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Mémoire présenté
à la Faculté des études supérieures et postdoctorales de l’Université Laval
dans le cadre du programme de maîtrise en musique
pour l’obtention du grade de Maître en musique (M. Mus.)
FACULTÉ DE MUSIQUE
UNIVERSITÉ LAVAL
QUÉBEC
2012
Résumé
L’interdiction des quintes parallèles fait figure de loi immuable dans les études d’harmonie
les cas de transgression de cette règle dans la musique de piano en France sont nombreux
s’intéresse à l’utilisation de cet élément dans la musique pour piano à cette époque. Après
aspects de la règle telle qu’elle est énoncée dans plusieurs traités et dresse un portrait de la
ensuite un classement des types de quintes parallèles, puis l’applique au répertoire étudié.
En conclusion, le mémoire aborde le rôle et l’impact des quintes parallèles sur le langage
pianistique.
ii
Abstract
The prohibition of parallel fifths seems to be an unassailable law in the study of harmony
and counterpoint, often attributed to the fact that they create tonal ambiguity. However,
there are many instances of this rule being transgressed in piano music in France between
1880 and 1940, a period marked by the proliferation of styles and tonal evolution. This
dissertation focusses on the use of this element in the piano music at the time. Following a
brief status quaestionis and historical survey, it presents the different aspects of the rule as
stated in several treatises and draws a picture of piano music and the evolution of tonality
in France between 1880 and 1940. It then proposes a typology of parallel fifths and applies
it to the repertoire in question. In conclusion, the role of parallel fifths and their impact on
Remerciements
Lorsque j’ai discuté pour la première fois d’un sujet de mémoire sur les quintes parallèles
dissuader, qu’il me dise que je ne pourrais rien faire avec un sujet pareil. Je le proposais
uniquement pour m’enlever cette obsession de la tête, pour pouvoir passer à autre chose.
Quelle ne fut pas ma surprise de le voir me répondre avec enthousiasme que c’était un sujet
envisageable et approprié pour un mémoire de maîtrise! J’allais enfin pouvoir étudier cette
règle qui a fait rager plusieurs de mes condisciples et qui moi, me fascinait depuis le cégep!
J’ai rapidement découvert que ce sujet que je croyais circonscrit était au contraire
étonnamment vaste et riche. Cinq ans plus tard, plusieurs questions ont trouvé des réponses,
qui sont consignées dans ce mémoire, mais plusieurs des réponses ont soulevé de
nombreuses autres questions qui alimenteront certainement mes réflexions dans les
prochaines années.
n’aurais jamais pu mener à bien cette entreprise. Tout d’abord, Monsieur Paul Cadrin, mon
malgré moi, en me donnant des conseils judicieux qui, parce qu’ils ne m’apportaient pas
chercher plus loin par moi-même. Que dire de son savoir, qui a été pour moi une source
ultrachargé! Ensuite, mes condisciples et mes professeurs qui, par leur air ébahi et leurs
me remettre en question et m’ont aidée à clarifier mes idées. Une pensée également pour les
iv
membres du comité d’évaluation de mon projet de mémoire qui, par leurs questions et leurs
Merci à mes parents, Jean et Nicole, qui ont su trouver les mots pour m’encourager dans les
moments difficiles, m’écouter et m’aider à clarifier mes idées, même si le sujet de mon
mémoire n’entre pas dans leur champ de compétences. Merci également pour le soutien
technique! De même, mes beaux-parents, Dominic et Francine, qui bien qu’eux non plus ne
soient pas musiciens, se sont toujours intéressés à ce que je faisais et m’ont soutenu. Merci
aussi à Michelle, François, Véronique et Sébastien pour les encouragements! Et merci aux
amis pour leur compréhension et leur sollicitude. Et le dernier, mais non le moindre,
l’homme qui partage ma vie, mon amoureux, Éric, pour sa formidable compréhension et
son soutien dans ce très long et difficile périple qu’est la rédaction d’un mémoire de
maîtrise. Merci d’avoir enduré sans plaintes les longues heures de travail, les nombreux
quintes! Merci d’avoir pris soin de moi durant tout ce temps et d’avoir toujours gardé
Résumé.....................................................................................................................................i
Abstract .................................................................................................................................. ii
Remerciements...................................................................................................................... iii
Introduction ............................................................................................................................. 1
Problématique ..................................................................................................................... 2
Objectifs .............................................................................................................................. 5
Méthodologie ...................................................................................................................... 5
5.1 Principaux types de quintes parallèles dans la musique française de piano entre 1880
et 1940............................................................................................................................. 103
Quintes parallèles cadentielles .................................................................................... 104
Quintes parallèles dans la résolution d’accords dissonants ........................................ 108
Quintes parallèles causées par une erreur dans la conduite des voix.......................... 114
Quintes parallèles par croisement ............................................................................... 116
Quintes avec notes ornementales ................................................................................ 119
Quintes parallèles créant un enrichissement de la texture .......................................... 134
Quintes parallèles structurelles ................................................................................... 158
Quintes parallèles créant des effets particuliers .......................................................... 163
Quintes en notes ornementales ................................................................................... 166
Annexe 2 : Liste des œuvres consultées contenant des quintes parallèles .......................... 179
Annexe 3 : Liste des œuvres consultées ne contenant pas de quintes parallèles ................ 209
Exemple 5.30 – Ibert (1916), Pièce romantique, mes. 94-96 ............................................ 131
Exemple 5.31 – Satie (1907), Nouvelles pièces froides, n° 3 :
« Sur un pont », mes. 11-14 ........................................................................................ 132
Exemple 5.32 – Debussy (1890, rév. 1905), Suite bergamasque,
n° 1 : « Prélude », mes. 4-6 ......................................................................................... 133
Exemple 5.33 – Aubert (1903), Lutins, op. 11, mes. 62-73 ............................................... 135
Exemple 5.34 – Decaux (1907), Clair de lune, n° 3 : « Le cimetière », mes. 53-56 ......... 139
Exemple 5.35 – Milhaud (1923), Rag-caprice, n° 2 : « Romance », mes. 30-34 .............. 139
Exemple 5.36 – Auric (1941), Neuf pièces brèves, n° 6 : « Sicilienne », mes. 16-19 ....... 142
Exemple 5.37 – Séverac (1908), Baigneuses au soleil
(Souvenir de Banyuls-sur-mer), mes. 4-6 ................................................................... 142
Exemple 5.38 – Kœchlin (1915-1916), Paysages et marines, op. 63, n° 4, mes. 4-6 ....... 143
Exemple 5.39 – Casadesus (1924), Prélude, op. 5, n° 24 :
« Doux et tranquille », mes. 1-7.................................................................................. 145
Exemple 5.40 – Milhaud (1922), Rag-caprice, no 1, mes. 14-18 ...................................... 148
Exemple 5.41 – Ravel (1911), Valses nobles et sentimentales, n° 7, mes. 51-54 .............. 150
Exemple 5.42 – Kœchlin (1913-1919), Les heures persanes, op. 65, n° 1 :
« Sieste avant le départ », mes. 1 ................................................................................ 150
Exemple 5.43 – Ibert (1924), Les rencontres, n° 4 : « Les bergères », mes. 21-24 ........... 151
Exemple 5.44 – Debussy (1909-1910), Préludes, livre 1, n° 1 :
« Danseuses de Delphes », mes. 11-14 ....................................................................... 152
Exemple 5.45 – Poulenc (1920, rév. 1939), Cinq impromptus, FP 21,
n° 5 : « Andante », mes 19-22 .................................................................................... 154
Exemple 5.46 – Milhaud (1920-1921), Saudades do Brasil, livre 1,
n° 5 : « Ipanema », mes. 9-14 ..................................................................................... 154
Exemple 5.47 – Chausson (1896), Quelques danses, op. 26,
n° 4 : « Forlane », mes. 129-130 ................................................................................. 156
Exemple 5.48 – Poulenc (1920, rév. 1926), Suite FP 19 : 1er mouvement, mes. 1-3 ......... 159
Exemple 5.49 – Vierne (1918), Solitude, op. 44, n° 1 : « Hantise », mes. 1-7 .................. 160
Exemple 5.50 – Debussy (1911-1913), Préludes, livre 2,
n° 10 : « Canope », mes. 1-4 ....................................................................................... 160
Exemple 5.51 – Debussy (1909-1910), Préludes, livre 1,
n° 10 : « La cathédrale engloutie », mes. 31-35 ........................................................ 161
Exemple 5.52 – Debussy (1911-1913), Préludes, livre 2,
n° 7 : « La terrasse des audiences du clair de lune », mes. 31-32 .............................. 162
Exemple 5.53 – Debussy (1903-1904), Masques, mes. 360-367 ....................................... 162
Exemple 5.54 – Ravel (1904-1905), Miroirs, n° 5 :
« La vallée des cloches », mes. 26-28......................................................................... 164
Exemple 5.55 – Debussy (1911-1913), Préludes, livre 2,
n° 7 : « La terrasse des audiences du clair de lune », mes. 42-45 .............................. 165
Exemple 5.56 – Satie (1917), Sonatine bureaucratique, mes. 113-116 ............................ 165
Exemple 5.57 – Roger-Ducasse (1914-1915), Variations sur un choral :
« 8e variation », mes. 150-152 .................................................................................... 166
Exemple 5.58 – Roussel (1904-1906), Rustiques, op. 5,
n° 2 : « Promenade sentimentale », mes. 45-46 .......................................................... 167
Exemple 5.59 – Schmitt (1907), Pupazzi, op. 36, n° 6 : « Atys », mes. 25-27 .................. 168
Introduction
On croit souvent que l’interdiction des quintes parallèles ne préoccupe réellement que les
auteurs de traités et les professeurs d’écriture, pour embêter les pauvres étudiants. Quelle ne
fut pas ma surprise de constater que plusieurs musicologues ont discuté de cette question
dans leurs travaux ou ont même analysé leur sujet à travers cette problématique! Francis
Edward Gladstone (1845-1928) en a fait l’objet d’une communication, publiée par la suite
dans le Journal of the Royal Musical Association en 1882. Il y donne quelques explications
sur les raisons qui, selon lui, justifient l’interdiction, discute de certains cas particuliers,
expose et critique des exemples du répertoire1. Maud Gilchrist Sewall (1871-1960) recense
justification de l’interdiction des quintes parallèles dans un article publié en 1926 2. Paul
Gilson (1904-1963) en fait une étude assez détaillée dans Quintes, octaves, secondes et
polytonie : étude documentaire sur l’art musical en 19223. Il y fait une mise en contexte
historique de l’interdiction, recense les propos de plusieurs auteurs de traités, présente des
Therese Farah aborde la question des quintes parallèles dans sa thèse en 1985 pour décrire
situe dans la question du parallélisme prise dans son ensemble, qui, bien qu’engendrant
dans certains cas une dissolution du contrepoint, peut servir un but compositionnel.
1
Francis Edward Gladstone, « Consecutive Fifths », Journal of the Royal Musical Association 8 (6 mars
1882) : 99-121.
2
Maud Gilchrist Sewall, « Hucbald, Schoenberg and Others on Parallel Octaves and Fifths », Musical
Quarterly 12 (1926) : 248–65.
3
Paul Gilson, Quintes, octaves, secondes et polytonie : étude documentaire sur l’art musical (Bruxelles :
Schott, 1922).
4
Wanda Therese Farah, « Microcounterpoint », dans « The Principle of Counterpoint and its Expression in
Music, Dance and Cinema », 65-139 (thèse de doctorat, University of Texas at Austin, 1985).
2
Geoffrey Chew (1989) étudie le rôle des structures en quintes parallèles sur la cohérence
aborde même, dans un article de 1949, la controversée question de l’aspect esthétique des
quintes parallèles, le fait qu’elles « sonnent bien ou mal » 6 . Après avoir exposé divers
exemples, il ne peut conclure qu’à l’absence de raison scientifique assez solide pour
justifier une interdiction ou une permission sur la seule base des qualités esthétiques.
Johannes Brahms (1833-1897) en a fait un recueil, Oktaven und Quinten, qui a aussi été
l’objet d’études par Robert T. Laudon, Paul Mast et Heinrich Schenker (1868-1935) 7 .
Brahms regroupe dans cette anthologie plusieurs exemples de quintes parallèles qu’il a
nature des types de progression en se basant surtout sur des critères esthétiques (l’écoute
Problématique
La raison évoquée le plus souvent par les théoriciens pour expliquer l’interdiction des
quintes parallèles est l’ambiguïté tonale, en d’autres mots le fait que, en se déplaçant à
distance de quinte, deux voix semblent évoluer dans deux tonalités distinctes. Au tournant
du XXe siècle, transgresser l’interdit des quintes parallèles a certainement eu un rôle à jouer
dans l’évolution du système tonal. En effet, bien que cette règle ait été tenue pour
immuable jusqu’à récemment dans l’histoire, et ce, même en composition libre, les
5
Geoffrey Chew, « The Perfections of Modern Music : Consecutive Fifths and Tonal Coherence in
Monteverdi », Music Analysis 8, 3 (octobre 1989) : 247-273.
6
Matthew Shirlaw, « Aesthetic – and Consecutive Fifths », Music Review 10 (1949) : 89–96.
7
Johannes Brahms, Oktaven und Quinten u.a., facsimile commenté par Heinrich Schenker (Vienne, 1933);
Robert T. Laudon, « The Debate about Consecutive Fifths : A Context for Brahms’s Manuscript ‘Oktaven
und Quinten’ », Music & Letters 73, 1 (Février 1992) : 48-61; Paul Mast, « Brahms’s Study, Octaven u.
Quinten u. a., with Schenker’s Commentary Translated », dans Music Forum 5 (1980) : 1-196.
3
compositeurs des XIXe et XXe siècles ont utilisé des quintes parallèles dans leurs œuvres.
Sur cette infraction aux règles, les opinions des musicologues divergent : Charles Kœchlin
(1867-1950) affirme que les enchaînements de quintes ne sont pas illogiques au point de
vue tonal et que les harmonies ne sont jamais rudes (et considère notamment les quintes
parallèles comme de précieuses ressources pour l’écriture de la fugue libre) 8 , alors que
Reginald Owen Morris (1886-1948) affirme qu’elles nuisent à l’indépendance des voix (ce
qui les rendraient donc inutilisables dans l’écriture de la fugue) et que cette tradition est
trop bien ancrée pour que les compositeurs osent y déroger9. Si Chew, dans l’article cité
tonalité moderne. Qu’en est-il trois siècles plus tard? Est-ce que les compositeurs se servent
des quintes parallèles pour faire évoluer le langage tonal, et, si oui, comment? Ce sont les
recherche. J’ai donc décidé de me pencher sur les compositeurs français actifs entre 1880 et
1940, et particulièrement sur la musique de piano. Ce dernier choix s’explique par le fait
que, à toutes les époques depuis la fin du XVIIe siècle, ce répertoire a été un témoin
privilégié de l’évolution stylistique des compositeurs. Il est donc raisonnable de penser que
8
Charles Kœchlin, « Les tendances de la musique moderne française », dans Encyclopédie de la musique et
dictionnaire du Conservatoire, vol. 2, Technique, Esthétique et Pédagogie, sous la direction d’Albert
Lavignac et de Lionel de La Laurencie (Paris : Delagrave, 1922), 77.
9
Reginald Owen Morris, Foundations of Practical Harmony & Counterpoint (Westport, Conn. : Greenwood
Press, 1980), 146-147.
10
Voir Susan Bradshaw, « Keyboard Music. III. Piano Music from c1750. 6. The Growth of Pianism », dans
Grove Music Online. Oxford Music Online, <http://www.oxfordmusiconline.com.res.banq.qc.ca/subscriber/
article/grove/music/14945> (consulté le 17 juin 2010).
4
(1880) au déclin du néoclassicisme (1940). Ces deux courants importants représentent bien
les extrêmes entre lesquels l’époque est partagée : d’un côté, l’expression de l’atmosphère,
la sensation procurée par un objet ou une situation; de l’autre, une réappropriation des
règles anciennes tout en conservant les acquis du siècle présent. Cette période est également
d’idées qui l’anime. Cependant, ce foisonnement est également traversé par une constante :
la rébellion contre l’enseignement des traités, notamment contre l’interdiction des quintes
l’importance que prend ce pays dans la vie musicale de l'époque. De nouveaux courants
intéressant pour notre sujet d’étude, notamment par son représentant le plus connu, Claude
Debussy (1862-1918). Selon Robert Winter, Debussy a eu une influence majeure dans le
développement du jeu pianistique au XXe siècle, en particulier avec la Suite pour le piano
ions11. Debussy est également connu pour son mépris des règles, spécifiquement de
l’interdiction des quintes parallèles dont sa musique pour piano fourmille d’exemples. Il
apparaissait donc tout indiqué comme point de départ de la recherche, et étendre l’étude à
ses compatriotes en était la suite logique, tout en permettant de le situer dans son contexte.
11
Robert Winter, « Pianoforte [piano]. II. Piano Playing. 3. 20th Century », dans Grove Music Online. Oxford
Music Online, <http://www.oxfordmusiconline.com.res.banq.qc.ca/subscriber/article/grove/music/21631>
(consulté le 17 juin 2010).
5
Est-il nécessaire d’ajouter que mon choix a été marqué par une attirance personnelle
particulière pour le répertoire français de cette époque, attirance qui s’est avérée largement
justifiée par les données objectives de l’histoire de la musique, comme nous venons de le
voir?
Objectifs
Cette recherche vise principalement à définir le rôle des quintes parallèles dans le langage
tonal français au XXe siècle en étudiant les types d’utilisation de cet élément dans la
musique de piano. Cette étude nous permettra de dresser un portrait de la pratique des
Méthodologie
La méthodologie utilisée pour cette recherche s’articule autour de deux grands axes, soit
l’enseignement des traités à propos des quintes parallèles, d’une part, et, d’autre part,
l’étude des caractéristiques de leur emploi dans le répertoire choisi. Je donnerai d’abord une
définition de ce qu’il faut entendre par quintes parallèles, puis je dresserai, au chapitre 1, un
bref survol des façons d’en expliquer l’interdiction, à l’aide notamment des travaux de
12
Michel Fleury, L’impressionnisme et la musique (Paris : Fayard, 1996), 128.
6
Sewall, Matthew Shirlaw, Richard S. Parks, William Drabkin et Wanda Therese Farah 13.
étudiant des traités d’harmonie, de contrepoint et de composition français des XIXe et XXe
siècles, afin de déterminer la place qu’elle y occupe et les principaux aspects qui la
composent (le lecteur trouvera la liste des traités étudiés à l’annexe 1). Je considérerai
également dans mon étude certains traités d’auteurs non français, mais qui ont été traduits
et utilisés en France à cette époque. Le choix des traités à l’étude est basé en partie sur le
contenu de l’article sur les théories harmoniques de Lucien Chevaillier (1883-1932) dans
commente les principaux traités qui ont marqué l’éducation des compositeurs français 14.
Les traité cités dans cette étude sont ceux dont il est raisonnable de croire qu’ils ont exercé
une influence sur les compositeurs à l’époque, parce qu’ils sont l’œuvre d’auteurs français
toute vraisemblance, ce sont les traités qui ont servi à la formation des compositeurs dont
nous étudierons les œuvres. Sur les 31 traités examinés, huit sont d’origine étrangère à la
France : cinq sont belges, trois sont allemands et le dernier est russe. Les dates de parution
s’étendent de 1802 à 1938, la première année étant celle de la première édition du traité de
13
François-Joseph Fétis, Traité complet de la théorie et de la pratique de l’harmonie, contenant la doctrine
de la science et de l’art, 9e éd. (Paris : Brandus et Dufour, 1867); Gladstone, « Consecutive Fifths »; Kœchlin,
« Les tendances de la musique moderne française »; Sewall, « Hucbald, Schoenberg and Others on Parallel
Octaves and Fifths »; Shirlaw, « Aesthetic – and Consecutive Fifths »; Richard S. Parks, Eighteenth-Century
Counterpoint and Tonal Structure (Englewood Cliffs, N. J. : Prentice-Hall, 1984); William Drabkin,
« Consecutive Fifths, Consecutive Octaves [Parallel Fifths, Parallel Octaves] », dans Grove Music Online.
Oxford Music Online, <http://www.oxfordmusiconline.com/subscriber/article/grove/music/06308> (consulté
le 19 novembre 2008); Farah, « Microcounterpoint ».
14
Lucien Chevaillier, « Les théories harmoniques », dans Encyclopédie de la musique et dictionnaire du
Conservatoire, vol. 2, Technique, Esthétique et Pédagogie, sous la direction d’Albert Lavignac et de Lionel
de La Laurencie, 519-590 (Paris : Delagrave, 1922). Cet ouvrage, contemporain de la période étudiée,
possède un caractère exhaustif qui en fait un témoin privilégié pour l’étude en cours. Le contenu de la
recherche a été limité par la disponibilité de certains documents. Cependant, compte tenu de l’importance et
de l’influence des ouvrages consultés, il est raisonnable de penser que l’absence de certains documents
n’affecte pas la validité des conclusions auxquelles je parviens.
7
Charles-Simon Catel (1773-1830), qui est resté longtemps en usage au Conservatoire et,
par conséquent, a nourri la formation d’un grand nombre de musiciens. On peut présumer
que les ouvrages antérieurs à ce traité n’étaient plus usités entre 1880 et 1940. À l’autre
extrémité de l’échelle temporelle, les traités les plus récents (1927, 1930, 1931 et 1938) ont
sans doute eu une influence plus réduite, mais ils témoignent de la persistance des règles,
malgré l’évolution tant de la pensée que de la pratique. Pour terminer l’étude de la pratique
des quintes parallèles, je définirai au chapitre 4 les différents types de quintes parallèles
qu’on retrouve dans la musique en me basant sur des informations recueillies dans les
traités étudiés et aussi en me référant, entre autres, aux travaux de Gladstone, Morris,
Gilson, Parks, Chew et Laudon15. Les caractéristiques des différents types s’appuieront en
général sur des éléments objectifs et des critères techniques présents dans les œuvres.
Cependant, il faudra tenir compte, dans certains cas, de critères plus subjectifs, de l’ordre
classification des exemples et qu’il aurait été insensé de les mettre de côté sous prétexte
d’objectivité.
entre 1880 et 1940 en décrivant brièvement les tendances, les caractéristiques, les courants
occupe. Ceci sera réalisé entre autres à l’aide des travaux de Charles Kœchlin, Carl
15
Gladstone, « Consecutive Fifths »; Morris, Foundations of Practical Harmony & Counterpoint; Gilson,
Quintes, octaves, secondes et polytonie; Parks, Eighteenth-Century Counterpoint and Tonal Structure; Chew,
« The Perfections of Modern Music »; Laudon, « The Debate about Consecutive Fifths ».
8
Dalhlaus, Arnold Whittall, Jacques Viret, Nicolas Meeùs, Danièle Pistone, Françoise
Gervais, Michelle Biget, Michel Faure, Yves Defrance, Michel Fleury, Henri Gonnard et
Bryan Hyer16.
Le lecteur pourra s’étonner que nous ne tentions pas de retracer la progression dans
l’usage des quintes parallèles au sein de la période étudiée, et d’en examiner les liens avec
l’évolution du langage tonal. Bien que la chose ait été tentante, le contexte historique
foisonnant dans lequel nous avons placé la recherche nous contraint à y renoncer. En effet,
d’évolution difficile à appliquer dans le cadre qui est le nôtre, puisque cette évolution n’est
aurait pu aussi être abordée, mais comme le choix des œuvres n’a pas été fait en fonction
16
Kœchlin, « Les tendances de la musique moderne française »; Carl Dahlhaus, et al., « Harmony », dans
Grove Music Online. Oxford Music Online, <http://www.oxfordmusiconline.com:80/subscriber/article/grove/
music/50818> (consulté le 23 novembre 2009); Arnold Whittall, « Harmony », dans The Oxford Companion
to Music, sous la direction de Alison Latham, Oxford Music Online, <http://www.oxfordmusiconline.com:80/
subscriber/article/opr/t114/e3144> (consulté le 23 novembre 2009); Jacques Viret, « Les langages musicaux
du XXe siècle », dans Maurice Emmanuel, L’histoire de la langue musicale, (Paris : Laurens, 1981), 2 : 641-
660; Nicolas Meeùs, « Polyphonie, harmonie, tonalité », dans Musiques, une encyclopédie pour le XXIe siècle,
vol. 2, Les savoirs musicaux, sous la direction de Jean-Jacques Nattiez (Arles : Actes sud; Paris : Cité de la
musique, 2003), 116-133; Danièle Pistone, « Les conditions historiques de l’exotisme musical français »,
Revue internationale de musique française 6 (novembre 1981) : 11-22; idem, La musique en France de la
Révolution à 1900 (Paris : H. Champion, 1979); idem, « Le symbolisme et la musique française à la fin du
XIXe siècle », Revue internationale de musique française 32 (1995) : 9-51; idem, « L’impressionnisme
musical et l’esprit de fin-de-siècle », Revue internationale de musique française 5 (juin 1981) : 13-19;
Françoise Gervais, « Qu’est-ce que l’impressionnisme musical », Revue internationale de musique française 5
(juin 1981) : 9-19; idem, « Debussy et la tonalité », dans Actes du Colloque Debussy et l’évolution de la
musique au XXe siècle (Paris : Éditions du Centre National de Recherche Scientifique, 1965), 95-107;
Michelle Biget, « Les réminiscences romantiques dans la musique française de piano au début du XXe
siècle », Revue internationale de musique française 15 (novembre 1984) : 67-75; Michel Faure, Musique et
société, du Second Empire aux années vingt. Autour de Saint-Saëns, Fauré, Debussy et Ravel (Paris :
Flammarion, 1985); Yves Defrance, « Exotisme et esthétique musicale en France. Approche socio-
historique », Cahier de musiques traditionnelles 7 (1994) : 191-210; Fleury, L’impressionnisme et la musique;
Henri Gonnard, La musique modale en France de Berlioz à Debussy (Paris : H. Champion, 2000); Brian
Hyer, « Tonality », dans Grove Music Online. Oxford Music Online, <http://www.oxfordmusiconline.com:80/
subscriber/article/grove/music/28102> (consulté le 23 novembre 2009).
9
conclusions que nous pourrions en tirer ne seraient pas suffisamment appuyées pour
La dernière partie du mémoire, soit le chapitre 5, sera consacrée à une étude critique
des deux grands axes. Je ferai d’abord état des principaux types de quintes parallèles
présents dans la musique de piano entre 1880 et 1940. Pour ce faire, j’ai examiné quelque
900 œuvres composées pendant cette période par de près de 60 compositeurs français (on
trouvera la liste des œuvres contenant des quintes parallèles à l’annexe 2, et la liste des
consacrés à des compositeurs français (et comportant une liste de leurs principales œuvres)
a d’abord orienté mes choix. Une recherche méticuleuse à travers l’International Music
Score Library Project [en ligne] m’a permis de découvrir certains compositeurs et œuvres
moins connus. Enfin, des guides spécialisés, tels que ceux de Maurice Hinson, Guy Sacre et
des compositeurs et des œuvres étudiés s’est effectué dans un souci de couvrir un large
éventail de diversité, autant des œuvres marquantes que des œuvres moins connues, sans
toutefois prétendre à une exhaustivité inaccessible. J’ai volontairement mis de côté les
transcriptions pour piano et les œuvres à quatre mains, dont les particularités d’écriture
auraient pu interférer dans l’analyse et la complexifier. J’ai tenté de consulter au moins une
présence ou non de quintes parallèles était répandue dans sa pratique. Lorsque c’était
selon des articles d’encyclopédie ou des monographies spécifiques que j’ai pu consulter.
