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Jacques Heugel :

L’œuvre poétique d'André Savoret:

(21 mai 1949)

    Je laisse à nos petits-neveux le soin de parler d'André Savoret lui-même, d'abord parce que
le temps de le faire n'est pas encore arrivé, puis pour ne pas déplaire à notre ami, qui tolère, à
la rigueur, qu'on parle de son œuvre, mais ne souffre pas qu'on s'en prenne à lui. Je le
comprends d'ailleurs fort bien.

    Je rappellerai donc ici, simplement, qu'André Savoret est né à Paris le 28 juillet 1898, que
la guerre de 1914 l'obligea à renoncer à la carrière de chimiste qui lui aurait plu, qu'il y perdit
un diplôme pour y gagner la médaille militaire, enfin que, depuis cette guerre, il s'est occupé
de cent choses, s'attaquant d'abord à l'occultisme et à la poésie, puis à l'histoire, à la
linguistique, aux diverses mythologies, à l'astrologie, à l'hermétisme...

    Il y à vingt ans que je connais André Savoret. Ami plus sûr, plus dévoué, plus délicat, ne
peut sans doute se rencontrer qu'assez difficilement. C'est là une vérité première, comme le
savent tous ceux du Nouveau Romantisme qui l'ont approché. C'est un ami précieux, parce
que, sachant, de science vécue, un certain nombre de choses peu courantes, il peut, de temps à
autre, d'un mot placé au bon moment, ouvrir une porte inattendue sur la solution de tel
problème difficile, tant de l'ordre moral que de l'ordre intellectuel. Je ne crois pas être le seul à
lui devoir beaucoup.

    Trois ans après que j'eus fait sa connaissance, en 1932, nous lançâmes, lui et moi, une revue
bi-mensuelle, SOS, Occident !, destinée à jeter quelque lumière sur le dilemme France-
Allemagne et à appeler l'attention des hommes de bonne volonté sur les dangers qui
s'amassaient à l'horizon. L'année suivante, cette fois en compagnie de Philéas Lebesgue, nous
fondâmes le Collège bardique des Gaules. Notre but, dans cette deuxième entreprise, était de
rappeler quelle part essentielle avait prise le génie celtique à l'élaboration de l'âme française,
et c'est à cette occasion que Savoret se pencha, avec plus d'amour que jamais, sur les grands
problèmes linguistiques, ethniques, éthiques. Oeuvre considérable, dont la valeur sera un jour
reconnue, je n'en doute pas un seul instant ; oeuvre qu'il poursuit toujours, ce qui nous vaut,
de temps à autre, quelque nouvelle brochure précieuse. Avant d'aborder l’œuvre poétique de
notre ami, je veux citer, ne pouvant faire plus, faute de temps, les titres de ses ouvrages en
prose. D'abord Du Menhir à la Croix, publié en 1932, recueil d'essais écrits au cours des
années précédentes, qui, à travers le voile de réticences volontaires, - car Savoret, en vrai
philosophe et en disciple, pour une part, de Fabre d'Olivet, sait plus de choses qu'il n'en dit, -
jettent une vive lumière sur les problèmes majeurs, permettent d'ordonner les concepts et
d'entrevoir, - enfin ! - une synthèse véritable, et non plus quelque chatoyant mélange
kaléidoscopique comme on nous en a tant proposé depuis la fin du siècle dernier. Ce livre a
été peu à peu complété, par endroits aussi corrigé, par toute une série de brochures : A propos
de la question aryenne, Pro Gallia, la Vraie France, et, depuis la dernière guerre, Trois
Problèmes astrologiques, Qu'est-ce que l'Alchimie ?, De quelques symboles druidiques. Je
signalerai de plus, publiée en 1939, une étude intitulée l'Inversion psychanalytique, où l'auteur
dénonce le caractère pernicieux des méthodes lancées dans le monde par Freud, avec le succès
que l'on sait, tragique caricature, par certains points, des anciennes disciplines initiatiques,
véritable école primaire du satanisme, car ces méthodes ne peuvent que multiplier les cas de
dédoublement ou d'émiettement de la personnalité, cas dont Stevenson, au siècle dernier, nous
a donné une illustration à peine outré, dans l'Étrange Cas du docteur Jekyll et de M. Hyde.
Ajoutons enfin à cette liste une remarquable étude sur Quelques Aspects de la Poésie celtique,
où se trouve succinctement exposé le système de la versification traditionnelle des Gallois.

    Le fait que Savoret est, non point un réflecteur d'idées, mais un penseur authentique, lui
permet d'être en même temps un poète.

    Tout jeune encore, - il était alors soldat et, après avoir combattu sur le front de France, s'en
était allé guerroyer en Asie Mineure, - il subit, nous dit-il, l'influence de Baudelaire, de
Rimbaud, de Verlaine, de Nicolas Bauduin, celles aussi, à travers des traductions, d'Edgar Poe
et d'Omar Khayam. De Baudelaire il a conservé le goût de l'objectivité, de la précision ; Poe
lui a ouvert ce qu'on pourrait appeler le pays de la poésie musicale ; il a trouvé chez Khayam,
- et, ajouterai-je, chez les Chinois, lesquels ne lui sont pas moins chers, - une prédilection
pour le poème court (un quatrain, voire un simple distique). Mais Savoret, avant toute chose,
est Savoret ; il a une personnalité poétique extrêmement bien définie, personnalité qu'il doit à
la profondeur et à la netteté de sa pensée, -car, chez lui, le poète et le penseur sont en étroite
communion, sont faits de la même substance.

    Sa poésie se rattache par là à la grande poésie éternelle, qui est d'abord précision et
simplicité. C'est un caractère que n'a point la poésie dite « moderne », qui ne saurait jamais
que jouir un court moment d'une originalité illusoire. Mallarmé, Rimbaud n'ont certes pas
ouvert à la poésie la région des troubles crépuscules. Baudelaire, Poe, Hugo et, bien plus
anciennement, Shakespeare les avaient précédés dans cette voie ; mais ils ont eu pour
originalité d'emprisonner leur poésie dans cette pénombre, de la couper de toute
communication avec la lumière libre ; ils l'ont engloutie dans le gouffre du subconscient,
impasse infernale. Elle n'a pas tardé à y ressentir les atteintes de la folie, et c'est ainsi que,
d'un faux symbolisme, d'un symbolisme de pacotille, nous sommes tombés dans les crises du
dadaïsme et du surréalisme, ici fureurs de gorilles, là plaisanteries de bourgeois en goguette.
Dada n'est que le reflet inversé de Pégase dans l'eau croupie des cloaques astraux.

    Savoret se méfie donc, à juste titre, du conseil que Verlaine, ce charmant moqueur, a donné
dans son Art poétique :

Il faut aussi que tu n'ailles point


Choisir tes mots sans quelque méprise.
    Car, - et Verlaine le savait, mais négligea de le dire - si tout mot a ses harmoniques, il n'est
permis au poète de jouer autour des mots qu'il choisit qu'à la condition de ne jamais trahir la
langue qu'il parle en perdant de vue le sens primitif et central de ces mots.

    Pour les anciens, la poésie valait avant tout par la précision de la forme, par la netteté de
l'expression. Ils n'admettaient le verbe qu'à l'état solaire ; les balbutiements,- De la musique
avant toute chose, - n'en eussent été à leurs yeux que des contrefaçons impies.

    Mettre toute son attention dans le choix des mots et, cela fait, tirer de son choix le meilleur
parti possible, c'est là la règle première que respecte tout vrai poète ; c'est celle que s'impose
constamment André Savoret. Écrivain, il est l'ennemi né du charabia, comme, penseur, il est
l'ennemi né des mélanges qui se déclarent synthèses ; et c'est parce qu'il est épris de clarté
qu'il est un poète de grande classe. Laissons, mes chers amis, aux poètes du courant le facile
plaisir des longues baignades dans les mares du subconscient et de l'infra-réel ! Tout autant
que les pauvretés académiques, les fausses richesses nées des décompositions intellectuelles
et verbales sont la marque des époques de décadence et de sénilité.

    Certes, il y a chez les grands poètes des obscurités ; le génie du poète ne parvient pas
toujours à jeter la lumière sur certains concepts situés trop au large de la conscience et de la
langue habituelles. Mais jamais les grands poètes ne se veulent obscurs par la forme ; ils ne le
sont, ici ou là, qu'à leur corps défendant, comme certains grands mathématiciens que seuls
leurs pairs arrivent à comprendre.

    André Savoret connaît le génie de la langue française et se refuse à le trahir. Il ne croit pas
que le poète déchoit à bien lier ses concepts et ses phrases ; il n'use de l'ellipse qu'avec le plus
grand tact.

    Il aime, assurément, la musique intrinsèque des mots, mais n'oublie jamais que le verbe
contient toujours un élément intellectuel et que ce qu'on a appelé la « poésie pure » ne saurait
jamais être qu'une musique d'ordre inférieur, aussi éloignée de la musique véritable que le
croassement du corbeau est éloigné du chant du rossignol. Les mots sont avant tout les signes
de concepts ; pas de langage qui n'ait à sa base quelque opération intellectuelle. C'est là sans
doute ce qui fait que la poésie est l'art le plus complètement humain. La musique et les arts
plastiques relèguent l'intelligible au second plan ; ceux-ci sont d'immobiles miroirs, celle-là
est sublime et fuyante. Seule la poésie nous présente une âme et un corps harmonieusement
unis, en équilibre. La « poésie pure » se désire uniquement émotion musicale ; ainsi mutilée,
elle est la poésie d'une époque de complet désarroi, qui n'arrive plus à distinguer les dieux les
uns des autres.

    Une dame, un jour, me disait qu'elle lisait avec passion Shelley, Keats. Je lui demandai si, à
elle française, le vocabulaire assez subtil qu'emploient volontiers les lyriques de langue
anglaise permettait de bien comprendre le sens de leurs poèmes. Elle me répondit que cela
n'avait aucune importance, que la musique des mots suffisait à l'enchanter. Cette dame,
assurément, n'entendra jamais rien à la grande poésie.
    Savoret est donc de ceux, jusqu'à Mallarmé considérés comme sains d'esprit, pour qui le
sujet compte et qui ne prennent la plume qu'après s'être proposé un objet.

    Du point de vue de la technique, Savoret n'est pas davantage un poète du courant. Les
poètes du courant ont perdu tout sens du vers ; les subtilités rythmiques leur échappent, aussi
bien que les subtilités vraies de la langue qu'ils parlent. La technique de Savoret, en matière
de versification, est très solide et très souple ensemble. Il connaît la valeur de nos différents
mètres, sait ce que l'on est en droit de demander à chacun d'eux ; il connaît la valeur
extraordinaire de l’e prétendu muet et respecte avec le plus grand soin les pouvoirs de ce
magicien. C'est avec un talent très sûr qu'il use de la rime, de l'assonance, de l'allitération, du
vers-refrain et de ce qu'on pourrait appeler le vers-retour, cher à Edgar Poe. Il aime nos
vieilles formes traditionnelles et se plait à les enrichir de variantes en général des plus
heureuses (1).

    J'en viens maintenant aux sujets eux-mêmes, à ces sujets que la technique ne fait que vêtir
des robes ou des voiles qui leur conviennent.
 

    Dans son ensemble, l’œuvre de Savoret est, dirai-je, une nouvelle expression, à la fois
traditionnelle et originale, de la Quête du Graal. Poète lyrique, Savoret n'écrit pas une épopée,
comme l'ont fait Dante et, dans le monde pré-chrétien, l'Homère de l'Odyssée ; il disperse les
divers « actes » de cette Quête dans des poèmes de longueurs et de formes diverses, et se plaît
à nous emmener dans un labyrinthe de sa construction où, sans fil d'Ariane, on risque fort de
manquer la sortie.

    Poète lyrique, ai-je dit. Oui ; mais, en même temps, mythologue, - et, pour cela, Platon, qui
voulait que le vrai poète fût créateur de mythes, le couronnerait avant de l'exiler de sa cité.
Savoret n'ignore rien de la constante utilité du mythe. Comme l'a écrit Secundus Sallustios
Promotus qui, né en Gaule, vécut au IVe siècle de notre ère : « On pourrait appeler l'univers
entier un mythe, qui renferme visiblement les corps des choses et d'une manière cachée leurs
âmes et leurs esprits. Si l'on enseignait à tous la vérité sur les dieux, les inintelligents la
mépriseraient parce qu'ils ne la comprendraient pas, et les esprits plus vigoureux la
prendraient à la légère ; mais, si l'on donne la vérité sous le vêtement mythique, elle est
assurée contre le mépris et sert d'aiguillon à la philosophie. » (2) Nous voyons donc passer
dans les poèmes de notre ami de hautes figures riches de vie universelle : Ahasvérus, Hélène,
que suivent des personnages, fort historiques ceux-ci, mais non moins auréolés de lumière
mythique, comme Ram, comme Moïse, comme Orphée, et, au dessus d'eux tous, aux côtés de
l'ineffable figure de Marie, la Vierge éternelle, Celui que Victor Hugo nomma
     . . . le grand passant mystérieux, Jésus. (3)

    Car, si Savoret rejette avec raison le mirage des fausses synthèses, c'est pour s'attacher à la
grande Tradition qui, embarquée sur l'Arche de Noé, est parvenue, par Ram et Moïse, jusqu'à
la Crèche de Bethléem, jusqu'à la Croix du Calvaire et jusqu'au Sépulcre de la Résurrection,
d'où, continuant sa route à travers les vicissitudes du « siècle » et les phantasmes du règne de
l'Antéchrist, elle atteindra un jour la Nouvelle Jérusalem, Éden retrouvé.

    Les titres de ses deux recueils poétiques révèlent parfaitement le souci qui l'a poussé à
prendre la parole : le Bûcher du Phénix, Intersignes. Le Phénix est un magnifique symbole de
la destinée humaine. Dans le monde pré-chrétien, il représente l'âme de celui qui « naît de
nouveau », qui s'éveille à l'un des modes de la vie spirituelle ; depuis l'Évangile, il représente
le nouvel homme qui, se dégageant de l'homme de péché, est réintégré dans le Royaume de la
Vie spirituelle intégrale. Quant aux Intersignes, ce sont les Idées impérissables, - les dieux, -
qui jalonnent la route du retour ; dans les hauteurs, ce sont les Étoiles, flambeaux splendides
fixés par la Divine Charité sur les deux rives de la Voie Lactée.

    Ceci m'amène à signaler que Savoret, en même temps qu'un hermétiste consciencieux, est
un consciencieux astrologue. Il sait ce que représentent les astres.

    Dans sa Quête du Graal, notre poète s'est trouvé naturellement amené à étudier avec un soin
tout spécial la question celtique, et très souvent ses poèmes reflètent les trouvailles qu'il fait
connaître dans ses ouvrages en prose. Il adopte sans hésiter la grande conception qui donne
pour héritière à la Galilée, dans le rôle de pays porte-Verbe, cette Gaule où le druidisme s'est
fondu sans heurt dans le christianisme, comme elle-même s'est fondue dans la France, cette
Gaule qui, spirituellement sauvée par le sacrifice de Vercingétorix, a été donnée au Christ par
Clovis, fut une première fois rachetée de ses erreurs par Jeanne d'Arc, et qui, aujourd'hui,
attend, au fond de l'abîme où elle s'est laissée glisser, une nouvelle aide providentielle qui la
relève, lui redonne son pouvoir lumineux et refasse d'elle la sœur aînée des nations.

    Avec toute sa science, Savoret reste avant tout un poète lyrique. C'est que sa science est
vivante ; c'est que, sur le plan où séjourne constamment sa pensée, science et poésie ne font
qu'un, sous le feuillage de l'Arbre de la Vie. Savoret se situe dans la ligne des grands poètes
de tous les temps et de tous les pays. Nostalgie poignante de la patrie éternelle ; dégoût, non
point de la vie, - viril, il n'a point cette faiblesse, - mais du péché né de l'égoïsme mental et
charnel qui a perverti cette vie ; espoir en Celui-là seul que le Père nous a donné pour Frère
Aîné. On trouve chez lui, mais toujours et uniquement sous le signe du Christ, les deuils et les
aspirations des mystiques tant d'Orient que d'Occident, de tel bhakti comme Tagore, de tel
soufi comme Atthar, de tel saint comme jean de la Croix, et parfois il semble toucher la harpe
de David. C'est dire que, courageux, tenace, fier, jamais il ne se soumet aux frissons morbides
qui parfois viennent l'assaillir. De la Terre il espère un jour, non pas s'évader, - toute évasion
ne saurait être que temporaire, le destin étant bon gendarme, - mais obtenir d'être délivré ; et
non point de la Terre seulement, mais, pour employer sa propre expression, qui est fort belle
(4), de cette « prison d'étoiles »  que tant d'esprits encore un peu myopes appellent l'infini.
Cette délivrance, il la veut pour tous, s'en remettant à la Bonté du Père du mode et du moment
qui la rendront possible. La poésie de Savoret est à base de charité, et je serais tenté de lui
donner pour devise les deux vers que voici, empruntés au Bûcher du Phénix :

     Si tu ne descends pas, toi-même, vers tes freres,


     Comment le Dieu d'amour descendrait-Il vers toi ? (5)
    Nous le verrons, en passant, dénoncer l'erreur de la généreuse mais imprudente initiative
prométhéenne, effort hors de saison, qui n'est pas sans parenté avec l'aventure luciférienne et
qui, en tout cas, n'a donné aux hommes que des fruits amers et décevants, le dernier en date
ayant pour nom « la bombe atomique ».

    La sagesse de notre poète ne sort jamais du cercle où, à côté du vieil adage immémorial : «
Aide-toi, le Ciel t'aidera », brille la parole du Christ : « Cherchez d'abord le Royaume de Dieu
et sa justice, et toutes autres choses vous seront données par surcroît. »
 

    Dois-je m'excuser d'avoir si longtemps retardé le plaisir que vous allez prendre à écouter
quelques vers de notre ami ? J'ai cru utile de donner d'abord de son œuvre poétique une vue
d'ensemble, Savoret n'étant pas un poète que l'on puisse goûter pleinement sans quelque
préparation.

    Le Bûcher du Phénix a paru en 1933. Un poème liminaire nous apprend sans détours ce
que, dans l'esprit du poète, représente l'oiseau fabuleux. Je l'ai indiqué et n'y reviendrai point ;
mais je tiens à noter combien, dès ce premier poème, qui date de la Pentecôte de 1923 (date
sans doute réelle, mais non moins symbolique), combien, dis-je, mythe et vie sont étroitement
unis chez André Savoret. Le dernier vers :

    Chercher le GOLGOTHA pour trouver le THABOR !

résume d'une manière lumineuse le sens de l'effort entrepris : par le sacrifice du moi
provisoire atteindre à la transfiguration dans l'Esprit éternel.

    Une série de Crayonnages vient ensuite, qui mêlent regrets, - peut-être de vies antérieures, -
mélancolies actuelles, impressions de tous ordres. De cette série je vais vous lire Oraison, qui
est un fort beau poème ; puis M. Guinel vous dira Jardin sous la pluie, d'un impressionnisme
bien séduisant, car le poète a réservé un coin de son âme aux jeux des esprits de la nature et ne
dédaigne pas de se souvenir, ici ou là, d'un Maeterlinck, d'un Verhaeren, voire d'un Stuart
Merrill ou d'un Vielé-Griffin.
 

