Explorer les Livres électroniques
Catégories
Explorer les Livres audio
Catégories
Explorer les Magazines
Catégories
Explorer les Documents
Catégories
L’OUVERTURE DIVINE
dans ce qui est utile
pour le disciple tijânî
1. En fait, la Tarîqa doit son nom au Shaykh Abû-l-’Abbâs Ahmad ibn Mahammad [sic, avec
la fatha] at- Tijânî ( 1150/1737 – 1230/1815 ), né à ‘Ayn Mâdhî, village du désert algérien à
soixante-dix kilomètres à l’ouest de Laghouat.
2. Le premier ouvrage doctrinal et général sur la Tijâniyya est celui du professeur chrétien
libanais Jamil M. Abun-Nasr, The Tijaniyya : A Sufi Order in the Modern World, Oxford University
Press, London 1965 ; suivi du recueil d’études sous la direction de Jean-Louis Triaud et David
Robinson ( éds ) : La Tijâniyya. Une confrérie musulmane à la conquête de l’Afrique, éd. Karthala, Paris
2005, et du travail hostile de Jillali El Adnani, La Tijâniyya 1781-1881. Les origines d’une confrérie
religeuse au Maghreb, éd. Marsam, Rabat 2007, dont l’analyse des sources est présentée sous une
forme plutôt tendancieuse, on ne sait si c’est par mauvaise foi ou par pure ignorance.
10 | L’ouverture divine
et Khalîfa, Sidi ‘Alî Harâzim. Ce travail, qui a fait l’objet de deux traductions
ces dernières années, malgré des lacunes constatées, est à la disposition du
public et on espère qu’à terme il attirera des chercheurs qui pourront mener
une enquête compétente et détaillée sur son élevé contenu sapientiel.
Dans l’attente de voir se multiplier le nombre de chercheurs et d’études à
cet égard, nous nous sommes engagés à faire connaître la traduction d’autres
travaux fondamentaux de la Tarîqa, sous la marque commune de l’association
Le Cercle de Lumière et de l’éditeur Albouraq. Le premier travail qui voit le
jour est al- Fath ar-rabbânî, « L’Ouverture divine », avec en sous-titre : « dans
ce qui est utile pour le disciple Tijânî » ( fîmâ yahtâj ilayhi al- murîd at- tijânî ).
Cet ouvrage, à l’usage des disciples de cette Tarîqa, se présente comme un
bréviaire et facilite la compréhension des rites. De ce fait, le Fath ar-rabbânî
est l’un des manuels les plus répandus de la Tijâniyya, même s’il n’a jamais
fait l’objet d’une édition critique.3
L’auteur, Sidi Muhammad ibn ‘Abd Allâh ibn Hasanayn at- Tisfâwî,
est un Égyptien originaire de Tisfâ, petit village à environ quarante
kilomètres au nord du Caire. De lui, nous ne connaissons rien de plus que
l’information biographique qu’il nous donne lui-même dans son livre, à
partir de laquelle il est clair qu’il a vécu dans la première moitié du XXe
siècle et qu’il a eu des contacts avec les maîtres Tijânî appartenant à la
période formative de la Tijâniyya en Égypte, comme le Muqaddam al- Hâjj
Hamû al- ‘Uqbânî ( m. 1325/1907 ) et le Muqaddam al- Hâjj al- Hâshimî
Muhammad ad-Dumnâtî ( m. 1332/1914 ). Le travail reflète ainsi pleinement
la transmission des connaissances telles qu’elles ont été transmises à
l’époque dans l’environnement de la Tarîqa, en plus de celle des sciences
islamiques en général. À cet égard, le Fath ar-rabbânî est un exemple de
doctrine traditionnelle au service de la spiritualité islamique et du soufisme,
puisque le but principal de ce livre est de fournir au disciple tijânî les outils
nécessaires pour connaître tous les éléments essentiels dans la pratique de
sa Voie en pleine connaissance de cause. En même temps, il s’agit d’une
réponse détaillée aux critiques adressées à certaines pratiques ou doctrines
soufies et, en particulier, à l’égard du Shaykh Sidi Ahmad at- Tijânî et de
la Tijâniyya. Ce faisant, l’auteur a magistralement rassemblé une vaste
3. Les textes en arabe que nous avons utilisés, bien que défectueux, sont suffisants pour établir
une bonne traduction. Le premier est édité par l’édition Maktaba al- Qâhira, Le Caire, s.d.,
également disponible en ligne ; le deuxième est celui édité par ’Alâwa Boudarwâz, s.d. e s.l.
Dans ce qui est utile pour le disciple tijânî | 11
salafiste, mais également de certains milieux soufis, puisqu’il n’a d’égal dans
aucune autre Tarîqa. Les maîtres tijânîs ont été confrontés dès le début à ces
controverses et il n’y a pratiquement pas de manuel tijânî qui ne se soit pas
engagé à répondre. Surtout, les privilèges réservés aux membres de la Tarîqa
semblent particulièrement gênants, car, sans qu’on leur demande de vertus
particulières au-delà du simple fait de respecter les conditions d’appartenance,
ils obtiennent et même après la mort, davantage que les Pôles parmi les
saints. Le livre de Tisfâwî se termine par un exposé détaillé de ces privilèges
que, selon une réponse du Shaykh at-Tijâni, nous comprenons ne pas être
le résultat des mérites accumulés lors de la récitation de la Salât al- Fâtih,
qui, même s’ils ont une valeur inestimable, restent quand même à l’arrière-
plan. Comme cela est rapporté dans le Fath ar-rabbânî : « Nul doute que les
compagnons de notre Shaykh n’ont obtenu ces faveurs que parce qu’ils
ont suivi la voie de celui-ci. Le Shaykh l’avait d’ailleurs reconnu lorsqu’il fut
interrogé par Sidi Muhammad ibn al- Mishrî en ces termes : “Cette grande
faveur, l’ont-ils obtenue grâce à la Salât al- Fâtih6 ou grâce à autre chose ?” Le
Shaykh resta silencieux un moment puis dit : “C’est grâce à nous, louanges
et faveurs à Dieu” ». Cela ne signifie évidemment pas que la Salât al- Fâtih
ne joue pas un rôle décisif dans l’élection spéciale réservée aux tijânis, mais
les vertus exclusives de cette « prière sur le Prophète » d’origine divine sont
presque toutes liées à la transmission initiatique qui provient du Shaykh.
