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Fatima Sadiqi

GRAMMAIRE DU
BERBÈRE
PHONOLOGIE
O. Introduction
La phonologie est souvent associée à la phonétique dans les études linguistiques modernes.
Cette association est due, d'une part, au fait que ces deux domaines de recherche ont le même objet
d'analyse: les sons du langage humain et, d'autre part, à l'interdépendance des méthodes utilisées dans ces
deux domaines d'analyse.
Cependant, la phonétique est plus générale que la phonologie en ce sens qu'elle couvre tous les sons
pouvant être émis ou perçus par un locuteur, alors que la phonologie est plus spécifique étant centrée sur
l'étude de la fonction distinctive des sons.
Plus précisément, la phonétique est une science qui fournit les outils nécessaires pour analyser les
particularités physiques des différents sons langagiers de par leur production (phonétique articulatoire),
leur transmission (phonétique acoustique) ou leur perception (phonétique auditive ou perceptive). Ces
outils sont utilisés en phonologie pour identifier le fonctionnement linguistique des sons dans une langue
donnée. Vu la nature de ces outils phonétiques, les études phonologiques des langues peuvent en principe
se faire à partir des données articulatoires, acoustiques ou auditives des sons de ces langues. Dans cet
ouvrage, où le but est de donner un aperçu général sur la grammaire berbère, nous nous intéresserons
particulièrement aux données articulatoires.
L'objet d'une étude phonologique est de dégager les particularités et la distribution des sons qui forment le
système phonologique d'une langue donnée et qui se concrétisent dans la compétence phonologique de ses
locuteurs natifs. Dans le cas du berbère, c'est au niveau phonétique que le plus de variation est constaté
entre les différents groupes dialectaux et parlers.
Un nombre considérable de linguistes berbérisants nationaux et étrangers ont étudié, avec plus ou moins
de détails, les particularités phonologiques des parlers berbères appartenant à différentes aires
géographiques: Biarnay (1911), Laoust (1918, 1927), Basset (1929, 195), Galand (1953), Applegate
(1959), Prasse (1959), Willms (1965), Penchoen (1973), Chaker (1973, 1975, 1984), Saib (1974, 1976,
1981), Guerssel (1977, 1983), Chami (1979), Taifi (1979), El Moujahid (1981), Boukous (1979, 1982,
1987), Bentolila (1981), Chiatou (1982. 1991, 1994), Ameur (1985). Cadi (1987), Adnor (1995) et
Ouakrim (1995), entre autres.
Dans ce chapitre, les caractéristiques phonologiques du parler Ait Hassan (région de Marrakech, Maroc)
sont présentées. Nous continuerons à utiliser le mot "berbère" pour nous référer à ce parler. Le lecteur
intéressé peut comparer les propos avancés dans ce chapitre avec ceux d'un autre parler berbère. Ce
chapitre est organisé en cinq sections principales, chacune représentant un aspect spécifique du système
phonologique berbère.
La première section est une présentation des phonèmes du berbère. Ces phonèmes, dits unités
segmentales, sont de deux types majeurs: (1) les phonèmes consonantiques et (2) les phonèmes
vocaliques. Ces deux types de phonèmes sont primaires.
Les phonèmes consonantiques contiennent des phonèmes ayant subi une articulation superposée, par
exemple l'emphase, la tension ou la labialisation. Une autre articulation superposée moins importante
sur le plan phonologique est abordée: la palatalisation.
La deuxième section est une esquisse des trois principaux éléments suprasegmentaux, ou prosodiques,
du berbère: (1) l'accent, (2) la pause et (3) l'intonation.
La troisième section est consacrée aux six processus phonologiques majeurs en berbère: (1)
l'assimilation, (2) la dissimilation, (3) l'insertion, (4) la substitution, (5) la réduplication et (6)
l'effacement.
La quatrième section est réservée à la notion de syllabe et ses caractéristiques majeures en berbère.
Enfin, la cinquième section est consacrée aux règles phonologiques du berbère.
1. Les phonèmes du dialecte berbère Aït Hassan
Le premier but de l'étude phonologique d'une langue quelconque est d'isoler les sons qui possèdent une
identité phonologique indépendante qui les rend distinctifs dans cette langue. Pour dégager ces sons, les
phonologues ont toujours eu recours à des procédés ou tests dits "de commutation". Ces procédés
opposent deux mots qui ont des sens différents mais qui contiennent exactement les mêmes sons sauf un.
C'est ce son qui, par conséquent, différencie les sens de ces deux mots constituant une "paire minimale".
Par exemple, les phonèmes /p/ et /b/ sont dits pertinents en français en raison du fait qu'ils sont capables
de différencier les mots pelle et belle, qui contiennent les mêmes sons sauf /b/ et /p/ respectivement. A
noter que les oppositions phonologiques entre les phonèmes peuvent avoir lieu au début, au milieu ou à la
fin d'un mot. Les phonèmes sont, donc, les unités minimales distinctives que l'on peut délimiter dans une
chaîne parlée.
Cette définition a été donnée par les premiers structuralistes et a été développée par Jakobson (1960) qui
ajoute que les phonèmes sont en réalité des faisceaux de traits (articulatoires et acoustiques) qui se
réalisent simultanément. La décomposition des phonèmes permet, en effet, d'avancer que seulement un
petit nombre de ces traits sont distinctifs, les autres étant redondants selon le contexte. A noter que les
générativistes ne reconnaissent pas le concept de phonème (voir Chomsky et Halle 1968).
Les sons pertinents d'une langue sont appelés "phonèmes" et constituent le système phonologique de
cette même langue. La notion de pertinence en phonologie est particulièrement importante vu qu'elle met
en jeu le niveau sémantique: bien que les phonèmes n’ont pas de sens, ils sont capables de changer le sens
des mots. Le concept de phonème a toujours constitué un outil utile dans toutes analyses phonologiques
des langues naturelles. Les unités phonématiques d'une langue sont limitées en nombre et constituent
l'inventaire phonémique de cette même langue. Chaque langue a son propre inventaire phonémique et
même si une langue contient des sons qui apparaissent dans d'autres langues, la prononciation de ces sons
n'est jamais la même étant donné que chaque langue combine ses sons d'une façon qui lui est spécifique.
Il faut préciser ici, qu'au niveau de l'analyse phonologique, les phonèmes sont des construits ou des unités
abstraites. Les réalisations de ces phonèmes dans le langage courant sont appelées "allophones". Les
allophones doivent partager certains traits articulatoires ou acoustiques.
Quand les allophones d'un même phonème apparaissent dans le même environnement phonique, ils sont
dits en variation libre et quand ils apparaissent dans des contextes phonétiques différents; ils sont en
distribution complémentaire. Dans les deux cas, les allophones d'un même phonème ne changent jamais le
sens des mots. Par exemple, /b/ est un phonème en berbère qui peut se réaliser soit comme [b] ou comme
[p]. Ces deux allophones sont des variantes contextuelles qui n'ont pas d'influence sur le sens des mots en
berbère:
(1)
a. [lbaspur] et [lpasbur] "passport"
b. [lbirmi] et [lpirmi] "permis"
Le phonème /b/ en berbère peut donc être représenté comme suit:
(2)
/b/
[b] [p]
Dans les systèmes phonologiques des langues, on rencontre deux catégories de sons ou "segments" qui
sont susceptibles de fonctionner comme phonèmes: (1) les consonnes et (2) les voyelles.
Les termes "consonnes" et "voyelles" sont des termes fonctionnels qui désignent des unités phonologiques
distinctives et indépendantes par rapport à la position occupée dans la syllabe (voir Section 4 ci-dessous
pour une analyse de la syllabe en berbère). Signalons que les termes "vocoïdes" et "contoïdes" réfèrent à
ces segments mais ils relèvent du niveau acoustique
Les consonnes et les voyelles sont deux types de phonèmes qui sont à la base de la formation syllabique
dans les langues naturelles et y constituent la cible de tous les processus phonologiques. A part les
segments, d'autres types de sons, dits supra segmentaux, comme l'intonation par exemple (voir Section 2
ci-dessous), peuvent aussi avoir un rôle distinctif dans les langues naturelles.
Le berbère possède un système phonématique riche ou les consonnes les voyelles et les éléments supra
segmentaux peuvent avoir un rôle distinctif. Nous commencerons par considérer les consonnes.
1.1. Les consonnes

1.1.1. Les phonèmes primaires (de base)

Les consonnes du berbère forment un système clos et complexe. Le nombre de ces phonèmes est limité.
Ces unités sont dégagées par le biais du test de commutation mentionné ci-dessus. L'identification de
ces consonnes est essentiellement basée sur leurs caractéristiques articulatoires. Deux paramètres majeurs
sont pris en considération dans la délimitation des consonnes: (1) le lieu d'articulation et (2) le mode
d'articulation. La présence ou l'absence de vibration des cordes vocales lors de la production de ces
consonnes nous permet de distinguer d'autres consonnes, mais strictement parlant, cette opposition relève
du mode d'articulation.

Le premier paramètre spécifie le ou les organes de l'appareil phonatoire qui sont directement responsables
de la production d'une consonne donnée. Quant au deuxième paramètre, il caractérise la façon dont l'air
provenant des poumons est modifié par les organes d'articulation, ainsi, le passage de l'air peut être
complètement ou partiellement interrompu. Ce paramètre nous permet aussi de différencier deux
consonnes ayant les mêmes lieu et mode d'articulation mais dont l'articulation s'accompagne ou non de
vibration des cordes vocales.

Dans le premier cas, nous avons affaire à des consonnes sonores ou voisées et dans le second cas, à des
consonnes sourdes ou non-voisées
Sur la base de ces deux critères d'identification, les oppositions consonantiques primaires (ou de base) qui
caractérisent le berbère sont incluses dans le tableau 1 ci-dessous. Ce tableau est à double-entrée: les
lignes représentent les modes d’articulation (série) et les colonnes les lieux d'articulation (ordre).
L'emphase (voir Section 1.1.2. Ci-dessous) est rendue par un point souscrit. A noter que cette transcription
est adoptée de l'API: Alphabet Phonétique International.

Série
Ordre Lab. Lab- Alvé. Post- Pal. Vél. Uvul. Phar. Lar.
Dent. alvé.
Occ. b tţdḑ kg q ?
Nas. m n
Cons. f sșzȥ š ž ẓ̆ x, R hϛ ħ
Lat. l
Vibr. r
Semi- w j
C.

Lab.= Labiales
Lab-Dent.=Labio-dentales
Alvé.=Alvéolaires
Post-alvé.=Post-alvéolaires
Pal.=Palatales
Vél.=Vélaires
Uvul.=Uvulaires
Phar.=Pharyngales
Lar.=Laryngales
Occ.= Occlusives
Nas.= Nasales
Cons.= Constrictives
Lat.= Latérales
Vibr.= Vibrantes
Semi-C.= Semi-consonnes

Le tableau I représente les principales consonnes du parler étudié. Toutes les unités distinctives qui
figurent sur ce tableau sont le résultat d'articulations primaires et ne sont conditionnées par aucun
contexte. Il existe donc 28 phonèmes consonantiques résultant d'articulations primaires en berbère. Nous
procéderons à une brève description phonologique de chacun de ces phonèmes.
Le phonème /b/ est une consonne labiale occlusive sonore. Cette consonne n'a pas de contrepartie
phonématique sourde en berbère. Ce phonème a cependant des variations allophoniques: par exemple, il
remplace régulièrement le /p/ dans les emprunts au français, qui s'effectuent généralement â travers l'arabe
standard, ou dialectal:
(3)
a. [lbikub] "pickup"
b. [lbosta] "poste"
c. [lbulis] "police"
d. [lbiru] "bureau"

Ensuite, le phonème /b/ est souvent attesté dans des positions qui précèdent les consonnes sonores ou les
voyelles. Quand /b/ précède une consonne sourde, il a tendance à se dévoiser, comme dans l'exemple
suivant:
(4)
a. [ikub̥t] "il l'a versé"
b [ab̥Xan] "le noir"

Le phonème /t/ est une consonne alvéolaire occlusive sourde. Plus précisément, cette consonne est "apico-
alvéolaire" car la pointe de la langue n'est pas en contact avec les incisives. La consonne IV a relativement
beaucoup de variations allophoniques en berbère selon le contexte phonétique dans lequel elle apparaît.
Par exemple, ce phonème est légèrement aspiré quand il précède une voyelle ou quand il apparaît en
position finale:
(5)
a. [tʰaJurtʰ] "lune"
b. [itʰaftʰ] "il l'a pris"

Ce même phonème n'est pas aspiré (d'où l'absence de diacritique dans les exemples ci-après) quand il
précède une consonne, quand il apparaît entre deux voyelles, entre une consonne et une voyelle ou entre
une voyelle et une consonne:
(6)
a. [imta] "il a couvert"
b. [utim] "poignée"
c. [kti], "se souvenir"
d. [atfl] "neige"
Le phonème /ṭ/ est une consonne alvéolaire occlusive sourde et emphatique.
(7)
a. [ṭamṭut] "femme"
b. [ṭajtst] "sorte d'insecte"
Le phonème /d/ est une consonne alvéolaire occlusive sonore. Comme /t/, /d/ est plutôt apico-alvéolaire
pour la même raison. En s'accompagnant de vibration des cordes vocales, cette consonne est la
contrepartie sonore de la consonne sourde /t/. /d/ apparaît souvent devant les consonnes sonores et les
voyelles.
(8)
a. [udm] "visage"
b. [tadawt] "dos"

Le phonème /ḍ/ est une consonne alvéolaire occlusive sonore et emphatique.


