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J ' Jenny Brun

REPRESENTATIONS DU PRINCE DANS LA FABLE ANIMALE


(MILIEU DU XIII e SIÈCLE-FIN DU XVe SIÈCLE) : DE L'ÉLOGE À
LA SATIRE.
Tome II

Thèse présentée
à la Faculté des études supérieures de l'Université Laval
dans le cadre du programme de doctorat en programme d'Histoire
pour l'obtention du grade de Philosophiœ doctor (Ph.D)

DEPARTEMENT D'HISTOIRE
FACULTÉ DES LETTRES
UNIVERSITÉ LAVAL
QUÉBEC

2008

© Jenny Brun, 2008


Chapitre IV: Critique et satire

Si les auteurs du Moyen Age eurent recours à la fable animale pour conseiller le
prince, ils utilisèrent aussi cette forme pour se moquer du pouvoir, pour critiquer des
politiques qu'ils jugeaient néfastes ou pour répliquer à leurs adversaires. Leurs
interventions ne sont jamais gratuites, elles visent autant le bien commun que celles des
conseillers. Comme ces derniers, les « satiristes » interpellent le prince en lui rappelant ses
devoirs envers le peuple et le pays ou, à d'autres moments, ils se posent en défenseurs d'un
groupe, réclamant le respect des prégoratives de chacun. Dans un cas comme dans l'autre
ils exposent par la moquerie un idéal qu'ils estiment trahi par le prince ou par son
entourage. Qu'il s'agisse d'une réaction face aux interventions jugées abusives, de la
frustration envers l'introduction de « noveltés » tant décriées et peu conformes aux usages,
de la méfiance envers l'influence grandissante des conseillers de « basse extraction »,
d'une remise en question des décisions du prince dans les moments critiques ou encore des
craintes occasionnées par les dissentions au sein du conseil de régence, leurs visions du
pouvoir diffèrent mais témoignent de la conscience aigûe du rôle du poète dans la sphère
politique. Le degré de leur opposition, allant de la désapprobation aux velléités de sédition
en passant par le désabusement, influença tant le choix du style littéraire que la force du
propos.

Outre la critique du pouvoir et la satire de la vie de cour, la fable animale nous


renseigne sur l'évolution des mentalités politiques entre le milieu du XIIIe siècle et la fin
du XVe siècle. Encore féodales et «chevaleresques» chez Philippe de Novare et Rutebeuf
qui dénoncent l'interventionisme impérial pour le premier, royal pour le second, elles sont
davantage tournées vers une vision centralisatrice du pouvoir royal chez Geoffroy de Paris
et Gervais du Bus qui fustigent l'influence néfaste des conseillers royaux et questionnent
le rapport entre le pouvoir spirituel et le pouvoir temporel. Au mileu du XIVe siècle, la
guerre de Cent Ans pousse les auteurs à chercher une explication, et des coupables, à la
désolation que subit leur patrie. Cette remise en question des comportements de
l'aristocratie et des décisions de la royauté est bien illustrée par Henri de Ferrières qui fait

280
tenir à ses personnages, le Roy Modus et la Royne Ratio, un discours moralisateur par le
truchement comparatif entre la nature des bêtes à celle des hommes. Puis, à la fin du XV e
siècle, la satire se fait partisane, non pour défendre la nation contre un ennemi extérieur
mais pour dénoncer les querelles à l'intérieur du conseil de régence chez l'auteur anonyme
de la Bergerie de l'agneau à cinq personnages.

281
A. Mutations du monde féodal.

Quoique correspondant de moins en moins à la réalité, la vision féodale des


rapports sociaux marque encore le XIIIe siècle, créant parmi plusieurs des résistances aux
changements déjà amorcés dans l'organisation de la vie politique. Peu à peu, la pyramide
féodale qui caractérisa le Moyen Age classique, dans laquelle le monarque représente un
prince parmi d'autres, laisse place à une structure où le pouvoir royal domine l'ensemble
des sujets, alors que l'influence et le rôle de la noblesse diminuent.

En France, le développement du contrôle monarchique au milieu du XIIIe siècle


n'eut pas que des adeptes et si Louis IX représenta par la suite le modèle du roi idéal, ses
contemporains, dont le poète Rutebeuf, eurent une vision plus mitigée sur son règne. On
peut donc parler de survivances féodales dans un siècle en mutation. Ces changements, qui
touchèrent une partie importante de l'Occident médiéval, ne se firent pas au même rythme
partout. Si le royaume de France, bénéficiant de conditions favorables et de politiques
éclairées, put consolider les institutions monarchiques et renforcer le pouvoir royal,
d'autres États gardèrent des coutumes plus anciennes. Il en est ainsi des royaumes latins
d'Orient qui, vivant en retrait et dans une situation particulière, résistèrent à la
centralisation représentée par l'Empereur Frédéric II qui voulut imposer dans ses nouveaux
domaines les Constitutions de Melfi, inspirées des Assises de Roger II et du droit romain,
en vigueur dans le royaume de Sicile814. S'il peut sembler paradoxal d'inclure dans le
corpus l'œuvre d'un noble lombard vivant à Chypre, ce choix s'explique par deux grands
points. En premier lieu, les royaumes latins d'Orient sont un microcosme des tensions des
grands féodaux, entre eux, mais aussi face à un pouvoir considéré comme dominateur.
« On voyait dans le royaume de Jérusalem et, par extension abusive, dans les autres
principautés, un État féodal parfait créé sur la table rase de la terre conquise et où la

8,4
P. Aube, Les empires normands d'Orient, p. 273

282
• RIS

souveraineté appartenait plus à la noblesse qu'au roi, simple primus inter pares ». Il
s'agit donc d'un terrain d'étude particulièrement fécond des survivances d'un monde qui
change. De plus, Chypre et Jérusalem demeurent dans une mouvance française, du moins
culturellement, de par les origines de leurs seigneurs. Cette situation spécifique explique
pourquoi un noble italien écrivit ses mémoires en français et qu'il fut le premier
continuateur des branches tardives du Roman de Renart.

1. Mémoires de Philippe de Novare (1230)

Membre de la petite noblesse. Philippe de Novare entre rapidement au service de


Pierre Chappe, baron chypriote qui l'introduit auprès de l'influente famille des Ibelin dont
le patriarche Jean 1er est seigneur de Beyrouth. Il mit rapidement à profit sa formation de
juriste, gagnant plusieurs causes en faveur de ce clan auquel il appartient à de nombreux
titres, notamment comme compagnon d'arme de Balian, fils aîné de Jean 1er. Philippe de
Novarre prit une part active dans le conflit opposant les Ibelin à l'Empereur Frédéric IL Ce
dernier était représenté à Chypre par des seigneurs venus du Poitou dans le sillage de Guy
de Lusignan, désignés comme les cinq baux. Il s'agit d'Aimery Barlais, d'Amaury de
Q] f.

Bethsan, de Guillaume de Rivet. d'Hugues de Gibelet et de Gauvain de Chenichi , les


deux premiers sont des cousins germains. Plusieurs membres de la famille des Lusignan
avaient suivi Richard Cœur de Lion en croisade. Pour les récompenser, mais aussi dans le
but de s'assurer leur fidélité en Aquitaine, le roi Richard soutint en 1190 la candidature de
Guy au trône de Jérusalem. En 1191 il conquiert Chypre et y place les Lusignan au
pouvoir817. Philippe de Novarre a fait le récit des événements dans une partie de ses
Mémoires qu'il intitula TEstoire de la guerre des Ibelins et de Frédéric II Quoiqu'il ait été
particulièrement bien informé, l'auteur n'a pas fait, ni n'a prétendu faire un récit neutre. Ses
815
C. Morrisson, Les croisades, Paris. PUF. 2006. p. 91
816
Note de l'éditeur Charles Kohler. p. 124
817
M. Aurell, L Empire des Plantagenêt, p. 66, 208-209.

283
allégeances sont sans équivoque et il est convaincu de son bon droit. En ce sens, nous
sommes très loin d'une chronique qui se voudrait impartiale et neutre. Philippe de Novare
défend un point de vue, celui de sa maisnie, son groupe. Dans son désir de "défendre les
siens, il utilise la fiction comme une arme, tantôt pour prévenir, tantôt pour se moquer de
ses adversaires.

Le conflit débuta lors de la succession d'Hugues Ier de Lusignan -janvier 1218-, roi
de Jérusalem et de Chypre. N'ayant pour héritier qu'un enfant de quelques mois, son
épouse Alix de Champagne assuma la régence avec l'aide de son oncle Philippe d'Ibelin,
• • S1 ft

bailli de Chypre , qui prit en charge l'administration et laissa les rentes à la reine Alix.
Quant le jeune Henri de Lusignan «fu un poy grandet», ses oncles décidèrent de le
couronner. Le couronnement eut lieu en 1225, Henri étant né le 3 mai 1217y il n'avait que
huit ans. Mais Frédéric II, qui avait épousé en 1224 la nièce de la reine Alix, Isabeau de
Brienne (fille de Jean de Brienne et de Marie de Montferrat819), prétendait avoir des droits
sur le gouvernement et sur les rentes, puisque Henri devait tenir de lui son baillage jusqu'à
ce qu'il soit majeur. Les prétentions de Frédéric II dépassait les frontières de l'île : par son
mariage avec la fille de Jean de Brienne, qui lui-même hérita de la couronne de Jérusalem
0-)A

par sa femme, il entendait déposséder son beau-père pour se proclamer roi à sa place .
De plus, Chypre constituait une étape obligée vers une expédition contre les « infidèles »,
expédition longtemps retardée par un prince qui préférait la « voie diplomatique » à
l'affrontement militaire. Excommunié le 29 septembre 1227 par le pape Grégoire IX,
an i

Frédéric II ne pouvait plus différer son départ en croisade . C'était sans compter
l'hostilité du régent de Chypre, Jean d'Ibelin. L'Empereur, qui désirait subordonner les
usages chypriotes aux siens -ce qui équivalait à tout soumettre «à la souveraineté de l'Etat
dans sa dimension universelle (...) un Regum unitaire et organisé autour du fait du

818
C. Morrisson note au sujet des familles installées dans les États latins : « Seuls restaient ou venaient en
Terre sainte les cadets ou petits chevaliers désireux de tenter fortune (...) les Lusignan et bien des fondateurs
de « lignages d'outremer » de naissance plus obscure encore, comme les Ibelin », Les croisades, p. 93
819
Isabeau de Brienne décéda quatre ans plus tard, soit le 8 mai 1228.
820
Information tirées de M. Balard, Croisades et Orient latin (XF'-XlVsiècles), Paris, Arthaud, 2001, p. 217.
821
Cf : P. Aube, Les empires normands d'Orient, p. 278-79.

284
prince822 »-, gagna des alliés parmi les barons rivaux des Ibelin. La rivalité était bien
antérieure à l'intervention impériale mais elle profitait à l'Empereur. La haine entre les
deux clans se trouva exacerbée lors d'une joute qui se termina mal. Un incident qui
impliquait le baron chypriote Heimery Barlais (du clan rival) et un chevalier toscan
nommé Toringuel poussa le clan d'Heimery Barlais à tenter de prendre possession des
baillages sous la juridiction de Jean et Philippe d'Ibelin.

À la mort de Philippe d'Ibelin en 1227, l'Empereur se rendit à Chypre pour


convoquer les seigneurs chypriotes et le jeune roi dans le dessein d'obtenir d'eux
soumission et de confier la gestion des baillages à leur famille rivale. La convocation suit
de près le décès de Philippe d'Ibelin qui projetait peu avant sa mort d'accompagner
l'Empereur en Syrie. C'est encore en habit de deuil que sa famille se rendit à Limassol
(Chypre), son ancienne demeure. Selon Philippe de Novare, Frédéric II insista pour que ses
hôtes ne portent plus le deuil et qu'ils participent au grand banquet qu'il avait organisé en
l'honneur du roi . N'arrivant pas à convaincre Jean Ier qui voulait prouver son droit
devant la cour du royaume de Jérusalem, il prit comme otages Balian et Baudouin -deux
des fils du seigneur de Beyrouth, qu'il fit attacher dans un donjon. L'historien Jean Richard
mentionne cet entretien mais ne fait aucune allusion à la captivité des fils Ibelin.
Profitant d'un repas ou il avait convié Jean d'Ibelin, il le somma de lui laisser ce
gouvernement et de rendre les comptes de sa gestion. Jean céda sur le premier
point. Mais Frédéric lui réclama en même temps la restitution du fief de Beyrouth,
comme ayant appartenu au domaine des rois de Jérusalem. Jean s'y refusa, du fait
que cette place lui avait été donnée en fief lors de sa reconquête par les croisés de
1197, et Frédéric finit par s'incliner.

Malgré les conseils de plusieurs de déclarer la guerre à Frédéric II, le seigneur de


Beyrouth s'y refusa, conscient qu'il serait alors en tort face à la cour. Dans un passage,
Philippe de Novare raconte comment, lors d'une réunion du clan Ibelin, un proche de la
famille, Anceau de Brie, proposa au seigneur de Beyrouth d'assassiner l'Empereur:« Sire,
ne faites, mais aies a l'empereour, et menés nous ovec vous, et chascun de nous avéra un

822
lbid, p. 273.
82,
Philippe de Novare, Mémoires, p. 9 à 17.
24
J. Richard, Les croisades, Paris, Fayard, 1996, p. 320.

285
couteau en sa chauce priveement; si tost come nous serons devant luy, nous l'ocirons, et
825
nos gens seront sur lor chevaus devant la porte, tous armes ».

Il préféra cependant mettre ses gens en sécurité au château de Deudamor dans les
montagnes chypriotes, au sud de Cérines. Dans l'obligation de retourner prestement en
Italie, l'Empereur fit rendre les deux fils Ibelin, chaque partie se jurant fidélité. Malgré
l'apparence de paix, la situation se dégrada. En premier lieu, pour mieux contrôler le roi
Henri, Frédéric II lui donna pour épouse Alix de Montferrat, sa cousine (Alix de
Montferrat est la fille de Guillaume IV, marquis de Monferrat). Elle est mariée à Henri de
Lusignan en mai 1229 et décède au château de Cérines (à Chypre, en 1232 ou 1233.). Puis,
il vendit le bailliage de Chypre aux cinq baux, déshéritant ainsi les Ibelin. Ces derniers ne
voulant se laisser déposséder ainsi, le conflit entre les deux clans débuta réellement. Les
historiens de la croisade, dont Michel Balard et Jean Richard, nuancent le tableau tout en
reconnaissant l'ampleur du conflit. M. Balard résume les événements ainsi :
Débarqué en Chypre, Frédéric, considérant l'île comme un fief d'Empire, depuis
que son père Henri IV avait attribué la couronne aux Lusignan, exige la tutelle du
roi mineur, Henri 1er et se heurte à l'autorité de la famille des Ibelin, dont un des
membres, Jean, seigneur de Beyrouth, avait reçu la baylie du royaume. Une guerre
fratricide est évitée de justesse, grâce à l'entremise des ordres militaires. (...) À son
départ, l'empereur laisse (...) en Chypre cinq régents, adversaires des Ibelin, qui
défendent les droits impériaux. Le conflit entre ceux-ci et la noblesse « guelfe »
éclate, dès l'été 1229826.

Philippe de Novare fit un récit détaillé des divers épisodes de cette guerre dans
laquelle il souligne son rôle à plusieurs reprises. Traqué par ses ennemis, l'auteur s'enfuit et
se réfugia chez les Hospitaliers à Nicosie, ces derniers ayant pourtant, contrairement aux
Templiers, fait acte de soumission à l'Empereur . C'est à cette occasion qu'il rédigea un
message à l'intention de Balian où il utilisa les personnages du Roman de Renart. Dans son
récit, Philippe de Novarre relate les événements de la première bataille qui eut lieu aux
portes de Nicosie et qui coûta la vie au connétable de Chypre, dit le vieux seigneur de

825
Philippe de Novare, Mémoires, XXXIll, p. 19.
826
M. Balard, Croisades et Orient latin (XF- XIV siècles), Paris, Colin, 2001, p. 217. Pour l'ensemble de la
situation, cf : ch. 9 : les Etats latins au XIIIe siècle, p. 215-236
827
Cf : J- Richard, Les croisades, pp. 415-419

286
Césarée, de même qu'à un neveu du Maître du Temple, Pierre de Montaigu828. À l'issue de
ce combat, les cinq baux et leurs troupes nommées les Longuebars -des sujets du royaume
de Sicile nommés ainsi puisque provenant de « Longobardie »- durent s'enfuir mais
enlevèrent le roi Henri. Un premier traité de paix (en fait une trêve) fut négocié par
Philippe de Novare qui écrivit une chanson satirique pour l'occasion. Un peu plus tard,
durant l'hiver, Balian et Hugues rassemblèrent leurs troupes et se réunirent à Nicosie pour
assiéger le repère de leurs ennemis. Le siège dura un an. Blessé durant une attaque et
entendant les moqueries de la partie adverse qui le croyait mort, Philippe de Novare
répliqua en récitant un conte renardien de son crû devant le château de Deudamor. Peu de
temps aprèSi Philippe de Novarre voulut composer une chanson à rime pour raconter les
événements, mais le seigneur de Beyrouth s'y objecta et proposa une nouvelle branche de
Renart dont les personnages représenteraient les protagonistes du conflit. Il fut donc
entendu que le clan de Renart serait les ennemis et celui d'Ysengrin, les Ibelin. On fit de
nouveau la paix lors d'une cour plénière même si Philippe n'y croyait guère, la suite des
choses lui donna raison puisqu'un des cinq baux retourna se plaindre à l'Empereur
l'enjoignant de lui fournir des hommes. Débarrassé de sa guerre en Pouilles, ce dernier
envoya des renforts sous le commandement de Richard Filanger (ou Ricardo Filangieri),
maréchal de l'Empire, bailli à Chypre, en Syrie et légat impérial en Arménie, Antioche et
Tripoli (vers 1221). Il participa activement au conflit, de même que ses frères Lotier et
Henri.

Le conflit, dont le cadre était tant maritime que terrestre, prit donc une ampleur
considérable, opposant d'un coté le roi Henri qui était maintenant majeur, le clan des Ibelin
et leurs partisans, les seigneurs d'Acre, les Génois et les Vénitiens, et de l'autre Frédéric II,
le clan des cinq baux et leurs alliés. Après une rude bataille, les troupes du roi reprirent le
château de Deudamor et chassèrent les Longuebars de Nicosie. Les traîtres et autres
prisonniers (145) de guerre furent livrés à Philippe de Novare qui les garda en prison en

828
Le vieux seigneur de Césarée est Gautier III de Beyrouth, parrain de Balian. Il est tué par Gauvain de
Chenichi le 14 juillet 1229 de même que Giraut de Montaigu, parent du maître du Temple (Pierre de
Montaigu), de celui de l'Hospital (Guarin de Montaigu) et de l'archevêque de Nicosie (Eustorge). p. 33. On
remarquera au passage la très forte endogamie de ce milieu, dépassant possiblement celle du continent.
829
J. Richard, Les croisades, p. 322

287
attendant leurs procès. Cependant, le château de Cérines demeurait encore aux mains de
l'ennemi. Un long siège eut lieu au cours duquel un ami et parent de Balian, Anceau de
Brie -fils d'un cousin non identifié de Jean Ier d'Ibelin-, fut mortellement blessé lors du
siège de Cérines par les Longuebars en 1233. Sa mort affecte grandement la famille
d'Ibelin qui lui portait beaucoup d'estime. Philippe de Novare en fit un récit très précis :
Un jor lor avint, pour lor grant meschance, que messire Anceau de Bries, quy
faisoit mener un engin avant, et il meïsme boutoit et hastoit les autres, si fu nafré en
la cuisse d'un careau d'aubalestre de deus pies. Il aracha la flèche et la geta, et cuida
avoir geté le fer, mais il remest dedens la cuisse par mésaventure. Il seigna moût de
sanc, et ne vost souner mot tant com l'engin fu mené avant, tant com il dut. Adonc
s'en aparsurent ceaus quy estoyent près de luy; si li aidèrent tant qu'y vint en sa
herberge; tant ot seigné que il se pahma. Tout l'ost y corut, très grant duel en orent
tous ses amis, et sur tous homes le seignor de Baruth, quy l'apeloit son rouge lyon;
et il avoit droit, car il se penoit plus et travailloit de l'afaire de l'ost que nus, et moût
valoit. Il l'emportèrent a Nicossie a son hostel, et bien jut demy an au lit et plus,
que one le fer ne pot estre trové jusque au tiers jor devant sa mort; et Deu fist son
comandement de luy. Grant duel en fist le roy et tous les bones gens de Chipre
aucy; mais au jor que il trespassa le seignor de Baruth estoit en Surie, car le
chasteau de Cherines estoit ja rendu830.

Informé de la situation qui ne lui était guère favorable, Frédéric II tenta à nouveau
la persuasion, cette fois-ci en arguant que les seigneurs chypriotes devaient allégeance à
son fils Conrad qui, selon lui, serait le plus près du trône de Jérusalem par sa mère
Isabelle de Brienne. Malgré toute la repentance contenue dans les lettres de l'Empereur
portées par un évêque, il s'agit de l'évêque de Sidon en Syrie, mais l'auteur ne fournit pas
son nom, le seigneur de Beyrouth ne s'y laissa pas prendre et répondit par un exemple tiré
du Roman de Renart, l'apologue du Cerf qui n'avait pas de cœur. Voyant que les secours
de Frédéric II n'arrivaient pas, les baux commencèrent à parler de paix. Les prisonniers
s'échangèrent de part et d'autre.

Quatre ans suivant la paix, Jean Ier se retira au Temple laissant à son fils aîné la
charge de Chypre. Durant ce temps, l'Empereur, n'ayant pas changé d'idée, voulait
l'hommage pour son fils Conrad encore mineur. Philippe de Novare conseilla à Balian de
faire appel à la reine Alix. L'auteur partit donc convaincre la reine de réclamer le trône de

830
Philippe de Novare, Mémoires, § CXLll, p. 82.

288
Jérusalem pour dispenser ainsi son cousin de faire hommage à l'Empereur. La tractation
réussie, il ne restait qu'à prendre Tyr, ce à quoi s'employa l'ensemble des hommes-lige
d'Acre et de Jérusalem. La chose faite, on conduisit à sauveté les prisonniers de marque en
lieu sûr et Philippe s'occupa d'établir les ordonnances pour que revienne à chacun son dû.
Ainsi se termine le récit abrégé de la guerre de Frédéric II contre les Ibelin par Philippe de
Novare.

Derrière une guerre entre clans rivaux, se cache une volonté des seigneurs de
Chypre de conserver leurs prérogatives et de ne pas être assujettis à un pouvoir extérieur.
Dans le récit de Philippe de Novare, l'opposition entre les usages chypriotes et les usages
d'Allemagne, ou de Sicile, que Frédéric II tente d'imposer est constamment soulignée. Pour
l'auteur, comme pour la famille qu'il représente, le droit coutumier a préséance sur les
politiques impériales. À l'évidence, les seigneurs de Chypre et de Jérusalem, tout en
respectant l'autorité de l'Empereur, ne croient pas tenir leurs bailliages de lui. Malgré la
complexité de la généalogie qui lie les Lusignan aux Ibelin et rend difficilement
démêlables les droits de succession des uns et des autres, les interventions impériales sont
perçues comme de l'ingérence. La situation est évidemment plus complexe mais il appert
que la formation même des États latins, très féodale dans son essence, laisse une large part
à l'autonomie des barons qui en sont, avec la Haute Cour, le plus souvent les véritables
maîtres. Concernant la nature des pouvoirs de cette institution, Michel Balard note:
Dans le premier tiers du XIIIe siècle, la Haute Cour s'arroge ainsi un pouvoir
d'arbitrage, attire à elle toutes les causes féodales, exerce une juridiction civile et
pénale sur la noblesse du royaume et, en matière législative, prend des décisions
qui sont source du droit. Contrairement à ce qui se passe en Occident, elle ne se
sépare pas en organismes distincts, pour les finances ou la justice. Elle demeure
indifférenciée, affirmant ainsi face au roi les droits et la cohésion de la haute
noblesse .

Tant Philippe de Novare que Jean d'Ibelin, tous deux spécialistes du droit féodal,
ont justifié leur opposition au représentant de l'Empereur, -et par là à l'Empereur lui-
même- par le refus de ce dernier de se soumettre au jugement de la Haute Cour qui ne

289
l'aurait pas reconnu comme bailli, mais rien n'indique que cela soit réellement le cas.
Cette situation qui illustre l'indépendance des feudataires et leur refus de subordination à
une autorité centrale peut se comparer aux relations qui prévalaient entre le roi
d'Angleterre et ses vassaux continentaux. Comme l'indique Martin Aurell pour le milieu
du XIIe siècle:
En Bretagne, dans l'Anjou ou en Aquitaine, quand il n'est pas passablement
fragmenté, le pouvoir de contraindre et de juger se concentre entre les mains de
quelques grandes familles vicomtales ou seigneuriale qui, comme les Lusignan, les
Thouars ou les Léon, tiennent tête au roi d'Angleterre. Au regard de l'évolution
future des États modernes, écrasant toutes prérogatives collectives et enclaves
seigneuriales, cette situation respire l'archaïsme .

C'est dans un esprit partisan, mais honnête puisqu'il est persuadé d'avoir raison, que
Philippe de Novare a décrit la guerre opposant Frédéric II à la famille Ibelin. À l'intérieur
de ce récit, quelques passages nous intéressent par l'utilisation des personnages animaux,
plus particulièrement la faune colorée du Roman de Renart. Philippe de Novare se servit
de la fable animale, rédigée en vers comme les romans d'origine, à diverses occasions mais
toujours à des fins partisanes. La première fois pour délivrer un message aussi important
qu'ironique à Balian d'Ibelin, les autres pour ridiculiser ses adversaires. Il ne fut toutefois
pas le seul à avoir recours au thème animalier, puisque le seigneur de Beyrouth utilisa un
exemple tiré d'une des branches du conte renardien pour répondre à l'Empereur. Le recours
apparemment facile au Roman de Renart semble prouver une excellente connaissance de
l'œuvre, non seulement de la maisnie des Ibelin, mais aussi de certains de leurs
adversaires. « Ces enchâssements poétiques constituent un témoignage de premier plan en
faveur de la popularité dont jouissait le cycle de Renard, puisque dès le milieu du XIIe
siècle, ce texte était déjà parodié dans des territoires fort éloignés de son centre de
production833 ». Il faut dire qu'il s'agit d'un milieu où la culture est très raffinée et les Ibelin
sont de grands seigneurs ayant sûrement bénéficié d'une éducation soignée. Frédéric II
n'est pas en reste puisqu'il fut considéré comme un des princes les plus lettrés de son

831
M. Balard, Croisades et Orient latin, p. 222
832
M. Aurell, L'empire des Plantagenêt, p. 297
833
C. Aslanoff, « Récit historique et discours poétique dans l'Estoire de la guerre des Ibelins contre les
Impériaux », Le Moyen Âge, 1997, p. 68.

290
époque. Nous ne savons pas cependant s'il apprécia la forme imagée qui lui offrit Jean
Ibelin en guise de refus.

Le premier passage des Mémoires faisant référence à des animaux survient lors la
capture de Philippe de Novare. Au début du conflit opposant les Ibelin et les cinq baux,
ces derniers tentèrent de convaincre l'auteur de changer de camp et s'adressèrent ainsi à lui:

Si m'aït Des, ne ferons, car trop avriens a faire, se nous voliens conseiller a tous
ceaus qui jureront, et einsi ne seroit ja mais fait; mais jurés, et nous vous ferons
plus de bien que n'ont fait ceaus qu'avés tant servy; et le quel que vous volés de
nous tous vous donra fié a vous et a vos heirs, et paierons toutes vos dettes.834

Devant son rejet de leur offre «généreuse», ils projetèrent de le faire périr. Croyant
sa vie menacée, Philippe se sauva et se réfugia chez les Hospitaliers à Nicosie. Coincé
dans sa cachette qu'il devait âprement défendre et craignant d'être pris, il rédigea un envoi
en destination de la ville d'Acre pour prévenir Balian de son infortune. Ce message prit la
forme amusante d'une rime dans laquelle les ennemis sont désignés sous les noms des
personnages du Roman de Renart. L'auteur fournit d'ailleurs une bonne explication de ses
choix d'identification:

Phelippe de Nevaire vost faire assaver cest fait tout premièrement a monseignor
Balian d'Ybelin, son conpere, et puys qu'il ot comencié a escrire les letres, li prist il
talent de faire les en rime. Et por ce que sire Heimery Barlais estoit plus malvais
que tous les autres, il le voira contrefaire a Renart, et por ce que, au romans de
Renart, Grimbert, le taisson, est son cousin germain, il apela Amaury de Betsan
Grinbert, et por ce que sire Hue de Giblet avoit la bouche torte, et il faisoit
semblant que il feïst tous jors la moe, Phelippe l'apela singe.835

D'une fine ironie, le passage totalise 85 vers divisés en cinq strophes


octosyllabiques, mais ne nomme pas directement les protagonistes, l'auteur les désignant
par le vocable des cinq baux. Voici la section où il est fait mention d'eux, affublés de
sobriquets renardiens:
Por Deu, vos amors d'Acre metés a une part,

834
Philippe de Novare. Mémoires, §. XLIX. p. 27.
K
935
-lhid. S. Liv.
lbid., §• L1V.PD.
. 2929.

291
Et vous et dan Taissel, qui cuide estre leupart.
Pour un chetif goupil, quy cheï dou liart...
Qui par desa s'avance, neïs li Longuebart...
Se vous amés les femes que il ont en lor part,
Car les levés dou siege et Grimbert et Renart,
Qui devant l'Ospital ont mis lor estandart.
Toute nuit font gaiter o lances et o dart
Ceaus qui tienent la terre et nous faillent d'esgart.
Les dames sont dedens et un tout soul Lombart.
Cornent le soufrés vous, recreant et couart?
De l'endemain de pasque, se Damedeu me gart,
Me souvient quant j es voi; trestout le cuer m'en art,
Que chascun se fait rey, mais qu'il se truit soi quart;
C'est le jeu des enfans, se Dé plaist, que qui tart:
En un soul jor sont roy, l'endemain font lor art.836

Ne puis muer ne rie quant les voi au baillage:


Hue a la torte bouche, qui renée parage,
Guillaume de Rivet, qui tant cuide estre sage,
Quy de son mal sarmon trestous les assouage,
Et Renart, qui sait bien com l'on deste desgage;
Amaury et Gauvain ne sont pas d'un lignage.
Bien les conoissiés tous, n'i a nul si sauvage.
Se d'eaus je chante ou rime, ce n'est pas grant otrage:
Je suy li rocignol, puis qu'il m'ont mis en cage.837

Remarquons le passage où l'auteur fait allusion à un jeu qui ressemble au carnaval


dans lequel les personnes changent de rôle. Si Philippe tolère que pour un jour tous se
prennent pour des rois, il en est autrement de la prise illégitime du baillage de Chypre. Se
considérant sages, ces hommes n'en renient pas moins facilement leur serment et agissent
de façon déloyale tout comme Renart. Il n'y a donc aucune honte, pour le rossignol mis en
cage, de les ridiculiser en composant cette rime. Le message fut très efficace puisque les
renforts arrivèrent rapidement. L'autre extrait où Philippe de Novare utilise des
personnages renardiens survient lors du siège du château de Deudamor. Blessé et voulant
répondre à ses ennemis, l'auteur composa une rime qui lui servit de réplique:
Nafré sui je, mais encor ne puis taire
De dan Renart et de sa compaignie,
Qui pour luy est afamee et honie,

s36
Ibid„ v. 56-71, p. 32
837
lbid, V. 72-85 p. 32

292
Dedens Maucreus, ou il maint et repaire.
Mais, se Renart a de son cors paour,
Que ont mesfait li autre vavassour
Et ly sergent? por quei se laissent vendre?
Corne bricons leur fait aucuns atendre.

Car Renart sait plus de traïson faire


Que Guenelon , dont France fu traie.
A son eus a la tainerie farsie.
La seus est mis pour maistrier la terre.
Et de la pais les chufle chascun jor.
Bien est honis qui sert tel traitor:
Pour luy servir les fait l'on sa hors pendre,
Et il les fait la dedens les saus prendre.839

L'auteur fait ici non seulement preuve d'un sens de la répartie, mais il entreprend un
travail de démotivation chez les troupes ennemies. Non content de s'en prendre aux cinq
baux en les traitant de traîtres, il tente de semer le doute dans l'esprit de leurs partisans840.
En effet, ceux qui connaissent le conte savent que Renart ne respecte jamais ses
engagements, qu'il ne témoigne d'aucune reconnaissance pour les services rendus et qu'il
est périlleux de se fier à sa parole puisqu'il ment constamment841. Inciter les soldats à la
désertion, vengeance un peu méchante certes, mais ô combien satisfaisante et efficace!
L'avertissement de Philippe de Novare ne tarda pas à devenir réalité. Accompagnant
Anceau de Brie, l'auteur entendit les troupes ennemies, enfermées sans nourriture dans le
château de Deudamor, se plaindre de leur infortune et se blâmer d'avoir fait confiance à
leur seigneur. Philippe eut l'idée d'en faire une chanson, toujours dans la même veine:
Aylas! fait il, seignors, las! que feron ?
Traï nous a Renart, que Deu maudie,
Et la fauce chartré de la Castrie,
Que saens vint ains l'aube (...)

838
Philippe de Novare met ici à contribution la Chanson de Roland dans laquelle Ganelon, avant Renart, est
la figure même de la traîtrise et de la félonie.
839
lbid., v. 1-16, p. 39-40.
840
Le passage est chanté par Philippe de Novare, donc entendu par les ennemis.
841
La plupart des branches montrent bien le caractère félon de Renart. Parmi les plus éloquentes, notons: la
branche I, le Jugement de Renart, la branche III, Renart et les anguilles, La tonsure d'isengrin, La Pêche à
la queue; la branche IV, Renart et lsengrin dans le puit; la branche VII, Renart mange son confesseur; la
branche X, Renart médecin; la branche XIV, Renart et le loup Primaut; la branche XXIII, Renart magicien
et le mariage de Noble.

293
Abatu est le molin et le four;
D'atendre plus ne seroit pas grans sens.
Traï nous ont les baus de Deudamor.
Et ont menti vers nous leur sairemens.
Toly nous ont le roy en traïson,
Et covenant fu que nous l'avrion.
Puis nous firent conbatre a Nicossie,
Pour eus sauver et nous tolir la vie.
Ja ne voient il l'aube!842

Ne pouvant plus défendre le château, les soldats ennemis capitulèrent, rendant leur
forteresse et le jeune roi qui y était prisonnier. Durant les pourparlers de paix, on chargea
Philippe d'«aler message outre mer au pape et au roy de France et au roy d'Engleterre et as
cinc roys d'Espaigne, pour conter et retraire et faire plainte des grans maus et otrages que
l'emperoer Federic et les gens en sa suite avoyent fait en Chipre et en Surie843». Voulant
d'abord commémorer l'événement par une chanson rimée, l'auteur composa plutôt une
nouvelle branche de Renart comme le lui suggéra le seigneur de Beyrouth. «Et afigura le
seignor de Barut a Yzengrin, et ses enfans a ses louveaus, et sire Anceau de Bries a l'ours,
et soy meïsme a Chantecler le coc, et sire Toringuel a Tinbert le chat : toutes ces bestes
sont de la partie d'Yzengrin au romans de Renart. Et sire Heimery afigura il a Renart, et
sire Aumaury a Grinbert le taisson, et sire Hue au singe; et autre fois les avoit il ensi
apelés, si com vous avés oï; et celés bestes sont de la partie de Renart au roumans
844
meismes ».

Si, à la suite de Flinn, on peut de prime abord être surpris du choix d'Ysengrin pour
représenter le patriarche du clan, le loup n'étant ni un modèle de sagesse ni un modèle
d'intelligence, il faut se rappeler qu'en désignant Renart comme l'ennemi, il fallait
QAf.

inévitablement lui opposer son plus farouche adversaire Pour les clercs , auteurs en

842
V. 29-36, p. 41. Le style emprunte à la fois à la «chanson d'aube » occitane par l'utilisation d'une phrase-
refrain typique «Ja ne voient il l'aube» et aux chansons de geste par les plaintes de groupes qui forment une
sorte de coeur chanté «traï nous a Renart, que Deu maudie, (...) traï nous ont les baus de Deudamor».
843
lbid, §LXXII,p.43.
844
lbid., p. 44.
843
« Non content de stigmatiser trois des cinq baux en leur attribuant les noms diffamatoires de Renart et de
ses partisans, Philippe souligne la nature fondamentale et radicale de l'opposition entre les deux parties en
assimilant les Ibelin et leurs partisans aux ennemis de Renart. Ainsi se justifie le choix du nom d'Isengrin

294
majorité des branches anciennes, Ysengrin représentait la force brutale qu'ils pouvaient
associer à certains nobles. Après tout, la trêve et la paix de Dieu qui modéraient les ardeurs
guerrières des seigneurs n'étaient au XIIIe siècle pas qu'un lointain souvenir. Le coté
chicanier d'Ysengrin que désapprouve le roi fait immédiatement penser au sénéchal du roi
Arthur, Keu. On retrouve chez les deux personnages la même attitude rancunière et, disons
le, la même stupidité. Face à la violence de la noblesse que caractérise jusqu'à un certain
point le loup, les clercs ont proposé la ruse qui se manifeste le plus souvent par l'art de la
parole, attribut clérical. Sans en faire un des leurs, même s'il en usurpe parfois la fonction,
les auteurs des vieux contes pouvaient davantage s'identifier à ce contre-héros qui
malmène les barons de la cour de Noble en toute impunité847. La parodie était sans doute
évidente pour les auteurs, mais rien n'assure qu'elle fut comprise par les destinataires, les
seigneurs. En s'assimilant à Ysengrin et sa mesnie, Balian et à sa suite Philippe de Novare
n'ont sans doute pas perçu le caractère ridicule du loup, ils n'ont vu que la malice de
Renart qui, comme leurs ennemis, utilise le mensonge pour triompher du bien. Et malgré
ses nombreux défauts, Ysengrin représente le contraire de Renart et il en est très souvent la
victime. Pour le reste de la famille, la logique prévaut. Jean Ier étant le père de famille, ses
enfants sont naturellement les louveteaux. Anceau de Brie est associé à Brun l'ours pour sa
force et sa vaillance, de même que pour la connivence avec Ysengrin. L'ours ayant autant à
se plaindre de Renart que le loup, ils se retrouvent le plus souvent alliés contre le goupil,
réclamant au roi la punition de ce dernier. L'association créée par Philippe de Novare avec
le chat Tibert pose davantage problème. Quoique Tibert ait eu quelques déconvenues à
cause de Renart, dont il s'est souvent vengé, il n'apparaît pas dans le vieux conte comme

pour Jean d'Ibelin, seigneur de Beyrouth, dont le caractère droit et généreux semblerait autrement s'accorder
mal avec le personnage sauvage et rapace qu'est le loup dans le Roman de Renart», Flinn, Le Roman de
Renart dans la littérature française et dans les littératures étrangères, p. 163.
846
Dans le sens large du terme, donc pas obligatoirement ordonnés. On serait même tenté de faire un
parallèle avec ces jeunes clercs « presqu'en rupture de ban », ces étudiants irrévérencieux : les Goliards.
847
V. Serverat défend une position différente concernant le glissement du personnage du loup à celui du
renard : « Sur le plan diachronique, on a repéré une logique allant dans le sens de la sécularisation, entre un
« cycle du loup », émanation d'un milieu monastique, et un « cycle du renard », plus tardif, portant
l'empreinte de la cour royale et des milieux citadins. De cette éviction du loup par le renard comme
personnage principal des récits, il serait permis de voir l'indice d'un déplacement principal dans le centre de
gravité de la vie culturelle. En effet les récits archaïques du loup (IXe-XIIe siècles) s'enracinent surtout dans
un milieu monastique, tandis que les récits du renard, dominants à partir du XIIIe siècle, renvoient plutôt aux
enjeux et aux valeurs qui ont cours dans la société laïque, en particulier la vie de cour et ses embûches », La
pourpre et la glèbe : rhétorique des états de la société dans I Espagne médiévale, p. 192

295
un adversaire irréductible. Les relations qu'entretiennent Tibert et Renart sont assez
ambiguës, un mélange de respect, de méfiance et d'admiration. D'ailleurs, quelques
branches montrent que le goupil craint davantage le chat que l'inverse. Dans le Jugement
de Renart, le chat, tout comme le lion, semble jusqu'à un certain point favoriser Renart aux
dépens d'Ysengrin848. Pour clore les présentations, Philippe de Novare s'attribue le nom du
coq Chantecler, choix judicieux puisqu'il s'était auparavant désigné comme le chanteur et
le rossignol. Vint ensuite la branche de Renart, très proche de l'original par le ton et les
mises en scènes. Cette rime de 212 vers illustre la guerre, de même que la très peu crédible
paix, que concluent les deux clans. Davantage que l'emprunt de personnages avec leurs
caractéristiques, Philippe de Novare s'est largement inspiré de la branche VI - Le duel de
Renart et d'Isengrin. Il a aussi puisé des éléments dans les branches I- Le Jugement de
Renart; VII - Renart mange son confesseur; X- Renart médecin; XVII - La mort et la
procession de Renart; XXVI- L'andouille jouée à la marelle*49. Le poème débute ainsi:
Tant a esté Renart en guerre
Qu'arce et destruite en est la terre;
Moût fu diverce s'aventure,
A toute fois et aspre et dure.
Moût fu Renart près de sa fin,
Quant desconfit l'ot Yzengrin
Et assegé dedens Maucreus,
Un chasteau qu'ot puis a son eus.
N'i ot que manger ne que boivre;
Trop malement se dut desçoivre.
Se ne fust Noble en la bargaigne,
Mort fust Renart et sa compaigne.
Mais Deu, qui tous les biens parfait,
A volu otroyer et fait
Tant que Renart a sa pais faite.
Mais ne fu mie bien parfaite
La pais, ains fu un poil trop linge.850

Philippe oppose la destruction apportée par Renart à la magnanimité d'Ysengrin, ce


qui ne correspond pas du tout à l'image du loup dans les anciens contes, qui permet la paix

848
Quelques passages de cette branche tendent à prouver la préférence du chat. Parmi ceux-ci les vers 729-
744, p. 78-81 de l'édition de J. Dufournet, Le Roman de Renart, t. L, Paris, Flammarion, 1985. Passages
reproduis en annexe XIV.
849
Informations tirées de Flinn, Le Roman de Renart dans la littérature, p. 166-170.

296
même si son adversaire est terrassé et privé de vivre. Le roi du Roman de Renart
représente Henri que les baux tenaient prisonnier. Mais Henri de Lusignan jouant un rôle
plutôt limité dans le conflit, Noble n'occupe pas la place qu'il tient habituellement dans le
conte d'origine. Maucreus est une allusion à Maupertuis, parfois nommé Malrepère,
domaine de Renart. L'auteur montre son scepticisme face à cette paix. Il enchaîne en
soulignant le caractère retors de ses ennemis qui ne sont à présent que trois:
Renart et Grimbert et le singe
I sont sans plus de celé part;
Ne sont que troy, o tout Renart;
Et toutes les soues ayes
Sont a la pais vilment faillies.
Celuy peut on de traïsson
Apeler par droite raison;
Mais Renart n'ot one q'une fois;
Celé menty plus de cent fois.851

Le mensonge est le reproche le plus constant que Philippe de Novare adresse aux
seigneurs chypriotes. Pour un noble du XIIIe siècle, il s'agit sans aucun doute d'un des plus
grands manquements à l'éthique chevaleresque. Il faut dire que les engagements
réciproques du seigneur et de son vassal reposent sur la parole donnée et constituent le seul
gage de la bonne foi des partenaires. Dans le serment de l'hommage, le vassal promet
Faide militaire, financière et le bon conseil et reçoit en retour un fief, la protection et le
respect de son seigneur. Mentir revient à pervertir les règles du jeu et mettre en danger la
Of')

nature même des relations féo-vassaliques . Mais tout cela reste théorique. Même si les
OCT

serments, donc la parole donnée, revêtent une importance cruciale . rien n'indique dans
les faits que les engagements soient toujours respectés. De ces nuances, l'auteur n'a cure
puisqu'elles n'entrent pas dans son schéma d'opposition entre loyauté et déloyauté. En
associant Aimery Barlais à Renart qui menty plus de cent fois, il l'accuse de félonie.
Philippe de Novare est en ce sens un des premiers auteurs à « démoniser » ainsi Renart qui

8M>
Philippe de Novare. Mémoires, v. 1-17, p. 44.
851
lbid.. V. 18-25, p. 44-45
852
J. Baschet, La civilisation féodale, p. 155-158.
8 3
" J. Paul souligne l'importance et la «survivance» de cette forme d'engagement réciproque: «Les
serments sont en même temps nécessaires et dérisoires. Ils sont globalement indispensables. Le pouvoir du
prince ne s'exerce pas de manière unilatérale. Il est reconnu, et les liens qui l'unissent à ses hommes se

297
auparavant bénéficiait d'une certaine sympathie malgré ses mauvaises actions. Renart est
rarement condamné dans les contes d'origine. À la limite, certains auteurs vont montrer de
la désapprobation pour des comportements particulièrement odieux, mais le goupil reste le
héros, ou le contre-héros, du récit. Quoiqu'il fasse, Renart réussit toujours à se tirer
d'affaire, même au prix d'une douloureuse humiliation et quelques poils en moins. À ce
titre, Renart demeure favorisé par rapport à d'autres bêtes du conte qui sortent des
aventures plus déconsidérées. Ne pensons qu'à Brun l'ours qui, chargé d'un message du roi,
revient à la cour ensanglanté avec le museau quasi-arraché (branche I). Ou encore à
Ysengrin qui perd sa queue gelée dans une mare {la pêche à la queue) et une autre fois se
fait couper les testicules. Instigateur du malheur des autres, Renart est rarement puni et n'a
jamais mauvaise conscience. Les auteurs des vieilles branches ont fait le portrait d'un
personnage odieux, menteur, hypocrite, lubrique et bien d'autres choses, mais ils l'ont aussi
montré comme un seigneur raffiné, intelligent, parlant bien, bon père de famille et tout
compte fait sympathique. Le personnage ne sera le symbole de tous les maux que plus tard,
la moralisation prenant de plus en plus la place du comique.

Comme membre de la noblesse attaché à des valeurs traditionnelles, Philippe prend


moins à la légère la déloyauté que ses prédécesseurs. Comme l'indique Lucille Guilbert à
propos du changement de mentalité qui s'opère au XIIIe siècle concernant Renart, «l'élite
du Moyen Age a peur de la ruse qui corrode le bon fonctionnement de ses règles, au point
QÇ.A

qu'elle fait de Renart, dans les continuations, une incarnation des forces du Mal ». Plus
loin, l'auteur puise directement dans les branches I et II pour relater la méfiance des fils
Ibelin qui, pris en otage, furent maltraités dans la prison du château de Deudamor. Dans ce
passage, il fait référence à un épisode, existant déjà dans YYsengrimus, où Renart
oc c

s'introduit dans la tanière d'Ysengrin et urine sur les louveteaux ' . Philippe de Novare le
développe ainsi:

définissent par la fidélité ». « La paix de Saint-Gilles (1209) et l'exercice du pouvoir », Le pouvoir au Moyen
Âge. Idéologies, pratiques, représentations, p. 167.
854
L. Guilbert, La ruse dans les contes d'animaux et dans le Roman de Renart, (Thèse), Université Laval,
1982, p. 301.
855
Dans le Jugement de Renart (br. I), Ysengrin se plaint au roi que Renart a violé Hersent et a offensé ses
petits. Passage reproduit en annexe xv.

298
Car il n'ont pais qu'a Yzengrin
Et o ses louveaus autrecy;
Et si vous dy que les louveaus
N'orent pas bien tous leur aveaus,
Quant il lor covint faire pais.
Renart n'ameront il ja mais;
Car dan Renart, quant il fu miege,
Et il les ot fait prendre au piège,
Les conpissa en la louviere;
Pèsera leur, s'il nel compere.
Drois est il s'en pleignent et claiment,
Et Deu les hee, se il l'aiment!856

Philippe de Novare prend ici le parti de Balian et de son frère, plus réticents à faire
la paix que leur père. Pour l'auteur, on ne peut pardonner un tel manque de respect et la
vengeance serait tout indiquée puisque Renart ne respecte rien ni personne. Le vers 40 «et
Deu les hee, se il l'aiment» montre qu'il s'agit d'une affaire d'honneur que l'auteur considère
plus importante que de fragiles arrangements. Non seulement il s'avère impossible de faire
confiance en la gent d'Aimery-Renart, mais il serait indigne de vouloir négocier avec de
tels félons. Bizarrement, Philippe de Novare ne fait pas immédiatement allusion à Frédéric
II qui est pourtant l'instigateur du conflit. Sa rancœur vise d'avantage les cinq baux. Voit-il
de leur part une plus grande trahison? L'Empereur a des méthodes douteuses mais ses
objectifs ont le mérite de la clarté. Les motivations des seigneurs chypriotes, obscures et de
nature personnelle, apparaissent plus mesquines que l'autoritarisme de Frédéric II qui, tout
en n'échappant pas totalement aux blâmes de l'auteur, n'entre pas dans le cadre de la
fiction. On peut voir dans cette absence un respect de l'autorité ou plus simplement un
problème d'identification puisqu'en aucun cas Philippe de Novare ne remet en question les
institutions politiques, ni l'autorité impériale comme telle. L'auteur s'en prend aux abus et
à ce qu'il croit être de l'injustice. Toujours comme dans les vieux contes, les moqueries
visent davantage les mauvais fonctionnements du système que son bien-fondé.

Le clan d'Aimery étant désigné comme Renart et ses alliés, les Ibelin par Ysengrin,
ses louveteaux, Brun, Tibert et le roi Henri par Noble le lion, quel personnage reste-t-il
pour représenter Frédéric II? Le Roman de Renart a un roi qui est un lion et même un légaV'-x.}'-

299
du pape représenté en chameau, mais aucune trace d'empereur857. À la limite, Philippe de
Novare aurait pu utiliser l'aigle qui symbolise généralement le pouvoir impérial, mais il
serait ainsi sorti du cadre habituel du roman. De plus, Frédéric II n'intervient
personnellement qu'au tout début du conflit, se contentant par la suite de fournir des
troupes et d'envoyer des messages. Puisqu'il n'était pas présent physiquement, il devenait
inutile de l'évoquer en faisant des entorses au texte originel. D'ailleurs cette absence
littéraire de l'Empereur conforte la vision de l'auteur qui considère la guerre comme un
conflit interne qui ne doit souffrir aucune intervention extérieure.

Concernant les trois baux survivant, Philippe de Novare put à loisir exprimer sa
haine en les calomniant. Un passage montre bien l'emploi satirique que l'auteur fait du
vieux conte en s'appuyant sur de fortes similitudes avec les événements réels. Pour relater
un incident impliquant Heimery Barlais à la cour du roi pendant une tentative de
réconciliation, l'auteur s'inspire des assemblées plénières à la cour de Noble ainsi que les
nombreuses confessions de Renart. La réalité est ici si proche de la fiction qu'elles se
confondent. Tout comme Renart, sentant l'hostilité des membres de la cour, Heimery
Barlais feint d'être mourant et demande un prêtre pour se confesser et pardonner à ses
ennemis. L'auteur ne voit dans cette repentance qu'une supercherie digne du célèbre
goupil. Il en fait un récit particulièrement satirique:

Quant l'ours le voit, si le rechigne,


Et dans Timbert le chat l'en guigne,
Si demande quel le fera.
Fait Chantecler:" Or y parra,
Se dans Renart nous tient pour chievre!"
Renart l'entent, prent le la fièvre;
Moût doute l'ours, car de bien haut
Le fist jadis prendre un mau saut.

850
Philippe de Novare, Mémoires, v. 29-40, p. 45
857
Le chameau apparaît dans la branche Va, Les plaintes d'Isengrin et de Brun, où il a été mandé par le roi
pour ses conseils juridiques. Selon J. Dufournet, l'auteur se moquait d'un personnage historique, ce qui est
peu courant dans les contes renardiens. «Dans la branche Va, le chameau, légat du pape, s'exprime dans un
jargon franco-italien, soupoudré de latin, qui est probablement une critique amusante du cardinal Pierre de
Pavie, ami et légat d'Alexandre III, bien vu du roi Louis VII. », Le Roman de Renart, p. 12.

300
S'il le doute, n'est pas merveille;
A Grimbert, son cousin, conseille,
Et dit qu'il a grant mal au cuer:
«Aylas! fait-il, couzin, je muer! »
Le pous li bat, change coulour;
Angoussous mal a en paour.
Renart s'en vait en sa maison;
0 luy vait Grinbert le taison,
Et le singe dans Cointereaus,
Et dans Renardins li mezeaus,
Et Percehaye et Malebranche,
Et dame Hermeline la franche,
1 sont corus corne desvés:
«Sire, dites que vous avés. »
«Aies, dist-il, tost pour le prestre!
Bien poés tuit veïr mon estre.» 858

Et l'auteur d'exprimer ouvertement le fond de sa pensée sur les manigances de Renart-


Heimery:
Quant l'ont oï celé frapaille,
Si ont cuidé de voir, sans faille,
Qu'il soit de mort en grant paour,
Et c'om perdoit moût bon seignor.
Mais tout ce est engin et art.
Or a mestier que on se gart,
Qu'a envis pert l'on la coustume
Que l'on tient tant que le toup plume.
Renart, le trechiere plumés,
De trecherie acoustumés,
C'est porpencés par lecherie
D'une moût fiere trecherie,
Qu'en semblant de confession
Pardonra et querra pardon
A toute gent en pril de mort
A meins de honte et atrui tort,
Neïs a l'ours quy le foula,
Envers qui il se rechata,
A Chantecler et a Tinbert,
Qui son mal quierent en apert.859

858
Philippe de Novare, Mémoires, v. 67-90, p. 46-47
*59 lbid., v. 91-1 il, p. 47.

301
Non seulement Renart-Heimery simule l'agonie pour se tirer d'une situation fâcheuse, mais
son désir de pardon n'est que mensonge puisque, même sous confession860, il ne peut
s'empêcher d'exprimer sa haine tout aussi vive qu'auparavant.

Sire, en vostre sainte presence,


De qui tous biens vient et comence,
Vueil regehir que Yzengrin
N'amai ni n'amaray en fin;
Et quant je fis antan la jure,
S'au desus venist m'aventure,
Ja n'en eusse autres mersis
Que j'os de ses autres amis.
Je hais moût ses louveaus et dout,
Si fai je leur lignage tout,
Et je leur mostrai bien antan;
Mais ne me los pas de cest an.
Houny suy et cheu en mal puis;
Si m'en repens, quant meaus ne puis.861

La suite de la confession est une longue liste de mauvais plans avec une totale absence de
repentir. Demandant à voir Chantecler-Philippe pour obtenir son pardon, le coq lui
répondit ceci:

Par Deu li dites


Que, se il muert, qu'il en soit quites;
Mais je sai que sa maladie
Est traïson et félonie.
Se messire Yzengrin est sage,
Il maintendra vers luy l'usage
Que tient le fauconier grifon:
S'il nel fait paistre par raison,
Il devenra encor hautein;
Fasse le venir au reclain.
Moût me poise qu'est eschapés
De la ou il fu atrapés.
A Pasques fist faire merveilles,
Quant il l'aignel as grans oreilles
Oza beneïr ne manger.

860
On pense ici aux branches anciennes du conte qui mettent en scènes les nombreuses confessions de Renart
dans lesquelles, non seulement il ne fait-pas réellement amende honorable pour ses fautes, mais ajoute à la fin
de sa confession une turpitude comme dévorer son confesseur.
861
lbid., v. 123-136, p. 48.

302
N'i avoit lors point de danger:
Mais quy or ne se gardera.
Encore nous engignera.862

Incontestablement. Philippe de Novare est un partisan de la ligne dure et il ne laisse


planer aucun doute sur son manque de sympathie envers Heimery Barlais et ses acolytes.
Jean d'Ibelin étant moins rancunier que notre auteur, la paix fut conclue mais ne dura pas
longtemps. «Mais leur enemis gardèrent et retindrent leur foies volentés. et bien le
mostrerent si tost com il porent. Phelippe de Nevaire avoit bien deviné et devisé en la
branche de Renart ce que il firent après863» Ce passage montre que Philippe de Novare
prend l'attitude de l'ami dont les conseils ne furent pas écoutés et qui ne peut s'empêcher de
souligner qu'il avait raison. Sa méfiance va cependant se communiquer au seigneur de
Beyrouth, moins enclin à la clémence qu'auparavant.

Au chapitre LXXVII. l'auteur souligne la haine de Frédéric II pour le clan Ibelin et


pour ces territoires qui résistent à son autorité. Philippe de Novare parle en ces termes
d'une nouvelle offensive de l'Empereur:

En l'an de .M. IIe .XXXI. quant l'empereor Federic ot fait pais a l'yglize et recovré
tout quanque il avoit perdu en Puille. il avint que le devant dit emperere Federic.
quy moût hayoit Chipre et Surie. manda en Chipre et en Surie grant ost de ses
barons de Puille et de Cezile. et tous ceaus qu'il hayoit plus et des quels il se
doutoit: et disoit l'on que il furent bien sis cens chevaliers et cent vallés a chevaus
covers et set cens homes a pié. et bien trois mille homes de marine armés, o moût
grant navie et belle, de naves et de salandres et trente et deus galees.864

Le dernier texte se référant à des animaux prend place après un long récit des sièges
et des batailles que se lhTèrent les nobles de Chypre. Constatant sa déconfiture et ne
voulant pas céder. Frédéric envoya un message de réconciliation à Jean d'Ibelin. L'essentiel
de la demande rapportée par l'évêque messager et transcrit dans le récit de l'auteur porte
sur « un poi d'ennor865 ». L'Empereur désirait que le seigneur de Beyrouth, quoique
vainqueur, se déclare vaincu et se mette «en la mercy de l'emperoer. corne de mon

862
Ibid.V. 169-181. p. 49-50
863
lbid. Lxxrv, p. si.
864
lbid. p. 52.
865
Ibid. CU p. 85

503
seignor866». Pour toute réponse, Jean d'Ibelin raconta à l'évêque la fable du lion et du cerf
dans laquelle le cervidé, acceptant d'aider le lion malade, se fait à chaque fois déchirer la
peau par le félin et finit dévoré par ce dernier. Ayant mangé le cœur du cerf à l'insu du roi,
Renart rétorqua qu'il n'y avait point de faute puisque le cerf n'avait pas de cœur867.
Seignors, ce dit Renart, le serf vint autant a court, si s'en party la chiere sanglante;
une autre fois après revint et laissa deus corroyés de son dos; la tierce fois revint
morir si nicement corne cil quy n'avoit point de cuer, car se il eùst cuer, il ne fust
pas revenus la tierce fois; et l'on dist un proverbe: Ce qui n'i est ne puet trover. Le
serf n'avoit cuer, ne je ne l'ay mangié.868
Et je vous di, sire evesque, fait le sire de Baruth, que je pues bien dire de
l'empereor et de moy cest essample. Il est le lion et je suy le serf; deus fois m'a
deceù: la premiere fois a Lymesson, dont je os bien sanglante chère; la seconde
quant je party de Deudamor, le chasteau, et vins a luy: encontre les covenances, il
retint les fortereces et toute Chipre a son eus, et puis vendy le roy et Chipre a mes
enemis. Ce furent les deus corroyés de mon dos. Et se ores vieng en la tierce fois en
sa mercy, je otroy que je soye mort corne fu le serf, et que l'on juge seurement que
je n'ai point de cuer. Dont je vous di, sire evesque, et vueill bien que il sache qu'en
sa manaye ne me tenra il ja mais; et se mau gré mien, par meschance, deûsse estre
devant luy, et il eùst tout son pooir et je eusse ni enfans, ni amis, ne pooir plus que
dou petit doit de ma main, o celuy me defenderoie jusques a la mort.

La réponse du seigneur de Beyrouth est sans ambiguïté, il n'est plus question de se


jeter dans la gueule du loup ou du lion. Trop de fois a-t-il fait confiance à l'Empereur et
trop de fois a-t-il été trahi. Le principal reproche que Jean d'Ibelin adresse à Frédéric II est
le non respect des usages, des «covenances». L'Empereur n'a pas agi selon les règles
précises qui régissent les relations féodo-vassaliques, il y a donc un manquement du devoir
de suzerain. La soumission du vassal n'est pas absolue, elle ne s'applique qu'à certaines
conditions. Selon Jean Richard, outre des besoins défensifs plus important, il ne semble

866
lbid
867
Jean Ier ajoute à un ancien thème les personnages du Roman de Renart. On peut rapprocher cette fable de
la légende non animalière du cœur mangé dont on trouve la première mention dans le Tristan de Thomas
(1170) et toujours au XIIe siècle dans YEnsenhamen a cavalier du troubadour Arnaut Guilhelm de Marsan.
Le thème sera repris, toujours dans son optique courtoise (les dames mangent le cœur de l'amant infidèle)
par Guilhem de Cabestaing dans sa biographie puis, plus au nord et davantage parodique, dans Le Bel
inconnu de Renaut de Beaujeu et le lai breton d'Ignauré. Informations tirées de l'article de M. di Febro,
« Ignauré : la parodie « dialectique » ou le détournement du symbolisme courtois », Le choix de la prose
(XIIF-XV siècles), Cahiers de recherches médiévales (Xl/F-XV s.), vol. v, 1998, pp. 167-201.
868
Philippe de Novare, Mémoires, CLIV, p. 87
869
lbid., CLV, p. 87-88.

304
pas que les royaumes latins d'Orient aient eu un modèle spécifique, tout au plus une
adaptation du système féodal occidental aux cadres hérités de la domination byzantine puis
arabe.870 La fable du cerf qui n'avait pas de cœur illustre bien la limite de la vassalité.

C'est en 1233, au terme d'une guerre civile qui déchira les grandes familles
baronales, que le conflit prit fin avec la victoire des Ibelin qui forcèrent à l'exil leurs
871

opposants . Mais le conflit a une portée plus large débordant les frontières de Chypre,
touchant la quasi-totalité des possessions latines. La résistance contre les prétentions de
Frédéric II se fit aussi sentir à Antioche, Tripoli et Acre où, dans ce cas précis, elle prit une
forme insurrectionnelle conduisant à la formation de la Commune d'Acre en 1232872.
Malgré les tentatives infructueuses de Filangieri pour s'emparer d'Acre et la proclamation
hâtive de la majorité du fils de Frédéric II. les adversaires de l'Empereur lui dénient tout
droit et proclament régente Alix -au terme de négociations que mena Philippe de Novare-
qui. en retour, les favorise aux dépend des impériaux (1242). Mais dans les faits, « cette
régence est aussi théorique que la royauté de Conrad et l'autorité appartient en fait aux
balles de la famille des Ibelin (Balian puis son frère Jean), qui dominent la Haute Cour et
tiennent les principaux fiefs sur le continent et en Chypre. Tyr, repris aux Impériaux, a été
donné à un de leurs parents. Philippe de Montfort; les Ibelin possèdent encore
Q~in .

les seigneuries de Beyrouth. Césarée. Arsouf et Jaffa ». Selon Michel Balard, la victoire
d'une partie de la noblesse contre le pouvoir impérial transforma le royaume de Jérusalem
-mais la remarque s'applique aux autres royaumes- en un « régime oligarchique » que les
vainqueurs justifièrent en se référant aux Assises de Jérusalem de Jean d'Ibelin. La Haute
on A

Cour s'en trouva de même renforcée allant jusqu'à désigner le souverain. C'est bien le
8
° Sur la féodalité des royaumes latins d'Orient, se référer à J. Richard. «La seigneurie franque en Syrie et à
Chypre: modèle oriental ou occidental? ». Seigneurs et Seigneuries au Moyen Age, Paris, CTHS. 1995. p.
125-136.
871
M. Balard. Croisades et Orient latin, p. 229
872
J. Richard. Croisades et États latins d'Orient : points de vue et documents. Paris, Variorum. 1992. p. 89
8
' C. Morrisson. Les croisades, p. 67
874
M. Balard, Croisades et Orient latin, p 219.

305
triomphe des usages locaux et des prérogatives des grands seigneurs comme le souhaitait
Philippe de Novare, mais il n'est pas certain que cette situation, qui morcelé l'autorité, ait
réellement profité à la défense de la Terre Sainte. Ces enjeux, plus globaux et pourtant
fondamentaux, ne semblent pas être pris en compte par Philippe de Novare qui place son
récit sous un angle plus personnel, limité aux conflits entre clans. Mais nous aurions tort
d'oublier qu'il est aussi un juriste pour qui le droit féodal a préséance sur tous autres
usages, de l'Empire comme d'ailleurs. Comme la plupart des satires celle de Philippe de
Novare se définit en réaction, dans le cas présent en rapport à une intervention jugée
inopportune mais plus largement face à des valeurs qui sont incompatibles aux siennes.
Les auteurs peuvent certes condamner l'inaction du prince mais plus souvent ils dénoncent
l'introduction d'une nouvelle façon de concevoir le pouvoir qui heurte les habitudes et la
tradition. Ne pas respecter les us et coutumes figurent parmi les fautes que l'on ne pouvait
guère pardonner au XIIIe siècle, tant pour Philippe de Novare qui défend le droit féodal
comme celui de la noblesse à régler seule ses conflits que pour ses successeurs dont
Rutebeuf qui partage sensiblement les mêmes idéaux.

306
2. Renart le Bestourné de Rutebeuf

Suivant de quelques années les Mémoires de Philippe de Novare, un autre écrivain


s'inspira des aventures de Renart pour parodier le pouvoir politique. Mais le cadre et le
style de Rutebeuf sont tout autres. Ce dernier cache ses personnages historiques derrière
des noms d'animaux davantage qu'il ne les révèle comme l'avait fait Philippe. La forme
tend davantage vers l'allégorie et s'éloigne par le fait même du conte. Même s'il s'agit dans
les deux cas de littérature d'humeur, c'est-à-dire, écrit sur le vif à la suite d'événements
précis, les intentions et le traitement diffèrent considérablement. D'abord, Rutebeuf vit de
sa plume et compose souvent sur commande et, quoiqu'il ait eu des sympathies marquées
et sincères pour des groupes particuliers, il n'appartient pas à un clan comme ce fut le cas
pour Philippe de Novare. Cela ne signifie pas une totale d'absence de solidarité de la part
de Rutebeuf. mais les liens qu'il établit au cours de sa carrière sont beaucoup moins rigides
et davantage idéologiques que familiaux.

De plus, loin du récit linéaire des événements, l'œuvre du poète s'oriente sur deux
thèmes majeurs: la querelle universitaire et les croisades. La querelle de l'université prend
sa source dans l'influence grandissante des Ordres Mendiants au milieu du XIIIe siècle. En
effet, les Dominicains et les Franciscains, populaires et soutenus par la papauté, dispensent
un enseignement qui concurrence celui des maîtres séculiers. D'abord corporatifs, les
griefs des séculiers posent le problème de « l'incompatibilité de la double appartenance à
un ordre, quelques nouveau fut son style, et à une corporation, quelque cléricale et
originale qu'elle fût87>». En février 1252, la rivalité s'envenime lorsque, à la suite de
brutalités commises par les gardes royaux envers des étudiants, les frères ne joignent pas la
grève décrétée par l'Université de Paris et refusent de prêter un serment d'allégeance. Pour
les maîtres séculiers, les frères « rompent la solidarité universitaire en continuant de
donner des cours quand l'Université est en grève (...) alors que la grève relève d'un droit

8-5
J. Le Goff. Les intellectuels au Moyen Age, p. 110.

307
m fi*

reconnu par la Papauté et inscrit dans les statuts ». Malgré la victoire obtenue par les
séculiers qui ont fait plier le pouvoir royal, une rancune tenace s'installe envers les
Mendiants qui voient se multiplier les contraintes et empêchements de toutes natures.
Prenant de l'ampleur, la querelle se transporte devant le comte de Poitiers, régent du
royaume en l'absence de Louis IX, puis devant le pape qui convoque les deux parties le 15
août 1254877. Loin de s'apaiser, le différent trouve chez Guillaume de Saint-Amour l'ardent
défenseur des privilèges des clercs séculiers. Chef de file du mouvement « corporatiste »,
le maître universitaire critiqua le rôle et de l'influence des Ordres Mendiants dans
l'enseignement, mais s'attaqua aussi à l'orthodoxie d'une frange des Franciscains et les
présenta comme des suppôts du diable. Selon M.-M. Dufeil:

Une des plus graves questions soulevées par Guillaume de Saint-Amour était celle
du courant joachimite chez les Franciscains. Alexandre IV a évité le pire, mais
crève l'abcès qu'il a circonscrit. Le ministre général Jean de Parme, amateur de
pauvreté rare et de hauts sacrifices, avait protégé avec plus de constance que de
discernement les foyers de Spirituels et toute cette apocalypse ambiguë qui
empoisonnait l'Ordre. Le pape convoque un chapitre général extraordinaire et le
préside au couvent de YAra Coeli le 2 février 1257. Malgré la résistance, tout un
jour, des délégués, la pression pontificale obtient la démission de Jean de Parme
qui poussa à la désignation de Bonaventure pour sa succession (...) Bonaventure, à
vrai dire, fut élu contre l'Évangile éternel. Traduit, comme Guillaume, devant une
commission doctrinale, Jean de Parme se serait contenté de réciter lentement le
Credo dont on ne peut nier ni le trinitarisme ni l'orthodoxie.878

C'est en 1255 que Rutebeuf entre dans la mêlée en se prononçant en faveur des
séculiers dans le dit de la Discorde des Jacobins et de l'Université de Paris. Malgré le peu
de renseignements disponibles sur Rutebeuf, il est presque certain que le ménestrel a suivi
l'enseignement de l'Université de Paris et il est probable qu'il ait assisté aux cours donnés
par Guillaume de Saint-Amour, il connaît du moins le contenu des discours les plus
importants879. Mais le poète appartient au mauvais camp puisque le nouveau pape,

876
lbid
877
M. Zink, Rutebeuf, oeuvres complètes, introduction.
8
M.-M. Dufeil, Guillaume de Saint-Amour et la polémique universitaire parisienne, 1250-1259, Paris,
A&J. Picard, 1972, p. 294-295.
879
À ce sujet l'avis des érudits diffère. A. Serper croit qu'il existait une amitié réelle entre Rutebeuf et
Guillaume de Saint-Amour. D'autres, comme M. Zink, contestent ce lien, estimant que les deux hommes, tout
en partageant une même vision du problème, se connaissaient peu. Adoptant une position mitoyenne, M.-M.

308
Alexandre IV, est favorable aux Mendiants et excommunie certains maîtres séculiers.
Guillaume de Saint-Amour se trouve aussi dans une situation fâcheuse dans laquelle ses
positions l'ont conduit. En accord avec le roi, la papauté exile le maître et lui interdit
l'enseignement, ce qui ne refroidît pas les ardeurs polémistes de Rutebeuf qui compose le
Dit de Guillaume de Saint-Amour et la Complainte de Guillaume de Saint-Amour en 1259.
Cette prise de position vaudra au trouvère une période de disette, les commandes se faisant
OOA

plus rares . Une situation qu'il relate dans ses poésies où il fait état des difficultés
inhérentes à la vie de jongleur « condamnée à attendre d'autrui de quoi subsister et
tombant souvent dans la mendicité881 ».

Parallèlement. Rutebeuf ne manqua pas de donner son opinion sur la participation


du royaume français à la croisade. Il est d'abord enthousiaste, en 1254. face aux succès de
Louis LX en Orient, et le manifeste par quelques textes favorables à la politique du roi
concernant les croisades. Dans la Complainte de Monseigneur Geoffroy de Sergines. écrite
en 1256, il louange indirectement le roi. Après avoir critiqué ce dernier et les frères dans la
Complainte de Constantinople en 1252, il participe à sa manière à la croisade contre
Manfred, fils naturel de Frédéric II en rédigeant la Chanson de Pouille en 1264 et le Dit de
Pouille en 1265. Mais le poète en vient rapidement à la critique en voyant les possessions
latines menacées882. Pour lui. le roi comme le pape sont coupables de laisser aller les terres
d'Orient en n'octroyant pas les fonds nécessaires à leur défense. Toujours opposé aux
frères. Rutebeuf associe les échecs de la croisade à leur influence sur le roi. Selon lui. tout
en prêchant la pauvreté, les Ordres Mendiants détournent les sommes pour la défense de la

Dufeil pense plutôt que Rutebeuf a probablement été un élève de Guillaume de Saint-Amour sans que ce fait
implique des relations continues. «Rutebeuf aima fidèlement "li douz, li franc, li debonere" banni de Saint-
Amour dont il a peut-être entendu les cours es arts vers 1240, puisqu'il l'appelle "son père" (...) Il avait déjà
travaillé pour la Faculté et cependant, malgré la commande de l'Université, aucune pièce n'est froide: tout y
est passion sincère» M.-M. Dufeil. ibid, p. 296.
50
II est possible, comme me Ta fait remarquer Craig Baker, qu'il soit question d"une forme de topos sur la
« misère du poète » qui n'implique pas nécessairement que Rutebeuf ait réellement payé son audace.
881
J. Dufoumet. « Les poèmes de Rutebeuf». Comprendre le XllF siècle, dir. P. Guichard et D. Alexandre-
Bidon. Lyon. Presses Universitaires. 1995. p. 174 Parmi les poésies de Rutebeuf qui traitent de l'infortune.
on note : Les Poèmes de l'infortune. La Complainte Rutebeuf. La Griesche d'hiver, La Griesche d'été. Le
Dit des gueux de Grève. Le Mariage Rutebeuf(mariage malheureux). Le Dit d'Aristote. La Paix Rutebeuf,
La Pauvreté Rutebeuf, La Repentance Rutebeuf, De Brichemer. ibid.
882
Informations tirées de M. Zink. Oeuvres de Rutebeuf, p. 12.

309
Terre sainte à leur seul profit.883 Un incident le touchant directement va faire «déborder le
vase». Dans un souci d'économie, Louis IX décide le 4 avril 1261 de fermer sa porte aux
ménestrels et autres amuseurs publics, il mange dorénavant portes closes. Indigné devant
ce sursaut d'avarice, Rutebeuf compose Renart le Bestourné. L'œuvre est le résultat d'une
accumulation de contrariétés auxquelles s'ajoute une réaction à un événement précis.
Comme l'indique A. Serper:
Sa colère éclate et il donne libre cours à l'expression des sentiments peu favorables
qu'il nourrit à l'égard de saint Louis depuis quelques années déjà, plus exactement
depuis l'exil de Guillaume de Saint-Amour et l'accroissement de l'influence que les
moines exerçaient à la cour du roi. Ce sont des vers d'une audace étonnante, où il
accuse le roi d'avarice et où l'on sent qu'il a aussi d'autres reproches à lui faire en
dehors de celui d'avoir interdit aux jongleurs, dont il était, l'accès de la maison
royale884.

Renart le Bestourné est un texte écrit à chaud, assez près dans son essence de nos
éditoriaux. Mais quoiqu'il s'agisse d'une réaction à un fait, on ne peut le réduire à cela. Il y
a bien sûr la défense d'intérêts personnels. Ayant moins de commandes après ses prises de
positions en faveur de Guillaume de Saint-Amour, Rutebeuf est particulièrement touché
par la mesure royale. Le texte ne doit pas être dissocié de l'ensemble de l'œuvre du poète
et en ce sens Renart le Bestourné combine toutes les rancunes du ménestrel. L'historien
Olivier Guyotjeannin fait d'ailleurs remarquer que la pièce « pourrait plus largement, et
sans doute mieux aussi, viser le processus d'institutionnalisation de l'Hôtel du roi,
l'accusation de mal compter (donc de détourner les richesses) désignant sans doute une
885

réorganisation gestionnaire dans le sens d'un contrôle et d'une économie accrus ».


Contrairement à Philippe de Novare qui séparait le monde entre bons et méchants,
Rutebeuf apparaît plus désabusé et dépeint la vie comme un retournement. «Il est frappant
de voir Rutebeuf ranger Renard dans le même camp qu'Isengrin et ses partisans. Philippe
de Novare, quant à lui, assimile ses adversaires à Renard et à ses complices et ses amis à
3
Cette perception défavorable face au roi va perdurer même après la mort de Louis IX. Si Rutebeuf
compose un éloge posthume en l'honneur du comte de Nevers en 1266, la Complainte du comte Eudes de
Nevers et deux autres en 1271, la Complainte du roi de Navarre et la Complainte du comte de Poitiers, il
reste cependant muet concernant le roi de France mort à Tunis le 25 août 1270. Tous ces personnages sont
pourtant décédés pendant ou au retour de croisade. Rutebeuf aurait-il la rancune à ce point tenace? Dates et
précisions tirées de M. Zink, Oeuvres de Rutebeuf, p. 11 et 12.
884
A. Serper, Rutebeuf, poète satirique, p. 59.

310
Isengrin et à ses partisans, ce qui n'est pas à nos yeux très flatteur. C'est que tous deux font
une lecture moralisatrice du Roman de Renart. Rutebeuf met tout le monde dans le même
sac. Philippe préfère les dupes aux traîtres886».

Complexe par sa forme, ce texte a suscité de nombreux différents chez la critique.


Tous y ont cependant vu une satire du pouvoir. Rutebeuf n'a pas créé une nouvelle branche
de Renart. mais a utilisé les personnages et a. peut-être, fait référence à des passages du
conte d'origine. Néanmoins, très populaires, les animaax du conte servirent bien ses
intentions satiriques. Nous sommes donc face à un monde bestourné. c'est-à-dire, retourné
ou à l'envers88". Ce bestournement résulte du pouvoir grandissant de la Renardie, à
l'époque synonyme d'hypocrisie. Sachant que Rutebeuf accusait les moines de ce vice, le
lien s'établit de lui-même888. Pour sa part. Emmanuelle Poulain-Gautret est plus précise :
« Dans le texte de Rutebeuf. le roi Noble, fort naïf (c'est saint Louis qui est visé), se voit
conseillé par quatre personnages : Renaît, qui représente l'hypocrisie, l'hérésie et la
méchanceté. Ysengrin. la bestialité, la bêtise, la lâcheté et la cruauté. Roonel (le chien),
l'envie et la hargne, et Bernard (l'âne), la lubricité et la sottise. Il faut voir en Renart le
représentant des ordres mendiants, objet fréquent des critiques de l'auteur ». Les
premiers vers donnent le ton:

88:1
O. Guyotjeannin. « 1060-1285 ». Le Moyen Âge. Le roi. 1 Église, les grands, le peuple, p. 318
886
M. Zink. Oeuvres de Rutebeuf. p. 253.
88
Sur les diverses interprétations du titre, voire Flina Le Roman de Renart dans la littérature, pp. 119-120.
888
Dans La discorde des Jacobins et de 1 Lnhersité. Rutebeuf écrit :
Car ce Renart seint une corde
Et vest une coutele grise.
N en est pas sa vie mains orde :
La rose est sus I apine asize. V. 53-56.
Puis dans le Dit d'ypocrisie ou Dit du Pharisien, il revient sur l'association entre l'hypocrisie. Renart et les
Mendiants :
ïpocrisie la renarde.
Qui defors oint et dedens larde,
\ int el roiaume.
Tost out trovei Freire Guillaume.
Freire Robert et Frère Aliaume.
Frère Joffroi.
Frère Lambert. Frère Lanfroi. V.80-86.
Extraits tirés de M. Zink. p. 120 et p. 140.
889
E. Poulain-Gautret. « Le Renart médiéval » Renart de maie escole. Cahiers Robinson. 2004. p. 21.

Ml
Renars est mors: Renars est vis!
Renars est ors, Renars est vilz:
Et Renars reigne!
Renars at moult reinei el reigne.
Bien i chevauche a lasche reigne,
Coul estendu.
Hon le devoit avoir pendu,
Si com je l'avoie entendu,
Mais non at voir:
Par tanz le porreiz bien veoir.890.

On croyait avoir pendu ce gredin de Renart. Erreur! Renart est bien vivant et il règne sur
tout le royaume depuis longtemps déjà. On ne peut être plus clair: l'hypocrisie, et
globalement le mal, règne en maître dans le royaume de France. La situation est périlleuse
d'autant plus que Renart:

Il est sires de tout l'avoir


Mon seigneur Noble,
Et de la brie et dou vignoble.891

Rutebeuf sous-entend que le trésor et le domaine royal ne sont plus sous le contrôle du
roi. Vraisemblablement, Renart représente les Ordres Mendiants que protège Louis IX et
qui, selon le poète, dilapident des sommes qui seraient mieux employées ailleurs. Il faut
rappeler que la mesure d'austérité que le roi décrétât avait pour objectif d'épargner pour
soutenir les croisés. De toute évidence, Rutebeuf n'y croit guère, pensant plutôt que les

'° V. 1-10, p. 254. M. Zink donne la traduction suivante:

Renard est mort: Renard est en vie!


Renard est abject, Renard est ignoble:
pourtant Renard règne!
Renard a de longtemps régné sur le royaume.
Il y chevauche la bride sur le cou,
au grand galop.
Il paraît qu'on l'avait pendu,
à ce que j'avais entendu,
mais pas du tout:
vous vous en apercevrez bientôt, p. 255.
891
V. 11-12. Traduction de M. Zink:
Il est maître de tous les biens
de Monseigneur Noble,
des cultures et des vignobles, p. 255.

312
frères s'enrichissent au dépend du roi. Cette naïveté du monarque est dénoncée quelques
vers plus loin quant le poète souligne que l'on ne peut rien attendre de Renart:
Ne doit hon bien Renart ameir.
Qu'en Renart n'at fors que l'ameir:
C'est sa droiture.
Renars at moût grant norreture:
Moût en avons de sa nature
En ceste terre.
Renars porra mouvoir teil guerre
Dont moût bien se porroit sofiferre
La regions.
Mes sires Nobles li lyons
Cuide que sa sauvacions
De Renart vaigne.
Nou fait, voir (de Dieu li sovaigne!).
Ansois dout qu'il ne l'en aveigne
Damage et honte.892

Rutebeuf insiste sur le manque de jugement du roi en soulignant que ce dernier est raillé
par la population qui désapprouve son comportement:
Se Nobles savoit que ce monte
Et les paroles que om conte
Parmi la vile
- Dame Raimbors. dame Poufîlle.
Qui de lui tiennent lor concile,
Sa .X.. sa vint.
Et dient c'onques mais n'avint
N'onques a franc cuer ne souvint
De teil aieu faire!893
s<>; v. 22-36, p. 254. Traduction de M. Zink:
Renard, il ne faut pas l'aimer,
car tout en Renard est amer:
il en est ainsi.
Renard a une grande famille:
nous en avons beaucoup de son espèce
dans cette contrée.
Renard est capable de faire naître un conflit
dont se passerait très bien
le pays.
Monseigneur Noble le lion
croit que son salut
dépend de Renard.
En fait, c'est faux (qu'il se tourne donc vers Dieu!):
je crains plutôt qu'il en retire
malheur et honte, p. 255.
Et le poète de rappeler au roi, dans les vers 46 à 54, le souvenir de Darius que l'on
mît à mort à cause de son avarice, ajoutant qu'il n'existe défaut plus laid que celui-là.
Rutebeuf se réfère à la vision traditionnelle de la largesse princière. Bonté et générosité se
confondent et apparaissent comme des devoirs fondamentaux du prince indissociables de
sa personne. Pourtant, la réalité contredit en bonne partie l'image du roi que véhicule le
poème puisqu'on retrouve chez Louis IX une volonté d'assurer une charité non
négligeable notamment par l'aumônerie894 qui « devient une des institutions importantes
de la bureaucratie royale ». Ne pouvant venir directement du monarque, l'idée est
impensable, la faute en revient donc à de mauvais conseillers, ici Renart et ses acolytes.
Mais le roi porte une part de responsabilité par son manque de clairvoyance. Ce sont déjà
les caractéristiques du lion dans les poèmes anciens. Charles Lénient le décrit
ainsi: «majesté solennelle, débonnaire et un peu niaise, égoïste à l'excès, entêtée de ses
prérogatives, se laissant monter la tête par ses courtisans et ses ministres, éclatant en
menaces qui n'aboutissent point, et finissant toujours par être dupe des cajoleries de
Renart8% ». Que Louis IX n'ait pas vraiment correspondu à ce modèle a peu d'importance.
Indigné par les politiques royales, Rutebeuf n'avait que faire des nuances, seule la force de
la dénonciation importait. Le ménestrel va plus loin en insinuant que le roi est aussi
stupide qu'un âne:
Nobles ne seit enging ne art
Nés c'uns des asnes de Senart
Qui bûche porte:
Il ne set pas de qu'est sa porte.

