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All content following this page was uploaded by Michel Albouy on 27 October 2019.
Les récentes crises financières ont fréquemment conduit à émettre des jugements très
sévères sur la théorie financière qu’ils émanent du grand public, de la presse ou des
enseignants-chercheurs spécialisés ou non en finance1. Citons-en quelques-uns : les
économistes financiers auraient été incapables de prévoir les crises financières ; la finance en
employant des modèles fondés sur des hypothèses irréalistes serait totalement déconnectée de
la réalité et de la pratique financière ; la finance en privilégiant une approche individualiste
s’appuyant sur une hypothèse de rationalité forte empruntée à l’économie néoclassique aurait
conduit à former des individus égoïstes, prêts à faire courir des risques extrêmes à leurs
organisations, ce qui expliquerait en grande partie la crise financière. Même si certaines de
ces critiques comportent une part de vérité, elles sont souvent outrées et injustes (Albouy,
2012) et la lecture de cet ouvrage montre une réalité parfois bien différente. Certains grands
auteurs (spécialement, Shiller) ont été à même de prévoir les récentes crises financières et
avaient mis en garde contre leur survenance. Sur le plan de la pratique, la finance a su
développer de nombreux outils (en particulier d’évaluation) et même si ces outils ont des
limites (connues fréquemment dès leur origine), il est difficile de prétendre que le lien avec la
réalité, notamment avec la pratique est inexistant, même si certaines études montre qu’il est
fragile dans certains compartiments de la finance (Graham et Harvey, 2001).
Enfin, la théorie financière est souvent perçue de façon caricaturale, au vu de ses
développements des trois dernières décennies. Comme le montrent, par exemple, les chapitres
dédiés à la finance comportementale, la finance a su profondément se renouveler en intégrant
des dimensions psychologiques et institutionnelles fortes. Le courant de la finance
comportementale (Albouy et Charreaux, 2005 ; Schinckus, 2009 ; Baker et Wurgler, 2013) a
permis de renouveler l’étude du fonctionnement des marchés financiers et des décisions
financières en prenant en compte les biais comportementaux et de commencer à résoudre de
nombreux puzzles face auxquels la théorie financière traditionnelle restait sans réponse. En
faisant des questions de gouvernance, axées à l’origine sur les problèmes posés par les conflits
d’intérêts entre actionnaires et dirigeants, un champ de recherche à part entière, la finance a su
intégrer et, ce, depuis plus de quarante ans les dimensions institutionnelles - par exemple,
juridiques - qu’elle ignorait dans le paradigme traditionnel. Ce faisant, en devenant plus
humaine et plus sociale, la finance s’est singulièrement enrichie et a su proposer des
approches mieux à même d’expliquer la réalité tant du fonctionnement des marchés financiers
que des décisions financières des entreprises et des banques. Elle a su proposer des réponses
plus adaptées à des problèmes comme, par exemple, les modalités de la régulation financière
à mettre en place pour éviter les krachs. Cet enrichissement s’est aussi traduit par un
élargissement des questions traitées, par exemple, en direction du lien entre qualité des
institutions juridiques et performance financière, du bon fonctionnement des conseils
d’administration ou, encore, de la structure des rémunérations des dirigeants ou de la structure
des systèmes financiers. Cette évolution est particulièrement perceptible à la lecture des
différents chapitres de l’ouvrage et il est difficile de continuer de définir la finance de façon
étroite, en fonction du seul objectif d’allocation optimale de ressources risquées à travers le
temps.
Pour atteindre les objectifs précités, nous allons proposer au lecteur un voyage à
travers la finance où les œuvres des grands auteurs constituent autant d’étapes. Le choix de
ces étapes n’a pas été aisé. La finance est l’un des champs les plus féconds des sciences
économiques et de gestion comme en témoigne la liste des prix Nobel d’économie qui ont
contribué, de façon souvent décisive, à son développement, à commencer par des économistes
aussi prestigieux que Hicks, Samuelson ou Arrow, même si les travaux de ces derniers ont
largement dépassé les frontières de la finance. En dépit d’une vision relativement restrictive,
1
Par exemple Bourguinat et Briys (2009).
3
sur les 22 grands auteurs retenus dans cet ouvrage, on compte neuf récipiendaires de ce prix
prestigieux (par ordre de réception, Markowitz, Sharpe, Miller, Merton, Scholes, Stiglitz,
Fama, Shiller et Hart). Ce seul énoncé montre la difficulté à figurer parmi les grands auteurs
en finance. Il témoigne aussi de l’ingratitude de la tâche à laquelle nous avons été confrontés,
en notre qualité de coordinateurs de cet ouvrage, pour dresser la liste des auteurs retenus, en
raison du nombre important de grands auteurs potentiels en concurrence.
Pour opérer cette sélection, sur le détail de laquelle nous reviendrons, nous nous
sommes appuyés, au-delà de certains critères objectifs, sur notre expérience d’enseignants-
chercheurs en finance qui s’est étendue sur plus de quarante années en ayant commencé au
début des années 19(70). Cette longue expérience nous a permis de voir l’évolution des idées
et des méthodes qui ont construit et animé la théorie financière et, dans certains cas,
profondément influencé les pratiques des entreprises et des institutions financières, si ce n’est
leur architecture même. Pour les plus anciens des grands auteurs, nous avons découvert leurs
travaux pendant nos études de doctorat et ils ont inspiré nos propres recherches pendant de
longues années. Ils ont aussi constitué la base de nos enseignements de finance et puis, au
cours du temps, de nouveaux auteurs sont apparus. Leurs idées ont profondément fait évoluer
le champ de la finance à tel point que le paysage actuel de la théorie financière est parfois
difficilement reconnaissable par rapport à celui qui s’était établi pendant les décennies (19)60-
70. On a souvent qualifié, et à juste titre, les travaux de cette période de (première) révolution
de la pensée financière, mais nous montrerons, à travers les travaux de grands auteurs plus
récents, que les dernières décennies représentent une révolution d’ampleur comparable, même
si elle peut paraître moins évidente à première vue. Cette dichotomie entre la construction de
la théorie financière dominante - la finance néoclassique - dans les décennies (19)60-70 et sa
crise actuelle avec l’émergence d’un nouveau paradigme correspond approximativement à la
différence existant entre la première édition de cet ouvrage en 2003, qui reposait, pour
l’essentiel, sur les auteurs fondateurs de la finance néoclassique, et cette seconde édition.
Cette dernière y ajoute, principalement, les auteurs ayant contribué à fissurer l’édifice mis en
place - ce que Thaler appelle le « vieux » paradigme - et à opérer une seconde révolution en
faisant émerger un paradigme différent, même si certains de ces « nouveaux » grands auteurs
peuvent être considérés, au moins pour partie, comme des continuateurs, si ce n’est des
défenseurs, de l’ancien paradigme.
Pour accompagner ce long voyage, nous allons, en premier lieu, préciser les
contraintes qui nous ont orientés pour établir la liste des grands auteurs et les modalités
précises de la sélection qui a été faite. En deuxième lieu, nous présenterons la logique que
nous avons adoptée pour structurer l’ordre de présentation des différentes contributions dont
nous donnerons un bref aperçu. En troisième lieu, nous tenterons de tirer un certain nombre
d’enseignements de ce voyage en pays de finance. Enfin, nous conclurons.
Avant d’entrer dans le détail du processus de sélection des grands auteurs en finance,
il nous faut préciser les contraintes, relativement lourdes, auxquelles nous avons été
confrontés.
permettent, dans une certaine mesure et sous certaines conditions, de pallier l'inexistence d'un
système complet de marchés contingents ; ils conduisent ainsi à une meilleure allocation des
risques et, de ce fait, à une meilleure performance du système économique. Samuelson a fait
des apports essentiels à la théorie de l’efficience des marchés financiers (Samuelson, 1965a)
et à celle de l’évaluation des actifs conditionnels (Samuelson, 1965b). Enfin, Vickrey (1961),
dans un article particulièrement cité du Journal of Finance, a fait une contribution centrale à
la théorie des enchères, à la théorie de la spéculation et à la compréhension de la
microstructure des marchés financiers.
