La conjecture de Poincaré Bien que globalement la sphère de dimension 2

soit très différente du plan, chaque point sur la

1904-2006
sphère se trouve dans une région, que l’on peut
associer à un plan (d’où l’existence de cartes
Au dernier congrès mondial des
géographiques ! )
mathématiciens (ICM), tenu à Madrid du 22 au
30 août 2006, le mathématicien russe Grigory
Cette propriété « être localement considéré
Perelman a obtenu la médaille Fields pour
comme » est la propriété qui définit la variété
avoir résolu cette conjecture. Une énigme de
de dimension 2.
plus de cent ans, l’une des plus intrigante avec
Le tore (doughnut en anglais) est un autre
celle de Riemann.
exemple de variété de dimension 2. Chaque
point sur le tore se trouve dans une région, que
l’on peut aussi associer à un plan. Il est donc
possible de constituer un atlas du tore !

le tore

Grigory Perelman
Григорий Яковлевич Перельман
Notons au préalable que la quasi-totalité des
mots utilisés dans l’énoncé de cette conjecture
est compréhensible par un grand public. Quant
au sens ! si l’on n’est pas spécialiste en
The doughnut
topologie algébrique et en géométrie
différentielle, il est totalement caché.
Bien que la sphère (de dimension 2) et le tore
Toute variété, simplement connexe de
soient localement semblables, ils sont
dimension 3 est homéomorphe à une sphère.
globalement topologiquement différents. Sans
insérer un trou dans la sphère, il est impossible
Est homéomorphe, signifie « peut être déformé
de la transformer (déformer) en un tore.
en »
Autrement dit : on ne peut pas obtenir un pneu
Quant à la signification du mot sphère, nous
de vélo avec un ballon de foot. On ne peut pas
dirons plus loin ce que l’on entend par là.
non plus obtenir un ballon avec un pneu par
simple déformation.
Qu’est-ce que la topologie.
Voici une autre manière de saisir la différence
La topologie s’intéresse à des objets
entre ces deux variétés.
géométriques, appelés variétés (manifolds en
Considérons un lacet (un chemin fermé
anglais) et étudie les propriétés qui restent
revenant à son point de départ) sur la sphère.
inchangées, lorsqu’on les déforme.
Peu importe où il se trouve, vous pourrez
toujours, par déformation, le réduire à un seul
Un exemple simple de variété est la sphère de
point. Considérons maintenant sur le tore, un
dimension 2 (un ballon). Il s’agit d’une surface
lacet entourant le trou central. Vous ne pourrez
de dimension 2 dans un espace de dimension 3.

46
jamais le ramener à un point, par simple Exemples de surface avec des chemins de
déformation. courbure positive et négative
Une variété possédant la propriété, que tout
lacet peut être réduit à un point, est dite
simplement connexe.

La sphère est simplement connexe ; le tore

ne l’est pas.

La transposition de la conjecture de Poincaré

en dimension 2 peut s’écrire :

Toute variété, simplement connexe de z = x2 " y2

dimension 2 est homéomorphe à une sphère.

La réponse à cette conjecture est oui.

!
Il est naturel de se demander de ce qu’il en est
des variétés non simplement connexes. Il
s’avère qu’elles peuvent être toutes classées
d’après le nombre de trous qu’elles ont.

Elles sont toutes homéomorphes à des tores ou

double tore (avec deux trous) ou triple tore
(avec trois trous) etc.
En fait, on a besoin de deux outils techniques
supplémentaires pour obtenir cette
classification : l’orientation et la compacité.
Il existe une autre manière de classer les
variétés de dimension 2.
En considérant une variété sous l’angle
topologie, il n’y a aucune métrique (i.e. aucun
moyen de mesurer la distance entre deux
points). Munir la variété d’une métrique
permet de définir une notion de courbure.
La courbure d’une courbe puis d’une surface a
été introduite par Gauss et son élève Riemann.
z = x3y " y3x
La conjecture
Une ! sphère de dimension 2, dans l’espace,
s’identifie à un ballon.
On peut la visualiser autrement.
Prenez un disque et identifiez l’ensemble des
points du bord en un seul point.
De la même manière, on définit une sphère de
dimension 3 dans R4 en prenant une sphère
usuelle et en identifiant l’ensemble des points
la bordant en un seul. La visualisation est bien
sûr plus délicate, mais vous savez que cela
n’inquiète pas les mathématiciens !
Poincaré a conjecturé en 1904 que :

