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RÉDUCTION DES DIVERS ÉLÉMENTS DE LA MAGIE À LA NOTION DE

POUVOIR ET DE FORCE

Marcel Mauss

La Découverte | « Revue du MAUSS »

2015/1 n° 45 | pages 266 à 296


ISSN 1247-4819
DOI 10.3917/rdm.045.0266
Article disponible en ligne à l'adresse :
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Réduction des divers éléments de la magie
à la notion de pouvoir et de force

Marcel Mauss
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Avertissement.
Ce texte de Marcel Mauss est la transcription de 61 pages
manuscrites de Marcel Mauss conservées dans le fonds Hubert
du musée d’Archéologie nationale de Saint-Germain-en-Laye.
Les nombreuses ratures et corrections ont rendu la lecture et la
transcription du texte difficiles en de nombreux endroits. Une
version intégrant les repentirs et passages barrés par Mauss (et
parfois par Hubert) est disponible sur la plate-forme documentaire :
<www2.unil.ch/hubert-mauss-magie/>.
Ci-dessous, les sauts de page sont indiqués par // ; les mots
illisibles par [ill]  (quand plusieurs mots sont illisibles : [ill], [ill]) ;
les transcriptions incertaines par [mot ?].
Les notes de bas de page sont les nôtres.
Jean-François Bert

Dans la deuxième partie de ce travail nous venons de décrire la


magie en analysant tour à tour chacun des éléments qui la compose
en en faisant un inventaire suffisant, et nous sommes arrivés à ce
résultat que la magie, même en tant que phénomène individuel,
est encore quelque chose d’éminemment collectif dans toutes ses
parties. Cette remarque va nous permettre de pousser assez loin
l’analyse des phénomènes magiques en général pour que nous
Réduction des divers éléments de la magie à la notion de pouvoir… 267

puissions aller jusqu’à indiquer quelles sont les formes de la magie,


les faits les plus explicatifs du système tout entier, en un mot le
rattacher à des sortes d’origine, à des faits qui reçoivent d’eux-
mêmes toute leur clarté, et qui sans être expliqués, pour autant,
expliquent la magie elle-même.
Nous avons vu comment, à chaque pas, nous nous trouvions
en présence de la recette, de la tradition, de la crédulité collective,
de l’autorité d’individus que la société doue de qualités spéciales ;
à chaque instant nous avons à faire à des croyances non pas
individuelles mais sociales, croyances diffuses, désuètes //
populaires si l’on veut, mais croyances collectives, sinon régulières
et obligatoires, canoniques et dogmatiques. Le caractère est bien
commun à tous les phénomènes de magie, depuis les notions
concernant le sorcier jusqu’à celles qui constituent les mythes
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magiques. Cette homogénéité de tous ces éléments est telle que
nous pouvons présumer qu’ils ne sont les uns et les autres que les
éléments d’une même croyance, les parties d’un seul tout pratiqué
par un individu qui n’est autre que l’intéressé fort peu qualifié.
Elles sont abstraites les unes des autres et non pas indépendantes.
On passe de l’une à l’autre avec une véritable facilité : l’esprit
que possède le sorcier ou qui possède le sorcier se confond souvent
avec l’âme du sorcier, avec le sorcier lui-même. La force du rite et la
force de l’esprit et celle du magicien le plus souvent ne font qu’une.
L’état normal du système magique est même une assez complète
confusion des pouvoirs et des rôles. Ce qui fait cette unité, c’est que
l’on ne s’est pas, d’ordinaire, aperçu de l’existence de ces éléments.
Cette unité vient de ce que tous les moments de la magie sont au
fond l’objet d’une croyance. // Car la magie n’est pas simplement
affaire de croyance individuelle. Même en tant que fait pratiqué
par des individus, elle est l’objet de croyances collectives et nous
sommes en mesure de démontrer que la croyance collective est
ici antécédente à la croyance individuelle, à celle du magicien, au
pouvoir de ses esprits, à l’efficacité de ses rites.
En premier lieu il y a des cas où la croyance à la magie est
devenue obligatoire – cas chrétien – intégration du dogme nécessite
formation d’un dogme sur les faits magiques, lequel dogme est aussi
obligatoire que le dogme contraire. Mais ce cas est pour ainsi dire
anormal dans l’histoire de la magie, et même la dogmatique ou la
dogmatique bouddhique qui ont dogmatisé sur la question n’ont rien
268 L’esprit du jeu. Jouer, donner, s’adonner

dicté de pareil. Mais normalement la croyance à la magie reste dans


la société, répandue plus ou moins chez tous ses membres, et fait
précisément l’existence de la magie. Elle est réelle, unique et vive,
et c’est sous cette forme collective même qu’elle existe seulement
d’une façon nette. C’est ici en effet que nous rencontrons la question,
fort grave [ill], de la supercherie et de la sincérité en matière de
magie. Elle trouve sa solution précisément si nous considérons la
magie comme œuvre – l’objet des croyances du groupe et non pas
comme œuvre et objet de croyances individuelles. //
G. Grey1 [ill] – cf. Mooney [l’h. medicine]2.
les pierres de quartz – il est même possible que les illusions
magiques complètes aient toujours présenté un instant cette espèce
de simulation qui accompagne toujours les états de névrose. Mais
cette espèce de simulation est telle que les conséquences d’une
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hallucination un peu simulée peuvent être parfaitement aussi graves
que celle d’une perception vraie, et que des fous peuvent se laisser
mourir de faim à la suite d’une idée à l’origine toute volontaire. – En
tout cas certainement, du point de vue du sorcier, du magicien, il
n’a jamais pu y avoir une expression réelle de la véritable efficacité
de ses rites.
De nombreux auteurs nous attestent, de façon digne de foi, que
c’est très sincèrement que les magiciens s’imaginent avoir envoûté
un homme, avoir exorcisé un esprit. // Il est en effet évident que très
tôt, les magiciens sont des êtres bien conscients de leur impuissance,
et que bien souvent, sinon toujours, ils ont été plutôt poussés par les
besoins de leur clientèle que par leur propre enchantement. [ill] // Il
ne croit peut-être pas à la magie qu’il a faite, il croit certainement
à la magie des autres. Sa croyance est sincère dans la mesure où
elle est celle de tout son groupe, et son groupe, son client, croit en
lui aveuglément.
La supercherie [ill] du sorcier n’est pas une simple exploitation
de prestidigitation, c’est d’une croyance [ill] et surtout d’un besoin
de croire. Besoin et croyance pour le sorcier partagent toujours à

1. George Grey (1812-1898), gouverneur de Nouvelle-Zélande entre 1841 et


1845 et auteur en 1841 de Journals of Two Expeditions of Discovery in North-West
and Western Australia, et en 1885 d’une fameuse Polynesian Mythology.
2. James Mooney (1861-1921). Trois de ses ouvrages évoquent le cas de l’Homme
médecine : Myths of the Cherokee (1900) ; The Sacred Formulas of the Cherokees
(1891) et surtout The Siouan Tribes of the East (1894).
Réduction des divers éléments de la magie à la notion de pouvoir… 269

quelques degrés. L’essentiel en effet est moins, dans tous ces faits,
à la croyance à tous les éléments // de la magie qu’à la magie en
elle-même, en général. La magie n’est pas simplement un total de
rites disparates, c’est surtout le monde des causes, de la maladie et
de la guérison, de la mort, et du bonheur, de l’invincibilité et de la
déroute. La magie se constate dans ses effets. Elle se vérifie dans ses
suites, elle-même [ill], sérieuse, même pour le magicien. La magie
est parfaitement crue par l’assistance, elle est crue par le magicien
lui-même quand il n’est qu’assistant ou patient, elle est pour cette
raison crue par le magicien même, au moins partiellement, quand
il est agent, tel l’acteur qui oublie qu’il joue son rôle. Mais on le
voit, c’est l’état d’âme collectif concernant la magie qui explique
l’état d’âme du magicien.
Ainsi nous en arrivons à supposer qu’aux phénomènes
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individuels se superpose un élément collectif essentiel dont cette
croyance générale à la magie n’est qu’une simple expression. Il
nous reste à déterminer cet élément. En tout cas un premier résultat
est acquis, la croyance à la magie n’est pas formée d’une série
d’illusions d’un magicien hypothétique, qui se seraient propagées,
que l’on aurait héritées, que la tradition aurait transmises. Il y a autre
// chose dans la magie que des idées et des erreurs. Pour montrer
cette autre chose, nous allons analyser successivement les diverses
théories que les magiciens – et les historiens de la science comparée
des religions ont donné de la magie, les explications sont toutes
idéologiques et laissent échapper un résidu dont l’analyse servira
précisément à retrouver cet élément collectif de la magie.
Une première théorie, facile celle-là, est la plus courante3 ;
elle consiste en réalité, et n’a jamais été considérée par ceux qui
l’ont donnée comme une explication proprement dite, comme le
rattachement de la magie à un phénomène supérieur et plus général.
? La magie serait une fausse science, une application erronée du
principe de causalité. Elle exprime un point de vue tout subjectif,
le nôtre, et certes jamais magicien n’a pris la magie comme telle.
Et d’autre part, elle est insuffisante au point de vue philosophique
car le principe de causalité, catégorie de l’entendement, ne peut pas
être appliqué mal ou bien ; forme nécessaire de la pensée humaine,

