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Introduction :
L’ensemble des biens et services achetés par les administrations publiques est évalué à
740 milliards de francs par an (ce qui représente à peu près 9% du P.I.B ), dont 250 MdF de
dépenses relevant des procédures du Code des marchés publics. La part des collectivités
locales dans ces dépenses a constamment augmenté depuis le début des années 80s,
consécutivement au mouvement de décentralisation (en 1999 la part des C.T était de 58%).
Or parallèlement à cette importance croissante des collectivités locales dans la passation des marchés
publics, on assiste depuis le début des années 90s à un renforcement en matière de concurrence, des dispositifs
législatifs et réglementaires applicables à la commande publique. Cette évolution, qui répond à un souci de
transparence de la vie publique, notamment exprimée par la loi Sapin du 29 janvier 1993, résulte pour l’essentiel
de la transposition progressive en droit interne des directives européennes concernant la lutte contre la
corruption.
Ce double mouvement, extension des compétences des C.T en matière de marchés
publics parallèlement à une exigence accrue de transparence, a entraîné une complexification
certaine du dispositif juridique qui définit aujourd’hui la commande publique. La technicité
des procédures du Code des marchés publics constitue par conséquent un facteur d’opacité,
susceptible de faciliter des pratiques qui volontairement ou non, se trouvent en marge de la
légalité.
Ainsi la Cour des Comptes, dans son rapport public de 1999, dénonçait «l’importance
croissante des pratiques anticoncurrentielles des collectivités territoriales, ce qui rend
nécessaire un contrôle accru de l’Etat et l’intervention du législateur ».
Avant de détailler ces pratiques anticoncurrentielles, de rechercher leurs causes et d’évaluer
leurs conséquences, il convient donc de rappeler les principes juridiques qui encadrent la
passation des marchés publics .
Il se traduit par l’obligation de fournir à toutes les entreprises intéressées les même
renseignements indispensables à l’établissement de leur offre.
Sauf exceptions dûment répertoriées les marchés publics sont obligatoirement précédés d’un
avis d’appel public à la concurrence inséré dans le bulletin officiel des annonces des marchés
publics (B.O.A.M.P¨) ou dans un journal habilité à recevoir des annonces légales. Des
directives européennes imposent enfin une publicité à l’échelon européen pour les marchés les
plus importants. ( > à 1,3 millions de francs h.t pour les marchés de fournitures et 32,9
millions de francs h.t pour les marchés de travaux )
Il s’agit d’abord des règles nationales ( livres 1 et 3 du CdM ) qui concernent les
marchés passés au nom des collectivités des collectivités locales et des établissements publics
locaux. Les règles communautaires ( livre 5 du CdM ) quant à elles, s’appliquent aux C.L, aux
établissements publics administratifs et aux établissements publics industriels et commerciaux
ayant une activité d’opérateur de réseaux dans les secteurs de l’eau, de l’énergie, des
transports et des télécommunications.
En droit national, des adjudicateurs privés locaux ont pu être soumis à des
réglementations spéciales extérieures au code des marchés publics, comme par exemple la loi
Sapin de 1993 concernant les S.E.M. De plus toute une série de règles d’origine
communautaire ( environ 17 directives à ce jour ) encadrent leurs activités, ce qui contribue à
complexifier encore plus la réglementation applicable.
La France a connu une relative stabilité juridique jusqu’en 1991. L’arrêt du Conseil
d’état du 28 février 1992 «S.A Rothmans international France » qui reconnaît la supériorité
des directives européennes sur le droit national a entraîné un conflit entre les deux
réglementations, aggravé par la lenteur des transpositions en droit interne des directives
européennes. (directive « Services » n°92/50 du 18 juin 1992 qui ne fut transposée que par la
loi du 22 janvier 1997 ). De fait le Conseil d’Etat continue de refuser l’application directe des
dispositions des directives communautaires, ce qui peut constituer un argument pour les
collectivités lorsqu’elles sont confrontées aux Chambres régionales des comptes (voir
l’exemple de la S.E.M 92 ).
