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Richard Sims French Policy Towards the Bakufu and Meiji Japan,
1854-1895
Li Jin-Mieung
Jin-Mieung Li. Richard Sims French Policy Towards the Bakufu and Meiji Japan, 1854-1895. In: Annales. Histoire, Sciences
Sociales. 57ᵉ année, N. 4, 2002. pp. 1090-1092;
https://www.persee.fr/doc/ahess_0395-2649_2002_num_57_4_280093_t1_1090_0000_2
1 - Heather Cox Richardson, The Greatest ouvre trois ports au commerce étranger dès
Nation on Earth: Republican Economic Policies During 1859: Kanagawa, Nagasaki et Hakodate. Le
the Civil War, Cambridge, Harvard University Press, premier représentant de la France au Japon,
1997. Duchesne de Bellecourt, se rend compte des
2 - Eric Foner, Free Soil, Free Labor, Free Men: difficultés internes qu'éprouve le régime du
The Ideology of the Republican Party before the Civil Bakufu, devant faire face à deux fronts à la
War, New York, Oxford University Press, 1970. fois : la pression des pays occidentaux pour
3 - Eric Foner, Reconstruction: America's
le maintien de l'ouverture et la lutte contre
Unfinished Revolution, 1863-1877, New York, Harper
les partisans de la fermeture du pays. La
and Row, 1988.
préoccupation principale des premiers
diplomates, comme Bellecourt, consistait à faire
Richard Sims respecter les termes des traités. Une des
French Policy Towards the Bakufu grandes affaires du début fut le bombardement
and Meiji Japan, 1854-1895 des forts du daimyo de Choshu à Shimonoseki,
Londres, Japan Library, « Meiji Japan en septembre 1864, par les forces navales des
Series-3 », 1998, 394 p. puissances occidentales, pour punir le daimyo
qui faisait obstacle au passage des navires
L'ouvrage de Richard Sims couvre les dix occidentaux dans la Mer intérieure. De cette affaire
dernières années du Bakufu (1603-1868) et découle une forte indemnité à payer par le
une grande partie de l'ère Meiji (1868-1914), daimyo et le Bakufu, et une convention signée
période de transformation fascinante d'un en 1866 sur le tarif douanier uniforme de 5 %
Japon féodal en un pays moderne, laquelle pour tous les produits exportés et importés du
suscite toujours l'intérêt passionné de nombre Japon. Les traités inégaux de 1858,
d'historiens. Le livre recadre ce contexte comportant la juridiction consulaire, et la convention
historique sous l'angle de la politique française, de 1866 seront la base des relations du Japon
en prolongeant, à plus long terme, une étude avec les pays occidentaux jusqu'à la fin du
similaire réalisée par Meron Medzini1. Centré XIXe siècle, soit pendant près de quarante ans.
sur la politique diplomatique, l'ouvrage de Les relations franco-japonaises connaissent
R. Sims traite de tous les aspects des relations une tournure spectaculaire et pittoresque en
franco-japonaises, y compris l'assistance 1864-1868, à l'initiative personnelle du
technique, les échanges commerciaux, représentant français, Léon Roches. Homme de
l'enseignement du français et les influences culturelles caractère, il se démarque de ses collègues, se fait
réciproques. L'auteur s'appuie sur les archives conseiller particulier du shogun, Tokugawa
du Quai d'Orsay, sur des sources japonaises et Yoshinobu. Sur les recommandations de Roches,
des publications anglo-saxonnes. L'utilisation il fait appel à la France pour amorcer la
d'une riche documentation en langue japonaise modernisation de son pays. Le Bakufu engage, dès
est le grand mérite et la force de son ouvrage, 1865, François-Léonce Verny, avec une
accompagnée de notes et de commentaires quarantaine d'ingénieurs et d'ouvriers, pour
abondants. Il convient toutefois de remarquer construire le premier arsenal du Japon à Yoko-
l'absence de certaines thèses non publiées et suka. Le Bakufu fait venir également une
d'ouvrages français importants2. L'auteur mission militaire française (au total seize hommes),
décrit, d'un regard nouveau et synthétique, le sous la direction du capitaine Chanoine (futur
faste et le déclin de la présence française au ministre français de la Défense), en vue
Japon, en filigrane des jeux diplomatiques d'instruire son armée, mais la mission n'arrive au
entre les puissances : luttes pour les influences Japon qu'au début de 1867, au moment où les
politique, économique et culturelle, et pour forces du Sud (Tosa, Satsuma, Choshu) allaient
les enjeux territoriaux, la France pour l'emporter sur l'ancien régime. Afin de
l'Indochine, le Japon pour la Corée. financer ces projets, Roches et le Bakufu tentent
Après la signature des traités en 1858 avec de mettre en place une société française
cinq pays occidentaux (États-Unis, Hollande, d'exportation et d'importation, avec monopole du
1090 Russie, Grande-Bretagne, France), le Japon commerce de la soie, et d'achat des équipe-
COMPTES RENDUS
ments militaires pour l'armée shogunale. En pas prendre le Japon au sérieux » (p. 302). Un
témoignage de son enthousiasme envers la constat de son propre défaut et de celui de
France, le shogun envoie son frère cadet à Paris ses prédécesseurs face à un pays qui devait
à l'occasion de l'exposition universelle de consentir d'énormes efforts pour son émergence.
