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Acte de gouvernement en droit français

Un acte de gouvernement est un acte qui est « insusceptible d'être discuté par la voie
contentieuse », selon la formule employée par la jurisprudence administrative. Cette formulation
indique que l'acte de gouvernement est une limite au principe de légalité de l'administration, en
effet le juge ne censure ni ne contrôle l'acte de gouvernement affirmant par là même la limite du
contrôle de la justice sur ces actes. L'"acte de gouvernement" ne peut en aucun cas être déféré
aux juridictions judiciaires, même au titre des théories de la voie de fait ou de l'emprise
irrégulière : le conflit serait élevé à bon droit si une juridiction judiciaire entendait connaître d'un
acte de gouvernement ; ni ne peut être discuté devant les juridictions administratives, qui se
déclarent incompétentes pour en connaître.

Cette catégorie d'acte administratif est en évolution depuis sa création, il est fondé sur
l'incapacité du juge administratif de contrôler des actes qui avaient un mobile politique, mais qui
semblent aussi difficiles à contrôler du fait de leur nature très politique (c'est la limite entre la
justice et la politique). Cependant sous l'influence du droit international (CEDH) et du
renforcement de la légalité, le juge contrôle de plus en plus ces actes par la voie de l'"acte
détachable" par le juge administratif.

Sommaire
1 La théorie du mobile politique et son abandon
2 Typologie des actes de gouvernement
2.1 Actes touchant aux rapports entre les pouvoirs publics constitutionnels
2.2 Actes liés à la conduite des relations extérieures de la France
3 Justification des actes de gouvernement
4 Les limites de la théorie des actes de gouvernement
4.1 L'accroissement du contrôle sur les conventions internationales
4.2 La théorie des actes détachables
4.3 Les actes de gouvernement et l'égalité devant les charges publiques
5 Droit comparé
5.1 Espagne
5.2 États-Unis
6 Notes et références
7 Bibliographie

La théorie du mobile politique et son abandon


Initialement, les actes de gouvernement étaient définis par leur mobile politique, cette notion
étant entendue de manière assez large :

le Conseil d'État rejetait ainsi, sous la Restauration, le recours du banquier Jacques Laffitte
réclamant le paiement des arrérages d'une rente qu'il avait acquise de la princesse Borghèse,
sœur de Napoléon Ier, au motif que « la réclamation du sieur Laffitte tient à une question
politique dont la décision appartient exclusivement au Gouvernement » (CE, 1er mai 1822,
Laffitte, Rec. 1821-1825 p. 202) ;
sous le Second Empire, la saisie d'un ouvrage du duc d'Aumale, fils de Louis-Philippe, et le
refus d'en restituer les exemplaires étaient de même regardés comme « des actes politiques
qui ne sont pas de nature à nous être déférés pour excès de pouvoir en notre Conseil d'État par
la voie contentieuse » (CE, 9 mai 1867, Duc d'Aumale et Michel Lévy, Leb. p. 472 avec les
concl. du président Aucoc).

Cette théorie du mobile politique a été abandonnée par le Conseil d'État dans un arrêt
1
fondamental du 19 février 1875 « Prince Napoléon » .

Le prince Napoléon-Joseph Bonaparte, nommé général de division en 1853 par son cousin
Napoléon III, se plaignait que l'annuaire militaire de 1873, après la chute du Second Empire, ne
mentionnait pas son nom sur la liste des généraux. Le ministre de la Guerre lui répondit que sa
nomination « se rattache aux conditions particulières d'un régime politique aujourd'hui disparu
et dont elle subit nécessairement la caducité ». Cette décision fut déférée au Conseil d'État.
L'administration opposa le caractère politique de la mesure attaquée. Mais le Conseil d'État se
reconnut compétent et rejeta le recours au fond, suivant en cela les conclusions du commissaire
du gouvernement David, qui fit valoir que : « pour présenter le caractère exceptionnel qui le
mette en dehors et au-dessus de tout contrôle juridictionnel, il ne suffit pas qu'un acte, émané
du Gouvernement ou de l'un de ses représentants, ait été délibéré en conseil des ministres
ou qu'il ait été dicté par un intérêt politique. »

Typologie des actes de gouvernement


Les actes de gouvernement sont ceux que le juge administratif reconnaît comme tels, en refusant
qu'ils puissent être discutés par la voie contentieuse, tant par voie d'action (dans le cadre d'un
recours direct pour excès de pouvoir) que par voie d'exception (dans le cadre d'une exception
d'illégalité ou d'un recours en responsabilité).

