(hindouisme)
TANTRISME (hindouisme)
Écrit par : André PADOUX
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Le tantrisme n'est pas une religion différente de l'hindouisme, du bouddhisme (ou du
jaïnisme). Il n'en est qu'une forme particulière, un " système modelant secondaire ",
avec ses normes propres, organisant à sa manière des éléments qui, pour la plupart,
sont ceux du système général de la culture hindoue (ou bouddhique) par rapport à
laquelle il faut donc le poser. Caractérisé par un ritualisme proliférant, un panthéon
envahissant et des pratiques de yoga particulières, il a aussi des traits théologiques et
doctrinaux propres, avec une vision originale de la divinité et du monde.
Développement intérieur aux religions indiennes, le tantrisme, tout en y formant des
courants ésotériques très caractérisés, les a généralement marquées de son empreinte, si
bien qu'il est peu aisé, du moins dans l'hindouisme, de repérer exactement ses contours.
Répandu avec ces religions hors de l'Inde au Tibet, dans la péninsule indochinoise et
en Indonésie, en Chine et, de là, au Japon (et cela des premiers siècles de l'ère
chrétienne à nos jours) , il y a pris des aspects divers. Si donc le tantrisme fait
problème, il apparaît aussi comme un phénomène religieux multiforme, d'une longue
durée historique et d'une importance considérable.
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1. La question du tantrisme
Le mot tantrisme du sanskrit tantra , " trame ", d'où " doctrine " et, de là, " traité
enseignant cette doctrine " (que celleci soit ou non tantrique) est dû aux orientalistes
européens qui, vers la fin du XIXe siècle, découvrirent dans des textes nommés tantras
des doctrines et des pratiques différentes de celles du brahmanisme et de l'hindouisme
classique issus du Veda et des upanisad comme du bouddhisme theravada ou du
Mahayana philosophique qu'ils connaissaient et qu'ils croyaient former le tout de la
religion et de la métaphysique de l'Inde. Ce terme désigna donc ce qui leur parut être
un ensemble aberrant de pratiques étranges, parfois répugnantes, et de spéculations
ésotériques bizarres associées au culte de divinités multiples et souvent effrayantes.
Le progrès des connaissances sur l'Inde, toutefois, fit voir que ce qu'on avait d'abord
cru être un phénomène limité et exceptionnel se retrouvait, en fait, à des degrés divers
dans toutes les religions indiennes au point d'en devenir, à partir d'un certain moment,
un trait général : c'est, en réalité, l'absence de toute trace tantrique qui est l'exception.
Mais, du jour où des éléments considérés comme tantriques se rencontraient un peu
partout, il devenait difficile de définir le tantrisme en le posant par rapport à ce qui
n'était pas lui. Il se trouva même des spécialistes pour dire que le tantrisme n'existait
que dans l'esprit des orientalistes ce qu'on nommait ainsi n'étant guère qu'une des
formes prises à partir d'un certain moment par l'hindouisme (ou le Mahayana) en
général ou encore qu'il ne constituait que l'aspect rituel et technique de ces religions.
De fait, le terme même de tantrisme est étranger à l'Inde traditionnelle. Il n' existe pas
en sanskrit. Il y a, par contre, des textes nommés tantras (mais tous ne sont pas
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201761 TANTRISME (hindouisme)
tantriques, alors que nombre de textes tantriques ne se nomment pas tantra). Il y a un
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tantrasastra , un enseignement tantrique, auquel s'applique en général l'adjectif tantrika
. Ce dernier est utilisé par opposition à vaidika , " védique ", ce qui distingue deux
formes de la tradition religieuserituelle révélée. L'une, plus " orthodoxe ", repose sur
le corpus védique, du Veda aux upanisad , avec les commentaires accompagnant ces
textes, tradition toujours vivante, notamment dans le rituel domestique hindou et
surtout dans les " sacrements " (samskara ) que doivent recevoir les hindous des trois
plus hautes classes (varna ). L'autre tradition, la tantrique, se présente comme
différente de la révélation védique, sans nécessairement la rejeter mais en la jugeant
inapte à mener au salut et en prônant des pratiques et des rites d'une autre sorte, avec
les spéculations qui les entourent. Cette tradition se donne comme mieux adaptée que
l'autre aux besoins des hommes et, tout en étant initiatique et ésotérique, comme en
principe ouverte à tous. Prise au sens le plus large, elle concerne une grande part de
l'hindouisme. Les deux traditions subsistent toutefois côte à côte : une même personne,
selon les cas, accomplira les rites de l'une ou de l'autre, lesquels se sont d'ailleurs
influencés au cours des siècles. Il s'est en effet produit aussi bien une " tantrisation " du
milieu brahmanique qu'une " brahmanisation " (ou " védantisation ") du tantrisme. Il
s'ensuit une situation ambiguë, rendant difficile de distinguer entre ce qui est tantrique
et ce qui ne l'est pas.
La distinction est plus aisée dans le bouddhisme, où les voies et pratiques tantriques
diffèrent nettement des doctrines anciennes, même s'il s'agit là, comme pour
l'hindouisme, de la réinterprétation dans un esprit nouveau d'une tradition antérieure,
dépassée ou relayée, mais non abolie.
Bien que présent aussi dans le bouddhisme (accessoirement dans le jinisme), le
tantrisme fut probablement d'abord un phénomène hindou. Certes, les plus anciennes
traces datables en sontelles bouddhiques (chinoises, d'ailleurs), mais, dans ses
pratiques comme dans son idéologie, il apparaît comme ayant conservé ou développé
d'anciens éléments remontant parfois jusqu'au Veda ou provenant de cultes autochtones
(ceux notamment de divinités féminines). La complexité rituelle,
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les corrélations micromacrocosmiques, les spéculations mysticophonétiques, les
manipulations de l'énergie qui le caractérisent sont en effet autant de facteurs hérités du
fonds brahmanique.
Si l'on voulait définir le tantrisme, sans doute pourraiton le caractériser comme un
ensemble de rites et de pratiques permettant à un adepte initié d'acquérir des pouvoirs
surnaturels et/ou de parvenir à la libération en vie (jivanmukti ). Il vise en cela à
concilier l'expérience du monde (bhoga ) et la libération (moksa ), à atteindre le salut
par utilisation des moyens du monde. La voie tantrique consiste en des pratiques
corporellesmentales et spirituelles particulières et en de complexes adorations (puja )
de divinités afin d'arriver à échapper non seulement à la ronde des renaissances , mais
aussi aux limitations de l'existence ordinaire : il s'agit d'être libéré du monde tout en le
dominant. Le libérévivant tantrique participe en effet à l 'énergie divine, la sakti , qui
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est animatrice de l'univers et se déploie comme un vaste jeu cosmique. Cette énergie
n'est pas séparable d'un dieu masculin dont elle est la force et la parèdre, d'où un
symbolisme sexuel omniprésent et quelques pratiques rituelles sexuelles. Le tantrisme
forme ainsi un aspect particulier, intense, fortement " magique ", en principe initiatique
et ésotérique, de l'hindouisme, où on le trouve soit systématisé en des sectes
particulières, soit diffus sous la forme de pratiques rituelles ou yogiques et de
spéculations présentes diversement quasiment partout : une part appréciable du
panthéon hindou est formée de divinités tantriques (sans d' ailleurs que leurs fidèles se
considèrent nécessairement comme tantrikas).
