Anne Jourdain Et Sidonie Naulin Héritage Et Transmission Dans La Sociologie de Pierre Bourdieu

HÉRITAGE ET TRANSMISSION DANS LA SOCIOLOGIE DE PIERRE
BOURDIEU
Anne Jourdain, Sidonie Naulin
Réseau Canopé | « Idées économiques et sociales »
2011/4 N° 166 | pages 6 à 14

ISSN 2257-5111
DOI 10.3917/idee.166.0006
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DOSSIER I Hériter et transmettre
Héritage
et transmission
dans la sociologie
de Pierre Bourdieu
Sociologue de la reproduction sociale, Pierre Bourdieu accorde une place centrale
à l’héritage et à la transmission dans sa théorie du monde social. L’originalité de son
analyse tient à la fois à la redéfinition proposée de l’héritage et à l’étude fine de la manière
dont celui-ci agit sur le destin social des individus. Si la théorie bourdieusienne de la
reproduction sociale par le biais de l’école est bien connue, il apparait que l’héritage est
convoqué de manière beaucoup plus large par Pierre Bourdieu, notamment au travers
de son intérêt pour les stratégies de transmission familiales.
Si la sociologie de Pierre Bourdieu est souvent sociale des membres de la famille. La nature de ces
1
Anne Jourdain , accusée de déterminisme, c’est qu’elle accorde une stratégies évolue au cours du temps : alors que dans les
doctorante
en sociologie, membre place prépondérante à l’héritage. Nos actions seraient sociétés précapitalistes, les stratégies matrimoniales
du CURAPP (80). ainsi en grande partie influencées par l’héritage que étaient prépondérantes, dans les sociétés contempo-
Sidonie Naulin,
doctorante nous transmet notre entourage familial. C’est sur raines, ce sont les stratégies scolaires qui dominent.
en sociologie, membre ce point que le sociologue et ses contradicteurs se L’école est en effet devenue une instance clé d’attribu-
du GEMASS (75).
divisent : nos actes, et plus largement notre destin tion des positions sociales. C’est la raison pour laquelle
social, sont-ils entièrement déterminés par notre Pierre Bourdieu s’est particulièrement intéressé à son
héritage ? fonctionnement. Selon lui, loin de mettre fin aux privi-
Comprendre la position de Pierre Bourdieu sur lèges conférés par l’héritage, l’école s’appuie sur les

cette question nécessite d’analyser la place qu’il accorde dispositions culturelles héritées pour assurer la repro-
à l’héritage et à la transmission dans sa théorie sociolo- duction des positions sociales. La famille est essentielle
gique. La notion d’héritage est employée par le sociologue dans ce mécanisme de reproduction puisqu’elle est à
dans un sens beaucoup plus large que le sens commun : l’origine de la transmission des dispositions culturelles
outre la richesse économique, nous héritons aussi d’un valorisées par l’école.
nom de famille, d’un niveau culturel, d’un réseau de
relations… Parmi l’ensemble de ces patrimoines – quali- Transmission du patrimoine
fiés de « capitaux » –, Pierre Bourdieu s’est intéressé en par le mariage ou l’école
particulier aux dispositions culturelles transmises au sein De la famille, Pierre Bourdieu dit qu’elle est l’« un
de la famille. C’est l’originalité de sa théorie que d’avoir des lieux par excellence de l’accumulation du capital
mis l’accent sur l’importance du patrimoine culturel sous ses différentes espèces et de sa transmission entre
1 Anne Jourdain et Sidonie plutôt que sur celle du patrimoine économique dans le les générations » [1, p. 35] 2 . Il va même plus loin en
Naulin ont récemment publié
La Théorie de Pierre Bourdieu
fonctionnement des sociétés contemporaines. affirmant qu’« elle sauvegarde son unité pour la trans-
et ses usages sociologiques, L’héritage est analysé par le sociologue comme un mission et par la transmission, afin de pouvoir trans-
Paris, Armand Colin, 2011.
vecteur de reproduction de la hiérarchie sociale. À mettre et parce qu’elle est en mesure de transmettre »
2 Les références entre
crochets renvoient à
l’échelle familiale, l’héritage fait l’objet de stratégies [1, p. 35]. Pour assurer sa fonction de transmission,
la bibliographie en fin d’article. visant au maintien et à l’amélioration de la position la famille met en œuvre des stratégies qui diffèrent
6 idées économiques et sociales I n° 166 I décembre 2011

