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Introduction

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1. Il n’est pas rare qu’évoquant le droit, certains emploient l’expression de « science


juridique ». L’expression ne doit pas tromper : cette matière n’a pas l’exactitude que
le terme science permet de supposer. Tout bon juriste répond rarement par oui ou par
non, la formule « ça dépend » débute nombre de ses réponses. Il est vrai qu’une même
situation tombe fréquemment sous le feu croisé de règles divergentes dont une part
non négligeable sera constituée par des exceptions aux principes généralement connus.

Le terme science trouve, cependant, un début de justification : le droit utilise des méthodes
d’analyse et de raisonnement rigoureux ainsi que des concepts à la signification précise ; une
grande partie de ce premier cours constituera, en quelque sorte, une alphabétisation, au sens
non péjoratif du terme. Difficile d’y échapper dans le cadre d’une introduction à un ensemble
de matières devant être fréquentées pendant cinq ans. Nous tâcherons d’y procéder de la façon
la plus imagée qui soit en faisant appel aux exemples les plus quotidiens ; cela ne sera guère
difficile car nous baignons, l’emploi du terme nager serait équivoque ou prématuré, dans le
droit : certains d’entre vous ont conclu, pour venir en cours, un contrat de transport en achetant
leur ticket de tram, les démêlés avec un propriétaire ou un voisin gênant font partie de votre
expérience vécue sans compter des actes aussi courants qu’un paiement par carte bancaire ou
la signature d’un chèque.

Le seul écueil réside, parfois, dans le sens un peu différent que nous retiendrons pour un concept
juridique par rapport à celui entendu ou utilisé dans notre langage de tous les jours.

2. Cette rigueur de sens attribué aux concepts, principe commun à de nombreuses


matières, connaît une exception remarquable, première d’une longue série : ainsi le
mot « droit ».

Tantôt, ce terme désigne le droit positif, c’est à dire l’ensemble des règles juridiques : on parle
alors de règle de droit ou même de droit objectif.

Tantôt, ce terme désigne une prérogative dont peut se prévaloir une personne : le droit de
propriété, le droit au respect de sa vie privée. Il ne s’agit plus DU droit mais d’UN droit ou DES
droits ; on parle alors de droits subjectifs, par opposition au droit objectif.

3. Ainsi le Droit objectif délimite les divers droits subjectifs ; l’étude devra en être
séparée. Elle serait, toutefois, incomplète si elle ne s’attachait pas aussi aux titulaires
de ces divers droits, personnes physiques ou personnes morales.

Ce cours sera divisé en trois grandes parties :

- Titre I : La règle de droit ;


- Titre II : Les droits subjectifs ;
- Titre III : Les titulaires des droits subjectifs

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DROIT ET ENTREPRISE 1 / INTRODUCTION GENERALE AU DROIT -1-
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TITRE I : LA RÈGLE DE DROIT

Introduction
A) Les caractéristiques de la règle de droit
B) La classification des règles de droit
C) Historique de la règle de droit

Chapitre I : L’élaboration de la règle de droit

Section 1 : La loi

I. Caractéristiques de la loi et place dans la hiérarchie des


textes
A) Les caractéristiques de la loi
B) La hiérarchie des textes

II. Conditions d’application de la loi


A) Entrée en vigueur de la loi
B) Extinction de la loi
1) Abrogation de la loi
2) Annulation de la loi

III. Application de la loi


A) Application de la loi dans le temps
1) Règles générales de solution des conflits
de lois
a) Règles applicables à la création
d’une situation juridique
b) Règles applicables aux effets
d’une situation juridique
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DROIT ET ENTREPRISE 1 / INTRODUCTION GENERALE AU DROIT -2-
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2) Exceptions aux principes généraux de


solution
B) Application de la loi dans l’espace

Section 2 : La coutume

Chapitre II : L’interprétation de la règle de droit

Section 1 : L’interprétation jurisprudentielle

I. Les juridictions de l’ordre judiciaire


A) Les juridictions du premier degré
1) La juridiction de droit commun : le TGI
2) Les juridictions d’exception
a) Le Tribunal d’instance
b) Le Tribunal de commerce
c) Le Conseil de prud’hommes
d) Le tribunal des affaires de la
sécurité sociale
B) La juridiction du second degré : la Cour d’appel
C) La Cour de cassation

II. Les personnes intervenant devant les juridictions de


l’ordre judiciaire
A) Le personnel des juridictions
B) Les auxiliaires de justice

Section 2 : L’interprétation doctrinale

I. Les méthodes d’interprétation doctrinale

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II. Les techniques de raisonnement

Section 3 : L’interprétation administrative

TITRE II : LES DROITS SUBJECTIFS

Chapitre I : La classification des droits subjectifs

Section 1 : Détermination de la notion de droit réel et


de droit personnel

I. Les droits réels


A) Classification des droits réels
1) Droits réels principaux
2) Droits réels accessoires
B) La classification des choses
1) Classification fondée sur la nature de la
chose
a) Les immeubles
b) Les meubles
c) Conséquences de la distinction
2) Classification fondée sur l’appropriation
des choses
a) Les choses avec propriétaire
b) Les choses sans propriétaire
3) Classification fondée sur l’utilisation des
choses
a) Choses frugifères et non
frugifères

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b) Choses fongibles et non


fongibles
c) Choses consomptibles et choses
non consomptibles

II. Les droits personnels

Section 2 : Portée de la distinction

I. Intérêts de la distinction

II. Critiques de la distinction

Chapitre II : Le régime juridique des droits


subjectifs

Section 1 : Le contenu du régime juridique

I. La naissance des droits subjectifs


A) La création des droits subjectifs
1) Les sources des droits subjectifs
a) Les actes juridiques
α) Les conditions de validité des
actes
juridiques

+ Conditions de fond
++ Inventaire
++ Sanctions
+ Conditions de forme
β) Effets des actes juridiques

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+ Prise d’effet des actes


juridiques
++ Insertion d’un terme
++ Insertion d’une
condition
+ Portée des actes juridiques
++ Effet obligatoire
++ Effet relatif
b) Les faits juridiques
2) Les modes d’acquisition des droits
subjectifs
a) Les modes originaires
d’acquisition
b) Les modes dérivés d’acquisition
B) Le rassemblement des droits subjectifs dans le
patrimoine
1) Le patrimoine est une universalité
juridique
2) Le patrimoine est lié à la personne

II. L’extinction des droits subjectifs


A) L’extinction volontaire
B) L’extinction involontaire

Section 2 : La mise en œuvre du régime juridique

I. La preuve des droits subjectifs


A) La charge de la preuve
1) Principes
2) Exceptions
B) Les modes de preuve
1) Les divers procédés de preuve

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a) Preuves préconstituées
α) L’écrit sur support papier
+ Les actes authentiques
++ Caractéristiques
++ Valeur probante
+ Les actes sous seing privé
++ Caractéristiques
++ Valeur probante
+ Les autres écrits
β) l’écrit sous forme électronique
b) Les preuves a posteriori
2) Le domaine d’utilisation des procédés de
preuve

II. La procédure judiciaire


A) L’action en justice
1) Les conditions d’exercice de l’action
a) L’intérêt à agir
b) La qualité pour agir
2) La classification des actions
a) Classification fondée sur la
nature du droit
b) Classification fondée sur l’objet
du droit
B) L’instance
1) Les parties à l’instance
2) Les caractères de l’instance
C) Le jugement
1) Le prononcé du jugement
a) La classification des jugements
b) Les voies de recours contre les
jugements
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+ Les voies de recours ordinaires


++ L’appel
++ L’opposition
+ Les voies de recours
extraordinaires
++ La tierce opposition
++ Le pourvoi en cassation
++ Le recours en révision
2) Les effets du jugement

TITRE III : LES TITULAIRES DES DROITS


SUBJECTIFS

Chapitre 1 : Les personnes physiques

Section 1 : L’attribution de la personnalité juridique

I. L’acquisition de la personnalité juridique


A) Le moment de l’acquisition de la personnalité
B) Les conséquences de l’acquisition de la
personnalité
1) Inventaire des droits de la personnalité
2) Régime des droits de la personnalité

II. La perte de la personnalité juridique

Section 2 : Les attributs de la personnalité juridique

I. Le nom patronymique
A) L’attribution du nom patronymique
1) L’attribution originaire
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2) Le changement de nom
3) L’adjonction de nom
B) L’utilisation du nom patronymique

II. Le domicile
A) La détermination du domicile
1) Détermination du domicile par la volonté
de la personne
2) Détermination du domicile par la loi
3) Détermination du domicile par une erreur
des tiers
B) Les caractères du domicile

III. La capacité juridique


A) Les mineurs
B) Les incapables majeurs
C) Les époux
1) Règles communes à tous les époux
2) Règles particulières issues des régimes
matrimoniaux
a) Le régime de la communauté
légale
b) Les régimes conventionnels
+ La communauté
conventionnelle
+ La séparation de biens
+ La participation aux acquêts

Chapitre 2 : Les personnes morales

Section 1 : Le régime juridique des personnes morales

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I. La naissance de la personnalité morale

II. Les attributs de la personnalité morale


A) Le nom
B) Le domicile
C) Le patrimoine
D) La capacité juridique

III. La disparition de la personnalité morale

Section 2 : Les sociétés

I. Dispositions communes à toutes les sociétés


A) Constitution des sociétés
1) Les conditions de constitution
a) Le contrat de société
b) L’accomplissement des
formalités de publicité
2) Les sanctions d’un défaut de respect des
conditions
B) Fonctionnement des sociétés
1) La répartition des pouvoirs
a) Les organes de décision
b) Les organes de contrôle
2) Le sort des bénéfices
C) Dissolution des sociétés

II. Dispositions spécifiques


A) Les sociétés commerciales
1) La société en nom collectif

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2) La société à responsabilité limitée


(SARL)
3) L’entreprise unipersonnelle à
responsabilité limitée (EURL)
4) La société anonyme
a) La direction de la société
anonyme
b) La situation des actionnaires
5) La société par actions simplifiée (SAS)
B) Les sociétés civiles

TITRE I

LA REGLE DE DROIT

INTRODUCTION

5. Cette introduction comportera trois points :

- les caractéristiques de la règle de droit ;


- la classification des règles de droit ;
- l’historique de la règle de droit.

A) Les caractéristiques de la règle de droit


6. La règle de droit est, en premier lieu, une règle de conduite sociale qui tente de
concilier un besoin de sécurité, permettre à chacun de savoir ce qu’il peut faire
et ce qu’il peut ou doit tolérer des autres, et un besoin de justice.

En tant que règle de conduite sociale, la règle de droit est le reflet d’un état de la société à un
moment donné dans un endroit donné ce qui explique l’extraordinaire diversité des systèmes
juridiques (un par pays), fruits d’une culture et d’une histoire qui parfois peuvent nous choquer
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(travail des enfants, esclavage, libre répudiation du conjoint, absence de droit de grève,
polygamie, exclusion des femmes de certaines activités, propriété collective, peine de mort,
etc.). En France, l’évolution du droit de la famille, par exemple, est directement liée à
l’évolution des mœurs (assouplissement du divorce, interruption volontaire de grossesse,
PACS, droit des enfants nés hors mariage) ; celle du droit commercial est guidée par
l’imagination sans cesse renouvelée des moyens utilisés (paiement par carte bancaire, preuve
électronique, dématérialisation des titres).

Elle est aussi l’expression d’une volonté politique, ce qui conduit à des modifications ou des
abrogations en cas de changement de majorité parlementaire : nationalisation, politique fiscale,
protection renforcée ou réduite des salariés, répression pénale plus ou moins forte, contrôle
étatique ou assouplissement des formalités administratives.

7. La règle de droit, en second lieu, est générale et abstraite : elle doit s’appliquer de
façon uniforme à tous les citoyens placés dans une situation objectivement identique :
l’idéal de justice est inséparable de l’égalité de traitement même si les vers de La
Fontaine (les animaux malades de la peste) paraissent parfois très actuels « selon que
vous serez puissant ou misérable, les jugements de cour vous rendront blanc ou noir »
(dettes URSSAF, par exemple).

8. La règle de droit, en troisième et dernier lieu, est sanctionnée par la contrainte ce


qui la distingue de la morale.

Cette contrainte sera parfois une sanction civile qui peut prendre deux formes. Certaines ont
un caractère préventif, à savoir empêcher la violation d’une disposition donnée : ainsi, le
premier conjoint peut-il s’opposer à un second mariage de sa femme ou de son mari, ce qui
constituerait une bigamie (d’où la publication des bans) ; de même, un particulier peut-il former
opposition en cas de vol de chéquier ou de carte bancaire. D’autres sanctions, la plupart en fait,
effaceront les traces ou répareront les conséquences du défaut de respect d’un texte : la
réintégration dans son emploi d’un salarié en cas de nullité de son licenciement (ex : un
licenciement jugé discriminatoire), l’annulation d’une vente avec restitution de la somme
acquittée en cas de tromperie de la part d’un commerçant, l’octroi de dommages-intérêts en cas
d’atteinte à la vie privée.

La contrainte prend aussi la forme d’une sanction pénale : amende ou emprisonnement pour
une fausse déclaration sur une feuille de sécurité sociale, un stop non respecté, une publicité
mensongère ou une offre d’emploi sexiste.

Il doit être noté qu’un même comportement peut entraîner les deux sanctions : un employeur
versant des salaires en dessous du Smic sera condamné à payer au Trésor une amende,
sanction pénale, et à verser au salarié un rappel de salaire, sanction civile. Il en va de même
pour l’auteur d’une agression qui doit rendre des comptes à la société, sanction pénale, et
indemniser sa victime, sanction civile.

La contrainte, enfin, peut prendre la forme d’une sanction disciplinaire : un médecin, un


avocat, un expert-comptable qui se rendrait coupable d’un manquement grave au code de
déontologie qui régit sa profession serait sanctionné par l’ordre dont il relève, sanction pouvant
aller jusqu’à l’interdiction temporaire ou définitive. Solution identique pour un fonctionnaire
qui peut être révoqué avec parfois perte des droits à pension (exemple récent d’un magistrat).

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La règle de droit ainsi caractérisée n’est, en fait, que la somme de multiples règles particulières
que l’on peut tenter de regrouper.

B) La classification des règles de droit


10. Cette classification s’opère en fonction de deux paramètres qu’il faut conjuguer : il
convient de distinguer les règles de droit national et de droit international d’une part,
les règles de droit privé et de droit public d’autre part.

1) Droit national privé et droit national


public
11. Le droit national est celui qui régit les relations dans lesquelles n’intervient pas
d’élément étranger (élément d’extranéité) : la vente conclue en France d’une maison
sise en France entre français relève de notre droit national.

Ces règles de droit national peuvent être de droit privé ou de droit public. Le critère de
distinction n’est guère rigoureux. Disons, en simplifiant, que le droit privé régit les rapports
entre particuliers alors que le droit public régit ceux dans lesquels intervient l’État ou une
collectivité territoriale (région, département, commune) et ses agents. Ainsi pour la construction
d’un bâtiment : s’il est construit au profit d’un particulier par une entreprise de maçonnerie, les
règles du droit privé s’appliqueront ; si, en revanche, sa construction est demandée par une
collectivité publique (école, foyer rural, hôpital), les règles du droit public s’appliqueront.

A l’intérieur même du droit public et du droit privé, plusieurs branches sont à distinguer.

a) Composantes du droit public


12. Il est possible de distinguer trois ensembles :

- le Droit constitutionnel : ensemble des règles qui définissent la structure de l’État et


assurent la répartition des compétences entre les pouvoirs législatif, exécutif et juridictionnel.
On peut en rapprocher le droit des libertés publiques (opinion, expression, association) qui
constituent des principes généraux de notre droit et apparaissent comme autant de limites aux
pouvoirs de l’État.

- le Droit administratif : il rassemble les dispositions qui gouvernent l’organisation et


le fonctionnement des personnes morales administratives ainsi que de divers organismes qui
collaborent à l’administration : établissements à caractère administratif (hôpitaux), scientifique
et culturel (universités), à caractère industriel et commercial (entreprises publiques type La

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Poste, dont la modification de statut est à l’étude). Il règle aussi les moyens d’action de
l’Administration (police, contrat, marchés, domaine) et de sa responsabilité.

- Les finances publiques : ce droit comporte deux domaines ; en premier lieu, le Droit
budgétaire c’est-à-dire toutes les règles générales de gestion des finances publiques (théorie
générale du budget, de l’impôt, de la dette publique) ; leur analyse est indissociable d’études
économiques pour apprécier l’incidence des mesures budgétaires projetées. En second lieu, il
y a le droit fiscal qui rassemble les dispositions techniques relatives aux divers impôts et taxes ;
leur connaissance est nécessaire pour apprécier les conséquences d’opérations juridiques de
droit privé, choix d’un type de société par exemple.

b) Composantes du droit privé

13. Il convient de distinguer le droit civil, auquel s’est longtemps résumé le droit privé, et
d’autres disciplines qui en sont progressivement issues jusqu’à en devenir totalement
autonomes.

α) Le droit civil : il constitue le droit commun auquel il convient de se référer en


l’absence de dispositions particulières y dérogeant. De façon spécifique, relève de cette
discipline l’étude de la personnalité et de ses attributs (nom, domicile), les mécanismes
régissant les relations familiales, les obligations, les biens et les sûretés.

β) Les disciplines nées du droit civil :

- le droit commercial est formé des règles applicables aux commerçants et aux
actes de commerce. Les besoins propres à l’activité commerciale (réunion de capitaux, rapidité
des transactions…) ont provoqué l’apparition de mécanismes juridiques originaux, forgés pour
la plupart à partir des concepts de droit civil : la société commerciale est née du contrat de
société réglementé par le Code civil, les effets de commerce (lettre de change, billet à ordre)
ont été créés par utilisation du mécanisme civiliste de la délégation.

- il existe d’autres droits plus spécifiques : droit des assurances, droit rural,
droit de la propriété intellectuelle.

- il convient d’y ajouter des « droits sanctionnateurs » : droit judiciaire privé


(ou procédure civile) qui précise les règles à suivre pour faire valoir devant les tribunaux par
des actions en justice les droits qui donnent lieu à contestation et le droit pénal qui définit les
infractions et fixe les sanctions.

14. Le droit pénal est à la limite du droit privé et du droit public : s’il est vrai, en effet,
qu’il réprime les atteintes aux droits et intérêts des particuliers, il traduit aussi la
réaction de la société contre des actes socialement dangereux dont la répression sera
le fait de l’État représenté par les magistrats du ministère public, procureur de la
république, le terme est éloquent, notamment.
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Cette tendance des matières juridiques à emprunter à la fois au droit privé et au droit public
tend à se généraliser : il en va ainsi du droit du travail certes fondé sur des mécanismes
contractuels classiques individuels (contrat de travail) ou collectif (conventions collectives)
mais largement pénétré d’interventions administratives entraînant l’application du droit public,
du droit des transports, du droit de l’urbanisme et de la construction.

2) Droit international privé et droit


international public
15. Le droit international se caractérise par la présence d’un élément étranger dans le
rapport de droit : mariage célébré en France entre un français et une étrangère, vente
d’une société française à un groupe étranger etc. Ces règles, là encore, peuvent être de
droit privé ou de droit public.

- le droit international privé se préoccupe des relations établies entre particuliers


possédant des nationalités différentes. Il convient d’y ajouter les questions suscitées par la
condition des étrangers, c’est-à-dire la détermination des droits qui leur sont reconnus par leur
pays d’accueil, ainsi que les problèmes soulevés par les conflits de juridiction et les conflits
de lois : à supposer un contrat de travail conclu entre une entreprise française et un salarié
italien envoyé en mission en Irak, quelle sera la loi applicable (française, italienne, irakienne ?)
et devant quelle juridiction un éventuel litige devra-t-il être porté ? On rattache au DIP l’étude
de la nationalité bien que cela paraisse relever plutôt du droit public.

- le droit international public se préoccupe des rapports entre États indépendants


notamment par la technique des traités. Mais sommes-nous en présence d’un droit véritable
dans la mesure où nous avons dit qu’une règle de droit était sanctionnée par la contrainte ? Or
rien ne peut contraindre un État à respecter les règles du droit international public

Ce droit international public définit en second lieu le statut des organismes internationaux à
caractère universel (ONU) ou régional (ligue arabe, organisation de l’unité africaine).

Notons, pour terminer, une pénétration du droit international dans les droits nationaux : le
législateur français doit périodiquement modifier notre droit interne pour harmoniser notre
système juridique avec les règles définies au niveau de l’Union européenne.

16. L’objet de ce cours se limitera à l’étude du droit privé et plus particulièrement à


l’introduction à l’étude du droit civil. Une bonne compréhension de notre droit positif
suppose, toutefois, que soient rappelées quelques étapes fondamentales de sa
formation.

C) Histoire du droit privé français


20. Il est possible, schématiquement, de distinguer trois étapes :
- l’ancien droit ;
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- le droit intermédiaire et la codification napoléonienne ;
- l’évolution de 1804 à nos jours.

1) L’ancien droit
21. La Gaule dut rapidement se plier au droit romain après la conquête. Simple adoption
de l’usage des vainqueurs, au début, les gallos-romains durent juridiquement s’y
soumettre lorsqu’en 212 l’empereur CARACALLA accorda le droit de cité romaine à
tous les habitants de l’empire. En fait, toutefois, l’influence romaine ne fut sensible
que dans les provinces méditerranéennes et rhodaniennes.

Les invasions dites barbares ne modifièrent guère cette situation : les gallos-romains purent
continuer à respecter le droit romain alors que chaque peuplade barbare respectait ses propres
coutumes. L’origine de l’individu conditionnait le régime juridique applicable : c’est le système
de la personnalité des lois.

La fusion entre les populations se réalisant au fil des années, les incursions normandes et la
prise de possession de la méditerranée par les Arabes tarirent le commerce contraignant les
populations à vivre en milieu fermé : le droit de l’individu ne sera dès lors plus celui de ses
ancêtres, de son origine mais celui du groupe, du lieu dans lequel il vit ; c’est le système de la
territorialité des lois.

Il est facile d’imaginer l’extrême diversité qui en résultait ; on pense qu’il existait 60 coutumes
générales et environ 700 coutumes locales. Cette diversité se manifestait surtout au nord d’une
ligne allant de l’embouchure de la Charente jusqu’au lac de Genève. Au sud de cette ligne,
l’empreinte du droit romain restait fondamentale : comme ce droit avait été codifié au VIe siècle
par l’empereur JUSTINIEN, on parlait de pays de droit écrit par opposition aux pays de
coutumes.

La tradition orale sur laquelle reposaient les coutumes était source d’insécurité. Aussi les États
généraux obtinrent-ils de Charles VII l’ordonnance de MONTILZ-LES-TOURS de 1453 qui
prescrivit la rédaction des coutumes, travail qui n’aboutit qu’au début du XVIe siècle. Cette
rédaction permit de comparer les diverses coutumes et d’en mesure les avantages ou les
insuffisances ce qui entraîna vers la fin du XVIe siècle une seconde rédaction : « la réformation
des coutumes ». ce fut un premier pas vers l’unification du droit.

22. D’autres facteurs contribuèrent à cette unification : des facteurs intellectuels et des
facteurs politiques.

a) Facteurs intellectuels : il faut citer, en premier lieu, la renaissance du droit romain. Elle
marque surtout les pays de coutume lorsque les grandes villes du Nord commercèrent avec les
grandes cités italiennes ; les coutumes germaniques archaïques apparurent bien vite inadaptées.
De plus, les juristes français se passionnèrent pour l’étude de ce droit à tel point que les rois de
France s’en préoccupèrent : le code Justinien contenait des textes définissant les pouvoirs de
l’empereur dont les maîtres du Saint Empire se prétendaient être les héritiers. Admettre que le
droit romain s’imposait aux sujets du roi de France revenait à reconnaître la suzeraineté d’un
voisin pour le moins entreprenant. En 1219, PHILIPPE-AUGUSTE obtint du pape
l’interdiction de l’enseignement du droit romain à l’Université de Paris, interdiction qui ne fut

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pas longtemps respectée. Ce droit va néanmoins s’imposer comme le droit commun en matière
de contrats et d’obligations.

Il faut y ajouter, en second lieu, un fort mouvement doctrinal qui s’efforça de rapprocher les
dispositions applicables. Deux noms se détachent : DOMAT au XVIIe siècle, POTHIER au
XVIIIe ; de nombreuses solutions qu’ils dégagèrent furent reprises telles quelles par les
rédacteurs du Code civil.

b) Facteurs politiques : un pouvoir de dimension politique ne peut se satisfaire de la diversité


des règles applicables, il ambitionne de créer un corps de règles uniforme.

Cette ambition anima tout d’abord l’Église catholique : le droit canonique régissait pour
l’ensemble de la Chrétienté certaines questions de droit civil (mariage, filiation, testament). Ce
fut un important facteur d’unification même s’il ne s’exerçait que sur quelques matières. Son
influence diminua avec la montée en puissance du droit laïc sous la pression du pouvoir royal.

Le pouvoir royal n’a pendant fort longtemps que très peu légiféré dans le domaine du droit
privé. La première grande œuvre date de COLBERT : 1667, ordonnance sur la procédure civile,
1670, ordonnance sur la procédure pénale, 1673, ordonnance sur le commerce de terre, 1681,
ordonnance sur le commerce de mer. Pour retrouver un effort de même ampleur, il faudra
attendre le début du XVIIIe siècle avec les ordonnances de DAGUESSEAU : 1731, ordonnance
relative aux donations, 1735, ordonnance relative aux testaments.

23. Malgré les progrès enregistrés sur la voie de l’unité, la situation demeure très complexe
à la fin de l’ancien régime. Ainsi une personne peut-elle être soumise au droit
canonique pour son mariage, à une coutume pour son régime matrimonial, aux
ordonnances royales pour les donations qu’elle entend consentir ou le testament
qu’elle entend rédiger, au droit romain pour certaines opérations contractuelles.
Voltaire ne disait-il pas qu’en voyageant l’on changeait plus souvent de coutumes que
de chevaux.

A la veille de la Révolution, l’état de ce droit privé très éclaté peut être caractérisé ainsi :

- la société est divisée en classes, noblesse, clergé, tiers-état. Ces classes étaient
complétées par une hiérarchie des personnes : au sein de la noblesse le vassal avait des
obligations envers son suzerain qui était lui-même le vassal d’un autre seigneur (le ban et
l’arrière-ban). La hiérarchie des personnes était liée à la hiérarchie des terres perçues comme
les seules véritables richesses : le suzerain concède une terre au vassal en échange de services
surtout militaires, c’est le fief ou « tenure noble » ; à son tour, le vassal concède la terre à un
roturier pour se procurer des redevances en produits du sol ou en argent, c’est la « tenure
roturière ». Cette hiérarchie se retrouve aussi en milieu professionnel au sein des corporations :
maître, compagnon, apprenti.

- la famille était elle-même fortement organisée autour du mari et père qui


administrait la communauté des biens conjugaux dont il était « seigneur et maître » ; la femme
était frappée d’une incapacité totale lui interdisant tout acte juridique. De plus, pour les familles
nobles était consacrée la rupture de l’égalité entre les enfants du fait du droit d’aînesse.

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DROIT ET ENTREPRISE 1 / INTRODUCTION GENERALE AU DROIT - 17 -
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PLAN DU COURS
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2) Le droit intermédiaire et la codification


napoléonienne

25. La période dite intermédiaire s’étend du 17 juin 1789, jour où les États généraux se
sont transformés en Assemblée nationale, au 21 mars 1804 jour de la promulgation du
Code civil.

Ce droit intermédiaire est caractérisé par une double affirmation : primauté de l’individu et
primauté de la loi.

a) Primauté de l’individu : elle est la résultante de la liberté et de l’égalité qui sont érigées en
principe dans la déclaration des droits de l’homme (26 août 1789, article 1er : « les hommes
naissent et demeurent libres et égaux en droit »).

- la liberté : elle s’exerce, en premier lieu, dans le domaine économique avec


l’affirmation des principes qui nous régissent toujours de la liberté du commerce et de
l’industrie (loi d’Allarde, 2 et 17 mars 1791, complétée par la loi Le Chapelier, 14-17 juin 1791,
supprimant le système rigide des corporations) et de la liberté contractuelle. Cette liberté
s’exerce, en second lieu, dans le domaine familial : réduction de l’autorité maritale et de la
puissance paternelle, autorisation du divorce.

- l’égalité : si la suppression des privilèges en constitue l’expression la plus éclatante, il


en est d’autres qui ne sauraient être négligés : assimilation des enfants naturels aux enfants
légitimes, proclamation de l’égalité successorale par la suppression du droit d’aînesse.

b) Primauté de la loi : la loi, en raison des brefs délais requis pour son élaboration constitue le
moyen le plus efficace pour assurer une rapide métamorphose du corps social. Encore faut-il
que cette primauté soit affirmée sur l’ensemble des autres sources du droit, notamment les
coutumes qui en raison de la lenteur de leur évolution constituaient un facteur de conservatisme.
D’où l’idée d’une codification.

26. Bonaparte, alors premier consul, constitue en 1800 une commission chargée de
préparer un avant-projet ; cette commission est symboliquement constituée de deux
juristes praticiens du droit coutumier et de deux juristes de droit romain. Cet avant-
projet, élaboré en quatre mois, fut transmis au Conseil d’Etat, dont les travaux furent
souvent présidés par Bonaparte en personne, fut adopté par le Corps législatif en 36
lois successives réunies en un « Code civil des Français » par la loi de promulgation
du 21 mars 1804.

Afin de marquer clairement la rupture avec le passé, la loi de promulgation décide la totale
abrogation de l’ancien droit (lois romaines, coutumes, ordonnances) dans les matières
nouvellement régies par le Code. En revanche le droit révolutionnaire n’est pas abrogé dès lors
qu’il n’est pas en contradiction avec les dispositions du Code. Cette rupture est en fait formelle
dans la mesure où les solutions retenues empruntent très largement au droit romain, au droit
coutumier et au droit canon.

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DROIT ET ENTREPRISE 1 / INTRODUCTION GENERALE AU DROIT - 18 -
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PLAN DU COURS
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27. Comment caractériser ce code civil ? Au plan technique, c’est une œuvre pratique ; au
plan idéologique, une œuvre de liberté et d’autorité.

- une œuvre pratique : les rédacteurs se sont interdits d’y exprimer formellement des
principes philosophiques : le code doit apporter réponse à des problèmes techniques et non
énumérer des maximes. Mais ces réponses doivent être de portée générale sans descendre dans
le détail de la réglementation, la résolution des difficultés quotidiennes relevant de l’office du
juge ; on mesure la différence d’approche avec la pratique actuelle surtout européenne. Cette
volonté de rester au-dessus du détail explique en grande partie la pérennité du Code : il est
possible sur la base de ses dispositions de trancher les problèmes de responsabilité suscités par
les accidents d’automobile.

- une œuvre de liberté sur le terrain des relations économiques : triomphe du


libéralisme et de l’individualisme, chacun est juge de ses intérêts, d’où la consécration de la
liberté contractuelle. Parallèlement est affirmé le caractère absolu du droit de propriété (la
France est fortement rurale). Cette approche fondée sur l’égalité naturelle des individus,
totalement irréaliste, aura des conséquences catastrophiques notamment sur la condition
ouvrière. « Entre le fort et le faible, c’est la liberté qui opprime et la loi qui affranchit ».

- une œuvre d’autorité sur le terrain des relations familiales : sont vigoureusement
affirmées l’autorité du mari sur son épouse, frappée d’incapacité juridique, et l’autorité du père
sur ses enfants.

3) L’évolution de 1804 à nos jours


30. La première moitié du XIXe siècle est marquée par un immobilisme législatif quasi-
absolu dû en grande partie au véritable culte voué au Code par les juristes et à la
mentalité très conservatrice de la société de l’Empire puis de la Restauration qui
aboutit à quelques reculs (suppression du divorce en 1816). Il a été complété par un
code de commerce en 1807, un code pénal (1810) et deux codes de procédure civile
(1806) et pénale (1812)

Au milieu du XIXe siècle, les lacunes du Code apparurent. Conçu pour une France rurale, il
apparaît inadapté à la révolution industrielle (2 articles pour le contrat de travail, 31 pour le bail
à cheptel) ; fondé sur la propriété immobilière, il ne répond plus à la modification de la structure
des patrimoines dans lesquels les actions ou obligations prennent une part de plus en plus
importante ; enfin, l’évolution des mœurs ne peut se satisfaire de la toute puissance du
paterfamilias.

La page de l’individualisme se tourne : la loi du 21 mars 1884 autorise la création de syndicats,


celle du 1er juillet 1901 consacre la liberté d’association ; l’évolution des mœurs aboutit à la
réintroduction du divorce (loi du 24 juillet 1884) ; il faudra attendre cependant les lois du 18
février 1938 et du 22 septembre 1942 pour que soit reconnue à la femme une pleine capacité
juridique). L’essor de l’activité industrielle aboutit à la loi du 24 juillet 1867 qui constitue le
premier droit des sociétés et à celle du 9 avril 1898 qui impose à l’employeur de garantir ses
salariés contre les accidents du travail ; les premières grandes lois sociales devront attendre les
années trente.

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DROIT ET ENTREPRISE 1 / INTRODUCTION GENERALE AU DROIT - 19 -
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31. Depuis la Libération, le mouvement législatif s’est considérablement amplifié au point
de s’emballer ; le nombre de textes adoptés annuellement va de record en record au
point que, par référence à ce qui est dit pour l’impôt, trop de lois risquent de tuer la loi
d’autant que bon nombre d’entre elles sont inappliquées ou inapplicables faute de
décrets.

Le Code civil a été profondément refondu à partir des années 1960 en ce qui concerne le droit
de la famille : régimes matrimoniaux, divorce, filiation, adoption, incapacités et, tout
dernièrement, successions. Il convient surtout de noter une tendance à le vider au profit de codes
spécifiques : code du travail, de la propriété intellectuelle, de la consommation, de la
construction, des assurances, du sport, du tourisme, etc.

32. Il convient d’entrer plus avant dans l’étude de notre droit positif. Nous consacrerons
un chapitre 1 à l’élaboration de la règle de droit et un chapitre 2 à son interprétation.

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Titre I : La règle de droit / Chapitre I : L’élaboration de la règle de droit
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CHAPITRE I

L’ELABORATION DE LA REGLE DE
DROIT

40. S’agissant de l’élaboration de la règle de droit, il convient de distinguer une source


formelle, la loi (section 1) et une source informelle, la coutume (section 2).

SECTION 1
LA LOI
41. L’étude de la loi dépasse le cadre du droit civil puisqu’elle règle à la fois les matières
de droit privé et du droit public. Expression de la volonté de l’autorité publique, son
étude relèverait plutôt du droit public ; le code civil y consacre, cependant, ses six
premiers articles.

De cette loi, il convient de préciser les caractéristiques et la place dans la hiérarchie des textes
(I), ses conditions d’application (II) et son application proprement dite dans le temps et l’espace
(III).

I. Caractéristiques de la loi et place dans


la hiérarchie des textes

A) Les caractéristiques de la loi


45. Ces caractéristiques sont au nombre de 4 : la loi est une règle générale, obligatoire,
permanente, formulée par le pouvoir législatif.

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DROIT ET ENTREPRISE 1 / INTRODUCTION GENERALE AU DROIT - 21 -
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Titre I : La règle de droit / Chapitre I : L’élaboration de la règle de droit
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46. La loi est une règle générale : cela signifie qu’elle a vocation à s’appliquer
potentiellement à tous les citoyens et, par voie de conséquence, qu’elle ne peut viser
certains d’entre eux pris isolément sauf cas particuliers tout à fait exceptionnels. Il
serait plus juste, en effet, de dire que la généralité de la loi signifie qu’elle s’applique
à toutes les personnes se trouvant dans une situation donnée : en dehors de cette
situation, la loi ne les concerne pas mais lorsqu’elles se trouvent dans cette situation,
le texte jouera. Ainsi, la loi pénale ne vise pas tous les citoyens mais uniquement ceux
qui ont commis telle ou telle infraction déterminée.

47. La loi est une règle obligatoire : cela signifie que son exécution doit pouvoir être
assurée par le recours à l’autorité publique (expulsion par exemple ou exécution
forcée : fermeture d’un magasin ouvrant le dimanche en l’absence d’une autorisation
ou d’une dérogation, réintégration d’un salarié). En réalité, toutes les lois n’ont pas la
même portée : il convient de distinguer les lois dites impératives et les lois supplétives.

a) Loi impérative : c’est une loi à laquelle les parties ne peuvent déroger sauf si la loi en
dispose autrement (exemple : la loi Fillon du 4 mai 2004 relative à la formation et au dialogue
social qui permet de déroger à la loi y compris dans un sens moins favorable par le jeu de
conventions collectives). On parle de loi d’ordre public au motif qu’elle est nécessaire à la
bonne efficacité de l’organisation sociale prise sous son aspect économique, familial, politique
ou social. Il est admis à l’heure actuelle qu’un texte peut être considéré d’ordre public même si
le législateur ne l’a pas indiqué expressément. La jurisprudence distingue deux types d’ordre
public, et, partant, deux sortes de lois impératives :

- un ordre public de protection qui oblige à considérer le texte comme un


minimum obligatoire mais permet aux parties de retenir une solution plus favorable au profit
du contractant jugé le plus faible (fréquent en droit du travail) ;

- un ordre public d’interdiction qui oblige au strict respect du texte sans même
permettre aux parties de l’améliorer : exemple, il est interdit d’indexer les salaires sur le Smic.

b) Loi supplétive : c’est une loi à laquelle les parties peuvent déroger. Elle est dite supplétive
parce qu’elle s’appliquera à défaut d’une prévision expresse des parties, elle supplée leur
absence de prise de position. Le texte a bien un caractère obligatoire mais il ne s’applique que
parce que les parties n’ont rien prévu d’autre : ainsi, en matière de vente, le paiement se fait en
principe à la livraison mais les parties peuvent convenir qu’il se fera à la commande (voir
notamment en matière de vente par correspondance).

48. La loi est une règle permanente : elle s’applique tant qu’elle n’a pas été abrogée ou
annulée. Il existe, cependant, des lois temporaires soit que l’on mette le texte à l’essai
(la loi sur l’avortement avait été prévue pour 5 ans), soit qu’elle entende régir une
situation déterminée : ainsi, la loi du 3 décembre 2008 en faveur des revenus du travail
permettait aux entreprises de verser, avant le 30 juin 2009, une prime exceptionnelle
d’intéressement exonérée de charges sociales et plafonnée à 1 500 €.

Une loi constitutionnelle du 28 mars 2003 consacre la possibilité de normes


expérimentales : « la loi et le règlement peuvent comporter pour un objet et une durée
limitée des dispositions à caractère expérimental » (art. 37-1 de la Constitution).

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Titre I : La règle de droit / Chapitre I : L’élaboration de la règle de droit
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49. La loi est une règle formulée par le pouvoir législatif : elle peut être initiée par le
gouvernement (« projet de loi ») ou un parlementaire (député ou sénateur)
(« proposition de loi »). Inscrite à l’ordre du jour de l’une des deux assemblées (art. 48
de la Constitution), elle va faire l’objet d’une discussion préalable en commission, et
c’est ce texte éventuellement amendé qui sera soumis à la discussion des
parlementaires (art. 42 de la Constitution). La loi est adoptée par le Parlement après
une (en cas de procédure d’urgence) ou plusieurs navettes entre l’Assemblée nationale
et le Sénat, débouchant, le cas échéant, sur la constitution d’une commission mixte
paritaire chargée de trouver un compromis sur les parties du texte qui auraient été
adoptées en des termes différents ; mais l’Assemblée a toujours le dernier mot.

L’ensemble des projets, rapports et discussions est publié sur le site Internet des deux
assemblées.

Le Parlement peut, cependant, confier temporairement ce pouvoir législatif au pouvoir exécutif


(Président de la République) par la technique des ordonnances (art. 38 de la Constitution).
Cette technique est très encadrée : en amont, le Parlement, par une loi dite d’habilitation à
légiférer par voie d’ordonnance, détermine les domaines et points que le gouvernement pourra
régler ; en aval, l’ordonnance publiée au journal officiel et dès lors appliquée doit être ratifiée
(théoriquement) dans les 12 mois.

Pour un exemple : loi n° 2005-846 du 26 juillet 2005 habilitant le Gouvernement à prendre,


par ordonnance, des mesures d'urgence pour l'emploi () qui a permis la promulgation de
l’ordonnance n° 2005-893 du 2 août 2005 relative au contrat « nouvelles embauches » ()
après rapport du Premier ministre au Président de la République ().
L’ordonnance est un acte juridique complexe : sa promulgation par le Président de la
République en fait un acte réglementaire dont le contrôle relève des juridictions de l’ordre
administratif ; mais une fois ratifiée, de façon directe (par la loi de ratification) ou indirecte
(s’il en fait référence dans un texte législatif), elle retrouve rétroactivement une nature
législative, permettant alors un contrôle de son application par les juridictions de l’ordre
judiciaire. Le « feuilleton » du CNE en constitue un bon exemple : la légalité de
l’ordonnance avait été contestée devant le Conseil d’Etat qui avait rejeté le recours estimant
qu’elle n’était pas contraire à la convention n° 158 de l’Organisation Internationale du
travail (OIT) (CE 19 octobre 2005 ) ; il se trouve, cependant, que certains salariés ont saisi
des conseils de prud’hommes pour dénoncer les conditions de la rupture de leur CNE. Le
premier jugement, largement médiatisé, du conseil de prud’hommes de Longjumeau (28
avril 2006) a donné gain de cause au salarié en considérant l’ordonnance inapplicable
comme contraire aux engagements internationaux de la France ; appel de ce jugement fut
interjeté devant la Cour d’appel de Paris. Avant que celle-ci ne se prononce, les pouvoirs
publics ont contesté la compétence des juridictions de l’ordre judiciaire : la Cour d’appel a
refusé ce que l’on appelle « le déclinatoire de compétence » et le Tribunal des conflits,
chargé de délimiter les compétences entre les ordres de juridiction (), a été saisi : il a tranché
en faveur de la compétence des juridictions de l’ordre judiciaire (Trib. Confl. 19 mars 2007
) ce qui a permis à la Cour d’appel de Paris de reprendre l’examen de l’affaire et de
confirmer le jugement qui lui était déféré. Pour mettre fin aux difficultés, ces contrats ont
été supprimés par la loi du 25 juin 2008 relative à la modernisation du marché du travail

Le dessaisissement est parfois involontaire : en cas de carence du Parlement si la loi de finances


n’a pas été adoptée dans les 70 jours (art. 47 de la Constitution) ou en cas de circonstances
exceptionnelles (art. 16 de la Constitution). On parle alors de décisions.

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Titre I : La règle de droit / Chapitre I : L’élaboration de la règle de droit
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B) La hiérarchie des textes


50. Au sommet de la hiérarchie se trouve la loi constitutionnelle (ce que certains pays
appellent la loi fondamentale) qui traite de l’organisation et du rapport des divers
pouvoirs. Elle garantit, par là même, les citoyens contre le pouvoir. La Constitution du
4 octobre 1958 a créé le Conseil constitutionnel, organe auquel peuvent être déférées
toutes les lois avant leur promulgation. Ses décisions sont sans recours : une loi (ou
un ou plusieurs articles d’une loi) déclarée inconstitutionnelle ne peut recevoir
application

Initialement réservé au Président de la République, au Premier ministre et aux présidents


des deux assemblées, le droit de saisine du conseil a été élargi à tout groupe de 60 députés
et sénateurs. Pour un exemple récent de censure : la disposition votée par le Parlement, dans
le cadre de la loi du 12 juin 2009 favorisant la diffusion et la protection de la création sur
Internet (dite loi Hadopi), permettant à une autorité administrative et non juridictionnelle
de décider la suspension de l’accès à Internet (Conseil constitutionnel 10 juin 2009 ).

Cette valeur supérieure a été étendue par le Conseil constitutionnel au préambule qui précède
le texte même de la Constitution ainsi qu’aux textes auxquels ce préambule renvoie : la
Déclaration des droits de l’homme de 1789, le préambule de la constitution de 1946 ) qui
consacre un certain nombre de droits sociaux : droit de grève, droit au travail, au logement, etc.)
et la Charte de l’environnement de 2004. L’ensemble de ces textes constituent ce que l’on
appelle le « bloc de constitutionnalité ».

Il convient d’ajouter qu’une fois la loi promulguée, il est possible à tout justiciable, à l'occasion
d'une instance, de soutenir qu'une disposition législative porte atteinte aux droits et libertés que
la Constitution garantit ; le Conseil constitutionnel peut alors être saisi de cette question sur
renvoi du Conseil d'État ou de la Cour de cassation (Article 61-1 de la Constitution introduit
par la loi organique du 10 décembre 2009). C’est ce que l’on appelle la question prioritaire
de constitutionnalité. Encore faut-il que la disposition législative critiquée n'ait pas déjà été
déclarée conforme à la Constitution par le Conseil constitutionnel. Pour un des premiers
exemples d’application, signalons la décision du 30 juillet 2010 imposant au gouvernement de
revoir les dispositions relatives à la procédure de garde à vue de droit commun. En revanche,
le régime spécifique de la garde à vue en matière de criminalité et de délinquance organisées,
de terrorisme et de trafic de stupéfiants n’a pas été remis en cause, ce régime ayant été déclaré
conforme à la Constitution à l'occasion de l'examen de la loi du 9 mars 2004 qui l’avait introduit.

51. Au second rang, figurent les traités et accords internationaux auxquels la


Constitution attribue une autorité supérieure à la loi (art. 55 de la Constitution).

a) Justification de la hiérarchie : la prééminence de la Constitution sur les traités résulte de


son article 54 qui subordonne la ratification ou l’approbation d’un engagement international
contraire à la Constitution à une révision de cette dernière (ce qui renverse de facto la
prééminence) (pour une affirmation de cette primauté : Cass. Ass. plén. 2 juin 2000 , CE 30
octobre 1998 ).

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Titre I : La règle de droit / Chapitre I : L’élaboration de la règle de droit
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Ce type de modification constitutionnelle intervient régulièrement avant toute ratification
d’un nouveau traité européen : en dernier lieu, loi n° 2008-103 du 4 février 2008, préalable
nécessaire à la ratification du traité de Lisbonne.

Cette solution est contestée au plan communautaire, la Cour de justice de l’Union européenne
proclamant la primauté du droit communautaire sur tout texte interne quel qu’il soit, position
partagée par le Conseil constitutionnel (Cons. const. 30 novembre 2006), le Conseil d’Etat étant
plus nuancé (CE 8 février 2007).

b) Traités et accords ordinaires : ils sont extrêmement nombreux en raison, notamment, de


l’internationalisation de la vie économique. Citons par exemple les conventions fiscales pour
éviter les doubles impositions, les conventions de sécurité sociale ou relatives à l’accueil de la
main d’œuvre de certains pays, les conventions de l’Organisation Internationale du Travail (la
France en a ratifié plus d’une centaine) (voir le débat sur le CNE déjà évoqué).

Deux conditions pour leur application : le traité doit, d’une part, avoir été ratifié (par le
Président de la République ou, pour les plus importants par une loi), le traité doit, d’autre
part, être appliqué par l’autre partie signataire (principe dit de réciprocité). Dès lors qu’ils
sont applicables, les traités peuvent être invoqués par les particuliers pour autant qu’ils
créent des droits en leur faveur (les obligations qui en découlent sont souvent à la charge
des États).

Parmi ces traités, il convient de distinguer la Convention européenne des droits de l’homme
(CEDH) de plus en plus fréquemment invoquée devant les juridictions françaises : protection
de la vie privée, droit à un procès équitable, droit à un procès de durée raisonnable par exemple.
Concrètement, un particulier peut saisir la Cour européenne des droits de l’homme, qui siège à
Strasbourg, afin d’obtenir la condamnation d’un État ; cette condamnation entraîne parfois une
modification du droit interne.

c) Le droit communautaire : le pouvoir législatif appartient au Conseil de l’Union européenne


au sein duquel siègent les représentants des gouvernements ; le Parlement européen a surtout
des compétences budgétaires et la Commission veille au respect des traités, notamment la
liberté de concurrence qui la conduit à s’opposer à des opérations de fusion ou au versement
d’aides publiques directes ou indirectes à des entreprises nationales.

Le droit communautaire est d’application directe dans tous les États membres ; il est composé
des traités fondateurs (Rome, Maastricht, Amsterdam, Nice, Lisbonne entré en vigueur le 1er
décembre 2009) et de ce que l’on appelle le droit dérivé (dérivé du fait d’un transfert partiel
de compétences des États membres vers les institutions européennes). Ce droit dérivé se
compose de trois catégories de normes :

- le règlement, mesure de portée générale, obligatoire dans tous ses éléments et


directement applicable ;

- la directive qui lie les États quant au résultat à atteindre tout en les laissant libres
de la forme et des moyens à mettre en œuvre dans un délai déterminé ; on parle de
« transcription » de la directive. Le juge considère que si, passé le délai, la directive n’a pas
été transcrite en droit interne, elle peut néanmoins être invoquée par tout particulier dès lors
que ses dispositions sont suffisamment précises et inconditionnelles.

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Titre I : La règle de droit / Chapitre I : L’élaboration de la règle de droit
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- La décision, qui émane de la Commission, est obligatoire dans tous ses éléments
pour les destinataires qu’elle désigne (États ou entreprises). Elle est susceptible de recours
devant les juridictions communautaires (v. en dernier lieu le contentieux relatif à la fusion
rejetée par la Commission entre Schneider Electric et Legrand).

En cas de difficulté d’interprétation d’une norme communautaire intégrée au droit positif, la


juridiction nationale doit, avant de statuer, saisir la Cour de Justice de l’Union européenne qui
siège à Luxembourg (au 1er degré : tribunal de première instance de l’Union européenne). C’est
ce que l’on appelle le « renvoi préjudiciel ». L’interprétation qui sera donnée devra être retenue
par la juridiction nationale à l’origine du renvoi.

52. Au troisième rang, nous trouvons les lois organiques qui modifient le texte
constitutionnel au cas particulier des modalités d’organisation et de fonctionnement
des pouvoirs publics. Leur adoption est enfermée dans des conditions rigoureuses :
elles doivent être soit votées dans les mêmes termes par les deux assemblées et
approuvées par référendum, soit votées par le Parlement réuni en congrès à la majorité
des 3/5.

53. Au quatrième rang, figurent la loi (ainsi que les ordonnances) et les règlements
administratifs dits « autonomes ». Avant 1958, le Parlement avait une compétence
générale ; depuis la Constitution de la Ve République, il partage cette prérogative avec
le pouvoir exécutif :

- l’article 34 de la Constitution énumère les matières législatives en distinguant


celles pour lesquelles le Parlement a une compétence exclusive (ex : régimes
matrimoniaux, nationalité, droits civiques, libertés publiques) de celles pour lesquelles il
ne fait que déterminer les principes fondamentaux laissant la définition des règles
techniques au pouvoir réglementaire (propriété, droit du travail, obligations
commerciales…) ;

- l’article 37 de la Constitution dispose que tout ce qui n’est pas expressément


réservé au Parlement relève du pouvoir réglementaire ; c’est ce que l’on appelle les
règlements autonomes : décret pris après avis du Conseil d’État, décret simple, arrêté
ministériel, préfectoral, municipal etc.

54. Au dernier rang, enfin, figurent les règlements pris pour l’application des textes
législatifs ou des règlements autonomes.

II. Conditions d’application de la loi

A) Entrée en vigueur de la loi

60. Pour être applicable, la loi, une fois votée, doit être promulguée et publiée.

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DROIT ET ENTREPRISE 1 / INTRODUCTION GENERALE AU DROIT - 26 -
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Titre I : La règle de droit / Chapitre I : L’élaboration de la règle de droit
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a) Promulgation de la loi : opération juridique par laquelle le Président de la République
constate que le Parlement a voté définitivement la loi et ordonne qu’elle soit exécutée. Cette
opération est réalisée par un décret, la loi ayant pour date celle du décret de promulgation. Ce
décret doit être pris, en principe, dans les 15 jours qui suivent la transmission de la loi au
Gouvernement, le Chef de l’État pouvant, cependant, demander au Parlement un nouvel
examen du texte voté ce qui repousse la promulgation (quelques exemples en temps de
cohabitation).

b) Publication de la loi : une fois signé le décret de promulgation, la loi doit être publiée au
Journal Officiel.

Elle est évoquée, par la suite, en reprenant la date de l’année de promulgation (en principe
les deux derniers chiffres), le numéro d’ordre de promulgation, sa date de promulgation et,
généralement, le titre qui lui a été donné : exemple : loi n° 2009-974 du 10 août 2009
réaffirmant le principe du repos dominical et visant à adapter les dérogations à ce principe
dans les communes et zones touristiques et thermales ainsi que dans certaines grandes
agglomérations pour les salariés volontaires ; la surmédiatisation systématique actuelle
tend, désormais, à la qualifier du nom de son auteur : lois Sarkozy, Fillon, Dati, Chatel….

Il se peut qu’une erreur se glisse dans la publication, ce qui va obliger à la publication d’un
erratum dans un numéro ultérieur du JO. Quelle valeur lui accorder ? Autorité légale est
reconnue au rectificatif s’il est destiné à rétablir le texte tel qu’il a été adopté par le Parlement,
la rectification a force obligatoire à la même date que le texte initialement publié ; en revanche,
si le texte rectificatif entendait modifier le texte initial (et donc correctement publié), il n’aurait
aucune valeur.

Depuis le 2 juin 2004, une version électronique authentifiée du JO est disponible gratuitement
sur le site Internet des journaux officiels (www.journal-officiel.gouv.fr ; en cliquant sur la loi
recherchée apparaît un ensemble de documents qui s’y rattachent : projet ou proposition, divers
rapports, référence des débats dans les deux assemblées) ; cette version a la même valeur que
la version « papier » classique. Par voie de conséquence, les lois et décrets sont applicables dès
le lendemain de leur publication sauf urgence déclarée.

Pour la loi cette vision est assez théorique : bon nombre d’entre elles ne seront applicables
que lorsque leurs modalités pratiques auront été définies par décret (quand il ne faut pas
attendre la circulaire, voire l’imprimé). Il doit être noté qu’un effort réel est réalisé depuis
de nombreuses années pour accélérer la publication des décrets et circulaires.

Une exception à noter toutefois : le législateur peut décider de retarder l’application d’une loi
à une date qu’il fixe (fréquent pour les textes complexes ou aux conséquences économiques
importantes, ex : la réforme des procédures collectives adoptée en juillet 2005 applicable au 1er
janvier 2006).

B) Extinction de la loi
1) Abrogation de la loi

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65. La loi, texte législatif, ne peut être abrogée que par l’adoption d’une règle située, au
minimum, au même degré dans la hiérarchie des textes déjà évoquée. En pratique,
l’abrogation d’une loi résultera du vote d’une autre loi.

L’abrogation peut être expresse, ce qui a le mérite de lever toute ambiguïté. Cette solution est
la règle lorsque la disposition modifiée est codifiée : le nouveau texte modifie l’article x de tel
code, la rédaction ancienne disparaît automatiquement.

L’abrogation peut aussi être tacite, les dispositions nouvelles se révélant incompatibles avec
un texte ancien que l’on n’a pas, souvent par oubli, abrogé. Il convient d’introduire ici une
distinction entre lois générales et lois spéciales :

- une loi générale nouvelle ne remet pas en cause nécessairement une loi
antérieure de portée plus réduite ; à titre d’exemple : une modification du droit général des
contrats ne remettrait pas nécessairement en cause des dispositions spécifiques contraires
relatives à un type de contrat particulier ;

- en revanche, une loi spéciale nouvelle « abroge » sur tous les points qu’elle
vise les dispositions anciennes d’une loi générale au cas particulier de la situation qu’elle régit.