Après tout, il ressort clairement que le Maître occupe une place centrale et
privilégiée et que certains avantages sont réservés à ceux qui, même sans
avoir été initiés à sa Voie, sont « attachés » au Shaykh pour le simple fait de
l’aimer.
Cela dit, nous pouvons comprendre que le point crucial à résoudre pour
aborder correctement la Tijâniyya concerne essentiellement son Maître et
concerne avant tout sa fonction spirituelle. Ce qu’il revendique pour lui-
même est la Fonction suprême de la sainteté ( walâya ), à laquelle est donné
le nom, selon les termes du Shaykh, de « Pôle caché » ( al- qutb al- maktûm ).
6. C’est une « prière sur le Prophète » qui remonte à Muhammad al- Bakrî et constitue l’un
des piliers de la Tijâniyya, comme cela sera expliqué dans la suite du livre. Le Shaykh Shams
ad-Dîn Muhammad ibn Abî-l-Hasan al- Bakrî al- Kabîr ( 930/1524 – 994/1586 ), était consi-
déré comme le pôle de son époque et il reçut la Salât al- Fâtih après une vie d’intenses pratiques
spirituelles. Voir Zukalî, al- A‘lâm, VII, 60e Yûsuf Nabahânî, Jâmi‘ karâmât al- awliyâ’, Le Caire
1974, vol. I, pp. 312-322, et Id., as-Salâwât ‘alâ Sayyid as-sâdât, Beyrouth 2008, pp. 75-82.
Dans ce qui est utile pour le disciple tijânî | 13
7. La traduction complète en anglais de « Les Illuminations de La Mecque » ( al- Futûhât al- mak-
kiyya ), son Opus magnum, est actuellement en cours d’exécution par Eric Winkel. La traduction
des 264 premiers chapitres a déjà été publiée, soit un peu moins de la moitié de l’ouvrage.
8. C’est-à-dire le « Sceau muhammadien », puisque la fonction de « Sceau de la sainteté abso-
lue » ( khâtim al- walâya al- mutlaqa ) appartiendra au Jésus de la seconde venue.
9. Puisque les Awliyâ’ ne mentent pas, cela devrait nous amener à évaluer les données pour ce
qu’elles sont, sans privilégier a priori personne. L’attitude de la « moyenne d’or » doit s’appli-
quer également à Ibn ‘Arabî et au Shaykh at- Tijânî.
14 | L’ouverture divine
Principe divin ( mir’ât al- Haqq ) dans lequel le Vrai Se contemple et manifeste
Ses plus beaux noms. À partir de cette « vision » naissent les entités des êtres
créés et ceux qui sont proches de la réalité du Prophète ﷺ, ceux qui l’aiment
sont ceux qui, par pure Faveur divine, sont l’objet du regard que le Très
Haut a placé sur lui en Se contemplant et, à travers ce regard éternel, ils sont
inclus in divinis dans la réalité de Son Amour.14 Ils sont ceux que le Coran
décrit dans le verset : Il les aime et ils L’aiment ( yuhibbuhum wa
yuhibbunahu )… les gens qui ne craignent pas le blâme ( lawmata )
du blâmeur. Telle est la faveur de Dieu ( fadlu ‘Llâh ). Il la donne à
qui Il veut. ( Coran 5 : 54 ) Il est à peine nécessaire de souligner qu’il s’agit du
verset qui fait allusion directement aux Malâmatiyya, les « Gens du Blâme »,
à savoir, dans le langage technique d’Ibn ‘Arabî, les « Muhammadiens » par
excellence15, ceux qu’un autre passage coranique décrit aussi comme les
« Gens de la Non-Station » ( al- lâ maqâm )16 :
Ô Gens de Yathrib, il n’y a pas de station pour vous ( lâ maqâma
lakum )17 : retournez donc !
( Coran 33 : 13 )
Ceux-là sont définitivement une catégorie à part.18
14. C’est pour cette raison que les Tijânis se définissent comme ahbâb, « les bien-aimés ( de
Dieu ) », ce qui les distingue de ceux appartenant à d’autres confréries où il est normal d’ap-
peler leurs membres fuqarâ’, littéralement les « pauvres ».
15. Malâmatiyya ou, plus correctement, Malâmiyya ; c’est cette forme qu’Ibn ‘Arabî emploie de
préférence. L’école des Malâmatiyya s’est développée à Nishapur au 3ème siècle de l’Hégire et
s’est distinguée de celle des soufis de Baghdad, perçus comme trop engagés dans les états de
l’âme et non suffisamment détachés de ceux-ci ( voir Sulamî : La lucidité implacable. Épître des
Hommes du Blâme, trad. par R. Deladrière, Paris 1991 ). Avec Ibn ‘Arabî, cependant, le terme
prend une nouvelle connotation plus profonde et sert à désigner la catégorie de sainteté la plus
élevée, identique, d’une certaine manière, à celle des Afrâd, ceux qui ont atteint la « Station
de la Proximité » ( maqâm al-qurba ). Voir Michel Chodkiewicz : Le Sceau des saints. Prophétie et
sainteté dans la doctrine d’Ibn Arabî, Paris 1986, ch. VII. Les Ti-jânis s’identifient souvent à cette
catégorie initiatique en précisant qu’elle doit être comprise dans le sens technique employé
par Ibn ‘Arabî ( voir al-‘Arabî ibn as-Sâ’ih, Bughya, ch. VI de l’introduction ).
16. « Toute personne qui réside en dessous de cette station est délimitée et définie par cer-
tains attributs divins plutôt que d’autres. Mais le gnostique possède tous les attributs divins
et n’est délimité par aucun. » ( Voir William Chittick : The Sufi Path of Knowledge. Ibn al- ‘Arabi’s
Metaphysics of Imagination, Albany 1989, pp. 375-381.
