SOMMAIRE
I. LE MALI ET NOUS
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En écrivant sur le Mali, je dialogue avec mon cœur. Par deux
fois (en 2002 et en 2013), j’ai eu l’honneur et la chance, en
tant que Sénégalais, de participer à deux campagnes
présidentielles victorieuses auprès, respectivement, de
Amadou Toumani Touré et d’Ibrahim Boubacar Keita.
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L’attachement à ce Mali éternel nous impose donc ce devoir
d’inventaire, sans concession, pour mieux comprendre les
maux qui accablent le Mali contemporain. Ces maux sont
aussi les nôtres. Prenons garde !
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Le Mali, cet immense et précieux voisin, est au carrefour de
son destin. L’insécurité exponentielle qui y règne, en plus de
la faillite du système de gouvernance, est source légitime
d’une grave préoccupation, voire de frayeur. Avant d’en venir
aux conséquences tragiques de cette crise et à ses
répercussions potentiellement dévastatrices, un détour
séquentiel est nécessaire afin d’en appréhender les péripéties
historiques.
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Cette crise, comme dans la plupart des pays africains, est
avant tout, une crise de construction de l’État - Nation. Le
projet d’un État fort, centralisateur, faisant abstraction des
différences multiformes qui caractérisent sa réalité
démographique, s’est heurté dès l’aube de l’indépendance à
la défiance d’une partie des populations du Nord, notamment
Touaregs.
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Les détracteurs de la cause touarègue en sont convaincus,
tandis que les intéressés rejettent l’accusation avec
véhémence. Quoiqu’il en soit, dès 1963, une première
rébellion touarègue éclata sous Modibo Keita. Cette
insurrection précoce appelée « Alfellaga » est promptement
réprimée avec l’aide de l’Algérie et du Maroc.
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La férocité de la répression qui s’abattit sur les insurgés
contribuera à sédimenter dans leurs cœurs et dans les esprits
un ressentiment durable et une méfiance instinctive.
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En 1968, il est déposé par un groupe de militaires dirigé par
Moussa Traoré. La nouvelle junte hérita d’un outil de défense
solide et du soutien actif de l’Algérie.
Les ténors de cette rébellion ont été tous formés dans les
armées de l’ex-guide de la Jamahiriya. Iyad Ag Ghali,
l’homme qui perturbe aujourd’hui le sommeil des dirigeants de
la région, a été un combattant de premier plan dans la légion
islamique de Kadhafi. À ce titre, il a fait la guerre à Beyrouth
aux côtés des Palestiniens lors du siège de la capitale
libanaise par l’armée israélienne.
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Les grandes figures militaires touarègues que sont les
Hassan Ag Fagaga, Ibrahim Ag Bahanga, Shindouk
Ould Najim (chef d’état-major du MNLA) sont tous passées
par les académies libyennes, en dépit de l’implication de leurs
devanciers dans les premières rébellions.
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Certains y voient l’une des causes du refus de normalisation
politique et administrative de la classe des féodaux.
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En janvier 1991, le régime finissant de Moussa Traoré signe
avec cette rébellion les « Accords de Tamanrasset ». En mars
1991, il est renversé par l’armée. Le lieutenant-colonel
Amadou Toumani Touré (ATT) prend la direction de la
Transition qui dura jusqu’en juin 1992. À la veille de son
départ, il signera avec les rebelles un « Pacte national » qui
renforçait les accords de Tamanrasset.
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Toutefois, le revers est terriblement décevant. C’est en effet
sous le règne de Alpha Oumar Konaré qu’a commencé le
processus d’affaiblissement de l’État. Les droits sociaux
accordés, sans réflexion stratégique, aux corps régaliens
(police, magistrature, commandement territorial) permirent
leur syndicalisation anarchique, source d’une nouvelle
vulnérabilité de l’État et de perte d’autorité. Konaré porte
également une grande responsabilité dans la déliquescence
de l’outil de défense de son pays.
