Académique Documents
Professionnel Documents
Culture Documents
Louis Pauwels
exposera
analysera
et
commentera
DIRECTEUR
LOUIS PAUWELS
LE JO U R N A L DE PLANÈTE
163 Informations / La première charte du COMITÉ DE DIRECTION
progrès scientifique LOUIS PAUWELS
A LIRE JACQUES BERGIER
FRANÇOIS RIC HA U DEA U
167 Psychologie / Au fond des rêves, cela
169 Histoire / Le prestige de la Commune RÉDACTEUR EN CHEF
171 Humour / Voici Ronald Searle! JACQUES M OUSSEAU
172 Zoologie / Les animaux se font la guerre
DIRECTEUR ARTISTIQUE
173 Philosophie / Dans l'attente d'une science PIERRE CHAPELOT
générale de la pensée
174 Ésotérisme / Combat avec le temps ÉD ITIONS PLANÈTE
A VOIR ADMINISTRATION
175 Cinéma / Pas d'accord, M. Godard! 42 RUE DE BERRI, PARIS 8
177 Théâtre / Après Brecht et Ionesco, quel RÉDACTION
théâtre voulons-nous ? ET RENSEIGNEMENTS
114 CHAMPS-ÉLYSÉES, PARIS 8
179 Architecture / La prospective architecturale
181 Sculpture / Le sculpteur du mouvement
DIFFUSION DENOËL - N.M.P.P.
A SAVOIR ABONNEMENTS, VOIR PAGE 161
183 Politique / La terre devient un arsenal
185 Paléontologie / Notre arbre généalogique EDIZIONE ITALIANA PIANETA
se complique 93 VIA CARLO CAPELLI
TORINO
186 Biologie / Le code génétique: nouveaux
progrès PLAN ETA
187 Astronautique / L'avenir appartient à l'anti- SUDAMERICANA
gravitation HUMBERTO I 545
Parapsychologie / Les rationalistes que BUENOS AIRES. ARGENTINE
nous voulons
Les titres, les sous-titres, les inter
ACTIVITÉS PLANÈTE titres et les éléments de présentation
188 Les causeries sous les oliviers : un succès et d'illustration des articles sont
établis par la rédaction de Planète.
P O U R Q U O I C E T E N T R E T IE N
Par cet entretien
Je souhaite que cet entretien avec Edgar M orin, m aître de recherches
au C .N .R .S., sociologue de grande rép u tatio n , retien n e l’attention.
a v e c un de s
N ous lui accordons, en effet, b eaucoup d ’im portance.
N os lecteurs auront in térêt à se rep o rter à l’étude parue dans notre
plus brillants N° 17: « Vers la pensée plan étaire », extraite, en acco rd avec l’auteur,
de l’ouvrage du philosophe K ostas Axelos (Éditions de M inuit), et à
s o c io l o g u e s l’essai publié dans notre N° 22: « L a pensée p lan étaire» , de notre
ami A ndré A m ar, professeur de philosophie à l’in stitu t des Sciences
m o d e r n e s fra nç ais politiques. A vec le présent en tretien , tels sont les prem iers signes
d ’une tentative de renouvellem ent de la pensée philosophico-politique
nous poursuivons en F rance, le m ot politique étan t pris dans son sens le plus large.
N ous pensons n ’être pas étran g ers à la naissance de ce courant, et
nous croyons utile d ’établir des co n frontations entre les esprits
no s é t u d e s orientés dans cette direction.
N ous croyons, en tou t cas, q u ’un e certain e renaissance de la philo
s u r la n a is s a n c e sophie française passera n écessairem ent p ar les thèm es de réflexion
contenus dans la rech erch e de ce que les uns et les autres avons
d'u n e pensée appelé, avant m êm e de nous être ren co n trés, « La pensée pla
nétaire ».
pl a n é t a i r e . A cette rech erch e, E dgar M orin vient d ’ap p o rter une contribution
essentielle avec son livre : « Introduction à une Politique de l’H om m e »
(Éditions du Seuil). l .p .
LA RA ISO N D E N O T R E A N T I-A M É R IC A N IS M E
Travaillant en N é en F rance, élevé dans un milieu qui m’avait mis en tre les mains
la panoplie de l’outillage du p etit F rançais et m ’avait appris la
France et en Amérique, m anière de s’en servir, j ’éprouvais la plus grande satisfaction à jo u e r
au F rançais et je ne connaissais pas d ’autres m odes de vie.
un jeune économiste M a carrière de Français, définie par to u t un ensem ble de devoirs,
de contraintes et de choix, me sem blait to u te tracée, ju sq u ’au jo u r
(formé dans où, à 20 ans, je partis, p ar hasard, vivre aux États-Unis. J ’y d éb ar
quai avec mon bagage de réflexes français p réconditionnés, une
les universités certaine fierté rétrospective de m a form ation, et quelque curiosité
p our ce nouveau pays. M a prem ière réaction fut hostile et agressive.
française et américaine) C ’était norm al: j ’avais 20 ans, l’âge auquel on ne p eu t se poser q u ’en
s’opposant. L ’adm iration b éate n’aurait d ’ailleurs pas mieux valu.
P eut-être m a réactio n relevait-elle de m écanism es de défense
essaye de comprendre profonds contre un m onde nouveau auquel je me sentais étranger.
P eut-être aussi illustrais-je le vieux principe de l’ethnocentrism e qui
un anti-américanisme veut q u ’une tribu ou un groupe se pose toujours d ’em blée com m e
supérieur à to u t autre assem blage d’individus.
machinal qui dépasse Je vécus dix ans aux États-U nis, j ’y fis des études et y travaillai, avec
des retours en F rance chaque année. J ’appris donc à co nnaître ce
les oppositions pays. D ans une certain e m esure, je m ’am éricanisai, c’est-à-dire
q u ’au co n tac t de ce pays j ’acquis une personnalité enrichie d ’aspects
strictement politiques. nouveaux. J ’étais passé du système «S cien ce Po» à un système
« Business School », c’est-à-dire de la généralité au co n cret. A une
approche de la réalité vaguem ent m étaphysique, assez m oralisante,
Vue de M iam i
(P h o to T om M c C a rth y ). ________________________________________________________________________
C O M M E N T ON C H E R C H E ET CE Q U ’ON C H E R C H E
LA R E C H E R C H E SE FA IT
D A NS L’E N T H O U SIA SM E
Pierre R e sta n y
N A ISSA N C E D ’U N E C U L T U R E
Un historien de L’un des faits culturels dom inants des vingt dern ières années a été
l’avènem ent d ’une p ein tu re am éricaine p arfaitem en t autonom e et
de portée internationale. Le p h énom ène a la valeur d ’une consé
l’art c o n te m p o ra i n , cration: il trad u it l’in carnation dans une iconographie originale de
toute une hiérarchie de valeurs intellectuelles et affectives, une
prise de conscience co h éren te et généralisée, la cristallisation d ’une
qui ne cesse
vision hom ogène des choses.
L e happening,
spectacle d ’avant-garde
made in U.S.A.
envahit l'Europe.
Chronique de notre civilisation 43
vocation universelle. A travers le fétichism e de la p roduction. D os Passos s’est expliqué là-dessus:
star et dans certains films, les États-U nis ont le rom ancier, c ’est le camera-eye, l’œil de la
com m encé à se reconnaître, à se voir autrement. cam éra, qui rend com pte o b jectivem ent de to u t
L ’ap port culturel am éricain d ’avant-guerre doit ce qui ren tre dans son cham p.
être jugé à la lum ière de la psychologie collec
tive de l’époque: en m atière de culture, l’A m é L ’A M É R IQ U E A D É C O U V E R T
rique produit pour l’exportation. L’E urope L’A R T M O D E R N E DANS U N E C A S E R N E
d écouvre l’A m érique à chaque m anifestation du
te rrp iry a n k e e : l’école d ’arc h itec tu re de C hicago, Il faudra atten d re près de tren te ans p o u r que
le jazz de La N ouvelle-O rléans, la littératu re de l’œ il du p eintre rejoigne l’œil du rom ancier, pour
la lost génération (la génération perdue), le que coïncident enfin leurs deux visions. E n tre
w estern, la musical show, le burlesque. L’A m é tem ps, la peinture am éricaine devait forger de
rique, éternelle d éb u tan te à la rech erch e d ’un to u tes pièces son d ro it à l’existence. C e tte
m aintien plus assuré, s’enorgueillit de chaque co n q u ête de l’ultim e secteu r de l’au tonom ie cul
consécration. En m atière de goût, le citoyen am é turelle fut la plus dure. En m atière d ’art, les
ricain réserve son jug em en t: lorsqu’il se regarde préjugés sont ten aces: le dogm atism e esthétique
dans la glace, il y cherche l’om bre p o rtée de son est le plus sûr allié du confort intellectuel.
ange gardien, le cousin d ’E urope. C et attentism e A vant 1913, l’A m érique n’avait pas dépassé en ce
psychologique rejoint l’isolationnism e politique. dom aine le stade colonial. Les m eilleurs de ses
Il explique la po rtée lim itée, l'am biguïté som m e artistes, fo rtem en t européanisés, s’inséraient dans
toute assez superficielle du rôle culturel jo u é par l’anonym at collectif des écoles française et
les États-U nis d u ran t les années 20 et 30. anglaise. En fait, le public am éricain, grand
P o urtant, dans ce secteur-clé, la P rem ière G uerre consom m ateur d ’art eu ro p éen , ne p o rtait q u ’un
m ondiale avait provoqué un phénom ène d ’enver in térêt m ineur à la p ro d u ctio n locale. Q uelques
gure: l’apparition d ’une littératu re am éricaine. am ateu rs enthousiastes, d o n t le p h o tographe
Bien q u ’elle soit le fait d ’écrivains longuem ent Stieglitz, conscients de la p o ten tialité am éricaine,
«expatriés» en E urope et su rtout à Paris cherch èren t à rom pre ce provincialism e et à intro
(G ertru d e Stein, S teinbeck, H em ingw ay), d ’une duire à New York le ferm ent d ’un e vie artistique
«g én ération p erdue», cette nouvelle littérature internationale. P our cela, il fallait frap p er un
m arque une étap e décisive grand coup: ainsi n aq u it l’idée d ’une exposition
La preuve est donnée au m onde que l’anglais m onstre faisant le p o in t de to u tes les ten d an ces
parlé à N ew Y ork existe en ta n t que langue litté de l’art européen. En 1913 s’ouvrit, à N ew York,
raire distincte de l’anglais parlé à Londres. la fam euse Arm ony Show qui réunissait, à côté
R eto u rn ée au sérail, la « génération p erdue» se d ’Ingres, des im pressionnistes et des post
retrouve au co n tact de l’urgente réalité am éri im pressionnistes, les noms de M atisse, Picasso,
caine: la grande crise économ ique des années 30, Braque. D evant l’énorm ité de la m anifestation,
la fam euse dépression, co n trib u era à la d éco u on m anquait de local ap p ro p rié; il fallut faire
verte hum aine du pays p ar ses p ro p res habitants. appel aux m ilitaires. N ew Y ork s’est initié à l’art
Au contraire d’un S teinbeck qui incarne ces pro m oderne dans une caserne de cavalerie. Le
fondes retrouvailles, H em ingw ay, « p erd u entre succès dépassa toutes les prévisions.
les perdus », o p te ra p o u r l’éternelle errance. C ’est à N ew York que M arcel D ucham p inventa
L ’A m érique trouve ainsi le prem ier volet de son son prem ier ready-made: invité au Salon am éri
style réaliste: conscient de la nécessité d ’une cain des artistes indépendants, il présen ta un
création de synthèse au niveau des exigences u rinoir baptisé sculpture, qui fut refusé. Il devait
m odernes, le rom an «noir» se veut objectif. Il p ar la suite systém atiser ce « baptêm e » artistique
fait appel aux techniques du journalism e et du de l’objet. Ju sq u ’à l’entrée en guerre des États-
ciném a, au style du fait divers, aux statistiques de Unis, D ucham p, Picabia et l’extraordinaire
C ’est au cours de l’hiver 1957-58 que le plus divers: écrivains, poètes, com positeurs,
peintre A llan K aprow a p résenté p o u r la chorégraphes, en quête dans leurs propres
prem ière fois des happenings aux États- dom aines d ’une m ajeure liberté d ’expression et
Unis. d ’une plus grande richesse de moyens. Le hap
P our lui com m e pour les peintres qui le pening apparaît désorm ais com m e un mode
suivirent im m édiatem ent dans cette voie d ’expression de synthèse, une commedia
(O ldenburg, D ine), il s’agissait au départ dell’arte du m onde m oderne qui met en œ uvre,
d ’enrichir et de dépasser une certaine te c h sans lim itation, les moyens les plus divers.
nique pictu rale: celle de l ’art d ’assem blage. Le registre actuel des happenings est ex trêm e
Au lieu de cré er des assem blages d ’objets m ent étendu. Leurs scénarios qui sont des
plus ou moins intégrés à un contexte pictural, tram es d ’action peuvent laisser à chaque p ar
il s ’agissait de rem plir l’espace entier d ’une ticipant des marges d ’in terp rétatio n plus ou
pièce avec les m atériaux les plus divers, éclai moins grandes. Leurs acteurs volontaires,
rage, son, odeurs, m eubles, etc. Ainsi l ’assem peintres, m usiciens ou poètes, n ’ont jam ais eu
blage devenait un « entourage » et les spec de form ation th éâtrale trad itio n n elle: ils
tateurs, autom atiquem ent mêlés au spectacle, satisfont leur propre urgence expressive à
devenaient partie intégrante de la com position. travers leur p articipation active au happening.
En deuxièm e lieu, il s’agissait d ’introduire Un happening peut utiliser des m achines-outils,
dans cet «en to u rag e» la dim ension de se d érouler dans un supermarket, être lié (ou
l’action hum aine. C ette anim ation de la non) à un accom pagnem ent m usical, avoir
com position, voilà en quoi consistait au lieu sur une plage ou en plein air, dans une
départ « l’événem ent », le happening. cave, une g rotte, une ferm e, une cuisine, un
A l’origine donc, le happening était conçu garage: n ’im porte où et n’im porte quand, sauf
com m e un art de juxtaposition et de com po sur une scène conventionnelle. Les spectateurs
sition synthétique, un « collage » d ’actes m ul étan t to talem en t intégrés au d éco r et à
tiples dans un cadre architectural. M ais très l’action, la distinction habituelle en tre les
vite cette conception a été dépassée p ar le acteu rs et le public disparaît: les performers
ca ractère irrésistible et im prévu de la com bi sont sim plem ent plus actifs que les autres, ils
naison des événem ents: to u t se passait m ènent le jeu. C haque happening correspond
com m e si, au cours de l’action, des gestes et à une tran ch e de vie, à une situation qui nous
des m otivations im prévus se substituaient au révèle un message, le sens d ’une com m uni
dessein original. cation intim e et d irecte, le langage d ’une soli
C ’est ce qui explique l’évolution de plus en d arité collective. La form ule possède ainsi
plus m ythique et rituelle de l’art de K aprow , une valeur philosophique et psychologique
le p erfectionnem ent des scénarios chez d ’autolibération et de défoulem ent qui l’appa-
O ldenburg, mais aussi et surtout la propagation ren terait au psychodram e si elle ne gardait
m ondiale de la form ule et son adoption, aux un côté réaliste et plastique, un ac ce n t de
U.S.A. com m e en E urope, au Japon com m e spontanéité im m édiate qui bouleverse tous les
en A m érique Latine p ar des artistes et des rituels et les fait basculer dans le dom aine de
participants venus des horizons culturels les 1’art p u r et de la libre expression poétique.
happening
I
&'v
(MES m ISSUE
C O M M E N T IL F A U T LIRE PLAYBO Y
U N E N O U V E L L E PH Y SIQ U E EST EN T R A IN D E N A ÎT R E
U N E E N Q U Ê T E P O L IC IÈ R E QUI A D U R É 15 ANS
70 Le grand Serpent-de-m er
crivit en faux contre la thèse d ’O udem ans. Il
Comme la terre produit entre autres choses estim ait que le D ragon de la Baie d ’Along,
admirables plusieurs m onstres de diverses com m e on appelait le m onstre vietnam ien, avait
façons, aussi ne fa u lt douter q u ’en la m er - qui plutôt des traits reptiliens, mais q u ’il fallait le
ha trop plus grande étendue, et est pleine rap p ro ch er, non des Plésiosauriens ainsi q u ’on
d ’infini nombre de poissons et autres bêtes — ne l’avait fait ju sq u ’alors, mais des M osasauriens.
s'engendrent choses m onstreuses et d ’étrange Bien plus souples et serpentiform es, m oins
anciens géologiquem ent p arlant, ce sont, en fait,
sorte...
des cousins m arins dém esurés des Varans, to u
Pierre Belon, La Nature et Diversité des Poissons. 1555.
jo u rs florissants de nos jo u rs dans les régions
tropicales d ’A frique, d ’Asie et d ’O céanie 2.
l’affaire du S erpent-de-m er réglée du m êm e coup. A la m êm e époque, d ’au tres zoologistes français
Les S erpents-de-m er devaient être des Archi- ém irent des hypothèses plus audacieuses encore.
tenthis mal observés... L’anim al de la Baie d ’Along étan t, d ’après les
Il fallut atten d re le dernier tiers du siècle passé Vietnamiens, cuirassé et segm enté, le Dr. G eorges
p o u r voir enfin ém ettre l’opinion que le Serpent- Petit, égalem ent du M uséum , avança q u ’il
de-m er a des traits indéniables de m am m ifère. s’agissait p eu t-être de quelque espèce g éan te de
L’idée fut d ’abord défendue scientifiquem ent Syngnathe, ce frère serpentiform e de l’H ippo-
par un vulgarisateur anglais, le révérend cam pe, dont la peau est sous-tendue com m e chez
J.G . W ood, qui te n ait le S erpent-de-m er pour ce dern ier p ar une su p erstru ctu re cartilagineuse
voisin du Z euglodonte, un cétacé fossile archaï annelée. O n alla m êm e ju sq u ’à se dem ander si cet
que à cou encore délié. Elle fut ensuite reprise anim al ne pouvait pas être un A rth ro p o d e, plus
p ar le d irec teu r des jardins b otanique et zoolo précisém ent un d escen d an t éloigné et gigan
gique de La H aye, le Dr. A ntoon Cornelis tesque des E uryptérydes, ces S corpions-de-m er
O udem ans, qui ap p a ren ta it p lu tô t le m onstre au énorm es d ont certains atteig n aien t plusieurs
groupe des P innipèdes, et voyait en lui un énorm e m ètres de long.
phoque à cou dém esuré et à queue interm inable. Q uand éclata, en 1933, l’affaire du M onstre du
P our o b tenir ce d ern ier p o rtrait-ro b o t, le savant Loch Ness — en som m e un S erpent-de-m er p ri
hollandais avait rassem blé, dans la littératu re, pas sonnier d ’un im m ense lac écossais — un zoolo
moins de 187 tém oignages relatifs à des obser giste anglais, le D r. M alcom B urr, frappé par
vations du m onstre fabuleux. Il publia son dossier certains ca ractères apparem m ent co n trad icto ires
com plet, avec ses notes critiques et ses con clu rap p o rtés p ar les tém oins, tira une conclusion o ri
sions, dans une m onographie m onum entale The ginale. Le S erpent-de-m er en question sem blait
Great Sea-Serpent (1893). passer p ar un e phase larvaire, à branchies, avant
D epuis, la science du S erpent-de-m er n’a plus fait d ’acq u érir sa form e définitive d ’adulte: on doit le
de progrès aussi spectaculaires, mais bien des classer parm i les A m phibiens! C ’est sans doute
rapports nouveaux se sont accum ulés et quelques quelque Salam andre ou T riton gigantesque.
hypothèses intéressantes ont été ém ises.
A cette thèse se ran g ea le lieu ten an t-co m m an d er
M O SA SA U R E , S C O R P IO N -D E -M E R , R u p ert T. G ould, de la Royal Navy britannique,
T R IT O N OU A N G U IL L E C O LO SSA LE ? qui venait de publier précisém ent le second
ouvrage jam ais écrit sur notre héros, The Case
Au d éb u t de notre siècle, après de m ém orables for the Sea-Serpent (1930), à savoir « L a défense
observations faites au large du T onkin par les du S erpent-de-m er». Loin de ch erch er dans ce
officiers et l’équipage de plusieurs bâtim ents de la livre, com m e O udem ans, à réu n ir la plus grande
M arine nationale française, le professeur Léon 2. Le plus g rand est le fam eux D ragon de K om odo, seu lem en t d éco u v ert
Vaillant, du M uséum d ’H istoire naturelle, s’ins en 1912. Cf. P la n ète n° 17.
Le mystère animal 71
quantité possible d ’observations, l’officier de
m arine avait visé à la qualité, ne com m entant De la grande m ajorité des créatures marines, on
qu’un petit nom bre de tém oignages triés sur le est fo n d é de dire que nous n ’en voyons jam ais un
volet et offrant toutes les garanties d ’auth en individu que par accident et que nous n ’en obte
ticité. nons jam ais un spécimen que par accident raris
Puis éc la ta un vrai coup de th é âtre! Il se révéla
sime.
que les savants danois possédaient, au laboratoire
Richard Proctor, Pleasant Ways in Science, 1879.
de Biologie m arine de C harlottenlund, un bébé
S erp en t-d e-m er en bocal... En effet, en 1930, au
cours de la croisière océanographique du Dana,
dirigée p ar le Dr. Johannes Schm idt, l’hom m e qui im pressionnante: un bon m illier de pages d acty
avait percé le m ystère des m igrations de l’anguille lographiées. Il fut publié en 1955 sous le titre de
com m une, le chalut avait ram ené des profondeurs Sur la Piste des Bêtes ignorées 4. Il avait fallu le
de l’A tlantique Sud, une larve leptocéphalienne scinder en deux volum es et, p o u r ne pas d o n n er à
d ’anguille m esurant près de 2 m ètres de long. ceux-ci une épaisseur excessive, to u te la p artie
L’adulte, pensa le D r. A nton B ruun qui se au d em eu ran t m odeste — quelque 75 pages —
tro u v ait à bord, devait toutes p roportions gardées consacrée au dom aine marin avait été retirée à
avoir au m oins 12 à 15 m ètres. C eci pouvait être la dem ande de mon éditeur, et serait destinée à
discuté (car il n ’existe pas de rapport constant être développée dans un ouvrage ultérieur.
entre la taille du leptocéphale et celle de l’adulte) Le chapitre en question était centré, bien entendu,
et le fut d ’ailleurs âprem ent. M ais la possession sur le problèm e du Serpent-de-m er. C ’était un
d ’une pièce à conviction co n crète ébranla néan survol historique de la question, fait à une alti
m oins l’incrédulité de la faction de zoologistes tude p lu tô t élevée, à l’issue duquel je m e rangeai
qui restaient encore sceptiques. docilem ent aux conclusions d ’O udem ans, en sou
A ce m om ent, en som m e, on avait p ratiquem ent lignant toutefois la solidité de l’hypothèse mosa-
rap p ro ch é le S erpent-de-m er de tous les grands saurienne défendue p ar le professeur Vaillant et
groupes zoologiques. O n avait vu en lui un en insistant sur le fait que l’observation accid en
In v ertébré m ou (C alm ar géant) et un Invertébré telle en surface d ’anguilles gigantesques - les
articulé (E uryptéride), un Poisson (Anguille, p aren ts du leptocéphale du Dana — devait avoir
S ynbranche, Syngnathe), un A m phibien (Triton de tem ps en tem ps em brouillé la question.
géant), un R eptile (Serpent, Plésiosaure, M osa- La question en réalité était beau co u p plus
saure), et un M am m ifère (Z euglodonte, Phoque com pliquée encore que je ne le soupçonnais. C ’est
géant à long cou). Il n ’y avait que parm i les ce qui m ’ap p aru t de m anière de plus en plus
O iseaux que personne n ’avait songé à le classer 3. aiguë, ju sq u ’à me d o n n er une sensation d ’étouf-
3. C e n ’e û t d ’a illeu rs p as é té aussi rid ic u le q u e c e la p e u t p a ra ître .
A vec un p eu d 'im a g in a tio n et s u rto u t d e b o n n e s c o n n a issa n ce s, on
L’E X E M PL E É D IF IA N T a u ra it pu se c ro ire fondé à le faire. C a r il a existé a u tre fo is d 'é n o rm e s
DU C A L M A R G É A N T o iseau x m arin s qui n e v o laie n t p o in t, VIchthyornis. et YHesperornis. O n a
m êm e d é c o u v ert, il y a p eu , les reste s d ’un M a n ch o t qu i d e v a it m esu re r
2 m ètres d e b o u t et a u c u n oiseau n ’est m ieux a d a p té q u e le M a n c h o t à
Telle était la situation quand, il y aura b ientôt une vie m arin e q u asi exclusive. Enfin, on a tro u v é en 1949, s u r une
plage d e F lo rid e , d es tra c e s d e p as é n o rm e s v e n an t de la m er, qui
vingt ans, je me mis peu à peu à co n c en tre r tout av aien t é té laissées p a r des p a tte s p a lm é e s à tro is do ig ts ressem b lan t
mon intérêt sur le problèm e des anim aux encore fu rie u se m e n t à celles d 'u n oiseau gig an tesq u e
inconnus de la Science, et où peu à peu se révéla 4. Pu b liée o rig in e lle m e n t p a r la L ib rairie Pion, c e t o u v rag e allait
c o n n a ître une c a rriè re e x tra o rd in a ire . Il d e v a it ê tre tra d u it en m ain tes
à mes yeux un cham p d ’investigation énorm e, langues d a n s d e n o m b re u x p a y s: É tats-U n is, E sp ag h e, Y ougoslavie (en
quasi inexploré et d ’une richesse insoupçonnée, s e rb o -c ro a te et en Slovène), R o y a u m e -U n i, D a n e m a rk , A llem ag n e.
Po lo g n e, T c h é c o slo v a q u ie , J a p o n e t U .R .S .S . (en russe, en le tto n , e tc ...)
dans lequel je m’enfonçai à corps perdu. Les où un dem i-m illio n d ’e x em p laires env iro n fut ven d u . L’éd itio n
résultats de mes prem ières années de recherches anglaise. On the Trace o f Unknown Animais (1958), a é té e n tiè re m e n t
revue et c o n sid é rab le m e n t a u g m e n té e. En 1963 elle a m êm e é té mise
se traduisirent par un m anuscrit d ’une taille à jo u r.
72 Le grand Serpent-de-m er
Le Serpent-de-mer de /’Osborne ( 1877) a d ’abord été aperçu sous la forme d'une rangée d ’ailerons...
Le mystère animal
fem ent, voire d ’angoisse, au cours des années que
je devais consacrer à fouiller le problèm e dans
L e Possible est une matrice form idable. L e m ys
les coins et les recoins, années qui allaient
contre toute atten te se m ultiplier de façon
tère se concrète en monstres. Des morceaux
inquiétante. d ’ombre sortent de ce bloc, l’immanence, se
T o u t d ’abord m ’était apparu la nécessité de déve déchirent, se détachent, roulent, flo tten t, se
lopper la question du C alm ar géant, do n t le destin condensent, fo n t des emprunts à la noirceur
ressem blait curieusem ent à celui du Serpent-de- ambiante, subissent des polarisations inconnues,
mer. P endant des siècles, les deux vedettes de prennent vie, se composent on ne sait quelle
l’em pire des m onstres m arins avaient suivi des form e avec l’obscurité et on ne sait quelle âme
voies parallèles. D ’abord décrit sous le nom de avec le miasme, et s ’en vont, larves, à travers la
K raken com m e une bête-île incroyable, pris
vitalité. C ’est quelque chose comme les ténèbres
ensuite pour un P oulpe colossal apte à engloutir
des navires, le C alm ar géant avait vu sa silhouette fa ites bêtes.
se préciser au cours des siècles à la suite d’épi Victor Hugo, Les Travailleurs de la mer.
sodes m ém orables. M algré la présence de pièces
à conviction indiscutables — becs et tronçons de
ten tacules — conservés dans des cabinets de m alaco lo g u es5 — s’étaien t en général contentés
curiosités obscurs, mais aussi dans des m uséum s de citer leurs prédécesseurs, en les déform ant
célèbres, le m onde savant s’était longtem ps, d ’ordinaire, en les trad u isan t mal et en y ajoutant
obstiném ent refusé à adm ettre son existence. Un quelques erreurs de leur cru, en sorte que les
expert avait m êm e prouvé par le calcul q u ’un exposés les plus récen ts étaie n t un effroyable
calm ar au corps long de 5 m ètres et pesant salm igondis n’ayant plus que des rap p o rts ex trê
2 tonnes était mécaniquement impossible. 11 avait m em ent lointains avec les faits originaux.
fallu, dans les années 1870, une épidém ie N ’ayant donc aucun ouvrage sérieux et bien
d ’échouages de spécim ens énorm es à T erre-N euve do cum enté à qui renvoyer mes lecteurs p o u r plus
—d o n t un de plus de 17 m de longueur totale, et am ple inform ation, j ’en fus réduit à reto u rn er
d ’un poids excédant 40 tonnes — pour q u ’on se aux sources, à consulter environ 500 livres ou
décidât enfin à reconnaître officiellem ent la réalité articles de périodiques et m êm e à ap p ren d re les
du m onstre et son nom scientifique d'Architenthis. langues S c a n d i n a v e s , au m oins le danois, une
Ne pouvait-on espérer que le S erpent-de-m er, grande p artie de la littératu re ancienne étan t
après avoir traversé des avatars sem blables, rédigée dans cette langue, et accessoirem ent
connaîtrait un jo u r un sort pareil? En tout (juste ciel!) en islandais et en norvégien.
cas, l’histoire fantasm agorique du C alm ar géant, Je finis ainsi par reco n stitu er dans le détail
anim al bien plus invraisem blable après to u t que cette tén éb reu se affaire, p ar d én o u er lab o rieu
lui, me sem blait une incom parable dém onstration sem ent un nœ ud gordien d’erreu rs et de confu
de la sottise et de la stérilité d ’une incrédulité sions qui refusait de se laisser tran ch er. C ela
butée et la m eilleure introduction possible à m ’avait pris trois ans, mon ch ap itre prélim inaire
l’histoire, si étro item en t sem blable, du Serpent- était devenu un gros livre de 500 pages, mais je
de-m er. La rac o n ter en un chapitre prélim inaire pouvais m’enorgueillir — moi qui ne suis pas
me p aru t indispensable. m alacologue - d ’avoir écrit le p rem ier ouvrage
relatan t par le m enu l’histoire de notre connais
H élas! quand je me suis mis à parco u rir la litté sance progressive des C éphalopodes géants. Peut-
rature générale consacrée au C alm ar géant, je être allais-je rester le seul ou presque à pouvoir
m’aperçus avec une consternation croissante que en juger, car qui d ’autre se d o n n erait jam ais la
tous les auteurs qui en avaient parlé — q u ’ils peine de lire to u te la littératu re consacrée à la
fussent de sim ples vulgarisateurs ou d ’ém inents 5. La M alaco lo g ie est la sc ie n c e c o n sa c ré e à l'é tu d e d es M o llusques.
