouses se côtoient en bonne harmonie la plupart du
temps. Mais en tout cas la polygamie est autorisée.

2.1.7.3. La polygamie au Soudan.

Au Soudan comme dans la majorité des pays africains, la polygamie


est implantée partout. Elle existe autant dans les villes que dans les
villages : « C’est un vieux phénomène qui recule mais qui revient
encore et beaucoup plus fort qu’auparavant dans la société
soudanaise » estime Abdulatif Albouni (2008).1 L’expansion de la
polygamie dans les villes soudanaises notamment dans la capitale est
due à l’immigration des villageois en ville qui est un phénomène
remarquable ces dernières décennies. Les immigrés apportent des
modes de vie, des coutumes tel que la polygamie, ce qui normalise sa
pratique en ville.

De plus pour des raisons politiques, suite à la guerre civile au Soudan


qui dure depuis plus d’une trentaine d’année au sud du pays et qui fait
beaucoup de morts chez les jeunes hommes, le gouvernement
encourage cette pratique pour entretenir des veuves et leurs enfants.

Aujourd’hui, la polygamie est un sujet ″tabou″. Dans une époque où


les voix féministes se lèvent partout, revendiquant la libération de la

                                                             
1
 Dans son article ″Tädoude al zaojate been al rafde wal guiboule″ (La polygamie entre rejet et
acceptation), Fatati, journal féminin, daté le 26 juin 2008. 

 
femme, l’égalité homme/femme et le droit de la femme, cette pratique
est mal perçue surtout par les pays de civilisation occidentale. Car
c’est seulement dans les sociétés occidentales que la polygamie n’est
pas acceptée. De nombreux Etats la considèrent comme un délit.
L’image d’un homme ayant plusieurs femmes est perçue comme un
esclavage de la femme. Donc, beaucoup de femmes militent pour la
combattre : « La polygamie est un phénomène que l’on peut combattre
si on s’en donne l’ambition et les moyens » déclare Sonia Imlol.1

Pourtant ces mêmes sociétés établissent un système monogamique qui


reconnaît la difficulté voire l’impossibilité de se contenter d’un seul
partenaire durant toute la vie. Un homme marié légalement avec une
seule femme peut également avoir plusieurs maîtresses. De plus le
divorce et le remariage sont devenus très faciles même à plusieurs
reprises. La séquence mariage-divorce-remariage rappelle la notion de
la variété des rapports sexuels qui existe dans toutes les sociétés
polygames. Toutefois, les chiffres montrent que la majorité des
divorces sont demandés par la femme. Les causes sont dans la plupart
du temps la violence ou la trahison des conjoints.2

2.1.8. La polygamie en France.

En France, la polygamie concerne principalement les immigrés


d’Afrique Noire. Dans les populations d’origine maghrébine, ce

                                                             
1
Sonia Imloul, lavertat.free.fr/Docs/polygamie.pdf
2
http://www.helmo.be/esas/mapage/euxaussi/famille/polygame.html

 
phénomène reste marginal. L’augmentation de l’immigration africaine
dans les années 90 a accru la pratique de la polygamie en France.

En 1993, la loi de l’interdiction des regroupements familiaux en cas de


polygamie fait limite à cette pratique. Cette loi interdit la délivrance
d’un titre de résident à un ressortissant étranger vivant en situation de
polygamie. Cela indique que la polygamie est interdite en France.

Récemment, à la fin de mois d’avril 2010, les médias1 rapportent des


nouvelles d’un citoyen français d’origine algérienne, Lies Hebdadj, qui
est accusé de polygamie. Ce monsieur est menacé par la déchéance de
la nationalité française (obtenue par le mariage) parce qu’il est
soupçonné d’être polygame. Cette polémique se déclenche quand la
police arrête une jeune femme nantaise en voile intégral le (niqab)
conduisant sa voiture. Une française convertie à l’Islam qui est
l’épouse de ce monsieur. L’affaire du niqab qui dévie sur un débat
autour de la polygamie ne cesse de faire des vagues dans la politique.2

Ce fait divers quotidien qui se déroule au cours de cette année 2010


témoigne de l’attitude du gouvernement contre la polygamie et la
fermeté de combattre ce phénomène.

Toutefois dans un pays comme le Sénégal et dans les medias, on


entend la voix des femmes qui militent pour la polygamie. Elles ont
déclaré leur situation de ″co-épouses par choix″. Cela révèle une
nouvelle attitude de se tourner vers la polygamie qui est de plein gré
adoptée par certaines femmes. Siga Ndiour, une journaliste qui

                                                             
1
(Le monde, 26,4, 2010)
2
http://www.helmo.be/esas/mapage/euxaussi/famille/polygame.html

 
travaille à la Radio Municipale de Dakar (Rmd), une coépouse qui
défend la polygamie rapporte : « Je préfère savoir mon mari chez son
autre épouse, plutôt qu’il me trompe ».1

A propos de ce sujet, d’autres nouvelles qui favorisent la polygamie


sont rapportées par les médias internationaux au début de cette année,
2010, lesquelles méritent d’être signalées :

La première (publiée dans Daily Sun)2 concerne le cinquième mariage


de Jacob Zuma le président de l’Afrique du Sud âgé de 67 ans dans
son village natal (la nouvelle épouse est devenu la troisième). Quand
on évoque sa polygamie, Zuma explique : « De nombreux hommes
politiques ont des maîtresses et des enfants qu’ils dissimulent en
prétendant être monogame. Je préfère être honnête. J’aime mes
femmes et je suis fier de mes enfants ». 3

La deuxième : le leader russe Vladimir Jirinovski qui est décrit comme


ultranationaliste a proposé, mardi 19 janvier 2010, une prime à la
première naissance et à la polygamie pour résoudre le problème de
faible natalité en Russie.4

La troisième est un article apparu dans la revue Courier International5


sous le titre : « La polygamie, une arme contre l’adultère ». On parle
d’une journaliste égyptienne Hayam Dorbek qui milite pour la
polygamie avec la devise : « Une seule femme, cela ne suffit pas ».

                                                             
1
http://www.afrik.com/article10121.html
2
( Daily Sun daté du 5 janvier 2010)
3
http://afriquedusud.blog.lemonde.fr/2010/01/05/jacob-zuma-se-marie-pour-la…cinquième fois/
4
http://www.lemonde.fr/europe/article/2010/01/19/russie-prime-a-la-naissance-et-polygamie
5
(Courier International, vendredi 19 mars 2010)

 
Elle trouve que la polygamie apporte à la femme un espace de liberté.
Dans une interview réalisée sur la chaine Al-Jazira, elle explique son
opinion pour justifier la création d’une association de défense de la
polygamie appelée Tyssir (facilité).

Hayam Dorbek lance une campagne évoquant les difficultés que


rencontre une femme qui travaille et qui s’occupe de son foyer. Dans
le slogan qui illustre sa campagne, elle demande : « Mon mari m’a
choisie, mais je travaille et je ne trouve pas beaucoup de temps pour la
maison : devrions-nous nous séparer ? ». Ainsi elle défend son idée :
« Le droit à la polygamie est un droit pour les femmes autant que pour
les hommes ».1

Un tel débat démontre que la polygamie est un sujet d’actualité qui est
mis à jour en permanente et au niveau universel.

2.2. La monogamie.

2.2.1. Définition de la monogamie.

Comme la polygamie, le terme monogamie se compose de deux mots


grecs : monos, un seul, et gamos, mariage, c’est-à-dire un seul
mariage. La monogamie chez les humains est un régime juridique qui
n'autorise à un homme de n'épouser par mariage qu'une seule femme et
pour une femme qu'un seul homme.2

                                                             
1
  http://www.courrierinternational.com/page/qui-sommes-nous 
2
  http://fr.wikipedia.org/wiki/Monogamie 

 
A notre avis dans le mariage, la monogamie remonte à l’origine de
l’humanité puisque dès le début de la création de l’Homme, le premier
couple formé par Adam et Eve est monogame. De plus tout mariage
commence de manière monogame. Une monogamie qui continue
parfois pour de longues années avant d’être interrompue par le divorce
ou par un second mariage. Cela veut dire que la monogamie n’est pas
figée.

Aujourd’hui en cas d’échec du mariage, la monogamie propose une


autre alternative qui est le divorce. Cela donne pour les deux
partenaires une autre chance de recommencer une nouvelle vie et une
nouvelle famille. C’est donc comme une polygamie par étape mais la
différence : dans le cas de la monogamie le divorce peut offrir un
nouveau départ à la femme comme à l’homme.1

Il existe trois types de monogamie dont il faut établir la distinction2:

1. La monogamie sociale : c’est le cas d’un couple qui élève


seul une famille mais qui admet plusieurs partenaires sexuels

2. La monogamie sérielle : c’est le cas des partenaires fidèles


successifs

3. La monogamie vraie : c’est le cas des partenaires fidèles à


vie.

Une étude faite sur la monogamie en 2006 réalisée par Frank Cézilly,
chercheur, écologiste et professeur à l’Université de Bourgogne, est
publiée dans l’ouvrage intitulé : Le Paradoxe de l’hippocampe, Une
                                                             
1
 ibid. 
2
ibid.

 
histoire Naturelle de la monogamie. Cette étude se propose de mieux
comprendre les arguments économiques et sociaux qui ont mené la
plupart des humains à devenir monogames.

Dans son ouvrage, l’auteur fait des remarques très intéressantes à ce


propos. Selon lui pour les êtres humains, la monogamie ne correspond
pas toujours avec la fidélité : « Uni pour la vie par un amour
indéfectible… Cette image d’Epinal de la monogamie n’existe que
chez quelques rares espèces animales, parmi lesquelles ne figure pas
l’humain… qui n’est pas un modèle de fidélité ».1

Donc selon Frank Cézilly, celui qui vit une relation monogame parce
que c’est ce qui est le plus pratique à vivre, n’est pas forcement avec la
même personne tout le temps. Les séquences des ruptures ou des
divorces règlent dans la plupart du temps les pas de la monogamie
humaine.

Pour justifier cette attitude, il affirme que pour l’Homme la nouveauté


compte même dans la sexualité dont le plaisir est essentiel. Donc il
atteste : « Nous sommes une des rares espèces animales pour
lesquelles la sexualités dépasse la fonction de procréation et qui
prennent du plaisir dans la sexualité ».2

Toutefois et pour des raisons économiques, Frank Cézilly trouve que la


polygamie n’est pas pratique. Avoir plusieurs femmes, beaucoup
d’enfants implique certaines conditions économiques, sinon comment

                                                             
1
www.ledevoir.com/.../l-entrevue-la-monogamie-plus-pratique
2
ibid.

 
les nourrir, soigner, élever. Donc il ne faut pas oublier le poids du
facteur économique dans l’enjeu.

Le facteur économique se pose encore puisqu’à partir du moment où


les femmes, par l’éducation, ont eu accès au marché du travail, elles se
sont émancipées et sont devenues moins dépendantes des hommes, la
monogamie s’impose.1

Catherine Coquery-Vidrovitch, (1997), se réfère aux grandes


mutations mondiales au niveau politique, économique et social, dont
les chocs successifs sont éprouvés par le continent noir, qui ont leurs
impacts sur la société et la femme africaine. La colonisation, les deux
guerres mondiales, les processus de la décolonisation, l’acquisition de
l’indépendance et enfin la longue dépression qui règne sur les pays
africains après l’indépendance et qui remonte au début des année1970.

La chute du mur de Berlin à la fin de 1989 a également ses influences


sur la femme. C’est suite à cet événement que commence une quête
universelle de démocratisation. De plus l’apparition du travail salarié,
les migrations masculines pour le travail alourdissent les tâches des
paysannes. Tous ces aspects jouent un rôle très important sur la
condition de la femme en générale et la femme africaine en particulier,
sur le choix du mode de vie entre la polygamie ou la monogamie .2

Roger Bastide (2006) parle de deux types de monogamie :

- Monogamie de droit qui existe dans les pays occidentaux.

                                                             
1
www.ledevoir.com/.../l-entrevue-la-monogamie-plus-pratique
2
Coquery-Vidrovitch, http://clio.revues.org/index373.html

 
- Monogamie de fait qui est imposée par la pauvreté dans les
milieux où la polygamie est autorisée.

Ainsi la monogamie n’existe pas seulement dans les sociétés


occidentales, elle existe également dans les sociétés les plus primitives,
celles des peuples qui vivent de la cueillette et de la petite chasse. Il
advient que le manque de ressources empêche un homme d’avoir
plusieurs épouses. Dans ce cas c’est une monogamie de fait plus que
de droit puisque elle est due à des raisons économiques défavorables.

Les évolutionnistes trouvent que la monogamie est le dernier moment


d’une longue évolution des systèmes des unions entre les femmes et
les hommes dans leurs vies par un mariage. Elle caractérise les gens
″civilisés″ en opposition aux ″sauvages″ ″barbares″ qui caractérisent
ceux qui adoptent d’autres systèmes de mariage.1

En Afrique, la monogamie est dominante chez les chrétiens et c’est


évidemment pour une raison religieuse. Elle est dominante aussi dans
les groupes occidentalisés ; un nouveau mode de valeurs et de vie qui
se fait jour récemment. La rencontre des cultures, l’esprit d’ouverture
sur le monde permet de véhiculer des idées et des idéologies telles que
le féminisme qui se propage pour l’égalité entre l’homme et la femme,
les droits des femmes, etc. Cela fait partie des impacts de la
civilisation occidentale sur les sociétés africaines.

                                                             
1
Roger Bastide, http://www.innovation-democratique.org/…)

 
Actuellement la monogamie est considérée comme un signe de
modernité et de civilisation.

2.2.2. Le féminisme (mouvement de libération de femme).

Pour mieux comprendre l’effet du féminisme sur la femme et par


conséquent sur son destin et son avenir, il convient de donner quelques
éclaircissements sur l’origine de ce mouvement, sur ses objectifs.

Le terme féminisme s’impose à la fin du dix-neuvième siècle en


France. Il signifie les aspirations collectives des femmes à l’égalité
entre les sexes. Par la suite le féminisme s’est répandu partout dans le
monde, notamment en Afrique et dans les pays en voie de
développement pendant les dernières décennies.

Pour le terme féminisme il n’y a pas de définition unique, puisqu’elle


change selon l’époque et la société. De plus le féminisme a plusieurs
manifestations qui sont très différentes dans les diverses cultures. A
titre d’exemple, le premier mouvement féministe en occident est
consacré pour le travail et les droits civiques.

En général, le féminisme a comme objectif de préconiser l’extension


des droits, défendre une cause commune de la femme, tendre à la
reconnaissance de l’égalité, de leurs droits, etc.

En Afrique francophone, de forts mouvements de femmes se sont


constitués au moment des indépendances. Les femmes leaders sont
apparues dès les années 60 dans tous les pays africains. On peut
compter des milliers de petites associations de femmes et des réseaux

 
régionaux qui travaillent activement pour améliorer les conditions de
vie de la femme africaine.

Les féministes africaines partent de loin, tout d’abord il leur faut


libérer leurs sœurs ″femmes de brousses″ qui sont écrasées par le
travail et privées de droits. Ces dernières dont toute la vie est
consacrée pour la production et la reproduction ont besoin de temps
libre pour apprendre à lire et à écrire. Les féministes espèrent leur
donner le pouvoir économique qui leur revient, elles vont les aider à se
libérer de l’emprise de l’autorité de l’homme.

Grâce aux efforts des associations féministes, on constate une


évolution remarquable des mentalités : il y a de plus en plus de jeunes
filles qui vont à l’école. Il y a plus de liberté d’expression, liberté de
choisir le conjoint (au moins de dire non, d’exprimer son désaccord si
elle n’accepte pas). Les femmes ont de plus en plus accès aux postes
de prise de décision, elles deviennent avocates, juges et ministres.

Pourtant le féminisme africain se démarque de son homonyme


occidental par la primauté qu'il donne à la question de la
complémentarité homme/femme. Le discours suivant affirme cette
idée : "L'on assiste ces dernières années à un mouvement qui se
dessine en Afrique sous le nom de "féminisme africain" ou
"conscience de femme" ou "womanism" pour les pays anglophones et
où le concept de complémentarité intervient. Cette école de pensée ne
rejette pas les acquis occidentaux. Elle s'inspire des cultures africaines
où elle puise son inspiration, mais donne la primauté au concept de
partenariat entre homme et femme. La lutte pour l'émancipation de la

 
femme devient une lutte commune et non une confrontation. Elle n'est
jamais dirigée contre l'homme, mais elle se fait avec l'homme". 1

Cette attitude a vu le jour chez certaines féministes africaines qui sont


conscientes du risque de se laisser emporter par ce mouvement au
point qu’elles perdent leur identité. Alors elles essayent d’inventer leur
propre féminisme, un féminisme africain. La déclaration d’une femme
leader, Sira Diop, qui était présidente de ″l’Union nationale des
femmes du Mali″ pendant plus de vingt ans confirme cette attitude.
Elle atteste : « Si être féministe c’est lutter pour le droits des femmes,
oui, je suis féministe. Mais le féminisme africain n’a rien à voir avec le
féminisme occidental. Nous n’essayons pas d’imiter les Européennes
ou les Américaines. Nous ne brûlons pas nos soutiens-gorge. Ce n’est
pas en brandissant des machettes que nous allons changer les choses.
Nous ne revendiquons même pas l’égalité des droits avec les hommes.
Tout ce que nous voulons, c’est plus de droits et un peu du temps
libre ».2

Nous pouvons donc constater que le féminisme, la conversion à la


religion chrétienne, l’attachement à la vie moderne sont de nouveaux
facteurs qui viennent d’apparaître et qui également favorisent la
monogamie dans les sociétés africaines traditionnellement polygames.

Les changements qui s’opèrent aujourd’hui dans le monde, qu’ils


soient d’ordre économique ou d’ordre idéologique : l’urbanisation, la
diffusion des idées occidentales, la politique d’acculturation des Etas,
                                                             
1
http://www.womeninislam.ws/fr/
21
www.bourgoing.com/presse/feminisme1.htm

 
etc., favorisent la monogamie. Ils tendent à faire reculer partout la
polygamie au bénéfice de la monogamie.

Mais, selon le sociologue français Roger Bastide, le fait de freiner ou


réduire la polygamie ne veut pas dire l’abolir ou la détruire. Malgré les
efforts des missionnaires chrétiens qui veulent imposer la monogamie
chez les nouveaux convertis, malgré les efforts des hommes politiques
qui veulent occidentaliser leurs pays, la polygamie reste pour
beaucoup l’idéal des masses.

Pour ceux qui se battent contre la polygamie, les obstacles rencontrés


viennent du prestige toujours vivant de l’homme polygame sur
l’homme monogame dans les groupes les plus traditionnels.

D’autre part, beaucoup d’Eglises noires qui se sont déjà constituées


rompent avec l’Eglise chrétienne missionnaire justement à propos de la
polygamie. L’Eglise noire accepte le mariage plural. Elle trouve
l’existence dans l’Ancien Testament une preuve de la possibilité d’être
chrétien et polygame en même temps.

