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Peirce turin Dominique Viart Bruno Vercier ERS a a i] o 5. ec & 2 —_ = 5 =) oO _ RG hin miiseNNRERN ase nn Nn RG CRC AARNE Aine nace PARTIE | Les écritures de soi La littérature de ces derniéres décennies a considérablement trou- le tableau d'un genre autobiographique que les écudes forma- tes avaient contribué 2 tiques pour que les écri cesse den faire bouger le cadre. Si bien qu’a une longue période ott la question majeure était de savoir si le genre était Kégitime ou non, Sil était recevable selon les critéres de la bienséance morale et de succéde une autre, beaucoup plus bréve mais trés donne une extension jamais vue, au point de le pla- cet depuis le milieu des années 1970 au coeur de la vie lireéraire, Lautobiographic, en effet, est aujourd'hui, partout, au principe de la fiction et des enquétes documentaires, sur la scéne du dhéftre comme dans la poésie; la plupart des écritures romanesques sen inspirent; elle se fait une place dans le cinéma comme dans la photographie, et couche méme les arts plastiques. Deux phénoménes se conjuguent pour expliquer une telle exten- sion: d'une part les réserves, qui avaient un temps dérourné la lic- térature de la question du «sujet», notion devenue suspecte sous -27- Lar bdrasure francaise a présent fluence des sciences humaines qui pensaient en termes de «structures», sont tombées. Le «souci de soi, selon la formule de es (Vautobio- graphie disposée en ordre alphabétique-de- Roland Barthes par ‘Roland Barthes), de Michel Leisis (La Regle da jeu qui saisi le sujet a weavers des jeux de langay sé 4 Vautobiographie tra Jans une période marquée par la collectifs favorise tne forme d'indi- renforcer ce} vhenomtae: tun gotit apparu dans les années pour les «récits 'autrefois». La collection Terre humaine, aux édi- ins Pon, initialement tournée vers des ouvrages d'ethnologie (Malaurie, Lévi-Strauss) accucille de plus en plus de témoignages danciens sur la vie au début du sicle (Pierre Jakez-Hiélias, E Carles). C’est ld un gisement d’histoires vécues dont la littérature ne carde pas & se saisi. désir est fort de se prendre s de Ventreprise, mais qui permettront cependant de la pratiquer. Autant de variations sur Pautobiographie, mais aussi de nouveaux usages des Journaux, des Carnets. Et surtout Pémergence de formes now fict biographiques. CCHAPITRE 1 Variations autobiographiques nest pas aisé de déméler lécheveau complexe des «écritures de soi», selon la formule qui tend, au risque d'une moindre précision dans la terminologie, & simposer. Cette dilution du terme n'est dur reste p: ence: sila chose prolitre, le mot, lui, est devenu suspect: on ne parle plus guére d’«aucobiographie ». Comme si d’en top précisé les caractéres Pavait rendu trop contraignant. Les écrivains qui la pratiquent préférent en inventer d'autres: autofic- sion (Serge Doubrovsky), automythobiographie (Claude Louis-Com- bet), autobiogre (Hubert Lucot), otobiographies et circonfession (Jacques Derrida), curriculum vitae (Michel Butor), prose de ‘mémoire (Jacques Roubaud), nouvelle autobiographie (Alain Robbe- Gaille): on nen finirait plus de prolonger cette liste qui connate aussi légolittérature (Philippe Forest) ou la paradoxale Autobiagra- phie de mon pore (Pierre Pachet). le projetde Fil est tel que a presse, =, négligeant quelque pew. aire hybride, s’hésite pas 2 la La liteérature rongaise au présens émectent des réserves: de LAmant de Duras au Livres de fimille de Modiano, des Femmes de Sollers al’ Enfance de Nathalic Sarraute... Cette forme «parfaitement onanistes: préténdait, selon son inven- teu, confier au jallisement proliférant des mots le soin de dite tune vie saisie par le truchement de analyse, mais le terme s'est assez vite troublé: il est vrai-qu’il convient parfairemient & décrire tun tableau désormais brouill... venu le temps des é de révéler les ressorts cachés de la création romanesque anté- ture: d’abord la fiction, invention d’intrigues et de personages, puis le retour sur soi et la vérité d des Mots (1963) de Sartre, de «Le baby sen libérent. de La Regle du jeu (le dernier, Fréle bruit, parait en 1976), que Taucobiographie pouvait aussi étre l'ceuvre de toute une vie, depuis LAge d'bomme paru dés 1939. Barthes, Perec ainsi que Doubrovsky remettent en question la séparation de la fiction et de il Leiris avait montré, avec les quatre volumes par adolescent qui fut) et stricte autobiographie (son adoles- la guerre), Doubrovsky enfin en prétendant écrire rénements et de fats strictement réels». ~30- isi intamasarnranarnai ‘Variations autobiographiques Liécrivain revendique la libercé de jouer avec les événements au agré des jeux de mots, des rapprachements de toutes sortes. Dou- brovsky saucorise pour cela & briser les cadres du récit, chronolo- giques ou logiques; il entrelace le cours d'une journée actuelle (séance de psychanalyse, déambulation dans New York, explication une scéne de Phédre & ses étudiants américains) avec les souvenirs de toute une existence et en particulier d’une enfance et d’une ado- lescence assez proches de celles de Perec (Fu déportation). Pas de fiction & proprement parler, comme chez Perec, ni de roman, mais une écriture singulitre qui transforme pas un compte rendu. Si quelque vérité, clest dan: la vérité de chaque individu doit sinventes, et elle invente, & chaque fois, une éerieuce. Cette revendication entérine des pratiques antétieures, chez Loti ou chez Blondin au sens strict, chez Proust ou chez Céline au sens large, mais aussi chez Colette, ou chez Genet et bien d'autres. Un rateur et le personnage, serait tout entigre, Te présent la lumitre du pas vants, Un amour de soi (1982) et surtout Le Livre brisé (1989, prix Médicis), vilégient la mise en mots immédiate de Pexistence. scraconte sa vie», presque a la fagon dn j avec le plus léger des décalages temporels: «Mon roman, vie. Ga marche dans les deux sens: ma vie est le support de mon sn, mon le sou jarsiverais & vive, si je ne racontais pas ma vie?» Ses probl&mes njugaux, passés et actuels, tiennent de plus en plus de pl Vécriture, censée transformer une vie ordinaire en ceuvre d'art, tend & se bani 1 sorte d’humour cynique se substitue au travail sur le langage qui «galvanisait» les pages de Fils. Crest le -3t- Lea littérature francaise au présent Pécricure la te jon quelle avait perdue en premitre partic. ‘Serge Doubrovsky e sent seul sans sa femme qui est Londres. I analyse cette fatalit dela siparation dans sa ve. ‘sur mon sitge canné, JE SUIS MO. Pluss RérONSE. Jxi beau avoir un azdipe monumental, répond pas & la question du Sphinx. Mon énigme, pardon du peu, sera pour