Cette catégorie n'a cessé de se réduire, au fur et à mesure que se sont étendus et affermis l'état
de droit et l'autorité de la juridiction administrative.

S'il n'existe pas de théorie générale de l'acte de gouvernement, il est possible d'établir une
typologie : les actes de gouvernement tombent dans deux catégories :

les actes qui touchent aux rapports entre les pouvoirs publics constitutionnels.
les actes liés à la conduite des relations extérieures de la France.

Actes touchant aux rapports entre les pouvoirs publics constitutionnels

Décisions prises par le pouvoir exécutif dans le cadre de sa participation à la fonction


législative :
2
Refus de présenter un projet de loi au Parlement : CE, Sect., 18 juillet 1930, Rouché , CE, 29
3
novembre 1968, Tallagrand
4
Décision de promulguer une loi : CE, Sect., 3 novembre 1933, Desreumeaux ,
Décision de déposer ou de retirer un projet de loi : CE, Ass., 19 janvier 1934, Compagnie
5
5
marseillaise de navigation à vapeur Fraissinet ,
Refus de faire les diligences nécessaires à l'adoption rapide d'un projet de loi : CE, Sect., 25
6
juillet 1947, Société l'Alfa ,
7
Refus de prendre l'initiative d'une révision constitutionnelle : CE, 26 février 1992, Allain ,
Sur la pension de retraite des Parlementaires : CE, 2003, Papon

Décisions prises par le Président de la République dans le cadre de ses pouvoirs


constitutionnels :
8
Décision de soumettre un projet de loi au référendum : CE, Ass., 19 octobre 1962, Brocas ,
Décision de mettre en œuvre les pouvoirs de crise de l'article 16 de la Constitution : CE, Ass., 2
9
mars 1962, Rubin de Servens et autres ,
10
Décision de dissoudre l'Assemblée nationale : CE, 20 février 1989, Allain ,
11
Nomination d'un membre du Conseil constitutionnel : CE, Ass., 9 avril 1999, Mme Ba ,
Sur l'empêchement du Président de la République : CE, 2005, Hoffer

Actes liés à la conduite des relations extérieures de la France

Protection des personnes et des biens français à l'étranger : CE, 2 mars 1966, Dame
12
Cramencel ,
13
Refus de soumettre un litige à la Cour internationale de justice : CE, 9 juin 1952, Gény ,
Ordre de brouiller les émissions d'une radio étrangère : TC, 2 février 1950, Radiodiffusion
14
française ,
Création d'une zone de sécurité dans les eaux internationales pendant des essais nucléaires :
15
CE, Ass., 11 juillet 1975, Paris de Bollardière ,
Décision de reprise des essais nucléaires avant la conclusion d'un accord international devant
16
interdire de tels essais : CE, Ass., 29 septembre 1995, Association Greenpeace France ,
Décision d'engager des forces militaires en Yougoslavie en liaison avec les événements du
Kosovo : CE, 5 juillet 2000, Mégret et Mekhantar
Conditions de signature d'un accord international : CE, Sect., 1er juin 1951, Société des étains
17
et wolfram du Tonkin ,
18
Décision de ne pas publier un traité : CE, 4 novembre 1970, de Malglaive ,
Vote du ministre français au Conseil des communautés européennes : CE, Ass., 23 novembre
19
1984, Association « Les Verts » ,
Décision de suspendre l'exécution d'un traité : CE, Ass., 18 décembre 1992, Préfet de la
20
Gironde c. Mahmedi ,
Décision de suspendre la coopération scientifique et technique avec l'Irak pendant la Guerre du
21
Golfe : CE, 23 septembre 1992, GISTI ,
Décision du Président de la République d'autoriser les avions anglais et américains à survoler
le territoire français pour attaquer l'Irak : CE, 10 avril 2003, Comité contre la guerre en Irak
Proposition de candidature au poste de juge à la Cour pénale internationale : CE, Sect., 28
22
mars 2014, Groupe français de la Cour permanente d'arbitrage

