Explorer les Livres électroniques
Catégories
Explorer les Livres audio
Catégories
Explorer les Magazines
Catégories
Explorer les Documents
Catégories
dirigée
par Jacques-Antoine Malarewicz
Photographie de la couverture:
Jabiru et ibis recherchant leur nourriture de poisson-chat,
Malangi, groupe Manarrngu (Australie)
Paris, musée des Arts d'afrique et d'Océanie - © Photo RMN - Arnaudet
Le Code Je la propriété intellectuelle n'autorisant, aux termes Je l'article L.122-5, 2° ct 3° al, d'une part, que
les« copies ou reproductions ~tric[(.'ml."nt réservi'cs il l'us~lgc privé du copj~re ct non dt~sdnéc!Î à une utilis.lfion
collectiv(' » ct, d'autre part, que les analyses ef Its COurtes citations dons un hut d'exemple ou d'illustrctlion,
~( tOllte rcprc:scntâtion ou reproduction intégralc, ou panidle. faire !'Iao!" le consentementde l'auteur ou ses
ayants Jroit, ou "yants cause, est illicite" (art. L. 122-4l. C<-ttc repré.entation ou "production. par quelque
procédé que cc soit, constitucmit donc une contrefaçon :mnctionnéc par les articles L. 335-2 ct SUÎvilllts ou
Code de L. propriété intellectuelle.
Bernard Darras
Au commencement
était l'image
Du dessin de t enfant
à la communication de t adulte
•
ESF
Mi/eul-
Première partie
LA CONQUÊTE DU TERRITOIRE
Deuxième partie
LA FABRICATION DES SIGNES
ET L'ORGANISATION DE L'ESPACE
1. Selon l'usage, j'ai choisi d'ut.iliser le «nous» académique que les conv"ntions universitaires ont
imposé. Ce ,mous» générique n'cst pas qu'une habitude innocente, mais une opération de rhéto-
rique scientifique dont l'ambition né Ill'échappe pas. S'il vise il signifier la modestie dc l'auteur, qui
s'effaœ derrière le savoir accumulé par les mitres chercheurs, il prétend aussi que la parole pronon-
cée n'L'St pas œlle d 'un individu iso.lé, mais le discours d'une" communauté savante» dont la dis-
tance garantis l'objectivité des thèsL'S développL'Cs. La démonstration scientifique ,1 ses facilités cr ses
raccourcis, rO\ltefois, j'espère que le lecteur pardonnera cette faiblesse er qu'il rrouvera dans les
exemples cr les érudes présentt'L"S des arguments plus solides que cet artifice.
12 AU COMMENCEMENT ÉTAIT L'IMAGE
Un air de famille
leur niveau de compétence était largement partagé et que cette base était en
soi autosuffisante pour une communication visuelle par schémas, picto-
grammes et iconotypes 1. Ainsi que nous le montrerons tout aù long de cet
ouvrage, l'imagerie initiale appartient au vaste domaine de la communica-
tion ordinaire, et c'est précisément dans ce creuset de l'interlocution ordi-
naire que se forgent les composantes de l'échange pluri-médias.
1. Nous expliquerons longuement au chapitre 9 ce que sont les iconotypes. En quelques mots, nous
dirons que ce sont des pictogrammes non codifié.~ ou des schéma~ s41bilisés et répétés.
2. Le terme« Néophyte» n'offre pas plus d'avantage.
« IMAGEJUE INITIALE », UN NOM POUR UNE VASTE FAMILLE 21
chemin parcouru. Ainsi que nous le montrerons, cette liaison, non seule-
ment n'est pas immédiate, mais, de plus, est peu fréquente.
Cette liaison implicite, du noviciat à l'expertise, a largement contri-
bué à entraver la compréhension des processus de développement
ainsi que ceux de l'apprentissage. Dans le domaine du développement
de la communication visuelle par image, cette conception a encore de
nombreux adeptes qui pensent que le novice est au départ d'un pro-
cessus régulier (souvent conçu comme naturel) qui le conduit fatale-
ment à la production d'images expertes. Jean Piaget, reconduisant les
thèses de Georges-Henri Luquet, a imposé cette vision que la réalité
dément.
