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Alfred de 

Musset (1810 – 1857)

Il est né à Paris en décembre 1810. Brillant élève du Lysée Henri IV, il commence dès
1824 à écrire des vers. En 1828, il est introduit dans le Cénacle romantique et chez Charles
Nodier de l’Arsenal, il se lie avec Vigny et Sainte-Beuve, admire la virtuosité d’Hugo. Contes
d’Espagne et d’Italie 1830 révélaient déjà trop de fantaisie railleuse. Dans ses poèmes de
1830-1832, l’admiration pour l’art classique, la raillerie des extravagances romantiques le
situent en marge de la nouvelle école.
En 1832 la mort de son père affecte douloureusement Musset, obligé de gagner sa
vie, il publie Un spectacle dans un fauteuil qui comprend en plus de Namouna, un drame La
Coupe et les lèvres, et une comédie A quoi rêvent les jeunes filles
En tant que poète romantique, il est le plus séduisant, le plus libre, mais aussi le plus
désespéré de toutes personnalités qui apparaissent à l’intérieur du mouvement romantique.
Ce qui est important pour son œuvre poétique, c’est le rencontre avec George Sand :
ils sont partis en Italie, à Venise, où le poète tombe gravement malade et George Sand le
soigne de tout son dévouement, mais le trahit avec son médecin Pagello. Cette aventure et
cette inquiétude d’une âme tourmentée reparaitront dans la Confession d’un enfant de siècle
en 1836.
Musset venait de remporter un brillant succès en publiant Rolla quand il s’enflamma de
passion pour George Sand. Après un séjour idyllique à Fontainebleau, ils voulurent consacrer
leur amour romantique par un voyage en Italie. Mais la désillusion fut prompte. A Venise, en
février 1834, le poète tombe gravement malade; George Sand le soigne de tout son
dévouement,mais le trahit avec son médecin Pagello. Musset rentre seul à Paris et échange
avec elle une correspondance où il semble lui accorder son pardon. Quelques mois plus tard,
George Sand est de retour d’août 1834 à mars 1835, c’est une suite de réconciliations et de
ruptures orageuses où la jalousie nerveuse de Musset, excitée par l’abus de l’alcool, semble
avoir joué un grand rôle.
Il avait compris très tôt que la source de vrai lyrisme résidait dans le cœur, mais c’est
la douloureuse passion pour George Sand qui a contribué à mûrir le génie de Musset, même
si elle n’est pas directement à l’origine de tous ses chefs-d’œuvre. Cependant, c’est à cette
grande douleur que nous devons la poignante sincérité des Nuits, de la Lettre à Lamartine et
de Souvenir en 1841
Au cours des années 1835-1840, les plus fécondes de sa carrière, Musset publie des
comédies Barberine, Le Chandelier, Il ne faut jurer de rien, des nouvelles, des poèmes
satiriques Dupon et Duront, Une soirée perdue, une œuvre de critique Lettres à Dupuis et
Cotonet, puis Il faut qu’une porte soit ouverte ou fermée, Carmosine, Bettine – comédies
Il entre à l’Académie en 1852.

Poète et homme de théâtre, Musset est l’enfant du romantisme. Esprit


indépendant et fantastique, il est l’auteur d’une poésie très personnelle,
surtout inspirée par la passion amoureuse.

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Le public se détourne de la poésie pour la vie politique et Lamartine,
Hugo, Vigny veulent être à la fois poètes et hommes d’action. Musset se
détourne de l’action et de la poésie sociale – « Le poète doit être uniquement
le poète ! », «  Ce qu’il faut à l’artiste, au poète ; c’est l’émotion ! ». Refusant la
mission sociale de l’écrivain prônée par le nouvel esprit romantique, il y
privilégiait l’émotion, s’attachant à décrire la variété et la complexité des
sentiments qui accompagnent la passion amoureuse. - le poète doit ouvrir son
cœur et s’occuper de l’émotion, il doit être inspiré car la technique et le travail
ne peuvent rien par eux seuls.
Pour lui la poésie doit être la traduction immédiate et sincère des
émotions les plus intimes, saisies dans les moments de crise où elles sont plus
vibrantes. Il ne créait que dans les moments de vive émotion; pour éprouver
ces émotions il fallait vivre intensément, et dans son ardeur de vivre il a gaspillé
le temps et la force d’écrire de nouveaux chefs-d’œuvre.
Pour les poésies d’Alfred de Musset,on peut proposer cette
classification:celles qui furent écrites entre 1829 et 1833;les autres 1834 et
1851;en d’autres termes,avant entre George Sand et après George Sand.
Quand Musset eut souffert, il devint un autre homme. Il a raconté lui-
même, dans le Poète déchu, la transformation qui s’opéra en lui.
“Il me semblait que toutes mes pensées tombaient comme des feuilles
sèches, tandis que je ne sais quel sentiment inconnu, horrible, triste et tendre
s’élevait dans mon âme”.