17. Selon la riwâya de Warsh ; dans celui de Hafs on trouve : lâ muqâma lakum, « pas de
place pour vous ».
18. À cet égard, il convient de mentionner la phrase du Shaykh at- Tijânî : « Tous les hommes
sont dans un flux, et moi et mes compagnons sommes dans un flux à part ».
Dans ce qui est utile pour le disciple tijânî | 51
59. Muhammad ibn ‘Abd al- Wâhid ibn Hasan an-Nazîfî ( 1270/1853 – 1366/1947 ), fut un
faqîh et un des grands savants du Sûs du Maghreb connu pour sa sainteté. Ad-Durra al- kharîda
est un important manuel de la Tarîqa Tijâniyya qui recueille de nombreuses sources précé-
dentes. Nazîfî est également connu pour al-Tibb al- fâ’ih, un texte d’invocations qui s’articulent
autour de la Salât al- Fâtih.
60. As-Sawâ‘iq al- mursala ilâ man ankara al- jahr fî al- farîda bi-l-basmala, du célèbre Muqaddam
tijânî Muhammad ibn Mahammad Gannûn.
61. Voir la note 35 ci-dessus.
62. Abû Dâwud consacre un chapitre à sa récitation à haute voix ( voir hadîth 786-88 ), mais le
hadîth est rapporté par Dâraqutnî, Sunan, 1145-48 ; voir aussi Ibn Khuzayma, Sahîh, 688 ; Ibn
Hibbân, Sahîh, 1797 avec isnâd authentique selon les conditions de Muslim ; et alii.
63. Hâkim, Mustadrak, I, 208. Voir aussi Ibn al- Mulaqqin, Mukhtasar istidrâk adh-Dhahabî ‘alâ
Mustadrak Abî ‘Abd Allâh al- Hâkim, Riyad 1411, vol. I, p. 173.
64. Qadamay hâtân ‘alâ raqabatin kulli walî liLlâh ta‘âlâ min ladun Âdam ‘alayhi as-salâm ilâ an-nafakh
fî as-sûr. C’est-à-dire jusqu’à la fin des temps. La première source de cette phrase est le livre du
compagnon du Shaykh, Sidi Muhammad at- Tayyib as-Sufyânî, al- Ifâda al- Ahmadiyya li-murîd
as-sa‘âda al- abadiyya, édité avec les gloses du Shaykh Muhammad al- Hâfiz, Le Caire 1971,
dictum 208, p. 130 ( et récemment à Rabat par Radi Guennoun, s.d., p. 335 ) où il est rapporté
avec la variante « depuis le début de la formation du monde » ( min awwal nash’at al- ‘âlam ).
65. Inna maqâmanâ ‘inda Allâh fî al-âkhira lâ yasiluhu ahad min al-awliyâ’, wa lâ yuqâribuhu min kubr
sha’nihi wa lâ min sighar. Inna jamî‘a al-awliyâ’ min ‘asr as-sahâba ilâ an-nafakh fî as-sûr laysa fîhim man
yasilu maqâmanâ. Voir les Rimâh du Hajj ‘Umar, sur la marge des Jawâhir al- ma‘ânî, Le Caire
52 | L’ouverture divine
1988, ch. 36, II, p. 5. et Id., Suyûf as-sa‘îd al-mu‘taqid fî ahl Allâh, « Les épées de l’heureux qui
croit au peuple de Dieu. »
66. Inna al-fuyûd allatî tufîdu min dhâti Sayyid al-wujûd ﷺtatalaqqâhâ dhawât al-anbiyâ’ ; wa kullu mâ
fâda min dhât al-anbiyâ’ tatalaqqâhu dhâtî wa minhâ yatafarraqu ‘alâ jamî‘ al-khalq min nash’at al-‘âlam
ilâ an-nafakh fî as-sûr, wa khussistu bi-‘ulûm baynî wa baynahu minhu ilayya bi-lâ wâsita lâ ya‘lamuhâ illâ
Allâh ‘azza wa jall. Voir les Rimâh, ch. 36, II, pp. 5, 15 e 17 ; voir aussi Ahmad Sukayrij, Kashf
al- hijâb, p. 561.
67. Lâ yashrabu walî wa lâ yusqâ illâ min bahrinâ min nash’at al- ‘âlam ilâ an-nafakh fî as-sûr. Voir les
Rimâh, ch. 36, II, pp. 5 e 17 ; aussi Kashf al- hijâb, p. 561.
68. Rûhî wa rûhuhu ﷺhakadhâ – mushîran bi-isaba‘ayhi as-sabâbat wa-l-wustâ – rûhuhu ﷺtamuddu
ar-rusul wa-l-anbiyâ’ ‘alayhim as-Salâtu wa-s-salâm, wa rûhî tamuddu al- aqtâb wa-l-‘ârifîn wa-l-awliyâ’
min al- azal ilâ al- abad. Voir lesRimâh, ch. 36, II, pp. 5 et 18.
69. A‘mâr an-nâs kulluhâ dhahabat majjânan illâ A‘mâr ashâb al- fâtih limâ ughliq, faqad fâzû bi-r-ri-
bh dunyâ wa ukhrâ ; wa lâ yashghalu binâ ‘amrahu illâ as-Sa‘îd. Le texte se trouve dans une lettre
du Khalîfa sidi ‘Alî Harâzim, rapportée dans le Rawd al- muhibb al- fânî de Ibn al- Mishrî ( voir
http://www.tidjania.fr/lettres-amis/304-hrazim ) ; aussi Kashf al- hijâb, p. 564.