Donc, la polygamie persiste malgré tout. Roger Bastide donne comme


preuve ce qui se passe au Bénin. Il indique que : « A Porto Novo au
Bénin par exemple si la polygamie domine chez les musulmans bien
qu’un tiers des musulmans restent monogames, on trouve un quart des
chrétiens polygames. Surtout la polygamie y prend une forme
clandestine. Les hommes apparaissent monogames et ont des liaisons
permanentes avec d’autres femmes, et continuent à résider à tour de
rôle chez elles et reconnaissent les enfants ».1
                                                             
1
Roger Bastide, http://www.innovation-democratique.org/…

 
L’ancien facteur économique qui est celui de la richesse, fait que le
nombre de femmes est un signe de statut social élevé, pour les
africains, est un argument beaucoup plus fort que toutes les idéologies.
Cependant ce facteur qui hier est en faveur de la polygamie, n’y est
plus aujourd’hui. Car la femme qui est considérée comme source de
richesses en milieu rural, est maintenant une charge en milieu urbain :
avec la difficulté de se loger, nourrir plusieurs épouses en ville.

Donc, Roger Bastide affirme que, pour des contraintes économiques,


les africains sont condamnés à être monogames à la façon occidentale
même si cela ne leur convient pas : « Que les africains le désirent ou
non, la tendance est cependant à la monogamie (ou la polygamie
sérielle que l’occident connaît également avec l’augmentation de
divorces) ».1

2.2.3. L’image de la femme monogame.

Dans son roman Riwan (ou le chemin de sable), Ken Bugul présente
une image ridicule d’une femme monogame, une femme africaine qui
pense que la monogamie est l’accès à la vie moderne. Ce mode de vie
qui est complètement différent de celui dont elle est habituée, reste un
rêve qu’elle veut réaliser et vivre : « La femme moderne devait être
dans un ménage monogamique, absolument, avoir deux ou trois
enfants, se promener le week-end avec son mari et ses enfants, manger
avec lui, dormir avec lui dans la même chambre, porter son nom à la
place de son propre nom, celui de ses pères, être affichée partout avec
                                                             
1
Roger Bastide, http://www.innovation-democratique.org/…

 
lui et devant tout le monde et ceci pour le meilleur et pour le pire. Et
gare à celle qui oserait regarder son mari qui était à elle toute seule :

- C’est bien compris, c’est mon mari.


- C’est bien clair, il est à moi.
Et désormais toute créature féminine devenait une ennemie potentielle
et le mari était assailli de toute part :

- Dis, pourquoi regardais-tu cette fille l’autre soir ?


- Je t’ai aperçu avec elle !
- On m’a dit qu’on vous a vus ensemble » (Ken Bugul, 1999 :154).
Elle imagine que dans la monogamie résident des solutions définitives
pour tous les problèmes dont une femme peut souffrir. Elle rêve d’une
vie conjugale plus heureuse. Mais malheureusement, elle vit dans
l’obsession qu’un jour elle perdra son conjoint à cause d’une autre
femme. Alors elle consacre toute sa vie à le surveiller. Elle se trouve
en proie à une jalousie mortelle qui transforme sa vie et celle de son
mari en enfer.

 
Deuxième partie

Analyse du rôle et de l’image de la femme dans les romans


africains

 
Chapitre 1 : Rôle et image de la femme dans les romans africains

1.1. Le rôle et l’image de la femme dans les romans africains

Comme le dit un proverbe bantou ″La femme est le cœur de la famille″


et par conséquent elle est le noyau de la société. Personne n’ignore ou
n’ose ignorer le rôle de la femme qui donne la vie et le goût de vivre.
Elle est la mère, la sœur, la tante, la grand-mère… Elle est également
l’amante, l’épouse et la maman des enfants. Tout le monde reconnaît
l’importance de la femme dans l’édifice de la société et apprécie sa
mission.

La condition de la vie de la femme doit donc correspondre à cette


grande mission. C’est en partie elle qui fait fonctionner la société.
C’est elle qui la fait progresser. Elle est le principal agent de
l’émancipation. Etre bien préparée, bien formée et bien armée de
connaissances, cela veut dire donner naissance à une génération, de
filles et de garçons, capables de bien jouer leur rôle dans la société. Au
contraire si la femme est victime de négligence, d’ignorance et
d’analphabétisme toute la société sera paralysée. Les enfants souffrent
beaucoup et les filles (futures mères) souffrent davantage. Tout le
monde se trouve enfermé dans un cercle d’ignorance dont on ne peut
pas sortir.

La condition de la femme en Afrique -notre sujet de recherche- en


toute évidence, n’est pas rassurante. Elle a vécu des siècles de
souffrance et de suppression de ses droits qui durent jusqu’à
maintenant. C’est l’heure de voir une femme africaine libre, forte et
fière d’elle-même. Nous constatons qu’à partir de la deuxième moitie

 
du vingtième siècle une grande mutation est intervenue dans le
domaine de l’éducation qui est considéré comme une base solide du
développement dans tous les domaines de la vie.

Dans leurs œuvres, les écrivains africains se sont engagés dans la lutte
contre cette tare sociale. L’émancipation de la femme africaine qui est
considérée non seulement comme un devoir envers la femme africaine
mais aussi envers l’Afrique même. Toutes les productions littéraires
abordent ce sujet d’une façon ou d’une autre. Pour les écrivains, la
femme n’est pas simplement une source d’inspiration poétique,
artistique et romanesque, mais à notre avis, elle est une personne très
chère, qui leur donne l’envie d’écrire, dont ils se sentent responsables.

Ainsi les écrivains participent à leur façon en mettant en relief les


problèmes qui se posent à la société en tentant de mettre à nu les
aspects sombres de la vie de la femme, soit en critiquant les difficultés
de la vie quotidienne que subissent les femmes, soit en imaginant un
avenir plus brillant, plus heureux, plus convenable pour la femme qui
mérite toute cette attention.

Nous pouvons constater que la femme se présente dans la production


littéraire pendant des décennies. Les portraits littéraires de la femme
africaine révèlent trois catégories de femmes : une femme forte, une
femme en lutte, une femme victime. (Denise Brahimi & Anne
Trevarthen, 1998 : 10).

Pour la première catégorie les écrivains dessinent un portrait en


majesté, en l’exaltant comme dans le poème de Senghor Femme

 
Noire dans laquelle la femme est l’incarnation de la terre, des racines,
et de l’Afrique même.

« Femme nue femme noire

Vêtue de ta couleur qui est vie, de ta forme qui est beauté

J’ai grandi à ton ombre, la douceur de tes mains bandait


mes yeux

Et voila qu’au cœur de l’Eté et de Midi, je te découvre,

Terre promise, du haut d’un haut col calciné

Et ta beauté foudroie en plein cœur, comme l’éclair d’un


aigle »

(Léopold Sédar Senghor, 1945 : 1)

Dans le roman L’Enfant Noir Camara Laye présente également une


image très positive de la femme africaine. Dans son poème dédié à sa
mère :

« Femme des champs,

Femme des rivières,

Femme du grand fleuve,

Ô toi, ma mère, je pense à toi »

(Camara Laye, 1953 : préface)

Il chante les louanges d’une mère dont il garde des bons


souvenirs. « Elle s’était éloignée très droite très digne ; elle se tenait

 
toujours très droite, et parce qu’elle se tenait si droite, elle paraissait
plus grande qu’elle n’était ; et elle marchait toujours très dignement :
sa démarche était naturellement digne. Il me semblait la voir marcher
dans le chemin, la robe tombant noblement, le pagne bien ajusté, les
cheveux soigneusement nattés et ramenés au niveau de la nuque »
(Camara Laye,1953 : 174).

Un autre portrait pour la femme forte, celui de Grande Royale dans


L’Aventure ambiguë de Cheik Hamidou Kane. Cette femme reste la
plus célèbre, la plus admirée de toute la production littéraire en
Afrique francophone. Elle est la sœur aînée du chef des Diallobés,
mais on raconte qu’elle est plus redoutable et plus respectée que son
frère dans tout le pays (Denise Brahimi & Anne Trevarthen : 1998).
C’est elle qui dit à son peuple qu’il faut aller apprendre : « L’art de
vaincre sans avoir raison » (Cheik Hamidou Kane, 1961 : 7). Elle
pense que les femmes sont plus fortes que les hommes parce qu’elles
agissent et prennent l’initiative. Pour être fort c’est l’action qui
compte : « Les hommes parlent et les femmes agissent c’est pourquoi
elles sont plus fortes » (ibid., 1998 : 44).

D’un autre coté on trouve des romanciers qui proposent des images
doloristes de la femme, des images qui montrent des femmes victimes
des traditions, de l’injustice, et de la discrimination sociales. L’histoire
de ″Perpétue″ de Mongo Béti est un portrait type de la victime absolue.
Une adolescente qui souffre des douleurs persistantes pour qui la mort
est une délivrance.

 
Entre ces deux extrémités, les romanciers dressent de la femme
africaine un troisième portrait, celui de la femme ni forte ni victime : la
femme en lutte. La femme qui a la volonté d’améliorer son sort,
malgré toutes les difficultés et tous les obstacles qui la freinent.
Convaincu du droit de la femme de lutter pour gagner sa liberté, de
faire entendre sa voix, son expression, dans un geste révolté, un
écrivain comme Sembène Ousmane consacre un roman entier pour la
lutte de la femme. Dans son roman Les bouts de bois de Dieu, la
participation des femmes dans la grève du Chemin de Fer Dakar-Niger
est un vrai témoignage.

Un autre modèle pour la femme en lutte qu’on peut évoquer, c’est


celui de Ramatoulaye, narratrice et personnage principal
du roman Une si longue lettre de Mariama Bâ. Nous voyons comment
cette femme mène un combat contre les traditions dont la femme
africaine est accablée. Un combat contre tout ce qu’on peut considérer
comme la grande misère de la femme africaine. Nous voyons
également comment cette femme et sa proche amie Aïssatou ont réussi
à modifier leur situation grâce à leur effort, leur réflexion et leur
courage.

En effet, à partir de l’indépendance, les femmes africaines


commencent à prendre conscience de leur réalité. Cette prise de
conscience les amène à constater à quel point elles étaient victimes de
la société traditionnelle. C’est à travers la littérature féminine, (vers les
années 70) qu’on commence à écrire sur la femme que les femmes
elles-mêmes écrivent alors qu’auparavant et pour des décennies on ne
la voyait qu’à travers l’optique masculine. Maintenant une autre vision

 
se révèle : la prise de parole de la femme africaine. Après une longue
période de silence elle commence à s’expliquer, à écrire sur ses
problèmes, afin de mettre la main sur l’origine du mal et des
souffrances, les identifier, les décrire pour y trouver un remède. Ceci,
pour que la femme africaine soit capable de forger un nouvel avenir,
un avenir dans lequel elle revêt une personnalité forte, puissante et
sûre d’elle-même.

1.2. Femme au foyer

Les romanciers de l’Afrique de l’ouest décrivent le foyer familial sous


deux formes : traditionnelle et moderne. Le foyer traditionnel est en
forme de cases, de concessions qui se trouvent dans les villages ou à la
campagne. Camara Laye le décrit : « La concession est un vaste enclos
que cerne une palissade de roseaux tressés ou de solides piquets de
bois coupés dans la forêt voisine. C’est la que vit la famille paysanne,
en des cases plus ou moins nombreuses, suivant la richesse et la
quantité de ses nombres. » Et à l’intérieur : « Dans la case de maman
ou de grand-mère il y a la calebasse de lait suspendu au toit par trois
cordes pour qu’aucune bête n’y accède… couverte aussi pour
empêcher la suie d’y tomber » (Camara Laye, 1953 : 53).

Mariama Bâ, aussi le décrit : « Nos mères dont les concessions étaient
séparées par une tapade échangeaient journellement des messages »
(Mariama Bâ, 1979 : 11).

Le foyer moderne est en forme de maisons, d’appartements ou de


villas dans des grandes villes comme Dakar. L’émergence d’une

 
couche sociale très riche, au lendemain des indépendances, une
bourgeoisie africaine qui comprend les hommes d’affaires et des hauts
fonctionnaires, est derrière ce type de foyer.

Malgré les différents types de foyers, le rôle de la femme reste le


même, puisque la maternité et le ménage sont ses responsabilités
prioritaires D’ailleurs, en Afrique, l’institution moderne et
traditionnelle se côtoient. Ce n’est pas étonnant de trouver une femme
typiquement traditionnelle, comme Hadja Awa première épouse d’El
Hadj Abdou Kader dans Xala de Sembène Ousmane, qui vit dans une
villa.

Le rôle de la femme africaine dans l’organisation de la famille et du


foyer et dans la gestion des valeurs, est décrit par Lilyan
Kesteloot comme : « Un peu d’Atlas. Elle porte tout sur ses épaules. Si
elle s’en débarrassait c’est toute la société qui s’écroulerait » (Lilyan
Kesteloot, 2001 : 287).

Au foyer, la femme traditionnelle joue un rôle considérable. Loin


d’être uniquement un être mineur, effacé, dominé, elle est bien au
contraire l’âme du foyer : « La vie familiale est sa sphère, sa raison
d’être, son but. Ses activités ordinaires d’épouse et de femme se
revêtent dans la maternité et l’éducation des enfants et également
l’accomplissement des tâches domestiques et champêtres et dans
l’exercice de la solidarité et l’hospitalité constante à l’égard de la
famille élargie » (Kembe Milolo, 1985 : 91).

Donc, comme le dit Mariama Bâ : « Les femmes qu’on appelle


″femmes au foyer ″ ont du mérite. Le travail domestique qu’elles

 
assument et qui n’est pas rétribué en monnaies sonnantes est essentiel
dans le foyer » (Mariama Bâ, 1979 : 119).

Si la femme exerce une profession, elle doit être pleine de courage


pour ne pas sacrifier la maison pour le travail. Elle doit bien entretenir
son intérieur pour faire de sa maison un havre de paix. Elle peut
donner sans compter. Sa mission ne se limite pas à cette fonction. La
femme africaine est d’un grand soutien pour son mari, un soutien
spirituel et moral : « La femme traditionnelle a de l’influence sur son
mari et ses qualités de cœurs, sa bonté et sa générosité l’emportent sur
celles de l’homme. […] Sa collaboration est réelle. Son mari se confie
à elle et elle le conseille pour toutes décisions importantes avec
effacement et discrétion. Son avis est pris en considération et influe
sur la décision finale du mari » (Kembe Milolo, 1985 : 91). Ainsi la
réussite de chaque homme tient à l’influence et l’aide d’une femme.

Au foyer la femme africaine s’occupe de tout. Evidement il est


impensable qu’un homme africain partage les travaux domestiques
avec sa femme. La cuisine est l’affaire des femmes. C’est elle qui fait
la cuisine, prépare les repas pour tous les membres de la famille, C’est
elle qui va chercher l’eau à la fontaine ou à la source.

Petit à petit, cette conviction, ce comportement commencent à se


changer parmi les nouvelles générations des hommes éduqués dans les
écoles des blancs, ou influencés par la civilisation occidentale. Ainsi
plusieurs romans africains nous révèlent ce changement de mentalité
des africains suite au mouvement de modernisme. Ces romans nous
donnent des exemples d’hommes qui respectent la femme et qui la

 
considèrent sous une nouvelle vision, mais ce n’est qu’un
début. Mariama Bâ souligne que Ramatoulaye s’inquiète de voir
comment vit le ménage de sa fille aînée : « Daba, les travaux ménagers
ne l’accablent pas. Son mari cuit le riz aussi bien qu’elle, son mari qui
proclame, quand je lui dis qu’il ″pourrit″ sa femme : « Daba est ma
femme. Elle n’est pas mon esclave ni ma servante » (Mariama Bâ,
1979 : 74).

1.2.1. La relation mère /enfants

Il est nécessaire de parler de la relation mère/enfant puisque c’est la


première forme de communication, avec sa mère, que l’enfant établit
dans la société où il est né. Avec ou sans polygamie, cette relation
évolue dans deux sens : la maternité et l’éducation des enfants. Tous
les écrivains africains vantent la maternité. Ils exaltent le rôle de la
femme comme mère : « Les grands hommes sont nés de mères qui ont
couvé les peines, les pleurs, les soucis et les sueurs du
mariage » (Amhadou Kourouma, 1970 : 44). Ils décrivent
l’attachement de la mère à ses enfants, sa patience et son courage.

Quant à l’éducation des enfants, elle en est presque complètement


responsable. Cette éducation comprend les habitudes et les notions
matérielles et morales de la société. Dès que l’enfant commence à
parler, la mère participe activement à sa formation. Il bénéficie d’une
grande attention et d’une grande considération de la part de toute la
famille.

 
Dans l’éducation des enfants chaque mère a sa philosophie. A titre
d’exemple la mère de Aram Saar dans le roman Excellence, vos
épouses ! de Cheik Aliou Ndao croit que les conseils ne sont pas utiles
pour un gamin avant l’âge de sept ans, il faut les donner après l’entrée
à l’école : « Un gamin, encore non éveillé à la notion du mal se
sentirait frustré de ne pas suivre ses camarades de jeux. La correction,
les conseils commençaient avec la fréquentation de l’école» (Cheik
Aliou Ndao 1993 : 90).

Mariama Bâ, à travers la narratrice qui est le personnage principal de


son roman Une si longe lettre, nous donne son point de vue sur ce
sujet très important, l’éducation des enfants, notamment après les défis
du modernisme. Ramatoulaye affirme que l’éducation des enfants n’est
pas une tâche facile. En même temps elle pense que c’est très
important de faire appel à l’expérience des grand-mères, car les grand-
mères incarnent le passé, et ce passé est aussi important que le présent.
Les grand-mères représentent les racines et il ne faut pas se couper des
racines.

Quand les enfants de Ramatoulaye lui causent des soucis, surtout les
grands, elle évoque la sagesse de sa grand-mère. Elle y trouve un
dicton approprié à chaque événement. Sa grand-mère répète
toujours : « La mère de la famille n’a pas de temps pour voyager, mais
elle a du temps pour mourir » (Mariama Bâ, 1979 : 140). Cela veut
dire que la mère ne se repose pas, n’a pas de temps pour se distraire
non plus. Au contraire ses nerfs sont toujours soumis à une épreuve
dure. Mais c’est le lot de la mère.

 
Le fait que les enfants sont nés des mêmes parents ne crée pas
forcément de ressemblance chez eux : « Naître des mêmes parents,
c’est comme passer la nuit dans une même chambre » (Mariama
Bâ,1979 : 140-141). Pour éduquer les enfants, il faut donc appliquer
des méthodes différentes. Il faut agir selon la situation : « Des
caractère différents requièrent des méthodes de redressement
différentes. De la rudesse ici, de la compréhension là. Les taloches qui
réussissent aux tous petits vexent les aînés » (ibid., 1979 : 141).

Deux problèmes se posent chez les enfants de Ramatoulaye qui


parviennent de l’influence du modernisme : c’est la cigarette et le
pantalon. Ses filles commencent à fumer et à porter le pantalon, signes
de modernisme. Le port du pantalon est permis par la mère. Elle
respecte l’envie de ses filles qui veulent suivre la mode : « être dans le
vent ». Mais la cigarette n’est pas tolérée. Ceci dans l’illusion de dire
qu’il ne faut pas embrasser tout ce qui vient de l’extérieur.