Markowitz, le créateur de la théorie moderne du portefeuille, habituellement considéré
comme le fondateur de la finance moderne, auquel est consacré le premier chapitre de cet
ouvrage, montre dans un article de nature historique (Markowitz, 1999) comment certaines de
ses idées ont été anticipées en partie par Hicks (1935) ou Marschak (1938) ou comment des
idées proches des siennes ont été développées par Roy (1952) ou Tobin (1958). On peut
pareillement penser qu’il aurait été nécessaire de consacrer des chapitres à des contributeurs
aussi importants que Williams, le créateur de l’analyse fondamentale et du modèle
d’actualisation des dividendes (v. en particulier, Williams, 1938) ou, encore, dans la même
perspective, à Gordon et à sa célèbre version de ce dernier modèle connue de tous les
étudiants en finance (Gordon, 1959). Selon certains, la Law of the Conservation of Investment
Value énoncée par Williams anticipait, mais de façon moins rigoureuse et élaborée, le
principe de neutralité de la structure de financement démontré par Modigliani et Miller
(1958). Les historiens de la finance (Jovanovic, 2008) montrent que des auteurs comme
Roberts, Working et Cootner ont été les premiers à émettre certaines idées fondamentales.
Ainsi, l’idée de recourir au principe d’arbitrage pour expliquer le comportement aléatoire des
cours semble due à Roberts (1959), celle de lier l’efficience au caractère imprévisible de
l’arrivée des informations sur le marché, à Working (1956). Quant à l’idée même de marché
efficient, elle aurait été émise en premier par Cootner, en 1962. Un auteur hétérodoxe comme
Mandelbrot (v. Cont, 2013) aurait pareillement mérité de se voir consacrer un chapitre ; ses
travaux sur la présence de variations extrêmes - donc d’un risque « sauvage » - dans les cours
boursiers (Mandelbrot, 1963) laissaient entendre que le risque de crise financière était
beaucoup plus important que ce permet de conclure la modélisation financière traditionnelle
fondée sur l’hypothèse de normalité des distributions (le risque « sage »).
La deuxième contrainte que nous avons rencontrée traduit la préoccupation d’éviter le
risque de redondance. Lorsqu’on remonte dans l’histoire de la théorie financière, on constate
que les grands auteurs collaboraient assez peu dans l’écriture de leurs œuvres. Inversement,
après le milieu du 20e siècle, les travaux cosignés se sont multipliés. Il en résulte que la
notoriété, qui a valu à certains chercheurs en finance de figurer dans le présent ouvrage, est en
fait partagée. Les exemples célèbres de partage sont nombreux : Modigliani et Miller, Black
et Scholes, Jensen et Meckling, Fama et French, Campbell et Shiller, Shleifer et Summers,
Shleifer et Vishny, Hart et Holmström, Grossman et Stiglitz, Grossman et Hart, Rajan et
Diamond, Rajan et Zingales… De façon à éviter les redondances, nous avons été ainsi
conduits à faire des choix probablement très injustes et à ne retenir, sauf exception, qu’un des
cosignataires des travaux. Nous avons ainsi négligé de présenter les travaux de Modigliani,
Meckling, French, Campbell, Vishny, Holmström, Grossman, Summers ou Rajan, certains de
ces auteurs ayant pourtant reçu le prix Nobel (Modigliani et Holmström). Une seule exception
a été faite à ce principe pour Black et Scholes qui se sont vus chacun consacrer un chapitre.
Toutefois, le chapitre portant sur Scholes, afin d’éviter d’être trop répétitif par rapport à celui
dédié à Black, a reçu un traitement original : il reprend le discours prononcé par Bertrand
Jacquillat à l’occasion de la réception d’un doctorat honoris causa décerné à Scholes, ainsi
que la réponse faite par ce dernier. Par ailleurs, même lorsqu’il ne s’agit pas d’un coauteur, le
même souci nous a également amenés à ne pas retenir certains grands auteurs potentiels
6
comme, par exemple, Lintner ou Mossin à qui on attribue habituellement, à parité avec Sharpe
(Lintner, 1965 ; Mossin, 1966), la paternité du célèbre Modèle d’Équilibre Des Actifs
Financiers (le MEDAF).
La troisième contrainte a consisté à ne pas retenir les auteurs dont il aurait été difficile
de présenter les contributions sans mobiliser des techniques mathématiques ou statistiques
relativement complexes de façon à conserver un caractère accessible à cet ouvrage pour les
non-spécialistes de finance quantitative. Les contributions des grands auteurs ainsi écartés
concernent deux principaux domaines : l’économétrie financière et la modélisation financière
fondée sur la théorie des martingales. Pour le premier domaine, deux auteurs aussi importants
que Engel et Hansen, tous deux récipiendaires du prix Nobel d’économie, n’ont ainsi pas été
retenus. Tous deux ont eu des apports fondamentaux en économétrie appliquée à la finance.
Engle est principalement connu pour ses apports sur la cointégration et les processus Arch
(Autoregressive Conditional Heteroskedasticity) qui ont révolutionné l’étude empirique des
séries temporelles financières. Quant à Hansen, son principal apport en économétrie est
associé à la méthode des moments généralisée qui a permis de renouveler l’étude des modèles
d’évaluation dynamique des actifs financiers7. Pour le second domaine, le caractère complexe
de la théorie des martingales a conduit à ne pas retenir un auteur comme Harrison dont les
travaux ont profondément transformé la modélisation8 de l’approche dynamique des marchés
des titres financiers ainsi que l’évaluation de ces derniers (Harrison et Kreps, 1979 ; Harrison
et Pliska, 1981).
Enfin, la quatrième et dernière contrainte est associée au souhait de couvrir au mieux
les principaux domaines et courants qui constituent le champ de recherche actuel de la
finance. Les chapitres de la première édition de cet ouvrage portaient pour l’essentiel sur les
domaines de la gestion de portefeuille, de l’évaluation des actifs financiers et de la finance
d’entreprise avec, à l’occasion, quelques éléments sur la microstructure des marchés
financiers. Les travaux considérés lorsqu’ils comportaient une dimension pratique ou
empirique avaient été réalisés, quasi exclusivement, dans le cadre de l’économie américaine.
Le lecteur découvrira que les chapitres ajoutés permettent de survoler d’autres domaines
importants de la recherche financière contemporaine comme la finance des banques et des
institutions financières, l’étude des systèmes financiers, la finance immobilière et la finance
internationale. Leur lecture permet également de constater qu’alors que la recherche
empirique en finance se limitait auparavant et pour l’essentiel aux institutions et aux marchés
boursiers des États-Unis, son extension internationale a permis de renouveler l’étude des
questions traditionnelles composant la finance de marché et la finance de la firme. Les
questions de gouvernance d’entreprise ont ainsi été profondément revisitées dans un cadre de
comparaison internationale. Cette extension géographique de la recherche financière est due,
entre autres, à la constitution de bases de données financières à caractère international.
Au-delà de la couverture des principaux domaines d’application, il nous importait
aussi de rendre compte des principaux courants théoriques qui influencent la finance. Si le
courant néoclassique traditionnel qui suppose une rationalité forte des acteurs et l’efficience
des marchés financiers regroupait, pour l’essentiel, les auteurs sélectionnés dans la première
édition (à l’exception notable de Jensen et, à un degré moindre, de Myers), il était important
que la finance comportementale qui tend à s’imposer comme nouveau paradigme dominant
prenne sa juste place dans cette nouvelle édition. Toutefois, ces deux courants ne suffisent pas
à rendre compte de la diversité actuelle de la théorie financière et l’ouvrage aurait été très
incomplet si un courant aussi important en finance d’entreprise que celui qui s’appuie sur la
théorie des organisations - la finance néoinstitutionnelle contractuelle -, tout spécialement sur
7
Voir la présentation de Campbell (2014) pour appréhender les apports de Hansen en finance.
8
Voir l’article de Walter (2015) sur les deux types de quantifications pour avoir une idée de l’apport de ces
auteurs.
7
la théorie de l’agence et la théorie des contrats incomplets, n'avait pas été représenté avec des
auteurs aussi emblématiques que Jensen et Hart.
9
Depuis l’établissement de cette liste, nous avons eu le regret d’apprendre le décès de Stephen Ross en mars
2017.