(9)
a. [aḍMis] "gifle"
b. [aḍar] "pied"

Le phonème /k/ est une consonne vélaire occlusive sourde. Cette consonne a des variations allophoniques.
Elle est souvent aspirée quand elle est initiale dans un mot et quand elle est suivie de la voyelle /a/:
(10)
a. [kʰumz] "gratter"
b. [kʰiJin] "toi" (masculin, singulier)
c. [akʰaws] "une grande fille"
Ce phonème perd son aspiration quand il apparaît entre deux voyelles et devient [ç], la contrepartie
constrictive de /k/:
(11)
a. [açusam] "handicapé"
b. [içid]"herbe sauvage"
c. [içda]"il a senti"

Le phonème /g/ est une consonne vélaire occlusive sonore. C'est la contrepartie sonore du phonème /k/.
Cette consonne précède les voyelles et les consonnes. Devant la voyelle /u/, le phonème /g/ acquiert une
articulation superposée: il devient labialisé (voir Section 1.1.2. ci-dessous):
(12)
a. [gʷz] "descendre"
b. [tagʷnt] "porte"
Cette caractéristique n'est cependant pas pertinente au niveau du sens dans le parler étudié, mais elle peut
l'être dans des parlers comme Alt Ndhir: aGa "vérifier" et aGʷa "fardeau".

Le phonèmes /q/ est une consonne uvulaire occlusive sourde.


(13)
a. [iqaridn] "argent"
b. [aqbu] "grosse branche"
Le phonème /?/ est une consonne laryngale occlusive sonore.
(14)
a. [?awal] "parole"
b. [?awtul] "lièvre"

Le phonème /m/ est une consonne nasale labiale. Dans le cas des consonnes nasales en berbère, comme
dans toutes les langues naturelles, la sonorité ou le voisement est un trait redondant et non-distinctif. La
consonne unie est souvent présente à proximité des voyelles: elle les précède ou les suit. Cette consonne
apparaît donc dans les contextes [V— V], [C—V] et [V—C].
(15)
a. [imi] "bouche"
b. [asmun] "compagnon"
c. [umlil] "blanc"

Quand il précède ou suit une consonne, le phonème /m/ peut devenir syllabique en ce sens qu'il constitue
une syllabe â lui seul (voir Section 5 ci-dessous). Entre deux consonnes, /m/ est souvent suivi d'un schwa:
(16)
a. [mḍl] "enterrer"
b. [mtl] "disparaître"
C. [smǝl] "montrer" -
d. [tmǝt] "elle mourût,
Quand /m/ précède une consonne sourde, il a tendance à se dévoiser:
(17)
a. [ṃtu] "couvrir"
b. [ṃka] "comme ça"

Le phonème /n/ est une consonne nasale alvéolaire. Comme /m/, il apparaît souvent entre deux voyelles,
une consonne et une voyelle ou une voyelle et une consonne.
(18)
a. [anu] "puits"
b. [knu] "se courber"
C. [anf] "ouvrir"

Encore une fois, comme /m/, le segment /n/ n'apparaît pas entre deux consonnes sans la présence d'une
voyelle ou d'un schwa. Dans ces contextes phonétiques, le phonème /n/ est souvent syllabique:
(19)
a. [səṇs] "hérberger"
b. [səṇfl] "cacher"
Quand elle précède les consonnes vélaires /k/ ou /g/, la consonne /n/adopte le lieu d'articulation de ces
dernières et devient [ŋ].
(20)
a. [tŋkr] "elle s'est levée"
b. [giŋgid] "sorte d'herbe"

Le phonème /f/ est une consonne labio-dentale constrictive sourde. Comme /b/, /f/ n'a pas de contrepartie
sonore en berbère. Cette consonne ne subit pas de restrictions phonétiques importantes. Elle a tendance à
apparaître devant les voyelles et les consonnes sourdes. La consonne /f/ peut précéder une consonne
sonore comme en (21c) ci-dessous, auquel cas elle devient sujette à la contrainte générale qui stipule qu'en
berbère, comme en arabe marocain, le schwa n'apparaît jamais dans une syllabe ouverte.
(21)
a. [afus] "main"
b. [fsus] "être léger"
c. [fḑr] "prendre le petit déjeuner"

Le phonème /s/ est une consonne alvéolaire constrictive sourde. Cette consonne a des variations
allophoniques selon les contextes phonétiques dans lesquels elle apparaît. Quand elle apparaît devant une
consonne sonore, elle est souvent suivie d'une voyelle pleine ou d'un schwa:
(22)
a. [asi] "prendre"
b. [asəgn] "amas"

Le phonème /ṣ/ est une consonne alvéolaire constrictive sourde et emphatique. Voici des exemples:
(23)
a. [aṣbud] "gros ventre"
b. [tiṣmdi] "froideur"

Le phonème /z/ est une consonne alvéolaire constrictive sonore. C'est la contrepartie de la consonne
sourde /s/.
(24)
a. [izil] "il est bon"
b. [tazult] "antimoine, koheul"

Le phonème /ẓ/ est une consonne alvéolaire constrictive -sonore et emphatique.


(25)
[iẓi] "vésicule biliaire"

Le phonème /š/ est une consonne post-alvéolaire constrictive sourde. Cette consonne ne semble pas être
sujette à des restrictions phonétiques particulières. Elle nécessite, cependant, l'insertion d'un schwa quand
elle précède une consonne sonore ou sourde:
(26)
a. [šǝd] "glisser"
b. [šǝTb] "balayer"

Le phonème /ž/ est une consonne post-alvéolaire constrictive sonore. C'est la contrepartie sonore de la
consonne sourde /š/. /ž/ ne semble pas subir de restrictions phonétiques particulières. Quand il précède une
autre consonne sourde, le segment /z/ a tendance à se dévoiser et devenir [š]:
(27)
a. [šfna] "bassine"
b. [aštig] "buisson"

Le phonème /ž/ est une consonne apico-alvéolaire constrictive sonore et emphatique. Voici des exemples
(28)
a. [iža] "ça sent mauvais"
b. [ahnẓ̆if] "poignée"

Le phonème /x/ est une consonne uvulaire constrictive sourde. Cette consonne ne subit pas de variations
phonétiques importantes. Considérons les exemples suivants:
(29)
a. [xatr] "grandir"
b. [ixf] "tête"

Le phonème /R/ est une consonne uvulaire constrictive sonore. /R/ est la contrepartie sonore de la
consonne /x/, toutes les deux constrictives et uvulaires. /R/ partage avec /q/ le lieu mais pas le mode
d'articulation: /q/ est uvulaire mais /R/ est occlusive. Voici des exemples:
(30)
a.[uRb]"dent"
b.[aRnsa]"visage"
c.[aRljas]"tigre"

Le phonème /ħ/ est une pharyngale constrictive sourde. Cette consonne n'est pas sujette à des restrictions
phonétiques particulières. Cependant, la consonne /ħ/ est souvent suivie d'une voyelle pleine ou d'un
schwa quand elle précède une autre consonne comme l'attestent les exemples suivants:
(31)
a. [iħuft] "il l'a expédié"
b. [aħəndir] "sorte de couverture en laine"

Le phonème /ς / est une consonne pharyngale constrictive sonore. Cette consonne est la contrepartie de la
consonne sourde /ħ/. Considérons les exemples suivants:
(32)
a. [aςJal] "garçon"
b. [ςajd] "partons!"

Le phonème /h/ est une consonne laryngale constrictive sonore. Voici des exemples:
(33)
a. [ihtr] "il a divagué"
b. [hijat] "soigne-le!"

Le phonème /1/ est une consonne alvéolaire latérale sonore. Cette consonne est souvent précédée ou suivie
d'une voyelle dans le parler décrit dans cet ouvrage:
(34)
a. [alim] "foin"
b. [ilm] "peau"
c. [alud] "boue"
d. [ul] "coeur"
Quand la consonne /1/ est suivie ou précédée d'une autre consonne, elle peut devenir syllabique:
(35)
a. [amadḷ] "colline"
b. [atfḷ] "neige"
En (35b), le [t] est à l'origine [d] qui perd sa sonorité sous l'influence de la consonne sourde [f] qui le suit:
d → t /_f.
Le phonème /r/ est une consonne alvéolaire non-latérale vibrante sonore. Toutes les consonnes vibrantes
sont sonores. Cette consonne a un nombre important de variations allophoniques. D'abord, elle apparaît
souvent devant une voyelle:
(36)
a. [irukutn] "ustensiles"
b. [riR] "je veux"

/r/ peut aussi apparaître entre deux voyelles-ou entre une voyelle et une consonne:
(37)
a. [ira] "il veut"
b. [arm] "goûter"

Entre deux constrictives ou deux nasales, le phonème /r/ perd de sa qualité consonantique et devient
presque une voyelle réduite':
(38)
a. /mr#n#Di/ ----> [mənDi] "si nous étions partis" -
b. /frfr/ ----> [fəfə] "s'envoler"

Il est à noter ici qu'il y a une contrainte générale sur le comportement du schwa en berbère: généralement,
un schwa n'est pas suivi d'une suite CV (*/_CV/) et n'apparaît pas à la fin d'un mot (*/_##). Cependant, on
peut dire que [fəfə] en (38b) est une onomatopée et, de ce fait, constitue une exception à cette contrainte.
Quand il précède une consonne, le phonème In peut devenir syllabique comme dans [rnu] "vaincre" ou
[rxu] "être facile".
Le phonème /w/ est une semi-consonne labiale vélaire. Comme dans toutes les langues naturelles, /w/ a un
double aspect: consonantique et vocalique; d'où son appellation "semi-consonne" ou "semi-voyelle".
(39)
a. [?awtul] "lièvre"
b. [iwt] "il a frappé."

