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VII/ 21 juillet 2009

Les rues étaient désertes en ce petit matin à


Dommartin-lès-Toul. Seul le chant des oiseaux
venaient troubler le silence. Quelques ordures
roulaient çà et là, poussées par le vent. Dans une petite
chambre, de légers ronflements se faisaient entendre.
Il était presque neuf heures. Les volets étaient restés
ouvert toute la nuit et à présent, la pièce était inondée
par les rayons du soleil. Nos deux héros dormaient
paisiblement. Eveline, enlacée par Loïc avait le visage
serein. Une couette sans housse était mise en boule
dans un coin de la pièce. C’était Loïc qui, la veille,
l’avait mise là, car elle tenait trop chaud. Ils étaient
ainsi recouverts par la housse seule.
Neuve heures sonnèrent à la montre de Loïc. « Iiip
… Iiip … Iiip … » Celui-ci entrouvrit les yeux et se
redressa lentement, essayant d’extirper son bras
gauche d’Eveline qui dormait dessus. Tout en massant
son bras endolori, Loïc se retourna des deux côtés et se
fit craquer le dos deux fois. A l’entente de ce bruit,

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Eveline ouvra ses yeux un moment, une grimace au
visage, puis les referma aussitôt en se retournant.
- Chérie ? dit Loïc. Chérie ? C’est l’heure …
Chérie émergea finalement et regarda son mari
quelque peu endormie.
- Coucou, murmura-t-elle. On est quel jour dis-
moi ?
- Euh le 21 ! répondit-il.
- Joyeux anniversaire ! dit Eveline en posant sa
main sur l’épaule de Loïc.
- Merci ma puce.
Il approcha de sa femme et lui donna un baiser sur
le front.
- Allez ! continua-t-elle. Fais un vœu et souffle tes
bougies !
Loïc fit mine de réfléchir, puis souffla ses bougies
imaginaires.
- C’était quoi ton vœu ? demanda sa femme.
- Bah si je te le dis, ça va pas se réaliser !
- Ok ! Fais comme tu veux ! dit-elle en rigolant.
Puis, sur ces mots, elle se redressa et sortit du lit. La
pièce dans laquelle ils avaient passé la nuit était
rudement laide. Une chambre sans aucun papier peint
aux murs, pas de rideaux à la fenêtre, la peinture au
plafond craquelait et l’on risquait à tout moment de se
planter une écharde ou deux dans le pied avec le
plancher. Mais la pièce n’était sûrement pas en
travaux, il restait quand même un lit double et une
commode. Cependant, il faisait assez frais
contrairement à la veille et c’était assez agréable.
Une fois bien réveillés, nos deux amis se
préparèrent avec hâte afin de gagner le plus de temps
possible. Funky aussi était là. Assis devant la porte, il

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regardait ses maîtres s’afférer à leurs préparatifs. Il y
avait quelque chose de changé chez lui. Il était devenu
plus calme. Sûrement que toute cette marche lui avait
enfin vidé le trop plein d’énergie qu’il contenait depuis
toutes ces années …
Eveline sortit de la pièce, tout de suite suivie du
chien, et se dirigea vers la cuisine. Ils logeaient en fait
dans un petit appartement, au premier étage d’un
immeuble. Celui-ci donnait la même impression que la
chambre : Vieux, mal entretenu, à l’abandon. Elle
fouilla un peu dans les placards et sortit de quoi
prendre un bon petit déjeuner.
- Chéri ?! Tu viens ? T’as faim ? demanda-t-elle.
- Oui oui ! J’arrive ! répondit Loïc dans la pièce à
côté.
Il arriva quelques secondes plus tard avec la totalité
de leurs bagages dans les bras.
- Y a plus d’eau courante ! dit-il. En tout cas ici, les
douches c’est fini !
- Bah c’est pas grave, répondit sa femme. L’eau à
mon avis c’est pas la chose qui va nous manquer
le plus !
- Oui mais l’eau chaude si !
Eveline sourit, puis s’assit à table, tandis que Loïc
prépara le petit déjeuner de Funky. Tout un tas de
casseroles sales recouvrait l’établi. Eveline les balaya
du revers de son bras et le tout tomba par terre dans un
énorme fracas, ce qui fit sursauter Loïc et Funky.
Eveline regarda un moment son mari, la tête rentrée
dans ses épaules comme pour éviter un coup.
- Désoler, dit-elle doucement.

