EAN : 979-10-210-1880-8
Quel étrange cortège ils font, lui, Pâris et ses disciplinaires *4, ce
19 novembre 1904. Telle une armée d’errants, leur troupe se dirige
lentement vers le bas quartier, jonché de limon et de décombres. À deux pas
de chez Isabelle, c’était la place du marché investie, aux heures heureuses,
par la foule bigarrée des marchands et des troupeaux. Mais aujourd’hui, ils
traversent les ténèbres. Plus un habitant à des centaines de mètres à la
ronde ; de la boue mêlée de pierres jusqu’à l’horizon.
Deux pièces seulement pour cette maison des plus rudimentaires dont le
toit s’est en partie affaissé. À l’intérieur, la boue, à peine séchée à la
surface, regorge de débris. Il faut donc éviter d’y enfoncer les pieds trop
brutalement. Chaque mouvement compte. Chaque pas. Comme projeté dans
un film au ralenti, les fortes têtes pénètrent l’antre. Sous l’œil sévère de leur
lieutenant, avec la précision de chirurgiens, ils extraient un à un les
morceaux de bois, de détritus, d’objets brisés. Tout travail doit faire l’objet
de la plus stricte attention… Les doigts doivent devenir gracieux, légers.
Les corps aériens. Ici, ce n’est pas le sang qu’on réclame mais la très douce
sensation de la feuille roulée, peut-être pliée voire déchirée dans le magma
de la boue. Les voilà donc, les terreurs de la société, empêtrés dans la vase
et s’acharnant à retrouver ce qui se révélera parmi les plus belles pages de
notre littérature. C’est qu’ils l’aimaient, leur Si Mahmoud ! Alors, jour
après jour, on y retourne, traversant le même pont de fortune, la même ville
fantôme, et l’on s’y colle parce qu’à force, ça vire à l’obsession,
cette histoire de manuscrit.
Quand, toutefois, cela fait six jours qu’on n’a rien trouvé d’autre qu’un
simple carnet de notes, hélas fort abîmé, on commence à perdre espoir.
Enfin le 27 novembre 1904, c’est le triomphe ! Après huit jours à
piétiner dans les vases, le précieux manuscrit du Sud-Oranais est retrouvé.
Les hommes se passent les pages maculées de boue comme on se passerait
le Graal.
Quelques mois plus tard, Dans l’ombre chaude de l’islam *5 est publié.
Lyautey, ému, reçoit deux exemplaires. « Nous nous étions bien compris,
cette pauvre Mahmoud et moi, et je garde toujours le souvenir exquis de
nos causeries du soir. Elle était ce qui m’attire le plus au monde : une
réfractaire. Trouver quelqu’un qui est vraiment soi, qui est hors de tout
préjugé, de toute inféodation, de tout cliché, et qui passe à travers la vie
aussi libéré de tout que l’oiseau dans l’espace, quel régal ! Je l’aimais pour
ce qu’elle était et pour ce qu’elle n’était pas. J’aimais ce prodigieux
tempérament d’artiste, et aussi tout ce qui en elle faisait tressauter les
notaires, les caporaux, les mandarins de tout poil ! Pauvre Mahmoud 8 ! »
Après un rude voyage, le couple Moerder arrête son choix sur une petite
pension de famille située dans la commune de Châtelard, non loin de
Montreux. Dans ce cadre idyllique où les enfants gambadent à leur aise, le
sénateur en vient à oublier les conseils des médecins qui, en plus d’un grand
repos pour madame, ont préconisé une totale abstinence.
C’est ainsi qu’à peine arrivée, Natalia de Moerder tombe enceinte.
Comment va-t-elle faire quand son mari la quittera ? Car le sénateur doit
partir. Sa « mise en congé du Sénat d’État par autorisation du souverain 3 »
prend fin dès ce mois de septembre 1871.
– J’ai chargé Monsieur Trofimovsky de vous aider, Natalia. Vous
pouvez compter sur lui.
*1. Révolte des décembristes : Le 14 décembre 1825, des officiers de l’armée tsariste mènent un
coup d’État afin de mettre en place une constitution dans le pays. Le grand-duc Nicolas décide de
réprimer ce soulèvement. De nombreux officiers seront condamnés à mort ou exilés.
*2. Les moujiks (« petits hommes ») étaient des paysans – serfs appartenant soit au tsar, soit au
seigneur.
*3. Oukase : édit du tsar.
CHAPITRE II
« Le maître et l’idéal »
Rares sont les petites filles de cette fin du XIXe siècle qui reçoivent une
éducation aussi singulière que celle à laquelle aura droit Isabelle Eberhardt.
En acquérant la Villa neuve, c’est le meilleur des idées de Tolstoï, de
Godin, d’Owen, d’Herzen, de Bakounine ou encore de Kropotkine et de
Belinsky que Trofimovsky va pouvoir mettre enfin en pratique. D’avance, il
exulte.
Certes, entre une mère souffrante qui passe son temps à lire des romans
sur les princes russes, les deux aînés qui ne jurent que par leur père et sa
fidélité au tsar, les trois derniers enfin qui ne connaissent rien des injustices
de ce monde, il a du pain sur la planche. Mais il réussira et ce sera là son
œuvre : une communauté idéale digne d’un phalanstère à la Fourier, d’un
familistère à la Godin où, pas à pas, il amènera chacun à se libérer du joug
des forces dominantes – États, Églises, armées – pour devenir les hommes
de demain. Car Trofimovsky est un rousseauiste convaincu ; pour lui,
l’homme est bon par nature et c’est à la seule corruption des élites au
pouvoir, au seul maintien par la force de leurs lois injustes qu’on doit tous
les problèmes de violence et de débauche de la société. Dans un monde où
nul ne serait plus asservi ou méprisé, prisons, tribunaux et forces de l’ordre
n’auraient plus lieu d’être. Mais pour en arriver là, chacun doit pouvoir
bénéficier de la meilleure éducation. Non pas dans l’une de ces écoles
d’État où, partout, comme le constate Tolstoï, « on fait l’apprentissage de la
servitude 1 », mais dans des écoles dont la seule méthode d’instruction serait
l’expérience, et dont l’unique objectif serait la liberté de la personne, car
« c’est sur elle, et seulement sur elle, que peut se former la volonté réelle du
peuple 2 », ainsi que l’affirme Herzen *1, autre maître de Trofimovsky…
Faire de la Villa neuve une nouvelle école et créer ici l’utopie de
demain devient son obsession qui, par-delà les échecs et les naufrages, ne le
quittera plus.
Avec lui, les enfants doivent se montrer curieux de tout. Herzen ne
revendique-t-il pas un système complet d’éducation générale où les sciences
naturelles, les mathématiques, la littérature, l’histoire, la géographie, la
philosophie et les langues étrangères font partie du programme ? S’inspirant
de son maître Tolstoï, Trofimovsky ajoute à cela l’apprentissage des travaux
manuels, car l’homme de demain doit être parfaitement autonome. Voilà
donc, tous les après-midi, les enfants, bêche en main, cultivant le jardin, ou
encore munis d’outils, apprenant à scier, coudre, raboter, consolider sans
aucune distinction entre les sexes. Selon les préceptes les plus avancés du
siècle, filles et garçons – en termes d’instruction – sont mis sur un plan
d’égalité. Tel Tolstoï qui, dans son école d’Iasnaïa Poliana, « a le respect de
la nature, de la liberté, des exigences physiques de l’enfant », Trofimovsky
« ne veut en rien contrarier le caractère des enfants, donner de limites à leur
personnalité, gêner par une entrave, si légère soit-elle, leur volonté peut-être
indécise, peut-être irréfléchie, mais réelle cependant » 3.
Vaste et difficile programme. Car si Tolstoï expérimentait ses nouvelles
idées sur des fils de serfs illettrés, Alexandre les expérimente sur des
enfants de la noblesse.
Ahuris par les nouveaux principes de leur maître, scandalisés par cette
volonté qu’il a de les voir bêcher la terre – eux, les fils du sénateur Pavel
Karlovitch de Moerder ! –, pire encore, nettoyer les sols ou ressemeler leurs
chaussures, les aînés renâclent et se rebiffent. Comment ne pas imaginer
leur sentiment de révolte face à ce marginal qui, toujours en hommage à son
maître Tolstoï, ne se coupe plus les cheveux et s’habille en vagabond ? Si
leur père était là, il remettrait de l’ordre et s’occuperait d’Isabelle, leur
demi-sœur habillée en garçon qui grandit en liberté comme un rejeton
sauvage. Il faut la voir danser « comme un petit animal farouche dans les
allées du jardin. Nature indomptée, sans contrôle, et sans entrave, elle
accomplit du matin au soir ses mille volontés. Sa fantaisie ne connaît
aucune loi 4 ». Mais leur père est mort, et même si, ces derniers mois, leur
mère fait l’effort de sortir plus souvent de sa chambre, elle va encore bien
mal. Toutefois, elle s’occupe enfin de leur sœur.
Quand la petite tombe malade, Natalia en profite pour la garder auprès
d’elle. Elle lui décrit la beauté de la Russie, ce pays de steppes où, un jour,
elle l’amènera, des superbes forêts, des églises surmontées de bulbes
dorées. Dans l’intimité de la chambre, elle lui lit des passages du dernier
livre de Lydia Paschkoff qui sait si bien décrire ce monde d’où elle vient :
« La princesse Vera, accompagnée de son mari, fit une entrée à sensation.
Elle était vêtue d’une robe en crêpe blanc couverte de dentelles. Sur sa tête
brillait un croissant en diamants ; à son cou et sur ses épaules, un
magnifique collier de perles orientales ruisselait jusqu’à sa ceinture. Ses
beaux cheveux blonds, se déroulant en boucles épaisses, l’entouraient
comme d’un nimbe d’or. C’était une apparition ravissante, qui produisit une
profonde impression sur toute l’assistance 5. » Cette Vera, c’est un peu elle,
Natalia à vingt ans, avec son vieux mari, et si Isabelle, encore trop petite, ne
peut précisément se figurer la douleur de sa maman, elle en épouse la
nostalgie. Comme elle les aime, ces livres ! À leur contact, sa mère retrouve
un si beau sourire.
Parfois, alors qu’elles se sont endormies l’une contre l’autre, la porte de
la chambre s’ouvre sur les deux aînés hors d’eux. Trofimovsky, qu’ils
refusent d’appeler Vava *2, les a encore obligés à effectuer toutes sortes de
travaux salissants et déshonorants. L’aînée, en pleurs, supplie sa mère de
l’envoyer dans une vraie école pour jeunes filles à Genève tandis que
Nicolas menace de partir. Oubliant tout de ses principes de non-violence et
de liberté, Vava, à la moindre contestation de leur part, leur inflige des
punitions terribles. De plus, il s’acharne à leur inculquer des idées
progressistes parfaitement contraires à leur « sang ». Sans parler de cette vie
de prisonniers qu’il leur impose et qui leur a fait perdre la plupart de leurs
camarades.
Face aux larmes silencieuses de leur mère, les adolescents promettent
une fois de plus de faire un effort. « Il y a, dans cette atmosphère de la villa,
des inharmonies, un déséquilibre, un laisser-aller qui, selon eux, ne peuvent
aboutir qu’à un désastre 6. »
Mais comment faire changer de cap un maître qui, dès qu’on lui résiste,
se met dans des rages terribles ? Contre Isabelle et Augustin, jamais : ils
aiment tant les livres, ces deux-là. Quant à Vladimir, que tous surnomment
Volodia, c’est sa passion des plantes qui le sauve. Une passion qu’il partage
si pleinement avec Trofimovsky que ce dernier lui passe tout. Il faut les
voir, tous les deux, à genoux dans les serres, s’occupant des myriades de
cactus et d’orchidées qu’Alexandre fait livrer chaque semaine du monde
entier. Tant de dépenses inutiles alors que la maison, à peine meublée,
semble bien vide aux quelques visiteurs qui daignent encore passer. Pas
étonnant qu’avec une telle éducation, Volodia fasse preuve d’un caractère
de plus en plus changeant. S’il passe de l’exaltation à l’humeur la plus
sombre, cela ne tient qu’au désordre qui règne ici. Et si, jusqu’à présent,
Isabelle et Augustin ne présentent aucun symptôme alarmant, qu’en sera-t-il
demain ? Comment cette petite fille qui se vêt en garçon et grimpe aux
arbres, ne passera-t-elle pas, aux yeux de la société, pour la pire des
sauvageonnes ? Et comment Augustin va-t-il savoir se débrouiller dans le
monde si on ne lui donne pas l’occasion de se sociabiliser avec ses pairs ?
Encore une fois, Natalia, tremblante, les rassure comme elle peut. En les
embrassant. En leur murmurant des mots doux et tendres.
Du haut de ses six ans, le monde, pour elle, se résume à cet immense
parc « parmi les noisetiers, les sorbiers, les houx tristes qui avaient formé
une brousse inextricable, sous les arbres de haute futaie, les chênes
puissants, les tilleuls élancés, les bouleaux délicats à troncs blancs […]. »
C’était là, écrira-t-elle encore, « qu’elle avait vécu les meilleures heures de
son enfance en d’indicibles rêveries » 8.
De la ville et de ses foules, elle ne sait presque rien et c’est à peine si
elle a entendu parler des bonnes manières. Apprendre qu’en dehors de la
Villa neuve, les petites filles n’ont pas le droit de se pendre aux branches
des arbres et que les garçons « bien nés » ne savent pas plus coudre que
scier du bois l’aurait proprement stupéfaite. Entre les rêveries pleines
d’idéal de Vava et l’extraordinaire mélancolie de sa mère, entre les livres de
poésie et de voyages qu’elle ne se lasse pas de découvrir, la vie lui semble
en tout point aussi magique que celle décrite dans les contes qu’elle dévore.
Le 24 mai 1883, épuisé par les conflits, Nicolas fugue et s’engage pour
cinq ans dans la Légion étrangère.
À la Villa neuve, les soirées sont bien tristes. Délaissant Trofimovsky et
ses enfants, Natalia s’enferme dans sa chambre. Voilà deux fils que le destin
lui arrache, après l’avoir séparée de deux de ses filles. Pour ne pas sombrer,
Trofimovsky passe le plus clair de son temps dans ses serres avec Volodia
tandis que, là-haut, dans sa chambre, Natalia, dix-huit ans, s’avère
inconsolable.
Malgré son jeune âge, Isabelle sent bien qu’avec le départ de ce grand
frère, quelque chose de la magie du monde s’est fissuré. À table, plus
personne n’a le droit de prononcer le nom du fugueur, et encore moins celui
du pays où il est parti. Un si beau nom pourtant, et qui prête à tant de rêves.
À l’ombre des grands sapins du jardin, Augustin confie à sa petite sœur
qu’il s’en ira un jour en Algérie lui aussi, car là-bas, les déserts de sable
sont pareils à des mers d’or. Isabelle boit ses paroles et se prend à rêver
avec lui à ce pays interdit.
*1. Alexandre Ivanovitch Herzen (1812-1870) : philosophe, écrivain, essayiste. Il est considéré
comme le père du socialisme russe.
*2. Surnom d’Alexandre Trofimovsky.
*3. Rédigés en 1880 : Daliekoïe i niedavnieie, Moskva, 1930.
CHAPITRE IV
« L’amour du frère »
Six belles années se passent où, chaque jour, avec l’attention d’une
mère, Isabelle couve Augustin, en échange de quoi, il lui raconte les mille
histoires terribles de toutes les filles qu’il a connues. Il aime tant l’épater, sa
sœur ! Très vite pourtant, c’est elle qui l’éblouit. Elle, la petite sœur de
santé fragile et qui, mois après mois, croît en puissance, en volonté et en
audace. Cette intelligence qu’elle a. Cette ardeur. Quelle fille étonnante.
Fille, vraiment ? « Dans la cour, raconte un visiteur de passage à la Villa
neuve, se tenait un jeune garçon en train de fendre du bois. Grand, bien
découplé, il paraissait âgé de seize ans. Figure ronde, un peu pleine lune,
visage imberbe, cheveux noirs. C’était Isabelle Eberhardt. Mais je ne m’en
doutais nullement, au premier abord.
– Vous avez vu ma fille ? me dit Trofimowsky. Elle s’habille en homme,
c’est plus commode pour descendre en ville.
Père et fille ! Couple extraordinaire : intelligent, instruit, farouchement
ennemi de toute discipline 3. »
Qu’importe, pour Augustin, qu’on prenne sa sœur pour un garçon, et
même tant mieux. Avec une fille – une vraie –, oserait-il seulement le quart
de ses confidences ? Et la laisserait-il s’endormir contre lui ainsi qu’il le fait
de plus en plus souvent ? Aussi étrange que cela paraisse, c’est un peu
comme s’ils étaient deux frères. Couple qui ne se sépare plus et ne vit que
l’un pour l’autre.
Les voici donc enfermés dans leur tour d’ivoire, n’arrêtant plus de lire
et de rêver. Sous l’influence de Trofimovsky qui tient à ce qu’ils apprennent
tout des injustices et des misères du monde, ils dévorent les romans de Zola,
Hugo, Tolstoï, Dostoïevski, mais aussi le journal de Marie Bashkirtseff si
proche des Journaliers à venir d’Isabelle, les essais de Rousseau, les livres
de Daudet, de Chateaubriand, ainsi que Les Fleurs du mal de Baudelaire, et
même ses Curiosités esthétiques. À la Villa neuve, la liste des ouvrages
achetés à mesdemoiselles Bernard et Joliet, au kiosque de la place du
Molard, n’en finit pas. On y trouve les Histoires extraordinaires d’Edgar
Poe, Les Aventures de Gordon Pym ainsi qu’Axel, un drame en prose
inachevé d’Auguste de Villiers de L’Isle-Adam, Mes paradis et La Mer de
Richepin, Cosmopolis de Paul Bourget, et enfin toute une série de
dictionnaires et d’œuvres sur les langues kabyle et arabe 4. Pas un jour sans
qu’Isabelle et Augustin ne dévorent des centaines de pages. C’est à celui
qui lira le premier son passage favori, qui incarnera devant l’autre tel
personnage merveilleux ou terrifiant. Là-haut, sous les toits de la Villa
neuve, les deux enfants terribles se déguisent et s’inventent. Plus le monde
des adultes, en bas, s’effondre – la maladie de leur mère, les mouchards à
leur porte, l’obsession « botanique » de Vava –, plus le leur, imaginaire,
s’agrandit. Leurs prénoms bientôt ne leur suffisent plus ; ils s’en créent des
dizaines. Mériem ou Nadia, c’est Isabelle en femme arabe, sublime de
sensualité et de mystère ; Nicolas Podolinsky, c’est l’audace et la magie du
frère aîné parti sur un coup de tête s’engager dans la Légion étrangère à
Sidi-bel-Abbès, en Algérie. Tant de solitude et de vide autour d’eux. Alors,
rêver l’un contre l’autre, face au ciel étoilé. S’offrir, emplis d’espoir, toutes
les vies et les futurs possibles en se jurant de ne jamais se quitter.
Coup du hasard, la mode est à l’Orientalisme. Fascinés par les
descriptions des pays qu’ils lisent, ils se projettent dans un monde de
harems, de bains turcs, de sultans et d’esclaves.
Quand Isabelle tombe sur Le Roman d’un spahi *1 de Pierre Loti, c’est la
révélation. Jour et nuit, elle relit le livre, en apprend des pages entières par
cœur. Quitter tel Jean Peyral, le héros, un beau matin, son village natal,
partir en Afrique à la découverte du tout autre en quête de la splendeur de
l’Islam et des immenses amours… « Le soleil s’éteignait dans des vapeurs
sanglantes, et alors tout ce peuple noir se jetait la face contre terre pour la
prière du soir. C’était l’heure sainte de l’Islam ; depuis La Mecque jusqu’à
la côte saharienne, le nom de Mahomet, répété de bouche en bouche, passait
comme un souffle mystérieux sur l’Afrique ; il s’obscurcissait peu à peu à
travers le Soudan et venait mourir là, sur ces lèvres noires, au bord de la
grande mer agitée 5. »
– Le voilà, notre futur, souffle-t-elle à Augustin, et le voilà, notre Dieu.
Jean Peyral, c’est moi, c’est toi, c’est nous deux, « au plus loin de cette
société hypocrite des hommes 6 » qui nous hait, moi, la bâtarde, toi,
l’immoral. Là-bas, en cette terre d’Islam où la route nous appelle, je te jure
Augustin, loin de tous ces moralisants, nous serons aimés et heureux.
Puis vient la lecture d’Aziyadé 7, un nouveau choc pour Isabelle, âgée de
dix-sept ans en 1894. Au fil des pages, ses sens si longtemps refoulés
explosent. « Je passais ces nuits à l’attendre, à attendre ce moment très
court quelquefois, où je pouvais toucher ses bras à travers les terribles
barreaux, et embrasser dans l’obscurité ses mains blanches, ornées de
bagues d’Orient 8. » Chaque mot la traverse. Aux côtés d’Augustin qui sait
reconnaître l’émoi d’une femme, elle lit, tremblante. Dans la pénombre, ils
se regardent sans oser le moindre geste, puis reprennent leur souffle et se
remettent à lire. Plus les mots fusent, plus le feu les embrase. « Tu es mon
Dieu, mon frère, mon ami, mon amant ; quand tu seras parti, ce sera fini
Aziyadé ; ses yeux seront fermés, Aziyadé sera morte 9. » Sous Isabelle, la
terre se dérobe. Femme… Comment avait-elle pu oublier qu’elle l’était ?
Elle s’arrête de lire, regarde fixement son frère qui trouve la force de bondir
hors du lit, de murmurer un « il ne faut pas » juste avant de claquer la porte
derrière lui. Femme, elle ne veut surtout pas l’être. Ou plutôt si, mais pour
quel homme autre que lui, l’aimé, le frère, le tout ?
Peu après, le 9 juillet 1894, Augustin quitte à nouveau la maison.
Tombé amoureux fou de Madeleine, la tenancière du kiosque où il achète
ses livres, et dans l’impossibilité matérielle de répondre à sa demande de
s’installer au Canada, Augustin, « fou de désespoir 10 » décide de
s’embarquer pour l’Afrique. Prévenue à temps, la jeune fille le rattrape à
Marseille où elle le supplie de faire demi-tour. Mais il fait montre d’un tel
chagrin qu’elle accepte de l’accompagner en Corse, le temps qu’il se
remette. Au même moment, une lettre signée par un certain monsieur
David, photographe à Blida (Algérie) et son épouse parvient à la Villa
neuve. Le couple annonce son arrivée prochaine à Genève où il espère
grandement voir Augustin avec lequel, écrit-il, il correspond depuis des
mois.
Augustin projetait donc de s’installer en Algérie ! À la Villa neuve,
l’état de Natalia de Moerder est tel qu’on ne cherche même plus à
s’interroger.
C’est alors que débarquent les David. Terriblement déçus de ne pas
trouver Augustin et affligés de l’état de détresse dans lequel ils trouvent sa
mère, ils envoient au « fugueur » une lettre en Corse, le pressant de rentrer
au plus vite. Mais Augustin ne pense plus qu’à une chose : partir. Madeleine
envoie à sa cousine un courrier dans lequel elle raconte combien tous deux
souffrent de cet état d’indécision et d’attente. « Augustin a écrit à son tuteur
une longue lettre dans laquelle il lui expose nos projets au Canada, tout ce
qu’il pense et espère de lui. Nous attendons la réponse pour partir 11… »
La réponse ne viendra pas et, faute d’argent, les deux fugitifs se verront
contraints de revenir. Jamais plus, à la Villa neuve, on ne reparlera de cette
idée de colonisation outre-Atlantique ; pas davantage de la jeune
Madeleine. La fin de cet amour et de ce projet marque, pour Augustin, la fin
des grands espoirs. Dans son cœur, quelque chose se referme. Mais Isabelle
ne veut rien voir. Sitôt qu’il reparaît, elle l’entraîne dans la chambre comme
si de rien n’était.
– Eugène Fromentin, tu connais ? Il faut absolument que tu le lises, ses
pages sur l’Algérie sont merveilleuses.
Augustin se contente de hausser les épaules. À quoi bon rêver à des
pays où ils n’iront jamais ?
– Jamais ? Pourquoi jamais ?
– Avec quel argent ?
– Avec celui que nous allons gagner, Augustin. Nous allons écrire et
nous faire publier. Devenir des écrivains !
En travaillant d’arrache-pied, en envoyant leurs textes aux meilleures
revues, ils pourraient être publiés et peut-être devenir célèbres. Dès lors,
fini les médisances, les filatures, fini la vie de prisonnier, exit aussi Vava et
son caractère impossible. Ils pourront traverser le désert à leur guise, et
même s’adonner à cet islam qui les attire tant. Car ce peuple, là-bas,
« possède une vraie grandeur. Il la possède seul, parce que, seul au milieu
des civilisés, il est demeuré simple dans sa vie, dans ses mœurs, dans ses
voyages 12 ». Acculé, Augustin, cède. Comment contrer pareil
enthousiasme ?
*1. Spahi : soldat d’unité de cavalerie appartenant à l’armée d’Afrique qui dépendait de l’armée de
terre française.
CHAPITRE V
« Écrire ! »
*1. Dans ces années, le mouvement Jeunes Turcs défendait tous les peuples opprimés par le sultan
Hamid II, Arméniens compris. Ce n’est que plus tard – au nom de l’avènement d’un État turc
homogène – que ses chefs planifièrent le génocide du peuple arménien.
*2. Gourbi : maison sommaire.
*3. Tirailleurs : fantassins faisant partie des unités légères de l’infanterie.
*4. « Hiver comme été, de près ou de loin, tant que je vivrai et au-delà. »
CHAPITRE VI
« L’appel de la Route »
Per fas et nefas, « ce qui est permis et ce qui ne l’est pas », tel est le
titre de la troisième nouvelle à laquelle s’attaque Isabelle en ce début
d’année tumultueux de 1896. Par le biais d’une lettre officielle, elle vient
d’apprendre qu’Augustin, pour des raisons de santé, a été réformé de la
Légion étrangère, qu’il sera probablement de retour d’ici la fin du mois de
février. Dans quel état va-t-elle le trouver ? Après moult discussions, elle a
accepté que Schwartz révèle à Vava la toxicomanie d’Augustin, mais
l’entretien vire au désastre. Refusant de le croire, Vava le met à la porte en
l’insultant.
À la Villa neuve, Isabelle se sent plus seule que jamais. Personne ne
veut entendre la déplorable vérité. Pour Natalia, penser que son dernier fils
ait aussi mal tourné est insoutenable, quant à Vava, accepter un tel échec
reviendrait pour lui à admettre le naufrage de son « phalanstère » et de ses
idées nouvelles.
Per fas et nefas naît dans cette période mouvementée durant laquelle
Isabelle prend conscience de combien son frère est différent d’elle. Malgré
tout son amour, il lui échappe… Ne l’a-t-elle pas dorloté ? Cajolé ? Durant
ces jours de désespoir et de colère, elle lui fait ses adieux… en écrivant.
Dans une chambre d’hôpital, Michel Lebédinsky, son héros, agonise. Il
supplie son médecin, mademoiselle Podolinsky – le narrateur – de faire
venir à son chevet un certain Stélianos Synodinos, étudiant en droit. Sans
soupçonner la nature du lien qui unit les deux hommes, cette dernière
assiste, stupéfaite, à leurs adieux. « Ce fut un enlacement violent, une
étreinte passionnée sans un cri, sans un mot. Puis, dans le grand silence
lourd du soir qui achevait de tomber, j’entendis les sanglots déchirants de
Synodinos 1. »
Explosion des tabous dans ces pages, à commencer par la figure de cette
jeune femme russe devenue médecin, fait peu commun en cette Europe de
fin de siècle. Puis, dans un crescendo, l’image de ces deux hommes qui
s’aiment passionnément, donnant à voir l’homosexualité sous un jour dénué
de tout jugement. Tabou des âges enfin car l’étudiant est jeune et son amant
plus vieux. Mais qu’importent ces scandales : « En face de la Mort, toutes
nos théories morales ne se réduisent-elles pas à néant 2 ? » Il faut donc
embrasser puis mourir. Étreindre puis tout quitter. Seulement mourir,
Isabelle ne le désire pas encore. Alors elle écrit cette nouvelle et c’est
comme mettre un point final à ce fol amour entre elle et son frère.
« Avez-vous aimé ? lui demande le personnage de sa nouvelle.
– Oui, répond-elle.
– Entièrement ? insiste-t-il.
– Comment, entièrement ?
– Autrement que platoniquement ? Tenez, cela se voit à vos yeux… et si
ce n’était pas, vous ne sembleriez pas si jeune.
– Oui, fait-elle, vous avez deviné juste 3. »
À quoi bon avec ce frère qui, depuis son retour, boit continuellement de
l’absinthe pure, passant par les humeurs les plus sombres ou devenant fou
furieux au point que plus un jour ne se passe à la maison sans qu’il ne
provoque des scènes terribles.
