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spirituelles
théologiques
sociologiques
politiques
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Dsychologiques
poétiques
littéraires
artistiques
Ce n um éro de Planète
est consacré aux
NOUVELLES VISIONS
dans les divers domaines
de la culture contemporaine:
dans l’art (page 22)
dans la science (page 43)
dans la pédagogie (page 55)
dans la vie spirituelle (page 66)
dans l’océanographie (page 106)
dans la politique (page 124)
dans le roman (page 133)
dans la sociologie (page 141 )
Notre couverture:
Sculpture par M ax Ernst
Planète défend et illustre, dans PLANETE
tous les domaines de la connais
LA P R EM IÈR E REVUE DE B IB L IO T H È Q U E
Le journal: Les secrets du défi américain / La fin de notre civilisation est-elle pour demain? /
Librairie / L'histoire du nazisme / La musique devient quelque chose qui se regarde / Notre
théâtre va-t-il renaître de ses cendres / La guerre des spots / Les architectes russes
avaient rêvé d'une révolution d'Octobre / Les Biennales arrivent à l'âge critique / Expositions.
Notre dossier Giap-Westmoreland : lire en page 194
la lettre du professeur Guillien qui fut l'examinateur de Giap en 1937.
5
* DES ANTIQUITES
* DES VENTES PUBLIQUES
* DE LA PEINTURE
* DE LA DÉCORATION
* DES CURIOSITÉS
abc décor
REVUE MENSUELLE
EN V EN TE PARTO UT : 5 F
ABONNEM ENT 40 F (10 numéros)
8, RUE SAINT-MARC - PARIS 2e - 508-44-43
num éro spécimen g ra tu it sur demande
V o ic i m o n n o m ................................................................................................................................
m o n a d r e s s e ...................................................................................................................................
Un grizzli féroce
adopte une enfant
A u jo u rd ’hui, lorsqu’un p e
tit enfant se perd à la
cam pagne, on organise
des battues, on va c h e r
c her les gendarm es et
leurs chiens et, le plus
souvent, tout rentre dans
l’ordre avec l’enfant ravi
de se trouver en si bonne
compagnie. Au x v i i p siècle,
LES MÉTAMORPHOSES DE L'HUM ANITÉ aux États-Unis, on prenait
mille précautions car,
Collection d'histoire globale des civilisations avec les Indiens, les ani
m aux de toutes sortes et
Le dixième volume vient de paraître:
les forêts immenses, un
EDITIONS
VICTOR ALEXANDROV
OCTOBRE PLANETE
Ces hommes
ROUGE
qui ont
secoue
Vhistoire
Les meilleurs
documents
iconographiques
| ÉDITIONS PLANÈTE HISTOIRE
nitrate d’argent dans sa tous ses membres étaient Une brochure gratuite : La m a îtr is e d e la
v ie , vous apportera des explications plus
roulotte. L’homme avait mous et tordus par la complètes. Sans que ceci soit un engagement
de votre part, demandez-la à l’adresse sui
vante :
découvert que cela don simple tension des muscles. SCRIBE P N T |
nait une teinte bleue à sa L’homme-squelette était ORDRE ROSICRUCIEN A .M .O .R .C .
peau et en prenait sans un Américain, James Cof- D o m a in e d e la R o s e -C r o ix
9 4 - V ille n e u v e -S a in t-G e o r g e s
doute régulièrement. fey. Il ne pesait que 32 kilos (Joindre tro is tim bres pour frais d ’envoi.)
Il y avait aussi Etta Lake pour une taille de 1,80 m.
et James Morris, le couple- Il mangeait normalement
Pén éla
la p r e m i è r e r e v u e fé m in in e d e b i b li o th è q u e
DOCUMENTS
PLANETE
V ient de paraître
Dans Haight Ashbury.le quartier des hippies de San Francisco, un des temples de l ’affiche à un dollar.
24 L'art psychédélique
Bosch pour le fantastique, William L'Amérique réinvente et réexporte
B lake1 pour le mysticisme philoso l'art de l'affiche, baptisée « poster »
phique, Beardsley2 pour le graphisme Les peintures ou collages des cinq
1900 et l’érotisme. Aux cimaises de la artistes majeurs du mouvement: Wil-
galerie Moore étaient accrochées des son, Victor Moscoso, Rick Griffin,
toiles de grands formats où se mani Stanley Mouse et Alton Kelly — tous
festaient ces influences. Bouddha les cinq chevelus, barbus et vêtus
télescopait un sein de femme: un selon les canons de Haight Ashbury - ,
dragon-machine terrassait l’amour étaient offerts aux visiteurs de la
humain; des mandalas hindous enche galerie Moore pour quelques cen
vêtrés rendaient compte de la réalité taines de dollars chacun. Cet art a
vraie de l’univers; l’ensemble de ces grimpé vite à la cote de la peinture
messages s’imposait dans des couleurs et a déjà conquis les plus riches col
à la fois vives et doucement harmo lectionneurs américains. Mais on
nieuses. «Dieu a créé la couleur, pouvait également emporter pour
disent les hippies, c’est pour que nous 1 dollar 50 la reproduction imprimée,
nous en servions.» Dans leur art de la taille de l’original, de chacune
comme dans leur costume. Un tableau des œuvres exposées (ou, sous rou
ne se présente plus comme une unité, leau de carton noir, l’ensemble des
mais comme la juxtaposition d’élé dix toiles pour 10 dollars — preuve
ments disparates. Ceux-ci ne sont pas que le sens américain des affaires
fondus ou enchaînés, mais conscien s’applique comme ailleurs à l’art
cieusement heurtés. Cet effet de mo hippy). Les cinq artistes qui étaient
saïque est recherché. On pressent là exposés ont commencé par dessiner
l’influence du sociologue Mac Luhan3 les annonces des soirées de l’Avalon
qui a montré comment la télévision Bail — le Bus Palladium de San Fran
avait substitué une nouvelle forme de cisco —et ils sont en effet aujourd’hui
vision à la façon de regarder et de les maîtres des «posters», ces affiches
recevoir le réel qui a dominé pendant qui popularisent vraiment l’art et qui
un demi-millénaire par la grâce du ont tout envahi: les appartements où
livre et à travers lui. les hippies s’entassent à plusieurs
1. William Blake, poète et peintre mystique anglais dont l’œuvre
annonça le rom antism e (1757-1827).
couples, les bars et les magasins, les
2. Audrey Beardsley, dessinateur anglais dont le style orné est carac
téristique de la fin du siècle dernier (1872-1898). Son œuvre vient
chambres d’étudiants. Certains orga
de faire l'objet de deux gros albums édités par Studio Vista (Londres).
3. Sur ce sociologue à la mode aux Etats-Unis, lire nos articles
nisateurs de spectacles ouvrent les
pages 140 et 152. portes de leur théâtre gratuitement
28 L'art psychédélique
Une affiche de Wes Wilson pour une réunion de Bill Graham.
L ’affiche du « Joint Show» de la galerie Moore à San Francisco.
réalisme. Griffin, par exemple, a dé ney Muséum à New York, qui est une
claré que « les hallucinogènes ne fai gigantesque fondation privée dont les
saient qu’enrichir les idées qui lui collections commencent à César, Tin-
venaient en feuilletant des livres de guely ou Arman — pour ne citer que
gravures anciennes». des références européennes —, reçoit
chaque week-end des centaines de
visiteurs. Ils regardent. Muets? sou
New York a-t-elle remplacé Paris vent. Ironiques? certains. Sceptiques?
comme capitale des arts? peut-être. Mais ils viennent. C’est
Les caractéristiques de cet art pro peut-être là toute la différence, mais
viennent, bien plus que de l’utilisation elle est de taille. A Paris, les Nou
de la drogue, de la volonté de retrou veaux Réalistes n’ont pas touché la
ver les rêves oubliés, les temps perdus foule. Il a certes fallu cinquante ans
quand la pensée et le sentiment, la pour imposer Picasso. Mais de nos
raison et le cœur étaient mystique jours, la vie - de la culture comme
ment unis, quand l’alchimie et l’astro de la machine — va plus vite. On n’a
logie n’étaient pas l’une et l’autre pas le loisir d’attendre. Nul ne nous
encore séparées en une science d’un en laisse le choix. On nous laisse seu
côté et une magie de l’autre. lement sur place. Témoins: New York
Pop Art. Op Art. Psychedelic Art. et San Francisco. Jacques Mousseau.
L’Amérique semble accomplir vingt
ans après le rêve qu’elle avait caressé
et cru réaliser à la faveur de la der
nière guerre: devenir le centre actif
de la vie artistique de la civilisation
occidentale. Le courant est inversé
depuis quelques années. Paris exporte
moins d’idées vers New York qu’il
n’en importe. Surtout en ce domaine
des arts plastiques. Ce changement
tient sans doute au dynamisme des
créateurs new-yorkais, à leur audace,
à leur invention, à l’émulation qui
règne dans le monde des galeries. Il
m’a semblé aussi, sur place, qu’il
tenait à l’adhésion du public. Le Wit-
32 L'art psychédélique
Wes Wilson et Bill Graham, deuxième édition.
L A P H ILO S O P H IE D E P L A N E T E (9)
36 La philosophie de Planète
pour l’essentiel, est-il ce qu’il pense, rences sanglantes seraient indélicates,
ce qu’il croit, ce qu’il sait, ce qu’il si nous ne devions garder conscience
sent? Il est ce qu’il fait, répondait le que l’écart est très faible entre la
père de Malraux. Je ne le crois pas. conduite de la pensée et la conduite
Mais c’est une vérité sociale, s’il y a tout court. Il suffit de circonstances
d’autres vérités. Tout de même, me historiques pour le réduire à rien.
disais-je dans mes débuts, il y a malen Cette vision tragique n’est pas dé
tendu. Cette pierre est trop grosse, placée dans le petit débat qui nous
elle ne nous est pas destinée. J’ai occupe. Si mince que soit l’objet, la
appris par la suite qu’elle nous l’était lucidité éclaire les mêmes caves si
bel et bien, mais qu’on lapide ce nistres. Mais voyons les choses sans
qu’on a d’abord défiguré. Sur le frémissement. On ne se plaint pas. On
papier que lui tend son tortionnaire, cherche seulement à comprendre. Je
Jean Moulin, les organes éclatés, discute avec un excellent homme, le
mais toujours silencieux, barre l’s de type même du vieil humaniste. La
Moulins. Pas de comparaison monu conversation se déroule, par coïnci
mentale, mais un enseignement inou dence exagérée, dans le décor balza
bliable: le courage est de résister à cien d’une étude d’avoué. «Je n’aime
toute défiguration. Nous avons la pas notre temps, me dit-il. Vous le
mémoire courte quand nous imputons considérez comme de transition. Sans
aux seuls nazis le crime majeur: doute. Mais je n’ai pas de curiosité
décomposer l’être avant d’envoyer le pour ce qui arrivera: trop vaste, sans
corps au charnier. Toute inquisition repères. L’homme exagère. Il y a des
procède de la même manière. Il n’y limites à ne pas dépasser.» Je lui
à pas d’intolérance meilleure que demande: «Quelles limites?» Il me
l’autre, quels que soient le lieu, le répond d’un trait, comme s’il criait au
temps, la pensée, la morale, la néces secours: «Celles que je connais.»
sité invoqués. J’ai étudié les procès de Voilà une allergie claire et touchante.
sorcellerie. Dans le midi de la France, Je suis à une table. Au rôti, un
jusqu’au début du xvne siècle, on des convive m’assure que Planète, «c’est
cendait, au bout d’une corde, la vic intéressant, mais vous faites parfois
time sur un pal. Et alors, on lui pré des extrapolations hasardeuses». Au
sentait un miroir, afin quelle ne se fromage, il demande à sa voisine quel
reconnaisse pas, qu’elle voie le diable est son signe zodiacal. Voilà du farfelu
dans ses traits convulsés. Ces réfé parisien. Normal. Ce qui commence
Positions P lanète 37
de l’être moins, c’est quand vous en journal: «Je crois en l’homme, mais
tendez ceci: «Je ne lis pas Planète, pas comme un humaniste traditionnel,
parce que je ne m’intéresse pas à tout qu’il soit chrétien ou matérialiste clas
cela. D ’ailleurs, je n’y crois pas.» sique, ne le voyant ni achevé dans sa
Tout cela? Quoi? « Les tables tour nature, ni limité dans ses pouvoirs et
nantes, les horoscopes, la magie, les ses relations avec l’univers. La civili
soucoupes, l’occultisme, l’irrationnel. » sation occidentale, technique et scien
C’est ici que vous vous demandez si la tifique, tend à l’hégémonie mondiale.
pierre vous est destinée. La réaction Cet impérialisme-là passe tous les
naïve est de répliquer qu’il y a erreur autres. Mais je récuse ses fondements.
sur l’objet. Sans effet. On n’ira pas Cet humanisme, qui sous-tend nos
vérifier. Ce n’est pas la réalité de la philosophies, spiritualistes ou non, ne
chose qui est en cause, c’est ce que me suffit pas. Non plus qu’il suffit à
l’on a projeté sur elle. Qu’a-t-on pro rendre compte de ce qui se passe. Ce
jeté? L’image caricaturale propre à qui se passe étant, à mes yeux, la
justifier une gêne dans l’esprit. Quelle découverte, ou la redécouverte à un
gêne? Celle qui vient des incertitudes autre niveau de connaissance, de la
fondamentales. Il est bien évident que nature non fixe de l’homme et de
Planète n’est pas la revue des fausses l’étendue infinie de ses relations au
sciences. Elle groupe des journalistes, monde.» Nous ne sommes pas les
des écrivains, des chercheurs, des seuls à nous poser ce genre de pro
essayistes, des enquêteurs, des pro blèmes. C’est la trame de quantité de
fesseurs, tous gens honorablement travaux que nous signalons. C’est
connus, semble-t-il. Qu’ont-ils de présent dans les conflits qui secouent
commun? Un doute militant. Qu’ex le monde et que nous nous efforçons
priment-ils, dans leurs domaines res d’analyser objectivement. Il y a des
pectifs? La nécessité des remises en abîmes entre la revue que je décris,
question, du maintien des ouvertures. qui est telle, sans conteste, pour le
Ceci, pour n’exclure aucun champ, lecteur ayant suivi son évolution, et
exclut les crédulités. L’ère globale une publication de farceurs habiles.
d’une revue comme Planète est, sans Où sont les fantômes? Je n’en vois
hésitation possible pour qui la lit, une qu’un: celui que traque Koestler, «le
interrogation sur la nature et l’esprit fantôme dans la machine», l’âme dans
d’un humanisme réellement contem la pensée. Nous cherchons en effet où
porain. Je trouve ces notes dans mon est ce supplément d’âme qui semble
38 La philosophie de Planète
manquer au monde, à moins que ce que la pensée calculante apparaisse
monde ne manque de sensibilité pour comme la seule pensée, pourrait
en reconnaître déjà la présence si le tenter, sans mauvaise conscience, et
siècle à venir, comme dit Malraux, même avec conscience de travailler
doit être métaphysique. Mais où sont au bien, d’assurer son hégémonie pla
les fantômes? Depuis quatre ans, un nétaire. C’est une tentation de l’Oc-
groupe qui compte des scientifiques cident. Elle a sa noblesse — et ses
s’est livré, par l’écrit et la parole, lunettes noires. Il y entre un rêve
contre Planète, à des manifestations d’âge d’or. Mais on peut sortir de
dont il est intéressant de saisir les l’histoire par des portes de fer. Le
raisons, les méthodes et le but. Plus mot fameux de La Harpe, si l’on
de cinquante conférences dans les prend sa distinction dans un sens plus
villes universitaires, ce n’est pas rien: vaste, s’applique: « Il peut y avoir une
tache d’huile parm i d’autres. Ce barbarie scientifique. Il n’y a pas de
groupe joue un rôle dans une frater barbarie lettrée.»
nité oscillant entre sa tradition spiri Pour un tel groupe, Planète repré
tuelle, qui justifie ses vertus, ses rites, sente un danger, ou plutôt un obstacle.
sa continuité, sa situation hors du pro Je me suis souvent demandé « ce qui
fane, son avenir même, et les tradi prenait à ces gens-là». Mais ce n’était
tions positivistes, acquises au xixe siècle pas à notre existence en tant que telle
dans l’opportunité des activités so qu’ils en avaient. C’était à un sym
ciales et anticléricales. Que cette bole. Il y a là un pattern de résistance
oscillation soit à son mérite, c’est de l’esprit. Plus grave: de mouvement
possible. Elle exprime la quête diffi en avant de l’esprit qui résiste. Ce
cile de l’esprit moderne. On voit de mouvement ne nous est pas parti
quel côté ce groupe exerce son poids. culier, on l’entend. Cette revue n’est
Il incarne, sous le couvert de la ri pas une école, c’est un reflet de ce qui
gueur, et avec l’autorité de la science- se passe d’intéressant partout où se
comme-religion, des scléroses de manifeste la gestation d’une conscience
l’humanisme. La bonne foi, l’intelli nouvelle, d’une présence plus adéquate
gence, le sérieux, ne sont pas en au monde de l’homme total. Je me suis
cause. Mais, tel, il milite pour une souvent demandé aussi comment il
civilisation qui, ayant réglé une fois était possible, durant des années, de
pour toutes son compte au « fantôme répéter des termes infamants comme
dans la machine», ayant fait en sorte escroquerie, falsification, détour
Positions P lanète 39
nement, etc. Mais c’étaient de fausses de l’esprit, quand on a un peu d’idéal,
questions. Je ne fais pas du tout un on s’étonne toujours de rencontrer
exposé d’amertume, je regarde un des tacticiens. On croyait qu’ils occu
mécanisme. Il s’agissait beaucoup paient d’autres secteurs: le commerce,
moins de critiquer notre effort, ou de la guerre, la politique, les Églises. On
démonter ses faiblesses, ou encore de s’étonne que, pour des intellectuels
prouver qu’il est sans objet (restait à aussi, la fin justifie les moyens. On ne
ajouter que le seul objet est commer perd pas d’idéal à le constater, on se
cial), que de donner, à notre propos, défait d’un certain flou dans la tête.
une image autre des idées véhiculées. On voit mieux quelle distance nous
C’est l’attaque par défiguration, qui sépare, en dépit de l’alphabet et de
précède l’exécution. Tout procès l’électricité, d’une civilisation de la
d’inquisition tient dans ce schéma. tolérance. De la tolérance réelle dans
Ce n’est pas un coupable que l’on la société comme dans l’être intérieur.
cherche, c’est une image de la culpa Il est toujours amusant, quand on ren
bilité. Et non pas de la culpabilité contre un Monsieur-qui-n’aime-pas-
réelle, mais d’un archétype de la parce-que, de fouiller un peu ses
culpabilité. Son autodafé va «net raisons, de vérifier ses sources, et
toyer» l’inconscient collectif. Et voilà même de lui proposer une petite lec
que je retrouve, dans la foule autour ture. On a d’assez jolies surprises, on
du bûcher, le Monsieur-qui-ne-croit- voit de quelle matière fuligineuse la
pas-à-tout-ça, croyant par contre, en plupart des jugements sont faits. Mais
toute innocence, que Planète parle Planète n’a pas besoin d’être défen
des revenants, vante les fakirs et dis due. Elle est. Elle croît. Ce qui a
tribue des horoscopes. Où il a été, besoin d’être défendu, à son propos,
non pas démontré, mais magiquement mais bien au-delà d’un tel objet, c’est
suggéré, que l’ouverture d’esprit en l’intégrité («état d’une chose qui est
gendre la crédulité; l’interrogation entière», dit le Littré) de chaque
fondamentale, la superstition; l’in pensée, de chaque œuvre, de chaque
quiétude spirituelle, la déraison, et homme. Ce qui a besoin d’être sans
que, hors l’humanisme scientifique cesse dénoncé, non comme une faute,
— au sens rigoureusement positiviste mais comme un crime, c’est la tenta
du terme —, il n’est pas de salut. Opé tive de défiguration. Elle a partie liée
ration réussie. Cercle de craie autour avec la pire magie sociale dont le nom
du bouc émissaire. Dans les affaires commun est tyrannie. Louis Pauwels.