Hériter et transmettre I DOSSIER
selon le contexte historique et social : si les straté- Dans son dernier ouvrage, Le Bal des célibataires [3],
gies matrimoniales étaient prépondérantes dans les qui rassemble trois articles écrits en 1962, 1972 et
sociétés précapitalistes, elles ont progressivement été 1989, Pierre Bourdieu cherche à analyser – avec
supplantées par les stratégies scolaires. un outillage théorique plus ou moins approfondi
selon l’article – la crise de la société paysanne béar-
Les stratégies matrimoniales naise touchée par le célibat de ses ainés. Ce dernier
de préservation du patrimoine familial compromet fortement la transmission du patrimoine
À travers l’organisation des mariages, la famille dans la mesure où les ainés, à qui revient la terre selon
apparait comme une instance de reproduction sociale le droit d’ainesse, n’ont plus d’enfants et donc plus
essentielle dans les sociétés traditionnelles que Pierre d’héritiers. Pierre Bourdieu analyse ce phénomène
Bourdieu qualifie de « précapitalistes ». Parmi les – qui prend le pas sur l’ancien célibat des cadets –
sociétés précapitalistes qu’il a étudiées, celles du Béarn comme l’effet d’un bouleversement du système des
et de la Kabylie occupent une place de premier choix. échanges matrimoniaux. Celui-ci est lui-même lié
Les enquêtes ethnographiques qu’il y a menées dans à un changement de valeurs caractéristique d’une
les années 1950 et 1960 alimentent l’ensemble de société qui s’urbanise et qui valorise alors moins la
son œuvre, et sont en particulier à l’origine de textes paysannerie : « Le relâchement de l’autorité pater-
d’inspiration structuraliste (sous l’influence de Claude nelle, l’ouverture à de nouvelles valeurs, ont ôté à la
Lévi-Strauss) sur les stratégies matrimoniales. Pierre famille son rôle d’intermédiaire dans la conclusion des
Bourdieu y décrit les stratégies des familles béarnaises mariages. » [3, p. 64] De fait, les stratégies matrimo-
ou kabyles qui cherchent à transmettre, sans l’épar- niales, autrefois prédominantes dans la transmission
piller, un patrimoine. Dans le chapitre « La terre et les d’un patrimoine et le maintien d’une position sociale,
stratégies matrimoniales » issu du Sens pratique [2], le s’effacent dans les sociétés contemporaines.
patrimoine dont il est question est de type économique :
il s’agit de la terre que les familles paysannes du Béarn Des stratégies matrimoniales
souhaitent transmettre à leurs enfants sans la diviser aux stratégies scolaires
afin de conserver leur rang, c’est-à-dire afin de main- L’émergence progressive de l’État a entrainé une
tenir leur position économique et sociale. Les stratégies transformation des stratégies de transmission fami-
matrimoniales dont les familles font preuve pour marier liales. La reproduction de l’ordre social s’est de plus
leurs enfants reposent sur un certain nombre de règles, en plus appuyée sur les structures de l’État et notam-
plus ou moins formelles, qui visent à éviter la disper- ment sur l’institution scolaire. L’État émergent est
sion de l’héritage. La première d’entre elles corres- alors devenu l’instance qui « organise la concentration
pond au droit d’ainesse : pour protéger l’intégrité du et la redistribution des différentes espèces de capital,

patrimoine, l’ainé (masculin 3 ) est le seul héritier de la économique, culturel et symbolique [et] entraîne 3 Si l’héritier ne peut être
une femme, c’est que
maison et de la terre familiales. En contrepartie de leur une transformation des stratégies de reproduction » la continuation du nom
renoncement à la terre, les cadets et les filles de la famille [4, p. 9]. On assiste ainsi au « passage de la logique doit être assurée et que,
dans la société traditionnelle
se partagent équitablement avec l’héritier le patrimoine dynastique de la “maison du roi”, fondée sur un mode béarnaise, l’on considère qu’un
homme est plus apte à diriger
converti en argent : la part de chacun constitue sa dot de reproduction familial à la logique bureaucratique de une exploitation agricole.
(l’adot en béarnais). Le privilège en termes d’héritage la raison d’État, fondée sur un mode de reproduction
accordé à l’ainé le contraint fortement du point de vue scolaire » [4, p. 10]. Le diplôme change de fonction : de
de son mariage : il ne peut se marier avec une femme simple attribut statutaire, il se transforme en un droit
dont l’adot est trop importante sous peine de menacer d’entrée et sa possession devient nécessaire pour légi-
la structure des relations de pouvoir domestique, mais timer une position dominante. Ainsi, dans les sociétés
il ne peut pas non plus se marier en dessous de son rang, contemporaines, les catégories sociales les plus favo-
la mésalliance étant désapprouvée par la famille. Les risées doivent-elles accéder aux diplômes pour légi-
règles de préservation du patrimoine favorisent ainsi timer leur position dans la structure sociale. Ce faisant,
les mariages entre familles de même rang en termes la famille « perd la maîtrise des choix successoraux
économiques. Ce faisant, les stratégies matrimoniales, et le pouvoir de désigner elle-même les héritiers »
vecteurs de reproduction sociale, tendent à perpétuer [4, p. 10] puisque ce pouvoir incombe désormais à
la hiérarchie en place. l’école.
décembre 2011 I n° 166 I idées économiques et sociales 7