3. Mauss indique dans une note les noms de Frazer et Jevons.


270 L’esprit du jeu. Jouer, donner, s’adonner

il est appliqué avant tout, et en tout. La magie est comme tous les
moments de la pensée, une application du principe de causalité.
Mais les mêmes auteurs, et bien d’autres, ont essayé de donner
d’autres théories de la magie. // Sur certains points, les savants
modernes n’ont d’ailleurs fait que renouveler les théories que les
magiciens anciens et du Moyen Âge avaient données de leurs
pratiques. Les théories n’étaient que des traductions abstraites de
leur propre notion. Elles contiennent donc une part plus ou moins
considérable de vérité que nous avons à déterminer.
On a d’abord cherché à traduire les notions magiques en formules
scientifiques. C’est ce qu’ont fait les anciens, et les modernes.
Les principes comme ceux du totum ex parte4, similia simili-
bus5, contraria contrariis6 auraient été non seulement la base de la
magie, mais encore son tout. En réalité, les théories de Mr Frazer
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ramenant tous les rites magiques à la loi de sympathie7 proprement
dite (totum ex parte) ou à la loi de sympathie mimétique (similia
similibus) revient à cette théorie, nous en ferons donc la critique du
même coup, en montrant que théorie moderne et théorie ancienne
laissent échapper un élément important des phénomènes magiques.
En premier lieu, il a été impossible, et il est impossible de faire
tenir sous ces rubriques l’ensemble des faits magiques.
Les alchimistes, [comment ils ?] n’y ont pas réussi…
Des faits considérables comme par exemple tout le pouvoir des
incantations y échappent. // À moins que l’on se souvienne, ce qui
est assez vraisemblable, que de même que le nom étant identique
à la personne, le mot est identique à la chose et que la magie orale
n’est qu’un cas particulier de la sympathie proprement dite. Mais
allons plus loin et montrons comment dans les faits mêmes qui
apparaissent comme étant de simples rites sympathiques, fonctionne
autre chose que les notions sympathiques elles-mêmes.
Soit par exemple un rite d’envoûtement. Prenons-en un dans
une de ces sociétés élémentaires, soi-disant sans mystique, vivant à

4. Totum ex parte : la partie vaut pour la chose entière.


5. Similia similibus curantur : similitude entre les symptômes d’une maladie et
ceux développés par le remède.
6. Contraria contrariis curantur : thérapeutique qui utilise les contraires.
7. Pour Frazer, la magie est régie par deux principes, celui de similarité et celui
du contact. Une magie est dite « sympathique » lorsqu’elle postule des rapports entre
les choses qui n’existent pas réellement.
Réduction des divers éléments de la magie à la notion de pouvoir… 271

l’âge magique de l’humanité : les Aruntas. Le rite de l’envoûtement


de la femme [échappe ?] en perçant son image où l’on [imagine ?]
son âme, cette âme elle-même concentrée dans un caillou magique,
[suppose ?] bien d’autres éléments que la sympathie pure. Sans
compter que tout se passe dans un milieu magique fort spécial, avec
une image incantée, avec des pierres incantées, avec des aiguilles
magiques déjà [et] une place déterminée par un mythe // Donnons
encore un autre exemple de rite parfaitement sympathique, tel
celui de [ill] en Mélanésie, où [l’individu ?] produit la pluie en
brûlant certaines herbes aquatiques : il produit beaucoup de fumée,
il produit le soleil en en brûlant certaines autres à longue flamme et
suffisamment sèches, négligeons toutes les remarques concernant la
qualité du sorcier, la nature spéciale du lieu où se font les rites, la
présence d’esprits (tindalos), dont les herbes sont les incarnations
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et les prophètes en même temps, les relations de ces éléments entre
eux, négligeons les incantations et remarquons simplement, les
textes sont formels, que le rite agit bien directement, mais n’agit pas
purement et simplement dans l’esprit du magicien et de sa [com-
munauté ?], à la façon d’un fait mécanique. Il agit de toute autre
façon : les feuilles déterminées pour la pluie laisseraient échapper
une espèce de force, appelée mana, que l’on verrait monter sous
la forme de nuée noire ; au ciel cette force susciterait des nuages
de même nature qu’elle. Les choses se passeraient ([ill]) mutatis
mutandis pour le soleil, pour le vent. Même pour les magiciens qui
ont le plus raffiné leurs rites, qui les ont le plus rationalisés, qui ont
le plus cru à un transfert à distance qui serait purement mécanique,
même pour eux, la sympathie magique n’est qu’une des formes
d’[action ?] de // la causalité magique. L’effet à produire n’est pas
dans l’esprit du magicien, causé par le rite mais par la force que le
rite crée ou plutôt dirige. Car il ne faut pas oublier que cette force
ne vient pas toute entière du rite, mais qu’elle est aussi censée venir
du magicien, des esprits, et de la nature même des choses. Ainsi, ni
la théorie de la sympathie mimétique, ni la théorie de la sympathie
proprement dite ne suffisent à expliquer des rites qui n’ont pourtant
pas d’autres formes que d’être des rites sympathiques.
Les similia similibus, les totum ex partes, sont donc insuffi-
sants à expliquer des rites mêmes s’ils sembleraient à première vue
fonctionner seuls. Et en somme, comme ils se ramènent aux lois de
l’association des idées chez les individus, association de contiguïté
272 L’esprit du jeu. Jouer, donner, s’adonner

et association de ressemblance, il semble bien que ces lois en tant


que cette contiguïté et cette ressemblance [ill], sont incapables
d’expliquer les rites magiques dont elles seraient l’application.
Il semble que notre thèse sera plus difficile à soutenir en ce
qui concerne les principes si importants du contraria contrarii.
Remarquons par parenthèse que ce principe ne peut recevoir son
explication dans une théorie qui réduirait toute magie à de la sym-
pathie. C’est-à-dire à un totum ex partes et à des similia similibus.
Mais ce principe a une explication toute trouvée si l’on imagine
que les choses contraires, qu’il s’agit de combattre // les unes par
les autres, ne sont rien d’inerte, des idées, des substances, mais
des « natures » et des « [forces ?] ». [ill] Soit encore les rites
hindous pour faire cesser une pluie trop abondante. La plupart
consistent soit à tuer symboliquement les nuages, les faire fuir en
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exposant une nudité (toutes choses qui ne rentrent pas bien dans la
règle contraria contraris).
Mais un rite semble bien rentrer dans ce thème, c’est celui qui
consiste à brûler sur un poêle du bois d’Urka Calotropis gigantea
(arka = lumière, soleil, éclair en sanscrit). Ainsi, on fait cesser la
pluie. Mais c’est en suscitant contre elle une puissance contraire,
[celle ?] du soleil. La même matière peut encore être utilisée autre-
ment et ici c’est un autre [calembour ?], que fait le magicien, il
s’agit d’enterrer du bois d’arkor dans un trou autour duquel on a
déambulé 3 fois. Là c’est l’éclair que l’on enfouit. Le [succès ?]
des forces est si incertain que la même matière est prise pour un
contraire et pour un semblable, suivant qu’on veut l’enterrer ou
la faire agir. Cela signifie que ce qui est essentiel dans // tous ces
rites ce ne sont pas le symbolisme, ni les mots (puisque le même
hymne employé peut aussi servir à conjurer la fièvre et que seule la
première stance a vraiment rapport à notre rite). L’essentiel c’est,
comme dans la magie sympathique ordinaire, un dégagement de
force à la disposition du magicien. On le voit, en effet, au fond tout
en revient là, et il n’y a pas de rite mimétique qui ne soit à quelque
degré contraire à l’état de chose établi qu’il s’agit de modifier, ni
de rite antipathique qui ne soit à quelques degrés sympathique
puisqu’il s’agit de transmettre une qualité à une chose dont on
dispose toujours à quelque degré.
Les formules de la sympathie ne sont que des traductions
abstraites de notions très générales qui circulent inévitablement
Réduction des divers éléments de la magie à la notion de pouvoir… 273

dans la magie, elles ne sont pas autres choses. Elles ne lui servent
que de cadres assez larges, où elle se joue et non pas de principe,
et elles n’ont de raisons que par rapport à la magie.
Elles sont les chemins que suit la force magique, elles ne sont
pas la force magique elle-même8.
force La seconde théorie qui a été donnée est la théorie démonologique.
C’est-à-dire que l’action des rites magiques, les pouvoirs du
magicien, sont expliqués par la croyance aux esprits. Une grande
partie de l’Antiquité a vécu sur une // théorie de ce genre, et les
théories modernes comme Mr Tylor9 semblent n’avoir fait que la
renouveler. Au reste, de la même façon que la théorie sympathique
qui avait une vérité réelle dans la mesure où elle constate le caractère
général des rites et notions magiques, [ill], leur relative rationalité ;
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de la même façon la théorie démonologique retrouve un caractère
important des phénomènes magiques : la notion constante de force
spirituelle, constamment en présence, qui est un élément nécessaire
de la magie. Même, on peut dire que l’explication démonologique
pourrait être, tout compte fait toujours préférable à l’explication
scientifique, car l’action spirituelle à distance est toujours réunie
au caractère de la magie sympathique.
En fait, on arrive toujours à faire dire à un individu quelconque,
qu’au moment où il agit ou profère son charme, il a au moins
quelques rapports avec des esprits. Seulement, cette théorie que
nous préférons, car elle montre mieux le caractère des notions
magiques, laisse elle aussi échapper des résidus importants de
notion qui justement sont les plus fondamentaux et doivent être
déterminés avant tout. Ce sont des notions vagues, qui sont
précisément, d’ordinaire les seules à [ill] pouvoir observer des
noms ; puissance du regard (le coup d’œil. v – contre œil. – [V.
Kane ?] – regarder la nourriture, – regarder l’ennemi, [ill] de telle
et telle façon) – puissance des gestes, // puissances normalement
obscures et générales des choses que le magicien ne cherche

