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Je laisse à nos petits-neveux le soin de parler d'André Savoret lui-même, d'abord parce que
le temps de le faire n'est pas encore arrivé, puis pour ne pas déplaire à notre ami, qui tolère, à
la rigueur, qu'on parle de son uvre, mais ne souffre pas qu'on s'en prenne à lui. Je le
comprends d'ailleurs fort bien.
Je rappellerai donc ici, simplement, qu'André Savoret est né à Paris le 28 juillet 1898, que
la guerre de 1914 l'obligea à renoncer à la carrière de chimiste qui lui aurait plu, qu'il y perdit
un diplôme pour y gagner la médaille militaire, enfin que, depuis cette guerre, il s'est occupé
de cent choses, s'attaquant d'abord à l'occultisme et à la poésie, puis à l'histoire, à la
linguistique, aux diverses mythologies, à l'astrologie, à l'hermétisme...
Il y à vingt ans que je connais André Savoret. Ami plus sûr, plus dévoué, plus délicat, ne
peut sans doute se rencontrer qu'assez difficilement. C'est là une vérité première, comme le
savent tous ceux du Nouveau Romantisme qui l'ont approché. C'est un ami précieux, parce
que, sachant, de science vécue, un certain nombre de choses peu courantes, il peut, de temps à
autre, d'un mot placé au bon moment, ouvrir une porte inattendue sur la solution de tel
problème difficile, tant de l'ordre moral que de l'ordre intellectuel. Je ne crois pas être le seul à
lui devoir beaucoup.
Trois ans après que j'eus fait sa connaissance, en 1932, nous lançâmes, lui et moi, une revue
bi-mensuelle, SOS, Occident !, destinée à jeter quelque lumière sur le dilemme France-
Allemagne et à appeler l'attention des hommes de bonne volonté sur les dangers qui
s'amassaient à l'horizon. L'année suivante, cette fois en compagnie de Philéas Lebesgue, nous
fondâmes le Collège bardique des Gaules. Notre but, dans cette deuxième entreprise, était de
rappeler quelle part essentielle avait prise le génie celtique à l'élaboration de l'âme française,
et c'est à cette occasion que Savoret se pencha, avec plus d'amour que jamais, sur les grands
problèmes linguistiques, ethniques, éthiques. Oeuvre considérable, dont la valeur sera un jour
reconnue, je n'en doute pas un seul instant ; oeuvre qu'il poursuit toujours, ce qui nous vaut,
de temps à autre, quelque nouvelle brochure précieuse. Avant d'aborder luvre poétique de
notre ami, je veux citer, ne pouvant faire plus, faute de temps, les titres de ses ouvrages en
prose. D'abord Du Menhir à la Croix, publié en 1932, recueil d'essais écrits au cours des
années précédentes, qui, à travers le voile de réticences volontaires, - car Savoret, en vrai
philosophe et en disciple, pour une part, de Fabre d'Olivet, sait plus de choses qu'il n'en dit, -
jettent une vive lumière sur les problèmes majeurs, permettent d'ordonner les concepts et
d'entrevoir, - enfin ! - une synthèse véritable, et non plus quelque chatoyant mélange
kaléidoscopique comme on nous en a tant proposé depuis la fin du siècle dernier. Ce livre a
été peu à peu complété, par endroits aussi corrigé, par toute une série de brochures : A propos
de la question aryenne, Pro Gallia, la Vraie France, et, depuis la dernière guerre, Trois
Problèmes astrologiques, Qu'est-ce que l'Alchimie ?, De quelques symboles druidiques. Je
signalerai de plus, publiée en 1939, une étude intitulée l'Inversion psychanalytique, où l'auteur
dénonce le caractère pernicieux des méthodes lancées dans le monde par Freud, avec le succès
que l'on sait, tragique caricature, par certains points, des anciennes disciplines initiatiques,
véritable école primaire du satanisme, car ces méthodes ne peuvent que multiplier les cas de
dédoublement ou d'émiettement de la personnalité, cas dont Stevenson, au siècle dernier, nous
a donné une illustration à peine outré, dans l'Étrange Cas du docteur Jekyll et de M. Hyde.
Ajoutons enfin à cette liste une remarquable étude sur Quelques Aspects de la Poésie celtique,
où se trouve succinctement exposé le système de la versification traditionnelle des Gallois.
Le fait que Savoret est, non point un réflecteur d'idées, mais un penseur authentique, lui
permet d'être en même temps un poète.
Tout jeune encore, - il était alors soldat et, après avoir combattu sur le front de France, s'en
était allé guerroyer en Asie Mineure, - il subit, nous dit-il, l'influence de Baudelaire, de
Rimbaud, de Verlaine, de Nicolas Bauduin, celles aussi, à travers des traductions, d'Edgar Poe
et d'Omar Khayam. De Baudelaire il a conservé le goût de l'objectivité, de la précision ; Poe
lui a ouvert ce qu'on pourrait appeler le pays de la poésie musicale ; il a trouvé chez Khayam,
- et, ajouterai-je, chez les Chinois, lesquels ne lui sont pas moins chers, - une prédilection
pour le poème court (un quatrain, voire un simple distique). Mais Savoret, avant toute chose,
est Savoret ; il a une personnalité poétique extrêmement bien définie, personnalité qu'il doit à
la profondeur et à la netteté de sa pensée, -car, chez lui, le poète et le penseur sont en étroite
communion, sont faits de la même substance.
Sa poésie se rattache par là à la grande poésie éternelle, qui est d'abord précision et
simplicité. C'est un caractère que n'a point la poésie dite « moderne », qui ne saurait jamais
que jouir un court moment d'une originalité illusoire. Mallarmé, Rimbaud n'ont certes pas
ouvert à la poésie la région des troubles crépuscules. Baudelaire, Poe, Hugo et, bien plus
anciennement, Shakespeare les avaient précédés dans cette voie ; mais ils ont eu pour
originalité d'emprisonner leur poésie dans cette pénombre, de la couper de toute
communication avec la lumière libre ; ils l'ont engloutie dans le gouffre du subconscient,
impasse infernale. Elle n'a pas tardé à y ressentir les atteintes de la folie, et c'est ainsi que,
d'un faux symbolisme, d'un symbolisme de pacotille, nous sommes tombés dans les crises du
dadaïsme et du surréalisme, ici fureurs de gorilles, là plaisanteries de bourgeois en goguette.
Dada n'est que le reflet inversé de Pégase dans l'eau croupie des cloaques astraux.
Savoret se méfie donc, à juste titre, du conseil que Verlaine, ce charmant moqueur, a donné
dans son Art poétique :
Pour les anciens, la poésie valait avant tout par la précision de la forme, par la netteté de
l'expression. Ils n'admettaient le verbe qu'à l'état solaire ; les balbutiements,- De la musique
avant toute chose, - n'en eussent été à leurs yeux que des contrefaçons impies.