Comme /w/, le phonème /j/ est une semi-consonne. C'est une palatale constrictive sonore.
(40)
a. [jan] "un"
b. [tijni] "dattes"

En somme, l'inventaire des principales consonnes qui forment les phonèmes de base en berbère nous
montre que la plupart d'entre elles ont une ou plusieurs variations allophoniques. En outre, on peut
dégager des oppositions sourdes/sonores pour la plupart de ces consonnes'. La majorité des phonèmes
consonantiques décrits ci-dessus apparaissent dans la plupart des parlers berbères'.
Comme dans toutes les langues, les consonnes en berbère peuvent former des classes naturelles. Une
"classe naturelle" est formée par deux ou plusieurs consonnes qui partagent un trait distinctif donné
comme le lieu d'articulation, le mode d'articulation ou la présence/absence de sonorité. Ainsi les
consonnes [t, d, s, z, 1, r] forment une classe naturelle en raison du fait qu'elles ont le même lieu
d'articulation: la région alvéolaire. Par ailleurs, [f s, x, h, z] forment une autre classe naturelle du fait
qu'elles ont le même mode d'articulation: elles sont toutes constrictives, et [b, m, n, d, R, h, w, j] forment
une autre classe naturelle en raison du fait qu'elles sont toutes sonores.
1.1.2. Les phonèmes secondaires: articulations superposées
L'articulation superposée ou secondaire opère sur une articulation primaire déjà établie. Il est donc évident
que les phonèmes qui en résultent partagent avec les phonèmes de base les trois traits articulatoires
fondamentaux, à savoir le lieu d'articulation, le mode d'articulation et la présence ou l'absence de sonorité.
Toutes les consonnes en berbère sont, en principe, sujettes à une ou plusieurs articulations secondaires.
Ces articulations superposées modifient la qualité phonétique des consonnes et créent parfois des
fonctions distinctives supplémentaires.
En berbère, il y a cinq types d'articulations secondaires: (1) l'emphase, (2) la tension, (3) la labialisation,
(4) la palatalisation et (5) la nasalisation. Nous commencerons par considérer l'emphase.
L'emphase
Phonétiquement, l'emphase, dite aussi pharyngalisation, est occasionnée par le recul de la racine de la
langue qui aboutit à une réduction du passage de l'air accompagnant la production d'un son donné.
Phonologiquement, nous avons affaire à une articulation supplémentaire superposée à la première
articulation. Il faut distinguer les consonnes emphatiques des consonnes emphatisées. Les emphatiques ont
le même statut phonologique dans des paires minimales qui les opposent aux consonnes non-emphatiques
leur correspondant Ainsi, /z/ dans /z/ "mouche" et /z/ dans /izi/ "vésicule biliaire" ne sont conditionnées
par aucun contexte. Quant aux consonnes emphatisées, elles sont conditionnées par l'emphase d'un son
emphatique avoisinant. En fait, tous les sons (voyelles comme consonnes) se trouvant au voisinage
d'emphatiques sont emphatisés. Contrairement aux emphatiques, les emphatisées, étant des variantes
contextuelles, ne figurent pas dans le tableau phonologique présenté dans la Section 1.1.1. ci-dessus.
A part les consonnes emphatiques de nature comme /t/, /d/, /s/, /z/ et /z/ (voir le tableau phonologique),
toutes les autres consonnes peuvent être sujettes à l'emphase si elles se trouvent dans le voisinage de l'une
de ces consonnes emphatiques:
(41)
a.[tawtuft] "fourmi"
b.[idr] il est tombé"
c.[tuẒ̆ut) "mauvaise odeur"
d. [izi] "vésicule biliaire"

L'ensemble des sons dans les mots en (41) ci-dessus sont emphatisés en vertu de l'existence d'une
emphatique dans chaque mot: le deuxième/t/ en (41a), le /d/ en (41b), /Z/ en (41c) et /z/ en (41d). Cette
"contamination" est due à l'énergie et l'ampleur de la contraction musculaire et à la création d'une chambre
de résonance qui accompagnent l'emphase.
La tension
Le deuxième type d'articulations superposées est la tension, dite aussi quantité, durée, gémination ou
longueur, d'un son donné qui résulte de la production d'une assez grande énergie articulatoire. En d'autres
termes, la tension peut se définir comme un "dédoublement" de la même consonne au niveau de
l'articulation, ce qui donne une durée articulatoire plus longue qui s'accompagne d'un surcroît d'énergie.
La vitesse du débit, les traits phonétiques, ainsi que l'environnement phonétique des segments ont une
influence directe sur la présence ou l'absence de la tension dans la prononciation de ces segments. Pour
des études plus détaillées de la tension-dans différents parlers berbères, voir Galand (1960), Chaker
(1975), Chami (1979), Amour (1985) et Ouakrim (1995), entre autres. Les études récentes de la tension en
berbère sont plus axées sur l'aspect acoustique que sur l'aspect articulatoire.
En principe, toutes les consonnes en berbère peuvent être sujettes à la tension. La tension consonantique
est pertinente aux niveaux phonologique et morphologique en berbère. Au niveau phonologique, la tension
peut changer le sens de deux mots9:
(42)
a. /ili/ "se marier" et /iLi/ "ma fille"
b. /tla/ "elle a épousé" et /tLa/ "elle est (là)"
C. /su/ "boire" et /Su/ "arroser, faire un lit, étendre"
Au niveau morphologique, la tension en berbère peut aboutir soit à une opposition entre l'aoriste (forme
neutre) et l'aoriste intensif (ou présent continu) d'un même verbe ou à une opposition entre l'accompli et le
causatif d'un même verbe. Cette dernière opposition peut aussi être considérée comme le résultat d'une
assimilation:
(43)
a /kḍu/ "sentir" et /kḌu/ "en train de sentir"
b. /izri/ "il a passé" et /iZri/ "il a fait passer"

En (43a), kḍu est la forme neutre du verbe qui s'emploie généralement à l'impératif: kdu talwrt ! "sens la
fleur!", alors que kḌu dénote une action qui se déroule généralement à l'aoriste intensif ou présent
continu: ar-i-kḌu tɑlwrt "il est en train de sentir la fleur". En (43b), i-zri "il a passé" devient i-s-zri
(forme causative étant donné que le morphème est un morphème de cause, voir Chapitre 2). Dans ce cas,
la proximité de [s] et [z], qui ont toutes les deux les mêmes lieu et mode d'articulation, fait que la
consonne [s] soit complètement assimilée par la consonne [z] et devient donc sonore (voir Section 3 sur
l'assimilation en berbère).
Les consonnes tendues en berbère apparaissent souvent devant ou après une consonne avec laquelle elles
constituent une syllabe. D'après Chaker (1975) et Ameur (1985), les consonnes tendues des parlers qu'ils
ont étudié ont un statut monophonématique unique: elles sont perçues comme une et non deux consonnes.
La tension consonantique diffère d'un parler berbère à un autre. Il est donc difficile de généraliser dans ce
domaine. La tension a été analysée d'un point de vue acoustique par Chaker (1975) et Ouakrim (1995),
entre autres. Chaker (1975) attribue un rôle essentiellement morphologique à la tension consonantique en
berbère. Pour Ouakrim (1995), la tension allonge plus les consonnes sonores que les consonnes sourdes et
réduit généralement les voyelles qui les précèdent.
La voyelle qui sut une consonne tendue ne subit aucun effet de cette tension. Par exemple, l'occlusive
sonore tendue dans [i-Dɑ] est plus "longue" que sa contrepartie sourde [i-Tu], et la voyelle qui précède [d]
est, par conséquent, plus courte que celle qui précède [t]. Quant aux voyelles [a] et [u], elles ne sont pas
affectées par la tension des consonnes en question.
En somme, comme pour l'emphase, il existe une corrélation de tension en berbère qui distingue les
consonnes tendues des consonnes simples et qui peut avoir une influence directe sur le sens des mots.
La labialisation
La labialisation a lieu quand une consonne, très souvent une vélaire comme [k] ou [g], est accompagnée
d'un arrondissement des lèvres qui se réalise en [W] juste après la prononciation de cette consonne. La
consonne labialisée peut être simple ou tendue. En berbère, la labialisation peut être pertinente (Ou
phonémique), comme en (44a) ci-après ou non-pertinente (ou phonétique), comme en (44b-c):
(44)
a. /igʷra/ "grenouilles" et /i-gra/ "il a jeté"
b. /taGʷrt/ et [taGurt] "porte"
c. /i-Gʷz/et [iGuz] "il est descendu"

A part l'emphase, la tension et la labialisation, qui sont des articulations secondaires pertinentes, une autre
articulation secondaire importante mais non-pertinente est attestée en berbère: la palatalisation. La
palatalisation est un phénomène phonétique où le milieu de la langue est légèrement relevé vers le palais
durant la prononciation d'une consonne. Les consonnes qui sont sujettes à la palatalisation sont suivies
d'un son [i] ou [j].
Les consonnes latérales sont les plus affectées par ce phénomène en berbère. La palatalisation n'est pas un
procédé pertinent dans cette langue en ce sens qu'elle n'influe pas sur le contenu sémantique des mots:
(45)
a. [?abJaς] et [?abⁱJaς] "mouchard"
b. [azjn] et [?azⁱjn] "messager"
c. [blah] et [blⁱah] "au nom de Dieu!"

La distribution des consonnes dans les mots


Les possibilités de distribution des consonnes dans les mots en berbère sont régies par des règles
phonotactiques qui opèrent à l'intérieur des mots et pas sur des suites comportant des frontières
morphémiques. En principe, les consonnes peuvent être juxtaposées, et former ainsi des entassements,
agrégats ou séquences consonantiques, sans qu'elles soient séparées par un schwa ou une pause. Ces
entassements consonantiques peuvent apparaître en position initiale, médiane ou finale d'un mot (voir
Boukous 1987 pour plus de détails sur ce point).
Il est important de signaler que les séquences consonantiques ne couvrent pas une suite de deux consonnes
identiques. Ainsi, une occlusive ne forme pas un entassement consonantique avec une autre occlusive. Par
contre, une occlusive peut très bien être suivie par une constrictive dans une position initiale du mot et
former ainsi un agrégat consonantique. Par exemple, les occlusives sourdes [t] et [k] forment des
entassements: consonantiques avec les constrictives sourdes [f] et [s] dans les mots suivants:
(46)
a. [atfl] "neige"
b. [ifta] "il a opiné"
c. [ks] "garder les moutons"
d. [isk] "corne"

D'autre part, une occlusive sonore comme [b], [d] ou [g] peut être suivie par une constrictive sonore
comme [z] ou [ž]:
(47)
a. [gzul] "être petit de taille"
b. [dz] "piler"
c. [adž] "laisser"

Par ailleurs, [r], [m]. [n] et [1] sont des consonnes sonores qui forment souvent des agrégats
consonantiques avec les occlusives sonores ou sourdes (vair Saib 1977 et 1981 pour plus de détails sur ce
point).
(48)
a. [ils] "langue"
b. [ism]"nom"
c. [sni] . "faire monter"
d. [asmun] "compagnon"

La juxtaposition des consonnes est cependant souvent interrompue par l'insertion d'un schwa. Le schwa
apparaît très souvent entre deux consonnes non-identiques qui ne forment pas une séquence
consonantique:
(49)

a. [rḍəl] "prêter"
b. [rzəm] 'dép1oyer"
c. [rkəl] "donner un coup de pied"
d. [lkəm] "arriver"

Dans une suite de trois consonnes, le schwa apparaît souvent soit entre la première et la deuxième
consonne soit entre la deuxième et troisième consonnes pourvu que les deux consonnes en question ne
forment pas un entassement consonantique.
Ainsi, la possibilité d'avoir ou de ne pas avoir un entassement consonantique en berbère dépend de la
nature des consonnes en question, et des possibilités syllabiques dans cette langue. Les paramètres de lieu
et de mode d'articulation jouent aussi un rôle dans le choix des consonnes formant des entassements
consonantiques. En somme, les possibilités de juxtaposition sont généralement complémentaires, ce qui
prouve qu'elles sont systématiques
1.2. Les voyelles
L'articulation des voyelles est différente de celle des consonnes. Contrairement aux consonnes, qui sont le
résultat de modifications et de restrictions de l'air provenant des poumons, les voyelles sont généralement
caractérisées par un passage relativement libre de cet air par le pharynx, la cavité buccale et les fosses
nasales dans le cas des voyelles nasalisées.
Il faut cependant signaler qu'il y a aussi modification de la forme des cavités suite au degré d'élévation ou
de rétraction de la langue, ainsi [i] est une voyelle plus fermée que la voyelle [u] en raison du fait que dans
le premier cas la langue est élevée, alors que dans le deuxième cas elle est rétractée.
Les voyelles sont accompagnées d'une vibration spontanée des cordes vocales; c'est pour cela qu'elles
sont, de nature, sonore. En somme, deux critères distinguent les voyelles des consonnes: (1) les voyelles
ne s'accompagnent pas de restrictions importantes résultant d'un rapprochement des organes articulatoires
qui les produisent et (2) elles s'accompagnent toutes d'une vibration au niveau des cordes vocales et, de ce
fait, sont toutes sonores. Ces deux caractéristiques font que ce sont généralement les voyelles qui
constituent les nœuds des syllabes (voir Section 4 ci-dessous).
Le système vocalique du berbère est constitué de trois voyelles de base qui fonctionnent comme des
phonèmes à part entière: lii, lai et lui. Chacune de ces trois voyelles subit des modifications plus ou moins
importantes quand elle se trouve en contact avec des consonnes ou d'autres voyelles. Les trois voyelles
peuvent donc devenir plus ou moins ouvertes plus ou moins tendues ou plus ou moins emphatiques selon
l'environnement phonétique dans lequel elles apparaissent. Ces modifications vocaliques sont des
variations allophoniques qui n'influent pas sur le sens des mots.
Trois paramètres sont pris en considération dans la description phonologique des voyelles: (1) la position
de la langue, qui peut être plu-ou moins avancée vers l'avant de la cavité buccale (élévation) ou plus ou
moins rétractée vers l'arrière de la cavité buccale, (2) la distance entre l'organe articulateur et le lieu
d'articulation ou l'aperture qui peut être plus ou moins ouverte ou plus ou moins fermée, et (3) la forme
des lèvres, qui peut être plus ou moins arrondie ou étirée.
Dans le tableau 2 ci-dessous, les positions de la langue sont inscrites sur l'axe horizontal du diagramme et
le degré de l'aperture sur l'axe vertical:
Tableau 2

