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Big four Maroc mélange des genres toléré

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ENTREPRISESMars 2021

https://economie-entreprises.com/2021/03/01/big-four-
maroc-melange-des-genres-tolere/

Les éclaboussures découlant des scandales liés aux


cabinets d’audit commencent à laisser des taches sur le
blason des acteurs de la finance. Pendant que d’autres
attendent le passage de la grosse vague, certains Etats ont
décidé de sortir le carton rouge. Décryptage.

Encore sur le banc des accusés. Depuis quelques années le nom des
quatre grands cabinets d’audit n’est pas loin des dossiers à scandale.
Deloitte, Ernst & Young (EY), KPMG et PriceWaterhouseCoopers
(PwC), britanniques ou américains, sont surnommés «les Big Four».
Ces géants de l’audit, présents dans le monde entier,
incontournables dans la sphère des multinationales et de la finance,
sont de nouveau sous le feu des projecteurs. Récemment, la faillite
de la société allemande de paiement électronique Wirecard (en juin
2020, après la découverte d’un trou de 2 milliards de dollars) fait
trembler à nouveau le secteur. Chargé de valider les comptes de
ladite société, Ernst & Young fait l’objet de plus d’une centaine de
plaintes de la part des investisseurs. Un malheur n’arrivant jamais
seul, EY est aussi mis en cause pour ne pas avoir identifié des
irrégularités comptables massives dans le groupe d’hôpitaux NMC
Health, aux Emirats arabes unis, aujourd’hui en dépôt de bilan et
dont les administrateurs le poursuivent. «Les liens incestueux qui
existent entre le métier de conseil et celui d’audit font que les
bureaux d’audit ne disent pas toute la vérité, ne parlent pas de la
réalité des entreprises qu’ils auditent et ce qui porte tort aussi bien à
l’Etat s’agissant d’impôt qu’aux actionnaires s’agissant de la
réception de leurs dividendes ou tout simplement au grand public
lorsqu’une grande entreprise tombe en faillite», souligne
l’économiste Mehdi Lahlou. Et bien qu’étant de simples comptables,
inconnus du grand public, il faut bien admettre que ces derniers
sont toujours exposés, malgré eux, à la pleine lumière. Tout avait
commencé avec l’affaire Enron, dans les années, 2000 qui avait
fondamentalement secoué le secteur de la finance. Marquant
l’ouverture du chapitre des grands scandales impliquant les géants
de l’audit, l’épisode Enron a pesé lourdement sur le destin du
cabinet d’audit Arthur Andersen (membre des «Big five»). Il fut
bouté de la sphère de l’audit, après avoir été reconnu coupable
d’avoir manipulé et dissimulé des données stratégiques pour son
client Enron.
Ce fut donc à la suite de ce tollé financier que les gouvernements
américain et européens ont décidé de prendre les choses en main en
impulsant de nouvelles normes (une batterie de réformes) de
contrôle plus drastiques afin de contenir, voire diluer les
agissements peu catholiques tirant leur substance des conflits
d’intérêts entre audit et conseil. Parmi ces nouvelles réformes
figurait l’activation de la loi Sarbanes-Oxley aux Etats-Unis et la loi
de sécurité financière (LSF) en France, qui ont imposé, par la même
occasion, une nouvelle donne législative aux cabinets d’audit, en
d’autres termes la séparation du métier d’audit de celui de conseil.
En France par exemple, l’article 104 de la LSF a interdit aux
commissaires aux comptes de cumuler les activités d’audit légal des
comptes et celles de conseil ou toute autre prestation de services
n’entrant pas dans les diligences directement liées à la mission de
commissaire aux comptes telles que définies par les normes
d’exercice professionnel, pour le compte de l’entité contrôlée ou
celles qui la contrôlent ou qui sont contrôlées par celle-ci.
Cependant, des années après, il faut reconnaître que le spectre des
affaires à scandale plane toujours au-dessus du monde de la finance
puisque dans certains pays l’heure est à la confiance, en un mot à la
responsabilité des cabinets d’audit vis-à-vis de leur déontologie. Et
du côté du Maroc, même si le secteur n’a pas encore connu de gros
scandales impliquant de gros cabinets, les conditions pouvant
susciter des conflits d’intérêts entre audit et conseil existent en
sourdine. «Nous sommes passés d’un cabinet qui faisait
pratiquement du 100% d’audit, pour aller explorer le conseil.
Aujourd’hui, on fait 70% de conseil contre 30% d’audit. Parce que
nous avions anticipé que le marché de l’audit allait baisser en termes
de prix avec plus de responsabilité. C’est comme cela que nous
avons investi le conseil, au départ sur des sujets basiques, puis sur
des sujets de niches. C’est cette approche qui nous a permis de nous
différencier en étant aujourd’hui le seul cabinet qui a une «business
unit Afrique» et qui est le plus à même des réalités du terrain pour
accompagner les entreprises dans leur développement sur le
continent. Dans la même veine, nous avons lancé une «business unit
Actuariat» il y a deux ans, et qui aujourd’hui représente 7 à 8% de