Mettre toute son attention dans le choix des mots et, cela fait, tirer de son choix le meilleur
parti possible, c'est là la règle première que respecte tout vrai poète ; c'est celle que s'impose
constamment André Savoret. Écrivain, il est l'ennemi né du charabia, comme, penseur, il est
l'ennemi né des mélanges qui se déclarent synthèses ; et c'est parce qu'il est épris de clarté
qu'il est un poète de grande classe. Laissons, mes chers amis, aux poètes du courant le facile
plaisir des longues baignades dans les mares du subconscient et de l'infra-réel ! Tout autant
que les pauvretés académiques, les fausses richesses nées des décompositions intellectuelles
et verbales sont la marque des époques de décadence et de sénilité.
Certes, il y a chez les grands poètes des obscurités ; le génie du poète ne parvient pas
toujours à jeter la lumière sur certains concepts situés trop au large de la conscience et de la
langue habituelles. Mais jamais les grands poètes ne se veulent obscurs par la forme ; ils ne le
sont, ici ou là, qu'à leur corps défendant, comme certains grands mathématiciens que seuls
leurs pairs arrivent à comprendre.
André Savoret connaît le génie de la langue française et se refuse à le trahir. Il ne croit pas
que le poète déchoit à bien lier ses concepts et ses phrases ; il n'use de l'ellipse qu'avec le plus
grand tact.
Il aime, assurément, la musique intrinsèque des mots, mais n'oublie jamais que le verbe
contient toujours un élément intellectuel et que ce qu'on a appelé la « poésie pure » ne saurait
jamais être qu'une musique d'ordre inférieur, aussi éloignée de la musique véritable que le
croassement du corbeau est éloigné du chant du rossignol. Les mots sont avant tout les signes
de concepts ; pas de langage qui n'ait à sa base quelque opération intellectuelle. C'est là sans
doute ce qui fait que la poésie est l'art le plus complètement humain. La musique et les arts
plastiques relèguent l'intelligible au second plan ; ceux-ci sont d'immobiles miroirs, celle-là
est sublime et fuyante. Seule la poésie nous présente une âme et un corps harmonieusement
unis, en équilibre. La « poésie pure » se désire uniquement émotion musicale ; ainsi mutilée,
elle est la poésie d'une époque de complet désarroi, qui n'arrive plus à distinguer les dieux les
uns des autres.
Une dame, un jour, me disait qu'elle lisait avec passion Shelley, Keats. Je lui demandai si, à
elle française, le vocabulaire assez subtil qu'emploient volontiers les lyriques de langue
anglaise permettait de bien comprendre le sens de leurs poèmes. Elle me répondit que cela
n'avait aucune importance, que la musique des mots suffisait à l'enchanter. Cette dame,
assurément, n'entendra jamais rien à la grande poésie.
Savoret est donc de ceux, jusqu'à Mallarmé considérés comme sains d'esprit, pour qui le
sujet compte et qui ne prennent la plume qu'après s'être proposé un objet.
Du point de vue de la technique, Savoret n'est pas davantage un poète du courant. Les
poètes du courant ont perdu tout sens du vers ; les subtilités rythmiques leur échappent, aussi
bien que les subtilités vraies de la langue qu'ils parlent. La technique de Savoret, en matière
de versification, est très solide et très souple ensemble. Il connaît la valeur de nos différents
mètres, sait ce que l'on est en droit de demander à chacun d'eux ; il connaît la valeur
extraordinaire de le prétendu muet et respecte avec le plus grand soin les pouvoirs de ce
magicien. C'est avec un talent très sûr qu'il use de la rime, de l'assonance, de l'allitération, du
vers-refrain et de ce qu'on pourrait appeler le vers-retour, cher à Edgar Poe. Il aime nos
vieilles formes traditionnelles et se plait à les enrichir de variantes en général des plus
heureuses (1).
J'en viens maintenant aux sujets eux-mêmes, à ces sujets que la technique ne fait que vêtir
des robes ou des voiles qui leur conviennent.
Dans son ensemble, luvre de Savoret est, dirai-je, une nouvelle expression, à la fois
traditionnelle et originale, de la Quête du Graal. Poète lyrique, Savoret n'écrit pas une épopée,
comme l'ont fait Dante et, dans le monde pré-chrétien, l'Homère de l'Odyssée ; il disperse les
divers « actes » de cette Quête dans des poèmes de longueurs et de formes diverses, et se plaît
à nous emmener dans un labyrinthe de sa construction où, sans fil d'Ariane, on risque fort de
manquer la sortie.
Poète lyrique, ai-je dit. Oui ; mais, en même temps, mythologue, - et, pour cela, Platon, qui
voulait que le vrai poète fût créateur de mythes, le couronnerait avant de l'exiler de sa cité.
Savoret n'ignore rien de la constante utilité du mythe. Comme l'a écrit Secundus Sallustios
Promotus qui, né en Gaule, vécut au IVe siècle de notre ère : « On pourrait appeler l'univers
entier un mythe, qui renferme visiblement les corps des choses et d'une manière cachée leurs
âmes et leurs esprits. Si l'on enseignait à tous la vérité sur les dieux, les inintelligents la
mépriseraient parce qu'ils ne la comprendraient pas, et les esprits plus vigoureux la
prendraient à la légère ; mais, si l'on donne la vérité sous le vêtement mythique, elle est
assurée contre le mépris et sert d'aiguillon à la philosophie. » (2) Nous voyons donc passer
dans les poèmes de notre ami de hautes figures riches de vie universelle : Ahasvérus, Hélène,
que suivent des personnages, fort historiques ceux-ci, mais non moins auréolés de lumière
mythique, comme Ram, comme Moïse, comme Orphée, et, au dessus d'eux tous, aux côtés de
l'ineffable figure de Marie, la Vierge éternelle, Celui que Victor Hugo nomma
. . . le grand passant mystérieux, Jésus. (3)
Car, si Savoret rejette avec raison le mirage des fausses synthèses, c'est pour s'attacher à la
grande Tradition qui, embarquée sur l'Arche de Noé, est parvenue, par Ram et Moïse, jusqu'à
la Crèche de Bethléem, jusqu'à la Croix du Calvaire et jusqu'au Sépulcre de la Résurrection,
d'où, continuant sa route à travers les vicissitudes du « siècle » et les phantasmes du règne de
l'Antéchrist, elle atteindra un jour la Nouvelle Jérusalem, Éden retrouvé.
Les titres de ses deux recueils poétiques révèlent parfaitement le souci qui l'a poussé à
prendre la parole : le Bûcher du Phénix, Intersignes. Le Phénix est un magnifique symbole de
la destinée humaine. Dans le monde pré-chrétien, il représente l'âme de celui qui « naît de
nouveau », qui s'éveille à l'un des modes de la vie spirituelle ; depuis l'Évangile, il représente
le nouvel homme qui, se dégageant de l'homme de péché, est réintégré dans le Royaume de la
Vie spirituelle intégrale. Quant aux Intersignes, ce sont les Idées impérissables, - les dieux, -
qui jalonnent la route du retour ; dans les hauteurs, ce sont les Étoiles, flambeaux splendides
fixés par la Divine Charité sur les deux rives de la Voie Lactée.
