Docteur de l'Eglise
Du traité de la métaphysique d'Aristote
Traduction en cours.
Abbé Dandenault 1950, Guy Delaporte 2004, Georges Comeau 2011.
Uniquement Livres I à VI
Livres VII à XII en projet, par Georges Comeau
[81606] Sententia Ensuite, quand il dit : En outre, [81606] La sagesse est par
Metaphysicae, lib. 1 l. 2 n. 5 la science, etc., il pose la ailleurs, de toutes les
Deinde cum dicit sed et hanc cinquième opinion. Parmi les sciences, la plus désirable et
quintam ponit: et est, quod sciences la sagesse est celle qui la plus recherchée, pour le
illa de numero scientiarum est de soi plus éligible et plus seul fait du savoir, tandis
est sapientia, quae per se est volontaire, c'est-à-dire désirée que d'autres ont pour objet
magis eligibilis et voluntaria, en raison même de la science et et pour but quelque réalité
idest volita gratia scientiae, et en vue du savoir lui-même. contingente, telle que
propter ipsum scire, quam Elle est plus désirable pour satisfaire aux nécessités de
illa scientia, quae est causa elle-même que la science qui la vie, parvenir à la
quorumque aliorum produit n'importe quelle autre jouissance, etc.
contingentium quae possunt chose contingente
ex scientia generari; scientifiquement productible,
cuiusmodi est necessitas comme ce qui a trait aux
vitae, delectatio et huiusmodi nécessités de la vie, à la
alia. délectation, et aux diverses
choses semblables.
[81607] Sententia Puis quand il écrit : Enfin, de [81607] Cette sagesse enfin
Metaphysicae, lib. 1 l. 2 n. 6 deux sciences, etc., il pose la doit dominer les
Deinde cum dicit et hanc sixième opinion que voici. connaissances
sextam ponit: et est talis, Cette sagesse dont il est fait fonctionnelles. C'est
quod istam sapientiam, de mention, doit être, ou du compréhensible après ce qui
qua facta est mentio, oportet moins, on dit qu’elle doit être a été dit, car les métiers
esse vel dicimus esse magis plus ancienne, c'est-à-dire plus serviles sont ceux que
antiquiorem, idest digniorem, digne que la science servante l'homme exécute
famulante scientia. Quod ou esclave. Ce que nous manuellement, sous les
quidem ex praehabitis pouvons comprendre par ce qui ordres d'un maître-d’œuvre
intelligi potest. Nam in précède. Car dans les arts que nous avons déjà appelé
artibus mechanicis mécaniques, les arts serviteurs architecte et sage.
famulantes sunt illae, quae sont ceux qui sont exercés par
exequuntur manu operando les manœuvres qui
praecepta superiorum accomplissent les ordres des
artificum, quos supra artisans supérieurs, que nous
architectores et sapientes avons appelés plus haut
nominavit. architectes et sages.
[81608] Sententia Et que la raison de sagesse [81608] Deux preuves
Metaphysicae, lib. 1 l. 2 n. 7 convienne davantage aux montrent que la sagesse se
Et quod magis conveniat sciences qui commandent tient du côté du maître
ratio sapientiae scientiis plutôt qu’à celles qui plutôt que du serviteur : les
imperantibus quam exécutent, ils le prouve par technologies sont
famulantibus, probat per duo. deux raisons. En premier parce coordonnées entre elles par
Primo, quia scientiae que les sciences servantes sont des sciences supérieures,
famulantes ordinantur a ordonnées par les sciences car elles sont destinées aux
superioribus scientiis. Artes supérieures. Les arts exécutifs fins de ces dernières,
enim famulantes ordinantur sont ordonnés à fa fin de l'art comme l'équitation à des
in finem superioris artis, sicut supérieur, comme l'art équestre fins militaires. Or de l'avis
ars equestris ad finem à la fin de l'art militaire. Mais, unanime, il ne convient pas
militaris. Sed sapientem d'après l'opinion de tous, il ne de soumettre la sagesse à
secundum omnem opinionem convient pas que le sage soit une autre science, mais c'est
non decet ordinari ab alio, ordonné par un autre, mais il bien elle qui doit les
sed ipsum potius alios lui appartient plutôt d'ordonner ordonner toutes. En outre,
ordinare. Item inferiores les autres. Ainsi, les architectes l’artisan sous-traitant reçoit
architectores persuadentur a inférieurs sont persuadés par ses ordres du
superioribus, inquantum les architectes supérieurs, en commanditaire, dans la
credunt superioribus tant qu'ils croient ces derniers mesure où il se fie à la plus
artificibus circa operanda vel quand ils commandent les grande compétence de ce
fienda. Credit enim actions à opérer ou les œuvres dernier sur ce que l’on doit
navisfactor gubernatori à faire. Le constructeur du ou ce que l’on peut faire.
docenti qualis debet esse navire croit le capitaine du L'architecte naval fait
forma navis. Sapienti autem navire qui lui enseigne ce que confiance aux instructions
non convenit ut ab alio doit être la forme du navire. Il du capitaine pour la forme
persuadeatur, sed quod ipse ne convient pas au sage d'être que doit avoir le navire. Or
aliis persuadeat suam persuadé par un autre, mais il le sage n'a pas à être
scientiam. est de mise que ce soit lui- instruit, mais c'est auprès de
même qui convainque l'autre lui que chacun prend
de sa science. conseil pour sa propre
science.
[81609] Sententia Telles sont les opinions que les [81609] Telles sont les
Metaphysicae, lib. 1 l. 2 n. 8 hommes entretiennent sur la opinions admises sur le
Istae igitur sunt tales sagesse et le sage. D'où on peut sage et la sagesse. On peut
opiniones, quas homines former une certaine description en tirer la description
accipiunt de sapientia et de la sagesse : on pourrait suivante : le sage est celui
sapiente. Ex quibus omnibus appeler sage celui qui connaît qui connaît tout, y compris
potest quaedam sapientiae toutes choses mêmes difficiles sur les sujets les plus
descriptio formari: ut ille par leur cause et avec certitude, difficiles ; il connaît les
sapiens dicatur, qui scit recherchant cette connaissance causes et le degré de
omnia etiam difficilia per pour elle-même, ordonnant et certitude que l'on peut
certitudinem et causam, persuadant les autres. Et ainsi attendre de chaque sujet ; sa
ipsum scire propter se apparaît ce qui serait la recherche n'a d'autre but
quaerens, alios ordinans et majeure du syllogisme, car tout que la science ; et c'est lui
persuadens. Et sic patet quasi sage doit être ainsi : et, par qui instruit et ordonne les
maior syllogismi. Nam conversion, tout homme qui est autres domaines du savoir.
omnem sapientem oportet tel est sage. Ceci peut servir de premier
talem esse; et e converso, principe de raisonnement,
quicumque est talis, sapiens car la sagesse doit être telle,
est. et quiconque est ainsi sera
dit sage.
[81610] Sententia Puis, quand Aristote écrit : De [81610] Tout ce qui a été
Metaphysicae, lib. 1 l. 2 n. 9 tous ces caractères, etc., il dit peut s'attribuer à la
Deinde cum dicit istorum manifeste que ces opinions se connaissance des causes
autem ostendit quod omnia rapportent à celui qui connaît premières et universelles.
praedicta conveniunt ei qui les causes premières et La science universelle est
cognoscit primas causas et universelles. Il suit le même par excellence la
universales; et eo ordine ordre que plus haut. C'est connaissance de tout.
prosequitur quo supra posuit. pourquoi il établit, en premier, Connaître en effet, un
Unde primo posuit quod que celui qui possède la universel, c'est connaître en
habenti scientiam science de l'universel possède lui tout ce qu'il contient.
universalem maxime insit suprêmement la connaissance Mais tout est contenu dans
omnia scire; quod erat de toutes choses, ce qui était la l'universalité la plus élevée,
primum. Quod sic patet. première opinion. Voici sa et celui qui connaît cette
Quicumque enim scit manifestation. Quiconque dernière connaît en quelque
universalia, aliquo modo scit connaît l'universel, connaît sorte tout le reste.
ea quae sunt subiecta d'une certaine façon les sujets
universalibus, quia scit ea in de l'universel, parce qu’il les
illa: sed his quae sunt connaît dans l'universel ; mais
maxime universalia sunt ainsi, toutes choses sont
omnia subiecta, ergo ille qui soumises au plus universel.
scit maxime universalia, scit Donc, celui qui connaît les plus
quodammodo omnia. universels connaît en quelque
sorte toutes choses.
[81611] Sententia Ensuite, quand Aristote dit : Et [81611] En outre, ce qui est
Metaphysicae, lib. 1 l. 2 n. 10 puis les connaissances, etc., il le plus loin des sens est
Deinde cum dicit sed fere montre que la seconde opinion difficilement accessible à
autem ostendit eidem inesse appartient au sage, par la raison l'homme. Tout le monde
secundum, tali ratione. Illa que voici. Ce qui est le plus partage la connaissance
quae sunt maxime a éloigné des sens est difficile à sensible, car c'est le point
sensibilibus remota, difficilia connaître pour les hommes; en de départ du savoir humain.
sunt hominibus ad effet, la connaissance sensitive Mais plus la science
cognoscendum; nam est commune à tous, s'universalise, plus elle
sensitiva cognitio est puisqu’elle est le point de s'éloigne de la sensation qui
omnibus communis, cum ex départ de toute connaissance porte sur le singulier.
ea omnis humana cognitio humaine. Mais le plus L'universel est donc
initium sumat. Sed illa quae universel est en même temps le difficile à l'homme, et la
sunt maxime universalia, sunt plus éloigné des choses science la plus universelle
sensibilibus remotissima, eo sensibles, du fait que les sens lui est la plus ardue.
quod sensus singularium portent sur les singuliers. C’est
sunt: ergo universalia sunt pourquoi les universels sont les
difficillima hominibus ad plus difficiles à connaître pour
cognoscendum. Et sic patet les hommes. C'est ainsi que la
quod illa scientia est science qui s’occupe des plus
difficillima, quae est maxime universels est la plus difficile.
de universalibus.
[81612] Sententia Mais un texte du livre I des [81612] Cela semble
Metaphysicae, lib. 1 l. 2 n. 11 Physiques semble s’opposer à pourtant contredire la
Sed contra hoc videtur esse ce que l'on vient de dire. Au physique. Il y est dit en
quod habetur primo début des Physiques, on dit effet, qu'on connaît d'abord
physicorum. Ibi enim dicitur précisément que ce qui est plus le plus universel et que nos
quod magis universalia sunt universel est connu en premier premières connaissances
nobis primo nota. Illa autem lieu par nous. Or, les premiers sont les plus faciles. Mais il
quae sunt primo nota, sunt connus sont plus faciles à faut préciser que la
magis facilia. Sed dicendum, connaître. Il faut répondre que connaissance commence
quod magis universalia ce qui est plus universel selon par une appréhension très
secundum simplicem la simple appréhension est le universelle. L’être est par
apprehensionem sunt primo premier connu, car ce qui est exemple ce qui vient en
nota, nam primo in intellectu saisi tout d'abord par premier à l'intelligence,
cadit ens, ut Avicenna dicit, l'intelligence est l'être, comme comme le dit Avicenne.
et prius in intellectu cadit le dit Avicenne, et L’intelligence saisit la
animal quam homo. Sicut l'intelligence connaît l’animal notion d'animalité avant
enim in esse naturae quod de avant l’homme. Comme celle d'humanité car, de
potentia in actum procedit d'ailleurs dans l'être de la même que dans le
prius est animal quam homo, nature, qui procède de mouvement naturel de la
ita in generatione scientiae puissance à acte, l'animal puissance à l'acte, l’animal
prius in intellectu concipitur existe avant l'homme, ainsi précède l'homme, de même
animal quam homo. Sed dans la génération de la dans sa démarche
quantum ad investigationem science, on conçoit l’animal scientifique, l’intelligence
naturalium proprietatum et avant de concevoir l’homme. conçoit la nature animale
causarum, prius sunt nota Mais dans l’investigation des avant celle de l'homme.
minus communia; eo quod propriétés naturelles et des
per causas particulares, quae causes, on connaît tout d’abord Mais au regard de la
sunt unius generis vel ce qui est moins commun, du recherche des causes et des
speciei, pervenimus in causas fait que par les causes propriétés de la nature, on
universales. Ea autem quae particulières, qui sont d'un seul découvre d'abord les faits
sunt universalia in causando, genre ou d’une seule espèce, les moins généraux, puisque
sunt posterius nota quo ad nous parvenons à la science c'est à partir des causes
nos, licet sint prius nota des causes universelles. particulières, relevant d'un
secundum naturam, quamvis L’universel de cause est, quant genre unique, que nous
universalia per à nous, postérieur dans la parvenons aux causes
praedicationem sint aliquo connaissance, bien qu’il soit universelles. Dans la ligne
modo prius quo ad nos nota plus connu selon soi et bien de la causalité, nous ne
quam minus universalia, licet que l'universel par simple connaissons l'universel
non prius nota quam appréhension soit d'une qu'au terme d'une démarche
singularia; nam cognitio certaine façon plus connu par intellectuelle, bien que cette
sensus qui est cognoscitivus rapport à nous que le moins connaissance soit
singularium, in nobis universel, sans pour cela fondamentale, tandis que
praecedit cognitionem admettre que l'universel connu dans le domaine de
intellectivam quae est par simple appréhension soit l'abstraction conceptuelle,
universalium. Facienda est connu avant que les singuliers les connaissances plus
etiam vis in hoc quod [par le sens] : la connaissance universelles sont antérieures
maxime universalia non dicit du sens qui concerne les à celles qui le sont moins, et
simpliciter esse difficillima, singuliers, précède en nous la postérieures à celles des
sed fere. Illa enim quae sunt connaissance intellectuelle qui phénomènes singuliers. La
a materia penitus separata porte sur l’universel. La force sensation porte sur le
secundum esse, sicut de l'argument d'Aristote singulier, et précède
substantiae immateriales, s'établit donc sur la restriction l'intelligence des universels.
sunt magis difficilia nobis ad qu'il pose : il ne dit pas Il parait alors nécessaire
cognoscendum, quam etiam absolument, mais seulement d'expliquer pourquoi
universalia: et ideo ista peut-être, que le plus universel Aristote n'a pas dit que la
scientia, quae sapientia est le plus difficile. Les choses connaissance des causes
dicitur, quamvis sit prima in qui sont en effet séparées de la universelles était ce qu'il y a
dignitate, est tamen ultima in matière dans l'existence, de plus difficile, mais
addiscendo. comme les substances qu'elle était «plutôt»
immatérielles, sont encore plus difficile : car les réalités
difficiles à connaître pour nous dégagées de toute
que les universels : c'est matérialité comme les
pourquoi cette science, qu'on substances immatérielles,
appelle sagesse, bien que sont plus difficiles encore à
première en dignité, doit être comprendre. C'est pour
apprise la dernière. cette raison que la sagesse,
si elle est première dans la
hiérarchie des sciences, est
la dernière à laquelle nous
pouvons parvenir.
[81613] Sententia Ensuite, quand il dit : Ensuite, [81613] Plus une science
Metaphysicae, lib. 1 l. 2 n. 12 les sciences les plus exactes, s'élève dans cette
Deinde cum dicit scientiarum etc., il montre que la troisième hiérarchie, plus elle est
vero ostendit tertium eidem opinion se rapporte au sage, certaine. Une science qui se
inesse, tali ratione. Quanto par la raison que voici. Une sert d'une autre est moins
aliquae scientiae sunt priores science est d’autant plus rigoureuse que cette autre.
naturaliter, tanto sunt certaine qu’elle est plus Ainsi, l’arithmétique est
certiores: quod ex hoc patet, antérieure par nature : cela plus certaine que la
quia illae scientiae, quae appert du fait que les sciences géométrie dont la matière
dicuntur ex additione ad dont le sujet comporte une intègre les nombres. C'est
alias, sunt minus certae addition au sujet d’une autre clair si l'on regarde le
scientiis quae pauciora in sua science, sont moins certaines principe premier que
consideratione que celles dont le sujet chacune retient : l’unité et
comprehendunt ut comprend moins d'éléments, le point. Le point ajoute à
arithmetica certior est comme l'arithmétique est plus l'unité sa spatialisation.
geometria, nam ea quae sunt certaine que la géométrie. Le L'être indivisible a raison
in geometria, sunt ex sujet de la géométrie, en effet, d'unité, et, du point de vue
additione ad ea quae sunt in ajoute quelque chose au sujet de la mesure, l’unité est
arithmetica. Quod patet si de l'arithmétique, car ce que principe de numération. Le
consideremus quid utraque considère le géomètre constitue point lui ajoute une
scientia considerat ut primum une addition à ce que considère situation dans l'espace. Les
principium scilicet unitatem l'arithmétique. L’évidence se sciences particulières sont
et punctum. Punctus enim fait si nous considérons ce que au-dessous des sciences
addit supra unitatem situm: chacune de ces sciences universelles. L’être mobile
nam ens indivisibile rationem considère comme premiers par exemple, matière de la
unitatis constituit: et haec principes : l'unité et le point. philosophie de la nature,
secundum quod habet Le point ajoute à l'unité la ajoute à l'être pur et simple
rationem mensurae, fit position : car l'être indivisible de la métaphysique, et
principium numeri. Punctus constitue la raison d’unité : et même à l'être quantitatif des
autem supra hoc addit situm. cette unité, en tant qu'elle a mathématiques. Par
Sed scientiae particulares raison de mesure, devient le conséquent, la science
sunt posteriores secundum principe du nombre. Le point portant sur l'être est la plus
naturam universalibus ajoute à cela la position. Mais universelle et la plus
scientiis, quia subiecta earum les sciences particulières sont certaine. Et il n'y a pas
addunt ad subiecta postérieures selon la nature aux contradiction dans le fait de
scientiarum universalium: sciences universelles, parce dire à la fois qu'elle est plus
sicut patet, quod ens mobile que leur sujet ajoute quelque circonscrite et qu'elle
de quo est naturalis chose au sujet des sciences permet de tout connaître,
philosophia, addit supra ens universelles comme il est car l'universel est peu
simpliciter, de quo est évident que l’être mobile qui diversifié en acte, et
metaphysica, et supra ens est le sujet de la philosophie contient beaucoup en
quantum de quo est naturelle, ajoute à l'être pris puissance. Plus une science
mathematica: ergo scientia absolument, qui est le sujet de est certaine, moins les
illa quae est de ente, et la métaphysique, et à l'être objets de son étude sont
maxime universalibus, est quantifié, qui est le sujet des nombreux. Les sciences
certissima. Nec illud est mathématiques. Donc la pratiques, dont
contrarium, quia dicitur esse science qui porte sur l’être et l’investigation porte sur de
ex paucioribus, cum supra qui s’occupe de ce qu’il y a de multiples actes concrets et
dictum sit, quod sciat omnia. plus universel est la plus variés, sont donc les moins
Nam universale quidem certaine. Et le fait que le sujet rigoureuses.
comprehendit pauciora in de cette science comporte
actu, sed plura in potentia. Et moins d’éléments ne s'oppose
tanto aliqua scientia est pas à ce qu'il fut dit plus haut, à
certior, quanto ad sui subiecti savoir qu'elle connaît toutes
considerationem pauciora choses. L'universel, en effet, ne
actu consideranda comprend que peu de choses
requiruntur. Unde scientiae en acte, mais une quantité de
operativae sunt incertissimae, choses en puissance. Et une
quia oportet quod considerent science est d'autant plus
multas singularium certaine que la considération de
operabilium circumstantias. son sujet requiert moins
d'éléments en acte à considérer.
Voilà pourquoi les sciences
opératives sont très incertaines,
parce qu'il faut qu'elles
analysent la multitude des
circonstances des singuliers
opérables.
[81614] Sententia Ensuite, quand il dit : [81614] Cette science est
Metaphysicae, lib. 1 l. 2 n. 13 D’ailleurs, la science, etc., il aussi la plus instructive, car
Deinde cum dicit est et montre que la quatrième plus qu'une autre, elle
doctrinalis ostendit quartum opinion appartient à la même considère la causalité.
eidem inesse, tali ratione. Illa science par la raison suivante, Instruire consiste
scientia est magis doctrix vel Cette science est plus propre à uniquement en ceci : donner
doctrinalis, quae magis l’enseignement, autrement dit la cause de quelque chose,
considerat causas: illi enim est plus doctrinale qui car c'est avec la cause que
soli docent, qui causas de considère davantage les l'on connaît, et enseigner,
singulis dicunt; quia scire per causes : ceux-là seuls c'est faire connaître. Or la
causam est, et docere est enseignent qui donnent les science qui porte sur
scientiam in aliquo causare. causes de chaque chose : car la l'universel étudie les causes
Sed illa scientia quae science est la connaissance des premières de toute
universalia considerat, causas causes, et enseigner n’est pas causalité. C'est donc
primas omnium causarum autre chose que communiquer évidemment elle qui est la
considerat: unde patet quod la science. Mais la science qui plus riche d'enseignements.
ipsa est maxime doctrix. considère les universels
considère les causes premières
de toutes les causes : il est
donc manifeste qu'elle est la
plus doctrinale.
[81615] Sententia Ensuite, quand il dit : De plus, [81615] Plus une science
Metaphysicae, lib. 1 l. 2 n. 14 savoir, etc., il montre que la permet de connaître, et plus
Deinde cum dicit et noscere cinquième opinion s’attribue à elle se justifie par elle-
ostendit quintum eidem la même science, par la même, plutôt qu'en vue
inesse, tali ratione. Illarum considération suivante. C’est d'autre chose. Or celle qui
scientiarum maxime est scire aux sciences qui étudient ce traite des causes premières
et cognoscere earum causa, qu’il y a de plus connaissable offre le savoir le plus élevé.
idest propter seipsas et non qu’il appartient le plus de C'est donc d'abord pour elle
propter alias, quae sunt de savoir et de connaître à cause qu'on s'y adonne. Car celui
maxime scibilibus: sed illae d’elles-mêmes, non en vue qui n'a d'autre but que de
scientiae quae sunt de primis d’autres sciences. Or, les savoir, recherche
causis, sunt de maxime sciences qui ont en vue les essentiellement la science,
scibilibus: igitur illae causes premières portent sur et la science la plus haute
scientiae maxime sui gratia les choses les plus traite du savoir le plus
desiderantur. Primam sic connaissables. C’est dire que élevé. Par conséquent, la
probat. Qui desiderat scire ces sciences sont tout à fait leur science la plus désirée pour
propter scire, magis desiderat propre fin. Il prouve la elle-même est celle qui
scientiam: sed maxima première proposition comme offre les connaissances les
scientia est de maxime suit : Celui qui désire le savoir plus riches. En outre, les
scibilibus: ergo illae scientiae pour le savoir, désire connaissances grâce
sunt magis desideratae davantage la science. Or, la auxquelles nous avons
propter seipsas quae sunt de science la plus haute porte sur l’intelligence du reste, et
magis scibilibus. Secundam le plus connaissable. Donc, les qui sont les plus fécondes,
probat sic. Illa, ex quibus et sciences qui portent sur ce qui sont celles des causes et des
propter quae alia est plus connaissable sont plus principes, et non l'inverse.
cognoscuntur, sunt magis désirées pour elles-mêmes. Il La science maîtresse, dont
scibilia his quae per ea prouve la seconde proposition les autres sont les servantes,
cognoscuntur: sed per causas de la façon suivante. Les considère la fin qui fait agir
et principia alia cognoscuntur choses, à partir desquelles ou chacun. Un vaisseau, fait
et non e converso, et cetera. pour lesquelles les autres sont pour naviguer, est dirigé par
connues, sont plus son capitaine. C'est donc lui
connaissables que celles qui le commanditaire, et le
sont connues par elles : mais fabriquant son commandité.
les autres choses sont connues Or plus qu'une autre, la
par les causes et les principes, science dont nous parlons
et non inversement, etc. considère la finalité de tout.
C'est le bien propre de
chacun qui le fait agir. Or il
y a une fin qui est un bien
pour chaque genre de
réalités, et la fin de toutes
choses, dans tout l'univers,
est ce qu'il y a de meilleurs
pour toute la nature. Son
étude relève donc de cette
première science, qui
gouverne toutes les autres.
[81616] Sententia Ensuite, quand dit : Enfin, la
Metaphysicae, lib. 1 l. 2 n. 15 science souveraine, etc., il
Deinde cum dicit maxime manifeste que la sixième
vero ostendit sextum inesse opinion s'attribue à la même
eidem: et est ratio talis. Illa science. En voici la raison. La
scientia se habet ad alias ut science qui est principale par
principalis, sive ut
rapport aux autres, et
architectonica ad servilem architectonique en relation aux
sive ad famulantem, quae sciences serviles ou servantes,
considerat causam finalem, est celle qui considère la cause
cuius causa agenda sunt finale, cette cause un vue de
singula; sicut apparet in his, laquelle on doit poser chacune
quae supra diximus. Nam des actions, comme il apparaît
gubernator, ad quem pertinet dans ce que nous avons noté
usus navis, qui est finis navis,auparavant. Car le capitaine, à
est quasi architector respectu qui appartient l'usage du
navisfactoris, qui ei
navire, qui est la fin du navire,
famulatur. Sed praedicta est quasi architecte par rapport
scientia maxime considerat au fabricant, qui est son
causam finalem rerumserviteur. Mais c’est la science
omnium. Quod ex hoc patet, dont il est question qui
quia hoc cuius causa agendo considère au plus haut point la
sunt singula, est bonum cause finale de toutes choses.
uniuscuiusque, idest
Ce qui est évident du fait que
particulare bonum. Finis la cause de l’accomplissement
autem bonum est in
des actions singulières est le
unoquoque genere. Id vero, bien dans chaque chose, c'est-
quod est finis omnium, idest à-dire le bien particulier à
ipsi universo, est hoc quod chaque singulier. La fin, en
est optimum in tota natura: et effet, est le bien dans chaque
hoc pertinet ad
genre de choses. Et ce qui est
considerationem praedictae la fin de toutes choses, de
scientiae: ergo praedicta est l’univers lui-même, est ce qu’il
principalis, sive
y a de meilleur dans toute la
architectonica omnium nature. Et ce qu’il y a de plus
aliarum. parfait dans la nature appartient
à la considération de cette
science : donc cette science est
principale ou architectonique
par rapport à toutes les autres.
[81617] Sententia Ensuite, quand Aristote dit: De [81617] Le nom de sagesse
Metaphysicae, lib. 1 l. 2 n. 16 tout ce que nous venons de revient donc à une seule
Deinde cum dicit ex omnibus dire, etc., il aboutit à la science, objet de notre
concludit ex praedictis conclusion désirée en disant recherche. C'est une science
conclusionem intentam; qu'à partir de toutes ces théorique, spéculant sur les
dicens, quod ex omnibus réflexions il est évident que la premiers principes et les
praedictis apparet, quod in définition de la sagesse, que premières causes. C'est
eamdem scientiam cadit nous recherchons, appartient à évident des cinq premières
nomen sapientiae, quod la même science, à savoir à caractéristiques, qui toutes
quaerimus; scilicet in illam cette science qui est théorique, ont trait aux causes
scientiam, quae est theorica, qui scrute les premiers universelles. Mais comme
idest speculativa primorum principes et les premières la sixième aborde le
principiorum et causarum. causes. Ce qui est manifeste problème de la fin, que les
Hoc autem manifestum est d'après l'exposé des six anciens philosophes ne
quantum ad sex primas premières conditions qui posèrent pas clairement
conditiones, quae manifeste caractérisent celui qui étudie comme cause, Aristote
pertinent consideranti les causes universelles. Mais mentionne spécialement
universales causas. Sed, quia parce que la sixième condition cette autre propriété de la
sexta conditio tangebat finis ouvre à la considération de la science des causes
considerationem, quae apud fin, qui n'était pas clairement premières. La fin est un
antiquos non manifeste posée comme cause par les bien pour lequel on agit, et
ponebatur esse causa, ut infra anciens, comme il sera dit plus fait donc partie des causes.
dicetur; ideo specialiter loin, il montre d'une façon Par conséquent, la science
ostendit, quod haec conditio spéciale que cette condition des causes premières et
est eiusdem scientiae, quae appartient proprement à la universelles doit aussi
scilicet est considerativa science qui considère les considérer la fin universelle
primarum causarum; quia causes premières. La fin qui est de toute chose, qui est le
videlicet ipse finis, qui est le bien, et en vue de laquelle meilleur de la nature.
bonum, et cuius causa fiunt tout le reste se fait, est une des
alia, est una de numero causes. La science qui
causarum. Unde scientia, considère les causes premières
quae considerat primas et et universelles doit donc aussi
universales causas, oportet considérer la fin universelle de
etiam quod consideret toutes choses, qui est ce qu’il y
universalem finem omnium, a de meilleur dans toute la
quod est optimum in tota nature.
natura.
1 L’abbé Dandenault a interrompu ici sa traduction du livre I, avec cette note : « Nous remettons à
plus tard la traduction du reste de cette leçon, ainsi que des leçons V à XI. On peut, sans trop de
dommage, les remplacer par des livres d'histoire de la philosophie. Et pour nous, l'investigation des
opinions philosophiques devrait s'accroître d'un nombre assez important. Un choix judicieux des
principales positions pourrait se faire ... Une anthologie de textes contemporains ... »
quod quamvis de causis des premiers, etc. Il dit donc
tractatum sit in physicis, que, bien qu’il ait traité des
tamen nunc accipiendum est causes au livre des Physiques,
opiniones philosophorum, il faut maintenant examiner les
qui prius venerunt ad opinions des philosophes qui se
perscrutandum naturam sont engagés auparavant dans
entium, qui prius l’étude de la nature des êtres et
philosophati sunt de veritate qui ont philosophé sur la vérité
quam Aristoteles; quia et ipsi avant Aristote, car eux aussi
causas et principium ponunt. affirment l’existence de causes
Nobis igitur, qui eis et de principes. Mais pour
supervenimus, considerare nous, qui venons ensuite,
eorum opiniones, erit aliquid l’étude de leurs opinions sera
prius, idest aliquod le préalable, c'est-à-dire un
praeambulum, methodo, idest préambule, à une méthode,
in arte, quae nunc a nobis pratiquée avec art, que nous
quaeritur. Unde et litera recherchons maintenant. C’est
Boetii habet, accedentibus pourquoi le texte de Boèce
igitur ad opus scientiae prae dit2 : pour ceux qui accèdent à
opere viae quae nunc est l’œuvre de la science, ces
aliquid erit: alia litera habet, opinions seront une
supervenientibus igitur quae introduction au cheminement
nunc est aliquid erit vitae qu’il faut maintenant faire;
opus via, et legenda est sic, selon une autre version, pour
nobis igitur supervenientibus ceux qui entreprennent l’étude
ei, quae nunc est via, idest in actuelle, il y aura un chemin
praesenti methodo et arte, vers cette œuvre de vie, et il
consideranda erit horum faut la lire ainsi : pour nous
opinio, quasi aliquod vitae donc qui l’entreprenons, le
opus, idest necessarium sicut chemin actuel, c'est-à-dire,
opera quae sunt ad vitae dans la méthode et l’art qui
conservationem, ut nous occupent, l’examen des
intelligatur quasi quadam opinions de ces philosophes,
metaphora uti in loquendo, est comme une œuvre de vie,
per vitae opus, quodlibet c'est-à-dire une œuvre
necessarium accipiens. nécessaire comme celles qui
Utilitas autem est illa, quia servent à conserver la vie, de
aut ex praedictis eorum sorte que par œuvre de vie, on
inveniemus aliud genus a comprenne de façon
causis praenumeratis, aut métaphorique tout ce qui est
magis credemus his, quae nécessaire. Or, cette utilité
modo diximus de causis, consiste en ce que, ou bien ces
quod, scilicet sint quatuor. propos nous feront trouver un
autre genre que celui des
causes énumérées, ou bien
nous croirons plus fermement
2 Tous mes efforts pour trouver ce bout de texte en latin ou en français ont été vains. Le latin, dans
ses deux versions, est toutefois commenté dans M. Jourdain, Recherches critiques sur l’âge et l’origine des
traductions latines d’Aristote, Paris, 1819, p. 445-446.
ce que nous venons de dire au
sujet des causes, à savoir qu’il
y en a quatre.
[81639] Sententia Ensuite, lorsqu’il dit : La
Metaphysicae, lib. 1 l. 4 n. 5 plupart des premiers
Deinde cum dicit primum philosophes, il commence à
igitur hic incipit antiquorum traiter des opinions des anciens
philosophorum opiniones philosophes; ce qu’il fait en
prosequi; et circa hoc duo deux parties. En premier, il
facit. Primo recitat aliorum relate les opinions des autres.
opiniones. Secundo reprobat, En deuxième, il les réfute, où il
ibi, ergo quicumque. Circa dit : Tous ceux qui ont
primum duo facit. Primo prétendu, etc. (leçon XII). Il
recitat singulorum opinionem traite la première partie en
de causis. Secundo colligit in deux sections. En premier, il
summa quae dicta sunt, ibi, relate chacune des opinions sur
breviter igitur et cetera. les causes. En deuxième, il fait
Prima pars dividitur in duas. une synthèse de ce qui a été dit,
Prima ponit opiniones où il dit : Nous venons de voir,
praetermittentium causam etc. (leçon XI). La première
formalem. Secundo ponit section se divise en deux. En
opinionem Platonis, qui premier, il énonce les opinions
primo causam formalem qui omettent la cause formelle.
posuit, ibi, post dictas vero En deuxième, il présente
philosophias et cetera. Circa l’opinion de Platon, qui a été le
primum duo facit. Primo premier à affirmer l’existence
ponit opinionem illorum, qui d’une cause formelle, où il dit :
posuerunt principia aliquas Après ces différentes
res manifestas. Secundo philosophies, etc. (leçon X).
illorum, qui adinvenerunt Quant au premier point, il fait
extrinseca principia, ibi, deux choses. En premier, il
Leucippus et cetera. Circa énonce l’opinion de ceux qui
primum duo facit. Primo ont supposé comme principes
tangit opiniones antiquorum certaines réalités évidentes; en
de causa materiali. Secundo deuxième l’opinion de ceux qui
de causa efficiente, ibi, ont trouvé des principes
procedentibus autem sic. extrinsèques, où il dit :
Circa primum duo facit. Leucippe et son ami
Primo ponit quid senserunt Démocrite, etc. (leçon VII). Il
de causa materiali. Et primo traite la première section en
ponit opiniones ponentium deux parties. En premier, il
causam materialem in aborde les opinions des anciens
generali. Secundo au sujet de la cause matérielle;
prosequitur eorum opiniones en deuxième, leurs opinions
in speciali, ibi, Thales et sur la cause efficiente, où il
cetera. Circa primum duo dit : C’est brièvement et
facit. Primo ponit quid sommairement, etc. (leçon V).
senserunt de causa materiali. Il traite la première partie en
Secundo quid senserunt de deux points. En premier, il
rerum generatione, quod ex énonce ce qu’ils ont perçu au
primo sequebatur, ibi, et sujet de la cause matérielle, et
propter hoc nec generari et tout d’abord les opinions de
cetera. ceux qui supposent une cause
matérielle en général. En
deuxième, il discute leurs
opinions en détail, où il dit :
Thalès, le fondateur, etc. Il
traite le premier point en deux
parties. En premier, il énonce
ce qu’ils ont pensé de la cause
matérielle; en deuxième, ce
qu’ils ont pensé de la
génération des choses, opinion
qui découlait de la première, où
il dit : Ils croient pouvoir en
tirer, etc.
[81640] Sententia Il dit donc en premier que la
Metaphysicae, lib. 1 l. 4 n. 6 plupart de ceux qui ont fait les
Dicit ergo primo, quod premières études
plurimi eorum qui primo philosophiques sur les choses
philosophati sunt de rerum naturelles ont affirmé que les
naturis, posuerunt principia seuls principes de toutes choses
omnium esse sola illa, quae sont ceux qui se ramènent à
reducuntur ad speciem l’espèce de la cause matérielle.
causae materialis. Et ad hoc Et dans cette veine, ils
dicendum accipiebant admettaient quatre conditions
quatuor conditiones materiae, de la matière qui semblent
quae ad rationem principii avoir valeur de principe. En
pertinere videntur. Nam id ex effet, ce dont la chose est faite
quo res est, principium rei semble en être le principe; or,
esse videtur: huiusmodi c’est le cas de la matière, car
autem est materia; nam ex nous disons que l’objet
materia dicimus materiatum matériel vient de la matière,
esse, ut ex ferro cultellum. comme le couteau vient du fer.
Item illud ex quo fit aliquid, De plus, ce dont un objet est
cum sit et principium fait, puisqu’il est également
generationis rei, videtur esse principe de la génération de
causa rei, quia res per l’objet, semble en être la cause,
generationem procedit in puisque l’objet vient à l’être
esse. Ex materia autem primo par génération. Mais l’objet
res fit, quia materia rerum vient en premier lieu de la
factioni praeexistit. Et ex ipsa matière, car la matière
etiam non per accidens préexiste à la production des
aliquid fit. Nam ex contrario choses. En effet, ce n’est pas
vel privatione aliquid per par accident qu’une chose est
accidens dicitur fieri, sicut faite à partir de la matière, car
dicimus quod ex nigro sit on dit qu’une chose est faite
album. Tertio illud videtur par accident à partir d’un
esse rerum principium, in contraire ou d’une privation
quod finaliter omnia per comme on dit que le blanc
corruptionem resolvuntur. vient du noir. Une troisième
Nam sicut principia sunt réalité qui semble être principe
prima in generatione, ita sunt des choses est ce en quoi tout
ultima in resolutione. Et hoc se dissout finalement par
etiam materiae manifeste corruption; en effet, de même
contingit. Quarto, cum que les principes sont premiers
principia oportet manere, id dans la génération, ils sont
videtur esse principium, quod derniers dans la dissolution. Et
in generatione et corruptione cela aussi concerne
manet. Materia autem, quam manifestement la matière.
dicebant esse substantiam rei, Quatrièmement, puisque les
manet in omni principes doivent demeurer, ce
transmutatione; sed passiones qui demeure pendant la
mutantur, ut forma, et omnia génération et la corruption
quae adveniunt supra semble être un principe. Or, la
substantiam materiae. Et ex matière, qu’ils disaient être la
his omnibus concludebant, substance de la chose, demeure
quod materia est elementum dans toute transformation, mais
et principium omnium eorum ses phénomènes changent,
quae sunt. comme la forme et tout ce qui
se surajoute à la substance de
la matière. Et à partir de tout
cela, ils concluaient que la
matière est l’élément et le
principe de tout ce qui existe.
[81641] Sententia Ensuite, lorsqu’il dit : et pour
Metaphysicae, lib. 1 l. 4 n. 7 cette raison, ils pensent, etc., il
Deinde cum dicit et propter énonce l’affirmation
hic ponit secundarium quod secondaire qu’ils disaient
ponebant quasi ex découler de ce qui précède, à
praecedentibus sequens, savoir que rien n’est engendré
scilicet nihil simpliciter ou corrompu de façon absolue
generari vel corrumpi in dans les êtres. En effet, quand
entibus. Nam quando fit des phénomènes changes alors
aliqua mutatio circa que la substance demeure, nous
passiones substantia ne disons pas qu’une chose est
manente, non dicimus aliquid engendrée ou corrompue de
esse generatum vel façon absolue, mais seulement
corruptum simpliciter, sed de façon relative; ainsi, quand
solum secundum quid: sicut Socrate devient bon ou
cum Socrates fit bonus aut musicien, nous ne disons pas
musicus, non dicitur fieri qu’il vient à l’être, mais qu’il
simpliciter, sed fieri hoc. Et devient telle chose.
similiter quando deponit Pareillement, quand il cesse
huiusmodi habitum, non d’avoir ces attributs, on ne dit
dicitur corrumpi simpliciter pas qu’il se corrompt
sed secundum quid. Materia absolument, mais sous un
autem quae est rerum certain aspect. Mais la matière,
substantia secundum eos, qui est la substance des choses
semper manet. Omnis autem selon eux, demeure toujours.
mutatio fit circa aliqua quae Mais tout changement touche
adveniunt ei, ut passiones. Et des choses qui s’ajoutent à la
ex hoc concludebant quod matière, comme les
nihil generatur vel phénomènes. Ils concluaient
corrumpitur simpliciter, sed donc que rien n’est engendré
solum secundum quid. ou corrompu de façon absolue,
mais seulement de façon
relative.
[81642] Sententia Mais bien qu’ils aient ainsi été
Metaphysicae, lib. 1 l. 4 n. 8 d’accord pour affirmer
Quamvis autem sic l’existence d’une cause
convenirent in ponendo matérielle, leurs positions
causam materialem, tamen différaient pourtant sur deux
differebant in eius positione points. L’un était la pluralité,
quantum ad duo: scilicet car certains disaient qu’il y en
quantum ad pluralitatem: a une et les autres plusieurs;
quia quidam ponebant unam, l’autre était l’espèce, car
quidam plures: et quantum ad certains disaient que cette
speciem, quia quidam cause est le feu, d’autres l’eau,
ponebant ignem, quidam et ainsi de suite. Parmi ceux
aquam et cetera. Similiter qui supposaient plusieurs
ponentium plura, quidam causes attribuaient pareillement
haec, quidam illa principia aux êtres divers principes
materialia rebus attribuebant. matériels.
[81643] Sententia Puis lorsqu’il dit : Thalès, le
Metaphysicae, lib. 1 l. 4 n. 9 fondateur, etc., il commence à
Deinde cum dicit Thales relater les opinions de chacun
quidem. Hic incipit recitare sur la cause matérielle. Et en
opiniones singulorum, de premier, il expose l’opinion de
causa materiali. Et primo ceux qui supposent une seule
ponit opinionem ponentium cause matérielle; en deuxième,
unam causam materialem. l’opinion de ceux qui en
Secundo ponentium plures, affirment plusieurs, où il dit :
ibi, Empedocles vero. Circa Empédocle reconnut quatre
primum tria facit. Quia primo éléments, etc. Il traite la
ponit opinionem ponentium première partie en trois points.
aquam esse principium En effet, il mentionne en
omnium. Secundo ponentium premier l’opinion de ceux qui
aerem, ibi, Anaximenes et affirment que l’eau est le
cetera. Tertio ponentium principe de toutes choses; en
ignem, ibi, Hyppasus et deuxième, l’opinion de ceux
cetera. Circa primum duo qui disent que c’est l’air, où il
facit. Primo ponit opinionem dit : Anaximène et Diogène,
Thaletis, qui dicebat aquam etc.; en troisième, l’opinion de
esse rerum principium. ceux qui disent que c’est le feu,
Secundo ponit opinionis où il dit : ce principe est le feu,
probationem, ibi, forsan enim etc. Le premier point se divise
et cetera. Dicit ergo, quod en deux. En premier, il donne
Thales princeps talis l’opinion de Thalès, qui disait
philosophiae, idest que l’eau est le principe des
speculativae, dixit aquam choses; en deuxième, en
esse primum rerum deuxième, il explique la preuve
principium. Dicitur autem donnée à cette opinion, où il
Thales speculativae dit : amené probablement à
philosophiae princeps fuisse, cette opinion, etc. Il dit donc
quia inter septem sapientes, que Thalès a été le fondateur
qui post theologos poetae de cette manière de
fuerunt, ipse solus ad philosopher, parce que parmi
considerandum rerum causas les sept sages, qui sont venus
se transtulit, aliis sapientibus après les poètes théologiens,
circa moralia occupatis. lui seul s’est occupé à étudier
Nomina septem sapientum les causes des choses, tandis
sunt ista. Primus Thales que les autres sages se sont
Milesius tempore Romuli, et occupés de morale. Voici les
apud Hebraeos tempore noms des sept sages. En
Achaz regis Israel. Secundus premier, Thalès de Milet, à
fuit Pittacus Mitylenaeus, l’époque de Romulus et, chez
apud Hebraeos regnante les Hébreux, au temps d’Achaz
Sedechia, et apud Romanos roi d’Israêl. En deuxième,
Tarquinio prisco. Alii Pittacos de Mitylène, pendant
quinque fuerunt Solon le règne de Sédécias chez les
Atheniensis, Chilon Hébreux et de Tarquin
Lacedaemonius, Periander l’Ancien chez les Romains.