8. Les phrases soulignées l’ont été par Marcel Mauss.


9. Edward Burnett Tylor, La Civilisation primitive, 2 vol., Reinwald, Paris, 1876-
1878 (Primitive Culture. Researches into the Development of Mythology, Philosophy,
Religion, Art and Custom, Murray, Londres, 1871). Pour Tylor, la magie relève d’une
mentalité « primitive » fondamentalement différente des modes de raisonnement de
la science moderne.
274 L’esprit du jeu. Jouer, donner, s’adonner

qu’à transmettre et non à substantifier par un esprit. L’esprit n’est


[trouvé ?] qu’en dernière analyse comme légitimant en somme le
pouvoir du magicien professionnel. Quand c’est lui qui opère, il
ne paraît pas nécessairement [ill], [ill].
Comme il n’existe pas d’autre recueil vraiment exhaustif à notre
connaissance que celui de l’Atharva Veda hindou, nous avons fait
ce travail et nous sommes arrivés à cette conclusion que 1/3 au
moins des hymnes ne comptait aucune invocation à aucun esprit
personnel. Mais chose encore plus remarquable, il faut constater
que très souvent l’esprit invoqué n’est pas nécessairement l’esprit
actif mais bien l’esprit passif, de la chose qu’il s’agit précisément
[d’exorciser ?], de [ill]. Toutes les nombreuses formules qui rentrent
dans le type que nous avons appelé rites d’origines ne mentionnent
justement pas l’esprit actif mais l’esprit passif que l’indication de
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son nom, de son histoire, des pouvoirs que le magicien a sur lui,
met précisément en fuite. L’esprit ici, n’est nullement l’élément
véritablement nécessaire du rite, il en est simplement l’objet.
Nous arrivons donc à déterminer assez aisément, // décrire.
Il se trouve, par bonheur, qu’un certain nombre de peuples ont
réussi à prendre bien conscience de cette notion, normalement
obscure et complexe quoique vraiment élémentaire, parce qu’elle
est riche en éléments. Dans la plupart des cas, elle est restée inex-
primée et l’on cherchera vraiment en grec ou en sanscrit un mot
qui désignerait exactement tout cet état que nous désignerons par
ce caractère, ou bien les peuples n’ont pas été assez intelligents
pour se rendre compte, par leur langage de leurs propres idées,
c’est le cas des Australiens de Grey qui définissaient le pouvoir
du sorcier en disant que le Boolya est celui qui a le Bool ya. Ou
bien ils ont dépassé le stade intellectuel et religieux ou cette notion
peut fonctionner normalement. Il n’est pas téméraire de penser,
que pour une bonne part, tout ce que nos notions de forces, et
de causes [ill] ont encore pour nous de [non- ?] positif, de mys-
térieux vient de la parenté avec de vieilles habitudes magiques
dont l’esprit humain à difficile à se défaire. Quelle est donc cette
notion de force magique et comment pouvons-nous la // décrire ?
Nous allons donc procéder à l’analyse de cette notion en donnant
d’abord quelques faits typiques, autour desquels nous grouperons
[successivement ?] un certain nombre d’indications permettant de
Réduction des divers éléments de la magie à la notion de pouvoir… 275

prouver qu’elle a subsisté dans les rituels que nous nous sommes
assignés d’étudier10. //

La notion de pouvoir magique11

Le groupe classique où cette notion est le mieux observable est


le groupe mélanésien. Nous avons ici les incomparables documents
de Codrington12, et la découverte de la notion du « mana » ou de
pouvoir magique (plus exactement magico-religieux) peut être
comptée parmi les plus importantes de la sociologie descriptive
et de la sociologie religieuse. La notion de mana est une notion
vague, complexe, naturellement obscure. // La notion de mana est
une notion complexe et difficilement accessible à nos cerveaux
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trop habitués à un minimum d’abstraction par le fait de nos lan-
gues, et à un minimum d’analyse ; et au moins pour ce qui est des
faits mélanésiens, il nous sera permis de nous servir de ce mot
sans autre définition. D’ailleurs, répandu dans toutes les langues
mélanésiennes proprement dites (les langues papous formant proba-
blement une famille un peu à part) et même dans toutes les langues
polynésiennes. Il ne faut pas oublier en effet que nous aurons à
parler dans les pages qui vont suivre de notions exprimées dans des
langues qui, sur un point au moins, en sont à un stade inférieur à
celui des langues sémitiques ou indo-européennes, et où les subs-
tantifs et les formes verbales sont moins distinctes qu’ils ne le sont
dans les états les plus primitifs de ces langues. // En somme partout
où nous trouvons des expressions suffisantes de ce que toutes les
sociétés ont vaguement senti, et qui en tout cas a formé le principe
inconscient de leurs actes magiques, nous arrivons à leur notion de
pouvoir magique, d’efficacité pure, mystique et matérielle, et loca-

10. On peut lire sur la marge du manuscrit : « Or cette notion nous n’avons pas
entièrement à la reconstituer. Elle nous est donnée, en fait. De l’analyse précédente
nous considérons qu’elle est universelle. »
11. Les titres sont de Marcel Mauss.
12.��������������������������
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Robert Henry�������������
Codrington, The Melanesians (1891). Avant de s’embarquer
pour une carrière de missionnaire en Mélanésie, où il passa plus de vingt ans,
Codrington (1830-1922) avait étudié la philologie à Oxford. Correspondant de Max
Müller, il mit à contribution son expertise linguistique pour produire, outre son étude
ethnographique classique, une grammaire mélanésienne comparée.
276 L’esprit du jeu. Jouer, donner, s’adonner

lisable, cependant spirituelle, ou ce qui agit à distance est pourtant


d’une façon considéré comme directe. Le monde que le magicien
connaît, que les rites meuvent, que les esprits animent est un monde
fermé, interne et pourtant superposé à l’autre. Ce monde est celui
des qualités et des forces connues comme transmissibles, comme
contagieuses. C’est un monde séparé [ill] d’ordinaire avec respect
mais c’est aussi un monde dont l’approche est extraordinairement
utile, car c’est en lui que réside tout efficace. C’est le monde des
rites et celui des esprits. Car il ne s’agit pas ici simplement des
rites et des esprits magiques, il s’agit aussi des dieux et du culte.
La notion de pouvoir magique est une notion commune à la
magie et à la religion. Tout ce qui est superposé, spécial, rituel, tout
ce qui [ill] les gestes traditionnels des sociétés agit sans agir d’une
façon mécanique, par des gestes, par des mots par des actions à
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distance, tout cela forme un seul monde du magique et du religieux.
Mr Hewitt13 et Mr Codrington qui ont observé ces notions sur place
en plein fonctionnement l’ont abondamment prouvé. // Nous
avons encore à prouver qu’une notion de ce genre a fonctionné
[obscurément ?] dans les rituels indo-européens dont nous nous
sommes assignés l’étude, mais dont le degré d’avancement extrême
interdit la persistance de notion trop élémentaires.
Dans l’Inde, nous en retrouvons encore des espèces de frag-
ments. Un certain nombre de rites ont pour but de mettre en mou-
vement simplement des qualités vagues, l’éclat, varcas, le tejas,
la force dont la possession fait la vie, le bonheur, la richesse et la
victoire ; ou des puissances plus ou moins personnalisées : Nirrti
la destruction (devenue une déesse), laksmi le sort (devenue aussi
une déesse plus tard), d’autres opposent puissances à puissances.
Cf. le rituel médical est entièrement un culte soit de la force du
sorcier contre la force de la maladie, soit du [ill] (qualité de remède,
remède) contre la maladie, la fièvre. Les plantes n’agissent [qu’en
vertu ?] de cette même qualité.
Mais il y a plusieurs notions que nous ne saisissons que dans
un état d’extraordinaire développement mais qui n’en semblent pas

13.������������������������������������������������������������������������
�����������������������������������������������������������������������
John Napoleon Brinton��������������������������������������������������
Hewitt, « Orenda and a definition of religion »,
American Anthropologist, 1902, nouv. série, série IV, 1, p. 33-46. Cette puissance
mystérieuse est pour Hewitt de l’ordre d’un pouvoir d’agir, mais aussi un aspect de
la personnalité des Hurons et des Iroquois.
Réduction des divers éléments de la magie à la notion de pouvoir… 277

moins tenir par des racines étrangement profondes à notre notion


de pouvoir magico-religieux. Au premier rang on doit compter la
notion capitale de brahman. Même dans les textes védiques [ill]
le nom de brahman (neutre : prière, mantra, pouvoir religieux ou
magique du rite) est bien indistinct du prêtre magicien Brahman
(masculin), dont, probablement une simple différence d’accord
sépare de la chose du nom du magicien. Le brahman est ce par quoi
les dieux et les hommes agissent, c’est la voix, c’est la substance
interne des choses. // Cette notion védique, mais plus spécialement
atharvanique est à tel point une notion riche que c’est autour d’elle
que s’est progressivement formé le panthéon hindou. Brahman
est le réel, tout le reste n’est qu’illusion, quiconque se transporte
au sein du brahman (par la mystique, yoga [ill]) obtient tous les
pouvoirs magiques, il crée à volonté le monde. Le brahman est le
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principe actif, distinct et immanent par rapport au tout du monde.
Il est par certains côtés la chose dont sont faites les choses. Ce que
le brahman possède par naissance, et par son éducation, le principe
total, différent, animé et inerte du monde, de la magie, de la religion
du triple véda14 et des autres [ill]. En Inde, le côté mystique de la
notion a seul [ill], il semble qu’en Grèce le côté scientifique, au
contraire, ait seul pu être conservé. (suite illisible) //