Justification des actes de gouvernement


Derrière le mobile politique souvent défendu par le juge administratif se cachent trois justifications
de portées différentes :
La Raison d'État : L'intérêt national permet parfois de justifier des atteintes au droit et à la
légalité. Les actes de gouvernement concernant les relations extérieures peuvent être ainsi
justifiés par cette raison d'État, ce qui a permis pendant longtemps l'hégémonie de
l'interprétation des traités par le Ministère des Affaires étrangères, et qui justifie aussi la saisine
du ministre des affaires étrangères afin de constater l'application ou non par le ministère des
affaires étrangères de l'application de réciproque liée à l'article 55 de la Constitution.
La séparation des pouvoirs : Le problème des rapports de force entre les différents pouvoirs
(exécutif, législatif et judiciaire) pousse le juge à limiter son pouvoir afin de ne pas avoir un rôle
prépondérant et limite le déséquilibre des pouvoirs par le biais des actes de gouvernement (le
juge administratif affirme ne pas pouvoir contrôler la qualité des personnes nommées comme
membre au conseil constitutionnel (CE 1999 Madame Ba)).
Le mobile politique : La deuxième raison est le mobile politique de ces actes, en effet de
nombreux actes de gouvernement sont en réalité des actes ayant un très grand caractère
politique. La limite entre la légalité et la politique devient ainsi très ténue : par exemple le
président détient un pouvoir de nomination, mais si le juge contrôle ou censure cette
nomination, cette censure semblera plus ressembler à une action politique du juge qu'une
véritable décision de justice. Dans ce cas justice et politique se confondent, le juge préfère
alors ne pas contrôler au nom des actes de gouvernement.

Les limites de la théorie des actes de gouvernement


La pleine réception dans notre droit de la Convention européenne des droits de l'homme ne
laisse pas de conduire à s'interroger sur la théorie des actes de gouvernement, qui se concilie
malaisément avec le droit à un recours effectif reconnu par la convention.

Considérés par beaucoup comme une verrue du système juridique français, puisqu'ils
apparaissent comme une faille dans le principe de légalité, les actes de gouvernement ont
toutefois eu tendance à céder du terrain.

Dans le domaine de la conduite des relations internationales, plus particulièrement, le champ des
actes de gouvernement s'est réduit en raison de l'accroissement du contrôle du juge administratif
sur les conventions internationales et du recours de plus en plus large à la théorie dite « des actes
détachables ». Enfin, la théorie de l'égalité devant les charges publiques permet d'ouvrir la
perspective d'un début de responsabilité du fait des actes de gouvernement.

L'accroissement du contrôle sur les conventions internationales

Pendant longtemps, le Conseil d'État se bornait à vérifier l'existence d'un acte de ratification ou
d'approbation propre à introduire une convention internationale dans l'ordre juridique interne (CE,
23
Ass., 16 novembre 1956, Villa ).

Depuis 1998, le Conseil d'État contrôle également le respect des dispositions constitutionnelles
qui régissent l'introduction des traités dans l'ordre interne, et vérifie si le traité était au nombre de
ceux qui ne peuvent être ratifiés qu'en vertu d'une loi (CE, Ass., 18 décembre 1998, SARL du
24
parc d'activités de Blotzheim ).

Le Conseil d'État s'est reconnu compétence pour interpréter les stipulations obscures d'un accord
25
international (CE, Ass., 29 juin 1990, GISTI ,), renonçant ainsi à sa pratique antérieure du renvoi
préjudiciel au ministre des Affaires étrangères.
La théorie des actes détachables

Le Conseil d'État accepte de connaître des mesures qu'il considère comme détachables de la
conduite des relations diplomatiques, dont la légalité peut dès lors être appréciée sans que le
juge soit amené à s'immiscer dans la politique extérieure de la France.