Dans ce qui suit, nous procéderons à la description de chacune de ces trois voyelles.
La voyelle /i/ est une voyelle antérieure fermée et étirée (ou non-arrondie). Dans la production de cette
voyelle, la langue est avancée vers la cavité buccale et les deux mâchoires sont rapprochées. Quant à la
forme des lèvres, elle est étirée. Iii apparaît devant ou après une consonne, ainsi qu'entre deux consonnes:
(50)
a. [isk] "corne"
b. [zun] "comme"
c. [din] "là-bas"

D'une façon générale, le phonème /i/ est réalisé en [i], [e] et [j] en berbère:
(51)
a. [mnid] "devant"
b. [efrd] "terrain"
c. /i#aNaj/ → [jaNaj] "il a vu"
d. /da#i-T-ini/ → [dajTini] "il dit"

Rappelons à propos de (Sic) et (51d) que la variante [j] et une semi-consonne (ou semi-voyelle) palatale.
Cette variante allophonique apparaît dans l'environnement [----V], c'est-à-dire devant une autre voyelle.
La voyelle lui est une voyelle postérieure fermée et arrondie. Dans la production de cette voyelle, le dos
de la langue est rétracté vers l'arrière de la cavité buccale et les mâchoires sont rapprochées. La position
des lèvres est arrondie. Cette voyelle apparaît devant, après ou entre deux consonnes:

(52)
a.[ul] "coeur"
b. [su] "bois!"
c. [hun] "voilà!"

Devant une voyelle, entre deux voyelles ou entre une consonne et une voyelle, /u/ devient [uw], une semi-
voyelle:
(53)
a. [su#at] →[suwat] "buvez!"
b. [Du#at] → [Duwat] "allez!"

En outre, dans une paire comme [lkwatru] "carte de jeu" et [lkwalruwat] « cartes de jeu", la voyelle
finale [u] de [Ikuwairu] est suivie par la semi-consonne [w] quand elle précède un affixe qui commence
par une voyelle: [at]. Ceci est le résultat d'une rupture d'hiatus: l'insertion de [w] entre deux voyelles:
(54) [lkwatru#at] → [lkwatru#w#at]
Quant à la voyelle /a/, c'est une voyelle antérieure, voire centrale, ouverte. Dans la production de cette
voyelle, il y a élévation de la langue vers le palais. La position des lèvres est neutre. Cette voyelle apparaît
devant ou après une consonne, ainsi qu'entre deux consonnes. Dans ces contextes phonétiques elle se
réalise comme [J:
(55)
a. /fas/ → [fӕs] "donne-lui"
b. /aslm/ →[ӕslm] "poisson"
c. /fsan/ → [fsӕn ] "ils ont fleuri"
Devant ou après une voyelle, il y a insertion des semi-consonnes [w] ou [j] entre [a] et la consonne qui suit
ou entre deux voyelles, ce qui donne parfois lieu à des diphtongues qui sont généralement le résultat du
voisinage de deux voyelles:
(56)
a. [a#ur#iDu] → [awriDu] "il ne doit pas partir"
b. [asi#at] → [asijat] "prenez-le"
En (56a), [a + u] devient [aw] , une diphtongue, et en (56b), [i + a] devient [ija].
A part les trois voyelles de base /i/, /u/et /a/, le berbère contient une autre voyelle qui semble être
statistiquement très fréquente: le schwa . D'une façon générale, cette voyelle n'est pas considérée comme
pertinente dans le système phonologique berbère en ce sens qu'elle ne donne pas lieu à des oppositions de
sens et ne constitue donc pas un phonème autonome. Comme dans toutes les langues naturelles, le schwa
est soit une forme réduite d'une voyelle donnée soit une insertion vocalique qui facilite la prononciation de
certains entassements consonantiques qui autrement deviendraient difficiles ou impossibles à réaliser
phonétiquement.
Dans les études sur le schwa, il ressort que l'emploi de cette voyelle est régi par la loi des trois consonnes
(voir Martinet 1970). Selon cette loi, seules deux consonnes peuvent apparaître comme groupe
consonantique dans une même syllabe et l'apparition, d'une troisième consonne nécessite un schwa entre
la première et deuxième consonne ou entre la deuxième et troisième consonne pour éviter l'entassement
consonantique.
1.2.1. La distribution des voyelles dans les mots
Les possibilités phonotactiques (de juxtaposition) des voyelles en berbère font que la qualité de ces
voyelles change selon la nature des consonnes qui les précédent ou les suivent. En d'autres termes, le
timbre vocalique varie dans des contextes consonantiques bien définis. Ces variations dépendent
directement des propriétés phonétiques et parfois physiologiques des sons en question ou du contexte
phonétique dans lequel ils apparaissent. Le comportement phonotactique des voyelles en berbère présente
trois caractéristiques importantes: (1) ces voyelles subissent l'influence des consonnes qui leur sont
adjacentes, (2) elles favorisent l'insertion des semi-consonnes, (3) elles sont sujettes à la tension.
La première caractéristique des voyelles en berbère est qu'elles subissent l'influence directe de leur
environnement consonantique. Par exemple, après les consonnes vélaires, uvulaires, pharyngales et
laryngales, ces voyelles deviennent plus postérieures en raison des qualités articulatoires de ces consonnes
(voir les exemples en 10, 13, 31 et 33 ci-dessus). Ce trait des voyelles est également attesté devant ou
après une emphatique (voir l'exemple en 41 ci-dessus).
D'autre part, l'existence d'un appendice nasal à la fin des mots se terminant par une voyelle donne
l'impression que ces voyelles acquièrent une tendance à la nasalisation, bien que celle-ci ne soit pas
nettement perçue. La nasalisation consiste à rendre un son nasal quand celui-ci est adjacent à une
consonne nasale comme [m] ou [n]. La nasalisation des voyelles n'est pas pertinente en berbère. Cette
nasalisation n'opère que quand les voyelles appartiennent à la même syllabe qui contient une consonne
nasale. En d'autres termes, pour qu'il y ait nasalisation vocalique, la consonne nasale et la voyelle doivent
être tautosyllabiques:
(57)
a.[ãn#zar] "pluie"
b.[ãm#Rar] "vieil homme, beau-père"
Les deux voyelles qui précèdent les consonnes nasales [m] et [n] en (57) ci-dessus sont nasalisées sous
l'effet de la nasalité des consonnes en question.
La deuxième caractéristique des voyelles en berbère est que la suite de deux voyelles identiques est
prohibée Ainsi, la séquence [a + a] donne [awa], [aja] ou [Ø - a]. Notons que la semi-consonne est une
obstruction comparativement à une voyelle:
(58)
a.
/a#iDu/ → [a#iDu] → [ajDu] "pour qu'il parte."
b.
/a#ur/ → [a#ur] → [awr] "pour ne pas"
/iNas/ → [iNa#as], [iNajas] ou [iNas] "il lui a dit".
Ce phénomène est attesté aussi bien à l'intérieur des mots qu'aux frontières entre les mots. En effet, d'une
manière générale, quand une voyelle est finale dans un mot et est immédiatement suivie d'une autre
voyelle au début du mot suivant, la suite vocalique qui en résulte est souvent remplacée par une semi-
consonne qui facilite le glissement vocalique et maintient le flux de la parole. Ceci est un phénomène de.,
syllabation (voir Section 4 ci-dessous).
La troisième caractéristique des voyelles en berbère est que, comme les consonnes, elles peuvent être
sujettes à une tension ou quantité qui prolonge leur durée. La tension vocalique est attestée quand les
organes articulatoires sont maintenus dans leur position plus longtemps durant la prononciation d'une
voyelle. D'une manière générale, l'articulation des trois voyelles hors contexte phonétique donne
l'impression que souvent la voyelle [a] est phonétiquement plus longue que les voyelles [i] et [u] en raison
du fait qu'elle est ouverte alors que les deux autres voyelles sont fermées. Cependant, ceci reste à
démontrer, surtout qu'en arabe marocain, par exemple, il n'y a pas de différence significative entre les
durées intrinsèques de [a], [i] et [u] (voir Benkirane 1982 et Lahlou 1982). La durée d'une voyelle donnée
peut cependant varier selon sa position dans le mot ou selon la nature de la consonne qui la précède ou la
suit. Par exemple, il semble que la durée des voyelles est plus longue en syllabe ouverte qu'en syllabe
fermée (voir Benkirane 1982 et Ouakrim 1995). Notons les exemples suivants
(60)
a. /iLa/ → [iLA]"il est là"
b. /Du/ → [DU] "va!"
c. /su/ → [sU] "bois!"
d. /afLa/ → [afLA] "sur"
e. /irkti/ → [irktî]. "pâte"

Par ailleurs, d'après Saib (à paraître), la quantité vocalique en berbère est essentiellement due à l'accent qui
tombe sur la voyelle et l'allonge. Contrairement à la durée consonantique, la durée vocalique n'est pas
pertinente en berbère. Cependant, il a été signalé que le touareg, une variété du berbère, présente des
oppositions vocaliques qui sont basées sur la tension (voir Basset 1952 et Galand 1953, entre autres).
Au terme de cette section sur les voyelles, signalons que les types syllabiques que la juxtaposition des
voyelles avec d'autres segments permet diffèrent selon la nature de la première voyelle (voir Section 5 ci-
dessous).

2. Les supra segmentaux


Contrairement aux segments (consonnes et voyelles), les éléments supra segmentaux, dits aussi éléments
prosodiques, ne forment pas des unités autonomes qu'on peut isoler distinctement. Comme leur nom
l'indique, ils sont des éléments qui accompagnent les segments consonantiques (consonnes) et vocaliques
(voyelles). En raison du fait que, d'une part, les supra segmentaux s'étendent au-delà des segments et que,
d'autre part, l'étendue maximale d'une étude grammaticale est la phrase, les supra segmentaux
interviennent soit au niveau du mot soit au niveau de la phrase. Cependant, compte tenu de la rapidité qui
caractérise le flux de la parole, il est parfois difficile d'isoler avec précision les phénomènes affectant le
mot et ceux affectant la phrase. Dans cette section, nous traiterons des principaux éléments qui forment le
systme suprasegmental du berbère: (1) l'accent, (2) la pause et (3) l'intonation. Les études qui ont été
effectuées sur les faits supra segmentaux en berbère ne sont pas nombreuses. Parmi celles-ci, on peut citer
Laoust (1918), Basset (1952), Galand (1960), Prasse (1959, 1972), Willms (1965), Saib (1976), Chami
(1979), Abdelmassih (1972), Vycichl (1984), Ameur (1985) et Adnor (1995).

2.1. L'accent
L'accent peut se définir comme une énergie musculaire qui accompagne la prononciation d'une syllabe
donnée dans un mot. L'accent est attribué indépendamment de la nature phonétique des segments; c'est un
phénomène inter-syllabique. La position et la fréquence de l'accent dépendent de la nature phonologique
des langues et sont régies par des règles bien précises qui s'acquièrent avec cette langue en tant que partie
intégrante de la compétence phonologique des locuteurs natifs. Le domaine de l'accent est souvent le mot,
mais il peut aussi être la phrase. L'accent peut être soit libre soit fixe. Dans le premier cas, il change selon
la nature de la séquence dans laquelle il apparaît. Dans le deuxième cas, il est régi par des règles
spécifiques qui fixent sa place dans le mot. L'anglais, par exemple, se différencie du français par le fait
que l'accent dans cette langue fait partie intégrante de la structure phonologique du mot et peut même
changer le sens d'un mot (voir interest "intérêt" et interest "intéresser" ou désert "désert" et desert
"dessert", par exemple).