Dans le bouddhisme, c'est à la " conscience d'éveil " (bodhicitta ) qu'aspire l'adepte, à
la réalisation vécue de la nature du Buddha qui lui est inhérente et qui est celle même
de l'univers, les techniques et représentations mises en jeu à cette occasion (et, à
certains égards, le panthéon) étant assez similaires à celles de l'hindouisme tantrique.
Le tantrisme, par contre, n'y a pas le caractère diffus qu'il a dans l'hindouisme : on y
voit mieux ce qui est tantrique et ce qui ne l'est pas. Pour le jinisme, les éléments
tantriques se bornent à quelques pratiques et divinités, non acceptées par tous : c'est un
phénomène très réduit.
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Il faut souligner enfin l'extrême étendue de la littérature tantrique en sanskrit (encore
peu connue, et largement inédite, d'ailleurs) : agama , samhita , tantra shivaïtes ou
vishnouites, tous les sutra , sadhana , etc., bouddhiques, ouvrages de toutes sortes
(hymnes ou poèmes, manuels de rituel, de yoga ou de magie, traités d'architecture
religieuse, de magie, d'alchimie, etc.). S'y ajoutent des œuvres très nombreuses dans la
plupart des littératures de l'Inde, allant du VIe au VIIe siècle, pour le tamoul, ou, pour
les autres langues, du " Moyen Âge " à nos jours. Il ne faut pas oublier, en outre, la
contribution de l'esprit et des conceptions du tantrisme aux arts plastiques, notamment
dans la sculpture : on a là une part appréciable de ce que l'Inde hindoue (ou le
bouddhisme, pour ce qui est de l'Himalaya et du Tibet pour ne parler que de ces
régions) ont produit de plus intéressant. On ne saurait donc exagérer l'importance du
phénomène tantrique au sens large dans la civilisation indienne ou dans les
civilisations qui ont été tributaires de celle de l'Inde.
2. Histoire, extension, sectes
La rareté des documents datables dont on dispose, surtout pour la période ancienne, ne
permet pas de faire l'histoire du tantrisme. On peut trouver la source première de
certains de ses aspects dans la tradition védique accrue d'éléments autochtones
archaïques (peutêtre dravidiens). Mais ce fonds originel de rites et de spéculations n'a
donné lieu que bien plus tard à ce qu'on nomme tantrisme, une fois passées la période
des upanisad et celle où se développa le bouddhisme : à quoi attribuer la reprise de ce
fonds quelque mille ans plus tard et surtout son développement " presque jusqu'au
délire " (comme on l'a dit) ? Comment eston passé, par exemple, des mantras védiques
au mandrasastra tantrique ? On ne peut le dire.
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Voici toutefois ce qu'on peut affirmer dans l'état actuel des connaissances :
1. Il n'y a jamais eu de tantrisme aux temps védiques et brahmaniques.
2. Le tantrisme a dû apparaître par l'effet d'une évolution interne de la religion
brahmaniquehindoue, dont toutefois la cause et la nature nous échappent (même si l'on
peut y voir, peutêtre, l'effet notamment de facteurs non aryens).
3. Même si les documents tantriques datables les plus anciens sont bouddhiques, le
tantrisme est, selon toute probabilité et pour bien des raisons, d'abord un phénomène
hindou.
4. Enfin, le tantrisme tel que nous le concevons devait être présent en Inde, au moins
dès le Ve siècle : l'inscription de Gangdhar atteste l'existence de déités féminines
d'allure tantrique en 424, alors que les plus anciens agama shivaïtes peuvent remonter
au VIe siècle, les premiers témoignages bouddhiques étant plus anciens encore. Cette
période fut celle où s'élabora l'hindouisme puranique et tantrique, la grande
efflorescence du tantrisme se situant entre le VIIIe et le XIVe siècle : c'est l'époque d'où
paraissent dater les principaux textes, celle des grands auteurs tantriques, les auteurs
cachemiriens notamment, tel Abhinavagupta (env. 9501025), celle des grands temples
de l'Inde centrale sans oublier les œuvres du Mahayana tantrique, qui brilla du VIIe
au XIIe siècle. D'un intérêt souvent moindre mais non négligeable, des productions de
toute nature et en toutes langues ont continué de paraître depuis lors et jusqu'à des
temps récents.
Cette diffusion s'accompagna d'une importante évolution intellectuelle et sociale.
Historiquement, en effet, les pratiques et spéculations tantriques ont dû naître dans de
petits groupes initiatiques de renonçants, virtuoses visionnaires de l'ascèse et des rites,
adorateurs de divinités souvent effrayantes, par lesquelles ils étaient possédés au cours
de cultes secrets de caractère souvent transgressif. Ces sectes semblent avoir été
d'abord surtout shivaïtes. Tout en subsistant telles quelles, très
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marginalement, jusqu'à nos jours (Aghoris, Kanpathayogis, Nathas, etc.), elles
évoluèrent assez tôt en donnant naissance à des mouvements plus ouverts, plus
respectables, où les pratiques déviantes furent prises surtout symboliquement et
s'accompagnèrent de développements philosophiques et théologiques considérables,
souvent très subtils. De cette " brahmanisation " progressive du tantrisme témoignent
notamment les traditions shivaïtes cachemiriennes mais aussi le tantrisme vishnouite.
Alors que les renonçants déviants recherchaient avant tout la domination surnaturelle
du monde, les tenants de ces traditions plus " orthodoxes " recherchaient plutôt la
délivrance des liens de l'existence (le moksa). L'évolution dans le bouddhisme est un
peu différente. Il est vrai qu'elle se fit pour l'essentiel hors de l'Inde. Remarquons enfin
que, s'il a peu à peu colonisé presque tout l'hindouisme (et, au Tibet, tout le
bouddhisme), le tantrisme ne fut cependant jamais un mouvement de masse. Certes, il a
marqué presque toute la religion et une grande partie de l'art, il a produit une immense l
ittérature, mais, en raison de sa nature initiatique et du fait qu'il supposait de ses
adeptes l'accomplissement de certaines pratiques, il n'a sûrement jamais été vécu
effectivement que par un petit nombre. Le tantrika accompli est toujours apparu
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201761 TANTRISME (hindouisme)
comme un être exceptionnel, semidivin, un siddha , c'estàdire un être ayant atteint le
but suprême et doué de pouvoirs surnaturels. Les siddhas ont eu une place importante
dans l'hindouisme (sanskrit comme vernaculaire) et dans le bouddhisme tantrique. Leur
image est restée un peu celle de certains sadhu (le terme vient de la même racine, sadh
) de l'Inde actuelle. De nos jours, en effet, le tantrisme garde en Inde (sauf au Bengale,
où il est plus ouvertement répandu) une aura de mystère inquiétant, même si l'intérêt
qu'il suscite en Occident a pu contribuer un peu à le faire mieux admettre : cela, bien
entendu, pour les sectes " officiellement " tantriques. Car, pour la masse des pratiques
rituelles ou des éléments de croyances tantriques présents partout dans l'hindouisme, la
question ne se pose pas, les croyants et usagers de ces rites ne les ressentant pas
comme tantriques. (On retrouve ici l'ambiguïté déjà signalée de la situation du
tantrisme.)
