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DROIT PÉNAL ET PUBLICITÉ SUBLIMINALE

Philippe Belloir

Victoires éditions | « LEGICOM »

1995/4 N° 10 | pages 50 à 56
ISSN 1244-9288
DOI 10.3917/legi.010.0050
Article disponible en ligne à l'adresse :
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LEGICOM N° 10 / 1995

DROIT PÉNAL ET PUBLICITÉ


SUBLIMINALE

par Philippe BELLOIR

« La raison, le progrès dans la vérité, ne peuvent


advenir que dans et par une chasse impitoyable
aux apparences, au devenir, au charme des
images ».1

L
A publicité s’adresse “aux forces de l’inconscient”2. Pour susciter l’achat
dans une société déjà très sollicitée, le publicitaire a recours pour capter
l’attention du consommateur, à des effets inédits, tels que l’émission de
messages cachés (publicité subliminale)3.

Vulgarisée au travers d’un ouvrage et d’un film4, elle a fait son apparition
publicitaire pour la première fois en 1956 dans un cinéma des Etats-Unis5. Elle
est, généralement, appréhendée comme un phénomène marginal. Pourtant, la
conception et la diffusion de ce genre publicitaire sont facilitées par les
nouvelles technologies de l’information : images de synthèse, dessins en trois
dimensions, notamment.

La publicité subliminale peut être définie comme une technique de production


qui utilise des stimulations inférieures au seuil de perception afin d’imprimer
dans le subconscient du consommateur un message caché. Cette exploitation
n’est pas sans danger, à raison du stress quotidien et de la fragilité de certains
consommateurs, accentués sans doute en période de crise économique.
Résumé :
Le droit pénal de la consommation permet-il d’enrayer les publicités sugges-
La publicité subliminale,
pratique marginale dans
tives qui utilisent anormalement les “forces de l’inconscient” ? En dépit de son
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les trente dernières années ouverture, l’incrimination de publicité trompeuse ne s’adapte pas aux
est aujourd’hui facilitée techniques suggestives6. Elle ne distingue pas en effet entre l’induction en
par les nouvelles technolo- erreur consciente et inconsciente. Or, l’importance de l’effet subliminal ne
gies de l’information. Les devrait pas laisser le législateur indifférent car ces nouvelles formes de publicité
techniques suggestives in- neutralise la répression par leur appartenance à une zone de droit incertaine.
téressent les publicitaires
qui les utilisent volontiers
Quelle que soit la part de vérité que recèlent ces procédés, il convient
pour renforcer la promo-
tion de leurs produits.
d’admettre et de reconnaître leur présence dans notre champ social. Un débat
transparent est nécessaire puisque le problème est resté involontairement
Des règles internationales “clandestin” pour reprendre l’expression de Vance Packard dans son ouvrage
et commerciales prohibent
“La publicité clandestine”7.
le recours à ces procédés.
En droit français, seul un
L’interdiction de la publicité subliminale constitue une exception au principe de
décret interdit les tech-
niques suggestives dans la la liberté économique, justifiée par des raisons d’ordre public et de respect du
publicité et le parrainage consommateur. L’identification de cette publicité (I) s’impose, avant
télévisés. Par ailleurs, les d’envisager ce que pourrait être dans l’avenir la construction de son régime
normes pénales qui règle- répressif (II).
mentent déjà la publicité et
la consommation ne per- I — L’IDENTIFICATION DE LA PUBLICITÉ SUBLIMINALE
mettent pas d’encadrer de
façon satisfaisante l’utili- La présence dans le champ social de techniques subliminales, se traduit corré-
sation de l’image sublimi- lativement par une inexistence partielle du régime juridique dans notre droit
nale. positif.