Oraison

Mon Dieu, vous connaissez ce que fut ma jeunesse,


Ses grands élans, glacés par le poison du doute,
Et ce mirage fou d'amour et de tendresse
Que mon esprit pourchasse et que mon cœur redoute.

Vous connaissez aussi la secrète détresse


D'un cœur qui se croyait assez fort pour maudire,
Et ces vieux désespoirs, et l'affreuse tristesse
Des sanglots réprimés par de mornes sourires.

Vous savez aussi bien quel découragement


Hante votre oublieux et mauvais serviteur,
Les Credos reniés, et tous ces faux serments
De domestique Ivrogne et de soldat hâbleur.

En moi, la violence est en pays conquis,


La haine et le dégoût me brûlent la poitrine,
J'assume le fardeau des savoirs mal acquis
Qui m'écrasent la nuque et me brisent l'échine.

Je suis usé, je suis fourbu, je suis perdu...


Si vous ne secourez, Seigneur, mon âme lasse,
Demain j'irai grossir la horde des vaincus
Que la Bête a marquée du sceau que rien n'efface !
.. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. 
O Cèdre de l'orgueil au Liban de mon âme,
Calciné par la foudre et non pas abattu,
Crispant ton torse noir, échevelé de flammes,
Puisses-tu résister aux ouragans têtus !

Le monde est un Méandre où toute nef chavire;


La mienne, tournoyant dans ses remous profonds,
Au gré des vents changeants se cabre, fonce et vire,
Cherchant le bon écueil et l’accueillant bas-fond.

Oh ! ce mendiant fou, sans bâton ni besace,


Contre lequel tous les instincts mauvais se liguent !
Voyez, Il va tomber épuisé de fatigue...
Et ces chiens, ces chiens noirs, ameutés sur ses traces !

.. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. ..
Oh ! le panorama funèbre de ma vie :
Jardins abandonnés, livides marécages,
Firmaments sans soleil, océans sans rivages,
Et cette solitude, et cette léthargie...

Exaucez, ô mon Dieu, la prière d'un cœur


Triste, infiniment triste, et las, infiniment :
Pauvre cœur, écœuré de sa propre laideur,
En détresse sur les flots noirs d'un lac dormant.

Accordez-moi, Seigneur, de mourir sans blasphème,


Fixant l'archange noir en face, sans ciller ;
Accordez quelque asile au minable exilé,
Ingrat, lâche et pervers... votre enfant tout de même !
 

Jardin sous la pluie

   Il pleut, à lourds sanglots, sur le jardin, 

Sur le jardin désert, jonché de blancs pétales,


    A longs et lourds sanglots, sur les jasmins
      Dont l'arôme, affaibli, s'exhale, -
      S'exhale avec un doux relent
      D'aromates aux senteurs mortes...
      Et va la pluie, insolemment,
      Froissant les fleurs, battant les portes !
 
      Et puis s'exaspère en rafales,
      - Carnage affreux de blancs pétales, -
      La pluie au rythme accéléré :
      Giflant les bois, griffant les prés,
      Creusant les rocs avec lenteur,
      Noyant l'espoir, tordant les fleurs,
      Poussant les cœurs à la male heure !       Que tu sois chaude et large ondée,
      Qu'en gouttes lourdes tu t'épandes,
      Baignant le val, mouillant la lande,
      Rouillant les ors des bois jonchés,
      Que tu tombes fine et serrée,
      Dardée en javelots de glace,
      Lourde d'orageuses menaces,
      Martyrisant les blés couchés,
      Que, par les gris matins d'Avril
      Ou les bruines de Septembre,
   Tu charges, fine et dense et pénétrante,
Sur les errants pleurant leur lamentable exil,
          Ou bien que tu ruisselles,
               Murmurante,
Sur les pentes des toits ou les vitres des chambres,
          Je t'aime intensément,
              O pérennelle,
       Lorsque tu chois, à lourds sanglots,
           Des arcs-en-ciel
Et des glaciers insoupçonnés des firmaments,
       Et que détaillent mes désirs
            Sous la caresse
          Et l'immense détresse
           De tes sanglots,
        Tes noirs sanglots, à flots !…

    Une deuxième série, les Écailles du Dragon, contient, selon moi, les plus remarquables
pièces de tout le recueil. Voici Vœu platonique, que va vous lire M. Le Nôtre. Vous y verrez
que Savoret a su se pencher sur les abîmes de la chair; mais Savoret n'est pas sujet au vertige !

Vœu platonique

Frissons des corps, émoi des sens, éveil des sèves,


Envoûtement banal des terrestres amants...
L'humain espoir aspire à d'autres dénouements,
Au delà de la chair et de l'extase brève !

Aux yeux d'Ève, rieurs, la Nature éternelle


Fait luire son mirage et ses enchantements :
Prends garde, sa puissance anime également
Les yeux ardents du fauve aux mâchoires cruelles.

Quand donc pourrons-nous fuir le maussade séjour


Où l'instinct alourdit les purs élans du cœur,
Pour aimer, librement, parmi le libre amour
Des astres géminés et des étoiles sœurs ?
 

    Un poème relativement long, Cosmopée, fait quelque peu songer à un Leconte de Lisle
chrétien. Il y a là toute la Chute de l'homme et du monde adamique, mais, dans l'abîme ainsi
creusé, où « l'orgueil » a
     La terre pour sépulcre et les Cieux pour prison,
nous voyons naître
     Le séraphique espoir, au seuil du sombre Érèbe !
car, ajoute le poète, pour nous tous
     Flambera quelque soir . . . . . .
     L'Etoile qui brilla, Jadis, sur Bethléem !

     Les Plaintes de l’« Autre » font suite à cette Cosmopée, et, ici encore, je songe à un des
Plus beaux des Poèmes barbares, la Tristesse du Diable, - chose curieuse si l'on sait qu’à cette
époque notre poète ne connaissait guère Leconte de Lisle que de nom.

    Je veux signaler aussi Magna Mater, émouvante prière à Celle qui, première des créatures,
se tient éternellement devant le Saint des Saints, telle une porte voilée.
J'implore ton secours, Vierge consolatrice
Qui sais de quel limon ton enfant fut pétri !

    Une vision, les Vaincus, nous montre le triste destin de ceux qui, ayant cherché à conquérir
la Vérité vivante par des voies obliques, comme des voleurs,

                 . . . . . . . . attendront,
                Sans espoir, sinon sans colère,
     Au sein des nuits sans vision,
     La consommation du dernier septénaire.

    M. Bonduelle va maintenant vous lire Ancestralité. Nous y découvrons que Savoret,
lorsqu'il dénonce les dangers de la psychanalyse et des séductions monstrueuses qui émanent
du subconscient, sait par expérience de quoi il parle.
 
 

Ancestralité

Mystère inviolé d'un ténébreux passé 

Où luit l'éclair sanglant d'une âpre tragédie,


Angoisse au souvenir des lieux hantés jadis
Et dont la nostalgie imprègne mes pensers :
Des cris soudains, en moi, des reflets d'incendie,
Des enfers embrasés sourdant vers des cieux d'ombre,
Des gouffres où je vis crouler des Paradis,
Des siècles sans mesure et des terres sans nombre !… Comme un rouge horizon noyé de pâles
brumes,
Je revois, vacillants sous d'étranges soleils,
La lagune ancestrale et les monts où s'allume
La colère des dieux, cruels comme aujourd'hui,
Et, par les nuits d'hiver où nul rayon ne luit,
Une faune sans nom visite mes sommeils !

    Et toujours, - notamment dans Dissonances, dans Chant d'exil, dans Imploration, - nous
retrouvons ce sens aigu de l'emprisonnement dans un univers anormal, prison d'autant plus
formidable qu'elle est, pour ceux qu'elle tient, infinie et que l'effort prométhéen est impuissant
à nous en délivrer ; et, toujours aussi, l'accompagne le sens de la rédemption par le seul
Amour, par cet Amour dont le Christ, Verbe incarné, est venu nous apporter le germe. Nous
lisons, dans Adieu :

Aimer, pardonner,

Subir et prier,

Donner, se donner,

Et puis oublier.

La sagesse cherche

Le baume rêvé,

La sagesse cherche...

L'amour a trouvé !

La seule vertu,

L'unique clarté,

La seule vertu,

C'est la charité !

    Une troisième partie, Runes et Bardits, nous ouvre le domaine spirituel du monde celtique.
En France, jusqu'à présent, aucun poète, à ma connaissance, n'a comme Savoret compris l'âme
profonde des Celtes et des Nordiques. M. Guinel va nous lire Poème nordique.
 
 

Poème nordique

Je suis l'enfant du Nord farouche, aux décors vierges, 


      Nombril des tournants horizons,
Axe des nuits d'horreur et plexus des saisons,
Qu'assaillent les autans, que les blizzards submergent !

Je suis l'enfant du Nord, famélique et vorace


     Et saturnin, aux mornes glaces,
  Du  Nord qui mord, amenuise et dévore
    Ses fils tordus d'affreux frissons...
Je suis le fils du Nord, fauteur des faces hâves,
Des lèvres sans couleur et des yeux bleus et caves,
Du Nord mortel, raillant sa faune fantomale
D'un sourire glacé d'aurore boréale,
Ameutant, tout au long des mornes horizons,
     Le troupeau fou des aquilons !

Je suis un fils du Nord, ami du vent tragique,


Souffletant, sans répit, les plaines léthargiques,
Du vent épouvantable et triste, aux fureurs blanches,
    Qui fait crouler du haut des monts
           Les avalanches,
Et fait couler, sans fin, la mort dans les poumons
Et ceinture de marbre lourd les vieilles hanches !

Les pics hautains des monts du Nord ont éventré


Les cavales de feu des ouragans cabrés !
Bah ! les autans têtus, demain, lacéreront,
De leurs griffes de fer, les flancs crevés des monts !
Puissé-je, après ma mort, prendre part à la lutte
Des ouragans griffus et des sommets hirsutes,
Et, tant qu'autour du pôle, axe des horizons,
Rugiront les autans, rouleront les saisons,
Puissé-je déchaîner sur les rocs éventrés
Les cavales de feu de mes désirs cabrés !

    Son goût pour le « nord » n'empêche nullement notre poète d'aimer les soleils de la
Méditerranée et les aurores asiatiques. Orphée, Moïse, Zoroastre, Rama, ne sont-ils pas, eux
aussi, des druides ? Et, après nous avoir dit ses doutes premiers, ses révoltes d'enfant sauvage,
ses réticences, ses reniements, il avoue, à la fin d'un poème intitulé Explication :
 

... Je vis un jour, en moi, surgir une âme neuve


Et fraîche, ainsi qu'un chant de pipeaux dans le soir ;

Une âme méconnue, en somme, de moi-même,

Qui ne déchut jamais, mais qui pleura souvent,

Oublieuse du mal, insensible aux blasphèmes :

Beau visage, entrevu dans l'ombre d'un auvent !

Et, dès lors, reprenant le rêve d'autrefois,

Je veux, avec ferveur, à l'Arbre de la Croix,

Suspendre à tout jamais, en mystique trophée,

La harpe de Merlin et la lyre d'Orphée.

    Le Bûcher du Phénix nous offre encore Trois Poèmes d'Edgar Poe ; nous y voyons avec
quelle souplesse et quelle intelligence notre poète sait s'adapter, se soumettre à un génie
étranger, frère du sien par certains points, je ne dis pas non, mais tout de même autre. Nous
retrouverons le grand poète américain dans Intersignes.

    En 1934 parut le Réveil de Merlin, féerie en neuf tableaux. Pour un poète d'obédience
celtique il ne saurait exister de sujet plus sublime, - en dehors de la Quête du Graal
proprement dite. De ce réveil du grand barde à la fois historique et mythique et des
préliminaires à ce réveil Savoret nous donne une version extrêmement intéressante, mais peut-
être un peu schématique et qui parfois, me semble-t-il, s'accommode à contre-coeur de la
forme dramatique choisie par le poète.

    Voici quelques vers de 1'Épilogue, mis dans la bouche des fées de la Celtide. Le Dragon
Rouge dont il est question est un des emblèmes du roi Arthur et, en conséquence, du génie
celtique.
 

Vole, vole, ô Dragon Rouge,


Vole, vole, sur la mer !
Sur nos chênes toujours verts,
Sur nos vieilles citadelles,
Fais claquer tes souples ailes !
Vole, vole, ô Dragon Rouge,
Vole, vole, dans l’azur,
Va, puissant coursier d’Arthur,
Dragon Rouge aux crocs de fer !
Vole, vole, ô Dragon Rouge,
Vole, vole, sur les flots,
Fais frémir le sapin vert
Et la cime du bouleau !
Vole, vole, ô Dragon Rouge,
Vole, vole, sur les flots !

    Des années passèrent... Il y eut l'enlisement de la France, - depuis bien longtemps
prévisible, - il y eut la guerre, la défaite, l'apparente libération... Savoret, sans jamais cesser de
lutter sur le plan concret, composa de nouveaux poèmes, - opiniâtre, fervent, inébranlable. Et,
en 1948, il nous donna Intersignes.

    L'atmosphère n'a pas changé. Ayant trouvé le Chêne et le Rocher, symbole de la Tradition
immémoriale, notre poète n'est pas de ceux qui pourraient songer à s'en écarter, - comme le fit
l'infidèle Hésiode aux temps homériques. Nous allons donc retrouver dans ce nouveau livre
tout ce qui constitue l'âme du premier. Seulement, le talent de l'auteur s'est développé ; sa
forme s'est faite plus stricte, son souffle a grandi.

    Dans Ciel, Terre, Homme, c'est d'abord l'astrologue qui parle, en vers quelque peu
didactiques, mais fort adroitement « combinés », si j'ose dire. L'hermétiste paraît aux côtés de
l'astrologue, sous un voile que bien peu de lecteurs seront en mesure de soulever et auquel,
profane moi-même, je n'aurai garde de toucher. N'allons pas froisser telle « chanson » qui s'est
voulue « discrète » ni troubler le « chant du Dragon » !

Puis de grandes figures passent :


Ahasvérus,
                     Immortel et tenace, en somme,
          Autant que la misère et les péchés de l'homme !
Hélène,
          Mère des voluptés et reine des massacres !

puis le fantôme de sa propre jeunesse, qu'il sait regarder d'un oeil clair, sans vaine colère,
mais sans indulgence. (Ah ! Savoret n'est pas un psychanalyseur : le traditionnel examen de
conscience lui suffit.)

Il nous montre encore la Science,


         . . . . . . . . . Palais noir
           Dont on a muré les fenêtres !

et il nous fait entrevoir l'ombre de cet « hôte » louche qui ne nous quitte jamais et qui s'offre,
toujours patient, toujours débonnaire, à nous aider au passage de tel mauvais pas.
 

L'hôte

Nuit calme : ni frisson, ni plainte, ni rumeur ;


Le feu voile de cendre une rouge agonie...
Je puis songer « en paix »... A peine si mon cœur
Scande de son glas lourd mes heures d'insomnie.

Je sens, tout près de moi, l'interlocuteur blême


Qui guette dans mon ombre et glisse sous mes pas

Pour m'obséder sans fin d'astucieux problèmes


Et qui, sans s'égarer en maladroits blasphèmes,
Discret, poli, feutré, plein de doux stratagèmes,
Suggère, admet, concède - et ne ricane pas ! ...
 

    Une quinzaine de pages servent ensuite d'écrin à des Bijoux démodés, villanelles, rondeaux
redoublés, pantoums, chants royaux, etc. L'artiste ici joue librement, mais de ce libre jeu le
penseur profite souvent pour « faire passer » telle petite suggestion, sans en avoir l'air, à la
chinoise. M. Bonduelle va nous dire Liminaire, puis M. Le Nôtre le deuxième Pantoum.
 

Liminaire

Bien démodés sont ces joyaux : 

Lais, virelais et villanelles,


Gloses, pantoums et chants
royaux ! Disent nos doctes
jouvenceaux :
Bien démodés sont ces joyaux,
Bien attardé qui les cisèle !

Quand J'en perdrais ma


clientèle,
Lais, virelais et villanelles,
J'aime vos somptueux émaux !

Que l'on voue aux dieux


infernaux
Gloses, pantoums et chants
royaux,
Je veux, moi, leur rester fidèle,
Quitte à passer pour un grimaud
            Bien démodé !...

Pantoum

L'Etoile qui brillait au front de Lucifer, 

L'Etoile demeura quand s'abîmait l'Archange.


Cette âme que voici, lasse d'avoir souffert,
Préservez-la, mon Dieu, dans la terrestre fange. L'Etoile demeura, quand s'abîmait l'Archange

Aux gouffres insondés des ténébreux Enfers.


Préservez-la, mon Dieu, dans la terrestre fange,
L'imprudente en exil dont le sort vous est cher.

Aux gouffres insondés des ténébreux Enfers,


L'éternel Révolté rumine sa vengeance.
L'imprudente en exil dont le sort vous est cher,
Accordez-lui, Seigneur, votre juste clémence.

L'éternel Révolté rumine sa vengeance :


Le drame se jouera sous l'Arbre du Savoir...
Accordez-lui, Seigneur, votre juste clémence,
A Celle qui combat - et sent faiblir l'espoir.

Le drame se jouera sous l'Arbre du Savoir,


En des temps abolis, hors de toute mémoire...
A Celle qui combat - et sent faiblir l'espoir
Faites luire en vos cieux le prix de sa victoire.

En des temps abolis, hors de toute mémoire,


Le transfuge d'Eden écouta le Pervers...
Faites luire en vos cieux le prix de sa victoire :
L'Etoile qui brillait au front de Lucifer !

    De la même série voici maintenant, dit par M. Guinel, un poème intitulé la Harpe celte.
 
 

La Harpe celte
La Harpe celte est sœur de la Lyre d'Orphée :
Le divin présent d'Apollon,
Aux Iles du Couchant, sur Un autre Hélikon,
Ordonne les ballets aériens des fées.

Qu'elle enseigne Abaris, au cœur des monts Riphées,

Ou dorme, avec Arthur, aux grottes d'Avallon,


O Cieux, accordez-nous, éblouissant trophée,
  Le divin Présent d'Apollon !

Puisse notre âme, un jour, d'harmonie assoiffée,


Entendre, loin d'un monde et frivole et félon,
Aux Iles du Couchant, vibrer aux doigts des fées
Le divin présent d'Apollon :
La Harpe celte !

    Voici, enfin, Ce voile..., où nous retrouvons l'idée du mythe, protecteur toujours, parfois
initiateur.
 

Ce voile ...

Ce voile chatoyant de vos mythologies, 


    Gardiens du mystère éternel,
Défend  tous les secrets de la Terre et du Ciel
Contre le vain orgueil et l'impure magie.
Sages au verbe d'or, vers vous se réfugie
L'âme dont les remords se sont faits repentirs
Et que  tourmente enfin la seule nostalgie
    De renoncer et de servir.

Si vous avez masqué l'Arcane de la Vie,


     Gardiens du mystère éternel,
Du voile chatoyant de vos mythologies
Contre le vain orgueil et l'impure magie,
Au seuil du temple clos puissiez-vous accueillir

Celui dont les remords se sont faits repentirs.