tou jours irrésolue, La route est barrée. Connas les mots de passe: bio- Logie + environnement, haserd + déterminisme = Moi. Avec un brin de libre volition, dedans, ou ala jamais trop su comment, pour fice bonne mesure. Besoin pour graiser les rouages. Autrement, le sys- tee grippe. Méme avec, le systéme dérape. Aucun systéme ne tient debout. Tout en haut, dans les parvis élestes, on a essayé de fourrer Dieu, Tout en bas, au fin fond du sperme, des ovaires, on a loge vinge-trois paires de chromosomes, avec, dans mon cas, aur bon ‘XY, merci. Ee, plus bas encore, au fin ford des chromoso- ‘mes, on a mis des genes, Me géne pas. M'explique pas non plus. Les est comue les systémes: ily ena tant, de 0 5, quil nly en a aucune. Les meubles dela salle man- les eflets des glaces, maintenant, ils Je commence & avoir le tournis, ma tée val QUOI MOT, Simplement, comme g2, se décide, au petit bonheur la chance. Ou malchance. Ca se déelenche sans raison. Clic, soudain déclic. Un jout, je caquera, elac. Un jous, on ma conga, paf. D'un sacré coup de paf. Suis paf. Dis le déb un eat. En un édl queue du pere da de spermatos Ismaét, DOUBROVSKY, Tailleur d'Habits, né a Tehernigof (Russe), -32- inn esos ne nsommncenn oN Variations autoblographiques [MARIE RENEE WEITZMAN, sans profession, née & Paris IVP, Mariés le 9 anit 1927, JULIEN SERGE DOUBROVSKY, profeseur, né le 22 mai 1928, & Paris IX*.9 aot-22 mai: je suis un produit cachére. Serge DoUsROWsky, Le Lio brs, © &, Grasse, 1989, 292-294. Bien des tenants actuels de l'autofiction n’ont retenu de la démarche de Doubrovsky que la formule «mon roman, vie». D’ot la proliferation d’ouvrages (ceux de Christine Angot par exemple) qui ne sont souvent que des tranches de vie plus ou moins habilement accommodé tions, exposant sur la place , dela presse ou de Woquée, jusque qui nfone plus rien 4 voir avec trée par Mare Weitamann, qui contes raire clandestin », en en montrant [a pervers (1997), autofiction poussée & sa frére la fonction de narrateur. Mai Sauf que ce personnag . Dans ‘Chaos Pécrivain délegue & son cla, la pare de la ‘afin lune structure mensongére construite pour donner un sens au chaos. Une entreprise de survie basée sur la mystifiat pas seulement les faits, mais Videnticé de celui qui les avec I'échec. Echange de place. Identités tru- plus & déméler le vrai du faux, quées.» Le lectenr q éprouve un véritable m: Portrait de I’écrivain en imposteur Le «roman» de Weitamann, par oncle Serge Doubs vains. Au premier rang desquels Alain Robbe- ule Romanesques (1985-1994) un tripeyque ique» dont le premier volume, Le miroir qui revient, -383= La littérature frangaise au présent intcoduit sans scrupule une figure imaginaire, Henri de Corinthe, ses pas de la part du «pape» du Nouveau cance & [Gcrivure de soi. Lauteur vere: « Bt Cesc encore dans figure d'Henti de Corinthe, permet & Robbe-Griller de tirer les événements «réels» (sa famille, ‘du marrateur. récit de sa cartidre d’éerivain et de lusion réaliste», place le second volume, Angélique ou lenchantement, sous le patronage du «roman de chevalerie» ct d'une trés populaire culture « romanesque», jus- tement (Angélique vient du Roland fiuriwee de l'Ariosce, mais aussi dela série Angelique, marquise des angesd’Anne et Serge inaugure [4 un trait caract , qui est aussi une prodigicuse mémoire, nostalgique parfois, des constructions romanesques ren- dues si suspectes par la modernité. Lintertextualité se fait profuse Corinthe, dont la mort avait été annoneée & Ia fin du premier ‘volume, se transforme en personage de La Route des Flandres (de Claude Simon) ou en réincan lu cavalier Destouches (d'a- pres Céline). Robbe-Gril avatar de la fillette violée du roman auteur qui a toujours considéré le jeu avec les formes (roman poli- cier, roman pornographique, etc.) comme le domaine par excel- -4- avec le corpus de son ccuvte™ Variations autoblographiques lence de la littérature. Lui-méme, perplexe finalement, Robbe- Grillec parle dans Les Derniers Jours de Carinthe,croisitme volume de ces « Romanesques», duerrements aucofictionnels» et d'auto- dimanches en famille, les wists ches les grands parents, le patinage sur de grad carat Versailles, lescormets de marrons chads achetds au coin des rues bien sans aucune incention de reproduce cette adjct Ia Tour au contraire, méme, dans mon cas personnel. Ec pourta fance» de Wallas, le héros désemparé des Gomme cu bien dans les deux nowes plaintives empruntées par les pompiers de ‘New Yok ceux de Ps dane Pj por ane roto, eco afi nelle ces lignes concernant ma vie Fi fois de plus je me demande & qu raconter ainsi longuement ces petites anecdotes Si elles nYapparassent un tant soit peu significative, aussie de les avoir choisies (arrangées, cont dadment pour sige. Sian contare ce ne eonr que des gents lus, & le détive, pour lesquels je serais moi-mméme & la recherche ns possible, quelle raison a pu me fare isoler seulement eeu, sire par-dessus le marché), je mlavance & a ~35- La lsséracure francaise au préent ciations facies, ou sugrenues, Si encore je pouvas entreteni Fespoie wer sous ma plume (par quel miracle?) quelques-uns des cipaux dont je suis fit. Mais y aqui tu ex» Se refuser'd claser, ceserait done se refuser & de, en se contentant Fexister, Alors,pourquoi ri Alain ROBOE-GHtLter, Le Mv 1985, p. 55657 A Tinverse de Ja plupare des auteurs requis par Pautobiographie, Robbe-Grillet revient au roman, avec La Reprise (2001, publié en ‘méme temps qu'un important recueil de textes et dinterviews tulé Le Voyageur, bilan d'une car relecture ironique, ou, comme le die la phrase de Kierkegaard pla- ccée en exergue, d'un «ressouvenir tourné vers 'avant ». Uautobiographie : une relecture de soi comme un effort de 'éerivain pour ressisir ce qu'il disposait de lui-méme dans ses fictions antérieures. Claude Simon semble dépouiller progressivement ses livres de leur part transposé ses expériences d’enfant, d'adolescente et de jeune femme (Les Armoires ides, 1974; Ce quils disent ou rien, 1977; La Femme gelée, 981), en vient des récits qui reprennent ces mémes expériences (la «trahison» que Cest, de devenir une intellectuelle lorsqu’on est fille d'ouvriers) & la méme premitre personne, mais sans noms d’emprunt ni transposition -36- | | Variations autobiographiques LAmant de Marguerite Duras (1984, prix Goncourt quoiquil ne pas sous-titré «roman») représente bien ce nouveau statue de mais celle et méme Taventure qui constitue la trame de ce livre-ci: donc pas & la cantine de Réam, vous voyer, comme je que je rencontre "homme riche & la limousine noire, est aptés abandon de la concession, deux ou trois ans apeés, sur le bac, ce jour que je