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Le séparatisme qui se nourrit à la fois des échecs des
gouvernants et d’une sourde rancœur n’en sera pas
apprivoisé. Le régime d’Alpha Oumar Konaré est aussi
responsable du démantèlement du système éducatif.
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Après une nouvelle alternance à la mode ping pong, Amadou
Toumani Touré revient au pouvoir en 2002. Porté à la
magistrature suprême par un puissant mouvement citoyen
avide d’une gouvernance de rupture, ATT se démarquera de
ses soutiens originels, une fois aux affaires, en optant pour un
mode de gouvernance basé sur le consensus général et mou.
Tout Général qu’il était, ATT n’a pas été à la hauteur des
efforts attendus de lui pour « réarmer l’armée », selon la
formule de l’éminent journaliste Saouti Aïdara.
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Son refus persistant de muscler l’outil de défense est un des
mystères de son héritage. À son actif, on doit relever
néanmoins un bon bilan en terme de désenclavement et de
construction d’infrastructures structurantes.
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Il fallait donc, pour les grands dealers, trouver une nouvelle
filière plus poreuse. La côte Atlantique ouest africaine fut
choisie comme point idéal d’entrée compte tenu de la nature
faible de certains de ses États. La Guinée Bissau (dont
l’ancien chef d’état-major Antonio Indjai vient de faire l’objet
d’un avis de recherches pour capture par les USA en relation
avec ce trafic) et la Guinée Conakry de Lansana Conté en
deviendront les plaques tournantes.
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S’y greffera un autre trafic plus ignoble, le « business
d’otages » ; les négociations pour la libération d’otages
occidentaux contre des rançons consistantes ont attiré une
foule d’intermédiaires avides de gains faciles avec des
ramifications insoupçonnables au niveau de certains palais de
la sous-région.
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Dans ce dossier, comme toujours, l’Algérie a une approche
sophistiquée difficilement déchiffrable. Toutefois,
contrairement aux idées reçues, le basculement d’une partie
du Nord malien et du Centre n’est pas uniquement le fait
d’envahisseurs maghrébins. Beaucoup d’habitants dans ces
parties du pays ont épousé le Salafisme en y voyant un
« authentique retour aux sources originelles de l’Islam ».
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Le basculement vers cette idéologie d’un Iyad Ag Ghali
(ancienne figure titulaire du mouvement touareg autonomiste
et laïc) s’explique par l’existence de ce terreau favorable, et
en même temps fonde le changement des objectifs de son
combat qui ne sont plus l’autonomisation ou l’indépendance
de l’Azawad, mais l’islamisation de l’ensemble du pays.
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Cette situation nouvelle a réduit considérablement les
capacités régaliennes de l’État central. En 2006, le président
ATT signe avec les mouvements rebelles les Accords de paix
à Alger, les énièmes, avec à la clé une concession
stupéfiante : la démilitarisation, autrement dit le retrait de
l’armée de la zone du conflit. Une première. La rébellion
nordiste n’en sera pas pour autant domptée. Au contraire !
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Cette option informelle de l’État, qui autorise les pratiques peu
orthodoxes dans son financement, permettra aux acteurs de
l’ombre d’évoluer dans l’interstice d’un monde sans droit
amplifiant le phénomène de criminalisation de l’espace Nord
du pays.
24
Le 26 mars 2012, à quelques mois de la fin de son mandat,
ATT est victime d’un coup d’État mené par un groupe
d’officiers subalternes avec le capitaine Sanogo comme figure
de proue. La rupture de la chaine de commandement qui s’en
suivit a été le catalyseur d’une conquête foudroyante des
principales villes du Nord (Kidal, Tombouctou, Gao) par le
MNLA, aussitôt expulsé par les « djihadistes » plus armés et
déterminés.
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L’intervention française au Mali était dans l’air à la fin de
l’année 2012. L’Afrique, dont un des membres était victime
d’une agression menaçant son existence, était incapable de
réunir les moyens humains, matériels et financiers pour lui
porter secours. Il fallait, pour elle, organiser des
« conférences de donateurs » (sic) afin de trouver les
quelques 375 millions de dollars – ou la moitié de cette
somme –nécessaires, que tout le continent ne pouvait pas ou
ne voulait pas réunir.