Œuvre d’Alfred de Musset


1829 Contes d’Espagne et d’Italie, son premier recueil
1830 La Nuit Vénitienne (non jouée)
1832 Le Spectacle dans un fauteuil
A quoi rêvent les jeunes filles
1833 Les Caprices de Marianne
1834 Fantasio, (jouée pour la première fois après la mort de l’auteur)
On ne badine pas avec l’amour
Lorenzaccio d’après une idée de George Sand, jouée pour la première fois
après la mort de l’auteur)
1835 - 1837 La Nuit de Mai, de Décembre, d’Août et d’Octobre
1836 La Confession d’un enfant du siècle
Il ne faut jurer de rien
1837 Un Caprice
1840 Œuvres Complètes en deux volumes
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1841 Poème Souvenir
1845 Il faut qu’une porte soit ouverte ou fermée

Les Premières Poésies


Forment la première partie de l’œuvre poétique d’Alfred Musset,
parurent en réalité en deux fois : Les Contes d’Espagne et d’Italie, fin
décembre 1829, et le Spectacle dans un fauteuil, fin de 1832, à la date de
1833. Le Spectacle dans un fauteuil contient surtout, outre Namuona, des
œuvres dramatiques (La Coupe et les lèvres, A quoi rêvent les jeunes filles) qui
n’ont pas place dans ce recueil.

Les Contes d’Espagne et d’Italie, comprennent des pièces courtes, aux


rythmes variés et difficiles, comme Venise, Stances, l’Andalouse, et la fameuses
Ballade à la Lune ; des contes dramatiques, comme Don Paez, Portia, Le Saule ;
et quelques autres pièces où le poète confie ses goûts, ses préférences
littéraires, ses réflexions, les Vœux stériles, les Secrètes Pensées de Rafael.
L’Espagne est la terre de l’amour, des duels et des bouges, des dragons,
des sorcières et des Andalouses au sein bruni. L’Italie n’est pas plus vraie, elle
est plus indécise encore, en dépit de ses palais, de ses maisons de jeu, de ses
abbés galants et de ses gondoliers. Au-delà des Pyrénées comme au-delà des
Alpes. L’amour est tout ; c’est lui qui donne à la vie son prix et qui conduit à la
mort, par le fer en Espagne, par le poison en Italie : car l’amour n’est que
jalousie et adultère. Musset, tout jeune, confond le mouvement avec la vie. Les
personnages se démènent beaucoup et parlent encore davantage, avec une
verve ou du moins une abondance verbale tumultueuse et entraînante. Ils
risquent leur vie comme ils menacent celle d’autrui ; ils semblent nés pour tuer
et pour être tués. A Madrid comme à Venise, c’est fantaisie et folie.
Le style est ironique, tapageur, outrancier, toujours éblouissant.
Les Contes appartiennent au romantisme flamboyant. Musset écrit
d’imagination, sans avoir rien vu, rien étudié, avec une fougue juvénile et
provocante.

De 1832 à 1835 avant de se placer lui-même, avec sa vie et ses


souffrances, au cœur de son œuvre lyrique, Musset s’est exprimé par des héros
de ses poèmes et de son théâtre. Dans le théâtre on voit la dualité de sa nature
aboutit au conflit aigu entre la débauche et la pureté.