Corinthius, Cleobulus Les cinq autres ont été Solon
Lydius, Bias Priennensis, qui d’Athènes, Chilon de Sparte,
fuerunt omnes tempore Périandre de Corinthe,
Babylonicae captivitatis. Cléobule de Lindos et Bias de
Quia igitur inter hos solus Priène, qui ont tous vécu au
Thales rerum naturas temps de la captivité de
scrutatus est, suasque Babylone. Donc, Thalès ayant
disputationes literis mandans été le seul parmi eux à scruter
emicuit, ideo hic princeps les choses de la nature, a
huius scientiae dicitur. consigné par écrit ses débats à
ce sujet, et c’est pourquoi il est
appelé le fondateur de cette
science.
[81644] Sententia Il ne doit pas non plus sembler
Metaphysicae, lib. 1 l. 4 n. 10 hors de propos qu’il mentionne
Nec debet inconveniens ici les opinions de ceux qui ont
videri, si opiniones hic tangit traité seulement de la science
eorum, qui solum de scientia naturelle, car pour les anciens
naturali tractaverunt; quia qui ne connaissaient aucune
secundum antiquos qui autre substance que la
nullam substantiam substance corporelle et mobile,
cognoverunt nisi corpoream la philosophie première devait
et mobilem, oportebat quod nécessairement être la science
prima philosophia esset naturelle, comme on le dira au
scientia naturalis, ut in quarto livre IV. Or, de ce présupposé,
dicetur. Ex hac autem Thalès déduisait que la terre est
positione ulterius procedebat fondée sur l’eau, comme la
ad hoc, quod terra esset super conséquence est fondée sur son
aquam fundata, sicut principe.
principiatum supra suum
principium.
[81645] Sententia Ensuite, lorsqu’il dit : amené
Metaphysicae, lib. 1 l. 4 n. 11 probablement à cette opinion,
Deinde cum dicit forsan enim etc., il donne les raisons qui ont
hic ponit rationes quibus pu amener Thalès à une telle
Thales potuit induci ad conviction. Et en premier, il
praedictam positionem. Et montre comment il y a été
primo ostendit quomodo ad amené rationnellement; en
hoc inducebatur ratione. second, comment il y a été
Secundo quomodo amené par l’autorité des
inducebatur primorum anciens, où il dit : Plusieurs
auctoritate, ibi, sunt et aliqui pensent que dès, etc. Il
antiquiores et cetera. s’appuyait donc sur deux
Inducebatur autem duplici raisons : l’une venait de
ratione. Una quae sumitur ex l’examen de la cause des
consideratione causae ipsius choses; l’autre venait de
rei. Alia quae sumitur ex l’examen de leur génération, et
consideratione generationis est mentionnée où il dit : et
rerum, ibi, et quia cunctorum aussi de ce que les germes, etc.
et cetera. Haec ergo media Les moyens termes du
sunt ordinata. Nam ex primo raisonnement s’enchaînent, car
sequitur secundum. Quod le deuxième fait suite au
enim est aliis principium premier. En effet, ce qui est le
essendi, est etiam primum principe de l’existence des
principium ex quo res autres est aussi le premier
generantur. Tertium sequitur principe de génération des
ex secundo. Nam êtres. Le troisième s’ensuit du
unumquodque per deuxième, car tout se dissout
corruptionem resolvitur in id par corruption en redevenant ce
ex quo generatum est. dont il a été engendré. Le
Quartum autem sequitur ex quatrième découle du
secundo et tertio. Nam quod deuxième et du troisième, car
praecedit generationem ce qui précède la génération
rerum, et remanet post des choses et demeure après
corruptionem, oportet esse leur corruption doit être
semper manens. quelque chose de perpétuel.
[81646] Sententia Pour le premier point, il
Metaphysicae, lib. 1 l. 4 n. 12 invoquait trois signes pour
Primo modo utebatur tribus montrer que l’eau est le
signis ad ostendendum principe d’existence des
aquam esse principium choses. Le premier est que la
essendi rebus: quorum nourriture des vivants est
primum est, quia nécessairement humide. Or, les
nutrimentum viventium vivants tirent de la même chose
oportet esse humidum. Ex et leur existence et leur
eodem autem viventia nourriture; alors, l’humidité
nutriuntur et sunt; et sic semble être le principe de
humor videtur esse l’existence. Le deuxième signe
principium essendi. est que, puisque toute chose
Secundum signum est, quia corporelle, surtout si elle est
esse cuiuslibet rei corporeae, vivante, se conserve par sa
et maxime viventis, per chaleur propre naturelle, et
proprium et naturalem puisque la chaleur semble se
calorem conservatur: calor faire à partir de l’humidité, du
autem ex humore fieri fait que l’humidité est comme
videtur, cum ipse humor sit la matière de la chaleur, il
quasi caloris materia: unde ex semble donc s’ensuivre que
hoc videtur quod humor sit l’humidité est le principe
rebus principium essendi. d’existence des choses. Le
Tertium signum est, quia vita troisième signe est que la vie
animalis in humido consistit. de l’animal consiste dans
Unde propter desiccationem l’humidité; c’est pourquoi
naturalis humidi, animal l’assèchement de l’humidité
moritur, et per eius naturelle cause la mort de
conservationem, animal l’animal, et sa conservation
sustentatur. Vivere autem préserve la vie de l’animal; or,
viventibus est esse. Unde ex la vie est l’être des vivants.
hoc etiam patet quod humor Cela aussi montre donc avec
sit rebus principium essendi. évidence que l’humidité est le
Et haec etiam tria signa principe d’existence des
seinvicem consequuntur. choses. Et ces trois signes
Ideo enim animal humido également s’enchaînent l’un à
nutritur, quia calor naturalis l’autre. En effet, l’animal se
humido sustentatur; et ex his nourrit d’aliments humides
duobus sequitur, quod vivere parce que la chaleur naturelle
animalis sit semper per est maintenue par l’humidité;
humidum. Id autem ex quo et il s’ensuit de ces deux faits
aliquid fit, idest ex quo que si l’animal vit, c’est
aliquid esse consequitur, est toujours grâce à l’humidité.
principium omnibus quae ex Mais ce dont viennent les
illo esse habent. Et propter choses, c'est-à-dire ce dont leur
hoc accepit hanc opinionem être découle, est le principe de
quod humor esset omnibus toutes les choses qui en tire
principium. leur être. Pour cette raison, il a
formé l’opinion que l’humidité
est le principe de toutes choses.
[81647] Sententia Il a trouvé un autre signe du
Metaphysicae, lib. 1 l. 4 n. 13 même fait dans la génération
Similiter etiam accepit des choses, car la génération
signum ex rerum generatione, des vivants, qui sont les plus
quia generationes viventium, nobles des êtres, viennent à
quae sunt nobilissima in l’existance à partir de
entibus, fiunt ex seminibus. semences. Or, la semence ou le
Semina autem sive spermata sperme de tous les vivants a
omnium viventium habent une nature humide. Il ressort
humidam naturam. Unde ex donc également de ce fait que
hoc etiam apparet, quod l’humidité est le principe de la
humor est generationis rerum génération des choses. Mais si
principium. Si autem on ajoute à tout ce qui précède
omnibus praedictis le fait que l’eau est le principe
coniungatur quod aqua est de l’humidité, il s’ensuit que
humiditatis principium, l’eau est le premier principe
sequitur quod aqua sit des choses.
primum rerum principium.
[81648] Sententia Ensuite, lorsqu’il dit :
Metaphysicae, lib. 1 l. 4 n. 14 Plusieurs pensent que, etc., il
Deinde cum dicit sunt autem montre comment invoquait en
hic ostendit quomodo Thales faveur de cette idée l’autorité
inducebatur ad praedictam des anciens. Et il dit qu’il y a
positionem per auctoritates eu des penseurs plus anciens
antiquorum. Et dicit quod que Thalès, bien avant la
aliqui fuerunt antiquiores génération des contemporains
Thalete et multum ante d’Aristote, à savoir les
generationem hominum qui premiers théologiens, qui
erant tempore Aristotelis, qui semblent avoir eu la même
fuerunt primo theologizantes, opinion sur la nature, c'est-à-
qui visi sunt hanc opinionem dire que l’eau est le principe de
de natura habuisse, scilicet toutes choses.
quod aqua est principium
omnium.
[81649] Sententia Pour que cela soit évident, il
Metaphysicae, lib. 1 l. 4 n. 15 faut savoir que chez les Grecs,
Ad cuius evidentiam les premiers hommes réputés
sciendum est, quod apud pour les sciences ont été des
Graecos primi famosi in poètes théologiens, ainsi
scientia fuerunt quidam appelés parce qu’ils
poetae theologi, sic dicti, composaient des cantiques sur
quia de divinis carmina les choses divines. Il y en eut
faciebant. Fuerunt autem tres, trois, Orphée, Musée et Linus,
Orpheus, Museus et Linus, dont le plus célèbre fut Orphée.
quorum Orpheus famosior Ils vivaient à l’époque qui fut
fuit. Fuerunt autem tempore, celle des Juges dans le peuple
quo iudices erant in populo juif. Il est donc évident qu’ils
Iudaeorum. Unde patet, quod ont vécu longtemps avant
diu fuerunt ante Thaletem, et Thalès, et encore bien plus
multo magis ante Aristotelem longtemps avant Aristote, qui
qui fuit tempore Alexandri. vivait à l’époque d’Alexandre.
Isti autem poetae quibusdam Or, ces poètes ont donné des
aenigmatibus fabularum explications sur les choses
aliquid de rerum natura naturelles au moyen d’énigmes
tractaverunt. Dixerunt enim incluses dans des fables. Ils ont
quod Oceanus, ubi est dit en effet que l’Océan, où on
maxima aquarum aggregatio, trouve le plus grand
et Thetis, quae dicitur dea rassemblement des eaux, et
aquarum, sunt parentes Thétis, appelée la déesse des
generationis: ex hoc sub eaux, sont les auteurs de la
fabulari similitudine dantes génération; ils donnaient ainsi
intelligere aquam esse à entendre, par les images
generationis principium. d’une fable, que l’eau est le
principe de la génération.
[81650] Sententia Ils ont voilé cette doctrine par
Metaphysicae, lib. 1 l. 4 n. 16 un autre récit fabuleux, en
Hanc sententiam alia disant que les dieux prêtaient
fabulosa narratione serment ou juraient par un
velaverunt, dicentes, quod cours d’eau que les poètes
sacramentum vel iuramentum appelaient Styx et disaient être
deorum erat per aquam un marais infernal. En disant
quamdam, quam poetae que les dieux juraient par l’eau,
dicunt Stygem, et dicunt eam ils ont donné à entendre que
esse paludem infernalem. Ex l’eau était plus noble que les
hoc autem quod deos dieux mêmes, car un vœu ou
dicebant iurare per aquam, un serment se fait par ce qui est
dederunt intelligere, quod plus honorable. Mais ce qui est
aqua erat nobilior ipsis deis, premier est plus honorable; en
quia sacramentum vel effet, le parfait précède
iuramentum fit id quod est l’imparfait de façon absolue
honorabilius. Hos autem par nature et dans le temps,
quod est prius, est même si dans un être donné
honorabilius. Perfectum enim l’imparfait peut précéder le
praecedit imperfectum natura parfait dans le temps. Il est
et tempore simpliciter, licet donc évident qu’ils estimaient
in uno aliquo imperfectio que l’eau est antérieure aux
perfectionem praecedat dieux mêmes, qu’ils croyaient
tempore. Unde per hoc patet être des corps célestes. Et parce
quod aquam existimabant que ces penseurs très anciens
priorem esse ipsis diis, quos ont dit que l’eau est le principe
intelligebant esse corpora des choses, s’il y a eu des
caelestia. Et quia isti opinions encore plus anciennes
antiquissimi aquam dixerunt sur les choses naturelles, elles
esse rerum principium, si nous sont inconnues. Ainsi
aliqua opinio fuit prior ista de donc est évidente l’opinion
naturalibus, non est nobis attribuée à Thalès au sujet de la
manifesta. Sic igitur patet cause première des choses.
quid Thales de prima causa
rerum dicitur existimasse.
[81651] Sententia Un autre philosophe, du nom
Metaphysicae, lib. 1 l. 4 n. 17 d’Hippon, n’a pas cru bon
Quidam autem philosophus, d’ajouter quelque chose à ces
qui vocatur Hyppon, non fuit idées en raison de
dignatus aliquid superaddere l’imperfection de sa science ou
his propter suae scientiae vel de son intelligence. C’est
intelligentiae imperfec- pourquoi il est rangé parmi les
tionem. Unde in libro de plus superficiels dans le livre
anima ponitur inter De l’âme, où il est dit qu’il a
grossiores, ubi dicitur quod affirmé que l’eau était l’âme et
posuit aquam esse animam et le principe des choses,
principium rerum, sumens invoquant comme preuve les
argumentum ex rerum semences des choses, comme
seminibus, ut hic dictum est on l’a dit ici de Thalès. Il est
de Thalete. Unde patet quod donc évident qu’il n’ajoute rien
nihil addit supra Thaletis à la doctrine de Thalès. On
sententiam. Vel potest peut aussi comprendre le texte
intelligi quod quia imperfecte au sens où, du fait de
dixit, non reddidit se dignum, l’imperfection de ses propos, il
ut eius sententia hic ne s’est pas rendu digne de voir
contineretur cum aliis. sa doctrine incluse ici avec
celle des autres.
[81652] Sententia Ensuite, lorsqu’il dit :
Metaphysicae, lib. 1 l. 4 n. 18 Anaximène et Diogène, etc., il
Deinde cum dicit énonce les opinions de ceux
Anaximenes autem hic qui affirmaient que le principe
ponuntur opiniones était l’air, à savoir Diogène et
ponentium aerem esse Anaximène, qui affirmaient
principium, qui fuerunt que l’air existe naturellement
Diogenes et Anaximenes avant l’eau et est le principe de
ponentes aerem priorem aqua tous les corps simples, c'est-à-
esse naturaliter, et principium dire les quatre éléments, et par
omnium simplicium conséquent de tous les autres.
corporum, scilicet quatuor Anaximène est venu en
elementorum, et per troisième après Thalès, car il
consequens omnium aliorum. était le disciple
Fuit autem Anaximenes d’Anaximandre, qui était le
tertius a Thalete. Fuit autem disciple de Thalès. Quant à
discipulus Anaximandri, qui Diogène, on dit qu’il a été
fuit discipulus Thaletis. disciple d’Anaximène. La
Diogenes vero discipulus différence suivante existait
Anaximenis fuisse dicitur. cependant entre l’opinion de
Haec tamen differentia fuit Diogène et celle
inter opinionem Diogenis et d’Anaximène : ce dernier
Anaximenis: quia affirmait simplement que l’air
Anaximenes aerem était le principe des choses,
simpliciter posuit principium mais Diogène disait que l’air
rerum, Diogenes autem dixit ne peut être le principe des
quod aer rerum principium choses que parce qu’il possède
esse non posset, nisi quia un esprit divin. De là vient
compos erat divinae rationis. l’opinion mentionnée en
Ex quo provenit opinio quae premier au sujet de l’âme. Or,
tangitur primo de anima. ses arguments pour affirmer
Ratio autem quare aerem que l’air est le principe des
ponebat rerum principium, choses ont pu être tirés de la
potuit sumi ex respiratione, respiration, par laquelle les
per quam vita animalium animaux conservent la vie, et
reservatur; et quia ex du fait que la génération et la
immutatione aeris videntur corruption des choses semblent
variari generationes et varier à cause de l’influence de
corruptiones rerum. l’air.
[81653] Sententia Ensuite, lorsqu’il dit : ce
Metaphysicae, lib. 1 l. 4 n. 19 principe est le feu, etc., il
Deinde cum dicit Hyppasus nomme deux philosophes,
autem hic ponit quod duo Hippase et Héraclite, qui ont
philosophi Hyppasus et affirmé que le feu est le
Heraclitus posuerunt ignem premier principe en tant que
esse primum principium ut matière. Ils ont peut-être été
materiam. Et potuerunt amenés à cette opinion par la
moveri ex eius subtilitate, subtilité du feu, comme on le
sicut infra dicetur. dira plus loin.
[81654] Sententia Ensuite, lorsqu’il dit :
Metaphysicae, lib. 1 l. 4 n. 20 Empédocle reconnut, etc., il
Deinde cum dicit relate les opinions de ceux qui
Empedocles vero hic ponit ont affirmé l’existence de
opiniones ponentium plura plusieurs principes matériels :
principia materialia. Et primo en premier, celle d’Empédocle,
Empedoclis, qui posuit plura qui déclarait qu’ils sont en
finita. Secundo Anaxagorae, nombre fini; en deuxième,
qui posuit plura infinita, ibi, celle d’Anaxagore, qui
Anaxagoras vero et cetera. affirmait que leur nombre est
Ponit ergo primo, opinionem infini, où il dit : Anaxagore de
Empedoclis quantum ad hoc Clazomènes, etc. Il énonce
quod tria praedicta elementa, donc en premier l’opinion
scilicet aquam, aerem et d’Empédocle quant au fait
ignem dicit esse rerum qu’il disait que les trois
principia, addens eis éléments déjà mentionnés,
quartum, scilicet terram. l’eau, la terre et le feu, sont des
principes des choses, et en
ajoutait un quatrième, à savoir
la terre.
[81655] Sententia Il expose en deuxième cette
Metaphysicae, lib. 1 l. 4 n. 21 opinion quant au fait que,
Secundo quantum ad hoc, comme ceux qui supposaient
quod ista etiam elementa une seule cause matérielle,
dixit semper manere et non Empédocle a dit que ces
generari nec corrumpi, sicut éléments demeurent toujours et
illi qui posuerunt unam ne sont pas engendrés ni
causam materialem; sed per corrompus; mais il a dit que
congregationem horum et c’est par suite de leur
divisionem secundum rassemblement et de leur
multitudinem et paucitatem séparation en grand ou en petit
dixit ex eis alia generari et nombre que sont engendrés et
corrumpi, inquantum ista corrompus les autres objets, en
quatuor per concretionem in autant que ces quatre éléments
unum et disgregationem ex s’agglutinent en un seul objet
uno dividuntur. ou se divisent par
désagrégation d’un objet.
[81656] Sententia Puis lorsqu’il dit : Anaxagore
Metaphysicae, lib. 1 l. 4 n. 22 de Clazomènes, etc., il énonce
Deinde cum dicit Anaxagoras l’opinion d’Anaxagore, qui a
vero hic ponit opinionem été un autre disciple
Anaxagorae, qui fuit alter d’Anaximène et a été
discipulus Anaximenis, qui condisciple de Diogène. Il était
fuit condiscipulus Diogenis: natif de Clazomènes et plus
patria quidem Clazomenius, âgé qu’Empédocle, mais ses
prior aetate quam actes ou ses œuvres sont venus
Empedocles, sed factis sive après, soit parce qu’il a
operibus posterior, vel quia commencé plus tard à
posterius philosophari s’adonner à la philosophie, soit
incoepit, vel quia in numero parce qu’au sujet du nombre de
principiorum minus bene principes il a moins bien parlé
dixit quam Empedocles. qu’Empédocle. Il a dit en effet
Dixit enim principia que le nombre de principes
materialia esse infinita, cum matériels était infini, alors qu’il
sit dignius finita principia et est plus valable de supposer
pauciora accipere, quod fecit des principes finis et en petit
Empedocles, ut dicitur in nombre, ce qu’a fait
primo physicorum. Non enim Empédocle, comme il est dit au
solum dixit principia rerum livre I des Physiques. En effet,
esse ignem et aquam et alia Anaxagore n’a pas seulement
elementa, sicut Empedocles; dit, comme Empédocle, que les
sed omnia quae sunt principes des choses sont le
consimilium partium, ut caro, feu, l’eau et les autres
os, medulla et similia, éléments, mais il a ajouté que
quorum infinitas minimas tous les êtres formés de parties
partes principia rerum posuit, semblables entre elles, comme
ponens in unoquoque la chair, les os, la moëlle et
infinitas partes singulorum ainsi de suite, dont il a affirmé
inesse propter id quod in que les infimes parcelles en
inferioribus unum ex alio nombre infini sont les principes
generari posse invenit, cum des choses. Il disait que toute
generationem rerum non chose contient une infinité de
diceret esse nisi per parties de chaque élément,
separationem a mixto, ut puisqu’on constate que dans les
planius explicavit primo êtres inférieurs, une chose peut
physicorum. être engendrée à partir d’une
autre; il disait en effet que la
génération des choses ne peut
se faire que par séparation d’un
mélange, comme il a été
expliqué plus clairement au
livre I des Physiques.
[81657] Sententia En deuxième lieu, Anaxagore
Metaphysicae, lib. 1 l. 4 n. 23 est également d’accord avec
Secundo etiam Anaxagoras Empédocle pour dire que la
convenit cum Empedocle in génération et la corruption des
hoc, scilicet quod generatio choses ne se fait que par
et corruptio rerum non est agglomération et désagrégation
nisi per concretionem et de ces parties infiniment
discretionem partium nombreuses, et qu’autrement
praedictarum infinitarum, et rien ne pourrait être engendré
quod aliter nec generari nec ni corrompu. Mais il disait que
corrumpi contingit aliquid. ces principes infiniment
Sed huiusmodi rerum nombreux, dont les substances
principia infinita, ex quibus des choses sont produites,
rerum substantiae efficiuntur, demeurent éternellement.
permanere dixit sempiterna.
[81658] Sententia Aristote conclut donc que les
Metaphysicae, lib. 1 l. 4 n. 24 opinions philosophiques
Concludit ergo Aristoteles décrites ci-dessus permettent
quod ex praedictis de connaître seulement les
philosophorum opinionibus causes considérées du point de
aliquis cognoscet solam vue de la cause matérielle.
causam, quae continetur sub
specie causae materialis.
Leçon 5, texte d’Aristote,
traduit par Sr Pascale-
Dominique Nau
Quand on en fut là, la chose
elle-même força d’avancer
encore, et imposa de nouvelles
recherches. Si tout ce qui naît
doit périr et vient d’un principe
unique ou multiple, pourquoi
en est-il ainsi et quelle en est la
cause ? Car ce n’est pas le sujet
qui peut se changer lui-même ;
l’airain, par exemple, et le bois
ne se changent pas eux-mêmes,
et ne se font pas l’un statue,
l’autre lit, mais il y a quelque
autre cause à ce changement.
Or, chercher cette cause, c’est
chercher un antre principe, le
principe du mouvement,
comme nous disions. Ceux des
anciens qui dans l’origine
touchèrent ce sujet, et qui
avaient pour système l’unité de
substance, ne se tourmentèrent
pas de cette difficulté ; mais
quelques-uns de ces partisans
de l’unité, inférieurs en
quelque sorte à cette question,
disent que l’unité et tout ce qui
est, réel n’admet pas de
mouvement, ni pour la
génération et la corruption, ni
même pour tout autre
changement. [984b] Aussi, de
tous ceux qui partent de l’unité
du tout, pas un ne s’est occupé
de ce point de vue, si ce n’est
peut-être Parménide, et encore
ne le fait-il qu’autant qu’à côté
de son système de l’unité, il
admet en quelque sorte deux
principes. Mais ceux qui
admettent la pluralité des
principes, le chaud et le froid,
par exemple, ou le feu et la
terre, étaient plus à même
d’arriver à cet ordre des
recherches ; car ils attribuaient
au feu la puissance motrice, à
l’eau, à la terre et aux autres
éléments de cette sorte, la
qualité contraire. Après ces
philosophes et de pareils
principes, comme ces principes
étaient insuffisants pour
produire les choses, la vérité
elle-même, comme nous
l’avons déjà dit, força de
recourir à un autre principe. En
effet, il n’est guère
vraisemblable que ni le feu, ni
la terre, ni aucun autre élément
de ce genre, soit la cause de
l’ordre et de la beauté qui
règnent dans le monde,
éternellement chez certains
êtres, passagèrement chez
d’autres ; ni que ces
philosophes aient eu une
pareille pensée : d’un autre
côté, rapporter un tel résultat
au hasard ou à la fortune n’eût
pas été raisonnable. Aussi
quand un homme vint dire
qu’il y avait dans la nature,
comme dans les animaux, une
intelligence qui est la cause de
l’arrangement et de l’ordre de
l’univers, cet homme parut seul
avoir conservé sa raison au
milieu des folies de ses
devanciers. Or, nous savons
avec certitude qu’Anaxagore
entra le premier dans ce point
de vue ; avant lui Hermotime
de Clazomènes paraît l’avoir
soupçonné. Ces nouveaux
philosophes érigèrent en même
temps cette cause de l’ordre en
principe des êtres, principe
doué de la vertu d’imprimer le
mouvement.
On pourrait dire qu’avant eux,
Hésiode avait entrevu cette
vérité, Hésiode ou quiconque a
mis dans les êtres comme
principe l’amour ou le désir,
par exemple Parménide. Celui-
ci dit, en effet, dans sa théorie
de la formation de l’univers :
Il fit l’amour le premier de tous
les dieux.
Hésiode dit de son côté :
Avant toutes choses était le
chaos ; ensuite,
La terre au vaste sein...
Puis l’amour, le plus beau de
tous les immortels.
Comme s’ils avaient reconnu la
nécessité d’une cause dans les
êtres capable de donner le
mouvement et le lien aux
choses. Quant à la question de
savoir à qui appartient la
priorité, qu’il nous soit permis
de la décider plus tard.
3 Les philosophes appelés naturales sont ceux qui étudient la scientia naturalis ou philosophia
naturalis, la philosophie de la nature, qui est l’objet essentiel du traité des Physiques d’Aristote; de là
notre traduction de “physiciens”, physique et philosophie de la nature étant synonymes. Les
principaux philosophes de cette tendance, qui seront discutés en détail, sont Empédocle, avec sa
théorie des quatre éléments, et Démocrite, avec sa théorie des atomes. L’appellation de physiciens leur
convient particulièrement, parce qu’ils ont considéré uniquement la cause matérielle et, jusqu’à un
certain point, la cause efficiente des réalités matérielles, sans songer à une cause formelle et à une
cause finale; ils ont donc considéré seulement l’aspect physique du monde, à la différence, par
exemple, de Platon et de Pythagore, qui ne sont pas rangés parmi les naturales.
Parmenides et Melissus, ut immobile, sans aucun
infra dicetur. Ergo patet quod mouvement. Ceux-ci furent
illis, qui dicunt totum unum Parménide et Mélisse, comme
immobile, non contigerit on le dira plus loin. Il est donc
intelligere eos talem causam évident que ceux qui ont
scilicet causam motus, quia affirmé l’existence d’un tout
ex quo motum subtrahunt, unique et immobile n’ont pas
frustra quaerunt causam pu comprendre ce point de vue,
motus nisi tantum c'est-à-dire une telle cause du
Parmenides: quia iste etsi mouvement, car après avoir nié
poneret unum secundum le mouvement, c’est en vain
rationem, ponebat tamen qu’ils en cherchent la cause.
plura secundum sensum, ut Seul Parménide fait exception,
infra dicetur. Unde car même s’il a affirmé l’unité
inquantum plura ponebat, du tout en raison, il a dit que
conveniebat ei ponere plures les choses étaient multiples
causas, quarum una esset selon les sens, comme on le
movens, et alia mota: quia dira plus loin. En conséquence,
sicut pluralitatem secundum comme il affirmait le multiple,
sensum ponebat, ei oportebat il convenait qu’il suppose
quod poneret motum plusieurs causes, dont une était
secundum sensum. Nam ex motrice et les autres mues, car
uno subiecto non potest de même qu’il admettait la
intelligi pluralitas constituta, pluralité selon les sens, il se
nisi per aliquem modum devait d’admettre le
motus. mouvement selon les sens. En
effet, à partir d’un sujet unique,
on ne peut pas comprendre que
la pluralité vienne à exister,
sinon par un mouvement
quelconque.
[81662] Sententia Les troisièmes ont été ceux qui,
Metaphysicae, lib. 1 l. 5 n. 4 affirmant qu’il y avait plusieurs
Tertii fuerunt qui plures substances des choses, ont
facientes rerum substantias, souscrit au raisonnement
consenserunt praedictae précédent en déterminant la
rationi ponentes causam cause du mouvement. Ils
motus. Ponebant enim affirmaient en effet que les
calidum vel frigidum causas, causes étaient le chaud ou le
vel ignem et terram: quorum froid, ou le feu et la terre, en
igne utebantur ut habente attribuant au feu la mobilité,
mobilem, idest motivam c'est-à-dire la puissance
naturam; aqua vero et terra et motrice, et le contraire, c'est-à-
aere contrario, vel ut dire la nature passive, à l’eau, à
habentibus naturam la terre et à l’air. Ainsi, le feu
passivam: et sic ignis erat ut était comme une cause
causa efficiens, alia vero ut efficiente, et les autres, en
causa materialis. quelque sorte, des causes
matérielles.
[81663] Sententia Ensuite, lorsqu’il dit : Après
Metaphysicae, lib. 1 l. 5 n. 5 ces philosophes, etc., il
Deinde cum dicit post hos hic présente les opinions de ceux
ponit opiniones ponentium qui décrivent la cause
causam efficientem non efficiente non seulement
solum ut principium motus, comme le principe du
sed etiam ut principium boni mouvement, mais aussi comme
vel mali in rebus. Et circa le principe du bien ou du mal
hoc duo facit. Primo narrat dans les choses. Ce qu’il fait en
eorum opiniones. Secundo deux parties. En premier, il
ostendit in quo in ponendo relate leurs opinions; en
causas defecerunt, ibi, isti deuxième, il montre en quoi
quidem. Circa primum duo leur exposé des causes est
facit. Primo ponit opinionis insuffisant, où il dit : Jusqu’ici
rationes, ex quibus nous avons vu, etc. Il traite la
movebantur ad ponendum première partie en deux
aliam causam a praedictis. points : en premier, il présente
Secundo ostendit quomodo les arguments qui amenaient
diversimode causam les tenants de cette opinion à
posuerunt, ibi, dicens et supposer une autre cause que
aliquis et cetera. Dicit ergo les précédentes; en deuxième,
primo, quod post praedictos il montre leurs diverses
philosophos qui solum unam manières de décrire la cause,
causam materialem où il dit : Aussi quand un
posuerunt, vel plures homme vint dire, etc. Il dit
corporales, quarum una erat donc en premier que, après les
activa, alia ut passiva: et post philosophes déjà mentionnés
alia prima principia ab eis qui affirmaient l’existence
posita, iterum fuerunt ab ipsa d’une seule cause matérielle,
veritate coacti, ut aiebamus, ou de plusieurs causes
idest sicut supra dictum est, corporelles dont l’une était
ut quaererent principium, active et l’autre passive, et
habitum idest consequenter après les autres premiers
se habens ad praedicta, principes qu’ils ont supposés,
scilicet causam boni, quae la vérité elle-même les a
quidem est causa finalis, licet ensuite obligés, comme nous
ab eis non poneretur nisi per l’avons déjà dit, à rechercher
accidens, ut infra patebit. un autre principe, qui viendrait
Ponebatur enim ab eis solum à la suite des précédents, c'est-
causa boni per modum à-dire la cause du bien, qui est
causae efficientis. Et ad hoc la cause finale, même s’ils n’en
cogebantur, quia praemissa ont affirmé l’existence que par
principia non sufficiebant ad accident, comme on le verra
generandum naturam entium, plus loin. La cause du bien
in qua quidem inveniuntur qu’ils supposaient, en effet,
aliqua bene se habere. Quod avait seulement fonction de
demonstrat conservatio cause efficiente. Et ils ont été
corporum in propriis locis, contraints de penser ainsi parce
extra quae corrumpuntur. Et que les principes précédents ne
ulterius utilitates, quae suffisaient pas pour engendrer
proveniunt ex partibus la nature des êtres, dans
animalium, quae hoc modo laquelle on trouve des aspects
dispositae inveniuntur qui ont raison de bien. La
secundum quod congruit ad preuve en est que les corps se
bonum esse animalis. conservent en leurs lieux
propres, hors desquels ils se
corrompent. Une autre preuve
est celle des fonctions utiles
exercées par les parties des
animaux, qu’on voit disposées
d’une façon qui convient au
bien-être des animaux.
[81664] Sententia Mais il n’est pas suffisant
Metaphysicae, lib. 1 l. 5 n. 6 d’affirmer que le feu, la terre
Huiusmodi autem bonae ou un autre corps du genre soit
dispositionis vel habitudinis, la cause de la bonne
quam quaedam res iam disposition ou de la bonne
habent, quaedam vero condition que certaines choses
adipiscuntur per aliquam ont déjà et que d’autres
factionem, non sufficienter acquièrent par fabrication, car
ponitur causa vel ignis, vel ces corps n’agissent que dans
terra, vel aliquod talium un sens déterminé par la
corporum: quia ista corpora nécessité de leurs formes
determinate agunt ad unum propres, comme le feu
secundum necessitatem réchauffe et tend vers le haut
propriarum formarum, sicut alors que l’eau refroidit et tend
ignis calefacit et tendit vers le bas. Ces fonctions utiles
sursum, aqua vero infrigidat et ces bonnes dispositions des
et tendit deorsum. Praedictae choses exigent l’existence
autem utilitates, et bonae d’une cause qui n’est pas
dispositiones rerum exigunt déterminée en un seul sens,
habere causam non puisque chez divers animaux,
determinatam ad unum les parties se trouvent
tantum, cum in diversis disposées de diverses façons,
animalibus diversimode selon ce qui convient à la
inveniantur partes dispositae, nature de chacun.
et in unoquoque secundum
congruentiam ipsorum
naturae.
[81665] Sententia C’est pourquoi il n’est pas
Metaphysicae, lib. 1 l. 5 n. 7 admissible que le feu, la terre
Unde non est conveniens, ou autre chose du genre soit la
quod ignis vel terra vel cause de cette bonne
aliquod huiusmodi sit causa disposition des choses, et il
praedictae bonae habitudinis n’est pas non plus admissible
rerum: nec fuit conveniens, que ces philosophes aient
quod ipsi hoc aestimaverint: pensé ainsi. Également, il ne
nec iterum bene se habet convient pas de dire que ces
dicere, quod sint automata faits soient automatiques, c'est-
idest per se evenientia et à-dire se produisent d’eux-
casualia, et quod a fortuna mêmes et par hasard, et que la
tantum immutetur eorum fortune seule en est la cause;
causalitas: licet aliqui eorum pourtant, certains d’entre eux
hoc dixerint, ut Empedocles l’ont dit, comme Empédocle et
et quicumque posuerunt tout autre penseur qui a admis
causam materialem tantum: uniquement la cause matérielle,
sicut patet secundo comme on le voit au livre II
physicorum. Quod tamen des Physiques. Il est pourtant
patet etiam esse falsum, per évident que cela aussi est faux,
hoc quod huiusmodi bonae du fait que ces bonnes
dispositiones inveniuntur vel dispositions existent toujours
semper, vel in maiori parte. ou la plupart du temps. Mais
Ea autem quae sunt a casu les choses qui viennent du
vel a fortuna, non sunt sicut hasard ou de la fortune
semper, sed nec sicut n’arrivent pas toujours, ni
frequenter, sed ut raro. Et même fréquemment, mais
propter hoc necessarium fuit rarement. Pour cette raison, il a
alterum invenire principium fallu trouver un autre principe
bonae dispositionis rerum, de la bonne disposition des
praeter quatuor elementa. choses, en plus des quatre
Alia litera habet, nec ipsi éléments. Un autre texte dit :
automato et fortunae; et est « ni au hasard et à la
idem sensus quod prius. fortune », et il a le même sens
que ci-dessus.
[81666] Sententia Puis lorsqu’il dit : Aussi quand
Metaphysicae, lib. 1 l. 5 n. 8 un homme, etc., il présente en
Deinde cum dicit dicens et particulier les opinions sur le
hic ponit in speciali principe précédent. Et en
opiniones de praedicto premier, il présente les
principio. Et primo ponit opinions de ceux qui supposent
opiniones ponentium unam une seule cause; en second, les
causam. Secundo ponentium opinions de ceux qui en
duas, ibi, quoniam vero supposent deux, où il dit :
contraria bonis et cetera. Ensuite, comme à côté du bien,
Circa primum duo facit. etc. Il traite le premier point en
Primo ponit opiniones deux parties. En premier, il
ponentium causam primam énonce les opinions de ceux
efficientem intellectum. qui affirment que la première
Secundo ponentium amorem, cause efficiente est
ibi, suspicatus est autem et l’intelligence; en second, les
cetera. Dicit ergo quod post opinions de ceux qui disent que
praedictam rationem apparuit c’est l’amour, où il dit : On
aliquis dicens intellectum pourrait dire qu’avant eux, etc.
esse in tota natura, sicut est Il dit donc qu’après les
in animalibus, et ipsum esse réflexions qui précèdent,
causam mundi et ordinis quelqu'un est apparu, qui a dit
totius, idest universi, in quo que l’intelligence se trouve
ordine consistit bonum totius, dans toute la nature, ainsi que
et uniuscuiusque. Et hic dans les animaux, et qu’elle est
purificavit priores la cause du monde et de l’ordre
philosophos, ad puram du tout, c'est-à-dire de
veritatem eos reducens qui l’univers, ordre dans lequel
inconvenientia dixerunt, réside le bien du tout et de
huiusmodi causam non chaque chose. Cet homme a
tangentes. Hanc autem épuré les philosophes
sententiam manifeste tangit antérieurs, amenant à la pure
Anaxagoras, licet causam vérité ceux qui ont dit des
huiusmodi sententiam absurdités en omettant cette
proferendi dederit ei primo cause. Or, il est certain
quidam alius philosophus, qu’Anaxagore a professé cette
scilicet Hermotimus doctrine, même si
Clazomenius. Unde patet l’enseignement de la doctrine
quod illi qui sunt opinati sic, sur une telle cause lui a été
simul posuerunt idem rebus donné par un autre philosophe,
esse principium, quod bene Hermotime de Clazomènes. Il
haberent se, et quod esset est donc évident que ceux qui
unde principium motus est. ont pensé ainsi ont affirmé que
la même chose était à la fois
principe du bon ordre des
choses et principe d’origine du
mouvement.
[81667] Sententia Ensuite, lorsqu’il dit : On
Metaphysicae, lib. 1 l. 5 n. 9 pourrait dire qu’avant eux,
Deinde cum dicit suspicatus etc., il présente l’opinion de
est ponit opinionem ceux qui affirment que le
ponentium amorem esse principe premier est l’amour,
principium primum; quem bien qu’ils ne l’aient pas
tamen non ita expresse vel affirmé de façon aussi claire ou
plane, posuerunt. Et ideo explicite. C’est pourquoi il dit
dicit, quod suspicio fuit apud que certains ont soupçonné
aliquos, quod Hesiodus qu’Hésiode, ou tout autre qui a
quaesivisset huiusmodi affirmé que l’amour ou le désir
principium bonae habitudinis existent dans les choses, a
rerum, vel quicumque alius attribué à ce principe la bonne
posuit amorem vel disposition des choses. En
desiderium in rebus. Cum effet, quand Parménide a tenté
enim Parmenides universi de démontrer que l’univers a
generationem monstrare été engendré, il a dit que
tentaret, dixit, quod amor l’amour des dieux a pourvu à
deorum providit omnibus, ut toutes choses pour que le
mundus constitueretur. Nec monde soit constitué. Et ce
est contra sensum eius, qui n’est pas contraire à sa pensée
posuit unum ens immobile, voulant que l’être soit unique
quod hic dicit; quia hic et immoblie, ce qu’il dit ici, car
ponebat plura secundum il affirmait à cet endroit que les
sensum, licet unum choses sont multiples selon les
secundum rationem, ut supra sens mais une en raison,
dictum est, et infra dicetur. comme on l’a dit plus haut et
Deos autem corpora caelestia comme on le redira plus loin.
appellabat, vel forte aliquas Cependant, il appelait dieux les
substantias separatas. corps célestes, ou peut-être
certaines substances séparées.
[81668] Sententia Mais Hésiode a dit qu’au début
Metaphysicae, lib. 1 l. 5 n. 10 de tout il y avait le chaos, et
Sed Hesiodus dixit quod qu’ensuite la terre a été faite
primo omnium fuit chaos, et plus large afin d’être le
deinde facta est terra latior, ut contenant de toutes choses : en
esset receptaculum aliorum: effet, les anciens ont affirmé
posuerunt enim receptaculum que le contenant et le lieu sont
et locum principium esse, ut principes de l’être, comme il
dicitur quarto physicorum. Et est dit au livre IV des
posuit rerum principium Physiques. Et il a affirmé que
amorem, qui condocet omnia le principe des choses est
immortalia. Et hoc ideo, quia l’amour, qui est l’éducateur de
communicatio bonitatis ex tous les immortels. La raison
amore provenire videtur. en est que la communication de
Nam beneficium est signum la bonté semble provenir de
et effectus amoris. Unde, l’amour; en effet, les bienfaits
cum ex rebus immortalibus sont le signe et l’effet de
huiusmodi corruptibilia esse l’amour. Alors, puisque de tels
habeant, et omnem bonam êtres corruptibles tirent des
dispositionem, oportet hoc réalités immortelles leur
amori immortalium existence et toute bonne
attribuere. Immortalia autem disposition, il faut attribuer ce
posuit vel ipsa corpora fait à l’amour des immortels.
caelestia, vel ipsa principia Mais il a affirmé que les êtres
materialia. Sic autem posuit immortels étaient soit les corps
chaos et amorem, quasi célestes, soit les principes
necessarium sit in rerum matériels. Ainsi donc, il a pris
existentiis esse non solum comme principes le chaos et
materiam motuum, sed et l’amour par suite de la
ipsam causam agentem, quae nécessité d’avoir, dans les
res moveat et congreget; choses existantes, non
quod videtur ad amorem seulement la matière des
pertinere. Nam et in nobis mouvements, mais aussi la
amor ad actiones movet, et cause agente, qui meut et
quia est omnium affectionum rassemble les choses, ce qui
principium. Nam et timor et semble être le fait de l’amour.
tristitia et spes, non nisi ex Chez nous aussi, en effet,
amore procedunt. Quod l’amour pousse à l’action, et
autem amor congreget, ex ce, parce qu’elle est le principe
hoc patet; quia ipse amor est de toutes les affections; de fait,
unio quaedam amantis et la crainte, la tristesse et
amati, dum amans amatum l’espérence n’ont d’autre
quasi se reputat. Iste autem source que l’amour. Or, le fait
Hesiodus ante philosophorum que l’amour rassemble est
tempora fuit in numero évident, car il est lui-même une
poetarum. sorte d’union entre l’amant et
l’aimé, l’aimant considérant
l’aimé un peu comme lui-
même. À propos d’Hésiode, il
a vécu avant les philosophes et
a été au nombre des poètes.