50 - OCTOBRE, NOVEMBRE, DÉCEMBRE 1995 - N° 10


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A - LA PRÉSENCE DANS LE CHAMP SOCIAL DES TECHNIQUES


SUBLIMINALES
La publicité subliminale existe bien. Récemment un message de cette nature a
été découvert pour la bière “Budweisen” dans un dessin animé japonais diffusé
aux États Unis8. Diverses revues comme Cosmopolitan, Vogue, Playboy, Time,
Newsweek, ont publié ou publient des annonces de ce genre, destinées à
promouvoir la vente de la gelée de pétrole, des dentifrices, des savons, des
cigarettes, des boissons alcoolisées et des eaux gazeuses9. La reproduction de
ces publicités n’ayant pas lieu d’être dans cette étude, nous renvoyons le lecteur
aux travaux de M. Frydman10.

Nous pouvons cependant systématiser deux types de publicité subliminale. La Il faut distinguer deux
première permet par le biais d’une image, d’une annonce, de promouvoir direc- types de publicité sublimi-
tement un produit ou un service (publicité subliminale directe) ; la seconde nale : celle qui vise la pro-
motion directe d’un produit
véhicule par l’intermédiaire d’un message publicitaire l’expression d’une
et celle qui utilise le sup-
angoisse, voire d’un interdit sexuel, racial (publicité subliminale indirecte). port publicitaire pour véhi-
Dans ce dernier cas, le message subliminal n’est pas en lui-même commercial, culer un message d’un
il utilise seulement le support de la publicité commerciale. autre type.

Ces déviances se manifestent hors du champ publicitaire : en politique11, en


informatique12, en musique13, en psychothérapie14. Des vertus dissuasives ont
également été attribuées aux messages subliminaux, puisqu’ils sont utilisés pour
prévenir les vols15. Si le juriste est distancé par ces faits de psychologie sociale,
de sociologie de la consommation, il nous semble que dans un avenir proche il
sera tenu d’élaborer un régime juridique pour l’instant partiellement inexistant
en droit interne.
B - UN RÉGIME JURIDIQUE EMBRYONNAIRE
Les règles internationales et communautaires prohibent le phénomène infrali-
minaire, au contraire du droit français qui achoppe sur ce concept. Or la
publicité subliminale n’est pas limitée dans l’espace. Dès lors, notre législation
s’expose à un paradoxe : prohiber la publicité dans l’environnement interna-
tional, et la tolérer en droit interne.

1) La Chambre de commerce international a édicté un code de bonne conduite Les techniques suggestives
en matière de publicité, dans lequel elle appelle au respect des principes fonda- sont réglementées en droit
mentaux : véracité, loyauté, décence. Plus précisément elle pose le principe de international et commu-
nautaire mais le droit fran-
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l’identification du message. Ce principe semble (et on peut le regretter) prohiber
çais demeure silencieux sur
implicitement la publicité subliminale. Malgré le bien-fondé de cette règle le sujet.
internationale, la norme autodisciplinaire est limitée en l’absence d’une
sanction qui est l’effet juridique nécessaire de la règle16. Par ailleurs, trois
autres textes communautaires interdisent spécifiquement la publicité subliminale
audiovisuelle17.

2) Le Bureau de vérification de la publicité, organe autorégulateur de la Un décret du 27 mars 1992


profession, n’a édicté aucune recommandation spécifique sur le sujet. Il se interdit l’utilisation des tech-
réfère uniquement au code international. La polémique sur l’utilisation dans le niques subliminales dans la
publicité et le parrainage
journal d’Antenne 2 de l’image du président de la République, a suscité la
télévisés.
réaction de quelques parlementaires. Ces propositions de loi18 ont été rejetées,
mais elles ont favorisé l’élaboration d’un texte de droit positif : le décret du
27 mars 1992 qui interdit l’utilisation des techniques subliminales (article 10)19.
Le substantif “techniques” présente un réel intérêt : il comprend à la fois
l’image et/ou les sons. Néanmoins, ce texte comporte trois imperfections.
D’abord il n’est applicable qu’aux organismes de télévision. Ensuite, sa source
(décret d’application) témoigne du peu de souci du normateur à l’égard des
libertés des créations. L’encadrement de cette liberté individuelle aurait dû
relever du Parlement, et non pas du pouvoir exécutif. Enfin — c’est le plus
important — l’interdiction est dépourvue de sanction. Or la raison d’être de la
matière pénale repose sur “le couple indissociable” : interdit / répression20.