raconte, dans cette lumiére de brume et de chaleur, [...] C'est un an et demi aprés cette rencontre que ma mire rentre en France avec nous, Elle vendra tous ses meubles. Et ra une dernigre fois au barrage.» Quelle concession? quel Duras écrit rés évidemment pour un lecteur qui a la mémoire du contre le Pacfig nistration coloniale et les eaux du Pacifique envahissat sion, A la fin de LAmant, il est dit du per jeune fille Ces fragments d'existence sont traversés de personages rées, tels Ramon Fernandez, Drieu La Rochelle ou Robert Brasillac de Sapprocher, non de faire cro’ amour avec le Chinois nest qu'un élément d pase plus vaste, celui de a jeune fille~sans nom ~ dans une Ia folle, le vice- une autobio- Evité de dite, ce que j faire.» La vérité es conquérir. Les osc le seul principe directeur du déroulement de souvenirs dont il est -37- Las lstnatre fangaise au présent chez Duras, tant elle se prend a la fascination de puissance de fantasme et de métamorphose, une Ja personne au personnage, que, dans les demitres années de sa vie, Péccivain ira jusqu’a Yann Andréa, ce dernier devenant Iui-méme dee qui fut longtemps un nom et une figure récurrente de Pocuvre: «Yann Andréa Steiner». “Annie Emaus, en revanche, vise davantage Mhorigon de la verve absolue. La narratrice de ses récits nfest pas identifi, 1 doit faire penser quil agit d’Annie Emaux elle-méme, partic en guerre contre le roman : propos de son pére, figure centrale de La Place, elle écrit: « Parla suite, jai commencé un roman dont il était le personnage principal. gestes, les gotits de mon pete, les fats marquants de sa vie, tous les signes objectifs d'une existence que j'ai aussi partagée. » Annie ine histoire d'amour qui finit mal, elle écrit: «Je ne fais pas le récie d'une liaison, je ne raconte pas une histoire (qui miéchappe pour la moitié) avec une chronologie précise Jaccumule seulement les si Je ne veux pas expliquer ma passion — cela reviendrait 4 la considérer comme une erreur ou un désordre dont il faut se jusifier ~ mais simplement re ct du dite, ccpendant soulignée par Périvain dans un de ce fréquents passages de réflexion ne se pose plus en termes génériques: bt d'évoquer des umodalicés d’étre»: «Tout ce temps, pression de vivre 38 neste cen at fern soe om tobiorraphiques, ma passion sur le mode romanesque, mais je ne suis pas, mainte- nant, sur quel mode la confidence telle qu'elle se pratique dans les journaux fémi celui du manifeste ou du procés-verbal, ou méme du comme congue jeu formel: nous avons bien change de période. Dans La Honte (1997) Annie Emaux revient sur un dpisde précis de entendue. Je voyais que javais commis une faute, quils ne pouvaient recevoir cette chose-B. is ble) Méme, depuis qu i d'un événement banal, plus es que je ne Vavais imaging. Peurdere que le -39- La litedvature frangaise au présent bien que jae dd, comme je le ferai plus tard pour éautres événe- ‘ments, reveni souvent en aritre, dans le temps oi lascéne avait pas encore eu lie. Je sus sie, cependan ports ma robe blewe & pois blancs, parce que les deux écés ot pensais au mom ddu temps quil comme le montrent ces réflexions d’Anne-Marie Garat, en nA la recherche par Annie Ernaux d'une «platitude» sincére. Aprés une dizaine de romans (dont Aden, prix Femina en 1992), Garat cependant renonce & la fiction lors de la mort de son pére et de sa soeur, mais ce nest pas pour sure les choix désespéré du roma jolemment Ia teneat porte quelle autobiographie, récit, témoignage, supposés sincéres), une forme par laquelle le angage, la mémoire élaborent dans Vordre romanesque une structure mentale, un texte capable de produie sa forme. [ pphique est inaccessible; si on y avait accts, on ne pourrait pas en faire état», aussi lui faut-il trouver une forme qui permette d'af- fronter les zones obscures de fiante, pére silencieux. On comprend qu’ nir au roman (Les Mal famées, 2000) le Fnisse par en reve- Soi-méme comme un livre Silya quel tant que chose de «fictif» dans Paucobiographie, ce nest pas ente sa propre existence, parfois méme sans V'éctire. Louis Marin le souligne dans La Voix exommuniée comme Lacan dans ses Eerits: «Tout sujet sappréhende dans une “ligne de fiction”. ~40- eabonareeininne Variations autabiographiques cite, que le plus soigné et le plus «sinctren des récits rétrospectifi Deux grandes tendances traversent ainsi le champ autobiogta- phique: celle qui consiste & simplement transgresser la frontiére ‘entre roman et écriture de soi — ce serait & proprement parler Pat- tof atler de soi comme d'un autre (Doubrovsky, Robbe- celle qui consiste & reprendre le matériau romanesque antétieur pour en donner la version «authentiques : venir & soi en partant de cet autre qui en fut la transposition originelle (Duras, Eaux, Simon), en procédant & des relectures/ réécricures de soi. Bien des écrivains reviennent ainsi sur leurs textes d’antan, #ap- prochant au plus pres des zones demeurées dans Pombre de la fic- tion, Crest par exemple Patrick Modiano, donnant, avec Un pedi- gree (2005), la evraie» version de cette enfance chaotique durant les années POccupation quiil a tant de fois romaneée dans ses fictions antéticures. C'est Le Clézio, publiant en 1986 le Journal de son his- inspiré Le Chercheur dor, ele seul récit auto- eu envie d’écrire». Dans LAfticain (2004), la «vtaie version» de ses romans Onitsha (1991) et Révolutions (2003): le lecteur retrouve lenfance & Nice, le voyage avec sa mére rique pout y rejoindre le pére, médecin britannique, tout Parrivée sur le continent afticain. pas regu cet héritage de ma vie avant ma naissance, devenu?» Il a été congu en Afiique avant la guerre qui parents: «Cette mémoire nfest pas seulement la micnne, Elle est aussi la mémoire du temps qui a préoédé ma naissance [...] la mémpire des espérances et des angoisses de mon péte [...] ma mere ~¥r= La liteérature flangaise an présent ine, celle qui mia embrassé et nourri & l'instant oi j'ai été congu, & Finstant oit je suis né.» Le titre du livre, PAfricain, doit donc sappliquer & l'écrivain autant qu’ son pere. Limpor yue des lieux n'est plus a démontrer. ivain qui est allé le plus loin en ce-sens est Julien Gracq, Tard venu & 'autobiographie, de fagon somme route assez traditionnelle, il innove en effet par sa facon oblique de Faborder, en évitane récit convenu et étapes balséesy naissance, famille, écolés, etc. avait certes plusieurs fois, dans Priférces, puis dans Lettrines, abordé au rivage de remontée en barque d'une petite rivitre, Evie, permet & la mémoire de rassembler différents moments et différentes facettes d'un Moi par «la vertu du seul ‘contact vrai retrouvé avec ce qui m’a captivé quelque part