[81669] Sententia Quant à savoir lequel, de celui
Metaphysicae, lib. 1 l. 5 n. 11 qui dit que l’amour est le
Quis autem horum sit prior, premier principe ou de celui
idest potior in scientia, utrum qui dit que c’est l’intelligence,
ille qui dixit amorem esse a la priorité, c'est-à-dire
primum principium, vel qui l’emporte par la science, on
dixit intellectum, posterius pourra en juger plus tard,
poterit iudicari, scilicet ubi quand on traitera de Dieu. Et il
agetur de Deo. Et hoc appelle ce jugement une
iudicium distributionem « répartition », car ainsi, à
vocat: quia per hoc unicuique chacun est attribué son degré
suus gradus attribuitur de dignité. Une autre
dignitatis. Alia translatio traduction le dit plus
planius habet: hos quidem clairement : « comment ces
igitur quomodo congruat êtres sont capables de mettre
transire, et quis de hoc sit en mouvement, et lequel
prior, posterius poterit d’entre eux est premier, on
iudicari. pourra en juger plus tard ».
Leçon 6, texte d’Aristote,
traduit par Sr Pascale-
Dominique Nau
Ensuite, comme à côté du bien
dans la nature, on voyait aussi
son contraire, non seulement
de l’ordre et de la beauté, mais
aussi du désordre et de la
laideur, comme le mal
paraissait même l’emporter sur
le bien et le laid sur le beau, un
autre philosophe introduisit
l’amitié et la discorde, causes
opposées de ces effets opposés.
Car si l’on veut suivre de près
Empédocle, et s’attacher au
fond de sa pensée plutôt qu’à la
manière presqu’enfantine dont
il l’exprime, on trouvera que
l’amitié est la cause du bien, et
la discorde celle du mal ; de
sorte que peut-être n’aurait-on
pas tort de dire qu’Empédocle
a parlé en quelque manière et a
parlé le premier du bien et du
mal comme principes, puisque
le principe de tous les biens est
le bien lui-même, et le mal le
principe de tout ce qui est
mauvais.
Jusqu’ici nous avons vu ces
philosophes reconnaître deux
des genres de causes
déterminés par nous dans la
Physique : la matière et le
principe du mouvement. Mais
ils l’ont fait confusément et
indistinctement, comme
agissent dans les combats les
soldats mal exercés. Ceux-ci
frappent souvent de bons coups
dans la mêlée, mais ils le font
sans science. De même nos
philosophes paraissent avoir
parlé sans bien savoir ce qu’ils
disaient, car l’usage qu’on les
voit faire de leurs principes est
nul ou peu s’en faut.
Anaxagore se sert de
l’intelligence comme d’une
machine pour faire le monde,
et quand il désespère de
trouver la cause réelle d’un
phénomène, il met en scène
l’intelligence. Mais dans tout
autre cas, il aime mieux donner
aux faits une autre cause.
Empédocle se sert davantage,
mais d’une manière
insuffisante encore, de ses
principes, et dans leur emploi il
ne s’accorde pas avec lui-
même. Souvent chez lui,
l’amitié sépare, la discorde
réunit : en effet, lorsque dans
l’univers les éléments sont
séparés par la discorde, toutes
les particules de feu n’en sont
pas moins unies en un tout,
ainsi que celles de chacun des
autres éléments ; et lorsque, au
contraire, c’est l’amitié qui unit
tous les éléments, il faut bien
pour cela que les particules de
chaque élément se divisent.
Empédocle fut donc le premier
des anciens qui employa en le
divisant le principe du
mouvement, et ne supposa plus
une cause unique, mais deux
causes différentes et opposées.
Quant à la matière, il est le
premier qui ait parlé des quatre
éléments ; toutefois, il ne s’en
sert pas comme s’ils étaient
quatre, mais comme s’ils
n’étaient que deux, à savoir, le
feu tout seul, et en opposition
au feu, la terre, l’air et l’eau, ne
faisant qu’une seule et même
nature. C’est là du moins ce
que ses vers donnent à
entendre.
Voilà, selon nous, la nature et
le nombre des principes
d’Empédocle.
Lectio 6 Leçon 6 [Opinions
d’Anaxagore et
d’Empédocle] (Traduction
Georges Comeau, 2010)
[81670] Sententia Il décrit maintenant l’opinion
Metaphysicae, lib. 1 l. 6 n. 1 de ceux qui ont affirmé
Hic ponit opinionem l’existence d’une opposition
ponentium contrarietatem in dans les êtres et la raison qui y
huiusmodi, et rationem eos poussait ces philosophes. Voici
moventem, quae talis erat. In cette raison : ils voyaient dans
rerum natura videbantur la nature des choses des
aliqua esse contraria bonis, aspects contraires au bien, car
quia in natura non solum dans la nature on ne voit pas
invenitur ordinatum et que tout est ordonné au bien,
bonum, sed aliquando mais que certaines choses sont
inordinatum et turpe: non désordonnées et honteuses.
potest autem dici quod mala Mais on ne peut pas dire que
non habeant causam, sed les choses mauvaises sont sans
accidant a casu: quia mala cause et arrivent par hasard, car
sunt plura melioribus, et les choses mauvaises sont plus
prava sunt plura bonis nombreuses que les meilleures,
simpliciter: quae autem sunt et les choses honteuses sont
a casu sine causa determinata plus nombreuses que les choses
non sunt ut in pluribus, sed ut absolument bonnes; mais ce
in paucioribus. Unde, cum qui arrive par hasard et sans
contrariorum sint contrariae cause déterminée n’arrive pas
causae, oportet non solum la plupart du temps, mais dans
causam rerum ponere un petit nombre de cas. Alors,
amorem, ex quo proveniunt puisque les contraires ont des
ordinationes et bona: sed et causes contraires, il ne faut pas
odium, ex quo proveniunt seulement admettre l’amour
inordinationes et turpia vel comme cause des choses, d’où
mala: ut sic singula mala et proviennent l’ordre et le bien,
bona proprias causas habeant. mais aussi la haine, d’où
proviennent le désordre et les
choses honteuses ou
mauvaises, de sorte que le mal
et le bien ont leurs causes
propres respectives.
[81671] Sententia Et il est évident que c’est la
Metaphysicae, lib. 1 l. 6 n. 2 raison qui a poussé Empédocle
Et quod ista fuerit ratio à cette opinion, si on suit sa
movens Empedoclem patet, doctrine et si on s’attache à ce
si quis assequatur sententiam qu’il a voulu dire et non à la
eius, et accipiat sententiam, lettre de ses propos, qui étaient
quam dicere voluit, et non ad exprimés imparfaitement,
verba, quae imperfecte et comme un balbutiement. Il a
quasi balbutiendo dixit. Dixit dit en effet que l’amour
enim quod amoris est rassemble et que la haine
congregare, odii disgregare: désagrège; mais comme le
sed quia ex congregatione est rassemblement est la
rerum generatio, ex qua rebus génération des choses, qui leur
est esse et bonum: per donne l’être et le bien, et
segregationem vero est comme la désagrégation est
corruptio, quae est via ad non leur corruption, qui about au
esse et malum, iam patet non-être et au mal, il est
quod voluit amorem esse évident qu’il a voulu dire que
causam aggregatorum, idest l’amour est la cause des êtres
bonorum, et odium esse rassemblés, c'est-à-dire des
causam malorum. Et ita si biens, et que la haine est la
quis dicat, quod Empedocles cause des maux. Et ainsi, si on
fuit primus, qui dixit bonum disait qu’Empédocle a été le
et malum esse principia, premier à dire que le bien et le
forsitan bene dixit. mal sont des principes, on
aurait peut-être raison…
[81672] Sententia … si du moins c’est
Metaphysicae, lib. 1 l. 6 n. 3 d’Empédocle que vient l’idée
Si tamen secundum que le bien est la cause de tous
Empedoclem fuit hoc quod les biens et le mal la cause de
bonum est causa omnium tous les maux. En effet, il est
bonorum, et malum omnium manifeste qu’il a attribué une
malorum. Quod enim cause mauvaise à certains
aliquorum malorum posuit maux, à savoir la corruption, et
causam malam, scilicet une cause bonne à certains
corruptionis, et aliquorum biens, à savoir la génération;
bonorum bonum, scilicet mais, comme il ne s’ensuivait
generationis, manifestum est: pas que tous les biens viennent
sed quia non sequebatur quod de l’amitié ni tous les maux de
omnia bona essent per la haine (puisque la distinction
amicitiam, nec omnia mala des parties du monde entre
per odium, cum distinctio elles venait de la haine et leur
partium mundi adinvicem confusion venait de l’amitié), il
esset per odium, et confusio n’a donc pas affirmé sans
per amicitiam, ideo non exception que le bien est la
usquequaque posuit bonum cause des biens et le mal la
causam bonorum, et malum cause des maux.
causam malorum.
[81673] Sententia Ensuite, lorsqu’il dit : Jusqu’ici
Metaphysicae, lib. 1 l. 6 n. 4 nous avons vu, etc., il montre
Deinde cum dicit isti quidem que leur exposé des causes
hic ostendit, quod in ponendo mentionnées est insuffisant. Et
praedictas causas deficiebant. en premier, il parle d’eux de
Et primo loquitur generaliter façon générale; en deuxième, il
de eis. Secundo specialiter, le fait en particulier, où il dit :
ibi, Anaxagoras autem et Anaxagore se sert, etc. Il dit
cetera. Dicit ergo primo, donc en premier que ces
quod praedicti philosophi, philosophes, c'est-à-dire
scilicet Anaxagoras et Anaxagore et Empédocle, en
Empedocles, usque ad hoc sont arrivés à affirmer deux
pervenerunt, quod posuerunt causes, soit la matière et la
duas causas illarum quatuor, cause du mouvement, parmi les
quae sunt determinatae in quatre qui sont établis dans le
physicis, scilicet materiam et livre des Physiques, mais ils en
causam motus; sed obscure et ont traité de façon obscure et
non manifeste tradiderunt, peu évidente, car ils n’ont pas
quia non exprimebant quod expliqué que les réalités qu’ils
illa, quae causas esse disaient être des causes se
ponebant, ad ista causarum ramènent à ces genres de
genera reducerentur. Sed in causes. Mais parce qu’ils n’ont
hoc quod de causis posuerunt énoncé que deux des causes, on
duas, convenienter peut à bon droit les comparer à
assimilabantur bellatoribus des guerriers malhabiles qui,
non eruditis, qui ab entourés d’ennemis, frappent
adversariis circumducti parfois de bons coups, mais par
faciunt aliquando bonos hasard et non par adresse; et
ictus, sed non per artem, sed cela est évident parce que,
a casu. Quod ex hoc patet, même s’ils y arrivent parfois,
quia etsi aliquando accidit ils ne le font pas toujours ni
eis, non tamen semper aut même souvent. Pareillement,
frequenter. Similiter etiam ces philosophes n’utilisent pas
praedicti philosophi non sunt ce qu’ils disent, et ils ne disent
usi dicere quod dicunt, nec pas ces choses sciemment,
usi sunt scientibus, idest sicut c'est-à-dire comme des gens
scientes. Unde alia translatio qui savent. C’est pourquoi une
habet, sed nec illi scientiam, autre traduction dit : « mais ils
nec hi assimilati sunt n’ont pas de science, et ils
scientibus dicere quod n’ont pas l’air de savoir quand
dicunt. Quod ex hoc patet, ils disent ce qu’ils disent ».
quia cum praedictas causas Cela est évident parce que,
posuissent, fere non sunt eis après avoir affirmé l’existence
usi, quia in paucis utebantur. de telles causes, ils n’en ont
Unde videtur quod non ex fait presque aucun usage, ne
arte, sed quadam inducti s’appuyant sur elles que dans
necessitate eas casualiter peu de cas. On voit donc que
induxerunt. ce n’est pas de façon réfléchie,
mais poussés par quelque
nécessité qu’ils ont supposé par
hasard l’existence de ces
causes.
[81674] Sententia Puis lorsqu’il dit : Anaxagore
Metaphysicae, lib. 1 l. 6 n. 5 se sert, etc., il montre en
Deinde cum dicit Anaxagoras particulier comment chacun
autem hic ostendit in quo des deux a été en défaut. Il le
specialiter eorum uterque montre en premier pour
defecerit. Et primo de Anaxagore; en second pour
Anaxagora. Secundo de Empédocle, où il dit :
Empedocle, ibi, et Empédocle se sert davantage,
Empedocles. Dicit ergo etc. Il dit donc en premier
primo, quod Anaxagoras qu’Anaxagore prend
utitur intellectu ad mundi l’intelligence comme ce qui
generationem; in quo videtur engendre le monde, mais il
artificialiter loqui, non semble parler ainsi de façon
dubitans de causis artificielle : sans s’interroger
generationis mundi, ex sur les causes de la génération
necessitate attrahit, idest du monde, il va chercher, c'est-
producit ipsum intellectum, à-dire met en scène
non valens reducere mundi l’intelligence, étant incapable
generationem in aliquam d’attribuer la génération du
aliam causam distinguentem monde à une autre cause qui
res, nisi in aliquod in se distingue les choses; il
distinctum et immixtum, l’attribue seulement à une
cuiusmodi est intellectus. Sed réalité qui est essentiellement
in omnibus aliis assignat distincte et sans mélange, à
causas magis ex omnibus savoir l’intelligence. Mais pour
aliis, quam ex intellectu, sicut tout le reste, il attribue toute
in specialibus rerum naturis. autre cause plutôt que
l’intelligence, par exemple
dans les choses particulières de
la nature.
[81675] Sententia Ensuite, lorsqu’il dit :
Metaphysicae, lib. 1 l. 6 n. 6 Empédocle se sert davantage,
Deinde cum dicit et etc., il montre en quoi
Empedocles hic ostendit in Empédocle est en défaut. Il le
quo deficiat Empedocles. Et fait en deux parties : en
circa hoc duo facit. Primo premier, il montre en quoi il est
ostendit in quo deficit. en défaut; en deuxième, il
Secundo quid proprium prae montre en quoi ses opinions
aliis dixit, ibi, Empedocles propres diffèrent de celles des
igitur. Dicit ergo primo, quod autres, où il dit : Empédocle fut
Empedocles in determinando donc le premier, etc. Il dit donc
de particularibus rerum en premier qu’Empédocle, en
naturis, plus utitur causis a se traitant des natures
positis, scilicet quatuor particulières des choses, se sert
elementis, et odio et amore, davantage qu’Anaxagore des
quam Anaxagoras, quia principes qu’il a affirmés, à
singulorum generationem et savoir les quatre éléments ainsi
corruptionem in praedictas que l’amour et la haine, parce
causas reducit, non autem qu’il attribue à ces causes la
Anaxagoras in intellectum. génération et la corruption des
Sed in duobus deficit. Primo, singuliers, alors qu’Anaxagore
quia non sufficienter ne les attribue pas à
huiusmodi causas tradit. l’intelligence. Mais il est en
Utitur enim eis quasi défaut de deux façons. En
dignitatibus per se notis, quae premier, parce qu’il ne traite
non sunt per se nota, ut pas suffisamment de ces
dicitur primo physicorum: causes. Il les prend en effet
dum scilicet supponebat comme des pouvoirs évidents
quasi per se notum, quod lis en soi, alors qu’ils ne sont pas
determinato tempore évidents en soi, comme il est
dominabatur in elementis, et dit au livre I des Physiques :
alio tempore determinato c’est ainsi qu’il supposait
amor. comme évident par soit que la
haine était dominante dans les
éléments pendant un temps
déterminé, et l’amour pendant
un autre temps déterminé.
[81676] Sententia Deuxièmement, il est en défaut
Metaphysicae, lib. 1 l. 6 n. 7 parce que, dans sa recherche,
Secundo, quia in his quae on ne trouve pas ce sur quoi il
quaerit, non invenitur illud s’accorde, c'est-à-dire ce qu’il
quod est ab eo confessum, suppose comme principe : le
idest suppositum quasi fait que l’amour rassemble et
principium, scilicet quod que la haine désagrège. À
amor congreget et odium beaucoup d’endroits de ses
disgreget; quia in multis locis écrits, en effet, il s’ensuit
oportet quod e contrario amor nécessairement qu’au contraire
secernat, idest dividat, et l’amour sépare, c'est-à-dire
odium concernat, idest divise, et que la haine réunit,
congreget; quia quando c'est-à-dire rassemble, car
ipsum universum in partes lorsque l’univers entier est
suas per odium, distrahitur, séparé en ses partie, c'est-à-
idest deiicitur, quod est in dire désuni par la haine, alors
generatione mundi, tunc toutes les parties du feu se
omnes partes ignis in unum réunissent en un tout, et de
conveniunt, et similiter même toutes les parties des
singulae partes aliorum autres éléments se rassemblent,
elementorum, concernunt, c'est-à-dire se joignent les unes
idest adinvicem aux autres. Ainsi donc, non
coniunguntur. Sic igitur seulement la haine sépare les
odium, non solum partes portions de feu des portions
ignis dividit a partibus aeris, d’air, mais aussi, elle joint
sed etiam partes ignis ensemble les parties de feu. Par
coniungit adinvicem. E contre, lorsque les éléments se
contrario autem, cum rassemblent par l’amour, ce qui
elementa in unum conveniunt se produit dans la destruction
per amorem, quod accidit in de l’univers, il est nécessaire
destructione universi, tunc que les parties du feu se
necesse est ut partes ignis séparent l’une de l’autre, et
adinvicem separentur, et pareillement les parties de
similiter singulorum partes chacun des éléments. En effet,
adinvicem secernantur. Non le feu ne pourrait pas se
enim posset ignis commisceri mélanger à l’air sans que les
aeri nisi partes ignis parties du feu se séparent l’une
adinvicem separarentur, et de l’autre; de même, les parties
similiter partes aeris nisi de l’air ne se sépareraient pas
invicem se elementa sans que les éléments
praedicta penetrarent, ut sic mentionnés pénètrent l’un dans
amor sicut coniungit l’autre. Ainsi, de même que
extranea, ita dividat similia, l’amour joint des choses
secundum quod sequitur ex dissemblables, de même il
eius positione. divise les choses semblables,
d’après ce qui s’ensuit de sa
doctrine.
[81677] Sententia Ensuite, lorsqu’il dit :
Metaphysicae, lib. 1 l. 6 n. 8 Empédocle fut donc le premier,
Deinde cum dicit etc., il montre comment
Empedocles quidem hic Empédocle a énoncé sa propre
ostendit quomodo doctrine, avant les autres
Empedocles prae aliis philosophes. Et il dit qu’il a
philosophis proprium posuit. affirmé deux choses avant les
Et dicit quod duo prae aliis autres. L’une est qu’il a divisé
posuit. Unum est quod la cause d’origine du
causam unde motus divisit in mouvement en deux parties
duas contrarias partes. Aliud contraires; l’autre est qu’il a dit
est quod causam materialem que la cause matérielle consiste
dixit esse quatuor elementa: en quatre éléments. Cependant,
non quod utatur quatuor il ne traite pas les quatre
elementis ut quatuor, sed ut éléments comme quatre, mais
duobus, quia ignem comparat comme deux, car il compare le
aliis tribus dicens, quod ignis feu aux trois autres en disant
habet naturam activam, et que la nature du feu est active
alia passivam. Et hoc potest et que la nature des autres est
aliquis sumere ex elementis passive. Et on peut déduire cela
rerum ab ipso traditis, vel des éléments des choses qu’il a
elementis principiis suae enseignés, ou des principes
doctrinae quae posuit. Alia « élémentaires » de la doctrine
litera habet ex versibus, quia qu’il a affirmée. Une autre
dicitur metrice suam version parle de ses vers, car
philosophiam scripsisse. Et on dit qu’il a rédigé sa
huic concordat alia translatio philosophie en vers. Et cela
quae dicit, ex rationibus. Hic concorde avec une autre
igitur, ut dictum est et sic tot tradiction qui dit : « d’après ses
primus posuit principia, quia raisons ». Donc, selon nous,
quatuor, et ea quae dicta sunt. c’est ainsi qu’il a été le premier
à affirmer ce nombre de
principes, c'est-à-dire quatre,
ceux que nous avons
mentionnés.
Leçon 7, texte d’Aristote,
traduit par Sr Pascale-
Dominique Nau
Leucippe et son ami Démocrite
disent que les éléments
primitifs sont le plein et le
vide, qu’ils appellent l’être et
le non être ; le plein ou le
solide, c’est l’être ; le vide ou
le rare, c’est le non-être ; c’est
pourquoi ils disent que l’être
n’existe pas plus que le non-
être, parce que le corps n’existe
pas plus que le vide : telles
sont, sous le point de vue de la
matière, les causes des êtres.
De même que ceux qui posent
comme principe une substance
unique, expliquent tout le reste
par les modifications de cette
substance – en donnant pour
principe à ces modifications le
rare et le dense – ainsi ces
philosophes placent dans les
différences les causes de toutes
choses. Ces différences sont au
nombre de trois : la forme,
l’ordre et la position. Ils disent,
en effet, que les différences de
l’être viennent de la
configuration, de
l’arrangement et de la tournure,
Or, la configuration c’est la
forme, l’arrangement l’ordre,
et la tournure la position.
Ainsi, A diffère de N par la
forme, AN de NA par l’ordre,
et Z de N par la position. Quant
au mouvement, à ses lois et à
sa cause, ils ont traité cette
question avec beaucoup de
négligence, comme les autres
philosophes. Par conséquent,
nos devanciers n’ont pas été
plus loin sur ces deux genres
de causes.
Parmi eux et avant eux, ceux
qu’on nomme Pythagoriciens,
s’étant occupés des
mathématiques, furent les
premiers à les mettre en avant ;
et nourris dans cette étude, ils
pensèrent que les principes de
cette science étaient les
principes de tous les êtres.
Comme, par nature, les
nombres sont les premiers des
êtres, et ils leur paraissaient
avoir plus d’analogie avec les
choses et les phénomènes –
comme le feu, l’air ou l’eau, –
que la modification des
nombres semblait être la
justice, une autre rame et
intelligence, un autre propos, et
à peu près ainsi de toutes les
autres choses –; comme ils
voyaient de plus dans les
nombres les modifications et
les rapports de l’harmonie ; par
ces motifs joints à ces deux
premiers que la nature entière a
été formée à la ressemblance
des nombres, et que les
nombres sont les premiers de
tous les êtres, ils posèrent les
éléments des nombres comme
les éléments de tous les êtres,
et le ciel tout entier comme une
harmonie et un nombre. Tout
ce qu’ils pouvaient montrer
dans les nombres et dans la
musique qui s’accordât avec
les phénomènes du ciel, ses
parties et toute son
ordonnance, ils le recueillirent,
et ils en composèrent un
système ; et si quelque chose
manquait, ils y suppléaient
pour que le système fût bien
d’accord et complet. Par
exemple, comme la décade
paraît être quelque chose de
parfait et qui embrasse tous les
nombres possibles, ils
prétendent qu’il y a dix corps
en mouvement dans le ciel, et
comme il n’y en a que neuf de
visibles, ils en supposent un
dixième qu’ils appellent
antichtone. Mais tout ceci a été
déterminé ailleurs avec plus de
soin.
Lectio 7 Leçon 7 [Autres opinions :
Leucippe, Démocrite, les
Pythagoriciens] (Traduction
Georges Comeau, 2010)
[81678] Sententia Il commence ici à présenter les
Metaphysicae, lib. 1 l. 7 n. 1 doctrines de ceux qui ont
Hic incipit ponere positiones affirmé au sujet des principes
eorum, qui posuerunt de l’existence de facteurs externes
principiis positiones non évidents : en premier, les
extraneas non manifestas. Et doctrines de ceux qui ont
primo illorum qui posuerunt affirmé l’existence de plusieurs
plura principia rerum. principes des choses; en
Secundo illorum, qui deuxième, les doctrines de
posuerunt tantum unum ens, ceux qui ont affirmé un seul
ibi, sunt autem aliqui et être, où il dit : Il en est
cetera. Circa primum duo d’autres, etc. (leçon 9). Il traite
facit. Primo ponit opinionem la première section en deux
Leucippi et Democriti, qui parties. En premier, il énonce
posuerunt principia rerum l’opinion de Leucippe et de
corporea. Secundo ponit Démocrite, qui ont attribué aux
opinionem Pythagoricorum, choses des principes corporels;
qui posuerunt principia rerum en deuxième, l’opinion des
incorporea, ibi, in his autem Pythagoriciens, qui ont affirmé
et cetera. Circa primum duo des principes incorporels, où il
facit. Primo ponit opinionem dit : Parmi eux et avant eux,
Democriti et Leucippi de etc. Il traite la première partie
causa materiali rerum. en deux points. En premier, il
Secundo de causa présente l’opinion de
diversitatis, quomodo scilicet Démocrite et de Leucippe sur
ex materia plures res la cause matérielle des choses.
diversificantur, in quo etiam En deuxième, il explique la
apparet causa generationis et cause de la diversité, c'est-à-
corruptionis rerum: in quo dire c'est-à-dire comment
etiam cum antiquis plusieurs choses se
philosophis conveniebant, différencient à partir de la
ibi, et quemadmodum in matière, ce qui manifeste
unum et cetera. Dicit ergo, également la cause de la
quod duo philosophi, qui génération et de la corruption
amici dicuntur, quia in des choses, où il dit : De même
omnibus se sequebantur, que ceux qui posent, etc. Sur ce
scilicet Democritus et point, ils s’accordaient
Leucippus, posuerunt rerum également avec les anciens
principia plenum et inane, philosophes. Il dit donc que
sive vacuum; quorum plenum deux philosophes, qui sont
est ens, et vacuum sive inane décrits comme des amis parce
non ens. que toutes leurs doctrines
étaient les mêmes, à savoir
Démocrite et Leucippe, ont
affirmé que les principes des
choses sont le plein et le rare,
c'est-à-dire le vide, le plein
étant l’être et le raréfié ou le
vide étant le non-être.
[81679] Sententia Pour bien comprendre cette
Metaphysicae, lib. 1 l. 7 n. 2 opinion, nous devons nous
Ad huius autem opinionis souvenir de ce que dit le
evidentiam recolendum est Philosophe au livre I de la
hoc quod philosophus dicit in Génération, où il en traite plus
primo de generatione, ubi longuement. En effet, que
diffusius eam tradit. Cum certains philosophes ont
enim quidam philosophi affirmé que l’univers était un
posuissent omnia esse unum seul être continu et immobile,
ens continuum, immobile: car, disaient-ils, il semble que
quia nec motus sine vacuo le mouvement ne peut pas
esse potest, ut videtur, nec exister s’il n’y a pas de vide; et
etiam rerum distinctio, ut ils ne pouvaient pas non plus
dicebant, cum continuitatis comprendre autrement qu’à
privationem, ex qua oportet partir du vide la distinction des
intelligere corporum choses et la rupture de
diversitatem, nisi per vacuum continuité qui est nécessaire
non possent comprehendere, pour expliquer la diversité des
vacuum autem nullo modo corps; mais ils affirmaient que
esse ponerent, supervenit le vide ne peut exister en
Democritus, qui eorum aucune façon. Alors vint
rationi consentiens, Démocrite, qui, étant d’accord
diversitatem autem et motum avec leurs raisons et ne
a rebus auferre non valens, pouvant pas nier l’existence du
vacuum esse posuit, et omnia mouvement dans les choses, a
corpora ex quibusdam dit que le vide existait et que
indivisibilibus corporibus tous les corps étaient composés
esse composita: propter hoc, de corps indivisibles; et parce
quia non videbatur sibi quod qu’il ne lui semblait pas
ratio posset assignari quare possible d’expliquer pourquoi
ens universum magis in una l’univers serait fragmenté
parte esset divisum quam in davantage à un endroit qu’à un
alia; ne poneret totum esse autre, pour éviter de dire que
continuum, praeelegit ponere l’univers est continu, il a
ubique totum et totaliter esse préféré affirmer qu’il est
divisum; quod esse non totalement divisé partout, ce
posset si remaneret aliquod qui ne serait pas possible s’il
divisibile indivisum. restait quelque chose qui est
Huiusmodi autem divisible mais non divisé. Mais
indivisibilia corpora invicem ces corps indivisibles ne
coniungi non possunt, nec peuvent pas être joints ni être
esse ut ponebat, nisi vacuo comme il l’affirmait, à moins
mediante: quia nisi vacuum d’être séparés par un vide, car
inter duo eorum interveniret, s’il n’y avait pas un vide entre
oporteret ex eis duobus unum deux d’entre eux, il faudrait
esse continuum quod ratione qu’ils forment un seul corps
praedicta non ponebat. Sic continu, ce qu’il évitait de dire
igitur uniuscuiusque corporis pour la raison ci-dessus. Ainsi
magnitudinem constitutam donc, il disait que les
dicebat ex illis indivisibilibus dimensions de tout corps sont
corporibus implentibus constituées par ces corps
indivisibilia spatia, et ex indivisibles qui remplissent des
quibusdam spatii vacuis ipsis espaces indivisibles et par des
indivisibilibus corporibus espaces vides, qu’il appelait
interiacentibus, quae quidem des pores, situés entre ces
poros esse dicebat. corps indivisibles.
[81680] Sententia Il est donc évident que, puisque
Metaphysicae, lib. 1 l. 7 n. 3 le vide est du non-être et que le
Ex quo patet quod cum plein est de l’être, il affirmait
vacuum sit non ens, et qu’une chose n’est pas
plenum sit ens, non magis davantage constituée d’être que
ponebat rei constitutionem de non-être, car les corps
ens quam non ens: quia nec n’existent pas plus que le vide,
corpora magis quam vacuum, ni le vide plus que les corps,
nec vacuum magis quam mais qu’un corps est composé
corpora; sed ex duobus simul des deux en même temps,
dicebat, ut dictum est corpus comme on l’a dit. Il affirmait
constitui. Unde praedicta duo donc que les deux étaient
ponebat rerum causas sicut causes des choses en tant que
materiam. matière.
[81681] Sententia Ensuite, lorsqu’il dit : De
Metaphysicae, lib. 1 l. 7 n. 4 même que ceux, etc., il montre
Deinde cum dicit et en quoi ces derniers
quemadmodum hic ostendit philosophes étaient d’accord
in quo conveniebant praedicti avec les anciens philosophes,
philosophi cum antiquis qui affirmaient l’existence
philosophis, qui ponebant d’une seule matière. Et il
unam tantum materiam. montre qu’ils étaient en accord
Ostendit autem quod sur deux points. En premier
conveniebant cum eis in parce que, de même que les
duobus. Primo quidem, quia anciens supposaient une seule
sicut sunt ponentes unam matière, de laquelle une autre
materiam, et ex illa materia était engendrée selon les
una generabant aliam diverses affections de la
secundum diversas materiae matière, qui sont le raréfié et le
passiones, quae sunt rarum et dense, qu’ils pensaient être les
densum, quae accipiebant ut principes de toutes les
principia omnium aliarum affections, ainsi ces
passionum; ita et isti, scilicet philosophes, Démocrite et
Democritus et Leucippus, Leucippe, disaient que des
dicebant, quod causae causes différentes expliquaient
differentes erant aliorum, « les autres », à savoir les corps
scilicet corporum constitués des éléments
constitutorum ex indivisibles, c'est-à-dire que les
indivisibilibus, videlicet quod êtres différents étaient
per aliquas differentias constitués par certaines
illorum indivisibilium différences entre ces corps
corporum et pororum diversa indivisibles et entre les pores.
entia constituebantur.
[81682] Sententia Ils disaient que ces différences
Metaphysicae, lib. 1 l. 7 n. 5 provenaient d’abord de la
Eas autem differentias forme, que l’on reconnaît du
dicebant esse, unam fait que les choses sont
secundum figuram, quae anguleuse, circlaires ou droites;
attenditur ex hoc quod ensuite de l’ordre, qui consiste
aliquid est angulatum, dans l’avant ou l’après, et enfin
circulare et rectum: aliam de la position, pour laquelle on
secundum ordinem quae est considère l’avant et l’arrière, la
secundum prius et posterius: droite et la gauche, le haut et le
aliam secundum positionem, bas. Ainsi donc, ils disaient
quae est secundum ante et qu’un être diffère d’un autre
retro, dextrum et sinistrum, par la configuration, c'est-à-
sursum et deorsum. Et sic dire la forme, par
dicebant quod unum ens l’arrangement, c'est-à-dire
differt ab alio vel rhysmo l’ordre, et par la tournure,
idest figura, vel diathyge c'est-à-dire par la position.
idest ordine, vel trope idest
positione.
[81683] Sententia Et à titre de preuve, il donne
Metaphysicae, lib. 1 l. 7 n. 6 l’exemple de lettres grecques,
Et hoc probat per exemplum qui diffèrent l’une de l’autre
in literis Graecis, in quibus par la forme; dans notre
una litera differt ab alia alphabet aussi, l’une diffère de
figura: sicut et in nostris l’autre : en effet, A diffère de
differt una ab altera: a enim N par la forme, et AN diffère
differt ab n, figura; an vero et de NA par l’ordre du fait
na, differunt secundum qu’une lettre vient avant
ordinem, nam una ante aliam l’autre. Une lettre peut aussi
ordinatur. Una etiam differt différer de l’autre par la
ab altera positione, ut z ab n, position, comme Z et N : nous
sicut et apud nos videmus voyons aussi dans notre langue
quod semivocales post qu’une semi-voyelle ne peut
liquidas poni non possunt pas venir après une liquide qui
ante quas ponuntur mutae in est précédée d’une muette dans
eadem syllaba. Sicut ergo la même syllabe4. Donc, de
propter triplicem diversitatem même que, par suite de ces
4Étrangement, saint Thomas ne semble pas avoir vu qu’on obtient Z à partir de N par rotation
d’un quart de tour, ce qui semble être l’idée d’Aristote.
in literis ex eisdem literis trois différences entre les
diversimode se habentibus fit lettres, les mêmes lettres
tragoedia et comoedia, ita ex disposées différemment
eisdem corporibus peuvent produire une tragédie
indivisibilibus diversimode ou une comédie, ainsi les
habentibus fiunt diversae mêmes corps indivisibles
species rerum. arrangés différemment
produisent les diverses espèces
de choses.
[81684] Sententia Une autre chose sur laquelle
Metaphysicae, lib. 1 l. 7 n. 7 les philosophes à l’étude
Aliud vero in quo étaient d’accord avec les
conveniebant isti philosophi anciens est que, de même que
cum antiquis est, quod sicut ces derniers ont négligé
antiqui neglexerunt ponere d’affirmer une cause pour
causam ex qua motus inest laquelle le mouvement existe
rebus, ita et isti, licet illa dans les ch oses, ils ont fait de
indivisibilia corpora dicerent même, bien qu’ils aient dit que
esse per se mobilia. Sic ergo ces corps indivisibles sont
patet quod per praedictos essentiellement mobiles. Ainsi
philosophos nihil dictum est donc, il est évident que les
nisi de duabus causis, scilicet philosophes en question n’ont
de causa materiali ab parlé que de deux causes, car
omnibus, et de causa tous ont parlé de la cause
movente a quibusdam. matérielle, et certains ont parlé
de la cause motrice.
[81685] Sententia Puis lorsqu’il dit : Parmi eux et
Metaphysicae, lib. 1 l. 7 n. 8 avant eux, etc., il expose les
Deinde cum dicit in his opinions des Pythagoriciens,
autem hic ponit opiniones qui affirmaient que les
Pythagoricorum ponentium nombres sont les substances
numeros esse substantias des choses. Cet exposé
rerum. Et circa hoc duo facit. comprend deux parties. En
Primo ponit opiniones de premier, il relate les opinions
rerum substantia. Secundo de sur les substances des choses;
rerum principiis, ibi, sed en deuxième, les opinions sur
cuius gratia advenimus. Circa les principes des choses, où il
primum ponit duo, ex quibus dit : Si nous y revenons, etc.
inducebantur ad ponendum (leçon 8). Pour la première
numeros esse rerum partie, il présente deux raisons
substantias. Secundum ponit qui les amenaient à affirmer
ibi, amplius autem que les nombres sont les
harmoniarum et cetera. Dicit substances des choses; il donne
ergo quod Pythagorici la deuxième raison où il dit :
philosophi fuerunt, in his, comme ils voyaient de plus,
idest, contemporanei etc. Il dit donc que les
aliquibus dictorum Pythagoriciens ont été des
philosophorum, et ante hos, philosophes parmi eux, c'est-à-
quia fuerunt quidam dire contemporains de certains
quibusdam priores. Sciendum philosophes déjà mentionnés,
est autem duo fuisse et avant eux, parce que certains
philosophorum genera. Nam étaient antérieurs à certains
quidam vocabantur Ionici, d’entre eux. En effet, certains
qui morabantur in illa terra, étaient appelés Ioniens, parce
quae nunc Graecia dicitur: et qu’ils vivaient dans le pays
isti sumpserunt principium a maintenant appelé Grèce, et
Thalete, ut supra dictum est. leurs débuts remontent à
Alii philosophi fuerunt Thalès, comme on l’a dit plus
Italici, in illa parte Italiae haut. D’autres philosophes ont
quae quondam magna été les Italiens, qui vivaient
Graecia dicebatur, quae nunc dans la partie de l’Italie qu’on
Apulia et Calabria dicitur: appelait parfois Grande-Grèce
quorum philosophorum et qui comprend l’Apulie et la
princeps fuit Pythagoras Calabre actuelle; le chef de ces
natione Samius, sic dictus a philosophes a été Pythagore,
quadam Calabriae civitate. Et appelé Samien du nom d’une
haec duo philosophorum cité de Calabre [Samos]. Et ces
genera simul concurrerunt. Et deux genres de philosophes ont
propter hoc dicit quod vécu en même temps; c’est
fuerunt, in his et ante hos. pourquoi il dit qu’ils ont été
parmi eux et avant eux.
[81686] Sententia Or, ces philosophes italiens,
Metaphysicae, lib. 1 l. 7 n. 9 également appelés
Isti autem Italici philosophi, Pythagoriciens, ont été les
qui et Pythagorici dicuntur, premiers à avancer certains
primi produxerunt quaedam concepts mathématiques de
mathematica, ut ea rerum manière à dire qu’ils étaient les
sensibilium substantias et substances et les principes des
principia esse dicerent. Dicit choses sensibles. Il dit donc les
ergo, primi, quia Platonici premiers parce que les
eos sunt secuti. Ex hoc autem Platoniciens les ont suivis.
moti sunt ut mathematica S’ils ont été poussés à
introducerent, quia erant introduire les mathématiques,
nutriti in eorum studio. Et c’est qu’ils étaient nourris dans
ideo principia leur étude, et ils croyaient donc
mathematicorum credebant que les principes des
esse principia omnium mathématiques étaient les
entium. Consuetum est enim principes de toutes choses. En
apud homines, quod per ea effet, les hommes ont
quae noverunt, de rebus l’habitude de vouloir juger des
iudicare velint. Et quia inter choses d’après ce qu’ils
mathematica numeri sunt connaissent. Alors, puisque les
priores, ideo conati sunt nombres sont la première
speculari similitudines rerum réalité en mathématiques, ils se
naturalium, et quantum ad sont efforcés de découvrir des
esse et quantum ad fieri, ressemblances avec les choses
magis in numeris quam in de la nature, tant quant à l’être
sensibilibus elementis, quae que quant au devenir,
sunt terra et aqua et davantage dans les nombres
huiusmodi. Sicut enim que dans les éléments sensibles
praedicti philosophi que sont la terre, l’eau et ainsi
passiones rerum sensibilium de suite. En effet, de même que
adaptant passionibus rerum les philosophes discutés plus
naturalium, per quamdam haut rattachaient les affections
similitudinem ad proprietates des choses sensibles aux
ignis et aquae et huiusmodi affections des choses
corporum: ita mathematici naturelles, du fait d’une
adaptabant proprietates rerum certaine ressemblance aux
naturalium ad numerorum propriétés du feu, de l’eau et
passiones, quando dicebant des corps du genre, de même
quod aliqua passio les mathématiciens rattachaient
numerorum est causa les propriétés des choses
iustitiae, et aliqua causa naturelles aux propriétés des
animae et intellectus, et nombres, quand ils disaient
aliqua causa temporis, et sic qu’une certaine propriété des
de aliis. Et sic passiones nombres est cause de la justice,
numerorum intelliguntur esse qu’une autre est cause de l’âme
rationes et principia quaedam et de l’intelligence, qu’une
omnium apparentium in autre est cause du temps, et
rebus sensibilibus, et ainsi de suite. Et ainsi, ils ont
quantum ad res voluntarias, pensé que les propriétés des
quod designatur per iustitiam, nombres sont des raisons et des
et quantum ad formas principes de tout ce qui est
substantiales rerum apparent dans les choses
naturalium, quod designatur sensibles : les réalités
per intellectum et animam: et volontaires, qui sont nommées
quantum ad accidentia, quod ici justice, les formes
designatur per tempus. substantielles des êtres
naturelles, appelées ici âme et
intelligence, et les accidents,
signifiés par le temps.
[81687] Sententia Ensuite, lorsqu’il dit : comme
Metaphysicae, lib. 1 l. 7 n. 10 ils voyaient de plus, etc., il
Deinde cum dicit amplius présente la seconde raison. Ces
autem hic ponit secundum philosophes étudiaient en effet
motivum. Considerabant les propriétés des harmonies,
enim passiones des notes de musique qui
harmoniarum, s’accordent et de leurs
consonantiarum musicalium rapports, c'est-à-dire de leurs
et earum rationes, scilicet proportions, d’après la nature
proportiones, ex natura des nombres. Alors, puisque
numerorum. Unde cum soni les notes qui s’accordent sont
consonantes sint quaedam des êtres sensibles, ils se sont
sensibilia, eadem ratione sunt efforcés pour la même raison
conati et cetera alia sensibilia d’assimiler les autres êtres
secundum rationem et sensibles aux nombres par
secundum totam naturam leurs notions et par toute leur
assimilare numeris, ita quod nature, de sorte que les
numeri sunt primi in tota nombres soient la réalité
natura. première de toute la nature.