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Quant à la jurisprudence, elle déclare irrecevable la plainte d’un individu fondée


sur la manipulation par diffusion d’une image subliminale21.

Pourtant, cette technique de vente par dissimulation s’accommode mal du


contexte économique et juridique qui tend à généraliser l’obligation de rensei-
gnement, tant en droit des obligations qu’en droit de la consommation. C’est
pourquoi la publicité subliminale ne doit pas échapper à la répression pour une
double raison : d’abord la nécessité de la permanence du droit contraint celui-
ci à étendre son champ d’application aux techniques de manipulation, pour
maintenir sa dynamique22; ensuite, une politique criminelle “de moderni-
sation”23 doit prendre en compte les nouvelles technologies.

II — LA CONSTRUCTION RÉPRESSIVE DE LA PUBLICITÉ


SUBLIMINALE
Comme le soulignent Michel Bibent et Michel Vivant l’image subliminale et le
droit pénal sont “un couple” difficile à appréhender, mais il n’est pas
inopportun de rechercher un texte répressif adéquat ou de l’imaginer pour le
futur24. Ces auteurs nous invitent à envisager la publicité subliminale sous
l’angle des qualifications pénales existantes avant de songer à déterminer un
régime répressif autonome de la publicité subliminale.

A) L’INSUFFISANCE DES NORMES PÉNALES ÉTABLIES

Parmi celles-ci figurent la publicité trompeuse, l’escroquerie, la voie de fait, la


diffusion de messages contraires à la décence, et la tromperie.

* La publicité trompeuse. Quatre critères relatifs aux éléments constitutifs et


répressifs de l’infraction révèlent cette inaptitude.

Premièrement, l’élément matériel de l’article L 121-1 du code de la consom-


mation repose sur un caractère trompeur. Ce caractère est bicéphale25 : la
fausseté (publicité mensongère) ou l’induction en erreur (publicité de nature à
induire en erreur). La fausseté implique un élément matériellement et objecti-
vement inexact26. L’induction en erreur consiste à conduire le consommateur à
tenir pour vrai ce qui est faux27.

Ces deux caractères de l’infraction soulignent que la publicité subliminale ne


peut être appréhendée sous l’angle de la publicité trompeuse. Certes une
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annonce infraliminaire peut contenir une erreur, un mensonge, une inexactitude
objective, mais ce n’est pas son but. Il existe des procédés plus simples. Le
message subliminal utilise des techniques de stimulation inférieures au seuil de
perception afin d’imprimer dans le subconscient du consommateur un message.
Erigée en technique de vente elle fait abstraction du produit, seul compte “la
persuasion clandestine”.

Deuxièmement, le principe de textualité28 et son corollaire l’interprétation


stricte du texte incriminateur empêchent l’assimilation de la subception à la
publicité mensongère. Les dispositions de la loi du 27 décembre 1973 sur la
publicité trompeuse recouvrent une réalité différente selon qu’elle est la lex
stricto sensu ou le jus scriptum29. Pour une partie de la doctrine, le domaine
du mensonge publicitaire défini aujourd’hui par l’article L 121-1 du code de la
consommation est indicatif30, et ouvert à d’autres applications. Dans ces condi-
tions, il permettrait de sanctionner la publicité subliminale. Cependant l’appli-
cation stricte du principe de textualité nous oblige, d’une part, à interpréter
limitativement les dispositions de la loi de 197331 et, d’autre part, à y exclure
la répression de la publicité subliminale.

Troisièmement, la publicité trompeuse de type ambigu s’apprécie en fonction


d’une cible32 a posteriori. Les tribunaux se préoccupent non seulement de

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l’annonce et de sa diffusion, mais aussi de son impact sur le consommateur. Au


contraire, la publicité infraliminaire, même si elle dépend de seuils culturels,
doit impérativement et automatiquement être sanctionnée et appréhendée avant
sa diffusion. Le procédé est condamnable en lui-même. C’est un comportement
per se.