J’ai aussi pris soin d’examiner certains recueils marquants de l’époque comme l’Album des
l’International Music Score Library Project [en ligne]. Certains compositeurs qui ont
commencé à être actifs à la fin de la période concernée ont été volontairement mis de côté,
comme Olivier Messiaen (1908-1992), Georges Migot (1891-1976) et André Jolivet (1905-
1974), considérant que les œuvres qu’ils ont écrites à cette époque reflètent davantage
l’influence de leurs prédécesseurs que leur véritable style personnel qui se développera en
dehors de notre période d’étude. Chaque occurrence de quinte découverte dans une œuvre a
fait l’objet d’une analyse selon les critères définissant chacun des types de quintes. Des
de voir certains exemples représenter un type de quintes plutôt qu’un autre. Il faut être
conscient que les catégories que nous avons établies ne sont pas étanches, certains critères
laissant place à l’interprétation, et que les œuvres sont parfois très complexes. L’expérience
acquise par l’observation d’un grand nombre d’exemples nous donne une certaine
assurance dans l’identification, mais plusieurs cas resteront toujours discutables. Dans mon
précises sur la fréquence ou l’importance de tel ou tel usage. En effet, les œuvres sont de
longueur, de notoriété et d’influence très variables, d’une part, et, d’autre part, l’échantillon
n’est pas également représentatif pour tous les compositeurs. La définition même de l’objet
de recherche, soit les différentes catégories de quintes parallèles, rend impossible une
comparaison systématique basée sur des données quantitatives. Il est en effet difficile de
11
comparer entre eux, par exemple, des compositeurs qui utilisent des quintes parallèles en
série (sur plusieurs mesures) avec des compositeurs qui les utilisent en paires, parfois à une
seule reprise, parfois à plusieurs reprises. La comparaison des différents tableaux entre eux
donnera une idée de l’importance de chaque type par rapport aux autres, et nous établirons
l’interprétation statistique de cette donnée sera très limitée. Suite à cette analyse, je tenterai
en conclusion de définir le rôle des quintes parallèles en me basant sur les types les plus
utilisés par les compositeurs ou ceux ayant eu l’impact le plus significatif. Ces observations
Armé tous ces outils, nous sommes maintenant en mesure de nous attaquer à cette
général, établissant la définition qui nous suivra tout au long de notre parcours et dressant
1.1 Définition
William Drabkin, dans le Grove Music Online, définit les quintes parallèles comme le
redoublement de la ligne mélodique d’une partie par une autre à un intervalle de quinte
juste1. On trouve déjà dans cette définition des éléments qui, nous le verrons, permettront
de comprendre en partie pourquoi les quintes parallèles sont frappées d’interdiction. De son
côté, Richard S. Parks définit plus simplement les quintes parallèles comme deux voix
allant dans la même direction, en partant d’une quinte vers une autre quinte2.
Dans les différents traités et ouvrages consultés, les auteurs utilisent diverses
utilisera ces divers synonymes, qui se rapporteront tous à la définition qui précède, à
l’exception du terme « quintes directes », qui sera évité, sauf dans le cas de citations
textuelles, afin ne pas créer de référence ambiguë aux quintes uniques atteintes par
1
William Drabkin, « Consecutive Fifths, Consecutive Octaves [Parallel Fifths, Parallel Octaves] », dans
Grove Music Online. Oxford Music Online, <http://www.oxfordmusiconline.com/subscriber/article/grove/
music/06308> (consulté le 19 novembre 2008).
2
Richard S. Parks, Eighteenth-Century Counterpoint and Tonal Structure (Englewood Cliffs, N.J. : Prentice-
Hall, 1984), 22.
13
1.2 Historique
Les quintes parallèles n’ont pas toujours été interdites dans l’écriture musicale. Les
musiciens du Moyen Âge, qui ne reconnaissaient que l’octave, la quarte et la quinte juste
mélodies, même si cela entraînait l’accompagnement d’un mode par un autre. Les premiers
essais d’harmonie étaient donc composés d’une mélodie doublée entièrement à la quinte
juste (ou à la quarte juste). C’est ce que les auteurs nomment généralement « organum »
(exemple 1.1). Arnold Schoenberg (1874-1951) fait remarquer que le chant par quartes ou
quintes correspond exactement aux exigences des registres de la voix humaine, chacun des
registres se trouvant à environ une quinte de distance de ceux qui lui sont adjacents 3.
Dans son traité, le moine Hucbald de Saint-Amand (v. 840 ou 850-930) suggère qu’un
du chant 5 . Selon Wanda Therese Farah, pour juger de l’opinion d’Hucbald, il faut se
replacer dans son contexte musical où l’harmonie n’était pas aussi développée que de nos
6
jours . Il ne faut donc pas, comme Willy Pastor (1867-1933), croire Hucbald
3
Arnold Schoenberg, Traité d’harmonie, traduit de l’allemand et présenté par Gérard Gubisch (Paris: J.-C.
Lattès, 1983), 97.
4
David Fenwick Wilson, dir., Music of the Middle Ages : An Anthology for Performance and Study (New
York : Schirmer Books, 1990), 38.
5
Hucbald de Saint-Amand, « De Institutione », dans Hucbald, Guido and John on Music, sous la direction de
Claude Palisca (New Haven : Yale University Press, 1979), cité dans Wanda Therese Farah,
« Microcounterpoint », dans « The Principle of Counterpoint and its Expression in Music, Dance and
Cinema » (thèse de doctorat, University of Texas at Austin, 1985), 78.
6
Farah, « Microcounterpoint », 87.
14
« extrêmement mauvais musicien »7, mais comprendre qu’il ne trouve pas nécessairement
les quintes parallèles « belles », mais bien « meilleures » que la monodie stricte 8 . Des
auteurs tels que August Wilhelm Ambros (1816-1876) et Raphael Georg Kiesewetter
pauvre valeur esthétique qu’ils vont même jusqu’à douter que des œuvres complètement
doublées à la quinte aient été jouées ou même aient existé en dehors d’essais cachés dans
les monastères 9 . Ils remettent en cause les écrits d’Hucbald, lesquels assurent que les
Joseph Fétis (1784-1871) affirment qu’il existe plusieurs types d’organa qui utilisent des
intervalles plus variés et des mouvements autres que parallèles11. En effet, dès la fin du
quarte et la quinte étaient tour à tour employés dans l’harmonisation du chant, par des
7
Willy Pastor, « The Music of Primitive Peoples and the Beginnings of European Music », Annual Report of
the Smithsonian Institution (1912), 694, cité dans Farah, « Microcounterpoint », 87. « extremely bad
musicians ». Les traductions sont de l’auteur.
8
Farah, « Microcounterpoint », 81.
9
Maud Gilchrist Sewall, « Hucbald, Schoenberg and Others on Parallel Octaves and Fifths », Musical
Quarterly 12 (1926) : 249; René Lenormand, Étude sur l’harmonie moderne (Paris : Le monde musical,
1912), 12.
10
Matthew Shirlaw, « Aesthetic – and Consecutive Fifths », Music Review 10 (1949) : 91. « sweet and
pleasant to the ear ».
11
Lucien Chevaillier, « Les théories harmoniques », dans Encyclopédie de la musique et dictionnaire du
Conservatoire, vol. 2, Technique, Esthétique et Pédagogie, sous la direction d’Albert Lavignac et de Lionel
de La Laurencie (Paris : Delagrave, 1922), 521; François-Joseph Fétis, Traité complet de la théorie et de la
pratique de l’harmonie, contenant la doctrine de la science et de l’art, 9e éd. (Paris : Brandus et Dufour,
1867), xxxiij-xxxiv.
12
Hucbald de Saint-Amand, « Musica enchiriadis, c. XVIIIi », dans Gerbert, Script. Eccles. de Musica, tome
I, 170, cité dans Fétis, Traité complet de la théorie et de la pratique de l’harmonie, xxxiv.
15
Les théoriciens ne s’entendent pas sur l’origine de la règle. Selon Serge Gut, la première
l’Anonyme XIII (XIIIe siècle), qui invoque leur perfection pour les interdire (Gut rappelle
que c’est grâce à cette même perfection que le parallélisme a d’abord été accepté)14. Selon
William Drabkin, le premier théoricien à interdire les quintes parallèles est plutôt Johannes
Edward Gladstone (1845-1928) le 6 mars 1882, affirme que c’est John Dunstable (v. 1390-
1453) qui les aurait interdites parce qu’elles sont trop jolies, « de sorte que les anciens
auraient été comblés par la douceur de la quinte 16 ». Selon Dunstable, les anciens les
des quintes et des octaves, ils ont cru préférable de devoir trouver autre chose pour éviter
musique. René Lenormand (1846-1932), de son côté, mentionne que Johannes de Muris
(v. 1290-v. 1355) est très explicite sur le sujet au début du XIVe siècle17. Gioseffo Zarlino
13
Wilson, dir., Music of the Middle Ages, 47.
14
Serge Gut, « La notion de consonance chez les Théoriciens du Moyen-Âge », Acta Musicologica 48, 1
(janvier-juin 1976) : 27; Anonyme XIII, Tractatus de Discantu, dans Charles-Edmond-Henri de
Coussemaker, Scriptorum de musica medii aevi, tome III (Paris, 1869; réimpression, Hildesheim : Georg
Olms, 1963), 497.
15
Johannis de Garlandia, Optima introduction in contrapunctum pro rudibus, dans Coussemaker, Scriptorum
de musica medii aevi, tome III, 12; Drabkin, « Consecutive Fifths, Consecutive Octaves ».
16
Francis Edward Gladstone, « Consecutive Fifths », Journal of the Royal Musical Association 8 (6 mars
1882) : 114. « so that the ancients could be really cloyed with the sweetness of the fifth ».
17
Lenormand, Étude sur l’harmonie moderne, 12.
16
(1517-1590) s’est également préoccupé de l’origine de cette règle, sans grande précision
toutefois, ayant écrit dans ses Instituzioni harmoniche en 1558 que les anciens
compositeurs interdisent deux quintes consécutives (de même que les octaves et les
unissons), car ils considèrent que l’harmonie doit provenir de choses diverses, discordantes
et contraires les unes des autres plutôt que de choses semblables18. Les auteurs commencent
déjà à cette époque à introduire la notion de variété dans l’harmonie, élément sur lequel se
les compositeurs se sont détournés des mouvements parallèles, alors considérés comme
massifs et monotones19 :
Lorsqu’on eut l’idée, au Moyen-Âge, d’ajouter la tierce aux accords de quintes, peut-être prit-
on goût davantage à la tierce et moins à la quinte. Et, lorsque dans le même temps l’on
commença de concevoir des parties chantantes où, d’une voix à l’autre, des thèmes s’imitaient
en se répondant (ébauche de la fugue), il fut assez naturel, il fut même nécessaire de procéder
autrement que par les anciens mouvements parallèles […] Les quintes successives se firent
plus rares; comme elles ne furent plus à la mode, les théoriciens s’empressèrent de les juger
mauvaises20.
Kœchlin évoque donc aussi la notion de variété, laquelle se trouvait déjà dans certains types
d’organa mentionnés précédemment, et qui prit de plus en plus d’ampleur avec le temps.
Philippe de Vitry (1291-1361) a, quant à lui, énoncé la règle suivante : « Deux consonances
18
« Vietavano di poi gli antichi compositori il porre due consonanze perfette di uno istesso genere, o specie,
contenute ne i loro estremi da una proportione istessa, l’una dopo l’altra; movendosi le modulationi per uno, o
per più gradi; come il porre due, o più unisoni, o ver due, o più ottave, o ver am enter due, o più quinte, &
altre simili; me ne i sotto spot i es sempi si vede. Conciosiache molto ben sapeunao, che l’harmoni a non può
nascere, se non da cose tra loro diverse, discordanti & contrarie; & non da quelle, che in ogni cosa si
convengono. » Gioseffo Zarlino, Le instituzioni harmoniche (Venise, 1558, réimpression New York : Broude,
1965), 176; Gioseffo Zarlino, The Art of Counterpoint; part three of « Le istitutioni harmoniche », traduit de
l’italien par Gui A. Marco et Claude V. Palisca (New Haven : Yale University Press, 1968), 59.
19
Charles Kœchlin, « Les tendances de la musique moderne française », dans Encyclopédie de la Musique et
Dictionnaire du Conservatoire. Technique, Esthétique et Pédagogie, sous la direction d’Albert Lavignac et de
Lionel de La Laurencie (Paris : Delagrave), 73.
20
Kœchlin, Traité de l’harmonie, vol. 1 (Paris : Eschig, 1927-1930), 14.
17
cas de nécessité21 ». Ce n’était donc pas qu’une question de quintes (ou de consonances
parfaites), mais bien de parallélisme en général, de variété dans les mouvements des parties.
apportait, à diminuer l’intérêt envers les mouvements parallèles. Toutes ces nouveautés ont
donc forcé le développement de règles d’écriture qui ont de moins en moins permis de faire
des quintes parallèles. Schoenberg résume le tout en attribuant l’origine de cette règle à
l’évolution de l’harmonie22.
Par ailleurs, la présence d’une « quinte imparfaite » parmi les sept quintes contenues
dans une gamme diatonique est un autre élément qui a certainement contribué à diminuer
musique », ce qui pouvait se traduire par l’évitement, dans la mélodie, de la note pouvant
devenir de plus en plus prisée, et les compositeurs ont délaissé peu à peu les mouvements
perdure jusqu’à nos jours. Par contre, dans la pratique « libre », on dénote de nombreux
écarts à toutes les époques. Toutefois, vers la fin du XIXe siècle, le mouvement prend un
peu plus d’importance. À l’époque impressionniste, les compositeurs Debussy et Ravel font
21
« Debemus etiam binas consonantias perfectus seriatim conjunctas ascendendo vel descendendo, prout
possumus, evitare ». Chevaillier, « Les théories harmoniques », 522. Traduction de la source.
22
Schoenberg, Traité d’harmonie, 95-99.
18
grande quantité dans leurs œuvres, souvent plusieurs suites d’accords contenant à
Françoise Gervais parle même chez Debussy de « mélodies d’accords », lorsqu’il délaisse
l’harmonie fonctionnelle pour densifier et colorer une mélodie à l’aide d’accords dont
toutes les voix se déplacent en mouvements parallèles23. Plusieurs autres compositeurs ont
aussi utilisé le parallélisme d’accords, de façon plus ou moins importante selon le cas,
caractéristique du langage musical de cette époque. Cet élément d’écriture convient bien à
la philosophie de l’impressionnisme, qui recherche une façon subtile de dire les choses. En
effet, selon une opinion répandue, l’utilisation de quintes parallèles rend la perception
tonale difficile, ce qui pourrait contribuer à créer dans l’imaginaire des compositeurs et des
Il n'y aura plus d'articulations nettes; des auditeurs à l'esprit peu délié auront le sentiment que
l'œuvre commence n'importe où et finit n'importe comment; de tels reproches furent faits
également aux tableaux impressionnistes qui ne respectaient plus le cadrage traditionnel. Qu'on
ne se méprenne point. Ce n'est pas pour imiter la peinture de son temps que Debussy évite tout
ce qui pourrait paraître « géométrique », brouille les traces, adopte une écriture vaporeuse,
splendidement sensorielle. La raison est ailleurs : un ouvrage ne doit pas « avoir l'air écrit ».
Imprécision gardienne du mystère, « voile volontaire » [...]24
23
Françoise Gervais, « La notion d’arabesque chez Debussy », Revue musicale 241 (1958), 14-15, cité dans
Michel Fleury, L’impressionnisme et la musique (Paris : Fayard, 1996), 79.
24
Dorel Handman, « Impressionnisme », dans Encyclopédie de la musique, sous la direction de François
Michel (Paris : Fasquelle, 1958-1961), 2 : 526.
19
intrinsèque du son, donc moins à la relation des sons entre eux, contrairement aux tenants
composition a ouvert la porte à davantage de parallélisme, ce qui, selon Leon Dallin (1918-
1993), a joué un rôle essentiel dans la libération de la conduite des voix et dans
l’émergence de nouveaux concepts d’organisation tonale. Bien qu’à première vue il puisse
sembler contradictoire qu’un phénomène liant les voix entre elles libère la conduite des
voix, il n’en est rien : les quintes parallèles, en liant les voix entre elles, se trouvent tout de
même à libérer la conduite des voix de certaines autres règles (résolution ou prédominance
du mouvement contraire, par exemple). Dallin explique ce phénomène par le fait que les
le fait que c’est une consonance parfaite; elle apporte donc toujours le même type de
couleur sonore, peu importe la tonalité ou le mode utilisé, par opposition aux consonances
imparfaites qui peuvent être majeures ou mineures selon les cas. Ce type d’harmonie peut
se comparer en partie aux premiers essais d’organums, quand les compositeurs cherchaient
un moyen d’enrichir la mélodie, mais n’utilisaient pas les règles d’harmonie des modernes.
Les compositeurs impressionnistes ont en quelque sorte rejeté ces règles, et en cherchant
autre chose, sont revenus au point de départ. On pourrait presque parler d’un mouvement
de retour à l’organum, qui bien que considéré par plusieurs comme un archaïsme, pourrait
être devenu un élément du style de cette époque, et que l’on doit en partie à l’influence de
25
Leon Dallin, Technique of Twentieth Century Composition : A Guide to the Materials of Modern Music
(Dubuque : W.C. Brown, 1974), 118.
20
la facture d’orgue, où, dans les jeux de mutation et de mixture de l’orgue romantique, la
26
Bengt Hambraeus, « Aristide Cavaillé-Coll, Charles-Marie Widor : the Organ and the Orchestra », dans
Donald Mackay, dir., L’orgue à notre époque: Papers and Proceedings of the Symposium held at McGill
University, May 26-28, 1981 (Montréal: McGill University, 1982), 185-192.
Chapitre 2
Les quintes parallèles dans les traités d’harmonie, de contrepoint et de
composition aux XIXe et XXe siècles en France
Après avoir décrit l’historique de l’interdiction des quintes parallèles au chapitre 1, il
importe maintenant d’étudier en détail cette règle présente dans la majorité des traités
première moitié du XXe siècle1. Pour ce faire, nous avons consulté 31 traités publiés à cette
époque (29 auteurs différents). On en trouvera la liste complète à l’annexe 1, de même que
les références bibliographiques des traités et les dates biographiques des auteurs2. À l’aide
d’exemples et de citations tirés de ces traités, nous illustrerons les similitudes et les
la composition. Les dates de publication s’échelonnent de manière à peu près égale tout au
long de l’intervalle 1802-1938, avec entre un et trois traités par décennie, à l’exception de
la décennie 1830 qui n’en contient pas, des décennies 1860 et 1900 qui en contiennent
quatre et de la décennie 1910 qui en contient cinq. Les auteurs sont majoritairement
citoyenneté française, Cherubini), mais on compte également quatre belges (Gevaert, Fétis,
Korsakov), qui comptent parmi les théoriciens les plus importants de leur pays et de leurs
époques respectifs. La plupart des auteurs des traités étaient aussi compositeurs (23 sur 29)
1
Curieusement, un ouvrage inspiré de la méthode Gallin [Philippe-Marc-Antoine Geslin, Cours analytique de
musique ou méthode développée du Méloplaste (Paris : De Geslin, 1825)] ne fait pas mention de l’interdiction
des quintes parallèles. Tout porte à croire qu’il est le seul à suivre cette voie.
2
Les autres références à ces traités figurent entre parenthèses dans le texte. Dans le cas de deux ouvrages d’un
même auteur, une note sera ajoutée pour clarifier de quel ouvrage il s’agit.
22
et/ou professeurs (20 sur 29). Par leur enseignement, certains auteurs ont pu s’influencer les
uns les autres, notamment Reicha qui a enseigné à Barbereau et Reber; Bazin qui a eu pour
élèves Savard, Lavignac, Dubois et Émile Durand; Gevaert qui a enseigné à Gilson; Richter
qui a compté Jadassohn parmi ses élèves; et Dubois qui a enseigné à Jacques Durand.
L’influence sur les compositeurs que nous étudierons au chapitre 5 est aussi plausible de
par les relations professeur/élève que nous pouvons observer : Reicha a enseigné à Gounod
Pierné; Lavignac a compté dans ses classes Debussy, D’Indy, Pierné et Schmitt; Kœchlin a
Boulanger. Le Grove Music Online décrit cinq des auteurs de traités comme des
musicologues (Gevaert, Fétis, Riemann, Lavignac et Kœchlin) et six autres comme des
théoriciens (Catel, Cherubini, Jadassohn, Vinée, Richter et Reicha). Deux des auteurs
proviennent de milieux extérieurs à la musique : Derode est historien et Chevé est médecin.
Quatre agissent comme chefs d’orchestre (Bazin, Cherubini, Savard et Jadassohn), trois
comme éditeurs (Cherubini, Jacques Durand et Riemann), deux comme critiques musicaux
(Fétis et Riemann) et trois comme organistes (Wachs, Dubois et Dupré). Certains traités ont
été désignés comme manuel officiel dans les conservatoires, notamment ceux de Catel, de
auteurs; c’est le cas de Reicha (qui voulait enseigner l’usage contemporain, et selon qui la
théorie devait être justifiée par la pratique3), Gevaert (dont l’ouvrage a été précédé par une
3
Peter Eliot Stone, « Reicha, Antoine », dans Grove Music Online. Oxford Music Online, <http://www
.oxfordmusiconline.com.res.banq.qc.ca/subscriber/article/grove/music/23093> (consulté le 8 juin 2012).
23
approche comme celle du contrepoint strict moderne 5 ), Fétis (qui souhaitait résoudre
D’autres traités étaient plutôt animés par une volonté de mettre en valeur les traditions,
comme celui de Bazin qui a été écrit en réaction aux tendances modernes et libérales de
Franck8. Certains traités ont acquis une renommée intéressante : le traité de Reber a connu
plusieurs éditions, le traité de Catel a été populaire par ses traductions en Allemagne, en
langues. Les principes de Cherubini sont même devenus la théorie officielle du contrepoint
en France au XIXe siècle9. Richter et Catel ont conçu des traités s’adressant d’abord aux
débutants, conçus pour être simples et pratiques, alors que d’autres, comme Fétis, Riemann
et Gilson, par exemple, ont écrit des ouvrages dans lesquels s’insère une certaine
4
Anne-Marie Riessauw et Jean Hargot, « Gevaert, François-Auguste », dans Grove Music Online. Oxford
Music Online, <http://www.oxfordmusiconline.com.res.banq.qc.ca/subscriber/article/grove/music/11003>
(consulté le 8 juin 2012).
5
Michael Fend, « Cherubini, Luigi », dans Grove Music Online. Oxford Music Online, <http://www
.oxfordmusiconline.com.res.banq.qc.ca/subscriber/article/grove/music/53110> (consulté le 8 juin 2012).
6
Robert Wangermée et al. « Fétis », dnas Grove Music Online. Oxford Music Online, <http://www
.oxfordmusiconline.com.res.banq.qc.ca/subscriber/article/grove/music/09564pg1> (consulté le 8 juin 2012).
7
Henri Vanhulst, « Gilson, Paul », dans Grove Music Online. Oxford Music Online, <http://www
.oxfordmusiconline.com.res.banq.qc.ca/subscriber/article/grove/music/11154> (consulté le 8 juin 2012).
8
Gérard Streletski, « Bazin, François-Emmanuel-Victor », dans Grove Music Online. Oxford Music Online,
<http://www.oxfordmusiconline.com.res.banq.qc.ca/subscriber/article/grove/music/02396> (consulté le
8 juin2012).
9
Fend, « Cherubini, Luigi », dans Grove Music Online.
24
Tous les auteurs étudiés s’entendent pour interdire les quintes parallèles dans les exercices
de contrepoint de style rigoureux, de même que dans les études d’harmonie et dans les
premiers essais de composition. Ils interdisent les quintes strictement parallèles (lorsque les
deux voix vont dans la même direction), mais souvent aussi les quintes successives par
style libre, qui doit tout de même, selon eux, se rapprocher de la pureté du style rigoureux.
Afin de bien situer les auteurs les uns par rapport aux autres, nous présentons dans le
tableau 2.1 l’énoncé de la règle chez chacun d’eux. On pourra remarquer par la suite que,
Derode et Wachs ne figurent pas dans ce tableau. Wachs n’énonce simplement pas
la règle générale, mais l’affirme toutefois dans des cas plus précis auxquels nous
reviendrons plus loin. Le cas de Derode est un peu différent. Il refuse explicitement
d’énoncer une règle interdisant les quintes parallèles, puisqu’il devrait en établir ensuite
une liste d’exceptions et d’applications. Il compte plutôt sur le fait que l’élève sait qu’il ne
doit pas faire suivre des accords n’ayant pas de relations11, et que lorsque la convenance de
10
Par souci de concision nous ne traiterons pas de ce type de quintes dans le présent mémoire.
11
Selon Derode, deux tons ou deux accords sont relatifs lorsqu’ils ont une ou plusieurs notes communes
(Derode : 145).
25
12
Les auteurs cités dans les tableaux seront toujours présentés en ordre chronologique de parution des traités.
Les passages en italique, gras ou souligné dans les tableaux ou les citations du texte sont de la source.
26
Auteur Citation
Émile Il est défendu de faire de suite, deux ou plusieurs quintes justes […] par le
Durand mouvement direct […]. Cela s’appelle faire des quintes […] consécuti[ves] (p. 12).
Jadassohn [composition à 8 voix] L’élève remarquera qu’aucune voix n’est conduite avec une
autre […] en quintes parfaites parallèles (p. 116).
Rimski- Les quintes […] parallèles […] sont strictement défendues à l’élève (p. 14).
Korsakov
Vivier On ne peut faire entendre dans les mêmes parties deux quintes […] successives
(p. 46).
Rahn l’oreille n’accepte pas deux repos différents, et repousse par conséquent une
succession de quintes justes différentes par mouvement direct (p. 35).
Les quintes justes par mouvement direct sont interdites, non seulement dans
l’harmonie serrée, mais aussi dans l’harmonie large, quelque soit le nombre de
parties que l’on écrive (p. 36).
Nous avons dit […] qu’une suite de deux ou de plusieurs quintes justes, par
mouvement direct, produisent [sic] un mauvais effet (p. 43).
Riemann les quintes consécutives entre deux voix sont mauvaises (p. 29).
Ratez Éviter les quintes […] consécutives entre les mêmes parties (p. 6).
Lavignac Lorsque deux parties procèdent par mouvement harmonique direct, il est très
mauvais et absolument défendu qu’elles fassent entendre consécutivement deux
quintes justes (p. 41).
Vinée Nous en venons à parler de la règle qui interdit à deux parties de se mouvoir
parallèlement en quintes justes. […]
À deux parties, l’emploi de deux quintes de suite sera bien rarement justifié (p. 92).
Richter Lorsque, entre deux accords, il n’y a aucune note commune, les voix marchent
librement, de telle sorte pourtant, qu’elles ne puissent donner lieu à des quintes
[…] avec une autre voix (p. 13).
Le mouvement fautif des voix, indiqué ci-dessus, par les mots […] quintes
parallèles, ne peut résulter que du mouvement direct (p. 14).
Cette faute existe de même pour toutes les voix (p. 15).
Lenormand Elles sont défendues, disent les traités d’harmonie actuellement en usage (p. 11).
Jacques Les règles scolastiques interdisent la succession des accords comportant des
Durand intervalles de quinte se suivant (p. 21).
Gilson Mais il ne fut plus toléré que les accords se succédassent en produisant des quintes
[…] parallèles (vol. 1 : p. 13).
Dubois Il est défendu de faire, entre deux parties quelconques, deux quintes […]
consécutives, […] par mouvement direct (p. 13).
Kœchlin Même interdiction pour deux quintes justes consécutives, par mouvement direct
(Traité de l’harmonie, vol. 1 : p. 13).
Entre deux parties données, les quintes […] immédiatement consécutives sont
interdites, sans exception (Précis des règles du contrepoint : p. 2).
Caussade Deux quintes justes […] sont proscrit[e]s entre deux mêmes parties (p. 22).
Dupré [quintes consécutives] sont défendues, ainsi qu’en harmonie, par mouvement direct
(p. 3).
27
ne permettant pas de corriger l’impression désagréable des quintes parallèles. Rahn (44)
Lorsque, entre 2 parties faisant entre elles des fautes de quintes […], il y a une ou plusieurs
notes intermédiaires, celles-ci n’empêchent pas du tout la faute d’exister […] Il en serait
absolument de même si, au lieu d’une seule note intermédiaire, il y en avait plusieurs (croches,
doubles croches, etc….) la faute ne disparaitrait pas.
Cherubini (14, 20) et Rimski-Korsakov (66) tiennent des propos similaires. Lavignac (92),
§216. Il en est de même, dans la composition instrumentale, à l’égard de traits d’un genre
quelconque, gammes diatoniques ou chromatiques, accords brisés ou arpégés, mélangés de
notes étrangères à l’harmonie et revêtant par là un caractère purement ornemental, même s’ils
ont une longue étendue. Ils sont impuissants à dissimuler la présence d’une harmonisation
défectueuse, parce qu’en supprimant les notes ayant [un] caractère purement mélodique, il
resterait des quintes […] consécutives.
Lorsque les notes intermédiaires ont un rôle purement mélodique et ornemental, ce sont
donc les notes qu’elles ornent, généralement et surtout celles sur les temps forts, qui
comptent dans l’examen des quintes parallèles, comme l’expriment Bazin (29),
Savard (60), Lavignac (92), Dupré (12-13), et tel qu’illustré par l’exemple 2.1.