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Contes d’Espagne et d’Italie, 1830

Ce recueil est une somme des thèmes et des procédés romantiques : exotisme
et couleur locale éclatante, passions violentes et criminelles, versification
tourmentée, rimes provocantes
- Don Paez, c’est l’Espagne romantique : jalousies et sérénades, chambre
tiquée et ogives espagnols. Nous assistons à l’effroyable duel où Don Paez
étouffe dans ses bras son jeune rival Etur de Guadassé, avant d’aller tuer
l’infidèle Juana et de mourir avec elle
- Les marrons de feu, c’est l’Italie du 18ème siècle, et sans doute Venise. La
célèbre danseuse Camargo, abandonnée par Rafael Garucci, décide de
convaincre son soupirant grotesque, l’abbé Annibal, à la venger en assassinant
le perfide Rafael. Puis, comme une nouvelle Hermione (certains critiques ont vu
dans ce court drame une parodie d'Andromaque) elle repousse le meurtrier
- Portia est l’histoire du jeune Dalti, qui enlève Portia la belle, après avoir tué
son mari. Les voici en gondole à Venise, où Dalti a perdu la veille toute la
fortune qu’il avait gagnée au jeu, et avoue à Portia qu’il n’est plus qu’un pauvre
pêcheur. Elle accepte pourtant de le suivre, parce qu’elle l’aime et que ‘Dieu
rassemble les amants’. Mais, jusqu’à la fin, le couple est placé sous le signe de
la mort : ‘Tu m’as fait trop heureux ; ton amour me tuera !’

Il cherche de l’exotisme aussi dans la Grèce classique : dans le poème Les


vœux stériles, L'Hellade est pour lui la patrie de la beauté, où les artistes
étaient ‘triomphants, honorés, dieux parmi les mortels’.
Ce chef-d’œuvre de fantaisie et de verve gracieuse souleva les
« clameurs » des Classiques. Ils y voyaient le type-même de l’outrance
romantique : évocation de la nuit, de la lune et de son mystère, des « damnés »
d’enfer ; pittoresque agressif et rythme capricieux. Mais dès 1831 Musset se
moquera de ces niais qui ont « lu posément La Ballade à la Lune ». Nous voici
loin de Chateubriand et de Lamartine avec ce ciel borgne, ce « chérubin
cafard » (hypocrite), se « grand faucheux » (araignée chapêtre), cette lune
rangée par le ver ou éborgnée par un arbre ! Une vraie parodie de romantisme
dans une ballade à la Victor Hugo – une vraie irrévérence.
Cette fantaisie et ces impertinences froissèrent les poètes du Cénacle.
Les relations s’espacèrent entre Musset et la « boutique romantique. »

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Rolla 1833
Après une longue introduction sur la mort des dieux païens et du Dieu
chrétien commence l'histoire de Jacques Rolla qui, à dix-neuf ans, est plein de
qualités.
Mais, maître d'une certaine fortune, il s'est abandonné à ses passions et
aux mœurs d'une époque corrompue, et est devenu le plus grand débauché de
Paris, oisif et sans espoir. C’est un coureur de filles faciles, mais qui porte au
plus profond de son caractère le rêve d'une absolue pureté. Son mal, c'est
I’ennui, la crainte affreuse de I'habitude, la perte de la foi.
Il passe une nuit d’orgie chez une prostituée de quinze ans, Marion, où il
contemple l’œuvre de Voltaire : au matin, après l'avoir regardée endormie et
avoir voulu croire à sa virginité, Rolla annonce à Marion sa décision de se tuer.
Pour le sauver, la jeune fille lui offre son collier d’or. Mais il vide son
‘flacon noir’, se tuant comme il en avait fait le serment, et meurt dans un
dernier baiser d'amour, car, à la dernière minute, lui, qui n’avait jamais
vraiment aimé, est touché par la pureté de Marion, son âme a retrouvé la
fraîcheur d'un sentiment vrai.
Les thèmes abordés, les personnages, les lieux sont ouvertement
romantiques : un jeune débauché, une adolescente prostituée, le lever du soleil
(qui n'est plus début du jour, mais fin de la nuit), I'empoisonnement, le tout
transcendé par le regard pur du narrateur
Le personnage principal n'est plus Jacques Rolla mais le narrateur lui-
même, qui pose les questions, introduit les comparaisons, interpelle, s'exclame
et invite le lecteur à considérer telle ou telle partie du tableau présenté
Le poème contient cette célèbre invective contre Voltaire, coupable
d'avoir détruit la foi et laissé les âmes livrées jusqu'au dégoût au vertige des
passions : aux yeux de Musset, Voltaire était le ricaneur sans illusions qui avait
contraint la génération suivante à voir I'être humain tel qu'il est et qui avait
chassé du monde moral non seulement le religieux, mais le romanesque, la
rêverie, I'idéal sous toutes ses formes.