Explicat. socio. de la magie. II

Nous venons de montrer comment tous les éléments de la magie


se réduisaient en dernière analyse à une notion de force et de mode
d’action spéciale. En réalité tout se passe dans une véritable sphère
superposée à la réalité, et qui pourtant est crue aussi inhérente que
pour nous, de nos jours, le postulatum d’Euclide est inhérent à notre
conception de l’espace. Il nous reste à montrer que ces notions sont
elles-mêmes d’origine collective et comment elles le sont.
Une pareille démonstration aura deux sortes d’intérêts.
Elle achèvera définitivement de prouver ce que nous avons
déjà bien des fois signalé au cours de ce travail, à savoir la nature
essentiellement collective de la magie, dans son essence cette fois

14. Le « triple Véda » comprend le Rigveda-saṃhita, le Sâmaveda-saṃhita, et le


Yajurveda-saṃhita. Il s’agit de trois doctrines d’investigations mystiques.
278 L’esprit du jeu. Jouer, donner, s’adonner

et non plus dans ces divers éléments. Enfin, elle nous permettra de
voir quelle espèce de phénomène collectif est la magie, quelle est sa
fonction dans l’ensemble des phénomènes sociaux. La magie n’est
possible que comme phénomène social. Elle est nécessaire qu’à ce
titre ; on en peut donner une satisfaisante explication.
Un premier point dans cette voie peut être acquis d’une façon
toute dialectique, toute critique, si l’on veut. Mais // cette façon de
procéder montrera que tout autre est le rôle considérable que joue
dans la création et dans l’élaboration des notions magiques, du
système magique, l’action même de la société. La notion de force
est toujours présente, et c’est cette notion qui est la véritable notion
magique. Or cette notion joue en quelque sorte le rôle que joue la
copule dans la proposition. C’est elle qui pose l’idée, lui donne son
être, sa réalité. Et l’on sait qu’elle est considérable.
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Mais il y a plus.
Puisque nous sommes sur ce terrain dialectique, poursuivons
notre comparaison et considérons, pour un instant, comme des
jugements tout ce qu’est rite, et notions magiques. Soit un exemple,
le magicien crée des corps astraux. Le nuage est produit par cette
combustion de végétaux aquatiques, l’esprit est mis en mouvement
par le rite et saisit l’âme de l’[ill]. Ces notions se déduisent-elles
à la façon de jugements analytiques qui se déduisent les uns des
autres ? N’y a-t-il pas là des synthèses constantes ? Quelle que
soit la relation logique qui existe entre la fumée ou le jet d’eau du
sorcier et le nuage, qui imaginera que jamais // pour le magicien
ou pour ses fidèles il y ait eu une relation de parfaite identité et non
pas d’identité si fragmentaire qu’elle semble en réalité n’avoir eu
d’autre raison d’être que de permettre précisément l’identification
de l’objet du [désir ?] avec un moyen à la portée de la société. Le
jugement magique laisse plus ou moins de place à la synthèse. Cette
synthèse par qui est-elle opérée ? Peut-elle l’être par l’individu ? À
cette première question on peut dire : elle est un principe toujours
en fait [opéré ?] par la coutume. Mais encore [ill] n’y a que des
besoins collectifs, ressentis par tout un groupe d’individus qui
puissent permettre à tous ces individus, aux mêmes moments, la
même synthèse faite des mêmes notions.
La croyance de tous, la foi, est l’effet des besoins de tous, de
leur désir unanime et non pas des désirs de la foi d’un seul. Rien ne
nécessite dans l’esprit individuel, à associer les mots ou les actes
Réduction des divers éléments de la magie à la notion de pouvoir… 279

ou les instruments de tel ou tel individu, jamais l’expérience ne


les associe vraiment. Associations conçues comme logiquement
nécessaires. Ces synthèses magiques n’en sont pas contradictoires,
mais ni le fond, ni la forme de ces associations n’est concevable [ill]
hors d’une sorte de quasi-convention qui établit, préalablement à
toute expérience // que le signe est capable de produire la chose, le
tout la partie, le mot le phénomène, que le rite, le manuel, l’objet
magique sont assez puissants pour évoquer [ill] la fin.
C’est un consensus social, traduction d’un besoin social qui
pousse ainsi à rechercher parmi les associations d’idées possibles,
une sorte d’anticipation préalable, à faire le phénomène désiré par
tous pour qu’il soit constaté par tous. Le choix des moyens magiques
ne peut être fait que par la société. Cette synthèse de la cause et de
l’effet ne peut se produire réellement dans l’entendement individuel,
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elle se produit dans l’opinion publique. Jamais le magicien ne voit
réellement la flèche d’envoûtement partir réellement et tout le
monde, lui-même compris, est persuadé qu’elle arrive. Qu’est-ce
à dire sinon que la magie du tout a précédé celles des parties, et
qu’elle est en réalité une anticipation faite par la société, dont l’acte
individuel du magicien n’est qu’une sorte de répétition. Mais il nous
est possible d’indiquer pourquoi en fait la magie est un phénomène
social. Nous l’avons réduit à une notion de force séparée, de [tiers ?]
monde, de chose superposée, sui generis, de mana sans vouloir
autrement la définir. Maintenant nous pouvons montrer que cette
force est bien [telle ?] parce qu’elle est connue non pas par des
individus, mais par la société.
En premier lieu, cette notion du mis à part // de superposé,
de magique, de non complètement sensible et matériel, ne peut
être une notion vraiment individuelle. Cette rétention vis-à-vis de
choses crues relativement mystérieuses (de tabou sympathique.
Tabou du seuil, et de magie négative) n’est pas une chose que
l’individu fait seul. Outre que les rétentions sont d’ordinaire
réservées socialement, il n’y a en fait qu’elles qui soient capables
de les produire, d’interdire la violation par exemple des tabous de
propriété. En bien des cas, la magie consiste dans une mise de la
chose hors du domaine commun [ill]. La flèche incantée – ce n’est
pas l’action individuelle, le mouvement du corps, des instruments,
les faits sensibles qui sont censés actifs, causatifs, c’est cette tierce
réalité interne et externe à la fois. Les choses se passent à la fois
280 L’esprit du jeu. Jouer, donner, s’adonner

dans le monde du [dieu ?] et dans un monde mystérieux. Mais ce


n’est que de celle-ci que dérive toute connaissance empirique. //
La connaissance individuelle ne donne jamais que de l’empirique,
et jamais cette espèce de transcendant, [ill] que met en mouvement
toute la magie. (Topo sur le naturalisme). – ou moyen de décrire : le
chaud (gradal), le nahualt, le lourd. La théorie des esprits lourds. Il
se fait une addition considérable où en quelque sorte la conscience
sociale, avec ses sympathies et ses antipathies, se surajoute à la
conscience empirique de l’individu.
Mais nous avons encore un moyen de représenter ce qu’a de
social la notion de force magique. C’est de faire remarquer combien
elle est parente de la notion de force religieuse, dont le caractère
social ne peut être mis en question. Sans vouloir épuiser ici la
question magique notre sujet n’est pas du tout celui des rapports
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de la magie et de la religion. Il me sera permis de montrer qu’en
principe, les forces qu’emploie la magie ne sont pas génériquement
distinctes de celle qu’emploie // la religion – caractère magique
aussi bien que religieux de notion de mana – La notion du séparé,
commune à la magie et à la religion. La mise hors du domaine
profane. Mais cette mise hors le domaine profane a une raison
immédiatement assignable si nous examinons les conditions que
nous avons énumérées des rites magiques et si nous analysions
un certain côté des notions mises en mouvement dans ces rites.
Les notions magiques constituent une espèce de domaine à part,
le circuit est pour ainsi dire fermé. Le magicien, [ill] ses mots, les
esprits ou les influences sans nom que le rite fait agir, les choses
suggérées, forment un tout homogène. Il y a en somme création d’un
milieu magique. Le milieu est en tout point comparable au milieu
religieux non pas que les choses s’y trouvent données, accentuées,
au point où elles sont dans un rite aussi complexe et aussi évolué.
Elles s’y retrouvent toujours à quelque degré moindre. De même
que le rite sacrificiel comporte toujours une entrée dans le rite,
une consécration spéciale donnée aux agents, aux moyens et aux
buts du rite, de même le rite magique car au fond, tout rite consiste
en réalité dans cette action sui generis, faite dans un milieu sui
generis. // L’absence de mention de consécrations, d’ablutions
spéciales, ne doit pas d’ailleurs faire illusion. La plupart du temps les
documents ont simplement péché par omission d’une prescription
toute naturelle, et les rites en comportent bien que les rituels n’en
Réduction des divers éléments de la magie à la notion de pouvoir… 281

font pas une véritable mention. Mais, il est possible d’établir que
presque toujours il y a sur un terrain de magie, une série de choses
qui sont ou bien une sorte de [virtu ?]15 par nature ou bien une sorte
de [virtu ?] introduite par action.
Il s’agit toujours d’un rassemblement de force que crée le
formalisme du rite :

a/ relative publicité du rite magique. Présence souvent nécessaire


des sacrifiants. Le conclave magique (Roth)16
Le lieu Arunta. L’endroit où hantent les esprits
Le terrain des tindalos, [encerclés ?] de pierre sacrées
La lololoho – le tavunagig. Les rites de sacrifice préalables
(Rappel des conditions rituelles)
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b/ Le matériel opératoire (Rappel des conditions rituelles)
α. Préparation du matériel – les os des morts.
Les incantations préalables et prolongées – les résidus du
sacrifice
Les contacts dans le sac médecine (Australie quartz et churingas) ;
les contacts dans l’Amérique du N. étude du sac médecine.
β. Les choses recueillies. Les herbes, [ill] des herbes.
γ. Les puissances rassemblées subsistent sur le terrain. Le
départ sans tourner la tête [ill] //
Comparaison avec les rites funéraires. La fille de [Lot ?]
Le lieu magique est un lieu sacrificiel, le rituel magique constitue
un milieu – Comparaison avec le milieu.
Constitué aussi par l’emploi de forces plus qualifiées – les forces
religieuses.