40 La philosophie de Planète
Il n’est pas difficile de voir que notre temps est un
temps de gestation et de transition à une nouvelle
période; l’esprit a rompu avec le monde de son
être-là et de la représentation qui a duré ju sq u ’à
maintenant; il est sur le point d ’enfouir ce monde
dans le passé, et il est dans le travail de sa propre
transformation. En vérité, l’esprit ne se trouve jamais
dans un état de repos, mais il est toujours em porté
dans un m ouvem ent indéfiniment progressif; seu
lement il en est ici com m e dans le cas de l’enfant;
après une longue et silencieuse nutrition, la p re
mière respiration, dans un saut qualitatif, interrompt
brusquem ent la continuité de la croissance seu
lement quantitative, et c ’est alors que l’enfant est
né; ainsi l’esprit qui se forme mûrit lentem ent et
silencieusement ju sq u 'à sa nouvelle figure, désin
tègre fragment par fragment l’édifice de son monde
précédent; l’éb ran lem ent de ce m onde est seulement
indiqué par des sym ptômes sporadiques; la frivolité
et l’ennui qui envahissent ce qui subsiste encore, le
pressentim ent vague d ’un inconnu sont les signes
annonciateurs de quelque chose d 'autre qui est en
marche. Frédéric Hegel.
N o u velle visio n
Arthur Koestler
Y a-t-il un fantôme
de l'h o m m e
e t de son é v o lu tio n
dans la machine humaine?
La vie spirituelle 71
une nouvelle
dimension
religieuse
En accord avec les interrogations modernes
«Celui Ce m onde religieux, sécularisé dans sa vie, sa culture, sa
science et ses techniques, éprouve une sourde angoisse. Ce
qui connaît n’est pas seulem ent la m enace atom ique qui l'épouvante. Ce
n ’est pas seulem ent la révolte des sous-développés qui l’in
quelque chose quiète. Ce n ’est pas seulem ent l’incontrôlable expansion des
sciences et des techniques qui le soucie. Dans ses profondeurs,
de la profondeur il livre bataille à l’énigme éternelle: quel est le sens ultime
de la vie? Mais dans quelle situation affronte-t-il cette énigme,
connaît alors que les dogm es vacillent? Il bute sur l’ultime en récusant
une religiosité qui est c e p en d a n t conten ue dans le fait même
quelque chose de b u te r sur l’ultime.
Et les questions succèd ent aux questions: est-ce la fin de
de Dieu.» toute « religion », « fruit de la préten tion hum aine», com m e
l’affirme Dietrich Bonhoeffer? Est-ce la mort du christia
nisme? Peut-on encore croire en Dieu? Si oui, ce Dieu est-il
en co re le Dieu de la Bible? L’absurde qui s’exprime si for
tem e n t dans la littérature et dans l’art contem po rain s serait-il
la seule réponse à la question: où som m es-nous et où allons-
nous?
L’hom m e d ’a u jo u rd ’hui qui répugne aux croyances imposées
du deh ors n'est-il pas, par cela m êm e, en quête d 'une expé
rience spirituelle p rofonde et vécue?
La vie spirituelle 73
surmonté et que la religion redécouvrira sa pour aboutir à Dieu, mais le Dieu que l’on
place véritable dans la vie spirituelle de découvre ainsi n’est qu’un Dieu à l’image de
l’homme, à savoir dans ses profondeurs. Et l’homme et de ses préoccupations. Il n’est pas
c’est à partir de là qu’elle peut donner subs le Dieu vrai et vivant qui se révèle en Jésus-
tance, signification dernière, jugement et Christ et dont l’Écriture rend témoignage.
courage créateur à toutes les fonctions de Si l’homme moderne veut vraiment ren
l’esprit humain.» ( Théologie de la culture, contrer le Dieu vivant, il doit accepter de
chapitre I.) Le christianisme est-il capable se laisser librement et radicalement confronter
aujourd’hui de répondre à la quête religieuse par Lui, en abandonnant tous ses préjugés et
de l’homme moderne, d’ouvrir avec lui un toutes ses présuppositions. Il faut laisser à la
dialogue qui soit éclairant et pour lui source Parole de Dieu et à son autorévélation toute
de guérison et de salu t1, de réconciliation son initiative et sa souveraine liberté. Tillich
avec le fondement de son être? s’associe pleinement à cette critique de la
pensée chrétienne libérale et moderniste,
L'Évangile moderniste ou libéral mais il refuse toutefois d’en tirer les conclu
n'interpelle plus l'homme sions radicales que Kierkegaard ou Karl
Dans son introduction à la Théologie de la Barth ont cru devoir adopter. On aurait tort
culture, Jean-Paul Gabus écrit: « La théologie d’identifier le message chrétien à un « exclu
protestante moderne, de Kierkegaard à Karl sivisme», à une dialectique du pur atta
Barth, s’est plu à souligner la rupture et la chement et de la rupture. Le Christ des
discontinuité qui existent entre Evangile et Évangiles n’est pas un événement exclusif; il
culture, foi et religion, Église et monde, est, au contraire, un événement inclusif, à
l’interpellation de la Parole de Dieu et la portée universelle, qui rassemble en lui toutes
problématique humaine, théologie et philo les vérités et toutes les recherches de
l’homme.»
art.
sophie. Elle a cru devoir condamner sévè
rement et une fois pour toutes les tentatives
of modem
opérées au xix1 siècle pour adapter le message De la nécessité
chrétien au monde moderne. Ces tentatives du mythe
n’avaient en effet abouti qu’à une abdication Pour Tillich, tout langage religieux est un
spéciale de la vie
Monastère de Monte-Olivetto.
photo Ionesco/Réalités.
spirituelle de l’homme,
Laboratoire atomique de Windscale,
photo Caméra-Press/Holmès-Lebel.
la dimension en profondeur
Photo Dynamic Service.
La vie spirituelle 83
deux personnes qui peuvent ou ne peuvent mystique avec Dieu, fo nd em ent de l’Uni-
pas se rejoindre mais d on t c ha c un e est une vers *.» Il faut n oter que Tillich s’écarte assez
réalité ind ép end an te de l’autre. Il y a d 'une c o n s id érab lem ent de la théologie p ro tes
part un être qui est Dieu et d ’autre part un tante traditionnelle aussi bien libérale q u ’o r
être qui est l’ho m m e. Dieu entre ainsi dans thod ox e p ou r rejoindre les grandes intuitions
la catégorie des relations sujet-objet-, qui mystiques d ’un Origène, d ’un G régo ire de
définissent les ra pports humains. En tant que Nysse, d ’un saint B onaventure ou d ’un saint
sujets, nous voyons Dieu com m e un objet, en T h o m a s d ’Aquin. Parfois, il en vient m êm e à
tant que sujet, Dieu nous voit com m e des rejoindre les c on ceptio ns p u re m e n t im per
objets. Mais parce que Dieu est tout-puissant sonnelles de Dieu que l’on retrouve chez les
et omniscient, il peut, lui, me tra nsform e r en mystiques de l’Inde ou enco re chez des mys
un objet qui n’est rien de plus q u ’un objet. Il tiques chrétiens hétérodoxes co m m e M aître
me prive de toute ma subjectivité. En E ckhart et Jaco b Boehme.
revanche, moi qui ne suis pas tout-puissant,
je ne puis lui rendre la pareille. Dieu m ’a p p a « Une incertitude objective
raît donc co m m e un tyran invincible contre est la plus haute vérité... »
lequel toute révolte est brisée d ’avance, et ce On est là en présence d ’une mysticité à l’état
perpétuel échec ouvre la p orte au désespoir. pu r et d ’une logique de la mysticité qui peut
Et c ’est ce Dieu-là q u ’ont voulu tu e r des a tta q u e r de m anière radicale à la fois les c a r
hom m es com m e Marx, Nietzsche, Freud ou tésiens m o dernes et les croyants orthodoxes.
Sartre. Et je trouve que, sur ce point, ils ont Tillich, en ce sens, dévoile la religiosité
raison, je trouve q u ’il faut en finir avec le inhérente à tout le co u ra n t de la pensée o n to
théism e \ » logique et de la philosophie existentielle si
fortem ent illustrée p a r le génie allemand,
Pour Tillich, avec Schelling, Kierkegaard, Jaspers, H ei
Dieu n'est pas une personne degger. Ceux qui ont besoin de certitudes et
P our Tillich, Dieu n ’est pas une personne de croyance imagée et c h e rc h e n t celles-ci,
mais Dieu peut établir ses relations avec soit dans la science com m e Église, soit dans
l’hom m e sur un mode personnel co m m e il le les Églises, ne peuvent que se sentir p ro fo n
fit avec A b ra h am , Isaac ou Jaco b. « Parce d é m en t «déran gés» par la lecture de Tillich,
q u ’il est infini, Dieu est supra-personnel. qui d éc a p e l’être. Mais Tillich lui-même se
Mais parce que l’h om m e est une personne, réfère à la magnifique parole inspirée et p r o
Dieu, p o u r e n tre r en con tact avec l’hom m e, p re m e n t religieuse de K ierkegaard: « U ne
peut se m anifester sur un plan personnel. Il incertitude objective app ro priée ferm em ent
devient un Toi que mon Moi peut aimer. Et par l’expérience personnelle la plus pas
c ’est pourquoi dans to ute tradition religieuse sionnée, est la vérité, la plus haute vérité
nous avons des prières qui exprim ent des q u ’un individu existant puisse atteindre.»
relations d ’a m o u r entre un Toi et un Moi. Y a-t-il une vérité éternelle? Je le crois. Mais
Mais, parallèlem ent, dans to ute religion supé je ne puis en tém oigner. Je ne puis tém oigner
rieure, il y a une ap pro c h e de Dieu qui trans que de mon ra pport vécu avec elle.
cende la relation Toi-M oi. C ’est l’attitude 2. In terv iew de Paul T illic h p a r T an n e g u y de Q u e n é ta in , pu b liée
dan s la rev u e fran çaise Réalités d ’avril 1965.
contem plative qui aboutit à une réunion 3. Réalités, op. cit.
D es visites,
des circuits, mais
aussi des ren co n tres,
des en tretien s
T ous
les renseignem ents
sur ces vacances
pas com m e les autres
page 189.
La vie spirituelle 85
Stonehenge décodé
Qui a construit il y a 4000 ans
cet observatoire astronomique?
Dominique Arlet
88 Stonehenge décodé
« Heel stone», m ot d on t l’étymologie est C ’était un peu c om m e si on avait am ené
incertaine et qui est do nc intraduisible; enfin, O scar à Stonehenge et q u ’on l’ait prié de si
pra tiq u e m e n t invisibles sur le terrain et en gnaler ce q u ’il voyait dans le ciel, tel mois, tel
partie conjectu rau x, entre les trous d ’A ubrey jo u r, à telle heure, entre tel et tél mégalithe.
et les 30 sarsens, deux cercles co m p o rta n t Les circuits électron iq ues se m irent au tr a
l’un 30 trous, l’autre 29 trous, baptisés respec vail. Le résultat fut surp re n a n t, p o u r Hawkins
tivem ent Y et Z. tout le premier.
Si les planètes et les étoiles étaient c o m p lè
On devinait des intentions te m e n t dédaignées, Stonehenge pe rm e tta it en
complexes; mais lesquelles? revanche de re p ére r toutes les positions signi
Tel est Stonehenge. La simple nom e n cla tu re ficatives de la lune et du soleil et de suivre
de ses constituants laisse deviner des inten leurs variations saisonnières. Les graphiques
tions com plexes peut-être, mais s û re m e n t très et les tableaux établis par H awkins ne laissent
précises. Hawkins en eut l’intuition. Il aucun do ute sur le sujet. C ’étaient des co n clu
regarda, co m m e tant d ’autres, depuis l’autel sions excitantes au plus haut point p o u r l’im a
et à travers une des arch es du cercle de sar gination. N otre astron om e américain ne
sens, le soleil du solstice d ’été se lever à la s’a rrê ta pas là. O scar venait d ’expliquer à
pointe de la Heel stone. Et si c ’était bien une quoi servaient les mégalithes. Mais il n ’y a
tradition venue du fond des tem ps? Mais pas que des mégalithes à Ston eheng e: ses
alors, à quoi servaient toutes ces autres con struc teu rs ont élevé des pierres, ils ont
pierres, ces trilithes, ce rectangle, ces trous? aussi creusé le sol. 56 trous d ’Aubrey.
T out cet ensem ble ne recélait-il d ’autres ali 30 trous Y. 29 trous Z. 56, 30, 29... A quoi
gnem ents astro nom iq ues valables, o utre celui pouvaient bien co rre sp o n d re ces chiffres?
du lever du soleil du solstice d ’été? Une fois le prob lèm e posé, les d on nées
étaient assez simples: les hom m es de S to ne
Un prem ier exam en convainquit rapidem en t henge sem blent n ’avoir consacré leur a tte n
H aw kins q u ’il y avait une b onne centaine tion q u ’au soleil et à la lune. Les levers, les
d ’alignem ents possibles. C o m m e n t rep érer couchers, les culm inations de chacun de ces
ceux qui étaient significatifs? Il se passe tant astres sont certes dignes d ’intérêt. Mais bien
de choses dans le ciel q u ’un tel décryptage, plus encore certa in em en t ces événem ents
te rriblem ent fastidieux, eût pris des mois et spectaculaires où le soleil et la lune se re n
des mois. H awkins est un A m éricain : pou r c o n tre n t: les éclipses.
résoudre son pro blèm e d ’archéologie préhis L’astronom ie m od erne se consacre moins à
torique, il d écida de s’assurer le conco urs l’observation des rythm es q u ’à la physiologie
d ’un ordinateur. Lequel fut affectu eu sem ent des mécanismes. Mais Hawkins se souvint
baptisé «O sc a r» . H awkins en parle com m e
2. S u r ce su je t, v o ir d an s Planète n" 32 •< la L o ngue C h asse de T o u c h e
s’il s’agissait d ’un con frère particulièrem ent Skad d in g ».
c o m p é te n t et coopératif. Il fournit à O scar 3. h e rn a n d N iel, Dolmens et Menhirs, co lle c tio n <• Q u e Sais-je », Presses
U n iv e rsita ire s d e F ra n ce .
d ’une part les alignem ents possibles de S ton e 4. Le « sa rse n » ou « p ierre d es S arrazin s » est u n g rès; les « p ierres
b leu e s ». b ien q u e g ro u p ée s sous u n e m êm e d é n o m in a tio n , so n t soit
henge, d ’autre part les positions-clefs (levers, des ro ch e s v o lca n iq u e s, so it du g rès, soit du ca lc a ire .
couchers, culminations, etc.) des principaux 5. C es deu x d é n o m in a tio n s o n t é té é ta b lie s alo rs q u e l’o n cro y ait
S to n e h en g e un m o n u m e n t d ru id iq u e . C e qui n 'e st n u lle m en t le cas, on
corps célestes, soleil, lune, planètes, étoiles. va le voir. M ais on a co n serv é les nom s.
