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Accueil » NOTES DE LECTURE – François Châtelet, La philosophie des professeurs, Grasset, 1970
Tout cela dans un contexte mondial plutôt anxiogène où certains pays comme le Japon et le Brésil
annoncent vouloir couper les vivres aux facultés de philosophie et de sociologie, sous prétexte de
réserver ces crédits à des facultés plus spécialisées, plus immédiatement utiles à la société.
Il paraît donc légitime de s'inquiéter des menaces qui pèsent sur l'enseignement de cette discipline.
Il me revint alors en mémoire un vieil ouvrage de François Châtelet, La philosophie des professeurs
(1970), qui revient sur les grandes notions qui forment le programme de philosophie en terminale. Il
me parut opportun de relire ce livre et voir les réponses qu'il pouvait apporter sur cette question des
notions.
C'est début des années 2000, peu après avoir quitté la faculté de philosophie, que je tombe un peu
par hasard sur cet ouvrage. Sa lecture vint confirmer plusieurs de mes ressentis sur l'enseignement
de cette discipline et me conforta dans ma décision d'y renoncer.
François Châtelet, qui aura consacré sa vie entière à la philosophie, fait ici une critique sans
concession de l'enseignement tel qu'il est organisé en France.
Loin d'une critique abstraite, le livre de Châtelet se veut être une enquête sur ce que représente la
philosophie en partant de l'étude concrète, de la dissection de ses programmes et de ses textes de
référence. Selon son propos, il n'est qu'une étude préliminaire qui devrait être complétée par une
véritable étude sociologique de la question. Un appel à une sociologie de la philosophie en quelque
sorte. Dans des termes bourdieusien, on pourrait parler d'une étude du champ philosophique, de
son fonctionnement, de sa signification sociale. Ce à quoi participent d'ailleurs certains sociologues2
mais qui n'a pas abouti, à ma connaissance, à un ouvrage de synthèse qui ferait autorité.
Châtelet s'appuie donc sur le programme officiel des cours de philosophie – il remonte pour cela
jusqu'au début du XXème siècle – pour étayer son argumentation. On a alors sous nos yeux tout un
héritage, qui remonte à Napoléon (l'organisation en 4 parties) et fait une large place à quelques fi-
gures mineures de la philosophie française, probablement connues des seuls historiens de la philo-
sophie, comme Victor Cousin, Jules Lachelier, Jules Lagneau, Émile Boutroux et Alain à qui on a
pourtant confier la charge d'élaborer les modalités d'enseignement de la philosophie. C'est donc là
tout un héritage que la philosophie porte dans son programme.
Ce que va montrer cet essai est que cet héritage, en réalité, porte en son sein des valeurs qui ont
:
Ce que va montrer cet essai est que cet héritage, en réalité, porte en son sein des valeurs qui ont
pu évoluer avec le temps mais conservent une logique propre.
Ce que Châtelet appellera la P.S.U., la Philosophie Scolaire et Universitaire, transmet en effet cer-
taines valeurs de l'idéologie dominante par le biais des Notions inscrites au programme.
CHAPITRE I : le Sujet
Première notion : JE.
Il s'agit là du lieu commun premier de la philosophie. Tout est organisé comme si le Je était le point
de départ de tout.
Du Moi-je-conscience-sujet-individu-personne, on aborde la raison, et notamment la raison réflexive,
celle qui prend conscience de sa conscience...
Par un prisme psychologisant, le cours de philosophie amène l'élève à comprendre qu'il est d'abord
une conscience.
C'est ce que l'auteur appelle la psychophilosophie, promue par la Philosophie Scolaire et Universi-
taire. On y perçoit l'expression d' « une idéologie, qu'elle digère et supporte, qu'elle véhicule ».