Ah ! daignez soulever, pour cette âme assagie,
Eprise seulement de l'Oeuvre essentiel,
      Gardiens du mystère éternel,
                     Ce voile !

    Une troisième partie nous fait pénétrer dans ce lieu de la vie intérieure qui se situe Entre
nef et parvis. A peine entrés, nous découvrons une Prière, bien belle, que va vous faire
connaître M. Le Nôtre.
 

Prière

O Maître, si souvent trahi,


Pardonnez à ce cœur fragile
- Ce cœur pétri de quelle argile ! -
Si les regrets et les soucis
Ont avec lui jeu trop facile.

Pour vos indicibles tortures,


Excusez-le, divin Sauveur,
Ce cœur pétri d'argile impure,
Lourd de soucis, lourd de rancœurs,
Couturé de mille blessures.

Pour vos souffrances sans secondes,

Pardonnez, ô Sauveur du monde,


Vous, tînt et tant de fois trahi,
Si parfois la révolte gronde
En ce cœur, d'argile pétri.

Que votre indulgence Infinie


Lui pardonne pour cette nuit
De ténèbres et d'agonie,
- O Maître, si souvent trahi, -
Pour la nuit de Gethsémani !

    A côté du Christ, « pèlerin des mondes », nous rencontrons naturellement Marie, toujours
au travail, « En exemple », - poème que va lire M. Le Nôtre.
 

En exemple
Dans la chambre qu’ensoleille
Un rayon sans l'égayer,
Une femme, déjà vieille,
S'affaire autour du foyer.

Chaque épreuve sur ses traits


Burina sa cicatrice ;
Qui dira quel lourd secret
Rida ce front large et lisse ?

Dans la chambre aux murs sévères,

Autour du foyer fumeux,


La Dame, sans bruit, s'affaire,
Une étrange flamme aux yeux.

Flamme étrange, flamme douce,


Comme d'enfant innocent...
Mais la frêle gorge tousse,
Tant le feu va lentement.
.. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. 
S'active Près du foyer,
Où cuit le repas des frères,
La veuve du charpentier,
- Aussi grande qu'au Calvaire.

O Marie, ardente Etoile


D'Amour et de Charité :
Quel exemple - ou quel scandale -
Pour la pauvre humanité ! ...

    J'aimerais tout citer ! Glose est une admirable chose, - trop longue à dire ici ; mais je vous
lirai Nostalgie, que j'aime tout particulièrement.
 

Nostalgie

Sur la route déserte, à tous risques suivie,


Auriez-vous rencontré Celui que mon cœur lourd
Cherche inlassablement, cherche depuis des vies,
Et dont la Croix se dresse à tous mes carrefours ?
Vivants qui m'entendez, vous qui, sur cette Terre,
Gravîtes avant moi le sentier de misère,
    Sur la route morne, au sein de la nuit,
    Quand retrouverai-je une fois Celui
        Que mon cœur espère ?

Egrenant - depuis quand ? - le chapelet des jours,


Je vais - jusques à quand ? - traînant ma nostalgie,
Sans entrevoir jamais aux Croix des carrefours
Celui que mon espoir cherche depuis des vies...

O vous qui connaissez et le gîte et l'étape,


Convives fortunés  de la mystique Agape,
Voyez que je suis  seul et que mon pas, plus sourd,
Sur le sentier glissant, semé de chausse-trapes,
Sonne, moins assuré, chaque heure, chaque jour,
            - Chaque vie ! ...

Combien de temps devrai-je, aveugle en cette bruine,


         - Mon unique horizon, -
Combien de temps, errer sans qu'aux lointains s'allume

         L'aube de consolation ?

O vous qui m'entendez, vous qui savez la route,


Convives fortunés de la mystique Agape,
Vous dont les pas saignants ont marqué mes étapes,
A ce cœur obstiné sous les assauts du doute
Dites sur quel chemin, dites en quel séjour
Veille, invisiblement, Celui qu'il cherche en vain
           Depuis des jours,
           Depuis des vies,
           - Depuis toujours !

Ah ! - dites-lui, Vivants aux tâches accomplies,


Dites sur quel chemin, dites à quel détour
Vos cœurs  illuminés, vos âmes éblouies
      Rencontrèrent l'Amour ! ...

    Oui, je voudrais tout citer de ces poèmes, car aucun ne laisse indifférent, aucun n'étant
inutile. Je me contenterai de signaler, en passant, le Chant essentiel, chant alterné entre «
l'éternel Ami » et « son Bien-Aimé » ; nous retrouvons là le jeu traditionnel de la poésie
mystique universelle. Puis de beaux Noëls ; puis le Nom, consacré au mystère de ce principe
de toute vie spirituelle, qu'il s'agisse du nom du Dieu Ineffable ou de celui du moindre des
Élus. Enfin, les Deux Silences, que je demanderai à M. Guinel de nous réciter.

Les deux silences

Il est deux sorte de silences


Comme il est deux sortes de nuits.
Le premier - dont nos cœurs s’offensent -
N’est que simple absence de bruit ;
Le second, plein de résonances,
- Subtil langage de l’esprit -
Baigne nos âmes d’espérance :
Comme il est deus sortes de nuits,
Il est deux sortes de silences.

Il est deux sortes de silences


Comme il est deux mondes distincts.
Le premier, lourd de confidences,
Parle en mots dont le verbe humain
Ne sait traduire l’éloquence ;
Le second, glacé, nous étreint
De sa morne désespérance :
Comme il est deux mondes distincts,
Il est deux sortes de silences.

Il est deux sortes de silences,


L’un est terrestre et l’autre divin.
Si l’un n’est, au fond, que l’absence
Des bruits de ce monde incertain,
L’autre, plein d’augustes présences,
Pour qui sait l’écouter, détient
Lumière, espoir, intelligence…
L’un étant tout, - et l’autre rien, -
Il est deux sortes de silences !

    Viennent en suite les Deux Lois, belle symphonie qui embrasse toute l’histoire de l’Homme,
et la Chanson de la plus haute cime, que va nous lire M.Guinel.
 

Chanson de la plus haute cime


Sur l’arbre le plus haut du bois,
Deux oiseaux chantent leurs amours :
Chantent pour toi, chantent pour moi,
Chantent, depuis l’aube du jour.
Deux oiseaux chantent dans le bois ;
Sois attentif à leur langage
Où vibre un écho d'autrefois,
- Un écho du divin message.

La voix des oiseaux merveilleux


Chante ta fortune et la mienne :
Las ! combien sont-ils, sous les cieux,

Qui l'entendent et la comprennent ? ...

Écoutons la chanson mystique,


- Eclose au tréfonds de nos cœurs, -
De l'Espoir qui jamais n'abdique,
De l'Amour qui jamais ne meurt.

Trop haut pour qu'un vulgaire émoi


Se mêle à leur concert sublime,
Deux oiseaux chantent dans le bois,
- Chantent, sur la plus haute cime !

    Les Grains du Collier, tel est le titre de la quatrième partie. Ici le celtisme reparaît.
Plusieurs pièces sont inspirées de la poésie galloise ancienne ; d'autres évoquent directement
la médiévale Quête du Graal, avec, encore et toujours, la loi du sacrifice, essence de la Vie
réelle, car

            …… tu ne peux sauver que celui qui s'immole,


                          Consumé du désir de Dieu,
                Et qui, sans te chercher, te retrouve en tous lieux,
                O Graal mystérieux, éblouissant symbole !

Mais le temps passe, je dois me hâter.

     In memoriam, cinquième partie, ne contient que quatre pièces, mais toutes quatre d'une
couleur très spéciale dans l’œuvre de notre poète. Lyrisme voilé, intime, où la douleur et
l'espérance se tiennent par la main...

    Viennent enfin Fleurs séchées, transpositions de poètes étrangers. Le texte d'une « stèle
chinoise » y fraternise avec deux poèmes d'Edgar Poe, dont bien des subtilités musicales et
rythmiques sont, cette fois encore, finement rendues par notre ami, et avec la Merveille des
Merveilles, imité de Paramânanda, poète et mystique hindou contemporain, - pièce que voici.
 
 

La Merveille des merveilles


(imité de Paramânanda)

Voudrais-Tu habiter cette demeure obscure, 

     O roi des âmes et des sphères ?


Si tel est Ton plaisir, je la garderai pure,        Inviolable et solitaire.

     Être merveilleux, ah ! dis-moi,


Pourquoi donc choisis-Tu les seuls humbles de cœur
     Serait-ce pour que Ta splendeur
     Les illumine à chaque pas ?
Est-ce pour consoler tous ceux qui désespèrent
     Que jusques à eux Tu T'abaisses ? ...

     Lorsque les baigne Ta lumière,


Les fibres de mon cœur tressaillent d'allégresse ;
Alors, les vains tourments qui tour à tour m'écheyent
     Sont oubliés, et si, parfois,
Je me perds, c'est pour mieux me retrouver en Toi.

     N’est-ce pas, là, Merveille des merveilles ? ...

    Une grande variété dans les moyens d'expression, une unité profonde ; une connaissance
rare de la grande Tradition centrale dont la racine paraît dans la Genèse, le cœur dans
l'Evangile, l’épanouissement dans l'Apocalypse ; une compréhension par l'intérieur des
mythes et symboles qui illustrent cette Tradition ; un sentiment intense de la double nature de
l'homme, de sa grandeur et de sa misère, pour employer les termes de Pascal, d'où l'union
indissoluble de la tristesse et de l'espérance, jamais l'une n'allant sans l'autre, - voilà ce qui
caractérise l’œuvre poétique d'André Savoret. Il est un de ceux, pionniers d'un proche avenir
meilleur, qui s'emploient à rouvrir les fenêtres et les portes que, volontairement ou non, ont
fermées les amateurs du subconscient, victimes des pièges que l'esprit de mensonge cache
sous les fleurs de nouveautés artificielles. Ceux-ci ne manqueront pas de méconnaître un
poète de cet ordre. C'est que l'armée à laquelle appartient André Savoret marche à contre-sens
de celle où se sont enrôlés ces moutons de Panurge, inattentifs au gouffre qui s'ouvre devant
eux. Aveuglément, imbécilement, ils suivent le courant, au gré de leurs bateaux ivres-morts.
Lui est à l'avant-garde de ceux qui désirent d'accorder leur voix à la voix. du Verbe, le Poète
Eternel.
    Je remercie notre amie Raphaëlle Martinon de la confiance qu'elle m'a témoignée en me
demandant de parler d'André Savoret, et je prie André Savoret lui-même de ne pas m'en
vouloir si je l'ai fait de manière aussi imparfaite. J'ai une excuse : André Savoret n'est pas,
qu'on me passe l'expression, un poète que l'on peut maîtriser facilement.
 

Jacques HEUGEL.

(1) Qu'il me soit permis d'appeler ici l'attention sur le phénomène des transpositions
sensorielles. Avec sa géniale intuition, Hugo le connaissait bien ; Il en a parlé. Reportez-vous
au chapitre de NotreDame de Paris Intitulé Paris à vol d'oiseau (in fine), et rappelez-vous
cette affirmation de la « bouche d'ombre » :
                                                                                                  . . . . L'oreille
pourrait avoir sa vision.
     Plus tard, Baudelaire écrivit son fameux sonnet Correspondances. Mais, essentiellement
classiques, ni Hugo ni Baudelaire ne se sont écartés du juste milieu, pour se livrer au jeu
facile des transpositions verbales. De nos jours, trop de jeunes poètes se croiraient «
pompiers » s'ils voyaient les rayons, entendaient les sons, respiraient les parfums ;
romantiques exagérés, ils respirent la lumière, volent la musique, entendent les odeurs,
systématiquement. Originalité à bon marché, de laquelle les plus doués devraient se garder
avec soin.
     Inutile d'ajouter que Savoret, qui n'accepte dans ses poèmes aucun somptueux galimatias,
échappe à ce travers. Il est vrai qu'il n'appartient pas à la dernière couvée.
     Lucrèce a écrit (De la Nature des Choses, livre premier) « ... Les sots admirent de
préférence tout ce qu'ils croient distinguer dissimulé sous des termes ambigus, et Ils tiennent
pour vrai ce qui peut toucher agréablement l'oreille, et se présente tout fardé de sonorités
plaisantes. » Hé oui ! ...

(2) Dans l'ouvrage Intitulé Des Dieux et du Monde.

(3) Dans le Pape.

(4) Le Bûcher du Phénix, - Dissonances,

(5) Ibidem, - Conseils.

ANDRE  SAVORET
(1898 - 1977)

ET LE GRAAL

Poèmes et Textes
AVEZ-VOUS ENTENDU LA HARPE DE MERLIN...

(A Pol Diverres, respectueusement.)

Avez-vous entendu la harpe de Merlin


Egrener lentement ses accords cristallins
A travers les forêts de la vieille Celtide ?

Des bords ombreux du Rhin jusqu'aux Cassitérides,


La brise en frémissant redit le nom d'Arthur...

Un chant d'espoir émeut les rives de la Clyde :


Voici venir les temps prédits par Peredur !

Oublieux descendants des Celtes intrépides,


Avez-vous entendu la harpe de Merlin,
Des cols de l'Helvétie aux confins des Hébrides,
Résonner doucement par ce frileux matin ?

C'est assez et c'est trop de luttes fratricides,


Fils de la vieille race ardente, aux yeux d'azur !
C'est assez et c'est trop de tous vos mauvais guides ! 
   
Voici venir les temps prédits par Peredur :
Un chant d'espoir résonne à travers la Celtide !

Avez-vous entendu la harpe de Merlin


Résonner doucement par ce frileux matin,
Des sylves d'Hercynie aux vallons de la Clyde ?

Debout ! fils des vaillants qui firent la Celtide !


Voici venir les temps prédits par Peredur :

J'entends, dans le vent frais, siffler Excalibur !


 

BALLADE DU LEGENDIER CELTIQUE


 

Pour avoir parcouru ta forêt de légendes,


Un pèlerin au coeur pieux
Chante, inlassablement, par les monts et les landes,
L'amer destin de ses aïeux !
Le passé fascinant enchante encor mes yeux
Car, sur le chêne symbolique, 
Ma faucille a coupé le rameau merveilleux :
En moi vibre toujours l'écho des chants antiques !

Forêts de Celyddon et de Brocéliande,


Château du Graal mystérieux, 
Alignements sacrés de Bretagne et d'Irlande,
Et toi, Snowdon au front neigeux ;
- Olympe s'escarpant sous de plus sombres cieux -,
Lieux peuplés de voix prophétiques,
J'ai suivi vos sentiers et j'ai connu vos dieux :
En moi vibre toujours l'écho des chants antiques !

N'ai-je pas vu bondir, froissant les hautes brandes,


Galaad au coursier de feu,
Et Merlin déposer une invisible offrande
Au tombeau de la blonde Yseult ?
Mon pas a résonné dans tous les chemins creux
De la rocailleuse Armorique
Où passèrent jadis Arthur et tous ses preux...
En moi vibre toujours l'écho des chants antiques !
ENVOI :
Chef des harpeurs du Nord, Barde au Front Radieux, 
Accorde au disciple authentique
De sonner le réveil des Celtes oublieux ;
En lui vibre toujours l'écho des chants antiques !
 
 
LA COUPE

(A Betty Mornac.)

Ton coeur fut la coupe magique,


- La coupe d'éclatant cristal, -
Qui vibrait dans l'aube édénique
Au chant du cercle sidéral.

Enfant du Ciel et de l'Argile,


Où donc gît l'Eden ancestral ?
Ton cœur est la coupe magique
Qui fut, mais qui n'est plus le Graal !
Le sang du Verbe s'est figé
Dans cette coupe opaque et sombre
Où burent les dieux étrangers
Des froides régions de l'Ombre.

Vinaigre et fiel y sont mêlés


Depuis l'aube immémoriale,
Mêlés au sang coagulé
Comme une hématite infernale.

Cent lippes sales ont souillé


Dans leurs agapes orgiaques
La coupe aux bords bien nettoyés,
- Qui n'est, au-dedans, qu'un cloaque.

Cherche et trouve le vrai remède,


Connu de tous et de toujours,
Le remède que tous possèdent
Et que tous gâchent tour à tour,

Le remède unique que nomment,


Sans savoir prononcer son nom,
La lèvre distraite de l'homme,
La voix menteuse du démon !

Un ange effleurera de l'aile


la coupe au cristal frémissant
Pour qu'en elle se renouvelle,
Soudain, le Miracle du Sang ...

Et l'ange, alors, à ton oreille


Murmurera ton nom nouveau,
Pour clore, indicible merveille,
Le cycle de tes durs travaux :

Car ton coeur, délivré des pièges


Tendus par les hordes du Mal,
Rompant enfin tous sortilèges,
Sera redevenu le Graal !
 
DIALOGUE
 

Dis-moi, bon chevalier qui tant chercha le Graal,


Bon chevalier, dis-moi ce qu'advint de la Quête ?
-J'ai longtemps parcouru le monde occidental
Sans découvrir, hélas, sa mystique retraite !

Du moins, bon chevalier, vis-tu passer Merlin


Sous les chênes parlants des forêts de légende ?
- J'ai battu tout sentier, j'ai foulé tout chemin
Sans rien voir que mon ombre errante sur la lande

Bon chevalier recru de fatigue et de peine,


Demain, reprendras-tu ta course à travers bois ?
- Passant, je donnerai tout le sang de mes veines
Pour voir ressusciter mes espoirs d'autrefois !

-Bon chevalier, crois-moi, ce que cherche ton âme


Luit - et luira toujours - d'une égale splendeur,
car le Graal merveilleux que ta geste proclame
N'est ni bien loin d'ici ni plus proche d'ailleurs.

Cesse d'aller quérir de neuves aventures ;


Sous des cieux inconnus, ne va plus t'exiler
Mais, déposant le heaume inutile et l'armure
Sache ouvrir à propos tes yeux, mal dessillés :
car ce Graal merveilleux que ton désir réclame
Et que chercha si loin, si vainement, ton âme,
Sur l'autel de ton cœur, à tout jamais, fulgure
- A t'aveugler !
 

LES DEPOUILLES D'ANNOUN

A la mémoire du poète
Yves Berthou, (Kaledvoulc'h).

Gloire au seul souverain, suprême ordonnateur


Des cieux éblouissants et de la mer profonde ;
Gloire au Maître suprême, universel Seigneur,
Dont le règne s'étend jusqu'aux confins du monde !
Close était la prison où la présomption
De Gwair, fils de Getcin, l'avait précipité :
Au centre du Château des Révolutions
Gisait l'homme, vaincu par la fatalité.
De par la volonté de Pwyll et Pryderi,
Nul vivant, avant lui, n'en put franchir l'enceinte...
Et, tandis qu'une lourde chaîne le meurtrit,
Il chante (et chantera), sombrement, sa complainte.
Pour les trésors d'Announ, - funèbrement -, il chante
Et, jusqu'au dernier jour, continuera son lied,
A moins que l'un de nous, domptant son épouvante,
Ne pénètre à son tour dans Caer Wediwid.
Nous avons, par trois fois, tenté cette aventure :
Par trois fois, enfermés dans les flancs de Pridwen,
Nous partîmes, joyeux, vers les terres obscures !...
Sauf sept, nul ne revint de Caer Pedriwen !
Faut-il plus que ce chant pour assurer ma gloire ?
Voici mon premier mot sur le Chaudron sacré ;
Voici mon premier mot : gardez dans vos mémoires
Ce que les Trois Rayons auront pu m'inspirer.
Avec son bord serti de perles, n'est-ce pas
Le mystique chaudron du Seigneur du Trépas ?
Neuf vierges, de leur souffle, échauffent un breuvage
Que ne saurait ravir un homme sans courage :
Llemynaoug, armé d'un glaive étincelant,
Surgira pour punir l'insolent fanfaron
Et, devant le portail du Château du Chaudron,
Le croissant argenté flambera, fulgurant !
 

