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chargées de zinc et de cadmium dans les cours d’eau voisins. Le Lot et le
Riou-Mort, son affluent, en furent très fortement pollués, sur au moins
cent kilomètres. La presse locale relate qu’à Cahors l’eau était devenue
verte, charriant des milliers de poissons morts 2. Les effets dramatiques
de ces accidents simultanés ont marqué les esprits et suscité une grande
indignation. Un procès en responsabilité pénale fut engagé, qui réunit
plus de 200 parties civiles, principalement originaires de la partie aval du
Lot. En 1991, au vu des preuves réunies, le tribunal de grande instance
de Rodez condamna le directeur de l’usine à une lourde amende et à des
dommages et intérêts. Consécutivement, plusieurs arrêtés préfectoraux
furent édictés. Les normes en matière de rejets furent renforcées, impo-
sant une limitation stricte des effluents. Peu à peu, sous la pression des
pouvoirs publics, l’industriel concerné consentit à sécuriser le site. La
pollution, semble-t-il, fut ainsi jugulée.
Malgré les travaux de réhabilitation engagés par l’exploitant la situa-
tion est loin d’être réglée. L’usine de Vieille-Montagne compte parmi les
plus anciens sites d’extraction et de laminage du zinc en France. Depuis
1837, date à laquelle la Société des mines et fonderies de zinc de Vieille-
Montagne a vu le jour, jusqu’aux accidents de l’été 1986, de grandes
1 Notre enquête, financée dans le cadre du projet ANR (Re-Syst 08-CES-014), nous a
conduites à interviewer six membres de l’équipe du GEEMA/AE de l’université
Bordeaux 1 — UMR CNRS EPOC 5805. Nous avons également pu les observer travailler
dans le laboratoire sur le terrain en Aveyron. Qu’ils soient tous remerciés pour leur
accueil chaleureux. Les auteures tiennent cependant à souligner que cet article
n’engage qu’elles.
2 La Dépêche du Midi, 13 juillet 1986.
222 La science en ses confins
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espèces encore présentes mais elle contribuerait surtout à remettre en
circulation des polluants piégés dans les sédiments. C’est pour prévenir
les conséquences inattendues de ce type de mesure que les écotoxico-
logues se sont donné pour tâche d’étudier la dynamique des pollutions
et le devenir des contaminants. Ils souhaitent évaluer au mieux leur
nocivité effective, en fonction des circonstances qui accentuent ou atté-
nuent leur impact sur les organismes vivants. Ainsi développent-ils de
nouveaux outils destinés à « faire parler les rivières », c’est-à-dire obtenir
d’elles des renseignements sur les effets provoqués par les divers
toxiques, quels que soient leur quantité ou leur état. Ils enrôlent pour
ce faire une cohorte variée d’êtres vivants qui peuplent et façonnent ces
milieux, mettant à profit leur capacité à y vivre, c’est-à-dire à s’y main-
tenir en dépit des altérations.
L’objectif de ce texte est de décrire le processus par lequel des
mollusques ordinaires, en l’occurrence des Corbicula fluminae, loin de se
cantonner au rôle subalterne de cobayes qu’on pourrait leur assigner,
deviennent des organismes sentinelles actifs, capables de renseigner les
scientifiques sur la qualité de l’eau des rivières, réalisant ce qui pourrait
être considéré comme un travail 3. Après avoir retracé l’histoire d’un
territoire et de ses rivières impactées par les pollutions métalliques, il
s’agit d’expliquer comment ils sont devenus, en deux décennies, un site-
atelier de référence pour les écotoxicologues. En s’inspirant des
3 Vinciane D ESPRET et Jocelyne P ORCHER , Être bête, Actes Sud, Arles, 2007 ; Donna
HARAWAY, When Species Meet, University of Minnesota Press, Minneapolis, 2008.
