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Philippe Belloir
1995/4 N° 10 | pages 50 à 56
ISSN 1244-9288
DOI 10.3917/legi.010.0050
Article disponible en ligne à l'adresse :
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https://www.cairn.info/revue-legicom-1995-4-page-50.htm
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L
A publicité s’adresse “aux forces de l’inconscient”2. Pour susciter l’achat
dans une société déjà très sollicitée, le publicitaire a recours pour capter
l’attention du consommateur, à des effets inédits, tels que l’émission de
messages cachés (publicité subliminale)3.
Vulgarisée au travers d’un ouvrage et d’un film4, elle a fait son apparition
publicitaire pour la première fois en 1956 dans un cinéma des Etats-Unis5. Elle
est, généralement, appréhendée comme un phénomène marginal. Pourtant, la
conception et la diffusion de ce genre publicitaire sont facilitées par les
nouvelles technologies de l’information : images de synthèse, dessins en trois
dimensions, notamment.
Nous pouvons cependant systématiser deux types de publicité subliminale. La Il faut distinguer deux
première permet par le biais d’une image, d’une annonce, de promouvoir direc- types de publicité sublimi-
tement un produit ou un service (publicité subliminale directe) ; la seconde nale : celle qui vise la pro-
motion directe d’un produit
véhicule par l’intermédiaire d’un message publicitaire l’expression d’une
et celle qui utilise le sup-
angoisse, voire d’un interdit sexuel, racial (publicité subliminale indirecte). port publicitaire pour véhi-
Dans ce dernier cas, le message subliminal n’est pas en lui-même commercial, culer un message d’un
il utilise seulement le support de la publicité commerciale. autre type.
1) La Chambre de commerce international a édicté un code de bonne conduite Les techniques suggestives
en matière de publicité, dans lequel elle appelle au respect des principes fonda- sont réglementées en droit
mentaux : véracité, loyauté, décence. Plus précisément elle pose le principe de international et commu-
nautaire mais le droit fran-
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Quatrièmement, la suppression de l’expression “mauvaise foi” dans la loi de La publicité subliminale est
1973, avait suscité de nombreux débats doctrinaux. Pour certains, l’élément nécessairement intention-
moral n’existait plus dans le délit de publicité trompeuse33, pour d’autres, la nelle, alors que la publicité
trompeuse peut n’être
nouvelle rédaction n’apportait aucune modification à la situation antérieure34.
qu’un délit d’imprudence.
La Cour de cassation avait tranché la controverse : la mauvaise foi n’était plus
un élément constitutif de ce délit35. L’article 339 de la loi d’adaptation du
nouveau code pénal36 anéantit cette jurisprudence puisqu’il dispose que les
délits non intentionnels extérieurs au code pénal ne sont constitués que s’il est
rapporté la preuve d’une imprudence, d’une négligence ou d’une mise en
danger délibérée37. En bref, le délit de publicité trompeuse devient un délit
d’imprudence. Le délit de publicité subliminale, lui, ne pourrait être fondé sur
une négligence ou une imprudence, il appartiendrait à la catégorie des délits
intentionnels. L’annonceur du fait du recours à une technique sophistiquée et
subtile a conscience et volonté de violer une conduite interdite par la norme
pénale. En l’occurrence cette différence dans la nature des fautes a pour
principale conséquence d’aggraver les sanctions dans l’hypothèse de la faute
intentionnelle.
Les sanctions du délit de publicité trompeuse sont de deux ordres : des Le recours aux techniques
sanctions pénales principales (emprisonnement et amende) et des sanctions suggestives relève plus du
pénales complémentaires (cessation de la publicité litigieuse, publication du trouble à l’ordre public que
de l’atteinte économique
jugement et annonces rectificatives). Le principe des sanctions complémentaires
qui caractérise le délit de
est, d’une part, d’éviter la persistance et la propagation d’un message de nature publicité trompeuse.
