Christophe Sandlar
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Christophe Sandlar
Rappels historiques
fondés sur la concentration des grandes cultures et sur une meilleure commer-
cialisation des produits vivriers, du fait de la présence de nombreux centres
urbains drainant la main-d’œuvre du Nord.
S’ajoute à cela un fort taux d’analphabétisme, malgré d’importants efforts de
l’État en la matière, dont les causes endogènes ne sont pas négligeables : « Bien
que tous, au Nord comme au Sud, Ivoiriens comme étrangers, aient accès à
l’école comme moyen d’uniformisation sociale à terme, l’offre scolaire est
différemment exploitée selon les groupes. Dans le Nord, il existe très peu de
scolarisation des enfants. Malinké, Sénoufo, Maliens, Guinéens, Dioula, en
général, forment peu leurs enfants à l’école, mais les intègrent plutôt dans l’ap-
prentissage des fonctions de production familiales traditionnelles dont ils ont la
ressource : métayers, commerçants, colporteurs ou artisans, apprentis mécani-
ciens 1, etc. »
D’autre part, le rôle du poro – rite initiatique – chez les populations sénoufo,
longtemps majoritairement animistes, et une éducation souvent exclusivement
coranique au détriment de l’enseignement classique en français ne sont proba-
blement pas non plus sans relation avec ce décalage par rapport aux autres popu-
lations ivoiriennes 2.
Tout cela engendre une situation ambiguë pour les « nordistes », d’ailleurs
en nombre considérable au sud du pays : « Aujourd’hui encore, bien que très
présents dans la vie économique et dans l’appareil d’État (surtout dans l’armée),
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plus d’adeptes que jamais, en particulier parmi les étrangers. Si la position des
colons envers l’islam ivoirien fut plutôt marquée de méfiance durant presque
tout le premier tiers du XXe siècle, il n’en fut pas de même au début du proces-
sus de colonisation à proprement parler, car cette religion était considérée
comme un moindre mal par rapport à l’animisme : « Cette attitude procédait
d’une conception évolutionniste un peu sommaire selon laquelle l’islam repré-
sentait une étape intermédiaire sur le chemin qui menait de la “sauvagerie”
primitive, et animiste, à la “civilisation” occidentale, et chrétienne. Puisque les
Nègres de la Forêt ne pouvaient sauter deux étapes successives d’un coup, il
fallait au moins leur en faire franchir une, qui les rendrait plus ouverts aux bien-
faits de la civilisation 4. » D’ailleurs : « [c’est] la situation coloniale elle-même
qui créait les conditions favorables au ralliement des populations conquises sous
la bannière de l’islam – comme au Sénégal. Persécuté, l’islam incarnait les aspi-
rations populaires ou aristocratiques à la résistance ; comblé de faveurs, il profi-
tait des allées du pouvoir pour consolider son autorité sur les masses. Dans les
deux cas, et parfois successivement, il était gagnant 5 ». La question musulmane
s’imposera désormais avec plus de force à la nation ivoirienne en gestation,
alors qu’au début du processus colonial cette religion était très faiblement et
superficiellement présente 6.
« Grand Nord uni, fort, crédible, partenaire à part entière et arbitre des situations
futures 9 ».
Cette charte tire argument du sous-développement du Nord pour y victimi-
ser les populations et tente de faire de semblable posture un ressort de mobili-
sation important. Par ailleurs, elle insinue qu’alors que les Akan du Sud
boudaient le RDA (Rassemblement démocratique africain dont faisait partie le
PDCI, le Parti démocratique de Côte d’Ivoire, ancien parti unique), les popula-
tions du Nord et leur leader de l’époque, Gbon Coulibaly, auraient été jadis à la
pointe du combat anticolonial 10.