une fois, révcillane et rejoignant par un chemin de foudre tout ce cessayer de montrer ~ avec toute la part de ga cet de fiction que comporte un tel retour en attitre — comm ima formé, Cest--dire en part monde imaginaire, inctic apparemment sans ordee permet & retrouver les grandes formes de son imaginaire: govt pour les zones bordigres par exemple, mais aussi de signaler comn plutde le souvenir de tel liew ~ a pu donner naissance, années plus tard, 3 tel de ses livres: «Du souvenir gardé d podrome du Perit-Port, devaie germer pour moi, prés d'un de sitcle plus tard, le récit du Roi Cophétua.» Le plan du livre est topo- graphique et non chronologique: les différentes étapes de sa vie ite, élve ~ figurenc dans le plus ide moncrer comment cette Voriations autobiographiques Le Rive porte ‘que Gracg a empranté lettre de son lore: « Le viewx Pat forme d'une ville / Change plus vite, hélas! que le eur d’un ea ese curiewx que pour moi ces vues incérieutes que je garde de Nantes ‘vont jusqu evétr un caratére rsolument passise elles refusent de prendre en compte les transformations opérées dans la ville depuis un demi-sitde ‘comblement a partout aie de ls place de la Duchesse Anne, a pied du chiteau, ‘ion de la pointe de Pile Feydeau: un pew analogue, en éduct vue qufon a & Patis de la Monnaie sur a pointe de la Cicé: dans cee instantané ressore vivement, en face du Chateau, la berge herbeuse, entre ses pavés, de Pancien quai Baco, sous Tombrage dé de ses arbres. La woisitme Royale, quand on regerde cmbrousil,ejoignent en effec Ia mine ~ radiographie insidicuse dela méimoire vsuell, ot le squelett seul sion du tissu conjonedié [mages qui retrouvent presque, dans le haussemenc d'épaules nonchalant qielles ont pour se defste de Thomme, la maj inhabitée, hauaing, des rues neutres du peti Mais In vérité est que, ni par le sorlige de ses noms, ni per les insanané moe, fa ville ne se lise tout i plus que dans Ia elite ele fae res Lea ltebrature langaise au présent ‘éelater, pout apprende 4 existerauerement, ne peut me rendre présente la duct ln plsticté re toute vague, sur laquelle route impresion se fis ‘empreinte, ou plus, au sens goethéen, forme em vivant & se développer. Jilin GeAca, La Forme den ile, © 6 Jost Cort, 1980, p, 208-211. destinge en ‘Cest aussi le truchement des licux traversés, retrouvés par Fine termédiaire de photos, qui permet & Christian Garcin de parcou- rir ses années denfance dans un texte qui entretisse souvenirs et digressions (J'ai grandi, 2006). Yael Pachet, dans Mes Etablisse- ‘ments (2004), évoque de méme les divers lieux de sa jeune vie, menacée de déséq adresse consent Phésitation et la recherche d’un Fe, « pour ne pas sombrer dans le bafouillage, en 1 recours ». Ecrire sa vie pour tenter de la vivre. Lautobiographie des modernes ‘obiographie ~ parfois Vautofiction — manifestent ion Ala evérité disposée selon des enjeux qui donnent ainsi un autre statue a la «fi que, tournant autour de quelques événements, de quelques périodes centrales de 4a vie ou de la formation, abordés d'abord par des nesques» puis par des erécits » et enfin par des «autobiographies » (oire des Journaux ou des Carnets cf infra, chapitte 2 p. 65), ~&— ns autobiographiques damment de ses divisions génériques; 2. que le mouvement qui anime leuvre est celui d’un appro- fondissement, d'une recherche sans cesse relancée, dont les genres sont des moments»; ion de oeuvre en moments tions que les sciences humaines et leur vulgatisation permettent de se faire du esujet», notion incertaine, & soi-méme inaccessible, une unité fallacieuse et de représentation fictive scrire dans ce cycle d'interrogations litéraires du sujet. (Car Marguerite Duras et Alain Robbe-Grillet ne sont pas les seuls de cette géné r laissés center par la question autobio- lie Sarraute y vient la. premit forme de feaanae de longueuts trés inégale, dans la disconti- nuité d'un récit qui suit pourtane & peu p gique, Sarrauce part & la recherche de ses origines, retrouve cer- tains mots, cercaines expressions, qui ont pw avoir sur Penfant quelle fue un 7 Dans le di alle sy ole es nota ells age len enn te Testis ences 8 Seni souvenirs d’enfance, rapports avec les parents, découverte de Fautre, du langage, comme autant de petites scenes de « tropismes». Plus ~45- La littérature feancaise au prévent {que sur le matériau biographique, la recherche porte str la néces- sicé d’aller au-dela du convent, pour capturer dans les mots une ime, Nathalie Sarraute n'a en rien modifié sa concep- + on pourrait appliquer & Enfince ce que Sartre au Portrait d'un inconnuy en 1947: «Nathalie Je mur de Pinauthentique: elle nous le fait voir partout le a mis au point une technique qui permet et Pénon Dialogue cher Sarraute, osc Pune des variations de Pautobiographic stance de I'énonciation. On se souvient qu’au moment de présenter ses Mémoires d’ouire-tombe, Chateaubriand att attention sur ce point: le «jem qui Grit afest plus le méme que celui qui a vécu les événements racontés. Cette ambivalence #ac- crote du peu de certitude que nous avons désormais sur les événe- ments, dont la mémoire je vraiment vécu? qui étai dire?» Au cours de la période contemporaine ~48- ‘Variations atobiographiques déplacée: elle ne porte plus sur le sujet dont on fait le récie mais sur celui qui entreprend ce récit. Aussi croise-t-on forcément toutes les réflexions qui se sont développées dans les années 1960 et 1970 Pauteur» de Barthes & Foucault. Pour Beckeet, qui foute dernitre per- sonne, Je». Aucun vétitable repére biographique ne permet de vérifier Pauthenticité des quelques souvenirs qui jalonnent ce récit. Le sujet est aux prises avec Pére et Mere, avec le Langage, avec son histoire: «La voix & elle seule insuffisamment.» Les deux ouvrages autobiographiques de Louis-René des Foréts, Ostinato (1997) et Pas & pas jusqu’au dernier (2001, titre emprunté & Beckett), refusent de méme la premiére personne (a Foréts qui avait creusé la roman, Le Bavard, y trouve ici le détout par oitaflronter la rélité 1 4 le liew premier, le non- silence méme perd sa nature et son nom». Dans la seconde partie 'Ostinato, puis dans le second volume, le récit disparait & peu ie itude, de mettre un terme & Pexploration d’un passé auquel maints déve- loppements discursifs fone éeran comme autant d'excroissances parastaires» ré de mouvement qui le porte, se jouane des au sommet de ses capacités inventives, sources «lles- que par une sorte de transmucat ne inaliénable. ~49- La liseérasure francaise an prbsent notre nature profonde,répond au besoin ludique survivant& Penfance? Que telle autre, pour indigente, apporte un Co gue I tips de son énonciation, on. se