Dans ce qui est utile pour le disciple tijânî | 53
ceux qui prennent ton Wird seront préservés du feu” ».70 Et sa parole : « Une
seule récitation de al- Fâtih limâ ughliq égale six mille récitations du Coran. »71
Pour ce qui concerne la réprobation de sa parole : « Mes pieds que
voici, etc. » la réponse est que le Shaykh a dit cela parce que le Prophète ﷺ
l’avait informé qu’il était le Pôle caché ( al- qutb al- maktûm )72 et le Sceau
muhammadien ( al- khâtim al- muhammadî ) connu de qui s’inspirent tous les
saints depuis Adam jusqu’au souffle dans le cor.73 Cela implique donc que
son rang est supérieur à tous les rangs des autres saints en ce sens qu’il n’y
a aucune qualité de beauté ou de majesté obtenue par les saints sans que ce
Pôle sublime en soit lui-même la source à partir de la Présence du Maître
de l’existence ﷺet de ses frères les prophètes, que la prière et la paix soient
sur eux !
Le Shaykh Ahmad Zarrûq a montré dans cette optique que les raisons
justifiant le mérite de la parole de mawlânâ le Shaykh ‘Abd al- Qâdir al- Jîlânî
qui a dit : « Mon pied que voici est sur les nuques de tous les saints… »
se rapportaient, en plus du fait que ceci était spécifique aux gens de son
époque, à sa grande dévotion, à sa science et à sa noble ascendance. Toutes
ces qualités, selon le Shaykh Zarrûq, étaient réunies chez notre saint, ce que
n’avaient pas totalisé les saints de son époque. Voir le jugement du Shaykh
Ahmad Zarrûq dans son « Explication introductive sur les mérites ( al- Tawti’at
li-bayân fadl ) du Shaykh ‘Abd al- Qâdir al- Jîlânî. »74
70. Qâla lî Sayyid al- wujûd ﷺ: Anta min al-âminîn, wa kullu man ahabbaka min al-âminîn. Anta habîbî,
wa kullu man ahabbaka habîbî wa fuqarâ’uka fuqarâ’î wa talâmîdhuka talâmîdhî wa ashâbuka ashâbî wa
kullu man akhadha wirdaka fa huwa muharrar min an-nâr. Le texte se trouve dans la même lettre de
‘Alî Harâzim, citée dans la note précédente ) ; aussi les Rimâh, ch. 43, II, p. 158.
71. Al- marra al- wâhidat min Salât al- Fâtih limâ ughliq ta‘dilu sittat âlâf khatma min al- Qur’ân. Voir
Jawâhir al- ma‘ânî, éd. Le Caire 1988, I, p. 114 ( éd. Paris 2011, p. 373, qui traduit à tort « six
cent mille » ).
72. « Le Maître de l’existence m’a dit que je suis le Pôle caché ; oralement à l’état de veille, pas
( dans un rêve ) pendant le sommeil ( akhbaranî Sayyid al- wujûd ﷺbi-annanî anâ al- Qutb al- maktûm,
minhu ilayya mushâfahatan, yaqzatan lâ manâman ). » Cette phrase du Shaykh est mentionnée dans
une lettre de son Khalîfa ‘Alî Harâzim et rapportée dans le Kashf al- hijāb, p. 560. Reçue égale-
ment par al- Hâjj ‘Umar via Muhammad al- Ghâlî, les Rimâh, II, p. 15, et dans le Suyûf as-sa‘îd.
73. Toutes les déclarations dans lesquelles le Shaykh affirme sa fonction de « Sceau » sont
rassemblées dans le chapitre 36 déjà mentionné des Rimâh.
74. Le passage en question est rapporté par Kansûsî dans son livre al-Jawâb al- muskit, dispo-
nible en ligne ( www.tidjania.fr/books-tariqah/view.download/7/66 ).
54 | L’ouverture divine
À cet effet, nous justifierons les paroles de notre Shaykh par les mêmes
raisons avancées par le Shaykh Zarrûq pour justifier les paroles du Shaykh
‘Abd al- Qâdir al- Jîlânî. Ces trois raisons sont réunies [pour reconnaître la
véracité des paroles de] notre Shaykh, en plus de deux autres raisons, à savoir
qu’il se trouve parmi les derniers des derniers, en termes d’époque et qu’il
est le « Sceau des saints. » C’est à cause de ces deux qualités supplémentaires
que le Shaykh a parlé de ses deux pieds en disant : « Mes deux pieds que voici
sont sur les nuques des saints depuis Adam jusqu’au souffle dans le Cor. »
Extrait de la Bughya et du Jawâb al- muskit.75
On rapporte dans ce contexte, comme cela est indiqué dans les Rimâh,
que le jour où notre Shaykh avait prononcé ces paroles, il appela le sayyid
Muhammad al- Ghâli et lui dit : « Mes deux pieds que voici sont sur les
nuques de tous les saints… » Sidi Muhammad al- Ghâli qui était l’un des
compagnons les plus proches du Shaykh et dont l’habitude était de lui
demander des explications sur certaines de ses paroles, lui dit : « Ô maître ! es-
tu en état de sobriété et de permanence ou en état d’ivresse et d’extinction ? »
Il lui répondit : « Je suis en état de sobriété et de permanence et en parfaite
clarté mentale, Dieu merci. » Il lui dit : « Que dis-tu de la parole de Sidi ‘Abd
al- Qâdir : ‟Mon pied que voici est sur la nuque de tout ami de Dieu le
Très-Haut” ». Il lui répondit : « Il a dit vrai , mais il entend par là les saints
de son temps. Quant à moi, je dis : ‟Mes deux pieds que voici sont sur les
nuques des saints depuis Adam jusqu’au souffle dans le Cor76” ». Il lui dit :
« Ô maître ! que dirais-tu si quelqu’un venait après toi et disait la même
chose que toi ? » Il lui dit : « Personne ne dira la même chose après moi. » Il
lui répondit : « Ô maître ! tu as fermé une large voie de Dieu. Dieu n’est-Il
pas capable d’accorder une ouverture à un saint et de lui donner plus qu’Il
ne t’a donné comme émanations spirituelles, inspirations, faveurs, stations
spirituelles, connaissances, secrets, ascensions et états ? » Il lui répondit : « Il
le peut ! Cela va de soi et même plus que cela ; mais Il ne le fera pas, car Il
ne le voudra pas. N’est-Il pas capable d’envoyer un autre envoyé et de lui
donner plus qu’Il n’en a donné à Muhammad ? » Il lui répondit : « Oui. » Le
Shaykh continua : « Mais Il ne le fera pas ( qu’Il soit exalté ! ), car Il ne l’a pas
75. Voir la Bughya, I, pp. 440-448 pour la fonction du Shaykh en tant que « Sceau de la sain-
teté muhammadienne » et la note précédente pour le Jawâb al- muskit.