Malgré nos nombreuses réticences, nous utiliserons le terme
« novice ». Ce faisant, nous lui constituons un espace sémantique adé-
quat.
Selon notre dispositif, le novice n'a pas pour ambition de devenir
expert. Bien que l'on puisse devenir un expert de l'imagerie initiale;
c'est ce que nous montrerons ci-après. Le novice en imagerie initiale a
donc développé un certain nombre de compétences qui restent inexer-
cées, parce qu'elles sont dévalorisées par la société qui ne reconnaît
comme valides que les images expertes 3 et provisoirement les formes
ingénues de l'enfance.
Ainsi que nous le montrerons tout au long de cet ouvrage, l'image-
rie initiale est un phénomène très répandu et particulièrement résis-
tant aux pénétrations des autres systèmes de représentation. Nos
études permettent d'avancer que près de 95 % de la population adulte
relève de cette catégorie jusqu'alors sans nom. Le terme de novice lui
sera donc appliqué, à regret.
Les 5 % restants se divisent en de nombreuses classes, qui parfois
se superposent. Les artistes, les dessinateurs, les peintres, les gra-
phistes, les illustrateurs, les photographes amateurs non novices et
tous les professionnels des arts visuels sont les membres attitrés de la
catégorie des experts.
3. Rendons justice aux artistes naïfs et aux créateurs d'art brut qui sont, à leur manière, reconnus par la
société.
22 LA CONQUËTE D'UN TERRITOIRE
Des transferts de savoir-faire sont alors possibles, c'est ainsi que le des-
sin, dont l'exercice est précoce dans nos sociétés, peut être considéré
comme la première mise en fabrication du monde des images par le jeune
enfant. De même, certains savoir-faire, développés dans la pratique gra-
phique, peuvent à la fois modeler l'architecture du système d'imagerie ini-
tiale et selVir ensuite de matrice transférable dans d'autres médias.
Ces deux hypothèses sont, hélas, difficiles à vérifier, mais par expérience
et intuition nous leur accordons quelque validité.
1. Voir notamment l'étude des bambous gravés des Kanaks de Nouvelle-Calédonie (Chapitre 16).
32 LA CONQUtTE D'UN TERRITOIRE
les fonnes adultes sont des archaïsmes enfantins ou des incompétences pué-
riles. Le concept d'imagerie initiale a précisément été forgé pour libérer l'in-
terprétation de toute tentation ayant recours au concept de progrès ou de
régression. En revanche, nous tenterons de montrer que des processus co-
gnitifs, iconiques et figuratifs, coordonnés avec ce que nous appellerons, en
accord avec Rudolph Arnheim : la pensée visuelle, sont élaborés lors du dé-
veloppement du petit humain (et certainement du jeune singe, chapitres 7
et 11). Ces processus, et leur programme stabilisés, restent ensuite dispo-
nibles pour résoudre des problème de même ordre. li n'est donc pas éton-
nant que de nombreuses cultures viennent y puiser de façon privilégiée.
CONTINU DISCRET
. GLOBAL LOCAL
36 LA CONQUËTE D'UN TERRlTOlRE
Optique/non optique
dessine pas ce que nous voyons, c'est qu'il ne voit pas ce que nous voyons et
ne se limite pas à la représentation des informations visuelles. Pour
V. Lowenfeld, ce qui distingue une production enfantine d'une production
non enfantine, c'est le mode de perception enfantin, mode de perception
qu'il invite par ailleurs à protéger des contaminations adultes. Que faire
d'une telle théorie devant les productions des instituteurs de notre expé-
rience, notamment de ceux dont les dessins ont été classés Jans la catégorie
des dessins d'enfants? Faut-il conclure que ces instituteurs ont conservé
une perception enfantine du monde?
Aucune explication satisfaisante n'est à attendre d'une théorie qui
campe sur de mauvaises bases, l'orientation optique ne peut que fausser la
perspective.
l1o~ogène/hétérogène
Synchronique/diachronique
Synoptique /Diagrammatique
Indépendant/interdépendant
Autonome/hétéronome et autonome
que l'imagerie initiale o'est pas limitée à l'image seule, et que le verbe et le
geste sont aussi ses constituants, il est alors possible de considérer que le
dispositif plurimédia initial est autonome. C'est la cohérence interne à ce
dispositif pluriel qui fonde cette autonomie.