90 Stonehenge décodé
surpris. Pourquoi ce voile du silence? Pour soleil au solstice d’été, le 21 juin, ne se
quoi le mot Stonehenge est-il tabou? faisait pas parfaitement au-dessus de la Heel
Jusqu’à présent pour deux raisons: les pro stone. Il y a un écart de 52 minutes. Se
blèmes matériels et culturels que soulève sa basant sur les variations de Pécliptique, sir
construction d’une part, les caractéristiques Norman Lockyer calcula que le lever du
hétérodoxes du phénomène mégalithique soleil du 21 juin dut coïncider exactement
dont fait partie Stonehenge d’autre part. avec le sommet de la Heel stone en 1850
Examinons Stonehenge dans son seul av. J.-C. Les fouilles faites dans le fossé de
contexte régional. Les roches que comporte l’enceinte et dans les trous d’Aubrey confir
le monument ne sont pas tirées du sous-sol mèrent cette date, de même que la datation
immédiat. Les pierres bleues, qui pèsent en au carbone 14 d’un morceau de charbon de
moyenne 5 tonnes chacune, proviennent bois.
d’une mine située à quelque 400 kilomètres
de là. Leur transport dut se faire par mer et Qui a pu concevoir Stonehenge
par terre, avec des traversées de rivières. Par 2 0 0 0 ans avant J.-C.?
quel moyen? Les sarsens pèsent entre 25 et Il est maintenant acquis que Stonehenge a été
50 tonnes. Les carrières d’où ces pierres furent construit en trois fois, entre 1850 et 1700 av.
extraites sont plus proches de Stonehenge. J.-C. Or la préhistoire prétend connaître par
Mais il fallut les arracher au sous-sol, les faitement les hommes qui peuplaient alors les
transporter, les tailler. Toutes les pierres sont îles anglo-saxonnes. Ce sont des hommes de
travaillées de main d’homme, notamment les l’âge de pierre, qui vont bientôt connaître le
trilithes qui sont légèrement incurvées pour cuivre et le bronze et qui commencent à pra
corriger l’illusion d’optique qui, si elles tiquer l’élevage et l’agriculture. Culturel
étaient complètement rectilignes, les ferait lement, ils sont nettement sous-développés
voir concaves. Ensuite il fallut les dresser. par rapport aux grandes civilisations méditer
Puis élever et placer les tables des dolmens. ranéennes qui leur sont contemporaines. On
Le tout avec une précision au centimètre ne les imagine vraiment pas maniant avec
près, à cause des intentions astronomiques virtuosité le fil à plomb, le cordeau d’arpen
démontrées par Hawkins. L’opération ne teur. Alors? On a essayé de reconstituer la
serait déjà pas si simple à notre époque de construction de Stonehenge avec les moyens
haute technicité. Il faudrait tout un équi primitifs seuls admis par l’orthodoxie. Il y eut
pement de grues, de câbles spéciaux, de véhi même des émissions de télévision à ce sujet.
cules renforcés. Sans compter les calculs On arriva à des conclusions difficiles à
théoriques faisant appel aux lois mathéma admettre: des millions de journées de travail
tiques, physiques, mécaniques. eussent été nécessaires, c’est-à-dire des géné
Or, de quand date Stonehenge? Il n’y a guère rations entières consacrées à l’édification du
pour l’instant de contestation là-dessus. Le monument. Or Stonehenge n’est pas unique,
calcul a été fait d’après trois méthodes diffé il fait partie d’un vaste ensemble. Sur un
rentes qui ont donné des résultats conver rayon d’une vingtaine de kilomètres, on
gents: astronomique, archéologique, phy trouve d’autres cromlechs, dont certains
sique. En 1901, un astronome anglais, sir géants comme celui d’Avebury (c’est le plus
Norman Lockyer, remarqua que le lever du grand cromlech connu: 365 mètres de dia-
L e s civilisations disparues 91
Solstice d’été, solstice d ’hiver:
les constructeurs de Stonehenge voulurent
scander les grands rythmes de l ’univers.
94 Stonehenge décodé
de dresser à la verticale des blocs de
300 tonnes et de soulever des tables de
100 tonnes ne nous ont pas laissé d’autres
traces de leur prodigieux savoir-faire8.» La
lumière viendra de Stonehenge. Parce que
c’est le mieux conservé des monuments
mégalithiques. En tout cas le mieux étudié.
Parce que nous avons les sagas irlandaises
remplies de légendes remontant au-delà de
l’écriture et parlant de géants de la mer, agri
culteurs et constructeurs. Parce que la litté
rature grecque fourmille d’allusions aux
« Hyperboréens», à leur temple circulaire où
Apollon, dieu du soleil, vient leur rendre
visite tous les dix-neuf ans... Parce que les
découvertes d’Hawkins devraient susciter des
recherches. Le mégalithisme ne s’insère pas La bibliographie
dans le courant normal de la préhistoire. Il s’y La bibliographie sur Stonehenge est très
superpose durant quelques siècles, puis dis importante, mais très dispersée, souvent
paraît. Il s’est produit quelque chose il y a ancienne, généralement en anglais.
4 000 ans. « Dans ces pierres, il y a un Voici néanmoins quelques titres :
mystère», disait, parlant de Stonehenge, James Ferguson, les Monuments mégali
Merlin l’Enchanteur... Dominique Arlet. thiques de tous pays, leur âge et leur desti
nation, Londres, 1872; traduction française
abbé Hamard.
Salomon Reinach, « les Monuments de
pierre brute dans le langage et les
croyances populaires », « Terminologie des
monuments mégalithiques», Revue archéo
logique, 1893.
Zacharie Le Rouzic, Carnac, les monuments
mégalithiques, leur destination, leur âge.
G. de Bonstetten, Essai sur les dolmens.
G. Daniel, The Megalithics Builders o f
Western Europ, 1958.
R.J.C. Atkinson, Stonehenge, Hanisk Ha-
milton édit., 1956.
Paul Ashbee, The Bronze A ge Round
B arrow in Britain, Phoenix House 1960.
Patrick Crampton, Stonehenge o f the
7. F red H o y le, le c é lè b re a s tro n o m e a m é ric a in , a vérifié les calcu ls
de son c o m p a trio te et les a confirm és. Kings, John Baker éd., Londres, 1967.
8. F e rn an d N iel, op. cit.
Poésie 99
mort de l’être que je fus au bord du fleuve surgissant de la nuit des
glaces et qui un instant arrêté compose un lac s’y mire
et vers la
maison recouvrée de ma liberté terrienne la maison dont les architec
tures rayonnent les immensités dans lesquelles dansent tous les possibles
reconquis
je vais vers les cataractes orientées vers le ciel vers les marées
d’étoiles dont les harpes viennent tournoyer en tes yeux vers ton verbe
où viennent se fondre toutes les silencieuses cadences de l’univers
vers
ces vagues d’éternité que sont les battements de nos cœurs réunis
je vais
vers l’unité innombrable du jour où le soleil décomposant les molécules
créa les premiers airs les premières sources
les premières neiges
vers l’eau douce du vieil empire de mes croyances disparues où la nuit s’effrite
en lumière
nuit de noël que ce cantique en moi se recompose qui
rythmait l’expansion de ma joie en ces jours
en ces jours où se re
joindront les cycles inconnus du début de ma vie et du début du monde
la joie
de n’être plus défini par deux êtres mais par l’univers tout entier
d’avoir toute l’humanité pour ascendance
P o é sie 101
16 portraits du poète
par Pablo Picasso
a
ou le temps est parcelle de musique
aspirée toujours plus vite par les tourbillons de sommeil de l’éternité
1
ou l’éternité est parcelle de musique toujours plus lentement aspirée par
les tourbillons de sommeil du temps
e
ou l’éternité est parcelle de sommeil toujours plus lentement aspirée par
les tourbillons musicaux du temps
u
ou l’éter
nité est tourbillon de sommeil toujours plus lentement aspirant la parcelle
de musique du temps
ndi
ou l’éternité est tour
billon de musique aspirant toujours plus lentement la parcelle de sommeil
du temps
demeure ma joie
et demeurent dès maintenant demeurent
à jamais
de chacun de mes jours l’étrange sommeil
de Mes
nuitS de
noëL
1’
étrange musique
P o é sie 105
des profondeurs
N o u velle vision Depuis que je travaille dans l'équipe du
commandant Cousteau, je me demande
si je n'assiste pas à la naissance
de la te rre
des h o m m es
d'une civilisation nouvelle
Serge Bertino, secrétaire général du M usée océanographique de M onaco.
sur la p o litiq u e
Le nouveau romanesque
anglo-saxon à la recherche
d'une littérature enrichie
Jacques Bergier et A riette Peltant
Un dimanche de 1936, sur la tous trois passionnés comme lui. scaphandre autonome à air
plage du Mourillon, près de Ils vont plonger, plonger, encore com primé qui porte leur nom.
Toulon, un grand jeune homme plonger, d ’avril à novembre, Cousteau fonde avec Tailliez le
dégingandé de 26 ans met pour grelottants, à demi paralysés G roupe d ’études et de recher-
la première fois des lunettes de par le froid. L’hiver, ils fa ches'sous-marines (G.E.R.S.).
plongée sous-marine et jette un briquent des flèches avec des La guerre reprend. Il arme et
premier regard sur ce qui sera tringles à rideaux, des bouts com mande l’aviso de recherches
son royaume. Il a déjà navigué, de store, n’importe quel m or sous-marines « Ingénieur-Élie-
et loin: sorti de «N avale» en ceau de métal. Dès le prin Monnier», avec lequel il parti
1930, Jacques-Yves Cousteau temps, ils expérimentent leurs cipe à la première expédition
a participé à la campagne nouveaux instruments. Les du bathyscaphe F.N.R.S.II aux
d ’Extrême-Orient, est allé en pêcheurs accusent les jeunes îles du Cap Vert en 1948. E ntre
Chine, en U.R.S.S. Il est pour gens de faire fuir le poisson temps, en 47, il réalise les p re
le m om ent à l’École des obser et d ’abîmer les filets. En .dépit mières photographies en couleur
vateurs d ’aéronautique navale des attaques, pas toujours ver et le premier film en couleur,
de Hourtin. L’année suivante, bales, ils continuent. En 1938, avec éclairage artificiel, sous la
il suivra l’École de spécialité ils expérimentent des proto mer. Il atteint en plongée la
des officiers canonniers. Une types d ’appareils respiratoires profondeur de 90 mètres. Les
brillante carrière militaire en circuit fermé, à oxygène, organismes de plongée am é
s’ouvre donc à lui. Pourquoi, en conçus par Cousteau. Il passe ricains, italiens, anglais ont eu
ce dimanche d ’été, ce premier des semaines à fabriquer lui- vent de l’affaire et contactent
regard sur le « monde du si même des vêtements c a o u t Cousteau. Avec le professeur.
lence» va-t-il changer sa vie? choutés. L’armée finit par s’in Harold Edgerton, de Cambridge
L’explication se trouve peut- téresser à ces recherches: en (U.S.A.) il s’attache à explorer
être dans cette phrase de lui: 39, on dem ande à Cousteau les « couches diffusantes p ro
« Sous la mer, chaque regard d ’étudier un équipem ent de fondes» avec diverses caméras
est com me dérobé à un monde nageur de combat. Mais la électroniques de grande pro
■interdit et provoque un choc guerre éclate. fondeur. Il équipe le « Calypso»,
ém otionnel que je ressens, Il doit interrompre ses expé son premier navire expérimental.
intact, à chacune de mes riences pour partir en mission Cousteau organise le déminage
plongées. » secrète pour les services de dans la région de Sète en 1949.
renseignement. De 1942 à 1944, Pendant quatre ans, ensuite, il
Q u a tre pionniers tém é ra ire s en congé d ’armistice, il ren va être mis en congé et il
au x'a rm e s de fo rtu n e contre à Paris Emile Gagnan, reprendra ses expériences: il
Il rencontre à cette époque, alors ingénieur à l’Air Liquide. utilise au G rand Congloué (île
Tailliez, Lemoigne et Dumas, Ils vont réaliser ensemble le a quelques miles au large de
Dans sa cuisine à T oronto un fesseur Mac Luhan, 56 ans, Pour l’avènem ent de cette ère
dessin arraché à la page hum o front dégarni et regard fuyant, nouvelle, pour effectuer la m u
ristique du magazine am éricain est actuellement la vedette tation un titre choc: The Medium
Look est épinglé au mur. numéro un des États-Unis, celui is the Massage, titre de son d er
On y voit la vitrine d ’une librai dont tout le monde parle, celui nier livre. Medium est le mot
rie portant la petite pancarte que les gouvernem ents con clef de la conception mac-
« M a c Luhan spoken», «On sultent, celui que les hommes luhanienne. 11 signifie moyen
parle Mac Luhan»... Bientôt d ’affaires s’arrachent, celui de com munication, interm é
nous parlerons peut-être tous enfin à qui l’université Fordham diaire d ’information.
Mac Luhan. Pour l’instant, per de New York vient d ’offrir la En d ’autres termes, le contenu
sonne ne peut être certain de le somme de 100 000 dollars pour d'une culture n ’a pas d vimpor-
com prendre vraiment. Celui enseigner pendant un an sa tançe, ce qui com pte c ’est la
que l’on à surnommé le roi du philosophie ou plus exactem ent façon dont elle a été transmise.
paradoxe s’en réjouit. sa sociologie. En même temps, Jusqu’ici, depuis l’invention de
Professeur de littérature an une galerie au muséum d ’Art l’alphabet, tout a été transmis
glaise ju sq u ’à cette année à moderne est mise à sa dispo par l’œil. « Grave erreur, clame
l’université de Toronto, M a r sition. 11 pourra s’y consacrer Mac Luhan, l'imprimerie a
shall Mac Luhan semble prendre à l’étude de ce q u ’il appelle détribalisé l'homme. Elle a créé
un malin plaisir à déform er ses l’orientation sensorielle. C om une pensée linéaire faite d ’en
propos, h ach urer son langage, ment, pourquoi et en fonction chaînem ents logiques qui l’em
désordonner ses idées. « C ’est le de quels critères sommes-nous prisonnent. »
seul spécialiste des problèmes plus ou moins sensoriellement
de com munication qui soit in affectés? « Problème fonda Le livre : m e d iu m chaud,
capable de com m uniquer sa mental au moment où nous la télévision : m ed iu m froid
propre pensée, disent ceux qui sortons d ’une ère purement C ’est ce q u ’il expose dans la
l’attaquent. C ’est un farceur!» visuelle pour entrer dans l’ère Galaxie Gutenberg, le premier
« Faux, disent les autres; c ’est un audiovisuelle de l’an 2000», dit de ses livres à sortir en France
génie! la plus grande influence Mac Luhan. Quelque chose est (éditions Marne).
intellectuelle de notre temps, le changé. Le milieu qui nous Dates et siècles s’y mélangent
prophète de la culture Pop, le entoure n ’est plus le support sans ordre chronologique; jux
visionnaire du siècle. » passif à une dimension que nous taposition des sujets les plus
connaissions. Il devient actif, divers; contradictions et rép é
il est le professeur nous sollicite, nous enveloppe titions; arabesques et envolées;
le plus cher du m onde dans un réseau d ’informations style Op: Mac Luhan espère
Génie ou pas, le grimaçant, de plus en plus grand. Il va nous échapper ainsi à cette fameuse
bondissant et bouillonnant pro déterm iner entièrement. pensée livresque linéaire. On
écrivez
voici m o n n o m ................................................................................................. abonnez-
| y m o n a d r e s s e ......................................................................................................
F ................................................................................s i g n a t u r e ............................
vous
tout
abonnez-vous, en n o u s e n v o y a n t:
de suite
60 F. et vous
p o u r 12 n u m é r o s
(soit 5 F p a r n u m é r o au lieu d e 6,50 F). économisez
18 Francs
découpez soit
3 numéros
voyez au verso
J e vo u s a d re s s e ci-joint m o n r è g l e m e n t d e 60 F.
et c e t t e c a r t e
so us e n v e l o p p e
Bibliothèque RETZ
( a b o n n e m e n ts p l a n ë t e )
165
La vie e t les idées
p»-gem ent» . Et M. J. Duhamel
confirme ce point de vue en
rappelant que: « Il y a un grand
effort de fait à PÉcole des
hautes études commerciales. Le
directeur d ’H.E.C., après un
voyage aux États-Unis, a essayé
d’adapter les méthodes améri
caines. C ’est toute une révo
lution... »
On le voit assez: le centre de
la question est une certaine
façon de penser propre aux
Am éricains. Examinons-la.