Exemple 2.1 – Quintes parallèles fautives avec notes intermédiaires, Savard (60)13.
13
Les exemples contenus dans ce chapitre ont été numérisés et adaptés à partir des différents traités cités
(entre autres les numéros d’exemples originaux ont été enlevés à quelques endroits afin d’éviter de la
confusion, et certaines mises en page ont été modifiées pour une meilleure visibilité). Parfois seul un extrait
de l’exemple a été reproduit afin d’éviter toute surcharge dans la présentation.
28
Selon certains de ces auteurs, les notes intermédiaires doivent former une harmonie
distincte pour éliminer l’effet désagréable des quintes (nous y reviendrons). Ainsi, un
simple changement de position des notes de l’accord entre les deux quintes ne suffirait pas
à effacer l’effet des quintes selon Reber (26), Émile Durand (77), Dubois (26) et Caussade
(46), comme on peut le voir à l’exemple 2.2. Il pourrait même en créer dans certains cas,
De même, l’ajout d’une septième à l’accord de dominante n’apporte pas assez de variété à
l’harmonie pour être acceptable selon Richter (16), Dubois (77) et Caussade (132), car il ne
De même, plusieurs auteurs précisent que les notes ornementales peuvent aussi créer, entre
elles et avec des notes structurelles, des quintes parallèles fautives. Lavignac résume bien
29
cette pensée, que partagent également Reber (190), Dubois (186) et Caussade (249) : « il
est inadmissible que les notes d’ornement forment soit entre elles, soit par leur mélange
Certains auteurs font des distinctions entre les différents types de notes
ornementales et énoncent des règles particulières pour chacun d’eux. Tout d’abord, les
notes de passage, lesquelles doivent être soumises aux mêmes lois que les notes
structurelles selon Catel (19), Savard (246) et Richter (120), et ne doivent donc pas créer de
quintes parallèles. Richter (120) mentionne d’ailleurs que l’emploi de notes de passages
remplissant les intervalles disjoints entre deux accords peut transformer des quintes cachées
(exemple 2.4).
Exemple 2.4 – Quintes parallèles fautives créées par des notes de passage, Richter (120).
Émile Durand (54) et Rimski-Korsakov (56) affirment, quant à eux, que les notes de
passage ou les accords de passage ne permettent pas de sauver les quintes (exemple 2.5).
Ensuite, en ce qui concerne les broderies, Rimski-Korsakov (60) énonce dans ses
règles que, lors d’ajout de broderie, les quintes parallèles sont toujours à éviter;
30
Reber (190), lui, affirme que « dans ses rapports avec les notes accidentelles, la broderie
doit, en général, être soumise aux lois ordinaires qui concernent la pureté de réalisation
Exemple 2.6 – Quintes parallèles fautives créées par des broderies, Reber (190).
Reber (188) évoque également, comme Émile Durand (507), la broderie ornant certaines
suspensions qui est considérée dans beaucoup d’écoles comme formant une quinte retardée,
et dont le mauvais effet est davantage ressenti dans les mouvements lents ou en valeurs
longues, ce qui ne s’applique plus en valeurs très courtes (exemple 2.7). Selon Reber (188),
goût ».
Exemple 2.7 – Broderie ornant la suspension et formant une quinte retardée, Reber (188).
Reber (183) et Émile Durand (489) émettent aussi des restrictions concernant les
14
Reber (177) définit l’appoggiature comme un ornement (consonant ou dissonant) qui précède sa note
principale, et dont on trouve deux sortes : « l’appoggiature expressive qui occupe momentanément la place de
la note principale et sur laquelle l’exécutant doit appuyer, et l’appoggiature faible qui n’est qu’une note non
31
En principe, une appoggiature ne peut sauver […] deux quintes […] consécutives formées par
les notes réelles de l’harmonie. Pour être correct, il faut pouvoir supprimer toute appoggiature
sans qu’il en résulte aucune faute de ce genre [exemple 2.8].
Exemple 2.8 – Appoggiature ne permettant pas de sauver les quintes, Reber (183).
Dans la catégorie des notes ornementales, le retard fait généralement l’objet d’une
étude à part, bien que nous le mentionnions précédemment en lien avec les broderies,
puisqu’il est davantage d’ordre rythmique que mélodique. Plusieurs auteurs comme
Reicha (136), Reber (117), Cherubini (23), Savard (62), Émile Durand (342), Richter (98),
Dupré (15) et Caussade (176), considèrent qu’un retard entre les quintes ne corrige pas leur
Exemple 2.9 – Retard ne permettant pas de sauver les quintes, Reicha (136).
accentuée venant s’appuyer contre une autre note. » Émile Durand (190, 486) la décrit comme une note
étrangère à l’harmonie, à la seconde supérieure ou inférieure, majeure ou mineure, (consonante ou
dissonante), précédant sa note principale, ordinairement sur un temps fort ou la partie forte du temps, ou sur
un temps faible mais plus accentuée que la note principale (appoggiature expressive ou véritable
appoggiature). Elle peut également être sur un temps faible et être non accentuée (semblant s’appuyer sur sa
note principale), c’est alors une appoggiature faible (qu’on peut trouver par exemple sous la forme de petites
notes barrées).
32
il ne faut pas oublier que la note dite retard est par elle-même étrangère à l’accord, et n’a pas la
puissance voulue pour séparer […] deux quintes; on doit donc la supprimer par la pensée, et
examiner si, en son absence, l’enchaînement serait régulier; dans le cas contraire, on doit le
considérer comme tout aussi fautif avec le retard que sans lui.
Caussade (178) apporte de plus une précision selon laquelle les quintes consécutives
« provenant du retard lui-même sont toujours défendues. » Il faut noter toutefois que dans
l’exemple « mauvais » qu’il présente, le retard n’est pas résolu avant la venue de l’accord
Exemple 2.10 – Retard amenant des quintes parallèles fautives, Caussade (178).
Les silences, au même titre que les notes ornementales, ne permettent pas non plus
d’éviter la faute, selon Reicha (141) et Reber (31). Ce dernier précise même que cela
s’applique quelle que soit la durée et la place qu’ils occupent dans la mesure.
voix qui n’effacent pas l’effet des quintes parallèles. Plusieurs auteurs laissent notamment
entendre que les quintes parallèles sont plus fautives lorsqu’elles sont placées dans les voix
extrêmes. C’est le cas entre autres de Chevé (249), de Reber (68), de Dubois (27), ainsi que
de Gilson dans une étude publiée en 1922 15 . Reicha (127) mentionne que la règle
interdisant les quintes parallèles s’applique également dans le cas d’accords brisés, que l’on
doit ramener en position d’accords plaqués pour vérifier cet aspect : « Pour traiter les
accords brisés convenablement, il faut se les représenter comme étant plaqués, si dans ce
15
Paul Gilson, Quintes, octaves, secondes et polytonie; étude documentaire sur l’art musical (Bruxelles :
Schott, 1922), 18.
33
dernier cas, ils sont vicieux, ils le seront de même étant brisés. La même règle s’applique
aux accords brisés accompagnés d’une basse. » De même, certains auteurs comme Reber
(26) n’admettent pas le croisement des voix comme moyen d’éviter les quintes parallèles,
Émile Durand (343), quant à lui, n’applique cette condition qu’aux notes aiguës des deux
parties qui se croisent, lesquelles ne doivent pas former de quintes parallèles avec une autre
partie.
Finalement, certains auteurs mentionnent que l’intervalle séparant les deux quintes
énonce :
Il est d’autre part foncièrement inexact que des quintes se succédant par degrés disjoints soient
plus mauvaises que par degrés conjoints : au contraire, la similitude du mouvement mélodique
rend dans ce dernier cas l’impression de la confusion des deux voix encore plus sensible.
Dans le même ordre d’idée, Vinée (111) affirme que l’effet le plus dur est la succession
conjointe (surtout à trois parties en position serrée) et que la lourdeur des quintes « devient
encore plus formelle lorsqu’elles sont isolées de tout autre élément, à moins qu’en durée
brève elles ne constituent un arpège représentatif d’une tenue dissonante. » Riemann (30-
31) ajoute également que les quintes parallèles sont plus intolérables dans une suite
34
d’accords de même modalité, que si elles se produisent par degrés disjoints et entre accords
de modalités différentes.
Les auteurs ont, pour la plupart, inséré dans leurs traités une ou plusieurs sections
présentant des situations où les quintes parallèles sont permises ou, à tout le moins, « plus
tolérables ». Certaines de ces situations variant d’un traité à l’autre, elles entrent parfois en
conflit avec des situations interdites par d’autres auteurs. La question des notes
ornementales est notamment un cas où les opinions divergent particulièrement. Nous avons
présenté plus tôt les cas où les auteurs considèrent les quintes parallèles comme fautives;
Plusieurs auteurs indiquent une quantité de notes ornementales devant séparer les
quintes pour permettre d’en atténuer le mauvais effet. Parfois la quantité est imprécise,
comme chez Lavignac (44), qui mentionne seulement qu’elles doivent être séparées par
plusieurs notes dans les deux parties. D’autres auteurs apportent davantage de précision :
Bazin (29) affirme qu’il faut au moins quatre notes intermédiaires, Émile Durand (77) et
l’équivalent d’une mesure entière (exemple 2.12), et Dupré (11, 13) émet des règles
similaires en affirmant que les quintes sont sauvées par l’équivalent d’une ronde, par deux
Caussade (250) accepte des quintes si la deuxième comporte une note étrangère (ou
deux), mais limite cela à la durée d’un même accord et en exclut des quintes qui
Certains changements de position de l’accord entre les deux quintes, s’ils sont assez
rendre l’effet des quintes parallèles moins désagréable. Barbereau (72), notamment, accepte
(exemple 2.14). Selon Savard (61), l’effet des quintes peut être atténué « par un
changement de position dans plusieurs parties pendant la durée des notes intermédiaires.
Dans ce dernier cas, l’une des deux parties entre lesquelles existent les quintes […] doit
faire un saut de quarte, au moins. » Dubois (27), comme nous l’avons déjà énoncé, affirme
36
que les quintes parallèles résultant d’un changement de position ou d’état de l’accord sont
fautives, mais il tempère sa position en ajoutant : « à moins que la place que telle position
occupe dans la mesure, ou la durée relative des diverses positions ne fasse disparaître le
Barbereau (72), Bazin (30), Savard (61), Émile Durand (77) et Lavignac (43)
acceptent les quintes, peu importe la distance ou leur importance, si les notes qui les
Encore une fois, les règles divergent selon les types de notes ornementales. Nous
avons vu précédemment que Catel (19), Savard (246) et Richter (120) n’admettaient pas les
quintes produites par une ou des notes de passage. Toutefois, Reicha (135) et Reber (201)
37
les tolèrent (exemple 2.16), de même que Dupré (12), ce dernier précisant cependant que
c’est la seconde quinte qui doit être produite par une note de passage.
Reber (203) évoque aussi ce qu’il appelle une « licence » présente dans la musique
instrumentale :
En procédant par le mouvement direct, les notes de passage simultanées ayant simultanément
la même durée, qu’elles soient diatoniques ou chromatiques, ne peuvent être disposées qu’en
rapports de tierces […] ou de sixtes […] ou de quartes accompagnées par une partie inférieure
formant des sixtes avec la partie supérieure […]. Pourtant, dans une série de notes […], on
double quelquefois, à l’octave, chacune des trois parties […], et, quoique cela produise une
suite de quintes, l’effet n’en est pas dur lorsque le mouvement est rapide; cependant on ne voit
cette licence que dans la musique instrumentale [exemple 2.17].
Finalement, Richter (122), bien qu’interdisant a priori les quintes avec notes de passage,
mentionne qu’on en trouve dans « les ouvrages les mieux écrits », mais qu’il ne faut pas y
attacher trop d’importance, car elles ne sont pas considérées comme fautives.
16
Mentionnons toutefois que ce ut que Reicha désigne comme une note de passage est en réalité une broderie.
38
En ce qui concerne les broderies, nous avons évoqué plus tôt les auteurs considérant
que les broderies de retard forment des quintes retardées, mais Dubois (222) et
Caussade (229) les tolèrent aisément (exemple 2.18), et ce dernier l’explique ainsi :
Il en est de même pour deux quintes successives, lorsque la seconde quinte résulte de la
broderie d’un retard (ou d’une dissonance quelconque) avant sa résolution. En effet,
l’impression est alors très nette du véritable caractère, sans importance aucune au point de vue
harmonique, de la […] seconde quinte.
Émile Durand (197), qui n’accepte pas la broderie de retard, tolère toutefois une exception
Lorsqu’une note principale et l’une de ses broderies, ou toutes les deux, se succèdent
rapidement et plusieurs fois de suite, comme des battements de trille, l’attaque d’un nouvel
accord peut coïncider avec celle d’une broderie. Ces sortes de dessins permettent aussi de faire
des quintes consécutives, dont l’une est formée par une note essentielle et une broderie, et
l’autre par deux notes essentielles [exemple 2.19].
Reber (189), qui comme nous l’avons dit précédemment, soumet l’usage de la broderie à
l’appréciation du goût, sait tout de même être un peu plus explicite sur ce qui peut être
acceptable :
39
La réalisation des broderies, par rapport aux notes intégrantes de l’harmonie qui frappent
simultanément avec elles, est, en général, assez indépendante. Ainsi, dans le cas de deux
quintes justes consécutives, il suffit que l’une ou l’autre de ces deux quintes soit formée par
une broderie d’une part et par une note réelle d’autre part, pour qu’il n’y ait point de faute […]
car, ainsi qu’on l’a dit […], la note brodée est considérée comme si elle était tenue
[exemple 2.20].
les trois quintes consécutives par demi-tons, loin de produire mauvais effet, ont un charme tout
particulier; chacune des deux parties qui concourent à ces quintes renferme alternativement une
broderie et une note réelle de l’harmonie, de manière que l’une des deux notes de chaque
quinte est toujours une broderie; en d’autres termes, il n’y a pas ici de quintes réelles
[exemple 2.21].
ces libertés de réalisation ne sont bonnes qu’avec des broderies d’une durée courte ou, au
moins, moyenne, et que dans un mouvement très lent, ou avec des valeurs longues, elles
produisent souvent des effets très mauvais; c’est pourquoi il est préférable de les interdire à
l’école, quelle que soit d’ailleurs la durée de la broderie.
Du côté des appoggiatures, Gilson (vol. 1 : 188, 293) accepte d’emblée les quintes
parallèles qui pourraient résulter de leur utilisation, que ce soit les quintes séparées par une
40
appoggiature (exemple 2.22), de même que celles créées par ce type d’ornement (exemple
2.23). Le type d’appoggiature utilisé par Gilson dans ses exemples est toujours consonant,
du moins pour cette partie de son traité (il mentionne toutefois qu’il existe une autre
Exemple 2.22 – Quintes parallèles séparées par une appoggiature, Gilson (vol. 1 : 187).
Exemple 2.23 – Quintes parallèles créées par une appoggiature, Gilson (vol. 1 : 188).
Caussade (217) tolère quant à lui des quintes consécutives si la deuxième comporte une
Reber (183) et Émile Durand (489) ne considèrent pas l’appoggiature comme suffisante en
soi pour sauver le mauvais effet des quintes parallèles, ils reconnaissent toutefois certaines
occasions où l’utilisation de cet ornement pourrait rendre les quintes plus acceptables.
Reber (193) mentionne une situation dans laquelle l’appoggiature « peut être considérée
17
Les caractéristiques générales de l’appoggiature énoncées par Gilson dans son traité (vol. 1 : 186-187) sont
en lien avec les définitions de Reber et d’Émile Durand que nous évoquions précédemment.
41
comme une broderie où la première fraction de la note principale […] a été supprimée;
c’est pourquoi les deux quintes […] ne sont pas dures » (exemple 2.24).
Exemple 2.24 – Appoggiature permettant de sauver les quintes (broderie sans la première
fraction de la note principale), Reber (193).
Émile Durand (490) adoucit quant à lui la règle « à l’égard de certaines quintes
consécutives qui, peu dures par elles-mêmes, sont rendues meilleures par l’adaptation d’une
Du côté des retards et des syncopes, les avis sont partagés. Certains auteurs y voient
une situation exceptionnellement tolérable, avec des conditions précises à respecter, alors
que d’autres considèrent le retard ou la syncope comme des moyens efficaces de « sauver »
les quintes. Bazin (30) et Vinée (93-94) font partie de cette seconde catégorie, car ils
considèrent les quintes parallèles acceptables sans aucune condition lorsqu’elles sont faites
42
par un mouvement de syncope (exemple 2.26). Lavignac (44) est aussi du même avis, bien
Exemple 2.26 – Quintes parallèles acceptables par mouvement de syncope, Bazin (30).
Barbereau (73), Riemann (205-206), Gilson (vol. 1 : 280, 287-288, 351) et Dubois (138)
acceptent quant à eux les quintes retardées (Riemann et Gilson les permettent aussi en
Certains des auteurs au sujet desquels nous avons dit qu’ils ne reconnaissent pas
l’utilisation du retard pour sauver les quintes présentent cependant des exceptions que nous
On peut remarquer que Reber (132) présente exactement le même exemple que
Reicha dans la section précédente (136; exemple 2.9), le premier pour illustrer une situation
qu’il juge acceptable, et le second pour illustrer une situation où les quintes parallèles sont
fautives. Cela démontre bien le clivage qui pouvait exister entre les différents points de vue
seconde quinte, sans employer les mots « retard » ou « anticipation » : « Deux quintes
successives peuvent être suffisamment atténuées par un mouvement oblique de l’une des
45
deux parties qui les forment. Mais ce mouvement oblique doit s’effectuer assez tôt pour
(exemple 2.28).
Émile Durand tient un propos similaire en utilisant les mots « syncope » et « anticipée »18,
et Savard (62) tolère des quintes anticipées (dont il trouve fréquemment des exemples chez
les auteurs les plus classiques), car selon lui la suppression de la syncope les ferait
Barbereau mentionne que les quintes anticipées sont tolérées dans l’harmonie non
(Barbereau : 73). Il n’admet toutefois pas, lorsqu’il y a suspension dans les voix
supérieures, que deux quintes soient séparées par une sixte (Barbereau : 290).
18
« Deux quintes sont permises, lorsque la seconde quinte est amenée par un mouvement oblique formant
syncope, parce qu’alors cette seconde quinte se trouve préparée ou anticipée. Mais encore faut-il que la
préparation en soit suffisante. » Émile Durand, 79.
46
Pour quelques auteurs, une certaine disposition des voix peut aussi atténuer l’effet des
quintes parallèles. En effet, selon Richter (98), « il faut faire observer que l’effet
désagréable qu’elles produisent, peut être, en partie, atténué par la disposition des voix. »
Le mauvais effet des quintes […] défendues est plus ou moins atténué lorsque ces intervalles
sont formés par les parties intermédiaires, ou même par l’une des parties extrêmes et une partie
intermédiaire; mais on doit toujours éviter d’y faire concourir les deux parties extrêmes à la
fois.
Ce point de vue est partagé par Lenormand (20) et par Gilson (vol. 1 : 100-101), ce dernier
mentionnant toutefois dans son étude ultérieure que les quintes sont très apparentes lorsque
Exemple 2.30 – Quintes formées en tout ou en partie par les parties intermédiaires20.
Les relations des parties entre elles créent également des situations où les quintes
parallèles sont acceptables selon certains traités. Gilson (vol. 1 : 215), par exemple, évoque
des situations où la relation de tierce entre le soprano et la basse atténue l’effet des quintes
19
Voir aussi Gilson, Quintes, octaves, secondes et polytonie, 17-18.
20
Gilson, Quintes, octaves, secondes et polytonie, 17.
47
Vivier (130-131) remarque également « qu’elles peuvent quelquefois avoir lieu dans une
suite d’accords liés par une ou plusieurs notes communes ou lorsque l’une des notes de la
deuxième quinte a été entendue dans l’accord précédent. » Et Riemann (30) mentionne
quant à lui :
On est également moins intransigeant sur la question des quintes consécutives, que l’on admet
sans aucune objection lorsqu’elles sont dissimulées par une dissonance ou par le mouvement
contraire, c’est-à-dire lorsque le manque de richesse de la disposition vocale (car un tel
parallélisme produit, tant qu’il dure, l’impression qu’une des voix manque) est compensé pour
l’auditeur par d’autres moyens d’intérêt. Pourtant il subsistera toujours une faute de style dans
la succession de deux quintes justes entre parties réelles; aussi l’élève doit-il s’interdire cette
pratique d’une façon formelle dans ses travaux d’école.
À quatre parties et plus, la plus grande facilité pour le mouvement contraire dans les autres
parties rend admissible bien des successions qu’on eût proscrites autrefois. […] Et même une
suite de quintes conjointes au grave, leur place harmonique naturelle, dans une harmonie
espacée telle que la suivante, nous paraîtrait d’un excellent effet de plénitude, grâce au seul
mouvement contraire de la partie supérieure [exemple 2.32].
Vinée est appuyé en ce sens par Lenormand (19) qui prétend que les quintes parallèles se
pratiquent plus facilement dans les parties les plus graves, sous certaines conditions
Les positions intermédiaires d’un accord brisé ont d’autant moins d’importance, au point de
vue d’une réalisation correcte, qu’elles tombent sur une partie plus faible de la mesure ou du
temps. C’est pourquoi, deux quintes […] peuvent être tolérées, la première n’occupant qu’une
position intermédiaire sans importance [exemple 2.33].
Quant à l’intervalle séparant les quintes, on peut constater que les avis sont partagés.
Certains auteurs considèrent que des quintes parallèles procédant par demi-tons
chromatiques sont acceptables : Vivier (131), Rahn (137, 160), Lenormand (20) et Gilson21
Il est à remarquer que les quintes procédant par demi-tons chromatiques sont d’un effet plus
agréable que celles qui franchissent l’intervalle du ton. […] Lorsqu’on écrit l’harmonie à plus
de quatre parties réelles marchant par mouvements chromatiques contraires, le mauvais effet
des quintes successives disparaît ou se fait moins sentir que dans l’harmonie à trois ou quatre
parties [Vivier : 131; exemple 2.34].
21
Ibid., 20.
49
D’autres prétendent plutôt que, plus elles sont disjointes, plus elles sont acceptables.
Reber (69) est notamment de cet avis : « Deux quintes justes sont d’autant moins
Émile Durand (509) adopte le même point de vue et en reconnaît l’utilisation dans le style
libre lorsqu’elle est accompagnée d’une bonne disposition des voix. À cet égard, il fait
remarquer que dans les exemples qu’il présente, l’une des notes formant les quintes est
toujours commune aux deux accords qui s’enchaînent (exemple 2.36). Lenormand (20) va
dans le même sens en acceptant des quintes par mouvement disjoint avec des notes
communes.
Exemple 2.36 – Quintes parallèles disjointes acceptables par la bonne disposition des voix
et la présence de notes communes, Émile Durand (509).
Barbereau (73) accepte les quintes qui procèdent mélodiquement par quarte ou par quinte
(exemple 2.37)
Émile Durand (510) mentionne aussi que dans le style libre se pratiquent des quintes
parallèles par degrés conjoints, mais que ces « licences » nécessitent une grande expérience
et sont donc interdites à l’école. Et selon Gilson, « les effets de quintes parallèles sont
seulement désagréables dans les successions en secondes et […] ils sont très acceptables
La disposition des quintes entre les phrases est aussi un élément qui amène des
exceptions. Reber (69) et Reicha (139) acceptent tous deux l’enchaînement entre le dernier
suivante. Reber (69-70) mentionne même que ces « licences sont quelquefois d’un effet
saisissant, surtout lorsqu’on attaque, dans un ton différent, chaque phrase, ou même chaque
membre de phrase, quelque court qu’il puisse être », en prenant toutefois bien soin de
mentionner que ces licences ne peuvent être tolérées à l’école. Rimski-Korsakov (82)
amène un point de vue similaire en acceptant deux quintes justes consécutives « dont la
deuxième se trouve immédiatement après un point d’orgue. » Il ajoute que les quintes
22
Ibid., 18.
51
parallèles sont aussi possibles dans les cadences conclusives ayant pour but l’accord de
Exemple 2.38 – Quintes parallèles dans une cadence conclusive vers l’accord
de tonique complet, Rimski-Korsakov (82).
Reicha (139), quant à lui, spécifie qu’on peut faire deux quintes de suite « en répétant la
même phrase soit dans une autre octave, soit avec une autre distribution de parties ou dans
d’une mesure peut les rendre acceptables, notamment l’importance de l’emplacement des
quintes, si elles sont placées sur des temps forts ou des temps faibles par exemple.
Bazin (30), Rimski-Korsakov (66) et Lavignac (43) acceptent les quintes sur les temps
faibles successifs, le dernier mentionnant toutefois que les puristes savent les éviter
(exemple 2.40).
52
Exemple 2.40 – Quintes acceptables sur temps faibles successifs, Rimski-Korsakov (66).
parallèles. Riemann (31), par exemple, leur trouve un bon effet dans l’harmonie figurée, car
« dans des cas pareils il faut bien se dire que l’oreille n’a pas l’impression d’une
succession, mais bien celle d’une disposition rythmique intéressante des éléments d’un seul
Le croisement est considéré par quelques auteurs comme un moyen d’éviter les
quintes parallèles, Reicha (123) affirmant même qu’on y est quelquefois forcé. En réalité,
elles sont ainsi évitées pour l’œil, mais pas nécessairement pour l’oreille, à moins d’avoir
affaire à deux timbres très distincts permettant de distinguer la marche de chaque voix, soit
par des voix contrastantes ou des instruments de timbres différents, comme le mentionnent
Reber (116) et Kœchlin (Précis de contrepoint : 2). Reber rappelle que, sur les instruments
23
Nous ne présentons pas ici d’exemple, car dans les deux cas les auteurs présentent des exemples
comportant des octaves parallèles, ce qui ne s’applique pas à notre étude.
53
Les quintes parallèles les plus largement admises sont celles qui apparaissent lors de
résolutions naturelles d’accords dissonants. Les auteurs considèrent que l’effet bénéfique de
repos amené par la résolution compense l’effet désagréable des quintes (on perd la sonorité
rude des quintes dans la sonorité de la dissonance). Les accords le plus souvent cités sont la
sixte augmentée avec quinte, c’est-à-dire la sixte allemande (tableau 2.3) et la neuvième de
dominante (tableau 2.4). Les auteurs mentionnent également à l’occasion d’autres types
Tableau 2.4 – Tolérance de quintes parallèles dans la résolution des accords de neuvième
Auteur Citation Exemple
Barbereau [neuvième de dominante] Ces deux
quintes peuvent être admises sans
inconvénient dans la réalisation au
piano du troisième renversement et de
sa résolution (t).
N.B. Dans les exemples t et q de la
figure précédente, les quintes
consécutives ne sont point amenées
[…] par la reproduction des mêmes
fonctions; cette circonstance, jointe à la
prépondérance de la tierce mi placée
dans la Basse, peut contribuer à
expliquer la tolérance de l’oreille dans
l’exemple t (p. 181).
[accord de neuvième majeure sur le
deuxième degré] La quinte de cet
accord peut descendre et former deux
quintes consécutives avec la résolution
de la note neuvième, lorsque l’accord
de neuvième est suivi d’un accord de
septième à la quinte inférieure (p. 186-
187).
Gilson [1er renversement de l’accord de
neuvième de deuxième dominante sans
fondamentale] Les exemples l) et z)
contiennent des quintes parallèles
rejetées des classiques (vol. 2 : p. 84-
85).
[2e renversement de l’accord de
neuvième de deuxième dominante sans
fondamentale] N.B. L’exemple n) (avec
quintes parallèles) est rejeté par les
classiques (vol. 2 : p. 86).
[3e renversement de l’accord de
neuvième de deuxième dominante sans
fondamentale] En bb) et cc) il y a 2
quintes parallèles assez apparentes (cc
moins que bb) (vol. 2 : p. 87).
Il va de soi que le procédé employé
pour résoudre chromatiquement les 7mes
et 9mes s’applique également à l’accord
V9 privé de fondamentale = 7me de
sensible V93s, ou au 1er renversement de
la VV9 = 7me du 4me degré VV93s, ou au
1er renversement de la IV9+R = 6me degré
mélodique du mode mineur IV9+3+RS
(vol. 2 : p. 94-95).