Objectzf/subjectifcollecttf
Dans tous les cas le registre initial ne revendique pas l'ombre d'une
objectivité; il est résolument subjectif et intersubjectif, voire même col-
lectif. Pour prendre une métaphore linguistique, le registre initial est le
registre du «je» et du « nous », alors que le registre photographique
peut parfois prétendre être du domaine du « il ».
Isomorphique/homomorphique
Global/local
Du patrimoine
On peut ici entendre le terme jeu dans les deux sens, que la langue fran-
çaise clistingue, en ayant recours au déterminant« un» ou« le ». « Un jeu»
appartient à la fa~illle des je~x produisant une activité sociale ordonnée par
un ensemble de regles. « Le Jeu» est conçu comme une attitude.
52 LA CONQUtTE D'UN TERRITOffiE
Le musement en images
Pour qualifier ce jeu pur, Peirce utilise le verbe to muse que l'on tra-
duit généralement par méditer et réfléchir, alors que Peirce lui confie une
mission plus libre et ouverte. Le résultat en est le musement qui se trans-
forme en communication avec soi-même. Nous sommes tentés de penser
qu'une partie de l'activité d'imagerie de l'enfant, de l'adolescent et de
l'adulte relève du musement au sens que lui donne Peirce.
S'il est vrai que bien des processus artistiques peuvent partager cette
expérience, la méditation du philosophe ou du scientifique en relève
aussi.
Selon notre conception, le musement de l'imagerie enfantine et ini-
tiale serait un jeu pur où la pensée se manifeste en traces, diagrammes et
schémas. Bien des images enfantines ou adultes sont le fruit de cette
expérience et constituent une catégorie spécifique que l'exercice du
« dessin libre» est censé promouvoir.
simple bâton terminé par une grossière tête de cheval. La veine des succé-
danés est certainement l'une des plus productrices que l'humanité ait em-
pruntées, c'est ce que pense Claude Levi-Strauss (1966) qui accorde à cette
dimension de la représentation le statut de bricolage « mythopoétique ».
Ce bricolage est un fondement de l'art « brut» et de l'art « nruf» ainsi que
de la production initiale (B. Darras, 1992). li est un attribut de l'air de fa-
mille qui rapproche ces registres d'expression.
Quentin, comme de nombreux autres enfants, a construit des succéda-
nés depuis l'âge de 3 ans. Des armes de toutes sortes, des radios, des
consoles de jeux, et de nombreux ersats en deux ou trois dimensions consti-
tuent la panoplie de ses substituts.
Modélisation plurimédias
Synthèse
La capacité de synthèse et de généralisation, ainsi que l'élévation
d'esprit favorisé par la créativité, interviennent à divers degrés dans
l'expérience enfantine. Le processus de généralisation, ainsi que nous le
montrerons, est certainement une fonction importante de l'imagerie
enfantine. En ce domaine, chez les adultes novices, la généralisation tend
vers la réification, l'imagerie, rarement activée, se dessèche et s'épuise. Si
les croquis, schémas et plans de la communication iconique ordinaire,
sont encore des aides à la synthèse, on mesure le gâchis intellectuel résul-
tant de leur désaffection précoce.
Globalisation
La pensée figurative et visuelle a certainement tendance à favoriser le
traitement global de l'information. Les nombreux travaux sur la partition
cérébrale se font tous l'écho de cette spécialité de l'hémisphère droit. li est
possible de concevoir qu'une éducation, réellement intéressée à cultiver
cette dimension, permettrait d'affiner ce potentiel. La pensée s'en trouve-
rait certainement enrichie. Pour ce faire, nous ne croyons pas que l'imagerie
initiale soit d'un grand secours. Sa grande proximité structurelle avec le lan-
gage verbal n'en fait pas un bon candidat pour accéder à la pensée visuelle
globale. Ce point mériterait d'être vraiment étudié. Les recherches
conduites auprès des Japonais et Chinois, qui utilisent des systèmes d'écri-
tures pictographiques, laissent penser que le traitement d'une écriture en
images peut avoir des répercussions sur le mode de traitement de l'informa-
tion. Nos recherches comparatives, présentées dans les chapitres 11, 12 et
13, pourraient nous incliner à confirmer cette thèse.