Gwair, jusqu'au dernier jour, continuera son lied


Et, lorsque dans Pridwen nous suivîmes Arthur,
Quand notre nef cingla vers le pays obscur,
Sauf sept, nul ne revint de Caer Wediwid !
Faut-il plus que ce chant pour assurer ma gloire ?
Nous avons assailli l'lle-à-la-Forte-Enceinte,
Où crépuscule et nuit, dans leur sauvage étreinte,
Tourbillonnent sans fin, au-dessus des eaux noires.
Par trois fois, dans Pridwen, nous partîmes encor...
Sauf sept, nul n'échappa hors de Caer Rigor !
Je ne veux pas briguer l'hommage du vulgaire
En contant les exploits et la mort du héros :
Pourrait-il contempler, au seuil du Sombre Enclos,
Les prouesses d'Arthur, au glaive de lumière ?
Les guerriers se pressaient, muets, sur les courtines,
D'impassibles archers et de calmes veilleurs
Epiaient au sommet des tours adamantines ...
Trois fois, avec Arthur, nous allâmes, sans peur...
Sauf sept, nul n'échappa hors de Caer Colur !

Je ne veux pas chanter les prouesses d'Arthur,


Afin de recevoir l'hommage du vulgaire ...

La foule ne sait pas les raisons et les causes ;


La multitude vile, attachée à la terre,
Ignorera toujours le vrai pourquoi des choses
Elle ignore le jour et l'heure où parut Cwy,
Et quel dieu l'empêcha d'accéder à Dewy.

Lorsqu'il nous enferma dans les flancs de Prydwen,


Sauf sept, nul ne put fuir hors de Caer Ochren !

Elle ignore le boeuf sacré du Roi des Nuits,


Porteur du bandeau d'or et du joug à sept noeuds ...
Quand, pour le capturer, nous partîmes, joyeux,
Sauf sept, nul ne s'enfuit hors de Caer Wandwy !
Que cette multitude, au coeur lâche et volage,
 

Epargne à ma chanson son hommage affligeant ;


Elle ignore le jour et l'heure, et son courage
Tremble de rencontrer le monstre au chef d'argent !

De tous ceux que tenta le Cercle Inférieur,


Sauf sept, nul ne sortit du Château de la Peur !

   Taliésin

PROLOGUE DE LA QUESTE

Va, mon blanc chevalier, vers la sylve profonde


Où tes pairs, autrefois, trouvèrent leur destin ;
Détourne tes regards ,des mirages du monde,
Toi qui pressens le but et qui sais le chemin !
Pars sans tourner la tête - et que Dieu te conduise !
Va vers la sylve ombreuse où tes pairs, autrefois,
Chevauchèrent longtemps sous les frondaisons grises,
Le gantelet au casque et l'anneau d'or au doigt.

Chevauchèrent longtemps, à l'ombre des bois noirs,


Les héros d'autrefois - dont je rends témoignage -
Pour avoir entendu vibrer en eux, un soir,
Un déchirant écho de l'éternel Message.

Cet écho, l'entends-tu - mon fils - vibrer en toi ?


L'entends-tu résonner dans la nuit solennelle ?...
Va, l'éclair de tes yeux a trahi ton émoi :
Il est temps de quitter tournois et jouvencelles !

Te voici donc élu pour la Queste mystique


- Car l'éclair de tes yeux m'indique assez ton choix - :
Cherche le seul sentier et le Trésor unique ;
Le reste - tu le sais - t'est promis par surcroît.

Affronte calmement l'épreuve nécessaire


Si tu veux faire enfin, selon qu'il est écrit,
De ton cœur altéré d'amour et de lumière
Le Graal immarcescible où descendra l'Esprit.
 

L'ANNONCE DE LA QUESTE

Dans la salle aux murs nus, près de la Table Ronde,


Les douze preux, debout, écoutaient l'Enchanteur
Dont la voix célébrait le joyau des neuf mondes :

« La Queste va s'ouvrir,.. Beaux chevaliers, en selle !


Il est d'autres pourchas que ceux de vos veneurs ;
Il est un autre Amour que l'amour de vos Belles ! ...
« Louange et gloire à toi, resplendissant calice
Qui recueillis le sang précieux du Sauveur,
- Miroir immaculé du Soleil de Justice !

« La Queste va s'ouvrir..., Beaux chevaliers, en selle !


Lionel, Lancelot, Galaad, Perceval, 
Déjà, sur Montsalvat, l'aube d'or étincelle...
« O Fontaine de Vie, ô Jardin de Délices,
Qui vous retrouvera, s'il n'a trouvé le Graal,
Miroir immaculé du Soleil de Justice ?

« Louange et gloire à toi, Puissance universelle


Par qui le coeur humain devient le pur cristal.
Où se reflète, enfin, la Lumière éternelle !

« La Queste va s'ouvrir. Déjà luit l'aube neuve :


Lionel, Lancelot, Galahad, Perceval, 
Montsalvat vous attend, après l'ultime épreuve,

Mais nul ne l'atteindra s'il n'a conquis le Graal ! »


 

LES ADIEUX D'ARTHUR 

Voici que Galaad à l'armure de feu


S'est assis, sans frémir, au Siège Périlleux...
Les temps sont accomplis, la Queste s'est ouverte,
Adieu Bohor, Gauvain, Lancelot, Perceval ;
Ah ! combien, d'entre vous rencontreront leur perte
Sans avoir découvert la vérité du Graal !

Demain, s'enfonceront dans la forêt profonde


Où leur Sort les attend, ceux que mon coeur aimait ...
Pourquoi faut-il qu'ici leur roi, seul, se morfonde,
Désespérant, hélas, de les revoir jamais ?

Les temps sont accomplis, la Queste s'est ouverte ;


Partez, bons chevaliers, et que vous garde Dieu : 
En priant, j'attendrai dans la salle déserte. 

Seul, je vous attendrai quand vous courrez le monde,


Mais, au festin du Graal, ne serez si nombreux
Que l'êtes en ce jour à notre Table Ronde ! ...
 

O GRAAL MYSTERIEUX
O Graal mystérieux, éblouissant symbole,
Ni Lancelot du Lac, ni Lionel des Rieux,
Coeurs ardents mais âmes frivoles,
N'ont pris place au festin du Château Merveilleux: 
Splendeur comme il n'en est d'égale sous les cieux,
Luiras-tu donc toujours sans dessiller leurs yeux.?...

Coeurs ardents mais âmes frivoles,


Ni Lancelot du Lac, ni. Lionel des Rieux 
Ne voient les anges qui survolent
Le roc de Montsalvat que ta gloire auréole,
O Graal mystérieux !...

Luiras-tu donc toujours sans dessiller leurs yeux,


Splendeur comme il n'en est d'égale sous les cieux?...

Mais tu ne peux sauver que celui qui s'immole,


Consumé du désir de Dieu,
Et qui, sans te chercher; te retrouve en tous lieux,
O Graal mystérieux, éblouissant symbole !

GALAAD
 

Blanc chevalier, porteur d'un rayon de l'Esprit,


Avatar du Phénix qui vient, de siècle en siècle,
Délivrer le captif, consoler le proscrit,
Rétablir la justice et rappeler la Règle,
Plus d'un, parmi tous ceux qui te virent passer,
Dut se prendre à songer; pieusement surpris,
Qu'avait de nouveau refleuri
La Tige de Jessé ...

Blanc chevalier, vainqueur de la seule victoire


Qui soit celle de Dieu,
Ton exemple, pour nous, perdus dans la nuit noire,
Dans la nuit de nos sens et de nos convoitises, 
Sera la colonne de feu
Qui guidait Israël vers la Terre Promise.

Galaad, Galaad, pur messager des Cieux,


Le Roi pécheur a vu briller sur Carbonnec.
Le Signe qu'a tracé ton glaive lumineux
Et ses yeux éblouis ont vu Melchissédec,
Sur un Thabor nimbé de votre double Gloire,
Te présenter la coupe où Jésus voulut boire !
 

A LA COUPE

Symbole gracieux des plus profonds mystères,


Cristal étincelant qu'incline le Verseau
Calice précieux où le sang de l'Agneau
Coula, pour effacer les péchés de la terre,
Salut ! Soit qu'en les flancs frémissent les Eaux-Vives,
Soit qu'un vin capiteux mousse pour les convives
Des festins légendaires.
Les purs contours du lis ont galbé ton cratère.

Coupe du souvenir, miroir impollué


Où le passé, cru mort, s'éveille et ressuscite :
Déployant à mes yeux ses fastes et ses rites.
Tout un monde surgit de tes flancs élancés...
C'est Coridwen, brassant l'élixir du Savoir ;
C'est le roi de Thulé, pleurant dans le soir noir ;
C'est le pampre enlacé
Au Thyrse de Bacchus ; et c'est le Graal mystique
Où boivent, à longs traits, sous les divins portiques,
L'Amour et la Sagesse - à jamais fiancés !

Ah ! Faites circuler, preux de la Table Ronde,


La coupe d'émeraude où luit le vin nouveau :
Serviteurs de la Coupe et porteurs de l'Anneau,
Gloire et salut à vous, calmes vainqueurs du monde,
Appelés au festin des Noces de l'Agneau !
 

AU GRAAL
Arche des vérités que le Verbe dévoile
Aux pèlerins pieux conduits par Son Etoile,
Accepte ma louange, éblouissant calice,
Fleur d'émeraude où luit le sang du Sacrifice.

O Splendeur devant qui toutes clartés pâlissent,


Tabernacle éternel du Soleil de Justice,
Tout pécheur qui te cherche est un autre Tantale
Et notre amour, au tien, est qu'offense et scandale.

Toi l'Emeraude en fleur dont les douze pétales


S'empourprent ardemment du sang du Sacrifice,
Dante même, baigné par ta clarté lustrale,
Ne t'entrevit pourtant qu'à travers Béatrice.

Fleur d'émeraude où luit le sang du Sacrifice,


Que ne suis-je adoubé dans ta sainte Milice
Pour déchiffrer enfin, sans symboles ni voiles,
Le Nom mystique inscrit sur tes douze pétales ! 
 

AU POMMIER DE MERLIN 

Pommier doux aux blanches fleurs,


Doux pommier, cher à mon cœur,
Entends-tu, pleurer, dans le vent qui passe,
Ma harpe d'argent ;
Entends-tu vibrer, à travers l'espace,
L'écho de mes chants, -
Doux pommier, cher à mon cœur,
Pommier doux aux blanches fleurs ?

Doux pommier du vieux verger,


Doux pommier, mal protégé,
Piétinant la haie et les murs détruits,
S'en vint l'Etranger
Briser tes rameaux et ravir tes fruits, -
Pommier doux et sans défense,
Doux pommier de notre France !
Pommier doux, cher à nos coeurs,
Pommier lourd de nos rancœurs,
Bientôt refluera le flot des Barbares
Qui t'ont ravagé ;
Bientôt sonneront joyeuses fanfares
Et refrains légers ! ...
Viendront bien les jours meilleurs,
Pommier doux, aux blanches fleurs !

Pommier doux du vieux verger,


Du vieux verger saccagé,
Entends-tu vibrer, dans le vent du soir 
Caressant tes branches, 
Entends-tu vibrer de beaux chants d'espoir
Disant tes revanches?... 
Pommier, cent fois saccagé :
Bientôt fuira l'Etranger !

Pommier que chanta Merlin,


Pommier des rois très chrétiens,
Entends-tu frémir, comme aux temps antiques,
Ma harpe d'argent ?
 
Entends-tu vibrer les voix prophétiques
Des bardes d'antan, -
Pommier doux et sans défense
Du beau jardin de la France?
Pommier doux aux fleurs candides,
Pommier du jardin splendide,
Entends l'Etranger qui hurle et qui pleure
Et grince des dents ! ...
Le vent du soir siffle : « A chacun son heure,
- A toi, maintenant !
Pommier que chanta Merlin,
Blanc pommier du vieux jardin ! »

Doux pommier, de blanc fleuri,


Pommier doux du vieux pays,
Entends ce que dit le vent frémissant
Aux forêts de France,
Entends résonner sous le firmament
Son chant d'espérance :
Doux pommier, cent fois vengé,
Bientôt, fuira l'Etranger !

Printemps 1944
 
LE CHANT POUR VIVIANE

Merlin, mon doux Merlin, je veux un chant si tendre


Que les oiseaux du bois s'en taisent de dépit
Et que les Séraphins, étonnés de l'entendre,
Sur les parvis du Ciel se penchent à l'envi ...

---------------------------------------------------------------
Merlin saisit sa harpe, et le coeur des vieux chênes 
Se fendit à pitié d'écouter ses sanglots ;
Merlin saisit sa harpe, et ruisseaux et fontaines
D'apaiser aussitôt la rumeur ,de leurs flots ...
 
Ainsi chanta Merlin, tandis que ses mains fines
Glissaient négligemment sur les cordes d'argent ;
Ainsi chanta Merlin, et, sur chaque aubépine,
Les yeux profonds des fleurs s'ouvrirent à l'instant :

-Voici mon chant d'amour ! C'est un chant de détresse


Que j'offre, en cet Avril, à Celle qui trahit ...
Sois satisfaite, enfin, briseuse de promesses,
Plus cruelle, cent fois, que Mève-aux-beaux-Sourcils ! 

----------------------------------------------------------------
Telle tu m'apparus, telle je te revois,
Ma blanche Viviane, ingénument perfide : 
A ton front lilial, dardant son regard froid,
Se tordait souplement le Dragon des Hébrides !

L'étrange et doux reflet de tes yeux de pervenche 


Fit tressaillir d'amour mon coeur, mal défendu ... 
Et pourtant je savais de quelle âpre revanche
Le Destin me ferait bientôt payer son dû. 
 

Pris au piège banal qui fit tomber Samson


Aux pieds de Dalila, Hercule aux pieds d'Omphale,
J'ai dévoré ma honte et bu ta trahison :
Et ma harpe a chanté ta victoire fatale !
 
---------------------------------------------------------------------------
------
Merlin, soudain, se tut et, longuement, rêva
Tandis que le vent frais mêlait sous les lianes
Ses cheveux argentés à ceux de Viviane ...
Puis son chant, de nouveau, vers le ciel s'éleva :

-Je ne maudirai plus la blonde enchanteresse,


Victime, autant que moi, de son geste imprudent ...
Si ce n'est «chant d'amour», c'est hymne d'allégresse
Qui rejoindra, Là-Haut, l'hymne des cieux ardents.

Oui, nul ne se connaît s'il n'a subi l'Epreuve ;


Béni soit le Destin qui frappa mon orgueil ! 
Merlin vaincu renaît, avec une âme neuve :
Qu'un chant de Liberté gronde aux échos du breuil !

Je veux prophétiser le vierge adolescent


Qui, par un soir d'Avril, à celui-ci semblable,
Rompra, d'un seul éclair du Glaive éblouissant,
Le vieil enchantement qui, tous deux, nous accable !
------------------------------------------------------------------
 
Merlin, d'un geste lent, avait posé sa harpe ;
Et le vent, seul, chantait pour Viviane en pleurs,
Tandis que le brouillard voilait de son écharpe
Le bois où se fermaient les yeux profonds des fleurs ...
 
 
 

LES « CHATEAUX DU GRAAL »

    Les récits touffus qui constituèrent au moyen âge le Cycle du Graal ont le double
inconvénient de mettre en œuvre des éléments disparates, parfois contradictoires, et de ne pas
laisser clairement entrevoir le canevas sur lequel ils sont plus ou moins fidèlement brodés.
    J'ai dit ailleurs ce que je pensais de la possibilité de restituer la « version archétype » de la
Queste par les procédés courants de la critique textuelle. Leur insuffisance saute aux yeux !
    D'ailleurs, sans être grand clerc, on s'aperçoit vite que chaque auteur en a pris assez à son
aise avec les éléments véritablement essentiels qui forment le fond de la légende du Graal.
Les intentions de chacun diffèrent, ses préférences également, et les savants n'ont guère de
peine à discerner dans les textes le reflet des controverses théologiques de l'époque où ils
furent élaborés.
    De là à faire de la Queste une simple affabulation catéchistique, il n'y a pas loin.
    Je ne m'embarrasserai pas de telles spéculations, pour cette simple raison que les réalités
spirituelles que synthétise le Graal et qui transparaissent suffisamment, même dans les
narrations les plus maladroites, dépassent de beaucoup le niveau des controverses
théologiques ou philosophiques.
    Le vieux thème druidique du « Chaudron de résurrection », renouvelé en mode chrétien
sous la figure du Graal, qui lui a conféré sa signification 
définitive et lui a fait recouvrer l'universalité de son bon sens, n'est pas de ceux qui relèvent de
l'exégèse savante.
    Depuis quelques années, le Graal a fait l'objet de recherches assez nombreuses et l'on a
émis à son sujet des hypothèses ingénieuses.
    En particulier, on a tenté de retrouver l'emplacement du « Château aventureux », le
Montsalvage de Wolfram d'Eschenbach. L'entreprise a donné ce qu'elle devait donner. Les
uns l'ont identifié avec Montségur où la
 

légende situe le trésor des Cathares. D'autres y ont vu Montalba dans le Roussillon. Quelques-
uns ont avancé que c'était Montserrat dans la région de Barcelone !... Il semble que tous aient
été guidés par de vagues analogies verbales.
    Notons que le Montsalvage de Wolfram signifie, si nous savons lire, Mont Sauvage, ce qui
rend bien inutiles les divers rapprochements relatés ci-dessus.
    Dans les récits médiévaux, c'est, en général, le château de Pellès, le roi pêcheur, qui
renferme le Graal. Ce Pellès n'est probablement que le héros celtique (et mythique) Pwyll, fils
de Prideri et de Rhiannon (1), possesseur du fameux chaudron merveilleux et Roi d' Announ.
  ‘  Robert de Boron, lui, substitue à celui de Pwyll ou Pellès le nom bilique de Hébron,
influencé peut-être par le légendaire Bran des récits gallois et irlandais.
    On a conjecturé que le château de Corbenic ou Carbonec (que les récits placent en Grande-
Bretagne, dans le royaume de Logres) portait un nom celtique défiguré et qu'il fallait y voir
Caer Bannawg, « le château des cornes » ou « le château cornu », en lequel les plus intrépides
n'ont pas hésité à reconnaître la Lune.
    Quoi qu'il en soit, il est dit que le Graal a quitté la terre à la mort de Galaad et a été
transporté au ciel : « Depuis, il n'y a jamais eu d'homme, si hardi fut-il, qui ait osé prétendre
qu'il l'avait vu ».
    Il est donc assez inutile de le rechercher en un tel lieu plutôt qu'en tel autre. D'autant plus
que le Château du Graal lui-même est, chez tous les auteurs, bien autre chose qu'une
construction matérielle. Il apparaît et disparaît comme par enchantement et se joue des
imprudents qui battent les buissons pour le trouver.