8
critère de redondance a conduit aussi à éliminer certains auteurs qui, autrement, auraient pu
figurer légitimement dans la liste, par exemple Modigliani, prix Nobel d’économie.
Si les auteurs sélectionnés ont tous contribué très significativement à l’avancée de la
théorie financière, on peut, malgré tout, faire deux commentaires. Le premier concerne la
présence de Stiglitz qui est plus connu comme économiste que comme théoricien de la
finance. Il faut cependant préciser que, lorsqu’on interroge Google Scholar, parmi les trois
articles les plus cités de cet auteur figurent deux articles, très célèbres, qui ont fortement
influencé la recherche financière (Grossman et Stiglitz, 1980 ; Stiglitz et Weiss, 1981). La
qualification de Stiglitz comme grand auteur en finance n’est donc pas usurpée. Cette
discussion pourrait s’étendre à des auteurs non inclus comme, par exemple, Tirole, auteur
d’un ouvrage particulièrement remarquable, The Theory of Corporate Finance (Tirole, 2006),
dont le cas, toutefois, est différent. Même si les contributions à la finance de ce dernier sont
substantielles (Albouy, 2015), ses travaux les plus connus ne se situent pas dans le domaine
de la finance et ceux qui touchent directement à la finance sont sensiblement moins cités et
moins influents que ceux de Stiglitz. On pourrait appliquer le même commentaire au cas de
Robert Lucas, autre récipiendaire du prix Nobel, même si son article Asset Prices in an
Exchange Economy (Lucas, 1978) a profondément influencé la pensée financière. Le second
commentaire porte sur l’importance relative des auteurs. Les grands auteurs sont plus moins
grands… De fait, il y a les incontournables, souvent nobélisés, auxquels on associe
immédiatement un ou deux articles particulièrement célèbres (v. annexe) ayant joué un rôle
central dans le développement de la pensée financière. Les auteurs sélectionnés dans la
première édition relevaient tous de cette catégorie. On peut leur adjoindre, parmi les nouveaux
entrants, et sans hésitation, Shiller, Stiglitz et Hart, tous trois prix Nobel d’économie, ainsi
que Shleifer et Thaler. D’autres auteurs ont su, malgré tout, faire des contributions très
notables dans de nombreux domaines sans émerger de façon aussi forte. Il serait injuste de les
priver du qualificatif de grand auteur, tant leurs contributions sont substantielles à divers titres
et ont enrichi la recherche financière.
Avant de présenter brièvement le contenu des différents chapitres, il nous faut préciser
la logique qui a prévalu pour définir leur ordre de présentation.
Comme la lecture des différents chapitres le révèle, et sauf exception, les travaux des
grands auteurs ont fréquemment abordé différents champs de la finance et, pour certains
d’entre eux, largement débordé la finance pour, dans certains cas (par exemple, Stiglitz,
Shleifer, Shiller ou Zingales), aborder des questions économiques centrales concernant le
développement économique et le fonctionnement du capitalisme. Il est donc difficile de
structurer la présentation de leurs travaux en fonction d’une typologie opposant, par exemple,
la finance de marché à la finance d’entreprise, la plupart des grands auteurs ayant contribué
aux deux champs.
Il est difficile, de même, de retenir une classification par grande période, car les
contributions des grands auteurs s’étalent souvent sur un demi-siècle pour les plus anciens et
leur pensée a parfois sensiblement évolué par rapport à leurs premiers travaux, comme, par
exemple, le chapitre sur Jensen le met en évidence.
L’objectif, néanmoins, étant de faire comprendre au lecteur l’évolution des idées
financières à travers les travaux des grands auteurs, nous avons retenu un plan qui nous
semble le mieux à même d’atteindre cet objectif. Prenons l’exemple d’un auteur aussi
9
emblématique que Fama. Même si ses contributions à l’évaluation des actifs avec les modèles
multifacteurs et à la théorie de l’agence sont très connues, on associe son nom,
habituellement, à ses travaux fondateurs sur l’efficience de marché. Et c’est cette dimension
que nous avons privilégiée pour positionner le chapitre qui lui a été consacré. Un autre auteur
pareillement difficile à situer est Shleifer. Faut-il l’inclure dans la rubrique réservée à la
finance comportementale, ses travaux ayant joué un rôle pionnier dans ce domaine ou dans
celle consacrée à la finance néoinstitutionnelle en raison de l’importance de ses articles
portant sur les systèmes de gouvernance qui sont les plus cités ? Après de nombreuses
hésitations, nous l’avons inclus dans la partie consacrée à la finance comportementale qui
nous semble la mieux à même de traduire son projet global.
Cette démarche nous a conduits à retenir dans une première sous-section (2.2.)
intitulée « La constitution du paradigme dominant : la finance néoclassique », les chapitres
relatifs à huit auteurs : Markowitz, Sharpe, Miller, Fama, Ross, Black, Scholes et Merton. Ces
différents auteurs, à travers leurs travaux sur l’évaluation du risque et l’efficience des
marchés, ont jeté les bases de la finance moderne qui peut être considérée comme pouvant
s’inscrire, sous différentes hypothèses, dans le cadre plus vaste du modèle d’équilibre général
de Arrow et Debreu, qui est au coeur de la théorie économique néoclassique.
Au-delà de la dimension explicative de certains des modèles proposés par ces auteurs,
leurs travaux ont également été à l’origine de nombreux outils qui ont révolutionné les
pratiques de la gestion de portefeuille et de la finance d’entreprise en ayant induit la création
de nombreux marchés de produits financiers, en particulier les marchés de dérivés, ou de
vecteurs de placement comme les fonds mutuels. Ce courant dominant - la finance
néoclassique - même s’il est aujourd’hui fortement contesté, reste le référentiel qu’il faut
connaître impérativement pour comprendre les avancées plus récentes qui se sont
fréquemment constituées en réaction contre lui.
Ces avancées sont loin d’être homogènes. Pour les présenter, il nous a paru logique de
les structurer de la façon suivante. Dans la deuxième sous-section (2.3.) titrée « Des fissures
importantes dans l’édifice néoclassique », seront présentés certains travaux critiques
particulièrement importants par les arguments qu’ils soulèvent pour révéler et illustrer les
failles de l’édifice néoclassique. On y trouvera les chapitres dédiés à Stiglitz, Roll, Harvey et
Titman. Les failles évoquées portent sur la cohérence de la théorie et sur certains problèmes
empiriques importants qu’elle rencontre.
Dans la troisième sous-section (2.4.) « Une première voie de reconstruction : la
finance néoinstitutionnelle contractuelle », nous avons regroupé les travaux, relativement
disparates, associés aux conséquences de l’introduction de l’asymétrie d’information et des
conflits d’intérêts, à l’origine de différents courants et qui ont révolutionné tant l’approche de
la politique financière des entreprises (et également des banques) que celle de leur
gouvernance. Ces courants s’inscrivent tous dans une logique contractuelle même si cette
logique prend des formes diverses. Les travaux auxquels ils ont donné naissance reposent sur
des branches diverses de la théorie économique des organisations (théorie des droits de
propriété, théorie des coûts de transaction, théorie normative et positive de l’agence, théorie
des contrats incomplets…). Ils conduisent tous, de façon plus ou moins explicite, en
introduisant une dimension institutionnelle, à faire éclater le cadre a-institutionnel
caractérisant la finance néoclassique, où l’organisation est considérée comme une boîte noire.
Leur objectif, à des degrés divers, est de proposer une reconstruction de la finance qui repose
sur une vision contractuelle des organisations. Ont été rattachés à cette sous-section, les
chapitres traitant des travaux de Myers, Jensen, Stulz, Diamond, Hart et Zingales.