Christelle Gramaglia et Delaine Sampaio da Silva Des mollusques pour « faire parler » les rivières ? 223
L’histoire environnementale
d’un bassin industriel qui reste à écrire
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comptait déjà plusieurs hautes cheminées. Les paysages ont été durable-
ment affectés par leurs fumées : certains versants des montagnes envi-
ronnantes portent toujours la trace des retombées acides produites par
la transformation des métaux puis par une centrale thermique
construite dans les années 1940. Seuls quelques rares conifères subsis-
tent. La présence, aujourd’hui encore, de plusieurs crassiers témoigne
également de ce lourd passé industriel. Par ailleurs, le Riou-Mort qui
traverse successivement Decazeville et Viviez a lui aussi été fortement
touché. Il a d’abord été dévié pour permettre le développement de la
métallurgie. De même que les rus voisins, il a été utilisé comme exutoire
pour l’évacuation de l’ensemble des effluents urbains ou industriels et
transformé en véritable égout. La situation s’est dégradée jusqu’aux
années 1970, période où certaines usines ont fermé, où d’autres ont pu
moderniser leurs procédés et où l’émergence des questions environne-
mentales a contraint les autorités à appliquer les lois sur les installations
classées avec plus de rigueur 6.
Les habitants de Decazeville et Viviez, pour une bonne part des
immigrés européens venus par vagues successives 7, ont certainement
été parmi les premiers touchés par les effets de la pollution, à la fois dans
les usines et leurs maisons. Le sujet n’est cependant abordé qu’avec
beaucoup de réticences. La place centrale occupée par les différentes
usines, parce qu’elles pourvoyaient des emplois convoités et des services
sociaux autour desquels s’organisait la vie de toute une communauté,
les restructurations successives qui ont vu alterner des périodes d’emploi
avec d’autres plus dramatiques où le chômage poussait les ouvriers à
accepter les tâches les plus pénibles, l’absence de législation adéquate 8,
tout cela a très longtemps bloqué l’émergence de revendications rela-
tives à l’impact des pollutions sur l’environnement et la santé. D’une
manière générale les syndicats eux-mêmes se sont rarement saisis de ces
questions 9. L’installation de populations déracinées n’ayant pas non
plus connu l’état antérieur du territoire a constitué un facteur limitant
supplémentaire 10.
Aujourd’hui, alors que les problèmes d’environnement sont en grande
partie reconnus comme problèmes publics et, à ce titre, inscrits à
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l’agenda politique, la question de la pollution y est toujours aussi peu
débattue. La crainte de mettre en péril les emplois maintenus après la
fermeture des Houillères et la restriction des activités autour du zinc est
régulièrement ravivée. Pourtant, les anecdotes sont nombreuses qui
disent les effets de la pollution : le linge qu’il ne fallait pas étendre les
jours de pluie sous peine de le voir trouer par les gouttes, la chaux distri-
buée par les responsables de Vieille-Montagne aux personnes possédant
un jardin pour réduire l’acidité des sols, l’air parfois irrespirable, les
châtaigneraies et les vignes qui ont dépéri. Sans qu’il soit besoin de les
vérifier, la simple circulation de ces histoires atteste à la fois la connais-
sance des nuisances et de certains des risques associés, mais aussi une
certaine forme de résignation de la part des populations dont on peut
penser qu’elles les subissaient sans pouvoir vraiment s’y opposer.
Le silence des autorités qui ont identifié le problème à partir des
années 1970, alors qu’était lancé le premier plan « Lot, rivière claire », à
la suite de deux rapports du Bureau d’études géologiques et minières et
de l’Agence de bassin Adour-Garonne, n’a pas non plus favorisé l’émer-
gence de revendications. Longtemps, aucune information scientifique
8 Gérard NOIRIEL, Les Ouvriers dans la société française, XIXe-XXe siècles, Seuil, Paris, 2002.
9 Denis Duclos, « Classe ouvrière et environnement. Les travailleurs et l’impact de l’acti-
vité industrielle sur les milieux naturels et urbains », Sociologie du travail, (3), 1980,
p. 324-345 ; Christoph BERNHARDT et Geneviève MASSARD-GUILBAUD (dir.), Le Démon
moderne. La pollution dans les sociétés urbaines et industrielles d’Europe, Presses de l’univer-
sité Blaise-Pascal, Clermont-Ferrand, 2002.
10 Karl POLANYI, La Grande Transformation. Aux origines politiques et économiques de notre
temps, Gallimard, Paris, 1983. Simone WEIL, L’Enracinement, Gallimard, Paris, 1949.