Pulsion/passion
Nous avons vu et connu des enfants pour qui dessiner ou peindre
était une passion, le plus souvent une passion créatrice. L'ambiance
proartistique actuelle ayant tendance à orienter précocement ces enfants
vers les cours d'arts. La formule« image, passion et créativité» est aussi-
tôt confinée à cet univers. Les fictions graphiques, les musements en
images et autres projets de communication visuelle s'y trouvent enrôlés
par des projets· artistiques dont l'ambition, même très libérale et tolé-
rante, reste très éloignée des enjeux initiaux.
58 LA CONQUÊTE D' UN TERRITOIRE
Complexité
L'imagerie enfantine et initiale favorise-t-elle la capacité holistique à
traiter de la complexité? Autant nous sommes convaincu que la pensée
visuelle, et en grande partie la création artistique, favorise une telle
« méthode », autant nous pensons que les mécanismes souvent simplifi-
cateurs de l'imagerie initiale ne sont pas propices à une telle perspective.
Les études présentées dans cet ouvrage en témoigneront. L'imagerie ini-
tiale tend vers les systèmes clos et la répétition, toutes qualités peu favo-
rables à la pensée complexe. Seul le schématisme, pensé comme principe
de généralisation, peut contribuer à la modélisation de tels phénomènes.
En conclusion de ces rapides réflexions, nous pouvons avancer que si
certains processus enfantins sont vraiment créatifs, il serait abusif de consi-
dérer que cette« prédisposition» se suffit à elle-même et s'entretient spon-
tanément. Les maigres performances des adultes novices en témoignent.
Dans le domaine de l'imagerie enfantine, nous avons déjà dit et nous
montrerons plus avant, que c'est un mode de communication qui s'invente.
À la différence des conditions de l'apprentissage linguistique ou com-
portemental, le guidage social du domaine des images est beaucoup plus
faible. En conséquence, toutes les propositions quelque peu originales sont
considérées comme des .inventions et, dans l'ambiance« proartistique » ac-
tuelle, réorientées dans ce secteur. Dans l'immense majorité des cas, y com-
pris dans le milieu scolaire, ce cadre de référence est privilégié et sert de pa-
tron pour la validation. Toutefois, chaque âge connaît sa mesure de la
créativité. C'est ainsi que ce qui est valorisé dans la petite enfance ne sied
plus à l'enfance, et ce qui vaut à cet âge est dévalorisé à l'adolescence.
Le réalisme demeure le supercadre résistant et consensuel qui traverse
les cadres locaux. Les critères qui en sont issus travaillent explicitement ou
implicitement le jugement. Cependant, il faut désormais compter avec les
étalons artistiques et plastiques dont le succès est grandissant. Quand ils ser-
vent à évaluer les productions artistiques leur légitimité est indéniable, elle
l'est moins quand elle étend sa juridiction aux productions initiales.
En accord avec R. Passeron (I996), nous dirons pour conclure:
«L'enfant joue à dessiner et y prend plaisir», alors que:« l'artiste dépasse le
plaisir de jouer. »
7
[;imagerie initiale commence-t-elle
avec les singes?
« Imiter est en, effet, dès leur enfance, une tendance naturelle aux
hommes - et ils se différencient des autres animaux en ce qt/ih sont
des êtres fort enclins à imiter et qu'ils commencent à apprendre à
travers l'imitation. »
Aristote, Poétique, 4
La réflexion que nous allons maintenant présenter est certainement
l'une des plus audacieuses de cet ouvrage. Toutefois, en dépit de la sym-
pathie que nous avons pour l'ouverture qu'elle autorise, nous lui conser-
vons un caractère hypothétique.