Dans la société am éricaine, les
élites dirigeantes, les hommes
de premier plan appartiennent
au monde des affaires. Les
portes de la haute adminis
tration leur sont ouvertes; ils
peuvent sans difficulté d e
venir ambassadeurs, gouverneurs
d’États, ministres. Leur ap pa r
tenance au monde de la finance
ou de l’industrie ne joue pas
contre eux, mais p our eux. En
France, au contraire, ce sont
les grands corps de l’État qui
fournissent les présidents ou les
directeurs généraux des grosses
entreprises. En A mérique, on
passe des affaires à l’Adminis-
tration quitte à revenir aux
affaires. En Fran ce on émigre des dirigeants au plus haut commerciale allemande. Cette
de l’Administration dans les niveau. étude courte et dense s’intitule
affaires et le trajet est à sens Une conquête méthodique. Je
unique. Les origines des car Le s u c c è s d 'u n e m é th o d e relève ces lignes: «Ainsi dans
rières les plus brillantes en Voilà pourquoi les Américains le succès allemand je vois avant
France se situent à l’École poly apportent une attention et une tout celui d’une méthode...
technique et à PÉcole nationale vigilance constantes non seu Q u’on pénètre maintenant dans
d’administration; en Amérique lement à l’enseignement pra le détail du système militaire
dans les « business schools». En tique des techniques de gestion, prussien, on reconnaîtra de plus
France, les écoles commerciales mais encore aux recherches en plus aisément les principaux
étaient, il y a encore quelques même théoriques dans les do caractères de la « M é th o d e» .
années à peine, destinées à maines les plus divers. Devant C’est dans la préoccupation stra
former de bons employés mais ce vaste déploiement péda tégique qu ’il faut la chercher...
les hautes places étaient en fait gogique, je me souvient d ’une l’étude du futur, la prévision
réservées à ceux qui se tro u remarquable étude que fit Paul étendue aussi loin que possible,
vaient être les pairs des grands Valéry, tout jeune encore, en les probabilités soigneusement
commis de l’État. Aux États- 1896, à la dem ande d ’un éditeur pesées, tout ce qu ’il faut pour
Unis, les écoles d’affaires forment britannique, sur l’expansion affaiblir le hasard... »
166
La vie e t les idées
Une méthode de même famille paraît-il, quarante mille ordi trois ans, nos étudiants auront
se retrouve chez les Américains, nateurs en fonctionnem ent aux reçu un enseignement traduit
non qu ’ils soient, com me les États-Unis; quelques milliers de l’am éricain les choses en
Allemands, un peuple fonciè seulement en F rance ou en seront-elles profondément chan
rement militaire, mais ils voient U.R.S.S. D ’où une déficience gées? Est-il d ’ailleurs si évident
les affaires comme une conquête. non pas de l’intelligence mais que la compagnie Péchiney, la
Leur pédagogie reflète cet état de l’équipement. L’économie en régie Renault ou la Banque de
d’esprit. Il ne leur suffit pas de pâtit. Je renvoie, sans plus, le Paris soient si mal gérées que
transmettre des connaissances, lecteur à l’excellent exposé de cela? La multiplication des
de les éclairer par des exercices, M. Marcel M arantz « l’U.R.S.S. «business schools» en Europe
de les contrôler par des exa a-t-elle manqué la révolution de n’est-elle pas peut-être la voie
mens, de les sanctionner par l’ordinateur? »(Le Monde, 22- la plus subtile de la pénétration
des diplômes, ils entendent 23 octobre 1967.) des entreprises américaines?
surtout préparer les élèves à la Ordinateurs, informatique, re Que l'Europe se ferme à la
décision et à l'action. Un pro cherche opérationnelle, péda pénétration am éricaine, qu ’elle
blème n’est pas seulem ent une gogie pertinente, de tout cela, se replie sur elle-même? C ’est
invitation à penser mais aussi à nous autres Européens, nous impossible et stupide. Alors?
agir. Tel est bien aussi le fond sommes, je crois, capables.
de l’enseig n e m en t militaire : Cela ne va pas sans quelque Le p ro b lè m e e s t politique
telle étant la situation, quels argent, mais ce n’est pas au- Alors, com m e le dit M. Servan-
ordres donner? dessus de nos moyens. Mais Schreiber, com m e le soulignent
sommes-nous aussi capables MM. Chalandon et Duhamel,
C 'e s t aussi d’une autre qualité qui est le problème est non pas te c h
u n e q u es tio n d 'é q u ip e m e n t toute à l’éloge des Américains? nique mais politique. Seule une
Mais l’ordre à d on ner suppose Il s’agit d ’une sorte de g énéro Europe unie, capable d ’une
au préalable le renseignement sité, de confiance à l’égard du politique homogène et cohé
et le calcul. « Erst wàgen dann chercheur. Les Américains ne rente, délivrée de ses querelles
wagen», disait Moltke. D ’abord craignent pas de le payer à ne de clocher, peut présenter une
peser, puis risquer. Et Clau- rien faire. L'institution de l'année masse économique suffisante
sewitz écrit: « Le cours plus ou sabbatique accorde aux pro face à la masse économique
moins long de l’action militaire fesseurs d ’université une année américaine. Mais non point
accorde donc un temps plus ou de loisir sur sept avec plein pour opposer au défi américain
moins long à ce que la nature traitement. Il n’est rien exigé en un autre défi qui serait eu ro
du fait con cret exige, c ’est-à- retour. Ce temps de détente et péen. Ce serait plutôt, je l’espère
dire à un calcul de probabilités de méditation, ce temps sans du moins, pour substituer à
en fonction des circonstances besogne, n’est pas perdu. Mieux l’antagonisme, la symbiose.
données.» {De la guerre. Édit. encore. Un de mes parents, Cette symbiose porte un nom,
de Minuit, p. 64.) professeur à la faculté des elle s’appelle l’Occident. Elle
De là l’importance accordée à sciences de Paris, fut invité, il porte aussi une responsabilité
l’information et à la recherche y a une dizaine d ’années, par planétaire: dans ce monde en
opérationnelle. Sans informa l’université de Chicago à passer pleine mutation politique, sou
tion on ne sait où l’on est; sans deux mois d’été à ne rien faire mis à une inquiétante poussée
calcul opérationnel on ne sait d’autre qu ’à s’inform er et à dém ographique, parcouru aussi
où l’on va. Information et re réfléchir. par de violents courants de
cherche opérationnelle exigent Voilà, à mon avis, les secrets rancœ ur et de haine, le destin
des cerveaux mais aussi des du défi américain. Et l’Europe, des Européens et des A m é
équipements. L’ordinateur est que peut-elle faire? ricains est le même à longue
indispensable pour em m ag a Introduire dans ses écoles de échéance. Et alors le défi am é
siner et trier les informations gestion la pédagogie am éri ricain relevé par une Europe
d’une part, pour p o ndére r les caine? Sans doute est-ce sou unie serait la chance de l'Occi-
stratégies, d ’autre part. Il existe, haitable, mais quand, pendant dent. André Amar.
167
La vie e t les idées
■■SESEZM^H
E T H N O L O G IE La fin de
notre civilisation est-elle pour demain?
On pouvait croire, après Tristes Tropiques, de Lévi-Strauss, que des champs de maïs sur des
tout avait été dit de l’aventure de l’ethnologie, de l’exil volontaire, terres larg em ent défrichées.
du mimétisme appris et de la lucidité des retours. Mais Soustelle Treize cents ans plus tard, sur
n'est pas Lévi-Strauss et c ’est le sens de sa propre vie que chacun ce même sol, depuis longtemps
de ces expérim entateurs met un peu dans sa recherche. reconquis par l’arbre et la laine,
On s aperçoit en lisant le nou une poignée d ’indiens subsiste
veau livre de Jacques Soustelle 1 Des primitifs? à grand-peine, parlant maya et
à quel point l’aventure person Non, d e s d é c a d e n ts brûlant de l’encens pour les
nelle, l’itinéraire en quelque Montrez à un L acandon les anciens dieux... « Pour qui a
sorte spirituel de l’ethnologie glyphes complexes que ses an admiré les m onuments de Pa-
nous importe et pas seulement cêtres ont tracés sur la pierre des lenque, ce contraste poignant
les résultats de la recherche. temples et des palais. Bien qu ’il pose des problèmes cruciaux:
Indissociable d ’une nouvelle parle le langage ou une variante Si ce sont là les descendants des
façon de penser, s’impose une du langage que ces signes expri bâtisseurs, alors une conclusion
nouvelle façon de sentir. En maient il y a plus de mille ans, s’impose. Ils ne sont pas pri
même temps que surgissent de non seulement il ne peut pas en mitifs mais décadents. Leur his
leur obscurité première les sens lire un seul (alors que nous en toire nous présente un cas
fondamentaux d ’une culture, déchiffrons une partie), mais il exemplaire de ces processus de
l’ethnologue, après l’efferves ne sait même pas que ces figures régression dont nos esprits ne
cence de sa découverte, lorsqu’il sont des symboles, q u ’elles tiennent pas com pte, obsédés
se retourne, aperçoit avec stu notent des idées, des chiffres, qu’ils sont par le mythe du
peur, méconnaissables à l’ho des mots... Mais les pâtres de la progrès uniforme et continu. »
rizon — ou, pour la première Rome médiévale savaient-ils lire Cette illusion née de notre civi
fois connaissables — les formes les inscriptions latines? lisation industrielle qui, confon
du monde q u ’il a quitté. Aux Au VIe siècle de notre ère, le dant la continuité relative des
questions q u ’il était venu ré pays maya s’étendait comme techniques et la discontinuité
soudre, il ne trouve peut-être une écharpe jetée d ’un océan à des civilisations, se représente
pas de réponses. Mais déjà s’y l’autre depuis le Yucatan jusqu’à «l’histoire culturelle comme une
sont substituées de nouvelles la côte du Pacifique, ponctué ligne unique en ascension dont
questions. de villes blanches, hérissé de nous nous trouverions être l’ex
1. J a c q u e s S o u stelle : les Q uatre Soleils, Pion. pyramides, étalant la prospérité trémité m archante et l’avant-
168
A lire
garde», cette illusion aboutit à culturels venus d’autres civili
nous pénétrer d ’une certitude sations, il en donne un exemple
implicite et sécurisante: celle difficile à oublier. « Les mission
selon laquelle notre civilisation naires espagnols agirent confor
est la civilisation et qu ’elle ne mément à leur logique quand ils
subira pas le sort des civili se mirent en devoir de détruire
sations qui l’ont précédée. systématiquement tout ce qui
Ce sort hantait la pensée des se référait à la religion au to ch
anciens Mexicains qui le voyaient tone.» C ep endant l’influence
imminent et qui les plongeait chrétienne ne jo u a qu ’en sur
dans la crainte de voir la réalité face, des traits chrétiens isolés
qui les entoure se déchirer furent intégrés à un ensemble
«com m e un voile fragile, li autochtone et c ’est ainsi que,
bérant ainsi les monstres du dûm ent christianisés, réa p p a
crépuscule et du déclin». Aussi rurent les sacrifices humains:
est-ce à eux que Soustelle em «Convaincus que les Espagnols
prunte la formule qui donne son avaient dans l’antiquité choisi
titre à son livre: «Notre soleil l’un d ’eux pour le clouer sur
est le cinquième d ’une série. une croix et l’appeler « N otre
Quatre soleils l’ont précédé, et Seigneur», en 1868, les Cha-
nul n’oublie à aucun moment s’il n’était capable de ressentir mulas de Chiapra décidèrent
que le cinquième est destiné à et d ’expérim enter en lui-même, d’en faire autant. Ils choisirent
disparaître com m e les quatre les processus mentaux d’étra n à cette fin un garçon de 10 à
premiers... Et la fin est peut-être gers qui sont aussi ses semblables. 11 ans appelé Diego G om ez
pour demain... » La fin de notre Soustelle n’attend donc de nous Chechelo, et, l’ayant conduit au
civilisation est-elle pour demain? que notre expérimentalité et lieu dit Tzezal H em el, le
notre sympathie. Rien n’est clouèrent sur une croix par les
L 'ethnologie r e d é c o u v e r te supposé connu. Au fur et à pieds et les mains. »
L’ethnologie peut-elle répondre mesure que nous avançons en
à cette question? Et tout d’abord pays mexicain et que jaillissent Q u e stio n s s a n s ré p o n s e s
qu’est-ce que l’ethnologie? Que sous nos pas des problèmes, Soustelle nous donne ici d ’écla-
peut l’ethnologie? En quoi l’auteur suggère des interpré tants aperçus de ce qu ’est l’eth
est-elle privilégiée? Par sa forme tations, introduit des notions nologie, des vérités qu ’elle peut
même, le livre de Soustelle qui pourraient à ce moment être atteindre, des mécanismes qu’elle
répond à certaines de ces utiles. Mais il les met à l’épreuve révèle. Il est toutefois profon
questions. Il n’y a rien ici de des faits et les adopte ou les dément conscient des erreurs
dogmatique. Il ne s’agit pas rejette devant nous. Nous voici auxquelles elle peut mener, de
d’inventer des vérités défini au stade le plus passionnant de celles aussi auxquelles elle peut
tives. D ’une certaine façon ce la pensée, celui de la pensée en être menée à partir du moment
livre se présente com me un train de se faire, le m om ent où où, cessant d ’être observation,
«apprendre à voir». Animé brusquement l’observation dé elle se lie à un principe, à partir
d’une interrogation incessante, bouche sur la signification. du moment où elle devient phi
formulant la question avec une C’est ainsi que, lorsque Sous losophie, ou philosophie de
naïveté voulue, ce livre est en telle définit toute culture comme l’histoire. L’observation montre
fait une redécouverte de l’ethno la mise en forme systématique que, résistant aux philosophies
logie, un itinéraire qui n’im d’éléments premiers dus à l’ar et à leurs exigences clarifica-
plique de la part du lecteur que bitraire ou au hasard, lorsqu’il trices, les problèmes subsistent.
la perte de ses préjugés. L’o b explique qu ’une civilisation est Pourquoi la civilisation maya
servateur appartient à la même à elle-même sa propre géo est-elle née, non pas dans la
espèce que l’observé et ne com métrie qui peut admettre, mais zone des montagnes et des hauts
prendrait rien à ce q u ’il étudie, en la pliant à ses lois, les traits plateaux du G uate m a la avec»*-
169
E thnologie
»»-son climat tem péré par l’alti ascendante, l’histoire humaine, maines, au sens de Nietzsche,
tude et ses larges paysages qui n’est pas l’histoire des te ch qui je tte n t un pont entre notre
ouverts, mais dans Pétouffante niques que l’homme emploie, soif de savoir et l’absurdité
forêt tropicale du Petén et sur apparaît à l’œil non prévenu (peut-être) provisoire de l’his
un plateau calcaire torride et comme un océan chaotique où toire —, Soustelle ne voit au
couvert de brousse? Pourquoi des vagues montent, déferlent, cune raison d ’espérer que notre
le passage de la culture à la retombant indéfiniment. Progrès civilisation échappera au destin
civilisation (urbanisation au sens ici, régression là. Révolution et des cultures:
premier) se fait-il dans certains involution. Essor et décadence.
cas seulement? C om m en t les Tout est le contraire de tout... «N otre civilisation forme un
Indiens Pueblo aux bourgades Chefs-d’œ uvre de notre espèce, ensemble de Vladivostok jusqu’à
magnifiquement organisées, à la des civilisations éclairent de San Francisco. Mais la variante
vie sociale intense ont-ils pu ne loin en loin, com m e des feux occidentale anglo-saxonne et la
jamais franchir le pas? dispersés dans la cam pagn e, variante slave sont très net
A tous ces pourquoi, pas de la p én o m b re confuse où se tement divergentes et on ne
réponses. Ou des réponses par débat l’humanité. Et c’est pour peut écarter l’hypothèse d ’une
tielles. Certes, il est exact que s’éteindre chacune à son tour, rupture profonde qui pourrait
le mode de production des sub tantôt par un épuisem ent de avoir pour conséquence, soit la
sistances détermine un mode de leurs ressources matérielles ou naissance d ’une ou de plusieurs
vie qui, à son tour, donne leurs spirituelles, tantôt par l’irrup civilisations nouvelles, soit l’ef
formes aux structures sociales tion brutale d ’une poignée de fondrement de la totalité...»
et politiques. Il est assez aisé barbares ignorants, tantôt dans C e p en d a n t « l’ethnologie est
d’expliquer la mort du boud un combat acharné avec d’autres comparable à ce que sont pour
dhisme dans son pays d ’origine civilisations... ». le corps humain l’anatomie et
et son énorme retentissement Ce voyage au berceau d ’une la physiologie. Il n’est pas ini
ailleurs, ou le choix fait par les civilisation aujourd’hui disparue maginable que s’appuient sur
Mayas de leur type si particulier qu’on aurait pu voir com m e un cette science, si elle atteint un
de calendrier. L’introduction de pèlerinage aux sources de la degré suffisant de solidité, des
l’agriculture, le passage à la cité vie, se révèle pour Soustelle un techniques analogues à la méde
sont les conditions sans les voyage au bout de la nuit. Re cine». Peut être alors pourrons-
quelles les civilisations mexi jetan t m éthodiquem ent les in nous sauver notre cinquième
caines n’auraient pas vu le jour. terprétations charitables - hu soleil. Daniel Dayan.
Mais une condition n’est pas
une cause. Conçus dans un
contexte semblable, les thèmes
cosmologiques et théoiogiques
des tribus pré-musulm anes et
de celle d ’A braham n’en sont
pas moins, dit Soustelle, dif
férentes.
La c h a o tiq u e histoire
Que reste-t-il, sinon l'échec de la
philosophie liant l’évolution des
cultures à celle des techniques,
quand il s’agit d ’expliquer leur
lien. Si l’on s’en tient à la stricte
observation des faits, si l’on
revient donc à l’ethnologie,
« loin de pouvoir être décrite
comme une ligne continue et
170
A lire
renouvelle sans cesse ses propres Es o t é r i s m e
Librairie forces en renouvelant le souffle
créateur de l’homme.
La mère correspond à l’homme A nto ine Fa ivre, K irc h b e rg e r
ROMANS passif qui aspire au rêve, à l’en e t i illu m in is m e du X V I I I e siè cle
fance, à la fusion de son être Martinus Nijhoff éditeur, 9 Lange
Rosa, b e lle e t a llé g o riq u e dans la pulsation première de la Voorhout, La Haye (Hollande).