Oublier Augustin donc, s’en éloigner, mais comment trouver le courage
de prendre une telle décision ? Car, durant toutes ces années, ils ont marché
main dans la main, les yeux fermés, tout au bord de l’abîme. Et quelle
délicieuse sensation d’ivresse que cet amour interdit. Quelle prise de risque
vertigineuse. Comment, dès lors, se résoudre à retomber dans la vie
ordinaire ? Avec Schwartz, elle a bien essayé, et puis quelle déception en
fin de compte.
Bien sûr, il y a le milieu des Jeunes Turcs. Ces derniers temps toutefois,
leurs dissensions internes la lassent, sans compter que le bel Archavir n’est
plus là. Or, Isabelle est une adolescente de dix-neuf ans qui, après des
années de vie cloîtrée, a une soif irrépressible d’action. Elle n’a pas le
temps de se perdre dans des discussions qui, pour la plupart, n’aboutissent à
rien. Agir, donner sens à sa vie, bouger ! Mais vers qui se tourner, dans
cette Genève de fin de siècle pour vivre un tel frisson ? Les Russes, bien
sûr. Ceux qu’elle a promis à sa mère de ne jamais fréquenter. L’envie est
trop forte cette fois, tant pis pour les promesses. N’est-il pas temps aussi
pour elle d’affronter cette question des origines qui commence à très
sérieusement la titiller ? Elle aimerait tant être reconnue par la famille de sa
mère. Se frayer une place parmi ces Russes, c’est un peu comme se faire
accepter par ceux qui, depuis sa naissance, là-bas, à Saint-Pétersbourg, la
rejettent.
C’est ainsi qu’Isabelle, habillée en marin, coiffée d’un bonnet rouge,
fait son apparition dans le quartier de la Petite Russie, la Karoujka, à
Genève. Avec ses frères et sœurs russes, c’est le coup de foudre immédiat.
La plupart, comme Vava, rêvent à un monde meilleur, se réclamant de
Kropotkine, de Bakounine ou encore de Tolstoï, prônant ici un
communisme libertaire, là un anarchisme individualiste, ou encore un
anarcho-syndicalisme avec une fougue et une passion qui la séduisent dans
l’instant. Parmi eux, elle découvre les nihilistes qui l’éblouissent.
Se revendiquer comme tel en 1896 n’a rien à voir avec le nihilisme
philosophique d’un Schopenhauer ou d’un Nietzsche, et encore moins avec
celui d’aujourd’hui. Depuis la première moitié des années 1860, ce
mouvement désigne en Russie moins une idéologie qu’une attitude
principalement contestataire. Ainsi une fille nihiliste porte-t-elle des
cheveux courts, des lunettes bleues et une cape à la Garibaldi, les garçons,
eux, des cheveux longs et des bottes. Une telle excentricité vestimentaire a
de quoi charmer Isabelle. Jeunes, comme elles, ses nouveaux amis sont
pour la plupart issus de cette petite et moyenne noblesse qui, suite à
l’affranchissement des serfs en 1861, s’est trouvée d’un coup appauvrie.
Mais ce qui, aux yeux d’Isabelle, les lui rend si proches, c’est la guerre
ouverte qu’ils font à toutes les conventions sociales, ne recherchant pour
eux-mêmes que la sincérité la plus absolue. Dans la droite ligne des idées
de Vava, ils rejettent ainsi toute forme d’autorité, allant même jusqu’à
rejeter celle de leurs parents. Forts de cette intransigeance, ils dénient toute
valeur à l’esprit romantique – si à la mode pourtant – qui n’aboutit, selon
eux, qu’à asservir plus encore la femme. Or celle-ci, à l’égal de l’homme
doit à tout prix atteindre l’indépendance, tant sur le plan intellectuel que sur
le plan sexuel. Pour accéder à une telle liberté, une seule solution : le
mariage blanc. Cette idée, ils la tirent de leur livre de chevet Que faire ? de
Nicolaï Gavrilovitch Tchernychevsky, dont la parution a fait scandale. De
quoi déconcerter Isabelle au point de lui faire momentanément oublier tous
ses soucis avec son frère. À leurs côtés, elle découvre La Nihiliste de Sofia
Kovalevskaïa, un livre qui la marque considérablement et dont l’héroïne,
Véra, accomplit l’« exploit *1 » en décidant de suivre un condamné jusqu’en
Sibérie où, très certainement, à ses côtés, elle trouvera la mort. Cette voie
du martyre ne peut qu’exalter Isabelle. Quoi de plus beau que d’agir de la
sorte ? Quoi de plus noble et de plus absolu ?
Un jour, une fille très discrète, petite et frêle, l’aborde avec un doux
sourire :
– Je viens d’arriver pour terminer mes études médicales et suis sans
aucune ressource. On m’a dit que, comme secrétaire du comité, vous
pourriez vous occuper de me trouver un logement 7.
Dans ce petit monde fermé des étudiants russes, le devoir social de
l’aide mutuelle est une obligation incontournable, et c’est l’une de leurs
règles qui séduit le plus Isabelle. Aussi, ce jour-là, promet-elle à cette
compatriote de l’aider. Cette jeune fille va rapidement devenir sa plus
grande amie. Le parcours de Véra a de quoi l’éblouir. Fille de simple
marchand et native d’un de ces villages où l’école primaire n’existe pas,
Véra – fait si rare pour l’époque – est parvenue à s’instruire par elle-même.
À peine âgée de vingt ans, elle décide de traverser toute la Russie à pied
pour atteindre cette Suisse où, lui avait-on raconté, même en étant une
femme, on pouvait devenir médecin. Il faut imaginer l’impression que le
récit de son périple fait sur Isabelle. La fatigue, la faim, l’isolement,
transcendés par la foi de Véra qui, chaque jour, la poussait à se remettre en
marche. Comme Isabelle se sent enfant gâtée en écoutant les souffrances
endurées par son amie qui n’a qu’un but : devenir médecin pour servir
l’humanité 8. Isabelle est si impressionnée qu’elle va faire de Véra le
personnage principal de sa nouvelle Doctorat. Au prix d’immenses
sacrifices, une jeune étudiante en médecine est sur le point de passer son
doctorat quand la maladie la rattrape et la tue à quelques jours de l’examen.
Au contact de ses nouveaux amis russes, Isabelle se met à lire des
sociologues « non ceux aimés des repus, mais ceux qui protestent contre le
mal et qu’on appelle les anarchistes 9 ». Elle se jette également sur toutes les
revues à caractère littéraire et libertaire, dont la Revue blanche qui vient
d’élire Félix Fénéon comme secrétaire de rédaction, La Vie algérienne, La
Revue rouge. Durant ces mois d’ébullition, elle affirme ses velléités
d’écriture. Le 23 avril, J. Manin, le directeur de la Nouvelle Revue moderne,
lui confirme par courrier la parution prochaine de Per fas et nefas 10. Une
nouvelle victoire. En juin, J. Bonneval, directeur de la revue L’Athénée, se
dit heureux de la compter au nombre de ses collaborateurs. Dans la même
période, elle adresse un courrier au professeur Vassili Maslenikov, ami de
longue date de Vava, lui priant de présenter ses traductions de quelques
poèmes de Pouchkine à son ami, l’éminent baron Rosen, membre de
l’Académie impériale. Grâce à ce coup de pouce, Isabelle recevra, quelques
mois plus tard, une longue lettre du maître, dans laquelle ce dernier l’incite
à persévérer. De quoi être stimulée. Au mois de juillet, J. Manin signe son
courrier : « votre dévoué confrère Manin 11 ».
Confrère ! Aucun mot ne peut faire plus plaisir à Isabelle.
Fin décembre, Isabelle envoie une lettre au cheikh Abou Naddara, lui
confiant qu’il lui « serait très agréable d’avoir une correspondante instruite
et intelligente parmi mes sœurs d’Orient 20 ». À la mode de Loti, elle y joint
un portrait d’elle habillée en marin.
Tout plutôt que de se laisser dévorer par la solitude et l’angoisse qui
l’étreignent si fort depuis que son frère lui a tourné le dos et a disparu sur
cette route.
*1. Chez les nihilistes, cet exploit (povdig en russe) s’entendait au sens religieux d’exploit ou
d’avancement spirituel.
*2. Khédive (mot persan signifiant « seigneur », ou « vice-roi ») titre héréditaire accordé en 1867 par
le gouvernement ottoman au pacha d’Égypte, à l’époque Ismaïl Pacha.
*3. Brodiagas : repris de justice évadés de Sibérie.
*4. Simon Iakovlévitch Nadson fut emporté par la maladie à l’âge de vingt-quatre ans. Isabelle lui
vouait un culte.
*5. Tarbouche : couvre-chef masculin en feutre, souvent rouge, en forme de cône.
*6. Bône, Annaba, ville côtière d’Algérie.
*7. Mufti : interprète officiel de la loi musulmane. Il est intéressant de noter que Cécile David évoque
une demande émanant à la fois d’Isabelle et de sa mère. Isabelle, semble-t-il, n’est donc pas la seule à
s’intéresser à l’islam.
CHAPITRE VII
« Révélations africaines »
Des trente et une heures de traversée entre Marseille et Bône, pas une
ligne, pas une page. On imagine Isabelle accoudée au bastingage, rêvant
« en une mélancolie résignée, à l’insondable mystère des lendemains et des
aboutissements, à ces choses fuyantes qui environnent et régissent les
destinées 2 ».
Enfin, dans le lointain, au pied du massif de l’Edough culminant à
1 008 mètres d’altitude, coincée au fond d’une large baie, la blanche
Annaba *1 sertie d’un prestigieux décor de collines et de vallons verdoyants.
Fondée en 1295 avant J.-C., elle est l’une des plus anciennes cités
d’Algérie, connue, autrefois, sous les noms successifs d’Ubon, d’Hippo
Regius, d’Hippone, de Bouna… À l’époque où Isabelle la découvre, la ville
compte environ 38 000 habitants dont 25 500 Européens, 11 000 indigènes
et 1 500 Juifs [sic] 3. Elle est essentiellement réputée pour être, après Alger
et Oran, l’un des ports les plus importants du pays, appréciée également
pour la qualité de son bétail, la richesse de ses minerais de phosphates, de
fer, de zinc et de cuivre.
Sur le pont, les passagers se bousculent pour découvrir les charmes de
la ville fortifiée et de son port. Fait exceptionnel pour le mois de mai, la
chaleur est accablante. Tout à côté d’Isabelle, une femme se plaint que
jamais elle ne pourra supporter cela, quand une autre manque de se trouver
mal. Isabelle voudrait, elle, se prosterner, face contre terre, tant la sensation
de brûlure qui la pénètre est à la fois jouissive et violente. Ce vertige,
comme il lui plaît ! Comme il la défie !
Mais quelle déception lorsque Natalia de Moerder et Isabelle
découvrent la maison Carrus du 10 de la rue Moreau dont les David leur
avaient dit tant de bien. D’après un dessin d’Isabelle 4, on peut s’en faire
une idée bien précise. Une maison de plain-pied, sans étage, et dont toutes
les pièces sont desservies par le même sinistre couloir. Dans la cuisine, un
simple lavoir, et nulle salle d’eau. Quant à la soi-disant fort belle cave,
Isabelle, sur son dessin, la surnomme « grotte », c’est dire ! La maison
manque cruellement de charme, comme d’ailleurs toutes celles de ce
quartier européen qui, sur des centaines de mètres, ont été construites quasi
à l’identique. Pas un arbre, pas le moindre bazar. Seules des rues rectilignes
où l’on ne croise que des Français qui, tous, honnissent les Arabes.
Une seconde déception attend Isabelle. Eugène Letord, son
correspondant, n’est pas venu l’accueillir. Au dernier moment, il a été
envoyé à El Abioh, dans le Sahara, en qualité d’adjoint de 1re classe aux
Affaires indigènes pour mater les Ouled Sidi Cheikh qui s’opposent à la
présence française.
Sous l’œil plus que méfiant de Mme Vallette, leur voisine de palier,
Vava installe comme il peut dans la maison les quelques meubles que
Natalia a décidé d’emporter avec elle.
Chaque jour, les David pointent leur nez. « Surtout, ne faites confiance
à aucun Arabe, tous des voleurs, et si paresseux avec ça ! Si vous cherchez
une bonne, on vous trouvera une Portugaise et si vous souhaitez acheter
d’autres meubles, sonnez-nous, nous avons de bonnes adresses, mais rien
chez les indigènes ou chez les Juifs ! » Isabelle les écoute, effarée. Sont-ce
les mêmes David qui, avec tant d’enthousiasme, lui vantaient à Genève la
beauté de l’Algérie ? Les Européens ici parlent des autochtones avec le
même mépris…
Fort heureusement, Vava lui a trouvé un bon professeur d’arabe : un
certain Si Mohammed El Khoudja ben Abdallah Hamidi qui travaille
comme oukil *2 judiciaire à la mahakma *3 du cadi. Charmé par les manières
du garçon, soufflé par son courage – il s’est donné tout seul son
instruction –, Vava l’a amené à la maison. L’histoire de son père tué au
combat en Allemagne en 1871, sa culture et l’excellence de son français
impressionnent si fort Isabelle et Natalia qu’au moment de se dire au revoir
– à la russe ! –, elles l’adoptent comme frère et fils. Le jeune homme
promet à Trofimovsky, qui doit repartir à Genève, de venir tous les jours
donner ses leçons, et de veiller sur Natalia comme sur sa propre mère.
Durant les trois jours qu’ils passent ensemble, Ali lui confie le spleen
qui souvent le submerge. Isabelle, elle, le désespoir qui la ronge quand elle
ne trouve plus l’énergie d’écrire. Au fil des conversations, tous deux se
découvrent la même attirance pour l’islam. Isabelle parle de son amour pour
les Arabes, « ce peuple qui, inch’Allah, sera un jour son peuple à elle 11 ».
Elle lui raconte ses déguisements en homme, sa soif de liberté, sa recherche
de Dieu, son désir de tout apprendre, tout voir. Médusé, Ali écoute sa
nouvelle amie. Lui, qui a toujours été un garçon si inquiet des convenances,
est proprement fasciné par l’audace de cette fille. Quand vient l’heure de la
prière, c’est au tour d’Isabelle de le regarder béatement. Ce qu’elle peut le
trouver beau, à se prosterner sans honte devant elle, et comme, à cet instant,
elle voudrait pouvoir tout lui dire de cette passion qui la dévore. Elle se sent
si perdue et aurait tant besoin d’être conseillée. La veille du départ, elle ose
enfin. Estomaqué par la teneur de la confidence, Ali en reste muet. Rien
dans son éducation ne l’a préparé à répondre à un pareil aveu, qui plus est
de la bouche d’une jeune fille ! Il n’a pas rêvé pourtant. Qui donc est cette
fille qui parle huit langues, s’habille en garçon, cherche Dieu et ose avouer
avoir perdu sa virginité pour un homme qui la rend folle ?
À peine arrivé à Tunis et encore sous le choc de cette rencontre, Ali
reçoit une longue lettre d’Isabelle qui le remercie de lui avoir rendu
courage. « Certes, maintenant, aux heures de tristesse et de découragement,
c’est à vous que je m’adresserai, car je crois avoir trouvé en vous un cœur
vraiment fraternel et très apte à sentir la douleur d’un autre cœur […]. De
même, ajoute-t-elle, sachez que quand vous aurez du chagrin vous pourrez
toujours tout dire à votre ami slave qui comprend toute souffrance humaine
par expérience 12. »
Trois lettres fleuve se succèdent entre le 12 août et le 10 septembre
1897. Trois lettres qui en disent plus long sur Isabelle que tout ce qu’elle a
pu écrire sur elle jusqu’ici. Trois lettres d’une sincérité absolue – dignes en
cela d’une vraie « nihiliste » – et dans lesquelles elle cherche à se mettre le
plus à nu possible, tant pour se faire comprendre du mieux qu’elle peut par
Ali que pour mieux se connaître elle-même. Tout y passe : les douleurs et
les joies de son enfance, les abandons successifs des aînés, la détresse de
Vava et de sa mère, les fugues à répétition d’Augustin, la découverte de la
drogue dans sa chambre, ses tentatives infructueuses pour le sauver, son
« je-m’en-foutisme à la Diogène, cause de ses continuelles blagues et
agaceries 13 ». Dans ces pages, elle aborde ses combats intérieurs : sa soif de
liberté contrariée par l’explosion de ses sens, son désir de Dieu affaibli par
son absence de ferveur, son ambition d’écrire freinée par son esprit oisif.
Comment a-t-elle pu devenir l’esclave « d’un homme aussi despotique
et violent qui pense qu’une femme n’est bonne qu’à lui servir
d’amusement 14 » ? Sans jamais verser dans la mièvrerie, Isabelle se confie
avec une loyauté qui confine au scandale : « Mon bon, mon cher Ali,
pardonnez-moi ma faiblesse : quand vous aurez été ensorcelé vous-même,
vous verrez ce que c’est – je me suis aperçue avec une vraie tristesse, hier
au soir, tandis qu’il me causait en cette langue arabe que j’adore, sans savoir
pourquoi – que je l’aime toujours et que, peut-être, après toutes les douleurs
qu’il m’a occasionnées déjà, je serais assez folle pour l’écouter encore 15. »
Au fil des lettres qu’elle lui adresse, Isabelle retrouve peu à peu
contenance. Quelle joie c’est pour elle de lui en faire part. Une joie presque
amoureuse face à laquelle Ali se perd lui-même. Mon chéri, lui écrit-elle en
arabe, mon frère, mon bien-aimé, mon ami, mon confident… Comment,
face à tant de tendresse, garder la tête froide ? Ici, elle signe Mériem, là,
Podol, et là encore, Podolinsky. Explosion des révélations, des identités, des
pensées les plus intimes, des secrets.
Abasourdi par une telle propension à s’analyser – à se perdre aussi ! –,
Ali répond du mieux qu’il peut en invoquant le recours à la raison, au
travail, à la prière. « Je vous avouerai que le seul remède, c’est-à-dire le
plus radical que j’ai pu trouver pour ma maladie morale a été cette ferveur
islamique. Et depuis cette merveilleuse découverte […] deux bases
s’imposèrent irrésistiblement, deux bases que vous aviez citées dans votre
lettre – impassibilité qui se traduit par une pleine conviction à la fatalité –
indifférence ou résignation, mektoub [en arabe] autrement dit 16. » En lisant
Isabelle, il lui arrive parfois d’avoir besoin de reprendre souffle tant son
impudeur le sidère. Presque malgré lui, il se prend à rêver d’elle car
comment résister à un tel déluge de compliments ? Isabelle, joue-t-elle de
lui sciemment ? Sans doute, et de la même manière qu’avec Augustin,
tantôt le réclamant jusqu’à frôler la limite, tantôt le repoussant en jouant
l’indifférence. Car pour elle, Ali, c’est Augustin, le frère de substitution, le
double : seul être humain, lors de cet été 1897, capable de supporter,
d’aimer « la prodigieuse mobilité de sa nature, l’instabilité vraiment
désolante de ses états d’esprit qui se succèdent les uns aux autres avec une
rapidité inouïe 17 ».
Le 22 août, Isabelle lui confie s’être enfin remise à écrire grâce à ses si
bons conseils. « Le principal maintenant est de travailler et ne point se
laisser aller à la douce et mortelle fainéantise à laquelle, hélas, je ne suis
déjà que trop portée. Et, si même, dans cette lutte contre moi-même et
contre un enjôleur dangereux je venais à succomber, cela ne m’empêchera
pas de continuer opiniâtrement et sans faiblir l’œuvre commencée il y a
deux ans 18. » Dans ces lignes, elle parle de son roman À la dérive *4 dont le
titre pourrait être Histoire d’une âme 19. À la même période, J. Bonneval, le
directeur de L’Athénée, lui demande de modifier sa nouvelle Déserteur qui
n’a pas trouvé grâce devant le comité « à cause des mots trop crus 20 ».
Par-delà les crises et les conflits avec Khoudja, la voilà donc à nouveau
en action. « J’écris parce que j’aime le processus de création littéraire.
J’écris comme j’aime parce que telle est ma destinée, probablement. Et
c’est ma seule vraie consolation 21. » C’est également durant cette période
qu’elle se rapproche de plus en plus de l’islam. Dans sa lettre du 28 août,
elle révèle en effet à Ali qu’elle a « commencé à être musulmane ».
Face à la puissance de l’écriture et à l’appel de Dieu, l’obsession
« Khoudja » perd du terrain. Dorénavant, elle part régulièrement écouter
Hassène, le mueddin, proclamer très haut la gloire de l’Éternel. Pour la
première fois, elle franchit le seuil de la zaouïa *5 du cheikh Abderrhamène.
« Cependant, pendant longtemps, en l’épouvantable lutte qui déchirait mon
âme plongée dans les ténèbres, j’allais à la mosquée en dilettante, presque
impie, en esthète avide de sensations délicates et rares… Et pourtant, dès
les commencements extrêmes de ma vie arabe, la splendeur incomparable
du Dieu de l’Islam m’éblouit, m’attira en un ineffable désir de pénétrer mon
être de la grande lumière douce issue de l’âpre et magnifique désert 22. »
Rien n’est simple dans ce chemin de conversion et Isabelle se pose mille
questions. En tant que femme, devra-t-elle, comme les musulmanes, se
voiler et vivre cloîtrée ? N’y a-t-il pas plus de mérites à pratiquer la pureté
et l’action sans vivre cachée de la sorte 23 ? Et après tout ce qu’elle a vécu
avec Khoudja, peut-elle encore décemment prétendre à Dieu ? Oui, écrit-
elle sans attendre la réponse d’Ali, car enfin « si mon sacrifice fait à cet
homme en toute conscience est une faute, il n’est point un déshonneur.
C’est peut-être un grand malheur pour moi, mais ce n’est certes pas une
action honteuse 24 ». On a peine à imaginer la tête d’Ali à la lecture de ces
mots. Comment, en même temps, ne pas être fasciné par cet aplomb ? De
toutes les façons, Ali n’a pas le choix : soit il la suit, soit il la perd.
Un soir, Isabelle vient écouter le chant du mueddin. « Et, soudain,
comme touchée d’une grâce divine, en une absolue sincérité, je sentis une
exaltation sans nom emporter mon âme vers les régions ignorées de
l’extase 25. » Pour la première fois de sa vie, Isabelle expérimente Dieu.
« En cette heure bénie, les doutes étaient morts et oubliés. Je n’étais plus
seul en face de la splendeur triste des Mondes 26. » Le moment ne dure
qu’un instant. Elle ne va cependant jamais l’oublier. Elle comprend enfin
dans sa chair ce que cache ce mot Foi si souvent désiré, interrogé. Et
comme c’est merveilleux soudain de se prosterner face à l’Éternel, les yeux
baignés de larmes. Le Doute n’existe plus, la Mort n’existe plus. TOUT
s’ouvre en elle et devant elle. Et quand bien même l’extase qu’elle vient de
vivre n’est peut-être « qu’un leurre arraché à la douleur, une illusion
salutaire au mal de l’âme », qu’importe ! « Dans le tourbillon vertigineux
des vies et des morts, dans notre suprême détresse, pourquoi et au nom de
qui repousser et dissiper les brumes enchantées du Rêve, ultime consolation
du plus infortuné des êtres 27 ? »
Après une telle expérience, tout devient limpide. Elle balance aux David
leurs quatre vérités et rompt avec Khoudja.
Le 15 octobre 1897, Isabelle et Natalia emménagent dans une petite
maison de la vieille ville arabe. Dans ce nouveau quartier populaire, tous les
voisins les adoptent : M. Mikalev, le vendeur de semoule, Fathoum, la
vieille Arabe qui vend des petits poissons frits, Sousno et Kouno, les deux
femmes juives, Smaïn, le patron du café kabyle, Cassi, le Sarde, cafetier lui
aussi et vendeur de légumes, Mme Hernandez, la sage-femme.
Aussi rustique soit-elle, la maison Pailhès n’en demeure pas moins
charmante et Isabelle s’y sent tout de suite bien. Sa nouvelle chambre donne
sur une très jolie cour intérieure où vit la propriétaire, une brave femme. On
trouve même une terrasse sur le toit, d’où l’on peut voir une partie de la
ville et, comble du luxe, leur maison est dotée d’une salle de bains
commune aux commodités indépendantes.
« Mektoub ! »
*1. Nicolas s’en est pris très violemment à Volodia avant le suicide de ce dernier.
*2. Mechveret : journal fondé en 1895 à Paris en langues française et turque qui s’est surtout fait
connaître par ses critiques acerbes contre l’Empire turc.
*3. Osmanli : journal d’opposition au sultan Hamid II.
*4. Tract émanant du comité central macédonien, qui a circulé lors de ces mois de printemps 1898
dans les facultés de Genève, et qui avait pour titre : « Appel aux Amis de la Liberté ».
CHAPITRE X
« L’éblouissement »
Une fois de plus, après ce nouveau deuil, Isabelle s’appuie sur l’un de
ses personnages pour parler de sa douleur. Ici Andreï, dans sa nouvelle
L’Anarchiste. « Le vieil homme souriant et doux, le modeste savant ignoré
qui lui avait appris à aimer ce qui était beau, à être pitoyable et fraternel à
toute souffrance […] n’était plus… Et Andreï se sentit tout seul et tout
meurtri, au milieu des hommes qu’il sentait hostiles ou indifférents […].
Puis, se posa ce problème troublant : que deviendrait-il ? Alors, Andreï se
souvint de sa vie dans le Sud et il la regretta. Et il songea : “Pourquoi ne pas
retourner là-bas, libre pour toujours 1 ?” »
Andreï : Isabelle, bien sûr, et qui, aussitôt après l’enterrement de Vava,
décide de rejoindre Ali à Tunis 2. Sur la question d’argent, les Samuel sont
formels : avec ce qu’Alexandre Trofimovsky leur a légué à elle et son frère,
ils n’ont plus aucun souci à se faire. Un vrai bol d’air pour Isabelle qui peut
enfin s’acquitter de ses dettes auprès d’Ali et dépenser à son aise.
Au matin de son départ de Genève, le 4 juin 1899, elle décide d’aller
saluer une dernière fois les tombes de Vava et de son frère Volodia. Sur un
tombeau voisin, une épitaphe attire son regard.
Gia non si deve a te doglia ni pianto
Chi si muori nel mondo nel ciel renasci *1 .
Ces deux vers, Isabelle les interprète comme un signe envoyé du ciel.
Un signe qui lui donne, ce jour-là, la force de se relever et de tout quitter.
*1. « Déjà, on ne te doit plus ni pleurs ni douleurs / Qui meurt au monde, dans le ciel renaît. »
*2. Roumi : Blanc, Européen.
*3. Village nègre : expression colonialiste de l’époque pour désigner les quartiers populaires qu’il ne
fallait surtout pas confondre avec les quartiers dits « européens ».
*4. Prisonniers sur la route, Pages d’islam, Fasquelle, 1920.
*5. Tell algérien (colline, tertre, hauteur), représente le Nord de l’Algérie.
*6. Ouled-Nail : ce mot désigne initialement une tribu d’origine arabe puis, plus généralement des
danseuses prostituées.
*7. Agha : chef.
*8. Bordj : lieu fortifié et isolé.
*9. Les bataillons d’infanterie légère d’Afrique (BILA), connus sous les surnoms de Bat’ d’Af’ et de
Joyeux, étaient des unités relevant de l’armée d’Afrique. Ils regroupaient des militaires libérés ou
sanctionnés durant leur service.
*10. Sebkha : lac salé souvent asséché.
*11. Ibadisme : dernier rameau de la troisième branche (bien méconnue !) de l’islam : le kharijisme,
fondée moins de cinquante ans après la mort du Prophète.
*12. Choura : conseil.
*13. Nadha : mouvement (égyptien au départ) de renaissance arabe moderne, à la fois littéraire,
politique, culturel et religieux qui repose sur les principes de la raison et de la démocratie.
CHAPITRE XI
« Isabelle – Si Mahmoud »
Pour s’y rendre, ils prennent un train qui s’arrête à Monastir puis à
Kasr-Heller où, au crépuscule, les maisons très blanches semblent prendre
feu. Alors qu’ils traversent Seyada, Si Elaraby part d’un éclat de rire :
« Celui qui, une fois, respire l’air salé de la mer à Seyada et le parfum
capiteux de ses filles, en oublie le sol natal 16. » Cette camaraderie
d’homme, ce qu’Isabelle peut l’aimer ! Nulle mièvrerie ici, et à l’inverse de
l’Occident, un contact de tous les instants où, entre frères, on se donne
l’accolade et on se tient la main. Lorsqu’elle arrive à Moknine, tout spleen a
disparu. Dans la vieille ville, Isabelle passe des heures de rêve, aux sons des
instruments et des chants de jadis 17. Puis, à nouveau, ils repartent. À
Sid ‘Enn’eidjà, premier hameau d’Amira, Si Elaraby lui demande d’être son
greffier.
Au fond d’une petite cour, assis à même une natte, ils reçoivent le
cheikh du village. Tous les anciens de la tribu l’accompagnent. Sur un ton
larmoyant, le vieillard tente d’expliquer qu’ils n’ont plus rien.
