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L'ESPRIT
Bernard Bourgeois
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RÉSUMÉ. — La thèse ici soutenue est que l’ultime passage phénoménologique, celui
de la religion au savoir absolu, n’est pas, contrairement à tous les précédents, un passage
dialectique, c’est-à-dire rendu nécessaire par une contradiction intérieure à la religion
comme forme inadéquate du contenu vrai de l’esprit. C’est un passage téléologique,
libre anticipation de soi – dans l’esprit parvenu au seuil de sa vérité plénière comme
objet de la phénoménologie – de l’esprit philosophant qui est le sujet de celle-ci, elle-
même alors parfaitement réconciliée avec elle-même comme introduction scientifique à
la science spéculative.
ABSTRACT. — One suggests that the last phenomenological transition, from religion
to absolute knowledge, unlike the earlier transitions, is not a dialectic one, grounded
on an internal contradiction peculiar to religion as an inadequate manifestation of the
true content of the spirit. This transition is a teleologic one, a free anticipation of oneself
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d’abord, peut toujours être assurée en elle-même, y compris dans ses moments
les plus fragiles ontologiquement parlant, et que, ensuite, elle peut toujours
vivre et penser – dans sa réflexion abstrayante, notamment philosophante, sur
elle-même – chacun d’eux comme son fondement (sensualisme, perception-
nisme, intellectualisme, hédonisme, moralisme, libéralisme, étatisme, etc.). Mais
il est clair aussi que l’assurance absolue de la conscience repose sur son assomp-
tion de la totalisation vraie, rationnellement hiérarchisante, de toutes ses tota-
lisations ou synthèses, que s’emploie à restituer la Phénoménologie de l’esprit.
Et elle le fait scientifiquement, dans un discours nécessaire convainquant le
lecteur qu’elle veut faire s’élever jusqu’au savoir absolu, totalité achevée des
moments de la conscience, en justifiant à chaque fois la position du moment
plus concret ou totalisant par la contradiction du moment plus abstrait – tout
qui n’est pas un tout –, dont l’auto-négation exige bien, puisqu’il y a de l’être,
ne serait-ce que celui d’un tel non-être, que ce qui est et peut faire être ce
non-être, c’est le moment plus concret qui le nie. C’est bien ainsi, par l’exploi-
tation spéculative de la dynamique dialectique ou de la force motrice de la
contradiction, qu’est justifiée, dans le processus phénoménologique, la position
du moment éminemment totalisant de la religion.
La conscience, en sa pleine positivité, est conscience religieuse, c’est-à-dire
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Son présent est, pour Hegel, celui d’une conjonction remarquable. Elle
s’opère entre, d’une part, le surgissement de la figure de l’esprit assumant toute
son humanité dans une auto-négation d’elle-même qui vaut justification de
l’assomption religieuse de cet esprit comme esprit divin ou absolu, et, d’autre
part, le surgissement du savoir absolu dans et par lequel se dit une telle justi-
fication. Cette rencontre actuelle inouïe est la conversion de la folie humaine
de la belle âme, ivre de sa puissance spirituelle, qui accomplit le for intérieur
condensant pourtant – ainsi que la Phénoménologie de l’esprit a voulu le montrer
rigoureusement –, après la systématisation morale kantienne, tout le dévelop-
pement réel et idéal de l’humanité, c’est-à-dire la raison ou la « sagesse du
monde », en la sagesse divine dont la raison achevée spéculativement dans le
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en même temps, et la religion apparaît comme une partie de l’être-là ainsi que
des faits et gestes, dont l’autre partie est la vie de l’esprit dans son monde
effectif » (Ph., p. 563). Une telle contradiction de l’existence pour soi seulement
relative de la conscience de soi de l’absolu comme telle en soi elle-même absolue
ne peut pas ne pas être niée ou résolue dans la position pour soi de cette
conscience comme absolue par l’intégration à elle de l’esprit en son être-là
effectif.
