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LBP ; MAROC 60 MAD ; SUISSE 9,50 CHF ; TUNISIE 12 DTU ; PORTUGAL 6,50 €.
& CIVILISATIONS
LA DERNIÈRE
MOMIES
LA TOUR
DE BABEL
GÉNIE THÉÂTRAL
RÉVÈLE DU MYTHE
DE CLOVIS
DU FAYOUM
LÉGENDE INDIENNE
SITTING BULL
VISAGES DE L’AU-DELÀ
ET CHEF D’ENTREPRISE
SHAKESPEARE
À DAGOBERT
CE QUE L’ARCHÉOLOGIE
LES MÉROVINGIENS
LES ORIGINES
DE LA FRANCE
& C IV ILISAT IO N S
N° 22
M 06085 - - F: 5,95 E - RD
NOVEMBRE 2016
’:HIKQKI=ZUZ^ZU:?a@k@m@c@a"
© ILLUSTRATION DEN BAZIN / GRAPHISME STUDIO MARTIAL DAMBLANT
Espace Camille Claudel
9, avenue de la République
- Entrée libre -
EN COPRODUCTION
Musée d’Archéologie nationale
Saint-Germain-en-Laye
3 mai - 1er octobre 2017 Renseignements au 03 25 07 31 50 ou sur
CETTE EXPOSITION EST RECONNUE D’INTÉRÊT NATIONAL PAR LE MINISTÈRE DE LA CULTURE ET DE LA COMMUNICATION / DIRECTION GÉNÉRALE DES PATRIMOINES / SERVICE DES MUSÉES DE FRANCE.
ELLE BÉNÉFICIE À CE TITRE D’UN SOUTIEN FINANCIER EXCEPTIONNEL DE L’ÉTAT.
& CIV IL ISATIONS
NUMÉRO 22
JOSSE / LEEMAGE
COMITÉ SCIENTIFIQUE
MÉSOPOTAMIE GRÈCE MOYEN ÂGE
CETTE EMBARCATION
du milieu du IIe siècle ou du
début du IIIe siècle apr. J.-C.
ANTIQUITÉ GALLO-ROMAINE
O
n ignore la plu- et sera exposée d’ici deux ans l’eau ne s’évapore et que leur destinée à se substituer à
part du temps au Musée gallo-romain de structure interne ne s’ef- l’eau. Il a ensuite été séché
le sort accor- Fourvière. fondre. Les scientifiques par lyophilisation (congéla-
dé aux décou- Les archéologues de ont commencé par traiter les tion et vaporisation de l’eau),
vertes archéologiques, qui l’Inrap (Institut national de parties en bois qui pouvaient seule technique qui permet
restent souvent stockées recherches archéologiques être rongées. Les éléments d’éviter la déformation des
dans des réserves faute de préventives) avaient mis au métalliques, notamment objets. Enfin, les parties les
lieu pour les accueillir. En jour 17 mètres de ce bateau 2 100 clous, ont été retirés plus abîmées ont été impré-
2003, 16 bateaux d’époque qui en mesurait sans doute un à un pour être étudiés et gnées d’une autre résine, le
gallo-romaine avaient été 28 à l’origine. Il est resté im- permettre de déterminer leur styrène polyester,afin d’être
exhumés sur les bords de mergé 10 ans pour des rai- provenance et leur mode de consolidées.
Saône, à Lyon ; des embar- sons de conservation, avant fabrication. L’épave doit être de nou-
cations à fond plat, en bois d’être transporté en 2014 au Pour restaurer cette épave, veau entièrement démon-
assemblé par cloutage, dont laboratoire ARC-Nucléart le laboratoire de Grenoble tée,puis remontée,dans une
un chaland antique datant du de Grenoble. Là, le chaland a utilisé des techniques salle climatisée du musée de
IIe siècle apr. J.-C. Quatorze gorgé d’eau a été démantelé uniques au monde. Le bois Fourvière qui sera aménagée
ans après, cette épave, bapti- en un gigantesque puzzle de a été tout d’abord impré- spécialement pour elle. Une
sée « Lyon Saint-Georges 4 », 1 000 pièces. Il a fallu conso- gné durant un an d’une ré- dernièreétapequiprendra au
a été entièrement restaurée lider ces morceaux avant que sine de polyéthylène glycol, minimum 18 mois.
L’Antiquitéreprenddescouleurs
Cela fait 30 ans que l’archéologue Vinzenz Brinkmann tente de restituer leur véritable
apparence aux statues grecques antiques. Un travail qui, pourtant, pose des questions.
P
artout dans le monde, de spectroscopie ultravio-
nous pouvons ad- let-visible et de spectro-
mirer des statues métrie à fluorescence X,
grecques blanches grâce auquel il étudie la
ÉVÉNEMENT
«H istoire de lire »,
le salon du livre
d’histoire de Ver-
sailles, entamera
sa 9e édition le 26 novembre
L’HÔTEL DE VILLE
de Versailles, où se tient une
partie des manifestations.
PHILOPHOTO / FOTOLIA
accueillir près de 20 000 vi-
siteurs. Elle va occuper de
nouveaux espaces : une tente
destinée à la littérature jeu-
nesse et une enfilade de bande dessinée historique, contentent pas de faire un comme Stéphane Bern,
salons face à l’hôtel du dé- devenue incontournable. tour,ilsparticipentauxnom- Franck Ferrand ou Lorànt
partement pour accueillir la « L’attirance du public breuses conférences et font Deutsch.
pour les livres leur provision d’ouvrages. Pour la soirée de lance-
d’histoire ne Persuadés que Versailles ment, le vendredi 25 no-
sedémentpas, et l’histoire ne pouvaient vembre, Maxime d’Aboville
constateVian- que s’entendre, Étienne de et Lorànt Deutsch interpré-
ney Mallein, Montety, président de l’as- terontLaFontaineetMolière
commissaire sociation Histoire de lire et au Théâtre Montansier, à
du salon. Il directeur du Figaro littéraire, partir d’extraits du livre de
Réa sat on : D rect on de a commun cat on / ©V e de Versa es / mpr mé sur pap er PEFC
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LE PERSONNAGE
A
u XVIIe siècle, les Indiens des accords qui supposent leur mar-
1890
Sitting Bull meurt
« Je n’ai jamais négocié avec les
d’une balle tirée par Américains. La terre appartient
un policier indien
de la réserve, alors à mon peuple », a dit Sitting Bull.
qu’il allait être arrêté.
TAMBOUR SIOUX AVEC SCÈNES DE GUERRE.
GRANGERR / ALBUM
à créer une commission pour acheter Après avoir fait ses premières armes avec d’autres guerriers comme Crazy
ces lieux aux Indiens. Lorsque ces à 14 ans, il s’est distingué dans les Horse (Cheval fou), il déclare la guerre
derniers refusent, il est décidé qu’à campagnes de Red Cloud en 1866 et à l’armée des États-Unis.
partir de janvier 1876 tous les Sioux 1868, devenant le chef principal des Pendant l’été 1876, Sitting Bull
devront être enfermés dans la réserve Lakotas. Lui-même résumera plus s’établit dans une région fertile près
et que ceux qui ne s’y plieront pas tard son attitude face aux États-Unis : du fleuve Little Bighorn, où il réunit
seront considérés comme hostiles. « Je n’ai jamais appris à mon peuple quelque 7 500 Indiens. Ce rassemble-
Pour faire respecter l’ordre, trois régi- à faire confiance aux Américains. Je ment est l’occasion d’exécuter la danse
ments avancent vers la région, sous le leur ai dit la vérité,que les Américains du Soleil, une cérémonie religieuse
commandement du général Sheridan. sont de grands menteurs.Je n’ai jamais composée de rituels qui durent plu-
C’estalorsquelecélèbreSittingBull négocié avec les Américains.Pourquoi sieurs jours. Lors de cette cérémonie,
(Taureau assis) fait son entrée dans le devrais-je ? Cette terre appartenait Sitting Bull communique aux autres
l’histoire. À 35 ans, Tatanka Iyotake à mon peuple. » C’est pourquoi, en membres de la tribu une vision qu’il
(son véritable nom en langue lako- 1876, Sitting Bull n’hésite pas à refuser a eue (son prestige en tant que lea-
ta) est déjà un guerrier expérimenté. l’ordre de réclusion dans la réserve et, der se fondait aussi sur ses dons de
prophète) : des soldats aussi nombreux de la guerre de Sécession. Custer a et lance la charge depuis des directions
que des sauterelles allaient arriver, les l’expérience de la guerre contre les différentes, affaiblissant son offensive.
pieds en haut et la tête en bas, et la na- Indiens, qu’il a toujours facilement Les Indiens, qui sont sur leur propre
tion sioux en finirait avec eux. battus. Mais, cette fois, il ne se rend terrain et prêts à défendre leurs famil-
En effet, quelques jours plus tard pas compte de la notable supériorité les jusqu’à la mort, ont en outre des
apparaît devant le campement indien des effectifs sioux : 1 500 guerriers face fusils à répétition ; non seulement ils
un régiment américain : le célèbre aux 630 soldats et officiers qu’il a sous repoussent l’attaque, mais ils réus-
7e régiment de cavalerie, comman- son commandement. De plus, Custer sissent aussi à acculer le bataillon de
dé par le général Custer, un héros divise son régiment en trois bataillons Custer, anéantissant ses 200 hommes
après un combat acharné.
Fuite et reddition
LE PROPHÈTE DES SIOUX La prophétie de victoire de Sitting
Bull est devenue réalité, mais
WOVOKA, également appelé Jack Wilson, est un Indien dans la pratique la bataille de
de l’État de l’Utah, fils d’un chaman du peuple paiute. Little Bighorn implique la fin
Ses prophéties sur la renaissance des morts, qu’il des tribus sioux. La défaite des
répand à partir de 1889, sont influencées par son troupes de Custer émeut et
contact avec des mormons et des quakers. Wovoka scandalise l’opinion publique
préconise que les Indiens restent en paix avec les américaine ; le gouvernement
Blancs, mais les Sioux voient dans son message un envoie une armée beaucoup
appel à la révolte. plus nombreuse et mieux pré-
LE PROPHÈTE WOVOKA, LEADER ET CHEF SPIRITUEL PAIUTE. parée pour écraser les rebelles.
Sitting Bull refuse de se rendre
NATIVESTOCK / SCALA, FLORENCE
GRANGER / ALBUM
ROUGES DE BUFFALO 1885 à Montréal, montre
BILL, L’OUEST SAUVAGE. Sitting Bull et Buffalo Bill.