Nous ne trouvons précisément entre l’un et l’autre que des


différences de degré.
Dans l’un et l’autre cas il y a transport au sein d’un monde
spécial, utilisation des forces spéciales de ce monde, acte complet
et terminé. Confection d’un vrai milieu fermé à tous ceux qui n’y

15. Du grec dynamys (δύναμις), synonyme de puissance, de faculté d’être, de


devenir, ou encore de force opératoire.
16.���������������������
��������������������
Walter Edmund�������
Roth, Ethnological Studies among the North-West-Central
Queensland Aborigenes, Brisbane and London, 1897.
282 L’esprit du jeu. Jouer, donner, s’adonner

sont pas entrés, dangereux au moment de la sortie pour ceux qui y


sont. Le milieu magique dans une certaine mesure [est ?] un milieu
quasi individuel, [infra ?] social, souvent hors la loi. C’est un milieu
où les forces agissantes sont déterminées par la société et où les
forces agissantes sont vraiment sociales.
C’est-à-dire que sauf en ce qui concerne leur pure possibilité
psychologique, elles sont exclusivement de nature sociale. Nous
avons vu combien les notions de // mana, de force d’influence
de transport de force supposent non pas simplement un esprit de
magicien, un simple individu qui les trouverait dans son expérience
mais encore tout un système de notions préétablies, qui ne sont
concevables que par l’expérience traditionnelle et l’aveuglement
social tout entier. Il nous reste à montrer combien dans leur nature
et dans leur jeu, ces notions elles-mêmes sont à un haut degré de
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nature exclusivement collectives.
Les choses auxquelles elles s’appliquent sont d’abord, par cela
même revêtues d’un caractère spécial qui fait qu’elles sont pour
ainsi dire, à la façon des choses religieuses, mises hors l’usage
commun. Et inversement, c’est à des choses mises hors le domaine
commun que sont dues d’ordinaires les forces vivantes de la magie.
Un exemple entre tous peut le faire sentir, c’est celui des relations
étroites entre les rites et notion de magie noire, de sorcellerie pro-
prement dite, et les cultes funéraires. La plupart du temps, les esprits
actifs de la magie sont des esprits des morts. Dans nos sociétés,
ce sont surtout ceux des morts de mort violente. – Le lifting of the
hand. – La main du mort et les voleurs. – La corde de pendu. – Le
sang de supplicié. Mais autrefois, c’étaient aussi les esprits des
morts quelconques.
La sorcellerie // en somme la magie de mort tire ses puissances
avant tout d’une notion de mort, notion collective, qui est précisément
celle qui fonctionne dans les rites funéraires, les tabous du cadavre,
du deuil, de la veuve, etc17. La mort est comme la vie une puissance
séparée à laquelle les gens empruntent et qu’ils ne croient pas [ill].
Il y a d’une part un réservoir de vie, et un réservoir de mort. La
magie puise dans l’un et dans l’autre. Mais la notion de mort est elle-

17. Rappelons que Robert Hertz (1881-1915) était alors en train de finaliser sa
« Contribution à une étude sur la représentation collective de la mort ». Voir L’Année
sociologique, 10 (1905-1906), « Mémoires originaux », 1907, p. 48-137.
Réduction des divers éléments de la magie à la notion de pouvoir… 283

même une notion collective et la mort un principe distingué, séparé,


respectable, respecté, craint. Les morts, cadavres, et esprits forment
par rapport au monde des vivants un monde à part où le magicien
puise ses pouvoirs de mort. // Un autre exemple peut être emprunté
à l’étude de la situation particulière de la femme en matière de
magie. Cette situation est tout à fait contraire à celle qu’elle occupe
en matière de religion. Elle a théoriquement une position religieuse
presque toujours inférieure à sa position juridique et même à sa
position religieuse réelle. Il en est tout autrement en matière de
magie, et on peut dire qu’elle y a une position radicalement inverse,
supérieure au point de vue juridique à celle qu’elle occupe en réalité.
La magie est encore plus réputée œuvre des femmes qu’elle ne l’a
probablement jamais été ; des vieilles femmes surtout, d’ordinaire
en cas de sorcellerie, sont plus volontiers [accusées ?]. La femme
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est l’être doué du mauvais œil, mais elle n’est pas du tout censée
s’en tenir à cette mauvaise qualité et ses pouvoirs forment des [ill]
vraiment actifs dans un certain nombre de cas (Europe…). // Mais
ce qui est beaucoup plus remarquable encore c’est que la position
théorique des femmes en matière de magie est infiniment plus
forte que les positions réelles. Et l’on se trouve en présence de ce
phénomène curieux : l’homme est d’ordinaire le magicien, la femme
est régulièrement la coupable de magie. Il y a là un fait des plus
significatifs et même des plus démonstratifs à notre point de vue.
La femme est en effet un être naturellement magique parce qu’elle
est [ill] qualitativement différente de l’homme, douée de pouvoirs
spécifiques, d’ordinaires gauches, ou tout au moins spécifiques dont
les menstrues ne sont en fait que l’expression maximale. Elle est
le siège d’actions mystérieuses, de l’enfantement et du sexe. Elle
est l’être naturellement faible et dont les qualités sont dangereuses.
Elle est plus souvent que l’homme la proie des crises nerveuses
hystériques, interprétées comme des cas de transport magique.
On le voit ce n’est nullement à des qualités simples mais bien
à la façon dont la société envisage ses qualités que la femme
doit le rôle qu’on lui fait jouer en magie. Le sexe féminin est
une force religieuse expulsée du sein de la société religieuse
régulière, et c’est pour cette raison qu’elle constitue une force
magique de premier ordre, un élément intégrant de ce milieu que
nous décrivons maintenant et qui est tout entier fait de choses
déterminées socialement. // Le caractère social du milieu magique
284 L’esprit du jeu. Jouer, donner, s’adonner

peut encore être déterminé d’une autre façon. Chaque fois que
nous nous trouvons en présence de renseignements suffisamment
développés, il apparaît que le rite magique, la magie, a parmi ses
éléments nécessaires tout un ensemble de conditions négatives, tout
à fait comparables aux interdictions et ces interdictions sont en fait
aussi sociales, aussi extra-individuelles que le sont n’importe quels
tabous religieux proprement dits. Ils sont même dans certains cas
de véritables tabous publics, et dénotent, à la base de certains rites
magiques, de véritables états de groupe. Nous avons donc ici une
double preuve : existence de rites négatifs comme conditions du
rite magique ; existence de rites publics, tribaux, comme conditions
d’actes magiques. Le rite magique négatif, c’est ce que Mr Frazer
a justement appelé le tabou sympathique. Certes, beaucoup de ces
tabous de commensalité entre sexes sont évidemment destinés à
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empêcher ce que d’ordinaire la magie produit, à savoir un transport
des qualités (mauvaises ou bonnes). C’est ainsi que les tabous de
commensalité entre sexes ont pour but d’éviter les contacts qui
transmettraient à l’homme les mauvaises influences de la femme.
Dans une certaine // mesure, leur étude pourrait nous intéresser
mais nous préférons ne pas tenir compte de cet immense ordre de
faits parce que l’on n’est pas encore fixé sur la nature religieuse
ou magique de ces tabous, du moins il est impossible de le dire
tant que l’on ne sera pas fixé sur la façon dont il faut entendre la
notion de sacré. Mais prenons simplement comme sujet d’étude les
conditions négatives de certains rites magiques proprement dits. Il
nous apparaîtra que de même que les conditions négatives de tels
ou tels rites elles ont pour but de former précisément un milieu
magique tout aussi déterminé, délimité que peut l’être, le milieu
d’un rite religieux quelconque, un sacrifice par exemple.
Ne comptons pas parmi ces rites négatifs toutes les conditions
de temps et de lieu, toutes les conditions de personnes qualifiées,
ne marquons même pas tous les tabous qui peuvent peser sur le
magicien comme tel, mais signalons simplement l’existence non
rare, presque régulière, lorsque l’on a des textes suffisamment
complets, de rites d’entrée et de sortie comparables à ceux des
sacrifices. Des interdictions alimentaires pèsent souvent sur le
futur intéressé, ou sur l’opérateur ou sur les deux ou sur l’opérateur
intéressé quand les deux sont identiques. Tels mélanges, tels
contacts, tel geste, telle attitude est // prescrite – sous peine de nullité
Réduction des divers éléments de la magie à la notion de pouvoir… 285