56
Certains auteurs tiennent à rappeler les vertus artistiques des quintes parallèles pour
créer des effets expressifs. Kœchlin (Traité de l’harmonie, vol. 2 : 230-233) a notamment
relevé dans son traité plusieurs exemples pris dans les œuvres de compositeurs tels que
Gounod, Lalo, Franck et Bizet, qui se sont servis des quintes parallèles dans ce but.
Lenormand (13-18) présente aussi des exemples entre autres de Debussy, Kœchlin, Saint-
Saëns, Fauré, Séverac, Beethoven et Schumann, et mentionne que les quintes peuvent se
pratiquer quand le compositeur a un but déterminé, mais il les défend dans les cas de
maladresse d’écriture (Lenormand : 20). Gilson (vol. 3 : 128-134) a fait de même dans son
57
traité, où il donne des exemples tirés des œuvres de Glazounov, MacDowell, Strauss,
Bruneau, Delmas et Puccini. Gilson (vol. 1 : 21) évoque aussi des effets plus précis pour
lesquels peuvent servir les quintes parallèles, notamment les successions constantes de
quintes au grave que les modernes utilisent pour imiter les sons des cloches (exemple 2.42).
Exemple 2.42 – Quintes au grave imitant le son des cloches, Gilson (vol. 1 : 21, tiré de
Sibelius, Karélia, Suite II, op. 11 : « Ballade », mes. 93-100).
Riemann (31-32), de son côté, évoque le renforcement des sons par des quintes ou
rappelle que de tels redoublements ne doivent pas être considérés comme des parties
réelles. Il cite d’ailleurs l’effet très bon des jeux auxiliaires de l’orgue qui renforcent toute
sans être précis, qu’il existe des situations où les quintes peuvent être possibles et de bon
24
Rieman ne donne ici aucun exemple que nous pourrions reproduire pour appuyer ses dires.
58
Certains auteurs s’appliquent à énoncer dans leurs traités une justification possible à la
règle interdisant les quintes parallèles. Parfois cette justification est courte et peu appuyée,
mais certains s’efforcent tout de même d’étayer leur point de vue d’explications auxquelles
ils espèrent donner un caractère scientifique plausible. Comme il existe parfois de petites
subtilités dans les différents propos, nous reproduirons les explications de tous les auteurs
sous forme de tableau pour permettre au lecteur d’en avoir une vue d’ensemble.
La plupart des auteurs justifient l’interdiction par le fait que les quintes parallèles
sonnent mal, que cet enchaînement n’est pas agréable à entendre, qu’elles sonnent dur,
creux, affreux. Cela ressemble parfois à un jugement de valeur, à une affirmation sans
véritable fondement, mais certains avancent des explications un peu plus étoffées. S’il est
vrai que tous mentionnent, à un endroit ou à un autre de leur traité, et plus ou moins
directement selon le cas, le « mauvais effet » des quintes, dans la plupart de ces cas,
l’expression « mauvais effet » revêt pour ces auteurs le sens de fautif, un concept qui n’a
pas lieu d’être ici et qui peut être en lien avec des justifications différentes. Par exemple, un
auteur pourrait dire que les quintes produisent un mauvais effet parce qu’elles causent de
l’ambiguïté tonale, ce qui n’est pas à proprement parler un problème de son désagréable.
Seront notés ici uniquement les « mauvais effets » en lien avec une sonorité désagréable
Le mauvais effet sonore est parfois le seul argument d’un auteur pour justifier la règle.
Cependant, aucune propriété physique ne le justifie, ce qui fait que Kœchlin (Traité de
l’harmonie, vol. 1 : 14) ose tout de même affirmer qu’il en trouve le son charmant, ou à
les quintes successives sont rarement dures et « creuses » (surtout aux voix); leur sonorité est
souvent excellente. Les artistes modernes en ont usé de la façon la plus heureuse; et fussent-
60
elles creuses ou dures, il pourrait se rencontrer des cas exigeant ces sortes de sonorité plus
âpres.
une question de goût, ces affirmations sont parfois dues à une recherche de pureté ou de
variété dans l’écriture. L’utilisation du style sévère, qui passe par l’observation la plus
stricte des règles, est considérée par certains comme le seul moyen d’obtenir la pureté dans
la réalisation de l’harmonie. Et même le style libre ne semble pas y échapper, car selon
Richter (12), les licences qu’on y amène doivent être justifiables comme des exceptions à la
s’expliquer par le fait que la quinte est un intervalle juste (consonance parfaite),
contrairement aux tierces et aux sixtes qui sont majeures ou mineures (plus grandes ou plus
petites) selon le cas (à l’intérieur d’une même suite non modulante). Les consonances
parfaites sont aussi considérées généralement comme des points de repos et de stabilité, et
comme la musique se doit d’être en mouvement, il ne faudrait pas en faire trop de suite
pour ne pas arrêter le mouvement. La tradition et l’éducation ont également pu créer ces
opinions négatives face au son des quintes parallèles, comme l’exprime Vinée (92) :
C’est la forteresse traditionnelle des harmonistes d’école, à laquelle on serait presque tenté de
garder un certain respect d’antiquaire, en présence des assauts furieux portés par tant de jeunes,
prompts à se tailler un facile renom de hardiesse en violant ses vieux remparts, souvent, il faut
bien le dire, avec aussi peu de nécessité que de vergogne.
Une autre raison souvent évoquée pour expliquer l’interdiction des quintes parallèles
est le fait que deux voix se déplaçant à intervalle de quinte évoluent dans deux tonalités
différentes. Dans un contexte où la clarté du sens tonal était très importante, une telle
règle aussi stricte pour l’étude de l’harmonie (tableau 2.7). Chevaillier cite à ce propos
61
développements, qui interdit les deux quintes consécutives comme donnant l’impression de
D’autre part, Kœchlin (Traité de l’harmonie, vol. 1 : 14) réfute complètement cette
On dit : la ré donnent l’impression du ton de sol, sol do celui du ton de do. Mais c’est bien tiré
par les cheveux; on dirait aussi bien, en ne considérant que des tierces : ré fa donne
l’impression de Ré mineur, do mi celle de Do majeur. D’ailleurs ré fa la est en do et non en sol!
Riemann (29-30), quant à lui, affirme que l’interdiction des quintes parallèles vient
25
Toussaint-René Poisson, Harmonie dans ses plus grands développements (Paris : l’auteur, 1838) cité dans
Lucien Chevaillier, « Les théories harmoniques », dans Encyclopédie de la musique et dictionnaire du
Conservatoire, vol. 2, Technique, Esthétique et Pédagogie, sous la direction d’Albert Lavignac et de Lionel
de La Laurencie (Paris : Delagrave, 1922), 569.
62
Tableau 2.7 – Traités justifiant l’interdiction des quintes parallèles par l’ambiguïté tonale
Auteur Citation
Chevé Enfin, quant aux intervalles de deuxième qualité, quinte, quarte, octave, quinzième,
nous avons vu, à l’analyse des accords, que ce sont surtout ces intervalles qui
compromettent le ton et le mode, particulièrement les octaves, les quintes et les
quartes. C’est donc par crainte de compromettre la tonalité, et non pour ne pas blesser
l’oreille, que l’on ne prendra pas ces intervalles par mouvement semblable et conjoint
tout à la fois. On évitera dès-lors ces intervalles toutes les fois que le ton ou le mode
seraient compromis par leur emploi (p. 245).
Fétis Lorsqu’un ton est établi, l’oreille s’y accoutume et l’on ne peut en sortir brusquement
sans la blesser. Or, de tous les intervalles, celui qui prononce le ton avec le plus de
vigueur est la quinte juste. Deux quintes, soit en montant, soit en descendant,
annoncent deux tons différents; cette observation a suffi pour les faire proscrire
(Traité du contrepoint et de la fugue : p. 4).
Cherubini Une suite de quintes forme discordance, parce que la partie supérieure marche dans
un ton, en même tems [sic] que la partie inférieure marche dans un autre (p. 5).
Vinée Historiquement, les suites de quintes et de quartes justes à découvert furent pourtant
au Moyen-Âge le procédé fruste des premiers et barbares essais de successions
harmoniques. Or, on ne saurait nier que, même dissimulées au milieu d’une harmonie
à parties nombreuses, les successions de quintes produisent un effet de lourdeur
incontestable. La raison en est simple. Le déplacement direct de l’élément essentiel
de stabilité dans une tonalité vers un élément semblable susceptible de servir au
besoin de support à une tonalité différente doit nécessairement produire une sensation
d’effort, de résistance. Réciproquement, l’observation ordinaire de la règle peut
donner au discours harmonique un tour aisé et élégant non à dédaigner. Quant à lui
reconnaître un caractère absolu, personne n’oserait plus le soutenir (p. 92).
Richter Il est plus difficile d’expliquer pourquoi les quintes sont défendues, quoiqu’on soit
bien convaincu de la nécessité de les défendre. Voici quelques observations à ce
sujet.
Chaque accord est par lui-même un tout complet. De quelque manière qu’il soit
formé, il est circonscrit entre la fondamentale et la quinte comme en un cercle.
(L’addition d’une septième ne peut rien changer à ce principe). Or, les enchaînements
harmoniques n’existant que par la marche d’un accord sur un autre; il est certain que
deux accords enfermés dans leurs limites, quinte contre quinte, ne peuvent être attirés
l’un vers l’autre, et qu’ils se trouveront, au contraire, n’avoir aucun rapport (p. 15-
16).
Dubois Il est également indéniable que les quintes consécutives proscrites comme donnant la
sensation de deux tonalités différentes superposées s’accommodent fort bien de la
conception de la polytonie (p. 242).
les arguments invoqués par des auteurs plus récents pour justifier l’interdiction des quintes
parallèles. Parmi eux, Heinrich Schenker, Reginald Owen Morris et Wanda Therese Farah
63
ont repris l’explication sur la conduite des voix26. Harold Owen justifie cette explication en
décrivant les consonances parfaites comme passives, stables, sans tension (par opposition
aux dissonances qui sont actives, moins stables et fortes en tension) 27 . L’ambiguïté du
parallélisme en général, et des quintes en particulier, provient du fait que l’oreille a du mal
à distinguer la note de référence entre les deux voix parallèles. Comme la quinte est un
élément de stabilité et de repos et, qui plus est, un élément caractéristique d’une tonalité
paraître une voix plus importante que l’autre, étant donné que son mouvement dépend
distinction des deux sons plus difficiles. Et lorsque ce rapport se produit deux ou plusieurs
à l’orgue, où bien qu’elles soient souvent présentes, on ne prend pas toujours conscience
des quintes parallèles (certains auditeurs peuvent les confondre dans la masse sonore); les
théoriciens affirment que des quintes parallèles font confondre la deuxième voix avec
l’unisson. Arnold Schoenberg soutient toutefois que dans le cas des mixtures de l’orgue, on
entend toujours les quintes parallèles, puisque même si selon certains elles ne sont pas
26
Heinrich Schenker, Counterpoint: A Translation of Kontrapunkt, traduit de l’allemand par John Rothgeb et
Jürgen Thym (New York: Schirmer Books, 1987), 1 : 135; Reginald Owen Morris, Foundations of Practical
Harmony & Counterpoint (Westport, Conn. : Greenwood Press, 1980), 146; Wanda Therese Farah,
« Microcounterpoint », dans « The Principle of Counterpoint and its Expression in Music, Dance and
Cinema » (thèse de doctorat, University of Texas at Austin, 1985), 72.
27
Harold Owen, Modal and Tonal Counterpoint : From Josquin to Stravinsky (New York : Schirmer Books,
1992), 22.
64
perçues comme telles, elles sont tout de même perçues « comme une plénitude sonore, un
renforcement de l’acuité du son, de son intensité », ce qui constitue selon lui l’effet d’une
modification sonore, qui ne peut être perçue que par cette modification sonore elle-même28.
évidence plusieurs aspects qui seront nécessaires à notre étude. En effet, les nombreux cas
d’exception que nous venons de présenter ouvrent la voie à une utilisation consciente par
les compositeurs. Il en va de même pour les raisons justifiant l’interdiction, qui, selon le
contexte que nous étudierons au chapitre suivant, pourraient inciter les compositeurs à
transgresser la règle.
28
Arnold Schoenberg, Traité d’harmonie, traduit de l’allemand et présenté par Gérard Gubisch (Paris : J. C.
Lattès, 1983), 92-93.
Chapitre 3
La musique de piano au tournant du XXe siècle :
esthétiques et état du langage tonal
Pour définir le rôle des quintes parallèles dans la musique de piano entre 1880 et 1940, il
faut en comprendre le contexte historique et stylistique. Bien que cette période soit difficile
à synthétiser, nous tenterons tout de même de la décrire en termes généraux, puis nous en
expliquerons les principaux courants stylistiques et nous tracerons finalement les grands
La musique française entre 1880 et 1940 est en pleine effervescence. Selon Norbert
Dufourcq (1904-1990), c’est vers une révolution que l’on va, que l’on court. L’école
française prend son essor et se libère de ses chaînes entre 1880 et 1910, puis se renouvelle
pour régner sur l’art européen de 1910 à 1940 1 . Dufourcq décrit la musique française
comme un art mesuré, recherchant l’équilibre, s’épanouissant dans l’ordre, un art classique,
intellectualiste, épris de clarté et fait de fine sensibilité. La musique française est aussi un
art humain, avide de liberté et de couleur. Fantaisiste, sans doute, mais elle recherche le
vrai dans l’émotion. C’est une musique objective, mais qui laisse la place à l’imagination;
elle ouvre la porte à un monde de rêves2. En particulier, selon Jean Gallois, « on constate
modernisme français des alentours de 1880 tend à minimiser, voire à éliminer tout ce que
1
Norbert Dufourcq, La musique française (Paris : Picard, 1970), 287.
2
Ibid., 397-398.
3
Jean Gallois, « La musique française au début du XXe siècle », dans 150 ans de musique française, 1789-
1939, Actes du Colloque organisé par François Lesure (Arles : Actes Sud, 1991), 141.
4
Richard Taruskin, « Getting Rid of Glue. Satie, Debussy, Fauré, Ravel, Lili Boulanger », dans The Oxford
History of Western Music (New York : Oxford University Press, 2005), 4 : 60.
66
descriptions, quoiqu’un peu sommaires, donnent quand même une idée de la perception de
la musique de cette époque, qui est très diversifiée. Cette perception peut s’expliquer par
Plusieurs courants esthétiques se sont succédés, côtoyés ou chevauchés entre 1880 et 1940
en France. Le tableau 3.1 présente une définition et une chronologie des principaux
5
« Romantic(ism) », dans The Oxford Dictionary of Music, 2e éd. rév., sous la direction de Michael Kennedy.
Oxford Music Online, <http://www.oxfordmusiconline.com.res.banq.qc.ca/subscriber/article/opr/t237/e8648>
(consulté le 28 mai 2010).
6
Jim Samson, « Romantiscism », dans Grove Music Online. Oxford Music Online, <http://www
.oxfordmusiconline.com.res.banq.qc.ca/subscriber/article/grove/music/23751> (consulté le 28 mai 2010).
7
Richard Langham Smith, « Symbolism », dans The Oxford Companion to Music, sous la direction de Alison
Latham. Oxford Music Online, <http://www.oxfordmusiconline.com:80/subscriber/article/opr/t114/e6586>
(consulté le 28 mai 2010).
67
8
Ibid. « the ways in which musical elements may in some way be connected to extra-musical phenomena: the
words of a poem, a natural object, or a person or emotional state. » Toutes les traductions sont de l’auteur.
9
Danièle Pistone, « Le symbolisme et la musique française à la fin du XIXe siècle », Revue internationale de
musique française 32 (1995) : 20-27.
10
Plusieurs auteurs font remonter le premier emploi du terme dans le domaine musical à une critique du
secrétaire de l’Académie des Beaux-Arts au sujet de l’envoi de Rome Printemps de Debussy en 1887 [Stefan
Jarocinsky, Debussy. Impressionnisme et symbolisme (Paris : Le Seuil, 1970), cité dans Pistone,
« L’impressionnisme musical et l’esprit de fin-de-siècle », Revue internationale de musique française 5 (juin
1981) : 13; Taruskin, « Getting Rid of the Glue », 76; Christopher Palmer, Impressionism in Music (Londres :
Hutchinson, 1973), 25]. Par contre, Jann Pasler mentionne que Pierre-Auguste Renoir (1841-1919) parle à
Richard Wagner (1813-1883) dès 1882 des « Impressionnistes en musique » en référant peut-être aux Pièces
pittoresques (1880-81) de Chabrier. Pasler affirme également que la popularité de ce courant commence à
s’estomper après 1904-1905, lorsque le style de Debussy change et que les critiques réclament un retour à
l’ordre classique [Jann Pasler, « Impressionnism », dans Grove Music Online. Oxford Music Online, <http:
//www.oxfordmusiconline.com:80/subscriber/article/grove/music/50026> (consulté le 23 novembre 2009)].
Danièle Pistone, quant à elle, situe l’amorce du déclin de l’impressionnisme à la Première Guerre mondiale,
lorsque Jean Cocteau (1889-1963) fustige, dans Le Coq et l’arlequin (1918), le « climat flou propice aux
oreilles myopes (…), la grâce féminine et le léger brouillard neigeux taché du soleil impressionniste », mais
elle mentionne également que Camille Mauclair (1872-1945) annonce la fin de l’impressionnisme en 1905
[Jean Cocteau, Le Coq et l’arlequin, rééd. (Paris : Stock, 1979), 56; Camille Mauclair, La revue bleue 3
(1905) : 49-53 et 82-84; cités dans Pistone, « L’impressionnisme musical et l’esprit fin-de-siècle », 13].
11
Arthur Eaglefield Hull, Modern Harmony (Augener, 1920), 114, cité dans Michel Fleury,
L’impressionnisme et la musique (Paris : Fayard, 1996), 30.
12
Sabine Bérard, Musique, langage vivant. 3. Analyses d’œuvres musicales du XXe siècle (Paris : Zurfluh,
1998), 158; Françoise Gervais, « Qu’est-ce que l’impressionnisme musical », Revue internationale de
musique française 5 (juin 1981) : 11; Pistone, « L’impressionnisme musical et l’esprit fin-de-siècle », 18.
13
Paul Griffiths, « Expressionism », dans The Oxford Companion to Music, sous la direction de Alison
Latham, Oxford Music Online, <http://www.oxfordmusiconline.com.res.banq.qc.ca/subscriber/article/opr/
t114/e2378> (consulté le 28 mai 2010).
14
Ibid. « An artistic movement concerned with the ruthless expression of disturbing or distasteful emotions,
often with a stylistic violence that may involve pushing ideas to their extremes or treating the subject matter
with incisive parody. »
68
15
Arnold Whittall, « Neoclassicism », dans Grove Music Online. Oxford Music Online, <http://www
.oxfordmusiconline.com.res.banq.qc.ca/subscriber/article/grove/music/19723> (consulté le 5 mai 2010).
Michel Faure, quant à lui, situe la naissance du néoclassicisme en 1917, année de composition du Tombeau de
Couperin de Ravel et de la Symphonie classique de Serge Prokofiev (1891-1953), mais ne semble pas pouvoir
attribuer une véritable période de déclin à ce courant [Michel Faure, « Du néo-classicisme musical en France
entre les deux armistices de Rethondes », dans XXe Siècle – Images de la musique française, textes et
entretiens réunis par Jean-Pierre Derrien (Paris : G.I.E. Musique et Promotions (SACEM – S.D.R.M.) &
Éditions Papiers, 1986), 32].
16
Whittall, « Neoclassicism ». « A movement of style in the works of certain 20 th-century composers, who,
particularly during the period between the two world wars, revived the balanced forms and clearly perceptible
thematic processes of earlier styles to replace what were, to them, the increasingly exaggerated gestures and
formlessness of late Romanticism. »
17
Yves Defrance et Pistone distinguent plusieurs vagues d’exotisme entre 1830 et 1930 : l’Orient (culminant
vers 1880 pour s’éteindre dans les années 1920), le Maghreb (1830 à environ 1900), l’Espagne (débute à
l’époque de l’impératrice Eugénie Montijo et de l’expédition d’Espagne (1823) pour culminer dans les années
1872-1892), la Russie et le monde slave en général (à partir de 1890, et surtout durant la période des Ballets
Russes, 1909-1929), l’Extrême-Orient (après la victoire japonaise de 1905), dans une moindre mesure,
l’Afrique et l’Océanie, et une petite vague d’intérêt pour l’Amérique (après la Première Guerre mondiale,
laquelle prendra la forme, plus tard, de l’influence du jazz) [Yves Defrance, « Exotisme et esthétique musicale
en France. Approche socio-historique », Cahier de musiques traditionnelles 7 (1994) : 198-201; Pistone,
« Les conditions historiques de l’exotisme musical français », Revue internationale de musique française 6
(novembre 1981) : 22].
18
Ralph P. Locke, « Exoticism », dans Grove Music Online. Oxford Music Online, <http://www
.oxfordmusiconline.com.res.banq.qc.ca/subscriber/article/grove/music/45644> (consulté le 28 mai 2010).
« The evocation of a place, people or social milieu that is (or is perceived to be) profoundly different from
accepted local norms in its attitudes, customs and morals. »
19
Pistone, « Les conditions historiques de l’exotisme musical français », 12.
69
tant extérieures qu’intérieures selon Kœchlin et Dufourcq23. Tout d’abord, Richard Wagner
(1813-1883) a eu une influence considérable sur la musique française des environs de 1880
à 1910, tant du fait de ses partisans que de ses opposants. Pratiquement élevé au rang de
20
Defrance, « Exotisme et esthétique musicale en France », 192; Martin Kaltenecker, « L’exotisme dans la
musique française depuis Debussy », dans XXe Siècle – Images de la musique française, textes et entretiens
réunis par Jean-Pierre Derrien, 12.
21
Le sonorisme connaît ses premiers balbutiements vers la fin de la période qui nous occupe. Nous
considérons cependant pertinent de mentionner ce courant, puisque faire des variations de timbre est une
caractéristique importante de la littérature de piano au tournant du XXe siècle, en quelque sorte une
anticipation de ce courant. De même, le colorisme, avec l’utilisation d’anciens accords, de tons inédits et de
diaphonie en quarte ou en quintes, est considéré par certains auteurs comme une forme de sonorisme. Voir
Faure, Musique et société, du Second Empire aux années vingt. Autour de Saint-Saëns, Fauré, Debussy et
Ravel (Paris : Flammarion, 1985), 264-265.
22
Zbigniew Granat, « Sonoristics, sonorism », dans Grove Music Online. Oxford Music Online, <http://www
.oxfordmusiconline.com:80/subscriber/article/grove/music/2061689> (consulté le 23 novembre 2009). « that
explored contrasts of instrumentation, texture, timbre, articulation, dynamics, movement, and expression as
primary form-building elements. »
23
Charles Kœchlin, « Les tendances de la musique moderne française », dans Encyclopédie de la musique et
dictionnaire du Conservatoire, sous la direction d’Albert Lavignac et Lionel de La Laurencie (Paris :
Delagrave, 1925), 2.1 : 70; Dufourcq, La musique française, 288.
70
leitmotive, dissonances non résolues, séquences) ont influencé le style des compositeurs
enseignement différent26. On note ensuite l’influence de Franck, de 1890 à 1900, qui est
présente surtout à travers l’œuvre de ses nombreux élèves et disciples (notamment D’Indy,
Lekeu, Ropartz, Dukas, Pierné et Magnard), à qui il a transmis son idéalisme beethovénien
tradition viennoise d’un côté, et de Franz Liszt (1811-1886) et Richard Wagner de l’autre,
les œuvres franckistes sont souvent décrites comme massives et imposantes, comme le
remarque Martin Cooper à propos de la Sonate pour piano de Lekeu27. À la même époque,
Messager et Charles Lecocq (1832-1918), de même que ceux du groupe des Six qui se
réclament une filiation marquée avec lui. Selon Robert Winter, ses pièces de piano ont
24
Scott Messing, Neoclassicism in Music. From the Genesis of the Concept through the
Schoenberg/Stravinsky Polemic (Ann Arbor, Michigan : UMI Research Press, 1988), 6.
25
Barry Millington et al., « Wagner », dans Grove Music Online. Oxford Music Online, <http://www
.oxfordmusiconline.com.res.banq.qc.ca/subscriber/article/grove/music/29769-2001-10-31pg1> (consulté le 23
novembre 2009).
26
Denis Arnold et Richard Langham Smith, « France », dans The Oxford Companion to Music, sous la
direction de Alison Latham. Oxford Music Online, <http://www.oxfordmusiconline.com.res.banq.qc.ca/
subscriber/article/opr/t114/e2658> (consulté le 23 novembre 2009).
27
Martin Cooper, French Music from the Death of Berlioz to the Death of Fauré (Londres : Oxford
University Press, 1951) cité dans John Trevitt et Joël-Marie Fauquet, « Franck », dans Grove Music Online.
Oxford Music Online, <http://www.oxfordmusiconline.com.res.banq.qc.ca/subscriber/article/opr/t114/e2658>
(consulté le 23 novembre 2009).
71
mélodies modales en France28. Poulenc, Milhaud et Auric privilégiaient son côté humoriste,
parodiste et son talent de transposition de l’art populaire en grand art29. Fauré, quant à lui, a
pu étendre son influence à de nombreux élèves, particulièrement entre 1900 et 1915, ayant
l’influence de Debussy a entraîné, entre 1900 et 1920 environ, l’avènement d’un courant
appelé « debussysme », qui se caractérise par un retour à une conception très française de la
musique (entre autres, des sonorités moins grandioses et des périodes plus concises) et par
une confiance dans les conseils de hardiesse à l’égard des règles, soit en quelque sorte un
culte de la beauté pour elle-même, sans égard aux règles à suivre30. Entre 1912 et 1922,
expressionniste : ses pièces pour piano de l’opus 11 fascinaient, entre autres, Milhaud.
Finalement, entre 1910 et 1930, Igor Stravinski (1882-1971) a lui aussi influencé la vie
musicale française, en premier lieu par ses ballets et, en second lieu, par le rôle important
qu’il a joué dans l’essor du courant néoclassique après son installation en France en 1920 31.
Selon Susan Bradshaw, il est aussi reconnu pour la qualité de ses transcriptions au piano de
ses œuvres orchestrales, qui démontrent un sens inné de l’utilisation des sonorités
28
Robert Winter, « 19th Century National Trends », dans Philip R. Belt et al., The New Grove Musical
Instruments Series - The Piano (New York : W. W. Norton & Company, 1988), 135.
29
Steven Huebner, « Chabrier, Emmanuel », dans Grove Music Online. Oxford Music Online, <http://www
.oxfordmusiconline.com.res.banq.qc.ca/subscriber/article/grove/music/05351> (consulté le 23 novembre
2009).
30
Kœchlin, « Les tendances de la musique moderne française », 70.
31
Stephen Walsh, « Stravinsky, Igor », dans Grove Music Online. Oxford Music Online, <http://www
.oxfordmusiconline.com.res.banq.qc.ca/subscriber/article/grove/music/52818pg5> (consulté le 1er septembre
2010)
32
Susan Bradshaw, « The Growth of Pianism, 1900-1940 », dans Belt et al., The New Grove Musical
Instruments Series - The Piano, 139.
72
répertoire, qui, pour plaire à la petite et moyenne bourgeoisie, de plus en plus nombreuse,
doit souvent faire preuve de conservatisme 33 . La production artistique est intense : elle
Afin de déterminer le rôle des quintes parallèles dans le langage tonal, il convient d’en
connaître les principes et les caractéristiques. Pour ce faire, nous allons d’abord définir le
lecteur pourra s’étonner de ce que nous remontions jusqu’à l’époque classique pour
expliquer une période postérieure bien définie dans le temps, mais les auteurs que nous
aborderons dans ce chapitre ont certainement eu une influence sur les auteurs de traités que
nous avons étudié au chapitre 2. Il nous apparaît donc important qu’ils figurent dans cette
section afin d’apporter un éclairage sur l’origine de certains aspects de la règle. Citons par
33
Sylvain Caron, François de Médicis et Michel Duchesneau, Musique et modernité en France, 1900-1945
(Montréal : Les Presses de l’Université de Montréal, 2006), 11-12.
34
Ibid., 8-9.
73
influencé Fétis, car ce dernier a entrepris des études plus poussées de l’harmonie pour
comprendre l’incompatibilité qu’il avait remarquée entre les enseignements qu’il a reçu de
musique36, le terme tonalité a été sujet à interprétation par plusieurs auteurs jusqu’à ce jour,
et François-Joseph Fétis (1784-1871)37. L’auteur Brian Hyer le définit ainsi dans le Grove
Music Online :
Une des principales catégories conceptuelles dans la pensée musicale occidentale, le terme
réfère le plus souvent à l’orientation des mélodies et harmonies à travers une classe de hauteur
de référence (ou tonique). Dans le sens le plus large possible, cependant, il réfère aux
arrangements systématiques des phénomènes des hauteurs et des relations entre elles 38.