Il en va ainsi des décrets d'extradition, qui sont susceptibles de faire l'objet d'un recours pour
26 27
excès de pouvoir (CE, Ass., 28 mai 1937, Decerf ; Ass., 30 mai 1952, Dame Kirkwood ). Le
contrôle du Conseil d'État sur ce type d'actes n'a cessé de s'accroître. Il a considéré que ne sont
pas des actes de gouvernement :

la décision du gouvernement français d'adresser une demande d'extradition à un État étranger :


28
CE, Sect., 21 juillet 1972, Legros ;
le rejet d'une demande d'extradition présentée par un État étranger : CE, Ass., 15 octobre
1993, Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d'Irlande du Nord et Gouverneur de la colonie
29
royale de Hong Kong .

De même ont été considérés comme détachables de la conduite des relations internationales les
décisions et actes suivants :

destruction par la marine nationale d'un navire abandonné en haute mer : CE, Sect., 23 octobre
30
1987, Société Nachfolger Navigation ,
décision d'implantation du laboratoire européen de rayonnement synchrotron : CE, Ass., 8
janvier 1988, Ministre chargé du plan et de l'aménagement du territoire c. Communauté
31
urbaine de Strasbourg .

Les actes de gouvernement et l'égalité devant les charges publiques

Les actes de gouvernement ne peuvent donner lieu à une action en responsabilité pour faute. En
revanche, un arrêt célèbre, mais isolé, a admis la possibilité d'une action en responsabilité sans
faute, pour rupture d'égalité devant les charges publiques, à raison d'un traité international : CE,
32
Ass., 30 mars 1966, Compagnie générale d'énergie radioélectrique . Il s'agit d'une variante de
la théorie de la responsabilité du fait des lois et des décisions légales inaugurée par le fameux
33
arrêt d'Assemblée du 14 janvier 1938 Société anonyme des produits laitiers « La Fleurette » .

Droit comparé

Espagne

En Espagne, l'article 2.a) de la loi du 13 juillet 1998, sur la juridiction administrative, a mis fin à
l'immunité juridictionnelle des actos politicos.

États-Unis

Aux États-Unis, la Cour suprême a élaboré la doctrine de la question politique (en anglais :
Political question).
Les principaux arrêts de la Cour suprême traitant de la question politique sont :

Luther v. Borden
Coleman v. Miller : le mode d'amendement de la constitution est une question politique ;
Colegrove v. Green
Powell v. McCormack
Goldwater v. Carter : la compétence du président pour suspendre un traité est une question
politique ;
INS v. Chadha
Nixon v. United States : l'impeachment est une question politique.

Notes et références
1. (Leb. p. 155 avec les concl. du commissaire du gouvernement David, GAJA n° 3)
2. Leb. p. 771
3. Leb. p. 607
4. Leb. p. 993
5. Leb. p. 98
6. Leb. p. 344
7. Leb. p. 659
8. Leb. p. 553
9. Leb. p. 143, GAJA n° 87
10. Leb. p. 60
11. Leb. p. 124
12. Leb. p. 157
13. Leb. p. 19
14. Leb. p. 652
15. Leb. p. 423
16. Leb. p. 347
17. Leb. p. 312
18. Leb. p. 635
19. Leb. p. 382
20. Leb. p. 446 concl. Francis Lamy
21. Leb. p. 346
22. Publié au Recueil Lebon.
23. Leb. p. 433
24. Leb. p. 483 concl. Gilles Bachelier
25. Leb. p. 171 concl. Ronny Abraham, GAJA n° 104
26. Leb. p. 534
27. Leb. p. 291
28. Leb. p. 554
29. Leb. p. 267 concl. Christian Vigouroux, GAJA n° 106
30. Leb. p. 319
31. Leb. p. 2
32. Leb. p. 257, GAJA n° 90
33. Leb. p. 25, GAJA n° 54

Bibliographie
Pierre Serrand, L'acte de gouvernement : Contribution à la théorie des fonctions juridiques de
l'État.
Ce document provient de « http://fr.wikipedia.org/w/index.php?
title=Acte_de_gouvernement_en_droit_français&oldid=102673496 ».

Dernière modification de cette page le 6 avril 2014 à 10:23.


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