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Moussons

Recherche en sciences humaines sur l’Asie du Sud-Est 


7 | 2004
Recherche en sciences humaines sur l'Asie du Sud-Est

Les Territoires de l’opium. Conflits et trafics du Triangle


d’Or et du Croissant d’Or (Birmanie, Laos, Thaïlande et
Afghanistan, Iran et Pakistan), Pierre-Arnaud Chouvy
Genève, Olizane, 2002, 539 p.

Christian Culas

Édition électronique
URL : http://journals.openedition.org/moussons/2504
DOI : 10.4000/moussons.2504
ISSN : 2262-8363

Éditeur
Presses Universitaires de Provence

Édition imprimée
Date de publication : 1 septembre 2004
Pagination : 128-129
ISBN : 2-7449-0507-0
ISSN : 1620-3224
 

Référence électronique
Christian Culas, « Les Territoires de l’opium. Conflits et trafics du Triangle d’Or et du Croissant d’Or
(Birmanie, Laos, Thaïlande et Afghanistan, Iran et Pakistan), Pierre-Arnaud Chouvy », Moussons [En ligne],
7 | 2004, mis en ligne le 15 novembre 2013, consulté le 22 septembre 2020. URL : http://
journals.openedition.org/moussons/2504  ; DOI : https://doi.org/10.4000/moussons.2504

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LIVRES / BOOKS

• Les Territoires de l’opium. est difficile d’être compétent à la fois en archéologie,