notre activité», nous confie Abdou Diop, Managing Partner de
Mazars. Notre interlocuteur a tenu à nous préciser qu’au niveau du
Maroc, tout est fait pour qu’il n’y ait pas de conflit d’intérêts.
«Aujourd’hui les choses ont beaucoup évolué depuis le scandale
Enron et d’Arthur Andersen. Cette affaire et le procès qui s’ensuivit
ont été hautement instructifs. Ils sont d’ailleurs à l’origine des
nouvelles lois et règles comptables afin de mieux encadrer dirigeants
et audits et d’assurer une meilleure transparence des comptes. Et
depuis, les régulateurs sont très alertes. Mazars Maroc est un
cabinet leader sur le secteur financier et les régulateurs bancaires
sont très vigilants sur les conflits d’intérêts. Nous tenons beaucoup à
cette notion d’indépendance et d’incompatibilité avec un dispositif
intransigeant: on ne peut pas conseiller un client dont on certifie
déjà les comptes», explique Diop. Du côté du cabinet Deloitte, un
service y est spécialement dédié. «A notre niveau, nous disposons
d’une cellule qui a pour objectif d’analyser tous les dossiers
d’incompatibilité pouvant déboucher sur des conflits d’intérêts.
Pour chaque dossier, nous faisons un «conflit-check». Et lorsque
l’équipe décèle une once de situation conflictuelle, le dossier est
automatiquement refusé», martèle Mehdi Serghini, Associé,
Deloitte Financial Advisory. Et toujours selon notre interlocuteur «il
ne faut pas mettre tout le monde dans le même panier». Pour lui,
certains cas isolés ne font pas la généralité. Malgré cela, il faut bien
admettre qu’au niveau du Maroc la ligne qui sépare le métier de
l’audit de celui du conseil demeure un peu floue.
Audit et conseil, à l’épreuve de la cohabitation
Aujourd’hui comme dans d’autres pays avant, la Grande-Bretagne
par le biais de son régulateur financier (Financial Reporting
Council) a ordonné récemment aux différents cabinets de séparer
concrètement leurs activités de conseil de celles de l’audit. Ils (PwC,
Deloitte, KPMG et EY) ont donc jusqu’à juin 2024 pour l’appliquer.
«Toutes les tentatives dans un certain nombre de pays – je pense ici
à ce qui est en train d’être fait en Grande-Bretagne – pour faire en
sorte qu’il y ait une déconnexion entre les bureaux de conseil et ceux
d’audit, est une bonne chose», soutient Lahlou.
Dans les détails, la décision en 22 points rendue par le FRC
n’interdit pas aux grands cabinets de fournir des prestations de
conseil aux entreprises dont ils sont chargés de vérifier les comptes.
Mais ils doivent les isoler en termes de fonctionnement pour éviter
les conflits d’intérêts: les divisions où elles seront logées devront
avoir des comptes distincts faisant clairement apparaître leurs
profits ou leurs pertes, et être surveillées par un conseil
d’administration dédié. La rémunération des associés des cabinets
devra être en ligne avec les profits générés par les activités d’audit,
et non plus les dépasser de manière persistante en dépendant
comme aujourd’hui de subventions croisées persistantes venant du
reste de l’entreprise. Et il faut dire que l’enjeu serait d’éviter que les
organes de conseil ne viennent influencer voire altérer le jugement
des auditeurs. Du côté du Maroc, l’économiste Lahlou va plus loin
en appelant à une séparation totale. «Il faudrait que les bureaux de
conseil soient nécessairement déconnectés de ceux d’audit,
qu’aucune entreprise qui fait du conseil ne soit autorisée à faire de
l’audit et qu’aucune entreprise qui fait de l’audit ne soit également
autorisée à faire du conseil. Dans tous les cas de figure, il faudrait
absolument éviter, ce qui est souvent le cas dans notre pays le
Maroc, qu’une entreprise soit autorisée à faire du conseil au profit
d’une entreprise publique ou privée et soit également la même
entreprise qui est autorisée à faire de l’audit», déclare Lahlou. Et
d’ajouter: «Parce que dans ce cas-là, il y a nécessairement conflit
d’intérêts puisque l’entreprise de conseil étant responsable parfois
des résultats de l’entreprise qu’elle aura à auditer et bien
évidemment, elle ne peut avoir qu’un avis subjectif et pourrait tenter
au moment de l’audit de cacher certaines réalités, de réaliser
certaines prévarications ou de provoquer un certain nombre
d’erreurs voulues et volontaires dans la détermination de la
situation exacte de la société sous audit». Aujourd’hui, certains pays,
après avoir fait l’expérience de scandale découlant des conflits
d’intérêts entre audit et conseil, ont décidé d’aller vers un système
plus verrouillé et plus enclin à jouer un rôle préventif face à cette
problématique qui peut parfois avoir des incidences économiques
graves (faillite d’entreprise, chômage…). Il est vrai que jusqu’à
présent, le Maroc n’a pas connu de conflit ou scandale du genre,
mais jusqu’à quand le mur de la confiance résistera-t-il? En
attendant, la célèbre citation du poète persan Mocharrafoddin Saadi
est très révélatrice: «Tirez la leçon des malheurs des autres, afin que
les autres n’aient pas à tirer la leçon de vos malheurs».

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