MARY EVANS / SCALA, FLORENCE
et, en 1877, il s’enfuit avec les siens des États-Unis. En 1885, le célèbre abandonnent leurs terres et que les
au Canada. Ils y vivent en paix pen- Buffalo Bill lui propose de participer esprits des Indiens les plus célèbres
dant quatre ans, mais les hivers y sont à L’Ouest sauvage, un spectacle qui reviendront en ce monde pour lutter
encore plus rigoureux que dans les compte toutes sortes d’attractions en contre l’envahisseur. À 59 ans, Sitting
territoires des deux Dakota, et les relation avec les guerres indiennes et Bull voit un espoir dans ce mouvement,
quelque 200 Sioux qui ont suivi leur la vie dans les prairies. L’ancien chef ce qui met McLaughlin sur ses gardes.
chef doivent avoir recours à la charité sioux joue avec Buffalo Bill pendant Un matin, la police indienne de la
pour survivre. En 1881, Sitting Bull quatre mois. C’est probablement pour réserve vient l’arrêter dans sa cabane.
revient aux États-Unis pour se rendre. lui une période heureuse : accompagné Sitting Bull n’oppose pas de résistance,
« Je voudrais que l’on se souvienne de de cinq hommes et trois femmes, outre mais ses amis et voisins accourent pour
moi comme du dernier Indien de ma un interprète, il est bien payé, noue le défendre, provoquant une rixe lors
tribu qui remet son fusil », déclare-t-il. une amitié avec ses compagnons de la de laquelle l’un des policiers indiens
Avec ses partisans, Sitting Bull fixe troupe et peut apprécier le respect et tue l’ancien chef. Ainsi se réalise une
sa résidence dans la réserve de Stan- l’admiration des spectateurs. autre des prophéties de Sitting Bull,
ding Rock, où il est soumis à l’étroite qui avait annoncé qu’il serait assassiné
surveillance de l’officier comman- La fin d’un grand chef par des Indiens sioux.
dant la réserve, James McLaughlin, De retour dans la réserve de Standing
FERNANDO MARTÍN PESCADOR
qui voit en lui une menace. Malgré Rock, Sitting Bull est impliqué dans HISTORIEN
cela, en plusieurs occasions, il agit un épisode qui bouleverse de nouveau
comme représentant de son peuple, et la vie des Indiens. Sous l’influence du
même s’il ne parvient pas à empêcher prophète Wovoka, beaucoup d’entre Pour ESSAI
en Sitting Bull. Héros de la
la vente des terres indiennes, il est trai- eux se mettent à croire que, s’ils résistance indienne
té avec le respect et l’admiration que dansent correctement la danse des savoir F. Ameur, Tallandier, 2014.
plus
mérite l’homme qui a vaincu l’armée Esprits, ils obtiendront que les colons
J
usqu’à l’âge de 36 ans, Adam 1784, le gouvernement bavarois dé- ne constituaient pas des fondations
Weishaupt mena la vie d’un res- couvrit que cet honnête professeur de suffisamment solides pour bâtir le gou-
pectable bourgeois allemand du droit ecclésiastique était en réalité un vernement d’un monde où régnait le
XVIIIe siècle. Né en 1748 dans la dangereux conspirationniste ; il or- matérialisme, il décida de rechercher
ville d’Ingolstadt, qui appartenait donna sa poursuite et son arrestation. un autre type d’« illumination », plus
alors à l’État indépendant de Bavière, Adam Weishaupt était d’un tem- conforme à sa pensée et susceptible de
il descendait d’une famille juive conver- pérament inquiet. Très jeune, il avait faire l’objet d’une application pratique
tie au christianisme. Orphelin depuis eu accès aux œuvres des philosophes dans le monde réel.
son plus jeune âge, il fut inscrit dans français, qu’il put lire dans la biblio- Au XVIIIe siècle, la franc-maçonnerie
une école jésuite par son oncle, qui prit thèque de son oncle. Il se persuada alors avait connu une forte expansion en
son éducation en main. Après ses études, que la monarchie et l’Église possédaient Europe, notamment en Allemagne, où
il commença très rapidement à ensei- le pouvoir de tromper la population et Adam Weishaupt envisagea dans un
gner dans l’université de sa ville natale, de la maintenir dans un état de sou- premier temps de rejoindre une loge,
se maria et fonda une famille. Mais en mission. Certain que les idées religieuses sans succès. S’il fut finalement déçu
CÉRÉMONIE MAÇONNIQUE
D’INITIATION D’UN APPRENTI.
GRAVURE DE 1733.
BRIDGEMAN / INDEX
RITES À LA MODE MAÇONNIQUE
COMMELESFRANCS-MAÇONS, les Illuminés organisaient des cérémonies
célébrant l’accession de leurs membres à un grade supérieur. Ceux
qui passaient du niveau d’Illuminé mineur à celui d’Illuminé majeur
étaient par exemple introduits dans une grande pièce face à un jury
de l’ordre. Après avoir promis qu’ils diraient la vérité, ils remettaient
une confession écrite sur leur vie passée.
parlesidéesdesfrancs-maçons,ils’im- étudiants. C’est là que furent établies Dans les années suivantes, l’ordre
prégnamalgrétoutd’étrangeslectures les premières normes de l’ordre. Nul deWeishauptconnutunvéritableessor,
sur les mystères des sept Sages de nepouvaityentrerparsavolontépropre: malgrésoncaractèresecret.Onestime
Memphis, la kabbale et les secrets de le consentement de tous les membres eneffetqu’ilcomptaitdéjà600membres
la magie d’Osiris. C’est ainsi qu’il dé- étaitrequis,etseulespouvaientyaccé- en1782,parmilesquelsfiguraientd’émi-
cida de fonder une nouvelle société derdespersonnesdotéesd’unebonne nents personnages de la vie publique
secrète : l’ordre des Illuminés (aussi situation économique et sociale. À ce bavaroise, tels que le baron Adolf von
appelés simplement les Illuminés), stade, l’organisation interne ne pos- KniggeoulebanquierMeyerAmschel
connu au départ sous le nom de cercle sédaitquetroisgrades :lesnovices,les Rothschild,quifinançagénéreusement
des Perfectibilistes. minervauxetlesminervauxilluminés. l’ordre.Cetteexpansionnesetarit pas
Le terme de minerval renvoyait à la avec le temps : si les Illuminés se limi-
Banquiers et poètes déesse gréco-romaine de la sagesse, taientaudépartàdesétudiantsdisciples
Le 1er mai 1776, les premiers Illuminés connue sous le nom d’Athéna ou de deWeishaupt,ilsfurentensuiterejoints
seréunirentpourfonderleurordredans Minerve, puisque l’ordre avait pour pardesnobles,desmembresdelaclasse
unboisnonloind’Ingolstadt,àlalueur vocationdediffuserlevéritablesavoir, politiqueettoutessortesdeprofessions
destorches.Ilsn’étaientalorsquecinq: oul’«illumination»,surlesfondements libérales, comme des médecins, des
Adam Weishaupt et quatre de ses de la société, de l’État et de la religion. avocats ou des juristes, mais aussi des
intellectuelsetdeshommesdelettres,
dontHerderetGoethe.Àlafindel’an-
En moins de 10 ans, l’ordre née 1784, les Illuminés assuraient
KAR
compterentre2000et3000membres
- D EC
L’ÉGLISE Sainte-Marie-
de-la-Victoire, à Ingolstadt.
Sa décoration de style rococo
est l’œuvre des frères Asam
et date de 1733.
AKG / ALBUM
qualité d’ancien franc-maçon, il favo- que celle initialement établie vit le jour. progressivement de tous les préjugés
risa l’adoption de rites caractéristiques Un total de 13 grades d’initiation fut religieux les chrétiens de toutes les
de la franc-maçonnerie. Les Illuminés ainsi créé, chacun d’entre eux divisé confessions, mais aussi cultiver et rani-
se virent par exemple attribuer un nom en trois classes : le premier culminait mer les vertus de la société afin d’at-
symbolique, généralement emprunté avec le grade d’Illuminé mineur, le teindre le bonheur universel, complet
à l’Antiquité classique : Weishaupt deuxième avec celui d’Illuminé majeur, et rapidement réalisable ». Pour y
reçut le pseudonyme de Spartacus, von et letroisièmeavecleniveausuprême, parvenir, il était nécessaire de créer
Knigge celui de Philon, le juge Franz celui de prince. « un État où fleurissent la liberté et
Xaver von Zwack celui de Caton, etc. mme Weishaupt l’écrivit
Comme l écrivit, la so
so- ll’égalité
égalité, un État
É dépourvu des obsta-
De même, une hiérarchie plus complexe ciété qu’il
q avait fondée devait « libérer cles que la hiérarchie, le rang et la ri-
chesse metttent constamment au
traversdeno otreroute ». Ce faisant, « le
moment où lles hommes seront libres
AKG / ALBUM
13. prin
nc
ce
12. ma
ag
ge
L’ORGANISATION COMPLEXE de l’ordre 11. rége
ent
s’articulait autour de 13 grades. Elle fut 10. prêt
tre
adoptée sous l’influence du baron von
Knigge, qui appliqua le modèle des loges deuxième classe
maçonniques dont il faisait partie. 9. illuminé dirigea
annt
8. illuminé maje
eur
troisième classe 7. maît
trre
Ce niveau était associé au grade d’illumination 6. compagn
no
on
philosophique le plus élevé. Placés sous l’autorité suprême 5. appren
nti
d’un groupe de « princes », les prêtres se consacraient
à instruire les membres dans toutes les sciences.
première classe
deuxième classe
4. illuminé
Les différents grades s’inspiraient de la franc- mine
eur
maçonnerie. L’Illuminé majeur supervisait le 3. minerv
va
al
recrutement des membres ; l’Illuminé dirigeant
2. novic
ce
présidait les assemblées des minervaux.
1. cahiiers
p paratoiir
pré res
première classe
Chaque novice était initié à la philosophie
humanitaire, jusqu’à l’obtention du grade
de minerval. Il recevait alors les statuts
de l’ordre et participait aux réunions.
CHOUETTE DES ILLUMINÉS, EN HAUT À GAUCHE. PYRAMIDE MAÇONNIQUE DES ÉTATS-UNIS, CI-DESSUS.
et écrivit une lettre à la grande-duchesse Or, quelques mois plus tard, en mars troisième édit confirmant l’interdic-
de Bavière pour lui révéler les activités 1785, le souverain bavarois promulgua tion totale de l’ordre et sanctionnant
de l’ordre. Les accusations qu’il pro- un second édit interdisant expressé- par la peine de mort l’adhésion à tout
férait étaient terribles et sortaient en ment l’existence de l’ordre. La police type de secte.
grande partie de son imagination : les bavaroise procéda à un grand nombre À cette époque, Weishaupt se trou-
Illuminés soutenaient que la vie devait d’arrestations, d’interrogatoires et vait en sûreté à Gotha, une ville située
être régie par la passion plutôt que par de perquisitions. Chez Franz Xaver dans une petite principauté au nord
la raison, que le suicide était licite, que von Zwack, le bras droit de Weishaupt, de la Bavière. Il y publia plusieurs
l’on pouvait empoisonner ses ennemis, elle mit ainsi la main sur des docu- apologies des Illuminés dans l’espoir
que la religion était une absurdité et le ments compromettants : un plaidoyer d’exalter ses compagnons, mais en
patriotisme, un enfantillage. Cette lettre en faveur du suicide et de l’athéisme vain : la répression menée par le duc
laissait aussi entendre que les Illumi- écrit de sa propre main, le plan pour de Bavière se solda par la disparition
nés conspiraient en faveur de l’Autriche. la création d’une branche féminine de l’ordre, à laquelle échappèrent
Averti par son épouse, le duc électeur de l’ordre, le projet de fabrication d’une quelques membres, qui fondèrent aux
de Bavière promulgua en juin 1784 un machine destinée à conserver des États-Unis une loge considérée comme
édit qui interdisait la constitution de archives ou à les détruire en cas de l’héritière de la société bavaroise.
de toute société non autorisée au préa- besoin, des recettes d’encre invisible,
ISABEL HERNÁNDEZ
lable par la loi et ordonnait la fermeture des formules toxiques, ainsi qu’un UNIVERSITÉ COMPLUTENSE (MADRID)
de toutes les loges maçonniques. reçu d’avortement, entre autres choses.
Les Illuminés pensèrent d’abord Habilement diffusées dans la presse,
que cette interdiction générale ne les ces preuves servirent à accuser l’ordre Pour ESSAI
Les Illuminés de Bavière et la
affecterait pas directement et qu’ils fondé par Weishaupt de conspirer en franc-maçonnerie allemande
pourraient rapidement reprendre leur contre la religion et l’État. En août savoir R. Le Forestier, Archè, 2001.
plus
activité une fois la tempête passée. 1787, le duc électeur promulgua un
Les apaches
sèment la terreur
dans Paris
Au début du XXe siècle, la Ville Lumière frissonne : une bande
de voyous aux mœurs sauvages effraie autant qu’elle fascine.
C’
est en juillet 1900 pour les beaux yeux d’Amélie Hélie,
qu’apparurent pour la fille publique) lui valut un succès im-
première fois, sur les médiat. La mode fut lancée et dura sans
hauteurs de Belleville, discontinuer jusqu’à la Grande Guerre.
les apaches de Paris.