M aurice P ons : Rosa (Denoël) vie, dans la matrice du monde. Un volume in 8° relié, avec
Dans la petite principauté alle La mère libère l’homme du 16 planches hors-texte et 284
mande de W asquelham , des poids écrasant de sa vie quoti pages. Prix: 42 florins 75.
soldats, des officiers même dis dienne, du carcan de ses devoirs A la suite des travaux de Robert
paraissent inexplicablement. Le et de ses habitudes. La mère est Amadou, d’autres chercheurs se
com m andant des troupes songe foncièrement polyandre. Elle penchent avec ferveur et com
aussitôt à un com p lo t de sait accueillir et libérer tous les pétence sur l’histoire de F« illu
l’étranger. L’enquête dém ontre hommes de la terre. Elle peut minisme» du x vm c siècle: ce
que les «déserteurs» ont tous être la mère de l’univers. Et mot a désormais perdu — quand
été vus pour la dernière fois Rosa est bien la mère de tous on l’applique à des hommes
chez Rosa, une jeune, plantu ceux qui dans son ventre comme Pasqually, Saint-Martin,
reuse et belle aubergiste qui, s’évadent du cachot de leur etc. - son sens péjoratif, pour
interrogée, avoue volontiers corps, de leur travail, de leurs retrouver son sens originel,
avoir couché, entre autres, avec responsabilités oppressantes. noble entre tous. Ne s’agit-il
les militaires en question, car Avec sa beauté généreuse, un pas en effet de pèlerins spirituels
«elle aime l’uniforme et se peu mûre, ouverte à qui veut y ayant, par des méthodes diverses
donne à qui lui plaît». Soup plonger, Rosa est presque ano parfois mais convergeant vers
çonnée de la plus noire conspi nyme, et c ’est pour mieux ac le même but, cherché en toute
ration, Rosa est dès lors étroi cueillir et mélanger, par une sincérité à faire irradier la lu
tement surveillée. exquise dissolution, tous les mière divine dans le Sanctuaire
A la fin on app rendra que les hommes sans distinction de intérieur?
disparus, qui sont tous des classe, de rang, d ’intelligence Antoine Faivre nous donne,
hommes foncièrement malheu ou de caractère... dans ce copieux mais passion
reux, ont été littéralement ab Rosa est un excellent livre, nant travail, le résultat de ses
sorbés par Rosa et projetés délicat, léger, parfumé, ciselé à recherches approfondies sur
dans un merveilleux univers souhait. C ’est un texte q u ’on Kirchberger et tous ses amis.
quelque peu fœ tal où ils voudrait voir publier dans une Nicolas, Antoine Kirchberger
baignent dans le plus parfait édition luxueuse, sur un papier (1739-1799), le «patricien b er
bonheur. en peau de pêche, avec une nois», a joué un vrai rôle de
L’allégorie est évidente, peut- couverture couleur de miel et «m édiateur» — c ’est l’expres
être trop, et c’est un peu de musc. Patrick Ravignant. sion, fort juste, q u ’emploie
regrettable. l’auteur - auprès d ’hommes de
La féminité com porte deux tout premier plan: Jean-Jacques
grands aspects: celui de l’amante Rousseau, Martinès de Pas
et celui de la mère. L’am ante qually, Lavater, G œ the... Sa
correspond à l’hom m e actif, volumineuse correspondance (de
constructeur qu ’elle inspire et meurée en très grande majorité
dont elle féconde la création. inédite) constituait donc pour
Elle devient par le don d’elle- l’historien un moyen irrempla
même la terre fertile où l’homme çable de connaître les témoins
sème et récolte ses plus riches de l’« Église intérieure ». Antoine
moissons et ses plus vastes Faivre nous aide donc à
forêts. L’am ante appartient to connaître — par l’étude impar
talement à un homme. Et elle tiale des docum ents originaux,
171
Librairie
magistralement étudiés — les
diverses «écoles» de l’illumi- H IS T O IR E L'histoire
nisme chrétien à la fin du
x v i i i c siècle (celles de Martinès
de Pasqually, de Saint-Martin, Brusquement, en plein xxc siècle, alors que le monde allait aborder
de Cagliostro, etc.), ses rapports l’ère atomique, celle des voyages interplanétaires, celle des
avec les sociétés secrètes initia cerveaux électroniques capables de résoudre les plus difficiles
tiques, ses relations avec les problèmes, un signe est apparu. Un signe qui existait depuis des
Églises chrétiennes. Un travail temps immémoriaux, mais dont nul ne pouvait soupçonner le
admirable. Serge Hutin. terrible sens qu ’il devait prendre, les millions d ’êtres à la mort
desquels il présiderait, un signe qui a posé et pose encore un
extravagant problème.
Ce signe qui m arquera tragi historiens progressent d ’année
A R C H IT E C T U R E quem ent l’époque de sa résur en année, mais toute la lumière
gence, c ’est la Svastika ou croix n’est pas faite, loin de là! Un
gammée que le pape Pie XI, livre récent apporte des préci
D ic tio n n a ire u n iv e rse l de l'art dans son dernier sermon de sions im portantes: iHitlérisme
et d e s artiste s (Fernand Hazan. Noël, en 1938, définira « una et le système concentrationnaire
éditeur). croce enemica délia Croce di de Joseph Billig (Presses Uni
L’art de tous les pays est traité Christo» (une croix ennemie de versitaires de France). L’auteur
dans cet ouvrage d ’une manière celle du Christ). Quelle est donc confronte la doctrine hitlé
historique et critique, de la p ré la signification de cette croix rienne, les tendances fonda
histoire à nos jours. Toutes les mystérieuse? Son origine? Sa mentales de la politique de
écoles, tous les mouvements, puissance secrète? Son pouvoir Hitler, les appuis particuliè
tous les styles, tous les peintres, magique? Pourquoi Hitler l’a-t-il rement puissants et actifs qu’elle
sculpteurs, graveurs, dessina prise pour symbole? A ces recevait dans le pays et, enfin,
teurs et architectes. Le premier questions, Renée Davis, dans la les fonctions des instruments les
tome, qui vient de paraître, va Croix gammée cette énigme plus caractéristiques de l’hitlé
de la lettre A (Aachen 1552- (Presses de la Cité), tente de risme: la SS et la Gestapo. Il
1615) à la lettre F (Futurisme répondre. Il m’est impossible, présente le régime du IIIe Reich
1909). Le dictionnaire complet en quelques lignes, de résumer et, en lui, le système con c en tra
com prendra trois gros volumes le brillant exposé de Renée tionnaire, sous le signe de la
totalisant 1 584 pages, avec Davis. A-t-elle vraim ent levé le puissance industrielle de l’Alle
87 collaborateurs sous la direc voile? Un coin seulement mais magne. Pour l’auteur, en effet,
tion de Robert Maillard. Très c’est déjà b eaucoup car l’incer on doit souligner l’attachem ent
illustré (5 600 illustrations, dont titude dem eure sur les interpré de l’hitlérisme à des con c ep
1 600 en couleurs), cet ouvrage tations données quant à l’ori tions déterminées de l’homme,
apparaîtra vite com me indis gine de la croix gam mée et à sa de la société, de l’histoire, mais
pensable à tous les spécialistes signification au cours des siècles. l’exercice du pouvoir demeurait
et amateurs. Il sera le plus beau le m oteur central et non le but.
fleuron des Éditions Fernand La ré a lité d errière A la question que les hommes
Hazan qui nous avaient déjà les s y m b o le s du monde entier ne cessent de
donné de précieux diction Cette croix gam mée fut un sym se poser depuis trente ans:
naires: Dictionnaire de la pein bole mais l’activité de ceux qui «C om m ent cela a-t-il pu ar
ture moderne (1954), Diction s’en paraient fut, hélas! une river?», William Sheridan Allen,
naire de la peinture abstraite atroce réalité. Après vingt-trois dans Une petite ville nazie
(1957), Dictionnaire du ballet ans, après la publication de mil (Robert Laffont), répond avec
moderne (1957), Dictionnaire de liers d’ouvrages, que sait-on de beaucoup de pertinence par ce
la sculpture moderne (1960), Dic l’histoire du nazisme? Beaucoup livre de 360 pages d ’une pro
tionnaire de l’architecture mo de choses, c’est certain, et les fonde originalité. En effet, Wil
derne ( 1964 ). Michel Ragon. efforts des archivistes et des liam Sheridan Allen, comme
172
A lire
du nazisme reste encore à écrire
un savant penché sur son mi tarde guère à être ébranlée. Ce vont de Yalta à la chute de
croscope, a étudié minutieu que Gisevius ne dit pas dans son Berlin, du 27 janvier au 8 mai
sement, jour après jour, dans livre c ’est que N ebe subit la très 1945. Établi d’après des sources
leurs moindres détails, tous les forte influence de l’amiral C a de première main, ce récit four
événements qui se sont passés à naris, chef de l’espionnage alle millant de détails constitue une
Thalburg (petite ville d ’Alle mand, de PAbwehr. Les m é somme toute nouvelle et extrê
magne centrale de 10 000 habi thodes criminelles de Himmler mement complète sur la fin du
tants) de 1930 à 1935, et qui remplissent N ebe d ’une telle nazisme et de la Seconde Guerre
sont le reflet de la transform a horreur q u ’il songe à démis mondiale.
tion du Reich, du dépérissement sionner. Sur les conseils de Les chefs nazis ne périrent pas
de la dém ocratie au triomphe l’amiral Canaris, il reste néan tous dans le Bunker de Hitler,
de la dictature. Interrogeant des moins à son poste pour com empoisonnés ou pendus par les
centaines de témoins, dépouil battre le trio Goering-Himmler- Alliés. Un certain nombre sont
lant les journaux locaux et les Heydrich. Un séjour de quelques encore en liberté. Ce sont ces
archives de la ville, l’auteur a mois sur le front russe en 1942 anciens chefs nazis que re
dém onté, un à un, les rouages le détache com plètem ent du cherche à travers le monde le
du mécanisme implacable qui a nazisme: il constate les atro Centre de documentation dirigé
mené le parti nazi au pouvoir. cités commises dans les pays par Simon Wiesenthal qui vient
occupés de l’Est. Il entre alors de publier les Assassins sont
U n c h e f in co n n u dans l’opposition aux côtés de parmi nous (Stock). Wiesenthal
Parmi les chefs du IIIe Reich, il Canaris, Oster, Bonhoeffer, a mis sur fiches les noms des cri
en est un qui jo u a un rôle très Dohnanyi, G œ rdeler, Stauf- minels nazis et des témoins de
important mais dont le nom est fenberg, et quelques autres. Il leurs crimes. A ce jour, Wiesen
pratiquement inconnu du public prend une part active à l’at thal a contribué à faire passer
depuis vingt-cinq ans: A rthur tentat du 20 juillet 1944 contre en justice plus de 900 criminels
Nebe (1894-1945). Il vient de Hitler. Après l’échec de ce de guerre nazis. Dans son livre,
trouver enfin son biographe en dernier, il essaie, en compagnie Wiesenthal nous relate quelques-
la personne d ’un curieux per de Gisevius lui aussi compromis, uns des cas les plus importants
sonnage, H.B. Gisevius, auteur de se cacher à l’intérieur de et les plus frappants de cette
d’un ouvrage célèbre sur l’anti- l’Allemagne. Mais il sera d é «chasse aux bourreaux», celle
nazisme, Jusqu’à la lie (Cal- couvert et arrêté au début de d’Eichmann, naturellement, mais
mann-Lévy), qui vient de 1945. Condam né à mort, il sera aussi celle du sinistre docteur
publier: Où est Nebe? Vie et pendu en mars 1945, un mois Mengele, sadique «m édecin»
mort du chef de la police crimi avant Canaris et Bonhœffer, d’Auschwitz, de Martin Bor-
nelle du IIIe Reiche (Stock). deux mois avant l’effondrement mann, le secrétaire personnel
Arthur N ebe fut le Fouché du du IIIe Reich que N ebe et ses de Hitler qui vivrait actuel
IIP Reich. Jeune fonctionnaire amis avaient voulu précipiter. lement à la frontière de l’Argen
de la police berlinoise et nazi Écrit com me un roman, le livre tine et du Chili, etc. Ce livre
convaincu, N ebe réussit à at de Gisevius est un témoignage est passionnant parce que son
tirer l’attention des nouveaux de premier ordre sur la résis aspect humain et poignant d é
seigneurs de l’Allemagne, grâce tance intérieure dans une Alle passe toute fiction, il est aussi
à ses dons et à ses connaissances magne au bord de l’écroulement. captivant car il donne une foule
en criminologie. Il devient di L’écroulement du IIIe Reich, de renseignements du plus haut
recteur de la police criminelle on le trouve décrit avec un intérêt. Il perm ettra aux histo
et instruit p erso nne lle m ent grand talent par John Toland riens du nazisme de faire un
toutes les affaires importantes. dans les 100 derniers jours sérieux pas en avant dans leurs
Mais sa foi dans le régime ne (Calmann-Lévy). Ces 100 jours recherches. André Brissaud.
173
H is to ire
La musique, par Claude Rostand
La musique
devient quelque chose qui se regarde
Deux manifestations récentes attirent l’attention sur une idée qui Newton (qui avait lui-même été
est évidemment dans l’air depuis quelques années, le soudain inspiré par Kepler), Thomas
besoin que la musique semble avoir de sortir de la tour d ’ivoire qui Young lança une théorie ond u
en faisait l’expression de l’inexprimable et de se trouver des prolon latoire de la lumière qui devait
gements dans le domaine visuel, qu ’il s’agisse de la lumière, de la à nouveau orienter certaines
couleur, ou du m ouvement spatial. Ces deux manifestations sont recherches en ce sens; vers la
d ’une part le Polytope créé par le com positeur-architecte lannis fin du xixc siècle, Frédéric
Xenakis pour le pavillon français de l’exposition de Montréal, et Kastner devait construire son
d ’autre part l’exposition Lumière et Mouvement qui a eu lieu à «pyrophone», orgue à tuyaux
l’autom ne au musée d ’Art moderne. de verre dans lesquels passaient
A ces deux manifestations, on encore trouvé ses formulations des flammes d’hydrogène, tandis
pourrait d ’ailleurs ajouter aussi idéales; la musique descend de que Rimington construisait son
certaines réalisations de la der ses hauteurs sublimes pour se «orgue à couleurs», et que le
nière Biennale internationale mêler, si l’on ose dire, au compositeur russe Alexandre
de Paris où fut également dis conce-rt des arts visuels. Scriabine écrivait son Poème du
cuté le thèm e « Musique et arts feu dont l’orchestration aurait
plastiques», discussion basée Des précurseurs dans le passé dû com prendre un « clavier à
sur le fait que certains jeu n es A la vérité, le phénom ène n’est lumière ».
musiciens s’inspirent direc pas absolument nouveau. Et s’il Dès le début, le xxc siècle
tement des te chniques plas n’avait encore jamais pris une devait être repris par ce genre
tiques, tels Jean-Pierre Guézec acuité et une généralisation de préoccupations: en 1912,
transposant des procédés de semblables, il s’était ce p en Survage crée ses « rythmes
Mondrian, ou André Boucou- dant manifesté sporadiquement colorés», et, en 1919 aux États-
rechliev et Earle Brown se réfé en tentatives isolées à plusieurs Unis, Thomas W ilfred va même
rant à Calder, et le fait que reprises depuis le x vm c siècle. plus loin en inventant son « cla-
certains peintres s’inspirent de A cette époque le père jésuite vilux», instrument de com p o
musiques nouvelles, tel André L B . Castel avait inventé un sition visuelle (mais sans m u
Masson subissant l’impulsion «orgue à couleurs», et les sique). Ces recherches allaient
de Luigi Nono. Anglais avaient travaillé la ensuite se poursuivre jusqu’au
C’est donc bien une idée qui est question de la « Colour Music ». récent « musiscope » de Nicolas
dans l’air, même si elle n’a pas Au siècle suivant, à la suite de Schôffer, ce qui nous amène
174
A entendre
précisément à l’exposition du vision et audition dans une ensuite les différentes salles.
musée d ’Art m oderne de 1967. ambiance destinée à protester Dans la première, un soliste
Cette année du centenaire de contre la liturgie traditionnelle improvisait devant les œ uvres
Baudelaire aura donc été celle de nos concerts où nous sommes de Dadzu, de Garcia-Rossi et
où, plus que jamais, les m ou installés dans des fauteuils alors de Pol Bury. Dans la salle
vements, les couleurs et les sons que des gens en frac et robe du Vasarely, on assiste au sacrifice
auront cherché à se répondre. soir opèrent sur l’estrade. Par d’un piano selon le culte de
tant de l’idée qu’il existe une John Cage. Dans un labyrinthe
Un m a ître : N ico las S ch ô ffer contradiction entre la nature de clignotant de néons, on entend
Pour Nicolas Schôffer, l’expé la musique m oderne et ce genre le poèm e symphonique co m
rience n’est nullement basée de présentation, Maurice Fleuret posé par Gyorgy Ligeti avec les
sur la gratuité byzantine et la a voulu expérim enter ce que pulsations crépitantes de cent
recherche pure: il part d ’une pourraient être les futures métronomes. Dans la sphère
idée humaine et sociale, et, «salles de concert», c’est-à- d’Agam tour à tour claire et
parlant de la tour de 347 mètres dire « les vastes halls transfor obscure, on danse sur le tam-
qu’il est en train de concevoir mables où le compositeur pourra tam d ’un Noir africain, tandis
pour la future sortie de Paris jouer de l’espace et de l’acous qu’une voix humaine module et
sur l’autoroute de la Défense, tique en toute liberté». modèle les variations lumi
il proclame que « la matière Voici com m ent Maurice Fleuret neuses. Un flûtiste improvise
sonore et lumineuse produite avait organisé la liturgie nou devant les boules de cristal de
par cette tour sera plus suppor velle selon une interview donnée Liliane Lijn sur le fond lointain
table que la cacophonie actuelle à Janine W arnod : « Les sources de la répétition d ’un accord
des villes et moins vulgaire que sonores étaient réparties dans obstiné. Ce ne sont là que
les néons de la gare Saint- les salles, et le public, plus de quelques-unes des suggestions
Lazare et les klaxons des voi mille personnes, était venu sans qui ont été réalisées, cela avec
tures». Et il ajoute: «O n ne aucune connaissance préalable, un succès et une adhésion du
peut plus revenir en arrière, par curiosité, étant ainsi entiè public absolument saisissants, il
nous sommes de plus en plus rement disponible à cette ex pé faut le dire.
sollicités par des images et des rience. Public libre mais disci Toujours à cette même expo
sons nouveaux qui corres pliné. On ne peut rien écouter sition, Hans Müller organisait
pondent à la vie moderne. en se laissant distraire; il faut des spectacles à la fois sonores
Notre rôle est de les utiliser à une ascèse et une discipline et visuels basés sur l’interpré
bon escient.» C ette tour co m collectives. Nous avons de tation plastique, plus discutable
prendra plus de 3 000 projec mandé à tous les visiteurs de se peut-être, de musiques clas
teurs colorés et plus de 2 000 déchausser pour ne pas faire de siques: « J ’écoute des disques,
flashes électroniques, des mi bruit sur les dalles. Ils trouvaient dit-il, de Rameau à Xenakis en
roirs tournants, des hélices à l’entrée des chaussons en plas passant par Pierre Henry, Darius
miroitantes, le tout pouvant tique. Les pantoufles impliquent Milhaud, Gustav Mahler, des
aussi servir à guider les avions la notion de relaxe, de détente, bruitages d ’avion, ou l’œuvre
hypersoniques. Il s’agit là d ’un de goût du confort, et aussi pour 156 machines à écrire de
développement de la tour cyber d’humilité. » Rolf Liebermann, et j ’essaie
nétique de Liège (1961) et de la ensuite de trouver la corres
tour cybernétique de Saint- L'adhésion du public pondance en images.» Il veut
Cloud (1954) où les lumières est saisissante ainsi parvenir à la réalisation,
provoquaient des excitations Il y avait d’abord une salle dans l’architecture future, de
sonores par l’intermédiaire de d’entrée, salle noire, sans rien à salles de méditation pourvues
bandes magnétiques. voir, où un orchestre de jazz d ’un lit relaxe où, à partir
A l’exposition Lumière et Mou jouait en même temps que le d ’éléments optiques et sonores,
vement, Maurice Fleuret avait public utilisait des sifflets à chacun pourrait susciter des
organisé une sorte de concert- roulette q u ’on lui avait remis compositions à la fois lumi
promenade com binant aussi pour se défouler. Venaient neuses et musicales. m~
175
M u siq u e
Il y avait enfin la salle Nicolas cussion simultanée de plusieurs tachiste, ce qui contraste avec
Schôffer où se trouvaient, ras points lumineux), soit des to n a la partition lumineuse qui est
semblés à petite echelle, certains lités (intervention de couleurs), généralement à dominante
principes de ses tours m o nu éléments de vocabulaire qui pointilliste.
