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Introduction Générale

Les bactéries sont apparues sur Terre il y a 3.5 milliards d’années (depuis mille fois plus
longtemps que l’Homme), ce qui en fait les êtres vivants les plus primitifs et les moins
complexes structurellement. De ce fait et vu leur rapidité de génération, les bactéries constituent
un modèle de choix pour l’étude des processus évolutifs car l’évolution de leurs génomes est
observable à l’échelle expérimentale.

Les bactéries que nous connaissons aujourd’hui sont le fruit de plusieurs milliards d’années
d’évolution pendant lesquelles elles ont acquis ou perdu certaines de leurs composantes
génétiques. En effet, les génomes bactériens sont doués d’une grande élasticité qui leur est
conférée par divers mécanismes de recombinaison génétique. Les capacités d’adaptation en
résultant leur permettent d’être présentes en très grand nombre sur toute la surface du globe et
de coloniser une grande variété d’écosystèmes, dont l’Homme.

Les humains sains contiennent 10 fois plus de cellules bactériennes (constituées par les
différentes flores naturelles) que de cellules humaines. Ces bactéries, dites commensales, jouent
différents rôles bénéfiques pour leurs hôtes et sont indispensables au bon fonctionnement du
corps. Néanmoins, certaines espèces, dites pathogènes, peuvent se multiplier aux dépens de
leurs hôtes et être à l’origine de pathologies dont la prise en charge thérapeutique se voit
compliquée par l’émergence de souches bactériennes multi-résistantes aux antibiotiques.

En effet, depuis l’introduction de la pénicilline en thérapie humaine, de nombreuses molécules


antibiotiques ont été développées et mises sur le marché, pourtant pour chaque nouvelle
molécule introduite, des résistances sont décrites. Grâce à leur remarquable capacité
d’adaptation, les bactéries déjouent constamment les efforts mis en place pour les combattre.

Les mécanismes moléculaires impliqués dans cette formidable adaptabilité ainsi que ceux à
l’origine de la pathogénèse infectieuse sont décrits dans le présent manuel.

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Partie 1 : Génétique Bactérienne

I- Le génome bactérien

Chez les bactéries, le matériel génétique est organisé en :

- Un chromosome unique (sauf exceptions), les bactéries étant haploïdes (1N).

- Du matériel génétique extra-chromosomique (facultatif) portant des gènes non


essentiels mais avantageux pour la bactérie (plasmides et transposons).

1- Le chromosome (voir partie rappels)

Le chromosome bactérien code pour tous les éléments indispensables (protéines essentielles, structure,
réplication…). Il porte donc tous les gènes « d’entretien » ou « house-keeping genes ».

2- Les éléments extra-chromosomiques


Les plasmides sont des éléments génétiques extra-chromosomiques à réplication autonome.
Contrairement au chromosome, ils ne portent pas de gènes essentiels à la survie de la bactérie
car ils se perdent facilement. Ils codent pour des fonctions additionnelles qui confèrent un
avantage à la bactérie (ex: résistance aux antibiotiques, facteurs de virulence…).
Les transposons (gènes sauteurs) sont des molécules d’ADN mobiles capables de sauter d’une
structure génétique à une autre.

Ces éléments se transmettent par:


- Transfert vertical pendant la multiplication cellulaire (scissiparité) lorsqu’il s’agit de
la même espèce (de la cellule mère à la cellule).
- Transfert horizontal entre bactéries de mêmes espèces ou d’espèces différentes. Ce type
de transfert permet la transmission des gènes à grande échelle.

II- Les mutations (voir partie rappels)


Les mutations sont des altérations brusques du matériel génétique. Elles correspondent à des
erreurs ayant lieu lors de la réplication.

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Lorsqu’elles sont naturelles, les mutations sont:

- Aléatoires
- Stables (transmissibles aux générations suivantes)
- Spontanées
NB : Les mutations peuvent également être induites expérimentalement par des agents
physiques (UV, rayonnements radioactifs…) ou chimiques (fumée de cigarette, acide
nalidixique…).
- Indépendantes (la probabilité pour que deux mutations aient lieu simultanément est le
produit des probabilités individuelles de ces deux mutations)
- Rares : surviennent à une fréquence de 10-6 à 10-8 chez les bactéries (pour un gène donné).
Cette fréquence est appelée taux de mutation et est plus élevé chez les bactéries que chez
les eucaryotes.