Partir du sujet n'a en effet rien d'anodin. Pour une critique philosophique de toute pensée qui prend
comme point de départ l'individu voire notamment l'excellent essai de Miguel Benasayag, Le mythe
de l'individu (1998) qui démontre ses contradictions théoriques et, en outre, recontextualise cette
pétition de principe dans l'histoire en en montrant le lien avec l'essor du capitalisme.
Pour convaincre l'élève de l'importance de cette conscience réflexive, la philosophie scolaire et uni-
versitaire institue artificiellement son antithèse : la pensée non philosophique ou vulgaire.
Cet homme commun que l'on réduit à la généralité vulgaire est une construction idéale et arbitraire.
La philosophie scolaire et universitaire a besoin de ce médiocre objet contre quoi elle va diriger sa
critique.
L'homme commun doit nécessairement avoir une pensée vulgaire, partiale, subjective afin que la
philosophie apporte à l'élève une pensée supérieure, lucide, objective, impartiale, car réfléchie.
On construit ainsi une image de l'apprenti philosophe, comme presque adulte : « une progression
abstraite qui conduit de la conscience naturelle au Moi-Je volontaire et organisé, à la personne dé-
sormais capable de vouloir le Vrai, le Bien et le Beau ».
On lui attribue un « statut péremptoire qui le fait maître de son discours, libre, comme sujet... ».
Il y a là quelque chose de très rassurant, qui vient apaiser les angoisses qui rongent l'adolescent :
tous les malheurs du monde sont ainsi amortis, abolis car perçus comme étant la résultante d'une
pensée vulgaire : « Les pratiques contradictoires et meurtrières qui déchirent les sociétés sont dé-
sormais amorties, abolies : elles se fondent dans le creuset facile désigné comme 'pensée
vulgaire' ».
Très opportunément, la philosophie vient former le jugement du jeune adulte et les problèmes du
monde seront bien vite résolus, car lui ne reproduira pas les erreurs de la pensée vulgaire...
Châtelet n'invente rien. C'est déjà ce sentiment de supériorité dispensé dans les cours de philoso-
phie que fustigeait le philosophe Paul Nizan dans son célèbre ouvrage :
« On rencontre cependant tous ces gens, tous ces jeunes gens qui croient que tous les travaux for-
mellement philosophiques amènent un profit à l'espèce humaine, parce qu'on leur a persuadé qu'il
en va ainsi de toutes les tâches spirituelles. Avoir de bonnes intentions, c'est d'autre part, et pour
:
parler gros, vouloir précisément ce profit. On a appris à tous ces gens depuis la classe de septième,
depuis l'école laïque que la plus haute valeur est l'esprit et qu'il mène le monde depuis l'éloignement
de Dieu. À seize ans, qui donc n'a pas ces croyances de séminaristes ? J'eus par exemple ces pen-
sées. Sous prétexte que je lisais tard des livres en comprenant plus facilement qu'un ajusteur n'eût
fait le divertissement de Pascal et le règne des Volontés Raisonnables, je ne me prenais pas pour
un homme anonyme, je croyais docilement que l'ouvrier dans la rue, le paysan dans sa ferme me
Remarque : si la notion de Sujet a conservé jusqu'à aujourd'hui un aspect central dans le pro-
gramme de philosophie, il faut toutefois remarquer qu'elle est actuellement sur la sellette dans le
cadre de la réforme de Blanquer4. D'après les échos qu'on peut en avoir, le sujet serait délaissé au
profit d'une conception scientiste des neurosciences, chères à Blanquer.
CHAPITRE II : l'Homme
Deuxième notion abordée : l'Homme.
Concept flou qui permet à la philosophie de reprendre la main sur divers domaines que la science
lui aurait confisqué : sociologie, psychologie, biologie...
La notion d'Homme a le grand avantage d'être une notion pour le moins élastique. L'auteur rappelle
que Louis Althusser et Michel Foucault ont montré, avec pertinence et vigueur, que « le concept
d'homme est aujourd'hui si confus, si pléthorique qu'il constitue un obstacle majeur à une intellection
scientifique du devenir des sociétés et que toute théorie critique passe par sa destruction systéma-
tique ».