« Tu n’as ni maison, ni jardin, ni rien ?
D’un geste de résignation noble, le Bédouin lève la main :
– Elhal-hal Allah *5 !
– Va-t’en sur la file de gauche 18. »
Demain, les spahis feront emprisonner ceux qui ne peuvent rien payer.
Quant aux autres, sous les cris de détresse de leurs femmes et de leurs filles,
ils se voient contraints de donner les derniers biens qu’il leur reste : là, une
poule, là une chèvre, une brebis, un panier.
Pendant près de trois semaines, Isabelle essuie avec Si Elaraby
l’hostilité croissante des tribus. Le soir venu, son camarade, le cœur serré,
confesse devant le ciel sa honte, mais qu’y peut-il si le pouvoir est aussi
rapace ? À leur vue, au hameau de Chrahel, une ramasseuse de figues vide
violemment son panier à leurs pieds : « La malédiction de Dieu soit sur
vous ! Vous venez pour nous prendre notre bien 19 ! » Au moment où un
spahi s’apprête à la corriger, Si Elaraby l’arrête d’un geste. Ne serait-il pas
fou de rage, lui aussi, si on lui confisquait ses biens ? La nuit venue, le cœur
plein de tristesse, il écoute, aux côtés de Mahmoud, les mélopées d’un
berger. Dans le ciel, ce sont des milliards d’étoiles, et partout alentour, un
paysage sans fin.
Si, durant ce périple, les scandaleuses injustices auxquelles Isabelle
assiste l’affectent profondément, elle éprouve en même temps dans ce pays
« la sensation délicieuse de liberté et de bien-être 20 ». Délivrée de toute
attache, elle respire peut-être pour la première fois depuis la mort des siens.
Jamais, par ailleurs, elle ne s’est sentie aussi « écrivain » : avec une
discipline qui lui est nouvelle, elle prend le temps, chaque jour, de relater
les faits et les gestes de chacun. À l’instar de Fromentin, parti douze ans
auparavant une année dans le Sahel, elle écrit « ses souvenirs, comme on
plante un arbre, afin de demeurer de près ou de loin enraciné dans sa terre
d’adoption 21 ».
L’écriture. Dernier lien capable de réunifier ces deux parts si
dissemblables d’elle-même : d’un côté, l’Isabelle cloîtrée de l’enfance, de
l’autre, le Si Mahmoud aventurier et mystique du désert.
Un matin, après une course effrénée, elle arrive avec Si Elaraby au
douar *6 des Hadjedj, constitué d’une centaine de gourbi et de tentes basses
sur une colline arrondie. Pas un arbre, pas une herbe. En s’approchant, ils
comprennent rapidement qu’un incident a eu lieu. Discutant par groupes ou
accroupis, les hommes du village se démènent tandis qu’au milieu du
douar, les femmes, enveloppées de voiles bleus ou rouges, se lamentent
autour d’un haïk *7 noir, gluant de sang qui recouvre un cadavre. C’est leur
frère, Hamza ben Barek, qui a été tué par Aly ben Hafidh d’un coup de
matraque, et tous veulent dès à présent le venger. « Les gestes et les cris
sont d’une violence inouïe et les faces anguleuses des maigres Hadjedj
deviennent effrayantes 22. » Leur cheikh tente de les calmer, mais seules les
menaces des spahis et des deïra *8 parviennent à les contenir. Trois jours de
discussions pour les convaincre de laisser la caravane repartir avec le
prisonnier vivant. Sur le chemin, la mère de ce dernier émerge tout à coup.
En pleurs, elle le supplie d’avouer : « Si tu as tué, pour que Dieu ait pitié de
nous et de toi, et pour que l’Ouzara *9 ne soit point impitoyable, avoue ! »
Alors, le très jeune garçon se met à pleurer et murmure tout bas son aveu.
Partout, parmi les cavaliers arabes, la nouvelle est accueillie par un cri joie :
« Il a avoué ! Il a avoué ! » Et dès lors, toute haine retombe pour faire place
à la plus profonde des pitiés 23.
Dans la petite chambre qu’ils lui allouent, elle se met à écrire à tous
ceux qu’elle a laissés : au khalifa de Monastir, à un certain Ahmed Chérif
de Tunis, à Ali enfin, qu’elle ne peut se résoudre à oublier, et avec lequel
elle veut croire qu’un avenir reste possible. Grâce au registre de sa
correspondance 1, on découvre qu’elle a rédigé pas moins de quinze lettres
le 13 octobre, dont deux à la Banque d’escompte de Moscou. Est-ce pour
répondre aux actions intentées par les enfants légitimes d’Alexandre
Trofimovsky ? Pour se défendre des accusations de son frère Nicolas ? Le
même jour, elle écrit une nouvelle missive à Ali. Elle se sent si à l’étroit
face à ce couple qui ne rêve que de vie sage et ordonnée. Que ne donnerait-
elle pas pour se retrouver face à l’immensité du désert. « Nostalgies !
Nostalgies éparses dans Marseille, égarées comme de grands oiseaux qui
vont repartir, qui se posent seulement 2 ! » À peine a-t-elle fini son courrier
à Ali qu’elle s’empresse d’écrire à Toulat : ramener tous les hommes aimés
dans la chambre, leur corps, leur passion pour elle. Mais cela ne suffit pas,
et Isabelle écrit à Abd el Aziz croisé un an plus tôt au bar de la Marine.
Faute d’adresse, elle n’hésite pas à lui envoyer sa missive chez Mohammed
Rachid, son ex de Tunis encore fou amoureux d’elle, et c’est à se demander
à quel jeu cruel elle se livre.
Si Isabelle a désiré tous ces hommes, elle ne les a jamais autant aimés
qu’Augustin, son frère, cet amour interdit. Dans chacune de ces relations,
quelque chose lui a manqué : quelque chose qu’elle ne connaît pas encore,
qu’elle désire pourtant de toute son âme. Mais où vivre cet absolu ? Et
comment ? N’a-t-elle pas commis une folie en tournant le dos à l’Afrique ?
Le même jour, elle rédige plusieurs courriers *1 qu’elle adresse au consul
des États-Unis, au consul de Russie de Genève et à un avocat de Marseille.
Elle envoie également une lettre recommandée à Page, le secrétaire de
rédaction de L’Athénée, sans doute pour lui faire parvenir ses nouvelles
Amira et Un automne dans le Sahel.
Les semaines passent, Isabelle tourne en rond dans sa chambre. À qui
parler maintenant qu’Augustin joue aux petits-bourgeois ? Elle pense alors
à Véra, son amie russe de Genève, à sa foi si belle en un monde meilleur. A-
t-elle passé ses examens de médecine avec succès ? Et si elle lui demandait
de venir la rejoindre ? Il suffirait pour cela de lui envoyer un mandat. Véra,
ravie, accepte aussitôt.
Le matin de son arrivée, Isabelle ne tient pas en place quand, à la porte,
un visiteur la réclame. Intriguée, Isabelle fait face à un certain Jules
Delahaye, âgé d’une quarantaine d’années, fort bien mis, qui lui tend sa
carte de visite : « Archiviste paléographe, ancien député, ancien directeur du
Journal d’Indre-et-Loire ». Un homme important donc, et qui vient peut-
être lui réclamer des textes. Mais Delahaye secoue la tête. S’il est ici, c’est
pour lui parler du marquis de Morès, cet homme extraordinaire, retrouvé
mort, il y a quelques années, dans le Sud de l’Algérie. Peut-elle lui
consacrer quelques instants ? Il a fait plus de mille kilomètres pour venir la
trouver. Flattée, Isabelle le fait entrer. L’homme n’est pas dénué de charmes.
Avec une fougue qui la séduit instantanément, Jules Delahaye commence
par lui résumer la vie du marquis : son mariage, en 1882, avec la jeune
Médora, leur départ en Amérique, leur vie de cow-boys dans le Dakota, leur
désir de fonder une ville là-bas, de contrer le monopole du beef trust, le
million de dollars qu’ils perdent dans cette affaire, leur installation en
Indochine, les cinq lignes de chemin de fer qu’ils tentent de faire construire
jusqu’en Chine, les millions qu’ils perdent à nouveau dans ce projet
pharaonique, la décision du marquis, sitôt son retour en France, d’entrer en
politique, sa lutte en Algérie pour asseoir la souveraineté de la France
contre celle de l’Angleterre, son projet de créer une alliance franco-
islamique et d’atteindre le Soudan en vue de contrecarrer l’influence des
Anglais, l’attaque enfin qu’il essuie à l’aube du 6 juin 1896 et où,
trois heures durant, après avoir été blessé d’un coup de sabre, il oppose une
résistance héroïque à ses assaillants avant de trouver la mort 3. Le cœur
d’Isabelle bat à tout rompre. Et elle qui tourne en rond dans ce petit
appartement en se demandant ce qu’elle veut faire. La voilà, la vie de rêve.
Si elle pouvait partir dans l’instant ! Delahaye la fixe, sourire aux lèvres.
– Voilà trois ans que sa pauvre veuve dépense sans compter pour faire
juger les coupables, mais il faudrait quelqu’un de la trempe du marquis pour
résoudre une telle affaire.
Isabelle tressaille. Serait-ce à elle qu’il pense ?
Durant tout ce discours, Delahaye se garde bien de lui révéler combien
Morès haïssait les Juifs. N’est-ce pas la principale raison qui poussa
l’aventurier à contrer ceux qu’il appelait « les bouchers juifs de Chicago »,
et n’est-ce pas cette seule motivation – chasser les Juifs ! – qui l’incita à
entrer en politique ? Aux côtés de son ami Drumont, auteur du triste best-
seller La France juive *2 et éditeur de La Libre parole 4, journal antisémite *3
par excellence, il fut de ceux qui s’opposèrent le plus violemment à la
révision du procès de Dreyfus, et encore de ceux qui, face à la publication
du décret Crémieux *4, hurlèrent au « complot juif ». S’il avait débarqué en
Algérie, c’était surtout pour réveiller les consciences antisémites, faire
hurler la foule des « À bas les Juifs ! » encourager le peuple à voter Max
Régis *5 à la mairie d’Alger.
Delahaye a-t-il eu vent de la lettre d’Isabelle dans la revue L’Athénée,
qui prenait fait et cause pour Zola dans l’affaire Dreyfus ? Sans doute pas.
Sa petite enquête a cependant donné ses fruits et tout porte à lui faire croire
que ça n’est pas par de grandes diatribes politiques qu’il fera d’Isabelle son
principal allié. Or il doit la convaincre car, face au peu de résultats qu’il a
obtenus, Médora, la veuve du marquis, envisage de se débarrasser de lui.
Que deviendra-t-il si elle lui coupe les vivres ? Voilà tant d’années qu’il
profite de son argent, dilapidant, au nom de l’affaire Morès, de véritables
fortunes. Pour regagner sa confiance, il doit apporter du neuf. Et ce neuf,
c’est Isabelle. Va-t-elle accepter ? Tout ce qu’il a appris sur elle converge :
animée par une réelle soif d’absolu, la fille voue un culte aux actes
héroïques. C’est donc par ce biais qu’il doit la gagner. Quelle surprise pour
lui toutefois de tomber sur un visage aussi adolescent. Est-ce vraiment cette
gamine qu’on a vu chevaucher en plein désert aux côtés de cent nomades, et
qui parle aussi bien l’arabe que le turc, le latin, le grec, le russe et le
français ? Comme il la voit tressaillir au sujet de Morès, ses doutes aussitôt
se dissipent. En racontant la vie du marquis, il a tapé juste.
– Cher Si Mahmoud, je vous laisse le temps de réfléchir. Les risques
encourus sont grands, mais la cause elle aussi est grande. Lorsque vous
serez décidé, venez me voir à Paris.
Ils se quittent sur ces mots, et Isabelle ne peut les oublier, même si, une
heure plus tard, elle accueille, folle de joie, sa chère Véra, « l’être le plus
largement humain qui se puisse rencontrer 5 ».
En sa compagnie, les jours filent. Elles ont tellement de choses à se
raconter. Dans l’après-midi, elles visitent Notre-Dame-de-la-Garde et le
lendemain, le château d’If, puis la cathédrale Sainte-Marie-Majeure 6. Elles
s’amusent par la suite à sillonner le lacis des rues sombres et étroites de la
vieille ville grouillantes d’Italiens aux accents des plus chantants. Poussent-
elles la balade jusqu’à la Promenade du Lido ? Une chose est certaine : les
heures passent à une telle vitesse qu’Isabelle a l’impression de rêver quand,
ce matin du lundi 23 octobre, elle doit faire ses adieux à son amie qui repart
pour Genève.
Le jour même, elle envoie un télégramme à Ali, puis un deuxième, dès
le lendemain. Elle se sent si désemparée. Peut-il venir la voir ? « En cet
instant, comme d’ailleurs à toute heure de ma vie, je n’ai qu’un désir :
revêtir le plus vite possible la personnalité aimée qui, en réalité, est la vraie,
et retourner là-bas, en Afrique, reprendre cette vie-là 7… »
Un soir, pour se changer les idées, elle se rend au théâtre. Bien loin de
lui remonter le moral, cette soirée l’accable : la futilité des femmes, le
visage des hommes ravagé d’ambitions déçues, la scène enfin, où une jeune
chanteuse, sourire de commande sur les lèvres, chante un air gai qui lui
semble macabre 8.
Du malaise profond qu’elle éprouve ce soir-là, un texte va émerger,
d’une violence rare et quasi visionnaire. Jamais Isabelle n’ira aussi loin
dans sa critique contre l’Occident, jamais, elle ne livrera avec autant de rage
et de clarté les raisons profondes qui, si radicalement, la poussent à changer
d’identité.
L’Europe et ses filles spirituelles, essaimées aux quatre coins du
monde, ont fini par rejeter toutes les croyances douces et
consolantes, toutes les espérances et tous les réconforts… Au
point de vue de la science, tel était leur droit… Cependant les
hommes tirèrent de l’athéisme cette conclusion terrible : point de
Dieu, point de châtiment surnaturel ni ici-bas, ni ailleurs, donc
point de responsabilité…
Dès lors, tout fut permis, et l’éthique avait vécu. De ce fait,
l’incrédulité des modernes est double : religieuse et morale.
Ils se sont persuadés eux-mêmes que le rôle de la créature est
uniquement celui, inepte et hideux, de souffrir et de mourir…
La société sans foi, sans idéal et, partant, sans joie, est devenue
un monstre paradoxal. Elle s’est condamnée elle-même en son
essence. Elle est devenue le mendiant pitoyable qui n’a plus où
aller, plus qui implorer, plus en quoi espérer.
Derrière elle, le Néant, dont elle croit être une émanation.
Alentour, l’ennui glacé qui est l’ombre du Néant projetée sur les
choses de la vie. Devant elle, l’épouvante qui en est le vertige…
puis, la déroute finale et la Mort […].
La Civilisation, cette grande frauduleuse de l’heure présente,
avait promis aux hommes de multiplier les jouissances en
compliquant leur existence, de rendre toutes les formes de la
volupté plus subtiles et plus intenses, plus aiguës et plus
enivrantes, de diviniser les sens, de les aduler et de les servir
docilement… Elle avait promis aux hommes de les rendre libres,
tout cela au prix du renoncement à tout ce qui leur fut cher, et
que, dédaigneusement, elle traitait de mensonges et de vaines
rêveries…
Et, au lieu de tout cela, en réalité, la Douleur triomphe, se
ramifie, envahit les cœurs et les esprits… Elle rend les premiers
faibles et débiles, et les seconds, incurablement stériles.
Les besoins augmentent d’heure en heure et, presque toujours
inassouvis, peuplent la terre de révoltés et de mécontents. Le
superflu est devenu le nécessaire, le luxe, l’indispensable vers
quoi, furieusement, se meuvent les multitudes assoiffées de
jouissances, leurrées par les promesses mensongères qui leur
furent faites.
Certes elles ont raison ces foules malheureuses à qui l’on ne
cesse de crier, du haut de toutes les chaires et de toutes les
tribunes : « […] Jouis, car tout à l’heure tu mourras, et tout sera
fini, car l’au-delà n’est qu’un mythe inventé par l’ignorance de
nos ancêtres. » Mais les foules, elles, tirent de ces théories des
conclusions néfastes : puisque nulle part, il n’est ni justice, ni
miséricorde, tout devient permis, les pires violences sont non
seulement excusables, mais même légitimes quand elles ont pour
but de procurer de la jouissance immédiate… […] Elle agonise
en une tristesse sans borne, la Société inique, sans pitié pour les
faibles, sans Dieu et sans idéal, elle est condamnée à se dévorer
elle-même en une stérile et laide douleur. […]
Cependant, reste une espérance bien vague, hélas : peut-être,
après la nuit profonde de demain, une nouvelle aube radieuse
doit-elle se lever sur les ruines fumantes du vieux monde déchu,
et peut-être un autre monde doit-il surgir de la poussière du
passé […] 9.
« Amoureuse et soufie »
« Le prix de la liberté »
Le 20 février, les murs gris de l’hôpital lui pèsent tant qu’elle décide,
contre l’avis de Taste, de faire sa première sortie à cheval. Face au paysage
mort et désolé, elle est prise de nouveau d’une grande tristesse : « Le grand
charme de ce pays, cette magie des horizons et de la lumière s’en est allé…
et le Souf est vide, irrémédiablement vide 19. » Se peut-il qu’elle se soit
illusionnée ? Elle se sent si seule soudain, si étrangère. À son retour à
l’hôpital, Omar, le tirailleur fou, lui prend la main et se met à marcher avec
elle. Que lui veut-il ? Et pourquoi est-il venu à elle, lui qui passe ses
journées à errer dans la cour sans parler à personne, tête baissée, chapelet à
la main ? Dans le sable lourd, il l’entraîne doucement, et Isabelle se laisse
faire. Loin des regards, il finit par s’arrêter.
– Si Mahmoud, lui dit-il alors en plongeant ses yeux dans les siens, il
faut, quand tu seras parti, t’en aller dans une zaouïa et prier 20.
Elle n’a pas le temps de réagir, car à nouveau il repart dans ses pensées,
l’entraînant dans une nouvelle ronde et plus un mot ne sort de sa bouche.
Le soir même, elle écrit à Abd el Kader, l’informant de tous ses
malheurs et de la mutation de Slimène. Voilà le prix qu’ils paient pour avoir
voulu aider Delahaye et toutes les personnes impliquées dans l’affaire
Morès. Un Delahaye qui n’a même pas pris soin de lui demander de ses
nouvelles alors qu’elle a failli mourir. Quelle terrible déception pour elle.
« Fuyez comme la peste la bande des politiciens français qui se jouent
effrontément des Musulmans et qui nous ont tous abandonnés lâchement
après nous avoir poussés en avant pour le rôle imbécile de victimes
expiatoires 21. »
Cette nuit-là, aucune consolation ne semble possible, et elle pense très
sérieusement au suicide.
Mais Taste veille, et Isabelle traverse sa nuit.
Le 25 février sonne l’heure du grand départ pour Batna. L’idée de revoir
bientôt Slimène revigore Isabelle. Taste l’accompagne jusqu’à Bir Bou
Chama où un deïra du nom de Lakhdar doit la conduire jusqu’au point de
départ d’une caravane qui les emmènera deux cents kilomètres plus loin,
jusqu’à Biskra. Toujours fidèle, Khalifa, l’ordonnance d’Isabelle, se joint à
eux. Encore fatiguée par sa récente convalescence, Isabelle est lente et il
leur faut deux jours à cheval pour atteindre Bou Chama. Au moment des
adieux, Isabelle, regarde longuement Taste.
– Vous allez terriblement me manquer.
– Vous aussi, Si Mahmoud, mais ainsi va la vie, et puis vous reviendrez,
n’est-ce pas ?
Elle lâche un oui à peine audible tant le chagrin est puissant. Pourquoi
faut-il toujours que les meilleurs la quittent ?
Juchée sur Souf, son cheval, Isabelle se rallie au convoi composé de
douze personnes dont Lakhdar, le gendarme poète et chanteur et ivrogne.
Dix heures de route par jour. Un voyage exténuant au cours duquel
Isabelle est souvent victime de violents maux de tête et de douleurs à son
bras gauche, qui n’a toujours pas retrouvé ses fonctions. Sans émettre la
moindre plainte, elle suit la marche, dormant, la nuit, entre Khalifa et un
dénommé Rezki, après avoir écouté Lakhdar chanter ses superbes
complaintes avec les chameliers. Plus elle s’approche de Batna, plus ses
sens se réveillent, la laissant parfois à la torture tellement elle a envie de
faire l’amour avec Slimène. La vie prend alors une tout autre couleur : « Ce
soir, j’ai conscience que je suis encore jeune, que la vie n’est point noire ni
décolorée et que l’espérance ne m’abandonne point 22… »
Le 2, elle part en éclaireur en direction de Saada. Sur une dune, un
cavalier en uniforme rouge l’attend. C’est Slimène ! Après l’émotion des
retrouvailles, juste avant d’atteindre la vieille ville de Biskra, ils tournent
bride et contemplent une dernière fois leur Sahara.
Le lendemain, au réveil, la vie leur paraît soudain belle. Ne vont-ils pas
enfin pouvoir se marier et vivre ensemble ? Après une halte de quelques
jours à Biskra, ils arrivent le 5 mars dans « la triste et banale Batna, ville de
casernes et de masures, sans passé et sans histoire 23 ».
Deux jours d’espérances et de bonheur avant que le couperet tombe à
nouveau. Le 7 mars, Slimène apprend par son colonel que, par avance, sa
demande de mariage est refusée. Décidément, le sort s’acharne. Dans une
lettre qu’Isabelle envoie à son frère, elle lui confie la triste nouvelle,
ajoutant qu’ils sont au plus mal niveau finances. À ce jour, en effet, ils
vivent de la solde de Slimène qui s’élève à 30 francs par mois, une vraie
misère compte tenu de leurs dettes et de leur loyer de 15 francs… Côté
santé, si son bras est guéri, « les mouvements de flexion du coude sont
devenus impossibles au-delà de l’angle droit 24 ». Pour retrouver pleinement
l’usage de son membre, il faudrait qu’elle se fasse opérer à nouveau, chose
impensable étant donné leur situation. Et puis, n’étant pas officiellement
mariés, ils ont eu toutes les peines à trouver un logement. Ils finissent par
opter pour deux petites chambres dans la maison des épouses chaouïya et
kabyles des spahis. Un enfer pour Isabelle qui perd d’un coup toute
intimité, car ici, ce ne sont que pleurs et commérages insupportables. Pour
comble, la propriétaire des lieux, une ancienne fille publique, se conduit en
véritable despote. Et Slimène ? Pour le punir de sortir avec une Européenne,
ses supérieurs lui imposent des horaires infernaux qui l’empêchent de
rentrer à la maison. Isabelle doit se contenter de visites furtives. À bout, elle
implore son frère de lui envoyer de l’argent. « Je t’en supplie ou je ferai ce
qu’a fait Volodia et je le ferai avec Slimène, car rien, pas même la mort ne
peut nous séparer 25. »
Elle écrit également à son Zouizou *3 des petits mots où elle lui dit
combien elle l’aime, combien la vie sans lui est dure. Dans leur logis, le
bruit est constant et elle a bien du mal à se reposer. Aucun livre avec ça, et
pas un sou pour aller déjeuner dehors. Quand il trouve le temps de lui
répondre, Slimène la rassure comme il peut, lui envoyant ici un billet de
20 francs, lui promettant là de ne plus boire… Il finit cependant par être si
inquiet que, sans l’avertir, il écrit à Augustin. « Votre sœur est malheureuse,
c’est très mal de ne pas lui répondre 26. » Il lui dit qu’elle est victime de sa
bonne foi et de son bon cœur, ainsi que de « la monstrueuse canaillerie des
Ali, des Abdel el Aziz, etc. 27 », lui parle des vexations quotidiennes qu’il
subit, des sacrifices qu’il est prêt à faire pour épouser sa sœur, souligne que,
parmi les musulmans, tout le monde les considère « comme légitimement
mariés, l’ayant été religieusement par notre cheikh et ses frères, d’après le
rite de la djemaâ, c’est-à-dire par déclaration commune devant des
témoins 28 ».
Pour fuir l’ennui et le manque, Isabelle chevauche hors de la ville
jusqu’au pied des montagnes bleues qui, étrangement, lui rappellent le Jura
de son enfance. Loin de Batna, au grand air, elle reprend vie, s’allongeant
sous un pin, parmi les fleurs, face à un ciel d’un bleu d’abîme 29.
Ne voyant toujours pas venir l’ombre d’une convocation, Isabelle
commence à espérer qu’elle a été oubliée par les autorités. C’est bien mal
connaître les officiers des Bureaux arabes qui, tous désormais, Pujat en tête,
souhaitent l’expulser. Qui sait encore quel scandale elle va provoquer en
restant sur le sol algérien, et à quelles sortes de rébellions elle incite ses
amis Quadrïa, jusqu’ici fort loyaux envers la France ? Mais elle est russe et,
selon leurs sources, très riche… Pour éviter tout incident diplomatique –
plus que mal venu au moment où la France cherche justement à se
rapprocher de la Russie –, il leur faut user d’un maximum de précautions.
C’est dans ce contexte agité qu’Isabelle, bien loin encore d’imaginer ce
qui se trame au-dessus de sa tête, reçoit une lettre la priant de se rendre le
17 mars à Constantine pour l’instruction de la tentative de meurtre dont elle
a été victime.
Après avoir décrit les lieux et rapporté qu’elle était assise « sur un
matelas placé à terre dans un coin de la chambre, à gauche de la porte 1 »,
Isabelle raconte son agression. À ses yeux, le seul mobile de son attaquant,
c’est qu’il appartient au clan des Tidjania qui voue une haine implacable
aux Quadrïa. La réponse ne semble pas suffire au lieutenant Guillo Lohan
du 135e régiment d’infanterie qui l’interroge :
Voilà donc la vraie raison pour laquelle Abdullah s’en est pris à Isabelle.
Par haine des Français et de la corruption que leur système engendre. Nulle
part cependant, ces motifs n’apparaissent dans le rapport de police
judiciaire d’où ils ont été volontairement oblitérés. Pour rien au monde ce
procès ne doit devenir celui des autorités françaises. Trop de personnages
influents sont impliqués dans cette affaire ; le moindre remous risquerait de
mettre le feu aux poudres et de retourner les Quadrïa contre la France. S’il
faut donc trouver une raison à cette tentative d’assassinat, elle ne doit rien
avoir à faire avec le système colonial, et encore moins avec les autorités en
place. Un long paragraphe est ainsi consacré à la vie d’Isabelle, décrite
comme une personne « d’une intelligence peu commune mais extrêmement
originale ». Avec moult détails (qui en disent long sur la surveillance dont
elle est l’objet !), on la suit à Bône avec sa mère, puis en Tunisie, à
Marseille, à Paris, en Sardaigne, à El Oued enfin, où « elle embrasse la
religion musulmane, adopte le costume et les mœurs des indigènes,
s’habillant et se conduisant comme un homme, se fiance à un indigène,
maréchal des logis au détachement des spahis et, sous le nom de
Si Mahmoud, est bientôt universellement connue dans le Souf 5 ». Par la
suite, on souligne qu’elle s’est affiliée aux Quadrïa dont elle est devenue
très proche… Or, relève le rapport, « les passions religieuses sont très
développées au Souf : la plupart des indigènes y sont affiliés soit à la secte
des Quadrïa, soit à celle des Tidjania et il existe entre ces deux sectes une
rivalité sourde 6 »… En conséquence, si mademoiselle Isabelle Eberhardt a
été victime d’une tentative de meurtre, elle ne le doit qu’au fanatisme de ses
amis arabes qui ont la violence dans le sang ! Et le rapport de renchérir en
rappelant que les Européens, dans la région, vivent en petit nombre « au
milieu d’une population indigène nombreuse sourdement hostile, quoi
qu’on fasse, à tout ce qui est étranger au pays ». Depuis deux ans, trois
Européens ont été agressés par des Arabes : il paraît donc plus que
nécessaire « de frapper cette population par la sévérité de la répression, de
lui montrer qu’on n’attente pas impunément à ce qui touche notre
nationalité et de lui inspirer le respect de ceux que nous couvrons de notre
protection 7 ».
Et voilà comment un acte motivé par la seule exaspération d’être
dépouillé par des canailles mises en place par les autorités françaises passe
pour le résultat d’un fanatisme barbare qu’il devient urgent de réprimer.
Isabelle a-t-elle jamais su la vérité ? En 1903, elle écrit une nouvelle 8 où
elle raconte comment le vieux paysan Mohammed Achouri, spolié de ses
terres par son khodja, en vient, faute de pouvoir se venger directement, à
tuer un brave colon à sa place. Sans le savoir, Isabelle relate dans ces pages
sa propre histoire, prophétisant avec quelque soixante ans d’avance
l’Histoire, si douloureuse, à venir.