2) Annulation de la loi
68. L’abrogation d’un texte ne provoque sa disparition que pour l’avenir ; en revanche,
une annulation a un effet rétroactif : la loi est réputée n’avoir jamais existé. Les
exemples sont rares : la quasi-totalité concerne des lois adoptées sous le régime de
Vichy.

III. Application de la loi

A) Application de la loi dans le temps

70. Nous avons vu que la loi devenait obligatoire pour tous à compter du lendemain de sa
publication mais cela ne résout pas le problème de l’application de la loi dans le temps.
Prenons deux exemples.

Premier exemple : supposons que l’on modifie la législation sur le divorce dans un sens plus
restrictif ; le nouveau texte s’appliquera sans nul doute aux personnes qui se marieront après
l’entrée en vigueur de la loi nouvelle. Mais cette loi nouvelle s’appliquera-t-elle aux personnes
mariées sous l’empire de l’ancien texte ? Cette loi nouvelle peut-elle remettre en cause des
divorces déjà prononcés pour un motif que le nouveau texte supprimerait ?

Second exemple dans le domaine contractuel : prenons une relation propriétaire / locataire et
imaginons que pour des raisons sociales, le gouvernement décide de plafonner les loyers des
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studios occupés par des étudiants à 300 €. Ce texte s’appliquera, de plein droit, aux locations
conclues après sa promulgation ; mais concerne-t-il les contrats déjà conclus, ce qui pourrait
entraîner une réduction du loyer à payer s’il était supérieur à 300 € et, au pire, ou au mieux, le
locataire pourrait-il obtenir remboursement du trop versé ?

Voilà ce que l’on appelle le problème de l’application de la loi dans le temps. Au plan théorique,
la solution se pose en termes contradictoires. Chacun s’engage dans une situation juridique
donnée en connaissance du régime de cette situation : que devrai-je payer, quand, pendant
combien de temps, combien pourrai-je exiger de l’autre, si elle (ou il, plus rare !) m’ennuie
pourrais-je m’échapper, etc. ? Le besoin de sécurité exige donc que l’on limite au maximum
les effets de la loi nouvelle ; mais si l’on suppose que cette loi nouvelle améliore le
fonctionnement social, le besoin de justice n’exige-t-il pas, à l’inverse, l’application la plus
large des nouvelles dispositions ?

71. Les termes réels du problème doivent être clairement posés :

- il va de soi que le nouveau texte s’appliquera aux situations nées après son entrée
en vigueur ;
- il va de soi, aussi, que le nouveau texte ne pourra s’appliquer aux situations nées
et réalisées avant son entrée en vigueur ; à reprendre un exemple précédent, la
remise en cause d’un divorce déjà prononcé est inconcevable (surtout s’il y a eu
remariage…) ;
- le conflit de lois ne se pose donc que pour des situations qui sont nées sous
l’empire d’une loi antérieure et qui continuent à produire leurs effets sous
l’empire d’une loi nouvelle.

Il est possible de tracer des lignes générales de solution (1) qui comporteront un certain nombre
d’exceptions (2).

1) Règles générales de solution des conflits de


lois
72. L’article 2 du code civil affirme que la loi ne dispose que pour l’avenir, elle n’a point
d’effet rétroactif. Il en découle deux principes qu’il ne faut pas confondre : celui de
l’effet immédiat de la loi nouvelle et celui de sa non-rétroactivité. Notons que ce
second principe n’a pas de valeur constitutionnelle sauf en matière répressive (ex :
décision du Conseil constitutionnel du 21 février 2008 censurant la disposition, votée
dans le cadre de la loi du 25 février 2008 relative à la rétention de sûreté pour les
personnes présentant une particulière dangerosité caractérisée par une probabilité très
élevée de récidive ou souffrant d'un trouble grave de la personnalité, qui entendait
l’appliquer aux personnes déjà condamnées).

Il nous faut distinguer les règles applicables à la création d’une situation juridique (a) et celles
applicables aux effets de cette situation (b).

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a) Règles applicables à la création d’une situation


juridique
73. Le principe est ici celui de la non-rétroactivité de la loi nouvelle ; pour examiner, par
la suite, la régularité des conditions de création de la situation juridique, on appliquera
la loi en vigueur au moment de la création de cette situation.

Exemples : supposons qu’un nouveau texte exige pour la validité d’un contrat donné la
rédaction d’un écrit alors que l’ancien texte ne l’exigeait pas, les contrats conclus verbalement
auparavant demeurent valables. Autre exemple dans un domaine non contractuel, le mariage :
historiquement, un garçon devait avoir 18 ans révolus pour se marier et une fille 15 ans révolus
; or, la loi du 4 avril 2006 a aligné les conditions d’âge en imposant 18 ans pour les filles (C.
civ. art. 144) : il va de soi que les mariages conclus antérieurement ne seront pas remis en cause
même si au moment de la promulgation de la loi nouvelle l’épouse n’a pas encore 18 ans.

74. Une difficulté surgit cependant pour la création de situations juridiques qui ne sont
pas instantanées (à la différence de la signature d’un acte ou le passage devant un
officier d’état civil) mais qui s’étendent sur une période de temps plus ou moins
longue.

La prescription en offre un bon exemple ; il s’agit d’un mode d’acquisition d’un droit par
l’écoulement d’un certain temps. Prenons le cas du salaire : un salarié a cinq ans pour réclamer
un salaire qui ne lui aurait pas été versé, passé ce délai il ne peut plus ; cela signifie,
réciproquement, que son employeur, passé cinq ans, a acquis le droit de ne pas lui verser la
somme due. Imaginons que le salarié quitte l’entreprise en septembre 2009, il a jusqu’au mois
de septembre 2014 pour réclamer son dû ; supposons qu’en 2010, le législateur porte le délai
de prescription à 10 ans, ce salarié pourrait réclamer jusqu’en 2019 (il doit être tenu compte,
bien sûr, du délai déjà écoulé). Il y a ici application immédiate de la loi nouvelle, solution
logique, la situation n’a pas encore été définitivement créée, elle est simplement en cours de
création.

En revanche, si cet allongement intervenait en 2015 alors que la prescription était devenue
définitive (l’employeur avait acquis définitivement le droit de ne plus payer), le salarié ne
pourrait en profiter.

Mais, à l’inverse, que faire si le délai de prescription est raccourci par une loi nouvelle ? Le
risque est que des personnes qui pensaient avoir encore du temps pour agir se trouvent privées
du jour au lendemain de toute action. La loi du 17 juin 2008 a réduit de 30 ans à 5 ans le délai
de prescription pour les actions mobilières et personnelles (pour les actions immobilières, le
délai reste fixé à 30 ans). L’article 26 II de la loi précise que les dispositions de la loi qui
réduisent la durée de la prescription s'appliquent aux prescriptions à compter du jour de l'entrée
en vigueur de la loi, sans que la durée totale puisse excéder la durée prévue par la loi antérieure.

Exemples :
- imaginons une action qui pouvait être engagée début 1990. Avec le délai de 30 ans, la
personne pouvait agir jusqu’à fin 2019. La réduction à 5 ans joue à partir de 2008 ; la
personne doit agir avant 2013 ;
- imaginons une action qui pouvait être engagée début 1980. Avec le délai de 30 ans, la
personne pouvait agir jusqu’à fin 2009. La réduction à 5 ans joue, certes, à partir de
2008 mais la date butoir restera fin 2009.
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b) Règles applicables aux effets de la situation


juridique
75. Il convient de distinguer les effets passés et les effets futurs.

Effets passés
76. La loi nouvelle ne rétroagit pas pour les effets déjà passés d’une situation juridique.
Prenons deux exemples :

- premier exemple : l’abaissement de la majorité de 21 ans à 18 ans est intervenu en 1974 ; il


faut rappeler qu’un mineur est frappé d’incapacité ce qui lui interdit les actes juridiques
importants. Supposons qu’en 1973, un mineur âgé de 18 ans ait acheté une maison, cet acte
était à l’époque frappé de nullité du fait de son incapacité ; le fait que l’année suivante il soit
devenu majeur au regard de la loi nouvelle ne peut redonner une quelconque validité à cet acte ;

- second exemple dans le domaine contractuel : supposons un contrat de prêt stipulant un taux
d’intérêt donné, si un texte fixe ultérieurement un taux inférieur à celui stipulé dans le contrat,
les intérêts déjà échus et payés n’ont pas à être remboursés.

Effets futurs
77. Il convient d’opérer ici une nouvelle distinction entre les effets futurs d’une situation
non contractuelle et les effets futurs d’une situation contractuelle.

a) Effets futurs d’une situation non contractuelle : le principe est ici celui de l’effet
immédiat de la loi nouvelle ; reprenons l’exemple déjà donné d’une éventuelle réforme du
divorce : la loi nouvelle serait applicable non seulement aux personnes qui se marieraient
postérieurement mais aussi à celle déjà mariées. Selon la nature de la disposition nouvelle, le
législateur peut accorder un délai pour adapter les situations en cours.

b) Effets futurs d’une situation juridique contractuelle : le principe est ici celui de la non-
application de la loi nouvelle. La raison invoquée par le juge est le respect de l’équilibre du
contrat : les parties ont accepté certaines obligations en considération des droits que leur
conférait la convention ; si la loi nouvelle modifiait un ou plusieurs points du contrat, l’équilibre
qui a présidé à la conclusion du contrat serait rompu ; à titre d’exemple, les principales
réglementations protégeant les locataires ne sont généralement appliquées que lors du
renouvellement des baux.

2) Exceptions aux principes généraux


de solution
80. Nous avons vu que la loi nouvelle ne pouvait s’appliquer aux effets futurs d’une
situation juridique contractuelle, aux effets passés de toutes les situations ainsi qu’à
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leurs règles de création. Des exceptions existent à ces trois principes, nous y ajouterons
une quatrième exception de portée générale.

81. Première exception : application immédiate de la loi nouvelle aux effets futurs
d’une situation juridique contractuelle.

Il en va ainsi lorsque le législateur le décide ou lorsque le juge considère que la loi est d’ordre
public ; les exemples abondent, notamment, dans le domaine de la législation sociale : toute
hausse du Smic bénéficie à l’ensemble des salariés rémunérés à ce niveau ou à un niveau devenu
inférieur. De même, le nouvel indice de référence des loyers (IRL), créé au 1er janvier 2006,
s’est substitué de plein droit à tous les autres indices prévus dans les contrats de location
(souvent l’indice du coût de la construction). Ce nouvel indice était constitué pour 60% de
l'indice des prix à la consommation hors tabac et hors loyers, pour 20% de l'indice du coût de
la construction, et pour 20% de l'indice des prix des travaux d'entretien et d'amélioration du
logement. La composition de cet indice a été à nouveau modifiée en 2008 (uniquement la
moyenne, sur les douze derniers mois, de l’indice des prix à la consommation hors tabac et hors
loyers) ; cette nouvelle composition s’applique immédiatement.
Mais des exemples contraires existent : ainsi, la loi de modernisation sociale de janvier 2002
augmentant l’indemnité de précarité des CDD de 6 à 10 % avait-elle prévu qu’elle ne
s’appliquerait qu’aux contrats conclus après sa promulgation.

82. Seconde exception : application rétroactive de la loi aux effets passés d’une
situation juridique.

Il faut supposer ici qu’un contentieux s’est élevé à propos de ces effets (si aucune contestation,
tout a été consommé sous l’empire de la loi ancienne) : l’application rétroactive fera que si une
difficulté surgit à propos d’effets déjà produits, cette difficulté sera tranchée en fonction des
nouvelles dispositions. Une telle situation est rarissime en raison du facteur d’insécurité qu’elle
introduirait : seul, donc, le législateur peut le prévoir.

Le droit fiscal en offre les exemples les plus fréquents : les dispositions sont souvent
réputées s’appliquer aux effets des situations qui se sont produits dès la connaissance du
projet par le public, en fait la présentation en Conseil des Ministres, ceci afin d’éviter des
« fraudes préventives ». L’insécurité évoquée plus haut disparaît du fait de l’information

83. Troisième exception : application rétroactive de la loi aux règles de création d’une
situation juridique.

Là encore l’hypothèse est quasiment exceptionnelle au regard des difficultés et perturbations


qui en résulteraient. Un précédent illustre est régulièrement cité : la loi du 17 nivôse an II qui
avait modifié le régime de toutes les successions ouvertes, et souvent liquidées, depuis le 14
juillet 1789. Il avait fallu annuler les partages intervenus et surtout remettre en cause les actes
accomplis par des personnes considérées comme n’étant plus propriétaires rétroactivement des
biens objets des actes considérés.

Il existe, néanmoins, quelques exemples qui ne sont pas contestés dans leur principe :

- les lois pénales dites plus douces (C. pén. art. L 112-1) : ce sont les lois qui,
pour une infraction donnée, instituent une peine moins sévère ou font disparaître une
infraction ; ces lois seront appliquées à la personne non encore condamnée qui a commis
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l’infraction sous l’empire de la loi ancienne (pour un exemple : Cass. crim. 14 mars 2006 )
;

- les lois dites de validation ou de « sécurisation juridique » : elles ont pour


objet de rendre valides ou de confirmer des actes entachés de nullité, de conférer une
immunité contentieuse à des actes menacés d’invalidation ou encore de limiter la portée
d’une décision d’invalidation en préservant les effets de l’acte invalidé (cas de certains
concours). Ces lois ne peuvent, sauf impérieux motifs d’intérêt général, s’appliquer aux
procès en cours (CE 8 février 2007 , sur la base du droit à un procès équitable). Il existe
aussi ce que l’on appelle des lois de rétablissement lorsque le législateur a abrogé par
mégarde certains dispositions.

Le droit du travail en fournit assez régulièrement des exemples. Le problème est posé de la
validité de certains accords collectifs qui ont introduit des mécanismes non autorisés par la
législation au moment de leur conclusion, mécanismes qui se trouvent par la suite autorisés par
une loi ultérieure. Le dispositif de sécurisation juridique a pour objet de valider a posteriori des
accords juridiquement nuls.

Un exemple est fourni par la loi du 17 janvier 2003 relative au Smic, au temps de travail et
à l’allègement de charges. L’article 16 de la loi valide les accords relatifs à l’aménagement
du temps de travail qui n’étaient pas conformes aux anciens dispositifs mais le seraient au
regard des nouveaux. Saisi avant promulgation, le Conseil Constitutionnel, dans sa décision
du 13 janvier 2003, a validé ce procédé en précisant, fort logiquement, qu’il n’était pas
question de revenir sur des décisions de justice ayant annulé ces accords. La même solution
devrait être retenue pour les procès en cours.

84. Quatrième exception de portée générale liée à l’existence d’un contentieux. Il faut
supposer qu’un litige survient à propos d’une situation en cours qu’il s’agisse de sa
création ou de ses effets passés ou futurs. La rétroactivité d’un nouveau texte (ou son
effet immédiat) est admise pour deux séries de dispositions :

- les lois interprétatives : ce sont des lois qui viennent préciser un texte ancien
jugé obscur ou ambigu ; elles sont réputées faire corps avec l’ancien : elles prennent donc
effet à une date antérieure à sa promulgation. Encore faut-il que la loi soit vraiment
interprétative et qu’elle n’aboutisse pas à une modification du texte ancien. La Cour de
cassation, juge, toutefois, que sauf impérieux motif d’intérêt général, le pouvoir législatif
ne peut s’ingérer dans l’administration de la justice afin d’influer sur le dénouement
judiciaire des litiges (Ass. plén. 23 janvier 2004 , v. déjà Cour européenne des droits de
l’homme 28 octobre 1999 sur la base du principe du droit à un procès équitable).

Il s’agissait, en l’espèce, d’une demande de révision de loyer dans le cadre d’un bail
commercial ; progressivement la jurisprudence avait dégagé les conditions de cette
révision (arrêt 24 janvier 1996 dit Privilèges); il se trouve que par une disposition nouvelle
dans une loi au contenu très vaste (art. 26 de la loi du 11 décembre 2001, dite Murcef,
mesures urgentes de réformes à caractère économique et financier), le législateur complète
d’un membre de phrase l’article L. 145-38 al. 3 du Code de commerce et par ce fait prive
de tout fondement la jurisprudence antérieure. La question était posée de savoir si cette
disposition que certains qualifiaient d’interprétative pouvait s’appliquer aux contentieux en
cours.

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- les lois de procédure et de compétence : leur application aux litiges en cours
n’est pas contestée dans la mesure où les nouvelles dispositions seront a priori mieux
adaptées.

B) Application de la loi dans l’espace

85. La loi française est applicable sur l’ensemble du territoire, sous réserve de certaines
dispositions spécifiques aux départements et territoires d’outre-mer et aux
départements d’Alsace (Haut-Rhin, Bas-Rhin) et Moselle, survivance du temps de
l’occupation allemande.

Un conflit peut néanmoins surgir opposant la loi française et une loi étrangère lorsque l’un des
partenaires n’est pas français. Est-il certain que la loi française doive s’appliquer pour un contrat
conclu avec un étranger surtout si ce contrat ne doit pas s’exécuter en France ? Ces conflits de
lois dans l’espace constituent la pièce fondamentale du droit international privé.

86. Quelles sont les solutions possibles ? Nous avions évoqué dans l’introduction, à
l’occasion du droit ancien, le passage d’un système de la personnalité des lois à celui
de la territorialité.

a) système de la personnalité des lois : ce système est fondé sur l’idée que la loi d’un État doit
s’appliquer aux ressortissants de cet État où qu’ils se trouvent ; ainsi la loi française devrait-
elle être appliquée à tout ressortissant français que le litige se déroule en France ou à l’étranger.
La réciproque vaudrait pour des étrangers se trouvant en France, ce qui permettrait à un anglais
de rouler à gauche…

b) système de la territorialité des lois : la loi d’un pays doit s’appliquer uniformément et sans
exception sur l’ensemble de son territoire quelle que soit la nationalité des personnes
concernées : ainsi, un français partie à un procès se déroulant à l’étranger encourra les sanctions
et sera jugé selon les règles du pays considéré (ceci explique, qu’en matière pénale, beaucoup
de pays refusent d’extrader leurs ressortissants, le mandat d’arrêt européen modifiera cette
situation lorsqu’il aura été adopté par tous les pays de l’Union).

87. Quelles sont les solutions retenues ? Le système français emprunte aux deux systèmes.

a) Application du système de la personnalité des lois : aux termes de l’article 3 alinéa 3 du


Code civil, « les lois régissant l’état et la capacité des personnes régissent les Français, même
résidant en pays étranger ». Ce qui sous-entend la réciprocité. Ainsi, les qualités et conditions
requises pour se marier sont déterminées par la loi nationale de chacun des futurs époux.

b) Application du système de la territorialité des lois : deux types de dispositions sont


concernés :

- les lois dites de police et de sûreté : article 3 alinéa 1 du Code civil, « les lois
de police et de sûreté obligent tous ceux qui habitent le territoire ». Ce sont les lois qui
intéressent l’ordre public, notamment mais pas exclusivement, les lois pénales, les lois

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sociales. Ces lois s’appliquent à toute personne se trouvant sur le territoire français quelle
que soit sa nationalité mais elles ne s’appliquent que sur le territoire français ;

- les lois applicables aux immeubles : article 3, alinéa 2 du Code civil, « les
immeubles, même ceux possédés par des étrangers, sont régis par la loi française ». Tous les
litiges relatifs à des immeubles situés en France sont réglés conformément à la loi française
même s’ils appartiennent à des étrangers. Réciproquement, la loi française ne saurait être
invoquée dans un litige relatif à un immeuble situé à l’étranger alors même qu’un Français en
serait propriétaire.

SECTION 2
LA COUTUME

90. La coutume repose sur la réunion de deux éléments : un élément matériel, une suite
d’actes répétés, une pratique constante pour une situation donnée, et un élément
psychologique, la croyance dans le caractère obligatoire de la pratique.

L’admission de la coutume comme source de droit a été contestée au motif que le Code civil
les avait abrogées expressément. Cette opinion n’est guère défendue aujourd’hui puisque la loi,
comme nous allons le voir, renvoie parfois elle-même aux usages, terme considéré comme
synonyme.

Il convient simplement de remarquer que la coutume peut présenter un double visage : elle peut,
à l’inverse de la loi, s’adapter insensiblement à des besoins nouveaux du corps social,
notamment pour de nouvelles relations juridiques, alors que la loi exige, à chaque fois, une
refonte plus ou moins complète qui réclame du temps. Mais la coutume n’a pas toujours un rôle
progressiste : dans la mesure où une pratique ancienne a fait ses preuves, s’est révélée utile, une
tendance conservatrice se manifeste alors que le législateur, quel que soit le régime politique,
admet qu’un certain toilettage des textes doit être effectué périodiquement.

91. Il convient de distinguer trois types de rapports entre la coutume et la loi :

a) la coutume selon la loi « secundum legem » : le législateur renvoie lui-même aux usages de
façon expresse, ainsi en matière de voisinage (établissement des clôtures, plantations d’arbres)
ou de contrats ( C. civ. art. 1135 obligeant les parties « non seulement à ce qui y [dans les
conventions] est exprimé, mais encore à toutes les suites que l’équité, l’usage ou la loi donnent
à l’obligation d’après sa nature », art. 1159 « ce qui est ambigu s’interprète par ce qui est
d’usage dans le pays où le contrat est passé ». Parfois cette référence n’est que tacite : ainsi la
référence aux « bonnes mœurs » (C. civ. art. 6), à la garde en « bon père de famille » (C. civ.

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Titre I : La règle de droit / Chapitre I : L’élaboration de la règle de droit
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art. 1880 à propos de la conservation de la chose prêtée, 1728 pour le locataire, 450 pour
l’administration des biens du mineur par le tuteur) ;

b) la coutume à côté de la loi « praeter legem » : la coutume se forge en l’absence de loi, elle
est destinée à combler un vide législatif. A titre d’exemples, les usages commerciaux, les
pratiques contractuelles (surtout au plan international, ce que l’on appelle, et le terme est
révélateur, « lex mercatoria » en raison de la difficulté à élaborer un texte commun), les usages
professionnels, etc. Attention : ces usages ne sont pas en principe opposables à une personne
qui n’appartient pas à la profession.

c) la coutume contre la loi « contra legem » : la question se pose ici en des termes particuliers :
une loi peut-elle être abrogée par désuétude, c’est à dire abrogée de fait par son non-respect
régulier en raison du suivi d’une autre pratique ? Si la loi est impérative, le juge ne peut écarter
son application au profit d’une coutume contraire ; en revanche, une loi supplétive peut être
écartée par une coutume contraire, le silence des parties signifiant qu’elles ont entendu se
référer à la coutume et non à la loi. A titre d’exemple l’on peut se référer à la pratique des
courses de taureaux et des combats tauromachiques, dont la pratique, en application de l’article
L. 521-1 du Code pénal, est possible lorsqu’il existe une tradition locale ininterrompue.

La difficulté de la coutume réside en la nécessité de la prouver, contrairement à la loi.

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Titre I : La règle de droit / Chapitre II : L’interprétation de la règle de droit
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CHAPITRE II

L’INTERPRETATION DE LA REGLE
DE DROIT

SECTION 1
L’INTERPRETATION JURISPRUDENTIELLE

100. Chargés d’appliquer la loi, les tribunaux ont, par nécessité, mission de l’interpréter.
On a même tenté d’aller plus loin en faisant de la jurisprudence une véritable source
de droit, ce qui ne va pas sans difficulté.

L’article 5 du code civil dispose, en effet, qu’ « il est défendu aux juges de prononcer par voie
de disposition générale et réglementaire sur les causes qui leur sont soumises » ; ce texte interdit
ce que l’on appelle les arrêts de règlement : il n’est pas possible au juge, saisi d’une difficulté,
de décider qu’à l’avenir, si une difficulté analogue se représente, elle sera résolue de la même
manière. Le juge ne peut donc statuer que par une décision seulement valable pour l’espèce qui
lui est soumise.

Mais cette décision est revêtue de l’autorité de la chose jugée (C. civ. art. 1351). Hormis les
traditionnelles voies de recours, il est dès lors interdit aux parties de saisir à nouveau la justice
pour la même cause et le même objet : monsieur X est-il propriétaire de ce bien, monsieur Y
est-il responsable de l’accident, etc. Cette autorité, cependant, ne peut être opposée à des tiers
qui n’étaient pas représentés à l’instance ; ainsi, une autre personne pourrait-elle, à son tour,
revendiquer la propriété du bien, une autre personne blessée dans l’accident et non intervenue
dans la première affaire pourrait-elle engager une action en vue d’obtenir des dommages-
intérêts. Il ne sera pas interdit au juge de reprendre la même solution (monsieur X est
propriétaire du bien, monsieur Y n’est pas responsable de l’accident) mais il devra examiner
les nouvelles demandes sans les bloquer dès le départ en disant : ceci a déjà été jugé, cela vaut
pour vous aussi.

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Titre I : La règle de droit / Chapitre II : L’interprétation de la règle de droit
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101. Ce premier constat peut donner à penser que la jurisprudence ne constitue pas une
source de droit dans la mesure où elle ne peut rendre que des solutions particulières et
non générales. Il faut cependant tenir compte de deux phénomènes : un phénomène
d’imitation, un phénomène de hiérarchie.

- Un phénomène d’imitation : les affaires soumises à une juridiction présentent


souvent des similitudes ou des ressemblances ce qui va permettre au juge de rendre des
solutions très proches : fixer un montant de pension alimentaire en fonction de tels revenus,
accorder tel montant de dommages-intérêts pour tel type d’incapacité, considérer que tel
comportement d’un salarié constitue une faute quel que soit l’employeur ou le salarié. Il va
donc se dégager de véritables règles de portée générale qui vont parfois limiter les contentieux :
à Montpellier, sur tel point on juge comme cela, aucune chance de succès (si l’avocat est
honnête et bien nourri…).

- Un phénomène de hiérarchie : en cas de divergence d’appréciation entre un


juge du premier degré et un juge du second degré (par exemple, mais nous allons revenir sur
cette question, TGI et Cour d’appel), le juge du premier degré aura assez rapidement tendance
à se conformer à l’analyse du juge du second degré pour ne pas voir systématiquement ses
jugements infirmés ; la Cour d’appel procédant de la même manière par rapport à la Cour de
cassation (à défaut, on parle de « résistance » parfois payante). Cela va contribuer à une certaine
unité.

Ainsi le terme jurisprudence (étymologiquement, la science du droit) a-t-il deux


significations : c’est, d’abord, l’ensemble des décisions rendues par les tribunaux, c’est,
ensuite et surtout dans le langage commun, l’interprétation de la loi ou la solution rendue dans
tel cas particulier, interprétation ou solution qui s’impose comme devant être la seule
solution ou la bonne interprétation. Ne dit-on pas : telle décision « fait jurisprudence ». En ce
sens, il est possible de dire que la jurisprudence est source de droit.

102. Cette affirmation a aussi été contestée au motif que le juge ne fait qu’appliquer, tout
au moins on l’espère, la loi, ce qui lui enlève tout travail normatif. Cela revient à
oublier deux autres rôles fondamentaux de la jurisprudence.

Le juge doit, en premier lieu, interpréter la loi ; lorsque le texte n’est pas clair, l’article 4 du
Code civil dispose : « le juge qui refuse de juger, sous prétexte du silence, de l’obscurité ou de
l’insuffisance de la loi, pourra être poursuivi comme coupable de déni de justice ». Il apparaît
donc clairement que lorsque la solution n’est pas prévue expressément par un texte, le juge fait
œuvre de création, ce qui explique sa recherche de solutions rendues dans des domaines voisins
(voir le phénomène d’imitation déjà évoqué). A défaut de précédent, il se réfèrera à l’esprit du
texte lui-même et à la volonté du législateur qui paraît s’en dégager, voire même aux travaux
parlementaires (le rejet d’un amendement est parfois significatif) ou à des explications données
par les pouvoirs publics (circulaires, conférence de presse, documents d’information). Tous ces
éléments ne constituent pas LE texte mais contiennent de précieuses indications sur son
interprétation.

Le juge, en second lieu, peut aussi suppléer la loi. L’hypothèse est fréquente : les textes ne
peuvent pas tout prévoir et le législateur s’en remet parfois au juge pour définir telle ou telle
notion ; à titre d’exemple, le législateur a précisé que tout licenciement devait avoir une cause
réelle et sérieuse mais cette notion relève du pouvoir du juge ; il en va de même dans le domaine
de la responsabilité civile pour l’appréciation de la notion de faute. Il existe un autre facteur : il
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y a toujours un décalage entre l’apparition de nouvelles situations et leur réglementation ; dans
l’intervalle, il faut bien juger et, là encore, le juge fait oeuvre de création, souvent reprise par
le législateur. Tout ceci sans oublier de grandes constructions jurisprudentielles telles la théorie
de l’abus de droit, de l’apparence etc.

La difficulté majeure concerne les conséquences, dans le temps, des revirements


d’interprétation de la Cour de cassation. Peuvent-ils avoir un « effet rétroactif » ? En
d’autres termes, une décision arrêtée par un chef d’entreprise conformément à l’analyse
jurisprudentielle du moment peut-elle être remise en cause ultérieurement si cette analyse
est modifiée voire abandonnée ou contredite ? La réponse est affirmative à la différence de
l’application d’un texte qui ne peut plus être contestée même si le texte est, par la suite,
modifié (). Le débat a été ouvert, en particulier, suite à l’exigence nouvelle, posée par un
arrêt de la chambre sociale du 10 juillet 2002, d’une contrepartie pécuniaire comme
condition de validité des clauses de non-concurrence. Cette exigence, juridiquement
strictement applicable à l’affaire jugée, devait-elle priver automatiquement d’effet toutes
les clauses figurant dans les contrats de travail déjà conclus qui en étaient dépourvues ?
Réponse affirmative de la Cour de cassation (Soc. 25 février 2004 ) (v. toutefois en sens
contraire Ass. plén. 21 décembre 2006, s’agissant d’une modification de l’interprétation des
règles de prescription en cours de procédure qui aurait abouti à rendre impossible cette
dernière).

103. Le système juridictionnel français est constitué de deux grands ordres de juridictions :
les juridictions administratives et les juridictions de l’ordre judiciaire. Cette
organisation est la conséquence de la loi du 16-24 août 1790 qui interdit, dans son
article 10, aux autorités judiciaires de connaître des actes de l’Administration et des
fonctions administratives : c’est le principe de la séparation des deux ordres de
juridiction débouchant sur un jugement d’incompétence. Lorsqu’un doute apparaît
quant aux juridictions devant lesquelles l’affaire doit être portée, il convient de saisir
le Tribunal des conflits.

Nous nous limiterons, dans le cadre de ce cours, aux juridictions de l’ordre judiciaire. Il
convient donc dès à présent de déterminer les juridictions de cet ordre (I) et celle des personnes
qui interviennent dans leur fonctionnement (II).

I. Les juridictions de l’ordre judiciaire

105. Le système français repose sur le double degré de juridiction : le dogme de


l’infaillibilité du juge n’existe pas ; une erreur est toujours possible et il est donc
indispensable que les plaideurs puissent soumettre leur litige à un second juge (la Cour
d’assises constituait jusqu’à ces dernières années une remarquable exception).

Deux approches sont concevables : l’appel dit circulaire consistant à confier l’affaire à une
juridiction équivalente (solution adoptée en 1790) ou l’appel hiérarchique dans lequel l’affaire
est confiée à une juridiction de degré supérieur (choix de la Constitution de l’an VIII qui nous
régit encore).

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106. Cette règle s’impose au juge et aux parties :

- elle s’impose au juge : la voie de l’appel est ouverte pour tous les jugements de
première instance sauf si la loi, et elle seule, en a décidé autrement, notamment au regard des
faibles intérêts en jeu. Le jugement est alors rendu en premier et dernier ressort ; à défaut, il
est rendu à charge d’appel ;

- elle s’impose aux parties : il va de soi que les parties ne peuvent s’adresser
directement au juge d’appel. Mais peuvent-elles renoncer à l’appel ? En cours de procédure,
cela est évident, il suffit de laisser s’écouler le délai dont la partie dispose après la signification
du premier jugement pour interjeter appel ; de plus, même si une partie a interjeté appel, elle
peut toujours se désister de son action avant que la Cour ne se prononce (fréquent s’il y a eu
transaction). En revanche, une partie ne peut y renoncer par avance, clause dans un contrat par
exemple.

107. Il doit être noté que les parties peuvent renoncer à emprunter la voie du contentieux
pour confier l’affaire à un arbitre dès lors que cette affaire ne touche pas à l’état des
personnes ou à l’ordre public (C. civ. art. 2060). Cette renonciation peut intervenir
alors que le litige est né, on parle de compromis, ou à l’avance, à titre préventif, par
l’insertion dans le contrat d’une clause compromissoire. Cette clause ne peut jouer
qu’en matière commerciale ou pour les contrats conclus au titre d’une activité
professionnelle (C. civ. art. 2061).

L’arbitre est librement choisi par les parties, il statue en droit mais les parties peuvent lui
demander de statuer en équité. La sentence arbitrale a la même valeur qu’un jugement mais elle
n’a force exécutoire qu’après une ordonnance d’exequatur du président du TGI.

A) Les juridictions du premier degré

1) La juridiction de droit commun :


le Tribunal de grande instance

110. Il existe, au minimum, un TGI par département mais de nombreux départements en


comptent plusieurs (181 au plan national, avant la réforme récente qui en a supprimé
17 dont Béziers et Millau). Il est composé d’au moins quatre magistrats dont l’un, le
Procureur de la République, représente le ministère public. La plupart d’entre eux sont
composés de plusieurs chambres comprenant un président, deux juges et un substitut
pour le compte du ministère public. En principe, les décisions sont prises de façon
collégiale mais le président du TGI peut décider de faire traiter une affaire par un juge
unique (ce qui est parfois la règle pour certaines formations spécialisées, tel le Juge
aux Affaires Familiales)

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111. Compétence d’attribution au regard de la nature des affaires (ratione materiae).

a) Compétence du TGI : il a vocation à connaître de toutes les affaires civiles (au sens large
du terme) qui ne sont pas attribuées à une autre juridiction, soit en raison de leur nature (affaires
commerciales, contentieux du travail, v. juridictions d’exception), soit en raison de leur montant
(demande supérieure à 10 000 €, en dessous le tribunal d’instance est compétent).

Le TGI garde sa compétence, quel que soit le montant de la demande, pour toutes les questions
relatives aux personnes (mariage, filiation, succession, divorce, nationalité), aux affaires
immobilières et aux baux professionnels (depuis le 1er janvier 2010).

Le TGI est aussi compétent au plan pénal (on parle alors de tribunal correctionnel) pour
connaître de toutes les infractions qualifiées de délits.

b) Compétence du président du TGI : en tant que président, il dispose de pouvoirs propres


notamment pour répondre à l’urgence ; il procède alors par voie d’ordonnance. Citons le
référé, procédure contradictoire, qui permet d’obtenir l’exécution d’une mesure qui ne se
heurte à aucune contestation sérieuse, la cessation d’un trouble manifestement illicite ou la
prévention d’un dommage imminent (expulsion de grévistes, saisie d’un journal ou d’un livre,
par exemple), une provision sur une obligation non contestable. Il existe aussi l’ordonnance sur
requête qui ne nécessite pas de débat contradictoire.

112. Compétence d’attribution au plan territorial (ratione loci). Le tribunal compétent


est celui dans le ressort duquel demeure le défendeur, c’est à dire la personne attaquée
par celui que l’on appelle le demandeur. Par exception, en matière immobilière, le
tribunal compétent est celui dans le ressort duquel est situé l’immeuble litigieux.

2) Les juridictions d’exception


a) Le Tribunal d’instance

115. Un tribunal d’instance est installé au chef lieu de chaque département, de chaque
arrondissement, et parfois dans les cantons importants (473 au plan national avant la
réforme qui en a supprimé 178). Ils sont composés de magistrats « détachés » pour 3
ans du TGI. La grande spécificité est que toutes ses décisions sont rendues par un juge
unique.

Il a compétence pour toutes les affaires civiles relevant du TGI, à l’exception de celles réservées
spécifiquement à ce dernier, lorsque le montant de la demande est à la fois déterminé et
n’excède pas 10 000 €.

Il a, toutefois, des compétences spécifiques : il est juge des actions en bornage, du contentieux
électoral et syndical dans l’entreprise, du contentieux du contrat de bail des particuliers, juge
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des tutelles. Au plan pénal, il est compétent pour les infractions qualifiées de contraventions
(on parle alors de tribunal de simple police). Le recours à un avocat n’est pas obligatoire devant
le tribunal d’instance.

Dans le cadre du tribunal d’instance ont été institués en 2002 des juges dits de proximité,
nommés pour 7 ans et chargés des affaires mineures (actions personnelles mobilières d’une
personne physique pour les besoins de sa vie non professionnelle et d’un montant au plus égal
à 4000 €). Une loi du 14 décembre 2011 a décidé leur suppression à compter du 1er janvier
2018.

b) Le Tribunal de commerce

116. Le tribunal de commerce est composé de magistrats non professionnels élus pour 4
ans par les commerçants parmi les commerçants. Les fonctions sont bénévoles. Le
ministère public est représenté par le Procureur de la République du TGI dans le ressort
duquel est situé le tribunal de commerce. Les décisions sont rendues de façon
collégiale.

Ce tribunal est compétent pour juger des litiges entre commerçants ou entre associés des
sociétés commerciales. Sa fonction principale est constituée par le traitement des entreprises en
difficultés : dépôt de bilan, redressement ou liquidation judiciaire. Des soupçons d’affairisme
pèsent régulièrement sur cette institution dont la modification est régulièrement envisagée sur
le modèle de l’échevinage (mélange de magistrats professionnels et non professionnels), tel
qu’il se pratique en Alsace-Moselle.

Le président du tribunal de commerce dispose, pour le domaine de compétence du tribunal, des


mêmes pouvoirs spécifiques que le président du TGI.

c) Le Conseil de prud’hommes
117. Sa compétence est exclusivement limitée aux contentieux nés des relations
individuelles de travail. Il s’agit d’une juridiction paritaire composée de
magistrats non professionnels, élus pour 5 ans, d’une part par les employeurs, d’autre
part par les salariés.

Chaque conseil comprend cinq sections : encadrement, industrie, commerce, agriculture,


activités diverses. Les affaires sont portées devant la section dont relève l’activité de
l’entreprise, à l’exception de la section de l’encadrement qui dépend de la qualification du
salarié. Chaque section est présidée alternativement chaque année par un conseiller employeur
ou salarié. Le conseil territorialement compétent est, en principe, celui dans le ressort duquel
est situé l’établissement dans lequel le travail est accompli.

La procédure comprend deux phases : une phase de conciliation et une phase de jugement ;
dans cette dernière, en cas de partage des voix, fréquent du fait du paritarisme, il est fait appel
à un juge du tribunal d’instance avec lequel l’examen de l’affaire est repris (d’où l’expression
de juge départiteur).

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Les mesures d’urgence ne sont pas de la compétence du président (à la différence du TGI ou
du tribunal de commerce) mais de la formation de référé du conseil qui est commune à
l’ensemble des sections.

d) Le Tribunal des affaires de la sécurité sociale


118. Ce tribunal est présidé par un magistrat du TGI, entouré de deux assesseurs, nommés
par le premier président de la Cour d’appel, sur proposition des organisations
syndicales, l’un représentant les salariés, l’autre les employeurs et les travailleurs
indépendants.

Il est compétent pour toutes les questions relatives à l’application du droit de la sécurité sociale :
affiliation, contestation des redressements opérés par l’URSSAF, accidents du travail
notamment.

B) La juridiction du second degré :


la Cour d’appel

120. La Cour d’appel est composée de plusieurs chambres spécialisées dont le nombre varie
en fonction de l’importance de la Cour. Elle est composée de magistrats appelés
conseillers, sous la direction de présidents de chambre et d’un premier président (qui
dispose classiquement des mesures d’urgence) ; le ministère public est représenté par
le Procureur général et les avocats généraux.

Elle a compétence pour connaître de l’appel interjeté contre les décisions rendues par toutes les
juridictions du premier degré, de droit commun ou d’exception, situées dans son ressort
territorial (découpage proche de celui des régions), à l’exception de celles qui, en raison de la
faiblesse du montant de la demande, ont été rendues, de par la loi, en premier et dernier ressort
(pour le TGI et le tribunal d’instance : 4000 € ; seuil désormais identique pour le Conseil de
prud’hommes).

La Cour d’appel de Montpellier couvre l’Hérault, l’Aude, l’Aveyron et les Pyrénées-


Orientales ; la Cour d’appel de Nîmes, le Gard, la Lozère, l’Ardèche et le Vaucluse.

La Cour d’appel est saisie de la totalité du litige, aussi bien en fait qu’en droit ; c’est le principe
de l’ « effet dévolutif de l’appel ». Les décisions de la Cour d’appel portent le nom d’arrêt (alors
qu’il faut employer le mot jugement pour les décisions du 1er degré), arrêt soit confirmatif si la
décision du premier degré est maintenue, infirmatif si cette décision est réformée.

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C) La Cour de cassation

121. La Cour de cassation a vocation à connaître de l’ensemble des décisions rendues en


dernier ressort dont elle est saisie par le jeu d’un pourvoi : si ce pourvoi est rejeté, la
décision contestée sera maintenue, s’il est accepté, cette décision sera totalement ou
partiellement cassée (« par ces motifs, rejette ou casse et annule ») Elle comprend
aujourd’hui 6 chambres : trois civiles, une commerciale, une sociale, une criminelle
(voir la répartition très précise des compétences sur le site Internet de la Cour).

Ses décisions (appelées arrêts) sont prises soit par une des chambres spécialisées, soit en
Chambre mixte (notamment lorsque le litige soulève une question qui relève de la compétence
de plusieurs chambres), soit en Assemblée plénière : tel est le cas pour des questions de
principe, en cas de divergence profonde entre les juridictions du fond ou entre ces juridictions
et la Cour de cassation, ou lorsqu’une décision rendue en dernier ressort a été cassée par la Cour
de cassation, renvoyée à une autre juridiction qui a maintenu la première analyse aboutissant à
un nouveau pourvoi sur les mêmes bases. Si l’Assemblée plénière casse, à son tour, elle renvoie
devant une troisième cour d’appel qui est obligée de reprendre la même solution (pour un
exemple : Ass. plén. 29 juin 2007 ).

En raison de la multiplicité des pourvois, l’encombrement de la Cour et les longueurs


procédurales qui en découlent ont conduit à deux réformes importantes :

- le filtrage des pourvois, au niveau de chaque chambre, par une formation


réduite qui permet de rejeter les pourvois irrecevables ou non fondés sur un moyen sérieux (près
de 40 % dans certaines chambres) ou de statuer lorsque la solution s’impose (C. org. jud., art.
L. 131-6, mod. en 2001) ;

- la possibilité de casser sans renvoi devant une juridiction en donnant


directement la solution (C. org. jud. art. L. 131-5).

122. Il convient de ne pas oublier que la Cour de cassation est juge du droit et non du
fait (« La cour de cassation ne connaît pas du fond des affaires », C. org. Jud., art. L.
111-1, d’où l’expression de juges du fond pour les deux premiers degrés de juridiction
qui ont à en connaître).

La distinction est parfois délicate. Une affaire repose généralement sur trois éléments : une
matérialité des faits, la qualification de ces faits et la solution de droit à appliquer au vu de cette
qualification. Imaginons qu’un salarié a été licencié par son employeur pour avoir insulté un
collègue de travail ; il conteste le bien-fondé de ce licenciement et réclame paiement de
dommages-intérêts ; supposons qu’il ait obtenu gain de cause et qu’un pourvoi soit formé contre
la décision condamnant son employeur.

Contrôler la matérialité des faits consiste à vérifier si des insultes ont bien été proférées à
l’encontre d’un autre membre du personnel ; dès lors que cela a été établi, la Cour de cassation
n’a pas à s’en saisir.

Contrôler la qualification des faits revient à se demander si proférer des insultes constitue
une faute ; en principe cela relève du seul juge du fond, là encore la Cour ne peut exercer son
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contrôle sauf pour certains comportements à propos desquels elle considère qu’il y a
nécessairement faute (ex : injures à caractère raciste) ; si tel était le cas, que le juge ait établi
les faits mais non retenu la faute, la décision serait cassée.

Contrôler la solution consiste à vérifier sa pertinence : des faits sont établis, la faute a été
considérée comme ne pouvant constituer un motif de licenciement, ce dernier est donc injustifié
et justifiée la condamnation à des dommages-intérêts, le droit a bien été appliqué, ce que doit
contrôler la Cour. En revanche, le salarié ne pourrait remettre en cause devant la Cour le
montant de la somme qui lui a été accordée car elle découle de l’appréciation de son préjudice,
ce qui est du fait ; sauf, sur ce dernier point, si le montant était fixé par un texte et que ce texte
n’ait pas été appliqué dans la décision contestée.

II. Les personnes intervenant devant les


juridictions de l’ordre judiciaire : les
acteurs de justice

A) Le personnel des juridictions


125. Il convient de distinguer le corps judiciaire et les secrétariats-greffes.

a) Le corps des magistrats professionnels : il se répartit en deux catégories non figées, les
magistrats pouvant passer de l’une à l’autre.

- Les magistrats du siège : ce sont eux qui sont chargés de rendre les décisions ; leur
indépendance est garantie par leur inamovibilité ; ils ne peuvent être déplacés ou promus
qu’après avis du Conseil supérieur de la magistrature. Leur responsabilité vis-à-vis des
particuliers ne peut être qu’exceptionnellement engagée.

- Les magistrats du Parquet (ou du ministère public) : ils représentent le pouvoir


exécutif auprès des juridictions ; ce sont eux, en particulier, qui engagent l’action publique en
matière pénale ; en revanche, en matière civile, leur intervention est facultative. Ces magistrats
sont soumis à l’autorité du Ministre de la justice qui peut, par des mesures de portée générale
(circulaires) leur indiquer les orientations d’une politique judiciaire sur tel ou tel point.

b) Les secrétariats-greffes : tout acte du juge doit être signé par le greffier (il est fréquent
qu’ils rédigent les jugements alors qu’ils n’en ont pas le droit) qui va en conserver la preuve
authentique et délivrera des copies (« expéditions ») aux parties. Le secrétariat-greffe du TGI
garde aussi un double des registres d’état civil.

B) Les auxiliaires de justice

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126. Figurent, en premier lieu, dans cette catégorie, les avocats qui peuvent exercer leur
profession soit en libéral (individuel ou en collaboration/association – sociétés
d’exercice libéral), soit en tant que salarié. Ils sont regroupés dans un barreau qui a des
attributions administratives et disciplinaires ; à la tête du barreau est élu un bâtonnier.

La mission de l’avocat est triple : il représente son client dans les actes de la procédure devant
les juridictions du premier degré (« la postulation ») qui sont situées dans le ressort du tribunal
où il a fixé sa résidence principale, il assiste son client par sa plaidoirie devant les juridictions
du premier et second degré, sans limitation territoriale, il joue aussi un rôle de conseil et de
rédacteur d’actes juridiques en dehors de tout contentieux (contrats, statuts de sociétés..). Dans
ce dernier domaine, la lutte est rude avec les experts-comptables (« le chiffre et le droit »).

127. En second lieu, on trouve les officiers ministériels ; ces auxiliaires ont un droit
patrimonial sur leur charge : ils peuvent présenter leur successeur à la chancellerie
moyennant un prix qui correspond à la valeur de la charge. Trois catégories doivent
être citées :

- les avocats aux conseils (Cour de cassation et Conseil d’État) : ils ont le monopole de
la postulation et de la plaidoirie devant ces juridictions ;
- les huissiers de justice chargés de signifier les actes de la procédure (assignation,
notification de jugement) et de l’exécution forcée des actes publics (jugements et actes
notariés) : expulsions, saisies.
- les notaires qui peuvent désormais exercer certaines missions de justice, ainsi
depuis le 1er janvier 2017, le divorce par consentement mutuel se fera-t-il, sauf exception, sans
passage devant le juge mais en déposant la convention qui aura été fait en l’étude
notariale.

128. En troisième et dernier lieu figurent des techniciens qui ont pour rôle d’aider le service
de la justice : séquestre (personne désignée pour conserver un bien litigieux),
administrateur judiciaire (pour les entreprises en difficulté), expert.

SECTION 2
L’INTERPRETATION DOCTRINALE

130. La doctrine peut se définir comme l’ensemble des travaux des juristes. Elle ne
constitue pas une source de droit mais peut contribuer fortement à son évolution en
critiquant les solutions retenues par un texte ou une décision de justice et/ou en
suggérant telle ou telle interprétation.

Si les méthodes d’interprétation doctrinale ont varié (I), les techniques de raisonnement ne se
sont guère modifiées (II).

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Titre I : La règle de droit / Chapitre II : L’interprétation de la règle de droit
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I. Les méthodes d’interprétation


doctrinale
131. La publication du Code civil fit apparaître l’école de l’exégèse qui fit autorité pendant
pratiquement tout le XIXe siècle : son idée reposait sur une véritable vénération du
Code civil, capable de tout régir. Aussi s’efforçait-elle de rechercher dans le silence
du texte ou en présence de plusieurs interprétations possibles quelle était la volonté du
législateur de 1804.

Cela se traduit par une analyse très stricte, littérale, article par article voir mot par mot des
termes de la loi. Parfaitement admissible dans les années suivant la codification, cette méthode
ne pouvait aboutir qu’à la sclérose : comment rechercher des solutions aux situations nées de
la révolution industrielle sur la base de textes conçus pour une France rurale et féodale ayant
largement emprunté, nous l’avons vu, aux analyses de l’ancien droit ?

La fin du XIXe siècle vit les tribunaux se dégager d’une interprétation littérale pour faire
prévaloir une interprétation équitable.

132. Cette attitude allait donner naissance à un nouveau courant doctrinal, les écoles
scientifiques. Elles doivent leur nom au Doyen GENY qui qualifia sa méthode de
« libre recherche scientifique ».

Au départ, deux constatations : d’une part, le recours systématique au texte de loi devient
insuffisant lorsque ces textes vieillissent et ne permettent plus de résoudre les problèmes
nouveaux que la vie actuelle pose ; d’autre part, à côté de la loi existent des sources de droit
extra-légales, coutumes voire jurisprudence. Deux méthodes allaient alors apparaître :

- une méthode purement pragmatique : toute norme juridique a nécessairement une


finalité sociale, du fait du décalage dans le temps, telle règle doit être appliquée de manière plus
large pour tenir compte des nécessités présentes. Plutôt que de se demander quelle était la
volonté du législateur au moment de son action, il convient de rechercher ce qui serait son
intention s’il avait présentement à résoudre cette difficulté ;

- une méthode plus scientifique : elle part du texte pour y rechercher toutes les
solutions concevables. La solution pourra se modifier mais toujours en fonction de la lettre du
texte en faisant prévaloir telle ou telle interprétation ; ce n’est qu’en cas de carence de texte que
l’on raisonnera en fonction des nécessités sociales présentes.

133. Cette seconde méthode fait autorité aujourd’hui ; elle est en fait un compromis entre
l’école de l’exégèse et les écoles plus modernes : de la première, elle retient la
nécessité de s’en tenir au texte sans le déformer mais elle s’en écarte, comme les
secondes, en ce qu’elle admet que l’interprétation qui prévalait au moment du vote de
la loi puisse varier en fonction des contraintes du moment.

II. Les techniques de raisonnement


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Titre I : La règle de droit / Chapitre II : L’interprétation de la règle de droit
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134. Le droit n’a pas créé de modes de raisonnement particuliers, il utilise les techniques
classiques de la logique. Citons les principales.

a) le syllogisme : il comprend trois éléments : la proposition n° 1 dite majeure, la proposition


n° 2 dite mineure, ces deux propositions constituant les prémisses, et la conclusion. Vous
connaissez tous l’exemple classique : tous les hommes sont mortels, or Socrate est un homme,
donc Socrate est mortel. Si l’on transpose l’exemple dans le domaine juridique : l’enfant
légitime porte le nom du père, or Nicolas est le fils légitime de Jacques, donc Nicolas doit porter
le nom de Jacques. La majeure est la proposition générale, universelle (la règle de droit), la
mineure, la variable c’est à dire le cas ou le fait sur lequel il faut raisonner, la conclusion donne
la solution. En pratique, le juriste va souvent mettre en proposition n° 1 la variable qui par
définition devra être prouvée : Nicolas est le fils légitime de Jacques, or l’enfant légitime porte
le nom du père, donc Nicolas porte le nom de Jacques. Devant un problème donné, on cherchera
à déterminer l’élément principal, on rappellera ensuite la règle et l’on posera la solution.

b) raisonnement par analogie : on applique la solution donnée par la loi dans un cas voisin
pour l’appliquer au cas considéré : les règles applicables au domicile d’une personne physique
peuvent s’appliquer par analogie au siège social d’une personne morale.

c) raisonnement a fortiori : il faut étendre le texte au cas non prévu parce qu’il y a des raisons
encore plus déterminantes de l’y appliquer : si un texte interdit à un incapable de vendre un
bien, il interdit a fortiori de consentir une donation qui est un acte plus dangereux du fait de
l’absence de contrepartie.

d) raisonnement a contrario : lorsqu’une solution n’est pas prévue, on applique la solution


contraire à celle que la loi applique dans un cas opposé : les mineurs ne peuvent se marier sans
le consentement de leur famille, par a contrario, les majeurs n’en ont pas besoin.

e) raisonnement par induction : consiste à tirer une règle générale d’un cas particulier.

f) raisonnement par déduction : consiste à partir d’une règle générale à formuler une règle
particulière.

SECTION 3
L’INTERPRETATION ADMINISTRATIVE

135. Ce phénomène prend, à l’heure actuelle, une importance considérable, reflet d’une
civilisation bureaucratique : l’Administration ayant à interpréter telle ou telle
disposition législative ou réglementaire a tendance à fixer cette interprétation qui peut
être normative ou explicative.

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Titre I : La règle de droit / Chapitre II : L’interprétation de la règle de droit
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Interprétation à tendance normative


136. Elle consiste à élaborer des instruments destinés à assurer le fonctionnement correct et
uniformiser de la conduite administrative. Ce second aspect est fondamental : il ne
peut être toléré que plusieurs fonctionnaires puissent faire une interprétation
divergente du même texte au nom de la nécessaire égalité des citoyens devant la loi,
au sens large du terme.

En pratique, cependant, cela constitue un facteur de retard dans l’application de la loi. Le


problème est bien connu dans l’entreprise et pour ses conseils : le nouveau texte doit être
appliqué, l’Administration refuse de prendre position faute de circulaire, l’entreprise prend le
risque de retenir telle ou telle interprétation qui pourra lui être reprochée par la suite.

De façon schématique, on peut affirmer que la circulaire ne peut être qu’interprétative, elle
ne peut ajouter à la loi, sinon on parle de circulaire réglementaire susceptible d’annulation
par les tribunaux administratifs.

Si une circulaire est opposable à l’administration (notamment dans le domaine fiscal), elle est,
en revanche, inopposable au juge judiciaire qui peut retenir une interprétation radicalement
différente.