La notion d'homme permet entre autres d'aller chercher des preuves là où les nécessités rhéto-
riques nous y invitent, sans qu'il en coûte la moindre contradiction. Un peu comme si un biologiste,
devant une difficulté dans sa démonstration allait recourir à un raisonnement métaphysique, tout en
ayant basé son exposé sur une référence littéraire. La notion d'Homme est si vaste qu'elle permet
ce genre de sauvetage.
C'est un constat que je faisais en mon temps, les études de philosophie ne donnent pas réellement
accès à une véritable méthodologie structurée pour philosopher. Et ce y compris au niveau universi-
taire. Au mieux, on a le raisonnement abstrait, au pire la rhétorique (effets de style, goût pour le pa-
radoxe, le coup d'éclat, les phrases jugées profondes, etc.).
Une critique assez récurrente en réalité.
Tout cela demeurerait dans le domaine de l'acceptable s'il n'y avait pas cette prétention de la philo-
sophie à surpasser les autres disciplines, et à être la seule à pouvoir apporter des preuves déci-
sives, jusqu'à fonder les autres savoirs.
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sives, jusqu'à fonder les autres savoirs.
droit de regarder de haut les disciplines empiriques et ceux qui les pratiquent, a aussi sa ran-
çon : l’effet de consécration, qui est associé à l’occupation d’une position dominante, est aussi ce
qui interdit de déroger, et de se salir les mains dans les taches inférieures de la pensée, condam-
nant souvent ces dominants dominés par leur domination à identifier la hauteur théorique au ver-
balisme vague et péremptoire d’une pensée peu encombrée par la connaissance des choses. »5
Faisant des recherches sur la construction des connaissances chez les enfants, Piaget relevait aus-
si cette réticence de la philosophie à se pencher sur le réel. Le fondateur de l'épistémologie géné-
tique écrivait ainsi :
« Des jeunes philosophes, parce que ce spécialisant dès l'accès aux Facultés dans une discipline
que les plus grands auteurs de l'histoire de la philosophie n'ont abordée qu'après des années de re-
cherches scientifiques, on les incite à croire qu'ils peuvent entrer de plain-pied dans les régions su-
prêmes du savoir, alors que ni eux ni parfois leurs maîtres n'ont la moindre expérience de ce qu'est
la conquête et la vérification d'une connaissance particulière
[...]
On trouve ainsi des étudiants devenus spécialistes de la synthèse avant toute analyse, ou entrant
de plein pied dans le monde transcendantal avec d'autant plus de facilité qu'ils ignorent toute empi-
rie ».
C'est tout l'inverse qu'il faudrait faire :
« Contrairement à aux opinions du sens commun, il est donc beaucoup plus difficile de constater
des faits et de les analyser que de réfléchir ou de déduire, et c'est pourquoi les sciences expérimen-
tales sont nées bien après les disciplines déductives, celles-ci constituant à la fois le cadre et la
condition nécessaires de celles-là, mais nullement suffisants. »6
A l'inverse, même lorsqu'elle se cantonne à son seul domaine, la rigueur méthodologique ne semble
pas de mise. François Châtelet développe quelques exemples où la philosophie scolaire et universi-
taire dénature passablement les propos de penseurs tels que Descartes, Kant, Hegel.
Leur œuvre est le plus souvent réduite à une caricature affreusement abstraite pour les faire rentrer
dans un raisonnement dialectique. Ainsi on lit bien le Discours de la méthode, mais rarement la
dioptrique ou les météores qui l'accompagnent.
Il faut lire ces pages où on sent toute la lassitude d'un professeur de philosophie qui a enseigné
pendant des années et des années aux élèves de terminale à présenter la position d'un auteur pour
la réfuter ensuite par un autre pour terminer par un troisième auteur qui en fera la synthèse. Et ce à
peu près sur toutes les notions prévues dans le programme.