De retour « chez elle », elle apprend que son procès n’aura pas lieu
avant le mois de juin. Tant de jours encore à attendre dans cette maudite
maison avec toutes ces femmes ! Et pas un signe de Slimène qui se retrouve
de corvée ou au trou pour un oui, pour un non. Un soir, après six jours
d’absence, elle le tient dans ses bras « et, subitement, après l’ardeur folle,
presque sauvage des premières étreintes, sans que nous sachions pourquoi,
sans que nous eussions parlé, les larmes ont coulé de nos yeux et nos cœurs
se sont serrés, angoissés très mystérieusement 9 ». Là-dessus, Souf tombe
malade. Privée d’escapades, Isabelle dépérit dans la petite chambre. Une
nuit, Vava lui vient en rêve, prodiguant de la tendresse à Rouh *3, et « lui
donne son appréciation de lui 10 ». Cette consolation s’ajoute à une lettre
d’Augustin qui daigne enfin lui donner de ses nouvelles. Peu après, elle
apprend la mort du Naïb Sidi Mohammed ben Taïeb, frère de Si el-Hachmi,
tué alors qu’il essayait d’éviter un affrontement entre les tribus et l’armée
française. Elle se souvient de la dernière phrase qu’il lui a lancée : « Nous
nous reverrons encore s’il plaît à Allah, Si Mahmoud ! »
Avec Pujat, qu’Isabelle, dans ses Journalier, appelle « l’ennemi » et
désigne sous la lettre P, les choses s’enveniment. À ses yeux, elle est une
détraquée dont il faut débarrasser le sol algérien au plus vite. Il en vient à la
faire espionner et interroger à plusieurs reprises par un policier. Par chance,
elle a jeté l’argent par les fenêtres lorsqu’elle était de passage à Batna
l’année dernière et cet imbécile de Pujat la croit immensément riche. S’il ne
l’a pas encore fait arrêter, c’est pour cette seule raison. « Quels crimes ils
doivent tout de même avoir sur la conscience […] pour trembler ainsi
devant moi qui […] n’ai en somme pas fait grand-chose, sauf les enquêtes à
El Oued *4 11. »
Est-ce pour se raccrocher à quelque chose de plus lumineux qu’elle écrit
à cette période sa nouvelle Le Major 12 ? De bout en bout, ce texte rend
hommage au docteur Taste. À travers la figure de Jacques, enfant des
Ardennes tout juste débarqué en Algérie, Isabelle raconte le choc de la
rencontre de ce jeune « toubib » avec la terre d’Afrique, puis son amour
pour la belle Embarka à El Oued. Très vite – comme pour Isabelle et
Slimène –, Jacques et Embarka sont soumis aux pires pressions. Face à son
refus d’obtempérer, Embarka est emprisonnée sous le faux motif de
prostitution clandestine. Le texte prend alors la tournure d’un véritable
réquisitoire contre l’occupation française. « Je pars », déclare Jacques avant
de quitter définitivement le sol algérien, « avec la conviction très nette et
désormais inébranlable de la fausseté absolue et du danger croissant que fait
courir à la cause française votre système d’administration » 13.
Texte, là encore, prémonitoire ? Le 3 mai, Isabelle, effondrée, apprend,
par des voies non officielles, la nouvelle de son expulsion d’Algérie. « Je
suis arrivé à cette dernière limite de la misère où sont la faim et le
dénuement, les angoisses continuelles de la vie matérielle. Je suis comme
une bête traquée impitoyablement avec le but évident de la tuer, de
l’anéantir. Je vais être séparé de ce que j’ai de plus cher au monde, de ce qui
ensoleillait, malgré tout ma triste existence, triste essentiellement, depuis
toujours et à jamais 14. » Pour tenir le coup, elle s’accroche à sa Foi pour
laquelle elle se sent prête à mourir, inch’Allah, en martyre. Elle galope une
dernière fois dans les environs de Batna avec Souf, lit D’Annunzio,
saisissant, partout où elle le trouve le moindre indice de lumière, ici dans les
champs d’or des colzas en fleur, là dans ces superbes vers de poésie.
Le 6 mai, bien avant l’aube, Isabelle, sous les yeux de Slimène et de
leur ordonnance, monte dans le train qui la conduit à Bône où elle prendra
le bateau pour Marseille. Au moment où la machine prend de la vitesse et
où le quai disparaît, tout lui paraît irréel : où est Batna ? Où est Souf ? Où
est tout cela, que le vent de la destinée a dispersé, anéanti 15 ?
Quand elle arrive à Bône, quelle étrange sensation elle éprouve de se
retrouver seule dans ces rues, sans l’Esprit Blanc ni Slimène. Cette nuit-là,
elle dort chez Khoudja, son premier amour, et tout se passe au plus mal. À
l’instar d’Ali et des autres, il refuse de lui rembourser ses dettes. Ils passent
leur temps à se disputer. Aussi, lorsqu’elle embarque à bord du Berry ce
jeudi 9 mai, c’est presque avec soulagement. Habillée en matelot, baluchon
en main, elle voyage sous le nom de Pierre Mouchet comme passager
d’entrepont, classe interdite aux femmes. Près du treuil, elle se compose un
lit de fortune et s’endort quand un violent orage la réveille. Sous une pluie
torrentielle, elle trouve refuge à l’avant, auprès de deux Napolitains et d’un
vieillard de retour du Japon. Après une nuit blanche, elle dort jusqu’à
5 heures de l’après-midi, instant où une nouvelle tempête s’annonce. Cette
fois, elle est obligée de se terrer derrière la machine des ancres. Mais le vent
ne cesse de grossir, et la mer se déchaîne. L’énorme paquebot tangue avec
de terribles grincements. Des paquets de mer viennent s’écraser sur le pont.
Cramponnée à une corde, Isabelle pense à la mort, « à la Voix de la Mort ».
Plusieurs fois, elle manque d’être emportée par les eaux furieuses qui
s’abattent sans pitié sur la coque. Isabelle supplie la vie en elle. Demande
pardon pour tout. Elle a si peur d’être ensevelie par ces eaux noires. Elle
promet d’écrire, d’aimer aussi, jusqu’au plus vaste d’elle-même. Une
nouvelle vague s’écrase sur elle. Un seul Dieu, répète-t-elle inlassablement.
Un seul Dieu. Une seule Lumière.
Trempée jusqu’aux os, elle passe la nuit à genoux, glacée.
Le 18 juin, la salle est comble dès 5 heures du matin. Dans les tribunes,
on compte de nombreuses femmes d’officiers toutes plus apprêtées les unes
que les autres. Avant même l’entrée des six juges – tous militaires – et du
lieutenant-colonel Janin, président du tribunal, chacun y va de son petit
commentaire. A-t-on vu les soieries que portent ces indigènes venus par
trains entiers pour soutenir leur héroïne ? Dans quelle tenue pensez-vous
qu’elle va apparaître ? Est-elle aussi belle qu’on le dit ? Il paraît que
M. Martin, le commissaire du gouvernement, lui a serré la main et apporté
une tasse de café ce matin !
– Il lui aurait même présenté sa sœur !
– Et pourquoi pas ses parents pendant qu’il y est !
– N’étiez-vous pas au courant qu’il a épousé une Arabe ?!
– Une indigène, vous en êtes sûr ?
– Parfaitement, et sans autorisation !
– Ça commence bien !
Parmi les officiers, Taste et Cauvet ont fait le déplacement, ainsi que le
lieutenant-colonel Pujat, l’ennemi juré d’Isabelle. Enfin, celle-ci fait son
entrée habillée en mauresque, et dans la salle, les murmures vont bon train.
Un cavalier, ça !? Dieu, qu’elle est maigrichonne ! Si pâle ! Et ce turban sur
sa tête ? Rasée, vous êtes certaine ? Ah, mais quelle horreur ! Poussez-vous,
je ne la vois pas !
À sa suite, les juges et le président prennent place. Très vite, on fait
appeler l’accusé qui, livide, les mains enchaînées, n’arrive même pas à se
souvenir de ses date et lieu de naissance ! Comble de déception, un huissier
reconduit Isabelle en salle des témoins juste avant la lecture de l’acte
d’accusation. C’est elle pourtant que tous sont venus voir. Elle, et non pas
ce piteux Arabe que les juges interrogent à présent. Oui, leur répond-il en
zézayant légèrement, c’est Dieu qui lui a demandé de tuer cette mauvaise
musulmane (il n’a pas dit chrétienne, soupir de soulagement dans la salle !).
« Mauvaise, qu’entendez-vous par là ? » lui demande le président.
Et Mohammed de suivre point par point les conseils de son avocat,
maître Lafont. Plus un mot contre la France. Plus un mot contre le cheikh
de Behima et la façon dont il dépouille sa population. En revanche, une
tornade de reproches contre cette étrangère qui, se disant musulmane, se
conduit outrageusement en buvant de l’alcool et en s’habillant comme un
homme. Sans parler de tout ce qui se raconte sur sa liaison avec Si el-
Hachmi. Murmures outrés de l’assistance. Tous les regards convergent vers
le superbe moqqadem qui ne sourcille pas tandis que Slimène, lui, croit
mourir de honte.
Et peu à peu, le procès d’un Arabe devient celui d’une aventurière qui
se croit au-dessus des lois. Après avoir rappelé Isabelle et l’avoir fait venir
à la barre, le président du tribunal lui demande si elle est consciente de
choquer les musulmans en se travestissant de la sorte. Oui, répond-elle le
plus tranquillement du monde. Mais alors pourquoi le fait-elle ?
– Pour monter à cheval, c’est plus commode.
Murmures agacés du public. Non mais pour qui se prend-elle, cette
Russe ? On va finir par croire qu’elle l’a vraiment cherché, à la fin ! C’est
maintenant au tour de maître Lafont de l’interroger. Tel un aigle acharné sur
sa proie, il ne lui laisse aucun répit. Qu’est-ce qu’une jeune fille de bonne
famille, riche héritière de surcroît, est venue chercher dans ces contrées
hostiles, et comment peut-elle s’étonner, habillée de la sorte, d’avoir
provoqué un déchaînement de violence ? Si c’était pour s’occuper de
pauvres gens, pourquoi ne l’avoir pas fait chez elle, à Genève ? Ou alors
était-ce pour de tout autres raisons ? Ne dit-on pas partout qu’elle est
devenue la secrétaire intime (il insiste bien sur ce dernier mot) de Si el-
Hachmi, le plus puissant marabout du Sud ? Imaginez l’effet d’une telle
conduite sur son client ! De quoi exciter les germes de son fanatisme.
Isabelle veut se défendre, mais maître Lafont est lancé. Au vu des
événements récents à Margueritte et des risques de troubles graves en
Algérie, a-t-elle conscience que prêter son concours et son intelligence à un
chef de confrérie déjà très puissant dans les territoires du Sud risque
d’envenimer encore plus les choses ? À moins, insinue l’avocat, qu’elle
trouve parfaitement légitime ce genre de révolte… (Murmures indignés
dans la salle.) Face à ce flot d’accusations, Isabelle perd pied, et plus elle
s’embrouille, plus Pujat, sur son siège, jubile.
– Mademoiselle Isabelle Eberhardt, avez-vous quelque chose à ajouter ?
Elle lève sur le président ses grands yeux que d’aucuns dans la salle
trouvent trop tristes et trop adolescents – ne leur avait-on pas parlé d’une
authentique aventurière ? – et déclare d’une voix très calme qu’elle
pardonne à son meurtrier. Chahut dans la salle. Pardonner à ce barbare qui a
cherché à la tuer ?! Sous les regards outrés du public, Isabelle part s’asseoir.
Vers 9 h 30, après le passage du dernier témoin à la barre, Martin, le
commissaire du gouvernement, dresse son réquisitoire. Pour lui, il ne fait
aucun doute : comme tous les fanatiques de son espèce, Abdullah
ben Si Mohammed mérite la peine capitale. Un « ah ! » de satisfaction
générale accueille sa demande. Le conseil se retire. Dix minutes plus tard,
le verdict tombe : « À la majorité de cinq voix contre deux, le Conseil
condamne le nommé Abdullah ben Si Mohammed ben Lakhdar à la peine
des Travaux forcés à perpétuité 32. »
Un soulagement général accueille la sentence. Voilà ces dames et ces
messieurs hautement rassurés. Sur son siège, Isabelle accuse le coup. Sa
lettre ouverte n’aura servi à rien. À la pensée des trois enfants d’Abdullah,
son cœur se serre. Sous son burnous, elle étreint son chapelet et se met à
prier. Mais un homme s’approche.
– Mademoiselle Isabelle Eberhardt ?
Déconcertée, elle découvre le commandant de police de Constantine qui
lui tend un papier.
– C’est un arrêté d’expulsion, vous ne pouvez plus rester sur le sol
algérien.
*1. Sidi Abd el Qader el Jilani, fondateur des Quadrïa au XIe siècle.
*2. Grâce à l’ouverture au public, en 2001 des archives judiciaires, nous pouvons nous faire une idée
beaucoup plus précise des raisons qui ont poussé Abdullah ben Si Mohammed ben Lakhdar à vouloir
tuer Isabelle. Dans les 71 pages qui constituent son dossier, nous trouvons la plainte, le rapport
judiciaire, le rapport médico-légal – signé Taste –, l’état des pièces à convictions, un état des lieux
(croquis à l’appui) ainsi que le contenu des interrogatoires des vingt-trois témoins, dont celui
d’Isabelle Eberhardt, daté du 2 février, et deux de son meurtrier, datés respectivement du 30 et du
31 janvier 1901. Ce dernier, apprend-on, est né à Behima. Il est un musulman non naturalisé qui
« paraît âgé » de trente ans. À la case « métier », on a écrit : brocanteur et journalier…
*3. Slimène.
*4. Isabelle entend par là les enquêtes dont elle s’est chargée pour l’affaire Morès. Enquêtes dont,
vraisemblablement, elle s’est vite lassée et qu’elle a rapidement abandonnées.
*5. Diminutif pour Slimène.
*6. Vendu (argot d’algérie).
*7. Les seins d’Isabelle.
*8. Adopté en juin 1881.
CHAPITRE XVII
« Relever la tête »
Quatre jours plus tard, Slimène arrive enfin. « 27 août soir. Quitté
maison Augustin. À 4 heures, été quai Joliette ; Zuizou arrivé par le Ville
d’Oran. Le 28 août à 8 h 1/2 du matin. Beau temps. Fort vent 37… »
Ils s’installent alors au 67, rue Grignan dans une petite chambre
meublée qu’ils surnomment tous deux « Éden purée », et plus personne
n’entend parler d’eux jusqu’à la fin du mois de septembre. Après tout ce
qu’ils ont vécu, difficile de leur en vouloir…
Isabelle, durant ces jours, a sans aucun doute commencé à faire réviser
Slimène en vue de le préparer à l’examen d’interprète. Grâce à un cahier
conservé aux Archives d’outre-mer, on peut se faire une idée très précise de
la façon dont elle s’y est prise. Ici, des dictées (pour l’essentiel des textes
qui parlent des méfaits de l’alcool), là, des leçons de géographie, et tout
particulièrement celles qui touchent à l’étude des « races *1 » : combien y a-
t-il de races d’homme ? Quelles sont les branches principales de chacune
d’entre elles ? Quels peuples en font partie ? Ici encore, des leçons sur
l’histoire de l’Algérie où il faut connaître le nom de chaque tribu, chaque
canton, chaque arrondissement… Et puis, bien évidemment, une liste sans
fin d’ouvrages à lire : Ibn Batoula, Moahmmed es Souhadji, Zola,
Rousseau, Loti, Fromentin, Dostoïevski, D’Annunzio, Baudelaire, etc.
En cet automne 1901, voilà qu’elle revit avec Slimène le meilleur de ce
qu’elle avait vécu avec son frère.
Le 27 septembre 1901, une très mauvaise nouvelle vient mettre fin à
l’idylle du couple. En donnant pleine procuration aux Samuel, Augustin
leur a légitimement permis de les dépouiller. Résultat : loin de leur
rapporter le moindre argent, la vente de la Villa neuve « les laisse débiteurs
chez les avocats de soixante francs 38 » ! Frappée de stupeur, Isabelle plonge
dans une profonde nostalgie : « Pauvre chère Villa neuve où je n’entrerai
certes jamais plus, que j’ai même bien des chances de ne plus jamais voir
[…]. Tout est dispersé, fini, enterré 39. » De son passé, il ne lui reste plus
rien, pas même Augustin. Mais Dieu a eu pitié d’elle et Il a entendu ses
prières. Il lui a donné le compagnon idéal. « Lui seul est réel, n’est pas un
leurre et un simulacre 40. » Un compagnon qu’elle épouse à 16 heures, le
17 octobre 1901, à la mairie de Marseille en présence de deux témoins :
Firmin Deioughi, voisin de palier d’Éden purée, ainsi que Charles Faure,
camarade de régiment de Slimène. « Oh, cette noce où, vêtue d’une vieille
jupe prêtée par une bagasse je ressemblais à une guenon habillée ! Et
l’aspect minable de nos témoins 41 ! » Augustin et le colonel Rancougne
étaient-ils présents ? Aucun document ne le précise. En revanche, par cette
union, Isabelle devient française… Française, en épousant au début du
e
XX siècle un « bicot », un « indigène », un « Arabe » ! Quel somptueux
*1. L’étude des « races », leur soi-disante hiérarchie, tient de l’obsession en cette fin de siècle.
CHAPITRE XVIII
« Le grand retour »
En arrivant à Alger, Isabelle se demande si ces sept jours n’ont pas été
un songe. Au milieu du vacarme, elle se sent renaître à la vie. Est-ce d’avoir
répondu à l’appel de la Route ? D’avoir parlé avec Lella Zeineb ? « De ce
voyage rapide […] je suis revenue plus forte, guérie de la maladive
langueur qui me minait à Alger… 32 » Mais à peine débarquée, il faut
repartir. Slimène a été reçu à ses examens et, grâce aux excellentes notes de
son livret et à la recommandation de son colonel, il vient d’obtenir le poste
de secrétaire interprète auprès de l’administrateur de Ténès, moyennant un
salaire de 1 000 francs par an 33 ! Tous deux se répètent la somme sans
parvenir à le croire. Mais alors…
– Mais alors il faut faire nos valises et dire adieu à tout le monde, Zuiza.
*1. Roman publié chez Fasquelle en 1900 et réédité chez Phoebus en 2005.
*2. Victor Barrucand est arrivé à Alger durant le printemps 1900.
*3. Depuis les élections de novembre 1898.
*4. Édouard Drumont : élu député d’Alger en mai 1898, connu pour son antisémitisme féroce.
*5. École crée par son aïeule en 1845.
*6. Charles Marchal, député de Blida en 1898, Émile Morinaud, député de Constantine en 1898,
Firmin Faure, député d’Oran en 1898 étaient tous trois, avec Drumont, des membres actifs du groupe
antijuif. Avec Drumont, on avait coutume de les surnommer les « quatre mousquetaires gris » parce
qu’ils portaient un chapeau gris semblable à celui qu’arborait le marquis de Morès qui, à l’époque,
venait d’être assassiné.
*7. Confrérie amie des Quadrïa dont l’enseignement est essentiellement axé sur la vie contemplative.
Comparés à eux, les Quadrïa sont plus actifs.
CHAPITRE XIX
« Ténès »
Éclairée par une large baie ouverte sur la mer, cette pièce est chère à
Arnaud. Combien de milliers de volumes se trouvent entassés là ? Isabelle
va et vient entre les piles de dictionnaires arabes, de grammaires kabyles et
peules. Ici, un pan entier consacré à la littérature arabe classique et aux
grands docteurs de l’islam, là, un autre réservé aux gnostiques, aux théurges
et aux néoplatoniciens d’Alexandrie dont les œuvres influencèrent si
puissamment les soufis. Sur le mur du fond, une vaste section sur les
kabbalistes juifs et les pères de l’Église, une autre enfin, dédiée à la
littérature française et à la philosophie européenne 5… Touché par
l’enthousiasme de sa nouvelle amie, Arnaud lui promet de lui faire
découvrir, dès le lendemain, la bibliothèque de son ami Vayssié, le juge. Un
vrai bijou elle aussi.
– Mais vous ne pouvez pas nous quitter sans passer voir la jument que
nous venons tout juste d’acquérir.
L’aubaine. À peine Isabelle croise-t-elle le regard de l’animal que ses
yeux ne peuvent plus s’en détacher.
– Laissez-moi la monter tout de suite, s’il vous plaît !
Arnaud, stupéfait, ne sait que dire. Dans la pénombre, Slimène esquisse
un sourire.
– Ne vous inquiétez pas, Si Mahmoud est un excellent cavalier.
Bon gré mal gré, Arnaud sort la jument du box. Aussitôt, avec une
agilité rare, Isabelle enfourche le cheval puis, d’un coup de talon, part au
triple galop, hurlant « je reviennnnns ! ».
Les jours suivants, Isabelle emprunte Ziza pour aller galoper dans les
environs de la ville qui ne sont que montagnes abruptes, ravins boisés,
éboulis et maquis. Très vite, elle se fait connaître par tous les fellahs du
pays. « Très abordable, elle voulait qu’ils la considérassent comme un
simple taleb, comme un lettré de zaouïa. Nul, parmi eux n’ignorait
cependant que ce svelte cavalier aux burnous d’un blanc immaculé et aux
mestr *6 écarlates fût une femme. La politesse innée de l’Arabe est telle que
jamais l’un d’eux ne fit allusion, en sa présence, même pas un clin d’œil, à
une qualité dont elle ne désirait pas convenir 6. »
À cette période, Arnaud (alias Robert Randau) la présente à toute sa
bande d’amis, des fous de littérature parmi lesquels le juge de paix et
romancier Vayssié (alias Raymond Marival), M. Davenet (alias Georges
Tis), le vétérinaire de Ténès qui publie des poèmes dans Le Courrier
français *7, Maxime Noiré, le peintre avec lequel elle a de grandes
discussions sur la lumière et l’espace, Sadia Lévy enfin, un esthète oranais.
Quasiment tous sont nés en Algérie et, aussi libéraux qu’ils soient, tiennent,
au sujet de la colonisation, le même discours : on ne peut décemment pas
affirmer que le colon tyrannise ses sujets. Pour en être convaincu, il suffit
de comparer, disent-ils, l’état actuel du pays à celui d’avant la conquête,
avec ses pillages, ses razzias, ses caïds despotes, ses lourdes amendes qui
ruinaient chaque année les tribus de la campagne. Depuis que la France a
conquis le pays, n’en chasse-t-elle pas les bandits, les prévaricateurs ? Et
n’y a-t-il pas moins d’épidémies et de famines ?
Ils ne peuvent être plus éloignés de la position de l’anarchiste Ernest
Girault qui, après sa tournée en Algérie aux côtés de Louise Michel,
dénonce avec une rare violence 7 les exactions commises par l’armée
française, ainsi que les injustices et les humiliations quotidiennes subies par
les populations asservies. Pour lui, une seule solution : se retirer
immédiatement du pays. Une position radicale que très peu partagent à
l’époque. Même dans la fameuse ferme anarchiste de Tarzout, fondée par
Paul Régnier en 1888 et où séjournent Élie et Élisée Reclus *8, le discours
est plus nuancé.
En ce mois de janvier 1903, Isabelle s’y rend de plus en plus souvent
avec Slimène. Situé sur le littoral à quelque quarante kilomètres de Ténès,
ce petit paradis à une journée de cheval constitue tant pour l’un que pour
l’autre un vrai bol d’air. Si, là-bas, Élisée Reclus dénonce les méfaits d’une
colonisation brutale, il vante, dans le même temps, les avantages d’une
colonisation « réussie ». La ferme n’en est-elle pas un merveilleux
exemple ? Ici, tous les Arabes sont respectés et traités de façon équitable.
Le terrain, à la différence de beaucoup d’autres, n’a pas été spolié, mais
acheté en bonne et due forme 8. Selon lui, il ne s’agit donc pas de remettre
en question la colonisation, mais bien son mode opératoire : « L’action des
Européens sur les peuples étrangers se fait à la fois par les meilleurs et par
les pires […]. Quand il s’agit de colonies vraies ou prétendues obtenues par
la conquête brutale, par de lâches agressions du fort contre le faible, alors ce
sont les pires que vomit la nation conquérante pour aller prendre possession
de son territoire de rapine. Elle se dit la “mère patrie” ; elle prétend en toute
hypocrisie, de manière à tromper quelques naïfs, “porter la civilisation” ou
même “propager les grands principes” chez les peuples lointains, mais le
but incontestable, sous le couvert de formules les plus honorables, n’est
autre que de voler et de piller 9. » On ne peut être plus proche de la pensée
d’Isabelle. Si, avec une vraie virulence, elle ne manque pas de pointer les
dérives du système colonial, pas une seule fois ne lui vient l’idée de
remettre en question le postulat même de colonisation. Pour elle comme
pour ses amis – anarchistes ou pas –, la conquête de l’Algérie par la France
peut aboutir à l’excellence, si tant est qu’on parvienne à faire le ménage. Un
jour ou l’autre, au contact de la civilisation française, les Arabes finiront par
être tout à fait « assimilés », jusqu’à pouvoir prétendre à la nationalité
française qui leur conférera strictement les mêmes droits que n’importe quel
autre citoyen. Mais avant d’atteindre un tel but, il faut leur inculquer tous
les bienfaits de l’« œuvre civilisatrice » : sa culture, sa science, sa pensée,
ses valeurs par le biais de l’école, de la langue et du service militaire.
Ce discours « assimilationniste » s’oppose furieusement à l’époque à
celui des partisans d’une politique coloniale dite « d’association », selon
laquelle l’idée qu’un Arabe ou un Kabyle puissent un jour devenir tout à
fait Français *9 est parfaitement utopique : « La mentalité française ne peut
pas plus s’acclimater aux tropiques que ne le peuvent notre faune et notre
flore 10. » Pour les « associationistes », l’intérêt n’est plus – au nom de la
supériorité de la race – d’homogénéiser les populations pour qu’elles
deviennent citoyennes de futurs départements français, mais – au nom de la
même supériorité des races – de les maintenir assujetties, seule façon de
rafler en toute impunité l’immense capital qu’offrent ces nouveaux
territoires *10. Une vision opposée à celle qu’Isabelle défend corps et âme.
Elle conçoit l’assimilation d’une façon bien singulière cependant, puisque
selon elle – et sur ce point, elle est mille fois plus radicale que Girault lui-
même – les Arabes, une fois « assimilés », assimileront à leur tour la France
comme ils l’ont fait de tous leurs conquérants. Ce constat (cette
espérance !), Isabelle en fait état dès l’ouverture de sa nouvelle Yasmina,
rédigée entre 1899 et 1902, lorsqu’elle y décrit les ruines romaines de
Timgad : « Un amphithéâtre aux gradins récemment déblayés, un forum
silencieux, des voies désertes, tout un squelette de grande cité défunte, toute
la gloire triomphante des Césars vaincue par le temps et résorbée par les
entrailles jalouses de cette terre d’Afrique qui dévore lentement mais
sûrement toutes les civilisations étrangères ou hostiles à son âme 11. »
Victor Barrucand ne s’y est point trompé : « Isabelle Eberhardt va plus
loin, trop loin sans doute ; elle renverse la proposition quand elle suggère
que l’assimilation pourrait se faire à rebours et géographiquement. C’est
une remarque historique non sans valeur que les vainqueurs risquent d’être
absorbés par les vaincus 12. » Avec un certain fatalisme, un plaisir aussi, et
parfois avec rage, Isabelle acquiesce donc à ce mouvement « transitoire »
d’absorption. Un deuxième élément conforte sa position « pro-coloniale ».
En occupant l’Algérie, la France empêche l’invasion turque qui, dans la tête
de la Jeune Turc qu’elle a été, ne peut s’apparenter qu’aux pires exactions.
N’a-t-elle pas dénoncé, à Genève, le massacre de près de
200 000 Arméniens en 1896 ? Celui des Bulgares, des Macédoniens et de
tous les opposants au régime du sultan Abdul Hamid II ? Comparé à
l’asservissement de la Sublime Porte, celui de la France est un « moindre
mal ». Isabelle se désole, en revanche, du manque de pitié des colons
français vis-à-vis de leurs frères indigènes, et déplore que « leurs efforts
n’aient pour seul but que de constituer et développer un domaine sans
s’inquiéter des valeurs morales qui, en Europe, donnent à la terre une
personnalité 13 ». À quand la véritable rencontre ? Le véritable dialogue ?
Le 8 juillet 1902 paraît dans Les Nouvelles son texte Le Magicien. Le
même mois, grâce à l’appui d’Arnaud et des Leblond *11, Heures de Tunis
est publié dans la célèbre Revue blanche. Après les déboires de l’expulsion
et de la misère à Alger, Isabelle vit cela comme une vraie consécration.