Se pose ensuite un problème de compatibilité entre le droit communautaire et les mécanismes
propres aux marchés publics. En effet l’application du droit européen se fait en fonction de
seuils des montants estimés de commande de travaux, de fournitures et de services. Ce qui
entraîne des difficultés supplémentaires, vu le caractère artificiel de ces seuils, dans
l’évaluation du coût de ces marchés.
Pour résumer, on peut affirmer que le droit des marchés publics en France est
victime d’un flou juridique indéniable, ce qui rend l’application des principes d’égalité et de
concurrence difficile, voir presque impossible dans certains cas, pour les collectivités locales.
Mais cette complexité incontestable des procédures de passation des marchés publics ne doit
pas servir d’alibi à certains élus qui ont tendance à détourner cette législation à leur profit.
Elles consistent tout d’abord en le non respect des seuils au delà desquels un appel
d’offre s’impose, ce qui contribue à ce que des marchés importants échappent à toute mise en
concurrence. ( cas relevé dans plus de 200 lettres d’observations des C.R.C sur 864 ) Ensuite
subsistent des irrégularités dans le fonctionnement des commissions d’appel d’offre,
notamment en ce qui concerne le droit d’information des conseillers municipaux, qui est peu
respecté, et la défaillance des mesures de publication .La cour insiste sur la pratique, qu’elle
qualifie de systématique, des appels d’offre prétendument déclarés infructueux pour justifier
des négociations directes avec les entreprises, ou la mise en place de clauses rédigées sur
mesure. Doivent également être dénoncées les attributions de marchés avant le terme des
procédures officielles de sélection, l’utilisation exagérée du fractionnement des opérations
afin d’éviter l’organisation d’une mise en concurrence publique, et le recours aux marchés
négociés en l’absence de conditions requises par la réglementation, tel que les cas d’urgence.
Si les formes des irrégularités sont multiples, l’une de leurs causes majeures reste
l’insuffisance du dispositif réglementaire qui encadre la passation des marchés publics.
L’absence d’une définition juridique claire et incontestable d’un marché public rend son
application très difficile. De fait un projet de loi qui devait être présenté au cours du second
semestre 1999 avait pour objectif de simplifier le cadre juridique de la commande publique.
Il visait également à améliorer les pratiques d’achat public par une utilisation accrue des
nouvelles technologies de l’information et de la communication ( publicité des marchés via
Internet ), notamment au bénéfice des petites et moyennes entreprises. Cependant la faible
concertation entre les différents acteurs institutionnels et l’absence d’une volonté politique
forte n’ont pas permis au projet de loi d’aboutir, illustrant ainsi les difficultés auxquelles se
heurtent toutes velléités réformatrices en matière de marchés publics. Une autre cause de ces
irrégularités est l’attitude de certaines entreprises qui arrivent à faire pression sur les
collectivités locales : soit qu’elles soient en situation de quasi monopole de fait (exemple de
Vivendi dans le domaine de l’eau ), qu’elles se partagent les marchés par le biais d’ententes
(exemple du B.T.P avec Bouygues ) souvent au détriment des petites entreprises (victimes des
phénomènes de sous-traitance ), ou qu’elles proposent des prestations à des prix
anormalement bas qui ne pourront être respectés. Une troisième raison des entorses à la
concurrence est le phénomène « de préférence locale » qui traduit une forte propension des
élus à favoriser les entreprises implantées sur leurs territoires. Ceci répond parfois aux
préoccupations socio-économiques, certes louables, de ces édiles locaux ( notamment en
terme de sauvegarde de l’emploi ), voir au caractère sécurisant du recours à un prestataire
habituel, mais peut également être la conséquence d’un clientélisme politique. En ces termes
les « gratifications » échangées lors de la passation de marchés publics ont longtemps
constitué un des principaux modes de financement des partis politiques.