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Le 20 décembre 2012, par la résolution 2085, le Conseil de
sécurité des Nations Unies autorisait le déploiement, sous
conduite africaine, d’une mission internationale de soutien au
Mali (MISMA). C’était trop tard !
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Ou encore, ont-ils progressé en petits convois de véhicules
afin d’éviter que le panache des fumées d’une logue colonne
n’attire la curiosité du ciel ? C’est un débat superflu, car la
constante historique est que, d’une manière ou d’une autre,
ils ont pu atteindre leur objectif et en masse.
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Posture paradoxale d’un pays qui veut combattre le
« djihadisme » au Sahel en armant les mêmes « djihadistes »
en Syrie !
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Craignant des représailles des militaires aux aguets qui
menaçaient de marcher sur Koulouba en cas d’une demande
d’intervention terrestre de la France et aussi le courroux du
grand Chérif de Nioro, un homme très influent dont le père fut
déporté par l’administration coloniale et donc hostile à
l’intervention française sur le territoire malien, le président de
la Transition s’est contenté d’une demande d’intervention
aérienne dans sa première requête.
31
La lettre de Diocounda Traoré contenait aussi une clause
confidentielle de protection juridique des troupes françaises
au Mali. Une clause qui sera formalisée plus tard avec un
document de référence nommé « Sofa ».
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Le 14 janvier, l’autre groupe de « djihadistes » attaque la
commune de Diabali d’où ils délogent l’armée malienne qui se
replie avant de repasser à l’offensive.
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L’armée malienne évoluant sur le terrain accueille d’un bras
fraternel ses nouveaux « partenaires » français. Ensemble,
c’est la reconquête rapide de plusieurs localités du Nord sous
le joug des « djihadistes », dont Tombouctou et Gao. Le
peuple malien acclame la France, les drapeaux tricolores
pavoisent les rues, avenues et balcons des grandes villes. Le
nom du président français François Hollande est donné à des
nouveaux nés. Le 2 février, le chef de l’État français effectue
une visite triomphale dans Tombouctou libérée. C’est
l’apothéose !
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Du jour au lendemain, on y annonce la naissance d’une
nouvelle organisation : le Mouvement islamique de l’Azawad
(MIA). Un rapide examen de sa composition révèle une
tentative de recyclage des éléments « djihadistes » d’Iyad Ag
Ghali. Le porte-parole du nouveau mouvement ne serait autre
que… l’ancien porte-parole d’Ansar Dine.
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Dans la foulée, le MNLA annonce la capture de deux grands
« terroristes » en fuite, Mohamed Ag Mohamed et Oumaini
Ould Baba. La DGSE française tire les ficelles en coulisses.
Son tropisme pro-Touareg est de notoriété publique.
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Ces deux dirigeants emblématiques deviendront des députés,
élus sur la liste du RPM (Rassemblement pour le Mali), parti
d’IBK. Comprenne qui pourra !
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Essayons de voir, en toute objectivité, les arguments en
présence pour en tirer une conclusion honnête. Les partisans
d’un traitement différentiel de Kidal, particulièrement le
ministère français de la Défense dirigé à l’époque par M. Jean
Yves Le Drian, avançaient plusieurs arguments du point de
vue des intérêts français et de l’intérêt général, selon eux.
Entre autres :
- la France n’a pas vocation à soutenir l’armée malienne à
reconquérir une ville malienne tenue par un groupe armé
malien qui a des revendications qui datent de très longtemps ;
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- enfin, pour retrouver les otages, le concours du MNLA était
nécessaire compte tenu de sa connaissance du terrain.
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Jeudi 19 septembre 2013, les astres étaient alignés dans le
firmament soudano-sahélien pour célébrer le retour en fanfare
du Mali dans le concert des Nations. Ibrahim Boubacar Keita,
triomphalement élu président de la République, prêtait
serment devant des milliers de ses concitoyens dans un stade
du 26 mars plein à craquer malgré une chaleur étouffante.