La charte du Nord participe d’une arrogance de certains « Sahéliens » majo-
ritairement issus des élites à l’encontre des « bushmen » : « Ils ont le sentiment
de leur supériorité culturelle et religieuse et n’hésitent pas à dire qu’ils auraient
accompli des fonctions civilisatrices en colonisant le Sud si les Européens ne les
avaient pas précédés 11. » Une seconde charte du Nord répond, en 2002, à ce que
ses auteurs considèrent comme une mise en cause des origines des « Nordistes »
par l’« ivoirité » élaborée au Sud : « Les Nordistes ne sont-ils pas les premiers
à avoir foulé la terre d’Éburnie dès le XIIIe siècle ? La Côte d’Ivoire, notre Côte
d’Ivoire appartient avant tout au Nordiste qui a toujours su défendre ses inté-
rêts 12. »
Quant à Gaoussou Ouattara, le frère aîné d’ADO, il entretient ce sentiment
– ou complexe (?) – de supériorité traduit dans la charte : « Je vais dire pour-
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parce que ceux du Sud, pour des raisons historiques, on leur a donné une primauté
sur la chefferie du Nord. Oubliant que les vrais chefs de ce pays, en définitive,
quand on regarde bien, sont d’ici. J’ai souvent dit aux gens qu’on naît chef, on ne
le devient pas. Vous avez à Abidjan des chefs-cuisiniers qui, à la fin, deviennent
des chefs traditionnels. Ils portent leur couronne pour aller nous embêter au palais
présidentiel. Ils n’ont même pas un millier de personnes derrière eux. Moi, j’ai
derrière moi des territoires qui s’étendent jusqu’au fleuve Niger 13. »
Le 1er octobre 1992, ADO, au plus fort de sa lutte contre Henri Konan Bédié
(HKB), ira lui-même, sous couvert de panafricanisme, dans le même sens lors
d’une visite officielle au Nord : « Je suis fier d’être du Nord, de cette grande
région du Nord qui faisait partie d’un autre pays, la Haute-Volta, à un moment
donné. La Côte d’Ivoire allait, à l’époque, de Korhogo à Bobo Dioulasso. Peut-
être qu’en l’an 2000, la Côte d’Ivoire ira encore jusqu’à Niamey. C’est cela
l’Afrique, et c’est ce que nous devons rechercher et non le micronationalisme
qui donne une localisation régionale de la nationalité de la personne 14. »
Le chercheur Coulibaly Tiémoko, quant à lui, analyse la tournée d’ADO au
Nord comme point de départ de sa stratégie national-régionaliste : « [ADO]
commença à courtiser très tôt l’électeur nordiste musulman, allant jusqu’à effec-
tuer une tournée dans le nord du pays au plus fort de la guerre de succession
avec le dauphin constitutionnel. Plusieurs de ses anciens ministres ont affiché
leur appartenance à ce parti dirigé par Djény Kobina, un des anciens animateurs
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batailles des autochtones du Sud tendent à la « récupération » des terres que les
allochtones ivoiriens ou étrangers se seraient, selon eux, appropriées. Mais ce
passage paraît moins surprenant si l’on veut bien se remémorer que les relations
tendues entre autochtones et allochtones ne sont pas l’apanage du seul Sud. Le
Nord aussi a vécu de fortes tensions entre autochtones et allochtones, surtout
dans les années 1970, à la suite de l’immigration dans le Nord ivoirien de
milliers de Burkinabé, Maliens et Nigériens, surtout éleveurs, en raison de
terribles sécheresses. Ces derniers, accompagnés de leur bétail, entraient en
conflit avec des populations pastorales, et il y eut, dans la région de Boundiali,
en 1974, 1980 et 1981, des affrontements avec mort d’homme 16.
Les auteurs souhaitent « battre le rappel de tout le Grand Nord en vue d’une
action concertée résolument tournée vers une option dont le principe directeur
sera : “ni à droite, ni à gauche, mais au milieu”. » Et ils y insistent : « […] il
importe désormais de situer le Grand Nord à l’écart du PDCI, très loin du FPI
(Front populaire ivoirien, composante de l’Internationale socialiste et dont l’ac-
tuel président Laurent Gbagbo est membre) et de l’opposition, parce que cette
région doit emprunter sa propre voie, car la différence de zone entraîne, ipso
facto, une différence de compréhension et de comportement et une différence
d’intérêts, lesquels peuvent être complémentaires mais jamais semblables ». Et
enfin : « Le Grand Nord entend donc s’organiser en fonction de ses intérêts bien
propres. »
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16. Pour une analyse récente des conflits fonciers actuels au nord de la Côte d’Ivoire, cf.
T. Le Guen, « Le développement agricole et pastoral du nord de la Côte d’Ivoire : problèmes
de coexistence », dans Les Cahiers d’Outre-Mer, Revue de Géographie de Bordeaux, Tome
LVII, n° 226-227, avril-mai 2004.
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17. P. 9-10. En décembre 2000, peu après l’accession de Gbagbo au pouvoir, lorsque la Cour
suprême déclara ADO inéligible parce qu’il n’avait pu, selon elle, apporter la preuve de sa
nationalité, on se rendit compte à quel point il n’y avait pas là des paroles en l’air. En effet,
selon Soir Info du 2 décembre 2000, Alphonse Soro, président du Forum des associations du
Grand Nord déclare : « Nous donnons 72 heures aux autorités afin qu’elles prennent leurs
responsabilités, sinon nous allons nous déchaîner. Il n’y aura pas de campagne électorale
dans le Grand Nord. » Le boycott sera effectivement des plus efficaces. Lorsque quelques
semaines plus tard, le scrutin put y avoir lieu, le taux de participation y était de 13 % ! Ce
taux d’abstention extrêmement élevé des partisans du RDR et des électeurs intimidés par le
boycott permit au PDCI, avec ce qui lui restait de ses réseaux, de remporter la mise et de faire
jeu égal avec le FPI à l’Assemblée nationale. Seul le siège de Kong où se présentait ADO reste
jusqu’aujourd’hui vacant.