Interprétation à tendance explicative


137. Il convient d’évoquer ici la pratique des réponses écrites aux questions des
parlementaires. Cette pratique tend à prendre une importance démesurée : conçue, à
l’origine, comme un moyen de contrôle parlementaire de l’application de la loi par
l’exécutif, elle se transforme en un recours à l’interprétation que le pouvoir exécutif
fait de telle ou telle disposition légale ou réglementaire. Certes, l’interprétation est
toujours précisée « sous réserve de l’appréciation souveraine des tribunaux », elle ne
constitue pas moins une référence souvent incontournable (notamment en matière
fiscale).

138. Ainsi s’achève le titre I consacré à la règle de droit, abstraitement considérée. Cette
règle va générer un certain nombre de droits particuliers, les droits dits subjectifs,
auxquels est consacré le titre II.

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Titre II : Les droits subjectifs / Chapitre I : La classification des droits subjectifs
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TITRE II

LES DROITS SUBJECTIFS

140. Il est aisé d’imaginer l’extrême diversité des droits subjectifs ; aussi conviendra-t-il de
procéder à une tentative de classification de ces droits (Chapitre I) avant d’étudier leur
régime juridique (Chapitre II).

CHAPITRE I

LA CLASSIFICATION DES DROITS


SUBJECTIFS

141. Les droits subjectifs font l’objet d’une grande division fondée sur la valeur pécuniaire
ou leur absence de valeur pécuniaire ; deux catégories sont distinguées : les droits
patrimoniaux et les droits extrapatrimoniaux.

a) Les droits patrimoniaux : ce sont les droits qui ont une valeur pécuniaire, qui peuvent
s’apprécier en argent, le droit de propriété, par exemple. Le qualificatif de « patrimonial »
provient du fait qu’ils figurent dans le patrimoine d’une personne. Ces droits présentent quatre
caractéristiques :

- ils sont cessibles : leur titulaire peut les céder à titre onéreux, en les vendant ou
en les échangeant, ou à titre gratuit, en les donnant ou en les léguant (ex : le
droit de propriété d’un appartement) ;
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Titre II : Les droits subjectifs / Chapitre I : La classification des droits subjectifs
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- ils sont transmissibles : lorsque le titulaire du droit décèdera, ce droit passera
dans le patrimoine de ses héritiers ;
- ils sont saisissables : les créanciers de leurs titulaires peuvent les saisir, les faire
vendre pour se faire payer tout ou partie de leur créance (ex : la banque qui a
prêté de l’argent pour acheter l’appartement) ;
- ils sont prescriptibles : leur non-utilisation pendant un certain temps risque de
les faire perdre par voie de prescription extinctive (écoulement d’un certain
temps qui va éteindre le droit, ex : certains terrains dont plus personne ne
s’occupe, créance de salaire non réclamée).

b) Les droits extrapatrimoniaux : ce sont les droits qui n’ont aucune valeur pécuniaire et ne
sont donc susceptibles d’aucune appréciation en argent : droit au nom, à l’honneur, à l’intégrité
physique. Ces droits sont incessibles, intransmissibles, insaisissables et imprescriptibles.

142. Cette distinction fondamentale n’apparaît guère satisfaisante. Au plan terminologique,


en premier lieu, les termes prêtent à confusion car les droits qualifiés
d’extrapatrimoniaux font bien partie du patrimoine d’une personne. En second lieu,
affirmer que les droits extrapatrimoniaux sont dépourvus de valeur pécuniaire apparaît
excessif : la violation du droit au respect de la vie privée est susceptible d’entraîner
une réparation pécuniaire (voir les conflits avec la presse de certaines vedettes ou
hommes politiques). En dernier lieu, enfin, certains droits patrimoniaux présentent des
caractéristiques propres aux droits extrapatrimoniaux : le droit au salaire est
partiellement insaisissable et incessible, le droit à une pension alimentaire est
insaisissable et incessible.

143. Nous allons utiliser une autre méthode de classification des droits subjectifs en
distinguant les droits réels et les droits personnels, le critère n’est plus tiré de la valeur
des droits mais de leur objet. Cela va nous conduire à envisager, dans une Section 1,
la détermination de la notion de droit réel et de droit personnel et, dans une Section 2,
à mesurer la portée exacte de cette distinction.

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Titre II : Les droits subjectifs / Chapitre I : La classification des droits subjectifs
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SECTION 1
DETERMINATION DE LA NOTION
DE DROIT REEL
ET DE DROIT PERSONNEL

I. Les droits réels

145. Le droit réel est un droit qui donne à une personne un pouvoir direct et immédiat
sur une chose. Le droit réel a donc un sujet actif, le titulaire du droit, et un sujet passif,
la chose sur laquelle porte le droit : une maison, un véhicule par exemple.

Il convient donc de procéder à la classification des droits réels proprement dits (A) et à celle
des choses objets de ces droits (B).

A) La classification des droits réels


146. Il convient de distinguer les droits réels principaux et les droits réels accessoires.

1) Les droits réels principaux

147. Les droits réels principaux sont le droit de propriété et les divers démembrements de
ce droit.

148. Le droit de propriété : il s’agit du droit réel le plus complet ; le Code civil le définit
comme étant « le droit de jouir et de disposer des choses de la manière la plus absolue,
pourvu qu’on n’en fasse pas un usage prohibé par la loi ou par les règlements (C. civ.
art. 544).

Au titre des usages prohibés, s’est développée une jurisprudence très abondante sur les
troubles de voisinage qu’ils soient liés au bruit, aux odeurs, aux dommages causés par la
végétation ou d’ordre esthétique (pose de panneaux publicitaires, exploitation d’une carrière
par exemple : Civ. 2e 28 juin 2007 ). Il est, cependant, tenu compte parfois de l’antériorité
de l’activité ou de la nature de l’environnement (nuisances « rurales »), en réservant une
éventuelle aggravation, susceptible elle, de causer un trouble.

Le droit de propriété comporte trois éléments :

- le droit d’user de la chose (usus) ;

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Le droit de propriété ne s’étend pas à l’image du bien. Il a été jugé que l’exploitation
photographique d’un bien à des fins commerciales pouvait porter atteinte au droit de
jouissance du propriétaire sous réserve que soit rapportée la preuve d’un préjudice (Cass.
civ. 1e 2 mai 2001 ) ; il en va de même si une photo est publiée avec la localisation précise
du bien et le nom du propriétaire, l’action étant introduite sur la base de l’atteinte à la vie
privée, trouble de l’intimité, de la tranquillité, etc. (Cass. civ. 1e 5 juillet 2005 , comp. civ
2e 5 juin 2003 qui jugeait le préjudice automatiquement constitué).

- le droit d’en percevoir les fruits (fructus) ;

- le droit d’en disposer (abusus).

149. Les démembrements du droit de propriété.

a) L’usufruit : c’est le droit réel qui confère à son titulaire le droit d’user de la chose et d’en
percevoir les fruits, le droit d’aliéner la chose appartient au nu-propriétaire ; ainsi, par exemple,
au cas particulier des actions de sociétés, l’usufruitier perçoit les dividendes et participe aux
assemblées générales des actionnaires mais seul le nu-propriétaire peut vendre le titre. Cette
formule est utilisée, notamment, pour protéger le conjoint survivant qui bénéficie désormais de
l’usufruit de la totalité des biens existants (C. civ. art. 757). Au plan fiscal, l’usufruitier paie la
taxe d’habitation et la taxe foncière (à la différence d’un locataire qui n’est pas titulaire d’un
droit réel sur le bien mais simplement d’un droit personnel à l’encontre du propriétaire bailleur).

b) La nue-propriété : c’est le droit réel qui donne à son titulaire le pouvoir de disposer de la
chose.

c) Les servitudes : il s’agit d’une charge imposée à un immeuble déterminé, appelé fonds
servant, au profit d’un autre immeuble, appelé fonds dominant. Les plus connues sont les
servitudes de passage. La servitude est attachée au bien : les mutations de propriété successives
sont sans incidence ; tout nouveau propriétaire bénéficie de plein droit de la servitude.

d) l’emphytéose : c’est le droit dont est titulaire le locataire d’une chose louée pour une durée
de 18 à 99 ans. La durée du bail transforme le droit personnel du locataire en droit réel (le droit
est transmissible aux héritiers).

Cette formule est utilisée pour la construction de résidences, d’hôtels etc., notamment sur
le domaine public A la fin du bail, les biens construits appartiennent au propriétaire. Il s’agit
en quelque sorte d’un « droit de superficie » car le sous-sol continue à appartenir au
propriétaire (normalement la propriété du sol emporte celle du sous-sol).

2) Les droits réels accessoires


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150. L’expression regroupe les droits réels accordés au créancier en garantie de sa
créance sur une ou plusieurs choses appartenant à son débiteur. Ils sont ainsi qualifiés
parce qu’ils constituent l’accessoire de la créance dont ils visent à garantir le paiement.

Citons comme exemple le gage qui en principe porte sur un meuble et l’hypothèque qui joue
pour les immeubles.

Le créancier, titulaire d’un droit réel accessoire, bénéficie d’un droit de préférence qui lui
permet de se faire payer en priorité sur le prix du bien gagé ou hypothéqué, et d’un droit de
suite qui lui permet de saisir le bien en quelques mains qu’il se trouve (en cas de vente
ultérieure). La protection des tiers futurs acquéreurs explique les mesures de publicité (publicité
foncière, certificat de non-gage pour la vente d’un véhicule automobile).

B) La classification des choses


151. La classification des choses peut s’opérer suivant plusieurs critères. L’article 516 du
Code civil dispose que tous les biens sont meubles ou immeubles ; il s’agit d’une
classification fondée sur la nature physique des choses (1). Il est possible d’utiliser
aussi comme critère leur appropriation (2) ou leur utilisation (3).

1) Classification fondée sur la nature des


choses
a) Les immeubles
152. Selon le Code civil (art. 517), les biens sont immeubles par nature ou par destination.

Immeubles par nature


153. Sont immeubles par nature les choses qui ne peuvent ni se déplacer ni être
déplacées. L’immeuble par excellence est le sol ainsi que le sous-sol : mines et
carrières constituent des biens à caractère immobilier.

Sont aussi considérées comme immeubles toutes les choses fixées au sol : végétaux, arbres,
constructions adhérant au sol par fondations (maisons par exemple, alors qu’un abri simplement
posé constitue un meuble).

Cette distinction a une traduction concrète en matière d’urbanisme pour le permis de


construire (la notion de construction, au sens de ce droit, apparaissant, toutefois, plus large
que la notion d’immeuble en droit civil) : s’il y a fondation ou impossibilité de déplacement
(« res immobilis »), le bien est assimilé à une construction nécessitant un permis de
construire (ou, selon la surface -< 20m²-, une simple déclaration de travaux). La question
se pose fréquemment pour les mobile-homes : s’ils sont posés sur des parpaings, un permis
doit être demandé ; solution identique pour des caravanes sédentarisées auxquelles on a
retiré les roues ou le système d’attelage. Dès lors qu’il y a exploitation commerciale, la
« fixité » est induite par la durée de cette exploitation : cas des installations saisonnières.
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En revanche, la nature du bien est indépendante de sa valeur, de son caractère permanent ou


temporaire. Mais dès l’instant où le lien avec le sol est rompu, le bien redevient meuble : les
matériaux d’un bâtiment qui s’écroule deviennent meubles au fur et à mesure de leur
écroulement.

Immeubles par destination


154. Sont immeubles par destination les choses qui, meubles par nature, sont
économiquement ou matériellement rattachées à des immeubles. Elles forment
avec l’immeuble par nature un tout indivisible ce qui justifie leur soumission à un
régime unique.

Pour qu’un rapport d’immobilisation par destination soit établi, trois conditions doivent être
satisfaites :

- les biens concernés doivent appartenir au propriétaire de l’immeuble par


nature auquel ils sont rattachés ; une chose apportée par un locataire ne peut devenir immeuble
par destination ;

- il faut que le propriétaire ait voulu créer un lien entre le meuble et


l’immeuble ;

- le meuble doit être objectivement rattaché à l’immeuble : ce rattachement


peut être économique, c’est à dire que les biens soient nécessaires à l’exploitation et qu’ils ne
servent qu’à l’exploitation, commerciale – le mobilier d’un hôtel par exemple- ou agricole et
non à l’usage personnel du propriétaire (problème pour les véhicules) ; ce rattachement peut
être matériel (le Code civil parle d’ « attache à perpétuelle demeure ») : cela signifie que le
bien doit être scellé à l’immeuble de façon telle qu’il ne puisse en être détaché sans être
détérioré ou que soit détériorée la partie de l’immeuble à laquelle il est rattaché (jurisprudence
abondante pour des glaces, des boiseries, des statues, du mobilier, telles des bibliothèques, créé
spécialement en fonction des contraintes de la pièce).

Cette distinction est importante, notamment pour des particuliers qui, lorsqu’ils
achètent une maison, achètent aussi, dans le prix, les meubles devenus immeubles
par destination : cuisine intégrée, sanitaire, carrelages.

Cet ensemble, immeuble par nature et immeuble par destination, constitue au plan comptable
une partie des « immobilisations corporelles ».

b) Les meubles

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155. Sont considérés comme meubles toutes les choses qui n’entrent pas dans l’une des
catégories d’immeuble précédemment évoquées. Il peut s’agir de meubles par nature
ou détermination de la loi ou de meubles par anticipation.

156. Sont meubles par nature les choses susceptibles de déplacement qui ne sont ni
affectées à une exploitation ni attachées à un fond à perpétuelle demeure.

Le Code civil (art. 528) précise que cette qualification doit être attribuée « aux corps qui
peuvent se transporter d’un lieu à un autre [res mobilis], soit qu’ils se meuvent par eux-
mêmes, soit qu’ils ne puissent changer de place que par le jeu d’une force étrangère » : animaux,
choses dites inanimées. La notion est donc beaucoup plus large que celle que le langage courant
attribue au mot meuble.

Sont meubles par détermination de la loi, les actions, les obligations et les rentes (C. civ.
art. 529). L’action représente une partie du capital d’une société ; l’actionnaire étant
copropriétaire de l’entreprise, si cette dernière disparaît, il perd sa mise. À l’inverse, l’obligation
représente une créance sur la société. Traduction sur le plan comptable : la valeur des actions
figure au passif dans la rubrique « capital », celle des obligations à la rubrique « dettes ».

Il existe une autre catégorie qui résulte, cette fois-ci, de la volonté des parties : les meubles par
anticipation. Il s’agit d’immeubles par nature qui ont vocation à devenir meubles et que les
parties décident de traiter dès le départ comme des meubles : exemples classiques, une récolte
achetée sur pied, des arbres à abattre ou des matériaux à extraire.

c) Conséquences de la distinction
157. Le Code civil attache un certain nombre de conséquences à la distinction meubles /
immeubles : ainsi les principales modifications de la situation juridique des
immeubles font l’objet de mesures de publicité (publicité foncière) destinées à
informer les tiers, notamment en cas de création de droit réel (hypothèque par
exemple). Rien de tel n’est prévu pour les meubles, ce qui peut s’expliquer aisément :
leur mobilité rendrait très difficile l’organisation de mesures semblables (exceptions :
avions et navires).

En matière immobilière, nous l’avons déjà vu, le tribunal compétent est celui dans le ressort
duquel est situé le bien alors que pour un meuble sa détermination dépend du domicile du
défendeur.

Une différence de régime importante concerne le possesseur de bonne foi d’un bien qui l’aurait
acquis de quelqu’un qui n’en est pas le propriétaire : en matière mobilière, la règle est simple :
l’acquéreur devient propriétaire dès qu’il prend possession du bien (C. civ. art. 2276 al. 1 : « en
fait de meubles, la possession vaut titre [de propriété] »). En revanche, en matière immobilière,
l’acquéreur ne deviendra propriétaire qu’à condition de l’avoir possédé sans que ce droit lui
soit contesté pendant une longue période, 10 ou 30 ans : il devient propriétaire par prescription
acquisitive (C. civ. art. 2272).

158. D’autres différences existent qui sont beaucoup plus contestées : ainsi, la vente d’un
immeuble peut-elle être annulée lorsque le vendeur a consenti par erreur un prix trop
bas, ce que l’on appelle la lésion (C. civ. art. 1674) ; rien de tel n’est prévu pour les
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meubles alors qu’ils peuvent avoir une valeur économique importante (toujours la
philosophie du Code, seul les biens immobiliers ont de la valeur, « res mobilis, res
vilis »). Seule exception notable : les contrats de cession d’exploitation d’une œuvre
littéraire ou artistique conclu en échange d’une rémunération forfaitaire (C. prop. int.
art. 131-5). Ajoutons aussi la différence des droits de mutation perçus par le fisc.

2) Classification fondée sur l’appropriation


des choses
160. S’il est de principe que toute chose a un propriétaire (a), cette règle supporte,
néanmoins quelques exceptions (b).

a) Les choses avec propriétaire


161. Lorsqu’une chose a un propriétaire, ce dernier peut généralement transmettre le droit
de propriété dont il est titulaire : le bien est aliénable. Il est, cependant, un certain
nombre de biens qui peuvent être frappés d’inaliénabilité.

a) Biens du domaine public : les personnes morales administratives (État, régions,


départements, communes – les universités n’ont pas de patrimoine, simple ligne dans le
patrimoine de l’État, situation susceptible d’évoluer dans le cadre de la nouvelle loi
d’autonomie-) sont propriétaires de biens qui constituent leur « domaine » ; ce dernier
comprend deux parties : un domaine privé, soumis aux règles du droit civil, et un domaine
public soumis à un régime exorbitant du droit commun qui se traduit, en particulier, par leur
inaliénabilité. Relèvent du domaine public les biens qui sont affectés à l’usage du public (rapp.
pour les personnels de droit privé), tels que les routes ou les ports dans la catégorie des
immeubles, les tableaux des musées publics, les livres des bibliothèques publiques dans la
catégorie des meubles.

D’où les formules intermédiaires, emphytéose, déjà évoquée, ou concession du domaine


public qui permettent l’utilisation du domaine à des fins privées donc rémunératrices pour
la collectivité publique sans avoir à aliéner le bien.

b) Biens privés inaliénables : la règle est que les biens privés soient aliénables. Cette solution
peut-elle être écartée par la volonté des parties ? Le Code civil valide les clauses
d’inaliénabilité (art. 900-1, la vente d’un bien inaliénable est nulle) pour les biens donnés ou
légués (l’inaliénabilité, entraînant l’insaisissabilité, ne peut jouer que pour les biens qui
« sortent » du patrimoine pour éviter qu’une personne déclare son patrimoine inaliénable) tout
en les enfermant dans un certain nombre de conditions :

- la clause doit être temporaire (cela peut valoir pour la vie du donateur, sauf en
cas de legs évidemment, mais non pour celle du bénéficiaire) ;
- la clause doit être justifiée par un intérêt sérieux et légitime ; si cet intérêt
disparaît ou si un intérêt plus important l’exige, le bénéficiaire de la libéralité (et lui seul :
Civ. 1e 8 mars 2005, refusant à un créancier le droit d’agir sur la base d’une action oblique,
action que nous retrouverons dans le cours du semestre 2, Droit et entreprise 2 § 178) peut
être judiciairement autorisé à disposer du bien.
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b) Les choses sans propriétaire

162. Il est, tout d’abord, des choses dites choses communes qui n’appartiennent à personne
et ont vocation à rester sans propriétaire : l’air, les eaux courantes, l’eau de mer.
Notons, cependant, que ces choses peuvent faire l’objet d’une appropriation partielle,
le sel marin, par exemple.

Il en est d’autres, dites choses sans maître, qui ne sont que temporairement sans propriétaire.
Cette catégorie ne regroupe que des meubles car des immeubles qui ne sont pas appropriés
appartiennent à l’État : il peut s’agir de choses que nul ne s’est encore approprié (gibier,
poisson) ou de choses abandonnées par le propriétaire.

La première personne qui s’empare d’une chose abandonnée en devient propriétaire par
occupation ou possession. Qu’en est-il des trésors, choses mobilières enfouies ou cachées
par on ne sait qui et dont tout le monde ignore l’existence avant la découverte, fruit du pur
effet du hasard ? La réponse nous est donnée par l’article 716 al. 1 du Code civil : « la
propriété d’un trésor appartient à celui qui le trouve [on parle d’inventeur] dans son propre
fonds ; si le trésor est trouvé dans le fonds d’autrui, il appartient pour moitié à celui qui l’a
découvert et pour l’autre moitié au propriétaire du fonds ».

3) Classification fondée sur l’utilisation des


choses

163. Ce critère de classification nous conduit à effectuer plusieurs distinctions : choses


frugifères et non frugifères (a), choses fongibles et non fongibles (b), choses
consomptibles et non consomptibles (c).

a) Choses frugifères et non frugifères


164. Une chose frugifère est une chose susceptible de donner des fruits ou des produits.
Quelle est la différence ?

Les fruits correspondent à ce qu’une chose fournit périodiquement sans altération ni


diminution sensible de sa substance. Ces fruits peuvent être naturels, industriels (cas des
arbres entretenus ou non) ou civils, c’est à dire des sommes périodiquement retirées de
l’exploitation d’une chose, loyers par exemple.

La distinction en fonction de l’origine est importante en cas de démembrement du droit de


propriété entre un usufruitier et un nu-propriétaire : l’usufruitier n’acquiert les fruits
naturels ou industriels qu’après perception (récolte ou coupe), alors que l’acquisition des
fruits civils se fait au jour le jour. Imaginons un usufruit portant à la fois sur une terre
agricole et un immeuble loué : si l’usufruit cesse avant la récolte, l’usufruitier n’a droit à

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rien, alors que si cet usufruit cesse avant l’échéance du loyer, il aura droit à une fraction de
celui-ci.

Les produits correspondent à ce qu’une chose fournit sans périodicité ou avec diminution
sensible de sa substance. Là encore, il peut s’agir de produits naturels ou industriels (produits
de mines ou carrières) ou de produits civils (lots en espèces auxquels ont droit chaque année,
après tirage au sort, les porteurs de certaines obligations).

Quelle est la portée de cette distinction ? Lorsque le droit de propriété est démembré,
l’usufruitier perçoit les fruits, le nu-propriétaire les produits. Le possesseur de bonne foi d’une
chose qu’il doit rendre conservera les fruits mais devra restituer les produits ou leur équivalent.

b) Choses fongibles et non fongibles


165. Les choses fongibles, appelées choses de genre, sont les choses interchangeables,
susceptibles d’être remplacées les unes par les autres : pièces de monnaie, billets de
banque. Les choses non fongibles, appelées corps certains, sont non
interchangeables : meuble ancien, livre d’art numéroté. Cette qualification dépend de
la nature de la chose et de la volonté des parties.

L’achat d’un véhicule automobile en fournit un bon exemple : si la voiture est achetée à un
particulier, il s’agit d’un corps certain ; le vendeur ne peut se libérer qu’en livrant LE
véhicule objet de la négociation ; en revanche, si la voiture est commandée auprès d’un
concessionnaire, il s’agit d’une chose de genre. La distinction a un prolongement dans le
domaine du transfert de la responsabilité : immédiat pour un corps certain ou différé à
l’individualisation pour une chose de genre.

c) Choses consomptibles et non


consomptibles
166. Les choses consomptibles sont celles qui se consomment et disparaissent par le
premier usage que l’on en fait, cet usage pouvant être matériel, cas des aliments, ou
juridique, cas de la monnaie. A contrario, sont non consomptibles les choses qui sont
susceptibles d’un usage prolongé : maison, vêtement, automobile (quoique…).

L’intérêt de la distinction est des plus limité ; signalons simplement le prêt : en principe, il ne
peut porter que sur des choses non consomptibles dans la mesure où l’emprunteur doit restituer
la chose à l’issue du prêt ; il peut néanmoins porter sur des choses consomptibles, à charge pour
l’emprunteur de restituer une chose semblable ou une somme représentative de sa valeur (très
fréquent dans la vie courante).

II. Les droits personnels

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168. Le droit personnel, appelé aussi obligation, est un rapport juridique entre deux ou
plusieurs personnes en vertu duquel l’une, le créancier, a le droit d’exiger d’une autre,
le débiteur, un certain fait ou une certaine abstention (payer le loyer, ne pas percer les
murs).

Si comme le droit réel, le droit personnel a un sujet actif, ici le créancier, il a aussi un sujet
passif, le débiteur ce que n’avait pas le droit réel. Le droit réel figure toujours à l’actif du
patrimoine de son titulaire, le droit personnel figure à la fois à l’actif du patrimoine du créancier
et au passif du patrimoine du débiteur.

Traduction au plan comptable : une créance va figurer dans l’actif circulant du bilan du
créancier, à la rubrique dette de celui du débiteur.

169. Le droit personnel a pour objet non une chose mais la prestation due par le débiteur.
Cette prestation peut être (C. civ. art. 1101) une obligation de donner, de faire ou de
ne pas faire :

- obligation de donner : elle s’analyse en une obligation de transférer un droit


réel : le vendeur d’un bien doit en transférer la propriété à l’acquéreur ; cela a peu d’importance
pratique dans la mesure où, de par la loi, la vente emporte de plein droit un transfert automatique
et immédiat du droit de propriété ; des stipulations contractuelles contraires sont, toutefois,
possibles (clause dite de réserve de propriété) ;

- obligation de faire : elle implique l’accomplissement d’actes positifs tels que


la fourniture d’un travail, d’une prestation de services ;

- obligation de ne pas faire : elle impose au débiteur une abstention ; le vendeur


d’un fonds de commerce s’interdit de recréer un commerce identique dans un certain rayon et
pendant un certain temps ; un salarié peut demeurer lié après son départ par une clause de non-
concurrence ou de secret.

170. Le droit personnel a pour effet de procurer au créancier un droit de gage général sur
le patrimoine du débiteur : à supposer que ce dernier ne s’exécute pas, le créancier
peut saisir n’importe quel bien pour obtenir paiement des sommes dues : prix convenu
pour une opération déterminée ou dommages-intérêts en cas de méconnaissance d’un
engagement.

SECTION 2
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PORTEE DE LA DISTINCTION

175. Si la distinction droits réels / droits personnels présentent de nombreux intérêts (I), elle
n’est pas pour autant exempte de critiques (II).

I. Intérêts de la distinction

176. a) Nombre : les droits personnels sont en nombre illimité, conséquence du principe
de la liberté des conventions : les cocontractants peuvent imaginer des montages
originaux (la vie des affaires en fournit de nombreux exemples), prévoir des
obligations jusqu’alors inconnues. À l’inverse, les droits réels sont en nombre limité :
seul le législateur peut en créer ; étant imposés par la loi à l’observation de tous, ils
doivent nécessairement être prévus par elle.

177. b) Opposabilité : les droits personnels ne sont opposables qu’au débiteur ; le droit
personnel présente un caractère relatif : il n’intéresse que le créancier et le débiteur.
Le fait que X doive de l’argent à Y n’intéresse personne d’autre qu’eux. En revanche,
les droits réels sont opposables à tous ; le droit réel présente un caractère absolu : les
tiers sont tenus de le respecter. Le fait que X soit propriétaire d’un bien est opposable
à quiconque.

Notons, cependant, que pour que le titulaire d’un droit réel puisse l’opposer aux tiers, des
mesures de publicité sont parfois nécessaires : une banque qui, à l’occasion d’un prêt qu’elle
consent pour l’achat d’une maison, prend une hypothèque pour se garantir doit la faire
publier à la conservation des hypothèques afin de prévenir les tiers : un acquéreur ultérieur
de la maison, un autre organisme financier auprès duquel le propriétaire solliciterait un
nouveau prêt.

178. c) Extinction : les droits personnels présentent un double aspect, créance pour l’un,
dette pour l’autre. Il en résulte que ce droit ne peut s’éteindre qu’avec l’accord du sujet
actif et du sujet passif : exemple, une rupture avant terme d’un contrat. En revanche,
le droit réel ne comporte qu’un seul sujet, il peut donc s’éteindre par une décision
unilatérale de son titulaire, abandon de la chose par exemple.

179. d) Garantie conférée : le droit personnel confère au créancier un droit de gage général
sur le patrimoine du débiteur, patrimoine tel qu’il existe au moment où le créancier
entend se faire payer ; cela signifie que le créancier n’a pas de droit de suite sur les
biens de son débiteur : vous prêtez de l’argent à un ami, confiant dans le recouvrement
de la somme en raison de la maison dont il est propriétaire, si, par la suite la maison
est vendue, elle quitte son patrimoine, et vous ne pourrez pas espérer la faire saisir
pour obtenir remboursement de la somme prêtée. De même, le droit personnel ne
confère aucun droit de préférence : si votre ami a emprunté à plusieurs personnes,
toutes seront traitées sur un pied d’égalité (on parle de créanciers chirographaires,
venant du grec, « issu de sa propre main »), le produit de la vente des biens composant
le patrimoine sera réparti également entre les créanciers qui seront payés au prorata de
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leurs créances. A titre d’exemple, si trois créanciers viennent en concours, X ayant
prêté 1000 euros, Y, 3000 et Z, 5000 et que la vente des biens ne couvre que la moitié
de l’ensemble des créances, X se verra attribuer 500, Y, 1500 et Z, 2500.

En revanche, le titulaire d’un droit réel accessoire (le problème ne se pose pas pour les droits
réels principaux) bénéficie d’un droit de suite, il pourra faire saisir le bien en quelques mains
qu’il se trouve, et d’un droit de préférence : il sera payé en priorité sur la vente du bien, les
créanciers chirographaires se répartissant l’éventuel solde.

II. Critiques de la distinction

180. La distinction ainsi tracée ne rend pas tout à fait compte de la totale réalité. Il existe ce
que l’on appelle des droits mixtes, droits qui empruntent leurs caractères à la fois aux
droits réels et aux droits personnels : ainsi, le titulaire d’un bail commercial se voit
reconnaître un droit au renouvellement sauf au propriétaire à payer une indemnité
d’éviction dont le montant est égal à la valeur du fonds, on est alors très proche d’un
droit de propriété (on parle d’ailleurs, à propos de ce régime de « propriété
commerciale », le terme est juridiquement impropre mais il décrit bien la réalité).

Il existe aussi des droits dits intellectuels : ils trouvent leur origine dans l’activité intellectuelle,
au sens large du terme, de leur titulaire. Ils ne s’exercent pas sur une chose, ce qui interdit de
les considérer comme des droits réels (bien que l’on parle fréquemment de propriété littéraire,
artistique ou intellectuelle), d’autant qu’ils ne sont pas perpétuels (au bout de 50 ans, une œuvre
tombe dans le domaine public, protection encore plus courte pour un brevet) ; ils ne s’exercent
pas non plus contre une personne, ce qui ne permet pas de les assimiler à un droit personnel.
Ces droits concernent des créations intellectuelles (inventions, dessins, modèles) ou portent sur
une clientèle. Ce sont, en fait des droits d’exploitation (auteur d’un roman, titulaire d’un brevet,
propriétaire d’un fonds de commerce).

L’expression largement utilisée de droit d’exploitation est équivoque : le droit de l’auteur


sur son œuvre (on parle de droit moral) ne se confond pas avec le support dans lequel elle
s’incorpore (voir le contentieux Hallyday / Vivendi).

Il n’est pas apparu nécessaire au législateur de traiter ces deux catégories de façon particulière :
le droit personnel étant la règle, le droit réel l’exception dans la mesure où il exige une
intervention spécifique du législateur pour sa création, on appliquera aux droits intellectuels le
régime des droits personnels. Quant aux droits mixtes, ils seront régis par leur dominante.

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CHAPITRE II

LE REGIME JURIDIQUE
DES DROITS SUBJECTIFS

185. Nous allons consacrer une première section à l’analyse du contenu de ce régime
juridique et, une seconde, à sa mise en oeuvre.

SECTION 1
LE CONTENU DU REGIME JURIDIQUE

186. S’agissant du contenu du régime juridique, il convient d’envisager, tour à


tour, la naissance des droits subjectifs (I) et leur extinction (II).

I. La naissance des droits subjectifs


187. Un premier point sera consacré à la création des droits subjectifs (A). Dès lors qu’ils
seront créés, ces droits seront rassemblés dans le patrimoine de leur titulaire, objet du
second point (B).

A) La création des droits subjectifs


188. Evoquer la création des droits subjectifs nous conduit à envisager, en premier lieu,
leurs diverses sources (1) et, en second lieu, leurs techniques d’acquisition (2).

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1) Les sources des droits subjectifs


189. Le droit subjectif peut résulter soit d’un acte juridique (a), soit d’un fait juridique (b).

a) Les actes juridiques


190. L’acte juridique est une manifestation de volonté qui a pour objet de créer, modifier
ou éteindre un droit. Leur diversité est extrême, plusieurs classifications sont
susceptibles d’être utilisées :

- actes unilatéraux et actes bilatéraux : l’acte juridique unilatéral est celui qui trouve son
origine dans la volonté d’une seule personne (testament, par exemple), l’acte bilatéral trouve
son origine dans un accord de volonté (un contrat) ;
- actes à titre gratuit et actes à titre onéreux : l’acte à titre gratuit est l’acte par lequel une
personne transmet un droit sans contrepartie, dans une intention purement libérale (donation),
contrepartie qui caractérise, en revanche, une transmission à titre onéreux (contrat de vente,
échange) ;
-actes entre vifs et actes à cause de mort : l’acte entre vifs est celui qui doit produire ses effets
du vivant de son ou de ses auteurs (un contrat) ; l’acte à cause de mort ne produit ses effets
qu’au moment et par le fait du décès de son auteur (testament) ;
- actes constitutifs, translatifs ou déclaratifs : l’acte constitutif de droit est celui qui crée une
situation juridique nouvelle (le mariage par exemple) ; l’acte translatif est celui qui provoque
le déplacement d’un droit d’un patrimoine à un autre (contrat de vente opérant le transfert du
droit de propriété sur le bien objet de la vente) ; l’acte déclaratif est celui qui a pour seul objet
de reconnaître l’existence d’une situation juridique (une reconnaissance de dette).

Il va de soi que le même acte relève des quatre catégories : ainsi un contrat de vente est un acte
bilatéral, à titre onéreux, conclu entre vifs et translatif de droit ; un testament est un acte
unilatéral, à titre gratuit, à cause de mort, translatif de droits.

Le Code civil ne comporte pas de théorie générale des actes juridiques, le contrat fut quasiment
sa seule préoccupation ; les règles qui ont été formulées à son propos peuvent, cependant,
s’appliquer à l’ensemble des actes juridiques, qu’il s’agisse de leurs conditions de validité (α)
ou de leurs effets (β).

α) Les conditions de validité des actes


juridiques

Conditions de fond

Inventaire

191. De façon générale, les parties à un contrat doivent respecter l’ensemble des
dispositions légales impératives comme le rappelle l’article 6 du Code civil : « on ne
peut déroger, par des conventions particulières, aux lois qui intéressent l’ordre public
et les bonnes mœurs ». Mais cela n’est pas suffisant : pour être valable, l’acte doit être
voulu par des personnes capables dont la volonté n’a pas été viciée.
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192. Capacité de l’auteur de l’acte. La capacité juridique est l’aptitude à être titulaire
de droits (on parle de capacité de jouissance) et à les exercer (capacité
d’exercice). La pleine capacité de jouissance ou d’exercice constitue la situation
de principe (article 1128 du Code civil : « toute personne peut contracter si elle
n’en est pas déclarée incapable par la loi ») Cela signifie, a contrario, que toute
personne que la loi ne déclare pas incapable est dotée d’une pleine capacité et
que tout acte non interdit à un incapable est autorisé. Il convient toutefois, de mettre
ce texte en relation avec les dispositions de l’article 414-1 du Code civil.

Il est très rare qu’une personne soit frappée d’une incapacité de jouissance ; si cela se fait, ce
ne peut être que de façon limitée, souvent à titre de sanction : privation de certains droits
civiques (inéligibilité, par exemple), déchéance de l’autorité parentale. Une incapacité de
jouissance totale qui entraînerait une inaptitude à être titulaire d’un droit quelconque reviendrait
à nier l’existence même de la personnalité juridique, ce qui est inconcevable. En revanche, les
incapacités d’exercice sont plus fréquentes : elles ont pour objet de protéger une personne jugée
trop faible. Elles peuvent être générales (les mineurs ne peuvent agir sans autorisation) ou
spéciales (incapacité des majeurs, notamment les personnes âgées) avec des degrés divers.

193. Consentement de l’auteur de l’acte. La volonté, élément nécessaire de la formation


d’un acte juridique, ne doit pas simplement exister, encore faut-il s’assurer qu’elle
n’est pas entachée d’un vice quelconque. Ces vices potentiels sont au nombre de trois :

- l’erreur : elle consiste à croire vrai ce qui est faux et faux ce qui est vrai (art. 1132 Code
civil) ; elle n’est prise en compte que lorsqu’elle porte sur les qualités substantielles de la chose,
objet du contrat, (exemple : erreur sur l’authenticité d’une œuvre d’art) accessoirement sur les
qualités de la personne du cocontractant à condition que le contrat ait été conclu « intuitu
personae », c’est à dire en considération de la personne (exemple : un contrat de donation) ;
- le dol : il est constitué par des manœuvres frauduleuses de l’une des parties en vue de tromper
l’autre pour l’amener à conclure (art. 1137 du Code civil) ; en ce sens, le dol ne sera retenu que
s’il a été déterminant ;
- la violence : il s’agit d’une contrainte illégitime, physique ou morale, exercée par une
personne afin d’imposer (toujours le caractère déterminant) la conclusion d’un acte juridique.
L’article 1140 du Code civil qui la prévoit précise que pour l’apprécier, il convient de tenir
compte des caractéristiques de la personne du cocontractant, âge ou sexe notamment (exemple :
la dépendance économique et tout le dispositif de protection du consommateur avec
l’interdiction des clauses dites abusives).

Encore faut-il que cette violence soit illégitime : tel n’est pas le cas d’un salarié, par
exemple, qui, après avoir commis un vol, démissionne en échange d’une renonciation de
son employeur à porter plainte.

Sanctions

194. La violation des conditions de fond peut entraîner l’annulation de l’acte doublée,
éventuellement, d’un paiement de dommages-intérêts.

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195. Annulation de l’acte. L’annulation constitue la sanction la plus efficace : l’acte est
complètement effacé aussi bien pour l’avenir que pour le passé, l’annulation ayant un
effet rétroactif. Si l’acte a reçu un début d’exécution, cette annulation se traduira par
des restitutions : l’acheteur rendra le bien au propriétaire, ce dernier reversera le prix
déjà encaissé.

Le droit distingue, cependant, les nullités absolues qui sanctionnent la violation d’une règle
d’ordre public (contrat contraire aux bonnes mœurs, contrat conclu en dehors des conditions
imposées par la loi, etc.) et les nullités relatives qui sanctionnent la violation d’une règle
édictée pour protéger les intérêts privés (vice du consentement par exemple). Si les effets en
sont les mêmes, l’acte est réputé n’avoir jamais existé, certaines différences doivent être
signalées :

- conditions de l’annulation : lorsque l’acte est entaché de nullité absolue, toute personne
qui peut justifier d’un intérêt légitime peut en demander l’annulation : les deux cocontractants,
leurs héritiers, leurs créanciers ; en revanche, l’annulation d’un acte entaché simplement de
nullité relative ne peut être demandée que par la personne que l’on a voulu protéger : ainsi,
en cas de vice du consentement, seule la personne trompée peut s’en prévaloir, non l’auteur du
dol ;
- confirmation : la confirmation est la renonciation au droit d’agir en nullité, elle ne peut jouer
que pour une nullité relative ; la personne qui a commis une erreur peut renoncer, une fois
qu’elle l’a découverte, à s’en prévaloir : l’acte sera rétroactivement validé dès son origine, il
sera réputé n’avoir jamais été entaché de nullité (exemple : un salarié dont le contrat à durée
déterminée est nul, pour cause de défaut de respect des conditions légales, peut exiger
l’exécution de ce contrat) ;

En revanche, le délai de prescription, au-delà duquel toute action est impossible, est de 5 ans
dans les deux cas ; ce délai démarre à partir du moment où la cause de l’annulation a été
découverte et non à partir de la conclusion de l’acte.

196. Paiement de dommages-intérêts. Si la nullité trouve son origine dans une faute d’un
cocontractant (par exemple, un dol), l’autre partie est en droit de réclamer des
dommages-intérêts, en réparation du préjudice financier, moral ou physique qu’elle
aurait subi. Cette réparation peut être demandée en même temps que la destruction de
l’acte ou sa confirmation (dédommagement en échange d’une renonciation à se
prévaloir de la nullité).

Conditions de forme
197. La règle de droit commun est qu’aucune forme ne soit exigée pour qu’une
manifestation de volonté produise des effets juridiques. Le simple accord des volontés
suffit (pour un acte bilatéral) : c’est le principe du consensualisme. Ce principe,
cependant, connaît un certain nombre d’atténuations :

- un formalisme est, parfois, exigé pour que puisse être rapportée la preuve de l’acte ; à défaut
l’acte demeure valable mais en cas de contentieux, on ne pourra établir son existence ;
- un formalisme est, parfois aussi, exigé à des fins de publicité pour que les tiers soient informés
de l’existence de l’acte ; à défaut, l’acte reste pleinement valable entre les parties mais sera
inopposable aux tiers.

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Exemple : la constitution d’une hypothèque doit donner lieu à une publicité à la


conservation des hypothèques ; supposons, exemple parfaitement théorique, qu’une banque
ait consenti un prêt moyennant une hypothèque non publiée. Si l’emprunteur ne paie pas
ses échéances, son bien immobilier, s’il lui appartient toujours, pourra être vendu et la
banque payée ; mais si ce bien a déjà été revendu à un tiers, la banque ne pourra opposer à
ce dernier son droit de suite.

- un formalisme est, enfin, parfois exigé pour la validité même de l’acte ; on parle alors d’acte
solennel. Ce formalisme est de nature variée : il peut s’agir de l’intervention d’un officier public
chargé d’informer les parties sur les conséquences de l’acte qu’elles envisagent (exemple : un
mariage doit être célébré par un officier de l’état civil qui donne lecture aux futurs époux de
leurs droits et obligations réciproques) ou de l’établissement d’un écrit : un testament établi
sans l’intervention d’un notaire (testament olographe) doit être entièrement rédigé de la main
du testateur, daté et signé par lui. La méconnaissance de ce formalisme entraînerait la nullité
absolue de l’acte.

β) Les effets des actes juridiques

200. Il convient, en premier lieu, de déterminer la date à laquelle les actes juridiques
produisent leurs effets avant d’analyser leur portée.

La prise d’effet des actes juridiques

201. Les actes juridiques produisent en principe leurs effets dès l’instant où ils ont été
régulièrement formés : un achat de ticket de tram se traduit par l’acquittement de la
somme due et la délivrance immédiate du ticket. Les parties peuvent, toutefois,
modifier ce schéma en introduisant dans le contrat un terme ou une condition.

Insertion d’un terme

202. Le terme est un événement futur et certain à la réalisation duquel est suspendue soit
l’exigibilité d’un droit (terme suspensif) soit sa disparition (terme extinctif). Dans le
premier cas le droit est né mais son exercice est paralysé, dans le second, le droit
disparaîtra automatiquement lors de la survenance de l’événement.

Exemple : vous avez, courant juillet, signé un contrat de bail pour un logement que vous
occuperez du 1er septembre au 30 juin ; ce contrat est affecté à la fois d’un terme suspensif et
d’un terme extinctif. Si le contrat est parfait dès la signature, le propriétaire ne peut plus
désormais le louer à quelqu’un d’autre pour la même période, vous ne pourrez exercer votre
droit (vous installer) qu’au 1er septembre, terme suspensif. Au 30 juin, terme extinctif, il faudra
quitter les lieux sauf si le propriétaire acceptait une prolongation de votre bail par substitution
d’un autre terme extinctif.

Insertion d’une condition

203. La condition est un événement futur et incertain à la réalisation duquel est suspendue
soit l’exigibilité d’un droit (condition suspensive) soit sa disparition (condition
résolutoire).
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La condition suspensive empêche le droit de naître tant que l’événement ne s’est pas réalisé :
j’achète un logement sous la condition suspensive d’obtenir un prêt de ma banque avant telle
date ; si le prêt n’est pas obtenu, le contrat est réputé n’avoir jamais existé. A l’inverse, dans le
cas d’une condition résolutoire, le contrat existe dès l’accord des volontés, il peut même
commencer à être exécuté mais court le risque d’être ultérieurement détruit si l’événement érigé
en condition survient : je loue sous la condition résolutoire de ne pas être nommé ailleurs avant
telle date.

Notons que dans le cadre d’une condition suspensive, le droit n’est certes pas né mais il
existe à titre virtuel : le propriétaire du logement qui a accepté la condition suspensive ne
peut le vendre à quelqu’un d’autre avant la date prévue.

En principe, et pour simplifier, une condition suspensive est exprimée de façon affirmative, une
condition résolutoire de façon négative.

Il ne faut pas toutefois se laisser abuser par la syntaxe : ainsi dans l’exemple précédent, la
seconde vente pourrait être consentie sous les conditions suspensives que la première vente
ne puisse se faire et que le second acheteur obtienne le prêt nécessaire.

La portée des actes juridiques


205. Les actes juridiques lient toutes les parties à l’acte, principe de la force obligatoire,
mais uniquement elles, principe de l’effet relatif.

L’effet obligatoire des actes juridiques

206. Aux termes de l’article 1103 du Code civil, « les contrats légalement formées tiennent
de loi à ceux qui les ont faits ». Les parties doivent respecter les engagements pris
quelles que soient les circonstances.

Le problème se pose pour les contrats non pas instantanés (achat / vente) mais à exécution
successive (un prêt, un contrat de bail) : le cocontractant, frappé d’un revers de fortune, ne peut
imposer à l’autre de renégocier le contrat : un commerçant qui loue un local ne peut exiger une
réduction de son loyer si ses affaires périclitent, un emprunteur qui ne peut plus faire face aux
échéances risque de devoir vendre le bien. La Cour de cassation se refuse à imposer la révision
du contrat ce qu’admettent, en revanche, parfois les juridictions administratives pour tenir
compte de données économiques ou monétaires (théorie dite de l’imprévision).

Exemple : un contrat de bail stipulait expressément que le locataire ( une entreprise


spécialisée dans le placement des cadres) ne pourrait être indemnisé du préjudice que lui
causerait la durée des travaux dans les parties communes ; la Cour de cassation a interdit
aux juges du fond de revoir le loyer à la baisse jusqu’à l’achèvement des travaux, en raison
de la mauvaise image de marque donnée aux visiteurs, bien que ce loyer fut considéré
comme excessif eu égard aux caractéristiques du local loué (Civ. 3e 30 mai 1996 ).

Seul l’accord du cocontractant peut permettre un aménagement du contrat ou son extinction ou,
à défaut, un événement de force majeure, c’est à dire extérieur aux parties, imprévisible et

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irrésistible qui entraînerait l’impossibilité de poursuivre l’exécution du contrat. Notons,
cependant, que des conditions plus onéreuses ne caractérisent pas l’irrésistibilité.

L’effet relatif des actes juridiques

207. L’article 1199 du Code civil dispose que « les conventions n’ont d’effet qu’entre les
parties contractantes… ». La portée de ce texte doit être appréciée au regard de la
situation des parties, de leurs ayants-cause et des tiers.

208. La situation des parties. Les parties sont liées par le contrat qu’elles l’aient conclu
personnellement ou par l’intermédiaire d’un mandataire. Par le contrat de mandat, le
mandant donne pouvoir au mandataire de négocier et signer en son nom, on emploie
le terme « représentation ». Juridiquement, tout se passe comme si le mandant avait
traité lui-même personnellement ; cela signifie que le mandataire n’est pas lié à la
personne avec laquelle il a contracté.

Par ailleurs, les obligations nées d’un contrat peuvent avoir plusieurs sujets actifs ou passifs :
co-emprunteurs, colocataires, copropriétaires ; on emploie l’expression « obligations
plurales ». En principe, ces obligations se divisent entre les divers créanciers ou débiteurs qui
sont réputés conjoints : si une dette de loyer d’un montant de 600 € incombe à deux personnes,
le propriétaire ne peut réclamer à chacun des colocataires la part qui lui incombe, soit 300 € ;
l’insolvabilité de l’un ne sera pas supportée par l’autre.

Il est possible, néanmoins, de modifier cette solution en stipulant dans le contrat la solidarité
aux termes de laquelle l’un quelconque des créanciers peut obtenir le paiement de la totalité de
la somme (solidarité active) de l’un quelconque des débiteurs (solidarité passive), à charge pour
ce dernier d’exercer un recours contre les autres codébiteurs pour les contraindre à payer leur
part ; dans cette hypothèse l’insolvabilité de l’un des débiteurs devra être supportée par les
autres. La solidarité passive est parfois prévue par la loi : exemple, les associés d’une société
en nom collectif, les parents pour les dommages causés par leurs enfants.

209. La situation des ayants cause. L’ayant cause d’une personne est celui qui tient
certains droits de cette dernière (l’ « auteur »). Il en existe plusieurs catégories :

- ayant cause universel ou à titre universel : l’ayant cause universel est celui qui reçoit la
totalité des éléments qui composent le patrimoine d’une personne décédée ; l’ayant cause à titre
universel est celui qui ne reçoit qu’une partie de ces éléments (présence de plusieurs enfants).
Il convient de parler d’héritier lorsque l’ayant cause est désigné par la loi (conjoint, enfants,
ascendants), de légataire lorsqu’il l’est par testament. Dès lors que l’ayant cause a accepté la
succession, il en recueille les droits mais aussi les obligations (d’où la possibilité de refuser la
succession ou de l’accepter sous bénéfice d’inventaire le temps que l’on ait déterminé
exactement son contenu ; on parle, désormais, d’acceptation à concurrence de l’actif net). Il est
possible néanmoins de prévoir expressément que certaines obligations ne seront pas transmises
aux héritiers, solution automatique pour les contrats conclus intuitu personae.

- ayant cause à titre particulier : c’est celui qui tient un seul droit de son auteur : un locataire,
un acheteur. L’ayant cause particulier n’a pas à bénéficier ou supporter des obligations qui sont
étrangères au droit transmis : l’acquéreur d’un logement ne contracte aucune obligation vis-à-
vis d’un locataire d’un autre logement appartenant à son vendeur quand bien même il serait

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situé dans le même immeuble. Mais qu’en est-il des obligations liées au droit transmis ? Que
se passe-t-il s’il ne les a pas expressément acceptées ? La tendance est de n’admettre que le
transfert de ce qui peut lui bénéficier, non de lui nuire. Mais les exceptions sont nombreuses :
celui qui rachète une entreprise est tenu de reprendre tous les salariés, la vente d’un logement
ne met pas fin automatiquement au bail du locataire.

210. La situation des tiers. Les tiers sont toutes les personnes qui ne relèvent pas des
catégories précédentes. Par principe, ils sont étrangers à l’acte juridique qui ne leur
crée ni droit ni obligation. En revanche, ces droits ou obligations leur sont opposables :
ils ne peuvent pas faire comme si l’acte n’existait pas : ainsi, lorsqu’un salarié quitte
une entreprise et que son contrat comporte une clause de non concurrence, un
employeur concurrent ne peut l’embaucher ; un propriétaire qui a vendu son
appartement ne peut plus se voir réclamer les charges de copropriété dues au titre des
exercices suivants. Rappelons simplement que cette inopposabilité future suppose
parfois l’accomplissement de certaines formalités de publicité.

b) Les faits juridiques


215. Un fait juridique est un événement, suscité ou non, qui crée, transmet ou éteint un
droit sans que ce résultat ait été recherché.

Ce fait juridique peut être un fait naturel, l’œuvre de la nature : le décès – non provoqué !-
entraîne la disparition d’une personne et ouvre automatiquement sa succession, l’âge de 18 ans
entraîne la pleine capacité juridique, celui de 60 ou 65 ans marque, en principe, la fin de la
carrière du fonctionnaire. Il peut s’agir aussi de ce que l’on appelle un fait de l’homme :
l’accident provoqué met en jeu la responsabilité de l’automobiliste.

Ces divers faits peuvent créer des droits personnels, responsabilité pécuniaire de l’auteur de
l’accident, d’un voisin trop bruyant, d’une entreprise qui pollue ou des droits réels, beaucoup
plus rarement : nous avons vu que la possession de bonne foi d’un bien mobilier peut en
conférer la propriété.

2) Les techniques d’acquisition des droits


subjectifs
220. Il convient de distinguer les modes originaires d’acquisition des droits (a) qui en
assurent leur création et les modes dérivés d’acquisition (b) qui en assurent la
transmission.

a) Les modes originaires d’acquisition

221. Les modes originaires sont les seuls modes créateurs de droit : le droit n’existait pas,
il naît en la personne de son titulaire.

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- droits extrapatrimoniaux : nous savons que ces droits sont intransmissibles, ils ne
peuvent donc s’acquérir que selon un mode originaire ; certains naissent en même temps que la
personne qui en est le titulaire (droit à l’honneur par exemple), d’autres résultent d’un
événement : droit de puissance paternelle acquis par la naissance de l’enfant ;
- droits patrimoniaux :
- droits personnels : le plus souvent, ils s’acquièrent par un mode originaire ;
l’obligation naît d’un accord de volonté, contrat de location par exemple, ou de la loi : l’accident
causé par une personne l’oblige à réparer, l’obligation a été directement créée par l’accident ;
- droits réels :
- droits réels principaux : le mode originaire va être ici exceptionnel
car, en principe, toutes les choses ont un propriétaire. Le mode originaire ne pourra s’appliquer
que pour ce que l’on a appelé les choses sans maître « res nullius » ;
- droits réels accessoires : renversement de situation dans ce cas, le
mode originaire est le principe : je consens une hypothèque sur ma maison, un gage sur ma
voiture ;
- droits intellectuels : la plupart du temps, ils sont acquis par un mode originaire,
le droit d’auteur naît avec la création de l’œuvre de l’esprit.

b) Les modes dérivés d’acquisition


222. L’acquisition par un mode dérivé se produit lorsqu’une personne ne devient titulaire
d’un droit qu’à la suite d’une transmission : le droit passe du patrimoine de « l’auteur »
à celui de « l’ayant cause », comme nous l’avons déjà expliqué.

Les modes dérivés ne concernent que les droits patrimoniaux puisque les autres sont, par nature,
intransmissibles.

- droits personnels : leur transmission est possible mais elle est assez rare : sous-
location d’un appartement, escompte d’une traite auprès d’une banque ce qui entraîne une
cession de créance ;
- droits réels :
- droits réels principaux : c’est la règle : je vends mon entreprise ;
- droits réels accessoires : pas d’exemple autonome, l’acquisition intervenant,
en principe, via la transmission en tant qu’accessoire du bien transmis ;
- droits intellectuels : là encore la transmission est possible mais elle est rare :
l’inventeur peut céder son brevet, l’auteur peut céder à l’éditeur le droit d’exploiter son œuvre.

Ces modes dérivés ont pour fondement la volonté des parties ou, parfois, la loi (application des
règles successorales à défaut de testament). Ils opèrent une transmission entre vifs ou à cause
de mort.

223. Il convient surtout de retenir que le droit est transmis tel quel sans modification,
altération ou enrichissement ; ceci est exprimé dans une règle fondamentale du droit
civil : nul ne peut transmettre à autrui plus de droit qu’il n’en a. Seul le titulaire
change, pas le droit.

Exemple : mon terrain est grevé d’une servitude de passage au profit d’une parcelle voisine,
mon droit de propriété est diminué ; si je vends ce terrain, la servitude sera transmise aussi,
je ne peux que céder un droit de propriété réduit.

