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ET
L'INTERVENTION FRANÇAISE
PREMIERE PARTIE
LA SITUATION EN 1873
lettrés.
S'il se lève, dit Mgr Colomer, quelque génie
privilégié, qui, touché des disgrâces de son pays,
signale à ses compatriotes le but qu'ils doivent
poursuivre pour sortir d'une telle abjection, aus-
sitôt s'agitent les « têtes volcaniques des disciples
du philosophe chinois », les lettrés, et, loin de
saluer en lui le restaurateur de leur patrie, ils l'ac-
cablent de railleries et d'injures, l'appelant avec
mépris l'ami des barbares d'Europe.
Les lettrés sont, en effet, les seuls partisans dé-
voués de Tu-duc et de ses mandarins. « Dans la
stricte acception du mot, le corps des Lettrés
comprend les anciens mandarins, tous les gra-
(1) Histoire de l'Intervention française au Tong-kïn, par
M. Romanet du Caillaud.
ET L'INTERVENTION FRANÇAISE. 9
Les chrétiens.
Quant aux chrétiens, ce furent, en général, après
les lettrés, les meilleurs et les plus fidèles sujets
du gouvernement annamite, les missionnaires
ayant toujours pour règle de leur enseigner la sou-
mission aux autorités établies. C'est ainsi qu'en
1802, alors que la persécution sévissait encore,
on vit un grand village, Yen-tri, dans la province
de Quang-yèn, combattre pour ses oppresseurs
et résister par les armes au prétendant Lê-phung,
et néanmoins ce prétendant était chrétien (1).
Malgré cela, les missionnaires étaient traités
avec le plus profond mépris, et ce fut, parait-il, à
l'occasion de mon intervention pacifique sur le
fleuve que, pour la première fois, les humilia-
tions qu'on leur faisait subir leur furent épar-
gnées.
Ils racontent eux-mêmes les premiers effets de
cette intervention pacifique, et je leur laisse la pa-
role :
« Après avoir demandé aux mandarins le
libre
passage sur le fleuve, et voyant leurs hésitations,
M. Dupuis leur dit :
II
6 Janvier 1873.
« Bourayne »
dans les eaux tongkinoises. Dans ce
rapport, M. Senez, « craignant de voir cette con-
trée privilégiée nous échapper,... expose à l'Ami-
ral un projet de soulèvement des populations du
Tong-kïn. A la tête de ce soulèvement nous eus-
sions placé un prétendant, et une maison de Saï-
gon se fût chargée, sous notre garantie financière
occulte, de lui procurer des armes. » — « J'ai no-
tamment demandé », explique et ajoute l'Amiral,
« que, malgré les difficultés de l'heure présente,
on s'établit de force dans le delta du Song-Coï
pour l'occuper définitivement, si la cour de Hué
s'obstinait à faire traîner en longueur la conclusion
du traité qui devrait être fait depuis des an-
nées (2). »
Telle fut cette seconde politique proposée par
23 juin 1873
0 octobre 1873.
II
choix de F.
Arrêtons-nous d'abord à Saïgon. Aussitôt que le
arnier pour Gouverneur de la Cochinchine entrevit la possibilité
égler les af-
aires du Tong- d'une intervention effective au Tong-kïn, il manda
ïn éclaire la
olitique de
'Amiral.—Dé- auprès de lui l'homme qu'il pensait devoir être
eloppement
e cette poli- l'exécuteur le plus fidèle de ses secrètes inten-
ique.
tions. Cet homme était Francis Garnier. Le choix
de cet officier était significatif, étant donné l'im-
portance et la difficulté de la mission. Il jette une
lumière nouvelle sur la politique de l'Amiral. Le
ET L'INTERVENTION FRANÇAISE. i3
lieutenant de vaisseau Francis Garnier (1) était
déjà célèbre alors par son exploration du Mékong
avec M. Doudart de Lagrée. On connaissait son
caractère impétueux et son esprit d'initiative.
Aussitôt débarque à Saïgon, Garnier devient
l'âme des projets de l'Amiral. Plusieurs documents
en font foi. Ce sont d'abord deux lettres fort
habiles aux vice-rois du Yûn-nân et de Canton
pour les prier de ne pas intervenir au Tong-kïn et
de laisser à la France « tout le fardeau de la
protection des intérêts du commerce » sur le
Fleuve Rouge (2). C'est ensuite un projet de
dépêche du contre-amiral Dupré à M. de Geofroy,
ministre de France en Chine :
« Monsieur le Ministre,
« j'enverrai au
Il se peut que l'officier que
Tong-kïn ait à entrer en pourparler avec le vice-
roi du Yûn-nân, soit pour la discussion des condi-
tions les plus avantageuses au développement des
rapports commerciaux entre les deux pays, soit
pour réclamer contre les agissements des chefs
militaires chinois envoyés au Tong-kïn et le
traitant en pays conquis. La mission de cet officier
sera des plus difficiles et demandera autant de
fermeté que de prudence. Il ne disposera guère
que d'une influence morale, qu'il convient de
faire aussi puissante que possible.