1.2.2. La relation mère/ancêtres

En Afrique, dans les sociétés traditionnelles et surtout les sociétés


animistes, on a une conception particulière de l’immortalité et de
l’existence. Le monde des morts et celui des vivants sont étroitement
liés. Les morts font partie de la vie des vivants. En d’autres termes
l’existence d’une personne ne se termine pas au tombeau mais elle
continue tant qu’elle a des descendants. Le rôle de la mère qui donne
naissance aux enfants, c’est de transmettre la vie en conservant le
contact avec les ancêtres : « L’enfant est un ancêtre mort qui se

 
réincarne. La mère recevait des ancêtres de la vie qu’elle transmettait à
l’enfant. C’est elle aussi qui s’occupe de sa croissance et veille à sa
bonne tenue » (Kembe Milolo, 1985 : 97).

Les Africains rendent un culte aux ancêtres. Ils les considèrent comme
des dieux qui servent d’intermédiaire entre eux et l’Etre Suprême (M.
Kester Echenim, 1975 : 16). C’est cette évidence religieuse qui
conditionne le comportement des Africains. Ils sont dominés par le
souci de ne pas offenser les dieux et les ancêtres. Cet attachement à la
religion explique l’intervention permanente des dieux dans la vie
quotidienne. Ils veillent sur eux et ils les protègent contre les dangers.
Il faut faire des sacrifices pour expier les péchés et pour calmer les
dieux qui sont en colère. Senghor confirme cet attachement à la
religion quand il dit : « En Afrique Noire, il n’y a pas de frontière, pas
même entre la vie et la mort. Le réel n’acquiert son épaisseur, ne
devient vérité qu’en brisant les cadres rigides de la raison logique,
qu’en s’élargissant aux dimensions extensibles du surréel » cité par
(M. Kester Echenim 1975 : 19).

1.2.3. La relation mère/ fille

La fille et la mère sont unies dans toutes les circonstances de leur vie.
C’est un signe de continuité et de tradition. La fille remplace sa mère.
Elle devient à son tour mère. C’est donc de sa mère qu’elle reçoit toute
la formation morale et intellectuelle. C’est de sa mère qu’elle acquiert
les qualités ménagères.

 
Le courage et l’endurance sont les qualités essentielles que l’on attend
d’une jeune fille. Elle commence très tôt l’apprentissage de ses futures
tâches de mère et de paysanne comme par exemple la garde des
enfants, la préparation des repas, le nettoyage et le travail au champ.
C’est-à-dire qu’elle s’initie aux techniques proprement féminines.

Toutes ses occupations sont orientées vers son avenir. Les


enseignements reçus tendent à lui montrer qu’une femme sans mari
n’est pas bien considérée. Le mariage est donc une condition
essentielle pour la réussite de la fille dans la société traditionnelle :
« Une femme qui n’a pas de mari n’est rien » (Mongo Béti, 196 :154).
Mais la vie conjugale n’est pas toujours heureuse ou sans problèmes.
Elle n’est pas que miel. Ainsi, il faut bien armer la fillette pour qu’elle
soit prête à affronter les difficultés de la vie conjugale et familiale.

1.2.4. La relation tante/fille

Comme la mère, la sœur, la tante qui est sœur du père qu’on appelle
quelques fois la Badiène (au Sénégal), joue un rôle très important dans
la formation de la jeune fille. Dans les romans africains, la tante (la
Badiène) est un des personnages dominants. Elle jouit d’autorité et
d’influence remarquables sur sa nièce.

Dans certains cas beaucoup plus que la mère. Cela nous parait évident
dans l’exemple du grand effort produit par tante Nabou -un des
personnages de Mariama Bâ- dans l’éducation de sa petite nièce, Petite
Nabou son homonyme.

 
Il s’agit d’une éducation orale pleine de charme qui vise à forger chez
la petite des qualités de douceur, de générosité, de docilité et de
politesse. Elle vise également à l'embellir de savoir-faire et de savoir-
être pour la rendre plus agréable : « Tante Nabou [...] n’avait rien
laissé au hasard dans l’éducation qu’elle avait donnée à sa nièce.
C’était surtout par les contes, pendant les veilles à la belle étoile que
tante Nabou avait exercé son emprise sur l’âme de la petite Nabou. Sa
voix expressive glorifiait la violence justicière du guerrier ; sa voix
expressive plaignait l’inquiétude de l’Aimée toute de soumission. Elle
saluait le courage des téméraires; elle stigmatisait la ruse, la paresse la
calomnie ; elle réclamait sollicitude pour l’orphelin et respect pour la
vieillesse » (Mariama Bâ, 1979 : 90-91).

Le jour du mariage d’une jeune fille, la Badiène joue un rôle principal.


Selon la loi traditionnelle, elle est la marieuse de sa nièce « sa fille ».
C’est elle qui organise toute la cérémonie. C’est elle qui dirige, qui
donne des conseils, le jour du mariage à la mariée : « Rama écoute–
moi, ne me fais pas honte. Ici c’est la maison d’un Grand Seigneur. Tu
es ici pour gagner le paradis, ton paradis » (Ken Bugul, 1999 : 94).

1.3. Femme au travail

Comme pour l’homme, le travail est d’une importance capitale pour la


femme. Maintes raisons poussent la femme à travailler. Tout d’abord,
la femme travaille pour aider sa famille et son époux puisque
traditionnellement la femme africaine ne tarde pas à suppléer son mari
dans les devoirs financiers dans les cas de nécessité. Deuxièmement,

 
elle travaille pour gagner toute seule sa vie. C’est-à-dire pour ne pas
être dépendante des autres et pour jouir d’une liberté économique.
Troisièmement, elle travaille pour montrer sa volonté de participer
dans la progression et le développement de son pays.

Les romans donnent beaucoup d’exemples de femmes qui travaillent


simplement pour aider le mari. A titre d’exemple la mère de Ndeye
Aram dans Excellence, vos épouses ! : « Le père de Ndeye Aram rentre
souvent les poches vides, sa femme Mbeen Samb, soutenait les efforts
de son mari en vendant une sorte de parfum de sa fabrication » (Cheik
Aliou Ndao, 1993 : 88-89).

De plus le travail est un facteur très efficace pour le développement de


la personnalité de la femme. Il lui donne l’occasion d’enrichir sa vie et
d’acquérir des expériences multiples. Ramatoulaye et son amie
Aissatou dans le roman : Une si longue lettre sont des modèles de
femmes modernes qui s’épanouissent grâce à la vie professionnelle.

Evidemment la femme n’est pas obligée de travailler, cependant, le


travail des femmes n’est pas interdit par toutes les religions : « Dieu
n’était pas contre le travail des femmes, sinon comment la plupart des
prophètes auraient-ils pu accomplir leur mission sans l’assistance de
femmes riches, de ces épouses-là ? Xadiga ? » (Ken Bugul, 1999 : 94).
Un autre exemple de femmes travailleuses de la religion islamique,
Zeinab la femme du Prophète, elle fabriquait des selles en cuir.
(Yasmina Benguigui, 1996 :74).

Il faut constater que la femme travailleuse a une double charge : sa


responsabilité et son devoir à la maison, et le travail à la ferme ou au

 
bureau ou d’autres travaux libres ou manuels. Elle doit donc être
courageuse, patiente et active. Dans Une si longue lettre Ramatoulaye
dit : « La femme qui travaille a des charges doubles, aussi écrasantes
les unes que les autres, qu’elle essaie de concilier. Comment les
concilier ? Là réside tout un savoir-faire qui différencie les foyers »
(Mariama Bâ, 1979 : 45).

La femme peut exercer des travaux manuels de paysanne ou des


travaux de profession libre. Elle peut également exercer des travaux
salariés dans des administrations ou des établissements privés ou
publics. Les romans reflètent le rôle de la femme africaine en dehors
du foyer, comme travailleuse. Ils montrent des activités de femmes
travailleuses comme Ramatoulaye, Aïssatou et Perpétue.

1.3.1. Travail manuel

Traditionnellement, la femme africaine est préparée pour la vie active,


la vie du travail. La fillette commence très tôt à apprendre ses futures
tâches, non seulement comme mère de famille mais également comme
paysanne. Elle accompagne sa mère au champ ou à la ferme. Elle
participe à tous les travaux agricoles, à semer les grains, à arroser, et à
récolter.

Dans Les bouts de bois de Dieu de Sembene Ousmane, un petit enfant


qui décrit merveilleusement sa mère et le groupe de femmes avec qui
elle va au champ dit : « Maman avait acheté une houe et s’était jointe
au groupe de femmes cultivatrices qui se lèvent tôt et rentrent tard, très
tard, avec un grand bassin rempli de feuilles de manioc, des souches

 
sauvages séchées. Nous avions faim, mais nous n’étions plus tristes »
(Sembène Ousmane, 1960 : 51).

Et n'oublions pas également l’image attirante que Camara Laye donne


de la mère, la femme paysanne, et pour toutes les femmes du village
qui donnent un coup de main les jours de moisson. C’est un geste qui
incarne la solidarité et la vie collective dans les sociétés africaines.

Le fait que la femme a des enfants ou un bébé n’empêche pas de


travailler car : « Le nourrisson, porté sur le dos ou sur la hanche de la
mère au travail est un trait ethnologique et culturel spécifique du
monde noir. L’enfant bénéficie d’une très grande sécurité affective. Il
est constamment en contact intime avec elle qui l’allaite chaque fois
qu’il réclame » (Kembe Milolo, 1985 : 96).

Les femmes africaines exercent beaucoup de travaux manuels tels


que la teinture des vêtements avec des couleurs toujours vivantes. Ce
qui révèle une habilité et un goût artistique typiquement africain. Elles
dirigent des petits commerces comme vendre des fruits, des légumes
ou des parfums. Elles exercent d’autres activités comme la couture et
les travaux artisanaux. Les trois femmes de Tamsir dans Une si longue
lettre sont un bon exemple des femmes travailleuses. Ramatoulaye lui
dit : « L’une de tes épouses fait des travaux de teinture, l’autre vend
des fruits. La troisième inlassablement tourne la manivelle de sa
machine à coudre » (Mariam Bâ, 1979 : 100).

Un autre exemple de la femme travailleuse donné par les romanciers,


est Perpétue l’héroïne de Mongo Béti. Elle emprunte une machine à
coudre à sa voisine pour travailler et gagner de l’argent.

 
1.3.2. Travail salarié

Dans les sociétés africaines traditionnelles, on peut constater que le


travail salarié est un facteur exogène (Ismail Diagne, 2004 : 30). Il
remonte à l’époque coloniale et l’introduction de l’Ecole moderne dans
ces sociétés. La finalité du travail salarié comme d’autres travaux est
l’autosuffisance alimentaire et la participation efficace dans la
communauté où on vit.

La scolarisation des jeunes filles est un des éléments importants dans


les nouvelles sociétés africaines. Il va sans dire que l'école est
importante pour les hommes et pour les femmes à la fois. Elle peut être
comme un noyau d’émancipation, car elle leur offre la formation de
base, la formation exigée pour la vie professionnelle. Ainsi la fille
commence à fréquenter l’école malgré la contestation des parents et
des vieux : « l’Ecole transforme nos filles en diablesses qui détournent
les hommes du droit chemin » (Mariama Bâ, 1979 : 40).

Voilà Ramatoulaye qui raconte son expérience : « Premières


pionnières de la promotion de la femme africaine, nous étions peu
nombreuses. Des hommes nous taxaient d’échevelées. D’autres nous
désignaient comme diablesses » (ibid.1979 : 36).

Heureusement, dans ces sociétés traditionnelles, se trouvent des gens


qui commencent à prendre conscience de l’importance de l’éducation
moderne pour les enfants. La Grande Royale avec son caractère fort,
avec toute l'influence qu'elle exerce sur son peuple prend une décision
contre elle-même d’envoyer les enfants à l’école pour recevoir un
nouvel enseignement : « Je viens vous dire ceci ; moi Grande Royale,

 
je n’aime pas l’école étrangère. Je la déteste, et mon avis est qu’il faut
y envoyer nos enfants cependant » (Cheik Hamidou Kane, 1961 : 56).

De même, Ramatoulaye se souvient toujours de son premier


professeur, la femme blanche et son effet sur sa vie et la vie de ses
collègues. Elle les prépare pour un destin tout à fait différent, un destin
hors du commun : « Je n'oublierai jamais la femme blanche qui, la
première, a voulu pour nous un destin "hors du commun"» (Mariama
Bâ, 1979 : 37).

La femme africaine, donc, après avoir été armée de savoirs, se lance


dans la vie professionnelle. Elle découvre qu’elle a une mission à
accomplir. En premier lieu, il y a l’exigence de deux métiers :
institutrice et sage-femme. Alors, ces deux métiers sont choisis pour
des personnages de femmes travailleuses dans le roman de Mariama
Bâ Une si longue lettre : Ramatoulaye est l’institutrice et la petite
Nabou est une sage-femme. Ce n’est pas par hasard si ces deux métiers
sont également choisis par Cheik Aliou Ndao dans Excellence, vos
épouses pour deux de ses personnages : les deux épouses de Goor
Gnak, Ndikou (institutrice) et Tokosel (sage-femme). A notre avis le
choix de ces deux fonctions traditionnelles pour la femme : donner la
vie et éduquer est symbolique. C’est un symbole de la naissance d’une
nouvelle Afrique. Une Afrique où la femme porte le flambeau de la
liberté et du progrès.

De plus, nous pensons que le choix de ces métiers par nos romanciers
a une double indication : d’une part c’est une réponse à une exigence
immédiate des habitants, d’autre part, c’est une réflexion sur la

 
situation ou sur la réalité des sociétés africaines au lendemain de
l'indépendance. Toute la société connaît une grande mutation. Un large
mouvement vers la modernité dans lequel l’institutrice est destinée à
prendre l’initiative pour une mission émancipatrice, comme
Ramatoulaye : « Institutrice, elle a une très haute idée de sa fonction :
pour elle, c’est un sacerdoce » (Mariama Bâ, 1979 :34).

Et plus loin, pour montrer à quel point leur mission est grave :
« Chaque métier intellectuel ou manuel mérite considération, qu’il
requiert un pénible effort physique ou de la dextérité des
connaissances entendues ou une patience de fourmi. Le nôtre comme
celui du médecin, n’admet pas l’erreur. On ne badine pas avec la vie,
et la vie c’est à la fois le corps et l’esprit. Déformer une âme est aussi
sacrilège qu’un assassinat. Les enseignants -ceux du cours maternel
autant que ceux des universités- forment une armée noble aux exploits
quotidiens, jamais chantés, jamais décorés. Armée toujours en marche,
toujours vigilante. Armée sans tambour, sans uniforme rutilant. Cette
armée-là, déjouant pièges et embûches, plante par tout le savoir de la
vertu » (Mariama Bâ, 1979 : 50-51).

Le deuxième métier qui est également grave et qui mérite le respect et


l’admiration de tout le monde, c’est celui de sage-femme. Ce métier
représenté par la petite Nabou, un des personnages de Mariama Bâ.
Elle l’a décrit : « La petite Nabou exerçait un métier. Elle n’avait point
de temps pour des "états d’âme". Responsable de services de garde
rapprochés, à la maternité du Repos Mandel, aux débouchés de
quartiers périphériques peuplés et démunis, elle accomplissait à
longueur de journée maintes fois, les gestes libérateurs de la vie. Les

 
bébés passaient et repassaient entre ses mains expertes. Elle revenait
de son travail harassée » (Mariama Bâ, 1979 : 91). Pourtant son
harassement ne l’empêche pas de continuer à recevoir les accouchées à
son domicile.

Ainsi, plus qu'une nécessite économique, qu’une manifestation sociale,


notre romancière a mis en relief la dimension plutôt humaine du
travail, le travail qui n’a pas de prix.

La femme travailleuse, dans l’optique de quelques-unes de ses sœurs,


suscite la pitié parce qu'après une dure journée de travail, elle se
démène dans sa maison. Toutefois, elle est enviée par d’autres à cause
du confort et du pouvoir d’achat dont elle jouit : fourneau à gaz,
moulin à légumes, pince à sucre. Mais il ne faut pas oublier la source
de cette aisance : « debout la première, couchée la dernière, toujours
en train de travailler » (Mariama Bâ, 1979 : 46).

 
Chapitre 2 La femme traditionnelle et les coutumes du mariage

2.1. Coutumes du mariage

Le mariage, l’acte de s’unir en couple homme/femme est une nouvelle


alliance entre deux familles, entre les proches des deux membres du
couple. Dans les sociétés traditionnelles, le mariage est considéré
comme la seule gloire de la femme. Le seul souhait des parents, des
proches et de tout l’entourage est de la voir à côté de son mari et de ses
enfants, s’occupant du ménage, de l’éducation de ses enfants et de
l’accueil des amis et des proches de son conjoint. Une fois mariée, la
fille jouit d’une grande considération, et d'un grand prestige familial et
social. C’est-à-dire être respectée de tout le monde.

Evidemment avec le mariage les soucis de la femme ne se terminent


pas parce que ce n’est pas seulement d’être mariée qui la gène mais le
problème c’est d’être mariée et d’avoir des enfants puisque l’ambition
de la femme dans le mariage c’est de donner naissance à un grand
nombre d’enfants. Une descendance nombreuse lui apporte la joie et le
bonheur, pour elle, pour son mari et pour toute la famille.

Le mariage pour la femme africaine est considéré comme un


attachement profond à son époux et à ses enfants. Un devoir qui
implique un dévouement, un sacrifice et un oubli de soi.

 
2.1.1. Le choix du conjoint

Pour se marier, la question du choix ne pose aucun problème.


L’homme n’a pas besoin de se faire des relations ou d’avoir de
contacts avec des filles comme c'est le cas de nos jours, pour choisir
son épouse. Mais comme le dit Ken Bugul : « L’homme en âge de se
marier jetait son dévolu sur une jeune fille ou était conseillé par la
famille » (Ken Bugul, 1999 : 43). Dans ce cas donc c’est la famille qui
conseille, qui montre ou qui identifie une épouse potentielle. Le choix
tombe toujours dans l’entourage, les proches de la famille du côté
paternel ou maternel. Ainsi, la plupart des mariages sont célébrés entre
les enfants de la Badiène (tante paternelle) et les enfants du Nidiay
(oncle maternel). C’est une tradition qui est considérée comme un
signe d’obéissance et d’appartenance à la société.

Dans cette situation, il y a peu ou peut-être pas du tout de place pour


les sentiments, ou ce qu’on appelle amour. Pour la fille le mariage ce
n’est pas avec un homme, mais avec une situation, une vie et c’est
pour toujours. Comme elle n’a pas le choix d’être célibataire, elle n’a
pas le choix de l’époux. Le jour du mariage c’est au garçon qu’on
demande son avis : « Le mariage est un contrat social entre familles,
où le seul cadet à qui on demande son avis est le garçon. La fille est
priée d’obéir. Si elle refuse, maudite ou souvent on la force, Il faut
respecter l’ordre établi » (Lilyan Kesteloot, 2001 : 284).