Enfin, la quatrième et dernière sous-section (2.5.) « Vers un nouveau paradigme
dominant : la finance comportementale » porte sur les auteurs ayant joué un rôle pionnier dans
le développement de la finance comportementale, laquelle rompt de façon beaucoup plus
10
Malgré certains travaux précurseurs évoqués dans ce chapitre introductif, Fama doit
prioritairement sa notoriété à la théorie de l’efficience informationnelle des marchés
financiers dans la construction de laquelle il a joué un rôle central et dont il demeure le
défenseur inconditionnel : pour Fama, les cours de bourse ont un sens - ils sont le reflet et
l’expression de l’activité économique. Le chapitre qui lui est consacré revient dans le détail
sur ce rôle. Il serait, malgré tout, injuste de réduire l’apport de Fama à la question de
l’efficience des marchés. Un apport tout aussi important est constitué par sa proposition d’un
modèle à trois facteurs, en remplacement du MEDAF, pour évaluer les actifs financiers, de
façon à prendre en compte les différentes sources de risque dans l’économie. Le MEDAF en
se limitant à ne considérer qu’une seule source de risque ne permet pas de rendre compte de
façon correcte du lien entre rentabilité et risque. Fama a aussi fortement contribué au
développement de la finance d’entreprise et de la finance organisationnelle en relation avec la
théorie de l’agence10. De fait, les travaux de Fama couvrent toutes les décisions financières en
accordant un rôle central aux mécanismes de marché. Comme le lecteur pourra le découvrir, il
se dégage des travaux de Fama une grande cohérence et l’idée que le marché est une interface
très efficace pour faciliter les prises de décisions financières.
Les recherches de Stephen Ross portent sur les marchés financiers, la finance
d’entreprise et l’économie de l’incertain. Il est, tout particulièrement, connu pour ses travaux
sur le modèle d’évaluation par arbitrage (APT - Arbitrage Pricing Theory) et sur la
valorisation des actifs conditionnels, fondés sur l’utilisation du principe d’arbitrage. Le
modèle d’évaluation par arbitrage a permis de proposer une autre solution que celle des
modèles d’équilibre comme le MEDAF pour évaluer les actifs financiers et a ouvert la voie,
dans une certaine mesure, aux modèles d’évaluation multifactoriels. Au-delà de ce modèle et
de sa contribution fondamentale à l’évaluation des options, Ross a aussi joué un rôle central
dans la dérivation des modèles dynamiques d’évaluation permettant ainsi d’étendre le champ
d’application de la théorie néoclassique. Il a tout autant été un précurseur en posant les bases
de la théorie des signaux et de la théorie de l’agence qui, en sapant, les fondements de la
finance néoclassique11 et en contribuant à la création de la finance néoinstitutionnelle ont,
toutes deux, profondément bouleversé la modélisation théorique de la finance d’entreprise.
Le dernier pan de la finance néoclassique est constitué par la théorie des actifs
conditionnels. Même si Sharpe et Ross ont eu des apports significatifs dans ce domaine, en
relation, tout spécialement, avec le modèle binomial, les trois principaux contributeurs dans
l’élaboration de cette théorie sont Black, Scholes et Merton.
Fischer Black est principalement connu pour avoir, conjointement avec Myron
Scholes, proposé un des modèles les plus célèbres de la finance, le modèle d’évaluation des
options sur actions qui jouera un rôle central dans le développement des marchés des actifs
conditionnels, en permettant aux opérateurs de disposer d’un outil d’évaluation relativement
simple à utiliser. Au-delà de ce modèle universellement connu des financiers, le célèbre
article publié en 1973, The Pricing of Options and Corporate Liabilities, et qui, pour la petite
histoire, fut rejeté deux fois avant d’être publié par le Journal of Political Economy grâce à
l’insistance de Merton Miller, comporte d’autres résultats très importants pour la finance
d’entreprise. Il propose une analogie très féconde : les capitaux propres peuvent être assimilés
à une option d’achat que détiendraient les actionnaires sur les actifs de la firme. Cette idée
allait ouvrir de nombreuses pistes pour évaluer les titres financiers. Black allait aussi faire des
contributions très importantes à l’étude du MEDAF tant dans ses dimensions empiriques
qu’en proposant certaines extensions, par exemple, lorsque les possibilités d’emprunt sont
limitées. Son travail pionnier en matière d’évaluation des actifs conditionnels allait donner
10
Sa contribution principale dans ce domaine, à l’exception de Fama (1980), se situe dans les articles coécrits
avec Jensen. Voir le chapitre consacré à cet auteur.
11
Voir, par exemple, l’analyse de Brennan (1995).
12
lieu à d’autres développements concernant les options sur taux d’intérêt ou sur les matières
premières. Enfin, la distinction qu’il a introduite entre deux catégories d’investisseurs - les
investisseurs rationnels qui agissent selon les préceptes de la théorie et ceux qui interviennent
sur la base de bruits non fondés, les noise traders - sera le point de départ de nombreux
modèles à la base de la finance comportementale12. Son décès prématuré l’empêchera
malheureusement de recevoir le prix Nobel d’économie en même temps que Myron Scholes et
Robert Merton.
Il était impensable de présenter l’œuvre de Fischer Black sans l’accompagner de celle
de Myron Scholes. C’est à travers l’allocution prononcée à l’occasion de la remise du doctorat
honoris causa de l’Université Paris IX Dauphine à Myron Scholes que le lecteur découvrira
l’œuvre de cet auteur incontournable pour tous ceux qui s’intéressent aux actifs conditionnels.
Si, à l’instar de Black, Scholes est avant tout connu pour la célèbre relation d’évaluation des
options, il est l’auteur de nombreuses autres contributions importantes touchant aux tests
empiriques du MEDAF, à la politique de dividendes ou, encore, à l’importante question de la
relation entre la fiscalité et la stratégie financière de l’entreprise.
Robert Merton est le troisième grand nom de la célèbre trilogie associée à l’évaluation
des actifs conditionnels. Ses contributions apparaissent, néanmoins, peut-être encore plus
importantes que celles de Black et Scholes. Tout d’abord, comme ces deux derniers l’ont
reconnu, c’est à Merton qu’on doit l’introduction du raisonnement d’arbitrage dans la
construction des modèles d’évaluation des options. Au-delà de cet apport décisif, ses travaux
en matière d’évaluation des actifs conditionnels ont un caractère plus général qui fait qu’il
n’est pas excessif de le considérer comme le fondateur de la finance en temps continu et de la
théorie des actifs conditionnels. Il a largement étendu le champ d’application de cette théorie
en intégrant au raisonnement l’existence de taux d’intérêt aléatoires. De plus, ses apports à la
finance d’entreprise ont été déterminants en proposant, toujours sur la base de la théorie des
actifs conditionnels, une évaluation de la dette risquée des entreprises et de la prime de défaut.
Au-delà de la finance d’entreprise, il a fait des contributions décisives à la théorie de la
finance bancaire que ce soit en matière d’évaluation de la garantie des dépôts ou de
l’assurance des crédits. Enfin, il a participé très activement au débat sur l’efficience des
marchés financiers et proposé des outils importants pour la gestion de portefeuille.
12
Voir le chapitre consacré à Shleifer.
13
l’agence, qui se veut une théorie générale des organisations, est encore plus profond. Cette
nouvelle perspective, en raison de son adossement à la théorie des organisations, est parfois
qualifiée de finance organisationnelle. Comme le rappelle Jensen, et à l’instar d’autres
innovations théoriques majeures, l’article de Jensen et Meckling, fut, initialement, mal reçu
par la communauté académique financière. La cause vraisemblable de cette réaction négative
est probablement liée au fait que cette théorie issue du courant économique
néoinstitutionnaliste, et, plus spécifiquement, de la théorie des droits de propriété affectait
certaines hypothèses clés du noyau dur de la finance néoclassique. En particulier, la rationalité
présumée substantive des acteurs se voyait remplacée par une rationalité plus limitée. Le
cadre retenu s’écartait de la perspective normative de la théorie principal-agent plus proche de
la perspective néoclassique. En tentant d’expliquer les décisions financières, par exemple, la
structure de financement, la politique de dividendes ou les prises de contrôle et, plus
généralement, les arrangements organisationnels comme moyens de minimiser les coûts
d’agence entre les dirigeants et les apporteurs de ressources financières, Jensen apportait des
réponses radicalement nouvelles et ouvrait un vaste champ d’investigation, celui de la
gouvernance des dirigeants. Cela allait le conduire à proposer des explications à l’existence
des différentes formes et architectures organisationnelles ainsi qu’à jeter les bases d’une
théorie des systèmes de gouvernance très riche. Les travaux les plus récents de Jensen, par
exemple, ceux qui traitent des coûts d’agence de la surévaluation ou de l’intégrité des
dirigeants, révèlent une évolution vers des dimensions comportementales et éthiques. Si on
considère que Jensen a participé dans ses premières recherches à la construction de la finance
néoclassique avec des contributions importantes à l’étude de l’efficience et à la mesure de la
performance des portefeuilles, on ne peut qu’être impressionné par sa capacité à faire évoluer
ses grilles d’analyse.