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Loïc s’assit à son tour aux côtés de sa femme et,
tout en mangeant, demanda quelques renseignements
sur le programme de la journée.
- Eh ben c’est simple ! dit Eveline tout excitée. Il
ne doit même pas nous rester une vingtaine de
kilomètres. On aura à traverser quelques villages,
et puis on devrait arriver dans les environs de
13h30, plus ou moins …
Loïc remarqua qu’elle prit un air d’étudiante en
donnant l’itinéraire à suivre. L’air des jeunes gens
insouciants et Loïc savait bien sûr à quel point sa
femme adorait planifier les différents itinéraires.
- Et puis, continua-t-elle, on aura de la musique
tout le long de la route !
Elle pointa alors du doigt le mini poste posé à terre
avec les autres bagages.
- Cool ! dit Loïc d’un ton enjoué. On va pas tarder
alors ?
- Non, bah on y va dès que t’es près !
- Je suis près depuis que je suis né ! dit-il en se
levant. Allez ! Funky ! c’est ok ?
Ils se répartirent la charge à emporter et Eveline fit
remarquer qu’il manquait le sac contenant les vivres.
Loïc répondit alors que ce dernier étant vide, ils
pouvaient s’en passer.

Sortis du bâtiment, ils reprirent leur marche. Une


couche de nuages gris avait recouvert le ciel. Eveline
pris un CD au hasard dans son sac.
- J’ai une compile si tu veux ! dit-elle.
- Oui ! Mets ce qui te fait plaisir !

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- Ok alors dessus il y a du Muse avec Shrinking
Universe, Feeling Good et New Born … Mmm
aussi Debout Sur Le Zinc. Tout un CD tu verras.

Les morceaux qui passaient les uns après les autres


faisaient écho dans toute la ville. On ne percevait plus
le chant des oiseaux (peut-être avaient-ils cessé de
chanter). Quoi qu’il en soit, il n’y avait plus que cette
musique. Loïc aimait bien les trois morceaux de Muse.
Puis cela changea radicalement de style avec Comme
s’il en Pleuvait, Scylla et Te Promettre à La Lune de
Debout Sur Le Zinc. De la chanson française mêlée à
du jazz manouche et à de la musique tsigane. Eveline
adorait ce style et elle dansait sur la route, tournoyant
comme une toupie.
9h55, tout se portait pour le mieux, tout le monde
marchait à bonne allure, la musique était bonne et
déversait ses sons mélodieux dans les rues, sur les
routes, partout où ils passaient. Mais … 9h57, ce fut le
drame. La musique coupa nette, la cadence ralentit sur
le coup, les piles du poste étaient mortes.
- Ah merde ! s’écria Eveline.
- Quoi ? Qu’est-ce qui se passe ? demanda Loïc
surprit.
- Je crois que c’est les piles … Va falloir en trouver
d’autres.
Le couple ne paniqua pas un instant. Bientôt ils
allèrent passer par Villey-le-Sec. Ils trouveraient bien
ce qui leur fallait une fois sur place. Oui, mais
seulement Loïc commença à avoir mal aux pieds et
pour ne rien arranger, une fine pluie se mit à tomber.
Décidément, ce fut un dur retour à la réalité.