Les romans abondent d’exemples de filles victimes d'un mariage forcé.


Perpétue une des héroïnes de Mongo Béti est forcée de quitter l’école
pour se marier contre son gré, malgré son intelligence, son goût pour

 
l’étude et son ambition formidable. Bintou dans Une si longue lettre de
Mariama Bâ, une écolière qui est en train de passer son baccalauréat,
elle aussi, est obligée de se marier avec un vieux de l’âge de son père.

2.1.2. La dot

La dot est une somme d’argent donnée par l’époux à l’épouse pendant
les jours du mariage. Elle est considérée comme premier cadeau de la
part de son mari. Cette dot est importante à plus d’un titre. Tout
d’abord, elle donne une idée des moyens dont dispose le futur époux
ou sa famille, ensuite, c’est une garantie, ou une caution car en cas de
divorce, dans certaines sociétés, c’est la seule somme d’argent qu’il
faut rembourser.

Ce premier don est essentiellement constitué d’une somme d’argent


liquide accompagnée de certains cadeaux matériels. Quelquefois on
dépense beaucoup, même on exagère dans les dépenses comme dans le
troisième mariage de El Hadji Abdou Kader : « Au centre de la
maison, sur une table de fortune étaient exposés les cadeaux du mari, à
la douzaine, par unité, lingerie de corps intime pour femme, nécessaire
de toilette, paires de chaussures de modèles et de teintes variés,
perruques allant de la blonde à la noire-nuit, mouchoirs fins, savons de
toilette. Le clou était les clefs d’une voiture, logées dans un écrin
rouge au milieu de cette table » (Sembène Ousmane, 1973 : 13).

Mais cette exagération de dépenses, de dons matériels et de cadeaux


est une preuve d’amour. Parce que l’idée ancrée dans les mœurs que
plus un homme dépense de l’argent pour acheter des cadeaux à une

 
jeune fille plus il tient à elle. Au contraire, sans dot ou peu de dot, la
jeune fille se croit moins aimée. Cela justifie que jusqu'à nos jours les
prétendants n’arrêtent pas d’exagérer en versant la dot dans certaines
régions d’Afrique.

2.1.3. La virginité

Le fait que la jeune fille soit vierge la nuit de la noce est d’importance
capitale. Car, dans les sociétés traditionnelles, les relations entre les
filles et les garçons avant ou hors du mariage sont interdites. Et plus
précisément les rapports sexuels. Tel comportement est un adultère qui
offense toute la famille et qui coûte le plus souvent la vie de la jeune
fille. La fille qui n’est pas vierge la nuit de la noce apporte la honte à
sa famille.

Au cours du mariage : remettre la dot, fêter, célébrer l’occasion, faire


savoir à tout le monde… Voila la première étape du mariage. Vient la
deuxième étape, l’étape la plus délicate : la nuit de noce, la fièvre et
l’excitation de cette nuit dans laquelle il faut s’assurer de la virginité
de la jeune fille. Cette vérification est une épreuve redoutable par toute
la famille qui donne une de ses filles en mariage.

La personne qui est responsable de cette nuit est la tante ; la sœur du


père qu’on appelle au Sénégal la Badiène. C’est à elle qu’on confie
toujours ce rôle. Dès le moment qu’on fixe la date du mariage, la
Badiène commence à être inquiète. Elle ne s’arrête pas de poser des
questions à sa nièce : « Es-tu sûre de toi? Dis-moi la vérité, tu n’as
jamais connu aucun homme ? » (Ken Bugul, 1999 : 46).

 
C'est la Badiène qui fait tous les préparatifs pour cette nuit. Elle
consulte les amies de la jeune fille, les alliées et les devins pour
protéger la mariée contre des mauvais esprits et des mauvais sorts et
du diable. Il y a une croyance selon laquelle la nuit de la noce la jeune
vierge est l’appât préféré des mauvais esprits.

Le lit nuptial est couvert des draps blancs : « Dans la chambre


nuptiale, Yay Bineta, la Badiène, infatigable, avait rempli son office.
Elle attendait le dernier acte. Le lit était prêt avec ses draps blancs »
(Sembène Ousmane, 1973 : 43) et plus tard pour la vérification, pour
être sur de la virginité de la jeune fille : « La Badiène, d’un coup d’œil
inspecta les draps, cherchant du sang » (ibid, 1973 : 44).

Une autre croyance dit que la force d’une femme est due à son respect
de sa virginité et de sa fidélité conjugale. C’est clair dans le dialogue
entre Dâmen, la mère dans l’Enfant Noir de Camara Laye avec son
cheval : « Si c’est vrai que, depuis que je suis née, jamais je n’ai connu
d’homme avant mon mariage, si c’est vrai encore que, depuis mon
mariage, jamais je n’ai connu d’autre homme que mon mari, cheval,
lève-toi » (Camara Laye, 1953 : 88-89).

Dans ce passage nous remarquons comme le notent Denise Brahimi &


Anne Trevathen, une sorte d’association ou de lien entre le pouvoir
d’une femme et son comportement sexuel volontairement contrôlé.
Dâman adresse la parole au cheval qui est un symbole de la force et du
pouvoir. En même temps elle montre l’origine du pouvoir et de la
force de la femme.

 
2.2. Le mariage et la superstition

Les sociétés africaines sont dominées par des pratiques différentes


telles que : la superstition, la sorcellerie, le fétichisme et le
maraboutage, etc. Ces pratiques sont liées essentiellement à des
vieilles religions africaines : « Derrière la force de la tradition se
trouve le système religieux dont l’efficacité est ressentie à travers le
comportement de l’individu » (M.Kester Echenim, 1975 : 18). Toute la
société est en proie à ces croyances qui dirigent la vie quotidienne.

Dans toutes les occasions, toutes les cérémonies comme le mariage, le


deuil ou la maladie, il y a certaines choses qu’on doit faire ou bien
qu’on doit éviter. Selon la croyance certains actes ont toujours une
conséquence positive ou négative. C'est-à-dire qu’ils sont jugés
comme porteurs de bonheur ou de malheur : « Nous avons enfoui, dans
les mêmes trous, nos dents de lait, en implorant Fée souris de nous les
restituer plus belles » (Mariama Bâ, 1979 : 11).

Nous remarquons la présence des féticheurs et des sorciers dans les


romans africains. Elle est considérée comme étant un reflet de leur
présence dans la vie réelle. Le besoin de se protéger justifie cette
présence. On consulte ces spécialistes qui donnent des conseils, qui
expliquent la raison d’une malchance et qui donnent les remèdes
nécessaires pour la faire disparaître. Ces spécialistes dépendent des
forces surnaturelles : les génies, les ancêtres et les dieux (M.Kester
Echenim, 1975 : 22).

Dans Xala de Sembene Ousmane, ces pratiques occupent une grande


partie du roman. Le romancier aborde ce thème dans un style

 
sarcastique. Nous prenons à titre d’exemple, le jour du mariage d’El
Hadji Abdou Kader, le polygame, qui se marie pour la troisième fois.
Ce jour-là, la mariée reste un peu de temps chez sa mère avant de
rejoindre la soirée. Un marabout vient pour lui faire ce qu’on appelle le
gri-gri. D’autre part, les amis du marié lui conseille de prendre
un « truc » qu’ils pensent très efficace la nuit de noce : « Tu as pris le
« truc » El Hadji ? Questionna Laye, je t’assure que c’est efficace »
(Sembène Ousmane, 1973 : 42).

Dans la chambre nuptiale, El Hadji Abdou Kader, le marié, refuse de


s’asseoir sur un mortier que Yay Bineta, la Badiène lui désigne (signe
de rejet de cette pratique de sa part). A notre avis cela peut montrer le
point de vue de l’auteur sur ce sujet. Le problème est devenu plus
grave quand El Hadji Abdou Kader n’arrive pas à consommer son
mariage. La Badiène se met en colère. Elle commence à lui faire des
reproches. Elle pense que ce qui lui arrive est la conséquence de son
refus de s’asseoir sur le mortier comme elle le lui conseille : « Je te
l’avais dis ! Toi et tes semblables. Vous vous prenez pour des toubabs.
Si tu m’avais écouté hier, ce matin, tu n’en serais pas là. Quelle honte !
Qu’est-ce que cela pouvait te faire, de t’asseoir sur ce mortier » (ibid.,
1973 : 45).

Une femme sorcière, qui est présente le jour du mariage, donne des
explications du cas. Selon ses croyances, El Hadji Abdou Kader est
frappé de ce qu’on appelle le Xala. Quelqu’un lui jette un mauvais
sort. Il doit donc voir un spécialiste pour se guérir. Et elle ajoute : « Ce
qu’une main a planté, une autre peut l’ôter » (ibid., 1973 : 45). C’est
une illusion pour dire que c’est une pratique normale.

 
Le thème de la sorcellerie et celui du maraboutage figurent également
dans le roman de Mariama Bâ, Une si longue lettre. Quand Modou
l’époux de Ramatoulaye prend une autre femme, ses amies lui parlent
avec conviction d’ensorcellement. Elles lui montrent des marabouts
qui sont réputés être excellents en philtres magiques : « Elles
indiquaient, avec véhémence, des marabouts à la science sur qui
avaient fait leurs preuves, ramenant l’époux à son foyer, éloignant la
femme perverse » (Mariama Bâ, 1979 : 93).

Mais Ramatoulaye ne cède pas à leurs sollicitations : « Ma raison et


ma foi rejetaient les pouvoirs surnaturels. Elles rejetaient cette
attraction facile qui annihile toute volonté de lutte. Je regarde en face,
la réalité » (Mariama Bâ, 1979 : 94). Le comportement de
Ramatoulaye envers la proposition de ses amies est un autre message
qui probablement porte le point de vue de l’auteur, qui est contre ces
pratiques.

2.3. Le mariage et le problème de caste

En Afrique de l’Ouest, précisément au Sénégal, le problème de caste


se pose toujours comme une des réalités sociales et culturelles les plus
redoutables. Surtout dans la question du mariage. Il est parfois un des
prétextes justifiant la polygamie. Il s’agit des différenciations basées
sur la spécialisation de la profession. Par conséquent la société est
divisée en plusieurs classes sociales : les nobles, les griots, les
forgerons, et les esclaves.

 
Les pratiques de caste s’étendent même dans les sociétés musulmanes,
bien qu’elles aillent contre les préceptes de l’Islam qui prêche l’égalité
et la justice entre tous les peuples. Ces pratiques rendent le plus
souvent impossible le mariage entre deux personnes qui s’aiment et
qui veulent se marier. Le fait qu’ils sont issus de classes sociales
différentes est un grand obstacle pour la réalisation de leur projet. On
raconte toujours des histoires de garçons ou de filles qui sont refusés,
simplement parce qu’ils sont d’une classe sociale jugée inférieure à
celle de l’autre partenaire.

Quelquefois ce problème apparaît même après le mariage. Il entraîne


une destruction totale de toute une vie conjugale qui dure depuis
longtemps et qui donne vie à quatre enfants. C’est le cas d’Aissatou un
des personnages de Marima Bâ, sa belle-mère, Tante Nabou en tant
que descendante d’une famille royale n’accepte pas le mariage de son
fils avec une bijoutière parce que : « Fortement attachée à ses origines
privilégiées, elle croyait ferme au sang porteur de vertus et répétait en
hochant la tête que le manque de noblesse à la naissance se retrouve
dans le comportement. Et la vie ne l’a point épargnée » (Mariama. Bâ,
1979 : 55).

Elle insiste pour se venger de ce mariage qui est une insulte pour elle
et pour toute la famille. Comment, Mowdo le fils des princesses, qui
porte un sang royal, se marie avec une fille de bijoutier ! Par
conséquent, Mowdo cède à la volonté de sa mère qui est autoritaire et
qui a de l’influence sur lui. Il se remarie avec sa cousine, porteuse de
sang royal comme lui. Sa première épouse, Aissatou, choisit la rupture.
Divorcée, elle quitte même le pays avec ses quatre fils.

 
2.4. L’image de l’épouse traditionnelle

L’image de l’épouse traditionnelle que présentent les romans africains


la pare toujours des qualités favorables, des qualités admirées par les
hommes. Elle est docile, soumise, travailleuse, courageuse et de plus,
elle est ignorante des activités de son mari. Pour remplir ces
conditions, il faut qu’elle soit plus jeune que son mari pour qu’elle soit
docile et obéissante et pour qu’il ait le pouvoir d’exercer son influence,
son autorité sur elle. L’éducation qu’elle reçoit favorise le respect du
mari. Elle doit être toujours disponible pour rendre des services sans
même élever la voix. Son lot de femme est d’accepter, et de se taire,
c'est ainsi qu’on le lui enseigne. Voila une épouse décrite par Sembene
Ousmane dans son roman Les bouts de bois de Dieu : « Assitan était
une épouse parfaite selon les anciennes traditions africaines : docile,
soumise, travailleuse, elle ne disait pas un mot plus haut que l’autre.
Elle ignorait tout des activités de son mari ou du moins faisait
semblant de les oublier » (Sembène Ousmane 1960 : 170).

Quand l’épouse quitte le foyer de ses parents pour rejoindre celui de


son époux, c’est pour y habiter pour toujours. L’idée ou la conception
courante dit qu’elle est donnée à un homme. Elle est considérée dans
certaines sociétés comme n’importe quel objet que l'homme possède
pour toujours. Dans ce sens nous pouvons dire que le mariage est un
engagement pour toute la vie : « Ainsi ce n’était pas seulement un
homme qu’on épousait mais une vie, c’était une question de
responsabilité mentale, morale. Un engagement envers soi-même,
envers un destin qu’on fabriquait presque en renonçant à tous ses
instincts » (Ken Bugul, 1999 : 95).

 
Alors dès son arrivée au domicile conjugal elle justifie son existence
comme femme mariée. Elle ne peut pas se comporter autrement parce
que c’est la règle, les traditions, les valeurs héritées de la mère :
« C’était cela la tradition de ma mère, de la mère de ma mère. La vie
que la femme allait désormais mener par son mari, elle en était
l’artisane, elle devait l’assumer » (Ken Bugul, 1999 : 108).

Le rôle de l’épouse se résume dans ces conseils donnés par la Badiène


à " sa fille " après le mariage et chez son mari : «Tu es venue ici pour
travailler. Ici on ne pleure pas. On ne crie pas. On ne se plaint pas. Tu
dois fonctionner suivant le Ndigueul, l’ordre est te soumettre
entièrement, totalement » (ibid., 1999 : 94).

 
Chapitre 3 : L’image de la femme évoluée

3.1. L’évolution de l’image de la femme.

Il va de soi de dire qu’il y a une évolution remarquable de l’image de


la femme dans le corpus littéraire. Cette évolution est un indicateur
d’un changement profond du point de vue des écrivains envers la
femme qui est dans la société traditionnelle un symbole de la
protection et de la fécondité.

A notre avis deux facteurs jouent un rôle principal dans cette évolution
de l’image de la femme : l’arrivée de la vie moderne qui a des impacts
sur la société africaine et l’émergence de ce qu’on appelle la littérature
féminine.

L’évolution de l’image de la femme est bien évidente surtout en ce qui


concerne son rôle de mère et la maternité. Cela veut dire que la plupart
des idées traditionnelles sur son rôle et son devoir sont mises en cause.
A titre d’exemple, la mère qui est dans un contexte traditionnel si
sublimée et qui reste la plupart du temps la référence suprême ne
résiste pas à l’usure du temps. Elle commence à perdre du poids, et sa
place dans la société. Plus que cela, les mères dans certaines œuvres
sont accusées d’être la source du malheur de leurs filles. Le
personnage de Perpétue de Mongo Béti et celui de Binetou de
Mariama Bâ sont des bons témoignages des filles victimes des mères
avides et sans scrupules.

D’autre part, comme le remarque Béatrice Rangira : « Dans la plupart


des œuvres des femmes africaines tout porte à croire que le grand
ennemi de la femme est une autre femme » cité par (Lylian Kesteloot,

 
2001 : 285). Ce sont les mères qui enseignent à leurs filles la loi de
l’homme seigneur, c’est pourquoi la passivité reste un comportement
courant chez les femmes.

Un autre exemple de l’évolution de la conception de la femme, est


celui de la maternité. Comme l’affirment la plupart des œuvres de la
littérature féminine, la maternité n’est plus le seul but de la femme
moderne, celle qui veut jouer d’autres rôles en dehors des contraintes,
des traditions. D’autres activités l’attirent en dehors du foyer. Bien
armée, grâce à l’école moderne, elle n’hésite pas à se lancer dans la vie
professionnelle et culturelle. Elle pense même à participer à la vie
politique de son pays.

La romancière Mariama Bâ donne des modèles de femmes qui


souffrent à cause de la maternité répétée et l’abondance des enfants.
Son héroïne Ramatoulaye a de la peine dans l’éducation de ses douze
enfants. Jacqueline la chrétienne, un autre personnage de Mariama Bâ,
tombe gravement malade. La maternité répétée lui cause beaucoup de
problèmes de santé, bien que son mari soit médecin.

Dans leurs discours les romancières déclarent une révolte contre les
traditions surtout les coutumes du mariage. Elles dénoncent le mariage
forcé qui est considéré comme une tombe pour l’amour, la dot comme
une vente déguisée, qui donne à l’homme le titre de propriétaire et à la
jeune fille l’impression d’être une marchandise et le contrôle de la
virginité comme une humiliation pour la jeune fille.

D’autre part la soumission, la passivité et la résignation ne sont plus


des qualités favorables comme elles l’étaient auparavant pour la

 
femme traditionnelle. Au contraire, la révolte de la femme et la femme
victime de la société traditionnelle sont les thèmes les plus fréquents
dans les ouvrages des écrivains tels que Sembene Ousmane, Mongo
Béti Ahmadou Kourouma, etc.

Ces romanciers qui sont de sociétés différentes, avec des conditions


différentes ont la même volonté de dresser à l’intérieur de leurs
contextes un bilan exhaustif de la condition féminine. Ils ont essayé de
démontrer le sort malheureux de la femme ″la grande vaincue de la
vie″ : « Dans ce monde, les lots des femmes ont trois noms qui ont la
même signification : résignation, silence, soumission » Ahmadou
Kourouma, cité par (Denise Coussy 2002 : 130). Dans son roman, Les
soleils des Indépendances, il dénonce fortement le sort imposé aux
femmes.

Mongo Béti condense sur son héroïne Perpétue tous les problèmes qui
accablent une jeune fille africaine au seuil de la puberté. Tout d’abord
elle est privée de ses études, de son école. Ensuite elle subit le mariage
forcé à un âge précoce. Ses souffrances commencent quand sa mère
vient la chercher dans la salle de classe. Crescentia son amie intime,
raconte son histoire dramatique : « Je me rappelle encore fort bien
Perpétue se levant, demandant à sa voisine de s’effacer pour la laisser
passer, foulant l’allée à grandes enjambées, franchissant le seuil,
s’abîmant dans le grand jour, happée par cette chose cruelle qu’on
appelle le destin d’une femme. Jamais plus, je n’allais revoir Perpétue
en écolière ; elle ne rentra même pas dans la salle de classe, pour y
ramasser ses affaires que je trouvai intactes, à sa place, le lendemain »
(Mongo Béti, 1973 : 58-59).