[81688] Sententia Et pour cette raison, ils ont
Metaphysicae, lib. 1 l. 7 n. 11 également estimé que les
Et propter hoc etiam principes des nombres étaient
aestimaverunt quod principia les principes de toutes les
numerorum essent principia réalités existantes, et ils
omnium entium existentium, disaient que le ciel tout entier
et totum caelum nihil aliud n’est rien d’autre qu’une nature
esse dicebant nisi quamdam et une harmonie de nombres,
naturam et harmoniam c'est-à-dire une certaine
numerorum, idest proportion numérique, qui
proportionem quamdam ressemble à la proportion
numeralem, similem qu’on trouve dans les
proportioni, quae harmonies. C’est pourquoi,
consideratur in harmoniis. tout ce qu’ils pouvaient
Unde quaecumque habebant montrer, c'est-à-dire rendre
confessa, idest manifesta, évident, en l’accordant aux
quae poterant adaptare nombres et aux harmonies, ils
numeris et harmoniis l’accordaient, tant pour les
adaptabant, et quantum ad phénomènes du ciel, comme
caeli passiones, sicut sunt les mouvements, les éclipses et
motus et eclypses et ainsi de suite, que pour ses
huiusmodi et quantum ad parties, telles que les diverses
partes, sicut sunt diversi sphères, et pour tous les
orbes: et quantum ad totum ornements du ciel, comme les
caeli ornatum, sicut sunt diverses étoiles et les diverses
diversae stellae et diversae configurations des
figurae in constellationibus. constellations.
[81689] Sententia Et si les réalités manifestes
Metaphysicae, lib. 1 l. 7 n. 12 manquaient de quelque chose
Et si aliquid deficiebat in qui ne semblait pas s’ajuster
rebus manifestis quod non aux nombres, ils y suppléaient,
videretur numeris adaptari, c'est-à-dire qu’ils y ajoutaient
advocabant, idest ipsi de quelque chose de plus pour que
novo ponebant continuatum tout leur système soit continu,
esse eis omne negotium, idest c'est-à-dire pour que tout leur
ad hoc quod totum negotium travail d’adaptation des réalités
eorum quod erat adaptare sensibles au nombres se
sensibilia ad numeros, poursuive par l’adaptation de
continuaretur, dum omnia toutes les réalités sensibles aux
sensibilia numeris adaptarent, nombres, comme on le voit
sicut patet in uno exemplo. In dans un exemple. Dans les
numeris enim denarius nombres, en effet, la dizaine
videtur esse perfectus, eo semble être parfaite du fait
quod est primus limes, et qu’elle est la première limite et
comprehendit in se omnium englobe la nature de tous les
numerorum naturam: quia nombres, car tous les autres
omnes alii numeri non sunt nombres ne sont en quelque
nisi quaedam repetitio sorte qu’une répétition de cette
denarii. Propter quod Plato dizaine. C’est pourquoi Platon
usque ad decem faciebat poussait les nombres jusqu’à
numerum, ut dicitur quarto 10, comme il est dit au livre IV
physicorum. Unde et des Physiques. Pour cette
Pythagoras, sphaeras, quae raison aussi, Pythagore a dit
moventur in caelo, dixit qu’il y a 10 sphères en
decem, quamvis novem mouvement dans le ciel, même
solum harum sint apparentes: si seulement neuf d’entre elles
quia deprehenduntur septem sont visibles, car sept sont
motibus planetarum, octava perçues grâce au mouvement
ex motu stellarum fixarum, des planètes, la huitième grâce
nona vero ex motu diurno, au mouvement des étoiles
qui est motus primus. Sed et fixes, et la neuvième grâce au
Pythagoras addit decimam mouvement solaire, qui est le
quae esset antictona idest in premier mouvement. Mais
contrarium mota in Pythagore en ajoute une
inferioribus sphaeris, et per dixième, qu’il appelle
consequens in contrarium antichtone, c'est-à-dire ayant
sonans. Dicebat enim ex un mouvement contraire à celui
motu caelestium corporum des sphères inférieures, et par
fieri quamdam harmoniam: conséquent une sonorité
unde sicut harmonia fit ex contraire. Il disait en effet que
proportione sonorum le mouvement des corps
contrariorum, scilicet gravis célestes produit une certaine
et acuti, ita ponebat quod in harmonie; il s’ensuit que, de
caelo erat unus motus in même que l’harmonie vient de
oppositam partem aliis la proportion entre des sons
motibus, ut fieret harmonia. contraires, c'est-à-dire graves et
Et secundum hanc aigus, de même il affirmait
positionem motus diurnus qu’il y avait dans le ciel un
pertinebat ad decimam mouvement en sens opposé des
sphaeram, quae est ab oriente autres mouvements, de manière
in occidentem, aliis sphaeris à produire une harmonie. Et
revolutis e contrario ab d’après cette conception, le
occidente in orientem. Nona mouvement solaire se rattache
vero secundum eum esse à la dixième sphère, allant de
poterat, quae primo l’est à l’ouest, alors que les
revolvebat omnes sphaeras autres sphères vont en sens
inferiores in contrarium primi contraire, de l’ouest à l’est. Et
motus. De his autem quae ad selon lui, la neuvième pouvait
opinionem istam Pythagorae être la première qui entraînait
pertinent, determinatum est toutes les sphères intérieures
diffusius et certius in ultimis dans le sens contraire du
libris huius scientiae. premier mouvement. Mais ce
qui concerne cette opinion de
Pythagore a été traité de façon
plus approfondie et plus
certaine dans les derniers livres
du présent ouvrage.
Évidemment, la propriété décrite ici appartient uniquement aux puissances de 2 et non à tous les
5
nombres pairs.
numerus aptus divisioni. nombre impair contient un
Impar enim sub se numerum nombre pair auquel on ajoute
parem concludit addita une unité, qui le rend
unitate, quae indivisionem indivisible6. Il prouve
causat. Probat etiam hoc, également cet énoncé du fait
quia numeri impares per que les nombres impairs,
ordinem sibi additi semper additionnés en ordre l’un après
retinent figuram quadrati, l’autre, gardent toujours la
pares autem figuram variant. figure du carré7, alors que les
Ternarius enim unitati quae nombres pairs donnent une
est principium numerorum forme variable. En effet, si on
additus facit quaternarium, ajoute 3 à l’unité, qui est le
qui primus est quadratus. principe des nombres, cela fait
Nam bis duo quatuor sunt. 4, qui est le premier carré, car
Rursus quaternario quinarius 4 est égal à 2 fois 2. Ensuite, si
additus, qui est impar, à 4 on ajoute 5, qui est un
secundum novenarium nombre impair, cela fait 9, qui
constituit, qui est etiam est également un nombre carré,
quadratus: et sic de aliis. Si et ainsi de suite. Mais si 2, qui
vero binarius qui est primus est le premier nombre pair, est
par, unitati addatur, ajouté à l’unité, cela donne un
triangularem numerum nombre triangulaire, soit 3.
constituit, scilicet ternarium. Ensuite, si on ajoute le
Cui si addatur quaternarius, deuxième nombre pair, qui est
qui est secundus par, 4, cela donne le nombre
constituit heptangulum « heptangulaire » 7. Et ainsi,
numerum, qui est quand on ajoute les nombres
septenarius. Et sic deinceps pairs les uns aux autres, une
numeri pares sibiinvicem forme identique n’est pas
additi, figuram non eamdem maintenue. Pour cette raison,
servant. Et hac ratione ils attribuaient au pair l’infini,
infinitum attribuebant pari, et à l’impair le fini. Et parce
finitum vero impari. Et quia que le fini est du côté de la
finitum est ex parte formae, forme, qui possède la
cui competit vis activa, ideo puissance active, ils disaient
pares numeros dicebant esse que les nombres pairs sont
feminas, impares vero féminins, et les nombres
masculos. impairs masculins8.
[81692] Sententia À partir de ces deux attributs,
Metaphysicae, lib. 1 l. 8 n. 3 c'est-à-dire le pair et l’impair,
Ex his vero duobus, scilicet le fini et l’infini, ils ne
pari et impari, finito et constituaient pas seulement les
infinito, non solum numerum nombres, mais aussi l’un lui-
6 Cette discussion ne tient pas compte du fait que certains nombres impairs sont divisibles, comme
15 = 3 x 5.
7 Ce qui suit démontre la proposition qui, en mathématiques modernes, s’énonce comme suit : « n2
est égal à la somme des n premiers nombres impairs». Par exemple, les quatre premiers nombres
impairs, 1 + 3 + 5 +7, donnent 16, ou 4 2.
8 Allusion à la théorie, adoptée également par Aristote, selon laquelle quand un enfant est
10“Nugatio”: terme rare, propre au Moyen Âge; traduction trouvée dans une traduction anglaise de
l’Ordinatio de Duns Scot, à http://www.humanities.mq.edu.au/Ockham/wjds.html, par. 179.
Ea vero quae sunt praeter comme il y aurait redondance
substantiam entis, oportet si l’espèce était ajoutée au
esse non ens, et ita non genre. De plus, la différence
possunt diversificare ens. spécifique ne diffère en rien de
l’espèce. Mais les choses qui
sont extérieures à la substance
de l’être sont nécessairement
du non-être, et ainsi, elles ne
peuvent pas diversifier l’être.
[81705] Sententia Mais ils se trompaient parce
Metaphysicae, lib. 1 l. 9 n. 6 qu’ils prenaient l’être comme
Sed in hoc decipiebantur, une seule notion et une seule
quia utebantur ente quasi una nature, comme on fait pour la
ratione et una natura sicut est nature d’un genre; en effet,
natura alicuius generis; hoc cela est impossible, car l’être
enim est impossibile. Ens n’est pas un genre, mais il se
enim non est genus, sed dit de choses diverses de
multipliciter dicitur de multiples manières. C’est
diversis. Et ideo in primo pourquoi il est dit, au livre I
physicorum dicitur quod haec des Physiques, qu’il est faux de
est falsa, ens est unum: non dire que l’être est un; en effet,
enim habet unam naturam il n’a pas une nature unique
sicut unum genus vel una comme un genre ou une espèce
species. unique.
[81706] Sententia Mais Mélisse considérait l’être
Metaphysicae, lib. 1 l. 9 n. 7 du côté de la matière. En effet,
Sed Melissus considerabat son argument en faveur de
ens ex parte materiae. l’unité de l’être était que l’être
Argumentabatur enim n’est pas engendré de quelque
unitatem entis, ex eo quod chose qui le précède, et cela
ens non generatur ex aliquo appartient en propre à la
priori, quod proprie pertinet matière, qui n’est pas
ad materiam quae est engendrée. Son argumentation
ingenita. Arguebat enim sic: était la suivante : ce qui est
quod est generatum, habet engendré a un début; l’être
principium; ens non est n’est pas engendré; donc il n’a
generatum, ergo non habet pas de début. Mais ce qui n’a
principium. Quod autem pas de début et n’a pas de fin
caret principio, et fine caret; est infini. Et s’il est infini, il est
ergo est infinitum. Et si est immobile, car l’infini n’a rien
infinitum, est immobile: quia d’extérieur à lui qui pourrait le
infinitum non habet extra se mouvoir. Il prouve ainsi que
quo moveatur. Quod autem l’être n’est pas engendré : s’il
ens non generetur, probat sic. est engendré, il l’est ou bien à
Quia si generatur, aut partir de l’être, ou bien à partir
generatur ex ente, aut ex non du non-être. Mais il n’est
ente; atqui nec ex non ente, engendré ni à partir du non-
quia non ens est nihil, et ex être, car le non-être n’est rien,
nihilo nihil fit. Nec ex ente; et rien ne se fait à partir de
quia sic aliquid esset rien, ni à partir de l’être, car
antequam fieret; ergo nullo ainsi une chose existerait avant
modo generatur. In qua de venir à l’être; donc l’être
quidem ratione patet quod n’est engendré en aucune
tetigit ens ex parte materiae; façon. Dans ce raisonnement, il
quia non generari ex aliquo est évident qu’il a pris l’être du
prius existente materiae est. côté de la matière, car il
Et quia finitum pertinet ad appartient à la matière de ne
formam, infinitum vero ad pas être engendrée de quelque
materiam, Melissus qui chose qui la précède. Et parce
considerabat ens ex parte que le fini appartient à la forme
materiae, dixit esse unum ens et l’infini à la matière, Mélisse,
infinitum. Parmenides vero, qui considérait l’être du côté de
qui considerabat ens ex parte la matière, a dit qu’il existe un
formae, dixit ens esse seul être infini, alors que
finitum. Sic igitur inquantum Parménide, qui considérait
consideratur ens ratione l’être du côté de la forme, a dit
materiae et formae, tractare que l’être est fini. Ainsi donc,
de his pertinet ad praesentem en tant que l’on considère
considerationem, quia l’être sous l’aspect de la
materia et forma in numero matière et de la forme, leur
causarum ponuntur. étude appartient au présent
traité, car la matière et la forme
sont rangées parmi les causes.
[81707] Sententia Quant à Xénophane, qui a été
Metaphysicae, lib. 1 l. 9 n. 8 le premier à dire que tout est
Xenophanes vero qui fuit un (car Parménide, lui aussi, a
primus inter dicentes omnia été son disciple), il n’a pas
esse unum, unde etiam expliqué pourquoi il disait que
Parmenides fuit eius tout est un; il n’a apporté aucun
discipulus, non explanavit argument, ni du côté de la
qua ratione diceret omnia matière ni du côté de la forme.
esse unum, nec sumendo On voit ainsi qu’il a été
rationem aliquam ex parte étranger aux deux natures, soit
materiae, nec ex parte la matière et la forme;
formae. Et sic de neutra autrement dit, il n’en a pas
natura scilicet neque de traité et n’y a pas adapté son
materia neque de forma visus propos, parlant ainsi
est tangere hos id est déraisonnablement, mais,
pertingere et adaequare eos considérant l’ensemble du ciel,
irrationalitate dicendi; sed il a dit que celui-ci était un seul
respiciens ad totum caelum Dieu. Les Anciens disaient en
dixit esse ipsum unum Deum. effet que le monde était Dieu.
Antiqui enim dicebant ipsum Voyant donc que toutes les
mundum esse Deum. Unde parties du monde se
videns omnes partes mundi in ressemblaient dans le fait
hoc esse similes, quia d’être corporelles, il a estimé
corporeae sunt, iudicavit de qu’elles constituaient toutes un
eis quasi omnia essent unum. être unique. Alors, de même
Et sicut praedicti posuerunt que les philosophes précédents
unitatem entium per ont affirmé l’unité des êtres en
considerationem eorum quae considérant ce qui relève soit
pertinent ad formam vel ad de la forme, soit de la matière,
materiam, ita iste respiciens Xénophane l’a affirmée en
ad ipsum compositum. considérant le composé.
[81708] Sententia Puis lorsqu’il dit : Encore une
Metaphysicae, lib. 1 l. 9 n. 9 fois, il faut, etc., il se propose
Deinde cum dicit igitur ii his de dire en particulier comment
specialiter intendit dicere l’opinion de Parménide
quomodo opinio Parmenidis intéresse la présente étude. Il
ad perscrutationem conclut de ce qui précède que,
praesentem pertineat; parce qu’ils supprimaient la
concludens ex praedictis, diversité des êtres, et par
quod quia diversitatem ab conséquent la causalité, tous
entibus auferebant, et per doivent être mis de côté pour
consequens causalitatem, ce qui concerne la présente
quantum ad praesentem question. Mais deux d’entre
quaestionem pertinet, omnes eux, soit Xénophane et
praetermittendi sunt. Sed duo Mélisse, doivent être tout à fait
eorum, scilicet Xenophanes écartés, car ils étaient quelque
et Melissus, sunt penitus peu plus grossiers, c'est-à-dire
praetermittendi, quia raisonnaient de façon moins
aliquantulum fuerunt, subtile. Parménide, cependant,
agrestiores, idest minus semble avoir exprimé son
subtiliter procedentes. Sed opinion de façon plus
Parmenides visus est dicere profonde, c'est-à-dire avec plus
suam opinionem, magis d’intelligence. En effet, son
videns, idest quasi plus raisonnement est le suivant.
intelligens. Utitur enim tali Tout ce qui est hors de l’être
ratione. Quicquid est praeter est non-être; mais il est
ens, est non ens: quicquid est persuadé que tout ce qui est
non ens, dignatur esse nihil non-être n’est rien, c'est-à-dire
idest dignum reputat esse qu’il ne le considère pas digne
nihil. Unde ex necessitate d’être quelque chose. Selon lui,
putat sequi quod ens sit il s’ensuit donc nécessairement
unum, et quicquid est aliud que l’être est un et que tout ce
ab ente, sit nihil. De qua qui est autre que l’être n’est
quidem ratione manifestius rien. Mais on a traité plus
dictum est primo clairement de ce raisonnement
physicorum. au livre I des Physiques.
[81709] Sententia Mais bien que ce raisonnement
Metaphysicae, lib. 1 l. 9 n. 10 oblige Parménide à affirmé que
Licet autem Parmenides ista le grand tout soit un, puisque
ratione cogatur ad ponendum les sens manifestent une
omnia esse unum; tamen quia multiplicité dans les choses, il
sensui apparebat a été forcé d’admettre ce que
multitudinem esse in rebus, l’on voit et a voulu, dans son
coactus sequi ea quae système, satisfaire aux deux,
apparent, voluit in sua les apparences des sens et la
positione utrique satisfacere, raison. C’est pourquoi il a dit
et apparentiae sensus et que toutes choses sont un en
rationi. Unde dixit quod raison, mais plusieurs selon les
omnia sunt unum secundum sens. Et du fait qu’il affirmait
rationem, sed sunt plura la pluralité selon les sens, il a
secundum sensum. Et pu affirmer l’existence de
inquantum ponebat causes et d’effets dans les
pluralitatem secundum choses. Il a donc affirmé deux
sensum, potuit in rebus causes, la chaleur et le froid,
ponere causam et causatum. attribuant l’une au feu et
Unde posuit duas causas, l’autre à la terre. Et l’une, soit
scilicet calidum et frigidum: la chaleur et le feu, semblait
quorum unum attribuebat agir comme cause efficiente,
igni, aliud terrae. Et unum tandis que l’autre, le froid et la
videbatur pertinere ad terre, jouait le rôle de cause
causam efficientem, scilicet matérielle. Et pour que cette
calidum et ignis; aliud ad affirmation ne semble pas
causam materialem, scilicet opposée à l’argumentation où il
frigidum et terra. Et ne eius avait conclu que tout ce qui est
positio suae rationi videretur hors de l’être n’est rien, il
esse opposita, qua disait que l’une de ces causes,
concludebat quod quicquid à savoir la chaleur, était l’être,
est praeter unum, est nihil: alors que l’autre, le froid, qui
dicebat quod unum est hors de cet être unique, est
praedictorum, scilicet du non-être en raison et selon
calidum, erat ens: alterum la vérité des choses, mais est
vero quod est praeter illud de l’être seulement selon les
unum ens, scilicet frigidum, apparences des sens.
dicebat esse non ens
secundum rationem et rei
veritatem, sed esse ens solum
secundum apparentiam
sensus.
[81710] Sententia Ainsi, il s’approche pourtant de
Metaphysicae, lib. 1 l. 9 n. 11 la vérité d’une certaine façon.
In hoc autem aliquo modo ad En effet, le principe matériel
veritatem appropinquat. Nam n’est pas un être en acte, et il
principium materiale non est attribuait cette condition à la
ens in actu cui attribuebat terre; pareillement, l’un des
terram; similiter etiam contraires est une sorte de
alterum contrariorum est ut privation, comme il est dit au
privatio, ut dicitur primo livre I des Physiques. Or, la
physicorum. Privatio autem privation appartient à la notion
ad rationem non entis de non-être. Par conséquent, le
pertinet. Unde et frigidum froid est d’une certaine
quodammodo est privatio manière une privation de
calidi, et sic est non ens. chaleur et est ainsi du non-être.
[81711] Sententia Puis lorsqu’il dit : Voici le
Metaphysicae, lib. 1 l. 9 n. 12 résultat, etc., il résume ce qui a
Deinde cum dicit igitur ex été dit des opinions des
hic recolligit ea, quae dicta Anciens, et il le fait en deux
sunt de opinionibus parties : il résume en premier
antiquorum; et circa hoc duo ce qui a été dit des opinions
facit. Primo recolligit ea quae des anciens physiciens, et en
dicta sunt de opinionibus deuxième ce qui a été dit des
antiquorum naturalium. opinions des Pythagoriciens,
Secundo quae dicta sunt de qui ont introduit les
opinionibus Pythagoricorum mathématiques, où il dit :
qui mathematicam Quant aux Pythagoriciens, etc.
introduxerunt, ibi, En premier, il conclut donc de
Pythagorici et cetera. ce qui précède que nous avons
Concludit ergo primo ex vu ce qui a été dit par ces
dictis, quod ex his praedictis, philosophes, qui avaient une
qui idem considerabant, pensée commune, à savoir
scilicet esse causam l’existence d’une cause
materialem rerum matérielle qui est la substance
substantiam, et qui iam des choses, et qui
incipiebant per rationem commençaient déjà à percevoir
sapere causas rerum les causes des choses en les
inquirendo ipsas, accepimus recherchant. En effet, nous
eas quae dictae sunt. A avons trouvé chez les premiers
primis namque philosophis philosophes que le principes de
acceptum est quod toutes choses est corporel; cela
principium omnium rerum est évident du fait que l’eau et
est corporeum. Quod patet les choses du genre, qu’ils
per hoc, quod aqua et affirmaient être principes des
huiusmodi quae principia choses, sont des éléments
rerum ponebant, quaedam corporels. Ils différaient
corpora sunt. In hoc autem cependant en ce que certains
differebant, quod quidam affirmaient que ce principe
ponebant illud principium corporel est unique, comme
corporeum esse unum Thalès, Diogène et leurs
tantum, sicut Thales, semblables, alors que d’autres
Diogenes, et similes. Quidam disaient qu’il y en a plusieurs,
vero ponebant esse plura, comme Anaxagore, Démocrite
sicut Anaxagoras, et Empédocle. Mais les uns et
Democritus et Empedocles. les autres, qu’ils aient supposé
Utrique tamen, tam isti qui un principe ou plusieurs,
ponebant unum, quam illi qui rangeaient ces principes
ponebant plura esse, corporels dans la catégorie de
huiusmodi corporea principia la cause matérielle. Cependant,
ponebat in specie causae certains d’entre eux n’ont pas
materialis. Quidam vero admis seulement une cause
eorum non solum causam matérielle, mais y ont ajouté
materialem posuerunt, sed une autre cause, un principe
cum ea addiderunt causam d’origine du mouvement,
unde principium motus: unique pour certains, comme
quidam eam unam ponentes, l’intelligence pour Anaxagore
sicut Anaxagoras intellectum, et l’amour pour Parménide, et
et Parmenides amorem: double pour d’autres, comme
quidam vero duas, sicut l’amour et la haine pour
Empedocles amorem et Empédocle.
odium.
[81712] Sententia Il est donc évident que les
Metaphysicae, lib. 1 l. 9 n. 13 philosophes, en allant
Unde patet quod praedicti jusqu’aux Italiques, c'est-à-dire
philosophi qui fuerunt usque à Pythagore, « à part de ceux-
ad Italicos, scilicet ci », c'est-à-dire ayant des
Pythagoram, et absque illis choses une opinion distincte et
idest separatam opinionem n’ayant aucune part aux
habentes de rebus non opinions des Pythagoriciens,
communicando opinionibus ont parlé des principes de
Pythagoricorum, obscurius façon plus obscure, car ils ne
dixerunt de principiis, quia précisaient pas à quel genre de
non assignabant ad quod causes se réduisaient ces
genus causae huiusmodi principes, et pourtant ils
principia reducerentur: et faisaient appel à deux causes,
tamen utebantur duabus soit le principe du mouvement
causis, scilicet principio et la matière, et l’une des deux,
motus et materia; et alteram soit le principe d’origine du
istarum, scilicet ipsam unde mouvement, était déclarée
principium motus, quidam unique par certains et double
fecerunt unam, ut dictum est, par d’autres, comme on l’a dit.
quidam duas.
[81713] Sententia Ensuite, lorsqu’il dit : Quant
Metaphysicae, lib. 1 l. 9 n. 14 aux Pythagoriciens, il résume
Deinde cum dicit Pythagorici ce qu’ont dit les
vero hic recolligit quae dicta Pythagoriciens, tant pour ce
sunt a Pythagoricis, et qu’ils avaient en commun avec
quantum ad id quod erat les philosophes précédents que
commune cum praedictis, et pour ce qu’ils avaient en
quantum ad id quod erat eis propre. Certains de ces derniers
proprium. Commune tamen avaient en commun avec les
fuit aliquibus praedictorum et Pythagoriciens le fait
Pythagoricorum, quod d’affirmer deux principes,
ponerent duo principia d’une manière qui était pareille
aliqualiter eodem modo cum à la leur sous un aspect. En
praedictis. Sicut enim effet, Empédocle affirmait
Empedocles ponebat duo deux principes contraires, dont
principia contraria, quorum l’un était le principe du bien et
unum erat principium l’autre le principe du mal, et
bonorum, et aliud principium les Pythagoriciens ont fait de
malorum, ita et Pythagorici: même, comme on le voit dans
ut patet ex coordinatione la coordination de principes
principiorum contrariorum contraires qu’ils supposaient.
supposita a Pythagoricis.
[81714] Sententia Mais ils ne le faisaient pas de
Metaphysicae, lib. 1 l. 9 n. 15 la même façon, car Empédocle
In hoc tamen non eodem plaçait ces principes contraires
modo, quia Empedocles illa dans l’espèce de la cause
principia contraria ponebat in matérielle, comme on l’a dit.
specie causae materialis, ut Quant aux Pythagoriciens, ils
supra dictum est. Pythagorici ont ajouté leurs opinions
autem addiderunt quod erat propres à celles des autres, et
eis proprium supra en premier parce qu’ils disaient
opinionem aliorum; primo que « l’un, le fini et l’infini »
quidem quia dicebant quod ne sont pas les accidents
hoc quod dico unum finitum d’autres natures comme le feu,
et infinitum non erant la terre et ainsi de suite; selon
accidentia aliquibus aliis eux, « l’un, le fini et l’infini »
naturis, sicut igni aut terrae, étaient la substance de ces
aut alicui huiusmodi. Sed hoc éléments, qui en étaient les
quod dico unum finitum et attributs. Ils concluaient de là
infinitum, erant substantiae que le nombre, qui est
eorumdem, de quibus constitué d’unités, est la
praedicabantur. Et ex hoc substance de toutes choses.
concludebant quod numerus, Mais les autres physiciens,
qui ex unitatibus constituitur, même s’ils affirmaient
sit substantia rerum omnium. l’existence de l’un et celle du
Alii vero naturales, licet fini ou de l’infini, attribuaient
ponerent unum et finitum, ceux-ci à une autre nature
seu infinitum, tamen comme les accidents sont
attribuebant ista alicui alteri attribués au sujet, par exemple
naturae, sicut accidentia au feu, à l’eau et ainsi de suite.
attribuuntur subiecto, ut igni,
vel aquae, vel alicui
huiusmodi.
[81715] Sententia Une deuxième chose qu’ils ont
Metaphysicae, lib. 1 l. 9 n. 16 ajoutée aux autres philosophes
Secundo addiderunt super a été de commencer à discuter
alios philosophos, quia et à définir l’essence des
inceperunt dicere et definire choses, c'est-à-dire la substance
de ipso quid est, scilicet des choses et ce qu’elles sont.
substantia et rerum Mais pourtant, ils en ont traité
quidditate. Sed tamen valde de façon fort simpliste, avec
simpliciter de hoc des définitions superficielles.
tractaverunt, superficialiter En effet, quand ils formulaient
definientes. Non enim des définitions, ils ne
attendebant in assignandis considéraient qu’un seul point.
definitionibus nisi unum Ils disaient en effet que, si un
tantum. Dicebant enim quod terme donné se trouvait en
si aliquis terminus dictus premier dans un objet, il était
inesset alicui primo, quod la substance de cet objet; c’est
erat substantia illius rei; sicut comme si on pensait que la
si aliquis aestimet quod proportion du double est la
proportio dupla sit substantia substance du nombre 2, parce
dualitatis: quia talis proportio que cette proportion se trouve
primo in numero binario en premier dans le nombre 2.
invenitur. Et quia ens primo Et puisque l’être se trouve dans
inveniebatur in uno quam in l’un avant de se trouver dans le
multis, nam multa ex uno multiple (car le multiple est
constituuntur, ideo dicebant constitué d’unités), ils disaient
quod ens est ipsa substantia que l’être est la substance
unius. Sed haec eorum même de l’un. Mais cette
determinatio non erat conclusion qu’ils tiraient ne
conveniens: quia licet convenait pas; en effet, bien
dualitas sit dupla, non tamen que le nombre 2 soit double, le
idem est esse dualitatis et double n’est pas la même
dupli, ita quod sint idem chose que 2 de telle sorte qu’ils
secundum rationem, sicut soient un en raison, comme la
definitio et definitum. Si définition et l’objet défini sont
autem etiam esset verum un. Si cependant ce qu’ils
quod illi dicebant, sequeretur disaient était vrai, il
quod multa essent unum. s’ensuivrait que le multiple est
Contingit enim aliqua multa un; il arrive en effet qu’une
primo inesse alicui uni, sicut réalité multiple se trouve en
dualitati primo inest paritas et premier dans quelque chose
proportio dupla. Et sic d’un, comme la parité et la
sequitur quod par et duplum qualité de double se trouvent
sint idem: similiter quod en premier dans le nombre 2.
cuicumque inest duplum sit Et ainsi, il s’ensuit que le pair
idem dualitati, ex quo et le double sont la même
duplum est dualitatis chose, et également que tout ce
substantia. Quod quidem qui est double est la même
etiam et Pythagoricis chose que le nombre 2, du fait
contingebat. Nam multa et que le double est la substance
diversa assignabant quasi du nombre 2. Pour les
unum essent, sicut Pythagoriciens, c’est
proprietates numerales également ce qui arrivait. En
dicebant idem esse cum effet, ils considéraient des
proprietatibus naturalium choses multiples et diverses
rerum. comme si elles étaient un, de
même qu’ils disaient que les
propriétés des nombres sont la
même chose que les propriétés
des êtres naturels.
[81716] Sententia Ainsi donc, il conclut que voilà
Metaphysicae, lib. 1 l. 9 n. 17 ce qu’on peut retenir des
Sic igitur concludit quod tot anciens philosophes, qui ont
est accipere a prioribus affirmé l’existence d’un seul
philosophis, qui posuerunt principe matériel, et d’autres
tantum unum principium venus plus tard, qui ont affirmé
materiale, et ab aliis plusieurs principes.
posterioribus qui posuerunt
plura principia.
Leçon 10, texte d’Aristote,
traduit par Sr Pascale-
Dominique Nau
Après ces différentes
philosophies, parut la
philosophie de Platon, qui
suivit en beaucoup de points
ses devanciers, mais qui eut
aussi ses points de doctrine
particuliers, et alla plus loin
que l’école italique. Dès sa
jeunesse, Platon se familiarisa
dans le commerce de Cratyle
avec les opinions d’Héraclite,
que toutes les choses sensibles
sont dans un perpétuel
écoulement, et qu’il n’y a pas
de science de ces choses ; et
dans la suite, il garda ces
opinions. D’une autre part,
Socrate s’étant occupé de
morale, et non plus d’un
système de physique, et ayant
d’ailleurs cherché dans la
morale ce qu’il y a d’universel,
et porté le premier son
attention sur les définitions,
Platon qui le suivit et le
continua fut amené à penser
que les définitions devaient
porter sur un ordre d’êtres à
part et nullement sur les objets
sensibles ; car comment une
définition commune
s’appliquerait-elle aux choses
sensibles, livrées à un
perpétuel changement ? Or, ces
autres êtres, il les appela Idées,
et dit que les choses sensibles
existent en dehors des idées et
sont nommées d’après elles ;
car il pensait que toutes les
choses d’une même classe
tiennent leur nom commun des
idées, en vertu de leur
participation avec elles. Du
reste, le mot Participation est
le seul changement qu’il
apporta ; les Pythagoriciens, en
effet, disent que les êtres sont à
l’imitation des nombres, Platon
en participation avec les idées.
Comment se fait maintenant
cette participation ou cette
imitation des idées ? C’est ce
que celui-ci et ceux-là ont
également négligé de
rechercher. De plus, outre les
choses sensibles et les idées, il
reconnaît des êtres
intermédiaires qui sont les
choses mathématiques,
différentes des choses sensibles
en ce qu’elles sont éternelles et
immuables, et des idées en ce
qu’elles admettent un grand
nombre de semblables, tandis
que toute idée en elle-même a
son existence à part. Voyant
dans les idées les raisons des
choses, il pensa que leurs
éléments étaient les éléments
de tous les êtres. Les principes
dans ce système sont donc,
sous le point de vue de la
matière, le grand et le petit, et
sous celui de l’essence,
l’unité ; et en tant que formées
de ces principes et participant
de l’unité, les idées sont les
nombres. Ainsi, en avançant
que l’unité est l’essence des
êtres et que rien autre chose
que cette essence n’a le titre
d’unité, Platon se rapprocha
des pythagoriciens. Comme
eux, il dit que les nombres sont
les causes des choses et de leur
essence ; mais faire une dualité
de cet infini qu’ils regardaient
comme un, et composer l’infini
du grand et da petit, voilà ce
qui lui est propre – avec cette
supposition que les nombres
existent en dehors des choses
sensibles, tandis que les
pythagoriciens disent que les
nombres sont les choses
mêmes, et ne donnent pas aux
choses mathématiques un rang
intermédiaire. Cette existence
que Platon attribue à l’unité et
au nombre en dehors des
choses, à la différence des
pythagoriciens, ainsi que
l’introduction des idées, est
due à ses recherches logiques
(car les premiers philosophes
étaient étrangers à la
dialectique) ; et il fut conduit à
faire une dyade de cette autre
nature différente de l’unité,
parce que les nombres, à
l’exception des nombres
primordiaux, s’engendrent
aisément de cette dyade,
comme d’une sorte de matière.
Cependant, les choses se
passent autrement, et cela est
contraire à la raison. Dans ce
système, on fait avec la matière
un grand nombre d’êtres, et
l’idée n’engendre qu’une seule
fois ; mais au vrai, d’une seule
matière on ne fait qu’une seule
table, tandis que celui qui
apporte l’idée, tout en étant un
lui-même, en fait un grand
nombre. Il en est de même du
mâle à l’égard de la femelle ; la
femelle est fécondée par un
seul accouplement, tandis que
le mâle en féconde plusieurs :
or, cela est l’image de ce qui a
lieu pour les principes dont
nous parlons. C’est ainsi que
Platon s’est prononcé sur ce
qui fait l’objet de nos
recherches : il est clair, d’après
ce que nous avons dit, qu’il ne
met en usage que deux
principes, celui de l’essence et
celui de la matière ; car les
idées sont pour les choses les
causes de leur essence, comme
l’unité l’est pour les idées : Et
quelle est la matière ou le sujet
auquel s’appliquent les idées
dans les choses sensibles et
l’unité dans les idées ? C’est
cette dyade, composée du
grand et du petit : de plus il
attribua à l’un de ces deux
éléments la cause du bien, à
l’autre la cause du mal, de la
même manière que l’ont fait
dans leurs recherches
quelques-uns des philosophes
précédents, comme Empédocle
et Anaxagore.
11Le latin fait croire que c’est peut-être Archélaos qui a été l’auditeur d’Anaxagore, mais les
recherches sur Wikipedia indiquent que c’est bien Socrate.
incepit in moralibus quaerere morale ce qui est universel et
quid esset universale, et par s’efforcer de définir les
insistere ad definiendum. termes.
[81719] Sententia C’est pourquoi Platon, en tant
Metaphysicae, lib. 1 l. 10 n. 3 qu’auditeur de Socrate, qui le
Unde et Plato tamquam eius suivit, c'est-à-dire reçut sa
auditor, recipiens Socratem, doctrine et la continua pour
idest sequens suscepit hoc ad rechercher s’il est possible de
inquirendum in rebus trouver, dans les choses de la
naturalibus, quasi in eis hoc nature, une sorte d’être
posset evenire, ut universale universel dont on puisse
in eis acciperetur de quo donner une définition, de telle
definitio traderetur, ita quod sorte que la définition ne porte
definitio non daretur de pas sur l’un des objets
aliquo sensibilium, quia cum sensibles, car puisque les
sensibilia sint semper sensibles sont en perpétuel
transmutantium, idest changement, on ne peut pas
transmutata, non potest attribuer une notion générale à
alicuius eorum communis l’un d’entre eux. En effet, toute
ratio assignari. Nam omnis notion doit convenir en tout
ratio oportet quod et omni et temps et à tout objet, et elle
semper conveniat, et ita exige donc une certaine
aliquam immutabilitatem immuabilité. C’est pourquoi il
requirit. Et ideo huiusmodi a donné le nom d’idées et
entia universalia, quae sunt a d’espèces des sensibles
rebus sensibilibus separata, existants à ces êtres universels,
de quibus definitiones séparés des choses sensibles,
assignantur, nominavit ideas auxquels des définitions sont
et species existentium attribuées : des idées, c'est-à-
sensibilium: ideas quidem, dire des formes, du fait que les
idest formas, inquantum ad sensibles sont façonnés à leur
earum similitudinem ressemblance, et des espèces,
sensibilia constituebantur: parce que c’est en y participant
species vero inquantum per que les choses possèdent leur
earum participationem esse être substantiel. Ou encore, ces
substantiale habebant. Vel êtres sont des idées en tant
ideas inquantum erant qu’ils sont principes
principium essendi, species d’existence, et des espèces en
vero inquantum erant tant qu’ils sont principes de
principium cognoscendi. connaissance. C’est pourquoi
Unde et sensibilia omnia tous les sensibles possèdent
habent esse propter l’être à cause des idées et en
praedictas et secundum eas. conformité avec elles : à cause
Propter eas quidem d’elles, du fait que les idées
inquantum ideae sunt sont causes de l’existence des
sensibilibus causae essendi. sensibles; en conformité avec
Secundum eas vero elles, du fait que les idées sont
inquantum sunt eorum leurs modèles.
exemplaria.
[81720] Sententia Et il est évident que cela est
Metaphysicae, lib. 1 l. 10 n. 4 vrai du fait qu’on attribue à
Et quod hoc sit verum, patet chaque espèce toutes les choses
ex eo, quod singulis d’une même classe, c'est-à-dire
speciebus attribuuntur multa de nombreux individus d’une
individua univocorum, idest espèce univoque qui reçoivent
multa individua univocae une attribution, et ce par
speciei praedicationem participation; car l’espèce, ou
suscipientia et hoc secundum l’idée, est la nature même de
participationem; nam species, l’espèce, qui fait exister
vel idea est ipsa natura l’homme par essence12. Quant
speciei, qua est existens à l’individu, il est l’homme par
homo per essentiam. participation, en tant qu’une
Individuum autem est homo participation à la nature de
per participationem, l’espèce existe dans une
inquantum natura speciei in matière donnée. En effet, ce
hac materia designata qui est totalement une chose ne
participatur. Quod enim participe pas à une autre mais
totaliter est aliquid, non est identique à cette chose par
participat illud, sed est per essence. Par contre, on dit au
essentiam idem illi. Quod sens propre qu’une chose
vero non totaliter est aliquid participe lorsqu’elle n’est pas
habens aliquid aliud totalement cette chose, mais
adiunctum, proprie qu’une autre réalité y est
participare dicitur. Sicut si ajoutée; par exemple, si la
calor esset calor per se chaleur était la chaleur existant
existens, non diceretur en soi, on ne dirait pas qu’elle
participare calorem, quia participe de la chaleur, parce
nihil esset in eo nisi calor. qu’il n’y aurait en elle rien
Ignis vero quia est aliquid d’autre que la chaleur; on dit
aliud quam calor, dicitur par contre que le feu, parce
participare calorem. qu’il est autre chose que la
chaleur, participe de la chaleur.
[81721] Sententia Pareillement, puisque l’idée
Metaphysicae, lib. 1 l. 10 n. 5 séparée de l’homme n’inclut
Similiter autem cum idea rien d’autre que la nature
hominis separata nihil aliud même de l’espèce, elle est
habeat nisi ipsam naturam essentiellement homme; pour
speciei, est essentialiter cette raison, Platon l’appelait
homo. Et propterea ab eo l’homme en soi. Mais Socrate
vocabatur per se homo. ou Platon, parce qu’ils ont en
Socrates vero vel Plato, quia plus de la nature de l’espèce un
habet praeter naturam speciei principe d’individualité qui est
principium individuans quod une matière donnée, sont dits
est materia signata, ideo participer de l’espèce, selon
dicitur secundum Platonem Platon.
participare speciem.
[81722] Sententia Or, Platon a reçu de Pythagore
12“Homo per essentiam” semble avoir un sens identique à l’“homme en soi”, “per se homo”, qu’on
trouve ailleurs, par exemple dans le Commentaire de l’Éthique, l. 1, leçon 7.
Metaphysicae, lib. 1 l. 10 n. 6 le mot « participation », mais il
Hoc autem nomen en a modifié le sens. Les
participationis Plato accepit a Pythagoriciens disaient en effet
Pythagora. Sed tamen que les nombres sont les causes
transmutavit ipsum. des choses, comme Platon l’a
Pythagorici enim dicebant dit des idées, et ils disaient que
numeros esse causas rerum les êtres sensibles étaient des
sicut Platonici ideas, et genres d’imitations des
dicebant quod huiusmodi nombres. Les nombres, en
existentia sensibilia erant effet, qui n’ont pas de positions
quasi quaedam imitationes en tant que tels, assumaient des
numerorum. Inquantum enim positions et causaient ainsi les
numeri qui de se positionem corps. Mais Platon, ayant
non habent, accipiebant affirmé l’existence d’idées
positionem, corpora immuables de sorte qu’elles
causabant. Sed quia Plato puissent être des objets de
ideas posuit immutabiles ad science et de définition, ne les
hoc quod de eis possent esse a pas suivis en parlant
scientiae et definitiones, non d’imitation dans le cas des
conveniebat et in ideis uti idées; il a plutôt employé le
nomine imitationis. Sed loco mot « participation ». Il faut
eius usus est nomine cependant savoir que les
participationis. Sed tamen est Pythagoriciens, même s’ils ont
sciendum, quod Pythagorici, affirmé qu’il y avait
licet ponerent participation ou imitation,
participationem, aut n’ont pas étudié comment les
imitationem, non tamen individus sensibles participent
perscrutati sunt qualiter de l’espèce commune ou en
species communis sont l’imitation, alors que cela
participetur ab individuis a été enseigné par les
sensibilibus, sive ab eis Platoniciens.
imitetur, quod Platonici
tradiderunt.