à induire en erreur et, d’autre part, de corriger dans l’esprit des consommateurs
l’erreur diffusée. Ces sanctions pourraient théoriquement être appliquées à la
publicité subliminale. Mais à notre avis, la subception doit être punie de
manière spécifique, de façon à dissuader les professionnels d’une façon
efficace. Les peines de cessation de publicité, de publication de jugement et de
contre-publicité devraient se généraliser. Il serait également opportun de
prononcer l’amende proportionnelle au budget publicitaire pour graduer la
faute. L’emprisonnement pourrait être souhaitable pour la publicité subliminale
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Le délit de tromperie ne * Le délit de tromperie (article L 213-1 c. consom) ne réprime pas la publicité
peut être appliqué au subliminale, même si la tromperie suppose une action capable de masquer la
recours à l’image sublimi- réalité. Des auteurs ont considéré qu’il pouvait y avoir tromperie sur le produit
nale car il est indépendant ou le service fourni, car “la séquence d’images visibles, offertes, recèle autre
de toute opération contrac-
chose”41. Mais l’analyse de l’incrimination laisse apparaître deux éléments
tuelle.
préalables : un contrat et des marchandises (y compris des prestations de
services). Or la subception est indépendante de toute opération contractuelle, de
plus il s’agit d’un comportement per se.
Philippe BELLOIR,
Chargé d’enseignement
à l’Université de Rennes 1.
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5. Le Sunday Time (10 juin 1956) a publié un article 10. M. Frydman, Les habitudes tabagiques, Edition
« Sales Through The Subconscious, Invisible Adverti- Labor, 1989.
sement » qui relatait les expériences menées dans un
cinéma du New Jersey, à Fort Lee qui utilisait des 11. Le Quotidien de Paris 13 mai 1988, p. 32. Jean
images subliminales, lors de la diffusion du film Montaldo révèle aux Français l’image subliminale de
“Picnic” pour vendre des friandises durant l’entracte. François Mitterrand dans le générique d’Antenne 2.
On projetait en surimpression les phrases suivantes :
“Eat pop corn” et “Drink Coca-Cola”. Cette expé- 12. La distribution des logiciels shareware dans les
rience dura six semaines selon la firme publicitaire magazines informatiques.
responsable de l’opération.
13. J.-P. Regimbal, Le rock n’roll, viol de la
6 W. Jeandidier, Droit pénal des affaires, conscience par les messages subliminaux, Ed. Saint-
Montchrestien, 1991, n° 407, p. 401. « L’incrimination Raphaël, Quebec.
14. Les praticiens paramédicaux et les médecins eux- 28. C. Lombois, op. cit., p. 13, le règlement est
mêmes utilisent des cassettes audiophoniques pour maintenant explicitement source d’incrimination, le
améliorer certaines qualités, tels que la mémoire, la terme légalité est donc imparfait.
confiance en soi, la concentration, l’expression orale.
29. P. Delmas Saint-Hilaire, Les principes de la
15. P. Geai, Tu ne voleras pas ! Que Choisir, n° 260, légalité des délits et des peines, Mélanges Bouzat,
avril 1990, p. 20. cf. aussi A. Gérard et F. Collomb, 1980, p. 149 sqq.
JO Sénat (Q.), du 12 juillet 1990, p. 1531.
30. D. Mayer, Droit pénal de la publicité, Masson,
16. H. Motulsky, Principes d’une réalisation métho- 1979, p. 82 ; A. Vitu, Traité de droit pénal spécial,
dique du droit privé, Dalloz, 1991, p. 18. Cujas, 1982, tome 1, n° 847, p. 677 ; M. Delmas-
Marty, Droit pénal des affaires, PUF, T. 2., p. 107.