De par le monde, de nombreux chercheurs en éthologie, linguistique,
sciences cognitives, psychologie et primatologie ont étudié la communica-
tion des singes et notamment des primates. Dans certains cas, ils ont inten-
sément cherché à communiquer avec eux et leur patience a été récompen-
sée. Les premières expériences tentèrent vainement d'exploiter le système
phonatoire des singes (W et L. Kelogg, K et C. Kayes). Une fois abandonné
cet espoir, A. Gardner et B. Gardner eurent recours à la langue des signes
(American Sign Language, ASL) ; de leur côté, A. et D. Premack utilisèrent
des symboles en matière plastique et D. Rumbaugh exploita un clavier
d'idéogrammes non figuratifs reliés à un ordinateur. En dépit des nom-
breux débats contradictoires, l'apprentissage du langage, ou tout au moins
la communication par symboles, ne semble plus une exclusivité humaine, et
des primates. éduqués semblent y accéder, au moins partiellement. lis sont
tout à fait capables d'apprendre des mots et de nommer les objets. On leur
60 LA CONQUËTE n 'UN TERIUTOlRE
1. La technique du mOIl/ding consiste à modeler directement sur les mains des chimpanzés les gestes
d'ASL à effectuer. Celle technique est aujourd'hui étendue pour l'apprentissage manuel des jeunes
aveugles.
L'IMAGERIE INITIALE COMMENCE-T-ELLE AVEC LES SINGES?
65
2. Roger FOUIS fail référence au concepl dl! « schéma » tel qu' il eSI utilisl! par Victor Lowenfe1d (1947-
1952).
68 LA CONQU!?TE D'UN TERIUTOIRE
3. Voici la proportion de schémas identiques par rapport au nombre de séances: les tesl~ de la brosse
ont engendré 5 réponses identiques sur 6, la tasse 6/6, le ballon 6/6. la pomme 216, la banane 216, la
chaussure 0/6.
L'IMAGERIE INmALE COMMENCE-T-ELLE AVEC LES SINGES?
69
Figure 5
Sans l'aide des légendes, est-il possible d'identifier les deux dessins
d'enfant présentés ici ? Certes pas; à ce niveau de ressemblance, l'accès
au référent réclame manifestement un complément verbal. En général,
pour qu'un dessin soit interprétable, il lui faut posséder un certain
nombre d'informations organisées en faisceau convergent. Le repérage
de la convergence et de l'isotopie qui en résulte permettent de détermi-
ner un foyer signifiant où se concentre l'identification.
En imagerie initiale, la labélisation est un élément constitutif du dis-
positif de communication et, à ce titre, un agent isotopique fondamental.
De même, les communications verbales ou graphiques des jeunes enfants
ne sont le plus souvent identifiables que par leurs proches. Eux seuls
savent exploiter toutes les informations contextuelles et maîtriser les
compétences nécessaires à la discrimination des informations perti-
nentes. Ils connaissent d'expérience les champs référentiels susceptibles
d'être convoqués, ce qui facilite les procédures isotopiques et la
construction des signes.
Les conditions de l'énonciation étant semblables, il nous semble pos-
sible d'étendre aux singes éduqués les procédures validant la reconnais-
sance des images produites par les jeunes humains.
Toutefois, même nommée par les dessinateurs eux-mêmes, on ne
peut assurer que la liaison entre un référent et un dessin est réellement
de type iconique. Dans le cas des jeunes enfants humains, on s'accorde à
penser qu'ils procèdent par nomination pour convenir aux invitations
des adultes (c. Golomb, 1992). La question de l'intentionnalité reste
donc posée. Concernant la figuration d'objets, le travail de D. Wolf
(1988, 1994) et certaines de nos observations auraient tendance à crédi-
ter la thèse d'une figuration enfantine a intentionnalité variable. Les
L'IMAGERIE INITIALE COMMENCE-T-ELLE AVEC LES SINGES?
71
1. Celle recherche a été partiellement publiée dans Darras ct Kindlcr 1993. 1994 et Kindler et Darras
1994.1996.
74 LA CONQUËTE D'UN TEIUUTOIRE
Fondements théoriques
Général et singulier
2. La Iradilion hébraïque CI les récils bibliques racontcnt l'achèvemcnt du projet divin par la création
de l'homme. Un homme à l'image de Dieu. Un singulier à l"image de ressenc<:. De celte opération
naquit la première image, l'Imago Dei.
La gesle chrétienne de l'incarnation ct de la résurreclion reprit. en l'adaptant, cette formule éminemment
métaphorique.