Quatrièmement, la suppression de l’expression “mauvaise foi” dans la loi de La publicité subliminale est
1973, avait suscité de nombreux débats doctrinaux. Pour certains, l’élément nécessairement intention-
moral n’existait plus dans le délit de publicité trompeuse33, pour d’autres, la nelle, alors que la publicité
trompeuse peut n’être
nouvelle rédaction n’apportait aucune modification à la situation antérieure34.
qu’un délit d’imprudence.
La Cour de cassation avait tranché la controverse : la mauvaise foi n’était plus
un élément constitutif de ce délit35. L’article 339 de la loi d’adaptation du
nouveau code pénal36 anéantit cette jurisprudence puisqu’il dispose que les
délits non intentionnels extérieurs au code pénal ne sont constitués que s’il est
rapporté la preuve d’une imprudence, d’une négligence ou d’une mise en
danger délibérée37. En bref, le délit de publicité trompeuse devient un délit
d’imprudence. Le délit de publicité subliminale, lui, ne pourrait être fondé sur
une négligence ou une imprudence, il appartiendrait à la catégorie des délits
intentionnels. L’annonceur du fait du recours à une technique sophistiquée et
subtile a conscience et volonté de violer une conduite interdite par la norme
pénale. En l’occurrence cette différence dans la nature des fautes a pour
principale conséquence d’aggraver les sanctions dans l’hypothèse de la faute
intentionnelle.

Les sanctions du délit de publicité trompeuse sont de deux ordres : des Le recours aux techniques
sanctions pénales principales (emprisonnement et amende) et des sanctions suggestives relève plus du
pénales complémentaires (cessation de la publicité litigieuse, publication du trouble à l’ordre public que
de l’atteinte économique
jugement et annonces rectificatives). Le principe des sanctions complémentaires
qui caractérise le délit de
est, d’une part, d’éviter la persistance et la propagation d’un message de nature publicité trompeuse.
à induire en erreur et, d’autre part, de corriger dans l’esprit des consommateurs
l’erreur diffusée. Ces sanctions pourraient théoriquement être appliquées à la
publicité subliminale. Mais à notre avis, la subception doit être punie de
manière spécifique, de façon à dissuader les professionnels d’une façon
efficace. Les peines de cessation de publicité, de publication de jugement et de
contre-publicité devraient se généraliser. Il serait également opportun de
prononcer l’amende proportionnelle au budget publicitaire pour graduer la
faute. L’emprisonnement pourrait être souhaitable pour la publicité subliminale
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indirecte qui peut conduire à des violences. En effet ce comportement délictuel
caractérise plus un trouble à l’ordre public (perversité, débauche...) qu’une
atteinte économique.

Finalement, les éléments constitutifs et les sanctions de la publicité de nature à


induire en erreur ne nous semblent pas transposables aux faits “subliminaires”.
Mais d’autres règles pénales sont susceptibles de s’appliquer à la subception.

* L’escroquerie tend à protéger l’intégrité du consentement. Elle implique le


recours à des moyens, par lesquels on trompe une personne, en la déterminant
à une remise. Elle répond a priori à la protection contre le message subliminal
qui altère le consentement par une dissimulation inconsciente des images et/ou
sons. L’exploitation de l’inconscient par des messages cachés (manœuvres
frauduleuses) pourrait constituer l’élément matériel de l’escroquerie. Certes, une
jurisprudence constante exige que les moyens frauduleux de l’escroc soient
renforcés par un fait extérieur. Mais si la technique employée pour la publicité
subliminale peut être considérée comme équipollente au mensonge en raison de
la ruse38 qu’elle emploie, le recours au mass média pourrait constituer l’élément
extérieur. La jurisprudence ayant déjà consacré cette réduction des moyens
frauduleux en ce qui concerne l’escroquerie à la publicité39. L’élément psycho-
logique du délit est (tout comme la publicité subliminale) souvent facile à
établir en raison du lien qui l’unit à l’élément matériel.

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Toutefois deux limites surgissent pour caractériser l’infraction d’escroquerie à


la publicité subliminale, d’abord il faut que l’individu ait effectivement acheté
le bien proposé, sinon il y aurait absence de but ; ensuite l’utilisation de la
publicité subliminale sans objectifs commerciaux (exaltation des pulsions
sexuelles, morbides, etc.) ne pourrait être incriminée.