Ceci m'amène à signaler que Savoret, en même temps qu'un hermétiste consciencieux, est
un consciencieux astrologue. Il sait ce que représentent les astres.
Dans sa Quête du Graal, notre poète s'est trouvé naturellement amené à étudier avec un soin
tout spécial la question celtique, et très souvent ses poèmes reflètent les trouvailles qu'il fait
connaître dans ses ouvrages en prose. Il adopte sans hésiter la grande conception qui donne
pour héritière à la Galilée, dans le rôle de pays porte-Verbe, cette Gaule où le druidisme s'est
fondu sans heurt dans le christianisme, comme elle-même s'est fondue dans la France, cette
Gaule qui, spirituellement sauvée par le sacrifice de Vercingétorix, a été donnée au Christ par
Clovis, fut une première fois rachetée de ses erreurs par Jeanne d'Arc, et qui, aujourd'hui,
attend, au fond de l'abîme où elle s'est laissée glisser, une nouvelle aide providentielle qui la
relève, lui redonne son pouvoir lumineux et refasse d'elle la sur aînée des nations.
Avec toute sa science, Savoret reste avant tout un poète lyrique. C'est que sa science est
vivante ; c'est que, sur le plan où séjourne constamment sa pensée, science et poésie ne font
qu'un, sous le feuillage de l'Arbre de la Vie. Savoret se situe dans la ligne des grands poètes
de tous les temps et de tous les pays. Nostalgie poignante de la patrie éternelle ; dégoût, non
point de la vie, - viril, il n'a point cette faiblesse, - mais du péché né de l'égoïsme mental et
charnel qui a perverti cette vie ; espoir en Celui-là seul que le Père nous a donné pour Frère
Aîné. On trouve chez lui, mais toujours et uniquement sous le signe du Christ, les deuils et les
aspirations des mystiques tant d'Orient que d'Occident, de tel bhakti comme Tagore, de tel
soufi comme Atthar, de tel saint comme jean de la Croix, et parfois il semble toucher la harpe
de David. C'est dire que, courageux, tenace, fier, jamais il ne se soumet aux frissons morbides
qui parfois viennent l'assaillir. De la Terre il espère un jour, non pas s'évader, - toute évasion
ne saurait être que temporaire, le destin étant bon gendarme, - mais obtenir d'être délivré ; et
non point de la Terre seulement, mais, pour employer sa propre expression, qui est fort belle
(4), de cette « prison d'étoiles » que tant d'esprits encore un peu myopes appellent l'infini.
Cette délivrance, il la veut pour tous, s'en remettant à la Bonté du Père du mode et du moment
qui la rendront possible. La poésie de Savoret est à base de charité, et je serais tenté de lui
donner pour devise les deux vers que voici, empruntés au Bûcher du Phénix :
La sagesse de notre poète ne sort jamais du cercle où, à côté du vieil adage immémorial : «
Aide-toi, le Ciel t'aidera », brille la parole du Christ : « Cherchez d'abord le Royaume de Dieu
et sa justice, et toutes autres choses vous seront données par surcroît. »
Dois-je m'excuser d'avoir si longtemps retardé le plaisir que vous allez prendre à écouter
quelques vers de notre ami ? J'ai cru utile de donner d'abord de son uvre poétique une vue
d'ensemble, Savoret n'étant pas un poète que l'on puisse goûter pleinement sans quelque
préparation.
Le Bûcher du Phénix a paru en 1933. Un poème liminaire nous apprend sans détours ce
que, dans l'esprit du poète, représente l'oiseau fabuleux. Je l'ai indiqué et n'y reviendrai point ;
mais je tiens à noter combien, dès ce premier poème, qui date de la Pentecôte de 1923 (date
sans doute réelle, mais non moins symbolique), combien, dis-je, mythe et vie sont étroitement
unis chez André Savoret. Le dernier vers :
résume d'une manière lumineuse le sens de l'effort entrepris : par le sacrifice du moi
provisoire atteindre à la transfiguration dans l'Esprit éternel.
Une série de Crayonnages vient ensuite, qui mêlent regrets, - peut-être de vies antérieures, -
mélancolies actuelles, impressions de tous ordres. De cette série je vais vous lire Oraison, qui
est un fort beau poème ; puis M. Guinel vous dira Jardin sous la pluie, d'un impressionnisme
bien séduisant, car le poète a réservé un coin de son âme aux jeux des esprits de la nature et ne
dédaigne pas de se souvenir, ici ou là, d'un Maeterlinck, d'un Verhaeren, voire d'un Stuart
Merrill ou d'un Vielé-Griffin.
Oraison
.. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. ..
Oh ! le panorama funèbre de ma vie :
Jardins abandonnés, livides marécages,
Firmaments sans soleil, océans sans rivages,
Et cette solitude, et cette léthargie...
Une deuxième série, les Écailles du Dragon, contient, selon moi, les plus remarquables
pièces de tout le recueil. Voici Vu platonique, que va vous lire M. Le Nôtre. Vous y verrez
que Savoret a su se pencher sur les abîmes de la chair; mais Savoret n'est pas sujet au vertige !
Vu platonique
Un poème relativement long, Cosmopée, fait quelque peu songer à un Leconte de Lisle
chrétien. Il y a là toute la Chute de l'homme et du monde adamique, mais, dans l'abîme ainsi
creusé, où « l'orgueil » a
La terre pour sépulcre et les Cieux pour prison,
nous voyons naître
Le séraphique espoir, au seuil du sombre Érèbe !
car, ajoute le poète, pour nous tous
Flambera quelque soir . . . . . .
L'Etoile qui brilla, Jadis, sur Bethléem !
Les Plaintes de l« Autre » font suite à cette Cosmopée, et, ici encore, je songe à un des
Plus beaux des Poèmes barbares, la Tristesse du Diable, - chose curieuse si l'on sait quà cette
époque notre poète ne connaissait guère Leconte de Lisle que de nom.
Je veux signaler aussi Magna Mater, émouvante prière à Celle qui, première des créatures,
se tient éternellement devant le Saint des Saints, telle une porte voilée.
J'implore ton secours, Vierge consolatrice
Qui sais de quel limon ton enfant fut pétri !
Une vision, les Vaincus, nous montre le triste destin de ceux qui, ayant cherché à conquérir
la Vérité vivante par des voies obliques, comme des voleurs,
. . . . . . . . attendront,
Sans espoir, sinon sans colère,
Au sein des nuits sans vision,
La consommation du dernier septénaire.