76. C’est-à-dire jusqu’à la fin des temps.
Dans ce qui est utile pour le disciple tijânî | 55
voulu dans l’éternité. Il en est de même pour le cas qui nous concerne. Dieu
ne l’a pas voulu dans l’éternité et il n’a pas été inclus dans Sa science. »77
Si quelqu’un objecte que les paroles du Shaykh laissent penser qu’elles
englobent aussi les Compagnons du Prophète ﷺet les suivants de la première
génération et que, de ce fait, le rang du Shaykh serait supérieur à celui de ces
derniers, nous lui répondrons ceci : pour ce qui est des Compagnons, ils ne
sont nullement concernés par ces paroles. On peut plutôt dire que leur cas
relève du fait global à travers lequel on vise un fait particulier. L’exemple à
ce sujet est le verset suivant : Détruisant tout par la commande de son
Seigneur … ( Coran 46 : 25 ) En effet, les vents violents qui détruisirent le
peuple de ’Ad, désigné dans ce verset, n’ont point touché les anges, le Trône,
le Piédestal et le reste de l’humanité, à l’exception des habitants de ’Ad, bien
que le verset utilise un sens global. Il y a aussi le verset qui dit à propos de
Bilqîs : De toute chose elle a été comblée… ( Coran 27 : 23 ), bien que le
royaume de Salomon y fasse exception. Il y a aussi le hadîth du Prophète ﷺ
dans lequel il dit : Voyez-vous votre nuit-là, dans cent ans il ne restera rien de ce
qu’il y a aujourd’hui sur la terre. Dans le commentaire d’al- Bukhârî, Ibn Hajar78
estime que ce hadîth exclut al- Khidr79 ainsi qu’Iblîs80, et ce à l’unanimité,
car ces derniers sont toujours vivants. Il y a aussi la parole d’al- Hasan ibn
‘Alî qui a dit après la mort de son père : « La veille, un homme vous a
quittés, un homme que les premiers n’ont pu précéder et les derniers n’ont
pu connaître. » Par premiers, al- Hasan exempte le Prophète ﷺet l’ensemble
des prophètes p et parmi les derniers, Jésus, fils de Marie.
77. La source de tout le dialogue entre le Shaykh et Muhammad al- Ghâlî, comme l’a rappor-
té al- Ghâlî lui-même à Médine, est le livre des Rimâh d’al- Hâjj ‘Umar al- Fûtî, ch. 36, vol. II,
pp. 16-17, et Id., Suyûf as-sa‘îd al- mu‘taqid fî ahl Allâh. Voir aussi Ahmad Sukayrij, Kashf al- hijâb,
pp. 403-404, et ad-Durra al- kharîda de Nazîfî, pt. 1, p. 83.
78. Shihâb ad-Dîn Ahmad ibn Nûr ad-Dîn ‘Alî ibn Hajar al- ‘Asqalânî ( 773/1372 –
852/1449 ), fut un érudit musulman Shâfi‘ite et une grande autorité du hadîth. Il est l’auteur
de nombreux ouvrages sur différents domaines des sciences islamiques, dont le plus célèbre
est le Fath al- Bârî, son commentaire du Sahîh de Bukhârî.
79. Khidr ou Khadir est le personnage mystérieux que Moïse rencontre au confluent des
deux mers à la source de « l’Eau de Vie » ( voir Coran, 18 : 65-82 ). Il est décrit comme un
juste serviteur de Dieu à qui est donnée la « science infuse » ( al- ‘ilm al- ladunnî ) et la tradition le
considère parmi les êtres dotés d’une longévité extraordinaire.
80. En Islam, c’est le principe du mal, à l’origine un djinn créé par le feu, selon d’autres un
ange, qui refuse d’obéir à l’ordre divin de se prosterner devant Adam. Après la chute, il sera
identifié comme Shaytân, Satan.
56 | L’ouverture divine
81. Œuvre de ‘Abd Allâh ibn Ibrâhîm al- ‘Alawî ash-Shinqîtî ( m. 1235/1820 ), qui traite des
principes de la jurisprudence sous la forme d’un commentaire sur son poème en mille versets
Marâqî as-su‘ûd.
82. Il s’agit de Tâj ad-Dîn ‘Abd al- Wahhâb ibn ‘Alî as-Subkî ( 727-728/1327-1328 –
771/1370 ). Né au Caire, jeune, il s’installe à Damas, où, après la mort de son père, il a servi
comme juge en chef dans la capitale syrienne. Son travail le plus célèbre est les Tabaqât ash-
shâfî‘iyya al- kubrâ.
83. Voir Bazzâr, Musnad, III, 288 ( n. 2763 ) ; hadîth authentique pour Qurtubî, Tafsîr, XIII, p.
303.
84. Abû Dâwud, Sunan, n. 4658 ; Ibn Hanbal, Fadâ‘il as-sahâba, 534-35 ; Tabarânî, Awsat, 687.
Dans ce qui est utile pour le disciple tijânî | 57
85. Bukhârî, 2652, 6429 ; Muslim, 2536 ; Tirmidhî, 2221, 3859 ; et alii.
86. ‘Alî ibn Ahmad al- ‘Azîzî ( m. 1070/1660 ), auteur de plusieurs commentaires, y compris le
Sirâj al- munîr bi-sharh al- Jâmi‘ as-saghîr ( voir Mu‘jam al- mu’allifîn, VII, 24 ).
87. Il s’agit presque certainement de Mu’id ad-Dîn ibn al- ‘Alqamî al- Asdî ( m. 656/1258 ),
savant et ministre à Bagdad pendant la dernière période du califat abbasside, qui se termina
avec l’année de sa mort.