Leurs « exploits » étaient modestes Des faquins à poignards
(quelques vols aux dépens de passants Qu’était-ce donc qu’un apache ?
attardés ou éméchés), mais suffisants « Sous ce vocable, on a réuni l’es-
pour attirer l’attention des journaux, croc, l’escarpe, le rôdeur de barrière,
qui faisaient grand cas des rôdeurs et le faquin à poignard, l’homme qui vit
autres mauvais garçons. Ils récidivèrent en marge de la société, prêt à toutes
en décembre, rue Piat, en assassinant les besognes pour ne pas accomplir
cette fois deux ouvriers en goguette. un labeur régulier », résume en 1907
« Nous avons l’avantage de posséder à un journaliste du Gaulois. L’existence
Paris, écrit alors Henry Fouquier dans dans les grandes villes de jeunes ou-
Le Matin, une tribu d’apaches dont vriers passés à la délinquance n’était
DEUX APACHES s’attaquent
les hauteurs de Ménilmontant sont évidemment pas un phénomène nou- à la boutique d’un marchand
MARY EVANS / ACI
les montagnes Rocheuses » et qui se veau, mais leur réunion sous la ban- de vin parisien. Illustration du
livrent à de terribles exactions. Mais il nière « apache » permit soudain de Petit Journal du 15 octobre 1905.
faut attendre l’affaire « Casque d’or », en pointer un danger majeur et de lui
janvier 1902, pour que le terme d’apache donner une ampleur jusque-là in-
acquière sa célébrité. Le retentissement connue. Tous les jeunes voyous de
que les journaux populaires donnèrent Paris devinrent donc des apaches et, On s’interrogea sur l’origine du
à ce banal fait divers (la rivalité de deux dès 1903, les villes de province eurent terme. Certains en attribuaient la pa-
voyous de Charonne, Manda et Leca, aussi les leurs. ternité à « un spirituel chroniqueur
du Palais »,d’autres à des journalistes
(Victor Morris, chef des informations
auMatin ouArthur Dupin, son homo-
auMatin,ou
REVOLVER SUR MESURE logue au Petit Journal), d’autres encore
y voyaient la main du secrétaire du
CETTE INVENTION du Belge LouisDo olne commissariat de Belle-
date de 1860. Elle associe au révol- ville ou estimaient que
ver un coup-de-poing américain le terme avait jailli spon-
et un couteau à double tranchant, tanément d dans le milieu des rôdeurs
l’un et l’autre pliables. Pour éviter de l’Est par isien. La création, au vrai,
PISTOLET APACHE. VERS 1870.
les tirs accidentels, on ne rem- ARMURERIE ROYALE, LEEDS. étaitcollectiive.Les Français se passion-
plissait pas tout le barillet. BRIDGEMAN / ACI
naient depu uis le milieu du XIXe siècle
pour les réccits de l’Ouest américain,
M É L A N G E D E DA N S Eet de
scène de combat, la « danse
apache » était censée repro-
duire le face-à-face brutal du
souteneur et de la prostituée.
L’homme y distribue gifles et
coups de poing, puiis jette et
traîne sa partenaire
sur le sol. Même si
les coups étaient
simuléss, contu-
sions eet bles-
sures n’’étaient
pas rarres.
PROTOGRAPHIE
REPRÉSENTANT
L’UN DES PAS DE LA
BRIDGEMAN / ACI
DANSE APACHE.
AGEE FOTOSTOCK
parlequed’apaches!»,noteunreporter L’affolement fut de courte durée, mais taient par le menu la vie « des hommes
du Matin en 1907. Les plus radicaux il suffit à inscrire la question sécuritaire de veulerie et des filles de paresse ».
fustigeaient l’insuffisance de la police, dans l’agenda politique du pays. Du gazon pelé des « fortifs » (les for-
les prisons « quatre étoiles », la man- En même temps, l’engouement était tifications) aux terrains vagues de
suétude des tribunaux et l’adoucisse- vif pour ce nouveau paria. « Il fait par- la Glacière, des bals musettes de la
mentdespeinesqu’avaientprovoqués tie des curiosités parisiennes au même Bastoche aux bouges du Sébasto, on
lesloislibéralesd’uneRépubliquecou- titre que la Tour Eiffel ou les Inva- arpentait le territoire apache pour
pable d’« humanitarisme ».Contre les lides », écrit un journaliste en 1908. surprendre quelque gloire du surin ou
apaches, que l’on disait « maîtres du Tout un folklore, une ethnographie, se quelque princesse du trottoir.
pavé parisien »,d’aucuns réclamaient constitua autour de lui. On avait beau
une répression énergique : le fouet, fustiger sa bassesse, dire sa lâcheté De Fantômas à Jésus la Caille
la relégation et sa cruauté, on n’en finissait pas de La mode apache faisait fureur, avec
systématique décrire ses coutumes, ses mœurs ou ses casquettes et ses foulards, ses
en Guyane, la ses goûts. Les reportages que les jour- vestons cintrés et ses « pattes d’ef ».
castration, la naux et les magazines multipliaient Les trois dialectes de la langue apache
peine de mort. avec un voyeurisme complaisant rela- – le javanais, le louchébem (le jargon
des bouchers de la Villette) et le ver-
lan – ou les 350 façons d’« estourbir »
Les journaux relatent la vie le bourgeois suscitaient l’étonnement
agitée des gloires du surin avec des braves gens. Les bandes surtout
passionnaient, avec leurs lois, leur
un voyeurisme complaisant. justice et leur si pointilleuse concep-
tion de l’honneur. L’admiration était
MARY EVANS / ACI
VENGEANCE ENTRE BANDES. ILLUSTRATION DU PETIT JOURNAL DU 19 MAI 1907. équivoque, mais ouvrit les portes sur
L COSTUME
LE
DE L’APACHE
D
Casquette plate
de couleur noire.
Augmentation du nombre de cri-
mes – Prolifération des apaches Foulard aux
– Ses causes – Insuffisances de couleurs
la police. de la bande.
En cinq ans, le nombre d’assassi- Veste de satin
nats a augmenté de 40 %. On le doit noir, parfois
à l’audace croissante des malfai- assortie
teurs, rôdeurs et mauvaises graines d’un gilet.
de toute sorte, auxquels on a donné
le nom d’apaches. Ceinture de
L’apache est le maître de la rue. Il flanelle rouge.
rôde sur les boulevards et occupe
Tricot rayé
les places publiques. Paris est deve- de style marin.
nu un champ de bataille dans lequel Parfois une
les malandrins usent avec impunité blouse bleue ou
du couteau et du révolver, agressent d’une couleur
les passants ou se livrent entre eux extravagante.
des rixes sanglantes.
Et avec quelle indulgence les Pantalon de
traitent les tribunaux ! [O]n les velours appelé
condamne à des peines dérisoires, bénard, du nom
purgées dans des prisons confor- du fabricant.
tables. Comment voulez-vous que
ces scélérats craignent la justice ? Chaussures bien
cirées, souvent
Le Petit Journal du 20 octobre 1907. jaunes ou à
boutons dorés.
BRIDGEMAN IMAGES / AGE FOTOSTOCK
l’univers exotique et réputé inter- désa busés. À Montmartre, des simuler la relation du souteneur et de
dit du Paris apache, imposant auprès auteurs comme Pierre Mac Orlan, la prostituée.
d’un public médusé ces silhouettes Maurice Rollinat ou Francis Carco, Les apaches, finalement, ne
provocantes de terreurs et de forts en qui Léon Daudet voyait un « écri- passèrent pas la guerre. Ceux qui
en muscles. vain apache », se plaisent à fraterniser échappèrent au bagne ou à la guillotine
Cette fascination était d’autant plus avec les voyous. Dans Jésus la Caille, finirent dans les tranchées de la
vive que la littérature et le jeune ciné- que Carco publie en 1914, s’exprime Somme, de la Meuse ou de l’Aisne. Il
ma ne se privaient pas d’en rajouter. toute l’âme de ce Montmartre de la demeura bien sûr des voyous dans le
Le roman populaire, qui depuis Eu- délinquance et du crime. Pâles voyous Paris d’après-guerre, mais on les dota
gène Sue goûtait fort les « mystères de au sang chaud, pègres sans gloire et alors d’autres noms. Un nouveau style
Paris », s’appropria presque d’emblée filles déchues y souffrent d’amours émergea, influencé par les bandits de
ces figures de crapules méprisables, tragiques et de haines sordides. Chicago, qui donna peu à peu naissance
mais pittoresques. Les 32 tomes du Quant au Tout-Paris ou à ses hôtes à ce que l’on dénomma le « milieu ».
Fantômas de Pierre Souvestre et Marcel étrangers, ils s’enthousiasment alors
DOMINIQUE KALIFA
Allain, publiés de 1911 à 1913, consti- pour la « tournée des grands-ducs » PROFESSEUR D’HISTOIRE CONTEMPORAINE
tuent ainsi une véritable encyclo- qui consiste à explorer la nuit, généra-
pédie de l’« apacherie » (le terme a lement en compagnie d’un policier, les
fait son apparition en 1908). Mais plus sordides des bals, des bouges et
des écrivains plus chics, comme Jean des tripots fréquentés par des apaches. Pour ESSAIS
LATOUR
DE BABEL
Notre imaginaire s’est nourri du récit de la Genèse,
qui popularisa cette construction aussi démesurée
que l’orgueil des hommes qui l’édifièrent.
Et si cette tour ne relevait pas que du mythe ?
L’opiniâtreté des archéologues en quête des vestiges
de l’antique Mésopotamie a tranché la question.
FRANCIS JOANNÈS
PROFESSEUR D’HISTOIRE ANCIENNE, UNIVERSITÉ PARIS 1 PANTHÉON-SORBONNE
RMN-GRAND PALAIS
A
VDOVIN IVAN / AGE FOTOSTOCK
CÉRÉMONIE u cœur de la ville de Babylone,
RELIGIEUSE entre le début du VIe et le début du
Sur cette mise en Ve siècle av. J.-C., se dressa dans
scène d’un rituel qui
se tenait au lever du toute sa majesté l’un des monu-
soleil, les officiants ments les plus célèbres de l’Anti-
se trouvent entre les quité : la tour à étages, ou ziggourat, dédiée au
représentations à dieu principal de la ville, Bêl-Marduk, et acco- une date assez tardive, à la fin du IIe millénaire,
échelle réduite d’une
lée au temple où résidait sa statue de culte, pour en trouver une mention écrite. On situe
ziggourat (à gauche)
et d’un temple à l’Esagil. La ziggourat elle-même portait un nom versle XIIe siècle av. J.-C. la mise en forme d’une
terrasses (à droite). distinct en langue sumérienne : Etemenanki, liste lexicale en écriture cunéiforme, appelée
Bronze élamite, c’est-à-dire le « temple fondement du ciel et Tintir (l’un des noms sumériens de Babylone),
XIIe siècle av. J.-C.
de la terre ». Elle illustrait la force symbolique qui enregistre les éléments marquants de la
Musée du Louvre, Paris.
de sa situation, au milieu de la ville qui était topographie de la ville et cite, dans sa qua-
elle-même centre de l’univers, comm me t ième tablette, la ziggourat en seconde
tri
un pivot reliant la terre et ses tréfond ds position, juste après l’Esagil. Et ce n’est
p
au ciel, résidence des dieux du pan- quedans une inscription du roi assy-
théon mésopotamien. rien Sennachérib (704-681) que
La date de l’édification initiale l’on voit l’Etemenanki cité dans un
de l’Etemenanki reste matière à contexte historique précis, celui de
conjectures. Il faut attendre en fait la destruction que le roi ordonne des
B
ienquecesoitlemonument le plus im-
portant de Mésopotamie, on ignore sa
raison d’être. Le mot ziggourat vient de
l’akkadien ziqqurratu, « temple-tour »
ou « sommet de la montagne ». Ce substantif
dérive du verbe zaqâru, « construire en hauteur ».