* L’infraction de voie de fait (art. R.625-1 NCP) n’est pas susceptible de


s’appliquer à la publicité infraliminaire, bien qu’elle protège à la fois la santé
morale et la santé physique. La matérialité de la voie de fait suppose un acte
matériel perpétré avec l’intention de nuire entraînant un dommage physique
et/ou éventuellement une altération de la santé40. Ni l’un ni l’autre ne sont les
conséquences de la subception. Le “subliminaire” est seulement un moyen
psychologique utilisé pour accéder à l’inconscient.

* L’image subliminale porte parfois atteinte aux mœurs (diffusion de messages


contraires à la décence), elle pourrait être sanctionnée contraventionnellement
(art. R.624-2 NCP). Toutefois cette incrimination est d’application restrictive
puisqu’elle ne concerne que la publicité subliminale indirecte (c’est-à-dire celle
qui exprime un tabou) diffusée dans un lieu public ou assimilé comme tel.

Le délit de tromperie ne * Le délit de tromperie (article L 213-1 c. consom) ne réprime pas la publicité
peut être appliqué au subliminale, même si la tromperie suppose une action capable de masquer la
recours à l’image sublimi- réalité. Des auteurs ont considéré qu’il pouvait y avoir tromperie sur le produit
nale car il est indépendant ou le service fourni, car “la séquence d’images visibles, offertes, recèle autre
de toute opération contrac-
chose”41. Mais l’analyse de l’incrimination laisse apparaître deux éléments
tuelle.
préalables : un contrat et des marchandises (y compris des prestations de
services). Or la subception est indépendante de toute opération contractuelle, de
plus il s’agit d’un comportement per se.

L’examen des diverses incriminations est infructueux, quant à la répression


intégrale de la publicité subliminale. Pour pallier cette carence, l’élaboration
d’une nouvelle incrimination serait justifiée.

B - UNE NORME PÉNALE À ÉTABLIR


De lege ferenda, l’incrimination de la publicité subliminale exigerait, comme
toutes les infractions un élément matériel (1) et un élément psychologique (2)
qui sont à définir.
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1) La matérialité d’un délit, par principe, suppose une extériorisation d’un
comportement pénalement répréhensible. L’incrimination d’une simple intention
criminelle n’est pas admise ni même admissible dans notre droit pénal démocra-
tique moderne.

Pour caractériser le délit de publicité subliminale, on se référera à la doctrine


traditionnelle42 qui détermine deux critères : le mode d’exécution et le résultat
de l’élément matériel.

La publicité subliminale serait une infraction de commission puisque le publi-


citaire qui réalise le spot commet un acte positif en prenant l’initiative d’utiliser
des techniques inconscientes.

Elle serait aussi considérée comme une infraction complexe à éléments


matériels multiples. En effet, il faut employer des techniques inconscientes
(moyen) afin de cacher des images pour les diffuser au public (but). La nature
du support publicitaire (télévision, presse écrite, radio, affichage, etc.) est indif-
férente. Cette complexité de l’élément matériel peut entraîner des conséquences
différentes. Si la publicité subliminale a été interceptée dans des lieux diffé-
rents, plusieurs tribunaux seront territorialement compétents. Si l’un seulement
des deux éléments matériels a été commis en France, et l’autre à l’étranger les

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juridictions françaises seront compétentes pour connaître du conflit (art. 113-2


al. 2 NCP). Comme dans les délits apparentés, la prescription commencera à
courir qu’à partir du dernier acte constitutif, ce qui a pour conséquence de
prolonger le délai de prescription.

L’analyse de la durée de l’élément matériel permet d’inscrire cette nouvelle


forme de publicité, dans la catégorie des délits permanents. En effet « l’acte
matériel s’exécute en un trait de temps, mais ses effets se prolongent dans le
temps, sans aucune intervention de l’auteur des faits initiaux »43. Même si de
nombreux auteurs récusent ou n’adhèrent pas à cette notion44, la publicité
s’insère dans cette classification45.