gardera par gratitude de Ja biffer au nom de I rigueur. rente de ce qui ne vien tune histoire est com: re ennemi pour se les voir ausstbe retourner contre soi, LA ott manguent les moyens dexpression ne bat que dane ai imémoite atrophige Das lots que tou point voix — cherche ce qui a pu en constituer non pas Pressence. Cette approche de la more transforme Pour beaucoup, il ne s‘agit plus de dire ce qui a é ‘vers ce qui vient. Non pas seulement connattre le «fin mot» de sa propte existence, mais faire entendre le dernier mot. Roger Laporte ‘qui acheve avec Moriendo (1983) un ensemble commencé en ~50- Variations autobiographiques 1963, se donne comme seule injonction de « poursuivre». Et ter- mine cet ensemble intitulé Vie par un « post-scriptum au seuil de rouvant cruel «davoir retrouvé la faveur d’écrite seu- la séquence finale demeurera non écrite” Poeuvre riaura été qu'une vaste phie, ne peut en finir avec La Régle du jeu et donne encore Le Ruban au cou d Olympia (1981), Langage tangage (1985) et A cor et dori (1988), trois ouvrages trés différents des volumes antérieurs. Ces livres ont un theme commun : la voix, la langue, parlée autant quiéctite, Si fe ruban s'enroule encore autour d'une figure mythique—P' Olympia du tableau de Manet rejointles Salomeé et les Lucrtce des livres précédents —, les deux autres livres sont de cons- truction beaucoup plus relachée, A mesure que se rapproche, centre le bref paragraphe, le potme ou le réct de réve. A cor et & ori se présente comme une suite de notations aurour des trois verbes « Crier. Parler. Chanter». Les deux horizons de Vautobiographie Le retour & l’enfance, phique se déploie « eppreche del mor: le gate auobogr nnellement de l'un & tique du «réci contemporain se morcelle de plus en pl souvent tel ou tel «événement» cl ou tel ebiograe phémer, selon le mot de Barthes qui désigne ainsi, dans Sade, Fo- rien, Loyola, les brefs moments d'une vie. La linéarié du perdue au profit de la captation des instants. Elle se complique de références croisées & des ceuvres et A rout un ensemble intertexcuel. Deux moments insistent cependant, la mort, Lenfance, comme deux poles magné re clle-méme, au p prend que la more avaient fait un credo de phique devenue soudain pressante. Lautobiographie se fait alors $4 La lserasure frangaive au présent récit d'agonie, noir échange avec la maladie ou le trépas que les inement, tentent de tenir en respect. C'est au nom méme IN qu’Annie Etnaux, aux prises avec un cancer, réitre son refus de la fiction : «Je ne supporte plus les romans des personnages fc atteint d'un cancer: Ni es 9 (LU Ui de la photo, 2005). La maladie Ainsi, Frangois Noutissier, face & la maladie qui réduit ses capa- cités et annonce une fin ineluctable, itil dans ses derniers livres (A défaus de génie, 2000 ; Prince des berlingots, 2003) Ja sincérité lucide. Redistribuant les éléments de grand écrivain qu'il avait révé d’tre, il récrit sa vie en l'affranchis- sant des ambiguités de Pautofiction. Un « Avant-propos chronolo- gique> résume son existence: « Lidé vie sans respecter une chronologie t .» Afin de i er crée le personnage de «Miss Re», méchante fée qui lui joue les tours les plus pendables, done Tévocation vient interrompre d évoquer, en un étrange mélange de Jo maladie) et de Mémoires (ceux d'un écrivain important dans le tres de son époque, journaliste influent, président scour), res d’Hervé Guibert marquent profondément les années 1990: A lami qui ne m'a pas sauvé la vie (1990) ct Le Protocole compassionnel (1991). Dans ces «romans» & la premitre personne, Guibere, raconte les journées et les nuits dun malade: «Hervé Guibert, écrivain malade du sida, ses proches, la commu- nnauté des malades et de leurs soignants» comme tritme de couverture du second livre. D'autres livres sur ont paru avant (Les Nuits fase en 1989, voir infra, p. 341), mais la manitre qu’a Guibert de méler franchise et pudeur, impliquant ses médecins, sous des pseudonymes transparents, donne apts ‘Variations autebiographiques 2 cette relation Fallure dun testament. En 1986, Mes parents, bien quiécrit au présent, en fragmes rent cha rapprochait dgja de lautobiographie pour dire le mi ses violences, les haines qui ont formé l'homme et scandale provoqué par les «révélations» de Musil (oi rout le monde reconn: caule, dont la famille avait caché 2 reposer la question Protocole compasionnel, qui se concentre sur la lutte aut qui du malade, sa relation presque amoureuse avec son médecin, une le plus vivant» ent provocant dans de «protocole compassionnel». Ecrire son autobiographie peut étre ainsi une fagon de faire le deuil de soi. approche de la mort qui suscite ce geste associe at iographie & une forme testamentaire: que lasser, que sasever de i-méme? C'est aussi parfois une expérience du deuil, celle des dlisparitions qui scandent une vie. La mort des parents est helas are, propre & notre epoque. Celles des compagnes, des compagnons ou, a fortiori, des enfants paratt plus scandaleuse. Eile aussi engendre souvent le geste autobiographique, mais une autobiographie tournée vers autrui, vers son absence. Une auso- biographie, cependant, qui entreprend de dite ce fragment de vie oi la séparation a déchiré fe cours du temps. Sans doure la dimen- sion «thérapeutique» du elle pas absente, rsque la souffrance immédiate ne lemporte pas sur Pexigence Le deuil d'un enfant Bernard Chambaz (Martin, cet été, 1994), Camille Laurens (Phi- Lippe, 1995), Philippe Forest (L’Enfint éternel, 1997 ; Toute la nuit, Laure Adlet (A ce soir, 2001), confrontés & ces disparitions enfants, ont cherché & metere des mots sur leurs vies brisées. Qui -53- La leérasure francaive au préent se recranche dans le compte rendu des fats t des instants (Laure vraiment, le geste autobiographique se refuse a la plainte, évite Iyrisme et pathos. Lautobiographie stun garde-fou paradoxal contre le narcssisme d'une dauleur trop absorbance. L'autobiogea- personne. appelle encore? sa propre voix qu'il ne econnalt pas et confond avec celle qui s'est tue» (des Foréts). Pourquoi ces livres? Le psy- chanalyste Jean Allouch explique, dans Erotique di deuil au temps de la mort stche, que le «paradigme du deuil» a changé, Ce nest plus, pour notre époque comme pour celle de Freud, la mort du pere qui fait référence mais celle de Penfant, parce quelle posséde le ‘ecaractére déterminant du non-accompli» et ampute le sujet d’une cffectivement des auto- putées: amputées « conirario de rout ce qui fait usuellement autobiographie: naissance, enfance, adolescence da sujet, Rien de tout cela: le texte se concentre sur enfant perdu, sa vie bréve, st mort, comme sil Sagissait de préserver