74 Le grand Serpent-de-m er
question? Il n’em pêche que c’est avec une ironie observations s’éch elo n n aien t entre le d éb u t du
am ère que, dans le Zoological Record, qui tient x v ir siècle (peu avant 1639) et 1964.
le m onde au cou ran t de tout ce qui se publie A ce propos, em pressons-nous de dissiper une
dans le dom aine zoologique, je trouvai mon livre prem ière idée reçue. A l’encontre de ce q u ’on
classé sous la rubrique « Folklore et superstitions» croit en général, le problèm e du S erpent-de-m er
par le m alacologue bibliographe de service, qui, n ’a rien perdu de son actualité, les observations
de to u te évidence, n ’en avait lu que le titre: Le du « m onstre » ne sont pas plus rares de nos
Kraken et le Poulpe colossal (Tom e I de Dans le jou rs q u ’aux siècles passés. Laissons les chiffres
Sillage des Monstres marins). D écidém ent, la tra parler d ’eux-mêmes.
dition se p erp étu ait chez les spécialistes des P our to u t le x v ir siècle, je n ’ai pu découvrir que
M ollusques, de citer des ouvrages sans p ren d re la 5 rapports, puis 4 seulem ent p o u r la prem ière
peine de les consulter... m oitié du x v i i p et 20 pour la seconde moitié.
C ’est à p artir du XIX' siècle que les rapports se
A L’A SSA U T DU D R A G O N DES M ERS sont vraim ent multipliés, à cause bien sûr du p er
fectionnem ent croissant des m oyens d ’inform ation.
C’est au tan t à cause de scientifiques de cette Aussi ai-je pu en d écouvrir 164 p o u r la période
espèce, m éfiants et dédaigneux à l’égard de tout 1801-1850, 149 pour la période 1851-1900, et 165
ce qui paraît fantastique et n’est pas rédigé dans po u r la période de 1901 à 1950. Pour les toutes
un jarg o n pédant, q u ’à cause de profanes seu dern ières années — celles allant de 1951 à 1964 —,
lem ent attirés p ar ce qui est fantastique et m er je suis arrivé à en réunir 36. Si le m êm e rythm e
veilleux, que le problèm e du G ra n d S erpent-de- se poursuit, cela fera 138 p o u r la seconde moitié
m er a si souvent été ten u à l’éc art des objets du XX1 siècle. En gros, depuis 1800, on signale
d ’étude digne de la Science, et a si longtem ps environ 150 Serpents-de-m er p ar dem i-siècle, une
piétiné. Aussi ai-je toujours cherché, to u t au long m oyenne de 3 par an! A vouez que ce n’est pas
de mon enquête, à tro u v er le juste milieu entre mal. B eaucoup d ’énorm es anim aux marins,
ce que le père Jacques d ’A utun appelait déjà au dû m en t catalogués par la Science — je pense
xvii' siècle « l’incrédulité savante et la crédulité notam m ent au R equin-baleine, à de nom breuses
ignorante ». espèces de Baleines-à-bec 6 et au C alm ar géant -
R éunir la docum entation com plète sur la question n’ont jam ais été observés si souvent, même
était un travail de titan. En me servant com m e échoués par accid en t sur des plages.
base de la bibliographie d ’O udem ans, et surtout
de ses dossiers ultérieurs im publiés, que je fus D É PIST A G E DES C A N U L A R S
consulter et m icrofilm er aux Pays-Bas, en 1959, ET DES M ÉPR ISES
par une exploration systém atique des richesses de
m aintes bibliothèques, avec l’aide d ’amis, de C eci appelle toutefois des réserves. D ’abord il
collègues et de correspondants du m onde entier, convenait d’élim iner des quelque 550 rap p o rts
des U.S.A. à l’U .R.S.S., en passant entre autres rassem blés, tous les canulars incontestables. Ils
p ar le G uatem ala, le Brésil, l’U nion Sud-africaine sont gén éralem en t enfantins à repérer. J ’en ai
et l’Islande, je fus am ené peu à peu à consulter décelé 52 pour une période de 325 ans, soit un tous
plusieurs milliers de livres, de revues et de les 6 ans en m oyenne. Fin d ’une autre légende:
jo u rn au x ayant parlé du S erpent-de-m er ou celle selon laquelle chaque été dans le m onde
fourni des inform ations capables d ’éclaircir la entier, les journalistes en mal de copie inventent
question. F inalem ent je pus m ettre sur fiche des histoires de S erpents-de-m er p o u r pallier le
543 observations circonstanciées — faites réel m anque d ’inform ations en période de canicule...
lem ent, apparem m ent ou p réte n d u m en t — de 6. Les B alein es-à-b ec qui fo rm e n t la fam ille d e Z ip h iid é s, rep ré se n té e
au jo u rd 'h u i p a r 5 g e n re s bien d istin c ts ne sont pas d es b alein es p ro
grands anim aux m arins serpentiform es à quelque p re m e n t d ite s, c ’e st-à -d ire des C é ta c é s à fan o n s, m ais p lu tô t des
titre, et tenus pour inconnus de la Science. Ces d a u p h in s d ém esu rés.
Le mystère animal 75
Ensuite, il fallait mettre de côté toutes les obser
vations se rapportant ou pouvant se rapporter à
des animaux connus de la Science, mais non, Le grand océan se rend adm irable à toutes
semble-t-il, des témoins ou du moins non reconnus nations pour les estranges et diverses sortes de
par eux. J ’ai pu découvrir 49 méprises — évi poissons qu’il produit, lesquels ne sont tant
dentes ou possibles de cette sorte. admirables pour l’infinie quantité qui se trouvent
en ceste mer, voire telle qu’on jugeroit qu'il n'y a
La majorité (15) se rapportent a pp a rem m e nt à
plus d ’estoiles au ciel q u ’il y a là de poissons,
des Cétacés catalogués, à fanons ou à dents. Dans
8 cas ce sont de toute évidence des Régalées ou que pour leur excessive et espoventable grandeur,
d ’autres poissons rubanés qui ont été aperçus; et m onstrueuse form e, et figure.
dans 5 cas, d’énormes Pythons, qui traversent
Olaüs Magnus, Histoire des peuples septentrionaux, 1561.
parfois des étendues marines à la nage; dans
4 cas, des Requins-baleines, 4 cas aussi des
Requins-pèlerins et 4 cas enfin des Raies géantes, moins une fois par an de grands animaux marins
trois Sélaciens gigantesques dont le premier est qui restent toujours inconnus de la Science
resté totalem ent inconnu jusq u’en 1828 et, en ac tu ellem ent Répétons-le, bien des animaux
pratique, ju squ ’au milieu du siècle dernier, à ap parten ant à des espèces connues n’ont pas été
cause du caractère confidentiel de sa description observés si fréquem m ent en mer.
originale7. Par 3 fois aussi on a pris des Pinnipèdes
connus, com m e l’Éléphant de m er ou le Phoque LES S E R P E N T S -D E -M E R SE SUIVENT
à capuchon, pour des Serpents-de-mer, et par MAIS NE SE R E S S E M B L E N T PAS
deux fois des Calmars géants manifestes. Enfin
notre dossier est encom bré par l’observation Soit. Mais —tout le problèm e est là — le Serpent-
d ’un serpent marin ordinaire, d ’un congre ou de mer, quelle que soit son identité zoologique,
d ’une m urène énorme, mais restant dans les n’appartient-il qu ’à une seule espèce?
limites de taille normales d ’un poisson-lune, et La plupart des naturalistes qui se sont penchés
semble-t-il, d ’une des dernières Rhytines de sur la question pensent que oui, et c ’est sans
Steller, ce Sirénien géant ou Vache marine qui doute ce qui les a égarés. On com prend leur
hanta ju sq u ’en 1820 les eaux côtières des îles attitude. Il est déjà assez extraordinaire, ont-ils
Komandorski. Tout cela était à mettre au rencart. estimé, qu’une seule espèce marine de très grande
Il était enfin d’une honnêteté élémentaire de ne taille ait gardé l’incognito ju squ’à nos jours.
pas tenir com pte de 117 rapports vagues, ne Q u ’il y en ait plusieurs devient impensable!
don nant pratiquem ent aucun détail sur les Leur attitude est peut-être compréhensible et
animaux rencontrés, sim plement qualifiés du excusable, elle n ’en est pas moins absurde. Notre
nom équivoque de « serpents-de-mer». ignorance du monde marin toujours sillonné en
Après élimination des canulars, des méprises surface le long de routes immuables et à peine
et des observations douteuses, le nombre d ’obser égratigné en profondeur par des engins encore
vations sur lesquelles je pouvais fonder mes rudimentaires, l’histoire de la découverte des
recherches se réduisait à 325, ce qui est exac géants de la m er - trouvés pour la plupart depuis
te m en t le nombre d ’années qui sépare 1964 de moins de 150 ans — tout concourt à prouver que
1643. Bref, depuis cette dernière date — ceci la Science des animaux marins est loin d ’avoir
est enfin rigoureux —, on a signalé et décrit au atteint son apogée. Il serait, en vérité, extra
7. En som m e, c ’esi faire p reu v e d ’un souci e x c essif d e rig u e u r q u e de
ordinaire qu’il n’y eût plus dans les mers qu’une
c lasser pa rm i les m ép rise s tro is o b se rv a tio n s d e S e rp e n ts -d e -m e r se seule espèce de grande taille encore inconnue.
ra p p o rta n t à des req u in s-b a le in e s et faites a v a n t 1835. En v é rité, le
Chacon, c o m m e on l’a p p e la it aux Ph ilip p in es, p e u t ê tre ten u p o u r le
Déjà, après un premier défrichage du problème
p re m ie r S e rp e n t-d e -m e r rec o n n u p a r la Z o o lo g ie et d û m e n t id en tifié. du Serpent-de-mer, il m ’était apparu q u ’au
76 Le grand Serpent-de-m er
moins deux espèces différentes d ’animaux ignorés affaire, je fus tenté d ’ab an d o n n er la p artie, la
devaient avoir contribué à la naissance de la rage au cœ ur, les yeux au bord des larm es. M ais
légende: le P hoque à long cou et à longue queue en m êm e tem ps je m’étais laissé p ren d re au
d ’O udem ans et une Anguille de taille gigantesque, charm e de cette histoire énigm atique et fasci
mais p eu t-être aussi un M osasaurien attardé. n ante. Il me sem blait q u ’il valait la peine de la
Q uand je me mis à rac o n ter p ar le m enu les ép i publier, fût-ce à cause de son in térêt pu rem en t
sodes de l’histoire du m onstre fabuleux, plus historique. Et puis, d ’ailleurs, ces milliers de
j ’avançai dans mon exposé, plus je fus effaré de tém oins, d o n t la culture allait de celle du plus
voir la difficulté q u ’il y avait à d éceler une cer hum ble p êch eu r à celle du professeur d ’univer
taine continuité dans le signalem ent des anim aux sité, ne p ouvaient pas tous avoir m enti, s’être tous
rencontrés, sauf s’il s’agissait d ’un épisode local. trom pés, et s’être tous trouvés de faux co-
Le S erpent-de-m er était d écrit ta n tô t avec un cou tém oins...
de cygne, ta n tô t avec le cou p lutôt bref; ta n tô t il
avait des yeux énorm es, ta n tô t on ne pouvait pas LA V É R ITÉ
les discerner; ta n tô t sa queue s’effilait en pointe, C O M M E N C E À SE D E SS IN E R
ta n tô t elle s’élargissait en deux lobes; ta n tô t on
lui voyait quatre palettes natatoires, ta n tô t il ne Je fis bien de m’e n tête r car à force de reprendre,
sem blait y en avoir que deux, voire pas du tout. de rem anier et de polir mon texte, je digérais de
Q uelques contradictions pouvaient s’expliquer. plus en plus l’incroyable masse d ’inform ations
Ainsi, certains S erpents-de-m er avaient le cou q u ’il co n ten ait, et je finis p ar p ren d re conscience,
garni d ’une ab ondante crinière, d ’autres l’échine au-delà des contradictions, de ceraines cons
lisse. O udem ans en avait ingénieusem ent rendu tantes.
com pte en attrib u an t cette différence à un dim or Ainsi j ’avais rem arqué que jam ais un Serpent-de-
phism e sexuel co u ra n t chez les M am m ifères: la m er n’était décrit avec un long cou et une longue
crinière devait être l’apanage du mâle. M ais queue en m ême tem ps, sauf dans certains cas par
d ’au tres S erpents-de-m er portaien t sur le garrot ticuliers où l’anim al était agité en surface de
un p etit aileron triangulaire, ce qui était tout soubresauts anorm aux. Ces m anifestations sem
différent. E t puis il y avait les S erpents-de-m er blaient se rap p o rter à des individus blessés,
qui avaient le dos orné d ’un chapelet de bosses, m alades ou m oribonds —vraisem blablem ent donc
ceux qui avaient le dos lisse, ceux qui l’avaient arrach és à leur milieu naturel. E t je com pris que
hérissé d ’une crête en dents de scie et ceux qui le p o rtrait-ro b o t du Megophias d ’O udem ans était
paraissaient l’avoir garni d ’un bout à l’autre com posite: il avait em prunté son long cou à un
d ’énorm es ailerons curieusem ent inclinés vers type de S erpent-de-m er et sa longue queu e à un
l’avant. Il y avait des S erpents-de-m er noirs p ar autre...
dessus et blancs par-dessous, des Serpents-de- J ’avais aussi fini par co n stater q u ’au large des
m er roux, gris, beiges, v erdâtres et m arbrés, côtes du M assachusetts et de la N ouvelle-E cosse,
roses, bleutés et jaunes. Il y en avait de tach etés le S erpent-de-m er était g én éralem en t d écrit avec
et d ’annelés, de zébrés en long et de zébrés en l’échine garnie de m ultiples p etites bosses étro i
large... D e quoi y perdre son latin (zoologique)! tem en t accolées, m êm e q uand il était im m obile.
D e tem ps en tem ps, certes, il y avait com m e un Au large des côtes norvégiennes, ces bosses
indiscutable rappel de descriptions passées, mais étaien t plus distantes l’une de l’autre, et dispa
dans l’ensem ble la juxtaposition des rapports raissaient quand l’anim al était au repos, com m e si
dans l’ordre chronologique donnait une effroyable elles n’étaien t dues q u ’aux ondulations verticales
im pression de chaos. A près de nom breuses du corps. M ais il y avait des exceptions à cette
années de travail, la rédaction de près de règle.
1 500 pages dactylographiées, plus d’une fois, En revanche, le S erpent-de-m er à ailerons m ul
devant m on im puissance à voir clair dans cette tiples sem blait n ’avoir jam ais été signalé que dans
Le mystère animal 77
des eaux tropicales ou pour le m oins sub-tro- moyen d ’un je u de longues aiguilles, d ’essayer
picales. successivem ent toutes les com binaisons pos
T outefois, tandis que je com m ençais à discerner sibles ou du moins vraisem blables.
certains traits de différenciation, l’affaire se Le résu ltat de ce travail fastidieux en tre tous
com pliquait p ar certaines observations conscien se révéla stupéfiant. B rusquem ent to u t s’éclairait
cieusem ent détaillées et faites p ar des gens d ’une com m e p ar en ch an tem en t. Les cartes se g ro u
bonne foi certaine et d ’une personnalité au- p ère n t to u t n atu rellem en t en n euf catégories
dessus de to u t soupçon. Elles se rap p o rtaien t faisant ainsi ém erger n eu f types de Serpents-
parfois à des anim aux totalem ent différents de de-m er n ettem en t distincts.
ceux dont je com m ençais à esquisser les contours, C ertaines choses que je soupçonnais parfois
notam m ent à un animal souffleur apparem m ent vaguem ent se confirm aient. Ainsi le Serpent-de-
arm é d ’une cuirasse segm entée et garni d ’expan m er à bosses m ultiples, si fréquem m ent ren co n tré
sions latérales, rappelant étran g em en t l’invrai au large de la côte A tlantique de l’A m érique du
sem blable S colopendre cétacée d ’Elien, de Pline N ord, était très différent à m aints égards de celui
et de M aître G uillaum e R ondelet. D ’autre part, ressem blant à une loutre gigantesque qui han tait
une im pression que j ’avais eue p réco cem en t les eaux plus froides de la N orvège, de l’Islande
p ren ait peu à peu un poids considérable: une et du G roenland. C elui à m ultiples ailerons
sorte de Sélacien serpentiform e, version « grand s’identifiait avec le D ragon si soigneusem ent
form at» du R equin-à-collerette, était m anifes d écrit dans la baie d ’A long et avec la Tompon-
tem en t im pliqué dans le problèm e. drano ou M aître-des-E aux du folklore m algache:
Bref, j ’étais pratiq u em en t arrivé à la fin de mon les files d ’ailerons devaient donc être inter
exposé des faits et des théories ém ises, que je prétées com me des expansions latérales entrevues
n’y voyais pas encore bien clair. M ais le chaos à la faveur de virages sur le flanc.
sem blait p ren d re form e. Point de lumière, eût dit
M ilton, mais des ténèbres visibles... Enfin des conclusions auxquelles je n’avais jam ais
songé s’im posaient. C eci me réjouissait p articu
LE SER PE N T DE M E R = 5 M A M M IF È R E S lièrem ent, car j ’y voyais la preuve indiscutable
+ 1 R E P T IL E + N POISSO N S que les résultats o btenus n’étaien t pas influencés
ou déform és par des préjugés. Il se révélait que
C ’est en dressant des tableaux synoptiques l’anim al à crinière et celui à long cou, tous deux
d étaillant tous les traits rapp o rtés dans les obser cosm opolites, ne pouvaient pas être le mâle et la
vations dignes de considération — longs rouleaux fem elle, ni l’adulte et le jeu n e d ’une m ême
de p ap ier m illim étré qui couvraient des murs espèce. Chez le prem ier, les globes oculaires
entiers —, q u ’après avoir souligné à l’aide de frap p aien t toujours p ar leur g ran d eu r d ém esurée;
couleurs différentes certains caractères, je me chez le second, l’œil n’était guère discernable. Et
mis à discerner plus nettem en t q u ’ils se grou d ’au tres caractères encore consom m aient le
p aient toujours de m êm e façon. M ais ta n t de divorce des deux types.
com binaisons étaie n t possibles ou impossibles! Parm i les n euf types ém ergés, deux me p aru ren t
La m anière la plus simple d ’en sortir eût été de devoir être provisoirem ent tenus à l’écart, car
confier ce travail de tri-rech erch e des groupe fondés sur un nom bre tro p faible d ’observations,
m ents constants et rejet des associations co n tra et d ’ailleurs décrits trop vaguem ent: l’un défini
dictoires — à un ordinateur. M ais é ta n t donné le surtout p ar sa couleur jau n e, l’autre par sa form e
nom bre relativem ent restreint d ’observations, on rap p elan t celle d ’une to rtu e gigantesque.
pouvait se c o n ten te r ici du systèm e des cartes En revanche, un des sept types restants paraissait
perforées. Il suffisait de figurer chaque trait nettem en t hétérogène: il groupait divers poissons
caractéristique par une enco ch e appropriée, puis, à form e d ’anguille, parm i lesquels il devait y avoir
en enfilant les perforations du paq u et de cartes au aussi bien des anguilles p ro p rem en t dites — peut-
78 Le grand Serpent-de-m er
être de plusieurs genres distincts? - que des
Sélaciens serpentiformes, voire des poissons
appartenant à d ’autres groupes, com me celui des
Synbranches.
Les six autres types étaient les plus précisém ent
définis. Non seulement il était possible de décrire
avec soin l’aspect de leurs représentants, et
même certains traits de leur physiologie, mais leur
distribution géographique, leur biotope et leurs
migrations saisonnières se dessinaient avec une
certaine netteté. Et surtout il était possible de
les situer avec une plus ou moins grande précision
dans la classification zoologique. Trois d ’entre
eux devaient être classés parmi les A rchéocètes
ou Cétacés primitifs (peut-être, pour un des trois, Bernard Heuvelm ans est né le
parmi les Siréniens) et occupaient dans les océans 10 octobre 1916, au Havre (Seine-
trois territoires distincts. Deux d ’entre eux M aritim e). D octeur ès sciences zoo
logiques à vingt-trois ans, après défense
devaient être rapprochés des Pinnipèdes — ce
d'une thèse sur la de ntition de
qui était tout de même une victoire pou r le l'Oryetérope.
Dr. O udemans! — et représentaient des formes Installé à Paris depuis 1947, il y
hautem ent spécialisées de ce groupe dans le sens publie d'abord, outre des articles
de l’adaptation à la vie marine exclusive et même touchant pratiquem ent à toutes les
aux incursions sub-abyssales. Un seul semblait sciences, d'im portantes traductions
être un Reptile, peut-être bien un Mosasaurien, S ur la piste des Bêtes ignorées, paru
mais peut-être aussi un Crocodile océanique, en 1955, traduit dans le monde entier,
semblable aux Thalattosuchiens du Secondaire. est devenu classique, car il pose les
bases d'une discipline nouvelle, la
Bref, à partir à la poursuite d ’un seul monstre
cryptozoologie ou science des ani
élusif, je me trouvais en fin de compte en présence maux cachés. Ce livre sera com plété
de cinq mammifères, d ’un reptile et de plusieurs par Dans le sillage des monstres marin,
poissons, tous de grande taille, tous inconnus de Tome 1 : le Kraken et le poulpe colos
notre science, et rappelant tous les serpents par sal (1 958) et Tome 2 : le Grand
l’un ou l’autre trait anatomique. Ceci d ’ailleurs S erpent-de-m er {1965).
s’expliquait sans peine a posteriori. Correspondant de nombreuses sociétés
Étant donné que, dans les mers, un allongement d'histoire naturelle, depuis celle de
progressif accom pagne toujours un accroisse Bombay jusqu'à celle de Guatemala,
11 est tenu à l'Est com me à l'Ouest
ment extrême de la taille, on peut considérer que
pour le plus grand spécialiste de
tous les plus grands animaux marins sont en l'H om m e-des-neiges. Il préconise
quelque sorte serpentiformes, fût-ce partiel l'usage de méthodes mathém atiques
lement. La tentation avait donc toujours été vive et l'aide d'ordinateurs pour résoudre
de les assimiler à de monstrueux serpents, des problèm es biologiques, com m e
chaque fois q u ’il s’en présentait q u ’on ne connais ceux de l'évolution et, en particulier,
sait ou ne reconnaissait point. celui de nos origines.
J ’avais désintégré le Serpent-de-m er de la
légende.
B E R N A R D HEUVELMANS.
Le mystère animal 79
Les pierres fantastiques de Michel Cachoux
Jacques Mousseau Photographies de Serge Béguier
Q U A N D LA N A T U R E IM IT E L’A R T
Art fantastique
A travers ses explications, c’est ainsi en to u t cas poussé leur œ uvre ju sq u ’à son term e. L’artiste n’a
que j ’ai com pris son aventure. Il quête passion pas à ô ter quelque ultim e gangue. Elle est
ném ent les accidents de la nature. Parfois la achevée dans la plénitude de ses lignes, de ses
m atière cesse de travailler en série p o u r c ré er un coloris et de son message. Ce m essage, com m e
objet unique. C om prenons bien : non pas, sur une p o u r to u te œ uvre d ’art, p eu t v arier avec l’obser
plage interm inable de galets, un galet plus rond, vateur. U ne chrysocolle bleue p eu t suggérer un
plus lisse, mais un objet qui n’a rien à voir avec chevalier casqué d ’acier, la visière de son heaum e
les galets et qui p o u rtan t est né au milieu d ’eux. levée, ou to u te autre in terp rétatio n . M ais elle a
U ne falaise de glaise im m ense et m onotone peut un sens p o u r chacun. Parfois le m essage n’est
recéler un quartz tran sp aren t ou une géode p roposé q u ’à l’état d ’em bryon. Il faut alors le
te n an t em prisonnée dans son enveloppe de cris dégager en suivant la pente inscrite dans l’objet
taux, depuis cent ou deux cents millions d ’années, brut. Il accom plit dans ce b u t un autre voyage vers
un peu d’eau trem blotante. P ar un anti-hasard l’atelier lointain d’un des rares lapidaires qui
incom préhensible, on peut être assuré que toutes peuvent travailler ces m inéraux sans les briser. Il
les sortes de raretés ont convergé vers cet objet faut parfois un an de lab eu r à l’ouvrier pour
unique: celle des couleurs et celle des form es. am ener l’objet à sa perfection. M illim ètre par
P ar quelques indices de la surface, M ichel m illim ètre, agate co n tre agate, il réalise la
C achoux sait percevoir cette présence. Il ne form e intuitivem ent devinée par M ichel Cachoux,
co n naît pas de m om ent plus intense que celui où lui-m êm e n’étan t qu’un visionnaire obéissant.
son bras s’enfonce com m e une foreuse dans la « Je ne suis pas là pour p référer », dit-il.
te rre hum ide et molle pour cueillir le trésor Ces visions successives suffisent-elles à faire de
pressenti. Ainsi parfois la m atrone la plus fatiguée ce dernier un artiste véritable? N ’est-il pas
et la plus vulgaire nourrit dans ses flancs le futur seulem ent un collectio n n eu r qui vend (fort cher)
orgueil de l’hum anité. La vie elle-m êm e à les pierres rares créées p ar d ’autres, la nature
laquelle nous som m es ram enés n’est-elle pas d ’abord et l’artisan ensuite? Bien avant les
app arue voici trois m illiards d ’années, com m e un « ready-m ade » de M arcel D ucham p et les accu
de ces accidents inattendus de la m atière? Un m ulations d ’objets des jeu n es artistes co n tem
quartz, une tourm aline, une rutile ou une cellule porains, l’idée que l’artiste im posait avant to u t
vivante, la m êm e glaise vile a pu en fan ter tout une vision avait len tem en t progressé. La façon
cela. d ont l’artiste regarde im porte davantage que la
chose regardée. Il est d ’abord un œ il — le plus
C H O ISIR , C ’EST C R É E R souvent un œil vierge — qui voit au trem en t et
apprend aux autres à voir. N ous découvrons le
Le lapidaire de la rue G uénégaud, dans sa ciel de T oscane à travers les toiles de L éonard de
d ém arche, tourne au to u r du G ran d S ecret. Il est Vinci adm irées dans les m usées, m êm e lorsque
lui-m êm e inquiet de cette connivence q u ’il sent nous n’en avons pas conscience. N ous som m es
en tre lui et la m atière. Q uel pacte aurait-il aveugles et nous avons besoin de guides. D ans
m algré lui signé? Il éprouve parfois une peu r Poésie et vérité, G œ th e cite l’exem ple p e r
panique — il l’a avoué à son ami R oger O tahi - sonnel suivant: «L orsque (après une visite à la
à la pensée q u ’il participe au psychism e des galerie de D resde) je ren trai chez mon co r
pierres. Ses doutes cep en d an t, com m e ceux de d onnier pour le repas de midi, j ’en crus à peine
F aust, sont fugaces. Il est em porté et se laisse mes yeux: je crus en effet avoir devant moi un
em porter. Ses trouvailles les plus heureuses sont tableau de Van O s ta d e 2, tellem en t p arfait q u ’il
celles q u ’il peut laisser telles que la te rre les lui au rait pu figurer sur les m urs d ’une galerie. La
a o ffe rte s 1. La m atière alliée avec le tem ps ont place des objets, la lum ière, l’om bre, la teinte
1. C e so n t p arm i elles q u e nous av o n s fait la sé le c tio n des 2. A d riae n et Isaac Van O sta d e, p e in tre s h o lla n d a is nés à H a a rle m
p h o to g ra p h ies q ue nous p ré se n to n s d ans ces p ages en c o u leu r. (1610-1685 e t 1621-1657).