Mais cela ne dit rien de son utilisation réelle :
la ziggourat possédait une fonction religieuse,
mais nous ignorons laquelle. L’historien grec
Hérodote a écrit, vers 450 av. J.-C., un récit sur
le rituel qui a pu se tenir dans le temple de la
ziggourat de Babylone, d’après ce que lui au-
raient raconté les prêtres babyloniens : « Sur la
dernière tour, il y a une grande chapelle, et dans
la chapelle il y a un grand lit richement disposé
[…] ; la nuit, personne ne peut rester là, hormis
une seule femme du pays, celle que le dieu
choisit entre toutes […] ; le dieu en personne
visite la chapelle et dort dans le lit. » Hérodote
nous décrit, à sa façon, le mariage sacré qui avait
lieu lors des fêtes du Nouvel An à Babylone.
monuments de Babylone en 689 av. J.-C., pour se dégageant pour faire de la dernière structure EN L’HONNEUR
la punir de s’être rebellée contre lui. l’œuvre des rois assyriens Assarhaddon (680- DES DIEUX
669) et Assurbanipal (668-630), achevée par Sceau babylonien
Un mille-feuille architectural les rois babyloniens Nabopolassar (626-605)
avec son impression,
qui montre une
Selon les résultats des fouilles archéologiques et Nabuchodonosor II (604-562). C’est donc ziggourat à cinq
allemandes menées au début du XXe siècle à le deuxième état qui aurait été détruit en 689 terrasses et la figure
Babylone, l’Etemenanki a compté trois strates av. J.-C. par Sennachérib, avant de faire l’objet d’un dieu ou d’un
prêtre. XIIIe siècle
successives de construction : une première d’une magnifique restauration.
av. J.-C. Musée des
structure, sur une base carrée de 65 mètres de La question de la hauteur et de l’organisa- Antiquités du Proche-
côté, recouverte par une deuxième, établie sur tion architecturale de la ziggourat fait encore Orient, Berlin.
un carré de 73 mètres de côté, qui fut porté à débat, puisque rien n’a été retrouvé à Babylone
91 mètres pour la troisième. Les spécialistes de l’Etemenanki, si ce n’est sa plate-forme de
discutent encore sur l’attribution de ces diffé- fondation, établie effectivement sur une
rents niveaux de construction, un consensus base d’à peu près 90 mètres de côté. Deux
LE MYTHE
DE BABEL
Dans la Bible, le livre de la Genèse (11, 1-9)
rapporte qu’après le Déluge les hommes,
qui parlaient encore tous la même langue,
ont voulu édifier une tour qui atteindrait
le ciel. Dieu a puni leur orgueil en les faisant
s’exprimer dans différentes langues, de
façon qu’ils ne puissent plus se comprendre.
ESSAI DE thèses sont en présence. La première s’appuie qu’entraîne une construction faite, pour l’es-
RESTITUTION sur les données métrologiques fournies par sentiel, de briques d’argile séchées au soleil,
L’archéologue une tablette cunéiforme, appelée « tablette de dont les différents lits sont renforcés par des
allemand Robert
Koldewey, directeur l’Esagil ». Rédigée en 229 av. J.-C., elle donne les nattes de roseaux et par du bitume. Seul le pare-
des fouilles de dimensions de plusieurs bâtiments du sanc- ment extérieur de l’Etemenanki semble avoir
Babylone à partir de tuaire de Marduk à Babylone, dont l’Eteme- été fait de briques cuites, certaines vernissées
1899, a identifié en nanki : la base de la ziggourat s’inscrit dans un en bleu. Il existe, de ce fait, de réelles difficultés
1913 les restes de sa carré de 90 mètres de côté et compte 6 étages, pour édifier, avec ce type de structure archi-
ziggourat (maquette
ci-dessous). Musée couronnés par un temple haut appelé šahuru. tecturale, un bâtiment aussi élevé par rapport
des Antiquités du Le premier étage est haut de 33 mètres, le à une base de 90 mètres de côté. La tablette de
Proche-Orient, Berlin. deuxième, de 18 mètres, et chaque étage sui- l’Esagil mentionnerait donc des éléments réels
vant s’élève à 6 mètres. Le šahuru mesure quant et d’autres relevant d’une numération ésoté-
à lui 15 mètres de haut. La hauteur de l’en- rique ; la véritable hauteur de la tour aurait été,
semble s’établit donc à 90 mètres, et la tour pour des raisons de stabilité, dans une propor-
à étages se présente comme une pyramide tion de deux tiers par rapport au côté du carré
parfaite, s’inscrivant dans un cube aux de base, c’est-à-dire environ 60 mètres.
arêtes de 90 mètres. L’iconographie d’une La fonction de l’Etemenanki, comme celle de
stèle de pierre provenant vraisemblable- toutes les ziggourats de Mésopotamie, était de
ment de Babylone conforte ces données : fournir, par son sanctuaire sommital, un com-
BPK / SCALA, FLORENCE
elle représente une ziggourat de 6 étages plément au temple du bas, l’Esagil, où résidait
avec un temple au sommet. le dieu Marduk. Les indications de la tablette de
La seconde thèse reprend certains élé- l’Esagil sont, de ce point de vue, très précises :
ments de la tablette de l’Esagil, mais elle
m le temple du sommet comprenait une entrée et
prrenden compte les contraintes matérielles une cage d’escalier menant probablement à une
LA BIBLE nomme « Babel » le lieu LA TOUR DE BABEL, décrite dans
où les hommes ont voulu édifier la Genèse, montre la familiarité
leur gigantesque tour. Ce terme des auteurs de ce livre avec les
vient du nom originel de Babylone : ziggourats. Le récit a sans doute
Bab-ilâni, la « porte des Dieux ». pris forme pendant la déportation
des Juifs à Babylone, ordonnée
par Nabuchodonosor II.
SUR LE MODÈLE
DU COLISÉE
D
epuis le Moyen Âge, l’image
occidentale de la tour de Babel a
évolué au même rythme que les
styles architectoniques. Avec
l’art gothique, la principale nouveauté intro-
duite a été la représentation des appareils
de construction, en particulier des poulies
servant à lever les blocs de pierre. L’aspect
de la tour de Babel a radicalement changé
au XVIe siècle. Le nouveau modèle de l’édi-
fice se caractérisait par son plan circulaire
et ses galeries superposées. Cette image
a été fixée par Pieter Bruegel l’Ancien, qui
s’est inspiré du Colisée de Rome. Le peintre
flamand avait contemplé ce monument en LA TOUR DE BABEL.
PAR PIETER BRUEGEL
1553, lors de sa visite de la Ville éternelle.
BRIDGEMAN / ACI
L’ATTRACTION
DE L’ORIENT
J
usqu’au déchiffrement des textes cunéi-
formes et au début de l’exploration ar-
chéologique du site en 1899, Babylone et
sa tour n’étaient connues que par le récit
biblique et par les géographes et historiens de
l’époque gréco-romaine, qui mentionnaient la
ville. Influencés par la lecture de ces sources
antiques, de nombreux voyageurs européens
se sont intéressés à l’ancien Orient et à ses
vestiges.Troislieuxontconcentréleurattention:
Babylone et la tour de Babel ; Ninive, capitale
des Assyriens ; Persépolis, capitale de la dy-
nastie achéménide détruite par Alexandre le
Grand. Entre le XIIe et le XVIIIe siècle, des récits
de voyageurs décrivent ce que ces derniers
ont interprété – à tort – comme les restes de la
tour de Babel. L’un des premiers Occidentaux
qui a cru localiser ce monument est le rabbin
hispanique Benjamin de Tudèle, entre 1159
et 1172. Mais l’identification définitive de la
ziggourat de Babylone par l’archéologie n’a
eu lieu qu’en 1913.
laGenèse,àlasuitedel’épisodeduDéluge.Elle absence puis sa mort en 323 av. J.-C firent que UN RÊVE
enfitunemarquedel’impossibilitépourl’hu- les travaux n’avancèrent que très lentement. DE MONUMENTS
manitéd’atteindrelescieux,malgrésesefforts En fait, après l’enlèvementdesdéblaisquis’ac- À la fin du XIXe siècle,
l’architecte,
pour bâtir un monument d’une élévation iné- cumulaient sur la ziggourat, la restauration
égyptologue et
dite.EtlasituationcontemporainedeBabylone, prévuenefutjamaisachevée.Lemonumentfut historien de l’art
capitalecosmopolited’unempirequicouvrait peu à peu désacralisé pour devenir, au fil des français Charles
alors tout le Proche-Orient, illustrait bien la siècles, une carrière de briques ; celles-ci ser- Chipiez voyage
diversité des langues qui fut la conséquence virent à bâtir les maisons desvillagesquis’im- au Proche-Orient
et restitue certains
de l’échec de l’entreprise. plantèrent à l’emplacementdeBabylone,quand édifices de manière
Au-delà de ce mythe de la tour de Babel, la la ville disparut dans les premiers siècles de tantôt réaliste, tantôt
ziggouratdeBabyloneconnutdesvicissitudes l’èrechrétienne; d’autres furentutiliséespour fantaisiste, comme
que n’avait pas prévues Nabuchodonosor II enrichir la terre des champs avoisinants. Au dans le cas de cette
lorsqu’ilenparachevaledernierétat.Laconquête bout du processus, il ne demeuraplusquel’em- tour assyrienne.
de l’empire de Babylone par les Perses en 539 preinte de l’Etemenanki,un carré marécageux
av.J.-C.entraînal’abandonprogressifdesbâti- de90mètresdecôté,pourtantencore bien visi-
ments religieux.La fragilité des constructions ble sur les photos satellite.
en briques crues fit que la tour se dégrada très
vite.LesrévoltesdeBabylonecontreleroiperse
Xerxèsen484av.J.-C.accélérèrentledésinté-
Pour ESSAIS
La Tour de Babel
rêtpourlesmonumentsdelamétropoleméso- en J. Vicari, Puf, 2000.
potamienne. Lorsqu’Alexandre le Grand savoir Dictionnaire de la civilisation
plus mésopotamienne
pénétra dans Babylone en octobre 331, l’Esagil F. Joannès (dir.), Robert Laffont, 2001.
et l’Etemenanki étaient en triste état, et le
Conquérant décida de les restaurer. Mais son
L’ANCÊTRE MYTHIQUE
Mérovée, qui vécut
au Ve siècle, est considéré
comme le fondateur de
la dynastie mérovingienne.
Par Évariste Vital Luminais.
XIXe siècle. Musée
des Beaux-Arts, Rennes.
EMBLÈME ROYAL
Ces petites abeilles
ont été découvertes
dans le trésor de la
tombe de Childéric Ier.
Or et grenats, Ve siècle.
Bibliothèque nationale
de France, Paris.
LES
MÉROVINGIENS
AUX ORIGINES DE LA FRANCE
BRUNO DUMÉZIL
MAÎTRE DE CONFÉRENCES, UNIVERSITÉ PARIS-OUEST
C H R O N O LO G I E
Les aléas de
la dynastie
481
Clovis devient roi des Francs
Saliens de Tournai.
511
Mort de Clovis et premier
partage du royaume franc.
568
Début de la guerre civile
entre les fils de Clotaire Ier.
613
Le royaume franc est réunifié
par Clotaire II.
639
Mort de Dagobert Ier, qui avait
réorganisé le royaume.
I
du royaume franc.
LA BATAILLE ls se nomment Clodomir, Sigebert ou
DE TOLBIAC Chilpéric... Mais ces noms compliqués
751 En 496, non loin
Le dernier roi mérovingien est de l’actuelle Zülpich,
n’encombrentpasnotremémoirecollective.
déposé par Pépin le Bref. dans l’ouest de Tout au plus retient-on Clovis, pour une
l’Allemagne, Clovis sombre histoire de vase cassé à Soissons,
remporte contre les ou Dagobert, pour des problèmes vestimen-
Alamans une victoire taires qu’il n’a sans doute jamais éprouvés.
décisive, qui étend
son royaume vers Pour le reste,les Mérovingiens font pâle figure:
les territoires de l’est. barbares ou fainéants, ils ne semblent guère
Par Ary Scheffer. mériter leur place dans les livres d’histoire.