M. Bonduelle va maintenant vous lire Ancestralité. Nous y découvrons que Savoret,
lorsqu'il dénonce les dangers de la psychanalyse et des séductions monstrueuses qui émanent
du subconscient, sait par expérience de quoi il parle.
Ancestralité
Et toujours, - notamment dans Dissonances, dans Chant d'exil, dans Imploration, - nous
retrouvons ce sens aigu de l'emprisonnement dans un univers anormal, prison d'autant plus
formidable qu'elle est, pour ceux qu'elle tient, infinie et que l'effort prométhéen est impuissant
à nous en délivrer ; et, toujours aussi, l'accompagne le sens de la rédemption par le seul
Amour, par cet Amour dont le Christ, Verbe incarné, est venu nous apporter le germe. Nous
lisons, dans Adieu :
Aimer, pardonner,
Subir et prier,
Donner, se donner,
Et puis oublier.
La sagesse cherche
Le baume rêvé,
La sagesse cherche...
L'amour a trouvé !
La seule vertu,
L'unique clarté,
La seule vertu,
C'est la charité !
Une troisième partie, Runes et Bardits, nous ouvre le domaine spirituel du monde celtique.
En France, jusqu'à présent, aucun poète, à ma connaissance, n'a comme Savoret compris l'âme
profonde des Celtes et des Nordiques. M. Guinel va nous lire Poème nordique.
Poème nordique
Son goût pour le « nord » n'empêche nullement notre poète d'aimer les soleils de la
Méditerranée et les aurores asiatiques. Orphée, Moïse, Zoroastre, Rama, ne sont-ils pas, eux
aussi, des druides ? Et, après nous avoir dit ses doutes premiers, ses révoltes d'enfant sauvage,
ses réticences, ses reniements, il avoue, à la fin d'un poème intitulé Explication :
Le Bûcher du Phénix nous offre encore Trois Poèmes d'Edgar Poe ; nous y voyons avec
quelle souplesse et quelle intelligence notre poète sait s'adapter, se soumettre à un génie
étranger, frère du sien par certains points, je ne dis pas non, mais tout de même autre. Nous
retrouverons le grand poète américain dans Intersignes.
En 1934 parut le Réveil de Merlin, féerie en neuf tableaux. Pour un poète d'obédience
celtique il ne saurait exister de sujet plus sublime, - en dehors de la Quête du Graal
proprement dite. De ce réveil du grand barde à la fois historique et mythique et des
préliminaires à ce réveil Savoret nous donne une version extrêmement intéressante, mais peut-
être un peu schématique et qui parfois, me semble-t-il, s'accommode à contre-coeur de la
forme dramatique choisie par le poète.
Voici quelques vers de 1'Épilogue, mis dans la bouche des fées de la Celtide. Le Dragon
Rouge dont il est question est un des emblèmes du roi Arthur et, en conséquence, du génie
celtique.
Des années passèrent... Il y eut l'enlisement de la France, - depuis bien longtemps
prévisible, - il y eut la guerre, la défaite, l'apparente libération... Savoret, sans jamais cesser de
lutter sur le plan concret, composa de nouveaux poèmes, - opiniâtre, fervent, inébranlable. Et,
en 1948, il nous donna Intersignes.
L'atmosphère n'a pas changé. Ayant trouvé le Chêne et le Rocher, symbole de la Tradition
immémoriale, notre poète n'est pas de ceux qui pourraient songer à s'en écarter, - comme le fit
l'infidèle Hésiode aux temps homériques. Nous allons donc retrouver dans ce nouveau livre
tout ce qui constitue l'âme du premier. Seulement, le talent de l'auteur s'est développé ; sa
forme s'est faite plus stricte, son souffle a grandi.
Dans Ciel, Terre, Homme, c'est d'abord l'astrologue qui parle, en vers quelque peu
didactiques, mais fort adroitement « combinés », si j'ose dire. L'hermétiste paraît aux côtés de
l'astrologue, sous un voile que bien peu de lecteurs seront en mesure de soulever et auquel,
profane moi-même, je n'aurai garde de toucher. N'allons pas froisser telle « chanson » qui s'est
voulue « discrète » ni troubler le « chant du Dragon » !
puis le fantôme de sa propre jeunesse, qu'il sait regarder d'un oeil clair, sans vaine colère,
mais sans indulgence. (Ah ! Savoret n'est pas un psychanalyseur : le traditionnel examen de
conscience lui suffit.)
et il nous fait entrevoir l'ombre de cet « hôte » louche qui ne nous quitte jamais et qui s'offre,
toujours patient, toujours débonnaire, à nous aider au passage de tel mauvais pas.
L'hôte
Une quinzaine de pages servent ensuite d'écrin à des Bijoux démodés, villanelles, rondeaux
redoublés, pantoums, chants royaux, etc. L'artiste ici joue librement, mais de ce libre jeu le
penseur profite souvent pour « faire passer » telle petite suggestion, sans en avoir l'air, à la
chinoise. M. Bonduelle va nous dire Liminaire, puis M. Le Nôtre le deuxième Pantoum.
Liminaire
Pantoum
De la même série voici maintenant, dit par M. Guinel, un poème intitulé la Harpe celte.
La Harpe celte
La Harpe celte est sur de la Lyre d'Orphée :
Le divin présent d'Apollon,
Aux Iles du Couchant, sur Un autre Hélikon,
Ordonne les ballets aériens des fées.
Voici, enfin, Ce voile..., où nous retrouvons l'idée du mythe, protecteur toujours, parfois
initiateur.
Ce voile ...
Une troisième partie nous fait pénétrer dans ce lieu de la vie intérieure qui se situe Entre
nef et parvis. A peine entrés, nous découvrons une Prière, bien belle, que va vous faire
connaître M. Le Nôtre.
Prière
A côté du Christ, « pèlerin des mondes », nous rencontrons naturellement Marie, toujours
au travail, « En exemple », - poème que va lire M. Le Nôtre.
En exemple
Dans la chambre quensoleille
Un rayon sans l'égayer,
Une femme, déjà vieille,
S'affaire autour du foyer.
J'aimerais tout citer ! Glose est une admirable chose, - trop longue à dire ici ; mais je vous
lirai Nostalgie, que j'aime tout particulièrement.
Nostalgie
Oui, je voudrais tout citer de ces poèmes, car aucun ne laisse indifférent, aucun n'étant
inutile. Je me contenterai de signaler, en passant, le Chant essentiel, chant alterné entre «
l'éternel Ami » et « son Bien-Aimé » ; nous retrouvons là le jeu traditionnel de la poésie
mystique universelle. Puis de beaux Noëls ; puis le Nom, consacré au mystère de ce principe
de toute vie spirituelle, qu'il s'agisse du nom du Dieu Ineffable ou de celui du moindre des
Élus. Enfin, les Deux Silences, que je demanderai à M. Guinel de nous réciter.
