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Josué 1,1-9 :
Sois fort et sois courageux
1. Premières réactions
E Pourquoi Moïse est-il si souvent qualifié de serviteur ?
E Ce territoire promis aux Hébreux est immense et habité. Est-ce vraiment
un cadeau ?
E Pourquoi répéter par trois fois : « Sois fort et courageux » ? Est-ce un
impératif ou plutôt un encouragement ?
1. Lecture du texte
2.1. Indications pour la lecture
1,1.2.3.5 h#$emo (moshè)
« Moïse » est nommé six fois, par trois fois il est qualifié de « serviteur »
(dbe(e,'èvèd). Dans l’Ancien Testament, il est le serviteur par excellence.
2.3. Commentaire
La péricope qui introduit le livre de Josué est un discours du SEIGNEUR qui
s’adresse à Josué. Jusque-là le SEIGNEUR ne s’adressait qu’à Moïse. Ses
paroles font office d’intronisation, et de discours programmatique, puisqu’il
énonce les grands thèmes du livre : le passage du Jourdain, la conquête,
le partage du pays. Le discours comporte deux parties : la première (v. 1-4)
énonce le programme, la seconde (v. 5-9) vient donner du courage à Josué
pour accomplir sa mission.
Verset 1
Ce verset est introduit de manière très classique par « il arriva ». Cela nous
indique qu’une histoire commence, presque comme « il était une fois ». La
suite permet au lecteur de comprendre le passage de témoin entre deux
« héros ». Moïse vient de mourir, Josué qui était déjà à ses côtés devient
son successeur. Mais celui qui prend la parole, c’est le SEIGNEUR, le Dieu
d’Israël. Cette relation personnelle sera rappelée tout au long de la péricope
par les évocations des promesses faites par le SEIGNEUR aux pères. Josué
est « fils de Noun », cela l’inscrit dans une lignée. Il est aussi « auxiliaire de
Moïse », cela nous indique qu’il n’est pas exactement le plein successeur de
Moïse qui, lui, était le serviteur du SEIGNEUR. Cela vient renforcer les derniers
versets du Deutéronome : « Plus jamais en Israël ne s’est levé un prophète
comme Moïse, lui que le SEIGNEUR connaissait face à face » (Dt 34,10-12).
Versets 2-4
Le SEIGNEUR prend la parole pour s’adresser à Josué. Il s’agit de placer le
reste des évènements comme ordonnés par Dieu. Le rappel de la mort de
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Moïse est là pour inscrire Josué dans sa lignée, et lui faire comprendre que
désormais, c’est lui qui dirige le peuple d’Israël. Le discours commence par
des impératifs qui indiquent le programme de Josué. Dieu rappelle que c’est
lui qui donne le pays à conquérir, ce pays qui est habité et d’une immensité
qui peut sembler effrayante. Il rappelle également la promesse faite à Moïse.
L’évocation de la traversée du Jourdain prépare les chapitres 3-4, et l’évoca-
tion du don du pays anticipe les combats à venir, puisque le pays est habité
et l’installation se fait par la conquête.
Verset 5
Après les impératifs, il s’agit maintenant de réconforter Josué, de lui donner
l’assurance de la présence divine à ses côtés. La préposition « avec » est
là pour renforcer le discours. En faisant mémoire de sa présence auprès
de Moïse, le SEIGNEUR donne des gages de sa puissance à Josué, il le
protégera, tout comme il a protégé Moïse, jamais il ne l’abandonnera. On
retrouve l’assurance que Dieu est à ses côtés, dans les paroles que le peuple
lui adresse à la fin du chapitre (Jos 1,17).
Verset 6
L’expression « Sois fort et sois courageux » revient par trois fois dans la péri-
cope (1,6.7.9). On va la retrouver en 1,18, mais cette fois ce sera le peuple
qui l’adressera à Josué. On trouve la même injonction, déjà adressée à Josué
en Deutéronome 3,28 ; 31,6.7.23. On sent à travers cette double injonction
la tension et l’angoisse qui peuvent assaillir Josué. D’une part, il est ardu
de succéder à Moïse et, d’autre part, la conquête sera difficile. La référence
au don du patrimoine anticipe le partage du pays entre les différentes tribus
(Jos 11,23 ; 12,1-6 ; 13 ; 21).
Verset 7
« La loi que t’a prescrite Moïse ». On peut s’interroger sur le lien entre la
conquête et la loi. Il s’agit probablement d’insister sur l’alliance entre Dieu et
son peuple. Cela est renforcé par l’expression « ni à droite ni à gauche » que
l’on trouve déjà dans le Deutéronome, juste après le don de la loi à Moïse
(Dt 5,32), déjà en lien avec le don du pays, le bonheur et le maintien en vie.
On trouve la même expression lors la présentation du roi Josias (2 R 22,2).
Il y a d’autres rapprochements avec l’histoire de Josias, comme la fidélité à
la loi (Jos 8,30-35) lorsque Josué fait la lecture de la loi. Ce rapport à la loi
porte l’empreinte des rédacteurs deutéronomistes.