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Il n'est pas possible de dire dans quelles régions de l'Inde est né le tantrisme. On a
parfois tenté d'en expliquer certains traits par des influences extérieures, venues de
Chine, du Tibet, ou même du MoyenOrient ; mais ce sont là de simples hypothèses. Il
n'y a pas de raison de voir dans les cultes de possession, par exemple, une forme de
chamanisme. La possession caractérise d'ailleurs aujourd'hui l'hindouisme " populaire "
qu'on ne saurait à proprement parler dire tantrique. Il est certain, par contre, que les
zones himalayennes ou proches de l'Himalaya, du Cachemire à l'Assam, ont été des
centres majeurs du tantrisme hindou comme bouddhique. L'importance actuelle des
cultes tantriques au Népal, le nombre des Manuscrits de cette sorte qu'on y trouve
encore attestent la vitalité qu'y a conservée cette tendance. Mais le Kerala, au sud, fut
aussi un centre du tantrisme, tout comme l'Inde centrale ou l'Orissa (où se trouvent les
rares temples de Yoginis encore existants). Le tantrisme apparaît ainsi comme un
phénomène proprement indien qui s'est ensuite répandu en Asie avec l'hindouisme et
surtout le bouddhisme.
Comme l'hindouisme en général, le tantrisme se divise, selon les divinités adorées, en
des sectes différentes, qui possèdent des enseignements et des rites différents et qui
s'excluent mutuellement. Les rares persécutions religieuses qui eurent lieu dans
l'hindouisme furent le fait de groupes tantriques. À cet égard, on peut dire que l'esprit
du tantrisme s'oppose à celui de la bhakti , la dévotion, qui est à tendance universaliste.
Les deux ne sont toutefois pas inconciliables, d'une part, parce que la dévotion à la
divinité et la grâce divine jouent un rôle important dans le tantrisme, d'autre part, parce
que des groupes bhakta ont été marqués de tantrisme (cela se retrouve même chez les "
saintspoètes " du Maharashtra, ou même chez Kabir).
Comme l'hindouisme luimême, les sectes tantriques se divisent en vishnouites et
shivaïtes ou sakta (où l'on adore la Déesse, la Sakti), mais sectes shivaïtes et sectes
sakta sont difficiles à distinguer puisque la sakti est essentielle dans le shivaïsme
tantrique
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et que la Déesse, dans le shaktisme, est toujours associée à une forme deSiva . Il y eut
aussi des Sauras, adorateurs du Soleil (Surya), qui ont disparu, et des Ganapatyas,
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201761 TANTRISME (hindouisme)
fidèles du dieu Ganapati/Ganesa. Parmi les vishnouites, le groupe principal est celui du
Pañcaratra , dont la littérature sacrée est vaste et importante, mais qui aujourd'hui ne se
considère pas comme tantrique. Au Bengale, les vishnouites Sahajiya ont été
remarquables par leur érotisme mystique (dont une forme subsiste encore chez les
Bauls).
Les sectes tantriques sont ainsi surtout shivaïtes et sakta. On peut (en simplifiant
beaucoup) les dire issues des groupes shivaïtes anciens des Pasupata et des Lakula,
adorateurs du dieu védique Rudra. De là sont apparus les ascètes Kapalikas, porteurs
d'un crâne humain, dont les cultes extatiques, visionnaires et transgressifs s'adressaient
soit à des aspects de Bhairava , forme terrible de Siva , soit à des formes non moins
terrifiantes de la Déesse. De là sont nées les sectes tantriques les plus caractérisées,
productrices de nombreux textes (les tantras de Bhairava , les Yamala et Saktitantra
), avec notamment la tradition du Kula qui se divisa ellemême en quatre "
transmissions " (amnaya ) différentes et s'étendit même au bouddhisme. Le Kula (ou
Uttaraamnaya) donna naissance au Trika, la plus connue des traditions du Cachemire,
la plus philosophiquement développée et qui influença notamment la Srividya (du
Daksinaamnaya), le culte de Tripurasundari, toujours vivant actuellement. Les autres
amnaya ont donné lieu à diverses autres sortes de cultes de la Déesse, essentiellement
de formes de Kali, avec, par exemple, dans le cas du système Krama, toute une
structure cosmique de déesses fonctionnelles, les Kali, dont la " roue " anime et résorbe
le cosmos. Il est à noter que la tradition shivaïte avait pris aussi la forme du shivaïsme
âgamique, le Saivasiddhanta sanskrit, également tantrique, mais où la sakti joue un
moindre rôle. Il est aussi plus ritualiste et, par sa considérable littérature (les Vingthuit
Agama ), il fournit une sorte de base commune (samanyasastra ) shivaïte. Il a eu un
rôle important en Inde du Sud où il est encore présent, en particulier dans les temples.
Du côté bouddhique se développèrent de façon analogue plusieurs " Véhicules " (yana
), dont on parlera plus loin.
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3. Les doctrines Formant le noyau secret (ou la superstructure ésotérique) de
l'hindouisme et informant une grande part du rituel généralement pratiqué, le tantrisme
n'a pas un corps de doctrines qui lui soit entièrement propre. Ses textes sont peu
philosophiques, même quand ils comportent une " section de la doctrine " comme c'est
(très théoriquement) le cas pour les Agama et les Samhita . Certes, il y a eu
d'importants philosophes tantriques, en particulier dans les traditions cachemiriennes,
mais ils étaient d'écoles différentes. D'où l'absence d'un ensemble doctrinal original
commun. Le fonds des doctrines tantriques hindoues est celui de l'hindouisme : il vient
pour l'essentiel des darsana classiques. La cosmogonie repose sur les catégories du
samkhya complétées par en haut en comptant trentesix tattva (au lieu de vingtcinq) et
tient à celle des Purana (euxmêmes parfois tantrisés). Ses spéculations magico
linguistiques reposent sur la grammaire et la phonétique traditionnelles et empruntent à
la Mimamsa . Le yoga tantrique s'est développé sur la base de celui de Patañjali. La
métaphysique est de type védantique : dualiste (dans les Agama ), dualiste mitigé ou
surtout non dualiste (en particulier dans le shivaïsme des Bhairavagama ), car cela
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201761 TANTRISME (hindouisme)
s'accorde mieux avec la vision tantrique du cosmos et de l'homme. Le Pañcaratra a une
conception particulière du déploiement (vyuha ) de la création à partir d'hypostases
deVisnu .