2/Des conséquences lourdes pour les collectivités locales : vers un
renforcement des contrôles ?
Parmi les montages limitant la concurrence, l’exemple des Lycées d’Ile de France est
particulièrement éclairant. En effet selon une enquête de juges parisiens ayant débutée en
1997, des marchés portant au total sur 28 milliards de francs auraient été attribués
irrégulièrement par la région île de France entre 1989 et 1996.Entre 2 et 3 % de chaque
marché, soit quelques 560 millions de francs auraient alimenté les caisses des principaux
partis politiques. Les principales entreprises de travaux publics se seraient réparti les
différents marchés sans presque aucune mise en concurrence et ce pour un surcoût estimé à
2,5 milliards de francs, payé en réalité par les contribuables d’Ile de France.
Les montages utilisés furent divers, le plus fréquent étant l’utilisation abusive de la formule
du marché de conception-réalisation qui permet de confier à une même entreprise
l’établissement des études et l’exécution des travaux pour des motifs d’ordre technique. Or les
raisons techniques invoquées par la région étaient selon la Cour des comptes non fondées. A
ceci s’ajoute le recours à des marchés d’entreprises de travaux publics, le M.E.T.P permettant
d’associer la construction d’un ouvrage et l’exploitation d’un service public. De fait dans le
cas de l’Ile de France, cette formule a été fréquemment appliquée à de simples travaux de
construction suivis de prestations d’entretiens ou de maintenance. Cette pratique a également
pour effet de limiter la concurrence en écartant de facto les P.M.E, car elle permet le
regroupement des appels d’offres. Toujours selon les juges d’instruction parisiens, un bureau
d’étude proche du conseil régional concentrait 80% de l’assistance à la maîtrise d’ouvrage des
marchés concernant les Lycées, ce qui permettait aux bureaux d’étude de négocier
directement avec les grandes entreprises du B.T.P.
En premier lieu on peut évoquer les atteintes à la concurrence par interposition d’une
société d’économie mixte, dont le cas de la S.E.M 92 dans les Hauts de Seine fourni une
bonne illustration. Selon le rapport de la Cour des comptes, le département des Hauts de Seine
a confié sans mise en concurrence à la S.E.M 92 sur la période de 1991 à 1997 pour plus de
440 millions de francs d’études et de prestations de services ( dont le pole universitaire
Léonard de Vinci ). Se pose dès lors le problème de la nature des relations entre le conseil
général et la S.E.M. Selon la Cour des comptes, les directives européennes et la jurisprudence
( C.A.A de Bordeaux du 17 mars 1997 ) prouvent que les conventions entre C.T et S.E.M
doivent être soumises au principe de concurrence. Elle a en outre accusé la S.E.M 92 d’avoir
soutraité pour partie ses travaux à des partenaires privés en passant un marché de gré à gré
pour des sommes supérieures à 700 milles francs, ce qu’interdit formellement la loi Sapin de
1993. La S.E.M 92 dans sa réponse aux lettres d’observations de la C.R.C a quand a elle
insisté sur la difficulté d’application de la législation, notamment en raison du décalage entre
droit national et droit communautaire, et de la non-reconnaissance par ce dernier du principe
de l’économie mixte. Le système des S.E.M permet en effet aux collectivités locales d’avoir
recours à la souplesse du droit privé tout en conservant des objectifs d’intérêt général
( exemple du « Pacte 92 » qui a confié à la S.E.M la mise en place de la politique de la ville
dans six sites prioritaires ). Dès lors on peut considérer que pour ce type d’opération la
séparation entre la S.E.M et le Conseil général est très largement factice ( Monsieur Charles
Pasqua, dans le cas des hauts de Seine, étant président des deux structures ), ce qui peut
légitimer le point de vu de la S.E.M 92 qui réclame un véritable statut de l’économie mixte.
Conclusion :