cette part de soi-méme que la mort a enlevée ne réserve parfois, une pudeur, attén phique d'un changement de prénot tun effore pour comprendre ce que l'on a traversé et comment Fon vit peut inventer. Des indices factuels, in de Forest dans le second, garantissent la réalité dé i cette matitre autobiogra- Phique sappelle «roman, cest, déclare le narrateut, que «la réalité dans laquelle nous sommes entrés depuis la mort de Pauline est Jement étrange, tellement inhabieuelle, que le livre doit prendre, i aussi, une forme différente La conscience méme du temps en est changée: « Au coeur de ce temps absent qui nous entourait dans ce néant monotone, nous étions seuls, si seuls que plus rien ne nous permettait de vérifier note propre existence. Nous avions le —54— Vatatons autobiographiques té physique, nomination, sont en suspens — ct cependant le livre ne saisit rien d’autre que les moments d’une vie. 1a variation autobiographique ne tient pas seulement aux jeux de Pécricure (la egraphie»), mais aussi aux épreuves de lexistence ferent avec elle et qui inventent des formes propres & en ir la trame et la crace. Pour Philippe Forest, cela reléve de ‘Mais, selon I'écrivain, l'écriture de soi y est excédée par la sion universelle, qui rend compre des impossibilités du deuil et dur désir, Cest 1A ce qui nous fait lire et recevoir ces livres, ceux de Duras comme ceux d’Ernaux, ceux de de i ne satisfone qu’une vague curiosité, Cest la vaste interrogation sur «comment vivre ce que nous avons 3 vivre» qui alimente 4 la fois Técriture et la lecture des autobiographies. Les récits d’enfance Dans cette perspecti le récit d’enfance —Penfance du biographe sutobiographic. Tous y Louis-René des Foréts lui-méme, si peu enclin cependant & Sexposer, avoue dans son podme Les Mégdres de la mer (1983): «Br dans ma mémoire souffrante qui est mon seul avoir/ Je cher- che oit Penfane que je fis a laissé ses empreintes», Le début d’Os- -55- La licabrature francaise au présens tinato secuille les sensations demeurées de Penfance, x manitees de craces, fuyantes odeurs, cumeurs». Lauteur sy revoit «Pet surnichant sur une chaise de fer, eniflant, avec sa bouche toute blanche de bouille, taquiné par le fire atné», mais ne yaconte rien. Mémes les sol- licitations sexuelles insistantes des prétres du college sont allu- imposée par la mise en récit, pour peu que l'on y consente, de ces fragments de mémoire. Peut-étre le suects d'Enfince de Sarraute a-til enclenché ce mécanisme édi exemple (chez Gallimard) fait se cétoyer des écrivains venus d’ho- rizons esthétiques aussi différents que Patrick Chamoiseau, Raphaél Confiant, Paul Fournel, Henri Raccymow, Diane de Margerie, Jacques Roubaud, Maurice Roche, Régine Detambel ou Jean-Louis Baudry. Ressentie comme essentiele, cette période n, de découverte, est , oli Saccumulent les expériences premieres, ott sion du monde. Claude Louis-Comber, dont on verra plus invention «mythobiographique>, revient ainsi dans de nelles et sur les premiers ct rappelle les émois de la contemplation du martyre de Le cceur qui s'est bercé en cette intimité ne sen plus tard, accapareront le 2 ce noyau, 2 ce foyer, dans le mysttre duquel l'enfance s'est elle-méme conquise Ditle et de mémoire (2004) creuse les rapports ambigus de enfant au péché, au sacrilege et au désir dans une syntaxe complexe, propice & dire les tourments 3 venir de la contradiction intime, et toute chargée de sensualité. Le texte réélabore a posteriori, souvent 2 la lumitre 56 Variations autobiographiques de ce qui sest révélé déterminant pour la suite de Vexis- tence, ces quelques expériences fondatrices. Dés lors, est-il vrai- ‘ment besoin de raconter la suite, puisque «tout est joué» des ces jeunes années? A la fin du Cahier de romances (2000), Raphael Confiant sarréte apres avoir raconté son suects au baccalauréat, aux autobiographies dont Pachévement est roujours le récit denfance se clér naturellement par entrée dans univers, que le lecteur souvent connatt déja, de I écrite, uuciance telle que Dominique Barbs (2001), qui continue de peser sur Padulte, it: «Peut-étre que le meilleur des si et les fatigues de type en train de suer cemnerait, & trois pas de h Ja riviére, 1988; Cétait nous, 1989; La Mue, 1991; ou simple- ment «récits»: Le Grand Sylvain, La Mort de Brune, 1996) fouiller ce temps pour micux le comprendre ct se comprendre. A. chaque fois, le texte proctde d’ justement, de de ces épiphanies d’enfance que note des Foréts dans au brefs haikus en prose. Cette sensation, Bergounioux la wav: reprend, tente de la cerner au plus juste, d’en comprendre, in fine, le sens. Le lecteur suit ce trajet avec le narrateur: il n’en sait pas plus que lui. Lenfance ne doit pas seulement étre racontée, au risque d’étre transformée par sa mise en récit, elle doit faire Yob- 57. La lindrasure fangaie au présent jet d'une séappropriation: & l'anamntse que cultive Barbéris ¢a- Jagit de comprendre ce qui s'est passé, ce istence, le récit d’en- ‘abandonne dans un suspens auquel l’écrivain ne cesse, souvent, de revenir. C'est que renfance est ce moment aphasique de lexistence, lorsque Iéeri- vain n’a pas commence d’écrire, que les sensations sont sans mots et que les mots, aprés, bien aprés, cherchent & les resticuer. Dans Le Nom sur le bout de la langue (1993), consacte & des Foréts un bref essai précisémen silence, 1985), raque cet instant— il a deux ans ~ 0! dans le suspens de Fattente d’un mot «sur le bout de Ia langue». rive, son visage s’épanouit, cest une merveille: « Tout +». Quignard couche ici sans doure 2 la raison profonde du geste aucobiographique: «Le nom sur ke nostalgic de ce qu'elle n’étreint pas. fe parce que ce manque du langage i Ketire, c'est entendre Ja voix perdue. C'est avoir le temps de trouver le mot de ‘est rechercher le langage dans ge que parce qu'elle est, avec la mort, cessible horizon de Pécrivure autobiographique. Explorations formelles Ces préoccupations de «sens», pas pour autant que tout travail d’élaboration formel _formelle, cat on a vu routes les formes que ces interrogations pro- duisent forcément de publier des auro- comme La Traversée des flewves de Georges-Arthur Goldschmidt (1999) oi salignent des chapitres sans surprise ~ « Les origines», «Les parents», «Le lieu et la mai- son» jusqu’a «Lentrée dans Page adulte» ~, d'autres se distin- guent par leur souci structurel, C'est du moins ainsi que lon 58 Varctonsautobiographiques recevoir entreprise gigantesque de Jacques Roubaud jeu de cette ceuvre, commencée en 1989 avec Le Grand Incendie de Londres, est autre: Roubaud tente d'écrire une auto- ie & travers le récit de l'échec d'un tel projet. Il se place