«
Il serait urgent de se hâter pour que le vice-
roi de Canton, de qui dépendent tous les pays
tributaires du Sud, reçût de Pékin des instructions
conformes au sens de cette lettre. Grâce à la ma-
lencontreuse publicité qui a été faite autour de
l'expédition Dupuis, les Anglais ne tarderont pas
à être complètement au courant de la situation,
et ils pousseront alors de toutes leurs forces le
gouvernement chinois à la conquête du Tong-kïn.
Leur commerce y trouverait facilement un port
plus heureusement situé que celui de Haï-nan ; il
est donc urgent de se hâter. »
Cette lettre, prise sur un brouillon de l'écriture
de Garnier, est tout entière inspirée par lui.
Le programme qu'elle contient est explicitement
ET L'INTERVENTION FRANÇAISE. 49
« Monseigneur,
« Le gouvernement annamite est menacé de
ET L'INTERVENTION FRANÇAISE. 55
« DUPRÉ. »
III
IV
« Marins et soldats,
« Signé : GARNIER. »
«
que celui où se fait ce commerce.
J'ai déjà dit à Votre Excellence comment les
deux Gouverneurs de Canton et du Yûn-nân vou-
laient que se fît l'ouverture du commerce qui
94 LE TONG-KIN.
leur sera avantageuse. Comment cela se réglera-
t-il lorsqu'ils s'en occuperont? Que Votre Excel-
lence pense ou ne pense pas qu'il y a là de
grands dangers, Elle est libre ; ce n'est pas mon
affaire et cela ne regarde qu'Elle.
« Pour toutes les raisons précédentes, Votre
Excellence doit voir clairement que l'affaire de
M. Dupuis et celle de l'ouverture du pays au com-
merce sont intimement liées ensemble et que la
première ne pourra être réglée que lorsque la
seconde aura été accordée.
« Je consens à donner l'ordre à M. Dupuis de
partir; mais, immédiatement après, je déclarerai
la liberté du commerce.
« Ce n'est que clans le cas où Votre Excellence
aurait les pouvoirs suffisants pour traiter avec
moi, que je pourrais y apporter quelque retard.
Si Elle ne veut pas que nous examinions ensem-
ble l'affaire Dupuis, libre à Elle, mais je ne dois
pas moins vous en entretenir afin de vous in-
former. »
« Signé: GARNIER. »
»
98
« Monsieur le Maréchal,
« Signé : Garnier. »
104 LE TONG-KIN
« Signé : F. GARNIER. »
VI
qu'il
son chef, annonçait, le sourire sur les lèvres,
était envoyé par le gouverneur pour présenter ses
compliments, apporter ses présents et dire qu'il
ne fallait pas compter sur sa visite, la loi anna-
mite s'y opposant. M. Balny refusa les présents et
répondit que M. de Trentinian avait suffisamment
expliqué combien les intentions des Français
étaient amicales, mais que la visite du gouverneur
était indispensable pour prouver qu'il y répondrait
par des dispositions analogues. On attendait cette
visite jusqu'à trois heures. L'officier repartit,
ayant toujours le sourire sur les lèvres.
Personne ne parut. Les remparts, au contraire,
se couvrirent de monde et de pavillons. A 3 h. 05,
la pièce fut donc pointée sur la tour de la cita-
delle, à 10 encâblures, et l'on ouvrit le feu. La
tour est touchée, ainsi que les maisons qui l'en-
tourent. Au dixième coup, M. Balny fit cesser le
l'eu et s'approcha de la citadelle pour parlementer.
On lui envoya un simple caporal. A défaut d'autre
messager, M. Balny chargea cet homme de dire
qu'il attendrait l'envoi d'un parlementaire jusqu'à
six heures, la visite du gouverneur jusqu'à huit.
A six heures et demie
se présenta le chef de la con-
grégation chinoise. Il venait demander à quelle
condition M. Balny consentirait à ne plus tirer le
canon. L'officier français répondit qu'il n'exigeait
rien autre que la visite du gouverneur, dont il
138 LE T0NG-KIN
VII
(1) Tu-duc rapporte ici les rumeurs qui arrivaient à la cour, fort
exagérées.
178 LE TONG-KIN
« Commandant p. i. de la citadelle ».