Quant au résultat, le droit pénal distingue entre les infractions comportant un


résultat et les comportements incriminés en l’absence de résultat. Ces dernières
infractions ont un but de prophylaxie sociale. En les réprimant on souhaite
empêcher la commission d’une seconde infraction. L’infraction-obstacle de
subception favorise la prévention, cette “autonomisation infractionnelle” permet
de réprimer en amont un comportement pervers et dangereux.

2) L’infraction suppose un état d’esprit particulier, qu’on appelle élément


psychologique. Cet état d’esprit constitue le lien entre le comportement et
l’auteur de l’acte. Comme désormais l’article 121-3 du nouveau code pénal
déclare qu’il « n’y a point de crime ou de délit sans intention de le
commettre », la publicité subliminale devrait être une infraction intentionnelle.
Ce classement correspondrait bien à la réalité puisque le publicitaire, qui cache
un message dans une annonce, a la volonté de nuire en ayant conscience qu’il
viole un interdit. le délit serait constitué, indépendamment des motifs pour
lesquels cette publicité est diffusée (motif politique ou commercial).

La constatation du délit de publicité subliminale pourrait être effectuée par les


agents de la répression des fraudes et de la consommation spécialement formés
à la détection de ces nouvelles techniques.

Philippe BELLOIR,
Chargé d’enseignement
à l’Université de Rennes 1.
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NOTES

1. G. Lipovetsky, L’empire de l’éphémère, Folio, de la publicité fausse ou de nature à induire en erreur


1991, p. 18 et 19. est impuissante à éradiquer tous les périls qui
assaillent le consommateur ».
2. C. Geffroy, note sous CA Rennes, 16 janvier 1976,
JCP 1977, II, n° 18703. 7. V. Packard, La publicité clandestine, Calmann-
Levy, 1958.
3. On utilisera indifféremment comme synonyme de
cette expression : la subception ou la publicité infrali- 8. Emission Culture Pub (M6) du 21 avril 1990.
minaire, c’est-à-dire l’utilisation d’un stimulus de
faible intensité, inférieure au seuil de conscience, pour 9. Faits rapportés par Wilson Bryan Key, Subliminal
entraîner une réponse manifeste de l’organisme. Seduction, New York, Signet, 451-J6148, New
american Library, 1974; cité par J. Castonguay, La
4. Pohl et Kornbluth, Planète à Gogos, Denoël, 1980 ; psychologie au secours du consommateur, Ed. Fides,
et Les espions dans la ville de G. Kaczender (1980). 1978, p. 70.

5. Le Sunday Time (10 juin 1956) a publié un article 10. M. Frydman, Les habitudes tabagiques, Edition
« Sales Through The Subconscious, Invisible Adverti- Labor, 1989.
sement » qui relatait les expériences menées dans un
cinéma du New Jersey, à Fort Lee qui utilisait des 11. Le Quotidien de Paris 13 mai 1988, p. 32. Jean
images subliminales, lors de la diffusion du film Montaldo révèle aux Français l’image subliminale de
“Picnic” pour vendre des friandises durant l’entracte. François Mitterrand dans le générique d’Antenne 2.
On projetait en surimpression les phrases suivantes :
“Eat pop corn” et “Drink Coca-Cola”. Cette expé- 12. La distribution des logiciels shareware dans les
rience dura six semaines selon la firme publicitaire magazines informatiques.
responsable de l’opération.
13. J.-P. Regimbal, Le rock n’roll, viol de la
6 W. Jeandidier, Droit pénal des affaires, conscience par les messages subliminaux, Ed. Saint-
Montchrestien, 1991, n° 407, p. 401. « L’incrimination Raphaël, Quebec.