Lucie – En contraste avec cette tragédie de la débauche, c’est un poème des


âmes pures. Dès 1830, dans le Saule, le poète racontait l’amour malheureux de
Tiburce et de Georgina Smolen qui meurt au couvent: désespéré, le jeune
homme se donne la mort sur un navire, en chantant la romance du saule,
qu’elle chantait autrefois. De cette œuvre farouche et tourmentée, Musset a
détaché plusieurs passages pour les insérer dans la touchant élégie de Lucie.

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Il parle d’un amour (qu’on peut considérer comme une chose personnelle) qu’il
a vécu à l’âge de 15 ans. C’était un amour pur, car elle était jeune et pleine de
pudeur. Mais elle est morte, deux mois plus tard. On entend la musique du
clavier qu’elle a joué.

Les poésies nouvelles - 1850 - recueil des poèmes déjà publiés

Poésie de cœur, nous la voyons réalisée dans les chefs d’œuvre lyrique
qui se succèdent après l’aventure de Venise.

- contient les poèmes suivants :


 Nuit de mai 1835
 Nuit de décembre 1835
 Lettre à Lamartine 1836
 Nuit d’août 1836
 Nuit d’octobre 1837
 Souvenir 1841
- l’aventure avec George Sand et cette grande passion a transformé son
lyrisme, lui donnant une gravité, une intensité douloureuse

Les Nuits de Musset

Inspirées de celles de l'Anglais Young, Les Nuits sont une véritable


chronique sentimentale qui s'étend sur trois ans, du printemps 1835 à
l'automne 1837. Elles se composent de quatre poèmes qui saisissent, chacun
dans son intensité ponctuelle, les moments les plus ardents, les
“intermittences” les plus vibrantes du cœur de Musset. Quatre poèmes qui
épuisent aussi tous les thèmes principaux de la réflexion et de la méditation
poétique de leur auteur.
Les Nuits forment un tout organique, même si elles ne furent pas
conçues à l'origine pour constituer un ensemble. Sa crise sentimentale offre les
étapes naturelles : souffrance aigue, mélancolie de la solitude, recherche d’une
consolation plus haute, désir de jouir de la vie, illusion de l’apaisement, suivie
d’une révolte et d’une passion fermement consenti, souvenir calme et attendri.
On peut distinguer une évolution : la Nuit de mai est confiante, presque

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joyeuse, la Nuit de décembre est pathétique et funèbre, la Nuit d’août, est
d’une indicible tristesse, la Nuit d’octobre est déjà presque apaisée
Dans ces poèmes à deux voix, la Muse plutôt qu’une conseillère et une
inspiratrice, est celle qui permet au Poète de trouver un interlocuteur et de
sortir du mutisme, à travers cette figure féminine, nous sentons le rapport
affectif que Musset lie à la poésie - pour lui, elle n’est pas un art, elle et un
salut, elle seule peut donner un sens aux souffrances humaines et les justifier,
car ‘les plus désespérés sont les chants les plus beaux.’ (Nuit de mai)
De la Nuit de mai à la Nuit d'octobre Musset évoque le problème du rôle
de la souffrance dans la création poétique et dans la vie. De là ce dialogue si
nouveau entre la Muse tendrement maternelle et Le Poète tourmenté par la
souffrance - le vrai sujet des Nuits est en effet la présence de la souffrance
sentimentale sur la création poétique.
Depuis la rupture avec George Sand le poète est resté muet. En 1835, il
sent qu’il y a « quelque chose dans l’âme qui demande à sortir.