893
V. 37-45.
Si Noble savait ce qui est en cause,
et ce qui se raconte
à travers la ville,
- Madame Raimbour, Madame Poufile
en font le sujet de leurs palabres,
par groupes de dix ou de vingt,
et disent qu'on n'a jamais vu cela,
et qu'un noble coeur ne s'est jamais amusé
à ce genre de chose! p. 257.
894
Pour un bref portrait de l'évolution de cette institution, de Philippe Auguste à Charles VI, voir la
communication de Xavier de La Selle, « La cour de Charles VI, lieu de la vie religieuse », Saint-Denis et la
royauté, p. 67-68.
95
J. Le Goff, « Le Moyen Âge », dans Histoire de la France. La longue durée de VÉlaX, dir., A. Burguière
et J. Revel, Paris, Seuil, 2000, coll : « Points-histoire », p. 75.
896
Ch. Lénient, La satire en France au Moyen Age, Paris, Hachette, 1859, p. 144.

314
Por ce fait mal qui li ennorte
Se tout bien non.897 .

Ces vilaines bêtes qui aveuglent le roi ont causé beaucoup de tort aux seigneurs à
tel point, qu'en cas de conflit, le roi ne pourrait mobiliser des troupes faute de
commandement fiable et efficace898. Rutebeuf fait probablement référence aux démêlés de
certains nobles avec Louis IX, peut-être au procès, qui fit grand bruit, d'Enguerran IV de
Coucy en 1259. De prime abord, l'affaire semble banale, elle n'implique après tout qu'un
seigneur qui croit pouvoir se faire justice envers déjeunes nobles entrés sur ses terres pour
chasser sans autorisation. Le châtiment fut certes expéditif, les trois jeunes hommes, sous
la protection de l'abbaye Saint-Nicolas-au-Bois, furent pendus, mais rien ne laissait
présager la vive réaction du roi. Voulant faire comparaître devant sa cour le sire de Coucy,
Louis IX se heurta aux pratiques féodales qui permettaient à un grand seigneur d'être jugé
par ses pairs et la demande, encore plus problématique pour le roi, du duel judiciaire. Les
nobles qui appuyaient Enguerran de Coucy se réclamaient de la coutume et de l'honneur
tandis que les juristes royaux mettaient de l'avant la préséance de la justice du roi reposant
sur l'enquête. Même si le monarque pouvait, comme nous l'avons vu précédemment,
abroger une coutume estimée mauvaise, les « barons de leur côté reprochaient au roi
d'innover ou suivant l'expression de l'époque, de « faire novelleté ». Malgré la vive
réprobation de la noblesse, le roi tint bon et, quoique sa première idée fût de faire exécuter
Enguerran de Coucy, il imposa au coupable une lourde peine qui fut tout aussi mal reçue
que le procès lui-même. Favorable à la noblesse et réfractaire aux « novelletés », Rutebeuf
ne pouvait considérer que défavorablement cette intrusion de la royauté dans les
prérogatives seigneuriales. Mais il est vrai de manière plus générale que « tout ce qui
relevait de la nature proprement féodale du pouvoir royal dégénère au cours du XIIIe

Noble n'a pas plus d'esprit et de finesse


qu'un âne de la forêt de Sénart
qui porte des bûches:
il ne sait pas quelle est sa charge.
C'est pourquoi il agit mal, celui qui le pousse
à autre chose qu'au bien. p. 257.
898
lbid, v. 80-112
899
M-Th. Caron, Noblesse et pouvoir royal en France XllF-XV siècle, p. 29 et pour l'ensemble de cette
section, p. 26-32.

115
siècle 900» et la noblesse d'épée quoique encore très importante n'occupe plus la même
place qu'auparavant, que ce soit par rapport à la spécialisation grandissante des offices
royaux, la montée progressive de la bourgeoisie et l'influence morale des Ordres
Mendiants. Le poète estime qu'en favorisant les moines aux dépens de la noblesse
guerrière, le roi se place dans une fâcheuse position en cas de guerre puisque les clercs n'y
seraient d'aucune utilité et, par extension, il compromet la croisade qui est aussi une affaire
de combattants. Le ménestrel aborde ce thème dans la Complainte de Constantinople où il
fait sensiblement les mêmes critiques.

Comme beaucoup de ses contemporains, Rutebeuf valorise le métier des armes,


affirmant qu'il écrit faute de pouvoir se battre, ne sachant rien faire d'autre. «Je rime au lieu
de travailler, parce que je ne sais faire aucun autre travail {Mensonge 9-11); je vous dis ce
que j'ai sur le coeur, parce que je ne sais rien faire d'autre {Constantinople 4-5); j'appelle la
protection de Dieu sur Jaffa, Acre et Césarée, ne pouvant leur être d'aucun autre secours,
car je ne suis pas un homme de guerre {Constantinople 29-30)901 ». Il illustre une position
traditionnelle où chaque groupe joue un rôle précis, l'accroissement de l'influence d'un de
ces groupes compromettant l'équilibre social. Les moines outrepassent leur fonction en se
mêlant de politique et le roi ne respecte pas les usages en leur donnant autant de crédit. Si
Rutebeuf semble privilégier une division très nette entre le spirituel et le temporel, il serait
hâtif de conclure aux théories gallicanes, les discussions n'en étant pas encore là en
France902.

00
J. Le Goff, « Le Moyen Âge », Histoire de la France. La longue durée de l'État, p. 133.
901
M. Zink, Œuvres de Rutebeuf, p. 24.
' 2 Dans Rutebeuf, poète satirique, A. Serper défend la position inverse. Pour lui le ménestrel appartient à un
«parti gallican et anti-clérical » (p. 62) Cette lecture, qui nous semble anachronique, est notemment refutée
par M.-M. Dufeil et par J. Dufournet. Pour leur part, J. F. Flinn et M. Zink n'abordent pas vraiment la
question. S'applicant parfaitement à Rutebeuf, M.-M. Dufeil donne ces explications concernant Guillaume de
Saint-Amour:« Guillaume n'a pas été, ni n'a voulu être, l'initiateur des courants nouveaux du conciliarisme ou
du gallicanisme qui, malgré le penchant à son égard de leurs tenants, sont nés plus tard dans d'autres
contextes. » p. 353. Et à la page 359: «humiliée à propos de Guillaume de Saint-Amour par le roi et surtout par
le pape, l'Université eut tendance, quarante ans plus tard, quand ces deux protecteurs se furent brouillés
entre-eux, à jouer le roi contre le pontife et, par là peut-être, Guillaume est indirectement lié aux débuts du
gallicanisme. Sa postérité directe est surtout composée d'écrivains satiriques reproduisant contre les
Mendiants des thèmes qui ne sont qu'à lui: de Rutebeuf, Baudouin de Condé, Jacques de Baisieux en passant
par divers poèmes mineurs ou fabliaux, par diverses allusions rapides, sans oublier les imitateurs du Roman

316
Le poète partage avec une frange assez importante de la population une vive
méfiance face à la mendicité des nouveaux ordres religieux. Loin du travail manuel et de la
réclusion dans les monastères, la prédication urbaine des Mendiants semblait suspecte à
des gens peu habitués à cette forme d'apostolat. Le style de vie des moines mendiants est
surtout désapprouvé par les séculiers qui y voient une dangereuse « nouveauté ». Comme
le souligne Ariès Serper: «Guillaume dénonce cette mendicité parce qu'elle éloigne les
esprits de la loi de la Bible, qui est la loi du travail, et parce qu'elle devient aussi une sorte
de fausse morale. Ce n'est certainement pas en vivant de charité qu'on obtient le
paradis ». Sur le même thème, Jean Dufournet est encore plus explicite, affirmant que
«la mendicité choquait les hommes du Moyen Age, elle rejetait hors des cadres normaux
ces frères très mobiles qui s'installaient où ils le jugeaient bon. On leur conseillait avec
Jean de Meun, vers 1270, dans le Roman de la Rose, de s'enfermer dans les abbayes, on les
4
accusait d'être hypocrites, de tromper et de voler le monde ».

Si Rutebeuf désapprouve l'influence du pape sur le roi, ce n'est pas tant sur une
question de séparation des pouvoirs mais bien par rancune personnelle envers Alexandre
IV. Ce dernier, responsable de l'exil de Guillaume de Saint-Amour, est le protecteur des
frères et l'instigateur de la mesure d'austérité de la cour, en lien avec le Concile de Paris de
1261. Et pour le poète, le pape est aussi un des principaux responsables de l'échec de la
croisade. Il n'en fallait pas davantage pour susciter son mécontentement, sentiment qu'il a
parfaitement rendu dans Renart le Bestourné. Il est possible, comme le soutenait Faral et
comme semble le croire Flinn, que l'âne Bernard portant une croix désigne le pape, rendant
davantage ridicule cette peu crédible armée:
Ysangrins, que chascuns desprise,
L'ost conduiroit,
Ou, se devient, il s'en furoit.
Bernars l'asnes les deduroit
A tout sa crois.
Cist quatre sont fontainne et doix,
Cist quatre ont l'otroi et la voix

de la Rose et toutes les branches tardives du Roman de Renart (le Nouvel, le Contrefait) jusqu'à Villon et ses
épigones, Marot, Rabelais»
' A. Serper, Rutebeuf, poète satirique, p. 63
J. Dufournet, Rutebeuf et les frères mendiants, p. 8

317
De tout l'ostei.
La choze gist en teil costei
Que rois de bestes ne l'ot teil.
Lebelaroi! 905

Mais c'est « l'avarice » du roi et les fraudes commises par ceux qui vivent à ses
crochets qui indignent le plus notre poète. Ces bêtes sans morale ont détourné le roi des
bons usages dont celui d'ouvrir sa porte aux jongleurs:
Ja autrement ne se demaint
Por faire avoir,
Qu'il en devra asseiz avoir
Et cil seivent asseiz savoir
Qui font son conte.
Bernars gete, Renars mesconte,
Ne connoissent honeur de honte
Roniaus abaie;
Et Ysangrins pas ne s'esmaie,
Le soel porte: "Tropt! Que il paie!":
Gart chacuns soi!
Ysangrins at. I. fil o soi
Qui toz jors de mal faire a soi,
S'a non Primaut;
Renars .1. qui at non Grimaut:
Poi lor est coument ma rime aut,
Mais que mal fassent
Et que toz les bons us effacent.
Diex lor otroit ce qu'il porchacent,
S'auront la corde!906

)5
V. 99-109. Traduction: Isengrin, que chacun méprise,
conduirait l'armée,
ou, si ça se trouve, il s'enfuirait.
L'âne Bernard les divertirait
avec sa croix.
Ces quatre-là sont la source de tout,
à ces quatre-là est abandonné
le pouvoir sur toute la maison.
Les choses en sont au point
que jamais roi des bêtes n'en a été là.
Le bel équipage! p. 259
)6
V. 117-136. Qu'il ne s'y prenne jamais autrement
pour faire de l'argent:
il en aura besoin de beaucoup,
et ce sont des malins,
ceux qui tiennent ses comptes.
Bernard gère, Renard falsifie les comptes,

318
Rutebeuf conclut son poème en constatant que la maison de Noble ressemble à un
ermitage dans lequel les étrangers sont fort mal accueillis. À force de vivre avec des bêtes
aussi malfaisantes, le roi finira par agir comme elles. D'ailleurs il restera tout seul et plus
personne ne se préoccupera de lui:
Se Nobles copoit a la ronce.
De mil n'est pas .1. qui en gronce:
C'est voirs cens faille.
Horn senege guerre et bataille:
Il ne m'en chaut mais que bien n'aille.907

Loin de la théorie, Rutebeuf est un polémiste qui met souvent sa plume au service
d'une cause ou d'un groupe, ce qui n'enlève rien à sa sincérité. Tout en s'apparentant par la
forme et la thématique à des textes de commandes comme la Complainte de
Constantinople ou le Dit du Pharisien, Renart le Bestourné appartient à un autre genre
puisqu'il s'agit d'une oeuvre personnelle. Le ménestrel y dresse le portrait d'une cour sous
la domination du mal où la cupidité remplace l'honneur, la corruption le sens du devoir.
Dans ce monde égoïste où chaque bête ne pense qu'à s'enrichir aux dépens des autres, le
roi ne fait pas meilleure figure, lui qui se laisse abuser et corrompre. Mais peut-être
préfère-t-il fermer les yeux? Dans les deux cas il porte l'imputabilité des malheurs du pays
en agissant à l'encontre des usages. Par sa vision presque archaïque de la société, Rutebeuf

ils ne savent distinguer l'honneur de la honte.


Ronel aboie.
et Isengrin ne s'en fait pas,
il porte le sceau:"Et hop! que l'on paie!":
Chacun pour soi!
Isengrin a avec lui un fils
toujours assoiffé de mal faire.
nommé Primaut:
Renard en a un qui s'appelle Grimaut:
peu leur importe comment s'enchaînent mes rimes,
pourvu qu'ils fassent le mal
et détruisent tous les bons usages.
Que Dieu leur octroie ce qu'ils cherchent:
Ils auront la corde au cou! p. 261
907
v. 158-162 Si Noble trébuchait dans les ronces.
il n'y en a pas une sur mille qui s'en plaindrait:
c'est la pure vérité.
On présage guerre et bataille:
peu me chaut désormais que tout aille mal. p. 263.

319
mène un combat d'arrière-garde en refusant d'accepter les changements de son époque. Ce
retard «idéologique» est d'autant plus frappant que les textes du poète suivent de très près
l'actualité. Entrant parfois tard en campagne, Rutebeuf reste longtemps campé sur ses
positions même si «tout est virtuellement terminé ° ». Le refus du changement dont fait
preuve le ménestrel est représentatif d'une attitude partagée par ses contemporains qui
voient les valeurs traditionnelles se perdre. À tort ou à raison, Rutebeuf a le sentiment que
le monde se corrompt et que tout allait mieux avant. Donc, chaque chose à sa place: les
moines travaillant dans les monastères et laissant l'enseignement aux séculiers, les
chevaliers défendant les lieux saints et le roi soutenant aux mieux ces derniers pour le bien
de la Chrétienté. Et n'oublions pas, le monarque mangeant porte ouverte comme les bons
usages le commandent, la largesse étant une qualité primordiale pour un prince.

Si moins d'un siècle plus tard, on sera nostalgique du temps du bon messire saint
Louis, Rutebeuf pour sa part se réfère à Charlemagne. Comme quoi Louis IX ne suscita
chez certains la ferveur que de manière posthume. Loin d'être adulé par tous ses sujets, le
roi fut vertement critiqué par certains d'entre eux. Cette critique, aussi dure soit-elle, ne
remet jamais en cause la fonction royale, elle ne s'adresse qu'à des politiques ponctuelles.
Et encore, Rutebeuf ne vise pas tant le roi dans son essence même que l'individu dont il
désapprouve certaines influences. Et avec une certaine mauvaise foi, selon Sophia
Menache et Jeannine Horowitz, puisque « Rutebeuf, passablement injuste avec Louis IX
en regard de la vérité historique, noircit considérablement Y «icône» de Saint Louis que
l'historio-hagiographie contemporaine s'est plue à tracer 909 ». Le poète reste attaché à un
modèle royal plus près de celui des chansons de geste que de la réalité. Que Louis IX soit
mort à Tunis lors de la huitième croisade ne suffira pas à atténuer la rancune de l'auteur du
Bestourné. Toutefois, las des problèmes que lui cause sa possible mise au rancart et
probablement désabusé, le poète abandonne les pamphlets partisans pour se consacrer à
des thèmes religieux. Ayant retrouvé les grâces de la famille royale, il compose pour
Isabelle,fillede saint Louis et mariée à Thibaut de Champagne, la Vie de sainte Elysabel.

908
M. Zink, Oeuvres complètes de Rutebeuf, p. 14.
909
S. Menache & J. Horowitz, (Université d'Haïfa) «Quand le rire devient grinçant: la satire politique aux
XIIIeet XIVe siècles », Le Moyen Age, n°3-4, 1996, p. 444

320
Malgré le traitement fort différent qu'ils font des contes animaliers, Philippe de
Novare et Rutebeuf partagent des valeurs communes. Tous les deux sont représentatifs
d'un désir d'immuabilité, d'une volonté de maintenir les usages. Ils ont en commun cet
attachement à des traditions qui s'effritent et qui cadraient de moins en moins avec la
réalité. Outre des personnalités spécifiques et des positions sociales bien distinctes, leur
différence s'établit principalement par le contexte. On trouve chez Philippe la légèreté de
celui qui est convaincu de son bon droit, sans pessimisme et sans défaitisme, les
possessions Moyen-Orientales favorisant un certain nombre d'illusions. Son récit illustre
une de ces nombreuses guerres claniques que se font les seigneurs féodaux qui considèrent
la royauté, ou tout autre pouvoir central, sinon inutile, au mieux accessoire. Les tentatives
d'ingérence de Frédéric II semble tellement incongrues qu'elles n'inquiètent même pas. En
revanche, la déloyauté et l'hypocrisie de quelques membres de la communauté suscitent
l'indignation et le mépris. Si le titre du passage des Mémoires de Philippe s'intitule bien la
guerre de Frederic II contre les Ibelin, montrant que l'auteur comprenait parfaitement la
situation, la poésie satirique n'en reste pas moins réservée aux barons félons. Cela sans
parler d'Henri de Lusignan qui, tout en excluant sa minorité, n'a guère de pouvoir
décisionnel.

Le roi idéal selon Philippe de Novare est un monarque effacé, qui respecte les
usages locaux et qui n'intervient presque jamais dans les affaires de ses vassaux. Il doit de
plus posséder des valeurs chevaleresques de franchise et de loyauté. Comme dans la
Chanson de Geste et le roman arthurien, le mensonge représente la pire des fautes.
Philippe de Novare est en tout point un digne représentant des valeurs féodales qui ne sont
pas encore totalement anachroniques dans les royaumes latins d'Orient. Vivant dans la
capitale française, Rutebeuf est au cœur des bouleversements et des polémiques qui
secouent le royaume. Tout au long de sa carrière de pamphlétaire, il prêta sa plume à des
combats perdus d'avance. Plus souvent moralisateur qu'ironique, Rutebeuf dénonça ce qu'il
nommait le règne de l'hypocrisie caractérisé par l'influence des Dominicains et des
Franciscains. Comme Philippe de Novare, Rutebeuf se plaint du non respect des usages,
non par ingérence dans ce cas mais par manque de clairvoyance. Le roi est coupable de se

321
laisser influencer par la renardie et de ne pas faire les bons choix pour son royaume
comme pour l'avenir des possessions orientales. L'image mollassonne que donne le poète
de Louis IX n'est guère fondée, mais on ne peut nier que le roi favorisait les Ordres
Mendiants. Évidemment cette prééminence des frères modifie les rapports de pouvoir dans
l'entourage royal et plus largement dans la société urbaine. Pour Rutebeuf, Jacobins
comme Cordeliers prennent indûment la place de tous les groupes traditionnels. Le roi leur
accordant ses faveurs devient injuste envers les séculiers, envers les ménestrels et envers
les chevaliers qui sont les seuls à pouvoir se battre en Orient. Malgré le refus du poète, les
changements sont irréversibles et il devient impossible de revenir «au temps de la
chevalerie triomphante». Pourtant, Louis IX n'a rien d'un roi « annonçant la modernité »,
« l'idéal qu'il incarne, même s'il est marqué par l'évolution des structures politiques,
regarde plus vers le passé que vers l'avenir ' ». Ce n'est visiblement pas la perception de
notre poète. Très pessimiste et dégoûté par la tournure des événements, Rutebeuf avoue
son impuissance dans les derniers vers de Renart le Bestourné «il ne m'en chaut mais que
bien n'aille». Cette amertume face à une société décriée se retrouve tout au long du XIVe
siècle notamment dans les branches tardives de Renart, ce dernier ne se contentant plus
d'un rôle d'influence sur le roi.

910
J. Le Goff, « Le Moyen Age », dans Histoire de la France, p. 99

322
B. La satire à la cour de France de la fin du XIIIe siècle à la fin du XVesiècle.

Les nombreuses controverses qui secouèrent le royaume de France à partir de la fin


du règne de Philippe le Bel et troubles découlant par la suite de la guerre de Cent ans
fournissaient aux polémistes une riche matière première pour leur critique du pouvoir et de
la cour. Comme Rutebeuf, la plupart des auteurs demeurent hostiles aux changements qui
s'oppèrent dans la gouvernance du royaume tout comme à une nouvelle définition des
rôles respectifs de l'État et de l'Église, tels Geoffroy de Paris, Gervais du Bus et Henri de
Ferrières. Ils diffèrent de leurs prédécesseurs toutefois dans le regard qu'ils portent sur la
noblesse et par des thèmes que l'actualité fait surgir. Toujours aussi mordante, la satire
s'inscrit dans une tendance marquée à la moralisation qui n'est pas sans rapport avec
l'influence du Roman de la Rose de Jean de Meung. Comme les œuvres satiriques sont
rédigées peu après les événements qui y sont relatés par des auteurs généralement bien
informés, elles conservent leur actualité et témoignent des perceptions des contemporains
face à un État en pleine mutation. Comme pour Rutebeuf, la figure animale sert à désigner
la perversion des valeurs ou, dans un cadre différent, elle met en scène les acteurs d'un
conflit que l'auteur dénonce comme pour la Bergerie de l'agneau à cinq personnages.

1. Le règne de Philippe le Bel vu par le Roman de Fauvel de Gervais du Bus et la


Chronique métrique attribuée à Geoffroy de Paris.

Déjà amorcée sous Louis IX, la concentration des pouvoirs aux mains du roi
s'accentue sous le règne de son petit-fils Philippe le Bel. La France voit Fadministration
de l'État se complexifier911, le poids des légistes dans les décisions politiques devenir
majeur, même si le roi garde le contrôle et que le conseil des nobles demeure un acteur

911
Voir A. Rigaudière, Introduction historique à l'étude du droit et des institutions, Paris, Econômica. 2001.
cf : Ch II : le renforcement des moyens d'action de l'État.

323
actif dans l'avenir du royaume. La noblesse de « robe », dont les membres sont issus de la
bourgeoisie, accède au service du prince, que se soit à l'intérieur de sa Maison ou dans les
différents organes étatiques comme la Chancellerie ou la Chambre des comptes. La
compétence prime de plus en plus sur la naissance, comme le note Jacques Krynen :
La liste des conseillers de Saint louis ayant professé à Orléans ou y ayant acquis
leurs grades est éloquente. Il est clair, désormais, que le diplôme de droit compense
l'absence de fortune ou de haute noblesse pour faire carrière auprès du roi. Sous
Philippe le Hardi et Philippe le Bel, les légistes méridionaux rejoignent les
Orléanais dans le gouvernement et l'administration du Capétien. L'évolution est
irréversible. Servir l'État, même dans un modeste rouage, exige un minimum de
culture juridique savante .

Seule l'armée reste sous l'autorité de la vieille noblesse d'épée qui y voit une
prérogative de son rang. L'accession à des offices importants de petits nobles ou de
bourgeois fraîchement anoblis ne va pas sans controverse. Méprisés par la haute-noblesse
qui les considère comme des parvenus, suspectés par le peuple qui leur attribue, à tort ou à
raison, la plupart des décisions impopulaires du monarque, ils sont la cible des critiques et
souvent les boucs-émissaires des troubles du royaume.

La fin du règne de Philippe le Bel marque une détérioration de la situation du


royaume, à plusieurs niveaux. Il est vrai que la guerre des Flandres entama sérieusement le
Trésor royal ce qui obligea le roi et ses conseillers à recourir à des expédients très mal
compris alors, autant par les principaux intéressés que par la population. La mesure la plus
impopulaire est sans nul doute les dévaluations monétaires, à répétition, très
« expérimentales » à l'époque et vues comme une tentative d'extorsion pure et simple.
Ajoutons les emprunts aux Templiers et aux prêteurs Lombards, les confiscations des
biens de la population juive et la perception des décimes du clergé français pour clore le
tableau. À ces problèmes monétaires se greffe le désir du roi de s'affranchir de la tutelle
papale, de mieux contrôler le clergé national, et d'être empereur en son royaume. C'est le
début de la formation de l'État national qui doit compter sur un personnel dévoué et
compétent. De ce personnel, Alain Rigaudière dira :

912
J. Krynen, L'Empire du roi. Idées et croyances politiques en France XIIF-XV siècle, p 75.

324
Pétris d'une double culture juridique (droit romain et droit canonique), ils étaient
particulièrement bien préparés pour aborder l'examen des grandes affaires
administratives et politiques. Toujours très dévoués à la royauté en raison de leur
origine souvent modeste, ce n'est pas par le métier des armes qu'ils arrivent à se
hisser à ces hautes fonctions, mais grâce à leur formation universitaire. (...) Face à
l'élément traditionnel et aristocratique, ces légistes incarnent la compétence de tout
un personnel de techniciens dont l'État a de plus en plus besoin pour assurer ses
913
assises .

Nous pourrions ajouter que si l'État ne peut se passer de leur compétence, aucune
erreur ne leur sera pardonnée par une bonne part de la vieille noblesse qui supporte mal
toute ingérence du roi dans les droits qu'elle revendique au nom de la coutume et de
l'impôt du sang. La construction de l'État Moderne se fait tant de l'intérieur en prenant ou
reprenant les prérogatives seigneuriales et ecclésiastiques comme la justice, la frappe de la
monnaie, les décimes, qu'au niveau extérieur face à la papauté bien décidée à ne pas se
laisser empiéter. Comment les auteurs ont-ils perçu tant la lutte de pouvoir entre le roi et le
pape que la montée de l'influence, réelle ou supposée, des principaux conseillers de
Philippe le Bel comme Guillaume de Nogaret et surtout Enguerran de Marigny? Si Louis
IX fut malmené par Rutebeuf dans Renart le Bestourné à une période assez favorable
économiquement, on peut supposer que le règne de son petit-fils, plutôt riche en mesures
impopulaires, n'échappa pas à la critique acerbe de plusieurs auteurs qui, comme Rutebeuf
avant eux, croient que tout tourne à l'envers.

Parmi les satires les plus virulentes, on retrouve le Roman de Fauvel de Gervais du
Bus qui met en scène non pas le goupil du Roman de Renart et ses compères Ysengrin,
Tibert, Grimbert et le roi Noble, mais un cheval fauve symbole du mal et de la fourberie,
fils de l'Antéchrist, rien de moins que l'annonciateur de la fin des temps. L'auteur tire tous
azimuts sur les princes, la noblesse dévoyée, le roi et ses conseillers, les bourgeois des
Communes, le haut-clergé, les Ordres Mendiants et l'ensemble des groupes monastiques
féminins comme masculins, sans oublier le pape, surtout avignonnais.

9i?
A. Rigaudière, Introduction historique à l'étude du droit et des institutions, p. 239.

325
Seuls les plus pauvres et les clercs sans rente échappent à la vindicte de l'auteur
puisqu'ils n'ont physiquement pas accès à la corruption. Pour lui, tous torchent Fauvel, les
pauvres voudraient bien eux-aussi mais ne peuvent l'atteindre! Fauvel et son engeance
mènent le monde et ont, par leur mépris de Dieu, détruit le beau jardin de France. La
dénonciation repose à la fois sur des considérations morales assez générales comme la
dégénérescence du monde, le bestournement, les valeurs chrétiennes oubliées ou
profanées, la mauvaise conduite des différents groupes sociaux et sur des critiques plus
ciblées qui se réfèrent au contexte politique de la fin du règne de Philippe le Bel.

Nous nous attarderons plus spécifiquement aux éléments liés à la situation


politique sans écarter cependant la critique morale qui ne peut en être détachée puisqu'elle
constitue le canevas du texte. Nous traiterons aussi en parallèle les sections de la
Chronique métrique qui abordent des thèmes similaires, -contenue dans le même
manuscrit et formant selon Elisabeth Brown « un ambitieux programme de conseils au roi,
proposé par un groupe d'individus connaissant intimement les problèmes du pouvoir pour
avoir été au service des rois de France 914».

Le Roman de Fauvel est constitué de deux livres et d'extrapolations . La critique


s'entend généralement sur l'attribution du premier livre à Gervais du Bus mais les
opinions diffèrent sur la paternité du deuxième, possiblement Chaillou de Pestain, à cause
de la différence de style, de ton et parfois de propos. Nous savons que Gervais du Bus était
clerc de Chancellerie, plus précisément notaire de 1313 à 1338 selon Elisabeth Lalou ,
qu'il passa du service d'Enguerran de Marigny, dont il était le chapelain, à celui du roi. Il
connaissait donc très bien les rouages des officines de l'État. Une situation qu'il partage
avec Chaillou de Pestain et probablement avec l'auteur de la Chronique Métrique, lui aussi

914
E. A. R. Brown, «Représentation de la royauté dans les Livres de Fauvel », Représentation, pouvoir et
royauté, éd., Joël Blanchard, colloque de l'Université du Maine, mars 1994, Paris, Picard, 1995, p. 216
915
Les extrapolations, très moralistes, sont sans grand intérêt pour notre propos, nous n'y ferons par
conséquent que peu allusion.
916
É. Lalou, « La Chancellerie royale à la fin du règne de Philippe IV le Bel » Fauvel Studies : Allegory,
Chronicle, Music, and Image in Paris, Bibliothèque Nationale de France, MS français 146, éd., M. Bent &
A. Wathey, Oxford, Clarendon Press, 1998, pp. 307-319

326
notaire mais qui ne resta cependant pas aussi longtemps en poste917. Vision de l'intérieur,
au cœur même des décisions, une situation privilégiée qui n'est pas exempte, par ses
motivations personnelles et ses frustrations, de partialité. Appartenait-il comme semble le
croire Andrew Wathey aux partisans de Charles de Valois particulièrement défavorable à
Marigny?918

Gervais du Bus partageait avec bon nombre de ses contemporains cette


incompréhension teintée d'aversion face au rôle grandissant des conseillers sous Philippe
le Bel. «Ceux qui étaient le plus conscients de la situation étaient les hommes du roi. Ils
savaient au plus près comment les choses se passaient. Il est donc logique qu'ils aient
cherché par la satire à exprimer leur mécontentement, tout en s'adressant au nouveau roi,
en lui présentant des conseils, en chantant, pour adoucir le propos919». Et il s'agit bien
d'une satire mais on peut se questionner sur ses cibles et ses objectifs. Est-il question
d'une satire contre Enguerran de Marigny, contre l'ensemble des officiers royaux de petite
extraction, ou bien une satire plus globale provoquée par les modifications sociales,
particulièrement perceptibles dans l'appareil de l'État? On pourrait aussi y voir un
questionnement sur les rapports entre la monarchie française et l'Église. Cette dernière
hypothèse mettrait de l'avant toute la question du spirituel et du temporel transposée au
niveau de la royauté.

L'intrigue est en fait assez simple : le premier livre décrit l'emprise de Fauvel sur
la société, ce qu'il représente de mauvais et comment il corrompt tous les corps sociaux; le
deuxième met en scène le désir du cheval fauve, empli d'orgueil et de démesure, d'épouser
Fortune. Mais dans aucun des deux livres le personnage n'est entièrement maître de son
destin, il reste l'instrument de Fortune.
Fortune, contraire a Raison,
Le fet seignour de sa meson :
En lui essauchier met grant peine,

917
lbid., p. 315-316 On peut aussi consulter dans le même recueil, N. Freeman Regalado, «The Chronique
Métrique and the Moral Design of BN fr. 146 Feasts of Good and Evil » pp. 467-492.
918
A. Wathey, «Gerves du Bus, the Roman de Fauvel, and the Politics of the Later Capetian Court», pp. 599-
615.
919
É. Lalou, « La Chancellerie royale à la fin du règne de Philippe IV le Bel », p. 310

327
Quer el paies roial le maine;
De lui fere honoreir ne cesse.

Contrairement à Renart, on a octroyé à Fauvel son pouvoir, il ne l'a pas acquis par
ruse, encore moins par intelligence. Le cheval fauve sert un dessein divin pour éprouver
les hommes, pour illustrer, entre autres, leur perte de repères spirituels. Et, toujours en
opposition avec Renart, il échoue dans ses tentatives de contrôler Fortune, assimilée à la
providence divine (le goupil tout puissant de Renart le Nouvel s'installe au haut de sa
roue) qu'il ne réussit pas à séduire. Comme le souligne Jean-Claude Mûhlethaler :
« Fauvel est l'élément dominé dans la relation hiérarchique qui l'unit à Fortune,
destinateur (initial) exerçant un pouvoir d'autorité. (...) il n'y a dans le Roman de Fauvel
aucune performance de la part du cheval; du début à la fin du texte, Fauvel est présenté
comme un objet dont les hommes recherchent la possession afin d'assurer leur ascension
sociale ». Objet de convoitise, source de tentation qui éveille la cupidité et l'orgueil des
grands, Fauvel apparaît comme une épreuve de Dieu envers une société corrompue qui a
oublié ses commandements. Mais si l'aspect moralisateur et eschatologique ne peut être
22
sous-estimé, « en quoi le monde finera, /ou Dieu autre monde fera », le propos des livres
de Fauvel déborde cette condamnation pour toucher à des situations précises de la société
d'alors

Parmi les thèmes abordés, on retrouve le rôle des mauvais conseillers, la cupidité
des bourgeois923, l'inconduite des nobles et des clercs (parmi eux les Templiers),
l'ascension des «parvenus » aux plus hauts offices de l'État et la critique curiale dans le
deuxième livre. Gervais du Bus insiste particulièrement sur le pouvoir perdu de l'Église au
profit du monarque français. Comme Geoffroy de Paris dans la Chronique Métrique, il fait
preuve d'une forme de conservatisme socio-politique en prônant le respect le plus strict
des trois ordres. Dans la querelle entre le temporel et le spirituel, Gervais du Bus se range
résolument du coté des penseurs théocratiques. Il compare la supériorité du soleil qu'il

20
Gervais du Bus, Le Roman de Fauvel, éd., A. Langfors, Paris, Firmin, 1919, v. 23-27. p. 4
921
J-C. Miihlethaler, Fauvel au pouvoir : lire la satire médiévale, p. 44 et 45.
922
Le Roman de Fauvel, v. 325-326, p. 15
923
«Et ribaus gouvemans commune » lbid., v. 1148, p. 45

328
assimile à l'Église à la lune qui représente le pouvoir temporel. « Cette longue intervention
du narrateur-philosophe fait écho aux préoccupations exprimées dans les écrits de Gilles
de Rome et Marsile de Padoue : il s'agit aussi d'une démonstration, et les deux images
choisies (la lune et le soleil, le corps et la tête) pour prouver la supériorité de l'Église sur
l'État sont parmi les plus courantes dans la littérature théorique ou polémique du moyen
âge ~ ». Il en est donc de la volonté de Dieu depuis la création du monde que les États
soient au service de l'Église:
Aussi ordena Diex prestrise
Qu'ele fùst chief de sainte Yglise (...)
Mes a temporel seignorie
Ne donna Diex nule mestrie,
Ains vout que fust dessous prestrise,
Pour estre bras sainte Eglise, (...)
Le bras doit au chief obeïr
Et a execusion metre
Ce que le chief li veult commetre .

En un sens, la position « radicale » de Gervais du Bus s'apparente davantage à la


doctrine théocratique telle qu'élaborée par Gilles de Rome dans De ecclesiastica potestate
(1301) que la dualité des pouvoirs plus modérée de Thomas d'Aquin dans Summa
theologiae (1260-1270). Si le premier affirme que « la plénitude du pouvoir appartient au
Pontife suprême ~ » ; le second pour sa part, même s'il attribue une supériorité au pouvoir
spirituel, en limite les interventions à ce qui relève de son champ de compétence. Fauvel a
si bien œuvré que l'ordre divin s'en trouve transformé, le temporel ayant préséance sur le
spirituel :
Mes Fauvel a tant fauvelé
En son chariot roelé
Que, mal gré Ferrant et Morel927,

" J.-C. Mûhlethaler, Fauvel au pouvoir, p. 297


925
Le Roman de Fauvel, v. 441-442.445-448,452-454, p. 19
!6
Cité par M. Pacaut, La théocratie, l'Église et le pouvoir au Moyen Âge, p. 145. « (...) le pouvoir du
Pontife suprême dirige les âmes; les âmes dirigent et doivent en droit diriger les corps.., les choses
temporelles servent le corps. Par conséquent, le pouvoir sacerdotal, qui dirige les âmes, régit aussi les corps
et les choses temporelles »
27
Selon Jacqueline Cerquiglini-Toulet, le nom de Morel désignerait le cheval brun noi, donc Fauvel dans
le roman. L'association est demeurée puisqu'on l'a retrouve chez Eustache Deschamps. « Eustache
Deschamps en ses noms», Les Dictez vertueux d'Eustache Deschamps. Forme poétique et discours engagé à
1a fin du Moyen Âge, Paris, PUPS, 2005, p. 7-8.

329
La seignorie temporel,
Qui deust estre basse lune,
Est par la roe de Fortune
Souveraine de sainte Eglise .

L'auteur de la Chronique Métrique est pour sa part plus « laconique », mais son
opinion ne diffère pas sur le fond :
Mes de France le nostre roy
De ses prelaz si ordena
Que a Romme nul n'en ala.
Et quant tout ce vit Boniface,
Ne sot pas bien lors que li face,
Tant que par les religions
A fet ses amonitions
A ses prelas, comment qu'il aut,
Qu'il viengnent a lui sanz défaut,
Soit a cheval ou soit a pié.
Les pretaz n'en furent pas lié,
Qui apris ont et mons et vax
A chevauchier les graz chevax.
Mes de ce ne firent li force :
Le grain lessierent por l'escorce.
A l'apostoile contredirent
Et au roy trestouz obéirent
-La charrue devant les beus-
Com de Dieu et de leur foy creus,
Et au temporel se retindrent;
L'esperitùel déguerpirent
Et renièrent lor Seingnor,
Dont il firent lor deshonnor929.

Dans d'autres œuvres, Geoffroy de Paris « n'hésite pas à condamner Philippe le Bel
pour avoir opprimé l'Église; il donne même à entendre que le roi pourrait brûler en enfer.
Au nouveau roi, on propose en exemple, parmi d'autres, son homonyme, Saint Louis, le
conjurant d'imiter son bisaïeul et, parmi ses autres ancêtres, ceux qui respectent
l'Église930». Ni Geoffroy de Paris, ni Gervais du Bus ne défendent Boniface VIII dont

928
Le Roman de Fauvel, v. 469-475, p. 20.
!9
La Chronique Métrique attribuée à Geffroy de Paris, éd., A. Diverrès, Paris, Les Belles Lettres, 1956,
coll : « Publications de la faculté des lettres de l'université de Strasbourg, fasc : 129 », v. 216-238, p. 97
30
A. Lewis, Le sang royal. La famille capétienne et l'État, France, Xe-XIV' siècle, p. 194-95

330
l'élection semble suspecte931, mais la critique du pape, de ce pape, n'implique pas que les
auteurs nourrissaient des opinions « gallicanes ». Dans la Chronique Métrique, Boniface
VIII est comparé en premier lieu à Renart pour la malice dont il fit preuve, puis au lion,
symbole traditionnel de l'orgueil démesuré.
Si fu du tout la prophétie
Qui de lui dite fu aemplie.
C'est assavoir qu'il enterroit
Comme renart et regneroit
Comme lyon et comme chien
Mourroit. De cestui ne sai rien,
Mes bien sai que par renardie
Ot de Romme la seignorie
Quant résiner fist le preudomme
Célestin du siege de Romme.
Comme lyon ausint régna,
Car onques hommes ne daingna.
Seingnors, ce fu eel Boniface
Qui les Coulunnïeus efface
Et lor abati leurs chastiax
Et desposa de cardiniax.
Ainsi régna comme lyon,
Que droite ligne il n'alast
Por nul homme qui en paslast .

Pour Geoffroy de Paris, la faute du pape n'est pas tant de s'opposer au roi mais
d'œuvrer contre le bien de l'Église par des ambitions peu compatibles avec sa mission.
Pour sa part, Gervais du Bus voit dans l'affaiblissement de l'autorité de l'Église, sous
Clément V principalement, et le peu de respect que les nobles lui témoignent, -il accuse
d'ailleurs la noblesse de pillage « le crucefis plument et pillent »- la source de la
déchéance du monde et de sa fin prochaine. La critique est à la fois générale, la noblesse
comme le roi doivent servir l'Église, mais s'ancre aussi dans le contexte historique par
des allusions à peine voilées à la dîme et le nouveau pouvoir du roi de juger les clercs, ce
que permit la papauté qui se laissa acheter.
Il a une roy grant et forte
Qui des flourins d'or li aporte
9jl
En fait l'implication du futur Boniface VIII dans l'abdication de Célestin V était questionnée par
plusieurs.
932
La Chronique Métrique, v. 2165-2178, p. 133.
9
" Le Roman de Fauvel, v. 1075, p. 42

331
Tant que saint Peire et sa nacele
En tremble et ele chancele(...)
Le pape, pas ne celeroi,
Torche Fauvel devers le roy
Pour les joiaus qu'il lui présente,
Et a lui plere met s'entente.
De ces diesiesme lui envoie
Et des prouvendes li octroi
Par tout pour ces clers largement.
Hé las! Com mal entendement,
Que par ce voion sainte Eglise
Tributaire et en dessous mise,
Que Fauvel, qui est bien letrei,
A les diesismes empetrei
Pour le roi, par devers le pape.
Le pape n'i met pas sa chape
Ne du clergié n'est pas tuteur
Mes le roy fait exécuteur,
Si par la laiejustise
Est justisie sainte Yglise934.

Outre un désir d'autonomie des royautés et la vaste question de la préséance du


spirituel sur le temporel, le roi de France et la papauté s'opposaient alors sur trois points
bien précis : la collation des bénéfices ecclésiastiques, les juridictions laïques et
ecclésiastiques et les décimes. Dans le premier cas, il s'agit pour le roi d'un moyen de
récompenser les clercs de son entourage en leur offrant, faute de rémunérations
convenables, un évêché ou autres bénéfices. Aucun problème ne survient face à cette
pratique tant que le pape cautionne le choix du roi. Le deuxième litige est plus profond
puisqu'il touche à un des devoirs fondamentaux du roi -qui est aussi un droit-, celui de
juger. « Le progrès rapide, au cours du XIIIe siècle, des juridictions ecclésiastiques porte
naturellement préjudice au roi et aux autres justiciers laïques. Les affaires matrimoniales,
les testaments, la Croisade ont multiplié les cas où la défense de la Chrétienté et le souci
des âmes justifient les intrusions du clergé dans les affaires temporelles des laïcs ». Les
décimes - « un impôt égal au dixième du revenu net, charges d'entretien du bénéfice et du

934
lbid., v. 569-586, p. 24.
935
J. Favier, Philippe le Bel, Paris, Fayard, 1978, p. 254.

332
bénéficier déduites936 »- constituaient une mesure d'exception demandée aux clercs qui ne
pouvaient se battre pour aider au financement de la croisade. Mais la notion même de
croisade incluait un assez large éventail de situations et il devenait intéressant pour les
princes de se faire octroyer par le pape, qui seul peut l'imposer, cette aide pour des motifs
discutables aux yeux des principaux intéressés : les clercs. Le conflit ne pouvait cependant
surgir que dans l'éventualité où les intérêts du roi et ceux du pape soient divergeants, ce
qui ne manqua pas de se produire entre Philippe le Bel et Benoît Caetani, élu pape sous le
nom de Boniface VIII le 24 décembre 1294. après l'abdication de Célestin V. Mais
davantage qu'une divergence d'intérêts, ce sont des positions diamétralement opposées sur
le statut du clergé qui apparurent. Pour Boniface VIII. le clergé jouit d'une dignité qui
l'affranchit de la tutelle de l'État quelles que soient les circonstances, tandis que le roi
estime que « le clergé n'est qu'un corps au sein de la communauté du royaume, et rien ne
saurait dispenser ce corps d'assumer sa part du fardeau commun ». Ramenée à une
dimension plus économique, la querelle n'en garde pas moins son aspect « théologique ».
Ainsi pour le dominicain Jean de Paris, membre actif des « premiers publicistes français »
sous Philippe le Bel selon Jacques Krynen, « interdire au clergé de verser des subsides au
roi mainteneur de la paix, c'est ordonner à la main de refuser au corps le service qu'il
requiert ». Quelques décennies plus tard. Honoré Bouvet affirmera dans l'Arbre des
batailles, à l'opposé de Jean de Paris, que « ni les clercs, ni l'Église n'ont à payer d'impôts
pour la guerre. S'ils le faisaient, indirectement, ils répandraient le sang ». Dans la
Chronique Métrique, la question des décimes est décrite ainsi :
D'amont, d'aval, de tout entor.
Par la defaute d'un pastor
Furent les brebiz bertoldees.
Et doubles diziesmes levees
Por mettre la monnoie a point;
Mes encore ne voit on point
Que fait soit ce qui fu pramis :

9?t-
J. Favier. « Décime ». Dictionnaire du Moyen Age. p. 393
95 "
J. Favier, Philippe le Bel. p. 275
938
J. Krynen. L Empire du roi. Idées et coyances en France XllF-XV siècle, p. 98. Pour de plus amples
informations sur les positions françaises et ("utilisation d'Aristote, voir ch. II : L'avènement des publicistes,
p. 85 à 109.
9,9
Ph. Contamine, Pages d'histoire militaire médiévale (XIV-XVsiècles), p. 309.

333
Plus a perdu qui plus a mis

Et celé année, par mon esme,


Le diziesme et double diziesme
Fut pris et levé sus l'Yglise,
Mes je ne sai pas ou fu mise
La peccune qu'en fu levée 41 (...)

Si n'ont le[s] brebiz nul retour,


Car l'en fet du leu le pastor
Qui se pest, mes de la pasture
Donner aus bestes n'a il cure942.

La satire vise l'ensemble du clergé qui par complaisance envers le roi ne protège
pas ses brebis du loup, allant jusqu'à les tondre de trop près. Le pape s'incline devant le roi
que l'auteur accuse d'exaction envers l'Église et par le fait même ce premier ne joue pas
son rôle de chef de l'Église; les clercs pour leur part sont à la solde du roi :
Les queuls prelas, a dire voir,
Font au jor d'ui miex lor devoir.
Les uns, encor en parleroi,
Sont devers le conseil le roy :
As enquestes, as jugemens,
As eschiquiers, as parlemens943.

Mais le clergé ne se trouve pas uniquement coupable de mieux servir le roi que
l'Église, il fait preuve de manquement à plusieurs égards : envers les pauvres qu'il ne
secoure pas, par une conduite jugée scandaleuse et peu susceptible de donner le bon
exemple, la simonie notamment944, par l'appétit du luxe qui pousse les clercs à rechercher
les rentes et les avantages pécuniaires en se souciant assez peu de liturgie. S. Menache et J.
Horowitz estiment que : «La satire anticléricale sur fond politique s'en prend au clergé,
non pas en tant que tel, mais essentiellement pour la raison qu'il ne remplit pas les
fonctions de son ordre, tout en se mêlant de celles qui ne devraient pas le toucher ». S'il
condamne l'ensemble du clergé, à l'exception des moins bien nantis, c'est à dire le pape

940
La Chronique Métrique, v. 2235-2242, p. 134.
941
lbid., v. 3021-3025, p. 149
942
lbid., V. 3049-3053, p. 149
943
Le Roman de Fauvel, v. 635-641, p. 26-27.
944
lbid., v. 704, p. 29
94
S. Menache & J. Horowitz, « Quand le rire devient grinçant», p. 442.

334
en premier lieu et suivant dans un ordre relativement hiérarchique : les cardinaux, les
prélats, les abbés, les moines mendiants, les augustins, les religieuses, les archidiacres et
les chanoines, sans oublier les clercs officiers du royaume, Gervais du Bus a des cibles
préférées:
S'en va Fauvel, beste authentique,
Et quant li pape voit teil beste,
Sachiez qu'il li fet trop grant feste,
Et les cardonneaux moût l'ennourent
Et pour lui torchier tous aquourent.
Li vischancelier, li notares,
Audïenchiers, referendares
Metent paine d'euls efforchier
Pour Fauvel bien a point torchier.
Prelas n'espargnent mont ne val
Pour torchier cel noble cheval.
Abbeis, gens de religion
I ont trop grant devocion.
Jacobins, Cordeliers, ou estes? (...)
Augustins et nonnains et moines,
Archediacres et chanoines
Et clercs d'iglise pourveus
Sont au torchier bien esmeùs 46

L'habit ne fait vraiment pas le moine surtout lorsque le tout premier adorateur de
Fauvel, et disons-le le plus ému par sa présence, se trouve être le pape, ici Clément V : «Le
pape se siet en son siege, jadis de pierre, or est de liège; Fauvel resgarde en sa presence, a
qui l'en fet grant reverence (...) Et puis frote a Fauvel la teste en disant : « Ci a bêle
47
beste ». Mais notre auteur se défend de vouloir offenser l'Église « que ce n'est pas
m'entencion d'aleir contre l'ennour de Romme, a qui doit obeïr tout homme ». Au
contraire, il se présente un peu comme son défenseur contre le dérèglement du siècle.

Gervais du Bus décoche ses flèches plus particulièrement envers les Ordres
Mendiants, ce qui est presque devenu un lieu commun, et les Templiers qui, à l'époque de
la rédaction, ont été jugés et condamnés par le roi de France d'abord, avant que la décision

946
Le Roman de Fauvel, v. 50-63 et v. 69-72, p. 5-6.
"lbid., v. 104-108 et v. 113-114, p. 7.
948
Ibid., v. 100-102. p. 7.

335
ne soit entérinée par le pape. Pour les premiers, ce sont les habituels reproches
d'hypocrisie et d'orgueil formulés par plusieurs ménestrels949, eux dont les fondateurs
prônaient la pauvreté mais qui vivent aujourd'hui au dépens de la population, guettant les
dons des mourants, en y ajoutant toutefois les tentations de la chair auxquelles les bons
moines ne semblent pas résister:
Saint François et saint Dominique
Deus ordres commenceirent si que
Fondeies fussent sus poverte :
Sans terres et possessions
Doivent ces deus religions
Vivre humblement, c'est chose aperte.
Mes Fauvel, le roy de fallace,
Lour a fet espicial grace
Pour ce que de Placebo chantent :
Moût se painent au monde plere
Et de filles vers euls atrere,
Qui lez visitent et les hantent. (...)
Hors du monde ont mondaine cure.
L'en ne fait mes, se Diex m'ament,
Mariage ne testament,
Acort ne composition,
Que n'i vienge la corratiere,
La papelarde, séculière,
Mendiante religion950.

Avec les Templiers, la critique s'inscrit davantage dans l'actualité et fait suite à
leur procès encore frais dans les mémoires. Généralement dur envers les politiques de
Philippe le Bel, Gervais du Bus ne remet pas en question les décisions du monarque
concernant les Templiers. Il semble au contraire endosser les chefs d'accusations portés
contre eux. Ils ont trahi leur mission et par conséquent trahi l'Église, voire Dieu, et il
semble normal qu'ils aient subi un châtiment exemplaire en regard de l'offense commise.
Mais comment se surprendre quant il s'agit d'adorateurs de Fauvel par qui la faute arrive,
« Antecrist le courrier, son mesagier et son fourrier '», celui qui transforme les valeurs
chrétiennes « tiex hommes devon bestes dire, de quoy Fauvel est roy et sire. A Templier

949
Geoffroy de Paris les désigne par les termes de « losengiers et lobeeurs » v 720, p. 106 et plus loin
« mercenniers sont, non pas pastours » v. 740.
950
Le Roman de Fauvel, v. 849-860 et v. 878-884, p. 34,35 et 36.
951
lbid., v. 3109-3119, p. 111

336
herege equippole/ cil de Fauvel fait ydole ». La charge est assez lourde : idolâtres,
hérétiques, sodomites, fraudeurs, n'ayant pas défendu les Chrétiens en Orient, préférant
accumuler rentes et possessions, en tout point les accusations portés par le roi et
Guillaume de Nogaret. Une bonne partie de leur patrimoine foncier, qui n'était pas
négligeable, provenait de donations : celles des princes qui voulaient financer les
expéditions en Terre Sainte ou la création de maisons-Dieu pour les pèlerins, celles des
marchands notamment qui souhaitent obtenir le salut de leur âme. À ce propos, Alain
Dumerger souligne que: «Les templiers passaient pour riches (...) Les templiers
possédaient de nombreuses maisons et des domaines considérables. Mais les inventaires
faits au moment de leur arrestation n'ont révélé aucun luxe ostentatoire. Peu importe! Les
templiers étaient vraiment riches, et leur richesse était visible car elle était mobile953».
Une réputation de cupidité s'installa rapidement, aggravée par les conflits qui ne
manquèrent pas de surgir avec les monarchies sur des questions de privilèges. Leur
position en Orient n'était guère plus confortable, ils devaient tenir compte de la dynamique
particulière de la région que méconnaissaient les seigneurs occidentaux : les alliances avec
les émirs de la région, les relations troubles entretenues avec Byzance, surtout après la
quatrième croisade, les ambitions des familles rivales, les « poulains » comme les
Occidentaux, en Méditerranée orientale954. La croisade s'enlisant, ou se détournant de ses
objectifs, les États d'Orient tombant les uns après les autres, dont Acre en 1291, la
pertinence même d'un ordre de moines-guerriers fut remise en doute, particulièrement
parmi le clergé séculier dont l'hostilité se renforçait au moindre échec militaire, « on en
arrive très vite à leur reprocher d'être infidèles à leur mission, de répugner à combattre en
Orient955 ». C'est par une complainte de l'Église que l'auteur exprime la déception que
causèrent les Templiers :
Li Templier que je tant amoie
Et que tant honorés avoie
M'ont fait despit et vilanie.
Mon chier espos ont renie,
Qui pour eulz fu crucefïé, (...)

952
lbid., V. 277-280, p. 13.
953
A. Demurger, Vie et mort de l'ordre du Temple, Paris, Seuil, 1985, p. 139
954
lbid., cf: 183-194
955
lbid, p. 218

337
Le signe de la crois portoient :
De la crestïenté dévoient
Estre maintiens et champions.
Pour ce moût honoureis estoient,
Essauciés partout et avoient
Rentes et grans possessions. (...)
Las! or sont devenuz hereges.
Et pecheeurs contre nature. (...)
Entre'eus avoient fait une ordre
Si horrible, si vil, si orde
Que c'est grant hideur a le dire :
Tantost com aucun recevoient,
Renier Dieu tost li fesoient,
Jhesucrit et la croiz despire,
A cracher dessus commandoient.
L'un l'autre derrière baisoient
Moult avoient ors estatuz 56.

Et l'auteur de conclure qu'ils seront pour cela tous damnés et ont assez longtemps
contaminé la chrétienté. Il poursuit en soulignant que Louis IX et Charles d'Anjou937 les
soupçonnaient depuis un certain temps, mais qu'aucun roi jusqu'à Philippe le Bel ne put
accumuler suffisamment de preuvs contre eux pour obtenir leur condamnation. La réalité
est évidemment plus complexe. En 1306, à partir de rumeurs qui circulaient, et dont
avaient été informé Jacques II d'Aragon sans y donner suite, des conseillers de Philippe le
Bel ouvrent le dossier et une enquête débute sous la responsabilité de Guillaume de
Nogaret. En 1307, le pape Clément V ordonne à son tour une enquête laissant les choses
traîner en longueur, mais le roi en a décidé autrement et scelle le sort des Templiers. Les
arrestations suivent et, sous la torture, les aveux confirment les chefs d'accusations. Les
chroniqueurs et les clercs de l'entourage royal ne remettront pas, ou peu, en question la
validité des aveux faits sous la torture, les Templiers avaient avoué, ils étaient par
conséquent coupables et devaient être punis. Certaines positions sont cependant plus
nuancées comme celle de Geoffroy de Paris qui, tout en rapportant l'opinion populaire
défavorable aux membres de l'ordre, admet qu'il ne peut pour sa part se
prononcer catégoriquement : « aussi les Templiers a il fet, car il s'estoient trop meffet, si

56
Le Roman de Fauvel, v. 948-52, p. 38; v. 957-62; v. 967-68, p. 39 et v. 975-983.
95 7
lbid., v. 999-1010, p. 40
comme assez de genz le dïent; mes je ne sai se il mesdïent ». Au-delà des charges de
l'accusation, c'est une question de pouvoir concurrent à l'intérieur des frontières du
royaume qui se posait au roi et à son administration. Alain Demurger indique que
« l'attitude des monarchies centralisées, malgré des nuances, est la même. Philippe le Bel
avait osé s'en prendre, par la violence, à Boniface VIII; il était le mieux placé pour s'en
prendre, avec la même violence, aux instruments potentiels de la papauté, les ordres
militaires939».

Gervais du Bus rend grâce au roi de France, une des rares fois où il ne le critique
pas, d'avoir agi avec célérité là où ses prédécesseurs restèrent impuissants : « Diex, qui en
veut faire venjance, a fait grant grace au roi de France de ce qu'il l'a aperceu960». Mais le
répit resta de courte durée et l'auteur reprit ces protestations, sous le couvert du règne de
Fauvel, sur les malheurs de la France, les politiques royales inadmissibles. F inconduite des
nobles ' qui suit de près celle des clercs et tout ce qui ne vas plus dans le beau royaume
de la fleur de lis. Il est assez peu probable que Gervais du Bus défende la position de
Charles de Valois qui faisait reposer la totalité du blâme sur Marigny et estimait que les
droits de la noblesse avaient été bafoués par le conseiller. Les attaques de Gervais du Bus
contre la noblesse -« les seignours plains de tricherie 96~»- ne sont pas moins virulentes
qu'envers les officiers de l'État de plus petite extraction. On pourrait même y voir une
remise en question des privilèges nobiliaires. Selon l'auteur, aucune considération ne
justifie les avantages concédés aux nobles du royaume puisque ces derniers ne remplissent
pas leurs devoirs. Comme Fauvel qu'ils honorent, ils sont l'image même de la fausseté.
Eux qui doivent représenter la « gentillece » ne font que « vilanie ».
Dedens le ventre de lour meire :
I ourent il point d'avantage
Plus que gens de petit lignage? (...)
Tous summes neiz d'une semence.
Si qu'il n'a point de difference

95J
La Chronique Métrique, v. 3475-3478, p. 157
959
A. Demurger, Vie et mort de I ordre du Temple, p. 268.
960
Le Roman de Fauvel, v. 993-995. p. 40
961
lbid., v. 1623-1642. p. 62-63 (deuxième livre). Les nobles qui devraient être sur les champs de bataille ou
défendre l'Église ne pensent qu'à leurs rentes, oubliant les devoirs de leur ordre.
962
lbid., v. 1146. p 45.

539
Entre vilain et gentil homme :
Tous summes d'Eve et d'Adan neis,
Et tous fusmes a mort dampneis
Pour ce qu'il mordrent de la pomme. (...)
C'est Fauvel qui trestout bestorne :
Gentis fet vilainz et retorne
Vilains a meneir gentillece;
Les gentis, neis de boen lignage,
Fait orguellous et plains d'outrage,
Si qu'il en perdent lour noblece .

La position est assez proche de celle de Raymond Lulle : «on lui fournit un cheval
-la plus noble bête à l'homme le plus noble- et des armes. C'est donc à une haute
mission qu'est appelé l'ordre de chevalerie. (...) Sa fonction première est de « maintenir
et de défendre la sainte foi catholique » par les armes, comme les clercs le font par la
parole 964 ». La noblesse est davantage une qualité qui implique d'abord et avant tout des
devoirs, principalement envers l'Église, qu'un droit héréditaire. Devoir de justice «n'i a
mes roy ne duc ne conte qui ne soit bestorne a honte. Bien se devraient esmaier, que il ne
font droit de justice : trestoute lor entente ont mise a acroire sans riens paier965 »; comme
devoir de protection de l'Église « et chevaliers heent l'Yglise ». L'éditeur de Fauvel,
Arthur Langfors, le résume ainsi : «les nobles méprisent les autres (1082), oubliant que
tous les hommes sont égaux et que, pas plus que les vilains, ils ne sont sortis à cheval du
ventre de leur mère (1103)967 ». La même considération s'applique à la fortune, « richece
est par labour aquise 968». Plus que le thème fréquemment exploité par les clercs de
l'égalité devant la mort, l'auteur amène celui d'une égalité dans la conception de
l'homme, surtout dans le péché originel.

Si Gervais du Bus ne ménage pas la noblesse d'épée, -on peut aussi inclure dans la
dénonciation l'allusion à Ferrand de Portugal969,- cela n'implique en aucun cas une

963
lbid, V. 1097-1099, p. 43; V. 1107-1112 et V. 119-1124, p. 44.
964
Cité par J. Flori, Chevaliers et chevalerie au Moyen Âge, p. 217
965
Le Roman de Fauvel, v. 1063-1070, p. 42
966
lbid, v. 1134, p. 45
67
A. Langfors, introduction de l'édition du Roman de Fauvel, p. VI.
968
Le Roman de Fauvel, v. 2631, p. 95.
969
Mes Fauvel a tant fauvelé

340
position favorable à la bourgeoisie. Pas davantage que les grands seigneurs, les hommes
de petits lignages ou provenant de la bourgeoisie ne trouvent grâce à ses yeux. Pour lui,
seuls les clercs sont aptes à conseiller le prince. Ce qui nous amène à la question de
l'identification de Fauvel. Si l'idée d'assimiler le cheval du roman à un personnage bien
en vue durant le règne de Philippe le Bel est assez séduisante, Enguerran de Marigny
étant le plus souvent cité970, il demeure hasardeux de réduire ce symbole de la convoitise
à des individus. Fauvel représente l'orgueil, l'appât du gain, l'ambition effrénée et la
démesure, ce qui en effet pourrait s'appliquer à l'ascension de certains conseillers
comme Marigny. mais encore avant lui Pierre de La Brosse, Pierre Flote ou même
Guillaume de Nogaret. Que les destinataires du Roman de Fauvel et ses lecteurs
potentiels aient songé à Enguerran de Marigny est fort probable puisque Gervais du Bus
rédigea son œuvre peu de temps après l'exécution de l'ancien chambellan assez
largement détesté comme en témoignent les textes contemporains. Pour Jean Favier, il
est évident que « Marigny était [donc] impopulaire en raison de son rôle financier, des
impôts qu'il avait fait lever, des mutations monétaires qu'on lui imputait. Le petit peuple
lui reprochait également son immense pouvoir qu'il considérait comme d'origine
diabolique. Quant à la noblesse, c'est à son ambition, son caractère de parvenu, à son
crédit qu'elle jugeait immérité et contraire aux usages, qu'elle s'en prenait '». Compte
tenu de la fin brutale d"Enguerran de Marigny. il n'y a rien de surprenant à ce que
Gênais du Bus comme Geoffroy de Paris s'inspirent du personnage. Marigny fut accusé
de mal conseiller le roi. voire de trahison972, d'avoir imposé des mesures immorales, de
ne penser qu'à ses ambitions personnelles au détriment du royaume et même d'avoir
empoisonné Philippe le Bel. De plus, l'influence du chambellan contrariait les aspirations

Et son chariot roelé


Que. mal gré Ferrant et Morel. Ibid, v. 469-471, p. 20.
70
C'est l'opinion de J. Favier (Un conseiller de Philippe le Bel : Enguerran de Marigny). d'E. Lalou (« La
Chancellerie royale à la fin du règne de Philippe IV le Bel »). de M. Vale (« The Wold of the Coûts »), et
d'A. Wathey (« Gervès du Bus. the Roman de Fauvel. and the Politics of the Later Capétien Court » mais pas
celle d'E. Brown et de J.-C. Miihlethaler (« Discours du narrateur, discours de Fortune : les enjeux d'un
changement de point de vue »; Fau\el au powoir : lire la satire médiévale) qui en fait une interprétation
plus allégorique qui. si elle n'exclut pas le conseiller déchu de Philippe le Bel dans le personnage de Fauvel.
considère la dénonciation plus large.
971
J. Favier. Un conseiller de Philippe le Bel. p. 199
972
Jean de Saint-Victor, Jean de Condé, Geoffroi de Paris, Jean l'Épicier de Troyes cités par Jean Favier,
lbid. p. 195-199.

341
de Charles de Valois. Contrairement à la Chronique Métrique, le nom de Marigny
n'apparaît pas dans le Roman de Fauvel mais si on considère les proches relations
qu'entretenaient l'auteur et son « ancien patron », il ne peut avoir été exclu de la satire.
Voyons comment Fauvel présente à son Conseil son désir d'épouser Fortune, dans le
deuxième livre :
Je suy au jour d'uy roy et sire
Et du royaume et de l'empire.
Tout le monde veez beer
A moy servir et conreer :
N'y a prélat ne clerc ne prestre
Qui ne vueille bien a moi estre,
Et tuit ly prince temporel
Torchent miex Fauvel que Morel.
Pou veez qui ait bonne robe
S'il ne m'estrille ou torche ou lobe. (...)
Mes ennemis sont hors boutez,
Et mes amis fors et doutez. t
Je bestourné tout a ma guise
Le monde, qui moult m'aime et prise .

Dans le palais de Fauvel, on retrouve tout ce qui représente le dérèglement, la


fausseté dont font partie les conseillers mais ces derniers sont en assez bonne compagnie
puisque la corruption est généralisée. On pourrait retrouver Enguerran de Marigny dans le
passage sur la fausse monnaie :
Dedens estoit paint richement
Le dit palaiz et cointement
De synjoz et de renardeaux
Contrefaiz, a petis hardeaux,
A tricherrez et a bouleurs,
A advocas et a plaideurs,
A faux jugez, faux conseilleurs,
Faux tesmoings, faux raporteeurs,
Faux hosteliers, faux conteeurs,
Faux seigneurs et faux flateeurs;
Toutes monnoie de baras
,. . 974
Y estoit painte a grant haras

73
Le Roman de Fauvel, v. 1683-1692 et v. 1709-1712, p. 64-65.
974
lbid., v. 1333-1344, p. 52-53.

342
Pour sa part, Geoffroy de Paris est beaucoup plus direct, relatant la comparaison faite alors
par la population entre le chambellan, que l'on amène au gibet, et Renart :
Fu il, après lui mainte gent
Qui touz l'aloient agrègent.
Touz celz qui après lui venoient
Que plus mains li maudisoient
Et disoient : « Avant, Renart,
Honte te doint saint Lïenart!
Ton barat et ta tricherie
A touz nous a tolu la vie.
L'avoir du rëaume as emblé »
Au boys furent assemblé
Por Engerran, roy, dus et conte

Cette attribution n'est pas uniquement réservée à Marigny, puisque l'auteur fait
plus loin référence à Renart dans le contexte d'une enquête sur les exactions des officiers
royaux à la fin de l'année 1315.
Au roy Loys, en celé année,
Fut mainte complainte aportee
Sus les griez et sus les meffez
Que ses sergenz avoient fez;
Et lous estoient, non pastours.
Por ce envoia ses enquestours
Por savoir en la vérité
Et fere en droit et équité.
Sa poinne bien i emploia
Quant partout il les envoia
Por connoistre sus usuriers,
Sus touz torfaiz et sus touz griez.
Quatre enquesteurs dedens Roen
Furent envoie en cel an;
Tant porchacierent et enquirent
Que deuz en cel an en pandirent,
Jennot le portier et Renart,
Qui joolier fut de mal art

Comme Fauvel. Marigny représente l'ambition, l'orgueil de celui qui s'élève au


dessus de sa condition. Dans le premier cas, le cheval échoue et ne peut s'unir qu'à Vaine
Gloire, union moquée et même contestée par le charivari, dans le deuxième cas. la disgrâce

75
La Chronique Métrique, v. 6983-6993, p. 222-223.
976
lbid, v. 7561-7579, p. 233.

343
puis la mort attendent le chambellan du roi dès qu'il perd son protecteur. Si certains
contemporains du conseiller déchu pouvaient lui attribuer les mesures impopulaires de la
fin du règne de Philippe le Bel, on voit mal comment son influence aurait été telle qu'il
puisse contrôler l'ensemble du clergé, incluant le pape et causer la chute des Templiers et
du bestournement général du monde. C'est beaucoup pour un seul homme et encore plus
surprenant venant de la part de son ancien chapelain qui devait bien connaître les limites
de son pouvoir. Ni la question de la juridiction ecclésiastique, ni les décimes, encore
moins l'affaire des Templiers ne relevaient de Marigny, un membre de la chancellerie
royale ne pouvait s'y tromper. En survivant à celui qui l'avait en sorte créé, Philippe le
Bel, il devenait la cible idéale de la vindicte populaire et l'exemple parfait du parvenu. À
la suite d'Elizabeth Brown, on peut considérer que « Fauvel, le roi des hommes devenus
bêtes, n'était pas l'incarnation d'Enguerran de Marigny, c'était le puissant et ambitieux
Q77

Enguerran qui incarnait les traits détestables de Fauvel et de ses disciples ». Et comme
Fauvel n'est pas sujet de l'action, mais objet de convoitise, la satire sociale et politique se
double d'une dimension didactique non négligeable. Il importe de montrer aux nouveaux
rois, Louis le Hutin puis Philippe le Long, les ravages que causèrent la perte de repères
religieux et le non respect de l'ordre traditionnel sous le règne de leur père, ce qui laissa
toute la place à l'ambition et à l'orgueil des conseillers laïcs comme des clercs dévoyés. Le
prince a le devoir de faire régner le bon droit à l'intérieur de sa cour et la dénonciation
« se lit soit comme un appel à combattre le désordre ambiant, soit comme ue mise en garde
contre les dérives possibles du pouvoir, si le prince se laisse entraîner sur la pente de la
tyrannie 978». L'auteur semble cependant peu optimiste :
Car Fauvel chascun jour engendre
En tous païs Fauveaux nouveaux,
Qui sont trop pires que louveaux.
Tant est son lignage creu
Qu'onquez si grant ne fu veû :
Bien s'est en cest monde avanciez
Et a partout les siens lanciez. (...)
Hé las! France, com ta beauté
Va au jour d'ui a grant ruine
Par la mesnie fauveline,
977
E. Brown, « Représentation de la royauté dans les Livres de Fauvel », p. 225.
78
J. Blanchard et J.-C. Miihlethaler, Écriture et pouvoir à l'aube des temps moderne, p. 63

344
Qui en tout mal met ses delis
Hurtee ont si la flour de lis
Fauvel et sa mesnie ensemble
Qu'elle chancelé toute et tremble .

Satire de la fin du règne de Philippe le Bel qui tient sous son joug le pape et qui ne
peut « protéger son troupeau 980», mais aussi critique de la cour parisienne parfaitement
identifiée dans l'extrapolation du deuxième livre -« entre deus braz d'une riviere981 » qui
met en scène les noces de Fauvel et de Vaine Gloire. C'est dans la « ville la plus riche du
monde » que Fauvel tient sa nouvelle cour et c'est « de Saint Germain en une plainne »
que le combat des vices et des vertus a lieu, thème du tournois pour célébrer la noce. Le
thème n'est pas nouveau en soi, « la cour, le favori se chargent alors des péchés qui
transposent les récriminations contre un exercice plus centralisé du pouvoir 983» Ici, Fauvel
a usurpé la fonction royale. Interdite aux Vertus, sa cour devient celle d'un mauvais roi,
voire même d'un tyran 4.

Gervais du Bus, de même que Chaillou de Preslain, si on admet qu'il soit l'auteur
des extrapolations, et Geoffroy de Paris illustrent une position conservatrice autant au
niveau social religieux que politique. Ils n'ont pas de mots assez durs pour vilipender
F inconduite du clergé, critiquer les nouveautés introduites par ces officiers de l'État que
sont les juristes dont l'influence grandissait sous Philippe le Bel, maudire l'assension des
parvenus dont Enguerran de Marigny représentait l'exemple type. Nostalgiques d'un âge
d'or qu'ils croient avoir connu comme membres de la Chancellerie, tous deux (ou tous
trois) se réfèrent à Saint Louis comme modèle du prince idéal. Pour Gervais du Bus, « la
cour de Fauvel est un corps étranger dans le royaume aussi bien que dans l'univers. Il faut
nor

qu'il disparaisse, car l'ordre voulu par Dieu et la nature doit être rétabli " ». Geoffroy de
Paris exprime sensiblement la même vision dans la Chronique Métrique et témoigne d'un
profond pessimisme face à une société politique qui heurte ses valeurs, ne respecte plus

979
Le Roman de Fauvel, v. 3220-3226, p. 115 et v. 3254-3260, p. 116-117.
980
E. Brown, « Représentation de la royauté dans les Livres de Fauvel », p. 227.
981
Le Roman de Fauvel, extrapolation du second livre, v. 12, p. 146.
982
lbid., v. 815, p. 168.
983
O. Guyotjeannin, « 1060-1285 » Le Moyen Âge. Le roi, l'Église, les grands, le peuple 481-1514, p. 318
984
J. Blanchard et J.-C. Muhlethaler, Écriture et pouvoir à l'aube des temps moderne, p. 62-70.

345
l'Église et permet à des félons hypocrites de gravir les échelons du pouvoir jusqu'à
influencer les décisions du roi pour le plus grand malheur de la patrie. Ce thème du pays
menacé et meurtri va connaître une fortune considérable vers le milieu du XIVe siècle,
actualisé par la guerre, les révoltes et les graves crises socio-économiques qui secouaient la
période.

2. De Jean le Bon et à Charles V dans Les Livres du roy Modus et de la royne Ratio
d'Henri de Ferrières.

Les courts règnes des fils du dernier capétien direct n'ont pas donné lieu à une
littérature animalière connue, à l'exception de la première rédaction du volumineux Renart
le Contrefait que nous rattachons culturellement à la Flandre, ce qui en soi n'a rien
d'étonnant. Nous n'en avons pas davantage pour celui de Philippe de Valois dont la
« nomination » par les pairs de France fut pourtant assez contestée, malgré la légende
historiographique qui se construisit après coup pour donner l'illusion de l'unanimité986.
Mais on peut supposer qu'une fois le déclenchement du conflit avec l'Angleterre, ce qui
deviendra la guerre de Cent Ans, les énergies se mobilisèrent sur d'autres terrains et la
critique du prince, que ce dernier soit réellement apprécié ou non, ne figurait plus à l'ordre
du jour. Cependant, malgré la revendication de la couronne française par les rois anglais,
donc la poursuite de la guerre, le désir de « conseiller » le roi tout en mettant en doute ses
décisions reprit ses droits. C'est à Henri de Ferrières, noble normand, que l'on doit le
premier ensemble contemporain des règnes de Jean le Bon et Charles V, entre 1354 et
1377. L'attribution reste cependant incertaine et il est possible, comme le soutient Jean
Batany, «que le seigneur respecté dont le nom encadre l'autre, même s'il a dicté lui-même
tous les chapitres précisant les techniques de chasse, n'a eu sans doute qu'un rôle de
garantie supérieure pour des développements moraux essentiellement rédigés par un de ses
clercs987». Nous savons cependant, puisqu'il y fait allusion, que Ferrières fut le témoin

985
lbid, p. 68.
86
Cf : Ph. Contamine, Le Moyen Âge. Le roi, l'Église, les grands, le peuple 481-1514, p. 383.
87
J. Batany, « Les débats des trois états et l'ombre du prince dans le Songe de Pestilence », Représentation,
pouvoir et royauté, actes du colloque de l'Université de Louvain, 1994, Paris, Picard, 1995, p. 132

346
plus ou moins direct d'événements particulièrement troublants : la grande peste de 1347, la
bataille de Poitiers de 1356 qui se solda par la capture du roi Jean le Bon, la Jacquerie
(1358), l'émeute parisienne d'Etienne Marcel et, plus positivement d'un point de vue
français, la reprise du pouvoir par Charles V avec l'aide militaire de Du Guesclin,
campagnes en Poitou, Saintonge et Guyenne de 1371 à 1373, réédition de La Rochelle,
expédition en Bretagne contre le duc de Montfort, allié des Anglais, en 1373988.

Le roman comprend deux livres qui en quelque sorte se répondent : le Livre des
déduis et le Songe de Pestilence. L'auteur affirme en préambule «que c'est la peste noire
qui l'a décidé à se mettre à écrire le Livre des déduis ». Puis après avoir fait copier son
premier livre, il s'attèle à la rédaction du deuxième, le Songe de Pestilence, allégorique,
dédié à Charles V, mais développant les mêmes thèmes : la lutte entre les vices et les
vertus, la désobéissance et l'inconduite de la jeunesse, le respect envers l'Église et enfin, la
moralité des princes dont tout dépend :
Roy, regardés a mes premissez
Comment, pour la cause des vices,
Vo (stre) roialme fu a tourment

Dans le Livre des déduis9 ', Ferrières introduit les concordances, expliquées par la
reine Ratio, entre le comportement des hommes et celui des animaux qu'il divise en deux
grandes catégories : les bêtes douces et les bêtes puantes. Les premières sont ainsi
nommées parce que n'émanent d'elles aucune mauvaise odeur, ce qui est un attribut de la
sainteté. De même, leur poil est de couleur « aimable » et elles ne mordent pas. On trouve
dans ce premier groupe : le cerf, la biche, le daim, le chevreuil et le lièvre. Par conséquent,
leur bonne nature les associe aux bonnes gens qui ont déjà régné, aux preud'hommes du
temps jadis et visiblement révolu.

"SS
Cf : G. Tilander, Les livres du Roy Modus et de la Royne Ratio d'Henri de Ferrières. introduction, p. XLIV
aXLX.
989
lbid., p. XLVII
990
Le Songe de Pestilence, v. 25-27, p. 221-22.
991
Qui reprend le titre du livre de chasse composé par Gace de la Buigne

347
Premier en tête des vertus, le cerf représente à la fois la figure christique, thème
assez usité, comme l'illustre la légende de saint Eustache et plus globalement l'Église.
Ses bois figurent comme les doigts de la main du prêtre qui répand les commandements
de quoi la loi et la foi dépendent. Il est aussi le symbole de la « noblesse naturelle du
clergé », le premier ordre, «et de celle noblesce souvenoit bien aus bons preudes hommes
du bon temps, qui se tenoient netement, chastement, et gardoient les commandemens de
Dieu et les avoient en teste, tant clercs comme lais992». Pour leur part, les cornes du daim
et du chevreuil représentent les couronnes que portent les empereurs, les rois et toute la
noblesse, donc le deuxième ordre qui a comme devoir fondamental de défendre l'Église.
Ils occupent une position subalterne par rapport au cerf autant au niveau technique,
puisqu'ils « se courent avec moins de chiens », qu'au niveau du symbolisme social
puisque « les nobles se différencient surtout des gens d'Église par leur rang inférieur dans
la société ». L'auteur respecte parfaitement la division traditionnelle de la société et
adhère à l'idéologie du Miles Christi mais en soulignant que cet ordre parfait n'existe plus
sans préciser toutefois depuis combien de temps.
car qui voudrait corroumpre nostre foi, F estât noble se doit exposser a mourir pour
la garder et soustenir. Et ainssi le fesoient les nobles du bon temps, et estoit par
eulz justice gardée, et corrugeoient les gens qui disoient flabes de Dieu et
soustenoient les gens de bonne vie et heoient les foies contenanches et mauves
estas, et pour ce estoient apellez chevaliers de l'église, et yceulz gardoient bien les
commandemens de Dieu 9 .

Considérés plus faibles, la biche et le lièvre sont assimilés au tiers état , ici
clairement les paysans, sans que les bourgeois ne soient mentionnés. La logique
comparative se poursuit avec les cinq bêtes puantes : le sanglier, pourtant un gibier estimé
et considéré comme noble, image utilisée de manière plus neutre par Philippe de Mézières

Le Livre des déduis, I. 71-75, p. 142.


" J. Batany, « Animalité et typologie sociale : quelques parallèles médiévaux », Épopée animale, fable et
fabliau, p. 46.
994
Le Livre des déduis, I. 102-110, p. 143.
5
Batany suppose, sans l'affirmer de manière catégorique, qu'il s'agit du « plus ancien exemple de
l'expression « tiers estât », appelée à un si riche avenir » qu'on ne retrouverait ensuite qu'en 1429 dans le
Lai de Guerre de Pierre Nesson, « Les débats des trois états et l'ombre du prince dans le Songe de
Pestilence», p. 134-135.

348
dans le Songe du Vieil Pèlerin, 1387-89996, la truie, on suppose la femelle du sanglier, le
loup, le renard et la loutre. De la gueule du sanglier sortent les dix commandements de
l'Antéchrist et, par sa couleur sombre, il figure le pécheur égaré de la lumière divine
comme « moult de gens qui régnent au temps present, car leur penssees tesretres ocupent
007

les lumières esperitueles » De plus, il est félon, colérique, querelleur et orgueilleux, les
tares généralement reprochées à la noblesse avec le goût des mondanités, attribut de la
truie.

Concernant Renart, il s'agit bien du personnage diabolisé, la bête la plus malicieuse


du monde, le grand séducteur. Nous sommes loin de la chasse ici et si Ferrières estime
que tous entrent dans les desseins du goupil, les avocats des cours laïques comme
ecclésiastiques y sont particulièrement sensibles. De là à affirmer que la justice est
corrompue, il n'y a qu'un pas:
Renart de sa nature et condicion est dechevant, plain de malice, engeneus,
couveteus, rapineus, parfait en toute mauvestié. Renart a par tout le monde trainee
sa queue. Ses condicions ont esté et sont si plesans au monde que les plus de gens
usent de sa doctrine. Je croi qu'il a esté lecteur es ordres des trois estas; quer clercs,
nobles, gens de labour usent de sa doctrine; je ne di pas tous, mes le plus. Advocas
de court d'iglise et de court laie sont parfais en la sianche Renart et en lisent tous
les jours en ordinaire. Et combien que offises reaulz et cathedraus aient esté
gouvernées par la doutrine Renart9 .

Pour sa part, la loutre qui vit entre deux eaux est comparée aux flatteurs, aux
losengiers qui soutirent le bien de leurs seigneurs par flatterie et mensonge. Ce sont des
parvenus qui abusent de leur position, comme Enguerran de Marigny? La loutre comme
Renart veulent avoir « office real » pour accroître leur fortune respective en profitant d'une
situation d'autorité permettant de tenir à l'écart les concurrents - ferons des autres nos
sergents- puis d'abuser des plus faibles.
Nous seron riches et aeses par dessus tous autres et aron office, laquelle nous
appartient, sus laquelle office nul ne reverra ne ne nous reprendra quelque chose

16
À une période où la paix semblait possible, Philippe de Mézières qualifie de «jeune blanc sanglier
couronné » Richard II d'Angleterre. Cf. Ph. Contamine, Pages d'histoire militaire médiévale, p. 290.
997
Le Livre des déduis, I. 6-8. p. 146
998
lbid, 1.26-37, p. 152.

349
que nous fachon (...) Et ainssi nous aron des amendes et des presens et aron char et
poisson a planté, et vaudron a cheulz qui feront presenz et nuiron aus autres999.

Intéressée, la loutre se demande comment Renart compte s'y prendre pour obtenir
cet avantageux office : « Ha, dist Renart, il n'est riens que l'en ne fâche par comperes et
par commères, nous sommes tant de la frarie Saint Fausset que il ne peut que vostre
besoigne ne soit faite, et si n'a seigneur u monde qui n'ait entour li de mes amis et qui
usent de ma douctrine1000 ». Dans l'épisode, les bêtes rivales (pour la nourriture), tant en
milieu aquatique que terrestre, sont nommées des sergents, ce qui leur donne le pouvoir
d'empêcher les autres d'entrer dans le bois ou sinon, à l'inverse, de les y pousser pour
confisquer les prises « les prendra comme forfaiz1001 ». On peut supposer que l'allusion
vise la corruption des agents royaux, un thème que l'on retrouve assez fréquemment sous
la plume de plusieurs autres.

Dans le Songe de Pestilence, l'auteur prend ses distances avec le mode comparatif
utilisé dans le premier livre pour s'inscrire plus nettement dans la tendance allégorique
renforçant ainsi l'aspect moralisateur. La période est particulièrement propice à cette
forme puisque qu'on retrouve, selon Christiane Marchello-Nizia, en moins d'un demi-
siècle, une bonne douzaine d'ouvrages important utilisant ce procédé . Le narrateur, un
clerc qui a trouvé dans un livre ancien une prophétie, demande à Modus le sens de son
songe qui annonce la peste, dont il ne décrit pas les ravages mais qui s'inscrit dans un
schéma symbolique plus large, et les guerres. Elisabeth Chardonnier souligne que :
« Percevoir l'épidémie comme une punition n'est pas chose nouvelle; mais elle se présente
ici de façon exceptionnelle comme la conséquence d'un conflit qui se déroule dans l'Autre

999
lbid, 1. 85-88, p. 155 et 1. 100-103, p. 156.
1000
lbid, 1. 108-113, p. 156.
1001
lbid., 1.99-100, p. 156.
1002
Songe du Vergier, Songe du Vieil Pèlerin de Philippe de Mézières, l'Apparition de Maistre Jehan de
Meun d'Honoré Bonet, la Paix Christine de Christine de Pizan, le Songe véritable et le Quadrilogue invectif
d'Alain Chartier. Cf. Ch. Marchello-Nizia, «Entre l'histoire et la politique, le « songe politique », Moyen
Âge flambloyant XIV e-XV e siècles, Revue des Sciences humaines, Lille, p. 40 Ajoutons le Songe d'enfer de
Raoul de Houdenc et comme le procédé n'est pas unique à la France, on peut ajouter à cette liste, pour
l'Angleterre, fin du XIlT-début du XIV e siècle : Song on the Corruptions of the Times (sur le règne d'Henri
III) , Song on the venality of the Judges, Song Against the King's Taxes, Song of the peace with England,

350
Monde. Ainsi est expliquée la Grande Peste, ainsi aussi les batailles et les revers du
royaume de France1003». Mais le Songe concerne plus directement la dynastie des rois de
France, des derniers capétiens jusqu'au règne de Charles V, destinataire de l'ouvrage.
Avant d'introduire sa prophétie politique, Henri de Ferrières se penche sur les désordres
du monde, passant en revue l'inconduite des membres des trois états. Pour Bernard
Ribemont, il s'agit «de condamner les vices et de constater avec amertume que les
hommes n'obéissent plus aux vertus que Dieu avaient dépêchées auprès d'eux pour les
guider vers le salut (...) Chaque ordre est observé de près par des « comités d'évaluation»,
dont le bilan est particulièrement négatif pour les gens du monde, à l'exception des plus
1004
pauvres ».

