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N° 84 - avril 2019

Mikhtav 84

Table des matières


Prière pour l’Unité des chrétiens, janvier 2019
P. Samih Raad, Le Liban, contexte œcuménique et
interreligieux aujourd’hui ..................................................3
Prière pour l’unité à Stânceni .....................................16
A.-M. Crişan, Éléments byzantins et latins dans la liturgie
de Taizé .............................................................................18
Sr Éliane, Le prophète Élisée au Mont Thabor ..................31
Livres reçus .......................................................................34
Ad memoriam : Sr Maï Thanh, Bernard Caillard .....38
Programme des 19-20 juillet et 5-6 août 2019 ............40

Couverture
Recto : Vitrail de la Transfiguration - église de la
Réconciliation, Taizé © Ateliers et Presses de Taizé, Taizé,
France. 
Verso : Prière pour l’Unité des chrétiens à Stânceni

Monastère Saint-Élie Schitul Sfânta Cruce


5, rue du Floquet Str. Gudea nr. 281
F - 21500 Saint-Rémy RO - 547575 Stânceni Jud. MS
Tél. 03 80 92 21 13 Tél. (004) 02 65 71 99 14
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Conférence

Éléments byzantins (orthodoxes) et latins


(catholiques) dans la liturgie de Taizé

J
Dr. Alexandru-Marius Crişan1

e veux commencer par vous dire que le Prieur de


la communauté de Taizé est au courant que cette
conférence aura lieu et nous transmet qu’il s’en
réjouit et qu’il est en communion de prière avec nous à ce
moment. Le message de Frère Alois est une prière qu’il m’a
transmise hier et qui va être lue à Taizé pendant la semaine
de prière œcuménique. En guise de remerciement adressé à
Mère Éliane pour toute la considération qu’elle a manifestée
pour notre pays, en apprenant le roumain et en venant vivre
ici, je vous propose de lire cette prière telle que Frère Alois
l’a écrite, dans la langue maternelle de Mère Éliane. Nous
comptons ainsi lui exprimer toute notre reconnaissance
pour le travail œcuménique et culturel qu’elle réalise sur
notre sol. Lisons donc cette prière en langue française :
« Christ Ressuscité, tu fais de nous des femmes et des
hommes de communion. Ouvre notre cœur pour que
nous sachions vivre une hospitalité généreuse envers ceux
qui sont humiliés, qui ont soif de justice. Donne-nous de
1 Dr. Alexandru-Marius Crişan, Centre de Recherche
Œcuménique, Université Lucian Blaga, Sibiu.
Mitropoliei 30, 550179 Sibiu; www.ecum.ro, www.res.ecum.ro.

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persévérer dans la recherche de l’unité visible entre tous


ceux qui t’aiment. Qu’ensemble nous soyons un signe de ta
paix. »
Le premier jour de la semaine, Marie de Magdala se rendit au
sépulcre dès le matin, comme il faisait encore obscur ; et elle vit que
la pierre était ôtée du sépulcre (Jn 20,1).
Elles disaient entre elles : Qui nous roulera la pierre loin de
l’entrée du sépulcre ? Mais, levant les yeux, elles aperçurent que la
pierre, qui était très grande, avait été roulée. (Mc 16, 3-4)
En parlant de l’œcuménisme pratiqué par la
communauté de Taizé, Olivier Clément le définissait comme
un œcuménisme de l’essentiel, né de l’immense souffrance
provoquée par la tragédie de la deuxième guerre mondiale2.
Frère Alois confirme ce rapport à l’œcuménisme en affirmant
que l’œcuménisme est une „recherche de l’essentiel” que
signifie notre relation avec Jésus Christ. Pratiquer un
œcuménisme de l’essentiel signifie donc rechercher ce qui
est absolument nécessaire pour la foi, sans vouloir pour
autant bousculer le temps et pousser les autres chrétiens à
des consensus dogmatiques, mais en même temps il signifie
avoir le courage résolu de commencer à marcher dans la
voie de l’unité chrétienne à l’instar des femmes qui se sont
dirigées vers le tombeau du Christ lorsqu’il faisait encore
sombre, donc lorsqu’il n’y a pas encore un espoir concret
pour l’unité chrétienne, lorsqu’il est encore trop tôt pour
beaucoup d’entre nous. Ils se sont engagés dans une mission
spirituelle pour servir l’unité chrétienne dans un contexte
et à un moment où il faisait encore sombre. Peut-être Frère
Roger et sa communauté s’interrogeaient eux aussi comme
les femmes qui, le matin de la Résurrection, se dirigeaient
vers le tombeau du Christ : Qui nous roulera la pierre loin de
l’entrée du sépulcre ? Les différences historiques, culturelles,
2 Olivier Clément, Taizé. Un sens à la vie, Bayard Edition, Paris
1997, p. 13.