Art fantastique 83
F aut-il entrevoir un fond de désarroi dans cette ren ferm en t les choses. Ce fantastique n’est plus
attitude? Pas plus, à notre sens, dans le dom aine g ratuit; d épassant l’im aginaire, il est un message
esthétique q u ’ailleurs. L’artiste est déjà indécis cach é soudain révélé. Ce décodage p eu t exiger la
dans un m onde stable parce que son rôLe est de com plicité des pinceaux ou des burins. Il peut
s’en fo n cer le prem ier dans l’avenir. Q uand tout aussi, com m e c ’est le cas p o u r les pierres de
bouge dans le présent, sa vocation se trouve plus M ichel C achoux, se satisfaire d’un simple geste
encore remise en cause. L’art, sans doute, n’est pas d ’appropriation. Le fantastique que l’artiste
m ort; les artistes seulem ent sont dans une vaste choisit n’est pas moins réel que celui q u ’il crée.
salle d ’attente. C ette caractéristique de notre Un triangle p arfait inscrit dans la tourm aline nous
tem ps explique qu’il y ait ta n t de rech erch es le rappelle.
parallèles et pas de m ouvem ent dom inant. Les
ten tatives de classem ent sont dépassées alors U N E PASSIO N Q U I R E N A ÎT :
q u’elles sont à peine ébauchées. A insi, nous C E L L E DES O BJETS
venons de le voir, sous l’œ il des m icroscopes
électroniques, l’inform el a repris form e, l’œ uvre Ces œ uvres d ’art sont aussi — ou p eu t-être
de W ols s’est rangée au côté de la fine texture de d ’abord — des objets. C e tte qualité particulière
la m atière vivante. C haque instant, en ce siècle, n ’est pas étran g ère à l’attractio n q u ’ex ercen t ces
l’hom m e m oderne est am ené à reco n sid érer le pierres. N ous dem andions: pourquoi les tro u
m onde — le m onde extérieur et son m onde inté vions-nous belles, et plus belles au jo u rd ’hui
r ie u r —de façon nouvelle, et à prendre conscience q u ’hier? U ne p art de la réponse est là. Soudain
qu’il en a eu ju sq u ’alors une vision superficielle. notre civilisation s’est mise à être fascinée par
l’objet. Elle n ’est pas la p rem ière sans d o u te et,
AU C Œ U R en art, les cycles se su ccèd en t en ondes m ysté
D U F A N T A ST IQ U E rieuses. L a toile, trio m p h an te depuis vingt-cinq
ans, recule et laisse la p rem ière p lace à l’objet.
Une vision plus profonde rapproche des dom aines L’ustensile de série, à son to u r, devient tableau
qui paraissaient séparés. Ainsi un W ols, une cel dans les œ uvres de certains artistes m odernes
lule végétale. C ette dém arche renouvelée vers la (N ouveaux R éalistes et Popartistes). Les bibelots
réalité caractérise, en art com m e en science, ce 1900 rem e tte n t au goût du jo u r le Modem Style.
que nous avons appelé le Réalism e fantastique. Les artisans in v en ten t des form es nouvelles ou
L’adjectif fantastique fait depuis longtem ps partie, red éco u v ren t des form es anciennes. Q uand un
du vocabulaire esthétique. Mais, et Roger Caillois ouvrier lapidaire dégage p atiem m ent une vasque
le p rem ier l’a noté avec p e rtin e n c e 4, il a souvent aux riches m arbrures inscrite dans un bois pétrifié,
été appliqué à des œ uvres intentionnellem ent la forme naturelle découverte par M ichel Cachoux
créées pour « stupéfier à bon com pte » ou « sim uler se transform e et rejoint les créatio n s artisanales
le m ystère». Le vrai m ystère est secret; il ne se sans nous paraître m oins fantastique. Pourquoi
laisse pas aisém ent deviner. Si nous écarto n s le cette vogue de l’objet? B raque me disait que dans
fantastique de parti pris, c ’est-à-dire, selon la le p ro d u it de la m achine, il ne sen tait pas la
définition de Caillois, « les œ uvres d ’art créées main de l’hom m e et que cette absence deviendrait
expressém ent pour surprendre, pour d éro u te r le b ien tô t insupportable. La m ultiplication des
sp e cta teu r p ar l’intervention d ’un univers imagi robots a rendu ce tte tare sensible au plus grand
naire, féerique ou rien ne se passe com m e dans le nom bre. La p réo ccu p atio n de l’hom m e est
m onde réel», nous découvrons un fantastique d’éch ap p er à sa solitude; l’univers des objets
plus authentique parce q u ’il étab lit un lien entre standardisés l’y rejette. U ne angoisse m o ntante le
la création insolite de l’artiste et le secret que pousse à saisir la main de l’artisan ou de
4. V oir la p réfa c e d e son plus ré c e n t o u v rag e : Au cœur du fantastique
l’artiste à trav ers l’objet unique. L eurs peines et
(G allim ard ). leurs hésitations y o nt laissé le plus p récieux
Art fantastique 87
J'ai vu à l'œuvre le clairvoyant Gérard Croiset
Aim é Michel
Un volume Croiset — D ans cette enveloppe se trouve une feuille de p ap ier sur
de la collection laquelle q uelqu’un a form ulé ses pensées. Le m ot anthologie s’im
Présence Planète pose à moi. C ’est une anthologie de ses pensées. C et hom m e n ’a-t-il
à retenir pas été en co n tact avec un A llem and? Il se p eu t que l’hom m e même
soit allem and. M ainten an t, mes im pressions se précisent. C ’est une
chez votre libraire
lettre d ’un A llem and à un A llem and. C et hom m e ne se laisse pas
m archer sur les pieds. Il craint de dire quelque chose d o n t ses adver
saires po u rraien t abuser pour le com battre.
Personnages extraordinaires 93
les m écanism es les plus secrets d ’une âm e, son sont éto n n an ts, m ais certains sont fantastiques.
terrain psychologique, les épisodes familiaux, En voici quelques-uns.
sociaux, culturels qui ont fait sa substance. Il Un en fan t disparaît. La police, aussitôt alertée,
a pu m ettre ainsi en évidence une foule de faits ne trouve rien. A ucun indice, au cu n e trac e, rien
d o n t certains avaient déjà été pressentis, il y a qui puisse o rien ter son enquête. Le com m issaire
q u arante ans, par le d o c te u r O sty, étu d ian t le chargé de l’affaire télép h o n e à C roiset.
clairvoyant français P ascal F o rthuny, et do n t — Voici ce que je vois, dit-il aussitôt à l’autre
d ’autres relèvent de la psychologie des profon b out du fil. Un canal avec un p o n t sur la gauche
deurs la plus avancée. A vec une grande sagesse, et une tour, des maisons. R evenons au canal. Sur
T en haëff a dès longtem ps adm is que la p ara le quai, il y a une caisse basse, rectangulaire,
psychologie en était au stade de l ’histoire natu pleine de sable. C ette caisse est ferm ée p ar un
relle, au stade descriptif, q u ’elle ne pouvait couvercle. Le couvercle est cadenassé. Je vois le
avoir pour l’instant d’autre am bition q u ’une plus cadenas, il est de telle m arque. L’enfant est noyé.
claire vision des faits, sans encore ch e rch er à les Son cadavre est dans le canal, là où le co u p e la
expliquer. N on seulem ent la connaissance objec ligne droite jo ig n an t la caisse de sable à la tour.
tive de la clairvoyance a gagné à cette attitude A ttendez! Je vais vous dessiner to u t cela.
m odeste, mais l’efficacité du clairvoyant en a été Croiset dessine sa vision. Les policiers, dessin
m ultipliée: c’est, pour un F rançais, une surprise en m ain, ch erch en t dans la ville. H élas! il y a
ém erveillée que de parler à un clairvoyant aussi ta n t de canaux que le tem ps passe. Ils d o nnent
lucide, aussi net de toute superstition que Croiset. alors le dessin aux jo u rn au x qui le publient. Le
La longue fréquentation de T en h a ëff et de son site est trouvé. T o u t y est : la to u r au fond, le pont,
laboratoire l’a lavé de to u te la douteuse aura qui, la caisse, le cadenas, la m arque du cadenas. Il ne
p a r la faute des chasseurs de sorcières, entoure reste q u ’à draguer. On drague. E t on trouve le
en core en F ran ce les phénom ènes de psychologie cadavre. J ’ai vu le jo u rn al où était publié le dessin
exceptionnelle. et la p h o to des lieux. Le dessin est très exac
— T outes mes activités, m ’a dit C roiset lui-m êm e, te m en t le schém a de la photo.
n’o nt q u ’un b u t et q u ’une am bition: am en er à la
conscience les forces inconnues de la pensée. LA PO L IC E U T IL ISE C O U R A M M E N T
P our voir ces forces inconnues à l’œ uvre dans un CES FO R C E S IN C O N N U ES
hom m e, point n’est besoin, je l’ai dit, de re n
co n tre r C roiset. O utre les nom breuses publica Ce cas est-il exceptionnel? N on seulem ent il ne
tions de T en h aëff lui-m êm e ’, il suffit de lire les l’est pas, non seulem ent T en h aëff a pu rem plir
jo u rnaux néerlandais. Je savais, certes, que la un livre en tier de faits sem b lab les4, mais la vie
police hollandaise utilisait couram m ent les clair de C roiset est tissée de faits encore plus ex tra
voyants, surtout pour retro u v er les enfants perdus ordinaires. La police hollandaise y est ac co u
ou noyés (nom breux dans ce pays de canaux), les tum ée et prend la chose avec beaucoup de flegme.
m eurtriers et les voleurs. M ais au cours de mon Elle utilise indifférem m ent la clairvoyance de
p récéd en t voyage en H ollande, il y a quelques C roiset, sans autre souci que le ren d em en t, ou
années, il ne m ’avait pas été possible de voir son sens prém onitoire. Elle a parfois essayé de
ju sq u ’où allait cette collaboration. C ’est bien p ren d re ce sens en d éfaut, et le résu ltat obtenu
sim ple: elle est quotidienne. La Revue technique confirm a ce que nous avons m aintes fois souligné
de la police elle-m êm e publie les com ptes rendus ici: à savoir que les th éo ricien s de la physique
des résultats obtenus grâce à la collaboration des avancée, actu ellem en t aux prises, on le sait, avec
clairvoyants, et surtout de C roiset. T ous les cas l’épistém ologie du tem ps et de l’espace, tro u v en t
3. E t n o ta m m e n t la c o lle c tio n d es Proceedings o f the Parapsychological 4. Publié en 1957, voici la tra d u c tio n d e son titre h o lla n d a is: Obser
Institute o f the State University o f Utrecht, S pringw eg 5, U tre c h t, vations sur l'usage des clairvoyants par la police et dans d'autres buts
Pays-B as. pratiques.
Personnages extraordinaires 95
Le magnétophone de contrôle en main, Gérard Croiset part vérifier une de ses visions.
Personnages extraordinaires 99
La chute des anges
Jean Giono Lithographies de Jean Lurçat
102 La chute d e s a n g e s
Qui donnera le corps et le poids à l ’esprit,
La Chair pure, trop dure aux dents de la vermine?
Sauvages des Nouka-Hiva du Zodiaque,
Plongeurs aux fonds perliers des archipels d ’étoiles,
Quelle étrange splendeur habite aux lies du gouffre
Céleste où vous plongez, pour que vous émergiez
Ainsi ruisselants de certitudes étem elles?
Mangeurs d ’hommes, debout sur le pont du steamer,
Promis aux soutes, avec vos voiles de cygne,
Princes de paradis enchaînés aux rameurs,
D ’où vient cette grandeur qui vous emporte, princes,
A u-delà même du malheur, et par-delà
L ’oubli de Dieu vous sauvegarde? Vierges, purs
Intouchés, glacials et abrupts, monstres nus
Revêtus des beautés éternelles, m aîtres
Du grand secret, et des armes de la victoire?
Est-ce au plus sourd des forêts d ’algues que le Graal
Bouillonne de baumes et de sang toujours rouge?
Est-ce dans l’antre sous-marin des nébuleuses
Q u’il fau t aller chercher le vrai pain et le sel?
Vous êtes sur le bord de la m ort la plus vile
Précipités dans son oubli plus bas que nous,
Plus d ’espoir, plus de Dieu, sous vos plumages fous
Vole le sable des solitudes stériles :
E t jam ais vous n ’avez été si beaux! La gloire
Flambe comme un pelage d ’ours autour de vous !
On comprend que la mort ne peut pas vous atteindre!
On la voit dévorer vos voiles et vos proues
D e grands navigateurs d ’espaces, le désir
Qui vous je ta it ailes en croix dans les tourmentes, reste !
12 Le phénix s u r l'épée
— En avant! cria Rinaldo. M ort au tyran! com m e sur un roc. Mais le sage Épim etreus est
Ils s’arrêtèrent net. Conan leur faisait face. Non intervenu...
pas l’hom m e endormi q u ’ils com ptaient trouver, — Écoutez-le parler d ’Épimetreus mort depuis
mais un Barbare hardi, l’épée à la main. quinze siècles! s’écria quelqu’un.
Il bondit le premier et arrac ha du mur une hache — J ’ai parlé avec lui cette nuit! hurla le roi. Il
de guerre et se je ta sur eux avec une furie sau m’a appelé dans mon rêve et j ’ai suivi un corridor
vage. Plusieurs hommes to m bè rent et le sang de où étaient gravés les signes des dieux anciens,
Conan, blessé en différents endroits, coula. puis un escalier dont les m arches portaient les
— Lâches! hurla Rinaldo. signes du serpent, puis je suis arrivé dans une
Il se précipita sur Conan, armé seulement d ’une crypte où une tom be marquée d ’un phénix...
dague. — Seigneur Roi, taisez-vous, au nom de Mithra!
— Arrière, dit Conan, en le reconnaissant, je ne s’écria le grand prêtre de Mithra, dont le visage
voudrais pas te tuer. avait pris la couleur de la cendre.
Mais il était trop tard. Le ménestrel fou était Il s’approch a du roi et lui parla d o u ce m e n t à
em porté p a r son élan. Conan lui fendit le crâne l’oreille:
avec sa hache. Le cercle des assassins s’élargit. — Seigneur, ceci dépasse l’entendem ent humain.
Conan éclata de rire: Seuls les prêtres et hauts initiés connaissent le
— Qui veut mourir le premier? dit-il. corridor noir et la tom be gardée p a r le phénix où
A cet instant, plusieurs des assassins poussèrent des fut couché Épimétreus, il y a quinze siècles. Eux-
cris affreux. Une chose noire, une ombre de-cau mêmes ne savent pas où se trouve le to m beau, car
ch e m a r se précipita sur Ascalante et lui enfonça les initiés d ’il y a quinze siècles n ’ont pas transmis
ses crocs dans la gorge. Avec sa hache, Conan le secret. Mais l’existence de la tombe nous est
frappa la créature inconnue. La hache rebondit connue. C ’est l’un des mystères sur lesquels
sur son crâne sans faire d ’effet et le monstre se repose le culte.
retourna sur Conan. Avec une rage qui ressem Conan répondit :
blait à la folie, Conan se je ta sur ce nouvel — Je ne peux pas vous expliquer grâce à quelle
adversaire. Sa main se saisit de la poignée de son magie le Sage a rendu mon épée mortelle pour les
épée qui avait été brisée dès le début du combat. dém ons de la nuit. Mais c’est ainsi.
Il frappa instinctivement avec ce qui restait de — Montrez-moi votre épée, Seigneur, dit le
l’épée, marquée d ’un phénix, com m e avec une grand prêtre.
dague. Et il vit le monstre s’effondrer d ’abord, Conan tendit l’épée brisée et le grand prêtre
puis fondre, puis se désintégrer. Alors les secours tom b a à genoux.
arrivèrent enfin. Des hommes d ’armes, des c h e — Que M ithra nous garde contre les puissances
valiers, des pairs du royaume. des ténèbres! Le signe de l’immortel phénix est
— Qui est celui-ci? dit l’un d ’eux en enlevant le là sur votre épée! Q u ’on apporte des torches!
masque d ’Ascalante. Regardons l’endroit où le dém on mourut!
Il s’écria: Lorsque la lumière to m ba sur la tache ineffa
— Par Mithra! C ’est Ascalante, qui fut jadis çable, à l’endroit où le monstre était mort,
comte de Thulé. Mais pourquoi a-t-il ce regard certains tom bèren t à genoux en implorant la
terrible? pitié de Mithra. Et d ’autres s’enfuirent de la
Conan ju ra : cham bre en hurlant de peur, car l’image qui était
— P a r C r o m ! si vous aviez vu ce que lui et moi là et qui jamais ne put être effacée n’appartenait
avons vu, ce monstre qui a fondu... pas à cet univers, mais à quelque dimension de
— Il délire, dit un des nobles. terreur dont l’ombre plane à jamais sur les sou
— Je ne suis pas fou, cria le roi. C et être avait terrains de l’Égypte...
l’air d ’un croisement entre une momie égyptienne R O B E R T E. H O W A R D .
et un babouin. M a hache a rebondi dessus (T ra d u ctio n d e Jac q u e s B ergier).
Les gens n ’aiment pas porter des vêtements râpés, pourquoi s ’obstiner à
parler des langues râpées comme le latin et le grec. s .l
P ET IT G U ID E DE LA P IR A T E R IE
J ’AI G A R D É CE S E C R E T C O M M E UN POIDS
27 ans après: Juillet 1930. En Allemagne, Hitler est au pouvoir depuis cinq ans. Les
manifestations antijuives suscitées par le nazisme sont connues du
m onde entier; à travers la frontière, des accusations plus graves
U n livre com m encent à filtrer. Les juifs ont com m encé à quitter l’Allemagne
devenue pour eux menaçante. Sur l’initiative du président Franklin
D. Roosevelt, les représentants de trente-deux pays ont décidé de
e n c o r e inédit se rassembler à Évian, officiellement pour étudier les problèmes
posés par ces réfugiés. En fait, cette conférence a une mission
plus générale: discuter l’ensemble de la politique antisémite de
en F r a n c e l’Allemagne nazie.
La conférence d ’Évian — Intergovernmental Com m itee for
R e fu g e e s— se tint du 6 au 15 juillet 1938. Outre les ministres pléni
révèle potentiaires, délégués des gouvernem ents de trente-deux pays, de
nombreuses organisations privées se firent représenter par des obser
vateurs. Des hom m es com m e le com te Coudenhove-Calergi, fon
les origines dateur du m ouvem ent paneurop éen , la musicien Pablo Casais,
l’historien Guillaume Ferrero, J.B. Wise, le grand rabbin de New
York, le père Odo, envoyé du Vatican, y assistèrent à titre personnel.
du m a ssacre Informé de cette réunion, Hitler ne s’ém ut pas pour autant. Il
décida, au contraire, d ’y envoyer un messager secret avec une extra
des juifs ordinaire proposition: que les pays réunis à Évian organisent une
collecte et rachètent tous les juifs allemands et autrichiens puisqu’ils
paraissent si soucieux de leur sort. Hitler fixait le prix du juif
à 250 dollars. « H omme, femme, ou enfant, le prix sera le même.
L'histoire invisible 1
que le nôtre où les choses ne sont pas encore Cette proposition paraît utopique aux membres
arrivées à pleine maturation, une évolution ana de la Conférence, au moment même où les
logue s’esquisse néanmoins (Pologne, Hongrie). » désordres s’aggravent en Palestine. On ne l’étudie
Avant même le début de la Conférence, les pour ainsi dire pas.
délégués — trois ministres, treize ambassadeurs,
trois plénipotentiaires, trois conseillers et leur ILS P L E U R E N T DES L A R M E S
suite — ont eu des entretiens animés dans les DE C R O C O D IL E S
appartem ents des uns et des autres dans le but de
préciser diverses questions de procédure. Par L’émissaire de la Gestapo, nommé H err Megelein,
exemple, faudrait-il créer un comité perm anent chargé de surveiller le professeur viennois,
de réfugiés dans le cadre de la S.D.N. ou bien reprend contact avec lui. Il repousse toute idée
instituer un organisme indépendant? La C onfé de négociation directe au sujet de la rançon
rence elle-même, qui se tient dans le grand salon exigée pour le départ des juifs. Q ue le pro
de l’hôtel Royal, est ouverte par le chef de la fesseur Benda remplisse sa mission !
délégation française, l’am bassadeur Henry « L’Allemagne ne se m ettra pas en position d ’un
Béranger. Téléguidé par Roosevelt, le délégué quém andeur, dit-il fermement, qu’on pourrait
américain laisse entrevoir une augm entation du repousser publiquement sur un ton de vertueuse
quota pour les émigrants allemands et autrichiens indignation. »
aux États-Unis. Ils ne représentaient à l’époque Il annonce à von Benda une nouvelle mesure
que 27 370 personnes par an. Le délégué anglais, « pour faciliter ses dém arches ».
l’honorable Earl W interton, renchérit en sou «Vous êtes autorisé à com m uniquer aux A m é
lignant la grande tradition de son pays qui n’a ricains que le gauleiter autrichien a fait arrêter
cessé d ’offrir asile aux persécutés. Mais il fait quarante mille juifs, les a chargés dans des wagons.
aussitôt rem arquer que le Royaume-Uni n’est pas Le convoi sera dirigé soit sur un cam p de co n c en
un pays d ’immigration, que « l’Angleterre, hau tration, soit vers une frontière selon q u ’au 1" août
tem ent industrialisée, a déjà une densité de p opu (on est le 6 juillet) une somme de dix millions de
lation élevée et q u ’elle souffre du chômage... De dollars (une bagatelle p our les Américains) aura
toute manière, conclut-il, les pays d ’origine des été ou non déposée dans une banque suisse. Nous
nouveaux émigrants doivent mettre des moyens à considérerons ce premier versement com m e une
leur disposition, afin q u ’ils puissent se faire une garantie perm ettant de com m en cer la négo
nouvelle existence.» C ’est con dam n er d ’avance ciation en vue d ’une solution d ’ensemble. Avec
les juifs allemands et autrichiens dont les nazis cette proposition, nous dém ontrons suffisamment
com m encent par confisquer tous les biens. notre bonne volonté. »
Le délégué français prend à son tour la parole. Les comptes rendus des journaux allemands
Il déclare: « L a France se trouve déjà chargée offrent un fond sonore bien orchestré pour la
d’une masse de réfugiés espagnols. Un pays de mission du professeur Benda. Le Danziger Vor-
quarante millions d ’habitants est aux prises avec posten écrit: « L a Conférence juive d ’Évian
le problème de trois millions d ’étrangers q u ’il prom et de devenir une conférence antijuive. On
accueille com m e résidents permanents. En se lamente ap parem m ent sur le sort des juifs et on
revanche, les pays jeunes com m e les deux A m é se livre à une propagande éhontée contre l’Alle
riques et l’Australie, qui savent assimiler les magne, mais, en réalité, aucun État ne semble
pionniers, recevront sans doute les nouveaux disposé à accepter quelques milliers de juifs pour
réfugiés, les bras ouverts. » supprimer cette prétendue « honte de la civili
On donne alors lecture d ’un m é m orandum de sation » en Europe Centrale. » Le Vôlkische Beo-
l’Agence juive pour la Palestine qui préconise bachter fait presque une allusion directe à la
l’immigration immédiate de 240 000 juifs, puis, au mission de von Benda: « Ils pleurent des larmes
cours des années suivantes, d ’un demi-million. de crocodile sur les juifs, mais personne ne veut
D E S R É F L E X IO N S , U N T É M O I G N A G E
MATERIAUSME
UN D IL E M M E Q U E LA SCIEN C E DÉPASSE
D ans les deux précédents articles, nous avons suivi la lente genèse
PLANETE et l’expansion du matérialisme. « Aussi ancien que la philosophie »,
Les cahiers il n’est nommé et synthétisé, à partir de nombreux éléments anté
rieurs, que vers 1750, dans la conjoncture où se p répare la R évo
de cours lution française. Mais alors, sous les formes du matérialisme philoso
phique et moral, du matérialisme scientifique, du matérialisme
de l'école historique et dialectique, il prend une im portance énorme.
Avec ce dernier article, nous allons tenter de faire le point. Pour
permanente cela, nous utiliserons exclusivement l’optique scientifique, écartant
de propos délibéré tout engagem ent philosophique, politique ou
religieux. Non que ces grands domaines humains nous paraissent
en quelque façon inférieurs à la science. Mais celle-ci nous semble
seule capable de fournir un point de vue « objectif » sur le problème,
c ’est-à-dire acceptable par des hommes de convictions diverses,
s’accordant cependant sur un certain usage codifié de la raison. Et
aussi, où les préjugés personnels de l’au teur soient, dans la mesure
du possible, éliminés par la discipline de la méthode.
Une telle attitude est-elle légitime? Sir James Jeans, un des cham
Ce cours pions dans le com bat livré autour du matérialism e par les scienti
fiques de l’époque post-einsteinienne, ne le pensait pas. Q uan d nous
a été établi par
avons rendu com pte d ’une fugue de Bach en term es de science,
GABRIEL VERALDI disait-il, analysé les processus accoustiques, physiologiques, etc.,
nous n’avons pas répondu à la question essentielle: cette fugue est-
elle belle? Une autre école de pensée estime au contraire que la
142 Le m atérialism e
3 Où va le matérialisme?
144 Le m atérialism e
déployé d ’un seul coup dans son épaisseur te m p o Nietzsche, arrivent à pas de colombe. Elles
relle aussi bien que dans ses trois dimensions repartent souvent avec la même discrétion.
spatiales. Com me l’écrit fortem ent H. Weyl:
Le monde objectif sim plement est, il n ’advient FAISONS LE POIN T
pas. »
Sir A rthur avait en effet beau jeu, et dém ontrait Mais la population mondiale, celle même des
allègrement que nous ne connaissons pas la pays les plus développés, n ’est pas composée
«réalité», mais seulem ent des abstractions, des de physiciens ou d ’hommes possédant une cul
symboles; que la physique ne traite en fait que ture scientifique. Est-il possible d ’expliquer clai
de définitions, et, qui plus est, définies les unes rem ent pourquoi le matérialisme, ou aussi bien
les autres selon un processus circulaire. « La l’idéalisme, est un problèm e dépassé? Ce n ’est
matière», concluait-il, «est ce que pense sûrement pas facile; essayons cependant.
Monsieur X.» Bref, dans la «lutte incessante du Prenons deux grands noms du matérialisme,
matérialisme et de l’idéalisme, la perpétuelle Freud et Lénine. Écartons le fait que leurs d o c
alternative de succès et de défaite, l’égale impuis trines se réfèrent à une physique dépassée et que
sance des deux adversaires à fixer la victoire» leurs notions de «cause», de «tem ps», de
dont parlait Nolen, il y avait renversem ent des « matière » sont fausses, si la relativité restreinte
alliances. La physique, qui avait si longtemps est valide ce qui, depuis un matin d ’août à
com battu avec le matérialisme, changeait de Hiroshima, est peu contestable. Ne considérons
camp et apportait ses puissantes armes à l’idéa que le principe de Poincaré, selon lequel si une
lisme. affirmation com porte une contradiction dans les
La question était-elle enfin tranch ée? Non. Les termes, elle est dénuée « d ’existence logique ».
antimatérialistes allaient trop loin. Com me le Freud et Marx postulent, conform ém ent à cet
résume le meilleur historien de l’affaire, le pro enchaînem ent causal que nous avons évoqué à
fesseur Joad: «A yant dénié aux objets les p ro propos de Darwin, que le fonctionnement de
priétés que nous supposons norm alem ent q u ’ils l’intelligence, de la perception, du système nerveux
possèdent, cette philosophie invoque, pour en un mot, est entièrem ent déterminé, que la
expliquer l’apparition de ces propriétés, des pensée est asservie à une motivation antérieure.
objets tels que les organes, les nerfs, le cerveau. L’un, de formation médicale, la situe dans l’acti
Tout en affirmant q u ’il n ’y a pas de chaises qui vité fondamentale de reproduction sexuelle.
sont brunes et solides, elle implique q u ’il y a des L ’autre, de vocation politique, dans une autre
nerfs et des cellules nerveuses qui ont texture activité fondamentale, l’économie.
et couleur. » Négligeons encore le fait que ces théories,
obtenues à partir du même système matérialiste,
Alors? Alors, il y eut une sorte de haussement le condam neraient par leur exclusion mutuelle.
d ’épaules collectif chez les physiciens. Le Mais com m ent expliquer que la pensée de Freud
dilemme, nous l’avons vu historiquement, avait ou de Lénine échappe à ce péché originel de la
été produit par la logique d ’Aristote, appuyée détermination sexuelle ou économique, et atteigne
sur la géométrie d ’Euclide, et structuré dans la miraculeusement la« vérité»?
cosmologie mécaniste de Newton. Dans une Le langage relativement primitif dont nous nous
cosmologie d ’Einstein-Minkowski, obtenue par servons (élaboré, ne l’oublions pas, en une
une géométrie riemanienne et prolongée par une époque où l’on croyait que la Terre était le centre
logique révisée, il n ’avait plus de sens. Scienti de l’univers et avait été créée six mille ans plus
fiquement, il s’en alla rejoindre « les esprits tôt) dissimule la contradiction. Mais si nous
animaux» et «le fluide phlogistique » dans le employons le langage plus rigoureux de la logique
grand cimetière des idées mortes. m athém atique, nous aboutissons à une pure et
Les idées qui transform ent le monde, disait simple exclusion. Ou bien la pensée peut ajouter
146 Le m atérialism e
sement sa vitalité.» L’auteur corrige en note: leurs activités m ettent en péril l’humanité mais
« Depuis la découverte de la bom be atomique, continuent néanmoins sur cette lancée fatale.
il y aurait lieu, hélas! d ’être un peu moins affir La situation n’est pas nouvelle: « Video meliora
matif.» Mais nulle correction ne modère la proboque, détériora sequor». Seulement, voir le
conclusion citée plus haut, alors que plus de deux meilleur et faire le pire n’avait pas les mêmes
millions des meilleurs scientifiques, techniciens conséquences au siècle d ’Auguste q u ’au siècle
et pilotes d ’au moins quatre nations travaillent d ’Einstein. Entre-temps, il est intervenu un ren
à la conquête de l’espace; et que d ’autres sont versement d ’une des plus importantes fonctions
à l’écoute d ’éventuels messages de civilisations de l’humanité. Pour la résum er d ’une façon
non humaines. «littéraire»: autrefois, les techniques étaient
Il ne s’agit évidemm ent pas d ’une vision scien moins évoluées que les autres fonctions de
tifique du monde, mais d ’une philosophie dans l’hom m e; aujourd’hui, elles sont plus évoluées.
la tradition des moralistes pessimistes, exprimée La technique freinait l’humanité; elle la propulse.
d ’ailleurs dans une fort belle langue. Venant d ’un L’équilibre n ’a pas été atteint, et c ’est grave si
hom m e possédant une certaine réputation scien l’on songe que la vie à tous les niveaux repose
tifique, c ’est un cas typique de décalage évolutif. sur des équilibres précaires.