du rite ; la nudité en partie [ill] est un rite fréquent du magicien,


et souvent reçoit son interprétation de la nécessité d’une mise en
contact directe du corps du magicien avec les éléments sur lesquels
il s’agit d’agir ou par lesquels il agit. Des tabous de sortie pèsent
également sur le magicien, sur l’intéressé, sur les assistants. Mais
des plus fréquents est celui qui consiste à ne pas retourner la tête au
moment où l’on quitte le terrain. Les rites de sortie pour la cueillette
des herbes cherokees.
Aussi, toutes proportions gardées, le monde de la magie n’est
pas le monde des dieux. Si l’individu y pénètre plus facilement que
dans le cercle des choses religieuses, ce n’en est pas moins un monde
fermé et animé, où l’on n’entre pas et d’où l’on ne sort pas d’une
façon radicalement autre que celle dont on communique avec les
substances divines. Les rites négatifs aboutissent, avons-nous dit,
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quelquefois, à de véritables états de groupe. Les états sont d’ailleurs
plutôt réalisés dans des actes de véritable magie publique que dans
des actes de magie [désintégrée], ils n’en sont d’ailleurs que plus
intéressants, vraiment typiques, d’ailleurs ils peuvent nous mener
dans une certaine mesure à l’explication // de la magie elle-même
dans la mesure où ils se rattachent à des actes magiques collectifs
eux aussi.
Voici les faits.
Dans un certain nombre de sociétés : Malayo-polynésiens et
Mélanésiens (papous), la chasse, la pêche, la guerre ne sont pas
simplement des faits de technique mais comportent toute une série
de représentations et d’actions à caractère religieux ou magique tout
à fait accusé18. Dans un certain nombre de cas, le caractère religieux
des faits est des plus assurés, cela a lieu tout particulièrement pour
les cultes agraires proprement dits, suivant le schéma ordinaire
d’offrandes primitielles, de consécrations des champs, et dont l’aire
s’étend de la civilisation malayo-polynésienne, depuis Madagascar,
jusqu’aux Hawaï en passant par l’Indochine. Mais d’autres faits
sont moins clairement religieux et négatifs puisque certains sont
clairement magiques. Et à la pêche, à l’expédition de guerre, à la

18. C’est là un aspect peu vu du texte de Mauss et de Hubert, puisque réfléchir à


la magie est aussi pour eux une possibilité de poser la question du rôle de la société
dans les progrès de ses adaptations, dans le développement de ses techniques et des
instruments de domination de la nature, finalement dans la genèse de ses catégories
rationnelles.
286 L’esprit du jeu. Jouer, donner, s’adonner

recherche de filons, se superposent tout un ensemble de rites de


sympathie négative tout aussi mécaniquement efficaces que de
véritables rites de sympathie positive. Les Malais de la péninsule
n’ont guère gardé de ces rites que ceux qui concernent la recherche
d’aigle, celle du camphre et des filons des mines d’étain : choses
défendues, qui pourraient rendre en fuite l’âme, l’être ombrageux,
de la mine, de l’essence précieuse. Elle est protégée de tabou, à la
façon d’une chose sacrée proprement // dite. Pour la recherche du
bois d’aigle, il est encore de même chez les Chams. En particulier
règnent ici un ensemble de tabous linguistiques, et l’on est obligé
de changer une partie des noms des choses.
Le pawang du sorcier des Malais, le paja – ou prêtre sorcier
des Chams, ne passent plus que le bhasa hantu, observent eux et
leur [troupes ?] un certain nombre d’interdictions quelques fois
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entièrement détaillées ; aussi détaillées et aussi peu fondées que
possible sur des notions théologiques, mais bien sûr ces raisons
de mythologie scientifique vague sur lesquelles nous l’avons vu,
travaille la magie. Les notions sont encore plus évidentes lorsque
l’on passe à des parties du monde malayo-polynésien qui n’ont pas
été vraiment touchées par de trop forts contacts avec les grandes
civilisations orientales. Les tabous de guerre en particulier sont
des mieux conservés à peu près partout dans toute la province
géographique proprement malaise. À Bornéo, les femmes ne doivent
pas dormir et doivent danser. Les tabous de pureté à la veille de
chasse et de pêche, ou de guerres, sont des plus développés. Dans
certains cas, ils ont connu, ils ont eu en Israël un caractère religieux
assuré et les individus sont bien taboués parce que consacrés à une
divinité ou à une [ill] de la divinisation et qui exige une vendetta.
Mais [normalement] il n’y a pas de pareille idée religieuse à la base
de ces faits. // De tels intermédiaires ne se présentent pas et l’idée,
si elle est religieuse, est en même temps magique.
À Madagascar, l’un des tabous les plus forts, les plus réguliers,
les plus graves, est celui de la chasteté de la femme pendant l’absence
de son mari en guerre. [ill] un mari à la guerre est régulièrement
puni de mort. L’adultère envers un mari absent n’est, chez les
Betsimisarakas19 punis que de certaines sanctions corporelles et
suivant l’adultère simple n’est puni que par le mari. D’où vient

19. Peuple de langue malgache installé sur la côte est de Madagascar.


Réduction des divers éléments de la magie à la notion de pouvoir… 287

cette aggravation, cette graduation s’il n’y a pas là croyance à une


solidarité magique entre le mari qui fait cet acte magique avec la
guerre, et sa femme restée chez lui. [ill], [ill].
Les tabous de pêche et de chasse proprement dits sont peut-
être encore plus développés dans toutes ces sociétés, et leur étude
pourrait être utilement entreprise par les observateurs. Nous
n’avons de véritables renseignements systématiques sur ce point,
qu’en ce qui concerne les esquimaux (Boas, 1901, p. 19020) et
en ce qui concerne les îles du détroit de Torres, de la Mélanésie,
mais ces dernières sont dans la limite du système que nous // nous
sommes astreints à étudier, les autres doivent être dans une certaine
mesure éliminés. [ill], [ill]. Il faudrait bien se garder pourtant de
conclure de notre restriction en ce qui concerne l’allusion de ces
faits à une restriction concernant leur importance. Quelle que soit
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la persistance des phénomènes // magiques il en est un certain
nombre qui ne peuvent donc nullement subsister au-delà de certains
stades de l’évolution. Les cas de tabous sympathiques semblent
être de ceux-là. Ils sont remplacés très vite par les phénomènes
plus particulièrement religieux dont les simples différences de
degrés les séparent, et c’est par une sorte de miracle sociologique,
démonstratif de l’état encore arriéré de certaines campagnes, qu’on
y trouve encore des faits homologues, comme ceux de ne pas se
laisser couper les cheveux avant la moisson.
Les rites négatifs ont un premier intérêt.
Ils dénotent qu’à la base d’un très grand nombre de phénomènes
magiques il y a de véritables états non pas simplement individuels
mais même publics. C’est souvent tout un milieu social qui est
affolé par cela même que certaines de ses parties accomplissent
à un moment donné une sorte d’acte magique. Ces faits dénotent
encore que les divers actes de l’agent magique sont solidaires des
actes des siens restés chez lui, sont conditionnés par ces actes
antérieurs, par exemple les rapports sexuels peuvent enlever à un
individu son mana, son pouvoir, ses facultés nécessaires à la chasse,
à la pêche, [ill]. Il y a au sens propre du mot, formation d’un vrai
milieu social dont l’acte magique est le but absorbant, hypnotisant.
Mais les faits sont toute // proportion gardée, encore présents dans
nos sociétés, et agissent pour une petite partie sur la vie de certains

20.�������������
Franz Boas, The Eskimo of Baffin Land and Hudson Bay, New York, 1901.
288 L’esprit du jeu. Jouer, donner, s’adonner

groupes d’individus. Les joueurs, les chasseurs et les pêcheurs ont


encore tout un folklore de chance et de malchance qui rappelle
par des traits ressemblants assez forts les notions que nous venons
d’indiquer. La plupart ont leurs fétiches, leurs choses prescrites, et
leurs choses interdites. Les faits actuels nous aident à comprendre
les faits passés ou étrangers à nos mœurs. Le fétichisme du joueur,
du chasseur, sa magie inconsciente, négative ou positive (supersti-
tion de montrer des [ill], etc. des rencontres, des substances portées
sur soi, etc.) sont des simples expressions de l’importance de sa
passion, de l’intensité de son attente, de l’incertitude où il est, des
causes qui pourront arriver à le satisfaire. Incertitude d’une part,
passion intense d’autre part. Au total [elles ?] aboutissent à une véri-
table prépossession. Le joueur n’a rien que son idée, aucun moyen
véritable ne lui est donné de la réaliser. Il est comme suggestionné
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par elle ; les moyens qui lui semblent possibles sont des moyens
efficaces, certains gestes, certains contacts sont au contraire dange-
reux. Entre toutes les sortes de choses, les intermédiaires et le but
fixé, il s’établit une sorte de sympathie ; l’attente, crainte et espoir
ne se concentre plus sur le gain mais se diffuse à tous les objets, et
c’est ainsi que de bonne foi, certains gens peuvent imaginer faire
tourner la veine en faisant tourner divers objets sur la table à jeu,
et la maintenir en évitant de les tourner.
Les gens dont les parents sont à la chasse, à la pêche, à la guerre
sont [ill] comme les auteurs de ces actes à la fois [ill] magiques,
dans un état de véritable attente collective. // Ils forment un terrain
mental tout à fait favorable aux fausses perceptions et aux illusions
qui en sont la conséquence : [Erreur ?] scientifique, expérimentale
est (c’est ici que nous rejoignons une des théories courantes de la
magie) l’état normal de ces gens, leurs coïncidences devient une loi,
un rapport accidentel devient une règle, comme chez nous encore,
les scrupuleux et les superstitieux s’abstiennent de certains actes
sans relation avec leur but mais où leurs scrupules et la tradition
voient seules des relations.
En même temps d’ailleurs que ces états d’attente produisent
des sortes d’illusions positives, ils produisent aussi des illusions
négatives. Les démentis infligés au magicien par l’expérience ne
viennent pas à l’appui des notions magiques par un curieux retour
de l’esprit collectif. Ils viennent pour ainsi dire à leur appui et les
échecs de la magie se trouvent expliqués non pas par l’erreur des
Réduction des divers éléments de la magie à la notion de pouvoir… 289