Viennent en suite les Deux Lois, belle symphonie qui embrasse toute lhistoire de lHomme,
et la Chanson de la plus haute cime, que va nous lire M.Guinel.
Les Grains du Collier, tel est le titre de la quatrième partie. Ici le celtisme reparaît.
Plusieurs pièces sont inspirées de la poésie galloise ancienne ; d'autres évoquent directement
la médiévale Quête du Graal, avec, encore et toujours, la loi du sacrifice, essence de la Vie
réelle, car
In memoriam, cinquième partie, ne contient que quatre pièces, mais toutes quatre d'une
couleur très spéciale dans luvre de notre poète. Lyrisme voilé, intime, où la douleur et
l'espérance se tiennent par la main...
Viennent enfin Fleurs séchées, transpositions de poètes étrangers. Le texte d'une « stèle
chinoise » y fraternise avec deux poèmes d'Edgar Poe, dont bien des subtilités musicales et
rythmiques sont, cette fois encore, finement rendues par notre ami, et avec la Merveille des
Merveilles, imité de Paramânanda, poète et mystique hindou contemporain, - pièce que voici.
Une grande variété dans les moyens d'expression, une unité profonde ; une connaissance
rare de la grande Tradition centrale dont la racine paraît dans la Genèse, le cur dans
l'Evangile, lépanouissement dans l'Apocalypse ; une compréhension par l'intérieur des
mythes et symboles qui illustrent cette Tradition ; un sentiment intense de la double nature de
l'homme, de sa grandeur et de sa misère, pour employer les termes de Pascal, d'où l'union
indissoluble de la tristesse et de l'espérance, jamais l'une n'allant sans l'autre, - voilà ce qui
caractérise luvre poétique d'André Savoret. Il est un de ceux, pionniers d'un proche avenir
meilleur, qui s'emploient à rouvrir les fenêtres et les portes que, volontairement ou non, ont
fermées les amateurs du subconscient, victimes des pièges que l'esprit de mensonge cache
sous les fleurs de nouveautés artificielles. Ceux-ci ne manqueront pas de méconnaître un
poète de cet ordre. C'est que l'armée à laquelle appartient André Savoret marche à contre-sens
de celle où se sont enrôlés ces moutons de Panurge, inattentifs au gouffre qui s'ouvre devant
eux. Aveuglément, imbécilement, ils suivent le courant, au gré de leurs bateaux ivres-morts.
Lui est à l'avant-garde de ceux qui désirent d'accorder leur voix à la voix. du Verbe, le Poète
Eternel.
Je remercie notre amie Raphaëlle Martinon de la confiance qu'elle m'a témoignée en me
demandant de parler d'André Savoret, et je prie André Savoret lui-même de ne pas m'en
vouloir si je l'ai fait de manière aussi imparfaite. J'ai une excuse : André Savoret n'est pas,
qu'on me passe l'expression, un poète que l'on peut maîtriser facilement.
Jacques HEUGEL.
(1) Qu'il me soit permis d'appeler ici l'attention sur le phénomène des transpositions
sensorielles. Avec sa géniale intuition, Hugo le connaissait bien ; Il en a parlé. Reportez-vous
au chapitre de NotreDame de Paris Intitulé Paris à vol d'oiseau (in fine), et rappelez-vous
cette affirmation de la « bouche d'ombre » :
. . . . L'oreille
pourrait avoir sa vision.
Plus tard, Baudelaire écrivit son fameux sonnet Correspondances. Mais, essentiellement
classiques, ni Hugo ni Baudelaire ne se sont écartés du juste milieu, pour se livrer au jeu
facile des transpositions verbales. De nos jours, trop de jeunes poètes se croiraient «
pompiers » s'ils voyaient les rayons, entendaient les sons, respiraient les parfums ;
romantiques exagérés, ils respirent la lumière, volent la musique, entendent les odeurs,
systématiquement. Originalité à bon marché, de laquelle les plus doués devraient se garder
avec soin.
Inutile d'ajouter que Savoret, qui n'accepte dans ses poèmes aucun somptueux galimatias,
échappe à ce travers. Il est vrai qu'il n'appartient pas à la dernière couvée.
Lucrèce a écrit (De la Nature des Choses, livre premier) « ... Les sots admirent de
préférence tout ce qu'ils croient distinguer dissimulé sous des termes ambigus, et Ils tiennent
pour vrai ce qui peut toucher agréablement l'oreille, et se présente tout fardé de sonorités
plaisantes. » Hé oui ! ...
ANDRE SAVORET
(1898 - 1977)
ET LE GRAAL
Poèmes et Textes
AVEZ-VOUS ENTENDU LA HARPE DE MERLIN...
(A Betty Mornac.)
A la mémoire du poète
Yves Berthou, (Kaledvoulc'h).
Taliésin
PROLOGUE DE LA QUESTE
L'ANNONCE DE LA QUESTE
O GRAAL MYSTERIEUX
O Graal mystérieux, éblouissant symbole,
Ni Lancelot du Lac, ni Lionel des Rieux,
Coeurs ardents mais âmes frivoles,
N'ont pris place au festin du Château Merveilleux:
Splendeur comme il n'en est d'égale sous les cieux,
Luiras-tu donc toujours sans dessiller leurs yeux.?...
GALAAD
A LA COUPE
AU GRAAL
Arche des vérités que le Verbe dévoile
Aux pèlerins pieux conduits par Son Etoile,
Accepte ma louange, éblouissant calice,
Fleur d'émeraude où luit le sang du Sacrifice.
AU POMMIER DE MERLIN
Printemps 1944
LE CHANT POUR VIVIANE
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Merlin saisit sa harpe, et le coeur des vieux chênes
Se fendit à pitié d'écouter ses sanglots ;
Merlin saisit sa harpe, et ruisseaux et fontaines
D'apaiser aussitôt la rumeur ,de leurs flots ...
Ainsi chanta Merlin, tandis que ses mains fines
Glissaient négligemment sur les cordes d'argent ;
Ainsi chanta Merlin, et, sur chaque aubépine,
Les yeux profonds des fleurs s'ouvrirent à l'instant :
----------------------------------------------------------------
Telle tu m'apparus, telle je te revois,
Ma blanche Viviane, ingénument perfide :
A ton front lilial, dardant son regard froid,
Se tordait souplement le Dragon des Hébrides !
Les récits touffus qui constituèrent au moyen âge le Cycle du Graal ont le double
inconvénient de mettre en uvre des éléments disparates, parfois contradictoires, et de ne pas
laisser clairement entrevoir le canevas sur lequel ils sont plus ou moins fidèlement brodés.
J'ai dit ailleurs ce que je pensais de la possibilité de restituer la « version archétype » de la
Queste par les procédés courants de la critique textuelle. Leur insuffisance saute aux yeux !
D'ailleurs, sans être grand clerc, on s'aperçoit vite que chaque auteur en a pris assez à son
aise avec les éléments véritablement essentiels qui forment le fond de la légende du Graal.