35
Robert Wangermée et al., « Fétis », dans Grove Music Online. Oxford Music Online, <http://www
.oxfordmusiconline.com.res.banq.qc.ca/subscriber/article/grove/music/09564pg1> (consulté le 8 juin 2012).
36
Brian Hyer, « Tonality », dans Grove Music Online. Oxford Music Online, <http://www.oxfordmusiconline
.com:80/subscriber/article/grove/music/28102> (consulté le 23 novembre 2009).
37
Jean Le Rond D’Alembert, en 1752, « suggère que la tonalité se construit par la résonance des trois degrés
principaux du “mode” (c’est-à-dire de la tonalité), les premier, quatrième et cinquième degrés de la gamme du
ton ». Selon Nicolas Meeùs, ce point de vue est l’un des premiers de ceux qui situent entièrement les
fonctions tonales dans les accords, plutôt que dans leur enchaînement, et qui font de la tonalité une structure
statique. Jérôme-Joseph de Momigny, quant à lui, cherche, en 1803-1806, « à affirmer l’unité tonale en
soutenant que toutes les notes de la gamme du ton peuvent se trouver dans une seule série harmonique. »
Cette conception, qualifiée de naturalisme excessif, ne donne pas la tonique comme fondamentale de la série,
mais bien la dominante. [Nicolas Meeùs, « Polyphonie, harmonie, tonalité », dans Musiques, une
encyclopédie pour le XXIe siècle, sous la direction de Jean-Jacques Nattiez (Arles : Actes sud; Paris : Cité de
la musique, 2003), 2 : 130-131]. François-Joseph Fétis a défini la tonalité en 1844 comme « l’essence des
rapports nécessaires, successifs ou simultanés, des sons de la gamme » [Carl Dahlhaus et al., « Harmony »,
dans Grove Music Online. Oxford Music Online, <http://www.oxfordmusiconline.com:80/subscriber/article/
grove/music/50818> (consulté le 23 novembre 2009)].
38
Hyer, « Tonality ». « One of the main conceptual categories in Western musical thought, the term most
often refers to the orientation of melodies and harmonies towards a referential (or tonic) pitch class. In the
broadest possible sense, however, it refers to systematic arrangements of pitch phenomena and relations
between them. »
74
Hyer ajoute également que certains voient la tonalité comme un terme générique pouvant
désigner à la fois la musique basée sur les huit modes dits « ecclésiastiques », et les
la plus commune du terme est certainement pour « désigner l’arrangement des phénomènes
musicaux autour d’une tonique de référence dans la musique européenne des alentours de
1600 à 191039. » Roger Scruton, Jacques Viret et Françoise Gervais développent des points
de vue similaires40.
Pour les besoins de cette recherche, nous proposons une définition personnelle : la
tonalité englobe l’ensemble des relations des notes entre elles, tant au point de vue
harmonique que mélodique, de même que dans leurs liens à un degré de référence appelé
tonique. Dans un sens plus large, la tonalité s’applique à la structure d’une œuvre dans son
ensemble, dans le choix des cadences et des modulations, par exemple, pour assurer l’unité
de l’œuvre.
39
Hyer, « Tonality ». « is to designate the arrangement of musical phenomena around a referential tonic in
European music from about 1600 to about 1910. »
40
Roger Scruton définit la tonalité (avec le terme anglais « key ») comme une organisation particulière autour
de la tonique, selon laquelle les autres notes sont en relation avec elle, et tout le système est organisé en
fonction d’autres tonalités possibles. La tonalité a ainsi pour effet de garder la mélodie et l’harmonie en
relation étroite et constante [Roger Scruton, The Aesthetics of Music (New York: Oxford University Press,
1997), 248]. Jacques Viret, quant à lui, présente une définition élargie du concept de tonalité : « Mode de
perception musicale selon lequel tous les sons sont compris, à une échelle d’observation donnée, par rapport à
une finale conclusive unique, réelle ou virtuelle. » [Jacques Viret, « Les langages musicaux du XXe siècle »,
dans Maurice Emmanuel, L’histoire de la langue musicale, (Paris : Laurens, 1981), 2 : 642.] Françoise
Gervais va encore un peu plus loin : « La tonalité n’est pas constituée seulement par une note principale
placée à la base d’une gamme diatonique. Son principe essentiel réside dans le rapport de chaque
fondamentale harmonique (exprimée ou sous-entendue) avec l’accord construit sur la tonique, et, quel que
soit le trajet de ces fondamentales, dans la direction de leur marche vers la tonique, même dans le cas où ce
but ne serait pas atteint. Le discours musical s’assimile ainsi à un vaste “acte de cadence”. » [Gervais,
« Debussy et la tonalité », dans Actes du Colloque Debussy et l’évolution de la musique au XX e siècle (Paris :
Éditions du Centre National de Recherche Scientifique, 1965), 97.]
75
avoir d’ambiguïté dans la référence à la tonique. Des conventions sont établies, dérivant de
la perception que tous les accords sont différents et que combiner différentes sélections de
dissonance41. Jean-Philippe Rameau, entre autres, a contribué à bâtir les codes qui ont régi
l’harmonie à cette époque. Ses règles décrivaient surtout la distinction entre consonance et
dissonance, comment passer de l’une à l’autre, les cadences, la construction des phrases
musicales et leur agencement dans la forme des œuvres. L’une des règles les plus connues
est l’interdiction des quintes parallèles, ce qui favorise l’indépendance des voix dans le
musique classique peut être comprise comme une relation dialectique dans laquelle la
est écrite dans une tonalité majeure, par sa modulation à la dominante et sa reprise à la
tonalité d’origine (qui en représente ainsi la synthèse)43. Les modulations à cette époque
étaient régies par des codes connus de tous, dont le but était de leur donner un sens 44. Hyer
résume bien l’esprit de cette époque : « À cause de cette logique musicale quasi objective,
41
Whittall, « Harmony », dans The Oxford Companion to Music, sous la direction de Alison Latham, Oxford
Music Online, <http://www.oxfordmusiconline.com:80/subscriber/article/opr/t114/e3144> (consulté le 23
novembre 2009).
42
Ibid.
43
Hyer, « Tonality ».
44
Faure, Musique et société, du Second Empire aux années vingt, 261.
76
préoccupations des compositeurs, et cela avait des répercussions jusque dans leur
constante évolution. Les compositeurs se mettent à utiliser des accords pour leur « effet de
surprise » (là où on ne les attendait pas, d’une nouvelle façon ou avec certaines
modifications), mais utilisent des accords qui demeurent tout de même « intelligibles »
dans le système tonal, par exemple un accord de septième de dominante dont la quinte est
nouvelles façons d’utiliser les dissonances, tout en demeurant dans un contexte tonal46. En
fait, les romantiques n’innovent pas réellement sur le plan du matériel musical, mais plutôt
également des modulations plus nombreuses et dans des tonalités plus éloignées qu’à
l’époque classique. Hyer mentionne que l’intérêt dans la musique romantique est sur le
En portant attention à ces harmonies inhabituelles, la musique s’attarde sur le moment présent
et distrait l’auditeur des relations tonales plus larges. En même temps, le chromatisme
motivique déstabilise la précieuse coordination entre les dimensions mélodiques et
45
Hyer, « Tonality ». « Because of this quasi-objective musical logic, Classical music gives the appearance of
being universally intelligible to all listeners within its cultural reach. »
46
Dahlhaus et al., « Harmony ».
77
Il cite également Ernst Kurth (1886-1946) à propos de la prédilection esthétique pour les
Selon lui, cela a mené à ce qu’il appelle un « effet absolu », « où les harmonies
son « substrat diatonique » (« diatonic ground »)49. Bref, la tonalité romantique recherche
Au tournant du XXe siècle, Debussy est une figure marquante de l’évolution de la tonalité.
l’harmonie. Viret va même jusqu’à parler d’une prépondérance qui peut expliquer plusieurs
innovations dans l’ordre harmonique, comme le parallélisme qui est une façon d’envisager
47
Hyer, « Tonality ». « In drawing attention to these unusual harmonies, the music tarries over the present
moment and distracts the listener from large-scale tonal relations. At the same time, motivic chromaticism
destabilizes the careful coordination between the melodic and harmonic dimensions that characterized
Classical music, freeing music from the requirement to close on the original tonic. »
48
Ernst Kurth, Romantische Harmonik und ihre Krise in Wagners « Tristan » (Berne, 1920), cité dans Hyer,
« Tonality ». « where chromatic harmonies stand out as figures against a more normative diatonic ground ».
49
Kurth nomme trois types d’harmonies chromatiques (qui sont selon lui caractéristiques de « l’altération
style ») : altération de l’accord, où une note de l’accord est haussée ou abaissée d’un demi-ton; le déplacement
mélodique, où une note voisine dissonante remplace une note régulière de l’accord; et la progression
chromatique, où le chromatisme modifie l’intervalle de progression de la basse entre les harmonies. Kurth,
Romantische Harmonik und die Krise in Wagners « Tristan », cité dans Hyer, « Tonality ».
50
Viret, « Les langages musicaux du XXe siècle », 644.
78
de mélodies d’accords51. Debussy utilise des successions d’accords consonants (parfois des
triades en position fondamentale) et des accords dissonants (par exemple des accords de
utilise ainsi des techniques qu’on en est venu à identifier avec l’harmonie impressionniste :
notamment, l’emploi de mouvement parallèle pour créer une atmosphère particulière (qui
timbre et l’harmonie comme les peintres impressionnistes utilisent la couleur : par taches
l’utilisation des sons, des accords, des timbres. Michel Fleury cite par exemple le cas de
XIXe siècle ont accolé une vocation descriptive et suggestive, l’associant à certaines valeurs
Biget, par une surenchère dans la sollicitation des registres et des niveaux dynamiques
51
Gervais, « La notion d’arabesque chez Debussy », Revue musicale 241 (1958) : 14-15, cité dans Fleury,
L’impressionnisme et la musique, 79.
52
Fleury, L’impressionnisme et la musique, 88.
53
Viret, « Les langages musicaux du XXe siècle », 648.
54
Faure, Musique et société, du Second Empire aux années vingt, 265.
55
Fleury, L’impressionnisme et la musique, 75.
79
impressionniste est basé sur des « piliers tonaux » tels que : des centres pseudo-
modaux, modes mixtes, sonorités exotiques), des septièmes et des neuvièmes de différentes
sortes comme entités individuelles, et même des structures ambiguës (accords augmentés,
sonorités de la gamme par ton, structures dissonantes parallèles). Ces sonorités servent de
forces organisationnelles et aident à procurer la direction et l’unité tonale par leur variation
d’effets sonores indépendants plutôt que des relations tonales 57 . Debussy adopte une
approche semblable en utilisant, pour structurer ses œuvres, une conception personnelle des
permanence, elle mentionne entre autres les répétitions et les parallélismes internes, les
notes pivots, les notes pédales, les dessins pédales, les motifs constants, les harmonies
longues et les symétries mélodiques. Pour le principe de différence, selon elle, Debussy
utilise souvent les variations et les commentaires avec inventivité dans les domaines
mélodique, harmonique, spatial, dynamique, rythmique, phonétique, ainsi que les contre-
chants et les prolongations de thèmes qui sont des éléments nouveaux greffés sur des
56
Michelle Biget, « Les réminiscences romantiques dans la musique française de piano au début du XX e
siècle », Revue internationale de musique française 15 (novembre 1984) : 68.
57
Donald N. Morrison, « Influences of Impressionist Tonality on Selected Works of Delius, Griffes, Falla,
and Respighi. Based on the Concept Developed by Robert Mueller » (thèse de doctorat, Indiana University,
1960), f. 6-7.
80
la tonalité, c’est-à-dire juxtaposer un passage tonal avec un passage non tonal. D’autre part,
dans les œuvres où il affirme la tonalité, il met généralement en évidence la tonique et les
ou même dans certains cas d’une « note principale momentanée ». Parfois cette note ne
les dernières notes. Toutes ces affirmations amènent Gervais à conclure que « non
seulement le besoin de la présence d’une tonique n’est plus éprouvé, mais que l’existence
Debussy a donc contribué par diverses techniques à affaiblir la rigidité du système tonal,
son utilisation, dès les années 1880, des gammes anhémitonique, pentatonique et
octotonique, jusqu’à en faire des éléments à part entière de son langage60. En effet, selon
Yves Defrance, en utilisant des échelles non européennes, Debussy, comme d’autres
musique61. C’est notamment le cas d’Auguste Chapuis (1858-1933), qui utilise une échelle
orientale (l’échelle à double seconde augmentée 62 ) dans sa Suite pour le piano sur la
58
Gervais, « Debussy et la tonalité », 103.
59
Ibid., 98-100.
60
Kaltenecker, « L’exotisme dans la musique française depuis Debussy », 12
61
Defrance, « Exotisme et esthétique musicale en France », 202.
62
Serge Gut, « L’Échelle à double seconde augmentée : origines et utilisation dans la musique occidentale »,
Musurgia 7, 2 (2000) : 41-60.
81
gamme orientale, mais dont le style franckiste l’emporte sur l’allusion lointaine63. Chez
Debussy, c’est surtout l’influence russe qui s’est fait sentir, de laquelle il aurait développé
son goût pour les modes anciens et orientaux, pour les colorations vivantes, et un certain
dédain pour les règles académiques64. Et selon Ferdinand Brunetière (1849-1906), la mode
de mystère, de luxe et de libido en liberté dès la fin du XVIIe siècle65. Michel Faure ajoute à
ce propos que « le pentatonisme est l’une des gammes les plus primitives et que ce
paganisme66. » L’intérêt des compositeurs français pour leur folklore, de même que pour
tonalité67. Par contre, l’intégration dans le langage musical français de plusieurs formes
d’exotisme nécessitait d’abord l’évolution du système tonal pour refléter de façon optimale
ces nouvelles échelles 68 . L’ouverture sur ces diverses cultures étrangères aux traditions
savantes exercera donc une influence déterminante sur le vocabulaire, et même sur la
syntaxe tonale des compositeurs de l’époque. Le cadre de la tonalité classique ne peut plus
être pris pour acquis, bien qu’il reste toujours un arrière-plan sur lequel se dessinent les
nouvelles pratiques.
63
Pistone, « Les conditions historiques de l’exotisme musical français », 19.
64
François Lesure et Roy Howat, « Debussy, Claude », dans Grove Music Online. Oxford Music Online,
<http://www.oxfordmusiconline.com.res.banq.qc.ca/subscriber/article/grove/music/07353> (consulté le 8
novembre 2009).
65
Ferdinand Brunetière, « L’Orient et la littérature française », dans Études critiques sur l’histoire de la
littérature française, 8e série, 6e éd. (Paris : Hachette, 1922; reprise d’un article du 1er octobre 1906), 183, cité
dans Faure, Musique et société, du Second Empire aux années vingt, 245.
66
Faure, Musique et société, du Second Empire aux années vingt, 245.
67
Voir Faure, Musique et société, du Second Empire aux années vingt, 250-253; Defrance, « Exotisme et
esthétique musicale en France », 195-198, 203-207.
68
Pistone, « Les conditions historiques de l’exotisme musical français », 15.
82
Carl Dahlhaus situe la fin de la tonalité harmonique (classique et romantique) en 1910 69. Le
remettent en honneur les procédés de l’écriture rigoureuse et [les] adaptent à une harmonie
dépassant l’horizon tonal. Grâce à eux, la fugue cesse d’être une forme d’école. Grâce à
Honegger, Kœchlin, Milhaud, Ravel, Roussel, Stravinsky, l’écriture polyphonique participe à
l’émancipation des dissonances. Parallèlement, elle permet à l’esthétique néo-classique [sic] de
gagner son pari, qui est de remettre à sa place la sensibilité 71.
Selon Dahlhaus, les trois principaux aspects de l’harmonie au XXe siècle sont : sa
(reconnaissance de la dissonance pour ce qu’elle est, sans nécessité d’une consonance pour
n’étant plus assez solide pour établir une continuité musicale de longue durée, le rythme, le
69
Dahlhaus et al., « Harmony ».
70
Faure, « Le néo-classicisme musical en France entre les deux armistices de Rethondes », 34.
71
Faure, Du néoclassicisme musical dans la France du premier XXe siècle (Paris : Klincksieck, 1997), 299.
83
joue en ce sens un rôle particulier. Selon Biget, les œuvres pianistiques composées après
1880 contribuent à une remise en cause des schémas formels et des réflexes harmoniques :
devient un contrepoint de plans sonores74. Biget ajoute : « En réalité, une polyphonie active
et parfois bitonale peut naître non des accords intrinsèques, mais des situations respectives
des mélismes sur le clavier, autrement dit par antagonisme des plans mélodiques75. » De
bout à bout) que les compositeurs donnent aux pièces de piano, les variations de sonorités
systématiques, de même que la rédaction pianistique qui tend à réaliser une palette
orchestrale en miniature, sont, selon Biget, de moins en moins compatibles avec une
conception tonale de la forme (un trajet harmonique clair à court et à long terme) : « Les
modifications de la qualité sonore sont d’abord réservées aux modifications de l’état tonal,
puis affectées à des cellules trop brèves pour avoir le temps de se transformer en source
tournés vers la modalité, influencés en partie par la restauration du chant grégorien par les
Bénédictins de Solesmes dans la seconde moitié du XIXe siècle et par leur éducation77.
72
Dahlhaus et al., « Harmony ».
73
Biget, « Les réminiscences romantiques dans la musique française de piano au début du XX e siècle », 67.
74
Ibid., 72.
75
Ibid., 71.
76
Ibid., 74-75.
77
L’École Niedermeyer enseigne le plain-chant depuis 1853 [y ont étudié, entre autres, Fauré, Eugène Gigout
(1844-1925) et André Messager (1853-1929)], la Schola cantorum enseigne les modes depuis 1896 et le
Conservatoire les introduit dans son programme en 1909. Henri Gonnard, La musique modale en France de
84
D’abord envisagée dans un intérêt pour le passé ou comme une façon d’intégrer des
éléments étrangers dans la musique tonale, la modalité aux XIXe et XXe siècles est
davantage une façon de modifier les fonctions harmoniques tonales pour obtenir un effet
particulier, plutôt qu’un véritable système d’harmonie. Henri Gonnard évoque trois
Employées pour créer une atmosphère dans la musique religieuse surtout, ces phrases modales
sont d’abord de simples placages, des citations mélodiques non suivies par l’harmonie; puis
elles envahiront le langage vertical, aux cadences d’abord, avant de baigner tout le tissu
polyphonique79.
La modalité des XIXe et XXe siècles diffère de celle du XVIe siècle parce qu’elle met
l’accent sur les relations entre les accords plutôt que sur les mouvements mélodiques. Les
modes sont vus comme des variantes du majeur-mineur, au lieu de former chacun un
système particulier. Dahlhaus en fait ainsi une innovation harmonique du XIXe siècle80.
Martin Kaltenecker affirme que le renouvellement du langage tonal par les modes est un
fait typiquement français, mais annoncé par plusieurs tendances de l’harmonie romantique,
plusieurs exemples dans le répertoire pour piano, tels que « Mauresque » des Dix pièces
Berlioz à Debussy (Paris : H. Champion, 2000), 20-21; Faure, Musique et société, du Second Empire aux
années vingt, 24.
78
Gonnard, La musique modale en France de Berlioz à Debussy, 123-135, 137-150, 151-157.
79
Pistone, La musique en France de la Révolution à 1900 (Paris : H. Champion, 1979), 177.
80
Dahlhaus et al., « Harmony ».
81
Kaltenecker, « L’exotisme dans la musique française depuis Debussy », 21.
85
première série d’Images, et les préludes « La fille aux cheveux de lin » et « Canope » de
Debussy.
au XXe siècle, qui bien que marginaux à cette époque, ont pu jouer un rôle dans
polytonalité, qui consiste à faire évoluer les différentes voix dans plus d’une tonalité à la
fois (donc de superposer plusieurs tonalités). On parle aussi de bitonalité lorsqu’il n’y a que
deux tonalités en jeu82. Viret mentionne également la polymodalité, lorsqu’on combine des
fondamentales distinctes84. » Viret partage le point de vue de Kœchlin qui, dès 1923, voit
conception des douze sons égaux est une façon pour les compositeurs d’organiser de
manière rigoureuse l’atonalité, car lorsqu’elle est prise de façon systématique, elle consiste
« à abolir volontairement toute hiérarchie entre les sons musicaux et à leur assurer une
82
« Harmony », dans The Oxford Dictionary of Music, 2e éd. rév., sous la direction de Michael Kennedy.
Oxford Music Online, <http://www.oxfordmusiconline.com:80/subscriber/article/opr/t237/e4724> (consulté
le 23 novembre 2009).
83
Viret, « Les langages musicaux du XXe siècle », 644. Voir aussi Polytonalité / Polymodalité. Histoire et
actualité, textes réunis et édités par Michel Fischer et Danièle Pistone, Série Conférences et Séminaires, n° 21
(Paris : Observatoire musical français, Université de Paris-Sorbonne, 2005).
84
Viret, « Les langages musicaux du XXe siècle », 649.
85
Kœchlin, « Évolution de l’harmonie », dans Encyclopédie de la musique et dictionnaire du Conservatoire,
sous la direction d’Albert Lavignac et de Lionel de La Laurencie (Paris : Delagrave, 1925), 2.1 : 697-710;
Viret, « Les langages musicaux du XXe siècle », 649-650.
86
égalité structurelle aussi totale que possible 86. » C’est en quelque sorte l’aboutissement
ultime de l’évolution de la tonalité au XXe siècle : pouvoir en sortir, échapper à ses règles.
Par cette étude de la musique au tournant du XXe siècle, nous avons établi le
contexte dans lequel ont été composées les œuvres que nous étudierons au chapitre 5 :
l’étude des différents courants stylistiques nous a renseignés sur les intentions des
comprendre comment le langage qu’ils utilisent est devenu ce qu’il est. Il ne reste plus
maintenant qu’à définir les types d’usage des quintes parallèles et à en analyser la présence
dans le répertoire pour être en mesure de définir le rôle des quintes parallèles dans le
langage musical.
86
Viret, « Les langages musicaux du XXe siècle », 642.
Chapitre 4
Les types de quintes parallèles dans le répertoire
Après analyse de l’historique des quintes parallèles, de leur présence dans les traités et du
contexte historique entourant l’époque choisi, et avant d’analyser des cas de quintes
parallèles dans la musique française de piano entre 1880 et 1940, nous allons définir les
général.
On peut retrouver des quintes parallèles un peu partout dans le répertoire, de façon
plus ou moins perceptible selon la situation. Certaines occurrences font partie des
exceptions admises à la règle par certains théoriciens, d’autres en sont par contre une
transgression intentionnelle. On peut les diviser en plusieurs catégories, selon les modalités
tableau 4.1 en énumère les différents types, qui seront systématiquement définis au cours
Les quintes parallèles « apparentes » ou « réelles » sont des quintes « à découvert » qui ne
sont pas dissimulées par un artifice quelconque. Elles répondent sans équivoque aux
Cadentielles
pour mieux orienter la fin d’une progression harmonique, en ajoutant des notes pour
compositeurs partagent son point de vue et utilisent donc des quintes parallèles pour
(exemple 4.1).
1
Robert T. Laudon, « The Debate about Consecutive Fifths : A Context for Brahms’s Manuscript “Oktaven
und Quinten” ». Music & Letters 73, 1 (Février 1992) : 5.
2
Les exemples contenus dans ce chapitre ont été, sauf exception, composés par l’auteur à l’aide du logiciel
Print Music.
89
Les quintes parallèles sont aussi parfois le résultat de la conduite naturelle des voix. Selon
Richard S. Parks, on ne peut ici leur trouver une explication de l’ordre de la texture ou de
allemande. Les compositeurs les placent alors dans les voix intérieures, ce qui, combiné à
d’une erreur dans la conduite des voix. On présume alors qu’il s’agit d’une maladresse ou
d’une distraction du compositeur ou du copiste, car aucun élément ne semble justifier leur
présence. En pareil cas, il peut également exister des variantes entre différentes versions,
compositeur puisqu’il n’est pas toujours possible de savoir qui du compositeur, du copiste
3
Richard S. Parks, Eighteenth-Century Counterpoint and Tonal Structure (Englewood Cliffs, N. J. : Prentice
Hall, 1984), 182-183.
90
Exemple 4.3 – Quintes parallèles résultant d’une erreur dans la conduite des voix.
Les quintes parallèles « ambigües » sont celles qui ont été dissimulées par un artifice
quelconque du compositeur (elles ne sont pas à découvert). Elles sont aussi sujettes à
parallélisme fautif, alors qu’à l’audition, elles sont perceptibles. L’inverse est aussi vrai :
Les quintes par croisement des parties surviennent surtout dans le contrepoint à plusieurs
voix, lorsqu’une voix grave passe momentanément au-dessus de la voix qui lui est
sens des traités parce qu’elles ne surviennent plus dans les mêmes voix, mais l’oreille
pourrait les percevoir sur un instrument à clavier par exemple (où il n’y a pas de variantes
de timbre entre les voix). Pour éviter leur effet potentiellement désagréable, les
compositeurs les utilisent le plus souvent dans les voix intérieures et sur les temps faibles
(exemple 4.4, mes. 11), aussi dans des textures denses et très distinctes les unes des autres,
ou accompagnées de dissonances.
91
Les quintes parallèles sont souvent adoucies par l’ajout de notes ornementales comme la
se permettent donc de les utiliser ainsi dans leurs œuvres. Le caractère de « transgression
d’une règle » est moins présent dans ce type de quinte vu les nombreuses exceptions dans
les traités et la distance qui sépare les deux quintes (et qui parfois suffit à un compositeur
comme faisant également partie de cette catégorie les paires formées par une quinte en
notes structurelles et une quinte en notes ornementales. Selon Gilson, « l’effet revêche des
quintes parallèles est atténué et même tout à fait effacé par l’adjonction d’une dissonance
dans le second accord5. » Cette affirmation porte à croire que l’ajout de notes étrangères à
l’harmonie permettrait de faire des quintes parallèles mieux acceptées par l’oreille, ce qui
4
Johann Sebastian Bach, Chorale Harmonisations, BWV 1-438 (Leipzig: Breitkopf und Härtel, n.d.[1878]).
5
Paul Gilson, Quintes, octaves, secondes et polytonie; étude sur l’art musical (Bruxelles : Schott, 1922), 27.
92
On nomme quintes parallèles en cas multiples (séries) les occurrences où on retrouve plus
de deux quintes successives.
Enrichissement de la texture
Selon Laudon, lorsque les quintes parallèles sont utilisées pour enrichir la texture, la
conduite des voix est alors peu liée aux quintes parallèles, en ce sens que l’on pourrait, dans
la majorité des cas, supprimer une des deux voix formant le parallélisme et conserver tout
de même une logique dans la conduite des voix. On peut retrouver ce type de quintes autant
dans une écriture pour orchestre complet que dans une écriture pianistique très texturée6.
C’est le même procédé que l’ajout de mixtures ou de jeu de mutation à l’orgue, mais qui,
appliqué à d’autres instruments ou à l’orchestre, doit être noté. Les quintes sont alors
utilisées comme doublure, comme renforcement de la première voix. Dans le grave, elles
produisent un effet acoustique analogue à une doublure à l’octave inférieure. Elles peuvent
(exemple 4.6).
6
Laudon, « The Debate about Consecutive Fifths : A Context for Brahms’s Manuscript ‘Oktaven und
Quinten’ », 50.
93
Structurelles
font partie d’une série d’accords parallèles. Elles s’apparentent aux quintes utilisées pour
enrichir la texture, mais elles sont particulières dans le sens que c’est l’ensemble de
l’harmonie qui est parallèle, cette dernière n’obéit plus aux règles habituelles de conduite
rigoureuse selon des critères objectifs, mais que ce soit plutôt l’intention expressive qui
l’emporte. Les quintes parallèles en série sont ainsi utilisées par les compositeurs modernes
pour créer des effets particuliers, notamment pour créer de l’exotisme, donner l’impression
94
ou un effet net et froid, par exemple8. Dans la musique de piano, on utilise fréquemment les
9
basses en quintes : « elles évoquent plus ou moins la résonance des cloches »
(exemple 4.8). Les quintes parallèles sont également utiles dans la mise en valeur d’un
texte : Ebenezer Prout (1835-1909), par exemple, en a utilisé pour traduire musicalement le
texte « Stiffened hand yet grasping shield » (« La main raidie saisit encore le bouclier ») de
sa cantate Alfred (pour créer une impression de raideur)10. Les quintes parallèles peuvent
sauraient bien les utiliser. Ce sont souvent les indications d’expression, le titre ou un texte
Notes ornementales
On retrouve parfois des séries de quintes parallèles en notes ornementales pour « remplir »
l’harmonie entre deux temps forts, par exemple en notes de passage ou en broderies. Ces
7
Les mêmes considérations pourraient s’appliquer, quoique plus rarement, à des cas isolés de quintes
parallèles.