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Durant quelques temps, ils ne stoppèrent la marche.
Funky, derrière eux, les suivait d’un bon pas, allant
renifler, de temps en temps, à droite à gauche les bords
de route. Eveline et Loïc se tenaient la main.
Aux alentours de dix heures et demie, ils arrivèrent
à Villey-le-Sec, leur première étape. Un petit village
comme il y en a tan dans le coin. Le ciel gris et la
pluie rendaient la visibilité difficile. Aussi, il n’y avait
bien sûr pas de courant électrique et donc aucune
lumière artificielle. Les volets et les grilles fermées
des différents magasins combinés à cette incessante
petite pluie fine et froide et au silence, rendait le décor
plus que sinistre. On pouvait distinguer très nettement
le bruit métallique de chaque goutte de pluie
rencontrant la taule des voitures.
- Bon ! bah on va tester le mégaphone ! lança Loïc
en portant le dit objet à sa bouche.
Celui-ci fonctionna parfaitement et le discours que
fit son porteur au travers du micro était digne des plus
grands films catastrophes. Il était question de
« Disparition de l’humanité », de « Vous n’êtes pas
seuls ! » et de « Sortez ! Nous sommes ici ! Dans votre
rue !! ».
Mais il n’y eut aucune réponse. Personne ne sortit et
nos deux amis se sentirent très seuls. La pluie martelait
le front de Loïc et d’Eveline. L’eau ruisselait sur leurs
joues. Un silence de mort s’installa … Encore … Au
loin un aboiement se fit entendre. Ce fut le seul signe
de vie à perte de vue. Finalement, et après que le
sentiment d’échec total se fut estompé, Loïc reprit ses
esprits et se dit qu’ils finiraient par trouver des gens.
Ici ou ailleurs, ils en trouveraient. Eveline récupéra le
mégaphone et le rangea dans son sac.

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- Il faut qu’on trouve où s’abriter, dit-elle. On est
trempé et ça commence vraiment à me courir !
- Je suis d’accord, j’aimerais bien m’asseoir un peu.
Tous deux guettèrent un endroit offrant un abri et
Loïc pointa finalement son doigt vers un enseigne, de
l’autre côté de la rue.
- La pharmacie là-bas ! Elle n’est pas fermée !
Eveline jeta un coup d’œil et comme si tout avait été
synchronisé, tous deux se précipitèrent instantanément
vers le bâtiment, suivis de près par Funky.
L’intérieur était … obscur. Difficile de voir grand-
chose sans trop de lumière. C’était une toute petite
pièce avec, à quelques mètres de l’entrée, un comptoir
et à l’arrière, une ouverture dans le mur qui donnait
probablement sur l’arrière-boutique. Il y avait cette
odeur caractéristique des pharmacies. L’odeur des
médicaments. Mais ici, elle se faisait plus forte, plus
présente. Loïc sortit du sac qu’il portait une lampe
torche. Une fois allumée, il était bien plus facile de s’y
repérer. De nombreuses boîtes étaient tombées des
étagères disposées derrière le comptoir. Signe que des
rats s’étaient certainement faufilés par là. De la
monnaie était encore répartie sur le comptoir et une
boîte de dolipranes était posée à côté. Eveline et Loïc
contemplèrent les environs puis déposèrent leurs
charges pour finalement se poser sur le sol.
- Il faut qu’on trouve des piles pour le poste, dit
Loïc. C’est déjà pas facile de faire le voyage sous
la pluie alors au moins qu’on ait de la musique
pour passer le temps …
- Ouais, mais on ne sait même pas où chercher, dit
Eveline.