Dans la section du Songe de Pestilence, Comment Sapience da chiex les relegieus


soi enfourmer, les allusions à Fauvel1 5
prouvent que l'auteur connaissait le roman de
Gervais du Bus et comme ce dernier, il critique le service que les clercs offrent à l'État
plutôt qu'à l'Église :
Et aussi fist il chiez les prelas et chieux les avocas et chiez les prestres séculiers,
quer il trouva la greigneur partie du clergié qui estoient plus soummis au
gouvernement du monde que au gouvernement esperituel '

Chez les princes et plus particulièrement à l'hôtel d'un grand prince, qui n'est pas
nommé. Prudence trouva Orgueil (qui fait office de huissier), Convoitise, Usure, Vaine

Song on the Scottish Wars, The Song of the Welsh, Song of the Husbandman, cités par S. Menache et J.
Horowitz, « Quand le rire devient grinçant : la satire politique aux XIIIe et XIVe siècles », p. 437-463.
93
É. Charbonnier, «Le thème du jugement dans la fable et quelques avant-textes du Roman de Renart », La
justice au Moyen Âge, colloque d"Aix-en-Provence, 1985, Senefiance, 1986, p. 80
M
B. Ribemont, « Morale, astrologie et prophétie: le Songe de Pestilence et la fin des temps », Fin des
temps et temps de la fin dans l'univers médiéval, Senefiance, n°33, 1993, p. 401
100
L'auteur écrit : Religion est trop honneste,
Mes qu'i ne touchent a la beste
Qui est apelee Fauvel.
Aucuns si li frotent la teste,
De quoi Fauvel fait trop grant feste.
Et si vest rien si orde pel
Comme il a: c'est un droit mesel.
En la bouche est son flavel.
De quoi flaterie amonneste.
Gardés vous, c'est mauves apel! v 37-46, p. 41
1006
Le Songe de Pestilence, 1.30-34, p 41.

351
gloire mais chercha en vain Vérité, Charité et Humilité. Suit un passage assez
conventionnel sur la déclaration de guerre du roi des Vices au Roi Modus dans le but
d'épouser la Reine Ratio, un peu à la manière de Fauvel envers Fortune. Ce système
allégorique possède sa propre cohérence dans laquelle tout les éléments trouvent leur sens
et s'imbriquent les uns aux autres. En se plaçant en dehors du récit, puisqu'il n'en est que
le dépositaire, l'auteur peut sans aucun risque aller au bout de sa critique. Mais davantage
que ce désir de moralisation si commun au XIVe siècle, le songe « messager d'une vérité à
portée politique » est, comme l'exprime avec justesse Marchello-Nizia : « tout à la fois
expression d'un désir (puisque rêve), celui d'usurper une fonction royale -dire la vérité et
déterminer le futur dans le domaine politique- et, (en tant que « songe », et donc que parole
sans importance et sans responsable) neutralisation de l'expression de ce désir1007». Si on
considère que le songe est ici intégré à un traité cynégétique, une forme théoriquement
« neutre », le procédé de distanciation est double.

C'est donc sans surprise que le châtiment divin pour la corruption du monde sert
d'explication aux fléaux annoncés qui toucheront particulièrement le royaume de France.
Ce dernier était autrefois chéri par Dieu qui lui donna l'onction pour y sacrer les rois, offrit
les saintes reliques, celles de la sainte chapelle?, la couronne, le clou, le fer de lance,
l'université des bons clercs qui gardent la sainte Église et les bons chevaliers, hardis et
loyaux. Deux raisons sont énoncées pour ce retournement de situation : la première, dite
« probative », faisant référence à l'influence néfaste des planètes; la seconde qualifiée de
« suppositive »: « grans maulz a venir en ycelui roialme pour la grant bonté d'Icellui qui
est muée en mal; de quoi nous avons figure du roi David, qui fu si bon que il fu enoint
d'un angre de paradis pour estre roi, et pour ce que il vout nombrer son peuple contre la
volenté de Dieu, il fu tourmenté, li et son roialme, parfaitement1008». Notons que
l'astrologie connut un regain d'intérêt durant ses années de troubles, principalement avec
les premières vagues d'épidémies de peste. Témoignant de ce penchant astrologique, B.

1007
Ch. Marchello-Nizia, «Entre l'histoire et la politique, le « songe politique », p. 53.
1008
Le Songe de Pestilence, I. 10-15, p. 201.

352
Riberont compte pour la bibliothèque du Louvre «180 volumes traitant des sciences du ciel
et de l'art divinatoire1009».

Pour continuer sur sa description des catastrophes, Henri de Ferrières recourt à la


symbolique botanique : les trois premiers arbres représentant les trois fils de Philippe le
Bel qui « furent tous trois rois de France, l'un après l'autre, et portèrent fleurs et feulles, et
101
n'ourent point de fruit °», c'est-à-dire sans descendance assurant la succession
dynastique. Les trois autres arbres porteront fruits mais ni feuilles, ni fleurs puisqu'ils ne
connaîtront aucune joie. Le premier de ce groupe, Philippe de Valois, sera « batu a destre
si que la greigneur partie de ses branches seront rompuez1 " », donc au nord ce qui
correspondrait d'abord à la Flandre. L'auteur fait sans doute référence à l'alliance entre le
gantois Jacques Artevelde et Edouard III de 1337 à 1339, ainsi qu'à la bataille navale de
juin 1340 qui se solda par «une défaite totale pour Philippe VI, qui perdit le contrôle de la
mer1012 ». Il est aussi question dans ce passage du début de la crise de succession de la
Bretagne (1342-1364) avec le décès en avril 1341 du duc de Bretagne, Jean III, qui ne
laissa aucun héritier direct mais deux aspirants à sa succession : Jean, comte de Montfort
et Jeanne de Penthièvre, respectivement demi-frère et nièce du défunt1 ' . Et pour finir, à
nouveau sur le front flamand, la coûteuse bataille de Crécy qui emporta parmi les princes
de sang, le roi de Bohême, le comte de Flandre et le frère du roi Charles d'Alençon -« par
orgueil ils se combattirent, sans ordonnance et contre la volonté du roi » et la non
moins célèbre prise de Calais.

Ferrières poursuit avec le second arbre, Jean le Bon, qui sera « batu a senestre
tellement que il sera près de cheoir de tout (....) c'est a entendre que il se combatra a ses
anemis es parties de midi et sera mort ou prins1013 ». Ici Henri de Ferrières « maquille » un

1009
B. Riberont, « Morale, astrologie et prophétie: le Songe de Pestilence et la fin des temps », p. 406.
1010
Le Songe de Pestilence, I l -5, p. 204.
1011
lbid., 1. 16-18, p. 204
1012
Ph. Contamine, La guerre de Cent Ans, p. 24
1013
lbid., p. 25 à 27.
Froissart, Chroniques, cité par Michel Mollat du Jourdain, Genèse médiévale de la France moderne
XIV-XV siècle, p. 25
10,5
Le Songe de Pestilence, 1. 18-19, 30-32, p. 204-205.

353
peu la réalité puisqu'il est bien question d'emprisonnement et non de décès. Souvenir
encore douloureux ou forme de pudeur face à un événement déconcertant qui plongea le
pays dans de graves crises? Le troisième, Charles V avant la « remontée française »10 ,
sera « batu en toutez ses parties tellement que il sera sus le point de cheoir et de fenir et
que toute sa subtance sera degastee ». Ce roi, issu «du secont arbre et du ni à l'aigle
d'Orient », donc neveu par sa mère de l'empereur Charles de Luxembourg, du début de
son gouvernement jusqu'à l'onction subira plusieurs revers de fortune dont le soulèvement
parisien, le meurtre de « ses chevaliers et ses amis » au palais royal, passage ambigu qui
pourrait correspondre à un épisode de l'émeute parisienne du 22 février 1358 pendant
laquelle «les deux maréchaux de Normandie et de Champagne furent mis à mort en
présence du Dauphin 1018» , l'alliance entre Charles le Mauvais et les Anglais, la Jacquerie,
les « trahisons» de la Normandie, la Bretagne, la Guyenne, la Gascogne, le Maine et
l'Anjou. Les premiers épisodes appartiennent au règne de Jean le Bon et non à celui de
Charles V même ce dernier s'y trouva directement impliqué à titre de régent du royaume
durant la captivité de son père (de 1356 à 1362 et de 1363 à 1364). Il est peu probable que
l'auteur se soit trompé à ce chapitre mais il est par ailleurs possible qu'il considère celui
qui n'était alors que le Dauphin roi de facto puisqu'il en exerçait la fonction. Mais Dieu
dans sa miséricorde lui envoya un sauveur, l'aigle d'Occident qui porte ce nom puisque né
en Bretagne et ressemblant à cet oiseau décrit comme rude, pesant, brun et le roi des
oiseaux : « et peut bien estre appelle aigle et roi des bons chevaliers, quer c'est le chevalier
du roialme de France plus doubté des anemis au roi de France. Si di que Dieu fist belle
grace a Charles, le noble roi de France, quant il li donna tel oisel qui li sana ses
plaies1019 ».

Pour l'auteur, on ne peut attribuer au roi la reprise du pouvoir et les victoires


françaises, tout le mérite en revient à Du Guesclin et à ses «pouchains», ses soldats
bretons. Toute la suite n'est qu'un éloge des actions et hauts faits du bras armé du roi, de

1016
Que Bernard Ribemont confond à tort avec Jean le Bon, le deuxième arbre de ce second groupe (celui
des Valois), « Morale, astrologie et prophétie: le Songe de Pestilence et la fin des temps », p. 408.
1017
Le Songe de Pestilence, I. 20-24, p. 204
1018
Ph. Contamine, La guerre de Cent Ans, p. 41.
1019
Le Songe de Pestilence, I. 21-26, p. 210

354
la succession de la Bretagne, qui opposa Charles de Blois et le comte de Montfort. à la
guerre d'Espagne opposant Henri de Trastamare. le futur Henri II 1334-1379, et Pierre le
Cruel (1334-1369). Jean-Claude Morera explique qu'à «l'inverse des alliances
traditionnelles, la France luttait alors au côtés des Catalans et l'Angleterre, présente en
Aquitaine, avec les Castillans. À cette époque. Valence et Aragon furent envahis mais,
avec l'aide des mercenaires des Grandes Compagnies commandés par Du Guesclin, le
Cérémonieux réussit à porter le fer jusqu'en Castille et son allié, Henri de Trestamare, put
monter sur le trône de Tolède ~ ». Dans le Songe, aucune mention n'est faite d'une
quelconque intervention royale, action diplomatique ou autres politiques aboutissant à un
redressement de la situation. De santé fragile. Charles V ne participa pas directement aux
campagnes militaires mais sa politique était toute orientée vers une reconquête territoriale
par les armes qui débuta en 1369. Les victoires attribuables au style de guerre adopté par le
roi sont éludées dans le texte au profit de l'héroïsme du protagoniste. Malgré les mérites
du Breton, il s'agit bien davantage de décisions politiques et stratégiques que de simples
prouesses, aussi remarquables furent-elles aux yeux des contemporains. Comme l'explique
Michel Mollat du Jourdain :
Avec le concours de Bertrand du Guesclin. le sage roi avait adopté le système des
compagnies d'effectif défini, régulièrement soldé1 "', sous le commandement de
capitaines commissionnés par son autorité (...) La création de la marine avait été
esquissée par Philippe le Bel (...) mais ce fut encore Charles V qui fit du neuf. Le
roi avait désormais quelques navires, construits pour lui au clos des Galées à
Rouen; il posséda un port militaire. Harfleur: en son nom. l'Amiral de France, Jean
de Vienne, exerça le commandement le cas échant. et. en tout temps, la juridiction
. . up?
sur tout ce qui avait trait aux questions maritimes .
Le roi était attaqué de toute part et le royaume ne dut son salut qu'aux interventions
miliaires de l'aigle d'Occident. La fin de ses paragraphes sur les exploits de son héros se
termine invariablement par « pour quoi Dieu fist belle grace au roi de France, quer par ce
fait, qui par l'aigle d'Ocident fu fait102"1 » etc. On peut cependant comprendre l'admiration
de Fauteur pour Du Guesclin. assez partagée d'ailleurs par ses contemporains dont

20
J.-C. Morera. Histoire de la Catalogne au-delà et en deçà des Pyrénées, p. 45-46.
21
Un des thèmes préférés d'Eustache Deschamps, grand admirateur de la politique de Charles V.
22
M. Mollat du Jourdain. Genèse médiévale de la France moderne, p 139 et 140
1023
Le Songe de Pestilence. I. 18-19. p. 214

$55
Deschamps qui consacra au « héros national » plusieurs poèmes . Seigneur de Gisors,
Henri de Ferrières a été aux premières loges de la victoire des soldats bretons contre « les
Englais de Veuguessin le franchois, qui le tenoient quatre forteresches, qui s'en alerent en
brief temps par la forche des Bretons1025».

Que Henri de Ferrières ait dans le Livre des Déduis soutenu l'idée d'un plus grand
contrôle royal à l'intérieur des trois états, qu'il se prononce clairement sur un strict respect
de l'ordre social et qu'il soit nostalgique d'un temps mythique où chacun assumait sa
fonction, rien d'étrange à cela, il est en ligne droite le continuateur de la plupart des
auteurs de la période. Qu'il se soit « réjouit » dans le Songe de Pestilence de la répression
des émeutes populaires dans la capitale et le Beauvaisis, qu'il ait appelé de ses vœux les
plus chers l'éviction des Anglais de la Normandie et de la Bretagne, là non plus, aucune
surprise. Admirateur de Du Guesclin, il est aussi en bonne compagnie, toute une littérature
apologique en témoigne. Ce qui étonne par contre est sa « froideur » envers Charles V à
qui il retire tout mérite. Figures royales, Modus et Ratio ne représentent pas des individus
mais les qualités attendues de la royauté et les deux livres, qui pourtant sont dédiés au
« sage roi », n'en font non seulement jamais l'éloge mais indirectement une critique par
omission. Dieu aime le roi et ce dernier devrait se considérer chanceux puisqu'il lui a
envoyé un sauveur, l'aigle d'Occident. Ferrières fait totalement abstraction du fait que Du
Guesclin n'a pu assumer le commandement de sa propre initiative. En se sens, il va à
contre-courant de la vision du roi véhiculée par Christine de Pisan, Eustache Deschamps et
plusieurs conseillers royaux pour qui Charles V représentait le modèle par excellence du
bon prince. Les motivations de Henri de Ferrières demeurent inconnues contrairement à
celles de son prédécesseur Rutebeuf qui nourrissait envers Louis IX des griefs clairement
exprimés et parfaitement identifiables. Connaissant peu la vie de l'auteur et les relations
qu'il entretenait avec le pouvoir royal, la seule explication que l'on peut avancer concerne
la forme même de la fiction. Comme Ferrières situe son récit dans ce qui pourrait être
qualifié, avec quelques réserves, de prophétie de la fin des temps, un héros mythique s'y

1024
On peut consulter à cet effet, malgré son ancienneté, l'article de G. Raynaud, «Eustache Deschamps et
Bertrand Du Guesclin », Mélanges de Philologie Romane, dédiés à Cari Wahlund, 1896, Genève, Slatkine
Reprints, 1972, pp. 369-376.

356
inscrit mieux qu'un roi de l'ombre. Malgré un défaitisme et un goût marqué pour la
moralisation, tous deux bien de leur temps, sa perception du règne de Charles V reste
cependant marginale, à l'opposée de celle de Deschamps.

3. La régence des Beaujeu vue par la Bergerie de l'agneau de France à cinq personnages

La situation du royaume français est passablement différente au début de l'année


1485. L'entrevue de Picquigny en juillet 1475 avait scellé officiellement la paix franco-
anglaise, du moins la fin de la guerre de Cent ans déjà perdue dans les faits par les Anglais
dès les années 1450-55. Il ne restait pour le roi, mais ce n'était pas une mince affaire, qu'à
éviter que ne se rallument les velléités d'indépendance des grands princes et que ne
surgisse une nouvelle ligue du Bien Public. La mort mystérieuse de Jean V d'Armagnac
avait écarté le danger au sud du royaume et un complot tué dans l'œuf en Bretagne
protégeait la frontière nord-ouest. Le roi avait fait main basse sur l'héritage de René
d'Anjou qui comprenait la Provence, il ne restait donc en théorie que deux problèmes
majeurs: les habituelles trahisons du connétable Louis de Luxembourg et les non moins
redoutables ambitions de Charles le Hardi. Livré par ce dernier au roi de France, le très
encombrant comte de Saint-Pol fut déclaré coupable de crime de lèse-majesté et exécuté le
19 décembre 1475, suivi le 9 mars 1476 de son complice, Jacques, duc de Nemours, en
août 1477 1026. Ces exécutions marquèrent d'autant plus les contemporains qu'elles furent
rares, comme le montre Claude Gauvard dans Violence et ordre public au Moyen Age

Le décès de Charles le Hardi au portes de Nancy, le 5 janvier 1476, mit fin à une
des dernières grandes menaces qui planaient sur la royauté française. Philippe de
Commynes en fait le récit suivant :

1025
Le Songe de Pestilence, 1. 31-33, p. 210.
1026
M.-Th. Caron, Noblesse et pouvoir royal en France, XllF-XVF siècle, p. 224-226.
1027
C. Gauvard, Violence et ordre public au Moyen Âge, Paris, Picard, 2005, coll : « Les médiévistes
français; 5 »; « La peine de mort en France à la fin du Moyen Âge : esquisse d'un bilan », Le pouvoir au
Moyen Âge. Idéologies, pratiques, représentations, Aix-en-Provence, Publications de l'Université de
Provence, 2005, coll : « Le temps de l'Histoire », pp. 71-84, de même que « Grâce et exécution capitale : les
deux visages de la justice royale française à la fin du Moyen Âge », Paris, BÉC, 1995, pp. 275-290.

357
Je ne veux pas dire comment il mourut, car je n'y étais pas; mais sa mort m'a été
racontée par ceux qui le virent tomber de cheval et ne purent venir à son secours
parce qu'ils étaient prisonniers; il ne fut pas tué sous leurs yeux, mais au milieu
d'une masse de soldats qui arrivèrent, qui le tuèrent et le dépouillèrent au milieu de
la mêlée, sans le reconnaître

À la fin de son règne, Louis XI avait en bonne partie réussi à « mater » la rébellion
des princes apanages, à tout le moins à la contenir suffisamment pour qu'elle ne mette pas
en danger l'autorité royale. Mais à sa mort, le roi laissait un héritier mineur, ce qui ouvrait
toutes grandes les portes aux luttes d'influence qui n'allaient pas tarder à surgir avec force.
La régence fut confiée conjointement à Anne et à son mari Pierre de Beaujeu à qui le roi,
quelques jours avant sa mort, le 30 août 1483, «donna toute la charge et le gouvernement
du Roi son fils, lui recommandant de veiller à ce que personne n'en approchât, et lui dit
plusieurs bonnes choses importantes ' ». Écrite pour une entrée royale, à Rouen ou Paris,
en 1485, la Bergerie de l'agneau de France ne peut faire référence à la Guerre Folle de
février 1487 mais suit d'une année la convocation des États généraux tenus à Tours
concernant la tutelle, contestée, de Charles VIII1030. À ce propos, H. Lewisca indique :
« Les États généraux avaient pris des décisions au sujet d'un Conseil étroit. Le roi,
formellement majeur, devait le plus souvent y assister lui-même. En son absence, le
Conseil serait présidé par le duc d'Orléans, puis par Jean de Bourbon et enfin, à leur
défaut, par le mari d'Anne, Pierre de Bourbon, sire de Beaujeu ». Un ordre que
contredisait la réalité du pouvoir et qui poussa le duc d'Orléans à tenter à quelques reprises
d'enlever le roi, plutôt consentant selon le témoignage de Saint Celais , biographe il est
vrai des Orléans et, faute de réussir, à placer une requête devant la cour du Parlement (17
janvier 1485), là aussi sans grand résultat. Quoiqu'il gouverna la ville de Paris, Louis

1028
Philippe de Commynes, Mémoires, édition et traduction de J. Blanchard, Paris, Pocket, 2004, coll :
« Agora », p. 356.
1029 , I . J
lbid., p. 474.
1030
M.-Th. Caron indique que si « l'idée de cette réunion avait été lancée par Louis d'Orléans, désireux
d'accroître sa popularité. Elle fut r&prise à leur compte, par les Beaujeu; ils ont ensuite utilisé les états. Anne
et Pierre connaissaient bien leurs adversaires; ils ont su agir pour limiter leur influence. Tirant argument
d'une épidémie de peste à Orléans, ils firent déplacer la réunion à Tours, la ville royale ». Noblesse et
pouvoir royal en France, XIIF-XVF siècle, p. 228.
H. Lewica, Introduction de la Bergerie de l'agneau, p. 13.
1032
« Mon oncle, emmenez-moi; je voudrois être hors de cette compagnie », cité par P. Pradel, Anne de
France 1461-1522, Paris, Publisud, 1986, p. 61.

358
d'Orléans se heurta à la fidélité que l'université et la population parisienne témoignaient
aux Beaujeu. Il devenait d'autant plus crucial pour les régents de paraître le plus souvent
possible avec le jeune roi montrant ainsi qu'ils gardaient le contrôle de la situation.
Partisan(s) des Beaujeu, non sans réserve cependant, le ou les auteurs de la Bergerie
dénonce(nt) les manigances des princes qui président le Conseil et se préoccupent assez
peu des intérêts supérieurs du royaume. Trois bergers gardent un agneau : le premier, le
duc d'Orléans, vice-président des titres du Conseil, se décrit comme « desplaisant »,
« merencollieux », « triste », « pesant », « tout chagrineux » et se désespère d'accroître son
influence « j'aparçoy bien que jamais n'auray mieux 1033» Plus consciencieux, Jean de
Bourbon, connétable depuis le 24 octobre 14841034, le deuxième perçoit les dangers qui
guettent l'agneau :
Des biens mondains gieres ne me soucie.
Mais tu sees bien que nous avons en garde
Ce doulx aygneau en paine de la vie.
Plusieurs loups ont dessus luy envie
Guettant tousjours que soit habandonné J~.

Pour sa part, le troisième, Pierre de Beaujeu, qui s'exprime à la première personne


du pluriel, donc comme régent conjointement à Anne, sœur du roi, craint la mauvaise
influence d'un prince puissant et flatteur qui risque d'emmener l'agneau :
Il est jeune, garder nous le devons.
Raison le doibt, nous y sommes tenus,
Car vous scavés que de luy nous vivons
Et de sa laine tous les ans revestons.
Je n'ay fors peur que nous soyons deceups
Par flaterie et qu'il soit emmené.
Car vous scavez qu'il y a tant d'abus,
Selon les gens le temps est gouverné. (...)
Que de noz mains il ne soit destourné1

Menacé par la cupidité des grands, ces loups déguisés en pasteurs qui n'attendent
que le moment propice, l'agneau ne pourra se défendre face à ceux qui « font tant de

JJ
La Bergerie, v. 1 à 8, p. 22.
1034
P. Pradel, Anne de France 1461-1522, p. 49.
I<b:>
_._ Bergerie, v. 10 à 14. p. 22.
m6
I b i d , v. 17 à 24 et 26, p. 22-23.

359
maulx qu'ilz destruyvent tout le pays 1037» Après un obscur chant sur le « Frant
Gontier1 38
», « le plus beau des pastureaux », que l'éditrice assimile « à la première
strophe d'une pastourelle connue1040 », la pièce introduit un personnage allégorique, la
Picque qui représente probablement les risques liés à la régence. Joël Blanchard l'associe à
une divinité infernale, qu'il n'identifie pas, « qui vise sans discrimination les gens de touz
estaz » et qui serait une allégorie à la fois de la guerre et de la mort1041. Ennemie de la paix
« quant je voy paix, souldain la fais deffaire » dont bénéficie le royaume de France, la
Picque s'alimente de la discorde, celle des membres du Conseil principalement «je me
gouverne du consil plutrique », notamment les intrigues de Louis d'Orléans « ilz ne
sont pas trestous d'une aliance, tousjours y a quelque quidem qui grogne104 ». Ce dernier,
pris en tenailles entre le connétable et Beaujeu, fit entrer ses fidèles au Conseil dont
Philippe de Commynes hostile au régent, mais ne réussit pas à modifier en sa faveur la
situation1 45. L'autre péril vient des courtisans « ung tas de menteurs, deux ou troys
flateurs diront qu'ilz sont beaulx1 4
» qui ne songent qu'à nuire. Le troisième berger
estime, sans doute en référence à l'assemblée de Tours, que « c'est aux trois estatz de tout
gouverner1047 ». Ce qui déplait fort au premier berger qui aimerait composer sans eux ou, à
tout le moins, pouvoir les manipuler. En désaccord, les bergers laissent s'ouvrir une brèche
permettant à la Picque de s'approcher davantage et déjà, d'imaginer sa domination sur le
jeune agneau, donc du royaume de France « il sera mien une fois et auray dominacion sur

W37
Ibid., V. 49-50, p. 24.
,038
lbid, V. 65, p. 25.
1039
lbid, V. 66, p. 25.
1040
lbid, H. Lewica, note, p. 45
1041
J. Blanchard, La pastorale en France aux XI V et XV siècles. Recherches sur les structures de
l'imaginaire médiéval, Paris, H. Champion, 1983, coll : « Bibliothèque du XVesiècle», p. 301.
1042
La Bergerie, v. 83, p. 26.
1043
lbid, v. 79, p. 26.
1044 r i ■ I
lbid, V. 89-90, p. 26.
1045
La fidélité de Commynes envers Louis d'Orléans, sa participation à la coalition de 1484 visant à enlever
le jeune Charles VI I I et son soutien aux princes rebelles en 1485 lui coûtera un procès intenté par Charles
VIII en 1489 sous les accusations de conspirations contre l'autorité royale. Plus chanceux que nombres de
conseillers qui payèrent de leur vie les changements de régime ou leur trop grande proximité du pouvoir
(Pierre de La Broce 1278, Enguerran de Marigny 1315, etc), mais payant tout de même ses choix politiques
par un long séjour en prison (1487-89) et la confiscation du quart de ses biens, Commynes retrouva par la
suite les faveurs du roi et suivit ce dernier en I talie. Cf : Ph. Contamine, « 1285-1541 », Le Moyen Âge, le
roi, l'Église, les grands, le peuple, p. 488 et J. Blanchard, Philippe de Commynes, Mémoires, p. 29.
La Bergerie, v. 104-106, p. 27.
1047
lbid., v. 120-121, p. 28.

360
luy et sur sa nation, en despit de ceulx qui le garde [nt]10 ». Malgré son approche toute en
séduction, les bergers se méfient et le troisième prévient qu'il peut compter sur les « gens
de la bonne ville1049 » pour les secourir en cas de nécessité. Ne se laissant pas aussi
facilement démontée, Picque fait une nouvelle tentative en semant le doute. Si l'agneau
venait à mourir « vous aideray de ma puissance a le garder et jour et nuyt 105°». Elle leur
promettait donc sa loyauté et sa protection, arguments qui semblent atteindre le premier
berger. Et pour être certaine de manipuler efficacement ce dernier, Picque le menace de lui
faire mauvaise réputation et de lui nuire en tous points, lui rappelant que plusieurs
comploteurs payèrent leurs actions de leur vie, ce qui ne correspond pas vraiment à la
réalité:
(...) Doncques je diray
Que de fait tu l'as voullu vendre,
Et (puis) après je te feray pendre
Et despoincter de ton office.
Pourquoy ne suis aussi propice
De le garder comme tu es?
Plusieurs en ont estez tuez
Pour cuider gouverner l'aingneau.
Gardez que n'y perdes la peau.
Tu l'as trop long temps gouvernay.
Je le congnois dès qu'il fu né,
On me nourrit en sa maison1 51

La proie est d'autant plus facile qu'elle est sans père, ni mère, ni frère, donc
vulnérable et à la recherche de la protection que semble pouvoir offrir la Picque. Voulant
arracher l'agneau à ses peu efficaces gardiens, Picque s'en prend d'abord au premier
berger, l'accusant encore au passage d'avoir voulu vendre l'agneau « mais ne recups tu pas
argent pour le mener je ne scay où?1032». Elle traite ensuite le second de menteur et de
pilleur comme plusieurs de son espèce « toy et d'aultres ung milier qui de jour en jour
vond pillier et destruyre les povres gens1(bj». Ce passage ferait allusion à « l'attitude
ondoyante du duc de Bourbon» durant les années 1484 et 1485, les chroniqueurs

lws
lbid, v. 141-142, p. 29.
IW9
lbid.,\. 175-76, p. 30.
mo
/ b i d . . \ . 181-182, p. 31.
1051
lbid.,\. 195-206, p. 32.
1052
lbid., v. 249-250, p. 35.

361
s'accordant pour l'accuser « de mener un double jeu ». Et enfin, elle fait remarquer au
troisième qu'il est indigne de sa tâche. Autant dire qu'avec de tels bergers, l'agneau est à
la totale merci des loups. Seule Remède (autre figure allégorique assez mal introduite dans
la pièce), « entre princes et roys, car en tous lieux bon Remède on desire1055 », pourrait
empêcher la destruction et sauver l'agneau « tant beau, tant doulx et tant courtoys1056 »,
mais elle n'en a pas les moyens dans un avenir immédiat, ce qui laisse les bergers dans une
fâcheuse situation et fait conclure au troisième:

Les pasteurs si n'auront union


Tant que Picque soit avec eulx,
Pourquoy dy en ma conclusion :
Que (nous) aurons toujours Picque devant1057.

La pièce se termine sur cette note pessimiste qui laisse sous-entendre qu'il y a peu
de chance que l'harmonie s'installe au Conseil, les intérêts particuliers ayant préséance sur
le bien général, le bien commun. Quoique plutôt favorable au Beaujeu, la Bergerie
n'exonère pas le régent de tout blâme, il n'a pas su faire totalement face à ses
responsabilités. La pièce devait s'intégrer au rituel d'une entrée royale importante dans
laquelle les régents avaient pris soin de bien marquer la continuité par une allusion, geste
rare, au roi défunt. «L'effigie du roi défunt, à présent Louis XI, est également présente
dans l'entrée de Charles VIII en 14851058». Qu'elle ait été jouée ou non, la Bergerie
s'inscrit dans un désir de dialogue entre la communauté, ici urbaine, et le monarque ou
ceux qui assument le pouvoir1059. Si l'entrée du roi dans une de ses bonnes villes est un
acte politique, une affirmation du pouvoir qu'il détient, l'organisation de la réception est le
lieu pour afficher ses revendications, témoigner de ses inquiétudes et affirmer ses
opinions. Plus subtile qu'une requête ou une doléance, la représentation théâtrale n'est pas

1053
lbid, V. 282-284, p. 36.
1054
J. Blanchard, La pastorale en France, p. 305-306.
1055
La Bergerie, v. 338-339, p. 39.
1056
lbid, v. 335, p. 39.
W51
lbid., M. 416-419, p. 43.
1058
Ch. de Mérindol, «Entrées royales et princières à la fin de l'époque médiévale : jeux de taxinomie,
d'emblématique et de symbolisme », Les entrées. Gloire et déclin d'un cérémonial, colloque de Pau, 1996,
Biarritz, J&D Éditions, 1997, p. 36.
Cf : B. Guenée, conclusion du colloque de Pau, p. 259.

362
qu'un simple divertissement offert au roi, elle peut aussi être un acte politique. Plus
développé que dans la poésie qui emprunte à l'héraldique, le recours aux figures
animalières du théâtre de bergerie reste cependant minime et semble ne se conformer
qu'aux conventions du genre. Apparemment inoffensif, ce mode de discours n'en demeure
pas moins porteur d'un message sans équivoque. Le procédé n'est pas nouveau à la fin du
XVe siècle, le Pastoralet joué durant la guerre civile Armagnac/Bourguignon en témoigne,
mais il n'a pas perdu de son intérêt à la fin de la période.

Tous les auteurs qui usent de la figure animalière inscrivent leur critique et leur
satire dans l'actualité ou dans un passé très proche. Ils n'ont pas cette distance critique que
l'on retrouve souvent dans les manuels de bon gouvernement, ils font en quelque sorte
une littérature de réaction collée aux événements relatés. Chez Philippe de Novare, la
rédaction est simultanée aux épisodes du conflit dont il est un des acteurs principaux. Le
but est de dénoncer d'une part l'intervention impériale dans les affaires de Chypre qui
selon lui ne concernent que les barons, puis d'autre part de se moquer de ses adversaires.
On constate le même type de réaction face aux mesures d'austérité décrétées en 1261 par
Louis IX. mesures qui selon Rutebeuf compromettraient la croisade. Lorsque Geoffroy de
Paris et Gênais du Bus composent respectivement la Chronique Métrique et le Roman de
Fain-el. peu d'années les séparent des événements marquants du règne de Philippe le Bel :
les décimes, l'affaire des Templiers, le rôle du clergé français et l'influence des
conseillers. Pour sa part. Henri de Ferrières pose au milieu du XIVe siècle un regard à la
fois concret sur les défaites françaises du début de la guerre de Cent ans et abstrait sur la
société dans les passages plus moralisateurs. Et enfin en 1485. moins d'une année sépare
la dénonciation de l'égoïsme du conseil de régence dans la Bergerie de l'agneau à cinq
personnage d'un auteur anonyme de la convocation des états généraux qui ont mis à jour
les luttes de pouvoir auxquelles se livraient les princes sans égard à la sécutité du jeune roi.
donc du rovaume.

n s -»
Cette actualisation n'empêcha pas par ailleurs les auteurs de se montrer
profondément conservateurs et passéistes. À l'exception de Philippe de Novare et jusqu'à
un certain point de l'auteur anonyme de la Bergerie, les écrivains posent un regard
pessimiste sur le pouvoir et la société en général. Fauvel, Renart comme les bêtes
«puantes » du bestiaire de Ferrières symbolisent la déchéance du monde, l'envers de la cité
chrétienne idéale. Et le prince fait plutôt mauvaise figure dans cet univers de corruption.
Sans toujours agir directement, il autorise le bestournement en se soustrayant de ses
responsabilités envers ses sujets. Il ne remplit plus son rôle de gardien des « bonnes
valeurs » et laisse son pays à la merci de toutes les convoitises, qu'elles viennent de
l'intérieur comme de l'extérieur. On peut se demander si ces auteurs auraient pu s'en
prendre parfois si violemment au prince et à son gouvernement s'ils ne s'étaient cachés
derrière le masque qu'offre la figure animalière. Et leur discours aurait-il eu le même
impact formulé dans la langue figée des traités officiels?

On sait que Rutebeuf fut lu (et fort probablement entendu) et que ses satires ont
inspiré un nombre non négligeable d'écrivains qui se reconnaissaient sans doute dans sa
verve. De la même manière, le Roman de Fauvel a bénéficié d'une large diffusion,
conservé dans quatorze manuscrits, ce qui n'est pas rien, et on retrouve des allusions au
cheval chauve, si ce n'est des strophes entières, dans des œuvres satiriques comme Renart
le Contrefait de Jean l'Épicier de Troyes. Certains passages du Roy Modus et de la Royne
Ratio ont été empruntés par Eustache Deschamps dans quelques unes de ses balades. Pour
nous, il y a quelque chose de paradoxal dans le fait qu'un auteur puisse se moquer ou
critiquer avec si peu de ménagement un prince à qui il adresse son œuvre ou, au mieux, à
son successeur. C'est que nous oublions parfois que l'intention didactique reste presque
toujours en arrière plan, principalement à la fin du Moyen Âge. La satire vise le mieux-être
de la communauté, elle n'est en ce sens jamais un acte gratuit même si la colère peut
pousser le poète à prendre sa plume. Régler ses comptes ne signifie pas faire abstraction du
bien commun dont tous se réclament qu'ils vivent à Chypre au XIIIe siècle, dans la capitale
française ou dans les villes sous la juridiction des comtes de Flandre.

564
Chapitre V. Les Flandres et la Renardie

Dès la fin du Xlle siècle des tensions entre la France et la Flandre se font sentir. En
effet, si les comtes de Flandre sont vassaux des rois de France- et aussi des empereurs pour
certains territoires- ils entretiennent d'importants rapports commerciaux avec l'Angleterre
qui leur fournit la laine indispensable à l'industrie drapière. D'un point de vue lignagier,
une alliance avec les héritières des comtés de Flandre et de Hainaut pouvait d'une part
ramener ces importants domaines dans le giron français et d'autre part accroître le prestige
des Capétiens puisqu'on « est persuadé de l'ascendance carolingienne des comtes de
Flandre-Hainaut (...) par son mariage avec Isabelle de Hainaut (de lointaine mais directe
ascendance carolingienne) Philippe Auguste permet à son fils d'accomplir le retour du
royaume à la lignée de Charlemagne ». Le prestige du sang carolingien n'était pas
négligeable et plusieurs grandes familles qui s'en réclamaient, dont les comtes de Flandre,
de Hainaut, de Namur, de Blois, de Champagne et les ducs de Normandie, pouvaient
constituer une menace à l'autorité du roi . Une autre manière de minimiser les risques
de révoltes des grands seigneurs était d'exercer des droits féodaux d'interventions lors de
problèmes de succession. À sa mort en 1212, Baudouin IX ne laisse que deux filles
mineures, ce qui permet à Philippe Auguste d'espérer contrôler le comté en y plaçant un
prince étranger à la région. Il se trompait! Ferrand de Portugal, que le roi de France avait
donné comme époux à Jeanne de Constantinople, s'avéra un défenseur de l'autonomie du
comté. Des affrontements éclatèrent et aboutirent à la bataille de Bouvines le 27 juillet
1214. Suite à la victoire française, Ferrand resta prisonnier jusqu'en 1227. Entre temps,
Marguerite de Constantinople, que Philippe-Auguste avait épousé Bouchard d'Avesnes la
même année que sa sœur aînée, fit annuler son premier mariage en 1221 et épousa un
noble champenois, Guillaume de Dampierre en 1223. Le couple succéda à Jeanne et
Ferrand en 1244 puisque la comtesse était morte sans héritier. Mais Marguerite avait eu
des enfants de ses deux unions ce qui causa une crise de succession. En effet, «la querelle
des Avesnes et des Dampierre prend des proportions telles que Louis IX, se posant en

R. le Jan, Le Moyen Âge. Le roi, l'Église, les grands, le peuple 481-1514, p. 291.
1061
A. Lewis, Le sang royal, p. 162.

365
arbitre et brisant en même temps une redoutable union, par le dit de Péronne (1246)
attribue le Hainaut aux Avesnes et la Flandre aux Dampierre c'est-à-dire à Marguerite
(1280) dont la descendance se perpétuera dans le comté durant un siècle1062 ». Les
relations demeurèrent stables, voire calmes, durant quelques années. Les choses se gâtèrent
cependant à l'avènement de Philippe le Bel en 1285. Le roi profita des dissensions entre
les grands bourgeois et les artisans pour intervenir dans les affaires flamandes. Dès 1280,
de violentes révoltes éclatèrent à Bruges, Ypres et Douai où furent massacrés plusieurs
notables. Le successeur de Guillaume et Marguerite, Gui de Dampierre, soutint le
« commun » contre les échevins qui s'en remettaient alors au roi de France. On nomma les
partisans français les leliaerts, nom qui fait référence aux lys de France, et leurs opposants
les clauwaerts, du nom des griffes du lion de Flandre. Un autre élément vint s'ajouter au
conflit quand Gui de Dampierre promit la main de sa fille Philippine au prince de Galles.

En 1294, le comte de Flandre fut cité devant la cour du roi, il y resta incarcéré ainsi
que ses fils durant quatre mois. Avec la reprise de la guerre franco-anglaise en 1296, Gui
de Dampierre se vit forcé de choisir son camp et se rangea derrière l'Angleterre. Suite à
une série d'échecs de la Flandre, Philippe le Bel déclara l'annexion du comté en janvier
1300 et y plaça Jacques de Châtillon qui réussit en peu de temps à exaspérer le peuple des
villes. Le 18 mai 1302, les Brugeois massacrèrent les hommes d'armes et les Français qui
se trouvaient dans la ville. Cet événement, que l'on nomme les Matines brugeoises, se
répéta dans d'autres villes. Pour mater la révolte, le roi envoya Robert d'Artois. Ce choix
s'avéra désastreux. Contre toute attente, les insurgés, pourtant peu équipés et à pieds,
remportèrent la victoire sur la chevalerie française à Courtrai le 8 juillet 1302. Philippe le
Bel eut sa revanche le 18 août 1304 à Mont-en-Pévèle, il reprit une partie de la Flandre par
le traité d'Athis-sur-Orge qu'il signa avec Robert de Béthune, fils de Gui de Dampierre le
23 juin 1305. Considérant le traité comme une longue trêve, le comte manœuvra contre le
roi de France durant quatorze ans mais, malgré ses efforts, il dut concéder à la France la
Flandre Gallicante (francophone et favorable au roi de France). Robert de Béthune mourra

S2
P. Pierrard, Histoire du Nord: Flandre, Artois, Hainaut, Picardie, p. 65.

366
à 82 ans en 1322. Son petit-fils, Louis de Nevers (1322-1346) aura une politique plus pro-
française1063.

Dignes successeurs de Rutebeuf, les écrivains des Flandres surent tirer profit du
cadre du Roman de Renart pour composer des oeuvres satiriques et moralisantes.
S'éloignant de plus en plus du conte amusant, les personnages animaux deviennent
prétextes à des figures allégoriques. Il en est ainsi de la roue de fortune que domine Renart
dans Renart le Nouvel. Ce même Renart qui, à l'origine n'était qu'un baron turbulent et
malicieux, illustre désormais le mal absolu. Rien d'étonnant à cela puisque depuis
Rutebeuf, «Renars reigne!». Les auteurs vont donc s'attarder à décrire comment le goupil,
grâce à son art de la tromperie, va prendre le pouvoir et semer la discorde dans le royaume
de Noble puis dans l'ensemble de la chrétienté. Derrière l'animal se cachent des individus,
ou plutôt des groupes. Des bourgeois causant la mort de Guillaume de Dampierre aux
clercs dévergondés, en passant par les mauvais conseillers, ce sont les travers de la société
qui sont ainsi dénoncés. Cette verve satirique sévit particulièrement au Nord chez les
auteurs des Flandres. Ce qui en soi n'étonne guère puisque la patrie des vieux contes
renardiens comme des romans arthuriens et des fabliaux s'étend du Nord-Pas-de-Calais à
la Champagne.

Chez les auteurs des branches nouvelles, la dénonciation du comportement des


grands seigneurs se mêle à de l'anticléricalisme. Le haut-clergé étant partie prenante de la
noblesse, la critique de l'un devient indissociable de l'autre. Cet anticléricalisme est déjà
bien présent dans les vieilles branches du Roman de Renart où le comportement des clercs
ainsi que certaines pratiques religieuses sont très souvent ridiculisés. La différence vient
du groupe visé. Si dans les contes anciens, les auteurs s'attaquent principalement aux
prêtres de campagnes et aux ordres monastiques ruraux, il n'en est pas même dans chez les
auteurs des Xllf-XIVe siècles. Pour ces derniers, le haut-clergé, incluant parfois le pape, et
les Ordres Mendiants sont davantage l'objet de la satire. Cette différence s'explique en
partie par le choix du cadre du récit. L'action des contes de Renart se déroule presque

WK
Informations tirées de G.-H. Dumont, Histoire de la Belgique, p. 92-103; P. Pierrard, Histoire du Nord,

367
exclusivement dans la campagne française des XIe et XIIe siècles. Tandis que les auteurs
des branches tardives font souvent évoluer leurs personnages dans un milieu urbain, qui
est le leur, plus ou moins défini.

p. 63-68 et J. Lestocquoy, Histoire de la Flandre et de l'Artois, Paris, PUF, 1949, p. 41-47.

368
A. Le Couronnement de Renart ou le manuel de la renardie à l'intention d'un prince.

Nous ne connaissons pas l'identité de l'auteur du Couronnement ni la date précise


de sa rédaction comprise généralement entre 1260, année où Guillaume de Dampierre
perdit la vie lors d'un tournoi et un peu avant 1288, date du plus ancien manuscrit de
Renart le Nouvel de Jacquemart Gielée. L'auteur anonyme, probablement un clerc de
chancellerie de la maison de Flandre, dédie son long poème de 3408 vers à la mémoire de
Guillaume de Dampierre qui représentait pour lui la somme de toutes les valeurs
chevaleresques. Il prévient le marquis de Namur, Gui de Dampierre, frère de Guillaume,
de se méfier des intrigants, la renardie a peut-être déjà étendu ses filets. Pour montrer les
dangers qui le guettent, il a composé à son intention un conte où sont illustrées les ruses du
goupil, causes de la mort du bon sire Guillaume.

Outre le prologue qui est un exemple typique d'allégorie sur le combat des vices et
des vertus et qui fait figure d'hommage à un prince regretté, le texte s'apparente sur
plusieurs points au Livre des bêtes de Raymond Lulle, du moins dans sa structure initiale.
Comme chez Lulle, il est question de l'élection du roi et des manipulations de Renart pour
prendre le pouvoir. Mais si, chez Lulle, Dame Renarde complotait en coulisses et aspirait à
être la seule conseillère du monarque, le Renart du Couronnement ne se contente pas de
cela, il veut la place de Noble. Le pouvoir d'office comme dans le Bestourné ne suffit pas
non plus, son triomphe doit d'être total. Comme on ne chasse pas si facilement du trône le
lion, même si ce dernier est malade, il faut faire preuve d'astuce. La ruse est donc le moyen
de faire disparaître les bons pour les remplacer par les mauvais. Pour montrer le règne de
la tromperie, l'auteur exploite le cadre traditionnel des contes renardiens en laissant aux
personnages leurs caractéristiques et comportements habituels comme l'hostilité entre
Ysengrin et Renart. Mais contrairement aux branches anciennes, il ne parodie pas la
société, il dénonce son évolution.

Le récit proprement dit débute par une conversation entre Renart. vieux et fatigué,
et sa femme Ermengarde. Cette dernière suggère à son époux, devenu un maître incontesté

369
de la ruse, de prendre la place du roi. Il serait facile de détrôner le lion qui sent sa mort
proche. Un peu réticent au départ et affirmant vouloir se retirer dans un monastère, Renart
ne tarde pas à changer d'idée. En se promenant par les chemins, il débute ses machinations.
Après avoir malmené l'âne Timer, il s'en prend à un boucher qui vendait ses andouilles au
marché -Morale: il ne faut pas convoiter ce qui est au-dessus de notre condition-, puis
rencontre Ysengrin qu'il feint d'aider pour l'utiliser dans sa prise de pouvoir. Arrivé à la
cour, le loup apprend le désir du roi d'abdiquer, ce dernier lui demande d'aller chercher
Renart pour l'assemblée plénière. Mais Renart, toujours aussi rusé, ne se présente pas et
décide d'entrer chez les Dominicains pour leur enseigner l'art de la tromperie qui leur
permettrait de conseiller les princes. La réponse tardant, Renart va frapper à la porte des
Franciscains qui le reçoivent. Mais ne voulant perdre une aussi bonne occasion, les
Jacobins, donc les Dominicains, viennent chercher le goupil. Voilà donc Renart mi-
Franciscain, mi-Dominicain. Il était courant d'accuser les Ordres Mendiants d'hypocrisie
en les comparant à de faux ermites qui « prétendent fuir le monde, s'arracher à la société,
et [qui] reviennent à elle pour vivre d'elle en parasites ' ». Comme Renart fait aussi
figure de parasite, le lien s'établit d'emblée. Ainsi vêtu, il se rend avec un frère à la cour
où personne ne le reconnaît. Il devient le confesseur du monarque et conseille à ce dernier
de choisir comme successeur le seigneur le plus rusé, la ruse valant mieux que la force.

Dans un sermon, Renart-confesseur fait comprendre à l'assemblée, réticente à l'idée


d'avoir le goupil comme roi, que seul un être connaissant la malice peut distinguer les bons
des mauvais. Assez satisfait de l'impression que son discours a laissée, il se retire au
couvent et laisse les barons décider de l'identité du futur roi. Au même moment,
Ermengarde vient dire à la cour que pour sauver l'âme du roi son mari s'est retiré dans un
monastère, mais qu'elle pourrait très bien le représenter. Ysengrin, qui connaissait les
mauvais plans de son adversaire, raconte les réels projets de Renart, à quoi proteste la
dame qui demande réparation pour l'outrage. Par sa maladresse, le loup est disqualifié de
la succession et doit, à la demande du roi, trouver Renart, un topos classique, qui s'amène
déguisé avec le prieur des Jacobins.

1064
Une reprises des branches XV-Renart, Tibert et l'andouille et XXVI- L'andouille jouée à la marelle.

370
L'élection a lieu le jour de l'Ascension et les barons délèguent le hérisson, que le roi
favorisait, et le mouton pour choisir le successeur de Noble, les rendant ainsi inéligibles.
Après délibérations, le choix se porte sur Renart que nul ne peut tromper. Le Lion accepte
ne pensant désormais qu'à son salut. Couronnée dans le monastère, la perfide bête tient sa
cour, refusant pour elle les présents mais les acceptant pour sa femme et ses enfants. Non
content de faire régner Envie, Orgueil et Renardie. Renart veut propager son art dans le
monde. Il va en Terre Sainte et fait des disciples en Orient en passant par Tolède où il avait
étudié la magie. Tous les grands de ce monde veulent connaître les ruses de Renart. On
l'invite à Paris1066, puis à Rome où il enseigne au pape1067 comment, à l'aide de l'onction,
on peut transformer le tort en droit et le droit en tort. Absout par le pontife de tous ses
péchés. Renart parfait l'éducation du Sacré Collège. Il dirige ensuite ses pas vers
l'Angleterre et termine son voyage en Allemagne. Ayant fait beaucoup d'émulés, Renart
rentre chez lui et. ne se préoccupant que d'Argent, il laisse le peuple crever de faim.
Conclusion de l'auteur: il faut se méfier de la renardie qui s'infiltre sans que l'on s'en
aperçoive et fait périr toutes les bonnes valeurs représentées par feu le comte Guillaume.

Pour bien saisir le sens caché du poème, il faut pouvoir identifier les animaux et les
allégories. Il serait inutile de chercher des individus, il s'agit plutôt de groupes sociaux.
Renart ne peut représenter les Ordres Mendiants puisque ceux-ci sont clairement désignés
et qu'ils servent davantage les desseins du goupil que l'inverse. L'auteur anonyme loue les
valeurs chevaleresques et blâme l'accroissement de l'influence de l'argent. Si on replace
l'œuvre dans le contexte de la Flandre de la deuxième moitié du XIIIe siècle, on peut
penser que le nouveau pouvoir de l'argent est celui de la bourgeoisie urbaine, plus
spécialement le patriciat. qui supplante la vieille aristocratie. Walter Prevenier soutient, à
ce effet, que « la bourgeoisie des villes flamandes exerçait le pouvoir politique non
seulement dans les villes (par les échevinages). mais encore dans le cadre national du

" J. Batany, Scènes et coulisses du Roman de Renart. p. 241


6
II peut tout autant s'agir des règnes de Louis IX. Philippe le Hardi ou Philippe le Bel.
1067
Comme la rédaction du Couronnement s'échelonna de 1260 à 1288, on ne peut déterminer à quel des
onze papes successifs (Alexandre IV 1254-61; Urbain IV 1261-64; Clément IV 1265-68; Grégoire X 1271-
76; Innocent V 1276; Adrien V 1276: Jean XXI 1276-77: Nicolas III 1277-80; Martin IV 1281-85; Honorius

371
comté par les organes représentatifs1 ». Il est donc légitime de croire que Renart désigne
en partie la classe patricienne particulièrement puissante dans cette région même si la
logique par rapport au conte ne prévaut pas, puisqu'à l'origine Renart est un baron et que
les branches anciennes, situées dans un cadre rural, ignorent souverainement les bourgeois.
Mais l'animal devient un instrument pour désigner ce qui est honni même s'il garde à
certains moments ses caractéristiques de base. Si, à l'instar d'Armand Strubel, on peut
considérer le poème de manière plus large comme une critique de la société sans référence
précise à des groupes particuliers -« Renart est le modèle et l'instigateur du « barat »,
représentant de tous ceux qui utilisent la ruse pour leurs intérêts; associé à des
personnifications, il renvoie à la décadence du siècle, à la mort de la Vertu, au règne
universel du Vice1069 »- sans négliger et exclure cet aspect, la conclusion de J. F. Flinn, qui
souligne l'emprise des échevinages urbains sur la magistrature du prince1070, nous semble
correspondre davantage au contexte historique. Renart incarnerait les patriciens
«acoquinés» avec les Ordres Mendiants pour prendre la place de la noblesse et ce du point
de vue de l'auteur, pour le plus grand malheur de la population à commencer par les plus
pauvres qui sont privés des libéralités du prince. En ce sens, le Couronnement arrive au
même constat que Rutebeuf dans Renart le Bestourné sans toutefois en imputer la faute au
prince. S'il est exact que l'auteur servait les Dampierre comme clerc de chancellerie, il
devait être au fait de la situation financière passablement désastreuse de cette maison. En
effet, durant le conflit les opposants aux Avesnes pour la succession du marquisat de
Namur et du comté de Flandre, les Dampierre se sont endettés, notamment envers Saint
Louis. La comtesse Marguerite se trouvait d'abord liée par le prêt que le roi de France
avait consenti à l'Empereur latin de Constantinople, Baudouin II de Flandre. Puis refusant
de reconnaître les droits que revendiquaient sur le Hainaut et Namur les enfants de son

IV 1285-87et Nicolas IV 1288-92) l'auteur ferait référence, dans la mesure où son propos n'est pas plus
global.
1068 ^ Prevenier, « La bourgeoisie en Flandre au XIIIe siècle », Bourgeois et littérature bourgeoise dans les
anciens Pays-Bas au XIIF siècle, Revue de l'université de Bruxelles, 1978, p. 421. Ce que confirme J.-F.
Lemarignier lorsqu'il écrit : « il s'était progressivement crée dans les villes, depuis la fin du XIe siècle, une
sorte d'aristocratie bourgeoise dirigeante qui avait mis la main sur des postes-clés de la production artisanale,
du commerce, également sur les postes-clés de direction des villes, sur les échevinages », La France
médiévale, Paris, Colin, 2002, coll : « U. Histoire », p. 303.
69
A. Strubel, La rose, Renart et le Graal. La littérature allégorique en France au XI/F siècle, p. 236.
J. F. Flinn, Le Roman de Renart dans la littérature française, p. 234-235.

372
premier mariage, les Avesnes, elle entraîna ses fils du deuxième lit, les Dampierre, dans un
conflit armé dont résulta leur emprisonnement en 1253 par le comte de Hollande, frère du
roi des Romains. Voulant se sortir de cette impasse, elle demanda l'aide de Charles
d'Anjou en retour du Hainaut, ce qui contrariait la politique du roi de France qui désirait
rester en bons termes avec le roi des Romains. Pour désamorcer la crise, la comtesse dut
racheter à fort prix le Hainaut et « payer une forte rançon au comte de Hollande pour la
libération des Dampierre1071 ». La faiblesse financière de cette maison la rendît certes
vulnérable mais l'était-elle vraiment face aux grands bourgeois détenteurs de l'argent? Il
semble que la dépendance économique des comtes de Flandre envers les riches cités
drapières était bien réelle. À leur tour les villes prélevaient l'argent par une imposition de
plus en plus fréquente, ce qui contribua à alimenter les tensions sociales déjà
existantes1072. Le mécontentement se tourna contre le patriciat qui symbolisait ce nouveau
groupe d'hommes riches et puissants qui, dans le Couronnement, incarne le détournement
des valeurs.

L'auteur fait allusion à ce nouveau pouvoir qu'il qualifie comme le règne d'Avoir,
cause de dissension et de malheur. Un nouveau rapport à l'autorité et à la communauté
émerge, ce qu'Henri Jorda nomme en référence à la mentalité des marchands « l'utilité des
choses ». En effet : « l'individualisme marchand et le calcul égoïste ébranlent la morale
chrétienne en marquant une conception utilitaire des hommes (...) Le sens de la
communauté s'estompe progressivement sous l'effet des nécessités du commerce, la
solidarité ne s'exprime plus comme la tradition pouvait l'exiger. La seule utilité doit
désormais guider les relations avec les autres, et, en définitive, c'est l'argent qui doit
fonder la relation1073 ». Ce que le prince unifia par sa sagesse et de bonnes lois, Avoir
(l'argent) le dissout en semant la confusion et la convoitise:

Avoirs, tu les amis asambles.


Avoirs, tu tos les desasambles;
Avoirs, moût ies or conjoiis,

J. Le Goff, Saint Louis, p. 254.


" Mollat & Wolff, Les révolutions populaires en Europe aux XIVe et XV siècles, p. 31.
1073
H. Jorda, Le Moyen Âge des marchands. L'utile et le nécessaire. Paris. L'Harmattan, 2002,
coll : « économie et innovation», p. 69 et 72.

373
Avoirs, moût ore as d'amis;
Avoir, moût te puet on amer,
Mais en toi n'a fiel ne amer
Que tout ne soit confusion

Quatre grands thèmes, portant tous à divers degrés sur la perte des valeurs,
jalonnent le Couronnement. Si on excepte les paraboles du début: les mésaventures de
l'âne, du vilain et du louvier qui furent punis de leur ambition inconsidérée1075, la
thématique touche directement au pouvoir des princes. L'auteur s'attarde en premier lieu
sur le danger pour le monarque d'écouter les intrigants, critique anti-curiale qui correspond
dans le roman à la prise de pouvoir de Renart1076. Puis, il enchaîne en montrant la cupidité
des princes qui, dans le but d'accroître leur puissance et d'amasser de plus en plus de
richesses, invitent Renart pour apprendre de lui l'art de la tromperie1077. Le dernier thème,
concernant la corruption du clergé, peut être divisé en deux sections correspondant
respectivement aux Ordres Mendiants et au haut-clergé. L'immoralité des moines est
illustrée par le passage où Renart devient mi-franciscain, mi-dominicain et trompe ainsi le
roi qui croit en un irréprochable confesseur. Celle de la papauté suit le couronnement de
Renart qui est promu conseiller en malice auprès du pape et des cardinaux

1. La ruse au pouvoir.

C'est de loin l'idée la plus longuement développée, elle forme le cœur du texte.
L'auteur montre comment par la tromperie un être perfide peut prendre la place d'un bon
souverain et anéantir la paix sociale. Il s'agit autant d'un avertissement destiné au nouveau
comte de Flandre que d'une critique envers les détenteurs dAvoirs et leurs complices. C'est
à l'intérieur de ce thème que l'on peut tracer des parallèles avec l'œuvre de Raymond Lulle.
Mais, alors que le Livre des bêtes offrait un modèle de bon gouvernement, l'auteur du
Couronnement en reste à une longue plainte sur le bonheur disparu. On ne trouve pas

Le Couronnement de Renart, v. 29-37, p. 2


1075
lbid., v. 253-829, p. 8-26.
1076
lbid, v. 830-2899, p. 26-88.
7
lbid., V. 2900-2983 et v. 3152-3222, p. 88-91 et p. 96-98.
Le Couronnement de Renart, v. 2984-3151, p. 90-96.

374
d'indication précise sur la manière de gouverner, comme si le souvenir de Guillaume de
Dampierre réunissait l'ensemble des qualités du prince et qu'il n'y avait rien d'autres à
ajouter. Le texte ne porte pas sur ce qui devrait être fait, mais sur ce que l'on doit maintenir
et sauvegarder. Le procédé demeure essentiellement défensif. La question est donc: de
quoi le prince doit-il se méfier s'il ne veut pas connaître le même sort que son
prédécesseur? C'est par le truchement du conte animalier que l'auteur fournit les réponses.

Le principal danger qui guette le prince est la manipulation. Ce n'est pas par la
force que Renart accède au pouvoir, mais bien par la malice, entendue ici dans le sens de
perfidie et de tromperie. Il est vrai, comme le souligne Jean-Claude Mùhlethaler,
que :« toute ruse présuppose un savoir-faire, une compétence cognitive; elle seule
permettra de réaliser son programme au personnage qui -comme Renart face à Noble ou le
futur Boniface VIII face au conclave- ne dispose pas du pouvoir pragmatique pour
s'imposer par la force1079 ». Intelligent, Renart n'attaque jamais de front, il procède plutôt
par ordre logique. Avant de tromper le roi, il faut neutraliser des adversaires potentiels. La
première manœuvre consiste à se débarrasser d'Ysengrin, le plus sérieux aspirant à la
succession. C'est dans ce but que Renart fait part au loup de la prédiction astrologique
concernant l'abdication de Noble, sachant très bien qu'Ysengrin, plutôt sot, racontera
l'histoire dans un contexte qui lui sera défavorable.
Foi que doi Diu. au mien cuidier
C'est sans mentier et sans falourde,
J'oï dire, ne sai s'est bourde.
Que novieles doivent venir
Temprement a court qu'a soufrir
Ara nostre empereres rois,
C'on a veù ja pluseus fois
Un' estoile qui senefie
Par science d'astrenomie
Que li roiaumes doit avoir
Temprement j . merveilleus oir (...)
L'en dist en aucunes contrées
C'on a veu as ajournées
Estoiles qui bien senefïent.
Si corne astrenomïen dïent.

1079
J.-C. Mùhlethaler, Fauvel au pouvoir. Lire la satire médiévale, p. 39

375
C'un roi nos covenra siervir
Qui dignes iert de desiervir
L'empire de Rome et de Gresce

Se voyant déjà sur le trône, Renart ne fait guère preuve de modestie en se


comparant aux empereurs de Rome et de Grèce. Néanmoins, cette invraisemblable histoire
va l'aider à leurrer le loup qui devra par la suite lui servir de messager et par sa bêtise se
disqualifier de la succession 1081 . Renart fait en sorte qu'Ysengrin devienne le propre artisan
de son infortune, exploitant au mieux la convoitise et la stupidité du connétable. Belle
image d'un serviteur de l'État! Une fois Ysengrin hors jeu, l'étape la plus importante
débute pour Renart. Il ne suffit pas d'écarter les rivaux, il faut se promouvoir habilement.
Ne pouvant se proposer comme nouveau monarque directement, la manœuvre semblerait
trop louche, le goupil se sert d'une fausse identité pour arriver à ses fins. D'une apparente
impartialité et hors de tout soupçon, l'habit de moine est le truchement idéal. Ainsi vêtu,
Renart peut éclairer le monarque et les membres de la cour sur le meilleur choix pour la
succession. Commence donc l'éloge de la ruse. Le premier argument consiste à discréditer
les aspirants représentant la force comme le léopard. Ayant confessé le roi qui se sent
mourant, Renart lui demande lequel des barons serait le plus digne de le remplacer:
Apriés li a moût demandé
Li ques des barons serait rois.
Et il dist que li plus cortois,
Li mius faisans, li plus hardis,
C'ert li lupars a son avis.

1080
Le Couronnement de Renart, v. 646-656,663-669, p. 20-21.
1081
Le message de Renart au roi est le suivant:
Se vos le roi trovés et il
Vos demande de moi, manière
Querés que ne savés ou iere
Pour chose nule que il die;
Et d'autre part ne cuidiés mie,
Se vos orés nient murmurer
De celé estoile dont parler
M'oïstes hui, ja mention
Ne faites c'onques le grenon
Me oïsiés onques movoir,
Car ne vorroie dechevoir
Mon singnour en nule manière. Ibid., v. 860-871, p. 27.
1082
lbid., V. 1340-1344, p. 41

376
Le lion a énuméré les qualités typiques du roi-chevalier: courtois, beau et
courageux, qualités attribuées au comte Guillaume par l'auteur. C'est aussi l'image
habituelle des bons princes dans les romans arthuriens et dans les chansons de geste. Le
faux confesseur a rapidement éliminé le monarque idéal en proposant un candidat plus
«moderne», associant sagesse et ruse:

. j . home sage qui sénés


Soit et soutius et enginneus,
Par coi conoist malesïeus
Quant il de cou se vient aidier
Sire, tout çou a bien mestier,
Car nos trovons el livre d'Orche
Mius vaut engins que ne fait forche,
Car engins a la fois le met
Ou sa force bien le démet.
On dist que force le pré paist,
Mais de force moût so vent naist
Guère qui mal est maintenue.
Dou lupart ai sovent veue
Que, quant il faut a proie prendre,
Que sa valours en est moût mendre.

Le roi estime qu'il n'y a plus rusé que Renart. Le confesseur fait semblant de ne pas
connaître ce seigneur, mais déclare que si on le critique tant c'est qu'il est digne d'être roi.
De la sagesse, plutôt de la ruse, découle toutes les vertus:
Puisqu'il est sages c'est cortois,
Puisqu'il est sages il est biaus.
S'il est sages il est isniaus,
Sages doit bien iestre hardis,
Cortois, larges, amanevis.
Preus, conquerans doit sages iestre.
Si fais princes doit bien rois iestre,
Et si iert il, jel sai de voir.
Si vos pri que le puise voir,
Biau sire chiers, ains que m'en voise.1084

Le confesseur veut voir cette merveille et le roi fait chercher le goupil qui demeure
évidemment introuvable «fors que au besoing, ne me fu onques Renars loing » Ayant

108.3
lbid, V. 1345-1362, p. 4142.
1084
Ibid, V. 1412-1421, p. 43-44.

377
aisément berné le monarque, il faut ensuite convaincre les membres de la cour de la valeur
de Renart. Tache ardue, d'autant plus que certains barons nourrissent à son égard un tenace
ressentiment, totalement justifié par ailleurs. C'est à ce moment qu'interviennent les talents
de prédicateur du rouquin. Toujours sous le couvert de l'anonymat que lui confère son
habit monastique, Renart fait dans un long discours l'apologie de la pauvreté, -symbolisée
par la natte sur laquelle, en principe, les frères mendiants dorment1086-, puis, après avoir
confondu l'assemblée, revient à ses préoccupations. Le faux confesseur exhorte les
seigneurs à choisir un roi qui sache maintenir la paix. L'auteur pense-t-il aux interventions
de Saint Louis dans la succession de Flandre? La ruse étant un des principaux apanages de
la diplomatie, Renart mousse ainsi habilement sa candidature.
Si vos oitroit cil Dius s'amour
Qui vos doinst ci apriés singnor
Qui vos tingne en vraie justice.
Et cascun de vos si s'afice
De prendre home qui sages soit,
Par coi de son sens vos porvoit
A cou qu'il sace et conoise
Le malisse et le griés noise1087

Ne pouvant exploiter les qualités habituelles attribuées au prince puisqu'il ne les


possède pas, Renart entreprend un détournement de sens en faisant de la malice un
synonyme de sagesse. Le défaut devient une qualité. Il faut connaître la ruse pour se
prémunir de celle des autres. Quoique tordu, le raisonnement demeure assez efficace. Mais
outre la démonstration des tactiques du goupil pour obtenir la couronne, l'auteur exprime
ces opinions sur les pratiques de son époque. Il critique particulièrement l'attitude des
grandes familles nobiliaires qui oublient leurs devoirs et se nuisent mutuellement. Par le
fait même, elles perdent leur influence au profit des gens de la race de Renart. L'auteur fait
sans doute allusion aux querelles opposant les Avernes et les Dampierre. Mais plus
généralement, il fustige l'ensemble de la noblesse flamande:

1085
lbid., V. 1447-1448, p . 44.
1086
lbid., v. 1471-1488. Donc, l'accès au Paradis ne sera accordé qu'aux pauvres, les autres ne pourront y
entrer. Il s'agit d'un thème classique de la prédication. Comme le souligne Albert Foulet, le discours de
Renart suit «les différentes divisions d'un prône du XIII e siècle ». p. XIX, introduction du Couronnement
1087
lbid., V. 1569-1576, p . 48.

378
Li pluisour d'iu, soit tors ne drois,
Veulent lour lingnage avanchier.
Jou voi sovent d'aucuns princhier
Qu'i mariages font de gens
A ciaus qui sont de fors parens
Et font aloianches et fois
Pour autrui metre en defois
Son iretage ou son eschance,
Dont a la fois ont mescheance.
De la lour maus hiretemens
Dont autrui deshiretemens
Est; si se dampnent morteilment,
Car tele lois cascum jour ment.
Quiconques soit icil ne celé
Qui autrui tout, dame ou puciele,
Chose qui li doie escheïr,
Par teil afaire départir
Le droit Jhesus de l'iretage
De Paradis, de haut estage.1088

L'égoïsme et l'immoralité des seigneurs contribuent à leur perte et permettent le


triomphe de la renardie. S'ils veulent garder leurs privilèges, ils doivent revenir à un
comportement plus éthique. Mais l'auteur constate que ce n'est malheureusement pas le
cas. Les princes se laissent aussi corrompre par l'appât du gain. La prise de pouvoir de
Renart représente la nouvelle force politique de la Flandre, un fléau aux yeux du poète.

Revenons à Renart qui, constatant l'effet de son discours, se retire au monastère et


laisse l'assemblée délibérer. Les barons choisissent de tenir l'élection le jour de l'Ascension
et envoient chercher le goupil ainsi que d'autres membres importants de la cour.
L'ensemble des seigneurs réunis, la liste est fort longue. Noble annonce qu'il va mourir le
jour de la Pentecôte et qu'il faut nommer tout de suite un nouveau roi1089. Renart demeure

Le Couronnement, V. 1588-1606, p. 49.


«C'est une longue procession qui s'ouvre avec l'âne, avec Aper, Aloy, Anabula, Alches, Ana et Ahune, et
qui se termine avec Zibo et Zubrones (1700-1825) », Foulet, p. XIX. L'auteur a copié presque intégralement
la liste d'animaux de l'oeuvre De naturarerum de Thomas de Cantimpré (1244). «Le livre IV. qui est
consacré aux quadrupèdes, mentionne les mêmes animaux que le Couronnement et dans un ordre à peine
différent (...) Le parallélisme des deux listes est presque parfait. Quelques noms seulement ont été omis par
l'auteur du Couronnement: aper domesticus, equus, leo, onager Indie, vulpes. L'on voit immédiatement qu'il
ne pouvait conserver leo et vulpes. Leo (Noble) ne se rend pas à sa propre cour, il y est déjà. Vulpes
(Renard) n'obéira à la convocation d'Ysengrin que bien plus tard. ». ibid., p. XLIV.

379
évidemment absent puisque le roi a invité son nouveau confesseur à assister à l'élection.
Néanmoins, ses intérêts sont doublement défendus, par lui-même d'abord, puis par
Ermengarde qui arrive à la cour pour le représenter et discrédite Ysengrin en niant les
machinations de son époux. Prenant le parti d'Ermengarde, le roi désavoua le loup:
Cornent, sire Isengrin,
Volés vos ci endroit hustin
Movoir en la moie presence?
Jou vos ai dit en audience
Que vos Renart m'aies querant
Et vos ci aies laidengant
Une dame de haut linage.
Sachiés ne vos tieng mie a sage.
Aies vos ou je vos ai dit,
N'i metés mie contredit1090

Le jour de l'élection, les barons délèguent le choix du nouveau monarque au


hérisson et au mouton. Les aspirants au trône diminuent considérablement. Sont
disqualifiés: Ysengrin pour son manque d'égard envers une noble dame, le Léopart et le
Tigre pour avoir refuser de venger Ermengarde comme le roi le demandait, puis les deux
délégués. Le choix de Tibelin le mouton se porte sur un parent proche, Capra à la blanche
barbe -qualificatif qui renvoie à l'image de Charlemagne dans la Chanson de Roland, la
barbe blanche étant un signe de sagesse que confère l'âge. Ce dernier se distingue par sa
franchise et sa sagesse, entendue ici dans sa signification originelle et non comme
synonyme de ruse.
En Capra, se sa barbe est longe.
Teus a barbe, n'est pas mencoigne,
Qui en lui n'a, ne doutes mie;
Bien ne valour ne sens de mie;
Car se barbes le sens euusent
Bouch et chievres moût sage fusent,
Mais ne vos vaut, sire mouton.1091.

1090
lbid.,\. 1981-1990, p. 60-61.
1091
lbid., V. 2317-2323, p. 70-71

380
Influencé par le sermon du moine, le hérisson favorise plutôt Renart puisque ce dernier sait
reconnaître le mal, déclassant Capra qui, quoique sage, restera toujours un mouton et ne
pourra s'élever au-dessus de sa condition:

Je lo que Renars nos maintingne.


Car il est voirs, a qui qu'il tingne,
N'a cil pouoir qu'il li eschape,
Tant ait tapith ne corte chape,
Que bien n'ait sa raison de lui,
Et pour itant m'acort a lui. 109
Moutons ies et moutons seras
Tous les jours mais que tu vivras.

Espérant une promotion, le mouton se rallie à ce choix et tous deux annoncent leur
décision à Noble. La description des pseudo-qualités du goupil est révélatrice autant de
l'efficacité de la manipulation de Renart que de la convoitise des deux délégués. Le baron
honni de tous devient comme par magie: «li plus preus et li plus vaillans, li mius amés, li
plus soutius de ses besoingnes metre au mius ». On demande donc au prieur (Renart) de
nommer solennellement le nouveau roi, ce que s'empresse de faire ce dernier en n'omettant
pas de dresser sa propre apologie. Renart ignorant la reconnaissance, la loyauté des deux
délégués ne sera pas récompensée. L'auteur tire la même leçon qu'au début du conte:
convoitise nuit. Il enchaîne en moralisant sur la perte des valeurs caractérisée par le règne
d'Envie, d'Orgueil et de Renardie 1 4
.

1092
lbid., V. 2333-2338, p . 71
1093
l b i d , V. 2462-2464, p. 75.
1094
Les mauvais remplacent les bons, Renart et les allégories des vices succèdent à Noble:
Envie, Orgius et Renardie
Les bons a morir nos avie.
Renardie, Envie et Orgius
Les maus retient, s'ochit le mius.
Et tout isi avint adont
Que le lion, qui estoit dont
La plus noble bieste qui fust,
Covint morir et mètre en fust
Et entierer au dire voir,
Que onques puis pour nul avoir,
Pour parens ne pour nul ami,
Ne peut de mort avoir mierci.
Ensi avint; ensi fina
Nobles li rois, ne doutés ja,

381
2. Renart à la cour des grands de ce monde

Après s'être enrichi aux dépends du peuple, Renart part en «tournée » diffuser son
art. Cette partie du roman s'ancre davantage dans l'actualité et vise directement la politique
des royaumes de l'Europe occidentale. Dans le but d'amasser des richesses et d'obtenir de
plus grands pouvoirs, tous les princes veulent devenir des disciples de Renart. Les nobles
assistent à tous ses discours et chacun se dispute sa présence. Par l'enseignement du
rouquin, la cupidité et la perfidie sont érigées au panthéon des vertus. L'auteur exprime
l'idée répandue de la corruptipn du monde, à commencer par les puissants qui devraient
pourtant donner meilleur exemple. Le voyage de Renart débute par les royaumes latins,
allusion aux déconvenues des croisés. Mais c'est à Paris et à Rome que le goupil s'attarde
le plus, trouvant en ces lieux de fervents disciples. En effet, le nouveau roi jouit d'une
grande popularité:

Mainte valee, pluisours mons


Ont trespassé celé maisnie
Tant qu'en France s'est adrecie,
Droit a Paris en sont venus
Ou il refu bien coneùs
De clercs, de maistres et dou roi
Même, qui ot fait grant conroi.
Car pour Renart faire grant aume
A mandés tous ciaus dou roiaume.
Qiconques dou roiaume tint
Pour Renart voit a Paris vint
Et li fist fieste et douna dons,
Pour son maintien dont li renons
Estoit j a partout si aies
Que meïme tous li barnés
Prisent del tout si sa manière
C'un pingnonchiel en sa baniere
Ont fichié par envoiseùre,
N'i eut nul d'iaus qui s'aseùre
Devant cou qu'il orent empris
La manière qu'il ont apris

Et par le malisse a celui


Dont je vos ai conté jehui. Ibid., v. 2761-2780, p. 84

382
De la noviele contenance
Qui dont estoit venue en France,
Que Renars avoit aportee.1

Le choix du royaume de France comme principal hôte de Renart reflète la


désapprobation du poète face au rôle qu'ont joué les rois français dans les problèmes de
succession des Flandres. En effet, « bien que l'essentiel du comté fasse partie intégrante du
royaume de France, les affaires de Flandre ont pris une dimension européenne depuis plus
d'un siècle. Les Flamands supportent mal les interventions incessantes des agents de la
monarchie française dans leurs affaires intérieures1096». Quoique l'auteur insiste sur
l'intérêt du roi, dans le cas présent, possiblement Louis IX, et de sa cour pour l'art de la
tromperie, la France n'est pas le seul pays visité par Renart1097. Ce dernier dispense son
enseignement tant en Allemagne qu'en Angleterre, sans comparaison toutefois avec la
durée de ses séjours à Paris et à Rome:
Congié a pris, si vint as keues:
En Engletiere ou les cuidoit,
La en trova plus c'orrendroit
En ait nule en autre paiis.
Tost eurent de ses fais apris,
Ce dist l'istoire ici briément.
De la se part, se jou ne ment,
Et fist tant que en Alemaingne
Vint a moût grant compaigne.

1095
lbid, V. 2960-2983, p. 90-91.
96
J. Kerhervé, Histoire de France : la naissance de l'État moderne, 1998, p. 85
97
Renart est un grand voyageur et aucune contrée ne veut se priver de ses leçons:
Si que partout porte couroune:
En Franche et en toute Bretaingne
En Engletiere, en Alemaingne,
En Poitau et en Honguerie,
En Escoche et en Hiermenie,
En Loheraine et en Saisoingne,
En Champaingne et en Borguingne,
En Gresce, en Asie, en Galilee.
Que vos diroie? N'est contrée
En tout le monde ou on abite
Que Renars n'ait home tout cuite
Qui de lui tingne aucune chose. Le Couronnement, v. 3368-3379, p. 102.
Le Couronnement, V. 3152-3160, p. 96.

383
Nul homme ne veut et ne peut ignorer la renardie, condition dorénavant essentielle à la
réussite. En d'autres termes, l'argent est devenu le nouveau moteur de la vie sociale et la
bourgeoisie, s'infiltrant dans les hautes sphères du pouvoir, l'élite dirigeante.

3. La corruption du clergé

L'association du clergé dans les manigances de Renart constitue l'autre grand thème
du Couronnement. D'abord par l'empressement des Mendiants à accueillir le goupil à
l'intérieur de leur ordre dans le dessein de prendre la place des seigneurs auprès des
monarques. Puis par l'intérêt que manifeste le pape envers l'art de changer le tort en droit et
le droit en tort. Les liens qu'entretiennent Renart et les frères sont essentiellement
intéressés, voire parasitaires. Chacun espère tirer profit de l'association. Pour s'emparer de
la couronne, Renart a besoin du travestissement monastique. Pour leur part, Franciscains et
Dominicains comptent sur leur nouveau savoir pour accroître leur influence auprès des
princes. Le thème du pouvoir néfaste des moines s'apparente à celui développé dans
Renart le Bestourné. Mais, contrairement à Rutebeuf qui fait des Ordres Mendiants les
instigateurs des problèmes du royaume de France, l'auteur du Couronnement ne les
présente que comme des instruments aux mains du rouquin. C'est encore la convoitise qui
est dénoncée. Tout comme la vieille noblesse flamande qui voit son pouvoir s'effriter, le
clergé séculier et les ordres monastiques traditionnels perdent du terrain au profit des
réguliers favorisés par la bourgeoisie. Ce sont les liens qu'entretenaient Mendiants et
patriciens qui inspirèrent la critique de l'auteur anonyme. Comme le fait remarquer
Kerhervé, le discours des frères est axé d'une part sur la soumission à l'ordre établi et sur
l'action salvatrice des bonnes œuvres, « manière de concilier l'argent et le salut ». La
convoitise et la cupidité des Cordeliers comme des Jacobins apparaissent d'autant plus
odieuses que les deux ordres ont bénéficié des largesses de la maison de Flandre. Albert
Foulet note d'ailleurs à ce sujet que «la comtesse Marguerite, mère de Guillaume et de Gui
de Dampierre, fonde des couvents de Dominicains à Ypres, à Bruges, à Bergh-Saint-
Winock et à Lille. Aux Frères Prêcheurs de Lille elle donne une bibliothèque. Baudouin,

Kerhervé, Histoire de France : la naissance de l'État moderne, p. 81.

384
fils de Gui de Namur, fut enterré aux Jacobins de Bruges (1296). et Marguerite, sœur de
Baudouin, aux Cordeliers de cette ville11 ». Déjà accusés d'hypocrisie par les trouvères,
les frères enrichissent davantage la liste des reproches à leur endroit. L'empressement à
accueillir Renart illustre le peu de sympathie qu'éprouve le conteur pour les deux ordres.
En effet, Jacobins et Cordeliers se montrent de parfaits disciples de la renardie:
Jel di pour çou nus hom mendis
Ne puet au jour d'ui porfiter
Se de barat ne seit ouvrer,
Et nos tuit soumes mendiant
Par coi ne porons tant ne quant
Recovrer, se barat n'avons
O nous; par coi nos le tenons
A ami et il nos menra
Par tout le mont et conduira
Devant rois et devant contours.
Se chiaus avons, çou est la flours
De tout le mont, je vos afi,
Car dou clergié, d'iaus tous, di fi:
D'apostoile, de chardenaus,
Des archevesques; nus de chiaus
N'ara si hardi pour le nés
Qu'i contredie en ces renés
Chose nule que veulliens dire." '

Leur désir de puissance et d'influence est tel que. chose encore inédite, les deux ordres se
réconcilient et font alliance dans le but d'accroître leur pouvoir:
Ensiment fu faite la pais
Des Menors et des Jacobins,
Si jurèrent jamais hustins
Ne moveroient entr'iaus deus.
Tant que Renars serait seus
En l'ordre, n'aront il regart
Mais qu'il honeurent bien Renart.
Et il si fisent longuement.
De l'un a l'autre bonement
Aloit Renars et lor aprist
Cornent cascuns se maintenist
En cours de contes et de rois.
Tous les maintiens et les conrois

00
A. Foulet, Le Couronnement, p. LIX.
Le Couronnement, V. 1116-1133, p. 34-35

385
Lor aprist Renars en .j. an.
Mainte paine et maint ahan
I mist chascuns ains que seuist
Cornent cascuns se maintenist
Quant il estoit venus a court.

La fausse humilité et l'apparente pauvreté des frères servent à tromper le roi


mourant et l'assemblée. Mais en aucun cas, les moines ne dictent sa conduite à Renart, le
goupil reste maître du jeu. En fait foi la réprimande de Renart au prieur qui s'objectait du
faste, temporaire, de la cour:
Qui dont veï'st siergans venir,
A grant plenté porter viande,
De toutes pars cuit qu'ele espande,
Si grant plenté en i avoit.
Li prieus au desus seoit
Del roi et dist:"Biau sire chiers,
Outrages est quant si pleniers
Sont cil platiel, ces escuieles."
Li rois a dit:"C'est grans mierveilles,
Sire prieus, que ja pensés
Que mes osteus soit remués.
Lonc tans a que j'ai court tenue,
Onques n'avint qu'ele si nue
Fust que asés on i mangast,
Quiconques l'acrust ne paiast.
D'asés mengier ne d'asés boire
Ne verran mon ostel recoire"1

On pourrait croire que Renart fait preuve de largesse et qu'il honore le devoir de
générosité du prince. Il n'en est rien. L'abondance des mets ne sert qu'à illusionner les
membres de la cour sur la valeur du nouveau roi. Tout comme Noble dans Renart le
Bestourné, la porte du moine-roi se ferme de manière permanente dès le lendemain matin.

S'il garde en grande partie le style des branches d'origine, l'auteur du


Couronnement effectue une modification importante sur le statut de Renart. Quoique
égoïste, voleur, menteur et bien d'autres choses, le goupil demeure dans les vieux contes

1102
lbid, V. 1224-1241, p . 38.
1103
lbid, V. 2700-2716, p. 82.