LA NOTION DE STRATÉGIE DANS LA SOCIOLOGIE DE PIERRE BOURDIEU

La notion de « stratégie » occupe une place importante dans l’œuvre du sociologue. L’article « Stratégies de reproduction et modes
de domination » [4] en propose une explicitation. Dans une note de bas de page, Pierre Bourdieu précise : « En rupture avec l’usage
dominant de la notion, qui considère les stratégies comme des visées conscientes et à long terme d’un agent individuel, j’employais ce
concept pour désigner les ensembles d’actions ordonnées en vue d’objectifs à plus ou moins long terme et non nécessairement posés
comme tels qui sont produits par les membres d’un collectif. » [4, p. 4] La stratégie ne relève donc pas, pour le sociologue, d’un calcul
individuel cout-avantage, comme c’est le cas chez les tenants de l’individualisme méthodologique tels que Raymond Boudon. Même
si la stratégie se définit par la poursuite d’objectifs, les agents qui la mettent en œuvre n’en ont pas nécessairement conscience. Ainsi,
« les stratégies de reproduction ont pour principe non une intention consciente et rationnelle, mais les dispositions de l’habitus qui
tend spontanément à reproduire les conditions de sa propre production » [4, p. 6]. L’habitus, et non le calcul rationnel, est donc au
principe des stratégies mises en œuvre.
Si les stratégies de reproduction scolaire deviennent C’est donc dans le cadre d’une étude sur l’école que
prépondérantes dans les sociétés contemporaines, les deux auteurs appréhendent la notion d’héritage,
elles ne supplantent pour autant pas complètement celle-ci s’appliquant aux dispositions culturelles et
les stratégies de reproduction matrimoniales. Ces sociales des individus plutôt qu’à leur patrimoine
dernières survivent notamment dans les familles économique. Cette sociologie de l’école est pour-
qui possèdent le contrôle d’une entreprise. Pierre suivie en 1970 dans La Reproduction [6] qui se présente
Bourdieu met également en garde contre une vision comme un ouvrage plus théorique et plus conceptuel
qui opposerait le recours à la famille et le recours à que Les Héritiers. S’il fallait la résumer en une phrase, la
l’école dans les stratégies de reproduction : « Il s’agit thèse défendue dans ces deux écrits pourrait s’énoncer
plutôt, en fait, de la différence entre une gestion pure- ainsi : loin de favoriser l’égalité des chances, l’école
ment familiale des problèmes de reproduction et une participe à la reproduction des inégalités sociales et
gestion familiale qui fait entrer un certain usage de légitime ces inégalités par un discours méritocratique.
l’École dans les stratégies de reproduction. » [4, p. 10] L’école transmuerait ainsi l’héritage différencié de
La famille conserve donc un rôle dans la reproduction certaines dispositions culturelles en inégalités sociales
sociale, ne serait-ce qu’au travers de la transmission et rendrait acceptables ces inégalités en les attribuant
domestique de compétences culturelles ou des choix au mérite personnel des élèves.
d’orientation scolaire.
Pour Pierre Bourdieu, « une des questions les plus Le privilège culturel des héritiers face à l’école

fondamentales à propos du monde social est la ques- L’ouvrage Les Héritiers s’ouvre sur un certain
tion de savoir pourquoi et comment ce monde dure, nombre de résultats statistiques mettant en évidence
persévère dans l’être, comment se perpétue l’ordre l’importance de l’origine sociale en matière d’accès
social, c’est-à-dire l’ensemble des relations d’ordre aux études supérieures : « Un fils de cadre supérieur a
qui le constituent » [4, p. 3]. Pensée comme une quatre-vingt fois plus de chances d’entrer à l’univer-
instance centrale de reproduction dans les sociétés sité qu’un fils de salarié agricole et quarante fois plus
contemporaines, l’école occupe en conséquence une qu’un fils d’ouvrier ; ses chances sont encore le double
place majeure dans la sociologie bourdieusienne. de celles d’un fils de cadre moyen. » [5, p. 12] Au-delà
de ce phénomène d’« élimination », deux autres types
Le rôle de l’école dans la reproduction d’inégalités scolaires sont étudiées : la « relégation »
des positions sociales dans certaines des disciplines les moins prestigieuses et
En 1964, Pierre Bourdieu et Jean-Claude Passeron « le retard ou le piétinement », c’est-à-dire le redou-
publient Les Héritiers [5]. Par ce titre, ils désignent blement avant ou pendant les études supérieures.
une certaine catégorie d’individus : les étudiants en Dans les trois cas, l’origine sociale est le facteur de
lettres parisiens qui représentent selon eux l’image différenciation le plus déterminant, les enfants issus
idéale-typique de l’apprenti intellectuel dont la réus- des classes populaires apparaissant comme les laissés-
site scolaire est favorisée par l’origine bourgeoise. pour-compte de l’institution scolaire.