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- On peut se passer de piles neuves pour l’instant !
Il doit bien y avoir un truc genre une lampe torche
dans le coin !
Il se leva et passa derrière le comptoir, muni de sa
lampe et laissant Eveline dans la pénombre.
- Tu sais, dit-elle, si la musique te manque tan, tu
n’as qu’à mettre les piles de ta lampe dans le
poste !
- Non, j’ai déjà essayé … C’est pas les mêmes.
Il chercha encore durant quelques minutes, puis il
dénicha une petite torche électrique sous le comptoir.
- Hourra ! dit-il fier de sa trouvaille.
Il l’alluma et l’éteignit aussitôt afin de vérifier que
la batterie fonctionnait, puis tout en priant que ce soit
le bon format de piles, les inséra dans l’appareil. Le
capot refermé, le disque se mit à tourner dans le poste.
Loïc poussa un soupir de soulagement. Il venait de
retrouver sa « drogue » - Et ce n’est que peu dire que
le manque se faisait ressentir !
A présent l’écho de la musique couvrait celui de la
pluie. Ce furent les mêmes morceaux qu’auparavant
qui passèrent. Nos amis restèrent assis là, une bonne
vingtaine de minutes, à admirer la pluie à travers la
vitrine. Vers 10h55, plus ou moins, ils décidèrent enfin
qu’il était temps de repartir.

La prochaine étape se situait, selon Eveline, à sept


ou huit kilomètres. Une bonne heure et demie de
marche disait-elle … Il ne se passa rien de spécial
durant le voyage. De plus en plus, Loïc éprouvait une
vive douleur dans la cheville droite. Mais il se forçait
malgré tout, pressant le pas, ne voulant pas retarder
son arrivée. Aussi, il ressentait une énorme boule au

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ventre à l’idée de retourner chez ses parents, une sorte
d’angoisse – Quoi de plus compréhensible ? La route
longeait la Moselle et l’on pouvait remarquer, de
temps à autre, une voiture dans le fossé. Même sous
cette pluie, Loïc ne cherchait plus à trouver un
véhicule fonctionnel afin de raccourcir le voyage. Au
commencement, celui-ci ne cherchait que ça, mais
maintenant, lorsque le groupe croisait une voiture
susceptible de rouler, c’est tout juste s’ils la
remarquaient.
Eveline avait mis un morceau qui collait
parfaitement à l’ambiance du moment, avec la pluie et
le décor général. Paris, Texas de Ry Cooder, puis
suivit du même titre, mais cette fois-ci reprit par Gotan
Project. Deux morceaux très doux.

Ils arrivèrent dans les temps (Comme d’habitude).


12h15, Maron. A présent Loïc, qui connaissait très
bien l’endroit, ne voulait même plus faire de pause.
- Allez ! dit-il. C’est juste à côté ! on y sera en une
demie heure même pas !
Mais Eveline l’assura qu’à leur rythme ils
mettraient au moins une heure. Et puis elle avait faim !
- Et j’aimerais bien me sécher un peu, ajouta-t-elle.
C’est vraiment un coup à avoir un rhume pour le
reste de la semaine. Allez viens ! On va s’abriter
là-bas, on mange un morceau et on repart dans
vingt minutes maximum ! Et puis comme ça tu en
profites pour faire un tour avec ton mégaphone !
Et, au final, Loïc céda. Lui et sa femme allèrent
s’abriter sous un abri-bus, le temps de se remplir
l’estomac avec quelques gâteaux qu’Eveline avait
gardé dans ses poches. Loïc prit le porte-voix et fit un

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tour dans les rues principales. Mais, malheureusement,
sans succès.
Eveline tint sa promesse et à 12h35 très précise ils
étaient repartis.

Les quelques kilomètres restant furent silencieux.