La nuit de mai ou les vaines séductions de la poésie


Il ne travailla pas, et cela se comprend, pendant les quatre premiers mois
de l’année 1835, mais après la rupture définitive avec George Sand, il se jeta
dans le travail, pensant y trouver une consolation, et aussi des subsides.
Après la rupture il n’écrivait pas une ligne. Mais, un jour, il a senti les
effluves du printemps, de ce printemps parisien il écrit la Nuit de Mai, deux
cents vers en quelques heures.
Par une sorte de mysticisme poétique, il imagine un dialogue entre la
Muse et le Poète qui est la transposition du débat entre le génie créateur de
Musset, sensible à l’appel du renouveau, et le cœur de l’homme trahi, presque
égaré par son malheur. La Muse veut que son poète chante; elle se meurt dans
l’inaction, et elle lui énumère harmonieusement des sujets divers, des matières
à mettre en vers français: poésie plastique, lyrique, épopée, drame, poésie
philosophique, poèmes d’inspiration médiévale, œuvres satiriques; mais le
poète ne chante.
Composée au vif de la crise avec George Sand chante la souffrance
effarée et le désarroi prostré d'un homme abandonné, à qui les consolations de
la foi et de l'amour sont interdites, et qui ne découvre devant lui que
l'insignifiance de son corps désemparé. La source de toute vraie poésie est la
souffrance, ce qui illustre le symbole du pélican (la Muse propose au poète
l’exemple paternel et sanglant du pélican). Le poète est semblable au pélican

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qui, pour nourrir ses petits, leur livre son cœur en pâture, et dans son amour
sublime, il berce sa douleur. Blessé par la vie (à cause de la solitude, de la
débauche, de l’amour), le poète livre aux lecteurs sa souffrance encore vive.
La muse encourage le poète à chanter et lui propose d'oublier son mal en
laissant errer son inspiration; mais il persiste à se taire et demeure abîmé dans
sa douleur. Ne peut-il alors, suggère-t-elle, servir au public en festin poétique
les souffrances de son cœur? Il juge la tâche au dessus de ses forces et se
dérobe définitivement.
En ce qui concerne la versification, la Muse parle en alexandrin et le
poète en octosyllabe ; puis vice-versa dans les nuit d’août.
Les thèmes quels réfèrent au discours entre La Muse et Le Poète sont :
Racine, Shakespeare, Pétrarque, Michelange…

La nuit de décembre ou l'obsession de la solitude


A la fin de cette année 1835, Alfred de Musset écrivait la Nuit de
Décembre. Si nous en croyons le frère du poète, c’est la rupture avec une autre
femme qu’il torturait par sa jalousie qui aurait inspiré à Musset ce poème d’où
le souvenir de George Sand n’est d’ailleurs pas absent. Le thème de la
mystérieuse apparition d’un “double”, Musset a pu le trouver chez Heine ou
dans Shakespeare, mais il était lui-même sujet à des sortes d’hallucinations, de
dédoublements de la personnalité. Cette Vision, fidèle amie des mauvais jours,
réveille en lui le souvenir des amertumes passées, le sentiment douloureux de
sa solitude. La vision lui apparaît pour la première fois quand il était écolier. Elle
est vêtue de noir, et apparaît quand il est triste – quand son père meurt, après
un amour douloureux, quand il voyage. Il l’appelle le frère. A la fin du poème ce
spectre lui dit qu’il est la solitude.
Il se révoit écolier, adolescent et poète, amoreux “pleurant sa première
misère”, libertin, orphelin, enfin voyageur désespéré.
La Nuit de Décembre - la plus étrange, la plus originale-revêt un
caractère de poignante sincérité. La Nuit de Décembre est une nuit bien
sombre! Ce n’est plus un dialogue avec la Muse, désireuse de courir le monde,
mais un triste monologue du poète qui se retrace sa vie:
Sur un rythme plus large, plus tourmenté, le poète évoque l’amertume
d’une rupture récente, à l’occasion da laquelle la Vision s’est à nouveau
présentée.
Il sent son cœur jeune et vivace, prêt à souffrir encore. Souffrir, toujours
souffrir! Ainsi, le poète renverse les vieilles formules: l’homme ne doit pas
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poursuivre le plaisir, le bonheur; mais la douleur, et, dans cette Nuit de
Décembre, Musset nous apparaît comme un épicurien de la souffrance.

Une Nuit de Juin ne fut jamais écrite: nous n’en avons que les quatre
premiers vers. C’est qu’Alfred Tattet était venu chercher Musset, pour dîner
avec quelques amis. Le lendemain, le poète n’avait plus envie de travailler: il
allait chez Bernerette, de son vrai nom Louise, une grisette qu’il avait connue de
fenêtre à fenêtre, comme dit la chanson, et qu’il emmenait dans la vallée de
Montmorency, dans la petite maison d’Alfred Tattet. Une grande dame
occupait aussi le poète, la princesse Belgiojoso; la princesse Belgiojoso, une
beauté venue à point pour le romantisme, avec d’immenses yeux noirs.