Caractéristique du tantrisme est sa conception de la divinité. Celleci, au plan suprême,
transcende toute dualité, mais elle est, en tant que telle, conçue comme ayant deux
aspects inséparables, masculin et féminin (Siva/Sakti, Visnu/Sri , etc.), dont l'union,
sexuée, marque le point de départ du cosmos comme celui de son retour à l'origine. De
ces aspects, c'est le féminin qui est actif, qu'il domine l'autre ou non. La création est
l'œuvre de cette énergie féminine : elle en est toute pénétrée et se déploie comme un
vaste jeu cosmique. La sakti, qui soutient et anime ainsi l'univers, le résorbe à la fin de
chaque cycle. Elle cause, avec la manifestation cosmique, l'esclavage de l'homme en ce
monde, mais c'est par elle qu'il se libérera en retournant à sa
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source. Le tantrisme réinterprète là un schéma cosmique puranique. De plus, le
microcosme, qui est lié au macrocosme par un immense jeu de corrélations et de
connexions, peut en rejouer le déploiement comme le repliement par lequel il arrivera
au salut dans la fusion (ou " proximité ") avec la divinité. Il est à noter que, dans cette
recherche de la délivrance, si les rites et autres pratiques occupent la place la plus
visible, la grâce divine (souvent nommée " descente de l'énergie ", saktipata , puisque
c'est celleci qui agit) joue cependant un certain rôle. L'homme répond à la grâce par la
dévotion (bhakti ) dont il imprégnera ses pratiques. Mais l'ascèse reste avant tout, dans
la perspective tantrique, participation au jeu cosmique, la lila . D'où le caractère
d'effervescence joyeuse, effrayante parfois, mais toujours ludique qu'a souvent l'ascèse
tantrique, qui, à cet égard, porte à leur paroxysme des éléments présents dès le Veda et
qui ensuite avaient été occultés. La notion de lila n'est d'ailleurs pas propre au
tantrisme. Elle joue un rôle essentiel dans tous les cultes krishnaïtes, dont certains
seulement sont tantriques, étant alors de ceux où tantrisme et bhakti se conjuguent.
Le processus cosmique, dans toutes les écoles, est émanationniste. Le monde est
l'apparaître (abhasa ) du divin, qui reste inaffecté par ce qu'il émet tout en le contenant
en lui. Selon les sectes, l'univers sera jugé plus ou moins réel ou irréel, encore que le
plus souvent la maya y soit considérée moins comme l 'origine de toute erreur, la "
grande illusion ", que comme la source de l' infinie diversité cosmique née de la
surabondance divine. Cette créativité divine multiforme se manifeste en de vastes
cosmogonies, en particulier en celles qui reposent sur le déploiement cosmique de la
Parole (vac ), laquelle, dans le tantrisme, est l'énergie par excellence. Celleci fait
apparaître tous les plans et aspects de l'univers, de la divinité ellemême à la terre, par
étapes successives, que ce soit selon l'ordre des lettres de l'alphabet sanskrit ou par
l'effet de la puissance et de l'expansion d'un mantra (tels OM, HRIM, SAUH, etc.) en
lequel repose la force créatrice de l'absolu. Le tantrisme bouddhique élabora de façon
analogue des systèmes cosmiques, où lettres sanskrites aussi bien que mantras jouent
un rôle, reposant toutefois sur la métaphysique " idéaliste " du Mahayana.
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4. Le panthéon
Le panthéon tantrique est difficile à décrire en tant que tel, car il est mêlé à celui de
tout l'hindouisme (le cas bouddhique est plus simple). On peut seulement noter
quelques traits spécifiques pour tâcher de distinguer ce qui est tantrique de ce qui ne
l'est pas, ou de ce qui l'est moins.
Quelle que soit la secte, il émane de la divinité, rassemblant deux pôles, masculin et
féminin, toute une hiérarchie de formes et d'entités surnaturelles, de la plus haute à la
plus basse, parmi lesquelles toutefois les êtres féminins dominent, puisque le processus
cosmique est l'œuvre de la sakti. La déité suprême y est une de celles de l'hindouisme
Visnu , Siva , la Déesse , mais de forme tantrique, associée toujours à une entité
correspondante de sexe opposé. Siva , par exemple, pourra être un des aspects de
Bhairava , dieu redoutable aux traits transgressifs, dominant surtout dans les tantras.
Dans les agama dualistes, ce sera Sadasiva, déité plus paisible. Ou bien l'on aura
Kamesvara ou Kulesvara (associés à Kamesvari ou Kulesvari), etc. Surya, le dieu
soleil, est dans le tantrisme une forme deSiva . Ganesa joue un rôle important dans ce
panthéon, où il est associé parfois à Batuka, forme de Bhairava , et toujours
accompagné d'une duti , " messagère ". On le trouve parfois multiplié par dizaines. Les
cinq " visages " deSiva , ses six " membres " (anga ), ses attributs sont des formes
divines ; et il en est de même des énergies qui en émanent : les entités surnaturelles
surgissent les unes des autres hiérarchiquement.
Très spécialement tantriques sont les formes de la Déesse, celles notamment des cultes
kapalika des Yoginis, divinités sauvages, assoiffées de sang, porteuses de guirlandes de
têtes coupées, parfois thériomorphes, peuplant tout le cosmos d'un réseau omniprésent
de puissance (yoginijala ), dominant les cycles cosmiques et dont les lieux de puissance
(les pitha , où
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tombèrent les fragments du corps déchiqueté de la Déesse) sont répartis dans toute
l'Inde. Ces Yoginis sont groupées en " familles " (kula ), les principales étant celles des
huit " Mères " (matr ) : Brahmi, Mahesvari, Kaumari, Vaisnavi, Indrani, Varahi,
Camunda, et Mahalaksmi, à qui des cultes secrets sont rendus la nuit sur les lieux de
crémation où elles communiquent leur toutepuissance à leurs dévots en les possédant.