Les intentions de chacun diffèrent, ses préférences également, et les savants n'ont guère de
peine à discerner dans les textes le reflet des controverses théologiques de l'époque où ils
furent élaborés.
De là à faire de la Queste une simple affabulation catéchistique, il n'y a pas loin.
Je ne m'embarrasserai pas de telles spéculations, pour cette simple raison que les réalités
spirituelles que synthétise le Graal et qui transparaissent suffisamment, même dans les
narrations les plus maladroites, dépassent de beaucoup le niveau des controverses
théologiques ou philosophiques.
Le vieux thème druidique du « Chaudron de résurrection », renouvelé en mode chrétien
sous la figure du Graal, qui lui a conféré sa signification
définitive et lui a fait recouvrer l'universalité de son bon sens, n'est pas de ceux qui relèvent de
l'exégèse savante.
Depuis quelques années, le Graal a fait l'objet de recherches assez nombreuses et l'on a
émis à son sujet des hypothèses ingénieuses.
En particulier, on a tenté de retrouver l'emplacement du « Château aventureux », le
Montsalvage de Wolfram d'Eschenbach. L'entreprise a donné ce qu'elle devait donner. Les
uns l'ont identifié avec Montségur où la
légende situe le trésor des Cathares. D'autres y ont vu Montalba dans le Roussillon. Quelques-
uns ont avancé que c'était Montserrat dans la région de Barcelone !... Il semble que tous aient
été guidés par de vagues analogies verbales.
Notons que le Montsalvage de Wolfram signifie, si nous savons lire, Mont Sauvage, ce qui
rend bien inutiles les divers rapprochements relatés ci-dessus.
Dans les récits médiévaux, c'est, en général, le château de Pellès, le roi pêcheur, qui
renferme le Graal. Ce Pellès n'est probablement que le héros celtique (et mythique) Pwyll, fils
de Prideri et de Rhiannon (1), possesseur du fameux chaudron merveilleux et Roi d' Announ.
Robert de Boron, lui, substitue à celui de Pwyll ou Pellès le nom bilique de Hébron,
influencé peut-être par le légendaire Bran des récits gallois et irlandais.
On a conjecturé que le château de Corbenic ou Carbonec (que les récits placent en Grande-
Bretagne, dans le royaume de Logres) portait un nom celtique défiguré et qu'il fallait y voir
Caer Bannawg, « le château des cornes » ou « le château cornu », en lequel les plus intrépides
n'ont pas hésité à reconnaître la Lune.
Quoi qu'il en soit, il est dit que le Graal a quitté la terre à la mort de Galaad et a été
transporté au ciel : « Depuis, il n'y a jamais eu d'homme, si hardi fut-il, qui ait osé prétendre
qu'il l'avait vu ».
Il est donc assez inutile de le rechercher en un tel lieu plutôt qu'en tel autre. D'autant plus
que le Château du Graal lui-même est, chez tous les auteurs, bien autre chose qu'une
construction matérielle. Il apparaît et disparaît comme par enchantement et se joue des
imprudents qui battent les buissons pour le trouver.
* * *
Aujourd'hui aussi bien qu'aux temps de Perceval, de Bohor et de Galaad, la Queste du
Graal est ouverte. Comme alors, beaucoup vont par monts et par vaux pour en découvrir le
sanctuaire. Faut-il leur dire que ce qu'ils cherchent n'est ni ici, ni là ; ni devant eux, ni derrière
eux ; ni à l'Orient, ni à l'Occident ?
Faut-il leur dire qu'ils cherchent la chose la plus lointaine et, à la fois, la plus proche d'eux ?
Telle est la « voie étroite » qui ne déçoit pas celui qui s'y engage résolument, sans regarder
en arrière.
(1) Pwyll signifie « intelligence » ; Prideri, « soin, souci » ; Rhiannon « souveraine ».
Et d'abord, qu'est la «Table Ronde» ? Je laisserai de côté le sens cosmologique, où la table
est l'image du ciel boréal. Au sens qui nous intéresse, la Table Ronde est le cercle des initiés,
le symbole de leur communion. Ces initiés ont perdu le sens interne du druidisme et ne
connaissent, du christianisme, que l'aspect extérieur. Arthur, image du Pouvoir temporel, y
préside bien aux rites du bardisme, mais se sent privé d'appui spirituel ferme. C'est pourquoi
le SIEGE PERILLEUX est vide, pourquoi aussi nous assistons au commencement des «
enchantements de Bretagne», période trouble entre le druidisme finissant et le christianisme
commençant. Car, de la table ronde, Arthur n'est nullement le chef ; on nous donne à savoir
qu'il ne l'a ni imaginée, ni construite, mais que Merlin ( la chaîne de l'initiation bardique et,
pour les besoins du récit, jusqu'à un certain point druidique) en est le promoteur. Le CHEF
réel, c'est celui qui pourra s'asseoir sur le siège périlleux. Or, ce siège appartient
traditionnellement au seul Archi-druide ; mais depuis que ce dernier ne tient plus guère qu'au
symbolique les clés majeures de l'enseignement, le siège qu'il n'est plus en mesure d'occuper
doit appartenir au «Prédestiné» (Peredur, Perceval ou Galaad, peu importe !) qui les
retrouvera et les revivifiera en mode chrétien. Je tiens qu'il est inutile de chercher là des
analogies matérielles, soit, comme on l'a fait, de rapprocher du siège périlleux la Pierre de Fâl
irlandaise, pierre d'épreuve de la légitimité royale, car il ne s'agit pas de «pouvoir royal» dans
la Queste. Il faut prendre «siège» au sens où l'on dit «le siège pontifical», signe d'une fonction
à exercer et non objet matériel. Et de même, les recherches pour retrouver « le château du
Graal », dans les Pyrénées ou ailleurs, en quelque Montserrat, Montségur ou autre lieu haut,
semblent témoigner de préoccupations d'un ordre peu en rapport avec leur objet.
Qu'est le Roi «pêcheur» ? - sinon l'ancien Archi-druide (1) : l'autorité spirituelle
préchrétienne qui se survit - péniblement !
Le «vase» ou «chaudron» ou «graal» (ce dernier mot d'origine française, ce qui est à
retenir) peut être entendu au sens le plus grossier (nourriture matérielle inépuisable) ou au
sens le plus éminent (nourriture spirituelle, Savoir, Eau de la Vie éternelle) selon l'élévation
de celui qui en parle et l'ouverture d'entendement de celui qui l'écoute (2).