De fait, l’œuvre d'un philosophe ne peut que difficilement être saisie dans le cadre d'un cours de
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De fait, l’œuvre d'un philosophe ne peut que difficilement être saisie dans le cadre d'un cours de
philosophie qui se limite au raisonnement abstrait et dont le but principal, sinon unique, est de per-
mettre à l'élève de s'en tirer avec une bonne note au Bac.
Le plus souvent, le recours au concret permet d'illustrer une idée généralement reprise de la pensée
dominante :
« A ce niveau, l'opération de retour au concret, qui avait pu faire illusion, révèle sa signification : il
s'agit tout simplement de faire passer, sous la caution de la philosophie et de sa tradition, les no-
tions que véhiculent les moyens de communication dits de masse, manifestations plus ou moins
subtiles des valeurs que sécrète le pouvoir. Quand elle doit en venir au fait la P.S.U. est à son plus
bas niveau. Elle avoue, alors, ce qu'elle ne peut pas manquer d'être : un miroir fidèle de l'institution
qui l'institue. »
Châtelet lève un pan du voile sur le lien entre l'idéologie dominante (pris ici dans un sens très géné-
ral) et l'enseignement de la philosophie.
Il illustre son propos par un exemple de cours qui oppose capitalisme et socialisme très schémati-
quement pour conclure, tout en préservant le devoir de neutralité du professeur, que les deux sont
problématiques. Les faits nous permettent de constater que le capitalisme recours à l'État, que l'ac-
tionnariat se démocratise, etc.. tandis que le communisme tend à devenir moins dictatorial. Donc,
que tout est prêt pour la grande réconciliation. Écrivant dans les années 70, Châtelet avait donc
pressenti cette mode qui sera à son paroxysme dans les années 80 qui verront l'arrivée au pouvoir
du socialisme en France et l'ouverture de la Chine à l'économie de marché comme la preuve que
tout est prêt pour une synthèse capitalo-communiste... que personne ne verra jamais !
Ce qui ne laisse pas de poser question sur la pertinence de l'enseignement avec une telle méthodo-
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logie plus littéraire que scientifique, plus approximative que précise, plus rhétorique que logique.
Et je rappellerai ici encore les propos de Pierre Bourdieu qui confirme que dans son processus de
réactualisation des idées philosophiques, l'enseignant dénature le plus souvent les textes sur les-
quels il s'appuie :
« L’usage ordinaire des textes du passé suppose [...] une déshistoricisation qui est une véritable
Force est de constater qu'il en va de même avec les citations dans les dissertations des élèves. La
citation, élément pratique qui vient illustrer une idée, est bien souvent totalement extirpée de son
contexte : « Non seulement on extrait le penseur de son contexte historique et encore on abolit le
cadre logique » nous dit Châtelet.
Par exemple, pour Descartes on omet de préciser le rapport du philosophe avec les travaux de Gali-
lée et on oublie l'ordre interne du développement de la pensée, de la publication des œuvres, etc.
Comment, dans ces conditions, aboutir à autre chose qu'une simple compilation, qu'à un éclectisme
plus ou moins ordonné selon des problématiques qui n'ont rien à voir avec celles traitées par les
grands philosophes ?
Dans son recours à la citation, la philosophie académique refuse d'y voir un argument d'autorité.
D'où cette mise en scène. Mais il y a, comme le souligne Châtelet, contradiction à affirmer que
l'Aristoteles dixit ne joue plus, et pourtant fonder son programme sur des lectures obligatoires de
textes, dûment répertoriés.
On en revient ici, il me semble, à la crise contemporaine de la philosophie où, dépassée par les
réussites de la science, la philosophie ne semble plus pouvoir accoucher de grandes doctrines qui
ont fait sa renommée dans l'histoire. Toute cette dramatisation dans les cours académiques n'est-
elle pas au fond une réaction face à cette tragédie, face à l'absence d'une grande philosophie ca-
pable de dépasser les grands systèmes du passé ?