Si Stulz a fait de multiples apports significatifs à l’économie et à la finance
internationale, qu’il s’agisse de l’explication des taux de change, de l’évaluation des actifs
financiers, de la gestion de portefeuille ou, encore, du comportement des marchés de capitaux,
ses contributions les plus citées se situent dans le domaine de la finance d’entreprise. Dans ce
dernier domaine, il a produit de nombreux résultats originaux sur le lien entre latitude
managériale et politique financière qu’il s’agisse des offres publiques d’achat ou de la
politique d’endettement. Sur ce dernier point, il a apporté des compléments très pertinents à la
théorie du Free Cash Flow due à Jensen et aux analyses de Myers en proposant un modèle
considérant simultanément les phénomènes de sous- et de surinvestissement. Toujours en
finance d’entreprise, les travaux de Stulz ont singulièrement enrichi l’analyse des stratégies de
diversification, des opérations de désinvestissement, du marché interne du capital des grandes
firmes, de la gestion des risques ou de la détention de liquidités importantes. Enfin, il a
apporté de nombreux éclairages originaux aux questions de gouvernance des firmes et à
l’explication des crises financières.
L’asymétrie de l’information est également au coeur des travaux de Douglas Diamond.
Si ses premiers travaux significatifs ont porté sur la question de la fixation des prix d’équilibre
sur les marchés financiers en présence d’asymétrie d’information, Diamond est
principalement réputé pour ses contributions à la finance bancaire où la notion de liquidité
joue un rôle central, qu’elles concernent les questions de régulation de la banque ou
l’influence de la relation avec la banque sur la structure temporelle de la dette des entreprises.
Sa démarche s’inscrit dans la perspective de la théorie de l’agence normative qui cherche à
déterminer la forme optimale d’un contrat permettant de gérer au mieux les relations entre les
déposants et les firmes financées. La forme optimale trouvée comme solution à un problème
formulée à partir de la théorie des jeux non coopératifs peut être utilisée pour expliquer
l’intérêt de l’intermédiation financière, mais aussi pour identifier des modalités plus efficaces
pour gérer, par exemple, les relations entre firmes, banques et déposants. Diamond montre
17
ainsi que le financement intermédié par les banques se révèle supérieur au financement direct
en raison de l’efficacité de la surveillance effectuée. Au-delà des recommandations très
importantes faites en matière de régulation bancaire afin d’éviter les paniques bancaires (les
bank runs), Diamond propose une théorie explicative de la structure par maturité des dettes
des entreprises et apporte des éclairages particulièrement importants pour construire le droit
de la faillite et comprendre le rôle de la réputation.
L’approche située dans la perspective économique néoinstitutionnelle qui a le plus
enrichi les réflexions sur la finance des entreprises et la finance bancaire est, peut-être, celle
de la théorie des contrats incomplets dans le développement de laquelle Oliver Hart a joué un
rôle majeur. Parfois vue comme une version formalisée de la théorie des coûts de transaction
(TCT) de Coase et Williamson13, voire de la théorie des droits de propriété, la théorie des
contrats incomplets se distingue tant de la théorie principal-agent (ou théorie normative de
l’agence) que de la théorie positive de l’agence (TPA) proposée par Jensen14. En conservant
une hypothèse de rationalité plus forte que dans la TPA ou la TCT, la théorie des contrats
incomplets, pour justifier l’incomplétude des contrats - c’est-à-dire l’impossibilité de rédiger
et de faire exécuter des contrats adaptés à toutes les situations futures possibles -, met
principalement l’accent sur le coût de rédaction des contrats et la possibilité pour une tierce
partie de disposer de l’information suffisante pour en permettre et en vérifier la bonne
exécution. Sur la base de cette grille de lecture, Hart revisite l’analyse du financement et de la
gouvernance des entreprises en renouvelant l’analyse des offres publiques d’achat. La
problématique du contrôle des firmes, à travers des aspects comme les droits de vote associés
aux actions ou la réglementation des faillites, en sortira profondément transformée. Au-delà
de la finance d’entreprise, Hart a aussi fait, plus récemment et en relation avec la crise
financière, des apports importants à la théorie de la régulation bancaire. Précisons que certains
travaux récents de Hart mobilisent la finance comportementale afin de mieux justifier
l’incomplétude des contrats.
La théorie des contrats incomplets est aussi à la base des travaux de Luigi Zingales
dont le directeur de thèse a été Hart. Après avoir reconsidéré dans la perspective contractuelle,
un certain nombre de dimensions de la finance telles que la valeur des droits de vote, les
introductions en bourse, le lien entre investissement et niveau des cash flows, ou encore les
déterminants des structures financières sur un plan international, il a fait un certain nombre
d’apports particulièrement significatifs à la microgouvernance (la gouvernance des
entreprises). Ces apports s’appuient sur une prolongation de l’analyse de la firme proposée
dans la théorie des contrats incomplets visant à mieux prendre en compte le capital humain et
le capital organisationnel qui sont au centre de la création de valeur dans les économies
modernes. Cette démarche l’a conduit à adopter une vision partenariale de la gouvernance
dont l’objectif n’est plus de gérer les conflits entre actionnaires et dirigeants, mais de
préserver l’intégrité du capital organisationnel qui est au cœur de la création de valeur par la
firme. Ses travaux en microgouvernance ont été suivis de travaux tout aussi importants dans le
domaine de la macrogouvernance où il a fait des apports déterminants aux courants politiques
et culturels15 (par exemple, sur le rôle des pouvoirs en place, de la confiance, de la religion et
des médias) afin d’expliquer le développement des systèmes financiers et, plus globalement,
du capitalisme, y compris les crises financières récentes qui l’ont frappé.
13
Pour une analyse comparée de la TCT et de la théorie des contrats incomplets, on consultera Farès et Saussier
(2002).
14
On trouvera une présentation détaillée des principaux courants théoriques en économie des organisations dans
Chabaud et al. (2008), dont l’ouvrage est consacré aux grands auteurs en économie des organisations. Un
chapitre de cet ouvrage est également consacré à Hart (Farès, 2008).
15
Voir, par exemple, son éditorial consacré à « The“cultural revolution”in finance » dans le Journal of
Financial Economics (Zingales, 2015).
18
Robert Shiller, qui a collaboré avec Richard Thaler, est l’autre grand nom de la finance
comportementale. Ses premiers travaux qui ont porté sur les taux d’intérêt et les marchés
d’actions ont fortement contribué à remettre en cause l’hypothèse d’efficience des marchés
financiers. Il démontre que la volatilité des actions est beaucoup trop importante pour pouvoir
être expliquée dans le cadre de la finance néoclassique. Cela le conduit à mettre en évidence
l’existence de bulles spéculatives et à les expliquer sur la base de phénomènes culturels et
psychologiques. Les résultats de ces travaux lui permettront d’être un des rares économistes
financiers à prédire les krachs de 2000 et 2007. En mobilisant des explications
psychologiques et sociologiques, il s’éloigne définitivement du cadre de la finance
néoclassique pour fonder la finance comportementale. L’originalité et la pertinence de ses
travaux en matière d’évaluation des actifs financiers lui vaudront de recevoir le prix Nobel
d’économie. Au-delà de ses apports à l’évaluation des actifs financiers, il fera également des
contributions décisives dans un domaine relativement délaissé, celui de la finance
immobilière, dont les marchés, qui font l’objet d’une spéculation très active, s’écartent aussi
fortement du schéma de l’efficience.