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Pendant la campagne électorale, le candidat IBK était le seul
qui était accueilli avec les honneurs à Kidal. Le chef des
« Ifoghas » Amenokal Intalla Ag Attaher, en personne, avait
demandé à toute sa communauté de voter pour lui. Pour les
Touaregs, IBK était ce fameux « kankélétigui », l’homme qui
respecte toujours sa parole. Lors des élections législatives qui
ont suivi la présidentielle, le fils du chef des « Ifoghas »,
Mohamed Ag Intalla était d’ailleurs élu sous les couleurs du
RPM.
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À l’occasion de l’inauguration du barrage de Félou, dans la
région de Kayes, IBK martèlera ceci : « Il n’y aura pas de
négociation avec les rebelles tant qu’ils n’auront pas déposé
les armes. Un rebelle ne peut pas se hisser à mon niveau.
Kidal reviendra dans le giron du Mali !». Acclamations
bruyantes de son opinion publique chauffée à blanc.
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Qu’à cela ne tienne, le PM tenait à son voyage, disant à qui
voulait l’entendre qu’il serait inconcevable d’empêcher une
haute Autorité malienne de visiter une partie du territoire de la
République.
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Avec la déroute de l’armée malienne, le président IBK sollicite
un cessez-le-feu immédiat dans un discours pathétique à la
télévision nationale. Le rapport de force était de nouveau en
faveur de la rébellion.
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À peine élu, le président IBK s’est acheté un nouvel aéronef.
D’après une étude commanditée par ses services, l’avion de
commandement utilisé par ses prédécesseurs ATT et
Diocounda Traoré ne serait plus sûr techniquement. Il n’y
aura jamais, cependant, une contre-expertise pour corroborer
les conclusions de cette étude. Les conditions nébuleuses
d’acquisition de l’aéronef font l’objet, à ce jour, d’une
procédure judiciaire qui vaut à l’ex-Premier ministre
Soumaïlou Boubèye Maïga sa détention actuelle.
L’achat d’un avion était-il une priorité pour le Mali qui venait à
peine de sortir d’une occupation ? De nombreux Maliens ont
été déçus par cette décision d’un président sur lequel ils
fondaient beaucoup d’espoir.
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Cette annexe ne répondait pas trop au goût du nouveau
locataire. Par exemple, le carrelage était jugé sommaire, il
fallait donc du marbre de haute qualité ! Des milliards
engloutis pour donner, aujourd’hui, ce qui est sans doute, l’un
des plus luxueux bureaux de chef d’État au monde.
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Sur la sauvegarde de l’image de son pays, il eut également,
au départ, des divergences chaudement exprimées avec les
partenaires étrangers, notamment la France. Sa volonté
d’émancipation se manifestait, comme en témoignent ses
rencontres houleuses avec certains plénipotentiaires
occidentaux.
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Plus tard, lorsque fut révélée la relation privilégiée entre les
deux journalistes du « Monde » et le président François
Hollande, à l’occasion de la parution de leur livre commun,
« Un président ne parle pas comme ça ! », on devina
aisément l’origine des fuites.
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Comment en est-on arrivé à ce brasier incandescent, dans ce
Centre autrefois endroit paisible, où cohabitaient
harmonieusement différentes ethnies ?
50
Au départ, Koufa était à la tête d’un groupe marginal.
L’immense majorité de ses parents Peuls ne voulait pas le
suivre car il professait un Islam radical qui était aux antipodes
de l’Islam confrérique.
51
Les forces de défense et de sécurité qui se heurtaient par la
suite au silence apeuré des civils interprétaient cette attitude
comme de la complicité motivée par la solidarité ethnique.
Les exactions qui en résulteront provoquent le basculement
progressif des jeunes dans le camp des « djihadistes », pour
se venger ou protéger leurs parents.