[81723] Sententia Ensuite, lorsqu’il dit : De plus,
Metaphysicae, lib. 1 l. 10 n. 7 outre les choses sensibles, il
Deinde cum dicit amplius présente l’opinion de Platon
autem hic ponit opinionem sur les substances
Platonis de mathematicis mathématiques, en disant que
substantiis: et dicit quod Platon a affirmé l’existence
Plato posuit alias substantias d’autres substances en plus des
praeter species et praeter espèces et en plus des choses
sensibilia, idest mathematica; sensibles : ce sont les êtres
et dixit quod huiusmodi entia mathématiques. Et il a dit que
erant media trium ces êtres étaient le milieu entre
substantiarum, ita quod erant les trois substances, se trouvant
supra sensibilia et infra au-dessus des choses sensibles
species, et ab utrisque et au dessous des espèces, et
differebant. A sensibilibus différant des unes et des autres.
quidem, quia sensibilia sunt Ils diffèrent des sensibles parce
corruptibilia et mobilia, que ceux-ci sont corruptibles et
mathematica vero sempiterna mobiles alors que les êtres
et immobilia. Et hoc mathématiques sont
accipiebant ex ipsa ratione perpétuelles et immobiles. Et
scientiae mathematicae, nam ils tiraient cette conclusion de
mathematica scientia a motu la notion même de la science
abstrahit. Differunt vero mathématique, car celle-ci fait
mathematica a speciebus, abstraction du mouvement. Les
quia in mathematicis êtres mathématiques diffèrent
inveniuntur differentia également des espèces, car on
secundum numerum, similia constate que les êtres
secundum speciem: alias non mathématiques sont différents
salvarentur demonstrationes en nombre mais semblables en
mathematicae scientiae. Nisi espèce; si cela n’était pas vrai,
enim essent duo trianguli les démonstrations des
eiusdem speciei, frustra mathématiques ne tiendraient
demonstraret geometra pas. En effet, si deux triangles
aliquos triangulos esse n’étaient pas de la même
similes; et similiter in aliis espèce, le géomètre
figuris. Hoc autem in démontrerait en vain que des
speciebus non accidit. Nam triangles sont semblables, et il
cum in specie separata nihil en va de même pour les autres
aliud sit nisi natura speciei, figures. Mais il n’en va pas de
non potest esse singularis même pour les espèces. En
species nisi una. Licet enim effet, puisque l’espèce séparée
alia sit species hominis, alia ne contient rien d’autre que la
asini, tamen species hominis nature de l’espèce, une espèce
non est nisi una, nec species particulière ne peut être
asini, et similiter de aliis. qu’unique : bien que l’espèce
de l’homme est autre que
l’espèce de l’âne, l’espèce de
l’homme est seulement une, et
pareillement l’espèce de l’âne,
et ainsi de suite.
[81724] Sententia Mais quand on considère
Metaphysicae, lib. 1 l. 10 n. 8 attentivement les doctrines de
Patet autem diligenter Platon, il est évident qu’il a fait
intuenti rationes Platonis, erreur parce qu’il a cru que le
quod ex hoc in sua positione mode d’existence de la chose
erravit, quia credidit, quod comprise est le même mode
modus rei intellectae in suo par lequel on la comprend. En
esse sit sicut modus conséquence, ayant constaté
intelligendi rem ipsam. Et que notre intelligence
ideo quia invenit intellectum comprend les choses abstraites
nostrum dupliciter abstracta de deux façons, d’abord en tant
intelligere, uno modo sicut qu’universels abstraits à partir
universalia intelligimus des singuliers, ensuite comme
abstracta a singularibus, alio êtres mathématiques abstraits
modo sicut mathematica des choses sensibles, il a
abstracta a sensibilibus, affirmé qu’à chaque mode
utrique abstractioni d’abstraction correspond une
intellectus posuit respondere abstraction dans l’essence des
abstractionem in essentiis choses; c’est pourquoi il a
rerum: unde posuit et affirmé que les êtres
mathematica esse separata et mathématiques sont des
species. Hoc autem non est substances séparées et des
necessarium. Nam intellectus espèces. Mais ce n’est pas une
etsi intelligat res per hoc, conclusion nécessaire. En effet,
quod similis est eis quantum même si l’intelligence
ad speciem intelligibilem, per comprend les choses du fait
quam fit in actu; non tamen qu’elle leur est semblable par
oportet quod modo illo sit une espèce intelligible qui la
species illa in intellectu quo conduit à l’acte, il ne s’ensuit
in re intellecta: nam omne pas forcément que cette espèce
quod est in aliquo, est per soit dans l’intelligence sous le
modum eius in quo est. Et même mode que dans la chose
ideo ex natura intellectus, comprise, car tout ce qui est
quae est alia a natura rei dans une chose s’y trouve
intellectae, necessarium est selon le mode de la chose.
quod alius sit modus C’est pourquoi, étant donné la
intelligendi quo intellectus nature de l’intelligence, qui
intelligit, et alius sit modus diffère de la nature de la chose
essendi quo res existit. Licet comprise, il y a nécessairement
enim id in re esse oporteat une différence entre le mode
quod intellectus intelligit, par lequel l’intelligence
non tamen eodem modo. comprend et le mode par lequel
Unde quamvis intellectus la chose comprise existe. En
intelligat mathematica non effet, même s’il est nécessaire
cointelligendo sensibilia, et que ce que l’intelligence
universalia praetercomprend se trouve dans la
particularia, non tamen chose, il ne s’y trouve pas de la
oportet quod mathematica même façon. C’est pourquoi,
sint praeter sensibilia, et même si l’intelligence
universalia praetercomprend les choses
particularia. Nam videmus mathématiques sans
quod etiam visus percipit comprendre en même temps les
colorem sine sapore, cum sensibles, et comprend les
tamen in sensibilibus sapor et universels hors des particuliers,
color simul inveniantur. il ne s’ensuit pas forcément
que les êtres mathématiques
existent hors des sensibles et
que les universels existent hors
des particuliers. Même dans le
cas de la vue, nous constatons
en effet qu’elle perçoit la
couleur sans la saveur, qui se
trouvent pourtant en même
temps dans les senibles.
[81725] Sententia Ensuite, lorsqu’il dit : Voyant
Metaphysicae, lib. 1 l. 10 n. 9 dans les idées, etc., il expose
Deinde cum dicit quoniam l’opinion de Platon sur les
autem hic ponit opinionem principes des choses; et il le
Platonis de rerum principiis: fait en deux parties : il montre
et circa hoc duo facit. Primo en premier quels principes
ponit quae principia rebus Platon a attribués aux choses;
Plato assignavit. Secundo ad en deuxième, à quel genre de
quod genus causae cause ces principes se
reducuntur, ibi, palam autem ramènent, où il dit : il est clair,
ex dictis et cetera. Circa d’après ce que, etc. Il traite la
primum duo facit. Primo première partie en deux points.
ponit cuiusmodi principia En premier, il présente les
Plato assignaverit. Secundo principes de cette sorte que
ostendit quomodo Plato cum Platon a supposés. En
Pythagoricis communicet, et deuxième, il montre en quoi
in quo differat ab eis, ibi, Platon concorde avec les
unum tamen substantiam. Pythagoriciens et en quoi il en
Dicit ergo primo, quod quia diffère, où il dit : Ainsi, en
secundum Platonem species avançant que, etc. Il dit donc
separatae sunt causae en premier que selon Platon,
omnibus aliis entibus, ideo puisque les espèces séparées
elementa specierum sont causes de tous les autres
putaverunt esse elementa êtres, il a pensé13 en
omnium entium. Et ideo conséquence que les éléments
assignabant rebus pro materia de ces espèces étaient les
magnum et parvum, et quasi éléments de tous les êtres.
substantiam rerum, idest C’est pourquoi il a attribué aux
formam dicebant esse unum. choses le grand et le petit
Et hoc ideo, quia ista comme matière, et l’un comme
ponebant esse principia substance, c'est-à-dire comme
specierum. Dicebant enim forme, et ce, parce qu’il
quod sicut species sunt affirmait que tels étaient les
sensibilibus formae, ita unum principes des espèces. Il disait
est forma specierum. Et ideo en effet que, de même que les
sicut sensibilia constituuntur espèces sont les formes des
ex principiis universalibus sensibles, de même l’un est la
per participationem forme des espèces. C’est
specierum, ita species, quas pourquoi, de même que les
dicebat esse numeros, sensibles sont constitués des
constituuntur secundum eum, principes universels par
ex illis, scilicet magno et participation aux espèces, de
parvo. Unitas enim diversas même les espèces, qu’il disait
numerorum species constituit être les nombres, sont
per additionem et constituées selon lui par ces
subtractionem, in quibus principes, c'est-à-dire le grand
consistit ratio magni et parvi. et le petit. En effet, l’unité
Unde cum unum opinaretur constitue diverses espèces de
esse substantiam entis, quia nombres par l’addition et la
non distinguebat inter unum soustraction, en lesquelles
13Il est étrange que les quelques phrases suivantes soient écrites au pluriel. C’est certainement un
lapsus. Le texte revient ensuite au singulier aussi brusquement qu’il était passé au pluriel.
quod est principium numeri, consiste la notion de grand et
et unum quod convertitur de petit. C’est pourquoi,
cum ente, videbatur sibi quod comme il pensait que l’un était
hoc modo multiplicarentur la substance de l’être existant,
diversae species separatae ex car il ne distinguait pas entre
una quae est communis l’un qui est principe du nombre
substantia, sicut ex unitate et l’un qui est convertible avec
diversae species numerorum l’être, il lui semblait que les
multiplicantur. diverses espèces séparées se
multipliaient à partir de l’une
d’elles qui est la substance
commune, de la même façon
que les diverses espèces de
nombres se multiplient à partir
de l’unité.
[81726] Sententia Ensuite, lorsqu’il dit : Ainsi, en
Metaphysicae, lib. 1 l. 10 n. avançant que, etc., il compare
10 Deinde cum dicit unum l’opinion de Platon à celle de
tamen hic comparat Pythagore. Et premièrement, il
opinionem Platonis montre en quoi il
Pythagorae. Et primo ostendit s’accordaient; deuxièmement,
in quo conveniebant. en quoi ils différaient, où il
Secundo in quo differebant, dit : mais faire une dualité, etc.
ibi, pro infinito. Or, ils étaient d’accord sur
Conveniebant autem in deux affirmations. La première
duabus positionibus. Quarum est que l’un est la substance
prima est quod unum sit des choses. Les Platoniciens
substantia rerum. Dicebant disaient en effet, tout comme
enim Platonici, sicut etiam Pythagore, que l’un ne
Pythagorici, quod hoc quod s’affirme d’aucun autre être
dico unum non probatur de comme l’accident s’attribue au
aliquo alio ente, sicut sujet, mais qu’il désigne la
accidens de subiecto, sed hoc substance de la chose. Ils
signat substantiam rei. Et hoc pensaient ainsi parce que,
ideo, quia, ut dictum est, non comme on l’a dit, ils ne
distinguebant inter unum distinguaient pas entre l’un qui
quod convertitur cum ente, et est convertible avec l’être et
unum quod est principium l’un qui est principe du
numeri. nombre.
[81727] Sententia La deuxième affirmation
Metaphysicae, lib. 1 l. 10 n. s’ensuit de la première. Les
11 Secunda positio sequitur Platoniciens (tout comme les
ex prima. Dicebant enim Pythagoriciens) disaient en
Platonici (similiter ut effet que les nombres étaient
Pythagorici) numeros esse les substances de tous les êtres,
causas substantiae omnibus pour la raison que le nombre
entibus. Et hoc ideo quia n’est rien d’autre qu’une
numerus nihil aliud est quam collection d’unités. Alors, si
unitates collectae. Unde si l’unité est substance, le nombre
unitas est substantia, oportet l’est forcément aussi.
quod etiam numerus.
[81728] Sententia Ensuite, lorsqu’il dit : mais
Metaphysicae, lib. 1 l. 10 n. faire une dualité, etc., il montre
12 Deinde cum dicit pro en quoi ils différaient. À ce
infinito hic ostendit in quo sujet, il fait deux choses : en
differebant. Et circa hoc duo premier, il montre la différence
facit. Primo enim ponit entre eux; en deuxième, il
differentiam inter eos. montre la cause de cette
Secundo differentiae causam, différence, où il dit : Cette
ibi, unum igitur et numeros et existence que Platon, etc. Or,
cetera. Est autem ista cette différence porte sur deux
differentia in duobus. Primo points. Le premier est que les
quantum ad hoc Pythagorici Pythagoriciens affirmaient,
ponebant (ut dictum est) duo comme on l’a dit, deux
principia, ex quibus principes constitutifs des
constituebantur, scilicet choses, soit le fini et l’infini,
finitum et infinitum: quorum dont l’un, l’infini, se trouve du
unum, scilicet infinitum, se côté de la matière. Mais Platon,
habet ex parte materiae. Plato au lieu de cet unique principe
vero loco huius unius quod affirmé par Pythagore qu’est
Pythagoras posuit, scilicet l’infini, a supposé une dualité
infiniti, fecit dualitatem, en donnant comme principes,
ponens ex parte materiae du côté de la matière, le grand
magnum et parvum. Et sic et le petit. Et ainsi, Platon a
infinitum quod Pythagoras affirmé que l’infini, que
posuit unum principium, Pythagore donnait comme
Plato posuit consistere ex principe unique, consistait dans
magno et parvo. Et hoc est le grand et le petit. Et cela est
proprium opinionis suae in propre à son opinion, à la
comparatione ad différence de Pythagore.
Pythagoram.
[81729] Sententia La deuxième différence est que
Metaphysicae, lib. 1 l. 10 n. Platon a affirmé que les
13 Secunda differentia est, nombres existaient hors des
quia Plato posuit numeros sensibles, et ce, de deux
praeter sensibilia, et hoc façons. Il disait en effet que les
dupliciter. Ipsas enim espèces sont des nombres,
species, numeros esse comme on l’a déjà vu. Et aussi,
dicebat, sicut supra habitum entre les espèces et les
est. Et iterum inter species et sensibles, il a affirmé qu’il y a
sensibilia posuit mathematica les êtres mathématiques
(ut supra dictum est) quae (comme on l’a dit plus haut),
secundum suam substantiam qu’il disait être des nombres
numeros esse dicebat. Sed par leur substance. Mais les
Pythagorici dicunt ipsas res Pythagoriciens disent que les
sensibiles esse numeros, et choses sensibles elles-mêmes
non ponunt mathematica sont des nombres, et ils
media inter species et n’admettent pas d’êtres
sensibilia, nec iterum ponunt mathématiques intermédiaires
species separatas. entre les espèces et les choses
sensibles, et ils n’affirment pas
non plus l’existence d’espèces
séparées.
[81730] Sententia Puis lorsqu’il dit : Cette
Metaphysicae, lib. 1 l. 10 n. existence que Platon, etc., il
14 Deinde cum dicit unum montre la cause de cette
igitur hic ostendit causam différence, en commençant par
differentiae. Et primo la cause de la deuxième
secundae. Secundo causas différence. En deuxième, il
differentiae primae, ibi, montre les causes de la
dualitatem autem fere et première différence, où il dit :
cetera. Dicit ergo quod et il fut conduit, etc. Il dit donc
ponere unum et numeros que les Platoniciens en sont
praeter res sensibiles, et non venus à affirmer l’existence de
in ipsis sensibilibus, sicut l’un et des nombres hors des
Pythagorici fecerunt, et choses sensibles, et non dans
iterum introducere species ces choses comme les
separatas, evenit Platonicis Pythagoriciens, et de supposer
propter scrutationem, quae en plus des espèces séparées,
est in rationibus, idest par suite de leurs études
propter hoc quod perscrutati logiques, c'est-à-dire portant
sunt de definitionibus rerum, sur les définitions des choses,
quas credebant non posse définitions qu’ils croyaient ne
attribui rebus sensibilibus, ut pas pouvoir être attribuées aux
dictum est. Et hac necessitate choses sensibles, comme on l’a
fuerunt coacti ponere dit. Et cela les a
quasdam res quibus nécessairement forcés à
definitiones attribuuntur. Sed affirmer l’existence d’êtres
Pythagorici qui fuerunt auxquels les définitions sont
priores Platone, non attribuées. Mais les
participaverunt dialecticam, Pythagoriciens, qui sont venus
ad quam pertinet considerare avant Platon, n’ont pas
definitiones et universalia pratiqué la dialectique, à
huiusmodi, quarum laquelle il appartient d’étudier
consideratio induxit ad les définitions et les
introductionem idearum. universaux14 du genre, dont
l’étude a abouti à l’introduction
des idées.
[81731] Sententia Puis lorsqu’il dit : et il fut
Metaphysicae, lib. 1 l. 10 n. conduit, etc., il montre la cause
15 Deinde cum dicit de l’autre différence, celle qui
dualitatem autem hic ostendit est du côté de la matière. Et en
causam alterius differentiae, premier, il énonce la cause de
quae scilicet ex parte cette différence; en deuxième,
materiae est. Et primo ponit il montre que Platon n’a pas été
causam huiusmodi inspiré raisonnablement, où il
differentiae. Secundo dit : Cependant, les choses, etc.
14 Traduit ici par “universaux” à la différence de tout ce qui précède, parce que cela touche de près
les cinq universaux classiques (genre, espèce, différence spécifique, propre et accident).
ostendit Platonem non Il dit donc que si les
rationabiliter motum esse, Platoniciens ont considéré le 2
ibi, attamen e contrario. Dicit comme un nombre d’une autre
ergo quod ideo Platonici nature que les espèces, car tous
fecerunt dualitatem esse les nombres, sauf les nombres
numerum, qui est alia natura premiers, sont engendrés
a speciebus, quia omnes naturellement par le nombre 2.
numeri naturaliter generantur Les nombres qu’on appelle
ex dualitate praeter numeros premiers sont ceux qui ne se
primos. Dicuntur autem chiffrent par aucun nombre,
numeri primi, quos nullus comme 3, 5, 7, 11 et ainsi de
numerat, sicut ternarius, suite. En effet, seule l’unité
quinarius, septenarius, permet de les constituer de
undenarius, et sic de aliis. Hi façon immédiate. Quant aux
enim a sola unitate nombres qui peuvent être
constituuntur immediate. chiffrés à partir d’un nombre,
Numeri vero, quos aliquis ils ne sont pas appelés
alius numerus numerat, non premiers, mais composés,
dicuntur primi, sed comme 4, qui se chiffre à partir
compositi, sicut quaternarius, de 2; de façon universelle, tout
quem numerat dualitas; et nombre pair peut se chiffrer
universaliter omnis numerus par 2. C’est pourquoi ils
par a dualitate numeratur. attribuent les nombres pairs à
Unde numeri pares materiae la matière, puisqu’on leur
attribuuntur, cum eis attribue l’infini, qui est la
attribuatur infinitum, quod matière, comme on l’a dit plus
est materia, ut supra dictum haut. La raison pour laquelle il
est. Hac ratione posuit a pris le nombre 2 est que tous
dualitatem, ex qua sicut les autres nombres pairs sont
aliquo echimagio, idest ex engendrés à partir de lui
aliquo exemplari omnes alii comme d’une « eximage15 »,
numeri pares generantur. c'est-à-dire d’un modèle.
[81732] Sententia Ensuite, lorsqu’il dit :
Metaphysicae, lib. 1 l. 10 n. Cependant, les choses, etc., il
16 Deinde cum dicit attamen montre que l’affirmation de
e contrario hic ostendit Platon est déraisonnable. Il le
Platonem irrationabiliter fait en deux parties : en
posuisse. Et circa hoc duo premier, il le montre par une
facit. Primo enim ex ratione raison physique; en deuxième,
naturali ostendit hoc. il présente une raison physique
Secundo etiam ponit que Platon invoquait en faveur
rationem naturalem, quae de son opinion, où il dit : mais
Platonem movebat ad suam au vrai, d’une seule matière,
opinionem, ibi, videtur autem etc. Il dit donc que, alors que
ex una materia. Dicit ergo Platon mettait la dualité du
15 “Echimagio”: dans tout Google, ce mot ne se trouve nulle part ailleurs qu’au présent passage. Il
semble combiner le préfixe grec “ech” (modification de “ex”, “hors de”) et le mot latin “imago”,
image. Il est difficile d’expliquer la finale de ce mot, qui semblerait être au nominatif echimagium. Par
ailleurs, si ce mot évoque l’idée d’“image sortie de”, on s’attendrait à ce qu’il soit appliqué aux
nombres pairs en général plutôt qu’au nombre 2.
quod quamvis Plato poneret côté de la matière, c’est
dualitatem ex parte materiae, pourtant l’inverse qui est vrai,
tamen e converso contingit, comme l’attestent les opinions
sicut attestantur opiniones de tous les autres philosophes
omnium aliorum de la nature, qui ont mis la
philosophorum naturalium, divergence du côté de la forme
qui posuerunt contrarietatem et l’unité du côté de la matière,
ex parte formae, et unitatem comme il est montré au livre I
ex parte materiae, sicut patet des Physiques. Ils supposaient
primo physicorum. Ponebant en effet comme matière des
enim rerum materiam aerem, choses l’air, l’eau ou autre
vel aquam, aliquid chose du genre; à partir de là,
huiusmodi, ex quo ils expliquaient la diversité des
diversitatem rerum choses par le raréfié et le
constituebant per rarum et dense, qu’ils prenaient comme
densum, quae ponebant quasi principes formels. En effet, ce
principia formalia. Non enim que Platon a supposé n’est pas
est rationabile ponere sicut raisonnable, et ce, parce que
Plato posuit. Et hoc ideo quia les philosophes ont vu que
ex materia viderunt beaucoup de choses peuvent se
philosophi multa fieri per faire avec la matière en raison
successionem formarum in des formes qui se succèdent en
ipsa. Illa enim materia, quae elle. En effet, la matière, qui
modo substat uni formae, soutient une seule forme en un
post modum substare poterit moment, peut ensuite en
pluribus, uno corrupto et alio soutenir plusieurs quand un est
generato. Sed una species corrompue et une autre est
sive una forma solum semel engendrée. Mais une espèce ou
generat, idest constituit une forme n’engendre, c'est-à-
aliquid generatum. Cum enim dire constitue une chose
aliquid generatur accipit engendrée, qu’une seule fois.
formam quidem, quae forma En effet, quand une chose est
eadem numero non potest engendrée, elle reçoit une
alteri generato advenire, sed forme, laquelle ne peut pas être
esse desinit generato numériquement la même que
corrupto. In quo manifeste celle d’une autre chose
apparet quod una materia ad engendrée, mais cesse d’exister
multas formas se habet, et lorsque la chose engendrée se
non e converso una forma ad corrompt. On voit donc avec
multas materias se habet. Et évidence qu’une matière est
sic videtur rationabilius capable de plusieurs formes
ponere ex parte materiae mais qu’inversement, une
unitatem, sed dualitatem sive forme n’est pas capable de
contrarietatem ex parte plusieurs matières. Et ainsi, il
formae, sicut posuerunt semble plus raisonnable de
naturales, quam e converso, mettre l’unité du côté de la
sicut posuit Plato. matière, mais la dualité ou
l’opposition du côté de la
forme, comme l’ont fait les
physiciens, que l’inverse,
comme l’a fait Platon.
[81733] Sententia Ensuite, lorsqu’il dit : mais au
Metaphysicae, lib. 1 l. 10 n. vrai, d’une seule matière, etc.,
17 Deinde cum dicit videtur il donne la raison en sens
autem hic ponit rationem e contraire, tirée des sensibles
converso ex his sensibilibus selon l’opinion de Platon.
acceptam secundum Celui-ci voyait en effet que
opinionem Platonis. Videbat toute chose est reçue dans une
enim Plato quod autre selon la mesure de celle
unumquodque recipitur in qui reçoit. Les diverses
aliquo secundum mensuram manières de recevoir
recipientis. Unde diversae semblaient donc provenir des
receptiones videntur mesures diverses des choses
provenire ex diversis qui reçoivent. Mais une
mensuris recipientium. Una matière est une mesure de
autem materia est una réception. Il a vu également
mensura recipiendi. Vidit que l’agent, qui produit
etiam quod agens, qui inducit l’espèce, fait beaucoup de
speciem, facit multas res choses ayant une seule espèce,
speciem habentes, cum sit puisqu’il est un, et cela, à cause
unus, et hoc propter de la diversité qu’on trouve
diversitatem quae est in dans les matières. On en voit
materiis. Et huius exemplum un exemple dans le mâle et la
apparet in masculo et femina. femelle. En effet, le mâle se
Nam masculus se habet ad comporte envers la femelle
feminam sicut agens et comme un agent qui applique
imprimens speciem ad l’espèce à une matière; quant à
materiam. Femina autem la femelle, elle est fécondée par
impraegnatur ab una actione une seule action du mâle. Mais
viri. Sed masculus unus un seul mâle peut féconder
potest impraegnare multas plusieurs femelles. C’est pour
feminas. Et inde est quod cela qu’il a mis l’unité du côté
posuit unitatem ex parte de l’espèce et la dualité du côté
speciei, et dualitatem ex parte de la matière.
materiae.
[81734] Sententia Il faut remarquer que cette
Metaphysicae, lib. 1 l. 10 n. divergence entre Platon et les
18 Est autem attendendum physiciens vient de ce qu’ils
quod haec diversitas inter étudient les choses sous un
Platonem et naturales accidit aspect différent. En effet, les
propter diversam de rebus physiciens considèrent
considerationem. Naturales seulement ce qui est sensible,
enim considerant tantum en tant qu’il est sujet à des
quae sunt sensibilia, prout transformations dans lesquelles
sunt subiecta transmutationi, un sujet reçoit successivement
in qua unum subiectum des contraires. C’est pourquoi
successive accipit contraria. ils ont mis l’unité du côté de la
Et ideo posuerunt unitatem matière et l’opposition du côté
ex parte materiae, et de la forme. Platon, lui, est
contrarietatem ex parte parti de l’étude des universels
formae. Sed Plato ex pour en arriver à établir les
consideratione universalium principes des choses sensibles;
deveniebat ad ponendum et alors, puisque la division de
principia sensibilium rerum. la matière provient de la
Unde, cum diversitatis diversité des nombreux
multorum singularium sub singuliers rangés sous une
uno universali causa sit seule cause universelle, il a mis
divisio materiae, posuit la diversité du côté de la
diversitatem ex parte matière et l’unité du côté de la
materiae, et unitatem ex parte forme. « Et tels sont les
formae. Et tales sunt changements des principes »
mutationes illorum que Platon a supposés, c'est-à-
principiorum, quae posuit dire des participations, ou pour
Plato, idest participationes, ainsi dire des influences dans
vel ut ita dicam influentias in les choses causées; c’est ainsi
causata: sic enim nomen que Pythagore les appelle des
immutationis Pythagoras modifications. Ou encore, il
accipit. Vel immutationes parle de modifications au sens
dicit inquantum Plato mutavit où Platon a changé l’opinion
opinionem de principiis, que les premiers physiciens
quam primi naturales avaient sur les principes,
habuerunt, ut ex praedictis comme on l’a vu par ce qui
patet. Et sic patet ex précède. Ainsi, il est évident
praedictis, quod Plato de d’après ce qui précède que
causis quaesitis a nobis ita Platon a ainsi défini les causes
definivit. qui font l’objet de notre
recherche.
[81735] Sententia Puis lorsqu’il dit : il est clair,
Metaphysicae, lib. 1 l. 10 n. d’après, etc. il montre à quel
19 Deinde cum dicit palam genre de cause se ramènent les
autem hic ostendit ad quod principes affirmés par Platon.
genus causae principia a Il dit donc qu’il est clair,
Platone posita reducantur. d’après ce que nous avons dit,
Dicit ergo, ex dictis palam que Platon ne met en usage que
esse quod Plato usus est deux genres de causes : la
solum duobus generibus cause de l’essence, ou cause de
causarum. Causa enim ipsa, ce qu’est la chose, c'est-à-dire
idest causa, quae est causa ei, sa quiddité, et c’est la cause
quod quid est, idest formelle par laquelle la
quidditatis rei, scilicet causa quiddité de la chose est
formalis, per quam rei constituée; et Platon fait aussi
quidditas constituitur: et appel à la matière. Cela est
etiam usus est ipsa materia. évident du fait que les espèces
Quod ex hoc patet, quia qu’il a supposées sont causes
species quas posuit sunt aliis, du ce-que-c’est, c'est-à-dire
idest sensibilibus causae eius causes formelles, des choses
quod quid est, idest causae (sensibles); par ailleurs, la
formales: ipsis vero cause formelle des espèces est
speciebus causa formalis est ce qu’on appelle l’unité, cause
hoc quod dico unum, et illa qui semble être la substance
videtur substantia de qua sunt d’où viennent les espèces. De
species: sicut ens unum ponit même qu’il affirme que l’être
causam formalem specierum: unique est la cause formelle
ita magnum et parvum ponit des espèces, de même il prend
earum causam quasi le grand et le petit comme leur
materialem, ut supra dictum cause matérielle, comme on l’a
est. Et hae quidem causae, dit plus haut. Et ces causes,
scilicet formalis et materialis, formelle et matérielle, ne
non solum sunt respectu s’exercent pas seulement sur
specierum, sed etiam les espèces, mais aussi sur les
respectu sensibilium, quia sensibles, car il dit que l’un est
unum dicitur in speciebus: cause des espèces; autrement
idest id quod hoc modo se dit, ce qui a avec les sensibles
habet ad sensibilia, sicut le même rapport que l’un avec
unum ad speciem, est ipsa l’espèce, c’est l’espèce elle-
species, quia ea dualitas quae même, car la dualité qui
respondet sensibilibus pro s’applique aux sensibles sous
materia est magnum et l’aspect de la matière, c’est le
parvum. grand et le petit.
[81736] Sententia De plus, Platon a déterminé la
Metaphysicae, lib. 1 l. 10 n. cause de ce qui est bon et
20 Ulterius Plato assignavit mauvais dans les choses et
causam eius quod est bonum dans chacun des éléments qu’il
et malum in rebus, et singulis a supposés. En effet, il a
elementis ab eo positis. Nam attribué la cause du bien à
causam boni ascribebat l’espèce et la cause du mal à la
speciei, causam vero mali matière. Mais pourtant,
materiae. Sed tamen causam certains des premiers
boni et mali conati sunt philosophes, à savoir
investigare quidam primorum Anaxagore et Empédocle, se
philosophorum, scilicet sont efforcés de rechercher la
Anaxagoras et Empedocles, cause du bien et du mal, et
qui ad hoc specialiter aliquas pour ce faire, ils ont
causas in rebus constituerunt, spécialement affirmé
ut ab eis possent assignare l’existence dans les choses de
principia boni et mali. In hoc certaines causes pour pouvoir
autem quod boni causas et leur attribuer les principes du
mali tetigerunt, aliquo modo bien et du mal. Alors, par le
accedebant ad ponendum fait qu’ils ont abordé les causes
causam finalem, licet non per du bien et du mal, ils ont réussi
se, sed per accidens eam d’une certaine façon à affirmer
ponerent, ut infra dicetur. l’existence de la cause finale,
bien qu’ils ne l’aient pas
affirmée comme telle mais par
accident, comme on le dira
plus loin.
16 Empédocle.
contrariis, immo contraria in à des contraires; il a plutôt mis
diversis subiectis posuit, sicut les contraires dans des sujets
calidum in igne, et frigidum divers, comme la chaleur dans
in aqua. Nec iterum posuit le feu et le froid dans l’eau, et
istis duobus unam naturam ce, sans donner aux deux une
subiectam; ergo nullo modo seule nature comme sujet; il ne
potuit alterationem ponere. Et pouvait donc admettre en
hoc est inconveniens quod aucune façon l’existence
alteratio totaliter auferatur. d’altérations. Et il est
inadmissible que les altérations
soient totalement niées.
[81760] Sententia Ensuite, lorsqu’il dit : Pour
Metaphysicae, lib. 1 l. 12 n. Anaxagore, si on pense, etc., il
14 Deinde cum dicit discute l’opinion d’Anaxagore.
Anaxagoram vero hic Il le fait en deux parties. En
prosequitur de opinione premier, il montre en général
Anaxagorae: et circa hoc duo en quoi l’opinion d’Anaxagore
facit. Primo ostendit qualiter doit être reconnue vraie et
opinio Anaxagorae est comment elle doit être déclarée
suscipienda quasi vera, et fausse. En deuxième, il donne
quomodo quasi falsa in une explication particulière de
generali. Secundo explicat ces deux points, où il dit : En
utrumque in speciali, ibi, nam effet, s’il est absurde, etc. Il dit
absurdo existente et cetera. donc en premier que si on veut
Dicit ergo primo quod si quis admettre comme vraie
vult suscipere opinionem l’opinion d’Anaxagore quand
Anaxagorae veram de eo il a affirmé deux principes, soit
quod posuit duo principia, la matière et la cause agente, il
scilicet materiam et causam doit l’admettre en raison
agentem, accipiat eam d’arguments auxquels il
secundum rationem quam semble avoir souscrit, comme
videtur ipse secutus, quasi ayant été contraint, par la
quadam necessitate veritatis nécessité de la vérité, à suivre
coactus, ut sequeretur eos, ceux qui expriment cet
qui hanc rationem exprimunt. argument. Mais lui-même ne
Ipse vero non articulavit l’a pas clairement articulé,
eam, idest non expresse c'est-à-dire ne l’a pas distiingué
distinxit. Eius ergo opinio est clairement. Son opinion est
vera quantum ad hoc quod donc vraie quant à ce qu’il n’a
non expressit, falsa quantum pas exprimé et fausse quant à
ad hoc quod expressit. ce qu’il a exprimé.
[81761] Sententia Et il montre cela en particulier
Metaphysicae, lib. 1 l. 12 n. comme suit. Si on admet
15 Et hoc in speciali patet entièrement son opinion
sic. Quia si totaliter d’après l’examen superficiel de
accipiatur eius opinio ses propos, une absurdité
secundum quod in superficie majeure s’ensuit, pour quatre
apparebat ex eius dictis, raisons. Premièrement, parce
apparebit maior absurditas que l’idée même que tout était
propter quatuor rationes. mélangé à l’origine du monde
Primo, quia hoc ipsum quod est absurde, puisque selon la
est, omnia in principio mundi doctrine d’Aristote, la
fuisse permixta, est distinction entre les parties du
absurdum, cum distinctio monde était considérée
partium mundi aestimetur éternelle. La deuxième raison
secundum sententiam est que le rapport de l’être sans
Aristotelis sempiterna. mélange aux êtres mélangés est
Secunda ratio est, quia celui du simple au composé;
impermixtum se habet ad mais c’est le simple qui existe
permixtum sicut simplex ad avant le composé et non
compositum: sed simplicia l’inverse; donc, les êtres non
praeexistunt compositis, et mélangés doivent exister avant
non e converso: ergo les mélanges, contrairement à
impermixta oportet ce que disait Anaxagore. La
praeexistere mixtis, cuius troisième raison est que dans
contrarium Anaxagoras les corps, n’importe quoi n’est
dicebat. Tertia ratio est, quia pas apte à se mélanger à
non quodlibet natum est n’importe quoi, mais les choses
misceri cuilibet in qui sont aptes à se mélanger
corporibus; sed illa sola nata l’une à l’autre sont seulement
sunt adinvicem misceri, quae celles qui peuvent se
nata sunt adinvicem transire transformer l’une dans l’autre
per aliquam alterationem, eo par altération, de sorte que le
quod mixtio est miscibilium mélange est l’union des
alteratorum unio. Anaxagoras ingrédients altérés. Mais
vero ponebat quodlibet esse Anaxagore affirmait que
mixtum cuilibet. Quarta ratio n’importe quoi se mélange à
est, quia eorumdem est n’importe quoi. La quatrième
permixtio et separatio: non raison est que ce sont les
enim dicuntur misceri nisi mêmes choses qui se
illa quae apta nata sunt mélangent et se séparent; en
separata existere: sed effet, on ne dit pas que des
passiones et accidentia sunt choses sont mélangées, à
permixta substantiis, ut moins qu’elles ne soient
Anaxagoras dicebat: ergo capables d’exister séparément;
sequeretur quod passiones et mais les affections et les
accidentia possent a accidents sont intimement
substantiis separari, quod est mélangés aux substances, disait
manifeste falsum. Istae igitur Anaxagore. Il s’ensuivrait que
absurditates apparent, si les affections et les accidents
consideretur opinio pourraient être séparées des
Anaxagorae superficialiter. substances, ce qui est
évidemment faux. Ces
absurdités sont donc visibles, si
on considère superficiellement
l’opinion d’Anaxagore.
[81762] Sententia Pourtant, si on approfondit,
Metaphysicae, lib. 1 l. 12 n. c'est-à-dire si on développe de
16 Tamen si quis exequatur façon distincte et manifeste ce
articulariter, idest distincte et qu’Anaxagore veut dire, c'est-
manifeste perquirat quod à-dire ce que son intelligence
Anaxagoras vult dicere, idest cherchait à atteindre, même s’il
ad quod eius intellectus ne savait pas comment
tendebat, licet exprimere l’exprimer, on trouvera que ses
nesciret, apparebit eius propos sont plus étonnants et
dictum mirabilius et subtilius plus subtils que ceux des
praecedentium philosophes précédents dont on
philosophorum dictis. Et hoc a parlé, et ce, pour deux
propter duo. Primo, quia raisons. Premièrement, parce
magis accessit ad veram qu’il atteint une connaissance
materiae cognitionem. Quod plus vraie de la matière. Cela
ex hoc patet, quia in illa est évident parce que, dans ce
permixtione rerum quando mélange des êtres
nihil erat ab alio discretum, lorsqu’aucune chose ne pouvait
sed omnia erant permixta, de être distinguée d’une autre
illa substantia sic permixta, mais que tout était confondu,
quam ponebat rerum mélange qu’il disait être la
materiam, nihil vere poterat matière des choses, rien de vrai
de ea praedicari, ut patet de ne pouvait en être affirmé,
coloribus; non enim poterat comme on le voit pour les
de ea praedicari aliquis couleurs; on ne pouvait en effet
specialis color, ut diceretur lui attribuer aucune couleur
esse alba, vel nigra, vel déterminée en disant que le
secundum aliquem alium mélange est blanc, noir ou
colorem colorata; quia d’une autre couleur, car il
secundum hoc oporteret faudrait ainsi que cette couleur
illum colorem non esse aliis ne soit pas totalement
permixtum. Et similiter color mélangée aux autres.
in genere non poterat de ea Pareillement, on ne pouvait
praedicari, ut diceretur esse même pas lui attribuer le genre
colorata; quia de quocumque de la couleur en disant qu’il est
praedicatur genus, necesse coloré, car si on attribue le
est aliquam eius speciem genre à quoi que ce soit, il faut
praedicari, sive sit nécessairement lui en attribuer
praedicatio univoca sive l’une des espèces, que
denominativa. Unde si illa l’attribution soit univoque ou
substantia esset colorata, de dénominative17. En
necessitate haberet aliquem conséquence, si cette substance
determinatum colorem, quod était colorée, elle aurait
est contra praedicta. Et nécessairement une couleur
similis ratio est de humoribus déterminée, contrairement à ce
idest saporibus, et de que nous avons dit. Le même
omnibus aliis huiusmodi. raisonnement s’applique aux
Unde nec ipsa genera prima « humeurs », c'est-à-dire aux
poterant de ipso praedicari, ut saveurs, et à toutes les choses
essentielle. Elle est expliquée entre autres dans le commentaire de saint Bonaventure sur le livre des
Sentences de Pierre Lombard. Au l. 3, d. 6, a. 1, q. 3, ad 4, il énumère quatre modes d’attribution
dénominative. Trouvé à http://www.franciscan-archive.org/bonaventura/opera/bon01576.html, au
troisième paragraphe de la scholie (site latin-anglais).
scilicet esse qualis vel quanta du genre. Il s’ensuit que les
vel aliquid huiusmodi. Si premiers genres (qualité,
enim genera praedicarentur, quantité et ainsi de suite) ne
oportet quod aliqua pouvaient pas non plus leur
specierum particularium être attribués. En effet, si les
inesset ei; quod est genres étaient attribués, il
impossibile, si ponantur faudrait que l’une des espèces
omnia esse permixta; quia particulières soit un attribut du
iam ista species, quae de illa mélange, ce qui est impossible
substantia diceretur, esset ab si on affirme que tout est
aliis distincta. Et haec est absolument mélangé, car cette
vera natura materiae, ut espèce attribuée à la substance
scilicet non habeat actu serait déjà distincte des autres.
aliquam formam, sed sit in Et telle est la vraie nature de la
potentia ad omnes; quia et matière : elle n’a aucune forme
ipsum mixtum non habet actu en acte, mais elle est en
aliquid eorum quae in eius puissance à toutes; car ce
mixtionem conveniunt, sed mélange aussi ne possède en
potentia tantum. Et propter acte aucun des éléments qui
hanc similitudinem materiae sont venus se mélanger18, mais
primae ad mixtum, videtur il les possède en puissance
posuisse mixtionem seulement. Et à cause de cette
praedictam, licet aliqua ressemblance entre la matière
differentia sit inter potentiam première et le mélange, il
materiae et potentiam mixti. semble avoir admis cette
Nam miscibilia, etsi sint in opération de mélange, même
potentia in mixto, tamen non s’il existe une différence entre
sunt in eo in potentia pure la puissance de la matière et
passiva. Manent enim virtute celle du mélange. En effet, les
in mixto. Quod ex hoc potest ingrédients, même s’ils sont en
patere, quia mixtum habet puissance dans le mélange, n’y
motum et operationes ex sont pas purement en puissance
virtute corporum passive; leur vertu demeure
miscibilium; quod non potest dans le mélange. On peut voir
dici de his, quae sunt in par là que le mélange possède
potentia in materia prima. Est le mouvement et les opérations
et alia differentia: quia de par la vertu de ses
mixtum etsi non sit actu ingrédients; on ne peut pas en
aliquod miscibilium, est dire autant de ce qui est en
tamen aliquid actu: quod de puissance dans la matière
materia prima dici non première. Mais Anaxagore
potest. Sed hanc differentiam semble abolir cette différence
videtur removere Anaxagoras du fait qu’il n’a pas parlé du
ex hoc, quod non posuit mélange spécifique de
particularem aliquam certaines choses, mais d’un
mixtionem, sed universalem mélange total de l’univers
omnium. entier.
18Dans la traduction, il est difficile de faire sentir la distinction entre mixtum, le résultat du
mélange, et mixtio, l’acte de mélanger.
[81763] Sententia Deuxièmement, il a parlé de
Metaphysicae, lib. 1 l. 12 n. façon plus avisée que les
17 Secundo, subtilius caeteris autres, parce qu’il s’est
dixit, quia magis accessit ad rapproché davantage de la
verum cognitionem primi connaissance du premier
principii agentis. Dixit enim principe agent. Il a dit en effet
omnia esse permixta praeter que tout est absolument mêlé,
intellectum; et hunc dixit sauf l’intelligence, et qu’elle
solum esse impermixtum et seule est pure et sans mélange.
purum.