*  *  *      

    Aujourd'hui aussi bien qu'aux temps de Perceval, de Bohor et de Galaad, la Queste du
Graal est ouverte. Comme alors, beaucoup vont par monts et par vaux pour en découvrir le
sanctuaire. Faut-il leur dire que ce qu'ils cherchent n'est ni ici, ni là ; ni devant eux, ni derrière
eux ; ni à l'Orient, ni à l'Occident ?
    Faut-il leur dire qu'ils cherchent la chose la plus lointaine et, à la fois, la plus proche d'eux ?

    Le « Château du Graal » est partout où se trouve un vrai « chevalier du Graal ».


    Quiconque fera le nécessaire pour devenir tel que l'un d'eux en trouvera l'accès, sans sortir
de chez lui.
    Et ce nécessaire est intégralement contenu dans les enseignements du Christ.
 

    Telle est la « voie étroite » qui ne déçoit pas celui qui s'y engage résolument, sans regarder
en arrière.

(1) Pwyll signifie « intelligence » ; Prideri, « soin, souci » ; Rhiannon « souveraine ». 

    La QUESTE est l'épopée (spirituelle) du passage du druidisme au christianisme. Elle


contient donc des éléments préchrétiens, mais n'a pu être conçue et élaborée qu'après la
christianisation, longtemps après, et, sous sa forme la plus ancienne, sûrement pas avant le
septième ou mieux le huitième siècle de notre ère. Après Colomban.

    Et d'abord, qu'est la «Table Ronde» ? Je laisserai de côté le sens cosmologique, où la table
est l'image du ciel boréal. Au sens qui nous intéresse, la Table Ronde est le cercle des initiés,
le symbole de leur communion. Ces initiés ont perdu le sens interne du druidisme et ne
connaissent, du christianisme, que l'aspect extérieur. Arthur, image du Pouvoir temporel, y
préside bien aux rites du bardisme, mais se sent privé d'appui spirituel ferme. C'est pourquoi
le SIEGE PERILLEUX est vide, pourquoi aussi nous assistons au commencement des «
enchantements de Bretagne», période trouble entre le druidisme finissant et le christianisme
commençant. Car, de la table ronde, Arthur n'est nullement le chef ; on nous donne à savoir
qu'il ne l'a ni imaginée, ni construite, mais que Merlin ( la chaîne de l'initiation bardique et,
pour les besoins du récit, jusqu'à un certain point druidique) en est le promoteur. Le CHEF
réel, c'est celui qui pourra s'asseoir sur le siège périlleux. Or, ce siège appartient
traditionnellement au seul Archi-druide ; mais depuis que ce dernier ne tient plus guère qu'au
symbolique les clés majeures de l'enseignement, le siège qu'il n'est plus en mesure d'occuper
doit appartenir au «Prédestiné» (Peredur, Perceval ou Galaad, peu importe !) qui les
retrouvera et les revivifiera en mode chrétien. Je tiens qu'il est inutile de chercher là des
analogies matérielles, soit, comme on l'a fait, de rapprocher du siège périlleux la Pierre de Fâl
irlandaise, pierre d'épreuve de la légitimité royale, car il ne s'agit pas de «pouvoir royal» dans
la Queste. Il faut prendre «siège» au sens où l'on dit «le siège pontifical», signe d'une fonction
à exercer et non objet matériel. Et de même, les recherches pour retrouver « le château du
Graal », dans les Pyrénées ou ailleurs, en quelque Montserrat, Montségur ou autre lieu haut,
semblent témoigner de préoccupations d'un ordre peu en rapport avec leur objet.
    Qu'est le Roi «pêcheur» ? - sinon l'ancien Archi-druide (1) : l'autorité spirituelle
préchrétienne qui se survit - péniblement !
    Le «vase» ou «chaudron» ou «graal» (ce dernier mot d'origine française, ce qui est à
retenir) peut être entendu au sens le plus grossier (nourriture matérielle inépuisable) ou au
sens le plus éminent (nourriture spirituelle, Savoir, Eau de la Vie éternelle) selon l'élévation
de celui qui en parle et l'ouverture d'entendement de celui qui l'écoute (2).
    C'est, symboliquement, le vase où Joseph d'Arimathie est dit avoir recueilli le sang du
Sauveur. Il ne faut pas perdre de vue à ce propos que le vase, comme ses substituts
hiératiques, le chaudron, la coupe, est un symbole universel, remontant à la révélation
primitive, et que pas un sens nouveau ne saurait en être donné légitimement, qui n'ait toujours
été en lui, en puissance sinon en fait. Dans le christianisme c'est un symbole essentiellement
«eucharistique», par sublimation de son sens préchrétien. Non que le symbole ait eu à
«évoluer», mais plutôt parce que le temps était venu pour certains d'en saisir l'application
suprême. Ce qui est perfectible, c'est toujours l'homme, jamais le symbole (je veux dire la
réalité interne dont le symbole est le véhicule et l'interprète). J'entends ici, un symbole vrai,
dont les acceptions dépendent de la nature des choses et non d'une arbitraire fantaisie
individuelle !
    J'irai plus loin. Le «Prédestiné» (Perceval, Galaad) c'est l'initié direct du Christ, qui reçoit le
dépôt de la double tradition druidique et chrétienne et peut exercer l'autorité spirituelle
suprême dans la sphère qui lui est dévolue. L'autorité, mais non le pouvoir temporel !
    Si je voulais en peu de mots résumer le cycle du Graal, sans me perdre dans les détails
accessoires, je dirais à peu près ceci :  La religion druidique agonise ; le mot-clé de l'initiation
druidique semble bien perdu par les anciens fidèles et par les initiés, qui ont adopté le
christianisme sous sa forme exotérique, mais n'en entrevoient également qu'à demi
l'ésotérisme.
    Il faut donc retrouver la clé perdue, la fameuse «parole délaissée» et refaire la synthèse
christiano-druidique.
    Le «Prédestiné» n'est venu que pour cela. Il affronte les épreuves, en triomphe, retrouve le
mot de la tradition druidique, puis celui de la chrétienne (qui ne peut être donné que par le
Christ) et devient le chef (humain) de l'Eglise intérieure.
    Et c'est la fin des «Enchantements de Bretagne» !
    Quant à l'assomption finale du Graal, certains y voient le retour de l'ésotérisme au «centre
suprême», tandis que subsisterait seul en Occident le côté exotérique chrétien ou «religieux».
Ce n'est pas ici le lieu d'exposer pourquoi, depuis la venue du Christ, ces liens de «régularité»
avec le «centre suprême», que je ne désignerai pas plus clairement, sont ou me semblent
périmés. Contrairement à une opinion assez répandue parmi les ésotéristes modernes, il y a
encore possibilité de parvenir à l'initiation effective dans le monde occidental. Là, le Christ
est, à présent, L'INITIATEUR, révélant directement au coeur du disciple tout ou partie du
sens caché des plus antiques traditions, aussi bien de celles qui se survivent que de celles dont
nous ignorons actuellement jusqu'au nom (3).

(1) Allusion transparente à Math, IV, 18.


(2) Je ne parlerai pas de la «Lance sanglante», élément inorganique appartenant aux Mystères
de la doctrine schismatique, insérée à la faveur d'un rapprochement malencontreux avec celle
qui perça le Christ.
(3)  La Queste du Graal, telle que je viens de la condenser, est née en milieu «druidico-
monastique» de France, un siècle après Colomban. Le thème primitif s'est chargé de sens et
surchargé d'enjolivements multiples, en passant du plan sacerdotal au plan littéraire. Chrétien
de Troyes a utilisé une version ; Wolfram von Eschenbach, qui a lu Chrétien, s'est basé
conjointement sur elle et sur celle de Kyot le Provençal qui ne nous est pas parvenue, mais qui
a bien des chances d'être antérieure au texte remis à Chrétien. Ce qu'ils en ont fait, en y mêlant
sans doute pas mal de leur cru, est source d'innombrables débats entre érudits qui y ont
discerné parfois à tort, parfois à raison, des infiltrations gnostiques, soufiques ou
manichéennes. 

                Tiré de VISAGE DU DRUIDISME, 1977

LE VASE, LA COUPE ET LE COEUR

« Si quelqu'un a soif, qu'il vienne à Moi et qu'il boive ».


(Jean, 7, 37).

    L'assimilation symbolique du cœur au vase et à la coupe remonte fort loin dans le passé.
Déjà, dans la plus ancienne Egypte, le vase AB est l'hiéroglyphe du coeur. Dans le druidisme,
existait aussi quelque chose de tel et la coupe présentée par la jeune fille à celui qu'elle avait
choisi, lors du repas de fiançailles, signifiait très clairement le don de son coeur.

    Un autre équivalent du coeur, c'était la lampe antique, la lampe à huile, dont il est inutile
d'étudier pour l'instant le symbolisme, mais qui se présente en tous cas avec ce caractère dans
la parabole des vierges sages et des vierges folles.
    Un des aspects du Graal (car il en est bien d'autres), qui a au moins le mérite d'être
aisément accessible, c'est donc le coeur humain.

    Dans les récits où le Graal joue un rôle, un triple procès d'alchimie est décrit assez
clairement : alchimie spirituelle, alchimie psychique, alchimie matérielle, où le vase est l'«
aimant des sages », la Magnésie catholique, si bien décrite dans Klunrath.

    Le coeur humain est donc un Graal... généralement vide, à moins qu'il ne soit rempli
d'immondices.
    Et c'est le Christ qui verse dans ce vase vide l'Eau de la Vie éternelle, qui, à son heure se
transformera en Vin. Le Vin de l'Esprit.

    Tous ces processus transsubstantiateurs sont décrits dans les Evangiles, et comme le plus
savant commentaire ne vaut pas le texte nu, je rappellerai ici quelques passages qui se
complètent et s'expliquent l'un, l'autre :
    Ce sont d'abord deux versets du chap. 7 de Saint Jean :
    « Si quelqu'un a soif, qu'il vienne à Moi, et qu'il boive ».
    « Celui qui croit en Moi, des fleuves d'Eau vive couleront en son sein ».

    N'est-il pas écrit ailleurs que l'homme bon tire toujours de nouvelles choses du trésor de son
coeur, que, là où est son coeur, là est son trésor, et enfin, cette déclaration révélatrice : « Un
seul est bon ! ».
    Oui, Un seul est bon. Et l'homme « bon » n'est tel que parce qu'il a ouvert son coeur à la
Source de tout bien, et qu'elle s'épanche, à travers lui, sur la foule des créatures.

    Un homme bon, quelles que puissent être ses oeuvres apparentes, s'il se glorifiait de sa
bonté et la croyait sienne, cesserait à l'instant d'être bon, car son cœur se serait donné à
l'Adversaire. Le disciple véritable de Jésus rayonne une Lumière, mais cette Lumière, c'est
celle de son Maître. La lumière froide que rayonne l'orgueilleux est aussi, quoiqu'il s'en
attribue la possession, celle de son Maître : Lucifer.
    Nul ne peut servir deux maîtres !

    On sait que le Graal, la coupe sainte de la Cène, est dit avoir recueilli le sang du Christ
crucifié. C'est là un thème assez développé dans l'iconographie chrétienne. C'est, en somme,
le thème du rachat de l'homme, de la revivification de son cœur par le sang jailli du coeur
divin.
    « Je suis la Résurrection et la Vie », s'écrie Jésus, et « celui qui croit en Moi vivra
éternellement ».
    Il ajoute d'ailleurs que l'homme doit renaître « d'Eau et d'Esprit ».
    Il est bon de noter cette double condition. Il y a là une clé qui ouvre bien des portes. Et
deux récits évangéliques : la rencontre avec la Samaritaine et le miracle des noces de Cana,
sont en étroite connexion avec l'Eau et l'Esprit dont il a été question plus haut.
    Je ne pousserai pas plus loin le symbolisme ; chacun, selon ses travaux particuliers, sera en
état de tirer de ce qui précède les applications qui transparaissaient déjà suffisamment.
 

    Parmi les plus anciennes figurations du coeur symbolique, reproduites dans Le
Rayonnement Intellectuel (Octobre-Décembre 1938, p. 122), figure un emblème qui résume à
merveille, dans son apparente simplicité, ce qu'on pourrait nommer le « Grand Arcane » du
Christianisme, si l'on avait pas un peu abusé, depuis Eliphas Lévi, de ce terme pompeux :
    Dans un médaillon en forme de coeur, s'inscrit un Chrisme, flanqué de deux grappes de
raisin disposées dans les deux oreillettes.
    C'est le symbole même du vrai chrétien, du Christophore authentique, de celui qui est né
d'« eau » d'abord, d'« Esprit », ensuite : de celui qui a d'abord rencontré son Maître comme la
Samaritaine et qui a reçu l'eau qui « deviendra une source jaillissante jusque dans la Vie
éternelle » (Jean, 4, 13) : de celui qui a bu enfin de cette eau en « vin » spirituel, réalité
transcendante dont le miracle de Cana est l'expression exacte, mais contingente.

POEMES DE NOËL
 

 NOEL DES ANXIEUX

Nous n'avons ni l'or, ni l'encens


Comme les Mages,
Ni bonnes oeuvres, ni talents
Pour apanage,
Ni l'âme pieuse et candide
Des bons pasteurs :
Nos bourses et nos mains sont vides
Comme nos coeurs !

 A vos pieds, ô divin Enfant,


Douce Marie,
Nous remettons, pour tout présent,
Notre âme impie !...
Toi qui mourus pour nos péchés,
Sauveur des hommes,
Au mal, peux-tu nous arracher
Tels que nous sommes ?

 Après tant de dégringolades,


Jour après jour,
Comment reprendre l'escalade
Vers Ton séjour ?
Ah ! comment, comment te rejoindre,
Christ éternel ?
Verrons-nous Ton Etoile poindre
En ce Noël ?
........................
Nous n'avons ni l'encens, ni l'or
Comme les Mages :
Il nous reste nos seuls remords
Pour apanage !
Comme nos coeurs, nos mains sont vides,
Divin Sauveur :
Que vaut cet espoir qui nous guide
Vers Ta splendeur ?

 Espoir, espoir, ô feu du feu,


Plus âpre encor
- Oui, plus âpre et plus douloureux -
Que le remords,
Pourquoi tenailles-tu notre âme
En ce Minuit ?
Rien n'étouffera donc la flamme
Qui nous recuit !

 Après tant de dégringolades,


Jour après jour,
Tant de fautes, tant d'incartades,
Tant de détours,
Que pouvons-nous, hélas, attendre
De l'avenir ?
Vins-tu, Seigneur, pour nous surprendre
Et nous punir ?...
.. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. ..
Certes, les anges ont chanté :
" Paix sur la Terre
A ceux de bonne volonté ! "
- Il n'en est guère !...
Et pourtant, nous voici présents
Devant Ta crèche,
Le front bas et les pieds en sang,
La gorge sèche.

 Nous n'avons ni l'or, ni la myrrhe,


Non plus l'encens,
Et nous ne savons que maudire
En blasphémant :
Divin Enfant, douce Marie,
Reine des Cieux,
Voici nos coeurs, nos coeurs impies
Et orgueilleux ;
Voici nos coeurs, voici nos mains,
- Nos deux mains vides ;
Voici nos voeux sans lendemain,
- Nos voeux sordides ! -
Et c'est là tout notre bagage
Avec nos pleurs :
Nos pleurs d'effroi, nos pleurs de rage
Et de rancoeur !...
.. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. ..
Cariatide des péchés
Qui nous écrasent,
O Toi, qui t'en vins rechercher
Dans cette vase
Ceux que l'Enfer, en sa puissance
Croyait tenir :
Vois nos regrets, vois nos souffrances,
Nos repentirs !

 Le feu d'espoir qui, dans notre âme,


Arde toujours,
N'alimente-t-il point sa flamme
A Ton Amour !
Car si nous n'attendons plus rien
De Ta justice,
Tu n'as pu concevoir en vain
Ton sacrifice !

 Toi, dont le coeur fut transpercé


Par nous, perfides !
Pardonne à notre coeur glacé,
A nos mains vides :
En cette nuit clémente aux hommes
De bon vouloir,
Daignerais-tu, tels que nous sommes,
Nous recevoir ?
.. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. ..
Nous n'avons ni l'encens, ni l'or
Comme les Mages ;
Nous n'apportons que nos remords
Pour tout hommage !...

 Ah ! montre-nous la route aride


Qui mène à Toi :
Nous la suivrons, si Tu nous guides,
- Jusqu'à la Croix !

Noël perpétuel

 (Noël 1944 )

Que t'importe si ce décembre


Est plus sombre que ceux d'antan,
Si le druide au collier d'ambre
N'a point mis dans son rayon blanc
Ce gui qui décore ta chambre !
Si tu n'y vois qu'en effigie
L'Etoile, la Vierge et l'Enfant,
Sous les pâles feux des bougies,
Recevoir nos voeux implorants.
Crois et comprends cette magie
Qui les rend à jamais vivants :

Pour le Christ, que sont deux mille ans ?


 

Inoubliablement

(Noël 1971)

Un temps, tu me clouas sur


C'était par un jour sombre et place,
froid  ô témoin fragile et cruel
de décembre quarante-trois...  d'un bonheur disparu sans
Escadrille après escadrille traces,
avaient passé les bombardiers - minuscule arbre de Noël !
vomissant leur lot de torpilles Tremblant sous la bise
sur les champs et sur les foyers.  hivernale,
Dans un chaos, fumant encore, à tes rameaux exfoliés
de murs et de toits fracassés, s'obstinait une frêle étoile
nous piétinions depuis l'aurore qui, parfois semblait scintiller.
pour dégager morts et blessés. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 

Enjambant poutres et ferrailles,  En nos temps de mauvais


l'oeil et l'oreille hallucinés, vouloirs,
sous un éboulis de murailles  voués au stupre et aux carnages,
je crus entendre un pas sonner.
lorsque m'abandonne l'espoir
J'y fus : rien que vide et ton souvenir me rend courage.
silence !... 
Dépité, j'allais m'éloigner  Face au zèle dévastateur,
quand je te vis, arbre fragile et tutélaire,
Invraisemblance,  tu dresses, vivante en mon
contre un vestige d'escalier. coeur,
ton Etoile protestataire !

La Dormeuse

(Noël 1973 )

Voici dressé le sapin de Noël.  Voici bien près de deux mille ans
Non loin du seuil, le gui balance  que, lorsque carillons vont forcer le silence,
un cocon vert où l'Espérance
s'éveille et sourit l'Espérance,
dort, en rêvant du printanier
puis se rendort en soupirant...
dégel. 
Elle dort, - ou feint de dormir -,
Elle dort, attendant son heure, 
durant ces Temps de la Colère,
telle la Belle au Bois dormant 
ne doutant point du jour où sur la pauvre
rêvant de son Prince Charmant 
Terre,
sous les lambris de sa haute
le Royaume et sa paix devront bien s'établir.
demeure.

Noël 1976

Déjà clochers ont tû leur voix.


Espoir au coeur, onglée aux doigts,
En ce Minuit bi-millénaire,
où tu médites, solitaire,
le Silence descend en toi.