386
un membre de la noblesse. Jamais les conteurs du XIIe siècle n'auraient fait de Renart le
symbole de l'ascension de la classe patricienne et du règne de l'argent. Il est vrai que la
bourgeoisie demeure peu puissante à cette époque, elle ne constitue pas une menace pour
l'aristocratie. Et le seul type d'anticléricalisme des anciennes branches visent les prêtres de
campagne. L'association du pouvoir de l'argent et des Mendiants représente un thème
nouveau s'ancrant dans l'actualité. Mais les frères ne sont pas les seuls visés par l'auteur, la
papauté reçoit aussi sa part de critique. On ne sait trop bien si la satire dirigée contre le
pape relève d'un anti-cléricalisme conventionnel ou si les griefs du poète résultent des
interventions pontificales dans la querelle opposant les Avesnes aux Dampierre. Il faut dire
que la politique de la papauté dans les affaires flamandes n'est pas très nette. D'abord, la
cour pontificale reconnu en 1249 la légitimité des enfants du premier mariage de
Marguerite même si son union avec Bouchard d'Avesnes avait auparavant été déclarée
nulle en 1222, nullité qui permettait à la comtesse de se remarier. Par la suite, les Avesnes
étant soutenu dans leurs prétentions par l'Empereur, l'Église se rangea tout naturellement
du coté de leurs riveaux. Et enfin. « à l'issue d'une guerre aux épisodes aussi nombreux
qu'odieux, on eut recours à l'arbitrage du pape Innocent IV et du roi de France Louis
IX11 "^ » qui trancha en séparant le Hainaut et la Flandre.

Apprenant la présence de Renart à Paris, le pape l'envoie quérir pour connaître de


lui la nouvelle contenance. Dorénavant, nul ne peut réussir s'il ne connaît «la sustance de
fauseté1106». Comme en France et dans les autres royaumes, l'élite romaine accourt pour
honorer ce nouveau roi:
Ne li fisent mie grant wiere
Cil de Roume: li chardenal
Contre lui vinrent a cheval,
Meïme dames et puchieles.
Mie les laides mais les bieles.
Les mingnotes et les amans.
Celés c'om plus cuidoit saçans.
Aidierent Renart a fiester.1107

J. Le Goff, Saint Louis, p. 253


" G.-H. Dumont, Histoire de la Belgique, p. 95.
Le Couronnement, V. 2999, p . 91
1,07
lbid, V. 3036-3043, p. 92.

387
Tenant Renart en grande estime, le pontifie demande à ce dernier le secret de sa réussite:

J'ai moût a faire em pluisors lius,


Si ne puis mie avoir mon chius.
De chascun a ma volonté.
Pour quel raison vos ai mandé,
Que m'aprendés des vostre tours,
Car on m'a dist chastiaus ne tours
Ne se puent tenir a vos,
Que ne tournés tout au desous
Çou qui au deseure doit iestre.1108

Le pape s'intéresse particulièrement à la manière de changer la réalité. C'est-à-dire, de


transformer les choses et les hommes, plus spécialement le bien en mal et le mal en
bien11 . Cette contrefaçon s'obtient grâce à un onguent (ou onction), fort coûteux:

Mais bien sachiés n'est pas por pau


Que teus estrumens puist on faire
Sans argent pour tot çou atraire.
Dont il covint fer l'ongement.
Ne puet on mie ongement metre,
Qui longement i vorroit metre.
Anschois vos di l'ongemens teus
Est, que se longuement est teus,
Que longuement n'i puet valoir
A l'onguement faire valoir.
Et pour çou di je, ou ge mens,
Que tos n'est fais, quant l'onguemens
Puet pau valoir a teus geus faire.
Pour çou avient que le contraire
Covient faire aucune fois.
Et pour itant metre en defois
Les aucuns covient li manière
Pour les viseus mius metre arrière.
Car manière avoir covient
Qui a si faite chose avient.
Manière vaut a avenir
A çou c'on covoite a venir,
Car venir ne puet sans manière
A çou ou il covient manière.

1108
lbid, V. 3055-3063, p. 93.
1109
Cette idée déjà développée par le prêtre de la Croix-en-Brie dans la br. IX, Renart et le vilain Liétard.
Nous reproduisons le passage en annexe XVI.

388
Sans manière j a nus se vant
De metre çou derrier devant.

Réjoui de connaître la manière de bestourner le monde, notamment de pouvoir transformer


un âne en évêque et un évêque en âne, le souverain pontife couvre Renart de présents, lui
donne sa cape et lui confie l'éducation des cardinaux" ' ' :
Apriés çou que la nostre pape
Eut donee Renart sa chape,
Par grant amor, non par haine,
Et il l'asold par desipline
D'une verge deus cos ou trois,
Li plus vaillans, li plus cortois
Des chardenaus Renart a pris.
Com apensés et bien apris
1119
L'enmena dedens son osteil.

Tout comme le roi de France et la haute noblesse, le pape sait fort bien que
dorénavant la renardie est une condition indispensable à la réussite, là repose le pouvoir et
l'immoralité de cet art nouveau n'y change rien. L'auteur constate que du vivant du comte
Guillaume les vices n'avaient pas leur place à la cour et regrette la mort d'un prince si
parfait. Il conclut son récit par la plainte des pauvres qui, comme dans Renart le
Bestourné, n'ont plus accès à la maison royale. Le peuple maudit la mort qui a enlevé le
comte Guillaume ne laissant que des êtres perfides de la race de Renart.
Mors, pou coi tu nos fais entendre
Nostre piètre apiertement?
Mors, tu pour coi si faitement

1110
Le Couronnement, V. 3076-3099, p. 93-94
1111
Particulièrement ironique, ce passage dépeint le souverain pontife comme un être malicieux:
A tant chascuns illuec vint la,
Si virent Renart, qui se sist
Jouste le pape, qui se rist
De la grant joie que il ot
Qu'ensi Renars apris li ot
A faie evesques et abbés
Et de moutons et de chabrés,
D'asnes a pont, de cas cornus.
Dist qu'il feroit desous desus
Et cou devant metroit arrier. lbid., v. 3110-3119. p. 94-95.
1,12
lbid, V. 3129-3137, p. 95.

389
Nous a mis de si haut si bas?
Mors, dou lioun dont tu nos as
Douné Renart, pour coi c'as fait?
Mors, costumière de maisfait
les de piech'a, c'ai jou oit.
Mors, tu pour coi as tu choisit
Mort pour le vif, se mius ne vaut?
Mors, il est voirs que mius moût vaut
.j. mors cortois c'uns vilains vis.
Mors, ne cuidiés c'uns vilains vis
Vaille ja tant c'uns cortois mors.
Mors, ne cuidiés que vilains mors
Puist tant valoir corne li frans.1 ' n

Injustement, la mort a pris le safran et laissé les chardons, a fait des ténèbres le
jour, a transformé les saisons . Mais même mort, un prince comme Guillaume de
Dampierre vaut mieux comme modèle du prince que Renart encore en vie. Le marquis de
Namur, qui possède les qualités de loyauté, de franchise et d'honneur qui ont fait la
renommée de son frère, devrait se méfier.

Le Couronnement illustre les ruses de Renart pour usurper le pouvoir royal


légitime. D'ailleurs presque tous les protagonistes du récit participent à cette dépossession,
cherchent à tirer bénéfices de ce nouvel art. Contrairement au Livre des bêtes de Raymond
Lulle, on ne trouve aucune réaction des membres de la cour visant à s'interposer entre
Renart et le trône. Il y a bien quelques protestations venant d'Ysengrin mais le loup ne
songe alors qu'à protéger ses intérêts et peu lui importe ce qu'il adviendra du royaume du
lion. Les candidats à la succession se laissent rapidement acheter et le roi, tout absorbé par
le salut de son âme, se désintéresse totalement de la suite des choses. Renart réussit son
«coup d'état » sans violence, non seulement par son habilité à leurrer, mais surtout parce
qu'il obtient sans grand effort la plus parfaite adhésion des participants à ses projets. Le
consentement à son couronnement est absolu parce qu'il peut compter sur la complicité
des Ordres Mendiants comme sur celle des barons. La chose faite, les princes de ce monde
ne trouvent rien de mieux que de s'arracher la présence de ce grand maître de la tromperie.

1113
l b i d , V. 3272-3287, p . 99-100.
1114
lbid., V. 3288-3295, p. 100.

390
Là encore, aucun questionnement sur la légitimité ou les qualités de ce nouveau roi de la
part des cours européennes.

Dans les vieux contes, Renart ment, le fait fréquemment et fort bien. Dans l'œuvre
anonyme dédiée à Gui de Dampierre, le rusé goupil triche toujours, se déguise et fait sa
promotion avec habilité mais il ajoute une corde à son arc, il soudoie. Le terme n'est
jamais utilisé et l'auteur ne mentionne pas de tractations monétaires directes entre Renart
et ses interlocuteurs, mais plusieurs passages dénoncent clairement le règne d'Avoir et de
Convoitise. Il n'est pas impossible que le clerc de Chancellerie comtale voulût prévenir
Gui de Dampierre des risques connus à trop s'appuyer sur l'aide financière qu'offrent les
grands bourgeois. Qu'il ait perçu négativement l'influence des ordres mendiants dans la
vie politique, cela ne fait aucun doute et n'a rien de nouveau, Rutebeuf le dénonçait déjà
en France. Cependant lorsque Renart intègre leurs ordres, son objectif est de les contrôler
et non l'inverse. Les frères ne servent que d'instruments aux machinations du goupil qui,
une fois couronné, mène le jeu à travers l'Europe. Ce dernier devient de plus en plus
l'incarnation du mal, tendance qui n'ira qu'en s'accentuant avec les œuvres postérieures.
Ce « mal absolu » qui menace les valeurs traditionnelles incarnées par le regretté comte
Guillaume peut faire référence à un groupe influent mais il peut tout aussi bien déborder ce
cadre d'identification pour désigner l'ensemble des modifications sociales que vivaient les
Flandres à la fin du XIIIe siècle. Comme Rutebeuf, l'auteur du Couronnement apparaît
réfractaire aux changements, cependant contrairement au ménestrel il n'en valorise pas
davantage la noblesse. À l'exception de la famille comtale, les nobles sont à ses yeux tout
aussi corrompus et responsables que les frères mendiants dans la perte des valeurs.

391
B. Renart le Nouvel de Jacquemart Gielée

Suivant de quelques années le Couronnement de Renart dont il s'inspire largement,


Renart le Nouvel (1288-89), du poète lillois Jacquemart Gielée, est une oeuvre résolument
allégorique et moralisante qui reprend de nombreux thèmes traditionnels de la littérature
édifiante intégrés au conte renardien. Les critiques du monde y sont larges et ont une
portée presque universelle. Selon A. Strubel:
L'emprise de Renart, confirmé par Fortune, se situe sur un autre plan que le
triomphe momentané du «bestourné » à la cour de Louis IX: c'est le cour de
l'univers qui est enjeu et l'Histoire du Salut. Si la Bataille des Vices de Rutebeuf
décrit une Psychomania faussée, où les vertus gagnent avec les méthodes des vices,
Gielée compose une Psychomania inversée, où la victoire de l'Antéchrist est
définitive. Si l'auteur revient sans cesse au thème de l'âme humaine, c'est que
l'enjeu se trouve là, non pas dans le sort du royaume1 " 5 .

En effet, on trouve rarement sous la plume du poète des références historiques.


Tout comme l'auteur du Couronnement, Jacquemart Gielée gravite dans l'entourage de
Gui de Dampierre et, encore comme son prédécesseur, a probablement fait partie du
personnel de la chancellerie ducale. Son récit est contemporain des premières années du
règne de Philippe le Bel mais précède la guerre des Flandres qui débute vers 1300 et ne se
termine réellement qu'avec la mort du roi en 1314, malgré la défaite française de Courtrai
en 1302. Sur les origines du conflit, le poète ne dit mot et n'y fait aucune allusion. Les
seuls liens possibles avec des événements précis concernent le concile de Lyon de 1274 où
a été débattu le sort des ordres militaires en Terre Sainte. Contrairement à Renart le
Bestourné, Renart le Nouvel ne s'inscrit pas dans l'actualité, son propos vise des attitudes
générales plutôt que des gestes concrets. Jacquemart Gielée trace le récit de la
dégénérescence de la société dont sont responsables les grands seigneurs et plus
particulièrement le haut-clergé. Renart devient le moyen ou le prétexte idéal pour critiquer
/ 'Estât dou monde.

1115
A. Strubel, La rose, Renart et le Graal, la littérature allégorique en France au XIIF siècle, cf. «les
avatars de Renart », p. 242.

392
Comme pour le Couronnement et plusieurs romans courtois, le récit débute à la
cour du roi dans le cadre d'un événement important. Dans ce cas, le roi Noble rassemble
ses gens pour l'adoubement de son fils aîné Orgueil qu'accompagne sa mère Orgueilleuse,
personnage inventé par l'auteur qui inscrit ainsi immédiatement son texte dans un style
allégorique. Le caractère d'Orgueil s'oppose à celui de son frère cadet, Lionneau,
semblable au roi par sa bonne nature et sa belle apparence. Viennent ensuite Renart et son
clan, suivis des autres seigneurs accompagnés de leur descendance, même si certains sont
des clercs. C'est le cas de Tibert et de l'âne Timer. Il s'agit d'une nouveauté de l'auteur,
dans aucune branche il n'est fait mention des enfants de Tibert, ni de ceux de Timer.
D'ailleurs Timer chante la messe pour l'adoubement d'Orgueil, il est donc ordonné. Mais
la pratique n'était peut-être pas si rare comme le mentionne Jean Lestocquoy qui la
rattache cependant à un tout autre motif, «on se faisait tonsurer, sans pour cela renoncer
aux droits du mariage; on avait une place spéciale à l'église et cela donnait droit à des
exemptions d'impôt. C'est alors une ruée ». L'auteur enchaîne avec la liste des
membres de la cour dont certains sont de son crû, puis poursuit en insistant sur d'autres
personnages dont Chantecler, Hubert le Milan -pourtant dévoré par Renart dans la
Branche VII, Renart mange son confesseur- et, le plus important, Hardi le léopard,
1117

seigneur de Constantinople, accompagné de sa femme Harouge . Pour reprendre les


termes de Roger Bellon, Gielée « procède à un élargissement familial ». En effet, on
peut noter par rapport aux contes d'origines plusieurs ajouts et modifications qui tous
mettent l'accent sur le lignage: importance accrue des fils de Noble, d'Ysengrin, de
Renart, de Tibert et de Brun1 ' 19 .

Une fois les dignitaires arrivés, le roi tient audience pour adouber son fils Orgueil.
Tous acquiescent à ce souhait et se préparent à la fête. Mais le ver est déjà dans la pomme

16
J. Lestocquoy, Histoire de la Flandre et de l'Artois, p. 37. M. Aubrun indique aussi, pour les XIe et XIIe
siècles du moins, « qu'il n'est pas rare de trouver dans les cartulaires des mentions de fils de prêtre. » « Le
clergé rural dans le royaume Franc du VIe au XIIe siècle ». p. 25.
Parmi les dignitaires de la cour, Couart le lièvre occupe la fonction de messager du roi. Bizarrerie qui
situe déjà les failles de la cour de Noble.
8
R. Bellon, « Renart le Nomel, réemploi et innovation : de l'épopée animale au poème allégorique »,
Renart de Maie escole. Cahiers Robinson, n°l 6, p. 29.
1119
lbid, p. 28-30

393
et le roi ne soupçonne pas la nature de son fils. Les armes de l'adoubement proviennent de
Proserpine, esprit malveillant venu directement de l'enfer et chaque partie de l'équipement
correspond à un vice. Orgueil aime Proserpine mais l'auteur ne dit rien sur les débuts de
cet amour. I l incorpore d'ailleurs des thèmes totalement étrangers au Roman de Renart.
L'équipement qui provient d'un être de l'au-delà fait penser aux armes fournies par la
Dame du Lac à Lancelot lors de son arrivée à la cour du roi Arthur. Mais le sens est
opposé puisque Ninienne n'a rien d'un esprit malveillant"20.

Après la cérémonie, les princes participent à une joute dans une lande. Joute qui
remplace en partie le tournoi qui est un motif typique des romans courtois et que l'on ne
trouve pas dans les branches de Renart, même si l'activité est un divertissement courant
chez la noblesse. Selon Evelyne Van Den Neste, «le tournoi consiste en l'affrontement de
deux groupes de cavaliers, ceux de dedans et ceux de dehors avec des armes de guerre.
C'est à l'origine un simulacre de guerre qui dégénère très souvent, le but étant de faire des
prisonniers pour en tirer une rançon. L'organisation en est rudimentaire. Le tournoi se
déroule en rase campagne et comporte deux caractéristiques: c'est une pratique collective
1171 ■ •

au cours de laquelle on utilise quasi exclusivement l'épée ». Tandis que la joute « est
un combat à cheval entre deux adversaires munis d'une lance, le but étant au début de
i i nn

désarçonner l'adversaire puis plus simplement de rompre la lance ». Les principaux


protagonistes sont les fils de Renart qui s'opposent à ceux d'Ysengrin. Lionneau se montre
un habile jouteur, ce qui attise la jalousie d'Orgueil, déjà malmenée par les louveteaux. Il
n'en faut pas davantage à Renart pour débuter ses machinations. I l propose donc ses
1 1 9^

conseils au jeune prince, trop content d'en découdre avec le loup . Poussant plus loin
l'animosité que dans le conte d'origine, l'auteur explique que même si le roi les avait
obligés à faire une trêve et à se montrer bons amis, le seul souhait de Renart était de faire
périr Ysengrin et ses fils.
Le Lancelot en Prose, éd. A. Micha, cf: les enfances Lancelot, tome vil.
1121
É. Van Den Neste, Tournois, joutes, pas d'armes dans les villes de Flandre à la fin du Moyen âge (1300-
1486), p. 50, 52 et 55.
1122
lbid.
1123
L'auteur fait référence aux vieilles rivalités entre Renart et Ysengrin de même que les sources de leurs
conflits dont la plus importante, le viol d'Hersent.

394
1. Renart intrigant

Renart devient le conseiller en titre de l'héritier du trône et fait entrer ses trois fils
dans la maisnie d'Orgueil ainsi que ses alliés habituels. Cette «nouvelle armée» décide de
tuer les fils d'Ysengrin lors d'une nouvelle joute. Le jour venu, le roi se présente avec ses
gens. Ses armes sont splendides et ses chevaliers hardis et fiers1124. Orgueil arrive en
grande pompe avec beaucoup de chevaliers et consulte régulièrement Renart le maître de
malice et de tricherie. Comme dans les romans arthuriens, Orgueil porte la manche de sa
bien-aimée Proserpine. Sa bannière vole au vent avec prestance mais elle est « losangié
d'outrage » comme l'a demandé Renart. Les protagonistes en place, la joute peut
commencer. Après une première mêlée où plusieurs combattants, Rimocheron, Hardi, Pelé
le rat et Tibert, sont mis hors jeu, il ne reste que les fils d'Ysengrin qui résistent avec force
et fierté. Lors du combat, Renart tue Primaut par traîtrise «et au caïr que Primaus fist,
Renars en traïson l'ochist » puis blesse Ysengrin. Dans une étude lexicologique,
Jacqueline Picoche recense plusieurs emplois du terme trahir qui renvoient à des
significations spécifiques. Il peut s'agir de la rupture de fidélité que le vassal doit à son
suzerain mais plus largement la trahison désigne « toute action délictueuse accomplie
contre un objet humain sans méfiance auquel aucun lien ne rattache le coupable si ce n'est
celui de la simple sociabilité»1126. Dans ce dernier cas, le traître endort la méfiance de sa
victime, ce qui correspond à la ruse de Renart qui utilise un tournoi pour commettre un
meurtre. Les gens d'Ysengrin amènent le cadavre de Primaut. Chacun pense qu'Ysengrin
est mort, mais il n'est que blessé. En ouvrant les yeux, il demande à voir le roi pour
l'entretenir de la situation. Outré de ce crime, Noble veut connaître le coupable, ce qui
éloigne le personnage des branches anciennes où il agit avec plus de légèreté, voire de
désinvolture face aux crimes commis par Renart, ce dernier bénéficiât souvent de son
indulgence. Le sénéchal dénonce le goupil et le roi veut pendre ce dernier pour trahison.
Pour ce faire il convoque un Plaid, motif judiciaire typique des anciennes branches:

124
L'auteur s'attarde à décrire la somptuosité de la joute, ce qui nous place très loin de l'animalité ou des
thèmes liés aux épisodes campagnards.
Renart le Nouvel, v. 693-694. p. 39.
1126
J. Picoche, «Les vertus et les vices dans Renart le Nouvel, ou les perplexités du lexicologue sans
index », Alain de Lille, Gauthier de Chat ilion, Jakemart Gielée et leur temps, pp. 295-306.

395
Li rois en audïenche jure
(...) Estoit a droit, qu'il en ferait
Justiche et qu'il le penderoit
1 1 77
Par le geule en haut con mourdreur.

Sur ordre du roi, tous les barons recherchent Renart mais ne le trouvent pas car,
sachant ce qui l'attend, il se cache. Épuisé par la fuite, Renart trouve refuge au château de
son cousin Grimbert et reste sourd aux appels des «quéreurs » qui veulent le voir sur ordre
du roi. Ce type de désobéissance est courant chez Renart, il forme même un des éléments
essentiels du récit permettant les nombreuses continuations. Fréquemment, avant même
qu'il ne soit jugé pour les délits dont on l'accuse, il en commet d'autres ce qui complique
considérablement la procédure judiciaire. En effet, un accusé ne peut être jugé pour
d'autres crimes tant que le premier procès n'est pas terminé, il n'y a pas accumulation des
charges. Autre avantage, il a jusqu'à trois convocations pour se présenter et il semble que
même avec cette possibilité certains grands seigneurs ont refusé de comparaître. Jusqu'à la
fin du XIIIe siècle, cette situation se retrouve tant en France qu'en Flandre. En voici deux
exemples: En 1205, une dispute éclate entre Robert, évêque de Clermont et Pons de
Chapteuil pour une question d'hommage. Le roi les assigne à la cour, ils ne viennent pas et
ne se font même pas représenter, cela à trois reprises. Pour se justifier, tous deux
prétendent qu'ils ne répondront que devant le roi d'Aragon. L'autre exemple, aussi cité par
Yvonne Bongert, concerne la Flandre :
Jeanne, comtesse de Flandre et de Hainaut, offre de faire justice à Robert, comte de
Dreux, et à Philippe, comte de Namur. Ceux-ci, sans aucun respect pour le
châtelain de Bruges, bailli de la comtesse, quittent la Cour. Jeanne de Flandre
envoie un certain nombre de ses hommes les requérir de venir à sa Cour et de
réparer l'injure faite à son bailli. Ils s'y refusent. La comtesse leur offre ensuite de
faire examiner par sa Cour s'il y a lieu ou non à telle réparation. Ils n'acceptent pas
davantage et ne veulent pas entendre droit. La comtesse leur interdit alors de porter
l'affaire devant une autre juridiction et plusieurs fois encore, propose de leur faire
justice. Ils s'obstinent dans leur refus et là-dessus mettent fin aux pourparlers en
quittant les lieux" 28 .

1127
Renart le Nouvel, v. 730, 736-39, p. 40.
1128
Y. Bongert, Recherches sur les cours laïques du Xe auXIlF siècle, Paris, Picard, 1949, p. 72-75.

396
L'insolence de Renart face à la justice du roi ne semble pas un motif uniquement
littéraire, le refus de comparaître des accusés s'inscrit dans la réalité historique. Mais le
refus peut se justifier par le statut de l'accusé qui, selon le droit féodal, a la possibilité de
réclamer d'être jugé devant ses pairs" 29 . Pendant ce temps Noble fait enterrer Primaut
dans le monastère royal. La situation que décrivent les vers 815-823 n'est pas habituelle.
Michel Lauwers en donne quelques exemples pour le diocèse de Liège. Le premier cas cité
concerne une sépulture dans l'abbaye de Saint-Jacques de Liège au XIIe siècle: «et après
que son oncle y fut enseveli, un certain Henri obtint que "lui-même, son épouse, ses fils et
ses filles, ainsi que ses proches et ses amis" fussent ensevelis dans l'abbaye liégeoise"30 ».
Le deuxième cas cité est plus ancien: «Au XIe siècle, à l'abbaye de Waufsort, le comte
Eilbert fit préparer un vaste caveau destiné à accueillir sa sépulture, celle de ses proches et
de ses amis, dans lequel il avait d'abord fait transporter les corps de ses ancêtres- "les
hommes nobles de sa souche"-, ainsi que le corps de son père, sa mère, de son fils Bernier
et de son frère Boson" '». Il fait aussi remarquer qu'à partir du XIIIe siècle la messe
chantée pour le salut de l'âme des amis devient une pratique de plus en plus courante,
1 I ^7

témoignant d'une nouvelle forme de solidarité . Il n'en demeure pas moins que
l'ensevelissement d'une personne n'appartenant pas à la famille dans le caveau familial
demeure un geste exceptionnel. D'ailleurs, poussant plus loin la distinction, Saint Louis va
réorganiser le caveau des rois de France en y excluant ceux qui n'ont pas été couronnés
J
comme les enfants dorénavant enterrés à Royaumont et non plus à Saint-Denis . Une
seule exception, citée par Alain Erlande-Brandenberg, et qui concerne le chambellan du
roi, «Alphonse de Poitiers, frère de saint Louis, sentant sa fin proche, demanda à son neveu

1129
F. Funck-Brentano donne l'exemple de Gui de Dampierre qui, en 1297, réclame la juridiction du
Tribunal des Pairs de France dont il fait partie. Face au refus de Philippe le Bel qui le convoque plutôt
devant le Parlement, le comte de Flandre refuse de se présenter et accuse le roi de déni de justice, ce qu'il
estimait le dégager du lien de vassalité. « Les pairs de France à la fin du XIIIe siècle », Études d'histoire
dédiées à Gabriel Monod, Genève, Slatkine Reprints, 1975, pp. 352-357. Cependant l'événement est peut-être
trop tardif pour que Gielée s'en inspire quoiqu'il a sans doute été témoin de ce qui a conduit à la
convocation.
" J ° M. Lauwers, La mémoire des ancêtres, le souci des morts. Morts, rites et société au Moyen Age (diocèse
de Liège, XF'-XIIF siècles), Paris, Beauchesne, 1997, p. 190.
1,31
lbid., p. 303-304.
1132
lbid., p. 375-377.
1133
Informations tirées du livre de J. Le Goff, Saint Louis, p. 273-290

397
l'autorisation de reposer auprès de ses ancêtres à Saint-Denis, ce qui lui fut accordé. En
même temps, on plaçait aux pieds du saint roi les cendres de son chambellan, Pierre"34 ».

Revenant au récit, Renart se dirige ensuite vers Maupertuis, sa grande seigneurie.


Le château est particulièrement bien protégé et bien garni, sans compter ses abondantes
richesses. Renart reste ainsi parmi les siens avec bonne compagnie de comtes, de rois et de
clercs, tous s'adonnant à la fausseté, allusion à la fausseté du monde. Les paysans viennent
se plaindre à Noble des misères que Renart leur donne, il les rançonne. Le devoir de justice
du roi apparaît dans la littérature médiévale comme le juge idéal, « tous, juristes et
théoriciens politiques, s'accordent pour définir le principe afférent au devoir royal de
i j ne

justice : rendre à chacun son droit ». Dans l'obligation de défendre ses sujets mais ravi
de l'opportunité de venger Ysengrin, le lion déclare la guerre à Renart et se prépare à
assiéger Maupertuis. Dans ce but, il fait construire un pont pour entrer dans la forteresse.
Après que les travaux militaires fussent terminés, l'assaut est donné. À minuit, Renart
trahit ses hommes en s'enfuyant avec ses fils et des proches, laissant les soldats sans
commandement. Mais cette couardise est punie puisque, durant l'évasion, son fils Roussel
est capturé.

Du coté des adversaires, le roi apprend enfin la vérité sur son fils aîné, tandis que
ce dernier rencontre Renart pour élaborer d'autres stratégies. Dans une place forte du
goupil, où habitent les vices personnifiés, dont Haine et Envie, il est convenu qu'Orgueil
sera couronné par Renart en présence de Proserpine. Cette dernière apporte couronne et
sceptre qui viennent de l'enfer comme précédemment l'armure de l'adoubement. Une fois
la fête terminée, Renart part et recommande aux dames, des vices, de tenir continuellement
compagnie au nouveau roi Orgueil qui a comme programme politique la corruption du
monde.

A. Erlande-Brandenberg, Le roi est mort: étude sur les funérailles, les sépultures et les tombeaux des rois
de France jusqu'à la fin duXIlF siècle, Genève/Paris, Arts et métiers graphiques, 1975, p. 78
C. Gauvard, Violence et ordre public au Moyen Âge, p. 93.

398
Le clergé se range immédiatement du côté du nouveau roi puisqu'il est plein de
convoitise, de même que les princes, les comtes et les rois. Contre l'armée des vices de
Renart, se dressent les vertus (16 au total) annonçant un thème cher aux prédicateurs: le
combat des vices et des vertus. De tous les vices, Envie est la plus redoutable et fit périr
beaucoup de gens" 36 . Renart va guerroyer et offre à Orgueil les services de son fils
Malebranche qui connaît bien l'art de son père. Tandis que les dames vont de ville en ville
répandre leurs fiels dans «as parlements et as conchilles 1137» et trouvent des oreilles
attentives tant chez les princes que les seigneurs ecclésiastiques qui tous désirent en tirer
bénéfice.

Pendant ce temps, Renart, qui s'inquiète du sort de son fils, décide de le faire
évader en s'introduisant dans Yost de l'ennemi où Roussel est prisonnier. Pour parvenir à
ses fins, Renart a recours à une ruse habituelle, déjà utilisée dans d'autres textes, il s'agit
du déguisement monastique. Dans un premier temps, il s'infiltre dans l'armée et entend les
hommes démoralisés qui voient en lui le possible réconfort d'un homme de Dieu. Puis il
demande à voir le roi, un thème déjà exploité, qui le prend pour un Cordelier «frères
1 1 ^R

cordelois ». Le roi s'enquiert de l'identité du nouveau venu et ce dernier répond qu'il


se nomme frère Jonas, qu'il réside à Dijon et qu'il souhaiterait faire son prêche le jour
suivant. L'auteur s'est possiblement inspiré d'un personnage réel : «En 1155, l'évêque
Nicolas de Cambrai doit excommunier un clerc nommé Jonas, convaincu de
catharisme" '9 ». Renart. qui avait à la cour du roi quelques amis et parents, bénéficia de
l'aide de son cousin Grimbert qui plaida devant la reine pour le salut de l'âme de son
neveu Roussel. Il fut donc accordé à Roussel le droit d'être entendu en confession avant
d'être pendu, la plaidoirie de Grimbert interpelle la miséricorde des souverains. Le roi
décide que tous les prisonniers seront confessés et en donne l'ordre à Roenel le chien. Le

"'6 Renart le Nouvel, v. 1288-1290, p. 62.


1,37
lbid.,\. 1325
138
/./</., v. 1451
llj9
P. Pierrard, Histoire du Nord., p. 117. Une autre possibilité, cité par F. Lot et R. Fawtier, dans Histoire
des institutions françaises au Moyen Âge, Paris, PUF, 1958, p. 10. ferait référence à l'évêque d'Orléans,
Jonas qui en 831 composa De institutione regia à l'intention de Pépin d'Aquitaine pour l'exorter à accomplir
son devoir de prince chrétien. Même si l'événement est plus lointain, la référence serait encore plus
ironique.

399
lendemain, les détenus sont amenés devant le roi dans une tente aux cierges allumés.
Noble s'adresse à Roussel qui, en vrai fils de Renart, se montre insolent. Fâché, le roi
rappelle les fautes et crimes de Renart pour lesquels ce dernier n'a jamais été puni, dont les
meurtres de Coupée la Poule et du Milan, les offenses faites à Tibert et surtout, celles
faites à Ysengrin"40. Puis, il enchaîne avec l'épisode de la joute, qui a coûté la vie à
Primaut, et la mauvaise influence de Renart sur Orgueil. Comme Renart a, en plus des
autres crimes, dépossédé le roi de son fils en l'entraînant à faire la guerre contre lui, il
mérite la corde, accusation contre Renart mais ce dernier semble absent, encore un autre
thème récurrent.

La réponse de Roussel est ambiguë. Dans sa défense, il invoque la croisade. Pour


Flinn, ce passage réfère à un épisode historique, celui de Tagliacozzo en 1268 opposant
Charles d'Anjou et Conradin. L'auteur assimilerait les Hohenstaufen à la famille de
Renart : « Roussel, fils de Renart, ressemble à Conradin. Or, Conradin était l'adversaire du
pape et petit-fils de l'empereur Frédéric II, surnommé l'Antéchrist. Que Jacquemart Gielée
appelle Renart l'Antéchrist n'a rien de surprenant quand on considère le rôle que le goupil
joue avec Orgueil et les autres Vices dans la corruption du monde " 41 ». Pour notre part,
nous y avons surtout vu un des nombreux subterfuges et impertinences propres à Renart.
En digne fils de son père, Roussel tient tête au roi en le menaçant de vengeance par les
Sarrasins, ce qui est particulièrement vexant pour un roi chrétien. L'insulte atteint son but
puisque le roi, à tel point courroucé, tombe en pâmoison et manque de peu de s'étrangler,
attitude fréquente chez Noble et que l'on retrouve aussi chez le roi Arthur dont il est en
partie le « pendant parodique »:
De che mot fu li rois courchiés
Si aigrement que de se poe
Li donna tel coup en le joe
Qu'il l'abati, et estranlé
L'eûst, s'on ne l'eùst osté" 42 .

1140
Il s'agit ici d'un résumé des épisodes majeurs des procès de Renart dans les branches anciennes, p. 71.
Il II
J. F. Flinn, Le Roman de Renart dans la littérature française, p. 272-273.
1142
Renart le Nouvel, v. 1586-1590, p.73.

400
À ce moment, arrive Renart en frère Jonas qui salue le roi et redemande s'il peut
confesser les prisonniers avant leur exécution prévue pour le lendemain. Renart propose au
roi de remplacer l'exécution par une croisade, assurant au monarque qu'aucun des
prisonniers ne reviendrait. Le roi éprouve des réticences par crainte que ces derniers se
soustraient à leur châtiment. Noble énumère les griefs qu'il a contre eux. Le frère Jonas
fait appel à l'indulgence du roi en le comparant au pardon que le Christ a accordé à Marie-
Madeleine. L'appel à la clémence royale est un thème fréquent dans la littérature du
Moyen Âge et renvoie à une qualité traditionnelle du prince. La clémence est une qualité
fondamentale et Renart demande au roi de chasser la cruauté et l'orgueil de son cœur.
Malgré l'habilité du faux moine, le roi refuse net mais accepte tout de même la demande
de confession. Ici, l'auteur sous-entend que cette «noblesse de cœur» est une faiblesse de
Noble qui va lui coûter cher. Les qualités traditionnelles du roi peuvent, face à Renart,
devenir ses pires faiblesses, voire des erreurs de jugement.

Renart va confesser son fils et lui révèle son identité ainsi qu'aux autres captifs.
Tous savent qu'ils seront délivrés cette nuit. Pour parfaire son plan, il compte sur l'aide de
Grimbert, ce qui démontre l'importance de la solidarité du clan, l'une des forces de
Renart. Munis des clés, les prisonniers s'évadent et volent armes et armures. Arrivés à
Maupertuis, tous chantent et manifestent bruyamment leur joie, ce qui alerte les gens du
roi. Réveillé par le tintamarre, Noble veut savoir ce qui se passe. Roënel le chien, qui était
en charge des prisonniers, tente de s'enfuir par peur de représailles. Il est rattrapé par
Malegrape le griffon qui l'amène devant le roi. Dans ce cas-ci, la clémence royale
intervient et le roi pardonne à Roënel, lui aussi victime des manigances de Renart. Ces
dernières ont été mises à jour puisque le roi a trouvé dans la prison les semelles du
cordelier"43.

" 4 3 lbid., V. 1792-1796, p. 82.

401
2. Nouvelle bataille contre Maupertuis: 1144

Suite à l'échec de l'assaut, les adversaires conviennent d'une trêve de deux mois.
En fait la demande a été faite par Renart au roi et acceptée par ce dernier. Pendant ce
temps, Renart solidifie les défenses de son château et le roi reconstruit son appareil
offensif. Suivant un conseil d'Ysengrin, Noble réduit du tiers la solde des soldats au repos.
Ce geste entraîne la défection de beaucoup de combattants, non seulement chez le petit
peuple mais aussi parmi les grands seigneurs qui ne peuvent tolérer une telle attitude de la
part du roi. Le thème a déjà été vu. Le roi doit mieux choisir son ou ses conseillers. Il
s'agit ici d'une intervention directe de l'auteur qui lance un avertissement au prince: la
largesse est fondamentale d'une part mais encore plus important est le choix du conseiller.
Le conseiller doit répondre à des critères: 1. Il doit être bon, de bon nom et de bonne
extraction, donc il n'y a pas de place pour les bourgeois et courtisans de petites familles
qui cherchent une rapide ascension sociale. 2. Il doit posséder des qualités morales: être
charitable envers tous, aimable, doux, sage, discret, fiable et ayant une vie et des mœurs
irréprochables, aimant et aimé de tous. Ces qualités sont assez similaires à celles du prince
à l'exception de la discrétion. Il est entendu qu'un bon conseiller ne prend jamais l'avant-
scène. Une des conséquences les plus néfastes de l'influence des mauvais conseillers est le
départ des bons. Quand les courtisans arrivent à la cour, ils font fuir les bons seigneurs qui,
dans leur sagesse et pureté d'intention, ne peuvent supporter calomnie, mensonge et
médisance. Il est particulièrement dangereux, selon l'auteur, de promouvoir des non-
nobles: Quiconques fait de serf segneur, / Lui et sen règne en grant doleur.

Le roi est responsable du choix de son conseiller et se met en péril s'il prend cette
tâche avec légèreté: « Sires, qui mauvais conseil croit/ Li meïsmes avant déchoit ». Par
la faute de l'avarice d'Ysengrin, Noble perd les meilleurs seigneurs de sa cour et cela, en
partie, au profit de Renart. La parcimonie, voire l'avarice du roi, même si elle découle du

1144
Dans la description des combats et des combattants, les personnages retrouvent leur entière animalité et
combattent selon leurs caractéristiques physiques habituelles, lbid., v. 1812-1924, p. 82-86.
1145
l b i d , v. 2005-2006, p.89.
1146
lbid., v. 2013-14, p. 89

402
conseil d'autrui, est une faute majeure qui entraîne de lourdes conséquences. Gielée a la
même vision que Rutebeuf sur l'avarice. Le monarque garde toujours une responsabilité
face à ses décisions. Le conseiller est certes fautif, mais le roi l'est aussi de l'avoir écouté
et, par conséquent, d'avoir mis sa confiance dans une mauvaise personne. Malgré les
apparences, le conseiller ne porte jamais en totalité l'odieux d'une faute, le roi conserve
une part de la responsabilité. Il a un devoir de vigilance. Pour sa part, Renart sait être
généreux et procède à un large recrutement qui s'étend jusqu'en Orient, amenant à lui de
grands seigneurs avec leur armée respective. Renart s'attribue une qualité essentielle au
prince, la largesse. Sur ce point, le goupil semble meilleur souverain que Noble, même si
ses actions sont motivées par ses seuls intérêts. « Renart (...) s'approprie l'exercice de la
largesse royale, tandis que Noble, mal conseillé par Ysengrin. sombre dans une avarice
sordide, incompatible en tout cas avec l'image du bon roi" 47 ».

Sur les entrefaites, le roi reçoit la visite d'un espion qui lui conseille de faire la paix
avec son ennemi, ce qui l'offusque tant son ressentiment est grand. Se ravisant, il demande
d'abord à son interlocuteur qui parmi ses hommes ont rejoint Renart. L'espion en donne
les noms mais ne s'attarde pas sur ce point et rappelle au roi qu'il a lui-même provoqué la
situation en insultant ses barons et prit le risque de perdre les plus fidèles de ses alliés.
L'espion fait comprendre au roi la gravité de la situation. 10 contre 1 pour Renart. On
rappelle la largesse de Renart qui n'hésite pas à puiser dans son trésor pour récompenser la
fidélité des siens. Noble devrait imiter Renart en cela à l'avenir: «Rois, pren conseil ou tu
ies mors"48». L'espion est l'archétype du bon conseiller qui se veut utile plutôt que
plaisant, ses propos doivent être justes, quitte à être désagréables. Son rôle n'est pas de
flatter le monarque mais de le guider au mieux de ses connaissances, sans craindre de dire
à son prince quelques vérités bien senties. C'est l'attitude de l'espion qui rappelle au roi
ses devoirs et ses fautes. Sera-t-il écouté? Les propos de l'espion enrage le roi d'autant
plus que celui-ci transmet un message de la part de Renart qui prédit la défaite de Noble.
C'est Ysengrin. pourtant à l'origine des problèmes de l'armée, qui répond au nom du
monarque affirmant que le combat aura lieu:

114-
R. Bellon, « La justice dans le Roman de Renart. procédures judiciaires et procédés narratifs », p. 40

403
Pour le roi respont au mesage
Ysengrins et dist:"Cest outrage
Porra bien Renars comperer,
Et de che se puet bien vanter
C'a bataille ne faudra mie
A demain, se li rois l'otrie.
Et li rois respont: " Je l'otri."" 49

Le roi n'a pas su tirer profit de ses erreurs, il est aveuglé par son orgueil et ne voit
que l'outrage. L'orgueil est un thème fréquent dans la littérature de l'époque tant chez le
personnage de Noble que comme attribut du lion, l'animal. Un rendez-vous guerrier est
donc pris pour le lendemain. De l'intérieur de la muraille, Renart tient un discours visant à
galvaniser ses troupes déjà fortes de leur nombre. Chacun se prend pour un nouveau
Roland. L'armée est forte: « Que chevaliers et que sergans,/Bien armés, hardis et
aidans"50 ». Celle du roi est bien plus faible et craintive. Il reste peu de grands seigneurs et
les autres sont conscients de leur désavantage numérique:
Li rois a bataille a meschief,
.X. mile contre .c. mil; grief
Paour a, ne moustre sanglant,
Mais se gent va amonnestant
De bien faire, et chascuns respont
C'au jour d'ui preudonme seront."51

Ce qui suit est un excellent exemple de l'intelligence et de la duplicité de Renart.


Face à l'armée réduite de Noble, Renart prend conscience de la peur du monarque et des
avantages qu'il pourrait en tirer. En effet, il serait plus sage de tenter une réconciliation
que de risquer d'éventuelles représailles en cas d'une très probable victoire. Renart
comprend qu'il détient une position fort avantageuse: « Sages est qui fait de son tort/ Son
1 1 ^7 • •

droit ». La phrase qui précède est presque une maxime courante, déjà utilisée par
Renart dans le Couronnement. Renart montre ses qualités de stratège. Il serait dangereux
de mettre le roi à mort puisque ses amis le vengeraient à coup sûr et il perdrait ses gains
momentanés. De plus, il serait aisé, une fois rentré dans les bonnes grâces du roi, de se

1148
Renart le Nouvel, v. 2132, p. 93.
1149
lbid, V. 2141-2147, p. 94
"50 l b i d , V. 2191-2193, p. 96.
1151
lbid., V. 2235-2240, p. 97

404
venger d'Ysengrin. Chose d'autant facilitée qu'Ysengrin, en conseillant mal Noble, se
plaça dans une situation précaire, voire périlleuse - autre exemple où le loup devient
l'artisan de son infortune. Mais Renart doit procéder par étape. D'abord, il tente d'obtenir
le pardon par toutes les flatteries possibles, puis de s'introduire dans les postes importants
de la cour. Réintroduit à la cour et surtout au Conseil royal, à la place d'Ysengrin évincé,
Renart compte obtenir la charge de «Grans maistre de l'ostel" 33 , endroit tout indiqué pour
comploter à sa guise. Mais le goupil n'en reste pas là. Dans l'éventualité du décès du roi, il
se fera nommer bailli, puis baux des enfants pour ensuite accéder au trône et enfin se
débarrasser de l'ensemble de ses ennemis, se gardant ainsi d'une possible contestation.
Tout comme ses prédécesseurs, dont l'auteur du Couronnement, Gielée estime que le réel
danger,vient de l'intérieur même de la structure du pouvoir et non d'un ennemi déclaré,
aussi puissant soit-il. Satisfait de son idée, Renart va exécuter son plan en débutant celui-ci
par la réconciliation. Renart mise sur le faux repentir pour convaincre Noble. En flattant
l'orgueil du roi, il arrive aisément à ses fins:
Hé, rois Nobles, je vieng a ti
Conme mesfais, près d'amender
De canques vaurrés conmander
Seur mi et de cors et d'avoir.
Rois, je me mec en ton voloir."?4

Le lion peut-il refuser le pardon à Renart et risquer une défaite coûteuse en vie et
surtout en déshonneur? L'auteur ne précise par le type du pardon, s'il est total, donc
annulant toutes les charges retenues contre Renart. ou conditionnel. En d'autres termes,
est-il question ici de grâce ou de rémission? Selon Nicole Gonthier, la différence
s'établirait comme suit: «la rémission va même plus loin que la grâce dans le blanchiment
puisqu'elle interdit désormais toute référence à l'inculpation, rend vierge de toute
incrimination le bénéficiaire1 ». Dans la tradition renardienne, si pardon il y a, il ne peut
s'agir de rémission puisque toute la structure du roman repose sur le rappel des forfaits
antérieurs de Renart. En donnant le baiser de la paix, le roi offre une image de mansuétude

1152
lbid., V. 2259-2260, p. 98.
1,53
lbid, V. 2279, p. 99
1154
lbid., v. 2310-2314, p.100.
11 5
N. Gonthier, Le châtiment du crime au Moyen Age, Xll-XVFsiècles, p. 198.

405
propre à redorer son blason. Il évite une catastrophe au plan militaire et il sauve la face,
probablement sa préoccupation première. Toutefois, il semble que Noble sous-estime les
dangers de «confier le poulailler au renard» puisqu'il invite le goupil à siéger au conseil.
Même Ysengrin doit se rallier sous la pression du roi. Nous verrons plus loin que Noble
montre moins d'indulgence quand sa personne est directement impliquée. Pour épater la
galerie et offrir une image de grande largesse, Renart organise une fête fastueuse à
Maupertuis en l'honneur du roi et de la reine. Ne commettant pas la même erreur que le
souverain, il prend garde à payer convenablement les siens et offre à ses invités des
cadeaux selon leur rang social . L'auteur conclut le premier livre avec l'annonce des
mauvaises intentions de Renart: « Et puis retourne a son manoir,/ Le cuer plain de mauvais
voloir"57».

À la manière de Renart le Bestourné, le prologue du deuxième livre débute par une attaque
contre le clergé qui ne propage pas les vertus chrétiennes, les pires des vices étant la
convoitise et l'envie:
Mais poi regardons a se mort,
Car Couvoitise si nous mort
Les cuers, et Haine et Envie
Et Renars qui ou monde en vie
1 1 SR

Est, dont c'est doleurs qu'il tant règne.


L'action proprement dite débute au printemps lors d'une chasse du roi. Ce motif est
quasi-archétypal, du moins très souvent abordé dans le roman arthurien. Ici, il permet
d'introduire une thématique amoureuse. Il s'agit de la rencontre de Noble et de Harouge la
léoparde, femme d'un vassal du roi - Lulle a abordé ce thème dans le Livre des bêtes, il en
fait une faute grave du roi envers son vassal. Tandis que le souverain chante «fleurette à sa
belle », au sens propre comme au figuré, Renart et ses deux fils nouvellement chevaliers
font leur apparition. Renart se montre affable et respectueux envers Noble. La
conversation bifurque sur les épisodes de la dernière bataille. Dans son discours, le roi
vante les mérites de combattant et de stratège de Renart, ce qui prouve qu'il sait

'6 Thème très bien exploité dans le Lancelot en prose par un discours d'un ermite au roi Arthur.
Renart le Nouvel, v. 2585-86, p. 111.
1158
lbid., V. 2623 -2627, p. 113.

406
reconnaître les qualités d'un ancien adversaire, et lui propose, en reconnaissance de sa
sagesse, les postes de bailli et sénéchal. Le dernier office appartenant dans le passé à
Ysengrin, le roi le critique et émet le désir de démettre le loup de ses fonctions. Les plans
de Renart réussissent donc à merveille et sans trop d'effort. Ultime marque de confiance,
le roi lui confie les sentiments qu'il nourrit à l'égard d'Harouge et lui demande conseil
dans ses démarches amoureuses: « Sire Renars, consilliés m'ent,/ car d'amour Faim
corelment ».

Renart recommande au roi la prudence et lui propose de l'accompagner au rendez-


vous pour une question de sécurité. En fait, il espère se servir des confidences de Noble
pour mieux le duper. Nous avons donc ici Renart entremetteur, un peu à la manière de
Dame Renarde dans le Livre des bêtes de Raymond Lulle. Poussant davantage la perfidie,
le goupil se fait passer pour Noble auprès de la galante, profitant à son aise de la situation.
Le roi se montre encore une fois d'une naïveté déconcertante. Non content d'avoir séduit
Harouge, Renart l'enlève et la conduit à Maupertuis. Pendant ce temps, Noble attend
stupidement, s'interroge et craint pour la vie de son entremetteur, sans jamais soupçonner
les duperies de Renart. Dépité et inquiet, Noble retourne à «Orgilleus Castel». Après que
Renart se fut bien amusé, il allât voir le roi à la cour et lui témoigna sa plus sincère amitié.
Le roi croit à la courtoisie de son baron et le récompense en le faisant maître de l'hôtel
royal, sénéchal du royaume et chef du conseil souverain. Tous les vœux de Renart sont
exaucés, tous ou presque. L'auteur se désole en constatant qu'il y a beaucoup de Renart
dans le pays, tant chez les clercs que chez les laïcs. John F. Flinn tire de ces passages une
intéressante analyse du comportement royal:
En rapetissant Noble, en le ridiculisant au niveau du moindre de ses sujets qui
s'abandonne à une liaison adultère, qui passe une nuit pleine d'appréhension et
d'angoisse dans la forêt, comme un simple larron, et qui se fait tromper à la fin par
un coquin, le poète donne tout simplement une nouvelle illustration de son thème
essentiel: la décadence des moeurs et la corruption du siècle. Le maître d'Orgilleus
Castel, le roi Noble qui jusqu'ici avait été malgré tout respecté et respectable, est
enfin trompé, humilié, son autorité est sérieusement mise en doute. La royauté, qui

I I 59
lbid., V. 2697-98, p. 116.

407
devait être, avec la noblesse et le clergé, le soutient le plus sûr des vertus, de l'ordre
et de la morale dans la société féodale, est aussi susceptible de corruption.1160

Cependant, l'auteur ne remet pas en question la royauté et ses institutions. Il défend


au contraire une vision traditionnelle de la monarchie en soulignant les défaillances d'un
monarque trop facilement influençable. La position de Gielée est similaire à celle des
légistes royaux, Juvénal des Ursins ne dira pas autrement quelques décennies plus tard. Et
les réflexions sur la perte de pouvoir de la royauté sont applicables à toutes les maisons
princières. Mais revenons à Renart qui, par ses nombreuses fonctions, règne dans les faits
sur le royaume. Preuve éloquente que le mensonge paie!:
A Renart le rous a fait don
D'estre signeur de ses consaus
Et s'a fait qu'il ert senescaus
De se terre et de son ostel.
Encore li donna il el:
De se terre en fist recheveur,
Grant baillieu et de tous signeur
De son ostel et de son règne.
En tous grans osteus Renars règne
Au jour d'ui, dont c'est grans doleurs
Qu'il règne en cours de grans signeurs.1 ' .

Une audience est convoquée par le roi pour la Pentecôte et doit réunir l'ensemble
de ses vassaux, probablement une assemblée plénière Sur les origines des assemblées
représentatives, Bernard Guenée indique:
Dans la société féodale, le seigneur convoquait de temps à autre ses vassaux pour
leur demander le conseil qu'ils devaient et voulaient lui donner. Ces assemblées,
qui étaient indifféremment appelées colloquia, concilia, conventus, curia, placita
ou tractarus, étaient aussi importantes qu'étaient imprécises leur composition et
leurs fonctions. Par la suite, le prince dut faire face à des problèmes politiques,
militaires, monétaires, financiers et administratifs de plus en plus difficiles. Pour
les résoudre il tint compte des réalités nouvelles et voulut s'assurer un plus large
appui. Il prit donc l'initiative de convoquer des assemblées plus larges qui, quoique
1 1 f\")

nées des cours féodales, eurent bientôt de tout autres caractères

1160
J. F. Flinn, Le Roman de Renart dans le littérature française, p. 281.
1161
Renart le Nouvel, v. 2960-2970, p. 125.
1162
B. Guenée, L'Occident auxXIV et XV siècles. Les États, pp. 245-46

408
Toujours selon Guenée, la procédure doit beaucoup au droit romain et aux conciles,
3e et 4e conciles de Latran, 1179 et 1215, qui reconnaissaient le principe que ce qui
touchait tout le monde devait être «décidé» par tout le monde. Le premier prince à
appliquer cette procédure est Frédéric II en 1244 quand il convoque l'assemblée de
1 1 fii\

Vérone . Dans le cas qui nous occupe, suite à l'assemblée, une grande fête est donnée
près du monastère où le roi fut couronné. C'est dans ce déploiement du faste princier que
Renart montre l'étendue de son influence. Noble a en lui une telle confiance qu'il en fait le
porteur de l'épée royale, symbole par excellence de la justice:
Rois Nobles Renart apela,
En audienche dit li a,
Quant on va a pourcession,
L'espee roail, ou li non
De Dieu sont, porte devant lui
Toute nue a che haut jour d'ui
En seigne qu'il est justichiers
Justes, des tors fais droituriers,
Et espee de sainte Glise.
Renars tel serviche moût prise,
Qu'il en rent a genous fléchis
Au roi Noble .v. cens merchis."

Au roi chevalier et grand justicier, s'est substitué Renart le fourbe et cela au sus et
à la vue de tous. Non seulement le personnage de Noble est ridiculisé, mais sa fonction est
attaquée. C'est la représentation même de la monarchie qui est détournée. La suite illustre
le fonctionnement de la justice du roi ou du prince avec sa cohorte de plaignants qui
demandent réparation. Là encore Renart corrompt le système en se substituant au
monarque dans l'exercice de cette fonction fondamentale. Cette délégation n'est pas
nouvelle dans les branches de Renart, elle se retrouve déjà dans YYsengrimus et dans
YEcbasis. Concernant un épisode de YYsengrimus, III, v. 606-610, Elisabeth Charbonnier
note que :
L'institution, c'est-à-dire la cour présidée par Rufanus et siégeant en assemblée
plénière, fonctionne comme un piège et sert la vengeance sadique de Renard. Le roi
ne fait d'ailleurs que très formellement office de juge. Il abandonne tous ses
pouvoirs au goupil qui parle et décide en son nom. Peut-être est-ce là un souvenir
1,63
lbid, p. 247.
Renart le Nouvel, v. 2993-3004, p. 126-127.

409
de l'Ecbasis, où le lion dans des circonstances identiques déléguait son autorité au
Renard? Mais un procès, où l'une des parties est en même temps juge, ne peut être
que caricatural, et malgré le peu de mérite du loup, l'épisode laisse une impression
de malaise" 65 .

En administrant la justice royale, qui n'est pas que symbolique, le goupil se sert de
son rôle pour exercer une purge dans l'entourage de Noble et tente tout particulièrement de
se débarrasser d'Ysengrin. Renart joue donc sur deux fronts: il s'approprie la symbolique
du pouvoir représentée par l'épée, puis il exerce au nom du roi une des prérogatives
fondamentales du souverain en la souillant puisqu'il utilise ce pouvoir à mauvais escient.
Cette conquête représente un réel détournement de sens et de pouvoir des attributs
souverains. Preuve s'il en est que la bonne justice demeure liée à celui qui la rend. Les
conséquences pour la cour sont considérables puisque le fils de Tibert, Mitoul et Hubert le
milan vont y laisser leur vie:
Li rois en jure saint Lambert,
Cist fourfait erent amendé.
Lors conmande qu'enprisonné
Soient chil de cui on se plaint;
Fait fu. Juré en a maint saint
Li rois que faite en sera lois
Et jugemens loiaus et drois."

Les deux derniers vers illustrent l'idéal de justice mais les événements vont
contredire cet idéal. Dans son intense désir de destruction, Renart veut convaincre le roi de
la culpabilité du loup qui n'est pourtant pas directement impliqué dans la présente affaire.
De plus, il se fait le défenseur d'une justice punitive et rapide:
Renars dist au roi:"Entendes,
Sire rois, pour coi atendés
Que vous ne pendes ches mourdreurs?
S'il vivent plus, c'ert grans doleurs;
Leur jugemens est trestous fais,
Car seur aus est prouvés li fais.

1165
É. Charbonnier «Le thème du jugement dans la fable et quelques avant-textes du Roman de Renart », La
justice au Moyen Âge, p 118.
1166
Renart le Nouvel, v. 3032-3038, p. 128
1167
lbid., v. 3043-3048, p. 128

410
Ysengrin est sauvé de la potence in extremis par l'intervention de Thiecelin le corbeau qui
soutient devant le roi que le père n'a pas à payer pour les crimes du fils:
C'au roi a dit:"Sire, Ysengrins
N'a coupes ou fait, mais ses fiex
Pinchars le fist, si m'ait Diex.
Dont fu Ysengrins délivrés
Et Pinchars ses fiex traînés
Et pandus en haut au gibet,
11 fi\H

C'on eut bonne preve du fait.


Par l'intervention d'un baron éclairé, la justice royale n'a pas été totalement
corrompue par Renart. Après que la cour se soit dispersée, le récit retourne à l'animalité,
évoquant les histoires habituelles des vieux contes. Aussi jolies soient-elles, ces
historiettes"69 n'ont aucun lien avec le reste du récit. Elles peuvent rappeler les rivalités
entre Ysengrin et Renart de même que la nature prédatrice du goupil. Les passages les plus
intéressants concernent des épisodes qui mettent en scène Tibert et des clercs, qui ajoutent
aux notes anticléricales de l'auteur. Gielée revient à son histoire sans réelle transition par
le retour de Renart à Maupertuis. Ce dernier y retrouve Hermeline folle de jalousie après le
passage forcé d'Harouge. Chassée par Renart, Hermeline décide de se plaindre du
comportement de son époux devant le roi. Elle l'accuse de trahison et raconte la
séquestration de la léoparde dans Maupertuis. Présent à la cour, le léopard entend le
discours de la dame et. courroucé, déclare vouloir faire la guerre au roi:
Rois, je te renc fief et honmage
Que tieng de toi, et hiretage.
Car vers moi as ouvré que faus
De me fame, dont point ne faus
A grant guerre: rois, toi deffi.

Dans de pareilles circonstances, le vassal est en droit de rompre l'hommage


puisque le lien « a pour fonction primordiale d'établir entre les deux contractants une
garantie de sécurité " 7 1 ». En d'autres mots, ne pas se nuire et à tous les niveaux. Dans les
cas où le vassal s'estime outrageusement lésé, il peut agir sans autre forme de procès par

1168
lbid, v. 3060-3066. p. 129.
1169
lbid, V. 3067-3362. p. 129-140.
1170
lbid, v. 3387-3391, p. 141.

411
une rupture de foi, ce qui équivaut à un défi lancé à son seigneur. L'autre possibilité
consiste à organiser au profit du vassal une procédure de désaveu, « le vassal saisit le
seigneur de son seigneur, son suzerain. Il désavoue son seigneur. Celui-ci est jugé par ses
propres pairs " 7 ». Mais encore faut-il qu'il se trouve une puissance hiérachiquement
supérieure au seigneur considéré fautif, ce qui ne semble pas être le cas ici.
Intelligemment, Noble accepte ses torts et convainc Hardi de sa bonne foi. Le roi offre un
dédommagement à son cousin tout en préparant une nouvelle guerre contre Maupertuis.
Pendant ce temps, Ysengrin vient se plaindre une nouvelle fois de Renart pour des motifs
similaires à ceux évoqués dans la branche II, c'est-à-dire essentiellement du pillage et une
autre agression à l'endroit d'Hersent. Succède une longue liste de plaintes formulées
notamment par Chantecler et Tibert. L'appel à la vengeance du chat est particulièrement
vif et achève de convaincre Noble d'agir au plus vite:
Quant Thibers li cas miaulant
Vint devant le roi et criant:
"E! venganche, biaus sire rois!
Tout ensi urlé que me vois
Fui par Renart le traïteur."
Et dist li rois:"Ves chi doleur
De chel laron, mais, par saint Pol,
1 17^
Il en pendera par le col
Le roi se prépare à la guerre en réunissant le plus grand nombre de gens, princes,
barons, chevaliers, bourgeois comme écuyers. Mais ce qui plaît bien aux hommes d'armes
se révèle pénible pour le peuple qui en subit les désagréments: « Et as povres gens est
moût lait,/Car par mi aus vont tout li frait"74 ». On s'étonne que les sujets du roi puissent
encore compter sur lui pour les venger, lui qui s'est laissé berner tant de fois par Renart.
Ne pourraient-ils pas exercer eux-mêmes les représailles contre le goupil sans recourir à
l'aide de Noble qui n'a pas été particulièrement brillant lors de la bataille précédente?
Peut-être existe-t-il une obligation des vassaux envers leur suzerain qui les empêcheraient
d'exercer une justice personnelle ou bien ils se rendent compte de la duplicité de Renart
face au roi, qu'ils pourront mieux contrôler eux-mêmes? Quoi qu'il en soit, l'armée royale

G. Duby, « Féodalité », Dictionnaire du Moyen Âge : histoire et société, p. 337.


J.-F. Lemarigner, La France médiévale, p. 138.
Renart le Nouvel, v. 3434-3442, p. 143.

412
marche vers Maupertuis. Après un premier assaut, Renart blesse Noble, de même que
Hardi, ce qui montre que le roi participe activement à la bataille conformément à l'image
du roi chevalier:
Lors fist Renars sans plus atendre
L'arc a tour en le grant tour tendre;
Au descoter fiert le Lupart
En le cuisse et fiert d'autre part
Et ataint roi Noblon ou pié,
Que moût a entre l'a quoissié;
Dont fist li rois tantost sonner
Le retrait et laissier ester
L'assaut, car li rois est navrés
Et li Lupars. Chascuns portés
Fu dont as tentes et couchiés."73

Ce qui est moins conforme à l'idéal chevaleresque concerne l'attitude du roi après
son retrait des hostilités. Il accepte immédiatement une trêve demandée par Renart, ce qui
ne démontre pas chez lui une grande persévérance. Durant cette pause, un intéressant
échange épistolaire s'engage entre le roi et son baron. C'est le roi qui envoie la première
lettre, portée par un messager du nom de Duvlin le coulon"76. En grand seigneur, Renart
la fait lire par son chapelain. Détail intéressant1 ' , cette lettre est en prose et non en vers
comme l'ensemble du texte. Après les titres d'usage, Noble débute par des insultes et par
un abrégé des crimes du goupih du moins énumère-t-il les plus récents:
Nous, Nobles, par le grace de Dieu, rois seur toutes les bestes. a Renart le rous, con
a sen parjure, foimentie et sen traiteur, mourdeur. tenseur, cunkieur et ravisseur,
non salut, mais fai asavoir conme il soit ensi que a nous soit meffais de traïson
envers Hardis le lupart, que il bien set, vers Ysengrin et Cantecler le coc et vers
Thiebert le cat et vers autres pluseurs dont plaintes sont venues par devant nous,
nous li mandons et faisons asavoir que s'il en veut faire amende et venir a merchi
et faire satisfaction par un si qu'en no plain dit, nous le recheverons. Et bien sache
que il trouvera en vous miséricorde, c'est qu'il ne li sien n'aront warde de mort. Et
1 1 7S
se il che ne fait, sache qu'en no vivant guerre ne li faut

174
lbid, V. 3447-3448. p. 143.
Uli
lbid., v. 3555-3565, p. 147
6
Un coulon désigne un lapin ou un lièvre. Il en existe déjà un dans les contes renardiens mais il ne porte
pas le même nom. Il s'agit donc d'un nouveau personnage inventé par l'auteur.
Il est possible que l'auteur ait voulu par ce procédé accentuer la moquerie face à la procédure
diplomatique.
1178
Ibid.l 1-15. p. 149-150.

413
Les dernières phrases citées sont particulièrement révélatices de la clémence du roi
en accord avec la forme habituelle de la demande de pardon. Noble offre à Renart son
pardon si ce dernier vient se repentir et se livrer à la miséricorde royale. La grâce et la
rémission sont des droits régaliens que le roi partage, pour un temps, avec les grands
seigneurs. Mais en s'affirmant, l'autorité royale va faire du pardon une de ses prérogatives
la plaçant au-dessus de toutes autres justices. Si les monarques tendent à une plus grande
clémence lors d'événements heureux comme les mariages et les baptêmes, certains
intellectuels comme Gerson vont vite rappeler à leur souverain que «la miséricorde mal
comprise devient un péché mortel aux yeux de Dieu et compromet le salut du prince
comme du peuple"79». Ce marché est d'autant plus étonnant qu'il suit un énoncé des
fautes assez lourd. Dans le cas d'un refus, le roi prévient qu'il continuera le siège jusqu'à
une victoire totale quoiqu'il en coûte. Le roi souligne qu'il est en droit et que son
adversaire en tort et que sa proposition a reçu l'aval de son conseil respectant en cela les
usages:
Et pour le raison de che le vous mandons nous, que Dieus et li mondes ne nous en
sache que demander et que on sache que nous ne volons fors droit, et vous tort.
Ches lettres furent faites par grant esgart de nous et de no conseil"80

Pourtant, Noble ne se trouve pas en position de force. Soit il s'agit d'un stratagème
similaire à celui employé par Renart lors de la guerre précédente, soit le roi témoigne d'un
réel souci de miséricorde. Quoi qu'il en soit, Renart repousse la proposition, n'en voyant
pas l'utilité puisqu'il nie entièrement sa culpabilité. Sa réponse est transmise par
l'archevêque Timer qui en fait une lecture publique:
Nous, Renars, sires de Maupetruis et du pais entour, maistres des consaus des grans
signeurs et de leur règnes, et damoisiaus prisiés et amés ou monde des laies gens et
du clergié, li ques miens nons vole partout en essauchant. Conme il soit ensi, rois
Nobles, que vous m'aies assis en mon castel de Maupetruis, sans che que garde ne
m'en donnoie et sans raison qui fâche mie a faire si grande emprise comme vous
avés faite seur moi, et sans deffier, que faire ne deùssiés, qui vos hon estoie, et par
le conseil de cheus que vous vien saves qui me heent de mort, et me mandés et
conmandés que je viegne en vo merchi sans mort rechevoir, che ne ferai je mi, car
il i a du poil de l'ours en vo affaire, car je sai bien que se je venoie en vo merchi,
tant connois vo bon conseil que vous me meteriés, se vous me teniés, en ténèbres et
1179
Informations tirées du livre de N. Gonthier, Le châtiment du crime au Moyen Age, p. 192-204
1180
Renart le Nouvel, 1. 22-27, p. 150.

414
en cartre perpétuel, dont je me warderai bien, se je puis. Dont puis que vous estes
desloiautés vers moi, que faire ne deùssiés, li hommage et li fois que je vous dévoie
est nule, car vous avés premiers rompu le festu, qui autant de foi me déviés que je
vous dévoie, dont je vous fai assavoir que je sui Renars, et, qui m'assaurra, je me
desfenderai; et, qui seur moi ardera, jou arderai seur lui. Mais faites le bien; je ferai
un jùse pour moi purgier de che de quoi vous m'arrokiés, tel que je vous deviserai.
Ch'iert de porter un fer ardant de cheval en son une lanche, que je n'ai coupes ou
fait pour coi vous m'avés chi assegiés. Si je sui du fer ars ni escaudés, traîtres soie
et faites de moi conme de traïteur et, se je n'ai garde de fer, on me tiegne paisivle;
se che non, je vous desfi et di fi de vous et des vos, car li drois est miens et non
vostres"81.

Tout Renart est dans cette lettre, son arrogance, ses certitudes d'avoir raison, son
irrespect des personnes et des institutions. D'abord, il ne fait preuve d'aucune modestie en
se plaçant à l'égal du roi. Puis il rejette la faute sur Noble qui l'a «assailli», il est donc en
droit de se défendre. Par la suite, il accuse le roi de s'être fait entraîner par les racontars de
ses nombreux ennemis qui, évidemment, se plaignent sans motifs. L'attitude de la victime
est habituelle chez Renart et il l'a utilisée fréquemment. Par ailleurs, en cas de reddition, il
craint d'être emprisonné à vie et souligne son manque de confiance envers le roi qu'il
accuse de déloyauté. Les longues peines d'emprisonnements ne constituent pourtant pas la
norme à la fin du XIIIe siècle. Si les fautes sont mineures, le coupable s'en tire avec le
paiement d'une amende plus ou moins lourde. Pour un délit plus important, il peut faire
face à la confiscation de ses biens et dans des cas graves, il encoure la peine de mort. Et
entre la théorie et la pratique judiciaire il y a parfois un large fossé qu'expliquent « la part
de l'arbitraire des juges, le large usage des cautions et de la « prison ouverte » qui peuvent
1 1 OT

donner l'impression d'une justice laxiste, enfin l'importance des résolutions pnvées ' ».
Ceci ne s'applique pas aux prisonniers de guerre qui demeurent captifs tant que le montant
de la rançon n'a pas été accumulé, ce qui peut prendre plusieurs années dépendant du
statut des ces « invités forcés». Pour éviter une situation potentiellement fâcheuse, Renart
se croit justifié de rompre l'hommage en arguant que Noble y a contrevenu en premier. Il
menace de se défendre s'il est attaqué et, pour finir, propose de prouver son innocence par
un jugement de Dieu, comme s'il pouvait y croire même un seul instant. Cette attitude
irrévérencieuse, surtout pour un coupable, se retrouve dans un autre texte, Tristan et

1181
lbid, 1. 1-33, p. 152-53.

415
Yseult. Dans le roman, accusée d'adultère, la reine accepte de se soumettre au jugement de
Dieu en faisant un demi-mensonge. Elle déclare que personne, hormis son époux et le
mendiant qui l'a aidé à traverser la mare sur son dos, la reine est donc à califourchon sur
ce faux inconnu, n'a été entre ses jambes. La défense est particulièrement habile puisque
Yseult sait fort bien que le mendiant n'ait autre que son amant qui s'est déguisé pour
• 11 scx

l'occasion . La première branche de Renart, celle de Pierre de Saint-Cloud, fait aussi


mention du jugement de Dieu et le ridiculise. Il faut avouer que pour un juriste, ce type de
justice parait archaïque. Ce « mode de résolution des litiges » apporté par les peuples
germaniques n'enthousiasmait guère les clercs qui considéraient que « c'est tenter Dieu
que d'exiger de lui un signe ». L'ordalie a été interdite par l'Église en 1215 lors du 4e
concile de Latran. Tandis que la participation des clercs au duel judiciaire fut prohibée lors
du concile de Valence en 855 et Saint Louis serait le premier prince laïc à défendre ce
1 1 RS

recours dans les causes civiles en 1254 mais Philippe le Bel dut, après avoir renouvelé
l'interdiction entre 1296 et 1304, faire marche arrière et permettre le duel judiciaire dans
certains cas. De plus en plus codifiée, cette pratique perdura encore un certain temps dans
les cours seigneuriales dont celle de Flandre jusqu'au XIVe siècle inclusivement . Il ne
s'agit donc pas d'un motif purement littéraire.
À l'écoute des propos de Renart, le roi tombe dans une grande colère, écumant et
sortant les griffes comme il se doit pour un lion. Le messager du goupil apporte à son
maître la réponse de Noble qui exige la soumission pour éviter des représailles. Le geai fait
remarquer que les vivres manquent et que la poursuite de la guerre mettrait les gens de
Renart en danger. En fin manipulateur, Renart rassure les siens et leur fait part de son plan
de fuite. Il leur promet de les emmener en un endroit inconnu du roi. Dans ce passage,
l'alliance avec le diable est clairement énoncée. On remarquera les qualités de plaideur de
Renart qui revient avec l'argument de son bon droit et des torts du roi. Il ajoute à ce

" C. Gauvard, Violence et ordre public au Moyen Age, p. 52.


Passage reproduit en annexe XVI
A. Lebigre, La justice du roi. La vie judiciaire dans l'ancienne France, Paris, Éditions Complexes, 1995,
cl988, coll : « Histoire », p. 196.
1185
lbid., p. 197.
Yvonne Bongert, Recherches sur les cours laïques, p. 237-250.

416
propos: «même si nous avions torts et lui raison, comme je suis le seul pécheur, je serai le
seul puni et vous serez sauves. Mais comme le droit est nôtre, rien ne peut nous
• I l 87

arriver " ». Il est donc décidé que le groupe partira la nuit pour monter à bord d'une
grande nef, la nef des vices. En plein procédé allégorique, l'auteur se livre à une longue
description sur 120 vers de la nef des vices qui représente l'ensemble des malheurs du
monde. On y retrouve la trahison, la vilenie, la honte, la tricherie, la boisdie11**, l'envie, la
haine, la discorde, le peu d'amour, le blâme, la malice, la foimentie im , la convoitise,
l'avarice, Yescorseté?, la rapine, le désespoir, la déloyauté, la félonie, l'outrecuidance, la
fierté (dans le sens d'excès de fierté), l'outrage, la cruauté, la pure fausseté, la tromperie,
l'hypocrisie, l'acidité et la mauvaise vie. Plus intéressant sont ceux qui désirent monter à
bord de la nef:
Tes qu'i n'est quens ne dus ne rois,
Vesques ne rendus ne prelas,
Papes, clercs, prestres ne legas
Qui n'aiment a manoir dedens.
Plaisant sont moût a pluseurs gens." 90

Et qui servent d'amiraux au navire:


Bien sui de maronniers pourvus;
Aine mieudres n'ot ne quoins ne dus,
Car de no navre iert amiraus
Li papes, et ses cardonnaus
Ara o lui pour gouvrener
No nave par le haute mer.
Clers et prestres et archevesques,
Moines, doiens, abbés, evesques,
Jacobins c'on dist preecheurs,
Avoec aus les frères meneurs
Arai, s'irons seùrement
Et j'espoir que nous arons vent
Bon com pour nous, c'est de pechié,
Dont tout le mont voi entechié. " 9 1

1187
Renart le Nouvel, p. 156.
1188
Boisdie, du verbe boisier (1160, charr. Nîmes; francique bausjan) Tromper, trahir ou plus précisément,
félonie: Del traitor qui par boisdie et par angin se toli vie (Eneas).A.J. Greimas, Dictionnaire de l'ancien
français : le Moyen Âge, p. 70.
1189
Foiementie, composé de foi et de mentir (1160, Ben), signifie foi parjurée, lbid, p. 270.
1190
Renart le Nouvel, v. 3744-3748, p. 157.
1191
Idid, V. 3789-3802, p. 159.

417
Nous sommes à présent dans l'allégorie pure avec une référence animalière
minimale. Si l'auteur vise un peu l'ensemble de la haute société comme ceux qui désirent
monter dans la nef des vices, il est beaucoup plus précis quand il désigne ceux qui la
conduisent. L'anticléricalisme semble ici assez évident. L'auteur s'en prend d'abord à la
papauté, puis au haut clergé en général et poursuit avec les frères prêcheurs"92. Pour
marquer davantage l'aspect allégorique, l'auteur réintroduit Orgueil, Proserpine et leur
progéniture, depuis longtemps disparus du récit. Il appert donc qu'Orgueilleux, petit-fils
du roi Noble, est en tout point semblable à ses parents. Pour ses « qualités »
exceptionnelles, il s'avère être le capitaine idéal pour conduire la nef des Vices.
Orgueilleux rassemble en sa personne les attributs physiques positifs de son grand-père,
c'est-à-dire, la beauté, la force et la grandeur, caractéristiques physiologiques souvent
attribuées à la noblesse et les traits de caractères de ses parents qui sont évidemment
négatifs. Ce navire terrifiant va voguer « desi a la mer d'Engleterre ou jusques au port de
Brandis»" 93 .

Durant ce temps. Noble organise sa garnison pour un autre affrontement. Le


premier combat a lieu le lendemain. L'avantage semble aller au roi qui bénéficie d'une
armée efficace et loyale mais les choses tournent mal quand Lionneau est victime d'une
blessure sérieuse ce qui met fin à la première escarmouche:
Et Renars moût se desconforte
De se tour qu'il cuidoit trop forte.
Ensi que il se dementoit,
Il resgarde seur destre et voit

1192
«D'emblée la nef des Vices devient la nef de l'Église! (...) Malgré l'emploi du thème traditionnel, il y a
du nouveau dans cette allégorie: Renart n'est plus le complice de l'Église; la hiérarchie catholique est
désormais à ses ordres. La satire met le clergé carrément du côté de Renart, de l'esprit du Mal, des
puissances de l'enfer. (...) Il rejoint ici l'auteur du Couronnement de Renart dans son emploi du thème de la
puissance d'Avoir et de l'emprise de l'Envie et de la Cupidité sur l'Église. La mention spéciale des
Dominicains et des Franciscains rappelle encore le Couronnement et met encore en relief l'attitude
personnelle du poète. » Flinn, op. cit., p. 293-94. Sur ce point Flinn s'oppose à H. Roussel qui voit dans la
satire du clergé, non un anticléricalisme profond et personnel de l'auteur, mais la reprise d'un thème
traditionnel. Roussel fait le point sur cette question dans un article « la structure narrative de Renart le
Nouvel », Alain de Lille, Gauthier de Chàtillon, Jakemart Gielée et leur temps, p. 321-23. La distinction nette
entre un anticléricalisme réel ou une forme plus ou moins traditionnelle n'est évidemment pas facile à
déterminer. C'est toute la question, presque irrésoluble, de l'intention de l'auteur.
J
Nous n'avons pu déterminer l'origine de ce port.

418
Que li fiex le roi, Lionniaus,
Estoit rampes dusc'as crestiaus
Par une eskiele amont en haut,
Et Renars encontre lui saut.
De si haut que Lionniaus fu
L'a ens ou fossé abatu,
Si qu'il brisa andeus les bras.
Li rois le voit, si dist:"Hé! las!
Le mien chier fil m'a Renars mort."
Dont a conmandé c'on l'emport
Et c'on laisse l'assaut ester,
Et il si font sans arrester;
Vers leur tentes sont repairié."94

Renart profite de l'occasion pour déserter Maupertuis non sans avoir fait son plein
de prisonniers de marque dans le camp ennemi, ces derniers sont: Thiecelin le corbeau,
Espinart le hérisson, Fenelé le porc, Baucant le sanglier et Frobert le criquet1 ' 5. Il y amène
aussi le plus d'or et de trésors possibles et se rend auprès de Prospérine et d'Orgueil qui lui
confient leur fils comme à un bon tuteur. Le «jeune prodige» porte admirablement son
nom puisqu'il incarne la vanité comme le décrit l'auteur:
Par fierté, et s'estoit vestis
D'uns dras trop desgisés, faitis,
De despit encontre desdaing;
Se de voir dire ne me faing,
Fourré erent de vanterie,
Et s'ot çainte par signourie
De manaches une chainture,
Et s'ot par grande envoiseùre
De cointise un joli capel
Seur son chief, qui moût li sist bel,
Et s'ot seur se poitrine afiche
De vaine gloire, cointe et riche.
Solers ot de jolieté,
Trenquiés seur or de vanité,
Et cauches de presumption,
Faites seur vermeil siglaton. " 9 6

1194
Renart le Nouvel, V. 3993-4009, p . 166-167.
1195
Un des personnages les plus connus de cette brochette est Thiecelin que l'on retrouve fréquemment dans
les vieilles branches et aussi dans ces suites.
I,%
lbid., V. 4069-4084, p. 169-170.

419
La noblesse féodale porte en elle les germes de sa propre destruction et il existe un
lien entre l'orgueil dit naturel du lion et les travers de ses héritiers qui ne reproduisent qu'à
l'extrême ce trait de caractère du roi. Mais une autre dimension ne doit pas être négligée,
le moralisme des auteurs pour qui l'apparence de luxe est forcément blâmable parce que
contraire aux lois divines. Il y a contradiction entre le devoir d'humilité du prince qui doit
résister aux plaisirs terrestres et aux vanités mais qui se doit aussi de montrer sa grandeur
et faire preuve de largesse. En décrivant un vaniteux caricatural, l'auteur n'apporte pas de
solution à ce dilemme et reste dans les sermons habituels sur la modestie, l'humilité et
autres valeurs du même genre.

3. Noble, vieux roi qui n'a pas retenu les leçons du passé

Toujours prompt à l'emportement, Noble bannit le singe Cointereau et sa famille


sous prétexte de leur manque d'ardeur contre l'ennemi. En s'aliénant davantage les
membres de sa cour, le roi renforce ainsi l'armée de Renart. Ce dernier est ravi d'accueillir
les exilés qui, non seulement l'aidnt dans ses machinations, mais lui fournissent au
passage d'importants alliés. L'entreprise de séduction va plus loin encore puisque le goupil
convainc les prisonniers de lui prêter allégeance. La chose est d'autant plus aisée que le
roi a eu envers eux une conduite mesquine, attitude que Renart attribue à l'âge avancé du
monarque, entendant par là que le lion a fait son temps:
Car il dient Nobles li rois
Leur a près tolus tous leur drois;
Tort leur fait quant leur saus leur taut.
Renars dist:"C'est droit de radot,
Car il est vieus et aagiés. " 9 7

L'auteur revient sur le thème de la responsabilité du prince, Renart à beau


représenter presque tous les vices et s'être acoquiné avec le diable en personne, il n'est pas
le seul responsable des déboires qui s'abattent sur le roi, ce dernier y joue un rôle actif.
Noble ne semble pas en mesure de pouvoir tirer une leçon de ses erreurs passées. En
méprisant ses vassaux, il creuse sa propre tombe. C'est la deuxième fois que l'auteur place

1197
l b i d , V. 4133-4137, p. 171-172.

420
son personnage dans cette situation et la répétition d'une faute identique n'est
certainement pas le fruit du hasard. Jacquemart Gielée dresse-t-il le portrait des princes de
son époque en évoquant leur manque de considération envers leurs vassaux ou, plus
simplement, réfère-t-il de manière générale et abstraire à des valeurs qu'il juge
indispensables pour un souverain? Il est probable que dans son désir de transmettre une
oeuvre édifiante et encyclopédique, l'auteur condamne une attitude plus ou moins
répandue sans penser à des personnes spécifiques. À sa façon, il énonce l'envers d'un idéal
princier et affirme le principe de la responsabilité du monarque. Sur ce point, Gielée
rejoint beaucoup d'intellectuels de son époque.

Renart parti à la recherche d'alliés au-delà des mers, Noble occupe Maupertuis et
n'épargne la forteresse de la démolition que sur les supplications d'Hermeline. Quoique
peu clairvoyant, Noble demeure sensible aux malheurs des dames et sait octroyer sa
miséricorde. Voulant mettre la main sur son pire ennemi, le roi confie son armée et le
royaume à Hardi et décide de poursuivre Renart par la voie des eaux. Pour ce faire, il se
fait construire une nef qui sera la nef des vertus. Il est tout de même étrange que la nef
d'un roi mesquin, presque senile représente l'ensemble des vertus. Ces vertus se réfèrent
pour la plupart à un idéal chrétien. Il s'agit de la largesse, la loyauté, la «debonnaireté »,
l'honneur, la compassion, la charité, la sobriété, l'abstinence, la virginité, en contradiction
avec la nécessité d'assurer une descendance, la chasteté, la «grâce divine », la discrétion,
la repentance, la dévotion, l'humilité, le «fin amour » et la courtoisie . Discutant avec
Hardi de la suite des opérations, Noble est interrompu par l'arrivée de trois messagers
envoyés par Renart. Quoique respectant les formes, la lettre de l'ennemi dénote son
arrogance habituelle. Après avoir décliné pompeusement ces titres et souligné l'amour de
ses sujets « prisiés et amés ou monde du clergiet et des laies gens », il indique au roi
qu'il a un nouveau seigneur qui lui a offert un château en Orient, Passe-Orgueil. Puis,
rejetant la responsabilité du conflit sur Noble, il le provoque de nouveau en soulignant
qu'il est équipé pour le recevoir. Voulant irriter au mieux le roi, Renart ajoute que les

1198
lbid., V. 4217-4312, p. 175-178.
1199
l b i d , 1.3-4, p. 179.