Eveline n’eut plus d’idée quant à quoi mettre comme
fond sonore et Loïc n’avait plus du tout la tête à ça. Il
était obnubilé par l’idée d’avancer, de retourner au
plus vite chez ses parents, de voir enfin s’ils étaient
partis. Sous la pluie et les nuages gris, il y avait Loïc
et, dans sa tête, il n’y avait plus que Loïc … Et la
route. Eveline suivait avec peine le rythme effréné de
son mari. Funky, qui n’avait rien demandé à personne
– Pauvre chien, tirait la langue.
Puis, 13h15, Neuves-Maisons. Enfin ! Après ce
périple de plus d’une semaine, Loïc se mit à courir sur
les quelques centaines de mètres qui restaient. Il fut,
après des jours de marche, instantanément fixé. Arrivé
devant la maison, devant la grille donnant sur la rue,
avant même d’essayer d’entrer, il vit, il comprit que
ses parents ne feraient pas parti de ce nouveau monde.
Voyez-vous, les volets – Tous les volets, étaient
baissés. Il essaya d’ouvrir la petite porte en ferraille …
Elle était close. Il enjamba alors le grillage et s’avança
près de la porte d’entrée. Fit de même avec celle-ci,
mais elle était, elle aussi, implacablement close.
Fermée à double tour.
Bizarrement, Loïc ne réalisa pas tout de suite ce que
cela signifiait vraiment. Ce ne fut pas le choc pour lui.
Lui qui croyait désespérément que ses parents seraient
encore en ce monde. Il se dirigea doucement vers l’un
des pots de fleurs pendus aux fenêtres et y dénicha une

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petite clef. Eveline resta à distance, pensant qu’il valait
mieux que son mari reste un peu seul.
Ce dernier entra dans la demeure grâce à la clef,
suivi de son chien et de sa femme.

Il y avait ici presque le noir complet, la seule


lumière étant celle qui pénétrait par la porte ouverte.
Loïc eu machinalement le réflexe d’appuyer sur
l’interrupteur, mais il n’y avait bien sûr pas de courant.
- Euh … Tu peux m’aider à ouvrir les volets ?
demanda-t-il le regard perdu dans le vide.
- Bien sûr, bien sûr …
Lorsque tous les volets du rez-de-chaussée furent
ouverts, tous les deux retournèrent dans l’entrée. La
porte donnait en réalité sur la cuisine. Une pièce aux
murs jaunes et sales. De l’autre côté de la pièce, à
droite, un petit couloir donnait sur trois ou quatre
marches qui descendaient vers le sous-sol. Aussi, dans
le mur de gauche de ce dit couloir, se trouvait une
porte donnant sur un escalier montant jusqu’à l’étage
de la chambre et des toilettes. A droite de la cuisine,
restait une ouverture menant au salon.
- Ça va aller ? demanda Eveline pleine de
compassion.
- Oui … Je crois que oui …
Loïc alla dans le salon et s’affala sur le canapé,
contemplant la télévision éteinte. Funky vint, sa queue
virevoltant et se hissa à son tour sur le sofa.
- Toi ça va ? demanda Loïc à son chien. Toi tu t’en
fous ! T’as pas de tracas rien !
L’animal le regardait avec le sourire habituel des
chiens qui tirent la langue. Eveline s’assit auprès de
son mari et l’enlaça, essayant de le réconforter du

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mieux qu’elle put. Ils restèrent là pendant quelques
temps, tous silencieux, tous le regard dans le vide, tous
avec un certain sentiment de vide.
Loïc se détacha un instant de ses pensées et jeta un
coup d’œil à sa montre. 13h45 … Il réfléchit une
poignée de secondes à ce qu’ils feraient le reste de la
journée, puis se leva tout en soupirant.
- Bon … Allez il faut s’organiser … A mon avis on
va peut-être rester ici dans cette maison quelques
jours non ?
- Sûrement, acquiesça Eveline.
- Donc on va faire un peu de ménage. Je vais
éponger le sol de la cuisine. Il y a une flaque
d’eau toute crade, ça vient à coup sûr du
congélateur.
- Ouais … Je vais aérer et passer un coup de
chiffon par-ci par là.
- Ok ! Cool … Alors au travail, termina Loïc.
Celui-ci sortit plusieurs serpillières, chiffons et
balais d’un placard et s’attaqua à la cuisine. Eveline
mit de la musique, du Ben Harper avec Oppression et
tout le disque qui suivait, puis elle se mit à son tour au
travail. Loïc sortit aussi plusieurs bougies ainsi que
des lampes fonctionnant sur piles. Il anticipa ainsi le
manque de lumière tout à fait naturel qui surviendrait
le soir.
Il était très tard à présent et tout le monde avait
l’estomac dans les talons. Il n’y avait plus de sac de
vivre … Dans le réfrigérateur hors d’usage, tout était
gâté. D’ailleurs l’odeur qui s’en dégageait était fort
désagréable et Loïc prit la décision de sortir l’engin
dehors, dans la rue. Finalement, Eveline dénicha
quelques boîtes de conserves dans le sous-sol.