S’il est un auteur qui a pareillement contribué à affaiblir la finance néoclassique et à
proposer une reconstruction de la finance en y intégrant des dimensions comportementales, il
s’agit bien d’Andrei Shleifer auteur de très nombreuses contributions fondamentales dans
différents champs de la finance. Shleifer, à l’instar de Thaler et Shiller, peut être aussi
considéré comme un des fondateurs de la finance comportementale. Sur la base de la
distinction entre les investisseurs rationnels et les noise traders due à Black, il a proposé de
nombreux modèles visant à expliquer les différentes anomalies constatées sur les marchés
financiers. Son argumentation met en avant les nombreuses limites que rencontre, dans la
pratique, le processus d’arbitrage censé garantir l’efficience du marché. Mais au-delà de ces
explications pionnières, il a été un des premiers à établir un lien explicite entre la littérature
sur les anomalies et la littérature comportementale, au développement de laquelle il a
fortement contribué avec ses travaux récents fondés sur la théorie de la saillance. Cette
préoccupation l’a conduit à proposer une révision du CAPM (c’est-à-dire du MEDAF), le X-
CAPM (Extrapolative CAPM) qui intègre les biais comportementaux des investisseurs. Le
caractère innovateur de ses travaux en finance comportementale aurait suffi à lui attribuer une
place dans cet ouvrage. Et pourtant, sa contribution à la théorie de la gouvernance des
entreprises lui a valu encore davantage de notoriété.
Ses travaux en gouvernance, contrairement à ce qu’une réflexion superficielle pourrait
laisser supposer, ne sont d’ailleurs pas déconnectés de ceux qui portent sur l’efficience des
marchés. C’est parce que les marchés sont insuffisamment efficients, en raison, tout
particulièrement, des biais comportementaux, qu’il est nécessaire de faire reposer la
gouvernance des dirigeants sur d’autres mécanismes, notamment juridiques, au moins à titre
complémentaire. Cette thèse centrale a conduit Shleifer à émettre de nombreuses idées
originales en matière de gouvernance qu’elles soient fondées sur la théorie des contrats
incomplets ou la finance comportementale, visant plus spécifiquement à contester l’efficacité
de mécanismes tels que les offres publiques de contrôle, ne serait-ce que parce que les
dirigeants via leurs manœuvres d’enracinement s’opposent activement à la discipline qu’on
veut leur imposer. Les réflexions de Shleifer ont abouti à une reformulation de la
problématique même de la gouvernance actionnariale afin de mettre non plus en avant la
relation actionnaires/dirigeants, mais celle entre actionnaires dominants et actionnaires
minoritaires, afin de disposer d’une grille de lecture à même d’appréhender la grande variété
des systèmes nationaux de gouvernance. Il a été ainsi amené à proposer des analyses très
originales de la politique de dividendes, du rôle de l’endettement ou des fusions-acquisitions.
Son apport le plus célèbre se situe, toutefois, dans le domaine de la macrogouvernance avec la
mise en avant du droit comme facteur déterminant du développement économique et financier
20
Au terme de ce long voyage à travers les œuvres des grands auteurs de la finance
moderne, il semble qu’on puisse en tirer plusieurs enseignements qui tiennent au périmètre de
la finance, à son positionnement épistémologique et à ses relations avec la pratique financière.
type. Que se passerait-il sur les marchés si tous les investisseurs se comportaient de façon
totalement rationnelle et optimale ? Les prédictions issues des modèles d’évaluation sont alors
confrontées à la réalité avec des résultats fréquemment décevants, par exemple pour le
MEDAF qu’on peut considérer comme un modèle abandonné par la recherche, tout au moins
dans sa version première. Au mieux, on constate de nombreuses anomalies. Malgré ces
résultats décevants si on se situe dans une perspective explicative ou prédictive, cette finance
a, cependant, eu une influence transformative importante en fournissant des outils
d’évaluation (même imparfaits), en aidant à créer de nouveaux marchés permettant, en
principe, de mieux gérer le risque et, surtout, en contribuant à créer un cadre de pensée, un
référentiel cognitif.
Les développements en finance d’entreprise semblent moins importants. De facto, si
on considère que les marchés financiers sont parfaits et que la firme est une boîte noire, alors,
comme le montrent Modigliani et Miller, les questions associées à la définition d’une
politique financière optimale perdent toute pertinence en raison de l’arbitrage. Il faut
réintroduire une dimension institutionnelle liée à la fiscalité ou à la faillite pour les faire
resurgir. Il en est de même d’ailleurs avec l’analyse proposée par la théorie des options. Si on
reprend la réflexion très novatrice de Black et Scholes consistant à considérer que les capitaux
propres sont une option d’achat sur les actifs de la firme, on s’aperçoit qu’elle repose sur
l’existence de la clause de responsabilité limitée des actionnaires, donc sur une dimension
institutionnelle qui introduit d’ailleurs implicitement l’idée du conflit d’intérêts entre
actionnaires et créanciers. Au total, on voit que la finance néoclassique est surtout une théorie
des marchés financiers et que, finalement, elle ne commence à dire des choses intéressantes
pour la finance d’entreprise que lorsqu’on introduit des dimensions institutionnelles…
Si on analyse alors le contenu des travaux des auteurs qui ont suivi, on constate que
leurs principaux apports sont liés, soit à l’introduction d’une dimension institutionnelle, soit
d’une dimension comportementale, les deux pouvant être liées, et que cette introduction a
conduit à une transformation profonde du champ de la finance. L’introduction des asymétries
d’information et des conflits d’intérêts a, non seulement, renversé les piliers fondateurs de la
finance néoclassique,16 mais a surtout permis de reconsidérer, sous un jour nouveau,
d’anciennes questions et, point encore plus important, d’ouvrir le champ de la finance à de
nouvelles questions. Or, ces notions d’asymétrie d’information et de conflits d’intérêts ont
systématiquement une dimension institutionnelle, que celle-ci passe par les contrats ou les
organisations, qui sont d’ailleurs le plus souvent perçues elles-mêmes comme des nœuds de
contrats. Le périmètre de la finance d’entreprise en a été fortement modifié. Non seulement
les politiques d’investissement et de financement se sont trouvées analysées de façon
beaucoup plus fine (sous- et surinvestissement, introduction d’une dimension contrôle dans
l’analyse des différents types de financement, politiques de dividende et de rachats d’actions,
introduction en bourse, financements hybrides, fusions et acquisitions…), mais, surtout, des
questions qui se trouvaient traditionnellement hors du champ de la finance en sont devenues
des composantes importantes, qu’il s’agisse de questions dévolues autrefois aux seuls juristes
(droits de vote des actions, forme et composition des conseils d’administration, droit de la
faillite, droit du travail, comparaison des systèmes juridiques nationaux…), aux seuls
spécialistes de gestion des ressources humaines (systèmes de rémunération, protection des
salariés…), aux seuls spécialistes de science politique (lien entre droit et système politique, et,
plus largement, entre gouvernance des dirigeants et politique, rôle des médias…). On ajoutera
que les outils développés par les grands auteurs en finance ont sensiblement influencé des
pans importants de la science économique, qu’il s’agisse d’économie industrielle, d’économie
16
Brennan (1995, p. 11) parle d’effondrement (breakdown) du paradigme néoclassique. Tout en attribuant le rôle
principal dans cet effondrement à l’introduction des asymétries d’information et des conflits d’intérêts, il en voit
les premiers signes dans l’incomplétude des marchés.
22
publique et, bien entendu, d’économie monétaire et d’économie internationale. Tous ces
développements ont fortement contribué à la porosité des frontières disciplinaires. Ce
phénomène s’est encore accru avec la finance comportementale qui a fait pénétrer la finance
dans des champs nouveaux où interviennent des dimensions de psychologie, de psychologie
sociale et de sociologie touchant tant au comportement des investisseurs que des décideurs
financiers.