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Représailles et contre – représailles s’enchaînent, des
villages entiers Peuls comme Dogons, sont rayés de la carte.
Les tueries de masse se multiplient, une tragédie
insoutenable !
53
Pourquoi le Premier ministre Soumaïlou Boubèye Maïga avait
lui-même arboré une tunique des chasseurs, donc des
miliciens, lors d’une réunion publique ? Cet accoutrement
symbolique a été interprété comme un geste de parti-pris en
faveur d’une communauté. En vérité, le basculement du
Centre est l’exemple typique de la défaillance systémique du
pouvoir central.
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L’ampleur des échecs de l’État malien dans la lutte contre les
rébellions et le terrorisme met en relief son impuissance
organique qui procède des failles systémiques parasitant son
efficacité. Le Mali est d’abord ce pays en guerre dont le
système démocratique frise l’anarchie.
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Héritière de la police politique du régime de Moussa Traoré,
la Direction générale de la sécurité d’État (DGSE) dispose
d’un pouvoir tentaculaire, disperse son énergie et ses moyens
dans des pratiques et mœurs incompatibles avec l’efficacité
pointue attendue d’elle en temps de guerre.
57
Le renseignement pur, l’évaluation - anticipation et
l’opérationnel sont confondus parfois dans les mêmes
services, souvent opérés par les mêmes agents. Sa
redoutable efficacité dans le contrôle et l’intimidation des
citoyens en fait un instrument convoité par tous les régimes
qui se succèdent, en dépit de son éloignement de sa vocation
véritable.
58
Les Autorités actuelles en conviennent : un vrai travail de
diagnostic est nécessaire avant la création d’une nouvelle
structure à la hauteur des enjeux.
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Jusqu’à une période récente, c’était le Conseil supérieur de la
défense qui officiait à la Présidence de la République. Il se
réunissait de manière épisodique au gré des évènements
pour prendre des décisions opérationnelles ponctuelles.
60
Comment instaurer une discipline, dans les rangs, qui
transcende le sentiment d’appartenance des éléments au
moment où l’appel à la solidarité communautaire se fait
persistant ?
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Des pans entiers du territoire malien échappent désormais au
pouvoir central. Au Nord, les grandes agglomérations sont
encerclées par une insécurité totale.
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Principale alliance « djihadiste » au Mali, le GSIM affilié à al
Qaïda est l’organisation terroriste la mieux implantée. Son
inspirateur et stratège Iyad Ag Ghali a une connaissance
pointue du territoire malien. C’est une cible jusque là
insaisissable. Sa stratégie de harcèlement dans une guerre
asymétrique épuise les forces d’intervention étrangères,
essentiellement aériennes, et qui sont faiblement
accompagnées par l’armée nationale.
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Récemment, il s’est passé dans les environs du village de
Marébougou, dans le cercle de Djenné, un événement
exceptionnel : pour la première fois, l’utilisation d’un gaz
toxique par les « djihadistes » a été rapportée. Si cette
information est vérifiée, cela risque de changer radicalement
la situation sur le terrain.
65
Plusieurs dizaines de morts dans le camp des assaillants et
un nombre considérable de matériels de guerre abandonnés
sur place. Après cet affront, les miliciens étaient amers. Dans
plusieurs vidéos, certains d’entre eux affirment qu’ils avaient
été encouragés par l’armée qui les a abandonnés une fois le
combat engagé, et que leur rôle n’est pas de protéger le pays,
une mission qui revient à l’État qui doit l’assumer pleinement.
66
Des centaines de village sont rayés de la carte ; plus de 1500
écoles étaient fermées durant la dernière année scolaire par
des terroristes opposés à l’enseignement moderne.
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« Si chaque mosquée parmi les milliers que compte Bamako
donnait chaque jour mille francs pour soutenir ces déplacés,
nos frères et sœurs auront de quoi se nourrir », proteste
Samba Diagouraga, un malien né en France.