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Ce principe connaît deux exceptions :

- en matière mobilière (C.civ. art. 2276 déjà évoqué) : si je suis de bonne foi, le seul
fait de posséder la chose m’en rend propriétaire même si je l’ai reçue de quelqu’un qui ne l’était
pas ; ce dernier m’a transmis plus de droit qu’il n’en avait ;

- en matière immobilière : nous avons vu qu’une publicité était nécessaire pour assurer
un parfait transfert des droits. Si une banque se fait consentir une hypothèque sur un bien de
l’un de ses débiteurs, à défaut de publication, l’hypothèque sera inopposable à un éventuel
acquéreur. Le propriétaire avait un droit de propriété réduit, l’acquéreur va se voir transmettre
un droit de propriété total, le bien n’étant plus grevé de l’hypothèque du fait de son
inopposabilité.

B) Le rassemblement des droits subjectifs


dans le patrimoine

225. Le patrimoine n’est évoqué qu’indirectement par le Code civil qui n’en donne aucune
définition. On peut dire qu’il s’agit de « l’ensemble des biens d’une personne, envisagé
comme formant une universalité de droit » (définition d’Aubry et Rau) ou ensemble
des biens et des obligations formant un tout dans lequel actif et passif ne peuvent
être dissociés.

De cette approche découlent deux affirmations : le patrimoine est une universalité juridique (1),
le patrimoine est lié à la personne (2).

1) Le patrimoine est une universalité


juridique
226. Le patrimoine ne saurait être considéré comme la simple addition des éléments actifs
appartenant à une personne (approche du langage courant qui l’assimile à la fortune)
ou comme le solde résultant de la comparaison des éléments actifs et passifs. Le
patrimoine forme un tout.

De façon plus imagée, le patrimoine est une enveloppe, un réceptacle destiné à recevoir
l’ensemble des éléments actifs et passifs dont une personne est et sera titulaire au cours de
son existence.

227. Concrètement, il en résulte deux conséquences :

- il existe un lien indivisible entre l’ensemble des éléments composant le patrimoine :


l’actif répond du passif. Les créanciers d’une personne ont un droit de gage général sur
l’ensemble des biens, ils peuvent se faire payer sur l’un quelconque d’entre eux. De même,
lorsqu’une personne décède, son héritier est tenu du passif de la succession ; si cette dernière
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est répartie entre plusieurs héritiers, chacun contribuera au passif en proportion de ce qu’il a
reçu de l’actif ;
- les éléments actifs sont interchangeables : les créanciers chirographaires peuvent sur
faire payer sur l’un quelconque des biens figurant dans le patrimoine au moment de leur action
même si ce bien n’y figurait pas lorsque leur créance est née ; en revanche, ils ne peuvent plus
se faire payer sur un bien qui a régulièrement quitté le patrimoine (à la différence des créanciers
privilégiés qui ont un droit de suite).

2) Le patrimoine est lié à la personne


228. Il est admis que le patrimoine est une « émanation de la personnalité » (Aubry et Rau) ;
cette proposition débouche sur trois principes :

229. Toute personne a nécessairement un patrimoine. Ce patrimoine existe dès l’instant


de l’accès à la personnalité juridique, naissance pour une personne physique,
constitution et immatriculation pour une personne morale (société, association…).
Bien que vide de contenu, le patrimoine n’en existe pas moins en tant qu’enveloppe
destinée à recevoir biens et obligations.

Ce patrimoine va perdurer durant toute l’existence de la personne, il ne disparaîtra que par la


mort (décès pour une personne physique, dissolution pour une société). Pour reprendre, la règle
évoquée dans le point précédent, les créanciers du défunt pourront se faire payer sur l’ensemble
des biens de l’héritier et les créanciers de ce dernier verront entrer dans leur droit de gage
général les biens issus de la succession.

230. Seule une personne a un patrimoine. Seule, en effet, une personne est apte à être
titulaire de droits ou à supporter des dettes, que cette personne soit physique ou morale.
Dans ce dernier cas, la personne morale a un patrimoine distinct de ceux des personnes
qui la composent : à prendre l’exemple d’une société, les créanciers de la personne
morale n’ont aucun droit sur les biens des associés et réciproquement les créanciers
d’un associé ne peuvent se faire payer sur les biens de la personne morale.

231. Une personne n’a qu’un patrimoine. Nous avons vu que le patrimoine était lié à la
personne et la personnalité juridique est unique par définition, donc très logiquement
on peut affirmer qu’une personne ne peut avoir qu’un patrimoine. Il convient de
remarquer simplement que cette approche juridique ne cadre pas avec l’approche
comptable : même si l’entreprise n’est pas exploitée sous forme sociétaire, il convient
d’établir un bilan spécifique à l’activité commerciale, comme si l’entrepreneur
individuel avait deux patrimoines, l’un personnel, l’autre professionnel ; il en va de
même en matière fiscale. Pour autant, il ne s’agit que d’une simple présentation
destinée à simplifier : si l’entrepreneur a des dettes du fait de son activité
professionnelle, l’ensemble des biens composant son patrimoine en répondra.

Une telle conséquence a conduit à s’interroger sur les moyens de protéger le « patrimoine
personnel » et, au travers de lui, conjoint et enfants. Le droit français a longtemps refusé la
notion allemande de patrimoine d’affectation qui permet d’affecter une masse de biens à une
activité déterminée. La réponse a été trouvée dans la création d’une société : puisque l’on ne
peut diviser un patrimoine, créons autant de sociétés qu’il faut de masses distinctes de biens.
Mais pour créer une société, il faut être au minimum deux. Le législateur a donc créé les
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Entreprises Unipersonnelles à Responsabilité Limitée (EURL), dotées d’un patrimoine
spécifique, seul garant des dettes professionnelles. Il n’y a pas pour autant entorse à la théorie
classique : nous avons deux patrimoines parce qu’il y a deux personnes juridiques : une
physique, l’entrepreneur, l’autre morale, l’EURL.

La protection née de la séparation est illusoire : pour des actes juridiques importants,
emprunts notamment, les créanciers vont exiger de l’entrepreneur qu’il apporte en garantie
ses biens personnels.

Ce montage sociétaire a été considéré comme artificiel et complexe.

Un pas supplémentaire a été franchi par la loi du 1er août 2003 (C. com. art. L 526-1 et s.) :
l’entrepreneur individuel (quelle que soit l’activité) peut déclarer insaisissables ses droits
sur l’immeuble où est fixée sa résidence principale. Cette déclaration doit être reçue par un
notaire et publiée à la conservation des hypothèques ; elle n’est, cependant, opposable qu’aux
créanciers dont les droits naissent postérieurement à la déclaration.

Un second pas, beaucoup plus important, résulte de la loi du 15 juin 2010 (les décrets
d’application sont attendus) qui crée l’EIRL (Entreprise Individuelle à Responsabilité
Limitée). Ce texte reprend l’idée du patrimoine d’affectation : tout entrepreneur peut décider
de constituer, à l’intérieur de son patrimoine, une masse distincte de ses biens personnels ; cette
masse doit comprendre obligatoirement l’ensemble des biens (au sens large) qui sont
nécessaires à l’exercice de son activité professionnelle (il sera même possible à partir de 2013
de constituer plusieurs masses de biens pour des activités différentes).

L’acte constitutif de l’EIRL doit être déposé au registre du commerce et des sociétés ou au
répertoire des métiers pour les artisans avec l’inventaire descriptif et la valeur des biens affectés.
Seuls les biens affectés expressément pourront être saisis par les créanciers (à l’exception de
l’administration fiscale qui pourra aussi rechercher les biens personnels).

II. L’extinction des droits subjectifs

235. Lorsqu’une personne transmet un droit, ce droit quitte son patrimoine mais il ne
s’éteint pas : il se retrouve inchangé dans le patrimoine de l’ayant cause. L’extinction
d’un droit suppose, au contraire, que le droit disparaît pour tous. Cette extinction peut
être volontaire (A) ou involontaire (B).

A) L’extinction volontaire des droits

236. L’extinction des droits peut être la conséquence, en premier lieu, d’une volonté
unilatérale : ainsi, en matière de droits réels, le propriétaire d’un bien mobilier peut
volontairement se dessaisir de son droit en abandonnant la chose qui devient alors
une chose sans maître. Notons, cependant, que lorsque le droit concerne un bien
immobilier, l’abandon n’entraîne pas une extinction du droit de propriété mais un
transfert de ce droit à l’État décidé par arrêté préfectoral (voir publicité régulière
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dans la presse, de la part du service des Domaines, relative à des terrains qualifiés de
supposés vacants pour lesquels le propriétaire est recherché)

En matière de droits personnels, l’extinction est en principe la conséquence de l’exécution par


le débiteur, ce que l’on appelle le « paiement » (sens beaucoup plus large que celui retenu par
le langage courant) ; elle pourrait résulter aussi d’une renonciation du créancier à sa créance, je
renonce à vous réclamer ce qu’il vous reste à me payer, je démissionne de mon contrat de
travail, je vous abandonne la monnaie à rendre. Cette renonciation ne se présume pas ; une fois
établie, elle est irrévocable. Notons qu’elle ne se conçoit que pour les droits patrimoniaux, les
droits extrapatrimoniaux étant indisponibles.

237. L’extinction des droits peut être la conséquence, en second lieu, d’un accord de
volonté. Elle peut alors être décidée à tout moment : une rupture d’un commun accord
d’un contrat de bail, d’un contrat de travail, la résiliation d’une commande…

Les parties ont aussi la possibilité de prévoir à l’avance cette disparition en stipulant dans le
contrat un terme extinctif (événement futur et certain) ou une condition résolutoire (événement
futur et incertain) : votre contrat de bail est conclu jusqu’au 30 juin (droit personnel), je vous
concède l’usufruit de mon appartement jusqu’à la fin de vos études et au plus tard le… (droit
réel), j’achète votre maison sous la condition résolutoire que je ne sois pas muté avant le 1er
janvier.

B) L’extinction involontaire des droits


238. Les hypothèses d’extinction involontaire des droits subjectifs ne sont pas très
nombreuses.

L’extinction peut être provoquée, d’abord, par la disparition de la chose sur laquelle porte ce
droit : la destruction d’une maison par un incendie ou une inondation anéantit un droit réel (le
patrimoine recueillant éventuellement en échange l’indemnisation versée par la compagnie
d’assurance), anéantissement qui peut toucher aussi un droit personnel, celui du locataire de
ladite maison si elle était louée.

Cette extinction peut être provoquée, ensuite, par un cumul chez une même personne de
qualités concernant des personnes différentes ; ainsi, en matière de droit personnel, on
emploie dans ce cas le mot confusion : la même personne cumule à un moment donné la qualité
de créancier et de débiteur pour une obligation donnée (situation de l’héritier qui avait emprunté
de l’argent à un ascendant après le décès de celui-ci) ; en matière de droit réel, on emploie le
mot consolidation : une servitude de passage disparaît si le propriétaire du fonds qui en
bénéficie devient propriétaire du fonds qui la supporte (elle pourrait néanmoins réapparaître si
les fonds étaient à nouveau séparés, la servitude est attachée au fonds, non à la personne) ; mes
parents m’avaient donné la nue-propriété de leur appartement s’en réservant l’usufruit, à leur
décès mon droit de propriété est intégralement reconstitué.

239. L’extinction, enfin, est parfois le résultat d’un non-usage, c’est ce que l’on appelle la
prescription extinctive : son délai est désormais de 5 ans pour les actions
personnelles ou mobilières (C. civ. art. 2224), 30 ans pour les actions immobilières (C.
civ. art. 2227), en précisant, toutefois, que certains droits ne se perdent pas par le non-

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usage : les droits extrapatrimoniaux et la propriété immobilière (problème des
logements vacants).

Il doit être noté, dans ce troisième et dernier cas, que lorsqu’un droit se trouve atteint par la
prescription extinctive, ce n’est pas le droit qui disparaît mais la possibilité pour le créancier
d’en réclamer l’exécution en justice : ce qui est prescrit, c’est l’action, non le droit. Cela signifie
concrètement que le créancier demeure créancier de sorte que le débiteur s’il exécute
volontairement par la suite ne fait que payer ce qu’il doit. On se trouve en présence d’une
obligation qui n’est susceptible que d’exécution volontaire, on parle d’obligation naturelle par
opposition à une obligation civile. Dès lors si le débiteur paie, il ne peut se faire rembourser au
motif qu’il ne devait plus rien : il devait toujours, simplement son créancier ne pouvait plus le
forcer à payer.

SECTION 2
LA MISE EN ŒUVRE DU REGIME JURIDIQUE

240. Dans la très grande majorité des hypothèses, le débiteur exécute aux échéances fixées
les obligations qui sont à sa charge. Il est cependant des cas où le créancier ne pourra
obtenir spontanément le paiement et devra envisager une action en justice. Pour être
couronnée de succès, cette action suppose que soit rapportée la preuve de l’existence
du droit, objet de la contestation. Cela va nous conduire à envisager dans un premier
temps la preuve des droits subjectifs (I) et, dans un second temps, à donner un aperçu
de la procédure judiciaire (II).

I. La preuve des droits subjectifs


241. Ce premier point traitera de la charge de la preuve (A) et des divers modes de preuve
(B).

A) La charge de la preuve
1) Principe
242. Selon l’article 1353 du Code civil, « celui qui réclame l’exécution d’une obligation
doit la prouver (alinéa 1). Réciproquement, celui qui se prétend libéré doit justifier le
paiement ou le fait qui a produit l’extinction de son obligation (alinéa 2) ». En d’autres
termes, il appartient à celui qui formule une prétention d’en établir la
justification.

Il est fréquent qu’à l’occasion d’une action en justice, les parties soient tour à tour appelées à
fournir la preuve de leurs prétentions. Imaginons une personne qui prétend avoir travaillé pour
le compte d’une autre sans avoir été payée pour la tâche réalisée. Cette personne va devoir
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établir la réalité du travail accompli ; une fois ce fait acquis, il appartiendra à la seconde
personne qui ne veut pas payer de prouver que ce paiement est déjà intervenu. Nous retrouvons
la démarche en deux temps suggérée par le texte : la personne qui prétendait que quelque chose
lui était due a fourni la preuve de la réalité du travail effectué ; à charge pour celle qui se prétend
libérée de prouver qu’elle a déjà payé.

2) Exceptions
243. Le demandeur est parfois dispensé de fournir la preuve de sa prétention ; cette preuve
résultera du jeu de présomptions (v. C.civ. art. 1354) : le demandeur est présumé avoir
raison. Cette situation renverse de fait la charge de la preuve : le demandeur n’a plus
rien à prouver, il appartient au défendeur de prouver qu’il s’est déjà libéré ; par
comparaison, dans le système précédent, le défendeur n’avait à se justifier que si le
demandeur avait réussi à prouver que quelque chose lui était due. A défaut il pouvait
rester passif.

La loi, parfois la jurisprudence, formule un certain nombre de présomptions qui n’ont pas toutes
la même valeur : il convient de distinguer les présomptions simples, mixtes et irréfragables.

244. Une présomption qualifiée de simple peut être combattue par la preuve contraire.
Nous avons déjà vu qu’en matière mobilière, le possesseur d’une chose est présumé
en être le propriétaire mais une autre personne peut toujours établir que la propriété de
cette chose lui appartient ; de même, la bonne foi est toujours présumée (C. civ. art.
2268). Autres exemples : une personne inscrite au registre du commerce et des sociétés
est présumée avoir la qualité de commerçant, un contrat de travail à temps partiel doit
être écrit, à défaut il est présumé à temps complet mais l’employeur a la possibilité de
prouver que le salarié ne travaille que quelques heures par semaine dans son entreprise.

245. Une présomption mixte (ou intermédiaire) est une présomption qui peut être écartée
par la preuve contraire mais uniquement selon des modalités prévues par la loi.
Ainsi, l’article 1242 du Code civil présume responsable du préjudice causé à un tiers
celui que l’on appelle le gardien d’une chose (pas nécessairement le propriétaire). Le
gardien peut, certes, combattre cette présomption de responsabilité mais uniquement
en prouvant que le préjudice est dû à un événement de force majeure, au fait d’un tiers
ou à une faute de la victime elle-même.

246. Une présomption irréfragable n’admet aucune preuve contraire si ce n’est par
l’aveu ou le serment (C. civ. art. 1352). Ainsi, la signature d’un médecin attestant sur
la feuille de sécurité sociale que les honoraires ont été payés afin que l’assuré puisse
se faire rembourser : si tel n’était pas le cas (pratique parfois fréquente pour des
malades en situation financière difficile), le médecin ne pourrait plus exiger le
paiement. De même, la mention « acquittée » portée sur une facture fait présumer le
paiement, la publicité faite à la conservation des hypothèques fait présumer la
connaissance de la constitution d’une hypothèque, un contrat de travail verbal est
présumé à durée indéterminée, une lettre de licenciement dans laquelle ne figure pas
le motif invoqué par l’employeur fait présumer que ce licenciement n’a pas de motif.

B) Les modes de preuve


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250. Il convient de procéder, dans un premier temps, à un inventaire des procédés de preuve
(1) avant d’en déterminer leur domaine d’utilisation (2).

1) Les divers procédés de preuve


251. Pour éviter d’éventuelles difficultés, les parties peuvent décider de se « ménager » la
preuve de leurs engagements réciproques en établissant un écrit, on parlera de preuve
préconstituée (a). A défaut, il conviendra de se satisfaire de preuves constituées a
posteriori (b).

a) Les preuves préconstituées


252. Aux termes de l’article 1365 du Code civil, « l’écrit est une suite de lettres, de
caractères, de chiffres ou de tous autres signes ou symboles dotés d’une signification
intelligible… ». Cet écrit devra, en outre, être signé d’une façon permettant
l’identification incontestable de celui qui a manifesté son consentement aux
obligations qui découlent de l’acte (C. civ. art. 1367). Cette définition de l’écrit est
indépendante du support utilisé ou du mode de transmission. Il convient donc de
distinguer l’écrit sur support papier (α) et l’écrit sous forme électronique (β).

α) L’écrit sur support papier

253. Nous distinguerons l’acte authentique, l’acte sous seing privé et les autres écrits.

Il convient de noter que le mot « acte » n’a pas ici la signification que nous lui avons déjà
donnée lorsque nous avons parlé d’acte juridique. L’acte juridique désigne l’opération elle-
même comme source de droit ; le mot acte vise ici le titre, le document qui servira de preuve,
l’ « instrumentum ».

Actes authentiques

Caractéristiques

254. L’acte authentique est l’acte établi par un officier public (C. civ. art. 1369),
l’authenticité découlant de la signature qu’il appose sur l’acte (C. civ. art. 1367). La
qualité d’officier public est accordée par le législateur à des personnes exerçant une
mission d’intérêt général : notaires, huissiers, maires (pour l’état civil), ambassadeurs,
etc.

Lorsque l’acte est établi par un notaire, l’original qu’il conserve est appelé la « minute » ;
la première copie remise au créancier s’appelle la « grosse » (parce qu’établie
antérieurement en grosse écriture), les autres portent le nom d’ « expéditions ».

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Encore convient-il de s’assurer de la compétence, au sens juridique, de la personne en question :
compétence d’attribution, d’abord, certains sont compétents pour dresser tout acte authentique
(notaire par exemple), d’autres ont une compétence spéciale (maire pour état civil) ;
compétence territoriale, ensuite : un maire ne peut, par exemple, établir d’actes d’état civil en
dehors de sa commune.

De plus, la valeur de l’acte est conditionnée par le respect des formalités qui varient d’un acte
à l’autre, notamment la liste des mentions obligatoires.

Valeur probante

255. L’acte authentique fait foi jusqu’à ce que soit rapportée la preuve contraire. Mais la
façon dont peut être rapportée cette preuve varie en fonction de l’objet de la
contestation.

La procédure d’inscription de faux doit être utilisée si l’on entend contester que l’acte a bien
été établi par un officier public, qu’il a réellement été signé par les personnes dont la signature
figure sur l’acte. Il en va de même de sa date et pour tous les éléments figurant dans l’acte qui
résulteraient des constatations de l’officier public : la présence de tel ou tel témoin par exemple.
Cette procédure est longue, coûteuse et risquée : si elle n’aboutit pas, sanction pénale et
dommages-intérêts à l’encontre de celui qui l’a lancée.

En revanche, pour les autres éléments de l’acte que l’officier n’a pu vérifier lui-même
(déclarations des parties, par exemple), il sera possible de rapporter plus facilement la preuve
contraire mais un écrit est exigé.

Actes sous seing privé

Caractéristiques

256. L’acte sous seing privé (sous signature privée) est l’acte établi par les parties elles-
mêmes ou leurs représentants. Sa validité est conditionnée à la seule signature par les
parties (on admet même une signature donnée à l’avance : le blanc-seing). La loi est,
cependant, parfois plus exigeante :

- lorsque l’acte constate une convention synallagmatique, c’est à dire mettant des
obligations à la charge des parties, il doit être établi et signé autant d’originaux qu’il y a de
parties concernées (chacun des originaux indiquant le nombre total d’actes établis, C. civ. art.
1375). Ceci a été fait pour éviter d’éventuelles falsifications (il est admis, par voie de
conséquence, qu’il puisse n’y avoir qu’un seul original si ce document est détenu par un tiers
choisi par les parties) ;

- lorsqu’un acte met des obligations à la charge d’une seule personne (reconnaissance
de dette, cautionnement, par exemple), cet acte doit non seulement être signé par le débiteur
mais aussi comporter la mention écrite de sa main de la somme d’argent ou de la quantité de
choses à livrer en toutes lettres et en chiffres (C. civ. art. 1376) ; en cas de différence, l’acte
vaut pour la somme écrite en toutes lettres (solution identique pour un chèque). Cette formalité
spéciale n’est, toutefois, pas requise entre commerçants.
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Valeur probante

257. De façon générale, l’acte sous seing privé a, entre les parties, la même valeur qu’un
acte authentique (C. civ. art. 1372) sous réserve du droit reconnu à chacune d’entre
elles de contester la réalité de son écriture ou de sa signature (procédure de la
vérification d’écriture beaucoup moins complexe que celle d’inscription de faux
prévue pour un acte authentique, C. civ. art. 1373). Au-delà, s’agissant de la
contestation de sa date ou de son contenu, la preuve contraire peut être rapportée mais
uniquement par le jeu d’un autre écrit.

Vis-à-vis des tiers, qui sont par l’effet relatif des actes juridiques extérieurs à la convention, la
preuve contraire du contenu ou de la date de l’acte peut être rapportée par tous moyens (risque
de voir un acte antidaté pour frauder le droit des tiers). Par exception, cependant, sur ce dernier
point, l’acte est réputé avoir date certaine s’il a été enregistré (promesse de vente auprès de
l’administration fiscale, par exemple), en cas de décès de l’un des signataires ou de sa
constatation dans un acte authentique qui lui fait référence (C. civ. art. 1328) : l’acte a pour date
certaine, opposable aux tiers, celle de l’enregistrement, du décès ou de l’acte authentique.

Autres écrits
258. Sont visées, en premier lieu, ce que l’on appelle les lettres missives, signées par leur
auteur et qui font référence à l’acte objet du litige. Si elles sont assimilées à un acte
sous seing privé, leur utilisation comme moyen de preuve est subordonnée à deux
conditions : elles doivent être en la possession régulière de celui qui les invoque (exclu
si obtenues par violence ou fraude) et ne pas enfreindre le principe de la confidentialité
de la correspondance. Leur utilisation est fréquente pour ce que l’on appelle les lettres
d’affaires (échange de courriers entre commerçants relatifs à leurs activités).

Entrent dans cette catégorie, en second lieu, les livres de commerce (ce que l’article 1378 du
Code civil qualifie de « registre des marchands »).

L’article L 123-12 du Code de commerce édicte trois obligations comptables :


- procéder à l’enregistrement comptable et chronologique des mouvements affectant le
patrimoine de l’entreprise : livre-journal (opérations quotidiennes) et grand-livre (évolution
des comptes) ;
- contrôler par inventaire, au moins une fois par an, l’existence et la valeur des éléments
actifs et passifs du patrimoine de l’entreprise) : livre d’inventaire ;
- établir des comptes annuels à la clôture de l’exercice : bilan, compte de résultat,
annexe.

Ces livres font preuve contre la personne qui les tient et ce, même si la tenue est irrégulière ; en
revanche, leur auteur ne peut les invoquer comme moyen de preuve en sa faveur qu’à l’égard
d’un autre commerçant (C. com. art. L 123-23).

Il convient d’ajouter, en troisième lieu, les papiers domestiques (notes, livres de compte,…)
tenus par un particulier qui y mentionne des événements personnels. Ces papiers constituent
une preuve contre la personne qui les a rédigés (journal ou note évoquant un paiement reçu de

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telle personne, par exemple) ; à l’inverse, s’ils ne peuvent être produits comme preuve parfaite
en sa faveur, ils peuvent compléter une preuve résultant d’autres documents.

En dernier lieu, nous trouvons les copies qui se multiplient avec le développement des procédés
de reproduction. Si l’original subsiste et peut être présenté, les copies n’ont aucune valeur. En
revanche, si l’original a disparu, la présentation d’une copie est admise à la double condition
qu’elle en soit une reproduction fidèle et durable (« est réputée durable toute reproduction
indélébile de l’original qui entraîne une modification irréversible du support », C. civ. art. 1360,
1379). Cela a été admis pour un microfilm ; en revanche, une copie au carbone ou une
photocopie ne valent que comme commencement de preuve devant être complété par d’autres
éléments. Notons, toutefois, qu’au cas particulier des actes authentiques, la première copie, la
grosse, a une valeur égale à celle de l’original.

β) L’écrit sous forme électronique

260. Nous avons vu que la valeur de l’écrit était indépendante de la nature du support.
Lorsqu’il se présente sous forme électronique, l’écrit doit remplir deux conditions (C.
civ. art. 1366) : la personne dont il émane doit pouvoir être dûment identifiée, le
document doit être établi et conservé dans des conditions de nature à en garantir
l’intégrité.

Le point fondamental du dispositif concerne la sécurisation de la signature : la signature


doit être propre au signataire, créée par des moyens qu’il garde sous son contrôle exclusif
et garantissant avec l’acte auquel elle se s’attache un lien tel que toute modification
ultérieure serait décelable (C. civ. art. 1316-4, D. 30 mars 2001).

Si ces deux conditions sont remplies, l’écrit électronique a la même force probante que l’écrit
sur support papier (C. civ. art. 1366).

Un pas supplémentaire a été franchi par la loi du 21 juin 2004 pour la confiance dans l’économie
numérique : lorsqu’un écrit est exigé pour la validité d’un acte juridique (acte solennel), cet
écrit peut être établi, y compris lorsqu’une mention manuscrite est exigée, sous forme
électronique (C. civ. art. 1174 et 1175 qui exclut de son domaine les actes relatifs aux
successions ou aux cautionnements).

b) Les preuves a posteriori


261. Ces preuves ne sont utilisées qu’en cas de contestation. Entrent dans cette catégorie :

- l’aveu judiciaire : c’est la reconnaissance par une personne de l’exactitude d’un fait
de nature à produire contre elle des conséquences juridiques (C. civ. art. 1383-2). Cet aveu
s’impose au juge ; il présente un caractère indivisible lorsqu’il porte sur plusieurs points
(reconnaissance de la perception d’une somme et ce pour une cause déterminée, par exemple)
et un caractère irrévocable sauf s’il est la conséquence d’une erreur de fait : imaginons qu’une
personne reconnaît devoir de l’argent à une autre parce qu’elle a oublié qu’elle a déjà payé, si
elle retrouve par la suite trace de son paiement, elle peut rétracter son aveu ;

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- le serment : c’est l’affirmation solennelle par une partie d’un fait qui lui est favorable
(C. civ. art. 1384). Ce serment peut être décisoire ou supplétoire.
- serment décisoire : il est qualifié ainsi parce que l’issue du procès en dépend ;
il consiste pour une partie qui n’arrive pas à démontrer l’existence d’un fait de demander à
l’autre de jurer que ce fait n’existe pas. Si l’adversaire refuse de jurer, il perd ; s’il prête serment,
il gagne, le juge ne disposant d’aucune appréciation ;
- serment supplétoire : il est ici déféré par le juge à l’une des parties avec une
différence fondamentale par rapport au précédent : certes, si la partie déférée refuse de juger,
elle perd le litige, mais si elle prête serment, le juge n’est pas lié. Ce mode de preuve a quasiment
disparu au profit des expertises ou enquêtes que peut demander une juridiction ;

- les témoignages : il s’agit de déclarations de tiers au litige relatives à des faits dont ils
ont eu personnellement connaissance. La recevabilité du témoignage suppose que la personne
soit capable et qu’il ait été recueilli lors d’une enquête ou dans une attestation. Il est parfois
recouru à la notoriété, « la commune renommée » (concubinage, par exemple) ;

- les présomptions de fait : ce sont les conséquences qu’un magistrat déduit d’un fait
connu pour un fait inconnu (C. civ. art. 1354). Pour éviter tout risque d’erreur, elles doivent
être graves, précises et concordantes (C. civ. art. 1382). Elles ne valent, cependant, que dans
les cas où l’écrit n’est pas le seul mode de preuve autorisé.

2) Le domaine d’utilisation des procédés de


preuve
262. Si la preuve des faits juridiques peut être rapportée par tous les moyens, les règles sont
plus complexes pour celles des actes juridiques.

Le principe est que la preuve d’un acte juridique doit être rapportée par écrit qu’il s’agisse
de son existence ou de son contenu. Notons, cependant, que cette règle ne joue qu’à l’égard des
parties ou de leurs ayants cause : pour les tiers, l’acte ne constitue qu’un fait juridique ouvrant
la voie à tous les procédés de preuve.

263. Ce principe connaît toutefois un certain nombre d’exceptions. Il est admis que la
preuve puisse être rapportée par tout moyen :

- lorsque l’acte juridique constate un engagement inférieur à 1500 € (C. civ. art. 1359) ;

- dans les rapports commerciaux (C. civ. art. 1359, C. com. art. L 110-3). Attention :
la règle vise le cas d’un rapport entre deux commerçants ; lorsque l’acte juridique concerne un
commerçant et un non commerçant (on parle d’acte mixte par opposition aux actes civils et aux
actes de commerce), la preuve est libre à l’encontre du commerçant, elle doit suivre les règles
du droit civil à l’encontre du non commerçant ;

- en cas d’impossibilité de se procurer un écrit : cette impossibilité est appréciée au


regard des circonstances (C. civ. art. 1360 et 1379). Elle peut être matérielle (urgence, perte du
titre par accident : factures d’achat détruites dans un incendie) ou morale (relations familiales) ;

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- en cas d’existence d’un commencement de preuve par écrit (C. civ. art. 1361 et
1362) : le demandeur pourra recourir à tout moyen de preuve s’il peut justifier d’un
commencement de preuve par écrit à défaut de pouvoir produire l’acte sous seing privé ou l’acte
authentique constatant son droit. Ce commencement de preuve doit rendre vraisemblable le fait
allégué ; il doit émaner de la partie à qui on l’oppose. Il peut s’agir d’une simple lettre évoquant
l’acte, d’une note personnelle dans un journal, un devis, un brouillon d’acte non signé voir
même d’une déclaration en cours de procès ou une attitude (refus de comparaître, C. civ. art.
1347).

264. Il convient de retenir que, quelles que soient les circonstances, la preuve présentée
doit être détenue de bonne foi. Les contentieux sont particulièrement fréquents entre
employeurs et salariés. A titre d’exemples : Soc 30 juin 2004 , Soc. 7 juin 2006 , Soc.
9 juillet 2008 , Soc. 23 mai 2007 au cas particulier des SMS.

II. La procédure judiciaire


265. Il convient de distinguer trois phases : l’action en justice (A) qui va entraîner
l’ouverture de l’instance (B) que clôturera le prononcé du jugement (C).

A) L’action en justice
266. L’action peut être définie comme le pouvoir légal grâce auquel une personne peut
obtenir en justice le respect du droit dont elle se prétend titulaire. En quelque sorte,
elle constitue la sanction du droit auquel elle est liée. Ce lien entre action et droit va
nous conduire à classer les diverses actions en justice (2), il conviendra, au préalable,
de définir les conditions de cette action (1).

1) Les conditions d’exercice de l’action


267. Deux conditions sont exigées d’une personne pour pouvoir agir en justice : la personne
doit justifier d’un intérêt pour agir (a) et posséder la qualité nécessaire pour le faire
(b).

a) L’intérêt à agir
268. Cette première condition est souvent formulée par l’adage « pas d’intérêt, pas
d’action ». Cet intérêt doit remplir plusieurs critères :

- l’intérêt invoqué doit être légitime et juridiquement protégé : l’action ne doit pas être
utilisée pour faire triompher une prétention qui soit contraire à la loi ou aux bonnes mœurs ; à
ce titre, a longtemps été interdit à une concubine le droit d’agir en réparation du préjudice moral
que le décès accidentel de son compagnon avait pu lui causer.

- l’intérêt invoqué doit être né et actuel : un intérêt simplement éventuel ne peut servir
de fondement à une action : un salarié menacé de licenciement ne peut saisir par avance le
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conseil de prud’hommes pour faire condamner son employeur ; le juge a pour fonction de
trancher des litiges déjà nés, non de se prononcer sur des difficultés à naître.

b) La qualité pour agir


269. La détermination des personnes ayant qualité pour agir va dépendre de la nature du
droit qui est en cause et, parfois, de la volonté du législateur d’élargir ou de restreindre
le nombre de celles qui peuvent en assurer la protection.

S’agissant des personnes physiques, la qualité pour agir est reconnue, en priorité, au titulaire
du droit litigieux : le propriétaire qui prétend que le loyer n’a pas été versé, le banquier auquel
les mensualités de remboursement du prêt ne sont plus acquittées, etc. Si cette personne décède,
le droit d’agir est automatiquement transmis à ses héritiers qu’ils soient ayants cause universels
ou à titre universel. Le droit d’agir est même parfois reconnu aux créanciers de la personne :
imaginons une personne très endettée qui sait que tout ce qui va entrer dans son patrimoine peut
être saisi ; si cette personne est elle-même créancière d’un tiers qui lui doit de l’argent, elle
risque de ne pas réclamer temporairement le paiement pour éviter sa saisie. Ses créanciers
peuvent agir à sa place par le jeu de ce que l’on appelle l’action oblique (C. civ. art. 1341-1
qui pose deux conditions : l’inaction du débiteur - ce qui suppose que lui-même aurait pu agir,
cas d’une créance non encore exigible – et un préjudice en découlant pour ses propres
créanciers).

270. La question de la qualité pour agir est plus délicate pour les personnes morales. Il va
de soi que la qualité pour agir leur est reconnue pour assurer la défense de leurs
propres droits : une société peut agir en concurrence déloyale, une société peut
poursuivre un associé qui n’apporterait pas la part de capital qu’il s’était engagé à
verser, une association peut obtenir l’expulsion d’occupants sans titre de certains de
ses locaux, un syndicat peut exclure l’un de ses membres... Mais peut-on aller plus
loin en leur reconnaissant le droit d’agir pour la défense d’intérêts généraux qu’ils
prétendent représenter ?

Ce droit est parfois consacré par la loi : ainsi, un syndicat peut-il agir pour la défense des
intérêts collectifs de la profession (C. trav. art. L 2132-3).

A titre d’exemple, un syndicat de salariés ou d’employeurs peut agir contre un chef


d’entreprise en cas d’ouverture d’un magasin le dimanche en violation d’une interdiction
préfectorale. Mais encore faut-il qu’atteinte ait été portée à l’intérêt collectif de la profession
et non simplement à un intérêt particulier de l’un de ses membres : ainsi, a été refusée la
constitution de partie civile d’un syndicat de bijoutiers à l’occasion des poursuites pénales
contre les auteurs d’une tentative de vol dont avait été victime l’un de ses siens (Cass. crim.
29 janvier 1986) ; solution identique pour un syndicat de salariés en cas d’actes de
harcèlement sexuel (Cass. soc. 23 janvier 2002). Il doit être noté, cependant, que le Code
du travail autorise parfois le syndicat à agir au nom du salarié mais il s’agit alors d’une
action individuelle.

De même, certaines associations sont autorisées à agir pour la défense d’intérêts généraux :
associations de consommateurs par exemple (C. consommation art. L 421-1).

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A défaut d’autorisation expresse, la qualité sera refusée : il appartient à l’État d’assurer la
protection des intérêts de la société (Cass. 1e civ. 2 mai 2001 , déjà cité).

2) La classification des actions


271. Cette classification peut être opérée selon deux critères : la nature du droit dont la
sanction est demandée (a) ou son objet (b).

a) Classification fondée sur la nature du droit


272. Nous avons vu que les droits étaient classés en deux groupes : les droits réels,
caractérisés par un rapport entre une personne et une chose, et les droits personnels.
Cette classification conduit à distinguer les actions réelles qui tendent à obtenir la
reconnaissance et la sanction d’un droit réel et les actions personnelles qui
poursuivent un objectif identique pour un droit personnel.

La portée pratique de cette distinction se limite à la détermination de la juridiction


territorialement compétente : l’action est-elle réelle (contestation de la propriété, existence
d’une servitude), elle devra être introduite devant le tribunal dans le ressort duquel se trouve
l’immeuble litigieux. Est-elle, au contraire, de nature personnelle, le tribunal compétent sera
celui du domicile du défendeur.

b) Classification fondée sur l’objet du droit

273. L’objet du droit peut être un meuble ou un immeuble. Dès lors, l’action est dite
mobilière lorsque l’objet du droit exercé est un meuble (compétence partagée, au
premier degré, entre le TGI et les juridictions d’exception), elle est dite immobilière
lorsque l’objet du droit est un immeuble (compétence exclusive du TGI).

Les actions immobilières se divisent en deux groupes : les actions dites pétitoires qui ont pour
objectif d’assurer la sanction d’un droit réel (revendication de la propriété d’un brevet
d’invention par exemple) et les actions dites possessoires qui ont pour seul objectif d’assurer
la protection du fait extérieur de la possession. Les actions possessoires sont au nombre de
trois :

- la complainte : il s’agit de l’action donnée au possesseur d’un immeuble dont la


possession est troublée par un tiers, tiers qui prétend avoir un droit sur l’immeuble ; exemple :
passage sur un terrain en prétendant bénéficier d’une servitude ;
- la dénonciation de nouvel œuvre : action reconnue au possesseur d’un immeuble
exposé à supporter un trouble encore éventuel causé par des travaux entrepris par un
propriétaire voisin sur le fonds qui lui appartient ; exemple : fermeture d’un chemin devant
supporter une servitude de passage.
- la réintégrande : action reconnue au possesseur d’un immeuble victime d’une
dépossession brutale.

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B) L’instance
275. Le titulaire de l’action met l’instance judiciaire en mouvement en présentant une
demande qui est l’acte par lequel une personne prend l’initiative d’un procès en
soumettant au juge ses prétentions. Elle prend la forme d’une assignation par laquelle
le demandeur cite son adversaire, le défendeur, à comparaître devant ce juge. Il se peut,
toutefois, que les deux parties soient d’accord pour saisir le juge afin qu’il tranche leur
litige : l’instance sera alors mise en mouvement par une requête conjointe.

Une fois l’instance engagée, il convient de s’interroger sur la participation des parties (1) et les
caractères de la procédure (2).

1) Les parties à l’instance


276. La règle est que les parties doivent personnellement apparaître dans la procédure :
les pièces doivent clairement indiquer le nom de celui pour le compte duquel la
procédure est engagée (« nul ne plaide par procureur »). L’absence éventuelle du
défendeur n’empêchera pas l’instance engagée de se poursuivre, on parlera de
procédure par défaut.

277. Généralement le défendeur est présent. Il lui est reconnu trois moyens pour tenter de
combattre les prétentions du demandeur :

- la défense au fond : il s’agit du moyen par lequel le défendeur nie purement et


simplement l’existence du droit dont se prétend titulaire le demandeur. Le salarié réclame un
rappel de salaire, l’employeur affirme avoir payé, le propriétaire exige le paiement de loyers
non encore versés, le locataire affirme ne rien devoir. Cette défense au fond peut être présentée
à tout moment de la procédure y compris devant la cour d’appel ;

- l’exception : il s’agit ici du moyen par lequel le défendeur ne conteste pas le droit du
demandeur mais essaie de faire obstacle à l’action en faisant déclarer la procédure irrégulière
ou, simplement de la suspendre. Citons, par exemple, l’exception d’incompétence (le tribunal
devant lequel il a été assigné n’était pas compétent au regard des règles d’attribution ou de
territorialité), l’exception de nullité (certains actes de procédure sont entachés d’irrégularité).
Ces exceptions doivent être présentées obligatoirement en début de procédure ; cette dernière
sera simplement suspendue : le demandeur pourra par la suite saisir le tribunal compétent, les
irrégularités seront corrigées …

- les fins de non recevoir : ce moyen est beaucoup plus efficace puisqu’il entend
démontrer que la demande est purement et simplement irrecevable. Exemple : le délai pour agir
est expiré (prescription : demande de rappels de salaires qui auraient dû être versés six ans plus
tôt, nullité relative soulevée d’un contrat conclu voici dix ans, alors que dans ces deux cas la
prescription est de cinq ans), le demandeur ne justifie d’aucun intérêt pour agir, etc. En principe,
ces fins de non recevoir sont invoquées en début de procédure. Logique de comportement : le
demandeur va tenter de faire déclarer l’action irrecevable, à défaut, il va essayer de la retarder ;
si ces deux moyens échouent, il va falloir qu’il justifie de ses propres prétentions.

2) Les caractères de l’instance


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278. La procédure civile présente, en principe, un caractère accusatoire : le déroulement


du procès appartient aux parties, le juge ne faisant que se prononcer sur les divers
éléments qui lui sont soumis ; à l’inverse, en matière pénale, la procédure est
inquisitoire, le juge menant les débats. Par ailleurs, la procédure civile est
contradictoire, chacune des parties pouvant fournir des éléments susceptibles de
justifier ses prétentions.

Il est un troisième principe qui appelle plus de commentaires : c’est ce que l’on appelle le
principe d’immutabilité : ce principe signifie que lorsqu’une instance a été engagée, on ne peut
modifier son cadre ou son objet ou présenter des demandes nouvelles.

279. Ce principe connaît, néanmoins, de nombreuses exceptions. Ainsi est-il possible de


formuler des moyens nouveaux à l’appui de la demande, sauf devant la Cour de
cassation. Moyen signifie ici arguments juridiques supplémentaires étayant la
démonstration. De même admet-on, sous condition, des demandes nouvelles. Il peut
s’agir de demandes reconventionnelles, de demandes additionnelles ou de demandes
en intervention :

- demandes reconventionnelles : il s’agit de la demande présentée par le défendeur en


réponse à celle du demandeur. Vous m’assignez au motif que je n’aurais pas livré le bien promis
par le contrat : au lieu de me défendre en prouvant que je l’ai bien livré (simple réponse à votre
prétention), je vais, à titre reconventionnel, contre-attaquer en tentant de faire valoir que le
contrat était entaché de nullité ce qui justifierait mon défaut de livraison. Cela permet un gain
de temps, à défaut il faudrait deux procès. Encore faut-il que la demande reconventionnelle soit
unie à la demande initiale par un lien de connexité.

- demandes additionnelles : les parties modifient leurs demandes initiales en les


complétant ; là encore un lien de connexité est nécessaire : salarié ayant introduit une action
pour contester le bien fondé de son licenciement et qui ajouterait une demande de rappel de
salaire ;

- demandes en intervention : son objet est de rendre un tiers partie au procès : cette
demande peut être volontaire, si elle émane du tiers qui se joint ainsi à la procédure, ou forcée
(exemple classique : l’appel en garantie d’un assureur).

C) Le jugement
280. Entendu au sens strict, le mot jugement, comme nous l’avons déjà vu, désigne la
décision émanant d’une juridiction du premier degré alors que sont employés les mots
d’arrêts pour celles rendues par la cour d’appel ou la Cour de cassation, d’ordonnances
quand elle est rendue par un juge unique, en raison notamment de l’urgence, ou de
sentences lorsqu’elles émanent d’un arbitre.

De façon plus large, le mot jugement désigne tout acte par lequel une juridiction met fin à une
instance. Il convient alors de commenter son prononcé (1) et d’en mesurer les effets (2).

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1) Le prononcé du jugement
281. Les jugements ne sont pas toujours prononcés dans les mêmes conditions ; de plus, ils
ne présenteront un caractère définitif que lorsque les voies de recours auront été
épuisées.

a) Les divers types de jugement


282. Une première classification est fondée sur la façon dont le jugement est rendu :

- jugement contradictoire : le jugement est dit contradictoire lorsque le demandeur et


le défendeur ont accompli l’ensemble des actes de procédure que rend nécessaire le
déroulement de l’instance. Attention : une partie est réputée avoir comparu lorsqu’elle s’est fait
représenter par un avocat ;
- jugement réputé contradictoire : tel sera le cas d’un jugement dans lequel une partie,
après avoir comparu, n’accomplit plus aucun acte de procédure ;
- jugement par défaut : le jugement est qualifié par défaut à la triple condition que
l’assignation n’ait pas été personnellement remise au défendeur, que ce dernier n’ait pas
comparu ou ne se soit pas fait représenter et que l’appel ne soit pas possible en raison du
montant de la demande ou par décision de la loi. Si l’appel est possible, le jugement sera réputé
contradictoire.

283. Une seconde classification est fondée sur la possibilité ou l’impossibilité d’interjeter
appel. Un jugement est dit en premier ressort lorsqu’il est susceptible d’appel ; à
défaut, on parlera de jugement rendu en premier et dernier ressort. Tel est, en
particulier, le cas lorsque le montant de la demande est inférieur à 4000 €.

284. La troisième classification repose sur la portée du jugement. S’il règle tout ou partie
du litige soumis, il est réputé définitif ; le juge ne pourra revenir sur les points qu’il a
tranchés.

En parallèle, il existe les jugements d’avant dire droit par lesquels, en cours d’instance, le juge
ordonne soit une mesure d’instruction chargée de l’éclairer (nomination d’un expert, par
exemple) soit une mesure de protection (ex : conservation de certains biens).

b) Les voies de recours contre les jugements


285. Il va falloir distinguer les voies de recours ordinaires et les voies de recours
extraordinaires. Les premières sont ouvertes aux parties et suspendent, en principe,
l’exécution de la décision attaquée. Les secondes ne sont offertes
qu’exceptionnellement et sont sans incidence, de façon générale, sur l’exécution du
jugement. L’épuisement des voies de recours ordinaires confère au jugement l’autorité
de la chose jugée, celui, postérieur, des voies de recours extraordinaires le rend
irrévocable.

α) Les voies de recours ordinaires

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286. Ces voies de recours ordinaires sont au nombre de deux : l’appel et l’opposition.

L’appel
287. L’appel permet à la partie non satisfaite d’un jugement rendu en premier ressort par
une juridiction du premier degré de le déférer aux juges du second degré. Il doit être
interjeté dans le délai d’un mois à partir du jour de la notification du jugement
contesté. L’appelant (le défendeur prend ici le nom d’intimé) doit avoir été partie ou
représenté au premier jugement et ne pas avoir obtenu complètement satisfaction (à
défaut, il n’a plus d’intérêt à agir) ; exemple : le propriétaire a obtenu une
augmentation du loyer stipulé par le bail commercial mais il juge cette augmentation
insuffisante.

Cet appel a un effet suspensif (l’exécution du jugement est déjà paralysée pendant le délai d’un
mois ouvert pour l’interjeter) sauf si le juge du premier degré a décidé d’ordonner son exécution
provisoire ; il a, par ailleurs, un effet dévolutif ce qui signifie que l’ensemble de l’affaire sera
repris tant au niveau des faits que du problème de droit.

L’opposition
288. Cette voie de recours est ouverte à la personne qui a négligé de comparaître lors de la
première instance. Elle n’est donc possible que pour les jugements rendus par
défaut.

Comme pour l’appel, le délai pour l’intenter est d’un mois ; ce recours a un double effet,
suspensif et dévolutif, mais, à la différence de l’appel, l’affaire est portée devant la même
juridiction qui s’est déjà prononcée.

β) Les voies de recours extraordinaires

290. Elles sont ici au nombre de trois : la tierce opposition, le pourvoi en cassation, le
recours en révision.

La tierce opposition
291. Cette voie n’est pas ouverte aux parties mais aux tiers (d’où le nom de tierce
opposition) qui seraient lésés, ou qui pourraient l’être, par l’effet d’un jugement auquel
ils étaient ni parties ni représentés.

Elle peut être utilisée à l’encontre de tous les jugements dans le délai de trente ans à partir du
jour où la décision attaquée a été rendue. Encore faut-il démontrer en quoi le jugement attaqué
fait grief ; exemple : les parties au jugement s’étaient entendues pour faire condamner mon
débiteur à verser une somme importante (tel le remboursement d’un prêt fictif) à la seule fin
d’appauvrir son patrimoine pour éviter une saisie.

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La juridiction saisie est celle qui avait rendu la décision contestée ; si cette tierce opposition
apparaît fondée, le jugement initial sera modifié mais sur les seuls points qui portent préjudice
au tiers qui a formé l’opposition.

Le pourvoi en cassation
292. Cette voie de recours a pour objet de contester l’application de la règle de droit dans
le jugement frappé de pourvoi. Ce dernier peut être formé à l’encontre des jugements
rendus en premier et dernier ressort et des arrêts des cours d’appel. Il doit être introduit
dans les deux mois de la notification de la décision contestée. La possibilité de former
un pourvoi est réservée aux parties ; elle est accordée exceptionnellement au Ministère
public.

Le Procureur général auprès de la Cour de cassation peut former de sa propre initiative un


pourvoi dans l’intérêt de la loi (cela suppose que l’une des parties n’ait pas attaqué la
décision : par voie de conséquence, même si le pourvoi est accepté, la décision conservera
son autorité entre les parties) ou sur ordre du Ministère de la justice en cas d’excès de
pouvoir (empiètement du juge judiciaire sur les autres pouvoirs, la décision sera ici anéantie
y compris à l’égard des parties).

A la différence de l’appel, le pourvoi en cassation n’a ni effet suspensif (sauf dans certains cas,
tel le divorce) ni effet dévolutif : les faits ne seront pas réexaminés.

Le recours en révision
293. Il s’agit ici de demander aux juges qui ont statué de revenir sur leur décision, celle-ci
ayant été rendue par erreur. Cette voie ne peut être utilisée que par les parties et dans
des cas limitativement énumérés par la loi (ex : manœuvres frauduleuses de l’autre
partie, faux témoignages etc.). L’action doit être introduite dans un délai de deux mois
qui court à partir du jour où son auteur a eu connaissance des faits qui justifient la
demande de révision.

L’affaire est donc renvoyée devant la juridiction qui a rendu la décision contestée, cette dernière
sera éventuellement modifiée en conséquence.

2) Les effets du jugement


295. Lorsqu’il présente un caractère définitif et qu’il a été rendu en matière contentieuse, le
jugement se voit conférer l’autorité de la chose jugée (C. civ. art. 1350 3°) : les parties
ne pourront à nouveau saisir le juge pour un litige ayant le même objet. Mais cette
autorité n’a qu’un effet relatif : les parties pourraient engager une action relative au
même bien, par exemple, sur une autre base. Ainsi, à supposer une contestation de la
validité d’un contrat de vente d’immeuble, une action fondée sur le dol du vendeur
n’interdirait pas par la suite, si elle n’aboutissait pas, une seconde action fondée sur
l’insuffisance du prix payé (lésion).

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DROIT ET ENTREPRISE 1 / INTRODUCTION GENERALE AU DROIT - 90 -
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Titre II : Les droits subjectifs / Chapitre II : Le régime juridique des droits subjectifs
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Parallèlement, le jugement définitif acquiert une force exécutoire : si la partie qui a succombé
n’exécute pas spontanément ce jugement, il pourra être recouru à l’exécution forcée (expulsion
d’un locataire par exemple ou d’un occupant sans titre).

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Titre III : Les titulaires des droits subjectifs / Chapitre I : Les personnes physiques
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TITRE III

LES TITULAIRES
DES DROITS SUBJECTIFS

CHAPITRE I

LES PERSONNES PHYSIQUES

300. Les personnes physiques sont faciles à définir : il s’agit des êtres humains.

De tous les êtres humains : dans certains systèmes juridiques que nous avons connus et qui
existent parfois encore, l’esclave est objet de droit au même titre qu’une paire de bœufs ou une
charrette.

Mais rien que les êtres humains : un animal ne peut se voir reconnaître la personnalité
juridique : aussi, est-il impossible de lui consentir une donation ou de lui léguer certains biens
par voie testamentaire.

Cela ne signifie pas pour autant que le droit ignore l’animal : il est protégé par le Code pénal
qui réprime les actes de cruauté envers les animaux (sauf tradition locale pour la
tauromachie ou les combats de coqs), il peut être source d’obligation lorsqu’il cause un

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Titre III : Les titulaires des droits subjectifs / Chapitre I : Les personnes physiques
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dommage à un tiers (trouble de voisinage, chutes de piétons, morsures…) ou de créance :
la jurisprudence admet que la perte accidentelle d’un animal cause un préjudice moral
générateur de dommages-intérêts.

Connues, reconnues et protégées par le droit, seules les personnes physiques ont la personnalité
juridique. Il convient de s’interroger, tour à tour, sur son attribution (section 1) et sur les
attributs qu’elle confère (section 2).

SECTION 1
L’ATTRIBUTION DE
LA PERSONNALITE JURIDIQUE

301. Il nous faut envisager successivement l’acquisition (I) et la perte (II) de la personnalité
juridique.

I. L’acquisition de la personnalité
juridique

302. A partir de quel moment cette personnalité est-elle acquise (A) et quelles conséquences
faut-il tirer de cette acquisition (B) ?

A) Le moment de l’acquisition de la
personnalité
303. La personne physique devient sujet de droit dès l’instant de sa naissance : c’est ce que
l’on appelle le principe de simultanéité. Ce principe n’est pas remis en cause en cas
de décès à la naissance : encore faut-il, toutefois, que l’enfant soit né vivant et viable.
Pour que l’enfant soit considéré comme vivant, il suffit qu’il ait respiré, preuve en sera
rapportée par la présence d’air dans les poumons ; pour qu’il soit considéré comme
viable, il doit posséder tous les organes essentiels à l’existence, ce qui va nécessiter
des expertises médicales. A défaut sera dressé un acte d’enfant né sans vie (C. civ. Art.
79-1)

Il conviendra alors de procéder à la déclaration de naissance (dans les trois jours suivant celui
de l’accouchement, C. civ. art. 55) auprès du service de l’état civil du lieu de la naissance. Un
acte de naissance sera dressé mais cet acte ne fait que constater l’événement, il ne crée pas la
personnalité juridique (à la différence de l’immatriculation d’une société).

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Titre III : Les titulaires des droits subjectifs / Chapitre I : Les personnes physiques
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304. La personnalité juridique peut même être reconnue avant la naissance dès la
conception si l’intérêt de l’enfant l’exige : ainsi, en cas d’accident du travail mortel
du père, il est reconnu à l’enfant simplement conçu le droit de percevoir une rente à
compter de sa naissance ; de même, lui est-il permis de recueillir une succession (C.
civ. art. 725). Cette règle est souvent désignée sous la forme « infans conceptus »,
abréviation de l’adage latin « infans conceptus pro nato habetur quoties de commodis
ejus agitur », l’enfant simplement conçu est réputé né toutes les fois qu’il y va de son
intérêt.

La seule difficulté réside dans la détermination de la conception : afin d’éviter tout


problème, l’article 311 du Code civil dispose que l’enfant est présumé conçu dans une
période qui s’étend du 300e au 180e jour avant sa naissance.