Huile sur toile, Il est vrai que la première dynastie royale se
XIXe siècle. Musée
trouve écartelée entre Antiquité et Moyen
du château, Versailles.
Âge,ce qui dissimule son ampleur extraordi-
naire : plus de trois siècles de longévité, soit
davantagequetouteslesautresfamillesroyales,
BIBLIOTHÈQUE NATIONALE DE FRANCE, PARIS / SERVICE DE PRESSE
Th
Sa
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Tournai Tolbiac
Le royaume (496, contre les Alamans)
à la mort de o s Mayence
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Trèves
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ROYAUME
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Batailles fondatrices Soissons DE REIMS
du royaume 486, contre Syagrius)
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Capitales su nu
de Clovis Da
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Grands évêc AUME
(siège des m LÉANS
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Limite du royaume fr Besançon
à la mort de Clovis (5
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Partage entre ses fils : e s
ROYAUME DES
(507, contre l BURGONDES
Thierry
Clodomir Clermont
Childebert Lyon
OCÉAN
ROYAUME DES
Clotaire ATLANTIQUE Vienne
OSTROGOTHS
Indéterminé érigueux AUVERGNE
e
Bordeaux
Rhôn
Royaume burgonde
annexé en 534 Cahors Embrun
Provence annexée
37 Arles
0 150 km
Toulouse
Vascons
É É
mais pas nécessairement d’envahisseurs. ainsi une nébuleuse plus qu’une véritable L’EXPANSIO
Depuis le début du IVe siècle, les Francs four- dynastie. Le mieux connu d’entre eux est DU ROYAUME
nissent en effet des officiers et des mercenaires Childéric Ier (vers 458-481), dont la tombe a Parti de Tournai,
Clovis parvient à
à l’armée romaine, au point de former une été retrouvée à Tournai, en Belgique actuelle. étendre son royaume
sorte de « Légion étrangère » pour l’empire. Le roi avait été enterré avec les insignes d’un vers le sud et vers
Beaucoup de ces hommes ont appris le latin grand officier de l’armée romaine, mais selon l’est. Après le partage
et apprécient plus le vin que la bière ; certains des rites d’inspiration germanique tels que la de 511 entre ses fils,
ceux-ci continueront
se sont même mariés avec des Gallo-Romaines. construction d’un tumulus ou le sacrifice de la conquête, en
L’implantation des Francs sur le sol des pro- nombreux chevaux. Qu’en conclure ? Selon intégrant notamment
vinces romaines est d’ailleurs perçue comme le point de vue que l’on adopte, les premiers dans l’orbite franque
légale : les rois francs ont passé une alliance Mérovingiens apparaissent comme des hauts la Provence et les
(un fœdus) avec l’empire, en vertu de laquelle fonctionnaires de l’empire ou comme des chefs territoires burgondes.
ils reçoivent des terres en échange de l’aide barbares. Sans doute étaient-ils un peu des
militaire qu’ils apportent. Les « fédérés » se deux. Childéric disposait cependant d’un
chargent ainsi de protéger le monde romain anneau inscrit à son nom, en latin, lui per-
contre d’autres Barbares, jugés plus dangereux. mettant de sceller des documents, ce qui laisse
En la matière, ils se montrent efficaces : en supposer qu’il disposait au moins d’un embryon
451, les Francs aident l’Empire romain à vaincre d’administration.
Attila lors de la bataille des champs Catalau- Le fils de Childéric, Clovis (481-511), montre
niques, près de l’actuelle ville de Troyes. plus d’ambition. Vers 486, il entreprend la
Jusqu’aux années 500, les Francs restent conquête de l’actuelle Picardie, puis annexe
divisés entre une demi-douzaine de groupes le Bassin parisien. Au fil des années, ses troupes
dirigés par des roitelets vaguement apparen- multiplient les conquêtes sur la rive droite du
tés. Les premiers Mérovingiens constituent Rhin et se risquent jusqu’à la vallée du Rhône.
DES FILS BIEN En 507, Clovis parvient surtout à vaincre les commandements. Par la ruse ou par la force,
ÉDUQUÉS Wisigoths, dont il occupe presque toutes les Clovis réussit à massacrer tous les autres rois
Peint par Lawrence possessions entre la Loire et les Pyrénées.Puis francs ; à sa mort en 511, la dynastie se résume
Alma-Tadema, ce
tableau représente il lorgne sur la Provence, même s’il échoue aux seuls héritiers de son sang.
l’éducation des fils devant Arles en 508.
de Clovis, dans un En théorie, le roi des Francs reste soumis La loi salique face au droit romain
monde en transition : à l’empereur romain, lequel réside désormais Les successeurs de Clovis poursuivent cette
l’architecture,
à Constantinople. En 508, Clovis est ainsi politique faite de violence, d’opportunisme
héritage du monde
romain, côtoie élevé au rang de consul, et les monnaies qu’il etderespectdestraditionsromaines.Enjouant
les nouvelles modes frappe portent le nom de l’empereur, et non tantôt de la guerre, tantôt de la diplomatie, ils
vestimentaires. le sien.Les Mérovingiens reprennent en outre repoussent les frontières de leur royaume.
Huile sur toile, 1861. les traditions politiques romaines : après ses Dans les années 550,le territoire franc s’étend
Collection privée.
victoires, Clovis célèbre un triomphe à l’an- de la Saxe aux Pyrénées et de la Manche à la
tique et il se choisit comme capitale une cité moyenne vallée du Danube.Dans l’ensemble,
romaine, Paris. Le meilleur signe de cet atta- les Mérovingiens se montrent respectueux
chement à l’empire reste la protection de la des usages locaux. Dans les anciennes pro-
religion romaine, le catholicisme. Alors qu’ils vinces gauloises, ils maintiennent l’impôt
sont encore païens,les Mérovingiens accordent foncier et le fonctionnariat romain.En revan-
des privilèges au clergé ; quant au droit d’asile che, en Thuringe ou en Bavière, ils préfèrent
des églises, il est infrangible. Et lorsqu’un lever des tributs et nouer avec les dirigeants
soldat franc refuse de rendre un calice litur- locaux des relations d’homme à homme qui
gique volé, le fameux « vase de Soissons », préfigurent la vassalité médiévale. Dans sa
Clovis lui fracasse la tête. Bien sûr, protéger capitale,le roi se comporte en chef d’État ; sur
l’Église ne signifie pas obéir à tous ses les frontières, il n’est qu’un suzerain.
L
es premiers auteurs parlant des Mérovingiens
avouent leur ignorance sur l’origine de la
dynastie ; tout au mieux peuvent-ils citer
quelques roitelets actifs dans la région du Rhin au
milieu du Ve siècle. Mais une grande famille ne
peut se passer d’ancêtres prestigieux. Vers 660,
le chroniqueur Frédégaire déclare que la famille de
Clovis est issue des héros de la mythologie classique.
Après la chute de Troie, alors qu’une partie de
la famille royale partait fonder Rome, une autre
donnait naissance au peuple franc, lequel entama
une longue migration sous la conduite d’un héros
nommé Francion. De cette souche serait né le roi
Mérovée, issu de l’union d’une princesse franque
et d’un monstre marin mystérieux, le Quinotaure.
Si Frédégaire ne semble pas prendre son récit très
au sérieux, d’autres perçoivent l’exploitation idéo-
logique qui peut en être faite : les Mérovingiens
pourraient revendiquer une origine commune avec
les Romains ! Et, bientôt, les Francs donnent à leurs
fils des noms troyens, comme Hector ou Anchise.
BIANCHETTI / LEEMAGE
Dans ce cadre, il devient illusoire de vou- Rois chrétiens, les Mérovingiens le sont CLOVIS IER
loir maintenir un système juridique univer- assurément.Dès le début du VIe siècle,ils sou- EN MAJESTÉ
sel comme l’était l’ancien droit romain : tiennent les clercs, réunissent les conciles, Si Clovis devient roi
des Francs en 481,
selon que l’on est franc ou gaulois, que l’on fondent hospices et monastères. Les souve- il est aussi élevé
réside en Alémanie ou en Bourgogne, on est rains francs nouent également une corres- en 508 au rang de
maintenant jugé selon des lois différentes. pondance suivie avec la papauté sur des consul, une dignité
Tel est le cas de la loi salique, qui propose de questions de dogme, de discipline ecclésias- héritée de l’Empire
romain, qui marque
régler certains meurtres non en condamnant tique ou de mission.Dans leur propre royaume,
le maintien de
le coupable à une peine publique, mais en les Mérovingiens n’hésitent pas à légiférer l’allégeance due
l’obligeant à payer une forte somme à la fa- pour encourager la christianisation.Vers 540, par les rois francs
mille de la victime. Ces dommages et intérêts Childebert Ier ordonne par exemple l’abandon à l’empereur.
sont appelés le wergeld (« le prix de l’homme ») desdernierssanctuairespaïensdesonroyaume. Gravure du XIXe siècle
extraite de l’Histoire
et le montant est modulé selon l’âge, le sexe En 595, Childebert II impose à tous ses sujets des Français, par
et le statut social de la victime. La loi salique le principe du dimanche chômé, sous peine Théophile Lavallée.
des Mérovingiens a ainsi été décrite comme d’amende pour le contrevenant ! Dans tous
une « loi barbare », mais c’est là une appel- les cas,le roi mérovingien se présente comme
lation trompeuse. Tout d’abord, à niveau égal, le « ministre de Dieu », dont la mission est
les femmes sont mieux protégées que les d’assurer le salut de tous ses sujets. Évidem-
hommes. Ensuite, le système du wergeld est ment, en retour, les Mérovingiens entendent
dissuasif : la peur de la ruine limite le nombre que l’institution ecclésiastique leur rende
de meurtres. En somme, le roi des Francs quelques services, et les évêques sont utilisés
garantit la paix publique, et non l’équité. Quant comme des relais locaux de l’autorité royale.
à la justice absolue, chacun sait qu’elle n’ap- Tous les prélats sont d’ailleurs nommés par
partient qu’à Dieu ! le Palais, souvent dans le corps des hauts
L’ABBAYE DE JOUARRE
Elle a conservé la crypte
datant de sa fondation
au VIIe siècle, dans laquelle
se trouve l’exceptionnel
sarcophage d’Agilbert
(à gauche), représentant
le Jugement dernier.
BIANCHETTI / LEEMAGE
AU FIL DES
La grande piété des Mérovingiens ne leur
interdit pas de s’entretuer avec enthousiasme.
Jusqu’au 13 février 2017 13 février 2017 accumuler les épouses successives et engen-
Musée de Cluny. drer une nombreuse progéniture. Ceci ne les
6, place Paul-Painlevé, Paris. empêche pas d’entretenir quelques concubines,
Conception graphique - Voyou design graphique // © Collection du Musée jurassien d’art et d’histoire (Delémont, Suisse), Photographie Bernard Migy.
pouvoir au nom de son fils, de ses petits-fils l’impact de ces affrontements dynastiques.
puis de ses arrière-petits-fils jusqu’en 613. Dans l’absolu, les assassinats de rois francs
L’époque mérovingienne voit l’affirmation restent rares au regard du nombre de morts
d’un pouvoir féminin qui ne suscite pas d’hos- violentes chez les empereurs romains. En outre,
tilité a priori.Une reine mère ne devient impo- les conflits visent plus souvent à renégocier
pulaire chez les Francs que si elle accumule les partages qu’à éliminer un frère ou un neveu.
les défaites militaires ou, pis encore, si elle Il arrive aussi que la guerre ou la maladie
augmente les impôts. laisse le monde franc sans héritier évident.
Mais le Palais arrive toujours à proposer un
Des rois qui savent écrire enfant assez chevelu pour paraître présentable.