88. Voir la note 35 ci-dessus.
89. C’est Muhammad ibn Sâlim al- Hifnî al- Husaynî ash-Shâf ’î ( 1100 /1688 – 1181/1768 ),
grand maître de la Khalwatiyya et principal représentant du Shaykh Mustafâ al- Bakrî en
Égypte, qui était Shaykh al- Azhar de 1757 à 1767 ( voir Michael Winter : Egyptian Society Under
Ottoman Rule, 1517-1798, London 1992, pp. 136-37 ). Son sous-commentaire au Jâmi‘ as-saghîr
est publié en marge d’al- ‘Azîzî.
58 | L’ouverture divine
effet, chacun d’eux est préférable à tous les autres hommes. Cela comprend
une période de cent vingt ans. Chaque personne de la génération qui suit
celle des Compagnons est préférable à ceux qui viennent après lui sur une
période de cent quatre-vingt-dix ans. Chaque personne venue après ceux qui
ont succédé aux Compagnons est préférable à ceux qui viennent après elle
sur une période de deux cent vingt ans. » Cela implique donc qu’il est permis
de donner la préférence à notre Shaykh sur ceux qui sont venus après
les Compagnons et ceux qui sont venus après eux, et ce, par son élévation à
des degrés dans la sainteté que nul autre avant ou après lui n’a pu atteindre.
Il est le Pôle caché et le Sceau de la sainteté par lequel reçoivent leur aide
spirituelle tous les saints. C’est celui qui ne parle pas sous l’effet de la passion
( le Prophète ) ﷺqui l’a informé de cela.
Mais prends garde de croire qu’en vertu du fait que notre Shaykh est le
Sceau de la sainteté, il n’y aura pas de saint après lui. En effet, le Sceau de la
sainteté a, chez les soufis, trois sens, dans la mesure où la sainteté, en tant que
telle, se divise en deux parties, l’une apparente et l’autre cachée. L’apparente
appartient aux détenteurs du pouvoir apparent comme les sultans et les
émirs. Le Sceau de cette sainteté sera l’Imâm al- Mahdî, l’attendu. La sainteté
cachée se divise aussi en deux parties : l’une globale et l’autre particulière. La
globale va de notre maître Adam jusqu’à notre maître Jésus dont il est Sceau.
Quant à la particulière, elle va de notre maître Muhammad ﷺjusqu’au
« Sceau suprême » ( al- khatm al- akbar ) qui ferme cette station spirituelle. Dans
le cas de notre Shaykh , sa fonction de « Sceau » signifie qu’il a atteint un
très haut degré dans la fonction de Pôle ( al- qutbâniyya ) que nul autre avant
ou après lui ne peut atteindre. Au-dessous de ce degré, il y a un autre degré
appelé « le Sceau » auquel parviennent certains élus parmi les pôles qui
croient avoir atteint le degré suprême en affirmant être le « Sceau suprême »
par le fait d’être voilés à ce qui est au-dessus d’eux.
Parmi ceux qui ont revendiqué le rang de « Sceau », il y a Sidi ‘Alî Wafâ qui
l’a revendiqué pour son père Sidi Muhammad Wafâ90, comme l’a rapporté
Sha‘rânî . Cependant, il semble évident, sur la base de ce qui a été établi
plus tard, qu’il n’a pas confirmé cette attribution.
90. Il est Muhammad ibn Muhammad as-Sakandarî, connu sous le nom de Muhammad
Wafâ ( m.765/1363 ), troisième grand Maître de la Shâdhiliyya. Voir supra p. 39 n. 21, et aussi
Sha‘rânî, at-Tabaqât al-kubrâ, II, p. 28.
Dans ce qui est utile pour le disciple tijânî | 59
Il y a aussi Sidi Muhammad al- Jazûlî91, l’auteur des Dalâ’il al- khayrât ainsi
que les connaissants par Dieu al- Qushshâshî92 et al- Mîrghanî.93 Quant au
Shaykh Muhyî ad-Dîn ibn ‘Arabî , il l’a aussi revendiqué, de même que
l’ont revendiqué pour lui, certains de ses disciples qui ont interprété ses
paroles en ce sens.
En réalité, ce dernier est revenu sur ses paroles en indiquant ne pas tenir
ce rôle qui est destiné à un autre, et ce, en plusieurs endroits des Futûhât. Bien
plus, il aurait fait mention de notre Shaykh en tant que détenteur de cette
fonction, ainsi que l’a rapporté l’auteur du Jawâb al- muskit qui dit : « C’est
à notre Shaykh que fait allusion le Shaykh al- Akbar Muhyî ad-Dîn ( ibn
‘Arabî ) en disant dans les Futûhât : ‟J’ai rencontré le Sceau muhammadien en
l’an quatre cent soixante-dix-huit de l’Hégire à Fès. J’ai vu le signe par lequel
Dieu l’a caché aux yeux de ses serviteurs et il me l’a montré à tel point que
j’ai pu voir le Sceau de la sainteté muhammadienne. J’ai vu aussi qu’il était
l’objet d’épreuves du fait de la négation par les gens de ce qu’il a réalisé par
Lui, dans les profondeurs de son être, en termes de connaissances divines.”94
91. Abû ‘Abd Allâh Muhammad ibn Sulaymân al-Jazûlî as-Simlâlî ( 807/1404 – 870/1465 ),
est un Sharîf Husaynî du sud du Maghreb, célèbre pour avoir composé, après quatorze ans
de retraite cellulaire ( khalwa ), le Dalâ’il al-khayrât, un livre d’éloges sur le Prophète. C’est avec
lui en fait que commence la Tarîqa muhammadiyya, dont la méthode spirituelle est basée sur la
Salât sur le Prophète ﷺ.