N° 10 - OCTOBRE, NOVEMBRE, DÉCEMBRE 1995 - 55


LEGICOM N° 10 / 1995

14. Les praticiens paramédicaux et les médecins eux- 28. C. Lombois, op. cit., p. 13, le règlement est
mêmes utilisent des cassettes audiophoniques pour maintenant explicitement source d’incrimination, le
améliorer certaines qualités, tels que la mémoire, la terme légalité est donc imparfait.
confiance en soi, la concentration, l’expression orale.
29. P. Delmas Saint-Hilaire, Les principes de la
15. P. Geai, Tu ne voleras pas ! Que Choisir, n° 260, légalité des délits et des peines, Mélanges Bouzat,
avril 1990, p. 20. cf. aussi A. Gérard et F. Collomb, 1980, p. 149 sqq.
JO Sénat (Q.), du 12 juillet 1990, p. 1531.
30. D. Mayer, Droit pénal de la publicité, Masson,
16. H. Motulsky, Principes d’une réalisation métho- 1979, p. 82 ; A. Vitu, Traité de droit pénal spécial,
dique du droit privé, Dalloz, 1991, p. 18. Cujas, 1982, tome 1, n° 847, p. 677 ; M. Delmas-
Marty, Droit pénal des affaires, PUF, T. 2., p. 107.
17. Une Recommandation du Conseil de l’Europe
n° R (84) 3 sur les principes relatifs à la publicité 31. Crim., 26 avril 1984, J.C.P. 1985, 20459 ; S.
télévisée adoptée le 23 février 1984 ; une directive du Baille, Le délit de publicité mensongère de la loi
Conseil CEE (n° 89/552) du 3 octobre 1989 visant à d’origine à la loi nouvelle du 27 décembre 1973,
la coordination de certaines dispositions législatives Thèse Toulouse, 1974, p. 86 ; G. Raymond, Droit du
réglementaires et administratives des États membres marketing, Litec, 1992, n° 1013, p. 218 ; J. Calais
relatives à l’exercice d’activités de radiodiffusion Auloy, Droit de la consommation, 1992, 3e éd., Dalloz,
télévisuelle; enfin une Convention du 1er février 1989 n° 104, p. 94 ; R. Bout et G. Cas, Lamy Droit écono-
du Conseil de l’Europe sur la Télévision transfron- mique, 1994, n° 2225, p. 752 ; I. Ferrari, La jurispru-
tière; qui est entrée en vigueur le 1er mai 1993. dence de la Cour de cassation sur deux pratiques
commerciales réglementées par le code de la consom-
18. M. Péricard, AN, 1987-1988, n° 10, tendant à mation, Ed. Techniques, D. Pén. février 1995, p. 1.
interdire la diffusion d’images non décelables dites
subliminales, J. Balarello, S., 1987-1988, n° 289, 32. En général, la référence c’est le consommateur
relative à la publicité subliminale, G. Gantier, AN, moyennement informé (Circ., 1er octobre 1974, D.
1987-1988, n° 15, tendant à interdire tout message 1975, III, p. 52).
subliminal. Ce texte n’a pu être adopté car il n’a pas
été inscrit par le Gouvernement à l’ordre du jour des 33. P.J. Doll et Peisse, La nouvelle répression de la
travaux de l’Assemblée nationale. publicité mensongère, G.P. 1974, 1, p. 200 ; J. Calais-
Auloy, La loi Royer et les consommateurs, D. 1974,
19. Décret n° 92-280 du 27 mars 1992 pris pour p. 91.
l’application du 1° de l’article 27 de la loi du 30
septembre 1986 relative à la liberté de communication 34. J.-C. Fourgoux, La publicité mensongère, délit
et fixant les principes généraux concernant le régime intentionnel, G.P. 1977, 1, p. 170.
applicable à la publicité et au parrainage, JO du
28 mars 1992, p. 4313. 35. Crim. 13 mars 1979, JCP éd. CI 1979, 2, n° 13104
(aff. Tang).
20. C. Lombois, Droit pénal général, Hachette,
Collection Les Fondamentaux, 1994, p. 7. 36. Loi n° 92-1336 du 16 décembre 1992 relative à
l’entrée en vigueur du nouveau code pénal et à la
21. TGI Paris, 17e ch., 23 avril 1990, Casanovas c/ modification de certaines dispositions de droit pénal et
David Niles, C. Contamine, L.P., n° 72, 1990, p. 64. de procédure pénale rendue nécessaire par cette entrée
Voir également pour un autre cas de message subli- en vigueur, JO du 23 décembre 1993.
minal TGI Paris, 1re ch., 19 décembre 1990,
FEDIMAS c/ Radio France (non publié), en appel CA 37. Crim. 14 décembre 1994 BC, n° 415. La chambre
Paris, 1re ch., Sect. A, 18 novembre 1991, Radio criminelle, en application de l’article 339, s’est
France c/ FEDIMAS (non publié). prononcée sur la matière en relevant qu’une cour
d’appel a justifié sa décision de culpabilité du chef de
22. G. Ripert, Les forces créatrices du droit, LGDJ, publicité trompeuse dès lors que l’annonceur « n’a pas
1955, p. 29. vérifié la sincérité et la véracité du message publici-
taire avant d’en assurer la diffusion » ; ce qui à notre
23. M. Delmas Marty, Les grands systèmes de
avis tend à réduire la portée de l’article 339. En bref,
politique criminelle, Thémis, PUF, 1992, p. 306.
l’infraction est ici une imprudence de professionnels,
24. M. Bibent et M. Vivant, Image et télécommunica- donc facilement constatable.
tions, Juris PTT, 1992, n° 30, p. 6.
38. Voir par exemple la jurisprudence sur l’escro-
© Victoires éditions | Téléchargé le 14/10/2021 sur www.cairn.info (IP: 105.159.69.187)