17. Une Recommandation du Conseil de l’Europe
n° R (84) 3 sur les principes relatifs à la publicité 31. Crim., 26 avril 1984, J.C.P. 1985, 20459 ; S.
télévisée adoptée le 23 février 1984 ; une directive du Baille, Le délit de publicité mensongère de la loi
Conseil CEE (n° 89/552) du 3 octobre 1989 visant à d’origine à la loi nouvelle du 27 décembre 1973,
la coordination de certaines dispositions législatives Thèse Toulouse, 1974, p. 86 ; G. Raymond, Droit du
réglementaires et administratives des États membres marketing, Litec, 1992, n° 1013, p. 218 ; J. Calais
relatives à l’exercice d’activités de radiodiffusion Auloy, Droit de la consommation, 1992, 3e éd., Dalloz,
télévisuelle; enfin une Convention du 1er février 1989 n° 104, p. 94 ; R. Bout et G. Cas, Lamy Droit écono-
du Conseil de l’Europe sur la Télévision transfron- mique, 1994, n° 2225, p. 752 ; I. Ferrari, La jurispru-
tière; qui est entrée en vigueur le 1er mai 1993. dence de la Cour de cassation sur deux pratiques
commerciales réglementées par le code de la consom-
18. M. Péricard, AN, 1987-1988, n° 10, tendant à mation, Ed. Techniques, D. Pén. février 1995, p. 1.
interdire la diffusion d’images non décelables dites
subliminales, J. Balarello, S., 1987-1988, n° 289, 32. En général, la référence c’est le consommateur
relative à la publicité subliminale, G. Gantier, AN, moyennement informé (Circ., 1er octobre 1974, D.
1987-1988, n° 15, tendant à interdire tout message 1975, III, p. 52).
subliminal. Ce texte n’a pu être adopté car il n’a pas
été inscrit par le Gouvernement à l’ordre du jour des 33. P.J. Doll et Peisse, La nouvelle répression de la
travaux de l’Assemblée nationale. publicité mensongère, G.P. 1974, 1, p. 200 ; J. Calais-
Auloy, La loi Royer et les consommateurs, D. 1974,
19. Décret n° 92-280 du 27 mars 1992 pris pour p. 91.
l’application du 1° de l’article 27 de la loi du 30
septembre 1986 relative à la liberté de communication 34. J.-C. Fourgoux, La publicité mensongère, délit
et fixant les principes généraux concernant le régime intentionnel, G.P. 1977, 1, p. 170.
applicable à la publicité et au parrainage, JO du
28 mars 1992, p. 4313. 35. Crim. 13 mars 1979, JCP éd. CI 1979, 2, n° 13104
(aff. Tang).
20. C. Lombois, Droit pénal général, Hachette,
Collection Les Fondamentaux, 1994, p. 7. 36. Loi n° 92-1336 du 16 décembre 1992 relative à
l’entrée en vigueur du nouveau code pénal et à la
21. TGI Paris, 17e ch., 23 avril 1990, Casanovas c/ modification de certaines dispositions de droit pénal et
David Niles, C. Contamine, L.P., n° 72, 1990, p. 64. de procédure pénale rendue nécessaire par cette entrée
Voir également pour un autre cas de message subli- en vigueur, JO du 23 décembre 1993.
minal TGI Paris, 1re ch., 19 décembre 1990,
FEDIMAS c/ Radio France (non publié), en appel CA 37. Crim. 14 décembre 1994 BC, n° 415. La chambre
Paris, 1re ch., Sect. A, 18 novembre 1991, Radio criminelle, en application de l’article 339, s’est
France c/ FEDIMAS (non publié). prononcée sur la matière en relevant qu’une cour
d’appel a justifié sa décision de culpabilité du chef de
22. G. Ripert, Les forces créatrices du droit, LGDJ, publicité trompeuse dès lors que l’annonceur « n’a pas
1955, p. 29. vérifié la sincérité et la véracité du message publici-
taire avant d’en assurer la diffusion » ; ce qui à notre
23. M. Delmas Marty, Les grands systèmes de
avis tend à réduire la portée de l’article 339. En bref,
politique criminelle, Thémis, PUF, 1992, p. 306.
l’infraction est ici une imprudence de professionnels,
24. M. Bibent et M. Vivant, Image et télécommunica- donc facilement constatable.
tions, Juris PTT, 1992, n° 30, p. 6.
38. Voir par exemple la jurisprudence sur l’escro-
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