mentales: « C h a que sculpture, sont donc ainsi utilisés à la Là encore, com me dans les
dit-il, possède une sonorité que fois dans l’espace et dans le expériences parisiennes p ré c é
j’enregistre sur des bandes temps soit en rythmes, soit en demment évoquées, on en arrive
magnétiques traitées ensuite superpositions contrapuntiques. à des résultats saisissants. Sans
électroniquement. J’obtiens ainsi C’est à dessein que l’on emploie doute est-il nécessaire d’opérer,
tous les dérivés de la matière ici les term es musicaux usuels, dans certains cas, des transferts
sonore brute de la sculpture. Le car ils s’appliquent parfaite de perceptions, c ’est-à-dire
son est produit par la vibration ment à la composition de cette d’utiliser dans le domaine visuel
de ses éléments. Il existe alors symphonie lumineuse. Et, selon certains mécanismes habituels
les mêmes rapports bien définis les épisodes de l’œuvre, Xenakis de la perception auditive, ou
entre les éléments plastiques et obtient un style soit pointilliste, inversement, mais c ’est là un
les sons, une équivalence entre soit linéaire, soit tachiste. exercice auquel on se fait rela
son et vision qui perm et d ’en En même temps que cette com tivement vite.
tendre ce que l’on voit. » position visuelle, se déroule une La plupart de ces tentatives
composition musicale prove n’en sont guère q u ’au stade
M o n tréal sauvé par X en a kis nant d ’une bande magnétique expérimental, mais cependant
A l’exposition de Montréal, il synchronisée avec le film, et certaines d ’entre elles cons
s’agissait d’abord de m eubler diffusée par plusieurs groupes tituent déjà des œ uvres véri
l’intérieur du hideux pavillon de haut-parleurs donnant eux tables et s’ouvrent incontesta
français, vaste espace c o m p a aussi à la musique une présen blement sur de nouvelles possi
rable à la rotonde des Galeries tation spatiale, et par consé bilités poétiques. Car c’est
Lafayette ou du Printemps. quent en mouvem ent dans l’es essentiellement la faculté p o é
Pour cela on fit appel à lannis pace. Produite uniquem ent par tique d ’un tel art qui est frap
Xenakis, com positeur qui est des instruments d ’orchestre tr a pante au sortir de tout cela.
aussi un des anciens collabo ditionnels enregistrés, cette Nous vivons actuellem ent une
rateurs de Le Corbusier. C ’est musique est, conform ém ent au époque extrêm em ent visuelle,
alors q u ’il conçut son fameux mode d’expression habituel à et le développem ent de la
Polytope qui est constitué par Xenakis, de tendance plutôt bande dessinée et de la télé
de grandes surfaces convexes vision est là pour en témoigner
et concaves s’entrecoupant, et à un autre échelon. De telles
définies au moyen de câbles expériences peuvent sans doute
tendus géom étriquem ent dans venir enrichir et élever les
l’espace. Ces câbles sont élec arts de la vision dans leurs
trifiés et porteurs de 1 200 manifestations modernes, et il
points qui peuvent devenir à la est vraisemblable que la mu
fois lumineux et colorés: ce sique, qui trouve si difficilement
sont les 1 200 notes d ’une parti son style et sa place à la télé
tion visuelle composée par vision, pourra peut-être partir
lannis Xenakis, et dont les mul de certaines de ces expériences
tiples combinaisons, enregis pour se trouver un mode d ’ex
trées sur film, sont transmises pression sur le petit écran. De
au dispositif aérien par l’inter même l’art lyrique, dont la for
médiaire de cellules p h oto mule traditionnelle est arrivée
électriques. Ces combinaisons au bout de ses forces et possibi
donnent, selon les cas, soit des lités, pourra-t-il trouver là de
mélodies visuelles (lignes lumi puissants aliments de renouvel
neuses), soit des accords (per lement. Claude Rostand.
176
A entendre
Le théâtre, par Claude Planson Notre théâtre
va-t-il renaître de ses cendres?
Le 15 septem bre dernier, un critique écrivait: « La saison a d ém arré méritait un meilleur sort. Il y
sur les chapeaux de roues.» Elle n’aura pas été loin. Mis à part aura eu aussi, au T héâtre de
quelques spectacles faciles ou de « digestion », la plupart des pièces France, la M édéa mise en scène
nouvelles ont « cassé » après quelques tours de circuit. par Jorge Lavelli et interprétée
En deux mois, onze spectacles arrière (ce qui prouve, soit dit par M aria Casarès. On peut
ont été retirés de l’affiche sans en passant, que le théâtre des faire des réserves? Bien sûr. Il
avoir pu dépasser le cap des années cinquante ne se portait n’em pêche que cela aura été
trente représentations qui pas si mal). A l’Atelier, on a une assez bonne démonstration
marque la limite précise entre ressorti l'Œuf, à peine fêlé, de de ce «Théâtre de la cruauté»
le « bide » et l’espoir du s u c c è s 1. Félicien M arceau (créé en dont parlait Antonin Artaud.
Cela signifie, pour le théâtre 1955). A l’A thénée - qui ne D émonstration beaucoup plus
privé, déjà bien malade, une s’intitule plus « Théâtre vivant» convaincante, beaucoup plus
nouvelle perte sèche de l’ordre — Irma la douce est revenue éclatante: celle du Living
de 150 millions d ’anciens francs. avec, tout de même, quelques T heatre venu à deux reprises
Parmi cette avalanche d ’échecs, rides. Le T héâtre de Paris a en septem bre avec Mysteries et
citons Opéra pour un tyran, qui repris, en alternance, deux fin novembre avec Antigone
avait dem andé tant de soins à pièces de Jean Anouilh, Pauvre dans l’adaptation de Bertolt
André Barsacq, Un parfum de Bitos et l'Alouette qui, pour ne Brecht. C haque fois que le
fleurs, de Saunders, Rosencrantz pas être gravées dans le bronze, Living nous rend visite, il y a
et Guildenstern sont morts, perm ettent à Suzanne Flon et, des protestations, acclamations,
l'Ascension du général Fitz, de surtout, à Michel Bouquet de sifflets et bagarres. T an t mieux!
Peter Ustinov, tous spectacles renouveler d ’assez étonnantes Cela prouve la puissance d ’évo
dont on pouvait attendre un performances d’acteurs. cation et de perturbation col
certain succès. Pour ne pas être en reste, le lective que détient ce théâtre.
Petit Odéon accueille Capitaine En nous déconcertant, en nous
Le th é â tre Bada, de Jean Vauthier, qui blessant, en nous arrachant à
des années cin qu an te nous avait donné tant d ’espoirs, notre confort esthétique, en
Pour sauver la situation, les il y a quinze ans... Une saison nous proposant des « person-
directeurs se sont précipités sur pour rien, alors? Pas tout à fait. 1. L a co n v e n tio n co lle c tiv e d u sp e cta c le
p rév o it q u e tre n te rep ré se n ta tio n s, au m in i
les succès passés et nous voici Il y aura eu, justement, ce m um , s e ro n t p ay ées aux a c te u rs en g ag és p o u r
revenus dix bonnes années en Rosencrantz et Guildenstern qui une p ièce p ré s e n té e en sp e c ta c le « rég u lier ».
177
Théâtre
nages a-typiques» (Duvignaud),
l’équipe du Living est dans la
grande tradition théâtrale: celle
des tragiques grecs, des élisa-
béthains et des auteurs du
Siècle d ’O r 2.
O um Kalsoum
ou le ch an t de l'oiseau
Si le théâtre n’est pas seulement
l’art dram atique, si l’on adm et
la pluralité des foyers de civili
sation, si l’on reconnaît en lui,
avant tout, « le chant de l’oi
seau», alors il nous faut parler
aussi du récital Oum Kalsoum à
l’Olympia. A propos de cette
prodigieuse chanteuse, un cri
tique a évoqué la Callas et
Edith Piaf. Cela va bien au-
delà. De même que Mahalia
Jackson est, de nos jours, la
«m ère» des Noirs américains,
Oum Kalsoum est la «m ère»
des peuples arabes. Elle a soi
xante ans, elle n’est pas particu
lièrement gracieuse, elle est
lourde, elle se moque bien du
fameux «rythm e» du théâtre théâtre à l’état brut. Oum seul reste debout sur les ruines
occidental. Son récital, co m Kalsoum chante les gloires, les de cette saison.
posé d ’un nombre restreint de peines et les amours du peuple
chansons, a duré près de cinq arabe et, en quelques instants, Le retour
heures, se term inant au-delà de la com munion est totale entre des « rois » en exil
deux heures du matin. A ucune la scène et la salle. T oute Mais on peut rêver... Un bruit
mise en scène particulière, «pudeur», toute «bienséance» court: Vilar prendrait la direc
aucun effet d ’éclairage. Le abolies, certains pleurent, tion des théâtres lyriques natio
2. Le L iving T h e a tre est venu p o u r la p re d’autres crient, d ’autres encore naux. Il s’entourerait de nos
m ière fois à P aris, en 1961, invité p a r le
T h é â tre des N a tio n s où il a p ré s e n té The
se lèvent et esquissent des pas deux grands «exilés»; Maurice
Connection, de Ja ck G e lb e r - une e x tra o r de danse. L’heure du dernier Béjart —exilé depuis des années
d inaire év o c atio n du p ro b lè m e d e la d ro g u e
c h ez les jaz z m en — e t M any loves, du vieux
métro est depuis longtemps à Bruxelles —, Pierre Boulez,
p o ète a m é ric a in W . W iiliam s (n e pas passée et, cependant, tous beaucoup plus familier aux
con fo n d re avec T e n n e sse e , s’il vous p laît) — publics de Salzburg et de Berlin
pièce qui, sur le to n d e l’h u m o u r no ir, tra ite
restent, à la fois déchirés et
des d iverses p e rv e rsio n s sexuelles. heureux. qu’au grand public parisien.
La tro u p e est rev en u e en E u ro p e en 1962 et
y est resté e, a b a n d o n n a n t son p e tit th é â tre
« Faire du théâtre une sorte de Quel rêve! La France, qui
de 40 p lac e s « O ff B ro a d w a y » d o n t l’e x p lo i suggestion collective capable consacre trois milliards et demi
tation é ta it d e v e n u e im possible. Elle y a p ré
s e n té , e n tre a u tre s, les Bonnes (G e n ê t), The
de ram ener à la longue l’ordre par an du maigre budget des
Apple (G e lb e r), Dans la ju n g le des villes dans les consciences et, par Affaires culturelles à ses
(B recht). N ous a tte n d o n s to u jo u rs de vo ir à
Paris The Brigg qui m et en sc èn e les fam eux
l’ordre intérieur, une sorte de «th é âtres lyriques nationaux»,
« m arin es » am é ric a in s e t, s u rto u t, l’éto n - paix dont profitent tous les va-t-elle enfin disposer d ’un
nant Frankenstein (les h o rre u rs de n o tre
civilisation) q u ’a u c u n d ire c te u r parisien n’a
esprits. » Artaud encore? Artaud Opéra, au même titre que Stutt
e ncore osé accueillir. toujours! Tout com pte fait, lui gart, Belgrade, Ham bourg ou
178
A v o ir
Berlin (Ouest et Est)? Allons- fermer les salles pendant six ou aux démolisseurs-promo-
nous pouvoir, enfin, voir à Paris mois (au moins) afin de tout teurs? Quelques dizaines de
Moïse et Aaron, de Schoenberg, réorganiser, cela demande beau millions d ’anciens francs leur
Loulou, de Berg, Œdipe-Roi, de coup de courage et aussi un permettraient pourtant de rede
Orff, la Maison des morts, de certain nombre de milliards. venir les agents les plus actifs
Janacek? Cela suppose de de la création théâtrale.
prendre exactem ent le contre- B eaucoup de rêves Rêver d ’un théâtre consacré à
pied des administrations pré à réaliser la recherche qui accueillerait
cédentes qui, bon gré mal gré, Mais à partir de là, on peut systématiquement les jeunes
se sont accom m odées de l’ef rêver... Pas seulement au sort animateurs, les jeunes auteurs,
froyable machine, ont fina de l’O péra, mais à celui de tout les jeunes compagnies.
lement accepté, tel q u ’il est, le théâtre français. Rêver d'un Rêver, enfin, de maisons de la
l’Opéra, trop heureux quand T.N.P. qui retrouverait sa voca culture qui seraient aussi des
leur contrôleur financier leur tion (rappelons-nous le petit foyers de culture. C ’est-à-dire
permettait une petite fantaisie festival de Suresnes, le Cid dans qu’on y brûlerait — et tant pis
(le Sacre d ’un Béjart entré par la halle aux poissons de Clichy, pour ceux qui craignent les
la petite porte; une direction Mère Courage sous la tente aux étincelles! Comme pour l’Opéra,
musicale de Boulez exception portes de Paris); rêver d ’une c’est d ’un problème d ’hommes
nelle à tous points de vue). Com édie-Française qui, sans qu’il s’agit. La ville de G r e
Vilar est armé pour cela. Il a renoncer tout à fait à Domino et noble va bientôt disposer de
mauvais caractère et il est peu au Dindon, s’intéresserait davan l’outil théâtral le plus moderne
doué pour les subtilités adm i tage au grand répertoire tra d’Europe. Qui voudra et saura
nistratives. Lorsqu’un ministre gique (qui a vu Médée de Cor se servir du « T héâtre torique »
de la ivr République lui de neille? Qui a assisté à une d’André Wogenscky? On rêve
m anda de renoncer à monter représentation intégrale de cette d’un Peter Brook, d ’une Joan
Brecht, « auteur allemand et Psyché à laquelle collaborèrent Littlewood...
communiste», il lui répondit La Fontaine, Corneille, Molière Tout cela fait beaucoup de
poliment en l’invitant à la p re et Lulli? C ’est pourtant le plus rêves. Il faudra bien, pourtant,
mière de Mère Courage. Son bel exemple de théâtre total les réaliser un jour. Depuis des
premier geste en arrivant au qu’ait jamais produit l’Occi- siècles, on nous annonce, pério
palais de Chaillot à été de dent). Rêver aussi d ’un Théâtre diquement, la mort du théâtre.
fermer la maison et de licencier des Nations qui, au lieu de se Il devait disparaître avec l’affai
tout son personnel. C ’est ainsi rétrécir aux dimensions d ’un blissement de la foi religieuse,
que du poussiéreux « T h éâtre simple festival parmi tant la disparition des cours prin-
du palais de Chaillot», il a fait d’autres (là aussi, nous sommes cières, l’extinction des sociétés
le T.N.P., un outil tout neuf, si revenus à 1954), s’étalerait, bourgeoises et l’apparition de la
bien adapté à sa fonction et à comme il était prévu, « de civilisation mécanique, ciném a
son époque que, quinze ans quatre à six mois par an», en tographique et télévisée.
après et privé de son fondateur, attendant, — pourquoi pas? — Mais, toujours, le théâtre renaît
il continue sur sa lancée. Il ne de devenir perm anent avec, à de ses cendres et notre société,
s’agit pas de retaper, de remettre sa tête, une équipe d ’e thno plus q u ’aucune autre, en a un
en route les théâtres lyriques logues, de sociologues et besoin urgent; pour se recon
nationaux, il s’agit de monter, d’hommes de théâtre décidés naître, pour se re-présenter,
de toutes pièces, le nouvel à y consacrer tout leur temps. pour guérir de ses maux. Un.
Opéra de Paris, avec son satel Rêver d’un théâtre privé qui ne organisme sain peut vivre long
lite le nouvel Opéra-Comique. serait pas tout à fait délaissé. temps avec une alimentation
Obtiendra-t-il les pouvoirs et Le Vieux Colombier de Copeau, déficiente. Mais, tôt ou tard, il
surtout les moyens nécessaires? l’Atelier de Dullin, l’A thénée fait une maladie de carence.
Licencier près de 800 personnes de Jouvet, va-t-on vraiment les Nous y sommes; la France est
(dont une faible fraction seu abandonner aux producteurs, malade du théâtre. Il faut faire
lement pourra être rengagée), aux administrateurs judiciaires vite! Claude Planson.