LA CONQUËTE D'UN TERRITOIRE
76
naturée tenta de prolonger cette réflexion dans l'art moderne. Selon lui,
« l'artiste n'accorde pas aux apparences de la nature la même importance
contraignante que ses nombreux détracteurs réalistes. il ne s'y sent pas
tellement assujetti, les formes arrêtées ne représentant pas à ses yeux
l'essence du processus créateur dans la nature. La nature naturante lui
importe d'avantage que la nature naturée» (p. 28).
Les travaux de la théorie de l'information, reprenant le concept ther-
modynamique de la croissance entropique, ont as~uré le passage de ce
concept du monde physique à celui du vivant. A partir des notions
d'ordre et de désordre, de prévisibilité et d'imprévisibilité, ils ont forma-
lisé bien des débats sur l'accident et l'organisation qui renvoient respecti-
vement au singulier imprévisible et au général ordonné et prévisible 3
(voir C. Shannon et W. Weaver, 1975, I. Prigogine, 1979,]. Neirynck,
1986, H. Reeves, 1981).
En liaison avec la théorie de l'information les sciences cognitives ont,
elles aussi, abondamment contribué à ce débat. Les réflexions sur la caté-
gorisation et la généralisation rendent comptent de l'importance de ces
opérateurs dans l'activité psychique et dans la communication. Nous
traiterons abondamment ce point dans le chapitre 9.
La sémiotique n'est pas en reste; elle apporte dans ce domaine des
concepts qui permettent de solidariser la dialectique du général et du
singulier autour de l'iconique. Nous nous y attarderons quelques ins-
tants.
L'émergence de la pensée permet aux êtres vivants qui en sont dotés,
d'affronter la fluidité des événements et des accidents en les agglomérant
et en les mémorisant sous des formes comprimées et réactivables. Nous
soutenons avec C. S. Peirce que le mode iconique est un passage obligé
pour le fonctionnement sémiotique résultant de l'activité cognitive. « La
seule façon de communiquer une idée est par le moyen d'une icône; et
toute méthode indirecte pour communiquer une idée doit dépendre
pour son établissement de l'utilisation d'une icône4 . » Tout événement
3. Il résulle de ces lravaux, de mulliples implications dont la relation bouclée entre l'ordre et le
désordre, relation finalisée par la croissance entropique. où l'ordre apparaît comme un excès de la ten-
dance au désordre, une absence provisoire de ce désordre.
4. C. S. Peirce, 2.278. Traduction G. Deldalle (1978).
MORPHOGENÈSE ET TÉLÉOLOGIE DES IMAGES
77
Modélisation
7. L'incrémentation est une forme de cumul de petites quantités sc développant en continu. Le projet
ne change pas; au contraire il s'accomplit.
8. Lorsqu'un des attracteurs, agissant fortement sur un système, cesse d'être structurellement stable, appa-
raît une catastrophe de bifurcation .
. 9. Une bifurcation apparaît dans un système quand la pression auquel il est soumis crée une instabilité qui
trouve sa résolution dans la séparation.
10. Ainsi présenté, le dispositif paraît cyclique, il y a certainement pour ccrtains sujets ct à certains mo-
ments du développement, de tels effets. Toutefois nous pensons qu'en général les ehoses sont plutôt irré-
gulières.
MORPHOGENÈSE ET TÉLÉOLOC ;lE DES IMAC;CS
79
Approche sémiotique
II . Nous avons pu consulter ces notes de recherche de Dennic Wolf HU Project Zero à l'Université de
Harvard.
LA CONQUÊTE D'UN TERlUTOIRE
80
Approche communicationnelle
La morphogenèse
L'ensemble du dispositif théorique que nous venons de présenter n'est
pas une construction ex abrubto.
Les principes de la morphogenèse, que nous allons rapidement exposer,
sont apparus lors de notre tentative d'intégration des observations dans le
nouvel ensemble théorique.
D'emblée, sans parti pris, nous avons voulu prendre en considération
l'ensemble des productions. Nous n'avons rien rejeté, consiqérant que nous
devions embrasser l'ensemble sans sectarisme préconçu. A nos yeux, un
dessin copié et stéréotypé ne valait pas moins, ni plus, qu'un dessin original
et inventif. De même, une œuvre dite d'art n'était pas plus valorisée qu'une
figure de géométrie ou un pictogramme.