 
Tous ses rêves de devenir infirmière ou médecin et de soigner les
malades sont avortés. Quand elle tente timidement de protester avec
une voix brisée pour convaincre sa mère que le certificat d’études aura
lieu dans deux mois et que sa réussite est certaine, sa mère se met en
colère. Elle la gronde en disant : « Fille sans cœur ? Toi une femme ?
Parler d’examens quand on te propose un mari, et quel mari ! »
(Mongo Béti, 1973 : 103). Mais la fille crie en vain : « Non ! Non ! Je
ne veux pas me marier, je refuse de me marier » (ibid.1973 : 110). Le
jour du mariage, Perpétue est tellement triste que sa mère lui dit : « Ne
dirait-on pas qu’on te conduit à l’abattoir pour t’égorger comme une
bête de boucherie ? (ibid.1973 : 113-114).

Sa vie conjugale ne dure que six ans, pendant lesquels elle vit dans des
conditions atroces. Elle vit un enfer et ses souffrances durent jusqu’à
sa mort.

Cette histoire nous montre que, malgré des manifestations de


modernisme dans les sociétés africaines, nombre de pratiques
traditionnelles, dont la femme souffre beaucoup, persistent. Elles vont
même quelquefois parallèlement avec celles de la vie moderne.

3.2. L’image de la femme évoluée

Le portrait qui présente la femme évoluée, c’est celle qui est attirée par
le modernisme, qui cherche l’indépendance par l’éloignement du
village et de son univers fermé, celle qui vit en ville dans un habitat
moderne, qui fréquente le cinéma, qui fume et qui s’habille à
l’européenne.

 
Nous pouvons constater que, quelquefois l’intervention de l’occident
dans la vie des sociétés traditionnelles n’apporte pas de changement
profond puisque dans certains cas la femme se contente des cotés
superficiels de la modernité. Un personnage comme Omi N’Doye,
deuxième épouse de El Hadji Abdou Kader vit dans une villa dont les
meubles doivent nécessairement porter la griffe ″meubles de France″.
Elle adopte un style européen par mimétisme, elle fréquente le cinéma
et s’intéresse à ses vedettes. Elle compose son menu à partir des
recettes occidentales. Ce personnage est le prototype même de l’aliéné
culturel. Elle se débat dans une contradiction flagrante, elle prétend la
modernité, toutefois, elle accepte le ménage polygame.

Ce n’est donc pas une question de dire que l’image de la femme


moderne peut remplacer celle de la femme traditionnelle. Pourquoi ?
Parce que le passé de la femme africaine pèse encore et d’une façon
lourde sur son présent. Malgré les traits de la modernité dont elle est
ornée, elle est encore fortement enracinée dans les traditions. Ainsi, au
sein de la même personne on peut trouver deux personnalités
contradictoires.

Le cas d’Omi N’Doye, nous rappelle l’histoire de ce qu’on appelle ″Le


complexe de la chauve souris″ : « Une chauve souris est une souris
avec des ailes. Pourtant ce n’est ni une souris ni un oiseau. C’est entre
les deux et quand la chauve souris dit à une souris qu’elle est une
souris, la souris lui répond que c’est un oiseau. Quand elle dit à
l’oiseau qu’elle est un oiseau, l’oiseau lui dit que c’est une souris »1.

                                                             
1
  neufmoisabrazza.blogspot.com/.../le-complexe-de-la-chauve-souris.html -

 
Cela à notre avis exprime exactement ce qu’on appelle de nos jours le
problème d’identité

La génération des femmes modernes, femmes instruites telle que


Ramatoulaye dans Une si longue lettre, représente la figure d’une
femme africaine authentique. Celle qui se sert de la civilisation
moderne sans renier son origine avec son système traditionnel. Donc,
être pour la modernité ne veut pas dire renoncer à son africanité.

Par opposition à l’image de la femme frustrée se trouve à l’autre


extrémité, celle de la femme libre, femme libérée à la fois des
contraintes traditionnelles et morales. Des voix féminines telle que la
camerounaise Calixthe Beyala dans son ouvrage C’est le soleil qui ma
brûlé appellent pour la libération totale de la femme africaine. Une
libération non seulement des coutumes et des traditions mais
également de l’homme. Elle pense que l’homme est responsable d’une
façon ou d’une autre du mauvais sort de la femme africaine. Car pour
lui, la femme n’est qu’un instrument de plaisir. C’est pourquoi elle
provoque un combat contre ce qu’elle appelle la double oppression,
celles des coutumes et celle de l’homme. Elle affirme que la femme est
capable de se libérer de ces oppressions (Anny-Claire Jassord, 1989 :
129-154).

Sembène Ousmane présente un portrait de la femme libre, femme


émancipée, celui d’une prostituée. Le personnage de Penda dans son
roman Le bout de bois de Dieu incarne cette image. Bien que la
prostitution soit condamnée par le système traditionnel dans lequel la

 
femme jouit d’une certaine pudeur, cette image se répète de plusieurs
fois dans les romans africains.

Un autre personnage dans ce même roman qui incarne la femme libre,


femme émancipée, c’est N’Deye Touti. La jeune fille qui fréquente
l’école normale et qui montre une supériorité même sur les garçons du
quartier. Elle se sent de plus en plus éloignée de son entourage et elle
vit comme en marge de cet entourage. Elle se moque du mariage et
elle préfère plutôt des relations libres. En parlant avec un prétendant
elle dit : « Je ne t’ai pas demandé en mariage, moi… ». Elle
poursuivit : « Vous, les hommes, à peine vous connaissez une fille,
c’est le mariage ! Peut-être si tu avais couché avec moi, tu n’en
voudrais plus du mariage ! » (Sembène Ousmane, 1960 : 106).

Un autre exemple d’une femme qui se glisse dans la voie de la


prostitution, c’est celui d’Oumi N’doye, un des personnages de Xala,
la deuxième épouse d’El Hadji Abdou Kader. Cette dernière est
obligée de se comporter ainsi après la crise économique de son mari.
L’environnement favorable de la modernité et celui de la liberté
l’encourage de se comporter ainsi au lieu de se fatiguer en cherchant
un métier. En parlant donc de la libération de la femme africaine -qui
est un des impacts de modernisme- on commence à parler à la fois de
la liberté morale et de la liberté physique d’une femme. C’est une
attitude adoptée par elle pour imposer sa propre notion d’égalité aux
hommes. Mais comme le dit M. Kester Echenim : « L’égalité sexuelle
n’est qu’un mythe » (M. Kester Echenim, 1975 : 221).

 
Troisième partie

Analyse de la polygamie

 
Chapitre 1 : Les raisons de la polygamie

Avant de parler des raisons de la polygamie, il va sans dire qu’en


Afrique, la polygamie est un des héritages culturels dû à plusieurs
facteurs économiques, sociaux et religieux, un héritage lentement
acquis au cours des siècles. La polygamie donc fait partie de la
civilisation, de la culture africaine. Elle peut être considérée comme un
des traits les plus remarquables de la personnalité africaine. Elle est
intimement liée et enracinée à l’organisation familiale. C’est un
comportement normal adopté par les pères et les grands-pères.

Ainsi, comme le dit Cheik Aliou Ndao, un africain est né


polygame : « Faut-il croire que le Nègre est un polygame né ? » (Cheik
Aliou Ndao : 130). Il n’y a aucune gêne à épouser plusieurs femmes
pour quelqu’un qui est né dans un contexte polygame : « Issus presque
tous de familles polygames, ils se demandaient d’où leur était venue la
gêne d’avoir plusieurs femmes ? Dans quelle civilisation était-il
honteux, immoral d’avoir deux femmes ? Où avaient-ils pris leur
référence ? » (ibid., 1991 : 17).

Jusqu’à nos jours on trouve des contes et des proverbes qui exaltent la
polygamie. Ils sont transmis très fréquemment des anciens aux plus
jeunes. Cette transmission comme toutes traditions orales se fait en
famille, d’une façon méthodique, aux veillées et aux époques
d’initiation (Kembe Milolo, 1985 : 167). A titre d’exemple : « Une
famille avec une seule femme était comme un escabeau à un pied, ou
un homme à une seule jambe ; ça ne tient qu’en appuyant sur un
étranger » (Ahmadou Kourouma, 1970 : 157).

 
Un homme africain tel que Goor Gnak -le personnage principal dans
Excellence, vos épouses ! de Cheik Aliou Ndao- avec une culture
uniquement tirée de la tradition, ne peut jamais mettre en doute le bien
fondé du choix de plusieurs femmes. Son expérience le prépare à ne
pas rejeter la polygamie : « Quand il se marie pour la première fois,
même lorsqu’il était monogame en ignorant ce qu’il ferait plus tard, on
peut dire que comme tout homme de sa génération il se
sentait ″disponible″» (Aliou Ndao, 1991 : 17).

La femme africaine aussi supporte cette tendance. Surtout dans les


zones animistes. Elle considère la polygamie comme une condition
désirable. Elle croit que la position d’un homme est jugée par ses
propriétés : épouse d’un grand homme ! Toutefois, elles sont souvent
présentées comme victimes de ce système.

Le choix d’avoir plus d’une femme se retrouve également dans la


deuxième génération après les indépendances : la génération des
hommes intellectuels qui jouissent d’une bonne connaissance et
d’expériences de la civilisation occidentale. Cependant ils portent les
dispositions de la polygamie en eux. Cheikh Aliou Ndao se moque de
ce type d’hommes : « Ces faux ″toubabisés″ ces intellectuels
fraîchement débarqués de France et qui ne juraient que par
Montesquieu, Sartre, Marx et autres ; au bout de quelque temps on les
voyait convoler en justes noces avec deux ou trois épouses. Une fois
tombés dans le piège, ils faisaient excès de nationalisme et
prétendaient qu’après tout, seuls les déracinés trouvaient à redire dans
des coutumes qui demeurent le fondement de nos sociétés » (Cheikh
Aliou Ndao, 1991 : 16-17)

 
Dans les romans africains, nous trouvons beaucoup de ce type
d’intellectuels et des hauts fonctionnaires africains qui se comportent
ainsi. A titre d’exemple Moudo et Mawodo dans Une si longue lettre
de Mariama Bâ et El Hadji Abdou Kader dans Xala de Sembène
Ousmane.

En effet, ne pas avoir une deuxième femme peut poser un problème.


Celui qui est incapable de se marier pour la deuxième fois est mal vu
par la société : « Le fait que l’homme n’avait jamais pris une deuxième
épouse suffisait pour l’exposer à la vindicte masculine » (Sembène
Ousmane, 1973 : 15).

Normalement un polygame ne donne pas de raisons précises ou


directes à son acte. Il n’a même pas besoin d’en donner. Mais d’une
façon générale on peut parler des exigences économiques, culturelles,
sociales qui justifient la polygamie dans les sociétés africaines. Celles
dont on parle en réalité et qu’on traduit en fiction dans des œuvres
littéraires. Ainsi dans notre analyse des ouvrages choisis nous allons
repérer les personnages polygames pour savoir ce que les romanciers
peuvent donner comme raison de la polygamie.

1.1. Les raisons économiques.

1.1.1. Le besoin de main d’œuvre.

En Afrique de l’Ouest dans les villages et dans les zones rurales, les
communautés vivent dans une large mesure de la production agricole.
Dans cette société paysanne la femme joue un rôle majeur dans les

 
activités de production agricole. Elle travaille la terre, elle donne à son
mari des enfants qui cultivent dès leur plus jeune âge. Avec leurs
mères, ils participent à tous les travaux de la ferme : préparer la terre,
semer, arroser, nettoyer les champs ou la ferme et enfin récolter ou
moissonner. Ils forment une main d’œuvre gratuite et toujours à portée
de main. Leurs activités vont encore plus loin, puisque après la récolte,
les femmes participent à la vente de leur produit. Elles vendent des
légumes, des fruits et d’autres produits.

Ainsi un polygame avec deux ou trois épouses et une douzaine ou plus


d’enfants peut faire une bonne production. Car pour la propriété
familiale la polygamie est une source d’augmentation de revenu. Dans
ce sens, on peut dire que la polygamie correspond mieux aux
exigences économiques dans les sociétés traditionnelles africaines. La
femme a une importance capitale dans la vie économique de toute la
famille.

1.1.2. La pauvreté et la nécessité des femmes.

Dans certains cas la pauvreté, la nécessité ou le manque de moyens


obligent une jeune fille à accepter de se marier avec un polygame
riche. Espérant profiter de sa richesse et mener une vie
considérablement aisée.

Nous avons comme exemple N’Goné la troisième épouse d’El Hadji


Abdou Kader en Xala. Cette fille, âgée de dix-neuf ans a raté son
brevet élémentaire plus d’une fois. Ses parents sont sans ressources. Ils

 
ne peuvent même lui payer des cours supplémentaires dont elle a
besoin pour poursuivre ses études. Elle pense donc à travailler.

C’est sa tante la Badiene Yaye Binta qui commence à lui chercher du


travail. Mais, en cherchant le travail, elle lui cherche également un
mari puisqu’elle est en âge de mariage : « Si la jeune fille n’a pas de
travail, disait la mère, […] c’est la volonté de Yalla. Donc, il faut la
marier, lui trouver un mari. Elle est en âge » (Sembène Ousmane,
1973: 14-15). La mère de N’Goné est complètement convaincue que sa
fille a assez d’instruction pour être une bonne secrétaire. Ainsi N’Goné
fréquente le bureau d’El Hadji Abdou Kader. D’abord accompagnée
de sa tante, puis toute seule elle va chez lui sous le prétexte de
chercher du travail.

Avec le consentement de la mère de N’Goné, sa tante Yae Binta dirige


la besogne habilement. Les deux femmes s’intéressent à ce monsieur
très riche, cependant il est un polygame. Elles le préfèrent à tous les
amis de la jeune fille qui viennent la chercher pour l’amener au cinéma
ou au bal : « Je ne te cache rien de ses fréquentations, reprit la mère.
Jusqu’ici, ce soleil d’aujourd’hui, pas un homme digne, sérieux, bien
né, n’a franchi notre seuil… Rien que des jeunes gens sans mouchoir
de poche, portant des pantalons comme des épouvantails, que je vois
tourner autour d’elle. N’Goné est sans cesse au cinéma ou au bal avec
eux. Tous ces hommes sont sans travail. Des chômeurs » (Semène
Ousmane, 1973 : 15).

Bien qu’ils soient célibataires et qu’ils aient le même âge que leur fille,
les amis de N’Goné sont considérés comme pas sérieux, pas dignes

 
seulement parce qu’ils sont pauvres ou sans travail. Pour ces raisons,
ils sont refusés.

Ainsi, issue d’une famille pauvre, N’Goné trouve dans le mariage avec
El Hadji Abdou Kader -qui a déjà deux épouses- une solution pour ses
problèmes économiques : un homme riche qui loge chacune de ses
épouses dans une villa, qui porte son nom. Il a tous les moyens de
confort possible. Il peut donc lui assurer une vie aisée et un avenir très
agréable pour ses enfants. Pour convaincre sa mère, sa tante lui dit :
« El Hadji est un polygame, mais chacune de ses épouses dispose
d’une villa, et dans le plus chic quartier de la ville. Chaque villa vaut
cinquante ou soixante fois cette baraque. Et pour nous, c’est un beau
parti ! Pour N’Goné, c’est son avenir et celui de ses futurs enfants »
(Sembène Ousmane, 1973 : 21).

Un autre exemple d’un mariage polygame dans lequel l’aspect


économique joue un rôle déterminant, est celui de Binetou dans Une si
longue lettre de Mariama Bâ. La situation de Binetou est semblable de
celle de N’Goné. Ayant grandi dans une famille de ″ndols″ : une
famille d’extrême pauvreté, Binetou est l’amie intime de Daba la fille
aînée de Ramatoulaye. Les deux jeunes filles sont des compagnes
d’études. Elles se préparent au baccalauréat. Binetou est timide, frêle
et mal à l’aise quand elle arrive chez son amie, dans la villa de ses
parents. Elle y vient souvent dans des vêtements délavés. Sortant de
l’adolescence, elle est d’une beauté pure.

Modou, le père de son amie commence à s’occuper d’elle. Il la


reconduit chez elle en voiture chaque fois sous le prétexte de l’heure

 
tardive. Secrètement il lui achète des robes très coûteuses. Elle
explique à son amie Daba en disant : « Je tire leur prix de la poche
d’un vieux » (Mariama Bâ, 1979 : 71) sans révéler le nom. Plus tard ce
vieux lui propose une villa, une voiture, des bijoux, une rente
mensuelle et des frais d’un pèlerinage à la Mecque si elle accepte de se
marier avec lui.

Pour la jeune fille se marier avec un vieux comme lui n’est pas
évident. Bien qu’il l’ait comblée de cadeaux, bien qu’il lui ait promis
une vie dont elle n’avait jamais rêvée cette proposition ne l’intéresse
pas. Mais le problème réside dans sa mère : « Sa mère est une femme
qui veut tellement sortir de sa condition médiocre et qui regrette tant sa
beauté fanée dans la fumée des feux de bois » (ibid., 1979 : 71). Cette
femme n’est pas contente de sa condition médiocre. Elle regrette son
mauvais sort. Elle se plaint à longueur de journée des souffrances et
de la vie triste, qu’elle mène.

Le mariage de sa fille avec un homme riche tel que Modou est une
bonne chance de la sortir de la pauvreté et des douleurs de la privation.
Donc, elle supplie sa fille d’accepter ce mariage pour lui donner,
comme elle le dit : « Une fin heureuse, dans une vraie maison »
(ibid.1979 : 71). De profiter de l’aisance et de la vie agréable que
l’homme leur promet.

Ainsi Binetou cède à la volonté de sa mère. Elle accepte de se marier


avec un vieux, un polygame pour contenter sa mère et sous la
contrainte de la nécessité et le manque de moyens.

 
1.2. Raisons sociales.

1.2.1. Le prestige social.

Pour l’homme africain la polygamie est un signe de distinction, de


noblesse, d’une place sociale parmi l’entourage. C’est une voie de
prestige et une garantie de longue descendance, puisque le prestige
social d’un homme vient du nombre de femmes et d’enfants qu’il
possède. Tel est le cas d’El Hadji Abdou Kader Béye dans Xala :
« Cette troisième union le hissait au rang de la notabilité traditionnelle.
En même temps, c’était une promotion » (Sembène Ousmane,
1973 :12).

Dans certains cas, la polygamie est également une preuve de richesse.


C’est toujours l’homme riche qui peut se marier avec plusieurs
femmes parce qu’il doit verser une dot chaque fois qu’il prend une
nouvelle épouse. Nous pouvons signaler le nombre de cadeaux,
d’argent et tous les dons matériels qu’El Hadji Abdou Kader verse
comme dot dans son troisième mariage avec N’Gouné. En plus, se
remarier avec une jeune fille telle que N’Gouné est signe de fierté
entre les amis : « Tromper une jeune fille ! » (ibid., 1973 : 18).