lois magiques mais par l’existence de magies contraires invisibles,


faites par des étrangers.
Les notions magiques ne sont pas en effet seulement des idées
pures et simples, ce sont proprement des idées-forces et souvent
même elles constituent des forces considérables. Les lois magiques
ne sont que partiellement des lois crues expérimentales, // et
soumises à un contrôle. Elles sont des lois a priori à l’abri de toutes
critiques. Elles sont de plus non pas abstraites, mais parfaitement
concrètes, et il n’est pas un seul rituel magique qui dise qu’on peut
provoquer un seul fait à part des circonstances extraordinairement
spéciales et définies. Il y a sur ce point une différence fondamentale
entre l’erreur scientifiquement dite et la quasi-erreur magique. L’une
est le produit de fautes logiques, l’autre n’est qu’extérieurement
le produit d’une logique pure ; elle est en réalité, pour celui qui la
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pratique, le produit d’une mystique.
C’est pourquoi, encore extérieurement, on a raison de rattacher
la magie aussi bien à la science qu’à ce groupe mal défini des
croyances que l’on ne détermine pas en le décorant du nom de
superstition, qui elles aussi ne sont que des appréhensions discrètes
et mal systématisées du concret. Ainsi l’ensemble des rites et des
fonctions magiques nous apparaît comme faisant partie intégrante
du système des superstitions et de l’imaginaire, à la fois confus
et animé, mais éminemment sillonné de craintes, d’inhibitions
d’une part, d’actes et d’espoirs de l’autre. Mais les uns et les autres
sont de nature collective et traditionnelle et non pas simplement
individuelle.
Nous avons donc rencontré enfin des faits qui nous ont fait
faire un progrès décisif à l’analyse, parce que nous voyons que //
ces attentes et ces illusions qui sont la cause même de la magie ne
sont pas seulement des phénomènes individuels mais encore des
phénomènes collectifs ; leurs caractères d’être communs à tout un
groupe est tel précisément que l’on peut comprendre comment la
croyance a pu s’imposer, être commune à tout le groupe, l’attente,
l’illusion sont également collectives. Ce n’est pas un seul individu
qui croit à sa propre magie. C’est le groupe tout entier qui croit
à la sienne. Jusqu’ici, nous sommes restés sur le terrain des rites
négatifs magiques d’ordre quasi public, mais les mêmes faits sont
d’ordinaire attachés, dans ces mêmes sociétés, à des faits de magie
publique positive, proprement dits. Ces faits sont d’autant plus
290 L’esprit du jeu. Jouer, donner, s’adonner

intéressants qu’ils correspondent non seulement à des états d’attente


et de prépossession, mais qu’ils démontrent comment tout un groupe
peut poursuivre, par sa simple mise en mouvement, un but magique
et fixé préalablement.
Ils montrent comment ce n’est pas seulement en arrêtant des
mouvements mais en animant d’un même mouvement tout un
groupe social que la croyance magique s’impose. Nous parlerons
simplement des rites malayo-polynésiens qu’accomplissent à peu
près partout les femmes, vieillards et mêmes enfants pendant le
départ des expéditions de chasse et de pêche. // Leur but en général
semble être de maintenir une activité externe à l’intérieur du groupe
sédentaire, telle que celle que le groupe expéditionnaire doit avoir
s’il veut réussir dans ses actes. À Madagascar (les textes anciens sont
les plus formels), nous savons par de Flacourt21, Rochon22, Ellis23,
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que non seulement la plus grande pureté était recommandée aux
femmes, mais encore qu’elles devaient veiller de façon constante, ne
jamais laisser s’éteindre le feu, et danser continuellement. Pendant
l’expédition dayak – la femme porteur du sabre et qui ne doit pas le
laisser tomber – la famille s’intéresse à son chef et à ses membres à
une distance considérable, le guerrier doit se lever tôt, c’est pourquoi
on se lève tôt à la maison – Dans toutes les tribus maritimes de la
Nouvelle-Guinée, etc.
Il y a là plus qu’un fait de « sauvage télépathie », comme le dit
Frazer24. Il y a télépathie active, il y a identité entre les actes des
divers membres du groupe. Il y a une sorte de solidarité mécanique.
Un même état mental diffus, une action unique propagée d’un bout
à l’autre du corps social ; la croyance se propage seulement sous sa
forme [ill]. Elle est encore une chose vraiment active qui rythme

21. Étienne de Flacourt, Histoire de la grande isle Madagascar, Clouzier, Paris,


1661.
22. Alexis-Marie de Rochon, Voyage à Madagascar et aux Indes orientales,
Prault, Paris, 1791.
23.����������������
William Ellis, Three Visits to Madagascar, Harper, London, 1859.
24. On peut voir l’important travail de réécriture de ce passage, sans doute sous
l’influence d’Hubert. Voici ce que l’on retrouve en 1904 : « Il y a bien, dans ces
pratiques, des faits de savage telepathy, comme dit M. Frazer, mais de télépathie active.
Tout le corps social est animé d’un même mouvement. Il n’y a plus d’individus. Ils sont,
pour ainsi dire, les pièces d’une machine ou, mieux encore, les rayons d’une roue, dont
la ronde magique, dansante et chantante, serait l’image idéale, probablement primitive,
certainement reproduite encore de nos jours dans les cas cités, et ailleurs encore. »
Réduction des divers éléments de la magie à la notion de pouvoir… 291

les actes de tout le groupe des intéressés, et en forme un milieu à


idée unique, illusoire, quasi hallucinatoire. Les faits typiques que
nous avons // analysés de préférence parce qu’ils nous conduisent
comme par la main au résultat cherché, ne sont pas les seuls que
nous aurions pu invoquer à l’appui d’une théorie de ce genre. Nous
pouvons indiquer deux grandes classes de faits dont nous aurions pu
nous servir également, mais avec plus de difficultés. Ce sont les rites
de la magie médicale et les rites des faiseurs de pluie. Ce sont toutes
deux des parties fort importantes, peut-être des plus importantes des
systèmes magiques en général. Faire la pluie, et guérir sont parmi
les principaux buts que les hommes ont poursuivis dans leurs arts
magiques, or les deux rites ne sont que par un certain côté des rites
de magie individuelle et comportent des états de groupe plus ou
moins importants, mais ils en comportent toujours à quelque degré.
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Commençons par les rites médicaux.
La plupart du temps, ils sont accomplis en public, ou tout au
moins devant ce public restreint que constitue la famille. Ils ne sont
que dans certaines circonstances des rites entièrement secrets, et
encore le secret doit être plutôt dû à la gravité de la maladie, aux
dangers d’une contagion possible, qu’à la nature du rite médical
lui-même. Normalement, ils ne sont vraiment secrets que pour
partie et d’ordinaire, les lustrations, les massages, les opérations
se font devant la famille et les prescriptions lui sont même données
officiellement. Il y a là un groupe social minime mais un groupe
organisé avec un chef qui est toute // l’autorité, tout le pouvoir, et
un embryon de foule qui est toute l’attente, toute la crainte, tout
l’espoir, toute la crédulité et l’illusion. L’action de l’une des parties
de ce milieu sur l’autre est immanquable et il ne nous semble pas
douteux que c’est à un rôle de ce genre que les magiciens doivent
en grande partie leur caractère, leur succès, et même leur persistance
dans nos sociétés modernes, soit parmi des couches très basses, soit
parmi des couches très hautes et très excentriques de nos popula-
tions. On peut voir encore de nos jours fonctionner ces états de
groupe élémentaires (famille) dans des rites médicaux du monde
malais, même indonisé, ou colonisé. Le conclave magique médical,
le pawang dans Skeat25, la disposition de la famille, du malade, des

25.�����������������������
Walter
����������������������
William��������
Skeat, Malay Magic, Being an Introduction to the Folklore
and Popular Religion of the Malay Peninsula, préface de C. O. Blagden, Macmillan,
292 L’esprit du jeu. Jouer, donner, s’adonner

objets, l’arrivée du pawang, la transe, la détermination des causes,


les incantations. Tout cela sont des suggestifs curieux du plus haut
degré, étant une action non seulement sur le malade mais encore
sur tous les assistants, sur la curiosité desquels porte chacun des
gestes que le magicien atteint au fond du [ill] partage et satisfait.
– Analyse du cas des Kayans et Iban (Haddon Head Hunter26)
Wilken27 [smithsonian]
– L’interrogatoire magique en Mélanésie, les tindalos, la déter-
mination publique de la cause de la maladie, etc. //
Les rites du faiseur de pluie fournissent un exemple encore plus
illustre des mêmes faits d’attentes et d’activité collective. On sait
quelle importance ils ont pris dans toutes les sociétés de l’Afrique
du sud où les faiseurs de pluie ont [ill] supérieure que le chef ou
le roi. Mais dans un grand nombre de cas, le faiseur de pluie et ses
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rites sont plutôt restés dans le monde magique, seul et en marge
des cultes régulier et obligatoire. Ils n’ont été que l’intermédiaire
nécessaire entre un groupe et un but désiré par tout un groupe, mais
il n’a jamais été, en Australie, en Mélanésie, un rite exclusivement
individuel, car le besoin de pluie est d’ordinaire ressenti par une
collectivité. Analyse de rites : Roth28, Mycooloon et Pitta Pitta29,
le grattage collectif, le bain – les gens qualifiés, hypothèses d’un
clan de l’eau. Spencer et Gillen30, l’intichiumma du totem de l’eau.
Nature magique religieuse de ces rites.
Il y a d’autres cas plus nettement magiques. Wakelbura tribu de
Perth, tribu de King Georges [ill], Dieris, les Mura Mura31. Histoire
des Wirreenun de Langloh Parker32, la disette, les invectives des