Le plan est de courbure zéro. La sphère est de Toute variété, simplement connexe, de
1 dimension 3 est homéomorphe à la sphère de
courbure où r est le rayon . On peut dimension 3.
r
alors classer les variétés de dimension 2
d’après la courbure :
La méthode ci-dessus permet de construire des
1.- Les variétés, de dimension 2, à courbure
! sphères en toute dimension.
positive sont homéomorphes à la sphère.
2.- Les variétés, de dimension 2, à courbure Et la forme généralisée de la conjecture de
nulle sont homéomorphes au tore. Poincaré devient :
3.- Les variétés, de dimension 2, à courbure
négative sont homéomorphes aux tores ayant
plus d’un trou.

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 Toute variété, simplement connexe, de
dimension n est homéomorphe à la sphère de
dimension n.
Stephan Smale, médaillé Fields en 1966
démontré que la conjecture était vraie pour
n"5
Stephan Smale
Et Michael Freedeman, médaillé Fields en
1986 a donné un résultat affirmatif pour n = 4
! présence de phénomènes appelés singularités
Michael Freedeman
William Thurston, médaillé Fields 1970 a
proposé une nouvelle conjecture, appelée
Thurston Geometrization Conjecture Cette
conjecture (une fois démontrée) permettra de
classer les variétés de dimension 3. Poincaré ne
sera alors qu’un cas particulier de ce théorème.
Thurston propose de classer les variétés en
utilisant la géométrie. Il a identifié et analysé 8
structures géométriques. La conjecture de
Thurston affirme que ces structures définissent
une classification des variétés de dimension 3.
Cette manière de voir révolutionna l’étude de
la géométrie et de la topologie. Ces 8
structures ont fait l’objet de nombreux
travaux ; la conjecture a été vérifiée dans
plusieurs dimensions. Mais l’espoir d’une
preuve en toute généralité restait jusqu’à ce
jour maigre.
William Thurston
En 1982, le mathématicien Richard Hamilton a
identifié une équation particulière, appelée flot
de Ricci qui semble être la clé pour résoudre à
la fois la conjecture de Thurston et celle de
Poincaré. Résoudre ce type d’équation est
toutefois particulièrement délicat, par la
(endroits où la géométrie devient subitement
non homogène et présente des changements
apparemment non contrôlables).
C’est là que Perelman entre en scène. Dans une
série d’articles, il a proposé une nouvelle
approche de ces flots de Ricci et a notamment
résolu, par chirurgie, le problème de l’étude de
ces singularités. Le travail de Perelman fait
d’idées profondes et de technicité géniale
marque une avancée spectaculaire dans la
résolution des deux conjectures. D’après
John Morgan (Columbia University), cela
permet même de les résoudre. C’est la raison
pour laquelle, le comité du congrès lui a
décerné la médaille Fields.
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 Jules Henri Poincaré 1854-1912

Jules Henri Poincaré est né le 29 avril 1854 à

Nancy. Sa famille appartient à l'élite
intellectuelle de la ville : son père est
neurologue et professeur à la faculté de
Médecine, son cousin, Raymond, sera
Président de la République de 1913 à 1920 !
L’un des derniers avec Hilbert à avoir eu une
connaissance sur toutes les mathématiques de
son temps.

Postlude.
Certains courent les honneurs et tentent de se
faire une image médiatique, d’autres les
boudent. Grigory Perelman, cheveux rares et
barbe de pope fait partie de la deuxième
catégorie. Études brillantes à l’institut Steklov
de Saint-Pétersbourg, nobélisé à Madrid, il
renonce à ce prix prestigieux et se cache dans
sa Russie profonde !

Sources :
Andrew Pressley : Elementary Differential
Geometry, Ed Springer / Undergraduate
Mathematics Series (SUMS)
Site du congrès : http://www.icm2006.org
Jean-François Augerreau : Gregory Perelman
adore les énigmes, pas les honneurs. Le Monde,
dimanche 20.08.06

Pour voir les travaux de Perelman :

http://www-fourier.ujf-grenoble.fr/GT/perelman/

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