Durant l’été 1902, elle fait des allers-retours rapides à Alger pour rendre
visite à Barrucand et son amie Luce Ben Aben. Le reste du temps, elle le
passe à vagabonder dans les environs de Ténès ou à lire, étendue sur des
nattes, des ouvrages conseillés par Arnaud et Marival. Ainsi parlait
Zarathoustra ne lui plaît guère, pas plus les humanistes courtois de l’abbaye
de Thélème dont la devise est « Fay ce que tu voudras ».
– Voyez-vous, Arnaud, mon seul et unique but, c’est de vivre au milieu
de mes frères du Livre « dans le calme du désert et l’oubli total du temps et
de ses contingences 14 ».
Arnaud, à ces mots, ne peut s’empêcher d’éclater de rire. Jamais il ne
l’a vue pratiquer ou prier, et il semblerait qu’elle ne déteste point les
sorbets, les pâtisseries, et – pire ! – l’excellente pâte de coing de leur amie
Marie. N’est-elle pas d’ailleurs venue lui rendre visite pour cela ? « Deux
coups de poing et un éclat de rire furent la réponse de Mahmoud Saadi 15. »
Avec Slimène, l’amour est au beau fixe. Dans leur logis, Isabelle attend
chaque soir son retour avec impatience, pour partir aussitôt faire la tournée
des amis. Il est son homme, elle le clame à tout-va, et Dieu ce qu’elle peut
être fière de lui. Un jour, elle invite tout le monde à partager son couscous à
la campagne.
– Ne vous gênez en rien, les copains. Rien ne nous manquera.
Attention ! Vous n’aurez chacun qu’une assiette. Quand elle sera sale, vous
la laverez à la mer en la torchant d’une poignée de sable et d’algues. Soyons
gais !
Exagérant chaque fait, elle leur raconte les cellules terroristes qu’elle a
fréquentées à Genève, son frère Augustin parti à la Légion, sa misère à
Marseille, le célèbre Brieux venu à la rescousse… Puis, toujours aussi
lyrique, elle leur parle de ce livre qu’elle a envie d’écrire sur les
événements de Margueritte, cet autre, sur le cas du marabout Yacoub qui
communique à ses disciples l’esprit en leur enfonçant, paraît-il, la langue
dans la bouche.
– Cela s’appelle embrasser, Si Mahmoud !
– Imbécile !
– Et si vous nous parliez de ce que vous écrivez à présent ?
– Oh ça ! Je suis bien trop flemmarde ! Et à vrai dire, je profite de ce
nouveau bonheur.
Elle les regarde tous, applaudit joyeusement.
– Oui, crie-t-elle, je suis contente parce que vous êtes contents et que le
vin est bon !
Et tous de se moquer d’elle, parfaitement saoule à présent alors qu’elle
n’arrête pas de leur dispenser des cours sur la probité des vrais croyants et
les bienfaits de la véritable ascèse.
– Ah, je suis bien russe au fond, et la détresse est pour moi une épice.
Vous avez raison, j’aime le knout *12, et je me réjouis quand on a pitié de
moi… Mon Dieu, j’ai trop fumé et bu trop d’absinthe et de vin ; ça me met
le cœur sur les lèvres. Ce clair de lune m’hallucine. Moquez-vous de moi,
Arnaud, je suis saoule de mon âme ce soir 16 !
Avec l’insouciance et les nouvelles amitiés, Isabelle délaisse pour un
temps sa quête de Dieu pour retrouver son côté « sale gosse ». Pour la
première fois depuis longtemps, elle peut enfin se lâcher, rire, faire des
bêtises. Avec ses nouveaux amis, elle se remet aussi à lire assidûment,
découvre ou redécouvre Baudelaire, Verlaine, Mallarmé, Daudet, Paul
Adam, Rémy de Gourmont… Arnaud lui confie son envie de faire
prospérer une intellectualité d’artistes d’Afrique du Nord dont les œuvres,
contrairement à celles des artistes de la métropole, seraient dépouillées des
oripeaux de l’orientalisme à paillettes *13. Il en a plus qu’assez de les voir
plagier les classiques et susurrer des histoires imaginaires d’amours franco-
arabes.
– Que n’ont-ils votre regard et votre indépendance !
Certains jours, elle quitte ses amis pour une partie de chasse ou pour de
longues promenades solitaires. On la retrouve alors assise sur le trottoir
d’une rue, au milieu d’une petite foule d’indigènes, en train d’aider à la
rédaction d’une lettre ou de discuter âprement. Dans toute la campagne, pas
un fellah qui ne la salue d’un joyeux salam ! Partout dans le pays, on la voit
pénétrer dans les gourbi les plus misérables, apporter de la nourriture,
guérir des malades tout en buvant, sans aucune répugnance, l’eau sale et
putride des gourdes qu’on lui tend. Assise au coin d’un feu entre un animal
rachitique et un enfant fiévreux, elle pose mille et une questions aux Arabes
qui la considèrent, ahuris. De ces incursions quasi journalières, elle tirera sa
superbe nouvelle Fellah 17 où, avec une précision et une émotion dignes
d’un Maupassant ou d’un Mirbeau, elle conte le quotidien de la vie de ces
paysans réduits à la misère à cause des impôts et des expropriations en
masse dont ils sont victimes. Lors de ces échappées, elle fait bien attention
de ne jamais toucher un mot des luttes politiques qui enflamment Ténès.
Depuis que Barrucand lui a offert sa colonne hebdomadaire dans L’Akhbar,
Martin et Bouchot la pressurisent de toute part, le premier lui offrant des
ponts d’or pour s’y répandre en insultes sur Bouchot, le second lui
promettant de bien noter son mari en échange d’articles contant les abus de
Martin 18. Plus le temps passe, plus sa neutralité passe mal. Dans sa nouvelle
L’Arrivée du colon 19, Isabelle donne un aperçu de l’atmosphère putride qui
règne alors dans le bourg pourri, la mare stagnante, le petit endroit *14.
« Alors, vous venez de débarquer ? Ça se voit… seulement comme on
est français, faut pas s’y tromper… Nous savons qu’ils vont tout de suite
chercher à vous embrouiller, les hommes à l’adjoint… Veillez-vous… C’est
tous des canailles […]. Nous, nous sommes avec le maire. Faudra pas vous
laisser embrouiller, vous comprenez.
– Mais je ne suis pas venu ici pour faire de la politique… […]
– Ah, voilà… ça, on le sait. Le gouvernement donne des concessions à
des gens de France qui se fichent pas mal des intérêts de la colonie, qui ne
veulent pas marcher avec les colons, tandis que nos fils sont obligés de
travailler comme ouvriers, côte à côte avec les pouilleux 20… »
Bientôt, en ville, on s’exaspère qu’elle ne choisisse pas son camp. À
n’en pas douter, cette Française d’origine étrangère, déguisée en homme
arabe, qui passe le plus clair de son temps avec les « bicots », trame quelque
sale coup. Il est grand temps de la remettre à sa place, voire de l’expulser.
La goutte d’eau survient lorsque M. Dupont *15, le premier adjoint de
Bouchot, lui fait des avances. Imbu de lui-même, retord à souhait, il est
quasi certain qu’elle va lui céder. Quelle n’est pas sa stupeur quand il
s’entend lui répondre : « Plutôt que de coucher avec vous je préférerais
embrasser sur la bouche la gueule ouverte d’un macchabée mort du choléra
asiatique 21. » Furieux, Dupont se jure de tout faire pour aider ceux qui
veulent la chasser de la ville. Ce jour-là, le visage baigné de larmes, Isabelle
chevauche Ziza jusqu’au lointain douar Maïn. Existera-t-il, ce jour où elle
pourra vivre comme, enfant, elle a toujours vécu ? Libre, libre, libre !
« Malgré tous leurs défauts et toute l’obscurité où ils vivent, les plus
infimes Bédouins sont bien supérieurs et surtout bien plus supportables que
les imbéciles Européens qui empoisonnent le pays de leur présence. Où les
fuir, où aller vivre, loin de ces êtres malfaisants, indiscrets et arrogants,
s’imaginant qu’ils ont le droit de tout niveler, de tout rendre semblable à
leur vilaine effigie 22 ? »
Les jours suivants, elle part en course aux douar de Baghdoura, de
Tarzout, ainsi qu’au cap Kalax et au M’gueu… La fièvre paludique l’a
reprise, mais tout plutôt que de rester dans cette ville qui empeste et où un
groupe de gens, vient-elle d’apprendre, a envoyé au commissaire d’Alger
un rapport accablant sur elle. Une autre mauvaise nouvelle lui étreint le
cœur. Slimène est tuberculeux. Le verdict est tombé il y a peu. Isabelle
élabore mille plans. Pourquoi ne pas aller s’établir avec lui en Palestine
chez son ami Moussa Shalit, devenu médecin à Naplouse ? Ou le faire
nommer caïd ? Alors ils pourraient tous les deux fuir loin de cette
méchanceté, dans un de ces villages de montagne où l’air est pur. Avec
beaucoup de repos, Slimène retrouverait la santé 23. Est-ce seulement encore
possible ?
Parfois, le découragement est tel qu’elle peut rester de longues semaines
sans tracer une ligne.
Un jour, elle débarque chez Arnaud dans tous ses états. La veille au soir,
elle est partie en excursion avec un guide jusqu’au défilé des Embuscades.
En arrivant là-bas, elle s’est mise à boire à grandes lampées l’eau du
ruisseau… « Par les nuits de lune, cette eau devient enchantée et fait voir
quiconque la boit », s’est écrié le guide, ajoutant, furieux : « N’importe quel
taleb sait cela ! » Incrédule, Isabelle est remontée à cheval en éclatant de
rire, mais bientôt, elle a senti tous ses membres s’engourdir et s’est vue
marcher comme un automate sous un ciel dont les nuages noirs
s’amoncelaient à une vitesse inquiétante. Le cœur serré, elle est tombée sur
un combat silencieux – mais furieux – entre deux bandes guerrières. Parmi
les combattants, un homme gigantesque vêtu d’une cotte de mailles rouillée
a tourné son regard vers elle et l’a fixée de ses yeux vitreux. Au moment
précis où elle l’a vu lui adresser un signe, son cheval, qui lui aussi avait bu
l’eau du ruisseau, s’est emballé, fou de terreur, la projetant à terre quelques
centaines de mètres plus loin. Quand elle s’est relevée, la vision avait
disparu.
– Cher Arnaud, ce n’est pas une hallucination que j’ai éprouvée !
L’aïeul m’a appelée. Je sais que je n’ai pas longtemps à vivre 24 !
– Allons, Si Mahmoud.
Mais rien ne vient à bout de sa terreur, pas même la voix rassurante
d’Hélène. Elle a si peur de mourir.
*1. Auteur notamment du très beau roman Le Çof. Mœurs kabyles (1902) (Paris, Hachette
livres/BNF, 2016).
*2. Guennour : coiffure haute, en turban, maintenue par une cordelette enroulée.
*3. Kanoun : petit fourneau.
*4. Xavier Coppolani, Les Confréries religieuses musulmanes, Alger, Jourdan, 1897.
*5. Rabbin. Roman de mœurs juives, avec Sadia Lévy, Paris, Havard fils, 1896.
*6. Mestr : bas de cuir de cavalier maghrébin.
*7. Le Courrier français : hebdomadaire de Jules Roques, qui découvrit Forain, Willette, Raoul
Ponchon, Louis Legrand.
*8. Élie Reclus, journaliste, écrivain, ethnologue, frère d’Élisée Reclus, géographe libertaire
mondialement connu à cette époque (considéré aujourd’hui comme l’un des plus grands géographes
du monde).
*9. Les Juifs, les Espagnols et les Italiens oui, mais parce qu’ils ont, à défaut des autres, un lien avec
la terre d’Europe.
*10. Entre les années 1900 et 1906 les débats font rage entre les tenants de l’« assimilation » et ceux
de l’« association ». Pour les curieux, voir : le Congrès international colonial : rapports, mémoires,
procès-verbaux des séances de 1900 et 1901.
*11. Marius Leblond (Georges Athénas de son vrai nom) et Ary Leblond (Alexandre Merlot de son
vrai nom) sont tous les deux des journalistes, critiques et écrivains réunionnais qui eurent, à cette
époque, leur heure de gloire avec notamment en 1909 le prix Goncourt pour leur roman En France
écrit à quatre mains. Ils connaissaient le Tout-Paris.
*12. Knout : fouet utilisé dans l’Empire russe pour flageller les criminels.
*13. Ce mouvement créé par Aranaud alias Robert Randau, va devenir celui des algérianistes.
*14. Noms attribués à l’époque à Ténès par les vieux Algériens, les journalistes parisiens et les
politiciens anglais.
*15. De son vrai nom : Dupont Martin. Pour ne pas le confondre avec M. Martin, le maire, nous
avons décidé de l’appeler M. Dupont tout court.
*16. Déclaration du sénateur républicain Pauliat suite au verdict du procès du soulèvement de
Margueritte, qui eut lieu à Montpelliers (France).
CHAPITRE XX
*1. Faute d’avoir remis la main dessus, on ne sait toujours pas si ce cinquième Journalier existe.
*2. La Revue algérienne deviendra par la suite Les Annales africaines. Ernest Mallebay est
également l’auteur des trois volumes de Cinquante ans de journalisme, Alger, Fontana, 1937-1938.
CHAPITRE XXI
Dans le train qui l’emporte, tout lui semble alors charmant et heureux :
« Il est ainsi, à certaines époques de la vie, des instants où rien
d’extraordinaire ne survient, mais qu’on n’oublie jamais dans la suite, car
ils sont d’une indicible douceur 11. » Dans le petit bourg espagnol de
Perregaux d’aspect plutôt quelconque, ses douze heures d’attente passent
comme une flèche. Cigarette aux lèvres, elle contemple les lueurs rouges du
soleil couchant avant de sauter dans le premier train. Vers le milieu de la
nuit, c’est la traversée de la triste Saïda, puis la rude escalade des hauts
plateaux suivie de courtes haltes en rase campagne. Plus elle s’éloigne de la
civilisation, plus le songe reprend place en elle et, avec lui, la force de vie.
Au jour naissant, elle découvre le charme poignant de la plaine du Sud où
les rares touffes d’alfa évoquent un monde plein de tristesse. Enfin, au loin,
les montagnes surgissent, environnées de grandes dunes rougeâtres qui,
telles d’immenses vagues, semblent vouloir prendre d’assaut les sommets.
Tout là-bas, c’est le Maroc et ici, la ville d’Aïn-Sefra, dominée par sa
redoute militaire où vivent plus de cinq mille hommes. À ses pieds, le long
de l’oued, d’un côté, la cité européenne avec sa poste, son école, ses petits
commerçants, de l’autre, la vieille ville arabe avec ses rues tortueuses de
terre grise, ses femmes voilées, son marché. Isabelle se plaît d’emblée dans
ce décor où, consigne-t-elle hâtivement, elle ne « devait que passer 12 ».
Elle ne voit pas la mort prochaine, mais la guerre avec « ses troupes de
goumiers *7 montés sur de petits chevaux se mêlant au soleil, ses mokhazni *8
en longs burnous noirs brodés de rouge, ses tirailleurs bleus, ses spahis au
manteau rouge, ses légionnaires enfin aux cheveux blonds et aux visages
tannés par des soleils lointains 13 ». Dans les rues, l’atmosphère est fébrile,
et dans les cantines, comme pour éloigner la menace, les soldats chantent à
tue-tête, tandis qu’à quelques mètres, une vieille Arabe pleure et hurle ses
triolets étranges. Dans cet Aïn-Sefra inquiète, il n’y a plus lieu de se saouler
ni de fumer du kif pour ressentir le monde. Face à l’imminence du danger,
la vie retentit dans chaque geste, chaque regard. « Aïn-Sefra est belle 14 »,
note-t-elle dès son arrivée. Aïn-Sefra, la ville où elle va bientôt trouver la
mort et où, pourtant, à cette heure, il lui semble renaître.
Dès le lendemain, elle part interroger à l’hôpital les blessés du combat
d’El Moungar. Peu de Français ici, mais plutôt des Italiens, des Allemands,
« rudes figures culottées au sourire avenant qui errent à l’ombre, avec des
pansements de linge blanc 15 »… Trop timides pour lui parler, ils l’adressent
à M. Zolli, leur caporal. Ravi d’être « interviewé », ce dernier lui relate
avec moult détails la mort de ce pauvre Vauchez qui, quelques jours plus
tôt, racontait en riant qu’il irait en bras de chemise au Tafilalet, puis celle du
lieutenant Selchauhansen, entré dans la Légion suite à un terrible chagrin
d’amour. Face à la volubilité de leur chef, quelques bougres s’enhardissent.
Ils ont eu si soif ce jour-là. « Quand ça a été fini, le soir, on s’est envoyé pas
mal de litres de vin pur. Alors ça nous a tapé dans le plafond, et ça fait
qu’on était un peu soûls 16. »
Au rez-de-chaussée, Isabelle trouve les tirailleurs. Elle parle
longuement avec le mokhazni Mouley Idriss de la tribu des Amour *9, qui lui
explique combien, depuis toujours, dans cette région frontalière, les tribus
se razzient entre elles. Pour lui, l’opération des Français va permettre d’en
finir avec ceux qu’il appelle les « pillards », les « coupeurs de route », ou
encore el khian : « les voleurs ».
Touchée par le courage et l’accueil chaleureux que lui réservent ces
combattants, Isabelle épouse instantanément leur cause sans chercher à un
seul moment à remettre en question leur discours. Le camp adverse aurait
pourtant eu bien des choses à lui révéler. Mais aussi brillante et intelligente
soit-elle, Isabelle, très jeune encore, reste une âme hypersensible et
durement éprouvée qui, à cet instant de sa vie, a besoin avant tout de
reconnaissance et de chaleur.
Quand le soir descend sur la petite bourgade, tout se tait brusquement.
« Pas de passants civils, un silence lourd, presque une impression de ville
en danger. » Dans les salles closes, les boutiquiers, l’air grave, tiennent de
longs conciliabules sur la stratégie à adopter pour retrouver un peu de
sécurité, sur le nombre d’hommes de la garnison « ridiculeusement
insuffisant » 17, sur la peur d’une prochaine harki *10.
Le lendemain, Isabelle part en train plus au sud, vers Hadjerath M’Guil,
pour interroger d’autres blessés. Elle rate de peu l’arrivée à Aïn-Sefra, le
1er octobre, du colonel commandant le 14e hussard, Louis Hubert Gonzalves
Lyautey, tout juste promu général *11. Il vient de passer trois ans au sud de
l’île de Madagascar sous les ordres de Gallieni qu’il adule. De retour en
France, il était sur le point de démissionner quand, au cours d’un déjeuner,
Jonnart, le gouverneur général de l’Algérie, lui a proposé la difficile
mission de pacifier la région sud oranaise. Après mûre réflexion, Lyautey a
accepté à la condition expresse qu’on lui laisse carte blanche. Avec lui, il
faut s’attendre à ce que beaucoup de choses changent. « Faire comprendre »
plutôt que « bombarder » 18, telle est sa devise et celle de Gallieni, son
maître à penser.
À peine arrivé, tout comme Isabelle, il rend visite aux blessés de
l’hôpital d’Aïn-Sefra, trouvant là ce qu’il appelle « une bonne atmosphère
de guerre 19 ». Dès le 4 octobre – toujours comme Isabelle –, il file plus au
sud faire le tour de Figuig où « tout étincelait, les montagnes roses, les
coupoles blanches des koubba, la brume du matin sur les palmiers 20 » pour,
dès le lendemain, rendre visite aux blessés d’Hadjerath. À croire qu’il la
suit à la trace ! Comme elle, là encore, il parle aux uns et aux autres,
demandant si certains ont déjà marché avec lui. « Cinq ou six sortent des
rangs : “Moi, moi colonel, j’étais avec vous à Mirken – j’étais avec vous à
Ké Toung, à Fort – Dauphin.” […] Et vous ne sauriez sentir comme c’est
bon – à chaque fois les larmes me montent aux yeux […]. Ils ont tous l’air
de me dire : “Allons encore une fois au baroud ensemble, ça
marchera 21 !” »
Deux hyper émotifs, deux aventuriers, deux écrivains, deux outsiders :
Isabelle et Lyautey ont tout pour s’entendre. L’heure de leur rencontre n’a
toutefois pas encore sonné.
Refoulée de l’hôpital d’Hadjerath, « faute d’une autorisation
supérieure 22 », Isabelle part à Oued Dermel en compagnie de Taïeb, un
Bédouin qui se rend là-bas pour acheter sa monture. Montant tour à tour
une mule boiteuse, ils s’enfoncent dans des paysages où l’herbe est encore
plus coriace et triste que l’alfa des Hauts Plateaux. Sur place, elle tombe sur
une vingtaine de tentes où vivotent, entourés de leurs femmes et de leurs
enfants, des mokhazni de la tribu des Amour. Autour d’un thé, tous lui
parlent des brigands et, comme s’il s’agissait de la chose la plus naturelle au
monde, lui content les alertes continuelles, les attaques, les poursuites, les
ruses des rôdeurs 23. La nuit venue, alors qu’elle s’apprête à s’endormir, le
campement est réveillé en sursaut. Un djich *12 a eu lieu à une demi-heure
d’ici ! Aussitôt, le chef fait éteindre toutes les lumières et place des
sentinelles couchées aux quatre coins du campement. Dans la nuit noire, on
veille, parlant à voix basse et se cachant pour fumer. Soudain, les chiens se
mettent à aboyer. Le cœur d’Isabelle bat à tout rompre. Elle se l’avoue,
honteuse, elle voudrait bien que l’attaque ait lieu. Après des heures et des
heures à guetter, le jour doucement se lève. C’est fini, le danger est passé, et
Isabelle a la sensation d’avoir touché le cœur de la vie de ces simples gens.
Ah ! Elle voudrait, comme eux, pouvoir en finir avec cet ennemi invisible,
voleur de chèvres et de bétails qui, partout où il passe, sème la peur et le
désordre.
C’est de nouveau bien méconnaître l’histoire de cet ennemi.
Les jours suivants, on la retrouve à Duveyrier devenue une bourgade
morte depuis l’extension de la ligne de chemin de fer, puis à Beni-Ounif,
longée de part et d’autre par l’oued Zousfana, qui fait office de frontière
« naturelle » entre le Maroc et l’Algérie, et sur lequel s’élève la ville de
Figuig. Majoritairement occupée par des militaires, Beni-Ounif apparaît
bien sinistre à Isabelle. « Qu’il est dissemblable, ce pays de poussière et de
pierre, des dunes pures et irisées du Souf, et des chott immenses, et des
palmeraies mystérieuses de l’oued Rir’h salé 24 ! » À lire l’anarchiste Ernest
Girault qui débarque incognito quelques mois plus tard, on a franchement
l’impression d’atterrir en plein Far West : « Il faut que tout coule à Beni-
Ounif : l’or, l’alcool et le sang 25. » Peu de colons, si ça n’est « une
soixantaine d’aventuriers qui trafiquent une douzaine de millions par an 26 ».
Nous sommes bien loin de la beauté quasi mystique des paysages
d’El Oued. La déception est grande pour Isabelle. Pas question pour autant
de s’arrêter d’écrire. La seule pensée de décevoir Barrucand et de devoir
rentrer à Alger la glace. Alors elle note sans relâche, décrivant avec la plus
grande minutie les décors qu’elle traverse : la petite gare de Beni-Ounif, les
ruelles de son vieux ksar *13, ses maisons éventrées, sa fondrière à l’ouest, et
un peu plus loin, une petite porte donnant sur un grand cimetière « où
l’impression de la mort s’évanouit dans la monotonie vide du décor 27 ».
Par touches, Isabelle fait entrer son lecteur dans ce monde inconnu des
territoires du Sud. Quelques lignes suffisent pour l’y plonger. Les
impressions se superposent et tout un monde éclôt. C’est la magie de la
prose si précise d’Isabelle. Son œil, tel un appareil photo, fixe à jamais un
regard, un vêtement, un geste, une phrase lancée en l’air. Dans ce monde
eberhardtien, tout est à la fois concis et comme suspendu. Rêve et réalité
des images s’entremêlent sans jamais chercher l’effet si ce n’est celui du
pur ressenti, du pur visuel.
Au mois d’octobre 1903, le capitaine Berriau, chef du Bureau arabe de
la ville, lui présente Lyautey. Le général, à cette période, est en pleine lutte
avec sa hiérarchie qui, malgré les multiples interventions de son ami le
gouverneur Jonnart, lui interdit de déplacer la moindre cartouche sans
autorisation préalable d’Oran et d’Alger. Idem pour disposer d’un officier
ou faire venir des hommes sur lesquels il pourrait compter 28. Trois semaines
d’exploration lui ont pourtant suffi pour se faire une idée précise de ce qu’il
serait nécessaire d’accomplir. Mais comment faire avancer les choses si on
ne lui laisse aucune marge de manœuvre ?
Entre lui et Isabelle, le coup de cœur est réciproque. En cette fille
déguisée en Arabe, Lyautey détecte immédiatement un être libre qui se
moque aussi bien du qu’en-dira-t-on que des étiquettes : une qualité qu’il
aime par-dessus tout. L’incroyable expérience « arabe » d’Isabelle
n’échappe pas non plus au vieux requin, aussi la bombarde-t-il de questions
sur la façon d’approcher les caïds, les cadeaux à leur faire, les hommages à
leur rendre… Côté Isabelle, c’est la folle énergie de l’homme, sa façon de
traiter chacun à égalité, de ne pas jouer au « général » tout en adorant la
guerre qui la fascine. Sans parler de son amour des lettres et de l’intérêt
qu’il lui porte. Jusqu’à présent, les officiers des Bureaux arabes l’ont
tellement dédaignée.
Lorsque, ce jour-là, elle le quitte, c’est en se promettant de le revoir.
Au même moment, Isabelle apprend que Jean Rodes, le journaliste du
Matin, vient d’arriver. Elle le rejoint aussitôt au bar de son hôtel pour le
remercier du portrait qu’il a fait d’elle dans La Revue bleue. « Faites
attention », lui dit-elle. « Si vous partez seul dans le bled, allez les mains
dans les poches ou, du moins, votre arme soigneusement cachée ; vous
ferez peut-être impunément ainsi votre route. Que l’on voie au contraire le
canon d’une carabine, la crosse du moindre bull-dog et vous êtes perdu » 29.
Elle-même, lui confie-t-elle, a une arme cachée sous son burnous. Ce soir-
là, à la grande stupeur du journaliste, Isabelle débarque chez lui : « Elle
s’installa, faute de local libre, dans ma chambre, refusa d’occuper le lit que
je proposais de lui céder, et s’établit dans un coin sur un matelas étendu sur
une natte 30. »
Le lendemain, escortés par six cavaliers du maghzen, ils partent
ensemble visiter l’oasis de Figuig : « Nous avons franchi, en deux temps de
galop, les deux kilomètres qui séparent Beni-Ounif du col où les Figuiens
s’embusquèrent le jour où ils faillirent enlever le gouverneur général 31. »
Sur place, Rodes raconte l’entrevue avec le caïd de Zenaga, les salutations
interminables, les plateaux chargés de dattes et de pâtisseries… « L’instant
eût été doux et léger, si on n’avait senti la cordialité absente. Zenaga
recevait le roumi avec une contrainte à peine dissimulée. » Puis, ils
pénètrent le ksar, ne recevant que quelques timides saluts de la part des
habitants, pour la plupart « sourdement hostiles 32. » Enfin, ils parviennent à
l’immense palmeraie arrosée par « un système de canalisation, une
irrigation supérieure peut-être à tout ce que j’ai pu voir de semblable dans
nos campagnes de France 33 ». Tout en haut d’une falaise, ils s’arrêtent pour
jouir de la vue, puis cheminent jusqu’au ksar Oudaghir où réside l’« amel *14
pacha », le représentant du sultan à Figuig. « Chef de l’oasis entière, on a
vu, par les incidents derniers, combien son action sur Zenaga est nulle. Mais
dans son ksar, il est maître, un maître de grande allure 34. » Sur le chemin du
retour, Rodes prend quelques photos. « Une heure et demie après, nous
étions rentrés à Beni-Ounif 35. »
Les jours passent, et c’est désormais dans la chambre de Rodes qu’ils
dorment, mangent et rédigent tous deux leurs articles, bientôt rejoints par le
peintre Maxime Noiré qu’Isabelle accueille à bras ouverts. Lors de leurs
virées, elle sidère Rodes par la connaissance qu’elle a des usages et des
mœurs arabes : « C’est avec une volubilité remarquable qu’elle égrenait le
chapelet interminable des salutations et des souhaits entremêlés des
traditionnelles exclamations pieuses 36. » Il la trouve expansive à souhait,
n’hésitant pas à dire sans la moindre retenue tout ce qui lui passe par la tête,
jusqu’aux expressions les plus choquantes. Dans un restaurant où ils
déjeunent, la voyant se lever, il lui demande ce qu’elle fait.
« Oh ! Ce n’est rien, j’ai la ch 37… ! »
Il manque de s’étrangler. Un autre jour, alors qu’ils sont à table avec des
parlementaires, il croit rêver lorsque, dans un langage des plus crus, il
l’entend, morte de rire, leur narrer des histoires de putes et de bouges.