La polygamie est quelquefois non seulement un prestige mais un


complément du prestige : On se marie pour la deuxième fois avec une
femme instruite, une femme lettrée, une femme, comme on dit,
″évoluée″, surtout si la première épouse est analphabète. Gour Gnak,
dans Excellence, vos épouses ! Un personnage important, homme
politique appelé pour un avenir brillant, a donc besoin de recevoir des
invités de la même importance que lui. Une épouse telle que Kodou sa

 
première épouse, une campagnarde, illettrée, ne peut pas les accueillir
comme il faut : « Devant des hôtes venant d’autres Etats africains ou
des parlementaires français en visite à Dakar, Goor Gnak hésiterait à
se faire accompagner par sa première » (Cheik Aliou Ndao, 1993 : 50).

Ainsi, une autre épouse lettrée comme Ndikou institutrice est vraiment
très utile à un homme politique comme lui. Parce que, plus
qu’accueillir les hôtes respectueux ou dans les moments de réflexion,
quand il y a des décisions à prendre, son mari n’hésite pas à s’adresser
à elle. Il peut trouver chez elle le soutien dont il a besoin.

1.2.2. La solidarité clanique, alliance politique.

Une autre raison sociale derrière la polygamie réside dans le fait qu’en
Afrique la polygamie est un outil très efficace pour créer des
connaissances et de la solidarité entre des familles de clans différents.
Quand on se marie avec une épouse qui n’appartient pas à sa famille,
une étrangère d’un autre clan, cela aide beaucoup à créer des liens et
des apports sanguins entre des familles de différents clans ou de
différents groupes ethniques. Ils se connaissent, ils se regroupent et
vivent en solidarité clanique.

D’autre part, la polygamie peut être considérée comme un symbole des


alliances politiques. Un chef prend une femme dans chacune des
lignages ou des clans, cette pratique renforce l’unité de l’Etat en créant
un langage commun pour s’exprimer et se comprendre.1

                                                             
1
Roger Bastide, http://www.innovation-democratique.org/…

 
La polygamie est un facteur d’ouverture, sur les autres, elle permet à la
société enfermée de sortir de ses frontières pour contacter des alliances
avec d’autres lignées, d’autres clans, et à la limite d’autres peuples, ce
qui permet d’élargir le champ de rencontre et de cimenter une plus
large la solidarité.

Goor Gnak le héros de Cheikh Aliou Ndao se marie avec quatre


épouses de quatre clans différents. Un ami lui dit : « Par tes mariages,
tu es lié à tous les groupes tu n’ignores pas la notion de solidarité
clanique » (Cheik Aliou Ndao, 1991 : 104).

1.2.3. La coutume du lévirat.

Le lévirat est une pratique très reconnue, très répandue en Afrique.


C’est le mariage d’un héritier avec la veuve de son frère ou de son
cousin. (Kembe Milolo, 1985 : 202). En cas de mort du mari, les
coutumes exigent que sa femme, qui est devenue veuve, se marie avec
le frère de son mari ou de son cousin. Une sorte d’héritage d’épouse
puisque selon ce système l’homme peut hériter de ses belles-sœurs.

La succession se fait normalement d’aîné à cadet et dans la même


génération. La veuve qui refuse de devenir l’épouse du successeur,
subit la malédiction. Elle peut être retenue par des superstitions. Dans
la plupart des cas ce frère ou ce cousin qui se marie avec la veuve est
déjà marié avec une femme ou plus. Mais il faut qu’il respecte les
coutumes et les traditions qui sont considérées comme une loi qui règle
la vie sociale.

 
En principe la coutume du lévirat vise à protéger les veuves et leurs
enfants à la fois. L’homme héritier doit assumer toute la responsabilité
des enfants du défunt et les traiter comme ses propres enfants.

Beaucoup d’exemples sont donnés dans les romans qui illustrent cette
pratique : Fama, dans Les soleils des Indépendances, d’Ahmadou
Kourouma, hérite de son cousin en se mariant avec la jeune Mariam, la
veuve de défunt Lacina. Un autre exemple, dans Les bouts de bois de
Dieu de Sembene Ousmane, Ibrahima, hérite de son frère défunt et se
marie avec sa veuve Assitan, qui devenue son épouse selon cette
antique coutume.

Mais après le vent de modernisme qui souffle sur L’Afrique sous


l’influence de la civilisation occidentale, de grands changements, de
grandes mutations frappent la société traditionnelle africaine. Comme
beaucoup d’autres coutumes et pratiques traditionnelles, le système du
lévirat commence à être rejeté ou au moins contesté par des femmes
modernes telle que Ramatoulaye dans le roman Une si longue lettre de
Mariama Bâ. Elle refuse de se marier avec Tamsir le frère aîné de son
mari défunt Moudu. Elle lui dit franchement : «Je ne suis pas un objet
que l’on passe de main en main » (Mariama Bâ, 1979 : 85).

D’autre part, comme elle se trouve victime de la polygamie elle ne


veut pas faire partie de la vie d’un polygame ou être cause des
souffrances d’une autre femme. C’est-à-dire pour ne pas renouveler le
drame : « Abandonnée hier, par le fait d’une femme, je ne peux
allégrement m’introduire entre toi et ta famille » (ibid. 1979 : 128). Dit
plus tard Ramatoulaye à un autre prétendant polygame.

 
1.2.4. Le problème de l’honneur.

Un autre facteur qui favorise la polygamie, c’est le problème de


l’honneur. Dans les sociétés traditionnelles africaines comme nous
l’avons déjà signalé, le mariage est le seul but de la jeune fille dans la
vie. Rester célibataire à un certain âge pose un grand problème, non
seulement pour la jeune fille mais pour toute la famille qui s’inquiète
pour son avenir.

La grande inquiétude, le grand souci c’est celui qui concerne


l’honneur. Puisque comme principe on croit que l’honneur de la
famille est représenté par celui de la fille. Tout le monde craint que
leur fille leur apporte le déshonneur. La virginité d’une jeune fille le
jour du mariage est une finalité.

Pour ne plus avoir ce souci, pour protéger l’honneur et la réputation de


toute la famille, on pense à marier la fille très jeune et le plus vite
possible, à peine a-t-elle atteint l’âge de la puberté. Dans telle
situation, le choix du célibat n’est pas évident, il vaut plutôt mieux
opter pour un mariage plural que de rester sans mariage. Ainsi Yaye
Binta la Badiene et Mam Fatou la mère de N’Goné dans Xala pensent
à marier leur fille très vite avec un polygame pour éviter tels
problèmes : « Et si N’Goné ou sa cadette nous ramènent des bâtards,
qu’allons-nous devenir ? De nos jours d’à présent, il faut secourir la
chance » (Sembène Ousmane, 1973 : 16).

 
1.2.5. La tyrannie de la belle-mère.

Dans certains cas la belle-mère est responsable du deuxième mariage


de son fils. Elle l’oblige à prendre une deuxième épouse tout
simplement pour punir ou pour se venger de la première. Surtout le
mariage ne plaît pas toujours à la belle-famille. Et dans ce cas la jeune
mariée subit des épreuves très dures. Puisqu’il lui faut une sorte de
respect à la famille de son mari qui dépasse quelques fois les mesures.
En particulier à sa belle-mère. Le devoir l’oblige à être complètement
soumise à celle-ci. Ce devoir envers la belle mère constitue un fléau
dont toute jeune mariée souffre.

Elle est ainsi sans cesse victime de la tyrannie de la belle-mère qui a


toute l’autorisation d’ordonner, de superviser, d’exiger, de s’approprier
ou d’avoir les meilleurs parts de ce que possède ou ce que gagne son
fils. Par contre, la jeune mariée doit obéir, respecter, accueillir
chaleureusement sa belle-mère et la combler de cadeaux comme ce
que Ramatoulaye fait : « Je la recevais avec tous les égards dus à une
reine et elle s’en retournait, comblée, surtout si sa main emprisonnait
le billet de banque que j’y plaçais adroitement. Mais à peine sortie de
la maison, elle pensait à la nouvelle vague d’amies qu’elle devait
prochainement épater » (Mariama Bâ, 1979 : 44-45).

Il se peut, parfois, que la bru évoluée refuse cette soumission. Elle


conteste l’autorité absolue de la belle-mère. Elle préfère vivre loin de
sa coupe. Certainement, cela entraîne la colère de sa belle-mère qui
n’accepte jamais un comportement pareil de sa bru. Ainsi les
problèmes se déclenchent avec le risque de détruire l’équilibre de tout

 
le foyer. Pas de respect réciproque entre les deux femmes. Au contraire
elles vivent des hostilités et des querelles permanentes. Le mari qu’on
appelle à prendre position se trouve souvent en faveur de sa mère.
C’est donc naturel que la belle-mère puisse arracher à son fils une
promesse de chasser cette bru très indépendante ou de prendre une
autre épouse.

Mariama Bâ dans ses deux romans Une si longue lettre et Le chant


écarlate aborde la question de la relation entre la bru et sa belle-mère
et sa belle-famille. Cette relation qui est dans la plupart des cas très
mauvaise. C’est donc une sorte de méchanceté d’un malheur fait d’une
femme à sa sœur.

Dans Une si longue lettre, Tante Nabou la mère de Mawdo Bâ déteste


sa bru Aïsstou. Etant sortie d’une famille royale, elle ne tolère pas que
son fils se marie avec une bijoutière, ce qui n’est pas accepté selon la
loi de caste. Elle considère cet acte comme une insulte à l’honneur de
la famille royale. Elle pense à venger son honneur insulté.

Pour achever sa besogne, elle voyage dans son village natal. Elle
emmène sa nièce, la petite Nabou son homonyme. Elle l’élève chez
elle et la voit grandir devant ses yeux selon les mœurs anciennes.
Après, elle demande à son fils de l’épouser. Elle lui dit : « Mon frère
Farba t’a donné la petite Nabou comme femme pour me remercier de
la façon digne dont je l’ai élevée. Si tu ne la gardes pas comme épouse,
je ne m’en relèverai jamais » (Mariama Bâ, 1979 : 62). Puis, elle le
menace au cas où il n’accepte pas, disant que : « La honte tue plus vite
que la maladie » (ibid., 1979 : 62).

 
Le fils n’a pas le courage de tenir tête à tête sa mère comme tous les
autres hommes de sa génération. Il donne poids au passé, qui reste
toujours déterminant, malgré la modernité. Le fils, lui, doit dans toutes
les occasions obéissance et respect à sa mère qui a l’autorité sur toute
la famille. Ainsi il se montre trop faible à défendre sa femme qui est
pour lui très chère et qui l’a tendrement aimée. Sans protestation il se
résigne à la volonté maternelle et accepte d’épouser pour la deuxième
fois sa cousine, la petite Nabou.

Et comme excuse à sa première femme, il dit : « Ma mère elle est


vieille. Les chocs de la vie et les déceptions ont rendu son cœur fragile.
Si je méprise cette enfant, elle mourra. C’est le médecin qui parle, non
le fils. Pense donc, la fille de son frère élevée par ses mains, rejetée par
son fils. Quelle honte devant la société » (Mariama Bâ 1979 : 48).

Il considère son mariage avec sa cousine comme un devoir qu’on doit


faire, peu importe qu’il l’aime ou qu’il ne l’aime pas. Ce deuxième
mariage est donc fait seulement pour contenter sa mère qui risquerait
de mourir de honte et de chagrin. Ainsi pour elle, avec ce deuxième
mariage, c’est comme on dit : « le sang retourne à la source » (ibid.,
1979 : 167).

1.2.6. La stérilité.

La stérilité est évidemment une des raisons de la polygamie, celle qui


la justifie le plus chez les africains. Comme nous l’avons déjà signalé,
dans les sociétés traditionnelles la procréation, la maternité est
l’objectif de tout mariage. Si le mariage est une gloire pour la femme,

 
il perd de sa valeur s’il ne donne pas lieu à un grand nombre d’enfants.
Ainsi la femme africaine justifie son existence par ses enfants : « A la
femme sans maternité il manque plus que la moitié de la féminité »
(Ahmadou Kourouma, 1970 : 52).

Si la femme ne peut pas enfanter, toute sa vie devient tragique. Elle


devient une personne seule et négligée par les autres, même
méprisée: « Dans les sociétés africaines, une femme sans enfant est
marginalisée et méprisée » (Felix Amouh, 2001 : 29). La stérilité est
donc un cas dramatique. D’abord en ce qui concerne la femme dans sa
personne. Puisque, instinctivement toute femme est préparée pour la
maternité, pour être mère. Avoir un bébé est un rêve de toute femme.
Une partie de la chair qui grandit devant les yeux et lui apporte le
bonheur. Etre privé d’enfants cela veut dire être nul même si on
possède tout…

Voila un petit poème qui montre à quel point la stérilité est mauvaise, à
quel point elle peut être une cause de malheur pour la femme. Les
sentiments de privation d’enfants dont souffre une femme bien qu’elle
soit sujet de l’attention de son mari :

« Avoir un enfant, avoir un enfant

Ô hommes ! Ce que je veux, c’est un enfant

Mon mari m’a donné des boucles d’oreilles en or

Ce n’est pas ce que je veux

Ce que je veux, c’est un enfant

 
Mon mari m’a donné les robes de l’épouse préférée

Mais des robes, ce n’est pas ce que je veux

Ce que je veux, c’est un enfant

Avoir un enfant, avoir un enfant, Ô hommes »

Un passage de la littérature orale, cité par (Jacques Chevrier, 2005 :


302).

Cette femme se sent malheureuse bien qu’elle soit gâtée par son mari
ce qui est toujours rare pour une stérile.

Mais à notre avis, le vrai drame, ce n’est pas seulement être stérile
mais c’est de se sentir responsable ou même pire que cela, la
culpabilité de cette situation de stérilité. Par conséquent être maltraitée
par le mari et par l’entourage.

La stérilité est toujours considérée comme féminine et pas masculine.


Roger Chemain atteste : « Si l’union demeure stérile, c’est donc la
femme systématiquement rendue responsable » (Roger Chemain
1986 : 80). Donc, la femme stérile la plupart du temps peut subir
beaucoup de difficultés telles que la répudiation ou la polygamie. Si
elle n’est pas capable de rembourser la dot, elle se trouve emprisonnée
dans un mauvais mariage parmi des rivales.

Donc la stérilité est une des raisons très fortes très justifiées de la
polygamie puisque pour l’homme africain la question de la
descendance est indiscutable. C’est indispensable pour lui d’avoir
beaucoup d’enfants. Cela est dû aux aspects culturels et ethniques.

 
C’est dû également aux croyances religieuses ; le risque que la lignée
soit coupée faute de descendance. Si on meurt sans laisser d’enfant
c’est un malheur : « Mourir sans laisser personne derrière soit,
personne pour porter ton nom, ta lignée s’arrête avec toi » (Sembène
Ousmane, 1960 : 212). On met l’accent sur la continuation de la lignée
d’où vient le goût pour la famille nombreuse.

Les romans africains sont pleins d’exemples lamentables de ces


situations qui frappent pas mal de femmes dans la société où la femme
doit à tout prix ″produire″ comme la terre à laquelle la poésie de la
négritude l’a comparée si souvent. Salimata dans Les soleils des
indépendances de Kourouma souffre beaucoup de la stérilité : « Elle
avait le destin d’une femme stérile comme l’harmattan et la cendre »
(Ahmadou Kourouma, 1970 : 30). Elle se met à se plaindre à Dieu.
Désespérée de ne pas avoir de nombreux enfants, elle demande à Dieu
de lui accorder un seul enfant, mais elle ne parvient pas à être
enceinte : « Un enfant ! Un seul ! Oui, un bébé ! Unique imploration
sur cette terre » (ibid., 1970 : 43).

Malgré la fidélité de Salimata, malgré sa docilité, son mari n’hésite pas


à prendre une deuxième épouse. Il profite d’un voyage au village natal
quand il part pour assister aux funérailles de son cousin Lacina. Il se
remarie avec Mariam la veuve de son cousin, ″une jeune femme
féconde″, comme on dit. Il l’emmène avec lui en ville espérant qu’elle
lui donnera une descendance. Pour tout cela on peut dire que la stérilité
est considérée comme une des raisons essentielles de la polygamie.

 
1.3. D’autres raisons.

1.3.1. Protection de la santé de la mère et de ses enfants.

Une autre raison intervient en faveur de la polygamie chez les


africains, liée à une pratique sociale qui est dictée par les coutumes, les
croyances, et l’usage. Cette pratique interdit les rapports sexuels avec
la femme qui allaite, qui a ses règles ou qui est enceinte de plusieurs
mois. L’homme doit arrêter toutes relations sexuelles avec son épouse
après la naissance d’un nouvel enfant. Ils ont la conviction qu’″elles
gâteraient le lait″. Cette interdiction peut s’étaler sur une période de
dix-huit mois à deux ans, parfois plus. Pendant ce temps, l’enfant
continue à prendre le sein de sa mère.1 Cette règle qui est appliquée
dans les sociétés traditionnelles vise essentiellement à protéger la santé
de la mère et l’enfant en espaçant les grossesses et les maternités de
deux ans au minimum. C’est une planification naturelle des naissances.

Mongo Béti dans son roman Le pauvre christ de Bomba essaye


d’expliquer ces coutumes : « …Tu as tort, mon père ; parce que c’est
ce que je te dis là, je te l’ai toujours dit, d’ailleurs, et toi tu n’as jamais
voulu me croire. J’ignore comment les blancs s’y prennent, les Noirs,
eux, quand leur femme a un nouveau-né s’en écartent pendant un an ;
c’est ainsi chez nous et je n’y peux rien. Moi, je connais des gens qui
ont essayé de nourrir leur bébé au lait de conserve, mais ça c’est
toujours mal terminé » (Mongo Béti, 1956 : 175) (un dialogue entre
Zachaire et le prêtre).
                                                             
1
 Roger Bastide, http://www.innovation-democratique.org/…

 
Evidemment la période de abstinence semble parfois longue et
insupportable pour un homme. C’est pourquoi l’homme africain a
recours à la polygamie. Il y trouve une solution à son problème. S’il a
plusieurs femmes, il n’a pas besoin de se sacrifier ou de se comporter
immoralement : avoir des relations illégitimes ou recourir aux
prostituées. Donc il ne peut pas souffrir de cet interdit.

Nous voyons comment Edouard, le mari de Perpétue dans le roman


Perpétue et l’habitude de malheur de Mongo Béti -qui prend le
prénom de la jeune fille- comment ce mari ne tarde pas à convoler
dans un deuxième mariage pendant l’absence de son épouse, quand
elle rejoint sa mère dans leur village natal pour l’accouchement de son
premier bébé.

1.3.2. Maladie de l’épouse.

Parfois il arrive que l’épouse soit atteinte d’une maladie incurable qui
ne lui permet pas d’assumer ses devoirs conjugaux. Dans ce cas, au
lieu de la répudier ou d’avoir des maîtresses, la polygamie se pose
encore comme un choix et peut être une solution. Donc celui qui se
trouve dans une telle situation peut prendre une nouvelle épouse en
sauvegardant l’ancienne épouse.