Les inégalités sociales face à la réussite scolaire ne autres, par une moindre maitrise de la langue scolaire
tiennent pas tant à des différences de richesse qu’à des qui, comme l’écrit Pierre Bourdieu, « n’est une langue
différences de culture. Selon Pierre Bourdieu et Jean- maternelle que pour les enfants originaires de la classe
Claude Passeron, un « privilège culturel » caractérise les cultivée » [7, p. 395].
étudiants issus des classes les plus favorisées (les fameux Selon leur catégorie sociale d’appartenance, les
« héritiers »). Pour l’expliquer, ils introduisent dans La étudiants ne disposent donc pas des mêmes ressources
Reproduction la notion de « capital culturel ». Ce capital pour s’adapter à la culture scolaire. Dans Les Héritiers,
désigne les connaissances en matière de culture et la capa- Pierre Bourdieu et Jean-Claude Passeron distinguent
cité à apprécier les œuvres issues de la « culture savante » trois classes sociales et analysent leurs rapports diffé-
telles que le théâtre, la musique classique, la peinture… renciés à la culture scolaire. Le privilège culturel des
Les résultats statistiques révèlent que le capital culturel catégories sociales favorisées permet aux étudiants qui
possédé est d’autant plus important que la classe sociale en sont issus d’entretenir un rapport libre et distancié
à laquelle on appartient est plus favorisée.Au travers de avec cette culture : « Ainsi la désinvolture ironique,
leur socialisation familiale, les étudiants issus des caté- l’élégance précieuse ou l’assurance statutaire qui
gories favorisées héritent ainsi d’une certaine familia- permet l’aisance ou l’affectation de l’aisance sont
rité avec la culture savante. Le privilège culturel de ces presque toujours le fait d’étudiants issus des hautes
étudiants face à l’école se traduit alors par une proximité classes où ces manières jouent le rôle d’un signe d’ap-
entre la culture qu’ils ont acquise au sein de leur milieu partenance à l’élite. » [5, p. 34] Pour les enfants de
social et familial et la culture de l’école, cette dernière paysans, d’ouvriers, d’employés ou de petits commer-
valorisant les mêmes œuvres que la culture savante. çants, tous éloignés de la culture de l’élite valorisée
Inversement, les étudiants issus des catégories les plus par l’école, « l’acquisition de la culture scolaire est
défavorisées n’héritent pas, à l’issue de leur socialisa- acculturation » [5, p. 37], c’est-à-dire qu’elle implique
tion familiale, des compétences culturelles valorisées une distanciation vis-à-vis de la culture d’origine pour
par l’école. Par conséquent, ils se caractérisent, entre mieux s’imprégner des normes et des valeurs de
L’HABITUS 4 4 Pour une analyse

plus détaillée de la notion
Empruntée notamment à Aristote et à Saint Thomas d’Aquin, la notion d’habitus occupe une place centrale d’habitus dans l’œuvre
dans la sociologie de Pierre Bourdieu. Celui-ci en a donné de multiples définitions. La plus célèbre se trouve de Pierre Bourdieu,
voir [9], p.33 à 38.
dans Le Sens pratique [2] où les habitus sont décrits comme des « systèmes de dispositions durables et transposables,
structures structurées prédisposées à fonctionner comme structures structurantes. » (p. 88) Les habitus relèvent
de schèmes de perception (manières de percevoir le monde), d’appréciation (manières de le juger) et d’action

(manières de s’y comporter) hérités puis mis en œuvre par les individus.
L’habitus comporte deux dimensions. D’une part, il est « intériorisation de l’extériorité » : par le biais de
la socialisation – primaire, pendant l’enfance, puis secondaire, à l’âge adulte –, il permet « l’intériorisation des
structures du monde social » [10, p. 155], autrement dit l’intériorisation des limites au sein desquelles il est
possible d’agir. D’autre part et simultanément, l’habitus permet une « extériorisation de l’intériorité » en raison
de son rôle de « structure structurante » génératrice de pratiques. L’habitus permet en effet aux individus, dans
une situation donnée, de produire le comportement correspondant à ce qui est attendu d’eux par le contexte
social (c’est-à-dire d’accorder leurs structures subjectives aux structures objectives du monde social) sans avoir
forcément à y réfléchir, puisqu’ils ont auparavant intériorisé l’extériorité du monde social.
Les habitus varient selon les conditions d’existence et la trajectoire sociale de chacun. Dans la mesure où
les conditions d’existence sont communes à tout un ensemble de personnes placées dans la même situation
socioéconomique, ces personnes partagent pour partie le même habitus. Cela autorise Pierre Bourdieu à parler
d’habitus de classe (habitus ouvrier ou habitus bourgeois par exemple). Cependant, comme chaque personne a
une trajectoire individuelle propre et occupe une position particulière au sein de sa classe, l’habitus comporte
aussi une dimension individuelle qui fait que chaque habitus particulier est envisagé comme une variante d’un
habitus collectif.

l’école. Enfin, les classes moyennes se distinguent des habitus, se jouent ainsi l’héritage de dispositions mais
classes populaires non pas par leur plus grande facilité aussi celui d’une propension plus ou moins grande à
à assimiler la culture de l’école mais par leur plus forte l’ambition scolaire et sociale.
volonté de l’acquérir. Une « bonne volonté cultu-
relle », fondée sur une adhésion totale aux valeurs de La transformation de l’héritage culturel
l’école, est ainsi transmise dans les familles des milieux en mérite scolaire
petit-bourgeois qui cherchent à atteindre la réussite Pierre Bourdieu et Jean-Claude Passeron remettent
sociale par la réussite scolaire (leurs chances objectives en question la croyance méritocratique républicaine
sont faibles mais réelles). Du fait de sa proximité avec selon laquelle l’école favoriserait l’égalité des chances
la culture de l’élite, la culture de l’école fait l’objet et la disparition des privilèges liés à l’héritage fami-
d’une acquisition laborieuse pour les individus qui ne lial. Selon eux, le postulat d’une égalité formelle
sont pas issus des classes cultivées. entre les élèves rend l’institution scolaire inattentive
La notion d’habitus, introduite dans La Reproduc- aux inégalités réelles. L’école traite en effet tous les
tion (les auteurs parlaient d’« habitudes culturelles » élèves comme égaux face à la culture alors qu’ils sont
dans Les Héritiers), permet de théoriser le rapport inégaux de fait : elle manifeste ainsi une « indiffé-
entre héritage culturel et réussite scolaire. L’habitus rence aux différences » [6, p. 220]. Le problème est
Le postulat d’une égalité formelle entre