179
Théâtre
La télévision, par Nicole Ollier
X2B La guerre
des spots est commencée
Le Palais-Bourbon eut beau trepigner a l’unanimité, les syndicats nous ayons aussi annexé l’hu
de presse multiplier dém arches et pétitions, la publicité doit entrer mour. Alors, puisque la publi
dans le fard de la « com pensation » à la télévision. cité télévisée est non pas « iné
D ’ailleurs, depuis le conseil environ, pour des agences et luctable» com me le proclamait
d ’administration du 2 novembre des antennes du monde entier. M. G orse, mais nécessaire à
1967, M. Pierre A rcham bault, Et lorsque l’on peut les com l’assainissement de la gestion
président du Syndicat National parer aux bobines étrangères de l’O .R .T .F., pourquoi ne pas
de la Presse Quotidienne Ré (M arché C om m un, Suisse, Es essayer d ’être les vainqueurs
gionale et représentant la presse pagne, Grande-Bretagne), les européens de la guerre des
au sein du Conseil supérieur de spots français ont au moins de spots?
l’O .R .T .F., a donné son « nihil quoi rassurer quant à la qualité. A condition d ’avoir la possi
obstat», après audition d ’un En effet les séquences fran bilité de former suffisamment
rapport de M. Wladimir d ’Or- çaises ont en général le mérite de gens efficaces (les spots
messon rappelant les conditions de l’extrême concision (je pense vieillissent très vite) nous pou
et les principes qui devront en écrivant cela aux spots vons tenir le « leadership» de la
régir la publicité à l’O.R.T.F. suisses-allemands, lourds, si production TV publicitaire pour
Publicité sur les deux chaînes lourds) et de l’absence de vul deux raisons déjà acquises:
existantes ou bien création garité... Il semble aussi q u ’avec 1/ Les producteurs publicitaires
d ’une 3' chaîne? Le débat reste des productions du style « Pipiou » français ont été éduqués par la
ouvert, mais il faudra de toute publicité compensée. Il faut
façon, quelle que soit la solution bien reconnaître que les impé
adoptée, «être prêt» lorsque ratifs du «C ahier technique»
dém arrera la télévision com de l’O .R .T .F. ont, dans l’en
merciale. Et être prêt signifie au semble, évité la tentation du
moins 2 000 spots publicitaires pire et provoqué, com parati
bons pour l’antenne dès le jour vement, une évidente tenue
« J », des réalisateurs, mais aussi promotionnelle.
de bons scénaristes-concepteurs, 2/ Son impact le prouve, le
difficiles à trouver, puis à fa dessin animé semble, en publi
çonner pour une option qui cité visuelle, l’un des meilleurs
dem ande le génie de la simpli media, mais un medium très
cité. Un concepteur, même très cher (10 000 dessins environ
doué, ne peut devenir « op éra pour six minutes trente). Or, en
tionnel» qu ’au bout de plusieurs travaillant à le simplifier dans
années: les Anglais com ptent une optique de télévision, Guy
généralem ent trois ans de for Montassut a réussi une révo
mation. lution qui semblait impossible:
son «dessin vivant» ramène à
Q u a lité France 120 le nombre des dessins pour
Depuis deux ans les publicitaires ce même temps. Soit un seul
français se rodent, prospectent, dessin par plan, q u ’il suffit
confrontent leurs expériences. d ’animer grâce à des dispositifs
Il existe déjà une dizaine de pro P h o to B e rn a rd A u q u ie r
de son invention. Tout est pos
ductions françaises qui tournent Pipiou: un petit pois chez soi. sible avec ce procédé: le 35 mm,
ces mini-films de 15 secondes la couleur, les bandes dessinées,
180
A v o ir
le feuilleton... On peut même
associer rapidement la vue réelle WMEtSnSMBÊk Rodin,
et le dessin pour le quart du prix
de revient d ’un film d ’animation
traditionnel.
notre contemporain
La tro is iè m e chaîne? 284 pages, plus de 400 illustrations, le plus gros ouvrage d ’art jamais
Depuis un an, sous le sigle de réalisé sur Rodin et sans doute le meilleur. Rodin tel que nous ne
« PRO-TV » et l’impulsion de le connaissions pas, tel que personne ne nous avait appris à le voir
M. B oka no w ski, la 3e chaîne fait et à l’aimer.
sa pré-campagne; encore sou Rodin, a propos duquel on se mort de l’artiste, de corres
terraine; plus pour très long dem ande avec stupeur en feuil pondre à nos préoccupations
temps, provoquant la création letant l’énorme et luxueux les plus actuelles. Pourquoi?
de nouvelles productions du album de R obert Descharnes Parce q u ’elle est centrée essen
type «Video 5» (associés: Bar- et J.-F. Chabrun, pourquoi tiellement sur le mouvement,
rère, Dum ayet, Tchernia) et pré rien de semblable encore n’avait sur ce que Rodin lui-même
occupe beaucoup les industriels été tenté '. appelait « la recherche de l’ins
électroniciens. Je ne suis pas C om m en t et par quel p héno tantané». Passionné de m ou
seule à préférer cette solution mène d ’obscuration ne nous vem ent, Rodin n ’exécutait
qui éviterait au téléspectateur le a-t-on jamais offert du plus jamais l’ébauche d ’un modèle
« matraquage » d ’office, en lui grand sculpteur français q u ’une dans une position mais dix,
laissant le choix dont il dispose image figée, q u ’un simple défilé cent ébauches du même modèle
déjà à la radio. de statues sans cohérence? dans dix, cent positions diffé
Un choix légitime et nécessaire, C ’est ce qui paraît invraisem rentes, jusqu ’à trouver le point
puisque les États-Unis, qui ont blable. Invraisemblable éga de rupture capable de les ré
abusé de la publicité, éprouvent lement q u ’aucune étude systé sumer, d ’« arrêter» le mou
le besoin de développer avec le matique de son œuvre n’ait été vem ent, de le représenter dans
N.E.T. (National Educational encore entreprise. D ’après les sa totalité. Précieux « brouil
Télévision) une chaîne éduca auteurs de ce très beau livre, lons» que Rodin ne jetait
tive et fédérale, service public passionnés et stupéfaits par la jamais mais faisait immédia
qui con c urre ncera les pro quantité d ’éléments, la plupart te m ent mouler et qui sont à eux
grammes publicitaires. inédits, q u’ils ont réussi à réunir, seuls un fabuleux matériel, mal
G rave, mais passionnant le l’étude cybernétique de Rodin heureusem ent inexploité.
virage que négocie la T élé est à faire. Seul le dépouil
vision française. Envisageons lement électronique des milliers Des trésors d o rm en t
un complexe très coordonné: de statuettes, figurines et éba u «Q uelque chose», donc, dort
1" chaîne: culturelle; 2' chaîne: ches que nous possédon s2 pour chez Rodin, un aspect dyna
loisirs et couleurs; 3e chaîne: rait permettre d ’avoir une vision mique qui, faute d ’avoir été mis
publicitaire. Pourquoi pas? complète de son œuvre. Une en valeur, reste ignoré. C ’est
Nicole Ollier. œuvre, signalons-le, qui risque ce que nous révèle pour la pre
fort, cinquante ans après la mière fois semble-t-il ce m onu
mental ouvrage et ceci selon
1. R o b e rt D e sc h a rn e s e t J .-F . C h a b ru n : une technique tout à fait révo
A u g u ste Rodin. (B ib lio th è q u e d es A rts P aris.
É d ita L a u sa n n e.) lutionnaire en matière de livre
2. L e Burlington M agazine sig n alait d é jà en d ’art et, à la limité, en matière
no v e m b re d e rn ie r les difficu ltés re n c o n tré e s
p a r les sp é cia liste s p o u r av o ir a c cè s aux de muséographie. Technique
v é ritab le s a rc h iv e s R o d in . P lu sieu rs re m a rq u e s instaurée par Robert Des
c in g la n te s sig n a la ie n t ég a le m en t l’a b sen c e de
d o c u m e n ta tio n , d e listes et de c a ta lo g u es charnes et qui consiste à uti
o ffe rts p a r la F ra n c e , e t l’im p o ssib ilité liser et présenter les éléments
d ’e n tre p re n d re u n e é tu d e c o n te m p o ra in e de
R o d in v raim en t sa tisfa isa n te d an s l’é ta t de l’é p o q u e co m m e au tant
a c tu e l d e s choses.
181
Livres d 'a rt
Dans le plâtre, Nijinsky figé et vivant.
“ Pour com m encer, et c ’est ce photographes, se servant de velle sous une apparence très
qui, dit-on, a laissé rêveur le l’élément photographique comme classique, et qui peut devenir
d épartem ent photographique d ’un instrument de tr a v a il. la solution idéale en ce qui
du Muséum d ’Art M oderne de concerne le futur du livre d ’art.
New York 3, la plupart des sculp U n e fo rm u le d 'a ve n ir Il n’est plus question d ’une
tures reproduites en noir et Rodin revu et corrigé par fastidieuse suite d ’illustrations
blanc dans l’album ont été Rodin. Rodin capté à travers ou d ’un texte exhaustif illisible.
photographiées sous les direc l’œil de l’époque, à travers Le texte de J.-F. Chabrun se lit
tives de Rodin lui-même. Très l’atm osphère des ateliers de com me un roman.
myope, le sculpteur travaillait M eudon et de Paris, des plâtres « Il s’agit, dit Robert Des-
en étroite association avec ses humides et des petits matins charnes, d ’une tentative de
froids de 1860. Le résultat est prise de conscience de l’inten
3. R odin, q u e la F ra n c e sem b le la d e rn iè re
à m e ttre à l’h o n n e u r, a v e n d u , a p rè s 1900,
d ’une grande finesse et d ’une sité de l’image, dans une civili
plus d ’œ u v re s aux U .S.A . e t d an s le m o n d e extraordinaire puissance d ’évo sation dite visuelle où rien n ’est
que ce que P icasso, p ro p o rtio n n e lle m e n t, a
ja m a is vendu. Son su c cè s en A m é riq u e a
cation. Une formule qui, ré plus méconnu en réalité que
to u jo u rs é té trè s im p o rta n t. pétons-le, est tout à fait nou l’image.» Camille Délio.
182
A v o ir
Les architectes russes
L'architecture, par M ichel Ragon
183
A rch ite ctu re
i*~ encore com me plus audacieux: c’était « les Soviets plus l’élec La solution
Ivan Leonidov. Il est bien tricité». En pensant aux con des « désurbanistes »
certain que le projet d ’ins densateurs électriques qui trans A l’autre extrême, les « désur
titut Lénine de Leonidov (1927), forment la nature du courant, banistes» attaquaient violem
structure dynamique en tension les architectes prospectifs russes ment la « maison com m une» et
et où de nombreux éléments ne voulaient créer des « c o nde n rêvaient d ’éparpiller sur tout le
sont plus supportés mais sus sateurs sociaux» qui puissent territoire russe des maisons
pendus, anticipe singulièrement transformer les hommes. Mais individuelles. Ces maisons indi
sur les recherches actuelles deux courants s’opposèrent viduelles firent l’objet d’études
encore « anticipantes» qui vont alors (comme ils s’opposent de pour des cellules types, tout
de Le Ricolais à Maymont. nouveau aujourd’hui), les « urba comme d ’ailleurs les maisons
En 1929, pour le Centrosoyouz nistes» et des « désurbanistes». communes. Pour aussi aber
de Moscou, Leonidov proposait Les «urbanistes» voulaient rante que soit cette théorie,
un gratte-ciel auquel ressemble urbaniser le pays en construi elle n’en est pas moins aujour
singulièrement l’immeuble de sant des «maisons com munes» d’hui reprise, aux États-Unis
l’O.N.U. à New York construit qui ne ressemblent pas aux notamment, par les partisans de
après la Seconde G u erre m on immeubles bourgeois. Dans ces l’habitat dispersé. Ajoutons que
diale. Sans doute parce qu ’il «maisons com m unes» la partie les «désurbanistes» pensaient
était le plus « révolutionnaire », individuelle devait être réduite ainsi résoudre le conflit alors
Leonidov fut la principale vic au maximum et les fonctions aigu entre l’habitat rural et
time de la répression à partir familiales devaient être trans l’habitat urbain, q u ’ils avaient
des années 30 et il disparaîtra posées dans des parties collec conscience des besoins de mobi
dans l’anonym at des construc tives. « Dans ces projets, écrit lité de l’habitat et que certains
tions collectives. Ce qui prouve A natole Kopp, on ne fait plus songeaient à organiser cette
que l’on peut parfaitem ent de différence entre les loge explosion de maisonnettes en
étouffer le génie. Les autres ments des célibataires et ceux villes linéaires. Exagérations,
architectes prospectifs dispa des ménages traités indistinc mais exagérations qui conte
raîtront eux aussi derrière l’ar tement com me des cellules naient beaucoup d ’idées pros
chitecture somptueuse imitée minimales au long de couloirs pectives. Dans la « maison c o m
de la Renaissance italienne qui de circulation. Barch et Vladi- mune», ne trouve-t-on pas aussi
sera curieusem ent considérée mirov vont encore plus loin. La (mais outrée) une pensée co m
com me « réaliste socialiste ». cellule individuelle se limite à mune à Fourier et à Le Corbu-
un espace de 6 m2. T outes les sier. On n’a pas laissé à ces
Faire l'h o m m e c o lle c tif activités incompatibles avec cet chercheurs le temps de résoudre
Mais si les architectes prospec espace se déroulent dans des les complexités de l’habitat et
tifs disparurent si vite et si radi locaux collectifs. Chez V. de la ville que nous n’avons
calement de la production russe, Kouzmine les «com m unards» d ’ailleurs toujours pas résolues.
le phénom ène est moins extra dorment, collectivement par Nous ne faisons que reprendre
ordinaire lorsque l’on considère dortoirs de six personnes, les les problèmes là où ils durent
qu’ils étaient néanmoins une hommes d ’une part, les femmes les abandonner. Michel Ragon.
exception dans la révolution de l’autre et ne se retrouvent
d’Octobre. Si leurs œuvres révo dans des chambres de deux per A consulter: Anatole Kopp, A r
lutionnaires semblèrent pen sonnes que pour un nombre de ch ite ctu re et urbanism e sovié
dant quelques années corres nuits strictement réglementé. tiques des années 20 (préface de
pondre à l’élan révolutionnaire Peut-on vraim ent croire au I. Schein. Éditions Anthropos,
politique de leur pays, elles sérieux du projet de ville verte Paris).
n’en restaient pas moins pour la de K. Melkinov, où des Le même éditeur vient de publier
plupart à l’état de projet. L’élec orchestres spéciaux répartis le premier numéro d ’une revue
tricité, on le sait, était alors à dans d ’immenses dortoirs de intitulée Utopie et consacrée à
l’honneur puisque Lénine avait vaient couvrir les ronflements une assez fumeuse « Sociologie de
déclaré que le communisme et favoriser le sommeil?» l'urbain».
184
A v o ir
La peinture, par Pierre Restany
I Les Biennales
arrivent à l'âge critique
L’annee 1967 aura m arque une date critique dans l’histoire des mais d ’une totale refonte struc
confrontations internationales. Les nécessités d ’un calendrier turelle: c ’est une mini-biennale
extrêm em ent chargé font en effet coïncider à quelques jours de à l’âge de l’émancipation.
distance le vernissage des Biennales de Sao Paulo et de Paris: Créée en 1959 par Raymond
on est tenté de faire le point. Cogniat, l’institution parisienne
Les deux manifestations sont réalisme de l’entre-deux-guerres justifia sa tardive naissance au
fort diverses et, dans une ce r aux États-Unis... firmament des biennales par un
taine mesure, elles se com L’Europe, d ’une manière géné critère de spécialisation: réser
plètent ou se com pensent. Par rale, n’a pas été à la hauteur vée aux artistes de moins de
rapport aux ambitions plus de sa réputation. L’Italie était 35 ans, elle s’affirma com m e le
modestes de la Biennale de trop éclectique, l’Angleterre a Jam boree mondial de la je u
Paris, la Biennale de Sao Paulo joué sur les am bivalences du nesse artistique.
est une confrontation générale pop art et de l’op art, et, à part
de la peinture et de la sculpture quelques heureuses exceptions, U ne B ien n ale de jeunes
contemporaines, le pendant l’absence de qualité dans les fa ite par des vieux
«austral» de la Biennale de sections nationales semblait Le caractère boy-scout et pater
Venise. Sa IX' session a corres témoigner d ’une véritable indif naliste de sa structure fut im
pondu à un changem ent struc férence à l’égard de la manifes puissant à endiguer les effets
turel important: d ’organisme tation. La F rance s’est distin d ’une évolution générale de la
privé elle est devenue fondation guée: rom pant avec la tradition pensée créatrice. Cinéma, spec
publique tout en dem eurant de l’éclectisme, notre commis tacles audio-visuels, environ
sous la présidence de son saire Michel Ragon a axé son nements, travaux d ’équipe,
m écène-fondateur, M. F ran pavillon sur une brillante rétro projets d ’architecture: toutes
cisco M atarazzo Sobrinho. spective de César, en réservant ces formes d ’expression consi
trois salles particulières à James dérées au début com m e
Sao Paulo : G uitet (dessins), à Jean-Pierre «annexes» ont pris le dessus
les vaches m aig res Raynaud (psycho-objets) et à sur la peinture et la sculpture
Le niveau général de la mani Alain Jacquet (analyses de traditionnelles. L’art expéri
festation brésilienne était assez trames photographiques). mental a tué la peinture: des
bas: c ’est la Biennale des Vainqueur moral de la confron centaines de mètres carrés de
vaches maigres. La faute n’en tation, César méritait la récom cimaise continuent pourtant à
incombe pas spécialement à la pense suprêm e: elle lui fut lui être consacrés. En vain, si
représentation sud-américaine, refusée par un jury à prédo ce n’est pour justifier aux yeux
jeune et dynamique en ce qui minance anglo-saxonne, qui lui du jury la répartition géogra
concerne le Brésil et surtout préféra un certain Mr. Smith, phique des médailles.
l’Argentine. Les U.S.A. n ’ont honnête artisan de l’art optique. Cette Biennale des Jeunes est
pas voulu être en reste: le pavil Le prix de consolation qui lui faite par les vieux: un corps
lon américain, rem arquable fut offert ne pouvait pas le satis jeune sanglé dans l’uniforme de
ment am énagé, offrait au visi faire et il le refusa. Le « scan l’officialité. Le décalage entre
teur un saisissant panoram a du dale» organisé autour de son la lourdeur des structures et la
pop art sous le titre « A mbiance geste n’est pas à la gloire de la réalité des faits est désormais
U.S.A. 1957-1967» avec, en Biennale de Sao P a u lo 1. criant. La Biennale de la Jeu
exergue, une rétrospective Ce n ’est pas d ’air frais dont a nesse, du spectacle et de la m~
d ’Edward H opper, le maître du besoin la Biennale de Paris, 1. IX ' B ie n n a le d e S ao P au lo , se p t.-d é c . 1967.