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sociologiques, psychologiques et surtout dogmatiques


constituent en effet une pierre immense qui, telle la pierre
qui scellait le tombeau du Christ, ne peut pas être facilement
écartée lorsque des chrétiens appartenant à des Églises
différentes cherchent à former une seule communauté. Mais
le courage d’inaugurer cette voie monastique et liturgique
tout à fait spéciale et pourtant dans la ligne de la Tradition
de l’Église indivise, comme on va le voir, fit remarquer
aux frères de Taizé et à ceux qui les suivirent à travers les
pèlerinages que la pierre avait déjà été roulée par les anges.
Un évêque serbe observait que Taizé était „une
communauté œcuménique sur un fondement protestant,
compatible avec la spiritualité de l’Église catholique,
mais toujours ouverte vers l’Esprit orthodoxe”. En cette
conférence nous chercherons à identifier comment la
liturgie de la communauté de Taizé a été particulièrement
enrichie par son ouverture envers la Tradition présente
dans l’Église orthodoxe et dans l’Église catholique.
Éléments liturgiques traditionnels et la liturgie de Taizé
Bien que la liturgie de la communauté de Taizé semble
très simple, son analyse théologique ne l’est point, car cette
liturgie contient beaucoup d’éléments qui, par des paroles,
des symboles et des gestes liturgiques, reflètent des aspects
de la Tradition aussi bien orientale qu’occidentale.
Frère Roger, fils d’un pasteur suisse de tradition réformée,
n’était pas étranger au culte de l’Église catholique ni à celui
de l’Église orthodoxe. Dès son enfance il était conscient
des divisions et des spécificités des différentes Églises
chrétiennes. Frère Roger voyait son père prier dans l’Église
catholique ou fréquenter le culte de l’Église orthodoxe
russe des environs de sa ville natale. Tous ces aspects ont
marqué le futur fondateur d’une communauté œcuménique
et monastique3.
3 Cf. par exemple : Patrick J. Burke, The Spirituality of Taizé,

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Dans la Règle de la Communauté4 écrite par Frère Roger


entre 1952-1953 on trouve la directive principale pour la
prière de la communauté : trois fois par jour à l’instar des
premiers chrétiens, qui s’inspiraient du culte juif 5.
Voici un exemple d’office de prière pratiqué à Taizé6:
Chant
Psaume
Seigneur, notre Seigneur,
Que ton nom est magnifique par toute la terre !
Mieux que les cieux, elle chante ta splendeur !
Par la bouche des tout-petits et des nourrissons…
Lectures
Genèse 12,1-4
Le Seigneur dit à Abram : « Pars de ton pays… »
Matthieu 5,1-12
Chant
Silence
Intercessions
Pour tous ceux qui annoncent fidèlement ta Parole,
Seigneur, nous te prions.
Rends-nous capable de reconnaître ta présence dans nos
proches ; rends-nous attentifs aux pauvres et aux infortunés.
Seigneur, nous te prions pour ceux qui souffrent au travail
et pour ceux qui n’ont pas de travail, pour que leur dignité