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18. Cf. P. N’Da, Le drame démocratique africain sur scène en Côte d’Ivoire, Paris, L’Har-
mattan, 1999, p. 266-267.
19. Cf. J.-P. Dozon, « La Côte d’Ivoire entre démocratie, nationalisme et ethnonationa-
lisme », dossier « Côte d’Ivoire : La tentation ethnonationaliste », Politique Africaine n° 78,
Paris, Karthala, 2000, p. 57-58.
20. Cf. J. Carle, « Quand la crise influe sur les pratiques nominales, Les changements de nom
chez les Sénoufo de Côte d’Ivoire », Politique Africaine n° 95, 2004.
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d’Y. Konaté résume cette volonté politique : « Dans les faits comme dans l’ima-
gination, nordistes et musulmans, musulmans et nordistes tendent à se
confondre, la mobilisation de la majorité des Ivoiriens du Nord et de la quasi-
totalité des musulmans pour la cause d’Alassane le dote d’un instrument poli-
tique puissant et redoutable 21. »
Jean-Jacques Béchio, dirigeant du RDR, poussera le raisonnement encore
plus loin de manière subreptice : « En Côte d’Ivoire, malgré notre majorité
sociologique, tout le monde sait que nous sommes les plus nombreux, nous
avons subi trop de sortes de brimades : injures, humiliations, massacres. Nous
sommes des orphelins parce que nous ne sommes pas encore au pouvoir 22. »
Qui est ce « nous » ? Sont-ce seulement les électeurs du RDR ? Pourtant, même
les municipales favorables au RDR ont montré que ce dernier était loin de repré-
senter une majorité. Sont-ce alors les musulmans ou les Sahéliens en général,
nationaux et étrangers confondus ? Ou est-ce tout cela à la fois ? Les déclarations
de Béchio et d’autres dirigeants du RDR et de ses satellites entretiennent ainsi, dans
les représentations de ses partisans comme dans celles de ses adversaires, l’image
d’un Grand Nord, libérateur pour les uns, menaçant pour les autres.
Il est d’ailleurs à noter que ce discours est peu ou prou légitimé par nombre
de médias occidentaux qui considèrent l’accession du RDR au pouvoir comme
inéluctable, compte tenu de la supposée majorité sociologique des musulmans
et des Sahéliens nationaux et étrangers. Le « tout le monde sait » de Béchio
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21. Cf. Y.Konaté, « Le destin d’Alassane Dramane Ouattara », dans M. Le Pape et C. Vidal,
Côte d’Ivoire, L’Année terrible 1999-2000, op. cit., p. 290.
22. Soir Info, 21 mai 2002.
23. Ces derniers tribalisant bien souvent le débat politique à la manière de monsieur Jour-
dain.
24. Le caractère transnational des Dozo est souligné sur leur site par les Forces
nouvelles (nouvelle appellation des rebelles du MPCI) : « L’histoire des Dozo remonte au
Moyen Âge, lorsque le Dozo Soundjata Keïta créa l’empire mandingue qui s’étendait sur une
grande partie du Sahel actuel. »
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Au fil du temps, ces dizaines de milliers de dozos sont toujours plus diffi-
ciles à contrôler et favorables à la cause du Grand Nord incarnée par ADO. En
1998, HKB encadre strictement leur activité par une loi, sans parvenir à casser
cette dynamique paramilitaire nordiste. Après son coup d’État du 24 décembre
1999, le général Gueï réhabilite les dozos et leur confie des fonctions de police.
Il libère ainsi une force de frappe favorable à la dynamique nordiste que HKB
avait tenté d’endiguer.
Le 25 janvier 2001, peu après l’accession au pouvoir de Laurent Gbagbo, les
ministres de la Défense du Conseil de l’entente se rencontrent, notamment, pour
« sensibiliser les chasseurs traditionnels, dont les actes déviants constituent une
menace pour la sécurité des États ». On parle alors de plus de 40 000 dozos
recensés en Côte d’Ivoire ! À partir de septembre 2002, les dozos seront des
milliers à affluer de toute la sous-région vers le nord de la Côte d’Ivoire pour
donner un coup de main à la rébellion 25. Cette dernière se présentant comme
une branche paramilitaire plus classique, encadrée par des officiers ivoiriens et
burkinabé.