On ne peut pas passer en revue toutes ces déesses, parmi lesquelles se remarquent
notamment des formes effrayantes de Kali : Guhyakali, la Secrète, les douze Kalis du
système Krama , dominées par la " Destructrice du temps ", Kalasamkarsini, ou les
trois déesses du Mata, dont la plus haute se nomme Ghoraghoratara, " la plus Terrible
des Terribles ", ou Kubjika, la " Bossue ", unie au beau dieu Navatma, etc. Formes
farouches de cultes visionnaires aux rites transgressifs, ces déités ont en même temps
fait parfois l'objet de spéculations métaphysiques subtiles, même dans les anciens
tantras. Ainsi, dans ceux du Trika, où les énergies et les dieux sont dominés par la
triade des déesses para , Parapara et Apara, formes de l'absolu siégeant sur les pointes
du trident shivaïte issu du " Grand Trépassé " (Mahapreta) qu'est pour cette école
Sadasiva, en quoi elle s'affirme supérieure au Saivasiddhanta. Para est alors " Essence
des Mères " (Matrsadbhava), le pur absolu transcendant dans lequel l'adepte se fond
http://pierre.vergeot.free.fr/lestextes/padoux/TANTRISME%20(hindouisme)%20.htm 8/16
201761 TANTRISME (hindouisme)
par la méditation yogique. Mais il y a aussi des déesses plus aimables, telle
Tripurasundari, la " Belle des Trois Cités ", dont le culte, fait avec un diagramme (le
sricakra ) et un mantra (la srividya ) particuliers, subsiste encore, très " védantisé ", en
Inde du Sud.
De façon analogue, d'autres cultes transgressifs dans leurs débuts seront par la suite "
domestiqués " par une interprétation symbolique des rites et des déités. Ainsi le culte
kapalika de Svacchandabhairava atil quitté les champs de crémation pour devenir le
culte domestique, mais ésotérique, des brahmanes du Cachemire. Typiquement
tantriques sont les " déessesparole " ( vagdevata ), déesses de l'alphabet ou des lettres
du sanskrit : Para, Malini, etc. Quant au panthéon, si nous considérons que toutes les
déités peuvent donner lieu à nombre d'épiphanies, que tous leurs aspects peuvent être
divinisés, que les instruments
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et les moments du culte peuvent l'être aussi, que les formules rituelles, les mantras, au
nombre, diton de 70 millions, sont autant de déités hiérarchisées, que l'univers est
empli d'entités surnaturelles que les textes se plaisent à énumérer sans fin, il apparaîtra
que le thème est inépuisable. Ce qu'il faut retenir dès lors pour caractériser cet aspect
du tantrisme, c'est l'omniprésence et l'infinie multiplication de ces entités hiérarchisées,
leur caractère souvent redoutable, le fait qu'elles imprègnent le cosmos tout en étant
présentes en l'homme (ce qui est d'ailleurs une notion védique) dont le corps est ainsi
divinisé, sa vie prenant une dimension cosmique. Développé au sein de l'hindouisme,
le tantrisme l'a colonisé en lui ajoutant ses propres divinités, secrètes, qui, en dépassant
les autres et en les englobant, et en envahissant l'univers par leurs puissances, montrent
sa supériorité sur la religion exotérique. L'examen du bouddhisme tantrique ferait
apparaître une évolution et des phénomènes du même genre, plus faciles toutefois à
cerner, puisqu'il se distingue nettement du bouddhisme non tantrique.
5. Rites et pratiques ; la " kundalini "
Le tantrisme hindou ou bouddhique a ajouté à ces deux religions une dimension
supplémentaire par l'extrême développement d'un rituel lié à des pratiques corporelles,
mentales et de yoga particulières. La pratique tantrique " opérante et efficace "
(sadhana , de la racine sanskrite sadh , accomplir, effectuer) implique l'homme entier,
corps et esprit, dans l'acte qu'il accomplit ou, plus exactement, dans le monde qu'il crée
rituellement. On trouve, certes, un peu de cela dans tout l'hindouisme, qui a une vieille
et solide tradition rituelle, mais cela est largement dû à ce que presque tout
l'hindouisme a été tantrisé. (Le bouddhisme, par principe hostile au ritualisme, y a cédé
à son tour, sous l'influence, peuton penser, du milieu brahmanique puis hindou qui
l'entourait.)
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La première étape de toute pratique tantrique vécue est l'initiation (diksa ), au cours de
laquelle l'adepte, soigneusement choisi, reçoit en secret de son maître (guru ) un
mantra. L'importance de l'initiation et du secret et la nécessité du maître spirituel, qui
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201761 TANTRISME (hindouisme)
semblent être des traits généralement hindous, sont en réalité tantriques ou ont été
accentués par le tantrisme. Il y a plusieurs sortes et degrés d'initiation visant, selon des
rites divers et parfois très complexes, des buts différents. Cette initiation est distincte
de l'upanayana , que doit recevoir tout jeune hindou " deuxfoisné ". Elle peut en
principe être accordée quels que soient le sexe ou le statut social. Le secret des règles
et des pratiques est assuré non seulement par la transmission directe de maître à
disciple, mais aussi par l'emploi dans les textes d'un langage codé (sandhabhasa ).
Les pratiques les plus typiques sont relatives aux mantras, " instruments de pensée ",
formules stéréotypées à usage rituel et mystique ou magique, souvent dépourvues de
tout sens apparent, mais censées recéler toute la force des divinités dont elles sont la
forme phonique, essentielle. Parole efficace, puisque sa nature est celle de l'énergie
divine, le mantra est censé agir par luimême. Tous les rites tantriques s'accompagnent
de leur énoncé, qui peut être émis en mille circonstances. Leur omniprésence est un
trait si typiquement tantrique que les termes mantrasastra, " enseignement des mantras
", et tantrasastra, " enseignement tantrique ", sont souvent pris comme synonymes. Le
mantra n'est toutefois efficace que s'il a été d'abord régulièrement reçu par l'adepte puis
maîtrisé par lui au terme d'une ascèse particulière (mantrasadhana ou purascarana ),
généralement longue et complexe. L'importance des mantras dans les rites est telle que
ceuxci peuvent ne consister qu'en leur énoncé. L'image du culte peut même parfois
n'être faite que de mantras (mantramaya ) : rituellement confectionnée avec des
formules, sans rien de matériel. L'univers tantrique, hindou comme bouddhique, est
celui de la toutepuissance de la parole et de sa constante manipulation rituelle et
magique. Les mantras doivent souvent être indéfiniment répétés : jusqu'à des millions
de fois. Nommées japa , ces répétitions sont soigneusement codifiées. Associées à des
méditations, à des visualisations et à la régulation du souffle, le japa tantrique est
souvent proche du yoga .
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L'énonciation des mantras s'accompagne parfois de gestes symboliques, les mudra (mot
qui signifie " sceau "). Gestes des doigts ou des mains, ou bien attitudes ou postures
corporelles (imitant ou évoquant en général celles de la déité adorée), les mudra
peuvent aussi être des " attitudes mystiques ", la posture associée à la méditation
visualisante exprimant et causant à la fois l'identification de l'adepte à la divinité. Cette
identification se réalise aussi et surtout par une méditation intense créatrice d'images
mentales, la bhavana (du sanskrit bhu , devenir, exister, d'où faire être). Par elle,
l'adepte fait exister dans son esprit une divinité, un diagramme ou toute autre forme
ayant une signification religieuse, dans tous ses détails, avec une précision quasi
hallucinatoire et il la perçoit comme présente soit devant lui, soit en luimême, dans la
structure imaginaire de son " corps subtil ". Il s'identifie ainsi au jeu de l'énergie divine
ou au cosmos, dont il place en lui les divisions, ou encore à l'image de la déité, qu'il
surimpose mentalement à son corps, s'identifiant par là avec elle.