8
Gilson, Quintes, octaves, secondes et polytonie, 23.
9
Ibid., 28.
10
Francis Edward Gladstone, « Consecutive fifths », Journal of the Royal Musical Association 8 (6 mars
1882) : 112.
95
quintes ne sont pas toujours considérées comme fautives, pensons à la licence permise par
qu’elles sont généralement sur des temps faibles (donc non accentuées). Elles sont un peu
moins bien acceptées lorsqu’on considère également dans ce type de quintes des séries qui
comprendraient à la fois des notes structurelles et des notes ornementales (exemple 4.9).
Nous avons ainsi défini les principaux types de quintes parallèles qu’on peut retrouver dans
le répertoire et qui nous serviront à classifier les exemples trouvés dans les œuvres étudiées.
Nous avons tenté d’être le plus précis et le plus simple possible dans l’énoncé des
répertoire français pour piano composés entre 1880 et 1940 contribuera à illustrer plus en
détail chacun de ces types de quintes dans un contexte réel et nous fournira les données
nécessaires pour définir le rôle des quintes parallèles dans le langage pianistique.
Chapitre 5
Les quintes parallèles dans la musique française de piano
entre 1880 et 1940
Dans le chapitre 4, nous avons énoncé différents types de quintes parallèles susceptibles de
se retrouver dans la musique de piano entre 1880 et 1940. Nous allons maintenant discuter
de la place que chacun de ces types occupe dans le répertoire étudié. Cette étude nous
allons tout d’abord présenter l’échantillon d’œuvres analysées et les tendances que nous
pouvons en dégager. Ensuite, nous reprendrons chacun des types de quintes exposés dans le
tableau 4.1 (p. 87) pour en illustrer l’importance dans le répertoire étudié.
piano entre 1880 et 1940. Cependant, l’envergure de la recherche réalisée dans le cadre de
cette étude (900 œuvres d’environ 60 compositeurs1) permet de dégager des conclusions
tendances les plus significatives. Tout d’abord, l’utilisation de quintes parallèles est un
Stravinski, pour lesquels nous n’avons analysé qu’une seule œuvre, ce qui est peu
représentatif. Le tableau 5.1 donne la liste des compositeurs étudiés avec le nombre
d’œuvres analysées, de même que celles parmi lesquelles on trouve des quintes parallèles.
1
On trouvera en annexes les listes des œuvres étudiées, de même que leur date de composition et l’adresse
bibliographique des partitions consultées.
97
2
À des fins statistiques, pour ce tableau et les suivants, nous avons considéré comme une œuvre toute partie,
subdivision ou mouvement d’une œuvre ayant un caractère fermé sur lui-même (pouvant donc théoriquement
être joué séparément). Il était en effet surprenant de considérer Le Tombeau de Couperin de Ravel comme une
seule œuvre (6 mouvements) lorsqu’on considère de même Togo d’Alain (pièce d’à peine une page). Ce qui
nous amène tout de même à comparer individuellement les Douze petits chorals de Satie (quelques mesures à
peine chacun) au prélude Ce qu’a vu le vent d’ouest de Debussy (7 pages), mais les statistiques ont leurs
limites.
Les tableaux contenus dans ce chapitre présenteront uniquement les noms de famille des compositeurs. On
trouvera les noms complets, les années de naissance et de mort aux annexes 2 et 3.
Pour ce tableau et les suivants, la colonne « Proportion » représente le pourcentage d’œuvres contenant des
quintes parallèles dans le nombre d’œuvres analysées pour la catégorie en cours (dans ce cas-ci, le total
d’œuvres analysées pour un compositeur donné), toujours arrondie à l’unité près.
98
compositeurs (17 sur 59), nous n’avons analysé qu’une ou deux œuvres, ce qui ne nous
permet pas réellement de tirer des conclusions sur l’utilisation qu’ils peuvent faire des
quintes parallèles, outre le fait que nous avons peut-être eu de la chance de tomber dans
presque tous les cas sur des œuvres qui en contenaient. Par contre, pour d’autres
compositeurs, le nombre important d’œuvres que nous avons analysé nous permet de croire
qu’il pourrait s’agir d’un véritable élément de style, notamment chez Kœchlin, Debussy,
Schmitt, Poulenc et Milhaud pour qui nous avons analysé entre 46 et 57 œuvres chacun et
dont plus de soixante-dix pourcent des œuvres analysées contiennent des quintes parallèles
99
(même cent pourcent chez Kœchlin). Il faut mentionner dans ce groupe également Satie,
pour qui nous avons analysé un nombre impressionnant d’œuvres (142), et qui pendant
l’analyse nous laissait croire à une utilisation massive des quintes parallèles, mais qui,
lorsqu’on y regarde de près, ne les utilise que dans environ une œuvre sur deux. Deux
éléments peuvent expliquer ce fait : les dimensions parfois très courtes des œuvres de Satie,
qui font qu’on peut en analyser plusieurs sans quintes très rapidement, et le fait que dans
ses œuvres plus imposantes, Satie utilise souvent les quintes parallèles à profusion, ce qui
n’est pas représenté dans le présent tableau et qui nous a donné cette impression de départ.
La proportion d’œuvres contenant des quintes parallèles est aussi très élevée chez Séverac,
pour qui nous avons analysé treize œuvres qui contenaient toutes des quintes parallèles. Les
compositeurs étudiés, et les œuvres sélectionnées, sont pour la plupart répertoriés dans des
ouvrages de références sur le répertoire pianistique, soit ceux de Maurice Hinson, Guy
Sacre et François-René Tranchefort 3 (91% des œuvres et 86% des compositeurs ont au
moins une mention dans un de ces ouvrages). On peut donc dire que note étude s’appuie sur
des œuvres et des compositeurs dont la contribution au langage musical a été établie par des
spécialistes. Notre souci de couvrir un large éventail nous a aussi menés à certains
compositeurs moins connus et reconnus, tel que Chrétien, Hubeau, Huré, Laparra et
Messager, que nous avons intégré à l’étude dans l’espoir de les faire connaître ou de leur
découvrir un intérêt particulier. Nous avons également analysé certaines œuvres moins
connues de compositeurs mentionnés dans certains ouvrages, comme celles de Bonis, peu
mentionnées dans les ouvrages (quatre œuvres mentionnées dans un seul ouvrage de
3
Maurice Hinson, Guide to the Pianist’s Repertoire, 3e éd. (Bloomington : Indiana University Press 2001);
Guy Sacre, La musique de piano : dictionnaire des compositeurs et des œuvres (Paris : Robert Laffont, 1998);
François-René Tranchefort, Guide de la musique de piano et de clavecin (Paris : Fayard, 1987).
100
Les dates de compositions des œuvres étudiées reflètent assez bien l’ensemble de la
période étudiée, même si ce n’était pas une préoccupation de premier ordre dans leur
sélection. Le tableau 5.2 montre le total d’œuvres analysées selon leur décennie de
composition, auquel nous avons superposé les différents courants stylistiques en vigueur
Romantisme
Impressionnisme
Symbolisme
1890-1899 106 80 75
Sonorisme
Exotisme
sionnisme
Expres-
1910-1919 262 181 69
Néoclas-
sicisme
1930-1939 111 72 65
1940-1944 15 9 60
Inconnu 4 3 75
On constate donc à la lecture de ce tableau que le nombre d’œuvres analysées selon la date
de composition suit une courbe ascendante jusque dans la décennie 1910 et ensuite une
courbe descendante. Le cœur de la période étudiée est ainsi bien représenté. Les dates de
composition des œuvres se trouvent également assez bien réparties entre les périodes
d’influences des principaux courants que nous avons étudiés au chapitre 3 (p. 66). Il est
4
À des fins de classement, lorsqu’une œuvre ou un groupe d’œuvres a été composé sur plusieurs années, ou
encore a fait l’objet d’une révision, nous avons considéré l’année la plus récente comme l’année de
composition.
101
intéressant de noter que pour chacune des années de composition prise individuellement,
nous avons presque toujours trouvé plus d’œuvres contenant des quintes parallèles que n’en
contenant pas, sauf pour les années 1882, 1915, 1923, 1934, 1938 et 1943 où la tendance
s’inverse. Les proportions d’œuvres contenant des quintes parallèles sont également assez
semblables d’une décennie à l’autre, bien que le nombre d’œuvres analysées varie. Notre
échantillon tend donc à confirmer que l’utilisation de quintes parallèles dans la composition
comme nous pouvons le constater dans le tableau 5.3. Cette variété illustre la richesse du
répertoire pianistique de cette époque, mais comme les exemples de quintes parallèles de
notre échantillon sont répartis dans les diverses formes de façon presqu’uniforme, il est
difficile de tirer des conclusions sur la présence des quintes en lien avec la forme des
œuvres, surtout que les proportions les plus petites de présence de quintes parallèles
correspondent dans tous les cas à des formes où nous n’avons analysé que peu d’œuvres.
n’est pas que l’apanage des formes libres ou nouvelles, mais que les compositeurs les
utilisent également dans les grandes formes classiques comme la suite ou la sonate.
Les principaux types de quintes parallèles décrits au chapitre 4 (p. 87) ne se retrouvent pas
tableau 5.4 donne un aperçu des proportions dans lesquelles on retrouve chacun de ces
types.
de la texture dans l’échantillon étudié, de même que pour les quintes parallèles avec notes
ornementales, dans une moindre mesure toutefois. On constate aussi que les quintes en cas
multiples sont présentes dans une proportion plus importante que les quintes en cas isolé. Il
faut mentionner ici que les proportions ont été établies à partir d’un nombre d’exemples
exemples (une paire de quintes séparées par une note de passage ou une série de quintes à
la basse sur vingt mesures compte chacun pour un exemple). Bien qu’imprécise, comme
toute tentative de statistiques dans ce contexte (tel que nous l’abordions dans l’introduction,
p. 10), cette façon de faire nous donne tout de même une idée globale de la situation. Dans
104
les sections subséquentes du présent chapitre, nous allons présenter des exemples de chacun
des types de quintes pour illustrer la place qu’ils occupent dans le répertoire. Nous
utiliserons pour ce faire des tableaux et des exemples qui ne pourront malheureusement ne
donner qu’un aperçu des résultats de la recherche, puisqu’avec plus de 2000 exemples
répertoriés, il est impossible de les consigner tous dans ce mémoire. Nous voulons donc
prévenir le lecteur que les tableaux qui suivent ne sont en aucun cas exhaustifs et présentent
ainsi les exemples les plus représentatifs que nous ayons pu trouver. La quantité
d’exemples présents dans les tableaux se voudra représentative des proportions énoncées
plus haut, mais le nombre d’exemples présentés pourra également varier selon la
Chez la plupart des compositeurs, lorsqu’ils font usage de quintes parallèles dans une
parfois sur plus d’une mesure à la fois. On voit chez certains un mélange des types de
quintes parallèles dans une même œuvre, mais souvent le compositeur va plutôt utiliser le
même type à répétition. Dans plusieurs cas, on peut trouver une explication à la présence de
ces quintes parallèles qui n’a rien à voir avec les règles dictant la conduite des voix
représentant les proportions d’exemples de chaque type retrouvés chez chacun des
compositeurs.
Les compositeurs de musique française de piano entre 1880 et 1940 utilisent assez
régulièrement des quintes parallèles (8% des exemples) pour mettre en relief leurs
Korsakov (82)5 étudié au chapitre 2 (p. 50). Les quintes parallèles cadentielles se présentent
généralement de manière isolée (en paires), quoiqu’un exemple puisse à l’occasion contenir
plus de deux occurrences ou être précédé d’une série ayant une autre fonction. Ce type de
quintes a une fonction intimement liée aux questions de structure et de texture. Séverac, par
exemple, en utilise dans Baigneuses au soleil, alors qu’au moment de la cadence, il double
la basse à la quinte (mes. 61) et fait précéder cette cadence d’une série de quintes parallèles
Plusieurs compositeurs utilisent les quintes parallèles sur les cadences, comme en
témoignent les exemples contenus dans le tableau 5.5. Les mesures entre parenthèses
5
Les références aux traités étudiés au chapitre 2 seront présentées de la même façon que dans le chapitre
correspondant (p. 20). Le lecteur en trouvera les notices complètes à l’annexe 1.
6
Les exemples présentés dans ce chapitre ont été numérisés et adaptés (mise en page, annotations) à partir des
partitions étudiées. Le lecteur en trouvera les références à l’annexe 2.
106
Tableau 5.5 – Œuvres contenant des quintes parallèles simples sur les cadences7
Compositeur Œuvre Mesure(s)
Aubert Sillages, op. 27, n° 1 2, 28
Casadesus Prélude, op. 5, n° 5 16
Chabrier Dix pièces pittoresques, n° 1 143
Chabrier Dix pièces pittoresques, n° 7 81-82 (92-93)
Chabrier Dix pièces pittoresques, n° 9 33 (34, 139, 140), 37 (38)
Chaminade Callirhoë, op. 37, n° 3 71-72
Chrétien Sonatine, n° 2 : 1er mouvement 41-42
Chrétien Valse berceuse 73-74, 141-142
Debussy Ballade slave 44
Debussy Children’s Corner, n° 4 49
Debussy Images, livre 1, n° 2 64
Debussy Préludes, livre 1, n° 4 29-30
Debussy Préludes, livre 1, n° 12 88-89
Debussy Préludes, livre 2, n° 6 33
Debussy Suite bergamasque, n° 2 4-5
D’Indy Petite sonate dans la forme classique, op. 9, n° 1 8 (132)
D’Indy Petite sonate dans la forme classique, op. 9, n° 2 23
D’Indy Schumanniana, op. 30, n° 1 29-30
D’Indy Tableaux de voyage, op. 33, n° 4 14
D’Indy Tableaux de voyage, op. 33, n° 7 109-110
Enesco Sonata, op. 24, n° 3 : 1er mouvement 202
Kœchlin Les heures persanes, op. 65, n° 8 1
Kœchlin Les heures persanes, op. 65, n° 11 15
Kœchlin Les heures persanes, op. 65, n° 14 24
Kœchlin Paysages et marines, op. 63, n° 4 2
Kœchlin Paysages et marines, op. 63, n° 10 37-38
Ladmirault Hommage à Fauré 16
Lekeu Sonate, n° 4 1-2
Milhaud L’album de Madame Bovary, op. 128b, n° 5 10
Milhaud L’album de Madame Bovary, op. 128b, n° 7 20-21
Milhaud Mazurka 35-36
Milhaud Printemps, livre 1, op. 25, n° 1 28-29, 54 (55)
Milhaud Suite, op. 8, n° 3 30-31, 35-36
Pierné Album pour mes petits amis, op. 14, n° 3 14 (42)
Poulenc Suite française d’après Claude Gervaise, FP 80, 40-41
n° 2
Poulenc Les soirées de Nazelles, FP 84, n° 7 12-13
Ravel Gaspard de la nuit, n° 2 32-33
Ravel Le tombeau de Couperin, n° 3 36-37, 53
Ravel Le tombeau de Couperin, n° 4 2 (94), 15-16 (107-108), 20
(112), 22-23 (114-115)
Ravel Le tombeau de Couperin, n° 5 61
7
Par souci de concision, les tableaux suivants dans ce chapitre ne contiendront que les titres abrégés des
œuvres mentionnées (on omettra les sous-titres et les titres de sections lorsqu’ils ne sont pas absolument
nécessaires). Le lecteur en trouvera les références complètes à l’annexe 2.
107
Dans certains cas, les compositeurs utilisent deux paires de quintes pour enrichir la
texture aux cadences, comme Alain dans Mythologies japonaises AWV 28 : « Variation
C’est un procédé utilisé aussi par d’autres compositeurs comme l’illustre le tableau 5.6.
108
Tableau 5.6 – Œuvres contenant plus d’une paire de quintes parallèles sur les cadences
Compositeur Œuvre Mesure(s)
Aubert Sillages, op. 27, n° 1 28-29
Decaux Clair de lune, n° 3 5-7, 13-14, 32-33
Kœchlin Les heures persanes, op. 65, ° 7 3
Satie Trois nocturnes, n° 1 16
Schmitt La retardée, op. 90, n° 3 41-42
peu souvent dans le répertoire de piano entre 1880 et 1940 (3% dans notre échantillon).
Bien que les traités pour la plupart admettent cet usage (Savard : 227, Rimski-
Korsakov : 82, Dubois : 126, Richter : 86, Rahn : 160, Gilson, vol. 1 : 333, Gilson, vol. 2 :
84-87, 94-95, Vivier : 131, Vinée : 150, 185), les compositeurs ne semblent pas profiter
outre mesure de cette tolérance. On remarque bien quelques cas où l’apparition d’un accord
dissonant appelle une résolution qui entraînerait des quintes parallèles, mais cette résolution
de ses Sept pièces brèves (mes. 3-4, exemple 5.3). Il y utilise plusieurs accords de neuvième
qu’il enchaîne en mouvement chromatique. Les quintes parallèles se retrouvent dans les
voix les plus graves de ces accords, ce qui, comme nous l’avons vu au chapitre 2 (p. 92),
Exemple 5.3 – Honegger (1919-1920), Sept pièces brèves, n° 3 : « Très lent », mes. 3-4
D’autres œuvres présentent toutefois des enchaînements dont la disposition des voix se
rapproche davantage des résolutions régulières comportant des quintes parallèles. C’est le
cas de la Berceuse héroïque de Debussy qui nous donne un exemple d’enchaînement entre
Les quintes parallèles sont dissimulées dans les voix intérieures, ce qui est recommandé par
les traités étudiés au chapitre 2, p. 46 (Reber : 68, Lenormand : 20, Gilson, vol. 1 : 100-
1018).
Satie quant à lui résout un renversement d’accord de neuvième majeure sur un accord de
septième mineure dans « Le bain de mer » de Sports et divertissements (exemple 5.5). Les
8
Voir aussi Gilson, Quintes, octaves, secondes et polytonie; étude documentaire sur l’art musical (Bruxelles :
Schott, 1922), 17-18.
110
quintes parallèles sont ici disposées dans les voix supérieures, ce qui est peu
recommandable selon les règles de certains traités (Dubois : 126, Vinée : 92-93, 185).
Exemple 5.5 – Satie (1914), Sports et divertissements : « Le bain de mer », dernière ligne
dissonants dans le répertoire étudié s’explique probablement par le fait que les
à tout prix (comme nous l’avons vu au chapitre 3, p. 78). On voit donc apparaître des suites
d’accords dissonants dans lesquelles sont camouflées des quintes parallèles. Riemann (30)
et Gilson mentionnent que l’ajout d’une dissonance peut atténuer l’effet des quintes
parallèles en distrayant l’oreille par une autre sonorité9 (chapitre 2, p. 47). Les compositeurs
poussent le procédé plus loin en amenant non pas une seule, mais souvent plusieurs
dissonances. Ce sont le plus souvent des suites de septièmes ou de neuvièmes, que Vinée
(185) considère comme les enchaînements les plus tolérables lorsqu’elles se déplacent par
troisième Sarabande, où il fait entendre une succession de deux accords de neuvième par
quinte descendante, où toutes les voix sont parallèles, avec les quintes à la basse (mes. 52-
9
Gilson, Quintes, octaves, secondes et polytonie, 27.
111
Exemple 5.6 – Satie (1887, rév. 1911), Trois sarabandes, n° 3, mes. 50-53
Les compositeurs les utilisent aussi en successions espacées à d’autres intervalles. Milhaud
nous en donne un exemple dans « Tijuca » (mes. 34-35) du deuxième livre Saudades do
secondes ascendantes (exemple 5.7). Les quintes sont cette fois-ci dans l’aigu, plus
9) de Paysages et marines (exemple 5.8). Les tableaux 5.7, 5.8 et 5.9 présentent d’autres
sonorité des quintes parallèles, notamment des notes ajoutées. Debussy nous donne un
exemple où la note ajoutée, en plus de créer la dissonance, crée les quintes parallèles dans
Durey, de son côté, atténue la sonorité de quinte à vide en y introduisant lui aussi une note
dissonante dans la dixième de ses Dix inventions (mes. 36 et 38, exemple 5.10).
dans l’enchaînement de deux quintes. En effet, celui-ci, dans le quatrième mouvement des
(mes. 41). Le faX qui forme, visuellement, un intervalle de seconde augmentée avec la note
qui lui est inférieure, forme à l’audition un intervalle de tierce tout ce qu’il y a de plus
consonant, surtout sur un instrument à tempérament égal comme le piano (exemple 5.11).
Exemple 5.11 – Ibert (1924), Les rencontres, n° 4 : « Les bergères », mes. 41-42
Quintes parallèles causées par une erreur dans la conduite des voix
Les quintes parallèles résultant d’une erreur dans la conduite des voix sont les plus
difficiles à justifier, et par conséquent, les moins présentes dans notes étude (0,1%). Il n’est
pas aisé de juger des intentions réelles d’un compositeur, si on ne peut pas lui demander
cas, mais nous pouvons tout de même en mentionner un qui nous a paru douteux. Il s’agit
du Cinquième impromptu de Poulenc dont nous avons pu consulter deux éditions (La revue
musicale, 1921, et Chester Music, 1922, rév. 1939) qui présentent en deux endroits des
variantes au chapitre des quintes parallèles. Tout d’abord aux mesures 27-28, l’édition
Chester indique clairement trois quintes parallèles dans les voix intérieures (exemple 5.12)
115
alors que La revue musicale intercale une sixte entre les deux quintes, ce qui élimine le
d’« édition révisée », on peut donc déduire que le changement vient de là, mais comme il
n’est fait mention d’aucun correcteur ou réviseur, on ne sait pas si cette décision est le fait
La revue musicale note deux quintes parallèles dans les voix intérieures (exemple 5.14) et
l’édition Chester n’en contient pas (elle ne contient même pas le même contenu mélodico-
harmonique, exemple 5.15). Il faut mentionner que l’édition Chester contient au total deux
Les quintes parallèles par croisement se retrouvent à l’occasion dans la musique de piano
entre 1880 et 1940. Selon les auteurs Reicha (123), Reber (116) et Kœchlin (Précis des
règles du contrepoint : 2), étudiés au chapitre 2 (p. 52), le croisement est une technique
d’écriture permettant de rendre les quintes parallèles tolérables, car, d’un point de vue
visuel, les quintes ne sont pas dans les mêmes voix. Par contre, Reber (26) et
Émile Durand (343) émettent des réserves quant à l’efficacité de ce moyen (chapitre 2,
p. 33), surtout qu’à l’audition, sur un instrument comme le piano, la sonorité de quintes
parallèles est indéniable. Les avis sont donc partagés, et c’est peut-être ce qui explique
117
qu’on ne retrouve pas beaucoup de quintes parallèles par croisement dans la musique de
est cependant atténué par la présence de quintes parallèles « normales » (exemple 5.16).
(mes. 24-28) du deuxième livre Saudades do Brasil. Il place des quintes successives sur les
premiers temps de cinq mesures, mais comme il croise la voix de basse par-dessus la voix
de ténor tenue en blanche, il fait également entendre des quintes sur le deuxième temps de
chaque mesure (exemple 5.17). En réalité, il s’agit ici simplement de l’arpègement d’un
accord de neuvième qui fait entendre une superposition de deux quintes. Le croisement est
purement visuel, d’autant plus que la blanche au début de chacune des mesures ne peut être
véritablement tenue, puisqu’elle doit être réarticulée pour faire entendre la note de la voix
inférieure.
118
Ibert nous présente aussi un exemple d’utilisation d’une forme de croisement, mais où les
quintes parallèles ne sont en aucun façon camouflées ou ambiguës (les deux quintes ont une
voix qui croise), dans les mesures 85 et 87 de la Pièce romantique (exemple 5.18).
D’autres compositeurs utilisent aussi le croisement pour camoufler des quintes parallèles,
Un moyen utilisé par les compositeurs pour contourner la règle interdisant les quintes
parallèles est de séparer les quintes par des notes ornementales ou de faire des paires de
quintes combinant notes ornementales et notes structurelles. Elles sont le plus souvent
présentées en paires, mais il n’est tout de même pas rare de les retrouver en série, parfois en
changeant de type de note ornementale entre les différentes paires. Et dépendant des
auteurs, ces quintes seront ou non acceptables dans le style rigoureux, selon la situation.
Dans notre échantillon, les quintes avec des notes ornementales sont les deuxièmes plus
auteurs de traités étudiés au chapitre 2 (p. 34) s’entendent pour dire qu’il faut au moins
l’équivalent d’une mesure entière pour « sauver » des quintes parallèles, donc des notes
intermédiaires en nombre suffisant et/ou d’une durée assez longue pour « faire oublier » la
première quinte (Lavignac : 44, Bazin : 29, Émile Durand : 77, Kœchlin, Précis des règles
du contrepoint : 3, Dupré : 11, 13). Ceci sous-entend également (et est même clairement
énoncé par certains comme Émile Durand [77] et Kœchlin [Précis des règles du
contrepoint : 3]) qu’on ne peut pas faire entendre des quintes au même moment durant deux
ou plusieurs mesures successives, en particulier sur des temps forts, ce que, bien sûr, les
compositeurs de musique de piano entre 1880 et 1940 n’ont pas toujours respecté. En effet,
plusieurs compositeurs utilisent des quintes sur les premiers temps durant deux ou durant
basse et le soprano forment un intervalle de quinte sur le premier temps durant quatre
mesures successives (mes. 29-32). Les quintes sont ici séparées par de simples
120
changements de position, en plus des notes ornementales, ce qui, selon Reber (26), Émile
Durand (77), Dubois (26) et Caussade (46), n’est pas suffisant pour en atténuer l’effet. Et
elles sont d’autant moins justifiables selon Reber (68), Dubois (27) et Gilson, car elles
Les compositeurs utilisent aussi à l’occasion des quintes sur les temps fort et semi-fort
d’une même mesure. Franck, par exemple, les place sur le premier et le troisième temps de
la mesure 213 du Prélude, choral et fugue, op. 21 (exemple 5.20). De plus, il utilise ici des
notes étrangères dissonantes pour créer ses quintes, ce qui contribue à les rendre plus
Exemple 5.20 – Franck (1884), Prélude, choral et fugue, op. 21, mes. 212-213
Le tableau 5.11 nous offre d’autres exemples où les compositeurs placent des
10
Gilson, Quintes, octaves, secondes et polytonie, 18.