Remarque: Compte tenu du fait que les temps de génération bactériens sont courts (un grand
nombre de bactéries voit le jour en très peu de temps), les mutations sont observables à
l’échelle humaine. Par conséquent, les bactéries servent de modèle expérimental de
l’évolution et de l’adaptation des espèces.

Les mutations peuvent être délétères (mort de l’individu ou incapacité à survivre) ou


avantageuses (adaptation à de nouvelles conditions). Les mutations avantageuses (permettant
l’adaptation) sont sélectionnées par les conditions extérieures tandis que les mutants lésés sont
voués à disparaître. Ce phénomène est appelé la sélection naturelle.

Conclusion: Les mutations aléatoires spontanées sont peu nombreuses et ont lieu à un taux
constant. Pourtant, elles font partie des principaux mécanismes permettant aux bactéries
l’acquisition de nouveaux caractères et donc leur adaptation à de nouvelles conditions.

Cependant, l’évolution des bactéries est fortement accélérée par leur capacité à acquérir des
gènes complets obtenus d’autres individus.

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III-Les transferts génétiques

Les transferts horizontaux correspondent à des acquisitions d’ADN étranger par une bactérie
receveuse. Ces phénomènes aboutissent à une recombinaison génétique.

Tandis que chez les eucaryotes le matériel génétique provient de deux sources différentes (la
reproduction étant sexuée) donnant lieu à de nombreuses possibilités de recombinaison
génétique, chez les bactéries les gènes sont transférés entre organismes matures et indépendants.

Ce type de recombinaison génétique a lieu à une fréquence de 10 -4 et survient donc plus souvent
qu’une mutation.

Un transfert génétique se résume à: un fragment d’ADN donneur =exogénote qui entre dans une
cellule receveuse (ou réceptrice) pour devenir une partie stable de son génome= endogénote.

Contrairement au transfert vertical (d’une cellule mère aux cellules filles) qui se fait au sein de
la même espèce, les transferts horizontaux peuvent se faire entre bactéries phylogénétiquement
éloignées (ou pas) qui partagent la même niche écologique.

Figure 1 : Principe général des transferts génétiques horizontaux (modifié et traduit à


partir de Willey et al., 2008).

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Le passage de l’ADN d’une bactérie donneuse à une bactérie receveuse peut se faire lors de
trois mécanismes différents : la transformation, la transduction et la conjugaison.

Figure 2 : Différents types de transferts horizontaux (traduit à partir de


http://amrls.cvm.msu.edu/)

1- La transformation

La transformation résulte de l’incorporation d’ADN nu du milieu extérieur de manière


héréditairement stable. Lorsque les bactéries se lysent, elles libèrent une importante quantité d’ADN
dans le milieu extérieur sous forme de fragments de tailles variées. Si un fragment entre en contact avec
une cellule bactérienne vivante, il peut s’y fixer et pénétrer.

Ce processus est aléatoire (n’importe quelle portion d’ADN peut être transférée) et survient à
une fréquence de 10-3.

Remarque: La bactérie receveuse incorporera 1 ou quelques gènes.

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1-1- Notion de compétence

Pour que l’ADN étranger puisse pénétrer dans la cellule, cette dernière doit se trouver dans un
état particulier dit de compétence, c’est-à-dire, être capable de synthétiser des protéines
spécifiques permettant l’intégration et l’attachement.

Certaines espèces (ex: Streptococcus pneumoniae) sont naturellement compétentes (toujours ou


à certains stades de leurs croissances) tandis que d’autres peuvent le devenir expérimentalement
(E. coli).

1-2- Mécanisme

Figure 3: Etapes de la transformation (traduit à partie de Willey et al., 2008)

1/ Une cellule compétente se lie à une molécule d’ADN double brin

2/ La nucléase hydrolyse un des deux brins, donnant naissance à un ADN monocaténaire.