La présence de la divinité ou d'entités surnaturelles ou cosmiques dans le corps de
l'adepte est assurée aussi par d'autres pratiques, en particulier par les nyasa ,
attouchements par lesquels, avec un geste prescrit des doigts, une mudra, un mantra
recélant l'influx divin est " déposé " et est censé par là même apporter ce qu'il
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201761 TANTRISME (hindouisme)
représente, imprégner de sa puissance ou même transformer l'endroit ou l'objet
attouché. Comme le japa, le rite de nyasa tend à la multiplication. Quand il précède le
culte ou fait partie d'un mantrasadhana, des dizaines de séries d'impositions peuvent se
succéder, renforçant ainsi la déification du pratiquant.
Cette déification est un trait essentiel du culte (puja ) tantrique des divinités. Celuici
suppose l'identification préalable de l'officiant à l'être à adorer : " Seul un dieu peut
adorer un dieu ", dit l'adage. Un ensemble d'actes rituels sera ainsi accompli pour "
remplacer " le corps humain de l'officiant par un " corps divin " formé d'éléments purs
où la déité pourra résider, l'actant
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du rite se faisant alors un culte à luimême (atmapuja ) nommé aussi " sacrifice
intérieur " (antaryaga ) en tant que divinité. Celleci, présente dans le corps ainsi
transformé, sera rituellement transférée dans le support matériel du culte (image,
diagramme ou autre), généralement avec le souffle de l'officiant. Le culte " extérieur "
peut alors se faire. Le culte intérieur est proprement tantrique. Il est absent de la puja
hindoue ordinaire. Réalisé par des visualisations (dhyana ) et par des méditations liées
au contrôle de la respiration, c'est en réalité une pratique relevant du yoga , lequel, sous
des formes appropriées, fait partie intégrante de la puja comme de nombre d'autres rites
tantriques. Le yoga , en effet, assure ou renforce la participation somatopsychique de
l'officiant au rite qu'il accomplit ; or une telle participation est essentielle dans la vision
tantrique du culte. Pour aider encore à cette participation, ou pour la symboliser
davantage, l'officiant doit très généralement porter des vêtements et des ornements
semblables à ceux de la déité adorée ou adopter l'allure de celleci. Par là s'expliquent,
dans le cas de divinités féminines, le transvestisme, ainsi que le comportement étrange
caractéristique de certains vrata (" vœux ") tantriques, qui vont parfois jusqu'à mettre
leurs adeptes tout à fait en marge de la société.
Le culte tantrique suit d'une façon générale l'ordre du culte hindou ordinaire lequel,
de nos jours, n'est toutefois jamais entièrement exempt d'éléments tantriques, sauf à en
avoir été délibérément purgé. Il fait usage en partie des mêmes objets. Il faut noter à cet
égard, pour le shivaïsme, que le linga , symbole (originellement phallique) deSiva , n'a
rien de tantrique. Ce qui l'est, c'est de le comprendre comme uni par son socle au yoni
de la Déesse. Les sacrifices d'animaux, d'autre part, sont une vieille tradition indienne,
remontant au Veda , mais ils subsistent aujourd'hui surtout pas exclusivement en
contexte tantrique. Si les divinités les plus " orthodoxes " sont " végétariennes ", celles
qui ne le sont pas ne sont pas forcément tantriques. Il y a, dans le tantrisme comme
dans tout l'hindouisme, des pratiques de hautes et de basses castes. Le tantrisme n'est
pas de l'hindouisme " populaire ". Il est, au contraire, lié à la tradition savante, même
s'il en apparaît comme une forme plutôt déviante.
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L'usage de diagrammes (mandala , yantra , cakra ), s'il remonte lui aussi par certains
côtés au védisme, est un trait caractéristique des cultes tantriques, hindous et
bouddhiques. De plan carré et quadrillé, ou faits d'enceintes circulaires ou triangulaires
dans un carré (ou inversement), ces diagrammes sont tracés rituellement. Ils sont faits
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201761 TANTRISME (hindouisme)
de matières périssables ou durables et peuvent être de toutes tailles : c'est un petit objet
ou une enceinte dans laquelle entre l'officiant, mais il délimite toujours une aire sacrée,
centrée, orientée, où la déité est appelée à résider pour la durée du rite, qu'elle y soit
présente en image (symbolisée par un objet, vase ou autre) ou mentalement visualisée.
Ce n'est ordinairement qu'une surface organisée où se déroule un rite, mais ce peut
aussi (plus rarement) être un symbole de la divinité dans son activité cosmique.
Construit avec l'aide de mantras, il contient un panthéon que l'officiant adorera en
allant de l'extérieur vers le centre, accomplissant ainsi un parcours qui va du monde
ordinaire à la divinité suprême. De tels mandalas ou autres diagrammes peuvent être
intériorisés par la méditation et servir, moyennant une pratique de yoga particulière, à
s'unir au jeu cosmique de la déité.
Typique du culte tantrique est enfin l'emploi, en guise d'offrande, des pañcatattva , " les
cinq éléments ", ou pañcamakara , " les cinq lettres m " : viande, poisson, alcool,
graines et union sexuelle (dont les noms sanskrits commencent par m). Les quatre
premiers, offerts à la déité, sont ensuite consommés par l'officiant. Le cinquième peut
consister en une union sexuelle rituelle avec une jeune femme préalablement initiée et
" transformée " par des nyasa et autres rites. L'offrande est alors celle des sécrétions
nées de cette union si elle est effectivement réalisée. Ce rite sexuel peut être collectif,
formant alors une cakrapuja , " culte en cercle ", fait avec des " yoginis " : de ce rite
très secret et sans doute rare, on a dit qu'il avait dégénéré en orgies. En fait, ces
pratiques sexuelles, très ritualisées et compliquées, ne sont pas plus de simples ébats
amoureux que des techniques érotiques raffinées. Comme le dit le Hevajratantra
bouddhique, on ne les pratique pas pour y trouver du plaisir. Elles ont
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toujours été réservées à quelques initiés. Il s'agit de l'utilisation à des fins de puissance
et de libération d'une pulsion particulièrement forte et profonde et qui, en outre,
reproduit au niveau humain l'acte du désir divin qui a donné naissance au monde.