En berbère, le domaine de l'accent est souvent le mot. Cependant, le berbère appartient à ces langues où
les mots ne se distinguent pas par un paradigme accentuel précis. En effet, l'accent n'est pas phonémique
en berbère: il n'est pas capable de changer le sens de deux mots autrement identiques.
Toutefois, l'accent en berbère se réalise dans des endroits précis du mot. Par exemple, dans des mots de
longueur variable, l'accent la plus forte retombe souvent sur la dernière voyelle du radical en l'absence des
suffixes: Par conséquent, on constate une réduction d'accentuation sur les voyelles exceptée la dernière
voyelle dans chaque mot [su] "bois!" [iRil] "montagne" [ɑsrdun] "mulet" [tɑfunɑst] "vache' etc
Si le radical nominal ou verbal est suivi d'un affixe contenant une voyelle, un accent secondaire retombe
sur la dernière voyelle du radical ainsi que sur la voyelle de l'affixe: [isrd#ɑn] "mulets", [su#wɑt] 'buvez".
[tifunas#in], etc. Quant aux affixes qui contiennent une voyelle et qui précèdent le radical, ils reçoivent
un accent moyen; l'accent le plus fort (ou primaire) retombant toujours sur la dernière voyelle du radical:
les autres voyelles du radical ne reçoivent pas d'accent: [id#lmutur] "les moteurs". [z#sḍr#t] "il l'a fait
tombe" etc
Pour Chami (1979), l'accentuation en berbère dépend aussi de la nature et du nombre des syllabes existant
dans un mot donné: un mot di- ou tri-syllabique n'est pas accentué de la même façon qu'un mot
monosyllabique en ce sens qu'un mot monosyllabe est forcément accentué.
Pour Ameur (1985), l'accentuation dépend essentiellement de la consonne, surtout emphatique, et affecte
par la suite l'environnement vocalique de cette consonne. D'après le même auteur, dans un contexte qui
dépasse le mot l'accentuation en berbère peut retomber sur un mot spécifique (pour le valoriser) dans la
phrase.

2.2. La pause
Contrairement aux segments, la pause n'est pas perçue phonétiquement comme un son distinct mais plutôt
comme une interruption dans une suite de sons. Il est vrai que dans le flux de la parole, le sujet parlant
s'arrête souvent pour prendre de l'oxygène, mais il est vrai aussi que ces arrêts ne sont pas arbitraires; ils
sont souvent régis par des règles phonologiques qui sont sous-jacentes à une langue donnée. C'est ce trait
caractéristique qui fait que la pause est considérée comme un phénomène important au niveau
phonologique
Il existe deux grands types de pause en berbère: (1) la pause séparant les mots et (2) la pause séparant les
morphèmes à l'intérieur des mots.
La pause séparant les mots dans une phrase est la plus facile à identifier. Cette pause permet d'isoler les
mots de cette langue. Notons que les sujets natifs d'une langue ont une conscience intuitive de la notion de
mot dans leur langue. II est à signaler qu'un seul segment peut, dans quelques cas, constituer un mot
indépendant en berbère (par exemple, le a vocatif, ou les prépositions i "à" et s "avec"). Dans ces cas, la
pause isole une seule voyelle ou une seule consonne.
Quant au deuxième type de pause, il est beaucoup plus difficile à identifier en raison du fait qu'il n'est
souvent pas perçu comme un arrêt au niveau du langage vu l'extrême rapidité avec laquelle le langage est
débité.. Bien que ces interruptions caractérisent la phrase plutôt que le mot, ce type de pause a souvent
tendance à avoir lieu dans des endroits précis des mots qui forment ces phrases. Par exemple, il semble
qu'en général, la frontière entre les schèmes radicaux et les affixes (voir Chapitre 2) constituent un lieu
privilégié de la pause phrastique. Ainsi, il est plus probable qu'une pause ait lieu après la voyelle initiale
de i-Da "il est parti" que celle de isk "corne" bien que les deux contextes semblent être les mêmes vu que
la voyelle dans les deux cas précède une consonne. La raison est que isk est un seul morphème (voir
Chapitre 2 pour la définition de "morphème"), alors que i-Da contient deux morphèmes: i "il" et Da "est
parti". Ce type de pause influe directement sur la nature des sons qui la précèdent ou la suivent. La voyelle
III dans isk "corne" n'a pas la même durée qué celle dans i-Da "il est parti". Dans le deuxième cas, le /i/
est plus long' et plus distinct phonétiquement parce qu'il représente un sens déterminé, alors que le /i/ du
premier mot n'a pas de sens propre à lui: il constitue une partie intégrante du mot. Signalons, cependant,
que ces propos restent à démontrer par des études basées sur des mesures acoustiques précises.
2.3. L'intonation
L'intonation est un phénomène suprasegmental qui opère généralement sur toute l'étendue de la phrase. En
tant qu'aspect phonologique qui distingue les langues et influe sur le sens des mots et des phrases,
l'intonation s'acquiert avec la langue et constitue une partie importante de la compétence phonologique des
sujets parlants.
Le fait que le berbère soit une langue quasiment orale fait que l'intonation y joue un rôle non seulement
prosodique mais parfois syntaxique. En effet, l'intonation en berbère peut être contrastive. En général, il
existe dans cette langue deux grands types d'intonation: (1) une intonation non-marquée et (2) une
intonation marquée. L'intonation non-marquée est descendante et neutre. Elle caractérise les phrases
déclaratives en général où le sujet parlant exprime souvent un fait. Du point de vue phonologique,
l9intonation. non-marquée se distingue par une baisse de ton sur la dernière voyelle de la phrase Voici un
exemple

(61)
t-S-nwa Fatima imkli
elle-a préparé Fatima déjeuner
Fatima a préparé le déjeuner.

Quant à l'intonation marquée, elle est souvent ascendante ou proéminente. Elle est caractérisée par une
nette hausse de ton sur une ou plusieurs voyelles de la phrase. Ce phénomène est dû au fait que le berbère
appartient à ces langues où la parataxe (juxtaposition de syntagmes ou phrases sans marque
morphologique) est fréquente. L'importance de l'intonation sur le plan syntaxique se manifeste dans six
constructions en berbère: (1) les interrogatives alternatives (qui nécessitent un "oui" ou un "non" comme
réponses), (2) les interrogatives simples, (3) les coordonnées sans marque, (4) les subordonnées sans
marque, (5) les thématisées (ou topicalisées) et (6) les clivées (ou focalisées) (voir Chapitre 3 pour une
analyse syntaxique de ces constructions).
Il est vrai que dans toutes ces constructions, la position syntaxique des éléments-clés est pertinente, mais
c'est au niveau prosodique que la différenciation entre ces structures est effectuée. Parmi ces
constructions, ce sont les interrogatives, en général, qui sont le plus affectées par l'intonation en berbère.
Considérons-les.
En général les constructions interrogatives en berbère se subdivisent en deux catégories: (1) les
interrogatives alternatives et (2) les interrogatives simples. Les interrogatives alternatives partagent
souvent le même ordre des mots avec leurs correspondantes déclaratives et ne sont caractérisées que par
une intonation ascendante qui permet leur interprétation:
(62)
a.
i-Da hmad s Suq. (Déclarative)
il-est parti Ahmed au souk
Ahmed est parti au souk.
b.
i-Da hmad s Suq? (Interrogative)
Le deuxième type de constructions qui est affecté par l'intonation est les interrogatives simples. Dans ce.pe
de constructions, le sujet parlant ne cherche pas un "oui" ou un "non" pour réponse, mais une information
quelconque. Ces constructions sont caractérisées par une ascendance intonative finale:
(63)
a.
manasra i-Da hmad?
quand il-est parti Ahmed
Ahmed est parti au souk.
b.
ma i-FR-n?
qui-étant sorti
Qui est sorti?

Les coordonnées constituent le troisième type de constructions où les contours prosodiques jouent un rôle
interprétatif. En berbère, la coordination s'effectue généralement sans marque morphologique (voir
Chapitre 3). Les coordonnées sans marque dépendent essentiellement de leur contour prosodique distinctif
pour leur interprétation. Sur le plan phonologique, les coordonnées juxtaposées possèdent chacune une
courbe prosodique indépendante:
(64)
i-ukid, i-SaR aSid, i-anf . tiflut.
il-s'est levé il-a allumé lumière il- a ouvert la porte
Il s'est levé, a allumé la lumière et a ouvert la porte:

En (64) ci-dessus, la courbe mélodique retombe à la fin de chaque syntagme prédicatif- i-ukid "il s'est
levée, i-SɑR ɑSid "il a allumé la lumière", i- ɑnf tiflut "il a ouvert la porte". Cette retombée mélodique a
pour conséquence une rupture intonative entre les syntagmes prédicatifs qui, en berbère, constituent
souvent des phrases coordonnées. Cette rupture correspond à une pause. Cette pause entre les phrases
coordonnées est obligatoire et son absence aboutirait à un agrammaticalité. Notons ici que bien qu'il
s'agisse de phrases coordonnées dont les sens se complètent, les énoncés semblent être indépendants sur le
plan phonologique vu la présence des chutes mélodiques.
La quatrième construction qui est affectée par l'intonation concerne les subordonnées complétives sans
marque morphologique. Contrairement aux phrases coordonnées, ces phrases se caractérisent par une
même courbe prosodique qui couvre la phrase principale et la phrase subordonnée:
(65)
i-GuLa ur-t-i-tizar.
il-ajuré NEG-lui-il-voir
Il a juré de ne pas le voir.
En (65) ci-dessus, il n'y a pas de rupture intonative entre la phrase principale i-GuLɑ "il a juré" et la
subordonnée complétive ur-t-i-tizar "ne pas le voir" et, par conséquent, il n'y a pas de pause entre les
deux phrases.
Les caractéristiques prosodiques des phrases coordonnées, d'une part, et des phrases subordonnées sans
marque, d'autre part, montrent qu'en berbère, il y a souvent un parallèle entre la syntaxe et la prosodie de
ces constructions: deux ou plusieurs courbes prosodiques marquent les constructions qui sont
indépendantes syntaxiquement (les coordonnées) et une même courbe prosodique recouvre les
constructions qui sont dépendantes syntaxiquement (les subordonnées complétives). Chaker (1984: 126)
affirme, à propos du rôle de l'intonation dans l'étude de la syntaxe du berbère, ce qui suit:
La différence de structure entre subordination sans marque morphématique et coordination-énumération
par juxtaposition repose fondamentalement sur le rôle délimitatif-démarcatif de la prosodie.
La cinquième construction qui dépend de l'intonation pour son interprétation est celle des thématisées.
Dans les structures thématisées, un syntagme (souvent nominal) est mis en vedette par un déplacement
syntaxique soit à la position initiale soit à la position finale de la phrase. L'élément thématisé est suivi
d'une pause phonologique obligatoire s'il est initial ou précédé de cette pause s'il est final. Cette pause est
indiquée par une virgule en (66a) et (66b) ci-dessus:
(66)
a.
tigMi, i-bna-T hmad.
maison il-a construit Ahmed
La maison, Ahmed l'a construite
b..
i-bna-T hmad, tigMi.
il- a construit-elle Ahmed maison
Il l'a construite Ahmed, la maison.

Des deux déplacements syntaxiques qui débouchent sur des éléments thématisés, c'est le déplacement à
gauche, c'est-à-dire vers la position initiale de la phrase, qui est le plus marqué en raison du fait que la
position initiale est la position de mise en relief par excellence.

L'élément thématisé est lié au reste de la phrase par un contour prosodique spécifique. Il est vrai le clitique
objet T "elle" en (66b) ci-dessus signale le déplacement de l'objet direct du verbe, mais c'est la prosodie
qui assure le lien entre l'élément thématisé tigMi "maison" et le prédicat ibna-T hmad "Ahmed l'a
construite".

A part les deux constituants nominaux de base de la phrase en berbère, à savoir le sujet et l'objet direct,
tout autre élément de cette phrase peut, en principe, être thématisé:
(67)
a.
iḍLi, i-Da hmad.
hier il-est parti Ahmed
Hier, Ahmed est parti.
b.
tarwla, i-rwl.
fuite il- a fui
Pour une fuite, il a fui.