Lorsqu’un roi défunt laisse plusieurs enfants, Nul n’est vraiment dupe : les observateurs
chaque fils peut prétendre à une portion du notent par exemple que Clotaire II (584-629),
royaume. À partir de 511, celui-ci se trouve le plus puissant des Mérovingiens, n’est pro-
presque toujours partagé entre deux, trois ou bablement pas le fils de son prédécesseur
quatre Mérovingiens. Comme il est rare qu’un Chilpéric (561-584). On maintient toutefois
roi se satisfasse de sa part d’héritage, il en la fiction de la continuité dynastique, car elle
découle des tensions. À partir de 568, les fils interdit aux familles aristocratiques d’aspirer
de Clotaire Ier mènent ainsi une longue guerre au trône. Au prix de quelques ruses, les Francs
civile. Bien qu’entrecoupé de trêves et de ré- gagnent ainsi une stabilité politique qui fait
conciliations, ce conflit conduit à la mort d’une l’admiration des peuples voisins.
douzaine de membres de la dynastie et s’achève Légitimes ou non, les princes mérovingiens
en 613 avec l’exécution de la vieille reine Brune- sont soigneusement élevés. Tous savent lire
haut, attachée à la queue d’un cheval lancé au et écrire, et le roi Dagobert (629-639) appose
galop. Toutefois, il ne faut pas surévaluer élégamment son nom au bas de ses documents
AKG-IMAGES
PÉRENNITÉ DE LA officiels.Voilà qui tranche avec Charlemagne, chrétientés occidentale et orientale. Parallè-
CULTURE LATINE incapable de tenir la plume, et surtout avec lement, la peste est devenue endémique en
L’évêque de Poitiers, les premiers Capétiens, dont beaucoup sont Méditerranée,et le grand commerce se reporte
Venance Fortunat
(v. 530 – v. 610), était analphabètes.Par ailleurs,les descendants de vers des circuits passant par la mer du Nord.
aussi un poète réputé. Clovis apprécient la poésie latine et comman- En Gaule même, le succès des Mérovingiens
Lawrence Alma- dent des panégyriques complexes, qui sont a eu pour effet inattendu d’effacer l’identité
Tadema le représente récités en leur présence. Certains rois vont romaine : au nord de la Loire, les populations
en train de lire
encore plus loin en essayant de s’imposer locales se mettent à donner des noms francs
ses œuvres à la reine
Radegonde. Huile comme de véritables acteurs culturels.Tel est à leurs enfants et à employer la loi salique,
sur toile, 1862. le cas de Chilpéric, qui propose une réforme jusqu’à affirmer qu’elles sont « franques ».
Musée de Dordrecht. de l’alphabet pour répondre au multilinguisme Dans ce cadre renouvelé,les derniers vestiges
de ses sujets.D’autres ont des loisirs paisibles: du système impérial s’effritent. Tel est le cas
le grand conquérant Childebert Ier (511-558) de l’impôt foncier,qui devient de plus en plus
semble passionné par la taille de ses arbres difficile à percevoir. Or, si l’impôt ne rentre
fruitiers,tandis que la très dévote Radegonde plus, il faut se passer de fonctionnaires, les-
(vers 520-587) apprécie les jeux de société et quels doivent être remplacés par des aristo-
les compositions florales. crates, nettement plus difficiles à contrôler.
La dynastie entre pourtant en crise dans le Pour partie, la dynastie mérovingienne est
courant du VIIe siècle. Autour d’elle, le monde victime d’une nouvelle élite, la noblesse, qui
est en train de changer rapidement et, pour apparaît autour de l’an 600. Une soixantaine
tout dire, l’ambiance se fait moins romaine de familles,dont la richesse est avant tout fon-
qu’autrefois. Ultime incarnation de l’empire, cière, parviennent à monopoliser la plupart
Constantinople s’enlise dans des querelles descomtés,desévêchésetdesgrandesabbayes.
dogmatiques qui éloignent peu à peu les On trouve parmi elles les Étichonides d’Alsace,
C
hevelures longues, barbes fournies : l’abondante
pilosité des Mérovingiens constitue le principal
symbole de leur pouvoir. Entretenue avec force
shampooings, cette crinière impressionne les visiteurs
étrangers. Elle permet aussi de fournir les quelques
cheveux que le roi déposera dans la cire de son sceau
pour authentifier ses actes ; ces dépôts capillaires ont
été identifiés en 2011 par les Archives nationales.
Mais comme aucun auteur de l’époque ne nous
explique les raisons de ce culte du poil, les historiens
modernes ont beaucoup spéculé. Rite guerrier ?
Traditions germaniques, voire païennes ? Il est plus
probable qu’en évitant le coiffeur, les successeurs
de Clovis aient cherché à imiter les personnages de
l’Ancien Testament. Le nom de Samson est ainsi porté
par certains membres de la dynastie.
Le pire châtiment encouru par un prince est d’ailleurs
de se voir privé de sa chevelure. Et lorsqu’on demanda
à la reine Clotilde ce qu’il fallait faire de ses petits-
fils surnuméraires, elle répondit : « Plutôt morts que
tondus ! » Quant aux usurpateurs, ils doivent se laisser
pousser les cheveux plusieurs mois avant de se lancer
dans la conquête du trône, ce qui permet de les détecter.
GUSMAN / LEEMAGE
les Faronides de Bourgogne, les Pippinides ont l’intelligence de se rapprocher de la papau- TONDU ET RECLU
de Moselle, ainsi qu’à un niveau inférieur les té. En se présentant comme les protecteurs Pour devenir roi, les
Robertiens de Worms, ancêtres des Capétiens. de l’Église,les Pippinides sapent peu à peu les prétendants au trône
devaient porter la
Pendant un temps, l’essor de ce groupe est bases idéologiques de la dynastie mérovin- chevelure longue.
freiné par ses divisions internes. Les familles gienne. Le roi reste pourtant irremplaçable, Childéric III, le
de l’Est entendent en effet conserver une grande et certains souverains tardifs,comme Childe- dernier souverain
indépendance et poussent à la constitution bert III (695-711), bénéficient encore d’un mérovingien, reçoit la
d’un royaume autonome, l’Austrasie, contre grand prestige. À partir de 717, le Pippinide tonsure au monastère
de Saint-Omer, après
les velléités unificatrices des familles du Bassin Charles Martel parvint toutefois à arracher avoir été déposé par
parisien. Les minorités royales se livrent désor- aux Mérovingiens leurs derniers pouvoirs.En Pépin le Bref en 751.
mais à de violents affrontements pour contrô- 751,le fils de Charles Martel,Pépin le Bref,est Par Évariste Vital
ler le trône. Les reines mères parviennent un élu roi et usurpe le trône d’un monarque obs- Luminais. XIXe siècle.
Musée des Beaux-Arts,
temps à jouer les arbitres, mais elles sont ex- cur nommé Childéric III ; les Mérovingiens Carcassonne.
clues du jeu politique à partir des années 660 tombent dans les oubliettes de l’histoire,tan-
au profit des grands officiers, notamment des dis que les Pippinides s’imposent et prennent
maires du Palais, chargés de l’intendance du le nom de Carolingiens.
domaine royal. Au milieu des années 670, le
royaume est en outre déchiré par une effroyable
guerre civile et, pour la première fois, on voit
Pour ESSAIS
des rois éliminés par leur aristocratie, et non en
Les Barbares
B. Dumézil (dir.), Puf, 2016.
par leurs frères ou leurs cousins. savoir Des Gaulois aux Carolingiens
Vers le début des années 680, la noble famille plus B. Dumézil, Puf, 2013.
Les Mérovingiens
des Pippinides commence à l’emporter. Outre R. Le Jan, Puf, 2015.
leurs talents militaires et politiques, ses chefs
CLOVIS SE FAIT
BAPTISER
A
lors que son père Childéric est mort
païen, Clovis décide de se faire
baptiser. On ignore la date exacte
de l’événement, qui ne semble pas avoir
passionné les contemporains. Tout juste
possède-t-on la lettre d’un évêque,
qui s’excuse de ne pas avoir pu assister
à la cérémonie ! L’important est que le roi des
Francs ait choisi la foi catholique ; au même
moment, beaucoup de rois barbares adhèrent
à l’arianisme, une doctrine prônant une légère
subordination du Fils par rapport au Père au
sein de la Trinité. Autant dire qu’en choisissant
la religion de Constantin, le roi des Francs
se rapproche des élites gallo-romaines, tout en
faisant un pied-de-nez à ses voisins wisigoths
et burgondes, fidèles à l’arianisme.
Clovis a toutefois beaucoup réfléchi avant
de se convertir : un faisceau d’arguments
permet de supposer que la cérémonie
se déroule vers la fin du règne, sans doute
après 502, peut-être sous l’influence
de sa seconde épouse Clotilde. Toutefois,
le baptême ne devient un événement majeur
de l’histoire franque qu’à partir de la fin du
VIe siècle, lorsque l’évêque Grégoire de
Tours l’exalte dans ses Dix Livres d’histoire,
et affirme que toutes les victoires de Clovis
sont dues à cette conversion au catholicisme,
ce qui amène le chroniqueur à maltraiter
la chronologie du règne. Jusqu’à la Révolution,
le baptême de Clovis demeure perçu comme
le prototype des avènements royaux. À ce
titre, il justifiait que Reims, lieu du baptême,
accueille le sacre des rois de France.
JOSSE / LEEMAGE
BRUNO DUMÉZIL
MAÎTRE DE CONFÉRENCES, UNIVERSITÉ PARIS-OUEST
P
roclamé empereur le 18 mai 1804, et à tous les fantasmes. Quitte à sombrer à nou-
Napoléon médite surlessymbolesde veau dans l’oubli dès que l’actualité change.
sonnouveaurégime.Commentrem- Les premiers à réfléchir sur le sujet sont les
placerlesfleursdelys?Liéesàl’Ancien Carolingiens. Après avoir mené son coup d’État
Régime, elles susciteraient la colère en 751, Pépin le Bref rencontre bien des oppo-
des révolutionnaires. Difficile d’en mettre sur sitions. Pour justifier l’éviction d’une dynastie
RELIQUES DE le manteau du sacre ! Après réflexion, l’empe- vieille de trois siècles, il commence par fustiger
CHARLEMAGNE reur choisit de les remplacer par des abeilles l’incapacité de ses prédécesseurs à protéger la
Le souverain d’or, inspirées de celles découvertes dans le chrétienté. Car ce n’est pas le monarque méro-
carolingien est tombeau du roi Childéric Ier, pèredeClovis.Ces vingien qui a obtenu la victoire sur les envahis-
canonisé en 1165.
mystérieux insectes permettentdeserattacher seurs païens du Nord et sur les musulmans du
Les reliques de
son crâne sont aux origines de la France : danslesmomentsde Sud:c’estCharlesMartel!Pépinaffirmeaussi
conservées dans doute,leMérovingienconstitueunevaleursûre. qu’à cause des Mérovingiens, l’Église serait
ce reliquaire offert Telestlesortdel’époquefranque:parcequ’elle entrée en crise morale et financière. Et puisque
par l’empereur est jugée fondatrice, son histoire redevient un le coup d’État de 751 n’a pas convaincu tout le
Charles IV
en 1349. Trésor sujet d’intérêt dès que se posentdesquestions monde, le roi demande à être une nouvelle fois
de la cathédrale, d’identité. Maisparcequ’elleestlointaine,cette couronné en 754. Cette fois, le pape est présent,
Aix-la-Chapelle. histoire se prêteaussi à touteslesdéformations et les clercs francs inventent une nouvelle
DEAGOSTINI / LEEMAGE
POMPE IMPÉRIALE cérémonie, le sacre, qui fait de Pépin et de son Certains Mérovingiens, tel Clovis, échappent
On distingue, sur ce fils Charlemagne les vrais lieutenants de Dieu à la condamnation. Parce qu’il a été le premier
détail du tableau de surTerre.DesauteursstipendiésparlesCaro- roi chrétien, Charlemagne entretient sa mémoire
David représentant le
sacre de Napoléon en
lingiens se chargent de raconter que la seule et donne à l’un de ses fils son nom, en latin
1804, les abeilles qui activité des derniers Mérovingiens était de Hlodovicus,maisquel’usageaconduitàtrans-
ornent son manteau porterdescheveuxlongsetdecirculerdansun crire par « Louis » (Ier le Pieux). Porté ensuite
et celui de Joséphine, char à bœufs ; vers 830, l’historien Éginhard par18roisdeFrance,cenomdemeureunerémi-
inspirées de celles fixe la version officielle de ce mythe. niscence mérovingienne ; Louis XVI devrait
trouvées dans la
tombe de Childéric Ier. Charlemagne (768-814) va plus loin en dé- être appelé Clovis XIX !