1867, à laquelle le Japon participe. Le Quai d'Orsay favorisait l'influence de
La position de la France ne sera jamais aussi la France au Japon, mais il n'a jamais donné
forte au Japon que pendant les années de d'orientations claires à ses diplomates à Tokyo.
service de Léon Roches. R. Sims a raison La France, alliée de la Russie, qui allait
d'affirmer que Roches est le personnage qui a rendu devenir l'adversaire du Japon lors de la guerre russo-
le Japon le plus dépendant du pays pour lequel japonaise (1904-1905), avait une influence pour
il servait, en l'occurrence la France. Aucun ainsi dire marginale, ce qui se traduisit, d'après
représentant étranger avant le général MacArthur l'auteur, par un rendez-vous manqué : celui
n'a jamais mieux réussi que lui. Ces liens franco- d'une coopération franco-japonaise pendant la
japonais, intenses et privilégiés, s'effondrent à guerre franco-chinoise de 1883-1885 à propos
la chute du Bakufu. de l'Indochine. Dans le domaine de
La période, qui va de la restauration de l'assistance technique, en revanche, la France a joué
Meiji en 1868 à la guerre sino-japonaise (1894- un rôle important. Elle a contribué, de manière
1895), est dominée par le débat aussi substantielle, à la modernisation du Japon. En
interminable que stérile sur la révision des traités 1872, par exemple, il n'y avait pas moins de
inégaux que le Japon tente d'obtenir avec cinquante-huit étudiants japonais en France.
acharnement. On assiste aussi à la naissance et à Parmi eux, se trouvait Nakae Chomin, qui
l'élaboration d'une politique étrangère du Japon. allait traduire les œuvres de Rousseau en
Dans le même temps, la France voit son japonais et plaider pour la souveraineté populaire
influence au Japon s'affaiblir progressivement au Japon. La plupart des dirigeants japonais
au profit de l'Allemagne. Entre 1868 et 1895, ont fait un voyage d'études aux États-Unis et
quatorze représentants français se sont en Europe.
succédé à Tokyo et vingt-huit ministres au Par ailleurs, le Japon continuait à
portefeuille des Affaires étrangères. Un poursuivre les travaux commencés par les Français.
représentant français restait en moyenne deux ans à Une quarantaine d'entre eux, sous la direction
Tokyo, tandis que le ministre changeait tous de Verny, achèvent la construction de l'arsenal
les ans à Paris. Ces diplomates étaient animés de Yokosuka. La mission militaire française,
d'un sentiment peu sympathique et d'une appelée de nouveau, dirigée par le colonel
attitude impérialiste à l'égard du Japon, sauf Marquerie, puis par le colonel Munier,
quelques-uns. Le diplomate occidental le plus participe à la modernisation de l'armée japonaise.
marquant et clairvoyant de cette époque fut Georges Bousquet et notamment Gustave-
sans nul doute le Britannique Sir Harry Parkes, Emile Boissonnade de Fontarabie, professeur
qui était resté au Japon de 1865 à 1883, soit de droit à l'université de Paris, invité en
dix-huit ans. Les diplomates français faisaient qualité de conseiller juridique du gouvernement
souvent l'objet de critique de la part de leurs japonais, établissent les bases des codes pénal
ressortissants engagés au service de l'État et civil du Japon. Paul Brunát construit une
japonais. Ces derniers connaissaient bien le filature modèle à Gumraa. François Coignet se
mode de fonctionnement et les moeurs du consacre à l'exploitation des mines. R. Sims
peuple japonais grâce à leurs contacts intimes signale aussi le service rendu par Henri Pelegrin,
et quotidiens de même que par la longueur de qui introduisit au Japon l'illumination à gaz
leur séjour. Les représentants étaient dans les rues de Yokohama et de Tokyo (1872-
confrontés à l'obligation de prendre des 1874). La plupart des étrangers engagés sont
décisions difficiles dans l'attente de l'arrivée trop renvoyés vers la fin des années 1870. Les
tardive des dépêches du Quai d'Orsay. À la Anglais et les Américains, de même.