12. Œuvre et opération sont bien évidenunent des mots de la même famille dérivés de la racine indo-
européenne op. « activité productrice » .
82 LA CONe)UÊTE D'UN TERRlTOfRE
Icônes d'actions
Icônes de formes
Icônes de rythmes_-
Icônes de traces ~
Icônes de gestes ~
Le modèle
Ainsi que nous l'avons dit, tout débute par une phase iconique où
s'élaborent les grands processus non figuratifs, icônes de gestes, de
traces, de rythmes, de formes et d'actions. Vient ensuite la mutation pré-
figurative. L'activité plurimédias, notamment verbale, est alors très active
et les icônes d'objets mobilisent une grande partie de l'intérêt de l'enfant
et de son milieu. Le processus figuratif s'enclenche brutalement avec la
première image d'objet. Cette phase se prolonge dans l'accomplissement
d'un système d'images très voisin de celui des pictogrammes. La combi-
naison des icônes d'objets, relayées par la parole, va favoriser la naissance
des icônes de mondes. Certaines formes seront plutôt statiques, elles
constituent les représentations en scènes préfigurant les images tableaux
de la production occidentale. Les autres seront des narrations plurimédias
complexes et dynamiques tels qu'on les voit fréquemment en imagerie
initiale adulte.
entrent avec leurs projets et leurs objectifs. Chacun, selon son ambition
et ses savoir-faire, laisse le général ou le singulier guider ses pas.
Premiers tracés
Quentin parvenait à laisser des traces sur une feuille dès l'âge de trois
mois. Cependant cette activité était strictement mécanique et ne débou-
chait (apparemment) sur aucun processus sémiotique de sa part (sauf
celui qui visait à entretenir son action). Le dispositif fonctionnait sur la
base de l'intentionnalité de l'adulte qui lui avait fait tenir un crayon et
qui avait judicieusement placé une feuille sous le crayon. Le résultat
n'était qu'un enregistrement mécanique des mouvements du bras de
l'enfant.
En revanche, à 10 mois, Quentin remarqua ostensiblement les traces
qu'accidentellement il venait de laisser dans la buée d'une vitre. La répé-
tition, contrôlée par l'observation de son geste, témoignait véritablement
de son engagement dans l'opération sémiotique, iconique et indicielle
décrite plus haut. Deux semaines plus tard il commença à utiliser des
feutres et des crayons pour produire ses premiers dessins sur feuille.
- Icônes de traces, de rythmes, et de formes régulières
De découverte en découverte s'ouvre un monde. Un monde d'ordre et
de perturbation qui oscille entre accident et répétition. Certains tracés se
distinguent des autres et leur répétition devient un enjeu privilégié. lis for-
ment la famille des icônes de traces.
Les modulations des semis de points, les circonvolutions des lignes,
conduisent à une exploration du rythme d'où émergent les icônes de
rythmes.
En se conjuguant, les traces et les rythmes maîtrisés concourent à l'émer-
gence des formes régulières qui déclenchent leur propre registre iconique.
La majorité des singes-peintres s'arrête là, leurs pulsions de perturba-
tion sont entièrement satisfaites (à notre connaissance, seules Moja et
Washoe ont franchi le pas).
- Icônes d'actions
De son côté, le petit humain explore ensuite les icônes d'actions. Ce
sont des dérivés et des compléments de jeux qui se développent à l'aide
des instruments de traçage et qui s'inscrivent sur la feuille (ou un support
moins autorisé). Ainsi, « un camion de pompier », « un avion» ou « un
animal imaginaire» dont le marqueur est le substitut, laissent-ils des
traces variées qui sont des icônes d'action (B. Darras et A. M. Kindler,
1993 et 1994).
MORPHOGENÈSE ET TÉLEOLO(; TE DES IMAGES 87
13. Autonomie que le cinéma « muet» en noir et blanc avait admirablement cultivée, autonomie dont
la perte froisse encore le~ amateurs.
MORPHOGENÈSE ET TÉLÉOLOGIE DES IMAGES 91
14. L'échange peut être considéré au nivCllU sémiotique: de la production des signes. de leur réception
et de l'interlocution qui cn résulte.