Christelle Gramaglia et Delaine Sampaio da Silva Des mollusques pour « faire parler » les rivières ? 225
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cette dernière, le bassin industriel de Decazeville reste cependant un
point noir, notamment parce qu’on y trouve de nombreuses friches
susceptibles de relarguer des contaminants dans la rivière. Les consé-
quences des activités passées et des pollutions corrélées se feront certai-
nement sentir encore longtemps même si elles sont devenues pour la
plupart indétectables à l’œil nu, contrairement aux « teintes
rougeâtres » et aux « épais précipités crème » que les premiers scienti-
fiques dépêchés sur les lieux ont observé en même temps qu’ils notaient
la disparition de la majorité de la faune et de la flore caractéristiques des
rivières de fond de vallée. Les écotoxicologues que nous avons suivis sur
le terrain à l’automne 2008 ont eux aussi remarqué la turbidité exces-
sive de l’eau mais ils ont tenu à préciser que la situation s’était nettement
améliorée. Mis à part une acidité élevée et un faible taux d’oxygénation à
l’exutoire du site historique de Vieille-Montagne, les pollutions métal-
liques du Riou-Mort se sont faites plus discrètes, du moins se manifes-
tent-elles plus occasionnellement, selon la survenue d’événements
pluvieux ou de perturbations mécaniques. Cette disparition des
éléments visuels les plus tangibles ajoute à la difficulté des riverains à
s’indigner, même si la sensibilité aux problèmes d’environnement n’est
pas simplement corrélée à la survenue de dommages. Le Riou-Mort ne
ressemble plus à l’égout qu’il a été. Les riverains s’en félicitent en même
temps qu’ils évoquent avec nostalgie la vitalité économique antérieure
du bassin de Decazeville. L’histoire environnementale des lieux n’a tout
simplement pas encore été écrite et ne pourra sans doute l’être véritable-
ment tant que d’autres points de vue n’auront été pris en compte, en
particulier ceux des non-humains qui peuvent apporter des preuves
supplémentaires de la pollution grâce aux instruments de phonation
dont des chercheurs de l’université de Bordeaux tentent de les équiper 12.
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Ces méthodes posent par ailleurs des problèmes d’échantillonnage
puisque celui-ci doit être fait au bon moment — préférablement celui
où les effluents suspects sont rejetés dans le milieu —, ne donnant au
mieux qu’une information locale et datée et pour des polluants préala-
blement identifiés. Pour un site soumis à de multiples sources de pollu-
tion comme celui qui nous intéresse, c’est insuffisant.
Aujourd’hui, bien que la qualité de l’eau du Riou-Mort, du Lot et de
la Gironde fasse l’objet d’une surveillance régulière, il n’est pas simple
d’évaluer la toxicité effective de la centaine de tonnes de cadmium
piégée dans leurs lits respectifs ni celle que l’érosion y précipite réguliè-
rement (on y trouve aussi environ un millier de tonnes de zinc). La
contamination diffère selon que le métal est dissous ou bien lié à des
particules en suspension. Dans le premier cas, de très faibles quantités
peuvent présenter des risques importants parce que l’élément chimique
est biodisponible, c’est-à-dire immédiatement assimilable par les orga-
nismes aquatiques. Dans le second, de grandes quantités de métaux
associées à des matières en suspension grossières présentent des risques
moindres. Difficile dans ces conditions de déterminer des seuils d’inno-
cuité. Il faut sans cesse relancer l’enquête ou du moins trouver des
méthodes innovantes pour assurer un suivi en continu.
Si les premiers travaux recensés à proximité de Decazeville datent des
années 1970, décennie au cours de laquelle convergent les recherches de
12 Christelle GRAMAGLIA, « River sentinels : Finding a mouth for the Lot river », in Bruno
LATOUR et Peter WEIBEL (dir.), Making Things Public. Atmospheres of Democracy, MIT Press,
Londres, 2010, p. 478-481.