“
les élèves rend l’institution scolaire inattentive
aux inégalités réelles
”
que tend à inculquer l’école est plus ou moins proche qu’en refusant d’établir un lien entre l’origine sociale
de l’habitus qui a été inculqué par la famille au sein des élèves et leur niveau de capital culturel, l’école
du milieu social, c’est-à-dire l’habitus de classe qui renforce la sélection différentielle par la classe sociale.
se caractérise par des schèmes de perception et d’ap- Par exemple, lors d’un concours ou d’un examen, les
préciation communs à une classe sociale. Plus l’écart épreuves et les critères sont les mêmes pour tous les
entre ces deux types d’habitus est grand, moins les candidats : en apparence, le concours ou l’examen
chances de réussite scolaire sont importantes. Par donne à tous des chances égales, mais en réalité les

conséquent, les membres des classes populaires, étudiants les plus proches de la culture scolaire de par
par anticipation et du fait de leur habitus de classe, leur habitus de classe sont privilégiés par rapport aux
tendent à s’auto-éliminer de l’enseignement secon- autres. En particulier, puisque leur langage est plus
daire ou supérieur en considérant que les études ne proche du langage scolaire, ces étudiants n’ont que
sont pas faites pour eux. Pierre Bourdieu et Jean- peu d’efforts à fournir relativement aux autres pour
Claude Passeron montrent d’ailleurs que les inéga- satisfaire aux critères du concours ou de l’examen.
lités entre les classes sont davantage le fait de cette En souhaitant évaluer tous les étudiants sur un
auto-élimination que de l’échec scolaire.Tout se passe pied d’égalité, l’école appréhende les différences
donc comme si les catégories les plus défavorisées sociales comme des différences purement scolaires
avaient intériorisé dans leur habitus les probabilités et transforme donc une hiérarchie sociale en classe-
objectivement faibles qu’elles ont d’accéder aux ment scolaire. Cette attitude d’ignorance de la part
études supérieures et qu’elles ajustaient leur compor- de l’école et son effet de renforcement des inégalités
tement à leurs chances objectives de réussite. Pierre peuvent être résumés ainsi : « Pour que soient favorisés
Bourdieu qualifie par la suite d’amor fati ou « amour les plus favorisés et défavorisés les plus défavorisés,
du destin social » cet « ajustement inconscient aux il faut et il suffit que l’école ignore dans le contenu
probabilités associées à une structure objective de de l’enseignement transmis, dans les méthodes et
domination » [8, p. 58]. À travers la formation d’un les techniques de transmission et dans les critères de

jugement, les inégalités culturelles entre les enfants tion de mérites personnels. L’idéologie charismatique
des différentes classes sociales. » [10, p. 336] du don est encore une fois au cœur de cette opération
Pour justifier les inégalités scolaires obtenues, de légitimation de la reproduction sociale, puisqu’à
l’école les rapporte à des inégalités de compétences travers elle, l’héritage social est oublié et la repro-
naturelles. Elle entretient ainsi une « idéologie du duction sociale n’est pas perçue comme telle. L’école
don », une « idéologie charismatique », qui fait passer contribue en définitive à reproduire l’état des rapports
les aptitudes à la réussite scolaire pour des dispositions de force entre classes sociales tout en dissimulant
innées, alors que Pierre Bourdieu et Jean-Claude l’existence de ces rapports de force : elle fait preuve de
Passeron montrent qu’elles sont culturelles, donc « violence symbolique » vis-à-vis des dominés comme
acquises au sein d’un milieu social et familial. Dans des dominants.
La Reproduction, les auteurs analysent par exemple En réalité, la reproduction opérée par l’école ne
le reproche adressé à certains élèves d’être « trop reflète pas exactement l’état antérieur de la distribu-
scolaires », reproche paradoxal venant de l’institution tion des positions sociales.Tout d’abord, des « destins
scolaire elle-même. Formulé comme un jugement sur d’exception » témoignent d’une réelle possibilité de
une attitude personnelle naturelle, ce reproche sanc- mobilité sociale : certains individus dilapident leur
tionne en réalité une différence sociale puisqu’il s’agit héritage culturel tandis que d’autres mettent tout en
d’une caractéristique propre aux petits-bourgeois qui œuvre pour le faire fructifier et sortir d’une condition
n’ont pas acquis dans leur milieu familial la culture défavorisée. Surtout, le système scolaire dispose d’une
savante valorisée par l’école et qui sont obligés de faire autonomie relative mais réelle par rapport à l’élite et
des efforts visibles pour réussir. L’idéologie du don, sa culture qui lui permet notamment de définir ses
qui repose sur la dénégation de l’effet de l’héritage propres critères de classement. La distance, petite mais
culturel, permet finalement à l’institution scolaire de réelle, entre la culture scolaire et la culture de l’élite
légitimer le classement qu’elle établit entre élèves en autorise alors un relatif brouillage entre hiérarchie
lui donnant un fondement méritocratique. Sous l’ap- sociale et hiérarchie scolaire. Ce brouillage permet à
parence de l’égalité des chances, l’école transforme l’école de revendiquer une autonomie totale vis-à-vis
ainsi l’héritage social en mérite scolaire. de la structure sociale, alors qu’il n’est en réalité pas
propre à remettre en cause les écarts culturels entre
La légitimation de la reproduction sociale catégories sociales.
par l’école Dans les sociétés contemporaines, l’école se
L’idéologie du don diffusée par l’école permet de présente donc comme l’instance centrale qui fait jouer
légitimer la position sociale occupée à la sortie de un rôle primordial, dans l’acquisition d’une position
la scolarité. Cette position sociale est définie par les sociale spécifique, à l’héritage familial de dispositions