La thématisation et sa relation à la prosodie en berbère a fait l'objet d'un nombre considérable d'analyses
(Basset 1952, Galand 1964, Penchoen 1973, Bentolila 1981, Leguil 1982, Chaker 1984 et d'autres). Au
départ. Basset a appelé ce phénomène anticipation, vu la position initiale du thème. Galand (1964) l'a
appelé indicateur de thème. Chaker (1975, 1984) ne considère pas la thématisation comme une fonction
syntaxique, mais plutôt comme une mise en relief stylistique due au déplacement d'un syntagme nominal à
partir d'une construction syntaxique neutre, les variations stylistiques n'étant pas pertinentes au niveau
syntaxique. Par exemple, dans une phrase OVS en berbère, le complément d'objet direct subit une
"intraposition" (déplacement d'un constituant au début de la phrase) sans changer le sens basique de la
phrase. Parfois, deux syntagmes nominaux sont thématisés, auquel cas aucune marque syntaxique ne
signale cette thématisation; seule la prosodie permet de les interpréter:

(68)
argaz, gma-s, ur-t-zri-R.
homme frère-son NEG-lui-ai vu-je
L'homme, son frère je ne l'ai pas vu.
En somme, il semble qu'en berbère, la thématisation dépend essentiellement des critères prosodiques. En
d'autres termes, l'interprétation des constructions ou des éléments sont thématisés repose plus sur des
procédés extra-syntaxiques comme la prosodie ou la pragmatique que sur des procédés purement
syntaxiques.
La sixième et dernière construction syntaxique où la prosodie joue un rôle considérable est le clivage ou la
focalisation. Il est vrai que le clivage en berbère se distingue sur le plan syntaxique par l'apparition
obligatoire d'une marque morphématique: le complémentiseur a (voir Galand 1957.El Moujahid 1981,
Ennaji et Sadiqi 1986, Sadiqi 1990 et Cadi 1990, entre autres). Mais du point de vue phonologique, ce qui
relie l'élément clivé au reste de la phrase est l'intonation spécifique qui accompagne la focalisation Pour
Galand (l 957), la focalisation est un degré pousse de la thématisation Comme l'élément thématisé,
l'élément focalisé est mis en relief par rapport aux autres éléments de la phrase en recevant une charge
intonative qui le rend proéminent. Voici un exemple:

(69)
agmar, a i-sRa hmad.
cheval MC il-a acheté Ahmed
C'est le/un cheval que Ahmed a acheté.

D'une façon générale, les éléments déplacés dans certaines constructions en berbère sont liés au reste de la
phrase par la prosodie. Ce lien entre la phonologie et la syntaxe d'une langue est attesté dans beaucoup
d'analyses linguistiques et semble aussi être corroboré par des études sur l'acquisition des langues (voir
Selkirk 1982 et Radford 1990, entre autres).
3. Les processus phonologiques
Quand les sujets parlants du berbère font usage de leur langue, c'est l'interaction des sons segmentaux et
des faits, supra segmentaux qui est à la base des modifications phonétiques plus ou moins importantes qui
constituent les processus phonologiques de cette langue. D'une façon générale, les segments qui forment
une classe naturelle tendent à être sujets aux mêmes processus phonologiques. En œ qui concerne les
consonnes, par exemple, le changement peut affecter leur- lieu ou leur mode d'articulation. Il y a. en effet,
des règles et des contraintes spécifiques qui sont sous-jacentes à toute la phonotactique d'une langue bien
qu'il y ait des universaux dans ce domaine (voir Section 5 ci-dessous et Sadiqi et Ennaji 1992).
Les processus phonologiques en berbère sont généralement dus aux diverses accommodations que dicte le
besoin de communiquer le plus clairement et le plus facilement possible. Dans cette section, six processus
phonologiques sont considérés: (1) l'assimilation, (2) la dissimilation, (3) l'insertion, (4) la substitution, (5)
la réduplication et (6) l'effacement.
3.1. L'assimilation
On peut définir l'assimilation comme un processus phonologique où un segment devient plus ou moins
identique à un autre segment sous l'effet de l'influence de l'un sur l'autre dans un environnement
phonétique précis. L'assimilation est un phénomène naturel qui résulte généralement de la vitesse
d'élocution et d'un souci spontané de choisir le moyen le plus économique et le plus efficace pour
communiquer un message. Par contre, quand les mots sont prononcés en isolement (comme en énumérant
les items d'une liste par, exemple) ou quand le débit du langage est très lent. L’assimilation a parfois
tendance à diminuer sensiblement ou à disparaître complètement, mais ceci reste contestable.
On distingue deux types majeurs d'assimilation: (1) l'assimilation régressive et (2) l'assimilation
progressive. L'assimilation régressive est la plus répandue en berbère; c'est le résultat d'un changement
partiel ou total d'un segment sous l'influence d'un autre segment qui le suit immédiatement. En d'autres
termes, dans une assimilation régressive, le changement est régressif en ce sens qu'un segment affecte un
autre qui le précède immédiatement. Par exemple, en berbère, quand une consonne sonore précède une
consonne sourde, la consonne sonore devient sourde et quand une consonne sourde précède une consonne
sonore, la consonne sourde devient sonore. Cette accommodation assimilatoire peut opérer soit à
l'intérieur des mots soit aux frontières séparant les mots. Dans le premier cas, on peut relever les exemples
suivants:
(70)
a. /isd/ → [izd] "est-ce, que"
b. /adfl/ → [atfl] "neige"
c. /žfna/ → [šfna] "bassine"

En (70a) ci-dessus, la consonne sourde [s] devient sonore. [z]. sous l'influence de la consonne sonore [dl.
D'un autre côté, en (70b), [d] devient [t]. [d] est une consonne sonore qui s'est dévoisée au contact de la
consonne [f] qui est sourde; Ainsi, [d] → [t] quand elle précède [f]. [f] est une consonne sourde et
normalement [t], qui est sourde, doit demeurer sourde. C'est une assimilation régressive de dévoisement.
Dans le deuxième cas, on peut relever les exemples suivants:
(71)
a. /i#umz#t/ --------> [j#umst] "il l'a attrapé"
b. /s#rs#d/ --------> [sr#zd] "pose ici"

En (71a), le verbe amz se termine par la consonne sonore [z] qui devient sourde, [s], dans la position qui
précède la consonne [t], qui est sourde. Ce type d'assimilation régressive opère entre deux morphèmes: le
verbe amz "attraper" et le clitique objet direct t "lui".
De même, une consonne sourde devient sonore quand elle précède une consonne sourde. En (71b), le
verbe [srs] "poser" se termine paria consonne sourde [s]. Cette consonne devient sonore, [z], sous l'effet
de la consonne sonore [d] qui la suit immédiatement. Ici, aussi, l’assimilation opère à la frontière de deux
morphèmes.
Quant à l'assimilation progressive, elle est le résultat d'un changement partiel ou total d'un segment sous
l'influence d'un autre segment qui le précède. Le changement prend la direction inverse de celle de
l'assimilation régressive en ce sens qu'un segment influence un autre segment qui le Suit immédiatement.
Notons l'exemple suivant:
(72)
/sdr#R#t/ → [str#R#t] 'je l'ai fait tomber."
En (72), la deuxième consonne du mot, [d], qui est sonore, perd sa sonorité sous l'influence de la consonne
sourde, [s], qui la précède.

3.2. La dissimilation
La dissimilation, en tant que processus phonologique, est la contrepartie de l'assimilation. En cas de
dissimilation, une consonne devient moins similaire à une autre consonne l'influençant dans un
environnement donné. Contrairement à l'assimilation qui provoque souvent un changement consonantique
au niveau de l'articulation (sourde vs sonore ou vice versa), la dissimilation débouche souvent sur un
changement au niveau du mode plutôt que du lieu, d'articulation. Une occlusive, par exemple, devient
constrictive ou vice versa. Ainsi, quand le morphème t "elle" est suivi d'un radical commençant par une
occlusive, il devient [?]

(73) /t#Ka/→[#Ka] "elle a été"


En (73) ci-dessus, la consonne [t], qui est une occlusive sourde, devient [].une constrictive sonore, ce qui
illustre notre propos.
Le changement qui opère en (73) n'est cependant pas régulier vu que la dissimilation est souvent
remplacée par l'introduction d'un schwa:
(74) /t#Ka/ → [tə#Ka]

3.3. L'insertion
L'insertion, dite aussi épenthèse, est un processus phonologique où un segment est inséré dans un mot ou
dans un syntagme dans un environnement phonétique donné. Ce processus opère souvent dans des
agrégats consonantiques contenant deux ou plusieurs consonnes. Il est plus attesté dans les débits rapides
où les sujets insèrent parfois des consonnes ou des voyelles. Par exemple, en berbère le morphème ma qui
fonctionne comme auxiliaire du futur, devient mad quand il précède un verbe conjugué à la première
personne du singulier:
(75)
a. /ma#i#nkr/ ---------> [majnkr] "il se lèvera"
b. /mad#nkr#R/ --------> [madnkrR] "je me lèverai"
En (75b) ci-dessus, l'élément [d] est inséré à la fin de l'auxiliaire du futur ma donnant mad.
3.4. La substitution
La substitution, comme son nom l'indique, se définit comme le remplacement d'un phonème par un autre.
L'exemple le plus significatif en berbère est ce que les linguistes berbérisants appellent "l'état construit"
(voir Chapitre 2). A l'état construit, la voyelle initiale, des noms masculins singuliers comme algamu
"bride", ɑsafu "étincelle" ou amugɑj "taureau" est remplacée par [u] dans des contextes syntaxiques bien
définis. Quand ces noms apparaissent initialement dans une phrase, un syntagme ou aptes une intonation
descendante, la voyelle en question ne subit aucun changement vocalique Par contre quand ces noms
apparaissent dans les positions non-initiales qui les rendent syntaxiquement dépendants d'autres
constituants les précédant, comme dans le cas des compléments d'une préposition par exemple, cette
voyelle devient [u]:
(76)
a. /tama#n#ulgamu/ → [tamanulgamu] "près de la bride"
b. /i#usi#hmad#algamu/ → [jusihmadalgamu] "Ahmed a pris la bride."
En (76a), le a initial de ɑlgɑmu "bride" est remplacé parti, alors qu'en (76b) ce changement n'a pas eu lieu
parce que le nom ɑlgɑmu, bien que pas initial, n'est pas dans une position syntaxiquement dépendante
d'un verbe ou d'une préposition. Par contre, un sujet lexical postverbal est toujours à l'état construit s'il
commence par la voyelle a:
(77) /i#dr#algamu#f#lbhimt/ → [idrulgamuflbhimt]
"La bride est tombée sur l'animal."
En (77) la dépendance syntaxique de ɑlgɑmu du verbe i-dr réside dans l'affixe pronominal sujet i qui
exprime les traits de nombre, genre et personne du sujet lexical ɑlgɑmu: un autre sujet comme ilguma
"brides" nécessiterait l'apparition de l'affixe n qui exprime la troisième personne (masculin, pluriel):
[dr#n#ilguma] "les brides sont tombées".
3.5. La réduplication
La réduplication ressemble à l'insertion. Ce qui la caractérise cependant c'est qu'elle ne consiste pas à
insérer une consonne ou une voyelle quelconque, mais à répéter un phonème ou une suite de phonèmes
dans un environnement phonétique précis. La réduplication est le plus souvent attestée dans les affixes
prépositionnels. Ce changement a lieu seulement quand le pronom affixe commence par une voyelle:
(78)
a. [di] "avec" --------> [did-i] "avec moi"
b. [di] "avec" --------> [did-aR] "avec nous"
c. [di] "avec" --------> [did-ak] "avec toi"
En (78), [d] est répétée dans chaque exemple.
Ce cas de réduplication n'est cependant pas très fréquent en berbère.
3.6. L'effacement
L'effacement est un terme qui désigne la disparition d'un phonème au début ou à la fin d’un morphème. Ce
processus phonologique a souvent lieu quand un même phonème apparaît dans deux morphèmes
juxtaposés. Par exemple, quand le morphème t qui accompagne l'auxiliaire de l'inaccompli ar apparaît
avec l'affixe pronominal désignant le sujet (féminin, singulier) t. une des deux consonnes disparaît:
(79) /ar#t#t#amz/ → [artamz] "elle est en train de l'attraper"
Notons à propos de (79) ci-dessus que le t de artamz n'est pas tendu, ce qui exclut un dédoublement de la
même consonne dans ce cas particulier.
En berbère, ce sont les voyelles qui s'effacent plus souvent que les consonnes. Ce phénomène est
également lié à la syncope et à l'apocope. La syncope est un processus, où une voyelle est effacée si elle
est juxtaposée à une autre voyelle accentuée, comme dans:
(80)
a. /t#La#tamtut/→ [tLatmtut] "la femme est présente."
b. /Da#nt##ti#fuLus#in/ ------> [DantfuLusin] "les poules sont parties."
En (80a) et (80b), la première voyelle du nom sujet (tamtut, tifuLusin) dans [tLatmTut] et
[DanTfuLusin] tombe du fait qu'elle se trouve dans une suite de trois consonnes. C'est aussi un exemple
de l'état construit.
Quant à l'apocope, c'est un processus où le schwa final d'un mot est effacé. Cet effacement peut aussi être
le résultat d'une assimilation régressive. L'absence du schwa en tant que phonème dans le parler étudié ne
nous permet pas d'attester l'apocope d'une façon convaincante.
4. La syllabe
La notion de syllabe a toujours constitué un sujet d'intérêt pour les phonologues. Cependant, il est difficile
de donner une définition complète de cette notion souvent très aléatoire. La syllabe est généralement
analysée à deux niveaux distincts sur le plan sonore: (1) le plan phonétique ou universel et (2) le plan
phonologique ou fonctionnel qui change selon les langues. Sur le plan phonétique, ce sont les théories
relatives à la phonétique auditive (ou perceptive) qui permettent le mieux de cerner la notion de syllabe.
D'après ces théories, dans une suite de segments consonantiques et vocaliques, ce sont les voyelles, de part
leur nature, qui portent les points culminants de la sonorité. Ainsi, le nombre de voyelles dans une suite
segmentale correspond généralement au nombre de syllabes (voir Ladefoged 1975).
Cette approche est universelle parce qu'elle est, en principe, applicable à toutes les langues naturelles. Un
exemple classique en anglais est le mot extra [ekstra]: sur le plan phonétique, ce mot contient trois
sommets de sonorité et, en principe, devrait compter trois syllabes: [e]. [s] et [a]. La délimitation de ces
trois syllabes, qui se base sur le jugement auditif des sujets parlants, risque de rencontrer des difficultés
parce que ces sujets divisent le mot en question de différentes manières (voir Roach, 1983):
(81)
a. [e.kstra]
b. [ek.stra]
c. [eks.tra]
d. [ekstr.a]