421
prisonniers sont maintenant ses alliés et, puisque le roi les a méprisés, en bon seigneur il
les vengera:
et sachiés que les .X. prisonniers que je pris, il sont devenu de mon acort, et
Cointeriaus li singes et Martinés ses fiex vers cui vous avés moût mespris, que faire
ne deùssiés, si conme d'aus banir, et avoec tout che batus et férus sans raison, je
vous fac assavoir que je les vengerai se je puis1200

La lettre se poursuit sur le rappel des amours de Renart et d'Harouge où le goupil


se présente comme le parfait amant courtois. Il termine en proposant à Noble sa justice, ce
qui va à l'encontre de toutes les règles puisqu'un suzerain ne peut être jugé par son vassal.
Mais Renart fait fi des usages et espère bien s'offrir ainsi le rôle de grand justicier. La suite
va cependant contredire ses prétentions. Dans un désir manifeste d'embarrasser davantage
le roi, Renart a joint des lettres d'amour adressées aux trois grandes dames de la cour du
lion: la reine, Harouge et Hersent. Après différents quiproquos, l'épisode se termine par le
départ des trois femmes vers Passe-Orgueil. Toutes aiment Renart et, d'un commun
accord, tirent au sort celle qui sera son amante. C'est Hersent qui gagne et avec un sens de
l'humour ne manquant pas de mordant, elle fait parvenir au galant une lettre indiquant
comment les dames ont réglé ce différent amoureux. Furieux d'être ainsi traité, Renart
élabore avec l'aide de Grimbert un plan pour se venger. Il va donc à la cour incognito et
propose aux princes une méthode infaillible pour tester la fidélité de leur épouse.
Démasquées, elles n'ont d'autres choix que de prendre la fuite avec Renart qui les conduit
à Passe-Orgueil. Face à cette nouvelle duplicité de son baron, Noble entre dans une furie
incontrôlée, se lamentant et évoquant pitoyablement les saints. L'image ne manque pas de
drôlerie:
Que ferai je, sainte Marie?
Ahai, roïne de lasus,
Tousjours me meskiet plus et plus,
C'est cler, che ne puis je noier.
Tenés mes dras, je vais noiier,
De pis en pis va mes affaires.
Ahai! me sires sains Acaires1 ,
1200
lbid., 1.43-49, p. 180.
1201
Saint Acaire est un saint local évoqué à Haspres, près de Cambrai, et auprès de qui on passe une nuit en
espérant obtenir la guérison de sa folie ou de celle d'un proche. Saint Hugues joue le même rôle mais il n'est
pas mentionné par Gielée. Informations tirées du livre de P. Pierrard, Histoire du Nord, p. 115. Pour les
autres, je n'ai pas encore trouvé de renseignement.

422
Gardés moi, ou de mi est niens.
A! sire sains Constanciens,
Qui a Bretuel en Biauvoisis
On requiert, soiiés moi aidis.
Vous warissiés les foursenés,
Sire, aidiés moi se vous volés.
A! sire sains Lambers du Liège,
Qui ou haut trosne avés vo siege,
Les Jhesu Crist et Dieu fùssiés
Vous, sire, se vous vausissiés,
Mais le paine vous ne peuistes
Endurer que vous i veïstes
Si conme on dist en vo légende,
A vous me plaing de le laidenge
C'ai par Renart, bien m'a honni.
A vous, me sires saint Gauri,
Pri, donnés lui maie meskanche.
A! sire sains Denis de Franche,
Donnés m'en tempre vengement.

Il est difficile de déterminer si le roi craint de perdre la raison et évoque pour cela
l'aide de saints reconnus pour guérir les fous ou s'il se donne tout simplement en spectacle
et tente d'attirer la sympathie malgré son ridicule manifeste. Son attitude se rapproche
aussi de celle de plusieurs héros arthuriens, incluant le roi Arthur. On peut aussi penser à
la réaction de Saint Louis à l'annonce du décès de sa mère. Joinville, qui en est témoin et
rapporte l'incident, juge la réaction du roi, qu'il aime et admire pourtant, démesurée et à la
limite du convenable. Il faut dire que Joinville n'apprécie guère Blanche de Castille et
estime davantage la reine Marguerite souvent reléguée au deuxième plan par
l'omnipotence de sa belle-mère1 3.

Humilié, le roi est bien décidé à faire pendre Renart. L'armée royale prend donc la
mer où s'engage une féroce bataille navale. Orgueilleux met particulièrement d'ardeur à
tenter de couler le bateau de son grand-père. Le roi est sauvé, non par l'efficacité de son
armée, mais par l'intervention divine. Une tempête se lève et sépare les deux navires, celui
de Renart se retrouve en Orient, celui de Noble en Occident. Effrayé, Renart se « repent »,

Renart le Nouvel, v. 4827-4841, p. 202-203


1203
Voir J. Le Goff, Saint-Louis, p. 491-495.

423
admet ses fautes et promet de se faire pèlerin, promesses et bonnes intentions totalement
oubliées une fois le calme revenu:
Hé! Diex! soiiés nous en aïe.
Je vous requerrai outre mer,
Se me volés de chi geter,
Au sepucre et me croiserai
Et a Noblon m'apaiserai,
Car il a droit et jou ai tort. 1204

Chaque clan croit l'adversaire mort. Évidemment, il n'en est rien. Méfiant, Noble
veut mettre les voiles sur l'Orient, question de savoir ce qui est réellement advenu de
l'équipage de Renart et, si ce dernier est toujours en vie, le vaincre une fois pour toutes.
Le roi désire certes la mort de son ennemi mais ses motivations puisent surtout dans une
opposition personnelle davantage que pour le bien du royaume. Arrivé à terre, le lion fait
sonner les cors pour effrayer l'adversaire, ce qui a pour résultat le retranchement de Renart
dans Passe-Orgueil. Faute d'affrontement, il est décidé que sous la conduite de Lionneau
un groupe irait dévaster les terres de Renart, ce qui incommode les vassaux du goupil qui
viennent se plaindre à lui et demande sa plus prompte intervention. Ne pouvant se défiler
de ses obligations, Renart envoie ses fils tendre une embuscade à Lionneau:
Il sont el val oriental,
Tout le païs tournent a mal,
Esto ut Castel m'ont abatu
Et tout le païs mis en fu,
Li fil le roi vif m'amènes,
Vardés que vous ne l'ochïés.1205

Bien qu'il aperçoive à travers les branches les armes scintillantes de ses ennemis,
de loin plus nombreux que son groupe, Lionneau ne peut se désister. En valeureux
chevalier, il convainc sa troupe d'affronter l'adversaire:
En che bos sont agait basti,
Au jour d'ui arons le bataille.
Roial sonmes, au jour d'ui vaille
Chascuns un roi; se nous finons
Conme preu, o Dieu roi serons.
120-1
Renart le Nouvel, v. 5282-5287, p. 219.
1205
Ibid.,\. 5713-5718, p. 235.

424
Gent sonmes au gentil roi Noble.
Bien doit chascuns avoir cuer noble
T- c- ■ 1206
ht fier contre ses anemis.

L'auteur oppose la pleutrerie de Renart à la bravoure de Lionneau. le premier se


cache et utilise la ruse, le deuxième fait face à ses obligations militaires en s'en remettant à
Dieu. La dimension religieuse de cet épisode n'est pas non plus négligeable. Les chevaliers
remettent leur vie entre les mains de la grâce divine avec le sentiment que leur bonté va les
protéger. I ls ne négligent toutefois pas de se confesser mutuellement. Gielée ne manque
pas l'occasion pour introduire un long passage de 80 vers sur la dégénérescence du monde.
le règne de l'orgueil, la suprématie des riches, la perte des valeurs chrétiennes dont ne se
soucient même plus le pape et les cardinaux.. Mais c'est la bravoure qui prédomine ici:
«Miex aiment morir a honneur. Que vivre ou monde a deshonnour1-07». En ce sens on
pourrait aussi opposer Noble à son fils, ce dernier faisant meilleure figure que le roi qui
passe de la clémence naïve, ou intéressée, à l'accès de rage sans oublier les lamentations
sur son sort. C'est un peu le propos de Gielée quant il dénonce l'attitude du monarque et
lui rappelle que. malgré son pouvoir, il n'en demeure pas moins un homme soumis à Dieu:
Tout sonmes d'Adam et d'Evain
Fait de no père souverain.
Dont ne sai nus ait avantage:
Au naistre autant a de malage
La fame au roi c'une autre dame.
Ceste raisons Orguel moût blame.
Car d'autel matere est estrais
Li rois c'uns autres: n'est fors de brais
De lui. ne de nous n'est fors fiens.
Li gloire du monde c'est niens
Car li mors prent tout a son kiex
Aussi tost jones conme viex.
Les haus aussi conme les bas: *

Ce rappel de l'égalité des hommes face à la mort est troublant. Le thème prendra
une réelle ampleur avec les débuts de l'épidémie de peste noire qui s'abat en Europe au

* l b i d . V. 5761-5769. p . 237
0
lbid.. V. 5799-5800. p . 238.
08
l b i d . v. 5821-5832, p . 239

425
milieu du XIVe siècle. En 1289 l'idée est assez nouvelle sauf peut-être chez certains
prédicateurs. Mais il semble que, contrairement aux apparences, les destinataires de la
remontrance seraient, encore une fois, les clercs. Après avoir réglé ses comptes avec le
haut-clergé, Jacquemart Gielée retourne à son récit. Malgré une lutte acharnée1209,
Lionneau et ses compagnons sont faits prisonniers et jetés dans les cachots de Passe-
Orgueil au grand plaisir de Renart qui les menace de mort «de matin vous ferai tous
pendre », ce à quoi répondit le fils du roi: «se nous ochis, tu en morras 12 "». Apprenant
la nouvelle de la capture de Lionneau, Noble ordonne l'assaut de Passe-Orgueil et, pour
mettre toutes les chances de son coté, demande à l'archevêque Timer de procéder à
l'excommunication de Renart, qui peut rappeller celle de Frédéric II. La mesure restant
sans effet, Timer est copieusement hué par les combattants. Il était pourtant évident qu'un
personnage fréquentant les vices personnifiés ne pouvait être incommodé par ce type de
sanction religieuse. Une occasion pour l'auteur de ridiculiser le recours parfois inconsidéré
à l'excommunication. La bataille s'engage donc, encore! Là où l'épisode devient
intéressant, du moins d'un point de vue littéraire, est le retour à l'animalité et à l'esprit des
vieux contes. En effet, se retrouvant face à face, le lion et Renart engagent un combat
singulier. Réussissant à se dégager, Renart s'enfuit et sème ses poursuivants en urinant sur
i n i n

sa queue pour ensuite la balancer aux visages de ses adversaires . Le matin suivant la
fuite de Renart, les gens du roi tiennent un parlement concernant l'enterrement des
cadavres:
Après messe sont revestu,
Si ont un parlement tenu
De cheus c'a l'assaut sont ochis,
Conment seront en terre mis. 1213

Il est étonnant de voir le terme de parlement employé pour régler ce type d'action.
Lors des discussions, arrive le messager des fils de Renart qui propose en leurs noms une
trêve d'un mois, à quoi le roi consent sans problème et profite de l'occasion pour avoir des

D9
Lutte décrite des vers 5883 à 5949, p. 241-243.
1210
lbid., V. 5961, p. 244.
12,1
lbid, V. 5965.
1212
lbid., v. 6118-6129, p. 249.
1213
lbid, V. 6139-6142, p. 250

426
nouvelles de son fils. On lui indique qu'il est bien traité et qu'il transmet à son père ses
salutations. Durant ce temps, Renart cherche des alliés de par le monde, le menant en
Occident comme en Orient. Sa démarche s'avère fructueuse puisqu'il réussit à enrôler une
incroyable armée composée de bêtes fantastiques. Malgré son avantage numérique, Renart
estime plus prudent de faire la paix avec Noble et entreprend dans ce but une très habile
séduction auprès de Lionneau. En premier lieu, il présente au jeune lion les dames de la
cour, dont sa mère, qui clament leur innocence et vantent les mérites de Renart. Puis il fait
étalage de sa force militaire, six fois plus importante que celle du roi, ce qui impressionne
le jeune prince. Dans sa plaidoirie, Renart rejette la faute du conflit sur Noble et prétexte
de sa bonne foi. S'engage alors entre le goupil et son prisonnier un échange
particulièrement brillant où ressort la malice du goupil 1214.

Convaincu par les arguments de Renart, Lionneau part à la rencontre de son père
pour négocier la paix. Malgré sa rancune, Noble cède devant l'insistance de son fils qui
1 ~) 1 S

fait notamment appel à sa raison «s'il voloit, [Renart] tous seriens ochis ». Comme
convenu, Renart se présente devant le roi et ses barons pour plaider sa cause, ce qu'il ne
fait qu'en position de force. Dans les cas où la situation ne tourne pas à son avantage, il a
l'habitude de se défiler. Devant l'apparent repentir du goupil, le roi se laisse prendre au
jeu, accepte la réconciliation et l'impose à ses barons. Renart se voit donc débarrassé de
son dernier adversaire, ce qui lui laisse le champ libre pour sa domination du monde. Mais,
comme le souligne l'auteur, cette paix n'est qu'une vaste supercherie, elle n'est que
fausseté: fausse convenance, moquerie, droit vil, faux jugements, mauvaise loi, parjure et

l2I4
Nous en ferons ici un bref résumé: -Renart: Je ne veux plus faire la guerre, tout cela a fait trop de dégâts
dans mon pays. Votre père m'a causé bien des tourments pour une faute dont je suis innocent. Le roi a tort de
me haïr, il n'a aucun motif sérieux.
-Lionneau: Mais on se plaint de vous et c'est pour cela qu'il y a guerre.
-Renart: C'est un leurre! De quoi se plaint-on? Dites-le moi.
-Lionneau: Ysengrin vous accuse d'avoir tué un de ses fils et d'avoir fait pendre l'autre. Et pour cela la
responsabilité retombe sur le roi parce que vous avez contrevenu à la loi (il énumère ensuite les autres crimes
de Renart).
-Renart: Je n'ai rien fait de tel, j'ai toujours agi loyalement. Ce sont les autres grands seigneurs qui ont torts.
Je vous en prie, réconciliez-nous. Vous pourrez emmener avec vous les dames et vos compagnons. Nous
irons demain au parlement pour conclure un arrangement avec le roi. Je veux lui parler. Si j'ai mal agi. il me
pardonnera, s'il a mal fait, je lui pardonnerai. Par Dieu, parlez au roi pour moi qu'il me tienne pour son ami.
1215
lbid, v. 6477, p. 263.

427
]'} \ ft

mensonge . Maintenant que le roi est du coté du mal, les barons ne peuvent plus se
défendre contre Renart. Le clergé porte la responsabilité de ce malheur puisqu'il ne
respecte plus Dieu:
Lasses brebis, finies, fuiiés,
Li leus a ses dens aguisiés
1917
Pour nous mengier et dévourer.
Il ne reste aux hommes qu'à implorer la miséricorde divine. Après une longue
moralisation, l'auteur retourne à Renart. Pour sceller leur amitié, ce dernier invite le roi et
sa cour à séjourner à Passe-Orgueil. D'une étonnante amnésie, Noble accepte avec joie et
profite du faste de la cour de Renart jusqu'à ce que Blanchard le prévienne de la
disparition de la nef des vertus «vostre bêle nave est perdue, ou chiel l'importa une
1718 • •

nue» . Même si la perte du navire est un signe que Dieu a abandonné le roi, ce dernier
oublie vite l'incident quand Renart lui amène son petit-fils. On vante les qualités
d'Orgueilleux et on souligne le lien filial qui l'unit à Noble, «il est de vo lignage, fiex
Proserpine et l'ot d'Orgueil vo fil », et le roi répond:«je le voeil avoir o moi, s'iert o mes
fils. Son père sanle, il est gentis 1219».

Le lendemain, les seigneurs montent à bord du navire de Renart, la nef des vices
qui, étrangement, loge tout le monde. D'ailleurs le roi préfère ce navire au sien. On se
dirige vers Maupertuis où Renart retrouve Hermeline qui accepte sous supplication du roi
de pardonner à son époux ses aventures extra-conjugales. Après avoir passé un mois à
Maupertuis dans l'allégresse, Noble et les autres seigneurs prennent congé non sans avoir
reçu de somptueux cadeaux. En témoignage de sa confiance, le lion nomme Renart maître
des conseils, ce qui revient à lui laisser le gouvernement:
Et li roys Nobles Renart fist
Segneur d ses consaus et dist
K'il gouvrenast son règne et lui.
E las! ensi est au jour d'ui:

1216
lbid., V. 6519-6542, p. 264-265
1217
lbid., V. 6575-6577, p. 266.
1218
lbid., V. 6637-6638, p. 269
1219
lbid, v. 6682-6686, p. 270-71. Ce qui suit est un long passage où chaque bête chante une chanson d'amour,
des vers 6690 à 6924, p. 271-282 et une reprise plus courte v. 6964-6965, p. 284.

428
Li grant font mais Renart segneur
De leuer osteus et gouvreneur.

Comble de l'ironie, c'est Percehaie qui hérite de l'office de sénéchal, poste autrefois
convoité par Renart mais qui à présent ne présente plus pour lui un grand intérêt. L'auteur
ne fait d'ailleurs aucune mention de protestation de la part d'Ysengrin:
Un de ses fieus, il li bailla
Percehaie son fils ainsné,
Celui a a Noblon livré,
S'en fist li roys son senescal
Et le grant gonfanon royal
Li bailla esrant a porter
1 ?? 1
Pour toute sa grant ost guier.

De retour à Maupertuis, Renart promet à ses gens une foule d'avantages. Les
premiers à vouloir toucher leur due sont les clercs qui ont si bien dirigé la nef des vices.
S'adressant au pape, à la tête de l'équipage, Renart promet qu'ils auront davantage qu'ils
n'osent espérer. Après un concile, le pape fait connaître ses exigences:
Nous sonmes revenu et vous demandonmes,
S'il vous plaist, a fief Couvoitise
Et a yretage Avarisse
Et a no vie Escarceté,
Ce volons, s'il vou vient en gré.

Renart leur accorde volontiers et leur offre l'aide d'auxiliaires: la mule Fauvain,
dame Gille et Orgueilleux1223. Les Mendiants veulent aussi obtenir quelque chose, ils
désirent que Renart entre dans leurs ordres mais ce dernier n'a pas le temps et propose ses
fils. Il est donc convenu que Renardiel irait chez les Dominicains et Roussel chez les
Franciscains. Un auteur anonyme a introduit, probablement vers 1292, une suite à cet
épisode où la satire contre les Mendiants est particulièrement acérée. Cette section se
démarque de l'oeuvre de Gielée par une plus grande référence à la réalité historique. Du
désir; commun des deux fils de Renart de réunir les ordres pour accroître leurs privilèges au

1220
l b i d , V. 7057-62, p. 287-288
1221
l b i d . , \ . 7064-7070, p. 288.
1222
l b i d , V. 7137-7142, p. 290

429
détriment du clergé, l'auteur semble se référer à la Querelle de l'Université de Paris et
souligne les faveurs octroyées par les rois de France, Saint Louis et Philippe III aux
Mendiants. L'auteur indique que parmi le haut clergé, certains se sont courageusement
objecté à cette prise de pouvoir des Mendiants. Il s'agit de Michel de Warenghien, évêque
de Tournai; Guillaume de Mâcon, évêque d'Amiens; Guillaume de Sissi, Évêque d'Arras
et l'archevêque de Reims dont le nom n'est pas indiqué. À l'exception de ce dernier, les
personnages viennent de Flandre . Chacun fait de son mieux pour que leur ordre
respectif entre à Passe-Orgueil et il semble que les Dominicains aient une certaine avance.
Influencé par les actions de ses fils, Renart songe à se faire moine et va se confesser auprès
d'un ermite, le seul homme d'Église qui soit irréprochable. Une fois la confession
terminée, l'ermite raconte sa vie de privations ce qui effraie Renart assez peu enclin à
l'abstinence.

La renommée de Renart est si grande que ses disciples se recrutent de par le monde
et personne ne peut rien entreprendre sans la renardie. On entend parler de sa science en
Terre Sainte et Templiers comme Hospitaliers désirent ardemment le rencontrer. On
décide lors d'un parlement d'accueillir Renart mais faut-il encore savoir chez qui. Dans un
concile réunissant les deux groupes, les choses tournent mal et la bataille éclate à propos
du goupil. À l'occasion d'un concile général, le différent est soumis au pape qui consent à
entendre les arguments des deux ordres militaires:
A che se tinrent, si fu fait;
A lor jour vinrent tout a plait
Li Templier, cil de l'Ospital.
La ot concilie general.
Renars i fu c'on ot mandé,
Si i furent moine et abbé,
Roy et conte, duc et evesque,
Chevalier, prélat, archevesque,
Li cardonnal, li patriarces.
Ichius faisoit moût grant manaces
Pour ce qu'il veut avoir Renart1 .

1223
Gielée s'étend sur plusieurs vers concernant les fautes du clergé tout en soulignant que les brebis égarées
pourront obtenir le pardon en rejetant la responsabilité sur les bergers, v. 7176-7182, p. 292.
1224
Pour de plus amples informations, voir Flinn, Le Roman de Renart dans la littérature française, p. 333.
1225
Renart le Nouvel, V. 7491-7501, p. 303.

430
Il est inhabituel de voir réunir dans un concile, donc une réunion religieuse, des
grands seigneurs laïcs. La présence du patriarche de Jérusalem semble aussi assez
incongrue. Le personnage symbolise sans doute le christianisme oriental dont les
manigances touchent toute la chrétienté. Pour satisfaire le patriarche, Renart lui offre un
fils bâtard, Souduians, une invention de l'auteur qui fait de ce personnage le fruit des
amours d'Hersent et de Renart mais à une époque antérieure. Comme le premier litige
n'est toujours pas réglé, les avocats présentent les arguments des protagonistes, arguments
qui reposent sur une plus grande utilité d'un ordre sur l'autre. Le pape n'arrivant pas à
trancher, Renart décide d'endosser les deux habits, à la manière du Couronnement de
Renart:
C'est d'ailleurs cet épisode qui a dû inspirer toute cette partie de Renart le Nouvel
qui montre Renart gouvernant les Mendiants et les deux Ordres Militaires. Mais
l'épisode des Templiers et des Hospitaliers a certainement des bases historiques.
En effet, bien avant l'effondrement des établissements francs en Orient, les
dissensions entre les Templiers et les Hospitaliers occupaient bien des esprits parmi
les chefs de la chrétienté, et en 1274 l'idée d'une fusion des deux ordres fut
1 77 fii

débattue au concile de Lyon, mais sans résultat

Sur ces entrefaites, Renart reçoit la visite de Fortune qui lui propose un
couronnement tout au sommet de sa roue. Armand Strubel note à cet effet que: «Fortune et
Amour ont connu une évolution comparable: divinités mineures du Panthéon romain, elles
ont été adaptées par la littérature allégorique du XIIIe siècle, au prix de réaménagements,
car il faut leur accorder un mode d'action compatible avec la doctrine. (...) Né de la
métaphore latine qui désigne la succession des heurts et malheurs (fortuna valvitur) et
présent dès l'Antiquité, l'attribut de Fortune est la roue 1227». D'abord méfiant, il refuse
puis finit par se laisser convaincre, assuré que la roue s'arrêtera et qu'il ne pourra en
1 778

tomber.« jamais au tans ki ore va, n'ert tourne un seul tour par moi ». Renart monte
donc sur la roue vêtu de son double costume monastique. Une fois couronné, il s'applique
à rendre des jugements les plus inéquitables possibles et établir des lois dictées par la
fausseté. Et Gielée conclut: dorénavant, seul Dieu pourra nous sauver de Renart.
J. F. Flinn, Le Roman de Renart dans la littérature française, p. 324.
I227
A. Strubel « La personnification allégorique, avatar du mythe: Fortune, Nature et Mort chez Jean de
Meun », Pour une mythologie du Moyen Âge, études rassemblées par L. Harf-Lancner, Paris, 1988, p. 62.
Renart le Nouvel, v. 7691-92, p. 311.

431
Renart a définitivement triomphé, il est le maître du monde et cette conquête a été
en partie obtenue en pervertissant les qualités traditionnelles du prince. Renart avait certes
de puissants auxiliaires mais, outre la victoire des Vices sur les Vertus, sa force repose
d'abord sur la ruse, le faux-semblant. À l'opposé du roi, le goupil a offert une image de
générosité et de bonnes qualités de stratège. Renart a évincé Noble, sans que ce dernier ne
s'en rende réellement compte, en faisant ressortir les manquements du roi. Au regard de
cela, peut-on affirmer que le lion fait figure de mauvais roi? En partie oui mais sans aller
jusqu'à en faire un tyran. Noble n'a pas respecté certains devoirs liés à sa fonction, il n'a
pas su non plus réfréner son orgueil et sa colère, ni n'a montré un bon jugement à des
moments opportuns. Soulignons que toutes ces fautes sont individuelles et n'entachent pas
l'institution monarchique. Même Lionneau, qui présente le caractère du bon prince, du
prince chevalier principalement, se laissa manipuler par Renart. Mais encore là, il ne s'agit
que d'erreurs individuelles, un manque de clairvoyance dans ce cas-ci. L'inexpérience ne
peut cependant pas servir d'excuse au roi qui, connaissant fort bien son baron, aurait dû
s'en méfier davantage. Mais pour l'auteur, peut-on véritablement se protéger de la
renardie?

Dans son profond pessimisme, Jacquemart Gielée semble affirmer que, dans la
mesure où les esprits des hommes sont corrompus, il n'existe aucun moyen de lutter contre
l'emprise de Renart, ce qui place les clercs, pasteurs des âmes, à l'avant-scène. Comme ces
derniers se sont immédiatement rangés du coté du Mal pour satisfaire leurs ambitions, les
jeux étaient faits. En bout de ligne, Gielée conclu à l'imputabilité du clergé dans les
malheurs du temps. Le roi a failli à sa tâche mais il n'est qu'un homme soumis aux mêmes
faiblesses que ses sujets, sa responsabilité reste donc limitée. Cette image du prince
faillible et à la merci des courtisans, nous la retrouvons au XIVe siècle dans l'œuvre d'un
trouvère hunneyen, Jean de Condé.

432
C. Renars mestres de l'ostel le Roy de Jean de Condé.

Contrairement à la Flandre aux prises avec des révoltes urbaines et interventions


répétées du roi de France, le comté de Hainaut jouit d'une période de calme et de
prospérité. Le début du XIVe siècle est particulièrement favorable à cette région rurale et
aisée.
À part Valenciennes, le Hainaut n'a vu se former, au Moyen Age, aucun centre
urbain d'importance. (...) Mons, Avesnes, Ath, Bouchain, Maubeuge, Binche
n'étaient en somme que de gros bourgs emmuraillés dont l'industrie locale avait
pour débouchés les campagnes environnantes. Leur population médiocre,
composée d'artisans aisés et de petits rentiers, menait obscurément une existence
provinciale. On n'y rencontre ni ces distinctions sociales si tranchées, ni cette vie
intense se traduisant par une agitation continuelle, que présentent les grandes cités
drapières du Nord. On comprend, dans ces conditions, que les bourgeoisies
1 770
hennuyères n'aient pu jouer un rôle politique prépondérant

La dispute des Avesnes et des Dampierre concernant la succession, réglée en 1246,


n'est plus qu'un mauvais souvenir et le comte Guillaume 1er (1304-1337), par une habile
politique matrimoniale, a su garder à distance ses puissants voisins. En 1305, Guillaume
épouse Jeanne de Valois, la nièce de Philippe le Bel et la sœur de Philippe de Valois. De
plus, il est aussi le beau-père à la fois de l'Empereur et du roi d'Angleterre. Marguerite
épouse Louis de Bavière en 1324 et Philippa (Philippine) Edouard III en 1328. Ces
alliances eurent un impact non négligeable dans la politique du comté et influèrent aussi
sur la politique européenne1230. La petite cour de Valenciennes est un milieu brillant où
gravitent de nombreux talents et au « surplus, on n'ignore pas qu'à cette époque le nord de
la France et le Hainaut connaissent une floraison littéraire remarquable. On peut même
dire que c'est la période où le "centre de gravité" littéraire de la France se déplace vers le
Nord1231 ».

1229
H. Pirenne, Histoire de la Belgique, des origines à nos jours, tome 1 : Des origines à l'État bourguignon,
Bruxelles, La Renaissance du livre, p. 338-339.
,0
Sur ce point, on peut consulter les belles pages que consacre Pirenne à Guillaume 1er dans son livre sur
l'histoire de la Belgique, p. 270-71 et 313. Informations aussi tirées de J. Ribard, Un ménestrel duXlVe siècle:
Jean de Condé, p. 81-82 et d'Evelyne Van Den Neste, Tournois, joutes, pas d'armes dans les villes de
Flandre à la fin du Moyen Âge (1300-1486), p. 47.
1231
J. Ribard, Un ménestrel du XlVe siècle, p. 83.

433
C'est dans ce contexte privilégié que s'inscrivent l'œuvre et la vie de Jean de
Condé (1275-1345). On sait peu de chose sur cet auteur sauf qu'il était ménestrel attitré1232
de la cour du Hainaut comme son père avant lui, plus précisément au service de la
comtesse Jeanne. À partir du XIVe siècle, les ménestrels ont un statut fixe, ils ne sont plus
les poètes et amuseurs itinérants des siècles précédents. Cette sécurité matérielle va de pair
avec une instruction soignée. Les ménestrels s'organisent en corporation et un
« président » est nommé pour voir aux respects des règles entourant la profession. Si son
statut change, la perception de son rôle subit la même évolution, le ménestrel ne se
contente plus de distraire son auditoire, il doit aussi l'instruire. D'une certaine manière,
Jean de Condé est un produit de la cour du comte, il y est probablement né, y a été éduqué
et y a travaillé toute sa vie. Il partage les valeurs et le mode de vie de la noblesse, est de
tous les tournois, de toutes les fêtes. Si les joutes et les tournois sont très en vogue dans
l'ensemble des Flandres, ils sont plus nombreux au Hainaut sous Guillaume 1er. Comme
le souligne Evelyne Van Den Neste : «Tous les grands événements de sa cour sont
occasion de joutes: l'adoubement de son fils (1336), son mariage (1336). La paix qu'il
conclut avec Robert de Flandre en 1310 donna lieu à un tournoi qui reste un des mieux
connus de ce siècle grâce aux nombreux manuscrits conservés comportant la liste
1 7^^

imposante des participants ». Jean de Beaumont, frère cadet du comte, est l'illustration
parfaite du prince jouteur et tournoyeur, présent à la plupart de ces manifestations
chevaleresques.

L'ensemble de son oeuvre, qui comprend 20 000 vers sous forme de dits, de lais,
de contes et de fabliaux, reflète cette idéologie tout comme sa volonté d'instruire les
princes. On trouve en effet chez le ménestrel une part presque égale entre les oeuvres
narratives et les oeuvres didactiques1234. Quoique vastes, les thèmes abordés sont toujours
en rapport avec le milieu aristocratique à qui est dédié l'ensemble de la production. Jean

1232
lbid., p. 89.
É. Van Den Neste, Tournois, joutes, pas d'armes, p. 124.
1234
Certains textes ont une forme mixte, à la fois narrative et didactique. C'est le cas du Dit d'Entendement
et de la Messe des oiseaux.

434
de Condé traite des mauvais conseillers qu'il nomme losengiers1 5, des Ordres
1 ~)~Xf\ 17^7

Mendiants , des qualités et de l'éducation du prince , du respect de l'ordre social et


de la dégradation du monde1238, de la Fortune et de la mort1239, de l'amour, et enfin, de son
métier.

Le Dit d'Entendement est, avec la Messe des oiseaux, l'un des textes le plus étendu
de Jean de Condé (1508 vers). Il est construit comme une série d'histoire ayant comme fil
conducteur l'errance du narrateur et du personnage d'Entendement. Dans un songe, le
poète fait la rencontre d'Entendement qui lui fait voir différents royaumes et différentes
situations propices à un enseignement moral. C'est parmi ces petits apologues que s'inscrit
l'un des quatorze épisodes, Renars mestres de l'ostel le Roy]240. Arrivés dans une lande,
les deux compagnons aperçoivent le roi Noble qui y tient une grande assemblée, dont
l'auteur tait le motif, mais qui se démarque par son faste. Contrairement au Couronnement
de Renart et à Renard le Nouvel, il n'y a pas ici de progression dans le récit, il s'agit plutôt
d'un instantané dans la vie de la cour du lion1241. Dans un style qui se rapproche de
Rutebeuf, Jean de Condé constate une situation précise et raconte un petit épisode
permettant de bien en saisir le sens. D'une certaine façon, l'auteur reprend l'histoire là où
ses prédécesseurs l'ont laissée. Si Renart ne règne pas à proprement parler, il exerce tout
de même le pouvoir en contrôlant le roi et son entourage, un contrôle essentiellement
domestique puisqu'il est devenu le maître de l'hôtel du roi. Loin d'être anodine, cette
fonction permet au goupil de placer ses amis dans les offices de la cour comme d'y chasser
ses ennemis. Les nominations servent aussi à contracter ou à solidifier les alliances, ce à

' 5 On trouve dans cette catégorie les oeuvres suivantes: Des Mahommés des grans seignours; Li dit des
charneis amis qui se héent; Dou vilain despensier; De Monss. Engeran de Marigni; Des losengers et des
vilains: Du prince qui croit bourdeurs; Li dit de la torche: Li dit des lus et des bêchés; le Dit de l'Aigle. Le
Dit d'Entendement et la Messe des oiseaux traitent aussi de ce thème.
Le Dit des Jacobins et des Femeneurs; De l'ipocrisie des Jacobins.
Parmi ceux-ci, on retrouve: Li dit de gentilesse. Des vilains et des courtois; Li dit des .111. mestiers
d'armes; Li castois doujouene gentilhome; Dit dou boin conte Willaume; Dit des .111. cornes d'orgueil.
' Le Dit d'onneur guengie en honte; le Dit de la mortel vie; le Dit des estats dou monde; Li dit dou singe.
I2 9
~' Le Dit dou levier. Le Dit d'Entendement; Engeran de Marigni; le Dit dou Magnificat, le Dit de seilreté
et de confort; le Dit de Fortune.
1240
Cet épisode est le l I e et comprend 313 vers.
1241
Le Couronnement et Renart le Nouvel illustrent la prise de pouvoir de Renart qui, dans le deuxième cas,
s'échelonne sur plusieurs années. La même remarque vaut pour le Livre des bêtes de Raymond Lulle et La
guerre des Ibelin de Philippe de Novare.

435
quoi Renart excelle. Il a d'ailleurs tellement bien manœuvré que rien ne se décide dans le
royaume sans son consentement, même les jugements dépendent de son bon vouloir. Plus
personne n'ose se plaindre de lui depuis que le roi lui témoigne autant d'estime. Mais
Renart n'est pas seul en cause, tous tentent de tirer avantage de leur nouvelle situation et
plusieurs montrent à cette occasion leur vraie nature. C'est lors d'un repas que les
manigances de la cour sont mises à jour. Martin le singe1242, dont le rôle consiste à
distraire l'assemblée, fait un faux pas et heurte la reine qui tente alors de lui faire un
mauvais parti. Tandis que le roi la réprimande, l'auteur s'attarde à décrire les ruminations
des exclus confinés à une petite table loin du roi et chichement pourvue. Entendement fait
remarquer à son compagnon que le conseil est sous le joug de Renart, Ysengrin et Martin
et que ces trois là abusent de leurs prérogatives. D'ailleurs cette cour est semblable à bien
d'autres, la renardie attire de nombreux princes, même le pape n'y échappe pas. Morale de
cette histoire: un prince se trompe s'il fait trop confiance à autrui. On retrouve dans cet
apologue les thèmes chers à l'auteur: les mauvais conseillers et les serviteurs cupides, les
intérêts malhonnêtes des Ordres Mendiants comme ceux du pape, l'inconséquence des
grands et le dur métier de ménestrel.

1. Les conseillers ou losengiers

Pour Jean de Condé, le rôle de conseiller englobe tous les offices de l'État et ne fait
pas uniquement référence aux membres du conseil privé. Dans plusieurs de ses poèmes,
l'auteur s'en prend particulièrement aux agents seigneuriaux, les baillis, qui sont pour lui
la cause des plus grands troubles, surtout s'ils sont de faible extraction. Le problème de la
compétence et des agissements des officiers, notamment baillis et prévôts, n'est pas une
vue de l'esprit de l'auteur. Le contrôle des « serviteurs » de l'État est une préoccupation
constante des princes. Concernant les baillis et les sénéchaux sous le règne de Saint-Louis,
plus précisément à son retour de croisade en 1254, Jacques Le Goff écrit que «pour éviter
les tentations de corruption ou le simple favoritisme né d'une longue fréquentation
susceptible d'encourager une amitié sans complicité consciente, les changements

1242
Jean de Condé reprend ici le changement de nom qu'avait introduit Jacquemart Gielée dans Renart le

436
d'affectation ou les remplacements sont fréquents parmi eux ». Les enquêtes vont dans le
même sens «la nomination d'enquêteurs chargés d'informer le roi sur la gestion de ses
représentants, baillis et sénéchaux et de réparer les torts qu'ils auraient commis a pour
objectif et pour conséquence de mieux assurer l'administration royale, de la rendre plus
efficace et mieux acceptée 124j ». Jean de Condé accuse ces roturiers de miner la crédibilité
du seigneur, de couper les liens qui l'unissent à ses sujets, de saboter les relations de
lignage que sont les charnels amis et, enfin, de détruire peu à peu l'organisation de la
société du Moyen Age "" . Les losengiers, qui représentent cette nouvelle classe
d'officiers issus en grande partie de la bourgeoisie, n'inspirent que méfiance au poète. Ne
les nomme-t-il pas aussi bourdeurs. c'est-à-dire menteurs? Quoique Renart soit
traditionnellement un baron assez puissant, Jean de Condé l'associe au losengier, tout
comme il le fait pour Ysengrin et plusieurs autres bêtes. Il est intéressant de constater que
l'origine aristocratique des animaux semble évacuée du poème pour ne retenir que la
fonction exercée à la cour. Il en est de même pour la rivalité entre Renart et Ysengrin. elle
disparaît totalement au profit d'une alliance qui se fait au détriment du roi et du bien du
royaume comme dans Renart le Bestourné. C'est même Renart qui replace son ancien rival
à la sénéchaussée:
A Ysengrin avoit pes faite
Et Famoit d'amour si parfaite.
Ce dist. que mais n'ara descort
A lui. mes pes et bon acort.
Fait Fot en la court si seignour
Qu'après lui n'i avoit greignour.
Qu'il ert baillieus et senechaus1 4"\

Les autres attributions vont aussi dans le sens d'une communauté d'intérêt.
Grimbert est maréchal. Tibert chargé des cuisines. Thiecelin panetier, Martin chambellan

Nouvel. Dans les branches anciennes, le singe se nomme Cointerau et non Martin.
I24
~' J. Le Goff. Saint Louis, p. 223 et 682.
1-44
Informations tirées du livre de J. Ribard. Un ménestrel du XIV siècle, p. 156 à 160.
*~ Renars mestres de l'ostel le Roy, v. 813-819. A. Villeneuve, dernier éditeur du Dit d'Entendement traduit
le passage comme suit: «Avec Ysengrin. Renart avait fait la paix, et il l'aimait d'un si parfait amour, à ce
qu'il disait, qu'il n'y aurait plus jamais de dispute entre eux. mais bien concorde et bonne entente. Il Lavait
fait si haut dignitaire à la cour, qu'il n'y avait personne au-dessus de lui: il était en effet bailli et sénéchal. »
p. 65-66.

437
et ménestrel, Tardif maître bouteiller et Roënel huissier . La progéniture n'est pas non
plus oubliée. Outre les deux fils de Renart sur qui nous reviendrons plus loin, les héritiers
d'Ysengrin, Malegrin et Despert1247, sont respectivement valet en chef et écuyer de la
reine. Un des fils de Martin, Monnekin s'occupe des comptes tandis que Martinet distrait
les invités avec le fils de Tibert et celui de Roënel. L'aumône est par ailleurs confiée à
Espinal le Hérisson secondé par Pelée le rat qui tout deux s'en « mettent plein les
poches ». Lui étant redevables pour leurs postes, ils vivent en parfaite entente avec Renart,
lui témoignant de l'admiration et écoutant religieusement ses enseignements:
Et de Tesselin le corbel
Avoit fet Renars panetier,
Et si l'amoit de cuer entier:
De ce qu'il ert malicïeus,
S'en ert a court plus gracïeus,
Car bien aprise ot sa lechon.
Et de Tardieu le lymeçon
Avait fet mestre bouteillier
Ce que Renars vot conseillier
Sot bien retenir et aprendre,
Ne l'en couvendra point reprendre12 .

Ceci contredit la tradition renardienne puisque le corbeau se trouve plus souvent


qu'à son tour victime de Renart comme l'illustre la branche II: Renart et Tiécelin le
Corbeau1 4
. Mais ces entorses à la tradition littéraire servent le propos de l'auteur qui
veut faire ressortir la connivence du groupe avec Renart qui achète ainsi les fidélités.
Dorénavant, l'appât du gain remplace les liens filiaux comme élément rassembleur. Plus

1246
J. F. Flinn souligne que le poste de huissier avait déjà été attribué à Roënel par Rutebeuf dans Renart le
Bestourné. Le plus souvent, le chien fait office de gardien des prisonniers. Le Roman de Renart dans la
littérature française, p. 350.
1247
Dans les vieux contes comme dans les continuations, les fils d'Ysengrin sont Malegrappe, Primaut et
Pinchar. On se souviendra que Primaut est tué lors d'une joute au début de Renart le Nouvel et que
Jacquemart Gielée donne le nom de Malegrappe au griffon plutôt qu'au loup.
1248
Renars mestres de l'ostel le Roy, v. 826-836. « De Tesselin le corbeau, Renart avait fait le panetier, et il
l'aimait sincèrement, car comme il était rusé, il savait se montrer d'autant plus aimable à la cour, ayant bien
appris sa leçon. Tardieu le limaçon avait été fait mâitre bouteiller; les conseils que Renart voulait bien lui
donner, il n'avait pas son pareil pour les retenir et les apprendre: point n'était besoin de les lui dire deux
fois » traduction d'André Villeneuve, p. 66-67. La plupart des éditeurs du Roman de Renart adaptent les
noms des personnages dans leur traduction, écrivant Tiécelin et Tardif.
Histoire dans laquelle le corbeau, et non le fromage comme l'a écrit par la suite La Fontaine, est l'enjeu
de la convoitise de Renart, le fromage n'est qu'un moyen de déjouer la vigilance de l'oiseau (passage
reproduit en annexe XVIII)

438
grave encore, les agissements de ces losengiers nuisent à la réputation du prince, le peuple
associant les mauvais serviteurs à celui qu'ils sont censés représenter. Ce thème revient à
plusieurs reprises sous la plume de Jean de Condé qui y voit un réel danger pour la bonne
marche de l'État. Dans ce cas ci, Renart joue le rôle spécifique du conseiller un peu à la
manière d'un Enguerran de Marigny, ce qui ne sous-entend pas que Renart ait été calqué
sur lui, d'autant plus que le goupil exerce un pouvoir que n'a jamais eu le conseiller de
Philippe le Bel. Contrairement à Enguerran de Marigny, Renart reste maître du jeu et rien
ne semble pouvoir causer sa chute. Dans son Dit d'Engerran, Jean de Condé fait preuve
d'un réalisme et d'un bon sens certain. En gros, l'auteur prévient qu'il ne connaît pas tous
les faits entourant la disgrâce du conseiller de Philippe le Bel; il n'était pas présent et ne
rapporte que des ouï-dire. De plus, il est conscient qu'Enguerran de Marigny a payé autant
par la jalousie des autres que par démérite123 . C'est l'ascendance absolue de Renart sur
Noble qui est illustrée dans ce passage:
Car Renars est bien avisés
D'amis par engien recouvrer.
Bien sot de son mestier ouvrer.
Car tout bêlement et a trait
Ot si le roi viers lui atrait
Que il ne feïst riens sans lui.
Il n'avoit en la court nului,
Se Renars contre cuer F eùst.
Si tost que li rois le seùst.
De sa court ne feïst widier;
Et cui Renars volsist aidier,
Tantost ot faite sa besoigne:
Ne l'en couvenoit avoir soigne.1"31

" Il débute son poème par l'avertissement suivant:


Ne puis pas tous conter ses fais,
Ne les lais reviaus qu'il a fais.
Car ge ne sui pas bien estruis
Des fais pour quoi il est destruis v. 163-166.
(...)
Encor soit ce c'on l'ait desfait
Par orgueil et par son mesfait,
Ge tien qu'il ait perdu la vie
En grant partie par envie, v. 172-176.
Texte cité par J. Ribard, Un ménestrel du XlVe siècle, p. 162
1251
Renars mestres de l'ostel le Roy, v. 786-798. «Renart était là tout le premier, en tant que celui qui avait
la main haute sur la cour et qui était maître de la maison du roi. De cette dernière il avait réglé toute
l'ordonnance, et il en avait distribué les charges, car il était bien décidé à se gagner des amis par ce moyen

439
À l'encontre de l'opinion courante qui voit dans le conseil une obligation du
seigneur, Jean de Condé soutient qu'un prince devrait d'abord se fier à son propre
jugement puis, en second lieu, à celui des membres de sa famille. Il doit éviter l'opinion
d'étrangers qui causeraient préjudices à sa réputation puisqu'il porte la responsabilité de
décisions prises en son nom.

2. Les Mendiants.

L'autre thème majeur de l'œuvre de Jean de Condé, la critique de l'influence des


Ordres Mendiants, est devenu avec les années un lieu commun, les Ordres Mendiants ont
très tôt constitué le sujet favori des satiristes et des pamphlétaires dont Rutebeuf fut un
digne représentant. Jean de Condé n'échappe pas à cette aversion contre le mode de vie et
le rôle des Mendiants. Mais comme Rutebeuf, Jean de Condé a aussi des griefs personnels
contre les Mendiants. En effet, plusieurs prédicateurs s'en prennent aux ménestrels qu'ils
associent avec le diable dans leur discours. L'auteur se porte donc en partie à la défense du
groupe qu'il représente mais les accusations d'hypocrisie à l'encontre des Frères sont trop
courantes pour ne pas être partagées par lui. Ce sont d'ailleurs ces deux aspects qui
ressortent du Dit des Jacobins et des Fremeneurs. Sur les vers 170-171, Ribard donne
l'explication suivante, «l'auteur fait ici allusion au procédé classique de la captation de
testaments, à la faveur d'une donation consentie par la victime pour assurer le salut de son
âme 1252». Cette pratique était déjà bien instituée au XIVe siècle puisque, comme l'indique
Michel Lauwers pour les legs faits aux Mendiants dans le diocèse de Liège, «au XIIIe
siècle, plus de deux tiers des testateurs leur firent un don ». Reprenant à son compte
l'ajout de Jacquemart Gielée dans Renart le Nouvel, l'auteur mentionne à son tour les deux
fils de Renart chacun à la tête d'un Ordre:

habile. Certes, il avait su manoeuvrer efficacement, car tout doucement et mime de rien, il avait acquis
l'oreille du roi, à ce point tel que ce dernier n'aurait rien osé faire sans son accord. De plus, il n'y avait
personne à la cour que le roi n'aurait fait bannir de sa présence du moment que Renart l'ait eu en aversion;
celui, par contre, que Renart avait à coeur de favoriser, son affaire était tôt réglée: nul besoin pour lui de s'en
soucier. » p. 63-64.
1252
Édition de J. Ribard, La Messe des Oisiaus et le Dit des Jacobins et des Femeneurs, Genève, Droz, 1970,
coll : « Textes littéraires français; 170 », p. 70
' M. Lauwers, La mémoire des ancêtres, p. 423

440
Ses .II. filz ot bien assenés
Renars, qu'i les ot ordenés:
Renardiaus jacobins estoit,
Li aisnés, et noir dras vestoit,
Si estoit grans mestres de lois.
Et Roussiaus estoit cordelois;
Devant le roi chantoit la messe
Et s'aloit a lui a confesse.

Le poète souligne le faux serment de pauvreté des Ordres Mendiants en écrivant


que Renart a établi confortablement ses fils. Mais plus important, les deux renardeaux
restent près du pouvoir, le premier comme théologien, le deuxième comme confesseur du
roi ce qui lui octroie une influence certaine. La renardie et ses disciples sont partout,
contrôlant les offices, la justice, les comptes, et plus grave, contrôlant les âmes. Jacques
Ribard utilise le terme « noyauter » pour désigner l'action de Renart sur la cour du roi,
l'image est fort juste puisqu'il s'agit bien de cela et une fois l'entreprise réussie, le lion n'y
peut plus rien «Est-ce un hasard si, dans le Dit d'Entendement, Renars, maître es
fourberies, qui moult d'engien savoit (v. 865), habile à "noyauter", comme on dirait
aujourd'hui dans le jargon politique, la cour du roi Noble, y place ./. gris moune, pour
rechevoir l'aumoune (v. 859-60) avec l'aide de Pelet, le Rat? 1255».

3. L'inconstance des nobles.

Une fois les postes pourvus par les bons soins de Renart, l'auteur s'attarde à décrire
le repas où l'on voit le traitement réservé aux exclus, tout comme les dangers qui guettent
les amuseurs du roi. L'importance des convives est illustrée par la place que chacun
occupe à la table du roi ou en retrait. Certaines absences sont étonnantes mais montrent
bien le revirement de situation : quelques barons jadis influents ne se rendent à la cour que
sous convocation, pour un plaid par exemple. L'auteur souligne les motifs particuliers de
l'absence de Chantecler, pourtant un des personnages les plus important des branches

Renars mestres de l'ostel le Roy, v. 799-806. «Ses deux fils, par exemple, Renart les avait
confortablement établis, les ayant fait entrer dans les ordres: Renardel, l'aîné, était jacobin; il était vêtu de
noir et était grand théologien. Quant à Roussel, il était cordelier; il chantait la messe devant le roi et était son
confesseur.», p. 64-65.
J. Ribard, Un ménestrel du XIV siècle : Jean de Condé, p. 126.

441
anciennes. Un peu à la manière du Livre des bêtes de Raymond Lulle, à cause d'une idée
de Renart, le coq doit fournir au roi, sur sa demande et à volonté, un membre de sa famille
pour les besoins alimentaires du lion. Hardi et Harouge, pourtant parents proches du roi, ne
sont pas mentionnés dans le texte 1 3
:
Encore ot Renars pourchacié
Que tuit erent de court chacié
Cil qui devant estre y soloient;
De la court point ne se melloient,
S'il ne lor estoit conmandé
Pour plais ou il fussent mandé,
1 7S7
Qui li rois tenist court pleniere

Le limogeage des seigneurs que Renart ne pouvait manipuler se fait avec


l'assentiment du roi qui n'éprouve aucune reconnaissance pour la loyauté de ses anciens
conseillers. Jean de Condé se place ici du coté des serviteurs bafoués, qui sont
sommairement remplacés par une nouvelle garde sous le contrôle du rusé goupil. Exemple
de l'aveuglement des princes et de leur inconséquence, le roi n'a jamais mieux apprécié
l'organisation de sa maison depuis qu'il l'a laissée au bon soin de Renart:
Si avoit changié de manière
Renars, par malice, le roy,
Qu'il dist c'onques plus n'ot array
A son hostel c'ore y avoit
Le couvenant moult mal savoit!

Mais revenons au rang des convives. Renart se trouve à la droite de la reine que
l'on dit « yreuse et felonnesse » mais il en fait ce qu'il veut «que tout ensement la menoit
c'on fait le petit enfançon1259 ». Fière étant à la droite de Noble, c'est Hersent que le roi
fait asseoir à sa gauche suivi de Renardel, d'Hermeline et de Roussel, confirmant la
prépondérance du clan renardien. Pour sa part, Ysengrin semble trop occupé à donner des

1256
Renars mestres de Vostel le Roy, v. 883-888. Hardi et Harouge, pourtant parents proches du roi, ne sont
pas mentionnés dans le texte.
1257
lbid., v. 889-895. «Renart avait encore obtenu que soient expulsés de la cour tous ceux qui avaient
l'habitude d'y être auparavant; ces exclus ne se mêlaient plus à la cour que si cela leur était expressément
commandé, par exemple à cause d'assises où ils étaient convoqués du fait que le roi tenait cour plénière.», p.
71-72.
1258
lbid., v. 896-900. « Enfin, grâce à sa ruse, Renart avait tellement changé le roi dans sa manière d'être, que
celui-ci disait qu'il n'y avait jamais eu autant d'ordre dans sa maison que maintenant — il connaissait bien
mal la situation réelle! » , p. 72.
1259
lbid, v. 916-919, p. 73.

442
ordres pour penser à se sustenter: « Ysengrins par l'ostel aloit, Devisant quan que il
voloit ». D'autres ne sont pas gratifiés des mêmes faveurs et sont relégués à l'autre bout
de la salle confirmant ainsi leur disgrâce:
Autres tables assés y ot,
Si s'i assist qui seoit pot,
A l'une ont fet seoir Brun l'ours
—Si dïent qu'il est vilz et lours—,
Dalez lui le cherf Briquemer.
Le sengler vit on escumer
D'ardeur de ce que il veoit
Tel chose qu'il li desseoit,
Dont il li samble ce soit tors.
Li chevaus et Bruians li tors
Et Belins li moutons après
Sisent; li asnes lor fu près.
Après seoit Coars li lièvres,
Cui d'irour sont prises les fièvres1 6I .
Ne les vous puis pas tous nommer,
1 7fi7

Car mon propos wel assommer. " .

La différence de traitement se fait sentir jusque dans la quantité de nourriture


17A^

servie, « les aucuns bien et grandement, et les autres recrandement ». La disgrâce est
particulièrement injuste pour certains personnages dont Brun l'ours, messager dévoué du
roi dans la plupart des branches. Son manque de manières prime ici sur sa contribution
passée au rétablissement de l'ordre, ce qui est sans doute une critique de la superficialité
de l'univers curial. Il en est de même pour Timer qui, ne l'oublions pas, est archevêque. À
l'exception de l'ours, la plupart sont des herbivores. On comprend assez bien l'amertume
des laissés pour compte qui n'ont comme seule faute d'être peu plaisants et mal vus de
1260
l b i d , V. 956-57, p. 76-77.
Couart est effectivement pris de fièvres, non par dépit toutefois, mais par crainte:
Quant lor sire sospire et bret. lorsque leur suzerain se met à soupirer et à rugir
.Tel poor ot Coars li lèvres Le lièvre Couart eut si peur
Que il en ot deus jors les fevres. v. 358-360 qu'il en eut la fièvre pendant deux jours.

J. Dufournet (éd). Le Roman de Renart, tome 1, p. 60-61.


1262
Renars mestres de l'ostel le Roy v. 940-956. « Il y avait quantité d'autres tables, et s'y assoyait qui
pouvait. À l'une d'elle ils firent asseoir Brun l'ours — ils disaient qu'il était grossier et lourdaud — , et à
côté de lui le cerf Brichemer. Quant au sanglier, on le vit écumer de colère, car ce qu'il voyait lui déplaisait,
et il lui semblait que c'était une injustice. Le cheval, Bruiant le taureau et Belin le mouton s'assirent ensuite;
l'âne était près d'eux. Ensuite venait Couart le lièvre, qui était saisi des fièvres de la colère. Enfin bref, je ne
peux vous les nommer tous, car je veux terminer mon propos. », p. 75-76

443
Renart. Les amuseurs sont aussi sous le coup des humeurs des grands. Le singe Martin
l'apprend durement quand, après avoir glissé quelques mots à l'oreille de Renart, il heurte
accidentellement la reine:
Einsi li singes s'apareille
A faire choses desguisees
Pour le roi servir de risées.
Puis rêvait le roy a l'espale,
Puis chante et puis espringe et baie,
Car il fu soutilz en son art,
Puis vait conseillier a Renart.
Lors revot saillir sur le roy,
Mes il fist .1. poi de desroy,
Car il hurta ma dame Fiere;
N'ala pas si tost ne le fiere
La royne et vers lui le sache.
Desroute il eùst la face,
Ne fust li rois, qui li toli
Et si s'en courecha a li;
Mes elle s'en sot bien resquere,
Qu'elle dist, se Diex la sequeure,
Qu'elle ne l'ot fet fors par gas.
Martins fu soutieux en maint cas,
Bien sot connoistre mousche en lait;
Moult grant pieche le jùer lait.1

Il y a dans ce passage deux détails intéressants: d'une part, l'auteur ne fournit


aucune indication sur la nature des propos du singe à Renart gardant ainsi un certain
mystère et, d'autre part, les mouvements sautillants du personnage renvoient une image
stylisée du singe, probablement un petit animal de la taille d'un capucin puisqu'il se pose
sur les épaules des invités. Pour sa part, la reine fait piètre figure: colérique, violente et
menteuse. Il est toutefois peu probable que Jean de Condé témoigne ici d'un sentiment
misogyne, ces dits et lais sur l'amour offrent une très belle image de la femme, notamment

1263
lbid., v. 998-999. p. 80.
264
lbid., v. 964-984. «Il se livrait ainsi à des extravagances pour offrir au roi un spectacle amusant. On le vit
encore aller sur l'épaule du roi, puis se mettre à chanter, puis à sautiller et à danser, car il était habile en son
art; puis il alla parler à l'oreille de Renart. II voulut alors bondir à nouveau sur le roi, mais il fit un faux
mouvement et heurta ma dame Fière; il n'alla pas assez vite pour éviter que la reine ne le frappe et ne le tire
vers elle. Elle lui aurait rompu la face, n'eut été le roi, qui le lui enleva et s'emporta contre elle; mais elle sut
bien se tirer d'affaires, car elle dit, en prenant Dieu à témoin, qu'elle ne l'avait fait que pour rire. Martin
n'était pas né de la dernière pluie, et il savait bien distinguer le noir du blanc; aussi cessa-t-il de badiner
pendant un bon moment.», p. 78-79.

444
dans le poème Pour coi on doit femmes hounourer qui. selon les mots de Jacques Ribard,
5
est « une véritable réhabilitation de la femme ' ». Il a plutôt illustré la faiblesse des
princes, leur irascibilité. Quoiqu'il ne mentionne pas ouvertement les qualités du prince
dans cette oeuvre, Jean de Condé s'est penché sur cette question dans d'autres textes.
D'une manière générale, les qualités du prince sont assez traditionnelles et renvoient à
l'image du chevalier: honneur, hardiesse, largesse et bonne éducation. C'est surtout
l'honneur qui semble ici faire défaut au lion quoique la hardiesse n'est guère présente.
Dans cette cour où les courtisans mènent le bal, personne n'est à l'abri de la défaveur. Car
Martin n'a rien d'une innocente victime, lui aussi compte parmi cette espèce tant honnie,
les losengiers. Il représente le mauvais ménestrel, celui qui ne pense qu'à flatter et amuser
le prince et néglige une partie importante de sa fonction: instruire:
Par le singe entent ceus qui lobent.
Qui font grans môes et grans chieres;
Teles gens a on a court chieres.
Qui losengent et ostent busches.
N'i a nul cognoistre ne pusses
Se d'estudiier as talent. '"6

Entendement fait remarquer à son compagnon qu'il est bien difficile de vivre dans un lieu
où l'estime dépend des apparences et qui bientôt sera le théâtre d'une justice bestournée:
On plaidera ja ci endroit.
Si fera on du tort le droit.
Toute la cours va par eus trois.
Et li conseûs le roy destrois:
Ysengrin. Martin et Renart.
Foy que je doi saint Lïenart.
Nus jugemens n'i puet passer.
Tant s'en sache nus hom lasser.
Que l'un de ces .III. n'i couviegne
• 1 ~)fi\l

Ains que jugemens avant viegne.

1265
J. Ribard. Un ménestrel du XIV siècle, p. 194
66
Renars mestres de l'ostel le Roy, v. 1052-1057. « Par le singe il faut entendre les flatteurs, les faiseurs de
simagrées et de grimaces: dans les cours on apprécie beaucoup pareilles gens, qui savent flatter et faire les
empressés. U n'y en a pas un que tu ne puisses reconnaître si tu veux bien t'en donner la peine.», p. 84
lbid., v. 1017-1026. «Lorsque tout à l'heure on plaidera, ici même, ce sera pour convertir le tort en droit.
C'est que toute la cour, ainsi que le conseil privé du roi. est sous leur coupe, à ces trois-là: Ysengrin. Martin
et Renart. Et par la foi que je dois à Saint Léonard, nul procès, malgré tous les efforts qu'on puisse déployer.
ne saurait s'y dérouler à moins que l'on ne soit assuré, avant même que le procès ne puisse s'ouvrir, de la
présence de l'un d'entre eux. », p 81-82.

445
Cette justice corrompue, et souvent paralysée, résulte autant de la perfidie de
Renart que de la cupidité d'Ysengrin et ses acolytes. Et que dire de l'inconscience de
Noble tout absorbé par le spectacle que lui offrent les pitreries de Martin. Sans l'excuser,
Jean de Condé souligne que le roi n'est pas le seul prince subjugué par Renart, ce dernier
a ses entrées chez le souverain pontife:
Il puet bien en la court de Roume
Assés plus qu'il ne fâche aillours;
i La est Renars o les meillours,
Bien le set qui séjourne la:
De son conseil retenu l'a
Li papes, oy dire l'ai.
Au tans qui or ceurt, clerc et lai
Houneurent Renart et le crôent;
1 7^8
Je voi que petit s'en recroient.
Le pape semble blâmé davantage que le roi puisqu'il a recours volontairement et en
connaissance de cause aux conseils de Renart. Depuis Renart le Bestourné,
l'anticléricalisme est devenu indissociable des contes renardiens. Si Rutebeuf s'en prenait
essentiellement aux Ordres Mendiants, les critiques de ses successeurs ont une portée bien
plus large. Même s'il est très présent sous la plume de Jean de Condé, l'anticléricalisme
n'occupe pas le devant de la scène et les clerc corrompus, quoique vertement critiqués, ne
figurent pas en tête des problèmes du siècle. L'objet de la haine du poète demeure le
losengier, cet être méprisable source de tous les maux qu'il va jusqu'à traiter de « bastart
puant » dans Des losengers et des vilains. Des propos similaires se trouvent dans Li dis
d'onneur quengie en honte:
De tel envieus losengeur,
Faux, mesdisant et tricheeur,
Dont les cuers sont faux et faux et vain,
Sevent trop bien torchier lor main,
Estrillier et aplanoier... 1269

1268
lbid., v. 1072-1080. «il est très puissant à la cour de Rome, encore plus qu'il ne l'est ailleurs; là, Renart est
avec les experts, celui qui y séjourne le sait parfaitement, car le pape l'a retenu dans son conseil, je l'ai
entendu dire. Par les temps qui courent, clercs autant que laïcs honorent Renart et lui font crédit; il en est
bien peu qui y renoncent, comme je le vois.», p. 86.
1269
Extraits cités par J. Ribard, Un ménestrel du XIV siècle, p. 294-295. Comme le souligne Ribard, ce type
de vocabulaire n'est pas courant chez le poète, « il est relativement rare que Jean de Condé se laisse ainsi
aller aux grosses parolles et espesses, pour reprendre sa propre expression de la Messe des Oisiaus (XXXVll,
866). L'indignation seule réussit parfois à faire craquer le vernis de l'homme policé, du preudome, et à

446
Associant Renart et ses compères aux losengiers, il n'est pas étonnant que l'auteur
omette de mentionner leur origine aristocratique, le mauvais conseiller peut difficilement
être noble. Quand Jean de Condé écrit que les choses allaient mieux du temps où le lion se
méfiait de Renart. on pourrait tout aussi bien comprendre que le monde se portât mieux du
temps où les roturiers restaient à leur place. Si on pousse plus loin le raisonnement, on
peut affirmer que le seul bon conseiller aux yeux du poète est un membre de la famille
gouvernante, quelqu'un du même milieu partageant une mentalité commune. Sur ce point,
Jean de Condé adopte une position en décalage avec la réalité, la politique de plus en plus
complexe des grands seigneurs commande le recours à un personnel spécialisé, les
compétences primant sur les origines. L'entrée de la bourgeoisie dans les offices des cours
comtales, comme royales était pourtant devenait inévitable.

Pour éviter que les seigneurs se laissent déposséder de leur pouvoir. Jean de Condé
met en scène les personnages renardiens. vidés en partie de leur substance, dans le monde
clos de la cour. Tout en restant agréable par le style, la fable montre un univers stérile, à la
limite de la claustrophobie. Séparé de ses « charneis amis », Noble fait figure de vieux roi
senile, facilement manipulable et indifférent à ce qui se trame autour de lui dans la mesure
où ses amusements ne sont pas contrariés. La seule réaction du lion a lieu quand son
bouffon, le singe Martin, qui fait davantage office de fou du roi que de ménestrel dans le
sens où l'entend Fauteur, est menacé par la reine. Comme si l'interruption des pitreries du
singe avait momentanément sorti le roi de sa somnolence. Malheureusement pour le
royaume, le réveil du lion a été de courte durée, ce qui laisse tout l'espace à Renart et ses
compères. Mais, moins pessimiste que Jacquemart Gielée. Jean de Condé croit qu'il est
toujours possible de remédier à la situation, il se fait donc un devoir de montrer à son
auditoire les dangers qui les guettent en espérant qu'ils tireront une leçon de son
enseignement. Et. pour reprendre les mots de Jean Ribard, « une oeuvre, au Moyen Age.-
ne l'oublions pas- est un acte social, elle est faite pour servir 1270 ». Le pessimisme reprend
cependant rapidement ses droits et. tout en voulant fournir un enseignement utile, le

ramener à la surface quelque mot cru ou quelque terme d'injure, qui surprend d'autant plus qu'il détonne
dans un contexte de si haute tenue. En fait, rapportés à l'ensemble de l'oeuvre, ces rares témoignages de
verdeur de langage sont quasiment négligeables. », p. 294.

44"
dernier auteur à composer un long roman dans la veine renardienne nourrit bien peu
d'espérances envers la société qu'il estime irrémédiablement corrompue. Comme
Rutebeuf, Jean l'Épicier de Troyes considère que tout va de mal en pis et que personne,
hormis peut-être les pauvres, n'est exempt de faute. Bourgeois, plaideurs, seigneurs
laïques comme ecclésiastiques sont sous l'emprise de Renart dont l'art remonte au début
du monde.

1270
J. Ribard, Un ménestrel duXlV siècle, p. 233.

448
D. Renart le Contrefait de Jean l'Épicier de Troyes (1313-1342) (2e rédaction entre 1328 et
1271,
1342,z/1)

Par la longue période de rédaction et par les renseignements qu'il fournit sur son
âge, Jean l'Épicier de Troyes a plus de 60 ans lorsqu'il achève son œuvre en 1342. On peut
supposer sans trop d'erreurs qu'il connut les règnes de six rois de France, règnes
s'échelonnant de Philippe III le Hardi (1270-85) à Philippe VI de Valois (1328-1350).
L'auteur fut donc témoin d'événements marquants comme la querelle bonifacienne (1302-
1303), la fin de l'Ordre du Temple (1307-1314) et le procès d'Enguerran de Marigny
(1314). Il vit se succéder sur le trône les fils de Philippe le Bel dont les courts et faibles
règnes amenèrent leur lot de tractations avec une noblesse mécontente des réformes
royales qui, croyait-elle, la désavantageaient et ne respectaient pas les usages. Lorsque les
pairs de France choisirent Philippe de Valois pour succéder au dernier capétien direct mort
sans héritier mâle, Jean l'épicier de Troyes débutait la deuxième rédaction de son œuvre
« encyclopédique ». Il dut d'abord avoir eu vent des contestations dynastiques de
l'Angleterre -de même que celles des maisons princières dont certains membres
descendaient tout aussi directement de Saint Louis que les Valois- puis, comme la plupart
des sujets du royaume, il en subit sans doute impuissant les conséquences avec le
déclenchement des hostilités. Sur ces événements, il dit peu de chose et concentre la
narration dans une brève chronique en prose, en partie détachée de son récit. Comme
habitant de la Champagne, région en partie dépendante économiquement des riches
communes flamandes dont les sympathies allaient davantage à l'Angleterre, Jean l'Épicier
de Troyes aurait bien pu à ce stade du conflit n'éprouver aucun sentiment patriotique
envers le premier Valois. D'ailleurs il ne semble pas qu'il ait adressé son ouvrage à un
prince en particulier et lorsqu'il s'attarde sur la fonction royale, il demeure plus soucieux
de faire œuvre didactique.

1
En regard: Du plait Renart de Dammartin et le Dit de la queue de Renart

449
Composé sur une période s'étirant sur plus de vingt ans, le roman de Renart le
Contrefait appartient à la tradition allégorique qui utilise la figure animale pour dénoncer
les travers d'une société en déchéance, ici celle de Renart qui « sert de masque derrière
lequel l'on se cache pour dire des vérités dangereuses à raconter trop haut1272». La
première rédaction se situe entre 1313 ou 1319 et 1322, tandis que la deuxième, un
remaniement beaucoup plus long, a été composée entre 1328 et 1342. Dans le prologue,
Jean l'Épicier de Troyes affirme écrire pour échapper à l'oisiveté source de nombreux
vices, tels : glout, murdrier, ribaut , mesdisant, orguilleux et bourdeur1214 d'une part,
puis pour faire œuvre utile :
Ains voeul que de tous soit sceù
Une science qu'aprins ay
De grant auctorité, et sçay
Que pluiseurs y prendront grant bien,
1 77S
S'ilz le veullent entendre bien

Comme dans Renart le Nouvel, il faut connaître les mécanismes de la renardie


pour pouvoir s'en prémunir. D'emblée, il pose les bases de sa longue critique de Testât
dou monde qu'il développe tout au long du roman. Il affirme que l'art de Renart, « qui les
177A 1777

greniers remplist » et «fait du blanc le noir », est destiné aux grands : aux rois, aux
comtes et aux empereurs, de même qu'aux « apostoles » et aux écoliers. Tous doivent
connaître ce savoir et s'adonner à son enseignement, hormis les pauvres qui n'y ont pas
accès. Le début de Renart le Contrefait ressemble à s'y méprendre à celui du Roman de
Fauvel où tous, sauf les pauvres, « torchent » le cheval roux. Un groupe montre un zèle
particulier à ce nouvel apprentissage. En effet, Jacobins comme Cordeliers prouvent par
leurs discours qu'ils ont bien retenu les leçons du maître. Menteurs et flatteurs, ils se

J. F. Flinn, Le Roman de Renart dans la littérature française, p. 370.


1273
Jean l'Épicier de Troyes, Le Roman de Renart le Contrefait, éd., G. Raynaud et H. Lemaître, Genève,
Slatkine Reprints, 1975, v. 43, p. l
1274
lbid, v. 58, p. 2
1275
lbid., v. 224-227, p. 3. Dans la première rédaction, l'auteur se présente davantage comme un conteur de
Renart : « Tant an romant corn an latin/plussors foiz m'ont levé matin,/ quant que j'oie tout cerchié/ce que
j'ai ici abregié./Ne tout n'est pas cerchié an livres ;/tout quant que ge baille et delivre/prins est an autre
autorité/dont bien orroiz la vérité », v. 413-420, cf : notes diverses et variantes caractéristiques de la première
rédaction, livre I, p. 299.
1276
lbid, v. 267, p. 4
1277
lbid, V. 279, p. 4.

450
disent pauvres lorsqu'ils sont riches et jouent aux truands. Un peu plus loin, l'auteur
s'interroge sur l'utilité des Ordres Mendiants. Si la société est comparable au corps
humain dont chaque composante a une fonction précise : « Cordelier. Jacopin et aultre,/
qui bien font un et dient autre. / et combien de ce remembre,/ de quoy serviraient mes
membre? ». Clerc de formation, l'auteur affirme bien connaître cet « art » si plaisant
aux hommes d'Église : « les grans clercs les ont bien apris./ mais ilz sont si ton art pris/
que les sept ars tout sont laissiés/ et au tien se sont abbaissiés1279 ». Parmi les spécialistes
de la renardie, on retrouve aussi les ordres militaires qui, quoique n'étant que de petits
écoliers face à un grand disciple (Enguerran de Marigny), n'en demeurent pas moins
dangereux : « Enguerran de Margny cuidoit/ En estre maistre, non estoit 128°».

1. Le « salaire » de l'orgueil.

1781

Après cette mise en situation ~ . l'action du récit débute par un topos classique :
une fête donnée par Noble, « qui fut roys/ sires et empereres droys/ dessus toute beste
1787 •

sauvaige/ qui toutes lui doivent homaige ~ », lors de la Pentecôte. Cette dernière vise à
rassembler les « loyaux barons » et. faute d'être aimé par eux. le lion veut conforter les
liens qui les unissent et s'assurer du bon service de ses vassaux. Le premier à se présenter
178^

à la cour est Renart qui. «la chappe faulx samblant " », ne perd jamais une occasion de
cour
modifier une situation à son avantage en manipulant allègrement les membres de la
1284 .Selon son art, il se maintint.
De samblant, de parole et d'œuvre
Son sens démontre et son sens coeuvre (...)
Selon chascun il se contient.
Par quoy chascun payé se tient ;
1278
Renart le Contrefait, v. 857-59. p. 10
P79
lbid, sixième branche, livre II, v. 34151-34154. p. 122.
1280
lbid v. 397-98. p. 5.
1281
Passage assez long dans la première rédaction où l'auteur expose les leçons que le lecteur peut tirer des
histoires de Renart. cf : lbid.. notes et variantes de la premières rédaction, p. 299
1282
lbid, v. 435-48. p. 5
1283
lbid v. 461, p. 6
1284
Parmi eux, sont nommés: Ysengrin. Tibert. Pelez, Espinal, Baucan. Grimbert. Bruyant. Brichemer,
Timer, Bernard. Tiécelin. Belin. Porchas?, Frobert. Goumis?, Bauclans?. Hersent. Fauve, allusion au roman
de Gervais du Bus, Chantecler et Plinte.

451
Abstinence sceut bien constraindre
En rire, en jurer et en plaindre,
En offrant a tel son hostel
De qui voulsist avoir le pel;
Et disoit : « Tout me pouez prendre»,
A tel qu'i voulsist voir entendre.
Par ce fist de ses ennemis
Les pluiseurs devenir amis,
Fors que Ysengrin seulement
Qui le hëoit trop durement1285.

Jusque là, le récit répond fidèlement à la structure narrative des vieux contes :
l'assemblée convoquée par Noble, la ruse habituelle de Renart et la jalousie d'Ysengrin, en
1 78ft

lien avec le viol d'Hersent , qui pousse ce dernier à s'opposer au goupil sur tous les
fronts. Une fois les festivités terminées, Noble « appella sa baronnie1287 » pour lui rappeler
les devoirs qu'elle doit à son seigneur. Le discours va comme suit : comme je suis votre
seigneur et que vous avez bénéficié largement de ma générosité, vous devez en retour
m'aimer, me servir avec franchise et honorablement, garder mon pays et mon honneur. De
• 1788

plus, puisque « vous estes, si comme il me samble,/ le meilleur de ma gent ensamble ' »,
le conseil doit s'assembler pour ordonner une constitution qui ne pourra être défaite. La
1 78Q

réponse est collective comme dans les chansons de geste , laissant présager, à tort,
l'unanimité. Les barons se réunissent donc en conseil, les discussions vont bon train
lorsque Renart fait une proposition (non révélée dans le texte) qui sème la discorde dans le
groupe. Ayant déjà commis certains méfaits, Renart suscite la méfiance chez plusieurs qui
85
l b i d , V. 490-93, V. 505-516, p. 6.
1286
Relatée plus loin dans le texte avec un développement sur le manque de ferveur amoureuse du vieil
Ysengrin dont se plaint Hersent, la scène du viol est volontairement ambiguë dès les premières branches, les
conteurs laissant planer le doute sur les rapports de séduction entre Renart et Hersent. Comme le rapporte S.
D'Onofrio à propos de la branche composée par Pierre de Saint-Cloud et reprise par les continuateurs : « ce
qui saute aux yeux n'est pas au centre du procès : comme chacun le sait, tout en faisant semblant de ne pas le
savoir, il n'y a pas seulement l'acte violent mais aussi le rapport coupable entre les deux », L'esprit de la
parenté. Europe et horizon chrétien, Paris, Éditions de la Maison des sciences de l'homme, 2004. Cf : ch. 7.
La parenté spirituelle dans le Roman de Renart, p. 201 N'oublions pas qu'un des aspects les plus
fondamentaux des branches anciennes est la parodie du genre courtois, ici plus précisément de l'amour
courtois.
Renart le Contrefait, v. 558, p. 7
1288
l b i d , 571-72, p. 7.
,9
Par exemple dans la Chanson de Roland, à plusieurs endroits dans le texte: "Dient Franceis", « Les
Français lui répondent », « Franceis escrient » ou encore : « Respondent Franc », même chose du coté des

452
estiment avoir été trahis antérieurement et comptent bien ne pas retomber dans le même
piège. Mais ce dernier réussit à imposer ses vues et fait jeter dehors les contestataires qui
continuent, sans résultat, de se plaindre de sa conduite passée. Se faisant le porte-parole
des riches, Renart expose à Noble les avantages qu'il aurait à favoriser ces derniers, quitte
à ne pas se préoccuper des pauvres « car povre ne peut nul aimer 1290». Toujours bien dans
le monde, à l'abri des nécessités matérielles, les riches pourraient aisément accéder à la
noblesse ce qui serait dans l'intérêt du roi. Sans trop se poser de questions et n'y voyant
que des bénéfices, Noble y consent, avec l'appui du Conseil qui s'est rallié, et scelle la
lettre (une charte) qui sera remise aux riches. Et l'auteur d'ajouter que la raison n'a jamais
été du coté de Renart qui de toujours dicta sa loi et le premier foula aux pieds les pauvres.
Mais le triomphe de Renart et de ses disciples n'est pas éternel, la raison reprendra ses
droits.

Après un long passage sur les récriminations d'Hersent envers son mari1291, une
rencontre entre Barbue (une chèvre) et Ysengrin introduit des questions de nature juridique
et souligne l'importance de l'écrit, la loi préservant les plus faibles contre la force brutale.
Le loup ne peut attenter à la vie de la chèvre puisqu'il n'en a pas l'autorité, cette dernière
possédant des « Chartres en lay longues et lées,/ bien escriptes et bien scellées,/ et
1 7Q7

quiconcques les desdira/ a mort et a honte en ira » qui lui permettent de paître en toute
sécurité dans le pré et la forêt avoisinante1293. Mais Ysengrin ignore que le parchemin est
vierge et que la chartré n'est qu'une invention de la chèvre pour sauver sa peau, ce que
Renart, bien plus rusé et versé dans l'art de l'écrit, a immédiatement compris. Mais le
goupil a repéré les chiens et tente de dissuader Ysengrin de recourir à la force. Il lui fait

adversaires: « Paien dient », La Chanson de Roland, éd., Pierre Jonin, Paris, Gallimard, 1979, coll:
«Folio ».
1290
lbid, v. 644, p. 8.
1-91
En lien avec l'impuissance d'Ysengrin, comme dans les contes d'origine.
1292
Ibid.,\. 1164-1166, p. 13
1293
L'auteur poursuit sur les alliances passées de Barbue et sur l'importance de l'amitié qu'il illustre par des
exemples antiques dont Porphilias et Athis (v. 1221-2144), en concluant que :
Myeulx vault amy que parenté.
Myeulx qu'amy sens et loiaulté;(...)
Myeulx valient amis que parent;
Mais quant parent devient amis.
Grand grace Dieu a en luy mis. v. 2085-86 et 2092-94, p. 23.

453
croire que la chartré existe bien mais que l'écriture est si petite qu'il ne peut la voir « se
vous euïssiez yeulx de lin,/ bien lisiriez le parchemin1294» et qu'il vaut mieux recourir à la
parole, le meilleur instrument qui existe :
Je sçaroye myeulx recorder
Tous les arrests d'un parlement
Tant ay langue et bon instrument1295

Comme dans Renart le Nouvel, il s'agit de changer le mensonge en vérité et le tort


en droit. Ici le travestissement est tel que le mensonge devient un conseil que
l'interlocuteur aurait tort de ne pas écouter. Pour le convaincre, Renart lui raconte les
malheurs advenus à ceux qui demandent conseil mais les ignorent ensuite, comme
l'archevêque de Besançon1296 et Enguerran de Marigny, les habituels exemples tirés de
l'histoire antique et biblique dont celles de Roboan1297, de Crésus et des personnages de la
guerre de Troie et, pour finir, l'histoire plus récente. En parfait prédicateur, Renart se sert
d'exempla. Le premier concerne Roboan, roi de Jérusalem qui a chassé les vieux
1 7Q8

conseillers pour ne s'entourer que des plus jeunes, conduisant son pays à la ruine . Le
deuxième illustre l'histoire de Crésus, roi des Lidiens qui dans un songe se voit honorer
des dieux. À son réveil, il croit que son rêve est bien réel malgré les avertissements
éclairés de sa fille qui juge folie une telle idée. Pour le ramener à la raison, elle énumère
les qualités d'un bon roi : doux, patient, humble, « piteux », sage, le reste n'étant que

1294
lbid, v. 2390-91, p. 26. On doit lire les yeux de lynx.
1295
lbid., 2464-2466, p. 26. Selon l'éditeur du Contrefait, G. Raynaud, ce passage serait largement inspiré d'un
conte se trouvant dans les Récits du ménestrel de Reims, p. 302. J. Batany rapproche cet épisode d'une autre
histoire se trouvant dans la première rédaction dans laquelle Ysengrin doit baptiser un poulain qu'il compte
dévorer ensuite. Pour se faire, il se trouve obligé de lire le nom de l'animal gravé sous son sabot. Sauf que le
loup est inculte et que Renart, flairant le piège, refuse son aide prétextant qu'à cause de ses études juridiques,
il déchiffre mal le français. Cf : J. Batany, « Les clercs et la langue romane : une boutade renardienne au
XIVe siècle », Médiévales, 45, 2003, pp. 85-98.
1296
Peut-être l'auteur songeait-il plutôt à Guichard, devenu évêque de Troyes avant de tomber en disgrâce à
la mort de sa protectrice, Jeanne de Champagne-Navarre (1272-1305), femme de Philippe le Bel.
1297
Personnage qui revient dans l'histoire biblique racontée par Renart lors de sa défense. Jean l'Épicier de
Troyes y développe plus longuement le thème des jeunes courtisans favorisés au détriment des vieux
conseillers, préférence qui causa la perte du roi : « Aprez Salomon, Roboans/le royalme maintint lonc
tempz./ Les jones hommes acointta ;/et les anciens enchâssa ;/les jones hommes toudis crut/dont il en fut en
fin déchut. » v. 9184-9188, p. 96.
1298
lbid, v. 2521-2531, p. 27. "C'est un thème fréquent de la littérature du moyen âge que de reprocher à
Roboam sur la foi du Vieux Testament {III Rois, XII, 1-33) d'avoir suivi, pour son malheur, les conseils des
jeunes gens, et non ceux des vieillards », Gaston Raynaud, notes et variantes de la première branche, p. 303.