Jamais il n’a croisé pareil phénomène.
Un soir, en dépit de ses nombreuses mises en garde, elle boit coup sur
coup dix-huit verres d’un doux mélange de kummel, de chartreuse et de
cointreau. Une fois dans la rue, ivre morte, elle s’empare d’un gros baril
vide et, avec une force peu commune, le projette devant elle. Noiré, mort de
rire, lui demande de se calmer tandis que Rodes élève le ton, craignant le
scandale. Face à ses reproches, Isabelle soulève son burnous et s’éloigne en
courant. Affolés à l’idée que des rebelles lui tirent dessus, Noiré et Rodes la
rattrapent. À leur vue, elle s’effondre par terre en gémissant. « Ah, que je
suis malheureuse ! Que je suis malheureuse 38 ! » Est-ce Slimène qui lui
manque ? L’Esprit Blanc ? Vava ? La Villa neuve ? Dans sa chambre
d’hôtel transformée en dortoir, Jean Rodes l’entend gémir toute la nuit. On
est fort loin de la paix intérieure qu’elle cherche depuis si longtemps. Bien
loin aussi d’une quelconque discipline religieuse. Qu’a-t-elle fait de ce que
lui ont enseigné, à El Oued, ses maîtres Quadrïa ?
Bientôt, Rodes et Noiré doivent repartir, et les adieux sont tristes. Seule
à nouveau, Isabelle reprend ses errances dans les ruelles de Beni-Ounif,
dormant à l’indigène, tantôt dans un café maure, tantôt dans un fondouck *15.
Est-ce à cette période qu’elle acquiert son chien Loupiot ? Jamais, jusqu’ici,
elle n’a mentionné son existence, mais si elle avait amené cet animal
d’Alger, on voit mal Jean Rodes ne pas évoquer sa présence quand Isabelle
s’installe dans sa chambre…
Parfois, pour échapper au « décor pétrifié 39 » de la petite bourgade, à
ses soirs funèbres « où le noir cafard envahit les âmes 40 », elle s’enfuit vers
le campement tout proche de Djenan-ed-Dar, « essai timide de vie perdue
dans le vide et la stérilité de la plaine immense, libre, tranquille 41 ». Là-bas,
« c’est l’espace sans bornes, aux lignes douces, imprécises 42 » qui lui
rappelle illusoirement l’horizon libre d’El Oued. Parmi les tirailleurs, les
spahis et les légionnaires en partance pour les postes du sud-ouest, Isabelle
s’allonge sur une toile de tente, ou encore sur un couvre-pieds. « Je me
souviendrai toujours de ces veillées si calmes dans une atmosphère de
danger. Nous arrosions nos galettes azymes de nombreuses tasses d’un thé à
la menthe préparé sur un feu d’alfa et d’épines, et nous restions longtemps à
écouter le vent. Près des brindilles éteintes, commençaient alors
d’interminables récits de la plus vague géographie 43… » Est-ce au cours de
l’une de ces nuits, à la lumière tremblante d’un feu, qu’Isabelle entend le
bâtard et légionnaire Stolz lui confier son fol espoir de voir un jour son père
le reconnaître ? Isabelle en écrit aussitôt une nouvelle dans laquelle le jeune
héros, face au refus intransigeant du père, finit par se suicider. En lisant ces
pages, on en vient à se demander si la raison profonde du désespoir
d’Isabelle ne se niche pas au cœur de cette bâtardise dont elle ne parle
quasiment pas et qui pourtant continue à la meurtrir : « Sa détresse fut
immense. Le voile des lendemains ignorés, qui seul bienfaisant, nous fait
vivre, s’était déchiré devant ses yeux. Il lui sembla embrasser d’un regard
tout ce que serait sa vie : une morne succession de jours, d’années
monotones, d’actes sans but ni intérêt 44 ! »
À la même période elle entame la rédaction de La Foggara 45, où elle
décrit la vie du soldat alsacien Weiss envoyé dans le Sud oranais à Beni-
Ounif. « Peu à peu, il avait discerné la splendeur des horizons de feu […]. Il
avait senti l’ineffable silence, la paix mélancolique et profonde de cette
terre immuable et cela lui avait suffi 46. »
Avec le froid de l’hiver naissant, elle se plaît à décrire, dans sa nouvelle
Campement 47, la vie des soldats nomades Amour, Hamyane et Trafi d’Aïn-
Sefra, de Méchéria et de Géryville, leurs tâches quotidiennes, leurs chants,
leurs querelles… Tous traitent Bou Amama de « pilleur » et, durant ces
mois passés à Beni-Ounif, partout c’est le même son de cloche.
Un jour, elle décide de visiter le tombeau de Slidi Slimane
Bou Semakha, « le grand guérisseur des malades 48 ». Cherche-t-elle à
guérir de ses fièvres paludiques qui, de plus en plus fréquemment, la
reprennent ? À guérir son âme encore si fort sujette aux crises d’angoisse,
au doute ? En y entrant, quelle n’est pas sa surprise d’y trouver une très
haute et très antique horloge d’Europe 49. « Le mouvement est arrêté sur un
midi ou un minuit oublié et rien ne trouble plus le silence pieux 50. »
Alentour, c’est la menace de guerre et ici, la paix la plus totale. Un contraste
qui rappelle une fois de plus à Isabelle sa propre dichotomie.
Quand elle croise le chemin de Meriema, une pauvre femme devenue
folle après la mort de son fils Mahmoud, elle écrit : « Les soirs de
dimanche, quand les légionnaires et les tirailleurs sont saouls, ils oublient
qu’elle est une pauvre innocente et ils la violent malgré ses plaintes et ses
cris 51… » Au milieu de l’horreur, elle décrit les lézards prenant le soleil,
avant de conter la lente agonie de Messaouda, la chamelle. « Tout à coup,
un long spasme agita son corps, depuis ses pattes étendues jusqu’à sa petite
tête aux longues dents jaunes, aux grands yeux doux et douloureux qui
pleuraient. Et ces vraies larmes, lourdes et lentes, étaient d’une poignante et
très déconcertante tristesse, sur cette face de bête primitive, soudain si
étrangement rapprochée de notre humanité, dans l’angoisse de la mort 52 ».
Indifférence des lézards, stupeur, face à la mort, de la chamelle,
hurlement de Meriema, victime de sa démence et de la déchéance
humaine… On ne peut être plus proche du climat à la fois violent et
ordinaire dans lequel tous baignent à Beni-Ounif : Européens comme
Arabes, nomades comme fellahs, marchands comme soldats. Jamais
toutefois, Isabelle ne cherche à donner de leçon, pas davantage à faire le tri.
Avec une fluidité rare, elle passe d’un sujet à l’autre, accordant à chacun
une part égale, qu’il s’agisse de soldats se préparant à la guerre, des
couleurs chatoyantes du marché de Beni-Ounif, de l’ambiance d’un
campement à l’aube, des querelles entre légionnaires, des mokhazni dont les
mœurs, au contact des autres soldats, se relâchent, des putes qui se fardent,
ou encore d’un déserteur allemand lisant, dans le texte, les prophéties
d’Isaïe. Aucune hiérarchie dans ses choix, aucun désir de scoop. Au fil de
ses émotions, dans un style dénué de toute fioriture, Isabelle raconte le
monde tel qu’il la traverse.
Lyautey, pendant ce temps, tente toujours aussi désespérément de faire
changer les choses. Parce que tout est à refaire ici. Quelle idée, par
exemple, d’avoir construit des postes militaires le long d’une frontière qui
sert à la fois de ligne de chemin de fer et de route de ravitaillement ! Si l’on
veut pacifier la région, il faut en premier lieu, créer – à l’instar de
l’ennemi – des unités légères ultra-mobiles, et construire des postes
militaires sur les hauteurs qui, seuls, permettraient d’organiser des « contre-
harkas *16 ». Dans le même temps, il faudrait développer au maximum tous
les réseaux de renseignement susceptibles de faire connaître par avance les
mouvements de l’ennemi. Enfin, récompenser les chefs de tribus favorables
à ses troupes, appâter ceux qui ne savent plus sur quel pied danser, utiliser
la manière forte contre les irréductibles, à condition cependant de pouvoir
former des unités d’élites ! « Je me suis décidé, à la stupeur de mes
officiers, à tout faire sans attendre d’ordre ; c’était trop long. Aussi cela se
remue : la semaine dernière, j’ai fait, en mettant six cents hommes en
mouvement, un nettoyage des montagnes qui a assuré pour longtemps la
sécurité du chemin de fer ; je viens de mettre en route une grosse colonne
vers l’Ouest ; j’irai la rejoindre dans huit jours après avoir été faire d’abord
un tour chez les tribus Hamyane, 1 500 guerriers, campés aux confins de
Bou Amama et que je vais aller voir sous leurs tentes, en chef de hordes.
Voilà la vraie vie, mais dame, c’est l’usine, les officiers au bureau jusqu’à
10 heures du soir, un secrétaire de garde de nuit ; on n’avait jamais vu cela
et je jubile 53. » Le même jour, Lyautey envoie un ultimatum à Paris : « J’ai
déclaré que faute de ces conditions, je demanderai mon rappel et que si on
me le refusait, en invoquant, ce qui eût été légitime, l’avantage qu’on
m’avait fait en me donnant le grade de général, j’étais résolu à demander
ma mise à la retraite 54. »
Dans la région, on ne parle plus que des nouvelles manœuvres du
général. Isabelle est impressionnée par l’intelligence dont il fait preuve : sa
façon de chercher à mettre fin aux guerres incessantes que se livrent les
tribus rivales et dont il résulte une si grande misère, de prendre le temps de
parlementer avec chaque caïd, de viser, une fois la paix revenue, à un
développement économique profitable à tous, et non aux seuls colons, de
soutenir enfin l’idée d’un protectorat plutôt que celle d’une colonie.
Courant novembre, elle se rallie à sa cause, perdant toute impartialité
comme en témoigne cette tribune : « Faut-il continuer le système coûteux,
et belliqueux des expéditions contre telle ou telle tribu, qu’on n’atteindra
presque jamais et qui reviendra demain ? Faut-il perpétuer celui de la
simple défense, c’est-à-dire se battre presque continuellement ? Ou bien
faut-il, comme d’aucuns ont osé proposer, surtout en Algérie, se livrer à une
extermination systématique des nomades dissidents ? Tous ces systèmes
sont aussi mauvais les uns que les autres. Il en est un autre, beaucoup plus
économique, plus humain, limitant au maximum le plus strict l’intervention
armée rendue malheureusement indispensable par les incursions
continuelles des hordes armées et pillardes. Le général Lyautey qui dirige la
subdivision d’Aïn-Sefra, rompant avec les vieilles routines militaires, a eu
l’heureuse inspiration de mettre tout dernièrement ce système à l’épreuve,
pour Figuig, et il commence à y donner d’excellents résultats. Nous voulons
parler de l’isolement et de la surveillance des marchés sahariens […]. Sans
les marchés, les nomades, réduits à la famine, sont dans l’impossibilité
d’exister […]. Il est facile dès lors de comprendre qu’une fois les marchés
surveillés et interdits à toute tribu ou fraction en état de dissidence, ces
dernières sont obligées, à bref délai, de se soumettre, ne pouvant
subsister 55. »
À travers ce « nous » si pro-français est-ce encore Isabelle Eberhardt
qui parle ? Si, à cette époque, nous avions pu la croiser, il est certain qu’elle
n’aurait cessé de nous vanter les mérites de ce fabuleux général. N’est-il pas
le champion de ce « colonialisme éclairé » qui la fait depuis longtemps
rêver et grâce auquel des hommes comme Slimène pourront gravir tous les
échelons en bénéficiant de la plus haute éducation ? C’en serait alors
terminé des razzias, des famines et de la misère. Les fellahs auraient accès
aux meilleurs soins, les petites filles arabes iraient à l’école : un monde
nouveau s’ouvrirait, où Blancs et Arabes s’apporteraient mutuellement le
meilleur de leur civilisation. Il y a beaucoup de candeur ici. Un
enthousiasme presque aveugle. Mais telle est Isabelle qui n’en est pas à sa
première contradiction. Qu’ont à voir en effet les idées de ses amis
anarchistes de Genève avec celles de ses amis Jeunes Turcs, de ses amis
Macédoniens, celles des pro-Zola dans l’affaire Dreyfus, des antijuifs dans
l’affaire Morès, des putes, des vagabonds en tout genre, des légionnaires ?
Pas grand-chose, sinon toujours cette soif de liberté et de justice. Ici,
Lyautey apporte la solution la moins violente, et elle est prête à tout pour
soutenir sa politique.
En cette fin d’automne, grâce à l’appui d’un certain Slidi Slimane, elle
prend l’habitude de rendre visite, en zone marocaine, à Mohammed
ben Menouar, le maître de la zaouïa d’Hammam Foukani. « Murmures de
prières, attitudes d’extase… […] Et pourtant, derrière cette façade
d’indifférence hautaine, dans cet éloignement des choses du siècle, il y a
autre chose : des intrigues mystérieuses qui, au Maroc, finissent souvent
dans le sang […]. Mais pour distinguer toutes ces choses cachées, il faut se
faire admettre dans les zaouïa, y vivre, y acquérir quelque confiance, car
au-dehors tout est blanc et apaisé 56… » Écouter, voir, entendre et pas
seulement pour rapporter « ses impressions » au général ou au lieutenant
Berriau, mais pour devenir la star de tous les reporters sur place. Depuis la
bataille d’El Moungar, les journalistes affluent à Beni-Ounif et la
concurrence est forte. Reconnue musulmane, Isabelle peut cependant
accéder là où nul journaliste ne le peut. Quelle belle revanche c’est pour
elle. Ces mêmes confrères, ne sont-ils pas ceux qui, lors de son procès à
Constantine ou encore à Ténès, l’ont si odieusement traînée dans la boue ?
Dans la petite zaouïa, elle n’a rien à craindre. Bien qu’étant le cousin de
Bou Amama, Si Mohammed est connu pour être favorable à la France. Ce
soir, Isabelle a cependant bien du mal à cacher son trouble lorsqu’une
dizaine d’hommes hâves et décharnés, armés de fusils Mauser, surgissent
dans la cour. Ces gens, qui sont-ils ?
« Oh ! Rien, lui répond le serviteur, des bergers de Mélias seulement.
– Mais ils portent le turban voilé des Beni Guil.
– Non. Ce sont des Arabes à nous. Ils s’habillent comme les Beni Guil,
parce qu’ils sont restés longtemps au chott Tigri 57. »
Un peu plus tard, Isabelle est introduite chez Si Mohammed qui, une
fois n’est pas coutume, affiche un air grave. À ses côtés se tient
Ben Cheikh, le serviteur le plus dévoué de Bou Amama à Beni-Ounif, qui la
supplie de rendre visite au chef rebelle. Avec sa protection et celle de
Si Mohammed, il lui assure qu’elle n’aurait rien à craindre. Bou Amama la
recevrait « à bras ouverts, comme son propre fils ».
– Tu devrais faire cela, Si Mahmoud. Après, à ton retour, tu pourrais
dire aux Français : « Je l’ai vu, et il ne m’a fait aucun mal. Il m’a bien reçu,
comme il reçoit tous les musulmans algériens. Il n’est pas l’ennemi de la
France, et entre lui et elle il n’y a qu’un malentendu 58… »
Mais Isabelle ne veut rien entendre et, pour ne pas paraître impolie,
répond évasivement. Interviewer le chef des rebelles, c’est pourtant le rêve
absolu pour une reporter. Est-ce la peur d’un piège qui lui fait répondre de
la sorte ? Bou Amama, d’après Lyautey, c’est l’ennemi redoutable, « le
foyer de toutes les agressions 59 ». Peut-être sont-ce les récits des
ksouriens *17 pillés ou encore ceux des blessés d’El Moungar qui l’ont
dégoûtée au point de ne même pas avoir envie de le rencontrer ? Ne sont-ce
pourtant pas les Français qui, les premiers, se sont conduits comme les pires
des agresseurs ? « Les exactions par les troupes françaises dans ce pays
n’ont épargné personne, les soldats français ont occupé nos terres, saccagé
nos palmeraies, dévasté nos terres de parcours, réquisitionné notre bétail à
leurs fins propres. Leur bestialité les a poussés jusqu’à profaner nos valeurs
les plus solides, à fouler aux pieds nos lieux saints, sanctuaires inviolables
de nos ancêtres 60. » Et tout cela pour avoir refusé d’être envahis par des
hommes qui justifiaient massacres et pillages au prétexte d’amener avec
eux la plus grande prospérité. Une prospérité dont le chef de zaouïa
Bou Amama, alors âgé de vingt-cinq ans, s’est de tout de suite méfié.
« Nous sommes des gens simples qui détestons l’injustice et la dépravation
et qui n’avons besoin de rien sinon de Dieu et de quelques dattes 61. » Une
réponse qu’aurait adorée Isabelle.
Seulement depuis qu’elle est arrivée dans le Sud oranais, Isabelle n’a
rencontré que des ksouriens et des nomades qui, usés par des dizaines
d’années de conflits – soit pour retrouver un peu de sécurité, soit par appât
de pouvoir et de gain –, ont fini par choisir le camp des Français. La
victoire des Blancs n’a-t-elle pas été éclatante ? Un jour ou l’autre,
Bou Amama, comme eux, finira par se rendre. Et il le faudra parce qu’ils ne
supportent plus ses razzias punitives. Mais quid de ce que, depuis des
années, les Français font subir aux alliés du chef des ennemis ? Des
expéditions meurtrières, des tentatives d’encerclement pour affamer ses
troupes, des pillages de leurs ressources ? En refusant cette entrevue,
Isabelle se prive d’un cinglant « contre-témoignage ». Non seulement, elle
aurait tenu là l’interview exclusive d’un des plus grands héros algériens de
l’époque, mais sans doute, à l’écoute de ce chef spirituel, son regard se
serait-il dessillé. N’est-il pas celui qui présage avec plusieurs dizaines
d’années d’avance tous les désastres à venir d’un capitalisme colonisateur ?
Mais Isabelle n’a que vingt-six ans et, pour la première fois de sa vie, elle
commence à être reconnue. À ses yeux, les idées de Lyautey sont ultra-
progressistes *18. Pour elle, il est un de ces héros qui, seul contre tous et pour
imposer sa nouvelle vision des choses, accuse de plein fouet les fureurs de
sa hiérarchie. Comment, dans ces conditions, avoir envie d’interviewer
l’homme qu’il déteste le plus ? Il est pourtant fort probable que
Bou Amama eût ébloui Isabelle. Mais Isabelle n’a jamais été un génie
politique, son affaire avec Delahaye l’a prouvé.
Électron libre, capable dans le même mouvement des plus belles
fulgurances et des plus grandes incohérences, elle tente désespérément de
garder la tête haute et d’avancer contre ce désir de Mort qui cogne si fort en
elle.
« La route intérieure »
Lorsque, après trois jours de voyage, elle retrouve le grand Sud, tout lui
semble différent. « J’ai quitté Aïn-Sefra l’an dernier, aux premiers souffles
de l’hiver. Elle était transie de froid, et de grands vents glapissants la
balayaient, courbant la nudité frêle des arbres. Je la revois aujourd’hui tout
autre, redevenue elle-même dans le rayonnement morne de l’été, très
saharienne, très somnolente, avec son ksar fauve au pied de la dune en or
avec ses koubba saintes et ses jardins bleuâtres 35. » Partout, alentour,
Lyautey s’est rendu maître des pistes. Affamer les tribus dissidentes en leur
rendant impossible l’accès aux marchés, tout en enrichissant les plus
conciliantes d’entre elles, a porté ses fruits. Dans la région, plus un
assassinat n’est à déplorer, et les grandes caravanes se déplacent à présent
sans escorte. Isabelle qui pensait retrouver un pays en guerre n’en revient
pas. Ce général, décidément, quel type ! Ne sachant pas combien de temps
elle va devoir rester sur place – ne pénètre pas qui veut aussi loin en
territoire marocain, et il faut remplir pour cela une masse de formalités –,
Isabelle loue une petite maison dans le ksar arabe, juste à côté de la koubba
de Sidi Boutkil, le saint patron de la ville. Est-ce dès son arrivée qu’elle
demande à Slimène de la rejoindre ? Le colonel de Loustal se souvient
parfaitement l’avoir croisée alors dans les rues : « C’était à Aïn-Sefra, dans
le Sud oranais. […] L’étrange femme, l’écrivain presque génial que fut
Isabelle Eberhardt habitait le village européen *10. Elle s’y était installée
avec le maréchal des logis qu’elle avait épousé, dans une des rares maisons
à deux étages. Elle ne se plaignait pas, mais on devinait une amère
déception. C’était une femme qui n’attendait plus rien de la vie. Elle n’avait
pas trente ans et toute séduction en elle avait disparu ; l’alcool la ravageait.
Sa voix était devenue rauque ; elle n’avait plus de dents et elle se rasait la
tête comme un musulman 36. »
Sur une photo qui nous la montre, deux mois auparavant, en compagnie
de Barrucand, elle n’apparaît ni laide ni ravagée, simplement jeune et triste.
Qui croire ? Sur ce cliché de la Revue illustrée 37, un voile cache ses
cheveux rasés et sa bouche étant fermée, on ne peut s’apercevoir s’il lui
manque des dents ; difficile également de se faire une idée de l’état de sa
peau sans aucun doute marquée par le soleil et l’alcool. Était-elle, pour
autant, aussi repoussante que le prétend le colonel de Loustal ? À Ténès,
deux ans auparavant, Marival l’avait trouvée tout aussi affreuse. Mais une
femme, à cette époque, n’était-elle pas faite pour séduire ? Abandonner à ce
point l’idée d’être jolie tenait de l’insupportable et si, avec Isabelle, on
finissait par s’habituer, c’était parce qu’elle se faisait passer pour un
homme. En outre, le désespoir qu’a pu lire le colonel de Loustal sur le
visage d’Isabelle peut s’expliquer : malgré la joie des retrouvailles avec
Slimène et la perspective de son prochain départ pour Kenadsa, quelque
chose la mine : en peu de mois, Slimène a perdu beaucoup de poids et sa
toux est devenue sifflante. Face à son visage blême, elle s’efforce de ne rien
faire paraître de son angoisse.
« Alors, mon pauvre vieux, ton rhume ne se guérit pas ? […]
– Il ne guérira jamais, ô femme ! Ne me leurre pas par des illusions que
tu n’as pas : ce n’est pas un rhume que j’ai, c’est la phtisie ! […] D’ailleurs,
je t’ai entendu pleurer la nuit dernière et j’ai compris : je crache le sang : la
mort ne m’effraie pas.
– Tu es un nigaud ; je te soignerai si bien que tu recouvreras la santé
[…] je t’aime tant, mon bien-aimé !
– Il est vrai Si Yahia *11 ; mais pour toi il est préférable que je meure ; tu
deviens célèbre et je ne serai jamais qu’un pauvre homme effacé ; plus tôt je
m’en irai vers Dieu, plus tôt tu seras libre 38. »
Par chance, il se rétablit très vite cette fois-ci. Le peu de jours qu’ils
passent ensemble, c’est main dans la main et sans jamais se quitter. Dans
son livre de souvenirs, Robert Randau évoque le couple à Aïn-Sefra, se
rendant au marché, soupesant un chevreau, achetant des aubergines, des
tomates et des oignons gros comme des têtes d’enfants. « Assis par terre
dans leur cuisine, séparés par un plat de bois vaste comme un bouclier,
Si Yahia et son époux, joyeux à la manière des gosses, épluchaient leurs
légumes […] et ils chantaient à mi-voix une berceuse arabe qui leur avait
été, à l’époque de leurs premières amours, enseignée par les vierges des
oasis 39. » Isabelle profite de chaque instant avec lui. Quand Slimène a
besoin de se reposer, elle discute avec les légionnaires et les tirailleurs
qu’elle croise dans les cafés maures ou à la redoute militaire. En ce mois de
mai, on la voit souvent en compagnie de Lyautey qui aime l’entendre lire
« ses » pages de son Sud oranais face au soleil couchant. N’est-il pas
écrivain à ses heures lui aussi, et ne rêve-t-il pas, comme tout homme
ambitieux, de voir son nom inscrit sur la couverture d’un grand roman ?
Parmi ceux qui apprécient le talent littéraire d’Isabelle se trouve
également le jeune lieutenant Pâris. Quand, à son arrivée en Algérie, ce bel
ange blond s’est retrouvé affecté à la 3e compagnie des fusiliers de
discipline, tout le monde a retenu son souffle. Comment ce gosse, à peine
sorti du giron de sa mère, allait-il pouvoir mater ces Joyeux ? Et pourtant, le
miracle se produisit. Du haut de son mètre soixante-cinq, Pâris obtint
l’impossible : en moins d’une semaine, les « colosses » n’obéissaient qu’à
lui. De quoi épater Isabelle. C’est que le lieutenant aime ses hommes et sait
le leur prouver. À la stupeur de tous, il n’hésite pas à leur imposer des cours
d’orthographe ! Il faut alors voir ce cercle de têtes brûlées, assis à l’ombre
du seul arbre de la caserne, boire, avides, les paroles de leur chef qui a
décidé de leur apprendre à lire et à écrire. Jamais personne n’a pris ce temps
pour eux et, rien que pour cela, ils le vénèrent. On imagine combien ce
spectacle a dû remuer Isabelle.
Sans le sou, elle rejoint souvent les soldats à la popote pour profiter
d’un repas gratuit. Un soir, Lyautey frappe à la vitre : « On s’amuse ici ! On
rit ! Je puis entrer ? » La soirée s’achève gaiement. Lyautey a, pour Isabelle
Eberhardt, pour son intelligence, une grande admiration. « Personne, dit-il,
ne comprend l’Afrique comme elle 40. »
La veille de son départ pour Kenadsa, elle traverse une dernière fois la
petite capitale de l’Oranie saharienne avec « la joie intime de penser que je
vais partir demain, dès l’aube, et quitter toutes ces choses, qui, pourtant, me
plaisent ce soir et me sont douces. Mais qui, sauf un nomade, un vagabond,
pourrait comprendre cette double jouissance 41 » ? Elle a comme le
pressentiment que jamais plus, après ce long voyage, elle ne remontera vers
le nord et que s’il lui faut repartir quelque part, « ce ne sera que pour
descendre plus loin […] où dorment les hamada sous l’éternel soleil 42 ».
Cette dernière nuit, Slimène est-il déjà reparti ? Ils ont tellement aimé se
retrouver, passer ce temps côte à côte, à marcher dans les rues, se caresser,
fumer… Quand et comment se sont-ils dit au revoir ? Isabelle, pour une
fois, a-t-elle pleuré ?
« Kenadsa »
« La fin »
*1. Sidi Boutkhil, le saint patron d’Aïn-Sefra, qui lui indique ici la direction du village d’en bas que
les eaux vont bientôt dévaster.
*2. Sorte de flûte.
*3. La seule chose que nous savons, c’est qu’il s’agit d’« une amie de Paris ». De cette année 1904,
tout le reste de sa correspondance a disparu, avec son dernier Journalier peut-être…
CHAPITRE XXVI
« Par-delà la mort… »
L’unique pont qui relie la ville à la redoute militaire vient d’être anéanti
par les eaux en furie. Massivement regroupés sur la rive opposée, les
soldats, protégés par le surplomb, assistent au désastre, impuissants. Face
aux cris de désespoir du postier, de sa femme et de leur petit garçon,
cramponnés à leur toit, le jeune lieutenant Beck n’y tient plus et plonge
dans les remous glacés pour tenter de les sauver. On retrouvera son corps
deux jours plus tard. Entre-temps, sous les yeux accablés des militaires, la
petite famille disparaît, engloutie par les flots. Après de multiples tentatives,
ils parviennent à lancer une corde par-dessus l’oued déchaîné à quelques
habitants de la rive opposée. Au péril de leur vie, ils tentent la traversée.
Mais la force des eaux est telle que le courant manque à plusieurs reprises
de les emporter. La mort dans l’âme, Lyautey leur intime d’interrompre leur
entreprise 1. On peut imaginer le désarroi de ces jeunes garçons toujours
prêts à se lancer à l’assaut, rendus soudain totalement inutiles. Cinq jours
plus tard, Lyautey lui-même ne s’en est toujours pas remis et, pour ne plus
être hanté par ces terribles images, il éprouve le besoin de se confier à sa
sœur : « Il y a eu, le 21, dix heures atroces en face du village s’en allant en
miettes sous nos yeux sans pouvoir rien faire, ni traverser l’oued 2. »
Il faut attendre 10 heures du soir pour que le général et ses hommes
parviennent enfin à franchir l’oued, « avec de l’eau jusqu’au ventre 3 ».