La Phénoménologie de l’esprit établit de façon particulièrement nette et
massive l’existence absolue de la conscience, religieuse, de l’absolu, en tant
qu’inconditionnellement requise par son statut de totalisation fondatrice de
l’ensemble du déploiement pré-religieux de la conscience. La « totalité rassem-
blée » (Ph., p. 564), seulement rassemblée, dans, par et comme le moment de
l’esprit effectif, éthico-politique, des moments antérieurement examinés de la
conscience, de la conscience de soi et de la raison, avec lui-même – tous
moments constituant l’esprit, au sens large du terme, dans sa conscience, où il
se saisit comme étant face à lui-même, autre que lui-même – n’est que comme
portée structurellement par l’unité compacte, en cela solide, de la « totalité
simple » (Ph., p. 564) de la religion. Mais les moments particuliers, parallèles
les uns aux autres, de l’esprit effectif, substantiel, dont ils peuvent être dits les
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II
mais il est et agit, il est en tant qu’il agit, et il n’agit que dans et comme le Soi
efficient, effectif, non pas dans et comme l’idéalité de la représentation. Le
concept est donc bien, « à même le côté de la conscience de soi, lui-même aussi
déjà présent », même s’il y a encore « la forme consistant à être une figure
particulière de la conscience » (Ph., p. 650), celle de la belle âme se remplissant
de l’être universel.
Certes, le Soi de la belle âme n’a pas encore opéré sa réunion avec l’esprit
religieux, il n’est encore que potentiellement une telle réunion, et, comme
conscience particulière, il n’est encore qu’en soi le concept unifiant universel-
lement. Certes, seul le savoir absolu est celui-ci pour lui-même. Mais il se dit
tel – en Hegel se pensant lui-même dans cette clôture de la Phénoménologie
de l’esprit – en minimisant son rôle, allant jusqu’à dire que la réconciliation
des deux réconciliations était déjà inscrite en chacune d’elles et que son caractère
conceptuel, pratiqué, était, par cette présence, virtuellement déjà présent à lui-
même : « Ce que nous avons ajouté ici, c’est uniquement, pour une part, le
rassemblement des moments singuliers, dont chacun expose dans son principe
la vie de l’esprit tout entier, [et,] pour une autre part, la fixation du concept
dans la forme du concept, concept dont le contenu se serait déjà dégagé dans
ces moments-là, et qui se serait lui-même déjà dégagé dans la forme d’une
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à former, dans l’esprit proprement dit, le Soi effectif qu’elle rend capable, au
sein de la culture qu’elle fait alors s’approfondir et s’avérer philosophiquement,
d’être l’acteur de l’ultime conversion de la conscience s’élevant au savoir absolu.
Si, donc, Hegel peut lire dans la conscience religieuse, ainsi toujours positive
en tant que religieuse, la négativité d’une incomplétude, voire d’une contradic-
tion, c’est bien qu’il considère la conscience religieuse pour autant qu’elle
déborde son moment religieux, qui a pourtant été justifié comme son moment
total, par là réconciliant et satisfaisant. Or, elle ne peut le déborder que par un
aspect des moments totalisés en celui-ci à travers l’« esprit », aspect qui n’a pas
été résolu dans le moment religieux, mais contredit ce moment en tant qu’un
tel moment est essentiellement le moment de la représentation. Tout le contenu
de l’« esprit », résoluble dans la religion en tant que représentable ou que
contenu de la conscience proprement dite de l’esprit, y a été sauvé de sa
contradiction ou de son non-être. Et, parmi ce contenu, il faut compter aussi
cette présupposition formelle du savoir absolu qu’est la philosophie : celle-ci a
bien figuré à diverses reprises dans le parcours phénoménologique pré-religieux
et même religieux, car la religion vraie, notamment, est une religion pensante
et philosophante ; et c’est pourquoi on ne peut retenir ici, comme contradiction
exigeant de dépasser la religion, le décalage ou le conflit entre une conscience
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Bernard BOURGEOIS
Professeur émérite à l’Université
de Paris I « Panthéon-Sorbonne »
Sigle
Ph. : Phénoménologie de l’esprit, traduction B. Bourgeois, Paris, Vrin, 2006.