Huile sur toile, 1806. clarantquesessauvagesprédécesseursontfait
Musée du Louvre, Paris. sombrerlacultureclassique.Desloisimposent FrancscontreGaulois
le rétablissement d’un « bon » latin, celui par- L’empiredeCharlemagnenesemontrepasaussi
léavantlachutedel’Empireromain.Entermes durable que l’ancien royaume franc. Il implose
linguistiques, l’effet de cette réforme est dra- aprèstroisgénérations,laissantlaplaceàl’Eu-
matique. Car la langue latine mérovingienne, ropecloisonnéedel’époqueféodale.Entrele Xe
celle du roi Dagobert ou de saint Éloi, n’était et le XIIe siècle, la mémoire des Mérovingiens
pas fautive : il s’agissait simplement de l’évo- reste entretenue par quelques monastères. À
lution d’une langue vivante, que perturbe la une époque où les biens ecclésiastiques sus-
réforme de Charlemagne. Autour de l’an 800, citent de nombreuses convoitises, les moines
cette diabolisation du passé mérovingien conduit apprécient les vieux documents qui attestent
les Carolingiens à transformer le latin en une de l’ancienneté de leurs droits et de leurs pos-
langue morte, tandis que, décrochée de l’écrit, sessions. Et si un monastère n’en possède pas,
la langue orale évolue très vite : le premier texte rien ne lui interdit d’en fabriquer. Se multiplient
en dialecte roman, forme ancienne de notre ainsi les actes signés par Clotaire, Sigebert ou
français, apparaît en 843. encore Dagobert.Certains sont manifestement
ROIS FAINÉANTS Dans son libelle Qu’est-ce que le tiers état (1789), en leur offrant des éditions de prestige des Récits
Le XIXe siècle Sieyès invite celui-ci, héritier des Gallo-Romains, des temps mérovingiens ; il s’agit de rappeler aux
n’a pas été tendre à renvoyer la noblesse française dans les « ma- futures élites françaises que les gens d’outre-
avec la réputation
des derniers rais de Franconie », d’où elle prétend venir ! Rhin ont toujours constitué un péril pour la
Mérovingiens, Le Premier Empire ayant tenté de rendre les civilisation. Les peintres d’histoire républicains
comme le montre Mérovingiens présentables, le retour de balan- s’emparent du sujet et illustrent les crimes sup-
cette ggravure. cierestterrible. Dans les années 1830, l’histo-
cierest posés de la dynastie mérovingienne. Il n’y a
rien libéral Augustin Thierry rédige ses Récits guère que les historiens catholiques pour ten-
des tem mps mérovingiens. Avec une plume au ter de défendre la mémoire des premiers Francs !
vitriol, il y expose que les Francs n’ont
v La réhabilitation date de l’après-guerre.
jaamais pu accéder à la civilisation, car ils Le 8 juillet 1962, De Gaulle et Adenauer scellent
n’ont pu se défaire de leurs caractères la réconciliation franco-allemande dans la
geermaniques : débauchés, paresseux, cathédrale de Reims, sur le site du baptême de
violents, ils sont irrécupérables. Ces tares, Clovis. Les Mérovingiens redeviennent des
ils les ont transmises à leurs héritiers, les ancêtres partagés, des proto-Européens dont
nob blesde l’Ancien Régime. Pendant tout le on peut célébrer la mémoire. Jusqu’à une nou-
e
XIX s siècle, le succès d’Augustin Thierry est velle damnation, peut-être.
phén noménal. Karl Marx est fasciné par cette
perceeption de l’histoire comme une « lutte
deracces»; il s’en inspire pour forger sa propre Pour ESSAIS
Les Historiens et la question franque.
concception de la lutte des classes. Mais Au- en Le peuplement franc et les Mérovingiens
TRÔNE DIT savoir dans l’historiographie française
« DE DAGOBERT ». gusstinThierry est surtout lu dans le milieu et allemande des XIXe-XXe siècles
FIN DU VIIIE SIÈCLE
plus
nattionaliste français, dont il flatte l’anti- A. Graceffa, Brepols, 2009.
OU IXE SIÈCLE. Les Mérovingiens. De Clovis à Dagobert
german nisme. Après la défaite de 1871, l’école F. Vallet, Gallimard, 2005.
BIBLIOTHÈQUE NATIONALE DE FRANCE, PARIS /
SERVICE DE PRESSE deJulesFerry
d J l récompense ses meilleurs élèves
APPARUE AU XVIIIE SIÈCLE, la chanson du Bon Daumier qui fait dire à un professeur sévère :
Roi Dagobert contribue à entretenir l’image de « Comment, drôle, vous ne savez pas le nom des
Mérovingiens fainéants et ridicules. L’auteur des trois fils de Dagobert… Mais vous ne savez donc
paroles,inconnu,sembleavoircherchéàconspuer rien de rien… Vous voulez d donc être toute votre
lelienparadoxalquiunissaitunmonarqueabsolu vie un être inutile à la société ! » Ce caractère
et son ministre assurant l’essentiel de la fonction incongru de l’enseignement des temps méro-
de gouvernement ; il fut probablement utilisé vingiens demeure le sujet du Bon Roi Dagobert,
dans ce sens contre Louis XVI. La question mé- film interprété par Fernandel en 1963. Pour la
rovingienne était alors à la mode, et Dagobert Ier, première fois, le roi y app paraît aussi comme
connucommefondateurdelabasiliqueroyalede un polygame ; ce trait a étté encouragé par les
Saint-Denis, constituait une cibledechoix. Sous couplets paillards peu à peeu ajoutés à la chan-
Napoléon Ier, les paroles servirent plutôt de para- son, notamment par Colettte Renard. En 1984,
vent à qui voulait critiquer les aventures militaires Coluche incarne à son tou ur le personnage de
durégime:«Leroifaisaitlaguerre,maisillafaisait Dagobert dans un film qui insiste sur
en hiver. Le bon saint Éloi lui dit : “Ô mon roi, votre la paillardise des Méroving giens. À
majestéseferageler”.»NapoléonIIIfutàsontour l’origine, la « culotte à l’envvers »
brocardépardescoupletsinsistantsurlabêtiseou ne semble pourtant pas avoir
la lâcheté du souverain. contenu d’allusion graveleeuse :
La ritournelle contribua pourtant à faire entrer elle répondait juste aux bessoins
Dagobert dans le roman national, alors que son d’une rime difficile.
père, le grand Clotaire II, sombrait dans l’oubli.
SAINT ÉLOI. SCULPTURE ALLEMANDE AN
NONYME.
Certains s’en amusèrent, tel le caricaturiste 2E MOITIÉ DU XVE SIÈCLE. B. SOLIGNY / R. CHIPAULT
UN ADOLESCENT
SONGEUR
Ce portrait du IIe siècle
représente un jeune
homme dont la lèvre
supérieure est ourlée
d’un léger duvet et
dont les cheveux sont
ceints d’une couronne
dorée. Il regarde le
spectateur par-delà
la mort. Musée
Pouchkine, Moscou.
FINE ART / SCALA, FLORENCE
T es panneaux
UNE JEUNE FILLE
MÉLANCOLIQUE
Ce portrait provenant
du cimetière romain
de Hawara, près
du Fayoum, révèle
une jeune femme à
l’expression pensive.
Musée égyptien,
Le Caire.
S. VANNINI / CORBIS / CORDON PRESS
ll’apparence de
d la
l vie aux défunts
déf momifiés
fié de
d l’Égypte
lÉ gréco-romaine.
é
L’ ensemble connu sous le nom de « portraits du
Fayoum » compte parmi les legs les plus beaux
et les plus insolites de l’ancienne Égypte. Près de
2 000 portraits nous sont parvenus, mettant des
visages sur la société qui vécut du ier au ive siècle apr. J.-C. dans une
province éloignée des rives de la Méditerranée : ce sont 2 000 figu-
res, toutes distinctes, qui interrogent quiconque les contemple.
Depuis la révélation des premiers portraits à ainsi significatif que les individus portent
la fin du XIXe siècle, ces petits tableaux n’ont aussi bien des noms grecs (Marc Antinoüs,
cessé de susciter l’émotion chez les philo- Polion Sôtêr, Irène…) qu’égyptiens (Amon…).
sophes, les poètes et les historiens d’art. Mais les pratiques funéraires sont l’expres-
Le Fayoum est le nom d’une oasis située sion la plus éclatante de la synthèse opérée
à une centaine de kilomètres au sud-ouest entre les civilisations grecque et égyptienne.
du Caire, entre le désert Occidental et le Nil. Car, bien que Romains et Grecs soient issus
Occupé depuis une époque très ancienne, il de cultures privilégiant à cette époque l’inci-
connaît une profonde transformation à la nération, les habitants du Fayoum et d’autres
fin du IVe siècle av. J.-C., après la conquête provinces d’Égypte finissent par adopter la
de l’Égypte par Alexandre le Grand et l’ins- pratique égyptienne de la momification, dont
tauration de la dynastie hellénistique des le but, dans la religion pharaonique, est de
Ptolémées. Grâce à l’arrivée de nombreux préserver le corps du défunt pour lui per-
colons, parmi lesquels des soldats macédo- mettre d’accéder à la vie éternelle.
niens qui reçoivent des terres fertiles et pro-
cèdent à des travaux de canalisation, l’oasis Inspirés des portraits romains
se transforme en un « verger » aux récoltes Les milliers de momies découvertes dans
variées, dont le blé et l’huile, très appréciés de l’oasis éclairent le processus d’embaume-
la monarchie ptolémaïque. Avec les proprié- ment auquel étaient soumis les défunts de
taires égyptiens, les immigrés venus d’autres l’Égypte gréco-romaine : le corps était évis-
zones de la Méditerranée, les agriculteurs et céré, puis déshydraté et tanné avec du natron.
les artisans salariés autochtones, ces nou- Il était ensuite enduit d’huiles et d’onguents,
veaux propriétaires d’origine grecque forment et rempli d’éléments divers pour le remodeler
une population multiculturelle qui augmente et conserver une certaine ressemblance avec le
tout au long de l’époque romaine, à partir de la défunt. On enveloppait alors le corps de ban-
fin du Ier siècle av. J.-C. Le multiculturalisme delettes, on célébrait les rituels funéraires et
de la société du Fayoum se traduit dans on insérait dans les bandelettes des amulettes
d e n o m b re u x protectrices. Ce processus long, complexe et
MER
aspects de la vie coûteux à l’époque pharaonique est par la suite
MÉDITERRANÉE
quotidienne. Il est simplifié et adapté au niveau de vie plus faible
LE CAIRE
Oasis du
Fayoum Les portraits du Fayoum proviennent de l’oasis éponyme (notamment
des nécropoles d’Arsinoé, de Philadelphia, de Tebtynis et de Karanis),
mais aussi de villes de l’Heptanomide (l’« Égypte du milieu »), depuis
É GY P T E
Saqqarah jusqu’à Panopolis (l’actuelle Akhmim), en passant par
Ankyronpolis (l’actuelle El-Hibeh) et Antinooupolis.
L’ÉGYPTE
SOUS
INFLUENCE
332 av. J.-C.
Alexandre le Grand
prend l’Égypte aux Perses
et fonde une nouvelle
capitale portant son
nom : Alexandrie.
30 av. J.-C.
Après la défaite de Marc
Antoine et Cléopâtre,
l’Égypte devient
une nouvelle province
de l’Empire romain.