London, 1900. En 1904, Mauss et Hubert s’attardent cependant sur un autre aspect du
livre de Skeat, celui de kramat, qui désigne la force magique bienfaisante.
26.���������������������
Alfred
��������������������
Cort���������
Haddon, Head-Hunters, Black, White, and Brown, Methuen,
London, 1901.
27.���������������������������������������������������������������������������
��������������������������������������������������������������������������
George Alexander����������������������������������������������������������
Wilken, « Het Shamanisme bij de volken van den Indischen
Archipel », De Indische Gids, 1884.
28.���������������������
Walter
��������������������
Edmund�������
Roth, Ethnological studies among the North-West-Central
Queensland Aborigines, Queensland Agent-Generals Information Office, London,
1897.
29.���������������������������������
Population du sud du Queensland.
30.���������������������������������������
��������������������������������������
Baldwin�������������������������������
Spencer, Francis James Gillen, The Native Tribes of Central Australia,
Macmillan, London, 1899.
31.������������������������
�����������������������
Alfred William���������
Howitt, Native Tribe of South-East Australia, London, 1904.
32.� Katie
����������������������
Langloh Parker, Australian Legendary Tales: Folklore of the
Noongahburrahs as Told to the Piccaninnies, 1895.
Réduction des divers éléments de la magie à la notion de pouvoir… 293

jeunes gens au faiseur de pluie, la façon dont il récite les tabous, en


moitié à secret // la formule, l’arrivée de la pluie, déluge. Le [ill] ici
grossit encore l’effet. Faits mélanésiens, Codrington, de Rochas33,
C. M. Woodford34, etc.
Ici nous apercevons fonctionnant vraiment sous nos yeux un fait
complet de magie publique : un de ces états ambigus des rites dont
le caractère adoratif n’est pas plus net que le caractère théurgique,
le caractère individuel que le caractère public, le caractère matériel
que le caractère spirituel car les forces mises en mouvement sont à
la fois des esprits et des choses. Ce sont des individus qui pratiquent
mais en vertu d’une autorité sociale ; ce dont ils se servent ce sont
des objets plus ou moins consacrés ; le groupe les attend, les incite,
se solidarise avec eux : leurs idées, leurs attentes sont communes, et
c’est de ces idées et de ces attentes qu’est faite la magie du faiseur de
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pluie. La présence de la [vie ?] sociale qui semble cesser au moment
où le magicien se retire dans son enclos plus ou moins sacré, est
au contraire plus forte que jamais ; dans l’esprit du magicien et
dans celui de ses lointains spectateurs, ce sont de mêmes notions ;
cette notion de puissance, de potentialité magico-religieuse. C’est
en somme la tradition et l’impatience du groupe qui fonctionne
seules à ce moment-là.
L’étude de ces faits ne peut être qu’indiquée ici, et leur analyse
définitive ne peut y être faite puisque nous // ne sommes pas arrivés
à une théorie générale des rites et des phénomènes magiques aussi
bien que religieux. Nous avons atteint notre but si nous avons pu
montrer à l’aide de ces faits plus complexes ou plus élémentaires
que des rituels magiques, même plus élaborés, qu’il existe au sein
de la magie, une sorte de notion du sacré, tout à fait comparable à
celle que nous avions retrouvé tout au long du rite sacrificiel. Nous
avons atteint notre but si nous avons réussi à montrer comment cette
notion était l’expression de l’influence de la société sur l’individu
auteur ou provocateur des rites magiques.
Même si nous avons dû, à la fin de notre analyse, étudier des faits
dont le caractère magique est relativement douteux, nous sommes

33. Victor de Rochas, La Nouvelle-Calédonie et ses habitants, Paris, 1862.


34.��������������������������
Charles Morris Woodford, A Naturalist among the Head-Hunters. Being an
Account of Three Visits to the Solomon Islands in the Years 1886, 1887, and 1888,
Melbourne, 1890.
294 L’esprit du jeu. Jouer, donner, s’adonner

arrivés à nos fins si l’on nous concède que ces faits possèdent,
peut-être, en outre de certains autres, tous les caractères généraux
du fait magique, et si nous semblons bien avoir expliqué des faits
qui comprennent la magie tout au moins pour partie intégrante. Au
surplus, nous aurons à prouver plus tard, lorsque nous en viendrons
à l’étude des rapports de la magie et de la religion, que ces faits
complexes, à la fois magiques et religieux, sont vraiment des
faits sociaux, et à légitimer ainsi l’importance que nous lui avons
reconnue. //
[ill], [ill]

Conclusion
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La magie nous apparaît en somme comme un système de faits
vraiment sociaux. Mais il ne faut pas oublier aussi que, puisque par
définition nous n’y trouvons guère, comme agents, que des individus,
dès qu’elle s’est constituée comme phénomène absolument à part,
la magie fut l’apanage presque exclusif de l’individu. En montrant
comment elle peut être à la fois l’un et l’autre nous croyons avoir
acquis un résultat non seulement de sociologie religieuse, mais
encore de sociologie générale puisque nous croyons avoir montré
comment l’individu isolé peut arriver à ne travailler que sur des
phénomènes sociaux. Et comment la transmission d’arts magiques
est elle-même bien que faite d’individu à individu, un phénomène
social.
Nous avons assigné une nature à la magie, et nous avons indiqué
provisoirement une origine possible. // [ill] Pendant un temps assez
long la magie est restée en quelque sorte une technique pour diverses
raisons. Elle poursuivait des buts que poursuivent actuellement les
arts : de la [ill], de la médecine, de la chimie, de la mécanique, elle
visait des effets atteints quelques fois par les mêmes procédés que
ce qu’elle employait mais auxquelles elle attribuait une autre valeur
qu’une valeur mécanique. La magie est essentiellement un art de
faire, de produire des effets. Et par effet il faut entendre de véritables
effets matériels. Moyens et buts poursuivis sont à la fois concrets
et spirituels, mais ils sont toujours concrets. Par un certain côté la
magie, certains des mots employés par les religions l’indiquent,
c’est le domaine de la production pure, pour ainsi dire ex nihilo. La
Réduction des divers éléments de la magie à la notion de pouvoir… 295

magie consiste au savoir faire en faire à croire. Elle est la technique


la plus facile, elle suscite la cause et l’effet, en réalisant de façon
imaginaire l’effet. Elle consiste dans une technique qui ne fait rien
mais qui fait croire, elle fait tout avec de pures idées collectives. //
Elle est non seulement une technique mais encore une science, et
ce n’est pas sans raison que les faits et les théories se rapprochent
normalement de la divination, de l’astrologie, de la mystique car
elle pose à un haut degré un caractère idéologique. Elle est dirigée
en effet non seulement sur la production des choses mais vers
leurs connaissances. Elle n’a pas, comme la religion, pour but de
permettre à l’individu de [ill], elle a pour but les choses concrètes,
sur lesquelles elles vont exercer son pouvoir. Par là même, elle se
trouve dirigée vers la nature tout comme la science et enregistre
un certain nombre de lois que précédemment la science n’eut qu’à
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vider de leur contenu social, de leur sympathie et de leur antipathie,
de notions vidées de tout contenu objectif, pour avoir de véritables
propositions scientifiques. //
La nature collective des notions magiques est donc apparente. Il
s’agit de la notion de force magique elle-même. Il s’agit maintenant
de l’expliquer.
Elle est, nous l’avons vu, une notion commune à la magie et à
la religion. Ce monde séparé et interne est celui des dieux et des
esprits et des puissances spirituelles bonnes ou mauvaises. Or, c’est
elle qui sépare la synthèse des termes de la magie dans l’esprit
collectif. Elle est présente partout, dans tout ce qui est rite et ce
qui est traditionnel, en même temps qu’efficace, d’une efficacité
spéciale. C’est elle qu’il s’agit d’expliquer pour expliquer la magie,
puisqu’elle est une sorte d’application. Nous pouvons donc prévoir
que cette explication pour être assez exhaustive va nous faire sortir
du domaine de la magie pure, et nous amener à des phénomènes
mentaux qui ne sont pas spécialement magiques mais religieux.
Une pareille nécessité est loin de nous embarrasser. Il ne s’agit
en effet rien moins que d’indiquer une double hypothèse. À savoir
celle d’une confusion primitive de la magie et de la religion et
celle d’une antériorité des formes collectives de la magie sur les
formes individuelles. Nous commencerons dans ce travail une
démonstration toute provisoire en établissant que ce sont précisément
dans des phénomènes magico-religieux que nous trouvons, mieux
que partout ailleurs, des états mentaux où tout un groupe d’homme
296 L’esprit du jeu. Jouer, donner, s’adonner

a pu créer cette notion de force, de mana, de pouvoir séparé. Nous


terminerons même cette démonstration quand, ayant retrouvé ces
états de groupes primitifs, nous montrerons comment, sur eux a pu
se // greffer tout le système de la magie individuelle, de la magie
proprement dite.
Nous suivons aussi une espèce de méthode analytique, où
nous retrouverons sous cette notion obscure et mêlée de puissance
mystique, des états primitifs, puis une méthode [synthétique ?] où
nous montrerons comment le sorcier finit par utiliser cette puissance
que la collectivité a seule créée. Naturellement nous aurons en bien
des points à supposer résolue la question des multiples et divers
rapports que la religion soutient avec la magie, mais il n’y aura
pas pour nous de difficultés, puisque de plus en plus apparaîtra
qu’entre les phénomènes magiques et les phénomènes religieux il
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n’y a que des différences de degrés et de positions et non pas des
différences de nature.

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