On ne peut plus aujourd’hui, au vu des travaux des grands auteurs, définir la finance
uniquement comme une simple question de répartition optimale des ressources, à travers le
marché, dans une économie risquée. L’élargissement du champ de la finance qui s’est produit
avec la prise en compte des dimensions institutionnelle et comportementale et qui d’ailleurs
s’inscrit dans un mouvement plus général affectant les sciences économiques, conduit à faire
resurgir des dimensions oubliées lors de la prise de pouvoir par la finance néoclassique. La
redécouverte de la dimension institutionnelle, même dans un cadre très différent, revient à
faire réapparaître certaines dimensions de la finance institutionnaliste qui prédominait avant la
révolution initiée par la finance néoclassique dans les années 1950-1960 et qui, à l’époque,
avait fortement agité l’Association américaine de finance. Il en est de même pour la finance
comportementale dont les articles fondateurs citent fréquemment Keynes comme une source
d’inspiration importante et dont on redécouvre la pertinence des analyses. Rappelons que
Keynes avait une grande expérience de la pratique des marchés financiers et avait pleinement
saisi le rôle crucial des dimensions psychologiques.
friedmanienne n’est pas respectée par la finance néoclassique, ce qui est mis en avant étant
non pas son pouvoir prédictif, mais bien davantage sa capacité à rationaliser ex post. On peut
d’ailleurs comprendre que ce repli de l’objectif de prédiction à celui de rationalisation ex post
se soit produit, car la possibilité de faire de véritables prédictions à base scientifique suppose
l’existence, sinon de lois universelles, tout au moins de régularités suffisamment stables, or
certains épistémologues (par exemple, Cartwright, 1983 ; Lawson, 1989, 1997) doutent qu’on
puisse identifier de telles régularités dans le domaine des sciences sociales à l’inverse du
domaine des sciences dures. N’oublions pas que les comportements adaptatifs des acteurs ont
pour résultat de modifier les relations observées. Si, par exemple, l’introduction
d’administrateurs indépendants est un facteur identifié d’amélioration de la performance, les
acteurs modifieront les compositions des conseils d’administration en conséquence et la
relation statistique établie finira par s’estomper… puisque la cause de l’origine de la
différence de performance aura disparu.
Charreaux (2008), tout en écartant l’interprétation friedmanienne de la recherche
financière montre, au vu des pratiques de recherche les plus fréquentes en finance, qu’il est
tout autant difficile de retenir la vision infirmationniste poppérienne. La très grande majorité
des travaux empiriques en finance ne cherchent pas à infirmer les prédictions des modèles
théoriques, mais bien davantage à les corroborer. Certains chapitres de l’ouvrage (par
exemple, ceux consacrés à Harvey et à Ross) font d’ailleurs explicitement référence à des
pratiques de data mining, habituellement favorables aux hypothèses émises. On ajoutera que,
même avec une volonté infirmationniste affirmée, au vu des résultats des multiples tests qui
figurent dans les travaux des grands auteurs, il est difficile de réfuter une hypothèse en
finance, car, en raison de la thèse de la sous-détermination19 de Duhem-Quine20, toute théorie
peut être immunisée contre la réfutation. Il semble que ce soit tout spécialement le cas pour
l’hypothèse d’efficience pilier central de la finance néoclassique. Comme on peut le constater,
en confrontant les résultats obtenus par deux auteurs aussi emblématiques que Fama et
Shiller, leurs conclusions sont totalement opposées… Et pourtant cette hypothèse a fait l’objet
de milliers de recherches empiriques… On pourrait transposer cette conclusion aux modèles
multifacteurs d’évaluation, ici aussi, en confrontant les positions fortement contradictoires qui
opposent Fama à des auteurs comme Roll, Harvey et Titman. Il en est de même des multiples
tests qui ont tenté de trancher entre la théorie du compromis et la théorie du financement
hiérarchique pour expliquer les structures financières, comme le révèle la lecture de certains
chapitres de cet ouvrage.
Cette perspective infirmationniste semble d’ailleurs disqualifiée au vu, par exemple,
du type de modélisation (ce que certains appellent la No Fat MIT Style Theory) qui sous-tend
les travaux de courants comme celui de la théorie des contrats incomplets. Dans ce courant,
on part usuellement d’un phénomène observé et inexpliqué et on cherche à proposer un
modèle ad hoc21 reposant sur des hypothèses minimalistes à même de l’expliquer. Le
problème de cette approche est que, d’une part, les modèles proposés sont souvent inaptes à
expliquer des phénomènes au-delà de celui pour lequel ils ont été conçus (ils ont un caractère
ad hoc), d’autre part, il est difficile de construire une théorie unifiée en agrégeant les
différents modèles qui reposent fréquemment sur des hypothèses hétérogènes, comme le
reconnaît d’ailleurs Tirole (2006, p. 6) malgré sa tentative très ambitieuse de procéder à une
telle agrégation. Précisons, toutefois, comme le souligne Charreaux (2008) que ce type de
modélisation, même s’il a pris une importance croissante, ne caractérise pas tous les courants
de la finance.
19
Selon cette thèse, les théories sont sous-déterminées par les faits. Autrement dit, elles peuvent prédire une
infinité de faits…
20
Voir McGovern, 2006 pour une illustration en finance.
21
On retrouve la critique adressée par Brennan (1995, p. 13) aux modèles associés à la théorie du signal.
24
contributions des autres sciences sociales et moins concentrée sur l’élégance des modèles en
soulignant l’évidence qu’elle décrit avant tout des comportements humains »22
Cette question de l’évolution des paradigmes en finance ne débute pas, cependant,
avec la finance comportementale. Comme nous l’avons précédemment écrit, la finance
néoclassique peut s’interpréter comme un premier changement de paradigme par rapport à la
finance pratique et institutionnaliste qui prévalait jusqu’au début des années (19)60 et elle a
mis un certain temps à devenir le paradigme régnant en raison de la résistance que lui ont
opposé les chercheurs qui dominaient les réseaux académiques de l’époque. La
reconnaissance des travaux de Markowitz a pareillement été assez longue et, au départ,
comme il le souligne lui-même, on ne considérait même pas qu’il s’agissait de finance. Même
à l’intérieur de la finance néoclassique, un article aussi novateur que celui de Black et Scholes
portant sur l’évaluation des options a également eu beaucoup de mal à être publié. Et il
semble que les oppositions rencontrées aient été encore plus fortes pour l’article de Jensen et
Meckling.
Les thèmes des modalités d’évolution des paradigmes scientifiques et des
changements de paradigme occupent une place centrale en épistémologie des sciences avec
des auteurs aussi emblématiques que Kuhn, Popper et Lakatos. Nous ne reviendrons pas ici
sur leurs positions très connues. Nous souhaitons juste mentionner que la lecture des
différents chapitres consacrés aux grands auteurs donne une idée assez exacte de cette
évolution paradigmatique. L’identification d’une rupture paradigmatique se fait
principalement en fonction des atteintes portées au noyau dur d’une théorie. Si on suit
l’évolution de la finance moderne, la première atteinte significative au noyau dur de la finance
néoclassique a été faite avec l’introduction de l’asymétrie d’information et des conflits
d’intérêts. La seconde atteinte porte sur une composante encore plus centrale celle de
l’hypothèse de rationalité forte. Elle commence, à notre sens, non pas avec la finance
comportementale, mais avec la théorie positive de l’agence qui repose sur la même hypothèse
de rationalité limitée que la théorie des coûts de transaction. La finance comportementale ne
fait que poursuivre dans cette voie, de façon encore plus accentuée.
À travers les travaux des grands auteurs, on peut percevoir l’histoire des luttes
continuelles qui les opposent et qui permettent de bien illustrer la relative brutalité de la
concurrence scientifique et la fragilité des connaissances tenues pour acquises. S’il y a
changement de paradigme, la résistance exercée par la finance néoclassique, la « vieille »
finance reste très forte, en raison, entre autres, de sa plasticité. D’une certaine manière,
certains considèrent, aujourd’hui, que les travaux de finance associés à l’asymétrie
d’information s’ils conservent l’hypothèse de rationalité forte sont à rattacher à la finance
néoclassique. Cette résistance se traduit aussi au niveau des travaux empiriques. Dès qu’une
étude empirique met en évidence une anomalie par rapport au cadre néoclassique, on voit
apparaître une autre étude qui, en modifiant une hypothèse auxiliaire, parvient à un résultat
permettant d’éliminer l’anomalie, confirmant la non-réfutabilité qu’on peut déduire de la
thèse de Duhem-Quine. L’article d’Albouy (2005) qui fait le point des travaux empiriques
portant sur l’hypothèse d’efficience illustre très bien cette résistance du paradigme dominant.