«Les choses étant ce q u ’elles sont», l’opinion Aussi, alors que la technique donne pour la
d ’un biologiste français (dont au surplus les première fois les moyens de satisfaire maintes
contributions sont minces) ne pèse pas lourd dans aspirations humaines, une existence plus longue,
la vie internationale de 1965, com m e le sait qui plus saine, plus prospère, la liberté de mieux
conque a l’occasion de contacts fréquents avec connaître le monde et soi-même, le bénéfice de
des intellectuels étrangers. Mais ce décalage privilèges dont ne jouissait auparavant q u ’une
entre l’avance scientifique et les tendances socio- minorité, l’espoir que de douloureuses énigmes
économiques est malheureusement un phénom ène de « l ’humaine condition» pourront être élu
général. Au moment où le matérialisme disparaît cidées, cette époque si riche de dons et de p ro
com me le chat d ’Alice, il continue de dominer messes est celle où se répand la philosophie de
la politique des grandes puissances et de peser l’absurde. Où prolifèrent, selon le te rm e de
sur notre destin. Il y a là une schizophrénie sociale, Freud, « les mécontents de la civilisation» et les
com me disent plusieurs sociologues '. malades mentaux. Une affiche dans le m étro de
Cette formule n ’est bien sûr q u ’une analogie New York disait en 1962: Une personne sur dix
entre les niveaux individuel et social d ’organi dans cet État est un malade mental grave (a
sation; mais elle peut être poussée assez loin. serious mental case). Certes, les progrès de la
médecine et de l’assistance sociale sont en partie
U N E S C H IZ O P H R É N IE SOCIALE responsables de cette statistique. Mais les co n tra
dictions et les tensions de notre culture jo ue nt
Depuis 1945, un nombre croissant de grands visiblement le rôle majeur.
esprits, d ’Einstein à W iener ou aux Huxley, Est-ce le prix dont il faut payer les avantages
signalent une dissociation dangereuse de nos «matériels» de la civilisation technique? Bien
connaissances, de nos conduites, de nos insti des philosophes et des «hom m es de la rue» le
tutions. Beaucoup d ’hommes, aux divers échelons croient et condam nent cette forme de civilisation,
de la responsabilité scientifique, éducative, sans renoncer d ’ailleurs à ses agréments. Les
économique ou militaire, sont conscients que grands esprits auxquels nous nous référons
affirment cependant que ce prix n ’est pas celui
3. Schizophrénie : litté ra le m e n t, du g rec , « c e rv e a u divisé ». T y p e de
d é so rd re m en ta l c a ra c té risé p a r la d isso ciatio n des p ro cessu s in tel
du progrès, mais de l’ac caparem ent du progrès
lectuel et affectif, ce d e rn ie r é ta n t aussi c o n sid é rab le m e n t alté ré , par diverses oligarchies.
avec d e s va rié té s n o m b re u se s, p arm i lesq u elles la p e rte d e la c o n scie n c e
du m onde e x té rie u r. (D 'a p rè s le Dictionary <>f Psychology, d e Ja m e s
Ils soulignent, entre mille exemples, que les deux
D rev er, éd. 1962). nations possédant un arsenal com plet de des
148 Le m atérialism e
de la méthodologie scientifique, notons seu pour maintenir sa spécificité. » D ès le niveau infra-
lement que le succès expérimental et le succès cellulaire, elle modifie l’espace-temps. La forme
pragmatique sont, sous le même mot, des pro extrême du matérialisme, le stalinisme, ne cache
cessus tout différents. L’expérience de Michelson- pas son mépris de la vie et de l’homme. Les
Morley fut un échec pragmatique, et la plus humains, au nom justement du principe impi
féconde opération scientifique du xixi siècle. toyablement appliqué que la fin justifie les
Quant à la com pétition évolutionniste, elle se moyens, ne sont considérés que pour leur valeur
complexifie à mesure qu’apparaissent de nouveaux fonctionnelle. Il était inévitable que Staline
degrés d’organisation. En gros, elle se limite et entrât en lutte contre les sciences humaines,
se structure dès qu’une espèce animale existe qui contredisaient sa vision dictatoriale de la
dans une forme de vie sociale. Le grand zoo réalité. «A partir de 1933», écrit le prix Nobel
logiste Konrad Lorenz a montré que les bêtes H.J. Muller, qui fut chercheur à l’înstitut de
puissamment armées sont retenues par une inhi Génétique de M oscou entre 1933 et 1937, «les
bition au moment d’exterminer l’adversaire plus généticiens Chetverikoff, Ferry et Ephroimson
faible. Les espèces qui n’ont pas eu ce frein à furent envoyés en Sibérie, et Levitsky dans un
l’agressivité ont simplement disparu 4. Dans l’état camp de travail... Ceux qui ne furent pas empri
actuel des connaissances, il reste très possible sonnés ou exécutés durent entrer dans d’autres
que l’humanité prenne le tournant qui conduit lignes de recherche... pourtant, la grande majo
à l’anéantissem ent5. rité des généticiens ainsi «purgés» étaient poli
En psychologie, le matérialisme américain a tiquement loyaux et ardents soutiens du système
produit la cocasse théorie du behaviourisme, soviétique, com m e je le sais par contact per
qui réduit son étude à l’observation du com por sonnel.» En 1936, le fameux Institut médico-
tement; et l’homme, au rat. D ’une façon générale, génétique fut fermé; Levit et Vavilov, généticiens
le matérialisme en psychologie aboutit, même si de réputation internationale, « qui avaient fait
l’intention n’était pas telle au départ, à la négation plus pour le développem ent de l’agriculture
des caractères spécifiques de l’homme. L’école soviétique que personne dans aucun pays»,
italienne de Lombroso s’est donné beaucoup de confessèrent leurs erreurs et disparurent. La
mal pour assimiler génie et folie, confondant la génétique est la plus fondamentale des sciences
réorganisation qu’opère la pensée créatrice avec de la vie, la seule où les mathématiques soient
la désorganisation de la maladie «m entale». Le rigoureusement utilisées. Des autres sciences
freudisme a pris comme critère Yadaptation de biologiques et humaines sous le régime stalinien,
l’homme à son environnement, alors que le ce n’est pas la peine de parler. Le puissant génie
propre de l’humanité est de maîtriser et de trans russe a été si mutilé dans ces disciplines que le
former cet environnement, sans quoi nous serions retard n’a pas été com pensé. Et l’on songe à cette
encore en train de ronger des os dans des confidence de Staline à de Gaulle: « C’est toujours
cavernes humides. la mort qui gagne. »
Finalement, la philosophie matérialiste conduit Mais l’aventure humaine est une lutte acharnée
à la dépréciation et à la négation des fonctions contre la mort et le temps Cela n’est pas un pos
fondamentales de la vie. « La vie ne s'adapte pas», tulat philosophique ou un acte de foi: c ’est une
écrit le grand biologiste Henri Laborit, « elle lutte observation. Les humains se battent contre la
4. « P o u r l’h om m e », dit L orenz IPlanèie 3). « les arm es se sont d é v e faim, les maladies, les fléaux, les m enaces de tous
loppées plus vite q u e les instincts qui d e v ra ie n t leu r c o rre sp o n d re ...
N ous ne pou v o n s pas faire confiance à nos in stin cts. » ordres. Ils tentent de maîtriser le temps par le
langage, l’éducation transmise, la science.
5. En fait, l’hom m e et son évo lu tio n so n t e n c o re tro p m al co n n u s
p o u r que l’on puisse p ro p o se r a u tre c h o se q u e des h y p o th èses. C ’est Pour la physique contemporaine, en effet, le
le p o int cru c ia l du d é b a t e n tre les sc ien tifiq u es et les p o litiq u es. C es temps est défini par les principes de Carnot-
d e rn ie rs agissent selon le p rin c ip e du risque calculé. Les scientifiques
ré p o n d e n t: V ous ne c o nnaissez pas les fo rces q u e vous m an ip u lez Clausius et de Bayes. L’univers non vivant
et tes risques sont en réa lité incalculables. s’oriente selon une «flèche» de la dégradation
150 Le m atérialisme
Aux États-Unis s’annonce égalem ent une remise
en question de YAmerican way o f Hfe, un nouvel POUR APPROFONDIR
Aufklürung, un «éveil des lumières» prenant la LA QUESTION
suite du Miracle grec, de la Renaissance, des
Encyclopédistes du xviir siècle français, qui
Environ cent cinquante ouvrages ont
attaque avec force la schizophrénie sociale.
été utilisés pour ces trois cahiers de
Les trois époques que nous venons de citer ne l'École Permanente. Nous ne pouvons
sont-elles pas des étapes dans la genèse du maté donc les citer tous.
rialisme? Oui. Si le matérialisme est aujour L'ouvrage de base est YHistoire du
d’hui scientifiquement dépassé et sociologi Matérialisme, de F.A. Lange, publié
quement à dépasser, il n’en fut pas moins un en traduction française par Reinwald,
facteur positif dans la transformation de la condi en 1 8 7 5 -1 8 7 7 . Malheureusement,
tion humaine, en luttant contre les inherited ces deux gros volum es sont à peu
près introuvables.
conglomérâtes, ces amas irrationnels de routines Le cours de E.R. Dodds, The Greeks
et de superstitions analogues, au niveau des and the Irrational (U niversity of Cali
groupes, aux « com plexes » du niveau individuel. fornia Press, 1963), est égalem ent un
Aujourd’hui, les théories matérialistes, souvent texte de base. Ainsi que les Cahiers
dégradées et vidées de leur générosité originelle, d Histoire mondiale, patronés par
sont devenues des inherited conglomérâtes. C ’est l'UNESCO et distribués en France par
cela que nous devons rejeter, et non la mémoire la Libraire des Méridiens. Seize a u to
de ces nobles esprits que furent D ém ocrite, rités internationales ont contribué aux
études citées dans notre texte.
Aristote, Descartes, Newton, Voltaire, La Mettrie,
La chronique du débat m atérialiste en
Marx, Freud, Darwin et tant d’autres. Mais, Angleterre est scrupuleusem ent ré
com m e disait Jésus, il ne faut pas mettre du vin sumée par le professeur C.E.M. Joad,
nouveau dans de vieilles outres. Il ne faut pas dans Guide To Modem Thought (1943)
enfermer les faits et les idées de 1965 dans les et Phi/osophical Aspects of Modem
systèmes d’autrefois, même s’ils furent, à l’époque, Science (1932).
admirables et hardis. Une interprétation chrétienne de l'évo
lution intellectuelle est présentée par
G A B R I E L V E R A L D I.
Jacques Chevalier dans les trois
premiers volum es de YHistoire de la
Pensée, chez Flammarion. Le dernier
volum e n'ayant pas été publié du fait,
nous a-t-on dit, de la m ort de l'auteur.
Citons pêle-m êle YHistoire de la
Science de l'Encyclopédie de la
Pléiade, à la NRF. Une captivante
exposition du matérialism e historique,
en cours de publication à Copenhague
par J. W itt-H an sen. The Mainsprings
of Civilisation, d'H untlngton. In the
Nam e of Science, de M artin Gardner,
les ouvrages de Brillouin, Bridgman.
Russell. Costa de Beauregard, etc.
Et, sur les rapports de la logique avec
les sciences humaines, ma com m u
nication. les Fondations d'une Anthro
pologie générale {Revue internationale
d'Agressologie, 1963-IV).
Toutes les œuvres présentées dans cette étude ont été photographiées
par nos soins au Musée de l’or de Bogota, grâce à
l’aimable collaboration du Ministère de ïEducation nationale de Colombie.
La deuxième conquête de ('Eldorado
Fernando Arbelaez, directeur de lïn s titu t de Recherches scientifiques de Colombie.
En 1936, la Banque de la République de Colombie, nouveau par Watson en 1750; ils obtenaient des
sur l’initiative de ses gérants, MM. Julio Caro et températures de près de 2 000 degrés; ils conver
Luis Angel Arango, entreprit la fondation d’un tissaient le métal en des plaques planes, courbes ou
musée d’orfèvrerie précolom bienne, par l’acqui concaves; ils les découpaient en bandelettes, les
sition de quelques collections particulières. Ainsi réduisaient en de fines aiguilles, les déployaient
com m encèrent à être rassemblés les joyaux d’un en forme de plumes ou leur donnaient des mou
inestimable trésor, qu’au long de l’histoire vements aériens, des profils d’animaux chimériques
moderne la convoitise, la cupidité, le vandalisme ayant des visages et des poitrines fantastiques. Y
et la barbarie avaient dispersé. eut-il dans l’histoire de l’humanité une com pré
Au cours de ces dernières années, la Banque de hension plus noble de la fonction de ce métal et
Colombie investit des sommes considérables dans de ses innombrables possibilités?
de nouvelles découvertes signalées par des ama Les œuvres que conserve le M usée et que nous
teurs d’art que son entreprise généreuse passion reproduisons en partie ne portent aucune trace
nait. Ainsi naquit et grandit le fameux M usée de de marteau, ni de ciseau, ni de lime. Les indi
l’Or de Bogota. Il com pte actuellem ent quelque gènes n’avaient ni filières, ni laminoirs, ni ins
sept mille pièces d’or de différents alliages. Il truments de bronze qui pussent couper ou
constitue la plus grande collection d’orfèvrerie modeler. Les archéologues ont vainement pré
ancienne existant dans le monde entier et l’une tendu expliquer, grâce au procédé de la cire
des pages les plus glorieuses de l’histoire de perdue, l’existence des pellicules infinitésimales
l’humanité. d’or sur la «tum bago» (mélange de cuivre et
Le troisième millénaire trouvera l’Eldorado, qui d’or). Quelques-uns des objets gardent encore les
enflamma les esprits au cours des siècles et lança empreintes digitales des artistes, ce qui prouve
sur les mers tant d’aventuriers, dans ce M usée que pendant qu’on y travaillait les lames avaient
que la Banque colombienne enrichit patiemment une consistance semi-fluide. C om m ent y
des restes d’un art que la Conquête a détruit. Les parvenaient-ils?
indigènes colombiens faisaient fondre, soudaient
et battaient l’or. Ils affinaient les métaux en les Antonio Julian, historien de la province de Santa
faisant fondre plusieurs fois; ils obtenaient des M arta(1787), relate que les« sages» de son temps
feuilles d’or tellem ent minces qu’on pouvait les assuraient que les Indiens Tayronas connaissaient
enrouler facilem ent sans crainte de les rompre; une herbe de la sierra Nevada qui avait la pro
ils utilisaient différentes couleurs pour nuancer les priété d’amollir l’or. Oviedo nous dit que les indi
objets; ils connaissaient les différents alliages qui gènes lui montrèrent une herbe grâce à laquelle
pouvaient rendre le métal plus dur ou plus mal ils pratiquaient le dorage. « C’est un secret tel
léable; ils construisaient des pièces entières sans lement précieux que quelque orfèvre d’Europe
soudure aucune; ils décoloraient l’or et tra ou d’autre part qui le posséderait et l’emploierait
vaillaient le platine, métal qui fut reconnu comme serait considéré comme un homme très riche ou
163
Informations
■synthétise et par l’au torité de ses vous présente ici la substance de ce sources, si a bondantes soient-elles,
auteurs. Il ne s’agit pas en effet de docum ent passé trop inaperçu dans ne suffisent jam ais à répondre à
l’œ uvre d ’un spécialiste isolé, mais la presse. toutes les dem andes. Il faut donc
du rap p o rt de synthèse de la p re choisir en tre les possibilités m ul
m ière conférence m inistérielle sur la U N E PO L IT IQ U E tiples et co n cu rre n te s q u ’offre la
science, organisée p a r l’O .C .D .E ., EST N É C E SSA IR E science m oderne...
conférence qui s’est tenue en » D e là le rôle croissant que joue
octobre 1963. Préparés par les experts « Puisque la puissance, le dévelop l’É tat dans les affaires scientifiques
les plus qualifiés, des do cum ents ont p em ent et le prestige des pays se et le besoin p our tous les secteurs
été étudiés et approuvés p a r les res m esurent aujourd’hui en p artie aux de la société de m ieux a p p réc ie r et
ponsables de la science au niveau succès q u ’ils rem p o rten t dans les c onnaître leurs tâches m utuelles,
gouvernem ental dans les pays sciences et les techniques, un rang leurs situations respectives et leurs
d’E urope o ccidentale et aux É tats- ém inent dans ce dom aine devient de responsabilités à l’égard de la
Unis. plus en plus un objectif national science...
Plus que d ’un m anuel, on serait donc essentiel. Aussi, une p art de plus en » La science est devenue une affaire
tenté de parler d ’une véritable charte plus im portante des ressources natio d’intérêt public c onduisant les pays
du dév eloppem ent scientifique. Avec nales est-elle consacrée à la recherche à m ettre au point les m écanism es et
l’autorisation de l’O .C .D .E ., Planète et au développem ent. M ais les res- les procédures d ’élaboration d ’une
politique scientifique nationale... »
C ette politique scientifique si néces
>0>0>0>0>0>0>0>0>0>0>0>0>0>0>0>0>0>0>0>0>0>0>0>0>0>0>0>0>0>0>0>0>0>0>0>0>0>0>0>0>0>0>0
saire, qui la définira, qui la m e ttra en
œ uvre? L ’O .C .D .E . rem arque que
de nom breux secteurs sont concernés
par cette question: science, é co
nom ie, sociologie, adm inistration,
éducation, etc. C onclusion: « Il im
porte de plus en plus de form er un
type nouveau de fonctionnaires
capables de com prendre dès l’abord
les réalités scientifiques et politiques
d ’un m ode de gouvernem ent m o
derne. »
Ces spécialistes vont devoir cons
truire eux-m êm es les bases de leur
discipline, car la politique scienti
fique n’existe encore q u ’au stade
em bryonnaire. Alors que l’on connaît
bien l’influence des facteurs finan
ciers, com m erciaux, industriels, etc.,
sur l’évolution d ’une société, on
connaît très mal celle des facteurs
scientifiques et techniques.
On ne connaît pas m ieux les règles
qui peuvent p e rm e ttre d ’inciter et de
diriger le progrès scientifique. Le
prem ier point est donc de définir
l’influence réciproque qui s’exerce
entre le développem ent scientifique
et l’évolution de la société. C ’est
seulem ent de la connaissance de ces
interactions que p o u rro n t se dégager
les règles d ’une véritable politique
scientifique.
M alheureusem ent, les faits de base
m anquent p o u r l’élaboration d ’une
telle science: « L a plupart des pays
André François. disposent de renseignem ents plus
) 0 >0 >0 ) 0>0>0) 0>0 ) 0>0) 0) 0>0>0>0>0>0>0 >3>0 >0) 0 >0>0>0>0>0>0>0 >0>0 >0>0>0>0>0) 0>0>0) 0) 0>0>0 exacts sur l’élevage de la volaille et
164
Informations
sur la p ro d u ctio n des œ ufs que sur à la re ch e rch e une p art suffisante: ces inventions. A l’opposé, il peut
l’effectif de leurs ch erch eu rs ou sur « Il y a lieu de croire que, dans une être intéressant pour un pays, surtout
les découvertes et les inventions économ ie de m arché, l’affectation s’il est peu avancé dans la recherche,
réalisées. » des ressources au progrès et à la d ’ach e te r ces droits.
T outefois, l’influence de la science diffusion du savoir tend à être infé De plus, la science est devenue trop
sur le développem ent économ ique rieure à l’optim um nécessaire pour vaste pour être em brassée tout entière
ne p a raît pas d o uteuse: « La plupart que la croissance à long term e du p ar un pays de dim ension m odeste.
des tentatives faites p our m esurer systèm e économ ique soit aussi effi « La Suisse et l’A utriche, note le
l’influence des changem ents inter cace que possible... » rap p o rt, se d em andent si une spécia
venus dans les principaux facteurs Le fait est que l’im portance des lisation nationale dans les sciences
de prod u ctio n sur la croissance é co crédits affectés à la re ch erch e ne n’est pas, après tout, la solution à
nom ique ont m ontré que, dans les cesse d ’augm enter. « L ’un des traits d o n n er au problèm e d ’un pays qui
pays évolués, l’augm entation du les plus caractéristiq u es que l’on n’a pas les m oyens financiers ni les
capital par rapport à la m ain-d’œ uvre puisse dégager de ces statistiques est ressources en hom m es suffisants
n’explique q u ’une faible p a rt de l’ac l’augm entation très rapide des d é p our exceller dans toutes les disci
croissem ent à long term e de la p ro penses de rech erch es et de dévelop plines. »
ductivité, alors que, au con traire, pem ent au cours des années 50: Le problèm e de cette « balance des
ju sq u ’à 90 % du produit réel par p e r c ette au gm entation a été très supé licences», si in quiétant po u r la
sonne employée peuvent être im putés rieure à celle du produit national France (voir Planète, n° 20, page 129),
aux variables trad itio n n ellem en t b rut au cours de la m êm e période. » se pose à tous les pays. « Bien q u ’in
considérées com m e exogènes et Et le rap p o rt constate que le p o u r com plètes, les statistiques disponibles
g énéralem ent groupées sous la ru centage du produit national brut m ontrent que la balance des « p a ie
brique « progrès tech n iq u e »... consacré à la re ch erch e et au déve m ents technologiques» des Etats-
loppem ent a ten d an ce à s’accro ître à Unis est n e ttem en t excédentaire et
P R O G R È S S C IE N T IF IQ U E ET m esure que le niveau de vie s’élève. que cet excédent s’accroît rapi
P R O G R È S É C O N O M IQ U E « C ’est ainsi que les pays industria dem ent, m ettan t ainsi en évidence la
lisés avancés affectent, dans tous les p rép o n d éran ce technique de ce pays.
On doit n o ter au passage l’allusion cas, plus de 1 % de leur produit En revanche, p our la F ran ce, le
discrète à la m éconnaissance très national b rut à la rech erch e et au C anada et le Japon, cette balance
générale du progrès technique comm e développem ent, tandis que les pays est nettem en t déficitaire.
m oteur du progrès économ ique. en voie de développem ent y co n » Un pays qui s’en re m e ttra it exclu
N ’est-elle pas frap p an te, cette allu sacren t m oins de 0,2 5 % .» On se sivem ent aux im portations de co n
sion, au m om ent m êm e où les trouve donc en p résence d ’un phén o naissances techniques risquerait
spécialistes reconnaissent que le p ro m ène auto-excité. La rech erch e est toujours d ’être en retard d ’une
grès technique est responsable à 90 % un fa cteu r de développem ent é co n o bonne dizaine d ’années sur ses
de l’accroissem ent de la productivité? m ique, et le développem ent é co n o concurrents, et cela dans tous les
Peut-on p réciser davantage la rela m ique est un facteu r d ’expansion de dom aines; or, si chaque pays doit
tion entre progrès scientifique et la recherche. s’attendre à être quelquefois en retard
progrès industriel? « ... C ertains dans certaines branches, aucun ne
signes p e rm e tte n t de penser q u ’il F A U T -IL SPÉCIA LISER peut se p e rm e ttre de l’être co n stam
existe une c orrélation statistique LES N A T IO N S? m ent dans toutes.
dans une industrie donnée entre l’in » D eux exem ples, con cern an t l’un
tensité de la re ch e rch e et le taux Les points les plus dynam iques de l’ensem ble d ’un pays, l’autre une
d ’accroissem ent de la productivité et l’économ ie sont donc ceux qui entreprise, peuvent servir à illustrer
le taux d ’expansion, m ais rien ne a cc o rd en t la plus grande im portance cette rem arque. Le pays qui a p ro b a
p e rm e t d ’affirm er q u ’il existe des à la recherche. Il sem ble que ce soit blem ent le m ieux réussi à tire r parti
rap p o rts de causalité en tre ces p h é là une loi très générale de l’économ ie de la technologie étran g ère im portée
nom ènes. Les industries qui font une libérale. « Si les industries en expan est le Japon, et c ’est égalem ent dans
large place à la re ch erch e se déve sion dépensent b eaucoup plus que ce pays que la re ch erch e industrielle
loppent plus vite, mais celles qui les autres p our la re ch e rch e et le financée par les entreprises prend le
croissent rapidem ent ont un plus développem ent, c ’est p e u t-ê tre sur plus rapidem ent de l’extension. En
grand besoin de recherches et de to u t p arce q u ’elles en tiren t un plus outre, le Japon renforce sans cesse
développem ent et lui offrent des grand profit. » sa position sur les m archés in te rn a
conditions plus favorables...» M ais la science ne ra p p o rte pas tionaux, et cela plus encore grâce à
Ici encore, des études restent donc seulem ent par les progrès q u ’elle la c onception m oderne de ses p ro
à faire. M ais, d ’ores et déjà, il p erm et dans les pays qui sont à l’o ri duits et à ses innovations techniques,
sem ble que l’économ ie entièrem ent gine des inventions. Elle rap p o rte q u ’à l’avantage que peuvent lui
libérale n’est pas capable d ’assurer encore p a r la vente des licences sur do n n er sa m ain-d’œ uvre bon m arché W
165
Informations
w et ses bas prix de revient. Le d e u dère com m e une ressource clé.
xièm e exem ple est celui de la plus « A ucun aspect de la politique scien
grande e ntreprise chim ique am éri tifique n’a a u ta n t d ’im portance que
caine: Du P ont de N em ours. Une l’édu catio n ...» Il est suggéré dans le
étude consacrée à c ette entreprise ra p p o rt de base q u ’il peut être
à m ontré que, sur 25 p roduits et parfois ren tab le de restreindre l’ac
p rocédés nouveaux im p o rtan ts qui cum ulation du capital réel p our
e n tra ie n t à peu près p o u r m oitié pouvoir dép en ser davantage en tra
dans son chiffre d ’affaires total en vaux de recherche et de dévelop
1948, 10 seulem ent étaien t dus aux pem ent... Il existe un véritable
travaux des chercheurs et ingénieurs problèm e d ’équilibre entre investis
de la société. P o u rtan t, il est fort sem ent en capital fixe et investis
peu p robable que cette entreprise sem ent intellectuel.
aurait pu ad o p te r les 15 autres p ro
duits et procédés si elle n ’avait pas AVANT T O UT, F O R M E R
été elle-m êm e à la p ointe des travaux DES JE U N ES C H E R C H E U R S
de re ch erch e et de développem ent. »
« On ne saurait obtenir une expansion
L ’ÉTA T, PA TR O N hasard sous l’influence tan tô t des continue de l’effort scientifique et
D E LA SC IE N C E intérêts p a rticuliers de certains se r technique à des fins économ iques, si
vices gouvernem entaux, tan tô t des l’enseignem ent technique et supé
« En m atière de politique scientifique, idées préconisées par des milieux rieur et la re ch e rch e fondam entale
la responsabilité des décisions doit scientifiques influents. » n’exercent pas un a ttrait suffisam
inévitablem ent ap p arten ir à l’É tat... Ainsi, bon gré mal gré, l’É tat se voit m ent puissant sur les ressources du
Aux É tats-U nis, le gouvernem ent donc c o n tra in t de prendre en charge se c te u r public et, dans certains pays,
finance près de 60 % de la recherche l’essentiel de la rech erch e fonda du secteu r privé. Il faut considérer
fondam entale, mais, dans la plupart m entale puisque, com m e le note le les années 60 com m e une décennie
des pays d’E urope, cette co n tri rap p o rt, « si la rech erch e et le où il faudra non seulem ent faire face
bution est b eaucoup plus élevée et d év eloppem ent n’étaient soum is aux nécessités les plus im m édiates,
dépasse souvent 9 0 % . En général, q u ’aux lois de l’économ ie de m arché, mais, en ou tre, je te r les bases de la
les gouvernem ents n’ont pas adm is ils ten d ra ie n t finalem ent à se can puissance scientifique et technique
sans réticences leurs responsabilités to n n er dans le développem ent et le qui alim entera l’expansion é co n o
en ce dom aine, et leur politique p erfectio n n em en t ». m ique dans un avenir plus éloigné.