ainsi au coeur de l'aporie biographique et veut dépasser les réser- vves de la modernité avec les armes de la moderniré méme. Le Grand Incendie de Londres, puis les volumes inticulés La Boucle, Mathématique, Podsie, La Bibliosheque de Wartburg, construisent un ensemble qui rend compte des différentes facettes de sa per- sonnalité autant que des différents moments de son existence. Chaque ouvrage sorganise autour d'un theme, que di mais bien que ces volumes, pour trois d'entre eu titrés «récits», Pordre n’en est ni linéaire ni chronologique, durée de Pécriture, avec ses arréts, ses reprises, cre peu & peu une cemporalité paralléle, Le texte bourgeonne, avec des « incises», des expansions », tant6t regroupées en fin de chapitre, tantdt insérées au fur et & mesure grice & des typographies variées, Le lecteur doit Satrendre & découvrir aussi bien une histoire du sonnet assortie dexemples qu'une histoire des mathématiques modernes (Bour- bak), des flineries dans les rues de Londres ou des déambulations dans homme et de I’éerivain: potte, mathé- ‘maticien, oulipien, romancier, critique... curieux de tant de cho- ses et de gens. Evoquant sa découverte du Paris des années 1950, Roubaud fait Ia chronique littéraire, politique, amoureuse du milieu des intellectuels de gauche; et sabandonne & des livres qui ‘entrainent sur des chemins de traverse, mettant en péril les regles décriture et de composition que cet oulipien ne cesse de se proposer. Roubaud potte avait, en 1977, avec Autobiognaphie chapitre dix, fabtiqué, sous forme de «potmes avec des moments de repos en prose», une fausse autobiographie faite d'un montage de citations empruntées «3 des potmes, composés dans les dix- it années qui précédérent 5a] naissance». Sa «vraie» auto- biographic est, elle aussi, un combat avec le Livre, mai bat «2 la régulidre», sans crucage, au plus pres des joies et des peines d'un potte pour qui le langage doie pouvoir exprimer & peu 59- La literature francaise au préent prés cout d'une expérience humaine. Amené & définie sa position par rapport a la « vérité» autobiographique Roubaud écrit: «Je ne construis pas [de] personnages imaginaires, des étres de papier et de roman, Je Pas de fiction mais cependant une «invention»: la vérité nest jamais, ne peut pas étre, reproduction de la réalité. Dans Nous, les ‘moins-que-rien, fils ainés de personne (2006), sous-titré « multiro- man», Roubaud, & travers «12+1 autobiographies» qui sont chat, en podte chinois “rca 1481), en informaticien, etc. -, rejoue tous i-méme en autant d'exercices de style d'une fasci- jternelles questions de nt, de les reposer & nou- ther veaus fra Les écrivains semblent toujours en revenir peu ou prow & ce ges pousse & leave» (ee méme & la prise de risq corne de taureau» de Leitis dans Lge d'homme jusqu’a La Vie sexuelle de Catherine aux catactires propres & une existence donnée, foroément hasar- deux, proliférants, chaotiques, incertains, etc., ils défient toute linéarité simplificatrice. Des lors, comment que Ton accuse de ne pouvoir échapper& la fausseté? Prenant le ce-pied de ces griefs, certains 6 biographie comme d'un trompe-Pexil. Jean-Benoit Puech, par exemple, crée de toutes pitces un écrivain, Benjamin Jordane ~ inspiré de lui-méme -, dont il publie ex commence Pacuvre et le journal (cE. infie, p. 319). ~60- Vrationsautobiographiques Uautobiographie sans le récit On na parl€ ici que de textes ni en effet une forme, méme fragmentée nous avons vu A quel point ces récits pouvaient étre tronqués, manipulés. Au début du Jardin des plantes, Claude Simon dispose son texte en pavés inégaux dans la page, parfois juxtaposés, patfois entrelacés, La forme linéaire est mise & mal. Lexergue du livre, empruntée & Mon ce choix: «Aucun ne fait dessain Nous sommes tous diverse, que chaque » Parcelles et lopins: tel est le tout ce qu'elle peut prétendre ne pas manquédapparaicre, cn font deborder les variations, du cété de la podsic, du thédtre, voire de la photographie ou du cinéma. Les podtes ont de longue dare trouvé dans le lyrisme une forme d'« écriture de soi» qui accueille les sentiments, les sensations et les mouvements de ’ime (Hugo, Lam: soufances et ses delires parfois douloureux (de LOmbilic des Limbes d’Arcaud au rencontre est aujourd hui favorisée par le regain du Iyrisme dans une poésic qui se détourne des expérimentations tex- tuelles des années 1970 (cf. infra, p. 453) et que la poésic touche parfois & Pautobiographie sans rien eéder au lyrisme, notamment chez Jacques Dupin (Tiré de soie, 1991; Echancré, 1991). Sur la et provocateur, il appelle Theatre appelle Romanesques son écriture de soi Philippe Caubére raconte sur sctne, dans Le Reman d'un acteur, sa carritre théitrale mouvementée. D'autres dramaturges, comme Pierre Ascaride ou Jean-Luc Lagarce, puisent dans leur vie les mmatériaux de leurs pices. [eure des passages de frontiéres semble ~f La ltcérature frangaise au présent donc venue. biographie n'est plus enclose au livre: chacun collectionne ses albums de photographies, ses rte sur la scéne, le cinéma ration ‘en images? Il peut étre celui d'une existence; ou d'un fragment de celle-ci (sa durée, en effet, contraint 4 une certaine britveté). On dira que ce west pas a vie que l'on transpose @ posteriori en matitre verbale. Le cinéma optre de la méme manitre avec son medium propre. (On ne fra pas ici le tour de autobiographie dans ces disciplines srature, méme si leur développement est ie nous écudions: Manifeste photobiogra- pil, ou Journal intime de Nanni Moretti. Mais il arrive que rature sollicite ces arts au profit de 'autobiographie, ce qui n’ Ja méme chose: Pierre Alferi, dans Le Cinéma des familes, déploic je de références cinématographiques. Roland Roland Barthes par Roland Barthes, Claud Duras, Pierre Bergounioux, Jean Rouaud, Pt autres en déerivent, mais ne les donnent pas & voit laissant au seul verbe le privilége de représenter. Voici cependant qu'au confluent des deux univers, artistes et écrivains jouent désormais impropres & Vautobjographie car ils sont des arts de Vinstant et de espace, non des arts du temps. Comment raconter sa vie sous forme de sculpture ou de tableau? Les photographies seront tou- j ores instantanées ~ que sibien des écrivains frag- ces images se fait avoir recours ila photographi jon biographique. Das lors, pourquoi ne pas Du edté des artistes, Sophie Calle ~b2- Variations autobiographiques ou témoigne d'un souvenir. Rien n'atteste toutefois que les images soient celles des événements réels plut8e que des images (te)consti- ite, bien au contraire. Ne croyons pas en effet que la tna phrograpigues de Chritian Bots (1572) sone des fu: ce nest