A ta crèche d'un soir, scintille


aux mouvants reflets des flambeaux
une Etoile de pacotille,
sur Mages, bergers et troupeaux.

N'y président qu'en effigie


la Vierge, l'Etoile et l'Enfant,
mais toi, comme aux Noëls d'antan,
bénis l'adorable magie
qui veut qu'en cet unique instant
ton coeur les contemple, vivants !
...............................
Pour le Ciel, que sont deux mille ans ?

Noël d'élection

  Noël 1974

Ceux que guida l'errante Etoile  Seuls témoins du plus haut Mystère
dans les ténèbres de la nuit
et ceux par les anges conduits que la Terre ait jamais porté,
leur âme avait ferveur égale.  la plus claire simplicité
Rejoint le Savoir séculaire.
Si simples étaient les Bergers  
et si savants étaient les Mages Sur ce seuil des Temps Abrégés,
qu'il faudrait être bien peu sage heureux est celui qu'apanage
pour oser les départager. l'esprit de sagesse du Mage
Sous les plis des riches manteaux ou le coeur simple du Berger.

Et plus heureuse, en vérité,


et sous les grossières tuniques,  l'âme que rien d'ici n'envoûte,
palpitaient d'un espoir unique l'âme au-delà du choix des routes,
des coeurs également royaux. Intégrée à l'Eternité

Songerie

Noël 1972

Dans notre précaire demeure,


les pleurs que Justes ont versés Ces pleurs que Justes ont versés
en soupirant après Ton heure, dans la fièvre de Ton attente,
ô Seigneur, où sont-ils passés? je les vois transsubtantiés
en autant de flammes vivantes.
Mystique palingénésie,
ne les as-Tu point transmués ? Et, sans souci d'humains
En fis-Tu quelque galaxie suffrages,
au sein d'un monde impollué ? parfois je pense, vieux songeur,
que l'Archange Annonciateur
Après les ultimes Fléaux, ayant délivré son Message
ces larmes resplendiront-elles forma d'un halo de ces pleurs
du plus profond des Cieux l'Etoile qui guida les Mages
Nouveaux dans leur Quête du seul Sauveur.
sur la Jérusalem Nouvelle?

Unique Etoile

Noël 1975

C'était au seuil d'un froid Minuit...  Et cette immobile fissure


Le ciel, capitonné de neige,  s'élargissait, s'élargissait,
étendait ses sombres pourpris délimitant une embrasure
sur la nature, prise au piège. Où, nettement, j'apercevais, -
Une lassitude sans bornes  ô merveille paradoxale ! -
paralysait tous mes pensers  gemmes d'or du noir firmament
sous la voûte compacte et morne une seule, une unique étoile
s'incurvant sur ce sol glacé. dissipant mon accablement.

En cette nuit de gel sévère, En cette amère fin d'année,


au ciel uniformément gris, la messagère de l'espoir
la plaine étirait mon suaire me rappelait la randonnée
dont ne frémissait pas un pli. des Mages, certain autre soir...

" Sombre fin d'une sombre année ! Et cette clarté solitaire


"... m'évoquait le regard divin
Mais, soudain, de lointains de l'Enfant, venu sur la Terre
clochers pour le rachat du genre humain.
jetèrent leurs carillonnées
sur le paysage figé. Ah ! que m'étaient ce ciel
d'absinthe
Or ce fut comme si leur chant et cette neige à geler loups,
déchirant la coupole obscure, quand au cieux s'inscrivait
ouvrait là-haut, en cet instant, l'empreinte
une imperceptible échancrure. du plus sublime rendez-vous !

DÉDICACÉS
 

ADIEU

A Max Camis.

Science et sagesse, Aimer et souffrir,


Mes vieilles amours, Mais sans nul regret,
Science et sagesse, Aimer, puis agir,
Adieu pour toujours ! C'est le grand secret ;

Aimer et souffrir, Aimer, pardonner,


Souffrir sans regrets, Subir et prier,
Aimer, mais agir, Donner, se donner,
C'est le grand secret. Et puis oublier.

Sagaces vieillards, La sagesse cherche


Maîtres d'autrefois, Le baume rêvé,
Sagaces vieillards, La sagesse cherche...
Arches de la Loi, L'amour a trouvé !

Maîtres vénérés, La seule vertu,


Pèlerins sublimes, L'unique clarté,
Maîtres vénérés, La seule vertu,
Voici l'heure ultime. C'est la charité !

Science et sagesse. Science et sagesse,


Mes vieilles amours, - Oh ! les deux soeurs
Science et sagesse, folles ! -
Adieu pour toujours ! Science et sagesse,
Mes vieilles idoles ;
La science humaine
Devant la douleur, Oh ! les deux soeurs
La science vaine folles,
Est lourde à mon Mes amours d'antan,
coeur ; Mes vieilles idoles :
Adieu, maintenant !
Vaine est la sagesse
Qui ne peut guérir : L'unique vertu,
L'humaine détresse La seule clarté,
Ne sait que gémir ! L'unique vertu,
C'est la charité !

Ce voile... 

Ce voile chatoyant de vos mythologies,


Gardiens du mystère éternel,
Défend tous les secrets de la Terre et du Ciel
Contre le vain orgueil et l'impure magie.
Sages au verbe d'or, vers vous se réfugie
L'âme dont les remords se sont faits repentirs
Et que tourmente enfin la seule nostalgie
De renoncer et de servir,

Si vous avez masqué l'Arcane de la Vie,


Gardiens du mystère éternel,
Du voile chatoyant de vos mythologies
Contre le vain orgueil et l'impure magie,
Au seuil du temple clos puissiez-vous accueillir

Celui dont les remords se sont faits repentirs.


Ah ! daignez soulever, pour cette âme assagie,
Eprise seulement de l'oeuvre essentiel,
Gardiens du mystère éternel,
Ce voile !
 

 
 
Chanson de la plus haute cime
 

Sur l'arbre le plus haut du bois,


Deux oiseaux chantent leurs amours :
Chantent pour toi, chantent pour moi,
Chantent, depuis l'aube du jour.

Deux oiseaux chantent dans le bois ;


Sois attentif à leur langage
Où vibre un écho d'autrefois,
- Un écho du divin message.

La voix des oiseaux merveilleux


Chante ta fortune et la mienne :
Las ! combien sont-ils, sous les cieux,
Qui l'entendent et la comprennent ?...

Ecoutons la chanson mystique,


- éclose au tréfonds de nos coeurs, -
De l'Espoir qui jamais n'abdique,
De l'Amour qui jamais ne meurt.

Trop haut pour qu'un vulgaire émoi


Se mêle à leur concert sublime,
Deux oiseaux chantent dans le bois,
- Chantent, sur la plus haute cime !
 
 

 
CONSEILS
  

Si ton coeur souffre trop de sa vieille blessure


Et si le cher regret des gais hiers t'oppresse,
Oublie un peu ta peine et songe à la détresse
Des errants, égarés sur les routes mal sûres.

Penche-toi sur les inconnus qui vont, sans guide,


Glissant et trébuchant par les routes obscures,
D'un à l'autre fossé, d'une à l'autre torture,
Fouillant d'un regard fixe et fiévreux le ciel vide.

Contemple la souffrance anonyme des foules,


Abandonne ton " moi ", songe aux " ils " innombrables,
A l'énorme troupeau des hommes misérables
Que le Destin, pour ses vendanges, presse et foule.

Echo multiplié des plaintes de ton coeur,


Entends les longs sanglots éperdus, qui s'élèvent
Du peuple piétiné, dont la vieille rancoeur
Un jour explosera comme un volcan qui crève.

Quel que soit son passé, quel que soit son Credo,
Tend la main fraternelle au vaincu qui défaille :
Console sa douleur, allège son fardeau,
Puis poursuis ton chemin sans bruit, vaille que vaille !
 

II
 

Sois le bon pèlerin paisible du vieux temps,


Portant sac et besace, à défaut d'escarcelle,
Et dont le bon vouloir ne trouve rebutants
Ni la sente escarpée, aux flancs des coteaux gris,
Ni l'indicible soif, qui parfois le harcèle,
Ni le don dédaigneux, ni l'évident mépris.

Sois ce bon voyageur, qui s'attarde en forêt,


Pour écouter, parfois, au lointain des taillis,
Les cors, sonnant d'accord un mourant hallali,
Les oracles d'antan susurrer dans les chênes,
Et le gnome, à coups sourds, creuser en grand secret
Son palais souterrain d'agate et d'obsidienne.
Suis le bon voyageur de l'un et l'autre monde,
Le chemineau rêveur aux regards ingénus,
Musant en tous sentiers, en quête d'imprévu,
Et qui songe parfois, la nuit, au long des berges,
A la problématique aubaine d'une auberge
Où reposer, un temps, sa tête vagabonde. .

Sois le bon juif-errant, familier du bois sombre,


Le passant ignoré, qui s'enfonce dans l'ombrc
Apaisante des nuits, sans songer au matin,
Vivant intensément son rêve d'aventure,

Et qui s'en va, joyeux, pansant toute blessure.


Frère, suis donc, oh ! suis le bon Samaritain !...
 

III

Que ton coeur soit ce lac aux ondes transparentes,


Reflétant tout l'azur en son miroir tranquille...
Vois !... Que la libellule aux grâces nonchalantes
L'effleure en ses détours, que la brise indocile
Ride le pur miroir où riait tout le ciel,
Et tu n'aperçois plus, fantômes irréels,
Qu'astres déchiquetés trouant un clair obscur
Où flottent, çà et là, quelques lambeaux d'azur !

Fais de ton coeur ce lac aux ondes virginales ;


Que nulle passion ne le puisse altérer
Si tu veux réfléchir, sans la défigurer,
La vivante splendeur des sphères idéales...

Que ton coeur soit ce lac où frémit tout le soir,


Où tremble tout le ciel, où sourit tout l'espoir !
 

IV

Bien avant, bien avant d'agir ou de parler,


Recueille-toi longtemps, ami, pour contempler
Ton but et pour prier, de ton mieux, en silence,
L'Esprit de vérité, de force et de science.
Fais taire, alors, les voix de la chair et du sang,
Pour entendre la voix de Celui qui descend
Dans l'âme du disciple, en terrestre agonie,
Pour la ressusciter à sa gloire infinie ;
Mais ne te méprends pas ; avant de recueillir
La mystique moisson, épure tes désirs,
Sublime tes élans, demeure humble et sincère
Si tu veux que le Ciel entende ta prière.

Laisse les faux savants, laisse les mauvais guides


Sur le rocher d'orgueil dresser leurs tours d'ivoire :
Tu ne t'exileras vers nulle Thébaïde ;
La coupe d'amertume est pleine, il faut la boire !

Si tu ne descends pas, toi-même, vers tes frères,


Comment le Dieu d'amour descendrait-il vers toi ?
Les dédains, le mépris, les affronts, la colère,
Ne rebutent que ceux dont chancelle la foi !

Mais si le cri d'appel de l'antique exilé,


Si sa détresse, en toi, n'éveillent nul écho,
Si ton coeur est un roc et ton âme un tombeau,
Somnole encore un temps... Tu n'es pas appelé !

COSMOPÉE

Chute de l'homme lâche au sein des éléments :


Rébellion des légions archangéliques,
Le vieux Chaos en rut et la terre en tourment,
Nos coeurs voués à des désastres identiques !
Sous de mêmes soleils et de semblables cieux,
Des peuples d'astres noirs râlent leurs agonies,
Et de mêmes désirs et de semblables voeux
Tourbillonnent au sein des sphères infinies.
Crimes et châtiments, fauchaisons et semailles,
Envois et lents retours des âmes migratrices :
Les jours, aux jours passés, ressoudent maille à maille
Le lourd filet du Temps, dans la nuit tentatrice !
Du premier bond joyeux du choeur ardent des astres
Au dernier jugement de la dernière étoile,
Devrons-nous donc traîner, dans la ronde infernale,
Mêmes désirs voués à de mêmes désastres ?

II

Rébellion des légions archangéliques,


Enroulement sans fin des cycles dans les cycles :
Ainsi qu'un automate aveugle et frénétique,
Gire un nouveau cosmos, au sein du ciel physique !
Fruit du désir cupide et de la Nuit funèbre,
S'essaime un lent troupeau d'astres myriadaires :
La première aube a .lui, blêmissant la ténèbre
Où s'inscrit le periple étincelant des sphères !
Ainsi que des forçats à leur boulet de fer,
Vont et vont les damnés, enchaînés à leurs astres,
Vont et vont, entraînant - par le vaste univers -
Leurs globes tournoyants, promis à maints désastres.
Victoire de l'Espace et triomphe du Temps :
La première aube a lui - déchirant la ténèbre -
L'Abîme universel a vomi les Titans :
La terre va surgir des flancs noirs de l'Erèbe !
 

III

Chute de 1'homme lâche au sein des éléments...


La Nuit, le Temps, l'Espace et le Désir tragique,
Le vieux Chaos en rut et la terre en tourment :
Tels sont les vieux ressorts du grand drame cosmique !
Les Titans monstrueux, amonceleurs de rocs,
Erigent vainement leurs Babels de porphyre,
Les cyclopes velus - instructeurs des Kabires -
Forgent au sein du sol les foudres des Molochs !
Béhémoths furieux et léviathans flasques
Meuglent éperdument parmi les marécages,
Dragons corniculés et squammeuses tarasques
Hantent sinistrement de mornes paysages.
Chute du grand Phanès au gouffre de Cybèle :
Parmi tous ces géants rostrés, griffus, cornus,
Surgi soudainement, apparaît, faible et nu,
Celui qui doit dompter les éléments rebelles !
  

IV
Crimes et châtiments, fauchaisons et semailles,
Vains désirs dispersés à tous les horizons,
L'orgueil rongeant les coeurs, et la faim les entrailles :
La terre pour sépulcre et les Cieux pour prison...
Sous l'oeil cyclopéen de la lune ironique,
Gravite l'essaim lent des âmes migratrices;
Et le triste exilé des sphères édéniques
Erre, fiévreusement, dans l'ombre tentatrice.
Pourtant, malgré la chute et l'appel de la Bête,
Et les péchés ligués - eux, les sept contre Thèbes
Flambe, dernière étoile en un ciel de tempête,
Le séraphique espoir, au seuil du sombre Erèbe
.. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. ..
Ainsi, pour nos coeurs las de tumulte et de cris,
Flambera quelque soir - éblouissant Odem -
Inextinguible, au sein de l'Eden reconquis,
L'Etoile qui brilla, jadis, sur Bethléem !

En exemple  

Dans la chambre qu'ensoleille


Un rayon sans l'égayer,
Une femme, déjà vieille,
S'affaire autour du foyer.
 
Chaque épreuve sur ses traits
Burina sa cicatrice ;
Qui dira quel lourd secret
Rida ce front large et lisse ?

Dans la chambre aux murs sévères,


Autour du foyer fumeux, .
La Dame, sans bruit, s'affaire,
Une étrange flamme aux yeux.

Flamme étrange, flamme douce,


Comme d'enfant innocent...
Mais la frêle gorge tousse,
Tant le feu va lentement.
  .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. ...
S'active près du foyer,
Où cuit le repas des frères,
La veuve du charpentier,
- Aussi grande qu'au Calvaire.

*
O Marie, ardente Etoile
D'Amour et de Charité :
Quel exemple - ou quel scandale -
Pour la pauvre humanité !...

IMPLORATION
 

Les larmes des mortels,


Le sang du sacrifice...
Ton âme pour autel
Et ton coeur pour calice.

Où vont tous ces enfants, égarés dans le noir,


Christ, éternel martyr, toujours crucifié ?
Les golgothas, partout, se sont multipliés
Et Mammon, triomphant, clame aux cieux sa victoire !

Vois les fils du désir, damnés par le désir,


Le crime torturé par l'accomplissement,
Et les hommes, sans fin, renaître pour mourir,
  Inéluctablement.
 
Vois mon coeur tenaillé de remords et de doutes
Et cette bestiaire infâme en mon cerveau,
Chacun de mes espoirs a connu la déroute
Et j'ai traîné ma fièvre en tous les hôpitaux !

Hélas ! je sais les clous et le fiel et la lance


Et voudrais t'implorer, Toi, la Toute-Pitié ;
Mais mon âme est trop faible et mon coeur sans vaillance...
Et j'ai, par trop souvent, reçu trente deniers !

Tes larmes et ton sang,


Tout ton amour en croix :
Mes regrets impuissants,
Mon espoir aux abois...

N'ai-je pas, tourmenté d'un orgueil insensé,


Evoqué le serpent sous l'arbre du Savoir ?...
Maintenant me voici - tristement - exaucé :
Qui me délivrera, si tu n'es mon espoir ?

A quoi bon la sagesse et que peut la science


Pour l'éternel vaincu, - mais non pas résigné, -
Amour, dont l'amour seul peut atteindre l'essence,
Jusqu'à quand devrons-nous, immensément, saigner ?
Non, tu ne peux laisser, en proie aux longs remords,
L'humanité sans guide et la terre orpheline,
Toi dont l'amour, un jour, terrassera la mort,
Toi que pressent mon âme et que mon coeur devine
Et dont je vois, à l'heure où le soleil décline,
Le fantôme attristé sur un autre Thabor.

Les larmes des humains,


Le sang sacré d'un Dieu,
Tout l'amour dans tes mains,
Tout l'espoir dans tes yeux...
 
 

IN MEMORIAM

Gabriel Huan.

(Nocturnus non nociturus VII)


 
 Ce ciel pur où tout nous est signe,
Mais où rien ne nous est livré,
Bien oublieux qui se résigne
A ne jamais le recouvrer !...

Dans les profondeurs sidérales


Où s'éteignent nos Requiem,
Sont les douze Etoiles Royales
De la Neuve Jérusalem.

O Bleu Jardin, qui nous éludes,


Paix qui ne peux nous consentir,
Ton silence et ta plénitude
Sont proches de mon souvenir.

Goûter le magique dictame


Des beaux parterres interdits,
C'est là le voeu secret d'une âme
Qu'Amour créa, - qu'amour perdit !...

Forgerons de nos vieilles chaînes,


L'amour, la douleur et la mort
Nous ont doués à la géhenne
D'où ne s'évade nul essor...

Ce ciel, vertige de lumière, -


Clair, à nous sembler ténébreux,
Nous évince de son mystère
Et ne s'offre plus qu'à nos yeux,

Bleu Jardin de Béatitude,


Si tu refleuris chaque soir,
C'est que, de toute certitude,
Nous reverrons tes reposoirs

Lorsque, bourreaux à l'heureux zèle,


L'amour, la douleur et la mort
Nous auront reforgé des ailes
Pour les fuir d'un sauvage effort :

Lors, par delà le Grand Abîme,


L'Archange au glaive flamboyant
Qui nous chassa du seuil sublime
Nous fera signe - en souriant !
 

 
La Merveille des merveilles
(imité de Paramânanda)
 

Voudrais-Tu habiter cette demeure obscure,


O roi des âmes et des sphères ?
Si tel est Ton plaisir, je la garderai pure,
Inviolable et solitaire.
 
Etre merveilleux, ah! dis-moi,
Pourquoi donc choisis-Tu les seuls humbles de coeur ?
Serait-ce pour que Ta splendeu
Les illumine à chaque pas ?
Est-ce pour consoler tous ceux qui désespèrent
Que jusques à eux Tu T'abaisses ?...