M ais le gouvernem ent a encore un » Ce n’est pas là seulem ent un p ro
s’est développée quelque peu au
rôle énorm e à jo u e r p our développer blèm e de quantité, mais, surtout, de
la recherche privée. C om m ent devra- qualité. Les institutions d ’ensei
t-il s’y p rendre? « L ’É tat ne doit gnem ent supérieur, scientifique et
jam ais assum er tous les risques des technique doivent être dotées du
travaux de d éveloppem ent; l’e n tre prestige et des m oyens qui leur
prise doit en p re n d re sa part. » p e rm e ttro n t d ’a ttirer vers elles une
L ’É tat va encore favoriser et diriger proportion raisonnable des m eilleures
ind irectem en t la recherche privée en intelligences. »
sa q ualité de « plus gros client des Que conclure de cette étude? N ous
gros secteurs industriels». Il est éga prendrons po u r conclusion ce ju g e
lem ent très im portant d ’encourager m ent du ra p p o rt: «Si les pays
la rech e rch e coopérative. Enfin, « il m em bres de l’O .C .D .E . veulent
conviendrait, en p articulier, tout en attein d re l’ob jectif de 50 % d ’accrois
ten a n t com pte des exigences de la sem ent assigné collectivem ent à leur
sécurité nationale, de veiller à ce que produit national brut réel pour la
les résultats des rech erch es m ilitaires décennie 1961-1970, il leur faudra
et spatiales soient librem ent et effec faire appel à to u tes les ressources
tivem ent diffusés, afin que l’industrie que la science et la technique sont
et les autres institutions civiles à m êm e de leur fournir... A l’objectif
puissent, le cas échéant, en tirer com m un de croissance économ ique
parti. doivent répondre des politiques
Le ra p p o rt de l’O .C .D .E . analyse les coordonnées dans le dom aine scien
problèm es posés p a r le personnel tifique et technique. »
scientifique et technique q u ’il consi François Derrey.
166
Informations
P SY C H O L O G IE
A ufond des rêves, cela
Raym ond de Becker, après les Machinations de la nuit, (collection dépasse pas le cadre des civilisations
Présence Planète), vient de publier un nouvel ouvrage, Rêve et sexua m éditerranéennes. Bref, il s’agit
lité (la Table Ronde). Il s’agit d ’un com plém ent ou, plus exactement, d’une pensée im portante à connaître
d ’un approfondissement d ’un aspect du problème des rêves, tel q u ’il pour l’histoire de la psychanalyse,
l’avait précédem m ent traité. _______________________________ plus orgueilleuse que celle de Freud
en ce qu’elle en épouse les plus vastes
A des titres divers, cet aspect a été Présence PLANETE
am bitions sans en posséder les pru
égalem ent abordé ces derniers tem ps dences, les réserves ou les bases
par d’autres auteurs: J. Chasseguet-
Smirgel et ses collaborateurs dans
Les machinations thérapeutiques. M ais il s’agit aussi
d’une pensée dém entie par les
leur Recherches psychanalytiques nou recherches ultérieures de Jung, Ba
Raym ond de Becker | q f l l l j t
velles sur la sexualité féminine (Payot), chelard ou Éliade sur la n ature des
les participants au d ern ier colloque m ythes et de l’expérience onirique.
international sur les Aspects anato- Avec m oins de brillant et un am our
fonctionnels de la psychologie du plus vif des détails, A braham fait
sommeil (C .N .R .S., 1965), p ar des penser à Ferenczi et à ses ex trap o
éditeurs soucieux de rem ettre à notre
lations prém atu rées et insoutenables
portée des textes déjà anciens mais au jo u rd ’hui.
peu connus, tel que Rêve et Mythe,
du D r Karl A braham (lise B orande,
1965) ou le Symbolisme érotique de UN SON N E U F
Havelock Ellis (le Livre précieux,
1965). Rien de pareil dans les travaux pu
La plupart de ces travaux sont diffi bliés sous la direction de J. Chas-
cilem ent accessibles au profane. seguet-Smirgel et qui s’élèvent contre
C ertains se situent à l’avant-garde l’interprétation p u rem ent m asculine
d’une recherche en tous points spécia de la sexualité de la fem m e par
lisée et dont les extrapolations au L’ouvrage d’A braham possède à ce Freud. Ces travaux consciencieux ne
rêve de l’hom m e sont p rém aturées. point de vue un in térêt très vif pour m ettent jam ais en cause les fonde
Ainsi, les études passionnantes de la connaissance des débuts de la m ents de la scolastique freudienne.
Jacques Faure, professeur à B or psychanalyse. On y voit de façon Épars dans ces études, se trouvent
deaux, sur le som m eil « paradoxal » caricatu rale à quel point les inten des rêves, d ont le tém oignage fait
du lapin. N e voilà-t-il pas que ce tions philosophiques de Freud, tem bien craquer, ça et là, l’in terp ré
som m eil sem ble associé à des élé pérées et nuancées p ar l’expérience tation de la psychologie fém inine par
m ents ano-génito-sexuels? L ’ouver thérap eu tiq u e, ont pu faire fi de l’envie du pénis, mais d ont l’analyse
ture entreprise par ces études est celles-ci pour ten ter une saisie de unilatérale ne parvient guère à cacher
certaine, au moins sur le plan physio l’histoire, to u te réduite à ses condi l’im passe où conduit la psychologie
logique où elles se situent. M ais leur tionnem ents sexuels et qui fait sourire freudienne.
interp rétatio n dem eure très ambiguë au jo u rd ’hui. Q u an t aux rêves p ro Le sym bolisme érotique évoqué par
po u r l’hom m e. D es travaux tels que prem en t dits, A braham en est encore H avelock Ellis ne possède ni l’am
ceux d’A braham ou de C hasseguet- à se d em an d er s’il faut en autoriser bition d’A braham ou de Ferenczi, ni
Smirgel ne d é b o rd en t point, par la transcription p ar le patient et à l’u n itéralité des collaborateurs de
ailleurs, le cadre de la scolastique l’in terp réter com m e un cadeau nar C hasseguet-Sm irgel: il est descriptif
freudienne ou, tout au m oins, ne cissique au m édecin. D ans le rapport sans être d ’ailleurs particulièrem ent
dépassent pas l’intention th érap eu q u ’A braham établit entre le rêve onirique. Plutôt que de dire ce que le
tique, lors m êm e qu’il cherchent et le m ythe, le m atériel co m p aratif sym bole de rêve peut dévoiler de la
à l’élargir. est égalem ent fort pauvre et ne sexualité, il dit ce que le sym bolisme
167
Psychologie
W érotique (fétichisme, vêtem ents, etc.) jouissance sexuelle indépendante de symboles. En détruisant les symboles,
dévoile de l’hom m e. M ais c ette part ces conditionalités physiologiques l’analyse freudienne ne va-t-elle pas
de l’œ uvre d ’H avelock Ellis ne habituelles? à l’encontre du m ouvem ent de la civi
p ourra être pleinem ent com prise L’existence de c ette sexualité de lisation? Oui, répond-il, si les sym
q u ’à l’instant où seront réédités les rêve, distincte de la génitalité, se boles ne finissaient pas eux-m êm es
Rêves érotiques que «le M e rcu re de m anifestant déjà chez l’enfant et par se stéréotyper et bloquer l’énergie
France » fit connaître en 1934. contin u an t de se m anifester chez en des voies im praticables.
Précisém ent, R aym ond de B ecker l’im puissant, le vieillard ou le castrat, C e tte sorte d ’aller et reto u r de
reprend une à une les analyses. Il am ène de B ecker à la d écrire en son l’énergie, au travers des sym boles
rech erch e égalem ent les aspects essence com m e indépendante du qui en constituent les transform ations,
sexuels des antiques « Clés des tem ps et de l’espace. Voilà que c e r m ontre que l’hypothèse la plus utile
Songes », des rêves de sabbat — dont tains phénom ènes érotiques com m e à la com préhension de l’hom m e est
le scénario est d é co rtiq u é p o u r la ceux des saints ou des yogis, vus son unité énergétique. La génitalité
prem ière fois telle une suite de d’abord sous l’angle du refoulem ent, n’est q u ’un aspect de la sexualité,
rêves —, des docu m en ts de la R enais se révèlent au tre chose que ce qu’il la sexualité de l’énergie. T o u t est
sance tel que le fam eux Songe de paraissaient: une m anifestation plus signe de tout. Voilà pourquoi, ayant
Poliphile. M ais son propos est ou m oins réussie, plus ou m oins constaté les névroses nées de refou
m oins d ’utiliser le rêve au profit bloquée d ’un Eros transcendental. lem ents sexuels et les névroses nées
d’une théorie préalable que de voir de Mais de B ecker m ontre bien que, du de refoulem ents métaphysiques, ayant
quelle façon il peut éclairer la sexua point de vue de la m oralité sociale, souligné les interférences des uns et
lité et c ontribuer à l’élaboration cet Eros est aussi anorm al que celui des autres, de B ecker propose de
d’une théorie. Pour cette raison, il du sabbat m édiéval: incestueux, reco n n aître que l’hom m e ne possède
exam ine les rêves d’enfants, les rêves infantile, archaïque, ainsi q u ’on qu’un seul désir et une seule énergie:
hom osexuels, les rêves fém inins et voudra, mais son exacte contrepartie. le désir de s’accom plir pleinem ent,
de fécondité et va ju sq u ’à m ettre en D ’après de B ecker, le rêve ne té dont sexualité et m étaphysique sont
valeur le contenu sexuel de certains m oigne en aucune façon de « lois les aspects com plém entaires. Il faut
rêves télépathiques. naturelles» auxquelles une certaine donc sexualiser la religion ou sacra
c onception de la sexualité pourrait liser le sexe, ce qui revient au m êm e,
H O M M A G E À FREU D se rattach er. Il atteste, au contraire, m ontrer que toute expérience sexuelle,
d’une polysexualité initiale que seuls fût-elle im parfaite ou ab erran te,
A vant de tire r quelques conclusions la civilisation ou le choix individuel constitue une voie d’accès à cet
de ces investigations, de B ecker peuvent ad m ettre ou refuser. M ais Eros suprêm e que D ieu constitue.
entend rendre ju stice à F reud. Bien de B ecker va plus loin: m ontrant En ce sens, la m ajorité érotique,
des m alentendus survenus au to u r de par des exem ples appropriés com autant que « les m inorités érotiques »
ses théories sexuelles, dit-il, tiennent m ent se constituent les sym boles, dont on a beaucoup parlé récem m ent
à une interprétation e rro n ée de son com m ent l’énergie sexuelle peut se (voir le livre du d o c te u r U lstam m e
œ uvre. Freud n’a jam ais défendu un transform er en énergie culturelle, ou aru sous ce titre chez Jean-Jacques
pansexualism e quelconque et il a inversem ent, il pose la question de auvert) peuvent toutes tro u v er dans
défini son pro p re sexualism e com m e la valeur civilisatrice de l’analyse des le rêve un enseignem ent perdu.
une force de l’Éros platonicien et de
l’A m our paulinien. La sexualité ainsi
conçue ne peut être confondue avec
la génitalité, quels que soient ses
rapports avec elle. De B ecker adopte
le term e de sexualité au sens où
F reu d l’entend : le plus bouleversant
est alors de d écouvrir dans les rêves
enfantins des sym boles sexuels qui
ne peuvent s’expliquer ni par l’expé
rience de l’enfant ni p a r le souvenir
q u’il pourrait conserver de gestes
parentaux. Il existe donc une an té
riorité (sym bolique) de la connais
sance sexuelle sur l’expérience géni
tale. La sexualité infantile se trouve
ainsi un fruit de l’inconscient collectif.
M ais il y a plus. C om m ent expliquer
q u’il puisse exister dans le rêve une
168
A lire
Le prestige de la Commune
« L a C om m une: un accès d ’envie furieuse et d ’épilepsie sociale» cesse d ’exister en province. Le 2
écrivit Maxime du Camp dans « Les Convulsions de Paris ». avril, les V ersaillais a tta q u en t, m ais
« Le Paris ouvrier, avec sa Com m une, sera célébré à jamais com me sont repoussés; la C om m une d écrété
la séparation de l’Eglise et de l’E tat.
le glorieux fourrier d ’une société nouvelle. Le souvenir de ses Le lendem ain, sortie com m unarde
martyrs est conservé pieusem ent dans le grand cœ u r de la classe qui échoue; Flourens est tué. P en
ouvrière », écrivit Karl Marx dans « La G uerre civile en France ». dant le mois d ’avril, les Versaillais
Ces opinions contradictoires donnent assiègent Paris; la C om m une prend
une idée des passions que la C om octobre, jo u rn ée révolutionnaire to u te une série de décrets: les asso
m une inspira. De nos jours, le ton d’extrêm e gauche à Paris: l’H ôtel ciations ouvrières, les échéances, le
s’est apaisé, mais cet événem ent de Ville est envahi; on crie: « Vive la term e, les logem ents vacants, les
historique continue à susciter des C o m m u n e!» ; on palabre, personne otages, le travail de nuit dans les
haines ou des adm irations. O ser ne prend le pouvoir, la jo u rn ée se boulangeries, etc. Le 28 avril, les
écrire une histoire sereine et ob jec term ine dans une totale confusion. com m unards reprennent le fort
tive de la C om m une reste im p e n Le gouvernem ent organise un plébis d’Issy. Le 1" mai, C luseret est ré
sable; de tous côtés se déchaîneraient cite (le 3 novem bre) p our ou contre voqué et a rrê té; Rosel le rem place:
les plus violentes réactions. P ourquoi sa politique; résultat: 70 000 NO N et le prem ier C om ité de Salut Public
cette passion p ersistante près d ’un 550 000 O U I. Le chiffre des N O N est est créé. Le 4 m ai, les V ersaillais
siècle après l’événem ent? P ourquoi à reten ir car il donne l’im portance pren n en t le M oulin-Saquet, puis, le
cette révolution m anquée a-t-elle des tro u p es révolutionnaires de la 9 mai, le fort d ’Issy. Ce m êm e jo u r,
laissé un souvenir aussi éto n am m en t future C om m une. Le 22 jan v ier 1871, deuxièm e C om ité de Salut Public.
vivace? T rois livres, relativem ent nouvelle jo u rn ée révolutionnaire à Le 10 mai, traité de paix de Francfort.
récents, nous aident à p e rc e r ce mys Paris en faveur de la lutte à outrance Les Versaillais, le 13, prennent le fort
tère d ont il n’est pas d ’autre exem ple c ontre les Prussiens. L’arm istice est de Vanves. Le 18, l’A ssem blée de
dans l’H istoire. Ce sont ceux de signé le 28 janvier. G a m b etta dém is Versailles ratifie le traité de Francfort.
Jacques R ougerie, Procès des com sionne le 6 février. Le 8, élections Le 21 mai, les Versaillais en tren t
munards, M . W inock et J.P. A zêm a, de l’A ssem blée nationale, et celle-ci dans Paris.
Les Communards, et H enri L efebvre, se réunit à Bordeaux le 12. Le 17, C ’est alors la Semaine sanglante, 22-
26 mars 1871, la Proclamation de la T hiers devient ch ef du pouvoir exé 28 m ai: le 23, début des incendies
Commune. T rois livres très d ifférents cutif. Le 24, m anifestation place de et m ort de D rom brow ski; le 24, exé
dans leur conception, leur style et la Bastille. Le 1" m ars, les Prussiens cution par la Com m une de six otages,
leur portée, mais très im portants car e n tre n t à Paris et en ressortent au dont M gr D arboy; le 25, m ort de
ils éclairent singulièrem ent la subjec b out de trois jours. Le 10 mars, D elescluze; le 26, exécutions de la
tivité historique. PA ssem blée nationale choisit Ver rue H axo; le 27, com bats terribles
sailles p o u r résidence et se sépare le aux B uttes-C haum ont et au Père-
LES D A TE S lendem ain. Le 16, T hiers et le gou L achaise; le 28, m ort de Varlin et
vern em en t sont à Paris. Le 17, derniers coups de feu sur les b a rri
L ’histoire de la C om m une tien t en B lanqui est arrêté. Le 18, T hiers cades. Les insurgés écrasés, ce fut
quelques dates échelonnées sur deux tente de récu p érer les canons achetés alors l’abom inable vengeance, la
années: 1870 et 1871. Le 19 juillet par les Parisiens p endant le siège: revanche après la grande peur des
1870, la F ran ce déclare la g uerre à c ’est l’insurrection. bien-pensants, l’ép uration dans toute
la Prusse; le 2 septem bre 1870, c ’est Le 20 m ars 1871, l’A ssem blée se son injustice. Au bas m ot, la bataille
la reddition de Sedan et, le 4 sep réunit à Versailles. D eux jo u rs plus de Paris a fait 20 000 victim es dans
tem bre, la R épublique est p roclam ée tard, m anifestation sanglante place les rangs parisiens et 38 578 com
tandis que se constitue un « G o u v er V endôm e et, à Lyon, la C om m une m unards ont été capturés qui seront
nem ent par la D éfense nationale» est proclam ée; elle l’est aussi, le traduits devant les conseils de
présidé par le général T rochu. La lendem ain, à M arseille, puis le surlen guerre (23 seront exécutés, 4 837
guerre se poursuit. Le 18 septem bre, dem ain à N arbonne, T oulouse et seront d ép o rtés aux bagnes de la
Paris est investi; le 2 octobre, Saint-E tienne. N ouvelle-C alédonie, 4 606 seront
G a m b etta qu itte la capitale en bal Le 26 m ars, élections du Conseil de c ondam nés à des peines de prison,
lon; le 21, bataille à Bougival; le la C om m une à Paris. La C om m une 55 enfants de m oins de 16 ans seront
27, capitulation de B azaine à M etz; est solennellem ent proclam ée à Paris envoyés en m aison de correction).
le 30. bataille au B ourget. Le 31 le 28 m ars. Le 31 m ars, la C om m une
169
Histoire
LE M Y TH E la grande p e u r bourgeoise et c ap ita
Dix ouvrages liste de « la canaille ouvrière »
Le m ythe va naître à la fois de dom ina la fin du xix' siècle et la
l’h o rreu r de la répression — pendant sur la Commune prem ière m oitié du xx' siècle, par
et après la Semaine sanglante — et réaction naquit chez les déshérités
de l’exploitation idéologique de cette O U V R A G ES R É C EN TS de ce m onde, chez « les dam nés de la
révolution m anquée. H enri L efebvre: « 26 m ars 1871, terre » l’idée d ’une revanche à
La chasse au com m unard vit les ins la P roclam ation de la C om prendre. C ette « grande revanche »
tincts se déchaîner. M. W inock et m une », collection « Trente jours ne fut-elle pas les « jo u rn ées d ’o c
J.-P. A zêm a écrivent: « Des m illiers qui ont fait la France», édit. to b re» 1917 en Russie? Q u ’on relise
» de com m unards furent faits pri- Gallimard, 1965. Karl M arx, Engels, L énine et
» sonniers. On les fusilla d ’abord sur Jacques R ougerie: « Procès des Staline... On v erra com m ent les
» place, en tas. Sur leur poitrine on C om m unards», collection «A r révolutionnaires m arxistes-léninistes
» accrochait parfois des écriteaux, où chives», édit. Julliard, 1964. se sont em parés de la C om m une
» l’on pouvait lire: « assassin, voleur»; M. W inock et J.-P. A zêm a: pour la transfigurer, s’en servir
» parfois on enfonçait dans leur « Les C om m unards », collection com m e d ’un m ythe et com m e point
» bouche un goulot de bouteille, et « Le Temps qui court », édit. du de d é p art de l’exaltation de la
» l’on épinglait sur leur poitrine Seuil, 1964. « d ic ta tu re du p rolétariat». D ans
« l’inscription: « ivrogne». Pour le « L es Q uestions du L éninism e»,
» ra b attre aux fusils chauds, on O U V R A G ES A N C IEN S Joseph Staline, p araphrasant Karl
» traq u a it le gibier dans les caves et P.O. L issagaray: «H isto ire de M arx, écrivit: « La R épublique des
» dans les greniers, dans les égouts, la C om m une de 1871 », éditée à Soviets est la form e politique re ch e r
» dans les catacom bes. On lâchait les Bruxelles en 1876, rééditée à chée et enfin déjà trouvée, dans le
» chiens aux trousses des fuyards. Paris aux éditions M. Rivière en cadre de laquelle doivent être réalisées
» Les pelotons d ’exécution ne suf- 1929, 1947 et 1964; œuvre de l’ém ancipation économ ique du p ro
» fisaient pas à an éan tir tan t de journaliste présentant une docu létariat, la victoire com plète du
» m onde; les m itrailleuses relayèrent mentation de première main. socialism e. La C om m une de Paris
» les fusils. A la prison de la « L a C om m une de 1871», ou a été l’em bryon de cette form e. Le
« R o q u e tte , le sang coula en ruis- vrage collectif sous la direction de pouvoir des Soviets en est le déve
» seaux. Paris fut transform é en J. Bruhat, J. Dantzy, E. Tersen; loppem ent et le couronnem ent. »
» abatto irs (...) Les légers hom m es de Éditions sociales, 1960; c’est la
« p lu m e vociféraient avec les loups: thèse marxiste orthodoxe. LA RÉV O L U T IO N
« Q u ’e st-ce q u ’un R épublicain? G. B ourgin: « H istoire de la DA N S LES FA ITS
» dem andait le Figaro — U ne bête C om m une de 1871», les Edi
«féroce, et l’on a b attait le fauve.» tions nationales, 1939; certains A ujo u rd ’hui encore, l’écrivain H enri
chapitres sont discutables. Lefebvre, qui vient d’écrire le livre
Un tel fleuve de sang ne pouvait que Pierre D om inique: « L a C om le plus com plet, le plus dense et le
susciter des haines ten aces co n tre m une de Paris», préface de plus solide sur le sujet, n’hésite pas
les « ten an ts de l’ordre », co n tre Jacques Chastenet, nouvelle édi à avouer dans quel esprit il a tra
l’arm ée épuratrice, contre les grands tion refondue, édit. Hachette, vaillé: « La p lupart des appréciations
bourgeois au pouvoir. 1962 et C.A.L. (éd. illustrée), de T rotsky (sur la C om m une) re n
1962; ouvrage passionnant, et voient à des textes de M arx et de
L ’ID É E D E R E V A N C H E passionné, mais non déformant. L énine qui restent et restero n t le
G. B ourgin: « L a C om m une», fondem ent de notre analyse et de
M ais les grands événem ents passés P. U. F. collection « Que sais-je? », notre exposé. » Ce qui am ène H enri
ne com ptent pas seulem ent par le tissu 1953; pour lecteur pressé. Lefebvre à écrire: « C et acte révolu
des réalités qui les com posèrent, tionnaire total, qui s’est accom pli
par ce qui s’ensuivit im m édiatem ent; SU R LES O R IG IN E S
historiquem ent suffit à m o n trer que
ils com ptent aussi par l’idée q u ’on A. D ansette: « L a G u erre de la thèse m arxiste d ’une fin de la p ré
s’est faite d ’eux après coup. Un véri 1870-71 et la C om m une »,1939. histoire hum aine, d ’une suppression
table culte de la C om m une s’est H enri G uillem in: « L es O ri des aliénations hum aines, de l’in au
institué. Le socialism e français, gines de la C om m une », en trois guration d ’une histoire consciem m ent
depuis 1880, chaque 18 m ars, a volumes: I — C ette curieuse vécue et dom inée par les hom m es,
célébré l’anniversaire de la C om guerre de 1870. T hiers, T rochu, ne relève pas com m e on l’a dit
m une et vécu, ju sq u ’en 1914 au Bazaine, 1954. Il - L’hé souvent de l’eschatologie, de la
moins, dans l’im patience de « la roïque D éfense de Paris (1870- vision apocalyptique, de la vaine
grande revanche» co n tre le cap i 71), 1959. III - La C apitu- construction utopique. C ette utopie,
talism e et la société bourgeoise. Si lation (1871), 1960._______________ ce prétendu mythe, pendant quelques
170
A lire
Voici Ronald Searle!
abstraite, mais comm e l’idée concrète
de la liberté. C ette idée contient le Il y a bien dix ans que l’on attendait de Punch, son fief personnel et son
sens de l’histoire ou plutôt de la en vain en F ran ce une édition de terrain favori d ’attaque. Une im por
pré-histoire de l’hom m e en tan t l’œ uvre de R onald Searle que l’on tan te p artie du recueil est consacrée
q u ’elle débouche sur sa véritable peut sans injustice considérer comm e à la vision que Searle a de Paris.
histoire et sur l’histoire de sa le d essin ateu r le plus doué — et le C ’est justice. D ’abord parce que
vérité. L ’expérience de la C om m une plus célèbre à l’étranger —de G rande- Searle a choisi la F rance où il vit
va donc beaucoup pH s loin q u ’un B retagne et m êm e de l’E urope depuis plusieurs années. Ensuite
recueil d ’images révolutionnaires, en tiè re . Seul l’A m éricain Paul Stein- parce que cet Anglais discret, réservé
d ’enseignem ents politiques (...). La berg p e u t lui être com paré. et affable, a de Paris une vision
C om m une a anticipé en acte sur le C ’est donc un véritable trou culturel poétique plus vraie que nature, à la
possible et l’im possible. De sorte que viennent de com bler les éditions fois cocasse, féroce et tendre. Pour
que m êm e ses projets et ses décisions D enoël en publiant « Pardon, le reste, on retrouve au hasard des
inapplicables, restés à l’état d ’inten Monsieur », anthologie des plus belles pages les cibles préférées de Searle:
tions politiques, com m e le projet réussites de R onald Searle (nous les artistes et les vieilles dam es
fédératif, gardent un sens profond. » avions e m prunté à cet album les croulant sous les bijoux, les instru
Ce culte de la C om m une qui en dessins des pages 90, 92, 98, 150 et m ents de m usique plus féroces que
oriente l’histoire a donné naissance, 151 de n otre précéd en t num éro des chiens m échants et les doux
chez les com m unistes léninistes, à la consacré à l’hum our). On y découvre m usiciens qui jo u en t de la bicy
théorie m arxiste révolutionnaire du les différents visages d ’un hum oriste clette com m e d ’autres jo u e n t du cor
dépérissem ent de l’É tat et à la néces particu lièrem en t lucide: le poète de chasse, les m essieurs très décorés
sité d ’une d ictatu re im m édiate du noir, le re p o rte r de génie, le gagm an et les poètes biscornus. Peu im porte
p ro létariat, tandis que les a n ar délirant et toujours le d essinateur le sujet, d ’ailleurs. Searle est de ceux
chistes et les socialistes, opposés à ivre d ’arabesques, de fioritures et qui peuvent dessiner un arbre, une
cette apologie de la dictature, d ’envolées sophistiquées. Im ité et feuille, un vieux soulier ou une
plaidaient la cause de la liberté pillé p a r qu an tité de dessinateurs concierge p our c atap u lter ces élé
révolutionnaire contre l’autorité anglais et allem ands, R onald Searle m ents dans un m onde où chaque
révolutionnaire. Qui a raison? dem eure à une bonne distance de ses trait prend une exceptionnelle d en
poursuivants et c’est en grand sité: celle du génie.
F A U T E D ’UN C H E F seigneur q u ’il règne dans les pages Jacques Sternberg.
171
Humour
gorilles sont particulièrem ent doués singulières. On ne peut se lasser de
en ce dom aine. N e croyons pas ce lire ce que l’on connaît des m œ urs
Z O O L O G IE p endant que le com bat répugne à singulières des fourm is esclavagistes
l’anim al parce q u ’il ne dispose pas et to u t spécialem ent de celles qui ne
des techniques nécessaires. A part peuvent se passer d ’esclaves. Leurs
Les animaux sur le sentier l’explosif, il n ’a pas grand-chose à m andibules pointues en form e de
de la guerre envier à l’hom m e et il possède aussi faucille ne leur p e rm e tte n t ni de
bien un arsenal varié d ’arm es s’o ccu p er des jeunes, ni de creuser
La collection « l’A venture de la vie» blanches que de pièges sans nom bre, leurs nids, ni de s’alim enter; elles
(H ach ette), dirigée par J.-C. Ibert, sans p arler des poisons et des gaz doivent, p our vivre, faire la guerre
nous offre un nouveau titre : Tech toxiques ou des substances gluantes. et reconstituer sans cesse leur cheptel
niques de combat chez les animaux, On peut m êm e p arler de tactique, et d ’esclaves. Un m illier de ces fourm is
par R ém y C hauvin, qui continue les bandes de singes en expédition peut ainsi, en une saison, c ap tu rer
h eureusem ent une lignée p a rticu liè guerrière pourraient parfois être q u aran te mille jeunes fourm is au
rem ent réussie. C ette série, en effet, p résentées en exem ple à de jeunes cours de razzias.
ajoute au charm e du livre d ’im ages recrues. Enfin, parm i les techniques qui
(et certaines sont fort belles ou fort peuvent servir aussi bien à la dis
rares) celui d ’un texte qui fait le G U ER R E TOTALE suasion q u ’à l’affût ou à l’approche,
point d ’une question. La réunion C H E Z LES F O U R M IS il faut aussi citer les extraordinaires
d ’études de qualité et d ’im ages de m éthodes connues sous le nom de
valeur é ta n t som m e to u te chose Pourtant, la guerre totale, celle d ’un m im étism e. Q u ’il s’agisse de c am o u
assez peu com m une, il convenait, peuple co n tre un peuple, ne se re n flage, de livrées m im ant celles d ’ani
pour le septièm e livre de la série, contre guère que chez les fourm is et m aux dangereux ou de pseudo
d’en faire la rem arque. chez... l’hom m e! Les guerres des organes, tout ce qui ap p artien t à
hom m es sont, hélas! trop connues; ce chap itre à peine éb auché de la
LES A N IM A U X N ’A IM E N T PAS celles des fourm is le sont m oins; biologie est particulièrem ent curieux.
SE B A T T R E p o urtant certaines observations sont Bien que les quelque cent pages du
livre de Rém y Chauvin soient loin
Q ue nous a p p o rte le nouveau livre d ’épuiser le sujet et de satisfaire
de Rém y C hauvin sur ce chap itre de notre curiosité, elles nous d onnent
la psychologie anim ale, cette science envie d ’en savoir davantage. Mais
dont, nous dit-il, « le but final est n ’est-ce pas ce q u ’on peut a tte n d re
in co n testab lem en t une m eilleure de m ieux de ce type d ’ouvrage?
c om préhension de l’hom m e»? Pre Jacques Graven.
m ière surprise p our le non-spécia
liste: l’anim al répugne à se battre.