D'autres mouvements intenses de l'être peur, colère, haine, etc. peuvent aussi être
mis en jeu par des techniques tantriques visant à faire atteindre l'absolu par la
dissolution du moi social au travers d'un choc émotif (techniques qu'on trouve aussi
dans le bouddhisme tantrique). L'esprit du tantrisme est, en effet, celui de l'utilisation
des éléments du monde, notamment du kama , le désir, pour échapper aux limitations
du monde. Il vise aussi, dans certains cas du moins, en violant au maximum les règles
du comportement " normal ", notamment celles qui sont relatives à la pureté rituelle et
au respect de l'ordre des castes, à plonger dans le chaos de l'impureté et du désordre,
libérant ainsi des forces obscures, dangereuses, mais suprêmement efficaces, que bride
habituellement la vie sociale. Ainsi le tantrika atteintil à la toutepuissance et à la
libération. Il ne faut toutefois pas voir là le tout du tantrisme, où l'élément de
participation à la joie ou à la fécondité cosmique est sans doute plus important que
l'élément transgressif.
On est, dans ces cas extrêmes, à la limite du magique et du religieux, deux éléments si
on peut les distinguer que le tantrisme associe toujours plus ou moins. Il faut citer à
cet égard les " six actions [magiques] " (satkarmani ) : enchanter, pacifier, immobiliser,
tuer, etc., décrites dans la plupart des textes tantriques, le plus souvent à propos de rites
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201761 TANTRISME (hindouisme)
religieux. Ces derniers, de fait, à côté des rites obligatoires (dits nitya ), comportent des
rites optionnels (kamya ), accomplis en vue d'une fin intéressée, mondaine ou non,
dont des rites agressifs, destructeurs, qu'on accomplira pour soi ou pour les autres.
Certes, ces rites " cruels " (krura ) sont parfois condamnés, mais ils existent
normalement. C'est qu'il ne s'agit jamais, dans la vision énergétique du cosmos qui est
celle du tantrisme, que de mettre en jeu une énergie divine qui n'a par ellemême pas de
connotation morale. Des procédés tantriques sont également utilisés dans l'alchimie et
ils forment une branche de la médecine traditionnelle indienne.
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L'énergie cosmique omniprésente qui anime aussi l'être humain prend chez ce dernier
(tout en restant cosmique) la forme de la kundalini . Celleci, imaginée comme un
serpent femelle lové à la base de la colonne vertébrale, peut soit s'élever d'ellemême,
soit, surtout, être éveillée par des techniques yogiques corporelles et mentales
appropriées. Elle monte alors en traversant des centres du " corps subtil ", nommés "
roues " (cakra ) ou " lotus " (padma ). Elle les " perce " successivement et, atteignant le
sommet de la tête (ou allant encore audelà), elle s'unit au principe divin masculin.
Ainsi est réalisée l'union des deux pôles de la divinité et donc, pour le yogin, est
obtenue la fusion en l'absolu. Celui en qui cela se produit s'éveille à des plans de
conscience de plus en plus élevés correspondant aux cakra et mis en corrélation avec
des niveaux du cosmos comme avec des divinités. Il vit donc un processus de "
cosmisation " et de divinisation mentale ainsi que corporelle. Cette pratique suppose
toujours l'énoncé de mantras, formes phonétiques de l'énergie divine. L'énergie
kundalini est aussi celle de la Parole (vac). Son éveil correspond donc à l'apparition des
plans cosmiques de la parole comme à la naissance en l'homme du langage. Il
s'accompagne de phénomènes psychophysiologiques divers. Apparaissent aussi des
pouvoirs surnaturels, puisque ceuxci sont liés aux niveaux de conscience. La montée
de la kundalini peut être provoquée par le yoga sexuel, la fusion en l'absolu coïncidant
avec l'orgasme : on trouve cela notamment dans le " Grand Sacrifice " (mahayaga ) du
Kula.
L'image du serpent ascendant de la kundalini, qui se rattache à un fonds archaïque, est
essentielle au yoga tantrique. Elle intervient dans nombre de pratiques et dans le culte.
Il n'y a pas d'ascèse yogique tantrique faite avec un mantra sans la montée de la
kundalini. Celleci donne lieu parfois à une extraordinaire création d'images mentales,
corporellement ressenties dans la mesure où elles sont liées à la structure du " corps
subtil ", avec ses (72 000 !) canaux et tous ses centres, représentation fantasmatique
dont l'adepte vit le déroulement en lui et hors de lui avec le mouvement et
l'immobilisation des souffles vitaux (prana ). Que cette pratique implique ou non
l'union sexuelle, on rencontre là certaines des formes les plus curieuses et les plus
intenses du yoga tantrique.
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6. Le tantrisme bouddhique
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201761 TANTRISME (hindouisme)
Les pratiques et spéculations qu'on vient de voir sont aussi étrangères que possible à
l'esprit du bouddhisme ancien, qui condamnait l'idolâtrie et la croyance à l'efficacité
des rites. Elles se retrouvent pourtant, sous des formes très voisines, dans le Mahayana.
Peutêtre né développé en tout cas comme le tantrisme hindou dans la zone
himalayenne, le bouddhisme tantrique a dû s'établir en Inde vers le IIIe ou IVe siècle. Il
y dura jusqu'au XIIe siècle, où il disparut sous les coups de l'islam. Au cours de cette
période, il se répandit en haute Asie, en Chine puis au Japon et en Asie du SudEst,
régions où il est parfois encore actif (ainsi, dans la secte Shingon au Japon).
Secondaire, peuton penser, par rapport au tantrisme hindou (bien que des interactions
aient dû se produire), il est attesté avant lui, des éléments tantriques (ou "
prototantriques ") se rencontrant dès le IVe siècle en Chine. Nous savons par les
pèlerins chinois qu'il était largement présent en Inde au début du VIIIe siècle, en
particulier dans la célèbre université bouddhique de Nalanda. La période du VIIe au
XIIe siècle paraît avoir été celle de sa plus grande floraison.
On ne saurait dire comment il est né. Sans doute apparutil d'abord dans de petits
groupes marginaux (en contact peutêtre avec des renonçants hindous), pour venir au
grand jour plus tard, sans doute vers le VIIe siècle, lorsque la pensée philosophique du
Mahayana (dont les maîtres ne lui étaient guère favorables) eut perdu de sa force
créatrice. Le tantrisme bouddhique reste toutefois lié à cette philosophie, car il a
conservé l'enseignement fondamental des écoles madhyamika et yogacara sur la
sunyata , la vacuité, qui est la réalité ultime, et sur le fait que tout ce qui constitue le
monde n'a en définitive
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d'autre nature que celle du nirvana, l'absolu audelà de l'existant et du nonexistant.