3/ Les protéines de compétence fixent le brin

4/ L’ADN monobrin pénètre dans la cellule

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Après pénétration de l’ADN dans la cellule receveuse, il existe deux devenirs possibles :

- S’il y a présence de région homologue sur l’endogénote alors il y a recombinaison, la


bactérie acquiert un nouveau caractère cette transformation est dite transformation
stable.

- S’il n’y a pas de région d’homologie alors la transformation est avortée, la bactérie
receveuse n’est pas transformée.

Figure 4 : Transformation et transfection (modifié et traduit à partir de Willey et


al., 2008)

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Remarque:

Si l’ADN extérieur est un plasmide, le mécanisme est nommé transfection. Dans ce cas, l’ADN
reste extra-chromosomique et se réplique de manière autonome. La transfection est toujours
stable.

2- La transduction

La transduction est le transfert de gènes bactériens par le bais de bactériophages. Elle survient
dans la nature à une fréquence de 10-6.

Les bactériophages sont des particules de structure simple composées d’ADN (mono ou
bicaténaire) ou d’ARN et d’une capside protéique, capables d’infecter les bactéries.

Il existe une spécificité entre les bactéries hôtes et les phages qui les infectent. En effet, pour
qu’il puisse pénétrer dans la cellule hôte, le phage reconnait des récepteurs spécifiques présents
uniquement sur la paroi des bactéries cibles.

En fonction du type de relation phage/bactérie, on distingue deux types de phages :

- Les phages virulents qui induisent un cycle lytique (mort de la bactérie)

- Les phages tempérés qui induisent un cycle lysogénique

2-1- Infections par les bactériophages


2-1-1- Cycle lytique

On parle de cycle lytique lorsque le phage prend le contrôle de la cellule hôte et l’oblige à
produire de nombreuses copies virales. Ce cycle reproductif s’achève par la lyse de la bactérie.

Mécanisme:

- Adsorption: la rencontre entre le phage et la bactérie est aléatoire. L’adsorption du


phage dépend de la spécificité des protéines de la capside par rapport aux sites récepteurs
présents sur la paroi bactérienne.
- Injection: pénétration du matériel génétique
- Assemblage des virions: synthèse des constituants phagiques, encapsidation et
maturation.

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NB: Cette étape induit l’arrêt de la réplication et de la transcription bactérienne
(détournement de la machinerie cellulaire).
- Lyse de la bactérie et relargage des particules virales.

2-1-2- Cycle lysogénique

Certains phages (tempérés) ne lysent pas la cellule bactérienne hôte. Après adsorption et
injection, l’ADN phagique ne prend pas le contrôle de l’hôte et ne le détruit pas.

Le génome viral reste dans la cellule hôte et s’intègre dans le génome bactérien. Il est alors
appelé « prophage ». Toutefois, il faut noter que dans des conditions environnementales
appropriées, le prophage peut s’exciser et prendre le contrôle de la cellule hôte en se multipliant
à ses dépens.

La multiplication du phage peut être déclenchée par les radiations U.V ou d’autres conditions
défavorables. Ce phénomène est appelé « induction ».

Remarque: Dans certains cas, les gènes du prophage s’expriment, conférant à la bactérie de
nouvelles propriétés. On parle alors de « conversion lysogénique » ou de « conversion
phagique » (Cf. Cours Partie 2 : Infectiologie, toxines).

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Figure 5 : Alternance des cycles lytique et lysogénique (traduit à partir de Willey
et al ; 2008).
2-2- Mécanisme

2-2-1- La transduction généralisée


Durant l’étape d’assemblage, quand l’ADN phagique est empaqueté dans les capsides, des
fragments d’ADN bactérien sont empaquetés par erreur.

NB: La capside ne pouvant contenir qu’une quantité limitée d’ADN, seuls quelques gènes
bactériens seront encapsidés par erreur.

La particule résultante injecte son ADN dans une autre cellule bactérienne sans initier de cycle
lytique. Comme au cours de la transformation, le transfert est stable lorsque l’ADN est intégré
dans le chromosome de la bactérie receveuse. Cette intégration dépend de la présence de zones
d’homologies dans l’endogènote.