http://opcentral.org/resources/2015/01/21/patrick-j-burke-the-
spirituality-of- taize/. Ou bien le témoignage de Frère Roger à propos
du culte de l’Église orthodoxe : Fr. Roger, Dieu ne peut qu’aimer, Taizé,
Ateliers et Presses de Taizé 2001, p. 112 ; J.-M. Paupert, Taizé et l’Église
de demain, Fayard, Paris, 1967, p. 166.
4 La Règle de Taizé, Les Presses de Taizé 2010, p. 14.
5 G. Blancini, Pelegrini in Oriente, p. 129. Cf. aussi : Fr. Roger,
L’idéal monacal jusqu’à saint Benoît, p. 10.
6 Cet exemple a été trouvé sur le site officiel de la communauté de
Taizé : http://www.taize.fr/en_article5806.html?id_document=5839.

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soit respectée.
Pour les prisonniers et les oubliés de la société, garde-nous
solidaires de leur souffrance, ô Source de consolation, nous
te prions.
Pour les enfants abandonnés, afin qu’ils puissent trouver
la paix chez ceux qui les accueillent, Seigneur, nous te prions.
Pour les savants et les chercheurs, pour que leur travail soit
au bénéfice de l’humanité entière, Seigneur, nous te prions.
Pour ceux qui ont des charges dans la vie publique, pour
qu’ils agissent avec intégrité pour le bien de tous, Seigneur,
nous te prions.
Notre Père
Prière
Jésus, notre joie, tu veux que nous ayons des cœurs simples,
comme un printemps du cœur. Et que les complications de
l’existence ne nous paralysent pas tellement. Tu nous dis :
Soyez sans crainte ; même si vous avez très peu de foi, moi, le
Christ, je suis toujours avec vous.
Ou bien
Bénis-nous, ô Christ Jésus : c’est en toi seul que nos cœurs
trouvent le repos et la paix.
Autres prières
Cet office de prières ressemble beaucoup à un
Gottesdienst protestant7 par exemple: hymne introductif,
psaumes, lecture de l’Ancien Testament et/ou du Nouveau
Testament, intercession, Notre Père etc. Mais cette liturgie
a été enrichie en acquérant un caractère à part grâce à son
ouverture vers la culture liturgique orthodoxe et catholique ;
c’est pourquoi on peut remarquer aussi sa similitude avec
la Liturgie des Heures catholique et on peut y trouver aussi
quelques particularités du byzantin.

7 Cf. Evangelical Lutheran Worship, Augsburg Fortress Press, Mi-


neapolis 2006, p. 298-308 ou p. 309-319.

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Les éléments les plus connus de la liturgie de Taizé sont


les chants de Taizé. Ces chants ne sont pas des hymnes
ordinaires protestantes, catholiques ou orthodoxes, mais
elles sont faites de phrases répétitives en diverses langues,
tirées soit de l’Écriture, soit des Pères de l’Église, de
l’hymnographie byzantine ou latine et même d’œuvres
appartenant à des théologiens martyrisés récemment8.
Ici nous devons nous arrêter sur l’aspect répétitif qui est
spécifique pour ces hymnes. La répétitivité a été d’abord
un aspect pratique qui s’est avéré utile lorsque le nombre
des pèlerins a monté grâce au charisme personnel du Frère
Roger, qui devenait, dans les années 60-70 de plus en plus
connu et recherché surtout par des jeunes. Le dominicain
Patrick Burke décrit ainsi le passage des longues hymnes
luthériennes aux hymnes répétitives :
Le français avait été la seule langue liturgique
jusqu’à ce moment-là, où de très nombreux pèlerins ne
parlaient pas français et désiraient participer activement
à la prière. À l’aide du musicien Jacques Berthier, qui
fréquentait la communauté de Taizé régulièrement, on
essaya plusieurs méthodes et finalement on a trouvé la
solution : utiliser des structures répétitives, c’est-à-dire
des phrases mélodiques que l’on pouvait apprendre
facilement par cœur9.
Bien que la répétitivité liturgique soit devenue une
particularité du culte de Taizé à cause d’une nécessité
pratique et pastorale, cette solution n’est cependant pas
exactement une innovation liturgique. Le Père Gianluca
8 Voir le livre officiel de chants de Taizé : Die Gesänge aus Taizé,
Presses de Taizé 2017.
9 P. J. Burke, The Spirituality of Taizé. Pour un plus d’information
sur la contribution du musicien Jacques Berthier en ce qui concerne
les chants répétitifs de Taizé, cf. Judith M. Kubicki, Liturgical Music
as Ritual Symbol. A Case Study of Jacques Berthier’s Taizé Music, Peeters,
Leuven, 1999, p. 93-127.