Lorsque les baigne Ta lumière,


Les fibres de mon coeur tressaillent d'allégresse ;
Alors, les vains tourments qui tour à tour m'écheyent
Sont oubliés, et si, parfois,
Je me perds, c'est pour mieux me retrouver en Toi.

N'est-ce pas, là, Merveille des merveilles ?...


 

  

La Tour foudroyée

 A Emile Besson.
 

Mon âme a gravi jadis


Entre des murs de silence
Tes degrés en pas de vis,
Tour de mes désespérances.

Longuement, j'ai médité


Sur ton sommet solitaire,
Laissant d'autres hériter
Des royaumes de la Terre.

Du haut de la Tour du " Moi ",


- Toute d'orgueil crénelée, -
Ne s'entendaient plus les voix
Qui montaient de la Vallée.

Ivre d'un bonheur amer,


Vain d'une froide Sagesse,
Que me faisaient l'univers
Et l'homme aux lourdes détresses ?

" Non-désirer ", " Non-agir "...


- Je suivais ma rêverie,
Dupe, un peu trop à plaisir,
De l'Esprit qui toujours nie.

Tout a son heure et son jour...


Béni soit le trait de foudre
Qui décapita la Tour
Et l'abîma dans la poudre !

J'ai repris en trébuchant,


- Ame désensorcelée, -
L'âpre chemin descendant,
Plus âpre à chaque foulée :
 
Le chemin de la Vallée !...
 
 

Le chemin
 (1958.)

Le chemin qui mène au Réel,


L'étroit et dur chemin, s'enfonce
Comme un sombre et muet tunnel
Obstrué de rocs et de ronces.

A 1'orée, - assoiffé du Ciel, -


Une voix te criera ; " Renonce ! "
Reste sourd au perfide appel
Qui doit s'éteindre sans réponse.
Le rude chemin du Retour
N'aura pour fleurs incarnadines
Que ton sang, perlant aux épines...

Qu'importe ! Saigne, et va toujours :


L'aube est là-bas, - que tu devines, -
L'aube adorable de 'l'Amour !

  

Le Jardin du Pressoir
 Samedi saint 1950.
 
Tapis, muscles bandés, sur les collines mauves,
L'ombre du soir suscite un noir troupeau de fauves
Que maintient à peine en respect
Le couchant mordoré dont meurent les reflets.

Des rocs, des arbres éventrés ;


Plus bas, dans une faille obscure,
Le torrent au sombre murmure
Fouillant des murets effondrés :
C'est tout !
 
Tout !...
Sauf, immobile entre les branches,
Quelqu'un, sur la hauteur, parmi les éboulis,
- Imperceptible tache blanche
Dans la ténèbre de la nuit !

Seul ? Non !... Car tout l'Enfer est là, qui rôde et guette
L'homme râlant à Dieu : " Ta volonté soit faite ! "
L'homme né pour la croix, les clous et les soldats
Et saignant sa sueur, en attendant Judas !
.............................................
Nuit de Ghethsémani, quel effroi me pénètre
A songer que pour toi - pour toi - j'aurais pu naître
Procurateur, peut-être, ou peut-être Grand-Prêtre !

O Christ, toujours vivant, indéfectible Ami


De nous tous : ton troupeau, - nous tous : tes ennemis1
Vois mon coeur dont l'amour est si tiède et si piètre,
Vois cette âme de peu de foi,
Et veuille que ni Toi - ni nul - ô divin Maître,
N'ait à goûter par moi
L'abandon du disciple ou le baiser du traître !

Le Savoir et son ombre

A Jacques Heugel.

Fleur tentatrice aux flancs du vaste abîme


Qu'ici-bas, tous nous côtoyons,
Le Ciel et l'Enfer seuls ont compté tes victimes,
Savoir, pâle edelweiss, fleur de perdition !

Plus d'un guide éprouvé, plus d'un chasseur novice,


Pour t'avoir voulu conquérir,
Roulèrent sans retour dans l'horreur des abysses
D'où l'on ne vit jamais une âme resurgir.

Ta blancheur, accordée aux neiges éternelles,


En offense au lis marial,
Est le chef-d'oeuvre affreux du Prince des Rebelles,
Ta fascination, son regard glacial !

Si le troupeau commun vit loin de tes prestiges,


Les Sagaces et les Subtils
Connaissent l'âpre orgueil d'affronter le vertige
De ce gouffre où tu luis depuis l'antique exil !...

Or, pour avoir subi ton charme inoublié,


Savoir, livide fleur d'Erèbe,
Je te crains aujourd'hui, comme le nautonier
Les typhons imprévus au large des Célèbes.

Et qui m'estimera - nous jugeons mal autrui -


Puéril et pusillanime,
En vérité, n'a point senti passer sur lui
Le souffle empoisonné des dragons de l'Abîme !...

Homme qui te souviens qu'en un temps hors du temps


Tu savais, de droit, toutes choses,
Songe au Péché !... Depuis, bon singes de Satan,
Nous voulons - mais sans Dieu - reconquérir la Gnose !

Ah ! que peut donc " savoir " et que prétend " connaître "
Celui que le Ciel a proscrit
Et qui feint d'oublier qu'il doit d'abord renaître,
Repentant et soumis, au rnonde de l'Esprit?

Car le Savoir d'En-Haut, que Dieu donne ou refuse,


N'est point fleur de nos froids séjours :
Elle ne se conquiert par force ni par ruse
Et ne s'épanouit qu'au chaud Soleil d'Amour !
.. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. ..

Savoir, fleur de douleur et de tentation,


Si je me suis, jadis, laissé prendre à ton leurre,
Que jamais plus ma main ne t'effleure avant l'heure
Du repentir - et du pardon !...

Les deux brasiers

Amour, qui me fis réciter


Tes Psaumes de la Pénitence,
Toi qui souvent me fis goûter
Tes clous et ton fiel et ta lance ;

Amour charnel, amour sans majuscule,


J'ai couru tes mornes déserts,
Tes Paradis et tes Enfers !...

Je connais trop ce feu dont tu nous brûles


Mais dont j'aurai cependant moins souffert
Que par Celui qui flambe au delà des Ethers,
- Et qui t'annule !

LES DEUX LOIS


I
Depuis longtemps, depuis toujours,
Depuis que pleure et rit l'Amour,
- Riant au Ciel, pleurant sur Terre,
Pleurant et riant tout à tour, -
Depuis longtemps, depuis toujours,
L'homme interroge le mystère
Des jeux de la nuit et du jour.

Traînant sa gloire et sa misère,


Il affronte le vieux mystère,
Le vieux mystère de son cœur,
Où gît sa gloire - et sa misère.

Et son cœur, épris d'éphémère,


Las de plaisir et de douleur,
Pleure le Ciel - mais veut la Terre !…

Il semble qu'un démon moqueur


Lui inflige, pour son malheur,
La savante et lente torture
De cent espoirs et cent rancœurs ;
En ce qui passe, en ce qui meurt,
Hélas1 plutôt qu'en ce qui dure,
Nous mettons notre espoir trompeur !

Et notre cœur, notre âme impure,


Souillés par mille forfaitures,
Depuis longtemps, depuis toujours,
Depuis que pleure et rit l'Amour
Et que le plaisir nous torture,
Subissent là loi sombre et dure,
Subissent la loi - sans recours -
De l'Orgueil et de la Luxure !

II

Depuis longtemps, depuis toujours,


Depuis que siècles vont leur cours,
Notre cœur, épris de chimères,
Gémit sous la loi sans recours,
La loi des terrestres amours,
La loi des mondes éphémères,
La loi des infernaux séjours.
Là-Haut, le chœur joyeux des Sphères,
Dans la Lumière tutélaire
S'enivrant d'éternel bonheur,
Mène sa ronde coutumière...
Là-Haut vibre dans la Lumière
- Inégalable en sa splendeur -
L’harmonie immense des Sphères,

Et cet indicible bonheur


Des doux Paradis du Seigneur,
Ce bonheur semblable à nul autre,
Ce bonheur blesse notre cœur ;
Car nos âmes en leur rancœur
Disent : " Ce bonheur-là fut nôtre,
- Et nôtre est la seule douleur ! "
Eh ! oui, ce bonheur-là fut nôtre,
Loin du bourbier noir où se vautrent,
Depuis longtemps, depuis toujours,
Nos désirs, bonheurs à rebours,
Et nos regrets, faux bons apôtres,
Qui, malgré force patenôtres,
Sans repentir et sans retour,
Chérissent l'Autre - toujours autre !

III

Ainsi, comme une mauvaise herbe


Rampant au pied des blés superbes,
Ce monde insulte au vaste Ciel
Où rayonne l'éternel Verbe ;
Et notre rancœur s'exacerbe
Sous le fouet de l'orgueil cruel,
Folle avoine que l'Autre engerbe !

Ce monde insulte au vaste Ciel,


Ce monde où nos cœurs criminels
Traînent le faix de leur misère
Et de leurs désirs sensuels :
A ce bagne sempiternel,
A ces infamantes galères,
Nous nous condamnons sans appel. _
Il n'est trêve sur cette Terre,
Il n'est trêve à notre misère
Et les nuits succèdent aux jours,
Les jours font place aux nuits amères
Sans que nos cœurs enfin s'éclairent,
Tant sont faibles leur tiède amour,
Leur repentir et leur prière !

Et nous allons, par cent détours,


Changeant de loque et de séjour,
- Car le mal en nous s'exacerbe
Sans entamer notre superbe, -
Errant ainsi, toujours, toujours,
Aveugles, tout autant que sourds
A la voix de l'éternel Verbe
En croix à tous les carrefours !

IV

Vogue donc avec cette Terre,


Avec cette Terre éphémère,
L’homme, fils de l'Eternité,
L'aveugle, fils de la Lumière...
Là-Haut, le chœur joyeux des Sphères,
Peuplant les Cieux illimités,
Mène sa ronde coutumière...

Or l’homme, par l'Enfer tenté,


L'homme, veuf de la vérité,
En son cœur sauvage et rebelle,
D'amours charnelles envoûté,
Porté, au sein de l'obscurité,
Une clignotante étincelle
De la primitive clarté.

Et cette divine parcelle


De la Splendeur originelle
S'obstine à luire dans sa nuit,
Dans la nuit, sans elle, éternelle, -
La nuit des étreintes charnelles
Où les vains plaisirs qu'il poursuit
Sans les atteindre, le harcèlent.

Ah ! la voit-il encor qui luit,


Inextinguible, dans sa nuit,
Nuit d'opprobre et nuit de colère,
L’aveugle, fils de la Lumière ?
En ce monotone aujourd’hui,
La voit-il luire dans sa nuit,
Sa nuit de haine et de misère
Où le remords pensif le suit ?

Oui, l'homme, dans son pauvre cœur


Las de plaisir et de douleur,
Porte l'étincelle éternelle
Puisée au foyer créateur ;
Et de cette antique splendeur
Que sa nuit même lui rappelle,
Viennent sa joie - et ses malheurs.

Siècles en vain se renouvellent


Sans adoucir la loi cruelle,
La loi des infernaux séjours,
La dure loi, sempiternelle,
Qu’impose l'Archange rebelle,
- Depuis longtemps, depuis toujours,
Aux âmes que l’orgueil flagelle.
Devrons-nous donc, jour après jour,
Tant que siècles iront leur cours
Et que sang battra dans nos veines,
Gémir sous la loi sans recours,
La loi des terrestres amours,
La loi sinistre des Géhennes
Où nous avons élu séjour ?

En ce monde où règne la haine


En despotique souveraine,
En ce monde aussi bien qu’ailleurs,
Irons-nous, d'erreur en erreur,
Traîner Géhenne après Géhenne,
Notre boulet et notre chaîne,
Pleurant cette antique splendeur
Dont il faut bien qu'il nous souvienne?

VI

Depuis la détresse première,


L'aveugle, fils de la Lumière,
Entre deux mondes tiraillé,
Pleure le Ciel - mais veut la Terre !
Et son âme aux vœux éphémères
S’ingénie à multiplier
Ses désespoirs par sa misère1...

Et lorsqu'en son cœur tenaillé


Cesse à demi de flamboyer
Du vieil Adam la flamme impure
- L’impur et dévorant brasier -
Il s’estime alors dépouillé
De sa raison d'être et murmure
Contre les Destins " sans pitié ".

Accuse l'aveugle, et murmure


Contre le Ciel et la Nature ;
Accuse et murmure à loisir
L’aveugle et sourde créature
Dont la belle désinvolture
Oublie, hélas, sans plus rougir,
Ses innombrables forfaitures.

Car le Ciel a beau l'avertir


Que vient l'heure où l'on doit choisir
E<ntre l’éternelle Lumière
Et. le feu sombre du désir :
Il préfère, sans repentir,
Soumis à la loi de la Terre,
Au pur bonheur les vains plaisirs !

VII

Car c'est ici le vieux mystère


De notre indicible misère ;
Depuis longtemps, depuis toujours,
Hésitant entre Ciel et Terre,
Nous errons, par mille détours,
Sans voir l'éternel Solitaire
En croix à tous les carrefours !

Sous le rostre du vieux vautour,


- Depuis que pleure et rit l'Amour -
Gémit l'antique Prométhée...
Sans espérance, et sans recours,
Agonise depuis toujours,
Inutilement révoltée,
Notre âme, en cet amer séjour.

Ainsi, par tout l'Enfer tentée,


Se débat la vieille entêtée,
L'âme, pâmée au souffle impur
De l'insaisissable Asmodée...
Là-Haut, le chœur des Voies Lactées
Tourne, dans l'éclatant azur
Aux profondeurs impolluées.

Mais sur notre sentier mal sûr


Où va rôdant l'Esprit Impur,
Chemine, éternel Solitaire,
l'Inconnu, porteur de lumière, -
- Que rencontreront à coup sûr

Ceux-là dont les Cœurs, enfin mûrs


Pour subir l'épreuve dernière,
Peupleront le Siècle futur !

VIII

Depuis ,la détresse première,


Depuis que roule et va la Terre
Et que nuits succèdent aux jours,
L'aveugle et le sourd volontaire
S'obstine à nier la Lumière
- La Lumière du pur Amour -
Ivre de plaisirs éphémères.

Las d'un fardeau toujours plus lourd,


Plus lourd, hélas, de jour en jour,
L'aveugle traîne sur sa route,
Au sein des infernaux séjours,
Traîne au long de mille détours
Son faix de misère et de doute,
- Butant aux croix des carrefours !

Et de désastres en déroutes,
En cette immense banqueroute
De ses désirs, de ses espoirs,
De ses illusions dissoutes,
L’aveugle que l'Enfer envoûte
Voit poindre en quelque morne soir
L'échéance que tous redoutent.

Et c'est alors, sous le ciel noir,


Sous le ciel de ses désespoirs,
Qu'il voit, dans la nuit funéraire,
Splendir, aurore calme et claire,
En son cœur las de faux savoirs,
- Ainsi qu’un vivant ostensoir, -
Splendir l'Etincelle première !

Et c'est la fin du vieil Adam,


Du vieil Adam, fils de Satan,
Mort de plaisirs - et de misère -
Sur sa croix d'Espace et de Temps...
Là-Haut, dans les Cieux éclatants,
Le chœur étincelant des Sphères
Accueille, libre et repentant,
Accueille le nouvel Adam,
- Libre, dans la libre Lumière !...

Les deux silences

Il est deux sortes de silences


Comme il est deux sortes de nuits.
Le premier - dont nos cœurs s'offensent
N'est que simple absence de bruit ;
Le second, plein de résonances,
- Subtil langage de l'esprit -
Baigne nos âmes d'espérance :
Comme il est deux sortes de nuits,
Il est deux sortes de silences.

Il est deux sortes de silences


Comme il est deux mondes distincts.
Le premier, lourd de confidences,
Parle en mots dont le verbe humain
Ne sait traduire l'éloquence ;
Le second, glacé, nous étreint
De sa morne désespérance :
Comme il est deux mondes distincts,
Il est deux sortes de silences.

Il est deux sortes de silences,


L'un terrestre et l'autre divin.
Si l'un n'est, au fond, que l'absence
Des bruits de ce monde incertain,
L'autre, plein d'augustes présences,
Pour qui sait l'écouter, détient
Lumière, espoir, intelligence...
L'un étant tout, - et l'autre rien, -
Il est deux sortes de silences !

Liber Mundi

A Miréio Doryan.

Au delà de nos cieux, voués aux Sept Fléaux,


De notre Terre et de sa fange,
Il est un Livre, dont les anges
N’épellent qu'en tremblant les mots :
Livre aux communs regards encore intraduisible,
Mais où lisent, de loin, les grands forgeurs de Bibles.

Qu'ils soient nés prés du Nil ou sur les bords du Gange,


Qu'ils s'appellent Moïse ou Jean-le-Bien-Aimé,
Ceux qui .portent les dés de ses signes étranges
Savent ce que nous veut l'avenir embrumé.

Hors de tout ce qui .peut se flétrir ou changer,


Se tient le Livre véridique,
- Et les cohortes angéliques
Tremblent d'oser l’interroger !
Entrouvert un instant aux divins Messagers
Dont la voix fait frémir les peuples, d’ère en ère,
Il EST - et nul mortel n'a pouvoir d’abroger
Ses arrêts, rédigés en lettres de Lumière !...

Avant que fussent nés notre Terre et ses cieux


Resplendissait le Livre unique
Où seuls les regards angéliques
Déchiffraient les desseins de Dieu..,
Mais nul de ceux d’ici, fut-il visionnaire,
Docteur en Israël, savant, mage ou héros,
Ne saurait affronter l'éclat des Sept Tonnerres
Pour rompre les Sept Sceaux du Livre de l'Agneau !

Au delà de la Terre, éphémère demeure


Dont peut-être demain pourrait bien sonner l’heure,
Est un Livre aux versets lumineux et terribles
Qu’épellent en tremblant les grands forgeurs de Bibles !

MAGNA MATER

A Mademoiselle A. G., respectueusement.

Matrice du Cosmos, Arche des Univers,


Vase d'élection des ardents Elohim,
Nourrice des Titans, reine du vaste Ether,
Mère des cieux profonds et Thummim de l'Urim,

Tu portas en tes flancs et l'Olympe et l'Hadès,


qui jamais ne sombre au sein des grandes ondes,
O toi qui vis surgir, à l'aurore du monde,
De tes flancs fécondés, l'éblouissant Phanès !

Comme un tison couvant sous la cendre propice


Et qu’un souffle léger attisera soudain,
L’univers, sommeillant au creux de tes abysses,
Autrefois s'éveilla sous le souffle divin.

Miroir immaculé du Soleil de Justice,


Arche des Univers, Temple du Saint-Esprit,
J’implore ton secours, Vierge consolatrice
Qui sais de quel limon ton enfant fut pétrit !

Tu sais mes reniements, mes menteuses promesses,


Tu sais mes désespoirs et mes tardifs remords...
Ne laisse pas ton fils, Toi, la Toute-Tendresse,
Descendre le sentier de la seconde mort.

Gloire et respect à toi, lampe des exilés,


Vase d’élection de la divine Hostie,
Mystique sanctuaire, asile inviolé
Des éternels concepts et des théophanies !

Méditativement

A Jean et Anne Vaquié.