92. Ahmad ibn Muhammad ibn Yûnus ad-Dajânî al- Qushshâshî ( m. 1071/1661 ) était un
grand Maître soufi Akbarien d’une famille originaire de Jérusalem installée à Médine. Auteur
de plusieurs ouvrages dont un commentaire sur al- Insân al- kâmil d’al- Jîlî et le célèbre as-Simt
al- majîd fî salâsil ahl at- tawhîd. Voir Rachida Chih : « Rattachement initiatique et pratique de
la Voie, selon as-Simt al- majîd d’al- Qushshâshî », dans Le soufisme à l’époque ottomane : XVIe-
XVIIIe siècle. Par R. Chih et C. Mayeur-Jaouen, Le Caire 2010, pp. 189-208.
93. Muhammad ‘Uthmân al- Mîrghanî ( 1208/1792-3 – 1268/1852 ), un notable Sharîf de
La Meque qui s’est proclamé le « Sceau des saints » ( khâtim al- awliyâ’ ). Sa Tarîqa a été appelée
après lui la Khatmiyya ( voir ’Ali Sâlih Karrâr, The Sufi Brotherhoods in the Sudan, London 1992,
p. 129 ). Son Shaykh était principalement Ahmad ibn Idrîs, mais sa Voie était une synthèse de
ses différentes affiliations, en particulier la Naqshbandiyya et la Shâdhiliyya.
94. Le passage du Jawâb al- muskit, ( voir http://www.nafahat7.net/index. php ?page=-
mouskit2 ) rapporté par Kansûsî, plus qu’une citation textuelle, semble être une synthèse de
plusieurs passages des Futûhât mentionnés par cœur, à tel point que même la date de l’événe-
ment n’est pas rapportée correctement. Le passage : « J’ai rencontré le Sceau muhammadien
en l’an quatre cent soixante-dix-huit de l’Hégire à Fès ( ijtam‘atu bihi sanat 478, ya‘nî bi-l-khâtim
al- muhammadî ) », fait référence au texte : « Quant à la sainteté Muhammadienne qui se réfère
en particulier à cette Loi traditionnelle révélée à Muhammad, elle possède un Sceau spécial
( khatm khâss ) […] ; il est né à notre époque et je l’ai vu et je l’ai rencontré ( ijtam‘atu bihi ), et j’ai
vu le signe de la fonction de Sceau ( ‘alâmat al- khatmiyya ) qui est en lui. » ( Futûhât ch. 24, vol. I,
60 | L’ouverture divine
Nul doute que cette rencontre a eu lieu dans le monde intermédiaire ( al-
ijtimâ‘ al-madhkûr barzakhî ).95 Mais Dieu est le plus Savant. »
C’est ainsi qu’Ibn ‘Arabî a fait allusion au rang du « Sceau » ( maqâm
al- khatm ).96 Quant à son allusion au rang du « Caché » ( maqâm al- katm97 ), il en
a parlé dans les mêmes Futûhât en commentant le hadîth suivant : Un groupe de
gens du Maghreb restera attaché au Vrai jusqu’au jour de la Résurrection…98 Il a dit à
ce sujet : « Dieu l’a établi au Maghreb parce que c’est là le lieu des secrets et
du caché. C’est un secret que Dieu n’inspire qu’à Ses intimes. »99
Ce qui confirme ces deux indications, est la parole du connaissant par
Dieu, Sidi Mukhtâr al- Kuntî100 dans le livre at- Tarâ’if selon laquelle « le
p. 185 ). Mais aussi au texte : « Quant au Sceau Muhammadien […] je fis sa connaissance
dans l’année 595 », qui continue assez proche du reste de la citation : « et j’ai vu le signe qui lui
est propre et que le Principe a caché en lui à l’abri des regards de Ses serviteurs, mais qu’Il a
dévoilé pour moi dans la ville de Fès. » ( ibid. ch. 73, vol. II, p. 49 ; voir aussi ch. 382, vol. III, p.
514, où la date indiquée est plutôt l’année 594 ). Le texte, cependant, ne dit pas : « à tel point
que j’ai pu voir le Sceau de la sainteté muhammadienne, » mais : « à tel point que le Sceau de
la sainteté, c’est-à-dire, le sceau de la prophétie absolue [Jésus], fait partie de lui. » ( ibid. ) La
conclusion de la citation du Jawâb al- muskit est une paraphrase du même passage des Futûhât :
« et Dieu l’a mis à l’épreuve en l’exposant à la critique de gens qui contestent ce dont il a reçu
du Principe lui-même, dans le secret de son être, la certitude absolue en fait de connaissance à
Son sujet. » Quant à la question de la datation de cet événement majeur de sa vie, Ibn ‘Arabî
le rapporte à la fois avec la date 594 et avec celle de 595. Cela semble avoir posé un problème
à M. Michel Chodkiewicz, qui trouve inconciliables deux passages des Futûhât avec ces dates,
et attribue à Ibn ‘Arabî un lapsus calami à l’égard de la deuxième datation ( cf. Le Sceau des saints,
p. 158 ) ; même s’il a essayé d’être moins catégorique dans la 2e édition, en notant que les deux
datations apparaissaient dans d’autres textes de son œuvre ( ibid. 2012, p. 229 n. 34 ).
95. À cette rencontre de nature « subtile » semble faire allusion un passage des Futûhât dans
le chapitre consacré au Pôle et aux deux Imâms, où Ibn ‘Arabî parle de sa « rencontre » ( ijta-
ma’tu bihi ) avec un des deux Imâms, dont l’état était semblable au sien ( kâna hâl hadhâ al- imâm
mithl hâlî sawâ’ ), dans un « lieu de vision dans le monde intermédiaire » ( fî mashhad barzakhî ) »
( Futûhât ch. 270, vol. II, p. 573 ).
96. Il est vrai qu’il y a aussi des passages dans lesquels Ibn ‘Arabî attribue à soi-même la
fonction de « Sceau », mais nous croyons qu’il n’y a là rien d’inconciliable, et nous avons déjà
donné une première esquisse d’explication dans une étude sur la question. Voir Paolo Urizzi,
« Il segreto del Sigillo dei santi », Perennia Verba 8-9 ( 2004 ) pp. 3-60.