La nuit d'août ou les illusions du plaisir


Pendant ce temps, la Muse attendait l’heure où l’appellerait son ami
bien-aimé. Il ne l’appela qu’au mois d’août, et la Nuit d’Août est comme la Nuit
de Mai un dialogue entre la Muse et le Poète. Mais le ton et la situation sont
presque à l’opposé. La Muse reproche au Poète de négliger l’inspiration pour
courir follement les aventures amoureuses.
Ainsi parle la Muse, et ce sont aussi une mère, le frère Paul, les amis qui
parlent par sa bouche, et encore la conscience du poète. Et la Muse lui rappelle
les beaux jours d’autrefois, quand il avait dix-huit ans, et qu’il suivait les allées
du Bois de Boulogne, en rêvant, ou bien en lisant les poésies d’André Chénier.
On le sent pris d’une ardeur frénétique qui le pousse à vivre
intensément, même au prix de la souffrance, jusqu’à l’épuisement de son être
et de son génie. Et cette rage épicurienne n’est peut-être qu’une réaction
contre la blessure qui ne parvient pas à guérir.
En vain elle lui dit que les passions funestes rendent le cœur de pierre au
contact des méchants, il veut aimer, toujours aimer.
Il a vingt-six ans! et la devise de son cœur est: ”Amour et souffrance!”.
Chez lui, l’amour s’accompagne de pâleur, de pleurs, de douleur. Ah! pour lui
l’amour n’est pas la recherche du bonheur, un égoïsme à deux, la tendre
société de deux cœurs unis: non, pour lui, et par une sorte de sadisme
poétique, l’amour c’est une course continuelle à la douleur. Il a constaté que la
douleur lui a fait écrire ses plus beaux vers: il veut entretenir en lui cette source
sacrée de poésie; plonger son cœur dans les eaux noires et amères, et ensuite
le presser, devant nous comme une éponge.
Bien que écrite deux ans après le drame, et porteuse de l'exigence de
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revivre et d'aimer encore, ne redécouvre l'affection que dans le miroir trouble
des larmes du sacrifice et de la souffrance.
Le poète accueille avec joie sa muse; mais elle s'inquiète de le voir
plongé dans une ivresse factice: pense-t-il être guéri de sa blessure, et ne
regrettera-t-il pas? Le poète refuse de partager ses larmes; il veut renaître au
bonheur dans l'exaltation de nouvelles amours.

La nuit d'octobre ou les bienfaits de la douleur


C’est le dernier dialogue mystique avec la Muse. Entre les deux nuits, mai
1835-octobre 1837, Alfred de Musset avait connu Aimée d’Alton, une jeune
fille-femme. Elle avait vingt-six ans; elle était blonde, ronde, grosse, pleine de
grâce; de belles couleurs, des yeux bleus; spirituelle et littéraire. Cette jeune
maîtresse, c’est une fraîche botte de roses que Musset respire avec
gourmandise, mais ce n’est pas la femme qui fait souffrir. Non, celle-là ne
faisait pas souffrir Alfred de Musset: ce n’était pas la femme fatale, la femme à
l’œil sombre, ”le pâle éclair qu’il suit dans une nuit profonde”; mais elle le
faisait travailler.
Le poète se croit guéri.
Le mal dont j’ai souffert s’est enfui comme un rêve.
Il a retrouvé son vieux cabinet d’études; il travaille, il semble heureux.
Pourtant, il faut qu’il raconte, encore une fois, l’histoire de sa souffrance. Mais
la Muse peut être tranquille: il racontera sans colère et sans fiel.
Mais l’amant malheureux est lancé; cette objurgation ne l’arrête pas: il
poursuit, il insulte: la Muse tâche à le ramener au pardon, à l’oubli; elle lui
donne toutes les raisons de vivre. N’est-il pas jeune, heureux, partout le
bienvenu? N’y a-t-il pas ces plaisirs légers qui font aimer la vie? un verre de vin
avec un vieil ami; et encore les fleurs, les prés, la verdure; Michel-Ange et les
arts, Shakespeare et la nature; et puis les femmes.”N’as-tu pas maintenant une
belle maîtresse?” Aimée d’Alton. Et le poète pardonne.
Cette Nuit d’Octobre est la plus belle des quatre. Le poète et la Muse
chantent une messe magnifique. Avec l’intensité d’une hallucination, il revit le
bonheur entrevu, la souffrance de la trahison, la scène brutale de la rupture. En
vain il voudrait rester maître de ses sentiments: malgré les efforts de la Muse
pour l’apaiser, son indignation éclate et une frémissante invective lyrique.
Reprenant le thème cher à Musset, de la souffrance salvatrice et
inspiratrice, parait s'apaiser, au terme d'un long itinéraire expiatoire, dans la
promesse d'une renaissance sentimentale et spirituelle, « au premier rayon du
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soleil... » Renonçant a toute forme de bonheur immédiat et spontané, le poète
se propose la conquête d'un bonheur plus exigeant, à gagner sur les épreuves
mêmes de l'existence.