Deuxième partie
La morphogenèse de l'iconotype
MEMOIRE PROCEDURALE
Variations Idiosyncrasiques
Diagramme appliqué
Sous cette forme, le diagramme est particulièrement synthétique, aussi
allons nous tenter de lui donner chair en étudiant la formation d'W1 dessin
typé.
Pour ce faire, nous utiliserons les dessins de fleurs, produits par Quentin
alors qu'il était âgé de 3 ans et 9 mois à 7 ans et 5 mois. Ces dessins ont été ré-
gulièrement réalisés, à notre demande, lors d'une étude longitudinale 1.
Les percepts
Lors de cette partie de l'étude longitudinale, l'enfant ne disposait
d'aucun modèle de fleur, sa structure perceptive n'a donc pas été activée di-
rectement. Elle a toutefois contribué à enregistrer des informations exploi-
tées par les différentes mémoires sollicitées par la consigne. De plus, lors de
l'acte graphique, la perception était très largement sollicitée comme com-
posante de }' activité sensori-motrice.
I.;imagerie mentale
Nous montrerons plus loin l'importante filiation entre les images men-
tales, les perceptions et les catégories cognitives. Nous formons l'hypothèse
que si W1e image mentale est convoquée lors du dessin initial, cette imagerie
est très dépendante des catégories cognitives, elles-mêmes connectées aux
expériences sensori-motrices.
1. Hors de ces conditions expérimentales, Quentin produisait de nombreux dessins spontanés, notam-
ment de !leurs, qui ne sont pas présentés ici, mais qui On! t!lé conservés Cl répertoriés dans Ull portfolio.
3 ans 9 mols 3 ans 10 mols 3 ans 11 mols 4 ans
9 ~
4 ans 7 mols -4 ans 8 mols
5 ans
5 ans 9 mols
Les types
Dans son milieu scolaire et familial l' enfant a rencontré maintes fois
des représentations de fleurs dont le modèle stéréotypé est fréquent dans
les jouets et les illustrations.
il en est probablement de même avec les archétypes dont l'histoire
occidentale a accumulé les motifs, notamment floraux. Ils abondent dans
l'héraldique et figurent en bonne place dans les logos contemporains,
c'est le cas du blason de l'ile-de-France, qui est la région de résidence de
l'enfant. Selon G. D'Haucourt et G. Durivault (1949), les premières
compositions héraldiques furent précisément des feuilles ou des fleurs
très simplifiées.
CONSEIL REGIONAL
ILE-DE-FRANCE
Catégories cognitives
Les automatismes
Les variations
Des variations sont apportées au type, elles peuvent venir des chan-
gements d'attitude et d'humeur de l'enfant, ces variantes idiosyncra-
siques peuvent être responsables de la montée de nouveaux attributs tels
que les racines, ou les nervures. Elle peuvent aussi contribuer au change-
ment de régime entre les iconotypes disponibles, pentamère, « pâque-
rette » ou tulipe.
Cotexte et contexte
Le« cotexte» est ici manifesté p~r les déclarations de l'enfant alors qu'il
dessine. En voici deux exemples. A 4 ans et 5,mois il commente: «Une
fleur, l'herbe, la terre et l'eau pour la nourrir.» A 4 ans et 7 mois il déclare:
«J'aime bien faire les fleurs, c'est facile, j'aime les trucs faciles à dessiner.» il
regarde alors attentivement son dessin et déclare: «Je ne peux pas faire au-
trement sinon j'écris dans l'air. »il gestualise alors, verticalement, le dessin
d'une fleur. «Je dessine tout aplati.» Par cette activité plurimédias l'enfant
témoigne d'un problème de représentation qu'il règle en dessinant « tout
aplati ». Bien que son dessin soit particulièrement iconotypé, l'enfant se
pose des problèmes liés à l'incommensurabilité des univers à faire coïncider
dans la représentation. Ainsi, la verticalité gravitaire n'est pas satisfaite par la
verticalité graphique.
Le contexte renvoie à la situation dans laquelle se déroule l'action ico-
nique, dans notre cas, celle d'une suite de dessin à consignes en présence
d'un parent attentif.
Médium et support
Perception et enaction
Imagerie mentale