[81764] Sententia On voit à partir de là qu’il a
Metaphysicae, lib. 1 l. 12 n. affirmé l’existence de deux
18 Ex quibus patet, quod ipse principes; il a dit que l’un
posuit duo esse principia, et d’eux est l’intelligence, en tant
ipsum intellectum posuit esse qu’elle est simple et sans
unum, secundum quod ipse mélange, et que l’autre est la
est simplex et impermixtus; matière première, qui, selon
et alterum principium posuit nous, est indéterminée avant
materiam primam, quam d’être déterminée et de
ponimus sicut participer d’une espèce. En
indeterminatam, antequam effet, la matière, pouvant
determinetur, et antequam recevoir une infinité de formes,
aliquam speciem participet. est déterminée par la forme,
Materia enim, cum sit par laquelle elle appartient à
infinitarum formarum, une espèce.
determinatur per formam, et
per eam consequitur aliquam
speciem.
[81765] Sententia Il est donc évident
Metaphysicae, lib. 1 l. 12 n. qu’Anaxagore, de la façon dont
19 Patet igitur quod il s’est exprimé, n’a pas parlé
Anaxagoras secundum illa de façon juste ni complète.
quae exprimit, nec dixit recte, Pourtant, dans ce qu’il a dit
nec plene. Tamen videbatur directement, il a semblé
directe dicere aliquid s’approcher davantage des
propinquius opinionibus opinions de ses successeurs,
posteriorum, quae sunt qui sont plus vraies, à savoir
veriores, scilicet opinioni celles de Platon et d’Aristote,
Platonis et Aristotelis qui qui ont eu une idée juste de la
recte de materia prima matière première; à l’époque,
senserunt, quae quidem ces opinions étaient plus
opiniones tunc erant magis évidentes.
apparentes.
[81766] Sententia En dernier, Aristote se
Metaphysicae, lib. 1 l. 12 n. dispense d’étudier plus à fond
20 Ultimo excusat se leurs opinions, car les propos
Aristoteles a perscrutatione des philosophes précédents
diligentiori harum sont à proprement parler ceux
opinionum, quia sermones des physiciens, à qui il
dictorum philosophorum sunt appartient de traiter de la
proprii sermonibus génération et de la corruption.
naturalibus, ad quos pertinet Ceux-ci, en effet, ont parlé à
tractare de generatione et peu près uniquement des
corruptione. Ipsi enim fere principes et des causes de ce
posuerunt principia et causas genre de substance, matérielle
talis substantiae, scilicet et corruptible. Il dit à peu près,
materialis et corruptibilis. parce qu’ils ne traitaient pas
Dicit autem fere, quia de aliis des autres substances, bien que
substantiis non tractabant, certains principes qu’ils
quamvis quaedam principia affirmaient puissent s’étendre
ab eis posita possent ad alia aussi à d’autres réalités,
etiam extendere, ut patet de comme on le voit surtout pour
intellectu maxime. Quia l’intelligence. Alors, comme ils
igitur non posuerunt principia n’ont pas proposé de principes
communia omnibus communs à toutes les
substantiis, quod pertinet ad substances, ce qui appartient à
istam scientiam, sed principia la présente science, mais
solum substantiarum seulement les principes des
corruptibilium, quod pertinet sciences corruptibles, ce qui
ad scientiam naturalem; ideo relève de la science de la
diligens inquisitio de nature, une étude attentive de
praedictis opinionibus magis ces opinions appartient
pertinet ad scientiam davantage à la science de la
naturalem quam ad istam. nature qu’à la présente science.
19 Ce serait une erreur de traduire par « astrologie ». Dans tous les commentaires sur Aristote
(Physiques, Du Ciel, Météorologiques), le mot astrologia n’a absolument rien à voir avec la « science »
occulte qu’on appelle aujourd'hui astrologie.
20 Les “luminaires” sont le soleil et la lune. Ce terme est emprunté au récit de la création dans la
21 Dans les longues discussions du livre des Physiques sur l’infini (surtout la deuxième moitié du
livre III), infinitum recouvre souvent indifféremment les concepts français d’infini et d’indéfini.
L’indéfini correspond généralement à ce qu’Aristote appellerait le “potentiellement infini”.
Platonem quantum ad le fait en deux points : en
rationem suae positionis. Et premier, il aborde en général
circa hoc duo facit. Primo les défauts des raisonnements
tangit modos in generali, de Platon; en deuxième, il les
quibus rationes Platonis explique en particulier, où il
deficiebant. Secundo exponit dit : Ainsi d’après les
illos in speciali, ibi, quia considérations, etc. Il dit donc
secundum rationes en premier qu’il ne semble
scientiarum. Dicit ergo exister des espèces selon aucun
primo, quod secundum des modes selon lesquels nous,
nullum illorum modorum les Platoniciens, montrons
videntur species esse, qu’elles existent. La raison en
secundum quos nos Platonici est que de certains de ces
ostendimus species esse. Et modes, on ne peut pas tirer de
hoc ideo quia ex quibusdam façon nécessaire un syllogisme,
illorum modorum non c'est-à-dire certains arguments
necessarium est fieri de Platon, car ils ne peuvent
syllogismum, idest quasdam pas démontrer nécessairement
rationes Platonis, quia scilicet par syllogisme22 l’existence
non de necessitate possunt des espèces; on peut faire des
syllogizare species esse: ex syllogismes pour certaines
quibusdam vero modis fit manières, mais pas pour ce que
syllogismus, sed non ad Platon veut démontrer.
propositum Platonis: quia per Certains arguments de Platon
quasdam suas rationes permettent en effet de montrer
ostenditur, quod species qu’il existe des espèces
separatae sunt quarumdam séparées de certaines choses
rerum, quarum esse species qui, selon les Platoniciens,
Platonici non putaverunt n’admettaient pas d’espèces
similiter, sicut et illarum comme les choses pour
quarum putaverunt, esse lesquelles ils croyaient à
species. l’existence d’espèces.
[81777] Sententia Ensuite, lorsqu’il dit : Ainsi,
Metaphysicae, lib. 1 l. 14 n. 4 d’après les considérations,
Deinde cum dicit quia etc., il traite de ces défauts en
secundum hic prosequitur particulier. Et en premier, il
istos modos in speciali. Et traite du deuxième, en
primo prosequitur secundum, montrant qu’il s’ensuit du
ostendendo quod sequitur per raisonnement de Platon que
rationem Platonis species certaines choses auxquelles il
esse aliquorum, quorum n’attribuait pas d’espèces en
species non ponebat. ont en réalité. En deuxième, il
Secundo prosequitur primum, traite du premier défaut, en
ostendens quod rationes montrant que les raisons de
Platonis non sunt sufficientes Platon ne sont pas suffisantes
ad ostendendum esse ideas, pour montrer l’existence des
ibi, omnium autem dubitabit idées, où il dit : La plus grande
aliquis et cetera. Circa difficulté, etc. (leçon XV).
23 Cet argument d’Aristote est expliqué comme suit : « si l'Idée était une substance, elle serait un
individu. Donc, elle s'ajouterait à l'homme individu sensible, et tous deux participeraient alors d'une
troisième Idée d'homme, et ainsi de suite à l'infini. ». Explication trouvée à
http://www.wikiberal.org/wiki/Aristote, site visité le 29 déc. 2010.
tertius homo. Quod quidem façons. La première est que
tripliciter potest intelligi. Uno l’homme idéal viendrait en
modo quod intelligatur, quod troisième après deux hommes
homo idealis sit tertius a sensibles qui reçoivent
duobus hominibus l’attribut commun d’homme.
sensibilibus, qui communis Mais cela ne semble pas être
hominis praedicationem l’intention d’Aristote, même
suscipiunt. Sed haec non s’il n’en fait pas mention au
videtur eius esse intentio, livre II des Réfutations
licet non tangatur secundo sophistiques; c’est en effet
elenchorum: haec enim est l’affirmation contre laquelle il
positio contra quam disputat: argumente, et il ne nous y
unde ad hoc non duceret amènerait pas comme à une
quasi ad inconveniens. conclusion absurde.
[81781] Sententia D’une autre façon, on peut
Metaphysicae, lib. 1 l. 14 n. 8 comprendre le troisième
Alio modo potest intelligi, ut homme comme ce qui est
dicatur tertius homo, scilicet commun à l’homme idéal et à
qui sit communis et homini l’homme sensible. En effet,
ideali et homini sensibili. puisque l’homme sensible et
Cum enim homo sensibilis et l’homme idéal ont une notion
homo idealis conveniant in commune, aussi bien que deux
ratione, sicut duo homines hommes sensibles, et de même
sensibiles, et sicut homo que l’homme idéal est mis en
idealis ponitur tertius praeter troisième en plus de deux
duos homines sensibiles, ita hommes sensibles, de même il
alius homo debet poni tertius faut supposer un autre homme
praeter hominem idealem et en troisième en plus de
hominem sensibilem. Et hoc l’homme idéal et de l’homme
etiam non videtur hic esse sensible. Et cela non plus ne
eius intentio, quia ad hoc semble pas être l’intention
inconveniens statim alia d’Aristote ici, car il nous
ratione ducet: unde esset amène immédiatement à cette
superfluum hic ad idem absurdité par une autre raison;
inconveniens ducere. il serait donc superflu ici de
conduire à cette même
absurdité.
[81782] Sententia La troisième façon de
Metaphysicae, lib. 1 l. 14 n. 9 comprendre cette expression
Tertio modo potest intelligi, est que Platon mettait trois
quia Plato ponebat in choses dans certains genres :
quibusdam generibus tria, des sensibles, des êtres
quaedam scilicet sensibilia, mathématiques et une espèce;
mathematica et species, sicut c’était le cas pour les nombres,
in numeris et lineis et les lignes et toutes les choses
omnibus huiusmodi. Non est du genre. Mais il n’y a pas plus
autem maior ratio quare in de raisons de supposer des
quibusdam rebus ponantur intermédiaires dans certaines
media quam in aliis; ergo choses que dans d’autres; dans
oportebat etiam in specie l’espèce de l’homme aussi, il
hominis ponere hominem fallait donc supposer un
medium, qui erit tertius inter homme intermédiaire, qui soit
hominem sensibilem et troisième entre l’homme
idealem: et hanc etiam sensible et l’homme idéal; et
rationem in posterioribus Aristote donnera également cet
libris Aristoteles ponit. argument dans les livres
suivants.
[81783] Sententia Ensuite, lorsqu’il dit : Enfin,
Metaphysicae, lib. 1 l. 14 n. les raisonnements, etc., il
10 Deinde cum dicit et énonce la quatrième raison,
omnino hic ponit quartam que voici. Quiconque écarte,
rationem quae talis est. par ses arguments, des
Quicumque per suam principes qui sont plus connus
rationem removet aliqua, pour lui que ce qu’il avance,
quae sunt apud eum magis argumente mal à propos. Mais
nota quam ipsa positio, les raisons que Platon a
inconvenienter ponit. Sed avancées au sujet des espèces
istae rationes, quas Plato séparées abolissent certains
posuit, de speciebus principes que les Platoniciens
separatis, auferunt quaedam qui affirment l’existence des
principia, quae Platonici espèces considèrent comme
dicentes esse species magis des vérités plus importantes
volunt esse vera quam hoc que l’existence des idées;
ipsum quod est, ideas esse: Platon a donc argumenté mal à
ergo Plato inconvenienter propos. Il démontre la mineure
posuit. Minorem autem sic comme suit. Selon Platon, les
manifestat. Ideae secundum idées sont antérieures aux êtres
Platonem sunt priores rebus sensibles et mathématiques;
sensibilibus et mathematicis: mais selon lui, elles sont des
sed ipsae ideae sunt numeri nombres, lesquels sont pairs
secundum eum, et magis davantage qu’impairs, car il
numeri impares quam pares, attribuait le nombre impair à la
quia numerum imparem forme et le nombre pair à la
attribuebat formae, parem matière. Il disait donc que la
autem materiae. Unde et matière est le nombre 2. Il
dualitatem dixit esse s’ensuit donc que les autres
materiam. Sequitur ergo quod nombres sont antérieurs au
alii numeri sunt priores nombre 2, qu’il prenait comme
dualitate, quam ponebat sicut matière des choses sensibles,
materiam sensibilium, en supposant le grand et le
ponens magnum et parvum. petit. Mais les Platoniciens
Cuius contrarium Platonici affirmaient comme principe
maxime asserebant, scilicet suprême le contraire, à savoir
dualitatem esse primam in que le nombre 2 vient en
genere numeri. premier dans le genre des
nombres.
[81784] Sententia De plus, si, comme il a été
Metaphysicae, lib. 1 l. 14 n. prouvé dans un argument
11 Item si, sicut per précédent, il doit y avoir des
superiorem rationem idées des relations, qui sont
probatum est, oportet esse tournées par nature vers
aliquas ideas relationum, quelque chose, et si l’idée est
quae sint secundum se ad antérieure à ce qui y participe,
aliquid, et ipsa idea est prior il s’ensuit que ce qui est relatif
eo quod participat ideam, est antérieur à l’absolu qu’on
sequitur quod hoc ipsum dit exister par soi. En effet, ces
quod est ad aliquid est prius substances sensibles, qui
absoluto quod secundum se participent aux idées, sont
dicitur. Nam huiusmodi affirmées de façon absolue.
substantiae sensibiles, quae Pareillement, tout ce que disent
participant ideas, absolute les tenants de l’opinion des
dicuntur. Et similiter de idées est contraire aux
omnibus est quaecumque illi principes évidents par soi,
qui sequuntur opinionem de qu’eux-mêmes admettaient
ideis dicunt opposita comme suprêmes.
principiis per se notis, quae
etiam ipsi maxime
concedebant.
[81785] Sententia Puis lorsqu’il dit : De plus,
Metaphysicae, lib. 1 l. 14 n. dans l’hypothèse, etc., il donne
12 Deinde cum dicit amplius le cinquième argument, que
autem hic ponit quintam voici. Platon affirmait
rationem, quae talis est. Ideae l’existence des idées pour que
ponebantur a Platone, ut eis les notions ou les définitions
competerent rationes sive affirmées dans les sciences se
definitiones positae in rapportent à elles, de sorte
scientiis, ut etiam de eis qu’elles aussi puissent être
scientiae esse possent. Sed objets de science. Mais
intelligentia una, idest l’intelligence une, c'est-à-dire
simplex et indivisibilis, qua simple et indivisible, par
scitur de unoquoque quid est, laquelle on connaît la nature de
non solum est circa chaque chose ne saisit pas
substantias sed etiam de aliis, seulement les substances, mais
scilicet accidentibus. Et les autres choses aussi, c'est-à-
similiter scientiae non solum dire les accidents.
sunt substantiae, et de Pareillement, les sciences ne
substantia, sed etiam portent pas seulement sur la
inveniuntur scientiae substance et ce qui la concerne,
aliorum, scilicet accidentium: mais il existe des sciences
ergo patet quod ad d’autres choses, c'est-à-dire
aestimationem, secundum des accidents. Il est donc
quam vos Platonici esse évident que selon l’opinion des
dicitis ideas, sequitur quod Platoniciens sur la nature des
species non solum essent idées, il s’ensuit qu’il existe
substantiarum, sed etiam des espèces non seulement des
multorum aliorum, scilicet substances, mais aussi de
accidentium. Et hoc idem beaucoup d’autres choses, à
sequitur non solum propter savoir les accidents. Et la
definitiones et scientias, sed même conclusion est tirée non
etiam accidunt multa alia seulement des définitions et
talia, scilicet plurima, ex des sciences, mais aussi de
quibus oportet ponere ideas beaucoup d’autres difficultés
accidentium secundum (innombrables) de ce genre, en
rationes Platonis. Sicut quia raison desquelles il faut
ponebat ideas principia supposer des idées des
essendi et fieri rerum, et accidents selon les conceptions
multorum huiusmodi, quae de Platon. Par exemple, il
conveniunt accidentibus. affirmait que les idées sont les
principes de l’existence et du
devenir des choses, et disait
bien des choses du genre, qui
s’appliquent aux accidents.
[81786] Sententia Mais d’autre part, selon
Metaphysicae, lib. 1 l. 14 n. l’opinion de Platon sur les
13 Sed ex alia parte idées, et aussi par nécessité, du
secundum quod Plato fait que les idées sont
opinabatur de ideis, et nécessaires aux choses
secundum necessitatem, qua sensibles en autant que celles-
sunt necessariae sensibilibus ci peuvent y participer, il faut
inquantum scilicet sunt nécessairement affirmer qu’il
participabiles a sensibilibus, existe seulement des idées des
est necessarium ponere quod substances. Cela se démontre
ideae sint solum comme suit. Rien ne peut
substantiarum. Quod sic participer à ce qui est par
patet. Ea quae sunt secundum accident, mais toute chose doit
accidens non participantur: participer à l’idée en autant que
sed ideam oportet participari celle-ci n’est pas attribuée au
in unoquoque inquantum non sujet. Cela se démontre comme
dicitur de subiecto. Quod sic suit. Si un sensible participe du
patet. Quia si aliquod double en soi, c'est-à-dire du
sensibile participat per se double séparé (c’est ainsi que
duplo, idest duplo separato Platon appelait tous les êtres
(sic enim appellabat Plato séparés, ou les êtres en soi), il
omnia separata, scilicet per faut qu’il participe à quelque
se entia): oportet quod chose d’éternel, non en soi
participet sempiterno; non cependant, car il s’ensuivrait
quidem per se, quia tunc alors que les doubles sensibles
sequeretur quod dupla seraient éternels, mais par
sensibilia essent sempiterna, accident, en tant que le double
sed per accidens: inquantum en soi qui est participé est
scilicet ipsum per se duplum éternel. Il est donc évident
quod participatur est qu’il n’y a pas de participation
sempiternum. Ex quo patet aux accidents, mais seulement
quod participatio non est aux substances. C’est
eorum quae accidentia sunt, pourquoi, selon l’opinion de
sed solummodo Platon, il n’y avait pas
substantiarum. Unde d’espèce séparée de l’accident,
secundum opinionem mais seulement de la
Platonis non erat aliquod substance; et pourtant, selon
accidens species separata, sed l’argument tiré des sciences, il
solum substantia: et tamen fallait qu’il existe aussi des
secundum rationem sumptam espèces des accidents, comme
ex scientiis oportebat quod on l’a dit.
esset species etiam
accidentium, ut dictum est.
[81787] Sententia Puis lorsqu’il dit : et que dans
Metaphysicae, lib. 1 l. 14 n. le monde sensible, etc., il
14 Deinde cum dicit haec donne le sixième argument,
vero hic ponit sextam que voici. Les choses sensibles
rationem, quae talis est. Istae signifient la substance dans les
res sensibiles substantiam choses visibles et pareillement
significant in rebus quae au-dessus, dans les choses
videntur et similiter illic, ut intelligibles qui signifient la
in rebus intelligibilibus, quae substance, car ils affirmaient
substantiam significant, quia que tant les intelligibles que les
tam intelligibilia quam sensibles sont des substances;
sensibilia substantiam il est donc nécessaire de
ponebant: ergo necesse est supposer, en plus de ces deux
ponere praeter utrasque substances (intelligibles et
substantias, scilicet sensibles), quelque chose qui
intelligibiles et sensibiles, leur est commun et qui est un
aliquid commune eis quod sit dans le multiple; en effet, la
unum in multis: ex hac enim raison qu’avaient les
ratione Platonici ideas Platoniciens d’affirmer
ponebant, quia inveniebant l’existence des idées était qu’il
unum in multis, quod trouvaient l’un dans beaucoup
credebant esse praeter illa de choses et croyaient que cet
multa. un existait en plus du multiple.
[81788] Sententia Et il montre comme suit que
Metaphysicae, lib. 1 l. 14 n. cette affirmation est nécessaire,
15 Et quod hoc ponere sit à savoir qu’il existe une unité
necessarium, scilicet aliquod en plus des substances
unum praeter substantias sensibles et en plus des
sensibiles et praeter species, espèces. Les idées et les
sic ostendit. Aut enim ideae sensibles qui y participent sont
et sensibilia quae participant ou bien de la même espèce, ou
ideas sunt unius speciei aut bien d’espèces différentes. Si
non. Si sunt unius speciei, elles sont d’une même espèce,
omnium autem multorum in il faut, selon la doctrine de
specie convenientium oportet Platon, que la multitude de
ponere secundum positionem choses réunies dans l’espèce
Platonis unam speciem aient une espèce séparée
separatam communem, commune. Il faut donc affirmer
oportebit igitur aliquid quelque chose qui soit commun
ponere commune sensibilibus aux sensibles et aux idées, qui
et ipsis ideis, quod sit soit séparé de l’un et de l’autre.
separatum ab utroque. Non Et on ne peut pas répondre à
potest autem responderi ad cet argument que les idées,
hanc rationem quod ideae étant incorporelles et
quae sunt incorporales et immatérielles, n’ont pas besoin
immateriales non indigent d’autres espèces supérieures,
aliis speciebus superioribus; car les êtres mathématiques,
quia similiter mathematica que Platon place comme
quae ponuntur a Platone intermédiaires entre les
media inter sensibilia et sensibles et les espèces, sont
species, sunt incorporea et pareillement incorporels et
immaterialia: et tamen, quia immatériels; et pourtant, parce
plura eorum inveniuntur qu’on trouve plusieurs de ces
unius speciei, Plato posuit êtres dans une même espèce,
eorum speciem communem Platon leur a attribué une
separatam, qua etiam espèce séparée commune, à
participant non solum laquelle participent non
mathematica, sed etiam seulement les êtres
sensibilia. Si igitur est una et mathématiques mais aussi les
eadem dualitas, quae est sensibles. Si donc il existe une
species vel idea dualitatis, seule et même dualité qui est
quae quidem est etiam in l’espèce ou l’idée de la dualité,
dualitatibus sensibilibus quae et si celle-ci se trouve aussi
sunt corruptibiles, sicut bien dans les dualités sensibles
exemplar est in exemplato et qui sont corruptibles, comme le
in dualitatibus etiam modèle est dans la copie, que
mathematicis quae sunt dans les dualités
multae unius speciei, sed mathématiques, qui sont
tamen sunt sempiternae, plusieurs dans une seule espèce
eadem ratione in eadem et pourtant sont éternelles, pour
dualitate, scilicet quae est la même raison, cette même
idea et in alia quae est dualité qui est l’idée et l’autre
mathematica, vel sensibilis, qui est mathématique ou
erit alia dualitas separata. sensible admettront une autre
Non enim potest reddi dualité séparée. En effet, on ne
propter quid illud sit, et hoc peut pas expliquer pourquoi
non sit. l’autre idée existe et non cette
dernière.
[81789] Sententia Mais si on admet l’autre choix,
Metaphysicae, lib. 1 l. 14 n. à savoir que les sensibles qui
16 Si autem detur alia pars, participent des idées ne sont
scilicet sensibilia quae pas de même espèce que
participant ideas non sunt celles-ci, il s’ensuit que les
eiusdem speciei cum ideis: noms donné aux idées et à la
sequitur quod nomen quod substance sensible sont de purs
dicitur de ideis et de homonymes. On appelle en
substantia sensibili dicatur effet homonymes les choses
omnino aequivoce. Illa enim qui n’ont en commun que le
dicuntur aequivoce, quorum nom alors que les notions de
solum nomen commune est, leurs espèces sont différentes.
ratione speciei existente Et il ne s’ensuit pas seulement
diversa. Nec solum sequitur que les choses sont
quod sint quocumque modo homonymes dans une certaine
aequivoca, sed simpliciter mesure, mais qu’elles le sont
aequivoca, sicut illa quibus totalement, comme des choses
imponitur unum nomen sine auxquelles on donne le même
respectu ad aliquam nom sans songer au moindre
communicationem, quae rapport entre elles, et qu’on
dicuntur aequivoca a casu. appelle homonymes par hasard,
Sicut si aliquem hominem par exemple si on donnait le
aliquis vocaret Calliam et nom d’homme à Callias et à un
aliquod lignum. morceau de bois.
[81790] Sententia Aristote a ajouté cette dernière
Metaphysicae, lib. 1 l. 14 n. remarque parce qu’on pourrait
17 Hoc autem ideo addidit dire que le nom attribué à
Aristoteles quia posset l’idée et à la substance sensible
aliquis dicere quod non n’est pas totalement un
omnino aequivoce aliquod homonyme, puisqu’il est
nomen praedicatur de idea et attribué à l’idée de façon
de substantia sensibili, cum essentielle et à la substance
de idea praedicetur sensible par participation. En
essentialiter, de substantia effet, l’idée de l’homme selon
vero sensibili per Platon est appelée homme en
participationem. Nam idea soi, et l’homme sensible que
hominis secundum Platonem voici est appelé ainsi par
dicitur per se homo, hic participation. Pourtant, une
autem homo sensibilis dicitur telle homonymie n’est pas
per participationem. Sed totale, mais le nom qui est
tamen talis aequivocatio non attribué par participation est
est pura; sed nomen quod per donné par relation à celui qui
participationem praedicatur, est attribué en soi, et cela n’est
dicitur per respectum ad illud pas une homonymie totale,
quod praedicatur per se, quod mais une multiplicité
non est pura aequivocatio, d’analogie. Par contre, si l’idée
sed multiplicitas analogiae. et la substance sensible étaient
Si autem essent omnino de purs homonymes par
aequivoca a casu idea et hasard, il s’ensuirait que l’un
substantia sensibilis, ne permettrait pas de connaître
sequeretur quod per unum l’autre, de même que les
non posset cognosci aliud, homonymes ne se font pas
sicut aequivoca non se connaître mutuellement.
invicem notificant.
Lectio 15 Leçon 15, texte d’Aristote,
traduit par Sr Pascale-
Dominique Nau
La plus grande difficulté,
c’est de savoir ce que font les
idées aux choses sensibles, soit
à celles qui sont éternelles, soit
à celles qui naissent et qui
périssent : car elles ne sont
causes pour elles ni d’aucun
mouvement, ni d’aucun
changement. D’autre part, elles
ne servent en rien à la
connaissance des choses,
puisqu’elles n’en sont point
l’essence : car alors elles
seraient en elles ; elles ne les
font pas être non plus,
puisqu’elles ne résident pas
dans les choses qui participent
d’elles. A moins qu’on ne dise
peut-être qu’elles sont causes,
comme serait, par exemple, la
blancheur cause de l’objet
blanc, en se mêlant à lui ; mais
il n’y a rien de solide dans
cette opinion qu’Anaxagore le
premier, et après lui Eudoxe et
quelques autres, ont mise en
avant ; et il est facile de
rassembler contre une pareille
hypothèse une foule de
difficultés insolubles. Ainsi les
choses ne sauraient venir des
idées, dans aucun des cas dans
lesquels, on a coutume de
l’entendre. Dire que ce sont des
exemplaires et que les autres
choses en participent, c’est
prononcer de vains mots et
faire des métaphores
poétiques ; car, qu’est-ce qui
produit jamais quelque chose
en vue des idées ? De plus, il
se peut qu’il existe ou qu’il
naisse une chose semblable à
une autre, sans avoir été
modelée sur elle ; et, par
exemple, que Socrate existe ou
n’existe pas, il pourrait naître
un personnage tel que Socrate.
D’un autre côté, il est
également vrai que, en
admettant un Socrate éternel, il
faudra qu’il y ait plusieurs
exemplaires et par conséquent
plusieurs idées de la même
chose ; de l’homme, par
exemple, il y aurait l’animal, le
bipède, tout aussi bien que
l’homme en soi. Il faut en outre
qu’il y ait des idées
exemplaires non seulement
pour des choses sensibles, mais
encore pour les idées elles-
mêmes, comme le genre en tant
que comprenant des espèces ;
de sorte que la même chose
sera à la fois exemplaire et
copie. De plus, il semble
impossible que l’essence soit
séparée de la chose dont elle
est l’essence : si cela est,
comment les idées qui sont les
essences des choses, en
seraient-elles séparées ? Dans
le Phédon, il est dit que les
causes de l’être et du devenir
sont les Idées. Pourtant, même
en admettant l’existence des
Idées, les êtres participants ne
sont pas engendrés sans
l’intervention de la cause
motrice. Et comme beaucoup
d’autres objets sont produits,
par exemple une maison et un
anneau, dont nous disons qu’il
n’y a pas d’Idées, il en résulte
qu’il est évidemment possible,
pour les autres choses aussi,
d’exister et de devenir par des
causes analogues à celles des
objets dont nous parlons.
Lectio 15 Leçon 15 (Traduction
Georges Comeau, 2011)
[81791] Sententia Il réfute maintenant l’opinion
Metaphysicae, lib. 1 l. 15 n. 1 de Platon quant au fait qu’il ne
Hic improbat opinionem concluait pas ce qu’il avait
Platonis quantum ad hoc l’intention de conclure. En
quod non concludebat quod effet, Platon avait l’intention
concludere intendebat. de conclure que les idées
Intendebat enim Plato existent parce qu’elles sont
concludere ideas esse per nécessaires aux choses
hoc, quod sunt necesse sensibles d’une certaine façon.
sensibilibus rebus secundum C’est pourquoi Aristote, en
aliquem modum. Unde montrant que les idées ne
Aristoteles ostendens quod peuvent avoir aucune utilité
ideae ad nihil possunt pour les choses sensibles,
sensibilibus utiles esse, détruit les arguments de Platon
destruit rationes Platonis de sur la place des idées; et il dit
positione idearum: et ideo donc que, parmi tous les doutes
dicit, quod inter omnia qu’on peut soulever contre
dubitabilia, quae sunt contra Platon, le plus grave est que les
Platonem, illud est espèces affirmées par Platon ne
maximum, quod species a semblent rien apporter aux
Platone positae non videntur choses sensibles, qu’ils soient
aliquid conferre rebus éternels, comme les corps
sensibilibus, nec sempiternis, célestes, ou qu’ils soient
sicut sunt corpora caelestia: engendrés et corrompus,
nec his, quae fiunt et comme les corps composés
corrumpuntur, sicut corpora d’éléments. Et il le montre
elementaria. Quod sigillatim pour toutes et chacune des
de omnibus ostendit propter raisons pour lesquelles Platon
quae Plato ponebat ideas, affirmait l’existence des idées,
cum dicit nec enim. lorsqu’il dit : car elles ne sont
causes, etc.
[81792] Sententia Il commence ici à montrer cinq
Metaphysicae, lib. 1 l. 15 n. 2 choses : premièrement, qu’elles
Ibi incipit quinque ostendere. ne sont pas utiles aux
Primo quod non prosunt ad mouvement; deuxièmement,
motum. Secundo quod non qu’elles ne sont pas utiles aux
prosunt ad scientias, ibi, sed sciences, où il dit : D’autre
nec ad scientiam. Tertio quod part, elles ne servent, etc.;
non prosunt exemplaria, ibi, troisièmement, qu’elles ne
dicere vero exemplaria et servent pas de modèles, où il
cetera. Quarto quod non dit : Dire que ce sont des
prosunt sicut substantiae, ibi, exemplaires, etc.;
amplius opinabitur. Quinto quatrièmement, qu’elles ne
quod non prosunt sicut sont pas utiles en tant que
causae fiendi, ibi, in substance, où il dit : De plus, il
Phaedone vero et cetera. semble impossible, etc.;
Dicit ergo primo, quod cinquièmement, qu’elles ne
species non possunt conferre sont pas utiles comme causes
sensibilibus, ita quod sint eis du devenir, où il dit : Dans le
causa motus vel Phédon, il est dit, etc. Il dit
transmutationis alicuius. donc en premier que les
Cuius rationem hic non dicit, espèces ne peuvent rien
sed superius tetigit, quia apporter aux sensibles de
videlicet ideae non manière à causer en eux un
introducebantur propter mouvement ou un changement.
motum, sed magis propter Il ne donne pas ici la raison de
immobilitatem. Quia enim cet énoncé, mais il en a parlé
Platoni videbatur quod omnia plus haut : en effet, les idées
sensibilia semper essent in ont été introduites non pour le
motu, voluit aliquid ponere mouvement, mais plutôt pour
extra sensibilia fixum et l’immobilité. Puisqu’il
immobile, de quo posset esse semblait à Platon que tous les
certa scientia. Unde species sensibles sont perpétuellement
non poterant ab eo poni sicut en mouvement, il a voulu
principia sensibilia motus, supposer quelque chose de fixe
sed potius sicut immobiles, et et d’immobile hors des
immobilitatis principia: ut sensibles, dont il soit possible
scilicet si aliquid fixum et d’avoir une science certaine.
eodem modo se habens in C’est pourquoi il ne pouvait
rebus sensibilibus invenitur, pas prendre les espèces comme
hoc sit secundum des principes sensibles du
participantiam idearum, quae mouvement, mais plutôt
per se sunt immobiles. comme des êtres immobiles,
principes de l’immobilité, de
sorte que, si on trouve dans les
choses sensibles quelque chose
de fixe qui existe toujours de la
même façon, cela se produit
par participation aux idées, qui
sont immobiles en soi.
[81793] Sententia Puis lorsqu’il dit : D’autre
Metaphysicae, lib. 1 l. 15 n. 3 part, elles ne servent, etc., il
Deinde cum dicit sed nec ad montre que les espèces ne sont
ostendit secundo, quod pas utiles à la connaissance des
species non prosunt sensibles, pour la raison
sensibilibus ad scientiam, tali suivante. La connaissance de
ratione. Cognitio toute chose est parfaite par la
uniuscuiusque perficitur per connaissance de sa substance,
cognitionem suae et non par la connaissance de
substantiae, et non per substances extrinsèques; mais
cognitionem aliquarum les substances séparées, qu’ils
substantiarum extrinsecarum: appelaient espèces, sont
sed substantiae separatae absolument autres que ces
quas dicebant species, sunt substances sensibles; dont leur
omnino aliae ab istis connaissance n’aide en rien à
substantiis sensibilibus: ergo la science des choses sensibles.
earum cognitio non auxiliatur
ad scientiam illorum
sensibilium.
[81794] Sententia Et on ne peut pas dire que ces
Metaphysicae, lib. 1 l. 15 n. 4 espèces sont les substances des
Nec potest dici quod illae choses sensibles, car la
species sunt substantiae substance de toute chose est
istorum sensibilium: nam dans la chose dont elle est la
cuiuslibet rei substantia est in substance. Si donc ces espèces
eo cuius est substantia. Si étaient les substances des
igitur illae species essent choses sensibles, elles seraient
substantiae rerum dedans, ce qui est contre la
sensibilium, essent in his doctrine de Platon.
sensibilibus: quod est contra
Platonem.
[81795] Sententia On ne peut pas dire non plus
Metaphysicae, lib. 1 l. 15 n. 5 que ces espèces sont présentes
Nec iterum potest dici quod aux substances sensibles
illae species adsint istis comme à des êtres qui
substantiis sensibilibus, sicut participent d’elles. C’est ainsi
participantibus eas. Hoc enim en effet que Platon pensait que
modo Plato opinabatur certaines espèces sont causes
aliquas species horum de ces sensibles. Par exemple,
sensibilium causas esse. Sicut nous considérerions le blanc
nos intelligeremus ipsum existant par soi comme un
album per se existens, ac si blanc séparé qui se mélange au
esset quoddam album blanc qui est dans le sujet et
separatum, permisceri albo participe de la blancheur; c’est
quod est in subiecto, et comme si nous disions aussi
albedinem participare, ut sic que l’homme séparé
etiam dicamus quod homo s’entremêle à cet homme-ci qui
iste, qui est separatus, est composé de matière et de la
permisceatur huic homini qui nature de l’espèce de laquelle il
componitur ex materia et participe. Mais cette raison n’a
natura speciei, quam vraiment rien de solide, elle est
participat. Sed haec ratio est facilement réfutable. En effet,
valde mobilis, idest le premier à avancer cette
destructibilis: hanc enim raison a été Anaxagore, qui a
rationem primo tetigit affirmé aussi que les formes et
Anaxagoras qui posuit etiam les accidents s’entremêlent aux
formas et accidentia choses. En deuxième, cette
permisceri rebus. Et secundo idée a été avancée par
tetigit Hesiodus et alii Hésiode24 et quelques autres.
quidam. Et ideo dico quod est C’est pourquoi je dis que cette
valde mobilis, scilicet quia raison n’a rien de solide, c'est-
facile est colligere multa à-dire qu’il est facile de faire
impossibilia contra talem ressortir beaucoup
opinionem. Sequitur enim, d’impossibilités contre cette
sicut supra dixit contra raison. Il s’ensuit en effet,
Anaxagoram, quod comme le Philosophe l’a dit
accidentia et formae possunt plus haut contre Anaxagore,
esse sine substantiis. Nam ea que les accidents et les formes
sola nata sunt misceri quae peuvent être sans substances;
possunt separatim existere. en effet, des choses sont
capables de se mélanger
seulement si elles peuvent
exister séparément.
[81796] Sententia Ainsi donc, on ne peut pas dire
Metaphysicae, lib. 1 l. 15 n. 6 que les espèces contribuent à la
Sic igitur non potest dici science des sensibles en tant
quod species sic conferant ad que leurs substances, ni
scientiam sensibilium ut qu’elles en soient un principe
eorum substantiae, nec quod d’existence par mode de
sint eis principia existendi participation. On ne peut pas
per modum participandi. Nec dire non plus qu’à partir des
etiam potest dici quod ex espèces, en tant que principes,
speciebus sicut ex principiis d’autres choses (les sensibles)
sunt alia, scilicet sensibilia existent, par n’importe quel des
secundum ullum eorum modes dont on a l’habitude de
24Erreur du texte latin; c’est Eudoxe que mentionne le texte grec d’Aristote. D’ailleurs, Hésiode
aurait dû être mentionné le premier, car il est venu bien avant Anaxagore.
modum qui consueverunt parler. Alors, si les principes
dici. Unde si eadem sunt de l’être et ceux de la
principia essendi et connaissance sont les mêmes,
cognoscendi, oportet quod les espèces n’apportent
species non conferant ad forcément rien d’utile aux
scientias, cum principia sciences, puisqu’ils ne peuvent
essendi esse non possint. pas être principes de
Ideo autem dicit secundum l’existence. La raison pour
ullum modum consuetorum laquelle il dit « par n’importe
dici, quia Plato invenerat quel des modes dont on a
novos modos aliquid ex alio l’habitude de parler » est que
cognoscendi. Platon avait trouvé de
nouvelles manières de
connaître une chose à partir
d’une autre.
[81797] Sententia Puis lorsqu’il dit : Dire que ce
Metaphysicae, lib. 1 l. 15 n. 7 sont, etc., il montre en
Deinde cum dicit dicere vero troisième que les espèces
hic tertio ostendit, quod n’apportent rien aux sensibles à
species non conferant titre de modèles25. Et en
sensibilibus sicut exemplaria. premier, il montre ce qu’il veut
Et primo proponit intentum. prouver; en deuxième, il le
Secundo probat, ibi, nam prouve, où il dit : car, qu’est-ce
quid opus est et cetera. Dicit qui produit, etc. Il dit donc en
ergo primo, quod dicere premier qu’il est absurde pour
species esse exemplaria deux raisons d’affirmer que les
sensibilium et espèces sont les modèles des
mathematicorum eo quod choses sensibles et des êtres
huiusmodi causas participent, mathématiques de sorte que
est dupliciter inconveniens. ceux-ci participent à de telles
Uno modo, quia vanum et causes. Tout d’abord, parce
nulla utilitas est huiusmodi qu’il est futile et sans aucune
exemplaria ponere, sicut utilité de supposer de tels
ostendet. Alio modo quia est modèles, comme il va le
simile metaphoris quas montrer. L’autre raison est que
poetae inducunt, quod ad ces modèles sont semblables
philosophum non pertinet. aux métaphores utilisées par
Nam philosophus ex propriis les poètes, qui n’intéressent pas
docere debet. Ideo autem hoc un philosophe, car un
dicit esse metaphoricum, quia philosophe doit enseigner à
Plato productionem rerum partir de ce qui lui est propre.
naturalium assimilavit Et s’il dit que ce propos est une
factioni rerum artificialium, métaphore, c’est parce que
in quibus artifex ad aliquid Platon a imaginé la production
exemplar respiciens, operatur des êtres naturels à la
aliquid simile suae arti. ressemblance des choses
artificielles, pour lesquelles
25En langage moderne, il est incorrect de parler d’exemplaires en français, mais on peut toujours
parler de cause exemplaire.
l’artisan regarde un modèle et
produit par son art quelque
chose qui y ressemble.
[81798] Sententia Ensuite, lorsqu’il dit : car,
Metaphysicae, lib. 1 l. 15 n. 8 qu’est-ce qui produit, etc., il
Deinde cum dicit nam quid prouve son énoncé par trois
est hic probat propositum raisons. En effet, l’œuvre du
tribus rationibus. Hoc enim modèle, c'est-à-dire son utilité,
videtur esse opus exemplaris, est que l’artisan, en le
idest utilitas, quod artifex regardant, produit dans son
respiciens ad exemplar œuvre une forme qui ressemble
inducat similitudinem formae au modèle. Mais dans
in suo artificio. Videmus l’opération des choses
autem in operatione naturelles, nous voyons que les
naturalium rerum, quod semblables sont engendrés par
similia ex similibus les semblables; ainsi, un
generantur, sicut ex homine homme engendre un homme.
generatur homo. Aut ergo Donc, ou bien cette
similitudo ista provenit in ressemblance dans les choses
rebus generatis propter engendrées s’explique par la
respectum alicuius agentis ad contemplation du modèle par
exemplar, aut non. Si non, un agent, ou bien ce n’est pas
quid erat opus, idest utilitas le cas. Si ce n’est pas le cas, à
quod aliquod agens sic quoi servait-il qu’un agent
respiciens ad ideas sicut ad contemple ainsi les idées
exemplaria? Quasi dicat, comme des modèles?
nullum. Si autem similitudo Autrement dit, c’était inutile.
provenit ex respectu ad Mais si la ressemblance
exemplar separatum, tunc provient de la contemplation
non poterit dici quod causa d’un modèle séparé, alors on
huius similitudinis in genito ne peut pas dire que la cause de
sit forma inferioris cette ressemblance dans l’être
generantis. Fiet enim aliquid engendré est la forme du
simile propter respectum ad géniteur inférieur; en effet, un
hoc exemplar separatum, et objet semblable serait produit
non per respectum ad agens grâce à la contemplation du
hoc sensibile. Et hoc est quod modèle séparé et non à la
dicit et non simile illi, idest contemplation de l’agent
agenti sensibili. Ex quo sensible donné. Et c’est ce
sequitur hoc inconveniens qu’il dit : sans avoir été
quod aliquis generetur similis modelée sur elle, c'est-à-dire
Socrati, sive posito, sive sur l’agent sensible. Il s’ensuit
remoto Socrate. Quod cette absurdité que quelqu'un
videmus esse falsum; quia de semblable à Socrate peut
nisi Socrates agat in être engendré, que Socrate soit
generatione, nunquam présent ou non. Nous voyons
generabitur aliquis similis que c’est faux, car si Socrate
Socrati. Si igitur hoc est n’agit pas dans la génération,
falsum, quod non similitudo quelqu'un qui lui ressemble ne
generatorum dependeat a sera jamais engendré. Si donc
proximis generantibus, il est faux que la ressemblance
vanum et superfluum est de l’être engendré ne dépend
ponere aliqua exemplaria pas des géniteurs prochains, il
separata. est inutile et superflu
d’affirmer l’existence de
modèles séparés.