C'est ce que semble suggérer Châtelet lorsqu’il écrit :
« C'est une situation propre à la philosophie française contemporaine. Administrant l'impossibilité
actuelle de la philosophie de style traditionnel à construire des systèmes ou des doctrines, consta-
tant l'incapacité effective de la spéculation à faire mieux autrement que Hegel, elle a trois manières,
entre autres, de fuir en avant » :
Châtelet estime cette dernière voie comme la plus courageuse et constate qu'elle constitue l'essen-
tiel des travaux philosophiques contemporains.
:
tiel des travaux philosophiques contemporains.
« Le passé philosophique est devenu un objet au même titre, apparemment, qu'étaient objet de la
réflexion de Descartes ou de Kant la physique de Galilée ou celle de Newton. »
Il y a derrière tout cela une ontologie à peine implicite dont on connaît bien la signification morale.
C'est que la science est engluée dans le concret elle ne peut accéder à l'Être. Il y a là une assu-
rance, jamais questionnée, que seule la philosophie est prémunie contre l'utilitarisme, que seule la
philosophie est exempte de toute récupération idéologique. Il y a indéniablement chez les philo-
sophes une forte tendance à se penser comme des professionnels de la lucidité et de la réflexivité
dont la philosophie seule aurait le monopole.
Pour une discipline qui se veut championne en matière de remise en cause intégrale, il est étonnant
de constater qu'elle conserve un pré carré non questionné, à savoir sa propre situation par rapport
aux autres disciplines.
Nous revenons ainsi à cette supposée supériorité de la philosophie sur les autres domaines du
savoir.
Le sociologue Raphaël Desanti a mené en 2004 une enquête sur la perception que les étudiants en
philosophie ont vis-à-vis d'autres disciplines, et notamment la sociologie. Il écrivait :
« La réception de la sociologie chez les apprentis philosophes doit être comprise, du moins en par-
tie, à l’aune de la posture épistémique particulière que tend à leur transmettre les enseignants de
leur discipline. Certaines études nous rappellent que le sens de la hauteur, le discours de l’im-
portance, l’ambition traditionnellement totalisante de la philosophie reste encore au principe
de son expression dans l’univers scolaire. En reprenant les propos de Durkheim sur l’enseignement
de la philosophie en France, Louis Pinto insiste sur la pérennité des dispositions invariantes atta-
chées à cette discipline : culte du brillant et de l’originalité, formalisme métaphysique, ten-
dance au mysticisme, goût pour ce qui est a priori indépendant de l’expérience ».8
Encore une fois, passé à la moulinette de la P.S.U., tout cela est malheureusement bien vite réduit à
de simples illustrations pour dissertations.
Conclusion :
Le texte de François Châtelet devance donc d'une ou deux décennies les analyses de divers socio-
logues sur l'enseignement de la philosophie en France. De ce texte découle le sentiment que la phi-
losophie instituée ne semble fabriquer que « des lieux communs dont se serviront les citoyens qui
pourront s'exprimer publiquement ». A terme, les cours de philosophie dispensés en France, ne per-
mettraient nullement de faire émerger une communauté de citoyens matures, responsables et rai-
sonnables. Elle n'offre que la possibilité, à ceux qui auront voix au chapitre, d'enrichir un peu plus
l'éventail des procédés rhétoriques à leur disposition.
Je ne pense pas connaître un professeur de philosophie qui estime aujourd'hui que l'enseignement
de cette matière soit parfait. L'épreuve de philosophie du baccalauréat a toujours suscité d'âpres dé-
bats. Mais, comme pour toute chose, le philosophe n'étant guère au-dessus des lois, il faut bien s'y
astreindre. En principe l'institution laisse le professeur libre de modeler ses cours comme il veut.
Mais cette liberté est bien abstraite puisqu'il y a sanction en fin d'année : le Bac. François Châtelet
moque ainsi « les modalités d'examen qu'on moque, mais qu'on supporte finalement et qu'on admi-
nistre ».