Cependant, malgré les divergences d'intuition phonologique, les sujets natifs anglais ont une nette
tendance à admettre que le mot ekstra contient deux syllabes seulement en raison du fait qu'il ne contient
que deux voyelles. En effet, l'exemple en (81) ci-dessus supporte l'approche phonétique, à savoir n
voyelles = n syllabes. En effet, le principe de la sonorité (proéminence) est décisif bien qu'il soit, en
partie, basé sur les jugements auditifs des locuteurs natifs d'une langue. Il est à noter ici que la notion de
sonorité n'est pas une notion appréhendée subjectivement; elle est liée à la sonie (impression d'intensité,
par exemple) et également à la théorie d'ouverture des sons du langage. Elle explique un nombre de
contraintes phonotactiques et peut expliquer la limite syllabique.
Sur le plan de l'analyse phonétique, la structure interne de la syllabe est constituée de deux éléments
essentiels: (1) l'attaque et (2) la rime. La rime se compose de noyau et de la coda. Elle peut soit brancher
(cas de la syllabe fermée: qui se termine par une consonne) soit ne pas brancher (cas de la syllabe ouverte:
qui se termine par une voyelle). Quant à la coda, c'est l'élément final de la rime. Alors que l'attaque et la
coda ne sont pas obligatoires (d'où l'usage des parenthèses en 82 ci-dessous), le noyau est strictement
obligatoire. En somme, il est établi dans la littérature depuis Pike et Pike (1947) que la syllabe se répartit
en attaque et rime, et que la rime se décompose en noyau et coda selon le schéma suivant:
L'attaque est la partie qui commence la syllabe; elle peut, en principe, varier d'une à plusieurs consonnes
(2, 3 et même plus dans certaines langues). Une syllabe qui commence par une voyelle a une attaque vide.
Dans le mot français amer, par exemple, la structure syllabique est [a.mer] où la syllabe initiale a une
attaque vide.
Le noyau est le centre de la syllabe La syllabe initiale du mot [a.mer] est composée uniquement de noyau.
En principe, ce sont les voyelles qui constituent le noyau d'une syllabe, mais il n'est pas exclu qu'une
consonne constitue une syllabe à part entière, comme nous le verrons plus tard dans cette section.
Sur le plan phonétique, les possibilités phonotactiques du langage permettent de dégager un gabarit
syllabique qui a pour fonction de générer des syllabes bi segmentales optimales de forme CV ou VC.
Dans chaque pair de segments adjacents, il y a une hiérarchie de sonorité, d'où la représentation par un
arbre comme celui en (82) ci-dessus. Dans tous les cas, la séquence CV est considérée comme le type
universel d'une syllabe neutre; aucune langue naturelle ne possède le type VC sans posséder le type CV,
alors que le cas inverse existe.
La définition phonologique de la syllabe est différente de la définition phonétique bien que cette dernière
serve toujours de point de départ. Sur le plan phonologique, l'identification de la syllabe dépend
directement des contraintes phonotactiques qui régissent la structure phonologique d'une langue donnée.
Ainsi, la segmentation des suites de phonèmes diffère d'une langue à une autre en raison du fait que les
contraintes phonotactiques diffèrent d'une langue à une autre (voir Hyman 1975). Par exemple, un mot
hypothétique comme [blɑ] peut être segmenté comme [b.l.ɑ] (en trois unités) dans une langue X, comme
[bl. ɑ] (en deux unités seulement) dans une autre langue Y, ou même comme [blɑ] (en une unité
seulement) dans une langue Z.
Le problème majeur que rencontrent les phonologues réside dans l’identification des frontières des
syllabes quand il s'agit d'une tranche continue de la parole.Ce qui complique la tâche encore plus c'est qu'il
y a des cas où la syllabe correspond à un accent ou à une unité de ton.
Dans le cas du berbère, le mot [qim] "s'assoir", par exemple, peut être analysé comme suit: [q] est
l'attaque, [i] est le noyau et [m] est la coda. Ceci peut être représenté comme suit:

La coda peut parfois être vide en berbère, comme dans [kti] "se souvenir":
[qim] est une syllabe fermée avec un sommet et une coda , alors que [kti] est une syllabe ouverte avec
une coda vide.
Un nombre non-négligeable de linguistes se sont penchés sur l'étude de la syllabe en berbère. Parmi ces
études, on peut citer Laoust (1918), Wilims (1965), Prasse (1959), Abdelmassih (1971), Saib (1976) et
Chami (1979), entre autres. Plus récemment, des propositions ont été faites à propos de la structure de la
syllabe berbère ainsi que du phénomène de la re syllabation. Parmi ces études, on peut citer: Bader et
Kenstowicz (1984), Elmedlaoui (1985), Dell et Elmedlaoui (1985), Guerssel (1983), Ameur (1985),
Boukous (1987, 1990), Chtatou (1991) et Saib (1993).
Pour l'ensemble de ces linguistes, il est difficile d'avancer des solutions définitives quant à la nature de la
syllabe berbère. Ce problème est rendu plus complexe par les modifications engendrées par les suites de
syllabes (les jointures) qui souvent rendent lés coupures syllabiques difficiles à établir. Par exemple, pour
Dell et Elmedlaoui (1985) et Boukous (1987), les schwas 'ne constituent pas des sommets de syllabes en
berbère"; seules les consonnes et les voyelles pleines constituent ces sommets.
Cependant, il semble y avoir un consensus général sur trois points relatifs à la syllabe berbère: (1) la
manière d'obtenir la syllabe nucléaire, (2) le rôle central de la sonorité vocalique et (3) le fait que certaines
consonnes peuvent constituer des syllabes à part entière.
En berbère, il est fréquent que le nombre de voyelles dans un mot détermine le nombre de syllabes dans ce
même mot A titre d'exemple, dans les mots suivants, le nombre de voyelles correspond au nombre de
syllabes:
(85)
a. [ul] "coeur": 1 voyelle, 1 syllabe
b. [a.fus] "main": 2 voyelles, 2 syllabes
c. [a.mug.aj] "muffle: 3 voyelles, 3 syllabes

Quant aux consonnes syllabiques, lé berbère ressemble à beaucoup d'autres langues comme l'anglaisen ce
que les consonnes [1], [m], [n] et [r] peuvent devenir des sommets syllabiques d'uhe suite VC ou CV
quand elles sont suivies d'une autre consonne :
(86)
a. [r.ḍl]"prêter"
b. [sg.dm] "renverser"
c. [sn.fl] "cacher"
Il faut souligner ici le fait que, vu que c'est sur le plan phonétique que les parlers berbères divergent le
plus, les caractéristiques marginales de la syllabation, comme le nombre et la nature des consonnes
susceptibles de former des syllabes ou la direction de la syllabation (de gauche à droite ou de droite à
gauche) ne sont pas abordés dans cette section.
La syllabation est, en principe, la division des mots ou des séquences de mots en schèmes syllabiques. Elle
est régie par une règle universelle qui a pour tâche d'assigner une structure métrique aux différentes
séquences de consonnes et voyelles dans une langue donnée. En berbère, il existe un principe de sonorité
qui régit un nombre de contraintes phonotactiques qui détermine l'alignement des segments dans cette
langue. La distribution des consonnes et des voyelles permet d'isoler un nombre limité de suites qui
représentent des domaines de syllabe. Il va sans dire que des paramètres supra segmentaux comme
l'emphase, la tension, l'accent la pause et l'intonation ont une influence directe sur la syllabation en
berbère. En général, on peut isoler huit schèmes syllabiques en berbère:
(87)
a. V [a] "hé!", [i] "à" (préposition)
b. VC [ul] "coeur", [af] "être mieux que"
c. CV [di] "ici", [ma] "quoi"
d. CCV [kti] "se rappeler"
e. VCC [ilm] "peau"
-f. CVC [zun] "comme"
g CCVC [krut] "loue-le"
h. CVCC [tunf] "elle a ouvert"

A part (87a), (87c) et (87d) qui sont des syllabes ouvertes, les syllabes listées en (87) ci-dessus sont des
syllabes fermées. Notons aussi que plus de deux consonnes peuvent constituer des suites en berbère (voir
87d, 87e, 87f. 87g et 87h). Ce sont les consonnes [r], [1], [m] ou [n] qui apparaissent souvent dans ces
suites: [skr] "faire", [sg.dm] "renverser", [sn.fl] "cacher". Dans ces cas, un schwa interrompt souvent les
suites consonantiques: [skər], [səgdəm]. La présence du schwa ne modifie pas la structure syllabique de
ces mots: [s.kər]. [səg. dm],[sən.f1].
Les phonèmes résultant de l'emphase peuvent contribuer à la formation des syllabes en berbère: Ainsi, un
mot comme [zu] "sentir mauvais" contient une consonne emphatique. Notons que ce mot est
monosyllabique et que dans des mots contenant plusieurs syllabes, comme [ižntrt] "il l'a malmené", le
problème est de savoir jusqu'où s'étend l'emphase: le mot ou la syllabe?
Ceci nous amène à dire que la jonction de mots ou de morphèmes par le biais d'une association de la
dernière consonne d'un mot à la première voyelle du mot suivant débouche souvent sur une resyllabation.
La resyllabation reflète le fait que la structure que l'on attribue à une syllabe donnée en se basant sur un
algorithme donné n'est jamais définitive. Par exemple, dans des situations où le mot est isolé de son
contexte, les frontières syllabiques en berbère opèrent souvent entre deux consonnes: [ag. did] "oiseau",
[ux.šin] "laid", [is.nɑs] "ânons" ou [ik.rɑ] "il a loué". Cependant, quand ces mots apparaissent dans des
séquences syntagmatiques plus longues, ces coupures syllabiques subissent souvent des modifications plus
ou moins importantes. Ainsi, le mot [azn] "envoyer" est monosyllabique (il contient une seule syllabe)
mais dans (ju.zn] "il a envoyé", il devient dissyllabique.
La resyllabation est aussi attestée quand le segment final d'un mot est une consonne et que cette consonne
se trouve adjacente à une voyelle qui la suit immédiatement. C'est ce que l'on appelle "enchaînement
syllabique". Considérons l'exemple suivant:
(88)
tun argaz !
pousse homme
Pousse l'homme!