C'est, symboliquement, le vase où Joseph d'Arimathie est dit avoir recueilli le sang du
Sauveur. Il ne faut pas perdre de vue à ce propos que le vase, comme ses substituts
hiératiques, le chaudron, la coupe, est un symbole universel, remontant à la révélation
primitive, et que pas un sens nouveau ne saurait en être donné légitimement, qui n'ait toujours
été en lui, en puissance sinon en fait. Dans le christianisme c'est un symbole essentiellement
«eucharistique», par sublimation de son sens préchrétien. Non que le symbole ait eu à
«évoluer», mais plutôt parce que le temps était venu pour certains d'en saisir l'application
suprême. Ce qui est perfectible, c'est toujours l'homme, jamais le symbole (je veux dire la
réalité interne dont le symbole est le véhicule et l'interprète). J'entends ici, un symbole vrai,
dont les acceptions dépendent de la nature des choses et non d'une arbitraire fantaisie
individuelle !
J'irai plus loin. Le «Prédestiné» (Perceval, Galaad) c'est l'initié direct du Christ, qui reçoit le
dépôt de la double tradition druidique et chrétienne et peut exercer l'autorité spirituelle
suprême dans la sphère qui lui est dévolue. L'autorité, mais non le pouvoir temporel !
Si je voulais en peu de mots résumer le cycle du Graal, sans me perdre dans les détails
accessoires, je dirais à peu près ceci : La religion druidique agonise ; le mot-clé de l'initiation
druidique semble bien perdu par les anciens fidèles et par les initiés, qui ont adopté le
christianisme sous sa forme exotérique, mais n'en entrevoient également qu'à demi
l'ésotérisme.
Il faut donc retrouver la clé perdue, la fameuse «parole délaissée» et refaire la synthèse
christiano-druidique.
Le «Prédestiné» n'est venu que pour cela. Il affronte les épreuves, en triomphe, retrouve le
mot de la tradition druidique, puis celui de la chrétienne (qui ne peut être donné que par le
Christ) et devient le chef (humain) de l'Eglise intérieure.
Et c'est la fin des «Enchantements de Bretagne» !
Quant à l'assomption finale du Graal, certains y voient le retour de l'ésotérisme au «centre
suprême», tandis que subsisterait seul en Occident le côté exotérique chrétien ou «religieux».
Ce n'est pas ici le lieu d'exposer pourquoi, depuis la venue du Christ, ces liens de «régularité»
avec le «centre suprême», que je ne désignerai pas plus clairement, sont ou me semblent
périmés. Contrairement à une opinion assez répandue parmi les ésotéristes modernes, il y a
encore possibilité de parvenir à l'initiation effective dans le monde occidental. Là, le Christ
est, à présent, L'INITIATEUR, révélant directement au coeur du disciple tout ou partie du
sens caché des plus antiques traditions, aussi bien de celles qui se survivent que de celles dont
nous ignorons actuellement jusqu'au nom (3).
L'assimilation symbolique du cur au vase et à la coupe remonte fort loin dans le passé.
Déjà, dans la plus ancienne Egypte, le vase AB est l'hiéroglyphe du coeur. Dans le druidisme,
existait aussi quelque chose de tel et la coupe présentée par la jeune fille à celui qu'elle avait
choisi, lors du repas de fiançailles, signifiait très clairement le don de son coeur.
Un autre équivalent du coeur, c'était la lampe antique, la lampe à huile, dont il est inutile
d'étudier pour l'instant le symbolisme, mais qui se présente en tous cas avec ce caractère dans
la parabole des vierges sages et des vierges folles.
Un des aspects du Graal (car il en est bien d'autres), qui a au moins le mérite d'être
aisément accessible, c'est donc le coeur humain.
Dans les récits où le Graal joue un rôle, un triple procès d'alchimie est décrit assez
clairement : alchimie spirituelle, alchimie psychique, alchimie matérielle, où le vase est l'«
aimant des sages », la Magnésie catholique, si bien décrite dans Klunrath.
Le coeur humain est donc un Graal... généralement vide, à moins qu'il ne soit rempli
d'immondices.
Et c'est le Christ qui verse dans ce vase vide l'Eau de la Vie éternelle, qui, à son heure se
transformera en Vin. Le Vin de l'Esprit.
Tous ces processus transsubstantiateurs sont décrits dans les Evangiles, et comme le plus
savant commentaire ne vaut pas le texte nu, je rappellerai ici quelques passages qui se
complètent et s'expliquent l'un, l'autre :
Ce sont d'abord deux versets du chap. 7 de Saint Jean :
« Si quelqu'un a soif, qu'il vienne à Moi, et qu'il boive ».
« Celui qui croit en Moi, des fleuves d'Eau vive couleront en son sein ».
N'est-il pas écrit ailleurs que l'homme bon tire toujours de nouvelles choses du trésor de son
coeur, que, là où est son coeur, là est son trésor, et enfin, cette déclaration révélatrice : « Un
seul est bon ! ».
Oui, Un seul est bon. Et l'homme « bon » n'est tel que parce qu'il a ouvert son coeur à la
Source de tout bien, et qu'elle s'épanche, à travers lui, sur la foule des créatures.
Un homme bon, quelles que puissent être ses oeuvres apparentes, s'il se glorifiait de sa
bonté et la croyait sienne, cesserait à l'instant d'être bon, car son cur se serait donné à
l'Adversaire. Le disciple véritable de Jésus rayonne une Lumière, mais cette Lumière, c'est
celle de son Maître. La lumière froide que rayonne l'orgueilleux est aussi, quoiqu'il s'en
attribue la possession, celle de son Maître : Lucifer.
Nul ne peut servir deux maîtres !
On sait que le Graal, la coupe sainte de la Cène, est dit avoir recueilli le sang du Christ
crucifié. C'est là un thème assez développé dans l'iconographie chrétienne. C'est, en somme,
le thème du rachat de l'homme, de la revivification de son cur par le sang jailli du coeur
divin.
« Je suis la Résurrection et la Vie », s'écrie Jésus, et « celui qui croit en Moi vivra
éternellement ».
Il ajoute d'ailleurs que l'homme doit renaître « d'Eau et d'Esprit ».
Il est bon de noter cette double condition. Il y a là une clé qui ouvre bien des portes. Et
deux récits évangéliques : la rencontre avec la Samaritaine et le miracle des noces de Cana,
sont en étroite connexion avec l'Eau et l'Esprit dont il a été question plus haut.
Je ne pousserai pas plus loin le symbolisme ; chacun, selon ses travaux particuliers, sera en
état de tirer de ce qui précède les applications qui transparaissaient déjà suffisamment.
Parmi les plus anciennes figurations du coeur symbolique, reproduites dans Le
Rayonnement Intellectuel (Octobre-Décembre 1938, p. 122), figure un emblème qui résume à
merveille, dans son apparente simplicité, ce qu'on pourrait nommer le « Grand Arcane » du
Christianisme, si l'on avait pas un peu abusé, depuis Eliphas Lévi, de ce terme pompeux :
Dans un médaillon en forme de coeur, s'inscrit un Chrisme, flanqué de deux grappes de
raisin disposées dans les deux oreillettes.