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Voir aussi, Mme Mireille Delmas-Marty qui révèle, querie à la boule de neige, avant l’intervention du
qu’en matière publicitaire une recherche approfondie législateur par la loi du 5 novembre 1953 modifiée par
pourrait être menée dans trois directions, et la loi n° 89-421 du 23 juin 1989. Crim., 07 mai 1951,
notamment celle qui concerne « certains modes de D. 1951, 489.
persuasion clandestine (...) qui constituent une atteinte
39. Crim. 11 juin 1974 BC, n° 211 (2e espèce).
certaine à l’intégrité de la personnalité ».
25. W. Jeandidier, op. cit., n° 411, p. 406. 40. Crim. 4 janvier 1974 JCP 1974, G, II, 17731. Note
R. Lindon.
26. Crim. 22 décembre 1986, Lexi., P. 86-90.366 : Par
exemple, un garagiste fait paraître dans un journal une 41. M. Bibent et M. Vivant, op. cit., p.7.
annonce selon laquelle il offre la vignette 1983 pour 42. F. Desportes et F. Le Gunehec, Le Nouveau Droit
tout acquéreur de véhicule avant fin novembre 1982. pénal, Economica, 1994., nos 436 à 463.
Cette promesse n’a pas été honorée, elle était
mensongère. 43. F. Desportes et F. Le Gunehec, op. cit., n° 442.
27. A. Chavanne, J. Cl. Pén annexe, Publicité fausse 44. G. Stéfani, G. Levasseur et B. Bouloc, Droit pénal
ou de nature à induire en erreur, n° 17, p. 7. Crim., général, 15e éd., Dalloz, 1994, n° 217 p. 187 ;
20 mai 1985, Lexi., P.84-91.805 : Une société liquide A. Decocq, Droit pénal général, 1971, A. Collin,
son stock portant la griffe Paco Rabanne, à la suite de coll. U, p. 163 ; M.-L. Rassat, Droit pénal général,
la rupture de son contrat de franchise, elle lance la 1987, P.U.F., n° 228, p. 329 ; Contra : D. Mayer,
campagne publicitaire suivante : « Paco Rabane Plaidoyer pour la réhabilitation de la notion
exclusif à Paris pour homme disparaît, liquidation d’infraction permanente, D., 1979, Chron. 23.
totale de ses collections à des prix de contrainte [...],
démarque 30, 40, 50 % » Cette publicité était de 45. J.-H. Robert, op. cit., p. 103 sqq. : le délit de
nature à induire en erreur sur les motifs ou procédés publicité trompeuse est permanent non pas en raison
de vente ; puisqu’elle insinuait que le couturier cessait de ses effets psychologiques, mais en raison de la
ses activités. durée de la réception du message.

56 - OCTOBRE, NOVEMBRE, DÉCEMBRE 1995 - N° 10

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