Conflits et trafics du Triangle d’Or en botanique, en agronomie, en histoire, en géopoli-
et du Croissant d’Or (Birmanie, Laos, tique, en géographie humaine, en anthropologie. Le
Thaïlande et Afghanistan, Iran et Pakistan), projet est absolument respectable du point de vue de
de Pierre-Arnaud Chouvy, Genève, sa démarche multidisciplinaire et de sa volonté d’abor-
Olizane, 2002, 539 p. der le sujet sous différents angles complémentaires,
Par Christian CULAS mais cette démarche ambitieuse est en partie entra-
vée par la faiblesse de l'approche épistémologique
Cet ouvrage, tiré d’une thèse de doctorat en géogra- pour chacune des disciplines qu’elle met en branle.
phie (Université de Paris I-Panthéon–Sorbonne, 2001), Par exemple, les données relatives à l’opium (pro-
est une excellente synthèse, à la fois riche et très duction, commerce, législation, usage) pendant la
complète, sur l’histoire et la géopolitique de l’opium période coloniale indochinoise française et britan-
dans les deux grandes zones de production asiatique : nique proviennent de sources de seconde main et
le Triangle d’Or (Birmanie, Thaïlande et Laos) et le l’auteur ne s’interroge jamais sur les limites néces-
Croissant d’Or (Afghanistan, Pakistan, Iran). Étant sairement induites par l’absence de recours direct
donnée la diversité des thèmes traités, il est difficile aux sources d’archives. Il est légitime de s’appuyer
d'en résumer en quelques phrases le contenu. On sur des sources de seconde main si elles sont abon-
peut cependant, pour montrer l’orientation de la dantes et riches, à condition cependant d'énoncer clai-
recherche, reprendre quelques lignes de la conclu- rement les limites impératives de cette démarche.
sion : « En Asie, le pavot à opium prolifère en effet Cette absence de regard réflexif sur les méthodes
désormais plus sur les ruines de la guerre et de l’ex- d’enquête et le type de sources utilisées grève la force
clusion que sur le terreau du sous-développement » indubitable de cette somme.
(p. 441). L'auteur nous invite à mettre en relation des Les sources d’informations sur les productions
facteurs politiques à l’échelle locale, nationale et contemporaines d’opium sont diversifiées au maxi-
régionale et des facteurs économiques et géogra- mum : les organismes officiels de l’ONU (PNUCID-
phiques. Les données sur les législations anti-opium UNDCP, United Nations Drug Control Programme),
dans les différents pays sont également explicitées et des organismes américains (DEA, Drug Enforcement
contextualisées, comme l'est la dynamique des Administration, et INCSR, International Narcotics
réseaux de production, de transformation et de trans- Control Strategy Report) et des organismes indépen-
port des produits opiaciés et des nouvelles drogues de dants et très actifs sur le terrain, comme l’OGD, l'Ob-
synthèse dans la plupart des pays d’Asie, y compris servatoire Géopolitique des Drogues dirigé par Alain
l’Inde, la Chine et le Vietnam. Labrousse. Les annexes sont également d’une grande
Dans chacun des neuf chapitres – « Des espaces de richesse : vingt-sept cartes permettent de visualiser
production d’opium mouvants », « L’évolution des l’extension géographique et historique des produc-
routes du trafic », « Modification des aires et des phé- tions d’opium, ainsi que les réseaux de transport.
nomènes de consommation », « Le territoire entre Pourtant, l’introduction à cette somme (441 pages de
opium et État », etc. –, l’auteur entre dans son sujet texte, 539 avec les annexes) ne fait que quatre pages.
de manière détaillée et avec une grande clarté, même Il manque véritablement quelque chose, même après
quand il s’agit des relations entre les réseaux écono- les deux courtes préfaces (par Yves Lacoste et par
miques, licites et illicites, et les pouvoirs politiques en Roland Pourtier). Le lecteur aurait aimé savoir com-
place en Birmanie, en Thaïlande, en Afghanistan et au ment les problèmes des territoires de l’opium se sont
Pakistan. Faisant appel à un grand nombre d’échelles posés à l’auteur, comment celui-ci s’y est pris pour
d’analyse, il parvient cependant à conserver l’unité de traiter l’énorme masse de documents qu’il cite (plus
sa narration et à entraîner le lecteur dans l’exposé de de 400 références bibliographiques), ou encore
situations géopolitiques complexes. quelles méthodes ont prévalu dans la sélection et
Il s’agit du type même de l’ouvrage fondé sur un pro- l'analyse de ces sources disparates. Dès le chapitre
jet encyclopédique, avec sa limite la plus évidente : il premier, le lecteur est submergé de données, souvent
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d’une grande précision, mais sans la moindre expli- dence » est ici lourd de sens, car cela laisse supposer
cation méthodologique. La première qualité de ce que l’histoire de la « découverte cérémonielle des
livre est sans nul doute sa valeur informative et la enthéogènes » est suffisamment précise pour pouvoir
richesse de la bibliographie, comprenant à la fois des être mise en rapport avec celle des débuts de l’agri-
documents publiés, de la littérature grise et des rap- culture. Or l’histoire des rites préhistoriques est cer-
ports confidentiels, en témoigne. Cependant, il est tainement l’un des domaines où nos connaissances
difficile à concevoir qu’une thèse soutenue en 2001 sont les plus imprécises. Que pouvons-nous dire,
puisse à ce point faire l’économie de toute épistémo- alors, des rites préhistoriques lors desquels des
logie. plantes ont généré des dieux ?
Les deux faiblesses majeures de ce livre découlent Deuxièmement, malgré un style fluide, certains tics
probablement du fait qu’il semble reprendre la quasi- d’écriture rendent la lecture assez pénible. On notera
intégralité du texte de la thèse. D'abord, à cause jus- les fréquentes redites, qui sont un problème impor-
tement d'une volonté encyclopédique, les erreurs et tant de ce long livre. Notons aussi un catalogue de
les contresens sont difficilement évitables, surtout longues listes hétéroclites, par exemple, une liste des
quand on veut être précis sur tous les sujets. Parfois, « ensembles spatiaux [de Birmanie, du Laos et de
l’auteur se contredit à quelques pages d’intervalle : Thaïlande] parmi les plus nombreux et les plus variés »
« Certains cultivateurs du Triangle d’Or parviennent (pp. 290-291). Ce catalogue comprend six grandes
ainsi désormais à obtenir jusqu’à cinq récoltes catégories, « catégorisations nationales ou citoyennes,
annuelles [d’opium] » (p. 50) et « En règle générale, ethniques ou ethnolinguistiques, religieuses, écono-
entre quatre-vingt-dix et cent jours après les semailles, miques, démographiques et sociales », elles-mêmes
les pavots, qui ont atteint un mètre de haut, com- divisées en vingt-six autres. Une autre liste est celle
mencent leur floraison » (p. 53). Il note que « des de treize « ‘acteurs non étatiques’ ou des sous-sys-
pluies trop importantes pendant la période d’incision tèmes » de la dynamique géopolitique de l’État et de
des capsules ne laissent pas grand-chose à récolter » son territoire (p. 311), mais l'auteur ne tente pas d’en
(p. 51), or il pleut de manière assez régulière et sou- expliciter l’intérêt. Pourquoi établir de telles listes ou
vent violente dans les montagnes du Triangle d’Or de les reprendre d’autres auteurs, alors qu'aucune ne
juin à septembre. Il signale que « [l]’ingestion touche à l’exhaustivité, même relative ? Par exemple,
[d’opium] peut se faire sous forme solide ou liquide, d'importants groupes d’acteurs sont complètement
avec de l’opium brut, comme cuit d’ailleurs » (p. 61) ignorés, comme les Yao (Iu Mien), producteurs
et que « certaines populations, comme les Hmong, d’opium à l’égal des Hmong en Asie du sud-est. Sans
préfèrent fumer l’opium brut » (p. 63). Ici, l’auteur doute utilisée pour donner l’effet de panorama, de
s’appuie sur mon article sur les usages de l’opium totalité, la liste alourdit considérablement le texte et
chez les Hmong1, mais il l'a mal lu et fait une grave pousse le lecteur à s’interroger sur le travail d’analyse
confusion : le fait que les Hmong possèdent plusieurs des articulations entre les catégories exposées.
termes pour qualifier les différents types d’opium Malgré ces remarques de détail, cet ouvrage devien-
(cru, cuit, sec) n'implique pas qu’ils fument de l’opium dra certainement une référence incontournable pour
cru (brut). Personne n’ingère ni ne fume d’opium cru qui veut comprendre les enjeux géopolitiques, éco-
et, partout, on le cuit longuement avant usage afin nomiques et sociaux qui se trament autour de l’opium
de détruire certains alcaloïdes qui endommagent le en Asie.
nerf optique.
J’avoue avoir du mal à suivre l’auteur lorsque, sans Note
aucune approche critique, il exprime l’intérêt de
1 C. Culas, 2000, « Les usages de l’opium chez les Hmong en
« s’interroger [avec Mircea Eliade] sur la coïncidence Asie du Sud-Est : tolérances et contraintes sociales », in
entre la découverte cérémonielle des enthéogènes et Opiums. Les plantes du plaisir et de la convivialité en Asie,
la passage à l’agriculture » (pp. 29-30). Le « terme Annie Hubert & Philippe Le Failler (éds.), Paris, L’Harmat-
entheogen [décrit] ces plantes au sein desquelles sont tan, coll. « Recherches asiatiques », pp. 257-292 ; le texte
générés des dieux » (p. 30 n. 32). Parler de « coïnci- en référence est en p. 268 n. 22, et non en p. 277.

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