Parcourant à la lumière de lanternes la petite ville dévastée, ils appellent les
survivants, dégageant comme ils le peuvent les blessés et les morts de la
boue et des décombres. Et puis, là, sur le toit de l’école, un miracle. Bravant
tous les dangers, des soldats encore présents dans le village au moment de
la catastrophe sont parvenus à sauver quarante-deux enfants en les hissant
les uns après les autres sur le toit. M. et Mme Seguela, leurs instituteurs, ont
malheureusement péri. Alentour, tout n’est plus que boue et ruines. Plus de
90 % des maisons du village sont détruites. Vers 2 heures du matin, Lyautey
installe les survivants dans les wagons de la gare 4 en attendant d’organiser
un meilleur abri sous des tentes et dans la redoute. Par des habitants, il
apprend le courage héroïque dont a fait preuve le lieutenant de Torquat, en
ville au moment de la crue et dont le nom figure sur la liste des disparus. Il
aurait sauvé sept personnes en prenant la tête d’une équipe de sauveteurs.
Tard dans la nuit, leur patrouille tombe sur Slimène. Sous le choc,
grelottant, il raconte à Lyautey sa fuite avec Isabelle. « Tout d’un coup, la
maison que nous venions de quitter s’écroule sur nous. Je tombe, à moitié
assommé, le courant m’entraîne. Un boulanger m’arrache à la mort. Tout de
suite, aidé de mon sauveteur, nous nous mettons à la recherche de ma
femme. Je l’appelle à grands cris. Rien. Elle a disparu sous les flots 5. »
S’appuyant sur son récit, Lyautey, les jours suivants, fait rechercher le
corps d’Isabelle en amont et en aval de l’oued. Le 23 octobre, ses hommes
tombent sur le cadavre du petit garçon du postier qui a dérivé à plus de
trente kilomètres ! Après trois jours de fouilles, le nombre des morts s’élève
à vingt-quatre : dix Européens et quatorze indigènes. Nulle trace, en
revanche, d’Isabelle Eberhardt. À Alger, Victor Barrucand retient son
souffle. « La sachant résolue et forte, nous ne voulions pas admettre sa
mort. Nous espérions… Que n’espérions-nous pas 6 ? » Slimène, de son
côté, a été sommé de repartir. Juste avant de quitter Aïn-Sefra, il a supplié
Lyautey de lui donner des nouvelles. Mais le 26 octobre, toujours rien, et
Lyautey fait les cent pas. Isabelle s’est-elle enfuie dans quelque bled ? A-t-
elle filé avec une caravane ? Une idée, soudain, l’illumine. Et si Slimène,
dans son affolement, l’avait prise pour une autre… Le général veut en avoir
le cœur net. Le jeudi 27 au matin, il donne l’ordre au lieutenant de Loustal
et ses légionnaires de fouiller les décombres du gourbi où elle vivait avec
son mari. Parmi ces hommes figure le fameux Kohn qui, des années plus
tard, se souvient parfaitement de ce fameux matin : « Nous arrivâmes sans
trop de peine, mes camarades et moi, à cette masure située dans une rue
maintenant crevassée, boueuse, encombrée de dépôts de pierre et de toute
sorte de décombres puants entassés par l’inondation 7. » Pour entrer, ils sont
obligés de forcer la porte derrière laquelle se sont amoncelés toutes sortes
de débris. Puis, dans un air qui empeste, ils descendent les quelques
marches pour atteindre le rez-de-chaussée, s’enfonçant peu à peu dans la
fange boueuse qui, bientôt, leur arrive jusqu’au ventre. Attiré par une odeur
particulièrement nauséabonde, Kohn se fraie un chemin à tâtons dans la
boue. Le plafond est très bas et il doit se courber. « Aux traces laissées par
l’eau limoneuse sur la muraille de la chambre, j’ai constaté que la crue avait
dépassé la taille d’un homme 8. » Enfin, il atteint le fond de la pièce. Là,
dans l’obscurité du réduit formé par la volée d’escalier, il distingue deux
pieds humains qui sortent d’un monceau de débris. Fébrile, il se met à
dégager la planche qui recouvre le cadavre. C’est Si Mahmoud ! Les jambes
repliées, les mains nouées derrière la nuque, revêtue de son costume arabe 9.
Aussitôt, Lyautey prévient Alger par télégramme : « Corps Isabelle
Eberhardt retrouvé sous décombres. » À sa lecture, Barrucand refuse encore
d’y croire. Isabelle était si téméraire. Mais dans l’après-midi tombe un
deuxième télégramme, de l’agence Havas cette fois-ci, et là, plus aucun
doute possible.
Aïn-Sefra, 27 octobre,
Ce matin, à 9 h 15 on a découvert le corps d’Isabelle Eberhardt.
Le cadavre était enfoui sous les décombres, au bas de l’escalier
de sa maison. L’assistance était très impressionnée 10.
Isabelle-Si Mahmoud est bel et bien morte. Elle avait vingt-sept ans.
*1. Le 24 novembre 1905 (et non en 1906 comme le stipulent tous les précédents biographes).
*2. Slimène est mort en 1907 de phtisie (tubercolose).
*3. Ernest Mallebay : ex-directeur du journal satirique Le Turco.
*4. Il suffit pour cela de lire l’admirable ouvrage de Mohammed Rochd Kempf qui pointe plus de
trois mille corrections effectuées par Barrucand sur la deuxième partie du Sud Oranais, dont de
nombreux retraits et ajouts ! : Isabelle Eberhardt. Le dernier voyage dans l’ombre chaude de l’Islam,
Alger, Entreprise nationale du livre, 1991.
*5. Robert Randau qu’Isabelle a connu à Ténès sous le nom d’Arnaud et qui, suite à la mise aux
enchères des affaires d’Isabelle, acquerra le sabre qui avait failli coûter la vie à celle-ci et qu’elle
avait gardé, ainsi que son encrier.
*6. Augustin se suicide en 1914, laissant une fille qui se suicidera elle aussi en 1954.
*7. Livre republié sous le titre Au pays des sables, avec l’ajout des nouvelles Le Magicien, Oum
Sahar, Le D’Jich, et précédé cette fois d’une biographie intitulée : « Infortune et ivresse d’une
errante », Paris, Sorlot, 1944.
*8. Aujourd’hui disparues.
Notes
Prologue
1. Le Figaro, 28 octobre 1904.
2. Le Temps, 24 octobre 1904.
3. La Petite République, 24 octobre 1904. Article rédigé par Edmond Claris.
4. L’Akhbar, 13 novembre 1904. Hommage signé Fernand Perret, directeur du journal La Vigie
algérienne.
5. Gil Blas, 24 octobre 1904.
6. Préface de Victor Barrucand, Pages d’islam, Paris, Fasquelle, 1920.
7. Robert Randau, Les Algérianistes, Paris, Sansot, 1911.
8. Lettre de Lyautey à Victor Barrucand, entre Oran et Marseille, 2 avril 1905, dans Lyautey, Vers le
Maroc. Lettres du Sud-Oranais, Paris, Armand Colin, 1937.
Chapitre I
1. Émile Durand-Greville, « Le poète national de la petite Russie », Revue des deux mondes, vol. XV,
15 juin 1876.
2. Commissariat spécial, Surveillance des étrangers, rapport 694, 7 juin 1897, adressé à M. le préfet
de Haute-Savoie à Annecy.
3. Archives historiques centrales de l’URSS : « Compléments aux États de service complets du
lieutenant général de Moerder, arrêté au 5 décembre 1871, folio 26, paragraphe X, intitulé
« Cessations de service pour congés temporaires » (E. Charles-Roux, Un désir d’Orient, op. cit.).
4. Département de police et de justice de Genève, rapport de renseignements, 13 mai 1897, signé par
l’inspecteur Kohlenberg.
Chapitre II
1. Registre des naissances du canton de Genève, année 1877, no 188.
Chapitre III
1. Léon Roger Milès, « Tolstoï et l’école de Yasnaïa Poliaxa », Nos femmes et nos enfants, Paris,
Flammarion, 1893.
2. Id.
3. Id.
4. « Témoignage de F. Guillermet, amie de la demi-sœur d’Isabelle E. », art. cit.
5. Lydie Paschkoff, La Princesse Glinsky, Paris, Calmann-Lévy, 1876.
6. René-Louis Doyon, « La vie tragique de la bonne nomade », préface, dans Isabelle Eberhardt, Mes
journaliers, Paris, La Connaissance, 1923.
7. Isabelle Eberhardt, Silhouettes d’Afrique. Les Oulémas, nouvelle publiée dans L’Athénée, mars-
avril 1898 (sous le nom de Paul Pionis mais l’erreur sera corrigée).
8. Isabelle Eberhardt, Trimardeur, Paris, Fasquelle, 1922.
9. R.-L. Doyon, « La vie tragique de la bonne nomade », préface cit.
10. Id.
11. « Témoignage de F. Guillermet, amie de la demi-sœur d’Isabelle E. », art. cit.
12. Département de justice et de police de Genève, rapport de l’inspecteur Vallet, 8 janvier 1888.
13. « Témoignage de F. Guillermet, amie de la demi-sœur d’Isabelle E. », art. cit.
Chapitre IV
1. Cent ans de police politique suisse – 1889-1989 – éditions d’En Bas, 1992.
2. Département de justice et de police de Genève, rapport de renseignements sur la personne
d’Alexandre Trofimovsky, 13 mai 1897.
3. R.-L. Doyon, « La vie tragique de la bonne nomade », préface cit.
4. Archives d’outre-mer d’Aix-en-Provence [abrégées AOM par la suite], Liste de dépenses liées à
des ouvrages dont Isabelle a soigneusement retranscrit les titres, dossier 23X51 / 31 MIOM 31.
5. Pierre Loti, Le Roman d’un spahi, Paris, Calmann-Lévy, 1881.
6. Lettre d’Isabelle Eberhardt à Ali Abdul Wahab [lettres abrégées IE/AAW, par la suite], 17 février
1898, dans Isabelle Eberhardt, Écrits intimes, Paris, Payot, 1991.
7. Pierre Loti, Aziyadé, Paris, Calmann-Lévy, 1879.
8. Id.
9. Id.
10. AOM, Télégramme envoyé par Augustin de Moerder à Madeleine Bernard depuis Valence le
9 juillet 1894, dossier 23X35 / 31 MIOM31.
11. AOM, Lettre de Madeleine Bernard envoyée depuis San Nicolao à sa cousine Anne Joliet, fin
juillet 1894, dossier 23X35 / 31 MIOM 31.
12. Eugène Fromentin, Un été dans le Sahara, Paris, Plon, 1887.
13. AOM, Lettre d’Isabelle Eberhardt à Augustin de Moerder [lettres abrégées IE/AM par la suite],
24 décembre 1895, dossier 23X26 / 31 MIOM 31.
Chapitre V
1. Lettre IE/AAW, 22 août 1987, dans Écrits intimes, op. cit.
2. I. Eberhardt, Trimardeur, op. cit.
3. Id.
4. Lettre IE/AM, 24 décembre 1895, reproduite dans R.-L. Doyon, « La vie tragique de la bonne
nomade », préface cit.
5. Rapport no 748 : Gaspariantz Archavir, « Étrangers suspects » du commissaire spécial au préfet de
la Haute-Savoie à Annecy », 29 juin 1896.
6. I. Eberhardt, Mes journaliers, op. cit., « 16 juillet 1900 ».
7. R. Raudau, Les Algérianistes, op. cit.
8. Rapport no 748 : Gaspariantz Archavir, « Étrangers suspects » du commissaire spécial au préfet de
la Haute-Savoie à Annecy », 29 juin 1896.
9. I. Eberhardt, Trimardeur, op. cit.
10. Id.
11. Isabelle Eberhardt, Infernalia. Volupté sépulcrale, nouvelle publiée dans la Nouvelle Revue
moderne, 15 septembre 1895.
12. Id.
13. Edgar Poe, Ligeia, nouvelle publiée en 1838 et reprise dans Les Histoires extraordinaires, trad.
Charles Baudelaire, Paris, Michel Lévy Frères, 1856.
14. I. Eberhardt Infernalia, op. cit.
15. Isabelle Eberhardt, Visions du Mogrheb, nouvelle publiée dans la Nouvelle Revue moderne,
15 septembre 1895.
16. Id.
17. C’est à Marie-Odile Delacour et Jean-René Huleu qu’on doit cette très belle interprétation sur le
nom de Nicolas Podolinsky, dans leur livre, Le Voyage soufi d’Isabelle Eberhardt, Paris, Losfeld,
2008.
18. AOM, Lettre d’Édouard Vivicorsi à Nicolas Podolinsky, 17 novembre 1895, dossier 23X39 / 31
MIOM 31.
19. Lettre AM/IE, 12 novembre 1895, reproduite dans R.-L. Doyon, « La vie tragique de la bonne
nomade », préface cit.
20. AOM, Lettre IE/AM, début décembre 1895, dossier 23X28 / 31 MIOM 31.
21. AOM, Lettre IE/AM, 18-25 novembre 1895, dossier 23X28 / 31 MIOM 31.
22. AOM, Lettre IE/AM, mi-décembre 1895, dossier 23X28 / 31 MIOM 31.
23. Id.
24. Lettre IE/AM, 24 décembre 1895, reproduite dans R.-L. Doyon, « La vie tragique de la bonne
nomade », préface cit.
25. Id.
26. Id.
27. Id.
28. AOM, Lettre d’Isabelle Eberhardt à Charles Schwartz, février 1896, dossier 23X33 / 31
MIOM 31.
Chapitre VI
1. Isabelle Eberhardt, Per fas et nefas, nouvelle publiée dans la Nouvelle Revue moderne, 15 mai
1896.
2. I. Eberhardt, Trimardeur, op. cit.
3. I. Eberhardt, Per fas et nefas, op. cit.
4. Archives départementales de Haute-Savoie, rapport de police adressé au préfet d’Annecy,
16 septembre 1896.
5. Ladislas Mysyrowicz, « Les étudiants “orientaux” en médecine à Genève (1876-1914) »,
Gesnerus, vol. XXXIV, 1977.
6. Robert Randau, Notes et souvenirs, Alger, Charlot, 1945.
7. Isabelle Eberhardt, Doctorat, nouvelle publiée dans Contes et paysages, édition établie et préfacée
par René-Louis Doyon, Paris, La Connaissance, 1925 (rééd. dans Au pays des sables, Paris, Sorlot,
1944).
8. Id.
9. R. Raudau, Les Algérianistes, op. cit.
10. AOM, Lettre de J. Manin à Isabelle Eberhardt, 23 avril 1896, dossier 23X33 / 31 MIOM 31.
11. AOM, Lettre de J. Manin à Isabelle Eberhardt, 17 juillet 1896, dossier 23X33 / 31 MIOM 31.
12. AOM, Lettre du cheikh Abou Naddara à Isabelle Eberhardt [lettres abrégées AN/IE, par la suite,
toutes tirées du même dossier], 19 octobre 1896, dossier 23X43 / 31 MIOM 31.
13. AOM, Lettre AN/IE, 26 octobre 1896.
14. AOM, Lettre AN/IE, 16 novembre 1896.
15. AOM, Lettre AN/IE, 26 novembre 1896.
16. Petites annonces du Journal, 28 novembre 1896.
17. AOM, Érostrate, nouvelle inédite d’Isabelle Eberhardt, dossier 23X10 / 31 MIOM 29.
18. Id.
19. AOM, Lettre d’Isabelle Eberhardt à J. Bonneval, fin décembre 1896, dossier 23X33 / 31
MIOM 31.
20. AOM, Lettre IE/AN, fin décembre 1896.
21. Lettre IE/AAW, 22 août 1897.
22. C. de Varigny, « L’Algérie en 1896 », Revue des deux mondes, vol. CXXXVII, 1896.
23. AOM, Lettre des David à Natalia de Moerder, 16 mai 1897, dossier 23X38 / 31 MIOM 31.
24. I. Eberhardt, Trimardeur, op. cit.
25. AOM, Lettre AN/IE, avril 1897.
26. AOM, Lettre IE/AAW, 15 mai 1897.
Chapitre VII
1. Lettre IE/AAW, 22 août 1897.
2. Isabelle Eberhardt, Réminiscences, nouvelle publiée dans Dans l’ombre chaude de l’islam, édition
corrigée par Victor Barrucand, Paris, Fasquelle, 1905 (rééd. 1921).
3. Baedeker’s Mediterranean 1911 / Morocco Algeria Tunisia – « Annaba, Algeria ».
4. AOM, Dessins Isabelle, dossier 23X45 / 31 MIOM31.
5. Lettre IE/AAW, 22 août 1897.
6. Lettre IE/AAW, 28 août 1897.
7. Lettre IE/AAW, 22 août 1897.
8. Lettre IE/AAW, 22 juin 1897.
9. AOM, Lettre IE/AAW, 1er juillet 1897.
10. Lettre AAW à un ami, 1911, dans Écrits intimes, op. cit.
11. Lettre IE/AAW, 1er juillet 1897.
12. Lettre IE/AAW, 12 août 1897.
13. Lettre IE/AAW, 22 août 1897.
14. Lettre IE/AAW, 12 août 1897.
15. Lettre IE/AAW, 22 août 1897.
16. Lettre AAW/IE, 25 août 1897.
17. Lettre IE/AAW, 28 août 1897.
18. Lettre IE/AAW, 22 août 1897.
19. Lettre IE/AAW, 23 septembre 1897.
20. AOM, Lettre de J. Bonneval à Isabelle Eberhardt, juillet 1897, dossier 23X33 / 31 MIOM 31.
Cette nouvelle d’Isabelle a, hélas, disparu.
21. Lettre IE/AAW, 22 août 1897.
22. I. Eberhardt, Silhouettes d’Afrique, op. cit.
23. Lettre IE/AAW, 28 août 1897.
24. Id.
25. I. Eberhardt, Silhouettes d’Afrique, op. cit.
26. Id.
27. Id.
28. « Lettre ouverte d’Isabelle Eberhardt », La Dépêche algérienne, 6 juin 1901 : « Ma mère qui
appartenait à la noblesse russe, est morte à Bône en 1897, après s’être faite musulmane… »
29. I. Eberhardt, Silhouettes d’Afrique, op. cit.
30. Lettre IE/AAW, 13 octobre 1897.
31. AOM, Lettre de Hyacinthe Delastre à Nicolas Podolinsky alias Isabelle Eberhardt, 30 octobre
1897, dossier 23X34 / 31 MIOM 31.
32. Lettre IE/AAW, 8 novembre 1897.
33. Id.
34. Lettre IE/AAW, 13 novembre 1897.
35. Id.
36. Id.
37. Id.
38. Id.
39. AOM, Lettre de Hyacinthe Delastre à Nicolas Podolinsky alias Isabelle Eberhardt, 13 novembre
1897, dossier 23X34 / 31 MIOM 31.
Chapitre VIII
1. AOM, Rakhil, roman inédit et inachevé d’Isabelle Eberhardt (trois variantes retranscrites sur divers
cahiers sous les titres Rakhil, À la dérive, Anneba), dossier 23X18 / 31 MIOM 29.
2. Id.
3. Id.
4. Lettre IE/AAW, 13 décembre 1897.
5. Id.
6. Id.
7. Lettre IE/AAW, 9 janvier 1898.
8. Id.
9. AOM, lettre de Khoudja ben Abdallah à Alexandre Trofimovsky 10 janvier 1898, dossier
23X41 / 31 MIOM 31.
10. Lettre IE/AAW, 1er janvier 1898.
11. Id.
12. Lettre IE/AAW, 11 janvier 1898.
13. Id.
14. Lettre IE/AAW, mi-janvier 1898.
15. Lettre IE/AAW, 5 février 1898.
16. Lettre IE/AAW, 10 février 1898.
17. Lettre IE/AAW, 17 février 1898.
18. Lettre IE/AAW, 10 février 1898.
19. Lettre IE/AAW, 28 février 1898.
20. Id.
21. Lettre IE/AAW, 24 Ramadan (A).
22. Lettre IE/AAW, 27 février 1898.
23. Isabelle Eberhardt, « Lettre ouverte à J. Bonneval », L’Athénée, mars 1898.
24. Id.
25. Id.
26. AOM, Rakhil / À la dérive / Anneba, dossier 23X18 / 31 MIOM 29.
27. Lettre IE/AAW, 14 avril 1898.
Chapitre IX
Chapitre X
Chapitre XI
1. Isabelle Eberhardt, Mort musulmane, nouvelle publiée dans Dans l’ombre chaude de l’islam,
op. cit.
2. AOM, Journal de route, op. cit.
3. I. Eberhardt, Mes journaliers, op. cit., « 17 août 1901 ».
4. Id.
5. AOM, Journal de route, op. cit.
6. AOM, Lettre de Mohammed Rachid à Isabelle Eberhardt, 21 août 1899, dossier 23X36 / 31
MIOM 31.
7. AOM, Journal de route, op. cit.
8. I. Eberhardt, Mes journaliers, op. cit., « 16 juillet 1900 ».
9. Lettre IE/AAW, non datée mais vraisemblablement du mois de juillet 1899.
10. I. Eberhardt, Mes journaliers, op. cit., « 21 février 1901 ».
11. AOM, Journal de route, op. cit.
12. Isabelle Eberhardt, Notes de route. Maroc, Algérie, Tunisie, Paris, Fasquelle, 1908, « Sahel
tunisien ».
13. Isabelle Eberhardt, Chemineau, nouvelle publiée dans L’Akhbar, 25 janvier 1903 (rééd. dans
Pays d’Islam, op. cit.).
14. I. Eberhardt, Notes de route, op. cit., « Sahel tunisien ».
15. Id.
16. Id.
17. Id.
18. Ibid., « La Medjba ».
19. Id.
20. Id.
21. Eugène Fromentin, Une année dans le Sahel, Paris, Plon, 1887.
22. I. Eberhardt, Notes de route, op. cit., « Amira ».
23. Id.
24. AOM, texte inédit d’Isabelle Eberhardt, dossier 23X11 / 31 MIOM 29.
25. AOM, Lettre d’Isabelle Eberhardt à Mohamed Bourguiba, 29 septembre 1899, dossier
23X36 / 31 MIOM 31.
26. I. Eberhardt, Mes journaliers, op. cit., « 28 mai 1901 ».
Chapitre XII
1. AOM, Registre de correspondance Marseille, octobre 1899, dossier 23X48 / 31 MIOM 31.
2. Isabelle Eberhardt, Nostalgies, nouvelle publiée dans Dans l’ombre chaude de l’islam, op. cit.
3. Charles Droulers, Le Marquis de Morès 1858-1896, Paris, Plon, 1932.
4. La Libre parole, Édouard Drumont, journal politique et polémiste lancé le 20 avril 1892 avec,
comme sous-titre, « La France aux Français »…
5. I. Eberhardt, Mes journaliers, op. cit., « 16 juin 1900 ».
6. I. Eberhardt, Notes de route, op. cit.
7. I. Eberhardt, Mes journaliers, op. cit., « 1er janvier 1900 ».
8. AOM, L’Âge du néant, texte inédit d’Isabelle Eberhadt, dossier 23X14 / 31 MIOM 29.
9. Id.
10. Arthur Bernède (dir.), L’Assassinat du marquis de Morès, Paris, Librairie du livre national,
coll. « Crimes et châtiments », 1931.
11. Édouard Drumont, La Libre parole.
12. Édouard Drumont, La France juive, Paris, 1886 (ce pamphlet antisémite connut un succès sans
précédent avec 62 000 ventes dès la première année. Il connaît 200 rééditions jusqu’en 1914).
13. Id.
14. Id.
15. Journal de route, op. cit.
16. Id.
17. Id.
18. Id.
19. Id.
Chapitre XIII
1. I. Eberhardt, Mes journaliers, op. cit., « Cagliari, 1er janvier 1900 ».
2. AOM, Lettre d’Abdel el Aziz Osman à Isabelle Eberhardt, 3 mai 1900, dossier 23X40 / 31
MIOM 31.
3. I. Eberhardt, Mes journaliers, op. cit., « Cagliari, 9 janvier 1900 ».
4. AOM, Lettre du banquier Frank Markovitch de la Banque internationale de Moscou à Marseille à
Mlle Eberhardt, chez Mme Mereina Aziz Bey, 22 janvier 1900, dossier 23X40 / 31 MIOM 31.
5. Contes et paysages, sept nouvelles d’Isabelle Eberhardt, op. cit.
6. I. Eberhardt, Mes journaliers, op. cit., « Cagliari, 18 janvier 1900 ».
7. Ibid., « Cagliari 1er janvier 1900 ».
8. Id.
9. Ibid., « Cagliari, 18 janvier 1900 ».
10. Id.
11. Ibid., « Cagliari, 1er janvier 1900 ».
12. Témoignage recueilli par Georges Roger, « Les prémices d’une vocation. Lettres inédites
d’Isabelle Eberhardt », Europe, juin 1956.
13. Id.
14. AOM, Lettre d’Abdel el Aziz Osman à Isabelle Eberhardt datée du 24 mai 1900, dossier
23X40 / 31 MIOM 31.
15. I. Eberhardt, Mes journaliers, op. cit., « Genève 8 juin 1900 ».
16. AOM, Lettre d’Eugène Letord à Isabelle Eberhardt, 10 avril 1900, dossier 23X37 / 31 MIOM 31.
17. AOM, Lettre de Lydia Paschkoff à Isabelle Eberhardt, 7 avril 1900, dossier 23X49 / 31
MIOM 31.
18. AOM, Lettre de Lydia Paschkoff à Isabelle Eberhardt, 12 avril 1900, dossier 23X49 / 31
MIOM 31.
19. Id.
20. Id.
21. Isabelle Eberhardt, Écrits sur le sable, vol. I, « Vers les horizons bleus » (notes du 2 mai 1900),
édité par Marie-Odile Delacour et Jean-René Huleu, Paris, Grasset, 1988, extrait corrigé de
« Souvenirs d’Eloued » paru dans I. Eberhardt, Notes de route, op. cit.
22. I. Eberhardt, Mes journaliers, op. cit., « Genève 8 juin 1900 ».
23. Ibid., « Vers les horizons bleus » (note du 7 mai 1900).
24. Mes journaliers, op. cit., « Genève 30 juin 1900 ».
25. Ibid., « Genève, 27 juin 1900 ».
26. Ibid., « 30 juin 1900 ».
27. Id.
28. Ibid., « 15 juillet 1900 ».
29. AOM, Liste courses Marseille, juillet 1900, dossier 23X51 / 31 MIOM 32.
Chapitre XIV
Chapitre XV
1. I. Eberhardt, Notes de route, op. cit., « Souvenirs d’Eloued ».
2. AOM, Lettre IE/AM, 18 janvier 1901, dossier 23X28 / 31 MIOM 31.
3. I. Eberhardt, Mes journaliers, op. cit., « 28 janvier 1901 ».
4. Id.
5. I. Eberhardt, Écrits sur le sable, vol. I, op. cit., « Vers les horizons bleus ».
6. La Dépêche algérienne, extrait de la lettre d’Isabelle Eberhardt publiée le 6 juin 1901.
7. I. Eberhardt, Mes journaliers, op. cit., « 28 janvier 1901 ».
8. Ibid., ouverture du Troisième Journalier, « Février 1901, hôpital El Oued ».
9. Id.
10. Id.
11. R. Randau, Notes et souvenirs, op. cit.
12. I. Eberhardt, Mes journaliers, op. cit., « 17 août 1901, samedi ».
13. Ibid., « Marseille, 23 juillet 1901 ».
14. Ibid., « Souvenir d’Eloued ».
15. Id.
16. Ibid., Mes Journaliers, op. cit., « Vendredi, le 1-3-1901, Chagga ».
17. AOM, Lettre d’Isabelle Eberhardt à Slimène Ehnni, 9 février 1901, dossier 23X21 / 31
MIOM 30.
18. AOM, Lettre d’Isabelle Eberhardt à Slimène Ehnni, 10 février (midi) 1901, dossier 23X21 / 31
MIOM 30.
19. I. Eberhardt, Mes journaliers, op. cit., « El Oued, 20 février 1901 ».
20. I. Eberhardt, Notes de route, op. cit., « Souvenir d’Eloued » (16 mai 1901).
21. AOM, Lettre d’Isabelle Eberhardt à Abd el Kader ben Hadj Saïd, 20 février 1901, dossier
23X21 / 31 MIOM 30.
22. I. Eberhardt, Mes journaliers, op. cit., « Vendredi, le 1-3-1901, Chagga ».
23. Isabelle Eberhardt, Le Portrait de l’Ouled-Naïl, nouvelle publiée le 27 janvier 1903 dans La
Dépêche algérienne (rééd. dans Pages d’islam, op. cit.).
24. AOM, Lettre IE/AM, 7 mars 1901, dossier 23X28 / 31 MIOM 31.
25. Id.
26. AOM, Lettre de Slimène Ehnni à Augustin de Moerder, 17 mars 1901, dossier 23X26 / 31
MIOM 31.
27. Id.
28. Id.
29. I. Eberhardt, Mes journaliers, op. cit., « Batna, le 26 mars 1901 ».
Chapitre XVI
1. AOM, série Q, sous-série 3 q : Algérie, département de Constantine, carton 3Q429 / Conseil de
guerre de Constantine, année 1901 / Dossier judiciaire d’Abdullah ben Si Mohammed
ben Lakhdar / Plainte.