1820
Des collectionneurs
européens commencent
à acheter des portraits du
Fayoum, même s’ils ignorent
d’où ils proviennent.
des familles, ce qui entraîne cependant une alors dans le monde hellénistique, peut-être
altération plus rapide des momies. enlienaveclavolontéd’AlexandreleGrandde
Mais si la momification répond à une très diffuser son image. Mais son origine la plus
ancienne tradition égyptienne,la population directesetrouvedanslatraditionromainedes
du Fayoum lui ajoute un élément singulier, bustesetdesmasquesfunéraires,quisecarac-
héritédelaculturegréco-romaine:unportrait térisent par leur réalisme dû à un tracé vériste
du défunt placé sur la momie. Il est attesté et à l’accentuation des traits et des expres-
que, dès le Moyen Empire, la société pha- sions. Ces masques funéraires, réservés à la
raonique avait coutume d’entourer la tête du noblesse,rappelaient à la famille l’absence de
défunt d’un masque funéraire en cartonnage l’être cher,mais ils servaient surtout à exalter
(plusieurs strates de toile de lin ou de papy- les vertus du défunt et la grandeur de la lignée
rus stuquées puis peintes),qui représentait le aristocratique.
défunt idéalisé, tel un être déifié, d’âge indé-
fini et sans traits distinctifs. Mais, à partir Un réalisme trompeur
du Ier siècle av. J.-C., au Fayoum Les portraits du Fayoum avaient la même
s d’autres régions de fonction.Les personnes représentées étaient
l’Ég tegréco-romaine,onse probablementdespropriétairesterriensd’ori-
t à placer sur les masques gine gréco-romaine,ce que suggère le fait que
véritables portraits à l’ef- les momies ainsi parées sont essentiellement
iedudéfunt,desportraits concentréesdanslarégionlaplusfertileduNil.
uiindiquentaussil’âgeréel Même s’il est manifeste que tous les défunts
e la personne à son décès. n’appartenaient pas à une classe sociale aisée
e genre de représentations et qu’il est très difficile de déterminer s’ils
eut se rapprocher de l’art du étaient grecs ou égyptiens, il est indéniable
ortrait, tel qu’il se développe que les sujets peints s’habillent et se coiffent
N. J. SAUNDERS / ART ARCHIVE
comme les membres d’une société urbaine portraits, on discerne le talent de véritables
hellénisée, bien différente de la classe popu- artistesformésàlatraditionpicturalegrecque,
laire autochtone, restée à l’écart de l’identité capables de représenter fidèlement le visage
culturelle grecque. et l’expression du défunt.
Cependant, l’impression de vérisme et Pour les portraits, on recourait à la tech-
d’individualité dégagée par ces portraits peut nique de l’encaustique,caractérisée par l’em-
être trompeuse. Les experts ont observé que ploi de cire d’abeille (ou d’un dérivé connu
de nombreux portraits sont le résultat d’un sous le nom de cire d’abeille punique) comme
travail standardisé, qui était réalisé dans les coagulant pour mélanger les pigments végé-
ateliers des peintres ; ces derniers utilisaient taux et minéraux. Ce procédé permettait de
un modèle simplifié,sur lequel ils plaquaient donner de la texture et du volume au moyen
des traits prétendument réalistes. Et il est de la couleur,et de créer les nuances chroma-
vrai que, si l’on compare les différents por- tiques servant à traduire la couleur de la peau
traits, on note que l’ovale du visage, la che- et l’intensité du regard.Par ailleurs,il n’est pas
velure, la forme de la bouche, le menton et impossiblequelesportraitsaientétépeintsdu
le
l nez,, ainsi que les poses vivantdelapersonneetaccrochésauxmursde
et les
l dimensions sont la maison,jusqu’au jour où ils étaient déposés
qu
uasiment identiques sur la momie.
d’uun portrait à l’autre ;
seeuls les sourcils et Des enfants aux vieillards
lees yeux présentent L’ensemble des portraits du Fayoum présente
un peu de singularité
u toute la diversité des habitants de cette région
et personnalisent le d’Égypte. Les enfants ont une physionomie
DEA / ALBUM
une partie du torse et une tête inclinée afin d’évoquer un corps sans
vie. Lorsqu’il s’agissait de femmes, on reproduisait aussi les bijoux :
bracelets, anneaux, colliers ou boucles d’oreilles. Ier siècle apr. J.-C.
Metropolitan Museum, New York.
COIFFURE ET VISAGE
Le masque porte
une guirlande de
fleurs et un chapeau
romains sur une
perruque typiquement
égyptienne. Le visage
doré fait allusion au
statut divin du défunt.
DÉESSES AILÉES
De chaque côté du
visage, dont les sourcils
et les yeux sont peints,
deux divinités ailées
sont en charge de
protéger le défunt.
ANUBIS
Deux représentations
assises d’Anubis, le
protecteur du défunt et
dieu de la momification
à l’apparence de
canidé, se trouvent
à hauteur du cou orné
d’un collier ousekh.
romain de leur condition d’enfant. Dès l’âge conçus dans un but funéraire. La fixité du
de 14 ans, la lèvre supérieure des jeunes gens regard et la gravité du visage caractérisent
s’ourle d’un léger duvet,suivant une tradition l’ensemble. Il arrive que le défunt soit même
iconographique classique. représenté sans atours, afin que son visage
Les parures permettent de déterminer la soit le seul reflet de son âme. Car les por-
condition sociale du défunt. Sur un célèbre traits avaient une fonction dans les ténèbres
portrait, une étoile à sept branches indique de la tombe : quel que soit le style par lequel
certainement un adepte du dieu Sérapis,tan- était représenté le défunt – la tête tournée de
disquelacouronnedoréesignifiequeledéfunt trois quarts,selon les préceptes classiques de
a été élevé à la condition de héros selon la tra- l’art figuratif,ou vu de face,respectant ainsi la
dition macédonienne (un privilège réservé tradition orientale de l’imagerie religieuse –,
auxclassessupérieures),demêmequelesdia- le portrait ne s’adresse pas aux vivants, mais
dèmes en or massif et les lourds colliers sertis à l’au-delà, arborant les symboles de la vie
de gemmes qui apparaissent ultérieurement. éternelle.
Lorsque l’on parle des portraits du Fayoum,
Des regards émouvants on emploie souvent des qualificatifs qui sou-
Les hommes sont généralement vêtus de lignentl’auramystérieusequis’endégage,leur
tuniques blanches à bandes verticales rou- puissance extraordinaire capable de maté-
geâtres ou pourpres, un signe de distinction, rialiser la présence des défunts et d’émou-
tandis que les femmes portent des vêtements voir les vivants, quelle que soit l’époque.
colorés avec des ornements sur l’encolure et Ces vertus sont dues à la finalité de l’œuvre,
des bandes verticales foncées. D’autres per- qui consistait à capter l’instant du passage,
SCALA, FLORENCE
LE PARADIS
ÉGYPTIEN
POUR TOUS
L’enveloppe de la momie
reflétait généralement
les croyances en l’au-delà.
Les scènes peintes sur les
cartonnages des momies
montraient des moments
caractéristiques de
la religion des pharaons,
mais adaptés à la mode
gréco-romaine
qui prédominait alors.
La tradition gréco-
romaine épouse les rites
religieux de l’Égypte. Outre
la représentation des dieux
funéraires égyptiens, les
peintures des cartonnages
comportent également
des éléments évoquant
la vie éternelle, comme la
grenade (fruit symbolisant
l’immortalité), les colombes,
les rameaux de myrte, les
roses et les cratères (vases
contenant du vin).
PYDNA
La bataille qui fit plier la Grèce
LA PHALANGE SE ROMPT
Les premières rangées de la phalange
grecque sont désorganisées par les accidents
du terrain. Les légionnaires en profitent
pour s’introduire dans les brèches
et engagent un combat au corps à corps.
ILLUSTRATIONS : PETER CONNOLLY / AKG / ALBUM
YANN LE BOHEC
PROFESSEUR ÉMÉRITE, UNIVERSITÉ PARIS-SORBONNE
UN HÉRITAGE
POUR ROME
En 133 av. J.-C., Attale III,
dernier roi de Pergame,
lègue à sa mort son
royaume à Rome, qui
fut alliée de son peuple
dans les guerres contre
la Macédoine. Vue
du temple édifié
par l’empereur Trajan
à Pergame au début
du IIe siècle apr. J.-C.
REIMAR GAERTNER / AGE FOTOSTOCK
P
ydna se trouve dans l’est de la Macédoine, près dee
la mer Égée. C’est là qu’eut lieu, le 4 septembre
168 av. J.-C., la seule bataille de la troisième
guerre de Macédoine, une bataille décisive ; elle
vit s’opposer les légions et la phalange au bout
de quatre ans de guerre.
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Cette bataille pose un problème auquel elle Ensuite,toute armée dépend étroitemeent IC
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apporte peut-être une solution, problème qui de celui qui la dirige,et elle ne peut pas gagner
soulève les passions et qui partage les histo- une bataille si elle est mal commandée. Dans L’ENNEMI
riens en trois écoles. Les uns pensent que la ce cas s’opposaient Persée et Paul Émile. Ils DU SÉNAT
phalange macédonienne était meilleure que la ne sont bien connus que par Plutarque qui, Sur ce camée
en cornaline, le roi
légion romaine et qu’elle n’a jamais été vain- toujours soucieux de donner de bons et de Persée porte
cue que dans des circonstances défavorables mauvais exemples, a fait du premier le para- la causia, la coiffe
(infériorité numérique, disposition face au digme du mauvais roi et de son adversaire, le typique des
soleil, etc.). Les autres pensent exactement modèle du bon général. Et certes, le roi a été Macédoniens.
le contraire. maladroit et pingre ; il a découragé ses alliés. Vers 160 av. J.-C.
Cabinet des
D’autres enfin pensent que c’est un faux Le Romain – qu’il faudrait appeler Lucius médailles, Paris.
problème, pour trois raisons. D’abord, la pha- AemiliusPaullus,etnonPaulÉmilecommeon
lange macédonienne, tout comme la légion le fait depuis la Renaissance – était présenté
romaine, ne se suffit pas à elle-même, elle comme l’antithèse de Persée, alors qu’il lui
ne peut pas exister toute seule : ces deux ressemblait quelque peu : aristocrate de très
types d’unités ont besoin d’auxiliaires, en bonne naissance,il était dévoué à l’État et à sa
particulier de cavalerie pour protéger leurs patrie (il brillait par savirtus,son dévouement
flancs. À Pydna, le roi de Macédoine était à l’État),et il possédait une très vaste culture.
très accompagné. Ses alliés thraces allaient Enfin, l’histoire a tranché : la phalange
en tête, puis venaient des auxiliaires, suivis macédonienne et la légion romaine se sont
par les phalanges des leucaspides, les « bou- affrontées plusieurs fois et, à la fin, c’est la
cliers blancs », à l’avant, et des chalcaspides, légion qui a gagné.
les « boucliers d’airain », qui fermaient la Les causes de la guerre sont connues ; elles
marche. Les autres Macédoniens flanquaient viennent des deux parties.La Grèce connais-
ce groupement composite. La composition de sait une crise économique assez profonde,qui
l’armée romaine est mal connue, mais il est entraînait une crise sociale et qui provoquait
assuré qu’elle disposait de troupes montées des accès de fièvre. De l’autre côté, l’expan-
et d’alliés, les socii. sionnisme de Rome se traduisait par une
C H R O N O LO G I E 215-205 av. J.-C. 200-197 av. J.-C. 172 av. J.-C. 168 av. J.-C.
LA GRÈCE Première guerre Nouvelle guerre Persée, fils Le consul
VAINCUE de Macédoine.
Le roi Philippe V
entre Rome,
désormais alliée
de Philippe,
attaque le roi
Paul Émile
bat Persée à
SUR soutient de Pergame, et de Pergame. Pydna. Fin de
SON SOL Carthage face Philippe, défait Troisième guerre la monarchie
BRIDGEMAN / ACI
EUMÈNE II DE PERGAME. PORTRAIT EN BRONZE D’ÉPOQUE ROMAINE. MUSÉE ARCHÉOLOGIQUE NATIONAL, NAPLES.
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LE MONDE GREC AU DÉ AV. J.-C.
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