454
mensonge. Comme le roi ne voulut pas écouter les sages conseils, il finit au gibet1299. Le
troisième exempla est puisé dans le mythe troyen. Le roi Priam refusa de rendre Hélène
malgré les avertissements des sages et, par son imprudence et son entêtement, sa cité fut
détruite1 . Le quatrième passe rapidement sur l'histoire de « Nabugodonosor »
(Nabuchodonosor) que l'orgueil perdit, il fut changé en bête durant sept ans1301. Plus
intéressant pour nous est le long développement sur le comte de Flandre, Ferrand de
Portugal. Par désir de vengeance envers le roi de France, Philippe-Auguste, fils du roi
Louis VII, le comte de Flandre, emplis d'orgueil et de dépit, voulut le détruire. Mais un
serviteur ne peut s'élever au-dessus de son maître sans offenser Dieu, on ne remet pas en
question l'ordre établi. Pour aider son fils, sa diablesse de mère1302 pactisa avec un démon
qu'elle conservait dans une fiole « sa deable de mere vivoit,/ qui ung deable privé avoit/ en
une fiole bouté ». Le diable, qui n'aimait pas la femme, lui fit une fausse prédiction,
celle de la victoire de Ferrand qu'elle voyait déjà devenir roi « mon filz est roy
certainement ». Croyant à tort sa mère, Ferrand fut fait prisonnier ainsi que son ost à la
bataille de Bouvines, le 27 juillet 1214, amené à Paris et emprisonné jusqu'à la fin de ses
jours. La dernière section est historiquement fausse puisque Ferrand de Portugal fut libéré
peu après l'avènement de Louis IX, le 6 janvier 1227. Louis VIII avait auparavant promis
aux grands du royaume de gracier les deux prisonniers de marque, les comtes de Boulogne
et de Flandre, dont la longue détention créait un sérieux malaise. Cependant la promesse
ne fut qu'à demi tenue puisque seul Ferrand de Portugal fut élargi après 27 ans de

1299
lbid., v. 2532-2566, p. 27. Manière un peu étrange pour un roi de finir son règne. L'emprunt est fait à Jean
de Meung qui mentionne la pendaison de Crésus (de même que la sagesse de Fanie, la fille du roi ) : « Biau
père, dist la damoisele,/ci a dolereuse novele./Sachiés que Fortune vous moque:/Vostre orguel ne vaut une
quoque./Par cest songe poés entendre/qu'el vous vuet faire au gibet pendre;/et quant serés pendus au
vent,/sans coverture et sans avent,/ sor vous plovera, sire rois,/ et li biaus solaus de ses rais/vous essuera cors
et face (...) Fortune au gibet vous atent,/et quant au gibet vous tendra/la hart ou col, el reprendra/la bêle
corone doree/dont vostre teste est coronee » v. 6517-6527; 6534-6537, le Roman de la Rose, éd., D. Poirion,
Paris, Flammarion, 1974, p. 199-200.
Mais on voit mal à qui il voulait faire allusion. Peut-être songeait-il à un grand officier de l'État?
1
'°° Renart le Contrefait, v. 2567-2636, p. 27-28.
1301
lbid, V. 2637-2643, p. 28.
n
Dans la source supposée de ce passage, Guillaume le Breton, il est fait mention de la tante et non de la
mère du comte de Flandre, G. Raynaud, lbid., p. 304.
1303
lbid., V. 2661-2663, p. 28
1304
lbid., v. 2712, p. 29

455
captivité. Renaud de Boulogne1305 n'eut pas cette chance et décéda « dans sa prison du
Louvre vers Pâques 12271306 ». Il est peu probable que l'auteur ait été sur cette question
mal informé, il nous semble qu'il ait surtout voulu amplifier l'impact de son exemple avec
l'histoire d'un prisonnier qui ne sort pas de sa geôle. Pour l'auteur, le rebelle fut puni pour
son orgueil et pour avoir écouté les mauvais conseils de sa mère, assez peu fiable en la
matière1307. Ici Jean l'Épicier de Troyes prête au comte de Flandre des ambitions bien plus
grandes qu'elles ne furent réellement. Il était davantage question de préserver
l'indépendance de son domaine que d'usurper le trône de France. D'ailleurs, après sa
libération, le comte de Flandre se montra d'une parfaite fidélité au roi, lui assurant son
soutien militaire en Champagne , ce qu'omet de mentionner notre auteur. Pourquoi
s'attarder sur l'histoire de Ferrand de Portugal en la modifiant lorsque l'infidélité de
Renaud de Dammartin envers Philippe Auguste était encore plus évidente et surtout plus
récurrente? En effet, « c'était le roi qui avait marié Renaud à la comtesse de Boulogne et
qui l'avait fait chevalier; or Renaud l'avait trahi une première fois, s'alliant contre lui à
Richard Cœur de Lion 1309». Pardonné, le comte de Boulogne dut en échange accepter
qu'une partie de ses possessions revient à son décès au fils légitimé du roi de France,
Philippe Hurepel. L'accord était peu conforme à la coutume et portait les germes de
contestations futures mais comme Renaud de Dammartin tenait ses titres soit du roi, le
Plait de Renart de Dammartin y fait indirectement allusion lorsque Renart admet qu'il doit
tout au roi, v. 54-60, soit de sa femme Ide, il n'y eu pas de litiges jusqu'en 1210. Entré avec
le comte de Flandre dans la coalition anglo-impériale et fait prisonnier à la bataille de

1305
Aussi connu sous le nom de Renaud de Dammartin, ce qui fait immédiatement penser au dit Du plait
Renart de Dammartin contre vairon son roncin écrit dans la première moitié du XIVe siècle. II n'est pas
impossible que l'infortuné compagnon de captivité du comte de Flandre ait inspiré le poète anonyme même
si le texte n'a pas une nature proprement politique. Voire l'annexe XXXI
1306
J. Le Goff, Saint Louis, p. 101 (77, 82,100-101)
1307
Renart le Contrefait, v. 2643-2814, p. 28-30. L'auteur revient sur cette histoire à la fin de la quatrième
branche pour dénoncer l'influence néfaste des femmes :
Le conte Ferrand et sa mere
Quant leur dit la parole amere
Plaine de venin et de fiel
L'Anemy qui chey du ciel,
Le dit, ils ne glosent mie.
Cy devant en avez la vye. v. 29345-29350, p. 71 du livre IL
J. Le Goff, Saint Louis, p. 106.
09
A. Lewis, Le sang royal, la famille capétienne et l'État, France, X'-XlV siècle, p. 206.

456
Bouvines, le comte de Boulogne vit ses terres confisquées, une partie de ces dernières
revenant au dauphin, le futur Louis VIII, les autres laissées à Philippe Hurepel1310. Outre le
Plait de Renart, les auteurs ne s'attardèrent pas à cet exemple de « félonie » ou
d'ingratitude, préférant retenir l'histoire du comte de Flandre qui devint en soi exemplaire,
figurant l'orgueil puni tout au long des XIIIe et XIVe siècles13". Une autre allusion
concerne les méfaits de l'orgueil, celui de Manfred et Conradin (respectivement fils et
1^17 '
J
petit-fils de Frédéric II ~) qui, faisant pire que les Sarrasins en s'en prenant à l'Eglise,
furent châtiés par le roi Charles d'Anjou1313. En fait ce que Jean l'Épicier de Troyes
présente comme un châtiment légitime d'une offense envers l'Église -on avait déjà
surnommé Frédéric II « la Bête de l'Apocalypse »- est davantage une question politique
que morale. La papauté craignait l'influence de Manfred qui contrôlait la Sicile, avait
renoué des alliances avec l'Italie centrale et, en digne fils de son père, était en bon terme
avec les musulmans italiens1314. C'était beaucoup et pour le nouveau pape, Urbain IV, la
seule solution consistait à mettre sur le trône de Sicile un prince assez ambitieux pour
écarter à tout jamais la «menace Hohenstaufen ». Le choix se porta sur le frère de Louis
IX, Charles d'Anjou. Mais malgré le soutien moral et financier de la papauté, il lui fallait
encore gagner son royaume par les armes. Ce qu'il fit le 26 février 1266 à l'issue de la
bataille de Bénévent qui coûta la vie à Manfred. Sa femme et ses trois jeunes fils (Frédéric,
Henri et Ezzelino) furent emprisonnés : la première à Naples, les enfants à Castel del
Monte dans les Pouilles. Encore adolescent (15 ans), le neveu de Manfred, Conradin, prit
la tête du parti impérial et, malgré les premiers succès militaires, fut capturé et livré à
Charles d'Anjou. «Le 29 octobre 1268 (...) le «petit Corradino » et son ami Frédéric
d'Autriche, après avoir solennellement signé leur renonciation à tous les biens et dignités,

1310
lbid, pp. 205-209.
1311
J.-C. Mùhlethaler cite à cet effet : la Philippide de Guillaume le Breton, le Roman de Fauvel, la
Chronique Métrique, les Grandes Chroniques de France, le prologue de la Cité de Dieu de Raoul III de
Presles, le Songe du Vie! Pèlerin de Philippe de Mézières, le dit Demonstracions contre sortileges
d'Eustache Deschamps, et la Branche des lignages royaux de Guillaume Guiart intégrée dans la Chronique
de Saint Denis, Fauvel au pouvoir, p. 56-58
1312
Manfred est couronné roi de Sicile en 1258. tandis que son frère Conrad IV succéda à Frédéric II
comme roi des Romains, en 1250. En 1265, Charles d'Anjou est investi du royaume de Sicile et Manfred
est tué à Bénévent l'année suivante. En 1268. défait. Conradin est exécuté en 1268. Cf : P. Aube. Les
empires normands d'Orient, p. 285-292
13,3
Renart le Contrefait, v. 2815-2822, p. 30

457
1 T 1 C

eurent la tête tranchée par le bourreau " ». Du procès expéditif et de la dureté du prince
français, Jean l'Épicier de Troyes ne souffle mot. Il ne mentionne pas davantage les vêpres
siciliennes qui chassèrent le frère du roi de France pour mettre sur le trône, le 31 août
1303, Pierre III d'Aragon et Constance, fille de Manfred. Il ne retient que le point de vue
de la papauté, qui est aussi celui de Charles d'Anjou1316, prince ombrageux que Le Goff
1317
qualifie « d'enfant terrible de la famille ». Ce parti pris pourrait s'expliquer par le fait
que la glorification des actions militaires de Charles d'Anjou apparaissant dans les
chroniques des moines bénédictins de Saint-Denis, documents «déposés » au procès de
canonisation de Louis IX1318.

Il laisse l'histoire de la Sicile pour effectuer un retour à l'histoire antique avec


Néron. Ce dernier ne croyait pas au Seigneur, était plus orgueilleux qu'un lion, cruel,
mauvais et détesté par le peuple, un tyran en tous points. Pour se venger de son précepteur
Sénèque, il fit mettre le feu à Rome . L'auteur retourne ensuite à des exemples plus
contemporains : ceux d'Enguerran de Marigny, Pierre de Rémy et les Templiers. Il
soutient que Marigny bénéficiait d'une grande influence tant que vécue Philippe le Bel,
même les enfants du roi, « qui n'ot ne filz ne fille qui/ osât faire oultre le sien gré1320 »,
n'osaient contredire le conseiller qui faisait la pluie et le beau temps. Mais à la mort du roi,
I nn i

« Fortune contre lui courut », ce qui ne serait pas arrivé s'il avait été plus patient. Il
venait pourtant d'un petit lignage, mais il était devenu si puissant et riche qu'il en avait
perdu la raison. Il fit d'un de ses frères un évêque et de l'autre un archevêque, à un autre
endroit il écrit plutôt cardinal. Si la première affirmation concernant Philippe de Marigny
est exacte, la deuxième s'avère fausse. Ce népotisme que l'auteur dénonce, sans toutefois
1314
Informations tirées du livre de P. Aube, Les empires normands d'Orient, cf: épilogue: mort et
transfiguration, pp. 285-298.
1315
lbid, p. 29ï.
1316
Jean de Meung mentionne cet épisode historique mais sans faire allusion à l'Église, il insiste plutôt sur le
rôle de Charles d'Anjou, décrit de manière positive « mes li bonz Karles li mut guerre », « cis bonz rois
Karles l'en toli », v. 6635-6668, le Roman de la Rose, p. 202-203.
J. Le Goff, Saint Louis, p. 272.
1318
Le Goff donne l'exemple plus précis de La Vie de Saint Louis écrite par Guillaume de Saint-Pathus qui,
insistant sur l'aspect guerrier dans sa description du roi défunt, applique le même modèle à son frère. Ibid., p.
357-359.
1319
Renart le Contrefait, v. 2823-2863, p. 30. Correspond aux vers 6185-6251 du Roman de la Rose, p. 191-193.
n2
° Ibid.,v. 2870-71, p. 30

458
exagérément insister, n'avait rien d'inhabituel, la pratique était même courante.
Généralement le favori disposait de trois moyens pour faire bénéficier sa famille de la
faveur royale : les mariages qui permettaient d'agrandir le domaine, les fonctions
officielles et les bénéfices ecclésiatiques auxquelles fait référence Jean l'Épicier de Troyes.
Pris isolément, il est peu probable que cette largesse envers ses proches ait réellement
indisposé les contemporains de Marigny. Mais le chambellan jouissait d'une réelle
influence et était, durant les dernières années du règne de Philippe le Bel, le seul avec le
roi à connaître l'état exact du trésor royal, ce qui ne pouvait susciter que méfiance et
suspicion1'". Suspicion partagée par notre auteur pour qui Marigny était autant gonflé
d'orgueil que de richesse et s'enfonça de plus en plus en accusant Charles de Valois de
mentir à propos de For qu'il aurait reçu des Flamands. Soulignons que Jean l'Épicier de
Troyes n'accuse pas le conseiller d'avoir trempé dans quelques affaires malhonnêtes, il lui
reproche surtout d'avoir tenu tête au frère du roi. L'orgueil est assimilé ici à un manque de
discernement ou même à une « erreur stratégique » de la part de quelqu'un qui, parti de
presque rien pour atteindre les sommets dans l'échelle des offices royaux, n'a pas su
garder sa place face à un prince de sang royal. L'auteur poursuit sa moralisation en
indiquant que Marigny n'aurait pas été inquiété pour cela du temps du roi Philippe mais là
il fut tenu pour fou et perdit la vie à cause de sa démesure J_J . Il était d'autant plus en
mesure d'émettre ce jugement qu'il a pu constater l'efficacité des actions entreprises par
Charles de Valois pour faire tomber la tête d"Enguerran de Marigny. Pierre Remy mourut
de la même honteuse façon. Pauvre auparavant, il s'était enrichi avec son office sur les
« dos des autres ». ce qui est une accusation beaucoup plus directe:
Quand prevost fust, bien le scet on.
Tant prinst de F autrui, tant servi.
Que la grace aulx gens desservi:
De ses maistres ses subgetz fist.
Et dessoubz luy trestous les mist.
A son voloir mist et osta1"'"4.

''"' Renart le Contrefait, v. 2876. p. 31


" Informations tirées de J. Favier. Un conseiller de Philippe le Bel: Enguerran de Marigny. p. 24 -39. 104-
111
23
Renart le Contrefait, v. 2864-2920. p. 30-31.
1324
lbid, v. 2926-2931, p. 31.

459
Toujours selon Jean l'Épicier de Troyes, tout aussi gonflé d'orgueil que Marigny,
Pierre Rémy se crut supérieur à ses maîtres et monta dans l'échelle sociale jusqu'à devenir
Grand trésorier, le poste le plus important de la cour. Il commandait, administrait et
ordonnait tout. Il accumula beaucoup trop au dépend de l'avoir des autres, il en devint à tel
• I ^7S

point arrogant qu'il précipita sa chute . Il semble en fait que Pierre Rémy fut victime des
luttes de clan comme l'avait été avant lui Pierre de La Brosse. À son avènement Philippe
V voulut récompenser certains serviteurs de son père, comme il était habituel de le faire.
Les familles auvergnates des Cauchat et des Gayte, des hommes d'affaires pratiquant le
commerce et le prêt, se firent octroyer des offices à la Chambre des comptes. La situation
n'avait rien de particulier et personne ne chercha querelle aux serviteurs royaux jusqu'au
décès de Philippe V. Maître des comptes du défunt roi, Géraud Gayte fut « arrêté, mis à la
question, et mourut en septembre 1322. Ses frères, ses fils virent leurs biens confisqués; ils
furent exclus de tous les offices royaux. Pierre Rémy, responsable des finances de Charles
le Bel, avait épousé une Chauchat; mis en cause après la mort du roi, il fut aussi pendu.
Tout le groupe familial avait accédé aux postes de responsabilité et avait partagé les
honneurs, tout le groupe familial fut entraîné dans la disgrâce ». Un homme étranger à
la cour ne pouvait évidemment pas connaître les tenants et aboutissants de ces jeux de
coulisses et notre auteur se contente de rapporter l'opinion populaire déjà défavorable aux
conseillers du roi. Il conclut donc que l'on blâme souvent Fortune pour ses déconvenues
mais que l'on devrait plutôt faire examen de conscience. Il en fut ainsi des Templiers qui
ne doivent leur condamnation qu'à leurs abominables actes et non à Fortune. Jean
l'Épicier de Troyes adopte le même point de vue que Gervais du Bus sur les accusations
portés contre les Templiers1327. Comme l'auteur du Roman de Fauvel, il n'émet pas de
doute sur leur culpabilité1328. Leurs connaissances étaient suspectes, voire diaboliques, ils
prétendaient défendre Dieu en Terre Sainte mais n'en faisaient rien, ils s'adonnaient à la

1325
Renart le Contrefait, v. 2920-2944, p. 31. Il n'y a aucune mention de Pierre Rémy dans la première
rédaction, ce qu'explique la chronologie de l'œuvre puisque le favori de Charles IV fut exécuté le 25 avril
1328.
M.-Th. Caron, Noblesse et pouvoir royal en France XHIe-XVIe siècle, p. 61.
1327 • -
Sujet qu'il n'aborde pas dans la première rédaction.
8
Sa position est plus nuancée par la suite, dans la section en prose de la chronique. Nous y reviendrons à
la page 449.

460
luxure (aucune allusion à l'homosexualité comme dans Fauvel) et ils vénéraient « dame
Envye »; ils ont par conséquent mérité leur châtiment

Tous ces exemples sur l'orgueil et l'obstination servent dans le récit à convaincre
Ysengrin de renoncer à attaquer Barbue et, dans ce passage, Renart devient le détenteur de
la vérité morale comme historique, chose inhabituelle et plutôt étrange dans son cas. Mais
cette digression permet à l'auteur de donner une leçon de morale en utilisant des exemples
bien connus. Comme Rutebeuf avant lui, comme l'auteur anonyme du Couronnement de
Renart, de la même manière que Jacquemart Gielée {Renart le Nouvel), Gervais du Bus,
Geoffroy de Paris et Jean de Condé, notre auteur est profondément conservateur et
dénonce toute forme de contestation de l'ordre établi, tel que voulu par Dieu. Chacun doit
rester à sa place et faire preuve d'humilité, le petit noble comme le grand prince 133 .
L'ensemble des conseils donnés porte sur la mesure en toute circonstance et Ysengrin,
généralement peu enclin à la réflexion et se méfiant des belles paroles de Renart, passe
outre les avertissements, tente une manœuvre et se fait attaquer par les chiens sous les
yeux du goupil qui s'en va lentement. Ainsi ce termine la première branche de Renart le
Contrefait.

2. Renart devant la justice.

La deuxième branche débute par le même motif que la première, c'est à dire une
fête donnée par le roi le jour de la Pentecôte, on suppose donc qu'une année s'est passée.
La fete est fastueuse, « si comme prince doit tenir 1331», et tous les barons y sont réunis.
Il n'est donc pas question de dénoncer le luxe de la cour, un grand roi doit faire preuve de
la largesse qui sied à son rang. C'est aussi l'occasion pour Ysengrin de se plaindre de

L 29
' Renart le Contrefait, v. 2964-3010. p. 31-32.
j0
Jean l'Épicier de Troyes reprend ce thème à la sixième branche dans un épisode qui met en scène un jeux
entre Brun l'ours et Renart, jeux qui tourne au désavantage du second, illustrant l'importance de ne
s'acoquiner qu'avec ses semblables, donc de ne pas vouloir modifier son statut social. Voir annexe XXX :
Discours de Drouïn (p. 540 ou 541 )
Renart le Contrefait, v. 3257, p. 35.
2
' Comme dans les contes d'origine, même après avoir été écorché vif dans les branches précédentes.
Ysengrin réapparaît dans la suivante apparemment bien portant

461
1 7^î^

Renart au roi, souhaitant le faire pendre . Malgré les conseils de Tibert, rencontré en
chemin et qui l'exhortait à ne rien révéler de ses mésaventures avec Renart s'il n'avait
l'argent nécessaire « et se vous n'avez point d'argent,/ ne vous plaigniez de nule gent,/
(...) puis que rien a donner n'ariez,/ droit au pilory mis seriez/ comme mescreant
1334
sodomites », les griefs d'Ysengrin étaient tels qu'il ne pouvait attendre pour obtenir
justice. Dans sa naïveté, si ce n'est dans sa stupidité, le loup demeure convaincu qu'il
obtiendra réparation, un bon jugement de Noble et il en sera fini de Renart et de sa
descendance « tantost sera Renard pendus,/ et trestous ses enffans morront1335». Ce
qu'oublie Ysengrin, mais dont Tibert est parfaitement conscient, est la facilité de Renart de
se sortir d'un mauvais pas. Cet expert de la ruse ne peut être pris comme un vulgaire
voleur, et il le sait fort bien comme le montre ce discours tenu devant le coq Chantecler :
« Beau parler qui ne couste gaire/ me fera ma bezongne faire. Qui par bel parler scet paier,/
il ne se doit point esmaier ». D'ailleurs personne ne serait assez fou pour plaider contre
lui, sauf Ysengrin et il lui en coûtera. On trouve l'origine de ce motif dans les branches
anciennes du cycle renardien dans lesquelles donner la parole au goupil équivaut à assister
impuissant au travestissement de la justice puisque, comme le note Claude Reichler :
C'est l'habilité suprême de Renart de parler exactement, et admirablement (...)
quand, obligé de comparaître devant la cour, il nie les faits les plus évidents,
dément les accusations portées contre lui par ses victimes, se justifie du tort causé
par Ysengrin. Il prend soin d'emblée de se placer dans le code, assurant le roi de
son amour et de sa loyauté, et rejetant du même coup ses contemporains hors la
loi1337.

La forme du cycle renardien impose ici certaines contraintes. Fréquentes, les scènes
judiciaires servent à rappeler les crimes passés du protagoniste par un plaignant ou par le
roi. Dans tous les cas, Renart ne pouvant mourir, la plainte contre lui est soit rejetée, on
prononce alors un non-lieu, soit prise en considération mais la sentence ne peut être
appliquée, « en définitive Renart ne sera jamais puni comme il le mérite mais toute

1333
Dans les anciennes branches comme dans les nouvelles, la pendaison apparaît comme le châtiment
réservé au goupil, quoique jamais concrétisé, les auteurs semblent faire abstraction de l'origine aristocratique
de Renart.
1334
lbid, V. 3285-86 et V. 3291-93, p. 36.
1335
lbid., V. 3316-17, p. 36.
1336
lbid., v. 31241-31244, sixième branche, livre II, p. 92
C. Reichler, La diabolie, la séduction, la renardie, l'écriture, p. 100.

462
tentative pour le juger ne fait qu'épaissir son dossier ». Outre le rappel de la ruse de
Renart et de ses méfaits, l'auteur témoigne d'une assez piètre opinion de la justice royale
que l'on peut acheter ou manipuler si on a quelques talents oratoires. Sur ce chapitre,
même si ses aptitudes de plaideur sont bien inférieures à celles de Renart, Ysengrin s'en
sort plutôt bien quoique son impatience le dessert. Il débute d'emblée par un rappel au roi
de ses devoirs, principalement celui de punir les mauvais et d'aider les bons :
Pour ce furent estably roy
Qu'acord meïssent et array,
Orgueilleux feïssent plaissier,
Malvais feïssent abaissier,
Pour bons et pour bien soustenir1339

C'est ainsi que l'on élit le premier roi, « Saùl », un vilain qui ôta au peuple sa
liberté et le mit en servage . Quelle idée eurent-ils ceux qui vivaient auparavant en paix,
avec loyauté, profitant des fruits de la terre? Mais ils se mirent en danger et pour se
défendre construisirent châteaux et murailles. Dans le grand désordre qui régnait, chacun
tenta de voler l'autre. Pour ramener un peu d'ordre, on ne trouva comme solution
qu'établir la noblesse qui, quoiqu'elle se prétende supérieure, a failli à la tâche et devra en
répondre devant Dieu. L'auteur émet une critique de la noblesse qui n'assure pas son rôle
de protection. Pour que la loi du plus fort ne règne pas, antinomique venant d'Ysengrin,
Noble doit punir Renart. Le lion fait chercher son malicieux baron mais demeure peu
disposé à intenter un procès qui pourrait dégénérer en conflit armé. La clémence du lion
envers Renart, pour ne pas dire sa sympathie, est un motif assez courant que l'on retrouve
dans les vieilles branches et même dans YYsengrimus et YEcbasis. Pour éviter les troubles,
le roi tente de convaincre le plaignant qu'il n'y a pas matière à procès puisque « ne vous a

'" 8 R. Bellon, «La justice dans le Roman de Renart, procédures judiciaires et procédés narratifs» dans La
Justice au Moyen Age (sanction ou impunité?), p. 84
1339
Renart le Contrefait, v. 3390-95, p. 37
lj40
Dans « Renart e la Tigre : per uno studio délia parodia nel Renart le Contrefait », M. Lecco rapproche
cet épisode d'un passage du Roman de la Rose qui dénonce dans des termes similaires l'oppression du
peuple par cette nouvelle institution. « La ripresa quasi letterale dei famosi v. 9609-12 del Roman de la Rose
porta perô ad un'altra conclusione. Se per la Rose il disordine e violenza sono determinati dall'avidità
umana, che ne rende dunque responsabili gli uomini, per il RC essi dipendono dall'azione di Renart (« que
ilz me crurent »), che è intervenuto nel momento più tranquillo dell'Età dell'Oro a traviare l'umanità. Cosi, la
responsabilità délia natura oppressiva délie istituzioni viene delegata ad un'entità esterna e malefica, che
sottrae una notevole parte di colpa agli atti umani » Cf : Formes de la critique : parodie et satire dans la
France et l'Italie médiévales, Paris, Champion, 2003, p. 195-196

463
tué ne batu 1341». À la limite une amende d'un florin, donc symbolique, suffirait à clore
l'affaire1342.

Il argue que si tous venaient demander justice au roi pour de pareilles


« insignifiances », il n'en résulterait que de constantes querelles. Mais encore, de quoi se
plaint le loup? Après tout Renart n'a voulu que l'aider et s'il ne l'a pas écouté, il est le seul
à blâmer. Pour Noble, il est évident qu'Ysengrin est responsable de son infortune, son
entêtement à obtenir vengeance est ridicule et ne fera que lui nuire. Et pour la plus
ancienne récrimination, celle concernant le viol d'Hersent, le roi estime qu'il serait plus
avisé d'en accuser la louve «tout le blasme en soit sur Hersens1343». Ce rappel de la
première branche chronologique du Roman de Renart fait suite à une série d'exemples
visant à dissuader le loup de porter plainte contre Renart1344. S'il est évident que le roi veut
éviter un procès dont l'issue est très incertaine, « Ysengrin, leissiez ce ester./ Vos n'i poés
5
rien conquester,/ainz ramentevez vostre honte' », qu'il témoigne dans plusieurs
branches anciennes d'une évidente sympathie pour son turbulent baron (au détriment de
son sénéchal), il est tout aussi évident qu'il nourrit certains doutes sur la nature des
relations qu'entretiennent Hersent et Renart. Il y a eu agression dans ce cas, Ysengrin en
fut témoin, mais n'y avait-il pas déjà eu des « rapports coupables » entre eux ? C'est du
moins ce que laissent sous-entendre les vieux contes sans jamais l'exposer clairement,
exploitant les thèmes violence/séduction, vérité/mensonge qui servent de moteur à presque
toutes les actions judiciaires. En ce sens, Jean l'Épicier de Troyes reste dans la veine
renardienne et reproduit assez fidèlement sa source à la différence que l'accusation envers
Hersent est portée dans la br. I par Grimbert qui défend son cousin et non par le roi : « Mes
c'est li meus que ge i sent,/ li blame soit sur dame Hersent./ Ahi, quel onor et quel plet/vos

nAX
Renart le Contrefait, v. 3473, p. 38.
1342
J. Batany indique que l'amende, qui se trouve à combiner la notion de punition légère et de grâce, figure
dans le Jugement de Renart (XIIe s.) comme une des trois options avec la peine de mort réclamée par les
plaignants, mais qui n'aboutit qu'à la guerre, et «\'esconduit» qui dégage l'accusé de la procédure
accusatoire. Cf: «Punitions, impunités et fonctions sociales: théories morales et récits», La Justice au
Moyen Age (sanction ou impunité?), p. 52.
1343
Renart le Contrefait, v. 3683, p. 40.
,344
lbid., v. 3510-3690, p. 38-40
1345
Br. I, V. 45-47, p. 44

464
a hui vostre mari fet/ a tantes bestes regarder ! 1346 ». Comme dans les vieux contes, Noble
ne sent aucune nécessité à remplir son devoir de justice mais en s'en prenant
maladroitement à la réputation d'Hersent, il se retrouve avec une nouvelle plainte. Face à
l'insistance de la louve à sauver son honneur, il ne peut plus se défiler «au moins
seulement pour s'honneur,/ deusist taire celle clameur1347» et charge Tibert de ramener
illico Renart.

Arrivé devant le pavillon du goupil, le chat constate avec surprise l'extrême


richesse du lieu -« trop grande richesse y avoit134 »- digne de Babylone ou de la cité de
Troie au sommet de sa puissance. L'auteur semble sous-entendre que, s'il est de bon ton
que le roi vive selon son statut, il est malvenu pour son vassal d'afficher un luxe qui soit
supérieur à celui de son seigneur . Revenu de sa stupeur mais conservant une certaine
méfiance, Tibert livre le message du roi dans les formes d'usage :
Mesires Nobles ly Lyons,
Qui de toutes les regions
Des bestes qui quatre pietz ont
Qui au monde sur terre sont
Est souverain et roys et sire,
De par cellui roy te vieng dire,
Que de toy ne se loe mye,
Quant trestoute sa baronnye
L'est venue servir a gré,
N'y a nul en si hault degré
Qui a sa court ne soit venus,
Comment t'en es doncques tenus?
Tenus en es pour despirans
Par le raport des voirs disans.
Si te mande le roy messire,
Et de par lui te vieng dire,
Qu'a court viengnes sans plus mander
Le mal fait qu'as fait amender;
Et se aucun de toy se plaint,
Dont ilz y sont ja venus maint,

1346
lbid, V. 125-129, p. 48
1347
Renart le Contrefait, v. 3707-08, p. 40.
nw
lbid., v. 3770, p. 41.
1349
À titre d'exemple, Jean l'Épicier de Troyes use, et même abuse, de la mythologie gréco-romaine qu'il
affectionne particulièrement (la guerre de Troie, l'histoire d'Athis pour une deuxième fois, Jason), les récits
bibliques et même la légende arthurienne.

465
Vieng t'en espurgier et deffendre,
Se tu veulx a ton honneur tendre ? .

Refusant de se présenter à la cour malgré l'insistance de Tibert, Renart argue qu'il


est mal portant et par conséquent ne peut se déplacer. Le motif n'est pas nouveau et a été
exploité dans les vieilles branches et dans le Reinhart Fuchs, version allemande du XIIe
siècle, où le protagoniste « ne se présente au tribunal, comme le droit l'y autorise, qu'à la
troisième sommation, présentées cette fois par son cousin le blaireau. Tout jusqu'alors
s'est déroulé selon les normes du plaid médiéval dans le parfait respect du droit coutumier
allemandlj '' ». Pour se débarrasser du chat, Renart lui donne un mauvais conseil sur une
manière de trouver de la nourriture chez un vilain. Tibert se sort de justesse du traquenard
et retourne seul à la cour de Noble. S'estimant lésé par Renart. le chat s'en plaint au roi
furieux que l'on puisse traiter ainsi son messager et par le fait même offenser sa dignité.
Ne voulant plus tolérer l'impunité dont jouissait le rouquin. Noble charge Grimbert de
ramener son insolent cousin. Après avoir reproché à Renart son trop grand orgueil qui le
perdra un jour ou l'autre, le blaireau tente de le raisonner tout en ne se faisant pas trop
d'illusion sur ses chances de réussite « a tout le monde prenez guerre;/ vous ne poëz durer
1 "*^7

sur terre J"~». Prenant un air repentant qui n'est que tromperie. Renart consent à suivre son
cousin à la cour pour paraître devant la justice du roi où se trouvent réunis curieux comme
plaignants. En parfait courtisan, Renart débute sa plaidoirie en flattant longuement le roi
qui est si puissant, plein de mérite et donnant bonne justice, puis joue à la victime en
reportant la faute sur ses accusateurs. Après avoir affirmé que Tibert est seul responsable
de sa mésaventure, il nie le viol d'Hersent. Comment aurait-il pu commettre un tel méfait
3
envers un parent, son oncle paternel, et un voisin? Ysengrin a sûrement rêvé cela ,
d'autant plus qu'il était absent :
u50
Renart le Contrefait, v. 4495-4515, p. 48
1331
S. Krause, « Sanction ou impunité dans le Reinhart Fuchs ». La justice au Moyen-Âge, Senefiance, 1986,
p. 151.
ui2
Renart le Contrefait, v. 4795-96. p. 51.
lj5
"' Dans son effronterie habituelle. Renart fait ici totalement abstraction d'Hersent qui, dans Le jugement de
Renart se justifie un peu à la manière d'Yseult : elle dit se moquer du sort de Renart. ne se défendre qu'à
cause de la jalousie maladive d'Ysengrin « qui de moi par est si jalox. que toz jors s'en quide estre cox. v.
157-158», qu'elle s'est toujours montrée franche et loyale et n'a jamais livré son corps à la débauche
quoiqu'en disent les mauvaises langues (v. 151-178). Le témoignage de la louve convint l'âne Bernard mais
tout ce remue-ménage exaspère le roi qui reproche à Ysengrin son attitude belliqueuse et espère clore le

466
Je suis tout prest de prouver,
Se par la en convient ouvrer,
Car j'estoye a treslongue voye
Pour une cure que j'avoye
D'un mien amy qui se douloit
Qui en phisicque entré estoit1 54

Entendant que Renart s'y connaissait en médecine et ne pensant qu'à ses problèmes
de goutte, Noble oublie totalement son devoir de justice et espère profiter d'un bon
traitement, au grand désespoir de tous ceux qui veulent voir Renart pendu « Roy, c'or nous
fais pendre Renard ' ». Dans Renart le Nouvel, le roi comptait sur les talents
d'entremetteur du goupil. Apparemment moins énergique dans ce conte, il ne songe qu'à
bénéficier de la science de son baron et lui garantie l'impunité s'il parvient à le guérir. Le
roi détourne la justice, « la plus grant des resplendisseurs que vertu1356 », pour ses intérêts
personnels sans grand problème de conscience.

En contrôle, Renart compte s'entourer de jeunes et chasser les vieux, allusion aux
princes qui n'écoutent plus leurs vieux conseillers. Mais certains membres de la cour, qui
ne sont pas nés de la dernière pluie, détectent la manœuvre et tentent de mettre en garde
Noble. Renart doit répondre de ses actes et non être « absous » sur de vagues promesses.
Le roi estime au contraire que faire justice sans penser aux conséquences serait
irresponsable et peu réaliste. Renart a des parents et amis qui exigeraient réparation,
causant à terme des problèmes bien plus graves. Les membres du conseil semblaient
gagnés, ou n'osaient ouvertement contester la volonté du roi, à cet argument, «justice sans
tort1357 », lorsque Chantecler prit la parole. Vassal de l'aigle (l'empereur) comme Renart
l'est du lion, Chantecler, qui ne doit rien à Noble, estime que le roi est fautif envers ses

dossier. Nous reproduisons ce passage du Jugement de Renart en annexe (v. 254-264, p. 54) XXXII. « Or dont,
dit Nobles, au deable!/por le cuer bé, sire Ysengrin/prendra ja vostre gerre fin?/quidiez i vos rien
gaagnier/Renart mater ne meegnier?/Foi que je doi saint Lïenart,/ge connois tant les arz Renart/plus tost vos
puet il fere ennui/honte et damaje que vos lui./D'autre part est la pes juree/dont la terre est aseuree » v. 254-
264, p. 54.
1354
Renart le Contrefait, v. 4985-4990, p. 53.
1355
lbid., v. 5052, p. 54.
1356
lbid, V. 5164-65, p. 54
1357
lbid., v. 5175, p. 55.

467
sujets qu'il doit défendre, « mal les gardés et justiciés " » et se laisse trop aisément
manipuler. Si vous voulez être respecté, agissez! Il est de votre devoir de donner suite à
une plainte et vous perdrez votre renom en refusant de rendre un jugement contre Renart
qui est :
(...) mauvais lerrez,
Sur tous desloyaux, faulx, bourderrez;
Mal est, quand il n'a jugement,
Par renommée seulement.
Mal renom est sur lui cheùs,
Dont je dy par droit qu'est reus.
Roy estes, realité veult
Adreschier chascun qui se deult,
De quelconcque lieu que il viengne1 39.

Ne croyez pas ce losengier, ce menteur impénitent, toutes ses paroles ne sont que
faussetés et ne craignez pas de paraître cruel lorsque les circonstances l'exigent:
Roys si doit estre un peu crueulx :
Cruaulté est mainteffois bonne.
Quant saiges homs a point s'i donne,
Elle fait traire les maulvais,
Et les bons hommes met en paix (...)
Et sachiez que la cruaulté
Qui s'atrempe a la loyaulté
Vault trop mieux que ne vault simplesse (...)
Sachez que par simplesse vien
Maulx et anuy et fausseté ' 6

Toujours en s'adressant au roi, le coq poursuit ainsi son argumentation: Si Renart


avait vu votre courroux, il ne se serait pas montré si malicieux. En résumé, en bon juge, le
roi doit savoir punir, autant pour imposer le respect aux déloyaux potentiels que par équité
envers les vassaux demeurés fidèles. La peur de l'autorité fait rester l'homme dans le droit
chemin, en étant clément, vous soutenez le mal et des mauvais naîtront d'autres mauvais.
Le coq assume le rôle du bon conseiller qui ne craint pas de mettre le roi face à ses

1558
lbid., v. 5241, p. 55. On trouve la même sagesse du coq dans le Livre des bêtes de Raymond Lulle.
1359
Renart le Contrefait, v. 5253-5261, p. 56
1360
lbid, v. 5412-16; 5429-31: 5438-39, p. 57.

468
responsabilités1361. Et si l'on pousse plus loin l'analogie, Chantecler se substitut pour un
court temps au lion, assumant le devoir de justice du roi avant que ce dernier ne retrouve
sa « conscience ». Désireux de juger Renart, Noble ne peut cependant pas condamner son
baron sans que ce dernier ait bénéficié d'une défense comme le lui rappelle Grimbert qui
aimerait bien obtenir la grâce pour son cousin, mais c'est beaucoup demander. Malgré sa
colère, le roi octroie une dernière chance au goupil si ce dernier réussit à bien expliquer
l'origine de sa science, la curiosité l'emportant sur d'autres considérations. Ce qui suit est
sans aucun doute le passage le plus « étrange » du conte. La défense de Renart repose
entièrement sur un récit qui, non seulement montre sa grande érudition, mais situe son
« art » avant la création du monde. Outre la tactique qui vise à endormir la vigilance de
Noble par une histoire presque interminable, « l'yre du roy est passée,/ et que son parler lui
agrée,/ son sens lui double et multiploye,/ et en ot au cœur monlt grant joye1362 »,
semblable dans sa structure narrative aux contes des Milles et une nuits, Renart se place en
dehors de l'histoire et du temps :
Sire, mon corps fût nez n'a guerres,
Et assez prez est mes repaires
Long tamps avant qu'Adam fut fais
Et avant que le monde fust

3. Renart historien

Renart se trouve dans une position plus fâcheuse qu'elle n'y paraît, il a l'obligation
de « dire vrai », ce qui est potentiellement risqué. Devant le lion éberlué, l'accusé explique
que la malice, dont il se sert si bien, remonte à la rébellion des anges qui passèrent de la
lumière aux ténèbres. Son « art » est d'essence diabolique et ne peut venir de la nature
créée par Dieu (vision manichéenne du monde). Lui même est, selon les termes d'Armand

1361
Le coq est dans le roman un des rares protagonistes à ne pas se laisser duper par le goupil dont il a une
bien piètre opinion :
Tout faulx, tout malvais bareterres.
Pire que loup, pire que chien,
Je ne te creroie de rien ;
Tu es plain de maie aventure,
De iniquité et d'ordure ;
De moy ne te dois approchier. V. 31774-31779, p. 97, sixième branche, livre II,
1362
lbid, v. 5971-74, p. 63

469
Strubel, le «principe perturbateur de la création, antithèse du divin1364 ». Renart
« immortel » peut donc être témoin et narrateur de la Genèse et c'est ainsi qu'il poursuit
son récit. Les anges rebelles servant dorénavant le diable, le ciel se trouva avec des sièges
vides et c'est pour les remplir que Dieu créa les hommes :
Faire homme qui naturelment
Par sa semence deuement
Remplesist les sieges vuidiés1365.

Aucun homme n'aurait vu le jour sans cette rébellion. Après un échange entre
Noble et Renart sur l'implication de Nature dans l'existence du mal (thème largement
emprunté au Roman de la Rose), implication réfutée par le goupil qui soutient que la faute
revient à l'homme qui se corrompt par de mauvaises fréquentations et de coupables désirs.
Renart affirme que l'orgueil causa la chute des anges, vice qui vient de son art, assimilé ici
clairement au diable, « par mon art s'orguillirent anges 1366». Nature apparaît comme la
régente du monde qu'elle tient en « bailliage » avec pour mission de faire régner la raison.
Ce qui amène l'auteur à exposer son idée maîtresse : il faut connaître le mal pour choisir le
bien, tout comme dans le Couronnement de Renart. De plus en plus incrédule, Noble
expose des arguments visant à réfuter l'histoire de son baron, il énumère les vices et
soutient que si le mal existe, c'est que Nature l'a voulu ainsi puisqu'elle a pouvoir sur
toute chose. Renart rétorque qu'il ne faut pas croire les mensonges de ceux qui veulent
tromper le peuple en rejetant les fautes qu'ils ont commises sur Nature qui jamais ne fait
1 %fi\l

« mauvaise ordonance ».

L'explication est un peu moins conventionnelle sur l'origine de la chevalerie que


l'auteur fait remonter à Babylone assiégée par l'armée du roi « Ninus », exemple parfait du
roi sanguinaire. Vivant dans la plus parfaite égalité, les citoyens de Babylone « mol, niche,

1363
lbid., v. 5983-87, p. 63
13fr4
A. Strubel, La Rose, Renart et le Graal, p. 243.
1365
Renart le Contrefait, v. 6049-51, p. 64
1366
lbid., v. 6025, p. 64.
1367
lbid., v. 6361, p. 67. S'en suit un long discours théologique sur la nature du mal et la responsabilité de
l'homme, puis le paradis perdu, les enfants d'Adam et Eve et le fol orgueil d'Hérode qui croyait pouvoir
supprimer le « souverain Roy débonnaire » v. 7812. ce qui n'est pas dans l'ordre chronologique du récit.

470
humble et débonnaire 1368» se trouvèrent dépourvus devant le siège de leur ville, eux qui
n'avaient jamais connu la guerre. Si une partie des assaillants montra de la miséricorde
envers la population, un groupe de combattants se démarqua par sa grande cruauté,
massacrant les habitants pour le plaisir. Ninus le premier monta à cheval et établit ainsi la
chevalerie :
Ceulx apella ses chevaliers;
Pour eulx devint et folz et fiers :
Quant ses chevaliers vit vers lui,
Par grant orgoeul tant s'enhardi
Que il print la grant tour Babel
Par force; mais d'un gros carrel
Il fu navré dedens le corps;
De celle playe rechut morts.
Cil Ninus premier a sa vye
Si establi chevalerie;
Ains n'estoit sus cheval montés
Nus homs qui fu de mere nez;
Aulx felons bailla les chevaulx
Pour courre par mons et par vaulx,
Pour gent mettre a perdicion
Et a toute confusion;
Chevaulx se peu non lors estoient,
Chevauchier encor ne sçavoient;
Alloient a piet communal,
Quant Ninus monta a cheval,
Et y fist monter tout a plain
Ceulx qui de tous maulx furent plain,
Pour tost aller, pour tost venir
Et pour trestout maulx acquérir.
Si tost que a cheval montèrent,
Tantost chevaliers se nonmerent,
Et aprez de leur maistre tindrent,
Car de lui trestous maulx aprindrent.
Cilz enprez lui les herbrega :
Et les preudhommes estranga,
Lors toilli, et a cheulx donna,
Et ainsi de lui ordonna :
« Différent des aultres seras;
Chevalier es, quant cheval as. »
Dès adonc aulx armes se mirent

I 368
lbid., v. 8232, p. 86

471
Et dès la chevaliers se dirent

Si Gervais du Bus émettait des doutes sur la supériorité de la noblesse, nous avons
ici un des premiers exemples de discours résolument critique envers la chevalerie. Au
contraire de Rutebeuf qui estimait que seule la noblesse d'épée, donc en bonne partie la
chevalerie dont la distinction s'estompe au XIIIe siècle, pouvait défendre le royaume et
surtout les possessions d'Orient, loin de Raymond Lulle qui caractérise la chevalerie par ses
qualités morales et la défense de l'Église, encore aux antipodes de l'auteur du
Couronnement de Renart qui estimait que les valeurs de la noblesse représentent la
perfection, Jean l'Épicier de Troyes trace un portrait extrêmement sombre de l'origine de la
chevalerie. Outre un avantage matériel fortuit, le cheval, les premiers chevaliers ne sont
qu'une bande de voleurs et de meurtriers. Ils n'ont en aucun cas une supériorité morale sur
les autres membres de la société et « des bien d'aultrui ilz se vivoient1370 ». L'auteur se fait
plus précis sur cette question plus loin dans le texte où il affirme, par l'entremise d'une des
nombreuses confessions de Renart :

Gentilz hommes, quoy que l'en die,


Vivent aujourdhuy de tel vie :
Se povres gens ont leur sustance,
Tost ilz leur ostent leur chevance;
Prendent ce qu'ilz ne gaignent mie.
De tel gaignier prendent leur vie,
Sont les povres mehaignié1

Nous ne croyons pas, comme le pensent certains critiques, que Renart le


Contrefait témoigne d'une idéologie bourgeoise. Il s'agit plutôt de la vision d'un clerc
extérieur au monde de la cour et qui reflète l'aversion d'une partie du clergé pour le métier
des armes avec la violence qui y est attachée. Plus loin, Fauteur revient avec une idée
similaire en assimilant les chevaliers aux bourreaux du Christ :
Pour gentilz homs ne se tint mie,
N'oncques chevalier ne vault estre;
Non firent pas si bons ancestre.

1369
Renart le Contrefait, v. 8311-8346, p. 86-87.
70
lbid., v. 37002, septième branche, livre II, p. 150.
1371
lbid., v. 37146-52, livre II, p. 152. •

472
A ce tempz chevaliers estoient
Ceulx qui la gent martirioient;
Chevaliers furent qui Dieu prirent,
1 ^77
Lui bâtirent et en croix mirent

La plupart des exemples que donne Renart mettent en relief l'impact négatif de
l'orgueil, cause de la chute des anges, propre du mauvais prince. Apparaissent dans ce
groupe : Ninus puis Énée qui pourtant est un personnage clé de l'histoire mythique de
plusieurs nations mais présenté ici comme l'ancêtre des Turcs et des Sarrasins1373. À
l'opposé se trouve Moïse, décrit comme « beaulx et sages et joyeux,/ et sur tous aultres
gracïeulx » de même que Salomon, image même de la sagesse et roi de justice :
Qui tant fu sages et courtois,
Cui Dieu donna tant de sagesse
Et avec ce tant de richesse
Que roy ne pot aprez avoir,
Et tant avec ce grant savoir
Que du grant sens que il avoit
La vingne d'or faire savoit.
Icil fist les beaulx jugements (...)
1 ^7S
Qui ses plais et jugemens tint.

Pour sa part, David représente une figure royale plus ambiguë, à la fois bon et sage
« humblez fu, sages et devotz1376» mais pécheur et traître par son désir envers Bethsabée,
1377
« femme Urye, son connestable ». Repentant devant ses fautes passées, David
convoqua ses barons pour faire couronner son fils qui le remplacera. Un roi impur doit
laisser sa place à son héritier s'il en est digne. L'auteur revient indirectement sur cette idée
en octroyant à Salomon enfant des qualités de jugement que David ne semble pas vouloir
revendiquer. Un peu étrange et assez anachronique, l'histoire met en scène un riche
bourgeois qui veut obtenir du roi David un conseil concernant le mariage de sa fille avec

1372
lbid., V. 9174-9180, p. 96.
1373
Renart le Contrefait, v. 8550-8567, p. 89.
1374
lbid., v. 8413-14, p. 88.
1375
lbid., V. 8904-8911, p. 93 et V. 8976, p. 94
1376
lbid., V. 8793, p. 92
1377
lbid., V. 8779, p. 92

473
un chevalier qui a dilapidé son héritage pour participer à des tournois. Sa requête prend la
forme suivante :
Roy. dist il. voeuillez moy O>T.
Amer vous doy et conjoyr
Com mon seigneur, mon roy. mon juge:
A vous doy venir a reffuge.
Com a mon souverain seigneur.
De garder mon corpz et honneur.
Sire, je suis ung homs menus.
Petit et de néant venus.
De simple estât et peu despens; (...)
Or et argent ay a foizon.
Or vient a moy ung gentilz hom.
Noble de sens et de scavoir.
Lequel requiert ma fille avoir.
Par mariage le me quiert
1 ^7S
Et de mon avoir me requiert

Plutôt que de donner bon conseil sur cette affaire, le roi David désigne à l'homme
un jeune enfant qui s'amuse au fond de la grande salle du palais et lui dit d'aller requérir
son avis, son jugement sera le sien. L'homme s'approche de l'enfant, lui raconte son
problème et ne reçoit comme toute réponse qu'une phrase qu^il ne comprend pas (et nous
1 "*70

non plus) : « Endroit toy vilain! Endroit toy! ». Déconcerté, le pauvre homme retourne
vers le roi pour obtenir des explications mais ce dernier confirme les paroles de son fils :
«se tu m'en crois, tu le croiras:/ se ne le fais, tu t'en doulras./ Meilleur conseil ne te poeult
dire lj8°». Le bourgeois quitta le palais en colère et. suivant sa première idée, maria sa fille
au noble. Après une année, le chevalier ayant bien renfloué ses coffres, décida de faire tuer
son beau-père par ses valets et puis fit jeter sa femme en prison. Si le bourgeois avait bien
compris le sens des paroles de l'enfant, il serait encore en vie. Outre cet enseignement
nébuleux sur le bon conseil, on remarque que la responsabilité du prince est assumée non
pas par le roi en exercice, mais bien par son fils encore enfant.

l.-~S
Renart le Contrefait, v. 30593-30601; 30609-30614. cinquième branche, livre IL p. 84
lbid. v. 30635. cinquième branche, livre II. p. 85
l.-S
lbid. v. 30647-30649, cinquième branche, livre II. p. 85

474
On doit souligner l'effort de l'auteur pour lier des éléments n'ayant aucun rapport
entre eux et provenant de sources bien distinctes, mais qui se trouvent assemblés pour
renforcer l'aspect moral du pouvoir. Les qualités attribuées aux princes ne se différencient
pas de celles que l'on retrouvait dans les légendes hagiographiques et les miroirs des princes
traditionnels. Outre un désir manifeste de montrer un savoir encyclopédique, le savoir de
l'auteur se confondant avec celui de Renart narrateur et historien, on peut déceler une
volonté de tracer un portrait moral des rois célèbres à travers le temps. Contrairement à
Jacquemart Gielée, Jean l'Épicier de Troyes ne s'intéresse nullement à la guerre et à ses
techniques, les seules allusions ne viennent que pour renforcer l'horreur qu'elle suscite chez
l'auteur. Et, outre la mention du bon jugement de Salomon, l'exercice du pouvoir ne semble
pas davantage retenir son attention, seul l'aspect moral compte chez celui qui gouverne.

Si Salomon représente le roi idéal, le roi-prêtre en quelque sorte, de l'histoire


biblique, Alexandre le Grand en est le pendant païen. Quoique l'auteur adopte une optique
essentiellement religieuse, son développement sur Alexandre occupe une place considérable
dans le récit , dépassant de très loin toutes les autres figures royales réunies. Notons
d'ailleurs qu'en comparaison Jules César n'a qu'une part congrue dans le texte et sa
première mention précède l'histoire d'Alexandre, ce qui ne respecte pas la chronologie
historique. Il est décrit négativement comme le fondateur de la Lombardie, royaume sans foi
ni loi, puis plus tard comme le grand prêtre de Rome, cumulant pouvoir spirituel et
temporel1382.

À propos d'Alexandre, notre clerc se donne la paternité (en français) de son


histoire mise par écrit1383, ce qui, abstraction faite de la prétention, est évidemment une

1381
lbid., V. 9270 à V. 19186
1382
Nous y reviendrons plus tard.
Et du latin meïsmement
Je le vous metray en roumant,
Et puis le rommant rimeray :
Tout ainsi le voir vous diray.
Ne oncquez mais ne fu rimée,
Ne ne fu si vraye trouvée
Que puis l'an mil trois cens et vint
Que cest livre tout nouvel vint,

475
fausse attribution ne tenant pas compte du Roman d'Alexandre d'Alexandre de Paris, ni des
versions plus anciennes1"84 Sans entrer dans les nombreux détails du récit, on peut retenir
certains éléments intéressants sur la représentation du roi (nous sommes toujours dans la
«plaidoirie» de Renart qui débute avec la rébellion des anges, se poursuit avec l'histoire
biblique et antique, pour se terminer en 1328). «Bon sang » ne saurait mentir, les parents
d'Alexandre possèdent les qualités que l'on attend des princes : sagesse, courtoisie et
renommée pour Philippe de Macédoine ; beauté, bonté, grande noblesse, sagesse et
instruction pour Olympia, attribution positive rarement donnée à une femme chez l'auteur.
L'enfance du héros est marquée par l'éducation que lui donna Aristote qui décela très tôt
chez Alexandre les aptitudes requises à une bonne formation :
A l'escole monlt bien aprint;
Ce qu'on lui monstra il retint;
Si bon entendement avoit
Qu'enffant mieudre avoir ne pooit J .

À l'âge d'homme, Alexandre se montra sage, bien avisé, fort, vaillant, généreux
1 ^R7

envers ses hommes, habile dans les tournois et enclin à participer aux festivités . Les
derniers qualificatifs correspondent peu à la vision très morale de l'auteur, mais le
En cel an fu renouvelles.
Et tout le fait sur moy rimes; v. 9279-9287, p. 97.

84
Alexandre de Paris, Le Roman d'Alexandre (1180), éd.. L. Harf-Lancner d'après une édition précédente
de E.C. Armstrong, Paris, LGF., 1994, coll : « Lettres gothiques ». Assez dense, le roman comporte 16 000
vers. Parmi les autres récits sur Alexandre, Harf-Lancner donne les titres suivants, partant de la tradition
antique puis médiévale: Amen, Histoire d'Alexandre (texte grec, IIe s.); Diodore de Sicile, le Livre XVII de
la Bibliothèque historique (Ier s. av. J.-C); Julius Valerius, Res gestae Alexandri Macedonis (IVe s.); Justin,
Marci luniani lustini Epitome Historiarum Philippicarum Pompei Trogi (IIe s.); Plutarque, Vie d'Alexandre
(Ier s.): Pseudo-Callisthene, Le Roman d'Alexandre (texte grec, IIIe s.); Quinte-Cuirce, Histoire d'Alexandre
(40 ap J.-C); Les faits et conquestes du noble roy Alexandre; Gauthier de Chatillon, Alexandra's (1184-
1187): Guy de Cambrai, Le Vengement Alixandre ('fin XII e s.); Historia de preliis Alexandri Magni; Jean le
Nevelon, La venjance Alixandre (1190); Lettre d'Alexandre à Aristote; Le Roman du Fuerre de Gadres
d'Eustache (1170); La Prise de Defur et le Voyage au Paradis terrestre (XIVe s.); Le Roman d'Alexandre en
prose; Lambert li Tors et Alexandre de Bernay, Li Romans d'Alexandre; Thomas de Kent, Le Roman de
toute la chevalerie ffhe Anglo-Norman Alexander, entre 1174 et 1200), p. 7 à 32.
5
Qui n'est pas le père biologique dans le récit puisqu'Alexandre serait le fils du roi d'Egypte,
«Netanebus» ou « Nectanébo », un expert en magie et sortilèges, qui prit la forme du dieu Amon pour
séduite trompeusement Olympia « rechevez le dieu humblement v. 9739 ». C'est ce qu'affirment les récits
anciens d'Alexandre dont le Pseudo-Callisthène mais que nie la quasi-totalité des auteurs médiévaux qui font
de cette histoire le discours des envieux, contre modèle de la courtoisie. Cf. Harf-Lancner, Le Roman
d'Alexandre, p. 82-83. Texte d'Alexandre de Paris en annexe XXXIV.
L 86
' Renart le Contrefait, v. 10035-38. p. 104.
1387
lbid, V. 10315-10323, p. 107.

476
changement de ton pourrait être attribuable aux emprunts. À ce titre, le portrait du héros
macédonien met l'accent sur son ambition et son impatience. Très tôt, Alexandre s'affirme
en tant que guerrier et futur conquérant : il lui tarde d'être adoubé, d'obtenir une seigneurie,
de mener ses hommes et de se tailler un royaume. Il ne doit cependant pas oublier ses
devoirs : faire preuve de largesse, reconnaître ceux qui sont loyaux et vénérer les dieux,
comme le lui rappelle son père :
Filz, preng esranment
Cent vaillans et bons chevaliers,
Et largement de mes deniers.
Les dieux voeullent estre en f aye
Et a trestoute ta mainsnie.
Prens armes, penser de baron,
Et memore et cœur de lyon;
Desire adès devenir grant,
Car sages est qui bien aprent;
Rens volentiers grace et mérite
De courtoisie faite et ditte;
N'oùblye pas tes bienffaicteurs;
Point de croy tes persécuteurs;
Les dieux aoure et voy souvent;
1100

Sacrifie a eulx bonnement

À la différence de Noble absorbé par le récit et plutôt défaillant en matière de


justice, Alexandre s'acquitte honorablement de sa tâche en distinguant les innocents des
coupables, comme en témoigne son attitude envers les citoyens du royaume conquis
« d'Hermenie » : le prince punit les félons tout en épargnant les innocents13 . Dans le récit
des nombreuses conquêtes d'Alexandre, Jean l'Épicier de Troyes, qui considérait pourtant
les premiers chevaliers comme des êtres sanguinaires, émet peu de critiques envers le
caractère parfois sanglant de ces conquêtes. Il fait mention ici et là de la colère du
macédonien dont celle qui provoqua la destruction de la cité de «Sur» et le massacre de ses
habitants « gens ochit et cité mati 139°», mais il ne commente pas le geste et s'y attarde peu.
On ne sait trop si ce silence doit simplement être attribué «aux emprunts », donc aux sources
utilisées, ou à une vision différente de la guerre, plus justifiable dans certaines

1388
l b i d , V. 10408-10423, p. 108.
1389
lbid., V. 10795-10806, p. 112.
1390
lbid.,\. 11296, p. 117.

477
circonstances? Dans le premier cas, nous aurions la perception des auteurs de la légende
d'Alexandre plutôt que celle de Jean l'Épicier de Troyes et dans le deuxième, une position
plus nuancée qu'elle n'apparaissait au premier abord. Il est vrai que, comme beaucoup de
grands personnages de l'Antiquité, la figure d'Alexandre a « subi » au cours du temps un
« travestissement féodal, chrétien et çhevaleresque1:>91». Alexandru Cizek poursuit en
soulignant l'apport des poètes français du XIIe siècle à la légende du conquérant
macédonien : « Ils ont cherché de préférence dans les récits des historiens les éléments qu'il
leur fallait pour construire pertinemment l'image d'Alexandre, roi chevalier». Ce
phénomène courant de relecture, dont on trouve la trace chez l'historiographe Rudolf Von
Ems qui a pour objectif de comparer favorablement Frédéric Hohenstaufen à Alexandre1392,
vise en général à faire coller aux valeurs de l'époque un personnage historique dont la gesta
remonte assez loin dans le temps. Cela peut tout aussi bien être considéré pour notre texte
influencé notamment par le style du Roman de la Rose de Jean de Meung.

Pour bien montrer la sagesse de son héros. Renaît-narrateur, porte-parole de


l'auteur, revient avec l'opposition entre vieux et jeunes conseillers. Contrairement à
Roboan et à Renart. Alexandre privilégie l'avis des plus âgés, estimant qu'il obtiendra
d'eux une loyauté indéfectible, qu'ils sont en tous points meilleurs que les jeunes qui. s'ils
leur arrivent de faire le bien, le font par accident et non par sagesse. Les vieux donnent les
bons conseils et les jeunes se battent, ce qui convient à leur condition physique :
Seigneurs preudhoms anchïenneour,
Tousjours vous voeul porter honnour.
Et monlt prise la vostre vye
Et toutte vostre compagnie
Plus que ne fais les jovenceaulx.
Combien qu'ilz aient les corps beaux.
Car jonesse a droit et a tort
Les semont de quérir leur mort.
Ne ne voient ez perilz doubte;
Se ilz font bien, c'est adventure.

1391
A. Cizek, « Alexandre le Grand et « // douze pers de Gresce » du Roman français d'Alexandre dans une
perspective comparative », La représentation de l'Antiquité au Moyen Âge. éd.. D. Buschinger et A. Crepin.
Verlag Karl M. Halosar, 1982, p. 169
1392
Cf: B. Gicquel, «Alexandre le Grand et Frédéric de Hohenstaufen chez Rudolf Von Ems» La
représentation de l'Antiquité au Moyen Âge. pp. 203-209

478
Dont est mestier qu'on n'ait d'eulx cure.
Les vieulx donnent les bons consaulx,
Et destournent les folz assaulx,
Et du tout vont bien attraiant
Et du tou mal vont defuiant1393.

À son ennemi Darius, roi de Perse, qui veut connaître cet adversaire « quelz homs
est, et dont fu ilz nez?/ Par quelz gens est il gouvernez?/ Quel forme a il qui le soustient/ et
qui est cil qui le maintient?/ Quel eage a il?/ Quel vasselage?/ Quel gent maine?/ Est il fol
ou sage?1394», un messager trace un portrait qui tient davantage dans son aspect physique
de la description d'un animal de ferme que d'un prince mais qui met aussi l'accent sur la
force combative comparée à celle du lion et du léopard et sur l'estime de ses troupes:

Petit est, gros et advenans,


Et s'est de l'âge de .XX. ans;
Le pis a gros et bien fournis,
Tous les menbres a bien onnis;
Sur tous est aspers et legiers,
Com lion corageux et fiers;
Fiere a la chiere com luppart,
Plus hardy n'est nul nule part,
Sur tous larges, certains en sommes,
Et amé de trestous ses hommes,
Gracïeulx, humbles, bien parlant,
Et a tout concquerir tendant (...)
De gent maine monlt grant plenté,
Qui trestous font sa voulenté.
Riens n'entreprent, tant soit fort grief,
Dont il ne viengne bien a chief.
Maint païs a a lui submis,
Tout donne, de tous fait amis1

Darius considère que si Alexandre est jeune « a l'escole a apprendre encore./ Une
pelotte t'envoye ore,/ a quoy tu te porras jouer1396 », il est forcément étourdi et par
conséquent innofensif. Il estime les projets de son adversaire déraisonnables et fait

1393
Renart le Contrefait, v. 10981-10998, p. 114.
1394
Renart le Contrefait, v. 11631-11636, p. 120.
95
lbid, V. 11639-11650, p. 120 et 11659-11664, p. 121.
U96
Ibid., V. 11721-11723, p. 121.

479
remarquer que puisque la guerre n'est pas un jeu1397, il a peu à craindre de se coté
quoiqu'en pensent ses vassaux qui le poussent à déclencher les hostilités pour « sauver
l'honneur ». Mais face à l'insistance de ses barons, dont plusieurs ont des « intérêts
personnels à promouvoir ou défendre », le roi de Perse affronte Alexandre, qui a mandé
l'ensemble de l'ost, et signe sa défaite en prenant la fuite, ce qui lui fait dire qu'un roi
faible est souvent trahi et délaissé :
Fortune est sur moy bestournée.
Et meschance est sur moy tourné
Roy soeul estre le plus haultain
Et de tous haulx le souverain,
(...) Or suis cheù en orphanté.
Des rois, des ducs servis estoie.
Or suis chetif, seul et fuitifs
Et de toutes honneurs hors mis! J

Au crépuscule de sa vie, Darius conseilla à Alexandre de se méfier de la « vaine


gloire ». Au jour de son couronnement, le nouveau roi de Perse promit d'être un bon
souverain, de venger Darius en pendant les traîtres et de punir les actes mauvais :
La fis je loyal serement
Devant le poeuple droitement
Que je loiaulté garderoye,
Et les malvais je pugniroye. (...)
Car juge si n'en poeult tant prendre
Que trop toudis il n'en demeure.
Pour ce doit bon juge toute heure
Avoir bouce si attraiant
Pour estre de mal vais voiant. (...)
Si comme vous le conffessés;
Murdriers estes et traïtour :
Si en venrez a vostre tour. (...)
Illec les firent décoller1"99.

1397
C'est en des termes similaires que, devant réfréner les ardeurs guerrières du jeune Charles VI attisées par
la victoire française contre les Flamands à Roosebeke (1382), Philippe de Mézières rappelle à son élève
qu'un roi ne doit pas agir à la légère : « ce n'est pas un jeu de personnage ne la bataille de la langue des
advocaz. Et pour ce, Beau filz, alez en l'ost et legierement combattre n'est pas un jeu de courre au pallet». Le
Songe du Vie! Pèlerin cité par F. Autrand, « La déconfiture. La bataille de Poitiers (1356) à travers quelques
textes français des XIVe et XVe siècles », p. 113.
*9%Renart le Contrefait, v. 12713-12716; 12720-12724, p. 131.
' ' " lbid, V. 13381-13385; 13400-13404; 13413-15; 13425, p. 138.

480
On pourrait s'attendre qu'en opposant Darius à Alexandre, l'auteur aurait tracé un
portrait beaucoup plus sombre de l'adversaire de son héros pour faire ressortir les qualités
de ce dernier, procédé assez fréquent chez les écrivains de cette période. Darius montre
certes une certaine arrogance envers le jeune Alexandre qu'il ne prend d'abord pas trop au
sérieux, estime mal la situation, mais n'apparaît jamais comme un tyran ni même un
mauvais roi. Il est surtout un prince mal conseillé (un thème récurrent) que ses vassaux
abandonnent à l'heure de la défaite. En face, le conquérant macédonien ne représente pas
le prince idéal malgré ses nombreuses victoires. Entaché de bâtardise, descendant d'un roi
mi-homme mi-démon qui utilisa des sortilèges pour séduire Olympia, le destin tragique
d'Alexandre est déjà scellé et rien dans ses actions futures ne pouvait le modifier :
En la cité de Babilone
Que une femme a monlt grant paine
Ung enffant com beste enffanta
Qu'a Alixandre on aporta.
Quant le vit, monlt fut esbahis
Et monlt forment espaouris.
Et pour scavoir s'entencïon,
Manda son maistre Ariolum :
« Vëez, maistre, que ce poeut estre,
Demy enffant et demy beste?»
Ariolum le regarda,
De plourer ne se retarda :
« Sire », dist il, « près de vous touche,
Car pour vray vostre mort aprouche.
Ly enffes homme signifie
Qui de beste a la seignourie,
Signifie ta royaulté,
Ta puissance et ta dignité,
Vers cui puissance contrester.
La beste les roys signifie
Qu'aprez toy aront seignourie.
Cilz roys vers toy pooir n'aront
Ne que bestes a homme aront,
C'est assavoir trestout ly roy
Qui bien tost venront aprez toy.
Vers toy ne seront seignoury,
Doubté, n'y amé, ni chiery
Ne qu'une beste est envers homme.
T . J- • s * i J400
Je te dis voir, c en est la somme
1-10(1
Renart le Contrefait, v. 16775-16804, p. 172.

481
De plus, Jean l'Épicier de Troyes mentionne à plusieurs reprises le caractère
impatient et parfois cruel de son protagoniste. L'ensemble impressionnant des conquêtes
d'Alexandre n'est en définitive que futilité « de toute terre estre seigneur/ amon advis n'est
pas honneur1401 ». seule la paix a une réelle valeur. Que peuvent donc apporter tous ces
royaumes vus du ciel? D'ailleurs comme le prédit « l'oracle ». l'unité territoriale construite
par Alexandre se disloquera à sa mort, ses compagnons se déchireront pour le pouvoir
jusqu'à entraîner de nombreuses guerres : « chascun désirait l'autre avoir,/ ne ne vaultrent
seigneur avoir./ Adonc commencherent les guerres/ par les païs et par les terres1402 ». On
peut supposer que cet assez long passage moralisateur provient en propre de Jean l'Épicier
de Troyes puisque les idées émises correspondent à ses opinions sur la guerre et l'orgueil
des princes14 .

Ayant terminé le récit d'Alexandre et de ses successeurs, récit dont la véracité n'est
pas contestée par le lion subjugué par le savoir de Renart. ce dernier remonte dans le temps
pour expliquer au roi. qui en a formulé le désir, les origines de la Grèce qu'il rattache aux
fils de Noé. Il enchaîne ensuite avec Troie, les royaumes antiques avec un retour sur Jules
César1404 et l'histoire de l'Empire romain avec le début du texte en prose, forme littéraire
associée à la vérité. Concernant César. Jean l'Épicier de Troyes ne semble pas trop sortir
des conventions habituelles mais son récit est confus, beaucoup moins bien structuré que
le long développement sur Alexandre le Grand. Il est vrai que la figure historique, ou
mythique. d'Alexandre était de loin plus populaire que celle de Jules César, popularité qui
va croître au XV* siècle sous le mécénat des derniers ducs de Bourgogne . Outre la
filiation entre Énée et Jules César, ce qui semble particulier dans l'histoire, telle que
racontée par Jean l'Épicier de Troyes. est l'association entre le pouvoir temporel et le

01
lbid. V. 16265-66. p. 167.
02
lbid.. V. 17291-17295, p. 177
1403
lbid, p. 151.
lu* _
Des vers 20440 a 22210
1405 C f . c R a y n a u i (< F i n d e s t e m p s e t p 0 ii t jq U e : la mort d'Alexandre au XVe siècle ». Fin des temps et
temps de la fin dans l'univers médiéval Senefiance. n. 33. 1993. pp. 359-375. Raynaud ajoute qu'outre la
version en prose de l'histoire d'Alexandre composé par Jean Wauquelin à la demande de Philippe le Bon.
« Charles le Hardi, latiniste et féru d'histoire » fit traduire en 1462 l'histoire du Grand Alexandre de Quinte
Curce par Vasco de Lucena. P. 275.

482
pouvoir spirituel. En effet, Jules César cumule les deux pouvoirs, les deux glaives de la
tradition augustinienne en quelque sorte. Grand prêtre de Rome1406, il en est aussi le
monarque suprême. Mais on peut y voir aussi une analogie avec le double pouvoir du pape
qui, tout en dirigeant spirituellement la chrétienté occidentale, n'en demeure pas moins un
monarque temporel disposant de territoires, d'armées, d'organes gouvernementaux et
d'une bureaucratie qui n'avait rien à envier aux monarchies les plus centralisées. Au début,
il est écrit que dans ce temps-là, Rome :
Rengnoit par docteurs,
Par apostas, par sénateurs;
Julius Cezar fut premiers
Qui tant orguilieux et fiers.
Il fist a maint corpz vitupère:
Ce fu le premier emperere
Qui la fut en auctorité.1407

De cet enfant, « bien parlant et sage et nez1408 » mais « qui trop lâchement se
chaingnoit », un des quatre docteurs en fit un prêtre du Temple « la de la temporalité/ et de
l'esperitualité ». Après plusieurs conquêtes, quelques rébellions matées et une somme
accumulée pour mousser sa candidature, « d'espargne qu'espargnié avoit,/ comme
espargnier il le sçavoit,/ a droit et a tort amassa/(...) et fut donnée commission/ pour y
faire une ellection1410», César fut élu par les citoyens romains qui mirent en lui leurs

espoirs :
Evesque fu, et maistre, et prestre,
Commença a apostole estre;
Tout sire du Temple il estoit,
Et tout en luy se submetoit,
Empereour et gouverneur,
Et de tout faisoit le seigneur (...)
Sy fu li grant prestre de Romme,
Prestre du Temple, et femme avoit,
Et la grant prestrise tenoit.

1406
Nous passons sur le passage dans lequel Jules César entretient une liaison avec la femme d'un officier
romain, section peu utile à notre propos et très embrouillée. Pour les passages sur la « vie privée » de Jules
César, G. Raynaud suggère un emprunt à Suétone dans les Faits des Romains, notes et variantes, p. 334.
1407
Renart le Contrefait, v. 20447-20454, p. 209.
1408
lbid., v. 20502, p. 209.
1409
lbid, V. 20515-16, p. 209.
1410
lbid, V. 20817-20819 et 20823-24, p. 212-213

483
Le Temple aulx vierges fu avant,
Et le saint Pierre est maintenant.
Le grant prestre tout gouvernoit,
Et trestout en sa main tenoit
Toute temporalité
Et l'espiritualité. (...)
En celluy tempz que Julius
Fut le grant prestres esleus,
Tout tenoit temporalité
Et l'espiritualité.1411

Cette élection pourrait faire penser à celle de l'Empereur mais elle se rapproche
plus fortement à celle d'un pape. Dans ce cas ci, l'auteur énonce clairement que les pots de
vin sont requis et qu'une telle nomination n'est pas attribuée qu'en fonction des mérites du
candidat. Nous ne pouvons l'affirmer catégoriquement, mais il s'agit peut-être d'une
allusion à l'élection contestée de Boniface VIII après l'abdication de Célestin V. La
position de l'auteur semble osée, si ce n'est risquée, mais comme le discours est tenu par
Renart, représentant du mal avant la création, il y a peu à redire et Jean l'Épicier de Troyes
peut alors facilement avancer les idées les plus controversées sans grand danger puisqu'il
n'en est pas vraiment le destinateur mais juste le relais. La manœuvre est habile puisque,
sous le couvert de la narration du personnage, l'auteur émet des positions qui autrement
seraient hasardeuses, Renart lui servant en quelque sorte de bouclier. Et pour se protéger
davantage, cette section du roman demeure rimée, la versification étant assimilée à la
fiction.

Pour leur part, les sénateurs ne figurent pas dans le récit comme des personnages
politiques mais sont plutôt comparés aux cardinaux : « sénateurs estoient a l'hore/ comme
ly cardinal sont ore1412 », renforçant la vision « théocratique » ou simplement la confusion
des sphères politiques et religieuses. Ces derniers furent mis à mal par un conjurateur du

1411
Renart le Contrefait, v. 20831-20838; 20845-20854; 20881-20884, p. 212-213.
14,2
lbid

484
nom de « Katheline1413 », en fait L. Sergius Catilina (108-62 av. J.-C), «patricien
ambitieux, autrefois au service du dictateur L. Cornelius Sylla1414 » :
(...) peu piteux,
Malvaiz et de grant hardement
Et de tout mal atrempement.
Plain estoit de tout malvaiz vice;
Tout son eage mist en malice.
Sur tous fut larron et robeur,
Luxurieux et menchongneur;
Solitaires, couvers estoit
Et tous maulx obprobres savoit1415

Sous couvert de belles promesses, à l'image de Renart, ce dernier ne convoitait


que le pouvoir absolu. Il fit miroiter à plusieurs hommes, les «jouvenceaux»
principalement, honneurs et richesses en insistant ce que qui devrait leur revenir de droit
et qu'ils ne possèdent plus aujourd'hui141 . Ils poussent en sommes les jeunes à se révolter
contre l'ordre établi par leurs prédécesseurs1417 :
Que de Romme seigneurs soions
Et que la seignourie ayons,
Et a no franchise tenir
Adez durer et maintenir,
Et départir les grans richesses,

1413
L'auteur mentionne une autre fois la conjuration de Catilina, à la sixième branche, v. 33655-33735, livre II,
p. 116-117,
' 4I4 Introduction de M. Chassignet, Salluste, La conjuration de Catilina, Paris, Les Belles Lettres, 1999, p.
XIII.
1415
Renart le Contrefait, v. 20976-20984, p. 214
14,6
Concernant la révolte des jeunes, dans la Conjuration de Catilina, Salluste écrit : « Aussi toute influence,
tout pouvoir, tout honneur, toute richesse sont à eux, ou à leurs créatures ; ils nous ont laissé les échecs, les
poursuites, les condamnations, la misère. Jusque à quand, mes braves, souffrirez-vous cet état de choses ?
Mais en vérité, j'en atteste les dieux et les hommes, la victoire est dans nos mains; nous avons la jeunesse,
nous avons le courage; chez eux au contraire, les années et les richesses ont usé corps et âmes », tra. A.
Ernout, p. 37. Jean l'Épicier de Troyes est assez fidèle à son modèle mais le choix n'a pour autant rien
d'innocent, il trouve dans une source antique une leçon qui corrobore la lutte entre vieux et plus jeunes pour
le pouvoir.
1417
Salluste écrit ceci, d'abord en citant le discours de Catilina, puis dans son commentaire: « Et bien alors,
réveillez-vous ! La voici, oui la voici, cette liberté que vous avez tant souhaitée; et avec elle, richesses,
honneur, gloire sont devant vos yeux. Telle est la récompense que la Fortune propose aux vainqueurs. Plus
que mon discours, la situation, le moment, le danger, la misère, la magnificence du butin vous exhortent à
l'action. Servez-vous de moi comme général ou comme soldat ; mon cœur et mon bras sont à vous. Voilà le
dessein qu'une fois consul j'espère réaliser avec vous, à moins que je ne m'abuse, et que vous ne préfériez la
servitude à la prise de pouvoir ». «Accablés de maux comme ils l'étaient, sans avoir comme sans espoir, les
conjurés trouvaient déjà dans le seul fait de troubler l'ordre un salaire suffisant », La conjuration de
Catilina, p. 39.

485
Les grans honneurs et les noblesses
Dont deussiesmes estre seigneur,
Ly souverain et ly greigneur,
Com noz anchïens ont esté.
Or nous ont ilz cecy osté,
Qui la grant richesse en amassent
Et les grans trésors en entassent;
Grant dolleur est de ce vëoir,
Envys poeut a bon cœur seoir
Telz truhans en seignourie estre,
Qui font les bons com bestez paistre.
Et nous deussions estre honnouré,
Et tous sommes vitupéré!
Nostres subgietz défissent estre,
Et ilz sont devenus noz maistres!1418

La suite est un appel à la révolte contre les sénateurs, ces « viellars secz » qu'il faut
abattre pour prendre ou reprendre leurs possessions. Par son anti-héros rebelle, l'auteur
énonce le contraire du respect témoigné aux sages tout au long du roman et dénonce de
manière différente, mais tout aussi efficace, la transgression de l'ordre établi. Katheline
figure à la fois Renart, dans son aspect rusé, rebelle et même diabolique, et Ysengrin par le
recours à la force brute. Nous avons ici une forme particulière de renversement où un
personnage historique prend les caractéristiques des animaux du conte qui, eux,
représentent la société des hommes.

Le coup d'État échoua, Katheline et ses compagnons finirent en prison ' , et


l'auteur revint à César et ses conquêtes comme s'il n'avait ouvert cette parenthèse que
pour apporter ses opinions sur la révolte des jeunes, les dangers de la convoitise et la
corruption qu'entraîne inévitablement la richesse. Devant être appelé empereur plutôt que

1418
/_>/£/., V. 21125-21144, p. 216.
La réalité diffère un peu: « Les complices de Catilina furent exécutés. Quant à Catilina qui s'était enfui
en Etrurie, et à ses troupes, ils furent anéantis par le second consul à Postoria, sans doute en février 62. » M.
Chassignet, La conjuration de Catilinat, p. Xlll. Le passage dans le Contrefait fait référence à deux épisodes
historiques distincts. D'une part l'exécution et non seulement l'emprisonnement à Rome d'une partie des
conjurés, puis plus tard, la bataille avec l'armée de Catilina ou se dernier trouva la mort. Ibid, p. 115-123.
Salluste décrit la fin du conjurateur, pour qui il témoigne néanmoins de l'estime, lui concédant de la
noblesse dans le combat, ce que n'octroie pas Jean l'Épicier de Troyes : « Lorsqu'il voit ses troupes en
déroute, et qu'il reste seul avec une poignée d'hommes, Catillina, se rappelant la noblesse de sa race et son
honneur passé, se jette au plus fort de la mêlée, et tombe percé de coups en combattant », lbid., p. 123.

486
roi comme le stipule l'ordonnance des anciens pères(?) ~ , Jules César est décrit
physiquement pour la première fois dans le texte : la peau blanche, le corps beau et bien
proportionné, les lèvres charnues et les yeux verts, il est de plus agile, courageux et fier. À
la guerre, il tient à bien armer ses hommes et faire régner la discipline mais « sans faire nul
conmandement1421». c'est-à-dire, sans moyen coercitif. Une description assez positive qui
tranche avec la première mention du personnage apparue dans le roman, si ce n'est de
l'insistance de l'auteur concernant la « luxure » de César, faute qui lui est d'ailleurs
pardonnée par les Dieux à la condition qu'il se repente. Après un étrange et très
anachronique passage sur la France chrétienne, décrite comme la contrée la plus aimée de
Dieu (fille aînée de l'Église) où l'on trouve «tant de predicacions,/ tant de messes, tant de
services./ tant fondéez de grans églises./ tant de bonnes devocions./ tant de belles
confessions.(...V tant de gens en Dieu esjo\T./ ne tant de bons religieux1422 », l'auteur
enchaîne avec la mort de Jules César et conclue que. sans aller jusqu'à le qualifier de tyran
ou d'usurpateur, il n'en demeure pas moins un prince contestable. Ce qui ressort est
l'animosité des sénateurs dont les avis n'étaient pas écoutés par César. Donc un prince qui
ne prend pas conseil et méprise l'avis de ses conseillers est selon Fauteur un mauvais
prince. On suppose ici que l'auteur assimile les sénateurs à des conseillers après en avoir
fait les « ancêtres » des cardinaux. De plus. Jean l'Épicier de Troyes fait tenir aux
sénateurs un discours de doléances lorsque ces derniers projettent la mort de César. Ils
rapportent les plaintes du peuple mais le passage ne montre pas s'il s'agit pour eux d'une
forme de justification ou d'une réalité et l'auteur ne s'attarde pas à cet aspect. Par contre,
après sa mort, le peuple semble regretter César : « Cil cit qui a tort /a bon Julez Cesar
mort ». Ce qui n'empêche pas Fauteur décrire un paragraphe plus loin en guise de
conclusion : « Et toutteffoiz, au vray compter./ bon se fait faire a tous amer./ Jules Cezar a
Romme amoient./ Et pour ce seigneur ne vouloient ~J». L'on ne peut déterminer avec
certitude si l'ambivalence de l'auteur est attribuable entièrement à ses sources ou si il
s'agit, en partie du moins, de ses opinions personnelles. Cet épisode sur la mort de César

• L'auteur fournie une explication à cette prescription, à la fin de la sixième branche. Texte en annexe
(XXXV. p. 563)
1421
lbid. V. 21524. p. 220.
u
~ lbid.. v. 21656-21660; 21662-21663. p. 221 Ajout de la deuxième rédaction.
1423
lbid.. v. 22163-66. br. II. p. 222.

487
et les réactions de la population romaine face à ce décès termine la partie en vers de la
deuxième branche du roman.

Rédigée en prose, la suite prend davantage la forme d'une chronique, avec un ton
neutre et un style saccadé, mais toujours avec l'objectif de raconter, à la demande du roi,
l'histoire de l'humanité . Mais le choix des événements demeure très partial. L'auteur
mentionne pêle-mêle les couronnements, les décès des membres de la famille royale, les
élections papales et accorde une place considérable, même disproportionnée, aux faits et
gestes des frères prêcheurs à quoi il donne la même importance que le couronnement d'un
roi, Louis IX par exemple1 5
. Il ne passe cependant pas sous silence la disgrâce de Pierre
de la Broce qu'il accuse d'avoir comploté contre la reine, Marie de Brabant : «le dit Pierre
de la Broce fu pendu en la presence des gens, qui ne s'en pouoient assés esmerveiller
comment un si grant homme et de si grant auctorité vint a tel fin1426 ». Deux paragraphes
sont consacrés aux matines brugeoises, en prenant le parti des Français, tandis que la
querelle entre Philippe le Bel et Boniface VI I I n'en occupe qu'un sans qu'une position ne
soit clairement énoncée. Plus intéressants sont les doutes émis par l'auteur concernant la
validité des aveux des Templiers obtenus sous la torture. Après avoir rappelé les crimes
pour lesquels ils furent accusés, Jean l'Épicier de Troyes écrit: « ces choses et plusieurs
aultres confesserrent les ditz Maistres et plusieurs aultres des ditz frères de la dite ordre, ou
par paour de tourmens, ou par aultre manière1427». Tout aussi circonspect concernant
Enguerran de Marigny, il ne blâme pas outre mesure le conseiller royal, qui est pourtant
associé à la renardie au début de l'œuvre, mais note que face aux accusations portées
contre lui «il ne respondy pas souffisanment1428 ». Des termes similaires sont employés
concernant le trésorier de Charles IV, Pierre Remy : « ne respondy pas souffisanment aulx

1424
Les sections sur l'histoire antique et le haut Moyen Âge n'apportant rien de nouveau à notre propos, nous
allons directement au passage plus « contemporain » qui débute avec Louis I X (à partir de la page 288). Jean
l'Épicier de Troyes revient à la forme versifiée au début de la troisième branche, forme qu'il garde jusqu'à la
fin du roman (qui se termine avec la huitième branche)
1425
Renart le Contrefait, § 143, p. 288,
1426
lbid, § 147, p. 290.
1427
/£/„■.,§ 152, p. 292
1428
lbid., § 154, p. 293. On trouve la même nuance chez Jean de Condé mais elle n'est pas courante.

488
articles propposées contre lui. il fut condempné. et pendu au gibet de Paris1429 ». Cette
apparente neutralité s'expliquerait selon Miihlethaler par les contraintes qu'impose la
prose14"0. La conclusion demeure cependant dans le même esprit moraliste qui caractérise
l'œuvre : il ne faut pas tenter de s'élever au-dessus de sa condition. «Assez lui vauldroit
mieus avoir gardé et vescu en son petit estât que tant amasser et si honteusement
morir1431 ».