68
La grande cité religieuse Dilli fondée par Cheik Abdoulaye
Kane est empêchée, depuis deux ans, par les mêmes
« djihadistes », de célébrer la naissance du Prophète (PSL)
ou Maouloud. De toute façon, le temps joue en faveur de ces
derniers si les tendances actuelles ne sont pas radicalement
inversées. L’avenir du pays se pose effectivement en terme
de « si ».
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Le déplacement de l’insécurité vers l’Ouest du pays met en
péril la richesse aurifère. Les hommes d’al Qaïda sont de
redoutables stratèges ; ils fournissent l’assistance alimentaire
là où c’est nécessaire, ils abolissent les impositions
contraignantes propres au système régalien.
70
Les pertes qu’elle subit sont surtout le fait d’embuscades,
d’accidents liés à l’explosion de mines ou d’attaques contre
ses camps. Autant reconnaître une troublante posture
statique.
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Espérons que ces mesures provoquent l’effet salvateur tant
attendu, car ce qui s’est passé en Afghanistan doit alarmer,
ne serait-ce que sur un point : les Talibans ont conquis
Kaboul sans tirer un seul coup de feu ! Ce fut l’aboutissement
de la stratégie de « délégitimation » de l’État.
72
73
L’intervention de la communauté internationale au Mali
repose sur quatre piliers :
- la MINUSMA (Mission d’intervention multidimensionnelle
des Nations unies au Mali)
- l’opération Barkhane – Takuba
- l’EUTM (Mission de formation de l’Union européenne au
Mali)
- le G5 Sahel.
74
Pour comprendre les soubassements réels de cet échec, il
convient d’analyser le fonctionnement des différents cadres
d’intervention présents dans le pays, à commencer par la
MINUSMA.
75
- soutien à la société civile,
- appui social, culturel et éducatif aux communautés
vulnérables.
76
Dans ces conditions, des terroristes évoluant à proximité de
ses bases ne courent aucun risque tant qu’ils ne posent pas
des actes hostiles. Tout au plus, les officiers onusiens
peuvent, peut être, signaler leur présence.
77
En d’autres termes, il faudra faire le deuil d’une perspective
d’évolution du mandat de la MINUSMA dans un sens plus
robuste. Le dossier essentiel qui occupe toute son énergie est
l’application des accords de paix entre les rebelles Touaregs
et l’État.
78
- réforme sécuritaire avec le DDR (désarmement,
démobilisation et réintégration) et l’audit des forces de
défense et de sécurité (FDS),
- mise en place d’un fonds régional de développement,
- création d’une Commission Vérité et Réconciliation.
79
Les Autorités maliennes sont plutôt réservées de voir ces
bataillons reconstitués doter d’armements lourds de peur
qu’ils ne tombent entre des mains hostiles en cas de
désertions.
80
Même si son principe de base est pertinent (le règlement
politique d’un conflit qui sera difficilement gagné par la
guerre), l’accord fait une part belle à une composante, à
savoir la CMA (la Coordination des mouvements de
l'Azawad), alors qu’elle est loin de représenter les Touaregs
et les Arabes.
81
Souvenons nous d’une chose, la MINUSMA procède d’une
inspiration diplomatique française qui voulait, par ce biais,
atteindre à la fois l’objectif de transfèrement du fardeau
budgétaire de l’intervention aux Nations unies et bénéficier de
l’onction internationale dans l’optique d’un règlement politique
du dossier du Nord, afin d’éviter un enlisement militaire.
82
- Un déploiement massif de l’armée en position offensive
dans l’extrême Nord du pays serait-il contrarié par la nature
équivoque du mandat des forces onusiennes au Mali et
l’interprétation dissuasive des nombreuses résolutions de
l’ONU ?
83
Dans ce Nord des massifs montagneux, les alliances
communautaires adossées à la gestion opaque des intérêts
communs souterrains empêchent de discerner dans l’absolu
le rebelle autonomiste laïc du « djihadiste » salafiste. On peut
être l’un dans la journée et l’autre le soir tombé.