Les com bats réels sont relativem ent
rares et n’ont lieu que quand il est
im possible de faire au trem en t. On PHILOSOPHIE
les observe le plus souvent chez les
anim aux tenus en captivité par
l’hom m e ou m êm e spécialem ent
sélectionnés dans ce but. Les ani Dans l'attente d'une
maux de com bat les plus divers: science générale
grillons de C hine, poissons com bat
tants du Siam, coqs européens sont de la pensée
le fruit d ’un travail p atient de
l’hom m e qui a cherché à pousser à Je voudrais revenir sur le livre fort
l’extrêm e chez ces races les te n intéressant que M. A urel D avid a
dances agressives. publié récem m ent dans la collection
M ais l’anim al sauvage, dans son état « Id é es» , chez G allim ard: la Cyber
originel, préfère de beaucoup reco u nétique et l’humain. N ous conseillons
rir aux m anœ uvres d ’intim idation. vivem ent ce livre (voir Planète n° 22,
Celles-ci sont très diverses et, m êm e page 174) à ceux qui s’intéressent
quand elles échouent, ne laissent pas aux possibilités et aux lim ites de la
forcém ent place au vrai com bat; le cybernétique; ils y tro u v ero n t de
« bluff » existe parfaitem ent dans le Le serpent étouffant sa proie bons com plém ents à deux ouvrages
m onde anim al et il paraît que les écrits p o u r la collection « Q ue sais-
172
A lire
je ? » : l’un, en 1953, par M. Th. G uil- profit de la partie « c o rp s» . Les L ’œ uvre participe de la création et
baud, l’autre, en 1963, p a r M. Louis m achines que nous construisons pos non de la production. C réer, c ’est
Couffignal, et intitulés tous deux la sèdent a u jo u rd ’hui de véritables a rrê te r la d estruction, c ’est a cc éd e r
Cybernétique. organes intellectuels qui leur p e r à une fin en soi, c ’est défier la m ort.
Du livre de M . A. David, nous m etten t de recevoir des m essages, de La création est toujours poétique.
d étachons plus particu lièrem en t le les conserver dans une m ém oire, de q u ’il s’agisse de l'Iliade, de la Ronde
chap itre III: «M écanisation de la les com biner, de les trier, de les de Nuit, ou de la théorie des ensembles.
pensée inspirée au C ongrès de é m e ttre com m e a u tan t de réponses à On entend parfois dire que quelques
T eddington ». C ’est en o ctob re 1958 nos interrogations. Le dom aine où m illiers de singes frappant n ’im porte
q u ’eut lieu, à T eddington, près de règne en co re l’âm e se restreint de com m ent sur des claviers de m a
L ondres, un congrès général de jo u r en jo u r. Peut-on concevoir q u ’il chines à écrire finiraient, au bout
cybernétique au cours duquel la puisse dans un tem ps plus ou m oins d ’un tem ps indéterm iné, par re p ro
p lupart des com m unications p o r lointain être réduit à zéro? duire m ot pour m ot une tragédie de
tère n t sur la pensée dite heuristique. Sur ce sujet, les congressistes de Racine. Soit; adm ettons-le. Et après?
Que signifie ce m ot? T eddington se m ontrèrent fort Le produit d ’un nom bre quelconque
De nom breux cybernéticiens, sur p ru d en ts et, six ans après, au congrès de gestes désordonnés ne sera jam ais
tout en A ngleterre, dit M. Aurel de N am ur, les opinions furent tout une œ uvre, mais un accident. Une
D avid, désignent par pensée algo aussi réservées. Faut-il donc penser œ uvre est une pensée voulue, con
rithmique « la pensée régulière et que, m algré le progrès des systèm es duite, construite et insérée dans un
m écanisable», et par pensée heuris asservis, il dem eure dans la pensée monde. Ni les œ uvres d ’H om ère, ni
tique celle qui, « sous l’aiguillon de hum aine un quelque chose d ’irré celles de R em brandt, ni celles de
l’inspiration ou du délire», est ductible à la m écanisation? M. A urel Galois ou de C antor ne sont tom bées
capable « de résoudre les mille p ro D avid est enclin à le croire et il du ciel com m e des accidents cos
blèm es confus posés p a r la vie de term ine son ch apitre par ces m ots: miques. Elles sont apparues dans un
tous les jours». N ous in terp rétero n s « Ce quelque chose subsistera peut- m onde, c ’est-à-dire dans un milieu où
plus largem ent ces définitions en ê tre lorsque l’appareillage du corps elles prenaient un sens. Une œuvre
disant que la pensée algorithm ique au ra été réduit au d énom inateur n’est œ uvre que dans un m onde. Les
est celle qui procède p a r logique, com m un des m achines. » singes peuvent bien reproduire Andro-
calcul et déduction, tandis que la M ais la différence de nature entre maque ou Phèdre. M ais qui reco n
pensée heuristique p ro cèd e p a r syn la pensée algorithm ique et la pensée naîtra que c'est une tragédie de
thèse, intuition et im agination. La heuristique n’est pas p our autant R acine, sinon celui qui la connaît
prem ière peut m atériellem ent être élucidée. N ous n’avons pas la p ré déjà et qui fait partie d ’un m onde
représentée par des systèm es é le c tro tention de tra ite r ici cette grave historique et culturel où « R acine » et
m écaniques, tandis que la seconde question en deux tem ps et trois « th éâ tre » ont un sens?
échappe à to u te construction a rti m ouvem ents. Il m anque une science Les problèm es que soulève la cyber
ficielle. La question que nous posons générale de la pensée dont le besoin nétique sont fructueux. Ils nous
alors est celle-ci: quelle différence se fait cruellem ent sentir et dont co ntraignent à penser la pensée, à la
profonde, essentielle, existe-t-il entre les prem iers fondem ents ne sont considérer au trem en t que com m e
l’une et l’autre pensée? m êm e pas posés à l’heure présente. une com binaison plus ou moins
U ne telle science, d ’ailleurs, ne com plexe d ’im ages m entales. La
Q U E L Q U E C H O SE relève ni d ’un hom m e ni d ’une cybernétique nous rappelle que nous
D ’IR R É D U C T IB L E équipe, m ais d ’un m ouvem ent ne savons rien de la pensée qui reste
général de recherche, d ’une im pul pour l’hom m e la grande énigm e. La
M. A urel David, dans les prem ières sion qui engage to u t penseur. N ous pensée, l’œ uvre, le m onde, trois
pages de son livre, p a rt du dualism e nous bo rn ero n s à form uler une concepts qui sont liés de façon
cartésien de l’âm e et du corps, de suggestion. indissoluble. Ces trois concepts
la pensée et de l’étendue. Au corps 11 faudrait axer nos prem ières doivent être élucidés ensemble. La
a p p artie n n e n t les m écanism es phy réflexions sur la notion d'œuvre. Une différence essentielle entre la pensée
siologiques, les m ouvem ents m uscu œ uvre n’est pas un produit. Le p ro algorithm ique et la pensée heuris
laires, les réflexes nerveux, à l’âm e, duit, q u ’il s’agisse d ’un produit tique est que la prem ière n’est pas
les facultés intellectuelles supé industriel, d’une denrée alim entaire du tout une pensée, mais un a rra n
rieures, telles que les raisonnem ents ou d ’un bulletin d ’inform ation, est gem ent de phénom ènes m entaux.
m athém atiques, les créations p o é toujours en vue de quelque chose C ’est p récisém ent pourquoi elle est
tiques, les synthèses philosophiques. d ’au tre que lui-m êm e. Il est destiné à m écanisable. Q uant à la pensée
Or, depuis D escartes, au fur et à ê tre consom m é, c ’est-à-dire détruit, heuristique, elle devrait, en vérité,
m esure que les systèm es m écaniques pour servir à fabriquer une chose, s’appeler c réatrice. M ais c ’est là un
s’affinent et se perfectio n n en t, la une m achine, de l’énergie biologique pléonasm e: la pensée est création.
partie « âm e » s’est dégarnie au ou de l’opinion. A ndré A mar.
173
Philosophie
ÉSOTÉRISME
Combat avec le temps
H.P. L ovecraft disait: « L e com bat m icroparticules. Pour les m icro à des intervalles d ’un siècle à peu
contre le tem ps est la seule e n tre particules, la réversibilité du tem ps près. Le m anuscrit nous est renvoyé
prise digne d’un écrivain. » C’est un exige, p our avoir un sens physique, parce que les hom m es de ces derniers
com bat gigantesque c o n tre le tem ps des conditions spéciales et l’appli jo u rs ont appris à envoyer des objets
que n otre ami Jean-C harles Pichon cation de transform ations m athé à travers le tem ps, en p a rta n t
entrep ren d dans son plus récent m atiques com plexes. M ais, pour des d’ailleurs des idées de Jean C haron.
ouvrage, « L’hom m e et les dieux », systèm es m acroscopiques, ce qui est L’A pocalypse de Pichon s’ouvre
paru chez R o b ert L affont. En pre certainem ent le cas p our une planète d ’abord par le mal atom ique: le
nant la flèche du tem ps à l’envers, en habitée, on peut raisonner aussi bien point de saturation des retom bées
exam inant l’histoire dans le sens de: en term es de potentiels avancés que radioactives étant atteint, les hom mes
avenir-passé, il découvre des struc de potentiels retardés. m eurent en grand nom bre. Bien
tures que les historiens rationalistes entendu, ils ne veulent pas en accepter
ne pouvaient découvrir. Il y découvre D ES ID É E S H A R D IE S la responsabilité et ils re je tte n t la
une année cosm ique longue de 2150, culpabilité sur des extra -te rrestre s
plus ou m oins 72 années et co rres Sur le plan psychologique, les con im aginaires et hostiles. Le p rophète
p ondant plus ou m oins à la naissance, ceptions de Pichon d é co n c erte n t à qui à annoncé la catastro p h e est
à l’épanouissem ent et à la m ort d ’un prem ière vue. Il faut s’y h abituer accusé d ’avoir été en rap p o rt avec
dieu. Ainsi, la vie des hom m es lui comm e à tout concept nouveau. Mais les e x tra-terrestres et exécuté.
apparaît comme une spirale m ontante le travail d’adaptation en vaut très Puis l’A pocalypse prend d ’autres
et non pas com m e une constante largem ent la peine. On arrive à une form es, ju sq u ’à ce que l’hum anité
dégradation dans le sens entropique vision englobant à la fois le passé change. La vision de Pichon est
du tem ps. et l’avenir, à un enrichissem ent de beaucoup plus som bre que celle de
Les dieux se su ccèd en t: dieu de nos idées. Les prê tre s de to u tes les la plupart des auteurs de science-
la création, dieux jum eaux, dieu religions apparaissent désorm ais fiction com m e Efrem ov ou Azimov.
d’am our, dieu du savoir, dieu de ju s com m e gardiens de la science du N ous sommes loin des em pires galac
tice. Suivant que l’hum anité se sent tem ps. La notion de tran scen d an ce tiques et des explorations spatiales.
soutenue par les dieux ou aban prend un aspect to u t à fait nouveau. L’hum anité doit expier elle-m êm e et
donnée, la population croit ou, au C ertes, les notions nouvelles in tro résoudre ses problèm es elle-m êm e:
contraire', la T e rre se dépeuple. A duites par Pichon sont com plexes et on est toujours seul. C ’est une vision
l’époque où les dieux a b andonnent délicates à m anier. Sa jo u rn ée cos sur laquelle personnellem ent je ne
les hom m es, le m atérialism e pros m ique varie en durée suivant la suis pas d ’accord du to u t et je p ré
père: em pire de Kalinga, G recs, période des grands cycles où elle fère l’avenir d ’E frem ov ou celui
X IXe et xxc siècles de n o tre ère. Par est insérée. D e m êm e, le jo u r et la d’Asimov.
contre, dans les périodes où les dieux nuit varient en durée relative suivant M ais la vision de Pichon ne m anque
sont en train de s’é p an o u ir et de les saisons. pas de g randeur ni de cohérence.
penser aux hom m es, les grandes É videm m ent, les idées de Pichon C ’est un des avenirs possibles, l’ave
renaissances se p roduisent et l’on sont discutables et il ne p rétend nir d ’ailleurs vers lequel nous allons
danse de joie en m êm e tem ps que d’ailleurs pas a p p o rter ou révéler d ’une façon inéluctable si les explo
l’am our, les arts et les religions une vérité im m uable, éternelle, mais sions atom iques en plein air conti
s’épanouissent. sa tentative est courageuse et m érite nuent. L’ensem ble des deux livres:
d ’être suivie. Il est bon d’ailleurs Les hommes et les dieux et Les
LA R É PO N SE D U PH Y SIC IE N de lire en m êm e tem ps ou plutôt témoins de l’Apocalypse donne en
après avoir lu son livre, un livre to u t cas une m atière à m éditation.
C ’est une con stru ctio n im m ense, d’an ticipation qu’il a récem m ent Jacques Bergier.
basée sur un prodigieux travail. Il publié chez le m êm e éd iteu r et qui
sera très curieux de savoir quelle s’appelle Les témoins de l'Apocalypse.
sera là-dessus la réaction des spécia Il y décrit le déclin de n otre civili
listes de l’histoire et des théologiens. sation m atérialiste actuelle, la venue
Ce que l’on peut dire en tout cas, des faux p rophètes et les signes
c’est q u ’une description du tem ps de avant-coureurs de l’apparition du
l’avenir vers le passé p a raît parfai dieu nouveau.
tem e n t adm issible au physicien à Ces tém oins de l’A pocalypse sont
condition qu’il ne s’agisse pas de quatre. Ils vivent dans notre avenir
174
A Lire
CINÉMA
Pas d'accord, M. Godard!
En l’an 221 avant le Christ, l’empereur Ts’in Che Houang-Di est
maître de la Chine. Il croit à la primauté de la technique et
décide que l’histoire de la Chine débute avec lui. Ts’in Che Houang-
Di fait brûler tous les livres à l’exception des livres techniques,
unifie le langage et, pour se préserver de la m enace des Huns,
fait construire la Grande Muraille. A l’abri de cette Grande
Muraille, et se servant de ce langage que l’on voulait technique, a
fleuri le long des siècles une des civilisations les plus raffinées,
les plus poétiques de la race humaine.
P eut-être, si Jean-L uc G odard avait Les apparences seules différencient
pensé à la G rande M uraille, n’aurait- l’in strum ent scientifique des m oyens
il pas réalisé son dern ier film Alpha- antérieurs de conquête au to u r des
ville. Alphaville, qui carica tu re le quels les civilisations ont toujours
m onde m oderne, de ses grands gravité. T ous les systèm es cosm iques,
ensem bles architecturaux aux m a to u tes les explications du m onde,
chines, est form ellem ent le m eilleur paganism e, bouddhism e, christia
film de G odard. G râce à l’utilisation nism e com pris, ont produit ces
d ’une pellicule ultra-sensible, il ruptures et ces rétablissem ents dont
réussit, par-ci par-là, à rendre p e r on accuse a u jo u rd ’hui la m achine.
ceptible la sensation de la nuit. Le prem ier langage, la prem ière
Q uant au fond, Alphaville est l’abou technique, la prem ière science ont
tissem ent de la « pensée godar- toujours été, dans l’histoire des
dienne». Jean-L uc G o d ard est un hom m es, des conquêtes de l’intel
au teu r de boulevard m oderne. Le ligence qui s’élève au-dessus de
l’é ta t de n ature et dom pte les forces
A nna Karina : un regard
fait que les sp ectateu rs du th éâ tre
d ’H enry B ecque aient e ntre-tem ps anarchiques pour établir le règne triste sur notre monde.
ajouté Hegel aux rayons de leur d ’une volonté organisée, le m oyen
bibliothèque ne change rien au p ro de plus de com préhension et de plus
blème. L’anathèm e contre la m achine d ’am our. à la « droite », on exhum e le lan
n’est pas une idée neuve, il est le gage de la science-fiction. Les épi-
reflet d ’une m ystique agonisante. E N C O R E LA R É A C T IO N thètes fusent, du savant « cau ch em ar
La m achine est actuellem ent la seule non-clim atisé » au patriotique « les
form e construite, et construite orga La pseudo-révolte « godardienne » robots sont là!», on crie au chef-
niquem ent. Seule au milieu de ruines est parfaitem ent représentative d’une d ’œ uvre. On est heureux de défendre
esthétiques, elle est com plète et classe et d ’une société. Elle tém oigne la « liberté individuelle », en réalité on
définie par tous ses profils. D ans d ’une m auvaise foi, d ’une absence veut p réserver le privilège de « ses
notre siècle, la science de l’ingé d ’esprit critique et d ’une fausse ingé tw eed ».
nieur, com m e jadis en É gypte, en nuité férocem ent égoïste. Alphaville Pourtant, jam ais, et grâce à la science,
G rèce, à R om e, ram ène à leurs rappelle les diatribes de M onsieur la connaissance universelle ne fut si
conditions nécessaires d ’équilibre P rud’hom m e contre la m achine à proche de nous. Pékin est la banlieue
les données artistiques qui b arb o te n t vapeur: on attaque l’objet scientifique de Paris. Et, que nous le voulions
dans l’enlisem ent sentim ental. L ’art pour conserver le m onopole du ou non, to u te la m isère du m onde
nouveau consistera à lier n otre dyna c onfort intellectuel. nous obsède et enfin nous concerne
m isme spirituel avec le dynam ism e La grande ronde des bien-pensants grâce aux im ages reproduites par le
m ystérieux de la m atière. se donne ici la m ain. D e la « gauche » ciném a et la télévision.
175
Cinéma
La technique a créé des tém oins
pour chaque crim e. Les appareils
d ’enregistrem ent sont là et le tem ps
n’est pas loin où nous pourrons voir
THÉÂTRE A près Brecht
dans le m êm e m om ent ce qui se
passe dans n’im porte quel lieu du Mort d ’un commis-voyageur, d’Arthur Miller, révéla au public du
m onde. Ce sera la vraie liberté théâtre d’Aubervilliers un extraordinaire acteur: Claude Dauphin.
d ’inform ation, la vraie liberté indi Dans ce personnage pitoyable, il fut sobre, vrai, déchirant; qui
viduelle. Elle ne sera rendue possible l’a vu ne pourra l’oublier. Très bien. Mais, ce soir-là, je vis aussi, à
que par l’accroissem ent des robots- l’entracte, un spectateur livide accoudé au bar du théâtre. A ceux
tém oins. La m achine sauve l’hom m e qui l’interrogeaient, je l’entendis répondre: «C e n’est rien, c ’est la
en l’obligeant à vivre par des m oyens pièce. C’est mon drame, à moi, comprenez-vous; alors, n’est-ce pas,
dangereux. Elle représente le d e rn ie r
état de l’esprit.
ça fait mal.» Cet aveu soulignait la victoire du réalisme qui
Jean-L uc G odard aim e les citations, triomphe sur nos scènes et à propos duquel il n’est pas inutile
il en truffe ses films po u r é ta y er ses de poser quelques questions.
thèses. Je voudrais, pour clore ces Som m es-nous a u jo u rd ’hui très éloi thiques, des clairs de lune réalistes
réflexions à propos d 'Alphaville, gnés du naturalism e de Z ola et et des rem parts de vraies fausses
jo u er le m êm e jeu que lui. d ’A ntoine? Au T h éâtre Libre, quand pierres peintes en trom pe-l’œil.
un personnage disait: « Il est cinq On s’ém erveillait de l’audace qui
« Qui possède l ’art et la science, heures», une véritable horloge son faisait de la scène un trem plin pour
possède la religion. » Gœthe nait cinq fois. A u jo u rd ’hui, chez le verbe. On lui p rêta plus d ’a tte n
Ionesco, p a r exem ple, elle sonne tion, et davantage encore quand
s’éleva la précieuse m usique de
« Il est dans le destin de l ’homme vingt fois ou plus, et la réalité sou
de vivre avec ses connaissances. » dain se détraque. Avec B recht, au G iraudoux dans des décors stylisés
ram enés sur la scène p a r B érard et
Oppenheimer. c ontraire, dans le m êm e cas, l’h or
loge serait absente de la scène et la Jouvet. A u jo u rd ’hui, B recht a uni
Et p our finir, à propos de l’am our, notion du tem ps aurait été évoquée form isé le style de la représentation.
Planchon m onte M olière, Shakes
avec quelqu’un que G o d ard affec par quelque allusion à l’activité
tionne, Paul Éluard: sociale: sortie d ’usine, ou autre peare ou M arivaux à la B recht. Seul,
« A imer comme il faut aimer, très référen ce à la réalité. Jean Vilar a su trouver, en accord
intelligemment. » C es deux tendances du th éâ tre fran avec l’œ uvre, un com prom is satis
faisant en tre la sécheresse de l’abs
Frédéric Rossif. çais contem porain: l’œ uvre de Brecht
inscrite dans une donnée sociale et traction et l’utilisation d ’élém ents
historique et l’absurde quotidien figuratifs: m eubles ou objets quo
illustré par Ionesco, sont l’expression tidiens.
du nouveau réalism e.
A ntoine cherchait à « m o n trer la vie EN Q U Ê T E D ’UNE D É F IN IT IO N
dans les form es de la vie m ê m e 1».
P our m o n ter Jules César à l’O déon, C ette évolution de la présentation
il ten ta it de reco n stitu er la R om e scénique nous p erm et de voir le
antique comm e le faisait Stanislavsky chem in p arcouru depuis A ntoine,
au T h éâtre d ’A rt de M oscou. En mais ne nous éclaire pas sur ce q u ’il
réaction contre cet « illusionnism e », faut e ntendre p a r réalism e. D ’après
C opeau et G o rd o n Craig d ém o n L ittré, le réalism e est « l’attach em en t
tère n t les vraies portes et les vraies à la repro d u ctio n de la n ature sans
fenêtres des décors réalistes. Ils sup idéal». Ces deux derniers m ots sont
prim èrent les accessoires a u th en singulièrem ent restrictifs p our l’ar
tiques et, sur le trétea u nu, on vit tiste à l’intention de qui Sartre p ré
les acteurs p êch er à la ligne ou cise: « Le p ro p re du réaliste, c ’est
tire r l’aiguille en m im ant l’action, q u ’il n ’agit pas. Il contem ple, puis
sans support réel. L’illusion provo q u ’il veut feindre le réel tel q u ’il est,
quée par la vérité du geste p a rticipait c ’est-à-dire tel q u ’il ap paraît à un
à la liberté d ’expression du th éâtre tém oin im p a rtia l2. »
nouveau. C opeau, refusant le p itto Pour qui atten d du th éâ tre la chaleur
resque du décor, utilisait l’a rch ite c et l’élan, l’invention, la poésie, cette
ture fixe du V ieux-C olom bier pour définition du réalisme est inquiétante.
libérer Shakespeare des salons go Faut-il que l’a u te u r rogne les ailes à
176
A voir
et Ionesco, quel théâtre voulons-nous?
son im agination et nous oblige à société que G e n êt nous invite à sance du m onde qui déterm ine l’indi
dem eu rer avec lui les pieds au sol découvrir, en dehors du th éâ tre , la vidu; Ionesco et B eckett ne s’in té
pour voir le m onde à h au teu r d ’œil? réalité. » ressent à la réalité quotidienne que
Pourquoi refuser de p ren d re de la p our la dépasser. Ils dépeignent les
distance? Serait-ce parce que l’on APRÈS BRECHT faits et les réalités de l’âme avec les
m anque de souffle? B recht, lui, n’en m ots et les gestes de tous les jours.
m anque pas, qui a la tête épique et A la différence de cette école brech- C eci posé, peut-on p réten d re que
froidem ent lucide. Il considérait son tienne qui ne conçoit la représen to u te la réalité sociale et historique
th éâtre com m e l’illustration du ré a tatio n th éâ tra le que ra ttac h é e à un de notre époque soit contenue dans
lisme socialiste, tel que le définit contexte social et historique, une ces deux m iroirs, et ne sont-ils pas
l’Encyclopédie soviétique: « L e fon déform ants?
dem ent objectif de la pièce de théâtre
est la vie sociale dans ses c o n tra Il est tem ps, sem ble-t-il, de dire à
dictions, qui c onduisent à une crise B recht et à ses disciples que le
aiguë et à un conflit ouvert entre réalism e socialiste ne reflète peut-
l’ancienne génération et la nouvelle. » être pas l’essentiel de notre époque.
Voilà une objectivité de choc! Car, B recht fut, sa vie durant, sous
ici, tout dépend de la notion que l’on l’influence de la révolution d ’O ctobre,
se fait de la réalité. Sartre est alors q u ’a u jo u rd ’hui une révolution
objectif à sa m anière, qui est de scientifique et philosophique boule
défendre sa thèse sur la scène, et verse les données essentielles de la
B recht ne cache pas ses intentions réalité. A l’heure où les frontières de
quand il d it: « Un art réaliste est un l’esprit s’élargissent, où l’intuition
art com batif. Il c o m b at les co n ce p dirige la connaissance, est-il raison
tions fausses de la réalité.» Ou nable de s’en ten ir à l’absurde qui
m ieux: « Le réalism e socialiste im tourne co u rt ou à la pein tu re de
plique q u ’on restitue, en restant l’hom m e écrasé par la société alors
fidèle à la réalité, la vie com m u q u ’il se dresse avec audace en plein
nautaire des hom m es, du point de vue ciel? Est-il satisfaisant de voir, en
socialiste, par les m oyens de l’art 3. » F rance, les C entres d ram atiques et
autres M aisons de la culture servir
C et art « engagé » exerça une p ro
tout notre rép erto ire th éâtral dans le
fonde influence et il est vrai
q u ’a u jo u rd ’hui les rapports sociaux seul m oule b rechtien? Les héros de
plutôt que psychologiques stim ulent partie des d ram aturges c ontem notre siècle ne sont-ils que des
é boueurs, du genre A uguste G eai,
les auteurs d ram atiques. M ais on ne porains se p réoccupe de refléter,
cherche point à peindre la réalité avec une certain e objectivité, le dont B ertrand G atti nous conte la
d ésespérante histoire, ou que des
telle q u ’elle est, il ne faut pas langage et les gestes de la vie quoti
faire oublier que l’on est au théâtre. voyageurs de com m erce comm e celui
dienne. D e là est né ce que l’on
d ’A rth u r M iller dont la m ort rendait
« A u jo u rd ’hui, dit B recht, si nous appelle le th é â tre de l’absurde, qui
voulons d o n n er des représentations si pâle ce sp ectateu r du th éâtre
n’est à l’origine q u ’un hyper-
réalistes de la vie sociale, il est naturalism e. M ais Ionesco, com m e d ’A ubervilliers? Ne som m es-nous
indispensable de rétab lir le th éâtre B eckett, ont vite dépassé c ette pein pas au d ébut d ’une R enaissance qui
dans sa réalité de th éâtre. » C ’est-à- ture réaliste qui nous ap p o rte, l’un dem ande un th éâ tre à sa m esure: un
dire dans ses conventions. Jean une leçon m orale, l’au tre une ouver théâtre shakespearien, riche et divers,
G enêt, dont on pouvait récem m ent ture sur un m onde tragique et sym anim é du souffle le plus large et ne
entendre le beau texte des Bonnes 4 refusant pas la dim ension cosm ique
bolique qui reflète, en p a rta n t de
n’a pas oublié cette leçon. Il utilise qui est la seule dim ension de notre
l’objet quotidien, les inquiétudes les
m onde? p»-
dans ses œ uvres les cérém onies, les plus profondes de notre vie intérieure.
jeux rituels, les m asques, s’éloignant Ainsi, héritières du naturalism e d’An
ainsi apparem m ent de la reproduction toine, on trouve dans le th éâ tre 1. M ey erh o ld .
da la nature. M ais, ainsi que le ra p d ’a u jo u rd ’hui deux tendances essen 2. Situations, I, p. 311.
pelle avec justesse B ernard D o rt 5 tielles: celle de B recht et celle des 3. B re c h t, Ecrits sur le théâtre.
« C ’est en accen tu an t par les artifices absurdes. B recht, a p ô tre du réalism e 4. Représenté au T héâtre G ram ont.
du th é â tre l’aspect factice de notre socialiste, se consacre à la connais 5. L e Théâtre dans le monde. Vol. XIV.