Il n'est pas vain de tout raconter sur la science de Renart. le grand maître du «faulx
samblant » que tous les clercs, « gens seculers et gens de cloistre », veulent connaître. Au
contraire, la « raison » de Renart assure une existence sure et confortable :
Il scet toute riens mettre a point:
Il scet ce qui oingt et qui point:
Il scet ce qui aide et qui nuit:
Il scet ce qui ayme et qui cuit:
Il scet celler et racompter;
Il scet avaller et monter:
Il scet traire: il scet lanchier:
Oncques riens ne sceut detrenchier:
Il scet rire quant il est heure.
Et. quant il voit son point, il pleure:
Quant il est temps, il lui anuye:
Quant il voeult vent, quant il voeult pluye.
A tout son proffit se demaine.
Et si n'y met traveil ne paine;
Naturelment ce scet il faire.
Cellui qui scet tout son fait taire
Et deviser et ordonner. (...)
C'est Regnart qui tout ce scet faire.
Lequel voeul a mon maistre traire14"'".

l-CN
Renart le Contrefait, §165. p. 297.
1430
J.-C. Mùhlethaler. Famel au pouvoir, p. 356-57
Renart le Contrefait, p. 297.
2
lbid. v. 22580-22597; 22605-06, troisième branche, p 3 (livre II).

489
4. Renart « repentant »?

À partir de la troisième branche, Jean l'Épicier de Troyes retourne au thème


animalier, en utilisant la versification, sans indiquer au préalable si la plaidoirie de Renart
a été efficace. On suppose que l'accusé a été relaxé et qu'il est tranquillement rentré chez
lui puisque l'auteur nous le présente vieux, malade et repentant. Pensant aux très
nombreux méfaits commis par le passé, Renart aimerait bien soulager sa conscience et
prendre conseil, mais il ne trouve personne « en son hostel1433 » qui pourrait lui apporter
son aide. Il entreprend donc une sorte de petit pèlerinage et fait, au tournant d'un sentier,
la rencontre d'un vilain1434, du moins à ce qui lui semble. Mal vêtu, l'homme affirme
pourtant avoir déjà vécu dans l'opulence1435. S'excusant, ce qui n'est pas vraiment dans le
style du personnage, Renart philosophe sur les apparences qui trompent et sur la valeur de
l'homme qui n'est pas celle que confère un titre, puisque : « Des malvais gentilz sont les
guerres/ Et les dissencions es terres,/Les orphelins, les povretés,/Toutes malvaises euretés,/

1433
Ce qui indique que Renart habite en ville, donc en contradiction avec les branches anciennes.
14 4
Thème peu exploité dans les branches anciennes qui font rarement intervenir des situations de dialogue
entre les hommes et les animaux humanisés, à l'exception de la br III : Le vol des poissons et la pêche à la
queue (celle d'Ysengrin qui s'est fait roulé, encore!), la br. IV : Renart dans le puits et les branches X et XI :
les Vêpres de Tibert (assez anticléricales). Mais dans ces cas, il s'agit principalement d'un rapport entre
chasseurs et chassés ou entre le paysan, parfois le clerc, et l'animal chapadeur. Cf : Micheline de Combarieu,
« Des animaux et des hommes : se parler/se battre (étude sur la branche X du Roman de Renart) » dans Le
Goupil et le paysan (Roman de Renart, branche X) études réunies par Jean Dufournet, Paris, Champion,
1990, pp. 35-56. On peut aussi consulter dans le même volume : Jean Subrenat, « Renart est-il bon, est-il
méchant? », pp. 127-144. À l'exception de la conversation que Renart engage avec le vilain Liétart à la br. X,
une situation dans laquelle Renart ou un autre protagoniste serait totalement humanisé et entretiendait un
rapport égalitaire avec un vilain n 'apparaît que dans les branches tardives, l'antropomorphisme s'estompant
généralement au profit de la moralisation.
1435
II spécifie plus avant dans le texte :
Et de trestous biens plentureux,
Riche de terrïenneté
Par dessus les moyennetés,
Et habondance en moy avoit
De tous les biens que on sçavoit,
Bien honnouré et chier tenu
Dessus tous aultres bien venu,
Et m'a duré bien soixante ans.
Or suis sur la fin de mon temps,
Que me deiisse reposer
Et ma vie en bien ordonner;
Or m'a mon seigneur envahy,
Et si durement enhay
Que il a prins quanquez j'avoye,

490
Ly orgoeul et la symonie/Trestous despis et toute envye./ Se gentilz homs mais
n'engenroit/Ne jamais louve ne portoit,/ Et grant cheval ne fut jamais./Tout le monde
vivrait en paix 1436 ».

De toute manière, à l'heure du Jugement dernier, Dieu « a chascun raison fera »,


noble comme vilain. Nous avons tous deux pieds, deux yeux et deux poings. Le vilain
n'est au fond que celui qui ment et de cette espèce on en trouve en abondance. Renart
poursuit son discours qui se veut consolateur. On ne doit pas se désoler de perdre sa
fortune dit-il, ni d'être dans la gêne, seuls les mauvais se préoccupent de cela. Dieu
secoura les infortunés si ces derniers font preuve d'humilité et d'obéissance. Renart prend
ici le parti de la « veuve et de l'orphelin », montrant une compassion assez peu dans sa
nature quoique certains conteurs lui firent tenir un tel discours en échange d'une bonne
ripaille (pour ridiculiser la justice) 4j> . Ce qui détonne dans cet épisode est la manifeste
sincérité du goupil qui. hormis le besoin de soulager sa conscience, semble totalement
désintéressé. Il poursuit donc son discours avec des exemples pertinents sur ce qui arriva
aux Flamands révoltés qui, en l'an 1328, « rebellion en eulx se mist/ et assemblée d'eulx
J
se fist./ Dirent qu'au roy n'obeïroient./ ne a seigneur ne le tenroient ». En venant mater
la révolte, Philippe le Bel (illogique puisque c'est plutôt Philippe de Valois qui est sur le
trône) sema la destruction dans les villes de « Mons. Peule et Carsel» et beaucoup
perdirent la vie. Il s'agirat plutôt ici de la révolte sous la conduite de Artevelde en 1338 et
les villes seraient Mons-en-Pevèle et Cassel. Tout aussi fier et courageux, son fils (Louis le
J
Hutin. autre illogisme chronologique) après lui « nous fist de vilains jeux ». Seule

Ne m'a laissié fors que la voye. v. 22837-228552, p. 5


1436
Renart le Contrefait, v. 22713-22722, troisième branche, p. 4-5
J
J. Subrenat note à ce propos, concernant la br. X: «Renart se présente presque comme un profesionnel de
la défense des malheureux, des opprimés, comme un avocat ou un redresseur de tort, un homme de loi, face à
un Liétart « desconseilliez » (v. 9722) auquel il « veut venir en aide » (9725) (..) Qu'il y ait là une satire des
notables de la justice est plus que probable, il n'en reste pas moins que. le monde étant ce qu'il est. l'offre de
Renart est « honnête » : il tirera Liétart du mauvais pas où il s'est mis et demande en échange- comme
honoraires en quelque sorte- le coq Blanchart ». «Renart est-il bon. est-il méchant?» p. 131-132. Nous
dirions cependant davantage ironique que satirique pour les branches anciennes.
14 8
' Renart le Contrefait., v. 23099-23102, p. 8
uy9
lbid, v. 23122, p. 8

491
l'humilité préserve l'homme des maux terrestres. Si les Flamands n'avaient pas été si
orgueilleux, ils auraient pu vivre humblement et bien tranquillement.

Sur ces paroles, Renart retourne à son hôtel dans le même état mental que lorsqu'il
le quitta. Il repense à la manière dont il vécu, les richesses amassées, la science qu'il
apprit, ceux qu'il a rencontrés, les joies qu'il a ressenties et se demande de quelle manière
la mort viendra le chercher. Mais l'heure n'est pas encore venue et sa famille lui rappelle
que, s'il est passé maître dans l'art de donner des conseils, il est pour lui-même et les siens
bien mal loti. Oubliez-vous qui vous êtes?, lui dit sa femme :
De ce me doeul, par saint Remy!
Vous n'estes point Pierre Remy,
Qui adez malice sieuoit,
Et chascun avoir lui ruoit;
Chascun a lui donner tendroit,
Et chascun monlt grant joye avoit
Quant Pierres avoit du sien pris.
Tout est vray ce que je vous dis;
Cil Regnart fist adez sa vie,
Par Regnart sçavoit bien ouvrer,
Avoir terrien recouvrer.
Sa richesse aussi aparu
Jusques le roy Charles moru. (...)
Vostre fol sens comparrons nous?
En vous n'a gueres de science,
Et fol est qui y a fiance.
Nous n'avons céans de quoy vivre,
Nous ne sçavons qwuel sentier sivre,
Nous n'avons tant ne quant d'avoir.
Grant honte vous devez avoir,
Quant de Regnart portez le non,
Qu'en vous n'a se folie non.
En vous n'a aucune chevance
Et tout autant de pourveance.1

Le discours d'Hermeline n'ayant pas porté ses fruits, Renart continue ses
lamentations, discute avec Raison et décide de finir ses jours dans un ermitage pour expier
ses trop nombreux péchés. Le motif est courant, mais habituellement les bonnes intentions

lbid, v. 23455-23488, quatrième branche, p. 12

492
ne font pas partie des bagages de Renart. Cette soudaine sincérité créé chez le lecteur un
certain malaise. On ne sait trop s'il s'agit toujours du même personnage ou bien de la
confession voilée de l'auteur qui ferait ainsi le bilan de sa vie. Contrairement aux épisodes
du Couronnement de Renart et de Renart le Nouvel, le goupil ne trouve pas un très bon
accueil chez les religieux qui se souviennent des vols jadis perpétués par lui. Mais Renart
se fait suppliant, implorant le moine de lui ouvrir pour qu'il puisse se laver de ses péchés.
Il ne suffit cependant pas de se confesser comme le lui rappelle son interlocuteur, « nulle
absolucion n'atans,/ car ceulx se gastent, sans mentir,/ qui conffessent sans repentir1441», il
faut sincèrement s'amender. Il y a dans la confession renardienne une ambiguïté de base
puisque, tout en représentant la tromperie, le personnage « étale cyniquement ses
fautes1442» et ne cherche apparemment pas à dissimuler la vérité. Batany explique cette
absence de réserve, pour les branches anciennes à tout le moins, par une mauvaise
compréhension de la confession individuelle auriculaire imposée par le Concile de 1215.
« Malgré les théologiens, la présence ou l'absence de « sincérité » n'était pour le grand
public qu'une nuance, qui ne prenait un sens clair que par la conduite ultérieure du
pénitent1443 ». Proche du style des branches anciennes, la confession débute par les larcins
liés à la nourriture, puis l'épisode avec Hersent et les louveteaux, ce qui apparaît très
anodin en comparaison de la figure diabolique dont les auteurs affublent Renart depuis la
fin du XIIIe siècle. C'est un moyen pour Jean l'Épicier de Troyes de montrer à ses lecteurs
qu'il connaît bien sa matière mais aussi de glisser ses habituelles moralisations sur la
convoitise et l'orgueil1444. Mais Renart n'en reste pas là et poursuit avec des révélations
plus compromettantes que le vol d'une poule. En effet, dès son tout jeune âge, le goupil
s'évertua à faire le mal, mentant, se parjurant et devenant le « curatier » (le curateur) des
« clercz, laiz, séculiers et moisnes,/ a chevaliers, bourgois, chanoines,/ d'abbesses et
relgïeuzes,/ dames, pucelles et prïeuzes1445». Il se fit souteneur {bordelier), ce qui semble
avoir été très lucratif, usurier, trafiqua les objets religieux, « rentes engagier et

Renart le Contrefait, v. 24690-24692, quatrième branche, tome II, p. 24.


" J. Batany, Scènes et Coulisses du Roman de Renart, p. 244.
1443
lbid, p. 245.
1444
L'auteur n'en étant pas à une bizarrerie près, il fait intervenir dans le discours du confesseur une
impossible conversation entre Sénèque et Alexandre le Grand concernant les possessions avec pour morale :
« tu dois (...) mengier pour vivre/non mye vivre pour mengier », v. 24934-35, p. 26-27. (v. 24836-24940)
Renart le Contrefait, quatrième branche, v. 24955-24958, p. 27.

493
1446
vendues », reçut frauduleusement des aumônes (allusions aux Ordres Mendiants),
s'engagea comme mercenaire en s'éclipsant aux moments fatidiques, fit un nombre
considérable de faux serments largement rétribués et fréquenta assidûment les tavernes où
il se venta de ses exploits. Mais le clou de sa grande carrière de vaurien fut lorsqu'il devint
avocat, puis « courretier et procurrerres » (commissaire et procureur) ce qui constituait
essentiellement à spolier les témoins ou encore à faire changer leur témoignage au plus
grand mépris de la loi «Loix et Decrettz metoie en pris1448 ». Et plus loin, il souligne
l'importance de faire taire sa conscience :
Et avec ce les courretiers,
Et les fist mentir et jurer,
Et tous ensemble parjurer,
Et leur dit qu'en leur courretage
S'ilz voeullent estre preu et sage,
Souvent gaignier et enbourser
Et avoir assez entourser,
Mettent derrier l'huis charité
Et taisent toute vérité.144

Voulant élargir son horizon « professionnel », Renart fut tour à tour médecin et
astrologue, métiers parfaits pour exercer l'art du faux semblant. Et placé face aux
accusations de ses clients roulés, il nia avec la plus grande adresse et jura de sa bonne foi
« cent fois juresse le Corps Dé 1450» Mais rien ne pouvait mieux lui convenir qu'être
avocat à la cour laïque « et fu advocat en cour laye1451», ce royaume de la malversation
dans lequel son art s'exerçait dans toute sa démesure. Plusieurs branches se moquaient de
la justice royale, ridiculisant particulièrement la mollesse du roi. On retrouve le même
thème dans les branches tardives mais le discours sur la justice dans Renart le Contrefait
dépasse de loin la simple ironie. Il s'agit d'une dénonciation en règle de l'appareil
judiciaire, totalement corrompu. Aucun des sept arts n'échappe à Renart, tout fut utilisé à
mauvais escient :
Je chante, je pleure, j'abbaye,

1446
Renart le Contrefait, v. 24991, p. 27.
47
lbid, v. 25027, p. 27.
1448
lbid., v. 25038, p. 28.
1449
lbid., v. 37122-37130, septième branche, livre II, p. 152.
Ibid., v. 25156, quatrième branche, p. 29.
1451
lbid, V. 25187, p. 29.

494
Je ris, j'organise, je tanse;
De toutes malvaisties m'apense
Comment porroie dechevoir
Et de tout le meileur avoir.
Je fay le clerc, j'allègue loix,
Et si ne sçay qui vaille ung poix;
Et j'alegue Code et Digeste,
Et si ne sçay ne qu'une beste;
J'alegue la Divinité,
Et si ne congnois vérité :
J'alegue Bible et Salomon,
J'alegue Aristote et Platon,
Théologie et giometrie,
Qui est une belle maistrie;
Je me merle de retoricque,
Je m'entremetz d'arismeticque;
J'alegue logicque et grammaire;
Je voeul trestout dire et tout faire;
Par magicque et par Balenus
Me suis je toudis maintenus; (....)
Je ay plus gasté de querelles,
Qui estoient bonnes et belles,
Qu'il n'ot de muys d'eaue ou Deluge,
Et tout mettoye sur le juge
Qui faussement l'avoit donnée
Et par deniers monlt grant boursée;
Et le courouchié en faisoie,
Car plus d'acointes en avoie.
Disoient que grant diligence
Estoit en moy et grant science143 .

Déjà ébahi, le pauvre moine n'a pas encore fini d'entendre la confession d'un
Renart qui semble plutôt fier de ses exploits passés mais regrette un acte en particulier :
celui d'avoir connu la déchéance pour une femme. Cette section ne fait pas référence à
Hermeline, l'épouse légitime du goupil mais prend davantage la forme de renseignement
de l'auteur sur sa vie puisqu'il dut quitter les ordres pour cause de bigamie. S'en suit un
long discours contre l'amour cause de toutes les déchéances. Mais le moine aimerait bien
connaître ce qu'a pris Renart et à qui. Sans remords, ce dernier estime que voler les
seigneurs est tout à fait justifié. Ne font-ils pas de même eux qui imposent « tailles,

1452
lbid., V. 25188-25208; 25221-25230, p . 29.

495
corvées, formariages,/ mainsmortes, dismes et usages »? Ces choses que jamais Dieu
n'ordonna, donc qui sont tout à fait illégitimes. Profitant de leur situation, les nobles et les
gens d'Église volent les autres, les étranglent et l'on sait fort bien « qu'ilz haient trestous
54
laboureurs », ceux qu'ils nomment vilains. Que restent-ils à ces vilains lorsque les
seigneurs et les clercs boivent leur meilleur vin, mangent le froment, se vêtissent des tissus
et des laines confectionnés par eux? « Tous exillier je lez vouldroie 1455 ». Il reprend le
même thème lorsqu'il fait dire à Renart, confessé par Hubert, que les coutumes
seigneuriales : formariages, mainmortes, tailles, corvées, furent établies par ce dernier.
Ceux que l'on nomme aujourd'hui nobles :
Iceulx vivent, soit bel ou gent,
De la despoulle a povre gent,
Pour noblesse auctorisier
Et pour eulx au monde prisier,
Et pour eulx faire plus monter.
Pour les povres plus débouter,
Je fis que leurs homme devindrent
Et les formariages tindrent.
De ce fist Raison asservir
Pour les gentilz hommes servir. (...)
Des mainsmortes fis ensement,
Dont par ce sont mille truhant,
Et larrons pluseurs aussi sont;
Quant ilz tous leurs biens perdusent,
Des eglizes et des gentilz,
Lors demeurent povres er vilz,
S'enfuient, et vivre convient;
Et lord Desperance vient.(...)
Eglize et gentilz me soustiennent
Et trestous mes fais entretiennent; (...)

De la vindrent tailles premiers


Et au roy et aulx chevaliers,
Et aulx eglizes et aulx aultres,
Tant sont allez lances sur faultres,
Et par mon art et par ma vie,
Qu'ilz ont tout mis a une vie.

1453
Renart le Contrefait, v. 25481-25482, quatrième branche, p. 32.
1454
lbid, v. 25509, p. 32. L'auteur revient avec ce thème, tout aussi durement, à la branche sept, v. 36909-36962,
p. 149-150, livre II. Voir l'annexe XXXIII ou XXXIV
1455
lbid, v. 25531, p. 32. Il n'est guère plus tendre avec les clercs, écrivant « on doit clerc jetter en mer », v.
25566, p. 33.

496
A trestous les font paier taille
Bon et malvais, vaille que vaille;
Car par moy en saisnie en sont.
Or garde bien comment ilz font,
Comment joyssent par usage
De mainmorte et formariage. (...)
Lors les gentilz plains de mon art
Se traïrenttous d'une part (..)
De la vint le formariage,
Et des mainmortes ly usage.
Aprez je basty alliances
Et les malvaizes deffiances1436.

J'establi aulx terres terrages,


Les coustumes et les servages,
Pour ce que ceulx qui les tenront
Tout malgré Raison les prendront

Les chevaliers, et conte, et roy


N'en laissent faire nul array :
La gent mengùent et eschillent.
Le leur taullent. happent et pillent,
Sur poeuple font subvencions.
Tailles et grans detractions.
Les constraingnent a porter armes.
Et par ce oublient leurs âmes.

1456
Renart le Contrefait, v. 37281-90, septième branche. , livre II, p. 153; v. 37306-37312, p. 153: v. 37331-32. p.
154: V. 37551-37563, p. 156; V. 37665-66, p. 157; V. 37689-92, p. 157
l4:>7
lbid., V. 37799-37802, p. 158
1458
Renart le Contrefait, v. 39405-39412, huitième branche, livre II, p. 177

497
Cet étonnant cri du cœur n'a rien à voir avec le baron rebelle de la cour du roi
Noble, nous ne sommes plus ici dans l'univers typiquement renardien. L'auteur parle par
la voix de Renart pour dénoncer les « privilèges ». Dénonciation alimentée par les crises
socio-économiques qui secouèrent la première moitié du XIVe siècle. Point de vu de la
bourgeoisie? On pourrait le penser si ce n'est des fréquentes allusions à la richesse
matérielle qui cause la perte de l'âme. Renart n'a-t-il pas exercé des métiers proprement
urbains145 ? Il ne semble pas que les bourgeois valent mieux que les nobles et les clercs
aux yeux de l'auteur :

Chascun voulsist un preudhomme estre;


Et malvais riches sont prisiés,
Et les preudhommes desprisiés.
Pour ce sont amassé avoir,
Que le preudhom n'en puist avoir;
Et ceste chose bien affiche
Que les malvais sont les plus riche
Et avec les plus honnourés
Et les bons preudhoms sont hués

Tous sont corrompus, vaniteux, menteurs, orgueilleux et surtout envahis par la


convoitise. Comme le rapporte à Tibert une tigresse qui ne se nourrit que d'honnêtes gens,
et qui par conséquent jeûne depuis sept ans : «je mengeroie volontiers, se je cy avoye,
des marchands qui point ne juraissent/ et voirs de leurs denrrées comptaissent,/ n'en
voulsissent nul decepvoir1462 ». Le message est qu'on ne trouve en ce bas monde personne
qui ne soit totalement honnête, les marchands mentent, les nobles exploitent les paysans et
se cherchent querelle entre-eux et les moines font le contraire de ce qu'ils prêchent. S'il
critique l'ensemble des favorisés, il n'en demeure pas moins que ce vif sentiment anti-

1459
À propos des métiers, Renart en fait dans la cinquième branche une amusante critique. Quel métier
pourrait-il bien exercer pour gagner sa vie de manière loyale?! En les énumérant : drapier, orfèvre, épicier,
apothicaire à Paris, pelletier, tavernier, il n'en trouve aucun qui puisse répondre à ses critères moraux honnis
être laboureur. Cependant, à bien y penser, ce métier n'apporte que misère puisque marchands comme
seigneurs tondent la laine sur le dos des paysans. L'auteur anonyme du Dit de la queue de Renart en arrive
à la même conclusion concernant les métiers, aucun ne se pratique honnêtement et tous sont influencés par la
renardie. Cf : annexe XXXVIII (p. 569-574 environ)
Renart le Contrefait, v. 32279-32288, sixième branche, livre II, p. 102
1461
On peut consulter M. Lecco, « Renart e la tigre ».
1462
Renart le Contrefait, v. 40815-40819, huitième branche, livre II, p. 191

498
aristocratique détonne dans la production contemporaine . On trouve bien un parti pris
pour les pauvres chez Gervais du Bus et Geoffroy de Paris mais rien de comparable dans la
virulence du propos, dans cette haine des chevaliers et des seigneurs. Même avant la
défaite de Poitiers qui créa une réelle commotion dans la population, le début du XIVe
siècle est marqué par un accroissement des inégalités sociales qui, combinées à l'inflation
du prix des céréales, l'instabilité des monnaies et l'augmentation générale des disettes,
amènent les paysans à se soulever contre les seigneurs jugés responsables des
i A (LA

problèmes . Premier des nobles, le roi se trouve-t-il englobé dans cette prise de position
radicale ou s'en détache-t-il comme une figure bienveillante au-dessus de la noblesse et
des trois ordres? S'il ne mentionne pas spécifiquement le roi ou un grand prince dans ses
premières tirades accusatoires, rien ne laisse non plus supposer qu'il fasse des exceptions.
D'autant plus qu'il inclut « roy et conte » en mentionnant à la branche sept du roman que
les seigneurs ne sont au fond que des pilleurs. Un autre exemple nous laisse supposer sa
piètre estime des gouvernants lorsqu'il émet « subtilement » des doutes sur la sainteté de
Louis IX « le roy Loys que on dit saint1463 », puis accuse son fils, Philippe le Hardi, d'avoir
conservé la Champagne de manière déloyale en profitant des difficultés financières du
1 Afiifi

comte, son beau-père : «Phelippes en tel point se tint/ que les fiefz et l'argent retint ».
Louis IX avait acheté au comte de Champagne les comtés de Blois, de Chartres et de
Sancerre. ainsi que la vicomte de Châteaudun.

Renart poursuit son discours en accusant les nantis d'être tous aussi mauvais les
uns que les autres et si désireux de suivre son enseignement. Même les enfants de sept ans
apprennent les leçons de la renardie. Aucun prêtre digne de ce nom ne les absoudra au
moment où ils finiront au gibet, et moi et les miens (Renart et ses disciples) demeureront
puisque « Regnart suis, et toudis seray1467 ». Mais cet art si requis n'est pas pour les
pauvres gens, leur état ne leur permet rien de ce genre. Les riches accaparent tout et si

s
' On trouve bien chez Jean de Meung des sentiments hostiles à la noblesse, avec une formulation parfois
reprise par notre auteur, mais jamais la dénonciation ne va aussi loin. Voir annexe XXXVll
Mollet &Wolff. Les révolutions populaires en Europe, p. 107-108.
* Renart le Contrefait, v. 37979, septième branche, livre IL p. 160
1466
lbid., v. 38010-11, p. 161.
Ibid. v. 25389. quatrième branche, p. 33

499
j'étais juge, dit Renart, j'en ferais pendre dix plutôt qu'un. Mais on ne condamne que les
pauvres. Les autres, « ceux qui les trésors bien grans146 », « ces evesques, ces cardinaulx
et ces tresgrans officïaulx qui la scevent estudïer » ne sont jamais ennuyés par la
justice. Mon art engendre l'orgueil et que voit-on surgir de cela si ce n'est des tours et des
châteaux dans lesquels les seigneurs, ces usuriers, ces prêteurs sur gages, « tous larrons et
les plieurs 1470» engrangent le blé et l'avoine, « traïttres sont a enscïent,/ et mordent la gent
en riant;/ tous les plument, mengent, escorchent1471 » Pire, ces seigneurs « guerroient
Dieu1472 », se comportent comme des loups n'éprouvant de pitié pour personne. De quel
droit peuvent-ils bien me juger? La charge est d'une rare violence, surtout pour l'époque,
peu encline à une telle contestation de l'aristocratie. À ses propos désabusés, le moine ne
peut accorder l'absolution et conseille à Renart de se rendre à Rome pour voir le « grand
Apostole » (le pape) qui pourra certainement faire quelque chose pour lui. Le goupil
reprend donc son « pèlerinage » en récitant le Psautier jusqu'à ce qu'il fasse la
rencontre de Bernard l'archiprêtre accompagné de ses deux fils, eux aussi prêtres: Timer et
Fromont. En voyant Renart, ils se signent pour se moquer de ce faux ermite, de cet
inhabituel pénitent. Les clercs sont méfiants et ne semblent guère disposés à accompagner
Renart à Rome. Cependant, ce dernier réussit à convaincre Fromont de venir avec lui. Ses
arguments sont simples mais efficaces : d'abord, on ne doit pas juger autrui, laissons cela à
1474
Dieu, « de ce n'est mie nos offices »; et puis entreprendre un pèlerinage ne peut
qu'apporter des bénéfices «tous sommes pécheurs, c'est la somme;/ pour ce m'en vois tout
droit a Romme1475 ». Malgré les apparentes bonnes intentions des deux compères, le
voyage vers l'absolution papale s'écourte rapidement. Désireux tout de même de s'y
rendre, même seul, la vraie nature de Renart ne tarde cependant pas à refaire surface

1468
lbid, V. 25660, p. 34
1469
lbid, v. 25663-64, p. 34
1470
lbid., V. 25706, p. 34.
1471
lbid, v. 25707-09, p. 34
1472
lbid., V. 25727, p. 34.
1473
Thème abordé dans les contes d'origine, toujours sous un ton parodique, cf : br. VIII . Le Pèlerinage de
Renart
Renart le Contrefait, v. 26055, quatrième branche, livre II, p. 38
1475
lbid., V. 26179-26180, p. 39
1476
Sa vrai nature dans les deux sens, celle du prédateur dans l'esprit des branches anciennes, il dévora les
oisillons de Thiecelin le corbeau sous prétexte qu'ils étaient tous laids et que le corbeau n'avait demandé la

500
L'auteur ajoute que tous ceux qui se sont approchés de trop près du goupil l'ont cher payé.
Il n'y a qu'à songer aux Templiers, aux chevaliers d'Acre « par moy refut Acre
perdue1477 », aux Jacobins et aux Cordeliers, aux Lombards et à Pierre Rémy. Même les
Flamands furent influencés dans leur insoumission par la renardie, le résultat fut un
massacre dont aucun gentilhomme n'échappa:

Ici fist Raison aulx Flamains


Tuer pour ce que je les aims,
Et ont juré, ce est la somme.
Qu'il ne demourra gentil homme.
Les autres les ont esveilliés,
Les maulx Flamens outrecuidiés
Qui sortissent eulx allier
Pour gentillesse deffïer
Heu! Las! Chétif, et que feroie.
Se mes tresbons amis perdoie?
Je ne les perdroie a nul foeur,
Car c'est le joiaul de mon cœur.
Si ont juré communément
Par ung accord tout ly Flament
Que ja au roy guerre n'eussent,
Se les gentilz hommes ne feussent.
Tout ainsi Raison me guerroyé14

Renart ne peut agir autrement puisqu'il est le mal qui caractérise l'époque « par
Fart Regnart le siècle vient/ et par Regnart tout se maintient ». On ne peut aller contre
sa nature et la fin de l'œuvre va bien dans ce sens puisque après une de ses interminables
confessions, égal à lui-même, Renart dévore son confesseur . Contrairement à
Jacquemart Gielée. Jean l'Épicier de Troyes choisit de terminer les aventures du goupil
non pas en le plaçant au haut de la roue de Fortune mais en reprenant un topos habituel. La
conclusion reste cependant tout aussi désabusée. Renart a en quelque sorte participé à la
création des mauvaises coutumes, de l'injustice sociale, de l'orgueil, de la convoitise, a été

vie sauve que pour les beaux, tendit un piège à Ysengrin sur une variante d'Ysengrin et le puits, puis celle du
maître de malice plus dans le ton des branches tardives.
1477
lbid, v. 27652, p. 54. Dans la version A. l'auteur avait écrit une satire contre les Hospitaliers qui n'est plus
présente dans la deuxième version.
1478
lbid., v. 27719-27735, p. 54-55. Particularité de la deuxième rédaction.
1479
Ibid., V. 28363-64, p. 61
1480
Ce qui est une variante de la branche VIL Renart mange son confesseur.

501
le témoin des débuts du monde et de sa corruption. Que reste-t-il après à ajouter? Revenir
au plaid serait impossible et illogique, le thème du pèlerinage a été exploité plusieurs fois,
tout comme celui des confessions. On peut dire que l'auteur met un point final à sa
rédaction par épuisement de sa matière.

Outre une vision pessimiste et moralisatrice assez courante chez les auteurs des
branches tardives de Renart, principalement les écrivains des Flandres, ce qui caractérise
Renart le Contrefait dans sa perception du pouvoir est ce fort sentiment anti-aristocratique
et même anti-élitiste. Jean l'Épicier de Troyes accuse certes les seigneurs, incluant le roi à
certains moments, de tous les maux mais il s'en prend également aux riches bourgeois, à la
noblesse de robe, aux officiers royaux principalement les officiers de justice, au clergé
incluant les Ordres Mendiants. C'est l'exploitation du peuple, des pauvres qui doivent
s'échiner pour faire vivre des parasites, que dénonce l'auteur. C'est une remise en question
du système seigneurial, jusqu'à un certain point de la structure féodale, des privilèges
ecclésiastiques mais n'incluant jamais la transgression individuelle de l'ordre social. Être
outré du traitement réservé aux paysans que l'on estime pressurés est une chose, accepter
d'un bon œil l'ascension sociale rapide de parvenus dans les hautes sphères du pouvoir en
est une autre et, malgré son sentiment à la limite de la révolte, l'auteur ne franchit pas cette
barrière. Il condamne les Flamands en rébellion de la même manière qu'il dénonce le
parjure des procureurs. Tous ces actes sont l'œuvre de Renart, donc l'oeuvre du mal.
D'aucune manière les manquements des uns, tout aussi flagrants soient-ils, ne permettent
ni n'excusent le recours à la violence des autres.

Dans cette dénonciation de l'élite et des abus de pouvoir au détriment des pauvres,
les princes font piètre figure. Comme souvent dans les branches de Renart, le roi Noble de
qui les sujets attendent bonne justice se montre indécis, manipulable, mou et égoïste.
Hormis les brèves allusions à Salomon et à Moïse, les exemples tirés de l'histoire antique
et de la Bible offrent peu de modèles princiers dignes de ce nom. Même le long passage
consacré à Alexandre se conclut sur la futilité des conquêtes. On ne peut cependant parler

502
d'anti monarchisme, rien dans le texte ne le laisse supposer. Il est certain que s'il n'attaque
pas un prince en particulier, Jean l'Épicier de Troyes a une faible estime des gouvernants
et ses positions anti-nobiliaires tranchent avec une bonne partie de la production littéraire
de l'époque.

Plus large que chez les auteurs « français ». la critique du pouvoir que l'on retrouve
dans les textes du nord se veut une réflexion sur / 'estât dou monde. On y décerne certes un
regard sur la nature du gouvernant et du gouvernement mais la morale prime sur les
conseils pratiques. Tant chez l'anonyme du Couronnement de Renart, qui met en scène le
pouvoir royal usurpé par un conseiller perfide qui utilise l'appât du gain pour parvenir à
ses fins, que chez Jean de Condé qui illustre les manipulations des courtisans à l'intérieur
du monde stérile de la cour dans laquelle seule l'apparence compte au détriment de valeurs
plus nobles, on retrouve cette nostalgie d'un idéal princier perdu ou en voie de disparition.
La ruse devient un attribut du pouvoir et toutes les cours européennes, incluant celle du
pape, veulent acquérir ce nouveau savoir si utile pour changer le droit en tort et le tort en
droit.

Pour Jacquemart Gielée, dans Renart le Nouvel, comme pour Jean l'Épicier de
Troyes, dans Renart le Contrefait, il n'est plus simplement question de nostalgie ou
d'avertissements à l'intention des gouvernants, le monde va à sa perte puisque les valeurs
chrétiennes ne sont plus respectées. Ces œuvres énormes témoignent d'un désabusement
sensible même si ça et là peuvent poindre quelques notes plus optimistes. Leurs visions
respectives des princes ne laissent cependant que peu de place à de possibles
amendements. Dans Renart le Nouvel, on y voit l'inutilité des conflits et des trêves entre
un roi. légitime mais incompétent, et un aspirant au titre, immoral mais efficace dans ses
actions tant militaires que diplomatiques. Lorsque Noble daigne réagir face aux exactions
répétées et flagrantes de son baron rebelle, il ne le fait pas pour le bien commun ni pour la
bonne marche du royaume mais toujours lorsque ses intérêts personnels sont lésés. Ses
actions sont dictées autant par la colère subite que par l'immensité de son orgueil. Ses

503
nombreuses réconciliations avec Renart suivent le même schéma et le roi n'a rien d'un bon
monarque même si ses intentions à la base ne sont pas obligatoirement mauvaises. Il est
ironique d'ailleurs que les conseils les mieux intentionnés soient toujours dans le conte
ceux dont les résultats s'avèrent les plus désastreux et qu'à l'opposé, Renart, qui n'est que
perfidie, se conforme au code de conduite chevaleresque aux moments les plus opportuns.
Il n'y a prise de pouvoir que parce que les principaux intéressés le permettent, par molesse,
égoïsme, stupidité ou aveuglement.

Cette même inaptitude des gouvernants à protéger, sinon leur trône, du moins la
sécurité des plus faibles, se retrouve aussi dans Renart le Contrefait qui illustre davantage
que la prise du pouvoir de Renart. En effet, le goupil se trouve à être à l'origine même du
Mal, à la fois protagoniste et témoin de la déchéance du monde, de son commencement
jusqu'en 1328. Contrairement à l'anonyme du Couronnement et à Jean de Condé qui
attribuaient les difficultés et les dangers à venir à des groupes en particulier, Jean l'Épicier
de Troyes considère que tous sont coupables, même si certains sont davantage visés. Le
monde est à ce point contrefait que Renart, devenu symbole de l'Antéchrist, se trouve
aussi à être le dépositaire de la vérité historique. Les derniers conteurs de Renart
dénoncent beaucoup mais ils ne proposent en revanche aucune solution pour remédier à la
situation. En ce sens, il s'agit davantage d'une vaste moralisation sur tout ce qui ne va
pas, à commencer par le manque de piété des grands, que d'une forme de manuel de bon
gouvernement.

504
CONCLUSION

Nous avions posé au début de notre recherche les questions suivantes : quelles
images du prince offrent les fables animalières ? En quoi renseignent-elles sur la
perception du pouvoir princier à la fin du Moyen Âge ? Nous voulions comprendre dans
quelle mesure la conjoncture politique et militaire avait modifié le discours. Pour pouvoir
cerner la spécificité de la fable animale, il fallait auparavant pouvoir la situer dans le
contexte idéologique de l'époque, d'une part, puis par la suite comprendre à quelles
traditions littéraires elle se rattachait.

L'accroissement de l'appareil étatique, la prise de contrôle du roi sur les leviers du


pouvoir, et plus tard les questionnements que fit surgir la guerre de Cent Ans ont alimenté
les réflexions des intellectuels sur la nature du pouvoir politique et l'idéal princier.
Conseillers, princes eux-mêmes, chroniqueurs, juristes comme philosophes ont tenté à leur
manière d'établir le schéma du meilleur gouvernement avec à sa tête un prince répondant à
leurs idéaux. Traditionnellement, tous s'accordent pour placer à l'avant scène les devoirs
princiers bien avant d'exposer les droits ou privilèges du roi. Désirant une société
harmonieuse, à l'image de la création divine, les penseurs ont fait reposer sur les épaules
du prince la bonne marche de l'État. Si on a de tout temps demandé beaucoup au
gouvernant, on attendait surtout de ce dernier qu'il se conforme à des qualités morales de
vertus et de courtoisie. Cependant, la perception se modifia peu à peu, pas de manière
linéaire et absolue, mais il est évident que l'image du prince chevalier se voyait
concurrencée par d'autres visions.

Mais encore fallait-il définir les attributs de ce pouvoir, ce qui en faisait son
essence. Avec la contestation dynastique, on attribua une large part à la symbolique et à la
sacralisation monarchique allant jusqu'à constituer, sous Charles V principalement, une
« religion royale », et cela malgré les réserves de certains conseillers comme Nicole
Oresme. Parallèlement s'élabore dans les cabinets royaux et les grands monastères, dans
lesquels s'écrivent les chroniques commandées, l'histoire mythique de la monarchie

505
française qui, débutant avec Énée, se prolonge sans rupture jusqu'au Valois. Si le pouvoir
princier, puisque les grandes maisons comtales et ducales vont créer leurs propres mythes
de fondation et s'approprier la symbolique royale, s'appuie sur divers modes de
représentation axées sur la continuité et le caractère sacré de la fonction, il est aussi défini
par le droit, disons même par les différents droits par lesquels on tente autant d'établir les
devoirs du prince, les limites de ses actions que ses prérogatives. Les philosophes, surtout
influencé par Aristote, vont eux aussi apporter une réflexion sur la dualité du pouvoir,
s'impliquant dans la querelle opposant les partisans de la théocratie pontificale, parmi
lesquels on retrouve d'ailleurs certains aristotéliciens comme Gilles de Rome, et ceux
prônant la stricte division des sphères spirituelle et temporelle, ce qui revient à défendre le
plus souvent l'indépendance des princes face à la papauté. Mais leur contribution ne
s'arrête pas à cette question, les philosophes vont aussi s'attacher, par des œuvres à
caractère didactique, à former les princes. Ces réflexions globales sur le pouvoir princier
comme maillon essentiel à la préservation du bien commun, le prince étant la tête du corps
social, s'inscrivent dans une vision large qui dépasse la simple définition de l'idéal du bon
prince. Les actions de ce dernier se conçoivent dans le fonctionnement de la société,
l'application de la justice et le rapport du pouvoir à Dieu.

Si les uns ont fourni des arguments propres à alimenter l'indépendance des
monarchies tout en traçant les limites de l'exercice du pouvoir des gouvernants, on décèle
tout autant dans la littérature une volonté de défendre, d'instruire et de critiquer le prince,
pour son bien le plus souvent mais surtout pour celui de la communauté. Ces interventions
s'inscrivent dans un contexte culturel précis, sont généralement plus spontanées que les
textes dits officiels, philosophique ou juridique. Les œuvres littéraires témoignent non pas
d'une réalité, mais bien de perceptions sur le pouvoir du prince. Pour véhiculer leur
discours, les auteurs vont utiliser des modes littéraires spécifiques qui s'adaptent à leurs
propos. Tout en prenant des formes variées, tous ont en commun un sentiment
d'appartenance à une même communauté qu'il faut protéger, sinon défendre.

506
Parmi les différents types de discours, la fable animale a ceci de particulier qu'elle
recourt à des animaux pour au fond ne parler que de la société humaine. Totalement
modulable, l'animal devient une référence inépuisable s'adaptant à toutes les situations.
Cette utilisation très ancienne, nous n'avons qu'à penser aux fables ésopiques, permet
toutes les audaces, l'animal servant de bouclier à l'auteur. Il peut apparaître dans de petites
fables, des exempla, des contes à saveur morale qui visent à donner un enseignement.
L'animal peut tout aussi bien s'inscrire dans la tradition du bestiaire, se référant aux
qualités et aux vices attribués traditionnellement aux bêtes et, dans sa forme stylisée
qu'est l'héraldique, faisant ainsi référence à un prince sans le nommer. Les auteurs eurent
recourt à l'animal sous d'autres formes comme celle du livre de chasse, littérature très
populaire chez les aristocrates. Mais l'attribution la plus large et la mieux comprise
demeure celle des personnages du très célèbre Roman de Renart. Cette réutilisation
détournée des personnages renardiens marque une bifurcation du thème de la ruse, qui
suscitait encore des sympathies au XIIe siècle et au début du XIIIe siècle, vers la fausseté
qui représente le mal rongeant la société. Le règne de Renart figure comme la victoire des
vices sur les vertus mais le personnage n'est coupable que par la faute des hommes dont il
est le miroir. Et s'il y a évolution de la condamnation de la fin du XIIIe siècle jusqu'à celle
du XIVe siècle, on voit peu à peu à la toute fin du Moyen Âge cette vision laisser place à
une perception plus pragmatique.

En lien avec les préoccupations de leur époque, les auteurs ont tracé un portrait
de l'idéal princier, élaborant par des exemples fictifs les modèles de bon gouvernement ou,
à l'inverse, les comportements qu'il convenait d'éviter. Cette production didactique est
inégalement répartie dans le temps, absente pour certains règnes peu significatifs
notamment ou parfois délaissée lors des périodes les plus troubles de la guerre de Cent
Ans. Mais qu'ils conseillent le prince, le mettent en gardent contre l'influence jugée
néfaste de certains groupes, le défendent ou en font l'éloge, les auteurs proposent une
vision du pouvoir qui s'inscrit dans un dessein plus globale de société idéale.

507
Lorsqu'ils proposent des modèles de bon gouvernement, les auteurs utilisent la
fiction animalière pour fournir non seulement une morale mais des exemples concrets aux
gouvernants. Partisan d'un certain augustinisme politique, le philosophe catalan Raymond
Lulle n'en demeure pas moins un observateur éclairé du fonctionnement de la cour.
Ancien précepteur de Jacques II de Majorque, Lulle connaît fort bien les dangers qui
guettent le prince dans l'exercice de sa fonction. S'il reste attaché à des valeurs
traditionnelles, valorisant dans le Livre des bêtes l'élection du roi plutôt que la succession
héréditaire, met en scène un combat judiciaire assez décalé par rapport à la réalité de la fin
du XIIIe siècle, ses principales préoccupations s'axent sur l'importance du conseil et en
cela il rejoint la plupart des penseurs de son époque mais aussi de toute la période. Tout en
faisant reporter une part considérable de la responsabilité des décisions sur les conseillers,
jamais Lulle ne tente d'exonorer le roi de ses obligations. Le lion de la fable demeure
fautif de ne pas avoir su reconnaître la sagesse et la fidélité parmi son entourage, de s'être
laissé berner par dame Renarde qui le manipula d'autant plus aisément que le roi oubliait
le bien commun pour ne penser qu'à satisfaire ses désirs égoïstes. S'il y a dépossession du
pouvoir, c'est bien parce que le prince le permet, pas sciemment, mais par une forme
d'incompétence ou d'aveuglement. Le royaume est sauvé in extremis par la vigilance d'un
sage qui, flairant la manœuvre de la perfide conseillère du roi, refuse le marché qu'elle lui
propose.

Pour sa part, Eustache Deschamps apparaît plus « terre à terre », son modèle de
référence est bien réel. Il donne le règne de Charles V en exemple à son successeur par le
truchement d'une fable animale dans laquelle un royaume passe de l'allégresse et la
félicité presqu'absolue à la déchéance lors de la minorité d'un jeune lion. Deschamps rend
autant un hommage posthume à Charles V, qu'il admire sincèrement, qu'il prodigue ses
conseils au jeune Charles VI. Il montre dans la Fiction du Lion comme dans la Fiction de
l'Aigle un équilibre rompu par l'égoïsme des bêtes après la mort du bon roi. Aimé et
respecté de tous, ce dernier tenait son pays riche, prospère, protégeait ses sujets et payait
correctement ses serviteurs comme ses soldats, s'assurant ainsi de la bonne marche du
royaume. Mais les Dieux punirent la désobéissance des bêtes par la minorité du nouveau

508
roi et par la guerre. Charles V représente pour Deschamps, comme pour Christine de Pisan
d'ailleurs, l'idéal monarchique, un prince garant de la justice, de la paix et de l'harmonie
sociale. Il propose une image idéalisée pour faire contrepoids au règne qui suit et servir de
mise en garde. Dans ce qu'il met à l'avant plan, l'auteur laisse transparaître une vision
conservatrice et une certaine peur du changement. Comme beaucoup d'autres, Deschamps
reste attaché au mythe d'un âge d'or et à des valeurs « du temps jadis » qu'il associe au
règne de Charles V et cela malgré la guerre. Les personnages d'animaux servent à montrer
des situations précises, proposer des solutions et prévenir des dangers potentiels qui
peuvent survenir dans l'exercice du pouvoir. Chez Jean Juvénal des Ursins, qui reprend la
thématique élaborée par Lulle, donc les querelles lors du choix d'un nouveau roi, la
situation du royaume de France apparaît moins critique que sous Charles VI mais des
problèmes persistent et le conseiller royal tient à faire entendre raison à son monarque.
Tout comme Lulle, et dans une moindre mesure Deschamps, Jean Juvénal des Ursins
insiste sur l'importance d'écouter les bons conseils. Dans un extrait de Loquar in
Tribulacione, le lion a la responsabilité de ne pas laisser entraver ses actions par des
intrigants qui le détourneraient de ses devoirs envers la nation. Dans tous les cas, on
demande au gouvernant de faire preuve de vigilance et de faire passer les intérêts de la
communauté avant les siens. Si l'incompétence ne peut totalement être évitée, à tout le
moins le prince doit savoir s'entourer de sages qui pourront palier à ses déficiences le cas
échéant. C'est d'ailleurs le rôle que les auteurs des fables sur le bon gouvernement
s'attribuent, ils offrent bon conseil même lorsque ce dernier n'a pas été requis par les
principaux intéressés.

Si le but est toujours le bien commun, en situation d'urgence les écrivains se font
les défenseurs de la monarchie et de la nation et délaissent l'aspect plus didactique.
Plusieurs ballades d'Eustache Deschamps tout comme la Complaincte des bons François
de Robert Blondel reflètent les inquiétudes face à la guerre. La production témoigne du
désir de voir le conflit se terminer mais pas à n'importe quel prix. Le recourt à des figures
animales se veut un appel à vaincre l'ennemi, assimilé tantôt au loup dévoreur, tantôt à un
âne pesant s'opposant au gracieux cerf, mais il vise surtout à convaincre les récalcitrants,

509
pro-bourguignons durant la guerre civile, de se rallier à la cause patriotique. Dans ce type
de littérature les récriminations et recommandations habituelles adressées au prince
laissent place à une forme d'appel aux armes dans laquelle les nuances sont
volontairement omises. Malgré les apparences, peu d'écart sépare les conseils, la défense
du prince ou son éloge. Nous sommes toujours dans un désir de paix et d'harmonie que
seul le prince légitime et bien entouré peut garantir.

C'est d'ailleurs dans cette même volonté de prouver la légitimité de leur prince
idéal que s'inscrivent les œuvres des chroniqueurs bourguignons au XVe siècle. Pour faire
l'éloge de leur mécène, tout en conseillant indirectement son successeur et attaquant, plus
directement cette fois, son ennemi ou rival, les chroniqueurs vont se servir principalement
de l'héraldique. À l'exception de Jean Molinet qui met en scène une baleine prédatrice
désignant le roi de France Louis XI, et un dialogue entre oiseaux, les auteurs désignent leur
souverain par son emblème, ici celle du lion. Mais tout en traçant un portrait élogieux du
duc de Bourgogne qui réunie l'ensemble des qualités chevaleresques et chrétiennes, les
chroniqueurs s'en prennent beaucoup à son adversaire qu'ils proposent en contre-modèle
absolu. Le roi de France se voit attribuer une panoplie d'attributs négatifs sous la forme
d'une araignée tissant sa toile, du rusé et perfide Renart, de la baleine dévoreuse, d'un
ridicule roitelet, et plusieurs autres qualificatifs largement dépréciatifs. La figure animale
n'a pas dans ce cas pour fonction de masquer les destinataires ou de se protéger.
Confortablement installés à la cour des ducs de Bourgogne, les auteurs pouvaient fort bien
joindre l'œuvre de commande à l'attaque en règle de l'adversaire.

L'éloge, le conseil et la critique de l'adversaire sont difficilement dissociables. La


fable animale permet une autre forme de critique qui ne vise pas un prince ennemi mais
qui s'attaque le plus souvent à des politiques qui s'inscrivent dans le non-respect des
usages ou encore à l'influence néfaste d'individus près du pouvoir. Pour le premier
rédacteur d'une nouvelle branche de Renart, Philippe de Novare, les animaux servent de
moyen de contestation contre les actions de Frédéric II, perçues comme une inacceptable
ingérence, dans le conflit opposant les baillis aux régents de Chypre. Dans ces passages

510
des Mémoires qui relatent les épisodes de la guerre civile chypriote, la moquerie envers les
adversaires prédomine et l'auteur est un des seuls à identifier clairement la cible de ses
attaques. L'identification des ennemis à des personnages renardiens est précise mais
attribuée au seigneur d'Ibelin selon l'auteur. Mais est-ce bien le cas? Rien ne prouve que
Philippe de Novare, peu enclin à ménager ses adversaires, ne se soit pas dissimulé derrière
son ami mais surtout son seigneur, se préservant ainsi de potentielles représailles si la
situation aurait dégénéré. Sa critique n'en demeure pas moins irrévérencieuse, voire
vexante pour ses cibles qu'il assimile au clan de Renart le menteur et le fourbe. Cependant,
en identifiant les siens à la famille d'Ysengrin, qui est probablement le personnage le plus
stupide des contes renardiens, il semble ne pas avoir compris la moquerie des clercs envers
les seigneurs féodaux. Mais Philippe de Novare condamne avant tout le mensonge et la
traîtrise, marques de « commerce » de Renart, pour ensuite s'en prendre au non respect des
coutumes dont il accuse plus indirectement l'empereur Frédéric II.

C'est cette même absence de respect des usages que dénonce quelques années plus
tard le ménestrel parisien Rutebeuf dans Renart le Bestourné. Tout comme Philippe de
Novare, Rutebeuf défend les prérogatives traditionnelles de la noblesse d'épée, seule
capable, selon lui, de défendre les États latins d'Orient. Rutebeuf a d'autres récriminations
envers le roi qui, non seulement introduit des « novoletés » méprisables, mais surtout fait
preuve d'avarice en « mangeant portes clauses ». S'il ne nomme jamais Louis IX, il est
évident que le roi Noble de son poème le désigne et que Renart et ses acolytes font
référence aux Dominicains de l'entourage du roi. Le poète clame que le royaume va à sa
perte si le lion, aussi stupide qu'un âne, continue à être ainsi manipulé par Renart et ceux
de son espèce. Outre les griefs personnels qu'il nourrit envers le roi, Rutebeuf se pose en
détracteur de politiques dont il ne comprend pas la finalité n'y voyant qu'une manœuvre
perverse des Jacobins pour s'accaparer le trésor royal. Une critique d'une telle violence
peut de prime abord surprendre, mais ce serait oublier que le roi a l'obligation d'écouter
les conseils et dans la mesure où il n'y a pas acte de sédition ou une forme quelconque de
diffamation, il doit accepter les avis même déplaisants.

511
Cette liberté de ton se retrouve durant toute la période et donne aux œuvres
satiriques une force considérable. La forme et les cibles varient cependant. Tandis que le
milieu du XIIIe siècle est principalement marqué par l'attachement aux valeurs féodales, la
satire de la fin du Moyen Âge s'attaque davantage à l'inutilité des privilèges nobiliaires,
l'ascension des parvenus dans les offices de l'État, l'orgueil des princes cause du courroux
divin et de leur infortune et, de manière plus habituelle, à l'hypocrisie des Ordres
Mendiants. Anciens officiers de la Chancellerie, Gervais du Bus comme Geoffroy de Paris,
connaissent bien l'administration royale et surtout l'influence qu'eurent certains
conseillers dont le plus célèbre, Enguerran de Marigny, paya de sa vie les décisions
impopulaires du règne de Philippe le Bel. Outre leur aversion pour les conseillers qui
s'élèvent au-dessus de leur condition sociale, faisant preuve ainsi d'un orgueil coupable,
ils ont en commun le désir de défendre l'indépendance de l'Église qu'ils considèrent
inféodée au roi de France. Leur utilisation de figures animalières présente cependant des
caractéristiques différentes. Chez Gervais du Bus, la charge contre les politiques du roi,
l'omniprésente de Marigny, la complicité du pape et les clercs dévoyés prend la forme
d'un conte vitriolique, le Roman de Fauvel, dans lequel un cheval ou un âne fauve
symbolise le dérèglement du monde. Pour sa part, Geoffroy de Paris se réfère plutôt à
Renart pour créer des analogies avec des événements de l'actualité racontés dans sa
Chronique Métrique. Chacun à leur manière les deux auteurs témoignent d'un profond
pessimiste, tendance qui tend d'ailleurs à s'accentuer à mesure que la situation politique se
dégrade. Une certaine crainte de la perte de repères, surtout ceux en lien avec le maintien
de l'ordre social, caractérise les œuvres de cette période qui s'ancrent dans l'actualité.
C'est le cas du livre de chasse composé par Henri de Ferrières, Les livres du Roy Modus et
de la Royne Ratio, qui, tout en moralisant sur les vices et vertus des hommes comparés aux
attributs des animaux, pose un regard désabusé sur l'avenir du royaume, avenir compromis
par le manque de respect des hommes envers Dieu. S'il espère la victoire française sur
l'ennemi anglais, Ferrières demeure peu élogieux envers Charles V, n'attribuant les
mérites des victoires militaires qu'au capitaine du roi, Du Guesclin. La situation est un
peu différente en 1485 lors de l'entrée royale de Charles VIII encore mineur. Lorsque
l'auteur anonyme de l'Agneau de France à cinq personnages compose cette pièce qui

512
devait être jouée devant les régents du royaume, il veut dénoncer les intrigues qui mettent
en péril la sécurité du roi et du royaume. Sous un couvert inoffensif qui met en scène un
agneau gardé par des bergers plutôt insouciants, pour ne pas dire incompétents et égoïstes,
le théâtre de bergerie permet de viser des personnages influents sans risque pour l'auteur.
Les animaux montrent bien leur grande efficacité pour critiquer le pouvoir et les
gouvernants, les auteurs les adaptant à toutes les situations.

Si les écrivains usèrent de la symbolique animalière pour une critique


circonstantielle, la fable animale se prête tout aussi bien à un constat global sur / 'estât dou
monde. Et c'est Renart qui redevient, sous la plume des auteurs de Flandre, le
protagoniste tout désigné pour montrer le bestournement de la société. Créant de vastes
œuvres, l'anonyme du Couronnement de Renart, Jacquemart Gielée dans Renart le
Nouvel, Jean de Condé dans Renars mestre de l'ostel dou roy comme Jean l'Épicier de
Troyes dans Renart le Contrefait, mettent en scène un anti-héros qui leur permet de
dénoncer les travers de la société et un pouvoir corrompu. Dans le Couronnement, Renart
réussit à prendre la place du roi avec l'appui des Ordres Mendiants qui aspirent à
apprendre l'art de la tromperie. Une fois le pouvoir facilement obtenu par la ruse, le
nouveau roi profite de l'appât du gain pour s'introduire dans les cours européennes,
devient la coqueluche des grands de ce monde et fait office de conseiller particulier du
pape qui espère pouvoir obtenir le secret qui permet de transformer le droit en tort et le tort
en droit. Si le lion du conte se montre coupable de s'être laissé berner par Renart qui fit
une efficace apologie de la ruse comme qualité indispensable à l'exercice du pouvoir, la
perte de valeurs apparaît comme la cause ultime du couronnement d'un tyran. L'égoïsme
comme l'immoralité tant des seigneurs laïques qu'ecclésiastiques expliquent le triomphe
de Renart, symbole des valeurs nouvelles honnies que représentent Avoir (pouvoir de la
bourgeoisie) et Hypocrisie (influence des Ordres Mendiants).

513
L'auteur du Couronnement conclut son œuvre par le regret de l'époque révolue des
valeurs chevaleresques. Jacquemart Gielée n'est guère plus optimiste et le modèle royal
qu'il montre fait encore davantage mauvaise figure. Le lion du Couronnement se voyait
dépassé par les événements, tout préoccupé qu'il était du salut de son âme et sans doute
trop las du monde pour porter réellement attention aux manœuvres de Renart. Le roi Noble
de Renart le Nouvel est pour sa part d'une crédulité effarante, quand il ne s'agit pas tout
simplement de stupidité. Outre son manque de discernement fréquemment illustré dans le
roman, le roi est surtout obnubilé par son immense orgueil, cause de réactions pour le
moins inappropriées. Parce qu'il ne sait distinguer la clémence de la mollesse, Noble va de
conflits en conflits, ponctués de réconciliations et de pardon, tout comme de nombreuses
et inutiles convocations de son baron félon devant sa bonne justice. Sauf que le roi ne sait
pas rendre correctement la justice comme ses sujets sont en droit d'attendre d'un bon
souverain. Il se contente le plus souvent de réagir lorsqu'il se sent personnellement offensé
et il le fait sous le coup de la colère, fort mauvaise conseillère. Sur les conseils d'ailleurs,
il a la propension à ne suivre que les mauvais dont ceux d'Ysengrin dont l'intelligence est
loin d'être la principale qualité. Pour sa part, aussi mal intentionné soit-il, Renart est à ce
chapitre d'une redoutable efficacité, sachant convaincre, acheter les fidélités et soudoyer
pour arriver à ses fins. Connaissant bien les « hommes », le goupil détourne les attributs
princiers à son avantage, se comportant en parfait monarque lorsque la situation le
commande. Cela ne dure qu'un bref moment mais suffit à détourner les membres de la
cour du roi de son service. Et le monde est à ce point corrompu que personne ne s'objecte
lorsque Renart s'installe au sommet de la Roue de Fortune.

Jacquemart Gielée a fait de son personnage non seulement l'usurpateur du trône,


mais le maître du monde. Pour sa part, son compatriote du Hainaut donne à son malicieux
héros de moins grandes ambitions. Il s'agit toujours de contrôle du pouvoir par de perfides
conseils et d'habiles manipulations mais les manœuvres de Renart restent limitées au
monde clos de la cour princière. Il est principalement question ici de déloger les serviteurs
fidèles du roi, d'aspects peu plaisants, par de nouveaux courtisans à la solde du goupil.
Renart ne prend pas directement la place de Noble mais puisqu'il décide de tout en son

514
nom, le résultat est le même. Et comme ses prédécesseurs, Jean de Condé considère
qu'une part de la responsabilité incombe à la noblesse inconstante et frivole et aux
incontournables moines mendiants. Il diffère cependant par son optimiste. En effet, le
ménestrel croit toujours qu'en mettant en garde le prince contre les losengiers, ce dernier
sera à même de discerner les bons conseillers et d'écarter les mauvais.

Avec Renart le Contrefait de Jean Y Épicier de Troyes, nous retrouvons une vision
profondément pessimiste de la destinée humaine. Même si l'auteur affirme d'emblée qu'il
est nécessaire de bien connaître les mécanismes de la ruse pour pouvoir s'en prémunir et,
ultimement, faire le bien, il propose peu de solutions tangibles. Et les choses commencent
plutôt mal puisque l'art de Renart est destiné aux grands de ce monde qui espèrent
apprendre à mentir, tromper, manipuler. L'orgueil est la source de toute cette déchéance et
seuls les plus pauvres échappent à ce vice généralisé. Le mal n'est cependant pas récent et
Renart, témoin de la création du monde, en donne de nombreux exemples dans sa
narration de l'histoire de l'humanité dans laquelle les figures royales sont, à quelques
exceptions près comme Salomon, illustrées assez négativement. Dans les œuvres des
auteurs du nord, la critique du prince s'insère dans une vision globale de la société, le
prince n'étant qu'un élément, important certes mais non unique, du monde qui ne respecte
plus l'ordre établi. Selon nos auteurs les choses vont de mal en pis puisque personne ne se
préoccupe d'accomplir son devoir. Les bourgeois prennent une place qui n'est pas la leur
et apportent avec eux un rapport nouveau à l'argent, source de corruption. Les Ordres
Mendiants font, depuis Rutebeuf surtout, le contraire de ce qu'ils prêchent et sont les
premiers à vouloir profiter des avantages d'un pouvoir usurpé. Les nobles ne remplissent
plus leur mission fondamentale de protection, ne pensent qu'à leurs amusements et
« vampirisent » les paysans. Rois comme papes, pourtant en charge du bien de la
communauté, oublient leurs devoirs et surtout l'humilité. Tandis que les avocats gagnent
leur vie en mentant et que les parvenus réussissent à gravir les échelons pour atteindre les
postes les plus enviés au sein de l'admnistration de l'État. Mais en bons moralistes, nos
auteurs ne manquent pas de rappeler que l'orgueil à un prix et que tout ce qui monte
redescend tôt ou tard.

515
Si les auteurs font preuve de dureté envers les princes, quoiqu'ils ne soient pas les
seuls visés dans la satire, c'est qu'ils attendent beaucoup d'eux. Qu'ils formulent une
critique, qu'ils fassent des recommandations, qu'ils défendent ou même encensent
l'homme de pouvoir, tous ont un haut idéal princier. Les exigeances sont énormes et
mêmes si les qualités attribuées au prince idéal varient dans le temps, il n'en demeure pas
moins que ce dernier doit toujours se conformer à des valeurs morales que l'on considère
indispensables au bon exercice du pouvoir. On tolère à la limite certaines défaillances de la
part du gouvernant, les conseillers peuvent jusqu'à un certain point y remédier, mais on
n'accepte ni l'immoralité d'un prince ni l'oubli de ses devoirs fondamentaux comme celui
de rendre la justice.

La représentation du prince évolue, elle ne présente plus le même visage à la fin du


XVe siècle, période de consolidation du pouvoir monarchique, qu'au milieu du XIIIe siècle
où l'on reste encore attaché à des valeurs plus féodales. Mais il faut se garder de
généraliser cette évolution, les cours périphériques offrent des visions différentes du
pouvoir et du prince idéal, plus chevaleresques et proches du milieu aristocratique. La
perception varie aussi en fonction de l'origine des auteurs, clercs, laïcs, juristes ou
ménestrels, mais encore davantage par leur proximité face au pouvoir. Les conseillers
royaux font preuve d'un pragmatisme qui échappe parfois aux auteurs moins familiers
avec les réalités du pouvoir. Si elles reflètent dans plusieurs cas les idéologies dominantes
et parfois s'en détachent, les fables animales se distinguent par la possibilité de pousser le
discours au-delà de ce qui serait acceptable autrement. Même dans une critique qui
pourrait être mal reçue, ou des conseils qui paraîtraient fastidieux, le personnage animal
reste agréable et renvoit le lecteur à une image qu'il peut facilement appréhender. C'est
d'ailleurs pour son fort pouvoir évocateur que la fable animale a traversé le temps.
D'Ésope à Jean de Lafontaine, elle continue de délivrer un message, une morale. Nous
l'avons abordé sous l'angle politique, celui de la représentation du prince à la fin du
Moyen Âge français. On peut évidemment analyser les fables animales de différentes
manières et elles révéleront tout autant sur la vision économique ou religieuse des auteurs

516
de cette période. Il aurait aussi été intéressant de cerner davantage l'importance des
emprunts faits par les auteurs, ce qui aurait demandé une analyse plus pointue d'un corpus
restreint. Comprendre de manière plus spécifique les diverses utilisations des différentes
théories politiques en vogue par les auteurs des fables constituent aussi une avenue
pertinente de recherche. Nous voulions dans cette étude avoir une vision d'ensemble pour
la fin du Moyen Âge, ce qui nous a fait choisir un corpus assez vaste couvrant la
production incluant les œuvres animalières contenant un discours politique. Mais porter un
regard sur la représentation du prince, c'est aussi voir à travers ce dernier l'ensemble de la
société puisque le pouvoir forme un tout dont on peut difficilement détacher les membres.

Renars est mors : Renars est vis !


Renars est ors, Renars est vilz :
Et Renars reingne !

517
ANNEXE I (chapitre I)

Eustache Deschamps, ballade CCCLXIV : Toute vérité n 'est pas bonne à dire. Œuvres.
tome III, p. 104-106.

Regnart qui scet du bas voler


En yver trop grant fain avoit.
Mais viande ne pot trouver.
Dont a bien pou qu'il ne mourait.
Sur la singesse qui gisoit
Va Regnars li malicieux.
Et dit que moult sont gracieux
Ses enfans. Lors prist elle a rire.
Et ot mengier délicieux :
Tuit voir ne sont pas bel a dire.

Quant saoulz fu. lors prist a troter.


Et Ysangrin venir le voit.
Qui de fain ne pouoit aler.
Et demande dont il venoit.
Certes, fist il. je viens tout droit
De bien aise disner tous seulz
Sur la singesse, qui a deux [aux dépends de]
Singes treslaiz : alez y. sire.
De mentir ne soiez honteux :
Tuit voir ne sont pas bel a dire.

Lors dist : Me voulez vous moquer ?


Qui saige est ja ne mentirait ;
O la singesse vois disner.
Et quant la dame l'aperçoit.
De ses enfants lui demandoit :
Si dist qu'ains ne vy si hideux.
Sur lui queurent celles et seulx.
Mordent et font tant de martire
Qu'a paine s'eschappa d'entre eulx :
Tuit voir ne sont pas bel a dire.

Adonc se prist a cheminer


Ysangrins qui bleciez estoit.
Et Regnars lui vint demander
Quel viande mengié avoit.

518
Helas ! on n'y mengue ne boit,
Dist Ysangrins, li povres leux.
J'ay parlé des maugracieux
Sanz mentir ; s'en ont eu tel yre
Qu'arraché m'ont cuir et cheveulx :
Tuit voir ne sont pas bel à dire.

Compere, on ne vous puet monstrer


Au jour d'uy nulle rien qui soit ;
Le voir fait bon dissimuler,
Folz est qui son amy ne croit,
L'en n'use pas par tout de droit.
L'en dire voir est moult doubteux,
Mentir n'est pas si périlleux ;
A la coustume de l'empire ;
Par voir dire estes familleux [famélique] :
Tuit voir ne sont pas bel a dire.

L'envoy

Princes, a tout considérer,


Dire voir fait moult a doubter,
Puis qu'avoir et corps en empire [va de mal en pis].
Pour ce, qui veult vivre et régner,
Souffrir fault, mentir et flater :
Tout voir ne sont pas bel a dire.

519
ANNEXE II (chapitre I)
Chanson sur les Établissements du roi Saint Louis (1260-1270) par un noble opposé à la
réforme, tirée de LeRoux de Lincy, Chants historiques français, t. I, p. 215:

1
Gient de France, mult estes esbahie! Gens de France, vous voilà bien ébahis!
Je di à touz ceus qui sont nez des fiez: Je dis à tous ceux qui sont nés dans les fiefs:
Si m'aït Dex, franc n'estes vous mes mie; Je par Dieu, vous n'êtes plus francs,
Mult vous a l'en de franchise esloigniez, on vous a mis bien loin de vos franchisés,
Car vous estes par enqueste jugiez. car vous êtes jugés par enquête.
Quant deffense ne vos puet faire aïe On vous a tous cruellement trompés et trahis,
Trop iestes cruelement engingniez. puisque nulle défense ne peut plus vous venir
A touz pri. en aide.
Douce France n'apiaut l'en plus ensi, Douce France! il ne faut plus t'appeler ainsi;
Ançois ait non le païs aus sougiez, mais il faut te nommer un pays d'esclaves,
Une terre acuvertie, une terre de lâches,
Le raigne as desconseilliez, un royaume de misérables,
Qui en maint cas sont forciez. exposés à maintes et maintes violences.

Je sai de voir, que de Dieu ne vient mie Ce que je sais en vérité, c'est qu'un tel
Tel servage, tant soit il esploitié. asservissement ne vient pas de Dieu, tant soit-
il exploité.
Hé! loiauté, povre chose esbahie, Hélas! loyauté, pauvre chose ébahi,
Vous ne trouvez qui de vous ait pitié. vous de trouvez personne qui ait pitié de vous.
Vous eussiez force et povoir et pié, Vous pourriez avoir force et puissance et être
en pied [ être debout],
Car vos estes à nostre Roi amie, car vous êtes l'ami de notre roi,
Mais li vostre sont trop à cler rengié mais vos partisans sont trop clairsemés
Enjor lui. autour de lui.
Je n'en conois qu,un autre seul o lui, Je ne vous en connais qu'un seul, après le roi,
Et icelui est si pris du clergie et celui-là est si bien sous la main du clergé
Qu'il ne vous puet fore aïe. qu'il ne peut pas vous venir en aide.
Tout ont ensemble broie Ils ont broyé tout ensemble
L'aumosne et le pèchié. la charité et le péché.

520
ANNEXE II, suite

3.

Ce ne cuit nus que je pour mal ledie Et qu'on ne croie pas que je dis cela pour
De mon seigneur, se Dex me face lie! attaquer mon seigneur; Dieu m'en préserve!
Mai j'ai poor que s'ame en fust périe, Mais j'ai peur que son âme s'en soit perdue,
Et si aim bien saisine de mon fié. et puis j'aime bien rester le maître de mon
fief.
Quant ce saura tost l'aura adrecié, Quant il saura cela, il fera prompte justice;
Son gentil cuer ne me souffferoit mie; son noble coeur ne souffrirait pas le contraire.
Pour ce me plest qu'il en soit acointié C'est pourquoi je veux qu'il en soit bien
Et garni. prévenu et instruit.
Si que par ci n'ait nul povoir seur lui Pour ainsi le diable ennemi, qui le guette.
Deable anemi qui l'avoit aguetie. n'aura sur lui nul pouvoir.
G'eusse ma foi mentie J'aurais manqué à ma foi,
Se g'eusse ensi lessié si j'avais ainsi laissé
Mon seigneur desconseillié. mon seigneur déconseillé.

La traduction donnée par l'éditeur a été reproduite dans le livre de J. Le Goff, Saint Louis,
p. 821.

521
ANNEXE III (1er chapitre)

Les Asnes volans

1
Faveur
Je suis faveur qui au son de ma trompe
Souffle, et produitz des choses nompareilles.
Il n'est nul droit que par moi ne corrompe
Tant soit il bon oi loial à merveilles.
Je fais voler asnes à grans oreilles
Soubdainement assez haut par les branches.
Les gens sachans mascheront ces groselles,
Soit tort ou droit, c'est la façon des manches.

2
Ung asne volant
Je suis ung asne que Faveur fait voler,
Lequel on voit ainsi posant et lourt,
Que fortune a voulu accoler
Et avancer par srvice de court.
Et nonpourtant que je suis muet et sourt,
Faveur m'a fait avoir de grans offices.
Asnes ont bruit, selon le temps qui court,
En haulx estez sans y estre propice.

3
Le second asne volant
Et moy je suis ung asne tout parfait,
Né et issu d'une povre caverne.
Si m'a fortune tant par ditz que par fait
Soufflé si fort que les princes gouverne.
J'ai bien aprins l'escolle de taverne
A riens savoir, affin d'acquérir bruit.
J'abas tout bois soit de fou ou de verne,
Sans coups ferir, pour le danger du fruit.

522
ANNEXE III (1er chapitre), suite

Les Asnes volans

4.
Le tiers asne issant de la trompe de Faveur
Je ne suis pas encore du tout né
Ne sorti hors de la trompe Faveur,
Et si ne says pas le Domineme,
Car norry suis de chardons sans saveur.
Mais fortune, où rien n'y a de sens,
Si m'a soufflé en ung bon evesché
Qui est ami de Faveur, frère ou seur,
N'est-ce pas bien, sans rien savoir prescher?

5.
L'acteur
Retenez bien, gens lectrés et sachans,
Cecy ne puet trop longuement durer
Que ces asnes malheureux et meschans
N'allent aux champs les chardons pasturer.
Mais cependant vous fauldra endurer
En attendant que Faveur ne soit plus
Vos bons sermons vous feront pardures,
Et le vray Dieu parfera le surplus.1481

1481
Chants historiques, tome 1, p. 349-350

523
ANNEXE IV. (Chapitre I)

Extrait du prologue de la Complaincte des bons François de Robert Blondel, Oeuvres,


tome I, p. 46-53.

A son droit souverain seignieur,


Redoubté comme le greignieur, =grand ou le plus grand
Prince treshault et excellent
Et sur tous noble et precellent,
Charles, dalphin Viennois,
Treschrestien de tout le monde
Tant com il dure en la roonde,
Filz unique et droit successeur
De ton père et prédécesseur,
Charles le noble roy de France
Que l'en persequute a oultrance,
Robinet ton clerc subgitif,
De Normendie fugitif,
Povre, humble et loyal serviteur,
A toy et a ton géniteur,
Qui t'ay suyvy par mainte sente
Mon chier seignieur très redouté,
Pource que tu es débouté
De Paris, ta maison royal,
Par fait de peuple desloyal
Qui a fait par forsenerie
De tes amis tel boucherie.
Qu'onques veu d'oeil, n'oûy d'oreille
Ne fut, ce croyge, la pasreille;

(...)Et se personne me demande, (vers 157)


Comment l'acteur veult et commande
Que cest liuret soit appelle,
Point ne veuil qu'il lui soit celé:
C'est des bons François la complaincte (161)

524
ANNEXE V (chapitre I)

Le Vaux-de-vire du temps de l'occupation des Anglais (1415-1430)1482, attribué à Olivier


Basselin. est l'exemple type de la chanson patriotique:

He! cuidez-vous que je me joue,


Et que je voulsisse aller
En Engleterre desmourer?
Ils ont une longue coue.
Entre vous, genz de village
Qui aimez le roy françois,
Prenez chascun bon courage
Pour combattre les Engloys.

Prenez chascun une houe,


Pour mieulx les desraciner;
S'yls ne s'en veuillent aller,
Au mayns faictez leur la moue.
Ne craignez point, allez battre
Ces godons, panches à poys:
Car ung de nous en vault quatre,
Au mains en vault-il bien troys.

Afin qu'on les esbafoue


Aultant qu'en pourrez trouver,
Faictes au gibet mener,
Et qu'en nous les y encroue.
Por Dieu! se je les empoigne,
Puis que j'en jure une foys.
Je leur monstreray sans hoigne
De quel poisant sont mes doigtz.
Ils n'ont laissé porc, ne oue,
Ne guerne, ne guerneillier,
Tout enstour nostre carrier.
Dieu s'y meet, mal en leur joue!

1482
«On trouve ça et là. dans les chroniques du temps, des indices qui donneraient à croire qu'il se forma
dans le Bocage une sorte de chouannerie qui ne laissa pas de repos aux Anglais tant qu'ils occupèrent la
province. » LeRoux de Lincy, Chants historiques français, tome I, p. 298.

525
ANNEXE VI (chapitre II)
Chronologie des branches du Roman de Renart (tirée de l'édition de Jean Dufournet,
tome2)

1174-1177: branche II. Renart et Chanteclerc le coq. Renart et la mésange. Renart et


Tibert le chat. Renart et Tiécelin le corbeau. Renart et la louve.
branche Va. Les plaintes d'Isengrin et de Brun. La cour de Noble le lion.
1178: branche III. Le vol des poissons. Le moniage du loup. La pêche à la queue.
branche IV. Renart et Isengrin dans le puits.
branche XIV. Renart et Tibert dans le cellier du vilain. Renart et le loup
Primaut.
branche V. Renart, Isengrin et le vol du jambon. Renart et le grillon.
branche XV. Renart, Tibert et l'andouille. Tibert et les deux prêtres.
1179: branche I. Le jugement de Renart.
1180-1189: branche X. Renart trompe Roënel le chien et Brichemer le cerf. Renart
médecin.
1190: branche VI. Duel de Renart et d'Isengrin.
branche VIII. Pèlerinage de Renart.
branche XII. Renart et Tibert au moustier.
1190-1195: branche la. Siège de Maupertuis
branche Ib. Renart teinturier et jongleur.
1195-1200: branche VIL Confession de Renart au milan Hubert (Renart mange son
confesseur).
branche XI. Renart empereur.
1200: branche IX. Le vilain Liétard. L'ours et le Renart.
1202: branche XVI. Renart et vilain Bertaut. Le partage des proies.

526
ANNEXE VI. suite

1205—1240-: branche XVII. La mort et la procession de Renart.


branche XIII. Les peaux du goupil. Renart tint en noir, se fait appeler
Choflet.
branche XXIII. Renart magicien et le mariage de Noble.
branche XXIV. Naissance de Renart. Les Enfances de Renart.
branche XXV. Renart et le héron. Renart et le batelier.
branche XXVI. L'andouille jouée à la marelle.
branche XXI. Isengrin. Fours Patous. le vilain et sa femme.
branche XVIII. Isengrin et le prêtre Martin.
branche XIX. Isengrin et la jument Raisant.
branche XX. Isenarin et les deux béliers.

527
ANNEXE VII. (Chapitre II)
Chronologie des sources

XIIIe siècle.
1230. Philippe de Novare, Mémoires.
1261-62. Rutebeuf, Renart le Bestourné.
1263-80. Anonyme. Le Couronnement de Renart.
1285-86. Raymond Lulle, Le Livre des bêtes.
1288-89. Jacquemart Gielée, Renart le Nouvel.

XIVe siècle.
1300-17. Geoffroy de Paris, La Chronique métrique.
1318-20. Gervais du Bus, Le Roman de Fauvel.
1320. Jean de Condé, Le Dit d'Entendement {Renart mestre l'Ostel du Roy)
1313-42. Jean l'Épicier de Troyes, Renart le Contrefait (2 volumes)
1364-74. Henri de Ferrières, Les Livres du Roy Modus et de la Royne Ratio (2 volumes)
1376-1406. Eustache Deschamps, Ballades, Dits et Chansons royales (1376-1391), La
Fiction du Lion et la Fiction de l'Aigle (1406).
Fin du XIV e s. Anonyme. Du plait Renart de Dammartin; le Dit de la queue de Renart.

XV e siècle.
~1420~ Robert Blondel, Complaincte des bons François
1440. Jean Juvénal des Ursins, Loquar in tribulacione.
1460-70. Georges Chastellain, le Lyon rampant (1466); Ballades.
1467. Anonyme, Le Lyon couronné.
1467-77. Jean Molinet. Les Faictz et Dictz; le Lyon rampant (1467); le Naufrage de la
pucelle (1477;.

528
ANNEXE VII, suite

1485. Anonyme. La Bergerie de l'agneau de France à cinq personnages


1483-90. Jacques de Brézé, La chasse; Les dits du bon chien Souillard; et Les louanges de
Madame Anne de France.
1493-98. Guillaume Tardif. Les Apologues.

529
ANNEXE VIII (Chapitre III. A.): Eustache Deschamps, Prière à la Vierge, Œuvres, t.
VII, p. 138.

Ly cerfs legiers, signez de .XXX. cors,


Ne puet encor esprouver sa jouvente, [jeunesse]
Et li mastins [chiens] couvoiteux, vilz et ors,
A tout ravir n'a pas la gueule lente,
Les brebiz tond et escorche et cravente,
Et le cenglier fier de sa dent crueuse;
Deux paistre sont pour estreper mon ente [arracher mon arbre]
Secourez moy, Vierge trepricieuse!

Mais en brief temps doit venir mes confors :


Ly cerfs legiers, qui ses cornes présente
Et puissans yert tant que par ses bons porcs [façon de porter les coups]
Et par son hurt la vermine pulente [puante]
Mastin, sangler, fera es corps tel fente
Que mémoire yert de leur fin dolereuse;
Un seul pastour sera, tel est m'entende :
Secourez moi, Vierge tresprecieuse!

L'Envoy

Prince, enfers est le plus qu'a la moitié mors


Quant ses pais est garniz de descors [discorde]
Et ly regent mirant vie envieuses;
Règne se pert par leur folie lors,
La fault amour; pitié, las! Pour moy dors :
Secourez moy, Vierge treprecieuse! V. 25-46, p. 138.

530
ANNEXE IX (chapitre III) Guillaume Tardif, Les Apologues

Lorsque Guillaume Tardif offre son « petit engin et science » à Charles VIII et
Anne de Bretagne, il y inscrit les Apologues dans un ensemble plus large qui vise à
compléter l'instruction du prince tant au niveau de la chose publique que pour le salut de
l'âme du destinataire. On trouve donc avec les Apologus, d'autres recueils présentés en
prologue par l'auteur dont le Compendieux de grammoire, élégance et rhétorique qui
offre «choses meilleures scavoir que le prince de la chose publicque »; un traité de
fauconnerie et de vénerie pour le «commandement »; la traduction des Facecies de Poge
pour « grands affaires recréer », un livre d'heures contenant les seps psaumes pour « vostre
honneste corporel plaisir mais aussi au bien de vostre ame » et L Art de bien mourir «tant a
vostre salut que aussi de la chose publicque par luy a vous commise ». L'intention
didactique est évidente et ne se trouvait pas dans le texte de Laurenzo Valla qui dédiait les
fables à un ami, Arnoul de Fou, pour son divertissement « chier et parfait amy, je te
envoyé les dictes trente et trois petites fables ou cailles, se mieulx cailles que fables les
veulx appeller, en la prinse et proye desquelles tu te puisse jouer, délecter et recréer1483 »

Du Regnart et du chevreau, Vulpes

Tout deux ayant très chaud, ils descendirent dans un puit pour étancher leur soif,
mais le chevreau s'inquiéta rapidement de leur mauvaise posture. Voyant cela et ne
pouvant échapper à sa nature « cault et subtil », le renard rassura le chevreau pour mieux le
tromper. Profitant de l'ignorance de ce dernier, il monta sur son dos en s'appuyant sur ces
cornes pour mieux sortir et, une fois à l'extérieur, laissa le chevreau « en la profundité et
obscure tenebrosité du dit puys1484 » Morale : il faut bien considérer avec qui on s'associe.

1483
Guillaume Tardif, Les Apologues, éd. Pierre Ruelle, Genève, Slatkine, 1986, coll : « Centre d'Études
Franco-Italien. Textes et études- Domaine français », § 26, p. 60
1484
lbid., § 49, p. 62

531
ANNEXE IX (chapitre III) Guillaume Tardif, Les Apologues, suite

D'ung Regnart et d'ung liepart, Vulpes et par dus

Le renard et le léopard s'engagèrent dans une discussion concernant leur beauté


respective. Le léopard « allégua pour raison peremptoire la beauté qui est en la diversité
des couleurs de sa peau et en effect concluoit que, pour raison des diverses couleurs de sa
dicte peau, il precedoit en beauté non seulement le dit regnart mais, avecques ce, les autres
bestes1 » Ne pouvant rivaliser avec le léopard à ce chapitre le renard argua sa beauté
intérieure qui reflète « couraige et pensée de diverses couleurs, cautelles et subtilités de
plusieurs et différentes sortes 14 6». Morale : la beauté de l'âme a préséance sur celle du
corps quelque soit la splendeur des parures (contre la vanité des grands).