2. AOM, série Q, sous-série 3 q : Algérie, département de Constantine, carton 3Q429 / Conseil de
guerre de Constantine, année 1901 / Dossier judiciaire d’Abdullah ben Si Mohammed
ben Lakhdar / Déposition d’Isabelle Eberhardt, 2 février 1901.
3. AOM, série Q, sous-série 3 q : Algérie, département de Constantine, carton 3Q429 / Conseil de
guerre de Constantine, année 1901 / Dossier judiciaire d’Abdullah ben Si Mohammed
ben Lakhdar / Interrogatoire d’Abdullah ben Si Mohammed ben Lakhdar.
4. Ibid.
5. AOM, série Q, sous-série 3 q : Algérie, département de Constantine, carton 3Q429 / Conseil de
guerre de Constantine, année 1901 / Dossier judiciaire d’Abdullah ben Si Mohammed
ben Lakhdar / Rapport de police judiciaire.
6. Id.
7. Id.
8. Isabelle Eberhardt, Le Criminel, nouvelle publiée dans L’Akhbar, 8 février 1903. (Rééd. dans
Pages d’Islam, op. cit.)
9. I. Eberhardt, Mes journaliers, op. cit., « Batna, le 26 avril 1901 ».
10. Id.
11. Id.
12. I. Eberhardt, Le Major, op. cit.
13. Id.
14. I. Eberhardt, Mes journaliers, op. cit., « Dimanche 5 mai 1901 ».
15. Ibid., « Marseille, 12 mai 1901 ».
16. AOM, Lettre d’Isabelle Eberhardt à Slimène Ehnni, 23 mai 1901, dossier 23X22 / 31 MIOM 30.
17. AOM, Lettre d’Isabelle Eberhardt à Slimène Ehnni, début juin 1901, dossier 23X22 / 31
MIOM 30.
18. R. Raudau, Les Algérianistes, op. cit.
19. I. Eberhardt, Trimardeur, op. cit.
20. AOM, Lettre d’Isabelle Eberhardt à Slimène Ehnni, 29 mai 1901, dossier 23X22 / 31 MIOM 30.
21. Id.
22. Lettre ouverte d’Isabelle Eberhardt à La Dépêche algérienne publiée le 6 juin 1901.
23. Les Nouvelles, Alger, 27 avril 1901.
24. Ibid., 1er mai 1901.
25. Id.
26. « Le procès de Margueritte », L’Akhbar, 25 janvier 1903, déposition de M. Charles Gauthier.
27. Id.
28. I. Eberhardt, Mes journaliers, op. cit., « Marseille, vendredi 7 juin 1901 ».
29. Isabelle Eberhardt, Amara le forçat, nouvelle éditée par René-Louis Doyon, Paris, Édouard
Champion, coll. « Les amis d’Édouard », 1923.
30. Edmonde Charles-Roux, Isabelle du désert, Paris, Grasset, 2003.
31. I. Eberhardt, Mes journaliers, op. cit., « Marseille, 5 juillet 1901 ».
32. AOM, série Q, sous-série 3 q : Algérie, département de Constantine, carton 3Q429 / Conseil de
guerre de Constantine, année 1901 / Dossier judiciaire d’Abdullah ben Si Mohammed
ben Lakhdar / Jugement et verdict.
Chapitre XVII
Chapitre XVIII
1. I. Eberhardt, Trimardeur, op. cit.
2. I. Eberhardt, Mes journaliers, op. cit., « 21 janvier 1902 ».
3. R.-L. Doyon, « La vie tragique de la bonne nomade », préface cit.
4. I. Eberhardt, Mes journaliers, op. cit., « 1er avril 1902 ».
5. Ibid., « 14 février 1902 ».
6. R. Raudau, Les Algérianistes, op. cit.
7. R. Randau, Notes et souvenirs, op. cit.
8. Victor Barrucand, « Notes sur la vie et les œuvres d’Isabelle Eberhardt », dans I. Eberhardt et
V. Barrucand, Dans l’ombre chaude de l’islam, op. cit.
9. I. Eberhardt, Mes journaliers, op. cit., « 1er avril 1902 ».
10. Isabelle Eberhardt, Le Mage, nouvelle publiée dans Pages d’islam, op. cit.
11. Isabelle Eberhardt, L’Écriture de sable (Le Sorcier), nouvelle publiée dans Pages d’islam, op. cit.
12. Isabelle Eberhardt, Le Maghrébin, nouvelle publiée dans Pages d’islam, op. cit.
13. I. Eberhardt, Mes journaliers, op. cit., « 4 mai 1902 ».
14. Ibid., « 8 juin 1902 ».
15. « Élections législatives – Département d’Alger – Résultat / 29 avril 1902 », La Dépêche
algérienne, 29 avril 1902.
16. I. Eberhardt, Mes journaliers, op. cit., « 22 avril 1902 ».
17. Ibid., « 1er avril 1902 ».
18. I. Eberhardt, Sous le joug, op. cit.
19. I. Eberhardt, Mes journaliers, op. cit., « 1er avril 1902 ».
20. Ibid., « 8 juin 1902 ».
21. Isabelle Eberhardt, Oum-Zahar, nouvelle publiée dans Les Nouvelles d’Alger, 15 et 21 mai 1902
(rééd. dans Au pays des sables, op. cit.).
22. I. Eberhardt, Notes de route, op. cit., « Souvenirs d’El-oued » (Marseille, 16 mai 1901).
23. Ibid., « Bou-Saâda ».
24. Id.
25. Id.
26. Id.
27. Id.
28. Id.
29. Id.
30. Id.
31. Id.
32. I. Eberhardt, Mes Journaliers, op. cit., « Ténès, le 7 juillet 1902 ».
33. R. Raudau, Les Algérianistes, op. cit.
Chapitre XIX
Chapitre XX
1. Isabelle Eberhardt, La Derouicha, nouvelle publiée dans L’Akhbar, 14 décembre 1902 (première
version), puis 28 décembre 1902 (deuxième version) (rééd. dans Pages d’islam, op. cit.).
2. Isabelle Eberhardt, Le Légionnaire, nouvelle publiée dans La Dépêche algérienne, 12 janvier 1903
(rééd. sous le titre Le Russe dans Pages d’islam, op. cit.).
3. R. Raudau, Les Algérianistes, op. cit.
4. I. Eberhardt, Mes journaliers, op. cit., « El-Hamel, le 29 janvier 1903 ».
5. R. Raudau, Les Algérianistes, op. cit.
6. I. Eberhardt, Mes journaliers, op. cit., « Bou-Saada, le 31 janvier 1903 ».
7. Id.
8. Isabelle Eberhardt, Pleurs d’amandier, nouvelle publiée dans L’Akhbar, 15 février 1903 (rééd.
dans Pages d’islam, op. cit.).
9. Isabelle Eberhardt, Le Meddah, nouvelle publiée dans La Dépêche algérienne, 13 mars 1903 (rééd.
dans Pages d’islam, op. cit.).
10. Isabelle Eberhardt, Ilotes du Sud, nouvelle publiée dans L’Akhbar, 22 mars 1903 (rééd. dans
Pages d’islam, op. cit.).
11. I. Eberhardt, Le Criminel, op. cit.
12. Séverine, « Asphodèles », Gil Blas, 13 novembre 1904, avec reproduction d’une missive envoyée
par Isabelle en avril 1903.
13. « Graves révélations », L’Union républicaine, 2 avril 1903.
14. Id.
15. Raymond Marival, « Isabelle Eberhardt », Hermès, revue philosophique et littéraire bi-mensuelle,
Alger, 1904-1905.
16. V. Barrucand, « Notes sur la vie et les œuvres d’Isabelle Eberhardt », op. cit.
17. Id.
18. Id.
19. Lettre ouverte d’Isabelle Eberhardt, La Petite Gironde, 23 avril 1903 reproduite dans son
intégralité dans V. Barrucand, « Notes sur la vie et les œuvres d’Isabelle Eberhardt », op. cit.
20. AOM, Lettre de Lydia Paschkoff à Isabelle Eberhardt, 7 avril 1900, dossier 23X49 / 31
MIOM 31.
21. Lettre ouverte d’Isabelle Eberhardt, La Petite Gironde, art. cit.
22. R. Randau, Notes et souvenirs, op. cit.
23. Id.
24. « Mœurs spéciales », Les Nouvelles, 26 avril 1903.
25. AOM, Lettre de Slimène Ehnni au rédacteur du journal Les Nouvelles, 30 avril 1903, dossier
23X23 / 31 MIOM 30.
26. R. Randau, Notes et souvenirs, op. cit.
27. Turco, hebdomadaire satirique algérois, réponse d’Isabelle Eberhardt publiée le 10 mai 1903.
28. L’Union républicaine, article daté de la mi-mai 1903.
29. R. Randau, Notes et souvenirs, op. cit.
Chapitre XXI
1. Isabelle Eberhardt, Veste bleue, nouvelle publiée dans La Dépêche algérienne, 1er août 1903. (rééd.
Pages d’islam, op. cit.)
2. Isabelle Eberhardt, Zoh’r et Yasmina, nouvelle publiée dans La Dépêche algérienne, 25 août 1903.
3. Isabelle Eberhardt, M’Tourni, nouvelle publiée dans La Dépêche algérienne, 30 septembre 1903.
4. R. Randau, Notes et souvenirs, op. cit.
5. R. Raudau, Les Algérianistes, op. cit.
6. I. Eberhardt, Notes de route, op. cit., « Départ d’Alger ».
7. Henry de Castries, « La politique du Sud en Algérie », Bulletin du Comité de l’Afrique, 1902.
8. Séance à la chambre des députés du 10 novembre 1904, Bulletin du Comité de l’Afrique, 1904.
9. Le Petit Parisien, 10 septembre 1903.
10. L’Éclair, 12 septembre 1903.
11. I. Eberhardt, Notes de route, op. cit., « Départ d’Alger ».
12. Ibid., « Aïn-Sefra ».
13. Id.
14. Id.
15. Ibid., « Soldats d’El-Moungar ».
16. Id.
17. Ibid., « Fausse alerte ».
18. Colonel Lyautey, Dans le sud de Madagascar. Pénétration militaire, situation politique et
économique, Paris, Charles-Lavauzelle, 1900-1902.
19. Lettre de Lyautey à sa sœur, Aïn-Sefra, 3 octobre 1903, dans Vers le Maroc, op. cit.
20. Lettre de Lyautey au vicomte E. M. de Vogüe, Hadjerat el M’Guil, 9 octobre 1903, dans id.
21. Id.
22. I. Eberhardt, Notes de route, op. cit., « Hadjerath M’guil ».
23. Ibid., « Chez les mokhazni ».
24. Ibid., « Arrivée à Beni-Ounif ».
25. E. Girault, Une colonie d’enfer, op. cit.
26. Id.
27. I. Eberhardt, Notes de route, op. cit., « Arrivée à Beni-Ounif ».
28. Lettre de Lyautey au général Gallieni, Aïn-Sefra, le 14 novembre 1903, dans Vers le Maroc,
op. cit.
29. R. Randau, Notes et souvenirs, op. cit., « Le témoignage de Jean Rodes ».
30. Id.
31. Jean Rodes, « Une visite à Figuig », Le Matin, 22 octobre.
32. Id.
33. Id.
34. Id.
35. Id.
36. R. Randau, Notes et souvenirs, op. cit., « Le témoignage de Jean Rodes ».
37. Id.
38. Id.
39. I. Eberhardt, Notes de route, op. cit., « Djenan-ed-Dar ».
40. Id.
41. Id.
42. Id.
43. Ibid., Préface.
44. Isabelle Eberhardt, La Nuit, nouvelle publiée dans La Dépêche algérienne, 13 décembre 1903.
45. Isabelle Eberhardt, La Foggara, nouvelle inachevée, dans Pages d’islam, op. cit.
46. Id.
47. Isabelle Eberhardt, Campement, nouvelle publiée dans La Vigie algérienne (journal d’Oran),
21 décembre 1903 (rééd. dans Pages d’islam, op. cit.).
48. I. Eberhardt, Notes de route, op. cit., « Sidi Slimane ».
49. Id.
50. Id.
51. Ibid., « Meriema ».
52. Ibid., « Agonie ».
53. Lettre de Lyautey à sa sœur, Aïn-Sefra, 11 novembre 1903, dans Vers le Maroc, op. cit.
54. Lettre de Lyautey au général Gallieni, Aïn-Sefra, le 14 novembre 1903, dans id.
55. Isabelle Eberhadt, « Chose du Sud oranais », La Dépêche algérienne, 30 novembre 1903.
56. I. Eberhardt, Notes de route, op. cit., « Visions de Figuig ».
57. Id.
58. Id.
59. Lettre de Lyautey au général Gallieni, Aïn-Sefra, 14 novembre 1903, dans Vers le Maroc, op. cit.
60. Paroles du cheikh Bou Amama dans Benamar Bakhti, L’Épopée de cheikh Bouamama, téléfilm
réalisé en Algérie en 1984.
61. Id.
Chapitre XXII
1. I. Eberhardt, Notes de route, op. cit., « Légionnaires ».
2. Id.
3. Ibid., « Métiers de jadis ».
4. Id.
5. Extrait de la nouvelle Légionnaires barrée par Victor Barrucand dans Notes de route, op. cit., et
retrouvant sa place dans Sud oranais, édité par Marie-Odile Delacour et Jean-René Huleu, Paris,
Joëlle Losfeld, 2003.
6. I. Eberhardt, Notes de route, op. cit., « Visions de Figuig ».
7. Ibid., « Chez l’amel chérifien ».
8. Laura Rices, « “Nomad thought”. Isabelle Eberhardt and the colonial project », Cultural Critique,
no 17, USA, 1990.
9. I. Eberhardt, Notes de route, op. cit., « Soirs de Ramadhane ».
10. Ibid., « Veillées ».
11. Id.
12. Ibid., « Dernières visions ».
13. Id.
14. P. Vigné d’Octon, « À propos d’Isabelle Eberhardt, de son œuvre et de sa vie », La Revue
anarchiste, novembre 1923.
15. Mohammed Rochd, Isabelle Eberhardt. Le dernier voyage dans l’ombre chaude de l’Islam,
Alger, Entreprise nationale du livre, 1991.
16. I. Eberhardt, Notes de route, op. cit., « Retour ».
17. Id.
18. Ibid., « Hauts Plateaux ».
19. Isabelle Eberhardt, Deuil, nouvelle publiée dans La Dépêche algérienne, 25 janvier 1904.
20. I. Eberhardt, Notes de route, op. cit., Préface.
21. Id.
22. Id.
23. « La division d’Oran », Le Journal, 25 janvier 1904.
24. Préface de Victor Barrucand, Dans l’ombre chaude de l’islam, op. cit.
25. Isabelle Eberhadt, « Beni-Ounif », La Dépêche algérienne, 7 ou 9 février 1904.
26. « Dans le Sud algérien. Aïn-Sefra », colonne « Dernières nouvelles », Le Temps, 6 février 1904.
27. AOM, Brouillon de lettre de Barrucand, 1905, dossier 23X59 / 31 MIOM 32.
Chapitre XXIII
Chapitre XXIV
1. Édouard Cat, « L’islamisme et les confréries religieuses au Maroc », Revue des deux mondes,
vol. CXLIX, 1898.
2. I. Eberhardt, « Kenadsa », dans Dans l’ombre chaude de l’islam, op. cit.
3. Id.
4. M. Rochd, Isabelle Eberhardt, op. cit., « VII, L’Entrée à la zaouïa ».
5. Id.
6. I. Eberhardt, « L’Entrée à la zaouïya », dans Dans l’ombre chaude de l’islam, op. cit.
7. I. Eberhardt, « Vie nouvelle », dans Dans l’ombre chaude de l’islam, op. cit.
8. M. Rochd, Isabelle Eberhardt, op. cit., « IX, Esclaves ».
9. I. Eberhardt, « Collation au jardin », dans Dans l’ombre chaude de l’islam, op. cit.
10. I. Eberhardt, « Petit monde de femmes », dans Dans l’ombre chaude de l’islam, op. cit.
11. I. Eberhardt, « Lella Khaddoudja », dans Dans l’ombre chaude de l’islam, op. cit.
12. Id.
13. I. Eberhardt, « La Révoltée », dans Dans l’ombre chaude de l’islam, op. cit.
14. I. Eberhardt, « Prière du vendredi », dans Dans l’ombre chaude de l’islam, op. cit.
15. Id.
16. Id.
17. I. Eberhardt, « L’Indignation du marabout », dans Dans l’ombre chaude de l’islam, op. cit.
18. Id.
19. I. Eberhardt, « Théocratie saharienne », dans Dans l’ombre chaude de l’islam, op. cit.
20. I. Eberhardt, « Message », dans Dans l’ombre chaude de l’islam, op. cit.
21. M. Rochd, Isabelle Eberhardt, op. cit., « XVII, Five o’clok maraboutique ».
22. I. Eberhardt, « Collation au jardin », dans Dans l’ombre chaude de l’islam, op. cit.
23. M. Rochd, Isabelle Eberhardt, op. cit., « XVII, Five o’clok maraboutique ».
24. I. Eberhardt, « Vision de femmes », dans Dans l’ombre chaude de l’islam, op. cit.
25. I. Eberhardt, « Théocratie saharienne », dans Dans l’ombre chaude de l’islam, op. cit.
26. I. Eberhardt, « Souvenirs de fièvre », dans Dans l’ombre chaude de l’islam, op. cit.
27. Id.
28. I. Eberhardt, « Le Paradis des eaux », dans Dans l’ombre chaude de l’islam, op. cit.
29. I. Eberhardt, « Réflexion du soir », dans Dans l’ombre chaude de l’islam, op. cit.
30. I. Eberhardt, « Chercheurs d’oubli », dans Dans l’ombre chaude de l’islam, op. cit.
31. M. Rochd, Isabelle Eberhardt, op. cit., « XVII, Chez les étudiants ».
32. I. Eberhardt, « Chez les étudiants », dans Dans l’ombre chaude de l’islam, op. cit.
33. M. Rochd, Isabelle Eberhardt, op. cit., « XVII, Chez les étudiants ».
34. Id.
35. I. Eberhardt, « Le Retour du troupeau », dans Dans l’ombre chaude de l’islam, op. cit.
36. Id.
37. Id.
38. I. Eberhardt, « Kenadsa », dans Dans l’ombre chaude de l’islam, op. cit.
39. I. Eberhardt, « Moghreb », dans Dans l’ombre chaude de l’islam, op. cit.
40. M. Rochd, Isabelle Eberhardt, op. cit. « Moghreb ».
41. I. Eberhardt, « Départ », dans Dans l’ombre chaude de l’islam, op. cit.
42. Id.
43. M. Rochd, Isabelle Eberhardt, op. cit. « Départ ».
44. Id.
45. Id.
Chapitre XXV
1. Témoignage de Goudimi rapporté par Khelifa Benamara dans Le Destin d’Isabelle Eberhardt en
Algérie, Publibook, 2013.
2. Isabelle Eberhardt, Joies noires, nouvelle parue dans La Dépêche algérienne, 31 octobre 1904
(rééd. dans I. Eberhardt et V. Barrucand, Dans l’ombre chaude de l’islam, op. cit.).
3. Id.
4. Id.
5. Id.
6. Id.
7. R. Randau, Notes et souvenirs, op. cit., « Autour de la mort d’Isabelle. Témoignage du légionnaire
Richard Kohn ».
8. « La mort d’Isabelle Eberhardt », interview de Slimane Ehnni, le mari d’Isabelle, La Dépêche
algérienne, 31 octobre 1904.
9. Lettre parue dans Gil Blas, 24 octobre 1904 (le nom de la destinataire n’est toujours pas connu à ce
jour).
10. « La mort d’Isabelle Eberhardt », art. cit.
11. Id.
12. R. Randau, Notes et souvenirs, op. cit., « Autour de la mort d’Isabelle. Témoignage du
légionnaire Richard Kohn ».
13. Id.
14. « Lyautey et Isabelle Eberhardt », art. cit.
Chapitre XXVI
1. R. Randau, Notes et souvenirs, op. cit., « Autour de la mort d’Isabelle. Témoignage du légionnaire
Richard Kohn ».
2. Lettre de Lyautey à sa sœur, Aïn-Sefra, 26 octobre 1904, Vers le Maroc, op. cit.
3. Id.
4. « La catastrophe d’Aïn-Sefra », La Dépêche algérienne, 23 octobre 1904.
5. « La mort d’Isabelle Eberhardt », art. cit.
6. « La catastrophe d’Aïn-Sefra », art. cit.
7. R. Randau, Notes et souvenirs, op. cit., « Autour de la mort d’Isabelle. Témoignage du légionnaire
Richard Kohn ».
8. Id.
9. Id.
10. « La catastrophe d’Aïn-Sefra », L’Akhbar, 30 octobre 1904.
11. Figaro, 28 octobre 1904, note télégraphiée d’Aïn-Sefra.
12. AOM, Lettre de Victor Barrucand au successeur du général Lyautey à Aïn-Sefra, 1918, dossier
31/MIOM 32.
13. R. Randau, Notes et souvenirs, op. cit.
14. Le Temps, Le Matin, La Petite République, hommages du 24 octobre 1904 (à cette date la
nouvelle de la mort d’Isabelle Eberhardt n’est pas encore sûre. Ces journaux tiennent cependant à
l’honorer).
15. « Isabelle Eberhardt », La Dépêche algérienne, 30 octobre 1904.
16. Lettre signée Fernand Perret, L’Akhbar, 6 novembre 1904.
17. Poème « La disparue » signé Joyeuse, La Dépêche algérienne, 3 novembre 1904.
18. « Fraternité d’âme », L’Akhbar, 6 novembre 1904.
19. Victor Barrucand, « En deuil », L’Akhbar, 30 octobre 1904.
20. Poème de Victor Barrucand, L’Akhbar, 6 novembre 1904.
21. « La Mort n’efface rien », signé Balek, L’Akhbar, 6 novembre 1904.
22. Lettre de Lyautey à Victor Barrucand, Aïn-Sefra, 27 novembre 1904, dans Vers le Maroc, op. cit.
Épilogue
1. Extrait d’un poème arabe traduit par Isabelle Eberhadt, Annales de la Société des lettres, sciences
et arts des Alpes Maritimes, t. XXXIV, Imprimerie du patronage Saint-Pierre, 40 place du XVe corps,
Nice, 1939.
2. Séverine, « Asphodèles », art. cit.
3. AOM, Brouillon de lettre de Barrucand, 1905, dossier 23X59 / 31 MIOM 32.
4. V. Barrucand, « Notes sur la vie et les œuvres d’Isabelle Eberhardt », op. cit.
5. Lettre de Lyautey à Victor Barrucand, Aïn-Sefra, 20 décembre 1905, dans Vers le Maroc, op. cit.
6. AOM, Lettre du lieutenant Pâris à Victor Barrucand, 30 novembre 1905, 23X53 / 31 MIOM 32.
7. AOM, Lettre de M. Pleurre à M. Victor Barrucand, décembre 1907, 23X53 / 31 MIOM 32.
8. AOM, Lettre des Éditions Larousse à M. Victor Barrucand, 26 janvier 1909, 23X53 / 31
MIOM 32.
9. R. Randau, Notes et souvenirs, op. cit.
10. L’Écho d’Alger, journal républicain, 14 janvier 1936.
11. « Une Russe au désert. L’invention d’Isabelle Eberhardt. Une littérature mêlée », René-Louis
Doyon, Revue de la semaine, 23 septembre 1921.
Lexique
Agha : chef.
Aïssouah : confrérie soufie marocaine qui a pour maître d’origine
Mohammed ben Aïssa (1465-1526).
Amel : gouverneur du Maroc à la fin du XIXe siècle.
Annaba : nom donné par les Arabes à la ville de Bône.
Askers : soldats du sultan.
Bordj : lieu fortifié et isolé.
Brodiagas (nom russe) : repris de justice évadés de Sibérie.
Burnous : grand manteau de laine avec une capuche.
Cabéha : prière du matin.
Cheikh (sing.) / Chioukh (plur.) : sage.
Chérif : descendant de Mahomet par sa fille Fatima via l’un de ses deux
petits-fils, Hassan et Hussayn.
Chorba : soupe traditionnelle du Maghreb.
Choura : conseil.
Deïra : garde municipal, gendarme.
Djemâa : ce mot peut désigner a) une assemblée ; b) une mosquée.
Djich : razzia.
Douar : village.
Droshak : le drapeau en arménien.
Elhal-hal Allah : « La chance appartient à Dieu ! »
Fakir : ascète soufi qui fait vœu de pauvreté (le mot signifie « pauvre » en
arabe).
Fantasia : parade équestre en usage dans les festivités arabes.
Fedhila : mi-carême.
Fez : calotte tronçonique en laine, généralement rouge, qui fut la coiffure
traditionnelle des Turcs.
Fondouck (fondouk) : établissement d’un pays arabe où les voyageurs
peuvent passer la nuit, se restaurer, et éventuellement stocker leurs
marchandises.
Goumiers : soldats appartenant à des goums, unités d’infanterie légères de
l’armée d’Afrique composées de troupes autochtones marocaines sous
encadrement essentiellement français.
Gourbi : maison sommaire.
Guennour : coiffure haute, en turban, maintenue par une cordelette
enroulée.
Hadhra : assemblées.
Haïk : châle, voile, tissu.
Harkas : attaques de rebelles.
Harki : mot qui vient du mot haraka (mouvement) et qui, à cette époque,
désigne une guerre, une attaque, un affrontement entre tribus ou contre
un ennemi extérieur.
Ibadisme : dernier rameau de la troisième branche (bien méconnue !) de
l’islam : le kharijisme, fondée moins de cinquante ans après la mort du
Prophète.
Kahlifa : vice-gouverneur des caïdats du bey de Tunis.
Kanoun : petit fourneau.
Kharatine ou Haratins (ou Haratines ; singul. hartani) : également appelés
Maures noirs, ce sont les habitants noirs du Nord-Ouest de l’Afrique.
Khédive : (mot persan signifiant « seigneur », ou « vice-roi ») titre
héréditaire accordé en 1867 par le gouvernement ottoman au pacha
d’Égypte.
Khodja : secrétaire interprète.
Knout (nom russe) : fouet utilisé dans l’Empire russe pour flageller les
criminels.
Koubba : tombeau de saint.
Ksar : village.
Ksouriens : gens des villages.
Lella : madame.
Maghzen : sultan.
Mahakma : bureau du juge.
Marabout : guide spirituel.
Medjiba : impôt de capitation (en Tunisie).
Mektoub : expression qui signifie : « c’était écrit, tel était le destin. »
Mestr : bas de cuir de cavalier maghrébin.
Mihrab : dans une mosquée, niche indiquant la direction de La Mecque.
Mizan : balance et/ou égalité (en turc).
Mokhzani : cavaliers marocains volontaires, musulmans, sans tenue
d’engagement, et que la France recrute en Algérie.
Moujiks : (traduction littérale : petits hommes) paysans-serfs appartenant
soit au tsar, soit au seigneur.
Mufti : interprète officiel de la loi musulmane.
Nadha : mouvement (égyptien au départ) de renaissance arabe moderne, à
la fois littéraire, politique, culturel et religieux, qui repose sur les
principes de la raison et de la démocratie.
Naïb : grade juste en dessous de celui de cheikh.
Oued Sefra : rivière Safran (nom dû à la couleur jaune de ses eaux).
Oukase : édit du tsar.
Oukil : avocat de droit musulman.
Ouled-Nail : ce mot désigne initialement une tribu d’origine arabe puis,
plus généralement, des danseuses prostituées.
Ouzara : cour criminelle musulmane à Tunis.
Prière de l’asr : prière de la fin de l’après-midi.
Roumi : Blanc, Européen.
Sebkha : lac salé souvent asséché.
Spahis : soldats d’unités de cavalerie appartenant à l’armée d’Afrique qui
dépendait de l’armée de terre française.
Sunna : règles de Dieu / lois de Dieu.
Taleb (sing.) / Tolba (plur.) : étudiant, lettré musulman, sage.
Tarbouche : couvre-chef masculin en feutre, souvent rouge, en forme de
cône.
Toub : maisons en brique d’agile.
Zaouïa : établissement religieux où l’on enseigne l’islam et qui accueille
étudiants et voyageurs.
Bibliographie
Dans la nuit aussi le ciel, Grigny, Paroles d’Aube, 1999 ; Paris, Le Seuil, coll. « Points », 2000.
L’Homme blanc, Paris, Flammarion, 2000 ; Paris, Le Seuil, coll. « Points », 2000.
Justices et injustices, Paris, Nathan, 2001.
À bras le corps, Paris, Flammarion, 2003.
Holy Lola (avec Dominique Sampiero), Paris, Grasset, 2004.
La Menace des miroirs, Paris, Le Cherche midi, 2006.
À table, Paris, Le Seuil, 2008.
Comme une image, Paris, Des Busclats, 2015.
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