titres scolaires puisque dans les sociétés contempo- culturelles. Reste maintenant à rendre compte des
raines la hiérarchie sociale se calque en grande partie différences en termes de dispositions culturelles héri-
sur la hiérarchie scolaire. Dès lors, le discours mérito- tées selon la classe sociale d’origine.À travers la notion
cratique permet à l’école de légitimer non seulement d’habitus, la sociologie bourdieusienne se donne pour
la hiérarchie scolaire mais aussi la hiérarchie sociale ambition d’expliquer de façon fine comment se réalise
qui en est issue. L’école manifeste ainsi un pouvoir leur transmission.
d’ordonnancement et de consécration.
Pour Pierre Bourdieu et Jean-Claude Passeron, L’héritage des préférences culturelles
l’école se présente avant tout comme une instance et des dispositions sociales
de reproduction sociale : les inégalités sociales trans- Si l’école apparait comme la principale instance de
formées en inégalités scolaires redeviennent ensuite transmission des positions sociales dans les sociétés
des inégalités sociales à la sortie du système scolaire. contemporaines, il reste que « le rendement scolaire
L’école apparait finalement comme une « boite noire » de l’action scolaire dépend du capital culturel préala-
qui transforme une hiérarchie sociale non légitime – blement investi par la famille » [11, p. 3]. Pour assurer
car reposant sur l’héritage familial – en une hiérarchie la reproduction de la structure sociale, l’école s’ap-
sociale relativement identique mais légitimée par les puie avant tout sur la transmission familiale du capital
titres scolaires qui sont censés être attribués en fonc- culturel.

En accordant au capital culturel un rôle prédomi- C’est une particularité du capital culturel que
nant dans la reproduction sociale, Pierre Bourdieu se d’être transmissible par incorporation, et c’est aussi
démarque de la sociologie marxiste et de la pensée cette propriété qui rend sa transmission relativement
dominante des années 1960. Il considère en effet que invisible. Contrairement aux capitaux existant unique-
la position des individus dans la hiérarchie sociale n’est ment sous forme objectivée (le capital économique
pas uniquement déterminée par la quantité de capital notamment), le capital culturel « ne peut être transmis
économique qu’ils possèdent. Parmi les différents instantanément (à la différence de la monnaie, du titre
types de capitaux détenus par les individus (capital de propriété ou même du titre de noblesse) par le don
économique, capital culturel, capital social, capital ou la transmission héréditaire, l’achat ou l’échange »
symbolique…), le capital culturel et ses modalités de [11, p. 4].
transmission sont fondamentaux. À l’état objectivé, le capital culturel est transmis-
sible comme n’importe quel autre bien matériel, de
Les trois états du capital culturel la même manière que le capital économique. Toute-
Dans un article intitulé « Les trois états du capital fois, Pierre Bourdieu fait remarquer que « ce qui est
culturel » [11], Pierre Bourdieu précise que le transmissible, c’est la propriété juridique et non pas
capital culturel peut exister sous trois formes : « à (ou pas nécessairement) ce qui constitue la condition
l’état incorporé » [11, p. 3], c’est-à-dire sous la forme de l’appropriation spécifique, c’est-à-dire la posses-
de dispositions, de savoirs et savoir-faire constitu- sion des instruments qui permettent de consommer
tifs d’un habitus ; « à l’état objectivé », sous la forme un tableau ou d’utiliser une machine et qui, n’étant
de biens culturels (tableaux, livres, dictionnaires, autre chose que du capital incorporé, sont soumis
machines…) ; et « à l’état institutionnalisé », sous la aux mêmes lois de transmission » [11, p. 5]. Autre-
forme de titres scolaires. ment dit, pour véritablement hériter d’un tableau par