177
Théâtre
U N E O U V E R T U R E N O U V E L LE te u r du th éâ tre d ’A ubervilliers. Ce Une semaine
rappel ne saurait être déprim ant. A
Par quel esprit d ’im itation som m es- B recht qui présente la« distanciation », de recherches
nous c ontraints de suivre les rails du seul m oyen, selon lui, d ’attein d re à sur l'art d'avant-garde
réalism e quand il est condam né à l’objectivité reflétant le réel, B recht
rouler sur voie étroite? Il est tem ps oppose la prise à bras-le-corps de la Sous l’égide de M. Jacques Chaban-
de p o rte r à la scène la peinture réalité broussailleuse de l’âm e, de la D elm as, président de l’A ssem blée
fidèle de n otre époque, une époque plongée dans ses ténèbres p our une nationale et m aire de B ordeaux, le
où l’hom m e se trouve face à face q uête incessante et joyeuse de la G roupe d ’art et rech erch es co n
avec une réalité surnaturelle q u ’il lum ière spirituelle que l’hom m e tem poraines organise dans la capi
com m ence à déchiffrer. Il est tem ps re ch e rch e en ce m om ent m êm e, tale du Sud-O uest, du 25 au 30
de m o n tre r les efforts que l’hom m e p artout. octo b re 1965, une série de jo u rn ée s
m ultiplie p o u r surprendre les signes visant à faire un bilan des tendances
que l’univers lui adresse, et dont il L ’H O M M E E X A L T É actuelles de l’art.
prend aujourd’hui conscience. Q u’im L ’entreprise est am bitieuse, large
p o rte la form e que l’on em ploiera, Louis Pauwels, dans un texte essen de portée, claire dans ses objectifs.
m ais il est certain q u ’elle ne p ourra tiel à la ju ste com préhension du H istoriquem ent, elle est justifiée
se passer d ’un contexte réel, faute de réalism e fantastique, écrivait: « T o u t par to u te la série des actuelles
quoi la pein tu re serait gratuite et chant qui s’élève à p a rtir de la convergences qui définissent une
sans p o rtée. C ar nous ne refusons connaissance a une allure vengeresse. orientation générale de l’im agi
pas un art com batif, au contraire! Il nous pro m et que nous sortirons un nation créatrice. L’après-guerre est
N ous pouvons rep ren d re à notre jo u r de no tre étro ite prison et que, définitivem ent clos sur le plan de
com pte la leçon du cam arade B recht s’il y a plusieurs dem eures dans la l’histoire des idées, et il devient
nécessaire, à l’am orce d’un chapitre
et, usant de ses propres term es, m aison du Seigneur, elles nous seront,
nouveau de n otre civilisation, de
én o n cer: « Le réalism e fantastique toutes, un jo u r, accessibles6. »
im plique qu’on restitue, en restan t Ces m ots nous p é n ètren t d’un réco n dégager les évolutifs du présent,
fidèle à la réalité, la vie intérieure fort et d’un espoir quasi religieux,
Sigma, «Som m e des A rts et T en
dances con tem p o rain es» , de B or
de l’hom m e, d ’un point de vue cos et c ’est bien de cela qu’il s’agit. A
m ique, p a r le m oyen de l’art. » la religion du désespoir, de la deaux, bénéficie donc d ’un préjugé
favorable.
Q u’est-ce q u ’un point de vue cos m isère, de la revendication, à la
C om m ent s’articule la m anifes
m ique? Le point de l’esprit où l’on religion de l’absurde sans appel,
tation? Elle consiste en six jo u rn ées
se place p our considérer la n ature doit rép o n d re la religion planétaire
spécialisées dans les différents
hum aine dans sa d épendance du et ex altante de l’hom m e qui com
m onde invisible. A u trem en t dit, c ’est m ence à se souvenir q u ’il p orte D ieu dom aines de la re ch erch e artis
un point de vue ésotérique. B eckett, en lui, donc la connaissance. tique: le th éâ tre ; la littératu re et
la poésie; etc. Ce program m e a été
le seul p oète dram atique vraim ent de B recht et ses acolytes nous ont
notre tem ps, ne p rocède pas a u tre donné, de la réalité, des images en mis au point par un com ité qui
m ent, à cela près que sa philosophie négatif. N ous attendons, avec certi groupe, a utour de diverses person
d éprim ante ne correspond pas à tude, des positifs exem plaires. nalités bordelaises, M M . R oger
Roger Iglésis. Lafosse, p résident du G ro u p e d’art
l’aventure exaltante de l’hom m e
et recherches contem poraines,
d ’a u jo u rd ’hui. Au m isérabilism e, au
6. P ré fa c e d e Nouvelles du Temps et de l’Espace, R o b ert E scarpit, A braham M oles.
paupérism e, que nous ap p o rte le de G e n e v ièv e G e n n a ri.
théâtre socialo-réaliste, nous opposant C haque jo u rn ée o béit au m êm e
la chaleur et l’élan d ’un futur th éâtre schém a stru ctu rel: une séance
que l’on p o u rrait appeler th éâtre m atinale groupe différents spécia
m agnétique, car il exprim erait sa listes en une table ronde technique;
BIBLIOGRAPHIE l’après-m idi est réservé à une confé-
p o rtée dans un langage incantatoire
dont les ondes verbales m agnétiques B. DORT, Le Théâtre dans te monde. rence-bilan abondam m ent illustrée
seraient l’au ditoire? Ce th éâ tre p ré Vol. XIV, 1 et 2, qui fou rnit les élé et docu m en tée; en soirée, le public
senterait des héros attentifs aux m ents de cette étude. est appelé à ju g er sur pièces e t à
ondes les plus hautes de la conscience, co m m enter ses appréciations au
venues de l’infini, donc de leur âm e, Bertold BRECHT, Écrits sur le théâtre cours de spectacles-débats (rep ré
et se dressant victorieuses au-dessus (L'Arche, Paris, 1963). sentations théâtrales, auditions,
de la triste réalité q u ’ils au raient pu expositions d’art, films, m aquettes
transm uer. L ’hom m e est la plus MEYERHOLD, Le Théâtre théâtral d’architecture).
noble c ré a tu re de la création, voilà (Dans la co lle ctio n : «P ratique du Q uelle est en fin de com pte la
ce que devrait rappeler le futur Théâtre», éd. Gallimard). consistance exacte de cette com m u
th é â tre m agnétique au pâle specta nication? L ’envergure du bilan
dépend, bien évidem m ent, des p e r
sonnalités invitées et des œ uvres
ARCHITECTURE NOUVELLE IDÉE FORCE:
choisies. Le com prom is entre les
tendances était inévitable et la
physionom ie de Sigma, inégale
selon les jo u rn ées, dépend des
dosages plus ou m oins subtils entre
la rep résen tatio n de l’esprit de
La prospective architecturale
« résistance » et de l’esprit de Au cours de l’été, 4 000 architectes des U.S.A. et d’Amérique
« m o u v em e n t» , du conform ism e latine se sont réunis à Washington pour y discuter des possibilités
m oderniste et de la recherche de villes nouvelles correspondant à un âge nouveau.
au th en tiq u em en t prospective.
P our le th éâ tre , la conférence de Aux E tats-U nis com m e en F rance, tec tu re qui s’est tenu à Stockholm à
Jacques Polieri pose les problèm es le nom bre des bâtim ents publics et la m êm e date, se Sont avant to u t préoc
de sa scénographie nouvelle sous privés devra d oubler avant la fin du cupés des questions de la réform e de
l’angle de la technologie. Pour la siècle en raison de l’accroissem ent l’enseignem ent de l’arch ite c tu re . En
littérature, le panoram a, assez large, dém ographique, d ’une part, et, d’autre France notam m ent, où l’enseignem ent
s’étend de la « littératu re com bi- part, du besoin d’espace grandissant est le plus rétrograde, on continue
nato ire» à la poésie lettriste d’un des hom m es. L’hom m e du xixc siècle à faire dessiner des colonnes doriques
F ran ço is D ufrêne. se c o n te n tait en effet en m oyenne à des gens qui auront à construire
En ce qui concerne les arts plas de 35 m 2. C elui du xxc en exige 100. des H L M et des aéroports. Il serait
tiques, le parti pris d’orien tatio n C e besoin d’espace, intervenant c ertain em en t plus sage d ’envoyer les
est beaucoup plus net: il repose ju ste au m om ent m êm e où l’espace élèves arch itectes faire des stages
sur les réalisations de synthèse du terre stre se ré tré cit sous la poussée aux usines R enault où ils p o urraient
G ro u p e parisien de rech erch e d ’art dém ographique, im posera des con d écouvrir la vérité d’un fantastique
visuel et de divers re p ré se n tan ts ceptions arch itectu rales et urbanis- technologique qui devrait être aussi
internationaux de l’esthétique de tiques to u tes nouvelles. L’inquiétude celui de l’a rchitecture.
groupe et de l’art cinétique (sous est donc grande dans les m ilieux
le double parrainage de N icolas a rch itectu rau x , et le 8' C ongrès de ON F A IT L’A U T R U C H E !
Schôffer et de Vasarely). M a p ré l’Um on internationale des A rchitectes
sence est le seul c o n trepoids en qui s’est tenu à Paris en juillet M ais les a rch itectes « e n place»
faveur d’une sociologie de l’art. d ernier, to u t com m e celui de l’Union sem blent fort éloignés de cette
Le panoram a des arts sonores est internationale des É tudiants en archi orientation. D evant les m aquettes et w
un peu plus éclectiq u e puisqu’il
rassem ble des œ uvres de Schaeffer
et de Stockhausen, de X enakis et
de Luc F errari. M ais, là encore,
le parti pris de l’o rganisateur,
M ichel Philippot, a u ra été d é te r
m inant dans certaines exclusives:
l’absence notam m ent des œ uvres
de John C age et de tous les auteurs
influencés par l’école am éricaine.
La jo u rn ée la plus passionnante
sera sans doute celle qui a été réser
vée à l’étude des problèm es de l’in
tégration de l’hom m e à la vie
m oderne. La co n féren ce de M ichel
Ragon fera le p oint du ra p p o rt
hom m e-collectivité de dem ain.
L’enjeu de Sigma, m algré d’ine-
vitables lacunes et des apriorism es
partiaux, est clair: c ette m anifes
tation constitue en F ran ce la pre
m ière tentative raisonnée et systé
m atique en vue de dégager les
term es d 'u n bilan évolutif. La maison du futur de Paul Maymont.
Pierre Restany.
179
Architecture
dessins de villes futures proposés à LA N O U V E L LE A R C H IT E C T U R E Schoffer, le c ré a te u r du sp atio
New Y ork, les architectes réunis ont dynam ism e et de l’idée des « villes
d éto u rn é les yeux en parlan t de T out cela m ontre qu’une architecture cybernétiques»; W alter Jonas, auteur
visions utopiques et de cauchem ars. parallèle est en train de se form er. d ’un projet de « villes entonnoirs », et
Puis ils se sont rassurés en concluant D es chercheurs, ju sq u ’à présent Ionel Schein, qui construisit en 1956
que nous allions en trer de toute isolés, se sont aperçus q u ’il existait le prem ier p rototype de m aison en
m anière dans un « âge d ’or de l’arch i des lignes de force, des convergences m atières plastiques. Le G IA P n’est
tec tu re » et que nous nous dirigions d ’idées et de style et que celles-ci évidem m ent pas ferm é à ses seuls
vers « un nouvel hum anism e ». avaient plus de chance de s’im poser m em bres fondateurs, mais il n’entend
g roupées q u ’isolées. D ’où des ré u réunir néanm oins q u ’un nom bre
Ce n ’est p o u rtan t pas vers un nouvel nions et l’idée d ’un groupe. M on lim ité de techniciens divers p réoc
hum anism e que l’on se dirige, mais livre, Ou vivrons-nous demain? publié cupés de prospective architecturale.
vers un fantastique technologique chez R obert Laffont en 1963, ayant C ’est ainsi que E douard U tudjian,
déjà défini, dessiné, calculé p a r les été le catalyseur des recherches diffé au nom du GECUS (G roupe d ’Etudes
m eilleurs ingénieurs. Ces derniers rentes d ’a rch itectu re prospective et et de C oordination de l’U rbanism e
sont en train de se grouper en E urope ayant d ’ailleurs lancé cette idée, souterrain), a adhéré l’un des p re
(Le Ricolais, Makowski, du C hateau) alors absolum ent nouvelle, d ’une m iers au G IA P , l’urbanism e so u ter
com m e en A m érique (B uckm inster, a rch ite c tu re prospective et d ’un rain — que nous avons présenté dans
F uller et différentes p ersonnalités fantastique qui ne soit pas gratuit ou Planète (n° 21, m ars-avril 1965) —
réunies par le critique d’art Sam seulem ent plastique, mais avant tout étan t le com plém ent naturel de
H um er). L’Institut tech n iq u e et plas technologique, les m em bres fonda l’urbanism e spatial d ’un F riedm an,
tique de R echerches sur les Voiles teurs du G IA P m ’ont élu président d ’un Schoffer ou d ’un M aym ont.
p réten d u es fait depuis plusieurs du G roupe, alors que G eorges Patrix, Parm i les m em bres du G IA P , éga
années, en F rance, sous l’im pulsion leader de l’arch ite c tu re industrielle lem ent, G uy R ottier, de N ice, au teu r
de l’ingénieur et arch ite c te R ené en F rance et du colorism e arch ite c de projets d ’une « maison volante » et
Sarger, un rem arquable travail. Enfin tural, en était nom m é secrétaire de « m aisons sur fil »; Biro et F erm er,
le G ESSA S (G ro u p e d ’E tudes so général; les cinq autres m em bres auteurs d’un projet de « ville en X »;
ciales du Syndicat des A rchitectes de fondateurs du G IA P étan t Yona A rth u r Q uarm by, spécialiste anglais
la Seine) s’est fondé en mai dern ier Friedm an, qui lui-m êm e fonda en des m atières plastiques; Jacques
à Paris, au m om ent m êm e où s’orga 1958 le G ro u p e de l’A rchitecture B ardet, lauréat du concours pour les
nisait le G IA P (G roupe in ternational m obile; Paul M aym ont, a u te u r de M aisons individuelles du D istrict de
d ’A rc h ite ctu re prospective). projets de villes suspendues; N icolas la Région de Paris; Januz D eryng,
inventeur des «garages noyaux»;
C hanéac, à la fois p eintre et au teu r
de cellules habitables; le scénographe
Jacques Polieri; le sculpteur Szekely;
le p eintre Jam es G u itet; le p h o to
graphe L ucien H ervé; le critique
d ’art bien connu des lecteurs de
Planète, Pierre Restany. C ’est dire
que ce groupe n’est surtout pas uni
quem ent un groupe d’architectes,
mais entend réu n ir tous ceux qui
travaillent à la création et à la p ro
m otion d ’une prospective.
Un nouveau livre vient de paraître
dans la collection « C onstruire le
M onde» (L affont, éditeur): les
Visionnaires de ï Architecture, qui est
consacré à q uatre des fondateurs du
G IA P (Jonas, F riedm an, M aym ont,
Schoffer). Pour la prem ière fois sont
rassem blés des textes clefs de la
prospective arch itectu rale, n otam
m ent les parties essentielles de la
Près de la ville ancienne, musée d ’une civilisation dépassée, thèse sur l’a rch itectu re m obile de
Friedm an, qui n’avaient été rép an
la cité-entonnoir, par Walter Jonas de Zurich.
due p our l’instant que ronéotypées.
180
A voir
Le texte sur les Intrahaus de Jonas
avait été publié en langue allem ande, A lexan d re C ald er
SCULPTURE
mais n’avait eu aucune traduction
française. Q uant aux textes de
Schoffer et de M aym ont, ils sont
absolum ent inédits. A ce livre vient
s’ajouter un film de 30 m inutes inti
Le sculpteur du mouvement
tulé Où vivrons-nous demain? et réalisé De juillet à octobre, l’été 1965 a été dominé par l’affirmation d’une
par Jean H erm ann pour les m inistères présence exemplaire à bien des points de vue: celle du sculpteur
de l’É ducation nationale et de la Alexandre Calder dont la rétrospective au Musée national d’Art
Jeunesse et des Sports. Les A c tu a moderne constitue l’événem ent le plus marquant d’un calendrier
lités G aum ont ont égalem ent diffusé parisien pourtant plus que surchargé en fin de saison.
dans leurs salles un rem arquable
court m étrage de Jacques C aum ont, 11 n 'est pas indifférent de noter que tive, l’ingénieur devient poète et le
les Architectes prévisionnaires. Enfin, l’axe des m anifestations artistiques sculpteur urbaniste. Venus des
une exposition de Douze Villes pros- parisiennes s’est très nettem ent horizons les plus divers du m onde de
pectives a été présentée à Paris le d éplacé cet été vers la sculpture et l’art, nom breux sont les tém oignages
3 juillet au siège de la C om pagnie l’a rch ite c tu re , vers les problèm es qui illustrent cette prise de conscience
de Saint-G obain à Neuilly, puis à d’intégration de la form e et d ’oc collective.
Royan et à Bordeaux. Elle d ém ontre cupation pluri-dim ensionnelle de Sim ultaném ent, à la suite des initia
que l’histoire de l’architecture ne l’espace. P arallèlem ent à la crise de tives des galeries, le program m e des
s’arrête pas à Le C orbusier com m e l’im age plane et de la peinture de m usées parisiens s’inscrivait dans ce
on voudrait nous le faire croire. chevalet classique, toute une re m ouvem ent. Le M usée des A rts
D epuis les pionniers des années 25, cherche de synthèse s’est développée décoratifs a partagé ses salles en
l’arch ite c tu re é ta it en effet réso com m e un dépassem ent nécessaire trois m anifestations significatives de
lum ent rétrospective. T o u t ce qui de l’esthétique dogm atique. Elle cette convergence: le Pavillon de
s’est c onstruit à travers le m onde prend appui sur la pensée libre, M arsan honore O scar N iem eyer,
depuis 1945, ou presque, est en fait l’im agination « prospective » des l’a rch ite c te de Brasilia; trois de nos
une application des déco u v ertes des a rch itectes et des sculpteurs. Dans la plus ém inents sculpteurs c ontem
années 25. H eureusem ent, notre form ulation de propositions d ’espace porains, C ésar, Roel d ’H aese, Tin-
tem ps a, lui aussi, ses « co n tem offrant à l’hom m e un cadre nouveau guely; et enfin accueille un vaste
p orains du futur» p our rep ren d re un de vie sociale, spirituelle et affec p a n o ram a de la recherche architec- 1 ^ “
slogan de Planète. Et ce sont ceux-
ci qui sont réunis aussi bien dans le
G1AP que dans l’exposition des Douze
Villes prospectives, dans le livre les
Visionnaires de l ’architecture, dans les
films les A rchitectes prévisionnaires et
Où vivrons-nous demain? Un m ouve
m ent est donc sérieusem ent am orcé.
181
Sculpture
turale française. Sous le titre de Né dans un faubourg de Philadelphie puis dire, la poursuite d ’un équilibre
«B abel 1965», un groupe d’artistes en 1898, fils et petit-fils d e sculpteurs, structurel à la base, d ’un enracine
présente au M usée G alliera diverses lui-m êm e ingénieur-m écanicien de m ent des formes m étalliques, d ’une
propositions d ’intégration a rch ite c form ation, C ald er d ébarque à Paris occupation du sol. Après l’essor de
tu rale. Le M usée Rodin, siège tra d i en 1926. Il y présente au Salon des ses branches et l’envol de ses folioles,
tionnel du Salon de la Jeune Sculp H um oristes une série de jouets le grand arbre caldérien, tel un chêne
ture, a ouvert ses jard in s à une anim és à base d ’objets trouvés qui de N ouvelle-A ngleterre, assoit son
im portante anthologie de la sculpture constituent les prémisses d ’une sculp tronc et fixe ses racines. Ainsi se
am éricaine c ontem poraine, tandis ture « pop » avant la lettre. Il se fait développera chez C alder, en pleine
que se m ultiplient dans les galeries rapidem ent connaître par ses portraits harm onie, le dualism e de la re
privées les expositions individuelles en fils d ’acier (Joséphine Baker). Il se ch erch e: très vite débarrassés de
de sculpteurs « prospectifs » (les lie d ’amitié avec Pascin, Miro, Arp, leurs m oteurs, c ’est dans l’aérody-
« dem eures» d ’É tienne M artin à la D ucham p et com m ence sa fam euse nam ism e de leurs plaques et le calcul
galerie B reteau et chez M ichel série du Cirque. Ses prem iers débuts exact de leurs points d ’équilibre que
C outurier; les propositions spatiales parisiens inaugurent une double car les m obiles tro u v ero n t leur aérienne
de C havignier chez Beno d ’In c elli; rière à la fois parisienne et new- liberté, sensibles au m oindre souffle;
projet d ’un m onum ent com m ém oratif yorkaise, m enée au rythm e d ’une tandis que les pièces fixes, les « sta-
de l’im m igration clandestine juive en incessante pérégrination de part et biles», évolueront vers une cons
Israël, les «M aap ilim » de M arc d ’autre de l’A tlantique. Vite lassé de truction structurelle de plus en plus
Scheps à la G alerie J). la frénésie des villes, C alder émigre m onum entale, forte et élégante.
à la cam pagne et, aujourd’hui, c’est
UN IN G É N IE U R PR É C IS dans le C o n necticut (R oxbury) et en Les deux partis pris parfois se re n
T ouraine (Saché) q u ’il travaille. c o n tre ro n t: l’exem ple le plus célèbre
C ’est dans un contexte aussi n et est la grande pièce du Palais de
tem ent o rienté que prend to u te sa UN C O STA U D l’U N ESCO à Paris, dont la partie
valeur la rem arquable exposition supérieure est articulée, la base étant
C alder organisée p a r le M usée Vers 1932 apparaissent les prem iers fixe. Insensible aux rem ous de la
national d ’A rt m oderne, en collabo «m obiles», constructions anim ées à petite histoire, C alder a m ené éga
ration avec le M usée G uggenheim base de form es simples se déplaçant lem ent sa double carrière sur le
de New Y ork. D ’abord parce q u ’elle dans l’espace: une sculpture du m ou plan géographique; la rivalité Paris-
est le signe, com m e le note Jean vem ent, plutôt que de la m atière. N ew Y ork ne l’a pas a tte in t: il se
Cassou, « d ’une bonne entente qui C ertains de ces mobiles anim és par situait d ’em blée à un autre niveau,
nous a perm is de céléb rer la m êm e des m oteurs et qui em pruntent leur celui de la qualité, celui de la
année, des deux côtés de l’océan, un morphologie de base à la géom étrie poésie. M arcel D ucham p em ploya le
des grands créateu rs de l’art de notre lyrique d’un M iro et d’un A rp évo p rem ier le term e « m obiles » à propos
tem ps, qui fait au tan t hon n eu r à son quent, à plus de vingt ans d’avance, des élém ents aériens de C alder. A rp
pays d ’origine q u ’à l’École de Paris ». les prem iers essais de Tinguely. Il y devait a contrario appeler « stabiles »
Pour l’occasion, voilà C alder faisant a beaucoup de C alder dans Tinguely, les sculptures fixes: C alder m éritait
figure de L afayette ou plutôt de Ben et l’on s’aperçoit aujourd’hui que le bien de tels parrains.
jam in F ranklin de l’art actuel! sculpteur suisse ne s’est entièrem ent Pierre Restany.
Ensuite, parce que c ette œ uvre, dont libéré de l’influence de l’A m éricain
il nous est donné pour la prem ière qu’à une date fort récente, dans ses
fois de voir l’entier développem ent dernières œ uvres m onum entales
et que nous pouvons situer ainsi dans exposées au Pavillon de M arsan, où le
son cadre historique, préfigure à m ouvem ent est magnifiquem ent inté
chacun de ses m om ents le souci gré à l’architecture des formes.
m ajeur de la sculpture c ontem po Tinguely, reprenant le problèm e du
raine: l’intégration spatiale. C alder m ouvem ent où C alder l’avait laissé,
y répond à la fois par l’aérodyna- a su aller au-delà et d o n n e r à sa
m isme pu r de ses balanciers et par créatio n une dim ension supérieure.
le très exact contrôle de ses stru c Si C alder a abandonné le problèm e
tures articulées. de l’anim ation m écanique au profit de
Com blé d ’honneurs et de gloire, l’aérodynam ism e pur, c ’est que ce
grand prix de Sculpture à Venise « costaud à l’âm e de rossignol », tel
dès 1952, C alder dem eure égal à que l’a superbem ent défini M iro,
lui-m êm e, ingénieur précis et génie obéissait aussi à une autre préoc
habité, un hom m e aux pieds sur cupation fondam entale de sa nature:
terre et au destin dans les étoiles. le contrôle des volumes à l’arrêt, si je
182
A voir
La terre devient un arsenal
Savoir que les grandes puissances ont la possibilité, avec leurs usines de séparation isotopique am é
armes nucléaires, de détruire en partie ou en totalité la planète ricaines consom m ent a u tan t de co u
est une situation inconfortable à laquelle l’humanité a fini par rant q u ’en produit la F rance. Tel est
s’habituer. Mais deux faits nouveaux sont venus, au cours des le pari technique q u ’ont gagné les
derniers mois, renforcer l’angoisse que fait peser sur le monde Chinois. C ertes, il sem ble q u ’ils
aient disposé au d épart d ’une unité
l’existence des armes modernes. Il y a eu l’explosion de la deuxième
pilote, c ’est-à-dire d ’un ensem ble
bombe atomique chinoise et l’utilisation de produits chimiques au com presseur - diffuseur que leur
Viêt-nam par les Américains. C ’est là un fait nouveau qui oblige auraien t donné les Soviétiques. Il
En faisant exploser une deuxièm e à réviser bien des notions adm ises. n ’en reste pas m oins q u ’ils sont
bom be atom ique, les C hinois ont Ju sq u ’à présent, on croyait que la venus à bout de cette réalisation
prouvé que l’arm e nucléaire n’était mise au p oint de telles arm es n’était jugée très au-dessus de leurs m oyens.
plus et serait de m oins en m oins le à la p o rtée que d ’une très grande Les conséquences et les im plications
m onopole de quelques grandes puis puissance industrielle et que, par d ’une telle réussite sont très im por
sances. En utilisant des gaz inca- conséquent, le club atom ique serait tantes. B eaucoup de pays qui n’osaient
pacitants, les A m éricains ont brisé encore très longtem ps un club ferm é. ten te r l’aventure atom ique envisagent
le tabou qui frappait d ’in terd it l’em C ertes, la C hine n ’est pas un quel a u jo u rd ’hui cette possibilité avec un
ploi des arm es chim iques et b a cté conque pays. Elle possède des res regard neuf. Il existe, en effet, des
riologiques. On entrevoit aujourd’hui sources énorm es et effectue un voies plus aisées po u r construire des
la possibilité d ’un m onde dans lequel effort de développem ent gigantesque. arm es atom iques. Les C hinois ont
vingt ou tren te pays a u ro n t un Mais elle s’est fixé un program m e choisi la voie de l’uranium parce
arsenal atom ique et où to u t conflit nucléaire très ambitieux, prouvant par q u ’elle conduit d irec te m en t à la
en traîn era l’em ploi d ’arm es chi là même que de plus petits pays pour bom be H.
m iques de plus en plus redoutables. raient m ener à bien des program m es M ais, dans cette voie m êm e, on peut
D iscuter les im plications politiques plus limités. progresser à m oindres frais si on
ou m orales d ’une telle situation La C hine a réalisé ce que l’on consi lim ite ses am bitions à la constitution
n’est pas notre rôle; nous nous d é rait com m e im possible: construire d ’un très p etit stock. On peut, tout
co n ten tero n s de l’analyser d ’un point une usine de séparation isotopique d ’abord, utiliser la séparation électro
de vue technique et objectif. p o u r se p ro c u re r de l’uranium 235. m agnétique, technique qui a fourni
11 s’agit là du summum de la techno aux A m éricains l’uranium de la
QUI N ’A U R A PAS SA B O M B E? logie nucléaire. Le procédé consiste bom be d ’H iroshim a. Ce p rocédé ne
à faire passer des m illiers de fois du fournit que des petites quantités,
L orsque la prem ière bom be chi gaz d ’hexafluorure d ’uranium à tra m ais sem ble plus aisé que la diffu
noise explosa le 16 octo b re 1964 près vers des b arrières de diffusion pour sion gazeuse qui, seule, assure une
du lac L op N or dans le Sin-Kiang, sé p a re r 0,7 % d ’uranium 235 de p ro duction im portante.
les experts s’em pressèrent de p ré 99,3 % d ’uranium 238 non fissile.
ciser q u ’une explosion n ’était pas Les difficultés techniques d ’une telle OÙ EN SER O N S-N O U S DA NS
une bom be, q u ’il y avait loin de la entreprise sont effrayantes. Pour D IX ANS?
mise au point d ’un engin rudim en nous, Français, un nom les résum e:
taire à la c onstitution d ’un arsenal P ierrelatte. A rc h ite ctu re , technique On parle aussi én o rm ém en t de
atom ique. L ’explosion de la seconde du vide, résistance des m atériaux, l’u ltracentrifugation. Ce procédé
bom be chinoise réduit à néant ces usinage de précision, chim ie, dans sem blait p résen ter des difficultés
explications rassurantes. Le m onde tous les dom aines il faut réaliser technologiques insurm ontables; mais
sait a u jo u rd ’hui que la C hine aura des prodiges. L ’ensem ble coûte des les progrès réalisés grâce aux te c h
des bom bes H en 1970 ou m êm e m illiards de francs actuels et dévore niques spatiales en m atière de résis
avant. une quantité énorm e de courant. Les tance des m atériaux auraient pu iw -
183
Politique
p erm ettre de m aîtriser c elte tec h po u r é tu d ie r les m esures que les cholinestérase, nécessaire à la tran s
nique. Le fait est que, depuis un an, États-U nis pou rraien t prendre pour mission de l’influx nerveux. T ous les
les A m éricains ont classé secret ce éviter la dissém ination des arm es circuits nerveux de l’organism e sont
sujet: ce n’est certainem ent pas nucléaires. bloqués, l’individu m eurt dans d ’h or
sans raison. Une ultracentrifugeuse C om m ent vit-on sur une T erre où ribles souffrances. Les A m éricains
capable d ’isoler l’uranium 235 m ettrait cohabitent une vingtaine de puis — et les autres puissances — ont
la bom be atom ique à la p ortée des sances nucléaires, c ’est un des p ro « perfectionné » le tabum, arrivant à
pays m odestes. M ais on fait éga blèm es m ajeurs de l’hum anité, un des gaz com m e le sarin, dix fois plus
lem ent d ’excellentes bom bes a to problèm e q u ’il faut avoir le courage efficace que l’ypérite et qui tue en
m iques avec du plutonium . Que d ’envisager dès a u jo u rd ’hui, to u t en une m inute après une seule inha
faut-il p our avoir du plutonium ? espérant q u ’il ne se posera jam ais. lation. Il s’agit évidem m ent de gaz
U ne pile atom ique tran sm u tan t l’u ra incolores, inodores et qui peuvent
nium en plutonium et une usine LES « BONS » ET LES tu er p a r sim ple absorption d e r
chim ique pour extraire ce plutonium «M A U V A IS» G A Z m ique. Il existe, en fait, une grande
des barreaux d ’uranium irradiés dans variété de tels produits. C ertains
les piles. Plus de secret ici. Les « Pensez-y toujours, n’en parlez sont volatils, d ’autres s’utilisent
procédés sont p arfaitem ent connus. jam ais»; to u te s les nations sem blent sous form e d ’aérosols, tel ce com
La réalisation est difficile, mais ne s’être fixé cette règle en m atière posé phosphoré mis au point en
présente pas de difficultés m ajeures, d ’arm es chim iques et b actério lo Scandinavie et dont deux milli
co m p arée à la séparation isotopique giques. En ce dom aine, les recherches gram m es sur la peau sont m ortels.