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Blancini remarque le fait que la répétitivité hymnologique avait


déjà été utilisée par le monastère de Montserrat avant le
grand schisme10, ce qui place déjà la liturgie de Taizé dans
la ligne de la tradition de l’Église indivise. Le Frère Roger
lui-même lie la répétitivité des hymnes de sa communauté à
celle de la prière du cœur (et par là à la spiritualité palamite
hésychaste orthodoxe) ou à celle du rosaire (et par là à la
spiritualité mariale catholique). Je pense que l’on devrait
développer un peu les aspects spirituels de la répétitivité
dans la prière.
En écrivant sur les hymnes de Taizé, Olivier Clément
souligne le fait que la répétitivité met en relief l’aspect de
l’union du temps à l’éternité lors du service liturgique11 et
que la différence principale entre la liturgie de Taizé et la
prière du cœur ou le rosaire consiste dans le fait qu’à travers
les hymnes de Taizé la répétitivité est assumée dans le cadre
liturgique communautaire12.
Le Cardinal Gianfranco Ravasi, lors des derniers
exercices spirituels qu’il a donnés au Pape Benoît XVI
quand celui-ci venait de quitter son office d’évêque de
Rome, a analysé la répétitivité utilisée en certaines hymnes
de l’Ancien ou du Nouveau Testament et a remarqué que
la répétitivité est le langage caractéristique de la passion;
les amoureux se répètent les mêmes paroles, le malade
raconte inlassablement sa souffrance, Moïse, David, la
culture hébraïque dans des moments-clés de son histoire
ont composé des hymnes répétitives13. Donc, faire usage
de la répétitivité dans la prière signifie s’impliquer non
seulement de façon intellectuelle mais aussi sentimentale et
passionnelle dans l’acte de culte qui est dialogue avec Dieu.
10 G. Blancini, Pelegrini in Oriente, p. 135.
11 O. Clément, Anachroniques, Paris, Desclée de Brouwer 1990,
p. 32.
12 O. Clément, Un sens à la vie, p. 64.
13 G. Ravasi, The Encounter. Discovering God through Prayer,
Charlotte North Carolina, Saint Benedict Press 2014, p. 11sq.

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Un autre aspect lié à celui de répétitivité est le silence,


assumé lui aussi dans la liturgie communautaire. Le silence
signifie la disponibilité d’écouter la Parole de Dieu et renvoie
à la théologie hésychaste palamite. On peut remarquer
d’autres signes de cette spiritualité hésychaste : le petit
banc et la position de la prière. Ces éléments indiquent la
manière dont la communauté de Taizé sous la direction du
Frère Roger a réussi à redécouvrir et à récupérer l’aspect
hésychaste de la prière qui conduit à la connaissance
apophatique de Dieu, un aspect laissé quelquefois de côté
par certaines Églises occidentales.
La prière d’intercession constitue un autre élément de
rencontre des différentes traditions. Elle est en fait une
combinaison réussie entre la Prière des fidèles du rite latin
et les ecténies du rite byzantin. En effet, très souvent la
réponse de la communauté à ces prières est Kyrie eleison ou
Gospodi pomilui14, et la clôture est presque toujours „Prions
le Seigneur”.
À l’aide de symboles et de gestes liturgiques très clairs,
la Passion et la Résurrection du Seigneur sont fort bien
marquées à chaque fin de semaine dans la liturgie de Taizé,
chaque dimanche étant une vraie Pâque hebdomadaire.
Dans la soirée de vendredi, lors de la prière du soir, il
y a l’adoration de la Sainte Croix : la croix est posée sur
le plancher de la grande église, nommée aussi l’église de
la Réconciliation, et tous les participants, en commençant
par les Frères, s’approchent et y posent leur front pendant
quelques instants de prière. Ce geste liturgique a été inspiré
au Frère Roger par la piété des jeunes orthodoxes de Russie
lorsqu’ils vénéraient les icônes. Frère Roger a remarqué la
coutume des Russes de poser le front sur les icônes après les