84
L’autre élément qui rend perplexe est le schéma militaire
franco-européen de lutte contre le terrorisme. L’opération
« Barkhane » met l’accent sur des « objectifs pointus et
ciblés », à savoir l’élimination des commandants
« djihadistes » et la « désorganisation structurelle » de leur
commandement.
85
Outre le nombre très insignifiant des effectifs de cette
opération Takuba (600 éléments) dans le contexte malien
caractérisé par l’étendue du territoire et l’élargissement du
théâtre des opérations, les éléments de la force Takuba
s’engagent rarement dans la bataille, se contentant de
prodiguer des conseils à leurs homologues maliens, en plus
des dons en équipements.
86
Après moult critiques, l’école a décidé de s’approcher du
théâtre des opérations au Centre du pays, plus précisément à
Sévaré. Là aussi, l’accent est mis sur la sécurité des
formateurs européens. Les opinions publiques en Europe
sont aux aguets. En fin de compte, le budget alloué à la
sécurité des formateurs fait la moitié de l’ensemble du
programme.
87
C’est ainsi que, pour régler cette éternelle question de
manque de moyens, l’idée de la création d’un bureau des
Nations unies dédié au G5 Sahel est fortement défendue par
les pays africains, appuyés par la France et d’autres pays. Un
tel schéma permettrait l’instauration des contributions
statutaires, c’est à dire obligatoires des pays membres de
l’ONU. Certaines grandes puissances s’opposent fermement
à l’idée, pour le moment.
88
89
Depuis sa nomination au poste de Premier ministre, M.
Choguel Kokala Maïga montre une grande capacité d’initiative
en faisant preuve d’indépendance politique. Il ne peut être
dans le registre de discrétion de son prédécesseur Moctar
Ouane, lui qui revendique une légitimité presque égale à celle
des militaires du fait de son rôle dans la chute d’IBK.
Tandis que les chefs de l’Armée sont submergés par les défis
sécuritaires et les tourments d’une transition laborieuse, le
PM agit en calculateur politique, car convaincu de
l’impossibilité pour lui de conquérir le sommet du pouvoir, le
conserver sans terrasser les paradigmes « normaux » de la
vie publique. Il s’attèle méthodiquement et sans état d’âme à
la construction d’un positionnement politique durable.
90
Au vu de ce que l’ancien régime a laissé, comme dossiers,
l’opinion est facilement mobilisable sur le thème de la lutte
contre la corruption. Beaucoup de Maliens sont outrés par ce
qu’ils découvrent comme gabegie. Ne pas tenir compte de
cette soif de justice serait une grave erreur, à condition que la
justice ne se transforme pas en opération déguisée pour
éliminer des adversaires politiques.
91
N’ouvre-t-on pas la boîte de Pandore avec comme
conséquence une surenchère de dénonciations et
d’accusations ?
92
Qu’importe pour le PM, la carte nationaliste lui procure une
popularité inespérée, lui qui n’avait pas obtenu plus de 2%
des suffrages lors de la dernière élection présidentielle. Sa
cible préférée est la France qu’il accuse d’ «abandon » et la
communauté internationale coupable de laxisme.
93
Il tient à un préalable : l’organisation des Assises nationales
de la refondation prévues au mois de Décembre prochain.
Beaucoup de partis politiques s’y opposent, voyant dans cette
initiative une manœuvre de diversion pour prolonger la
transition.
94
Au delà de ce débat qui oppose deux générations politiques
au Mali, il convient de s’interroger néanmoins sur l’objectivité
des critiques du système électoral actuel au point de tout
vouloir remettre en cause. Il faut se souvenir qu’en 2018 le
président en exercice d’alors, IBK, était contraint d’aller au
deuxième tour avec le même système électoral. N’eût été le
refus de l’opposition de s’aligner alors derrière le candidat
Soumaïla Cissé qualifié au deuxième tour, le Mali allait
connaître une alternance démocratique historique.