1.3.3. Supériorité du nombre de femmes sur celui d’hommes.

La supériorité du nombre de femmes par rapport à celui des hommes


est certainement un phénomène universel. Mais de toute façon il peut

 
être considéré comme une raison favorable à la polygamie. Nous
pensons que ce phénomène est dû à plusieurs facteurs : le fait que
l’homme est plus exposé au danger que la femme à cause de la guerre,
des travaux durs comme travailler aux mines, aux chantiers, aux
usines, etc. Durant les guerres, plus d’hommes que de femmes sont
tués. Aussi plus d’hommes que de femmes meurent à cause des
maladies ou des accidents. Par conséquent la mortalité chez les
hommes est beaucoup plus forte que chez les femmes. Le nombre de
ces dernières est donc bien supérieur. Les statistiques montrent que les
femmes sont majoritaires dans le monde (Seyed Mojtaba Moussavi,
1993 : 235).

L'espérance de vie des femmes est supérieure à celle des hommes donc
il est remarquable qu’on trouve toujours partout dans le monde, plus
de veuves que de veufs. Cependant il y a à peu près autant de
naissances de garçons que de filles.

Un autre argument qui justifie la supériorité de la population des


femmes sur celle des hommes avance que le système immunitaire de la
fille est plus fort que celui du garçon, alors, la fille arrive à mieux
combattre les microbes et les maladies que le garçon. C'est pour cette
raison qu'au cours de la petite enfance, on enregistre plus de décès
chez les garçons que chez les filles.1

Actuellement, en raison de la migration urbaine féminine, dans la


quasi-totalité des villes africaines, le nombre de femmes excède
nettement celui des hommes (le ratio est de l’ordre de 850 à 900
                                                             
1
www.bladi.net/forum/46304-lislam-autorise-polygamie/

 
hommes pour 1000 femmes).1 La supériorité du nombre de femmes sur
celui des hommes est donc une vérité confirmée par plus d’un
argument, et que personne ne peut nier. Certainement dans telle
situation, le nombre d’hommes disposés au mariage est réduit par
rapport à celui de femmes. Ainsi il faut trouver une solution pour
sauver l’institution du mariage.

Sembène Ousmane évoque ce problème dans son roman Xala, quand


la Badiene et la mère de N’Goné se montrent très inquiètes sur le sort
de leurs jeunes filles avec l’abondance des filles qui attendent un
prétendant. Elles ne tolèrent point que leurs filles restent célibataires,
toutes seules, sans maris, sans enfants. C’est donc une des raisons pour
lesquelles elles acceptent de marier leur jeune fille N’Goné avec El
Hadj Abdou Kader qui a déjà deux épouses : « J’ai compris, articula
Yay Bineta. Le nombre de filles qui attendent ou espèrent un mari,
alignées, peut atteindre Bamako. Et on dit qu’en tête de ligne, ce sont
les éclopées » (Sembène Ousmane, 1973 : 16).

Ainsi pour résoudre le problème de la supériorité des femmes sur les


hommes, en ce qui concerne le mariage, la polygamie propose une
possibilité de solution, un choix qu’on peut adopter et en profiter.

                                                             
1
Catherine Coquery-Vidrovitch, http://clio.revues.org/index373.html. Consulté le 15 juin
2010.

 
1.3.4. La réponse aux besoins naturels.

A ce propos Youssef Al- Garadawi1 affirme que : « ″L’appétit sexuel


impérieux″ des hommes est incontrôlable. Il peut les mener à
l’adultère. En revanche, celui des femmes est moindre. Les femmes
sont indisposées pendant parfois dix jours ».2

Evidemment personne ne peut ignorer les instincts qui sont enfouis


dans l’homme quelque soit son intelligence ou son statut. Selon cette
loi les désirs et les instincts sexuels sont des besoins naturels
semblables à tous les autres besoins qu’un être humain peut éprouver,
de manger, de boire et de se vêtir. Même si on doit satisfaire ces
besoins, il faut quand même les organiser, les placer dans leurs limites
naturelles.

Dans son roman Une si longue lettre Mariama Bâ, signale à plusieurs
reprises ce facteur en parlant du sujet de la polygamie : « On ne résiste
pas aux lois impérieuses qui exigent de l’homme nourriture et
vêtement. Ces mêmes lois qui poussent le ″mâle″ ailleurs, je dis bien
″mâle″ pour marquer la bestialité des instincts » (Mariama Bâ, 1979 :
68).

Elle décrit la nature de l’homme qui est un mélange d’animalité et de


grandeur : « L’homme est grandeur et animalité confondues. Aucun
geste de sa part n’est de pur idéal. Aucun geste de sa part n’est de pure

                                                             
1
(Un religieux et savant musulman sunnite, qatari d’origine égyptienne. Il est président de
l’Union Internationale des Savants Musulmans (Oulémas) ainsi que de Conseil Européen pour
la recherche et de la Fatwa)
2
www.priceminister.com/.../La-Place-De-La-Femme-En-Islam-Livre.html

 
bestialité » (Mariama Bâ, 1979 : 65). Donc entre la notion de
l’animalité et la spiritualité est dans une vision réaliste des choses on
peut adopter un comportement modéré. C’est-à-dire ne pas se laisser
aller avec les désirs tout comme ne pas les étouffer complètement.

D’autre part il advient que l’homme soit en proie aux désirs et à la


séduction. Il ne peut résister à une séduction permanente telle que la
subit Mawdo à cause de la présence de la petite Nabou, sa cousine
chez sa mère : « Voyons, ne fais pas l’idiote. Comment veux-tu qu’un
homme reste de pierre au contact permanent de la femme qui évolue
dans sa maison » (ibid., 1979 : 68).

Donc, dans de telles situations, la polygamie peut donner la liberté de


répondre positivement et d’une manière réfléchie à l’appel des désirs.
Elle permet une satisfaction équilibrée des besoins. En même temps
elle aide à éviter les conduites déviantes qui débouchent sur
l’étouffement physique des désirs en proposant un autre choix. Cela
justifie la légitimation ou l’autorisation de la polygamie.

Dans une société traditionnelle ou musulmane, les relations hors


mariage sont interdites, pour des raisons religieuses et sociales, un
homme, surtout marié n’ose pas courir après les filles pour établir des
relations amoureuses. Celui qui dépasse les cinquante ans, qui est au
pouvoir, qui respecte les principes, les normes de religion, les valeurs,
les mœurs et les traditions, s’éloigne du soupçon de débauches et
d’adultères. Il craint d’être mal vu surtout par ses enfants. S’il lui
arrive de penser à une autre femme, qu’il lui porte de l’admiration ou
sent des inclinations vers elle, pour l’atteindre, il n’y a qu’une seule

 
possibilité : le mariage, et il faut aller directement chez ses parents et
demander sa main et se marier conformément à la religion.

Alors l’homme peut réclamer son droit de prendre une autre épouse en
profitant de la licence accordée et en ayant recours à la polygamie :
« Je suis musulman ; j’ai droit à quatre femmes. Je n’ai jamais menti à
aucune sur ce point » dit El Hadj Abdou Kader pour justifier son
action (Sembène Ousmane, 1973 : 53).

1.3.5. Le désir de changement.

Un des aspects défavorables de la polygamie qui montre la mauvaise


utilisation de cette autorisation donnée par les coutumes et les
religions, réside dans le comportement de certains hommes. Ceux qui
multiplient les mariages, multiplient le nombre de leurs épouses par le
désir de changer la saveur, par la joie éphémère de la nouveauté, sans
penser à leurs compagnes. Bien sûr telle envie n’est pas publiquement
déclarée, mais s’est sentie dans le comportement de certains.

Les romanciers démontrent clairement cette attitude qui peut être


considérée comme un point négatif de la polygamie : « Ainsi pour
changer la saveur, les hommes trompent leurs épouses » (Mariama Bâ,
1979 : 68).

Ken Bugul se réfère à ce sujet mais dans une autre optique et avec un
ton moins accusateur : « Les meilleurs maris avaient besoin parfois
d’une autre présence, pour éprouver d’autres sentiments, pour se
comporter différemment, pour baigner dans une autre ambiance si leur

 
femme n’exploitait pas toutes leurs potentialités » (Ken Bugul, 1999 :
195).

Evidement, aucun engagement, aucun contrat moral ne lie le mari à sa


première épouse ou l’empêche d’en prendre une seconde s’il le désire.
Il peut peut-être continuer à prendre plus d’une seule femme. Il peut
faire une collection multicolore de femmes. Chacune de ces femmes
peut avoir un caractère différent, des qualités différentes, un style
différent, une beauté différente et un goût différent. Chacune lui
apporte ce qui manque à l’autre, afin que sa joie s’accomplisse. Mais il
n’a pas la peine à réfléchir sur tant de choses, notamment les
conséquences de son action.

Le personnage de Goor Gnak dans Excellence, vos épouses ! incarne


parfaitement ce type de maris. Ainsi l’auteur décrit : « Goor Gnak
tournait en rond, partageant son oisiveté équitablement entre ses quatre
épouses. Chacune lui apportait ce qui manquait aux autres. Du moins
essayait-il de s’en persuader, trouvant à celle-ci une petite quelque
chose que celle-là n’avait pas » (Cheik Aliou Ndao, 1993 : 48).

Un autre modèle de ce type de mari est représenté par El Hadji Abdou


Kader dans Xala qui veut trouver dans son troisième mariage un goût
tout à fait différent de celui de ses deux femmes : « N’Goné il faut bien
le dire, avait la saveur d’un fruit, que ses femmes avaient perdue
depuis longtemps. La chair ferme, lisse, l’haleine fraîche l’attiraient
vers elle. Entre ces deux épouses, l’exigence quotidienne de ses
affaires, N’Goné était la paisible oasis de la traversée du désert »
(Sembène Ousmane, 1973 : 18).

 
1.3.6. La volonté de refaire sa vie.

L’attitude ou le comportement des personnages masculins, qu’ils


soient principaux ou secondaires dans notre corpus -champ de
recherche- nous révèlent un autre aspect, qui est à notre avis,
défavorise la polygamie, c’est l’envie d’un vieil homme de refaire la
vie avec une nouvelle épouse beaucoup plus jeune que la première.

Il arrive qu’un homme, ayant dépassé la cinquantaine ou la


soixantaine, déjà père ou même grand-père, cherche à convoler en
mariage avec une jeune fille qui a l’âge de ses enfants, comme c’est le
cas de plusieurs personnages dans les romans africains tels que : El
Hadji Abdou Kader, Modou, Mawdo, Goor Gnak, Moor Ndiaye, etc.

A l’inverse de l’homme, la femme peut trouver toute sa joie, tout son


bonheur au courant de la vie conjugale quand elle consacre toute sa vie
à son mari et à ses enfants. Elle redouble d’effort pour plaire son
compagnon, pour être digne de lui. Elle est donc l’image du
dévouement et du sacrifice. Mais l’homme dans la plupart des cas
oublie tout. Au lieu de récompenser sa femme, il pense à recommencer
sa vie avec une autre comme le fait Modou le mari de Ramatoulaye
dans Une si longue lettre, après vingt-cinq ans de mariage
d’amour : «Alors que la femme puise, dans le cours des ans, la force
de s’attacher malgré le vieillissement de son compagnon, l’homme,
lui, rétrécit de plus en plus son champ de tendresse. Son œil égoïste
regarde par-dessus l’épaule de sa conjointe. Il compare ce qu’il eut à
ce qu’il n’a plus, ce qu’il a à ce qu’il pourrait avoir » (Mariama Bâ,
1979 : 80).

 
Evidemment après un quart de siècle de vie conjugale, des grossesses,
des accouchements, des allaitements, des peines et des maternités
répétées, la jeunesse déserte le corps d’une compagne qui manque de
la minceur, de l’élégance. Ses charmes et sa beauté sont
évanouis : « L’allaitement avait ôté à mes seins leur rondeur et leur
fermeté » ( Mariama Bâ, 1979 : 74).

Ainsi aucune comparaison n’est possible entre ce qu’il a à ce qu’il


pourrait avoir. Il se demande comment rester toute la vie avec cette
seule femme alors que tant d’autres l’intéressent.

A l’âge de cinquante ans, après avoir occupé de hautes fonctions, après


s’être fort enrichi, après avoir connu le succès social, il entend
renouveler sa jeunesse et multiplier sa descendance. Il agit ainsi sans
se soucier des profondes blessures qu’il peut causer à sa première, à
qui il doit toute sa réussite.

C’est peut-être l’égoïsme ou peut-être la vieillesse qui le pousse, lui et


ses semblables, vers des chairs plus fraîches, vers de si jeunes filles
comme Binetou pour refaire leurs vies.

Ainsi, on se sépare de sa femme comme on le ferait pour un boubou


usé ou démodé.

 
Chapitre 2 : Les manifestations de la polygamie

2.1. La soumission.

2.1.1. La conception de la soumission.

Pour expliquer le terme de soumission, le Petit Robert nous donne


plusieurs définitions :

La soumission, c’est le fait de se soumettre, d’être soumis (à une


autorité, une loi), avec toute une obéissance et sujétion : « la
soumission filiale à l’autorité souveraine de l’Eglise ».

Une autre définition : la soumission, c’est l’état d’une personne qui se


soumet à une puissance autoritaire. Une personne qui se trouve dans
une disposition d’accepter la dépendance et de vivre dans l’air de
soumission.1

En ce qui concerne la relation homme/femme, en situation de vie


conjugale, la soumission veut dire l’obéissance absolue de la femme à
son mari. A ce propos, Kembe Milolo affirme que : « L’obéissance au
mari est une tradition qui répond à la nature. C’est un penchant naturel
de la femme de se mettre consciemment ou inconsciemment à la
volonté de son mari » (Kembe Milolo, 1985 : 178).

Dans le contexte traditionnel africain, la soumission obéit à une


perception particulière, car la soumission est considérée comme une
des qualités les plus appréciées chez la femme. Tante Nabou qui donne
des leçons à sa nièce ne manque pas de lui enseigner que : « La qualité
                                                             
1
(Paul Robert, Petit Robert, 1993, Dicrorebert Inc., Montréal, Canada.)

 
première d’une femme est la docilité » (Mariama Bâ, 1979 : 61). Ainsi
selon les traditions, l’épouse idéale se distingue par sa docilité, son
obéissance et sa soumission. Une attitude qui se conforme aux normes
sociales observées par tout le monde.

Dès le bas âge, toutes les formations que la jeune fille reçoit visent à
enraciner chez elle ces principes. Dans cette formation participent non
seulement la mère ou les parents proches mais également les parents
éloignés : les tantes, les oncles, etc. Ils répètent les mêmes conseils, les
mêmes recommandations le jour du mariage et la nuit des noces.
Quand la mariée rejoint le domicile conjugal, elle écoute ces conseils :
« Obéis à ton mari, ne cherche rien d’autre que son bonheur, car de lui
dépend ton destin et surtout celui de tes enfants. Si tu exécutes ses
volontés, tu seras comblée ici-bas et dans l’au-delà et tu auras des
enfants dignes et méritants » (Aminata Sow Fall, 1979 : 38).

Dans leurs vœux, leurs souhaits d’une vie conjugale heureuse à leur
fille, les parents lui font une recette des devoirs : elle doit être patiente,
douce, aimable, compréhensive. Plus que tout cela elle doit être
soumise : « Tu dois fonctionner suivant le Ndigeul, l’Ordre et te
soumettre entièrement, totalement » (Ken Bugul, 1999 : 94).

Dans cette structure traditionnelle de la société, dans laquelle la femme


éternellement mineure et soumise, l’homme est toujours dominant.
Ainsi, à l’opposition de la soumission féminine se pose la domination
masculine. L’homme est maître et seigneur. La vie lui donne tous les
droits. Il fait ce qu’il veut : lui, il ordonne et elle, elle exécute ses
ordres sans la moindre résistance, même les plus capricieux. Comme le

 
constate Lilyan Kesteloot : « Il était le maître et le seigneur. Il se
déshabillait où il voulait, s’installait où il voulait, mangeait où il
voulait, salissait ce qu’il voulait. Les dégâts étaient aussitôt réparés
sans murmure. Dans ce foyer, on prévenait ses moindres désirs »
(Lilyan Kesteloot, 2001 : 129).

Selon Joseph Ndinda (2002), cette domination masculine se manifeste


à deux niveaux : celui de la domination du mâle sur la femelle : « La
femme perçoit en lui le mâle dominant par son apparence physique »
(Joseph Ndinda, 2002 : 46) et celui de la position sociale de maître
d’une famille. « Le rôle de la femme est ainsi réduit à des fonctions de
fille, épouse, mère ou prostituée » (ibid., 2002 : 46). Ces fonctions, elle
doit les remplir dès son enfance jusqu'à la maternité.

Il faut signaler que ce renoncement absolu, cet esprit de sacrifice et


d’abandon de toutes joies personnelles de sa part est volontairement
accepté pour la bonne marche de son foyer. Car, le repos et le bonheur
de ses enfants sont les siens.

Il nous semble étonnant de dire que la femme qui souffre beaucoup et


qui sacrifie toute sa vie pour la protection de son foyer, qui est assez
courageuse à supporter, à faire davantage des sacrifices, cherche
l’appui et la protection chez l’homme. C’est peut-être à cause du
manque de confiance en soi-même.

Il arrive aux femmes de se dévaloriser elles-mêmes et de se croire


inférieures par rapport aux hommes. C’est pourquoi à notre avis
qu’elles acceptent parfois plus que la soumission, l’humiliation sans
protester.

 
A ce propos Catherine Coquery-Vidrovitch indique : « Les femmes
avaient d’elles-mêmes une image négative, celles-ci cumulaient le
refus de leur reconnaissance comme individu, une existence tout
entière consacrée à l’économie domestique et le dressage dès leurs
premières années à l’humanité qui leur faisait accepter comme normale
une idéologie exclusivement fondée sur le travail » cité par (Joseph
Ndinda, 2002 : 31).

Cette image négative et dévalorisante de la femme est incarnée par le


personnage d’Assitan dans Les bouts de bois de Dieu de Sembene
Ousmane. Cette femme se montre tellement effacée au point qu’elle
perd confiance au contenu de sa parole. Pendant la grève très célèbre
des cheminots dans laquelle les femmes ont participé, Tiemoko lui
demande de s’adresser aux femmes afin qu’elles mettent fin au deuil
de Fa Keita. En réponse à cette injonction, elle déclare : « Si mon mari
était là, il pourrait faire quelque chose, mais moi je ne suis qu’une
femme… Et on n’écoute guère les femmes, surtout en ce moment »
(Sembène Ousmane, 1960 : 171).

Une autre preuve de son indifférence, son manque d’ambition et de


pouvoir prendre une décision, même en ce qui concerne ses propres
affaires, quand son mari Bakayoko lui a demandé si elle voulait
apprendre la langue des blancs : « Assitan, voudrais-tu apprendre la
langue des toubabs ? » Tout simplement elle lui répond : « Si tu le
veux » (ibid., 1960 : 166).