121
Tableau 5.11 – Œuvres présentant des quintes sur temps forts successifs,
séparées par des notes intermédiaires
Compositeur Œuvre Mesure(s)
Aubert Lutins, op. 11 137
Auric Gaspar et Zoé : « Zoé pleure tout bas » 5-8
Auric Neuf pièces brèves, n° 1 66-67
Chaminade Écossaise, op. 151 139-140
Debussy Suite bergamasque, n° 2 4-5
D’Indy Tableaux de voyage, op. 33, n° 12 77-78
D’Indy Petite sonate dans la forme classique, op. 9, n° 1 153-154
Enesco Sonata, op. 24, n° 3 : 1er mouvement 201-202
Franck Prélude, choral et fugue, op. 21 213, 266-269
Grovlez Valse-caprice 89-91
Hahn Premières valses, n° 2 54-55
Honegger Sept pièces brèves, n° 7 73-74
Milhaud Printemps, livre 1, op. 25, n° 1 23-25
Milhaud Suite, op. 8, n° 2 16
Milhaud Suite, op. 8, n° 3 22
Satie Carnet d’esquisses et de croquis, n° 12 8
Sauguet Nuit coloniale sur les bords de la Seine 30-31, 46-47 (72-73)
Schmitt Pièces romantiques, op. 42, n° 5 15-16 (40-41)
Tansman Berceuse 16-22
Vierne Solitude, op. 44, n° 2 132
Des auteurs de traités étudiés au chapitre 2 (p. 36), entre autres Barbereau (72), Bazin (30),
Savard (61), Émile Durand (77) et Lavignac (43), affirment toutefois qu’il serait possible
de faire deux quintes plus rapprochées, si elles sont séparées par une harmonie distincte, un
accord étranger. Les exemples précédents ne répondaient pas à cette condition, mais
certains compositeurs présentent, quant à eux, des exemples qui y répondent et qui seraient
donc tout à fait acceptables selon ces traités, comme Hahn dans son troisième Portrait de
peintres « Anton van Dyck » (mes. 16-17, exemple 5.21). On en retrouve d’autres
Les notes de passage dans la musique de piano forment souvent avec des notes structurelles
des enchaînements de quintes parallèles, ce qui selon Reicha (135) et Reber (201) était très
admissible, mais était rejeté par Catel (19), Richter (120) et Savard (246), comme nous
l’avons vu au chapitre 2 (p. 36 et 29). Franck nous en donne un exemple dans l’aria du
Prélude, aria et finale, mesure 39, où une note de passage chromatique forme un intervalle
de quinte suivi d’un second intervalle de quinte sur la note structurelle subséquente à la
Exemple 5.22 – Franck (1887), Prélude, aria et finale, op. 23 : « Aria », mes. 39-42
Poulenc nous en fournit aussi plusieurs exemples dans sa Suite française d’après Claude
Gervaise, FP 80, entre autres dans le troisième mouvement, où c’est une quinte formée de
deux notes de passage qui suit une quinte formée de notes structurelles (mes. 53,
exemple 5.23). On trouve dans le tableau 5.13 d’autres exemples où les notes de passage
Sur la question des notes de passage entre les quintes parallèles, bien que Rimski-
Korsakov (56) et Émile Durand (54) affirment que les notes de passage ne permettent pas
d’atténuer les quintes parallèles (chapitre 2, p. 29), les compositeurs se sont tout de même
permis d’en utiliser dans leurs œuvres. Chaminade en donne un exemple dans le Caprice-
Tableau 5.13 – Œuvres contenant des quintes parallèles créées par des notes de passage
Compositeur Œuvre Mesure(s)
Alain Mythologies japonaises, AWV 28 : « variation n° 1 » 3
D’Indy Petite sonate dans la forme classique, op. 9, n° 2 12
D’Indy Sonate en mi majeur, op. 63, n° 1 57
Dupont La maison dans les dunes, n° 6 19-23, 208-212
Françaix Cinq portraits de jeunes filles, n° 1 46, 67
Françaix Scherzo 48
Honegger Sept pièces brèves, n° 5 11
Kœchlin Paysages et marines, op. 63, n° 3 2, 3
Magnard Promenades, op. 7, n° 2 50-51
Poulenc Suite française d’après Claude Gervaise, FP 80, n° 3 53
Poulenc Suite française d’après Claude Gervaise, FP 80, n° 7 33-34, 109 (112)
Ravel Jeux d’eau 29-30, 73-74
Roger-Ducasse Arabesque, n° 1 42-43
Roger-Ducasse Arabesque, n° 2 18-19, 36
Roger-Ducasse Chant de l’aube 1
Schmitt Musiques intimes, livre 2, op. 29, n° 1 21
L’utilisation des notes de passage entre les quintes parallèles est une situation assez
courante, comme le montre les nombreux exemples du tableau 5.14. C’est d’ailleurs un des
sous-types que nous avons répertorié le plus souvent dans les quintes avec notes
Tableau 5.14 – Œuvres contenant des quintes parallèles séparées par des notes de passage
Compositeur Œuvre Mesure(s)
Alain Mythologies japonaises, AWV 28 : « choral » 2
Alain Togo, AWV 3 2 premières rondes
Aubert Sillages, op. 27, n° 1 46
Auric Neuf pièces brèves, n° 2 5
Bonis Prélude en la bémol majeur, op. 51 29
Bonis Viviane, op. 8 137
Casadesus Prélude, op. 5, n° 5 5 (6)
125
Il en va de même pour les broderies qui, selon les mêmes auteurs (Rimski-
Korsakov : 60, Reber : 190, Émile Durand : 507), ne permettent pas de corriger l’effet des
quintes parallèles (chapitre 2, p. 29). Encore une fois, cela n’a pas empêché les
croquis, n° 3 : « Notes », où à la mesure 2, il sépare deux quintes à la main gauche par une
broderie dissonante (exemple 5.25). Satie les accompagne de quintes à la main droite, elles
aussi séparées par des notes intermédiaires (arpègement des notes de l’accord).
On peut avoir une idée de l’ampleur de cette pratique dans le répertoire étudié en consultant
le tableau 5.15.
Tel que discuté au chapitre 2 (p. 29), les quintes parallèles créées par des broderies
suscitent des réactions mitigées chez théoriciens Dubois (222), Caussade (229), Reber (90,
188, 189), Émile Durand (197, 507) et Rimski-Korsakov (60). Les compositeurs, quant à
eux, se fient peu aux recommandations de ces auteurs et utilisent des broderies comme bon
leur semble pour créer des quintes parallèles. Poulenc nous en donne un exemple dans la
Suite française, FP 80, no 3, où il utilise une broderie à l’alto qui forme une quinte avec le
Bien que nous n’ayons pas relevé une grande quantité de quintes parallèles créées par des
broderies dans la musique de piano étudiée, nous avons tout de même pu en relever
dans la formation de quintes parallèles fait également l’objet de divergences dans les traités
examinés au chapitre 2 (p. 39 et 30) : il est accepté (parfois sous certaines conditions) par
Gilson (vol. 1 : 188, 293) et Caussade (217), mais selon Reber (183) et Émile
Durand (489), les appoggiatures n’enlèvent pas le caractère fautif des quintes. Les
présenter sous forme de petite note comme dans la cinquième des Dix pièces pittoresques,
« Mauresque », de Chabrier (mes. 23, 24, exemple 5.27) ou en note de taille normale
comme dans la deuxième Arabesque de Roger-Ducasse (mes. 34-35, exemple 5.28). Dans
le premier cas, l’appoggiature intervient entre les quintes pour les « séparer », et Chabrier
ajoute même des silences, qui comme nous l’avons vu, ne permettent pas non plus de
sauver les quintes (Reicha : 141, Reber : 31). Dans le deuxième exemple, on remarque que
11
Pour la définition de ce type de note ornementale, on se rapportera au chapitre 2, p. 27.
128
l’appoggiature crée une quinte avec la note inférieure de l’accord, mais que la note
structurelle en crée également une avec la note supérieure. Roger-Ducasse utilise également
ici le croisement.
Tableau 5.15 – Œuvres contenant des quintes successives séparées par des broderies
Compositeur Œuvre Mesure(s)
Alain Étude sur un thème de quatre notes, AWV 6 7
Alain Étude sur les doubles notes, AWV 15 26-32
Auric Neuf pièces brèves, n° 6 11
Auric Trois impromptus, n° 2 106-107
Auric Gaspar et Zoé : « mes enfants » 5-6
Debussy Ballade slave 39 (41, 42), 43, 44, 94-98
Debussy Suite bergamasque, n° 2 26 (28)
Debussy Préludes, livre 2, n° 5 37-38
Debussy Préludes, livre 2, n° 9 31-34
D’Indy Schumanniana, op. 30, n° 1 27-28
D’Indy Sonate en mi majeur, op. 63, n° 2 34
D’Indy Tableaux de voyage, op. 33, n° 5 4 (28), 5 (29)
Dupont La maison dans les dunes, n° 6 59-60, 63-64, 132-134
Fauré Huit pièces brèves, op. 84, n° 3 27
Fauré Barcarolle, op. 104/2, n° 10 19 (20)
Franck Prélude, choral et fugue, op. 21 33, 34
Hubeau Variations pour piano 267
Ibert Histoires, n° 2 7-8 (58-59)
Ibert Pièce romantique 85 (87)
Kœchlin Les heures persanes, op. 65, n° 14 12
Kœchlin Paysages et marines, op. 63, n° 8 5
Laparra Rythmes espagnols, n° 3 : D. 35 (45)
Lekeu Sonate, n° 1 15
Magnard Promenades, op. 7, n° 3 11-12
Milhaud L’album de Madame Bovary, op. 128b, n° 12 15, 16
Milhaud L’album de Madame Bovary, op. 128b, n° 13 10
Milhaud L’album de Madame Bovary, op. 128b, n° 8 33-35
Poulenc Pièce brève sur le nom d’Albert Roussel, FP 50 10
Ravel Le tombeau de Couperin, n° 2 6
Roger-Ducasse Barcarolle, n° 3 81-82
Roger-Ducasse Variations sur un choral (8e variation) 153-154
Roussel Trois pièces, op. 49, n° 3 3
Saint-Saëns Allegro appassionato, op. 70 100, 116-117
Saint-Saëns Les cloches du soir, op. 85 51
Satie Sports et divertissements, n° 1 1re ligne
Satie Passacaille 96-97
Schmitt Musiques intimes, livre 2, op. 29, n° 1 25-26, 27-28
Schmitt Pupazzi, op. 36, n° 7 14
Schmitt Soirs, op. 5, n° 4 11 (32)
129
Tableau 5.16 – Œuvres contenant des quintes parallèles créées par une ou des broderie(s)
Compositeur Œuvre Mesure(s)
D’Indy Petite sonate dans la forme classique, op. 9, n° 2 11
Fauré Nocturne, op. 119, n° 13 148
Hahn Premières valses, n° 5 44
Milhaud Suite, op. 8, n° 4 29
Poulenc Suite française d’après Claude Gervaise, FP 80, n° 6 7
Ravel Jeux d’eau 29-30, 73-74
Roger-Ducasse Barcarolle, n° 2 99, 100, 106
Roger-Ducasse Chant de l’aube 69-70
Saint-Saëns Album, op. 72, n° 6 225-228
D’autres exemples d’appoggiatures sont présentés dans les tableaux 5.17 et 5.18. La taille
des tableaux fera remarquer au lecteur que ce n’est pas un type de quintes très présent dans
l’échantillon étudié.
130
Tableau 5.17 – Œuvres contenant des quintes parallèles créées par des appoggiatures
Compositeur Œuvre Mesure(s)
Auric Trois pastorales, n° 1 1
Kœchlin Les heures persanes, op. 65, n° 13 3
Milhaud Suite, op. 8, n° 5 49 (50, 55, 56, 61), 62
Ravel Miroirs, n° 4 58
Saint-Saëns Allegro appassionato, op. 70 96
Tableau 5.18 – Œuvres contenant des quintes parallèles séparées par des appoggiatures
Compositeur Œuvre Mesure(s)
Chabrier Dix pièces pittoresques, n° 5 19-20, 46, 47
Debussy Préludes, livre 2, n° 3 52
Debussy Images, livre 2, n° 3 81
Ibert Les rencontres, n° 3 27-28 (31-32)
Ravel Miroirs, n° 2 14 (15)
Ravel Miroirs, n° 3 11-12, 21-22
La question des retards en lien avec les quintes parallèles est longuement discutée
dans les traités d’harmonie que nous avons présentés au chapitre 2 (p. 31, 42, 42).
Reicha (136), Reber (117, 132), Savard (62, 190), Émile Durand (78, 342, 353),
Lavignac (44, 76) et Richter (98) énoncent à la fois des restrictions et des permissions
quant à leur utilisation. Caussade (176) et Dupré (15) les écartent d’emblée, Barbereau (73),
Dubois (138), Riemann (205-206) et Gilson (vol. 1 : 280, 287-288, 351), considèrent les
quintes retardées comme acceptables. Chez les compositeurs, il ne semble pas que le retard
soit une pratique très courante en lien avec les quintes parallèles. On en retrouve tout de
même quelques exemples dans le répertoire, mais les préparations et/ou les résolutions sont
Esquisse (mes. 10), où la préparation et la résolution du retard (à l’alto) forment des quintes
parallèles avec le soprano (exemple 5.29). Le retard est ici combiné à une autre dissonance
(septième) au soprano, traité en mouvement parallèle avec la basse, cet ajout contribue à
camoufler davantage la sonorité des quintes comme Riemann (30) suggère de le faire.
131
Dans le même ordre d’idée, Ibert utilise dans sa Pièce romantique (mes. 96) un retard au
soprano qui crée une quinte parallèle avec la quinte du temps précédent (les quintes sont
donc « séparées » par la préparation du retard), la première quinte étant, de plus, créée par
une appoggiature dissonante, ce qui peut contribuer à en atténuer l’effet comme dans
Le tableau 5.19 présente les autres exemples de quintes successives avec retard que nous
avons répertoriés.
132
La syncope consonante en lien avec les quintes parallèles n’est pas tellement
présente dans les œuvres pour piano entre 1880 et 1940, mais elle est généralement mieux
acceptée dans les traités que les retards (Caussade : 46, Émile Durand : 79). Satie en donne
un exemple dans la troisième de ses Nouvelles pièces froides, dans les voix de basse, dans
un mouvement de quinte vers sixte vers quinte (mes. 12, exemple 5.31).
Exemple 5.31 – Satie (1907), Nouvelles pièces froides, n° 3 : « Sur un pont », mes. 11-14
Quelques autres œuvres du répertoire étudié contiennent des quintes parallèles avec
L’anticipation est à peine plus répandue dans la musique de piano qu’elle n’est
mentionnée dans les traités d’harmonie en lien avec les quintes parallèles; en fait, seul
Savard (62) mentionne directement qu’il considère l’anticipation un peu comme une
syncope et Barbereau (73) mentionne que les quintes anticipées sont tolérées dans
l’harmonie non concertante. Debussy nous donne un exemple de quintes parallèles dont la
(exemple 5.32). On trouve d’autres exemples d’œuvres contenant des quintes parallèles
Selon le tableau 5.4 (p. 103), le principal type de quintes parallèles utilisé par les
compositeurs français de musique de piano entre 1880 et 1940 est sans contredit celui
servant à enrichir la texture (55% des cas). C’est le plus souvent la basse qui est doublée à
la quinte sur plusieurs mesures, sur une phrase complète, ou même sur plusieurs phrases
Aubert nous donne un bon exemple de l’utilisation des quintes pour enrichir la texture dans
ses Lutins, op. 11, où il double la basse en quinte sur 20 mesures (mes. 59-79). Ces quintes
dans le grave produisent, comme nous l’avons vu au chapitre 4 (p. 92), un phénomène
que, lorsqu’il se présente une longue succession de quintes aux parties graves, comme c’est
le cas ici, « elles cessent de jouer un rôle dans le tissu harmonique. » Comme dans ce cas
précis elles s’accompagnent aussi à l’occasion de quintes dans le registre moyen, leur effet
sur la texture s’en trouve renforcé. On remarque aussi que les voix graves sont parfois
(exemple 5.33).
135
Il est intéressant de noter que les degrés sur lesquels reposent les quintes sont pour la
plupart séparées par de grands intervalles mélodiques (quarte ou quinte), ce qui les rend
acceptables selon les traités de Barbereau (73), de Riemann (30-31) et de Reber (69), de
même que dans l’étude de Gilson étudiés au chapitre 2 (p. 49) 12. On remarque donc que cet
exemple peut trouver une certaine forme de justification dans les exceptions énoncées par
quelques traités.
On peut avoir une idée de l’ampleur de l’utilisation des quintes parallèles à la basse
12
Gilson, Quintes, octaves, secondes et polytonie, 18.
136
de doublures parallèles à l’octave supérieure ou inférieure d’une des deux voix formant la
cas de l’octave et de la dixième, l’harmonie n’est pas altérée, la texture acquiert simplement
plus de puissance comme dans l’exemple 5.34, où Decaux double la voix de basse de la
une série de quintes et de neuvièmes superposées à la basse, donc deux séries de quintes
Les tableaux 5.23, 5.24, 5.25 et 5.26 présentent d’autres exemples où on retrouve des
Tableau 5.23 – Œuvres contenant des quintes à la basse accompagnées d’une octave
Compositeur Œuvre Mesure(s)
Bonis Barcarolle-Étude, op. 43 75-78
Bonis La cathédrale blessée 15, 26
Chabrier Dix pièces pittoresques, n° 3 24-27
Chabrier Dix pièces pittoresques, n° 9 59-61 (163-165)
Debussy Estampes, n° 1 89-90
Debussy Images, livre 1, n° 1 17
Debussy Images, livre 1, n° 2 66-68
Debussy Images, livre 1, n° 3 53-54 (57-58)
Debussy Masques 147-164
Debussy Pour le piano, n° 2 60-62
Debussy Préludes, livre 1, n° 1 5 (10)
Debussy Préludes, livre 1, n° 10 1-5
Debussy Préludes, livre 2, n° 12 61-64
D’Indy Petite sonate dans le style classique, op. 9, n° 4 220, 236-237
Ibert Les rencontres, n° 3 1-12
Kœchlin Paysages et marines, op. 63, n° 3 5
Kœchlin Paysages et marines, op. 63, n° 10 3-9
Lekeu Sonate, n° 2 146-147
Lekeu Sonate, n° 4 21-22
Lekeu Trois pièces pour piano : n° 1 13-14
Milhaud Suite, op. 8, n° 3 4-5, 53-57
Milhaud L’album de Madame Bovary, op. 128b, n° 10 36-40
Ravel Miroirs, n° 3 36-37
Roussel Rustiques, op. 5, n° 3 199-202
Roussel Sonatine, op. 16, n° 1 118 (163, 258), 120-121 (165-
166, 260-261), 123-126 (168-
171, 263-266), 128-129 (173-
174, 268-269) 131-133 (176-178,
271-273)
Roussel Sonatine, op. 16, n° 2 94-95, 96-98, 103-104 (105-106)
Roussel Trois pièces, op. 49, n° 3 57, 58-61
Satie Première pensée Rose-Croix 4e-6e ligne, 7e ligne
Satie Danses gothiques, n° 2 2e ligne
Satie Trois nocturnes, n° 3 9-10
Schmitt Pupazzi, op. 36, n° 8 64-67
Schmitt La retardée, op. 90, n° 3 80-82
Schmitt Soirs, op. 5, n° 2 44-45, 63-66
Schmitt Soirs, op. 5, n° 7 64-65
Schmitt Soirs, op. 5, n° 9 85-90
141
avec une tierce pour former une série d’accords parallèles. Auric utilise notamment cette
technique : on la retrouve dans les voix de basse des mesures 17 à 19 du n o 6 des Neuf
pièces brèves (exemple 5.36). Les quintes parallèles de cet exemple sont, comme nous
(Vivier : 131, Rahn : 137, Gilson13) et de la combinaison d’une voix extrême et d’une voix
Exemple 5.36 – Auric (1941), Neuf pièces brèves, n° 6 : « Sicilienne », mes. 16-19
S’ils ajoutent une septième à leurs accords, les compositeurs peuvent même créer
deux séries de quintes parallèles imbriquées l’une dans l’autre et donnant une imposante
texture de masse et de sonorité, comme le fait Séverac dans Baigneuses au soleil (mes. 6).
Si on se fie aux traités de Barbereau (73), Riemann (30-31), Reber (69) et à l’étude de
Gilson examinés au chapitre 2 (p. 49), les quintes peuvent ici être acceptables parce
Ce principe peut même aller jusqu’à superposer deux ou trois intervalles de quintes en
(mes. 4-6), ce qui donne une succession d’accords de onzième en parallèle (exemple 5.38).
13
Gilson, Quintes, octaves, secondes et polytonie, 20.
14
Gilson, Quintes, octaves, secondes et polytonie, 18.
143
Exemple 5.38 – Kœchlin (1915-1916), Paysages et marines, op. 63, n° 4, mes. 4-6
Cet exemple trouve moins de justification dans les traités puisque les quintes se déplacent
par mouvement conjoint, ce qui n’est pas recommandé selon ce que nous avons vu au
chapitre 2 (p. 33), entre autres dans les traités de Riemann (30-31), Reber (69), Vinée (111)
et dans l’étude de Gilson15. L’enchaînement des deux dernières quintes, par mouvement
chromatique, est cependant plus acceptable que les enchaînements précédents, si l’on se fie
L’enrichissement de la texture peut ici aussi être renforcé par une doublure à
l’octave. Le tableau 5.27 dresse une liste d’œuvres utilisant des accords parfaits parallèles à
la basse pour créer des effets de texture. Les mesures contenant une doublure sont
15
Gilson, Quintes, octaves, secondes et polytonie, 18.
16
Gilson, Quintes, octaves, secondes et polytonie, 20.
144
Les compositeurs doublent aussi la mélodie à la quinte pour enrichir la texture, mais
moins fréquemment qu’ils ne doublent la basse (c’est-à-dire un peu plus de 20% des cas de
partie de l’œuvre. En plus d’être étalées sur une longue période, les quintes seraient ici peu
acceptables, comme nous l’avons vu au chapitre 2 (p. 33) dans les traités de Riemann (30-
31), de Reber (69), de Vinée (111) et l’étude de Gilson17, parce qu’elles se déplacent le plus
souvent par mouvement conjoint, en plus d’être à découvert et davantage mises en évidence
17
Gilson, Quintes, octaves, secondes et polytonie, 18.
145
Exemple 5.39 – Casadesus (1924), Prélude, op. 5, n° 24 : « Doux et tranquille », mes. 1-7
En consultant le tableau 5.28, on peut constater qu’en général, les compositeurs utilisent ce
type de quintes pour de plus courtes occurrences que dans l’exemple précédent.
146
Il arrive également que, comme c’est possible pour la basse, la quinte de la mélodie
soit accompagnée de l’octave ou d’une autre voix parallèle, et les tableaux 5.29, 5.30 et
accompagnée ou non de l’octave. Milhaud illustre bien ce type de quintes parallèles dans
parfait dans cinq mesures consécutives (exemple 5.40). Comme dans certains exemples
précédents, la prédominance du mouvement conjoint rendrait ici les quintes parallèles peu
acceptables selon certains théoriciens (Riemann : 30-31, Reber : 69, Vinée : 111, Gilson18).
Le tableau 5.32 nous montre bien l’étendue de cette pratique dans les œuvres analysées. Les
doublures à l’octave sont encore une fois marquées d’un astérisque (*).
Tableau 5.32 – Œuvres contenant une mélodie harmonisée en accords parfaits parallèles
Compositeur Œuvre Mesure(s)
Casella Ricercare sul nome B.A.C.H., op. 52 43
Chabrier Dix pièces pittoresques, n° 5 36 (59)
Debussy Berceuse héroïque 17-18*, 19-21*
Debussy D’un cahier d’esquisses 24*
Debussy Estampes, n° 2 33-36*, 51-55, 78-81*
Debussy Images, livre 2, n° 2 20-24*
Debussy Jeux 226-229 (247-250)
Debussy Masques 15-16 (19-21, 40-41, 44-46, 135-
136, 139-142, 283-284, 287-289,
308-309, 312-315), 29-33 (287-301)
Debussy Pour le piano, n° 1 161-163*
Debussy Pour le piano, n° 2 50-53*
Debussy Préludes, livre 1, n° 3 31-33*
Debussy Préludes, livre 1, n° 7 7-9*, 21-22*, 59-62*
Debussy Préludes, livre 1, n° 10 72-83*
Debussy Préludes, livre 2, n° 3 35-41*
18
Gilson, Quintes, octaves, secondes et polytonie, 18.
149
On retrouve également des exemples dans lesquels les compositeurs ont utilisé des
accords de septième qui contiennent deux quintes justes, par exemple Poulenc dans Trois
pastorales, FP 5, n° 3 (mes. 7-9, 14-17, 33-35, 45-48, 53-54, 59-62), Debussy dans le n° 3 :
« Poissons d’or » du deuxième livre d’Images (mes. 81, 83) et Ravel dans Valses nobles et
Certains compositeurs utilisent de leur côté des triades autres que parfaites, comme
et Kœchlin dans Les heures persanes, op. 65, n° 1 « Sieste avant le départ » (mes. 1). Ce
dernier présente une série de trois accords dont la voix centrale n’est pas à distance de
tierce des deux notes de la quinte, mais plutôt à distance de quarte et de seconde
(exemple 5.42)
des accords parallèles dans les voix intérieures pour étoffer la texture ou lui donner un effet
de masse. Cette disposition, selon Richter (98), Reber (68) et Gilson (vol. 1 : 100-101),
rend les quintes moins apparentes et donc plus acceptables que lorsqu’elles sont dans les
151
autres voix 19 . Ibert nous donne un exemple de quintes parallèles à vide dans les voix
intérieures dans le no 4 : « Les bergères » de la suite Les rencontres (mes. 21-22, reprise à
101-102). L’application est différente d’une doublure de la mélodie, même si, à première
vue, elle peut sembler s’en approcher. Les quintes apparaissent ici indépendamment de la
mélodie; elles peuvent donc être considérées comme ayant une fonction différente propre
(exemple 5.43).
Exemple 5.43 – Ibert (1924), Les rencontres, n° 4 : « Les bergères », mes. 21-24
accords, ce que Debussy présente deux fois plutôt qu’une dans les « Danseuses de
Delphes » (Préludes, livre 1, n° 1), où il fait entendre deux séries d’accords à l’octave dans
les voix intérieures (mes. 11-14, exemple 5.44). Encore une fois, ces deux séries sont
indépendantes de la mélodie et de la basse; elles ont donc leur fonction propre. C’est un
contrepoint de plans sonores tels que nous l’évoquions au chapitre 3 (p. 83) Cet
enchaînement rappelle la « licence » tolérée par Reber (204) que nous avons vu au
chapitre 2 (p. 37), concernant des notes de passage doublées à l’octave. Toutefois, les
compositeurs insèrent généralement une seule série d’accords parallèles dans les voix; on
19
Voir aussi Gilson, Quintes, octaves, secondes et polytonie, 17-18.
152
est aussi un moyen utilisé par les compositeurs pour créer une texture orchestrale
superposées (et par le fait même un intervalle de neuvième) sur les premiers temps de
quatre mesures successives (mes. 19-22, exemple 5.45). Il est à noter cependant que sur le
Très souvent, les compositeurs vont combiner deux ou plusieurs de ces façons
d’utiliser des quintes parallèles afin de créer une texture de masse, que ce soit en combinant
uniquement des quintes à vide (tableau 5.35), uniquement des accords (tableau 5.36) ou des
quintes à vide et des accords (tableau 5.37). Milhaud en fait l’expérience dans la cinquième
pièce du premier livre Saudades do Brasil, « Ipanema », où il présente des quintes à vide à
la basse et des accords dans les voix intérieures (mes. 9-14). On peut parler ici de deux
séries distinctes superposées, car elles ont chacune leur rythme propre. Milhaud y
superpose deux harmonies distinctes (exemple 5.46). La consultation des tableaux 5.35,
5.36 et 5.37 montre que ce n’est pas pratique courante, les harmonies sont plus souvent les
20
La mention « harmonies complémentaires » désigne une situation où les deux séries ne présentent pas les
mêmes notes mais peuvent être combinées pour former un accord intelligible dans le système tonal.