Le choix s’effectue au gré de l’enfant : à supposer que la naissance soit intervenue le 1er
novembre 2009, l’enfant sera supposé conçu au plus tard le 1er janvier 2009; si son supposé
père était décédé le 15 janvier, l’enfant pourra être considéré comme son héritier.

Deux remarques doivent être faites :

- il s’agit d’une simple présomption supportant la preuve contraire : il pourrait être


démontré au regard de la constitution de l’enfant à la naissance (cas d’un accouchement
prématuré) que la conception est de date plus récente, auquel cas l’enfant ne pourrait hériter ;

- l’acquisition de cette personnalité est simplement conditionnelle : elle ne jouera


pleinement que si l’enfant naît vivant et viable. Cette règle est d’une importance considérable
en matière successorale.

Exemple : imaginons un couple attendant un enfant, le père qui possède en bien propre une
maison de famille décède avant la naissance. La règle veut que l’enfant puisse hériter. Si
cet enfant naît vivant et viable, il va réellement hériter et s’il décède rapidement à son tour,
la maison ira à ses propres héritiers ; sa mère et ses ascendants côté paternel ; si cet enfant
n’était pas né vivant et viable, il n’aurait pu hériter : la maison du père aurait été recueillie
par la seule famille paternelle (grands-parents, neveux, nièces, etc.).

B) Les conséquences de l’acquisition de la


personnalité
305. La reconnaissance de la personnalité juridique rend la personne titulaire d’un certain
nombre de droits dont certains ont reçu une consécration soit internationale
(convention européenne des droits de l’homme de 1950, déclaration universelle des
droits de l’homme de 1948, convention des droits de l’enfant de 1989) soit
constitutionnelle (préambule de la constitution de 1946 consacrant le droit de
l’individu au travail, à la protection sociale, au logement, droit de grève, etc.).

Le droit civil va au-delà en consacrant l’existence de droits de la personnalité dont il faut dresser
l’inventaire (1) avant d’en préciser le régime juridique (2).

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Titre III : Les titulaires des droits subjectifs / Chapitre I : Les personnes physiques
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1) Inventaire des droits de la personnalité


306. Ces droits de la personnalité peuvent être regroupés en quatre rubriques : le droit à
l’intégrité physique, à l’intégrité morale, au respect de la vie privée, au respect de la
pensée.

Droit à l’intégrité physique


307. Le droit à l’intégrité physique comprend un droit à la vie et un droit à la santé qui sont
protégés pénalement et civilement (dommages-intérêts en cas de faute médicale, par
exemple) (C. civ. art. 16-1 et s.) ; ces droits continuent de nourrir de nombreux débats
(avortement, euthanasie, utilisation du fœtus pour des recherches génétiques).

Il existe, cependant, un certain nombre d’atteintes au droit à l’intégrité physique :

- certaines peuvent être imposées à l’individu pour des motifs d’intérêt général :
vaccinations obligatoires, parfois contestées en raison d’effets dangereux sur certaines
personnes, prélèvements sanguins à la suite d’une infraction pénale (dépistage alcoolémique ou
test ADN, C. civ. art. 16-11). Mais en dehors de ces hypothèses, le juge ne saurait ordonner de
semblables mesures pour rechercher la vérité que si la loi l’autorise expressément (ainsi en
matière de filiation en cas de recherche de paternité) ;

- certaines peuvent être consenties par l’individu afin de se sauver lui-même ou sauver
autrui : autorisation expresse donnée au chirurgien de pratiquer l’opération (sauf urgence
absolue, C. civ. art. 16-3), transfusion sanguine (voir certaines difficultés au nom de croyances
religieuses), transplantations d’organes très réglementées du vivant de la personne (C. civ. art.
16-6 et 16-8 : gratuité et anonymat, C. santé publique, art. 1231 et s. interdisant le prélèvement
sur un mineur sauf moelle osseuse au profit d’un frère ou d’une sœur) alors que le don d’organes
est la règle après le décès (opposition expresse nécessaire du vivant de la personne).

Droit à l’intégrité morale


308. Le droit à l’intégrité morale se caractérise par un droit à l’honneur et à la réputation.
L’atteinte peut être directe ou indirecte : personnage de fiction dans un roman décrit
de façon telle que l’identification à une personne célèbre est évidente si ce personnage
accomplit des actes répréhensibles que la rumeur prête à la personne en question qui
s’en défend (pour un exemple : Civ. 1e 7 février 2006 ).
L’atteinte à l’honneur peut également relever d’un fait négatif, tel que le fait d’omettre
volontairement d’évoquer des découvertes scientifiques d’un homme de science dans
un article de vulgarisation (Cass. Civ, 27 février 1951)

Des poursuites pénales sont parfois prévues (diffamation en particulier), la plupart du temps
des mesures civiles : saisie de l’ouvrage, suppression de certaines pages, avertissement placé
en début d’ouvrage, dommages-intérêts. Au cas particulier d’une personne mise en cause par
voie de presse (presse écrite, radio, télévision), un droit de réponse lui est accordée.

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Droit au respect de la vie privée


309. Affirmé par l’article 9 du Code civil, ce droit au respect de la vie privée comporte de
multiples applications :

- droit au respect de sa propre image : à ce titre est interdite l’utilisation de la


photographie d’une personne sans son accord, sauf des photos générales prises dans un lieu
public, ou celles de sportifs, hommes politiques, gens du spectacle prises à l’occasion de leurs
activités dès lors qu’il en fait d’un usage normal (Civ. 1e 14 juin 2007 , à propos d’un usage
détourné) ;

- droit au respect de sa vie familiale, y compris pour les personnages publics même
s’ils ont pu, dans le passé, faciliter les intrusions multiples dans leur vie privée (gens du
spectacle) (pour un exemple : Civ. 1e 27 février 2007 ) ;

Les contentieux relatifs à ces deux premières applications ont souvent pour origine
l’opposition entre le respect de la vie personnelle et le droit à l’information du public via la
presse écrite ou audiovisuelle. La jurisprudence admet que des éléments personnels soient
révélés dès lors qu’ils participent à une information politique, économique ou sociale (Civ.
1e 15 mai 2007 ) sous la triple réserve d’une présentation exacte des faits (Civ. 1e 20 mars
2007 ), d’un éventuel détournement des éléments présentés à des fins condamnables (Civ.
1e 12 juillet 2006 ) et d’un minimum de respect de la vie privée (Civ. 1e 16 mai 2006 ).

- droit au respect du secret de sa correspondance (y compris sur le lieu de travail,


contrôle des messageries électroniques) ;

- violation du secret professionnel (médecins, notaires, avocats) ;

- interdiction d’enregistrement dans un lieu privé (écoutes téléphoniques, caméras)


sauf autorisation judiciaire ou information expresse des personnes concernées (cas des lieux de
travail).

Il convient d’ajouter que la loi dite « informatique et libertés » interdit l’enregistrement de


certaines données (politiques, raciales, religieuses par exemple) et permet à toute personne
d’obtenir communication des données le concernant dans un fichier déterminé.

Droit au respect de la pensée


310. Cela se traduit très simplement par le principe du secret du vote mais ce droit prend
surtout de l’importance pour une œuvre littéraire ou artistique : droit de l’auteur de
publier son œuvre, de la modifier, de s’opposer à tout plagiat ou à toute modification,
adjonction ou coupure. A ce titre, par exemple, des acteurs ont pu s’opposer à ce que
le réalisateur d’un film ajoute, contre leur volonté, des scènes à caractère
pornographique portant atteinte à leur réputation.

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2) Régime juridique des droits de la


personnalité
311. Les droits de la personnalité sont incessibles, intransmissibles, insaisissables et
imprescriptibles ; la difficulté majeure tient à la façon d’assurer effectivement leur
protection. L’octroi de dommages-intérêts a été parfois discuté au motif que l’honneur
ne serait pas monnayable (voir aussi le débat en matière de responsabilité sur la
réparation du préjudice moral).

Des formules plus adaptées sont souvent utilisées : saisie (parfois en référé), publication d’un
jugement en cas de plagiat, censure d’une couverture de magazine, coupure d’un film, droit de
réponse… Ceci n’exclut pas la sanction pénale : coups et blessures, diffamation, violation du
secret de la correspondance, dénonciation calomnieuse…

II. La perte de la personnalité juridique

315. La perte de la personnalité juridique résulte du décès qui doit être déclaré dans les 24
heures (avec établissement d’un acte de décès et transcription sur le registre de l’état
civil sur la base de critères posés par la loi : C.S. Publ. Art. R.1231-1, R. 1232-1 s. ).

Cet acte emporte constatation de la fin de la personnalité juridique ; cette dernière, cependant,
connaît quelques prolongements :

- le défunt peut régler l’agencement de ses funérailles, exposant ses héritiers à des
sanctions pénales s’ils ne les respectaient pas ;

- le défunt peut s’opposer à tout prélèvement d’organes post mortem ;

- le défunt peut donner, par acte notarié, mandat à une personne qui sera chargée, après
son décès, de l’administration provisoire (2 ans pouvant être portés à 5 ans) de tout ou partie de
sa succession dans l’intérêt d’un ou plusieurs héritiers identifiés (C. civ. art. 812 et s.) ;

- de façon plus générale, le défunt peut disposer du sort de ses biens par voie
testamentaire sous réserve des droits légalement reconnus à ses enfants (réserve héréditaire :
moitié des biens si un seul enfant, un tiers si deux, un quart si trois et plus, C. civ. art. 913).

316. Il existe certaines situations qui sont assimilables au décès : l’absence et la


disparition.

- l’absence : il s’agit de l’hypothèse dans laquelle on ne sait d’une personne si elle est
encore en vie ou déjà décédée en raison d’une absence totale de nouvelles directes ou indirectes.
Le juge des tutelles (magistrat auprès du tribunal d’instance) va constater la présomption
d’absence. Durant cette période, la personne est toujours considérée comme vivante ce qui
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Titre III : Les titulaires des droits subjectifs / Chapitre I : Les personnes physiques
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interdit de disposer de ses biens sans autorisation du juge ; le conjoint peut cependant obtenir
le divorce sur la base de la rupture de la vie commune. Au bout de dix ans, le TGI prononcera
la déclaration d’absence qui produit les effets juridiques d’un décès tant au plan patrimonial
que familial (le mariage est dissous s’il n’y a pas eu divorce). Si l’absent revient (!), il doit
retrouver tous ses biens ; en revanche, le mariage reste dissous.

- la disparition : hypothèse dans laquelle on est sans nouvelle d’une personne dont on
sait qu’elle s’est trouvée exposée à un péril tel qu’il est permis de conclure à son décès même
si une part d’incertitude demeure (catastrophe naturelle, marin perdu en compétition,
alpiniste…). La procédure va être ici beaucoup plus rapide en raison de la très faible part
d’incertitude. Le TGI peut être immédiatement saisi, il va rendre un jugement déclaratif de
décès : la succession s’ouvre, le mariage est dissous. Si le disparu revient, les effets de son
retour sont identiques à ceux que provoque le retour de l’absent.

SECTION 2
LES ATTRIBUTS DE
LA PERSONNALITE JURIDIQUE

320. Ces attributs sont au nombre de trois : le nom (I), le domicile (II) qui permettent
d’identifier la personne juridique ainsi que la capacité juridique (II), en principe pleine
et entière mais qui pourra subir quelques restrictions guidées par le souci de protéger
certains sujets de droits.

I. Le nom de famille
321. A reprendre la définition donnée par la doctrine, le nom est l’appellation servant à
désigner une personne dans la vie sociale et juridique en vue de l’exercice de ses
droits et l’accomplissement de ses devoirs.

Les personnes physiques sont désignées essentiellement par deux mots : le nom qui est le nom
de la famille dont la personne est issue et le prénom, qui lui est propre, et va permettre son
individualisation au sein de la famille. En pratique, lorsqu’on parle du nom, c’est du nom
patronymique qu’il s’agit. Les développements qui vont suivre lui seront exclusivement
consacrés.

Historiquement le nom est apparu au Moyen-age où l’on a pris l’habitude de désigner les
gens selon un trait distinctif : aspect physique (Legrand, Legros, Petit, Legras), profession
(Boucher, Vigneron, Boulanger, Vacher, Pêcheur), origine géographique (Picard, Lebreton,
Lenormand) ou localisation de la résidence (Dupré, Dulac, Deschamps, Dubois, Dupont).
Ce nom doit être distingué du pseudonyme, faux nom que la personne se donne à elle-même
(artistes du spectacle, auteurs) et du surnom accordé par l’entourage.

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Il convient d’envisager, tour à tour, l’attribution du nom patronymique (A) et son utilisation
(B).

A) L’attribution du nom de famille


322. Nous allons évoquer l’attribution originaire du nom (1), les possibilités de changement
de nom (2) ou d’adjonction de nom (3).

1) L’attribution originaire du nom


323. A l’origine du nom se trouve, en principe, un rapport de filiation ; tout va dépendre
si la filiation, qu’elle soit légitime, naturelle ou adoptive, est établie simultanément ou
non à l’égard des deux parents.

- filiation établie simultanément : les parents ont le libre choix du nom de famille de
leur enfant : celui du père, de la mère ou les deux accolés en commençant par l’un ou par l’autre.
Ce choix vaut pour les autres enfants. Si ce choix n’est pas exercé, l’enfant porte le nom du
père (C. civ. art. 311-21 pour la filiation légitime, 357 et 363 pour l’adoption plénière et
simple) ;

- filiation établie successivement (cas fréquent d’un enfant naturel, c-a-d né hors
mariage) : en principe l’enfant prend le nom de celui qui l’a reconnu en premier ; lorsque le
second parent le reconnaît, il est possible d’y substituer, par simple déclaration au greffe du
TGI, le second nom ou lui faire porter les deux suivant un ordre à établir (C. civ. art. 334-1,
334-2).

324. L’attribution du nom peut aussi résulter d’une décision administrative : lorsque la
filiation de l’enfant n’est établie à l’égard de personne (on parle d’ « enfant trouvé »),
l’officier d’état civil doit donner trois prénoms dont le dernier servira de nom
patronymique (C. civ. art. 57). Cette attribution présente un caractère provisoire dans
l’attente de l’établissement d’un rapport de filiation.

2) Le changement de nom
325. Le changement de nom peut être lié à un changement d’état. Il en est ainsi en cas de
mariage : une règle coutumière permet à la femme de porter le nom de son mari ; il
ne s’agit pas d’une obligation, la femme conservant en tout état de cause le sien. Dans
les actes publics, elle sera toujours désignée sous son nom de jeune fille suivie de la
mention « épouse X ».

Qu’en est-il en cas de dissolution du mariage ? Si cette dernière intervient par décès, la veuve
peut continuer à porter le nom du défunt sauf si elle se remarie. En revanche, en cas de divorce,
chacun des époux reprend l’usage de son nom (C. civ. art. 264 al. 1). La femme conserve,
cependant, de plein droit le nom du mari en cas de divorce pour rupture de la vie commune

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demandé par le mari ou, dans les autres cas, sur autorisation du juge, si elle peut justifier d’un
intérêt particulier pour elle-même (activité professionnelle) ou ses enfants (C. civ. art. 264 al.
2).

326. Le changement de nom peut intervenir aussi en dehors de tout changement d’état. Il
en est ainsi pour abandonner un nom ridicule ou déshonoré, pour franciser un nom
étranger en cas de naturalisation voir même pour reprendre en l’ajoutant au sien (on
emploie le terme « relever ») le nom d’un parent mort sans descendance (C. civ. art.
61). Dans tous les cas, toute personne justifiant d’un intérêt légitime (notamment les
homonymes) peut former opposition.

Dans le premier cas, un décret pris en Conseil d’État est nécessaire, dans le second un décret
simple (en principe celui de naturalisation), un jugement du TGI dans le troisième.

3) L’adjonction de nom
327. Toute personne peut ajouter à son nom patronymique le nom de celui de ses parents
qui ne lui a pas transmis le sien (ce qui était la règle avant la loi du 4 mars 2002
autorisant le double nom) : cette adjonction se fait à titre d’usage, on parle de nom
d’usage. Ce nom d’usage n’est pas transmissible.

De la même façon, le mari peut ajouter à son propre nom le nom patronymique de son épouse
ou le nom d’usage de cette dernière. A la différence de la femme, cependant, il ne peut le
substituer au sien.

B) L’utilisation du nom patronymique


328. Le titulaire d’un nom patronymique peut s’opposer aux usurpations dont des tiers se
rendraient coupables ; de même, peut-il interdire d’utiliser ce nom à des fins civiles ou
commerciales, voir même comme pseudonyme dès lors qu’il existe un risque de
confusion préjudicielle. Lorsque le nom patronymique est en même temps le nom
commercial de l’entreprise, si cette dernière est vendue, le nom peut être conservé mais
en ajoutant le qualificatif « successeurs ».

Une difficulté particulière peut surgir lorsque le nom est utilisé pour un personnage de fiction
(roman, film, théâtre). L’action sera recevable à la double condition qu’il existe un risque de
confusion (impossible pour un nom courant ou si la personne vit dans des conditions très
différentes de celles dans lesquelles évolue le héros) et si ce risque génère un préjudice au moins
moral en raison du caractère ridicule ou odieux du personnage. En revanche, il importe peu que
la confusion soit volontaire ou involontaire.

329. Symétriquement, l’usage du nom constitue une obligation : tenter de le modifier


dans un acte public ou un acte administratif est sanctionné pénalement.

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Il existe, cependant, une limite : la possibilité d’utiliser un pseudonyme notamment à des fins
littéraires ou artistiques. Ce pseudonyme est lui-même protégé contre toute usurpation.
Propriété exclusive de celui qui l’a inventé, il ne peut être utilisé par les héritiers qu’avec son
accord et il ne se transmet pas par la filiation. Contrairement au nom, il peut être cédé (comme
le nom commercial) ou légué.

II. Le domicile

330. Il convient de distinguer en droit le domicile de deux notions voisines : la résidence et


l’habitation. Le domicile d’une personne est le lieu de son principal établissement (C.
civ. art. 102), c’est une notion de droit ; la résidence est le lieu où cette personne vit
réellement, c’est une notion de fait (de plus, une même personne peut avoir une
résidence principale et une résidence secondaire). L’habitation (ou la demeure) est le
lieu où la personne séjourne pour un temps très bref (hôtel, hébergement chez des
amis…).

La notion de domicile a de multiples implications juridiques. En droit public, le domicile


conditionne l’exercice des obligations politiques, fiscales, sociales. En droit privé, les intérêts
attachés à cette notion sont tout aussi importants :

- le domicile est le lieu où est organisée la publicité des actes concernant l’état civil
d’une personne, notamment la publication de son mariage ;
- c’est au domicile du défunt que sont ouvertes les opérations de succession, au domicile
du commerçant que sera ouverte la procédure de redressement en cas de cessation de paiement ;
- le tribunal compétent est, sauf exception, principalement en matière immobilière, celui
dans le ressort duquel se situe le domicile du défendeur. De façon plus générale, le domicile
conditionne l’exécution des actes de procédures : notification d’une assignation, d’un jugement
etc.

Le code civil a retenu une conception très stricte du domicile : lieu du principal établissement,
ce qui présente un caractère d’unité et de fixité. Parmi les textes plus récents, la notion de
résidence tend à lui être substituée (ex : en matière fiscale, l’impôt sur le revenu est dû par toute
personne qui a sa résidence habituelle en France).

Il convient de se demander comment est déterminé ce domicile (A) et quels sont les caractères
qui lui sont attachés (B).

A) La détermination du domicile
331. Si dans la majorité des cas, le domicile est déterminé par la volonté de la personne
elle-même (1), cette détermination peut être aussi le fait de la loi (2) ou même d’une
erreur des tiers (3).

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1) Détermination du domicile par la volonté


de la personne
332. Il peut s’agir en premier lieu, d’un domicile volontaire ; il s’agit de l’hypothèse la
plus fréquente : c’est la personne qui en choisissant son activité, son mode de vie,
détermine son domicile souvent confondu, en pratique, avec sa résidence.

Que faut-il entendre par principal établissement ? C’est le centre des affaires, des activités, des
intérêts de la personne. Ce peut donc être la résidence elle-même, le lieu d’exercice des
fonctions (bureau, commerce), le lieu d’exercice de certains droits (droit de vote par exemple)
ou du paiement de l’impôt. En cas de difficulté, il appartient au juge de déterminer le domicile
de la personne. Encore faut-il ajouter à cet élément matériel un élément intentionnel : la volonté
d’établir le domicile à un endroit déterminé.

333. Il peut s’agir, en second lieu, d’un domicile élu qui est un domicile purement fictif
choisi pour donner compétence à un tribunal ou pour donner pouvoir à un mandataire ;
on dit que la personne fait « élection de domicile ». Cette élection peut être
facultative, notamment en matière contractuelle : elle doit alors avoir été spécifiée
expressément (attention : si aboutit à modifier les règles de procédure, elle ne sera
valable qu’entre commerçants). Elle peut aussi être de droit : le demandeur dans un
procès est domicilié chez son avocat sauf s’il manifeste expressément une volonté
contraire.

Les effets de cette élection sont très limités :


- elle ne vaut que pour les parties en cause, les créanciers pourront toujours réclamer
paiement de leur dû au domicile réel (les créances sont quérables et non portables, sauf les
créances alimentaires) ;
- elle ne vaut que pour un acte ;
- elle est liée à un motif ce qui exclut les autres éléments de l’acte : ainsi, si l’élection
modifie la compétence territoriale d’un tribunal, elle n’a aucune conséquence sur
l’exécution du contrat qui doit se faire au domicile réel (livraison par exemple).

2) Détermination du domicile par la loi


334. La loi détermine parfois le domicile d’une personne en raison de sa dépendance vis-à-
vis d’une autre ou en raison de sa profession.

- domicile légal de dépendance : le mineur non émancipé est domicilié chez ses
parents (C. civ. art. 108-2) ; en cas divorce, il va être domicilié chez celui à qui il a été confié.
Le majeur en tutelle est domicilié chez son tuteur (C. civ. art. 108-3).

- domicile légal professionnel : les personnes exerçant des fonctions publiques


perpétuelles et irrévocables (ex : magistrats du siège, notaires, huissiers) ont leur domicile au
lieu de leur fonction même si leur résidence est ailleurs (C. civ. art. 107). De même, les membres
des professions itinérantes (bateliers par ex.) doivent choisir un domicile dans une liste de
communes déterminée par arrêté ministériel (C. civ. art. 102 al. 2).

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3) Détermination du domicile par une erreur


des tiers
335. On emploie ici l’expression de « domicile apparent » : la jurisprudence fait produire à
ce qui n’est qu’une résidence les effets d’un domicile. Ainsi, l’étudiant mineur,
légalement domicilié chez ses parents, peut avoir un domicile apparent au lieu de sa
résidence si elle est distincte de celle de ses parents : des fournisseurs qui auraient
adressé une mise en demeure de payer à cette adresse seront réputés avoir
régulièrement signifié ; ils ont cru de bonne foi s’adresser au « domicile » de leur
débiteur. Illustration du vieil adage « l’erreur commune fait le droit ».

B) Les caractères du domicile


336. Le domicile présente trois caractéristiques : il est obligatoire, fixe et unique.

- le domicile est obligatoire : toute personne a un domicile ; à défaut, on tente de lui en


trouver un (bateliers) ou on le sanctionne (délit de vagabondage, désormais supprimé). Quand
on ne peut le déterminer, on va avoir recours à sa résidence, à défaut au domicile que la personne
avait à sa naissance qu’elle est censée avoir conservé dès lors qu’elle n’a pas manifesté son
intention d’en changer (majeur qui continue à vivre chez ses parents) ;

- le domicile est fixe : la personne peut se déplacer comme elle le désire, son domicile
reste, en principe, immuable. Il est possible cependant de changer de domicile en réunissant
deux conditions : transférer effectivement son habitation réelle et son principal établissement
(C. civ. art. 103), avoir réellement l’intention de procéder à un tel changement : double
déclaration à la mairie de l’ancien et du nouveau domicile (C. civ. art. 104) ;

- le domicile est unique : ceci découle de la définition même, lieu du principal


établissement : s’il est principal il ne peut être qu’unique. Il est des exceptions (élection de
domicile, domicile apparent, domicile électoral). Il convient de noter que deux époux peuvent
avoir des domiciles distincts (C. civ. art. 108).

III. La capacité juridique


340. De façon très générale, la capacité est l’aptitude d’une personne à être sujet de droits
et d’obligations. La capacité des personnes physiques est la règle, l’incapacité
l’exception. Lorsqu’elle existe, cette incapacité poursuit un double objectif : protéger
la personne (en raison de son âge ou de l’altération de ses facultés mentales) ou
l’empêcher d’agir afin de protéger les tiers (un médecin ne peut hériter de son malade).

Nous allons limiter l’étude aux incapacités d’exercice. Encore faut-il en mesurer l’étendue.
Cette incapacité ne vise que les actes juridiques, un incapable est engagé par les faits dont il
est l’auteur (responsabilité civile) ; au sein des actes juridiques, seuls sont concernés les actes
patrimoniaux et à l’intérieur de ceux-ci, le degré de protection variera en fonction de la nature
de l’acte : actes de disposition (actes qui entament ou engagent un patrimoine : vente, donation,
constitution de garantie, baux de longue durée – exemple : bail commercial) ou actes
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d’administration (actes de gestion courante, d’entretien du patrimoine : assurance, location,
travaux divers…).

Les techniques de protection sont très variées : elles vont de la représentation pure et simple
(quelqu’un agit pour le compte de l’incapable) à l’assistance (l’incapable agit avec quelqu’un
qui le conseille) ou à l’autorisation (l’incapable agit seul après avoir été autorisé à le faire).

Nous allons examiner tour à tour la situation des mineurs (A), celle des incapables majeurs (B)
et des époux (C).

A) Les mineurs
341. La majorité est fixée à 18 ans (C. civ. art. 488). En dessous de cet âge, le mineur ne
peut gérer lui-même ses biens (à supposer qu’il en ait !). Cette gestion sera le fait de
son représentant légal. En pratique, il existe trois régimes. Lorsque le mineur a ses
deux parents mariés, il s’agit d’une administration légale (exercée par les deux
parents pouvant agir individuellement) ; en cas de décès ou de séparation, il s’agit
d’une administration sous contrôle judiciaire (juge des tutelles) ; en cas de décès
des deux parents, mise sous tutelle avec tuteur, conseil de famille et contrôle du juge.

Dans le cadre du régime de l’administration légale (cas le plus fréquent), les parents peuvent
accomplir seuls les actes d’administration ; en revanche, les actes de disposition nécessitent
l’accord du juge des tutelles. En contrepartie, les parents bénéficient de la jouissance légale des
biens du mineur (perception des revenus : loyers, dividendes par exemple).

342. Il est permis, cependant au mineur, d’accomplir des actes de la vie courante (petits
achats, gestion d’un livret de caisse d’épargne, par ex.) voire même des actes aux
conséquences plus importantes : conclusion d’un contrat de travail, par exemple, dès
l’âge de 16 ans.

Un régime intermédiaire a été créé : l’émancipation (à partir de 16 ans) (C. civ. art. 476 et s.)
; cette émancipation doit répondre à un juste motif, une activité professionnelle impliquant une
résidence séparée par exemple. Elle est accordée par le juge des tutelles après demande des
parents (ou du conseil de famille). Le mineur émancipé acquiert la pleine capacité de gestion
de ses biens. Il n’est pas autorisé, cependant, à exercer une activité commerciale. Ses parents
ne sont plus engagés civilement par ses actes.

B) Les incapables majeurs


343. La philosophie du système est ici différente : pour le mineur non émancipé, le principe
est celui de l’incapacité ; en revanche pour un majeur, le principe est celui de la
capacité, l’incapacité l’exception, sous condition que soit démontrée la nécessité de la
protection.

Avant de dresser un rapide schéma des régimes de protection des majeurs, il convient de se
souvenir que l’article 489 du Code civil dispose que « pour faire un acte valable, il faut être
sain d’esprit ». Cela signifie que même si une capacité de plein droit est reconnue à tout majeur,

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les circonstances peuvent révéler qu’à un moment donné la personne ne jouissait pas de toutes
ses facultés mentales, quelle que soit la cause de cette altération (maladie, âge, drogue, alcool).
Du vivant de la personne, seule cette dernière peut agir, quel que soit l’acte (prescription : 5
ans, C. civ. art. 489 al. 2) à condition qu’elle démontre la réalité de cette altération au moment
de la conclusion de l’acte ; après sa mort, les actes à titre gratuit sont susceptibles d’annulation
sous réserve de la démonstration de l’altération des facultés ; pour les actes à titre onéreux, il
faut, en outre, que l’acte porte en lui-même la preuve d’un trouble mental (C. civ. art. 489-1).
Retenons que l’annulation ne concerne que les actes juridiques ; les faits juridiques produisent
leur plein effet : un malade mental engage sa responsabilité même si sa démence est démontrée
au moment du fait dommageable (à la différence du droit pénal).

Il existe trois régimes de protection permanente (sauvegarde de justice, curatelle, tutelle) qui
peuvent se substituer l’un à l’autre en fonction de l’amélioration ou de l’aggravation de l’état
de la personne.

344. Sauvegarde de justice. Il s’agit d’un régime applicable aux personnes dont les
facultés mentales ou corporelles sont altérées (maladie, infirmité, âge) au point
d’empêcher l’expression de leur volonté (C. civ. art. 491 et s.). Ouvert à la demande
du médecin traitant, ce régime est essentiellement provisoire (renouvellement tous les
6 mois).

Le majeur sous sauvegarde conserve l’exercice de ses droits mais les engagements qu’il prend
sont plus fragiles. Au vu de leur caractère excessif ou trop défavorable, les actes pourront être
annulés par le juge des tutelles en tenant compte de la fortune de la personne, l’utilité de
l’opération, la mauvaise foi du cocontractant. Le majeur a la possibilité de désigner un
mandataire pour accomplir tel ou tel acte ; à défaut les actes d’administration pourront être
accomplis par toute personne intéressée, parent ou proche. Si un acte de disposition s’avère
nécessaire, il faudra passer à un autre régime de protection.

345. Curatelle. Il s’agit ici d’un régime intermédiaire : par rapport à la simple
sauvegarde, une assistance est vraiment nécessaire mais une représentation totale
comme dans la tutelle est inutile (C. civ. art. 508 et s.).

Sont concernées les personnes dont les facultés mentales ou corporelles les mettent dans le
besoin d’être conseillées ou contrôlées ainsi que celles qui par leur prodigalité, leur
intempérance ou leur oisiveté s’exposent à tomber dans le besoin ou compromettent l’exécution
de leurs obligations familiales.

La personne aura l’assistance d’un curateur (en principe le conjoint si marié) pour tout acte de
disposition mais aussi pour tout emploi de capitaux ; en revanche, la personne sous curatelle
peut accomplir seule les actes d’administration sous réserve d’une annulation pour excès ou
préjudice.

346. Tutelle. Il s’agit d’un régime de représentation continue qui consacre une réduction
forte de la personnalité de l’incapable (C. civ. art. 492 et s.). En principe tous les actes
lui sont interdits (à peine de nullité) sauf des actes de la vie courante. Ce régime
fonctionne comme celui de la tutelle des mineurs : tuteur (lorsque la personne est
mariée, le conjoint est en principe désigné tuteur) et conseil de famille. Le tuteur peut
accomplir seul les actes d’administration ; en revanche, pour les actes de disposition,

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l’autorisation du conseil de famille est nécessaire. Selon l’état de fortune, la présence
de proches parents, le placement dans un établissement, un régime plus ou moins
allégé peut être instauré.

C) Les époux
347. Chaque époux a la pleine capacité de droit sous réserve de limitation résultant de leur
régime matrimonial (2) et des contraintes que génère le fait d’être marié (1).

1) Règles communes à tous les époux


348. Le fait d’être marié ne doit pas priver les époux de toute indépendance. Ainsi, chacun
peut conclure seul les contrats qui ont pour objet l’entretien du ménage et l’éducation
des enfants (achats divers : alimentation, vêtements, appareils ménagers ; location
d’un logement). On emploie l’expression de contrats courants. Les dettes qui en
résultent engagent les deux époux qui sont tenus solidairement sauf pour des
dépenses manifestement excessives au regard au train de vie du ménage ou
objectivement inutiles (C. civ. art. 220 qui exclut aussi la solidarité pour les achats à
tempérament ou les emprunts sauf portant sur des sommes modestes).

De même, un époux peut, sans le consentement de l’autre, ouvrir un compte bancaire, compte
titres et y faire toutes les opérations sans que le banquier ait à vérifier la propriété des fonds
utilisés (C. civ. art. 221).

Enfin, chaque époux peut, sans le consentement de l’autre, exercer une profession, percevoir
librement ses gains et salaires et en disposer librement après s’être acquitté des charges du
mariage (C. civ. art. 223) : les salaires sont gérés comme des biens propres.

349. Cette indépendance ne doit pas faire oublier la communauté de vie que fait naître le
mariage et les obligations familiales qu’il génère.

Les époux ont un devoir de secours réciproque et une obligation de contribuer, en proportion
de leurs facultés respectives, aux charges du mariage (entretien du ménage, éducation des
enfants) (C. civ. art. 214). S’agissant du logement familial (logement + meubles meublants),
les époux ne peuvent pas en disposer l’un sans l’autre même s’il appartient en propre à l’un
d’entre eux (C. civ. art. 215 al. 3).

Si l’un des époux manque gravement à ses devoirs et met en péril l’intérêt de la famille, le
président du TGI peut prescrire les mesures nécessaires pouvant aller jusqu’à l’interdiction de
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certains actes de disposition (C. civ. art. 220 et s.). De même si l’un des époux est hors d’état
de manifester sa volonté, l’autre peut se faire habiliter par justice à le représenter (C. civ. art.
219).

2) Règles particulières issues des régimes


matrimoniaux
350. Le régime matrimonial a vocation à régir le sort des biens des époux. Ceux-ci peuvent,
en effet, posséder déjà au moment du mariage un ou plusieurs biens ou en acquérir par
la suite du fait d’un héritage ou d’une donation ; de plus, leur vie commune va les
conduire à en acquérir d’autres. Quelle va être la situation de ces biens, quels sont les
pouvoirs réciproques des époux sur ceux-ci ?

La règle de base posée par le Code civil est que les époux peuvent décider librement de la
gestion de ces biens et des revenus qu’ils génèrent (C. civ. art. 1387) en établissant un contrat
de mariage devant notaire, doublé d’une publication au registre du commerce et des sociétés
si l’un des deux est commerçant (C. civ. art. 1394).

Rappelons que le mariage est une institution c’est à dire un corps de règles qui s’impose
aux époux (contribution aux charges du mariage, devoir de secours, éducation des enfants) ;
l’aspect contractuel ne concerne que la gestion de leurs biens.

A défaut de choix particulier, il est défini un régime de droit commun qui s’appliquera
automatiquement : la communauté légale. Notons que ce choix ou cette absence de choix ne
présente pas de caractère définitif : il est possible, au bout de deux ans de changer de régime
matrimonial par acte notarié (C. civ. art. 1397).

Le projet de changement de régime matrimonial doit être notifié aux enfants majeurs et faire
l’objet de la publication d’un avis dans un journal d’annonces légales. Un enfant majeur ou
un créancier pourrait, dans les trois mois, s’opposer à ce changement ; dans un tel cas, le
changement devrait être homologué par le tribunal de grande instance (idem si enfants
mineurs).

Il convient donc, dans un premier temps, de présenter le régime de droit commun (a) qui régit
près de 90 % des époux, avant d’envisager les divers régimes conventionnels (b).

a) Le régime de la communauté légale


351. La communauté légale se compose de trois masses de biens : les biens propres du
mari, les biens propres de la femme, les biens communs que l’on appelle les
« acquêts ».

Les biens propres de chacun des époux sont ceux dont il était propriétaire au jour du mariage,
qu’il reçoit, par la suite, à titre gratuit par héritage ou donation, ou qu’il acquiert, à titre onéreux,
en vendant un bien propre, ce que l’on appelle le remploi. (C. civ. art. 1405 et 1407). Attention :
l’époux doit se ménager la preuve du caractère propre du bien car le Code civil pose une
présomption de communauté de tous les biens meubles ou immeubles (C. civ. art. 1402).

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L’actif de la communauté va se composer de tout ce qui n’est pas un bien propre : gains et
salaires, biens acquis grâce aux économies communes, fruits et revenus des propres. Au passif,
va figurer l’ensemble des dettes contractées après le mariage par l’un ou l’autre des époux ;
leurs créanciers pourront donc saisir l’ensemble des biens communs. Le Code civil pose,
toutefois, deux limites :

- les gains et salaires d’un époux ne peuvent être saisis par les créanciers de son conjoint
que si la dette a été contractée pour l’éducation des enfants et l’entretien du ménage (C. civ. art.
1414) ;

- chacun des époux ne peut engager que ses biens propres à l’occasion d’un emprunt ou
d’un cautionnement sauf si l’autre a donné expressément son consentement (C. civ. art. 1415) ;
si c’est le cas, les biens communs seront aussi engagés.

352. S’agissant de l’administration proprement dite, chacun des époux gère ses biens
propres et peut en disposer librement. Chaque époux, ensuite, a le pouvoir
d’administrer seul les biens communs et d’en disposer (C. civ. art. 1421), on parle de
gestion concurrente. A ce titre, les conjoints peuvent agir de façon autonome et
indépendante. Attention cependant : pour les actes de disposition (vente, constitution
de droits réels, bail commercial), le consentement des deux époux est requis (C. civ.
art. 1424 et 1425).

Lorsque la communauté va se dissoudre (divorce, décès), chaque époux reprendra ses biens
propres et les biens communs seront partagés par moitié.

b) Les régimes conventionnels


353. Le Code civil offre trois possibilités : le régime de communauté conventionnelle, le
régime de la séparation de biens, le régime de la participation aux acquêts.

Communauté conventionnelle

354. Ce régime constitue, en fait, une adaptation du régime légal que des clauses
particulières vont plus ou moins modifier. Les époux peuvent ainsi convenir :

- d’élargir la composition de la communauté : communauté de meubles et d’acquêts


ou communauté universelle (y compris donc des biens propres) avec attribution de la
communauté au dernier vivant ;

- de modifier les règles de gestion de la communauté : prévoir, par exemple, une


gestion conjointe ;

- de modifier les modalités du partage de la communauté en stipulant des parts


inégales, voire une attribution totale des biens communs au dernier survivant (à la différence
de la communauté universelle, l’attribution ne concerne pas ici les biens propres).

Séparation de biens

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355. Dans le cadre de la séparation de biens, il n’existe pas de communauté d’actif ou de
passif : chaque époux conserve l’administration, la jouissance et la libre disposition de
ses biens. Tout ce qui va être acquis pendant le mariage, sera acquis avec des fonds
propres, donc appartiendra à l’un ou à l’autre selon l’origine des fonds (nécessité de
procéder à un inventaire des biens existant au jour du mariage, de conserver des
factures pour les acquisitions postérieures) ; à défaut de preuve, le bien sera réputé
appartenir pour moitié à chacun des conjoints y compris à l’égard des créanciers.

Il convient, cependant, de ne pas oublier, que malgré la séparation, les époux sont tenus
solidairement, comme nous l’avons vu, pour les dettes contractées pour l’entretien du ménage
et l’éducation des enfants.

L’intérêt de cette formule est bien connu : elle permet, en cas d’exercice d’une activité
professionnelle, de protéger le conjoint en cas de mauvaises affaires ; les créanciers de
l’entrepreneur ne pourront pas saisir les biens de son époux, sauf engagement conjoint.

La participation aux acquêts

356. Ce régime emprunte aux deux précédents : au cours du mariage, on considère que les
époux sont totalement séparés de biens mais à la dissolution du mariage on va
comptablement recréer une communauté : chaque conjoint a droit à la moitié des
acquêts de l’autre. Pratiquement on opère une compensation des acquêts des deux
époux, cela détermine un solde, ce solde est divisé par deux et ce résultat constitue une
créance de celui qui s’est le moins enrichi contre l’autre.

Exemple : imaginons que le montant des acquêts du mari représente 100 000 €, celui de son
épouse 80 000 €, cela fait un solde de 20 000 € à répartir par moitié, soit 10 000 € chacun ;
l’épouse s’étant moins enrichie que le mari, ce dernier doit lui verser 10 000 €.

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CHAPITRE II

LES PERSONNES MORALES

360. La notion même de personne morale est difficile à cerner ; pendant très longtemps, la
doctrine n’y a vu qu’une fiction juridique (voir la fameuse boutade : « je n’ai jamais
dîné avec une personne morale »), mais fiction utile pour réaliser certaines opérations,
ce qui permettait de justifier une main mise totale de l’État sur leur création. Nous
retrouvons là la méfiance des rédacteurs du Code civil face à tout groupement
d’individus.

La seconde moitié du XIXe siècle fit place à un courant beaucoup plus libéral : la nécessité
d’une autorisation préalable pour constituer une société anonyme est supprimée en 1867, 1884
voit l’affirmation de la liberté syndicale et la loi de 1901 consacre la liberté d’association.

La jurisprudence consacrera ce courant beaucoup plus tard dans un de ses arrêts les plus
célèbres en date du 28 janvier 1954 : l’ordonnance du 22 février 1945 avait créé les comités
d’entreprise, auquel elle accordait expressément la personnalité juridique, et les comités
d’établissement dont elle ne précisait pas la capacité. Dans le silence de la loi, pouvait-on
reconnaître à ces derniers une personnalité juridique ? La Cour de cassation a répondu par
l’affirmative dans une formule très nette : « la personnalité civile n’est pas une création de la
loi ; elle appartient à tout groupement pourvu d’une possibilité d’expression collective
pour la défense d’intérêts licites dignes par suite d’être juridiquement reconnus et
protégés ». Cela n’exclut pas, pour autant, que le législateur, afin de protéger les tiers, impose
certaines restrictions, notamment des formalités de publicité.

361. Il existe une extrême diversité de personnes morales. Certaines sont de droit public
(État, collectivités locales, établissements publics administratifs, scientifiques par
exemple, chambres de commerce), d’autres relèvent à la fois du droit public et du droit
privé : établissements industriels et commerciaux (EPIC), type SNCF, RATP, sociétés
nationales dont le capital est intégralement détenu par l’État (certaines banques ou
assurances) ou sociétés mixtes dont une partie seulement du capital appartient à l’État
(Renault, sociétés d’autoroute, EDF, GDF-Suez), ordres professionnels (avocats,
experts-comptables, médecins). Les plus nombreuses relèvent exclusivement du droit
privé, c’est à elles que seront consacrés les développement à suivre.

362. Les personnes morales de droit privé peuvent être scindées en deux groupes. Il peut
s’agir, en premier lieu de groupements de personnes physiques (associations,
sociétés) ou de personnes morales (filiale commune à deux sociétés) voir même un

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Titre III : Les titulaires des droits subjectifs / Chapitre II : Les personnes morales
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mélange des deux : certaines sociétés peuvent regrouper des personnes physiques et
des personnes morales.

Il peut s’agir, en second lieu, de groupements de biens (on parle de « masse de biens ») qui
sont affectés à perpétuité à une œuvre d’intérêt général. Il s’agit des fondations qui poursuivent
toujours un but désintéressé (incitations fiscales pour les dons). Les plus importantes ont le
statut très contraignant de fondations reconnues d’utilité publique (Fondation pour la recherche
médicale, Abbé Pierre, Nicolas Hulot, Brigitte Bardot, Anne Cellier contre l’insécurité
routière…) ; il est possible, par ailleurs, de constituer des fondations d’entreprise afin de
faciliter le mécénat (Fondation Cartier pour l’art contemporain, Groupama contre les maladies
rares, Gan pour le cinéma, France Télécom contre le handicap et l’illettrisme…). Ces dernières
ont nécessairement une durée déterminée, au minimum cinq ans.

363. Au sein des groupements de personnes, deux sous-groupes peuvent être distingués : la
société et l’association. Tout va dépendre de la volonté des personnes qui se
réunissent :

- si elles ont pour objectif de réaliser et partager un bénéfice, que la jurisprudence définit
comme un gain pécuniaire ou matériel ajoutant à la fortune de chacun, le groupement doit
prendre la forme d’une société ;

- si elles ont pour objectif de faire profiter les membres d’une économie, le groupement
prendra, au choix la forme d’une association, d’une société ou d’un groupement d’intérêt
économique (GIE) ;

- si, enfin, elles ont pour objectif une activité purement désintéressée qui ne profite
qu’aux membres (sport, culture, etc.) ou à d’autres personnes extérieures au groupement
(charité au sens large, par exemple), le statut de l’association devra être retenu.

364. Il doit être noté que cette forme de distinction ne rend plus compte de la réalité :
certaines associations sont assimilables à de véritables entreprises, pouvant même,
parfois, faire appel public à l’épargne ou créer des filiales. Une notion nouvelle tend à
se dégager : celle de personne morale ayant une activité économique. L’association
qui entre dans cette définition est soumise aux obligations comptables des sociétés,
doit avoir un commissaire aux comptes, etc.

365. Quel que soit leur statut, les personnes morales sont soumises à un régime juridique
commun, la section 1 lui sera consacrée ; nous consacrerons la section 2 à l’étude
spécifique des sociétés.

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SECTION 1
LE REGIME JURIDIQUE DES PERSONNES
MORALES

370. A s’inspirer de ce que nous avons vu pour les personnes physiques, il convient
d’envisager, tour à tour, la naissance de la personnalité morale (I), ses attributs (II) et
sa disparition (III).

I. La naissance de la personnalité morale

371. Même si la personnalité morale est acquise, par principe, à tout groupement pourvu
d’une possibilité d’expression collective pour la défense d’intérêts licites dignes par
suite d’être juridiquement reconnus et protégés, sa recon-naissance est soumise par la
loi à un certain nombre de conditions qui varient selon le type de personne morale
considérée.

- les fondations sont soumises à un régime d’autorisation préalable : la personnalité


juridique ne leur est acquise qu’au jour de la publication au journal officiel d’un décret en
Conseil d’État pour celles qui sont reconnues d’utilité publique, de l’autorisation préfectorale
pour les fondations d’entreprise ;

- s’agissant des associations, la loi de 1901 qui les a créées distingue trois régimes
juridiques : les associations reconnues d’utilité publique (publication au JO d’un décret en
Conseil d’État), les associations déclarées (simple déclaration à la préfecture), les associations
non déclarées qui peuvent exister mais n’ont aucune existence légale ;

Une association déclarée en préfecture a une personnalité juridique limitée à ses besoins de
fonctionnement : agir en justice, acquérir des biens mobiliers et immobiliers nécessaires à
la réalisation de son objet, percevoir les cotisations de ses membres ; en revanche, elle ne
peut recevoir aucun don ou legs (sauf celles consacrées à la recherche ou à la bienfaisance).
Les associations reconnues d’utilité publique peuvent de plein droit recevoir dons et legs.

- s’agissant des sociétés, enfin, (y compris les GIE), leur personnalité juridique démarre
à compter de leur immatriculation au registre du commerce et des sociétés (RCS).

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II. Les attributs de la personnalité


morale

372. Comme pour les personnes physiques, la personnalité morale va se traduire par un nom
(A), un domicile (B), un patrimoine (C) et une certaine capacité juridique (D).

A) Le nom
373. Le mot « nom » ne doit pas être utilisé à propos des personnes morales. Le qualificatif
à employer varie selon le type de personne morale considéré ; il convient de parler de :

- titre pour une association ou une fondation ;


- raison sociale pour les sociétés civiles de personnes (cette raison doit comporter le
nom de tous les associés ou celui de l’un ou plusieurs d’entre eux suivi des mots « et autres ») ;
- dénomination sociale pour les sociétés commerciales : cela peut être le nom de
l’actionnaire majoritaire (Michelin, Peugeot) ou un nom de pure fantaisie (L’Oréal, Vivendi,
Accor…). Parallèlement, la société peut utiliser un nom commercial pour désigner l’entreprise
elle-même.

A la différence de celui des personnes physiques, le choix du nom de la personne morale est
libre (à quelques restrictions près) ; ce nom est protégé contre toute tentative d’usurpation,
notamment en matière commerciale sur la base de la concurrence déloyale.

B) Le domicile
374. La personne morale a un domicile propre distinct de celui de ses membres (bien qu’au
départ souvent elle soit domiciliée chez l’un d’entre eux) : le siège social. A la
différence du nom qui pouvait être choisi librement, le siège doit correspondre au
principal établissement de la personne morale, c’est à dire le lieu où se trouvent les
organes de direction (lieu qui peut donc être différent de l’endroit où est située
l’activité économique principale : nombreux sont les sièges sociaux à Paris alors que
les activités économiques réelles sont exercées en province).

Il existe, cependant, une différence importante avec le cas des personnes physiques : la règle de
l’unicité du domicile ne s’applique pas aux personnes morales. La jurisprudence a dégagé à la
fin du XIXe siècle la théorie dite des « gares principales » (le litige concernait une société de
chemin de fer) qui permet d’assigner la personne morale devant le tribunal de tout lieu où elle
dispose d’un établissement secondaire (pour un exemple : Soc. 12 juin 2001 ).

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Ce domicile conditionne aussi la « nationalité » de la personne morale (en fait, la détermination
de la loi qui leur est applicable) ; il est parfois recouru à la nationalité de ceux qui en détiennent
le contrôle.

C) Le patrimoine
375. Le patrimoine de la personne morale ne se confond pas avec celui de ses membres.

A son actif vont figurer les biens apportés au moment de la constitution de la personne morale
(le capital qui peut être augmenté par la suite) et ceux acquis par la suite grâce aux bénéfices
non distribués. Les membres du groupement ne disposent d’aucun droit sur ces biens dont ils
ne sont pas copropriétaires : ils disposent simplement d’un droit de créance sur la personne
morale qui leur permettra de récupérer leur mise lors de sa disparition (ce qui explique, qu’au
plan comptable, le capital se trouve au passif du bilan : ce capital a été « emprunté » aux
associés pour constituer la société). Cet actif est, par ailleurs, réservé aux seuls créanciers de la
personne morale : les créanciers personnels de chacun des membres ne peuvent se faire payer
sur le patrimoine social.

Cette indépendance de la personne morale vis-à-vis des membres est moins marquée pour le
passif : de façon générale, certes, les créanciers de la personne morale n’ont aucun droit sur le
patrimoine de chacun des membres, mais cette règle connaît deux exceptions :

- dans les sociétés de personnes, les membres répondent des dettes sociales sur leur
patrimoine propre (cf. le droit fiscal pour l’imposition directe des bénéfices de la société chez
chacun des membres ce que l’on appelle de façon très parlante, « la transparence fiscale ») ;

- en cas d’insolvabilité frauduleuse ou fautive, les dirigeants devront répondre sur leurs
biens propres des dettes sociales (on parle d’ « extension de passif »).

D) La capacité juridique
376. La capacité juridique de la personne morale est de nature différente de celle des
personnes physiques :

- elles sont régies par le principe dit de spécialité : cela signifie que la personne morale
ne peut valablement agir que dans la limite de son objet social tel que les statuts l’ont défini
(d’où parfois des définitions très larges) et pour la réalisation de celui-ci. Exemple : si une
société informatique peut acquérir un immeuble pour installer ses activités, elle ne peut pour
autant en acheter plusieurs pour les revendre et se livrer ainsi à une activité immobilière.

- certaines activités leur seront interdites en fonction du statut choisi : si toute personne
majeure peut se livrer à une activité commerciale, une telle activité serait interdite à une
personne morale constituée en association ;

- les personnes morales ne peuvent agir que par l’intermédiaire de leurs organes de
direction qui sont nécessairement des personnes physiques ;

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- en revanche, un rapprochement a été opéré avec les personnes physiques en matière
de responsabilité : désormais la responsabilité pénale des personnes morales peut-être
engagée.

III. La disparition de la personne morale

377. La disparition de la personne morale (on parle de « dissolution ») se produit, en


principe, par l’arrivée du terme qui a été fixé dès sa constitution, terme qui peut,
cependant, être prorogé en cours de vie sociale (ce qui peut aboutir à une durée
totalement indéterminée).

Mais elle peut être anticipée : soit de façon volontaire, notamment si l’objet social a été réalisé
plus tôt que prévu, soit de façon involontaire : disparition suite à une cessation de paiement,
disparition d’un associé dans une société de personnes, dissolution judiciaire pour « justes
motifs » (mésentente entre les associés paralysant toute décision) (pour un exemple : Com. 19
septembre 2006 ).

378. A la différence d’une personne physique, cette dissolution (assimilable à un décès) ne


met pas fin immédiatement à la personnalité morale : celle-ci doit subsister pour les
besoins de la liquidation : il convient de vendre les biens de l’actif, de recouvrer des
créances, de payer les créanciers, ce qui peut prendre un certain temps. La personnalité
juridique sera maintenue durant toute cette période.

Quel sort réserver aux biens si le solde créances / dettes est, in fine, positif (boni de
liquidation) ? Tout va dépendre du type de personne morale : dans les sociétés civiles ou
commerciales, ces biens seront partagés entre les associés au prorata de leur apport ; dans les
associations, ils ne peuvent être partagés entre les adhérents, mais sont dévolus à des
groupements désintéressés poursuivant un but similaire.

SECTION 2
LES SOCIETES

380. La décision d’exercer une activité économique sous forme sociétaire plutôt qu’en tant
qu’entrepreneur individuel obéit à plusieurs motivations : protéger le patrimoine
familial, même si, comme nous l’avons déjà vu, cette protection est souvent illusoire,
accéder à un statut fiscal ou de protection sociale plus avantageux, associer d’autres
partenaires si des investissements importants sont à réaliser, faciliter la transmission
de l’outil de travail à des héritiers, etc.

Il n’est pas possible de dresser un inventaire complet des diverses formes de sociétés, nous
évoquerons celles qui sont le plus fréquemment utilisées. Globalement, elles sont réparties en
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deux grandes catégories : les sociétés dites de personnes dont les associés sont responsables
sur leurs biens propres des dettes sociales et les sociétés de capitaux limitant la responsabilité
des associés à leurs apports.

Avant d’étudier les dispositions spécifiques à ces diverses formes sociétaires (II), il convient
de rappeler, dans un premier temps, les dispositions qui sont applicables à toute société, qu’elle
soit civile ou commerciale (I).

I. Dispositions communes à l’ensemble


des sociétés
381. Ces dispositions communes concernent très classiquement : la constitution (A), le
fonctionnement (B) et la dissolution (C).

A) La constitution des sociétés


382. La constitution de la société exige le respect d’un certain nombre de conditions (1)
dont le défaut de respect entraîne diverses conséquences (2).

1) Les conditions de constitution


383. Ces conditions de constitution sont au nombre de deux : la conclusion d’un contrat de
société (a), à l’exception, bien entendu, de la société unipersonnelle et de la SARL à
associé unique, et l’accomplissement de formalités de publicité (b).

a) Le contrat de société
384. Aux termes de l’article 1832 du Code civil, la société est instituée par deux ou plusieurs
personnes qui conviennent par contrat d’affecter à une entreprise commune des biens
ou leur industrie en vue de partager le bénéfice ou de profiter de l’économie qui pourra
en résulter. De cette définition, ressortent clairement deux éléments, des apports et une
vocation aux bénéfices (ou pertes), auxquels on ajoute un troisième : la volonté de
s’associer, l’ « affectio societatis ».