14 Le livre de chants de Taizé contient 21 versions pour Kyrie


eleison et 3 pour Gospodi pomilui, cf. Die Gesänge aus Taizé, chants n° 79-
90 et 103-105.

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avoir baisées, lors d’une rencontre de prière qui a eu lieu


dans les années 70. À son retour de Moscou en 1978, le Frère
Roger lui-même a donné une explication spirituelle de ce
geste liturgique : il signifie confier à Dieu les difficultés et
les souffrances intérieures personnelles et celles d’autrui15.
Selon les mots d’un théologien italien, ce rituel constitue
une synthèse extraordinaire entre la dévotion catholique
envers la Croix et l’esprit iconodule orthodoxe et oriental.
L’icône de la Croix peinte à Taizé par le frère Éric de
Saussure16 dans un style plutôt oriental est fort semblable,
du moins pour la forme, à la croix d’Assise, celle de l’église
San Damiano17, où le Seigneur a appelé saint François pour
venir réparer Son Église. Cette ressemblance est bien plus
qu’une coïncidence. Le Pape Paul VI, canonisé l’année
dernière, disait que le charisme du Frère Roger était similaire
au projet monastique et œcuménique de saint François
d’Assise18. Puisqu’il n’est pas obligatoire de baiser la Croix,
mais seulement d’y poser symboliquement la tête, Frère
Roger a rendu ce geste accessible pour le milieu réformé,
dont le culte ne prévoit pas la vénération des icônes. Dans
l’église de la Réconciliation, on trouve plusieurs icônes, dont
une de la Mère de Dieu, peinte par le même Frère Éric ainsi
que la fameuse icône copte dite de l’amitié19.
Chaque samedi soir a lieu un autre rituel dont le
symbolisme liturgique est très transparent, d’origine
orthodoxe lui aussi : tous les participants allument des
15 Fr. Roger, Fleurissent tes déserts, Paris, Seuil 1982, p. 108.
16 Fr. Éric de Saussure (1925-2007) : frère de Taizé, artiste connu
dans le monde entier cf. G. Blancini, Pelegrini in Oriente, p. 131.
17 Cette croix est, à son tour, d’origine syrienne. Cf. Sergiusz
Baldyga, The San Damiano Cross, Porziuncola, Assisi 2006.
18 Kathryn Spink, Frère Roger, fondatore di Taizé, Bologna, EDB
1987, p. 63 : „un monachisme post-confessionnel”. Le monachisme
et l’œcuménisme apparaissent comme des aspects qui guérissent les
plaies de l’Église.
19 Cf. Fr. Jean-Marc, Icons, Les Presses de Taizé 2011.