veille de la guerre sino-japonaise, le ministre Dans les années 1880, peu d'experts
français au Japon, Sienkiewicz, écrivait : « En étrangers se trouvaient au service du gouvernement
Europe, il y a une trop grande tendance à ne japonais. Toutefois, Boissonnade poursuit son 1091
COMPTES RENDUS
service jusqu'en 1894, pour un séjour total de même forgé : le japonisme. Parmi les voyageurs
vingt et un ans au Japon. L'ingénieur naval qui ont pu visiter les pays de l'Asie au XIXe siècle,
Louis-Emile Bertin, nouvellement engagé, on compte, entre autres, Emile Guimet et
dresse les plans de navires de guerre Henri Cernuschi.
modernes, dont Y Itsukushima et le Matsushima, C'est donc avec éloquence et clarté que,
construits en France, deviennent les pièces dans cet ouvrage excellent, R. Sims présente
maîtresses de la marine japonaise pendant la une vue d'ensemble sur la politique française
guerre sino-japonaise (1894-1895). Mais au Japon pendant la seconde moitié du
l'Allemagne prend, de plus belle, le pas sur la France XIXe siècle.
dès le milieu des années 1880. Le courant de
droit allemand se substitue aux travaux de Ll JlN-MlEUNG
Boissonnade. Un instructeur militaire
allemand, Meckel, plus gradé, est invité à occuper 1 - French Policy in Japan during the Closing Years
un poste plus élevé que deux officiers français. of the Tokugawa Regime, Cambridge, Havard
L'influence grandissante des éléments University Press, 1971.
allemands sont en rapport avec la montée en 2 - Voir, par exemple, Ll JlN-MlEUNG, Les
puissance du clan Choshu à la tête du Japon. relations économiques et financières entre la France
R. Sims fait enfin état des travaux récents et le Japon, de 1859 à 1914, thèse de 3e cycle, 1977,
d'Eleanor Westney sur l'adaptation Université Paris IV-Sorbonne; Paul Akamatsu,
Meiji-1868, Paris, Calmann-Lévy, 1968; ou enfin,
institutionnelle du gouvernement de Meiji et sur Le Japonisme, catalogue de l'exposition, Paris-
l'organisation de la police japonaise suivant le Tokyo, Grand Palais/Musée national d'art
modèle français. A cet effet, Prosper Gambet- oc idental de Tokyo, 1988, pour n'en citer que quelques-
Gross a été engagé comme conseiller en 1873.
Il a servi le Japon jusqu'à sa mort, survenue
en 1881. C'est un facteur jusqu'ici méconnu
de l'influence française au Japon. Robert Bickers
La partie consacrée aux relations et Christian Henriot (dir.)
commerciales est succincte et partielle, et manque New Frontiers: Imperialism's New
d'un développement systématique et Communities in East Asia, 1842-1933
approfondi : la découverte des graines de vers à soie Manchester, Manchester University
saines au Japon et leur introduction massive Press, « Studies on Imperialism »,
en Europe dans les années 1864-1870, ce qui 2000, 290 p.
a permis de régénérer la sériciculture française
et italienne ; les importations de la soie grège Les deux éditeurs scientifiques de cet ouvrage
japonaise en France en concurrence avec la l'introduisent par une phrase en forme de
soie chinoise, et la faiblesse des exportations provocation ironique: « L'impérialisme est un
françaises, dont l'article le plus important était spectre qui hante par son absence
la mousseline de laine. Pour le Japon, la soie l'historiographie de l'Asie orientale ». La formule est
grège revêtait une importance capitale, car elle un peu excessive, à moins de remarquer que
servait de principale ressource pour les quelques études sur ce sujet se limitent à
l'importation des biens d'équipements et de une présentation des aspects politiques,
consommation, nécessaires à la modernisation du constitutionnels et militaires du sujet. Rien n'est dit
pays. Ainsi, le Japon devint le plus grand pays de ses aspects sociaux et culturels. Rien non
producteur et exportateur de soie dans le plus sur les agents du processus colonial en
monde au début du XXe siècle. Sur le plan Asie orientale. Le terrible choc des cultures
culturel, l'enseignement du français devait initié sur les rives occidentales du Pacifique
concurrencer l'allemand, loin derrière avec les « guerres de l'opium », en 1842, et
l'anglais. Les estampes japonaises ont séduit les prolongé jusqu'à nos jours avec le rejet absolu de
artistes impressionnistes français, et la l'Occident par les talibans à Kaboul, les
Bibliothèque nationale de France possède des adeptes du Falungong à Pékin et divers autres
1092 volumes de manga depuis 1843. Un terme fut mouvements populistes, demeure une des