Ce que révèle également la lecture des chapitres, c’est que certains grands auteurs
n’hésitent pas, en fonction du problème traité et en fonction de l’évolution du champ, à
contribuer aux différents paradigmes de la finance. Même des auteurs très ancrés dans le
paradigme néoclassique ont fait des contributions hétérodoxes importantes. Fama a été un des
auteurs fondateurs du courant de la théorie positive de l’agence. Roll a produit un des
premiers articles importants en finance comportementale appliquée à l’entreprise. Ross a joué
un rôle pionnier dans la construction de la théorie du signal et de la théorie de l’agence.
22
Cette traduction est issue de Schinckus (2009, p. 121).
26
Le troisième enseignement qu’on peut tirer de la lecture de cet ouvrage concerne les
rapports compliqués qu’entretient la théorie financière avec la pratique de la finance.
Comme MacKenzie (2007) le rappelle « When in 1968 David Durand, a leading
figure from the older form of the academic study of finance, inspected the mathematical
models that were beginning to transform his field he commented that ‘The new finance men ...
have lost virtually all contact with terra firma’ ».
Ce manque de contacts des chercheurs en finance avec la réalité est souvent invoqué
pour expliquer le fait que la théorie financière aurait un faible impact sur les décideurs
financiers, comme semble le confirmer le célèbre article de Graham et Harvey (2001) ou,
encore, l’étude de Copeland (2002), qui, à l’issue d’une série d’interviews de praticiens de la
finance, conclut que la majeure partie de ce qui est enseigné en finance est de peu d’utilité
pratique, que les revues scientifiques de finance sont rarement lues par les praticiens, y
compris par ceux qui ont reçu une formation doctorale et que les compétences qui leur sont
utiles pour exercer leurs fonctions ont été acquises par l’expérience.
Cette conclusion, très pessimiste, peut néanmoins être sinon contestée, du moins très
fortement nuancée, sur la base de deux arguments principaux.
Premièrement, elle semble bien davantage s’appliquer à la finance d’entreprise qu’à la
finance de marché. Il suffit de voir l’évolution des produits financiers proposés et des
pratiques de gestion du risque, pour constater l’empreinte profonde de la théorie financière sur
la pratique dans ce domaine via sa fonction transformative et performative (McKenzie et
Millo, 2003 ; McKenzie, 2004). La seule lecture d’ailleurs des pages financières d’un journal
ou des informations diffusées sur Internet à l’intention des investisseurs suffit à confirmer
cette influence, puisqu’on y trouve des indicateurs directement issus de la recherche en
finance. On ajoutera que la lecture des notices biographiques des grands auteurs montre qu’ils
ont exercé fréquemment des fonctions de conseils ou de gestionnaires de fonds
d’investissement, parfois qu’ils ont créés. Certains d’entre eux ont accompli également une
partie importante de leur carrière dans la banque privée, d’autres auprès de la Banque
fédérale. Il est donc difficile de leur dénier tout contact avec la réalité…
Cette influence sur la pratique d’ailleurs n’a pas eu que des effets positifs. Alors que
l’application des enseignements de la théorie financière était censée améliorer l’efficience des
marchés financiers et permettre une bien meilleure gestion des risques, comme dans beaucoup
d’autres domaines, on a assisté à l’émergence d’effets pervers en raison de la complexité
croissante des systèmes financiers à laquelle a conduit la création des nouveaux produits
financiers et la sophistication croissante de la gestion des risques (Albouy, 2012). Autrement
27
dit, en transformant la réalité, les applications de la théorie financière semblent, au moins pour
partie, responsables de la fragilité des systèmes financiers à l’origine des récentes crises
financières. Certains vont même jusqu’à prétendre que les enseignements de la théorie
financière, à travers des grilles de lecture telles que la théorie de l’agence (Goshal, 2005),
auraient modifié les comportements des acteurs en renforçant l’opportunisme et les infractions
à l’éthique. La théorie financière serait ainsi à l’origine, au moins pour partie, des crises
récentes. À l’évidence, les comportements contraires à l’éthique sont aussi anciens que
l’Humanité et sont loin d’être cantonnés à la sphère financière. Toutefois, on peut être troublé
par les résultats des études expérimentales qui ont été conduites sur les comportements des
étudiants ayant suivi des études d’économie et de gestion, lesquels apparaissent effectivement
sensiblement plus égoïstes et opportunistes (Frank et al., 1993).
Deuxièmement, au-delà des effets évidents de la théorie financière sur l’évolution tant
de l’organisation des marchés financiers que des pratiques des opérateurs et des effets
présumés sur les comportements éthiques des financiers, on peut également mettre en avant,
comme le fait Charreaux (2008), l’influence cognitive de la théorie financière. Comme le
rappelle Morgan (1998, p. 320) « […] the function of models […] would be to bring into
focus, and help us to understand or interpret, the economic world and, perhaps, our economic
theories ». Une telle conception, proche de la perspective rhétorique de McCloskey (1990) qui
compare les modèles à des métaphores, met en avant le rôle « cognitif » des modèles en tant
qu’instruments d’investigation, de formulation de conjecture et d’exploration conceptuelle.
Un modèle, même s’il est manifestement faux ou caricatural, constitue un outil permettant
d’apprendre sur le monde, voire de le transformer. Il suffit pour s’en convaincre de voir
comment les concepts de valeur actionnariale et de gouvernance d’entreprise forgés par la
théorie financière ont imprégné les discours des dirigeants et des praticiens de la finance ainsi,
d’ailleurs, que ceux des opposants à la finance. Il en est de même de nombreux outils issus de
la théorie financière qui, même s’ils sont appliqués parfois de façon inadéquate, ont fortement
influencé le langage de la pratique financière.
Cette importance des cadres cognitifs avait d’ailleurs été soulignée, à juste titre, par
Keynes (1936) dans sa conclusion de la Théorie générale qui s’applique tout autant aux idées
financières.
« […] les idées, justes ou fausses, des philosophes de l'économie et de la politique ont
plus d'importance qu'on ne le pense généralement. À vrai dire le monde est presque
exclusivement mené par elles. Les hommes d'action qui se croient parfaitement affranchis des
influences doctrinales sont d'ordinaire les esclaves de quelque économiste passé. […] ce sont
les idées et non les intérêts constitués, qui, tôt ou tard, sont dangereuses pour le bien comme
pour le mal. »
Conclusion
Pour conclure cette longue introduction aux travaux des grands auteurs, nous
souhaitons évoquer brièvement deux points qui nous semblent importants. Le premier
concerne les limites de cette introduction, le second, les axes potentiels de renouvellement de
la théorie financière.
En proposant cette introduction, dont l’objectif est de guider le lecteur dans sa lecture
de l’histoire de la finance moderne à travers les œuvres des grands auteurs, nous avons livré
notre propre vision qui est le fruit de notre expérience, de notre (in)culture économique et
financière, de notre subjectivité. Toute interprétation historique est une reconstitution
subjective et la nôtre n’échappe à la règle. Un enseignant chercheur en finance de marché aura
fréquemment une interprétation différente de celle d’un de ses collègues spécialiste de finance
d’entreprise. Il en sera souvent de même en fonction des méthodes qu’il privilégie, mais aussi
28
23
Pour un aperçu récent de leurs travaux, on consultera Bénabou (2015) et Bénabou et Tirole (2016).
29
Dans un dernier mot, nous souhaiterions dire le plaisir que nous avons eu à coordonner
cet ouvrage et à collaborer avec les auteurs des différents chapitres qui, pour nombre d’entre
eux, sont de vieux amis qui nous ont accompagnés tout au long de notre carrière et auxquels
nous souhaitons rendre hommage.
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24
Pour une synthèse, voir Chakraborti et al. (2011a et b).
25
Un auteur comme Thaler a d’ailleurs fait un certain nombre de contributions au marketing (Thaler, 1980 et
1985).
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Annexe : Articles ayant reçu plus de 8000 citations dans Google Scholar (juillet 2016 ; en
italiques figurent les noms des auteurs non retenus dans l’ouvrage)
Nb 3e 4e
er e
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12141 Myers Borrowing 1977 Economics
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