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cierges. Voici comment un théologien catholique décrit ce


geste :
L’apogée de la semaine liturgique est sans doute
l’Office de la Lumière, qui a lieu la nuit de samedi. Cela
ne ressemble pas à notre Vigile Pascale. Tous les
participants reçoivent des cierges comme symbole de la
présence du Christ Ressuscité. Pendant que l’on chante
Christus resurrexit et que l’on allume les cierges, toute
l’église se remplit de joie et d’espérance.20
Le Père Gianluca Blancini a interviewé personnellement
Frère Thomas de Taizé sur l’introduction de ce rite dans
la liturgie du samedi soir. Frère Thomas a dit que Frère
Roger avait vu ce rite en Russie lors d’une vigile et qu’il a
été tellement impressionné par l’immense procession et
par les fidèles qui avaient tous des cierges dans la main qu’à
son retour il a décidé d’introduire ce geste dans l’office du
samedi soir.
Mais au coeur de chaque semaine liturgique il y a la
célébration de l’Eucharistie, le dimanche matin. Il n’y a
pas de symbole liturgique plus clair que celui-ci que Taizé a
réussi à récupérer afin de se reconnecter à la Tradition de
l’Église. L’Eucharistie est toujours célébrée par des prêtres
de l’Église catholique, mais elle garde quand-même un
style caractéristique aux Églises nées de la Réforme. Le rôle
du célébrant principal y est réinterprété ou reconsidéré,
se bornant aux actes liturgiques strictement nécessaires.
Le sermon peut être prononcé par quelqu’un qui ne fait
pas partie du clergé catholique21. La participation de

20 P. J. Burke, The Spirituality of Taizé.


21 Quelquefois il n’y a pas de sermon, car il y a un programme
biblique et catéchétique au cours de la semaine. De même, lorsqu’il
y a beaucoup de pèlerins, le Prieur de la communauté leur parle
jeudi après la prière du soir. Le sermon peut être remplacé aussi par
quelques moments de silence.

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toute l’assemblée est encouragée par les chants dont on


a déjà parlé et par le silence assumé par la communauté.
Quiconque prend part à la célébration eucharistique du
dimanche matin à Taizé a le sentiment que personne ne
peut se considérer maître de l’Eucharistie – comme disait
l’ancien archevêque anglican Rowan Williams – mais que
tous sont les convives de l’Eucharistie. Il y a là un aspect qui
est plus évident dans les Églises protestantes.
Il faut pourtant préciser quelques éléments concernant
l’approche eucharistique du Frère Roger et de sa
communauté. Frère Roger croyait à la présence réelle du
Christ dans le pain et le vin eucharistiques, „partageant
ainsi la foi catholique et orthodoxe en ce qui concerne la
Sainte Communion”22 comme l’affirme Frère Alois aussi. La
Communauté de Taizé n’encourage pas l’intercommunion,
elle ne désire pas forcer les temps pour précipiter des
accords dogmatiques prématurés qui feraient perdre la
crédibilité de la hiérarchie aux yeux des fidèles, ni afficher
des gestes eucharistiques prophétiques qui pourraient nuire
aux relations œcuméniques et à la paix interconfessionnelle.
C’est ce que l’on peut nommer la discipline eucharistique
de la communauté de Taizé.
Tout d’abord, les pèlerins qui désirent recevoir la
communion à Taizé doivent croire à la présence réelle du
Corps et du Sang du Christ et les célébrants appartiennent
à la seule Église catholique, évitant ainsi la concélébration
et toutes les complications qui pourraient en découler.
En deuxième lieu, aux protestants (ou à ceux d’autres
confessions ou pas encore baptisés, où même aux non-
chrétiens), qui ne partagent pas la foi en la présence réelle
eucharistique, on distribue du pain béni, symbole tiré de la
liturgie de l’Église orthodoxe. Pour les pèlerins orthodoxes
qui, bien qu’ils croient à la présence réelle eucharistique,
n’ont pas la permission canonique de communier dans
22 Fr. Roger, Fleurissent tes déserts, p. 81.