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- Bon … euh on peut manger ça, dit-elle en posant
ses trouvailles sur la table de la cuisine.
Heureusement que tes parents avaient une
gazinière. On aurait pu manger ça froid !
Loïc acquiesça avec un sourire, puis se mit aux
fourneaux. Au menu cassoulet !

15h00. Tous étaient désormais repus. Les nuages


s’étaient un peu dissipés et le soleil brillait au travers
de quelques éclaircis. Dans la rue trempée, les oiseaux
chantaient. Loïc, Eveline et Funky étaient tous les trois
affalés dans le canapé, dans le salon – L’heure en
quelque sorte de la digestion.
- Qu’est-ce qu’on va faire maintenant ? demanda
Loïc. Je veux dire, on va s’ennuyer ferme
maintenant qu’on est tranquille !
- Bah ! C’est quand même toi qui disais qu’on allait
se mettre à la recherche d’autres gens ?! On a tout
ce qu’il faut pour ça en plus !
- Ouais … c’est vrai …
Loïc se souvint de l’enfant retrouvé dans les
décombres de l’avion. Il se souvint à quel point cette
trouvaille, au-delà de la tristesse qu’elle avait procuré,
leur avait donné de l’espoir. Il n’aimait pas l’idée
qu’était de rester au même endroit sans rien faire. Et à
présent qu’il n’y avait plus un chat, plus de télévision
ni même de radio, cette idée devint tout de suite réelle.
- Bon ! dit-il. Je vais prendre la voiture de mon père
et trouver un moyen de faire le plein, sans le
courant je ne sais pas si ça va être possible … Et
puis j’irai faire un tour dans les environs avec le
mégaphone ! Tu veux venir ?

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- Non sans façon. Je vais un peu me reposer. C’est
qu’il devient lourd le petit là !
Elle passa sa main autour de son ventre.
- Ok ! Pas de problème ! dit Loïc.
Eveline alla sur le canapé se coucher et essaya de
dormir un peu. Loïc quant à lui, passa par le sous-sol
et sortit dans l’arrière-cour. Là se trouvait la belle
BMW de son père, bleue marine, presque noire. Toute
mouillée. Bien sûr, il avait pris les clefs dans la cuisine
et n’eut cette fois-ci pas la peine de fracasser la vitre
pour entrer. Lorsqu’il mit le contact, se mit à jouer The
Black Messiah (Part Two) de George Duke. L’un des
morceaux préférés de Loïc.
La jauge d’essence était pleine. Nul besoin donc
d’aller faire le plein et Loïc en fut soulagé. Notre héros
fit marche arrière dans l’allée qui menait à la rue et
partit vers le centre de Neuves-Maisons, le mégaphone
en main.
Le moteur ronronnait. Loïc redécouvrit le bruit
d’une voiture. Un bruit qui, à vrai dire, commençait
fortement à lui manquer. Il fit le tour des rues
principales, de Chaligny à Messein, puis de Pont-
Saint-Vincent à Chavigny. Mais, malheureusement,
toujours aucune réponse. A l’horloge de la voiture,
affichait 15h56. Déçu, il décida de rentrer. Cependant,
sur le chemin, il remarqua l’Intermarché situé non loin
de chez eux … Et bifurqua vers ce dernier.