Ainsi nous remarquons que, dans son ouvrage Révolutions et femmes


en révolution, Joseph Ndinda met l’accent sur ce qu’on appelle ″ le

 
discours de silence et de soumission″. Ce discours dévoile l’idée que
la femme soumise appartient corps et âme à son mari. A titre
d’exemple, une femme qui adresse la parole à son fils, lui dit : « Que
veux-tu, fils ? Sur cette terre, chacun a son propriétaire, le mien c’est
ton père » Thierno Monenembo cité par (Joseph Ndinda, 2002 : 24).

2.1.2. Pourquoi la femme se soumet-elle à la polygamie ?

Pour répondre à cette question il faut signaler que la soumission est


une attitude adoptée par la plupart des femmes qui ont subi la
polygamie surtout celles qui ont grandi dans un milieu traditionnel
proprement dit.

Bien sûr la première réaction contre la polygamie varie d’une femme à


une autre. C’est une question purement personnelle. Autrement dit ça
dépend de la personnalité de la femme concernée. De toutes façons la
femme manifeste son mécontentement. Mais sous les pressions des
contraintes et les obligations qui sont d’une part de la famille et de
l’entourage et d’autre part de la société en général, elle cède
volontairement ou involontairement à cette situation tellement
difficile.

Si nous voulons citer les raisons pour lesquelles la femme est soumise,
il nous parait évident de dire que, la formation que la femme reçoit, est
la première raison par excellence. Ainsi nous pouvons dire que ce
choix est motivé par plusieurs facteurs : la formation de la femme, son
âge et le milieu dans lequel elle grandit.

 
A partir des ouvrages littéraires étudiés qui abordent la situation de la
femme dans la période avant et après les indépendances, presque
toutes les femmes sont soumises. Les romans abondent en exemples de
ces femmes soumises à la polygamie.

Evidemment, plusieurs aspects interviennent dans ce problème : des


aspects économiques, psychologiques, sociaux et religieux. Le
problème le plus grave réside dans la dépendance morale et
économique de la femme sur l’homme. C’est à cause de cette
dépendance que la femme se trouve dans une situation très dramatique.
Elle ne supporte ni la solitude ni la pauvreté. Surtout celle qui ne
travaille pas pense qu’elle ne peut vivre sans son conjoint. C’est lui qui
assure sa protection et l’abrite. Même si elle n’est pas heureuse avec le
mari, sans lui, la situation serait encore pire surtout avec des enfants :
« Réfléchis bien, ma fille ; sans travail, toute seule, que ferais-je de
vous si je vous emmenais ? Et si je vous laissais ici, songe à ce que
serait ma peine » (Sow Fall, 1979 : 65).

Avec l’entourage qui favorise la polygamie, adopter une réaction


négative contre cette pratique est tellement difficile, qu’il est
inconcevable pour la société qu’une femme se rebelle contre la
tradition. Même ses propres parents ne l’admettent pas. La polygamie
est une institution sociale qui doit être respectée par tout le monde, que
personne ne doit contester. Nous voyons comment Lolli dans La grève
des battu de Sow Fall n’ose pas quitter le ménage de son mari après
qu’il a pris une nouvelle épouse. Elle a peur d’être maudite par son
père et sa mère et tous les membres de la famille.

 
Quand elle proteste, son père lui adresse fermement la parole en
approuvant le geste de son gendre parce qu’il est un homme comme
lui. Il lui dit : « Lolli, une femme ne doit pas rouspéter. Sache bien que
ton mari est libre. Il n’est pas une chose qui t’appartient. Tu lui dois
respect, obéissance et soumission. Le seul lot de la femme est la
patience ; mets-toi cela dans la tête si tu veux être une femme digne »
(Sow Fall, 1979 : 55). Ainsi elle digère difficilement son mal et se
soumet à la polygamie pour éviter la colère, la malédiction de ses
parents.

L’âge aussi est un des facteurs qui joue un rôle majeur dans la question
de la soumission à la polygamie. Une femme qui dépasse la
cinquantaine hésite beaucoup à prendre une décision de divorce.
Comme le répètent presque toutes les femmes soumises, c’est difficile
de trouver un homme libre, un homme qui est encore célibataire à cet
âge. De plus avec les enfants, le problème devient plus compliqué.

2.1.3. L’image de la femme soumise.

2.1.3.1. Ramatoulaye.

Ramatoulaye dans Une si longue lettre de Mariama Bâ est un des


exemples de femmes soumises à la polygamie. Le fait qu’elle est une
femme moderne, femme urbaine et instruite ne l’épargne pas de ce
mauvais sort. Cela montre que ce ne sont pas seulement les femmes
villageoises ou illettrées qui subissent la polygamie. C’est vrai, comme
nous le voyons, et d’une façon générale, la femme traditionnelle est
dans tous les cas soumise (comme on dit) par nature, à la volonté de

 
l’homme. C'est-à-dire à l’autorité de l’homme qui est pour elle le père,
le frère ou le mari, surtout le mari. Toutefois, cela ne veut pas
forcement dire que toutes femmes modernes se révoltent contre la
polygamie. Le cas de Ramatoulaye est un bon exemple.

Il nous parait que c’est beaucoup plus convenable de découvrir la


personnalité de Ramatoulaye, pour savoir pourquoi cette
contradiction : elle est à la fois femme moderne et femme soumise !
Donc pour juger son attitude face à la polygamie, nous allons chercher
à savoir : quelles sont les raisons pour lesquelles elle se soumet au
ménage polygame ? Quelles sont ses réactions immédiates et celles qui
sont définitives…?

Ramatoulaye comme nous le savons est le personnage principal du


roman Une si longue lettre. Elle est l’expéditrice de cette lettre très
célèbre, qui est envoyée à une amie d’enfance. Donc cette lettre, il
s’agit d’une évocation des souvenirs très intimes partagés entre elles.
Ces évocations sont révélatrices de toute la vie de notre héroïne, ainsi
que celle de son amie Aïssatou.

Tout d’abord il faut signaler que le personnage de Ramatoulaye,


comme c’est le cas de beaucoup de gens de son époque, est une
synthèse de deux civilisations : la civilisation africaine et
l’européenne. Dans son enfance en fréquentant l’Ecole Coranique, elle
commence à acquérir une formation traditionnelle. Plus tard cette
formation est très évidente dans son comportement. A titre d’exemple
après la mort de son mari et pendant les jours de deuil, elle suit les
mêmes pratiques, les mêmes étapes des célébrations traditionnelles

 
qu’on fait et qu’on commence le premier, le troisième, le huitième et
qui durent jusqu’au quarantième jour du deuil. Des pratiques telles que
l’accueil d’une foule qui vient pour adresser leurs condoléances, les
énormes repas qu’on donne à tous les gens qui participent aux
cérémonies. Les préparatifs des veuves qui doivent rester quatre mois
et dix jours chez leurs maris selon la loi islamique. Ces préparatifs
incluent certaines pratiques des superstitions populaires. Ainsi
Ramatoulaye raconte : « Nous sommes installées, ma coépouse et moi,
sous une tente occasionnelle faite d’un pagne tendu au-dessus de nos
têtes. Pendant que nos belles-sœurs œuvrent, les femmes présentes,
prévenues de l’opération, se lèvent et jettent sur la toiture mouvante
des piécettes pour conjurer le mauvais sort » (Marima Bâ, 1979 : 16).
Toutes ces pratiques sont dictées par les croyances et les rites religieux
ou païens.

De toutes façons, nous pouvons dire que Ramatoulaye est une femme
croyante qui jouit d’une foi ardente. La dose journalière des rites
religieux : des prières et de la lecture du Coran est révélatrice de sa
croyance.

D’un autre coté, nous trouvons que notre héroïne fréquente l’Ecole des
blancs. Elle y rencontre des filles d’autres pays de l’Afrique
occidentale. Elle est très reconnaissante à la femme blanche, la
directrice de cette Ecole, puisqu’elle joue un rôle remarquable dans sa
vie : « Nous sortir de l’enlisement des traditions, superstitions et
mœurs ; nous faire apprécier de multiple civilisations sans reniement
de la nôtre ; élever notre vision du monde, cultiver notre personnalité,
renforcer nos qualités, mâter nos défauts, faire fructifier en nous les

 
valeurs de la morale universelle ; voilà la tâche que s’était assignée
l’admirable directrice » ( Marima Bâ, 1979 : 38).

Donc nous constatons que ces deux types de formations laissent des
traits remarquables sur le caractère de notre héroïne qui réunit
l’originalité et la modernité. Elle est une femme intelligente, pratique,
dynamique et prudente. Dans toutes les étapes de sa vie elle montre
une ouverture d’esprit. Elle mène une vie joyeuse et ravissante.

En évoquant ses souvenirs, elle parle des moments agréables pendant


les vacances ; des Fêtes de la jeunesse en pleine nature à la campagne
qu’elle assiste. Là, c’est sa première rencontre avec Modou Fall, dont
elle tombe amoureuse. Puis, plus tard s’opposant au désir de sa mère,
elle se marie avec lui. Après leur mariage, elle exerce son métier
d’institutrice avec responsabilité et efficacité admirables. Leur vie est
heureuse. Les promenades sur la corniche dakaroise, les soirées
dansantes et les fêtes de Noël sont des signes du bonheur et du succès
de leur vie conjugale. Mais le destin leur cache une mauvaise surprise.
Elle qui aime ardemment son mari n’a pas la moindre pensée qu’un
jour, il va prendre une deuxième femme.

En principe, si le mari décide de prendre une seconde femme, la


première doit être prévenue préalablement, mais à son étonnement
Ramatoulaye apprend trop tard la nouvelle, exactement le jour même
du mariage. Son mari n’est pas assez courageux pour l’affronter. Il
n’est pas capable de donner des justifications à son action. C’est
pourquoi il envoie son frère Tamsir, son ami Mawdo et l’Imam pour
lui annoncer la nouvelle.

 
Peut-être si elle savait auparavant que son mari a l’intention de se
marier, sa réaction ne serait pas la même. Mais à notre avis quant elle
apprend la nouvelle, elle réagit d’une manière exemplaire. Devant ce
groupe d’hommes, elle sait bien maîtriser ses sentiments. Elle
accueille chaleureusement les trois hommes. Elle leur sert la main
quand ils prennent congé, les accompagne jusqu’à la porte, les
remercie pour la façon humaine dont ils ont accompli leur mission.
Elle remercie Modou : « Bon père et bon époux » (Marima Bâ,
1979 :75). Evidemment elle s’efforce d’être normale devant eux et de
ne pas montrer son désarroi. Elle ne veut pas leur donner la satisfaction
de la voir en mauvais état.

Plus tard elle apprend les détails concernant la deuxième épouse. Ce


sont des connaissances du Grand-Dakar qui accourent vers sa demeure
les lui porter. A son étonnement sa coépouse est l’amie de sa fille
Daba. Toutefois Ramatoulaye trouve que cette jeune fille est une
victime. Elle est : « Un agneau immolé comme beaucoup d’autres sur
l’autel du matériel » (ibid., 1979 : 77). Elle a donc de la pitié pour elle.

Ainsi, Ramatoulaye n’écoute pas les conseils de sa fille Daba de


prendre une décision de rupture comme son amie Aïssatou. Au
contraire, au grand étonnement de toute sa famille et ses amis, elle
choisit de rester. Elle trouve que ce n’est pas facile de recommencer à
zéro : « Partir ? Recommencer à zéro, après avoir vécu vingt-cinq ans
avec un homme, après avoir mis au monde douze enfants ? Avais-je
assez de force pour supporter seule le poids de cette responsabilité, à la
fois morale et matérielle ? Partir ? Tirer un trait net sur le passé,

 
tourner une page où tout n’était pas luisant, sans doute, mais net »
(Marima Bâ, 1979 : 60-61).

Ramatoulaye aime son mari, et quand on aime on pardonne. De plus il


n’est pas possible de rebrousser chemin ou de refaire sa vie avec un
autre homme, elle n’est plus jeune. Dès lors sa vie change : « J’étais
préparée à un partage équitable selon l’Islam, dans le domaine
polygamique. Je n’eus rien entre les mains » (ibid., 1979 : 88). Mais
hélas ! Modou s’en va avec sa jeune épouse et les abandonne : « Il ne
vint jamais plus ; son nouveau bonheur recouvrit petit à petit notre
souvenir. Il nous oublia » (ibid., 1979 : 89).

La déception de Ramatoulaye est incroyable. Elle est choquée par


l’attitude de son mari, son compagnon. Elle est touchée dans son
amour qu’elle croyait réciproque. Son drame dépasse toutes les limites
car elle se trouve complètement abandonnée. Elle est comme : « Une
feuille qui voltige mais qu’aucune mains n’ose ramasser » (ibid.,
1979 : 102).

Heureusement, cette dame a un caractère fortement solide. Elle a de la


patience, de la volonté de fer. En tant que musulmane, croyante et
pratiquante elle ne peut pas nier une permission donnée par sa religion
à son mari et à tous les hommes en général. Dans la religion elle trouve
le courage d’affronter les problèmes de la vie quotidienne. Comme
tous croyants, elle considère son échec comme une mise à l’épreuve
par Dieu pour mesurer sa foi. Elle se persuade de ne pas se plaindre, de
ne pas se révolter car il y a d’autres femmes qui ont moins de chance
qu’elle. Elle se remet à la Volonté de Dieu avec humilité. La vie n’est

 
pas toujours belle ou heureuse. Il faut apprendre à supporter les coups
du sort : « Je comptais les femmes connues, abandonnées ou divorcées,
de ma génération » (Mariama Bâ, 1979 : 81).

Donc pour se distraire, pour oublier ses douleurs, elle s’intéresse au


cinéma. Toute seule elle fréquente les salles de cinéma sans accorder
aucune considération aux gens qui la regardent curieusement. Ils n’ont
pas l’habitude de voir une femme mûre sans compagnon. La radio joue
également un rôle consolateur dans sa vie.

Alors, Ramatoulaye finit par se résigner, accepter son destin et se


soumettre à une polygamie qui n’est pas équitable comme elle le
croyait. Elle pense à ses enfants, à leur avenir, et elle décide de
consacrer sa vie à leur éducation. Pour eux elle devient à la fois, le
père et la mère. Enfin la mort soudaine de son mari est une délivrance
de cette situation critique. Et elle continue courageusement à jouer son
rôle avec efficacité incomparable.

Ramatoulaye est une femme sensible. Elle raconte, d’une façon très
émouvante, son drame et celui de son amie. Elle est une incarnation de
la femme de l’indépendance. La femme qui, loin de la politique,
assume son rôle dans la vie sociale. Elle lutte contre les coutumes, les
traditions dont la femme africaine souffre depuis longtemps. Il lui
arrive de se débarrasser de quelques-unes. Mais à sa déception, elle se
heurte à une des plus grandes : celle de la polygamie.

2.1.3.2. Adja Awa Astou.

Adja Awa Astou est la première épouse d’El Hadji Abdou Kader
Baye, dans le roman de Xala de Sembène Ousmane. Elle est une

 
femme traditionnelle, femme parfaite comme le disent les amis de son
mari. Pourquoi ? Toute simplement parce qu’elle est une femme
soumise par la nature à son mari. Bien qu’elle soit issue d’une famille
chrétienne, d’un milieu qu’on juge défavorable pour la polygamie, elle
accepte de vivre dans un ménage polygame. Après le deuxième
mariage de son mari, elle obéit à la loi de la polygamie sans dire un
seul mot et c’est le cas après son troisième mariage.

Cette femme se convertit à l’Islam uniquement après sa rencontre avec


El Hadji Abdou Kader. Elle s’appelait Renée. Persuadée de son amour
pour ce monsieur, elle apostasie de sa confession chrétienne, elle
embrasse l’Islam et se marie avec un musulman. Elle prend le prénom
d’Awa, un prénom arabe qui veut dire Eve, la première femme sur la
terre.

Son père Papa Jean qui est très connu dans la ville par son assiduité
aux messes n’est pas d’accord avec ce mariage. Il sait beaucoup sur ce
musulman, sur ses activités syndicales. Il ne le voit pas comme gendre
associé éventuellement à sa famille. Quant il apprit que sa fille aime ce
monsieur, il devient très inquiet. Mais sa fille qui n’a pas à l’esprit
l’opposition entre les religions insiste pour se marier avec lui.

Depuis sa conversion à la foi musulmane, elle cesse peu à peu de


fréquenter sa famille. Elle rompt totalement avec elle après
l’enterrement de sa mère. Mais elle ne les oublie jamais.

A l’époque de leur mariage, El Hadji Abdou Kader Baye n’est qu’un


instituteur. Il l’amène à la Mecque dans un pèlerinage au lieu saint de
la Kaaba. Elle est très dévouée à son nouveau dogme. Ce pèlerinage

 
lui donne le titre d’ « Adja » et celui d’ « El Hadji » à son mari. Un
signe de respect pour les personnes religieuses et croyantes qui font le
pèlerinage.

Comme toutes ses coépouses , Adja Awa habite dans une grande villa
de luxe, avec un salon surchargé de meubles, une automobile avec un
chauffeur-domestique pour amener les enfants dans les différents
établissements scolaires. Tout cela reflète l’aisance et la vie
confortable qu’elle mène chez son mari.

De plus l’auteur lui dessine une image très admirable puisqu’elle


réunit des qualités physiques et morales les plus estimables : beauté de
corps, pureté de l’âme : « La mère, Adja Awa Astou, son âge, trente-
six à quarante ans, six enfants, avait conservé un corps élancé. Le teint
d’un noir tendre, le front bombé, la ligne de nez délicat, un rien élargi,
un visage qui animaient des sourires retenus, le regard candide derrière
des yeux en amande, il émanait de cette femme d’apparence fragile
une volonté et une ténacité sans bornes. Elle ne se vêtait que en blanc,
depuis son retour du Lieu Saint, de la Kaaba » (Sembène Ousmane,
1973 : 24).

Cette femme est très sincère, très fidèle à son mari, malgré ses
attitudes polygames. Elle a six enfants et sa coépouse Oumi N’Doye
en a cinq. Sa fille aînée s’appelle Rama. Elle est étudiante à
l’université.

Quand son mari décide de prendre une troisième femme, il les informe,
donc les deux coépouses doivent participer au mariage. Malgré la

 
contestation de Rama, elle fait acte de présence faute d’être jugée
comme jalouse.

A notre avis la présence des coépouses le jour du troisième mariage de


leur mari est une pratique anormale. C’est une épreuve très difficile
qui met les nerfs à vif de tout le monde. Les moments de leur présence
dans la fête prolongent leur embarras. Les coépouses sont épiées par
tout le monde. Toutes leurs actions et les moindres de leurs réactions
sur les visages sont observés. Certainement elles ne viennent pas
volontairement ou avec gaité du cœur à cette cérémonie. Mais comme
le dit Rama à sa mère : « Tu ne vas là-bas que pour les gens, de peur
qu’ils médisent de toi » (Sembène Ousmane, 1973 : 26). Donc il faut
qu’elles soient prudentes