exemple, il faut non seulement recevoir l’objet mais de décoration, manière de s’habiller, pratiques spor-
aussi disposer des capacités à l’apprécier. tives…). Dans La Distinction [12], Pierre Bourdieu
De la même manière, l’acquisition de capital met en évidence l’existence de trois classes sociales
culturel sous forme institutionnalisée (diplômes (bourgeoisie, petite bourgeoisie, classe populaire)
notamment) repose sur la possession, en amont, de qui se caractérisent chacune par un « style de vie »
capital culturel familial hérité nécessaire à la réussite lié aux conditions de vie de ses membres. Le rapport
scolaire (voir la partie précédente). Une fois acquis, à la culture acquis au sein de la famille dépasse donc,
le capital culturel à l’état institutionnalisé possède pour Pierre Bourdieu, le simple rapport à la culture
toutefois « une autonomie relative par rapport à son savante : il englobe tous les aspects de la vie sociale 5 . 5 Par « culture »,
Pierre Bourdieu entend aussi
porteur et même par rapport au capital culturel [que Ainsi, l’opposition, mise au jour par Pierre Bourdieu, bien le rapport entretenu
son porteur] possède effectivement à un moment entre la classe populaire qui privilégie la force, la quan- avec les œuvres d’art ou
de l’esprit (culture savante)
donné du temps » [11, p. 5]. tité, la substance, et la bourgeoisie qui donne le primat que les façons de manger,
d’aménager son intérieur
à la forme, à la légèreté, à la distance, se retrouve ou de se vêtir (culture
La transmission du capital culturel aussi bien dans le domaine alimentaire que dans les au sens de l’ethnologie).
Les deux acceptions
par incorporation domaines sportif ou artistique. L’insensibilité de la du terme « culture » sont
La particularité du capital culturel tient à son mode transmission culturelle au sein de la famille conduit au en effet intimement liées
chez cet auteur.
de transmission par incorporation.Au sein de la famille déni du caractère acquis du gout. Celui-ci est dès lors
bourgeoise, la compétence culturelle (le « bon gout ») perçu comme inné, naturel et spontané et cela fait de
est transmise dès le plus jeune âge, de manière incon- la transmission du capital culturel « la forme la mieux
sciente, en deçà des discours, par l’immersion précoce dissimulée de transmission héréditaire du capital » [11,
des enfants dans un environnement cultivé. L’accumu- p. 4]. Malgré le primat accordé au capital culturel, les
lation initiale de capital culturel rend plus facile ensuite principes de transmission d’autres types de capitaux
l’accumulation ultérieure de ce même capital, notam- sont également analysés par Pierre Bourdieu.
ment sous sa forme scolaire. En effet, la transmission
du capital culturel correspond à la transmission d’un La transmission des autres types de capitaux
habitus plus ou moins cultivé : au sein de la famille, Dans la sociologie bourdieusienne, les ressources
les enfants acquièrent des manières de percevoir le dont disposent les individus – qui déterminent la
monde, de l’apprécier et de se comporter qu’ils inté- place qu’ils occupent dans la société – sont de diverses
riorisent et qu’ils incorporent.À force de faire l’expé- natures. Selon la nature du capital considéré (capital
rience de choix qui suscitent des approbations ou des économique, culturel, social et symbolique essentiel-
moqueries, les individus apprennent inconsciemment lement), les règles de transmission diffèrent.
à agir de telle sorte que leurs pratiques et leurs gouts Défini comme l’ensemble des ressources écono-

soient valorisés par leur entourage. Les compétences miques possédées par un individu (revenus, patrimoine
culturelles acquises dépendent donc des chances mobilier et immobilier, etc.), le capital économique se
objectives de pouvoir les mettre en valeur autour de transmet classiquement d’une génération à l’autre, par
soi. Plus l’environnement valorise la culture savante, transfert matériel.
plus l’enfant incorporera cette culture savante. Par À l’inverse, comme nous l’avons montré, le capital
conséquent, l’habitus transmis et la quantité de capital culturel se transmet essentiellement par incorpora-
culturel acquis dépendent avant tout de la classe sociale tion.
à laquelle appartient la famille d’origine. Le capital social est, pour sa part, défini comme
L’habitus étant un « principe générateur et organi- « l’ensemble des ressources actuelles ou potentielles
sateur de pratiques et de représentations » [2, p. 88], il qui sont liées à la possession d’un réseau durable de
est non seulement à l’origine des gouts et des pratiques relations plus ou moins institutionnalisées d’inter-
(notamment en matière culturelle), mais il est aussi connaissance et d’inter-reconnaissance » [13, p. 2]. Un
ce qui crée un lien entre les pratiques et assure leur agent dispose d’un capital social d’autant plus impor-
cohérence. Il favorise ainsi l’apparition d’un « style de tant que l’étendue de son réseau relationnel est plus
vie » constitué de ce qu’ont en commun les différents grande et que les personnes avec lesquelles il est en
types de choix culturels d’une classe sociale (alimen- relation sont elles-mêmes plus fortement dotées en
tation, langage, gouts musicaux ou picturaux, choix capitaux économiques et culturels. Le capital social ne