Les Seigneurs-de-Compassion
Reviennent enseigner la Voie
Et dénoncer l'illusion ,
De nos douleurs et de nos joies.

Très hauts, très purs, et sûrs d'eux-mêmes,


Ils ont la froide charité
Régnant dans le Vide Suprême
Où mal et bien sont vanité,

Les Seigneurs-de-Compassion,
Sans la condamner, se dispensent,
O Jésus, de Ta Passion :
Ton Salut n'est leur Délivrance !

La Sagesse de ces géants,


Du Devenir s'est affranchie...
Pourtant, il est dit dans Saint Jean :
" Le Verbe fait chair est la Vie ! "

O Seigneurs-de-Compassion
Evadés de l'Impermanence,
Je crains pour vous l'illusion
Que vous baptisez Connaissance ;

Et, puisqu'un choix est à prétendre,


Pensif, je me suis allégé
De vos dogmes, pour mieux entendre
L’appel poignant du Bon Berger.

1958.

MYSTERIUM MAGNUM

Le Jour ne luttait point avec la Nuit funèbre,


Le Nombre n'était point sorti de l'Unité :
Sans attributs, sans loi, sans nom, sans qualités,
Hors de toute clarté, hors de toute ténèbre,
L'Eternel reposait en Son éternité !...

Dans l’insondable Abîme où la divine algèbre


Allait préfigurer toute création,
Attendant le " Fiat " qui les fît ce qu'ils sont,
Le Jour ne luttait point avec la Nuit funèbre !

Les Trônes, les Vertus et .les Principautés ,


N'unissaient point leurs Chœurs, dans le vaste silence ;
Rien n’avait fait frémir les flancs du gouffre immense,
Le Nombre n’était point sorti de l'Unité !

Celui que nul ne vit en Sa réalité,


Le seul qui sache, au vrai, ce qu'est la solitude,
Savourait en secret sa propre plénitude,
Sans attributs, sans loi, sans nom, sans qualités...

Toi que craint le démon, Toi que l'ange célèbre


Et que l’homme bénit et maudit tour à tour,
Nul, jamais, n'a forcé Ton mystique séjour,
Hors de toute clarté, hors de toute ténèbre !

Au-delà du Latent et du Manifesté,


Avant les univers dont Il fixa le terme,
Avant l'aube première, avant le premier germe,
L'Eternel reposait en Son Eternité !
Nostalgie

Sur la route déserte, à tous risques suivie,


Auriez-vous rencontré Celui que mon cœur lourd
Cherche inlassablement, cherche depuis des vies,
Et dont la Croix se dresse à tous mes carrefours ?

Vivants qui m'entendez, vous qui, sur cette Terre,


Gravites avant moi le sentier de misère,
Sur la route morne, au sein de la nuit,
Quand retrouverai je une fois Celui ;
Que mon cœur espère? "

Egrenant - depuis quand ? - le chapelet des jours,


Je vais - jusques à quand ? - traînant ma nostalgie,
Sans entrevoir jamais aux Croix des carrefours
Celui que mon espoir cherche depuis des vies...

O vous qui connaissez et le gîte et l'étape,


Convives fortunés de 1a mystique Agape,
Voyez que je suis seul et que mon pas plus sourd,
Sur le sentier glissant, semé de chausse-trapes,
Sonne, moins assuré, chaque heure, chaque jour,
- Chaque vie !...

Combien de temps devrai-je, aveugle en cette brume,


- Mon unique horizon, -
Combien de temps, errer sans qu'aux lointains s'allume
L'aube de consolation ?

O vous qui m'entendez, vous qui savez 1a route,


Convives fortunés de la mystique Agape,
Vous dont les pas saignants ont marqué mes étapes,
A ce cœur obstiné sous les assauts du doute
Dites sur quel chemin, dites en quel séjour
Veille, invisiblement, Celui qu'il cherche en vain
Depuis des jours,
Depuis des vies,
- Depuis toujours !

Ah ! dites-lui, Vivants aux tâches accomplies,


Dites sur quel chemin, dites à quel détour
Vos cœurs illuminés, vos âmes éblouies
Rencontrèrent l'Amour !...

Nuit obscure de l’âme


(Jean de La Croix)

Au Révérend Père Valentin Breton.

Par une nuit sombre et sans lune,


D'un amour farouche embrasée,
- O l'heureuse fortune, -
Seule, je m'en fus, déguisée :
Ma demeure était apaisée.
Par une nuit sans lune, -
Ma demeure apaisée, -
Seule, je m'en fus, déguisée,
- O l'heureuse fortune ! -
M'en fus par l'escalier secret
Et nul ne reconnut mes traits.

Invisible aux regards,


Sans bruit, je me suis évadée,
Errant sous le ciel noir,
- Mystérieusement guidée
Vers Celui qu'attend mon espoir...

Dans la nuit sibylline,


Sans bruit et sans autre lumière
Que celle ardant en ma poitrine,
- Sans guide et solitaire, -
J'allais où m'espérait
Celui-là qui chemine
Là où nul autre ne paraît.

Nuit qui me conduisis vers le plus haut trésor,


- Nuit plus aimable encor
Que le jour auréolé d'or, -
O nuit redoutable et charmante,
Tu as uni l’amante au Bien-Aimé,
Tu as fondu l'Aimé
En son amante !

Dans mon sein refleuri,


- A tous autre fermé, -.
S'endort le Bien-Aimé :
Mon amour le nourrit
Tandis qu'en frémissant la palme du Cédron
Rafraîchit doucement son front...

Lorsque la brise matinale


Rouvrit les yeux de l'Attendu,
D'un geste de sa main royale
Tous mes sens furent suspendus.

Que me sont vie et mort, et souci de moi-même ?


Oubliant projets et problèmes,
Mon visage, penché sur celui de l'Amant,
Enfin, je m'abandonne, au milieu des lis blancs !

Pantoum

L'Etoile qui brillait au front de Lucifer,


L'Etoile demeura quand s’abîmait l'Archange.
Cette âme que voici, lasse d'avoir souffert,
Préservez-la, mon Dieu, dans la terrestre fange.

L'Etoile demeura, quand s'abîmait l'Archange


Aux gouffres insondés des ténébreux Enfers.
Préservez-la, mon Dieu, dans la terrestre fange,
L'imprudente en exil dont le sort vous est cher.

Aux gouffres insondés des ténébreux Enfers,


L'éternel Révolté rumine sa vengeance,
L'imprudente en exil dont le sort vous est cher,
Accordez-lui, Seigneur, votre juste clémence.

L'éternel Révolté rumine sa vengeance :


Le drame se jouera sous l'Arbre du Savoir...
Accordez-lui, Seigneur, votre juste clémence,
A Celle qui combat - et sent faiblir l'espoir.

Le drame se jouera sous l'Arbre du Savoir,


En des temps abolis, hors de toute mémoire...
A Celle qui combat - et sent faiblir l'espoir -
Faites luire en vos cieux le prix de sa victoire.

En des temps abolis, hors de toute mémoire,


Le transfuge d'Eden écouta le Pervers...
Faites luire en vos cieux le prix de sa victoire :
L’Etoile qui brillait au front de Lucifer !

Prière du soir

A Y.-j. F***.

Seigneur, je tends vers Vous mes mains, mes deux mains vides,
Ces mains, vierges toujours du stigmate des clous ;
Vers Vous je tends mes mains de mendiant avide,
Quémandeur de gros sous,

Et ce front, vierge aussi du sillon des épines,


Plein de pensers mesquins et de calculs étroits,
Quelle présomption dérisoire l'incline
Au pied de Votre croix ?...

Dans les ténèbres de l'Attente,


Se morfond un cœur anxieux
Qui craint que l'Enfer ne le tente
Quand l'Espoir lui montre Vos cieux.

L'Espoir ?... Rencontre bien étrange


Pour qui, si longtemps, n'a marché,
Parmi les cris des mauvais anges,
Que dans l'ornière du péché !...

Cœur dévasté, tu sais l'Espoir - et sa torture ;


L'Espoir, ce plomb fondu sur la chair qui se tord,
Ce knout, qui te relève à chaque forfaiture,
L'Espoir, dont l'autre nom est peut-être : Remords !

Et par ce morne soir d’entre mes soirs arides,


Sa morsure de feu me fait tendre vers Vous
Mes quémandeuses mains, indemnes de Vos clous,
Seigneur, - mes pauvres mains, éternellement vides !

Prière

Seigneur, qui jugerez nos âmes,


Soyez-leur un juge indulgent :
Le limon d'Adam nous réclame
Et nous sommes vos indigents,
Oui, la Terre est dure à ses hôtes
Et leur chicane un pain amer...
Seigneur, qui pèserez nos fautes,
Voyez combien faible est la chair.
Faible est la chair, rusé Satan !..,
Seigneur, qui serez notre Juge,
L'homme est versatile, et le temps
Est bien court entre deux Déluges...
Seigneur, qui pèserez nos fautes,
Fils de l'Homme, souvenez-vous
D'une Terre, dure à ses hôtes,
Où vous vîntes saigner pour nous !

Prose à Marie

A E. T. Longuet.
La sapience des Docteurs
Vous a célébrée, ô Marie,
Par ces faces de vos Splendeurs
Que sont les saintes Litanies.

Je sais !... Vous êtes le Calice


D'une insigne Dévotion,
La Mère de Compassion
Et le Miroir de la Justice ;

Vous êtes la mystique Rose


Comme l'Etoile du Matin,
- Cent autres merveilleuses choses
Qui sonneraient mieux en latin...

La sagesse des Sapients,


En perles d'un pur orient,
Vous a voué, Vierge bénie,
Un rosaire de Litanies !...

Domus aurea - Maison d'or -


Reine des Cieux, Reine des Anges,
Qui dénombrera les trésors
Qu'on entrevoit sous vos louanges ?

Doctes et saints que vous savez


Vous ont célébrée, ô Marie,
Egrenant, avec leurs Ave,
Le chapelet des Litanies !...
.. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. ..
Mon cœur qui, de loin, vous révère
Se sent bien faible et bien petit
Pour balbutier vos mystères,
Temple éblouissant de l'Esprit !

Et de toutes ces épithètes,


- N'étant ni Voyant, ni Témoin, -
Souffrez que je n'abuse point,
Inspiratrice des Prophètes !

Simplicité d'un Gabriel,


Disant : " Salut à vous, Marie,
O Femme entre toutes bénie ! "...
- Sur Terre, ainsi parla le Ciel !
Sachant ce que vaut ma ferveur,
Souffrez que je préfère à d'autres
Des termes, juste à ma hauteur,
Et non pas à hauteur d'Apôtre,
- Des termes répondant aux vœux
D’une âme qui se sait coupable,
Coupable, mais non sans aveu,
Et vous redit, Mère Admirable,
Vous l’unique Palladium
Des déchus et des misérables :

" Consolatrix afflictorum,


Refugium peccatorum "

SI...

A Fr. O******.

Si ton cœur peut aimer sans enchaîner un cœur,


S'il peut être trahi tout en restant fidèle,
Si tu sais protéger sans réduire en tutelle
Et, dupe clairvoyante, abuser ton dupeur ;
Si tu peux enseigner, rien qu’en sachant te taire
Et, donnant, oublier que tu fus possesseur,
Si tu sais " accomplir sans demeurer auteur " ;
Quelles que soient ta race et ta foi passagères,
Salut ! Nous sommes fils, tous deux, du même Père !

1954.

VENITE, ADOREMUS...
Cette nuit-là, merveille unique,
Le cœur battant sous leur tunique,
Les bergers, par l'Ange conduits,
S'en furent adorer Celui
Qu'attendaient les Sages antiques.

Et 1',espoir qui jamais n'abdique,


L'espoir vorace et famélique,
S'insurge en nos âmes, depuis
Cette nuit-là.

En ce minuit mélancolique,
Nous mord le regret nostalgique
De cette nuit d'entre les nuits...
Mais l'étoile d'or qui nous luit
Ne rappelle qu'au symbolique
Cette nuit-là...

*
**
Heureux bergers !... A vous, je pense
En ce minuit. Ce n’est offense
Que de vous envier un peu ?...
Oh ! n'avoir pas été de ceux
Qu'illumina cette Présence ;
N'avoir en sa grise existence

Que des livres pour références !...


Vous eûtes pourtant plus beau jeu,
Heureux bergers !

Tout s'achève et tout recommence,


Tout, hormis le miracle immense
Dont s'éblouirent vos seuls yeux :
O vous, favorisés des Cieux,
Accordez-moi quelque indulgence,
Heureux bergers !

*
**

Ce pauvre, au travers d’un carreau,


Contemple le bon feu, bien chaud,
Croulant en rutilantes laques,
Puis s'en repart quand ses dents claquent,
Au vent qui gèle ses vieux os...
Chrétien qui traînes ton fardeau,
Toi, chair promise aux Sept Fléaux,
N'es-tu pas, par ce soir opaque,
Ce pauvre ?
Voici la crèche et les flambeaux
Et le gui d’un Noël nouveau...
Mais, Jésus, en l’humain cloaque,
Notre âme gèle au creux des flaques
Comme, sous ses vieux oripeaux,
Ce pauvre !

*
**

Cette nuit-là, fraîche et limpide,


Heureux bergers au cœur candide,
Malgré nos regrets superflus,
Cette nuit ne reviendra plus
S’inscrire entre nos nuits livides ;
Plus ne luit l'Etoile splendide :
Comme nos murs, le ciel est vide
Et nous mourrons sans avoir vu
Cette nuit-là.

L'écheveau fatal se dévide...


Ah1 c'est en vain que l'âme avide,
Evoquant les temps révolus,
Soupire de n'avoir vécu, -
Plutôt que cent nuits insipides, -
Cette nuit-là !

*
**

Dans notre cœur las, que torture


Depuis l’antique forfaiture
L'espoir, inextinguible feu,
S’exaspère, en ce soir brumeux,
Son inguérissable blessure.

Nuit de toutes les nuits qui furent


- O nuit dont les sept Cieux s'émurent -
Pourquoi ce trouble insidieux
Dans notre cœur ?

Pourquoi ?... Sinon que d'aventure,


Il faut qu'en toute créature
Naisse, quelque nuit, l'Enfant-Dieu .
Et que l'Etoile, enfin, fulgure
Dans notre cœur !

Trouvé dans un recueil de poèmes édité en 1950,


intitulé : "Les Fleurs du Bien"

2 poèmes inédits d'André Savoret

Paroles dans la pénombre

Toi qu'ont déçu les promesses humaines,

Toi qu'a blessé le faux éclat du jour,

Toi qui t'en vas, fuyant en vain ta peine,

Toi qu'ont trompé d'affreux serments d'amour,

Viens avec moi, dans la nuit taciturne,

Trouver l'oubli d'éphéméres tourments.

Viens et tais-toi, le miracle nocturne

Exige un coeur apte au recuelllement.

Vois s'effacer les couleurs et les formes,

Vois s'estomper en toi les souvenirs :

Tout se dilue et flue en l'ombre énorme,

Asile sûr où tu peux te blottir.

Ami, la nuit réclame une âme neuve :

Tu viens de naître - et tout est innocent...


Voici l'Eden, entre deux temps d'épreuves,

Voici le gîte, ouvert à tout passant !

Viens ! La ténébre abolit ma présence,

Un air plus vif emporte tes rancoeurs :

Entends l'étoile à la voix de silence

Chanter, là-haut, pour bercer ta douleur !

Laisse dormir tes spectres et tes rêves,

- Les rêves fous de ce mort que tu fus -

Voici l'éveil : le sommeil a fait trêve,

- Ce lourd sommeil d'hier, aux cauchemars confus...

La nuit t'accorde une âme neuve et pure ;

Te voilà né, le vieil Adam n'est plus :

Pour affronter les aurores futures,

A la coupe des cieux, bois ta part d'Absolu !

A l'une d'elles

Tu fus en des temps périmés

L'insatiable salamandre

Qui dansait, sans se consumer,

Dans un feu qui n'est plus que cendres.

Tu fus l'étrange ballerine

Mimant, au matin de son jour,


La geste secrète d'Amour,

Non de Psyché, sa soeur divine.

Et tu pensais, belle Imprudente,

Que ce jeu-là pourrait durer,

Qu'il neige, qu'il pleuve ou qu'il vente

Jusqu'au fatal Dies Iræ !...

.. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. .. ..

Mais tu survis à ta ruine

Et le destin que tu crus fuir,

Sur ton corps, roué de désirs,

Venge Psyché, ta soeur divine !

Revue An Oaled : Le Foyer Breton n°61 de 1937

Repris dans Intersignes en 1948 p. 108

Réminiscence

Chaos de Ploumanac'h, nul ne dénombrera

Les rocs cyclopéens qui, sous le ciel ardent,

Sept soirs et sept matins meurtrirent l'océan...

J’étais là quand hurlaient les géants aux cent bras,

J'ai vu tomber Atlas et tomber Briarée !

Quand l'Olympe croula sur la terre effondrée,

Broyant les fils d'Esus, impuissants, j'étais là !

............................................

J'ai vu flamber la nuit, plus rouge que l'aurore,

Et l'enclume d'airain tomber et retomber


Sept soirs et sept matins ; les monts noirs tituber

Et les cieux se zébrer de rouges météores.

Dans la mer grésillant et vomissant, l'écume,

Sept nuits, j'ai vu tomber et retomber l'enclume

Et vu s'éteindre un astre au poitrail du Centaure !

An Oaled : Le Foyer Breton n°67 de 1939

Le voeu des ancêtres

A M. JAFFRENNOU (Taldir),
en hommage de profond respect.

D'autres vous chanteront l'âpre beauté d'Arvor,

Ses vieux chênes noueux bravant le vent du nord,

Ses bouleaux argentés, sa lande aux genêts d'or :

Je ne veux qu'exalter la gloire des Ancêtres !

Plus ferme que le coeur des vieux chênes d'Arvor,

Leur coeur - exempt de haine et libre de remords

Savait aimer la vie et mépriser la mort.

Je ne veux qu'exalter la vertu des Ancètres !

Avant que s'allumât le bûcher des Parsis,

Avant que la Chaldée eût adoré Tanit,

Menw, fils des Trois Cris, enseignait les Kymris !

Je ne veux que chanter la grandeur .des Ancêtres !

D'autres vous parleront de vos murs de granit,

De vos calvaires noirs dressés sous vos ciels gris,

De vos sentiers pierreux perdus dans vos taillis...


Je ne veux que chanter l'idéal des Ancêtres !

Fils de la vìeille race à l'âme ardente et fière,

Victime, tant de fois, de ses propres querelles,

Souvenez-vous toujours du destin de vos pères.

En vous le même coeur, généreux et fidèle,

Palpite, mais en vous, la même âme rebelle

Est trop prompte, parfois, à tracer des frontières.

Souvenez-vous, amis, du destin des Ancêtres !

O ! Vous, purs descendants des Celtes indomptés

Qui firent naître l'homme avec la liberté,

Voyez comment périt l'antique indépendancé :

Guerre entre les tribus, guerre entre les cités,

Rivalité des chefs, inutile vaillance.

Livrèrent à César le pays sans défense...

Si vous ne voulez voir la race disparaître,

Vous qui savez souffrir, vous qui voulez renaître :

Unissez-vous, amis, c'est le voeu des Ancêtres !

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