de l’uranium par diffusion gazeuse. et les d écouvertes n’ont pas cessé Ces arm es effrayantes sont o p é ra
D e telles réalisations sont à la depuis cinquante ans. T outes les tionnelles. Aux É tats-U nis, des m is
p o rtée d ’à peu près toutes les puis grandes puissances ont réussi à siles sont déjà prêts à être arm és
sances industrielles: C anada, Suède, m ettre au point une panoplie allant avec des obus à gaz. Point n’est
Italie, Japon, Suisse, Inde, A ustralie, du gaz lacrym ogène aux plus te r besoin d ’un réseau d ’espionnage
A llem agne de l’O uest, Israël, Bel ribles gaz des nerfs. pour savoir que l’A m érique n ’est pas
gique, H ollande, etc., dans des délais T ous les gaz, en effet, ne sont pas le seul pays à posséder un tel arsenal.
variant de un à cinq ans. E ntendons- m ortels. Il existe tout d ’abord des F ranchissant encore un degré dans
nous bien. N ous ne disons pas que gaz lacrym ogènes « am éliorés». Ainsi l’h orreur, on arrive aux arm es bac
ces pays construisent des arm es nu les A m éricains ont utilisé au Viet tériologiques. Ici encore la panoplie
cléaires, nous disons q u ’ils en ont la nam trois sortes de ces produits: com porte une savante graduation.
possibilité. le DM qui produit un peu les m êm es D epuis le cham pignon parasite qui
O r on crain t que la bom be chinoise effets que le poivre et provoque en d é tru it les récoltes, ou le virus de
n’ait un effet d ’em ballem ent. Indiens o utre des nausées; le CN qui attaque la grippe, ju sq u ’aux protozoaires
et Japonais sont beaucoup plus tentés les yeux, les voies respiratoires et d o n n an t la dysenterie ou la m alaria,
de lancer un tel program m e depuis provoque des dém angeaisons; et le ju sq u ’aux bacilles pouvant tran s
que leur puissant voisin est devenu CS dont l’action est assez voisine, m ettre la peste et le c holéra et aux
une nation atom ique. Une réactio n mais dont l’effet dure une dizaine virus provoquant des encéphalites,
en chaîne risque de se pro d u ire. Si de m inutes. les arm es sont prêtes.
l’on veut bien re g ard e r l’avenir non Plus subtils sont les gaz qui agissent Ces arm es sont relativem ent bon
pas à cinq, m ais à dix ou quinze ans sur le psychism e des com battants. m arché et faciles à fabriquer. L eur
d ’éch éan ce, la liste des candidats Les A m éricains ont ainsi le LSD 25, efficacité dépasse celle des bom bes
possibles au club atom ique s’allonge com posé de psylocibine et de m esca nucléaires. Un bo m b ard ier B 52
singulièrem ent. La plu p art des pays line, qui provoque des hallucinations peut, avec une bom be de 20 m éga
du T iers M onde n ’ont pas actu el (Voir Planète, n° 22: Les drogues, tonnes, raser 250 kilom ètres carrés,
lem ent les techniciens nécessaires; clés de l ’enfer ou du ciel), et le BZ qui tu an t 98 % de la population. Selon
mais de tels techniciens s’im portent plonge les individus dans un état de les chiffres publiés p a r la revue
et se form ent. Ici encore le p h én o prostration com plète. Missiles and Rockets, ce m êm e bom
m ène d ’em ballem ent risque de jo u er. A l’échelon supérieur, enfin, on bardier peut, avec des arm es chi
Bref, on doit a u jo u rd ’hui envisager arrive dans le dom aine des gaz m iques, tu e r ou annihiler 30% de la
com m e une éventualité des plus vrai de com bat destinés à tuer. Ici les population sur une m êm e superficie.
sem blables q u ’une vingtaine de pays progrès accom plis depuis l’ypérite de M ais, avec des arm es bactério lo
auron t des arm es nucléaires dans la G ran d e G u e rre sont p roprem ent giques, 200 kg suffisent à frapper
une décennie. C ette éventualité est terrifiants. L ’invention de base en ce 25 à 75 % de la population sur une
prise tellem ent au sérieux que le dom aine est allem ande et rem o n te à superficie de quelque 100 000 kilo
p résident Johnson a créé un com ité 1936. Le gaz tabum, mis au point par m ètres carrés. T elle est l’effroyable
spécial présidé par l’ancien sous- le chim iste G erh ard S chrader, agit puissance de ces arm es faciles à se
secrétaire à la D éfense, G ilpatric. en n eutralisant une enzym e, l’acétyl- p ro c u re r, répétons-le.
184
A savoir
LA T EN TA TIO N DE L ’ESCALAD E le p e tit individu d ont la capacité
crânienne (environ 700 cm 3) est to u t
P o u r p a rer à c ette terrib le m enace,
PALÉONTOLOGIE juste la m oitié de la nôtre. Ils
les É tats décidèrent, p a r un accord veulent n’y voir q u ’une variété
explicite — accord de G enève — ou d ’A ustralopithèques. L eakey n’est
tacite, de n’y pas recourir. M ais on Notre arbre généalogique pas d ’accord. Le crâne de son fossile,
voit q u ’il existe ici un phénom ène de bien lisse, ne porte pas la crête
se complique sagittale caractéristiq u e des A u stra
dissém ination q uant aux effets de ces
arm es. B annir le sarin des cham ps de lopithèques. Il paraît certain que cet
bataille, to u t le m onde l’adm et. Il y a un an, le D r Leakey je ta it une ê tre avait la station verticale. Sa
M ais p ourquoi co n d am n er les gaz bom be dans le m onde des a n thropo- m ain, beaucoup plus évoluée que
incap acitan ts et pas le napalm ? Le logistes en donnant le « titre» d 'Homo celle du singe, était apte à saisir
général am éricain J.H . R othschild à à un fossile d a ta n t de 1 700 000 ans: et à fabriquer. De fait, au to u r de
pu soutenir dans un ouvrage récen t l’Homo habilis (Voir le Journal de son Homo habilis L eakey a trouvé
que l’arm e chim ique était une arm e Planète, n° 18). Et voilà que, cette des restes de « pebble culture », c ’est-
hum anitaire. année, une nouvelle bom be éclate, à-dire des galets dont un bord est
C onfusém ent, to u t individu sain sent française, c ette fois. Un jeu n e c h er som m airem ent aiguisé. C ’est là l’in
le terrib le engrenage dans lequel ch eu r du C .N .R .S., Yves C oppens, a dustrie la plus prim itive que nous
l’hum anité risque de m ettre le doigt. d écouvert dans une falaise perdue connaissions, m ais c ’est déjà une
P ourquoi a cc ep te r le gaz nauséeux et dans les sables du T chad un fossile industrie. Et c ’est à cause d ’elle
pas le gaz hallucinogène ou incapa- d atan t d ’un m illion d ’années. Provi que L eakey a baptisé son fossile
citant? P ourquoi a ccep ter le gaz soirem ent, il l’a baptisé Tchadan- Homo habilis.
incap acitan t et pas le virus de la thropus — H om m e du T chad —, ce
grippe? A insi, en une im placable qui ne préjuge pas de sa situation LE T C H A D A N T H R O P U S :
escalade, la guerre bactériologique dans notre arbre généalogique. - 1 000 000 D ’A N N É ES
et chim ique to ta le ferait b ientôt son Il n’en est pas m oins vrai que, par
apparition. sa m orphologie, ce crâne ne p araît Yves C oppens, lui, n’a pas encore
Avec la guerre du V iêt-nam , les guère différent de celui de YHomo fait autant de découvertes. A u to u r
arm es chim iques et bactériologiques habilis. Son volum e est assez sem de son crâne fossile, il a bien trouvé
ont-elles fait leur véritable apparition blable à celui du fossile de Leakey, la flore et la faune de l’époque — élé
sur les cham ps de bataille, ont-elles et son front élevé en fait un être phants, hippopotam es, antilopes,
surm onté c ette m alédiction générale plus évolué que les A ustralopithèques. to rtu es —, mais il n ’a pas réussi a
qui les frappait? Nul n ’ose répondre d écouvrir la fam euse « pebble cul
à cette question. LE P IT H É C A N T H R O P E : tu re» . Il est vrai q u ’il n ’a pas
C ette triste affaire aura eu le m érite, - 400 000 ANS encore exploré to u te la falaise
à to u t le m oins, de faire prendre d ’A ngam m a, « patrie » du T chadan-
conscience à l’opinion publique A vant la déco u v erte de ces deux thropus, alors que L eakey fouille
m ondiale d ’une réalité que l’on se fossiles, le plus ancien Homo connu sans relâche depuis des années les
cachait: tous les pays pensent à la n’avait pas plus de 400 000 ans. Il gorges d ’Oldow ay, berceau du Z in
guerre chim ique et bactériologique s’agit du P ithécanthrope (ou Homo jan th ro p e et de YHomo habilis. Et si,
et la p ré p are n t. Pour horrible q u ’elle erectus) d ont le prem ier rep résen tan t comm e il y paraît, le T chadanthropus
soit, c ette éventualité doit être fut trouvé à Java en 1891. Et avant appartient au m êm e stade d ’évolution
regardée en face. Ce n ’est sûrem ent lui? N ous ne connaissions que les que YHomo habilis il est vraisem
pas en niant la réalité de ces arm es A ustralopithèques, découverts en blable q u ’il a été, lui aussi, l’artisan
q u ’on en p réviendra l’utilisation. Afrique, âgés de quelque 700 000 ans. d ’une industrie prim itive que des
D ans to u te action hum aine, les côtés M ais eux ne m éritaient vraim ent pas fouilles ultérieures m ettront peut-être
positifs et négatifs, bons et m auvais, le rang d 'Homo; tout au plus étaient- au jo u r. D ’ailleurs, de la « pebble
sont indissolublem ent liés. Le p ro ils des hom m es-singes. culture », Yves C oppens en a trouvé,
grès des sciences et des techniques D éjà, en 1958, Leakey avait sem é la mais dans d ’autres régions du Tchad...
plus que to u t au tre phénom ène p o rte p e rtu rb a tio n en d écouvrant un A us où il n’a trouvé aucun crâne. Indus
cette double m arque. L’arm e m o tralo p ith èq u e, baptisé Z injanthrope, trie d ’un côté, crâne de l’autre, les
derne, cet aspect m audit de la science, qu’il datait de 1 750 000 ans. B ruta deux sans doute vont de pair, m ais la
existe. Elle présente une m enace pour lem ent, la p réhistoire de l’hum anité preuve serait plus rigoureuse si la
l’hum anité. Aux hom m es de connaître reculait d ’un million d ’années; mais « pebble culture » apparaissait à
c ette m enace et de p re n d re à tem ps ce n’était rien à côté des rem ous que A ngam m a.
les m esures de sauvegarde de l’espèce devait c rée r l’a p parition de YHomo Quoi q u ’il en soit, d ’ores et déjà et
qui s’im posent. habilis. La plupart des anthropolo- en dépit de son appellation p rudente,
François Derrey. gistes refusent de voir un Homo dans le T chadanthropus soulève les mêmes
185
Paléontologie
questions que YHomo habilis. D ans Puis le décryptage com m ença. La
sa com m unication à l’A cadém ie des m éthode adoptée consiste à briser
sciences, Yves C oppens n’hésite BIOLOGIE ; la m olécule en ses constituants, puis
d ’ailleurs pas à écrire: «Si le genre ----------------------------------------------------------------- ----------- - J
à reco n stitu er le puzzle. Elle est
paléontologique Homo est défini voisinne de celle qui, il y a quinze
com m e nous l’envisageons, le T cha- ans, p erm it au d o c te u r F red Sanger
danthropus est déjà très p ro b a
Le code génétique :
d ’ob ten ir le prix N obel p our avoir,
blem ent un H om m e. » nouveaux progrès le prem ier, établi la stru ctu re d ’une
protéine, l’insuline.
L 'HOMO H A B IL IS: Pour la prem ière fois, cette année, C om m e tous les acides nucléiques,
- 1 700 000 ANS une équipe de c hercheurs am éricains lA .R .N . étudié se présente com m e
est parvenue à établir la stru ctu re une succession de q uatre bases (ou
Au m om ent où Y. Coppens présentait de la séquence com plète d ’un acide nucléotides): l’adénine, l’uracile,
cette com m unication, L eakey a n n o n nucléique. La prem ière étape est la cytosine et la guanine. C ’est
çait une nouvelle déco u v erte, to u franchie, qui conduit au déchiffrage l’ordre de succession de ces bases
jours dans les gorges d ’Oldow ay. Il du code génétique. Ce résultat décisif q u ’il s’agissait d ’établir.
s’agissait d ’un crâne fossile, co n tem est l’œ uvre de l’équipe de R obert L’opératio n s’est déroulée en plu
porain de YHomo habilis le plus W. Holley, professeur de biochim ie sieurs tem ps. En sim plifiant, disons
récent, m ais, sem ble-t-il, plus proche à l’université C ornell, d ’Ithaque. q u ’elle consiste à soum ettre succes
encore du P ithécanthrope. T outefois, L’acide nucléique déchiffré est un sivem ent l’A .R .N . à l’action de
en a tten d an t une nouvelle définition A .R .N . « d e tran sfert» . Com m e son divers enzym es dont chacun est
de YHomo, L eakey d onnait lui aussi nom l’indique, son rôle consiste à connu p our briser la chaîne électi
un nom provisoire et peu co m p ro tran sfére r les acides am inés contenus vem ent au niveau de telle ou telle
m ettan t à ce nouveau venu: il le dans le liquide cytoplasm ique ju s base. En com parant les fragm ents
baptisa « G eorge ». q u ’aux ribosom es, ces m inuscules brisés au niveau de la guanine à ceux
Trois nouveaux fossiles présentés en « fabriques de protéines » de la brisés au niveau de la cytosine, et
un an, et la confusion règne chez cellule. Là, les acides am inés sont ainsi de suite, les chercheurs ont
les anthropologistes! Il y a quelques organisés en p rotéines conform é peu à peu « situé » to u tes les bases
années, l’arb re généalogique de nos m ent aux instructions inscrites dans de la m olécule: ils ont identifié une
ancêtres paraissait sim ple: de loin l’A .D .N . des chrom osom es, et tran s séquence com plète de soixante-dix-
tains aïeux, ni hom m es ni singes, les mises par l’A .R .N . « m essager». sept nucléotides.
A ustralopithèques, nous passions à Il existe vingt acides am inés, et,
notre « g ra n d -p è re » , le P ith éc a n pour chacun d ’eux, trois sortes N E U F ANS D E T R A V A U X
thrope, préd écesseu r im m édiat de d ’A .R .N . « d e tran sfert» , si bien
YHomo sapiens fossile. M ais cette qu’il y a, au total, une soixantaine Ainsi résum ée, l’opératio n paraît
récen te accum ulation de fossiles d ’A .R .N . « de tran sfert» . sim ple. Elle n’en est pas m oins
nouveaux a bouleversé ce beau Celui qui fut étudié p a r H olley est l’aboutissem ent de n e u f ans de
schém a. Voilà q u ’ap p araît un Homo l’un des trois A .R .N . « de tran sfert» travaux. M aintenant que la m éthode
habilis con tem p o rain du plus ancien spécifiques de l’alanine. Il fallut a fait ses preuves, elle p e rm e ttra
des A ustralopithèques, le Zinjan- d ’abord tro u v er le m oyen de l’isoler d ’avancer plus rapidem ent dans le
th ro p e: donc il ne peu t pas en des cin q u an te-n eu f autres. décryptage du code génétique, celui
« d e sc en d re » . L eakey a m êm e te n qui est inscrit dans l’ordre de succes
dance à penser que le prem ier sion des bases de l’A .D .N .
fabricant d ’outils et d ’arm es a éli Le professeur H olley a déjà isolé
m iné le Z injanthrope, m oins « intel deux autres A .R .N . « d e tran sfert» ,
ligent » que lui... spécifiques l’un de la tyrosine, l’autre
Par ailleurs, q u ’ils soient ou non de la valine. Il va m aintenant e n tre
baptisés Homo, le T chadanthropus, prendre d ’établir leur structure. « En
YHomo habilis et « G eorge » sont co m p aran t ces diverses structures,
m anifestem ent différents des A ustra dit-il, nous découvrirons les m éca
lopithèques. Il faudra bien leur nism es d ’action de ces m olécules
tro u v er une place. Et s’il est vrai essentielles à la vie, et nous pourrons
que l’intelligence qui nous caractérise aussi te n te r d ’en faire la synthèse
prend sa source dans l’action, alors dans nos laboratoires. »
ces artisans prim itifs p o u rraie n t bien D éjà, nous connaissons la structure
re p ré se n ter le prem ier m aillon de la de nom breuses protéines, et, très
chaîne qui conduit à YHomo sapiens. récem m ent la prem ière synthèse de
Claude Giraud. l’une d ’en tre elles, l'insuline, a été
186
A savoir
PARAPSYCHOLOGIE A S T R O N A U T IQ U E
PLANÈTE
ne relève pas Les rationalistes L'avenir appartient
les critiques que nous voulons à l'anti-gravitation
d’ordre philosophique.
L’excellente revue italienne « G ior- Paradoxalem ent, on trouve dans le
Mais un groupe de nale italiano per la R icerca psichica» « M ém orial de l’A rtillerie française»,
« Rationalistes » publie dans son N° de décem bre 1964, publié par l’im prim erie nationale,
page 47, un passionnant texte en des textes véritablem ent révolution
ayant attaqué certains français: L ’aperçu de l’activité dans te naires. Tel est le cas du travail Rayon
de nos collaborateurs sur domaine de la parapsychologie en nement et gravitation en relativité
Tchécoslovaquie depuis la Première générale, publié dans le fascicule 2 de
le plan scientifique, Guerre mondiale, par Karel Kuchynka. l’année 1964 par M. J. Hély, ingé
JACQUES BERGIER Ce q u ’il y a de frap p an t dans ce nieur en c h ef de l’artillerie navale
texte, c ’est que le rationalism e et le M. Hély est un savant ém inent, ancien
répondra, m arxism e n’em p êch en t en aucune élève de l’É cole polytechnique,
au nom de notre équipe, façon les T chèques de faire de la au teu r d ’une vingtaine de notes ou
parapsychologie, alors q u ’avant la com ptes rendus à l’A cadém ie des
dans le prochain numéro. révolution com m uniste l’Église et les sciences et de nom breux travaux p u
au to rités s’y opposaient. C e sont des bliés dans d ’autres revues scienti
rationalistes de ce genre q u ’il nous fiques. Q uelques lignes de l’avant-
faudrait en F rance. propos de son texte p e rm e ttro n t d ’en
C itons, d ’au tre part, une description m esurer l’im portance:
p récise des résultats récem m ent « Il n ’est guère co ntestable que les
réalisée. Si nous parvenons aussi à obtenus en T chécoslovaquie: « P e n solutions ap p o rtées ju sq u ’ici au p ro
synthétiser les acides nucléiques, ce d an t les dern ières années, le travail blèm e de 1’astrona.utique sont beau
sont les deux constituants essentiels scientifique dans le dom aine de la coup plus propices à un sondage
de la vie que nous aurons réussi à parapsychologie a pris un nouvel balistique du proche univers q u ’à
fabriquer dans nos laboratoires... essor grâce à l’activité du D r M ilan une co nquête réelle de l’espace. Il
Ryzl, biologiste et biochim iste de importe donc d ’étudier attentivem ent
U N E G R IL L E l’institu t biologique de l’A cadém ie le processus de la gravitation dans le
des sciences à Prague. Les parapsy cadre de la relativité générale, afin
Sans doute n’en som m es-nous pas chologues sont généralem ent d ’accord de voir s’il n’existe pas, dans ce
encore là. Il reste encore à déchiffrer que, dans ce dom aine de rech erch e, cadre, une possibilité de gravitation
cinquante-neuf A .R .N . « de tra n s le contrôle le plus sûr des p h én o para-norm ale (plutôt q u ’anorm ale),
fert », les A. R. N. « m essagers », m ènes PSI est de la plus grande p e rm e tta n t d ’envisager la réalisation
l’A .R .N . ribosom ique et, l’essentiel, nécessité. Le D r Ryzl a réussi à future d ’engins « para-graviteurs » et
l’A .D .N . des chrom osom es. développer une m éthode, par laquelle d’assurer la conquête présum ée pos
M ais, selon l’im age d ’un biochim iste les sujets peuvent être entraînés à sible de l’espace par une victoire
am éricain, la réussite de H olley a la l’aide de l’hypnose à faire plus faci définitive sur la gravitation. »
m êm e po rtée que la d écouverte de la lem ent usage de leur capacité ESP E nsuite, p o u r la prem ière fois, des
pierre de R osette qui, seule, perm it (perception extra-sensorielle) ju sq u ’à m oyens scientifiques de vaincre la
à C ham pollion de déchiffrer les un degré convaincant et en m anière gravitation sont indiqués. A p a rtir de
hiéroglyphes. Sur cette pierre, en c onstante. Ryzl a exécuté p en d an t la th éo rie de la relativité générale
effet, les prêtres de Ptolém ée V plusieurs années des expériences d’Einstein et de la théorie des quanta,
avaient é crit la m êm e sentence en p aragnostiques avec plusieurs sujets M . H ély m ontre l’existence néces
hiéroglyphes, en dém otique et en traités p a r lui auparavant à l’aide saire dans l’univers d ’un nouveau
grec, fournissant ainsi à C ham pollion de la suggestion sous hypnose, et a phénom ène, le rayonnem ent total,
la « grille » qui lui perm it de pu o b ten ir des résultats significatifs. » g é n é ra lis a tio n du ra y o n n e m e n t
d échiffrer leur écriture. Signalons po u r term in er que le électro-m agnétique, utilisable en
De m êm e, la réussite de Holley D r Ryzl a obtenu en 1963 le prix particu lier po u r la propulsion contre
fournit-elle aux biochim istes la d écerné p a r la fam euse U niversité la gravitation.
«grille» qui leur p e rm e ttra de D uke p our la m eilleure rech erch e en Jacques Bergier.
d échiffrer les hiéroglyphes de la vie. parapsychologie.
187
Astronautique
ACTIVITES PLANETE
Face au public de Cefalù, Gérard Blitz, David Schoenbrun, Maurice Siegel, Jacques Mousseau, Louis
Pauwels et Louis Fournier (de g. à d.j.
188
Activités Planète
non seulem ent qu’il soit présent à estim er que l’expérience était sim ple
nos colloques, m ais aussi q u ’il p our eux. Les sém inaires suivants
participe aux débats et fasse de lui- — sur « l’A strologie devant la PARAPSYCHOLOGIE
m êm e la synthèse entre des opinions science» (avec M M . M ichel G au-
que nous avions voulues — p a r le quelin, le professeur Piccardi,
choix des participants — c o n tra A ndré Rabs et P ietro C ragnolini), Le vrai visage
dictoires. N os craintes les plus « la S urpopulation dans le m onde »
fondées se sont trouvées balayées (avec M M . Josué de C astro, G aston de Gustave Roi
par la réussite, dès le prem ier débat B outhoul et G abriel Veraldi), « le
face au public - puis avec lui. M onde fu tu r» (avec M M . F ra n
çois de C losets, Pierre de Latil, Joël
U N E SE M A IN E de Rosnay, Jacques B ergier), etc. -
D E L ’IN F O R M A T IO N se sont achevés par le m êm e bilan
positif: intérêt du public, enrichis
La série a déb u té, c ette année, p a r le sem ent des p articipants. M. G iorgio
colloque sur « l’inform ation dans le Piccardi, de l’Université de Florence,
m onde m oderne». MM. David nous écrivait après le débat sur
Schoenbrun, d irec te u r de la R adio « l’A strologie devant la science » : « J ’ai
Télévision de N ew Y ork, M aurice été très heureux de p articip er à la
Siegel, d irec te u r général d ’E urope table ronde d ’A ighion, devant un
n° 1, Louis F ournier, adjoint au public extrêm em ent intéressé et
d irecteu r de l’« Express », A ccetta, « vivant ». Les interventions ont
ré d ac te u r en ch ef à la R .A .I., Louis été très nom breuses et en général
Pauw els et Jacques M ousseau ont très raisonnables et pertinentes.
confronté leurs idées et leurs expé Votre tentative de c o n tact culturel
riences sur le rôle de l’infor avec le grand public a réussi et je
m ation et de l’inform ateur, la vous en félicite de tout cœ ur. »
liberté de la presse, l’avenir de C ette seconde série de colloques se
l’inform ation, chacun de ces thèm es term ine ce m ois-ci par une rencontre
ayant occupé une jo u rn ée . Les sur « L ’A rch itectu re de dem ain »
ren co n tres avaient lieu chaque soir (avec notre ami M ichel Ragon et les
à 18 heures. H u it cents personnes arch itectes Jacques C ouelle, Jean
q u ittaien t la plage po u r venir W evler. G eorges Candilis et G om is).
e ntendre d iscuter de ces grandes Nous défrichons un terra in vierge. D ans le num éro 22, nous publiions
questions, et les d iscuter elles- C ette année au ra été, p our le Club un long tém oignage sur « l’incroyable
m êm es ju sq u ’au co u ch er du soleil. M éd iterran ée com m e pour Planète, mage G ustave Roi» (page 115) que
une seconde année expérim entale. nous avait le prem ier signalé notre
M algré le cadre m éd iterran éen — ou N ous songeons à de plus grands ami le cinéaste F ederico Fellini. Roi,
peut-être à cause de lui —, les propos projets. A yant vu en 1965 plus grand qui m ène une vie paisible dans une
se sont toujours tenus au niveau le qu’en 1964, nous avons connu un grande ville de l’Italie du nord,
plus élevé. Ce n’est pas la m oindre plus grand succès. C ette conclusion n’avait jam ais accepté de se laisser
p a rt de ce succès que de grands nous incite à voir plus grand encore. ph o tographier et nous avions dû
responsables de l’inform ation, aux accom pagner n otre étude d ’un p or
occupations absorbantes, se soient- trait ro b o t réalisé p a r le dessinateur
réjouis d’avoir pris sur leur em ploi Pierre Lafillé. A près avoir pris con
du tem ps surchargé p o u r vivre cette naissance du ton ob jectif et m esuré
expérience. C ar le public n’est pas de notre enq u ête, des amis de
seul à bénéficier de ces tentatives de G ustave Roi ont pressé ce dernier de
com m unication; le spécialiste, trop se laisser photographier. Nous sommes
enferm é dans son m onde, doit, donc les prem iers à pouvoir présenter
pensons-nous, être enrichi par l’effort un p o rtrait auth en tiq u e de ce p e r
de vulgarisation qu’il ten te afin sonnage extraordinaire. N ous le
d’être com pris. faisons par un souci d ’inform ation,
et aussi parce que — pensons-
D E PLUS VASTES PR O JE T S nous - , dans tous les cas, une icono
graphie précise com plétant le texte
Le rôle du jo u rn aliste é ta n t ju ste p erm et au lec teu r de se form er une
m ent de com m uniquer, on peut opinion plus fondée.
189
Activités Planète
L'ENCYCLOPÉDIE PLANETE A DEJA PUBLIC
Paraît en septembre
Le mystère
reves
par M ichel, Stevens et Mouffang
avèc une préface d’Aimé M ichel
D es découvertes des psychanalystes
aux travaux modernes
des neurophysiologistes,
190
Activités Planète
SEIZE VOLUMES QUI FONT AUTORITE
Paraît en octobre:
Les Enigmes
de l'archéologie
par L. et C. Sprague de Camp
avec une préface
de Jacques Bergier.
L’Atlantide, Troie,
les Pyramides, Stonehenge,
Angkor, l’île de Pâques, etc.
La Barbarie 4 0 0 / 7 0 0
par
É D O U A R D SA LIN
C’est le temps des grandes invasions
M em bre de l’institu t
P résident de la Société
d ’A rchéologie L orraine, C’est aussi le temps du renouvellement
du M usée H istorique L orrain
et du C entre de R echerches des vieilles civilisations enrichies
de l’H istoire de la Sidérurgie par des apports techniques nouveaux
Aigles / bronze / Grande-Bretagne, Kent / Aigles / bronze avec décor en émail cloisonné /
art anglo-saxon: V l'-V ir siècle / British art mérovingien : fin du Ve siècle / Musée de
Muséum / Lénars. Cluny / Giraudon.
Parution: fin septembre. Un volume grand format 63 F + t .l . 120 illustrations noir et cou leu rs.
192
Activités Planète
Si vous souhaitez vous abonner.
M o n a d r e s s e ....................................................................................................
Veuillez tracer une croix X dans le carré correspondant au texte de votre choix.
. .■ : ''. :
. '
PLANÈTE
DIRECTEUR LOUIS PAUWELS