[81799] Sententia Il faut cependant savoir que cet
Metaphysicae, lib. 1 l. 15 n. 9 argument, même s’il détruit la
Sciendum autem quod illa notion de modèles séparés
ratio, etsi destruat exemplaria affirmée par Platon, n’empêche
separata a Platone posita, non pas que la science divine est le
tamen removet divinam modèle de toutes choses. En
scientiam esse rerum effet, puisque les êtres naturels
omnium exemplarem. Cum visent naturellement à produire
enim res naturales naturaliter leur ressemblance dans les
intendant similitudines in res êtres engendrés, il faut que
generatas inducere, oportet cette intention se ramène à un
quod ista intentio ad aliquod principe directeur, qui ordonne
principium dirigens toutes choses à une fin. Et ce
reducatur, quod est in finem principe ne peut être qu’une
ordinans unumquodque. Et intelligence capable de
hoc non potest esse nisi connaître la fin et le rapport
intellectus cuius sit des choses à la fin. Et ainsi,
cognoscere finem et cette ressemblance des effets à
proportionem rerum in finem. leurs causes naturelles se
Et sic ista similitudo ramène à une certaine
effectuum ad causas intelligence comme à son
naturales reducitur, sicut in premier principe. Mais il n’est
primum principium, in pas nécessaire qu’elle
intellectum aliquem. Non s’explique par des formes
autem oportet quod in aliquas séparées, car il suffit, pour
alias formas separatas: quia créer cette ressemblance,
ad similitudinem praedictam d’avoir la direction vers la fin
sufficit praedicta directio in qui est donnée aux vertus
finem, qua virtutes naturales naturelles par la première
diriguntur a primo intellectu. intelligence.
[81800] Sententia Ensuite, lorsqu’il dit : D’un
Metaphysicae, lib. 1 l. 15 n. autre côté, il est, etc., il donne
10 Deinde cum dicit similiter le deuxième argument, que
autem hic ponit secundam voici. De même qu’en Socrate,
rationem, quae talis est. Sicut le fait d’être Socrate ajoute
Socrates ex eo quod est quelque chose à l’homme, de
Socrates addit aliquid supra même le fait d’être homme
hominem, ita etiam homo ajoute quelque chose à
addit aliquid supra animal: et l’animal, et de même que
sicut Socrates participat Socrate participe de l’homme,
hominem, ita homo participat de même l’homme participe de
animal. Sed si praeter istum l’animal. Mais si on ajoutait au
Socratem sensibilem Socrate sensible un autre
poneretur alius Socrates Socrate éternel à titre de
sempiternus, quasi modèle, il s’ensuivrait que le
exemplaris, sequeretur quod Socrate sensible aurait
huius Socratis sensibilis plusieurs modèles, soit le
essent plura exemplaria, Socrate éternel et l’idée de
scilicet Socrates sempiternus l’homme; donc, pour la même
et idea hominis: ergo et raison, l’espèce de l’homme a
eadem ratione species plusieurs modèles : l’animal est
hominis habet plura son modèle, le bipède aussi, de
exemplaria. Erit enim même que l’autos anthropos,
exemplar eius et animal et c'est-à-dire l’idée de l’homme.
bipes et iterum Mais il est inadmissible qu’une
autosanthropos, idest idea seule copie ait plusieurs
hominis. Hoc autem est modèles; il est donc
inconveniens quod unius inadmissible de supposer de
exemplati sint plura tels modèles des choses
exemplaria: ergo sensibles.
inconveniens est ponere
huiusmodi sensibilium
exemplaria.
[81801] Sententia Ensuite, lorsqu’il dit : Il faut en
Metaphysicae, lib. 1 l. 15 n. outre qu’il y ait, etc., il donne
11 Deinde cum dicit amplius la troisième raison, que voici.
autem hic ponit tertiam Le rapport de l’espèce à
rationem, quae talis est. Sicut l’individu est le même que
se habet species ad celui du genre à l’espèce. Si
individuum, ita se habet donc les espèces sont les
genus ad speciem. Si igitur modèles des sensibles
species sunt exemplaria individuels, comme l’a affirmé
sensibilium individuorum, ut Platon, ces espèces elles-
Plato ponit, ipsarum etiam mêmes auront des modèles, à
specierum erunt aliqua savoir leurs genres; cela est
exemplaria, scilicet genus inadmissible, car il s’ensuivrait
specierum: quod est qu’une même chose, à savoir
inconveniens: quia tunc l’espèce, est le modèle d’une
sequeretur quod idem, autre, soit l’individu sensible,
scilicet species, erit et l’image modelée sur un
exemplum alterius, scilicet autre, soit le genre, et on voit
individui sensibilis, et imago que c’est absurde.
ab alio exemplata, scilicet a
genere; quod videtur esse
inconveniens.
[81802] Sententia Puis lorsqu’il dit : De plus, il
Metaphysicae, lib. 1 l. 15 n. semble impossible, etc., il
12 Deinde cum dicit amplius montre en quatrième lieu que
opinabitur hic quarto ostendit les espèces n’apportent rien
quod species non conferunt aux choses sensibles en tant
rebus sensibilibus sicut que leurs substances ou leurs
earum substantiae vel causae causes formelles, car il semble,
formales, quia hic opinabitur, c'est-à-dire telle est l’opinion
idest hoc est opinativum (ut (énoncée de façon
impersonaliter ponatur), quod impersonnelle), qu’il est
impossibile est separari impossible que la substance
substantiam ab eo cuius est soit séparée de ce dont elle est
substantia. Sed hae la substance. Mais les espèces
separantur ab eo cuius sunt sont séparées de ce dont elles
ideae, idest a sensibilibus: sont les idées, c'est-à-dire les
ergo non sunt substantiae sensibles; donc elles ne sont
sensibilium. pas les substances des
sensibles.
[81803] Sententia Puis lorsqu’il dit : Dans le
Metaphysicae, lib. 1 l. 15 n. Phédon, etc., il montre que les
13 Deinde cum dicit in espèces ne contribuent pas à la
Phaedone hic ostendit quod venue à l’être des sensibles,
non conferunt species même si Platon a dit dans le
sensibilibus ad eorum fieri, Phédon, qui est l’un de ses
quamvis Plato dixerit in livres, que les espèces sont les
Phaedone, idest in quodam causes de l’être et de la venue à
suo libro, quod species sunt l’être des sensibles. Mais il
causae rebus sensibilibus réfute cette assertion pour deux
essendi et fiendi. Sed hoc raisons, dont voici la première.
improbat duabus rationibus: Si on affirme la cause, on
quarum prima talis est. Posita affirme l’effet; mais quand les
causa ponitur effectus: sed espèces existent, les êtres
existentibus speciebus non particuliers ou les individus qui
propter hoc fiunt entia participent à l’espèce ne
particularia sive individua viennent pas à l’être pour
participantia species, nisi sit autant, à moins qu’il n’existe
aliquid motivum quod un moteur qui les amènent à
moveat ad speciem. Quod ex cette espèce. Cela est évident
hoc patet, quia species parce que, selon Platon, les
semper eodem modo sunt espèces existent toujours de la
secundum Platonem. Si igitur même façon. Si donc, une fois
eis positis essent vel fierent supposées les espèces, les
individua participantia eas, individus qui y participent
sequeretur quod semper existaient ou venaient à l’être,
essent huiusmodi individua, il s’ensuivrait que ces individus
quod patet esse falsum: ergo existeraient toujours, ce qui est
non potest dici quod species évidemment faux; on ne peut
sint causae fieri et esse donc pas dire que les espèces
rerum; et praecipue cum non sont la cause du devenir et de
poneret species causas esse l’être des choses, surtout quand
motivas, ut supra dictum est. on n’affirme pas que les
Sic enim a substantiis espèces sont des causes
separatis immobilibus ponit motrices, comme on l’a dit plus
Aristoteles procedere et fieri haut. Ainsi donc, Aristote
et esse inferiorum, inquantum affirme que le devenir et l’être
illae substantiae sunt motivae des choses inférieures
caelestium corporum, quibus proviennent des substances
mediantibus causatur séparées immobiles en tant que
generatio et corruptio in istis celles-ci sont les moteurs des
inferioribus. corps célestes, causant par leur
intermédiaire la génération et
la corruption dans les corps
inférieurs.
[81804] Sententia Ensuite, lorsqu’il dit : Et
Metaphysicae, lib. 1 l. 15 n. comme beaucoup d’autres,
14 Deinde cum dicit et multa etc., il énonce la deuxième
hic ponit secundam rationem, raison, que voici. Le rapport
quae talis est. Sicut se habent des êtres artificiels aux causes
artificialia ad causas artificielles est le même que le
artificiales, ita se habent rapport des êtres naturels aux
naturalia ad causas naturales. causes naturelles. Mais nous
Sed videmus quod multa alia voyons qu’ici-bas, beaucoup
a naturalibus, ut domus et d’autres objets non naturels
annulus, fiunt in istis viennent à l’existence, comme
inferioribus, quorum une maison ou une bague, dont
Platonici species non les Platoniciens affirmaient
ponebant: ergo et alias, qu’il n’y a pas d’espèce; il
scilicet naturalia contingit arrive donc aussi que les autres
esse et fieri propter tales choses, c'est-à-dire les choses
causas proximas, quales naturelles, existent et
contingit esse nunc dictas, deviennent par des causes
scilicet artificiales; ut scilicet prochaines semblables à celles
sicut res artificiales fiunt a qui produisent l’être des choses
proximis agentibus, ita et res artificielle; autrement dit, de
naturales. même que les choses
artificielles viennent à l’être
sous l’impulsion d’agents
prochains, de même aussi les
choses naturelles.
Lectio 16 Leçon 16, texte d’Aristote,
traduit par Sr Pascale-
Dominique Nau
Maintenant, si les idées sont
des nombres, comment ces
nombres seront-ils causes ?
Sera-ce parce que les êtres sont
d’autres nombres, et que tel
nombre par exemple est
l’homme, tel autre Socrate, tel
autre Callias ? Mais en quoi
ceux-là sont-ils causes de ceux-
ci ? Car, que les uns soient
éternels, les autres non, cela
n’y fera rien. Si c’est parce que
les choses sensibles sont des
rapports de nombres, comme
est par exemple une harmonie,
il est évident qu’il y a quelque
chose qui est le sujet de ces
rapports ; et si ce quelque
chose existe, savoir la matière,
il est clair qu’à leur tour les
nombres eux-mêmes seront des
rapports de choses différentes.
Par exemple, si Callias est une
proportion en nombres de feu,
de terre, d’eau et d’air, cela
supposera des sujets
particuliers, distincts de la
proportion elle-même ; et
l’idée nombre, l’homme en soi,
que ce soit un nombre ou non,
n’en sera pas moins une
proportion de nombres qui
suppose des sujets particuliers
et non pas un pur nombre, et on
n’en peut tirer non plus aucun
nombre particulier.
Ensuite, de la réunion de
plusieurs nombres, résulte un
nombre unique ; comment de
plusieurs idées fera-t-on une
seule idée ? Si on prétend que
la somme n’est pas formée de
la réunion des idées elles-
mêmes, mais des éléments
individuels compris sous les
idées, comme est par exemple
une myriade, comment sont les
unités qui composent cette
somme ? Si elles sont de même
espèce, il s’ensuivra beaucoup
de choses absurdes ; si
d’espèce diverse, elles ne
seront ni les mêmes, ni
différentes ; car en quoi
différeraient-elles, puisqu’elles
n’ont pas de qualités ? Toutes
ces choses ne sont ni
raisonnables ni conformes au
bon sens. Et puis, il est
nécessaire d’introduire un autre
genre de nombre qui soit
l’objet de l’arithmétique, et de
ce que plusieurs appellent les
choses intermédiaires ;
autrement de quels principes
viendront ces choses ?
Pourquoi doit-il y avoir des
intermédiaires entre le monde
sensible et les Idées ? De plus,
les unités, dans la Dyade
indéfinie, viendront chacune
d’une dyade antérieure, ce qui
est pourtant impossible. En
outre, comment expliquer que
le Nombre idéal, composé
d’unités, soit une unité ? Ce
n’est pas tout. Si les unités sont
différentes entre elles, on
devrait parler comme ceux qui
admettent deux ou quatre
éléments, tous entendant par là,
non un élément commun, le
Corps en général, par exemple,
mais le Feu ou la Terre, que le
Corps soit, ou non, quelque
chose de commun. Mais, en
réalité, les platoniciens
s’expriment comme si l’Un en
soi était, à la façon du Feu ou
de l’Eau, une sorte d’élément
homéomère. S’il en est ainsi,
les Nombres ne seront pas des
substances, mais il est clair
que, si l’Un en soi existe, et
qu’il soit principe, l’Un ne
recevra qu’une diversité de
dénomination, autrement il y
aurait là une impossibilité.
Dans le but de ramener les
choses aux principes de cette
théorie, on compose les
longueurs du long et du court,
c’est-à-dire d’une certaine
espèce de grand et de petit, la
surface du large et de l’étroit,
le corps du profond et de son
contraire. Or, comment le plan
pourra-t-il contenir la ligne, ou
le solide la ligne et le plan ?
Car le large et l’étroit sont une
espèce différente du profond et
de son contraire. De même
donc que le nombre ne se
trouve pas dans ces choses,
parce que ses principes, le plus
ou le moins, sont distincts de
ceux que nous venons de
nommer, il est clair que de ces
diverses espèces, celles qui
sont supérieures, ne pourront
se trouver dans les inférieures.
Et il ne faut pas dire que le
profond soit une espèce du
large ; car alors, le corps serait
une sorte de plan. Et les points,
d’où viendront-ils ? Platon
combattait l’existence du point,
comme étant une pure
conception géométrique ;
d’autre part, il l’appelait le
principe de la ligne, il en a fait
souvent des lignes indivisibles.
Pourtant, il faut que ces lignes
aient une limite ; de sorte que
par la même raison que la ligne
existe, le point existe aussi.
Lectio 16 Leçon 16 (Traduction
Georges Comeau, 2011)
[81805] Sententia Il réfute maintenant l’opinion
Metaphysicae, lib. 1 l. 16 n. 1 de Platon sur les espèces quant
Hic improbat opinionem au fait qu’il disait qu’elles
Platonis de speciebus étaient des nombres. Et il le
inquantum ponebat eas esse fait en deux points : il
numeros. Et circa hoc duo argumente en premier contre ce
facit. Primo disputat contra que Platon affirmait au sujet
ea quae posita sunt ab ipso de des nombres; en deuxième,
numeris. Secundo contra ea contre ce qu’il disait des autres
quae posita sunt ab ipso de êtres mathématiques, où il dit :
aliis mathematicis, ibi, Dans le but de ramener, etc.
volentes autem substantias et Pour le premier point, il donne
cetera. Circa primum ponit six arguments, dont voici le
sex rationes: quarum prima premier. Quand des choses
talis est. Eorum quae sunt sont pareilles en substance,
idem secundum substantiam, l’une n’est pas cause de l’autre.
unum non est causa alterius: Mais les sensibles, selon leur
sed sensibilia secundum substance, sont des nombres
substantiam sunt numeri selon les Platoniciens et les
secundum Platonicos et Pythagoriciens; si donc les
Pythagoricos: si igitur espèces aussi sont des
species sunt etiam numeri, nombres, elles ne peuvent pas
non poterunt species esse être causes des sensibles.
causae sensibilium.
[81806] Sententia Si donc on dit que les espèces
Metaphysicae, lib. 1 l. 16 n. 2 et les sensibles sont des
Si autem dicatur quod alii nombres différents, comme
numeri sunt species, et alii l’affirmait Platon si on le prend
sunt sensibilia, sicut ad à la lettre, si on dit par exemple
literam Plato ponebat: ut si que tel nombre est l’homme,
dicamus quod hic numerus tel autre nombre est Socrate et
est homo, et ille alius tel autre est Callias, cela ne
numerus est Socrates et alius semble pas encore suffisant;
numerus est Callias, istud car ainsi, les sensibles et les
adhuc non videtur sufficere: espèces sont réunis sous la
quia secundum hoc sensibilia notion de nombre, et quand des
et species conveniunt in choses sont pareilles en raison,
ratione numeri: et eorum, l’une ne semble pas être cause
quae sunt idem secundum de l’autre; donc, les espèces ne
rationem, unum non videtur sont pas les causes de ces
esse causa alterius: ergo sensibles.
species non erunt causae
horum sensibilium.
[81807] Sententia De plus, on ne peut pas dire
Metaphysicae, lib. 1 l. 16 n. 3 qu’elles sont des causes parce
Non iterum potest dici quod que ces nombres, s’ils sont des
sunt causae; quia illi numeri, espèces, sont éternels. En effet,
si sunt species, sunt cette différence ne suffit pas
sempiterni. Illa enim pour que certains soient
differentia non sufficit ad hoc considérés comme causes des
quod quaedam ponantur autres; car certains diffèrent en
causae aliorum; quia aliqua étant éternels ou non, si on
differunt per sempiternum et considère leur être de façon
non sempiternum secundum absolue; mais ils diffèrent en
esse suum absolute tant que cause et effet du fait
consideratum; sed per de leurs rapports de l’un à
causam et causatum differunt l’autre. Donc, les choses
secundum habitudinem unius différentes en nombre ne
ad alterum: ergo diversa diffèrent pas comme cause et
numero non differunt per effet du fait que certains sont
causam et causatum per hoc, éternels et d’autres ne le sont
quod quaedam sunt pas.
sempiterna, et quaedam non
sempiterna.
[81808] Sententia Mais si on dit que ces sensibles
Metaphysicae, lib. 1 l. 16 n. 4 sont des rapports, c'est-à-dire
Si autem dicatur quod haec des proportions de nombres, et
sensibilia sunt quaedam que c’est ainsi que les nombres
rationes, idest proportiones sont causes de sensibles
numerorum, et per hunc donnés, comme nous le voyons
modum numeri sunt causae dans les symphonies, c'est-à-
horum sensibilium, sicut dire des pièces musicales
videmus in symphoniis, idest harmonieuses, parce qu’on dit
in musicis consonantiis, quia que les nombres sont causes
numeri dicuntur esse causae des accords en tant que les
consonantiarum, inquantum proportions numériques
proportiones numerales, quae appliquées aux sons produisent
applicantur sonis, des accords, il est évident qu’il
consonantias reddunt: palam fallait supposer dans les
est quod oportebat praeter sensibles, en plus de ces
ipsos numeros in sensibilibus nombres, quelque chose de
ponere aliquod unum génériquement un à quoi
secundum genus, cui s’appliquent les proportions
applicantur proportiones numériques, de sorte que les
numerales: ut scilicet eorum, sensibles soient constitués de
quae sunt illius generis ce qui fait l’objet des
proportiones, sensibilia proportions de ce genre; dans
constituant; sicut praeter les accords, par exemple, en
proportiones numerales in plus des proportions
consonantiis inveniuntur numériques, on trouve des
soni. Si autem illud, cui sons. Mais si ce à quoi
applicatur illa proportio s’applique cette proportion
numeralis in sensibilibus est numérique dans les choses
materia, manifestum est quod sensibles est la matière, il est
oportebat dicere, quod ipsi évident qu’il fallait dire que les
numeri separati qui sunt nombres séparés, qui sont les
species, sint proportiones espèces, sont des proportions
alicuius unius, scilicet ad d’une chose quelconque, c'est-
aliquod aliud. Oportet enim à-dire différente. Il faut dire en
dicere quod hic homo, qui est effet que tel homme, appelé
Callias vel Socrates, est Callias ou Socrate, est
similis homini ideali qui semblable à l’homme idéal
dicitur autosanthropos idest appelé autos anthropos, ou
per se homo. Si igitur Callias homme en soi. Si donc Callias
non est numerus tantum, sed n’est pas seulement un nombre,
magis est ratio quaedam vel mais plutôt un rapport ou une
proportio in numeris proportion entre les nombres
elementorum, scilicet ignis, des éléments, à savoir le feu, la
terrae, aquae et aeris; et ipse terre, l’eau et l’air, l’homme
homo idealis erit quaedam idéal, lui aussi, sera un rapport
ratio vel proportio in numeris ou une proportion entre les
aliquorum; et non erit homo nombres de certaines choses;
idealis numerus per suam alors, l’homme idéal ne sera
substantiam. Ex quo sequitur, pas un nombre de par sa
quod nullus numerus erit substance. Il s’ensuit qu’aucun
praeter ea, id est praeter res nombre n’existe à part, c'est-à-
numeratas. Si enim numerus dire en plus, des choses
specierum est maxime nombrées26. En effet, si le
separatus, et ille non est nombre des espèces est ce qu’il
separatus a rebus, sed est y a de plus séparé, et si lui-
quaedam proportio rerum même n’est pas séparé des
numeratarum, nunc nullus choses mais est une proportion
alius numerus erit separatus: des choses nombrées, alors
quod est contra Platonicos. aucun autre nombre n’est
séparé, ce qui est contraire à la
doctrine des Platoniciens.
[81809] Sententia Il s’ensuit par ailleurs que
27 Sens incertain.
sensibilia et eas scilicet des nombres intermédiaires
species, cum tam sensibilia entre les choses présentes (les
quam species sint numeri. sensibles) et elles (les espèces),
puisque tant les sensibles que
les espèces sont des nombres.
[81816] Sententia Puis lorsqu’il dit : De plus, les
Metaphysicae, lib. 1 l. 16 n. unités, etc., il présente le
12 Deinde cum dicit amplius quatrième argument, que voici.
autem hic ponit quartam Ce qui se trouve dans les
rationem, quae talis est. Ea sensibles et dans les êtres
quae sunt in sensibilibus et in mathématiques est causé par
mathematicis sunt causata ex les espèces; si donc on trouve
speciebus: si igitur aliqua une dualité dans les sensibles
dualitas in sensibilibus et in et les êtres mathématiques, il
mathematicis invenitur, faut que les deux unités de
oportet quod utraque unitas cette dualité postérieure aient
huius posterioris dualitatis sit été causées par une dualité
causata ex priori dualitate, antérieure, qui est l’espèce de
quae est species dualitatis. Et la dualité. Et cela (que l’unité
hoc est impossibile, scilicet soit causée par la dualité) est
quod unitas ex dualitate impossible. En effet, il faut
causetur. Hoc enim praecipue affirmer ceci surtout si les
oportet dicere, si unitates unités d’un nombre sont d’une
unius numeri sint alterius autre espèce que les unités de
speciei ab unitatibus alterius, l’autre, car alors, les espèces
quia tunc a specie ante illius sont attribuées à partir d’une
numeri unitates, species espèce antérieure aux unités de
sortientur. Et sic oportet quod ce nombre. Il faut ainsi que les
unitates posterioris dualitatis unités de la dualité postérieure
sint causatae ex priori soient causées par une dualité
dualitate. antérieure.
[81817] Sententia Ensuite, lorsqu’il dit : En
Metaphysicae, lib. 1 l. 16 n. outre, comment expliquer, etc.,
13 Deinde cum dicit amplius il énonce le cinquième
quare hic ponit quintam argument, que voici. Plusieurs
rationem, quae talis est. choses ne se réunissent pas
Multa non conveniunt ad pour en constituer une seule,
unum constituendum, nisi sinon sous l’action d’une
propter aliquam causam, cause, qu’on peut supposer soit
quae potest accipi vel extrinsèque, comme un agent
extrinseca, sicut aliquod qui les rassemble, soit
agens quod coniungit, vel intrinsèque, comme un lien
intrinseca, sicut aliquod unificateur. Ou bien, si des
vinculum uniens. Vel si êtres s’unissent en soi, il faut
aliqua uniuntur per seipsa, qu’ils soient une chose en tant
oportet ut unum sit ut que puissance et une autre en
potentia, et aliud ut actus. tant qu’acte. Mais rien de tout
Nullum autem horum potest cela ne peut expliquer, au sujet
dici in unitatibus quare des unités, pourquoi, c'est-à-
numerus idest ex qua causa dire par quelle cause, le
numerus erit quoddam nombre est compris, c'est-à-
comprehensum, idest dire rassemblé, à partir de
congregatum ex pluribus plusieurs unités; autrement dit,
unitatibus: quasi dicat: non on ne peut pas en donner une
erit hoc assignare. raison.
[81818] Sententia Puis lorsqu’il dit : Ce n’est pas
Metaphysicae, lib. 1 l. 16 n. tout, etc., il énonce le sixième
14 Deinde cum dicit amplius argument, que voici. Si les
autem hic ponit sextam nombres sont les espèces et les
rationem, quae talis est. Si substances des choses, il faut
numeri sunt species et affirmer, comme on l’a dit, que
substantiae rerum, oportet, les unités sont soit différentes,
sicut praemissum est, dicere soit semblables. Si elles sont
vel quod unitates sint différentes, il s’ensuit que
differentes, aut convenientes. l’unité, en tant qu’unité, n’est
Si autem differentes, sequitur pas un principe. Cela est
quod unitas, inquantum manifesté par une comparaison
unitas, non sit principium. tirée des théories des
Quod patet per similitudinem physiciens. En effet, certains
sumptam a naturalium d’entre eux ont affirmé que les
positione. Naturales enim principes étaient quatre corps.
aliqui posuerunt quatuor Mais bien que ceux-ci aient en
corpora esse principia. commun le fait d’être un corps,
Quamvis autem commune sit ils n’affirmaient pourtant pas
ipsis hoc quod est esse que le principe est le corps en
corpus, non tamen ponebant général; ils disaient plutôt que
corpus commune esse c’était le feu, la terre, l’eau et
principium, sed magis ignem, l’air, qui sont des corps
terram, aquam et aerem, quae différents. Par conséquent, si
sunt corpora differentia. les unités sont différentes,
Unde, si unitates sint même si elles ont en commun
differentes, quamvis omnes la raison d’unité, on ne doit pas
conveniant in ratione unitatis, dire que l’unité en tant que
non tamen erit dicendum, telle est un principe, ce qui est
quod ipsa unitas inquantum contraire à la théorie des
huiusmodi sit principium; Platoniciens. Ceux-ci disent en
quod est contra positionem effet que l’un est un principe,
Platonicorum. Nam nunc ab comme les physiciens disaient
eis dicitur, quod unum sit en premier que le feu, l’eau ou
principium, sicut primo de quelque autre corps aux parties
naturalibus dicitur quod ignis semblables est un principe.
aut aqua aut aliquod corpus Mais s’il est vrai de conclure,
similium partium principium contrairement à la théorie des
sit. Sed si hoc est verum Platoniciens, que l’un en tant
quod conclusum est contra qu’un n’est pas le principe et la
positionem Platonicorum, substance des choses, il
scilicet quod unum s’ensuit que les nombres ne
inquantum unum non sit sont pas les substances des
principium et substantia choses. En effet, si le nombre
rerum, sequeretur quod est déclaré être la substance
numeri non sunt rerum des choses, c’est seulement en
substantia. Numerus enim tant qu’il est constitué des
non ponitur esse rerum unités, qui sont déclarées être
substantia, nisi inquantum les substances des choses. Cela
constituitur ex unitatibus, aussi est contre la doctrine des
quae dicuntur esse rerum Platoniciens dont nous traitons
substantiae. Quod iterum est maintenant, à savoir que les
contra positionem espèces sont des nombres.
Platonicorum, quam nunc
prosequitur, qua scilicet
ponitur, quod numeri sint
species.
[81819] Sententia Mais si on dit que toutes les
Metaphysicae, lib. 1 l. 16 n. unités sont indifférenciées, il
15 Si autem dicas quod s’ensuit que le Tout, c'est-à-
omnes unitates sunt dire l’univers entier, est
indifferentes, sequitur quod quelque chose d’un et
omne, idest universum totum d’identique, et donc la
sit aliquid unum et idem, ex substance de toute chose est cet
quo substantia rei cuiuslibet Un commun et indifférencié. Il
est ipsum unum, quod est s’ensuit en outre que ce même
commune indifferens. Et être est principe unique de
ulterius sequitur, quod idem toutes choses, ce qui est
illud sit unum principium impossible en raison de son
omnium: quod est propre argument, qui est en soi
impossibile ratione ipsius impossible à croire, à savoir
rationis, quae de se est que toutes choses sont un sous
inopinabilis, ut scilicet sint le rapport de la substance; il
omnia unum secundum comporte en effet une
rationem substantiae; tum contradiction, du fait qu’il
quia includit contradictionem affirme que la substance des
ex eo quod ponit unam esse choses est unique, et il affirme
substantiam rerum, et tamen pourtant que cet Un est
ponit illud unum esse principe. En effet, une seule et
principium. Nam unum et même chose n’est pas principe
idem non est sui ipsius d’elle-même, à moins peut-être
principium: nisi forte dicatur qu’on ne dise qu’« un » se
quod unum multipliciter prend en plusieurs sens, de
dicitur, ut distincto uno sorte qu’en distinguant l’un on
ponantur omnia esse unum affirme que toutes choses sont
genere, et non specie vel un en genre, mais non en
numero. espèce ou en nombre.
[81820] Sententia Lorsqu’il dit : Dans le but de
Metaphysicae, lib. 1 l. 16 n. ramener, etc., il argumente
16 Volentes autem contre la doctrine de Platon
substantias hic disputat quant à ce qu’il a affirmé des
contra positionem Platonis grandeurs mathématiques. Et
quantum ad hoc quod posuit en premier, il énonce sa
de magnitudinibus théorie; en deuxième, il s’y
mathematicis. Et primo ponit oppose, où il dit : Or, comment
eius positionem. Secundo le plan pourra-t-il, etc. Il dit
obiicit contra ipsam, ibi, donc en premier que les
attamen quomodo habebit et Platoniciens, voulant ramener
cetera. Dicit ergo primo, les substances des choses aux
quod Platonici volentes premiers principes, puisqu’ils
rerum substantias reducere ad disaient que que les grandeurs
prima principia, cum ipsas sont les substances des choses
magnitudines dicerent esse sensibles, ont pensé pouvoir
substantias rerum trouver les principes des choses
sensibilium, lineam, en disant que les principes des
superficiem et corpus, grandeurs étaient la ligne, la
istorum principia assignantes, surface et le corps. Or, en
putabant se rerum principia énonçant les principes des
invenisse. Assignando autem grandeurs, ils disaient que les
magnitudinum principia, longueurs, c'est-à-dire les
dicebant longitudines, idest lignes, étaient composées du
lineas componi ex producto long et du court, du fait qu’ils
et brevi, eo quod principia affirmaient que les principes de
rerum omnium ponebant esse toutes choses sont des
contraria. Et quia linea est contraires. Et parce que la ligne
prima inter quantitates est la première des quantités
continuas, ei per prius continues, c’est à elle qu’ils
attribuebant magnum et attribuaient en premier lieu le
parvum, ut per hoc quod haec grand et le petit, de sorte que
duo sunt principia lineae, sint ceux-ci, du fait qu’ils sont
etiam principia aliarum principes de la ligne, soient
magnitudinum. Dicit autem également principes des autres
ex aliquo parvo et magno, grandeurs. Mais il dit d’une
quia parvum et magnum certaine espèce de grand et de
etiam in speciebus petit parce qu’ils attribuaient le
ponebantur, ut dictum est, petit et le grand même aux
sed secundum quod per situm espèces, comme on l’a dit;
determinatur et quodammodo mais en autant que ceux-ci sont
particulari ad genus déterminés dans le genre des
magnitudinum, constituunt grandeurs par quelque chose de
primo lineam, et deinde alias particulier, ils constituent
magnitudines. Planum autem, d’abord la ligne, et ensuite les
idest superficiem eadem autres grandeurs. Pour la même
ratione dicebant componi ex raison, ils disaient que le plan,
lato et arcto, et corpus ex c'est-à-dire la surface, est
profundo et humili. composé du large et de l’étroit,
et que le corps est composé de
l’épais et du mince.
[81821] Sententia Puis lorsqu’il dit : Or, comment
Metaphysicae, lib. 1 l. 16 n. le plan, etc., il s’oppose à cette
17 Deinde cum dicit attamen théorie pour deux raisons, dont
quomodo hic obiicit contra voici la première. Les choses
praedictam positionem qui ont des principes différents
duabus rationibus: quarum sont également différentes;
prima talis est. Quorum mais les principes de ces
principia sunt diversa, ipsa grandeurs, selon la théorie
etiam sunt diversa; sed décrite ci-dessus, sont
principia dictarum différents. En effet, le large et
magnitudinum secundum l’étroit, qui sont donnés
praedictam positionem sunt comme principes de la surface,
diversa. Latum enim et sont d’un autre genre que
arctum, quae ponuntur l’épais et le mince, qui sont
principia superficiei, sunt donnés comme principes du
alterius generis quam corps. On peut dire
profundum et humile, quae pareillement que le long et le
ponuntur principia corporis. court diffèrent des deux
Et similiter potest dici de couples précédents; donc, la
longo et brevi quod differunt ligne, la surface et le corps
ab utroque; ergo etiam linea aussi sont distincts l’un de
et superficies et corpus erunt l’autre. Alors, comment peut-
adinvicem distincta. on dire que la surface contient
Quomodo ergo poterat dici la ligne et que le corps contient
quod superficies haberet in se la ligne et la surface? Et pour
lineam, et quod corpus confirmer cet argument, il
habeat lineam et apporte une comparaison tirée
superficiem? Et ad huius des nombres. En effet, le plus
rationis confirmationem et le moins nombreux, qui sont
inducit simile de numero. donnés commes principes des
Multum enim et paucum, choses pour une raison
quae simili ratione ponuntur semblable, sont d’un autre
principia rerum, sunt alterius genre que le long et le court, le
generis a longo et brevi, lato large et l’étroit, l’épais et le
et stricto, profundo et humili. monce. Par conséquent, le
Et ideo numerus non nombre n’est pas contenu dans
continetur in his ces grandeurs, mais il est
magnitudinibus, sed est séparé en soi. Donc, pour la
separatus per se. Unde et même raison, le plus élevé des
eadem ratione nec superius principes énumérés n’est pas
inter praedicta erit etiam in non plus dans les inférieurs;
inferioribus, sicut linea non ainsi, la ligne n’est pas dans la
in superficie, nec superficies surface, ni la surface dans le
in corpore. corps.
[81822] Sententia Mais parce qu’on pourrait dire
Metaphysicae, lib. 1 l. 16 n. que certains des contraires
18 Sed quia posset dici, quod mentionnés sont les genres des
quaedam praedictorum autres, par exemple que le long
contrariorum sunt genera est le genre du large, et le large
aliorum, sicut quod longum du profond, il écarte cette idée
esset lati genus, et latum par l’argument suivant. Les
genus profundi; hoc removet principes ont le même rapport
tali ratione. Sicut habent se entre eux que ce qui découle
principia adinvicem, et des principes; si donc le large
principiata: si igitur latum est est un genre de l’épais, la
genus profundi, et superficies surface est aussi un genre du
erit genus corporis. Et ita corps. Et ainsi, le corps est
corpus erit aliquod planum, quelque chose de plat, c'est-à-
idest aliqua species dire une espèce de surface, ce
superficiei: quod patet esse qui est évidemment faux.
falsum.
[81823] Sententia Ensuite, lorsqu’il dit : Et les
Metaphysicae, lib. 1 l. 16 n. points, d’où viendront-ils? etc.,
19 Deinde cum dicit amplius il donne la deuxième raison,
puncta hic ponit secundam fondée sur les points; à ce
rationem, quae sumitur ex sujet, Platon semble avoir été
punctis; circa quam Plato en défaut de deux façons. Tout
videtur dupliciter deliquisse. d’abord, parce que, le point
Primo quidem, quia cum étant la borne de la ligne
punctus sit terminus lineae, comme la ligne est la borne de
sicut linea superficiei, et la surface et la surface celle du
superficies corporis; sicut corps, de même qu’il a affirmé
posuit aliqua principia, ex certains principes dont les
quibus componuntur réalités précédentes sont
praedicta, ita debuit aliquid composées, de même il aurait
ponere ex quo existerent dû affirmer quelque chose dont
puncta; quod videtur découle l’existence des points,
praetermisisse. ce qu’il semble avoir omis de
faire.
[81824] Sententia Deuxièmement, il est en défaut
Metaphysicae, lib. 1 l. 16 n. parce qu’il semble avoir eu des
20 Secundo, quia circa idées divergentes sur les
puncta videbatur diversimode points. En effet, il soutenait
sentire. Quandoque enim parfois que toute la théorie
contendebat totam doctrinam géométrique provenait de ce
geometricam de hoc genere genre (celui des points), en
existere, scilicet de punctis, autant qu’il affirmait que les
inquantum scilicet puncta points sont les principes et la
ponebat principia et substance de toutes les
substantiam omnium grandeurs. Et cela n’était pas
magnitudinum. Et hoc non qu’implicite; c’est aussi de
solum implicite, sed etiam façon explicite qu’il disait que
explicite punctum vocabat le point est le principe de la
principium lineae, sic ipsum ligne, le définissant lui-même
definiens. Multoties vero ainsi. Mais il a dit à maintes
dicebat, quod lineae reprises que les lignes
indivisibiles essent principia indivisibles sont les principes
linearum, et aliarum des lignes et des autres
magnitudinum; et hoc genus grandeurs, et que ces lignes
esse, de quo sit geometria, indivisibles sont le genre dont
scilicet lineae indivisibiles. traite la géométrie. Et pourtant,
Et tamen per hoc quod ponit en affirmant que toutes les
ex lineis indivisibilibus grandeurs sont composées de
componi omnes lignes indivisibles, il ne peut
magnitudines, non evadit éviter de dire que les grandeurs
quin magnitudines sont composées de points et
componantur ex punctis, et que les points sont les
quin puncta sint principia principes des grandeurs. Il est
magnitudinum. Linearum nécessaire, en effet, que les
enim indivisibilium lignes indivisibles aient des
necessarium esse aliquos bornes, qui ne peuvent être que
terminos, qui non possunt des points. Alors, pour la
esse nisi puncta. Unde ex qua même raison que la ligne
ratione ponitur linea indivisible est donnée comme
indivisibilis principium principe des grandeurs, le point
magnitudinum, ex eadem aussi est affirmé comme
ratione et punctum principe de la grandeur.
principium magnitudinis
ponitur.
Lectio 17 Leçon 17, texte d’Aristote,
traduit par Sr Pascale-
Dominique Nau
Enfin, quand il appartient à la
philosophie de rechercher la
cause des phénomènes, c’est
cela même que l’on néglige :
car on ne dit rien de la cause
qui est le principe du
changement ; et on s’imagine
expliquer l’essence des choses
sensibles, en posant d’autres
essences ; mais comment
celles-ci sont-elles les essences
de celles-là ? C’est sur quoi on
ne se paie que de mots, car
participer, comme nous l’avons
déjà dit, ne signifie rien. Et ce
principe que nous regardons
comme la fin des sciences, en
vue duquel agit toute
intelligence et tout être ; ce
principe que nous avons rangé
parmi les principes premiers,
les idées ne l’atteignent
nullement. Mais, les
Mathématiques sont devenues,
pour les modernes, toute la
Philosophie, quoiqu’ils disent
qu’on ne devrait les cultiver
qu’en vue du reste. De plus,
cette dyade, dont ils font la
matière des choses, on pourrait
bien la regarder comme une
matière purement
mathématique, comme un
attribut et une différence de ce
qui est et de la matière, plutôt
que comme la matière même :
c’est comme ce que les
physiciens appellent le rare et
le dense, ne désignant par là
que les différences premières
du sujet ; car tout cela n’est
autre chose qu’une sorte de
plus et de moins. Quant à ce
qui est du mouvement, si le
grand et le petit renferment le
mouvement, il est clair que les
idées seront en mouvement :
sinon, d’où est-il venu ? C’en
est assez pour supprimer d’un
seul coup toute étude de la
nature. Il eût paru facile à cette
doctrine de démontrer que tout
est un ; mais elle n’y parvient
pas, car, des raisons qu’on
expose, il ne résulte pas que
toutes choses soient l’unité,
mais seulement qu’il y a une
certaine unité existante, et il
reste à accorder qu’elle soit
tout : or cela, on ne le peut,
qu’en accordant l’existence du
genre universel, ce qui est
impossible pour certaines
choses. Pour les choses qui
viennent après les nombres, à
savoir, les longueurs, les
surfaces et les solides, on n’en
rend pas raison, on n’explique
ni comment elles sont et
deviennent, ni si elles ont
quelque vertu. Il est impossible
que ce soient des idées ; car ce
ne sont pas des nombres, ni des
choses intermédiaires, car ces
dernières sont les choses
mathématiques, ni enfin des
choses périssables ; mais il est
évident qu’elles constituent
une quatrième classe d’êtres.
Enfin, rechercher les
éléments des êtres sans les
distinguer, lorsque leurs
dénominations les distinguent
de tant de manières, c’est se
mettre dans l’impossibilité de
les trouver, surtout si on pose
la question de cette manière :
Quels sont les éléments des
êtres ? Car de quels éléments
viennent l’action ou la passion
ou la direction rectiligne, c’est
ce qu’on ne peut certainement
pas saisir ; on ne le peut que
pour les substances ; de sorte
que rechercher les éléments de
tous les êtres ou s’imaginer
qu’on les connaît, est une
chimère. Et puis, comment
pourra-t-on apprendre quels
sont les éléments de toutes
choses ? Évidemment, il est
impossible alors qu’on ne
possède aucune connaissance
préalable ; car quand on
apprend la géométrie, on a des
connaissances préalables, sans
qu’on sache d’avance rien de
ce que renferme la géométrie et
de ce qu’il s’agit d’apprendre ;
et il en est ainsi de tout le
reste ; si donc il y a une science
de toutes choses, comme
quelques-uns le prétendent, il
n’y a plus de connaissance
préalable. Cependant, toute
science, aussi bien celle qui
procède par démonstration que
celle qui procède par
définitions, ne s’acquiert qu’à
l’aide de connaissances
préalables, totales ou
particulières ; car toute
définition suppose des données
connues d’avance ; et il en est
de même de la science par
induction. Mais, d’un autre
côté, si la science se trouvait
actuellement innée, il serait
étonnant qu’à notre insu nous
possédions en nous la plus
haute des sciences. Et puis,
comment connaîtra-t-on les
éléments de toutes choses et
comment arrivera-t-on à une
certitude démonstrative ? Car
cela est sujet à difficulté ; et on
pourrait douter sur ce point
comme on doute au sujet de
certaines syllabes : les uns
disent, en effet, que la syllabe
est composée des trois
lettres et ; les autres
prétendent que c’est un autre
son, différent de tous ceux que
nous connaissons. Enfin, les
choses qui tombent sous la
sensation, comment celui qui
est dépourvu de la faculté de
sentir, pourra-t-il les
connaître ? Pourtant, il le
faudrait si les idées sont les
éléments dont se composent
toutes choses, comme des sons
composés viennent tous des
sons élémentaires.