peut être transmis tel quel dans la mesure où il néces- (le mariage, l’école…), les stratégies de reproduction
site un travail constant d’instauration et d’entretien, dominantes adoptées par les familles se modifient.
afin de « produire et reproduire des liaisons durables Pour maintenir ou améliorer leur position dans l’es-
et utiles, propres à procurer des profits matériels ou pace social, les familles sont donc parfois amenées à
symboliques » [13, p. 2]. Le capital social n’est donc reconvertir le type de capital qu’elles possèdent en
jamais définitivement acquis et il suppose, pour être une espèce de capital plus rentable ou plus légitime
utile, une activation périodique des contacts de son socialement. Dans un monde où le capital scolaire est
carnet d’adresse. dominant pour maintenir ou acquérir une position
Enfin, le capital symbolique renvoie aux notions de sociale, certaines familles riches en capital écono-
prestige et de reconnaissance sociale. Pierre Bourdieu mique ou culturel cherchent donc à transformer le
précise ainsi que « le capital symbolique n’est pas autre capital qu’elles possèdent en capital scolaire [14].
chose que le capital économique ou culturel lorsqu’il
est connu et reconnu » [10, p. 160]. Disposer de capital La sociologie bourdieusienne de la transmission
symbolique, c’est donc avoir un certain pouvoir sur peut paraitre déterministe : la transmission du capital
ceux qui sont prêts à nous accorder du crédit. Bien que culturel, centrale dans le processus de reproduction
conféré par des individus extérieurs à la famille, le capital sociale, semble en effet conditionner fortement la
symbolique est transmissible, au sein de la famille, mais réussite scolaire et, consécutivement, la position
selon des principes qui dépassent la famille elle-même. sociale de chacun. Les individus sont-ils alors, pour
Ainsi en est-il par exemple du nom de famille à propos Pierre Bourdieu, des prisonniers passifs de leur héri-
duquel Pierre Bourdieu écrit : « Le père n’est que le tage, socialement déterminés par leur habitus ? La
sujet apparent de la nomination de son fils puisqu’il le possibilité pour les familles de convertir leurs capitaux
nomme selon un principe dont il n’est pas le maître et en d’autres espèces de capitaux pour maintenir leur
que, en transmettant son propre nom (le nom du père), il position sociale en fonction du contexte historique ou
transmet une auctoritas dont il n’est pas l’auctor, et selon encore la possibilité pour les individus de rejeter l’hé-
6 Dans le chapitre « Les une règle dont il n’est pas le créateur. » [1, p. 35] ritage qu’on leur attribue 6 ouvrent la voie à une inter-
contradictions de l’héritage »
[15], Pierre Bourdieu évoque
Les stratégies familiales de transmission dépendent prétation plus souple du cadre d’analyse bourdieusien.
par exemple le cas des de l’espace des stratégies possibles et du type de Le sociologue n’a d’ailleurs jamais manqué, face aux
« ratés » qui, en se révoltant
« indistinctement contre l’école capital possédé. À un moment donné, une stratégie accusations de déterminisme portées à l’encontre
et contre la famille » (p. 713),
ne satisfont pas aux aspirations
et le type de capital qui lui est associé peuvent devenir de sa théorie, d’affirmer sa croyance en une certaine
sociales que leurs parents prépondérants : ainsi, comme nous l’avons vu précé- liberté individuelle par le biais de la dimension créa-
se sentent en droit de leur
assigner. demment, les stratégies scolaires ont-elles succédé trice de l’habitus. Si l’agent bourdieusien est avant tout
progressivement aux stratégies matrimoniales. Par un héritier, il dispose cependant d’une certaine capa-

conséquent, suivant le mode de reproduction légitime cité à agir sur son héritage et à s’en distancier.
Bibliographie
[1] BOURDIEU P., « À propos de la famille comme catégorie réalisée », Actes de la recherche en sciences sociales, n° 100, 1993, p. 32 à 36.
[2] BOURDIEU P., Le Sens pratique, Paris, Minuit, 1980.
[3] BOURDIEU P., Le Bal des célibataires. Crise de la société paysanne en Béarn, Paris, Le Seuil, 2002.
[4] BOURDIEU P., « Stratégies de reproduction et modes de domination », Actes de la recherche en sciences sociales, n° 105, 1994, p. 3 à 12.
[5] BOURDIEU P., PASSERON J.-C., Les Héritiers. Les étudiants et la culture, Paris, Minuit, 1964.
[6] BOURDIEU P., PASSERON J.-C., La Reproduction. Éléments pour une théorie du système d’enseignement, Paris, Minuit, 1970.
[7] BOURDIEU P., « La transmission de l’héritage culturel », in Darras, Le Partage des bénéfices. Expansion et inégalités en France, Paris,
Minuit, 1996.
[8] BOURDIEU P., La Domination masculine, Paris, Le Seuil, 1998.
[9] JOURDAIN A., NAULIN S., La Théorie de Pierre Bourdieu et ses Usages sociologiques, Paris, Armand Colin, 2011.
[10] BOURDIEU P., « L’école conservatrice. Les inégalités devant l’école et devant la culture », Revue française de sociologie, vol. VII, 1966,
p. 325 à 347.
[11] BOURDIEU P., « Les trois états du capital culturel », Actes de la recherche en sciences sociales, n° 30, 1979, p. 3 à 6.
[12] BOURDIEU P., La Distinction. Critique sociale du jugement, Paris, Minuit, 1979.
[13] BOURDIEU P., « Le capital social. Notes provisoires », Actes de la recherche en sciences sociales, n° 31, 1980, p. 2 à 3.
[14] BOURDIEU P., « Classement, déclassement, reclassement », Actes de la recherche en sciences sociales, n° 24, 1978, p. 2 à 22.
[15] BOURDIEU P. (dir.), « Les contradictions de l’héritage », in La Misère du monde, Paris, Le Seuil, 1993, p. 711 à 718.

Anne Jourdain Et Sidonie Naulin Héritage Et Transmission Dans La Sociologie de Pierre Bourdieu

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HÉRITAGE ET TRANSMISSION DANS LA SOCIOLOGIE DE PIERRE

Anne Jourdain, Sidonie Naulin

Réseau Canopé | « Idées économiques et sociales »

2011/4 N° 166 | pages 6 à 14

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LA NOTION DE STRATÉGIE DANS LA SOCIOLOGIE DE PIERRE BOURDIEU

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L’HABITUS 4 4 Pour une analyse

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Le postulat d’une égalité formelle entre

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