En tout état de cause, le RDR et ses organisations satellites ont évincé le FPI
de tout le Nord à l’exception d’une petite partie du Nord-Est. À tel point qu’en
2001, lors des élections municipales, certains supposent même une politique
d’exclusion des non-nordistes à l’œuvre dans le nord de la Côte d’Ivoire : « À
ce jeu, le nord se présente aujourd’hui comme une zone d’exclusion politique,
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25. Cf. le site des Forces nouvelles : « Dès le début des événements du 19 septembre 2002,
les Dozo ont rejoint les rangs du MPCI. Considérant leur territoire agressé depuis trop long-
temps, leur historique mission de protection les a conduits à s’impliquer aux côtés des
éléments du MPCI (actuelles Forces Nouvelles). Ils ont créé leur propre section : la Compa-
gnie des guerriers de la lumière, avec à sa tête le charismatique commandant Bamba. Nombre
des éléments de cette section sont détachés au sein de la Compagnie Guépard. »
26. Soir Info, 19 mars 2001.
27. Soir Info, 9 décembre 2000.
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28. Cf. G. Faes, « Faut-il avoir peur des Nordistes ? », Jeune Afrique, n° 1724 du 26 janvier
1994.
29. Ibid., p. 33-34.
30. Ibid.
31. Mais sans doute ses positions hostiles à Ouattara et au RDR feront que son nom disparaît
dans la version 2002 de la charte du Nord.
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même temps apparaître comme le nouveau leader des peuples du Nord, voire de
l’espace sahélien en Afrique de l’Ouest et de ses ressortissants 32.
En tout état de cause, le processus susceptible de constituer un bloc autour
d’ADO n’est pas aussi abouti que le souhaiteraient probablement les dirigeants
du RDR et de la rébellion, puisqu’une grande partie du Nord-Est et une fraction
des électeurs musulmans, ou considérés comme tels, leur échappent encore. Ils
peinent à élargir leur sphère d’influence. Par ailleurs, le RDR est confronté
comme tous les partis politiques ivoiriens, au faible taux de participation élec-
torale, même si son électorat semble mieux se mobiliser que celui des autres
partis. Un récent article 33 énonce au demeurant l’hypothèse que la refondation
restrictive de la citoyenneté et de l’identité ivoirienne des dernières années
aurait, par effet inverse, accéléré les changements de nom, notamment parmi les
Sénoufo jeunes, urbains et diplômés, du dioula au sénoufo. Un processus cepen-
dant enclenché de manière déterminante chez les Sénoufo, depuis les années
1980 avec J’ai changé de nom, de Valy Charles Tuho (1987) ; le livre connut un
grand succès.
Mis à part ces contradictions secondaires, force est de reconnaître que la
stratégie de pouvoir déclenchée par la charte du Nord a permis la constitution
d’un courant d’opinion extrêmement fort qui va très au-delà de l’électorat ivoi-
rien. Elle a aussi contribué, à sa façon, à une division de plus en plus profonde
du pays et de la population entre « nordistes » et « sudistes », entre musulmans
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32. ADO a, qui plus est passé, une grande partie de sa vie en Haute-Volta ; il reçut une bourse
d’études attribuée au titre de la Haute-Volta et occupa de hautes fonctions à la Banque
centrale des États d’Afrique de l’Ouest (BCEAO) en qualité de ressortissant de ce pays ; il allait
acheter des biens immobiliers en Côte d’Ivoire avec un passeport burkinabé. Tous ces faits
constituent, aux yeux de ses adversaires, autant de preuves de son extranéité, tandis que ses
partisans et lui-même n’y voient pas d’effet sur sa nationalité ivoirienne.
33. Cf. J. Carle, « Quand la crise », op. cit.
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d’une poursuite de l’alliance qui aurait existé entre Baoulé, Agni, Sénoufo et
Malinké : « L’avenir passe par la reconstitution des grandes alliances qui ont fait
la stabilité de ce pays », explique-t-il, avant de se livrer à une comptabilité à ses
yeux indiscutable : « Les Baoulé et les Agni représentent 35 % de la population,
les Sénoufo et les Malinké 35 % également. Bédié et moi sommes donc l’éma-
nation de 70 % des Ivoiriens 34. »
Quoi qu’il en soit, une telle approche ethniciste qui enferme tout membre
autoproclamé ou assimilé d’un groupe dans une opinion politique préalable est
loin d’être isolée et participe à la mise en place d’un scénario : nombre d’acteurs
politiques d’aujourd’hui imposeront de nouveau, à l’approche des élections de
2005, une logique identitaire qui s’est révélée extrêmement « rentable ». Elle
n’exige pas, en effet, des programmes très différents et ignore la question
sociale, tous se partageant les parts d’un gâteau auquel n’accèdent que ceux qui
disposent de la force brutale. Cependant, le sentiment des populations, victimes
des conséquences directes et indirectes de la guerre et, dans les zones occupées
par les rebelles, de l’absence d’État et d’administration, peut redistribuer les
cartes du jeu politique et identitaire ivoirien, avec une issue plus incertaine que
jamais.
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