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les cadres d’autres Églises, une liturgie orthodoxe est


célébrée presque toutes les semaines dans l’ainsi-nommée
église romane 23 qui se trouve en proximité, par des prêtres
orthodoxes, pèlerins eux-aussi et appartenant aux diverses
juridictions. Les anglicans y célèbrent aussi parfois.
Il y a un dernier aspect à mentionner concernant
l’approche eucharistique de la communauté de Taizé  :
pourquoi tous les Frères sont-ils aujourd’hui en pleine
communion avec Rome, bien qu’ils se définissent comme
une communauté œcuménique  ? Ce fait a, certes, ses
origines dans la redécouverte de la théologie eucharistique
mais aussi dans le fait qu’à partir des années 70 Frère Roger
a reçu plusieurs Frères catholiques dans sa communauté ; de
même, la présence des pèlerins catholiques a aussi augmenté
à Taizé et Frère Roger voulait que toute la communauté
puisse être en communion. Mais il y avait certainement plus
que cela. Le Frère Roger était un théologien et savait que
recevoir l’eucharistie signifie partager non seulement la
doctrine sur la présence réelle mais aussi celle sur l’épiscopat
et le sacerdoce à laquelle la communion eucharistique est
liée indissolublement. Sans se convertir, Frère Roger n’a
jamais caché qu’à côté de sa foi eucharistique il croyait aussi
au ministère pétrinien de l’évêque de Rome – comme le
témoigne Frère Alois, son successeur en qualité de Prieur
de la communauté de Taizé. En effet, Fr. Alois dit dans une
interview :
Pour Frère Roger, l’entrée en pleine communion
avec l’Église catholique a été simplement l’expression de
deux points qu’il n’a jamais cachés : recevoir l’eucharistie
et la nécessité que l’évêque de Rome exerce un ministère
au service de l’unité ecclésiale.24
23 En fait, l’ancienne église du village.
24 Voir l’interview du Fr. Alois sur le site de la communauté de
Taizé : Fr. Alois, Something that was without precedent, https://www.taize.
fr/en_article6739.html.

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Par toute cette œuvre monastique, œcuménique et


liturgique, Frère Roger, comme le dit son successeur, a
adhéré à la foi de l’Église catholique et de l’Église orthodoxe,
tout en conservant entièrement l’héritage protestant”25.
La voie vers la redécouverte de la Tradition de l’Église
Indivise et le ré-attachement à celle-ci a été très complexe
et a été dû à des circonstances historiques aussi bien que
spirituelles, comme on l’a vu. Il est aussi intéressant de voir
comment les Églises traditionnelles ont perçu et perçoivent
encore cette voie. Dans un article sur Taizé écrit en 1957,
le futur Métropolite Bartolomeu Anania citait avec une
sorte d’étonnement un théologien catholique, un religieux
dominicain français, François Biot, qui écrivait que Taizé,
n’étant pas fondé sur une tradition monastique très claire,
n’allait probablement pas résister26. Un demi-siècle plus tard,
un autre religieux dominicain, irlandais celui-ci, se trouve
au pôle opposé et écrit que, grâce à tout le processus où de
nombreux éléments de l’ancienne Tradition ecclésiale ont
été assumés et surtout après l’entrée en pleine communion
eucharistique avec Rome, peut-on encore appeler Taizé
une communauté œcuménique ?27 Pour conclure, voici la
meilleure description du modus vivendi de la communauté
de Taizé, faite par l’ancien archevêque anglican Rowan
Williams: „Taizé est une protestation profonde contre un
œcuménisme sans espérance”28.

25 Fr. Alois, “Quelle est la spécificité de Taizé ?”, dans L’actualité


de la vocation monastique ou religieuse. Actes du Colloque International Taizé,
5-12 Juillet 2015, Les Presses de Taizé 2016, p. 15.
26 B. V. Anania, „Despre monahismul protestant. Note şi
cometarii”, Ortodoxia, IX-2 (1957), p. 357-362, ici p. 359. (cf. F. Biot, “La
renaissance de communautés cénobitiques dans le monde protestant”,
Istina, 1956, p. 287-304, ici 304).
27 P.J. Burke, The Spirituality of Taizé.
28 R. Williams, L’héritage théologique de frère Roger, dans L’actualité
de la vocation monastique ou religieuse. Actes du Colloque International Taizé,
5-12 Juillet 2015, Les Presses de Taizé 2016, p. 48.

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