C'est le symbole même du vrai chrétien, du Christophore authentique, de celui qui est né
d'« eau » d'abord, d'« Esprit », ensuite : de celui qui a d'abord rencontré son Maître comme la
Samaritaine et qui a reçu l'eau qui « deviendra une source jaillissante jusque dans la Vie
éternelle » (Jean, 4, 13) : de celui qui a bu enfin de cette eau en « vin » spirituel, réalité
transcendante dont le miracle de Cana est l'expression exacte, mais contingente.
POEMES DE NOËL
Noël perpétuel
(Noël 1944 )
Inoubliablement
(Noël 1971)
La Dormeuse
(Noël 1973 )
Voici dressé le sapin de Noël. Voici bien près de deux mille ans
Non loin du seuil, le gui balance que, lorsque carillons vont forcer le silence,
un cocon vert où l'Espérance
s'éveille et sourit l'Espérance,
dort, en rêvant du printanier
puis se rendort en soupirant...
dégel.
Elle dort, - ou feint de dormir -,
Elle dort, attendant son heure,
durant ces Temps de la Colère,
telle la Belle au Bois dormant
ne doutant point du jour où sur la pauvre
rêvant de son Prince Charmant
Terre,
sous les lambris de sa haute
le Royaume et sa paix devront bien s'établir.
demeure.
Noël 1976
Noël d'élection
Noël 1974
Ceux que guida l'errante Etoile Seuls témoins du plus haut Mystère
dans les ténèbres de la nuit
et ceux par les anges conduits que la Terre ait jamais porté,
leur âme avait ferveur égale. la plus claire simplicité
Rejoint le Savoir séculaire.
Si simples étaient les Bergers
et si savants étaient les Mages Sur ce seuil des Temps Abrégés,
qu'il faudrait être bien peu sage heureux est celui qu'apanage
pour oser les départager. l'esprit de sagesse du Mage
Sous les plis des riches manteaux ou le coeur simple du Berger.
Songerie
Noël 1972
Unique Etoile
Noël 1975
DÉDICACÉS
ADIEU
A Max Camis.
Ce voile...
Chanson de la plus haute cime
CONSEILS
Quel que soit son passé, quel que soit son Credo,
Tend la main fraternelle au vaincu qui défaille :
Console sa douleur, allège son fardeau,
Puis poursuis ton chemin sans bruit, vaille que vaille !
II
III
IV
COSMOPÉE
II
III
IV
Crimes et châtiments, fauchaisons et semailles,
Vains désirs dispersés à tous les horizons,
L'orgueil rongeant les coeurs, et la faim les entrailles :
La terre pour sépulcre et les Cieux pour prison...
Sous l'oeil cyclopéen de la lune ironique,
Gravite l'essaim lent des âmes migratrices;
Et le triste exilé des sphères édéniques
Erre, fiévreusement, dans l'ombre tentatrice.
Pourtant, malgré la chute et l'appel de la Bête,
Et les péchés ligués - eux, les sept contre Thèbes
Flambe, dernière étoile en un ciel de tempête,
Le séraphique espoir, au seuil du sombre Erèbe
.. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. ..
Ainsi, pour nos coeurs las de tumulte et de cris,
Flambera quelque soir - éblouissant Odem -
Inextinguible, au sein de l'Eden reconquis,
L'Etoile qui brilla, jadis, sur Bethléem !
En exemple
*
O Marie, ardente Etoile
D'Amour et de Charité :
Quel exemple - ou quel scandale -
Pour la pauvre humanité !...
IMPLORATION
IN MEMORIAM
Gabriel Huan.
La Merveille des merveilles
(imité de Paramânanda)
La Tour foudroyée
A Emile Besson.
Le chemin
(1958.)
Le Jardin du Pressoir
Samedi saint 1950.
Tapis, muscles bandés, sur les collines mauves,
L'ombre du soir suscite un noir troupeau de fauves
Que maintient à peine en respect
Le couchant mordoré dont meurent les reflets.
Seul ? Non !... Car tout l'Enfer est là, qui rôde et guette
L'homme râlant à Dieu : " Ta volonté soit faite ! "
L'homme né pour la croix, les clous et les soldats
Et saignant sa sueur, en attendant Judas !
.............................................
Nuit de Ghethsémani, quel effroi me pénètre
A songer que pour toi - pour toi - j'aurais pu naître
Procurateur, peut-être, ou peut-être Grand-Prêtre !
A Jacques Heugel.
Ah ! que peut donc " savoir " et que prétend " connaître "
Celui que le Ciel a proscrit
Et qui feint d'oublier qu'il doit d'abord renaître,
Repentant et soumis, au rnonde de l'Esprit?
II
III
IV
VI
VII
VIII
Et de désastres en déroutes,
En cette immense banqueroute
De ses désirs, de ses espoirs,
De ses illusions dissoutes,
Laveugle que l'Enfer envoûte
Voit poindre en quelque morne soir
L'échéance que tous redoutent.
Liber Mundi
A Miréio Doryan.
MAGNA MATER
Méditativement
Les Seigneurs-de-Compassion
Reviennent enseigner la Voie
Et dénoncer l'illusion ,
De nos douleurs et de nos joies.
Les Seigneurs-de-Compassion,
Sans la condamner, se dispensent,
O Jésus, de Ta Passion :
Ton Salut n'est leur Délivrance !
O Seigneurs-de-Compassion
Evadés de l'Impermanence,
Je crains pour vous l'illusion
Que vous baptisez Connaissance ;
1958.
MYSTERIUM MAGNUM
Pantoum
Prière du soir
A Y.-j. F***.
Seigneur, je tends vers Vous mes mains, mes deux mains vides,
Ces mains, vierges toujours du stigmate des clous ;
Vers Vous je tends mes mains de mendiant avide,
Quémandeur de gros sous,
Prière
Prose à Marie
A E. T. Longuet.
La sapience des Docteurs
Vous a célébrée, ô Marie,
Par ces faces de vos Splendeurs
Que sont les saintes Litanies.
SI...
A Fr. O******.
1954.
VENITE, ADOREMUS...
Cette nuit-là, merveille unique,
Le cur battant sous leur tunique,
Les bergers, par l'Ange conduits,
S'en furent adorer Celui
Qu'attendaient les Sages antiques.
En ce minuit mélancolique,
Nous mord le regret nostalgique
De cette nuit d'entre les nuits...
Mais l'étoile d'or qui nous luit
Ne rappelle qu'au symbolique
Cette nuit-là...
*
**
Heureux bergers !... A vous, je pense
En ce minuit. Ce nest offense
Que de vous envier un peu ?...
Oh ! n'avoir pas été de ceux
Qu'illumina cette Présence ;
N'avoir en sa grise existence
*
**
*
**
*
**
A l'une d'elles
L'insatiable salamandre
.. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. ..
Réminiscence
............................................
A M. JAFFRENNOU (Taldir),
en hommage de profond respect.