Loïc ne put garer la voiture sur le parking du


supermarché. De Grosses barrières en acier en
bloquaient l’entrée. Après s’être donc contorsionné
pour passer, il se dirigea vers les portes du
supermarché. Il prit en passant un cadi et cela lui fit

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une drôle de sensation de ressortir la monnaie qui
traînait depuis tout ce temps au fond de sa poche. Loïc
savait ce qui l’attendait. De gros grillages en ferraille.
Mais il avait maintenant prit le coup de main et avait
tout prévu. Une grosse pince Monseigneur dans une
main et une torche électrique dans l’autre, il partit à
l’assaut de cette piètre défense … Enfin piètre … Cela
s’avéra quand même plus difficile que ce qu’il avait
pensé. Mais au bout de quelques minutes
d’acharnement, il eut raison de cette protection.
Ruisselant de sueur, il enfonça le cadi dans l’a baie
vitrée et entra enfin à l’intérieur.
Torche au poing, il s’aventura dans le grand hall,
passa les caisses et se perdit dans les rayons. Plus il
avançait vers le fond du supermarché, moins il y avait
de lumière. Il ne savait pas trop quoi prendre et la
pénombre n’était pas là pour l’aider. « Bon ! pensa-t-
il. Allez … Juste de quoi bien manger, peu importe ce
que c’est … » Tombant par hasard sur le rayon des
bouteilles d’eau, Loïc se dit qu’il ferait bien de prendre
des réserves et prit de quoi remplir le fond du cadi.
Dans le rayon des boîtes, notre ami put enfin se faire
plaisir. Puis pourquoi ne pas faire un détour par le
rayon des vins ? Et les gâteaux et autres sucreries ?
Quelques temps à vagabonder dans la grande surface
lui suffirent pour remplir le cadi à ras bord.
Au bout d’un moment, une odeur discrète se fit
sentir. Discrète, mais persistante et surtout mauvaise.
Celle-ci s’accentua et alla même jusqu’à provoquer
des haut-le-cœur à Loïc. Pas de quoi s’étonner, ce
dernier déboula, au fond du supermarché, sur le coin
boucherie et poissonnerie. Quelle odeur affreuse que
celle de la viande en décomposition …

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Au finale, Loïc sortit de l’Intermarché avec ce qu’il
était venu chercher … Un cadi complet de nourriture
et d’autres choses qu’il n’aurait pas même songé à
acheter il y a deux semaines. Il chargea la voiture de
ses courses et s’en alla retourner auprès de sa femme.

Loïc ne prit même pas la peine de rentrer la voiture


dans l’allée, ni même de la garer sur le trottoir. Il serra
le frein à main et coupa le moteur tout simplement au
beau milieu de la rue. En entrant, Eveline lui bondit
dessus.
- Loïc ! s’exclama-t-elle. Il faut faire quelque
chose !!
- Quoi ? Quoi ?! paniqua-t-il.
- Je suis allé … faire la … enfin tu sais … La
grosse commission … Et … Bah y a plus de
pression. La chasse d’eau ne marche plus !
- Ah ! Tu m’as fait peur ! dit Loïc soulagé.
- Mais c’est grave ! ça … ça pue, chuchota Eveline.
Et les toilettes sont justes à côté de la chambre …
- Bah ! T’inquiète … Je ferai ce qu’il faut. En tout
cas on saura. Pour faire tout ça, bah on évitera les
toilettes. Et quitte à faire ça dehors, autant le faire
dans le jardin du voisin !
- Je suis d’accord, dit Eveline. Et va falloir trouver
une solution aussi pour la vaisselle.
Son mari la rassura quant à cette préoccupation. Il
venait tout juste de passer par l’Intermarché et en avait
profité pour faire le plein d’eau.