Il arrive que l’ADN ne soit pas intégré mais qu’il survive et s’exprime. Les cellules contenant
cet ADN survivant sont qualifiées de transduits abortifs.
Lorsque l’ADN ne s’intègre pas et ne survit pas, le transfert est non réussi.

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Figure 6: Transduction généralisée (traduit à partir de Willey et al., 2008)

2-2-2- La transduction spécialisée

La transduction spécialisée se fait par le biais de bactériophages tempérés ayant établi un cycle
lysogénique au sein de la bactérie hôte (donneuse).

Elle est la conséquence d’une erreur d’excision du prophage (lors de l’induction d’un cycle
lytique) qui emporte avec lui de l’ADN bactérien. La particule transductrice résultante ira infecter
un nouvel hôte (bactérie receveuse) et lui injectera de l’ADN phagique et de l’ADN bactérien.

Compte tenu de la spécificité phage/bactérie et de la constance du site d’intégration du prophage,


pour un phage donné, la même portion d’ADN bactérien sera transférée.

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3- La conjugaison

La conjugaison est un mécanisme sexuel de transfert de gènes, caractérisé par:

- La nécessité d’un contact entre les bactéries

- La notion de polarité: le transfert a lieu de la bactérie donneuse (assimilée au mâle) vers


la bactérie receveuse (assimilée à la femelle).

- Le caractère de fertilité responsable du transfert ou facteur F, régit par l’opéron « tra »


qui code pour les gènes nécessaires à l’attachement cellulaire et au transfert (une
vingtaine de gènes). Le facteur F peut être extra-chromosomique, porté par les plasmides
conjugatifs (F+) ou être intégré au chromosome sous forme d’épisome (Hfr).

La conjugaison se fait en 4 étapes principales:

- Contact cellulaire (par le biais du pilus sexuel, codé par l’opéron « tra »)

- Mobilisation de l’ADN (préparation)

- Transfert d’un brin unique d’ADN

- Reconstitution du brin manquant à la fois dans la cellule donneuse et dans la cellule


receveuse: le transfert est conservatif.

3-1- La conjugaison plasmidique (F+ x F-)

Lorsqu’elle met en jeu le plasmide, la conjugaison peut se faire entre bactéries d’espèces, de
genres ou de familles différents. Elle a lieu à une fréquence d’environ 10-3.

La conjugaison entre une bactérie F+ et une bactérie F- (ne possédant pas F) se caractérise par
une haute fréquence de transfert de F: la bactérie F- devient F+ et la bactérie F+ reste F+ :

Donc : F+ x F- = 2F+

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Figure 7 : Conjugaison des plasmides (traduit à partir de Campbell et al., 2006)

Remarque : Tout le plasmide est transféré = Transfert en bloc.

3-2- La conjugaison chromosomique (Transfert Hfr x F -)

Quand le plasmide F est intégré de façon stable dans le chromosome bactérien, la bactérie est
appelée Hfr: haute fréquence de recombinaison. Ce type de transfert a lieu à une fréquence de
10-2.

La conjugaison entre une bactérie Hfr et une bactérie F- se caractérise par:

- Une faible fréquence de transfert du caractère sexuel. Le transfert commence par un


site dans le plasmide « ori T », juxtant l’opéron « tra ». Le transfert se faisant dans le sens
opposé, le facteur F ne peut se reconstituer qu'après le passage de tout le chromosome
bactérien (environ 100 minutes). Dans la nature, la conjugaison est interrompue avant le
transfert complet.

- Une haute fréquence de transfert des gènes chromosomiques, qui peuvent se


recombiner avec les gènes de la bactérie réceptrice pour lui donner un nouveau phénotype
(Haute fréquence de recombinaison).

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Donc : Hfr x F- = Hfr x F-

Figure 8 : Conjugaison chromosomique (traduit à partir de Campbell et al., 2006)

IV- Les éléments génétiques mobiles


1- Les plasmides
1-1- Définition

Les plasmides sont des molécules d’ADN circulaires autoréplicables (réplicons) qui peuvent
être présents de façon stable sous forme extra-chromosomique à l’intérieur d’une cellule.

Le même plasmide peut exister en plusieurs copies dans la cellule et des plasmides différents
peuvent être présents (selon compatibilité).

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