Cette métaphysique, apparemment négatrice de toute chose, loin de gêner le
foisonnement des divinités, des rites, des pratiques magiques, alchimiques ou autres, l'a
au contraire favorisé. En effet, si samsara et nirvana ne sont en réalité que des états de
la conscience, troublée ou pure, il devient normal d'utiliser les moyens du monde le
samsara pour atteindre le nirvana, qui y est déjà présent, invisible seulement pour
l'ignorant. Le bouddhisme avait, d'autre part, repris les anciennes spéculations
indiennes sur les corrélations micromacrocosmiques : inséparable de l'univers,
l'homme en retrouve en lui les niveaux, qu'il peut revivre par une ascèse adaptée,
laquelle, du plan humain, l'amènera à un absolu qui est en lui. Le Buddha, en son
essence conçue comme cet absolu , est présent en l'homme. Il n'est que de l'y
appréhender et, là encore, l'utilisation des moyens du monde et notamment des
pulsions humaines se trouvera justifiée. Le corps ne sera pas rejeté, mais transformé,
cosmisé. On y vivra directement l'équivalence samara/nirvana en arrivant finalement,
par des pratiques à la fois spirituelles, corporellesmentales et rituelles (cette
coalescence des procédés étant caractéristiquement tantrique) à l'Éveil parfait, audelà
de toute dualité. Un tel état, où tous les opposés sont dépassés, où est réalisée la tathata
(l'"ainsité " : le fait que tout est "ainsi", c'estàdire audelà de toute définition
conceptuelle), a reçu notamment le nom de yuganaddha . Le tantrisme bouddhique s'est
constitué un panthéon où, d'un premier principe absolu (mais insubstantiel), le
Vajrasattva, l'Être adamantin, nommé aussi Buddha primordial, Adibuddha, émanent
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201761 TANTRISME (hindouisme)
cinq Buddhas (les Jina) régnant chacun sur un secteur du cosmos, ayant sa parèdre, son
mantra, sa mudra, associés chacun à un Buddha "humain" et à un Bodhisattva, ayant
enfin une " famille" (kula) de déités souvent féminines et redoutables : on a là un
panthéon hiérarchisé analogue à celui de l'hindouisme tantrique, avec lequel il partage
d'ailleurs certaines déités.
Dans les rites sont utilisées les mêmes pratiques, ou presque, que dans l'hindouisme.
Les mantras, surtout monosyllabiques,
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parfois nommés dharani (" porteuse"), y sont efficaces et y sont utilisés de la même
manière, notamment dans des répétitions liées à des visualisations et à des pratiques de
yoga . Les mudras , nombreuses, y ont le même rôle symbolique. (Le mot mudra y
désigne toutefois aussi la partenaire des rites sexuels, parfois nommée mahamudra en
tant qu'identique à la Prajña, la Sapience, aspect féminin du suprême.) Les
visualisations y ont une valeur particulière puisqu'on est dans un système de pensée où
tout est création de l'esprit : l'officiant crée les dieux qu'il adore, ou les résorbe en lui.
Les mandala ont un rôle considérable. Paradigmes de l'évolution cosmique, ils
représentent en effet l'identité essentielle du samsara et du nirvana : " Le mandala, dit
un tantra, est l'essence même de la Réalité. " Leur construction forme parfois un rituel
de longue durée. Le yoga du bouddhisme tantrique, enfin, ne diffère que peu de celui
de l'hindouisme. Il n'a que quatre cakra, mis en correspondance avec quatre " corps "
(kaya) du Buddha, la structure du corps subtil rejoignant ainsi celle de l'univers
spirituel, cependant que les " souffles " (prana), dont le mouvement éveille la "
conscience d'éveil " (bodhicitta), sont en correspondance avec le mouvement de
l'énergie cosmique. Le même schéma anthropocosmique est mis en œuvre par les
pratiques de yoga sexuel, où la félicité née de l'union avec la partenaire fait parvenir à
la "grande félicité" (mahasukha), qui est aussi bien physique que mystique.
Les similitudes entre pratiques bouddhiques et hindoues s'expliquent à la fois par le
développement des deux tantrismes dans le même fonds commun indien et, dans
certains cas, par une importante influence shivaïte. Les Yoganuttaratantra bouddhiques,
en effet, sont directement inspirés de textes shivaïtes kapalika, avec des cultes de
Yoginis et des pratiques tout à fait identiques. Il est à noter toutefois que, dans le
bouddhisme, l'élément féminin, la prajña, la sapience par opposition au moyen,
upaya, masculin tout en étant efficace, n'a pas le même dynamisme spontané que la
sakti hindoue : c'est l'upaya qui l'éveille.
On distingue dans le tantrisme bouddhique divers "véhicules" (yana), ou doctrines
(naya). Il y aurait ainsi fondamentalement un
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"Véhicule des Mantras"(Mantrayana ou Mantranaya), pouvant remonter au IVe siècle,
où se serait élaboré l'essentiel des pratiques et spéculations et d'où serait issu le
Vajrayana ("Véhicule de Diamant "), le vajra , foudre ou diamant, symbolisant la
Réalité suprême, personnalisée en Vajrasattva, l'Être adamantin. S'y ajoutent le
Sahajayana ("Véhicule de l'Inné") et le Kalacakrayana ("Véhicule de la Roue du
temps"). Tout le bouddhisme tibétain, comme celui du Bhoutan et du Népal, est
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201761 TANTRISME (hindouisme)
tantrique.
Le Sahajayana est intéressant à plusieurs titres. Ses textes sont en langues populaires
aprabhramsa et vieux bengali et non en sanskrit : ce n'est pas une tradition savante.
Ses adeptes étaient soit des renonçants au comportement étrange, errant avec leur
parèdre, soit des hommes restés dans le monde, mais sorciers. Il incarnait donc une
sacralité transgressive et marginale, des pratiques et une idéologie analogues existant
d'ailleurs en milieu hindou chez les Vaisnavasahajiya. C'était une voie ésotérique
extrême, prônant l'appréhension directe de la Réalité innée (sahaja) présente en sa
spontanéité en chacun dans la " conscience d'éveil " (bodhicitta), la "grande félicité"
(mahasukha) de l'Éveil étant identique à celle de l'union sexuelle.
Le Kalacakra apparut vers le Xe siècle, notamment au Cachemire. Il développe et
absolutise la notion de l'Adibuddha, au point de la rendre proche de celle du brahman .
Il le décrit comme "Un sans second" et comme " source de la roue du temps ", c'està
dire de tout le devenir. Il forme ainsi presque une religion à part du bouddhisme. Il a,
en particulier, une pratique de yoga par laquelle l'adepte met son souffle en
correspondance avec les rythmes cosmiques ceux du temps : kala et par là se les
assimile pour finalement les dépasser et s'unir à l'absolu, "instant unique, incomparable
et indivis" : une pratique tout à fait semblable existe dans le shivaïsme. Un rituel
curieux de cette école est celui de l'"entrée en frénésie", ou "possession par une
[divinité] redoutable" (krodhavesa); l'adepte s'y laisse posséder par toutes les forces
obscures et violentes dormant en lui pour
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en triompher et les apaiser et, ainsi purifié, devenir apte à recevoir l'initiation. Le
Kalacakra se prolongea au Cachemire, avec d'autres écoles bouddhiques, jusque vers le
XIVe siècle. Il fut introduit, de là, au Tibet, aux XeXIe siècles.
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