- les apports : c’est la mise de chacun des associés, ce que chacun affecte comme
moyens à l’entreprise commune. Il peut s’agir d’apports en numéraire (sommes d’argent),
d‘apports en nature (un véhicule, un immeuble, un terrain, un brevet, du matériel) ou d’apports
en industrie (travailler pour la société) ;

- la vocation à partager les bénéfices et à contribuer aux pertes qui se fera, en


principe, au prorata des apports ; ceci permet de distinguer la société de situations voisines, tel
un contrat de travail avec une participation aux bénéfices : le salarié ne peut en aucun cas être
amené à supporter les pertes de son entreprise ;

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- l’affectio societatis : c’est la volonté de s’associer qui implique de jouer un rôle actif
dans la vie sociale.

b) Les formalités de publicité


385. Le contrat de société doit être établi par écrit : acte authentique devant notaire ou acte
sous-seing privé. Cet écrit constitue les statuts ; doivent y figurer : la forme de société
choisie, sa durée, sa raison ou sa dénomination sociale, son siège social, son objet
social (l’activité ou les activités qu’elle se propose d’entreprendre), le montant du
capital social, son organisation interne et celle des rapports avec les associés (C. civ.
art. 1835).

Cet acte devra faire ensuite l’objet d’un enregistrement auprès de l’administration fiscale et
d’une publicité dans un journal d’annonces légales dans le département du siège social (Midi
Libre par exemple).

Il conviendra, ensuite, de procéder à son immatriculation au registre du commerce et des


sociétés. C’est cette immatriculation qui fait naître la personnalité morale (C. civ. art. 1842).

Il se peut que durant cette période de constitution, les fondateurs soient conduits à conclure
un certain nombre de contrats pour le compte de la société en formation (louer un local,
embaucher du personnel, négocier des conditions bancaires, etc.). Si la société, une fois
immatriculée, les reprend, elle est réputée les avoir souscrits dès l’origine de façon
rétroactive ; à défaut, les fondateurs restent personnellement tenus (C. civ. art. 1843).

2) Les sanctions d’un défaut de respect des


conditions
386. La violation des conditions exigées pour la validité d’un acte juridique est, en principe,
sanctionnée par l’annulation. Cette conséquence est de nature à avoir des
conséquences très graves pour les tiers : salariés, créanciers, etc. Le législateur est
intervenu pour limiter les inconvénients.

En premier lieu, le principe est qu’il n’y a pas de nullité sans texte. Cela signifie que
l’annulation ne pourra être prononcée par le juge que si un texte prévoit expressément une telle
sanction : objet illicite de la société, incapacité d’un associé dans les sociétés de personnes, par
exemple. En second lieu, à supposer que l’on se trouve dans une telle hypothèse, l’annulation
ne pourra être prononcée si, au jour du jugement, le vice de constitution a été réparé ; en
troisième lieu, enfin, cette annulation ne rétroagit pas, elle entraînera simplement la dissolution
de la société (C. civ. art. 1844-15).

La voie la plus fréquemment employée est celle de la régularisation qui sera ordonnée par le
juge à la demande de toute personne intéressée (C. civ. art. 1839) ; si un préjudice a été causé
par cette irrégularité, les fondateurs en seront tenus personnellement responsables (l’action doit
être introduite dans les 3 ans de l’immatriculation) (C. civ. art. 1840).

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387. Il doit être noté que l’absence d’accomplissement des formalités de publicité
correspond, parfois, à un choix délibéré des associés de ne pas révéler leur activité
commune : on parle de société en participation. Il se peut même qu’aucun contrat de
société n’ait été conclu, on parle alors de société de fait (cas de concubins exploitant
à deux un fonds de commerce). Ces deux sociétés n’ont pas, bien entendu, la
personnalité morale mais les « associés » pourront faire fonctionner leur structure
virtuelle comme une vraie société : en particulier, les bénéfices réalisés seront réputés
être la propriété de tous (d’où la tentative de recours à la société de fait pour partager
des gains de jeux). Vis-à-vis des tiers, l’ensemble des associés est personnellement
tenu.

B) Le fonctionnement de la société
388. Les modalités de fonctionnement découlent du choix de la forme sociétaire ; il est,
toutefois, un certain nombre de règles qui sont communes à l’ensemble des sociétés ;
elles concernent la répartition des pouvoirs (1) et le sort à réserver aux bénéfices (2).

1) La répartition des pouvoirs


389. A la manière du fonctionnement de l’État, il convient de distinguer les organes de
décision (a) et les organes de contrôle (b).

a) Les organes de décision


390. Du fait de leur apport, les associés possèdent un droit de créance sur la société, la part
sociale. Cette part porte le nom d’action dans les sociétés de capitaux, de part
d’intérêt dans les sociétés de personnes (terme guère usité, on parle plus souvent dans
ce cas de part sociale). Cette part sociale confère des avantages individuels (droit aux
bénéfices, au boni de liquidation, à de multiples informations) mais surtout des
prérogatives qui seront exercées de façon collective au sein de l’assemblée générale
des associés ou des actionnaires (C. civ. art. 1844).

L’assemblée générale constitue l’organe souverain de la société : elle décide de l’affectation


des bénéfices, elle approuve les comptes sociaux, elle nomme et révoque les dirigeants, elle
peut modifier les statuts. Il est prévu des assemblées générales ordinaires et extraordinaires avec
des conditions différentes de majorité et de quorum. Cette vision est, cependant, assez théorique
dans les grandes sociétés cotées pour lesquelles le capital est éclaté dans des centaines de
milliers d’actions.

391. Les dirigeants ont un rôle purement exécutif : ils sont chargés de mettre en œuvre les
décisions votées en assemblée générale et d’assurer la gestion courante de la société.
Ces dirigeants représentent juridiquement la société à l’égard des tiers. Ils ont
même tous pouvoirs pour agir en son nom (dans la limite, cependant, de l’objet
social, principe de spécialité oblige) ; d’éventuelles limitations de pouvoirs prévues
par les statuts sont inopposables aux tiers. Pour éviter toute difficulté, leur nomination
est publiée au registre du commerce et des sociétés.
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b) Les organes de contrôle


392. Dans toutes les sociétés commerciales, dans les sociétés civiles et associations
exerçant une activité économique, la désignation d’un commissaire aux comptes
présente un caractère obligatoire au-delà d’un certain seuil de chiffre d’affaires ou de
salariés.

Il a pour mission générale de vérifier que les comptes de l’exercice sont sincères et réguliers
et qu’ils donnent une image fidèle du patrimoine de la société. A cette fin, il présente un
rapport à l’assemblée générale dans lequel il certifie que les comptes répondent à ces caractères.
Il est, en outre, investi de missions particulières : rapport sur d’éventuelles conventions
conclues entre les dirigeants et la société (pour éviter des abus de pouvoir), saisine du Parquet,
en cas de découverte de faits délictueux, déclenchement de la procédure dite « d’alerte »,
lorsqu’il a connaissance de faits de nature à compromettre la continuité de l’exploitation.

Afin de garantir son indépendance, il est nommé pour six exercices (il peut, cependant, être
révoqué s’il n’accomplit pas sa mission avec diligence) et ses honoraires sont fixés par la loi.

Parallèlement, les associés et les salariés, par l’intermédiaire du comité d’entreprise, ont la
possibilité de demander au juge la désignation d’un expert pour obtenir un rapport sur un
ou plusieurs actes de gestion.

2) Le sort des bénéfices


393. Les bénéfices font l’objet d’un prélèvement fiscal. Ce prélèvement s’opère
différemment suivant le type de sociétés. Dans les sociétés de personnes, le bénéfice
est réputé réalisé non pas par la société mais directement par les associés
(transparence fiscale) : ils seront donc imposés au titre de l’impôt sur le revenu des
personnes physiques en fonction de la nature de l’activité de la société : bénéfices
industriels et commerciaux, revenus fonciers, bénéfices agricoles… En revanche, dans
les sociétés de capitaux, le bénéfice est imposé une première fois dans le patrimoine
de la société (au titre de l’impôt sur les sociétés, IS, 33,33 % pour le taux de droit
commun), puis éventuellement une seconde, s’ils sont distribués, au titre de l’impôt
sur le revenu de chacun des associés. Pour limiter les effets de cette double imposition,
il avait été institué le système de l’avoir fiscal, supprimé depuis le 1er janvier 2005 et
qui a été remplacé par un abattement (60 % seulement des bénéfices distribués sont
imposés, dans la limite d’un plafond) doublé d’un crédit d’impôt.

394. Le bénéfice net (après déduction de l’impôt correspondant) ne peut pas nécessairement
être intégralement distribué. La loi impose la constitution de réserves. Elles sont de
plusieurs types :

- dans les sociétés anonymes et les SARL, il est imposé de prélever 5 % des bénéfices
nets pour les affecter à la réserve dite légale (plafonnée à 10 % du capital social) ;

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- dans toutes les sociétés, les statuts peuvent avoir prévu une mise en réserve
systématique d’une partie des bénéfices pour constituer une capacité d’autofinancement ou faire
face à des difficultés, c’est la réserve statutaire ; de plus, l’assemblée générale des actionnaires
ou associés peut voter un prélèvement supplémentaire, c’est la réserve facultative. Cette
assemblée pourrait, par ailleurs décider de reporter à l’exercice suivant la distribution des
bénéfices sans intégration dans une réserve, c’est le report à nouveau.

395. Une fois l’impôt payé, les réserves effectuées (et éventuellement les pertes antérieures
imputées), il reste le bénéfice distribuable : les dividendes. Ces dividendes ne peuvent
excéder le bénéfice distribuable, on parlerait alors de dividendes fictifs (la somme ne
pourrait qu’être prélevée sur le capital ce qui porterait atteinte au droit des créanciers).

En principe, la distribution des dividendes s’opère au prorata des parts sociales détenues
(dividende de x euros par action, par exemple). Les statuts pourraient cependant adopter
d’autres modes de répartition ou favoriser certains associés (dividendes prioritaires bénéficiant
d’un premier prélèvement avant répartition générale du solde). Une limite a cependant été
posée : une clause statutaire ne peut attribuer la totalité des dividendes à un seul associé ou
l’exonérer de la totalité des pertes (clause dite léonine) (C. civ. art. 1844-1).

Ceci par référence à la fable de La Fontaine « la génisse, la chèvre et la brebis en société


avec le lion » dans laquelle la chèvre avait piégé un cerf qu’elle envoie à ses associés ; le
lion fait quatre parts :
« Prit pour lui la première en qualité de sire.
« Elle doit être à moi, dit-il et la raison,
« C’est que je m’appelle lion :
« A cela l’on a rien à dire.
« La seconde par droit me doit échoir encor :
« Ce droit, vous le savez, c’est le droit du plus fort.
« Comme le plus vaillant, je prétends la troisième.
« Si quelqu’une de vous touche à la quatrième
« Je l’étranglerai tout d’abord.

C) La dissolution de la société
396. La dissolution de la société intervient pour les causes déjà évoquées à propos de la
disparition de la personne morale, il est inutile d’y revenir (v. C. civ. art. 1844-7). Cette
dissolution sera publiée au registre du commerce et des sociétés et ouvre une période
de liquidation, l’un des associés, souvent un dirigeant, étant désigné comme
liquidateur (C. civ. art. 1844-8).

Une fois les opérations de liquidation terminées y compris le partage de l’éventuel boni de
liquidation, la clôture de cette liquidation sera prononcée et sera publiée au registre du
commerce et des sociétés. C’est uniquement à ce moment là que prendra fin la personnalité
morale de la société.

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II. Dispositions spécifiques

400. Nous allons principalement évoquer les sociétés commerciales (A) avant de dire
quelques mots des sociétés civiles (B).

A) Les sociétés commerciales


401. Nous présenterons tour à tour la société en nom collectif (1), la société à responsabilité
limitée (2), l’entreprise unipersonnelle à responsabilité limitée (3), la société anonyme
(4) et la société par actions simplifiée (5).

1) La société en nom collectif


402. Son appellation tient au fait que dans le passé, sa dénomination sociale devait
comporter tout ou partie du nom des associés ; cette exigence qui posait de nombreux
problèmes (notamment en cas de départ ou décès d’un associé) est désormais
abandonnée. Le choix de la dénomination est libre mais cette dénomination doit être
précédée ou suivie de la mention « société en nom collectif ».

Les associés d’une SNC (ils sont au moins deux, indifféremment personne physique ou
personne morale) ont de plein droit la qualité de commerçant, ce qui exclut automatiquement
ceux qui ne peuvent juridiquement se livrer à une activité commerciale (mineurs, en particulier).
La constitution d’une SNC entre époux est autorisée.

La caractéristique fondamentale de cette société est que les associés sont tenus indéfiniment
et solidairement des dettes sociales : un des créanciers de la société peut donc réclamer à l’un
quelconque des associés la totalité des sommes que la société lui devait (si cette dernière ne
peut payer : l’action doit en priorité être dirigée contre elle). Cet associé dispose d’un recours
contre ses coassociés, selon la répartition des dettes voulue par les statuts. En revanche, la
solidarité ne joue pas entre associés. Cette transparence de la personne morale s’applique aussi
en matière fiscale pour l’imposition des bénéfices (imposition au titre des bénéfices industriels
et commerciaux).

Cette situation exige une forte protection des associés : chaque nouvel associé doit recevoir
l’agrément de tous les autres et la cession des parts nécessite un consentement unanime. Cette
unanimité est aussi requise pour augmenter la participation respective aux pertes. Par voie de
conséquence, le décès ou l’incapacité d’un associé met fin la plupart du temps à la société.

Sauf disposition contraire des statuts, tous les associés ont la qualité de gérant (nom utilisé ici
pour les dirigeants représentant la personne morale). Le ou les gérants ne peuvent être révoqués
qu’à l’unanimité.

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2) La société à responsabilité limitée


403. La SARL est de constitution facile : deux associés ou plus (maximum : 100) qui n’ont
pas la qualité de commerçant (possible donc d’associer un mineur, les enfants par
exemple), aucun capital minimum n’est exigé avec possibilité de ne pas libérer
immédiatement la totalité des apports en numéraire.

De façon générale, le capital prévu par les statuts doit être intégralement constitué lors de
la création de la société, on dit « libéré » : apport des fonds, transfert de la propriété des
immeubles ou du matériel etc. Ici, les fonds ne sont pas exigés en totalité dès le départ : il
suffit de verser un cinquième de la somme promise, le solde dans les cinq ans. De même
l’apport en industrie est possible : il ne va pas figurer au capital social mais l’associé
apporteur pourra prétendre aux bénéfices et au partage de l’actif net lors de la dissolution à
charge de contribuer, en échange, aux pertes. Sa part est égale à celle de l’associé qui a
réalisé le plus petit apport.

Elle constitue une formule hybride entre les sociétés de personnes et les sociétés de capitaux :

- des sociétés de personnes, elle garde un caractère « fermé » pour reprendre


l’expression consacrée : si la transmission des parts sociales est libre entre associés, conjoints,
ascendants ou descendants, l’accord de la majorité des associés, représentant les ¾ du capital,
est nécessaire pour la cession à un tiers ; les statuts pourraient stipuler une condition de majorité
plus sévère. En cas de refus, la société doit racheter, dans les trois mois, les parts ou les faire
acquérir par quelqu’un d’autre. En principe, la transmission par voie de succession est libre,
mais les statuts pourraient comporter une clause d’agrément des héritiers ;

- aux sociétés de capitaux, la SARL emprunte la limitation de la responsabilité de


chaque associé à son apport : les créanciers ne peuvent poursuivre sur leur patrimoine
personnel le recouvrement des dettes sociales si celui de la société ne suffit pas à les
dédommager (d’où la mention expresse dans la dénomination sociale de « SARL » suivie de
l’indication du montant du capital). La formule présente a priori un caractère attractif pour
protéger le patrimoine personnel mais nous avons vu que pour les actes importants (emprunts
en particulier), un engagement personnel des dirigeants est exigé (surtout depuis qu’aucun
capital minimum n’est exigé).

404. La direction de la SARL est assurée par un ou plusieurs gérants, obligatoirement


personnes physiques.

Ce gérant bénéficie d’un régime assez favorable :

- au plan juridique, d’abord : il ne peut être révoqué que par décision des associés
représentant plus de la moitié du capital social (s’il détient la majorité du capital, il ne court
aucun risque) et si cette décision est décidée sans juste motif, il doit être dédommagé ;

- au plan fiscal, ensuite le gérant est imposé sur la rémunération qui lui est versée
comme un salarié (déduction forfaitaire de 10 % des sommes perçues au titre des frais
professionnels). En revanche, les dividendes qu’il reçoit sont imposés, comme pour les autres
associés, au titre des revenus de valeurs mobilières ;

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- au plan de la protection sociale, enfin : il convient d’introduire ici une distinction


entre le(s) gérant(s) majoritaires(s) ou minoritaire(s). S’il est majoritaire, ce gérant a le statut
de non-salarié, il va cotiser comme les travailleurs indépendants (professions libérales,
commerçants…) ; en revanche, s’il est minoritaire, il est assujetti au régime général des
salariés (bien qu’il n’ait pas de contrat de travail, il est « mandataire social ») et cotise à la
caisse de retraite des cadres. Il doit être retenu que l’appréciation du caractère majoritaire tient
compte des parts détenues par le gérant, son conjoint (ou le partenaire du Pacs) et ses enfants ;
lorsqu’il y a plusieurs gérants, cette appréciation se fait en totalisant les parts qu’ils détiennent
ensemble avec celles détenues par leurs conjoints et leurs enfants.

3) L’entreprise unipersonnelle à
responsabilité limitée
405. De création assez récente (1985), l’EURL se situe à mi-chemin entre la société
classique et l’exploitation de l’entreprise sous forme individuelle. Constituant une
personne morale, l’EURL permet de séparer le patrimoine personnel de celui de la
société ; de plus la responsabilité est limitée aux apports mais la demande
systématique d’engagement personnel rend illusoire cette protection.

Le capital social est, comme pour toute société, divisé en parts sociales qui sont détenues en
totalité par l’entrepreneur. Ceci présente un avantage indéniable en cas de décès de
l’exploitant : ce décès n’entraîne pas la disparition de la personne morale, les parts seront
transmises aux héritiers, l’activité pourra se poursuivre. Pour illustrer cet avantage, rappelons
que dans le cas d’une exploitation individuelle, le décès entraîne la cessation d’activité avec
imposition immédiate des bénéfices, taxation des plus-values, blocage temporaire des comptes
bancaires.

De même la vente de l’entreprise est simplifiée : elle prend la forme d’une cession de parts
sociales beaucoup moins coûteuse en droits d’enregistrement qu’une vente de fonds de
commerce. Il est possible aussi d’ouvrir le capital à d’autres partenaires, l’EURL se
transformant alors en SARL. Il doit être noté aussi que cette EURL est pilotée par un gérant qui
peut ne pas être l’associé unique (cadre salarié de l’entreprise par exemple).

406. Associé unique, l’exploitant conserve l’entière maîtrise de son activité sous réserve de
ne pas commettre d’abus de biens sociaux ; ainsi, il ne peut se faire consentir un prêt
par la société et s’il entend reprendre un apport, il doit réduire le capital.

En revanche, son statut personnel est largement inspiré de celui de l’entrepreneur individuel :
au plan fiscal, d’abord, l’EURL relève du régime des sociétés de personnes avec imposition
directe du bénéfice en la personne de l’exploitant au titre de l’impôt sur le revenu. Il lui est
possible, cependant, d’adhérer à un centre de gestion agréé (comme tous les exploitants
individuels) ce qui va lui permettre d’éviter une majoration de 25 % de sa base d’imposition.
Au plan social, l’exploitant est traité comme un travailleur indépendant, ce qui constitue un
inconvénient majeur pour cette formule (comparer avec la situation du gérant minoritaire de la
SARL ).

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DROIT ET ENTREPRISE 1 / INTRODUCTION GENERALE AU DROIT - 123 -
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Titre III : Les titulaires des droits subjectifs / Chapitre II : Les personnes morales
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4) La société anonyme
407. La philosophie du système change quelque peu : on glisse d’une volonté de s’associer,
de travailler en commun à une attitude de placement financier, l’achat d’actions. Cette
forme sociétaire se caractérise par une grande lourdeur de fonctionnement qui est
parfaitement compréhensible pour de grandes entreprises cotées sur les marchés mais
difficilement supportable pour une PME/PMI.

Il est exigé, lors de la constitution, de regrouper au moins 7 associés (mais certains peuvent
n’avoir qu’un nombre d’actions symbolique) et surtout de réunir un capital minimum : si la
société ne fait pas appel public à l’épargne, il est au minimum de 37 000 € (apports en numéraire
libérables pour moitié, le reste dans les cinq ans) ; ce chiffre est porté à 225 000 € si la société
fait appel public à l’épargne.

a) La direction de la société anonyme


408. Deux formules sont proposées par le Code de commerce : une formule classique avec
conseil d’administration et une formule plus moderne, inspirée du droit allemand, avec
directoire et conseil de surveillance.

409. Dans le cadre de la première, le conseil d’administration, composé d’au minimum


trois administrateurs (maximum : 18) élus par l’assemblée générale pour 6 ans,
détermine les orientations de l’activité de la société et veille à leur mise en œuvre
(C. com. art. L 225-35). S’agissant de l’exécution de ces décisions et la gestion
courante de la société, elles sont confiées soit au Président du conseil
d’administration, soit à un tandem président du conseil / directeur général délégué,
ce dernier assurant la gestion effective. Ils sont nommés par le conseil d’administration
qui peut aussi les révoquer à tout moment. Cette révocation n’a pas à être motivée, elle
donnera lieu, cependant, à réparation si elle n’a pas été prononcée pour un juste motif.
Mandataires sociaux et non salariés au plan juridique, président et directeur général
sont néanmoins assimilés à des salariés au regard du droit fiscal et de la sécurité
sociale, quel que soit le nombre d’actions qu’ils détiennent (comparer avec les gérants
de SARL ).

Il doit être noté que membres du conseil, président et directeur engagent la société dès qu’ils
déclarent agir en son nom même en dehors de l’objet social sauf à démontrer que les tiers
étaient au courant de ce dépassement, la seule publication des statuts étant insuffisante pour
en rapporter la preuve.

410. Dans le cadre de la seconde, la direction et le contrôle de la société sont nettement


séparés : la gestion de la société est assurée par le directoire, composé de deux à cinq
membres (possibilité d’un seul si capital inférieur à 150 000 €), qui n’ont pas
nécessairement la qualité d’actionnaires ; dans les rapports avec les tiers, le directoire
est représenté par son président qui dispose des pouvoirs les plus étendus pour agir en
toute circonstance au nom de la société (là encore, éventuellement, au-delà de l’objet
social). Fiscalement et pour la sécurité sociale, ils sont traités comme les salariés.

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Titre III : Les titulaires des droits subjectifs / Chapitre II : Les personnes morales
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Afin d’assurer leur totale indépendance, les membres du directoire sont nommés par le conseil
de surveillance (en principe pour 4 ans mais les statuts pourraient prévoir de 2 à 6 ans) mais
révoqués par l’assemblée générale des actionnaires (les statuts pouvant désormais stipuler une
révocation par le conseil de surveillance).

De son côté, le conseil de surveillance exerce le contrôle permanent de la gestion de la


société. Les membres de ce conseil sont élus par l’assemblée générale (durée fixée par les
statuts : 6 ans maximum). Ils sont obligatoirement actionnaires.

b) La situation des actionnaires


411. Les actionnaires ont, par définition, la qualité d’associé. Chaque actionnaire est
propriétaire d’une partie du capital, à hauteur du nombre d’actions possédées. Le titre
qu’il détient a deux valeurs : une valeur dite nominale (appelée aussi « pair ») fixée
par les statuts et une valeur réelle qui dépend de celle de l’actif net ; c’est cette valeur
qu’exprime le cours de bourse pour les sociétés cotées. Ces actions peuvent être
nominatives ou au porteur (ces dernières sont réservées aux sociétés cotées). Les
actions constituent des titres librement négociables. Attention toutefois : pour les
actions nominatives les statuts peuvent stipuler une clause d’agrément (avec obligation
de rachat par la société en cas de refus).

L’actionnaire n’est responsable des dettes sociales qu’à hauteur de son apport.

412. Si, à titre individuel, l’actionnaire se voit reconnaître un certain nombre de


prérogatives (droit à l’information, à poser des questions, à voter lors des assemblées),
la majorité de ses pouvoirs sont exercés, de façon collective, au sein des assemblées
générales ordinaires ou extraordinaires.

L’assemblée générale ordinaire prend toutes les décisions qui ne modifient pas les statuts et
ne relèvent pas de la compétence des organes dirigeants : approbation des comptes, affectation
des bénéfices (mise en réserve, report, distribution), nomination et révocation des dirigeants,
approbation des conventions passées entre ces dirigeants et la société. Elle se réunit au moins
une fois par an ; il est possible de voter par correspondance. Pour que l’assemblée puisse
valablement délibérer, il est exigé qu’au moins un cinquième des actionnaires soient présents
ou représentés ; à défaut de quorum, il faudra procéder à une seconde convocation (aucun
quorum dans ce cas) ; les résolutions sont adoptées à la majorité des actionnaires présents ou
représentés.

L’assemblée générale extraordinaire est seule habilitée à modifier les statuts : augmentation
de capital, fusion, transformation de la société. Elle se réunit en fonction des besoins ; quorum
exigé : un quart des actions à la première convocation, un cinquième à la seconde, adoption à
la majorité des deux tiers des actionnaires présents ou représentés.

5) La société par actions simplifiée

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Titre III : Les titulaires des droits subjectifs / Chapitre II : Les personnes morales
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413. Créée en 1994, cette société a vu son régime modifié en 1999 et 2009. Son statut est
très proche de celui de la société anonyme (droits identiques pour les actionnaires,
responsabilité limitée aux apports amis désormais capital minimum de 1 €).

La différence majeure concerne l’organisation des pouvoirs jugée trop lourde dans les
« petites » sociétés anonymes. Liberté totale est laissée aux statuts sur ce point, y compris la
répartition des pouvoirs entre les associés et les dirigeants. Une seule contrainte est imposée :
la désignation d’un président pour représenter la société vis-à-vis des tiers. De même, les statuts
peuvent-ils prévoir des limitations à la cession des actions allant jusqu’à l’interdiction pure et
simple. Cette formule est jugée dangereuse car trop floue. L’un de ses attraits réside dans le fait
que la société n’a pas à indiquer le montant des rémunérations de toute nature versées aux
mandataires sociaux à la différence des société anonymes.

Il est possible de créer une société par actions simplifiée unipersonnelle (SASU) avec un seul
associé, personne physique ou morale.

B) Les sociétés civiles


415. Les sociétés civiles constituent le droit commun des sociétés ; or, elles sont beaucoup
moins nombreuses que les sociétés commerciales : professions libérales, construction
immobilière (en particulier les sociétés civiles immobilières, SCI, très utilisées dans la
vie des affaires) ou activités agricoles par exemple.

La caractéristique de ces sociétés tient au fait que les associés sont tenus de façon indéfinie et
conjointe des dettes sociales ; cela signifie qu’ils peuvent être tenus sur leurs biens propres
mais uniquement en proportion de leur apport ; les créanciers doivent diviser leurs poursuites.
En ce sens, elles se rapprochent des sociétés de personnes type SNC. Mais, à la différence de
ces dernières, si le gérant n’est pas désigné dans les statuts, la société peut être dissoute ; de
plus, le gérant peut être révoqué à la majorité et non à l’unanimité.

Les dispositions du Code civil applicables à ce type de société sont désormais très proches de
celles retenues pour les sociétés commerciales y compris la possibilité d’être placées en
redressement judiciaire. Comme nous l’avons déjà indiqué, le critère déterminant pour les
sociétés et associations est celui de l’exercice ou non d’une activité économique.

Le cas des professions libérales illustre ce rapprochement. A l’origine, ces professions ne


pouvaient guère utiliser que les sociétés civiles de moyens (mise en commun de la logistique)
ou les sociétés civiles professionnelles exerçant l’activité libérale. Désormais, elles peuvent
recourir à des sociétés commerciales classiques aménagées en sociétés d’exercice libéral : on
rencontre ainsi des SELARL (société d’exercice libéral à responsabilité limitée), SELAFA
(société d’exercice libéral à forme anonyme), SELAS (société d’exercice libéral par actions
simplifiée). Les règles applicables sont celles déjà exposées pour les divers types de sociétés
avec des aménagements spécifiques ; ainsi, pour une SELAFA, il suffit d’être trois associés et
la majorité du capital doit être détenue par des professionnels en exercice dans la société ou en
dehors.

Attention : ces sociétés sont commerciales par la forme mais les tribunaux civils sont
compétents.

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Titre III : Les titulaires des droits subjectifs / Chapitre II : Les personnes morales
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Au-delà du cas des professions libérales, de nombreuses autres sociétés civiles sont régies par
des dispositifs particuliers. Signalons, dans le domaine agricole : les GAEC (groupement
d’exploitation agricole en commun, très utilisés pour des exploitations familiales), les GFA
(groupements fonciers agricoles réunissant des propriétaires fonciers) ; dans le domaine
immobilier : les sociétés civiles de construction-vente (promotion immobilière), les SCPI
(société civile de placement immobilier appelée aussi la « pierre-papier » qui permet d’acheter
des valeurs constituées par un patrimoine immobilier diversifié).

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600. Loi n°2005-846 du 26 juillet 2005 habilitant le Gouvernement à prendre, par


ordonnance, des mesures d'urgence pour l'emploi

Article 1

Dans les conditions prévues par l'article 38 de la Constitution, le Gouvernement est autorisé à prendre
par ordonnance toute mesure visant à :

1° Favoriser l'embauche dans les entreprises et organismes mentionnés au premier alinéa de l'article L.
131-2 du code du travail et n'employant aucun salarié ou n'employant qu'un petit nombre de salariés,
par l'institution d'un contrat de travail sans limitation de durée comportant pendant une période
déterminée des règles de rupture et un régime indemnitaire spécifiques, garantissant au salarié, pendant
cette période, une indemnité en cas de rupture à l'initiative de l'employeur supérieure à celle résultant
de l'application des règles de l'article L. 122-9 du même code ;

2° Evaluer le dispositif prévu au 1° ;

3° Prévoir, pour les salariés dont le contrat mentionné au 1° a été rompu, en particulier ceux qui n'ont
pas encore acquis de droits à l'assurance chômage, un revenu de remplacement adapté à leur situation,
ainsi qu'un accompagnement renforcé et personnalisé en vue de leur retour à l'emploi, assuré par le
service public de l'emploi, comportant des possibilités de formation et financé, le cas échéant, par une
contribution spécifique à la charge de leur employeur ;

4° Alléger, pour les employeurs occupant moins de vingt salariés ou atteignant ou dépassant cet effectif,
les effets financiers résultant de l'application des articles L. 313-1 du code de la construction et de
l'habitation, L. 834-1 du code de la sécurité sociale, L. 951-1 du code du travail et 253 ter EA du code
général des impôts, moyennant une compensation par l'Etat de la diminution éventuelle des ressources
pour les bénéficiaires des versements et contributions institués par les articles susmentionnés ;

5° Aménager les règles de décompte des effectifs utilisées pour la mise en oeuvre de dispositions
relatives au droit du travail ou d'obligations financières imposées par d'autres législations, pour
favoriser, à compter du 22 juin 2005, l'embauche par les entreprises de salariés âgés de moins de vingt-
six ans ;

6° Mettre en place dans les institutions de la défense, par aménagement des textes législatifs appropriés,
notamment le code de la défense, le code du service national, la loi n° 2005-270 du 24 mars 2005 portant
statut général des militaires et la loi n° 99-894 du 22 octobre 1999 portant organisation de la réserve
militaire et du service de défense, et en s'inspirant du modèle relatif à la formation professionnelle des
volontaires stagiaires du service militaire adapté en vigueur outre-mer, un dispositif d'accompagnement
et d'insertion sociale et professionnelle des jeunes en difficulté leur permettant l'obtention de diplômes
ou titres professionnels et assorti d'un statut adapté aux exigences particulières de cette formation ;

7° Permettre aux très petites entreprises d'utiliser un dispositif simplifié pour leurs déclarations
d'embauche ainsi que pour leurs déclarations relatives au paiement des cotisations et contributions
sociales de leurs salariés, et pouvant, le cas échéant, tenir lieu de contrat de travail et de bulletin de paie
et servir de titre de paiement ;

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ANNEXES
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8° Supprimer les limites d'âge applicables au recrutement dans la fonction publique de l'Etat, la fonction
publique territoriale et la fonction publique hospitalière, y instituer une nouvelle modalité de
recrutement pour l'accès des jeunes de moins de vingt-six ans aux corps et cadres d'emploi de catégorie
C par voie d'une formation en alternance conduisant à la titularisation après vérification des aptitudes
professionnelles, et prévoir une exonération de cotisations sociales pour les personnes recrutées par cette
procédure ;

9° Instituer une mesure fiscale :

a) En faveur des personnes inscrites comme demandeurs d'emploi depuis plus d'un an et titulaires de
certains avantages sociaux non contributifs accordés sous condition de ressources, qui créent ou
reprennent une entreprise, ou qui sont recrutées pour occuper un emploi dans une entreprise ;

b) Encourageant les jeunes de moins de vingt-six ans à occuper un emploi dans certains secteurs
professionnels connaissant des difficultés de recrutement ;

10° Adapter les ordonnances prises en application des 6°, 7° et 9° aux départements d'outre-mer et à
Saint-Pierre-et-Miquelon ; rendre applicables à Mayotte, en les adaptant, les ordonnances prises en
application des 1° à 8° appropriées à l'organisation particulière de cette collectivité.

Article 2

Les ordonnances doivent être prises dans un délai de deux mois suivant la publication de la présente loi.
Pour chaque ordonnance, un projet de loi de ratification est déposé devant le Parlement dans un délai
de deux mois à compter de sa publication.

Retour

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601. Ordonnance n°2005-893 du 2 août 2005 relative au contrat de travail nouvelles


embauches

Le Président de la République,

Sur le rapport du Premier ministre et du ministre de l'emploi, de la cohésion sociale et du logement,

Vu la Constitution, notamment son article 38 ;

Vu le code général des impôts ;

Vu le code du travail ;

Vu le code de la sécurité sociale ;

Vu le code général des impôts de Mayotte ;

Vu le code du travail applicable à Mayotte ;

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ANNEXES
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Vu la loi n° 82-939 du 4 novembre 1982 relative à la contribution exceptionnelle de solidarité en faveur
des travailleurs privés d'emploi ;

Vu la loi n° 2005-846 du 26 juillet 2005 habilitant le Gouvernement à prendre, par ordonnance, des
mesures d'urgence pour l'emploi, notamment les 1°, 2°, 3° et 10° de son article 1er ;

Vu l'ordonnance n° 96-1122 du 20 décembre 1996 relative à l'amélioration de la santé publique à


Mayotte ;

Vu l'ordonnance n° 2002-411 du 27 mars 2002 relative à la protection sanitaire et sociale à Mayotte ;

Vu l'avis du conseil général de Mayotte en date du 27 juillet 2005 ;

Le Conseil d'Etat entendu ;

Le conseil des ministres entendu,

Article 1

Les employeurs qui entrent dans le champ du premier alinéa de l'article L. 131-2 du code du travail et
qui emploient au plus vingt salariés peuvent conclure, pour toute nouvelle embauche, un contrat de
travail dénommé « contrat nouvelles embauches ». Les effectifs sont appréciés conformément à l'article
L. 620-10 du code du travail.

Toutefois, un tel contrat ne peut être conclu pour pourvoir les emplois mentionnés au 3° de l'article L.
122-1-1 du code du travail.

Article 2

Le contrat de travail défini à l'article 1er est conclu sans détermination de durée. Il est établi par écrit.

Ce contrat est soumis aux dispositions du code du travail, à l'exception, pendant les deux premières
années courant à compter de la date de sa conclusion, de celles des articles L. 122-4 à L. 122-11, L. 122-
13 à L. 122-14-14 et L. 321-1 à L. 321-17 de ce code.

Ce contrat peut être rompu à l'initiative de l'employeur ou du salarié, pendant les deux premières années
courant à compter de la date de sa conclusion, dans les conditions suivantes :

1° La rupture est notifiée par lettre recommandée avec demande d'avis de réception ;

2° Lorsque l'employeur est à l'initiative de la rupture et sauf faute grave ou force majeure, la présentation
de la lettre recommandée fait courir, dès lors que le salarié est présent depuis au moins un mois dans
l'entreprise, un préavis. La durée de celui-ci est fixée à deux semaines, dans le cas d'un contrat conclu
depuis moins de six mois à la date de la présentation de la lettre recommandée, et à un mois dans le cas
d'un contrat conclu depuis au moins six mois ;

3° Lorsqu'il est à l'initiative de la rupture, sauf faute grave, l'employeur verse au salarié, au plus tard à
l'expiration du préavis, outre les sommes restant dues au titre des salaires et de l'indemnité de congés
payés, une indemnité égale à 8 % du montant total de la rémunération brute due au salarié depuis la
conclusion du contrat. Le régime fiscal et social de cette indemnité est celui applicable à l'indemnité
mentionnée à l'article L. 122-9 du code du travail. A cette indemnité versée au salarié s'ajoute une
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contribution de l'employeur, égale à 2 % de la rémunération brute due au salarié depuis le début du
contrat. Cette contribution est recouvrée par les organismes mentionnés au premier alinéa de l'article L.
351-21 du code du travail conformément aux dispositions des articles L. 351-6 et L. 351-6-1 du même
code. Elle est destinée à financer les actions d'accompagnement renforcé du salarié par le service public
de l'emploi en vue de son retour à l'emploi. Elle n'est pas considérée comme un élément de salaire au
sens de l'article L. 242-1 du code de la sécurité sociale.

Toute contestation portant sur la rupture se prescrit par douze mois à compter de l'envoi de la lettre
recommandée prévue au 1°. Ce délai n'est opposable au salarié que s'il en a été fait mention dans cette
lettre.

Par exception aux dispositions du deuxième alinéa, les ruptures du contrat de travail envisagées à
l'initiative de l'employeur sont prises en compte pour la mise en oeuvre des procédures d'information et
de consultation régissant les procédures de licenciement économique collectif prévues au chapitre Ier
du titre II du livre III du code du travail.

La rupture du contrat doit respecter les dispositions législatives et réglementaires qui assurent une
protection particulière aux salariés titulaires d'un mandat syndical ou représentatif.

En cas de rupture du contrat, à l'initiative de l'employeur, au cours des deux premières années, il ne peut
être conclu de nouveau « contrat nouvelles embauches » entre le même employeur et le même salarié
avant que ne soit écoulé un délai de trois mois à compter du jour de la rupture du précédent contrat.

Le salarié titulaire d'un « contrat nouvelles embauches » peut bénéficier du congé de formation dans les
conditions fixées par les articles L. 931-13 à L. 931-20-1 du code du travail. Il peut également bénéficier,
lorsque son contrat de travail est rompu au cours de la première année suivant sa conclusion, du droit
individuel à la formation dans les conditions fixées par l'article L. 931-20-2 du code du travail.

Article 3

I. - Les travailleurs involontairement privés d'emploi, aptes au travail et recherchant un emploi au sens
de l'article L. 351-1 du code du travail, ayant été titulaires du contrat mentionné à l'article 1er pendant
une durée minimale fixée par décret ont droit, dès lors qu'ils ne justifient pas de références de travail
suffisantes pour être indemnisés en application de l'article L. 351-3 du code du travail, à une allocation
forfaitaire.

La durée et le montant de l'allocation forfaitaire ainsi que le délai après l'expiration duquel l'inscription
comme demandeur d'emploi est réputée tardive pour l'ouverture du droit à l'allocation, les délais de
demande et d'action en paiement, le délai au terme duquel le reliquat des droits antérieurement constitués
ne peut plus être utilisé et le montant au-dessous duquel l'allocation indûment versée ne donne pas lieu
à répétition sont fixés par décret.

Les dispositions de la section 4 du chapitre Ier du titre V du livre III du code du travail sont applicables
à l'allocation forfaitaire selon des modalités définies par décret.

Les dispositions de l'article L. 131-2, du 2° de l'article L. 242-13 et des articles L. 311-5 et L. 351-3 du
code de la sécurité sociale ainsi que celles des articles 79 et 82 du code général des impôts sont
applicables à l'allocation forfaitaire.

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Cette allocation est à la charge du fonds de solidarité créé par la loi du 4 novembre 1982 susvisée relative
à la contribution exceptionnelle de solidarité en faveur des travailleurs privés d'emploi.

L'Etat peut, par convention, confier aux organismes mentionnés à l'article L. 351-21 du code du travail
ou à tout organisme de droit privé la gestion de l'allocation forfaitaire.

II. - Un accord conclu et agréé dans les conditions prévues à l'article L. 351-8 du code du travail définit
les conditions et les modalités selon lesquelles les salariés embauchés sous le régime du contrat institué
par l'article 1er peuvent bénéficier de la convention de reclassement personnalisé prévue au I de l'article
L. 321-4-2 du code du travail. A défaut d'accord ou d'agrément de cet accord, ces conditions et modalités
sont fixées par décret en Conseil d'Etat.

Article 4

I. - Les employeurs mentionnés à l'article L. 000-1 du code du travail applicable à Mayotte, qui
emploient au plus vingt salariés, peuvent conclure, pour toute nouvelle embauche, un contrat de travail
dénommé « contrat nouvelles embauches ». Les effectifs sont appréciés conformément à l'article L. 620-
8 du même code.

Les services de l'Etat, de la collectivité départementale et des communes ainsi que leurs établissements
publics administratifs ne peuvent conclure de « contrat nouvelles embauches ».

Toutefois, un tel contrat ne peut être conclu pour pourvoir les emplois mentionnés aux 2° et 3° de l'article
L. 122-2 du code du travail applicable à Mayotte.

II. - Le contrat de travail défini au I est conclu sans détermination de durée. Il est établi par écrit.

Ce contrat est soumis aux dispositions du code du travail applicable à Mayotte, à l'exception, pendant
les deux premières années courant à compter de la date de sa conclusion, des dispositions mentionnées
aux articles L. 122-17 à L. 122-23, L. 122-26 à L. 122-31 et L. 320-1 à L. 320-14 de ce code. Toutefois,
les ruptures de contrat de travail envisagées à l'initiative de l'employeur sont prises en compte pour la
mise en oeuvre des procédures d'information et de consultation prévues par ces dispositions en cas de
licenciement économique collectif.

Ce contrat peut être rompu à l'initiative de l'employeur ou du salarié pendant les deux premières années
courant à compter de la date de sa conclusion dans les conditions suivantes :

1° La rupture est notifiée par lettre recommandée avec demande d'avis de réception ou remise contre
décharge ;

2° Lorsque l'employeur est à l'initiative de la rupture et sauf faute grave ou force majeure, la présentation
de la lettre recommandée ou la remise en main propre fait courir, dès lors que le salarié est présent
depuis au moins un mois dans l'entreprise, un préavis. La durée de celui-ci est fixée à deux semaines
dans le cas d'un contrat conclu depuis moins de six mois à la date de la présentation de la lettre
recommandée ou de la remise de la lettre en main propre et à un mois dans le cas d'un contrat conclu
depuis six mois ou plus ;

3° Lorsqu'il est à l'initiative de la rupture, sauf faute grave, l'employeur verse au salarié, au plus tard à
l'expiration du préavis, outre les sommes restant dues au titre des salaires et de l'indemnité de congés
payés, une indemnité égale à 8 % du montant total de la rémunération brute due au salarié depuis la
conclusion du contrat. Le régime fiscal et social de cette indemnité est celui applicable à l'indemnité
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mentionnée à l'article L. 122-22 du code du travail applicable à Mayotte. A cette indemnité versée au
salarié s'ajoute une contribution de l'employeur, égale à 2 % de la rémunération brute due au salarié
depuis le début du contrat, recouvrée par l'organisme mentionné à l'article L. 327-7 du même code. Elle
n'est pas considérée comme un élément de salaire au sens des dispositions législatives et réglementaires
de sécurité sociale applicables à Mayotte.

Toute contestation portant sur la rupture se prescrit par douze mois à compter de l'envoi de la lettre
recommandée ou de la remise de la lettre en main propre. Ce délai n'est opposable au salarié que s'il en
a été fait mention dans cette lettre.

La rupture du contrat doit respecter les dispositions législatives et réglementaires qui assurent une
protection particulière aux salariés titulaires d'un mandat syndical ou représentatif.

En cas de rupture du contrat, à l'initiative de l'employeur, au cours des deux premières années, il ne peut
être conclu de nouveau « contrat nouvelles embauches » entre le même employeur et le même salarié
avant que ne soit écoulé un délai de trois mois à compter du jour de la rupture du précédent contrat.

III. - Les travailleurs involontairement privés d'emploi inscrits auprès de l'Agence nationale pour
l'emploi en application de l'article L. 326-2 du code du travail applicable à Mayotte, aptes au travail et
recherchant un emploi, ayant bénéficié du contrat mentionné au I pendant une durée minimale fixée par
décret ont droit, dès lors qu'ils ne justifient pas de références de travail suffisantes pour être indemnisés
en application de l'accord pris en application de l'article L. 327-1 du code du travail applicable à
Mayotte, à une allocation forfaitaire.

La durée et le montant de l'allocation forfaitaire ainsi que le délai après l'expiration duquel l'inscription
comme demandeur d'emploi est réputée tardive pour l'ouverture du droit à l'allocation, les délais de
demande et d'action en paiement, le délai au terme duquel le reliquat des droits antérieurement constitués
ne peut plus être utilisé et le montant au-dessous duquel l'allocation indûment versée ne donne pas lieu
à répétition sont fixés par décret.

Cette allocation est à la charge du régime d'indemnisation du chômage prévu à l'article L. 327-1 du code
du travail applicable à Mayotte. Elle est financée par la contribution prévue au 3° du II et par le fonds
de solidarité créé par la loi du 4 novembre 1982 susvisée relative à la contribution exceptionnelle de
solidarité en faveur des travailleurs privés d'emploi.

Les dispositions des articles 19 et 21 de l'ordonnance du 20 décembre 1996 susvisée relative à


l'amélioration de la santé publique à Mayotte, de l'article 8 de l'ordonnance du 27 mars 2002 susvisée
relative à la protection sanitaire et sociale à Mayotte ainsi que celles des articles 79 et 82 du code général
des impôts de Mayotte sont applicables à l'allocation forfaitaire.

IV. - Les dispositions du présent article entrent en vigueur dès la publication de l'agrément de l'accord
d'indemnisation du chômage prévu à l'article L. 327-1. Pour être agréé, cet accord doit obligatoirement
prévoir les modalités de prise en charge des personnes mentionnées au III.

Article 5

Les conditions de mise en oeuvre du « contrat nouvelles embauches » institué par la présente
ordonnance et ses effets sur l'emploi feront l'objet, au plus tard au 31 décembre 2008, d'une évaluation
par une commission associant les organisations d'employeurs et de salariés représentatives au plan
national et interprofessionnel.

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DROIT ET ENTREPRISE 1 / INTRODUCTION GENERALE AU DROIT - 135 -
Emmanuel TERRIER et Isabelle TOSI-DUPRIET / 2015-2016
ANNEXES
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Une évaluation spécifique sera réalisée sur la mise en oeuvre du "contrat nouvelles embauches" à
Mayotte par la commission consultative du travail prévue à l'article L. 420-1 du code du travail
applicable à Mayotte selon des modalités et dans des conditions de recueil des données fixées par arrêté
du représentant de l'Etat.

Article 6

Le Premier ministre, le ministre de l'emploi, de la cohésion sociale et du logement, le ministre de l'outre-


mer et le ministre délégué à l'emploi, au travail et à l'insertion professionnelle des jeunes sont
responsables, chacun en ce qui le concerne, de l'application de la présente ordonnance, qui sera publiée
au Journal officiel de la République française.

Par le Président de la République : Jacques Chirac

Le Premier ministre, Dominique de Villepin

Le ministre de l'emploi, de la cohésion sociale et du logement, Jean-Louis Borloo

Le ministre de l'outre-mer, François Baroin

Le ministre délégué à l'emploi, au travail et à l'insertion professionnelle des jeunes, Gérard Larcher

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602. Rapport au Président de la République relatif à l'ordonnance n° 2005-893 du 2


août 2005 relative au contrat de travail « nouvelles embauches »

Monsieur le Président,

Dans sa déclaration de politique générale du 8 juin 2005, le Premier ministre a fait de la lutte contre le
chômage la priorité absolue du Gouvernement. Avec un taux de chômage de plus de 10 % et certaines
catégories de populations particulièrement touchées, notamment les jeunes qui sont confrontés à de
fortes difficultés d'insertion durable dans l'emploi, la situation de l'emploi justifie que soient mises en
oeuvre, sans délai, des mesures fortes, pragmatiques et efficaces destinées à relancer l'emploi et la
croissance.
A ce titre, les petites entreprises sont un gisement d'emplois précieux qu'il faut exploiter prioritairement.
Au 1er janvier 2004, les entreprises comptant jusqu'à vingt salariés étaient au nombre de 2,5 millions,
dont 1,5 million sans aucun salarié. Ces entreprises représentaient à cette date environ 30 % de l'emploi
salarié.

Or, les chefs de ces entreprises hésitent encore trop souvent à embaucher, même lorsque leur plan de
charge immédiat le leur permettrait. En raison de la volatilité de l'économie et des incertitudes liées à
l'évolution de leur marché, par crainte des difficultés et des incertitudes, tant juridiques que financières,
inhérentes à une rupture du contrat au cas où la conjoncture économique ou la personne du salarié
rendrait nécessaire la cessation de la relation de travail, les chefs d'entreprise sont souvent réticents à
recruter de façon pérenne sans visibilité de long terme. Ils renoncent alors à anticiper le développement
de leur entreprise et privilégient, pour faire face au cas par cas à des pics d'activité, le recours au travail
temporaire ou, plus souvent encore, au contrat à durée déterminée.
Pour surmonter ces réticences, la présente ordonnance crée, sur le fondement des 1°, 2° et 3° de l'article
1er de la loi n° 2005-846 du 26 juillet 2005 habilitant le Gouvernement à prendre, par ordonnance, des
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Emmanuel TERRIER et Isabelle TOSI-DUPRIET / 2015-2016
ANNEXES
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mesures d'urgence pour l'emploi, un nouveau contrat de travail, dénommé « contrat nouvelles
embauches », pour les entreprises employant jusqu'à vingt salariés. Ce nouveau contrat est un contrat à
durée indéterminée dont les règles de rupture sont aménagées pendant les deux premières années à
compter de la date de sa conclusion ; il repose, durant cette période, sur la recherche d'un nouvel
équilibre dans la relation de travail, en associant une simplification de la procédure de rupture et de
nouvelles garanties pour le salarié afin de favoriser le retour rapide à l'emploi en cas de cessation du
contrat.

L'article 1er de l'ordonnance définit le champ des entreprises qui auront accès au nouveau contrat. Il
s'agit des entreprises comptant jusqu'à vingt salariés, pour lesquelles les freins à l'embauche apparaissent
les plus forts et qui constituent un gisement d'emplois important. Les emplois saisonniers sont exclus du
champ d'application du nouveau contrat.

L'article 2 définit le régime de ce nouveau contrat de travail.

Ce contrat, conclu par écrit et sans durée déterminée, est soumis à l'ensemble des prescriptions du code
du travail et des conventions collectives du secteur d'activité, à l'exception pendant les deux premières
années des règles relatives à la rupture du contrat. Au-delà de cette période, il est entièrement soumis
au régime de droit commun du contrat à durée indéterminée.

Pendant cette période de consolidation de l'emploi de deux ans, les modalités de rupture sont simplifiées
par rapport au droit commun : le contrat peut être rompu à l'initiative de l'employeur ou du salarié par
lettre recommandée avec avis de réception.

La rupture n'est effective qu'après un préavis croissant en fonction de l'ancienneté (de deux semaines
pour une ancienneté inférieure à six mois à un mois pour une ancienneté comprise entre six mois et
deux ans). Elle ouvre droit pour le salarié, lorsque le contrat est rompu à l'initiative de l'employeur, à
une indemnité dont le montant s'élève à 8 % du montant total de la rémunération brute due au salarié
depuis la conclusion de son contrat. Cette indemnité n'est soumise ni à l'impôt sur le revenu ni à
cotisations sociales.

A cette indemnité s'ajoute une contribution de l'employeur égale à 2 % du montant de la rémunération


brute versée depuis le début du contrat, recouvrée par les Assedic et destinée à financer les actions
d'accompagnement renforcé du salarié par le service public de l'emploi en faveur de son retour à
l'emploi.

Enfin, dans un souci de sécurité juridique, et à l'instar des dispositions prévues par l'article L. 321-16 du
code du travail pour les licenciements, il est prévu que la contestation de la rupture se prescrive par
douze mois à compter de sa notification, à condition que le salarié en ait été avisé.

Le salarié bénéficie par ailleurs des avantages résultant du droit à congé de formation et du droit
individuel à la formation selon les modalités particulières ouvertes par le code du travail aux salariés
ayant été titulaires de contrats à durée déterminée.

L'article 2 apporte enfin plusieurs précisions sur les conséquences de ces nouvelles modalités de rupture.
Il dispose ainsi, conformément aux objectifs de la directive 98/59/CE du 20 juillet 1998, que les ruptures
de « contrats nouvelles embauches » sont comptabilisées dans le décompte des effectifs pour la mise en
oeuvre des procédures d'information et de consultation dans le cadre d'un licenciement économique
collectif. Par ailleurs, les règles de rupture spécifiques liées à la protection des salariés titulaires d'un
mandat syndical ou représentatif sont préservées. Enfin, un délai de carence de trois mois est instauré à
compter du jour de la rupture d'un « contrat nouvelles embauches » avant de pouvoir signer un nouveau
contrat avec le même salarié pour éviter les éventuelles fraudes.

L'article 3 de l'ordonnance assure aux salariés dont le contrat aurait été rompu une couverture renforcée
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DROIT ET ENTREPRISE 1 / INTRODUCTION GENERALE AU DROIT - 137 -
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du risque chômage. Il permet ainsi aux salariés qui ne justifient pas de droits suffisants pour bénéficier
de l'assurance chômage (qui n'est ouverte que si le travailleur justifie d'une durée d'activité de six mois
sur les vingt-deux derniers mois), de bénéficier d'une allocation forfaitaire financée par l'Etat. Son
montant, sa durée de versement et la condition d'activité préalable seront définis par décret.

Par ailleurs, cet article autorise les partenaires sociaux à étendre au bénéfice de salariés dont le contrat
aurait été rompu le dispositif de la convention de reclassement personnalisé institué par la loi du 18
janvier 2005 de programmation pour la cohésion sociale en faveur des salariés qui ont fait l'objet d'un
licenciement économique dans les entreprises de moins de 1 000 salariés. A défaut d'accord, le bénéfice
de la convention de reclassement personnalisé pourra être mis en oeuvre par décret en Conseil d'Etat.

L'article 4 étend à Mayotte les dispositions issues de l'ordonnance.

L'article 5 prévoit une évaluation, d'ici le 31 décembre 2008, des conditions de mise en oeuvre de ce
nouveau contrat et de ses effets sur l'emploi par une commission à laquelle seront associés des
représentants d'organisations d'employeurs et de salariés.

Tel est l'objet de la présente ordonnance que nous avons l'honneur de soumettre à votre approbation.

Veuillez agréer, Monsieur le Président, l'assurance de notre profond respect.