185
P ein ture
recherche expérimentale étouffe semble des envois (près de l’avant-garde parisienne (Yves
littéralement sous le carcan 2 000 cette année-ci) une cen Klein, A rm an, Hains, Tinguely,
d ’un critique d ’art traditionnel taine d ’œ uvres destinées à être César) et qui a constitué entre
com me Jacques Lassaigne. Ne exposées à la Walker Art Gal- 1958 et 1963 une collection très
mériterait-elle pas d ’avoir à sa lery de Liverpool. Les trois dynamique et très personnelle
tête un découv reur de talents premiers prix sont des prix axée sur les trois branches maî
tel que Bruno Coquatrix, un d ’acquisition destinés à enrichir tresses et parallèles du surréa
cinéaste nouvelle vague dans le les collections municipales. Ils lisme, de l’informel et du
style T r u f f a u t2? ont été décernés cette année à nouveau réalisme. Le collec
deux des tenants de la jeune tionneur se double chez G u n ter
SuperLund : école pop britannique (David Sachs d ’un promoteur. N om m é
un pari sur l'a ve n ir Hockney, 1" prix; Joe Tilson, depuis peu président du Musée
Dans ce concert international, 3e prix) et à un vieux militant de du XXe siècle à Munich, il
j ’ai tenu à faire entendre ma l’art géom étrique (Malcolm entend faire de cet organisme
voix, en organisant à la Kons- Hugues). Un palmarès sans his le lieu géom étrique de l’art
thall (musée municipal) de Lund, toire qui couronne une entre vivant dans sa Bavière natale.
l’Oxford suédois, une exposition- prise de promotion culturelle Et il le prouve en exposant sa
démonstration d ’art expéri locale dont nous aimerions voir propre collection, hommage
mental rassemblant un p ano se multiplier les exemples en inaugural à l’École de Paris.
rama des principales orientations F r a n c e 4. D ’autres manifestations sui
d e l à recherche contem poraine: vront, expositions individuelles,
structuration photom écanique M u n ich : groupes, débats, et sans doute
de l’image, assemblages d ’objets, un M u s é e du XXe siècle aussi, très bientôt, une Bien
montages optiques mobiles, G u n te r Sachs est — entre autres n a l e 5. Pierre Restany.
œuvres électroniques pro choses — un collectionneur
2. V' B ie n n a le d e P aris, 30 sep t.-5 nov. 1967.
grammées, environnements avisé, un fervent de Fautrier 3. S u p e rL u n d , 11 s e p t.- 1" d é c . 1967.
animés, esthétique industrielle, et de Max Ernst qui a su re 4. J o h n M o o re s L iv erp o o l E x h ib itio n , nov.
1967-janv. 1968.
architecture prospective. « Su connaître en temps opportun 5. C o lle c tio n G u n te r S achs, M u n ic h , M u sée
perLund» tentait, à partir des les valeurs de renouveau de d u X X' siè c le, se p t.-d é c . 1967.
données expérimentales du
présent, de d onn er une réponse
au problèm e de l’art dans la cité
de demain. C ’était un pari sur
l’avenir et c ’est ainsi que l’a
compris le public, qui a saisi
avec enthousiasme cette o cc a
sion de s’insérer dans la m uta
tion de l’art en langage social3.
Les Anglais ont aussi leur Bien
nale, qui leur a été offerte par
leur roi du textile: M. John
Moores a fondé à Liverpool, il
y a dix ans, un Prix Biennal
doté d ’un montant global de
7 500 livres sterling. Ce prix
prend la forme d ’un concours
ouvert à tous les artistes rési
dant dans le Royaume-Uni. La
tâche du jury international est
double: décerner les récom
penses et choisir parmi l’en
186
A v o ir
fiction tels que les Planet Comics Cinq peintres e t sculpteurs
E XPO SITIO N S
et leur érotique héroïne Futura, suédois à Paris
préfiguration de la plus récente Sous le vocable synthétique de
L'univers de Barbarella des bandes dessinées Pentacle et sous la forme libre
la sc ien ce-fictio n de J.-C. Forest. de cinq expositions individuelles,
Qui n’a pas entendu parler de Pour tous les autres, ceux qui c ’est la plus importante expo
science-fiction? qui ne croit pas croient que la science-fiction sition de peinture et sculpture
savoir ce q u ’est la science- est née avec la révolution in suédoises qui ait lieu à Paris
fiction? D ’après les statistiques, dustrielle du xix' siècle, et ceux depuis la guerre.
sur mille personnes en France, qui pensent qu ’elle est dépassée, Les «triangles» d ’Olle Baert-
en Allemagne, aux États-Unis, voire moribonde, avec les pro ling, plus mystiques que m a thé
dans tout le m onde occidental grès de la science spatiale et les matiques, la « piscine avec élé
on trouve un auteur (écrivain, exploits réels et extraordinaires ments flottants» intitulée Jeu,
dessinateur, cinéaste...) de des astronautes russes ou am é Dante, Virgile de O. Fahlstrom,
science-fiction et 9 lecteurs ou ricains, cette exposition rappel la touche légère et m ordante de
amateurs. Pour ceux-là, l’expo lera l’épopée de Gilgamesh C.F. Reutersward, le surréa
sition qui nous vient de la (2 000 av. J.-C.), le voyage ima lisme fascinant de H.W. Svan-
Kunsthalle de Berne présentée ginaire de Gulliver, et tant berg, les sculptures-machines
dans les salles du pavillon de d ’autres histoires illustrées par en mouvem ent de P.O. Ultuedt
Marsan par son directeur, de merveilleux dessins; elle leur sont autant de manifestations
M. Szeemann, sera un régal: ils prouvera surtout que la science- d ’un art plastique contemporain
retrouveront avec délice leurs fiction est avant tout un état en pleine effervescence.
«classiques», les premiers nu d ’esprit, un don d ’imagination Musée des A rts décoratifs,
méros de la revue Amazing et de réceptivité à toute idée 17 janvier-fin mars.
Stories parus en 1926, ceux des de changem ent qui en fait un
Wonder Stories de l’époque ferment vital et inépuisable du Les derniers
1937-42, les premiers comic- monde m oderne; et les progrès trésors du Louvre
books où apparaît la science- techniques acquis ne font que Vingt ans d ’acquisitions au
lui donner de nouveaux trem musée du Louvre et plus de
J lu ÿ u s t S f lS M ** C m tH plins et de nouveaux moyens 500 œuvres, fruits de donations
d ’expression: projections ciné pour la plupart, réparties sur
matographiques, affiches de presque tous les départem ents
films font découvrir de nou du musée, seront évoqués dans
veaux auteurs de science-fiction cette exposition. Que citer
(F. Lang, Losey, Kast, parmi tant de trésors? Quelques
Godard...), jeux et jouets font exemplaires de la collection
de plus en plus appel à la Walter, une tête de femme de
science-fiction, peintures (Ran- l’atelier rémois (1225), une cou
cillac, Martial Raysse) et objets ronne reliquaire dite de saint
depuis les robots, les soucoupes Louis, un Rembrandt, trois
volantes, jusqu’aux dernières Delacroix, des Corot... des
créations de la mode, rivalisent meubles royaux du xvur... Il
d ’imagination et d ’humour. A faut voir.
travers 4 000 docum ents pré Et si les mots de patrimoine
sentés par thèmes sous les artistique ne vous sont pas in
formes les plus diverses, cette différents, cette exposition vous
exposition est la démonstration paraîtra particulièrement inté
éclatante d ’un phénomène inter ressante.
national. Musée de ï Orangerie,
A mazing stories : le pionnier. Pavillon de Marsan, jusqu’à la mi-mars.
du 28 novembre au 26 février. Muriel Cluzeau-Ciry.
187
E xp o sitio n s
ACTIVITÉS PLA NÈ T E
189
A c tiv ité s P lanète
En trois semaines, vous découvrirez tous
les aspects de l'Inde ancienne et moderne
Le premier Voyage Planète se travestissement. Mais Bombay, la danse. La fameuse école de
devait d ’avoir pour but l’Inde. c ’est aussi Foras Road, la rue Rukmini Devi sera visitée. Vous
Le pays de Mme Indira G andhi des filles en cage. De vraies y apprendrez que chacun des
est un pays du Tiers M onde, cages à barreaux. Il y a 62 000 gestes a un sens.
affamé, économ iquem ent sous- de ces filles, habillées de saris, De là vous irez à Mahabali-
développé. Mais c ’est aussi le les yeux bordés de kôhl, la che puram, un ensemble architec
pays des plus hautes expé ville pudique, le bétel cons tural qui s’élève au bord de la
riences spirituelles. Entre l’âme tam m ent à la bouche. mer.
et le corps, l’Inde avait ju sq u ’à Dans les jardins suspendus de Kanchipuram, la ville dorée,
présent choisi l’âme — mais M alabar Hill, se dressent les la ville aux mille temples, la
voici que le corps com m ence à Tours du Silence, ces cime Bénarès du Sud, permettra aux
manifester ses exigences. Placé tières où les morts parsis sont voyageurs de rencontrer un des
devant la même alternative, laissés aux vautours. plus grands «sages» de l’Inde
l’O ccident a choisi le corps — Vous quitterez alors le profane contemporaine, le Chandogya.
l’âme ne commence-t-elle pas à pour des lieux sacrés: Auran- C ’est un homme de tradition:
d em ander sa part? gabad, qui possède les temples il a dirigé le mouvement qui
Le voyage a été organisé de souterrains les plus célèbres de défendait les vaches sacrées.
façon à rendre cette confron l’Inde, Ajanta, où les temples
tation Orient-O ccident sensible sont sculptés à même la mon A Pondichéry,
de façon très aiguë à chacun tagne, dans le roc. A l’intérieur: vous séjournerez à l'ash ram
des participants. L’itinéraire et les plus belles fresques du de Sri A u robindo
le programme devraient p er monde. C ’est un des grands Pondichéry sera un des grands
mettre un tourisme intériorisé chefs-d’œ uvre de tous les temps m oments de ce voyage. C ’est la
et non plus superficiel. et de tous les pays. L’être en effet que se trouve le célèbre
humain n’a jamais été dessiné ashram de Sri Aurobindo. Un
A B o m b ay, vous serez reçu et peint avec plus de grâce et séjour de deux jours y est prévu
dans un ce n tre in itiatiq u e de dignité. Ellora, avec ses — un séjour libre et calme,
de yoga temples à ciel ouvert, ses com me en font quelques Euro
La première étape sera Bombay. rochers géants taillés et sculptés. péens privilégiés qui viennent
Bombay cerné de l’immense ici tenter de se retrouver eux-
cloaque de ses bidonvilles. A M a d ra s , vous visiterez mêmes. C ’est une grande expé
L’humanité y est sale et grouil le centre m ondial rience à vivre.
lante. Les vaches sacrées sont de la S o ciété th éo so ph iqu e B ubaneshwar rivalise avec
partout, même dans le cœ u r de M adras est une ville pleine de Kanchipuram pour le nombre
la cité, parmi les immeubles couleur, de soleil, d ’histoire. et la beauté de ses temples.
victoriens à la dignité co m pas La Société théosophique y a son Des pèlerins s’y livrent à des
sée. La rue, c ’est la vie, parce centre mondial. Des entretiens s ’y ablutions rituelles. Des lotus
que beaucoup d ’habitants de dérouleront entre les respon couvrent les bassins d ’eau
Bombay n’ont pas d ’autre d e sables de la société et les par fraîche. Konarak n’est qu ’à
meure. Il y a des écoles ticipants du Voyage Planète. une heure de voiture. La « pa
d ’apprentissage du yoga. L’une Les jardins y sont merveilleux. gode noire» est un des m onu
d ’elle sera visitée. C ’est le seul Un banian séculaire étend ses ments les plus célèbres du
moyen de se rendre com pte de branches protectrices. monde. Ses sculptures, d ’un
ce qu ’est le yoga, pur de tout M a d ras est aussi la capitale de érotisme parfaitement franc, m~
191
A c tiv ité s P lanète
r*~ nous confrontent avec un fait misère: il faut d ’abord mesurer Vous serez l'h ô te d'un jo u r
de civilisation qui nous est précisément cette misère pour du m aharadjah de B aïtp u r
particulièrement étranger, la y ad apter son effort. Des entre Bien entendu vous verrez à
sexualité non seulement m a tiens auront lieu avec des fonc Agra le Taj-Mahal, le tombeau
gnifiée, mais sacralisée. tionnaires du Centre. somptueux élevé par un em pe
Un peu plus loin, autre haut lieu C ’est aussi à Calcutta que se reur à son épouse. A Jaïpur, à
sacré: Puri, ses six mille prêtres, font les films: l’Inde, on l’ignore une journée de là, il est prévu
ses 300 000 pèlerins, son chariot généralement, a la première un déjeuner avec le maharadjah de
de 18 mètres de haut et 7 mètres production cinématographique Baïtpur, l’homme aux 13 Rolls,
de large pour transporter le du monde. En quantité, s’entend. dont une en argent massif. Une
dieu Jagannath. Se je ter sous Katm andu est la capitale du réception est prévue le soir
les roues était, il n ’y a pas long Népal. Au cœ u r de l’Himalaya, chez la maharani de Jaïpur.
temps, le suicide rituel des c ’est une région particuliè Nous sommes en plein conte,
Indiens. rem ent belle. Elle n ’est acces hors du temps. Les palais sont
sible que depuis 1951. Kat somptueux. C ’est l’Inde des
A C a lc u tta , mandu est au centre de la livres d ’images: elle existe aussi.
c'est l'a ffro n te m e n t «vallée des dieux»: il y a Au programme, une p ro m e
de la m isère e t de l'e ffo rt presque davantage de temples nade à dos d ’éléphant, la visite
Calcutta, c ’est l’enfer. Des mil que de maisons. C om m ent du temple de Khajuraho décoré
lions d ’êtres humains, échoués s’éto n n er que le Bouddha soit de sculptures érotiques com me
là, le ventre creux, malades, né là il y a 2 500 ans? Les parti à Konarak.
sales, sans toit, sans lit, sans cipants du Voyage Planète y Enfin Delhi. C ’est l’étape du
rien, attendent. La mort. Au rencontreront le roi Mahendra, bilan: une rencontre avec le
cœ ur de l’horreur, le « mouroir» poète, esthète, mainteneur des Dalaï-Lama, une visite chez les
de S œ ur Theresa. On ne peut traditions, promoteur du moder Sikhs, une soirée à l’Alliance
pas sauver ces gens. On peut nisme. française avec peut-être Ravi
sim plement en aider quelques- A Bénarès, au bord du Gange, Shankar, le célèbre musicien.
uns à mourir avec un minimum tout est ferveur et mysticisme. Puis ce sera l’avion, l’oiseau
de dignité. Les rues sont grouillantes d ’er d ’argent, le retour vers un O c
Mais Calcutta, c ’est aussi l’Ins mites nus. Dans le fleuve sacré cident qui sera peut-être alors
titut national de la Statistique, se baignent les morts, les vivants, vu d ’un regard différent, d ’un
le cœ u r même de l’effort en tre les agonisants, les malades, les œil neuf.
pris par les responsables qui lépreux... La spiritualité ignore C ’est la raison d ’être profonde
veulent sortir l’Inde de sa les contingences matérielles. de ce voyage.
De Bombay à Delhi
21 jours pour 5 690 francs
Départ de Paris : samedi 1 6 mars 1 968
Retour à Paris : dimanche 7 avril 1968
Prix : 5 6 9 0 francs par personne en chambre à deux lits, avec bains
Supplém ent pour une chambre individuelle : 3 0 0 francs
194
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soit 3 numéros de P L A N È T E
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en renvoyant ce bon ou en détachant page 163 la carte d'abonnement
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195
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tm~ suite quand, pendant quinze dire furent d ’accord, com m e ils de publier cette lettre, et dans
ans, on a été l’ami, finalement le furent un peu plûs tard pour son entier.
très proche, de G aé tan Pirou, éliminer le candidat. Je vous prie de croire, M on
on se plaît, com m e je le fais Pourquoi, après avoir légiti sieur, à mes sentiments très
ici, à évoquer l’hom m e bien m em ent recueilli tel ou tel récit distingués.
veillant, convaincu, convain de faits m aintenant lointains, ne Raymond Guillien
cant, fort d ’un véritable pres pas les avoir vérifiés auprès des Ancien professeur à la faculté de droit
tige, qui siégeait parmi nous, acteurs eux-mêmes? Ces ac de l’Indochine
ses jeunes collègues en Extrême- teurs, on les eût si facilement Professeur à la faculté de droit
et des sciences économiques de Lyon.
Orient, et cherchait constam trouvés parmi les professeurs de
ment nos avis. G aé tan Pirou la faculté de Paris, ou même Dont acte ♦ Nous remercions le
n’a rien exigé. Il a pensé q u ’une de Lyon! professeur Guillien pour ses infor
note exceptionnelle était méri Vous com prendrez, Monsieur, mations courtoises et précises.
tée par une très bonne copie. que, dans son prochain numéro, Voici une lettre « pour servir
Ceux qui avaient leur mot à la revue Planète ait pour devoir l’histoire » ♦
Dépôt légal 1" trimestre 1968 Commission paritaire n° 38 468 N“ d'im prim eur 5 925
E D ITIO N S
PLANETE
Collection
L ’EXPÉRIENCE INTÉRIEURE
(série Recherches j
Planète co m m en ce
la p u b l i c a t i o n des œ u v r e s de
PAUL TILLICH
Le premier volume vient de paraître
THÉOLOGIE DE LA CULTURE
« Sa nouvelle définition de Dieu
est si révolutionnaire que des millions
de non-croyants s ’aperçoivent soudain que,
d’une certaine manière, ils ont la foi.»
RÉALITÉS
C h r o n i q u e de n o t r e c i v i l i s a t i o n / H i s t o i r e i n v i s i b l e / O u v e r t u r e s de la s c i e n c e
•• Grands c o n t e m p o r a i n s / Monde futur / Ci vi lis at io ns disparues
Imprimerie L. P.-F. L. Danel Loos-lez-Lille Nord im prim é en f r a n c e Diffusion Denoêl / N.M.P.P.
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Des chefs d'entreprise américains ont calculé
qu'il faudrait cinq siècles (sans dormir) à un
homme pour lire tous les articles économ iques et
techniques parus... l'an dernier aux États-Unis.