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des indications sur la qualité de l’eau. Ils ont ensuite soumis ceux-ci à de
nombreux tests, qui sont autant de questions qu’ils leur ont adressées
et qu’ils affinent encore dans des allers-retours continus entre le labora-
toire et le terrain. Car, ainsi que l’exprimait l’ancien directeur de
l’équipe, « pour faire parler une rivière, il faut mobiliser beaucoup
d’instruments et d’êtres différents » capables d’apporter des « réponses »
complémentaires sur l’état des milieux, comme pour réassembler un
collectif, ici un cours d’eau et les êtres qui le composent, que nos
pratiques ont largement contribué à désassembler 16.
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peuvent vivre jusqu’à un mois et demi sans manger » si tant est qu’on
leur assure des conditions de vie minimales, soit une eau suffisamment
oxygénée. Peu mobiles, ils s’adaptent relativement bien aux rivières arti-
ficielles du laboratoire, constituées de tuyaux en PVC, de graviers et
d’eau du robinet. Bien qu’il ne soit pas aussi court que celui des droso-
philes, le cycle de vie des Corbicula permet aux chercheurs d’observer
leur développement et leur reproduction dans un temps adapté au
rythme du laboratoire 18 . Cela en fait des animaux modèles plutôt
accommodants, « des bons candidats pour servir d’organisme sentinelle
et de laboratoire », selon les écotoxicologues. Les mollusques sont, d’une
manière générale, capables de déceler les métaux lourds qui se trouvent
dans l’eau à de très faibles doses. Les Corbicula ont de plus la particularité
d’être résistants à plusieurs contaminants à la fois (contrairement aux
moules zébrées). Sauf si la dose est létale, ils peuvent les assimiler et les
accumuler. Leur physiologie et leur mode de vie en sont affectés,
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phique sur le terrain et dans le laboratoire convoquent les Corbicula de
différentes manières dans leurs expériences. Ces organismes font l’objet
d’attentions particulières parce que leur performance dépend directe-
ment de leur survie et même de leur bien-être. Dans les conditions
simplifiées, mais très contrôlées du laboratoire, la mesure du rythme
respiratoire des Corbicula, rendue possible par la présence d’électrodes
placées sur ses valves, permet d’identifier la présence de cadmium dans
l’eau à des teneurs infinitésimales (à partir de 16 µmg/l), en quelques
heures. Cette technique se nomme valvométrie 20. L’animal, soumis à
des pollutions métalliques d’intensité variable, se referme progressive-
ment sur lui-même, limitant au minimum ses échanges avec l’exté-
rieur. Les écophysiologistes de Bordeaux les placent dans ces caissons
sensoriels pour réduire au minimum les perturbations, isoler et évaluer
celles qui les intéressent. Quand ils ne sont pas plongés dans des rivières
artificielles où les polluants peuvent être introduits à la demande, les
Corbicula sont installés dans des cages sur le terrain, soigneusement
transportés dans une glacière oxygénée par une pompe depuis
Bordeaux, puis placés par petits groupes de vingt-cinq en différents
points du Riou-Mort et du Lot. Ils sont récupérés quinze jours plus tard
par des techniciens et des doctorants qui font le trajet exprès pour les
ramener au laboratoire. Chaque groupe de Corbicula est accompagné
d’une étiquette d’identification permettant d’assigner les données qu’il
19 J.-L. RIVIÈRE, « Les animaux sentinelles », Courrier de l’Environnement, 20, 1993, p. 59-68.
20 D. TRAN, P. CIRET, A. CIUTAT, G. DURRIEU et J.-C. MASSABUAU, « Estimation of potential and
limits of bivalve closure response to detect contaminants : Application to cadmium »,
Environmental Toxicology and Chemistry, (22)4, 2003, p. 914-920.
230 La science en ses confins
pourra contribuer à produire 21. Une fois arrivés, les organismes sont
congelés ou immédiatement préparés pour une série de tests ultérieurs.
Ils sont alors pesés et disséqués. Leurs branchies, viscères et muscles sont
séparés, broyés, déshydratés ou bien passés à l’acide. Toutes ces opéra-
tions sont consignées dans un carnet de laboratoire de façon à garantir
la lisibilité des informations dont chaque entité est porteuse, mais aussi
leur traçabilité en cas de doute ultérieur 22.