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603. Conseil d’Etat 19 octobre 2005

….
En ce qui concerne la méconnaissance de la convention internationale du travail n° 158 et de la charte
sociale européenne :
Considérant qu'aux termes de l'article 4 de la convention internationale du travail n° 158 concernant la
cessation de la relation de travail à l'initiative de l'employeur : Un travailleur ne devra pas être licencié
sans qu'il existe un motif valable de licenciement lié à l'aptitude ou à la conduite du travailleur ou fondé
sur les nécessités du fonctionnement de l'entreprise, de l'établissement ou du service. ; que, selon l'article
24 de la charte sociale européenne, les parties s'engagent à reconnaître ce même droit aux travailleurs ;
qu'aux termes de l'article 7 de la convention n° 158 : Un travailleur ne devra pas être licencié pour des
motifs liés à sa conduite ou à son travail avant qu'on ne lui ait offert la possibilité de se défendre contre
les allégations formulées, à moins que l'on ne puisse pas raisonnablement attendre de l'employeur qu'il
lui offre cette possibilité. ; qu'enfin, les articles 8-1, 9 et 10 de la même convention reconnaissent le droit
pour un travailleur licencié d'exercer un recours juridictionnel, ainsi que la possibilité pour le juge
d'examiner les motifs invoqués pour justifier le licenciement et, le cas échéant, d'accorder une réparation
au salarié ;
Considérant qu'en écartant à son article 2 l'application au contrat nouvelles embauches des dispositions
de droit commun régissant la rupture du contrat de travail à durée indéterminée, l'ordonnance attaquée
a dérogé, ainsi que le permettait l'habilitation accordée par le législateur, non seulement, comme il a été
dit, aux dispositions du code du travail relatives à la procédure de licenciement mais aussi à l'exigence,
issue de la loi du 13 juillet 1973 et énoncée à l'article L. 122-14-3 de ce code, que le motif invoqué par
l'employeur présente un caractère réel et sérieux ; que demeurent en revanche applicables au contrat
nouvelles embauches, outre les dispositions des articles L. 122-40 à L. 122-44 relatives à la discipline,
celles de l'article L. 12245 du même code prohibant les mesures discriminatoires ;
Considérant, en premier lieu, qu'il résulte de ce qui vient d'être dit que l'ordonnance attaquée n'a pas
exclu que le licenciement puisse être contesté devant un juge, afin que celui-ci puisse vérifier que la
rupture n'a pas un caractère abusif et n'est pas intervenue en méconnaissance des dispositions relatives
à la procédure disciplinaire et de celles prohibant les mesures discriminatoires ; qu'ainsi, les règles de
rupture du contrat nouvelles embauches pendant les deux premières années suivant la date de sa
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conclusion ne dérogent pas aux stipulations des articles 8-1, 9 et 10 de la convention internationale du
travail n° 158 ;
Considérant, en second lieu, qu'en vertu des stipulations du b) du paragraphe 2 de l'article 2 de la même
convention, les Etats parties peuvent exclure certains travailleurs du champ d'application de tout ou
partie des dispositions de cette convention, notamment ceux n'ayant pas la période d'ancienneté requise,
à condition que la durée de celle-ci soit fixée d'avance et qu'elle soit raisonnable ; que l'annexe à la
charte sociale européenne ouvre aux Etats parties la même possibilité de dérogation ; qu'en l'espèce, eu
égard au but en vue duquel cette dérogation a été édictée et à la circonstance que le contrat nouvelles
embauches est un contrat à durée indéterminée, la période de deux ans pendant laquelle est écartée
l'application des dispositions de droit commun relatives à la procédure de licenciement et aux motifs
pouvant le justifier peut être regardée comme raisonnable, au sens de ces stipulations ;
Considérant qu'il résulte de ce qui précède que les syndicats requérants ne sont pas fondés à soutenir
que l'ordonnance attaquée méconnaîtrait les stipulations de la convention internationale du travail n°
158 ni, en tout état de cause, celles de l'article 24 de la charte sociale européenne ;

DECIDE:

Article 2 : Les requêtes … sont rejetées. Retour
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604. Tribunal des conflits 19 mars 2007, n° 3622

Vu le déclinatoire, présenté le 19 juillet 2006, par le préfet de l'Essonne, tendant à voir déclarer la
juridiction judiciaire incompétente pour connaître de l'exception concernant l'ordonnance 2005-893 du
2 août 2005 relative au contrat de travail nouvelles embauches, par le motif que cette ordonnance, prise
sur le fondement de l'article 38 de la Constitution et non ratifiée, a le caractère d'un acte administratif
réglementaire et que le juge administratif est seul compétent pour en apprécier la légalité ;
Vu l'arrêt rendu le 20 octobre 2006 par lequel la cour d'appel de Paris a rejeté le déclinatoire de
compétence ;
Vu l'arrêté par lequel le préfet de l'Essonne a, le 31 octobre 2006, élevé le conflit ;
Vu l'arrêt du 14 novembre 2006 par lequel la cour d'appel a sursis à statuer ;
Vu, enregistré le 17 janvier 2007, les observations du ministre de l'emploi, de la cohésion sociale et du
logement tendant à la confirmation de l'arrêté de conflit par le motif que les ordonnances adoptées en
vertu de l'article 38 de la Constitution, qui présentent, tant qu'elles n'ont pas été ratifiées, le caractère
d'actes administratifs, relèvent, pour l'appréciation de leur légalité qui inclut l'appréciation de la
conformité de l'acte à une norme supérieure, d'origine interne ou internationale, de la compétence de la
jurisprudence administrative ;
…..
Vu la loi du 16-24 août 1790 et le décret du 16 fructidor an III ;
Vu la loi du 24 mai 1872 ;
Vu l'ordonnance du 1er juin 1828 modifiée ;
Vu l'ordonnance des 12-21 mars 1831 modifiée ;
Vu le décret du 26 octobre 1849 modifié ;
Vu la Constitution, notamment en son article 38 ;
Vu l'ordonnance n° 2005-893 du 2 août 2005 ;
Vu les lois n° 2005-1719 du 30 décembre 2005 et n° 2006-339 du 23 mars 2006 ;
….
Considérant que les ordonnances prises sur le fondement de l'article 38 de la Constitution présentent le
caractère d'actes administratifs tant qu'elles n'ont pas été ratifiées, et que la ratification, qui a pour effet
de leur conférer rétroactivement valeur législative, peut résulter du vote du projet de loi de ratification
prévu par l'article 38 susmentionné ainsi que du vote d'une autre disposition législative expresse ou d'une
loi qui, sans avoir la ratification pour objet direct, l'implique nécessairement ;
Considérant que tel est le cas de l'ordonnance n° 2005-893 du 2 août 2005 instituant le contrat nouvelles
embauches, dès lors que les lois n°2005-1719 du 30 décembre 2005 et n° 2006-339 du 23 mars 2006,
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ANNEXES
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qui prévoient les mesures de financement de l'allocation forfaitaire allouée par ladite ordonnance aux
travailleurs titulaires d'un contrat nouvelles embauches s'ils se trouvent privés d'emploi, ont eu pour
effet de ratifier implicitement l'article 3 de l'ordonnance n°2005-893 du 2 août 2005, qui n'est pas
divisible de l'ensemble de ses autres dispositions ; que, par suite, l'ordonnance n'ayant plus valeur
réglementaire, c'est à tort que le conflit a été élevé ;

DECIDE:

Article 1er : L'arrêté de conflit du Préfet de l'Essonne en date du 31 octobre 2006 est annulé.

Retour
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605. Conseil constitutionnel 10 juin 2009, décision n° 2009-580


…….
Sur les articles 5 et 11 :
4. Considérant, d'une part, que l'article 5 de la loi déférée crée au chapitre Ier du titre III du livre III de
la première partie du code de la propriété intellectuelle une section 3 qui comporte les articles L. 331-
12 à L. 331-45 et qui est consacrée à la " Haute Autorité pour la diffusion des œuvres et la protection
des droits sur Internet " ; que cette nouvelle autorité administrative indépendante est composée d'un
collège et d'une commission de protection des droits ; que le collège est notamment chargé de favoriser
l'offre légale des œuvres et objets auxquels est attaché un droit d'auteur ou un droit voisin ; que la
commission de protection des droits a pour mission de mettre en œuvre les nouveaux mécanismes
d'avertissement et de sanction administrative des titulaires d'accès à Internet qui auront manqué à
l'obligation de surveillance de cet accès ;
5. Considérant, d'autre part, que l'article 11 insère, au sein du chapitre IV du même titre, les articles L.
336-3 et L. 336-4 ; qu'il définit l'obligation de surveillance de l'accès à Internet et détermine les cas dans
lesquels est exonéré de toute sanction le titulaire de l'abonnement à Internet dont l'accès a été utilisé à
des fins portant atteinte aux droits de la propriété intellectuelle ;
En ce qui concerne l'obligation de surveillance de l'accès à Internet :
6. Considérant qu'aux termes du premier alinéa de l'article L. 336-3 du code de la propriété intellectuelle
: " La personne titulaire de l'accès à des services de communication au public en ligne a l'obligation de
veiller à ce que cet accès ne fasse pas l'objet d'une utilisation à des fins de reproduction, de
représentation, de mise à disposition ou de communication au public d'œuvres ou d'objets protégés par
un droit d'auteur ou par un droit voisin sans l'autorisation des titulaires des droits prévus aux livres Ier
et II lorsqu'elle est requise " ;
7. Considérant que, contrairement à ce que soutiennent les requérants, la définition de cette obligation
est distincte de celle du délit de contrefaçon ; qu'elle est énoncée en des termes suffisamment clairs et
précis ; que, par suite, en l'édictant, le législateur n'a méconnu ni la compétence qu'il tient de l'article 34
de la Constitution, ni l'objectif de valeur constitutionnelle d'intelligibilité et d'accessibilité de la loi ;
En ce qui concerne la répression des manquements à l'obligation de surveillance :
8. Considérant, d'une part, qu'aux termes des alinéas 2 à 6 du même article L. 336-3 : " Aucune sanction
ne peut être prise à l'égard du titulaire de l'accès dans les cas suivants :
" 1° Si le titulaire de l'accès a mis en œuvre l'un des moyens de sécurisation figurant sur la liste
mentionnée au deuxième alinéa de l'article L. 331-32 ;
" 2° Si l'atteinte aux droits visés au premier alinéa du présent article est le fait d'une personne qui a
frauduleusement utilisé l'accès au service de communication au public en ligne ;
" 3° En cas de force majeure.
" Le manquement de la personne titulaire de l'accès à l'obligation définie au premier alinéa n'a pas pour
effet d'engager la responsabilité pénale de l'intéressé. "
9. Considérant, d'autre part, qu'aux termes de l'article L. 331-27 : " Lorsqu'il est constaté que l'abonné a
méconnu l'obligation définie à l'article L. 336-3 dans l'année suivant la réception d'une recommandation
adressée par la commission de protection des droits et assortie d'une lettre remise contre signature ou de
tout autre moyen propre à établir la preuve de la date d'envoi de cette recommandation et celle de sa
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réception par l'abonné, la commission peut, après une procédure contradictoire, prononcer, en fonction
de la gravité des manquements et de l'usage de l'accès, l'une des sanctions suivantes :
" 1° La suspension de l'accès au service pour une durée de deux mois à un an assortie de l'impossibilité,
pour l'abonné, de souscrire pendant la même période un autre contrat portant sur l'accès à un service de
communication au public en ligne auprès de tout opérateur ;
" 2° Une injonction de prendre, dans un délai qu'elle détermine, des mesures de nature à prévenir le
renouvellement du manquement constaté, notamment un moyen de sécurisation figurant sur la liste
définie au deuxième alinéa de l'article L. 331-32, et d'en rendre compte à la Haute Autorité, le cas
échéant sous astreinte " ;
10. Considérant qu'en application de l'article L. 331-28 la commission de protection des droits de la
Haute Autorité peut, avant d'engager une procédure de sanction, proposer à l'abonné une transaction
comportant soit une suspension de l'accès à Internet pendant un à trois mois, soit une obligation de
prendre des mesures de nature à prévenir le renouvellement du manquement ; que l'article L. 331-29
autorise cette commission à prononcer les sanctions prévues à l'article L. 331-27 en cas de non-respect
de la transaction ; que l'article L. 331-30 précise les conséquences contractuelles de la suspension de
l'accès au service ; que l'article L. 331-31 prévoit les conditions dans lesquelles le fournisseur d'accès
est tenu de mettre en œuvre la mesure de suspension ; que l'article L. 331-32 détermine les modalités
selon lesquelles est établie la liste des moyens de sécurisation dont la mise en œuvre exonère le titulaire
de l'accès de toute sanction ; que les articles L. 331-33 et L. 331-34 instituent un répertoire national
recensant les personnes ayant fait l'objet d'une mesure de suspension ; qu'enfin l'article L. 331-36 permet
à la commission de protection des droits de conserver, au plus tard jusqu'au moment où la suspension
d'accès a été entièrement exécutée, les données techniques qui ont été mises à sa disposition ;
11. Considérant que, selon les requérants, en conférant à une autorité administrative, même
indépendante, des pouvoirs de sanction consistant à suspendre l'accès à Internet, le législateur aurait,
d'une part, méconnu le caractère fondamental du droit à la liberté d'expression et de communication et,
d'autre part, institué des sanctions manifestement disproportionnées ; qu'ils font valoir, en outre, que les
conditions de cette répression institueraient une présomption de culpabilité et porteraient une atteinte
caractérisée aux droits de la défense ;
12. Considérant qu'aux termes de l'article 11 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de
1789 : " La libre communication des pensées et des opinions est un des droits les plus précieux de
l'homme : tout citoyen peut donc parler, écrire, imprimer librement, sauf à répondre de l'abus de cette
liberté dans les cas déterminés par la loi " ; qu'en l'état actuel des moyens de communication et eu égard
au développement généralisé des services de communication au public en ligne ainsi qu'à l'importance
prise par ces services pour la participation à la vie démocratique et l'expression des idées et des opinions,
ce droit implique la liberté d'accéder à ces services ;
13. Considérant que la propriété est au nombre des droits de l'homme consacrés par les articles 2 et 17
de la Déclaration de 1789 ; que les finalités et les conditions d'exercice du droit de propriété ont connu
depuis 1789 une évolution caractérisée par une extension de son champ d'application à des domaines
nouveaux ; que, parmi ces derniers, figure le droit, pour les titulaires du droit d'auteur et de droits voisins,
de jouir de leurs droits de propriété intellectuelle et de les protéger dans le cadre défini par la loi et les
engagements internationaux de la France ; que la lutte contre les pratiques de contrefaçon qui se
développent sur Internet répond à l'objectif de sauvegarde de la propriété intellectuelle ;
14. Considérant que le principe de la séparation des pouvoirs, non plus qu'aucun principe ou règle de
valeur constitutionnelle, ne fait obstacle à ce qu'une autorité administrative, agissant dans le cadre de
prérogatives de puissance publique, puisse exercer un pouvoir de sanction dans la mesure nécessaire à
l'accomplissement de sa mission dès lors que l'exercice de ce pouvoir est assorti par la loi de mesures
destinées à assurer la protection des droits et libertés constitutionnellement garantis ; qu'en particulier
doivent être respectés le principe de la légalité des délits et des peines ainsi que les droits de la défense,
principes applicables à toute sanction ayant le caractère d'une punition, même si le législateur a laissé le
soin de la prononcer à une autorité de nature non juridictionnelle ;
15. Considérant qu'aux termes de l'article 34 de la Constitution : " La loi fixe les règles concernant... les
droits civiques et les garanties fondamentales accordées aux citoyens pour l'exercice des libertés
publiques " ; que, sur ce fondement, il est loisible au législateur d'édicter des règles de nature à concilier
la poursuite de l'objectif de lutte contre les pratiques de contrefaçon sur Internet avec l'exercice du droit

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DROIT ET ENTREPRISE 1 / INTRODUCTION GENERALE AU DROIT - 141 -
Emmanuel TERRIER et Isabelle TOSI-DUPRIET / 2015-2016
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de libre communication et de la liberté de parler, écrire et imprimer ; que, toutefois, la liberté
d'expression et de communication est d'autant plus précieuse que son exercice est une condition de la
démocratie et l'une des garanties du respect des autres droits et libertés ; que les atteintes portées à
l'exercice de cette liberté doivent être nécessaires, adaptées et proportionnées à l'objectif poursuivi ;
16. Considérant que les pouvoirs de sanction institués par les dispositions critiquées habilitent la
commission de protection des droits, qui n'est pas une juridiction, à restreindre ou à empêcher l'accès à
Internet de titulaires d'abonnement ainsi que des personnes qu'ils en font bénéficier ; que la compétence
reconnue à cette autorité administrative n'est pas limitée à une catégorie particulière de personnes mais
s'étend à la totalité de la population ; que ses pouvoirs peuvent conduire à restreindre l'exercice, par
toute personne, de son droit de s'exprimer et de communiquer librement, notamment depuis son domicile
; que, dans ces conditions, eu égard à la nature de la liberté garantie par l'article 11 de la Déclaration de
1789, le législateur ne pouvait, quelles que soient les garanties encadrant le prononcé des sanctions,
confier de tels pouvoirs à une autorité administrative dans le but de protéger les droits des titulaires du
droit d'auteur et de droits voisins ;
17. Considérant, en outre, qu'en vertu de l'article 9 de la Déclaration de 1789 tout homme est présumé
innocent jusqu'à ce qu'il ait été déclaré coupable ; qu'il en résulte qu'en principe le législateur ne saurait
instituer de présomption de culpabilité en matière répressive ; que, toutefois, à titre exceptionnel, de
telles présomptions peuvent être établies, notamment en matière contraventionnelle, dès lors qu'elles ne
revêtent pas de caractère irréfragable, qu'est assuré le respect des droits de la défense et que les faits
induisent raisonnablement la vraisemblance de l'imputabilité ;
18. Considérant, en l'espèce, qu'il résulte des dispositions déférées que la réalisation d'un acte de
contrefaçon à partir de l'adresse Internet de l'abonné constitue, selon les termes du deuxième alinéa de
l'article L. 331-21, " la matérialité des manquements à l'obligation définie à l'article L. 336-3 " ; que seul
le titulaire du contrat d'abonnement d'accès à Internet peut faire l'objet des sanctions instituées par le
dispositif déféré ; que, pour s'exonérer de ces sanctions, il lui incombe, en vertu de l'article L. 331-38,
de produire les éléments de nature à établir que l'atteinte portée au droit d'auteur ou aux droits voisins
procède de la fraude d'un tiers ; qu'ainsi, en opérant un renversement de la charge de la preuve, l'article
L. 331-38 institue, en méconnaissance des exigences résultant de l'article 9 de la Déclaration de 1789,
une présomption de culpabilité à l'encontre du titulaire de l'accès à Internet, pouvant conduire à
prononcer contre lui des sanctions privatives ou restrictives de droit ;
19. Considérant qu'il résulte de ce qui précède, et sans qu'il soit besoin d'examiner les autres griefs, que
doivent être déclarés contraires à la Constitution, à l'article 11 de la loi déférée, les deuxième à cinquième
alinéas de l'article L. 336-3 et, à son article 5, les articles L. 331-27 à L. 331-31, L. 331-33 et L. 331-34
; qu'il en va de même, au deuxième alinéa de l'article L. 331-21, des mots : " et constatent la matérialité
des manquements à l'obligation définie à l'article L. 336-3 ", du dernier alinéa de l'article L. 331-26,
ainsi que des mots : " pour être considérés, à ses yeux, comme exonérant valablement de sa
responsabilité le titulaire de l'accès au titre de l'article L. 336-3 " figurant au premier alinéa de l'article
L. 331-32 et des mots : " dont la mise en œuvre exonère valablement le titulaire de l'accès de sa
responsabilité au titre de l'article L. 336-3 " figurant au deuxième alinéa de ce même article ;
20. Considérant que doivent également être déclarés contraires à la Constitution, en tant qu'ils n'en sont
pas séparables, à l'article 5, les mots : " et l'avertissant des sanctions encourues en cas de renouvellement
du manquement présumé " figurant au premier alinéa de l'article L. 331-26, les mots : " ainsi que des
voies de recours possibles en application des articles L. 331-26 à L. 331-31 et L. 331-33 " figurant à
l'article L. 331-35, les mots : " et, au plus tard, jusqu'au moment où la suspension de l'accès prévue par
ces dispositions a été entièrement exécutée " figurant au premier alinéa de l'article L. 331-36 et le second
alinéa de cet article, les mots : " ainsi que du répertoire national visé à l'article L. 331-33, permettant
notamment aux personnes dont l'activité est d'offrir un accès à un service de communication au public
en ligne de disposer, sous la forme d'une simple interrogation, des informations strictement nécessaires
pour procéder à la vérification prévue par ce même article " figurant à l'article L. 331-37, le second
alinéa de l'article L. 331-38 ; qu'il en va de même, à l'article 16, des mots : " de manquement à l'obligation
définie à l'article L. 336-3 du code de la propriété intellectuelle et ", ainsi que des I et V de l'article 19 ;
En ce qui concerne le droit au respect de la vie privée :
21. Considérant que, selon les requérants, la loi déférée opère une conciliation manifestement
déséquilibrée entre la protection des droits d'auteur et le droit au respect de la vie privée ; que l'objectif

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poursuivi par le législateur nécessiterait la mise en œuvre de mesures de surveillance des citoyens et
l'instauration d'un " contrôle généralisé des communications électroniques " incompatibles avec
l'exigence constitutionnelle du droit au respect de la vie privée ; que les requérants font valoir que les
pouvoirs reconnus aux agents privés, habilités à collecter les adresses des abonnés suspectés d'avoir
partagé un fichier d'œuvre protégée, ne sont pas encadrés par des garanties suffisantes ;
22. Considérant, en premier lieu, qu'aux termes de l'article 2 de la Déclaration de 1789 : " Le but de
toute association politique est la conservation des droits naturels et imprescriptibles de l'homme. Ces
droits sont la liberté, la propriété, la sûreté et la résistance à l'oppression " ; que la liberté proclamée par
cet article implique le respect de la vie privée ;
23. Considérant, en second lieu, qu'il appartient au législateur, en vertu de l'article 34 de la Constitution,
de fixer les règles concernant les garanties fondamentales accordées aux citoyens pour l'exercice des
libertés publiques ; qu'il lui appartient d'assurer la conciliation entre le respect de la vie privée et d'autres
exigences constitutionnelles, telles que la protection du droit de propriété ;
24. Considérant qu'en vertu de l'article L. 331-24 du code de la propriété intellectuelle la commission
de protection des droits agit sur saisine d'agents assermentés et agréés dans les conditions définies à
l'article L. 331-2 du même code ; que ces agents sont désignés par les organismes de défense
professionnelle régulièrement constitués, par les sociétés de perception et de répartition des droits ou
par le Centre national de la cinématographie ;
25. Considérant qu'aux termes de l'article 9 de la loi du 6 janvier 1978 susvisée : " Les traitements de
données à caractère personnel relatives aux infractions, condamnations et mesures de sûreté ne peuvent
être mis en œuvre que par :... 4° Les personnes morales mentionnées aux articles L. 321-1 et L. 331-1
du code de la propriété intellectuelle, agissant au titre des droits dont elles assurent la gestion ou pour le
compte des victimes d'atteintes aux droits prévus aux livres Ier, II et III du même code aux fins d'assurer
la défense de ces droits " ; que ces personnes morales sont les sociétés de perception et de répartition
des droits et les organismes de défense professionnelle régulièrement constitués ;
26. Considérant que les dispositions combinées de l'article L. 34-1 du code des postes et des
communications électroniques, tel qu'il est modifié par l'article 14 de la loi déférée, des troisième et
cinquième alinéas de l'article L. 331-21 du code de la propriété intellectuelle et de son article L. 331-24
ont pour effet de modifier les finalités en vue desquelles ces personnes peuvent mettre en œuvre des
traitements portant sur des données relatives à des infractions ; qu'elles permettent en effet que,
désormais, les données ainsi recueillies acquièrent un caractère nominatif également dans le cadre de la
procédure conduite devant la commission de protection des droits ;
27. Considérant que la lutte contre les pratiques de contrefaçon sur Internet répond à l'objectif de
sauvegarde de la propriété intellectuelle et de la création culturelle ; que, toutefois, l'autorisation donnée
à des personnes privées de collecter les données permettant indirectement d'identifier les titulaires de
l'accès à des services de communication au public en ligne conduit à la mise en œuvre, par ces personnes
privées, d'un traitement de données à caractère personnel relatives à des infractions ; qu'une telle
autorisation ne saurait, sans porter une atteinte disproportionnée au droit au respect de la vie privée,
avoir d'autres finalités que de permettre aux titulaires du droit d'auteur et de droits voisins d'exercer les
recours juridictionnels dont dispose toute personne physique ou morale s'agissant des infractions dont
elle a été victime ;
28. Considérant qu'à la suite de la censure résultant des considérants 19 et 20, la commission de
protection des droits ne peut prononcer les sanctions prévues par la loi déférée ; que seul un rôle
préalable à une procédure judiciaire lui est confié ; que son intervention est justifiée par l'ampleur des
contrefaçons commises au moyen d'Internet et l'utilité, dans l'intérêt d'une bonne administration de la
justice, de limiter le nombre d'infractions dont l'autorité judiciaire sera saisie ; qu'il en résulte que les
traitements de données à caractère personnel mis en œuvre par les sociétés et organismes précités ainsi
que la transmission de ces données à la commission de protection des droits pour l'exercice de ses
missions s'inscrivent dans un processus de saisine des juridictions compétentes ;
29. Considérant que ces traitements seront soumis aux exigences prévues par la loi du 6 janvier 1978
susvisée ; que les données ne pourront être transmises qu'à cette autorité administrative ou aux autorités
judiciaires ; qu'il appartiendra à la Commission nationale de l'informatique et des libertés, saisie pour
autoriser de tels traitements, de s'assurer que les modalités de leur mise en œuvre, notamment les
conditions de conservation des données, seront strictement proportionnées à cette finalité ;

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30. Considérant, en outre, que, contrairement à ce que soutiennent les requérants, les agents assermentés
visés à l'article L. 331-24 du code de la propriété intellectuelle ne sont pas investis du pouvoir de
surveiller ou d'intercepter des échanges ou des correspondances privés ;
31. Considérant qu'il résulte de ce qui précède que, sous la réserve énoncée au considérant 29, la mise
en œuvre de tels traitements de données à caractère personnel ne méconnaît pas les exigences
constitutionnelles précitées ;
En ce qui concerne le renvoi à des décrets en Conseil d'Etat :
32. Considérant que, selon les requérants, en renvoyant à un décret le soin de préciser les conditions
dans lesquelles la Haute Autorité pourra attribuer un label permettant " d'identifier clairement le
caractère légal " des offres de service de communication en ligne, l'article L. 331-23 du code de la
propriété intellectuelle laisserait à la Haute Autorité le pouvoir de déterminer de manière discrétionnaire
les offres qui présentent, selon elle, un caractère légal ; que les requérants ajoutent que l'article L. 331-
32 ne pouvait renvoyer au décret le soin de fixer la procédure d'évaluation et de labellisation des moyens
de sécurisation de l'accès à Internet ; que, ce faisant, le législateur n'aurait pas exercé la compétence qu'il
tient de l'article 34 de la Constitution en matière de garanties fondamentales reconnues aux citoyens
dans l'exercice des libertés publiques ;
33. Considérant que, si l'article 34 de la Constitution dispose que " la loi fixe les règles concernant... les
garanties fondamentales accordées aux citoyens pour l'exercice des libertés publiques ", la mise en
œuvre des garanties déterminées par le législateur relève du pouvoir exécutif ; que les dispositions de
l'article 21 de la Constitution, qui confient au Premier ministre le soin d'assurer l'exécution des lois et,
sous réserve des dispositions de l'article 13, d'exercer le pouvoir réglementaire, ne font pas obstacle à
ce que le législateur confie à une autorité publique autre que le Premier ministre le soin de fixer des
normes permettant la mise en œuvre des principes posés par la loi, pourvu que cette habilitation ne
concerne que des mesures limitées tant par leur champ d'application que par leur contenu ; qu'une telle
attribution de compétence n'a pas pour effet de dispenser l'autorité réglementaire du respect des
exigences constitutionnelles ;
34. Considérant que la labellisation du " caractère légal " des offres de service de communication au
public en ligne a pour seul objet de favoriser l'identification, par le public, d'offres de service respectant
les droits de la propriété intellectuelle ; qu'il résulte du deuxième alinéa de l'article L. 331-23 que, saisie
d'une demande d'attribution d'un tel label, la Haute Autorité sera tenue d'y répondre favorablement dès
lors qu'elle constatera que les services proposés par cette offre ne portent pas atteinte aux droits d'auteur
ou aux droits voisins ; que le renvoi au décret pour fixer les conditions d'attribution de ce label a pour
seul objet la détermination des modalités selon lesquelles les demandes de labellisation seront reçues et
instruites par la Haute Autorité ; que ces dispositions ne lui confèrent aucun pouvoir arbitraire ;
35. Considérant que, dans sa rédaction issue de la censure résultant des considérants 19 et 20, l'article
L. 331-32 a pour seul objet de favoriser l'utilisation des moyens de sécurisation dont la mise en œuvre
permet d'assurer la surveillance d'un accès à Internet conformément aux prescriptions de l'article L. 336-
3 ; qu'il revient au pouvoir réglementaire de définir les conditions dans lesquelles ce label sera délivré ;
qu'il s'ensuit que les dispositions des articles 5 et 11 de la loi déférée, autres que celles déclarées
contraires à la Constitution, ne sont pas entachées d'incompétence négative ;

…..
Décide :
Article 1

Sont déclarées contraires à la Constitution les dispositions suivantes du code de la propriété


intellectuelle, telles qu'elles résultent des articles 5 et 11 de la loi favorisant la diffusion et la protection
de la création sur Internet :
- au deuxième alinéa de l'article L. 331-21, les mots : « et constatent la matérialité des manquements à
l'obligation définie à l'article L. 336-3 » ;
- au premier alinéa de l'article L. 331-26, les mots : « et l'avertissant des sanctions encourues en cas de
renouvellement du manquement présumé » ;
- le dernier alinéa de l'article L. 331-26 ;
- les articles L. 331-27 à L. 331-31 ;

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- au premier alinéa de l'article L. 331-32, les mots : « pour être considérés, à ses yeux, comme exonérant
valablement de sa responsabilité le titulaire de l'accès au titre de l'article L. 336-3 » ;
- au deuxième alinéa du même article, les mots : « dont la mise en œuvre exonère valablement le titulaire
de l'accès de sa responsabilité au titre de l'article L. 336-3 » ;
- les articles L. 331-33 et L. 331-34 ;
- à l'article L. 331-35, les mots : « ainsi que des voies de recours possibles en application des articles L.
331-26 à L. 331-31 et L. 331-33 » ;
- à l'article L. 331-36, les mots : « et, au plus tard, jusqu'au moment où la suspension de l'accès prévue
par ces dispositions a été entièrement exécutée » figurant au premier alinéa ainsi que le second alinéa ;
- au deuxième alinéa de l'article L. 331-37, les mots : « , ainsi que du répertoire national visé à l'article
L. 331-33, permettant notamment aux personnes dont l'activité est d'offrir un accès à un service de
communication au public en ligne de disposer, sous la forme d'une simple interrogation, des
informations strictement nécessaires pour procéder à la vérification prévue par ce même article » ;
- le second alinéa de l'article L. 331-38 ;
- les deuxième à cinquième alinéas de l'article L. 336-3.
Il en est de même des mots : « de manquement à l'obligation définie à l'article L. 336-3 du code de la
propriété intellectuelle et » figurant à l'article 16 de la même loi, ainsi que des I et V de l'article 19.

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606. Cass. Assemblée plénière 2 juin 2000, n° 450, pourvoi n° 99-60274

Sur les deuxième et troisième moyens réunis :


Attendu que Mlle Fraisse fait grief au jugement attaqué (tribunal de première instance de Nouméa, 3
mai 1999) d'avoir rejeté sa requête tendant à l'annulation de la décision de la commission administrative
de Nouméa ayant refusé son inscription sur la liste prévue à l'article 188 de la loi organique du 19 mars
1999 relative à la Nouvelle-Calédonie des électeurs admis à participer à l'élection du congrès et des
assemblées de province et d'avoir refusé son inscription sur ladite liste, alors, selon le moyen : 1° que le
jugement refuse d'exercer un contrôle de conventionnalité de l'article 188 de la loi organique n° 99-209
du 19 mars 1999 relative à la Nouvelle-Calédonie au regard des articles 2 et 25 du Pacte international
relatif aux droits civils et politiques du 16 décembre 1966, 3 du premier protocole additionnel à la
Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et F (devenu
6) du traité de l'Union européenne du 7 février 1992, l'article 188 étant contraire à ces normes
internationales en tant qu'il exige d'un citoyen de la République française un domicile de dix ans pour
participer à l'élection des membres d'une assemblée d'une collectivité de la République française ; 2°
qu'il appartenait subsidiairement au tribunal de demander à la Cour de justice des Communautés
européennes de se prononcer à titre préjudiciel sur la compatibilité de l'article 188 de la loi organique
du 19 mars 1999 avec l'article 6 du traité de l'Union européenne ;
Mais attendu, d'abord, que le droit de Mlle Fraisse à être inscrite sur les listes électorales pour les
élections en cause n'entre pas dans le champ d'application du droit communautaire ;
Attendu, ensuite, que l'article 188 de la loi organique du 19 mars 1999 a valeur constitutionnelle en ce
que, déterminant les conditions de participation à l'élection du congrès et des assemblées de province de
la Nouvelle-Calédonie et prévoyant la nécessité de justifier d'un domicile dans ce territoire depuis dix
ans à la date du scrutin, il reprend les termes du paragraphe 2.2.1 des orientations de l'accord de Nouméa,
qui a lui-même valeur constitutionnelle en vertu de l'article 77 de la Constitution ; que la suprématie
conférée aux engagements internationaux ne s'appliquant pas dans l'ordre interne aux dispositions de
valeur constitutionnelle, le moyen tiré de ce que les dispositions de l'article 188 de la loi organique
seraient contraires au Pacte international relatif aux droits civils et politiques et à la Convention
européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales doit être écarté ;
D'où il suit que le moyen n'est pas fondé ;

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur le premier moyen auquel Mlle Fraisse a déclaré
renoncer : REJETTE le pourvoi.
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607. Conseil d’Etat 30 octobre 1998, n° 200286

…..
Considérant que l'article 3 du décret du 20 août 1998 dispose que : "Conformément à l'article 76 de la
Constitution et à l'article 2 de la loi du 9 novembre 1988 (...) sont admis à participer à la consultation du
8 novembre 1998 les électeurs inscrits à cette date sur les listes électorales du territoire et qui ont leur
domicile en Nouvelle-Calédonie depuis le 6 novembre 1988" ; qu'il est spécifié que : "Sont réputées
avoir leur domicile en Nouvelle-Calédonie alors même qu'elles accomplissent le service national ou
poursuivent un cycle d'études ou de formation continue hors du territoire, les personnes qui avaient
antérieurement leur domicile dans le territoire" ; que l'article 8 du décret précise dans son premier alinéa,
que la commission administrative chargée de l'établissement de la liste des personnes admises à
participer à la consultation, inscrit sur cette liste les électeurs remplissant à la date de la consultation la
condition de domicile exigée par l'article 2 de la loi du 9 novembre 1988 ;
Considérant qu'ainsi qu'il a été dit ci-dessus, le deuxième alinéa de l'article 76 de la Constitution dispose
que : "Sont admises à participer au scrutin les personnes remplissant les conditions fixées à l'article 2 de
la loi n° 88-1028 du 9 novembre 1988" ; que ce dernier article exige que les intéressés soient domiciliés
en Nouvelle-Calédonie depuis le 6 novembre 1988, sous réserve des exceptions qu'il énumère dans son
second alinéa et qui sont reprises par l'article 3 du décret attaqué ; qu'ainsi, les articles 3 et 8 dudit décret,
loin de méconnaître l'article 76 de la Constitution en ont fait une exacte application ;
Considérant que l'article 76 de la Constitution ayant entendu déroger aux autres normes de valeur
constitutionnelle relatives au droit de suffrage, le moyen tiré de ce que les dispositions contestées du
décret attaqué seraient contraires aux articles 1er et 6 de la Déclaration des droits de l'homme et du
citoyen, à laquelle renvoie le préambule de la Constitution ou à l'article 3 de la Constitution ne peut
qu'être écarté ;
Considérant que si l'article 55 de la Constitution dispose que "les traités ou accords régulièrement ratifiés
ou approuvés ont, dès leur publication, une autorité supérieure à celle des lois sous réserve, pour chaque
accord ou traité, de son application par l'autre partie", la suprématie ainsi conférée aux engagements
internationaux ne s'applique pas, dans l'ordre interne, aux dispositions de nature constitutionnelle ;
qu'ainsi, le moyen tiré de ce que le décret attaqué, en ce qu'il méconnaîtrait les stipulations
d'engagements internationaux régulièrement introduits dans l'ordre interne, serait par là même contraire
à l'article 55 de la Constitution, ne peut lui aussi qu'être écarté ;
Considérant que si les requérants invitent le Conseil d'Etat à faire prévaloir les stipulations des articles
2, 25 et 26 du pacte des Nations unies sur les droits civils et politiques, de l'article 14 de la Convention
européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et de l'article 3 du
protocole additionnel n° 1 à cette convention, sur les dispositions de l'article 2 de la loi du 9 novembre
1988, un tel moyen ne peut qu'être écarté dès lors que par l'effet du renvoi opéré par l'article 76 de la
Constitution aux dispositions dudit article 2, ces dernières ont elles-mêmes valeur constitutionnelle ;
Considérant enfin que, dans la mesure où les articles 3 et 8 du décret attaqué ont fait une exacte
application des dispositions constitutionnelles qu'il incombait à l'auteur de ce décret de mettre en oeuvre,
ne sauraient être utilement invoquées à leur encontre ni une méconnaissance des dispositions du code
civil relatives aux effets de l'acquisition de la nationalité française et de la majorité civile ni une violation
des dispositions du code électoral relatives aux conditions d'inscription d'un électeur sur une liste
électorale dans une commune déterminée ;
Considérant que les contestations des requérants, relatives à l'inscription sur la liste des personnes
admises à participer au scrutin, portent sur l'exercice de droits politiques et non sur des droits et
obligations de caractère civil au sens de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme
et des libertés fondamentales ; que, par suite, le moyen tiré de la violation des stipulations de l'article 6
1 de cette convention ne peut qu'être écarté ;

DECIDE :
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Article 2 : Les requêtes de M. Sarran et de M. Levacher et autres sont rejetées. Retour
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608. Cass. crim. 14 mars 2006, n° 1593, pourvoi n° 05-83436

…….
Statuant sur le pourvoi formé par :
LE PROCUREUR GENERAL PRES LA COUR D'APPEL DE LYON,
contre l'arrêt n° 160 de ladite cour d'appel, 2ème chambre, en date du 18 mai 2005, qui a relaxé Patricia
Y..., épouse X..., du chef d'infractions au repos dominical et d'emploi de salariés le jour du 1er mai ;
Vu les mémoires produits en demande et en défense ;
Sur le moyen unique de cassation, pris de la violation des articles L. 221-5, L. 221-9, et L. 222-7 du
Code du travail ;
Attendu qu'il ressort de l'arrêt attaqué et des pièces de procédure que Patricia Y..., épouse X..., dirigeante
de la société Vidéo Futur Lyon spécialisée dans la location de DVD et vidéocassettes, est poursuivie
devant le tribunal de police pour avoir, au cours de l'année 2003, contrevenu aux dispositions de l'article
L. 221-5 du Code du travail prescrivant de donner aux salariés le repos hebdomadaire le dimanche, et à
celles de l'article L. 222-7 du même Code relatives au 1er mai ; que le tribunal a déclaré la prévention
établie ;
Sur le moyen, pris en sa première branche :
Attendu que, pour relaxer Patricia X... du chef d'infractions au repos dominical, les juges du second
degré, après avoir relevé que l'article L. 221-9 du Code du travail permet aux entreprises de spectacles
de donner le repos hebdomadaire par roulement, retiennent que la société Vidéo Futur Lyon, exerçant
une activité de location de vidéocassettes et d'autres supports numériques d’œuvres cinématographiques
dont elle assure la diffusion dans le public, est une entreprise de cette nature ; qu'ils en déduisent que la
société en cause n'est pas tenue d'appliquer les dispositions de l'article L. 221-5 du Code du travail qui
font obligation à l'employeur de donner à son personnel le repos le dimanche ;
Attendu qu'en cet état, le demandeur ne saurait se faire un grief de ce que l'arrêt ait, à tort, reconnu à la
société dirigée par la prévenue la qualité d'entreprise de spectacles au sens de l'article L. 221-9 du Code
du travail, dès lors que la faculté de donner au personnel le repos hebdomadaire par roulement a été
étendue, par le décret du 2 août 2005, publié le 4 août 2005, aux établissements de location de DVD et
vidéocassettes, et que cette disposition, plus favorable, s'applique aux infractions commises avant son
entrée en vigueur et n'ayant pas donné lieu à une condamnation passée en force de chose jugée ;
D'où il suit que le grief doit être écarté ;
Mais sur le moyen, pris en sa seconde branche :
Vu l'article 593 du Code de procédure pénale ;
Attendu que tout jugement ou arrêt doit comporter les motifs propres à justifier la décision ;
que l'insuffisance ou la contradiction des motifs équivaut à leur absence ;
Attendu que, pour relaxer Patricia X... du chef d'infraction à l'article L. 222-7 du Code du travail, l'arrêt
énonce que, par application de ce texte, la société Vidéo Futur Lyon, qui est admise à donner le repos
hebdomadaire par roulement, n'est pas tenue de satisfaire aux prescriptions de l'article L. 222-5 du même
Code, relatif au 1er mai ;
Mais attendu qu'en statuant ainsi, alors que l'article L. 222-7 du Code du travail n'institue aucune
dérogation de principe au repos du 1er mai en faveur des établissements et services bénéficiant du repos
par roulement, et qu'il appartient à celui qui se prévaut de ce texte d'établir que la nature de l'activité
exercée ne permet pas d'interrompre le travail le jour du 1er mai, la cour d'appel n'a pas donné de base
légale à sa décision ;
D'où il suit que la cassation est encourue de ce chef ;

Par ces motifs : CASSE et ANNULE l'arrêt susvisé de la cour d'appel de Lyon, en date du 18 mai 2005,
mais en ses seules dispositions visant l'infraction d'emploi de salariés le jour du 1er mai, toutes autres
dispositions étant expressément maintenues. Retour
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609. Conseil d’Etat 8 février 2007, n° 279522

Vu la Constitution, notamment son préambule et son article 55 ;


Vu la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
Vu le code de la sécurité sociale ;
Vu la loi n° 94-637 du 25 juillet 1994 relative à la sécurité sociale, notamment son article 41 ;
Vu le décret n° 85-283 du 27 février 1985 ;
Vu le code de justice administrative ;
…..
Considérant que la responsabilité de l'Etat du fait des lois est susceptible d'être engagée, d'une part, sur
le fondement de l'égalité des citoyens devant les charges publiques, pour assurer la réparation de
préjudices nés de l'adoption d'une loi à la condition que cette loi n'ait pas entendu exclure toute
indemnisation et que le préjudice dont il est demandé réparation, revêtant un caractère grave et spécial,
ne puisse, dès lors, être regardé comme une charge incombant normalement aux intéressés, d'autre part,
en raison des obligations qui sont les siennes pour assurer le respect des conventions internationales par
les autorités publiques, pour réparer l'ensemble des préjudices qui résultent de l'intervention d'une loi
adoptée en méconnaissance des engagements internationaux de la France ;
Considérant que, saisi d'un litige opposant M. Gardedieu à la caisse de retraite des chirurgiens-dentistes
et portant sur le paiement des cotisations prévues par le décret du 27 février 1985 relatif au régime
d'assurance vieillesse complémentaire géré par cette caisse, dont l'intéressé contestait la légalité, le
tribunal des affaires de sécurité sociale de Beauvais a sursis à statuer sur la question préjudicielle dont
dépendait l'instance portée devant lui ; que, par décision du 18 février 1994, le Conseil d'Etat statuant
au contentieux a jugé que ce décret était entaché d'illégalité ; que, toutefois, à la suite de l'intervention
de la loi du 25 juillet 1994 relative à la sécurité sociale dont le IV de l'article 41 dispose que : « sont
validés, sous réserve des décisions de justice devenues définitives, les appels de cotisations du régime
d'assurance vieillesse complémentaire des chirurgiens-dentistes effectués en application du décret n°
85-283 du 27 février 1985 ( ) », le tribunal des affaires de sécurité sociale a en définitive écarté les
prétentions de M. Gardedieu ; que, celui-ci ayant recherché la responsabilité de l'Etat, la cour
administrative d'appel de Paris a, par l'arrêt attaqué, confirmé le jugement du tribunal administratif de
Paris refusant de condamner l'Etat à l'indemniser du préjudice qu'il imputait à l'intervention de cette loi
; que M. Gardedieu demande au Conseil d'Etat, à titre principal, d'annuler cet arrêt en tant qu'il a jugé
que la responsabilité de l'Etat n'était pas engagée à son égard en raison de la contrariété de la loi aux
engagements internationaux de la France et, à titre subsidiaire, en tant que la cour a également rejeté ses
conclusions fondées sur la rupture de l'égalité devant les charges publiques ;
Considérant qu'aux termes du § 1 de l'article 6 de la convention européenne de sauvegarde des droits de
l'homme et des libertés fondamentales : « Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue
équitablement, publiquement et dans un délai raisonnable par un tribunal indépendant et impartial qui
décidera soit des contestations sur ses droits et obligations de caractère civil, soit du bienfondé de toute
accusation en matière pénale dirigée contre elle » ;
Considérant que, pour écarter le moyen tiré de ce que le IV de l'article 41 de la loi du 25 juillet 1994
était incompatible avec ces stipulations, la cour a jugé que la validation litigieuse, qui avait eu pour objet
de préserver l'équilibre financier de la caisse autonome de retraite des chirurgiens-dentistes, était
intervenue dans un but d'intérêt général suffisant ; qu'en statuant ainsi, alors que l'Etat ne peut, sans
méconnaître ces stipulations, porter atteinte au droit de toute personne à un procès équitable en prenant,
au cours d'un procès, des mesures législatives à portée rétroactive dont la conséquence est la validation
des décisions objet du procès, sauf lorsque l'intervention de ces mesures est justifiée par d'impérieux
motifs d'intérêt général, la cour administrative d'appel a commis une erreur de droit ; que, dès lors, et
sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens du pourvoi, M. Gardedieu est fondé à demander
l'annulation des articles 2 et 3 de l'arrêt attaqué ;
Considérant qu'il y a lieu, en application de l'article L. 821-2 du code de justice administrative, de régler
l'affaire au fond ;
Considérant, d'une part, que l'intérêt financier auquel ont entendu répondre les dispositions de l'article
41 de la loi du 25 juillet 1994 ne peut suffire à caractériser un motif impérieux d'intérêt général

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DROIT ET ENTREPRISE 1 / INTRODUCTION GENERALE AU DROIT - 148 -
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permettant de justifier la validation législative des appels de cotisations intervenus sur la base du décret
du 27 février 1985 ; que ces dispositions sont, dès lors, incompatibles avec les stipulations citées plus
haut du §1 de l'article 6 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés
fondamentales et que, par suite, leur intervention est susceptible d'engager la responsabilité de l'Etat ;
que, d'autre part, la validation litigieuse est directement à l'origine du rejet, par le tribunal des affaires
de sécurité sociale de Beauvais, des conclusions de M. Gardedieu tendant à être déchargé des cotisations
qui lui étaient réclamées sur le fondement d'un décret jugé illégal par le Conseil d'Etat ; qu'il suit de là
que le requérant est fondé à demander la condamnation de l'Etat à en réparer les conséquences
dommageables ; que M. Gardedieu est, par suite, fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement
attaqué, le tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande ;
Considérant qu'il résulte de ce qui a été dit ci-dessus que la réparation à laquelle M. Gardedieu peut
prétendre doit être déterminée en tenant compte du montant des cotisations dont le bien-fondé était en
cause dans l'instance l'opposant à sa caisse de retraite ; qu'en l'absence de tout autre élément utile produit
par l'intéressé, il y a lieu de retenir les indications figurant dans le jugement avant dire droit du tribunal
des affaires de sécurité sociale de Beauvais et d'évaluer le préjudice indemnisable à la somme de 2 800
euros ; que M. Gardedieu a droit aux intérêts au taux légal de cette somme à compter du 24 décembre
1996, date de réception de sa demande préalable d'indemnité par le Premier ministre ;
Considérant, enfin, que M. Gardedieu a demandé la capitalisation des intérêts le 5 août 2005 ; qu'à cette
date, il était dû au moins une année d'intérêts ; que, dès lors, il y a lieu de faire droit à cette demande,
tant à cette date qu'à chaque échéance annuelle à compter de cette date ;
Considérant qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de faire application des dispositions de
l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de mettre à la charge de l'Etat le versement à M.
Gardedieu d'une somme de 5 000 euros au titre des frais exposés par lui, tant en première instance qu'en
appel et en cassation ;

DECIDE :

Article 1er : Les articles 2 et 3 de l'arrêt de la cour administrative d'appel de Paris en date du 19 janvier
2005 sont annulés.
Article 2 : Le jugement du tribunal administratif de Paris en date du 9 avril 2002 est annulé.
Article 3 : L'Etat est condamné à verser à M. Gardedieu la somme de 2 800 euros, assortie des intérêts
au taux légal à compter du 24 décembre 1996. Les intérêts échus à la date du 5 août 2005, puis à chaque
échéance annuelle à compter de cette date seront capitalisés pour produire eux-mêmes intérêts.
Article 4 : L'Etat versera la somme de 5 000 euros à M. Gardedieu au titre de l'article L. 761-1 du code
de justice administrative.