Ainsi donc, il résulte
clairement de tout ce que nous
avons dit jusqu’ici : les
recherches de tous les
philosophes se rapportent aux
quatre principes déterminés par
nous dans la Physique, et qu’en
dehors de ceux-là il n’y en a
pas d’autre. Mais ces
recherches ont été faites sans
précision ; et si, en un sens, on
a parlé avant nous de tous les
principes, on peut dire en un
autre qu’il n’en a pas été parlé :
car la philosophie primitive,
jeune et faible encore, semble
bégayer sur toutes choses. Par
exemple, lorsque Empédocle
dit que ce qui fait l’os c’est la
proportion, il désigne par là la
forme et l’essence de la chose ;
mais il faut aussi que ce
principe rende raison de la
chair et de toutes les autres
choses, ou de rien ; c’est donc
par la proportion que la chair et
l’os et toutes les autres choses
existeront, et non pas par la
matière, laquelle est selon lui
feu, terre et eau. Qu’un autre
eût dit cela, Empédocle en
serait nécessairement
convenu ; mais il ne s’est pas
expliqué clairement.
L’insuffisance des recherches
de nos devanciers a été assez
montrée. Maintenant,
reprenons les difficultés qui
peuvent s’élever sur le sujet,
lui-même ; leur solution nous
conduira peut-être à celle des
difficultés qui se présenteront
ensuite.
Lectio 17 Leçon 17 (Traduction
Georges Comeau, 2011)
[81825] Sententia Il réfute ici la théorie de Platon
Metaphysicae, lib. 1 l. 17 n. 1 quant à ce qu’il affirmait au
Hic improbat positionem sujet des principes des choses :
Platonis quantum ad hoc, en premier, quant au fait qu’il
quod ponebat de rerum affirmait des principes
principiis. Et primo quantum d’existence; en second, quant
ad hoc quod ponebat au fait qu’il affirmait des
principia essendi. Secundo principes de connaissance, où
quantum ad hoc quod il dit : Et puis, comment
ponebat principia pourra-t-on, etc. Au sujet du
cognoscendi, ibi, quomodo premier point, il présente six
autem aliquis et cetera. Circa arguments, dont le premier
primum ponit sex rationes; vient du fait que Platon n’a pas
quarum prima sumitur ex parlé des genres de causes.
hoc, quod genera causarum C’est pourquoi il dit qu’il
praetermittebat. Unde dicit appartient absolument à la
quod omnino sapientia, sagesse, c'est-à-dire à la
scilicet philosophia habet philosophie, de rechercher les
inquirere causas de causes des phénomènes, c'est-
manifestis, idest de his, quae à-dire de ce qui apparaît aux
sensui apparent. Ex hoc enim sens. En effet, les hommes ont
homines inceperunt commencé à philosopher du
philosophari, quod causas fait qu’ils ont recherché les
inquisiverunt, ut in prooemio causes, comme on l’a dit dans
dictum est. Platonici autem, l’introduction. Mais les
quibus se connumerat, rerum Platoniciens, parmi lesquels il
principia praetermiserunt, se compte, ont laissé de côté
quia nihil dixerunt de causa les principes des choses, car ils
efficiente, quae est n’ont rien dit de la cause
principium transmutationis. efficiente, qui est le principe du
Causam vero formalem changement. Quant à la cause
putaverunt se assignare formelle, ils ont pensé la
ponentes ideas. Sed, dum ipsi trouver en affirmant l’existence
putaverunt se dicere des idées; mais, en pensant
substantiam eorum, scilicet définir la substance des
sensibilium, dixerunt sensibles, ils ont dit qu’il
quasdam esse alias existait des substances
substantias separatas ab istis séparées, qui différaient des
diversas. Modus autem, quo sensibles. Or, la manière dont
assignabant illa separata esse ils attribuaient ces êtres séparés
substantias horum comme substances aux
sensibilium, est supervacuus, sensibles ne signifie rien, c'est-
idest efficaciam non habens à-dire est inefficace et dénuée
nec veritatem. Dicebant enim de vérité. Ils disaient en effet
quod species sunt substantiae que les espèces sont les
eorum inquantum ab istis substances des sensibles parce
participantur. Sed hoc quod que ceux-ci y participent. Mais
de participatione dicebant, ce qu’ils disaient de la
nihil est, sicut ex supradictis participation est vide, comme il
patet. Item species, quas ipsi est évident d’après ce qui
ponebant, non tangunt précède. De plus, les espèces
causam finalem, quod tamen qu’ils affirmaient ne touchent
videmus in aliquibus pas à la cause finale, dont nous
scientiis, quae demonstrant voyons pourtant l’importance
per causam finalem, et dans les autres sciences, qui
propter quam causam omne démontrent par la cause finale,
agens per intellectum et cause qui motive tout agent qui
agens per naturam operatur, opère soit par intelligence, soit
ut secundo physicorum par nature, comme on l’a
ostensum est. Et sicut montré au livre II des
ponendo species non tangunt Physiques. Et de même qu’en
causam quae dicitur finis, ita affirmant l’existence des
nec causam quae dicitur espèces, ils ne parlent pas de la
principium, scilicet cause qu’on appelle la fin, ils
efficientem, quae fini quasi omettent également la cause
opponitur. Sed Platonicis appelée début28, c'est-à-dire la
praetermittentibus huiusmodi cause efficiente, qui est comme
causas facta sunt naturalia, ac l’opposé de la fin. Mais pour
si essent mathematica sine les Platoniciens, qui laissent de
motu, dum principium et côté ces causes, les êtres
finem motus naturels sont faits somme s’ils
praetermittebant. Unde et étaient des êtres
dicebant quod mathematica mathématiques sans
debent tractari non solum mouvement, puisqu’ils
propter seipsa, sed aliorum omettent le début et la fin du
gratia, idest naturalium, mouvement. C’est pourquoi ils
inquantum passiones disaient aussi qu’on ne doit pas
mathematicorum sensibilibus traiter des mathématiques
attribuebant. seulement pour leur propre
compte, mais aussi en vue
d’autre chose, à savoir les êtres
naturels, du fait qu’ils
attribuaient aux sensibles les
28 Dans le contexte, principium englobe en même temps des deux sens de début et de principe.
propriétés des êtres
mathématiques.
[81826] Sententia Puis lorsqu’il dit : De plus,
Metaphysicae, lib. 1 l. 17 n. 2 cette dyade, etc., il donne le
Deinde cum dicit amplius deuxième argument, que voici.
autem hic ponit secundam Ce qui est supposé comme
rationem, quae talis est. Illud, étant matière de la chose est
quod ponitur tamquam rei davantage la substance de la
materia, magis est substantia chose et y est davantage
rei et praedicabile de re, attribuable que ce qui est
quam illud quod est séparé de la chose. Mais
separatum a re: sed species l’espèce est séparée des choses
est separata a rebus sensibles; donc, selon l’opinion
sensibilibus: ergo secundum des Platoniciens, une chose
Platonicorum opinionem admet davantage une substance
magis aliquid suscipiet sous-jacente telle que la
substantiam subiectam, ut matière, plutôt qu’une espèce
materiam, esse substantiam séparée, comme substance des
mathematicorum quam êtres mathématiques. Aussi, on
speciem separatam. Magis attribue plus facilement la
etiam suscipiet eam matière à la chose sensible,
praedicari de re sensibili plutôt que l’espèce. En effet,
quam speciem praedictam. les Platoniciens affirmaient que
Platonici enim ponebant le grand et le petit sont les
magnum et parvum esse différences de la substance et
differentiam substantiae et de la matière. Ils mettaient en
materiei. Haec enim duo effet ces deux principes du côté
principia ponebant ex parte de la matière, comme les
materiae, sicut naturales physiciens disaient que le rare
ponentes rarum et densum et le dense sont les différences
esse primas differentias premières du sujet, c'est-à-dire
subiecti idest materiae, per de la matière, et que la matière
quas scilicet materia se transforme par ces
transmutabatur, dicentes eas différences, et ils disaient que
quodammodo scilicet celles-ci sont une sorte de
magnum et parvum. Quod ex grand et de petit. Cela est
hoc patet, quia rarum et évident du fait que le rare et le
densum sunt quaedam dense sont une sorte de
superabundantia et defectio. surabondance et de pénurie, car
Spissum enim est quod habet le concentré est ce qui a
multum de materia sub beaucoup de matière dans les
eisdem dimensionibus. mêmes dimensions, et le rare
Rarum quod parum. Et tamen ce qui en a peu. Et pourtant, les
Platonici substantiam rerum Platoniciens disaient que les
sensibilium magis dicebant espèces, davantage que les
species quam mathematica, et êtres mathématiques, sont la
magis praedicari. substance des choses et
s’attribuent davantage aux
choses.
[81827] Sententia Ensuite, lorsqu’il dit : Quant à
Metaphysicae, lib. 1 l. 17 n. 3 ce qui est du mouvement, etc.,
Deinde cum dicit et de motu il donne le troisième argument,
hic ponit tertiam rationem, que voici. Si ce qui est dans les
quae talis est. Si ea, quae sunt sensibles est causé par les
in sensibilibus, causantur a espèces séparées, il est
speciebus separatis, nécessaire de dire que l’idée du
necessarium est dicere quod mouvement est au nombre des
sit in speciebus idea motus, espèces, ou qu’elle n’y est pas.
aut non. Si est ibi aliqua S’il existe une idée ou une
species et idea motus, etiam espèce du mouvement, il est
constat quod non potest esse également évident que le
motus sine eo quod movetur, mouvement ne peut pas exister
necesse erit quod species sans ce qui est mû, et il est
moveantur; quod est contra donc nécessaire que les espèces
Platonicorum opinionem, qui soient mues, ce qui est
ponebant species immobiles. contraire à l’opinion des
Si autem non sit idea motus, Platoniciens, qui affirmaient
ea autem quae sunt in que les espèces sont
sensibilibus causantur ab immobiles. Mais s’il n’existe
ideis, non erit assignare pas d’idée du mouvement, vu
causam, unde motus veniat que ce qui se trouve dans les
ad ista sensibilia. Et sic sensibles est causée par les
aufertur tota perscrutatio idées, on ne peut par établir la
scientiae naturalis, quae cause pour laquelle le
inquirit de rebus mobilibus. mouvement survient dans les
sensibles. Et ainsi, on supprime
toute l’étude de la science
naturelle, dont la recherche
porte sur les êtres mobiles.
[81828] Sententia Puis lorsqu’il dit : Il eût paru
Metaphysicae, lib. 1 l. 17 n. 4 facile, etc., il énonce le
Deinde cum dicit et quod hic quatrième argument, que voici.
ponit quartam rationem, quae Si l’un était la substance de
talis est. Si unum esset toutes choses, comme l’ont
substantia rerum omnium affirmé les Platoniciens, il
sicut Platonici posuerunt, faudrait dire que toutes choses
oporteret dicere quod omnia sont un, comme l’ont affirmé
sint unum, sicut et naturales, les physiciens qui disaient que
qui ponebant substantiam l’eau, ou l’un des autres
omnium esse aquam, et sic de éléments, était la substance de
elementis aliis. Sed facile est toutes choses. Mais il est facile
monstrare, quod omnia non de démontrer que toutes choses
sunt unum: ergo positio quae ne sont pas un; donc, la théorie
ponit substantiam omnium selon laquelle la substance de
esse unum, est improbabilis. toutes choses est unique est
invraisemblable.
[81829] Sententia Mais si on disait qu’il ne
Metaphysicae, lib. 1 l. 17 n. 5 s’ensuit pas de la théorie de
Si autem aliquis dicat quod Platon que toutes choses sont
ex positione Platonis non absolument un, mais qu’elles
sequitur quod omnia sint sont seulement une certaine
unum simpliciter, sed aliquod unité, comme on dit que des
unum, sicut dicimus aliqua choses sont un par le genre ou
esse unum secundum genus, par l’espèce, si on voulait dire
vel secundum speciem; si que toutes choses sont un de
quis velit dicere sic omnia cette façon, cela même ne
esse unum, nec hoc etiam pourrait pas se soutenir, à
poterit sustineri, nisi hoc moins que l’« un » ne soit le
quod dico unum, sit genus, genre ou l’universel de toutes
vel universale omnium. Per choses. De cette façon, on
hunc enim modum possemus pourrait dire en effet que toutes
dicere omnia esse unum choses sont un de façon
specialiter, sicut dicimus particulilère, comme on dit que
hominem et asinum esse l’homme et l’âne sont l’animal
animal substantialiter. Hoc par leur substance. Mais il
autem quibusdam videtur semble impossible à certains
impossibile, scilicet quod sit qu’il existe un seul genre de
unum genus omnium; quia toutes choses, car il faudrait
oporteret, quod differentia alors que la différence qui
divisiva huius generis non divise ce genre ne soit pas
esset una, ut in tertio dicetur, unique, comme on le dira au
ergo nullo modo potest poni livre III, et donc, on ne peut
quod substantia rerum affirmer en aucune façon que
omnium sit unum. la substance de toutes choses
soit unique.
[81830] Sententia Ensuite, lorsqu’il dit : Pour les
Metaphysicae, lib. 1 l. 17 n. 6 choses qui viennent, etc., il
Deinde cum dicit nullam présente le cinquième
namque hic ponit quintam argument, qui est le suivant.
rationem, quae talis est. Plato Platon affirmait que, après les
ponebat post numeros, nombres, les longueurs, les
longitudines et latitudines et largeurs et les solides sont les
soliditates esse substantias substances des choses
rerum sensibilium, ex quibus sensibles, dont les corps sont
scilicet corpora composés. Mais cela, selon la
componerentur. Hoc autem théorie de Platon, ne semble
secundum Platonis aucunement donner une raison
positionem nullam rationem pour qu’on doive les supposer
habere videtur, quare debeant dans les choses présentes ou
poni nec in praesenti, nec in futures. Ils ne semblent pas non
futuro. Nec etiam videtur plus avoir la capacité d’être
habere aliquam potestatem ad causes des sensibles. En effet,
hoc quod sint sensibilium il faut comprendre ici par
causae. Per praesentia enim choses présentes celles qui sont
hic oportet intelligi immobiles et se comportent
immobilia, quia semper toujours de la même façon, et
eodem modo se habent. Per par futures celles qui peuvent
futura autem corruptibilia et se corrompre et être
generabilia, quae esse habent engendrées, et qui ont l’être
post non esse. Quod sic patet. après le non-être. En voici la
Plato enim ponebat tria preuve. Platon supposait en
genera rerum; scilicet effet trois genres de choses :
sensibilia, et species, et les sensibles, les espèces et,
mathematica quae media entre les deux, les êtres
sunt. Huiusmodi autem lineae mathématiques. Mais il est
et superficies, ex quibus impossible que ces lignes et
componuntur corpora ces surfaces, dont les corps
sensibilia, non est possibile sensibles sont composés, soient
esse species, quia species des espèces, car les espèces
sunt numeri essentialiter. sont essentiellement des
Huiusmodi autem sunt post nombres, mais ces choses
numeros. Nec iterum potest viennent après les nombres. Et
dici quod sunt intermedia on ne peut pas dire non plus
inter species et sensibilia. qu’elles sont des intermédiaires
Huiusmodi enim sunt entia entre les espèces et les
mathematica, et a sensibles, car ce rôle est joué
sensibilibus separata: quod par les êtres mathématiques,
non potest dici de illis lineis qui sont séparés des sensibles,
et superficiebus ex quibus propriété qu’on ne peut pas
corpora sensibilia attribuer aux lignes et aux
componuntur. Nec iterum surfaces, dont les corps
possunt esse sensibilia. Nam sensibles sont composés.
sensibilia sunt corruptibilia; Celles-ci ne peuvent pas non
huiusmodi autem plus être les sensibles, car les
incorruptibilia sunt, ut infra sensibles sont corruptibles,
probabitur in tertio. Ergo vel mais les lignes et les surfaces
ista nihil sunt, vel sunt sont incorruptibles, comme on
quartum aliquod genus le prouvera plus loin, au livre
entium, quod Plato III. Donc, ou bien elles ne sont
praetermisit. rien, ou bien elles sont un
quatrième genre d’êtres, dont
Platon n’a jamais parlé.
[81831] Sententia Puis lorsqu’il dit : Enfin,
Metaphysicae, lib. 1 l. 17 n. 7 rechercher les éléments, etc., il
Deinde cum dicit et omnino présente le sixième argument,
hic ponit sextam rationem, que voici. Il est impossible de
quae talis est. Impossibile est trouver les principes d’une
invenire principia alicuius chose qui se dit de plusieurs
multipliciter dicti, nisi façons, à moins de prendre
multiplicitas dividatur. Ea séparément ces plusieurs
enim quae solo nomine façons. En effet, les choses qui
convenientia sunt et differunt n’ont en commun que le nom
ratione, non possunt habere et diffèrent en raison ne
principia communia, quia sic peuvent pas avoir des principes
haberent rationem eamdem, communs, car ainsi elles
cum rei cuiuscumque ratio ex auraient la même notion,
suis principiis sumatur. puisque la notion de toute
Distincta autem principia his, chose est tirée de ses principes.
quibus solum nomen Mais il est impossible
commune est, assignari d’attribuer des principes
impossibile est, nisi his distincts aux choses qui n’ont
quorum principia sunt en commun que le nom, mais
assignanda adinvicem ces choses auxquelles on doit
diversis. Cum igitur ens attribuer des principes doivent
multipliciter dicatur et non être différentes entre elles.
univoce de substantia et aliis Alors, comme l’être se dit de
generibus, inconvenienter bien des façons, et ne se dit pas
assignat Plato principia de façon univoque de la
existentium, non dividendo substance et des autres genres,
abinvicem entia. Platon a eu tort d’attribuer des
principes aux êtres existants
sans distinguer les êtres entre
eux.
[81832] Sententia Mais alors qu’on pourrait
Metaphysicae, lib. 1 l. 17 n. 8 attribuer des principes à des
Sed quia aliquis posset choses différentes en raison
aliquibus ratione mais qui portent le même nom,
differentibus, quibus nomen en saisissant les principes
commune est, principia propres de chacune, sans
assignare, singulis propria distinguer la pluralité de sens
principia captando, sine hoc de l’appellation commune, les
quod nominis communis Platoniciens n’ont pas fait cela
multiplicitatem distingueret, non plus. C’est pourquoi,
hoc etiam Platonici non également, c’est-à-dire pour
fecerunt. Unde et aliter, idest une autre raison, c’est à tort
alia ratione inconvenienter qu’ils ont attribué des principes
rerum principia assignaverunt aux choses en procédant de
quaerentes ex quibus cette manière pour se
elementis sunt entia, demander à partir de quels
secundum hunc modum, quo éléments viennent les êtres, de
quaesierunt, ut scilicet non sorte qu’ils n’ont pas attribué
omnibus entibus sufficientia des principes à tous les êtres de
principia assignarent. Non façon suffisante. À partir de
enim ex eorum dictis est leurs dires, en effet, on ne peut
accipere ex quibus principiis pas savoir de quels principes
est agere aut pati, aut curvum viennent l’action ou la passion,
aut rectum, aut alia le courbe ou le droit, ou
huiusmodi accidentia. d’autres accidents du genre. En
Assignabant enim solum effet, ils attribuaient des
principia substantiarum, principes seulement aux
accidentia praetermittentes. substances, en omettant les
accidents.
[81833] Sententia Mais si on voulait dire, pour
Metaphysicae, lib. 1 l. 17 n. 9 défendre Platon, qu’on se
Sed si aliquis defendendo trouve à avoir compris ou
Platonem dicere vellet, quod découvert les éléments de tous
tunc contingit omnium les êtres lorsqu’on s’est
entium elementa esse contenté d’avoir ou de trouver
acquisita aut inventa, quando les principes des substances,
contingit solarum cette opinion ne serait pas
substantiarum principia vraie. En effet, bien que les
habita esse vel inventa, hoc principes des substances soient
opinari non est verum. Nam aussi de quelque façon les
licet principia substantiarum principes des accidents, les
etiam quodammodo sint accidents propres ont tout de
principia accidentium, tamen même des principes. Et les
accidentia propria principia mêmes choses ne sont pas non
habent. Nec sunt omnibus plus les principes de tous les
modis omnium generum genres de toutes les manières,
eadem principia, ut comme on le montrera plus
ostendetur infra, undecimo loin, au livre XI ou au livre
vel duodecimo huius. XII.
[81834] Sententia Ensuite, lorsqu’il dit : Et puis,
Metaphysicae, lib. 1 l. 17 n. comment pourra-t-on, etc., il
10 Deinde cum dicit argumente contre Platon quant
quomodo autem disputat au fait qu’il disait que les idées
contra Platonem quantum ad sont les principes de la science
hoc, quod ponebat ideas esse en nous. Et il énonce quatre
principia scientiae in nobis. arguments; voici le premier. Si
Et ponit quatuor rationes: les idées causaient la science
quarum prima est. Si ex ipsis en nous, il ne serait pas
ideis scientia in nobis possible d’apprendre les
causatur, non continget principes des choses. Mais il
addiscere rerum principia. est évident que nous
Constat autem quod apprenons; donc, la science
addiscimus. Ergo ex ipsis n’est pas causée en nous par les
ideis scientia non causatur in idées. Quant au fait qu’il ne
nobis. Quod autem non serait pas possible d’apprendre
contingeret aliquid addiscere quelque chose, il le prouve
sic probat. Nullus enim comme suit. En effet, nul ne
praecognoscit illud quod connaît d’avance ce qu’il doit
addiscere debet; sicut apprendre; ainsi, même si le
geometra, etsi praecognoscat géomètre connaît d’avance des
alia quae sunt necessaria ad choses nécessaires à la
demonstrandum, tamen ea démonstration, il ne doit pas
quae debet addiscere non connaître au préalable ce qu’il
debet praecognoscere. Et doit apprendre. Et il en va de
similiter est in aliis scientiis. même dans les autres sciences.
Sed si ideae sunt causa Mais si les idées sont causes de
scientiae in nobis, oportet la science en nous, il faut
quod omnium scientiam qu’elles contiennent la science
habeant, quia ideae sunt de toutes choses, car les idées
rationes omnium scibilium: sont les notions de tout ce qui
ergo non possumus aliquid peut être connu; nous ne
addiscere, nisi aliquis dicatur pouvons donc rien apprendre, à
addiscere illud quod prius moins qu’on ne dise que
praecognovit. Unde si quelqu'un apprend ce qu’il
ponatur quod aliquis connaissait déjà. C’est
addiscat, oportet quod non pourquoi, si on dit que
praeexistat cognoscens illa quelqu'un apprend, il faut qu’il
quae addiscit, sed quaedam n’ait pas d’avance la
alia cum quibus fiat connaissance de ce qu’il
disciplinatus, idest addiscens apprend, mais qu’il connaisse
praecognita omnia, idest d’autres choses à partir
universalia aut quaedam, desquelles il est instruit, ou
idest singularia. Universalia apprend : à l’aide de choses
quidem, sicut in his quae connues totales, c'est-à-dire
addiscuntur per universelles, ou particulières,
demonstrationem et c'est-à-dire singulières. On
definitionem; nam oportet apprend à l’aide des universels,
sicut in demonstrationibus, quand on le fait par
ita in definitionibus esse démonstration et par définition;
praecognita ea, ex quibus il faut en effet, dans les
definitiones fiunt, quae sunt démonstrations comme dans
universalia; singularia vero les définitions, que les
oportet esse praecognita in éléments qui constituent les
his quae discuntur per définitions soient connus
inductionem. d’avance, et ce sont des
universels; quant aux
singuliers, ils doivent être
connus d’avance dans ce qu’on
apprend par induction.
[81835] Sententia Puis lorsqu’il dit : Mais d’un
Metaphysicae, lib. 1 l. 17 n. autre côté, etc., il donne le
11 Deinde cum dicit sed si deuxième argument, que voici.
est hic ponit secundam Si les idées sont causes de la
rationem, quae talis est. Si science, il faut que notre
ideae sunt causa scientiae, science nous soit connaturelle.
oportet nostram scientiam C’est par elles en effet que les
esse nobis connaturalem. sensibles obtiennent leur nature
Sensibilia enim per haec propre, parce qu’ils participent
naturam propriam des idées selon les
adipiscuntur, quia ideas Platoniciens. Mais la discipline
participant secundum ou connaissance la plus forte
Platonicos. Sed potissima est celle qui nous est
disciplina sive cognitio est connaturelle, et nous ne
illa quae est nobis pouvons pas l’oublier, comme
connaturalis, nec eius cela est évident pour les
possumus oblivisci, sicut premiers principes de
patet in cognitione primorum démonstration, que nul
principiorum n’ignore; par conséquent, nous
demonstrationis, quae nullus ne pouvons en aucune façon
ignorat: ergo nullo modo oublier la science de toutes
possumus omnium scientiam choses causée en nous par les
ab ideis in nobis causatam idées. Cela est contraire aux
oblivisci. Quod est contra dires des Platoniciens, qui
Platonicos, qui dicebant quod affirmaient que l’âme, par suite
anima ex unione ad corpus de l’union au corps, oublie la
obliviscitur scientiae, quam science qu’elle a naturellement
naturaliter in omnibus habet: de toutes choses, et qu’ensuite,
et postea per disciplinam par l’étude, l’homme apprend
addiscit homo illud quod est ce qui était connu auparavant,
prius notum, quasi addiscere comme si apprendre n’était
nihil sit nisi reminisci. rien d’autre que se souvenir.
[81836] Sententia Ensuite, lorsqu’il dit : Et puis,
Metaphysicae, lib. 1 l. 17 n. comment connaîtra-t-on, etc., il
12 Deinde cum dicit amplius énonce le troisième argument,
autem hic ponit tertiam qui est le suivant. La
rationem, quae talis est. Ad connaissance des choses exige
rerum cognitionem requiritur, qu’on en connaisse non
quod homo non solum seulement les formes, mais
cognoscat formas rerum, sed aussi les principes matériels
etiam principia materialia, ex dont elles sont composées.
quibus componitur. Quod ex Cela est évident parce que des
hoc patet, quia de his doutes surgissent parfois à leur
interdum contingit esse sujet, comme dans le cas de la
dubitationem, sicut de hac syllabe « sma » : certains se
syllaba sma, quidam dubitant demandent si elle est composée
utrum sit composita ex tribus des trois lettres S, M et A ou si
literis scilicet s, m, a, aut sit elle constitue une lettre,
una litera praeter omnes différente de toutes les
praedictas habens proprium précédentes, qui a un son bien
sonum. Sed ex ideis non particulier. Mais les idées ne
possunt cognosci nisi permettre de connaître que les
principia formalia, quia ideae principes formels, car les idées
sunt formae rerum: ergo non sont les formes des choses;
sunt sufficientes causae elles ne sont donc pas des
cognitionis rerum principiis causes suffisantes de la
materialibus remanentibus connaissance des principes
ignotis. matériels des choses, qui
demeurent inconnus.
[81837] Sententia Puis lorsqu’il dit : Enfin, les
Metaphysicae, lib. 1 l. 17 n. choses qui tombent, etc., il
13 Deinde cum dicit amplius formule le quatrième argument,
autem hic ponit quartam que voici. Pour connaître les
rationem, quae talis est. Ad choses, il faut avoir la notion
cognitionem rerum oportet de des sensibles, car ceux-ci sont
sensibilibus notitiam habere, les éléments matériels
quia sensibilia sunt manifesta manifestes dont sont
elementa materialia omnium composées toutes choses,
rerum, ex quibus comme les syllabes et les
componuntur, sicut voces phrases sont composés de leurs
compositae, ut syllabae et éléments propres. Si donc la
dictiones componuntur ex science était causée en nous
propriis elementis. Si igitur par les idées, il faudrait
per ideas scientia in nobis également que la connaissance
causatur, oportet quod per des sensibles soit causée par
ideas causetur in nobis elles. Mais la science causée en
cognitio sensibilium. nous par les idées est reçue
Cognitio autem in nobis sans les sens, car les sens ne
causata ex ideis sine sensu nous disposent pas aux idées.
est accepta, quia per sensum Dans l’ordre de la
non habemus habitudinem ad connaissance, il s’ensuivrait
ideas. In cognoscendo ergo donc que celui qui est privé des
sequitur quod aliquis non sens pourrait connaître les
habens sensum possit sensibles, ce qui est
cognoscere sensibilia, quod évidemment faux. En effet,
patet esse falsum. Nam l’aveugle né ne peut pas avoir
caecus natus non potest la science des couleurs.
habere scientiam de
coloribus.
[81838] Sententia Ensuite, lorsqu’il dit : Ainsi
Metaphysicae, lib. 1 l. 17 n. donc, il résulte, etc., il résume
14 Deinde cum dicit quoniam ce qui a été dit des principes
ergo hic colligit ea, quae ab par les anciens, en disant qu’il
antiquis de principiis dicta est évident, d’après ce qui
sunt; dicens quod ex prius précède, que les anciens
dictis est manifestum, quod philosophes se sont efforcés de
antiqui philosophi conati sunt rechercher les causes qu’il a
quaerere causas a nobis in établies dans le livre des
libro physicorum Physiques et que, dans ce
determinatas, et quod per qu’ils ont dit, nous ne trouvons
dicta eorum non habemus pas d’autres causes que celles
aliquam causam extra causas qui sont énoncées dans ce livre.
ibi declaratas. Has autem Mais ils ont présenté ces
causas obscure dixerunt, et causes de façon obscure, et
quodammodo omnes ab eis d’une certaine façon ils ont
sunt tactae, quodammodo abordé toutes les choses, et
vero nullam earum tetigerunt. d’une autre façon ils n’en ont
Sicut enim pueri de novo abordé aucune. En effet, de
loqui incipientes imperfecte même que les enfants qui
et balbutiendo loquuntur, ita commencent à parler le font de
philosophia priorum façon imparfaite et en
philosophorum nova babillant, de même la
existens, visa est balbutiendo philosophie toute nouvelle des
et imperfecte de omnibus premiers philosophes semble
loqui circa principia. Quod in avoir traité de tout ce qui
hoc patet quod Empedocles concerne les principes en
primo dixit quod ossa habent balbutiant et de façon
quamdam rationem idest imparfaite. Cela est évident
commixtionem proportionis, dans les propos d’Empédocle,
quae quidem ratio est quod qui a dit en premier que les os
quid est et substantia rei. Sed ont un certain rapport, c'est-à-
similiter necessarium est de dire un mélange proportionné,
carne et de singulis aliorum, et que ce rapport constitue son
aut de nullo. Omnia enim ista être et sa substance. Mais alors,
ex elementis commixta sunt. il faut en dire autant de la chair
Et propter hoc patet quod et de n’importe quoi d’autre,
caro et os et omnia ou d’aucune de ces choses. Il
huiusmodi non sunt id quod est donc évident que la chair,
sunt, propter materiam quae les os et toutes les choses du
ab eo ponitur quatuor genre ne sont pas ce qu’ils sont
elementa, sed propter hoc à cause de la matière, qui
principium, scilicet formale. consiste selon lui dans les
Hoc autem Empedocles quasi quatre éléments, mais à cause
ex necessitate veritatis de ce principe, qui est formel.
coactus posuit aliquo alio Cela, Empédocle l’a admis, y
expressius ista dicente, sed étant nécessairement poussé
ipse manifeste non expressit. par la vérité, parce que
Et sicut expresse non quelqu'un l’autre l’a dit plus
manifestaverunt naturam expressément, mais lui-même
formae, ita nec materiae, ut ne l’a pas exprimé de façon
supra de Anaxagora dictum évidente. Et tout comme ils
est. Et similiter nec alicuius n’ont pas exposé explicitement
alterius principii. De talibus la nature de la forme, ils ne
ergo quae ab aliis imperfecte l’ont pas fait non plus pour la
dicta sunt, dictum est prius. matière, comme on l’a dit plus
Iterum autem in tertio libro haut au sujet d’Anaxagore, ni
recapitulabimus de istis pour aucun autre principe.
quaecumque circa hoc potest Nous avons donc parlé des
aliquis dubitare ad unam choses du genre qui ont été
partem vel ad aliam. Ex expliquées imparfaitement par
talibus enim dubitationibus les autres. Nous y reviendrons
forsitan investigabimus au livre III pour récapituler
aliquid utile ad dubitationes, tous les doutes qu’on pourrait
quas posterius per totam avoir à ce sujet dans un sens ou
scientiam prosequi et dans l’autre. À partir de ces
determinare oportet. doutes, nous ferons peut-être
des recherches utiles à leur
sujet, car il faudra plus tard
étudier à fond ces doutes
pendant tout le traité de cette
science et décider à leur sujet.
29 L’animal en question n’est pas facile à identifier. On penserait spontanément au hibou. Le latin
nycticorax veut dire, selon son étymologie grecque, “corbeau de nuit”, oiseau qui est en fait un héron
nocturne, dont le cri ressemble à celui d’un corbeau. Tout cela diffère des traductions du grec au
français (Tricot et Sr Nau), qui y voient la chauve-souris.
post apprehensionem alicuius l'appréhension d'un être très
magni intelligibilis, non intelligible, non seulement
minus intelligimus minus nous ne saisissons pas moins
intelligibilia, sed magis, ut un objet moins intelligible,
dicitur in tertio de anima. mais mieux, comme il est
expliqué au livre III De l’Âme.
[81850] Sententia Il faut donc dire que l’obstacle
Metaphysicae, lib. 2 l. 1 n. 12 qui empêche le sens de
Dicendum est ergo, quod connaître un objet sensible est
sensus impeditur a cognitione double. Un premier peut être la
alicuius sensibilis dupliciter. corruption de l'organe par un
Uno modo per corruptionem sensible trop parfait, ce qui n'a
organi ab excellenti sensibili; pas lieu pour l'intelligence. Un
et hoc locum non habet in second peut provenir du
intellectu. Alio modo ex manque de proportion de la
defectu proportionis ipsius puissance sensitive elle-même
virtutis sensitivae ad à l'égard de son objet. Les
obiectum. Potentiae enim puissances de l’âme ne sont
animae non sunt eiusdem pas d'égale force chez tous les
virtutis in omnibus animaux; mais comme il
animalibus; sed sicuti homini convient à l'homme, à cause de
hoc in sua specie convenit, son espèce, de posséder le
quod habeat pessimum moins bon des odorats, ainsi il
olfactum, ita nycticoraci, arrive au corbeau de nuit de
quod habeat debilem visum, posséder une vue débile, parce
quia non habet proportionem qu'elle n'est pas proportionnée
ad claritatem diei à connaître la clarté du jour.
cognoscendam.
[81851] Sententia Ainsi donc, comme l'âme
Metaphysicae, lib. 2 l. 1 n. 13 humaine est la dernière dans la
Sic igitur, cum anima hiérarchie des substances
humana sit ultima in ordine intelligentes, c'est elle qui
substantiarum participe le moins de la vertu
intellectivarum, minime intellective : et comme elle est
participat de virtute par nature l’acte d'un corps,
intellectiva; et sicut ipsa bien que sa puissance
quidem secundum naturam intellective ne soit pas l'acte
est actus corporis, eius autem d'un organe corporel, ainsi a-
intellectiva potentia non est t-elle une aptitude naturelle à
actus organi corporalis, ita connaître la vérité des êtres
habet naturalem aptitudinem corporels et sensibles, qui sont
ad cognoscendum par nature moins connaissables
corporalium et sensibilium à cause de leur matérialité,
veritatem, quae sunt minus mais peuvent quand même être
cognoscibilia secundum connus par l’abstraction des
suam naturam propter eorum sensibles à partir des
materialitatem, sed tamen phantasmes. Et parce que ce
cognosci possunt per mode de connaître la vérité
abstractionem sensibilium a convient à la nature de l’âme
phantasmatibus. Et quia hic humaine en tant qu’elle est
modus cognoscendi veritatem forme d'un tel corps, et que ce
convenit naturae humanae qui est naturel est permanent, il
animae secundum quod est est impossible que l'âme
forma talis corporis; quae humaine, unie de cette manière
autem sunt naturalia semper au corps, connaisse quelque
manent; impossibile est, quod chose de la vérité des êtres sans
anima humana huiusmodi s’y élever, autant qu’elle le
corpori unita cognoscat de peut, par ce qu’elle comprend
veritate rerum, nisi quantum en abstrayant des phantasmes.
potest elevari per ea quae Or, par ce qu'elle abstrait des
abstrahendo a phantasmes, elle ne peut en
phantasmatibus intelligit. Per aucune manière être élevée à
haec autem nullo modo connaître les quiddités des
potest elevari ad substances immatérielles, qui
cognoscendum quidditates sont hors de proportion avec
immaterialium ces substances sensibles. Il est
substantiarum, quae sunt donc impossible que l'âme
improportionatae istis humaine, unie de cette manière
substantiis sensibilibus. Unde au corps, saisisse les
impossibile est quod anima substances séparées en
humana huiusmodi corpori connaissant d'elles ce qu’elles
unita, apprehendat sont, leur essence.
substantias separatas
cognoscendo de eis quod
quid est.
[81852] Sententia De là, on peut voir la fausseté
Metaphysicae, lib. 2 l. 1 n. 14 de ce que dit ici Averroès dans
Ex quo apparet falsum esse son Commentaire. Il dit que le
quod Averroes hic dicit in Philosophe ne démontre pas
commento, quod philosophus qu'il nous est impossible de
non demonstrat hic, res connaître les choses abstraites,
abstractas intelligere esse comme il est impossible à la
impossibile nobis, sicut chauve-souris de regarder le
impossibile est vespertilioni soleil. Et la raison qu'il apporte
inspicere solem. Et ratio sua, est tout à fait ridicule. En effet,
quam inducit, est valde il ajoute que s’il en était ainsi,
derisibilis. Subiungit enim, la nature aurait agi en vain, en
quoniam si ita esset, natura faisant que personne ne
otiose egisset, quia fecit illud connaisse ce qui est
quod in se est naturaliter naturellement intelligible en
intelligibile, non esse soi, comme si la nature avait
intellectum ab aliquo; sicut si fait que personne ne voie le
fecisset solem non soleil. La raison qu'il apporte
comprehensum ab aliquo n'est pas valable. En premier,
visu. Deficit enim haec ratio. parce que la connaissance de
Primo quidem in hoc, quod notre intelligence n'est pas la
cognitio intellectus nostri non fin des substances séparées;
est finis substantiarum c'est plutôt l'inverse qui est
separatarum, sed magis e vrai. Donc, il ne s'ensuit pas
converso. Unde non sequitur, que ces substances soient
quod, si non cognoscantur vaines, si nous ne les
substantiae separatae a nobis, connaissons pas. Ce qui est
quod propter hoc sint frustra. vain, c'est ce qui n'atteint pas la
Frustra enim est, quod non fin pour laquelle il est fait. En
consequitur finem ad quem second, parce que, même si
est. Secundo, quia etsi nous ne connaissons pas les
substantiae separatae non substances séparées selon leur
intelliguntur a nobis essence, d’autres intelligences
secundum suas quidditates, les connaissent, comme l'œil de
intelliguntur tamen ab aliis l’aigle voit le soleil qu'ignore
intellectibus; sicut solem etsi l'œil du corbeau de nuit.
non videat oculus
nycticoracis, videt tamen
eum oculus aquilae.
[81853] Sententia Puis quand il dit : Il est donc
Metaphysicae, lib. 2 l. 1 n. 15 juste, etc., il montre comment
Deinde cum dicit non solum les hommes s'entraident dans la
ostendit quomodo se homines connaissance de la vérité. Cette
adinvicem iuvant ad entraide peut se faire de deux
considerandum veritatem. manières : directement et
Adiuvatur enim unus ab indirectement. Directement, si
altero ad considerationem quelqu’un est aidé par ceux qui
veritatis dupliciter. Uno ont déjà trouvé la vérité car,
modo directe. Alio modo ainsi qu’on l'a dit plus haut,
indirecte. Directe quidem l'assemblage ou la somme des
iuvatur ab his qui veritatem parcelles de vérité trouvées par
invenerunt: quia, sicut dictum les chercheurs précédents
est, dum unusquisque introduit leurs successeurs à
praecedentium aliquid de une connaissance considérable
veritate invenit, simul in de la vérité. Indirectement,
unum collectum, posteriores lorsque les erreurs des premiers
introducit ad magnam poussent ceux qui leur
veritatis cognitionem. succèdent au labeur d'une
Indirecte vero, inquantum discussion serrée dans le but de
priores errantes circa faire ressortir avec plus d'éclat
veritatem, posterioribus la vérité.
exercitii occasionem
dederunt, ut diligenti
discussione habita, veritas
limpidius appareret.
[81854] Sententia Il est vraiment juste de
Metaphysicae, lib. 2 l. 1 n. 16 remercier ceux qui nous ont
Est autem iustum ut his, aidés dans l’acquisition du si
quibus adiuti sumus in tanto grand bien qu'est la
bono, scilicet cognitione connaissance de la vérité. C'est
veritatis, gratias agamus. Et pourquoi le Philosophe dit qu'il
ideo dicit, quod iustum est est juste d’avoir de la
gratiam habere, non solum reconnaissance non seulement
his, quos quis existimat envers ceux qui, d'après nous,
veritatem invenisse, quorum ont trouvé la vérité et dont
opinionibus aliquis nous acceptons avec profit les
communicat sequendo eas; opinions, mais même à ceux
sed etiam illis, qui qui ont exprimé des vues trop
superficialiter locuti sunt ad superficielles sur la vérité et
veritatem investigandam, dont nous rejetons les théories,
licet eorum opiniones non car nous sommes redevables
sequamur; quia isti etiam même à ces derniers : ils nous
aliquid conferunt nobis. ont fourni l'occasion de nous
Praestiterunt enim nobis exercer à la recherche de la
quoddam exercitium circa vérité. Et il pose l'exemple de
inquisitionem veritatis. Et ceux qui ont développé l'art de
ponit exemplum de la musique. Sans Timothée, qui
inventoribus musicae. Si a trouvé quantité de choses sur
enim non fuisset Timotheus l'art musical, il nous
qui multa de arte musicae manquerait bien des
invenit, non haberemus ad connaissances sur les mélodies.
praesens multa, quae scimus Mais s’il n’avait pas été
circa melodias. Et si non précédé par un philosophe du
praecessisset quidam nom de Phrynis, Timothée
philosophus nomine Phrynis, n'aurait pas été aussi versé dans
Timotheus non fuisset ita l'art musical. Ainsi en est-il des
instructus in musicalibus. Et philosophes qui ont exposé
similiter est dicendum de leurs vues sur la vérité de
philosophis qui enuntiaverunt toutes choses. De plusieurs de
universaliter veritatem rerum. nos prédécesseurs, nous avons
A quibusdam enim reçu certaines opinions sur la
praedecessorum nostrorum réalité, que nous avons
accepimus aliquas opiniones considérées comme vraies, en
de veritate rerum, in quibus laissant tomber les autres. Et
credimus eos bene dixisse, ceux envers qui nous sommes
alias opiniones redevables ont aussi eu leurs
praetermittentes. Et iterum prédécesseurs dont ils ont reçu
illi, a quibus nos accepimus, la doctrine, et qui furent causes
invenerunt aliquos de leur propre instruction.
praedecessores, a quibus
acceperunt, quique fuerunt
eis causa instructionis.