Le poète se croit guéri de son mal ; mais, en évoquant ses souvenirs, il


s'indigne bientôt et maudit celle qui l'a fait souffrir. La muse alors le console.
Ne doit-il pas à cette expérience de savoir mieux goûter désormais les joies
terrestres ? Le poète, dans un sursaut, se dispose à renaître avec le jour qui se
lève.
La fin de cette dernière Nuit promettait même une “restauration”
poétique sur les décombres du drame surmonté. Il n'en sera rien. Poète
précoce, Musset se tarira précocement. Épuisé, malade, méconnu malgré son
élection à l'Académie française en 1852, il quittera, oublié, cinq ans plus tard,
un monde qui n'était pas pour lui.

Nous sommes ici sur les hauts plateaux du lyrisme. La forme est très
belle: Musset n’est toujours pas tourmenté par l’ambition de la rime riche;
mais, du moins, il a acquis la crainte de la rime pauvre.
Les rythmes sont bien choisis. La Muse calme, chaste et harmonieuse
s’exprime en purs alexandrins ou bien en vers pairs, de huit pieds. Le poète
dont le cœur successif renferme des sentiments si divers, emploie lui aussi
l’alexandrin, le plus grand vers, le plus beau vers et qui peut tout exprimer;
mais, à un moment, il emploie une sorte d’iambe, plus léger que l’iambe
satirique, un vers de dix pieds suivi d’un octosyllabe, avec entrecroisement de
rimes:
Tous ces rythmes sont choisis avec une science et un art parfaits, pour
suivre les mouvements de la pensée.
La Nuit d’Octobre est la dernière, la plus longue, la plus belle, la plus
complète et par elle on peut répondre aux détracteurs de Musset et du
romantisme. Un tel poème éveille en chacun de nous les échos des émotions
profondes.

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Lettre à Lamartine
Musset avait raillé les fades imitateurs de Lamartine. Ce dernier se crut
personnellement visé. Pourtant le poète des Nuits avait pour lui une vive
admiration. Sa propre souffrance le rapproche maintenant de l’auteur des
Méditations : comme lui, il ne trouve de consolation que dans l’idée de
l’immortalité de l’âme.
Musset veut dire que leurs sorts sont les mêmes. Ils ont aimé, ils ont été
abandonnés, puis ils vivaient dans la souffrance et la solitude quand ils
plongeaient dans les pensées noires.
Musset évoque la trahison qui l’a fait souffrir. Comme Lamartine, il
s’incline devant la volonté mystérieuse de la Providence, seul idée consolant
qui nous fasse accepter nos maux et nous invite à l’espérance, car l’âme est
immortelle.

Souvenir
Musset traverse la forêt de Fontainebleau, témoin de son idylle naissante
avec George Sand. Quelques mois plus tard, il croise son ancienne amie dans
les couloirs d’un théâtre. Vivement ému, il rentre chez lui et, en une nuit de
travail, il compose Souvenir qui est comme épilogue des Nuits. Le temps a
accompli son œuvre, la souffrance a fait place à une tendre émotion devant le
souvenir du bonheur passé. Rien ne lui est plus personnel que cette conception
de l’amour, source de vie intense, qui garde en soi une valeur absolue, et du
souvenir par lequel le bonheur, embelli et idéalisé, reste toujours.

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