Plusieurs analyses sont ensuite possibles, aux niveaux physiologique,
biomoléculaire et génétique. Dans les zones les plus contaminées,
immédiatement en aval du site de Vieille-Montagne, les écotoxico-
logues de l’équipe de Bordeaux ont ainsi montré que les Corbicula ne
survivaient pas longtemps. À mesure que l’on descend la rivière vers le
Lot, la biodisponibilité des métaux décroît et les mollusques résistent
mieux. Ils sont cependant très affectés par la pollution. Ils sont plus
petits et se reproduisent moins bien. L’analyse spectrométrique des
tissus permet de doser la quantité de zinc et de cadmium qu’ils ont filtrée
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et concentrée. D’autres mesures comme celle du taux de métallothio-
néine, une protéine de la cellule qui capte les métaux lourds afin de
protéger le mollusque, fournissent des indications supplémentaires sur
les toxiques. Sa production est en effet corrélée avec l’absorption de
métaux. Les dommages sur l’ADN peuvent être également visualisés
grâce aux images produites avec la technique de réaction en chaîne par
polymérase (PCR). La structure de certains gènes sains est alors
comparée à d’autres qui ont été exposés à la pollution, constituant des
indices supplémentaires des risques encourus. Ces différentes opéra-
tions sont réalisées à partir de mollusques prélevés jusqu’à l’entrée de
l’estuaire de la Gironde où la toxicité croît à nouveau à cause de la
présence d’eau marine salée qui provoque une réaction chimique et
libère les métaux lourds de leur prison sédimentaire par désorption.
Le rythme soutenu des campagnes de prélèvement sur le terrain
constitue un outil performant de suivi biologique et écotoxicologique.
Les Corbicula y jouent un rôle déterminant puisqu’un grand nombre
d’entre eux peut être interrogé, régulièrement, sur un réseau hydrogra-
phique étendu en combinant plusieurs méthodes. Le traitement des
données ainsi recueillies livre aux chercheurs des informations inédites
sur leur milieu et ses évolutions. Des comparaisons sont effectuées à
l’aide d’autres organismes, principalement des diatomées et des
21 Bruno LATOUR, L’Espoir de Pandore. Pour une version réaliste de l’activité scientifique, La
Découverte, Paris, 2001.
22 M. LYNCH, « Sacrifice and the transformation of the animal body into a scientific object.
Laboratory culture and ritual practice in the neurosciences », Social Studies of Science,
(18)2, 1988, p. 265-289.
Christelle Gramaglia et Delaine Sampaio da Silva Des mollusques pour « faire parler » les rivières ? 231
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Photo de Christelle Gramaglia.
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l’animal comme un médiateur ou plutôt comme un partenaire de
recherche qu’il s’agit de bien traiter. Les Corbicula doivent être protégés
de toute source de perturbation parasite pour bien travailler. Les cher-
cheurs doivent apprendre à les connaître, à anticiper leurs besoins de
manière à les enrôler efficacement dans leurs dispositifs expérimen-
taux. Il ne s’agit toutefois pas uniquement de soulager la souffrance
animale. Les soins font partie intégrante de l’agencement constitué
autour des mollusques pour les rendre « bavards ». Quand bien même
tous meurent à l’issue des expériences, leur sacrifice compte comme
travail. Il n’entame en rien leur capacité d’action qui se prolonge par-
delà de la mort. On peut même dire que cette dernière s’amplifie grâce à
l’explicitation et la mise en correspondance des assemblages qui consti-
tuent les milieux tout autant que les organismes qui les habitent.
Les Corbicula sont des organismes assez simples et même aveugles. Ils
ont un monde dont on peut dire qu’il est réduit mais duquel ils sont
capables d’extraire des signaux qui nous échappent parce qu’ils sont en
relation très étroite avec lui 26. Ils en dépendent vitalement et peuvent
dès lors nous aider à identifier ses caractéristiques, celles qui comptent
pour eux et devraient aussi compter pour nous, par extension. Leurs
compétences en la matière sont tout à fait remarquables et mériteraient
d’être valorisées comme telles. En effet, ces mollusques permettent aux
scientifiques d’abaisser les seuils de détection par rapport à tous les outils
disponibles, mais surtout de réaliser des chroniques de l’état des milieux
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