95
La réponse idoine à cette question épargnera le pays d’une
nouvelle crise politique. Le consensus et l’inclusivité fondent
la légitimité de tout pouvoir de transition. Dans ce sens,
l’élargissement du gouvernement aux forces politiques
laissées en rade, en plus du remembrement du Conseil
national de transition dans le sens d’une meilleure inclusivité,
constituent des pistes d’évitement d’une telle crise annoncée.
Pour y arriver, le PM, qui semble être l’élément clivant fera t-il
preuve d’altruisme patriotique, d’ouverture et de réalisme ? La
meilleure façon de faire adhérer les partenaires du Mali au
report éventuel du calendrier électoral, compte tenu de la
réalité du terrain, c’est de parler d’une seule voix, de proposer
un agenda transparent, crédible et consensuel, porté par
l’ensemble des forces vives de la nation.
96
À ce stade, une approche pédagogique est indispensable
pour démêler les arguments en présence. Pour la
communauté internationale, la tenue d’une élection, même
imparfaite, est nécessaire pour deux raisons :
- cela devrait permettre aux militaires de retourner au métier
pour lequel ils sont formés, et de se consacrer aux tâches de
défense nationale, surtout en période de guerre ;
97
Les partisans de la junte vont même plus loin en déclarant
que leurs héros sont investis d’une mission salvatrice de
sauvetage de la patrie « après l’échec de la classe politique ».
À quoi leurs contempteurs répliquent en disant que si
réellement les militaires sont motivés par un tel dessein, il doit
exister entre Tombouctou et Bougouni, ou au niveau de la
diaspora des civils compétents et intègres, capables
d’endosser une telle mission et épargner ainsi au pays des
épreuves supplémentaires.
98
99
« Cap vers le Sud ! », telle est la substance du message
posté par Iyad Ag Ghali, patron de la nébuleuse « djihadiste »
Ansar Dine devenue GSIM (Groupe de soutien à l’Islam et
aux musulmans), affilié à al Qaïda, au lendemain de la prise
de Kaboul par les Talibans. Depuis cette sentence, la
situation sécuritaire s’est considérablement dégradée au
Centre et à l’Ouest du Mali.
100
Au vu du déroulement actuel des opérations des
« djihadistes », le doute n’est plus permis. Al Qaïda veut
conquérir la capitale malienne où il dispose de nombreux
sympathisants « dormants », pour y proclamer l’avènement
de « l’émirat islamique du Mali ».
101
Chose étrange mais logique : les assaillants n’ont pas touché
à la marchandise. L’acte était plus politique que crapuleux.
C’était un message sanglant.
102
Pour le Sénégal, ce qui est désormais en question, c’est son
ouverture vers l’Afrique. En dehors du Mali, il n’a aucun
corridor viable vers le marché communautaire de la CEDEAO.
103
Pour le Sénégal, la question se pose désormais en terme de
sécurité nationale directe. Certes, le renforcement des
dispositions sécuritaires à la frontière décidé par le président
de la République est à saluer, mais cela est insuffisant.
104
Ce nouveau cadre devra disposer d’un monitoring permanent
des évènements, des enchaînements significatifs qui
dégagent les tendances lourdes. Tous les scénarii doivent
être envisagés.
105
- aider à une réévaluation du schéma politico-diplomatique de
sortie de crise plus englobant que l’accord de paix et de
réconciliation ;
- proposer une ingénierie politique plus adaptée afin d’aider à
la stabilité institutionnelle ;
- engager une relecture audacieuse et substantielle de la
doctrine de lutte anti-terroriste ;
- plaider pour un engagement plus volontariste du leadership
africain dans la prise en charge des dossiers de crise ;
- promouvoir l’autonomisation de la réflexion stratégique en
dotant la CEDEAO d’un véritable centre d’excellence axé sur
les questions sécuritaires et menaces fondamentales.
106
Une nouvelle posture du Sénégal peut engendrer une plus
value politique et diplomatique pouvant encourager un
dialogue constructif avec des acteurs non régionaux aux
tendances autocratiques, qui offrent aux aventuriers de
l’espace communautaire des alternatives dangereuses.
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