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Versets 8-9
L’évocation de « ta bouche » peut être mise en lien avec la vocation prophé-
tique, telle qu’elle nous est relatée dans Jérémie (Jr 1,9-10). « Tu le murmu-
reras jour et nuit » fait probablement référence à une lecture personnelle,
méditative. La récitation répétitive permet de ne jamais oublier la torah.
On trouve une expression similaire en ouverture des Psaumes (Ps 1,2), la
récitation est ici source de plaisir et de réconfort, elle s’accompagne de la
promesse de la présence de Dieu. C’est le rappel de la présence divine qui
vient clore le discours.
3. Enjeux théologiques
a) Dieu avec nous
Dès l’ouverture du livre, Dieu assure Josué de sa présence et de son soutien.
Josué a bien des raisons d’être effrayé. La mission qui lui est confiée semble
des plus difficiles, voire inatteignable. D’une part, parce que succéder à Moïse
peut sembler impossible : comment ne pas se sentir écrasé par la personna-
lité de celui qui a reçu la loi sur le Mont Sinaï, cet interlocuteur privilégié de
Dieu ? D’autre part, parce que le pays à conquérir est non seulement vaste,
mais aussi habité. Dieu vient accompagner les peurs de Josué. Il rejoint en
cela l’injonction « n’aie pas peur » si présente tout au long du texte biblique.
Aujourd’hui, l’image du Dieu fort et victorieux n’est plus très en vogue. Nous
sommes plus à l’aise avec la proximité, la « sensibilité » de Dieu. Mais la
compréhension du moment de Dieu n’épuise en rien son altérité radicale. Et,
lorsque les épreuves se multiplient, le Dieu fort, victorieux, est un vrai réconfort,
un refuge. On retrouve ces images de Dieu dans de nombreux Psaumes. Ce
n’est certainement pas un hasard si les esclaves des États-Unis ont puisé
dans le livre de Josué pour chanter leur espérance en de nombreux Negro
Spirituals. Ils avaient une foi profonde dans la présence de Dieu qui combat
à leurs côtés, les défend et qui leur dit « Sois fort et sois courageux. »
b) À l’heure du passage
Puiser dans le passé pour aller de l’avant. Notre péricope comprend de
nombreuses références au passé : Moïse, les pères, la promesse du pays.
Ces références sont là pour rappeler la fidélité de Dieu et l’horizon qu’il pro-
met. Certes, il ne faut en rien regretter le passé, se lamenter, pourtant il ne
faudrait pas non plus l’oublier, le gommer. Le peuple a connu l’esclavage,
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l’errance dans le désert, maintenant il va affronter l’inconnu. Ces références
sont là pour donner un élan à un avenir, donner force et courage à Josué et
au peuple dans cette nouvelle aventure.
c) La fidélité à la loi
Le lien entre fidélité à la loi et réussite est parfois difficile à entendre. Pourtant,
c’est bien le cœur de la théologie du Deutéronome. On la retrouve ici chez
Josué. « Ce livre de la Loi ne s’éloignera pas de ta bouche ; tu le murmureras
jour et nuit afin de veiller à agir selon tout ce qui s’y trouve écrit, car alors tu
rendras tes voies prospères, alors tu réussiras.» (Jos 1,8). Cette théologie
peut sembler éloignée de la « grâce ». Pourtant, en approfondissant ce qu’est
la loi, ou plutôt la torah, c’est-à-dire l’enseignement, on perçoit que cette
loi (torah) n’est en rien une contrainte qui enfermerait. Au contraire, elle est
structurante et permet de vivre en harmonie avec Dieu et avec les humains.
Elle est don. Ce qui est plus problématique, c’est l’impasse de cette théologie
de la rétribution, car l’observance n’est pas le gage de la réussite systéma-
tique. Est-ce pour cela qu’il ne faudrait pas méditer la loi (torah) et la mettre
en pratique ? D’autres livres bibliques vont venir affronter cette aporie (Job,
Qohéleth). Mais ici, il s’agit de faire alliance avec Dieu, de lui faire confiance,
de croire que sa loi (torah) nous offre la prospérité, même si cette prospérité
n’est pas celle que nous attendons. Josué est face à une terre inconnue,
et cette méditation de la torah lui permet d’affronter et d’accueillir l’avenir.
d) La difficulté de la succession
Comment ne pas se sentir écrasé par ceux qui nous précèdent ? Lorsque
nous avons des parents exemplaires, comment être à la hauteur ? La ques-
tion peut se poser aussi professionnellement, spirituellement. Comme pour
Josué, nos vies ne sont jamais la reproduction du passé. Notre mission est
nouvelle, à nous d’ouvrir de nouvelles voies. Se nourrir de la richesse de ceux
qui nous précèdent pour innover et inventer.
6. Ouvrages utilisés
Origène, Homélies sur Josué, (Sources Chrétiennes 71), Paris, Cerf, 2000.
T. Römer, « Josué », in : T. Römer, J.-D. Macchi, C. Nihan, éd., Introduction à l’Ancien
Testament (Le monde de la Bible N°49), Genève, Labor et Fides, 2009, p. 332-344.
P. Abadie, Le livre de Josué, critique historique (Cahiers Évangile N°134), Paris, Cerf,
décembre 2005.
Florence BLONDON