Etude du roman Le Père Goriot en application sur l’histoire littéraire

Au XIXe siècle le roman s’était éloigné du monde idéalisé qui pouvait encore être le
sien au XVIIIe siècle. Les écrivains essaient d’être au plus proche des réalités de leur temps
et décrivaient avec précision les bouleversements sociaux héritiers de la Révolution. Ils
apportent sur la société un regard sans concession où le souci d’objectivité n’exclut pas
l’ironie mordante. En effet, le roman de Balzac, Le père Goriot porte les caractéristiques
précitées en rejoignant Lanson qui considère que la littérature et les faits sociaux ont une
relation étroite aucun des deux ne peut aller seul sans faire recours à l’autre. C’est la raison
pour la quelle, Balzac dans la préface de La comédie Humaine se donne le statut d’un
« secrétaire » qui enregistre l’évolution de la société et entreprend d’écrire l’histoire des
mœurs. C’est-à-dire le roman concurrence les autres domaines. Ainsi Balzac dans Le Père
Goriot procède en une description minutieuse des personnages, des lieux, de l’histoire
racontée par une objectivité sans égale. Cela relève du fait que la littérature et la science
entretiennent un rapport étroit ; c’est-à-dire la littérature adopte une démarche scientifique
par le modèle d’investigation. C’est pourquoi Michel Butor dans la préface de Le Père Goriot
Moderne affirme que : « vous voici averti, ceci n’est pas une fiction mais un drame. Non pas
que vous alliez trouver comme il était courant dans la littérature de l’époque duels, poisons
et flots de sang, héros et évènements extraordinaires 1 ». Le romancier montre la rupture
quant à l’orientation du roman précédant par rapport au roman du XIXe siècle. Ainsi, ses
propos ne vont pas sans expliquer que Le Père Goriot est une histoire réelle tirée de la
société quotidienne. Balzac même veut mettre en lumière les secrets de l’homme et de la
société en les observant moyennant l’écriture romanesque. D’ailleurs, cela lui fait surgir
l’idée de recourir à la science, un domaine qu’il faut désormais rivaliser même à dépasser.
Donc faire vrai devient un crédo en s’inspirant directement des faits sociaux. Dans ce sillage,
il déclare ces paroles comme pour nous mettre en garde : «  Ah ! Sachez-le; ce drame n’est
ni fiction ni un roman. All is true, il est si véritable, que chacun peut en reconnaitre les
éléments chez soi, dans son cœur peut-être2.» Balzac s’est même astreins de classer ce
chef-d’œuvre au genre romanesque en lui donnant une orientation dramatique. En effet,
parlé du drame revient ipso facto à y reconnaitre des aspects venant de la vie quotidienne.
D’ailleurs, Stendhal soutient que «  Le roman est un miroir que l’on promène le long d’un
chemin3 ». Cette déclaration est à considérer dans un contexte bien déterminé qui est celui
du XIXe siècle. Cette période est maquée par l’avènement de révolution industrielle, un fléau
qui a apporté des déséquilibres sur tous les plans dans la société française. Dès lors, elle a
1
Michel Butor, Préface de Le père Goriot Moderne.
2
Balzac, Le Père Goriot, p. 6.
3
Stendhal, Préface de Le Rouge Et Le Noir.
affecté la société pour sa grande partie de manière négative. Balzac dans Le père Goriot
relate le phénomène de l’arrivisme qui secoue la société, de la chasse infernale de l’argent,
de l’amour décevant du père en vers ses filles. Il faut préciser que toutes ces pratiques
étaient en vogue dans le quotidien de la France du XIXe siècle. Dans ce roman la discussion
entre Euguène et Vautrin reflète le pouvoir de l’argent que rien ne semble pouvoir tenir tete.
Euguène se retrouvant avec des dettes qu’il ne peut pas payer, est manipulé par Vautrin :

« Encore deux où trois réflexions de hautes politiques, et vous verrez le monde

comme il est. En y jouant quelques petites scènes de vertu, l’homme supérieur y satisfait
toutes ses fantaisies aux grands applaudissements des niais du parterre4… »

Balzac dans son ambition de restaurer la réalité telle qu’elle est, montre une objectivité sans
égale dans sa création dépourvue de toute subjectivité. En outre, les aspects qui sont en
rapport avec l’histoire sont nombreux dans le roman. Le réaliste s’affiche tel un historien
dans la mesure où les références sont tirées directement de la société: que ce soit les
indices de temps où de lieux, elles sont toutes repérables. D’ailleurs, le chef de fil même du
réalisme Flaubert dans son roman L’éducation Sentimentale arbore cette casquette dès
l’incipit il fait l’état des lieux en nous dressant une brève présentation de l’histoire en temps
et en lieux en ces termes: « Le 15 septembre 1840, vers six heures du matin, la Ville-de-
Montereau, près de partir, fumait à gros tourbillons devant le quai Saint-Bernard 5. » Dans
cette assertion on voit clairement une description nette des éléments temporels et spatiaux
où l’histoire se déroule et qui sont bien tirés du quotidien de la France du XIXe siècle.

4
Balzac Le Père Goriot, P. 191.
5
Flaubert, L’éducation Sentimentale, G, P1.