Plus tard, Loïc fit ce qu’il fallait – Je vous passe les


détails. Pour ce qui était de l’eau courante, cela allait
en fin de compte devenir un sérieux problème. Bien

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sûr les réserves d’eau situées dans les nombreux
magasins aux alentours leur assuraient un long
moment de répit, mais elles ne seraient en aucunes
façons éternelles.
Le soleil sombra doucement et le ciel devint rouge.
Eveline appréciait énormément ces petits moments de
tranquillité. Cette dernière piqua quelques bûches de
bois dans la réserve d’une des maisons avoisinantes et
décida de faire un feu dans le petit potager de la
maison. Vers dix-neuve heures au soir, Loïc profita
des braises du feu pour faire chauffer une boîte de chili
con carne. De plus, il trouva dans le congélateur hors
d’usage, une barquette de merguez conditionnées sous
vide. Ayant l’air d’être encore mangeables, il voulut
les faire au grill. Notre couple, autour du barbecue, prit
alors conscience que cela pourrait bien être leur
dernier repas constitué de viande « fraiche », si l’on
peut dire.

Ils mangèrent donc dehors, profitant du beau temps


et des derniers rayons du soleil, le poste d’Eveline
jouant sans cesse ses morceaux de musique, Funky
chassant les papillons de nuit et divers autres insectes.
- Tu sais, dit Loïc, on va aller en ville demain.
- Oui …
- Pour chercher des gens et tout ça … Le truc c’est
que c’est quand même grand Nancy. Ça va pas
nous prendre qu’une journée de faire toute la ville
et les communes qui l’entourent.
- Oui, je sais, et alors ? demanda Eveline.
- Ben, continua-t-il, faudrait pas faire ça n’importe
comment. J’ai trouvé une carte de la ville, là
regarde.

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Loïc sortit de sa poche un vieux morceau de papier
tout écorné et mal replié.
- On voit la gare dans le centre et le chemin de fer
qui sépare la ville en deux parties Est et Ouest.
Eveline acquiesça, attentive à l’exposé de son mari.
- Donc voilà ce que je propose. Demain on ne s’en
tient qu’à la partie Ouest. Donc notre côté. On ne
traverse pas le chemin de fer, on essaie de passer
dans le maximum de rues, puis aller vers
Heillecourt, Houdemont, Vandœuvre, Laxou,
Maxeville. Pourquoi ne pas aller même jusque
Champigneulles ?
- Oui oui, dit Eveline, les yeux rivés sur la carte.
- Et puis le jour suivant on fait tout le reste …
- Mais ensuite ? On fait quoi si on ne trouve
personne ?
- Bah je n’y ai pas vraiment encore réfléchi. Mais
j’aurais opté pour migrer vers une autre grande
ville, du genre Metz ou, si tu préfères le sud, on
pourrait déjà aller vers Dijon.
- Ouais … ça me paraît pas mal. Et puis comme ça,
ça nous fera voir du paysage …
Fier de son « plan », Loïc se détendit un peu. Il
comprenait maintenant ce que pouvait ressentir
Eveline en regardant une carte. C’était tellement bon
de prévoir son itinéraire, de ne pas être prit de court et
avancer à l’aveuglette. Il se sentait libre … Levant les
yeux vers le ciel, il contempla les premières étoiles
apparaître tout en écoutant All Cried Out de Fink. Une
musique très douce, très zen.

Plus tard fut le moment pour tout le monde d’aller


se coucher. Tous montèrent à l’étage et se laissèrent

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tomber dans le lit. Loïc sortit son journal et commença
l’écriture d’une nouvelle journée. Il rédigea quelques
pages, bien plus inspiré que les jours précédents. Mais
il y avait des termes comme « Triste », « Solitude »,
« Personne » ou bien « Désespoir ».
Eveline, quant à elle, ne sut trop quoi écrire. Elle
griffonna ce qu’ils avaient prévus pour le lendemain et
les prochains jours et referma le livre. Loïc fit
extinction des feux et voilà qu’une nouvelle journée
s’acheva.

- Encore joyeux anniversaire, murmura Eveline.

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