La structure syllabique de la suite en (88) est: [tu.nar.gaz]:

Remarquons qu'en (89), le [n] du premier morphème [tun] constitue l'attaque de la syllabe qui suit
immédiatement. En d'autres termes, il existe des contextes en berbère où la consonne finale passe de la
rime à l'attaque. Ceci est dû au fait que l'attaque vide d'une syllabe donnée peut devenir une attaque pleine
Le processus de la resyllabation peut entraîner l'autre processus de la désyllabicité: le fait que des
segments perdent leur syllabicité dans des suites segmentales donnée, Il est fréquent qu'un segment perd
sa syllabicité, quand il est juxtaposé â un noyau dont la sonorité est supérieure à la sienne. D'après
Boukous (1990), la liquide dans le morphème rR "se chauffer" est syllabique, mais dans le mot irRa "il
est chaud", la présence du segment [il qui a un indice de sonorité supérieur et qui le précède lui fait perdre
sa syllabicité. De ce fait, la liquide qui était syllabique au départ et constituait le noyau de la syllabe, passe
à la position de coda dans la même rime. Boukous (1990: 287) est parvenu à une généralisation empirique
à propos du parler tachelhit:
La consonne syllabique perd sa syllabicité lorsqu'elle appartient à une rime non-branchante et qu'elle est
suivie de syllabe à attaque nulle ou précédée de syllabe à rime non-branchante.
En général, l'opération dé resyllabation en berbère aboutit à la formation de syllabes de type CV
enjoignant un segment non-syllabique une voyelle qui le suit:
A un niveau supérieur sur le plan prosodique, les syllabes peuvent se joindre pour constituer des pieds. La
notion de pied est traditionnellement reconnue à partir de la syllabe accentuée. Pour Boukous (1990), deux
à trois syllabes peuvent se regrouper pour former un pied en tachelhit. Un mot comme ifiRr "serpent" est
constitué d'une syllabe à noyau vocalique [i]. La suite [fiRr] dans [i.fiR.r] contient une syllabe vocalique
et une syllabe consonantique. Quant au mot [ju.gr.nt] "il est plus âgé qu'elles", il contient une syllabe
vocalique et deux syllabes à noyau consonantique. D'autres exemples de pieds sont les mots [r.gl] "fermer
à clé" et [tu. dmt] "un petit visage". Dans ces cas, la hiérarchie est établie selon le poids du noyau
syllabique.
Dans le parler qui nous concerne, le pied dans le mot [ta.zr.kunt] "colline", est formé par le regroupement
de la syllabe vocalique et de la syllabe consonantique qui se situe à sa gauche":
A part le pied, d'autres unités prosodiques supérieures à la syllabe sont attestées dans les langues
naturelles. D'après Boukous (1990), ces unités "suprasyllabiques" sont de l'ordre de trois: (1) le mot
prosodique. (2) la phrase phonologique et (3) la phrase intonative. D'après le même auteur, la resyllabation
en berbère opère surtout dans la phrase intonative.
5. Les règles phonologiques
Les différents éléments segmentaux et supra segmentaux, ainsi que les processus phonologiques et
syllabiques du berbère sont les aspects d'un même système phonologique qui leur est sous-jacent.
L'interdépendance de ces éléments et processus témoigne de l'homogénéité de ce système. Cette
homogénéité est régie par un ensemble de règles phonologiques qui expliquent les interactions entre les
éléments et processus phonologiques et constituent une partie importante de la compétence phonologique
que les locuteurs natifs du berbère possèdent.
Les règles phonologiques du berbère régissent aussi bien la prononciation des sons pertinents et non-
pertinents de cette langue que le fonctionnement des différents groupements de ces sons pour former des
unités plus grandes. Ces règles sont souvent liées aux conditionnements phonétiques de ces sons et des
différents processus phonotactiques qui en résultent. Une analyse des règles phonologiques du berbère
nous permet donc de formuler des généralisations qui ont pour but de décrire d'une façon scientifique les
propriétés caractérisant les différents groupements phonotactiques en phonologie berbère. A titre
d'exemple, trois règles sont présentées dans cette section: (1) la règle régissant le fonctionnement de la
voyelle nominale initiale. (2) la règle régissant la juxtaposition de deux voyelles et (3) la règle régissant la
sonorité consonantique.

En ce qui concerne la première règle, il a déjà été signalé qu'une caractéristique du berbère est que la
plupart des noms masculins singuliers commencent par une voyelle qui se réalise soit comme a dans la
grande majorité des cas: ɑmksa "berger", ɑrgaz "homme", ɑsif "rivière" ou amugɑj "taureau", soit
comme i: imi "bouche" ou ifri "grotte", ou soit comme u: ul "coeur". udm "visage" ou utim "poignée".
L'importance de cette voyelle a constitué l'objet d'étude de plusieurs berbérisants (voir Basset 1952, Saib
1976, Guerssel 1986 et El Moujahid 1982, 1993, parmi d'autres).
La particularité phonologique essentielle de cette voyelle est qu'elle peut soit demeurer constante soit
changer sous l'influence de la flexion nominale (l'état construit).
Dans le premier cas, il s'agit des deux voyelles i et u. Les noms (singulier ou pluriel) qui commencent par
ces deux voyelles ont tendance à ne pas subir de changement vocalique quand ils passent de l'état libre à
l'état construit.
Les exemples qui illustrent cet état de choses sont donnés en (92), (93), (94) et (95) ci-après :
(92) État libre (sing. masc) → État construit (sing, masc)
a. ixf "tête" → n#ixf "de la tête"
b. ifri "grotte" → n#ifri "de la grotte"
c. iRil "montagne" → n#iRil "de la montagne"
d. ilm "peau" → n#ilm "de la peau"
e. ul "coeur" → n#ul"du coeur"
f. uRb "dent" → n#uRb "de la dent"
g udm "visage" → n#udm "du visage"
h. utm "poignée" → n#utm "de la poignée"
(93) État libre (plur. masc) → État construit (plur. masc
a. ixfawn "têtes"→ n#ixfawn "des têtes"
b. ifran "grottes"→n#ifran "des grottes"
c. iRaln "montagnes"→ n#iRaln "des montagnes"
d. ilmawn"peaux"→ n#ilmawn "des peaux"
e. ulawn "coeurs"→ n#ulawn "des coeurs"
e uRban "dents" → n#uRban "des dents"
g udmawn "visages"→ n#udmawn "des visages"
h. utmawn "poignées"→n#utmawn "des poignées"

(94) État libre (sing. fém) →État construit (sing, fém)


a. tixft "petite tête" → n#tixft "de la petite tête"
b. tifrit "petite grotte"→ n#tifrit "de la petite grotte"
c. tiRilt "petite montagne" → n#tiRilt "de la petite montagne"
d. tilmt "petite peau" → n#tilmt "de la petite peau"
e. tult "pétit coeur" → n#tult "dupetit coeur"
f. tuRbt "petite dent" → n#tuRbt "de la petite dent"
g. tudmt "petit visage" → n#tudmt "du petit visage"
h. tutmt "petite poignée" → n#tutmt"de la petite poignée"

(95) État libre (plur. fém) → État construit (plùr, fém)


a. tixfawin "petites têtes" → n#tixfawin "des petites têtes"
h. tifritin "petites grottes"→ n#tifritin "des petites grottes"
e. tiRalin "petites montagnes"→ n#tiRalin "des petites montagnes"
d. tilmawin "petites peaux" → n#tilmawin "des petites peaux"
e. tulawin "petits coeurs" → n#tulawin "des petits coeurs"
f. tuRbin "petites dents"→ n#tuRbin "des petites, dents"
g. tudmawin "petits visages"→n#tudmawin "des petits visages"
h. tutmawin "petites poignées"→ n#tutmawin "des petites poignées"

Dans le deuxième cas, il s'agit de la voyelle initiale a qui caractérise les noms singuliers (masculins et
féminins). Cette voyelle devient systématiquement u quand ces noms passent de l'état libre â l'état
construit. Voici des exemples:
(96) État libre (sing. masc) → État construit (sing. masc)
a. asuns "âne"→n#usnus "de l'âne"
b. alRum "chameau"→ n#ulRum"du chameau"
e. agLid "roi"→ n#ugLid "du roi"
d. ajdi "chien" → n#uJdi "du chien"
e. arumi "européen" → n#urumi "de l'européen"
f. afulus "coq" → n#ufuLus "du coq"
g aRijas "tigre" → n#uRijas "du tigre"
Notons que dans le cas des noms féminins, le changement vocalique opère après l'affixation du morphème
discontinu de la féminité t....
(97) État libre (sing. fém) → État construit (sing. fém)
a. tasnust "ânesse" → n#tsnust "de l'ânesse"
b. talRumt "chamelle" → n#tlRumt "de la chamelle"
e. tagLidt"reine" → n#tgLidt "de la reine"
d. tajdit "chienne"→ n#tJdit "de la chienne"
e. tarumit "européenne"→ n#trumit "de l'européenne"
E tafuLust "poule"→ n#tfuLust "de la poule"
g taRljast "tigresse" →n#tRljast "de la tigresse"

Le comportement des voyelles initiales quand les noms passent d l'état libre à l'état construit peut être
décrit plus précisément comme suit les noms en berbère peuvent soit commencer par une voyelle
constante, auquel cas la voyelle formerait une partie intégrante du radical nominal, soit commencer par
une voyelle alternante qui se préfixerait au radical nominal. Une esquisse simple d'une règle phonologique
résumant ce comportement de la voyelle initiale en berbère peut avoir la forme suivante (voir E! Moujahid
1993):
(98)
a. [V RADICAL] --------> [i + RADICAL]
b. [V + RADICAL] --------> [i + RADICAL] ou [u + RADICAL]
Quant à la règle régissant la juxtaposition des voyelles en berbère, elle ne s'applique pas aux voyelles
identiques comme il a été signalé auparavant (voir Section 1.2. ci-dessus). Cette juxtaposition conduit
généralement au changement des voyelles i et u en j et w respectivement. Ce comportement vocalique
peut être formulé comme suit:
(99)
a. /i +a/ -------> [ija]
b. /i+u/ -------> [iwu]
Concernant la règle régissant la sonorité consonantique en berbère, nous avons déjà noté qu'une consonne
sourde devient sonore quand elle est suivie d'une consonne sonore, et une consonne sonore devient sourde
quand elle est suivie d'une consonne sourde (voir Section 1 ci-dessus). Ce comportement peut être
exprimé comme suit:
(100)
a. [C +sourde] → [sonore] /→ [C +sonore]
b. [C +sonore] -> [sourde] /→ [C +sourde]
La notation /—X/ en (100) ci-dessus exprime le contexte phonétique dans lequel opère le changement
consonantique.
La formulation des règles phonologiques d'une langue est parfois complexe et dépend souvent du cadre
théorique dans lequel une description est faite. Dans cet ouvrage, nous nous limiterons à ces trois
exemples vu qu'aucun cadre théorique précis n'est assumé a priori. Le but de cette section est d'attirer
l'attention sur le rôle et l'importance des règles phonologiques dans une étude de la phonologie du berbère.
6. Conclusion
L'objectif de ce chapitre a été de saisir le Système phonologique berbère dans son ensemble. Nous avons
essayé de présenter les éléments de ce système ainsi que leur interaction. L'identification des phonèmes
segmentaux berbères a été basée sur leurs traits pertinents au niveau phonologique. L'étude de ces
phonèmes nous a montré qu'en plus des segments primaires (consonnes et voyelles), il existe en berbère
un nombre de phonèmes secondaires qui nécessitent des articulations superposées aux articulations
primaires. En dehors de ces unités distinctives, le système phonologique berbère compte aussi des
phénomènes supra segmentaux comme l'emphase et la tension consonantique qui peuvent être distinctifs
en berbère.
L'interaction des éléments segmentaux et supra segmentaux en berbère est directement affectée par des
processus phonologiques comme l'assimilation, l'insertion ou l'effacement. Cette interaction nous permet
de mieux comprendre les possibilités syllabiques, souvent complexes, qu'offre le berbère, ainsi que las
règles phonologiques qui sont sous-jacentes au système phonologique du berbère dans sa totalité. Usé
étude des principaux ingrédients de ce système n'est cependant pas suffisante pour expliciter les
mécanismes qui régissent son fonctionnement. En d'autres termes, la dynamique de œ système ne peut être
vraiment explicitée que si elle est liée â la nature de l'acquisition du berbère en tant que langue maternelle.
Dans ce domaine, aucune étude sérieuse n'a encore été effectuée.

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