pas un enfant photographié dans un jardin public & divers moments, mas ce sont plusieurs enfants et... ce nes pas Christian lévent plus de la mise en + des lieux ou des événements. Dans jo ne donne aucune photo de famille ni de portrait de ce pire dont et les paysages d'Afrique sont pour exhiber ce que de VAlgérie au Nigéria, comme texte entreprend de décrire. Lautobiogra- réverbérée entre réveries et fantasmes, scandée par des photogra- phies souvent floues, imprécises, comme Pest, peut Pétre, ‘mémoire elle-méme. Dans L'Usage de la phot compagnon Marc Marie ne produisent que les photographies des vétements dont ils se sont hitivement défaits dans lurgence des ébats sexuels. Ces photographies, contextualisées par le texte qui détive & partir d’elles vers les biogtaphémes quielles ne restituent pas, mais dont elles artestent, témoignent, écrit auteur, de la sence de M. a ses cbtés, en ces lieux. Métonymiquement, pourrait- de ses chaussures, véeements et sous-vérements: la photo est lige & son invisible présence. S‘agit-il d'introduire l'espace d'un battement entre la chose telle qu’on la voit et ce quele texte en dit, ~63- La lieérarure frangaise au présent froyable envie de vivre qui étreint un comps lorsquiil se sait menacé i finalement, n'est-ce pas d'abord cela? ‘Vingt-cing ans aprés le «retour aursujet dont les années 1980 ont été si profondément marquées, ce n'est donc plus une surprise de voir des écrivains apparemmenc si élaignés de toute préoccupa- aphique en venir avec autant d'opinidtresé & ture de soi. Les plus modernes, Barthes, Sarraute, Becker des Foréts... tous y sont venus. Méme Pierre Bourdieu, qui met- tait en garde contre «illusion biographique, publie finalement son Fiquise pour une auto-analse (2004). 1 réaction », méme si Robbe-Grillet se laisse élire saise auprés d’Angelo Rinaldi, son contem aucun de ces écrivains ne renie ses préoccupations, ni ne renonce & la forme de son écriture. Plus que de mesurer son extension, ill importe de souligner combien cette pratique est inventive et pro- duit de nouvelles formes litcéraires. Car elle interroge ila fois la ve, le sujet et Féeriture, chacune des trois notions qui en composent le le fait dans une sorte de dialogue élargi avec toutes les ent de Thomme et de son envionne- tous et... la géographie avec Gracq. Peut-ére sagit-il, dans un monde désormais désacralisé, de compenser la certitude d'une fini- tude sans appel par le souci de laser une trace de son passage sur terre. Or, ce ne sont pas tant les événements dune vie qui la diffe incertaine. Lautobiographie trouve dans une tlle exigence la puis- sance méme de ses renouvellements. CCHAPITRE 2 Journaux, Carnets wvrant la photographie, en faisant place aux biographémes, parfois au détrimenc du réci, P'eriture de soi prvilégie Pinseane, voire Ia saisic instantanée. Ex on a pu constater que 'autobio- sgraphie, en se poursuivant au fil des ans, avait tendance & bascu- la notation, originellement réservée aux broui ses «carnets», acquiert un nouveau statut. Cz innové en erdane autour du Journal ou du Carnet des formes nou- velles comme elle le fait avec 'autofiction, elle en a modifié les usages. Et cette modification fait appataitre en retour une assez radicale mutation de la conception de lceuvrelitéraite dans son de la forme de son éeriture ou des themes quelle erate Le Journat itcle et demi des Journaux d’éeri la disparition de leurs auteurs (Amiel, Stendhal), car ces textes étaient des textes intimes, & Pusage du seul scripteur, récepracles de ses humeurs et de ses secrets. Avec Ia publi- 6 La littérature frangaise ane précent crc.) I peut méme, au béndfice d'une élaboration formelle, perdce de son immédiateté ;, Claude Mauriac a ainsi const entre 1974 et 1996, une vaste fresque autobiographique & partir des pages de son Journal, en reprenant dans les cahiers Jes plus anciens des pages gue les niques et mémoires d'un témoin privilégié du demi-siécle et politique s équilibrent en échos organisés thématiquement Cette évolution concerne & la fois la conception et la réception wurnal. Sa conception, parce quiun Jot ié de facon anthume n’est plus de Pceuvre et construit une image de soi destinge & autrui qu'un Journal poschume comme le Journal inutile de Paul Morand (2001), qui confirme les opinions violemment réactionnaires de Pancien diplomate de Vichy, auteur de France la doulce, n'a guéce invérét liteéraire. Sa réception, parce que la pul Journal posthume n’app. quane 3 son esth de Chine ct le Journal 1922-1989 paraissent en 1992) contraire- ment a celui d'Hervé Guibert, Le Mausolée des amants (2001), paru dix ans seulement aprés sa disparition, Mutation du Journal: vers le « corps de Poeuvre» du sujet. Elles en ont changé la pra 1c bien deux exemples. Celui de Charles nal. Trois volumes paraissent, simplement intitulés Journal J, II et i, entre 1978 et 1982, avant ses autres livres. Recueil de médita- tions, de lectures, fixations du mal-étre et notation des for ~e- Journaus, Comets nuvre encore inac Vécrivain le tient depuis vingt ans lorsqu'il commence & le publier. Cest que sa voix dy Staak Kame Coteanaidlenaesemane lavoix.» Le Journal de Juliet n’enregistre pas les menus événements de la vie quotidienne, il est le lieu d’une quéte et d'un apprentis- sage: «Pendant de longues années j'ai écé astreine & un travail de fouilles& Pintérieur de moi-méme. Il me fllait me mectre en ordre, panser des blessures, découvrir des événements qui avaient imprimé leur sceau & Forigine de mon histoire. Pour e Lotsque paraissent ses premiers recucils de potmes, leurs titres et eur contenu assument ce creusement de soi: Lal s scrute (1976), Fouilles (1980), Approches (1981). La poésic resserre 'épanchement du Journal, en cristalise lefusion. Une acuité de l'expression est écrire un roman», La formule est d'importanc inverse le processus décrit au chapicre précédent & propos de l'au- tobiographie, laquelle venait, apres les romans, les réécrite pour Le Journal de Juliet traduit au pourrait n'y voi rivain réservé, peu sOr de lui, proche d’artistes dont l'exigence et 'effacement farent extrémes, comme Giacometti, Bram van Velde ou Beckett. Or ce sentiment cst assez largement partagé par les écrivains contemporains, Lim- possibilité de Feeuvre, qui fut, durant les années 1960 et 1970, sous l'influence de Blanchot, un théme de réflexion théorique est -67- La ltcdrazureflangaise au présent devenue, pour notre pé retrouvera plus lo ration, puisque Jacques dune vaste auicobiographice introspective commencée 2 puis d'un Jourmat de la mémoire (de 1962 parla déja de son Journal comme d'une

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