Et pourtant, et pourtant nombre de professeurs tentent, dans le cadre de plus en plus restreint qui
leur est imposé, de composer avec le programme, de faire émerger autre chose que le simple ba-
chotage d'une matière obscure.
La question du début est évidemment rhétorique et c'est malheureusement une question à laquelle
ne répond que très partiellement, selon moi, François Châtelet. Dans sa conclusion, François Châ-
telet s'interroge : « Faut-il donc tenir pour la suppression pure et simple de l'enseignement philoso-
phique ? ». Nullement ! « Reste donc ceci, à quoi nous avons essayé de travailler dans cet essai :
utiliser ce lieu qu'est l'enseignement de la philosophie dans les lycées et dans les facultés pour criti-
quer cet enseignement, son programme, les modalités des examens et concours, ... »
En ce qui concerne le programme, François Châtelet déclare qu'il serait absurde de proposer une
quelconque réforme. En tout état de cause, aujourd'hui la suppression d'une notion ou d'une autre
semble une menace moindre que la fusion Lettres/Philosophie qui fait disparaître la spécificité de la
recherche philosophique. Elle tire de surcroît la philosophie vers son aspect littéraire, voire rhéto-
rique, et donne l'impression d'un retour à cette époque, très « ancien monde », où l'on « faisait ses
humanités ». C'est donc la spécificité de la philosophie qui est en jeu.
autres disciplines ont tout autant réagi, mais il est dès lors évident que relayer l'idéologie dominante
n'est pas la seule vocation du professeur de philosophie, au moins en temps de crise.
Il ne s'agit jamais pour l'auteur de La Philosophie des professeurs, comme pour l'auteur de ces
lignes, de dénigrer les œuvres des grands philosophes ou la portée de leurs réflexions, mais de
bien comprendre que la retranscription qu'on en trouve dans les cours de philosophie contempo-
rains ne peut, en l'état actuel, en être ne serait-ce que l'introduction, encore moins la vulgarisation.
François Châtelet affirme y voir une retranscription plus ou moins élaborée de l'idéologie dominante,
« une légitimation en même temps que l'arôme spirituel de l'ordre bourgeois ». Mais l'actualité nous
montre que ce n'est en rien une fatalité.
1Au 10 juin 2019, suite à la mobilisation du corps enseignant, les notions de Travail et Inconscient
semblent avoir été réintégrées, sans que l'idée de Dieu ne disparaisse, et sans que le programme
ne soit beaucoup plus clair qu'avant.
2Voir sur ce sujet les numéros consacrés des Actes de la Recherches, notamment les n°135, 109 &
47/48. Et en particulier Louis PINTO, L’inconscient scolaire des philosophes, Actes de la Recherche
en sciences sociales n°135, 2000 & Charles Soulié, Anatomie du goût philosophique, Actes de la
recherche en sciences sociales n°109, 1995.
3Paul Nizan, Les chiens de garde, Rieder, 1932.
4https://www.lemonde.fr/idees/article/2019/05/11/nouveaux-programmes-de-philosophie-on-voit-dis-
paraitre-la-notion-cle-de-la-pensee-elle-meme-le-sujet_5460817_3232.html?fbclid=IwAR0gcq08Ka-
C3RZyMly63IuG01CxC5pyYikyHOcB6v93SPsi-6Tzmk-8Oelc
5Bourdieu, Les sciences sociales et la philosophie, Actes de la recherche en sciences sociales
n°47, 1983.
6Piaget, Sagesse et illusion de la philosophie, PUF, 1965.
7Bourdieu, Les sciences sociales et la philosophie, Actes de la recherche en sciences sociales
n°47, 1983.
8Raphaël Desanti, La réception de la sociologie dans deux publics étudiants en formation, Revue
Idées n°137, 2004
#philosophie #sociologie
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