97. Où il est question du « Pôle caché » ( al-qutb al-maktûm )
98. La version d’Ibn ‘Arabî est une synthèse d’un hadîth qui est rapporté avec quelques va-
riantes, voir Muslim, 1923, 1927 ; Hâkim, Mustadrak, IV, 449 ; Bayhaqî, Sunan al- kubrâ, IX,
226 ; Abû Ya’lâ, Musnad, 783 ; Ibn Hâmid, Fitan, 1676, et alii.
99. Futûhât ch. 73, vol. II, p. 121.
100. Muhammad ibn al- Mukhtâr al- Kuntî ( m. 1242/1826 ) fut un éminent saint qâdirî peu
antérieur au Shaykh at- Tijânî.
Dans ce qui est utile pour le disciple tijânî | 61
101. Cf. Bibliothèque Générale de Rabat, ms. 2294, pp. 423-424, cité aussi par Hâjj ‘Umar,
Rimâh, II, p. 14. On peut consulter un manuscrit en ligne du livre at- Tara’if ( le titre complet
est : at- Tara’if wa-t-talâ’id min karâmât ash-shaykhayn al- wâlidat wa-l-wâlid : http://www.kadl.sa
/Browse.aspx ?id=gkzn455lkbq2ywuumefclghxylob3ogd95tvic0rawxvhq8xw6ud5ioxh2lh-
hmw&p=2&mù=456.
102. Voir les Rimâh, II, p. 15.
103. Il suffit de rappeler ce qu’Ibn ‘Arabî écrit dans le Chaton d’Isaac : « [Lorsqu’il apparaît à
quelqu’un] dans le sommeil, l’esprit du Prophète prend pour lui la forme de son corps tel qu’il
était quand il est mort […] car Satan ne peut pas prendre la forme subtile du Prophète ﷺ.
C’est une protection de Dieu pour celui qui le voit. Pour cette raison, celui qui voit le Prophète
dans cette forme recevra de lui tout ce qu’il lui ordonne ou interdit, ou ce qu’il va lui commu-
niquer, de la même façon que ce qui fut reçu de lui de son vivant. » ( Fusûs al- hikam, I, p. 87 ) À
plus forte raison, donc, dans la vision à l’état de veille.
104. Il était l’un des grands compagnons du Shaykh at-Tijânî qui avait déménagé à Fès pour
être proche du Maître. Il est décédé en l’an 1285/1868 ( voir Sukayrij, Kashf al-hijâb, pp. 558-
565, où sont transcrits des passages du texte cité ).
62 | L’ouverture divine
ash-Shinqîtî, auteur du Jaysh al-kafîl ;109 le grand connaissant par Dieu Sidi
al- Kansûsî, auteur de al- Jawâb al- muskit ; de même que le connaissant par
Dieu, Sidi Muhammad al-‘Arabî ibn as-Sâ’ih, auteur de la Bughyat al- mustafîd
et le connaissant par Dieu Sidi Mahammad Gannûn110, auteur du Raf‘
al- ‘itâb111 qui a dit dans un poème à l’éloge de notre Shaykh :
Les Compagnons du Prophète sont les maîtres du monde,
ne nie pas le rang de celui que Dieu a choisi.
Le Prophète a annoncé la bonne nouvelle au Sceau,
Sa bonne nouvelle est véridique,
pas d’objection, car c’est Dieu qui la lui a accordée.
Et même son adversaire témoigna en sa faveur en disant :
Les gens sont bien intelligents pour ne pas louer quelqu’un
sans avoir vu les effets de ses bienfaits.
Tout ce qu’ont rapporté le Shaykh Muhyî ad-Dîn Ibn ‘Arabî et mawlânâ
al- Mukhtâr al- Kuntî j s’est réalisé en notre Shaykh, car il vient du Maghreb
et est enterré à Fès, et aucun saint n’a été autant contesté .
En effet, il est né en l’an 1150, c’est-à-dire au douzième siècle, et personne,
à cette époque, n’a revendiqué le rang de Sceau hormis lui. De ce fait, se
confirme la parole du Shaykh, Sidi Mahmûd al- Kurdî112, lorsque celui-ci,
répondant à notre Shaykh qui lui a posé des questions sur le rang du Pôle
suprême, lui révéla : « Tu auras plus que cela ! ». Et avec cela, il faut prendre
109. Comme indiqué à p.42, n. 33, al-Jaysh al- kafîl a été écrit par Muhammad ibn Muhammad
as-Saghîr, ici confondu avec son frère cadet, Sidi ‘Ubayda ibn Muhammad as-Saghîr ibn
Anbûja ash-Shinqîtî, auteur de deux autres textes importants de la Tarîqa Tijâniyya : le
Mîzâb ar-rahma ar-rabbâniyya, et un Commentaire à la Jawharat al- kamâl intitulé Maydân al- fadl
wa-l-ifdâl.
110. Abû ’Abd Allâh Mahammad ( avec la fatha ) ibn Muhammad ibn ‘Abd as-Salâm Gannûn
( 1270/1854 – 1326/1908 ) fut un faqîh mâlikite tijânî de Fès, disciple de Sidi al-‘Arabî ibn as-
Sâ’ih, qui écrivit plusieurs œuvres, y compris un commentaire sur la Jawharat al-kamâl intitulé
Hall al-aqfâl. Voir Hajjûjî, Ithâf ahl al-marâtib al-‘irfâniyya, vol. 7 ; ‘Abd al-Hafîz al-Fâsî, Mu‘jam
ash-shuyûkh al-musammâ Riyâd al-janna, Beyrouth 2003, I, pp. 44-46, Zurkalî, al-A‘lâm, vol. VIII,
p. 77 et alii.
111. Raf‘ al- ‘itâb ‘amman taraka az-ziyâra min al- ashâb ( http://www. cheikh-skiredj.com/30-
raf3-3itab.pdf ). Le texte, lithographié et s.l.n.é, a été achevé en 1322/1904, pour les versets
cités voir p. 13.
112. Voir ci-dessus, p. 31 et n. 7.
64 | L’ouverture divine