155
Une autre façon d’obtenir une texture orchestrale consiste à enchaîner une quinte à
vide à un accord parfait ou inversement (soit ajouter ou soustraire une voix). Certains
pourraient objecter que les quintes ne sont pas exactement dans les mêmes voix, donc qu’il
certains exemples du répertoire nous le prouvent. Par exemple, la pièce « Forlane » des
Quelques danses (op. 26, n° 4) de Chausson illustre bien ce type de quintes, alors qu’à
travers une série de quintes parallèles à la basse, le compositeur intercale des accords
Tableau 5.38 – Œuvres comportant des quintes parallèles avec ajout ou retrait de voix
Compositeur Œuvre Mesures
Alain Étude sur les doubles notes, AWV 15 37
Alain Mythologie japonaise, AWV 28 : « variation n° 5 » 1
Alain Prélude, AWV 88 14, 23
Bonis Sévillana, op. 125 19
Bonis La cathédrale blessée, op. 107 10 (11), 68
Chrétien Les lutins 217-218
Debussy Children’s Corner, n° 6 22, 102
Debussy Estampes, n° 2 115-116
Debussy Pour le piano, n° 2 63, 64, 65
Debussy Préludes, livre 2, n° 4 24
D’Indy Fantaisie sur un vieil air de ronde française, op. 99 166, 239-241
D’Indy Petite sonate dans la forme classique, op. 9, n° 2 41-46
D’Indy Sonate en mi majeur, op. 63, n° 2 14-16 (169-171)
Dupont La maison dans les dunes, n° 2 39
Enesco Sonata, op. 24, n° 3 : 1er mouvement 237-238
Françaix Cinq portraits de jeunes filles, n° 1 36-37, 51-52
Françaix Cinq portraits de jeunes filles, n° 5 116, 156-157
Honegger Sept pièces brèves, n° 3 16
Hubeau Variations pour piano 62
Kœchlin Les heures persanes, op. 65, n° 1 11
Kœchlin Les heures persanes, op. 65, n° 11 15-16
Kœchlin Les heures persanes, op. 65, n° 14 12
Kœchlin Les heures persanes, op. 65, n° 16 11, 13
Kœchlin Paysages et marines, op. 63, n° 2 3
Kœchlin Paysages et marines, op. 63, n° 5 11-12, 14
Kœchlin Paysages et marines, op. 63, n° 6 4
Kœchlin Paysages et marines, op. 63, n° 7 1-3
Kœchlin Paysages et marines, op. 63, n° 8 9-10
Magnard Promenade, op. 7, n° 4 95-96
Magnard Promenade, op. 7, n° 7 141
Milhaud Saudades do Brasil, livre 1, n° 4 67
Milhaud Suite, op. 8, n° 5 90-91
Ravel Le tombeau de Couperin, n° 3 125, 127
Ravel Le tombeau de Couperin, n° 4 1, 61
Ravel Le tombeau de Couperin, n° 5 33-40, 65-72
Ravel Le tombeau de Couperin, n° 6 71, 233
Saint-Saëns Suite, op. 90, n° 3 64-70
Satie Deux rêveries nocturnes, n° 1 5e-6e ligne
Satie Trois sarabandes, n° 1 19-20, 21-22
Schmitt Pièces romantiques, op. 42, n° 1 6
Schmitt Pièces romantiques, op. 42, n° 6 24, 25
Schmitt Ombres, op. 64, n° 1 5
Séverac Les naïades et le faune indiscret 77-78
Séverac Baigneuses au soleil 32
Tailleferre Au pavillon d’Alsace 15-16
158
Les quintes dites « structurelles » sont très présentes dans la musique de piano entre 1880 et
1940. Elles s’apparentent au type précédent, mais on les distingue par le fait que c’est
l’ensemble des voix qui se déplace en mouvement parallèle, donc toute la structure de
l’œuvre, dans la lignée des harmonisations parallèles du Moyen Âge, et ce, sans égard aux
règles de conduite des voix de l’harmonie tonale. Elles vont aussi à l’encontre des
recommandations de Riemann (30) et de Vinée (92-93) vues au chapitre 2 (p. 47), qui
suggèrent que les quintes sont acceptables lorsqu’elles sont accompagnées de mouvement
contraire dans les autres voix, ou accompagnées de tout autre artifice pouvant détourner
Une première façon de créer des quintes structurelles est d’harmoniser la mélodie
uniquement à la quinte dans une harmonie à deux voix seulement, à l’image de l’organum.
Ce procédé est peu utilisé dans la musique de piano, surtout pendant un grand nombre de
mesures, entre autres parce qu’elle ne permet pas d’exploiter les richesses de l’instrument,
mais nous avons toutefois pu trouver plusieurs exemples qui sont consignés dans le tableau
5.39. Poulenc utilise ce type de quintes à plusieurs reprises dans le premier mouvement de
la Suite, op. 19. On remarque dans l’exemple 5.48 la présence de quelques notes
ornementales à la basse qui ajoutent de la variété, mais qui ne permettent pas d’atténuer la
Exemple 5.48 – Poulenc (1920, rév. 1926), Suite FP 19 : 1er mouvement, mes. 1-3
d’une fois, comme le fait Vierne dans Solitude, n° 1 : « Hantise » (mes. 1-7, exemple 5.49).
Ce genre de quintes structurelles accroît la puissance sonore et met en valeur les ressources
de l’instrument.
160
Exemple 5.49 – Vierne (1918), Solitude, op. 44, n° 1 : « Hantise », mes. 1-7
comprenant des quintes. La plus courante est certainement le recours à des séries d’accords
autres, un grand utilisateur de ces « mélodies d’accords », comme on peut le constater dans
le tableau 5.40. Dans le prélude « Canope » (livre 2, n° 10) par exemple, lorsqu’il énonce
pour la première fois son thème, ce sont uniquement des accords parfaits qu’il fait entendre,
dont la fondamentale se situe à une octave de distance de la voix supérieure (mes. 1-4,
exemple 5.50).
Tableau 5.40 – Œuvres de Debussy contenant des quintes structurelles en accords parfaits
Œuvre Mesure(s)
Préludes, livre 1, n° 4 34-36
Préludes, livre 1, n° 6 45-47 (57-58), 51-54 (63-64)
Préludes, livre 2, n° 1 49
Estampes, n° 2 116
161
et structure en faisant entendre deux séries d’accords parallèles (doublure de toutes les voix
à l’octave) ou une série d’accords avec une série de quintes à vide (doublure uniquement de
la quinte à l’octave) comme dans les préludes « Minstrels » (mes. 51-52 et 55-57) et « La
cathédrale engloutie » (mes. 31-42) de Debussy. On remarquera dans ce dernier une note
pédale à la basse qui n’affaiblit en rien l’effet structurel du parallélisme (exemple 5.51).
Debussy semble apprécier cette façon de faire, car il l’utilise également dans les préludes
deuxième livre d’Images, n° 2 : « Et la lune descend sur le temple qui fut » (mes. 7-11).
Cependant, il n’y a pas que les séries d’accords parfaits qui intéressent les
non résolus, comme des accords de septième, des accords de neuvièmes ou des accords
avec note ajoutée. Debussy nous en donne un exemple dans le prélude « La terrasse des
distance d’octave (mes. 31, exemple 5.52). C’est en quelque sorte une application de la
162
tolérance de Riemann (30) pour les quintes parallèles dissimulées par une dissonance, une
Debussy offre un exemple tout à fait différent en présentant une harmonie toute en quartes
Bien que ce ne soit pas toujours aisé à justifier ou à repérer, les compositeurs utilisent
également les quintes parallèles (généralement en série) pour créer des effets particuliers.
L’effet le plus connu et peut-être le plus recherché est celui des cloches, évoqué par Gilson
dans son traité, et qui est obtenu en frappant des quintes à vide. Gilson (vol. 1 : 21) parle
surtout de quintes dans le grave, mais les compositeurs réussissent quand même à créer le
même genre d’effet avec des quintes dans l’aigu. L’effet de cloches peut être présenté de
manière isolé, mais, dans ce cas, il est souvent accompagné d’intervalles de quarte ou de
rapprochées. Ravel illustre bien ce type de quintes dans Miroirs, n° 5 « La vallée des
cloches », où il en utilise dans les voix supérieures aux mesures 26-27 (exemple 5.54) et à
la basse dans les mesures 31 à 40, dans les deux cas accompagnées de quartes parallèles21.
21
L’intervalle de prédilection de Ravel pour imiter les cloches dans cette œuvre est d’ailleurs la quarte juste,
qu’il utilise très souvent en superposition et en mouvement parallèle.
164
Exemple 5.54 – Ravel (1904-1905), Miroirs, n° 5 : « La vallée des cloches », mes. 26-28
On retrouve plusieurs autres exemples de quintes parallèles illustrant des cloches dans la
Tableau 5.42 – Œuvres présentant des quintes parallèles créant un effet de cloches
Compositeur Œuvre Mesure(s)
Boulanger Trois morceaux pour piano, n° 2 42, 43, 46, 47, 50, 51, 53-54, 55
Debussy Estampes, n° 1 27 (28, 29, 30)
Debussy Estampes, n° 2 99, 101-102 (103-104)
Debussy Images, livre 1, n° 1 16-17
Debussy Images, livre 1, n° 3 30-31 (38-39, 140-141, 148-149),
53-54 (57-58)
Debussy Images, livre 2, n° 1 43, 44, 48 (49)
Debussy Préludes, livre 1, n° 10 16 (17, 18)
Debussy Préludes, livre 2, n° 2 41-43
D’Indy Tableaux de voyage, op. 33, n° 5 1-6, 18-23, 25-30, 41-46
D’Indy Tableaux de voyage, op. 33, n° 13 19-24, 94-96
Fauré Huit pièces brèves, op. 84, n° 8 11-14, 29-30
Séverac Le chant de la terre, n° 1 40, 42
Séverac Le chant de la terre, « Intermezzo » 21, 24-25, 68-77
Séverac Le chant de la terre, « Épilogue » 103
L’exotisme peut se mêler aux cloches, si l’effet que créent les quintes parallèles
rappelle le gamelan ou les musiques orientales, comme c’est le cas dans « La terrasse des
compositeur. Dans ces exemples, l’utilisation du registre aigu et d’un tempo rapide
quintes parallèles. Satie, entre autres, dans sa Sonatine bureaucratique, utilise des quintes
parallèles sous les commentaires « Combien cela est triste » (mes. 105-106) et « Tout cela
est bien triste » (mes. 113-116, exemple 5.56). Dupont, quant à lui, illustre la mélancolie
des vagues avec des paires de quintes parallèles aux voix supérieures dans La maison dans
les dunes, n° 6 (mes. 1-8, 11-18, 32-39, 112-114, 190-196, 200-207, 221-227).
souvent associées à des sections où les compositeurs recherchent un effet trouble ou confus.
Debussy en utilise, même plusieurs fois, notamment dans le prélude « Les fées sont
d’exquises danseuses » (livre 2, n° 4, mes. 11-12) lors d’un moment de danse rapide, et
166
dans un effet de brouillard dans les préludes « Le vent dans la plaine » (livre 1, n° 3, mes.
et de ce qui le cause lorsqu’il connaît les titres ou le texte accompagnant une œuvre. Ce
type de quinte est donc surtout lié à des éléments extramusicaux, ce qui est confirmé par les
La sonorité de quintes parallèles intéresse aussi les compositeurs de musique de piano entre
1880 et 1940 comme complément à l’harmonie principale, et ils l’utilisent sous forme de
notes ornementales, en série, entre les temps forts. Peu recommandé par les traités
d’harmonie, ce n’est pas un type de quintes très fréquent dans la musique de piano de
l’époque, mais il est tout de même présent. Roger-Ducasse nous en donne un exemple dans
la 8e variation (mes. 152) des Variations sur un choral où il répète une broderie de quintes
Roussel, pour sa part, remplit un deuxième temps de doubles croches en quintes à la basse
utilisant sur des temps faibles successifs, impression souvent considérée moins forte que
sur les temps forts parce que les notes intermédiaires qui les séparent sont des notes
structurelles, donc des notes qui attirent l’oreille. Comme nous l’avons vu au
chapitre 2 (p. 51), ce procédé est acceptable selon Bazin (30), Rimski-Korsakov (66) et
Lavignac (43). Jacques Durand (25), Dupré (11, 13) et Kœchlin (Précis des règles du
contrepoint : 3) estiment toutefois que les quintes doivent être à plus d’une mesure de
davantage du côté des premiers théoriciens cités puisqu’ils placent souvent des quintes sur
des temps faibles successifs, donc à une mesure ou moins de distance. L’utilisation des
divers temps faibles est possible, soit au même endroit de mesures successives, sur des
temps faibles successifs à l’intérieur d’une même mesure ou sur des temps faibles à divers
moments de mesures successives. Schmitt utilise, par exemple, le troisième temps de trois
Exemple 5.59 – Schmitt (1907), Pupazzi, op. 36, n° 6 : « Atys », mes. 25-27
On trouve d’autres exemples de quintes sur des temps faibles dans le tableau 5.43.
Avec ce tour d’horizon des différents types de quintes parallèles dans la musique
française de piano entre 1880 et 1940, nous avons pu véritablement constater l’importance
que prend chacun de ces types dans le répertoire, tel que mentionné dans le tableau 5.4
(p. 103) et découvrir comment les types de quintes parallèles se matérialisent dans le
répertoire. Le fait de savoir que les quintes parallèles enrichissant la texture, les quintes
avec notes ornementales et les quintes cadentielles sont les plus nombreuses dans le
répertoire, et comment elles se présentent dans ce contexte, nous aidera à définir le rôle des
Après l’analyse des différents types de quintes parallèles dans la musique de piano en
France entre 1880 et 1940, nous pouvons tirer quelques conclusions sur l’utilisation de cet
La prémisse de notre recherche entendait définir le rôle des quintes parallèles dans
le langage tonal français entre 1880 et 1940. Pour y parvenir, nous avons d’abord survolé
l’historique de cette interdiction, ses fondements et la place qu’elle occupe dans les traités
premier temps, l’omniprésence de cette règle dans les traités étudiés (tableau 2.1, p. 25) et
particulier de la tonalité au cours de cette période nous a permis de mettre en relation les
quintes parallèles avec les éléments marquants de l’époque et ainsi mieux juger de leur
compréhension du rôle des quintes parallèles à cette époque. Nous avons ainsi constaté que
le phénomène était assez répandu : plus de 70% des œuvres observées contiennent au
moins un exemple de quintes parallèles. Cet élément est également répandu chez la
majorité des compositeurs (97% de ceux observés), et ne semble pas se limiter à des formes
particulières. Notre étude a démontré que le type de quintes le plus présent dans notre
échantillon est celui par lequel les quintes créent un enrichissement de la texture (55% des
exemples recensés), suivi des quintes parallèles avec des notes ornementales (23%) et des
171
quintes parallèles cadentielles (8%). Ce qui nous amène à affirmer que le principal rôle des
quintes parallèles dans le langage pianistique entre 1880 et 1940 est le développement de la
exemples se retrouvent dans cette catégorie, il est évident que les quintes parallèles ont une
influence dans ce domaine. Pourquoi les compositeurs ont-ils choisi cet élément,
particulièrement dans le contexte de la musique de piano? Leur choix s’inscrit dans une
démarche logique (bien qu’on puisse la croire intuitive jusqu’à un certain point) : la quinte
possède des propriétés acoustiques analogues à celles de l’octave; ainsi elle offre une
alternative au point de vue de la texture, plus particulièrement pour créer une texture de
masse, au piano, on ajoute des voix. Le piano offre beaucoup de possibilités en termes de
puissance et de sonorité, mais elles sont limitées par certaines contraintes techniques
(la main humaine a ses limites) et la puissance sonore finit également par atteindre son
maximum : même en appuyant à cinq doigts sur une touche, elle ne sonnera pas plus fort.
L’ajout de la quinte, qui agit comme doublure de la voix (certains auteurs comme Riemann
vont même jusqu’à affirmer qu’on peut la confondre avec l’unisson ou l’octave1) est un
moyen tout désigné pour développer la texture dans le répertoire de cet instrument. Cette
technique n’est cependant pas si nouvelle : au chapitre 1 (p. 13), nous mentionnions que le
1
Hugo Riemann, Manuel de l’harmonie, traduit de la 3e édition allemande (1897) par Calvocoressi (Leipzig :
Breitkopf & Härtel, 1902), 29-30.
172
couleur de la ligne musicale par l’accroissement sonore qu’il procure au chant 2. L’effet
« nouveau » entre 1880 et 1940, est l’application de plus en plus répandue de ce principe à
la musique pour piano, instrument dont la facture s’est beaucoup développée dans les
sonorités propre à l’époque étudiée. La recherche de sonorités floues se conjugue bien avec
la dureté et la lourdeur des quintes rapportée dans les traités. On peut considérer encore ici
les quintes enrichissant la texture, mais c’est surtout les quintes avec des notes
ornementales qui sont concernées, auxquelles on peut ajouter les quintes créant un effet
particulier et les quintes en notes ornementales. Ces trois types de quintes font l’objet, à
divers degrés, de permissions dans les traités d’harmonie. Leur emploi n’est donc pas
surprenant outre mesure, on peut même supposer qu’il a été le point de départ d’une
utilisation plus importante ou dans d’autres buts, comme la texture que nous évoquions
précédemment. En effet, les quintes avec notes ornementales, de même que celles en notes
ornementales, s’ajoutent au système déjà en place (notes structurelles). Elles peuvent même
résulter d’« erreurs » que les compositeurs auraient finalement conservées, trouvant le son
intéressant. Un compositeur qui recherche de nouvelles sonorités peut ainsi être tenté
d’adopter cet élément d’écriture, voire à l’intégrer à son style compositionnel. On peut
penser que la recherche de sonorités nouvelles jumelée à un retour aux styles anciens
surtout dans le cas de quintes créant un effet particulier. Cette sonorité a paru nouvelle, car
2
Hucbald de Saint-Amand, « De Institutione », dans Hucbald, Guido and John on Music, sous la direction de
Claude Palisca (New Haven: Yale University Press, 1979), cité dans Wanda Therese Farah,
« Microcounterpoint », dans « The Principle of Counterpoint and Its Expression in Music, Dance and
Cinema » (thèse de doctorat, University of Texas at Austin, 1985), 78.
3
Edwin M. Ripin et al. « Pianoforte », dans Grove Music Online. Oxford Music Online, <http://www
.oxfordmusiconline.com.res.banq.qc.ca/subscriber/article/grove/music/21631> (consulté le 7 juin 2012).
173
elle avait un peu été mise de côté avec l’application de la règle interdisant les quintes. Si on
ajoute à ça le fait qu’à cette époque, les compositeurs cherchent à prendre leurs distances
par rapport aux règles des traités, la table était mise pour une utilisation marquée de cet
élément. Les compositeurs peuvent l’avoir choisi autant pour son côté « ancien » que
« différent ». Ils exploitent donc les quintes parallèles dans leur démarche
compositionnelle : effet de cloches, effet confus, notes de passage, broderies, etc. Les
Maintenant que nous avons analysé le rôle des quintes parallèles, ajoutons quelques
mots sur l’impact de leur utilisation dans le langage, dont les deux aspects principaux sont
recherche. Dans les chapitres 1 et 2, nous évoquions le fait que l’une des principales
justifications des auteurs de traités pour interdire les quintes parallèles est le fait que « ça
sonne mal », que « ça sonne dur ». Dans la conclusion, nous affirmons que les quintes
jouent un rôle en lien avec la texture et la sonorité. Est-ce à dire que la musique de piano
entre 1880 et 1940 sonne mal et dur? Certainement pas. Il y a tout de même lieu de se
questionner. Selon moi, les théoriciens ont maintenu des règles sévères dans leurs traités
l’affirme Kœchlin : « Cette interdiction était une des difficultés qui incitent les musiciens à
trouver des variantes. Elle les contraignit d’assouplir leur style; au besoin, elle les conduisit
semblé posséder quelque chose d’authentique qui a simplement été faussement interprété,
soit une certaine peur de la consonance qui a pu pousser les compositeurs des époques
antérieures à la nôtre à intégrer dans leurs œuvres ces consonances éloignées que sont les
dissonances5. Ainsi, les théoriciens ne recherchent pas tant une sonorité « agréable » qu’une
sonorité au « style pur ». Cette recherche de sonorité « agréable » n’est donc qu’un prétexte
pour inciter les compositeurs à aller plus loin, prétexte qui au bout du compte a peu de
chose à voir avec le concept de « beauté ». De leur côté, les compositeurs réagissent avec
leur sensibilité et leur oreille, qui leur commandent l’utilisation de quintes parallèles
comme moyen efficace d’enrichir la texture de leurs œuvres, ou parfois comme moyen de
opposition au son « habituel ») qui n’est pas considéré dans la théorie du style rigoureux.
Certains en trouvent même la sonorité agréable. Nous avons déjà cité Kœchlin qui leur
donne raison en trouvant la sonorité des quintes excellente6, et Matthew Shirlaw est du
même avis, affirmant que le répertoire moderne donne la preuve que les quintes parallèles
quintes parallèles proprement dite, mais également aux règles de conduite des voix, et
l’harmonie, réinventent les règles. Le parallélisme n’est plus une faute, les dissonances ne
4
Charles Kœchlin, Traité de l’harmonie, vol. 1 (Paris : Eschig, 1927-1930), 14.
5
Arnold Schoenberg, Traité d’harmonie, traduit de l’allemand et présenté par Gérad Gubish (Paris : J.-C.
Lattès, 1983), 99.
6
Kœchlin, Traité de l’harmonie, vol. 1, 14.
7
Matthew Shirlaw, « Aesthetic – and Consecutive Fifths », Music Review 10 (1949): 89.
175
sont plus résolues systématiquement. L’utilisation des quintes parallèles n’en est pas la
cause directe, mais elle s’inscrit dans la démarche globale. En n’accordant plus autant
d’importance à la rigueur dans la conduite des voix, les compositeurs ont mis l’accent sur
d’autres éléments, comme la mélodie, le rythme et les dynamiques, qui prennent une
enchaînements, ils sont entraînés à développer les autres paramètres. Il ne faudrait pas trop
généraliser en parlant de cause directe des quintes parallèles sur le langage musical, mais
nous pouvons dire que l’utilisation du parallélisme et des quintes parallèles est concomitant
aux changements harmoniques de cette époque et que son impact, sans être extraordinaire,
rehausser le rôle du piano comme alternative à l’orchestre. Les quintes rendant possible
l’obtention d’un accroissement de texture sans faire appel à de grands moyens, elles ont en
une certaine rivalité entre le piano et l’orchestre, et les nombreuses transcriptions d’œuvres
de l’un vers l’autre, notamment chez Ravel et Chabrier, nous montrent bien les liens qui les
unissent, et l’influence qu’ils peuvent avoir l’un sur l’autre. Il y aurait ici matière à
plusieurs recherches sous-jacentes à notre sujet principal. Par exemple, l’utilisation des
quintes parallèles pourrait être étudiée dans le cadre d’une recherche sur la différence entre
les versions pour piano et pour orchestre d’une même œuvre, dans le cas où les questions
compositeur, qui peut contribuer à créer une texture analogue à celle de l’orchestre 8. Il
pourrait être intéressant de se demander si les compositeurs n’ont pas vu, dans l’effet de
sur le rôle des quintes parallèles dans les pièces orchestrales ayant une grande densité de
media, par exemple, la musique pour chœur, où la conduite individuelle de chacune des
voix est un élément plus préoccupant que dans le cas de la musique de piano, mais où il est
raisonnable de croire que les préoccupations de texture et de sonorité ne sont pas moins
présentes.
8
Voir Roy Howat, « Orchestral Thinking and the Pedals », dans The Art of French Piano Music. Debussy,
Ravel, Fauré, Chabrier, 279-293 (New Haven : Yale University Press, 2009).
Annexe 1
Traités d’harmonie, de contrepoint et de composition étudiés dans la recherche
Les traités sont présentés par ordre chronologique de parution en France. Les lieux de publication ont été omis pour alléger la
présentation.
Annexe 2
Liste des œuvres consultées contenant des quintes parallèles
La colonne « Date » correspond à la date (ou l’intervalle) de composition, ou, le cas échéant, l’année de la première publication de
l’œuvre. On y a ajouté la date de révision lorsqu’applicable.
Les lieux de publications ont été retirés de l’adresse bibliographique afin d’alléger la présentation.
Les entrées ayant la mention (IMSLP) ont été consultées à partir du site International Music Score Library Project, sous la direction
d’Edward W. Guo, <http://imslp.org/> (consulté entre 15 juin 2009 et le 15 août 2011).
Annexe 3
Liste des œuvres consultées ne contenant pas de quintes parallèles
Compositeur Titre Date Adresse bibliographique
Alain, Jehan (1911-1940) Étude de sonorité sur une double pédale (do et ré) 1929- L’œuvre de piano, vol. 1. Leduc, 1944.
1930
Choral « Seigneur, donne-nous la paix éternelle », 1930 L’œuvre de piano, vol. 1. Leduc, 1944.
AWV 14
Lumière qui tombe d'un vasistas, AWV 20 1931 L’œuvre de piano, vol. 2. Leduc, 1944.
Dans le rêve laissé par la ballade des pendus de 1931 L’œuvre de piano, vol. 3. Leduc, 1944.
François Villon, AWV 27
Il pleuvra toute la journée, AWV 42 1932 L’œuvre de piano, vol. 2. Leduc, 1944.
Suite monodique, AWV 65 1934 Hérelle, 1935.
n° 1 : « Animato »
n° 2 : « Adagio »
n° 3 : « Vivace »
Nocturne 1935 L’œuvre de piano, vol. 1. Leduc, 1944.
Suite facile, AWV 104 1938 L’œuvre de piano, vol. 1. Leduc, 1944.
n° 1 : « Final pour une sonatine facile »
n° 2 : « Barcarolle »
Aubert, Louis (1877-1968) Trois esquisses, op. 7 1900 Durand, 1900.
n° 1 : « Prélude »
n° 2 : « Nocturne »
n° 3 : « Valse »
Esquisse sur le nom de Fauré 1922 Hommage musical à Gabriel Fauré : sept
pièces de piano sur le nom de Fauré.
Durand, 1922.
Auric, George (1899-1983) La Seine, un matin (À l’exposition) 1937 À l’exposition : illustrations musicales.
Deiss, 1937.
210
Annexe 4
Proportion d’exemples de chaque type de quintes parallèles par compositeur (pourcentage)
Cadentielles Résolution Erreur Croisement Avec notes Enrichissement Structurelles Création effet Notes
dissonance ornementales de la texture particulier ornementales
Alain 2,6 0 0 2,6 30,8 59 2,6 0 2,6
Aubert 14,3 0 0 0 14,3 71,4 0 0 0
Auric 4,6 0 0 0 50 36,4 9,1 0 0
Bonis 4,4 0 0 0 21,7 73,9 0 0 0
Boulanger 0 0 0 0 0 58,3 0 41,6 0
Casadesus 10,3 3,4 0 0 17,2 34,5 17,2 17,2 0
Casella 0 0 0 0 20 60 20 0 0
Chabrier 37,5 0 0 0 31,2 31,2 0 0 0
Chaminade 7,1 0 0 0 14,3 71,4 0 0 7,1
Chausson 0 0 0 0 19 57,1 0 0 23,8
Chrétien 21,4 0 0 0 21,4 35,7 0 0 21,4
Debussy 5,6 4,9 0 0 13,9 51,4 10,4 13,9 0
Decaux 57,1 0 0 0 0 21,4 21,4 0 0
Delannoy 0 0 0 0 33,3 66,7 0 0 0
D’Indy 6 0 0 0 26,5 49,4 0 7,2 10,8
Dukas 0 0 0 0 0 100 0 0 0
Dupont 1,6 0 0 0 28,1 53,1 3,1 7,8 6,2
Durey 0 28,6 0 0 28,6 42,9 0 0 0
Enesco 3,2 0 0 0 16,1 67,7 6,4 0 6,4
Fauré 0 6,2 0 0 62,5 0 0 31,2 0
Françaix 0 0 0 0 33,3 66,7 0 0 0
Franck 0 0 0 0 55,2 31 0 0 13,8
Grovlez 0 0 0 0 27,1 66,7 0 0 6,2
222
Cadentielles Résolution Erreur Croisement Avec notes Enrichissement Structurelles Création effet Notes
dissonance ornementales de la texture particulier ornementales
Hahn 16,7 0 0 0 58,3 25 0 0 0
Hoérée 0 0 0 0 100 0 0 0 0
Honegger 3,8 15,4 0 0 19,2 61,5 0 0 0
Hubeau 0 0 0 14,3 14,3 57,1 0 0 14,3
Ibert 0 5,4 0 2,7 29,7 51,4 10,8 0 0
Kœchlin 5,8 4,9 0 2,7 7,6 76,8 0,4 0 1,8
Ladmirault 20 0 0 0 60 20 0 0 0
Laparra 0 0 0 0 100 0 0 0 0
Lekeu 26,1 0 0 4,3 26,1 43,5 0 0 0
Magnard 20 12 0 0 24 40 0 0 4
Milhaud 4,7 8,7 0 0,7 20,1 58,4 2 0 5,4
Pierné 50 0 0 0 0 0 0 0 50
Poulenc 4,5 1,1 2,25 0 22,5 42,7 18 0 9
Ravel 10,9 2,3 0 0 26,9 57,7 0 0 2,3
Roger-
Ducasse 3,5 3,5 0 5,9 47,1 37,6 0 0 2,4
Ropartz 10,5 2,6 0 0 26,3 57,9 0 0 3,6
Roussel 0 0 0 3,6 14,6 78,2 0 0 3,6
Saint-Saëns 29,2 0 0 0 37,5 20,8 4,2 0 8,3
Satie 16 1,1 0 0 20,9 54,8 3,7 0,8 2,6
Sauguet 7,1 0 0 0 21,4 50 14,3 0 7,1
Schmitt 9,8 0,9 0 0,9 25 49,1 6,2 0 8
Sévérac 4,2 4,2 0 4,2 0 41,7 8,3 25 12,5
Tailleferre 0 0 0 0 0 66,7 0 0 33,3
Tansman 0 0 0 0 14,3 85,7 0 0 0
Vierne 0 0 0 0 25 0 25 0 50
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