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Gaston Bachelard (1950) La dialectique de la durée 83

on doit faire place à la finalité, c'est-à-dire à une détermination du


présent par un avenir qui n'est point tout proche, auquel on attribue,
essentiellement, une certaine profondeur. Si l'on veut bien constater
l'existence d'une hiérarchie des instants actifs, on arrive tout naturel-
lement à reconnaître la réalité première d'un cadre temporel. L'adapta-
tion au [79] cadre des événements psychiques subalternes sera alors
une adaptation récurrente. Cette adaptation sériée, hiérarchisée,
échappera aux objections d'une adaptation continue et obscure où rien
ne souligne l'importance des instants réellement actifs. Elle rejoindra
l'adaptation par la cause formelle, base profonde de la théorie bergso-
nienne de l'évolution créatrice. C'est cette adaptation récurrente que
M. Dupréel qualifie heureusement de consolidation. Il l'étudie dans un
ouvrage particulièrement suggestif intitulé : Théorie de la consolida-
tion. Esquisse d'une théorie de la vie d'inspiration sociologique
(Bruxelles, 1931). À méditer la méthode de M. Dupréel, on est bien
vite conquis par la clarté qu'apportent des exemples familiers. Pour
notre part, en lisant les oeuvres de M. Dupréel nous avons été encou-
ragé à poursuivre notre méthode, à première vue périlleuse, qui re-
vient à expliquer l'inférieur par le supérieur, le temps vécu par le
temps pensé. Si certaines formes sociales apparaissent à M. Dupréel
comme « du biologique à l'état naissant » nous avons peut-être raison
d'opérer un renversement semblable sur le plan de la psychologie de
la durée et d'affirmer que le temps pensé est du temps vécu à l'état
naissant, autrement dit, que la pensée est toujours par certains côtés
l'essai ou l'ébauche d'une vie nouvelle, une tentative de vivre autre-
ment, de vivre plus ou même, comme le voulait Simmel, une volonté
de dépasser la vie. Penser le temps, c'est encadrer la vie ; ce n'est pas
tirer de la vie une apparence particulière qu'on saisirait d'autant plus
clairement qu'on a plus vécu. C'est presque fatalement se proposer de
vivre autrement, de rectifier d'abord la vie et ensuite de l'enrichir.
Alors la critique est connaissance, la critique est réalité. Ces deux
moments de la méditation temporelle, on va les voir apparaître dis-
tinctement en suivant la philosophie temporelle à la fois si simple et si
profonde de M. Dupréel.

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