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610. Cass. Assemblée plénière 23 janvier 2004, pourvoi n° 03-13617

Sur le moyen unique, pris en ses quatre branches :


Attendu, selon l'arrêt attaqué (Versailles, 6 février 2003), que par acte du 11 janvier 1991, la SCI Le Bas
Noyer a donné à bail à la société Castorama des locaux à usage commercial, pour une durée de douze
années moyennant un loyer annuel de 6 424 663 francs, porté par le jeu des indexations, à 7 255 613
francs au 1er juillet 2000 ; que la société Castorama, lors d'une révision triennale, a saisi le juge des
loyers afin de voir fixer le loyer à la valeur locative ; qu'en cours d'instance, est intervenue la loi n°
2001-1168 du 11 décembre 2001 qui a modifié les articles L. 145-33 et L. 145-38, alinéa 3, du Code de
commerce ; que la société Castorama a soutenu que, conformément à l'interprétation jurisprudentielle
antérieure à cette loi, sa demande de révision était recevable, même en l'absence d'une modification
matérielle des facteurs locaux de commercialité ayant entraîné par elle-même une variation de plus de
10 % de la valeur locative, dès lors que le loyer était supérieur à cette valeur ;
Attendu que la SCI Le Bas Noyer fait grief à l'arrêt d'avoir décidé que la loi du 11 décembre 2001 n'était
pas applicable par le motif que, bien que la loi soit interprétative, son application immédiate heurterait
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le principe d'équité sans que des motifs impérieux d'intérêt général le justifie, d'avoir fait application des
articles L. 145-33 et L. 145-38, alinéa 3, du Code de commerce dans leur rédaction antérieure à cette
loi, et jugé que le loyer révisé ne pouvait excéder la valeur locative, alors, selon le moyen :
1°) que l'édiction d'une loi interprétative, qui se borne à reconnaître, sans rien innover, un droit
préexistant qu'une définition a rendu susceptible de controverses, ne saurait constituer une ingérence du
législateur dans l'administration de la Justice contraire au principe de prééminence du droit et à la notion
de procès équitable ; que la sécurité juridique ne peut en effet fonder un droit acquis à une jurisprudence
figée ni à l'interprétation figée d'une loi ; que la cour d'appel a pourtant écarté l'application de la
disposition interprétative issue de l'article 26 de la loi n° 2001-1168 en date du 11 décembre 2001, qui,
selon elle, heurterait le principe d'équité indispensable au bon déroulement des procès, créerait une
discrimination entre les plaideurs, priverait, en dehors de tout revirement, un des plaideurs d'une victoire
qui ne faisait aucun doute, et mettrait à mal le principe de sécurité juridique ; que la cour d'appel a ainsi
violé l'article 6 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales,
ensemble l'article 2 du Code civil, par fausse application, et l'article L. 145-38, alinéa 3, du Code de
commerce, dans sa rédaction issue de l'article 26 de la loi n° 2001-1168 du 11 décembre 2001, texte
interprétatif, par refus d'application ;
2°) que, si le législateur peut adopter, en matière civile, des dispositions rétroactives, le principe de
prééminence du droit et la notion de procès équitable, consacrés par l'article 6 de la Convention
européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, s'opposent, sauf pour
d'impérieux motifs d'intérêt général, à l'ingérence du pouvoir législatif dans l'administration de la Justice
afin d'influer sur le dénouement judiciaire des litiges, dans lequel l'Etat est partie ; qu'en décidant, pour
statuer sur l'application des dispositions interprétatives issues de l'article 26 de la loi n° 2001-1168 du
11 décembre 2001, que la restriction apportée par la Cour européenne à l'ingérence du pouvoir législatif
dans l'administration de la Justice n'est pas limitée aux cas où l'Etat ou toute autre personne de droit
public serait partie au litige, mais a vocation à s'appliquer à l'ensemble des procédures, la cour d'appel a
violé l'article 6.1 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés
fondamentales ensemble l'article 2 du Code civil, par fausse application, et l'article L. 145-38, alinéa 3,
du Code de commerce, dans sa rédaction issue de l'article 26 de la loi n° 2001-1168 du 11 décembre
2001, texte interprétatif, par refus d'application ;
3°) qu'obéit à d'impérieux motifs d'intérêt général l'intervention du législateur destinée, par l'adoption
de l'article 26 de la loi n° 2001-1168 en date du 11 décembre 2001, à mettre fin à une controverse
juridique de nature à nuire à la sécurité juridique des baux commerciaux et à perturber gravement le
marché immobilier ; que, pour refuser d'appliquer les dispositions interprétatives issues de l'article 26
de la loi n° 2001-1168 en date du 11 décembre 2001, la cour d'appel a pourtant considéré que l'atteinte
portée par la loi au principe d'équité indispensable au bon déroulement des procès n'était pas justifiée
par des motifs impérieux d'intérêt général, la loi du 11 décembre 2001, votée à l'instigation des bailleurs
et n'ayant d'autre objet que de mettre fin à une jurisprudence qui leur déplaisait, ne répondant à aucun
motif d'intérêt général ; qu'en statuant ainsi, la cour d'appel a violé l'article 6.1 de la Convention
européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ensemble l'article 2 du
Code civil, par fausse application, et l'article L. 154-38, alinéa 3, du Code de commerce, dans sa
rédaction issue de l'article 26 de la loi n° 2001-1168 du 11 décembre 2001, texte interprétatif, par refus
d'application ;
4°) que, si le législateur peut adopter, en matière civile, des dispositions rétroactives, le principe de
prééminence du droit et la notion de procès équitable, consacrés par l'article 6 de la Convention
européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, s'opposent, sauf pour
d'impérieux motifs d'intérêt général, à l'ingérence du pouvoir législatif dans l'administration de la Justice
afin d'influer sur le dénouement judiciaire des litiges ; que, pour refuser d'appliquer des dispositions
interprétatives issues de l'article 26 de la loi n° 2001-1168 du 11 décembre 2001, la cour d'appel a
considéré que l'atteinte portée par la loi au principe d'équité indispensable au bon déroulement des
procès n'était pas justifiée par des motifs impérieux d'intérêt général, la loi du 11 décembre 2001, votée
à l'instigation des bailleurs et n'ayant d'autre objet que de mettre fin à une jurisprudence qui leur
déplaisait, ne répondant à aucun motif d'intérêt général ; qu'en statuant ainsi, par des motifs impropres
à caractériser l'absence d'impérieux motifs d'intérêt général, la cour d'appel a à tout le moins privé sa

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DROIT ET ENTREPRISE 1 / INTRODUCTION GENERALE AU DROIT - 150 -
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décision de base légale au regard de l'article 6.1 de la Convention européenne de sauvegarde des droits
de l'homme et des libertés fondamentales ensemble l'article 2 du Code civil ;
Mais attendu que si le législateur peut adopter, en matière civile, des dispositions rétroactives, le principe
de prééminence du droit et la notion de procès équitable consacrés par l'article 6 de la Convention
européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, s'opposent, sauf pour
d'impérieux motifs d'intérêt général, à l'ingérence du pouvoir législatif dans l'administration de la Justice
afin d'influer sur le dénouement judiciaire des litiges ; que cette règle générale s'applique quelle que soit
la qualification formelle donnée à la loi et même lorsque l'Etat n'est pas partie au procès ;
Attendu qu'il ne résulte ni des termes de la loi ni des travaux parlementaires que le législateur ait entendu
répondre à un impérieux motif d'intérêt général pour corriger l'interprétation juridictionnelle de l'article
L. 145-38 du Code de commerce et donner à cette loi nouvelle une portée rétroactive dans le but d'influer
sur le dénouement des litiges en cours ; que dès lors, la cour d'appel, peu important qu'elle ait qualifié
la loi nouvelle d'interprétative, a décidé à bon droit d'en écarter l'application ; que par ces motifs
substitués à ceux de la décision attaquée, l'arrêt se trouve justifié ;

Retour
PAR CES MOTIFS : REJETTE le pourvoi.
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611. Cass. soc. 25 février 2004, n° 414, pourvoi n° 02-41306

Vu le principe fondamental de libre exercice d'une activité professionnelle, ensemble l'article L. 120-2
du Code du travail ;
Attendu que la société Samse, entreprise de négoce de matériaux de construction, a engagé le 29 mai
1974 M. Perruchietti en qualité de chef de dépôt ; qu'à l'occasion de son affectation à son établissement
d'Annecy, les parties ont signé, le 26 octobre 1990, un contrat de travail comportant une clause de non-
concurrence interdisant au salarié, en cas de résiliation du contrat, de « s'intéresser à une affaire
concurrente » dans un rayon de 50 kilomètres, pendant une durée de 2 ans ; qu'ayant donné sa démission,
le salarié est entré au service de la société Chambéry Matériaux ; que la société Samse a alors saisi le
conseil de prud'hommes d'une demande en paiement de dommages-intérêts pour violation de la clause
de non-concurrence ; que le salarié a fait valoir que cette clause, qui ne comportait pas l'obligation pour
l'employeur de lui verser une contrepartie financière, était nulle ;
Attendu que l'employeur soutient que le moyen tendant à l'application à la présente instance de la
jurisprudence de la chambre sociale de la Cour de cassation du 10 juillet 2002 relative à la nullité des
clauses de non-concurrence qui ne comportent pas de contrepartie financière, porte atteinte au principe
fondamental de sécurité juridique, la validité d'une convention ne devant être appréciée qu'au regard des
règles de droit applicables au jour de sa conclusion et non pas au regard des règles fixées postérieurement
par la loi ou la jurisprudence ;
Mais attendu que la sécurité juridique ainsi invoquée ne saurait consacrer un droit acquis à une
jurisprudence immuable, l'évolution de la jurisprudence relevant de l'office du juge dans l'application
du droit ;
Et attendu qu'une clause de non-concurrence n'est licite que si elle est indispensable à la protection des
intérêts légitimes de l'entreprise, limitée dans le temps et dans l'espace, qu'elle tient compte des
spécificités de l'emploi du salarié et comporte l'obligation pour l'employeur de verser au salarié une
contrepartie financière, ces conditions étant cumulatives ;
Attendu que, pour déclarer licite la clause de non-concurrence et en limiter les effets, la cour d'appel
énonce que l'existence d'une compensation financière en faveur du salarié n'est pas une cause de validité
de la clause ;
Qu'en statuant ainsi, alors que l'absence de contrepartie financière rendait la clause illicite, la cour
d'appel a violé le principe ci-dessus énoncé et le texte susvisé ;
Et attendu qu'il y a lieu de faire application de l'article 627 du nouveau Code de procédure civile, la
cassation encourue n'impliquant pas qu'il soit à nouveau statué au fond du chef de la violation de la
clause de non-concurrence ;

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DROIT ET ENTREPRISE 1 / INTRODUCTION GENERALE AU DROIT - 151 -
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PAR CES MOTIFS : CASSE ET ANNULE, dans toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 20 décembre
2001, entre les parties, par la cour d'appel de Chambéry. Retour
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612. Cass. Assemblée plénière 29 juin 2007, n° 559, pourvoi n° 06-18141

[Le comité régional de rugby du Périgord-Agenais, le comité régional de rugby d'Armagnac-Bigorre et


la société La Sauvegarde se sont pourvus en cassation contre l'arrêt de la cour d'appel d'Agen en date du
20 novembre 2002. Cet arrêt a été cassé le 13 mai 2004 par la deuxième chambre civile de la Cour de
cassation. La cause et les parties ont été renvoyées devant la cour d'appel de Bordeaux qui, saisie de la
même affaire, a statué par arrêt du 4 juillet 2006 dans le même sens que la cour d'appel d'Agen par des
motifs qui sont en opposition avec la doctrine de l'arrêt de cassation. M. le premier président a, par
ordonnance du 20 février 2007, renvoyé la cause et les parties devant l'assemblée plénière.]

Sur le moyen unique :

Vu l'article 1384, alinéa 1er, du code civil ;

Attendu que les associations sportives ayant pour mission d'organiser, de diriger et de contrôler l'activité
de leurs membres, sont responsables des dommages qu'ils causent à cette occasion, dès lors qu'une faute
caractérisée par une violation des règles du jeu est imputable à un ou plusieurs de leurs membres, même
non identifiés ;

Attendu, selon l'arrêt attaqué rendu sur renvoi après cassation (Civ. 2, 13 mai 2004, Bull. 2004, II,
n° 232) que M. X..., participant à un match de rugby organisé par le comité régional de rugby du
Périgord-Agenais, dont il était adhérent, et le comité régional de rugby d'Armagnac-Bigorre, a été
grièvement blessé lors de la mise en place d'une mêlée ; qu'il a assigné en réparation sur le fondement
de l'article 1384, alinéa 1er, du code civil les comités et leur assureur commun, la société La Sauvegarde,
en présence de la caisse primaire d'assurance maladie du Lot-et-Garonne ;

Attendu que pour déclarer les comités responsables et les condamner à indemniser M. X..., l'arrêt retient
qu'il suffit à la victime de rapporter la preuve du fait dommageable et qu'elle y parvient en démontrant
que les blessures ont été causées par l'effondrement d'une mêlée, au cours d'un match organisé par les
comités, que l'indétermination des circonstances de l'accident et l'absence de violation des règles du jeu
ou de faute établie sont sans incidence sur la responsabilité des comités dès lors que ceux-ci ne prouvent
l'existence ni d'une cause étrangère ni d'un fait de la victime ;

Qu'en statuant ainsi, alors qu'elle était tenue de relever l'existence d'une faute caractérisée par une
violation des règles du jeu commise par un ou plusieurs joueurs, même non identifiés, la cour d'appel a
violé le texte susvisé ;

PAR CES MOTIFS : CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 4 juillet 2006,
entre les parties, par la cour d'appel de Bordeaux ; remet, en conséquence, la cause et les parties dans
l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de
Toulouse. Retour

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613. Cass. civ. 2e 28 juin 2007, pourvoi n° 06-10025

Sur le moyen unique :

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Attendu selon l'arrêt attaqué (Aix-en-Provence, 30 juin 2005) que la société Agrivo est propriétaire de
locaux situés au premier étage de l'immeuble sis à Antibes, 12-14 boulevard Albert 1er, qu'elle a donnés
à bail à la société civile professionnelle Agostini et Rivaux, ophtalmologistes associés ; qu'après avoir
fait constater par acte d'huissier de justice que le locataire des époux X..., propriétaires des locaux situés
au rez-de-chaussée de l'immeuble, avait fait installer sur la façade des enseignes lumineuses qui étaient
source de propagation continue et violente de lumière dans les salles d'auscultation, elle a fait assigner
les époux X..., en présence du syndicat des copropriétaires, devant le tribunal de grande instance pour
voir constater que les enseignes créaient un trouble anormal du voisinage et pour voir condamner les
époux X... à déposer celles-ci et à l'indemniser de son préjudice ; que par jugement du 21 janvier 2000,
le tribunal a condamné les époux X... à procéder à la dépose des enseignes, sous astreinte, et a alloué à
la société Agrivo une certaine somme à titre de dommages-intérêts ; que les époux X... ont interjeté
appel du jugement en faisant notamment valoir que l'enseigne lumineuse avait été retirée au départ de
leur locataire et remplacée, dans l'intérêt de leur nouveau locataire, par un simple panneau qui ne
provoquait plus de gêne pour l'activité des médecins ;
Attendu que les époux X... font grief à l'arrêt de les avoir condamnés à retirer ou faire retirer, dans les
10 jours de la signification de l'arrêt, et passé ce délai, sous astreinte, les enseignes installées avec la
mention Bazar du Sud, ainsi que l'ensemble de l'installation alors, selon le moyen, que l'existence d'un
trouble anormal de voisinage suppose le constat, par le juge, non seulement de l'anormalité du trouble
mais également du préjudice personnel qui en découle pour la victime ; que dès lors, en se bornant à
affirmer, pour ordonner sous astreinte le retrait des enseignes Bazar du Sud, que ces panneaux avaient
une taille excessive et un emplacement illicite, sans rechercher si les sociétés Agrivo et Agostini Rivaud,
qui avaient initialement demandé le retrait d'enseignes lumineuses gênant l'activité du cabinet
d'ophtalmologie installé au premier étage, continuaient à subir un dommage quelconque depuis le retrait
de ces enseignes et leur remplacement par les simples panonceaux du nouvel exploitant des locaux
commerciaux sis au rez-de-chaussée, la cour d'appel, qui n'a pas caractérisé l'existence d'un dommage
personnel causé aux demanderesses, a privé sa décision de base légale au regard du principe selon lequel
nul ne doit causer à autrui un trouble anormal du voisinage ;
Mais attendu que l'arrêt retient que même si les troubles provoqués par l'enseigne lumineuse ont cessé,
se continue et se pérennise une situation excédant les inconvénients normaux du voisinage en raison de
la taille excessive des panneaux et de leur emplacement illicite ;
Qu'en l'état de ces constatations et énonciations procédant de son appréciation souveraine de la valeur
et de la portée des éléments de preuve soumis au débat, la cour d'appel a légalement justifié sa décision
;

Retour
PAR CES MOTIFS : REJETTE le pourvoi
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614. Cass. civ. 1e 2 mai 2001, pourvoi n° 99-10709

Sur le premier moyen, pris en sa première branche, et le deuxième moyen, pris en sa troisième branche
:
Vu l'article 544 du Code civil ;
Attendu que le Comité régional de tourisme de Bretagne (le CRT) a utilisé à des fins de publicité un
cliché dont il avait acquis le droit de reproduction de M. Plisson, photographe professionnel ; que cette
image représente l'estuaire du Trieux, avec, au premier plan, l'îlot de Roch Arhon, propriété de la société
civile immobilière du même nom, et a été diffusée malgré l'opposition de celle-ci ;
Attendu que pour accueillir la demande de la SCI en interdiction de cette reproduction, l'arrêt attaqué
énonce que les droits invoqués par le CRT et M. Plisson trouvent leurs limites dans la protection du
droit de propriété de la SCI, à la mesure des abus inhérents à l'exploitation d'une représentation de son
bien à des fins commerciales et avec une publicité importante, que l'île est le sujet essentiel de l'image,
et que la photographie est utilisée sous la forme d'une affiche à grande diffusion, au titre d'une campagne
publicitaire destinée à la promotion du tourisme ;

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DROIT ET ENTREPRISE 1 / INTRODUCTION GENERALE AU DROIT - 153 -
Emmanuel TERRIER et Isabelle TOSI-DUPRIET / 2015-2016
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Attendu qu'en se déterminant ainsi, sans préciser en quoi l'exploitation de la photographie par les
titulaires du droit incorporel de son auteur portait un trouble certain au droit d'usage ou de jouissance du
propriétaire, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision ;
Mais sur le troisième moyen :
Vu l'article 31 du nouveau Code de procédure civile ;
Attendu que, hors habilitation législative, une association ne peut agir en justice au nom d'intérêts
collectifs qu'autant que ceux-ci entrent dans son objet ;
Attendu que pour dire recevable et fondée l'intervention de l'association Les Petites Iles de France l'arrêt
relève que la SCI Roch Arhon en est membre et qu'il faut considérer « les incidences que peut présenter
la solution du litige au regard des intérêts collectifs qu'elle défend, en particulier la préservation de sites
dont l'environnement peut être menacé par les excès ou le nombre de touristes attirés sur les lieux du
fait de la publicité autour de leur image » ;
Qu'en statuant ainsi, après avoir énoncé qu'aux termes de ses statuts l'association dont s'agit veille à la
protection du patrimoine foncier constitué par ces îles, à la conservation d'un environnement
particulièrement fragile, et, plus largement traite de toutes questions d'intérêt commun aux propriétaires
de ces îles, au niveau national ou local, l'arrêt a méconnu le principe de spécialité et violé le texte visé
au moyen ;
Et attendu qu'il y a lieu à cassation sans renvoi du chef de l'intervention de l'association Les Petites Iles
de France, la Cour de Cassation, en application de l'article 627, alinéa 2, du nouveau Code de procédure
civile, pouvant mettre fin au litige sur cette intervention en appliquant la règle de droit appropriée ;

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres branches des premier et deuxième
moyens : CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 24 novembre 1998, entre les
parties, par la cour d'appel de Rennes. Retour
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615. Cass. civ. 1e 5 juillet 2005, pourvoi n° 02-21452

Sur le moyen unique :


Attendu, selon l'arrêt attaqué (Paris, 19 février 2002) que la société Flohic éditions a publié, dans un
tome d'une collection intitulée « Le patrimoine des communes de France », la photographie d'une
maison du XVIIIe siècle, accompagnée de précisions localisatrices, historiques et architecturales ; que
Mlles Marie-Laure et Marie-France X..., soeurs et copropriétaires de l'immeuble, dont le consentement
préalable à l'utilisation de cette image n'avait pas été sollicité, ont assigné ladite société en dommages-
intérêts ;
Attendu que les soeurs X... font grief à la cour d'appel d'avoir rejeté leurs prétentions, alors que, selon
le moyen, la propriété est le droit de jouir et disposer des choses de la manière la plus absolue, le
propriétaire ayant seul le droit d'exploiter son bien sous quelque forme que ce soit, et que l'exploitation
du bien par un tiers, sous la forme de photographie, porte atteinte au droit de jouissance du propriétaire
et qu'en décidant du contraire la cour d'appel a directement violé l'article 544 du Code civil ;
Mais attendu que le propriétaire d'une chose, qui ne dispose pas d'un droit exclusif sur l'image de celle-
ci, ne peut s'opposer à l'utilisation du cliché par un tiers que si elle lui cause un trouble anormal ;
que la cour d'appel, qui a relevé que les soeurs X... ne versaient pas aux débats le moindre élément
propre à établir que la reproduction litigieuse perturbait leur tranquillité et intimité ou que les indications
de situation géographique, non critiquées par le moyen sous l'angle de la vie privée, permettaient de
redouter en l'espèce un trouble quelconque, a ainsi légalement justifié sa décision ;

PAR CES MOTIFS : REJETTE le pourvoi.


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616. Cass. civ. 3e 30 mai 1996, pourvoi n° 94-15828

Vu l'article 1134 du Code civil ;

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DROIT ET ENTREPRISE 1 / INTRODUCTION GENERALE AU DROIT - 154 -
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ANNEXES
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Attendu, selon l'arrêt attaqué (Paris, 22 février 1994), que la société Bernard Paoli Conseil a pris à bail,
de la société des Bourdonnais, des locaux à usage de bureau situés dans un immeuble en copropriété
dont la rénovation était en cours; que les parties sont convenues que la locataire ne pourrait être
indemnisée du préjudice que lui causerait la durée des travaux dans les parties communes; qu'invoquant
la lenteur de leur exécution, la société Bernard Paoli Conseil a assigné la société des Bourdonnais en
réparation de son préjudice ;
Attendu que, pour condamner la société des Bourdonnais à rembourser à la société Bernard Paoli
Conseil une partie des loyers qu'elle avait déjà réglés et réduire le montant de ceux qui devaient courir
jusqu'à l'achèvement des travaux, l'arrêt retient que le préjudice de la locataire tient à la charge d'un
loyer initial manifestement surévalué, ne correspondant pas au service rendu lors de l'entrée dans les
lieux ;
Qu'en statuant ainsi, la cour d'appel a violé le texte susvisé ;

PAR CES MOTIFS : CASSE ET ANNULE, dans toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 22 février
1994, entre les parties, par la cour d'appel de Paris.

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617. Cass. soc. 30 juin 2004, n° 1490, pourvoi n° 02-41771

Attendu que Mme Pennequin, salariée de la société Segec depuis le 10 juillet 1989 en qualité d'assistante
de révision, a été licenciée le 4 février 1994 pour faute lourde : « inobservation de l'obligation de
discrétion absolue et secret professionnel, vol de documents couverts par le secret professionnel,
rétention de documents, caractère difficile et esprit d'opposition permanente avec intention de nuire » ;
qu'elle a saisi le conseil de prud’hommes de diverses demandes ;
que deux arrêts ont été rendus successivement par la cour d'appel de Colmar ; que, par arrêt du 30 avril
2001, elle a condamné la société Segec à payer à Mme Pennequin des sommes au titre des heures
supplémentaires 1989, 1990, 1991, 1992, 1993 et des congés payés afférents ; que, par arrêt du 5 mai
2004, la chambre sociale de la Cour de Cassation a rejeté le pourvoi principal de la salariée (G 01-
43.918) et le pourvoi incident de l'employeur contre cet arrêt ; que l'arrêt du 14 janvier 2002 de la cour
d'appel de Colmar fait l'objet de deux pourvois principaux de la salariée (Q 02-41.720) et de l'employeur
(V 02-41.771) susvisés ;
….
Sur le moyen unique du pourvoi n° V 02-41.771 de l'employeur :
Attendu que l'employeur fait grief à l'arrêt attaqué d'avoir dit que le licenciement de la salariée ne
reposait ni sur une faute lourde, ni sur une faute grave, ni sur une cause réelle et sérieuse de licenciement
et d'avoir condamné la société au paiement de diverses sommes à ce titre, alors, selon le moyen :
1°) que la cour d'appel qui, tout en ne contestant pas que la salariée ait méconnu l'obligation de discrétion
et de secret professionnel qui pesait sur elle, ni qu'elle ait volé des documents couverts par ce secret,
conservé ces documents puis refusé de les restituer, a néanmoins considéré que l'intention de nuire n'était
pas caractérisée et que la qualification de faute lourde devait, en conséquence, être écartée, n'a pas tiré
les conséquences légales de ses constatations et violé l'article L. 223-14 du Code du travail ;
2°) que la qualification de faute grave doit être retenue s'agissant d'une salariée ayant versé aux débats
d'une instance prud'homale des documents couverts par le secret professionnel ; qu'en affirmant, dès
lors, que la violation des obligations mises à la charge de la salariée tant par son contrat de travail que
par la convention collective était justifiée par la nécessité de remettre à ses défenseurs les documents
litigieux, et qu'en conséquence les faits reprochés à la salariée ne constituaient ni une faute lourde, ni
une faute grave, ni même une cause réelle et sérieuse de licenciement, la cour d'appel a violé l'article L.
122-6 du Code du travail ;
Mais attendu qu'un salarié, lorsque cela est strictement nécessaire à l'exercice des droits de sa défense
dans le litige l'opposant à son employeur, peut produire en justice des documents dont il a eu
connaissance à l'occasion de ses fonctions ; que les énonciations de l'arrêt attaqué caractérisant cette
nécessité, le moyen ne peut être accueilli ;
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DROIT ET ENTREPRISE 1 / INTRODUCTION GENERALE AU DROIT - 155 -
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ANNEXES
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PAR CES MOTIFS : REJETTE les pourvois. Retour


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618. Cass. soc. 7 juin 2006, n° 1459, pourvoi n° 04-43866

Sur le moyen unique, pris en sa première branche :


Vu l'article L. 432-2-1 du code du travail ;
Attendu que si l'employeur a le droit de contrôler et de surveiller l'activité de son personnel durant le
temps de travail, il ne peut mettre en oeuvre un dispositif de contrôle qui n'a pas fait l'objet,
préalablement à son introduction, d'une information et d'une consultation du comité d'entreprise ;
Attendu que M. Girouard, engagé le 3 août 1970 en qualité d'employé de commerce, a été licencié pour
faute grave le 1er juin 2000 par son employeur, la société Continent France groupe Carrefour ;
Attendu que pour dire le licenciement fondé sur une faute grave, la cour d'appel a déclaré recevable la
production d'un enregistrement du salarié effectué par l'employeur à l'aide d'une caméra de vidéo
surveillance, estimant qu'il ne pouvait être sérieusement prétendu que le salarié ignorait l'existence de
caméras vidéo destinées à détecter les vols perpétrés dans l'entreprise et utilisées depuis 1996 ainsi qu'il
ressort de la consultation du CHSCT produite par l'employeur et annoncée par des affichettes dans le
magasin ;
Qu'en statuant ainsi, alors qu'elle avait constaté que le système de vidéo surveillance de la clientèle mis
en place par l'employeur était également utilisé par celui-ci pour contrôler ses salariés sans information
et consultation préalables du comité d'entreprise, en sorte que les enregistrements du salarié constituaient
un moyen de preuve illicite, la cour d'appel a violé le texte susvisé ;

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autre branches du moyen : CASSE ET
ANNULE, dans toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 24 octobre 2003, entre les parties, par la cour
d'appel de Bourges ; remet, en conséquence, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant
ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel d'Orléans.

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619. Cass. soc. 9 juillet 2008, pourvoi n° 06-45800

Attendu, selon l'arrêt attaqué que M. Laneque, engagé le 1er juillet 1991 par la société Entreprise Martin
en qualité d'ingénieur est devenu responsable de production et de contrôle informatique ; qu'il a été
licencié pour faute grave le 24 février 2004 ;
Sur le premier moyen :
Attendu que M. Laneque fait grief à l'arrêt d'avoir jugé son licenciement fondé sur une faute grave, alors,
selon le moyen :
1°) qu'il résulte de l'article 8 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des
libertés fondamentales, de l'article 9 du code civil, de l'article 9 du code de procédure civile et de l'article
L. 120-2 du code du travail que le salarié a droit, même au temps et au lieu de travail, au respect de
l'intimité de sa vie privée ; celle-ci implique en particulier le secret de ses communications ; que
l'employeur ne peut dès lors sans violation de cette liberté fondamentale prendre connaissance des sites
internet consultés par le salarié grâce à un outil informatique mis à sa disposition pour son travail ; qu'en
l'espèce, la cour d'appel retient, pour décider que licenciement de M. Laneque est justifié par une faute
grave, notamment que le salarié a utilisé l'outil informatique mis à sa disposition par l'employeur à des
fins personnelles et abusives ; qu'elle s'est fondée pour établir ce comportement sur les sites internet
consultés par le salarié, ce que l'employeur a découvert en inspectant l'ordinateur mis à la disposition du
salarié par la société ; qu'en statuant ainsi, la cour d'appel viole les textes susvisés ;

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DROIT ET ENTREPRISE 1 / INTRODUCTION GENERALE AU DROIT - 156 -
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ANNEXES
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2°) qu'en toute hypothèse, il résulte de ces mêmes textes que, sauf risque ou événement particulier,
l'employeur ne peut rechercher les sites internet consultés par un salarié en inspectant le disque dur de
l'ordinateur mis à sa disposition par la société qu'en présence de ce dernier ou celui-ci dûment appelé ;
qu'en l'espèce, la cour d'appel, pour déclarer la faute grave de M. Laneque établie, se fonde sur le
contrôle effectué à l'insu du salarié par la direction de l'entreprise Martin sur le disque dur de son
ordinateur et sur une expertise effectuée également en l'absence du salarié ; qu'en statuant ainsi, la cour
d'appel viole les textes susvisés ;
Mais attendu que les connexions établies par un salarié sur des sites Internet pendant son temps de travail
grâce à l'outil informatique mis à sa disposition par son employeur pour l'exécution de son travail sont
présumées avoir un caractère professionnel de sorte que l'employeur peut les rechercher aux fins de les
identifier, hors de sa présence ; que le moyen n'est pas fondé ;
….
Retour
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620. Cass. soc. 23 mai 2007, n° 1145, pourvoi n° 06-43209

Attendu, selon l'arrêt attaqué (Agen, 5 avril 2006), rendu sur renvoi après cassation (chambre sociale,
20 avril 2005, pourvoi n° Y 3 41-916), que Mme Lecomme, négociatrice immobilière à la SCP Laville,
Toussaint et Aragon devenue SCP Laville , Aragon, Fournié, titulaire d'un office notarial, a été licenciée
pour faute grave le 23 août 2000 ; qu'elle a saisi le conseil de prud'hommes en contestant son
licenciement et en faisant état d'un harcèlement sexuel ;
……
Sur le second moyen :
Attendu que la SCP notariale et M. Laville font grief à l'arrêt d'avoir déclaré établi le harcèlement sexuel
de la salariée et de lui avoir alloué une somme à ce titre, alors selon le moyen :
1°) que l'enregistrement et la reconstitution d'une conversation ainsi que la retranscription de messages,
lorsqu'ils sont effectués à l'insu de leur auteur, constituent des procédés déloyaux rendant irrecevables
en justice les preuves ainsi obtenues; que, dès lors, en se fondant sur des messages téléphoniques d'août
1998 reconstitués et retranscrits par un huissier à l'insu de leur auteur et sur l'enregistrement d'un
entretien d'avril 2000 effectué par la salariée sur une microcassette à l'insu de son employeur, la cour
d'appel a violé les articles 9 du nouveau code de procédure civile et 6 de la Convention de sauvegarde
des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
2°) qu'en imposant à M. Laville de rapporter la preuve qu'il n'était pas l'auteur des messages envoyés à
partir de son téléphone portable, la cour d'appel a inversé la charge de la preuve et violé l'article 1315
du code civil ;
3°) que le juge ne peut statuer par voie de pure affirmation ;
que, dès lors, en se fondant sur ce que les pressions de M. Laville s'étaient « traduites par un état
dépressif de la salariée », « qu'à compter de la mi-juin elle a été informée qu'elle n'avait plus de bureau
et que le harcèlement avait eu des conséquences sur les conditions de travail de la salariée et son état de
santé », sans analyser ni même préciser les pièces dont elle déduisait ces affirmations, la cour d'appel a
violé l'article 455 du nouveau code de procédure civile ;
Mais attendu que si l'enregistrement d'une conversation téléphonique privée, effectué à l'insu de l'auteur
des propos invoqués, est un procédé déloyal rendant irrecevable en justice la preuve ainsi obtenue, il
n'en est pas de même de l'utilisation par le destinataire des messages écrits téléphoniquement adressés,
dits S.M.S., dont l'auteur ne peut ignorer qu'ils sont enregistrés par l'appareil récepteur ;
Et attendu qu'abstraction faite du motif surabondant tiré de l'enregistrement d'une conversation
téléphonique ultérieure, la cour d'appel a constaté, par une appréciation souveraine, que les messages
écrits adressés téléphoniquement à la salariée le 24 août 1998 et les autres éléments de preuve soumis à
son examen établissaient l'existence d'un harcèlement ;
D'où il suit que le moyen n'est pas fondé ;

PAR CES MOTIFS : REJETTE le pourvoi. Retour


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ANNEXES
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621. Cass. civ. 1e 7 février 2006, pourvoi n° 04-10941

Attendu que depuis les années 1980, la commune de Kerlouan (Finistère) et son port de Ménéham sont
le théâtre d'actes périodiques de vandalisme, imputés à un individu jamais identifié et surnommé
localement « le renard » ; que ces événements ont fait l'objet de reportages dans la presse locale, écrite
et télévisuelle ; qu'un roman policier, intitulé « Le renard des grèves », dont l'auteur est M. Jean X..., a
été publié par la société Sedim éditions du Palémon en novembre 2003 ; que s'y trouvent mis en scène
en Bretagne, au village fictif de « Kerlaouen » et dans son port de « Meznam », des lieux, personnages
et faits dont la similitude avec les incidents réellement survenus, la population et les personnes un temps
soupçonnées a été recherchée par l'auteur qui mêle des épisodes réels de leur vie et une histoire inventée
;
que dans ce contexte et à diverses reprises, le livre présente comme une ancienne prostituée une femme
répondant au nom de Gabrielle Z... ; que, prétendant que maints détails la rattachent directement, sans
confusion ni ambiguïté possible pour un lecteur informé de l'affaire, à ce personnage, Mme Y...,
habitante de Kerlouan, a assigné en référé l'auteur et l'éditeur pour allégations mensongères et
attentatoires à sa vie privée ; que la cour d'appel, accueillant la demande, a ordonné la suppression des
quatre passages comportant les imputations dénoncées ;
Attendu que M. Jean X... et la société Sedim éditions du Palémon font grief à l'arrêt attaqué (Rennes,
12 décembre 2003) d'avoir ainsi statué alors, selon le pourvoi, que la narration d'un événement purement
fictif, intervenant dans la vie de l'un des personnages imaginaires d'une oeuvre de fiction qui, tout en
étant inspiré d'un fait réel, n'a aucunement vocation à passer pour vraie, ressortit à la liberté de création
de l'auteur et ne saurait être constitutive d'une atteinte à la vie privée de la personne qui croit pouvoir
s'identifier au personnage ; qu'une telle narration ne pourrait être éventuellement sanctionnée qu'au titre
d'un abus de la liberté d'expression et de création sur le fondement exclusif des dispositions de la loi du
29 juillet 1881 ; qu'en l'espèce, Madame Y... ne soutenait avoir subi une prétendue atteinte à sa vie
privée que dans la mesure ou elle serait identifiable au personnage de Gabrielle Z..., imaginée par M.
X... dans son livre en victime de rumeurs relatives à son hypothétique passé de prostituée ; qu'en
déclarant cependant bien fondée l'action de Mme Y..., tout en constatant pourtant que ces éléments,
intégrés dans un roman policier, étaient « fictifs », et partant insusceptibles de porter atteinte à la vie
privée de celle-ci, la cour d'appel a violé par fausse application l'article 9 du Code civil, ensemble la loi
du 29 juillet 1881 et les articles 8 et 10 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de
l'homme et des libertés fondamentales ;
Mais attendu que les abus de la liberté d'expression qui portent atteinte à la vie privée peuvent être
réparés sur le fondement de l'article 9 du Code civil ; qu'après avoir souverainement relevé l'amalgame
auquel conduisait nécessairement les divers points de similitudes, dûment rapportés, entre le personnage
du roman et l'intéressée, la cour d'appel a exactement retenu qu'une oeuvre de fiction, appuyée en
l'occurrence sur des faits réels, si elle utilise des éléments de l'existence d'autrui, ne peut leur en
adjoindre d'autres qui, fussent-ils imaginaires, portent atteinte au respect dû à sa vie privée ; que le
moyen n'est pas fondé ;

PAR CES MOTIFS : REJETTE les pourvois.Retour


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622. Cass. civ. 1e 14 juin 2007, pourvoi n° 06-13601

Vu les articles 9 du code civil et 8-1 de la Convention européenne des droits de l'homme ;
Attendu qu'au mois de décembre 1997 et avec l'autorisation de M. Ahmed X... leur représentant légal,
M. Mohamed X... et Mme Amal X..., alors âgés de 13 et 11 ans, tous deux atteints d'une grave maladie
neuromusculaire justifiant un taux d'invalidité reconnu de 80 %, ont participé à l'émission de télévision
« Téléthon » ; que l'objet de cette dernière est, par son audience nationale, de permettre à des enfants
ainsi atteints de révéler leur mal en se présentant devant un public étendu pour le sensibiliser au
financement de la recherche thérapeutique sur les pathologies concernées ; que pendant le cours de
l'émission et sans leur accord ni celui de M. Ahmed X..., une photographie des deux mineurs, les
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représentant en gros plan sur le plateau de télévision, assis dans leurs fauteuils roulants, l'aîné répondant
aux questions de l'animateur, prise par la société Agence Rapho, s'est trouvée reproduite, en 1999, dans
le manuel scolaire « Sciences de la vie et de la terre. Classe de troisième » de la société Editions Belin,
au sein du chapitre « Les chromosomes et les gênes, paragraphe « Des maladies héréditaires », et
assortie du commentaire : « Chaque année, une émission de télévision, le Téléthon rassemble des enfants
atteints de maladies héréditaires » ; que M. X..., agissant en qualité de représentant légal et invoquant
une atteinte portée au droit des deux enfants sur leur image et leur vie privée, a assigné les deux sociétés
Agence Rapho et Editions Belin en paiement de dommages-intérêts et cessation de toute diffusion de la
photographie contestée, M. Mohamed X..., devenu majeur, ayant repris l'instance en son nom personnel
;
Attendu que pour débouter les consorts X..., l'arrêt retient, par motifs propres et adoptés, que la
participation volontaire des malades à l'émission dont s'agit implique leur désir d'en servir la cause en
s'abstrayant de leur vie privée pour diffuser leur image le plus largement possible, et que le cliché
litigieux dont la reproduction est dénoncée, aucunement sorti du contexte dans lequel il a été réalisé, et
exempt de toute dégradation dévalorisation ou dénaturation de la personnalité des enfants représentés,
poursuit toujours le but recherché par eux, savoir l'information sur l'existence des maladies concernées
;
Qu'en statuant ainsi, alors, d'une part, que la publication de l'image dont s'agit, utilisée dans une
perspective différente de celle pour laquelle elle avait été réalisée, exigeait le consentement spécial des
intéressés, et, d'autre part, que l'illustration d'une étude d'intérêt général, qui dispense d'un tel
consentement, n'implique pas nécessairement que les personnes représentées soient identifiables, la cour
d'appel a violé les textes susvisés ;

PAR CES MOTIFS : CASSE ET ANNULE, dans toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 10 mai 2005,
entre les parties, par la cour d'appel de Nîmes. Retour
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623. Cass. civ. 1e 27 février 2007, pourvoi n° 06-10393

Attendu que dans son numéro 2920 daté du 5 mai 2005, l'hebdomadaire Paris-Match a publié, en ses
pages 50 à 59, un entretien avec Mme X..., consacré à la révélation de la naissance d'un garçon
prénommé Alexandre, et présenté comme issu de ses relations intimes avec Albert Y..., prince de
Monaco ; que le texte est illustré de plusieurs photographies représentant celui-ci avec celui-là ; que ces
développements sont annoncés en gros caractères dès la couverture, sous le titre « Albert de Monaco :
Alexandre, l'enfant secret, Nicole, sa mère raconte leur longue histoire » ; que le prince Albert, arguant
d'atteinte à ses droits sur sa vie privée et son image, a assigné la société Hachette Filipacchi (la société),
éditrice du journal, et Mme Z..., directrice de la publication ; que l'arrêt confirmatif attaqué, accueillant
la demande, a condamné la société au paiement de dommages-intérêts et à la publication de la décision
;
…….
Sur le second moyen, pris en ses trois branches :
Attendu qu'il est aussi fait grief à l'arrêt d'avoir violé les articles 9 du code civil et 10 de la Convention
européenne des droits de l'homme, dès lors que la révélation dans l'article incriminé de la paternité
d'Albert de Monaco, souverain régnant depuis avril 2005 sur une principauté pratiquant la transmission
héréditaire du pouvoir, concernait la vie publique en raison des fonctions de l'intéressé, et était ainsi
justifiée par les nécessités de l'information et le droit du lectorat sur celle-ci, sans que l'on puisse
reprocher par ailleurs ni des digressions diverses, anodines et seulement destinées à mettre la nouvelle
en perspective, ni l'adjonction de photographies, remises par Mme X..., prises au soutien de l'événement,
et en relation directe avec lui ;
Mais attendu que toute personne, quel que soit son rang, sa naissance, sa fortune, ses fonctions présentes
ou à venir a droit au respect de sa vie privée ; que l'arrêt relève d'une part que, à la date de la parution
de l'article, l'existence et la filiation de l'enfant étaient inconnues du public, que d'autre part, la
constitution de la principauté exclut que, né hors mariage, il puisse accéder au trône, situation que, du
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DROIT ET ENTREPRISE 1 / INTRODUCTION GENERALE AU DROIT - 159 -
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reste, les conclusions de la société ne soutenaient ni être en débat dans les sociétés française ou
monégasque, ni être étudiée par la publication litigieuse, et, enfin, que l'article comportait de nombreuses
digressions sur les circonstances de la rencontre et de la liaison de Mme X... et du prince Albert, les
réactions de celui-ci à l'annonce de la grossesse et son comportement ultérieur à l'égard de l'enfant ;
qu'au vu de ces constatations et énonciations, la cour d'appel a exactement retenu l'absence de tout fait
d'actualité comme de tout débat d'intérêt général dont l'information légitime du public aurait justifié qu'il
fût rendu compte au moment de la publication litigieuse ; que par ailleurs, la publication de
photographies représentant une personne pour illustrer des développements attentatoires à sa vie privée
porte nécessairement atteinte à son droit au respect de son image ;

Retour
PAR CES MOTIFS : REJETTE le pourvoi.
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624. Cass. civ. 1e 15 mai 2007, pourvoi n° 06-18448

Attendu que dans son numéro 130, paru en mai 2003, l'hebdomadaire « Entrevue » a publié un article
intitulé « Personnel licencié, direction augmentée, que les gros salaires lèvent le doigt », consacré à un
« plan social » adopté par la société de télévision « Canal + » visant à réduire les dépenses, et à la grève
suscitée par cette initiative ; que, comportant le montant des salaires perçus en janvier et février 2003
par trente-trois personnes, nommément désignées, il met en évidence des multiplications des
rémunérations par deux, trois voire dix d'un mois sur l'autre, tandis que certaines subissent d'amples
réductions ; que Mme X..., estimant que la diffusion, non autorisée par elle, de son nom et de son salaire
avait porté atteinte à son droit à sa vie privée, a assigné en justice la Société de conception de presse et
d'édition, éditrice, et M. Y..., directeur de la publication ; qu'elle a été déboutée ;
Attendu que l'arrêt retient exactement que, si le salaire de celui qui n'est pas une personne publique et
ne jouit d'aucune notoriété particulière ressortit à sa vie privée, sa publication nominative, au sein d'une
liste des gains comparés que reproduit un article de presse consacré aux difficultés financières notoires
de l'entreprise, dans le contexte de la polémique ainsi suscitée et relayée par les médias, participe de
l'actualité économique et sociale des faits collectifs dans lesquels elle s'insère, et du droit du public à
être informé sur ceux-ci ; que les moyens ne sont pas fondés ;

Retour
PAR CES MOTIFS : REJETTE le pourvoi.
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625. Cass. civ. 1e 20 mars 2007, pourvoi n° 05-21929

Sur le second moyen, pris en sa deuxième branche :


Vu l'article 9-1 du code civil ;
Attendu que le 22 décembre 2004 le journal Le Canard enchaîné a publié un article intitulé « l'éthique
en toc du proc », rédigé en ces termes : « Une conférence des procureurs généraux d'Europe, ce n'est
pas toujours marrant. Après les débats, la conférence a le droit de s'amuser, non ? C'est ce qu'a pensé
Pierre X..., procureur de la République de Bayonne, qui après un exposé sur « les principes
fondamentaux d'éthique pour le ministère public » s'est offert une virée au bordel du coin. Ce qui n'est
pas un délit ... En revanche, payer ces dames avec une carte de crédit piquée à un autre magistrat est un
exploit peu courant dans l'histoire de la justice. Ce qu'a fait le proc' de Bayonne, en mai dernier lors de
ce colloque organisé en Allemagne. Révélée par le Parisien (20/12), l'affaire oblige aujourd'hui Y... et
le Conseil supérieur de la magistrature à ouvrir une enquête en attendant un procès. « Les conduites
observées dans la vie privée ont une incidence sur l'image du ministère public et sur la capacité de
certains de ses membres à demeurer en son sein », avait doctement exposé le proc' devant ses collègues
européens avant de payer ses ébats avec la carte volée. Si le tribunal lui applique ces nobles principes,
il est dans une mauvaise passe » ;
Attendu que pour dire que la société Les éditions Maréchal avait porté atteinte à la présomption
d'innocence de M. X..., les juges du fond ont notamment énoncé que « les éléments rapportés vont tous

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Emmanuel TERRIER et Isabelle TOSI-DUPRIET / 2015-2016
ANNEXES
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dans le sens d'une culpabilité annoncée ... que si le ton du journal est bien dans la ligne satirique du
journal il n'en résulte pas une atténuation de la mise en cause, bien au contraire ... que la liberté de la
presse lui permettait certes d'informer son lectorat de l'existence de poursuites ou encore de faire état de
graves présomptions, le cas échéant de manière très critique, qu'elle ne l'autorisait pas cependant à
présenter l'intéressé sous un tel jour que le lecteur ne pouvait que conclure à la culpabilité » ;
Qu'en se déterminant ainsi alors que cet écrit se plaisait à souligner la discordance entre le discours
public de l'intéressé et le comportement rapporté tout en s'interrogeant sur le comportement des juges
appelés à se prononcer, sans contenir de conclusions définitives manifestant un préjugé tenant pour
acquise la culpabilité, la cour d'appel a violé le texte susvisé ;
Et attendu qu'il y a lieu conformément à l'article 627, alinéa 2 du nouveau code de procédure civile de
mettre fin au litige en appliquant la règle de droit appropriée ;

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs : CASSE ET ANNULE, dans
toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 15 novembre 2005, entre les parties, par la cour d'appel de
Toulouse. Retour
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626. Cass. civ. 1e 12 juillet 2006, pourvoi n° 05-14831

Attendu que dans son numéro du 15 mars 2004, l'hebdomadaire France Dimanche a publié un article se
référant à la cérémonie au cours de laquelle, le 11 mars précédent, M. X..., alors ministre, dans les locaux
du ministère et en présence de diverses personnalités du monde politique, médiatique ou audiovisuel,
dont Mme Y..., présentatrice de la chaîne de télévision TF1, avait remis à M. Z..., directeur de
l'information de ladite chaîne, l'insigne d'officier des Arts et lettres; que sous le titre « Claire Y.... Son
fils a fait craquer Bernadette A... », le journal a relaté de la présence de François Y..., sept ans, et l'a
illustrée de trois photographies de celui-ci, représenté à deux reprises entouré de sa mère, de Mme A...
et d'un autre présentateur de télévision, puis une fois tout seul ; que Mme Y..., sa représentante légale, a
assigné la société Hachette Filipacchi associés, éditrice, pour atteinte à la vie privée et au droit à l'image
de l'enfant ; que l'arrêt attaqué (Versailles, 10 mars 2005) a accueilli sa demande ;
…..
Et sur les deuxième et troisième branches, telles qu'exposées au mémoire en demande et reproduites en
annexe :
Attendu qu'ayant constaté que l'article litigieux et ses clichés illustratifs étaient centrés sur la personne
de François Y..., lequel n'était pas concerné par l'évènement d'actualité ainsi accessoirement relaté, la
cour d'appel en a déduit qu'ils portaient atteinte à sa vie privée et à son image ; qu'elle a ainsi légalement
justifié sa décision au regard des articles 9 du code civil et 10 de la Convention européenne des droits
de l'homme ;

PAR CES MOTIFS : REJETTE le pourvoi. Retour


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627. Cass. civ. 1e 16 mai 2006, pourvoi n° 04-10359

Attendu que dans son numéro du 23 août 2001, l'hebdomadaire Paris-Match a publié un article,
accompagné de diverses photographies, et consacré à un accident vasculaire dont le comédien Jean-Paul
X... avait été victime le 8 du même mois ; que la cour d'appel a retenu l'atteinte partielle à la vie privée
de l'artiste et à son image, et condamné la société Hachette Filipacchi, éditrice, à des dommages-intérêts
;
Sur les premier et quatrième moyens, pris en leurs diverses branches, tels qu'exposés au mémoire en
demande et reproduits en annexe :
Attendu que l'arrêt attaqué, qui, à bon droit, a dit justifiées par la notoriété et la popularité de l'artiste les
narrations de l'événement d'actualité qu'avait constitué l'accident de santé dont s'agit, divulgué par des
communiqués de presse émanés des autorités hospitalières ou de la famille, a jugé par ailleurs que

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DROIT ET ENTREPRISE 1 / INTRODUCTION GENERALE AU DROIT - 161 -
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ANNEXES
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l'hebdomadaire avait excédé les limites de la légitime information du public en évoquant, de façon vraie
ou supposée, d'une part, des circonstances factuelles ayant entouré tant un autre accident antérieur de
plusieurs années que celui qui faisait la matière de l'article, et, d'autre part, le comportement alors adopté
par l'entourage le plus proche ; qu'ainsi, la cour d'appel, qui n'a pas réduit l'activité de l'organe de presse
à la retransmission de l'événement brut ou de communiqués officiels, a mis en oeuvre la recherche
d'équilibre qu'il lui incombait de mener entre la liberté d'expression ou d'information et le respect dû à
la vie privée dont toute personne peut se prévaloir ; que les moyens tirés d'une violation des articles 10
de la Convention européenne des droits de l'homme et 9 et 1382 du Code civil ne sont donc pas fondés
;
Mais sur le deuxième moyen, pris en ses deux premières branches :
Vu l'article 9 du Code civil, ensemble l'article 10 de la Convention européenne des droits de l'homme ;
Attendu que pour juger contraire au droit de M. Jean-Paul X... sur son image la publication de deux
photographies le montrant couché sur un brancard au moment de son évacuation par hélicoptère
médicalisé, l'arrêt retient qu'il est parfaitement identifiable sur l'une d'elles, entouré de sa compagne et
de personnes aidant aux opérations, et représenté dans une situation dramatique touchant à l'évidence à
la sphère la plus intime de sa vie privée, sans que ces clichés, pris au téléobjectif sur l'aire de l'aéroport
et à l'insu de l'intéressé, soient nécessaires à l'illustration d'un article lui-même attentatoire à la vie privée
;
Attendu qu'en s'abstenant de retenir que les deux photographies litigieuses, en relation directe avec
l'article qu'elles illustraient, et prises dans un lieu public, ne caractérisaient aucune atteinte à la dignité
de la personne de l'intéressé, la cour d'appel, qui avait exactement jugé que l'accident survenu au célèbre
comédien constituait en l'espèce un événement d'actualité dont la presse pouvait légitimement rendre
compte, a violé les textes susvisés ;
Et sur le troisième moyen, pris en sa première branche :
Vu l'article 9 du Code civil ;
Attendu que pour juger semblablement quant à toutes les autres photographies, l'arrêt relève que, prises
elles aussi au téléobjectif et à l'insu de l'intéressé, elles montrent le comédien dans une situation
d'intimité familiale que les nécessités de l'information sur son état de santé justifient encore moins ;
Attendu qu'en statuant ainsi, tout en ayant relevé que certains de ces clichés le représentaient lors d'un
tournage et les autres entouré de ses petits-enfants, la cour d'appel, à laquelle il incombait d'opérer les
distinctions que ces constatations rendaient nécessaires, a violé le texte susvisé ;

PAR CES MOTIFS et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs du pourvoi : CASSE ET
ANNULE, mais seulement en ce qu'il a jugé que la publication de toutes les photographies litigieuses
avait été attentatoire au droit de M. Jean-Paul X... sur son image, les seules dispositions relatives à
l'atteinte réalisée à sa vie privée étant expressément maintenues, l'arrêt rendu le 23 octobre 2003, entre
les parties, par la cour d'appel de Versailles ; remet, en conséquence, quant à ce, la cause et les parties
dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel
de Versailles, autrement composée. Retour
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628. Cass. soc. 12 juin 2001, n° 2761, pourvoi n° 99-42329

Attendu que Mme Grenon, embauchée le 9 octobre 1969 par la société le Crédit lyonnais et employée
dans une agence parisienne, a adhéré le 18 janvier 1995 à la convention de conversion qui lui était
proposée dans le cadre d'un accord d'entreprise dit accord social pour l'emploi en date du 4 juillet 1994
destiné à favoriser les départs volontaires d'employés ; que, préalablement, l'antenne-emploi de la
direction des ressources humaines avait validé le projet de création d'entreprise présenté par Mme
Grenon et consistant dans l'achat d'un bien immobilier à usage mixte pour création de chambres et tables
d'hôtes dans le Cantal ; qu'ayant été avisée par le préfet du Cantal de ce qu'elle était tenue de traiter les
effluents de son bâtiment par un dispositif d'assainissement autonome, alors qu'elle ne disposait que
d'une évacuation vers une prairie appartenant à un tiers, Mme Grenon, qui ne pouvait assumer le coût
de l'installation requise, n'a pas pu ouvrir le commerce prévu ; qu'elle a saisi la juridiction prud'homale
d'une demande en dommages-intérêts dirigée contre le Crédit lyonnais ;
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DROIT ET ENTREPRISE 1 / INTRODUCTION GENERALE AU DROIT - 162 -
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ANNEXES
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Sur le premier moyen :
Attendu que le Crédit lyonnais fait grief à l'arrêt attaqué (Riom, 6 avril 1999) d'avoir dit que le conseil
de prud'hommes d'Aurillac était compétent alors, selon le moyen, que la compétence territoriale de la
juridiction prud'homale saisie est déterminée en fonction du lieu où l'employeur est établi, c'est à dire
s'agissant d'une personne morale, de son siège social ou du lieu où sont exercées, de manière stable et
effective, les fonctions de direction ; qu'en relevant que dans le ressort du conseil de prud'hommes
d'Aurillac se trouvait une agence du Crédit lyonnais dont le directeur avait un pouvoir de représentation
de l'autorité centrale pour en déduire la compétence territoriale de ce conseil de prud'hommes sans
s'assurer de ce que s'exerçaient au sein de cette agence, de manière stable et effective, les fonctions de
direction du Crédit lyonnais, la cour d'appel a privé sa décision de toute base légale au regard de l'article
R. 517-1 du Code du travail ;
Mais attendu qu'aux termes de l'article R. 517-1, alinéa 3 du Code du travail, le salarié peut toujours
saisir le conseil de prud'hommes du lieu où l'employeur est établi ;
Qu'ayant relevé que, dans le ressort du conseil de prud'hommes saisi se trouvait une agence du Crédit
lyonnais dont le directeur a un « pouvoir de représentation de l'autorité centrale », la cour d'appel a fait
une exacte application du texte susvisé en décidant que ce conseil de prud'hommes était compétent pour
connaître de la demande ; que le moyen n'est pas fondé ;
….
PAR CES MOTIFS : REJETTE le pourvoi. . Retour
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629. Cass. com. 19 septembre 2006, pourvoi n° 03-19416

Attendu, selon l'arrêt attaqué, que la société en nom collectif X... (la société) a été constituée en 1962
entre M. El Hadi X... et ses trois frères ; que par acte du 2 août 1965, ces derniers ont cédé la totalité de
leurs parts à M. Rachid X..., fils de M. El Hadi X... ; que par jugement définitif du 18 novembre 1977,
le tribunal de grande instance a rejeté la demande de M. Rachid X... en dissolution de la société, retenant,
entre autres motifs, que la preuve de la disparition de l'affectio societatis n'avait pas été rapportée ; que
par acte du 7 septembre 2000, M. Rachid X... a assigné son père et la société en paiement d'une certaine
somme représentant sa part dans les bénéfices sociaux, non payée depuis l'acquisition de ses titres ; que
sur la demande reconventionnelle de M. El Hadi X... et de la société, la cour d'appel a prononcé la
dissolution de la société et sa liquidation, désignant un administrateur judiciaire pour procéder à ces
opérations ;
Sur le moyen unique du pourvoi principal, pris en ses première et deuxième branches :
Sur le second moyen du pourvoi incident :
Attendu que M. Rachid X... fait grief à l'arrêt d'avoir prononcé la dissolution anticipée et la liquidation
de la société alors, selon le moyen :
1°) qu'en relevant seulement une divergence entre associés et une supposée non-conformité aux statuts
du fonctionnement social et en ne caractérisant pas une mésentente entre associés ayant eu pour effet de
paralyser le fonctionnement de la société, la cour d'appel n'a pas légalement justifié sa décision au regard
de l'article 1844-7 du code civil ;
2°) que l'interruption de l'exploitation du fonds de commerce d'une société peut procéder d'une simple
suspension passagère, de sorte qu'en se fondant sur cet élément impropre à caractériser la nécessité d'une
dissolution, la cour d'appel a encore privé sa décision de base légale au regard du texte susvisé ;
Mais attendu qu'ayant relevé, en l'absence de justification des décisions statutaires annuelles, que la
société n'avait jamais fonctionné conformément aux règles statutaires, que l'un des associés réclamait la
dissolution tandis que l'autre voulait la gérer seul et que le fonds n'était plus exploité depuis environ un
an, la location gérance ayant pris fin et l'un des associés s'opposant à la signature d'un quelconque
contrat, ce dont il résultait une mésentente caractérisée entre associés paralysant le fonctionnement de

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ANNEXES
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la société, la cour d'appel a légalement justifié sa décision ; que le moyen n'est fondé en aucune de ses
branches ;
Mais sur le premier moyen du pourvoi incident :
….
Vu les articles 2277 du code civil et 347 de la loi du 24 juillet 1996 devenu l'article L. 232-12 du code
de commerce ;
Attendu que pour rejeter la demande de M. Rachid X... tendant à la condamnation de M. El Hadi X... et
de la société à lui payer sa part de bénéfices sociaux des trente années ayant précédé l'acte introductif
d'instance et pour limiter la condamnation aux cinq dernières années précédant cet acte, l'arrêt retient
que seule la prescription quinquennale de l'article 2277 du code civil était applicable, les bénéfices
distribués s'analysant en des fruits civils et qu'en l'absence de justification de décision de report à
nouveau ou d'affectation à un fond de réserve, les bénéfices réalisés auraient dû être distribués, sauf à
en déduire la moitié de la rémunération du gérant ;
Attendu qu'en statuant ainsi, alors que seule la décision de l'assemblée générale de distribuer tout ou
partie des bénéfices sous forme de dividendes confère à ceux-ci l'existence juridique, ce dont il résultait
que le délai de la prescription quinquennale n'avait pu commencer à courir, la cour d'appel a violé les
textes susvisés ;

PAR CES MOTIFS : CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il a rejeté la demande de M.
Rachid X... en paiement des dividendes de la société X..., l'arrêt rendu le 27 juin 2003, entre les parties,
par la cour d'appel de Paris ; remet, en conséquence, sur ce point, la cause et les parties dans l'état où
elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Paris,
autrement composée. . Retour
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