Deux amis et d'ung ours, Duobus amicis

Deux amis cheminant ensemble dans un bois se retrouvèrent nez à nez avec un ours
qui les effraya. Le premier comparse monta dans un arbre; le deuxième ne trouva comme
solution que de feindre la mort. Le stratagème réussit non sans que l'ours renifle
soigneusement ce faux mort. Une fois la bête partie, l'ami « lasche de couraige » descendit
de l'arbre et demanda à l'autre : « Mon amy, quelles parolles secretes vous disoit l'ours en
l'oreille quant il approchoit sa teste si près de la vostre? 1487» Ce à quoi, il fut répondu que
l'ours lui conseilla de ne jamais plus voyager avec « tel amy com vous estes, qui m'avés
abandonné au besoing 1488» Morale : ne jamais faire alliance avec des gens qui feignent
l'amitié, ils vous laisseront tomber à la moindre adversité.

1485
lbid, § 58-59, p. 62.
1486
/£/„■.,§ 62, p. 62.
1487
lbid, §125, p. 66.
1488
lbid, § 126, p. 66.

532
ANNEXE IX (chapitre III) Guillaume Tardif, Les Apologues, suite

D'ung asne et d ' ung loup, Asinus calcato aculeo

Un âne se planta une épine dans le pied et ne pouvant plus se déplacer demanda
l'aide d'un loup qui passait par là : « Tire moy la pointe d'ung estoc pointu qui m'est entré
dedans le pié, affin que je puisse mourir plus aise, sans endurer la paine et le torment de la
pointure de l'estoc1489». Malgré sa nature prédatrice, le loup eut pitié et voulut faire office
de médecin. Il se plaça derrière l'animal et, en guise de salaire, reçu un « si grant coup de
ses pieds contre le front (...) qu'il lui froissa le nais et les dens1490» Morale : à chacun son
métier :« donner a entendre que ceulx se mettent en dangier et viennent souvent en
derision du peuple et moquerie qui laissent les mestiers et offices esquelz ilz estoient
propres et expers et se transfèrent inconsultement a mestiers, charges ou offices esquelz ils
ne entendent rien, comme se ung homme de guerre qui jamés ne estudia vouloit
entreprendre office de judicature en laquelle il ne entendrait rien.1491 »

D'ung Regnart et d'ung lyon, Vulpes, etc.

Un dévot renard, parti pour approvisionner son ermitage en coq et geline, rencontra
sur son chemin un lion, lui « qui jamés n'avoit acoustumé veoir tel religieux parmy les
frères de son ordre 1492» et qui l'effraya tant qu'il faillit en mourir. La deuxième rencontre
le troubla mais moins que la précédente et. remis de sa peur et contraint d'achever sa
tâche, maître renard décida de parler à cet inconnu « et, par la subtilité et cautelle de
maistre regnart, il fist tant envers le dit lyon qu'ilz furent amis1493». Morale: à force de
côtoyer ce qui nous semble terrifiant, les choses deviennent plus aisées comme « endurer
les perilz de mer et de bataille1494 »

1489
lbid, §177, p. 69.
1490
lbid, §181, p. 69.
1491
lbid, §187-188, p. 70.
1492
lbid, §221, p. 72.
1493
lbid., §228, p. 72.
1494
/_/_■., §231, p. 72.

533
ANNEXE IX (chapitre III) Guillaume Tardif, Les Apologues, suite

D'ung cheval et d'ung asne, Vir quidam, etc

Ce texte traite d'une forme d'égalité devant l'impôt, contre l'excès des riches. Un
négociant possédant un âne et un cheval charge excessivement le premier. N'en pouvant
plus, l'âne demande aide à son compagnon qui ne porte presque rien, mais ce dernier « fut
fier et orguilleux et, ainsi comme se il fust sourt, n'en faisoit semblant et tirait très
diligemment pour gagner la maison 1495» et l'âne mourut à la tâche. Le maître chargea
donc sur le cheval le fardeau que portait auparavant l'âne. La morale est intéressante et va
plus loin que ce que la fable raconte: «les riches et les puissans hommes des villes et cités
ne doivent pas laisser porter aux povres ruraulx et champestres toutes les cherges de taillez
et impostz, lesquelz sont mis sur eulx par les princes pour la conservation de la chose
publicque, ains les doivent relever en payant partie des dis impostz, car, quant les ruraulx
et champêtres seront tant chargés et que on aura prins et plumé toute leur substance, il
conviendra, puis après, que ceulx qui sont riches et puissans fournissent et parfassent au
demourant.1496 »

D'ung agricole et laboureur et de ses chiens, Agricola quidam hyberno sydere

Un laboureur vivant auparavant dans l'aisance dût par un froid hiver tuer ses bêtes les unes
après les autres pour nourrir sa famille. Une fois qu'il eut abattu brebis, chèvres, bœufs et
vaches, les chiens de la maison commencèrent à s'inquiéter pour leur vie, considérant le
peu de reconnaissance de leur maître pour les services rendus. Après consultation, les
chiens décidèrent de s'enfuir avant d'êtres occis : « Se nostre maistre n'a point pardonné a
ceulx qui besongnoient et lui gangnoient sa vie, c'est assavoir a ses propres beufz,
comment nous pardonnerait il? 1497». Morale : il faut respecter ses serviteurs, les traiter
avec humanité et les « garder de toute injure »

,495
/_7„".,§232,p.78.
1496
lbid., §341-344, p. 78-79.
1497
lbid, §375, p. 80.

534
ANNEXE IX (chapitre III) Guillaume Tardif, Les Apologues, suite

D'ung oyseleur et d'ung merle? Auceps tetenderat, etc

Un oiseleur installe un piège dans le bois, un merle l'observe et lui demande ce


qu'il fait. L'autre lui ment en disant qu'il construit une cité pour loger les oiseaux puis se
cache. Curieux et supposant que la nourriture y serait meilleure, le merle entre dans le
piège sans pouvoir en ressortir. L'oiseleur «se saisit du maistre merle qui citoyen vouloit
8
devenir et menger les gras morseaux de la bonne ville ». Ce qui semble être une charge
contre l'illusion de liberté et de confort que prétendent offrir les cités, devient plutôt un
vague précepte sur la chose publique et l'exercice du pouvoir princier : «la chose publique
est sur toutes choses en dangier quant les princes et gouverneurs de la dicte chose
publique, qui doivent garder l'union des citoyens et iceulx entretenir en paix, excercent
tyrannie et crudelité sur eulx et que, soubz umbre de justice, les dis princes exigent et
extorquent les biens des dis citoyens sans nécessité ne utilité de la dicte chose
publique1499 ».

1498
lbid, §447, p. 85.
1499
lbid, §451, p. 85.

535
ANNEXE X (chapitre III)

Description de Philippe le Bon par Georges Chastellain

(...) de stature il estoit moyennement haut homme, corporellement, à la mesure de


sa hauteur, et en tous ses membres, bras et jambes, trait à linge [plutôt maigre que gras]
sans excès; estoit gent en corsage plus qu'autre, droit comme un jonc, fort d'eschine et de
bras, et de bonne croisure; avoit le col à la proportion du corps, maigre main et sec pied; et
avoit plus en os qu'en charnure, veines grosses et pleines de sang; portoit le visage de ses
pères de séante longueur; brun de couleur et estaint; nez non aquilin, mais long; plein front
et ample, non calve; chevelure entre blond et noir, coulice [lisse] et unie; barbe et sourcils
de mesme aux crins; mais avoit gros sourcils et houssus et dont les crins se dressoient
comme cornes en son ire; portoit bouche en juste compas; lèvres grosses et colorées; les
yeux vairs, de fière inspection telle fois, mais coustumièrement aimables; le dedans de son
coeur se monstroit par son vis; et correspondoit toutes ses moeurs à la tournure de sa
face. Avoit une identité de son dedans à son dehors; et jugeoit son visage de ses moeurs, et
ses moeurs tesmoignoient de sa physionomie; n'y avoit qui desmentist l'un l'autre, ne
visage courage, ne courage le semblant; tout y estoit à la nature de l'homme, le visage à
jugement de nobles moeurs, et les conditions à dignités de noble prince.

Chroniques, Oeuvres diverses, éd., Kervyn de Lettenhove, Genève, Slatkine Reprints,


1971 (cl863-66), tome VII, p. 219-220

536
ANNEXE XI (chapitre III) Chastellain1500

Seul Octavien-Auguste1501 est digne d'être comparé au bon duc Philippe puisqu'il
fut à la fois beau, vertueux, sage, juste, bon, vaillant, robuste, chanceux, large, prodigue et
puissant. Il régna jeune et remporta de nombreuses victoires. De plus, « vertues aimait et
déprimoit le vice1502 ». Et comme il mourut avec gloire et honneur, Octavien possède
toutes les qualités d'un bon prince et peut donc être comparé à Philippe. Mais Octavien
semble plus divin que mortel, tout païen qu'il soit, ce qui rend le modèle un peu
inaccessible à moins que Chastellain ne voulut attribuer à son duc des qualités divines, ce
qui serait étonnant puisqu'il prône habituellement un minimum d'humilité envers Dieu.
De toute manière, aucun prince ni roi ne sont dignes d'être mis sur le même piédestal que
les deux modèles de vertus ci-mentionnés, sauf que le poète chercha, par acquis de
conscience sans doute, ceux parmi les ancêtres du duc possédant autant de mérites. Il
écarta au départ le trisaïeul du père de Philippe, Charles de Valois, comte d'Alençon
(1325), on ne sait pour quels motifs d'ailleurs.

L'auteur poursuit en mettant l'accent sur quatre aspects majeurs du règne de


Philippe: le refus de la couronne impériale1503, le respect et la défense de l'Église, les
valeurs chevaleresques et les faits d'armes qui amènent la paix et mettent fin aux
rebellions. Il semble que le premier point, le refus par trois fois de la couronne impériale,

Épistre au bon duc Philippe de Bourgogne, Oeuvres, tome VI.


1501
Caius Juliuus Caesar Octavianus Augustus (Rome 63 av. J.-C- Nola 14 apr. J.-C). Empereur romain de
27 av. J.-C. à 14. apr. J.-C), il succède à Jules César, introduit le culte impérial, réorganise les provinces et
élargit les frontières de l'Empire par de nombreuses conquêtes militaires (Espagne, pays limitrophes du
Danube, mais échoue en Germanie). Son principat est considéré comme un des plus brillants de l'histoire
romaine. Chastellain aurait pu choisir César ou mieux Alexandre le Grand très populaire à l'époque, surtout
à la cour de Bourgogne, mais il préféra l'image de consolidation plutôt que celle de création.
1502
V. 111, p. 151
1503
V. 146-153, p. 152. Chastellain développe le même thème dans Déclaration de tous les hauts faits et
glorieuses adventures du duc Philippe de Bourgogne, celuy qui se nomme le grand duc et le grand lyon:
«Défié de l'empereur Sigismond, luy manda que luy-mesme l'iroit quérir avant son empire pour le garder de
peine de venir vers luy. Cest empereur mort, fut adopté à l'empire et le refusa. A la seconde après, l'autre
empereur mort, qui estoit d'Austriche, le refusa arrière; et la tierce fois le refusa encore du temps de Frédéric
le Tiers; non bien voulu, conquit Luxembourg et tout le pays sur Lancelot, roy de Hongrie; toute l'Ardenne
mit en sa subjection, Liège en compression de son orgueil, plusieurs fois, et tous les allemans, ses confins
entre Meuse et le Rhin, à révérence et à crainte; refusa la serigneurie de Milan par transport; autretel fit-il de
la seigneurie de Gennes, et pareil de la seigneurie et transport de Metz en Lorraine; et tout ce fit à cause et à

537
vise surtout à souligner d'une part l'humilité du duc, d'autre part son appartenance à la
mouvance française. En refusant cet «honneur », Philippe prouve qu'il ne souhaitât pas
orienter sa politique en dehors de la France. Pour l'auteur, le duc de Bourgogne résista à
l'ambition démesurée qui affecte plusieurs grands hommes tout en faisant preuve d'un
sens du devoir envers son duché. Mais c'est l'humilité qui importe ici, qualité suprême du
vrai croyant et, comme le souligne Joël Blanchard, «aux yeux du chrétien Chastellain seule
compte la gloire éternelle, celle de l'âme que chantent les anges du ciel; l'univers
sublunaire, soumis au règne de la Fortune, n'y a pas droit. La terre, puis le ciel remettent
l'homme à sa place, et l'on perçoit la condamnation de l'orgueil au sein même de
l'exaltation du grand duc d'Occident1504». En fait il s'agit plutôt du titre de roi des
Romains qui fut proposé à Philippe en 1447 par le chancelier impérial Gaspard Schlick.
Selon Paul Bonenfant, le duc de Bourgogne ne nourrissait aucune ambition impériale, il
souhaitait jouer un rôle important dans la politique du royaume français mais comme ses
aspirations françaises étaient, et resteront, dans une impasse, il se tourna vers l'Empire,
non pour en diriger les destinées mais pour s'en affranchir. Toujours selon l'historien: ce
qu'il désire, c'est rompre entièrement le lien qui l'unit à l'Empire: une couronne impériale,
dans le cadre de celui-ci, ne l'intéresse pas, ce qu'il ose demander c'est le détachement à
son profit de toutes les parties occidentales de l'Allemagne, du bassin de la Ruhr à la
frontière française; n'ayant pu l'obtenir, il se rabat sur des annexions territoriales aussi
nombreuses que possible. Son intention manifeste est de porter au maximum sa puissance
en dehors du royaume de France afin de pouvoir exercer au sein de celui-ci une action
d'autant plus grande.15 5

Quoiqu'en dise Chastellain, l'humilité a peu à voir dans la politique ducale. Il est
aussi possible que l'indiciaire ait projeté sur son modèle princier les ambitions de Charles
le Hardi qui, contrairement à son père, ne nourrissait plus aucun sentiment d'appartenance
envers la France, se tournant davantage vers l'est. À ce sujet, les avis des historiens

sens de prud'homme, parce qu'à autres parens n 'en vouloit faire tort» Oeuvres de Chastellain. éd. Kervin de
Lettenhove, tome VIII, p. 216.
504
J. Blanchard et J.-C. Miihlethaler, Écriture et pouvoir à l'aube des temps modernes, p. 147.
1505
P. Bonenfant, Philippe le Bon: sa politique, son action, Paris/Bruxelles, De Boeck & Larcier, 1996
(études rassemblées par A.-M. Bonenfant-Feytmans), coll: « Bibliothèque du Moyen Âge », p. 84.

538
divergent tant sur la politique de Charles que sur celle de Philippe. D'un coté, plusieurs -
c'était le cas d'Henri Pirenne- voient dans Philippe le Bon le père de la Belgique et décèle
chez lui une volonté de recréer un royaume lotharingien. De l'autre, on estime que
Philippe fut avant tout un prince de fleur de lys et que toute sa politique convergea vers
l'accroissement de son influence française. Parmi ces derniers, Paul Bonenfant qui estime
que la revendication lotharingienne provenait des milieux dirigeants du Brabant dont les
ducs « étaient les héritiers des anciens ducs de Basse-Lotharingie (...) Il est donc
significatif de voir Philippe le Bon en 1447 réclamer une souveraineté sur les mêmes
régions. Il l'est aussi que, pour développer ses prétentions en la matière, il s'en remit à son
garde-chartes de Brabant, Adrien van der Ec1506 ». En ce qui concerne Charles le Hardi,
tous s'accordent sur la rupture avec la France, rupture identitaire d'abord, rupture face aux
ambitions de ses prédécesseurs ensuite. Mais si les actions du Grand duc d'Occident ne
sont plus dirigées vers la France et visent à soustraire ses possessions de l'orbite française,
a-t-il voulu pour autant reconstruire la Lotharingie ou le royaume de Bourgogne comme le
soutient Jean Marie Cauchies1507?

Le deuxième point que souligne Chastellain concerne la défense de l'Église et cette


défense prend plusieurs aspects, généraux (défense de la foi à l'intérieur): «Ne plus ardant
en la foy charitable,/ Ne plus enclin au saint divin service1508» et de la foi mise en péril par
les Turcs1509 Comme à d'autres plus circonstanciels, notamment concernant la
participation indirecte du duc au Concile de Mantoue (siège au ban des rois). Dans ses
Chroniques Chastellain fit référence à un autre Concile, celui de Bâle où Philippe le Bon
soutint le pape légitime Eugène IV qui lui conféra le titre de «champion de l'Église et
l'escu du Saint-Siège [VII, 217] ». Selon Delclos, l'intervention du duc n'était pas
entièrement désintéressée puisqu'il obtint du pape des avantages non négligeables comme
des nominations épiscopales1510:

1506
lbid, p. 13.
1507
J. M. Cauchies, Louis XI et Charles le Hardi: de Péronne à Nancy (1468-1477): le conflit, p 11 à 17.
1508
V. 454-455, p. 162
1509
V. 162-166, p . 153.
J.-C. Delclos, Le témoignage de Georges Chastellain, p. 134

539
Ta donné grâce et vertu préférée
Au siège saint des pasteurs de l'Église,
Sus royal titre et majesté sacrée,
Non regardant personne, ne contrée,
Fiant peut-estre en gloire vielle acquise,
Mais en mérite et vertu propre exquise.
Par mesme toy et en propre vertu,
Exempt sur tous, grâce t'a revestu151 '.

L'image chevaleresque est pour sa part principalement illustrée par la création de


l'Ordre de la Toison d'Or (Bruges, 10 janvier 1430), à l'occasion du mariage de Philippe
le Bon et d'Isabelle de Portugal. Cet ordre visait officiellement à exalter les valeurs
chevaleresques dont celles liées à L'Église à la manière des miles christi et,
officieusement, à créer un sentiment d'appartenance et de fidélité envers le duché et son
prince. «Les structures mi-religieuses, mi laïques de l'Ordre placent le duc au sommet
d'une hiérarchie dont les ramifications internationales (à partir de 1445) font de lui l'égal
des souverains les plus puissants. Lorsqu'il refuse de porter l'Ordre de la Jarretière et crée
son propre ordre, Philippe le Bon souligne l'autonomie de sa politique face aux pressions
du roi d'Angleterre. Il cherche surtout à assurer la cohésion de son duché en unissant la
noblesse des différents territoires de la Bourgogne dans une dépendance personnelle à son
égard1512».

Chastellain insiste sur l'aspect religieux de l'Ordre1^13 et souligne un peu plus loin
la qualité des chevaliers de l'Ordre que tous envient et requièrent, ce qui ne va pas sans
contradiction avec le nombre restreint des membres de la noblesse qu'il estime réellement.
Chastellain montre dans ses oeuvres un certain désabusement face aux comportements des
nobles. S'ils sont destinés par la volonté de Dieu à accomplir de grandes choses: «garder le
peuple d'oppression, maintenir la chose publique et conserver en estât, redouter force par
raideur, tirannie par puissance, rébellion par bataille, fortifier paix, esvigorer justice, et

1511
V. 154-161, p. 152.
'" J. Blanchard et J.-C. Mùhlethaler, Écriture et pouvoir à l'aube des temps modernes, p. 151.
1513
V. 194-201. p. 154.

540
soutenir et essourdre vertus et vie tranquille » peu d'entre eux se montrent dignes de leur
rang. Il en admire tout de même quelques uns dont, en tête de liste après le duc
évidemment, Pierre de Brézé et Jean de Luxembourg. Suivent le comte d'Étampe, le duc
de Clèves, le duc de Bourbon, Antoine de Chabannes, Philippe de Savoie, François
l'Aragonais, Guy de Roye, qui, tous, sont soit décédés, soit « limogés » par Louis XI que
l'auteur honni évidemment.

Parmi les nobles qui ont particulièrement déçue l'auteur, notons le comte de Saint-Pol et
la famille Cray qui, ayant bénéficié de la confiance de Philippe de Bourgogne, n'ont pas
hésité à trahir le duché et leur seigneur au profit de «l'universelle areigne »1514. Quoiqu'il
en soit, la Toison d'Or procure au duché une renommée que n'égalent ni la France ni
l'Empire:
Tels n'en a nul, ne France, ne l'Empire
Ne sont venus tous longtains voyageurs
Quérir vers eux congnoissance et adresse,
Soubs le péril des armes assailleurs,
Pour les plus hauts esprouver et meilleurs
Que terre nulle ou région adresse?1515

Toujours en lien avec la chevalerie mais dans son aspect laïc, le dernier point que
souligne Chastellain met en lumière les faits d'armes du duc de Bourgogne, non pour en
exalter les prouesses guerrières qui l'intéressent généralement peu, mais pour faire
ressortir la recherche de la paix et l'ordre. Chastellain consacre 23 couplets sur un total de
69 aux interventions militaires tant celles qui concernent les révoltes écrasées que les
interventions extérieures1516 . Tout comme pour Eustache Deschamps, il importe pour
Chastellain qu'un prince mette fin aux rebellions qui compromettent la paix sociale.
L'écrasement des séditieux par la force est justifié, l'acte guerrier fait alors partie du
contrat moral entre le prince et son peuple, puis entre le prince et Dieu «Tant par bon droit

1514
VI, 417, cité par Delclos, Le témoignage de Georges Chastellain, p. 276-289
1515
V. 441 et 442-446, p. 162
1516
Les révoltes écrasées : Hollandais, v. 250-257; Liégeois, v. 266-273; Casselois=habitants de Cassel, v. 274-
281; Bruges, v. 290-297; Trêves, Ardenne et Luxembourg, v. 298-305; Gand, v. 314-321 et 330-337; Gavre,
Riplemonde et Was, v. 338-345, 346-353 et 354-361. Le secours à la noblesse : Utrecht «malement fiers et felles
[v. 398, p. 161.] »,v. 394-401). Les interventions «extérieures» : Anglais, v. 242-249 et 282-289 et, alliés aux
Français à Compiègne, v. 306-313; Lorrains et Allemands, v. 258-265, « royaume » de Frise, v. 410-417.

541
que par divin chastoy 151?», «Ta tienne main fu là de Dieu conduite1518 ». Selon Jean-
Claude Delclos, Chastellain est revenu sur le lien d'interdépendance entre le prince et ses
sujets notamment dans l'Exposition et plus tard dans / Advertissement au duc Charles. Il
note que pour Chastellain «le principal devoir du prince est sans doute de ne pas oublier
qu'il règne sur ses sujets, et d'avoir toujours les yeux fixés sur «Publique Nécessité...en
qui pend la conservation du monde, l'entretènement des hommes et la paix des courages
[VII, 430] »1519. Pour Chastellain cette « nécessité publique » ne se conçoit que par des
rapports de réciprocité entre le bon prince, à la fois craint et aimé de ses sujets, et le
peuple, travaillant pour lui, ne se soumettant à sa volonté que s'il lui assure bohneur et
paix.

Cette idée de la réciprocité, l'auteur la développe plus longuement vers la fin de


YEspitre:
Tu as esté un certain duc paisible,
Bien exploitant sa commission sainte;
Et au plus près de ton juste possible,
Tu as esté vers ton peuple entendible,
Pour le mener à salutaire atteinte, (...)
En ta valeur et vertu singulière,
Dieu a béni ta terre et tes suppos,
Et y tramis grâce particulière,
Transquilité, paix, gloire séculière,
Trop plus qu'ailleurs et de plus long repos.

1517
V. 305, p. 157.
1518
V. 346, p. 159.
J.-C. Delcos, Le témoignage... p. 264.
1520
V. 527-531 et 532-535, p. 165.

542
ANNEXE XII (chapitre III : La maison de Bourgogne)

Les répliques françaises du Lyon rampant en crouppe de montaigne 152.

Ya première, de la plume de Gilles des Ormes, est un appel à la guerre contre la Bourgogne
insistant sur la défaite prochaine du Lyon, couchant au pied de la montaigne, donc vaincu
par le cerf volant.
Changez propos, cerf volant, nostre chef;
Disposez-vous à guerre et à bataille ;
Vestez armet en lieu de couvre-chef,
Et en vos mains glaive qui poigne et taille ;
Faytes crier le ban, et que tout aille
Sur ce lyon qui vostre honneur entame,
Qui prend vos biens et dit qu'il ne craint âme,
Ne foy, ne roc, n'en ville, n'en champaigne.
Lors le ferez, au plaisir Notre-Dame,
Lyon couchant au pied de la montaigne.

N'attendez plus : courez luy sus et brief ;


Ne le doutez, je vous supply, pas maille ;
Car, si Dieu plaist, jà ne vous fera grief.
S'il a grans gens, le plus n'est que canaille
Qui n'ont harnois, ne conduite qui vaille,
Et ont le cœur failly comme une femme.
En l'assaillant, acquerrez los et fame,
Et vous tiendront un second Charlemaigne.
Lors le ferez, au plaisir Nostre-Dame,
Lyon couchant....

Je vous requiers, évitez ce meschef ;


Ne soufflez plus qu'il vous rançonne et taille.
Or sans hurter n'en viendrez jà à chef,
Car il est fier comme un rat en paille.
N'ayez jà peur que gendarme vous faille,
Ne le commun qui tant vous craint et ame.
Adventurez à ce coup corps et âme,
Il en est temps, ou à perte ou à gaigne.

Tremblez, Liégeois et aultres nations ;


Car vous verrez, quant je vouldray ou daigne,
Que je seray es franches mansions

1521
Dans Œuvres de Georges Chastellain, p. 210 à 212.

543
Lyon rampant en crouppe de montaigne.
Lors le ferez, au plaisir Notre-Dame,
Lyon couchant au pied de la montaigne.

Prince puissant que l'Église reclame


Très-chrestien, si vous pouvez sans blasme,
Tirez à vous l'hermyne de Bretaigne,
Lyon couchant

La seconde réplique, plus incisive et visant assez directement Charles le Hardi (nommé
petit lion : ce léoncel), provient d'un auteur moins connu, le petit Darc de Rouen :

Souffle, Vulcan, affin que ardant bruyne,


Fouldre et tempeste yssent de ta forgette
Pour faire souldre en bruyssant ruyne
Ce léoncel rampant en sa logette,
Quant par orgueil a si enflée gorgette
Qu'en criminaux prévarications
Et de royal magesté lésions
Il se délite et semble qu'il se baigne
A travailler par ses séditions
Le cerf volant en crouppe de montaigne.

Au Scipion attribue sa vermine


Loenge et los, mais jà Dieu ne permette
Que serf pervers sur son seigneur domine,
Tant que ayons qui le povoir y mette.
Pour son fusil, ne flambant allumette
N'auront jà lieu telles abusions.
S'il y a eu de sang effusions,
Sur luy tourna la perte, non pas gaigne,
Et verra-1'en ains les conclusions
Le cerf volant....

544
ANNEXE XII, suite. La réplique française du Lyon rampant.

La flour de lis tant précieuse et digne


Qu'il ne prise, ce semble, une plumette,
Luy a esté trop piteuse et bénigne;
Mais puisque fol ne croit riens qu'on promette,
Ne n'est content de délit qu'on remette,
Mais nous reproche à pou ses poryons
Quant pirs ne peut. Si nous l'endurions,
Trop grouceroit l'orgueileux poul en taigne.
Faire luy faut congnoistre à horions
Le cerf volant....

Venez, venez de toutes nations ;


Réduisez-vous au prince, ains qu'il s'ensaigne ;
Recongnoissez sans variations
Le cerf volant...

Le troisième est anonyme, beaucoup plus neutre et prend davantage la forme


d'une recommandation au duc visant à revenir dans le giron royal comme prince de fleur
de lis. Il est possible que l'auteur soit Bourguignon et exprime ainsi son désir de voir le
conflit prendre fin:

Souffle, Ethna, du vouloir Proserpine


Et fais cesser au son de ta trompette
L'ardent désir et la poignant espine
Du fier lyon qui, tant qu'il peut, s'apreste
Faire térir celle qui tant allaite,
Tient et nourrist d'estranges nations.
Ne cuide pas que par desrisions
Ton fier lyon costoyant Allemaigne
Puisse tousjours mettre en conclusions
Lyon rampant en crouppe de montaigne.

Si le doux cerf de voulenté bénigne


Voulut jadis toy faire retraitte,
Reproches-tu les biens de ta cuisine
Que tu luy fis, en lièves-tu la creste
En penses-tu qu'il en eust eu souffrette ?
Nenny, nenny, ce sont abusions,
Tes reproches te sont confusions ;

545
ANNEXE XII, Le Lyon rampant.., suite

Tu y as eu moins perte que de gaigne,


Mais tu te tiens en tes opinions
Lyon rampant...

Tu ne dois pas porter serpentine,


Langue pognant qui follement caquette,
Vu que tu es yssu de la racine,
Ainsi qu'on dit, de la noblesse fleurette
Du noble lys, et s'il faut qu'on te mette
Barre à ton huys, tu n'a nul des lyons
Qui ose jà, si nous nous râlions.
Presse le seuil, que mal ne luy en preigne,
Et ne croy pas que jamais dyons
Lyon rampant...

546
ANNEXE XIII (chapitre III : L'éloge)

La chasse ; les Dits du bon chien Souillard et les Louanges de Madame Anne de France
(entre 1481 et 1490) de Jacques de Brézé

La datation du poème étant assez vague, on ne peut déterminer précisément si


Jacques de Brézé débuta la rédaction avant ou durant la régence des Beaujeu, donc s'il
destine son éloge à la fille aînée du roi Louis XI ou à la régente durant la minorité de
Charles VIII (1485-1491). Si l'on demeure dans le doute pour les deux premières sections,
c'est-à-dire, pour La Chasse et les Dits du bon chien Souillard, la troisième section, Les
louanges de Madame Anne de France sont sans aucun doute destinés à la régente puisque
Brézé écrit en la désignant «celle qui fortifie le fait du roy et son auctorité1522».

Lors d'une chasse au cerf, l'auteur accompagné de son chien Souillard, rencontre
des dames de la cour dont l'héroïne de son récit qu'il décrit ainsi :
En general de toutes femmes,
Comme celle estant sans diffames,
Luy donna pour creation
L'excellence sur toutes dames
Et le don de parfection

De la hault louer entreprandre


Ce n'est pas le fait des venneurs.
Nul venneur ne pouvoit comprandre
Son grant sens ne ses bonnes meurs

S'agit-il du récit enjolivé d'un événement réel ou d'un conte s'approchant d'une
situation probable mais fictive visant à louanger les qualités de la fille du roi? Jacques de
Brézé ne donne aucune indication qui confirmerait l'une ou l'autre hypothèse, son
admiration est cependant bien réelle pour Anne de France qui partage son amour pour la
chasse « car désir de chasser l'atise ». Pour Brézé, la vénerie représente « le plus beau
mestier que l'on face ». L'activité permet à Jacques de Brézé de décrire son héroïne dans
une position de commandement assez proche de celle de la guerre, les veneurs obéissants à

1522
Les Louanges de Madame Anne de France, éd., G. Tilander, Lund, Cari Bloms Boktryckeri, 1959,
« Cynegetica », v. 60-61, p. 65

547
la dame comme des soldats à leur capitaine, tout en insistant sur sa vaillance, non au
combat, mais à la poursuite du cerf, ce qui diffère assez peu :
Quant ses chiens oultre passez furent,
Elle se mist en la meslee,
Tant que chevaulx galloper peurent
A la belle bryde avallee.
Il ne fut jamais femme née
Qui passoit ou elle passoit15 4.
(...)
Madame a l'œil deffust la ruze
Et a fort huer commança.1525
(...)
Madame est toujours la premiere,
Qui va après les chiens huant

Une grande dame aimant tellement la chasse ne peut être pour le sénéchal de
Normandie qu'un panthéon de vertus :
Je croy qu'il n'est gueres de dames
Oui tant aymassent ceste vye.
Celles qui ce font n'ont envye
De penser a aucun mal faire.
Jamais bien fait ne leur ennuyé.
Telles vertuz doivent bien plaire15 6.
(....)
De celle a qui mon livre adresse.
C'est la belle rose fleurye
Le seul reffuge et la maistresse
Du beau mestier de vennerye1327.

Jacques de Brézé alla plus loin dans l'intention panégyrique avec les Louanges de
Madame Anne de France, alors régente du royaume. Le texte est plus officiel et n'a pas de
lien direct avec les personnages animaliers sinon de faire partie du même ensemble que la
Chasse et les Dits du bon chien Souillart qui, à la première personne, raconte comment,
après avoir été offert au roi Louis XI , lui aussi amateur de chasse, il passa aux mains du
sénéchal Gaston qui l'offrit au grand sénéchal, c'est-à-dire, à l'auteur. Les Louanges mettent

J
La Chasse, v. 75-84, p. 30.
1524
lbid., v. 231-236, p. 36.
1525
lbid., v. 261-62, p. 37
1526
lbid., p. 45.
1527
/_■/_■., p. 48

548
l'accent sur la beauté de la princesse, ce qui est assez conventionnel, sur son intelligence ou
ses connaissances «vault mieulx que tous les clercs d'icy a mille Hex », plus sage que
Sibylle et plus habile que Judith. Il mentionne les qualités que l'on attribue généralement
aux princes comme la bonté, la charité, la pitié et la miséricorde, l'amour de la paix et de la
concorde, la «justice remise» et l'écoute des conseils, l'honneur et la raison. Là où il
diverge un peu de l'éloge désincarné est dans ses références à la conduite de la régente lors
de la Guerre folle qui opposait la couronne au parti du duc d'Orléans, le futur Louis XII.
Qui rent la force aux rebelles debille
Et les abat par sa seule conduite,
Qui vouldra veoir celle qui a reduicte
La guerre en paix et rigueur en justice,
Soit bon, mauvais, desloyal ou juste, isse
De son pays pour avoir cognoissance
Des biens comprins en ceste Anne de France
(...)
Chascun cognoit et entend que c'est celle
Qui des ingratz a l'orgueil abatu
Tant qu'assez grain tantost aura batu
Pour nourrir paix et garder de famine.

549
ANNEXE XIV (chapitre IV)

Le Jugement de Renart (sur Tibert)

À la nouvelle de la sainteté d'une poule égorgée par Renart:

Quant a la cort vint la novele, Lorsque la nouvelle parvint à la cour,


A tex i ot qu'ele fu bêle elle en réjouit certains
Mes a Grinbert fu ele lede, mais elle déplut à Grimbert,
Qui por Renart parole et plede le défenseur et le partisan de Renart,
Entre lui et Tybert le chat. avec Tibert le chat. v. 469-473, p. 64-67.

Le roi réclamant un nouveau messager:

Ou estes vos, Tyberz li chaz? Où êtes-vous, Tibert le chat?


Aies moi por renart vïas! Vite, allez de ma part chercher Renart!
Dites moi le rox deputere Dites en mon nom à ce maudit rouquin
Qu'il me viegne a ma cort dreit fere de venir à ma cour me rendre des
comptes
En la presence de ma gent, en présence de tous mes vassaux
Si n'i aport or ni argent, et de n'apporter ni or, ni argent,
Ne parole por soi deffendre, ni belles paroles pour se défendre
Mes la hart a sa goule pendre. mais seulement la corde dont on le
pendra.
Tybers ne l'osa refuser; Tibert n'osa pas refuser.
Qar, s'il s'en poiist escuser, S'il avait pu se défiler,
Encor fust sans lui li senters, le sentier attendrait encore sa visite.
Mes a anvis ou volonters Mais de gré ou de force,
Convient au sene aler le prestre, le prêtre doit aller au synode.
Et Tybert se met a senestre. Tibert monte donc en amazone
Parmi le fons d'une valee, et, suivant le fond d'une vallée,
Tant a sa mule esporonee il a si bien éperonné sa mule
Qu'il est venus a l'uis Renart. qu'il est arrivé à la porte de Renart.
V. 729-744, p. 78-81.

Édition de J. Dufournet, Le Roman de Renart, t. L, Paris, Flammarion, 1985.

550
ANNEXE XV (chapitre IV)
Le Jugement de Renart, extrait de la branche I: plainte d'Ysengrin.

Et Ysengrin qui pas ne l'eime, Et Isengrin, qui ne le porte pas dans


son coeur,
Devant toz les autres se cleime se plaint solennellement le premier
Et dit au roi:""Baux gentix sire, et dit au roi:"Cher et noble roi,
Car me fai droit de l'avoutire fais-moi donc justice de l'adultère
Que Renart fist a m'espossee que Renart a commis avec mon
épouse.
Dame Hersent, quant l'ot serrée dame Hersant, après l'avoir enfermée
A Malpertuis en son repère, dans Maupertuis sa demeure
Quant il a force li volt faire, pour lui faire violence
Et conpissa toz mes lovaux et pour uriner sur tous mes louveteaux:
C'est li dels qui plus m'est noveax. C'est la plus fraîche de ses offenses.
V.27-36, p. 42-45.

Dans la branche rédigée par Pierre de Saint-Cloud (la première même si on la désigne
comme la branche II), l'intrusion de Renart dans la tanière et le viol d'Hersent se déroulent
à des moments différents et sont racontés en détails par le narrateur. Le traitement fait aux
louveteaux par Renart a inspiré Philippe de Novare qui y a vu des parallèles avec la
situation qu'il voulait décrire. Pierre de Saint-Cloud raconte ainsi l'épisode de la tanière:

Puis s'est Renars mis ou retour Puis Renart s'apprête à partir:


Qui crient que Ysengrins ne viengne, il craint le retour d'Isengrin,
Que moult doubte qu'il ne seurviengne. il redoute sa venue.
Et ne pourquant, ainz qu'il s'en isse, Mais cependant, avant son départ,
Vient aus louviaus, si les conpisse, il s'approche des louveteaux et pisse
dessus,
Si conme il erent arrengié à tour de rôle.
Si a tout pris et tout mengié Il a tout pris, tout mangé;
Et hors gete ce qu'il y trueve il jette dehors tout ce qu'il trouve,
Toute la viez char et la nueve; la viande séchée comme la fraîche;
Ses a de leur liz abatuz il a jeté les enfants en bas du lit,
Et laidengiez et bien batuz il les a insultés, roués de coups,
Autressi con s'il fust leur mestres; tout comme s'il était leur maître,
Ses a clamez avoutres questres les traitant d'affreux bâtards,
Priveement conme celui se permettant les familiarités de celui
Qui ne se doute de nului qui ne craint personne
v.l 118-1132, p.264. p. 265. tome I.

551
ANNEXE XVI (chapitre V)
br. IX, Renart et le vilain Liétard (extrait)

Renart se présente à un paysan pour lui donner des conseils et constatant que l'autre ne sait
pas qui il est, il décrit ses aptitudes de plaideur.

Je sui bon mestre de plaider, Je suis passé maître dans l'art de plaider
Foi que doi seint Panpalïon: par le grand saint Pampalion:
En la cort Noble le lïon à la cour de Noble le lion,
Ai ge rneti meint aspre plet j'ai eu à soutenir bien des causes difficiles,
Et meintes fois de droit tort fet, j'ai souvent converti le droit en tort
Et molt sovent de tort le droit: et plus souvent encore le tort en droit:
Ensi covient sovent que soit. v. 484-490. c'est là une pratique courante

Traduction de J. Dufournet, Tome II, p. 105

552
ANNEXE XVII (chapitre V)

Béroul, Le Roman de Tristan: le serment d'Yseult (extrait)

Si m'aït Dex et saint Ylaire,


Ces reliques, cest saintuaire,
Totes celés qui ci ne sont
Et tuit icil de par le mont,
Q'entre mes cuises n'entra home
Fors le ladre qui fist soi some,
Qui me porta outre les guez,
Et li rois Marc mes esposez.
Ces deus ost de mon soirement,
Ge n'en ost plus de tote gent.
De deus ne me pus escondire:
Du ladre, du roi Marc, mon sire.
Li ladres fu entre mes janbes (....)
Qui voudra que je plus en face
Tote en sui preste en ceste place, v. 4197-4216.

Traduction: «Seigneurs, fait-elle, par la grâce de Dieu, je vois ici les saintes reliques.
Écoutez donc ce que je jure et ce dont j'assure le roi ici présent: avec l'aide de Dieu et de
saint Hilaire, je jure sur ces reliques et cette châsse, sur toutes les reliques qui ne sont pas
ici et celles de par le monde, que jamais un homme n'est entré entre mes cuisses, sauf le
lépreux qui se fit bête de somme pour me faire traverser le gué et le roi Marc mon époux.
J'exclus ces deux-là de mon serment mais je n'en exclus pas d'autre. Mon serment n'est
pas valable pour deux personnes: le lépreux et le roi Marc mon époux. Le lépreux se
trouva entre mes jambes (...) Si l'on souhaite que je fasse davantage, j'y suis prête ici
même», p. 217-219.

Béroul, Le Roman de Tristan, éd., Ph. Walter, Paris, LGF, 1989, coll : «Lettres
gothiques », p. 216-218.

553
ANNEXE XVIII (chapitre V)

Renart et Tiécelin le Corbeau ('extrait)

Et li formages ciet a terre Et le fromage de tomber à terre


Tot droit devant les piez Renart. tout juste aux pieds de Renart.
Li lecheres. qui trestoz art Le coquin, dévoré
Et se defrit de lecerie. par la gourmandise.
N'en atoca one une mie. se garda bien d'y toucher
Car encor. s'il puet avenir. Car. en outre, s'il en [a] la possibilité
Voldra il Tiécelin tenir, v. 944-950, p. 256. il a l'intention de s'emparer de
Tiécelin.

Édition et traduction de J. Dufournet. Le Roman de Renart. tome I. p. 257.

554
ANNEXE XIX (chapitre V)
Dit des Jacobins et des Fremeneurs (extrait)

Jacobin et Frère Meneur


Cuident conquerra grant honneur,
Qui sur les menestreus sermonnent
Et dïent que cil qui lor dounent
Font au Dyable sacrefice.
Sont ménestrel de tel service
Oevrent ou Dyables ait part?
Sages est qui d'eus se depart! v. 1-8, p. 1

Dites quel rieule vous donnèrent


Li doi saint qui vous ordenerent,
Sains Franchois et sains Domeniques,
Dont en terre avés les reliques?
Lor sobre vie pourchaçoient,
Les bons morsiaus pas ne chaçoient,
Les fors vins, les charneus delis;
Le pain et l'aiguë et les durs lis
Et les povres dras, ce amerent.
Onques nul jour part ne clamèrent
En dras de noches, si com faites.
Les pensées orent parfaites
En oevres et en fais devins;
En bons morsiaus et en fors vins
Ne fu pas lor entendons;
Onques des executions
Des testamens ne s'entremisent;
Du tout en Dieu l'entente misent. (...)
Et vous, bel seigneur Jacobin,
Qui tant hanap et tant copin
Buvés de vin poissant et fort
Pour vostre char rendre confort
Nourrie de boinne viande,
Se sains Donimiques commande
Vostre char ensement a paistre,
Dont avés vous en lui bon maistre,
Ensi con moi et autrui samble! v. 155-172 et 207-215, p. 6 -8.

Édition de J. Ribard, La Messe des Oisiaus et le Dit des Jacobins et des Femeneurs,
Genève, Droz, 1970, « Textes littéraires français; 170 ».

555
ANNEXE XX : Tableau généalogique des derniers capétiens directs

Philippe I (1052[1060]-1108?). ép.


1. Berthe de Hollande (1055-1094), divorcé en 1092
2. Bertrade de Montfort (1060-1117)

Louis VI (1081[1108]-1137), ép.


1. Lucienne de Rochefort (1089-1159) annulé en 1107
2. Adélaïde de Savoie (1092-1154)

Louis VII ( 1120 [ 1137]-1180), ép.


1. Alienor d'Aquitaine (l 122-1204) répudiée en 1152
2. Constance de Castille (1140-1160)
3. Adèle de Champagne (1145-1206)

l(deux 2 (deux filles) Philippe Auguste (1165[1180]-1223) 3 (deux filles)


filles) 1. Isabelle de Hainaut (l 170-1190)
2. Ingeburge de Danemark (1176-1236).
divorce1193
3. Agnes de Méranie (1177-1201)

Louis VIII (1187[ 1223]-1226), ép.


Blanche de Castille (1188-1252)

Philippe Louis IX Robert Jean Alphonse Philippe Isabelle Etienne Charles


(1218) (1214 d'Artois (1227) de (1235) 1223- (1225) d'Anjou
* [1226]- (1216- Poitiers 1269 1226-1285
1270) 1250) 1220-71 ép. Béatrice
ép. ép. de Provence
Marguerite Jeanne de
de Toulouse
Provence
(1221-1295)

556
Philippe III Jean- Blanche Marguerite Robert Agnès
Isabelle (1245[1270]-1285) Tristan 1253- 1254-72 1256-1318 1260-1327
1242-71 1. Isabelle 1250-70 1323 ép. Jean 1er ép. Béatrice Robert III de
ép. Thibaut d'Aragon (1243- ép. ép. duc de de Bourbon Bourgogne
de 1271) Yolande Ferdinand Brabant.
Champagne, 2. Marie de de de
roi de Brabant Bourgogne Castille.
Navarre (1254-1321)

1. Philippe IV (1268[1285]1314) 1. Charles de Valois 3 filles 2. Louis d'Évreux (1276-


1
ép. Jeanne de Blois- (1270-1325) ép. 1. 1310)
Champagne (1271-1304) Marguerite d'Anjou Ép. Marguerite d'Artois
(1273-99) (1285-1311)
2. Catherine de 1
Courtenay (1274-1307) Philippe d'Évreux
3. Mahaut de
Châtillon (1203-1358)

Louis X (1289-1316), ép. Isabelle (1292-1358), Philippe V (129- Charles IV (1294-1328)


1. Marguerite de Bourgogne Ép. Edouard II 1322), Ép. 1. Blanche de
(1290-1315) d'Angleterre. Ép. Jeanne de Franche-Comté (1295-
2. Clémence de Hongrie Franche-Comté 1324)
(1293-1328) Edouard III (1294-1329) 1. Marie de
Luxembourg (1304-
3 filles 1324)
2. Jeanne d'Évreux
(1310-370)

1. Jeanne (1311)
2. Jean 1er (1316)

557
ANNEXE XXI : Tableau généalogique des premiers Valois

Philippe VI de Valois (1328-1350), ép.


1. Jeanne de Bourgogne (1313-1348)
2. Blanche d'Évreux (1350-1398)
1

Jean II le Bon (1350-1364), ép. 1. Philippe, duc d'Orléans (1336-137),


Bonne de Luxembourg (1332-1349) ép. Blanche de France (1344-1392)
2. Jeanne d'Auvergne (1350-1360)

Charles V Isabelle Jean de Berry Louis Jeanne Philippe le Hardi


(1364-1380) d'Anjou
ép.
Jeanne de
Bourbon
(1350-1377)

Charles VI (1380-1422) ép. Isabeau de Louis d'Orléans (1372-1407), ép. Valatina


Bavière (1385-1435) Visconti (1389-1408)

Isabelle Louis de Jean (1417) Catherine Charles VII


Guyenne Ép. Henri V (1422-1461)
(1415) d'Angleterre ép. Marie d'Anjou
Henri VI (1422-1463)

Louis XI (1461-1483) Charles, duc de Berry (1446-61)


ép.l. Marguerite d'Ecosse (1436-1445)
2. Charlotte de Savoie (1451-1483)

Anne de France(1461- Jeanne de France Charles VIII ([1470]1483-1491),


1522) ép. Louis XII (1515) ép.
Ép. Pierre de Beaujeu Anne de Bretagne (1461-1514)
(1439-1503)

558
ANNEXE XXII : Tableau généalogique des ducs de Normandie et
des Plantagenêt

Guillaume le Conquérant (1028-1087), duc de Normandie (1035)


et roi d'Angleterre (1066)
Ép. Mathilde de Flandre (1052-1087)

Robert II, duc de Guillaume II Henri 1er (1100-1135) Adèle (1135-1154)


Normandie (1054- (1065[1087-1100]) Ép. 1. Mathilde Ép. Etienne de
1134) 2. Adélaïde de Brabant Blois

Mathilde ép. 1. Henri IV, kaiser


2. Geoffroi Plantagenêt, comte d'Anjou (1137-1151)

Henri II (1154-1189), ép. Alienor Geoffroi (ii34-H58) Guillaume (11 So-


d'Aquitaine il 64)

Henri je Jeune (1170- Richard Cœur de Lion Geoffroi (1158- Jean sans Terre
83), ép. Marguerite (1157[1189-1199), ép. 86), ép. (1167[199-1216), ép.
de France Bérengère de Navarre Constance de Isabelle
Bretagne d'Angoulême
I

Alienor Arthur Henri 111(1206[1216-


72), ép. Eléonore de
Provence

Edouard 1er (1239[75-1307), ép. 1. Eléonore de Castille


2. Marguerite de France

Edouard II (1307-1327) ép. Isabelle de France

Edouard II (1327-1377), ép. Philippa de Hainaut

559
ANNEXE XXIII

Tableau généalogique des Plantagenêt, York. Lancastre

Edouard (1330- Lionel (1338-68) Jean de Gand (1340-99) Edouard de Langley (1341-
76) le P rince duc de Clarence duc de Lancastre. Ép. 1402) duc d'York
noir 1 Blanche de Lancastre
T
2. Constance de
Castille
3. Catherine de
Swynford

Richard D Philippa. ép. 1. Henry P V. roi (1399- Richard d'York ( 1375-


(1377-1399). ép. Edouard 1413) 1415).
Isabelle de Mortimer 2. Catherine ép. Anne Mortimer
France
/
3.Jean de Beaufort (1373-
1410) comte de Somerset 1
Roger Mortimer 1. Henry V. roi Jean de Lancastre Richard d'York (1411-
(1374-98) (1413-1422). ép. (1389-1435) duc 1460)
de 1
T Catherine de France Bedford
Edouard IV (1442-83)^
3. Jean de Beaufort (1403-1444) duc de Marguerite George
Somerset, régent de France (minorité Richard III (1483-85)
d'Henry Vff

Anne. ép. Richai d. 1. Henry VI, roi 3. Marguerite (1441- Elisabeth Edouard V
comte de (1422-1461) ép. 1509) (1470-83) Richard, duc
Cambridge (137 5- Marguerite d'Anjou ép. Edmond Tudor d'York
1415) ▼
1
Edouard, prince de Henry VII Tudor Marie
Galles (1453-1471)

560
ANNEXE XXIV

Tableau généalogique des ducs Valois de Bourgogne

Jean le Bon (1350-1364)

Philippe le Hardi (1364-1404), duc de Bourgogne, ép.


Marguerite, comtesse de Flandre, Bourgogne, Artois, Rhétel et de Nevers

Jean sans Peur Marguerite Catherine Marie Antoine de Brabant Philippe de Nevers
ép. Marguerite de Bavière

Philippe Marguerite Marie Jeanne Isabelle Catherine Anne Agnès


Le Bon (1419-1476)

ép.l. Michelle de France 2. Bonne d'Artois 3. Isabelle de Portugal

Charles le Téméraire (1467-1477),


ép. 1. Catherine de France 2. Isabelle de Bourbon 3. Marguerite d'York

Marie (1477-1482), ép. Maximilien de Habsbourg (-1519) empereur

Philippe le Beau (1482-1506) Marguerite d'Autriche, régente


ép. Jeanne de Castille, dit la Folle (1519-1530)

Charles Quint (1506-1555) Ferdinand d'Autriche

561
ANNEXE XXV

Tableau généalogique des rois de (Évreux) Navarre

Thibaud IV de Champagne. 1er de Navarre (1234-1253)

Thibaud V de Champagne. II de Navarre Henri Le Gros de Navarre


(1253-1271). ép. Isabelle de France (1271-1274) ép. Blanche d'Artois
(sans descendance)
Jeanne, reine de Navarre, comtesse de
Champagne, ép. Philippe le
Bel. roi de France

Jeanne de France, reine de Navarre ( -1349). ép. Philippe, comte d'Évreux. roi de
Navarre ( -1343)
Charles III (1332-1387)

Philippe, Louis, comte Agnès, ép. Marie, ép.. Blanche, ép. Jeanne, ép.
comte de de Beaumont- Gaston- Pierre IV. roi Philippe V, Jean, vicomte
Lonsueville le- Roger Fébus. comte de Castille roi de France de Rohan
de Foix

562
ANNEXE XXV Suite

Tableau généalogique des rois de (Evreux) Navarre

Charles II (1332-1387) dit le Mauvais, roi de Navarre (1350), ép. Eléonore de Trastamare

Charles III, dit Le Pierre, comte de Mortain Marie, ép. Alphonse Jeanne, ép.
Noble ép. Catherine d'Alençon d'Aragon 1 Jean V, duc
roi de Navarre (1390) de Bretagne
ép. Eléonore de Trastamare 2. Henri V,
roi d'Angleterre

Blanche, ép. 1. Martin d'Aragon, roi de Sicile


2. Jean de Navarre-Aragon

Charles ( -1461) Blanche, Léonore, ép. Gaston IV,


ép. Henri IV de Castille comte de Foix

563
Annexe XXVI

Tableau généalogique des comtes d'Armagnacs

Jean II ( -1381)

1 1
Jean III, comte d'Armagnac ( -1391). Bernard VIL comte de
Pardiac,
ép. Marguerite de Comminses (1418). ép. Bonne de Berry
4-
l i
Jeanne, ép. Marguerite, ép.
G. Amanieu d" Albret Guillaume de Narbonne

1
Jean IV. comte d'Armagnac Anne. ép. Charles d Albret Bertrand, comte de Pardiac
1. Blanche de Bretagne 1 ép. Eléonore de Bourbon
2. Isabelle de Navarre
1 1 Jacques, duc de Nemours
i Jean Charles d" Albret ép.Louise d'Anjou

i i i .i i
JeanV, Charles Marie Isabelle Eléonore
comte d'Amagnac
ép.l. Isabelle(sa soeur)
2. Jeanne de Foix

1 1 1 1 !
Jean (1500). Louis Marguerite Catherine Charlotte
duc de Nemours comte de Guise

564
Annexe XXVII

Tableau généalogique de la succession de Luxembourg

Charles IV de Bohème, Empereur et duc de Luxembourg


(1378)

(1) (2) (3)


Wenceslas, roi des Romains, duc Jean, duc de Gôrlitz, gouverneur Sigismond, Empereur et duc de
de Luxembourg ( 1419) s.d de Luxembourg (1396) Luxembourg (1437)

Philippe le Hardi (1404)

Jean sans Peur Antoine, duc Elisabeth de Jean de Elisabeth Albert II, roi des
de Brabant Gôrlitz, Bavière , ancien Romains et duc de
mainbour du duchesse de évêque de Liège Luxembourg
N7 Luxembourg Luxembourg (1425) s.d
(1415) (1451) S.d.

Philippe le Bon. Mainbour et


gouverneur de Luxembourg Anne- Ladislas le
(1467) Guillaume, Posthume. Roi de
duc de Saxe et bohème et duc de
de Luxembourg
Luxembourg (1454) s.d

565
Annexe XXVIII

Succession de Brabant, Hainaut, Hollande et Zélande

Philippe le Hardi, duc de Albert de Bavière. Régent de Hainaut,


Bourgogne et comte de Flandre Hollande et Zélande (1409)
(1404)

Antoine, duc de Jean sans peur. Marguerite, Marguerite de Jean de Guillaume


Brabant (1415) duc de comtesse de Bavière (1422) Bavière, VI, comte
Bourgogne et Hainaut (1441) évêque de de Hainaut,
comte de Flandre Liège ( 1425) Hollande et
(1419) s.d. Zélande
(\A\n\
1 1
Philippe de Saint Jean IV. duc de
Pol.d uc de Brabant (1427) — Jacqueline (l426)s.d. ép. Humphrey de Gloucester (1447)
Rrahan i fi-nm s.d
s.d.

566
Annexe XXIX

Tableau généalogique des rois de Jérusalem

Eustache, comte de Boulogne Mélisendre


Ép. Ida de Basse-Lorraine Ép. Hugues 1er de Rethel

Godefroy Baudouin Eustache Baudouin II de Bourcq (1118-1131)


de 1er
Bouillon (1110-1118)
(1099-1100)
Mélisende Alix Hodierne Joette
Ép. Foulques Ép. ép. abesse
d'Anjou Bohémond Raymond
(1131-1144) II II
1
Baudouin III (1144- Amaury 1er (1162-1173)
1162) ép. Theodora Ép 1. Agnès de
Comnène Courtenay
2. Marie Comnène

1. Baudouin IV (1173-1185) 1. Sibille ép. Guillaume l. Isabelle ép.


de Monferrat Guy de [Onfroi de Toron]. -
Lusignan (1186-1192) Conrad de
Monferrat.(l 191-1192) -
Henri de Champagne
1. Baudouin V (1185) (1192-1197). -Aimery II
de Lusignan (1197-1205)
1
2 Marie ép. Jean de 3. Alix ép. Hugues 1er de Lusignan 4. Mélisende ép.
Brienne (ou de Chypre) Bohémond IV
(1210-1225) 1
[Raoul de Soissons] 1
Isabelle-Yolande ép. Marie d'Antioche
Frédéric II (1225-1250) cède ses droits en
1277 à Charles
Conrad IV (1250-1254) d'Anjou

Conradin (1254-1268)

567
Henri 1er de Isabelle de Lusignan
Chypre ép. Henri "du Prince"

Hugues II Hugues III (Chypre


1267-1284)(1269-1284)

1
Jean 1er Henri II Guy Amaury Aimery
(Chypre 1285-
1324)(1286-1291)

568
Annexe XXX

Les princes d'Antioche

Robert Guiscard
l
Bohémond Emma ép. Eudes le Bon

Bohémond II ép. Alix de Jérusalem Tancrède ép. Richard du


Cécile de France Principat
1
Constance ép. 1. Raymond de Poitiers Roger de Salerne
2. Renaud de Châtillon

1. Bohémond III ép. Marie ép.


En secondes noces Manuel Comnène
Orgueilleuse de
Harenc
1
Raymond ép. Alix Bohémond IV,
d'Arménie comte de Tripoli,
puis prince
Raymond Roupen d'Antioche. ép.
Mélisende de
Marie ép. Philippe de Lusignan
Montfort 1
Raymond Bohémond V ép. 1. Philippe Henri « du Marie
1 Alix de ép. prince » ép. prétendante
Champagne Isabelle Isabelle de au trône de
d'Arménie Lusignan Jérusalem
2. Lucie Segni
'1
Hugues III
Bohémond VI ép. Sibille d'Arménie

Bohémond VII Lucie ép. Narjot de


Toucy

569
Annexe XXXI : Du Plait Renart de Dammartin contre Vairon son roncin.

Oiez une tençon qui ne fete piéçà;


Mise fu en escrit du tens de lors ençà.
Renart de Dant Martin à son roncin tença,
Et son roncin à lui, mes Renars commença.

Vairon avait à non cel roncin que je di.


Quant à lui ramposner son seignor entendi,
Et vairon autressi ramposne li rendi,
Que débonéreté nule ne respondi.

Ne Vairon ne li sires, nus de ces deus n'ert sains.


Vairon fu foible es jambes, de ce valoit-il mains,
Et li sires crolloit de la teste et des rains;
Toutes eures parla li sires premerains.

« Vairon, que ferai-je puisque vous méhaigniez?


Bien voi que mult par tens serons desconpaigniez
Crollant vois de la teste et vous devers les piez;
Quatre en soliez avoir, or estes à trois piez.

-« Sire, ne me devez mon méhaing reprochier,


Quar onques nule beste ne poez chevauchier
Qui puisse desor vous amender ne frouchier :
C'est tout par vostre crolle et par vostre hochier.

-Onques par mon croller n'eustes greignor paine;


Encore avez bon dos, eschine entière et saine,
Et si vous faz sainier en chascune quisaine,
Mes c'est droite foiblèce qui ainsi vous démaine.

-Sire, c'est par voz coupes certes que foibles sui,


Quar je ne goust d'avaine se n'estres à autrui,
N'onques mon escient en vostre ostel ne gui,
Qu'eusse jor et nuit de vèce c'un seul glui.

-Sui-je en vo dangier, orguillex plains de boce?


Ce est redoterie qui ainsi vous déhoche.
Et les jambes devant vous ploient comme croche.
Ne gart l'eure que chiens facent de vous lor noce.

-Sire, vous n'amez pas, ce m »est avis, mon vivre.


Qui à chiens par parole si fetement me livre;

570
Mes ainz que mi costé soient de char délivre,
Serez-vous mainte foiz, je croi, tenuz por yvre.

-Vairon, ce croi-je bien. Que vous a-il cousté?


-Sire, tant que g'i ai durement escoté.
Tel foiz avez béu que je n'en ai gousté :
Après si s'en sentoient durement mi costé.

-Vairon, vous ne vivez fors por moi domagier,


Quar onques ne vous poi ne vendre n'engagier;
Il n'est nus qui vous voit ces jambes souglacier,
Qui puis vous achatast, s'en dévoie enragier.

-Sire, pensez de vous, si ferez mult que sage;


Se je sui afolez, c'est vostre grant domage.
Mors estes se n'estoit de Nantuel le lingnage,
Que por autre achater n'avez argent ne gage.

-Ahi! mauves roncin, de tout bien decéu,


Ainz que je vous eusse en oi-je maint eu.
-je croi bien, vous avez par tant biau jor véu
Cor sont li donéor et mort et recréu.

-Tu mens voir; ainz ne fui de si grant acointance


Com je sui orendroit; et saches sanz doutance,
Conques tant ne vausis en ta greignor poissance
Com fet ce que me done par an le roi de France.

-Vous done dont li rois?-0'ïl, biaus dons et buens,


L'évesque de Biauvais et de Saint-Pol li quens,
Li sires de Nantueil, qui est miens et je suens,
Et li sires des Barres, dont li maugrez soit tuens.

-Onques por Dieu n'en aies maugrez ne maie grâce;


Soit de moi ou de vous, qui miex porra, si face;
Se je ne vous guerpis prochainement la place,
Si la me lerez-vous, quar la mort vous menace.

-Oiez, ce dist le mestre, quel ramposne ci a!


Que penduz soit-il ore quant la mort m'envoia!
N'a encor pas granment à terre me rua :
Malement le démaine flectamus jenua.

571
-Sire, puisque vous dites que foiblement vous port,
Por quoi n'achatez-vous et meillor et plus fort?
-Je ne puis. Tu m'as dit que donéor sont mort :
Je sui cil qui par force à sa vielle se dort.

-Bien voi que mon service mauvèsement emploi :


Tant m'alez ramposnant que je les jambes ploi.
Jà n'en perdrez jornée por ce se j'afebloi,
Que porter ne vous puisse chascun jor à Trambloi.

-Vairon, ne m'aimes gaires, ainsi comme il me samble,


Qui me vas ramposnant que la teste me tramble;
Mes se je por denier demain ne te dessamble,
N'auras pas longuement et cuir et char ensamble.

-Et que ferez-vous donques, dites le moi se viaus?


-Volontiers; mes li dires ne te sera pas biaus :
Je te ferai venir un ouvrier de coutiaus,
A trenchier les ataches à qoi tient tes mantiaus.

-Sire, vous soliiez fère de moi tel feste.


-Voirs est. Or en ferai com d'afolée beste.
Ton cuir ferai oster des piez et de la teste,
Si c'on porra veoir à descouvert la feste.

-Sire, dont vendra ce que li vilains retret,


Quar li vilains seut dire de bien fère cou fret.
Se preniiez bien garde aus biens que vous ai fet,
S me devriiez-vous un an garder contret.

-Honis soit, dist le mestre, qui vous tendra en mue!


Puisque denier devez corner la récréue,
Vostre char ert aus chiens, moi ne chaut qui li rue.
J'aurai argent du cuir, la paume me menjue.

-Or vous courouciez-vous, sire; bien voi l'afère,


Mes puisqu'il est ainsi que je ne vous puis plère,
Tuer pas ne me fetes, ainz me vendez por trète
A aucun charretier, ou mon miex puisse fère.

-Vairon, c'est à bon droit que de blasme te rete.


Fols est qui de l'estable por nule rien te gete :
Tu n'es bons en charrue, ne por trère en chanete.
Je ne trais qui de toi barguingnier s'entremete.

572
-Sire, mult estes dur, s'en vous merci ne truis;
Por Dieu, ne m'escondites de vostre estable Fuis.
Lessiez-moi d'une part : si vivrai se je puis;
Quar trop redout la mort, chiens ne coutiaus ne ruis.

-Et comment te leroie lez mon roncin Fauvel,


Qui menjue s'avaine et son fain tout novel?
Se jeunes lez lui, ne t'en sera pas bel.
-Ne me chaut : trop redout les chiens et le coutel.

-Respit as de ta vie, encore vivre te lais.


A mengier avéras; or sueffre, et si te tais;
Mes c'ert par un covent : ne me ramposne mais.
-Mult volentiers, biaus sire.-Lors fut faite la pais.

La pais fu créantée si com Renart voloit;


Se Vairon l'otria, nus blasmer ne l'en doit :
Les chiens et les coutiaus durement redoutoit,
Por ce est bien réson qu'au los son seignor soit.

V. 1-120, p. 23-27, dans Achille Jubinal, Nouveau recueil de contes, dits,


fabliaux et autres pièces inédites des XIIIe, XIVe et XVe siècles. Tome I et II,
Genève, Slatkine Reprints, 1975.

573
Annexe XXXII : Réaction du roi à la plainte d'Ysengrin concernant le viol d'Hersent. Le
Jugement de Renart

Or dont, dit Nobles, au deable! Et bien donc, dit Noble, allez au diable!
Por le cuer bé, sire Ysengrin Morbleu, seigneur Isengrin.
Prendra j a vostre gerre fin? vous serez donc toujours en guerre?
Quidiez i vos rien gaagnier, Croyez-vous y gagner quelque chose?
Renart mater ne meegnier? Croyez-vous dompter Renart? L'estropier?
Foi que je doi saint Lïenart, Par saint Léonard.
Ge connois tant les arz Renart je connais suffisamment les tours de Renart pour
Plus tost vos puet il fere ennui, affirmer
Honte et damaje que vos lui. qu'il peut causer tourment, honte et dommage
D'autre part est la pes jurée beaucoup plus vite que vous ne le pouvez vous-
Dont la terre est aseiiree : même.
De surcroît, la paix est proclamée
Qui a rendu sa tranquillité au royaume.
Qui Fenfrendra, s'il est tenuz. Celui qui enfreindra la loi. s'il est pris.
Molt mal li sera avenuz. Passera un mauvais quart d'heure.

V. 254-266, p. 54-55, tome I, traduction Jean Dufournet.

574
Annexe XXXIII : Renart le Contrefait, cinquième branche. Discours de Drouïn à
Brun l'ours sur l'impossibilité de modifier son statut social

Contraire en fais, contraire enjeux.


Vous estez mal contremoies,
Combien que deux bestes soyez.
Siguez, quant jouer tu te voeulx
Et que ne voeulx point estre soeulx,
Quier ton pareil de ta manière ;
Toudis pareil son pareil quiere,
Et de quelconcque entencion,
Et josne a josne, et riche a riche,
Et large a large, et chiche a chiche,
Et sage a sage, et fol a fol,
Le vieulx au vieulx ; ainsi lo.
A son pareil voise chascuns,
Ainsi n'en yert decheû nulz ;
Qui toute riens ordonnoit
Et son pareil lez lui aroit,
Homme, poisçon, oiseaulx, chevaulx,
Jamais sur tene n'aroit maulx ;
Se son pareil chascun sieuoit
Et sa condicion avoit,
Jamais nulz n'yere descordans,
Mais toute rien yere acordans.
Se loup jouoit a la brebis,
Et le faucon a la pertris
Et le loup jouoït a la chievre,
Et le lévrier jouoit au lièvre,
Et le chat se jouoit au rat,
Je doubte n'y eiilt, barat (...)
Noble, clerc a ruddes villains
Envis poeut estre bon compains ;
Le clerc latin parler voultroit,
Et le vilain mal le souldroit,
Car le vilain ne s'estudie
Fors qu'en charue en en bouly ;
Le clerc voeult pertris et faisans,
Qui a vilains sont mal faisans,
Se le vilain tul mez demandé,
Droit est qu'il en paie l'amende.1528

1528
Livre II, v. 30440-30490, p. 83.

575
Annexe XXXIV : Naissance d'Alexandre

Li rois qui Mascedoine tenoit et Alenie


Et Gresce en son demaine et toute Esclavonie,
Cil fu père a l'enfant dont vos onés la vie ;
Phelippes ot a non, rois de grant segnorie.
Une dame prist bêle et gente et eschevie [gracieuse]
Olimpias ot non, fille au roi d'Ermenie [Arménie],
Qui riches iert d'avoir, d'or et de manandie [domaines],
De terres et d'onors et de gent molt hardie ;
Et la dame fu preus et de grant cortoisie
Si ama biaus déduis de bos, de chacerie, [les plaisirs de la chasse]
Rote, harpe et vïele et gigue et simphonie
Et autres estrumens o douce mélodie ;
Cil iert privés de li, si ne s'en couvrait mie,
Qui par armes queroit pris de chevalerie,
Et li donoit biaus dons, car de biens iert garnie,
Les biaus chevaus d'Anabe et les muls de Surie [Syrie],
Les riches garnemens, palefrois de Hongrie,
Les siglatons [soieries] d'Espaigne, les pailes [brocards] d'Aumarie,
Et cendaus [taffetas] et tirés et le vair de Rossie,
Diaspres d'Antioche, samis de Romenie,
Les chainsis [toiles de lin] d'Alemaigne, qu'ele avoit en baillie.
Puis li fu sa bone oevre a grant mal revertie,
Car la malvaise gent qu'ele avoit enhaïe
Et de cui el n'avoit soûlas ne compaignie
L'orent en traïson de maldire acuellie,
Dirent qu'ele faisoit de son son cors lecherie,
Ne gardoit pas la foi qu'ele ot au roi plevie,
Car a pior de lui se conissoit amie
Et de cors et d'avoir li otrioit partie.
Autresi sont encor li garçon plain d'envie :
N'est dame, se tant fait qu'ele se jut [ne peut se distraire] ne rie
Ne mostre bel samblant, qu'el ne soit envaïe [accusée] ;
Qui mal lor quiert a tort Damedieus les maldie !
De bouches mesdisans iert la maisons enplie
Ou li diables règne o sa laide ost banie,
Car li siècles est plains de la losengerie,
Si ne commence or pas, ains muet d'anciserie.
La reine le sot, qui tant en fu laidie,
Car neïs de l'enfant dirent il vilonie :

576
Annexe XXXIV : Naissance d'Alexandre, suite

Que il estoit bastars, nés par enchanterie.


Et tans que il fu nés, ci com l'estoire crie,
Ert uns hom en la terre, plains de molt grant voisdie,
Nectanabus ot non en la tene arrabie ;
Au naistre aida l'enfant, que que nus vos en die,
Q'il fu nés près du punct qui done segnorie.
Et s'il eiist un poi celé nuit devancie,
Q'il fust nés en l'espasse que il avoit choisie,
Ne fust mie si tost sa proëce faillie
Ne par venim mortel sa valor aconplie,
Plus regnast longement et plus eiist baillie.1529

1529
Alexandre de Paris, Le Roman d'Alexandre, v. 145-194, p. 80 et 82.

577
Annexe XXXV : Les Empereurs romains {Renart le Contrefait, sixième
branche)

Tarquinius qui ce voloit.


Qui de grant aise se doloit.
Qui de Romme estoit roy et sire
Avant que ce fut dit empire.
Il en prinst orgoeul en cure
Pour ce il se mist ce luxure,
Et les dames amer volloit
Combien que mainte s'en doloit
N'estoit dame que il veyst.
Combien que au cœur lui seï'st,
Que tantôt ne voulsist avoir ;
N'y vit folye ne scavoir.
Pechié, hayne ne diffame.
Lucresse, une bonne dame,
Qui des meilleurs de Romme estoit.
Et en trestous biens se mettoit.
De tout le poeuple fut amée
Par son bon fait et renommée.
Cil roy le vault par force avoir
Et par force en fist son volloir;
Et pour ce, fu puis esbahy.
Car du poeuple fut enva>'.
Pour ce prins et enprisonné.
Et son filz avec lui mené :
Et furent chacés en exil
Sans rien porter, et povre et vil.
Et devant le peuple et les gens
Fu il liez en mes liens ?J ,
Et la par moy si constrains furent
Qu'a honte et a dolleur morurent.
N'oncques Rommains pour ce meffait
N'orent puis a Romme roy fait.
Et firent empereur dès lors.1

l5j0
Les liens tissés par Renart redevenu, après plusieurs aventures plus animalières, l'instigateur du Mal.
15jl
Renart le Contrefait, v. 33703-33735, livre IL p. 116-117.

578
Annexe XXXVI : autre version de l'origine de la noblesse dans Renart le
Contrefait.
De leur paix couroucié estoie
Et lors les mis je tous en voie
Qu'ilz peiissent laissier anoy,
Affin qu'entre eulx feûssent roy.
Tant les tané que ilz me crurent :
Entre eulx ung grant vilain eslurent
Du lignage de Pharaon ;
Oncques plus malvais ne vit on,
Et le grant Golias aussi
De cellui mal lignage issi.
Lors establi je gentillesse
Qui humilité griefve et blesse.
Lors fit charité hors chasser
Et toute la terre trachier ;
Et la prins fu, or et argent.
La fis départir toute gent
Tenes et prez, bois et rivieres ;
Cil ot le plus qui plus fort yeres.
La fis je le poeuple combatre,
Le plus fort le plus fesble batre.
Lors fis je taillier pourveances,
Leurs garnisons et leurz chevances.
Lors fis je les chateaulx drechier,
Charité toute despisier.
Quant aucuns biens tollu avoient,
En iceulx chateaulx les portoient,
Et quant les sieuoient aprez,
Si jettoient cailleux et grez
Que jusqu'à la mort les menoit,
Et lors partir les convenoit.
Et quant iceulx si s'en partoient,
Qui le cœur si perdu avoient,
Lors alloient a l'aultrui tendre,
Prenoient ou pouoient prendre (...)

1532
Le « je » désigne Renart.

579
Annexe XXXVI : autre version de l'origine de la noblesse dans
Renart le Contrefait, suite

Tolirent a le menu gent


Ablais et bestes et argent.
De povres fis avoir desdain,
Et leur fis croire pour certain
Que li estât de povre gent
Nul temps n'estoit ne bel ne gent. 1533

1533
Renart le Contrefait, v. 36909-36942 et 36957-36962, septième branche, livre II, p. 149-150

580
Annexe XXXVII. La noblesse selon Jean de Meung dans le Roman
de la Rose

Tantost cil dolereus maufré


De forcenie eschaufé,
De duel, de corrous et d'envie,
Quant virent genz mener tel vie
S'acorcerent par toutes tenes,
Semant descors, contens et guenes,
Mesdis, rancunes et haïnes,
Par corous et par ataïnes ;
Et por ce qu'il orent or chier,
Firent ens la tene escorchier
Et li sachierent des entrailles
Les anciennes repotailles,
Metaus et pierres précieuses,
Dont gent devindrent envieuses,
Car Avarice et Convoitise
Ont es cuers des hommes assise
La grant ardor d'avoir acquene.
Li uns l'aquiert, l'autre l'ensene,
Ne jamés la lasse chetive
Ne despendra jor qu'ele vive,
Ainçois en fera mains tutors
Ses hoirs ou ses executors,
S'il ne l'en meschiet autrement.
Et s'ele en vait a dampnement,
Ne croi que ja nus d'auz la praigne ;
Mes s'el a bien fait, si la praigne.
Tantost cum par ceste menie
Fu la gent mal mise et fenie,
La premiere vie lessierent,
De ma fere puis ne cessierent,
Et faus et tricheor devindrent.
As propriétés [lors] se tindrent,
La tene meïsmes partirent,
Et au partir bonnes y mirent.
Et quant les bonnes y metoient,
Mainte fois s'entrecombatoient
Et se tolirent plus qu'il porent;
Li plus fort les plus granz pars orent.

581
Et quant a lor porchas aloient.
Li pareceus qui demoroient
S'en entroient en lor cavernes
Et lor embloient lor espernes.
Lors convint que l'en regardast
Aucun qui les loges gardast
Et qui les maufaitors preïst
Et droit as plaintis en feïst.
Ne nus ne l'osast contredire.
Lors s'assemblèrent por eslire.
Un grant vilain entr'eus eslurent.
Le plus torsu [fourbe] de quanqu'il furent.
Le plus corsu et le grignor.
Si le firent prince et seignor.
Cis jura que droit lor tendrait
Et que les loges deffendroit.
Se chascuns endroit soi li livre
Des bienz dont il se puisse vivre.
Ensi l'ont entr'eus acordé
Con cis l'a dit et devisé.
Cis tint longuement cest office.
Li robeor. plain de malice.
S'assemblèrent quant seul le virent,
Et par maintes fois le bâtirent.
Quant les bienz venoient embler.
Lors restut le peuple assembler
Et chascun endroit soi taillier
Por serjans au prince baillier.
Communément lors se taillierent.
Et touz et toutes li baillierent
Et donnèrent granz tenemens :
De la vint li commencemens
Des rois, des princes terriens.
[Selon l'escrit as anciens] :
Car par l'escrit que nous avons.
Les fais as anciens savons.
Si les en devons mercier
Et loer et regracier.

582
Lors amacerent les trésors
D'argent, de pienes et d'ors
D'or et d'argent, por ce qu'il ierent
Connestable et prince, forgierent
Vaisselementes et monnoies,
Fermaus, aniaus, joiaus, corroies ;
De fer [dur] forgierent lor armes,
Cotiaus, espees et guisarmes,
Et glaives et cote maillées,
Por faire a lor voisins melles.
Et firent tors et roulleïs
Et murs et creniaus tailleïs ;
Chatiaus fermèrent et cités
Et firent granz palais lités
Cil qui les trésors assemblèrent,
Car tuit de grant poor tremblèrent
Por les richeces assemblées,
Por ce que ne fussent emblees
Ou furent lor dolors creûes
As chetis de mavrés eiir ;
One puis ne furent asseur
Que ce qui commun ert devant,
Comme le solel et le vent,
Par Convoitise approprièrent,
Quant as richeces se lièrent,
Que or en a uns plus que vint ;
One ce de bonté ne lor vint.15

1534
Le Roman de la Rose de Jean de Meung, éd., Daniel Poirion, Paris, Flammarion, 1974, v. 9561-9664, p.
272-75.

583
Annexe XXXVIII. Le Dit de la Queue de Renart

Pour ce que j'ai fet mencion


De renardie et fiction
A ce que chascun droit regart
Aist. et miex de péchié se gart,
Quar fiction ne renardie
A Dieu ne plaisent n'a Marie,
Un dite diray de Renart :
Chascun de vous en a sa part.

Très-douce gent. entendez,


Que Dieu vous gart de contrauvez !
Par moy seront recordez
Biaus mos, s'il vous plaist atendez.
Aucuns me vont demandant
Quant par Paris vois chantant.
Se say parler par nul art
De la queue de Renart

De Regnart scey bien parler:


J'ay mis ma mélancolie
En gracieus mos rimer ;
Raison est que je les die ;
ne chevalier
Qui ne se porte mult fier
Qant puet avoir à sa part
De la queue de Regnart.

Regnart se doit miex prisier


Au jour d'ui que nule beste :
N'est duc ne si haut princier
Qui de sa queue n'ait feste.
Chascun la porte sur li :
Gay s'en portent et joli ;
Entendez, que Dieu vous gart
Au jour d'ui règne Regnart.

En chapiaus. par grant revel.


Est la queue de Regnart mise :
Il ne vaut pas un porel
Qui n'a chapel en tel guise :

584
Cil qui premier le trouva,
Ne scé de quoy s'apensa.
Chascun se porte gaillart
De la queue de Regnart.

En haut dessus leur cheveus


La portent tuit cilz jone homme,
Menu vair ni escureus
Ne prisent pas une pomme ;
Ermine ne blans aigniaus,
Ne gros vair ne les chevriaus
Ne valent pas un hasart
Vers la queue de Regnart.

Regnart est en haut montez :


Chascun au jou d'uy l'onneure ;
Prelas, évesques, abbez,
Chascun au jour d'ui labeure ;
Prestres, moingnes, jacobins,
Cordeliers et lui béguins
Qui font bien le papelart,
Sous leur chapes ont Regnart.

Regnart est quant vueut abbé


Et quant il veut il est moingne,
Doien, prestre coronné 5 ,
Et quant vueut il est chainoingne
Quant il veut l'aumuce prent :
Tout à son commandement
Fait par tretout par son art :
Nul n'a povoir à Regnart.

Regnart est fisicien ;


Quant il veut houce a founée,
Quant il veut logicien
N'a meilleur en la contrée ;
Quant il veut sire est de lois :
Regnart a toutes ses lois.
Ne li chaut, soit tost ou tart,

1535
Ce qui signifie sans doute pape.

585
Regnart va à court plaidier :
De tous est tenu pour sages.
En esglises va preschier ;
Regnart va par les vilages1:,j6.
Regnart fait sa main blanchir,
Regnart fait tout son plaisir ;
Chascun atrait à sa part :
Trop grant queue a le Regnart.

Béguines et ces nonnains


Et files-Dieu, nul n'en doute.
De Regnart sont souverains :
Chacune vers soy le boute.
Regnart par son grant denoy
Se fait sur tous prince et roy ;
Fauvel atrait à sa part
Par son engin le Regnart.

A sa court le font servir


Roy et prince, duc et conte :
Tout fait vers lui obéir " :
A li n'en est pas la honte.
Fauvel le sert au mengier' 550
Au lever et au couchier :
Bestes de diverses part
Obéissent à Regnart.

A toutes gens de mestier


Loe-je, conseil et prie
Qu'il voisent sans atargier
Querre du Regnart partie.
Orfèvres, esmailléeurs,
Chasubliers et changéeurs,
Alez quérir vostre part
De la queue de Regnart.

1536
À Limage des prédicateurs des Ordres Mendiants.
I5j7
Première mention de cène communauté de femmes laïques dans notre corpus.
Comme dans Renart le Nouvel après la prise de pouvoir du goupil.
-9 Ce qui dénote la position de supériorité hiérarchique de Renart sur Fauvel

586
Mareschaus et cherpentiers
Sauniers, gens de tannerie,
Et marchéans et bouchiers,
Derreniers ne soiez mie ;
Et tailleurs de robe aussi,
Peletiers sans nul détri,
Gardez ne soiez couart
De traire vers vous Regnart.

Procureurs et avocas,
Escrivain, gent de clergie,
Qui de rien faire estes eras,1540
Regnart vers vous s'umilie.
Poissonniers et harengiers,
Espiciers et regratiers,
On vous tendra pour musart
Se vers vous n'avez Regnart.

Drapiers et cordouenniers
Doivent estre de la feste :
Boulengiers et espiciers
Seront aussi de la geste ;
Armuriers et fourbisseurs,
Gainiers, tabletiers, broudeurs,
Alez quérir vostre part
De la queue de Regnart.

Lormiers, seliers, baudroiez,


Or bateurs ne tardiez mie ;
Couraiers, mesgeyciers
Et gens de messagerie,
Et cherbonniers et bûchiers,
Taverniers et chandeliers,
Courez tost comme gaillart
Prendre vo part de Regnart.

Auquetonniers et merciers
Et laboureur de terre1541,

1540
Comme Jean l'Épicier de Troyes, notre auteur anonyme considère les gens de loi et les clercs (les
hommes de lettres en général) comme des parasites qui s'engraissent au dépend d'autrui.
1541
Généralement ces derniers sont épargnés par la satire.

587
Foulons, laniers, tainturiers.
Courez tantost Regnart quene :
Marchans de vin. courratiers.
Vendeurs d'oublées. huilliers.
Alez quérir vostre part
De la queue de Regnart.

Cervoisiers et bufetiers.
Vous arez de vo partie
Cote sercot. lanterniers.
Estoliers, je n'en dout mie.
Porte-patiaus, savetiers.
Pour ce que le vin est chiers :
Vous les avez prins au lart :
Fourrez serez de Regnart

Il n'est au jour d'ui mestier


Ne nul marchéandise.
Excepté le poullailier.
Qui le Regnart n'aime et prise :
Mes poulailliers ont juré.
Se Regnart est si osé
Qu'il leur vigne faire esgart.
La queue aront de Regnart.

Vous qui oï nous avez.


Ne vous doit mie desplaire.
Quar on dit. bien le savez.
Que Regnart ce qu'il vueut faire
Fait en tous lieus vraiement ;
Mes ordonnez liéement.
Que Diex d'encombrier vous gart
Malicieus est Regnart.

Regnart si fait guenoier


Quant il vueut. ce oï dire :
Quant il veut fait apaisier :
Mes le Lion, qui est sire
Des bestes. l'en paiera.
Le Regnart trébuchera :
Trop haut monte com quoquart.
Cheoir faudra jus Regnart.

588
Et pour ce vous lo et pri
Que vous le traiez arrière
De vous, quar li anemi
Par sa très-fausse manière
Fait Regnart ainsi régner
Pour ceus en enfer mener
Qui se traient à sa part :
Il est trop mal le Regnart.

De Regnart vous vueil laissier,


Mes prion d'une acordance
Dieu qui est roy droiturier
Qu'il tigne en ferme puissance
Nostre roy et ses amis.
Le dous père Jhésu-Cris,
D'annui et de mal gart !
Cy fineray de Regnart.1542

1542
Dans Achille Jubinal, Nouveau recueil de contes, dits, fabliaux et autres pièces inédites des X1IT, XIVe
et XVe siècles, Genève, Slatkine Reprints, 1975, pp. 88-95, v. 1-192.

589
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